(1890) Oeuvres complètes de J. M. Charcot. Tome 7. Maladies des vieillards : goutte et rhumatisme
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(1890) Oeuvres complètes de J. M. Charcot. Tome 7. Maladies des vieillards : goutte et rhumatisme

ŒUVRES COMPLÈTES

DE

J.M. CHARCOT

MALADIES DES VIEILLARDS GOUTTE ET RHUMATISME

TOME VII

avec 19 figures dans le texte et 4 planches

PARIS

AUX BUREAUX^DU PROGRÈS MÉDICAL

14, rue des Carmes.

LECROSNIER ET BABÉ

libraires-éditeurs,

Place de l'École-de-Médecine.

1890

AVIS DE L'ÉDITEUR.

Dans ce volume qui constitue le tome VII des Œuvres complètes de M. Charcot, nous avons rassemblé tous les tra-vaux de notre maître sur les maladies des vieillards. Ce vo-lume se compose : 1° Des Leçons cliniques sur les mala-dies des vieillards et les maladies chroniques, faites en 1866, et recueillies par M. B. Bail; — 2° des Leçons sur la thermométrie clinique dans les maladies des vieil-lards, faites en 1869, et recueillies par M. Joffroy ; —'? 3° de la thèse de doctorat de M. Charcot smla Goutte asthénique primitive; — 4° de ses mémoires et observations sur la Goutte et le rhumatisme chronique ; — 5° de Varia sur les maladies des vieillards.

BOURNEVÏLLE.

Février 1889.

PRÉFACE DE L'AUTEUR1

Les « Leçons sur les Maladies des vieillards et les Ma-ladies chroniques, » commencées à une époque de la vie où l'horizon ne paraît pas encore limité, avaient été con-çues sur un plan très vaste ; il ne s'agissait, en effet, de rien moins que de remanier, à la lumière d'observations personnelles, l'histoire de ces affections nombreuses et va-riées qui ne se rencontrent et ne s'étudient guère que d'une façon incidente, dans les hôpitaux ordinaires, tandis qu'elles se montrent, au contraire, à profusion dans les hospices, en particulier dans ce grand asile qu'on appelle la Salpetrière. Mais des difficultés très sérieuses et qui n'avaient pas été suf-fisamment prévues, devaient naturellement surgir bientôt. Le champ neuropathologique n'était pas, en ce temps là, ouvert à tous comme il l'est aujourd'hui, et sillonné sur pres-que tous les points de larges voies qui en rendent le par-cours relativement facile. Pour pénétrer dans ce domaine et apprendre à s'y orienter, il fallut se livrer alors à une série d'études qui exigèrent beaucoup de temps. Cependant les

1. Nous croyons utile de reproduire en tête de cette nouvelle édition la pré-face que M. Charcot a écrit pour la traduction anglaise, faite par M. W. Tuke, au nom de la Société de Sydenham, Londres, 1881.

Charcot. Œuv. compl. t.vii. Malad. des Vieillards

matériaux recueillis, chemin faisant, pendant cette période de recherches, s'étaient accumulés en grand nombre, si bien qu'il parut indispensable, à un moment donné, de les coordonner dans un ouvrage à part1.

Ceci expliquera pourquoi le présent volume est resté et restera sans doute toujours inachevé. Je tiens à déclarer qu'en l'admettant à figurer tel qu'il est, et malgré tout ce qui lui manque, dans sa collection, la Société de Sydenham lui a fait, à mon avis, un très grand honneur. Je tiens éga-lement à remercier sincèrement M. W. S. Tuke, d'avoir bien voulu, sous la forme d'une traduction à la fois élé-gante et fidèle, le présenter à l'appréciation de mes confrè-res anglais auxquels, depuis longtemps déjà, tant de liens de sympathie m'attachent, et dont je viens, une fois de plus, invoquer l'accueil bienveillant.

Paris, 1er octobre 1881.

J. M. CHARCOT.

1. Les Leçons sur les maladies du système nerveux ».

INTRODUCTION

LA MÉDECINE EMPIRIQUE ET LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE PARALLÈLE ENTRE LES ANCIENS ET LES MODERNES.

Messieurs,

Le cours que nous inaugurons aujourd'hui est des-tiné à vous faire connaître les caractères généraux qui dis-tinguent la pathologie des vieillards de celle des adultes, et à fixer votre attention sur quelques-unes des maladies qu'on rencontre plus spécialement dans les asiles consacrés à la vieillesse.

Nous nous astreindrons autant que possible à donner à nos leçons les allures méthodiques qui conviennent à tout enseignement théorique. Nous ne négligerons pas toutefois le côté clinique, et nous espérons bien pouvoir vous mon-trer, au lit du malade, quelques-uns des types qui auront servi de point d'appui à nos descriptions.

Vous connaissez maintenant l'objet de ces études ; nous pourrions entrer immédiatement en matière, car nous som-mes de l'avis de Condillac, et nous pensons que les consi-dérations générales sont mieux placées à la fin d'un cours qu'elles ne le sont au début. Mais il existe une tradition

pour ainsi dire classique, qui crée au professeur l'obliga-tion de s'expliquer tout d'abord, d'une manière plus ou moins catégorique, sur certaines questions fondamentales, et d'exposer, en quelque sorte, sa profession de foi scien-tifique.

A cette obligation, nous ne croyons pas devoir nous soustraire, et nous allons entrer courageusement dans l'accomplissement de cette tâche souvent ingrate et tou-jours difficile, comptant bien un peu sur votre indulgence et sur la bienveillance que vous nous avez souvent té-moignée.

Il existe un moyen simple, et pour ainsi dire naturel, d'aborder ces questions majeures : c'est de rechercher, dans le cours du développement progressif de la culture scientifique, comment elles se sont produites et comment elles ont été ré-solues ; l'histoire devient aussi un agent de critique. Or l'on reconnaît bientôt, en suivant cette voie, qu'à aucune époque l'observation pure n'est pas parvenue sans de suprêmes ef-forts à dominer l'esprit d'hypothèse. Pour ce qui concerne spécialement la médecine, qui seule doit nous occuper ici, jamais on n'a vu les intelligences même les plus stoïques se borner à constater les faits sans chercher à les relier entre eux par une théorie quelconque ; dès l'origine, on voit les esprits occupés autant et plus des rapports subjectifs des choses que de leur réalité même ; les données empiriques de l'observation, à peine acquises, sont rapprochées, éprou-vées les unes par les autres, pour en faire sortir des théo-ries ou des systèmes (I). 11 y a là, il faut bien le recon-naître, une nécessité de l'esprit humain, et il semble, suivant une expression célèbre de Kant, que nos pensées

1. Dechambre. — Introduction au Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, p. xix.

doivent se fondre dans ce moule uniforme. C'est ce qu'a parfaitement reconnu lui-même le fondateur de la philoso-phie positive, auquel on ne reprochera pas sans doute d'avoir ouvert la voie aux hypothèses lorsqu'il a déclaré que, si une théorie doit être exclusivement fondée sur des ob-servations, il faut de toute nécessité être guidé par une théorie pour se livrer à l'observation d'une manière fruc-tueuse.

Mais on peut distinguer toutefois, à cet égard, les besoins réels de notre intelligence des exagérations de tout genre auxquelles les esprits systématiques se laissent entraîner. On conçoit en effet l'existence d'une méthode spéculative s'appuyant rigoureusement sur les faits, comme aussi l'exis-tence d'une méthode d'observation se tenant aussi loin que possible des spéculations prématurées; et il ne s'agirait plus, par conséquent, que de rechercher sur quel terrain ces deux méthodes peuvent se rencontrer.

Messieurs, du point de vue où nous sommes placés, nous croyons reconnaître une différence capitale entre l'ancienne médecine et la médecine moderne. La première a toujours manqué des éléments nécessaires à l'édification d'une théorie positive, et c'est pourquoi les nombreuses tentatives qu'elle a faites dans cette direction devaient toujours échouer. Les modernes, au contraire, possèdent quelques-uns des maté-riaux qui devront servir à cette construction ; mais ils savent surtout, — profitant des erreurs commises par leur devan-ciers, — quels chemins doivent rester fermés à la spécula-tion, et quelles voies, au contraire, elle peut parcourir sans crainte de s'égarer.

C'est à développer cette thèse que nous nous attacherons dans le cours de cette leçon ; mais il nous faut tout d'abord indiquer en quel point de l'histoire finit l'ancienne médecine, pour faire place à la médecine nouvelle.

T.

La médecine a vu s'opérer de nos jours une révolution profonde, radicale.

Il faudrait remonter sans doute à des temps fort éloignés pour retrouver l'origine première, le point de départ de ce grand changement, dont nous subissons encore aujourd'hui l'influence. Mais c'est seulement vers la fin du siècle dernier et au commencement du nôtre que la direction de ce mouve-ment s'est nettement accentuée, et que le but où il tend s'est révélé d'une manière éclatante.

Dire qu'un abîme infranchissable s'est ouvert à partir de cette époque entre l'ancienne et la nouvelle médecine, ce serait évidemment aller beaucoup trop loin. Non, les liens de la tradition ne sont pas rompus. Le labeur des temps passés n'est pas perdu, et nous conserverons précieusement l'immense héritage que nos prédécesseurs ont accumulé pen-dant le cours des siècles ; mais il faut constater que de nou-veaux horizons se sont ouverts pour nous, et que le point de vue de la science moderne s'est élevé en se déplaçant.

Les précurseurs de cette réforme ont été Vésale, Harvey, Morgagni, Bichat, le créateur de l'anatomie générale. Cor-visart, Laënnec, Broussais ont grandement coopéré au mou-vement. Puis viennent nos maîtres immédiats, Àndral, Rostan, Bouillaud, Cruveilhier, Magendie, Bayer, et j'aime à vous faire observer que tous ces noms sont français. Il semble que les progrès merveilleux qu'a réalisés dans ces derniers temps la physiologie expérimentale sous l'influence des Millier, des Cl. Bernard, des Longet, des Brown-Sequard, aient entraîné même les retardataires et les timides, et dé-cidé la situation.

Le caractère de cette révolution consiste essentiellement dans l'intervention directe, immédiate, — nous ajouterons légitime, — de l'anatomie et de la physiologie dans le do-maine pathologique.

Avant l'époque où elle s'est produite, la médecine était renfermée à peu près tout entière dans l'étude des symp-tômes ; après cette époque, elle devient successivement anatomique, puis physiologique et acquiert décidément les tendances scientifiques.

On peut, croyons-nous, ramener à deux traits caractéristi-ques les principes fondamentaux acceptés par la médecine moderne :

1° En premier lieu, les symptômes autrefois considérés d'une manière abstraite, et jusqu'à un certain point, en de-hors de l'organisme, lui sont aujourd'hui intimement ratta-chés ; on doit rechercher le siège du mal, suivant le pré-cepte deBichat. Entraîné par sa logique inflexible, Broussais proclame qu'il ne saurait y avoir de dérangement des fonc-tions sans une lésion correspondante des organes (nous di-rions aujourd'hui des tissus) : les symptômes ne sont enfin désormais que le cri des organes souffrants.

2° En second lieu, la maladie avait pu être considérée au-trefois comme un être indépendant de l'organisme, comme une sorte de parasite attaché à l'économie ; aujourd'hui, — et c'est encore à Broussais qu'on doit d'avoir nettement af-firmé ce principe, — elle n'est qu'un trouble des propriétés inhérentes à nos organes. Il s'agit là, non de l'apparition de lois nouvelles, mais de la perversion, du dérangement des lois préexistantes.

On comprend la part énorme que devront prendre désormais les connaissances d'anafomie et de physiologie dans l'interprétation des phénomènes morbides; est-ce à dire

que ces deux sciences doivent absorber la pathologie et la dominer d'une manière abolue ?

Messieurs, ici se présente une difficulté sérieuse qui ap-pelle la discussion ; je vous demande la permission d'entrer à ce propos, dans quelques développements.

Incontestablement, la pathologie peut être vivement éclai-rée par la physiologie, mais très certainement, elle ne sau-rait en être déduite..

Permettez-moi, à ce propos, de vous rappeler une pensée profonde qui se trouve dans Hippocrate: « Qui aurait prévu, dit-il, d'après la structure du cerveau, que le vin peut en dé-ranger les fonctions ? » A qui, ajoute M. Littré, qui cite ce passage, la connaissance du corps humain aurait-elle appris que les émanations marécageuses produisent la fièvre inter-mittente ? Le problème, comme vous voyez, est complexe. En effet, outre la condition physiologique supposée connue, il faut rechercher encore le mode que détermine par son action la cause morbifique. En d'autres termes, pour savoir quels seront, sur un organisme sain, les effets d'un agent morbi-fique, il faut, de toute nécessité, que l'expérience ait été faite.

On voit par là que la pathologie, en présence de l'anato-mie et de la. physiologie, conserve de droit une certaine in-dépendance et jouit d'une certaine autonomie. La constatation pure et simple des faits pathologiques nous fournit évidem-ment des données d'une importance capitale, pouvant sub-sister par elles-mêmes, et c'est là, pour ainsi dire, la matière de la médecine. L'intervention des sciences biologiques, — y compris les connaissances physico-chimiques qui s'y ratta-chent, — est ici, sans doute, indispensable; nos recherches sans leur appui se feraient le plus souvent au hasard, comme à tâtons1 : mais leur rôle, en tant qu'il s'agit d'observation

1. « Les observations cliniques recueillies de nos jours ne sont supérieures aux observations qui ont été rassemblées dans les siècles antérieurs qu'en rai-

pathologique, est en quelque sorte subordonné: elles sont le moyen et non le but. L'observateur se borne et veut se borner à enregistrer les faits et à les envisager dans leurs rapports naturels. C'est là, croyons-nous, le véritable carac-tère de la médecine empirique. On peut désigner, en somme, par cette expression, la science considérée dans un état en-core imparfait et à l'époque où les faits ne sont pas reliés entre eux par une théorie physiologique i.

« Le jour où la science, » a dit Requin, « serait parvenue » à la connaissance complète de l'homme normal jusque » dans les profondeurs les plus intimes de son organisation » et jusque dans les mystères les plus cachés de sa vie ; le » jour où elle aurait dévoilé tous les secrets de l'état patho-» logique et compris toutes les modifications que les agents » extérieurs produisent sur l'économie, ce jour-là, la science » serait faite 2. » Mais à l'heure qu'il est, la réalité est bien loin d'approcher de cet idéal ; la pathologie, la physiologie, l'anatomie elle-même sont en voie d'évolution.

Aussi croyons-nous qu'en bonne méthode, il importe de maintenir systématiquement séparés, — bien qu'à titre pro-visoire — les deux points de vue que nous avons indiqués, tout en favorisant, autant que possible, leurs rapproche-ments légitimes. Il faut éviter, en un mot, comme eût dit Bordéu, de marier de force et à contre-cœur le dogme et l'empirisme.

Ces réserves étant faites, nous sommes les premiers à

son directe de la prévalence des modernes sur les anciens, en fait de connais-sances anatomiques et physiologiques... » (Ch. Robin, Journal de l'anatomie, etc., 1867, p. 297.)

1. Littré — Dict. de la langue française, art. Empirisme.

2. Boerhaavc avait dit: « Qui itaque haberet perfecte intellectas omnes condi-tiones requisitas ad actioncs, ille perspiceret clare defectum conditionis ex co-gnito morbo, et rursus bene caperet ex cognito defectu naturanti morbi inde necessario sequentis. »

reconnaître les immenses services que les applications bien dirigées de la physiologie moderne ont rendu à la pathologie et à proclamer hautement que l'avenir de la médecine est là.

Au reste, ce qui a manqué à nos prédécesseurs, ce n'est pas le sentiment de l'importance qu'il faut accorder à la physiologie dans les études médicales, ce sont des notions plus exactes et plus étendues sur les problèmes difficiles qu'ils ont quelquefois essayé de résoudre sans en avoir me-suré la profondeur. On peut même dire que de tout temps on s'est efforcé d'interpréter au point de vue de la physiolo-gie alors régnante les faits pathologiques.

Permettez-moi de vous citer ici les propres paroles de Daremberg, qui se prononce sur ce point avec toute l'auto-rité que donne une connaissance approfondie de l'histoire : « Il n'y a rien de meilleur, disait-il, qu'une bonne physio-« logie, ou du moins qu'une physiologie qui, reposant sur « l'expérience, porte en elle-même des germes inépuisables « de perfectionnement. Une telle physiologie réforme la me-cí decine et transforme la thérapeutique; mais aussi, il n'y a « rien de plus désastreux, de plus contraire au progrès de la « pathologie, qu'une mauvaise physiologie, qu'une physiolo-« gie a priori qui, chaque jour, trouve en elle-même les « meilleures raisons de s'enfoncer de plus en plus dans les « ténèbres, et d'enchaîner l'essor de la science. En vain les « observations les plus délicates et les plus difficiles se mul-te tiplient dans l'école hippocratique, à Alexandrie : les idées « sont plus entêtées que les faits. La physiologie résiste si « bien, qu'elle dénature, pour les ranger sous sa loi, les dé-

« couvertes de l'anatomie et les conquêtes de la pathologie.....

« Au contraire, lorsque, entre les mains de Galien, lamé-ce thode expérimentale, déjà maniée à l'école d'Alexandrie, a

1. Résumé de l'histoire de la médecine, etc. — Union médicale, 1865.

« transformé la physiologie du système nerveux, alors la « médecine change de face. »

Or, messieurs, cette physiologie a priori est seule respon-sable de ces trop fameux systèmes qui, à diverses reprises, ont exercé une si funeste influence sur le développement de la science ; le naturisme, le stahlianisme et toutes les formes du vitalisme ancien et moderne, sans en excepter celui de Bichat, s'y rattachent par un côté ; l'iatro-mécanicisme, l'iatro-chimisme s'y rattachent par un autre. Les uns détachent de l'organisme les principes de la vie, pour les faire régner sur lui en maîtres capricieux ; les autres tentent audacieusement de donner de la vie une interprétation physique ou chimique, et cela à une époque où l'on ne soupçonnait même pas les véritables rapports de la biologie avec les sciences physi-ques. De tels écarts sont heureusement impossibles de nos jours. Assise sur des bases positives, la physiologie ne sau-rait plus être un danger pour la .médecine ; elle en est de-venue, au contraire, le plus solide appui. Elle l'enveloppe de toutes parts, si j'ose ainsi dire, dans un réseau à mailles serrées, qui ne livre plus passage aux spéculations témé-raires : et si, de nos jours encore, des erreurs sont quelquefois commises, elles ne témoignent que d'un vice dans l'applica-tion de la méthode et non d'une erreur dans ses principes.

Contre l'usurpation d'une mauvaise physiologie, les esprits sages et bien pondérés ont toujours protesté avec énergie; et c'est surtout à ce point de vue qu'il faut admirer ces médecins voués par principe au culte de l'observation pure, parmi les-quels se détache, en première ligne, la grande figure d'Hip-pocrate.

Messieurs, quels ont été les fruits de cette médecine sys-tématiquement isolée de tout contact étranger, réduite par conséquent à ses propres forces et fondée sur l'observa-tion pure? Quel a été son caractère, jusqu'où peut-elle pré-

tendre, où s'arrête son domaine? Voilà des questions qui méritent bien d'être examinées. L'histoire nous offre, à ce sujet, une expérience toute faite, qui s'est prolongée pen-dant plusieurs siècles et dont les résultats se présentent au-jourd'hui à notre appréciation.

IL

Mais ceci nous conduit en pleine antiquité, aux plus beaux jours de la Grèce, au siècle de Périclès i.

L'anatomie, à cette époque, n'existait qu'à l'état le plus rudimentaire ; on n'avait pas encore distingué le système nerveux des parties tendineuses. On prenait le cerveau pour une glande. On croyait les artères pleines d'air, et la dis-tribution réelle du système veineux était complètement in-connue.

La physiologie était encore au dessous de ce point ; elle ne reposait que sur des vues de fantaisie ; elle ne s'était même pas dégagée de la philosophie spéculative de l'époque, qui, dans ses aspirations audacieuses à la connaissance immédiate de l'univers, négligeait la patiente, la modeste recherche des faits, et la considérait presque comme indigne d'un sage. Car l'erreur radicale de la philosophie grecque, ainsi que l'a fort bien dit Herschell2, a été d'imaginer que la méthode qui, en mathématiques, avait donné de si beaux résultats, pouvait s'appliquer aussi à la réalité objective, et qu'en partant des notions les plus élémentaires ou des axiomes les plus évidents, on pouvait tout discuter.

Au milieu de ces circonstances, en apparence si défavo-

1. On reconnaîtra facilement, dans ce passage, les emprunts fais à la belle exégèse qu'a donnée M. Littré de l'œuvre hippocratique.

2. Discours sur YEti/de de la philosophie naturelle, p. 134,

rames, nous voyons surgir 1 école de Los. Mie nous apparaît dirigeant toutes ces critiques contre les médecins cnidiens, qui n'avaient pas su, comme elle, résister à l'envahissement de la philosophie de l'époque. Elle affirme que la médecine doit marcher dans ses propres voies, en s'appuyant sur les faits, non sur des hypothèses; et c'est ainsi qu'elle construit cet édi-fice quia méritél'admiration de tous les siècles.

On pourrait le comparer à ces chefs-d'œuvre de la statuaire grecque, exécutée par des artistes qui n'avaient observé que les formes extérieures, et dont toutes nos connaissances analomiques ne nous ont pas encore appris à surpasser la beauté.

Hippocrate envisage le corps dans son ensemble et, si je puis ainsi dire, dans ses grandes lignes, sans prétendre en pénétrer le mécanisme interne.

Il le considère aussi dans ses rapports avec le inonde exté-rieur, afin de constater les modifications qu'il en reçoit.

Ce dernier point de vue le conduit à une étiologïe large et compréhensive, où l'influence des saisons, celle des climats, et, parmi les causes individuelles, celle des âges, sont surtout mises en relief.

A mesure que l'année passe par des phases successives de chaleur et de froid, de sécheresse et d'humidité, le corps humain éprouve des changements, et les maladies en emprun-tent les caractères. C'est sur ce fondement qu'est établie la doctrine des constitutions médicales correspondant à des états particuliers de l'atmosphère, doctrine qui a subsisté jusqu'à nos jours, malgré les exagérations dont elle a été souvent l'objet, parce qu'elle renferme un fond de vérité.

Quant au climat, ce n'est, pour ainsi dire, qu'une saison permanente, et dont l'empreinte est plus marquée, parce que son influence ne manque jamais d'agir. Si les Grecs sont bra-ves et libres, si les Asiatiques sont efféminés et esclaves, cela

tient au climat que ces peuples habitent. Cette idée contient en germe, comme vous voyez, le fatalisme géographique dé-veloppé dans les temps modernes par Herder, et qu'exploite si habilement de nos jours un littérateur philosophe, M. Taine, sous le nom de Théorie des milieux. Ici l'exagération est fla-grante ; mais qui pourrait contester l'influence des climats sur les dispositions habituelles du corps et de l'esprit, et sur-tout sur les maladies dont nous pouvons être affectés ?

Poursuivant cette analogie, Hippocrate considérait les âges comme les saisons de la vie, et leur attribuait par conséquent des maladies spéciales. Sans accepter cette interprétation, la science moderne a pleinement confirmé la réalité du fait ; et nous savons qu'il existe des maladies qui tiennent aux révolu-tions des âges.

Dans la pathologie d'Hippocrate, ce qui nous saisit tout d'abord et nous impressionne le plus vivement, c'est l'impor-tance qu'il attribue à l'état général, et l'indifférence qu'il té-moigne à l'égard de l'état local. Ce point de vue paraîtrait singulièrement exclusif si l'on oubliait les conditions dans les-quelles Hippocrate observait. C'est surtout sur les maladies aiguës fébriles qu'il avait concentré son attention, et plus par-ticulièrement sans doute, suivant la remarque de M. Littré, sur les fièvres rémittentes ou pseudo-continues, qui régnent en Grèce de nos jours comme elles y régnaient au temps d'Hip-pocrate. Or, il faut reconnaître que l'état fébrile constitue toujours un mode à peu près identique, indépendamment des causes qui le produisent et des formes diverses qu'il peut revêtir. Ce qui importait surtout, d'après Hippocrate, c'était de rechercher certains signes qui permettraient de prévoir les crises, les accidents, l'issue de la maladie, et de fournir des indications pour l'emploi des remèdes.

C'est pour en arriver là qu'il examinait attentivement l'ex-pression des traits, la coloration du visage, l'attitude du ma-

lade, la chaleur du corps, les mouvements de la respiration, les urines, les sueurs, les évacuations diverses. N'est-ce pas à peu près dans le même but que nous cherchons à appré-cier l'état des forces, le degré de tension du système artériel, et les oscillations de la température centrale, dans les cas où l'état local ne fournit pas d'indications utiles ?

11 n'est pas jusqu'à la théorie des crises qui, soumise à la rude épreuve de la critique moderne, n'ait survécu, dépouil-lée toutefois du caractère intentionnel que lui prêtaient les anciens.

Vous voyez, messieurs, par cette rapide esquisse de la pathologie d'Hippocrate, à quels résultats peut conduire la méthode d'observation ; les faits qu'elle recueille, les aperçus qu'elle justifie résistent à l'action du temps. Ils nous sont parvenus sans rien perdre de leur frappante vérité. Nous constatons en outre que, sans sortir de ses attributions légi-times, cette méthode peut suggérer des vues d'ensemble et fournir des données d'un ordre supérieur.

S'il existe, en effet, une observation surtout analytique et limitée aux faits de détail, dans laquelle les modernes ont surtout excellé, il existe aussi une observation en grand, plus familière peut-être aux anciens, qui ne se borne pas à exa-miner les phénomènes dans leur isolement, mais qui les envisage, au contraire, dans leurs rapports mutuels, dans leur ordre de succession ; tels, en définitive, que les présente la nature à qui sait voir les choses d'un peu haut.

On est arrivé ainsi à reconnaître que chaque maladie a une évolution propre, un mode spécial de développement, un enchaînement particulier de symptômes qui permet d'en don-ner la description d'après un type commun, au milieu de la variabilité des circonstances accessoires. C'est de là qu'est issue la notion des unités ou des espèces morbides, notion parfaitement exacte, puisqu'elle correspond à un fait d'expé-

nence, mais dont la signification a ete singulièrement altérée lorsqu'on est allé jusqu'à considérer les maladies comme des êtres concrets, comme des individus, au même titre qu'un animal ou une plante.

On est arrivé à reconnaître que tantôt la maladie parcourt rapidement les périodes successives quelle doit traverser, pour atteindre sa terminaison naturelle ; et que tantôt, au contraire, elle exige un long espace de temps pour subir les diverses phases de son évolution. De là vient la distinction établie entre les maladies aiguës et les affections chroniques, qui répond évidemment aux données de l'observation clini-que, mais qui ne doit pas être envisagée comme une ligne de démarcation absolue, puisque la forme aiguë et la forme chronique d'un seul et même état pathologique se confondent souvent par des transitions insensibles.

On a reconnu encore, par des observations multipliées, que divers états morbides coexistent ou se succèdent, chez le même individu ou dans une même famille, suivant un ordre déterminé et d'après certaines lois ; et l'on en a conclu, par un raisonnement très-simple, ou plutôt par une intuition directe, que ces affections n'étaient pas isolées, qu'elles devaient se rattacher à une cause commune qui leur sert de lien. C'est ainsi que s'est produite la grande conception des maladies constitutionnelles et diathésiques. Cette idée relève donc de l'observation pure. L'hypothèse ne commence qu'au moment où, pour donner un corps à cette cause inconnue, l'esprit a imaginé, suivant le goût de l'époque, tantôt une influence du système nerveux, tantôt une modification de la crase des humeurs, où la présence d'une matière morbifique dans le sang.

Dans la suite des temps, l'observation analytique a succédé à l'observation synthétique, qui n'a pas été d'ailleurs tou-jours négligée. Et ainsi, à mesure que le monde a vieilli, la

science s'est successivement enrichie d'un nombre immense de faits généraux ou partiels, qui constituent en définitive la seule médecine traditionnelle qui commande notre res-pect.

Nous pouvons borner là celte revue rapide. Les exem-ples que nous avons donnés suffisent pour nous permettre d'ap-précier les ressources de la méthode d'observation appliquée à la médecine, alors même qu'elle se renferme volontairement dans la sphère des phénomènes extérieurs de la maladie, c'est-à-dire des symptômes.

Mais il est en même temps aisé de reconnaître qu'une patho-logie ainsi privée de ses appuis naturels ne saurait aboutir, même entre les mains les plus habiles, qu'à un empirisme plus ou moins élevé. C'est là sans doute ce qui constitue au fond les assises communes de toute construction scienti-fique, et l'on a même pu établir sur de tels fondements une médecine pratique, que rien n'empêche de parvenir à un certain degré de perfection. Mais l'œuvre reste inachevée, et l'esprit humain, poussé en avant par une force irrésis-tible, ne saurait s'arrêter en chemin.

Les efforts qu'il a tentés pour compléter sa tâche ont dû nécessairement rester stériles, aussi longtemps que l'ana-tomie et la physiologie n'étaient pas constituées. C'est ce qui doit nous rendre indulgents pour les systèmes qui se sont successivement élevés depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Mais enfin les temps sont venus, la réforme s'est accomplie, et l'on peut apprécier aujourd'hui les fruits qu'elle a portés et prévoir ceux qu'elle portera dans l'avenir.

III.

Franchissant d'un seul bond un espace de deux mille ans, nous allons maintenant mettre les résultats de l'observation

CiiAucoT. Œuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards.

pure en présence des travaux de l'esprit moderne, armé de tous les moyens d'investigation qu'il possède aujourd'hui. Et pour rendre le contraste plus frappant, nous passerons sous silence les époques de transition, pour ne nous occuper que du mouvement scientifique qui appartient en propre au siècle où nous vivons.

Plusieurs fois, sans doute, messieurs, vous avez entendu parler d'une anatomie pathologique nouvelle, qu'on oppose volontiers à l'anatomie pathologique ancienne. Il convient de rechercher tout d'abord ce que signifient ces expres-sions.

Nous rencontrons ici un point d'histoire sur lequel je dois arrêter un instant votre attention ; c'est de l'histoire toute moderne, car il n'y a pas longtemps que l'anatomie patho-logique s'est pour la première fois affirmée comme disci-pline particulière. Un des premiers essais de systématisa-tion qui aient fait loi, en France, date de 1812. L'exposé de la doctrine, son code, si l'on peut ainsi dire, se trouve consigné dans un des premiers articles du. grand Diction-naire des sciences médicales. Ce document, précieux à tant d'égards, est signé de deux noms illustres, Bayle et Laënnec.

Je voudrais essayer, messieurs, de caractériser en quel-ques mots cette anatomie pathologique première qui, pendant près d'un demi-siècle, a régné sans consteste.

Ses moyens d'investigation sont très-simples : elle prend le mot anatomie dans la rigueur étroite du sens étymolo-gique et ne connaît encore que le scalpel.

Pour elle, les altérations des organes peuvent être dé-terminées seulement d'après des changements survenus dans leurs rapports, leur volume, leur consistance, leur den-sité, leur couleur, leur aspect général.

Il n'est pas possible, dans la règle, de chercher des ca-

racfères dans des modifications de la texture, celle-ci étant presque toujours à peu près ignorée.

Quels efforts ne faut-il pas faire pour établir à l'aide de telles données l'identité d'un type anatomique! Mais les maîtres se sont surpassés et ils ont produit dans ce genre plus d'un modèle inimitable. Malgré tout, chacun com-prend combien il est difficile de fixer dans l'esprit des ca-ractères aussi fugitifs que ceux tirés par exemple de Y aspect et de la couleur. Il est des nuances, des contrastes, que le langage le plus imagé ne parvient que difficilement à dépeindre. Aussi l'anatomo-pathologiste a-t-il plusieurs fois senti le besoin de se faire artiste lui-même ou d'invoquer le secours d'un pinceau étranger. Il était naturel que l'art intervînt là où le côté figuratif a une si grande importance. Nous devons à son concours plus d'un précieux recueil et, par dessus tout, le monument impérissable édifié par M. le professeur Cruveilhier, sous le nom d'Atlas $ anatomie pathologique du corps humain.

On prévoyait, dès l'origine, qu'un jour viendrait où toutes les lésions que l'œil nu peut reconnaître seraient définiti-vement décrites, classées, cataloguées. L'œuvre, alors, pen-sait-on, serait achevée; car on ne voyait pas par quel côté le perfectionnement pourrait survenir. C'est pourquoi, sans doute, les chefs de l'école n'avaient rêvé pour leur science qu'un rôle relativement très modeste dans l'ensemble des con-naissances pathologiques. Toujours même ils se sont efforcés de la circonscrire dans des limites étroites, comme s'ils avaient voulu, par ce moyen,, la préserver de tous les entraînements qui auraient pu la compromettre.

En premier lieu, ils s'empressent de déclarer que leur ana-tomie n'a d'applications que dans un nombre restreint de ma-ladies, puisque beaucoup d'entre elles ne possèdent pas de lésions appréciables à ses moyens d'investigation.

De plus, même dans le domaine des maladies organiques, où elle semblerait devoir s'imposer, son rôle est peu ambitieux encore. Il s'agit surtout, en effet, d'enrichir la nosograpbie de lumières nouvelles, en permettant la distinction de maladies que l'analogie de leurs symptômes aurait pu laisser confondre. La distinction posée, le but se trouve atteint, car r anatomie pathologique se limite volontairement, et de parti pris, à envi-sager la lésion en elle-même, indépendamment des symptô-mes qui l'accompagnent. Il ne faut y chercher aucun éclaircis-sement concernant la cause prochaine des maladies, ou le mécanisme de leur formation.

Tels sont, messieurs, si je ne me trompe, les traits les plus originaux de cette anatomie pathologique, qu'on a quelquefois appelée ironiquement Y anatomie morte. Je n'ai rien exagéré; je crois, tout au moins, avoir exprimé fidèlement les tendan-ces des premiers maîtres.

A la vérité, leurs successeurs ou leurs émules ont, maintes fois, franchi les limites qu'ils s'étaient imposées, et il est facile de suivre encore les traces de leurs brillantes incursions dans plus d'une région que l'on croyait fermée à l'anatomie patho-logique. La méthode, cependant, restait debout, au moins dans son ensemble, mais le moment était proche où elle devait subir une réforme radicale.

Vous connaissez, messieurs, les changements profonds qu'avec les fonctions si limitées, si circonscrites, qu'elle s'é-tait attribuées, YEcole anatomique — c'est ainsi qu'on l'ap-pelle,—a apportés dans la médecine. C'est un point sur lequel il est inutile d'insister. Je veux faire ressortir uniquement que, aujourd'hui encore, en dépit de tant de progrès accomplis dans diverses directions, ses enseignements ont conservé, en grande partie, toute leur autorité, toute leur actualité. C'est ainsi que les études à l'œil nu, telles qu'elle les a instituées,

que l'autopsie telle qu'elle l'a réglementée, constitueront toujours l'opération première par laquelle doit nécessairement passer toute investigation régulière.

D'après ces considérations, il est aisé de prévoir que l'ana-tomie nouvelle pourra être appelée à compléter l'anatomie ancienne, à l'étendre, à la développer, mais qu'elle ne devra jamais s'y substituer. Messieurs, si je voulais caractériser d'un seul mot tous les services que nous a rendus cette anatomie pathologique première, dont la création peut être comptée parmi les gloires de notre pays, je dirais qu'elle a appris au médecin h penser cmatomiquement.

Lorsque des circonstances, depuis longtemps préparées, eurent rendu possible une évolution, une réforme, elle com-mença à s'opérer d'abord par l'influence de la physiologie toute renouvelée et entrée décidément dans la voie expérimentale, — la physiologie de Magendie et de Legallois. Elle s'accom-plit ensuite définitivement par l'invention de l'histologie armée du microscope.

On reconnut alors que ce n'est pas seulement l'organe mort, tel qu'il se montre à l'autopsie, que le médecin doit connaître ; mais que c'est l'organe vivant, agissant, exerçant les fonc-tions qui lui sont propres, modifiées par l'état morbide, qu'il lui faut reconstruire à la lumière des notions physiologiques. La lésion qu'il a sous les yeux ne représente qu'une des pha-ses, et souvent la dernière, d'un processus morbide dont il lui faut remonter le courant pour pénétrer jusqu'aux premiers effets de la cause morbifique.

Voilà le programme physiologique tracé : mais, vous allez le constater vous-mêmes, il serait demeuré longtemps encore lettre close sans le concours de l'histologie.

Ainsi que nous l'avons vu, l'anatomiste, dans le principe, s'arrêtait forcément à la surface de l'organe, Si parfois, le

microscope avait été employé dans l'étude des lésions, l'on n'était dirigé dans cet ordre de recherches par aucune idée systématique. Or, messieurs, dans l'histologie, il n'y a pas à considérer simplement le microscope; il y a, de plus, un sys-tème, une doctrine. Voici surtout en quoi la doctrine consiste : L'analyse doit pénétrer dans la profondeur de Vorga?ie jusqu'aux éléments ou parties anatomiques indécompo-sables.

C'est dans ces éléments que résident à vrai dire les condi-tions de la vie partielle ; l'organe n'est qu'un agrégat, un en-semble, une résultante; c'est donc jusqu'aux éléments qu'il faut pénétrer à l'aide du microscope et des réactifs, pour saisir les modifications qu'ils subissent sous l'influence des causes morbifiques et pour déduire de ces modifications la raison du trouble apporté dans l'ensemble.

Ainsi, messieurs, l'histologie pathologique, dont l'histochi-mie ne saurait être séparée, n'a pas seulement pour but de restreindre le nombre des maladies sans matière, en montrant que des lésions peuvent exister là où l'œil nu ne peut les aper-cevoir; — de fournir de nouveaux moyens de diagostic, des caractères nosographiques nouveaux ; — son rôle ne se borne pas non plus à dévoiler la raison cachée des formes anatomo-pathologiques, enregistrées et classées par la microscopie et à leur imprimer une caractéristique plus fixe, plus scientifique, en rattachant chacune d'elles à une modification correspon-dante dans la texture des organes ; — ses visées s'étendent plus loin encore, car elle a aussi pour objet une sorte de physiologie pathologique, intime qui suit pour ainsi dire pas à pas , dans chaque partie élémentaire, les diverses phases du processus morbide, s'efforçant de saisir jusqu'aux moindres transitions qui relient l'état pathologique à l'état nor-mal.

Par ce côté, vous le voyez, Vanatomie pathologique his-

tologique touche à la'pathogénie ou plutôt se confond avec elle. En même temps aussi, elle s'allie à la physiologie qui, dans cette direction spéciale, prend le nom de physiologie pa-thologique.

Or, Messieurs, il importe de remarquer, car c'est là un trait caractéristique, le but que l'anatomie pathologique se propose, elle ne saurait l'atteindre sans établir un rappro-chement incessant entre la lésion étudiée jusque dans les moindres détails de son développement, et les circonstances pathologiques minutieusement relevées au lit du malade. De telle sorte que, par une conséquence forcée, une nécessité logique, l'anatomie pathologique, à mesure qu'elle pénètre plus avant dans l'intimité des tissus, devient simultanément plus animée, plus vivante, et tend à se fondre plus étroite-ment avec la clinique.

Et cependant, messieurs, devant un trouble fonctionnel manifeste, et dont le siège est indiqué par la physiologie l'a-nalyse histologique demeure souvent encore impuissante à constater un vice matériel quelconque pour répondre au trou-ble de la fonction. Est-ce à dire qu'il faille ici se résigner à reconnaître, contrairement à toute analogie, qu'une lésion fonctionnelle, un trouble des propriétés organiques, peut exis-ter sans aucune modification matérielle correspondante ? Pour moi, pressé sur cette questionne n'hésiterais pas à me ranger aussitôt du côté des Reil, des Broussais, des Georget et de tant d'autres esprits éminents; je rappellerais que, même dans l'exercice normal de la vie, le travail de nos organes ne s'accomplit pas sans qu'il y ait un changement matériel, une destruction et une réparation corrélatives. Toute fonction tend à détruire les instruments au moyen desquels elle s'effectue. Le muscle à l'état de repos présente une réaction alcaline; il devient acide lorsqu'il est fatigué. Une modification analogue a été observée dans les nerfs et la moelle épinière,et la sub-

stance cérébrale elle-même, d'après Heynsius et Funke, est acide pendant la veille, alcaline pendant le sommeil. De tels exemples nous font assez voir que, dans les éléments anafo-miques, l'entretien de la vie est lié à l'existence d'un travail moléculaire incessant qui s'exprime par des phénomènes chi-miques appréciables. N'est-il pas aisé de concevoir qu'il peut exister des lésions des éléments qui, sans altérer leur forme, s'opposent à ce mouvement organique sans lequel ses fonc-tions ne sauraient s'accomplir? Sans altérer leur forme, l'oxyde de carbone enlève aux globules rouges du sang le pouvoir d'absorber l'oxygène. Ils roulent dès lors comme une poussière inerte, dans le torrent circulatoire; et sans le chan-gement de coloration qu'ils présentent, rien ne traduirait au dehors l'altération profonde qu'ils ont subie. Une altération analogue des globules du sang ne peut-elle pas être au moins soupçonnée, dans certains états graves de l'organisme, où une dyspnée intense se montre, sans qu'il y ait lésion des poumons ou du cœur? Chez les sujets qui ont succombé ra-pidement, dans le cours du rhumatisme articulaire aigu, le sang, la sérosité contenue dans le péricarde et les synoviales offrent souvent une réaction acide. Chez les malheureux frappés par la foudre, l'anatomie ne révèle souvent aucune lésion appréciable ; et cependant la rigidité cadavérique sur-vient alors presque immédiatement après la mort, persiste à peine et fait place presque aussitôt à une putréfaction rapide. Il en est de même chez les animaux surmenés et ces mêmes phénomènes se produisent, ainsi que Brown-Séquard l'a montré, sur un membre dont les propriétés vitales ont été épuisées par l'action longtemps prolongée d'un courant élec-trique. N'est-il pas à peu près certain que tous ces change-ments, que la mort seule permet de constater, correspondent à des altérations matérielles qui existaient déjà pendant la vie, mais qui sont restées, jusqu'ici, inaccessibles à nos

moyens d'investigation ? Mais n'insistons pas sur ce point ; qu'il nous suffise de vous avoir conduits sur un terrain encore peu exploré, et qui promet pour l'avenir d'abondantes mois-sons.

IV.

Messieurs, il nous reste à déterminer les rapports qui doivent exister actuellement entre la pathologie et la physiologie.

Il ne s'agit plus ici de la physiologie spéculative ou con-templative des temps passés, mais de la science que nous ont faite les maîtres modernes, continuateurs desHaller,des Legallois, des Magendie.

Tout en reconnaissant que les êtres vivants présentent des phénomènes qui ne se trouvent pas dans la nature morte, et qui, par conséquent, leur appartiennent en propre, la phy-siologie nouvelle se refuse absolument à considérer la vie comme une influence mystérieuse et surnaturelle, qui agirait au gré de son caprice en s'affranchissant de toute loi.

Elle va même jusqu'à croire que les propriétés vitales se-ront un jour ramenées aux propriétés d'ordre physique; elle constate tout au moins, dès à présent, qu'il ne faut pas éta-blir entre ces deux ordres de force un antagonisme, mais une corrélation.

Elle se propose de ramener toutes les manifestations vitales d'un organisme complexe au jeu de certains appareils, et l'action de ceux-ci aux propriétés de certains tissus, de cer-tains éléments bien définis.

Elle ne va pas à la recherche de l'essence ou du pourquoi des choses, car l'expérience lui a prouvé que l'esprit humain ne saurait aller au delà du comment, c'est-à-dire au delà des causes prochaines ou des conditions d'existence des phéno-mènes.

liiiie reconnaît que, sous ce rapport, les limites ne nos con-naissances sont les mômes en biologie qu'en physique et en chimie. Elle se rappelle qu'au delà d'un certain point, comme dit Bacon, la nature devient sourde à nos questions et n'y répond plus.

Elle ne prétend pas d'ailleurs régenter la médecine, mais seulement l'éclairer et fournir une base solide à ses spécu-lations.

Elle lui apporte, enfin, une méthode depuis longtemps éprouvée, la méthode expérimentale, admirable instrument qui, entre ses mains, a dévoilé déjà bien des mystères.

Ainsi s'exprime un maître en physiologie, M. Claude Ber-nard, en divers endroits du livre remarquable que vous con-naissez tous, et où il discute d'une manière approfondie, la question qui nous occupe icii.

Je me bornerai à faire ressortir la condition expresse qu'il impose, lui aussi, à toute intervention légitime de la physio-logie, dans le domaine médical. L'observation pathologique d'abord, l'interprétation physiologique ensuite, telle est, dit-il la règle imprescriptible ; constater d'abord les phénomènes morbides, chercher ensuite à les expliquer au point de vue de la physiologie, lorsque cela est possible, dans l'état actuel de la science. La méthode inverse, qui consisterait à partir de l'anatomie et de la physiologie pour en déduire les con-ditions de la maladie, est pleine de dangers, hérissée d'écueils. Ne nous laissons pas séduire par les notions élégantes, les aperçus ingénieux qu'elle peut suggérer, car l'expérience dé-montre que trop souvent, elle a conduit à une pathologie imaginaire, toute de convention, et ne répondant en rien à la réalité des choses.

Il me paraît inutile, messieurs, d'insister longtemps sur

1. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 1865 — Voir surtout, pages 117, 119, 125, 127. 140, 336, 343, 347, 348, 358, 369.

les services innombrables qu a déjà rendus a la médecine la judicieuse intervention des données de la physiologie mo-derne i. Je veux toutefois m'arrêter un instant sur ce qu'on est convenu d'appeler du nom de pathologie expérimentale.

Les mutilations que le physiologiste produit chez les ani-maux dans le but de pénétrer le mécanisme des actes normaux s'accompagnent presque toujours de troubles morbides di-vers, qui peuvent déjà devenir un sujet de méditation pour le médecin. Mais l'expérimentation peut s'appliquer plus direc-tement encore aux problèmes qui lui sont posés par la patho-logie. Il nous est donné, en effet, de créer chez les animaux des états morbides variés, soit en leur faisant subir certaines mutilations, soit en les soumettant à l'action des poisons, des virus, des venins, des substances putrides, etc. L'idée de produire ainsi des maladies artificielles est loin d'être nou-velle, et il faudrait remonter jusqu'à Lower, Baglivi, Van Swieten, Autenrieth, pour en trouver les premiers vestiges. Mais c'est surtout dans ces dernières années, après l'impul-sion donnée par Magendie, que la pathologie expérimentale s'est réellement constituée et a pris tout son essor. Les tra-vaux des Cl. Bernard, Longet, B. Séquard, Virchow, Traube, Vulpian et de tant d'autres, sontlà pour témoigner de ce qu'on peut attendre de cette méthode. Toutefois, les brillants résul-tats qu'elle a déjà fournis dans sa courte carrière ne doivent pas nous faire oublier que de certaines limites paraissent lui être imposées. L'expérimentation réussit à produire une glycosurie passagère, à l'aide d'une lésion traumatique. Elle reproduit à merveille les accidents variés de la thrombrose et de l'embolie. Elle accélère ou paralyse à volonté les mou-

1. Consultez sur ce sujet le remarquable discours prononcé par mon ami le docteur Brown Séquard, devant le collège des médecins d'Irlande, le 3 fé-vrier 1865. — On the importance of the application of Physiology to the practice of Médecine and Surgery. — In Dublin Quarterly Review of Med. se. May 1865.

vements du cœur. Elle détermine à volonté tous les accidents de l'urémie. Grâce à de certaines lésions du système nerveux, elle fait naître des pleurésies, des pneumonies, des péricar-dites aiguës plus ou moins comparables à celles qu'on ob-serve chez l'homme. Elle est parvenue récemment à dévelop-per chez un animal les phénomènes de la fièvre traumatique, en injectant dans le sang le liquide recueilli chez un autre animal, à la surface d'une plaie récente ; et ainsi se trouve confirmée une vue depuis longtemps émise par un chirurgien français. Mais on peut dire que les affections à lente évolution lui échappent le plus souvent. Les maladies constitutionnelles et diathésiques, en particulier, paraissent lui être inacces-sibles 1 ; et comment pourraît-il en être autrement si les conditions de développement de ces maladies sont le plus souvent ignorées du médecin lui-même ! N'oublions pas ce-pendant de relever les analogies qui existent, à quelques égards, entre les maladies diathésiques dites spontanées, et certaines intoxications lentes, telles que le saturnisme, l'al-coolisme chronique, que l'on est parvenu à reproduire chez les animaux à l'imitation des affections correspondantes de l'homme. Rappelons également les expériences remarquables à l'aide desquelles mon illustre ami, M. Rrown Séquard, pro-duit chez le cochon d'Inde une sorte d'épilepsie transmissible par voie d'hérédité.

Quoi qu'il en soit, si la pathologie expérimentale est impuis-sante à faire naître certaines maladies d'ensemble, elle peut souvent en imiter les symptômes et les faire apparaître iso-lément un à un, sinon toujours dans l'ordre régulier de leur succession naturelle. Elle peut faciliter aussi l'étude de cer-taines questions générales, telles que l'impressionabilité, la prédisposition locale, et éclairer aussi le mécanisme de la

1. G. Sée. — Leçons de pathologie expérimentale, p. 11. Paris, 1866.

généralisation des états morbides. On lui doit cette belle étude analytique des poisons dont les résultats font déjà pressentir l'é-dification prochaine d'une thérapeutique vraiment rationnelle. Et maintenant, messieurs, il me serait facile de vous prou-ver qu'en combinant les données de la clinique avec celles que nous fournissent l'anatomie et l'histologie pathologiques, et l'expérimentation physiologique, nous parvenons quelque-fois à une conception vraiment rationnelle et presque com-plète de certains états morbides. Mais le temps presse, et je dois conclure.

V.

11 nous faut maintenant arrêter les conclusions auxquelles doit conduire le parallèle que nous avons essayé de tracer entre l'observation pure des anciens et la méthode des mo-dernes.

1° Je crois avoir établi que la méthode empirique est le ves-tibule obligé de la science. Nous ne saurions jamais abandon-ner cette méthode, éprouvée par l'expérience des siècles. Elle doit toujours rester debout pour servir de contrôle et de contre-poids aux spéculations scientifiques.

2° Mais il est un côté par lequel les vues théoriques peuvent et doivent légitimement s'introduire dans la pathologie. Perfectionnée par l'intervention des procédés nouveaux, l'ob-servation clinique doit s'allier aux sciences générales et se rapprocher de plus en plus de la physiologie pour donner naissance à une médecine vraiment rationnelle.

Tel est le but vers lequel nous devons marcher ; mais il faut s'avancer avec prudence dans cette voie, et ne point s'aban-donner surtout à des généralisations hâtives ; ce serait com-promettre l'avenir de ce grand mouvement de rénovation auquel nous participons tous aujourd'hui.

Mais, nous dira-t-on, à quoi bon ces grands mots et ces grandes idées ? Les tendances scientifiques dont vous faites tant de bruit ont-elles eu une influence heureuse sur la prati-que de fart ? Guérissez-vous plus de malades qu'on en gué-rissait autrefois ? C'est là, messieurs, une question fort indis-crète, et qu'il serait vraiment trop facile de retourner contre nos adversaires. Contentons-nous de répondre, avec un maî-tre honoré, que l'art sans la science ne tarde pas à dégénérer en routine 4. Le scepticisme banal, qu'on oppose si volontiers à tous les progrès de l'esprit humain, est un oreiller commode aux têtes paresseuses ; mais à l'époque où nous vivons, il n'est plus temps de s'endormir.

Pour mettre d'ailleurs dans son vrai jour l'heureuse in-fluence que peuvent avoir les tendances scientifiques sur l'a-vancement de la médecine, il me suffira de vous rappeler la remarquable transformation qu'a subie cette science pendant le cours des vingt dernières années, dans un pays voisin du nôtre, en Allemagne. Transportons-nous donc un instant de l'autre côté de la frontière, et remontons par la pensée vers l'année 1830. Alors Schelling et son audacieuse Philosophie de la nature régnaient en maîtres absolus sur les esprits ger-maniques. La mode était aux aperçus poétiques, aux concep-tions transcendantales, et un médecin pouvait se permettre, dans un traité de la fièvre muqueuse, de comparer sérieuse-ment un globule du sang au globe terrestre, parce que tous deux sont ronds, aplatis aux pôles, et que tous deux possèdent un noyau central entouré d'une atmosphère 2.

Pendant ce temps, la médecine en était réduite à un état dé-

1. « La pratique sans rénovation scientifique incessante deviendrait bien vite, soyez-en sûrs, une routine attardée et comme stéréotypée. » Béhier, Le-çon d'ouverture du cours de clinique médicale,^. 19, Paris 1867,

2. H. Ilorn — Darstellung der Schleimfiebers, 2 aufl.

plorahle. Bien qu'on possédât la traduction des principaux ou-vrages relatifs à la pathologie nouvellement publiés en France ou en Angleterre, cependant les progrès depuis longtemps ac-complis dans ces deux pays étaient restés comme non-avenus, car personne n'en avait compris l'importance. Le diagnostic local n'était jamais formulé, soit à l'hôpital, soit dans la pra-tique civile. Dans plus d'une université allemande le stéthos-cope était à peu près inconnu ; lorsqu'on rencontrait par hasard un de ces instruments, on l'examinait avec une sorte de curiosité enfantine, ou encore on accueillait par des mau-vaises plaisanteries les quelques excentriques qui, à l'aide de ce morceau de bois, prétendaient entendre des choses inouïes. D'ailleurs, la plupart des maladies de la poitrine, celles du cœur, les affections chroniques de la peau étaient une terre à peu près inexplorée. Et lorsque l'on commença à s'occuper des Français, ce ne fut que pour tourner en ridicule, cette fois au moins avec une apparence de justice, la manie singulière qui les poussait à considérer toutes les maladies comme des inflammations i.

Les choses en restèrent là jusque vers l'année 1840. Alors commença l'œuvre de régnération, (principalement sous l'in-fluence de Schœnlein, par l'importation des méthodes fran-çaises et leur intervention dans le domaine de la clinique. Puis ce fut le tour de Tanatomie pathologique, brillamment représentée à Vienne par Rokitansky. Mais déjà Mûller avait paru avec la physiologie, et bientôt il créait l'histolo-gie pathologique qui devait rester, pendant longtemps, une science presque exclusivement germanique.

Messieurs, vous savez le, reste. Alors les universités al-lemandes eurent le spectacle, nouveau pour elles, d'une activité inouïe, presque fiévreuse, et vous n'ignorez pas que

1. G. A. Wunderlich. — Gesehkhte rter Medicin, p. 332. Stuttgard, 1859.

cette fièvre de travail, qui ne paraît pas encore près de s'éteindre, a enfanté déjà plus d'une œuvre fondamentale.

Pendant plus de dix ans, ce grand mouvement intellec-tuel est resté presque inaperçu en France. De temps en temps, quelque observateur prévoyant cherchait à le signa-ler à l'attention publique. Mais il fallait lutter contre l'in-différence générale, et pendant que tout s'agitait en Alle-magne, nous restions en France occupés d'autres soins. Enfin le jour s'est fait, et l'on a compris qu'une grande puissance venait de s'élever à côté de nous et qu'il fallait compter désormais avec la science d'outre-Rhin 1.

Par une réaction bien naturelle, on a exagéré bientôt les tendances qu'on avait d'abord combattues ; et tandis qu'en France on est aujourd'hui trop disposé peut-être à ne tenir compte que des travaux allemands, nos voisins, grisés par le succès, semblent persuadés que l'empire de la science leur appartient désormais. Il faut, messieurs, savoir par-donner quelque chose aux enivrements d'un pareil triom-phe. Mais ce n'est pas sans regret que nous avons vu naguère un homme éminent confondre les droits que lui confère sa haute position de savant avec le mandat poli-tique que lui ont confié les électeurs de Rerlin, et abuser du mot science pour échauffer les têtes allemandes au profit d'un patriotisme étroit 2. 11 n'est permis à personne d'oublier que la science n'est d'aucun pays, et n'appartient en propre à aucune race. Aux idées exclusives et peu libé-rales du savant prussien, nous opposerons les belles paroles d'un des plus grands médecins de l'Angleterre : « La raison, dit Graves, la raison a étendu son empire de l'ancien au nou-

1. Cette leçon a été professée en 1867.

2. Allusion au discours prononcé par M. le professeur Virchow, à Ha-novre, au Congrès des naturalistes allemands, le 20 septembre 1865. — Voyez la Revue des cours scientifiques, 1865-1866.

veau continent, de 1 Europe aux antipodes ; elle a aujourd lmi le monde entier pour domaine; le soleil ne se couche ja-mais sur son territoire. Les individus se reposent, mais l'intelligence collective de l'espèce ne s'endort jamais »

1. Leçons de clinique médicale, traduction du Dr Jaccoud, 1.1. p. 53, 1863.

+ * *

PREMIÈRE PARTIE

Maladies des vieillards.

PREMIÈRE LEÇON

Caractères généraux de la pathologie sénile.

Sommaire. — But de ces conférences. — Organisation de la Salpêtrière an point de vue médical. — Maladies chroniques ; maladies des vieillards. — Historique de la pathologie sénile. — Physiologie de la vieillesse. — Alté-rations anatomiques des organes et des tissus. — Elles peuvent se résumer toutes en un seul mot : Vatrophie. — Exception pour le cœur et les reins. — Troubles divers qui résultent de ces modifications de structure. — Certaines fonctions se trouvent amoindries chez le vieillard: d'autres sont conservées. — Immunités pathologiques de la vieillesse : cachet particulier qu'elle im-prime à la plupart des maladies.

Messieurs,

Les conférences auxquelles vous allez assister sont destinées à faire passer devant vos yeux les faits cliniques les plus in-téressants, que présente à notre observation l'hospice de la Salpêtriôre. Ceux d'entre vous, messieurs, qui jusqu'ici n'ont fréquenté que les hôpitaux ordinaires, peuvent s'attendre à voir les cas pathologiques se montrer ici sous une couleur lo-cale assez accentuée.

Vous connaissez, sans doute, l'organisation, intérieure de ce vaste établissement (1). Si nous laissons de côté le per-

1. Ceux de nos lecteurs qui désireraient de plus amples détails sur les ar-rangements intérieurs de la Salpêtrièrc, ainsi que sur l'histoire de cet établis-sement, consulteront avec fruit le chapitre intéressant consacré à YHospice de la vieillesse (femmes), par M. Husson, directeur de l'Assistance publique, dans son Etude sur les Hôpitaux. Paris, 1862 ; — la thèse de M. Boucher, La Salpétrière et le Manuel d'Assistance Publique de Bourncville.

Gharcot. CEuv. conipl. t. vu. Malad. des Vieillards 1

2 ORGANISATION DE LA SALPÊTRIÈRE AU POINT DE VUE MÉDICAL

sonnel des employés, et si nous faisons abstraction des alié-nées, des idiotes, et des épileptiques, qui forment une classe à part, et dont nous n'aurons pas à nous occuper, la popula-tion de cet asile se compose d'environ 2,500 femmes qui, pour la plupart, appartiennent aux classes les moins favori-sées de la société, mais dont quelques-unes cependant ont connu des jours meilleurs. Au point de vue de la clinique médicale, qui seule doit fixer notre attention, elles forment deux catégories bien distinctes.

La première se compose de femmes âgées, en général, de plus de soixante-dix ans — car ainsi l'ont décidé les règle-ments administratifs, — mais qui jouissent d'ailleurs d'une bonne santé habituelle, et que la misère ou l'abandon ont placées sous la protection de l'assistance publique. C'est ici, messieurs, que nous trouvons les matériaux qui nous serviront à faire l'histoire clinique des affections de l'âge sénile. La seconde catégorie comprend des femmes de tout âge, frappées, pour la plupart, de maladies chroniques réputées incurables, et qui les ont réduites à un état d'infirmité per-manent.

Sous ce rapport, nous possédons ici des avantages dont on est privé en grande partie dans les hôpitaux ordinaires, et nous sommes placés dans les conditions les plus favorables pour étudier avec fruit les maladies à lente évolution.

En effet, la nombreuse population de nos salles nous per-met d'envisager, sous les aspects les plus divers, les princi-paux types d'un seul et môme genre morbide ; mais ce qui est encore plus important, il nous est donné de suivre ici les malades pendant une longue période de leur existence, au lieu d'assister à un simple épisode de leur histoire ; aussi voyons-nous se dérouler, jusqu'à ses dernières limites, le pro-cessus pathologique, dont on ne connaît en général que la phase initiale ; enfin, nous sommes appelés à constater les lé-

sions organiques qui caractérisent la maladie, lorsqu'elle s'est terminée par la mort.

Dans d'autres cas, malheureusement trop rares, nous voyons s'opérer des guérisons tantôt spontanées, tantôt provo-quées par l'heureuse intervention de l'art. Mais ce que nous apprenons, à connaître ici, mieux que partout ailleurs, c'est le prix qu'il faut attacher aux moyens qui soulagent, lorsqu'il est impossible de guérir. Aujourd'hui, je me propose d'appeler plus spécialement votre attention sur les caractères les plus géné-raux des maladies qui surviennent à la dernière période de la vie.

I.

L'importance d'une étude spéciale des maladies des vieil-lards ne saurait être contestée aujoLird'hui. On s'accorde en effet à reconnaître que si la pathologie de l'enfance se prête à des considérations cliniques d'un ordre spécial, et qu'il est indispensable de connaître au point de vue pratique, la pathologie sénile présente, elle aussi, ses difficultés, qui ne peuvent être surmontées que par une longue expérience et une connaissance approfondie de ses caractères particuliers. Et cependant, messieurs, cette partie si intéressante de la médecine a été bien longtemps négligée, et ce n'est guère que de nos jours qu'elle a fini par conquérir son autonomie.

C'est à une époque très voisine de la nôtre, en France et dans cet hospice même, que s'est constituée et affirmée, dans toute son originalité, si l'on peut ainsi dire, la pathologie des vieillards. Avant cette époque, à peine pourrait-on citer quel-ques écrits où la physionomie particulière des maladies séniles ait été entrevue. Si l'on en excepte le petit traité de Floyer, publié en 1724; le travail plus récent de Welsted ; celui de

Fischer enfin, qui remonte à 1766 (1), la plupart des ou-vrages médicaux du siècle passé, qui se rattachent d'une manière spéciale à l'âge sénile, ont une allure surtout lit-téraire ou philosophique ; ce sont des paraphrases plus ou moins ingénieuses du fameux traité deSenectute de l'orateur romain.

11 était réservé à Pinel de signaler cette lacune, sinon de la combler ; cependant, à l'époque où il écrivait son Traité de médecine clinique, l'hospice de la Salpétrière avait déjà reçu l'organisation qu'il présente encore aujourd'hui ; le pé-nitencier qui en faisait autrefois partie avait été supprimé, l'infirmerie avait été fondée, et l'on ne transportait plus à l'Hôte 1-Dieu les femmes malades, au risque de les voir expirer en chemin (2). Mais Pinel ne pouvait songer à restreindre ses études à un point limité de la science. Des vues bien plus am-bitieuses s'étaient emparées de son esprit ; il s'agissait pour lui d'embrasser la pathologie dans son vaste ensemble et de créer la Nosographie philosophique, en appliquant à la médecine la méthode de l'analyse, suivant le langage un peu emphatique du xvme siècle. Aussi les différences qui séparent la pathologie sénile de la pathologie ordinaire sont-elles bien rarement si-gnalées dans ses travaux, bien qu'il ait passé la plus grande parti de son existence médicale dans les hospices consacrés à la vieillesse.

On doit à Landré-Beauvais, l'un des élèves et des succes-seurs de Pinel à la Salpétrière, la première description spé-ciale qui ait jamais été tracée d'une affection que nous ren-controns à chaque pas dans nos salles, bien qu'elle n'appar-tienne pas exclusivement à la vieillesse (3). Je veux parler du

1. Floycr. — Medicina Gerocomica. Londini, 1724. — Fischer. Tractatus de senio. 1766.

2. Pinel. — Traité de méd. clinique. Paris, 1815. Introduction, p. xiij.

3. Landré-Beauvais. —• Thèse de doctoral, an VIII.

rhumatisme noueux, arthritis pauperum, maladie très fréquente chez les indigents. Landré-Beauvais la désignait sous le nom de goutte asthénique primitive, tout en reconnais-sant déjà qu'elle diffère de la goutte vraie. C'est là,messieurs, une affection redoutable en raison des infirmités qu'elle en-traîne ; elle mérite, à tous égards, d'être placée au premier rang des maladies chroniques rassemblées dans cet asile et qui devront fixer votre attention plus tard.

Les leçons cliniques faites à la Salpétrière par Rostan, vers 1830, eurent à cette époque un immence retentisse-ment. Plusieurs questions relatives à la pathologie sénile lurent soumises à une étude approfondie par l'éminent pro-fesseur (1). Deux de ces travaux surtout sont restés juste-ment célèbres. Le premier a pour but d'établir que l'asthme des vieillards n'est pas une affection nerveuse, mais l'un des symptômes d'une lésion organique ; et Ton reconnaît aujour-d'hui que, si cette proposition prise dans un sens général est trop absolue, elle n'en est pas moins vraie dans la grande majorité des cas. Le second est une étude remar-quable sur le ramollissement cérébral, qui a transformé com-plètement nos idées à cet égard. On sait que, d'après Ros-tan, cette altération, si fréquente à une période avancée de la vie, loin d'être le résultat d'un travail inflammatoire, serait une destruction sénile, offrant la plus grande analogie avec la gangrène de la vieillesse. Les recherches des observateurs, aidées de tous les nouveaux moyens d'investigation que pos-sède aujourd'hui la science, ont pleinement confirmé cette idée.

Les immenses matériaux laborieusement recueillis par M. le

1. Mémoire sur cette question: l'Asthme des vieillards est-il une affection nerveuse ? (1817). Recherc/ies sur une maladie encore peu connue, qui, a recu-le nom de Ramollissement du cerveau, par L. lloslan, médecin de la Salpé-trière. (1820.)

professeur Cruveilhier, pendant son séjour à la Salpétrière, ont contribué en grande partie à l'édification d'un monument impérissable ; j'ai nommé V Atlas d'anatomie pathologique. D'innombrables observations, qui ont répandu un jour nou-veau non seulement sur la pathologie des vieillards, mais aussi sur l'histoire de plusieurs maladies chroniques, se trou-vent accumulées dans ce vaste recueil.

Sous l'impulsion plus ou moins directe des maîtres que nous venons de citer, plusieurs monographies importantes, relatives aux maladies de la vieillesse, ont été publiées par des obser-vateurs qui avaient puisé dans cet hospice les matériaux de leurs ouvrages. Nous nous contenterons de signaler le mé-moire si remarquable de MM. Hourman et Dechambre (1), sur la pneumonie des vieillards, et le Traité du ramollissement du cerveau, par M. Durand-Fardel.

Il fallait réunir d'une façon systématique ces fragments épars, pour constituer enfin la pathologie sénile. Tel était le but que Prus avait cherché à réaliser dans ses Recherches sur les maladies de la vieillesse, présentées à l'Académie de médecine en 1840. Mais l'observateur français avait été précédé dans cette voie par Canstatt, en Allemagne ; on doit à cet auteur le premier traité, dogmatique qui ait paru sur les maladies des vieillards (2). Malheureusement, cet ouvrage, qui date de 1839, a été composé sous l'influence de la doctrine de Schelling, qui a régné si longtemps de l'autre côté du Rhin, et qui porte le nom ambitieux de Philosophie de la nature. L'imagination y tient une place énorme aux dépens de l'ob-servation impartiale et positive. Cependant, nous trouvons dans l'ouvrage de Canstatt des idées ingénieuses et souvent vraies qui lui assurent une place honorable dans la science.

Une méthode entièrement opposée a inspiré les études

1. Archives de médecine. 1835-36.

2. Die Krankeilen des höheren Allers, etc. Erlangen, 1839.

de Beau (1) et de Gillette (2), sur les maladies des vieillards, ainsi que le Traité clinique publié en 1854 par M. Du-rand-Fardel. Nous pourrions citer, en dehors de ces ouvrages synthétiques, de nombreuses monographies relatives à des points spéciaux de la pathologie sénile ; mais nous ne saurions avoir la prétention de tout dire, et nous aurons d'ailleurs plus d'une occasion de mentionner ces travaux dans le cours de nos leçons. Nous terminerons ce court exposé historique en signalant trois ouvrages intéressants, publiés récemment à l'étranger, et auxquels nous ferons de nombreux emprunts. Le premier est le volumineux Traité clinique des maladies des vieil-lards, dû à la plume de M. le docteur Geist, médecin de l'hos-pice du Saint-Esprit, à Nuremberg. Le second est un Recueil d'observations cliniques, rédigé par M. le docteur Me/t-tenheimer, à l'hospice des vieillards de Francfort. Le troisième est l'ouvrage de M. Day, publié à Londres en 1849 (3).

IL

Un trait commun se révèle dans la plupart des écrits qui viennent d'être mentionnés : c'est une tendance manifeste à rattacher autant que possible les particularités qui distin-guent les maladies de l'âge sénile aux modifications anatomi-ques ou physiologiques que subit l'organisme par le seul fait de la vieillesse. On ne saurait s'en étonner, si l'on remarque que presque tous ces écrits sont de date récente et appartien-

1. Etudes cliniques sur les maladies des vieillards (Journal de médecine de Beau. 1843.)

2. Article Vieillesse du Supplément au Dictionnaire des Dictionnaires de médecine. Paris, 1851.

3. Geist. — Klinik des Greisenkrankheiten, Erlangen 1860. — Mcttenheimer, Beitrage zur der Lehre der Greisenkrankheiten, Leipsig, 1863. — Day, A pra-ticai Treniise on Diseuses of advanced life, 1849.

8 A NATO MIE ET PHYSIOLOGIE DE LA VIEILLESSE

nent, par Lin côté du moins, à l'école organicienne. De fait, l'étude préliminaire des modifications dont il s'agit nous pa-raît devoir projeter la plus vive lumière sur l'histoire des ma-ladies des vieillards. Nous aurons à remarquer, entre autres choses, que les changements de texture que la vieillesse im-prime à l'organisme s'accusent parfois à un tel degré, que l'état physiologique et l'état pathologique semblent se con-fondre par des transitions insensibles, et ne peuvent plus être nettement distingués.

Nous allons donc entreprendre un exposé rapide de l'anatomie et de la physiologie de l'âge sénile,mais sans oublier que nous devons constamment nous rattacher à un point de vue spécial. Nous nous bornerons à l'indication des traits les plus généraux, et lorsque nous aborderons les détails, ce ne sera que pour en déduire des applications directes à la médecine pratique.

Certaines modifications d'ensemble frappent immédiatement les regards. Vous connaissez tous l'aspect extérieur du vieillard ; cette peau sèche et ridée, ces cheveux rares et grisonnants, cette bouche privée de dents, ce corps voûté et ramassé sur lui-même ; tous ces changements correspondent aune atrophie générale de l'individu; car en même temps que la taille dimi-nue, le poids s'amoindrit, ainsi que l'a démontré Quételet(l),

Un amaigrissement plus ou moins prononcé correspond en général à ces divers phénomènes. Toutefois, on peut rencon-trer une manière d'être différente. C'est, comme on disait autrefois, Vhabitus corporis laxus, caractérisé par une accu-mulation de graisse sous le tégument externe, et dans la pro-fondeur des cavités splanchniques. Mais cet état est en géné-ral transitoire, et ne tarde pas à faire place à Vhabitus corpo-

1. D'après Quételet (liv. II, chap. 11), l'homme atteint son maximum de poids vers quarante ans : il commence à diminuer à soixante ans, à quatre-vingts ans, il a perdu 6 kilogr. en moyenne. — Chez la femme, le maximum de poids existe à cinquante ans. (Sur l'Homme et le développement de ses facultés, par A. Quételet, secrétaire perpétuel de l'Acad, roy. de Bruxelles, Paris, 1865).

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ris skrictus, qui domine à peu près exclusivement dans la période de décrépitude.

L'émaciation dont il s'agit est la conséquence d'un proces-sus atrophique qui porte non seulement sur les muscles de la vie de relation et sur les diverses parties du squelette, mais encore sur la plupart des organes splanclmiques : le cerveau, la moelle épinière, les troncs nerveux, les poumons, le foie, enfin tous les organes sanguificateurs, participent à ce mou-vement rétrograde : la rate et les ganglions lymphatiques su-bissent une remarquable diminution de poids et de volume, qui augmente avec les progrès de l'âge.

Mais, par une sorte de contradiction fort remarquable, et dont la raison physiologique ne nous paraît pas encore suffi-samment établie, le cœur et les reins (1) échappent à cette loi, et conservent les dimensions de l'âge moyen de la vie. On voit même le cœur subir une véritable hyperthropie chez plusieurs vieillards (2) : c'est là, ce nous semble, un état pa-thologique consécutif à l'altération dite sénile des artères. De son côté, le réseau des vaisseaux capillaires sanguins s'ap-pauvrit progressivement non seulement dans les princi-paux viscères, mais encore dans l'épaisseur de la peau et des membranes muqueuses. Celles-ci perdent en même temps dans le tube digestif une partie de leurs éléments villeux et glandulaires (3).

En quoi consiste ce travail d'atrophie qui porte ainsi son action sur l'ensemble des organes et des tissus ? C'est d'abord, à un premier degré, un processus d'atrophie simple; les élé-ments cellulaires du parenchyme, les éléments musculaires et

1. Rayer. — Maladies des reins, t. I, p. 3.

2. Il est à peine nécessaire de rappeler ici le travail justement célèbre de Bizot, inséré dans le 1er volume des Mémoires de la Société médicale d'obser-vation de Paris.

3. Berres, d'après Geist, loc. cil.— N. Guillot, Recherches sur la membrane muqueuse du canal intestinal. Journ. l'Expér., t. I, p. 161. 1837-38,

peut-être aussi les éléments nerveux, diminuent progressive-ment de volume, mais sans présenter dans leur structure au-cune modification essentielle : cela est surtout remarquable, suivant Otto Weber (1), dans les muscles des vieillards, dont les éléments sont pâles, de petite dimension et tous à peu près d'égal volume contrairement à ce qui a lieu dans l'âge adulte. Cependant la trame conjonctive ne participe pas au même de-gré à ce travail de destruction lente ; on la voit même prédo-miner, dans les viscères, sur les éléments spécifiques : c'est ce qu'à fort bien établi M. le docteur Bastien, pour ce qui concerne le foie et la plupart des organes abdominaux.

Mais à un degré plus avancé, l'atrophie s'accompagne d'un travail de dégénération, c'est-à-dire que les éléments subissent des modifications dans leurs caractères chimiques, et deviennent le siège d'infiltrations pigmentaires ou grais-seuses, et d'incrustations calcaires. C'est ce qui se produit, par exemple, dans les cellules cérébrales, d'après les obser-vations de M. le professeur Vulpian(2), dont j'ai pu souvent constater l'exactitude parfaite. Suivant Virchow, en même temps que la névrogiie tend à prédominer dans l'encéphale sur les éléments nerveux, elle s'infiltre habituellement d'un nombre plus ou moins considérable de granulations amyloï-des (3) ; le tissu du cerveau subit alors une altération chimi-que, d'après les recherches de Bibra, confirmées par celles de Schlossberger (4). Les matières grasses qui entrent dans sa constitution éprouvent une diminution notable, tandis qu'au contraire la proportion de l'eau et de celle du phos-phore s'accroissent.

1. Handbuch der allgemeinen und sp. Chirurgie, t. I, p. 309. — Erlangen. 1865.

2. Leçons de physiologie générale et comparée du système nerveux, p. 645. Paris, 1866.

3. Handbuch der sp. Pathologie, t. I, p. 310.

4. Consultez Geist, op. cit., p. 158.

Et pourtant, d'après M. Vulpian (1), des granulations grais-seuses se déposent, par le seul fait des progrès de l'âge, dans les faisceaux musculaires primitifs de la vie animale et cette altération peut atteindre un degré tel, dans les membres inférieurs, où elle se montre surtout, qu'elle détermine une paraplégie plus ou moins complète. Les fibres musculaires de la vie organique n'échappent pas à la dégénération grais-seuse, et vous aurez souvent l'occasion de constater que les parois musculaires du cœur en sont presque toujours attein-tes chez les femmes qui meurent à un âge avancé. A cette altération du tissu cardiaque se rapportent les phénomènes d'asystolie qui s'observent si fréquemment chez les vieil-lards, alors même qu'ils paraissent jouir d'une bonne santé.

Enfin les parois des artérioles du cerveau se trouvent souvent remplies, ainsi que l'ont fait voir Paget (2) et M. le professeur Robin (3), de granulations graisseuses ; et M. Vulpian (4) a montré que cette altération sénile n'est pas le propre de l'homme, mais qu'elle se rencontre égale-ment chez les vieux mammifères, chez le chien en particu-lier.

Il n'échappera à personne de vous, messieurs, que ces altérations, lorsqu'elles ont atteint un degré aussi prononcé dépassent les limites de l'état physiologique, puisqu'elles sont capables de produire par elles-mêmes des troubles fonc-tionnels parfois extrêmement graves. Cela est surtout évi-dent pour ce qui concerne l'altération dite athéromateuse des artères, et la calcification qui l'accompagne si fréquem-ment.

1. hoc. cit.

2. On fatty degeneration, etc. Lond. Mecl. Gaz. 1850.

3. Mémoires de la Société de Biologie, t. I, p. 33. 1850.

4. Loc. cil.

Au point do vue du développement histologique, l'athé-rome artériel (1) tend à se séparer profondément des formes habituelles de l'atrophie sénile. Celles-ci paraissent être le résultat d'un processus purement passif, celle-là, au con-traire, paraît consister, dans la première phase de son évo-lution, en une prolifération plus ou moins active des élé-ments qui constituent normalement la membrane interne des artères. La dégénération graisseuse s'empare, à un mo-ment donné, de ces éléments nouvellement formés ; mais c'est là un phénomène consécutif. Les granulations ainsi formées s'accumulent dans les parties les plus profondes de la membrane interne, lesquelles sont d'abord et surtout al-térées : elles en distendent le feuillet le plus superficiel, qui résiste encore longtemps. Ainsi se forment ces collections riches en graisse et en cristaux de cholestérine qu'on a dé-signées sous le nom d'abcès athéromateux. On les voit parfois s'ouvrir dans la cavité des artères dont elles occupent les parois; et leur contenu, mêlé au sang, peut être entraîné par le torrent circulatoire, pénétrer dans les vaisseaux d'un petit calibre, et produire les accidents souvent redoutables de l'embolie capillaire. A un degré moins avancé, la tumeur athéromateuse se borne à déterminer le rétrécissement et plus tard, l'oblitération complète de l'artère où elle siège. C'est alors que se produisent, sur divers points de l'orga-nisme, ces altérations par défaut de nutrition qui consti-tuent un des chapitres les plus originaux de la pathologie des vieillards. Nous verrons, en effet, qu'il faut rattacher à l'oblitération athéromateuse des artères la plupart des cas de ramollissement cérébral et d'apoplexie capillaire de l'encé-phale qu'on observe à un âge avancé (2) ; il en est de

1. Virchow. — Path. cellulaire, trad. Picard, p. 303. Paris, 1861.

2. II est bien entendu qu'il ne s'agit pas ici des hémorrhagies intraencépha-Hqucs, qui ont été attribuées aussi, un peu gratu item ont, à l'altération athéro-

môme pour les infractus viscéraux, la gangrène dite sénile des extrémités, et bien d'autres altérations encore.

Mais nous empiétons ici sur le domaine de la pathologie, que nous voulons respecter quant à présent. Nous devons actuellement indiquer en quelques mots les modifications physiologiques qui correspondent aux changements de texture dont nous venons de vous offrir le tableau som-maire. S'il est vrai, d'une manière générale, qu'avec les progrès de l'âge, on voit s'affaiblir simultanément toutes les fonctions, il ne faut pas supposer que cette proposition soit toujours exacte ; et l'étude analytique des faits peut seule nous apprendre quel est, à cet égard, le véritable état de choses.

L'appareil génital et les forces musculaires (!) subissent dans la vieillesse un affaiblissement trop évident pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point. En ce qui concerne le système nerveux de la vie de relation, il suffira de rappeler les vers si connus de Lucrèce :

Praeterea g'igni pariter cimi corporc, et una Crescere sentimus, pariterque senescere mentem.

HJe Nat. Rerum, II, 446.)

Les fonctions respiratoires sont également amoindries dans leur ensemble, ce qui s'explique à la fois par la dimi-nution de la quantité d'acide carbonique exhalé, par l'aug-mentation du nombre des inspirations, et par la réduction de la capacité vitale des poumons : ce dernier résultat, d'a-près les recherches spirométriques de Wintrich, de Schnepf et de Geist, commence à se manifester vers l'âge de 35 ans, et acquiert son maximum de 65 à 75 ans (2).

mateusc des artères cérébrales. Nous aurons plus tard l'occasion de nous expli-quer sur ce point.

1. Consultez Empis.— Etudes sur l'affaiblissement musculaire progressif chez les vieillards. [Ardi, de médecine, 1862.)

2. Geist, op. cit., p. 102.

La plupart des sécrétions s'amoindrissent, celles de 1 urine et de la sueur en particulier ; et il n'est guère douteux que la dyspepsie sénile, sur laquelle notre grand naturaliste Dauben-Lon (I) a insisté dans un travail intéressant, mais peu connu, ne dépende en grande partie de la diminution sen-sible des sécrétions gastro-intestinales.

Mais que penser de l'affaiblissement fonctionnel du sys-tème circulatoire, alors que, suivant M. le docteur Marey (2), le cœur chez les vieillards est plus puissant que jamais, et que les artères présentent des pulsations énergiques ? Il pa-raît démontré, en tout cas, que dans l'âge sénile le pouls augmente de fréquence (3).

Nous connaissons peu le degré d'intensité que présente la nutrition chez les vieillards ; toutefois l'emploi du thermo-mètre nous a donné des notions plus précises à l'égard de la calorification. Axant d'avoir appliqué cet instrument aux recherches de ce genre , on croyait que la température du vieillard était moins élevée que celle de l'adulte ; mais nous savons aujourd'hui que la chaleur des parties centrales reste à peu près la même à tous les âges. On a même prétendu que la température générale s'élevait vers la fin delà vie(4). Mes propres recherches tendent à démontrer que la seule différence réelle qui existe entre le vieillard et l'adulte sous ce point de vue, c'est que chez le premier la tempéra-ture de l'aisselle est très inférieure à celle du rectum, tan-dis que la différence est à peine sensible chez le second.

Je vous présente ici une femme âgée de cent trois ans, qui

1. Mémoire sur les indigestions, qui commencent à être plus fréquentes chez la plupart des hommes à l'âge de 40 à 45 ans. Paris, 1785.

2. Études sur la circulation, p. 415.

3. Leurct et Mitivié. —Sur la fréquence du pouls chez les aliénés. Paris, 1832. — Geist, op. cit., p. 85.

4. Von Barensprung-, in Canstatt's Jahresbericht, 1851. — Geist, op. cit., p. 32.

jouit d'une santé excellente ; elle présente dans l'aisselle une température de 37 degrés 2/5 ; dans le rectum, nous trouvons 38 degrés, ce qui est le maximum de la température normale chez l'adulte. Ainsi, messieurs, si la vieillesse affaiblit la plupart de nos fonctions, elle est loin de les paralyser toutes ; et une observation rigoureuse nous montre que, sous de certains rapports, les organes du vieillard s'acquittent de leur tâche avec tout autant d'énergie que ceux de l'adulte,

III.

Messieurs, l'aperçu qui précède nous a montré que les progrès de l'âge établissent, en vertu des modifications physiologiques, une différence profonde dans les phénomènes pathologiques. Nous aurons donc à étudier la question sous trois points de vue différents :

1° Il existe des maladies spéciales à la vieillesse, et qui se rattachent, en partie du inoins, aux modifications générales survenues dans l'économie. Nous citerons, comme exemple: le marasme sénile, l'ostéomalacie sénile, l'atrophie sénile du cerveau, certaines altérations du sang (!•), l'asystolie sénile, enfin l'athérome artériel dont l'étude constitue l'un des côtés les plus intéressants de la médecine des vieillards.

2° Parmi les maladies qui peuvent exister aux autres épo-ques de la vie, il en est plusieurs qui, pendant l'âge sénile, présentent un caractère spécial; tel est, par exemple, la pneu-monie lobaire, ce grand ennemi des vieillards, et Tune des principales causes de mortalité dans cet hospice, Nous revien-drons plus tard sur cette partie de la question.

1. La fréquence des coagulations intravasculaires chez les vieillards semble démontrer qu'il existe chez eux une tendance à l'inopexic, et le purpura senilis n échappe point à cette règle ; car il est probable que cette dernière affection se rattache, au moins fort souvent, à des ruptures spontanées des capillaires.

3° La vieillesse semble créer, à certains égards, des immu-nités pathologiques. Les fièvres éruptives, la fièvre typhoïde, la phthisie sont peu communes à cet âge ; cependant, il ne faut point s'exagérer l'importance de ces immunités, qui sont loin d'être absolues, ainsi que M. Rayer l'a démontré pour la fièvre typhoïde, Murchison pour le typhus, et d'autres auteurs pour diverses maladies (1). Qui ne sait, d'ailleurs, que Louis XV est mort de la variole à l'âge de soixante-cinq ans?

Nous croyons en avoir dit assez, messieurs, pour vous convaincre qu'il existe une pathologie sénile ; et pour vous offrir un exemple frappant des modifications que l'âge peut

1. Consultez Rayer, Gaz méd., t. X, p. 573 (1842), et Utile, Ueber der typhus abdominalis der alteren Lent., in Arc.hiv fur Physiol. Heiluknde, Bd III, Ileft. 1859. Ces auteurs rapportent des exemples frappants de fièvre typhoïde chez les vieillards. — Murchison fait observer qu'aucun âge n'est exempt du typhus : de 15 à 20 ans la proportion est de 66 p. 100 ; de 60 à 65 ans, elle est de 2,5 p. 100 ; de 70 à 75 ans, elle est de 1,21 p. 100. Le cas survenu à l'âge le plus avancé est relatif à un vieillard de 84 ans. — La fièvre à rechutes (relapsing fever) est moins fréquente que le typhus chez les vieillards, cependant on en observe quelques exemples ; au-dessus de 50 ans, la proportion est de 6,63 p. 100 ; au-dessus de 60 ans, elle est de 1,6 p. 100. — Les vieilles femmes sont plus exposées à ces deux maladies que ne sont les hommes âgés. — Pour la fièvre typhoïde, la proportion est de 846 p. 100 au-dessus de 50 ans ; au-dessus de 60 ans, elle est de 0,5 p. 100. — Ces chiffres suffisent pour montrer que l'im-munité relative dont jouissent les vieillards, par rapport aux fièvres continues, est loin d'être absolue. (A treatise on contlnued fever in Great Britain. Londres, 1862. pages 61, 303, et 410.)

Pour ce qui concerne la phthisie, nous avons remarqué, M. Vulpian et moi, que la tuberculisation, môme aiguë, est plus fréquente à la Salpétrière qu'on ne le croit généralement. Un élève de M. Vulpian. M. Mourcton a rapporté dans sa thèse inaugurale neuf cas de tuberculisation aiguë chez les vieillards. Trois de ces individus étaient âgés de plus de 80 ans et la phthisie aiguë était primitive dans tous les cas, à l'exception d'un seul (Thèses de Paris, 1863.)

Chaque année, nous observons à la Salpétrière quelques cas foudroyants de méningite cérébro-spinale. Dès 1852, j'avais recueilli un certain nombre de faits de ce genre ; ils se trouvent réunis dans la thèse de M. le docteur Inglessis (Sur quelques cas de méningite cérébro-spinale observés à la Salpétrière pen-dant le printemps de 1852. Thèses de Paris, 1855.)

imprimer aux manifestations morbides, nous étudierons, dans la prochaine séance, l'état fébrile chez les vieillards, en nous attachant à faire ressortir les analogies et les différences qu'il présente avec la fièvre chez l'adulte.

Charcot. Œuv. compi, t. vu. Malad, des Vieillards.

2

DEUXIÈME LEÇON

De l'état fébrile chez les vieillards.

Sommaire. — Défaut de réaction dans l'âge senile. — Les organes semblent souffrir isolément. —• Maladies latentes. — Les lésions les plus graves peuvent passer inaperçues. — Fièvres chez les vieillards. — Qu'est-ce que la fièvre ?— Importance delà thermométrie clinique. — Du frisson chez les vieil-lards. — Courbes de température de la pneumonie lobairc. — Déductions pratiques que l'on peut en tirer. — Defervescences, crises, perturbations critiques. — Maladies dans lesquelles la température s'abaisse au lieu de s'élever.

Messieurs,

Dans la dernière séance, je me suis efforcé de faire res-sortir le cachet particulier que la vieillesse imprime à toutes les manifestations morbides. Je m'étais principalement ap-puyé sur les données physiologiques ; aujourd'hui, nous allons poursuive cette étude, en nous maintenant exclusive-ment sur le terrain de la clinique.

Non seulement il existe pour le vieillard des immunités spéciales, et des prédispositions pathologiques inconnues à l'adulte ; mais encore nous voyons chez lui cette réaction générale, que nous sommes habitués à rencontrer en pré-sence de la maladie, subir une transformation complète. A cette époque de la vie, les organes semblent rester en quel-que sorte indépendants les uns des autres : ils souffrent isolément, et les diverses lésions dont ils peuvent devenir le siège ne retentissent guère sur l'ensemble de l'économie.

Aussi les désordres les plus graves se traduisent-ils par des symptômes peu accentués : ils peuvent même passer inaper-çus, et c'est dans l'âge sénile qu'on observe le plus grand nombre des maladies latentes (1).

Messieurs, ce point de vue est assez important en prati-que pour mériter d'être mis en relief : je vais donc vous en signaler quelques exemples appropriés.

Laissons de côté, pour le moment, l'étude des signes physiques, dont l'importance est d'ailleurs si grande à tous les égards ; oublions les difficultés que présentent l'auscul-tation et la percussion chez les sujets âgés ; nous aurons plus tard l'occasion d'y revenir. Occupons-nous seulement de ces phénomènes de réaction sympathique, dont l'absence souvent absolue est bien faite pour nous étonner.

Prenons d'abord pour exemple l'une des affections les plus fréquentes dans cet hospice ; nous voulons parler de la gravelle biliaire, qui détermine habituellement chez l'adulte des phénomènes généraux d'une si grande intensité. Vous connaissez le tableau formidable de la colique hépatique, qui se présente avec un cortège de symptômes effrayants qu'il est impossible d'oublier, lorsqu'une fois on en a été témoin. Eh bien ! vous apprendrez avec surprise que chez le vieil-lard, il est souvent difficile de reconnaître ces symptômes amoindris ; c'est tout au plus si nous trouvons un peu de pesanteur à la région du foie, quelques vomissements, un peu de jaunisse, parfois du délire, des symptômes cérébraux, plus aptes à nous induire en erreur, qu'à nous éclairer sur la nature de la maladie (2).

1. « A un âge avancé, les organes semblent vivre et souffrir isolément, leur

sphère d'activité paraît plus restreinte.......................On

ne devra jamais oublier que dans un âge avancé, les lésions les plus graves peuvent coïncider avec un petit nombre de symptômes légers, presque insigni-fiants. «(Grisolle. Traité de la pneumonie. lre édit., p. 425).

2. « A l'infirmerie de la Salpétrière. on fait peu d'autopsies sans rencontrer

Si les conduits biliaires, distendus par le passage des calculs, se montrent si peu disposés à provoquer une ré-action d'ensemble, il en est de même des conduits excré-teurs des reins qui peuvent subir, presque sans douleur, le contact des graviers urinaires ; aussi, les vives douleurs de la colique néphrétique sont-elles presques inconnues chez nos vieillards.

Dans un autre ordre de laits, nous voyons le diabète se présenter, chez les sujets d'un âge avancé, avec des symptômes fort différents de ceux qui le caractérisent chez l'adulte. Les urines, souvent peu abondantes, ne renferment de glycose que d'une manière intermittente (1) ; et la soif, cet indice ac-cusateur, qui nous met le plus souvent sur la voie du dia-gnostic, aux autres périodes de la vie, peut manquer com-plètement chez le vieillard.

Après avoir constaté de pareils faits, vous apprendrez sans étonnement que le cancer de l'estomac (2) et du foie, ainsi que la tuberculisation pulmonaire (3) peuvent rester à l'état

un nombre plus ou moins grand de calculs dans la vésicule,et pourtant, les co-liques hépatiques sont extrêmement rares à la Salpétrière. » (Beau, Eludes sur l'appareil spléno-hépatique. Arch. de Méd.—Avril 1851, p. 401.) «Le fait est vrai pour les coliques avec tout leur appareil de douleur ; mais il faut tenir compte aussi de la diminution de sensibilité ; et il n'est pas rare d'observer des douleurs sourdes dans la région gastro-hépatique, douleurs que les malades apportent toujours à des causes imaginaires, mais qui pourraient bien avoir pour cause réelle la présence des calculs. » (Gillette, art. cité, p. 898.)

Nous partageons entièrement sous ce rapport les idées de Gillette, et nous ajouterons que d'après nos propres observations, des douleurs sourdes peuvent aussi coïncider plus souvent chez le vieillard que chez l'adulte avec le passage des graviers urinaires.

1. Bence Jones On intertnitting Diabètes, and on Diabètes, of old âge. Me-dico-chir. Trans., 1853, t. XXXX'I.

2. « C'est chez les vieillards qu'on rencontre ces dégénérescences de l'es-tomac à marche trompeuse, qui ne sont accompagnées ni de vomissements, ni de douleurs violentes, ni de dyspepsie, au moins avouée. (Gillette, loc. cit., p. 898.)

3. « La phthisie chez le vieillard est remarquable par sa forme lente et in-sidieuse. » (Gillette, loc. cit., p. 898.)

latent pendant tout le cours de leur développement ; ce sont là des surprises que l'autopsie nous réserve assez souvent.

Mais c'est surtout dans la pneumonie lobaire, si fréquente dans cet hospice, que nous rencontrons d'une manière frap-pante cette absence presque complète de signes généraux. Nous nous contenterons de citer à cet égard un passage extrait de l'important mémoire de MM. Hourmann et De-chambre (1).

« Les vieilles femmes, disent-ils, ne se plaignent même pas de malaise ; personne dans leurs dortoirs, ni surveillants, ni filles de service, ni voisines, n'aperçoivent de changement dans leur position. Elles se lèvent, font leur lit, et expirent. C'est à une des morts dites subites, de vieillesse, à la Sal-pétrière. On ouvre les cadavres et l'on trouve une grande partie du parenchyme pulmonaire en suppuration.»

Ces récits ne paraissent-ils pas bien étranges ! Est-ce à dire cependant que les lois qui régissent chez l'adulte le rapport des symptômes aux lésions soient complètement interverties chez le vieillard? Non, sans doute ; il y a lieu de faire remarquer tout d'abord que les faits de ce genre, s'ils ne peuvent être révoqués en doute, doivent être considérés toutefois comme exceptionnels. Ils ne sont pas d'ailleurs complètement étran-gers à la pathologie ordinaire. La pneumonie reste parfois latente chez l'adulte, dans certaines conditions particulières de l'organisme, et le plus spécialement chez les ivro-gnes. On peut rapprocher ce type de plusieurs autres affections graves ; ne sait-on pas, par exemple, que la variole hémor-rhagique peut revêtir, au début, des apparences favorables qui sont brusquement démenties par la terminaison fatale ? Mais c'est surtout dans le groupe des fièvres pestilentielles qu'on peut constater des faits analogues. C'est ainsi que dans

1. Archives de Médecine, 1836, t. XII, p. 57.

la fièvre jaune épidémique, dans la peste et dans le typhus, il est des cas où l'atteinte profonde de l'organisme ne se ré-vèle par aucun symptôme qui puisse faire pressentir la gravité du mal. Ici, le pouls paraît nature ou peu s'en faut, la langue est nette, la peau est fraîche ou légèrement chaude dans la région de l'estomac et du foie ; l'esprit est libre, les forces sont conservées. Mais tout à coup, apparaissent les vomisse-ments noirs, et la mort survient inopinément. Un médecin américain, Caldwe, auquel on doit un bon traité de la fièvre jaune, a désigné sous le nom de Walking cases (cas où l'on marche), expression pittoresque, mais à peu près intradui-sible dans notre langue, ces cas insidieux dans lesquels on voit des gens frappés à mort se croire à peine malades, et con-tinuer à vaquer à leurs affaires, jusqu'aux derniers moments de leur existence (1).

Ces formes insidieuses ne sont donc pas exclusivement pro-pres à la pathologie sénile ; mais si nous laissons de côté ces cas peu fréquents pour n'envisager que ceux de la clinique or-dinaire, nous sommes amenés à reconnaître qu'en règle géné-rale, il existe chez le vieillard un défaut de corrélation entre la lésion locale et l'appareil des symptômes généraux. Pareille chose existe chez l'enfant, ainsi que l'a fait remarquer ingé-nieusement Gillette (2), mais c'est en sens inverse. A cet âge, les réactions sont pour ainsi dire exagérées, tumultueuses, et le trouble violent des fonctions est loin de prouver un mal grave. Chez le vieillard, au contraire, l'organisme reste pour ainsi dire impassible devant les altérations les plus graves. C'est donc par défaut que pèchent ici les réactions, et le mé-decin doit redoubler d'attention et tenir compte des moindres

1. Med. and phys.Mem. contamina aparticular inquiry into the origin and nature of the late pestilential épidémies of the United States, Philadelphie, 1801.

2. Loc. cit., p. 873.

indices, s'il veut ne pas se laisser surprendre par des accidents complètement imprévus (1).

Mais il est temps de quitter le point de vue très général au-quel nous venons de nous placer, pour aborder enfin la ques-tion qui doit plus spécialement nous occuper aujourd'hui. Nous voulons étudier l'état fébrile chez le vieillard, comparé sous ce rapport à l'enfant et à l'adulte ; et pour donner plus de précision aux idées que nous allons exposer, nous choisi-rons pour type la pneumonie lobaire, cette affection fébrrle au plus haut degré, et commune à tous les âges de la vie. Son évo-lution nous permettra de constater les déviations qui peuvent être imprimées par la vieillesse à l'un des principaux symp-tômes de la plupart des affections aiguës.

La fièvre, dit Gillette (2) dans un passage où il s'est fait l'é-cho de l'opinion exprimée par tous les auteurs spéciaux qui l'ont précédé, la fièvre se caractérise chez les vieillards par l'accélération du pouls et la sécheresse de la peau, sans que l'augmentation de la température soit bien sensible. Il fait ob-server ensuite que le frisson initial s'accuse à peine ou fait complètement défaut, ainsi que les sueurs. Les autres phéno-mènes accessoires de l'état fébrile sont tous, selon le même auteur, plus ou moins profondément modifiés. En somme, la description qu'il en présente offre un contraste saisissant avec ce que nous savons de l'appareil fébrile envisagé aux autres

1. Il faut se rappeler, d'ailleurs, que les phénomènes sympathiques chez le vieillard prennent quelquefois une tournure tout à fait insolite. C'est ainsi que la pneumonie peut revêtir une forme larvée et se présenter tantôt avec les ap-parences d'une apoplexie cérébrale avec résolution complète et connue tantôt sous l'aspect d'une véritable hémiplégie, avec ou sans contracture des membres paralysés. J'insiste tout particulièrement sur ces hémiplégies pneu-moniqaes, dont nous avons rencontré plusieurs exemples, M. Vulpian et moi. Elles se terminent habituellement par la mort, et nous avons pu nous con-vaincre qu'elles ne répondaient à aucune altération encéphalique. Chez l'en-fant, la pneumonie peut offrir une forme cérébrale, caractérisée par l'éclampsie ou le coma.

2. Coc. cit., p. 874.

âges de la vie. Ce tableau est-il exact ? représente-f-il fidèlement la vérité? Nous devons convenir qu'il ne nous satisfait pas d'une manière absolue. Mais pour justifier nos restrictions, il devient nécessaire d'aborder une discussion préalable?

Qu'est-ce que la fièvre? qu'entend-on par état fébrile?

Il est à peine nécessaire de vous prévenir, messieurs, que la définition que nous allons chercher sera toute descriptive, et que nous n'avons nullement la prétention de pénétrer la nature intime du phénomène que nous \roulons caractériser.

Au temps d'Hippocrate, à l'époque où Ton ne pratiquait pas encore l'exploration du pouls, l'élévation de la tempé-rature constituait le seul et unique élément de la fièvre. C'est ce dont témoigne suffisamment la définition de Galien. Calor prœter naturam (1), telle est pour ce grand méde-cin la caractéristique de l'état fébrile. La tradition, pendant une longue série de siècles, a respecté l'opinion de Galien ; mais elle s'est altérée par la suite, et nous voyons Boerhaave, dominé par les idées iatro-mécaniques qui prévalaient de son temps, déclarer que « l'accélération du pouls est le seul symptôme qui, dans la fièvre, se trouve toujours présent, du commencement à la fin, et qui seul suffit pour faire recon-naître au médecin la présence de la fièvre (2). » La question, de-puis cette époque, a été reprise maintes fois et résolue dans des sens bien divers ; mais il faut reconnaître qu'aujour-d'hui, le témoignage unanime des travaux modernes s'est prononcé en faveur de l'opinion acceptée par l'antiquité. 11 a été reconnu et proclamé de toutes parts que l'exaltation de la chaleur animale est bien le fait fondamental de l'état fébrile. Parmi les autres phénomènes qui l'accompagnent, le

1. De Différent, febrium, cap. 1. De generali febrhim divisione. — Il y a une autre définition de Galien, mais qui se trouve dans un ouvrage moins au-thentique, et dans laquelle on l'ail intervenir la fréquence du pouls.

2. Aphorisme, 571).

plus ordinairement, il n'en est aucun, pas même l'accéléra-tion du pouls, qui se montre d'une manière aussi constante, aussi obligatoire. La fièvre n'existe pas lorsque la tempéra-ture reste au taux normal, et la fréquence du pouls peut atteindre les dernières limites sans qu'il y ait aucun mouve-ment fébrile. Qu'il nous suffise de citer l'extrême surexcita-tion du système circulatoire, observée dans certains cas de palpitations artérielles, et en particulier dans la cachexie exophthalmique et l'hystérie (1). Peut-on dire, d'un autre côté, qu'il y ait fièvre toutes les fois que la température s'é-lève ? C'est là un point sur lequel il n'est guère possible de se prononcer aujourd'hui. Nous voyons, en effet, la chaleur du corps s'élever dans des cas qui paraissent étrangers à toute création pyrétique : dans le tétanos, dans l'attaque épi-leptique et dans le choléra, surtout au moment de l'agonie; elle peut alors atteindre 42 ou 43 degrés. Il y a là, sans doute, un élément qui nous échappe ; toujours est-il que l'accroissement de la chaleur animale domine dans la fièvre tous les autres symptômes, et peut même servir, dans bien des cas, à en mesurer l'intensité.

C'est l'emploi méthodique d'un moyen d'exploration in-connu aux anciens, qui a contribué pour la grande part à fixer définitivement nos idées à cet égard. Nous avons nommé la thermométrie clinique. Bien que les critiques ne lui aient pas été épargnées, ce moyen d'exploration a fait aujourd'hui son chemin, et l'on peut prévoir que le temps n'est pas loin où son emploi sera généralement répandu dans la clinique usuelle.

On dit que le célèbre Hollandais Swammerdam a eu le premier, au xvne siècle, l'idée d'apprécier avec le thermo-mètre la chaleur des malades (2). Depuis lors, plusieurs mé-

1. Briquet, Traité de l'hystérie, p. 320.

2. Requin, t. I, p. 91.

decins se sont livrés à ce genre d'observation. En 1754, de Haen appelait l'attention de ses élèves sur la nécessité de substituer l'emploi du thermomètre à l'application de la main, dans l'appréciation de la température du corps. On lui doit aussi la constatation d'un fait important et auquel nous ferons allusion bien des fois, parce qu'on l'observe très fré-quemment dans la clinique du vieillard ; c'est qu'au moment même où la peau des fébricitants est pâle, violacée et re-froidie, par suite de la contraction des vaisseaux capillaires superficiels, la température du sang s'élève de plusieurs de-grés au-dessus du taux normal ; et cela non plus d'une manière passagère, comme dans le frisson initial de la fièvre, mais d'une façon pour ainsi dire permanente, et qui persiste pendant toute la durée de l'état fébrile.

John Hunter est, dans le siècle passé, à peu près le seul auteur qui ait répondu à cet appel. Mais, de nos jours, les travaux de Gavarret (1839), de Bouillaud, de Monneret et de quelques autres médecins français, ceux surtout de Roger (1844), ont fait pressentir toute la portée clinique de ce moyen d'investigation. Toutefois, "c'est en Allemagne, et dans ces dernières années seulement, que de véritables progrès ont été réalisés à cet égard. On peut dire, sans exagération, qu'entre les mains de Baerensprung, de Traube, de Michaël, de Wunderlich surtout, la thermométrie clinique a subi une transformation radicale. Il ne s'agissait plus, en effet, de constater que la température s'élève de plusieurs degrés dans la-fièvre, ni d'en apprécier l'intensité suivant les es-pèces morbides ; il fallait suivre le phénomène jour par jour, heure par heure pour ainsi dire, depuis son origine jusqu'à sa terminaison définitive, dans les diverses phases de son évolution, et en consigner jusqu'aux oscillations les plus minimes ; montrer que les tracés graphiques obtenus par cette exploration méthodique fournissent pour chaque espèce

de maladie des types constants, avec des variantes qui corres-pondent aux circonstances les plus importantes des maladies ; car ainsi seulement on pouvairétablir que ces tracés ont une réelle importance dans la clinique ; qu'ils permettent, — mieux peut-être que tout autre procédé, — de suivre la marche du processus morbide, et d'en reconnaître les di-verses péripéties ; qu'ils ne peuvent, par conséquent, manquer de fournir des indications précieuses tant pour le diagnostic que pour le pronostic. 11 fallait montrer enfin que les courbes thermométriques se modifient d'après certaines règles, d'après certaines lois, suivant que la maladie a été abandonnée à elle-même, ou traitée par l'emploi méthodique de tel ou tel agent médicamenteux ; car il était permis d'espérer que l'expé-rimentation thérapeutique trouverait dans l'emploi de cette mé-thode un critérium d'une précision presque mathématique.

Telle est la tâche complexe que se sont imposée les au-teurs allemands que nous venons de citer, et s'ils n'ont pas toujours atteint le but, il serait profondément injuste de ne pas reconnaître qu'ils ont au moins semé de nombreuses vé-rités sur leur chemin. On «paraît l'avoir enfin compris tant en France qu'en Angleterre, et plusieurs médecins de ces deux pays ont déjà suivi nos confrères d'outre-Rhin dans la voie qu'ils ont tracée (1).

Nous nous sommes appliqué, depuis près de trois ans, à reproduire, aussi souvent que cela nous a été possible, chez les vieillards placés sous notre direction dans cet hospice, les observations cliniques dont il s'agit ; on s'était généralement borné, jusqu'ici, à pratiquer la thermométrie chez les enfants et chez les adultes. Les résultats que nous avons obtenus

1. Consultez à cet égard, les excellentes thèses de MM. Maurice (Paris 1855), Spielmann (Strasbourg, 1856), Hardy (Paris, 1859), et Duclos (Paris, 1864). — En Angleterre, des recherches importantes ont été faites par Sidney Ringer, dont les travaux sont consignés dans l'ouvrage d'Aitken.

nous permettront de vous présenter quelques considérations sommaires sur les modifications que subit dans 1 âge sénile la température pendant fétat fébrile aux différentes phases de son évolution, et de comparer, sous ce rapport, cet âge avec les autres périodes de la vie. Mais nous aurons surtout à cœur de vous montrer tout le parti qu'on peut tirer de la thermo-métrie dans la clinique des vieillards. 11 est à peine néces-saire de rappeller ici que c'est sur la fièvre concomitante de la pneumonie lobaire que porteront surtout nos descriptions ; nous ferons allusion cependant plusieurs fois aux autres formes de l'état fébrile.

1.

Les vieillards frissonnent peu, a dit Beau (1), et nous avons vu Gillette reproduire, à peu de chose près, la même opinion. Cette proposition est beaucoup trop absolue ; nous avons plus d'une fois constaté chez les vieillards des frissons violents et prolongés, au début d'une pneumonie, d'un érysi-pèle ou d'une fièvre synoque, affection très commune à la Salpétrière, à certaines époques de l'année. Ces frissons ca-ractérisés par un tremblement convulsif, par la cyanose et l'algidité des membres, se montrent avec une intensité plus grande encore dans les accès de fièvre intermittente sympto-matique qui accompagnent si souvent les suppurations pro-fondes, les phlébites viscérales, et ces inflammations des voies biliaires que la présence de calculs hépatiques déter-mine si volontiers dans l'âge sénile (2).

Et cependant, au milieu de tous ces phénomènes, à l'in-

1, Etudes clin, sur les maladies des vieillards. Journal de Beau, 1843, p. 292.

2. Si les coliques hépatiques sont peu communes à un âge avancé, il est au contraire très fréquent de voir des calculs, et surtout la gravelle intrahépa-tique, donner lieu chez les vieillards à des suppurations des voies biliaires. Cette lésion se traduit au dehors par une fièvre intermittente s;/mplomatique, dans laquelle le début de chaque accès est remarqué par un frisson violent :

stant même où la surface extérieure du corps offre tous les indices d'un refroidissement considérable, la chaleur centrale se maintient à un degré très élevé ; la thermométrie axil-laire, il est vrai, ne permet pas de constater toute l'inten-sité de cette réaction (1): mais dans le rectum, il existe une température de 40 à 41 degrés, ainsi que j'ai eu maintes fois l'occasion de le constater moi-même.

Cette brusque élévation de la température, au début des maladies, correspond assez exactement à ce que nous obser-vons chez l'adulte, et, sous ce rapport du moins, le vieillard ne le cède en rien aux sujets d'un autre âge. Mais cette rapidité de l'invasion ne se rencontre que dans certaines maladies ; il en est d'autres où la chaleur fébrile s'accroît d'une manière lente et graduelle ; et, pour rester dans le domaine de la pathologie sénile, nous citerons comme exemples la broncho-pneumonie et la fièvre catarrhale. 11 est rare, d'ailleurs, dans les affections de ce dernier type, de voir la température s'élever au même degré que dans la pneumonie lobaire ; nous aurons bientôt l'occasion de le démontrer. Voyons maintenant quels sont les carac-tères de la réaction générale dans cette phlegmasie, que nous avons choisie pour type des affections fébriles de la vieillesse.

II.

Le frisson a marqué le début de la maladie, qui suit, à partir de ce moment, une évolution régulière. C'est

dans l'intervalle,-le thermomètre permet de constater qu'il existe souvent une apyrexie complète. La mort a lieu presque toujours a la suite de ces accidents. M. Cornil a publié, dans les Mém. de la Soc. de Biolog. (1865) plusieurs cas de ce genre recueillis dans mon service. On sait que Monneret avait déjà signalé l'existence d'une fièvre à type rémittent ou intermittent dans les affections du foie. (Arch. de niéd., 1861.) 1. Il existe presque toujours, en pareil cas, une différence de quelques frac-

alors qu'il devient intéressant d'en épier avec une attention scrupuleuse les progrès journaliers, et de constater, à l'aide de la thermométrie, les moindres oscillations de la chaleur animale ; car dans la majorité des cas, elles correspondent avec une grande exactitude aux diverses phases de la maladie.

Un amendement momentané succède habituellement au frissson initial : la température s'abaisse quelquefois de plus d'un degré, et le malade éprouve un bien être relatif. Mais c'est là un calme trompeur, et le soir même ou le lendemain matin, la maladie reprend sa marche. La tem-pérature remonte à 40 degrés; lorsqu'elle s'y maintient pen-dant plusieurs jours, on est autorisé à penser qu'il s'agit d'un cas sévère ; lorsqu'au contraire elle tend à s'abaissser progressivement à 39 degrés ou même un peu au-dessous, le pronostic est relativement favorable. Les chiffres que nous venons d'indiquer correspondent à la température observée le soir, car la fièvre, dans la pneumonie (même lobaire), n'ob-serve pas une marche rigoureusement continue ; il y a des rémittences quotidiennes qui s'expriment, tous les matins, par une différence thermométrique d'un demi-degré en moyenne. Mais, dans la pneumonie catarrhale, ces oscillations sont bien plus fortement accusées ; elles se traduisent par des écarts d'un degré, d'un degré et demi, et quelquefois d'avantage. Si vous songez en môme temps que dans cette dernière affection la température s'élève lentement, par degrés successifs, et n'atteint presque jamais les chiffres qu'on ob-serve dans la pneumonie lobaire, vous comprendrez aisé-ment que la seule inspection des tracés thermométriques peut souvent permettre de distinguer entre elles ces deux mala-dies, dont le diagnostic différentiel est parfois assez difficile.

Nous avons placé sous vos yeux quelques exemples de ce

tions de degré, quelquefois d'un degré, entre la température de l'aisselle et celle du rectum.

genre, dont plusieurs ont été recueillis dans nos salles. Un simple coup d'œil vous fera saisir les différences que nous cherchons à faire ressortir.

Fig. 1. — Pneumonie catarrhale^chcz un enfant. Guérison. (Ziemssen). Jours.. 1 2 3 4 5 6

Fig. 2. — Pneumonie catarrhale chez une femme de 83 ans. Mort. (Charcot.)

Fig. 3. — Pneumonie lobaire, chez un enfant de 3 ans. Guérison. (Ziemssen.)

Jours 1 2 3 4 5 6 7

Fig. 4. — Pneumonie lobaire, chez un homme de 38 ans. Guérison (Wunderlich, cité par Aitken).

Charcot. Œuvr. compl. t. vu. Malad. desVieillards. 3

Fig. 5. — Pneumonie lobairc, chez une femme de 75 ans. Guérison. (Ghargot.)

La juxtaposition de ces courbes de température vous per-met en même temps de comparer les tracés obtenus chez l'adulte et l'enfant, dans la pneumonie soit lobaire, soit catarrhale, avec ceux qu'on recueille chez le vieillard; il suf-fit d'y jeter un coup d'œil rapide pour en saisir la parfaite analogie (\ ).

Parmi les tracés que nous avons rassemblés ici, il en est deux qui sont destinés à mettre en relief l'influence exercée sur les oscillations de température par les agents thérapeuti-ques. Dans le premier de ces deux tableaux, vous voyez l'ad-ministration de la digitale à haute dose amener, à deux reprises différentes, un abaissement notable de la tempéra-ture. Ce phénomène, qui n'a jamais lieu spontanément à

1. Pour ce qui touche à la pneumonie des enfants, nous avons emprunté des tracés thermométriques à l'ouvrage de Hugo Ziemsscn. (Pneumonie der Kin-desalter. Berlin, 1862).

cette époque de la maladie, peut également être provoqué par le tartre stibié ou les émissions sanguines. Mais cette defer-vescence n'est le plus souvent que temporaire, et chaque fois que l'administration du médicament est suspendue, vous voyez la température s'élever de nouveau.

Fig. 6. — Pneumonie lobaire traitée par la digitale, chez une femme de 71 ans. Mort. (Charcot).

Le second tableau vous montre les effets du rhum admi-nistré en potion à la dose de 120 grammes. Pendant la pre-mière période de la maladie vous voyez la température s'a-baisser lentement, mais d'une manière progressive sous l'influence de ce médicament, pour se relever aussitôt qu'il cesse d'être administré ; la maladie reprend ensuite son cours naturel, et se termine par la guérison. Mais c'est là un sujet

sur lequel nous aurons sans doute à revenir plus longuement dans le cours de ces conférences.

Jours 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Fia. 7. — Pneumonie lobaire, chez une femme de 76 ans, traitement par le rhum. Guérison. (Ghargot.)

La persistance d'une température élevée, sans oscillations diurnes bien marquées, pendant un certain nombre de jours, constitue un caractère clinique important de la pneumonie lobaire, surtout dans Vâge sentie. Chez l'adulte, nous pour-rions citer plusieurs affections (les. fièvres éruptives et le typhus exanthématique, par exemple), qui partagent ce caractère. Nous ne le retrouvons guère que dans l'érysipèle, chez les vieillards, s'il faut s'en rapporter à ce que nous obser-vons à la Salpôtrière. Aussi l'importance clinique de ce fait ne saurait être exagérée, surtout lorsqu'on songe aux diffi-cultés que présente habituellement l'auscultation de la poi-trine dans l'âge sénile. On parvient en effet chez plusieurs

malades à formuler le diagnostic d'une inflammation pulmo-naire par la thermométrie, longtemps avant que l'oreille soit parvenue à saisir les signes stéthoscopiques qui en révè-lent l'existence.

III.

Il nous reste à signaler les particularités que fait reconnaître chez les vieillards l'exploration thermométrique dans la période de déclin de l'état fébrile, ou, comme on dit en Allemagne, pendant la défervescence. Tantôt l'abais-sement de la température qui signale le retour à l'état nor-mal s'accomplit par degrés successifs pendant un espace de trois ou quatre jours : c'est le cas de la fièvre catarrhale, de la broncho-pneumonie; tantôt, au contraire, il s'opère brusquement, et dans l'espace de douze, vingt-quatre, trente-six ou quarante-huit heures, on voit la température baisser de un à deux degrés et même plus. C'est ainsi, du moins, que vont habituellement les choses dans la pneu-monie lobaire, si l'issue doit être favorable. Souvent cette chute rapide du mouvement fébrile est précédée d'une brus-que élévation de la température qui s'accompagne d'une exaspération plus ou moins prononcée et souvent fort inquiétante des symptômes. C'est ce qu'on appelait autrefois du nom de perturbation critique. Notons enfin que dans la défervescence, la température descend parfois au-dessous du taux normal, s'y maintient pendant quelques heures, parfois pendant un jour entier, pour reprendre ensuite défi-nitivement le niveau qui correspond à l'état de santé par-faite. Le but est alors dépassé, si l'on peut ainsi dire ; mais nous n'avons vu que rarement, chez les vieillards, cet abaissement de la température au-dessous du taux normal

s'accompagner des symptômes plus ou moins inquiétants du collapsus, qui le signalent assez souvent dans un âge moins avancé.

La défervescence, chez plusieurs sujets, est le signal des phénomènes critiques qui doivent juger la maladie ; on les voit se produire soit au moment même où la température s'abaisse, soit un peu plus tard; ce dernier cas est le plus fréquent (voir la figure 10) (1). Sous ce rapport, il n'existe aucune différence réelle entre le vieillard et l'adulte ; seule-ment les crises sudorales, si fréquentes pendant l'âge moyen de la vie, s'observent assez rarement dans la vieillesse ; la diarrhée critique, au contraire, est un phénomène assez habi-tuel. Vous pouvez suivre sur les tracés qui ont été mis sous vos yeux les phénomènes de la défervescence chez l'enfant, l'adulte et le vieillard, et reconnaître qu'ils s'accomplissent à toutes les époques de la vie d'après des lois identiques.

Nous ne nous sommes occupés jusqu'ici que des cas qui se terminent par la guérison ; quand la maladie doit avoir une issue funeste, la température, qui jusque-là s'était main-tenue dans les limites ordinaires, s'élève tout à coup dans l'espace d'un jour, ou seulement de quelques heures, d'un et parfois de deux degrés. C'est dans ces circonstances que survient habituellement la mort chez l'adulte, dans la pneu-monie lobaire ; il en est de même chez le vieillard dans la grande majorité des cas ; mais on observe assez fréquem-ment chez lui un mode de terminaison qui paraît être exceptionnel dans l'âge moyen de la vie : au lieu de s'élever, la température s'abaisse progressivement pendant un jour ou deux jusqu'à atteindre 38 degrés ou même 37° 1/2, au mo-ment de la terminaison fatale. Et cette défervescence de mauvais aloi s'observe non seulement dans les cas où les

1. Consultez à cet égard le icmarquable travail de Traube : Ueber Krisen, nncl Kritische Tage. Berlin, 1852,

malades ont été soumis à l'emploi des contre-stimulants, mais encore dans ceux où la maladie a été abandonnée à elle-même.

Les quatre tableaux suivants vous présentent les tracés thermométriques de deux cas de pneumonie terminés par la mort, avec élévation de température, et d'un cas terminé par la guérison. Le quatrième est un cas de mort dans la défervescence. Toutes ces observations ont été recueillies à la Salpétrière.

Jours. 2 3 4.

Fig. 8. — Pneumonie lobaire, chez une femme de 83 ans. Mort avec élévation de la température. (Gharcot.)

Messieurs, je crois vous avoir montré toute l'importance de la thermométrie clinique dans l'étude des maladies des vieillards, et l'utilité des résultats auxquels elle peut nous conduire, au triple point de vue du diagnostic, du pronostic et du traitement. Mais ce que j'avais surtout à cœur de vous prouver, c'est que les phénomènes de la fièvre observés aux époques les plus différentes de la vie sont toujours au fond les mêmes, et obéissent à des lois identiques. Comme

Fig. 9. — Pneumonie lobaire, chez une femme de 69 ans. Mort avec élévation de la température. (Ghargot.)

Fig. 10. —Pneumonie lobaire, chez une femme de 75 ans. Guérison. (Ghargot.)

Fig. 11. — Pneumonie lobaire, chez une femme de 75 ans. Mort dans la défervescence. (Gharcot.)

chez l'adulte, la réaction générale existe chez le vieil-lard ; mais elle est latente, et c'est dans les régions cen-trales de l'économie qu'il faut savoir en chercher la mani-festation.

Il est donc très important de distinguer ici les résultats de la thermométrie axillaire de ceux que donne l'exploration rectale. Sous le rapport de la température, l'aisselle répond à la surface du corps, le rectum aux viscères intérieurs. Il est vrai que dans la majorité des cas, les courbes qui corres-pondent à la chaleur manifestée sur ces deux points sont à peu près parallèles : chez l'adulte on pourrait presque dire qu'elles coïncident ; chez le vieillard, celle qui répond à la température de l'aisselle reste un peu inférieure à celle du rectum. Mais il existe des cas, et ce sont souvent les plus graves, où il se produit un grand écart. La température extérieure s'abaisse, tandis que celle des parties centrales s'élève, et la différence peut atteindre plusieurs degrés. On comprend qu'il serait très insuffisant, en pareil cas, de s'en

rapporter exclusivement aux résultats de la thermométrie axillaire.

Jusqu'ici, messieurs, je ne vous ai guère entretenus que des maladies dans lesquelles la chaleur s'élève au-desssus du taux normal. Mais il est un grand nombre d'affections (surtout chez les vieillards) qui donnent naissance au phéno-mène inverse, en provoquant un abaissement réel de la température des parties centrales. Sans parler du choléra (1), dont les effets à cet égard sont universellement connus, nous pouvons citer comme exemples, certaines affections du cœur, la péricardite, les gangrènes séniles, le marasme, et diverses formes de cancer. Cet état d'algidité est un symp-tôme grave et qui réclame de prompts secours. Or, il ne peut être révélé que par le thermomètre, qui est appelé par conséquent à rendre ici de nouveaux services.

Mais je ne veux point aborder aujourd'hui ce sujet: j'au-rai sans doute l'occasion, dans le cours de nos conférences de vous indiquer les résultats des recherches que j'ai entre-prises sur la valeur séméiotique de l'algïdité chez les vieil-lards.

1. Dans le cours de la dernière épidémie de choléra qui a sévi à Paris, j'ai eu l'occasion de constater que la température des parties centrales se maintient au degré normal pendant le cours de la maladie, et que la chaleur s'élève aux approches de la mort ainsi que Doyère l'avait déjà signalé. (Mém, de la Société de biol., 1866.) (Note de la première édition.)

TROISIÈME LEÇON

Du rhumatisme noueux et de la goutte. — Hématologie pathologique de la goutte

Sommaire. — Fréquence du rhumatisme articulaire chronique à la Salpè-trière. — Ses ressemblances avec la goutte. — Doctrine de l'identité : si-lence des médecins de l'antiquité à cet égard. — Nécessité d'entreprendre l'étude préalable de la goutte avant celle du rhumatisme chronique. — Diathèse goutteuse : ses caractères généraux. — Goutte régulière, irrégu-lière : goutte aiguë, goutte chronique. — Hématologie pathologique de cette affection. — Les tophus de la goutte sont composés d'urate de soude. — L'acide urique existe à l'état normal dans le sang. — Il se trouve en excès dans le sang des goutteux. — Procédé du fil. — L'acide urique n'existe pas en excès dans le sang des rhumatisants. — La goutte n'est pas la seule ma-ladie qui coïncide avec cette altération. — Modifications accessoires dans la composition du sang, chez les goutteux. — État des urines dans la goutte aiguë, pendant l'accès et dans l'intervalle des accès : dans la goutte chro-nique.

Messieurs,

Nous venons d'étudier, dans les deux séances précédentes, les caractères généraux que présentent les maladies dans l'âge sénile ; aujourd'hui, je me propose d'appeler votre attention sur l'une des affections chroniques qui se rencontrent le plus communément dans cet hospice.

Il s'agit du rhumatisme articulaire chronique, qui con-stitue, à coup sûr, l'une des infirmités les plus ordinaires du sexe féminin, au moins dans la classe pauvre; nous la trouvons en effet dans la proportion de 8 p. 100 parmi les femmes

infirmes de la Salpêtrière. Il me semble donc que cette question mérite, au point de vue pratique, de fixer votre attention d'autant plus que l'histoire pathologique de cette maladie présente bien des difficultés à résoudre, bien des points à éclaicir. Pendant longtemps, en effet, cette étude, en appa-rence ingrate, a été négligée ; et malgré toute l'importance de quelques travaux récents, il nous reste, à cet égard, bien des progrès à réaliser. Or, ce sont les observateurs placés dans un hospice comme celui de la Salpêtrière qui seuls peuvent entreprendre un semblable travail; il est indispensable, en effet, pour remplir ce but, d'avoir sous les yeux un grand nombre de malades, afin de mieux pouvoir comparer entre eux les types si divers que peut affecter le rhumatisme chronique.

Mais, au seuil même de la question une difficulté nous arrête. Si le rhumatisme et la goutte, envisagés d'une manière générale, se touchent par bien des côtés, et semblent offrir, à bien des égards, une profonde analogie, il faut convenir que c'est surtout dans la forme chronique de ces deux affections que la ressemblance devient frappante, et peut embarrasser l'observateur. Nous sommes donc amenés, presque malgré nous, à toucher une question de doctrine, et à nous demander s'il faut confondre dans une description commune ces deux maladies ou établir entre elles une distinction radicale. .

On sait que les grands médecins de l'antiquité s'étaient prononcés en faveur de la première de ces deux opinions ; ou pour parler plus exactement, ils ne paraissent jamais s'être doutés qu'il y eût là un problème à résoudre. Sous le nom à'arthritis ou de maladie articulaire (articulorum passio), ils nous ont laissé la description d'une maladie dans laquelle nous retrouvons les caractères tantôt de la goutte, tantôt du rhumatisme; et la tradition antique s'est maintenue à travers les siècles, jusqu'à l'époque où Baillou détourna le mot de rhu-matisme de son acception primitive, pour l'appliquer à l'en-

semble symptomatique que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de rhumatisme articulaire aigu. Ce fut un peu plus tard que le rhumatisme articulaire chronique acquit, à son tour, une autonomie longtemps contestée.

Mais la distinction établie par Baillou, qui n'a jamais obtenu l'assentiment unanime, est aujourd'hui vivement combattue par d'éminents observateurs : et, bien que la plupart des mé-decins reconnaissent une profonde différence entre la goutte et le rhumatisme, la doctrine de l'identité a trouvé parmi nos contemporains des défenseurs dont le nom fait autorité dans la science.

Ces dissentiments, messieurs, sont fondés en grande partie sur la nature même des choses. Plus d'une fois vous serez ap-pelés à reconnaître, au lit du malade, combien il est difficile de distinguer la goutte du rhumatisme, surtout dans leurs formes chroniques; et le nom de rhumatisme goutteux, qu'on applique souvent à ces cas obscurs qui sont placés sur la limite des deux affections, semble renfermer implicitement un aveu d'impuissance.

Et cependant, messieurs, nous sommes profondément con-vaincu que les mots de goutte et de rhumatisme répondent à deux types morbides essentiellement distincts, et qui ne doi-vent pas être confondus, c'est ce que nous espérons vous démontrer en étudiant successivement ces deux maladies, pour les rapprocher ensuite l'une de l'autre, et les comparer entre elles. Peut-être les verrons-nous se réunir sur le terrain de l'étiologie ; c'est là un point sur lequel nous reviendrons plus tard ; mais, une fois constituées, elles suivent une marche parallèle, sans jamais se rencontrer. Ce sont, au dire d'un éminent pathologiste, deux branches issues d'un même tronc. Nous acceptons provisoirement cette ingénieuse comparaison, dont l'exactitude n'est pas encore bien démontrée ; mais qu'il nous soit au moins permis de faire observer, qu'une fois

détachés du tronc commun, ces deux rameaux portent des fruits bien différents.

Nous commencerons cette étude, par l'histoire de la goutte. Grâce aux travaux récents dont elle a été l'objet cette affection nous est mieux connue que le rhumatisme, à beaucoup d'égards ; d'ailleurs, nous la considérons à quelques points de vue comme un type des affections constitutionnelles, comme une maladie modèle. En effet, par des circonstances malheu-reusement trop exceptionnelles en médecine, nous connais-sons ici une matière morbifique, dont la présence donne lieu à bien des phénomènes divers ; nous possédons un fil conducteur pour nous guider à travers ce labyrinthe et nous pouvons suivre, jusqu'à un certain point, l'enchaînement logique des symptômes qui se déroulent successivement sous cette influence, pendant un long espace de temps. Nous sommes loin de prétendre que la goutte nous soit aujourd'hui connue dans son essence intime ; les causes premières, ici comme ailleurs, se dérobent à nos investigations, et nous pouvons seulement nous flatter d'avoir saisi l'un des anneaux les plus importants de la chaîne : nous avons appris à con-naître un vice des humeurs, qui tient sous sa dépendance les principaux phénomènes qui se présentent à notre observation, dans le cours de cette maladie. Nous espérons donc, messieurs, que l'abondance des détails dans lesquels nous allons entrer ne fatiguera point votre attention bienveillante. Car, lorsqu'on est en présence d'une de ces affections qui offrent à nos recher-ches une base matérielle, la goutte, la syphilis, ou l'intoxi-cation saturnine, il faut creuser le sujet jusqu'au fond; c'est ainsi du moins, qu'on peut espérer de dissiper, en partie, f obscurité qui règne encore sur tant d'autres points de là mêdecine.Un mot d'abord sur les caractères généraux de la diathèse que nous allons étudier.

La goutte est une affection chronique et constitutionnelle,

le plus souvent héréditaire, et toujours liée à un état dyscra-sique particulier ; en effet, la présence d'un excès d'acide urique dans le sang constitue un des principaux caractères de la maladie. 11 est incontestable que la plupart des manifes-tations morbides, qui donnent à la goutte sa physionomie particulière, relèvent de cette condition spéciale ; c'est ce qui a lieu, par exemple, du côté des articulations malades.

Vous savez, en effet, qu'au point de vue anatomique, les arthropathies goutteuses sont caractérisées par des dépôts d'urate de soude, soit à l'intérieur des jointures, soit dans les parties voisines.

Mais indépendamment de ces affections articulaires, et de cet état particulier du sang, la goutte peut donner lieu à des affections viscérales nombreuses et variées, tantôt organiques, tantôt purement fonctionnelles. Il y a même lieu de croire que dans quelques cas, rares d'ailleurs, la diathèse se borne à pro-duire pendant toute l'évolution de la maladie, des troubles intérieurs de cette espèce, sans jamais provoquer ces mani-festations extérieures sur lesquelles, nous sommes habitués à compter.

C'est là, messieurs, ce que les anciens ont appelé la goutte irrégulière, par opposition à la goutte régulière, qui répond au type classique de la maladie. Cependant, même ici, nous ren-controns des affections viscérales ; tantôt elles se manifestent brusquement dans le cours des accès (goutte rétrocédée, remontée), ou dans leur intervalle (goutte mal placée)', tantôt, au contraire, c'est par un développement lent, pro-gressif, et pour ainsi dire latent, que se forment ces lésions organiques profondes, qu'on rencontre si souvent chez les goutteux (néphrite albumineuse, cœur graisseux).

Ainsi, toute cette vieille nomenclature, hérissée de termes bizarres, que les anciens appliquaient à la goutte, est fondée en réalité sur l'observation clinique ; nous retrouvons dans l'étude

rigoureuse des faits, la goutte franche, régulière, et la goutte irrégulière, larvée, rétrocédée, remontée, mal placée, etc. Il serait utile sans doute de réformer ce langage, qui a beaucoup vieilli ; mais nous ne nous sentons pas encore en mesure de le faire, et nous continuerons à nous servir des termes usités par les anciens, tout en nous réservant d'en préciser le sens.

C'est ainsi, messieurs, que vous nous entendrez parler de goutte aiguë et de goutte chronique. Or, la goutte est une affection essentiellement chronique, et qui ne peut jamais être aiguë : cependant ces deux termes correspondent aux deux phases principales de la maladie.

Ainsi, le goutteux éprouvera d'abord des accès articulaires, ayant les allures d'une affection aiguë, et dont les retours sont plus ou moins régulièrement périodiques ; ils peuvent se limiter à un petit nombre d'articulations, et plus spécialement au gros orteil ; c'est alors la goutte aiguë partielle. Dans la goutte aiguë généralisée, qui offre une grande ressemblance avec le rhu-matisme, toutes les articulations peuvent être prises, même les grandes ; on la voit souvent, par exemple, se porter à la fois sur les genoux, les coudes ou les poignets.

Dans l'intervalle des accès, il peut se manifester d'autres affections, placées sous la dépendance de la diathèse goutteuse ; telle est, par exemple, cette dyspepsie qui tourmente si souvent les goutteux ; telle est aussi la gravelle, dont les apparitions, chez certains malades, alternent avec celles de la goutte. Il se produit assez fréquemment, dans le cours d'un accès de goutte aiguë, des troubles fonctionnels qu'on peut attribuer à la ré-trocession de la maladie; mais les affections viscérales liées àdes lésions matérielles appréciables sont au contraire assez rares.

La goutte chronique, qui peut survenir d'emblée, ne vient en général qu'à la suite de plusieurs accès de goutte aiguë. Le malade, qui jouissait autrefois de longs intervalles de repos, voit les accès se multiplier dans le cours de l'année et se rapprocher

de plus en plus ; ils augmentent en nombre sans rien perdre de leur durée ; ils finissent enfin par se toucher, par se superposer ; ils deviennent en quelque sorte subintrants, pour nous servir d'un terme emprunté à l'histoire des fièvres paludéennes ; enfin, le malade est en proie à des douleurs presque continues, avec des alternatives de rémissions et d'exacerbation.

A ces symptômes permanents correspondent des lésions per-manentes, d'abord du côté des jointures, puis dans les organes intérieurs ; c'est dans la goutte chronique qu'on trouve surtout ces affections viscérales, profondes, qui sont en général la cause déterminante de la mort. Au reste, quand la maladie se pro-longe, on voit à la fin survenir cet état cachectique qui termine volontiers toutes les grandes maladies constitutionnelles ; c'est alors que se développent les hydropisies, l'anémie et le ma-rasme; c'est alors que le malade tombe dans un état d'atonie presque complète et que la nature ne semble plus répondre aux moyens thérapeutiques qu'on peut opposer aux progrès de la maladie.

x\près avoir formulé ces notions préliminaires, nous allons aborder directement l'histoire de la goutte, en commençant par l'étude des altérations anatomiques qui en sont le cortège obligé ; et comme dans cette affection générale l'état du sang semble dominer toute la situation, nous allons tout d'abord attirer votre attention sur ce point capital.

Hématologie pathologique de la goutte.

Depuis l'époque où Scheele découvrit l'acide lithique, que nous appelons l'acide urique aujourd'hui, beaucoup d'auteurs ont supposé que dans le cours de la goutte ce principe pouvait se développer dans les liquides de l'économie. Wollaston fut le premier à démontrer que les tophus de la goutte étaient com-

Charcox. Œuv. compl. t. vu. Mal. des Vieillards. 4

posés d'urates alcalins; depuis lors, Forbes-Murray, Holland, en Angleterre, Jahn en Angleterre, MM. Rayer et Cruveilhicr en France, ont émis l'opinion que le sang des goutteux devait contenir de l'acide urique. Mais c'est à Garrod(l) que revient l'honneur d'en avoir fourni la démonstration positive (1848).

A l'état normal, il existe des traces d'acide urique dans le sang; mais, pendant l'accès de goutte, le sang peut en con-tenir de 0«r, 05 à 0sr, 17 sur 1,000 grammes. ¿»¿¿5. Mais pour constater cette proportion, il faut se livrer à des opéra-tions chimiques très délicates, qui ne sont pas du domaine de la clinique.

11 est un procédé plus simple et d'une application plus facile, qui, sans indiquer d'une manière précise la quantité d'acide urique contenue dans le sang, permet d'en constater la présence. On dépose 5 grammes environ de sérum clans un verre de pendule (et non dans un verre de montre, dont la courbure est trop brusque) ; on y ajoute quelques gouttes d'acide acétique et on y laisse tomber un fil. On laisse reposer le liquide dans un lieu sec pendant trente-six ou quarante-huit heures ; et l'on peut alors constater à l'aide du microscope, que des cristaux rhomboédriques se sont implantés sur le fil im-mergé dans le liquide. Ces cristaux sont composés d'acide urique.

Pour obtenir ce résultat, il faut user de certaines précau-tions. Il faut d'abord que le sérum soit frais; car la présence des matières albuminoïdes y développe une sorte de fermen-tation; l'acide urique se décompose alors en acide oxalique, en urée et en allantóme, comme s'il était mis en présence de l'oxyde puce de plomb.

Il faut éviter aussi de trop dessécher le sérum, car il se forme alors des cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien, sous

1. Medico-Chirurgical Transactions, 1848.

forme de végétations très élégantes. Mais comme ce sel est assez soluble, il suffit d'ajouter un peu d'eau à la préparation pour le fondre; on voit alors apparaître ces masses rhomboé-driques, qui sont entièrement composées d'acide urique.

Ce procédé, qui n'est pas assez sensible pour indiquer les traces d'acide urique qui existe à l'état normal, suffit ample-ment aux besoins de la pratique ; il décèle en effet la présence à'un soixante-millième d'acide urique dans le sang. (Gar-rod.)

Lorsqu'on n'a pas de sang à sa disposition, on peut le rem-placer par la sérosité d'un vésicatoire, qui donnera les mêmes réactions, pourvu qu'on ait eu soin de ne pas appliquer ce révulsif sur un point envahi par l'inflammation goutteuse ; car tout travail phlegmasique a pour effet de faire disparaître l'acide urique.

L'importance clinique de ce procédé est aisée à comprendre : c'est, clans bien des cas, un moyen de diagnostic excellent. 11 permet aussi de constater dans quelles circonstances se pro-duit un accès d'acide urique dans le sang. Ce phénomène existe d'une manière permanente dans les cas de goutte chronique ; mais il augmente d'intensité avant les accès, pour retomber ensuite au-dessous du taux primitif. Dans la goutte aiguë, il s'efface dans l'intervalle des attaques, au moins à l'origine de la maladie (Garrod) (1); il se manifeste de nouveau quelque temps avant l'explosion de l'accès. Enfin, dans les cas de goutte ab-articulaire, on voit se manifester des accidents variés, qui paraissent liés aux mêmes conditions, car l'analyse révèle la présence de l'acide urique dans le sang.

Par contre, le rhumatisme articulaire aigu (Garrod), ou chro-nique (Charcot), ne sont jamais liés à cette dyscrasie particu-lière; ce serait donc là un utile élément de diagnostic dans les

1. Voyez Reynolds: A System of Medicïne. Londres, 1886. Art. Gout.

cas douteux, car il suffirait alors d'appliquer un vésicatoire au malade, ou de lui tirer quelques grammes de sang, pour s'as-surer si c'est à la goutte ou bien au rhumatisme que se ratta-chent les phénomènes observés.

Toutefois il ne faudrait pas considérer cet excès d'acide urique comme un signe pathognomonique de la diathèse goutteuse; on peut aussi le constater dans la maladie de Bright et l'intoxication saturnine. 11 est cependant probable que cette condition spéciale constitue une prédisposition à la goutte, c'est du moins ce qui semblerait résulter de la fréquence de cette affection chez les ouvriers en plomb de Londres (Garrod).

La présence de l'acide urique dans les humeurs du goutteux se révèle aussi par la composition de divers liquides soit nor-maux, soit pathologiques. Je l'ai trouvé, dans le liquide cérébro-rachidien ; Garrod l'a rencontré dans la sérosité épanchée dans le plèvre ou le péricarde. On ne sait pas au juste s'il existe dans les sécrétions intestinales ; mais on trouve dans le liquide des pustules de l'eczéma (Golding Bird) et dans la poussière blanche qui se forme quelquefois sur la peau des goutteux; elle se compose surtout d'urate de soude (Petit, 0. Henry) (1). Dans tous les cas, il est certain que les sueurs, spontanées ou provoquées, n'en renferment aucune trace (Garrod, De Mar-titini, Ubaldini) (2).

Il nous reste à nous demander si, dans la goutte, le sang ne présente pas d'autres altérations dans sa.composition chimique. Mais cette partie de la question est encore assez obscure. Il paraît établi cependant :

1° Que la proportion des globules se maintient dans la goutte aiguë à l'état normal, contraste évident avec l'anémie rhuma-tismale ; tandis que dans la goutte chronique, il se produit, à

1. Journal de pharmacie. Octobre 1841.

2. Union médicale. Avril 1860, n» 40, page 24.

la longue, une diminution des globules: c'est l'anémie gout-teuse ;

2° Que la fibrine subit une augmentation dans la goutte aiguë ; du moins, les saignées sont couenneuses ;

3° Que l'albumine du sang diminue dans la goutte chroni-que, s'il existe une affection des reins : en pareil cas, on ren-contre un excès d'urée ;

4° Que l'alcanilité du sang est toujours diminuée, ce qui semble favoriser la production des dépôts tophacés ;

5° Enfin que le sang renferme quelquefois des traces d'acide oxalique.

Comme complément de cette étude, nous devons examiner l'état des urines dans la goutte ; il s'agit de savoir si l'acide inique s'y trouve en plus grande porportion que de coutume, comme on l'a prétendu ou s'il est au contraire en plus faible quantité, ainsi que les travaux modernes semblent le démon-trer.

Pour bien résoudre la question, il ne s'agit point d'apprécier la quantité proportionnelle d'acide contenue clans un échantil-lon d'urine, mais de constater la quantité totale d'acide urique éliminée par les reins dans l'espace des vingt-quatre heures, et cela non-seulement pendant un jour, mais pendant plusieurs jours ; car l'excrétion de l'acide urique par les reins est inter-mittente.

Il est donc indispensable de recourir ici à une analyse mé-thodique, et l'on doit se rappeler que la présence d'un acide libre dans l'urine, ou le peu d'abondance de la partie aqueuse de ce liquide, suffisent pour provoquer la formation de ces sédiments, auxquels on attache, en général, une importance exagérée.

C'est après avoir tenu compte de toutes les causes d'erreur, que Garrod est arrivé aux résultats suivants ;

Dans la goutte aiguë, pendant l'accès, les urines sont rares et foncées en couleur, mais la quantité d'acide urique excrétée dans les ving-quatre heures est presque toujours moins consi-dérable qu'à l'état normal (Or 25 au lieu 0^r, 50). Il y a donc diminution dans l'excrétion de ce produit, coïncidant avec une augmentation de sa proportion dans le sang.

Dans l'intervalle des accès, les urines n'ont pas été exami-nées ; cependant nous ferons observer que la gravelle est fré-quente, ainsi que les dépôts cristallisés d'acide urique, formés avant la miction (Rayer), mais l'existence de ce phénomène ne suffit pas pour démontrer qu'il y ait un excès réel d'acide uri-que, soit dans le sang, soit dans l'excrétion urinaire.

Dans la goutte chronique, la tendance à la diminution s'ac-cuse de plus en plus. Pendant les accès, les urines sont pâles et abondantes il ne s'y forme pas de dépôts, par le refroidisse-ment, aussi longtemps que la maladie est apyrétique ; on n'y constate que des traces d'acide urique. Mais de temps en temps, il se produit des décharges pendant lesquelles l'urine renferme une quantité plus considérable de ce produit.

Dans l'intervalle des accès, ces caractères persistent; sou-vent on observe de l'albuminurie, et l'urine contient quel-quefois des cylindres fibrineux.

En résumé, messieurs, il est évident que sous l'empire de la diathèse goutteuse, il existe une surabondance d'urate de soude, dans le sang et les humeurs, pour parler le langage de l'ancienne médecine ; c'est aussi l'urate de soude qui cons-titue les dépôts articulaires qu'on a de tout temps signalés chez les goutteux ; mais cet excès d'acide urique ne se traduit pas par une augmentation de l'excrétion rénale; il semble coïncider, au contraire, avec un défaut d'élimination.

QUATRIÈME LEÇON

Anatomie pathologique de la goutte.

Sommaire. — Altérations locales de la goutte. Etat des articulations. Carti-lage diarthrodial. — Les dépôts d'arate dé soude occupent de préférence les tissus privés de vaisseaux. — Etat de la synoviale et des ligaments. —Tophus. — Leur composition; — Phénomènes inflammatoires. — Arthrite sèche; — Ankylose. — Lieu d'élection de la goutte : articulations qu'elle peut enva-hir. — Concrétions tophacées péri-articulaires. — Concrétions dans l'é-paisseur du derme. — Tophus de l'oreille externe. — Enumération des points principaux où des tophus peuvent se former.

Messieurs,

Dans la dernière conférence, nous avons vu qu'à toutes les périodes de son évolution, la goutte coïncidait avec un excès d'acide urique dans le sang.

Nous allons aujourd'hui vous montrer que les altérations générales, et que les dépôts qui se rencontrent au sein des organes ou des tissus sont presque toujours formés d'urate de soude.

Les altérations sur lesquelles nous allons appeler votre attention sont depuis longtemps connues. Depuis longtemps on savait que, chez les goutteux, des tophus, des dépôts crayeux se produisaient autour des jointures; mais on re-gardait ces faits comme exceptionnels ; on les rattachait aux cas les plus invétérés et les plus graves. Il appartenait à Garrod de montrer que le moindre accès de goutte laisse

une empreinte indélébile sur les tissus envahis, qui sont frap-pés, pour toujours, du cachet de la maladie.

Commençons par étudier ce qui se passe dans les articula-tions malades : nous y verrons la goutte se montrer avec des caractères anatomiqnes constants et vraiment caractéristiques.

I.

Dès la première attaque, des dépôts d'urate de soude se forment dans le cartilage dinrthrodial (1): ils en occupent la partie la plus superficielle et sont logés, soit dans l'intervalle des cellules, soit dans leur intérieur même, ainsi que nous l'avons constaté, M. Cornil et moi. Ils sont en général situés vers le centre de cette surface libre, aussi foin que possible des insertions de la synoviale, qui, comme on le sait, s'arrête au pourtour du cartilage d'encroûtement.

Vous comprendrez sans peine le motif de cette élection sin-gulière. Les points accessibles à la circulation sont les moins exposés à la formation de ces dépôts, qui occupent de préfé-rence les tissus privés de vaisseaux; or la synoviale et l'os possèdent une structure éminemment vasculaire ; aussi les concrétions goutteuses se forment-elles à la surface du carti-lage, pour s'éloigner de l'os, et au centre même de cette sur-face, pour s'éloigner de la synoviale.

A une période plus avancée de la maladie, quand l'état chro-nique a succédé aux accès aigus, la synoviale elle-même se laisse envahir : ce sont les appendices des franges de cette membrane, moins riches en vaisseaux, qui subissent les pre-mières atteintes; plus tard, la synoviale elle-même présente des incrustations. C'est alors dans les celules épithéliales que

\, Garrod, ~ On G011.I, p. 211, Londres, 1803.

se forment les dépôts, d'après M. le professeur Rouget; aussi, la boue blanchâtre qu'on rencontre parfois dans les articula-tions goutteuses n'est que de rurale de soude, provenant de la desquamation épithéliale.

Nous savons enfin que les ligaments eux-mêmes participent quelquefois à cette incrustation. Mais ce n'est point encore là que s'arrête le processus pathologique; il peut aller plus loin et envahir les parties étrangères à l'articulation ; les tendons, les bourses synoviales peuvent en devenir le siège; et lorsque les concrétions se sont développées dans le tissu cellulaire voi-sin, elles prennent le nom de tophus. On sait qu'elles acquiè-rent parfois des dimensions considérables. Mais ces lésions extra-articulaires, qui correspondent à un degré plus avancé de saturation, sont toujours consécutives à l'altération du cartilage diarthrodial, qui peut exister seule, mais qui ne saurait jamais manquer, lorsque les dépôts uriques ont envahi le pourtour de l'articulation. Nous ne connaissons, du moins, aucun fait qui fasse exception à cette règle.

Voyons maintenant quelle est la composition de la matière qui constitue ces dépôts. Examinée à l'œil nu, elle paraît amor-phe et ressemble à du plâtre de Paris; mais vue au microscope, elle paraît entièrement formée de cristaux aciculaires; il est vrai que l'on trouve parfois dans le cartilage affecté des amas disséminés de matière amorphe ; mais Garrod prétend qu'à l'aide du polariscope, on peut constater que ces agglomérations elles-mêmes ont une structure cristalline.

Lorsqu'on fait intervenir l'acide acétique, il se produit des cristaux rhomboédriques d'acide urique. C'est à l'aide de ce réactif qu'on peut démontrer la présence des dépôts à l'intérieur des cellules du cartilage. Mais on possède d'autres moyens de déterminer la composition chimique de ces incrustations. Si l'on traite le cartilage affecté d'abord par l'eau froide, puis par l'alcool, puis par l'eau chaude, il devient parfaitement trans-

parent; et les réactifs qui ont servi à ce lavage laissent déposer par évaporation, des cristaux d'urate de soude pur; en effet, ces cristaux fournissent par incinération du carbonate de soude et, traités par l'acide azotique bouillant, puis par l'ammo-niaque, ils donnent naissance à du purpúrate d'ammoniaque, ou murexide, dont la couleur est si caractéristique.

N'insistons pas davantage sur la partie chimique de la ques-tion : contentons-nous de faire observer que le cartilage, ainsi débarrassé de ses incrustations, offre une structure parfaitement normale, et ne présente aucune altération visible soit au mi-croscope, soit à l'œil nu. Telle est du moins, la régie générale.

Quant au liquide souvent boueux que renferme parfois la cavité articulaire, il offre assez souvent une réaction acide, et présente, au microscope, des débris épithéliaux et des cristaux articulaires.

ÏI.

Signalons maintenant d'autres lésions, qui, pour n'être pas constantes, n'en méritent pas moins une description détaillée.

Lorsqu'on ouvre une articulation goutteuse à une époque voisine de l'accès, on trouve presque toujours la synoviale rouge, injectée, vascularisée ; ces phénomènes ne vont cependant jamais jusqu'à la suppuration; mais on trouve sou-vent un excès de liquide dans la cavité articulaire.

Dans les cas de goutte invétérée, on peut rencontrer sur le point malade toutes les lésions de l'arthrite sèche; l'usure des cartilages, les ulcérations consécutives, les bourrelets osseux, ont été signalés par divers observateurs, et j'en ai vu moi-même quelques exemples ; mais ce sont là des faits exception-nels dont la nature est encore mal connue, et qui mériteraient une étude attentive.

Faut-il voir dans ces cas singuliers une sorte de transition entre la goutte et le rhumatisme? Seraient-ils le résultat d'une sorte de combinaison entre les deux diatbèses?ou bien ne s'agit-il que d'une simple complication ?

C'est là une question dont la solution nous paraît devoir être ajournée.

Enfin l'ankylose peut résulter des altérations que nous venons de décrire : elle se réduit quelquefois à une simple rigidité, qui résulte de l'incrustation des ligaments ; mais on rencontre aussi de véritables ankyloses osseuses, ainsi que l'ont observé Garrod et M. Ranvier; et cela, dès le premier accès, comme l'ont signalé Todd et M. le professeur Trousseau (1).

III.

La goutte, on le sait depuis la plus haute antiquité, ne siège pas indistinctement sur toutes les jointures. C'est l'ar-ticulation métatarso-phalangienne du gros orteil qui jouit du fâcheux privilège d'en attirer les manifestations les plus fréquentes; viennent ensuite les doigts de la main; puis, à une grande distance, les genoux, les coudes; la hanche et l'épaule sont habituellement respectées.

On voit cependant quelquefois le gros orteil demeurer à l'abri de la goutte, tandis que d'autres articulations sont envahies; et ce fait est d'une grande importance pratique ; il permet de comprendre pourquoi la goutte généralisée aiguë présente quelquefois une si grande ressemblance avec le rhumatisme articulaire aigu ; et l'on peut s'expliquer ainsi comment cer-tains observateurs ont été amenés à les confondre. Il est évi-dent, par exemple, qu'un accès de goutte aiguë, occupant

l.Todd.—Praclical remarks on Gout. Londres 1443,p. 45. — Trousseau. Clinique méd. de l'Hôtel-Dieu, t. III, p. 328.

simultanément les genoux et les poignets, pourra être difficile à distinguer, au lit du malade, d'une affection pure-ment rhumatismale.

Parmi les cas rares et exceptionnels on peut citer ceux où la goutte se porte sur la colonne vertébrale ; sur l'articulation temporo-maxillaire (lire) ; sur les cartilages aryténoïdes (Garrod), enfin sur les osselets de l'ouïe (Harvey): il en résulte un nouveau genre de surdité.

IV.

Nous déduirons de cette étude nécroscopique un certain nombre de considérations, dont l'importance, au point de vue clinique, ne saurait être contestée :

1° Remarquons d'abord que l'incrustation des cartilages est inséparable de la goutte articulaire, et paraît exister dès le premier accès.

2° Chez un sujet goutteux, les jointures qui ont été malades sont les seules qui présentent cette lésion du cartilage ; on ne la trouve quelquefois que dans une seule articulation.

3° L'incrustation d'urate de soude persiste en dehors des accès ; dans leur intervalle, elle peut ne se révéler à l'extérieur par aucune déformation appréciable.

4° Cette lésion est propre à la goutte, et ne se rencontre jamais dans le rhumatisme articulaire, soit aigu, soit chro-nique.

II resterait à se demander quel est le rapport qui existe entre l'accès de goutte et la formation d'un dépôt. Ce dernier phé-nomène est-il la cause ou la conséqueuce des accidents qui l'accompagnent? Question difficile à résoudre, et que nous discuterons plus loin.

Nous avons vu qu'à l'extérieur des articulations malades, il se formait des dépôts d'urate de soude, un en rencontre : 1° dans les tendons, et plus particulièrement dans le tendon d'Achille ; 2° sur le périoste, mais jamais dans le tissu osseux ; 3° dans les bourses séreuses (olécrânienne, prérotulienne) ; enfin, 4° dans le tissu cellulaire sous-cutané ; 5° dans l'épais-seur même de la peau. Ces deux derniers points méritent une attention spéciale.

Les dépôts sous-cutanés, qui se forment au voisinage des jointures, constituent une partie importante de la Symptomato-logie de la goutte chronique, car leur présence se révèle sou-vent pendant la vie. On les connaît sous le nom de tophus, ou de concrétions tophacées, expression dont on a souvent abusé ; elle s'applique exclusivement aux amas périarticulaires d'urate de soude, et ne doit jamais être employée pour désigner les tumeurs osseuses du rhumatisme articulaire chronique.

Ces masses crayeuses, à la première période de leur évolu-tion, sont d'une consistance molle et pâteuse ; plus tard, elles se durcissent, et acquièrent une certaine solidité. Au point de vue chimique, elles se composent d'urate de soude, mêlé d'urate et de phosphate de chaux. Elles présentent, au micros-cope de fines aiguilles cristallisées.

Elles siègent de préférence aux mains, et occupent le côté de l'extension ; on en trouve également autour du gros orteil, et sur d'autres points. Ce sont des tumeurs ovoïdes, bosselées, tantôt sessiles, tantôt pédiculées, qui peuvent atteindre le vo-lume d'un œuf de pigeon ; elles sont placées au voisinage des jointures, sans reposer exactement sur elles ; mobiles latérale-ment, elles ne reproduisent pas exactement la forme et les

VI.

Les concrétions qui se forment dans l'épaisseur même du derme offrent, au point de vue pratique, un intérêt spécial.

Au premier rang, se placent ces concrétions de l'oreille externe signalées par Ideler, Scudamore, et M. le professeur Cruveilhier; Garrod a su montrer tout le parti qu'on en pouvait tirer, sous le rapport clinique.

Ces petits dépôts siègent en général sur le rebord de l'hélix, mais ils peuvent occuper l'anthélix, ou la face interne du pavil-lon ; ils traversent trois périodes dans leur évolution ; d'abord mous, ils se durcissent pour former de petites masses blan-

contours des têtes osseuses qui leur sont juxtaposées. Elles exercent sur les jointures une pression latérale, qui ne les déforme pas toujours. Elles n'offrent aucune symétrie dans leur distribution. La peau qui les recouvre est luisante, quel-quefois d'un blanc mat ; par transparence on peut voir les dépôts sous-jacents.

Ces divers caractères permettent de distinguer les tophus des déformations caractéristiques du rhumatisme noueux, que nous étudierons plus tard. Mais il ne faut pas se dissimuler qu'il existe quelquefois des cas difficiles dans lesquels il se manifeste une déviation angulaire des doigts, analogue à celle du rhumatisme chronique ; la seule considération des défor-mations articulaires ne suffit pas alors pour établir le dia-gnostic, s'il n'existe point de tophus extérieurs. Il faut alors s'appuyer sur l'ensemble des phénomènes généraux ou locaux qui peuvent caractériser la diathèse goutteuse ; il peut même se rencontrer des cas où il sera utile d'avoir recours à l'étude chimique du sang, lorsqu'on veut arriver à une précision absolue dans le diagnostic.

châtres ; ils peuvent enfin tomber, en laissant derrière eux une petite cicatrice, dont on pourra constater l'existence, quand le tophus lui-même a disparu.

Sur37 cas, Garrod a rencontré 17 fois des tophus extérieurs; 7 fois sur l'oreille seulement ; 8 fois sur l'oreille et près des jointures; une seule au niveau d'une articulation, sans coïn-cidence d'un dépôt tophacé de l'oreille.

Ces indices accusateurs se révèlent quelquefois de très bonne heure ; j'ai pu, chez un dyspeptique, prédire à l'avance l'explo-sion de la goutte, grâce à la présence d'un tophus de l'oreille ; cependant jamais le malade n'avait eu d'accidents articulaires à l'époque où il me consulta. Garrod a vu ces concrétions se former chez un de ses malades, cinq ans avant l'apparition d'aucun symptôme du côté des jointures (1). On comprend par là quelle est leur importance au point de vue du diagnostic.

A défaut des concrétions de l'oreille externe, on examinera :

1° Les paupières ;

2° Les ailes du nez ;

3° Les joues;

4° La paume des mains ;

5° Les corps caverneux.

Sur tous ces points, on a vu se montrer des dépôts cutanés, identiques à ceux que nous venons de décrire.

11 nous reste maintenant à parler de l'anatomie patholo-gique de la goutte viscérale. Nous consacrerons à cette étude notre prochaine conférence.

1. Ces faits exceptionnels ne sauraient infirmer la règle générale. Les accidents articulaires précèdent presque toujours la formation de ces dépôts extérieurs.

CINQUIÈME LEÇON

Anatomie pathologique de la goutte viscérale.

Sommaire. — Goutte remontée ; lésions fonctionnelles de la goutte. — Elles se rattachaient, dans la plupart des cas où l'autopsie a pu être pratiquée, à des altérations matérielles. — Lésions organiques qui se rencontrent le plus souvent dans les viscères, chez les goutteux. — Dégénérescence graisseuse du cœur. — Athéromc de l'aorte. —? Lésions bronchiques. — Néphrite goutteuse. — Elle comprend deux espèces bien distinctes. — Goutte du rein. — Rein goutteux des Anglais : lésions qui correspondent à cette désignation. — Dépôt d'urate de soude. — Maladie de Bright. — Néphrite interstitielle.

Altérations analogues à celles de la goutte, chez les animaux. — Elles n'existent point chez les mammifères. — Elles se rencontrent chez certains oiseaux. — Lésions du même genre chez les reptiles. — Expé-riences de Zalesky. — Conséquences de la ligature des uretères chez divers animaux.

Messieurs,

Si la goutte était une affection plus commune dans nos hô-pitaux, il est probable que nous connaîtrions mieux l'anatomie pathologique des lésions viscérales qui peuvent résulter de cette maladie. Mais, comme vous le savez, l'occasion de faire l'autopsie d'un goutteux se présente rarement en France ; les auteurs anglais sont mieux partagés sous ce rapport, et ils nous ont fourni quelques détails intéressants à ce sujet. Cependant d'une manière générale, on peut dire que la question est peu connue, au moins sous le rapport des lésions anatomiques. La

néphrite goutteuse fait seule exception à cette règle; aussi fétudierons-nous avec un soin particulier, après avoir rapide-ment esquissé l'état de nos connaissances, pour ce qui louche aux autres manifestations viscérales de la goutte.

I.

Nous aurons d'abord à nous occuper de ces modifications soudaines dans le cours de la goutte, qui ont reçu le nom de métastases ou de rétrocessions.

11 est évident qu'en pareil cas, on doit supposer au premier abord qu'il s'agit de lésions tout à fait superficielles, surtout lorsque ces accidents n'ont point eu une issue funeste. 11 ne semble pas probable que l'organe malade soit le siège d'une altération profonde, et l'on serait plutôt disposé à faire rentrer les troubles de cette espèce dans le cadre des lésions fonc-tionnelles. Mais ici le contrôle de l'anatomie pathologique fait presque complètement défaut, en raison même de la facilité avec laquelle ces accidents se dissipent dans la majorité des cas.

Cependant les choses ne se passent pas toujours ainsi : la mort survient quelquefois, et l'on peut être appelé à pratiquer l'autopsie : souvent alors on a constaté des altérations orga-niques ; nous possédons à cet égard quelques observations di-gnes de foi. Certains de ces faits se rattachent aux accidents gastriques de la goutte; ils appartiennent à Dietricb, Perry et Budd. Les malades ont succombé avec des symptômes classi-ques de la goutte remontée à l'estomac, et l'on a constaté 1 existence d'un gonflement œdémateux du tissu cellulaire sous-muqueux de cet organe et des altérations plus ou moins profondes de la membrane muqueuse elle-même.

Dans d'autres cas, les malades ayant rapidement succombé

Gharcot, Œuv. conipl. t. vu. Malad. des Vieillards. 5

dans le cours d'un accès de goutte, on a rencontré chez eux les lésions ordinaires de l'hémorrhagïe cérébrale, — quelque-fois même des ruptures du cœur.

S'il était permis d'en juger d'après ces exemples, on serait porté à croire que, même dans les cas où des troubles fonction-nels se manifestent à l'occasion de la goutte, ils correspon-dent à des altérations organiques moins superficielles qu'on ne le suppose en général.

Mais il est d'autres lésions qui paraissent se rattacher à cette affection et qu'on a rencontrées chez des sujets atteints de goutte soit aiguë, soit chronique, lorsqu'une affection inter-mittente ou les progrès de la maladie avaient déterminé la mort. Nous allons les passer rapidement en revue.

A. Les parois musculaires du cœur sont souvent affectées de dégénérescence graisseuse. S. Edwards, Lobsfein, et quel-ques autres observateurs ont trouvé de l'urate de soude dans des concrétions valvulaires ; mais l'exactitude de ce fait est contestée par Garrod.

B. L'aorte est souvent le siège d'altérations athéromateuse s; en outre Bramson, Bence Jones, et Landerer, ont rencontré dans ses parois de l'urate de soude.

G. La présence de ce produit a été signalée dans les parois des ramifications bronchiques, par Bence Jones.

D. Jusqu'ici, aucune altération spéciale n'a été constatée soit dans le cerveau, soit dans les méninges, soit dans les artères encéphaliques.

E. Nous allons maintenant passer à l'étude des lésions du rein; et nous trouverons ici des faits intéressants à signaler à votre attention.

Les altérations des reins dans la goutte, qu'on décrit ordi-nairement sous le nom de néphrite goutteuse, doivent être divisées en deux espèces*

En premier lieu, nous trouvons l'affection désignée paf

M. Rayer sous le nom de néphrite goutteuse; on pourrait l'ap-peler la gravelle du rein. Elle présente les caractères de la néphrite chronique interstitielle ; mais elle est surtout caracté-risée par des infarctus de sable, d'acide urique, quelquefois à l'état cristallin : il peut exister aussi des graviers plus volumi-neux. Ces dépôts se rencontrent: Io à la surface du rein, et dans l'épaisseur de la substance corticale ; 2° dans les mame-lons et les papilles ; 3° dans les calices et les bassinets ; en général, les concrétions sont plus volumineuses sur ce dernier point. On peut d'ailleurs rencontrer ces altérations en dehors de la goutte articulaire; mais il est incontestable qu'elles sont très-communes dans cette maladie.

En second lieu, nous rencontrons la néphrite goutteuse proprement dite : c'est le rein goutteux des auteurs anglais. Signalée par M. de Castelnau en 1843, elle a été bien décrite par Todd et Garrod. Elle se caractérise anatomiquement :

a. Par des infarctus d'urate de soude, sous forme de traînées blanchâtres (ivhite streaks) ; on les rencontre dans la subs-tance tubuleuse (jamais dans la substance corticale), et quel-quefois dans les mamelons; ils se présentent, au microscope, sous forme d'aiguilles cristallines; qui siégeraient, d'après Garrod, dans l'intervalle des tubes urinifères. Mais nous croyons avoir demandé qu'ils ont leur point de départ dans la cavité même des tubes urinifères, qu'ils obstruent (1)

b. Par des altérations concomitantes du rein, qui correspon-dent aux lésions ordinaires de la maladie de Bright.

11 existe d'abord une néphrite parenchymateuse(2) qui peut se montrer à deux degrés différents. Au premier degré, le rein conserve son volume ordinaire ; mais la substance

1. Gharcot et Cornil. —Mém. de la Soc. de biol. 1864. (V. ceMém. plus loin.)

2. Loc. cit.

corticale s'épaissit et présente une teinte jaune. Les corpus-cules de Malpighi sont injectés; les tubules urinifères sont remplies de cellules épithéliales distendues, opaques, et rem-plies de granulations graisseuses ou protéiques.

Au second degré, on trouve une atrophie de la substance corticale, et cet état granuleux du rein, qui appartient en propre à la maladie de Bright.

Mais, en dehors de. la néphrite parenchyniateuse, on rencontre aussi la néphrite interstitielle qui correspond au rein goutteux (gouiy kidney) des auteurs anglais.

Elle est caractérisée surtout par un épaississement du tissu conjonctif intermédiaire aux tubules, avec prolifération des noyaux: le rein, diminué de volume, est ridé, grenu, ru-gueux à la surface. La substance corticale est notablement atrophiée. Jamais, dans cette affection, on ira vu les reins présenter l'état lardacé.

Ces altérations, d'après Garrod, se montrent dans tous les cas de goutte invétérée, dans lesquels l'autopsie est prati-quée. Elles peuvent exister de bonne heure : on les a rencon-trées après sept ou huit accès. Dans un cas observé par Traube, les symptômes de cette affection rénale se sont mon-trés un an seulement après les premières manifestations de la goutte. Ce serait là une forme viscérale de la maladie.

Bien que les altérations du parenchyme rénal, en dehors des dépôts d'urate de soude, ne diffèrent en rien de celles qui existent dans la maladie de Bright ordinaire, les symptômes propres à cette albuminurie goutteuse se font remarquer par leur bénignité, par le faible degré d'intensité qu'ils présen-tent. Nous ne voulons pas insister sur ce point, qui se ratta-che à la symptomatologie.

On peut rapporter à cet ordre de causes plusieurs accidents qui figurent assez souvent dans le cortège syniptomafique de la goutte. Ainsi la dyspepsie est souvent aggravée, sinon

créée de toutes pièces, par cet état pathologique du rein; l'œdème en est souvent une conséquence. On peut observer chez les goutteux l'urémie à forme convulsive ou comateuse ; elle se rattache bien évidemment à l'état du rein. L'apoplexie cérébrale, l'hypertrophie du cœur, peuvent également passer pour des conséquences éloignées de la lésion rénale.

II.

Ici se termine, messieurs, l'exposé des lésions anatomiques qui caractérisent la diathèse goutteuse. Mais, avant d'aban-donner ce sujet, je crois utile de vous placer sous les yeux certains faits de pathologie comparée et de pathologie expérimentale, qui me paraissent de nature à éclairer d'une vive lumière les questions que nous avons déjà soulevées, et celles que nous aborderons par la suite.

La goutte peut-elle exister chez les animaux ? Et en suppo-sant qu'elle existe chez eux, produit-elle des effets compara-pies à ceux dont elle afflige l'espèce humaine ?

Dans un ouvrage récent sur la pathologie comparée, Gleis-herg répond par la négative ; il fait observer, avec raison, que la plupart des affections qui ont été désignées sous ce nom doivent être rapportées au rhumatisme chronique. Il est incontestable, en tous cas, que chez certains animaux il se développe une affection fort analogue à la goutte de l'hom-me, et caractérisée, comme celle-ci, par des dépôts d'urates dans les divers tissus.

Ce n'est point chez les mammifères que nous trouverons nos points de comparaison, comme l'analogie vous aurait conduits à le supposer, mais chez les oiseaux et chez certains reptiles maintenus en captivité et placés dans des conditions spéciales,

On sera moins étonné de trouver, chez ces deux grandes classes d'animaux, une affection qui présente quelque ressem-blance avec la goutte, si l'on réfléchit que chez eux le travail de désassimilation, ainsi que l'ont prouvé Davy et d'autres chimistes, ne produit pas de l'urée, mais bien de l'urate d'am-moniaque. C'est donc ce dernier produit qui seul se trouve dans les urines.

Messieurs, les auteurs de divers traités sur l'ornithologie vous apprendront qu'il peut exister, chez divers oiseaux, des lésions fort analogues à celles de la goutte. Aldrovandi nous apprend que les faucons sont sujets à présenter autour des doigts des tumeurs formées par des amas de matière gypseuse. Cette maladie est incurable.

Il existe des faits analogues chez les perroquets. Bertin ( d'Utrecht ) a trouvé, chez le Psittacus grandis, des tumeurs uratiques au voisinage des jointures et des infarctus ana-logues dans les articulations et dans les reins.

Des lésions du même genre ont été signalées chez les rep-tiles ; Pagenstecher a vu les reins et les jointures affectés de cette manière chez VAltigator sclérops. Chez les ophidiens, ces altérations peuvent exister dans les reins; chez la tortue, Bertin a également trouvé des lésions articulaires et rénales.

Il est curieux de rencontrer, chez des animaux aussi peu voisins de l'homme des lésions aussi analogues sous tous les rapports à celles de la goutte. Mais un fait bien plus remar-quable encore, c'est que ces lésions peuvent être artificielle-ment provoquées par l'expérimentation physiologique. C'est ce qui résulte d'un intéressant travail publié à Tubingue, par M. Zalesky.

Cet observateur a lié les uretères chez des poules, des oies et des couleuvres (Coluber natrioc). Les premiers phéno-mènes morbides se déclarent de douze à quinze heures après l'opération. La vie se prolonge deux ou trois jours. Après la

mort, on trouve de l'urate de soude dans les viscères sui-vants :

1° Les reins en présentent dans les tubules, mais non dans la substance corticale. Les uretères en renferment également.

2° Les lymphatiques, les membranes séreuses, le tissu cellulaire, les capsules de tous les organes, en sont impré-gnés.

3° Les follicules de l'estomac en renferment une quantité notable.

4° On en trouve dans les valvules du cœur.

5° Les jointures en présentent des accumulations considé-rables intus et extra.

Les muscles ne renferment aucun dépôt d'urate de soude; mais le suc musculaire contient beaucoup d'acide urique.

Le cerveau et ses enveloppes paraissent en être complète-ment exemptés.

Pour ce qui touche aux liquides de l'économie, le sang con-tient des quantités notables d'acide urique, et l'on trouve, après la mort, des grumeaux composés d'urates alcalins.

Enfin la vésicule biliaire contient une énorme quantité d'u-rate de soude; nouvelle coïncidence avec la pathologie humaine, car, chez l'homme, on trouve quelquefois, d'après Frerichs, des calculs dans la vésicule biliaire, qui sont com-posés d'urate de soude.

Pour qu'il soit possible d'accepter ces données sans réserve il faudrait renouveler ces expériences et les varier; il faudrait étudier, par exemple, les effets produits par la ligature d'un seul uretère, et chercher si, après un certain espace de temps, on n'arriverait pas aux mêmes résultats. 11 n'en estpas moins vrai que les expériences de M. Zalesky présentent un grand intérêt et méritent d'être prises en sérieuse considération.

Messieurs, bien que cette excursion sur le domaine de la

pathologie comparée puisse vous paraître un peu étrangère à la clinique, il ne faut point vous étonner de l'importance que nous attachons à ces faits; nous les retrouverons à l'époque où nous chercherons à discuter la théorie physiologique de la goutte.

SIXIÈME LEÇON

Séméiologie de la Goutte. — Diathèse urique. -Goutte aiguë. — Goutte chronique.

Sommaire. — Doux formes principales de la goutte : goutte aiguë, goutte chronique. — La goutte est toujours au fond une maladie chronique : mais l'accès aigu a une physionomie bien différente de l'état permanent. — thèse urique. — Ensemble symptomatique qui la caractérise. — Sécrétion urinaire moins abondante; et plus riche eu matériaux solides. — Gravellc microscopique. — Goutte aiguë. — Prodromes. — Invasion des douleurs articulaires. — Symptômes généraux. — Caractères principaux de la goutte aiguë. —Phénomènes consécutifs. — Déviations du type régulier. — Goutte aiguë généralisée. — Goutte molle ou asthénique. — Retour des accès. — Transformation insensible de la goutte aiguë en goutte chronique. — Ca-chexie goutteuse. — Gravité des affections intercurrentes. — Goutte chro-nique succédant à la goutte aiguë. — Goutte chronique d'emblée. — Evolution des tophiis.

Messieurs,

Les altérations analomiques de la goutte ont, jusqu'ici, fixé notre attention d'une manière exclusive. Nous avons étudié les modifications que subissent à la fois les solides et les liquides de l'économie, sous l'influence de cette infection; il nous reste maintenant à faire passer sous vos yeux les symp-tômes qui se rattachent à l'existence de ces altérations.

Dès le principe, nous avons établi que, tantôt aiguë, tantôt chronique, la goutte se présente sous deux formes principales, qui méritent l'une et l'autre une description spéciale. 11 ne

faut cependant pas oublier que la goutte est, dans tous les cas, une maladie essentiellement chronique. En effet,le premier accès est la manifestation primitive d'un état constitutionnel, qui, par la suite, peut rester latent pendant un certain nombre d'années, mais qui, tôt ou tard, se révèle par de nouveaux accidents. S'il existe des cas de goutte passagère, marqués par un seul accès, les faits de ce genre sont très-exceptionnels et ne sauraient infirmer la règle générale.

Toutefois, la physionomie d'un accès aigu est si différente de celle que présente la maladie envisagée à l'état permanent, que nous sommes forcés de respecter ces expressions consacrées par l'usage, qui, malgré leur inexactitude, correspondent incontestablement à des faits réels.

Nous allons donc étudier successivement la goutte aiguë et la goutte chronique, nous conformant ainsi à la tradition uni-versellement acceptée. Mais, avant d'aborder ce sujet, il convient d'appeler votre attention sur un état morbide, qui se manifeste quelquefois avant l'apparition des phénomènes arti-culaires, et qui, chez les sujets déjà frappés de la goutte, remplit assez souvent l'intervalle des accès. Vous avez déjà nommé la diathèseurique. Occupons-nous, pendant quelques instants, de cet état général, que les Anglais ont principa-lement contribué à faire connaître (1).

DIATHÈSE URIQUE.

Le fait capital qui domine ici l'ensemble de la situation, estime dyspepsie particulière, dont les symptômes les plus habituels sont la flatulence et la distension de l'estomac, les acidités gastriques et le pyrosis, qui en est la conséquence. En

t. Todd.— Practical Remarks on Goi/f, etc. Londres 1843.— Budd i, Gcorg1.) On the ornante Diseases of the stomach, etc. Londres,1855.

môme temps, il existe de l'amertume de la bouche, avec de la sécheresse de la langue et un état saburral ; on observe presque toujours de la constipation.

Le foie semble aussi participer aux troubles de l'appareil digestif ; souvent tuméfié, il dépasse alors le rebord des fausses côtes ; on constate quelquefois une teinte subictérique, et les selles, d'ailleurs peu abondantes, sont grises et décolorées.

Des phénomènes nerveux assez prononcés accompagnent cetétat dyspeptique, et peuvent même exister en dehors de lui.

On observe des lassitudes spontanées, de l'abattement,de la céphalalgie ; le sommeil est interrompu ; souvent les malades tombent dans l'hypocondrie. Chez les femmes, cet état peut se compliquer de manifestations hystériformes.

Des palpitations du cœur et du catarrhe bronchknie peuvent, en outre, se montrer chez certains sujets. Ces phénomènes, qui n'ont pas une grande importance par eux-mêmes, acquiè-rent une signification plus sérieuse en raison des autres cir-constances qui les accompagnent. Mais ce qui caractérise le plus spécialement cet état particulier, c'est qu'il s'aggrave pé-riodiquement et subit très manifestement l'influence des écarts de régime ; c'est là un trait d'union avec la goutte dont l'impor-tance ne saurait vous échapper.

Que devient en pareil cas la sécrétion urinaire? D'une ma-nière générale, elle est moins abondante et plus riche en ma-tériaux solides; les urines sont rares, mais très-acides et forte-ment colorées ; elles sont chargées de sédiments, qui se forment en général après l'émission, mais qui peuvent exister déjà tout formés dans la vessie ; il est fréquent en pareil cas de rencon-trer dans l'urine des cristaux d'acide urique ; c'est la gravelle microscopique de M. Rayer.

Lorsque la diathèse urique se manifeste avant les phéno-mènes articulaires de la goutte, on peut quelquefois constater, dès cette époque, la présence d'un excès d'acide urique dans le

sang. Au reste l'ensemble symptomatique que nous venons de décrire se rencontre surtout pendant l'intervalle des accès ; on voit alors se manifester des douleurs rhumatoïdes dans les masses musculaires, et les articulations qui sont le siège do prédilection des accidents fluxionnaires. Ces douleurs se mon-trent brusquement sous forme d'élancements (twinges des auteurs anglais) ; elles sont, pendant l'absence des fluxions articulaires, l'un des symptômes les plus caractéristiques de la goutte, dont elles peuvent quelquefois précéder l'explosion.

Messieurs, il est sans doute des cas où les choses peuvent en rester là et dans lesquels les prédispositions qui donnent nais-sance à la diathèse urique n'aboutissent jamais au dernier ferme de cette progression morbide, de môme que chez cer-tains sujets la goutte se développe d'emblée; niais, en géné-ral, c'est sur ce fond pathologique que se développe la goutte proprement dite, dont nous allons maintenant étudier l'évolu-tion.

GOUTTE AIGUË.

Supposons qu'un premier accès de goutte aiguë soit sur le point d'éclater chez un sujet qui, jusqu'alors, n'avait jamais ressenti les atteintes de cette maladie. Dans la majorité des cas, des prodromes spéciaux viendront annoncer l'explosion prochaine de l'accès ; ce sera tantôt une exaspération extrême de tous les symptômes qui résultent de la diathèse urique, et qui viennent d'être décrits ; tantôt, au contraire, ce sera un bien-être anormal, une excitation particulière; on voit enfin se produire quelquefois des phénomènes tout à fait insolites dans l'expérience du sujet; une angine, une douleur sciatique ou musculaire, par exemple.Mais il faut aussi reconnaître que les prodromes peuvent manquer absolument dans un certain

nombre de eus ; l'accès éclate alors brusquement, et d'une manière complètement imprévue.

L'invasion des douleurs articulaires est soudaine et violente ; elle a presque toujours lieu pendant la nuit. Le malade ressent tout à coup une douleur caractéristique, comparée par les uns à une morsure, par les autres à un coup de bâton; beaucoup d'individus s'imaginent qu'ils ont une foulure, et le diagnostic est parfois difficile au premier abord. Cette sensation a le plus souvent pour siège, l'articulation métatarso-phalangienne du gros orteil. Bientôt le point malade rougit et se tuméfie ; on voit se gonfler les veines du membre affecté, qui prend une coloration violacée et se couvre quelquefois d'ecchymoses, d'après Gairdner ; il se développe en même temps une fluc-tuation tantôt apparente, tantôt réelle, et qui dans ce dernier cas est occasionnée par la présence d'un excès de liquide dans la synoviale articulaire.

Les symptômes généraux qui coïncident avec ces manifes-tations locales sont la fièvre, des frissons erratiques ; un état nerveux, une extrême irritabilité ; enfin, une diminution no-table de la quantité des urines, qui laissent déposer, par le refroidissement, des sédiments abondants.

Vers le matin, la douleur et la plupart des autres symptômes s'amendent, pour reparaître le soir, ou pendant la nuit ; cet état se prolonge cinq à six jours, lorsque la médecine inter-vient, huitàquinze jours, lorsqu'elle n'intervient pas. (Garrod.) 11 y a donc une sorte de chapelet de petits accès enchaînés les uns aux autres, et séparés par des intervalles de rémission.

Dès les premiers jours, un œdème prononcé des parties en-flammées, s'étendant bientôt au membre tout entier, et capable de conserver l'impression du doigt, s'est manifesté : le déclin est marqué par une desquamation superficielle. Enfin, fout rentre dans l'ordre, et le malade goûte un repos qui ne sera troublé qu'à la crise prochaine.

Nous voyons, en somme, que les caractères les plus sail-lants de la goutte aiguë sont les suivants :

Io L'invasion brusque, et le caractère spécial de la douleur. Un Français cité par Watson (1), comparant cette sensation qu'il avait souvent éprouvée, aux effets d'une forte pression, disait qu'au premier tour de vis c'était le rhumatisme, mais qu'au second tour c'était la goutte.

2° L'œdème du membre vers le début de l'accès, la desqua-mation au déclin.

3° L'absence de suppuration.

4° Le siège spécial des accidents qui se localisent de préfé-rence au gros orteil.

o° La réaction fébrile dont l'intensité est proportionnelle au nombre de jointures affectées, contrairement à ce que nous observons dans le rhumatisme articulaire aigu.

Enfin, il faut tenir compte de phénomènes consécutifs. Le fait le plus saillant est le soulagement éprouvé par le malade à la fin de l'attaque ; cette sensation de bien-être relatif corres-pond probablement à la destruction d'une certaine quantité d'acide urique.

A côté de cette modification de l'état général, nous devons signaler les modifications qui surviennent dans l'état local. Le plus souvent, à la suite d'un premier accès, il ne reste aucune gêne des mouvements articulaires ; mais on observe quelque-fois une rigidité prolongée de l'articulation, ou une persistance indéfinie du gonflement œdémateux. Ce sont là, d'après Gar-rod, les conséquences d'un traitement peu judicieux; telle serait, par exemple, l'application de sangsues sur le point malade.

Dans quelques cas, heureusement fort exceptionnels, il se produit une ankylose dès le début (Tocld, Trousseau, Garrod); d'autres fois, il y a formation prématurée de tophus.

1. Principies of Physic, etc., t. II, p. 753.

Tel est, messieurs, le type le plus ordinaire de l'accès de goutte franche aiguë. J'aurais pu, sans doute, vous tracer une peinture plus animée, si je n'étais pas astreint à suivre un ordre analytique ; mais vous pourrez aisément vous en con-soler, en lisant l'immortelle description qu'en a laissée Syden-ham, ou les pages éloquentes consacrées à ce sujet par M. le professeur Trousseau.

Voyons maintenant quelles sont les principales déviations que peut offrir le type régulier que nous venons de décrire.

Considérons d'abord les déviations que peut subir la goutte par rapport au siège des accidents articulaires. D'une manière habituelle, ou, pour mieux dire, dans l'immense majorité des cas, c'est le gros orteil qui est affecté, tantôt d'un seul côté, tantôt des deux côtés successivement. Scudamore établit que sur 512 cas de goutte le gros orteil a été frappé 373 fois au premier accès, soit isolément, soit avec d'autres jointures ; et sur ces 373 cas, il en est 341 dans lesquels les accidents étaient mono- articulaires.

11 est évident qu'au point de vue du diagnostic, on peut tirer le plus grand parti de cette prédilection singulière. Il existe, sous ce rapport, une différence tranchée entre la goutte et le rhumatisme articulaire.

Mais il est des cas dans lesquels le gros orteil n'est affecté que secondairement : la maladie débute sur un autre point, le genou, par exemple. Les causes traumatiques paraissent jouer ici un rôle important; comme pour le rhumatisme, un coup, un choc, prédisposent l'articulation lésée à devenir le siège de la goutte; nous le verrons plus loin au sujet de l'étio-Iogie.

Il est des cas exceptionnels où le gros orteil demeure com-plètement libre, soit au premier accès, soit aux accès con-sécutifs. Garrod signale des faits de ce genre, et j'en ai moi-même observé quelques-uns. La goutte peut alors se por-

ter, dès le premier accès, sur le genou ou sur toute autre join-ture.

11 est enfin une forme de la maladie qui mérite une attention spéciale, car elle présente la plus grande analogie avec le rhu-matisme articulaire aigu, au inoins sous Je rapport syniptoma-tique ; nous voulons parler de la goutte aiguë généralisée primitive, qui, dès les premiers accès, frappe plusieurs join-tures à la fois; un grand nombre d'articulations, grandes et petites, peuvent être affectées simultanément. Les accès ont ici une durée plus longue ; ils persistent pendant deux ou trois semaines, et peuvent même se prolonger pendant plusieurs mois. C'est la goutte à paroxysmes successifs de M. le profes-seur Trousseau. Combien de fois ces accidents n'ont-ils pas été rapportés au rhumatisme articulaire aigu !

Mais ce n'est pas seulement par rapport au siège de ses ma-nifestations que la goutte aiguë peut offrir des variétés.

L'intensité des symptômes principaux, de la douleur, de la réaction générale, peut se trouver singulièrement amoindrie; c'est ce qui se produit assez souvent chez les femmes et les sujets débilités. C'est alors la forme molle ou asfhénique de la goutte aiguë, dont le pronostic est en général peu favorable, et qui passe volontiers à l'état chronique.

Mais la goutte, ainsi que nous l'avons déjà fait observer, est une affection essentiellement chronique, même dans sa forme aiguë. 11 est donc indispensable d'étudier les accès dans leur enchaînement, de les suivre pas à pas dans leurs retours agressifs et de signaler les caractères que présentent les accès nouveaux.

Retour des accès. — Au début, la goutte semble accorder d'assez longues vacances à ses tributaires; il ne se produit qu'un accès tous les deux ou trois ans. Plus tard, les accidents reviennent annuellement; ils se manifestent ensuite deux fois

dans l'année, au printemps et à l'automne, ce qui signale déjà une modification dans les habitudes pathologiques, car les premiers accès se déclarent en général à la fin de l'hiver (Trousseau).

Enfin, la période intermédiaire se réduisant de plus en plus, les accès reviennent tous les trois ou quatre mois ; c'est déjà le passage à l'état chronique.

Il faut se rappeler d'ailleurs que des conditions accidentelles peuvent intervenir pour troubler cette progression régulière : les lésions traumatiques, le phlegmon, l'érysipèle, viennent quelquefois en accélérer la marche, et provoquer brusquement des retours inattendus.

Caractères des nouveaux accès. — Pendant longtemps il ne se produit aucune modification saillante dans l'ensemble symptomatique qui caractérise les attaques. Limitées à une ou deux jointures, les fluxions articulaires continuent à occuper le même siège : les symptômes généraux continuent à offrir la même intensité, et les intervalles qui séparent les accès sont libres de toute manifestation morbide.

Cependant, à mesure que la maladie progresse, elle change insensiblement de caractère, et présente une tendance de plus en plus marquée à revêtir la forme chronique. On voit alors les grandes jointures subir un envahissement successif, et cela presque toujours dans l'ordre suivant : d'abord les orteils, le cou-de-pied, les genoux, puis les mains, les poignets, les coudes, dans quelques cas rares enfin, l'épaule et la hanche. C'estalors que le malade, frappé d'une analogie incontestable, s'imagine volontiers que sa maladie a changé de nature et s'est transformée en rhumatisme.

En même temps les accès, devenus plus longs, offrent une moins grande intensité; ils prennent la forme subaiguë, et sont accompagnés d'une réaction fébrile moins vive : leurs Giiaucot. CEuv. compl. t. vu, Malad. des Vieillards.

intervalles sont moins libres et les phénomènes de la goutte abarticulaire se prononcent de plus en plus ; le malade éprouve plus que par le passé de la dyspepsie, des palpitations, des troubles nerveux divers ; on dirait, en un mot, que la maladie, d'abord concentrée, a fini par s'étaler; elle gagne en étendue ce qu'elle perd en profondeur. Mais, à ce moment, c'est déjà la goutte chronique. Nous allons étudier maintenant les carac-tères de cette dernière affection.

Goutte chronique. — Cette forme de la goutte a pour carac-tère essentiel de coïncider avec une dépression générale des forces vives de l'économie qui semble justifier les expressions dégouttes atonique, asthénique, qui lui sont appliquées par. quelques auteurs. En effet, un affaiblissement prononcé, une tendance à l'état cachectique se montrent toujours, à des degrés divers, quand la maladie est arrivée à ce point. Aussi, les affections intercurrentes ont-elles, en pareil cas, une gravité tout à fait exceptionnelle ; la grippe, la pneumonie, le typhus ont ici une marche insolite, et cette dernière affection est presque toujours mortelle (Schmidtmann, Murchison) ; et l'on peut établir à cet égard, entre la goutte et le diabète, un rapprochement qui sera justifié plus tard par d'autres analo-gies.

Nous savons déjà qu'il existe ici une altération permanente du sang et des urines, qui nous explique, jusqu'à un certain point, pourquoi les intervalles des accès sont remplis par des accidents abarticulaires plus ou moins sérieux, — des palpita-tions, de la dyspepsie, des troubles nerveux ; c'est aussi sous l'influence de cette altération que paraît se dessiner la tendance à certaines affections viscérales organiques, du côté des reins, du foie, du cœur, et du système vasculaire en général.

Mais la goutte chronique, qui succède ordinairement à la

goutte aiguë, peut aussi se montrer d'emblée, et présente alors des caractères un peu différents.

A. Quand elle succède à la goutte aiguë, la goutte chronique s'établit presque en permanence sur les articulations; mais les symptômes locaux deviennent moins aigus ; les douleurs sont moins vives; enfin, comme nous l'avons déjà indiqué, les extrémités supérieures commencent à subir l'invasion de la maladie. C'est à ce moment qu'on observe les déformations articulaires ; c'est à ce moment surtout que se produisent les concrétions tophacées qui vont tout à l'heure fixer notre atten-tion d'une manière spéciale.

En môme temps, le changement qui s'est opéré dans l'état constitutionnel se traduit par une réaction moins vive au mo-ment des accès, et dans leur intervalle par des accidents viscéraux plus prononcés.

B. Quand au contraire la goutte est chronique d'emblée, on voit souvent les tophus se former de bonne heure, surtout aux mains ; c'est la forme fixe primitive de la goutte, dans laquelle les accidents locaux dépendent presque exclusivement de la présence de dépôts plus ou moins volumineux.

Les affections viscérales graves se prononcent ici de bonne heure, chez un certain nombre de malades.

Todd a vu l'albuminurie se montrer deux ans après le début de la maladie; et deux ans plus tard, le sujet éprouvait des accidents épileptiformes et mourait dans le coma.

Chez un autre malade, dont l'observation est rapportée par ïraube, il existait de l'albuminurie un an après les premiers accidents, et le corps était déjà couvert de tophus.

Nous allons maintenant nous occuper des caractères clini*-

ques de ces concrétions, que nous connaissons déjà au point de vue anafomiqne. En effet, les tophus, une fois formés, ont une existence en quelque sorte indépendante, et méritent par conséquent une étude à part.

On ne saurait en exagérer l'importance au point de vue du diagnostic, car ils donnent naissance à des déformations spé-ciales qui appartiennent exclusivement à la goutte ; d'ailleurs leur fréquence est bien plus grande qu'on ne l'avait autrefois supposé. On les rencontre dix fois sur cent, disait Scudamore; c'était déjà beaucoup ; mais aujourd'hui, en tenant compte des concrétions de l'oreille externe, on pourrait affirmer, d'après Garrod, qu'ils existent dans la moitié des cas.

Leur évolution, qui a été fort bien décrite par Moore, en 1811, comprend trois périodes. À la suite de l'accès (1), clans un intervalle de rémisssion, et quelquefois sans aucune dou-leur, un liquide fluctuant vient soulever la peau, ainsi que l'avait observé Gcelius Aurelianus. A la seconde période, ces dépôts se solidifient et prennent la forme de masses dures, indolentes, plus ou moins arrondies, qui s'accroissent à cha-que accès, et même dans l'intervalle des attaques. Enfin, à la troisième période la peau s'ulcère et livre passage à des quan-tités souvent considérables de matière crayeuse.

Lorsque cette élimination se fait sans travail phlegmasique, les concrétions crétacées se trouvent à nu ; on voit parfois, en Angleterre, des vieillards goutteux marquer leurs points au jeu avec les tophus qui leur garnissent les mains, et qui laissent sur le tapis vert une trace blanche, comme de la craie. D'autres fois, une inflammation plus ou moins vive se déclare; il se produit du gonflement, de la rougeur, une coloration violacée, avec menace de gangrène ; enfin l'ouverture a lieu ; il s'échappe

i. M. Bail a connu un goutteux qui ne pouvait jamais éprouver une douleur, môme passagère, sur un point quelconque, sans qu'il s'y formât immédiate-ment un tophus.

du pus et de la matière tophacée, composée presque en entier d'urate de soude.

Il résulte parfois, de ce travail phlegmasique, des ulcères difficiles à guérir. L'urate de soude se trouvant infiltré dans les mailles du tissu cellulaire, la plaie se déterge difficilement, et les cicatrices ont une tendance à s'ouvrir de nouveau.

Quelquefois les articulations elles-mêmes peuvent être enta-mées, mais, ce qui est bien digne de remarque, sans aucun danger sérieux pour le malade.

L'issue de cette matière amène souvent un soulagement soi I local, soit général. Garrod a même constaté que, lorsqu'on veut réprimer ce travail par des applications astringentes, on voit quelquefois reparaître les douleurs articulaires au niveau de l'ulcération, ou sur un point plus éloigné.

Arrivée à son dernier ferme, la goutte détermine une cache-xie dont les principaux éléments sont une anémie profonde, une faiblesse musculaire extrême, surtout aux membres infé-rieurs, et une dépression intense du système nerveux; les malades deviennent incapables de subir la plus légère fatigue, et ne peuvent supporter le moindre bruit.

Ici, messieurs, se termine l'histoire clinique de la goutte ré-gulière. Cette forme de lamaladie, ainsi que vous avez pu vous en convaincre, se caractérise surtout par une prédilection mar-quée, et souvent exclusive,pour les articulations. Ce type est celui que vous rencontrerez le plus souvent dans la pratique, et qui vous sera le plus facile à reconnaître.

On ne saurait en dire autant des formes anomales, irrégulières ou larvées de la goutte ; elles empruntent souvent le masque des affections les plus diverses, les plus étrangères à la diathèse goutteuse ; et le médecin qui a négligé de s'exercer d'une façon toute spéciale au diagnostic des cas de ce genre est exposé à

commettre des erreurs, qui peuvent entraîner les conséquen-ces les plus regrettables. Il y a donc là un sujet qui mérite bien de nous arrêter quelque temps, d'autant plus que cette étude vous permettra de saisir l'une des différences les plus essentiel-les entre l'esprit de l'ancienne médecine, et celui de la science contemporaine. Nous aborderons cette étude dans la prochaine conférence.

SEPTIÈME LEÇON

Symptomatologie de la goutte viscérale.

Sommaire. — Prédilection des anciens pour l'élude des métamorphoses pa-thologiques. — Importance de la goutte larvée à ce point de vue. — Scepticisme des modernes. — Définition de la goutte viscérale.— Troubles fonctionnels : lésions organiques. — Goutte larvée ; mal placée ; rétrocédée ; remontée. — La goutte viscérale peut-elle exister indépendamment de toute affection articulaire ?

Affections du tube digestif. — Spasme de l'œsophage. — Dyspepsie, car-dialgie, gastrite goutteuse. — Manifestations hépatiques de la goutte. -Appareil circulatoire : lésions du cœur et des vaisseaux. — Mort subite. — Manifestations cérébrales de la goutte. — Son influence sur les maladies de l'axe médullaire n'est pas encore bien démontrée. Appareil respiratoire : asthme goutteux. — Voies urinaires : souvent affectées dans la goutte. — Troubles fonctionnels du rein. — Néphrite goutteuse. — Indication de quelques autres affections abarticulaires qui se rattachent à la goutte.

Messieurs,

Ainsi que je vous l'avais annoncé à la fin de notre dernière conférence, l'étude de la goutte viscérale va maintenant nous occuper. Le sujet, comme je vous l'ai déjà fait observer, avait vivement préoccupé nos prédécesseurs, et il vous sera facile d'en comprendre les motifs.

Habitués auv vues d'ensemble, et peu soucieux d'analyser minutieusement les faits cliniques, les médecins des siècles passés ont eu toujours une prédilection marquée pour l'étude des métamorphoses que subissent les affections à longue portée.

Depuis Galien jusqu'à Roderic à Castro, qui publiait au xvnc siè-cle un ouvrage curieux sous un titre, assez singulier (Quoe ex quibus), et depuis ce dernier jusqu'à Lorry, un grand nombre d'auteurs se sont attachés à décrire les transformations des maladies (mutationes morborum). La goutte occupe une grande place dans ces écrits, et s'y trouve plus d'une fois invo-quée, lorsqu'il s'agit de prouver que, sans perdre son identité, une maladie, peut revêtir les formes les plus variées.

Il est généralement reconnu aujourd'hui que nos prédéces-seurs avaient exagéré le nombre et la fréquence des transfigu-rations que peuvent subir les états pathologiques : et, de nos jours, cette étude autrefois si florissante est quelque peu tombée dans l'oubli ; ou, pour mieux dire, elle est envisagée à un tout autre point de vue.

Pour ce qui concerne en particulier la goutte larvée, il faut convenir que les anciens la voyaient partout, et même là où elle n'est pas. Mais nous ne saurions cependant nous ranger du côté des médecins qui, subissant aujourd'hui l'entraînement d'une réaction trop radicale, ont été jusqu'à nier l'existence de cette forme de la goutte. C'est là un scepticisme trop arbi-traire. La goutte viscérale est une affection relativement peu fréquente, mais elle existe : nous espérons du moins vous le démontrer. Il s'agit seulement de constater, par une analyse attentive, en quoi elle consiste, et quelles sont les limites cpi'il convient de lui assigner.

Il ne me paraît pas nécessaire, au point où nous en sommes arrivés, de justifier àvos yeux l'importance de ce sujet, qui se recommande à votre attention sous un double point de vue ; car, sous le rapport de la pathologie générale, la question si obscure et si controversée des métastases et des rétrocessions se rattache de la manière la plus intime à cette étude ; et pour ce qui touche à la pathologie spéciale, l'histoire de ces mani-festations viscérales nous permet de saisir à la fois les ressem-

blances si profondes qui rapprochent la goutte du rhumatisme, et les différences qui l'en séparent.

Mais, avant de descendre sur le terrain de la clinique pour aborder la description des faits particuliers, il nous paraît indis-pensable de préciser autant que possible le sens de cette expres-sion : goutte viscérale.

Il ne faut point appliquer indistinctement ce terme à toutes les maladies dont le goutteux peut se trouver atteint; ces affections, — dont les unes sont purement accidentelles, tandis que les autres n'ont, avec la goutte, qu'une parenté assez éloignée, — sont modifiées, il est vrai, par la nature du terrain sur lequel elles se développent ; mais on ne saurait les ranger au nombre des conséquences directes de cette maladie.

Nous réserverons donc le nom de goutte viscérale aux phénomènes morbides qui peuvent se développer dans nos organes intérieurs, sous l'influence immédiate de la diathèse goutteuse ; et dans cette série pathologique, nous distin-guerons deux groupes naturels : le premier comprend les troubles fonctionnels qui relèvent de cet état général ; le second embrasse les lésions organiques qui peuvent se développer sous son influence.

C'est surtout au premier de ces deux groupes que s'ap-pliquent les expressions de goutte larvée, mal placée, rétrocédée, qu'on rencontre à chaque pas dans les auteurs ; et pour conserver à cet ordre de faits morbides un caractère homogène, on ne doit y faire rentrer que les affections viscé-rales qui, sous tous les rapports essentiels, sont analogues aux lésions articulaires de la goutte, et jouent le même rôle dans le drame pathologique, si l'on fait abstraction du siège qu'elles occupent.

Permettez-moi, pour mieux vous faire saisir ma pensée, de citer ici quelques exemples. Un individu, depuis longtemps dyspeptique, éprouve subitement un accès de goutte ; le voilà

guéri de sa dyspepsie, du moins en apparence ; mais, les acci-dents articulaires une fois calmés, l'estomac redevient malade comme autrefois. Voilà, messieurs, un cas incontestable de goutte viscérale, dans lequel l'estomac semble remplacer les articulations dans la série des manifestations morbides, et se trouve, en quelque sorte, appelé à souffrir à leur place. On sait de môme qu'un malade affecté de convulsions épilepti-formes peut devenir goutteux, et que laguérison des accidents nerveux peut quelquefois s'ensuivre; Garrod en a rassemblé plusieurs observations.

Dans les cas de ce genre, l'affection viscérale paraît consister en un trouble purement dynamique ; tout au plus existe-t-il une modification superficielle des tissus. On comprend, d'ail-leurs, que la gravité de ces manifestations est subordonnée au siège qu'elles occupent.

Mais on voit presque toujours manquer ici ces dépôts cristal-lisés d'urate de soude, qui, dans les cartilages et les tissus fibreux, viennent inscrire en quelque sorte l'histoire des accès antérieurs. Au reste, les éléments anatomiques peuvent être, comme nous l'avons signalé plus haut, imprégnés d'urate de soude sans offrir de dépôts cristallins. Ces affections offrent un caractère essentiellement mobile : elles paraissent et disparaissent subitement ; elles peuvent coexister avec les accidents articulaires, les précéder ou les suivre; mais, dans la majorité des cas, on les voit alterner avec eux. Dans le cas où l'affection viscérale est antérieure à la goutte articulaire et constitue pendant Un temps plus ou moins long la seule manifestation de la diathèse, on lui donne le nom de goutte larvée ; lorsqu'au contraire elle succède aux accidents du côté des jointures, elle reçoit celui de goutte remontée (M rétrocédée, pourvu toutefois que la métastase ait été provoquée par l'intervention manifeste d'une cause extérieure, le froid, par exemple. On dit enfin que la goutte est remontée d'elle-

même lorsque le déplacement des symptômes s'est effectué spontanément.

C'est ici que se présente l'un des problèmes les plus difficiles à résoudre, dans l'étude que nous avons entreprise. Les acci-dents de la goutte viscérale peuvent-ils exister chez des sujets dont les jointures n'ont jamais été et ne seront jamais malades ? En d'autres termes, la goutte larvée peut-elle exister indépen-damment de la goutte articulaire? La chose est au moins vrai-semblable ; mais de combien de difficultés la démonstration n'est-elle pas entourée !

Remarquons toutefois que ces phénomènes peuvent exister chez un sujet issu de parents goutteux, et dès lors manifestement prédisposé à la goutte. C'est là une première présomption en faveur de l'hypothèse que nous nous efforçons de défendre. En second lieu, l'affection viscérale se présente souvent sous l'une des formes qu'elle revêt habituellement lorsqu'elle coexiste avec la goutte articulaire. En troisième lieu, il est des cas où l'affection des jointures se montre à l'état rudi-mentaire, et se manifeste par des élancements douloureux (twinges). Enfin, la diathèse urique, caractérisée par l'en-semble des phénomènes que nous avons précédemment décrits, peut venir donner à ces manifestations viscérales de la goutte un cachet d'authenticité qui ne pourra guère être révoqué en doute, lorsqu'on aura constaté la présence de Vacide urique dans le sang.

Il nous reste maintenant le second groupe, celui des lé-sions organiques, qui succèdent presque toujours à la longue aux affections delà première espèce, et occupent le même siège. Au reste, nous sommes loin d'admettre une distinction absolue entre ces deux ordres de phénomènes, et nous croyons volontiers que les troubles fonctionnels ne sont que le pre-mier degré de ces modifications de texture, qui donnent nais-sance à des troubles permanents.

Nous nous sommes efforcés, messieurs, de réduire à des notions très-simples la nomenclature si compliquée des affec-tions goutteuses ; et pour imprimer ces notions dans votre esprit avec une clarté plus grande encore, nous les résumerons dans le tableau suivant ;

Gouíte viscérale. .

Fonctionnelle.

Larvée (précède^ Remontée (suit).

Anatomique, avec lésions permanentes.

I.

Nous allons maintenant étudier successivement les deux formes dégoutte viscérale que nous avons reconnues, dans chacun des organes, dans chacun des appareils qui peuvent en devenir le siège.

Nous commencerons par le tube digestif, car c'est sur ce point que les affections de ce genre se développent de préfé-rence ; et l'on a pu dire avec raison que « la goutte est à Ves-tomac ce que le rhumatisme est au cœur (1).»

A. Nous ne dirons qu'un seul mot sur une affection assez rare de l'œsophage, signalée parStoll et Garrod : il s'agit de la constriction spasmodique de ce conduit, qui s'oppose au passage du bol alimentaire. Un accès de goutte amène la ré-solution de cet état.

B. Occupons-nous maintenant de la goutte gastrique, sujet que nous avons effleuré déjà, en vous parlant de la dyspepsie habituelle aux sujets goutteux, ainsi que des accidents nerveux qui l'accompagnent.

1. Bail. — Thèse pour le concours de l'agrégation, p. 158.

La goutte larvée de l'estomac précède les accès et peut même se développer avant tout affection articulaire : chez un grand nombre de sujets, aussitôt que les jointures sont prises, les troubles gastriques éprouvent un amendement notable.

Chez un malade dont nous avons nous même recueilli l'ob-servation, il existait des troubles digestifs avant le premier accès de goutte ; le diagnostic fut fondé sur la présence d'une concrétion tophacée de l'oreille externe, et la marche ulté-rieure des accidents vint confirmer complètement notre ma-nière de voir.

Dans un autre cas, il y avait eu autrefois un seul accès de goutte articulaire. Une dyspepsie intense s'était déclarée plus tard; et après avoir vainement invoqué les secours delà science régulière, le malade crut devoir s'adresser àl'homceo-pathie. Un succès inespéré vint couronner ce mode de traite-ment, et l'on applaudissait déjà d'avoir eu recours à la méde-cine nouvelle, lorsque tout à coup il survint un accès de goutte au pied, qui donna l'explication de cette guérison mi-raculeuse ; il s'agissait ici d'une manifestation viscérale de la diathèse.

La goutte rétrocédée ou remontée ci l'estomac diffère de la goutte larvée, par la gravité qu'elle peut offrir ; c'est ici qu'on a souvent l'occasion d'observer ces symptômes graves, qui aboutissent quelquefois à la mort.

La goutte, à ce que l'on prétend, peut remonter d'elle-même ; c'est la métastase spontanée de Guilbert. Mais le plus souvent ce déplacement a été provoqué par l'intervention d'une cause directe. Le cours régulier de la maladie a été in-terrompu par une émotion vive, par une indigestion, ou par un traitement intempestif; impatient de souffrir, le malade a commis l'imprudence de plonger le membre dans l'eau glacée (Lynch, Parry), ou de s'administrer un remède spécial, le colchique, par exemple (Trousseau, Potton de Lyon). On voit

alors céder, comme par enchantement, la douleur et la tumé-faction des jointures ; déjà le malade se félicite du traitement qu'il s'est appliqué, lorsque tout à coup on voit éclater les phénomènes redoutables de la goutte remontée à l'estomac.

Il y a lieu de distinguer ici, avec Budd etScudamore, deux formes symptomatiques. Dans le premier cas, le mal s'annonce sous la forme cardialgique ou spasmodique ; il existe alors une douleur vive avec sentiment de crampes à la région épigas-trique, et cette sensation pénible est calmée par la pression ; il se produit en même temps une distension marquée de l'es-tomac, avec des vomissements souvent incoercibles, et un état général plus ou moins grave : on voit alors survenir de l'algidité, des sueurs froides ; le pouls est petit, fréquent, irré-gulier ; il y a une tendance à la syncope. En pareil cas, surtout depuis Cullen, on fait usage de stimulants, et les alcooliques sont tolérés à haute dose.

Dans le second cas, la maladie prend une forme inflamma-toire. Il existe une vive douleur épigastrique, surtout à la pres-sion ; des vomissements répétés, quelquefois noirâtres ou sanguinolents ; un appareil fébrile plus ou moins intense, et, la suite de tous ces phénomènes, un état de prostration générale. Mais ici les stimulants ne sont plus tolérés, et l'on vante les émissions sanguines.

Dans les cas où la santé doit se rétablir, tout cet appareil symptomatique disparaît subitement, soit sous l'influence delà médication, soit d'une façon spontanée, et la fluxion goutteuse revient au gros orteil. On croit assez généralement à l'influence des applications stimulantes sur la jointure primitivement affectée, pour y rappeler la goutte, qui semble s'être déplacée ; mais c'est à peine s'il existe dans les auteurs quelques faits bien authentiques pour corroborer l'utilité de ce traitement.

Mais la science possède huit à dix observations dans lesquelles ces accidents se sont terminés par la mort. On a

rencontré à l'autopsie, qui a été pratiquée quelquefois, un épais-sissement du tissu cellulaire souâ-muqueux ; la muqueuse de l'estomac est œdémateuse, couverte d'érosions hémorrhagi-ques, et la cavité de l'organe renferme quelquefois un liquide noir. L'ensemble de ces lésions semble indiquer une altération déjà ancienne, malgré la soudaineté de l'irruption de la ma-ladie.

Au reste, ces cas si terribles sont heureusement fort rares ; Scudamore n'en cite que deux ou trois ; Garrod et Brinton n'en ont jamais rencontré un seul. Tout récemment Budd et Bittrich en ont publié deux exemples.

Mais, à un plus faible degré la goutte remontée à l'estomac est une affection assez commune ; elle se rencontre surtout dans le cas d'asthénie, de cachexie goutteuse, et chez les indi-vidus qui ont abusé des spécifiques, des applications de sang-sues et du froid.

On peut cependant se demander si l'existence de cette maladie n'a pas été trop légèrement admise chez un certain nombre de sujets. Il est facile, en effet, de commettre ici des erreurs de diagnostic ; et les coliques hépatiques ou néphréti-ques, les troubles digestifs de l'albuminurie, peut-être même l'empoisonnement par de certains remèdes (le colchique en particulier) ont pu simuler, plus d'unefois, la goutte stomacale. Une simple indigestion, survenant brusquement chez un goutteux, pourrait à la rigueur être confondue avec un accès de goutte remontée, en raison de la gravité que prennent quelquefois lès symptômes, par suite des prédispositions spé-ciales que la diathèse urique a fondées. Aussi Watson fait-il observer que souvent il faudrait dire «du lard dans Vestomac au lieu de « la goutte à Vestomac » (porli in the stomach, instead of goutïn thestomach). On a poussé le scepticisme jusqu'à nier presque complètement la goutte stomacale, et Brinton, après avoir longuement discuté ce point, finit par

conclure qu'il peut, à la rigueur, exister un peu d'irritabilité gastrique chez les goutteux,mais qu'il faut attribuer à de simples coïncidences tout ce qui dépasse ce point

Nous professons, à cet égard, une opinion contraire ; et après avoir fait une large part aux erreurs de diagnostic, nous croyons que les diverses affections qu'on peut invoquer à cet égard sont loin de rendre compte de tous les faits. Nous avons vu plus haut que l'expérimentation physiologique réussit à pro-duire, chez les animaux, des phénomènes analogues à ceux de ladiathèse urique ; et nous savons qu'en pareil cas, les liquides gastriques et les follicules de l'estomac sont chargés d'urate de soude. Sans prétendre invoquer des conditions identiques pour rendre compte des phénomènes de la goutte stomacale, nous croyons que des lésions superficielles peuvent fort bien se produire dans l'appareil digestif, sous l'influence de la rétro-cession ; et cette manière de voir est parfaitement confirmée par les résultats des autopsies pratiquées chez des goutteux qui ont longtemps souffert de ces organes. Dans les cas de ce genre, Todd a souvent rencontré une dilatation énorme de l'estomac, et Brinton lui-même vient confirmer ces résultats par des observations personnelles ; ce serait là cet état de paralysie et d'affaiblissement de l'estomac que Scudamore avait depuis longtemps signalé dans les cas chroniques de cette maladie.

Il est d'ailleurs probable qu'il se produit à la longue des lé-sions permanentes chez les sujets atteints de ces manifestations en apparence purement fonctionnelles ; et les cas funestes dont nous venons de parler sembleraient en fournir la preuve.

C. Aux deux formes de goutte stomacale que nous venons de décrire, correspondent deux formes de dyspepsie intestinale: la première se caractérise par des coliques spasmodiques ; la seconde est une véritable entérite. Ces phénomènes peuvent

Charooï. Œuvr. compl. ï.vii. Malad. des Vieillards.

exister isolément, ou se joindre aux troubles divers dont l'estomac peut devenir le siège.

II.

« Le foie est rarement sain dans la goutte, » a dit Scudamore ; et l'observation journalière vient démontrer la justesse de cette opinion.

Il existe indubitablement des affections du foie qui sont liées à la dyspepsie goutteuse, et des tuméfactions passagères de cet organe qui précèdent les accès, ainsi que l'ont vu Scu-damore, M. Galter-Boissière et M. Martin-Magron.

Mais nous ne savons pas encore, d'une façon positive, s'il existe des affections permanentes du foie qui résultent de la diatlièse goutteuse. Scudamore pensait qu'à la longue l'appa-reil spléno-hépatique subissait l'influence de la goutte et deve-nait le siège d'affections permanentes. On sait du reste que, d'après les travaux physiologiques modernes, le foie et la rate sont probablement les organes où se forme l'acide urique.

Mais les caractères anatomiques de cette affection viscérale, si elle existe,ne nous sont pas encore connus; et les lésions hépatiques qu'on rencontre chez les goutteux se rattachent presque toujours à l'alcoolisme.

Cependant la gravelle biliaire coïncide quelquefois avec la diathèse urique et la goutte ( Prout, Budd, Wunderlich, Wille-min), et l'on peut rencontrer parfois dans la vésicule du fiel, des calculs d'acide urique, ainsi que l'ont vu Stockhardt, Fabel et Frerichs. Peut-être les malades qui ont fourni ces concré-tions étaient-ils des goutteux.

'j

III.

L'influence de la goutte sur les affections du cœur ne saurait être contestée; mais il ne s'agit plus ici, comme dans le rhu-matisme, d'endocardite, de pericardite, ni d'affections valvu-laires. Ces lésions, lorsqu'elles se rencontrent chez les goutteux, paraissent surtout reconnaître pour causes l'alcoolisme ou la maladie de Bright.

Mais ce qui domine ici la situation, c'est la dégénération graisseuse du tissu musculaire du cœur; Stokes, Quain, Gaird-ner, Garrod, se réunissent pour l'affirmer.

A l'origine, cette affection n'existe qu'à un faible degré et l'on ne constate que des troubles fonctionnels : des palpitations, de la dyspnée, de la faiblesse et de l'irrégularité du pouls (Hervezde Chégoin). La rétrocession goutteuse est ici peu fré-quente (Scudamore, Garrod) ; cependant il en existe quelques exemples, et l'on a même vu des malades mourir par le cœur. Mais alors les lésions que nous allons étudier s'étaient déjà développées.

Au second degré, la dégénérescence graisseuse du cœur existe. Les symptômes de cette lésion demeurent toujours les mêmes, qu'elle qu'en soit l'origine (Stokes, Garrod). Ils simu-lent des troubles fonctionnels: en effet, les signes physiques sontpeu caractérisés, et l'on arrive au diagnostic surtout par voie d'élimination.

L'impulsion du cœur est faible, presque nulle ; le premier bruit est sourd, et quelquefois, il existe un souffle occasionné par la dégénérescence graisseuse des muscles tenseurs des val-vules. La matite précordiale est souvent augmentée; le pouls est mou, dépressible, intermittent, quelquefois d'une grande lenteur, surtout pendant l'accès (20 ou 30 pulsations) ; enfin,

on a signalé la présence de Yarcus senilis (Canton), chez les sujets atteints de cette altération du tissu musculaire du cœur.

Les symptômes rationnels sont, eux aussi, bien faits pour tromper l'observateur. Les accès se développent par paroxys-mes; il y a des palpitations violentes, de la dyspnée, une ten-dance syncopale ; on voit se manifester des accidents cérébraux qui prennent la forme d'une apoplexie, bien qu'il n'y ait point d'hémorrhagïe intra-crânienne (Law, Stokes) ; des douleurs vives se manifestent à la région précordiale, et s'irradient le long du bras, simulant ainsi l'angine de poitrine, qui elle-même est souvent considérée comme une affection d'origine goutteuse.

Enfin la mort subite est ici très fréquente : ainsi, sur 83 cas de dégénérescence graisseuse réunis par Quain, la mort eut lieu d'une manière inopinée 54 fois, à savoir : 28 fois par rup-ture du cœur, et 26 fois par syncope. Plusieurs de ces obser-vations ont été recueillies chez les goutteux..

Il est donc évident que bon nombre des faits, dans lesquels la mort est attribuée à la goutte remontée au cœur, ne sont que des cas de dégénération graisseuse de cet organe. Quain et Gairdner ont vu la mort se produire dans ces cir-constances, sans rupture ; la mort avee rupture a été observée par Cheyne et Latham.La terminaison fatale est souvent sur-venue pendant l'accès de goutte, qui semble agir ici en déter-minant la crise cardiaque.

Ajoutons enfin que l'état athéromateux des artères, qui souvent coïncide avec les lésions du cœur, peut donner lieu à des hémorrhagies cérébrales ; on observe alors de vraies et non de fausses apoplexies.

IV.

11 s'est opéré un changement dans nos idées, au sujet des connexions que présentent les arthropathies multiples avec les affections du système nerveux ; autrefois, la plupart des accidents de ce genre étaient attribués à la goutte ; aujourd'hui, le rhumatisme, en raison des travaux modernes, a conquis la priorité. Toutefois la goutte a encore sa part ; mais il est inté-ressant de remarquer que les deux maladies marchent parallè-lement sous ce rapport, et que toutes les formes du rhumatisme cérébral se retrouvent dans la goutte.

Ainsi la céphalée rhumatismale, indiquée par Van Swïeten, et plus récemment étudiée par M. Gubler, a son pendant dans les céphalalgies goutteuses, depuis longtemps connues, et qui dans ces derniers temps ont été soigneusement décrites par Lynch(1), Garrod et Trousseau.

Le délire aigu, ou forme méningitique du rhumatisme cé-rébral, se retrouve, d'après Scudamore, chez les goutteux.

L'apoplexie rhumatismale, ou forme apoplectique du rhu-matisme cérébral, indiquée par Stoll et fort bien étudiée par M. Vigla, se retrouve, sous forme de stupeur, dans la goutte, d'après Lynch et M. le professeur Trousseau.

Les convulsions qui se manifestent dans le cours du rhu-matisme encéphalique peuvent aussi se trouver dans la goutte ; seulement, dans le rhumatisme, elles affectent surtout la forme choréique ; dans la goutte, ce sont plutôt des convulsions épileptiformes, ainsi que l'ont observé Van Swieten, Todd et Garrod.

1. Nous recommanderons à l'attention de nos lecteurs le mémoire do Lynch (Some remarks on Llie Melastasis of diseased action to l/ie Brain in Gout, etc.) (Dublin Quarterly Journal, 1856, p. 276.)

On sait enfin qu'il existe une folie rhumatismale, étudiée par Burrows, Griesinger et M. Mesnet;il en serait de môme pour la goutte, d'après Garrod; mais dans cette dernière ma-ladie, la folie est rare, du moins en France ; M. Baillarger, dont l'expérience fait autorité en pareille matière, nous a dit qu'il n'en avait jamais rencontré aucun exemple.

Remarquons ici, pour signaler une différence, que Y aphasie qui n'existe pas dans le rhumatisme (si nous faisons abstrac-tion des affections du cœur et des embolies consécutives) se rencontre, au contraire, dans la goutte. 11 faut ajouter que les troubles encéphaliques ont en général moins de gravité dans la goutte que dans le rhumatisme ; que leur alternance avec les phénomènes articulaires est plus marquée ; que la rétrocession est plus évidente ; enfin que, s'il existe assez souvent une goutte cérébrale larvée, il en est bien rarement ainsi dans le rhuma-tisme.

Il ne faudra point confondre ces accidents cérébraux de la goutte avec le delirhim tremens, survenant au moment d'un accès (Marcet), ni avec le délire des affections aiguës intercur-rentes, ni enfin avec les symptômes que peuvent développer, du côté des centres nerveux, la dyspepsie, les affections du cœur et l'urémie, bien plus fréquente dans la goutte que dans le rhumatisme. Sous ce rapport, une observation prolongée, une étude attentive du malade pendant un long espace de temps sont les seuls moyens d'éviter toute erreur.

V.

L'influence de la goutte sur les maladies delamoelle épiniôre est une question encore litigieuse. Todd et Garrod indiquent l'apparition de symptômes légers, d'une sorte de parésie, al-ternant avec les accès ; mais il ne faudrait pas confondre avec

une lésion de la moelle épinière cette faiblesse musculaire qui succède aux attaques intenses de goutte articulaire, et qui peut presque simuler une véritable paraplégie.

Il est vrai que Graves a rapporté un fait dans lequel, l'au-topsie ayant eu lieu, on trouva un racornissement delà moel-le; mais cet exemple nous paraît peu satisfaisant. Il ne faut point oublier d'ailleurs que, s'il existe des affections médul-laires liées à la goutte ou au rhumatisme, ce qui n'est pas encore démontré, il est indubitable que des affections articu-laires très prononcées peuvent se développer à la suite des lésions, même traumatiques, de la moelle épinière (1).

VI.

L'appareil respiratoire peut aussi devenir le siège de cer-taines manifestations de la goutte; nous allons les passer rapidement en revue.

1° Asthme goutteux. — Parmi les affections thoraciques qui peuvent mériter cette désignation, il en est qui se rap-portent à l'asthme dit nerveux ; les poumons sont alors par-faitement libres pendant l'intervalle des accès, et il existe une alternance manifeste des symptômes thoraciques avec les accidents articulaires.

M. le docteur Vigla en a rapporté un exemple intéressant à la Société de médecine des hôpitaux.

Mais il existe une seconde forme d'asthme goutteux, qui se rattache à des lésions permanentes, et coïncident surtout avec l'emphysème : au reste, on rencontre encore ici des alternatives d'exacerbation et de rémission, qui correspon-dent à la disparition et au retour des accidents articulaires.

1. Bail, — Thèse de concours pour l'agrégation, 1866, p. 87.

Ces faits sont assez rares : Pâtissier n'en a vu que 2 cas sur 80 malades; Garrod 1 cas sur 40; enfin, Hyde-Salter, auquel on doit un traité de l'asthme, en rapporte aussi un cas.

2° Quelques auteurs anciens décrivent une pleurésie gout-teuse. Il est probable qu'il s'agit ici d'une simple pleurodynio, comme nous le verrons plus loin.

3° Existe-t-il une pneumonie goutteuse ? Quelques obser-vateurs en ont parlé, mais on manque de faits bien authen-tiques. Scudamore a vu deux fois la goutte se déclarer après la guérison d'une pneumonie. On se demande s'il ne s'agit pas ici d'une coïncidence fortuite. Toujours est-il que, d'après le môme auteur, ces deux affections peuvent coexister, sans exercer aucune influence l'une sur l'autre. Nous reviendrons sur ce point.

VII.

Les affections des voies urinaires sont fréquentes dans la goutte, et deviennent presque la règle, à une certaine période de la maladie. Elles sont rares, au contraire, dans les diver-ses formes du rhumalisme articulaire chronique. C'est là un caractère distinetif qu'il n'est pas sans intérêt de faire res-sortir.

Il faut cependant éliminer du cadre de la goutte viscérale tout ce qui est relatif à la pierre et à la gravelle urique, soit rénale, soit vésicale, d'après les règles que nous avons sui-vies jusqu'à présent; ces accidents sont fréquents, il est vrai, chez les goutteux, mais sans leur appartenir d'une manière exclusive.

Mais il existe des affections urinaires qui correspondent directement à la goutte, et que nous allons maintenant dé-crire.

A. Los reins peuvent être frappés d'un trouble fonction-nel passager, qui otfre des analogies évidentes avec la goutte articulaire. Il survient à une époque peu avancée de la ma-ladie; il a pour symptômes une douleur vive mais transi-toire, alternant manifestement avec la goutte articulaire qui peut occuper l'un ou l'autre rein, et une albuminerie qui ne persiste pas longtemps. Il peut se faire que, pendant toute la durée de cette complication, il n'y ait aucune émission de graviers. Cette manifestation de la goutte n'est pas excep-tionnelle ; Garrod en a observé plusieurs cas, et j'en ai vu un moi-même avec M. le docteur Clin. Le malade dont il s'agit était un médecin, et pouvait par conséquent, donner des rensei-gnements dignes de foi sur les phénomènes qu'il avait éprouvés.

B. Les affections permanentes du rein deviennent presque la règle, dans la goutte chronique; il s'agit d'une néphrite albumineuse, offrant des caractères anatomiques qui ne lais-sent subsister aucun doute sur son origine, à savoir, des in-farctus d'urate de soude dans le parenchyme du rein. Nous avons déjà décrit ces altérations, en traitant de l'anatomie pathologique.

Une fois constituée, la néphrite albumineuse de la goutte ne diffère que bien peu, par ses symptômes, de la maladie de Brigth ordinaire. On trouve en général les urines claires peu colorées; elles renferment une quantité d'albumine va-riable, mais presque toujours assez faible, contiennent peu d'urée et de sels ; et montrent au microscope des cylindres fibrineux, garnis de cellules épithéliales, ou chargés de gra-nulations.M peut y avoir de l'œdème de la face et des mem-bres inférieurs ; mais ce symptôme fait souvent défaut. On constate aussi, comme dans la maladie de Bright ordinaire, de la dypepsie et de la diarrhée, Mais, comme nous l'avons déjà fait pressentir, la marche de l'affection est plus lente, et

son pronostic moins grave que celui de la néphrite albumi-neuse proprement dite.

Cependant on a quelquefois observé de l'urémie dans le cours de cette affection : Basham, ïodd, Deschamps (de Bor-deaux), et d'autres observateurs, en ont rapporté plusieurs exemples : j'ai appelé moi-même l'attention sur ce point il y a plusieurs années, et M. Fournier en a fait ressortir l'importance dans sa remarquable thèse sur l'urémie.

C. La goutte vésicale a été signalée par divers auteurs : Scudamore en a parlé, et Todd s'est attaché à en faire res-sortir les caractères (1); et l'on doit y rattacher un grand nombre de cas que les Anglais désignent sous le nom de vessie irritable (irritable bladder).

Dans le principe, comme nous l'avons déjà vu pour les reins, il s'agit d'une affection passagère, d'un trouble dyna-mique, caractérisé par une douleur soudaine et violente de la vessie, par du ténesme, et par l'émission de sang el derfluco-pus par l'urèthre, même en l'absence de toute complication calculeuse (Todd) ; ces phénomènes peuvent alterner avec les affections articulaires.

Mais, à un degré plus avancé, c'est une lésion permanen-te avec catarrhe de la vessie, et d'autres phénomènes de cette espèce. M. le professeur Laugïer a bien voulu me com-muniquer une observation qui démontre la réalité d'une goutte vésicale, indépendante de toute complication de gra-velle.

D. On a parlé enfin d'une uréthrite goutteuse, avec écou-lement de pus par l'urèthre ; mais les auteurs (et Scudamore en particulier) ne s'en sont-ils pas laissé imposer ? Il s'agïs-

i. Todd. — Clinical lectures on certain diseases oflhe urinary oryans. London, 1857. p, 359.

VIII.

Goutte abarticulaire non viscérale. — Indépendam-ment des affections internes qui peuvent se développer dans le cours de la goutte, il existe d'autres manifestations de la même maladie, qui, sans envahir les organes intérieurs, se localisent cependant ailleurs que dans les jointures : on les voit occuper les muscles, les tendons, les nerfs, la peau, et quelques autres points de l'économie.

A. Dans un premier groupe, nous réunirons les phéno-mènes de cette espèce qui se rattachent aux ligaments, aux tendons et aux tissus fibreux en général.

Nous avons déjà établi que, lorsque les cartilages diar-throdiaux ont été saturés d'urate de soude, on voit les liga-ments et les tendons s'imprégner de cette substance. Les symptômes de cet état de choses se confondent en général avec ceux de la goutte articulaire ; ils peuvent cependant avoir quelquefois un rôle indépendant. On sait, par exemple, que le tissu fibreux prérotulien peut devenir le siège de dou-leurs fort analogues à celles de la goutte aiguë; c'est la goutte prérotulienne de M. Rayer. On se demande si dans les tendons et les ligaments la goutte peut exister sous for-me larvée ; peut-elle précéder la goutte articulaire ou la remplacer entièrement ? C'est là un point encore obscur, et qui demande de nouvelles recherches.

R. Muscles, — Les goutteux éprouvent souvent dans le

sait peut-être d'une arthrite blcnnorrhagique. Toile est, du moins, l'interprétation qu'il est permis d'appliquer à quel-ques-unes des observations de Scudamore.

cours des accès, des crampes douloureuses dans les masses musculaires des membres ; il sont sujets au lumbago, et peu-vent ressentir des douleurs très vives, sous forme de points, dans les parois de la poitrine; elles occupent probablement les muscles intercostaux ou le tissu fibreux des parois tho-raciques (pleurodynie goutteuse). Ces sensations sont assez souvent désignées par les malades sous le nom de douleurs rhumatismales, mais en réalité, elles appartient à la goutte.

C. Nerfs. — On constate aussi des douleurs sur le trajet des troncs nerveux, et en particulier du sciatique et du tri-facial, pendant le cours de la goutte. Elles ont pour caractère de paraître brusquement et de s'évanouir de même, et d'al-terner avec les affections articulaires.

D. Affections cutanées. — Brodie et M. Civialeont depuis longtemps remarqué qu'il existe une relation évidente entre le psoriasis, la gravelle et les calculs uriques. Il est certain qu'on rencontre souvent le psoriasis chez les sujets apparte-nant à des familles goutteuses, et qu'il peut coïncider avec la goutte chez un seul et même individu. C'est là un fait que les observations de Holland, de Garrod et de M. Rayer ont mis complètement hors de doute. — On a vu aussi l'eczéma coïncider ou alterner avec les accès les mieux caractérisés de goutte.

Telles sont, pour le moment, les seules affections cutanées dont la corrélation avec la goutte soit authentiquement éta-blie. Mais sous le nom d'arthritides, M. Bazin et son école ont rassemblé un grand nombre d'exanthèmes divers qui se rattachent au rhumatisme et à la goutte,deux affections qu'ils confondent en une seule (arthritis). Il faut convenir que les observations présentées à l'appui de ces opinions laissent singulièrement à désirer, et que la goutte est ici complètement

laissée dans l'ombre. Les laits rassemblés par M. Bazin se rapportent exclusivement au rhumatisme.

E. Affections oculaires. — Morgagni avait déjà signalé la conjonctivite qui survient quelquefois dans le cours d'un premier accès de goutte ; plusieurs auteurs l'ont observée après lui ; mais de toutes les maladies oculaires qui ont été rapprochées de la goutte, celle qui mérite le mieux de se rattacher à cette diathèse est inconstestablement Viritis. Lawrence et Wardrop ont rapporté des faits dans lequels l'alter-nance de l'iritis avec des accès de goutte bien caractérisés ne pouvait-être révoquée en doute ; et M. le professeur Laugier nous a communiqué une observation dans laquelle ce phéno-mène était parfaitement caractérisé. 11 est extrêmement re-marquable de voir l'iris affecté de cette manière dans la goutte, puisque nous savons que le rhumatisme articulaire, et surtout Je rhumatisme subaigu, noueux et blennorrhagique, provoquent les mêmes accidents. Enfin, M. Garrod, dans un article récent (1), a décrit une affection goutteuse de l'œil qui n'avait pas encore fixé l'attention : nous voulons parler de l'inflammation de la sclérotique, avec dépôts blanchâtres d'urate de soude à la surface de cette membrane.

F. Affections de l'appareil auditif. — Nous avons déjà suffisamment insisté sur les concrétions tophacées de l'oreille externe, pour ne point y revenir ici; nous avons également signalé les altérations des osselets de l'ouïe. Or, il nous pa-raît certain que les malades affectés de goutte chronique sont exposés à devenir sourds; il serait fort intéressant de pouvoir rattacher aux lésions que nous venons de mentionner ce nou-veau genre de surdité ; mais nous ne savons rien de positif à

1. Reynolds. — A System of medicine, art. Govt. par A. B. Garrod.

cet égard, et de nouvelles recherches seraient nécessaires pour fixer les idées sur ce point.

Nous terminerons ici l'histoire de la goutte abarticulaire et viscérale, et, dans la prochaine conférence, nous nous occu-perons de quelques affections qui offrent un certain degré de parenté avec la goutte.

HUITIÈME LEÇON

Affections concomitantes de la goutte.

Sommaire. — Accidents qui paraissent liés à la diathèsc goutteuse. — An-thrax urique. — Phlegmons et érysipèles de mauvaise nature. Gangrène sèche.

Affections intercurrentes dans la goutte. — Traumatisme, phlegmasies, typhus, syphilis, etc. — Marche des inflammations chez les goutteux non cachectiques. — Goutte critique. — Action des médicaments, plomb, mer-cure, opium, etc.

Affections concomitantes de la goutte. — Ses affinités avec la diabète. — Fréquence plus ou moins grande de cette relation. — Le diabète, l'obésité et la goutte se rencontrent souvent, sinon chez le même individu, du moins chez des sujets appartenant à la môme famille. — Observations à l'appui.

— Conséquences pratiques. — Gravellc. ?— Concrétions urinaircs. — Acide urique, acide oxalique. — La formation d'un sédiment urique ne prouve pas toujours que l'excrétion de cet acide soit augmentée. ?— La gravelle se rattache quelquefois à la présence d'un excès d'acide urique dans le sang.

— Corrélation réelle ou supposée entre la goutte, la scrofule et la phthisie; entre la goutte et le cancer; entre la goutte et le rhumatisme.

Messieurs,

Le cadre dans lequel j'ai cru devoir circonscrire l'histoire des affections goutteuses abarticulaires ne m'a pas permis de vous entretenir de certains accidents qui paraissent égale-ment relever, d'une manière plus ou moins directe, de la diathèse goutteuse. Le moment est venu d'en dire quelques mots.

J

On a depuis longtemps signalé, dans plusieurs des ma-ladies qui impriment à la erase du sang une modification profonde, une disposition particulière aux phlegmons de mauvaise nature et au sphacôle.

La néphrite albumineuse est un exemple de ce genre : on voit souvent survenir, chez les albuminuriques, des érysi-pèles gangreneux ou des phlegmons diffus dans les régions infiltrées, soit spontanément, soit à la suite d'incisions ou de piqûres. Aussi les ponctions et les scarifications qui, dans d'autres trydropisies, sont un moyen de soulager le malade, sont-elles formellement contre-indiquées en pareil cas (Rayer.)

Le diabète nous offre un second exemple de cette prédispo-sition fâcheuse. Les médecins anglais avaient depuis long-temps remarqué que les anthrax, les gangrènes sèches, les phlegmons diffus, se manifestaient volontiers chez les diabé-tiques ; et M. Marchai (de Calvi),sans connaître les travaux de ses prédécesseurs, a eu le mérite d'appeler l'attention sur ce sujet, qui, avant lui, n'avait guère été étudié en France.

Or, nous rencontrons une série analogue de phénomènes dans la diathèse urique et dans la goutte confirmée.

Cette coïncidence pathologique, déjà entrevue ou signalée par Morgagni,Thompson, Schonlein,Ure, Carmichael etProut, a été mise en lumière, dans ces derniers temps, par les tra-vaux de M. Marchai (de Calvi), qui a nettement dégagé les accidents diabétiques de ceux qui relèvent de la goutte, ce que n'avait fait aucun de ses prédécesseurs (1).

1. Morgagni. — De Sedib. et causis nwrborum, lib. IV, epist. IV, S 24 et seq. - A. -11. Thompson. Uistorg of a case of dry gangrené, Medic. chirurg. Transact., t. XIII, 1827, p. 178. — Schonlein. Patholog. und. thérapie

On peut diviser en trois catégories principales les phéno-mènes de ce genre qui se rattachent à la diathèse urique :

Io L'anthrax urique, lorsqu'il survient l'apparilion

de la goutte, est considéré comme accidentel par Garrod et M. Trousseau ; mais les accidents de ce genre, lorsqu'ils sur-viennent dans le cours même de cette maladie, paraissent se rattacher à la diathèse goutteuse. Ledxvich et M. Marchai (de Calvi) en ont fait connaître plusieurs cas (l).

2° Les phlegmons, les érysipèles de mauvaise nature, qui peuvent survenir chez les goutteux, ont été signalés par Prout (2). On sait d'ailleurs, que l'opération de la cataracte réussit mal chez ces malades, parce que l'œil s'enflamme presque tou-jours (3). On peut rapprocher de ces faits la suppuration du globe de l'œil dans un cas de goutte chronique (4), et le défaut de consolidation des fractures. Dans un cas où la malléole externe était fracturée, il survint un accès de goutte : les frag-ments se séparèrent, des ulcérations se développèrent, les os furent mis à nu ; mais tout rentra dans l'ordre, après là ces-sation de l'accès (S).

3° La gangrène sèche, signalée par Carmichael, MM. Rayer et Marchai (de Calvi), survient surtout chez les sujets débi-lités atteints de la forme chronique de la goutte, et présentant des tophus (6).

p. 248. 3e Bd. — L'auteur attribue à l'ossification artérielle la gangrène des extrémités qu'on observe suivant lui fréquemment dans la goutte.— Al. Urc. Researc/ies on Goat. (Medie. Times, p. 145, 1845, t. IL — Carmichael. Dublin Quart. Journ. t. II, 1846, p. 283. Prout. Stomach and renal diseuses, p. 211, 2848. — Marchai (de Calvi). Recherches sur les accidents diabétiques, Paris, 1854.

1. Trousseau.— Clin, mêd., t. III. — Garrod, On Goût. 2e édit., London, 1863,p. 285. — Lcdwicli, Dublin, medie, journal, t. XXV, p. 43. — Marcha (de Calvi). loc cit., p. 38, 283.

2. Loc. cit., p. 211.

3. W. Budd. — Library of Medicine, l. V, p. 213.

4. Critchett. — Med. 'Times, 1858, t. I. p. 62.

5. O'Reilly. — American Medie. Times, p. 29

6. Carmichael, loc. cit. — Rayer. Communication orale. — Marchai, loc, cit., p. 39.

II.

Nous allons parler maintenant des affections intercurrentes dans la goutte.

Il ne s'agit plus ici d'affections subordonnées à la dialhèse goutteuse, mais bien des complications qui peuvent survenir dans le cours de la maladie. Comment les affections intercur-rentes sont-elles modifiées par la goulle ? On peut, à cet égard, établir un parallèle entre la maladie de Bright, le diabète et l'affection qui nous occupe en ce moment. En effet, le trau-matisme dans la goutte a des conséquences que nous venons de signaler. Voilà déjà un point de contact entre ces trois affections. Les pblegmasies, d'après Prout (1), prennent sou-vent un caractère adynamique chez les goutteux, surtout lorsqu'ils sont strumeux et obèses: c'est ainsi que finissent, dit-il, la plupart d'entre eux. Il y a là un rapprochement nouveau à établir avec l'albuminurie et le diabète. Le typhus présente, chez les goutteux, une gravité exceptionnelle ; il serait constamment mortel, d'après Schmidtniann et Murchi-

1. Ce passage a souvent élô ci Lé dans le cours de nos leçons. Nous allons le rapporter textuellement :

« Il n'est point rare de rencontrer cette coïncidence (gravcllc uriquc et diabète) chez des gens obèses, d'un àgre mûr, d'un tempérament à la l'ois gout-teux et strumeux; elle doit toujours inspirer d'assez vives inquiétudes au médecin. J'ai constaté que de tels sujets succombent, en général, à quelque inflammation viscérale, aussi soudaine que violente, qui prend rapidement le type adynamique. Ils paraissent exposés,d'ailleurs, aux formes graves de l'éry-sipèle et aux phlegmons diffus. Au reste, dans la plupart des cas dans lesquels J ai vu se terminer fatalement des inflammations diffuses, soit spontanées, soit provoquées par de simples piqûres, il s'agissait d'individus dont l'urine contenait de temps en temps du sucre, et laissait déposer du sable urique et des graviers. « (Prout. Stomach and rénal, diseases, 1848, p. 211.)

Charcot. t. vu. Œuvr. compl. Malad. des Vieillards. H

son (1), Lu syphilis, d'après Wells, est très grave chez les sujets atteints de goutte. Elle prend volontiers le caractère scorbutique (2).

Ces accidents, propres aux. goutteux cachectiques, s'expli-queraient, selon Garrod (3), par l'imperméabilité du rein. Une métamorphose rapide des tissus exige souvent une élimination énorme, qui ne peut pas avoir lieu quand l'excrétion rénale est insuffisante. Mais il est probable que le problème est plus complexe que l'auteur anglais ne paraît le supposer ; la erase du sang doit y jouer un grand rôle. On peut affirmer, du moins, que sous l'empire d'une pareille diathèse les phéno-mènes mécaniques, physiques et chimiques de la vie doivent s'accomplir avec bien plus de difficulté que dans l'état normal.

Mais lorsqu'il n'existe point de cachexie, la terminaison de ces maladies est loin d'être aussi funeste et les choses se passent à peu près comme dans les conditions ordinaires. 11 faut remarquer, cependant, que les accidents inflammatoires réveillent presque toujours la prédisposition goutteuse et font apparaître les accès. Nous avons déjà signalé les effets du traumatisme à cet égard. Relativement aux phlegmasies, on peut distinguer trois cas :

1° L'affection intercurrente (pneumonie, pleurésie, angine, érysipèle) dure un temps plus ou moins long, puis la goutte éclate. Scudamore et Day (4) en ont rapporté des exemples.

1. « La diathèse goutteuse, en raison de son association fréquente avec les » affections du rein, est une complication très grave du typhus. Je n'ai jamais » vu de sujets goutteux être atteints de typhus et guérir. » (Murchison. A trea-tise on continued fevers, etc. London, 1862, p. 227. — « Pluries arthritidem animadverti cum febre putrida fœderatam at lethali semper cum eventu. Schmidtmann. Obser., t. Ill, p. 379.)

2. Sp. Wells. — Practical observations on Gout, etc. London. 1854, p. 87.

3. Garrod. —Reynold's System, p. 855.

4. Scudamore. — On gout, p, 21. —Day, Diseases of advanced life. Lon-don,1849, p. 317. — Pâtissier. Rapport sur les eaux de Vichy, 1840.(Obs. 50, 52.) — Parry. Collection, t. I, p. 246.

On regarde en général celte apparition de la goutte comme un phénomène favorable: c'est la goutte critique. On sait qu'il en est parfois de même dans le rhumatisme. On peut se demander si, en pareille circonstance, l'explosion de l'accès n'a pas été provoquée par l'affection intercurrente ; s'il en était ainsi, l'apparition de la goutte ne serait point un phé-nomène critique.

2° L'affection inflammatoire suit sa marche concurremment avec la goutte, sans éprouver de modification notable. Cela se voit quelquefois pour l'angine et la pneumonie (1).

3° Il y a suppression brusque des phénomènes extérieurs de la goutte au moment où l'affection intercurrente se déve-loppe. Ce cas est grave ; il faut s'efforcer de rappeler la goutte vers les extrémités, mais on échoue le plus souvent.

111.

L'action de certains médicaments, ainsi qu'on pouvait le supposer ci priori, offre chez les goutteux des caractères spé-ciaux. Ainsi le plomb, administré à dose médicamenteuse pour arrêter une hémorrhagie, a produit une imprégnation métallique rapide avec le liseré gingival et les coliques satur-nines (2). Le mercure, d'après Garrod et Price Jones, amène plus promptement la salivation chez les goutteux que chez les autres sujets (3). J'ajouterai que Vopium ne doit être admi-nistré qu'avec la plus grande réserve aux sujets atteints de goutte chronique, s'il existe chez eux quelques indices d'une affection rénale ; car on voit ce médicament déterminer alors

1. Scudamore, loc. cit.

2. Garrod. —On goul, p. 578.

3. Garrod, loc. cit. p. 354.— Price-Jones. Med.Times, 1855. p. 66, t. I.

des accidents cérébraux dont l'intensité est hors de proportion avec la dose employée (1).

Un fait intéressant à signaler, et qui rentre dans le même ordr e d'idées, est le défaut d'élimination de la térébenthine des voies urinaires. Hahn, cité par Guilbert, avait administré ce médicament pendant dix-sept mois à un goutteux, sans produire cette odeur caractéristique des urines qui se mani-feste habituellement en pareil cas. Ce malade était-il aibuini-nurique (2) ?

IV.

Nous allons maintenant nous occuper des affections conco-mitantes de la goutte, qui présentent avec cette maladie des rapports plus intimes que ceux sur lesquels nous venons d'in-sister, et qui se rattachent d'une manière encore plus évidente à l'ensemble des modifications que subit l'économie.

Hunter avait posé en principe que, lorsque l'organisme est envahi par une diathèse, aucune autre affection générale ne peut coexister avec celle-ci ; en d'autres termes, une affection constitutionnelle, une fois établie chez l'individu, ne souffre point de rivale.

A ce principe se rattache la doctrine des antagonismes, doctrine exagérée, sans doute, par l'école de Vienne (Roki-tansky, Engel), mais qui renferme cependant un fond de vérité.

Mais à côté des antagonismes, il existe certainement des af-finités : et ce sont surtout les relations de ce genre que nous voulons mettre en lumière.

1. Torid. — Clin. lect. on urinary diseuses, London, 1856, p. 343.— Ghar-cot. Gaz. Médic.,i863, n»* 36, 38, 39. — \7oir plus loin, IVo partie, III.

2. Guilbert. — De la Goutte. Paris, 1820, p. 100.

A. Goutte et diabète. — La notion d'une connexité plus ou moins directe entre le diabète et la goutte ne semble guère remonter au-delà d'une quarantaine d'années. Scuda-more, loin de pressentir cette affinité, soutient que ces deux maladies se rattachent à des causes tout opposées. Mais un auteur allemand, Stosch (de Berlin) qui publiait en 1828 un Traité dît diabète, signale, dans cet ouvrage, un diabète métastatique survenu après la cessation de la goutte; il cite à ce propos deux auteurs anglais Whytt et Fraser. Deux ans plus tard, Neumann mentionne un diabète symptoma-tique de la goutte ( 1 ).

A une époque plus rapprochée, Prout, qui paraît avoir en-trevu toutes les questions de ce genre, signale les attaques de goutte et de rhumatisme parmi les causes les plus fréquentes du diabète. Rien n'est plus ordinaire, dit-il, dans un autre endroit, que de rencontrer un peu de sucre dans l'urine des goutteux; ils ne s'en aperçoivent que lorsque les accidents habituels du diabète, la polyurie, la soif, l'amaigrissement, se sont ouvertement déclarés (2). Un autre observateur anglais. Bence Jones, avait également constaté que la gravelle urique prédispose au diabète (3).

En France, M. Rayer a fait maintes fois remarquer à ses élèves la connexité qui existe entre la gravelle urique, la goutte et le diabète. On peut consulter, à cet égard, la thèse de M. A. Contour (4), et les leçons de M. Cl. Bernard. L'éminent physiologiste a constaté, en effet, que le diabète peut alterner avec les symptômes d'une autre, maladie, et particulièrement avec des accès de goutte et de rhumatisme (5).

1. Pathologie, t. VI, p. 607.

2. Prout, ïoc. cit., p. 34 et p. 33.

3. Marchai (de Calvi), loe. cit., p. 233.

4. Contour. — Thèses de Paris, 1844, p. 49.

5. Leçons de physiologie expérimentale, etc., 1855, p. 436. — Diabetes al-ternants.

Nous avons eu l'occasion do recueillir nous-même un fait qui confirme entièrement les observations de M. Claude Ber-nard. Chez un homme de cinquante-six ans, atteint de la goutte depuis de longues années, l'usage, ou plutôt l'abus d'un remède spécifique (liqueur de Laville) avait amoindri l'intensité des accès, qui avaient fini par disparaître presque complètement; mais, à la suite d'une légère attaque, qui fut promptement réprimée, on vit se manifester la soif, la polyurie l'appétit exagéré, l'amaigrissement, la perte des forces et les autres phénomènes qui caractérisent le diabète. Lorsque cet individu vint nous consulter pour la première fois, ses urines contenaient une quantité considérable de sucre. Un régime approprié, suivi pendant plus d'une année, procura une amé-lioration notable à ce malade ; mais le diabète ayant consi-dérablement diminué, on voit reparaître de nouveau quel-ques légers accès de goutte.

M. Marchai (de Calvi) s'est également occupé des rapports entre ces diverses maladies, à propos de la gangrène diabé-tique, dès l'année 1856. Il a publié plus tard un ouvrage où ce sujet est étudié avec un talent remarquable (1).

D'après cet observateur distingué, il existe un diabète urique ou goutteux ; cette conclusion est conforme aux observations antérieures et à la réalité des faits. Mais on pourrait peut-être reprocher à M. Marchai (de Calvi) d'avoir un peu trop étendu le domaine de cette forme de diabète, et celui de la diathèse urique en général. Les réflexions qu'il présente à cet égard ne s'appliquent guère qu'aux classes favorisées de la société, du moins en France.

Il existe incontestablement un rapport entre le diabète d'un côté, la goutte et la gravelle urique de l'autre; mais la fré-

1. L'Union médicale, 1856, n° 29 — Recherches sur les accidents diabé-tiques, etc., loc. cit., p. 469, 409(1864).

quenoe de cette relation varie suivant le terrain sur lequel on s'est placé pour observer les faits. Airisi Griesinger, qui a étudié le diabète chez des sujets appartenant à toutes les classes, n'a trouvé que trois goutteux sur deux cent vingt-cinq diabétiques (1); au contraire, M. le docteur Seegen,qui professe la médecine aux eaux de Carlsbad, et dont les malades appartiennent par conséquent aux classes aisées, a rencontré trois cas dégoutte sur trente et un cas de diabète. La proportion comme on le voit, varie de 1/10 à 1/75 (2).

Il ne faut pas, du reste, se borner à recueillir les faits dans lesquels la goutte se transforme en diabète chez le même sujet; il faut aussi, comme on l'a fait avec tant de succès pour les affections du système nerveux, étudier la trans-mission héréditaire des accidents, et leur répartition chez les divers membres d'une même famille.

Chez le même sujet on voit rarement coexister la goutte et le diabète confirmé; mais ces deux affections alternent et se succèdent. La gravelle urique ou la goutte ouvre la scène puis, en général, la goutte s'éteint au moment où le diabète apparaît. M. Rayer avait déjà remarqué que la goutte se change en diabète; et Garrod dit, en propres termes : « quand le diabète apparaît la goutte cesse (3). » Il faut ajouter que Vobésité précède souvent le développement du diabète.

Le pronostic peut être quelquefois aussi grave, en pareil cas, que lorsqu'il s'agit du diabète ordinaire; on voit survenir des accidents gangreneux, et la phthisie pulmonaire. Cepen-dant, il faut le reconnaître, le diabète goutteux est le plus

1. Griesinger. — Stadien ilber Diabètes. (Archiv. fur physiol. Heilkunde, 1859, p. 16.)

2. P. Scegen. — Beitraye zilr Casuistick der Meliti/rie. Virchow's Archiv, Bd. 21. Bd. 30. 1864.)

3. A. B. Garrod, in Reynold's System of Medicine, London, 1866, t. I, p.825.— Voyez aussi (iulslonain Leclureson Diabètes, in British med. Journal. 1857,p. 319.

souvent d'une bénignité relative, surtout si le malade suit un régime convenable. C'est alors que le diabète est latent (Prout). Je pourrais citer des faits dans lesquels la guérison a paru coïncider avec le retour de la gravelle ou de la goutte ; c'estcequi faisait dire à Prout que, dans le diabète, l'apparition delà gravelle urique est un signe favorable (1); cependant ces deux affections peuvent coexister sans s'amender mutuellement.

Nous allons envisager les rapports entre la goutte et le diabète, considérés dans une famille composée de plusieurs individus. C'est ainsi qu'on voit un père goutteux, diabétique et phthisique, engendrer un fils goutteux (Billard, de Cor-bigny) (2) ou bien un père diabétique avoir un fils goutteux (observation personnelle). Nous avons eu l'occasion de voir nous-méme un cas bien remarquable de ce genre, qui nous a été communiqué par M. le docteur Réal, et dans lequel on vit la goutte, la scrofule, le diabète et l'obésité se manifester chez la plupart des membres de la même famille. Voici cette observation réduite sous forme de tableau :

TABLEAU I.

Père, brasseur, dis-tillateur .........

Mère..............

1er fils. Brasseur...

2e fils. Brasseur...

3' fils..............

4e fils. Habitudes alcooliques......

5° fils.............

Une fille..........

La fille de celle-ci.

1. Loc. cit., p. 25.-2. Gaz. des hôpitaux, 1852. p. 212.

6

Lymphatique Scrofule .....

Kératite.....

Lymphatique

Kératite.....

»

Sciatique

Bhuma-tisme ar-ticulaire.

Goutte à 25 ans ..

Goutte à 30 ans..

Goutte..

Goutte.. Goutte..

Colosse

Obésité

Obésité à 35 ans

Obésité Obésité

Obésité à 35 ans

Obésité

Obésité

Diabète

Diabète à 50 ans

Diabète Diabète

Diabète

Mort phthisique à 48 ans

Vit encore (60 ans.)

Mort dans le délire.

Mort d'un accident.

Mort d'une cirrhose.

Mort phthisique à 'i8 ans! Vit encore. Vit encore.

11 y a évidemment une corrélation plus ou moins intime entre ces diverses maladies se reproduisant ainsi, à divers de-

grés, chez tous les membres d'une même famille. J'ai observé moi-même la combinaison suivante :

TABLEAU H.

Pére gouttcux..

ler fils. Gravelle. 2» fils. Diabète. 3C lìls. donile, phthisie. Fille. Gravelle.

On pourrait aisément multiplier les exemples de ce genre, mais je crois en avoir dit assez pour vous montrer qu'il existe une corrélation réglée par des lois encore inconnues, entre la diathèse urique, le diabète et la goutte.

Les conséquences pratiques de ces données sont faciles à apprécier. Il faudra soigneusement examiner les urines des goutteux: et lorsqu'on aura reconnu ce genre particulier de diabète, il en faudra instituer le traitement d'une manière conforme à son origine.

B. Goutte et grmette. — La diathèse urique embrasse la goutte de toutes parts. Il n'est donc pas étonnant que la gravelle, qui est souvent une manifestation de cette diathèse, se rencontre assez souvent chez les sujets goutteux. La pa-renté qui réunit ces deux maladies a été reconnue de tout temps. «Tu as la gravelle et moi j'ai la goutte, » écrivait Erasme à Thomas Morus, « nous avons épousé les deux sœurs » Sydenham, Murray, Morgagni, ont signalé cette affinité qui nous paraît incontestable.

Mais il existe en même temps un certain antagonisme entre ces deux affections; il est rare, en effet, de les rencontrer si-multanément; elles ont plutôt une tendance à se succéder

alternativement. Le plus souvent la gravelle précède la goutte et disparaît quand celle-ci s'est développée (1); mais on peut observer l'inverse et l'on voit quelquefois disparaître com-plètement la goutte quand la gravelle s'établit; j'ai été moi-même témoin d'un fait de ce genre. D'ailleurs, lorsqu'on voit coexister la goutte et la gravelle, il ne faut pas supposer, comme on le fait trop souvent, que ce sont là des phéno-mènes simultanés ; car souvent, les graviers se sont pendant longtemps accumulés dans le rein avant d'en être expulsés pour donner lieu aux phénomènes de la colique néphrétique.

Il importe de remarquer que la composition chimique des concrétions urinaires n'est pas toujours la même chez les goutteux. On y trouve habituellement de l'acide urique ; mais ils peuvent aussi renfermer de l'urate d'ammoniaque, et sont quelquefois composés d'oxalate de chaux. Au reste, la gravelle oxalique est bien voisine de la gravelle urique ; on sait, en effet, que l'acide urique peut être envisagé comme un composé d'urée, d'allantoïne et d'acide oxalique.

Ces variations dans la nature des dépôts urinaires peuvent (railleurs alterner. Chez les goutteux qui sont atteints de la pierre, M. Gallois a quelquefois constaté que les calculs étaient formés de couches concentriques, dans lesquelles l'acide urique et les oxalates se présentaient alternativement, preuve manifeste des changements qui s'étaient successive-ment opérés dans la composition des produits de l'excrétion rénale (2).

Remarquons enfin que ces deux acides peuvent se ren-contrer dans le sang des goutteux (3), dans la sueur et dans les urines, en dehors des périodes où se manifeste la

1. Scudamore, loc. cit., p. 531.

2. De l'oxalate de chaux dans les sédiments de l'urine, etc. [Mém. de la Soc. de Biologie. Paris, 1859, p. 74.)

.' . Garrod. — On (joui, p. 127.

gravelle; preuve nouvelle de la corrélation qui existe entre ces diverses manifestations morbides.

Nous croyons cependant devoir rappeler ici, que la forma-tion d'un sédiment composé d'urates amorphes ou d'acide urique à l'état cristallin, dans les urines, peu de temps après leur émission, ne saurait prouver que l'excrétion de cet acide est augmentée d'une manière absolue. Une diminution nota-ble de la partie aqueuse de l'urine, une acidité prononcée de ce liquide, sont des conditions suffisantes pour provoquer la précipitation de ces édiments, sans qu'il y ait une élé-vation réelle du chiffre de l'acide urique. D'un autre côté, nous savons aujourd'hui, grâce aux travaux de Bartels (1), que des urines qui ont conservé uue limpidité parfaite, longtemps après l'émission, peuvent contenir une proportion considérable d'acide urique. Pour connaître à cet égard le véritable état des choses, il serait donc indispensable d'ana-lyser la totalité des urines rendues pendant les vingt-quatre heures, et même de répéter cet examen pendant cinq ou six jours de suite, d'après le précepte de Parkes et de Ranke (2); car il est démontré que l'excrétion de l'acide urique subit les variations les plus prononcées, non seulement aux diverses époques de la journée, mais encore d'un jour à l'autre.

Il semble cependant assez naturel d'admettre que l'acide urique existe en excès dans le sang, lorsque les sédiments urinaires se forment non plus après, mais avant l'émission ; et à plus forte raison, lorsqu'il existe de la gravelle. Mais cet accident peut être provoqué par des causes entièrement indépendantes de la diathèse urique ; une inflammation

1. Hamsaure ausscheidung in Krankh. (Deutsch. Archiv. fur klin. Mé-dian. Bd. I, Heft. I, p. 13. Leipzig-, 1865.)

2, Parkes. — On urine, London, 1860, p. 218. — Banke. Ausscheidung der Harnsavre. Munchen. 1858.

purement locale do l'appareil urinaire suffit pour le déterminer (Brodie, Rayer) (1 ). J'ai ou plus d'une fois l'occasion de constater l'absence complète d'acide urique dans le sérum du sang, chez des sujets non goutteux qui rendaient habituelle-ment pendant la miction des concrétions uriques plus ou moins volumineuses.

Nous ne prétendons pas nier, toutefois, d'une manière absolue, la corrélation entre ces deux ordres de faits; loin de là, il est démontré que, chez certains sujets, la gravelle se rattache à l'existence d'un excès d'acide urique dans le sang. M. le docteur Bail m'a communiqué l'observation d'un homme âgé de soixante-quatre ans, qui rendait fréquemment à la suite de coliques néphrétiques violentes, de petits calculs uriques. Un vésicatoire ayant été appliqué sur la ré-gion épigastrique, on constata, dans la sérosité qu'il avait fournie, la présence d'une quantité notable d'acide urique. Le malade n'avait cependant jamais éprouvé aucun des symptômes de la goutte articulaire, et n'était pas albumi-nurique. Il faut, sans doute, rapprocher ce fait de ceux où l'on voit la gravelle précéder l'apparition de la goutte, pour alterner ensuite avec cette maladie.

On peut établir, en effet, trois catégories à cet égard. Tantôt la gravelle précède la goutte; c'est le cas le plus fréquent; tantôt elle lui succède, ce qui est plus rare; tantôt enfin, ces deux états coïncident, ce qui est plus exceptionnel encore. Sur cinq cents goutteux, Scudamore n'a rencontré que cinq calculeux; et Brodie prétendait n'avoir jamais vu la gravelle chez un goutteux atteint de concrétions tophacées.

Les accidents occasionnés par la gravelle s'entremêlent avec ceux de la goutte. Il peut y avoir émission de sable

1. Leçons sur les Maladies des organes urinaires, trad. de Patron, Pans, 1745, p. 251, 278. — Maladies des reins, Paris, 1809, t. T, p. 94, 197,198,

avec l'urine et albuminurie passagère; il peut exister de la gravelle rénale, que M. Rayer signale sous le nom de néphrite goutteuse ; mais nous savons qu'il existe une autre l'orme de néphrite goutteuse, qui est caractérisée par des dépôts d'urate de soude dans le parenchyme du rein (gouty kidney des auteurs anglais). Enfin, chez les goutteux il peut exister de l'ischurie; il peut y avoir une pyélite goutteuse, des coliques néphrétiques et de l'irritabilité de la vessie. Tous ces accidents, qui peuvent coïncider avec la gravelle, n'en sont pas nécessairement la conséquence, et peuvent la simuler, ainsi qu'on fa vu plus haut.

C. Goutte, scrofule et phthisie. — Existe-t-il une corré-lation bien réelle entre la goutte, la scrofule et la phthisie ? Nous sommes peu disposés à l'affirmer cl une manière abso-lue; mais il est vrai que la scrofule est fréquente chez les sujets atteints de rhumatisme noueux ; il est donc permis de se demander si ce n'est pas à cette dernière affection qu'il faut rapporter ce que l'on avait attribué à la goutte. Cepen-dant Prout, qui avait soigneusement examiné ce point, admet que les enfants issus de parents goutteux sont exposés à la phthisie (1).

Cette dernière affection, peu commune dans le rhumatisme articulaire aigu (Wunderlich, Hamernjk) (2), est fréquente chez les sujets atteints de rhumatisme articulaire chronique. Chez les goutteux, au contraire, elle se présente rarement, bien que le diabète, dont nous avons signalé l'étroite parenté avec la goutte, soit, pour ainsi dire, une porte toujours ouverte à l'invasion de la phthisie. Cependant, chez un jeune homme qui portait des concrétions tophacées autour de plusieurs jointures, Garrod a vu se développer une phthisie à marche

1. Prout, loc cil., p. 492.

~. Wunderlich. — l'atholog. und Therap., lid. IV, p. 578.

rapide mais on doit considérer ce l'ait comme excep-tionnel (1).

I). Goutte et cancer. —La goutte exclut-elle les affections cancéreuses? en favorise-t-elle, au contraire, le dévelop-pement ? Mon ancien maître et prédécesseur à la Salpétrière, M. Cazalis, croit à l'existence d'une étroite relation entre ces deux diatlièses. Pour moi, je puis affirmer à coup sûr que, dans le rhumatisme noueux, le cancer et le cancroide ne sont pas des faits exceptionnels. Je n'ai point eu l'occasion d'en rencontrer des exemples, dans des cas de goutte bien authentiques ; mais M. Rayer a signalé l'existence de l'une et l'autre maladie, sinon chez le même individu, au moins dans la même famille et un fait publié, il y a quelques années, dans un journal anglais (2), prouve que ces deux affections peuvent se réunir chez le même sujet. 11 s'agit d'un cancer du pénis, avec noyaux cancéreux dans les poumons et le foie, chez un goutteux âgé de soixante-huit ans, qui présentait des tophus volumineux et une néphrite goutteuse avec des infarctus caractéristiques d'urate de soude dans les reins. Ce fait suffirait à lui seul pour démontrer qu'il n'existe, au moins, aucun antagonisme absolu entre la goutte et le cancer.

E. Goutte et rhumatisme.— Les rapports qui existent én-trele rhumatisme articulaire et la goutte ont amené, comme vous le savez déjà, bien des observateurs à proclamer l'identité de ces deux maladies. Nous serons mieux préparés à nous pro-noncer sur ce point, lorsque nous aurons étudié le rhumatisme, aussi réserverons-nous cette discussion pour une autre leçon.

1. Garrod. — On goiil, p. 578.

2. Budd. — The Lancet, 1851, p. 482.

N E U VIÈ M E L E Ç ON

Étiologie cle la Goutts

Sommaire. — Etude des conditions qui président au développement de la goutte. — Méthode qu'il convient de suivre dans les recherches de ce genre.

— Inconvénients de l'intervention prématurée des théories chimiques et physiologiques. — Nécessité de séparer les Faits acquis des hypothèses qu'on cherche à leur appliquer.

Pathologie historique de la goutte. — Antiquité de cette maladie. — Auteurs qui en ont signalé l'existence. Diminution actuelle de la goutte. — Permanence de ses caractères. — Modifications survenues dans nos habi-tudes hygiéniques et leurs conséquences probables.

. Géographie médicale de la goutte. — Elle réside surtout en Angleterre et à Londres. — Se rencontre cependant à un moindre degré dans quelques autres pays. — Disparait presque complètement dans les pays chauds.

Étude analytique des causes de la goutte. — Causes individuelles: Spon-tanéité ; — Hérédité; — Sexe ;— Age ;— Tempérament, constitution. —• Causes hygiéniques : Climats ; — Alimentation excessive, défaut d'exercice ;

— Travaux intellectuels. — Excès vénériens. — Boissons l'erinenlées : aie, porter, vins, cidre. — Causes excitantes.

Appendice. — Des bières anglaises.

Messieurs,

Nous avons jusqu'à présent étudié la goutte au point de vue des lésions qui raccompagnent, des symptômes qui la caractérisent et des affinités qui l'unissent à d'autres maladies. Il nous reste maintenant à chercher les conditions qui pré-sident à son développement. Nous allons vous indiquer en quelques mots la méthode que nous nous proposons de suivre dans le cours de ces investigations.

Nous commencerons d'abord par l'étude empirique des faits qui nous sont fournis par l'observation directe, en dehors de toute préoccupation théorique; nous chercherons ensuite à interpréter ces données au point de vue de la physiologie actuelle; en d'autres termes, nous nous efforcerons de suivre dans leur évolution successive les modifications que peut subir l'organisme, sous l'influence des causes auxquelles l'ex-périence nous apprend à rattacher la goutte. Nous aurons donc à nous. demander comment les changements ainsi survenus dans l'économie peuvent déterminer les divers phénomènes qui constituent l'histoire clinique de cette affec-tion ; en un mot, nous chercherons à nous faire une idée de la physiologie pathologique de la goutte. Tel est, en effet, le couronnement de l'œuvre dans toute étude nosologique.

Mais, il faut bien le reconnaître, la séparation rigoureuse et systématique des deux points de vue que nous venons de signaler est plus indispensable que jamais dans la question qui nous occupe; car c'est surtout ici que l'intervention pré-maturée et téméraire des théories chimiques et physiolo-giques, dans l'interprétation des phénomènes morbides, pourrait contribuer à discréditer injustement ce genre d'é-tudes.

Celui qui réussirait à mettre d'accord la pathologie des an-ciens avec la physiologie des modernes, disait Boerhaave, serait assurément, de tous les médecins, le plus digne d'éloges (1). Mais la physiologie moderne, au temps de Boerhaave, ne répondait guère à la science que nous connaissons aujour-d'hui sous ce nom: et dans quelques siècles d'ici, la physio-logie contemporaine pourrait bien ne plus se trouver à l'ordre du jour. Il convient donc d'user de la plus grande réserve, et

1. Nec in medicum plus lundis redundure posset, quam ex eo labore, quo veterum pathologium redigerel ad neotericomm physiologiam. ( Boerhaave : Med. slud, medic. Pars IX. Pathologia, p. 573.)

de n'avancer dans cette voie qu'avec des précautions infinies ; car ce qui a manqué à nos prédécesseurs, ce n'est point le sen-timent de l'importance qu'il faut accordera la physiologie dans les études médicales, ce sont des notions plus exactes et plus étendues sur les problèmes difficiles qu'ils ont quelquefois essayé de résoudre, sans en avoir mesuré toute la profondeur.

11 faut, du reste, en convenir; l'histoire des produits de dé-sassimilation reste encore obscure, malgré les progrès que nous avons réalisés .dans l'étude des fonctions nutritives; et l'acide urique, en particulier, ne fait pas exception à cette règle. Nous savons peu de chose sur les conditions qui prési-dent à sa formation régulière, et sur les circonstances patho-logiques qui peuvent la modifier. 11 est donc aisé de prévoir, dès le principe, que la pathogénie de la diathèse urique est encore à l'état rudimentaire, et que, par conséquent, il est impossible de formuler aujourd'hui une théorie complète de la goutte ; tout au plus nous est-il donné de poser çà et là quelques jalons qui serviront, peut-être, à diriger les re-cherches des observateurs qui viendront après nous.

Nous commencerons cette analyse par un coup d'œil rapide sur Vhistoire et la géographie de la goutte ; car, puisqu'il s'agit ici d'une affection éminemment constitutionnelle, et qui se rattache essentiellement à l'état général de l'individu, il est indispensable, pour bien en saisir les caractères, d'é-tudier l'ensemble des conditions climatériques et sociales qui paraissent y prédisposer l'espèce humaine. Envisager une maladie à ce point de vue, c'est faire en grand son étiologie.

I. — Pathologie historique de la goutte.

Retracer les vicissitudes que subissent les maladies dans le cours des siècles, et rechercher, dans l'histoire, les causes

Charcot. Œuvr. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 9

de ces changements, tel est le but principal de la pathologie historique ; aussi les investigations de cette espèce nous per-mettent-elles d'apprécier non seulement l'influence pathogé-nique des causes extérieures, mais encore le résultat des conditions inhérentes à l'homme lui-même.

Mais, pour qu'il soit possible d'appliquer ce procédé à l'é-tude d'une maladie, il faut que l'attention de nos prédéces-seurs ait été depuis longtemps appelée sur ce point ; c'est seulement alors qu'on peut se flatter de recueillir une ample moisson de documents historiques. Or, de pareilles conditions ne se trouvent guère réalisées qu'à l'égard des affections épi-démiques, qui ont autrefois exercé de grands ravages, et de certaines maladies chroniques qui ont attiré, de tout temps, les regards des observateurs. Quelques exemples vous feront aisément saisir ma pensée. — La peste, autrefois si redou-table, s'est montrée, pour la dernière fois en France, au commencement du siècle dernier (1721 ); elle tend d'ailleurs à s'éteindre dans les pays qui en ont toujours été les foyers principaux. On peut donc, à bon droit, se demander quelles étaient les conditions qui en favorisaient autrefois le dévelop-pement, et qui paraissent avoir cessé d'exister aujourd'hui. — La lèpre subsistait encore à Marligues à la fin du siècle dernier; depuis cette époque, elle a disparu du sol français; elle devient de plus en plus rare en Europe, et tend à se réfugier en Norvège, — comme la goutte en Angleterre. — On comprend tout l'attrait que peut offrir au médecin philosophe l'histoire d'une affection prête à s'évanouir, après avoir joué un si grand rôle et occupé une si grande place dans les préoc-cupations des législateurs de tous les siècles (1).

1, Les mesures rigoureuses, qui frappaient le lépreux d'un isolement absolu au sein de la société, ont été maintenues dans toute leur sévérité pendantle Moyen-Age. Elles ont contribué, peut-être, 4 l'extinction de la lèpre. Certains patholo-

Parmi les affections dont l'étude historique peut offrir un intérêt vraiment scientifique, la goutte se place évidemment au premier rang. 11 est certain, en effet, que cette maladie prédominait autrefois, d'une manière en quelque sorte en-démique, parmi les classes les plus favorisées de la société ; aujourd'hui, nous la voyons graduellement s'éteindre, et cependant, elle n'a subi, depuis les temps les plus reculés, aucun changement daius son évolution symptomatique ; car nous la retrouvons toute entière dans les écrits des anciens.

Nous allons vous exposer succinctement les données prin-cipales que l'histoire nous fournit pour résoudre cette ques-tion.

Antiquité de la goutte.

La goutte, on ne saurait en douter, a été connue en Europe dès la plus haute antiquité ; les écrits d'Hippocrate en font foi. Mais, c'est sous le règne des premiers Césars qu'elle paraît avoir atteint son apogée ; nous possédons, à cet égard, un luxe de renseignements qui ne laisse rien à désirer. Les tra-vaux des médecins, les œuvres des historiens et les satires des poetes, sont remplis d'allusions à cette maladie.

Au premier siècle de l'ère chrétienne, Arétée et Celse d'une part, Ovide et Sénèque de l'autre, nous ont amplement in-formés des conditions pathologiques du monde romain sous ce rapport. Au 11e siècle, Galien (130 A. D.) et les intéressants dialogues de Lucien de Samosate (1) nous fournissent de pré-cieux détails, au point de vue hygiénique et médical. Au me siècle, un édit de Dioclétien dispense les goutteux des

gistes aimeront mieux invoquer ici la spontanéité morbide; nous acceptons volon-tiers ce mot, pourvu qu'il soit bien entendu qu'il ne préjuge rien sur le fond de la question, et ne sert qu'à exprimer une lacune dans nos connaissances.

1. Tragodopodagra : Ocype, l'homme aux pieds légers. — Gc dernier poëme, au dire de quelques critiques, n'appartiendrait pas à Lucien. . „ .

charges publiques, lorsqu'ils sont atteints de déformations articulaires assez considérables pour les gêner dans l'exercice des fonctions ordinaires de la vie, circonstance qui semble démontrer à la fois la fréquence extrême de la goutte à cette époque, et l'immutabilité des principaux caractères sympto-matiques de cette affection.

Du ine au vi6 siècle, l'état des choses paraît être resté le même, si nous en jugeons par les écrits d'Oribase, d'Alexandre de ïralles, d'Aétius, de Paul d'Egine et de plusieurs autres médecins. Au moyen âge, les Arabes, continuant les traditions médicales de l'antiquité, nous enseignent que la goutte n'a guère perdu de terrain depuis cette époque (1) ; et les auteurs du Bas-Empire, Actuarius, Démétrius Pépagomène, etc., nous conduisent jusqu'au xme siècle. Arrivés enfin aux temps modernes, nous nous trouvons en présence d'innom-brables témoignages qui ne peuvent laisser aucun doute sur la diffusion générale de la goutte en Europe.

Vous le voyez donc, messieurs,un chaîne non interrompue de preuves historiques nous démontre que, pendant plus de vingt siècles, cette affection a maintenu son empire dans les contrées que nous habitons actuellement. Mais il suffit au-jourd'hui de jeter un regard autour de soi pour se convaincre que la goutte tend à devenir de plus en plus rare. 11 convient d'entrer ici dans quelques détails.

Diminution actuelle de la goutte. C'est surtout depuis le commencement du siècle présent

1. Il ne faut point oublier cependant que les indications que présentent les auteurs de cette époque n'offrent pas toujours une valeur absolue. Trop sou-vent ils se copiaient les uns les autres, sans se préoccuper de rassembler des observations personnelles. Les Arabes, en particulier, ont fait de larges em-prunts à la littérature médicale grecque ; et comme il est souvent question de la goutte dans les ouvrages des anciens, ils se sont certainement approprié une partie considérable de leurs travaux.

que ce mouvement rétrograde de la goutte paraît s'être mani-festé. Les documents recueillis par Corradi (1) nous appren-nent que, même en Angleterre, la fréquence de cette maladie à diminué, d'après Owen et Fuller, et qu'elle a notablement baissé en Hollande et en Belgique, d'après Coley, et en Suisse, d'après M. le professeur Lebert. Elle a presque dis-paru dans les endroits où elle prédominait autrefois, car de nos jours, on ne la rencontre guère à Rome et à Gonstanti-nople. Il est donc évident que, sous ce rapport, l'état des choses a beaucoup changé. Voilà pourquoi, sans doute, les écrits qui ont paru sur ce sujet, depuis soixante ans, sont en si petit nombre ; car, sauf en Angleterre, l'observation ne fournit que bien rarement des matériaux pour de nouvelles recherches sur la goutte.

Et cependant, malgré sa décadence, cette affection n'a subi aucun changement dans son évolution symptomatique, comme vous allez le voir.

Permanence des caractères de la goutte.

Il suffit de comparer les descriptions que nous a léguées l'antiquité avec celles que nous trouvons dans les auteurs modernes, pour se convaincre qu'au point de vue clinique, la goutte est toujours restée fidèle à son type primitif. Ocype, l'homme aux pieds légers, ressemble entièrement, sous ce rapport, aux malades observés par Van Swieten, seize cents ans plus tard.

Pour ce qui touche à l'étiologie, nous sommes toujours en présence des mêmes conditions : Suétone appelait la goutte morbus dominorum; Sydenham a exprimé la même idée

1. Délia odie ma diminuzione délia podagra, etc., del Drc Alfonso Corradi. Bolog-na, 1860,

dans des termes un peu différents. Quant à l'influence exer-cée sur le développement de cette maladie par les excès de table, elle a toujours figuré au rang des traditions les plus universellement acceptées.

Ajoutons enfin que les médecins grecs et romains, qui ont décrit si nettement les caractères de la goutte, ont à peine indiqué l'existence du rhumatisme articulaire; aussi plusieurs auteurs le considèrent-ils comme une maladie nouvelle, ou du moins presque inconnue aux anciens. Telle était l'opinion de Sydenham, reproduite plus tard par Hecker et Leu-poldt (1).

Nous aurons plus loin l'occasion de vous démontrer, par des preuves irrécusables, qu'il y a beaucoup d'exagération dans cette manière de voir, et que le rhumatisme a bien réellement existé parmi les grandes nations de l'antiquité ; mais il y a certainement là un contraste assez singulier, et qui suffit en tout cas pour montrer que la physionomie gé-nérale de la goutte n'a jamais varié.

Quelle conclusion déduirons-nous des faits que nous ve-nons d'exposer? Admettrons-nous, avec Corradi, que l'affai-blissement de la goutte résulte de l'adoucissement de nos mœurs et d'une meilleure hygiène alimentaire? Il est cer-tain que, sous ce rapport, nos habitudes ont bien changé. Les soupers de Lucullus ont disparu depuis bien des siècles; nous n'avons plus l'héroïque appétit des preux du moyen âge, et il n'est plus de mode aujourd'hui de se réunir, comme aux festins des Burgraves,

Autour d'un bœuf entier, servi sur un plat d'or.

Nous sommes accoutumés à une nourriture moins abon-dante et moins exclusivement animale, et à des repas moins

1. Hecker. —Rede uber die aufeinan der Folge der Dyskrasien, etc., in der. med. Vereinzeif. 1837. —Leupoldt. Geschichte der Medicin. Berlin, 1863, p. 06.

prolongés; d'ailleurs l'abus des boissons fermentées a beau-coup diminué, même en Angleterre, où les mœurs sociales au siècle dernier laissaient beaucoup à désirer sous ce rap-port.

II. — Geographie médicale ëå la goutte.

La géographie médicale est, au même titre que la patho-logie historique, un des moyens d'investigation les plus féconds dans les recherches étiologiques. Elle nous apprend à connaître les diverses régions du globe dans lesquelles pré-dominent certaines maladies, et nous permet ainsi d'étudier, sur la plus vaste échelle, les conditions cosmiques, telluriques et même anthropologiques, qui peuvent en favoriser ou en restreindre le développement.

Pour ce qui concerne la goutte en particulier, la géographie nous apprend qu'elle n'existe aujourd'hui que sur un seul point du globe, à l'état de maladie généralement répandue ; vous avez déjà nommé l'Angleterre. Mais il s'agit exclusive-ment ici de l'Angleterre proprement dite ; car ni l'Irlande, ni l'Ecosse ne se trouvent, à cet égard, dans les mêmes condi-tions que la partie méridionale du Royaume-Uni. D'ailleurs, c'est surtout à Londres que se manifeste cette prédominance de la goutte : c'est dans cette ville qu'on la voit régner, non seulement parmi les classes aisées de la société, mais encore parmi les gens du peuple et les ouvriers les moins favorisés sous le rapport des conditions matérielles de la vie. Nous chercherons à vous expliquer tout à l'heure le motif de cette singulière élection de domicile. Contentons-nous, pour le moment, de vous faire observer que la goutte existe sur d'au-tres points du globe, quoiqu'à un bien moindre degré. On la rencontre dans quelques parties de la France, surtout en Lor-raine et en Normandie, provinces de tout temps renommées

pour la bonne chère. Elle existe également en Allemagne, et dans les pays où la bière est la boisson ordinaire des popu-lations.

Il est certain, d'ailleurs, que cette affection ne règne que dans les régions tempérées. Près de l'équateur et sous les tro-piques, la goutte est à peine connue. Aux Indes, elle frappe quelquefois les Anglais, moins souvent cependant que dans leur patrie ; mais elle épargne les naturels du pays. — En Egypte, elle n'atteint que les Européens, et les Turcs bien placés qui méprisent les prescriptions du Coran : mais les fellahs paraissent jouir d'une immunité complète à cet égard.

Enfin, au Brésil, la goutte est à peu près inconnue, bien que la nourriture des habitants soit très animalisée (Dundas). Nous empruntons la plupart de ces détails à M. le docteur (Hirsch, de Berlin,) qui a publié une bonne étude sur cesujet(l).

L'influence du climat se montre ici de la manière la plus évidente : ce n'est point une question de race, car les nègres de l'armée anglaise, lorsqu'ils sont placés dans les mêmes conditions que les blancs, sont exposés comme eux à contrac-ter la goutte ; c'est ce que me semblent démontrer quelques observations rapportées par Quarrier (2).

Le rhumatisme articulaire se comporte à cet égard d'une façon bien différente : il paraît exister dans tous les climats, et se rencontre souvent aux Indes, sous la forme aiguë aussi bien que sous la forme chronique : aussi, pour nous servir de l'expression de Muhry (3), le rhumatisme est une maladie ubiquitaire. Il y a là une différence frappante entre ces deux affections parallèles : il importe de le faire ressortir.

1. Handbuch der historisch-geogr. Pathologie. Erlangen, 1859.

2. Edinburg med. and. snrg. Journal. 1808, t. Il, p. 459.

3. Klimalologische unlersuchungen. Leipzig-, 1858, p. 212.

Nous venons d'esquisser à grands traits l'histoire patholo-gique et la géographie médicale de la goutte. Mais il nous faut maintenant quitter cette étude à vol d'oiseau, et descen-dre du point de vue très général que nous avions adopté, pour nous occuper de l'analyse minutieuse des circonstances particulières qui peuvent donner naissance à cette maladie. Nous aurons l'occasion, dans le cours de cette étude, de si-gnaler des faits encore peu connus en France, et qui méritent à tous égards de fixer votre attention.

III. — Etude analytique des causes de la goutte A. — Causes individuelles.

{"Spontanéité. — Il est incontestable que la goutte peut se développer spontanément ; des faits rapportés par tous les auteurs le démontrent, et j'ai rencontré moi-même des cas de cette espèce. Il y a donc dans la constitution même de cer-tains sujets des conditions favorables au développement de la goutte ; les circonstances extérieures ne font que les mettre en évidence. Il n'y a là rien qui doive vous étonner : car l'excès de production ou le défaut d'élimination de l'acide urique semblent être les conditions fondamentales de cette diathèse ; or, l'acide urique existe à l'état normal dans le tor-rent circulatoire ; et pour peu que la quantité en soit augmen-tée, la série pathologique tout entière peut se dérouler.

2° Hérédité. — La définition de la goutte, telle que l'ont formulée tous les auteurs modernes, comprend toujours la notion d'hérédité. Les médecins qui recueillent des observa-tions dans les hôpitaux ont déjà constaté, sur ce point, la fréquence de la transmission héréditaire ; à plus forte raison

la reconnaît-on dans la pratique civile. Nous plaçons sous vos yeux quelques chiffres qui peuvent donner une idée approxi-mative de l'importance de cette condition.

Scudamore, sur 523 goutteux, a rencontré l'hérédité 309 fois.

Pâtissier (rapport), sur 80 goutteux, 34 fois. Garrod, sur 100 goutteux, 50 fois.

La goutte héréditaire se développe souvent de bonne heure, avant l'époque habituelle. C'est de trente à trente-cinq ans que l'on voit ordinairement se manifester la goutte spontanée ; mais la goutte héréditaire n'attend pas toujours aussi long-temps pour se montrer. Souvent elle se déclare à un âge déterminé chez tous les sujets d'une même famille. Garrod nous apprend que dans l'une des grandes maisons d'Angle-terre, l'aîné de la famille, au moment où il recueille l'héritage de ses ancêtres, est frappé de la goutte ; et cette succession se perpétue depuis quatre siècles.

3° Sexe. — L'influence du sexe sur la production de la goutte n'est pas moins évidente que celle de l'hérédité. Les femmes jouissent, à cet égard, d'une immunité relative qu'il serait impossible de contester. Sur les 80 cas rassemblés par Pâtissier, il en est deux seulement qui appartiennent au sexe féminin. C'est à l'époque de la ménopause que ces accidents se développent de préférence, ainsi que le fait observer Hippocrate.

Sous ce rapport, comme nous le verrons bientôt, le rhuma-tisme chronique diffère essentiellement de la goutte. Il existe cependant des exceptions à cette règle, et l'on voit quelque-fois des femmes devenir goutteuses de bonne heure ; mais on reconnaît ici, presque toujours, l'influence de l'hérédité.

Ajoutons enfin que ce sont surtout les formes asténiques de la maladie qui prédominent dans le sexe féminin.

4° Age. — C'est de trente à trente-cinq ans que s'étend, d'après Scudamore, l'âge classique de la goutte. On l'observe rarement avant la vingtième ou après la soixantième année. Garrod l'a cependant rencontrée une fois chez un sujet âgé de neuf ans, et une fois chez un jeune homme âgé de moins de dix-sept ans. 11 rapporte aussi quelques cas dans lesquels cette affection s'est développée chez des vieillards de soixante ou soixante-dix ans.

Le rhumatisme, au contraire, se manifeste plus tôt, et on l'observe, en général, avant l'âge de trente cinq ans.

5° Tempérament, constitution. — On s'est souvent attaché à rassembler les caractères d'une constitution spéciale qui prédisposerait à la goutte. Mais l'étude des faits nous apprend qu'elle ne respecte aucun tempérament, et peut se développer aussi bien chez les sujets affaiblis que chez les hommes vigou-reux; seulement le type de la maladie est modifié par les conditions générales de l'organisme. La forme sthénique se rencontre surtout chez les individus sanguins et pléthoriques ; la forme asthénique, chez les femmes et les sujets nerveux.

B. — Influence des climats, de l'alimentation, etc.

Quittons maintenant l'étude des causes qui tiennent à l'individu, pour nous attachera celles qui résultent du milieu dans lequel il existe. Occupons-nous de l'hygiène et surtout de l'alimentation ; nous yrencontrerons des données précieuses pour la solution du problème que nous cherchons à élucider.

1° Climats. —La géographie médicale nous a déjà montré que la goutte n'appartient guère qu'aux zones tempérées du globe, et semble fuir les contrées tropicales. Inconnue au Bré-

sil, en Afrique et dans les régions équaloriales, elle frappe cependant quelquefois les Européens qui transportent dans les pays chauds les habitudes des pays froids : voilà pourquoi aux Indes orientales, les Anglais y sont quelquefois exposés.

2* Alimentation excessive et défaut d'exercice. — On a re-connu de tout temps qu'un régime trop succulent et une vie trop oisive — deux causes qui agissent souvent de concert — prédisposent directement aux manifestations de la goutte : voilà pourquoi, sans doute, elle prédomine dans les classes aisées, et se rencontre moins souvent chez les gens du peuple. C'est ce que l'on exprime en termes familliers, en disant que la goutte provient d'un excès des recettes sur les dépenses. Nous verrons bientôt que les faits ne se prêtent pas toujours à une interprétation aussi facile ; mais il est certain, du moins, qu'une nourriture trop animalisée favorise le développement de cette affection, et que les gros mangeurs sont souvent au nombre de ces tributaires.

3° Influence du système nerveux. — On ne saurait nier non plus l'influence exercée par les causes cérébrales. Les travaux intellectuels, les émotions morales, une grande contention d'esprit, ont toujours occupé une place importante dans l'étio-logie de la goutte. C'est ce qui justifie la boutade spirituelle par laquelle Sydenham se consolait d'être goutteux lui-même : « Divites interemitphires quam pauperes, plures sapientes quam fatuos, » dit-il en parlant de cette maladie. Il est in-contestable que les hommes politiques les plus distingués, en Angleterre du moins, en deviennent les martyrs : on peut ci-ter, entre autres, l'exemple des deux Pitt. On sait que le premier de ces deux grands ministres, le comte de Chatam, n'était pas un adorateur de Bacchus. 11 est vrai qu'on ne saurait en dire autant de son fils, William Pitt, qui ne pre-

liait jamais la parole à la Chambre des Communes sans avoir réchauffé son éloquence par des libations abondantes.

4° Excès vénériens. — L'abus du coït peut évidemment agir dans un sens favorable à la goutte, grâce aux pertur-bations du système nerveux qui en sont la conséquence ; mais on peut recourir ici à une explication plus sim-ple. On sait que les excès de ce genre se relient étroitement à l'ivresse des festins, et c'est peut-être au concours de cette dernière circonstance qu'il faut attribuer ici le rôle prin-cipal.

5° Il est deux autres causes qui doivent maintenant fixer notre attention ; nous voulons parler de l'influence des bois-sons fermentées et de l'intoxication saturnine.

L'action des liquides fermentes est si manifeste, que Garrod a pu dire : « L'homme, privé de ces boissons, n'eût peut-être jamais connu la goutte. »

Le domaine de l'intoxication saturnine est beaucoup plus restreint à cet égard; mais au point de vuepathogénique, ce côté de la question offre le plus grand intérêt.

Nous allons successivement étudier ces deux ordres de faits.

À. — Boissons fermentées. — 11 faut établir, au point de vue qui nous occupe, une distinction radicale entre les spi-ritueux (rhum, eau-de-vie, whiskey, genièvre, etc.), qui con-tiennent de 40 à 70 pour 100 d'alcool, et les simples bois-sons fermentées (vin, bière, cidre, etc.), dont la richesse alcoolique varie de 4 à 20 pour 100. Il semble au premier abord, que plus un liquide est chargé d'alcool, plus il doit prédisposer à la goutte; mais il n'en est pas ainsi, et vous serez peut-être étonné d'apprendre (pie l'usage et même l'a-bus des liqueurs distillées, ne paraissaient pas exercer la

moindre influence à cet égard. En etlet, la goutte ne se rencontre guère chez les populations qui boivent de i'eau-de-vie. En Suède, où l'alcoolisme est si fréquent, d'après Magnus Huss, il n'est pas question de cette maladie, lien est de même en Danemarck, en Russie et en Pologne. En Ecosse et en Irlande, la goutte est rare parmi les classes inférieures ; à Edimbourg, c'est à peine si, dans une longue pratique no-socomiale, Rennett(l) et Christison en ont rencontré un ou deux cas. Or, dans ces pays, la seule boisson alcoolique dont le peuple fasse usage est le whiskey (eau-de-vie de grain).

A Londres, au contraire,'la goutte est très commune parmi la population ouvrière et se rencontre fréquemment dans les hôpitaux. Or, la seule différence fondamentale qu'on puisse invoquer à cet égard entre le nord et le midi du Royaume-Uni, c'est l'énorme consommation de bières fortes (aie, stout porter) qui se fait parmi les ouvriers de la capitale (2).

L'influence vraiment remarquable de ces boissons est recon-nue par tous les auteurs anglais, à commencer par Scu-damore ; il nous apprend que « la goutte est beaucoup plus fréquente à Londres, parmi les gens du peuple, depuis que l'usage du porter est devenu habituel ». Le témoignage de Watson , Budd, Todd, vient corroborer cette assertion : (( La plupart de ceux qui s'adonnent à l'usage de la bière et surtout du porter, dit ce dernier, souffrent tôt ou tard de la goutte. »

Un exemple emprunté à Rudd (3) met en lumière l'influence exercée par ce genre de boissons, il existeà Londres un corps d'ouvriers qni travaille à l'extraction du sable de la Tamise.' Cette opération se fait pendant la marée basse, et les heures de travail tombent, par conséquent, tantôt le jour, tantôt la

1. Cliniçal lectures, etc., 5U édit. Edimburg, 1858.p. 916.

2. Voir I'appendice inséré à la fin de cette leçon.

3. Tweedie. — Library of Médecine. Vol. V, art. Goût.

nuil. Les travailleurs qui sont exposés à toutes les intempé-ries, sont obligés, en outre, de déployer une grande force musculaire. Aussi pour obtenir un meilleur rendement (vous reconnaissez ici le caractère pratique des Anglais), on accord*1 à ces hommes une forte ration de porter. Us en boivent chacun deux à trois gallons par jour : le gallon équivaut à quatre li-tres environ!!! A part cette énorme consommation de liquide, le régime qu'ils suivent est celui des classes les plus inférieures de Londres. Or, la goutte est exceptionnellement fréquente parmi ces pauvres gens, qui partagent ces tristes• privilèges avec les pairs du royaume ; et, bien que leur nombre ne soit pas très considérable, plusieurs d'entr'eux sont admis chaque année, comme goutteux à l'hôpital des marins. Et pourtant ce sont, en général, de malheureux paysans irlandais chez qui le vice héréditaire ne saurait être mis en cause.

Garrod est arrivé, de son côté, aux mêmes résultats. Il a constaté que les employés des grandes brasseries étaient sou-vent frappés de goutte : et pourtant, rien dans leurs antécé-dents ne pouvait expliquer cette prédisposition morbide, si ce n'est l'abus de Taie et surtout du porter.

Cependant, ces deux liquides ne se font pas remarquer par leur richesse en alcool, D'après Mulder, l'aie écossaise en contient 8 p. 101), le porter 5 p. 100 (1). Ce chiffre est infé-rieur à celui de nos vins de France et ne dépasse pas celui des bières allemandes, qui ne produisent guère de tels effets, malgré l'énorme consommation qu'on en fait dans les bras-series.

On voit, par conséquent, que le raisonnement à priori ne saurait être appliqué à la question qui nous occupe, et que l'influence des boissons ferinentées, sur la goutte, est loin de répondre au taux de leur richesse en alcool. Des circonstances

1. Mulder. — De la bière. Trad. Delondre. Paris, 1861, p. 327.

d'un ordre différent, et qui nous ont échappé jusqu'à ce jour, viennent probablement s'interposer ici; et pour chaque espèce de boisson, il faut s'en rapporter aux données de l'expérimen-tation directe.

Nous allons maintenant examiner l'action des vins. Il faut accorder ici le premier rang aux vins spiritueux (le porto, le xérès, le madère, le marsala) dont on fait un si grand usage en Angleterre, dans toutes les classes de la société. Us ren-ferment une quantité considérable d'alcool, qui peut varier de 17 à 20 p. 100.

Les vins plus légers (Rhin, Moselle, Rordeaux, Champa-gne) sont loin d'exercer la môme influence.

Mais on ne saurait en dire autant du bourgogne, qui cependant ne contient guère plus d'alcool que les précédents.

« L'ermitage rouge et le bourgogne, ce dernier surtout, dit Scudamore, renferment la goutte dans chaque verre. »

Le cidre lui-même, cette boisson peu dangereuse en appa-rence, paraît favoriser aussi le développement de cette affec-tion. D'après Garrod, ce serait le cidre doux, n'ayant subi qu'une fermentation partielle, qui posséderait cette fâcheuse propriété.

Nous croyons avoir suffisamment démontré l'influence que certaines boissons peuvent exercer sous ce rapport. Passons maintenant à un autre sujet.

R. — Intoxication saturnine. — Garrod avait constaté que surfil goutteux entrés dans son service d'hôpital, il n'y en avait pas moins de 16 qui exerçaient la profession de peintres ou de plombiers; et des recherches ultérieures n'ont fait que confirmer ce résultat singulier. L'imprégnation saturnine a donc été rangée parmi les causes prédisposantes de la goutte.

Une fois cette coïncidence signalée, on vif affluer de toutes parts des documents à l'appui. Parmi les auteurs antérieurs à

Garrod, on peut citer Musgrave, qui a vu la goutte succéder à la colique de Poitou; Falconer, qui a fait la même remarque; Parry, qui dans son recueil d'observations, établit que la goutte est fréquente chez les sujets atteints de paralysie saturnine; enfin Todd qui rapporte plusieurs cas de goutte observés dans des circonstances analogues (1).

Depuis la publication du livre de Garrod, plusieurs auteurs anglais ont signalé des faits de ce genre : nous citerons sur-tout Burrows et Begbie (2). Mais en Angleterre, il faut tenir compte des causes alimentaires que nous venons d'énumérer. En France, où la colique de plomb est si commune, comment se fait-il que la goutte soit si rare parmi les gens du peuple ?

Eh bien ! il existe parmi les saturnins quelques goutteux, chez qui l'empoisonnement par le plomb est la seule cause qu'on puisse invoquer. Nous avons eu nous-même l'occasion d'observer un fait très remarquable de ce genre et M. le doc-teur Bucquoy vient de recueillir une observation presque identique à l'hôpital de la Charité.

Il resterait à déterminer la cause de cette étrange coïnci-dence. Garrod a constaté que l'imprégnation saturnine provo-que une accumulation d'acide urique dans le sang, surtout dans les cas avancés, où il existe de la paralysie; ce fait a été constaté chez des saturnins non goutteux, qui paraissent ne point avoir été albuminuriques ; car on a examiné les urines, et l'on s'est assuré que la proportion d'acide urique avait sensiblement diminué; mais dans ces analyses, il n'est pas question de la présence de l'albumine. Garrod s'est demandé si dans de cas il y a production exagérée d'acide urique ou

1. G. Musgravc. —De arthritide symptomatica. Gcnovœ, 1752, c. X, art. 5. p. 65. _ C. H. Parry. Londres, 1825, t. I, p. 243. — Todd. l'ralical remarks on Gout. London, 1843, p. 44.

2. XV. Falconer. Brit. med. Journ., 1861, p. 464. —Begbie. Edinburgh med. joum. Août, 1862, p. 128.— Charcot. Gaz. hebd., 1863, p. 433. (Voir plus loin).

Charcot. Œuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. io

défaut d'excrétion de ce produit. Il penche vers cette dernière hypothèse, et voici l'expérience sur laquelle il s'appuie : après avoir examiné, pendant plusieurs jours, les urines d'un cer-tain nombre de malades atteints d'affections diverses, pour constater le taux normal de l'acide urique, il les a soumis à l'usage médicinal de l'acétate de plomb, et il a vu diminuer l'excrétion de l'acide urique.

Ce serait donc en paralysant l'action du rein, au moins pour ce qui touche à l'élimination de l'acide urique, que le plomb favoriserait la manifestation de la goutte ; mais cette maladie peut-elle éclater sous l'influence de cette seule cause? Oui, peut-être, dans quelques cas très exceptionnels; mais s'il existe des causes adjuvantes, les effets du plomb se mon-treront avec la dernière évidence.

III.

Omises excitantes. — Incapables par elles-mêmes de pro-duire la goutte, les conditions que nous allons énumérer ont une grande puissance pour provoquer le développement des accès.

1° Boissons alcooliques. Chez les goutteux, l'ingestion, même en quantité minime, de certains vins, le Champagne, le porto, par exemple, suffit pour déterminer tantôt un vio-lent accès de goutte, tantôt un simple gonflement du gros orteil. Aussi Garrod a-t-il pu dire : « Toutes les fois que » chez un individu quelconque, il suffit de quelques verres de » vin pour provoquer rapidement et invariablement l'inflam-» mation d'une jointure, cette inflammation est certainement » de nature goutteuse. »

29 Les indigestions, les troubles gastriques agissent de la môme manière;

3e Le froid humide, la suppression de la sueur, sont dans le même cas ;

4° II en est de même des travaux intellectuels immodérés, sur lesquels nous avons appelé déjà votre attention comme cause déterminante de la goutte ;

5° Les causes traumatiques, opérations, fractures, etc., peuvent agir dans le même sens; j'ai vu une plaie produire simultanément une attaque de trismus et un accès de goutte;

6° Les causes débilitantes, hémorrhagïes, saignées, mala-dies graves, exercent aussi leur influence sur la production des accès. Cela est d'autant plus intéressant à noter, que l'on aime à se figurer la goutte comme une maladie de gens pléthoriques. Mais ïodd a prouvé qu'elle s'attaque volontiers aux sujets débilités.

Nous consacrerons la prochaine séance à l'étude de la théorie de la goutte.

APPENDICE A LA IXe LEÇON.

des bières anglaises.

11 est si souvent question, dans ces leçons, de l'influence exercée par Vale et le porter, sur le développement de la goutte, qu'il m'a paru nécessaire de présenter ici quelques renseignements sur les procédés qui servent à la fabrication de ces liquides, et les principales propriétés qni les caracté-risent. J'ai donc prié M. le docteur Bail de me communiquer, à cet égard, une courte notice, que je mets sous les yeux du lecteur. Les indications qu'elle renferme seront d'autant plus

11 est incontestable que dès la plus haute antiquité, les peu-ples qui ne connaissaient point l'usage du vin avaient décou-vert le moyen d'utiliser Forge germée, pour se procurer des boissons alcooliques (1). Longtemps avant d'avoir quitté leurs forêts, les tribus germaniques possédaient cet art; aussi ne sera-t-on pas étonné de voir la bière naturalisée en Angle-terre depuis la conquête anglo-saxonne. Les lois d'Ina, roi du Wessex (pays des Saxons occidentaux), qui furent rédigées en 728, font déjà mention de Y aie et des alehouses (brasseries) ; et depuis cette époque, la bière n'a jamais cessé d'être la bois-son nationale des Anglais.

Mais, dans cette longue série de siècles, le goût du public a plus d'une fois varié, et les brasseurs ont été obligés de sui-vre la mode, lorsqu'ils ne l'avaient pas devancée. Au moyen âge, le houblon n'était pas employé dans la bière, qui semble avoir offert une saveur fade et douceâtre : et l'on cherchait souvent à corriger ce défaut en y ajoutant des infusions d'herbes amères et aromatiques. C'est en 1524 que les Fla-mands firent pénétrer l'usage du houblon en Angleterre; mais cette pratique ne fut légalement autorisée qu'en 1552. On donnait alors le nom d'ale aux boissons douces, préparées avec le malt (orge germée) et on réservait celui de beer (bière) aux liquides imprégnés de l'amertume du houblon. Mais au xviic siècle, tout vestige de cette distinction avait disparu, et

1. Hérodote et Diodore (de Sicile) nous apprennent que les Egyptiens con-naissaient la fabrication de la bière. Pline et Tacite ont rendu le même témoi-gnage aux Germains. « Polui humor ex hordeo aut frumento in quamdam similitudinem vini corruptus. » Tac., De situ, moribus, ac populis Germ., cap. XXlll.

utiles, qu'on ne les rencontre jusqu'à présent clans aucun ou-vrage médical.

le houblon était universellement employé dans les brasseries anglaises.

L'origine du porter est beaucoup plus récente. C'est en 1730, d'après Malone, que l'on a commencé pour la première fois à en faire usage. Vers cette époque, les ouvriers de Lon-dres avaient l'habitude de se faire servir, dans les brasseries, un mélange de bière, d'ale et de petite-bière, qu'ils appelaient trois-fils (three threads), parce que le débitant, pour chaque pinte qu'il versait au consommateur, était obligé de se rendre à trois tonneaux différents. Pour éviter cet inconvénient, le brasseur Harwood eut l'idée de fabriquer une boisson qui réunirait les saveurs de ces trois liquides; il réussit à mer-veille, et le succès obtenu par ce nouveau breuvage parmi les classes inférieures de la capitale lui fit donner le nom de porter (portefaix); qui lui est resté jusqu'à nos jours.

Pour flatter le goût populaire, on communiquait autrefois à cette boisson une couleur très foncée par la torréfaction pro-longée des grains ; maison s'aperçut bientôt qu'en agissant ainsi, on détruisait la plus grande partie des matières saccha-rines contenues dans l'orge germée, et qu'on amoindrissait alors la richesse du liquide en principes fermentescibles. On eut alors recours, pour colorer le porter, à une foule de pro-cédés artificiels, qui furent prohibés en 1816 par un acte du Parlement ; et les seuls ingrédients qui puissent aujourd'hui servir à la fabrication de la bière, sont l'eau, le malt et le houblon.

Mais on découvrit alors que la torréfaction complète de l'orge germée, tout en détruisant le sucre qu'elle contient, donnait naissance à une matière colorante très soluble : dès lors, cette substance, qui rentrait dans les termes de la loi de 1816, fut largement employée dans la fabrication du porter.

Aujourd'hui ce liquide est un mélange de plusieurs espèces de bière que l'on conserve longtemps après les avoir mélan-

gées, pour pousser la fermentation jnsqu'à ses dernières li-mites, et convertir tout le sucre en alcool ; mais comme, dès le principe, l'orge a été fortement torréfiée, elle contient peu de glycose au moment même où le travail commence, et ne sera jamais, par conséquent, aussi riche en alcool que les autres variétés de bière. Mais, ce qui la caractérise essentiel-lement, c'est une tendance à la fermentation acétique ; car tout le sucre ayant été détruit, un pas de plus suffit pour con-vertir l'alcool en vinaigre. Au point de vue théorique, cette transformation ne doit jamais s'opérer; mais, en pratique, le porter livré à la consommation est souvent acide, ainsi que j'ai pu maintes fois m'en assurer moi-même.

On donne généralement le nom à'entire aux bières mélan-gées ; celui de stout s'applique à un liquide préparé avec plus de soin et destiné à des consommateurs plus délicats, mais qui participe aux caractères généraux que nous venons de décrire.

On réunit sous le nom à'aie toutes les autres variétés de bière qui ne possèdent point une couleur foncée et ne sont pas préparées avec de l'orge fortement torréfiée ; elles sont donc plus riches en matières saccharines et en alcool ; et comme la fermentation n'a pas été poussée assez loin pour détruire tout le sucre qu'elles contiennent, elles présentent une saveur très différente de celles du porter, et n'offrent au-cune tendance à s'aigrir.

On peut donc diviser en deux grandes classes les bières dont on fait usage dans le Royaume-Uni. Les unes sont riches en couleur, mais pauvres en alcool, privées de sucre et prêtes à subir la fermentation acétique; elles sont en outre impré-gnées d'un principe obtenu par la torréfaction des grains, qui n'est peut-être pas étranger à leur propriétés pathogéniques. A celte classe appartiennent les boissons connues sous le

nom générique de porter, et dont l'usage prédispose si forte-ment à la goutte.

Les autres, au contraire, pauvres en couleur, sont riches en sucre et en alcool et ne renferment aucune trace d'acide acé-tique.

Il est bien entendu que, dans cette courte notice, nous ne saurions embrasser toutes les variétés auxquelles le ca-price, le hasard, ou les coutumes locales peuvent avoir donné naissance. En Angleterre, la bière d'un comté ne ressemble pas à celle des pays voisins ; et tout brasseur célèbre a des se-crets qui impriment à ses produits un cachet spécial. Il nous suffira donc d'avoir présenté au lecteur une vue générale du sujet, sans nous arrêter à l'étude minutieuse des détails.

DIXIÈME LEÇON

Pathologie de la Goutte.

Sommaire. — Théorie rationnelle de la goutte. — Elle ne peut guère être for-mulée dans l'état actuel de la science. — Gullcn. — Découverte de Yacide lïthique (acide urique). — Influence de cette donnée sur les travaux mo-dernes. — Recherches de Garrod. — Il démontre que l'acide urique existe en excès dans le sang des goutteux. — Origine de ce produit excrémcntitiel. — Elle est encore peu connue. — L'urée et l'acide urique sont-ils des produits immédiats de la désassimilation ? — Expérience de Zalesky.

Recherches empiriques. — Effets du jeûne. — Alimentation animale. — Exercice. — Résultats contradictoires sous ce l'apport. — Influence des bois-sons : expériences de Bocker.

Théorie de l'accès de goutte. — Articulations affectées de préférence. — Tissus fibreux, cartilages. — Prédilection de la goutte pour le gros orteil. — Envahissement successif des jointures. — Tophus. — Dépôts d'urate de soude dans les cartilages. — Douleur. — Réaction générale. — Phénomènes viscéraux. —Insuffisance de nos connaissances actuelles sous ce rapport.

Messieurs,

Après avoir passé en revue les causes diverses qui, de près ou de loin, se rattachent à la production de la goutte, il nous reste à chercher la théorie rationnelle de cette affec-tion, et à rapprocher les données de la physiologie de celles que nous fournit l'observation clinique. Il ne faut pas d'ailleurs nous flatter d'obtenir dans cette voie un succès complet; car, si nous connaissons le principe morbide auquel se rattache ici la série pathologique, nous sommes loin de saisir tous les anneaux de la chaîne; les conditions

qui président à la formation et à l'élimination de l'acide urique nous sont encore inconnues, et nous échapperont sans doute pendant longtemps.

Mais, pour bien comprendre l'état actuel de la question, il faut suivre les phases diverses qu'elle a traversées jusqu'à nos jours. Voyons donc quelle était, à cet égard, l'opinion de nos prédécesseurs.

Les théories formulées au sujet de la goutte pendant tout le dix-septième siècle et une partie du dix-huitième, se ratta-chent essentiellement à l'humorisme ; c'est toujours, avec quelques variantes, la doctrine de Sydenham. Il existe une matière morbifique dans l'économie; elle est le résultat de codions imparfaites opérées soit dans les premières, soit dans les secondes voies ; et les efforts de la nature pour éliminer cette matièrepeccante (phlegme, bile, tartre) consti-tuent les symptômes de la goutte.

Mais une réaction contre les anciennes idées se manifeste à partir de l'époque de Gullen. Cet auteur célèbre soutient que l'existence d'une matière morbifique dans le sang n'est nullement démontrée. Il considère les tophus, invoqués par les humoristes à l'appui de leurs idées, comme un fait pure-ment accidentel. La goutte, pour lui, résulte d'une sorte de pléthore avec perte de ton aux extrémités.

Les progrès de la chimie devaient modifier jusqu'à un certain point cette manière de voir. En 1775,Scheele décou-vre Vacide lithique (acide urique) dans les calculs urinaires et dans l'urine; en 1793, Murray Forbes, en raison des rapports qui existent entre la goutte et la gravelle, émet l'opinion que l'acide urique existe dans le sang des goutteux; en 1797, Tennant et Wollaston établissent que les tophus sont composés d'urate de soude.

La théorie de Gullen se maintient cependant toujours en Angleterre. Scudamore continuait à envisager la goutte

comme une sorte de pléthore, sans aucune relation avec l'excès d'acide urique dans le sang; pour lui, les tophus sont un phénomène exceptionnel chez les goutteux ; il n'en a trouvé que quarante-cinq fois sur 500 malades. Barlovv et Gairdner partagent cette opinion; et récemment encore Barclay (1) est revenu sur ce point, en s'appuyant, il faut le dire, sur le sentiment bien plus que sur l'observation ; cepen-dant Parkinson, Home et Holland se sont rattachés à la théorie de l'acide urique.

En France, la goutte n'a été étudiée que par un nombre restreint d'auteurs ; mais ceux qui se sont occupés de cette question ont admis, théoriquement du moins, la présence de l'acide urique dans le sang, et ont bien compris l'importance de ce fait capital. Nous citerons surtout, à cet égard, MM. An-dral, Rayer et Cruveilhier (2) ; ce dernier considère le dépôt de matière tophacée dans l'intérieur de articulations et dans leur voisinage, comme la lésion caractéristique de la goutte. Or ces matières tophacées sont de l'urate de soucie. M. Cruveil-hier se voit donc ramené presque malgré lui, dit-il, à l'opinion de Sydenham et des anciens observateurs ; il regarde l'urate de soude comme la cause matérielle de la goutte, et il n'est pas douteux, pour lui, que la première attaque ne coïncide déjà avec une sécrétion de ce produit qui se renouvelle à chaque accès subséquent.

Malgré tout l'intérêt que présentent les travaux que nous venons de signaler, l'époque des connaissances positives nous paraît remonter aux recherches de Garrod, en 1848. Cet ob-servateur si souvent cité dans le cours de nos leçons a démon-tré : 1° que dans la goutte aiguë ou chronique, l'acide urique

1. On Gout and rheumatism. Londres. 1866, p. 3 et suiv.

2. Andral. Précis d'anatomie pathologique, 1829; t. I, p. 553, et t. II, p. 387. — Rayer. Traité des maladies des reins, Paris, 1839, t. I, p. 243. — Cruveil-hier. Atlas d'anal, pathologique, 4e livraison, planche III.

existe en excès dans le sang; 2° que dès le premier accès, l'urate de soude se dépose dans les jointures; 3° que, pendant l'accès, il y a une diminution sensible de l'excrétion d'acide urique par les reins.

Ce sont là des données fondamentales qui peuvent servir d'éléments à une doctrine pathogénique; mais il n'y a pas encore là une doctrine physiologique de la goutte. Cependant, quelques tentatives ont été faites dans ce sens ; nous allons vous en exposer les principaux résultats.

I.

La présence d'un excès d'acide urique dans le sang ne cons-titue par la goutte (1), mais crée seulement une prédisposi-tion marquée à cette affection. Il faut donc étudier les diverses circonstances qui peuvent accroître la proportion de ce pro-duit excrémentitiel. Mais dès ce premier pas, les difficultés commencent.

Quelle est l'origine, quelles sont les sources de l'acide urique excrété? Les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point.

A. — La théorie de la combustion directe, formulée par Liebig, semble offrir une solution facile du problème. C'est dans le sang même, c'est aux dépens des matières albumi-noïdes (fibrine, albumine, globuline) qui n'ont pas été suffi-samment oxydées pour se transformer en urée, que l'acide urique prend naissance. Il y a là un excès des recettes sur les dépenses : on a trop mangé, pris trop peu d'exercice; de là vient le développement de la goutte.

1. La néphrite albumineuse, la cachexie saturnine sont, elles aussi, au nombre des maladies qui coïncident avec un excès d'acide urique dans le sang1.

Mais il est aujourd'hui démontré que dans de telles condi-tions, c'est surtout l'urée qui augmente, et non l'acide urique. D'ailleurs ces deux produits, d'après les recherches de Bischoff et Voit, résulteraient de la désassimilation des éléments qui composent les tissus, et ne se formeraient jamais directement dans le sang.

B. — Quels sont donc les organes, quels sont les tissus aux dépens desquels se forme l'acide urique? Ici encore, nous nous trouvons en présence de résultats contradictoires.

L'urée provient des muscles, dit-on; l'acide urique, des pa-renchymes viscéraux : on l'a effectivement rencontré dans le cerveau et le foie ; dans la rate (Schérer) ; dans les poumons (Cloetta). Quelques faits pathologiques tendent à confirmer cette idée : ainsi dans la leucémie splénique, Uhle etBanke ont trouvé un excès réel de cet acide dans les urines ; dans les af-fections du foie, Harley est arrivé au même résultat.

D'autres physiologistes font provenir les urates des cartilages et des tissus fibreux. En effet, le mouvement organique y est moins actif en raison de leur structure peu vasculaire, comme le fait observer Bartels (1); l'oxydation par conséquent s'y opère d'une façon moins complète. Les recherches de M. le pro-fesseur Robin (2) l'ont conduit à une opinion analogue. Il admet que, dans les tissus fibreux, les matières albuminoïdes se trans-forment en géline ; cette substance se dédouble à son tour, par un travail de désassimilation, en acide urique et en urates. On comprend dès lors que si le mouvement de désassimilation de ces parties s'exagère, il en résultera une saturation du sang par ces produits, en d'autres termes, une diathèse urique.

1. Deutsche Archiu für klinische Mediane. Leipzig, 1865. I Bd., I Heft, p. 13.

2. Dictionnaire de méd. de Nysten. 1865, p. 678.—Programme du cours d'histologie, 1864, p. 90.

M. Robin a trouvé, dans le tissu fibreux normal, de l'acide inique (1) ; aussi l'état pathologique n'est-il, pour lui, qu'une simple exagération de ce qui existe à l'état de santé. Il s'ex-plique de cette manière pourquoi les articulations sont le siège principal des lésions de la goutte : leur richesse en tissu fibreux les expose en première ligne aux atteintes de cette maladie.

Sans méconnaître ce qu'il peut y avoir de plausible dans ces explications, nous ferons observer que la théorie d'après laquelle l'acide urique et l'urée seraient des produits immé-diats de la clésassimilation est fort respectable assurément, mais qu'elle n'est, après tout, qu'une simple hypothèse. Elle se fonde surtout sur la présence de ces deux substances dans le sang normal : mais on ne les y trouve qu'en proportions bien minimes chez les mammifères, tandis qu'ils paraissent manquer complètement chez les oiseaux et les reptiles (2). On signale aussi, à l'appui de cette idée, la présence de l'urée et de l'acide urique dans les tissus. Mais, pour l'urée, le fait n'est vrai qu'à l'état morbide : dans les conditions normales, on ne trouve que de la créatine et de la créatinine clans les muscles ; pour l'acide urique, la chose est mieux dé-montrée.

En tout cas, les recherches de quelques observateurs mo-dernes semblent infirmer cette hypothèse. L'urée et l'acide urique, d'après Zalesky, se formeraient dans le rein même, et probablement aux dépens de la créatine. Liez les uretè-res d'un chien, vous aurez une accumulation d'urée dans le sang ; il n'en sera rien, si vous pratiquez l'extirpation des reins. Chez les reptiles, la ligature des uretères, provoque une accumulation non d'urée, mais d'acide urique ; mais l'abla-

1. Nous avons reçu verbalement celte communication de M. Robin.

2. Zalesky. — Unlersuch. ùber den uramisch, pruceas. Tubingue, 1865.

lion des reins ne produit rien de semblable. Zalesky en con-clut que l'urée (chez les animaux qui en sécrètent) et l'acide urique se forment dans le rein même, et n'existent pas d'a-vance dans la masse du sang.

Nous ne trouvons donc, dans cette voie, aucune donnée vraiment importante, aucun fondement solide sur lequel nous puissions établir une doctrine rationnelle. Il faut donc recou-rir à un autre moyen d'investigation.

II.

La recherche purement expérimentale des conditions qui font varier la proportion d'acide urique dans l'excrétion ré-nale nous fournit au moins quelques données intéressantes.

La proportion d'acide urique augmente à la suite d'uu re-pas (Bence Jones). Le jeûne diminue de moitié cette propor-tion : une nourriture végétale agit dans le même sens.

Quant aux effets d'une alimentation purement animale, tous les auteurs , depuis Lehmann, s'accordent sur ce point. Il se produit un accroissement de l'acide urique et de l'urée, mais surtout de cette dernière substance.

Jusqu'ici, les déductions théoriques paraissent assez bien s'accorder avec les données que nous fournit l'observation au point de vue de l'étiologïe de la goutte. Mais nous allons bientôt rencontrer des contradictions en poursuivant cette étude.

11 est généralement admis, par exemple, que l'exercice est un des meilleurs moyens de prévenir la diathèse urique. Les expériences de Lehmann confirment cette manière de voir. Il a rigoureusement établi que l'activité musculaire a pour effet d'augmenter laquantité d'urée et de diminuer la propor-tion de l'acide urique. Ces résultats ont été confirmés pour

l'urée, mais on les a contredits pour l'acide urique. Beneke, Genth et Heller (1) ont trouvé qu'un exercice prolongé pen-dant trois heures avait pour effet d'augmenter la quantité de ce produit. Ranke (2) et Speck admettent qu'une activité inso-lite aurait le même résultat. En somme, pour peu que le tra-vail soit violent ou de longue durée, il y a plutôt un accroisse-ment qu'une diminution de l'acide urique.

Pour ce qui touche à L'activité des fonctions respiratoires, on admet en général que plus elle s'accroît, plus la quantité d'acide urique diminue, tandis que la proportion d'urée aug-mente. Mais, il faut bien le dire, cette manière de voir ne re-pose sur aucun fait bien positif (3).

Relativement à l'influence des boissons, nous ne pouvons encore rien conclure, malgré les intéressantes expériences de Bocker (4). D'après cet observateur, l'alcool et les liqueurs spiritueuses diminuent la production d'urée et d'acide urique; les vins au contraire, comme l'ont prouvé des expériences déjà anciennes de Liebig, tendent à l'accroître ; la bière, quand elle n'agit pas comme diurétique, diminue la quantité d'urée et augmente celle de l'acide urique, mais très légère-ment ; enfin le thé et le café diminuent la proportion de cette substance. Si l'on admet dans ces expériences que la quantité d'acide urique rendue par les urines correspond à celle qui est formée dans l'économie, ce qui est probable, puisque les sujets qui ont servi à établir ces résultats étaient en pleine santé, il sera démontré que l'alcool et les boissons spiri-tueuses agissent ici tout autrement que la bière et le vin, ce qui est d'accord avec les données de l'observation clinique.

1. Beneke, Nord See Bad.. 1855, p. 85. — Genth, Untersuch, über den Einßuss der Wasser trinkens auf den Slowechsel. Wiesbaden, 1856. — Heller, Hellers Archiv. Neue folge.

2. Ranke. — Aussch,. der Harnsäure. München, 1858, p. 210.

3. Parkes. — On urine, p. 50 el 320.

4. Bocker. — Bellrage zur Hellkunde, vol. I, p. 240.

111.

Nous avons vu que diverses circonstances préparent l'ex-plosion d'une attaque et la rendent imminente. Les unes ont pour effet d'accumuler l'acide urique dans le sang, soit en favorisant directement la formation de cette substance (repas copieux, abus de certaines boissons), soit en diminuant l'ex-crétion de ce produit (imprégnation saturnine, émotions péni-bles). Les autres s'attaquent à la solubilité de l'acide urique dans le sang, en diminuant l'alcalinité de ce liquide; telles sont l'impression du froid, qui réprime la sécrétion acide de la sueur, et l'usage de substances acides, le vinaigre, etc.

On peut donc supposer que la présence d'un excès d'acide urique brusquement jeté dans le torrent circulatoire explique les troubles nerveux, les accidents dyspeptiques et les autres accidents prémonitoires qni précèdent immédiatement l'accès de goutte.

Les symptômes locaux de la maladie peuvent, jusqu'à un certain point, se prêter à la même explication. Nous allons

En somme, les données de la chimie et de la physiologie contemporaines ne projettent pas encore une bien vive lumière sur le phénomène capital de la goutte, à savoir, la présence de l'acide urique dans le sang.

Mais puisque la réalité de ce fait est expérimentalement démontrée, pouvons-nous, en acceptant ce point de départ, en déduire les autres symptômes de la maladie ? Tel a été le but des efforts de M. Garrod. Nous allons vous exposer les résultats de ses travaux, mais en vous faisant observer qu'il ne s'agit plus ici de la théorie générale de la goutte, mais seulement de la théorie de l'accès.

passer en revue les plus importants de ces phénomènes, en nous plaçant à ce point de vue.

1° Les articulations sont affectées de préférence dans la goutte. C'est là un point de contact avec d'autres dyscrasies qui portent volontiers leur action sur les jointures. Nous le voyons pour l'infection purulente, pour la morve, pour l'em-ploi thérapeutique de l'arsenic ; l'acide lactique introduit dans les veines paraît aussi porter son action sur les jointures (Richardson).

2° Les tissus fibreux et surtout les cartilages sont affectés de préférence dans la goutte. On peut attribuer ce fâcheux privilège à leur structure si peu vasculaire et à la réaction relativement peu alcaline de leur tissu propre ; deux circon-stances qui favorisent évidemment la formation de ces dépôts cristallins qui caractérisent la maladie.

3° La goutte se porte de préférence sur l'articulation méta-tarso-phalangienne du gros orteil. Cela tient peut-être à ce que cette jointure est l'une des plus éloignées du centre cir-culatoire; cela tient aussi, à ce que cette articulation qui est appelée à supporter le poids entier du corps, offre fréquem-ment des lésions antérieures à toute manifestation goutteuse ; et l'on sait que les causes traumatiques ont pour effet de pro-voquer l'invasion de la goutte.

4° On peut expliquer jusqu'à un certain point l'envahisse-ment successif des articulations, car lorsque des dépôts abondants se sont formés sur les cartilages d'une jointure, on peut dire qu'il y a saturation sur ce point; alors les au-tres articulations se prennent suivant un ordre plus ou moins régulier.

5° La formation des tophus reconnaît aussi pour cause la saturation des cartilages; aussi est-elle toujours un phéno-mène consécutif.

6° On peut se demander si les dépôts d'urate de soude dans

Gharcot, Œuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. ti

les cartilages sont la cause ou l'effet de l'inflammation locale. Garrod penche vers la première opinion. Il fait observer que l'inflammation suscitée par la présence des dépôts semble avoir pour effet de détruire l'urate de soude, et qu'à la suite d'un accès, le sang contient une proportion moins considé-rable de ce sel. En outre, les dépôts qui se forment extérieu-rement ne sont point précédés d'un travail inflammatoire, et s'ils déterminent quelquefois des accidents de ce genre, c'est uniquement à titre de corps étrangers (oreille externe).

7° Ainsi la formation de ces dépôts dans le cartilage pré-céderait la première attaque; et la formation de dépôts nou-veaux, soit dans la même jointure, soit dans de nouvelles articulations, occasionnerait les phénomènes locaux qui ca-ractérisent les accès subséquents.

8° Mais pourquoi cette vive douleur qui inaugure la série des accidents articulaires? On ne saurait l'attribuer à l'in-flammation; la fluxion locale est tout aussi vive, mais à coup sûr moins douloureuse dans le rhumatisme articulaire. Il faut, suivant Garrod, l'attribuer à la présence même des dépôts dans l'épaisseur du cartilage et à la tension qu'ils détermi-nent; car c'est seulement quand la goutte est intra-articu-laire que les souffrances sont aussi vives ; lorsque le dépôt se fait à l'extérieur, il n'en est pas ainsi.

9° Enfin les symptômes de l'arthrite se manifestent, et la réaction générale est provoquée par les phénomènes locaux : on sait que son intensité est en général proportionnelle au nombre des articulations envahies, et au degré de l'inflam-mation locale.

Tel est, messieurs, l'état de nos connaissances sur ce sujet. J'ai cru devoir me livrer une à discussion souvent aride pour vous montrer combien, à cet égard, il nous reste de progrès à réaliser.

Pour ce qui concerne la goutte viscérale, nous avons déjà signalé les résultats des intéressantes expériences deZalesky; elles nous ont prouvé que la ligature des uretères chez plu-sieurs animaux, provoque la formation des dépôts d'urate de soude dans les follicules de l'estomac. Il est fort possible que chez l'homme, les liquides gastro-intestinaux se chargent d'urates, dans le cas de saturation. Des phénomènes analo-gues peuvent sans doute se produire sur d'autres points. Chez les animaux qu'il avait mis en expérience, Zalesky a trouvé dans l'extrait musculaire une forte proportion d'urate de soude. On comprend aisément toute l'importance de ces faits au point de vue des accidents viscéraux de la goutte; mais, ce qu'il est moins facile d'expliquer, ce sont ces métastases soudaines qui transportent le travail morbide d'un point sur un autre : du gros orteil sur l'estomac, et de l'estomac sur les jointures. Sous ce rapport, la science n'a certainement pas dit son dernier mot.

Il me resterait à vous parler des moyens thérapeutiques qu'on peut opposer à la goutte. Mais j'aime mieux reporter ce sujet au moment où nous aborderons le traitement du rhumatisme chronique; nous trouverons dans ce rapproche-ment les éléments d'un parallèle non moins instructif que curieux.

ONZIÈME LEÇON

Du rhumatisme articulaire chronique et de ses lésions anatomiques.

Sommaire. — Le rhumatisme articulaire chronique est une affection essen-tiellement nosocomialc. — Nature de cette affection. — Ses rapports avec le rhumatisme aigu. — Principales variétés de cette maladie. — Rhuma-tisme articulaire chronique progressif (rhumatisme goutteux). — Rhuma-tisme articulaire chronique partiel. — Nodosités d'Hcberden : elles ne doi-vent point être confondues avec la goutte.

Caractères anatomiques du rhumatisme articulaire chronique. — Né-cessité d'étudier avec soin les lésions locales. Unité de cette affection. — Indication des premiers travaux qui se rapportent à ce sujet.

Caractères fondamentaux de l'arthrite rhumatismale chronique. — Alté-ration de la synoviale ; des cartilages diarthrodiaux ; du liquide intra-arti-culaire ; du tissu osseux. Étude histologiquc de ces diverses lésions. — Modifications qui correspondent aux principales formes cliniques de la maladie.

Messieurs,

Après avoir approfondi l'histoire de la goutte, nous allons nous occuper d'une affection si voisine de cette maladie, que bien des fois elle a été confondue avec elle. Nous espérons cependant vous prouver que cette assimilation n'est pas fon-dée, et qu'il faut réserver une place à part pour le rhumatisme articulaire chronique, qui va maintenant devenir le sujet de nos leçons.

Nous aurons sous ce rapport un grand avantage. Tandis que la goutte, qui, en France, n'est pas une maladie nosocomiale,

et qui d'ailleurs est peu fréquente dans le sexe féminin ; — tandis que la goutte est presque inconnnue à la Salpêtrière, le rhumatisme chronique est, au contraire, l'une des infirmités les plus communes dans cet établissement. En effet, cette affec-tion prédomine chez les femmes, parmi les classes peu favo-risées de la société. Aussi la proportion des pensionnaires admises dans cet hospice pour des lésions de cette espèce est-elle d'un quinzième environ par rapport à la population totale.

La plupart des auteurs qui ont spécialement étudié cette maladie, ont puisé leurs observations dans des établissements analogues à la Salpêtrière. En Angleterre, ce sont les work-houses (asile pour les pauvres) qui ont fourni les matériaux des intéressantes publications de Colles, Smith et Adam s. Vous savez que c'est à la Salpêtrière que Landré-Beauvais a rédigé la monographie que nous avons eu déjà l'occasion de citer. C'est donc une véritable étude clinique que nous allons entre-prendre ici, et j'aurai souvent l'occasion de mettre sous vos yeux, non-seulement des pièces anatomiques, comme nous l'avons souvent fait jusqu'ici, mais encore des malades atteints des lésions que je vais avoir à décrire.

I.

La dénomination que j'ai choisie pour désigner la maladie dont il s'agit consacre une interprétation nosographique à la-quelle j'adhère pleinement, mais que n'admettent pas tous les auteurs.

Parmi les adversaires de l'opinion que je soutiens, les uns déclarent qu'il s'agit ici d'une affection spéciale, et complète-ment indépendante de la goutte et du rhumatisme articulaire aigu : c'est Y arthrite rhumatoïde de Garrod (rheumatoid ar-

thritis), le rhumatisme goutteux de Fuller (rheumatic gout) Les autres considèrent les diverses formes du rhumatism* noueux comme subordonnées à la goutte.

Je vais m'efforcer, messieurs, de légitimer les idées aux-quelles je me rattache, et de vous montrer qu'on voit quel-quefois, au lit du malade, le rhumatisme articulaire chronique procéder directement du rhumatisme articulaire aigu, absolu-ment comme la pneumonie lobaire chronique peut succéder à la pneumonie aiguë. Il est vrai, toutefois, que nous voyons la forme chronique du rhumatisme articulaire se développer presque toujours spontanément, et sans passer par la forme aiguë ; mais ce fait négatif ne saurait infirmer la connexion que nous cherchons à établir.

Pour ce qui touche à la goutte, nous établirons plus tard une distinction radicale entre ces deux maladies.

II.

Le rhumatisme articulaire chronique se présente sous des aspects variés et tellement opposés en apparence, que plu-sieurs auteurs ont cru avoir sous les yeux plusieurs affections différentes. Nous n'y voyons, au contraire, que les formes diverses d'une seule et même maladie.

Pour n'en citer qu'un seul exemple, il nous suffira de vous dire que plusieurs auteurs admettent volontiers que le rhuma-tisme noueux n'est autre chose que le rhumatisme poly-arti-culaire à l'état chronique, mais qu'ils se refusent à reconnaître l'origine rhumatismale de l'affection, lorsqu'elle se localise sur une seule jointure, pour y produire lentement, insidieu-sement, les graves et profondes altérations du morbus coxœ senilis.

Nous espérons vous démontrer qu'il est de toute impossibi-

lité d'établir une distinction réelle entre ces formes diverses du rhumatisme, et qu'il est souvent possible, au contraire, de constater qu'elles procèdent toutes d'uue seule et même source.

Il est toutefois indispensable, au point de vue clinique, d'étudier séparément les principales variétés du rhumatisme chronique, comme s'il s'agissait, en réalité, de plusieurs ma-ladies distinctes : c'est là le seul moyen d'éviter toute con-fusion. Après ce travail préliminaire, nous nous efforcerons de mettre en lumière le lien commun qui les réunit.

Les types du rhumatisme articulaire chronique sont fort nombreux ; mais nous porterons principalement notre atten-tion sur les suivants :

1° Rhumatisme articulaire chronique progressif.

C'est le rhumatisme goutteux, ou rhumatisme noueux des auteurs ; la goutte asthénique primitive, de Landré-Beauvais ; les nodosités des jointures, de Haygarth.

Cette forme est la plus grave ; elle entraîne des infirmités déplorables. Quoique se portant de préférence sur les petites jointures, elle envahit aussi les grandes ; souvent elle déter-mine des rétractions musculaires et d'autres accidents.

On peut en distinguer deux espèces. Tantôt primitive, tan-tôt consécutive à la forme aiguë (ce qui est rare), cette affec-tion peut être bénigne ou maligne. Elle n'est pas toujours concentrée sur les jointures, et peut s'accompagner d'affec-tions viscérales, qui sont tantôt semblables à celles du rhuma-tisme aigu ( et qui en procèdent quelquefois), et tantôt propres au rhumatisme chronique ; il faut ranger dans cette dernière catégorie Yophthalmie et la néphrite albumineuse.

Les altérations locales sont celles de Varthrite sèche, qui sont d'ailleurs communes à toutes les formes chroniques, sauf quelques modifications secondaires.

2° Rhumatisme articulaire chronique partiel.

Dans ce type, les jointures affectées sont en petit nombre ; il n'y en a quelquefois qu'une seule. Les altérations articulaires^ sont les mômes que dans le cas précédent, mais avec beau-, coup plus de gravité, comme nous le voyons dans le morbus coxœ senilis. Les corps étrangers qui se développent parfois dans les jointures, prennent souvent, en pareil cas, un volu-me exceptionnel.

Au contraire, les affections viscérales ou ab-articulaires sont ici peu fréquentes ; il en existe cependant quelquefois. C'est surtout dans la forme bénigne de la maladie qu'elles se rencontrent ; on voit survenir, chez quelques-uns de ces sujets, certaines formes d'asthme et d'affections cutanées.

Il en est tout autrement dans la forme maligne, qui ne com-porte guère d'affections viscérales, et dans laquelle toute la maladie semble se concentrer sur la jointure affectée. On a vu cependant l'albuminurie se déclarer clans quelques cas excep-tionnels.

3° Rhumatisme d'Reberden.

Les nodosités d'Heberden (digitorum nodi) constituent le type le moins grave de cette maladie.

C'est surtout ici qu'une discussion critique deviendra néces-saire. Lorsqu'il s'agit du rhumatisme noueux, on reconnaît en général qu'il diffère de la goutte, au moins par certains carac-tères. Il n'en est pas de même pour la forme que nous signa-lons ici. Personne, on peut le dire, ne doute que ses lésions ne se rapportent bien et dûment à la goutte. Nous sommes obligés de soutenir une opinion diamétralement opposée. Nous nous proposons de décrire, d'une manière toute spéciale, les arthrites qui s'attaquent de préférence à la deuxième articulation des doigts et qui les déforment d'une façon si

singulière. A coup sûr, ces lésions ont frappé les regards de bien des observateurs ;mais elles n'ont pas encore été étudiées avec tout le soin qu'elles méritent. L'anatomie pathologique nous fera bientôt reconnaître qu'en dehors de leur siège spécial, ces arthropathies ne diffèrent en rien de celles qui constituent les deux types précédents ; et nous aurons l'occa-sion, dans la suite, de légitimer au point de vue clinique la séparation de ce types particuliers.

Nous nous contenterons, pour le moment, de faire observer que, dans le cas le plus ordinaire, on ne rencontre ici que des nodosités des phalangettes, presque toujours indolentes, sans autre complication. Quelquefois cependant, plusieurs autres jointures, dont quelques-unes sont au nombre des plus importantes, se trouvent affectées en môme temps; enfin, la lésion articulaire peut coexister avec des douleurs musculaires ou des névralgies, qui occupent tantôt le sciatique, tantôt le trifacial, tantôt d'autres troncs nerveux.

Parmi les affections viscérales qui se rattachent à cette va-riété, nous indiquerons tout spécialement Y asthme et la mi-graine.

III.

Nous allons maintenant nous occuper des caractères anato-miques du rhumatisme chronique.

Lorsque nous avons essayé de tracer l'histoire de la goutte, nous avons rencontré dès le principe, une donnée fondamen-tale, qui domine l'ensemble des manifestations symptomatiques de cette maladie : nous voulons parler de Valtération du sang par excès d'acide nrique. Nous ne trouvons, pour nous guider dans l'étude du rhumatisme chronique, aucun caractère d'une portée aussi générale ; et bien qu'il soit probable que, dans le rhumatisme comme dans la goutte, il existe une modification

spéciale des liquides de l'économie, cette hypothèse est encore loin d'être démontrée.

Il faudra donc recourir à l'examen approfondi des lésions locales ; nous poursuivrons ces recherches au double point de vue de la clinique et de l'anatomie pathologique, mais en in-sistant surtout sur ce dernier côté de la question, pour le mo-ment du moins.

L'anatomie pathologique nous permet, en premier lieu, de démontrer Yunité de cette affection ; car les diverses formes qu'elle peut revêtir se distinguent surtout par leurs caractères cliniques, et présentent, sous le rapport des altérations locales, un type commun, modifié par quelques différences d'ordre se-condaire. Elle nous permet, en second lieu, de rattacher la forme chronique du rhumatisme articulaire à la forme aiguë ou subaiguë ; elle nous permet enfin d'établir une séparation radicale entre cette maladie et les autres diathèses qui partagent avec elle le privilège de se localiser sur les jointures ; telles sont, par exemple, la goutte, la scrofule et la syphilis.

Il ne faut pas remonter bien loin dans l'histoire, pour ren-contrer les premiers travaux qui se rapportent à notre sujet.

Les médecins de l'antiquité, comme nous vous l'avons déjà fait observer, paraissent avoir confondu le rhumatisme articu-laire avec la goutte, et l'on a pu se demander si la première de ces deux affections n'était pas une de celles qui appartiennent aux temps modernes. Sous ce rapport, l'archéologie vient au secours de la médecine, et les fouilles de Pompéi nous ont appris que le rhumatisme chronique existait déjà au Ier siècle de l'ère chrétienne. Délie Chiaje, dans un ouvrage intitulé : « Osteologia pompeiana », a figuré des lésions articulaires qui sont identiques à celles que nous trouvons dans les planches de l'ouvrage classique d'Adams. Il ne saurait donc exister aucun doute sur ce point; toutefois, le rhumatisme chronique n'a été reconnu comme une espèce morbide à part, que depuis

les travaux de Sydenham et de Musgrave et les premières monographies consacrées à l'étude de cette affection datent du commencement de ce siècle ; nous citerons surtout celle deLandré-Beauvais(an VIII), de Haygarth(1809) et de Chomel (1813). C'est un peu plus tard que les traits fondamentaux de l'arthrite rhumatismale chronique ont été mis en lumière ; en France, Lobstein (1832), à propos de Y ostéopsathyrose arthri-tique, a reconnu que dans cette affection, il existait une fragi-lité spéciale des os ; que la destruction des cartilages articu-laires était suivie de l'éburnation, et qu'au pourtour des extrémités articulaires, il se formait des végétations osseuses.

Vers la même époque, un médecin irlandais, Colles, remar-quait que cette inflammation diffère des autres par un carac-tère tout spécial. « Deux processus très opposés ont lieu en même temps, dit-il, à savoir : absorption de l'os ancien et de son cartilage d'incrustation, et formation d'un os nouveau. »

Mais c'est surtout à Adams (1), contemporain et compa-triote de Colles, que nous devons les meilleures études sur ce sujet (1839-1857). En ce qui concerne l'examen à l'œil nu, ses descriptions ont laissé fort peu de chose à désirer ; cepen-dant, une mention spéciale est due aux travaux de MM. De-ville et Broca, sur Y arthrite sèche (1850). Ils ont complété, à certains égards, les descriptions données par Adams. De nos jours, les études histologiques ont jeté sur cette question une vive lumière.

En Allemagne, Zeis, H. Meyer (2) et Otto Weber (3) nous ont appris comment chaque tissu se modifie sous l'influence du rhumatisme chronique, et ont ainsi donné la raison de plusieurs phénomènes qui, sans cela, seraient restés inexpli-cables.

1. A Tréaiise on Rheumatic gout, by R. Adams, M. D., etc. London, 1857.

2. Miiller's Archiv, 1849.

3. Virchow's Archiv. Janvier 1858, p. 74.

A. — Indication sommaire des caractères fondamentaux de l'arthrite rhumatismale chronique.

L'affection que nous allons étudier porte sur l'ensemble des parties constituantes de la jointure, mais elle s'accuse d'abord sur la membrane synoviale et sur les cartilages diarthrodiaux; ces deux parties peuvent être affectées simultanément ou successivement. La membrane synoviale devient le siège d'une vascularisation extrême ; les franges synoviales préexis-tantes augmentent de volume et de nouveaux appendices villeux sont formés ; enfin des corps étrangers peuvent se développer soit aux dépens des franges elles-mêmes, soit dans l'épaisseur de la synoviale.

Il se produit en même temps une modification de la syno-vie articulaire; au début, la sécrétion de ce liquide est exagé-rée; ce phénomène est constant, d'après Adams. Plus tard, le liquide intra-articulaire peut subir divers changements; mais jamais il ne renferme de pus, à moins de complications particulières. La destruction du cartilage diarthrodial s'opère suivant un mode déjà connu de William Hunter, et bien étu-dié par Redfern (2) ; il est connu sous le nom d'altération velvétique. On voit d'abord le cartilage se segmenter sous

1. Ranvier. — Thèse de Paris, 1865 ; Cornil (traduction de Niemeyer, Pa-thol. interne, t. II, p. 556) ; Vergely, Thèse de Paris, 1856.

2. Edimburgh médical Journal, 1849.

En France, ces résultats ont été confirmés et développés par les recherches de MM. Ranvier, Gornil, et Vergely (1).

C'est à l'aide de ces documents et en nous fondant sur les études que nous avons faites nous-meme que nous allons vous donner une description du travail morbide qui caracté-rise le rhumatisme articulaire chronique.

forme de fibrilles, puis ces fibrilles elles-mêmes disparaissent, et le cartilage est détruit.

Voyons maintenant quels sont les changements qui se pas-sent, à la même époque, dans le tissu osseux. Nous consta-tons d'abord l'éburnation de la surface articulaire, soit aux dépens de la partie profonde du cartilage, soit aux dépens de l'os préexistant; en même temps, il se produit des végétations osseuses, situées en général à la limite du cartilage. Ces ostéophytes ont d'abord une structure cartilagineuse; ils s'im-prègnent ensuite de sels calcaires, et finissent par s'ossifier.

Une troisième altération, dont l'importance est au moins égale à celle des lésions précédentes, est la réfraction du tissu osseux aux extrémités articulaires. En premier lieu, il se développe une vascularisation évidente au-dessus de la cou-che éburnée, et une moelle osseuse, de formation nouvelle, prend naissance en cet endroit; en second lieu, l'os se raréfie et se transforme en une sorte de moelle graisseuse au-dessous de ce point.

Telles sont les données fondamentales qu'il importe de con-stater ici. Il existe sans doute bien d'autres altérations ; mais comme elles ne sont point communes à toutes les formes du rhumatisme articulaire, nous les étudirons en temps et lieu.

Nous allons reprendre actuellement chacun des faits que nous venons de signaler,pour l'étudier d'une manière plus approfon-die à l'aide des moyens d'investigation que nous possédons au-jourd'hui.

B. — Etude hjstologique.

1° Altérations de la synoviale. — Elles ne consistent, jus-qu'à un certain point, qu'en une simple exagération des dis-positions qui existent à l'état rudimentaire dans les conditions normales.

On sait que la membrane synoviale est garnie de franges qui présentent elles-mêmes des appendices (1). On voit, à l'état pathologique, ces petits prolongements augmenter de nombre et présenter une vascularisation plus intense.

Il existe, à l'état normal, des cellules de cartilage dans ces appendices synoviaux (Kôlliker). Ces noyaux cartilagineux peuvent devenir le point de départ des corps étrangers pédi-cules dont nous avons déjà parlé. D'après M. Ranvier, il y aurait d'abord prolifération des cellules, puis formation d'un vrai cartilage ; la calcification viendrait ensuite, et en dernier lieu, l'ossification proprement dite avec corpuscules osseux.

Daus l'épaisseur delà synoviale, il peut se former des corps étrangers sessiles qui passent absolument par les mêmes pha-ses que ceux qui sont pédicules.

2° Altérations du cartilage. — Pour ce qui touche aux alté-rations du cartilage diarthrodial, nous nous trouvons en pré-sence de deux faits principaux: le premier est la prolifération des cellules et la formation de capsules secondaires ; le second est la segmentation de la substance fondamentale. Elle se divise en fibrilles qui deviennent libres par l'extrémité qui ré-pond à la cavité articulaire. Ce processus pathologique doit être étudié à la surface du cartilage et dans sa profondeur.

A la surface, la segmentation a pour effet de livrer passage aux capsules, qui s'ouvrent dans la cavité articulaire pour y verser leur contenu. On les y retrouve souvent avec les débris des cellules épithéliales (Rindfleisch, 0. Weber); d'autres fois, elles éprouvent la métamorphose colloïde.

Quant aux fibrilles de la substance fondamentale du carti-lage, elles subissent la dégénération muqueuse, et se trans-

1. Kôlliker. — Éléments d'histologie humaine, trad. Béclard et Sée. Paris 1856, p. 253.

forment en mucosine (Rindfleisch) qui se trouve abondamment dans le liquide articulaire.

D'autres fois, ces portions altérées de cartilage sont usées peu à peu par les frottements articulaires ; elles finissent par tomber, et laissent à nu les surfaces osseuses.

Dans les parties jjrofondes, la prolifération des cellules

Vig. 12. — Rhumatisme noueux. Surface du cartilage d'une articulation pha-langienne (d'après M. Ranvier).

a, Capsule primitive remplie de capsules secondaires.

o, Substance fondamentale segmentée. Les capsules primitives viennent se vider à la surface libre du cartilage.

aboutit à la formation d'une couche osseuse nouvelle. Les capsules mères s'infiltrent de sels calcaires et s'ouvrent dans les espaces médullaires superficiels : les cellules qu'elles con-tiennent deviennent des cellules embryonnaires de la moelle, et c'est à leurs dépens que se forme le nouveau tissu osseux.

C'est ainsi que se produit l'éburnation de la surface. C'est une sorte de sclérose de l'os accompagnée d'une vascularisa-tion des parties profondes. 11 se produit ici un phénomène singulier et qui rappelle, à certains égards, les faits observés par les géologues relativement à l'action des glaciers sur les

roches. Les surfaces éburnées présentent des stries, des rayures plus ou moins profondes dans le sens des mouvements ar-ticulaires, et témoignent ainsi d'une réparation imparfaite en présence de l'usure occasionnée par les frottements.

Le cartilage diarthrodial, comme on sait, est recouvert à

Fia. 13. — Rhumatisme noueux. Couche profonde du cartilage d'une phalange (d'après M. Ranvier).

a. Capsule normale

b. Capsules voisines de l'os ; elles son! agrandies et remplies de capsules se-

condaires.

c. Capsules primitives venant s'ouvrir dans les espaces médullaires pour y dé-

verser leur contenu.

d. Substance osseuse.

e. Moelle qui remplit les aréoles de la surface. Sur ce point elle est embryon-

naire, puisque les capsules y ont versé leur contenu ; un peu plus loin elle est adipeuse.

sa périphérie par la membrane synoviale. D'après M. Ranvier, cette disposition s'oppose, dans les cas où l'articulation est envahie par le rhumatisme, à ce que les capsules viennent

s'ouvrir dans la cavité articulaire pour y déverser leur con-tenu. Elles continueraient alors à proliférer sur place et déter-mineraient ainsi la formation de ces bourrelets, d'abord car-tilagineux, plus tard osseux, qu'on rencontre en cet endroit.

Aussi M. Ranvier rattache-t-il toutes les productions os-seuses nouvelles qui se développent dans ces circonstances, à la prolifération des cellules du cartilage diarthrodial. Cepen-dant le périoste y prend vraisemblablement une certaine part; d'ailleurs, il peut exister une ossification simultanée des cap-sules articulaires, des ligaments, des tendons et des muscles. Quant aux ligaments interarticulaires, aux ménisques, etc., ils s'usent et disparaissent par un mécanisme analogue à celui qui détruit les cartilages, mais qui n'a pas encore été suffisam-ment étudié.

Tels sont, messieurs, les faits les plus généraux que j'avais à vous signaler ; mais il existe de nombreuses modifications à cet égard, suivant la forme clinique du rhumatisme qu'on en-visage et suivant quelques circonstances particulières qui résultent des conditions mêmes de la maladie. C'est ainsi que les altérations qu'on rencontre dans une articulation condam-née au repos absolu diffèrent de celles qui coïncident avec une conservation plus ou moins complète des mouvements. Nous nous sommes placés jusqu'à présent dans cette dernière hypothèse. Nous allons maintenant étudier les modifications qui se rapportent au cas où la jointure est immobile.

En pareil cas, d'après Adams, l'éburnation ne s'observe plus; mais il se produit une néoplasie de tissu conjonctif aux dépens de la synoviale. Le cartilage peut y participer aussi, suivant Forster; c'est tantôt la substance fondamentale qui subit cette transformation ; tantôt, au contraire, ce sont les cellules du cartilage qui prennent l'apparence de cellules de tissu conjonctif. Quelle que soit la valeur de cette théorie, on

Ciiarcot. Œuv. compl. t. vu, Malad. des Vieillards. 12

voit se former un tissu embryoplastique qui unit les os les uns aux autres, et qui se vascularise à un moment donné ; il se forme alors une ankylose tantôt celluleuse, tantôt osseuse. Ce dernier cas est très rare ; il n'a lieu que dans les très pe-tites jointures.

L'influence du repos prolongé a encore pour effet d'amener une atrophie et une friabilité extremes du tissu osseux ; peut-être y a-t-il disparition des bourrelets et des végétations cor-respondantes. Ce processus atrophique, qui est commun dans le rhumatisme généralisé, se voit aussi quelquefois, mais rare-ment, dans le morbus coxse senilis (Adams).

C. — Modifications qui correspondent aux formes principales

du rhumatisme articulaire chronique.

La description que nous venons de donner s'applique prin-cipalement au rhumatisme généralisé et au rhumatisme d'He-beden. Ici les altérations de l'arthrite sèche se trouvent à l'état rudimentaire ; mais dans l'arthrite partielle, elles présentent un énorme développement et deviennent presque méconnais-sables. On voit se former d'énormes végétations osseuses : c'est ce qui se produit, par exemple, dans le morbus coxse se-nilis. On voit se produire au degré le plus élevé l'usure et l'éburnationdes cartilages et des os, d'où résulte une défor-mation des têtes osseuses. Enfin, c'est là que se manifeste, au plus haut degré, l'atrophie des os. On expliquait autrefois ces lésions par l'ostéomalacie, le rachitisme sénile (Malgaigne, Haltier).

Dans les articulations qui, par des raisons encore peu con-nues, comportent la présence de corps étrangers, on les voit se développer en quantité innombrable ; c'est ce qui arrive, par exemple, pour l'épaule et le genou ; mais il en est tout au-

trement pour l'articulation de la hanche et pour celles des doigts. Il existe, en outre, des épaississements considérables des capsules fibreuses et des ossifications des ligaments et des tendons. Remarquons cependant que ces différences ne sau-raient justifier une séparation radicale : dans le rhumatisme partiel, il existe bon nombre de jointures où les altérations ne sont portées qu'à un bien moindre degré, et dans le rhuma-tisme généralisé quelques-unes des articulations malades of-frent des lésions tout aussi prononcées que dans le rhumatisme partiel ; c'est ce qui a lieu par exemple pour la colonne verté-brale.

Pourterminer cette étude, il nous reste à comparer, sous le rapport de l'anatomie, le rhumatisme chronique aux autres arthropathies à lente évolution.Mais avant d'aborder ce sujet, nous voulons vous signaler les analogies qui relient la forme chronique du rhumatisme articulaire à la forme aiguë.

DOUZIÈME LEÇON

Parallèle entre le rhumatisme articulaire chronique et les autres arthropathies constitutionnelles, au point de vue anatomique.

Sommaire. — Analogie entre les lésions du rhumatisme articulaire chronique, et celles du rhumatisme articulaire aigu. — Altérations des jointures dans le rhumatisme articulaire aigu et subaigu. — Elles sont tantôt nulles, tantôt manifestes. — Arthrite avec exsudation. — L'inflammation n'est pas superficielle. — Les cartilages et les os peuvent y participer. — Lésions de la synoviale. — Lésions des cartilages diarthrodiaux. — Lésions des os.

— Nature du liquide épanché dans la cavité synoviale. — Analogie de ces lésions avec celles du rhumatisme chronique.

Caractères qui distinguent l'arthrite déformante des autres arthropathies.

— Arthrite par repos prolongé. — Arthrite scrofuleuse. — Arthropathies syphilitiques. — Arthropathie goutteuse.

Les altérations du rhumatisme chronique n'ont pas un caractère spéci-fique. — Elles peuvent résulter de plusieurs causes étrangères au rhuma-tisme. — Elles sont alors, presque toujours, monoarticulaires. — Le rhu-matisme chronique est le plus souvent polyarticulaire.

Messieurs,

Nous sommes actuellement en mesure de comparer, au point de vue de l'anatomie pathologique, le rhumatisme ar-ticulaire chronique aux autres arthropathies à lente évo-lution.

Mais avant d'entreprendre ce parallèle, il est indispensable de faire ressortir les points de contact qui existent entre les alté-rations du rhumatisme articulaire chronique et celles du rhu-

I. — Altérations des jointures dans le rhumatisme aigu

et subaigu.

Dans le langage scolastique de l'ancienne médecine, le terme subaigu s'appliquait aux maladies aiguës dont la durée dépassait vingt et un jours — limite extrême des maladies ai-guës proprement dites, — et pouvait s'étendre jusqu'à quarante jours. Les faits pathologiques ne se prêtent pas à des divisions aussi arbitraires, et sous le nom de rhumatisme ar-ticulaire subaigu, nous désignerons une affection dont l'évo-lution est, à la vérité, plus lente que celle du rhumatisme ar-ticulaire aigu, mais qui en diffère encore sous d'autres rap-ports, sans toutefois s'en éloigner radicalement. Mais il faut reconnaître aussi qu'elle se rapproche déjà, par certains carac-tères, du rhumatisme articulaire chronique.

Ainsi, dans cette forme de maladie, les affections articulai-res ont plus de fixité : la fièvre est moins intense, et se rap-proche de la fièvre hectique ; les petites jointures sont sou-

matisme articulaire aigu. Nous reconnaîtrons bientôt que les lésions de la forme chronique ne sont, pour ainsi dire, que la plus haute expression des lésions de la forme aiguë ; elles correspondent à une phase plus avancée du travail morbide. L'analogie que nous signalons ne frappe pas au premier abord, surtout si l'on compare entre eux des cas extrêmes , et si l'on met en présence , par exemple, le rhumatisme articulaire fu-gace et le morbus coxœ senilis ; mais elle s'accuse, au con-traire, de la manière la plus manifeste, si l'on choisit pour termes de comparaison des cas subaigus, qui établissent, au point de vue clinique comme au point de vue anatomique, une transition entre les formes aiguës et les formes chroniques du rhumatisme articulaire.

vent affectées, et quelquefois en grand nombre. On sait que le contraire a lieu dans le rhumatisme articulaire aigu. Enfin les affections viscérales , ou tout au moins certaines d'entre elles (endocardite, péricardite) sont moins fréquemment ob-servées.

Tels sont les caractères fondamentaux du rhumatisme arti-culaire subaigu. Nous aurons plus tard à vous présenter de nouvelles considérations sur ce point. Nous voulons pour le moment, indiquer les lésions qu'on remarque dans les join-tures, dans le rhumatisme articulaire aigu, et dans le rhuma-tisme articulaire subaigu.

• D'interminables discussions ont eu lieu, à une certaine époque, au sujet des lésions du rhumatisme articulaire aigu. Cette affection peut-elle se terminer, oui ou non, par suppu-ration ? Les uns prétendaient que le rhumatisme articulaire ne laisse jamais de traces dans les jointures; les autres assuraient qu'il y déterminait les altérations les plus graves, et pouvait conduire à l'arthrite purulente.

Aujourd'hui la question est jugée, et une appréciation plus saine des faits a eu pour résultat d'établir que, des deux parts, on avait considérablement exagéré.

11 est vrai que, quelquefois, l'inflammation rhumatismale des jointures peut ne laisser derrière elle aucune altération appréciable (Grisolle, Macleod, Fuller), et que, dans certains cas, au contraire, elle peut donner naissance à l'arthrite puru-lente (Bouillaud). Mais les faits de ce genre sont très excep-tionnels, et ce qu'on rencontre dans l'immense majorité des cas, ce sont les caractères de l'arthrite avec exsudation séro-fibrineuse; la synoviale est rouge et vascularisée, et sa cavité renferme un liquide séreux dans lequel nagent des flocons fibrineux.

On a pensé pendant longtemps qu'il s'agissait là d'une in-flammation tout à fait superficielle, et que la membrane syno-

viale était seule affectée (synovite); mais il est aujourd'hui démontré que les cartilages et même les os peuvent participer à ces altérations.

Les lésions de la synoviale ne méritent pas de nous arrêter longtemps. Il s'agit : 1° d'une vascularisation plus ou moins prononcée des franges synoviales qui existent à l'état normal ; 2° d'une dilatation variqueuse de leurs vaisseaux (Lebert).

Fig. 12. — Rhumatisme articulaire aigu. Surface du cartilage des condyles du fémur (d'après M. Ranvier).

La substance fondamentale est segmentée transversalement. Les capsules su-perficielles contiennent plusieurs capsules secondaires. Une seule est restée normale, et renferme une petite masse cellulaire.

Fig. 13. — Rhumatisme articulaire aigu. Surface du cartilage de revêtement de la rotule (d'après M. Ranvier).

Les capsules primitives de la surface contiennent plusieurs capsules secon-daires. La substance fondamentale est segmentée transversalement. Un lambeau oblique, enlevé à la surface, est devenu flottant.

Les altérations des cartilages ont une bien plus grande im-portance : nous en devons la connaissance à l'intéressant tra-vail de MM. Ollivier et Ranvier.

On avait déjà remarqué (Garrod) que les cartilages diarthro-

diaux offrent quelquefois une certaine capacité, et ont perdu le poli, la coloration bleue et la consistance qui les carac-térisent à l'état sain. MM. Ollivier et Ranvier ont montré en outre qu'il y a souvent des altérations appréciables à l'œil nu ; ce sont des tuméfactions partielles du cartilage qui lui donnent un aspect mamelonné, quelquefois môme de véritables éro-sions. Mais, même dans les cas où il n'y a aucune altération appréciable à l'œil nu, le microscope y dévoile des lésions très manifestes et probablement constantes.

A un premier degré, les chondroplastes les plus superficiels sont devenus globuleux; la cellule qu'ils contiennent s'est divisée, et a donné naissance à une ou deux cellules secon-daires.

Les choses peuvent en rester là, et on comprend aisément qu'en pareil cas, les éléments histologïques peuvent revenir; à l'état normal; mais à un degré plus élevé, il y a une segmen-tation de la substance fondamentale dans le sens horizontal; c'est une sorte d'état velvétique caractérisé par des sillons qui pénètrent plus ou moins profondément dans le tissu. Dans l'intérieur de ces sillons de formation nouvelle, les capsules viennent s'ouvrir pour y verser les cellules qu'elles contien-nent ; on voit alors celles-ci se mêler au liquide synovial pour y subir la transformation muqueuse. Il y a là, comme vous le voyez, de grandes analogies avec ce qui se passe dans les cas d'arthrite déformante.

Mais les altérations que présentent les surfaces osseuses rendent l'analogie plus frappante encore; elles paraissent, dans certains cas, participer au travail phlegmasique. D'après Gurlt (1), la moelle des extrémités osseuses subit une vascula-risation prononcée avec prolifération de ses cellules. Hasse (2)

1. Porster. —Handbuch der path. Anat., p. 1000.

2. Hasse. — Zeitschrlfc fur rat. Mecl., Bd. 5, p. 192-212.

el Kussmaul (1) ont aussi parlé de quelques altérations des os et du périoste dans le rhumatisme articulaire aigu.

Il nous reste à dire un mot sur la nature du liquide contenu dans la cavité synoviale. Il présente quelquefois une réaction acide, et tient en dissolution de l'albumine et de la mucosine; on y voit flotter des flocons fibrineux, des grumeaux de mu-cus concret et des corps globuleux, dont les uns sont des cel-lules de cartilage ou des cellules épithéliales ayant subi la dé-génération graisseuse, tandis que les autres ont beaucoup d'analogie avec les globules purulents ; quelquefois même, on y trouve de véritables globules de pus. Mais on peut dire qu'en général ce dernier élément ne prédomine pas, sauf dans des cas exceptionnels où il s'agit d'un rhumatisme consécutif, symptomatique, ou d'une arthropathie rhumatismale se com-binant avec la diathèse purulente.

En somme, si nous cherchons à interpréter ces phénomènes, la fibrine et les globules de pus correspondent à une synovite aiguë; tandis que la mucosine est produite par la transforma-tion des cellules épithéliales et de la substance fondamentale du cartilage.

Ces altérations, qui présentent avec celles du rhumatisme articulaire chronique des analogies incontestables, s'en rap-prochent encore davantage lorsqu'il s'agit de la forme subai-guë. Ainsi, dans des cas où le rhumatisme avait duré près de deux mois, j'ai trouvé un épaississement de la synoviale avec des prolongements villeux très accentués; des érosions, des altérations velvétiques très prononcées se rencontraient en plusieurs points.

Chez un sujet, mort le vingt-cinquième jour à la suite d'ac-cidents cérébraux, Bonnet avait déjà trouvé des altérations analogues (2). Ces lésions se rencontrent encore à l'état de

1. Kussmaul. —Arch. fur physiol. Heilkunde, t. XI, 1852.

2. Bonnet. — Traité des maladies des articulations. Paris, 1845, t. I, p. 32

vestiges chez des sujets qui succombent à des affections orga-niques du cœur, après avoir eu autrefois plusieurs accès de rhumatisme articulaire aigu. Il y a une transition insensible entre ces faits et ceux où, par suite de la prolongation ou du retour incessant de l'affection rhumatismale, la maladie est devenue décidément chronique. Les altérations sont alors plus profondes ; les villosités synoviales se sont développées, les corps étrangers commencent à se produire, les surfaces articulaires commencent à subir l'éburnation, et les végéta-tions osseuses se forment autour des jointures : enfin le tissu osseux est devenu friable vers les extrémités articulaires.

C'est ainsi qu'on parvient à prouver, au point de vue ana-tomique, la connexité étroite qui relie entre elles les diverses formes du rhumatisme articulaire. Ce ne sont point des affec-tions différentes : ce sont des variétés d'une seule et même espèce morbide.

II - ALTÉRATIONS DES JOINTURES DANS CERTAINES AFFECTIONS

INDÉPENDANTES DU RHUMATISME.

Un mot maintenant sur les caractères qui distinguent l'ar-thrite déformante des autres arthropathies chroniques.

1° Arthrite par repos prolongé. — Au premier degré, d'après ïeissier et Bonnet (1), l'arthrite par repos prolongé donne lieu aux lésions suivantes : un épanchement séro-san-guin se forme dans la jointure; on y trouve même parfois du sang liquide. La synoviale est injectée, ecchymosée, quelque-fois même il y aurait, dit-on, des ulcérations des cartilages.

Mais à un degré plus avancé, j'ai pu constater qu'il existait

1. Teissier. — Mémoires sur les effets de l'immobilité longtemps prolongée des articulations. Lyon, 1844. — Bonnet, op. cit., t. I.

sur les cartilages diarthrodiaux, des ulcérations centrales, taillées abruptement comme avec un emporte-pièce, et des ulcérations périphériques. Il n'y a pas de bourrelets osseux, ni d'ankyloses celluleuses, mais on trouve une raréfaction très prononcée du tissu osseux. Mais ce qui caractérise essentiel-lement cette arthropathie, c'est l'existence d'une couche de tissu conjonctif qui recouvre le cartilage diarthrodial dans toute son étendue ; cette membrane peut aisément se déta-cher des surfaces sous-jacentes, et l'on trouve alors le carti-lage dont les cellules ont subi dans les chondroplastes la dégé-nération graisseuse. Cette membrane est souvent pénétrée d'arborisations vasculaires, qui s'avancent parfois vers les parties centrales ; il est probable que les cas de vascularisa-tion des cartilages, qui ont été signalés par certains auteurs, s'expliquent de cette manière. J'ai pu constater ces lésions chez les sujets frappés depuis longtemps d'hémiplégie ou de paraplégie, surtout aux parties qui restent découvertes, lors-qu'il existe une déformation articulaire.

Vous savez que certaines de ces altérations se trouvent combinées avec celles de l'arthrite déformante, dans le cas où les articulations sont condamnées à un repos absolu. Au reste, il faut reconnaître que c'est là une question importante, mais encore peu étudiée et qui réclame de nouvelles recher-ches.

2° Arthrite fongueuse ou scrofuleuse. — Les recherches de M. Ranvier (1) établissent que l'arthrite fongueuse se sé-pare profondément de l'arthrite sèche, même au point de vue des lésions élémentaires. C'est ce que démontre l'étude des lésions qui caractérisent cette maladie. Pour ce qui concerne les os et les cartilages, dans l'arthrite déformante, il y a proli-

1. Ranvier. — Des altérations histologiques du cartilage dans les tumeurs blanches. Paris, 1866.

fération des éléments cellulaires; dans l'arthrite fongueuse, au contraire; ces éléments sont frappés de mort et subissent la dégénération graisseuse, comme on le voit dans les os et les cellules de cartilages. D'ailleurs, à une époque plus avan-cée de la maladie, la distinction s'accuse de la manière la plus évidente : l'arthrite fongueuse donne lieu à des végétations des os et des membranes synoviales, avec destruction et résorption des cartilages; puis survient la carie ou la nécrose des os, et en dernier lieu, on voit se former des abcès péri-phériques qui entourent l'articulation malade.

Fig. 14. — Section perpendiculaire à la surface du cartilage diarthrodial du fémur, chez un enfant atteint d'une tumeur blanche (d'après M. Ranvier).

Les capsules de la surface contiennent chacune une petite masse constituée par des granulations accumulées dans les corpuscules cellulaires. C'est là l'altération du cartilage au début de l'affection.

Il existe cependant des analogies entre ces deux affections. Dans certains cas d'arthrite scrofuleuse, il y a prolifération active des éléments du cartilage ; mais ce phénomène est secondaire. Il se produit quelquefois aussi des stalactites osseuses, mais elles sont très vasculaires (Billroth) ; elles dif-fèrent profondément des stalactites épaisses, à bords mousses, ayant la forme de gouttes de suif et généralement peu vascu-laires, qui caractérisent l'arthrite déformante. Ainsi les lésions élémentaires de ces deux affections diffèrent les unes des autres; mais il existe des cas mixtes où elles peuvent se trouver réunies.

3° Passons maintenant aux arthropathies syphilitiques. 11 est extrêmement probable que sous cette dénomination, on a

Fig. 15. — Section d'un cartilage goutteux, perpendiculairement à la surface articulaire (d'après M. Gornil).

p, Surface articulaire.

v, n Groupe de cellules cartilagineuses infdtrécs et hérissées de cristaux

soyeux d'urate de soude, o, Capsule cartilagineuse normale, contiguë à des cristaux formés dans la

substance fondamentale du cartilage. (Grossissement de 200 diamètres.)

M. Lancereaux, auquel on doit un travail approfondi sur cette matière, s'est attaché à décrire avec soin les lésions arti-culaires de la syphilis. Il en distingue deux espèces : 1° les arthropathies secondaires, qui ont les allures du rhumatisme articulaire aigu ou subaigu ; 2° les arthropathies tertiaires, qui

1. Lancereaux. — Traité de la Syphilis, 1866, p. 182.

plus d'une fois décrit les rhumatismes, soit aigu, soit chro-nique, chez les sujets syphilitiques; car ces deux diatheses sont loin de s'exclure réciproquement. Cependant, quelques particularités cliniques et l'influence décisive du traitement spécifique, dans certains cas où le prétendu rhumatisme traî-nait en longueur, ont conduit quelques médecins, parmi les-quels nous citerons Babington, Boyer et M. Lancereaux (1), à penser qu'il existe réellement des arthropathies spéciales, relevant directement d'une infection vénérienne.

se rapprochent de certaines formes du rhumatisme chronique ; ces dernières sont les seules qu'il ait été possible d'étudier au point de vue anatomique. Elles débutent dans le tissu cellu-laire sous-synovial et dans le tissu fibreux, et sont caractéri-sées par la formation d'un néoplasme qui rappelle absolu-ment les tumeurs gommeuses par sa texture et son aspect extérieur.

Dans les cas observés par M. Lancereaux, il n'y avait pas d'altération de la synoviale, cependant les cartilages diarthro-diaux étaient érodés.

Fig. 16. — Représentation, en partie schématique, de la dissolution desurates qui incrustent une cellule cartilagineuse, sous l'influence de l'acide acé-tique (d'après M. Cornil).

c, Capsule cartilagineuse hérissée de cristaux libres.

c', Même capsule : les cristaux sont dissous, et il se forme d'autres cristaux d'acide urique.

c", Capsule dont la membrane apparaît, tandis que la cellule reste encore in-crustée.

c'", Toute la cellule est claire, sauf un petit noyau central.

4° Arthropathies goutteuses. — Les lésions de l'arthrite déformante présentent assez de ressemblance avec celles de la goutte pour qu'il soit souvent facile de les confondre au lit du malade ; mais, au point de vue anatomique, il n'en est plus de même. On ne trouve jamais la moindre trace d'un dépôt d'u-rate de soude, soit dans les affections articulaires qui relè-vent du rhumatisme, soit dans les autres arthropathies que nous venons d'énumérer.

L'infiltration uratique du cartilage est donc le caractère fon-damental de la goutte articulaire ; en outre, il n'existe ici au-cune autre lésion constante du cartilage. 11 n'y a point de segmentation de la substance fondamentale, et de proliféra-tion des cellules, de telle sorte que, si les deux altérations se rencontrent simultanément, il y a évidemment juxtaposition des deux maladies ; elles ne se transforment jamais pour se confondre (1).

On peut considérer les lésions articulaires de la goutte commme le résultat de la présence d'un corps étranger à l'in-térieur des tissus : tandis que les lésions du rhumatisme, au contraire, répondent à de véritables altérations des éléments histologiques. Aussi lorsqu'on traite par l'acide acétique un fragment de cartilage enlevé aux surfaces articulaires d'une jointure envahie par la goutte, on voit se dissoudre les cris-taux d'urate de soude dont les cellules sont infiltrées ; celles-ci reprennent alors leur aspect normal.

Nous croyons avoir établi : 1° l'unité des diverses formes cliniques du rhumatisme articulaire chronique au point de vue de l'anatomie morbide ; 2° l'existence d'une relation incon-testable entre les altérations de l'arthro-rhumatisme aigu et celle de l'anthro-rhumatisme partiel ou chronique ; 3° l'exis-tence d'une séparation tranchée, toujours au point de vue ana-tomique, entre l'affection qui nous occupe en ce moment et les autres arthropathies d'origine constitutionnelle.

Messieurs, dans le cours de cette exposition, une question a dû bien souvent se présenter à votre esprit. Les altérations que nous venons de décrire ont-elles un caractère spécifique ?

1. Gharcot et Gornil. — Contribution à l'étude des altérations anatomiques de la goutte. (Mémoires de la Société de Biologie, 1864. Voir aussi plus loin dans ce volume).

En d'autres termes, sont-elles exclusivement propres à la dia-thèse rhumatismale ?

Pour ne parler que de ce qui concerne le rhumatisme arti-culaire chronique, nous avons été conduits à admettre, même au point de vue purement anatomique, des distractions tran-chées entre les lésions articulaires qu'il détermine, et celles qui résultent de la goutte, la scrofule et la syphilis.

Il importe cependant de reconnaître que les lésions élé-mentaires dont l'ensemble constitue l'arthrite déformante peu-vent se rencontrer également dans des cas où la cause rhu-matismale ne saurait être invoquée. Ainsi dans X arthrite fon-gueuse, la prolifération des capsules et la segmentation du tissu fondamental du cartilage peuvent se présenter çà et là sous l'influence du travail inflammatoire qui, à un moment donné, s'empare des divers tissus. La raréfaction et la con-densation du tissu osseux aux extrémités articulaires, la for-mation d'ostéophytes et de bourrelets osseux au pourtour des cartilages diarthrodiaux, se rencontrent aussi, comme on sait, dans des affections articulaires qui sont étrangères au rhuma-tisme. C'est donc l'altération simultanée des diverses parties de la jointure, suivant le mode que nous avons déjà indiqué, et l'extension que ces lésions peuvent acquérir sans se compli-quer de suppuration, qui constituent à nos yeux le caractère anatomique de cette maladie.

Mais on est amené ici à se demander si une irritation com-plètement étrangère à la cause interne qui détermine le rhu-matisme, — un coup, un choc, par exemple, —peut produire dans une jointure les diverses altérations de l'arthrite défor-mante.

Il est certain, messieurs, que dans ces conditions on peut rencontrer toutes les lésions que je viens de décrire. Mais en pareil cas, elles se limitent presque toujours aune seule articu-lation ; et même ici, n'est-on pas autorisé à faire intervenir

Charcot. Œuvr. compi, t. vu. Malad. des Vieillards.

i3

une cause lente qui détermine le caractère de l'affection lo-cale? Rappelez-vous ce qui se passe, à cet égard, chez les sujets atteints de la goutte.

Toujours est-il que, lorsque les affections articulaires sont multiples (et c'est le cas le plus fréquent), elles se sont spon-tanément développées et semblent accuser, à ce double titre, une disposition générale de l'économie.

C'est, enpare^^as, l'influence du rhumatisme qui doit être invoquée; car, dans l'état actuel de la science, nous ne connaissons aucun autre état diathésique auquel on puisse attribuer de pareils effets.

TREIZIÈME LEGÓN

Du rhumatisme articulaire aigu, considéré spéciale-ment dans ses rapports avec le rhumatisme arti-culaire chronique et de la goutte.

Sommaire. - Description succincte du rhumatisme articulaire aigu et subaigu. — Son analogie avec le rhumatisme chronique ; différences qui le séparent de la goutte. —Rhumatisme aigu; rhumatisme subaigu.

Arthropathies multiples. — Douleur. — Tuméfaction. — Rougeur. — Température. — Durée. — Mobilité de l'affection.

État général dans le rhumatisme. — Fièvre. — Marche irrégulière de la maladie. — Rapport entre l'intensité du mouvement fébrile et le nombre des jointures affectées. — Pouls. — Sécrétions. — Salive. — Urines.— Anémie profonde.

Parallèle entre le rhumatisme articulaire aigu, la goutte et le rhumatisme articulaire subaigu. Hématologie pathologique du rhumatisme articulaire aigu et subaigu.

Messieurs,

Nous n'avons pas l'intention de vous donner une description complète du rhumatisme articulaire aigu. Une pareille étude ne peut se faire avec fruit que dans les hôpitaux ordinaires. Rien de plus rare en effet, chez les vieillards, que la forme aiguë du rhumatisme articulaire ; rien de plus fréquent chez eux, au contraire, que la forme chronique de cette maladie : nous vous l'avons déjà prouvé.

Nous ne saurions toutefois négliger complètement l'histoire du rhumatisme articulaire aigu. Nous voulons, en effet, soute-

nir dans le domaine de la clinique le parallèle que nous avons institué, sous le rapport anatomique, entre ces deux affections ; et en nous plaçant à ce point de vue nouveau, nous établirons encore une fois qu'il existe entre elles non seulement des ana-logies, mais une véritable identité sur quelques points. Nous voulons, en un mot, achever la démonstration de la thèse que nous soutenonsJgysavoir, qu'il ne s'agit pas ici de deux rnala-ladies foncièrerl^p distinctes, comme le veulent certains au-teurs, mais seulement de deux manifestations différentes d'un seul et même état diathésique ; et vous reconnaîtrez aisément les traits frappants de ressemblance qui les unissent, malgré les diversités qui résultent, dans l'expression symptomatique d'une maladie, de la réaction lente ou de la réaction aiguë de l'organisme.

Nous arriverons, au contraire, à une conclusion tout opposée en ce qui concerne les rapports du rhumatisme avec la goutte ; nous vous ferons reconnaître que si certaines apparences rap-prochent quelquefois ces deux maladies, il n'en est ainsi que dans des circonstances fout àfait exceptionnelles ; et que, grâce aux règles de diagnostic que nous établirons plus loin, ces deux affections peuvent presque toujours être nettement dis-tinguées en pratique.

Nous allons donc vous présenter une description sommaire du rhumatisme articulaire aigu, dans laquelle nous aurons soin de n'insister que sur des caractères fondamentaux.

I. — Description du rhumatisme articulaire aigu.

Nous nous retrouvons ici en présence des deux formes dont nous avons déjà signalé l'existence: d'une part, le rhumatisme articulaire aigu, fièvre rhumatismale (rheumatic fever) des au-teurs anglais ; d'autre part, le rhumatisme articulaire subaigu

(Garrod, Copland) ou capsulaire (Mac Leod). Il s'agit ici d'une forme de transition, comme nous l'avons déjà dit, dont nous étudierons tout à l'heure les caractères. Pour le moment, nous allons nous occuper de la fièvre rhumatismale.

Les arthropathies le plus souvent multiples que nous con-naissons déjà au point de vue anatomique, et que nous allons bientôt étudier au point de vue clinique, sja^loin de consti-tuer exclusivement le rhumatisme articul^Piigu. 11 s'yjoint une réaction d'ensemble, qui se traduit par un état général très caractéristique, par une altération très prononcée de la crase du sang (augmentation du chiffre de la fibrine et diminution des globules rouges), et par la coexistence fréquente, nous pourrions dire habituelle, de certaines affections viscérales. L'endocardite et la péricardite, par exemple, constituent l'une des données fondamentales du rhumatisme articulaire aigu; et ce caractère contribue en grande partie à nous faire envi-sager cette affection comme une maladie générale ou du moins à siège indéterminé et non comme une simple collection d'ar-thrites plus ou moins indépendantes les unes des autres.

Nous arrivons à la môme conclusion par l'étude de l'évolu-tion de la maladie, et des conditions étiologiques qui peuvent lui donner naissance, parmi lesquelles, comme vous le savez, l'hérédité joue un rôle manifeste.

Tels sont, messieurs, les caractères les plus généraux de la fièvre rhumatismale. Mais il nous faut maintenant entrer dans quelques développements, à propos de chacun des points que nous venons de signaler.

A. — Des arthropathies dans le rhumatisme articulaire aigu.

Les caractères de ces lésions locales vous sont déjà con-nus; je me bornerai donc à faire ressortir les analogies et les

différences qui les rapprochent ou les séparent des arthropa-thies de la goutte. Nous les étudierons d'abord isolément, pour les envisager ensuite dans leur ensemble.

1° Douleur. — Elle est surtout nocturne; son intensité est moins grande que celle de la goutte; mais elle s'accompagne de crampes musculaires, comme dans cette dernière affection.

2° Tuméfaction. — Elle a lieu surtout pour les jointures voisines de la surface : elle peut siéger dans le tissu cellu-laire voisin, ou résulter de la distension de la synoviale par un épanchement séreux, ou séro-fibrineux. Contrairement à ce qui se passe dans la goutte, elle ne s'accompagne pas d'un œdème local, pouvant conserver l'impression du doigt; cepen-dant Garrod a vu ce symptôme se produire quelquefois chez les sujets cachectiques. Il n'y a pas de desquamation, quand le gonflement se résout.

3° Rougeur. — Elle présente une apparence érysipélateuse. Elle est moins prononcée que dans la goutte, et n'offre point d'ecchymoses ; d'ailleurs les veines sont moins saillantes.

4° Température. — Il existe quelquefois, d'après MM. Bouil-laud et Neumann (1), une différence d'un degré centigrade entre le point malade et les régions ambiantes, qui ne parti-cipent point à la chaleur qui résulte du travail pathologique.

S0 Durée. — D'après Budd, chacune de ces arthrites dure de trois à quinze jours environ (2).

Considérons maintenant ces affections articulaires dans leurs rapports mutuels.

En général, plusieurs jointures sont prises à la fois. Le rhumatisme mono-articulaire d'emblée n'existe probablement pas; s'il est secondaire, c'est le rhumatisme fixé sur une

1. Neumann. — Ergebnisse und Studien ans der medicinischen Klinik zu Bonne. Leipzig, 1860, p. 33.

2. Tweedie's library of medicinc, art. Rhcumatism, vol. V, p. 191.

seule jointure. Cependant nous admettrons que le rhumatisme peut être partiel, c'est-à-dire localisé sur un petit nombre de jointures, par opposition à celui qui est généralisé ou poly-articulaire. On sait que, dans la goutte aiguë, il est rare de voir l'affection se généraliser dès le début.

Pour ce qui concerne le mode d'envahissement, il existe des caractères qui distinguent très nettement le rhumatisme de la goutte. D'après les recherches de M. le professeur Mon-neret (1), si le rhumatisme est mono-articulaire, il n'affecte presque jamais le gros orteil; d'ailleurs, la maladie envahit simultanément les membres inférieurs et supérieurs. Dans la majorité des cas, le genou, le poignet, le cou-de-pied, en sont les lieux d'élection. Rarement elle se porte sur les petites jointures, si ce n'est dans le rhumatisme subaigu.

L'articulation tibio-tarsienne est celle qui, le plus souvent, est frappée la première, d'après Budd et M. le professeur Monneret.

On voit souvent les arthrites rhumatismales se développer symétriquement des deux côtés ; mais il ne faut pas attacher trop d'importance à ce phénomène, qui est à peu près com-mun à toutes les arthropathies diathésiques.

Quelquefois, la disparition brusque des symptômes articu-laires coïncide avec le développement soudain d'une affection viscérale. Mais c'est là plutôt l'exception que la règle ; en tout cas, il n'existe aucune preuve expérimentale d'une rétrocession de la maladie provoquée par les agents extérieurs, comme nous l'avons vu pour la goutte.

Enfin, l'un des traits cliniques les plus essentiels de cette affection est la mobilité excessive qui lui permet de sauter d'une articulation sur une autre, et de changer plusieurs fois de siège dans le cours de la maladie.

1. Monneret. — Thèse de concours pour le professorat, 1851, p. 51.

B. — De l'état général dans le rhumatisme articulaire aigu.

Le phénomène fondamental est ici la fièvre ; en effet, la réaction fébrile, marquée par une élévation plus ou moins prononcée de la température générale, ne manque jamais complètement dans le cours du rhumatisme articulaire aigu.

La chaleur des parties centrales peut dépasser 40 degrés centigrades; mais elle reste en général entre39 et 40 degrés, d'après Wunderlich, Hardy et Sidney Ringer (1).

Le mouvement fébrile affecte le type continu, avec des exa-cerbations et des rémissions en général très prononcées. Les courbes thermométriques sont ici très irrégulières et .ne peu-vent, selon Wunderlich, fournir aucune donnée précise relati-vement à la marche de la maladie ; cependant on observe le plus souvent le minimum de température pendant le jour, et le maximum pendant la nuit (2).

En somme, cette affection ne procède pas suivant un type régulier, et n'offre pas un cours cyclique ; il n'y a pas de phases, se succédant à des époques déterminées, comme dans la pneumonie ou les fièvres éruptives ; nous ne voyons point un frisson violent en marquer les débuts, et la maladie se constitue, en général, par une augmentation progressive dans l'intensité des phénomènes ; une transition insensible nous conduit de sa période initiale à son apogée et à son déclin. La terminaison, en effet, n'a pas lieu brusquement, ni par une défervescence rapide ; elle se fait lentement et progressive-ment, sauf dans quelques cas exceptionnels où la température

1. Aitken. — Science and practice of medicine, t. II. — Russel Reynolds, A System of medicine t. I, p. 896.

2. Wunderlich. — Pathol. und Thérapie, t. IV. p. 621.

tombe au-dessous du taux normal (1). Enfin les rechutes sont ici plutôt la règle que l'exception.

Il nous reste à discuter une question qui a été diversement résolue suivant les auteurs. La fièvre est-elle subordonnée aux arthropathies ? est-elle, au contraire, indépendante de toute lésion locale ?

Il est certain que la fièvre peut souvent persister lorsque les arthropathies ont entièrement disparu ; mais elle est pres-que toujours entretenue, en pareil cas, par quelque affection viscérale latente : une endocardite, une péricardite, par exemple.

La fièvre peut aussi précéder les accidents qui se dévelop-pent du côté des jointures ; mais ici encore, elle est souvent (nous ne disons pas toujours) motivée par une de ces lésions viscérales qui précèdent quelquefois les manifestations articu-laires du rhumatisme.

Toujours est-il que souvent le mouvement fébrile est d'une haute intensité lorsque le nombre des jointures malades est peu considérable. Il y a donc là un élément inconnu qui nous échappe, et qui semble presque justifier l'opinion de Graves. Todd et Fuller, pour lesquels la fièvre est primitive dans le rhumatisme, et non consécutive,

Nous venons d'envisager la fièvre rhumatismale à un point de vue général. Passons maintenant à l'étude des détails, et occupons-nous des phénomènes accessoires de l'état fébrile.

Le pouls, dont la fréquence, d'après M. Louis (2), ne dépasse pas 90 à 400 pulsations par minute, offre des caractères spéciaux qui ne se rencontrent pas au même degré dans d'autres maladies fébriles. L'artère est volumineuse comme dans certains cas d'anémie, d'après MM. Monneret, Todd,

1. Hardy. — Thèses de Paris, 1859.

2. Louis. — Recherches anatomiques, pathologiques et thérapeutiques sur la fièvre typhoïde, 1841, t. L p. 443.

Fuller, (1). Les tracés sphygmographiques expliquent à mer-veille cette sensation particulière ; ils dénotent une amplitude énorme (2), un dicrotisme assez prononcé, enfin une ressem-blance marquée avec le pouls de l'insuffisance aortique. Il est bien entendu que s'il survient un affection cardiaque, ces carac-tères sont profondément modifiés.

Les sécrétions, dans le rhumatisme aigu, méritent une at-tention spéciale. Nous placerons en première ligne les sueurs, qui sont en général d'une abondance remarquable et d'une aci-dité extrême, surtout au voisinage des jointures affectées (3). Les sudamina renferment un liquide dont la réaction est mani-festement acide ; et cette propriété des sueurs rhumatismales résiste pendant longtemps au traitement alcalin, même à haute dose. 11 faut rattacher sans doute à ces exhalations acides l'odeur aigrelette qu'exhalent les rhumatisants. Mais nous ne saurions dire au juste quel est, au point de vue chimique, le principe qui détermine cette réaction; on l'a attribuée à l'acide lactique, mais sans preuves suffisantes. Simon a constaté que, dans le cours du rhumastisme articulaire aigu, il existe de l'acide acétique dans l'excrétion sudorale, ce qui, d'après lui, n'aurait pas lieu à l'état normal ; mais Schottin a fait voir que, même à l'état de santé, la sueur renfermait non seulement de l'acide acétique, mais encore de l'acide butyrique et ibr-mique (4).

La salive, d'après Fuller (5), serait acide dans le rhuma-tisme aigu ; d'ailleurs tous les liquides de l'économie, d'après cet auteur, se feraient remarquer par une acidité-prononcée; la sérosité épanchée dans le péricarde et dans les jointures offri-

1. Monneret, loc. cit., p. 53.

2. Marey. — Physiologie médicale delà circulation du sang, p. 545.

3. Williams. — Principles of Medicine, 3e édit. London, 1856, p. 194.

4. Donders. — Physiol., t. I, p. 450. 5- Fuller, op. cit., p. 517.

rait la même réaction. J'ai quelquefois noté ce dernier phéno-mène , mais seulement dans quelques cas exceptionnnels ; il existe d'ailleurs dans la goutte. Ajoutons enfin que les liquides intra-articulaires, quelquefois acides, sont aussi quelquefois alcalins.

L'état des urines doit tout particulièrement nous occuper, car nous trouverons là une différence tranchée entre le rhu-matisme et la goutte. A l'inspection directe, elles sont forte-ment colorées et peu abondantes ; par le refroidissement, elles fournissent des dépôts uratiques abondants, d'une couleur rouge-brique.

A l'analyse, on y constate une diminution notable du véhi-cule aqueux, ce qui s'explique par l'abondance des sueurs, et un accroissement des principes solides. On y trouve surtout de l'urée et de la matière colorante en très forte proportion ; ce dernier phénomène correspond probablement à une des-truction des globules sanguins plus considérable que dans toute autre phlegmasie.

Le taux de l'acide urique est accru ; il s'y trouve dans la proportion de 0.85 par litre, selon Parkes (1), et de 0,75, d'a-près Garrod. C'est là encore un contraste avec la goutte.

La proportion des chlorures est diminuée, moins cepen-dant que dans la pneumonie. Enfin, il y a une acidité très pro-noncée ; rien pourtant ne démontre qu'elle se rattache à la présence d'un excès d'acide lactique.

Un dernier caractère de l'état général dans le rhumatisme articulaire aigu, c'est l'anémie profonde qui se développe peu de jours après le début, même dans les cas où l'on n'a pas eu recours à la méthode antiphlogistique. Il y a bien un résul-tat analogue dans les phlegmasies, par suite de la destruction des globules, mais à un degré bien inférieur. Todd, O'Ferral,

1. Parkes. — On Urine, London, 1860, p. 286.

Fuller, en Angleterre; Canstatt, en Allemagne; MM. Monne-ret et Piorry, en France, ont vivement insisté sur ce point. Les choses se passent tout autrement dans la goutte aiguë, et l'on ne peut se dispenser de voir ici une différence de plus.

IL — PARALLÈLE ENTRE LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU, LA GOUTTE ET LE RHUMATISME SUBAIGU.

Après cette description sommaire du rhumatisme articulaire aigu, nous sommes en mesure de faire ressortir les différences et les analogies cpi'il présente, soit avec la goutte, soit avec le rhumatisme subaigu.

1° Pour ce qui concerne la goutte aiguë, nous ne voyons ici qu'une seule analogie à signaler : c'est la marche irrégu-lière et paroxystique de la maladie. Partout ailleurs, on ne trouve que des différences.

Ainsi, dans la goutte, la température est moins élevée (au-tant que nous pouvons l'affirmer dans l'état actuel de la science), la fièvre est moins intense; elle paraît plus exacte-tement subordonnée au nombre des jointures affectées, et n'ac-i quiert un degré vraiment élevé que dans la goutte généralisée.

Le pouls n'offre plus le caractère spécial que nous lui avions trouvé dans le rhumatisme.

Les sueurs sont beaucoup moins abondantes, et n'ont point cette acidité que nous avons signalée.

L'état des urines diffère de ce que nous avons constaté dans le rhumatisme, bien que l'expérience extérieure soit la môme; mais lorsque nous procédons à l'analyse des urines, chez les goutteux, loin d'avoir un excès d'acide urique, nous trouvons plutôt une diminution de ce produit.

Enfin, l'anémie ne se prononce jamais, dès l'origine, dans la goutte aiguë.

2° Le rhumatisme articulaire subaigu se présente encore avec les caractères de l'état aigu : seulement le mouvement fébrile est moins intense, ainsi que tous les phénomènes qui l'accompagnent ; cependant, l'anémie est tout aussi pronon-cée; d'une autre part, les affections articulaires ont plus de fixité, ce qui contraste avec la mobilité extrême des manifes-tations locales du rhumatisme articulaire aigu. Enfin, l'on peut établir une distinction entre ces deux formes de la ma-ladie, sous le rapport de la durée; elle est de six semaines à deux mois dans le rhumatisme subaigu, d'après Macleod; dans le rhumatisme aigu, elle a été diversement appréciée, mais elle est toujours inférieure au chiffre que nous venons d'indiquer; elle serait, en effet, de huit à quinze jours, d'après M. le professeur Bouillaud ; de vingt et un jours, d'après Le-groux ; de vingt-huit jours, d'après Chomel et Requin; d'après Lebert, elle varie suivant le traitement employé, et peut s'é-tendre de vingt-huit à trente-cinq jours.

III. — Hématologie pathologique du rhumatisme articulaire

aigu et suraigu

La composition du sang dans le rhumatisme articulaire diffère considérablement de ce qui existe dans la goutte aiguë, et c'est là, sans contredit, l'une des distinctions les plus im-portantes qui séparent les deux maladies.

On sait que le caillot d'une saignée, dans le rhumatisme ar-ticulaire aigu, est résistant et rétracté, et qu'il ressemble à la couenne des pleurétiques comme un œuf à un œuf, selon l'ex-pression un peu triviale de Sydenham.

Les recherches de Nasse, Simon, Andral et Gavarret, Bec-querel et Rodier, nous ont donné la raison de ce phénomène; ils ont constaté une augmentation considérable de la propor-

tion de fibrine qui peut s'élever à 7 ou 8 pour 1,000, au lieu de 3 pour 1,000, ce qui est le chiffre normal. Il existe en même temps une diminution considérable du taux des glo-bules rouges. Sous ce rapport, la composition du sang dans le rhumatisme articulaire aigu peut être considérée comme le type du sang inflammatoire, et diffère essentiellement de la composition de ce liquide chez les goutteux.

Ajoutons enfin que, chez les rhumatisants, le sérum du sang est alcalin, que la proportion d'urée est normale, et qn'on n'y rencontre aucun excès d'acide urique. Ce fait, qui est aujourd'hui hors de toute contestation, présente une im-portance qu'il serait impossible d'exagérer.

Mais, dans le rhumatisme articulaire aigu, le sang ne pos-sède-t-il pas quelques caractères spéciaux qui lui appartien-nent en propre ? Ne renferme-t-il pas quelque produit patho-logique, quelque matière étrangère à sa constitution normale, et qui puisse expliquer pourquoi le rhumatisme articulaire aigu diffère à tant d'égards des phlegmasies ordinaires, qui impriment cependant à la composition du sang des modifica-tions du même ordre ?

De nombreuses analogies plaident en faveur de cette hy-pothèse; mais elles ne s'appuient encore sur aucun fait posi-tif.

Au siècle passé, Van Swieten, Baynard (1) et plusieurs autres médecins ont fait dépendre le rhumatisme d'une acrimonie particulière du sang, d'une rétention des acides et des sels que les reins doivent éliminer. On a formulé récem-ment, en Angleterre, une hypothèse plus en rapport avec les données de la chimie moderne. On suppose que l'acide lac-tique, produit normal delà désassimilation des tissus fibreux, se forme en excès et donne naissance à tous les phénomènes

1. Baynard. — Philosophical Transactions (abridged), t. III, p. 265.

que nous venons de décrire. Cette opinion a été soutenue par Prout, Williams, ïodd etFuller; mais elle ne repose sur aucun fondement solide. Cependant Richardson, après avoir injecté de l'acide lactique dans les veines des chiens, a trouvé des lésions articulaires et des affections du cœur chez ces animaux. Mais ses expériences ont été répétées en Allemagne, et l'on a constaté que, dans l'espèce canine, les affections du cœur sont d'une fréquence excessive, en dehors de toute interven-tion artificielle. Il paraît donc bien démontré que les lésions de l'endocarde existaient d'avance; et, pour ce qui est des lésions articulaires, il faut se rappeler que les jointures sont affectées dans un grand nombre d'empoisonnements divers.

Une circonstance mérite d'être signalée en terminant ce rapide exposé. Vinopexie, la coagulabilité excessive de la fibrine, indépendamment de l'excès de ce principe, existe au plus haut degré dans le rhumatisme articulaire aigu : de là cette fréquence excessive des thromboses vasculaires et des végétations fibrineuses du cœur.

Par contre, on observe dans plusieurs cas graves un état tout opposé. On trouve alors, à l'autopsie, le sang liquide et noir (1) ; il ne rougit plus au contact de l'air, et c'est sur-tout alors que les exsudats liquides des cavités séreuses offrent une réaction éminemment acide, ainsi que nous l'avons plu-sieurs fois constaté.

Rappelons enfin que, chez plusieurs sujets, le rhumatisme paraît lié à la diathèse hémorrhagique.

En résumé, nous croyons avoir démontré que le rhuma-tisme articulaire, sous toutes les formes diverses qu'il peut affecter, constitue une seule et même espèce morbide essen-

1. Vogel. — Wirchow's Handbuch der sp. Path. und Thérapie, t. I, 479.

tiellement distincte de la goutte. Le rhumatisme aigu, le rhumatisme chronique et le rhumatisme subaigu qui sert de transition entre les deux points extrêmes, ne sont au fond qu'une seule et même affection. Nous avons cherché à le dé-montrer par l'étude des lésions articulaires et des caractères généraux de la maladie : nous allons en trouver une nouvelle preuve dans l'étude des lésions viscérales que nous allons aborder maintenant.

QUATORZIÈME LEÇON

Des affections viscérales dans le rhumatisme arti-culaire aigu et chronique

Sommaire. — Parallèle entre les affections viscérales de la goutte et celles du rhumatisme aigu ou chronique. — Développement tardif des affections vis-cérales dans la goutte ; développement prématuré de ces affections dans le rhumatisme aigu. — Ces lésions ne se manifestent que plus tard dans le rhumatisme chronique. — Différence entre la nature des lésions viscérales dans le rhumatisme et dans la goutte - Affections du cœur dans le rhuma-tisme. — Péricardite rhumatismale. — Endocardite rhumatismale. — Modi-fications apportées à l'histoire de cette maladie parles progrès de l'histologie moderne. — Structure de la membrane interne du cœur. — Lésions inflam-matoires do l'endocarde. — Elles siègent principalement sur les valvules.

— Description de ce processus pathologique. — Tuméfaction de l'endocarde : vascularisation de cette membrane. — Conséquences de cet état patholo-gique. — Embolies capillaires. — Lésions de canalisation. — Etat typhoïde.

— Période chronique de la maladie. — Affections multiples qui sont la conséquence de ces lésions. — Ischémie ; gangrènes localisées. — Taches ecchymotiques. — Ramollissements cérébraux. — Dépôts fibrineux de la rate, du foie, des reins. — Complications diverses du rhumatisme arti-culaire aigu. — Les lésions cardiaques peuvent exister aussi dans le rhuma-matisme subaigu et dans le rhumatisme chronique. — Lésions de l'appareil respiratoire. — Pleurésie, pneumonie, congestion pulmonaire. — Asthme, emphysème. — Phtisie pulmonaire. — Lésions de l'appareil urinaire. — Néphrite. — Albuminurie. — Cystite. — Lésions du système nerveux. — Affections cérébrales. — Affections médullaires. — Lésions abarticulaires de diverse nature. — Douleurs musculaires. — Névralgies. — Troubles de la vision. — Affections cutanées : eczéma, psoriasis, prurigo, lichen, etc., etc.

Messieurs,

Les affections abarticulaires du rhumatisme vont nous occu-per aujourd'hui. Nous chercherons d'abord à les comparer

avec les altérations que la goutte développe au sein de nos or-ganes intérieurs ; nous aurons ensuite à nous demander si les lésions viscérales du rhumatisme aigu se retrouvent, avec les mêmes caractères, dans les formes chroniques de la maladie.

Pendant le cours des accès de la goutte aiguë, des troubles purement fonctionnels sont pendant longtemps le seul indice d'une souffrance des viscères ; ils ne laissent derrière eux aucune empreinte matérielle ; et c'est seulement lorsque le retour incessant des accès commence à imprimer la forme chro-nique à la maladie, que l'on voit se développer des altérations permanentes qui, de jour en jour, deviennent plus profondes.

Dans le rhumatisme articulaire, on peut dire que les choses suivent une marche à peu près inverse. En effet, l'un des ca-ractères principaux de cette affection (au moins dans sa forme aiguë), c'est le développement prématuré de certaines lésions viscérales (endocardite, péricardite, etc.), qui se manifestent souvent dès les premières atteintes, et n'attendent guère, pour semanifester, que la maladie ait traversé sa période initiale. Il ne s'agit plus ici de troubles purement fonctionnels, mais de lésions permanentes, qui modifient la texture des organes et laissent presque toujours derrière elles des traces indélébiles de leur passage.

Le rhumatisme chronique primitif diffère à cet égard de la forme aiguë. L'existence de ces affections viscérales est assez rare ici pour avoir été révoquée en doute par plusieurs auteurs ; et l'on peut dire que plus la maladie a de la tendance à revêtir la forme chronique, plus il est rare de voir de pareilles lésions se développer pendant son cours.

Un autre fait qu'il importe de mettre en lumière, c'est que les affections viscérales du rhumatisme ne présentent, avec celles de la goutte, qu'une analogie des plus grossières ; ce sont, au fond, des lésions essentiellement différentes.

Ainsi les troubles cardiaques qui peuvent survenir dans la

Ghargot. Œuvr. compl. t. vu. Ma lad. desVieillards. 14

goutte, purement fonctionnels à l'origine, se localisent sur la fibre musculaire, lorsqu'ils se transforment en lésions perma-nentes ; c'est alors la dégénération graisseuse que l'on observe.

Dans le rhumatisme articulaire aigu, les affections du cœur se traduisent, au contraire, par des lésions inflammatoires qui portent leur action sur l'endocarde et le péricarde, et n'atta-quent le tissu musculaire de l'organe que d'une manière con-sécutive. Les altérations organiques qu'elles laissent si sou-vent derrière elles sont la conséquence de ce travail inflam-matoire. On sait que, dans près de la moitié des cas, les lésions permanentes des valvules auriculo-ventriculaires re-connaissent pour origine le rhumatisme articulaire aigu.

Nous insisterons plus particulièrement, dans le cours de cette étude, sur ces cardiopathies, qui font en quelque sorte partie intégrante du rhumatisme articulaire aigu. On peut les considérer comme l'un des traits caractéristiques de la mala-die; leur fréquence, en pareil cas, est en effet si grande, que lorsqu'on voit coexister l'endocardite ou la péricardite aiguës avec une affection articulaire d'ailleurs mal définie, on est le plus souvent autorisé à rapporter au rhumatisme cet ensemble de phénomènes.

C'est donc sur ces lésions du cœur, dont la connaissance offre une si grande importance, que nous concentrerons prin-cipalement notre attention. Les autres affections viscérales du rhumatisme offrent un moins grand intérêt au point de vue spé-cial qui nous occupe ; nous en dirons cependant quelques mots.

I. — De l'endocardite et de la péricardite dans le rhumatisme

articulaire aigu.

La péricardite rhumatismale est une affection depuis long-temps connue; tous les points de son histoire, on peut bien

le dire, nous sont aujourd'hui familiers. Nous savons qu'il s'agit d'une inflammation de la membrane séreuse qui enve-loppe le cœur, et que cette inflammation détermine en général la formation d'un exsudât séro-fibrineux qui, dans quelques cas exceptionnels, peut revêtir le caractère hémorrhagique ou purulent.

Nous indiquerons plus loin l'ensemble de symptômes qui en révèle l'existence, et les circonstances particulières au milieu desquelles elle se développe.

L'histoire de Xendocardite a été, au contraire, singulière-ment modifiée par le progrès des études histologiques ; et l'en-docardite rhumatismale, en particulier, a largement participé à cette transformation.

A une époque encore peu éloignée de nous, on se repré-sentait l'endocarde comme une membrane séreuse, et l'on croyait retrouver, dans les lésions qu'il présente, les carac-tères de l'inflammation des séreuses. On sait que dans sa cardite polypeuse, Kreysig avait signalé la sécrétion d'une lymphe plastique comme l'un des principaux caractères de la maladie ; on sait aussi que dans ses études si remarquables sur l'endocardite, M. le professeur Bouillaud avait longuement insisté sur la rougeur vive que présente la membrane interne du cœur.

Nous savons aujourd'hui que cette manière de voir man-quait d'exactitude sous de certains rapports. L'endocarde n'est pas une séreuse, et ne saurait s'enflammer à la manière des séreuses. Mais on a exagéré en sens inverse, lorsqu'on a été jusqu'à nier l'existence de l'endocardite. On a voulu rap-porter à de simples dépôts fibrineux toutes les lésions de cette maladie (Simon). C'est là le développement excessif d'une idée autrefois émise par Laënnec.

11 existe un certain degré de vérité dans l'une et l'autre opinion. L'endocardite existe, et la membrane interne du cœur

peut s'enflammer, mais à la manière des tissus privés de vais-seaux ; il ne saurait être ici question d'un résultat plastique. D'un autre côté, la formation de caillots à l'intérieur des cavi-tés cardiaques joue un rôle important dans la maladie; mais ce phénomène est toujours secondaire, et ne doit jamais usur-per la première place.

Examinons d'abord la structure histologique de la mem-brane interne du cœur ; nous serons alors mieux en état de comprendre les altérations dont elle peut devenir le siège.

L'endocarde se compose essentiellement d'une couche très mince de tissu conjonctif, renfermant un certain nombre de fibres élastiques, et recouverte d'un épithélium pavimenteux. D'après Luschka, l'endocarde fait suite à toutes les tuniques des vaisseaux; mais d'après la plupart des auteurs, il ne se continue qu'avec leur membrane interne.

L'endocarde n'a point de vaisseaux propres : mais sur les parois cardiaques, en raison de sa faible épaisseur, les capil-laires sous-jacents en sont très rapprochés. Il en est tout autre-ment au niveau des valvules. Ici la membrane de revêtement estplus épaisse : quelques vaisseaux se trouvent répandus, d'a-près Luschka, entre les deux feuillets de la valvule mitrale ; mais, sur les valvules sigmoïdes, il n'en existe jamais à l'état normal.

Or c'est précisément sur les valvules, c'est-à-dire sur la partie la plus épaisse de l'endocarde, celle qui est la plus éloi-gnée des vaisseaux, que siègent de préférence les lésions in-flammatoires : elles débutent d'ailleurs sur la surface exté-rieure.

En quoi consiste donc le processus pathologique ?

A l'état aigu, le travail morbide débute par la tuméfaction du point malade : il s'y forme de petits mamelons qui sont constitués par les éléments préexistants, dont le volume a sen-siblement augmenté, et par une formation nouvelle de noyaux

et de cellules embryo-plastiques ; le mamelon tout entier est imprégné d'un liquide, qui présente une réaction sem-blable à celle du mucus. Telle est la première période de la maladie.

Fig. 17. — Endocardite aiguë. Coupe de la valvule mitrale.

a. — Lamelle supérieure de l'endocarde. a". — Lamelle inférieure.

b. — Couche moyenne dont les vaisseaux présentent un degré marqué d'hy-perhémie.

c. — Efflorescence de la lamelle supérieure de l'endocarde.

d. — Le dépôt fibrineux. (1/10.)

Figure empruntée à Rindfleisch. Lehrb, der pathol. Gewelebehre. Leipzig 1866, p. 186.

A la seconde période, les mamelons ont quelquefois acquis une organisation permanente : d'autres fois leurs extrémités sont ulcérées, et celte lésion est la conséquence d'une dégéné-ration granuleuse qu'il ne faut pas confondre avec l'altération graisseuse ; ces petits ulcères sont taillés à pic.

Plus tard, le point tuméfié et rugueux se recouvre d'une cou-che de farine plus ou moins épaisse, suivant les cas. On sait du reste que l'inopexie (tendance à la coagulation du sang) est une conséquence habituelle du rhumatisme, ainsi que de l'état puerpéral et de certaines cachexies particulières.

Les végétations valvulaires de l'endocarde résultent donc de l'inflammation des tissus eux-mêmes, et du dépôt consé-cutif d'une couche fibrineuse.

Mais pendant que ce travail s'accomplit, les vaisseaux se développent. Dans la valvule mitrale où ils existaient déjà, ils deviennent plus apparents ; dans les valvules sigmoïdes ils

sont créés de toutes pièces, ou du moins les capillaires voi-sins envoient des prolongements dans les parties privées de vaisseaux, comme il arrive pour la cornée lorsqu'elle s'en-flamme ; voilà comment des arborisations vasculaires peuvent se montrer au pourtour des lésions du cœur (1).

Les conséquences de cet état pathologique sont importan-tes à étudier. Voyons d'abord quelles en sont les suites immé-diates.

Tantôt les choses en restent là ; il n'y a point alors de lésions de canalisation. Tantôt le dépôt fibrineux se ramollit, tombe en détritus, et donne lieu à des embolies capillaires. C'est là un côté essentiellement clinique de la question, et un côté tout nouveau, bien qu'on ait dit le contraire. — Tantôt, enfin, l'ul-cération gagne en profondeur ; il se forme alors des perforations valvulaires qui donnent lieu aux lésions de canalisation les plus diverses ; la réunion de plusieurs pertuis peut amener le détachement d'un fragment de valvule et donner naissance aune embolie plus ou moins volumineuse. — N'oublions pas qu'il se produit quelquefois des anévrismes valvulaires, qui peuvent occuper soit les valvules sigmoïdes, soit la valvule mitrale.

Dans quelques cas, par suite de causes inconnues, le pro-cesssus se modifie ; il peut alors se former du pus, ce qui est rare ; mais on voit plus souvent se développer des substances délétères qui vont infecter au loin la masse du sang, en don-nant lieu à des symptômes typhoïdes. On dit le plus souvent alors qu'il s'agit d'une endocardite ulcéreuse ; mais, à propre-ment parler, la forme ulcéreuse de l'endocardite ne s'accom-pagne pas nécessairement de septicémie.

Les conséquences ultérieures de l'endocardite se rencon-

1. Bail. — Du rhumatisme viscéral. Thèse de concours pour l'agrégation, 1866, p. 28.

trentà la période chronique de la maladie. Le travail phleg-masique se propage en changeant de nature ; la valvule tout entière devient indurée, ce qui donne lieu à son racornisse-ment : de là résulte une insuffisance ; d'autres fois ce sont des adhérences qui s'établissent entre la valvule malade et le pourtour de l'orifice, ce qui donne lieu tantôt à des insuffi-sances, tantôt au contraire à des rétrécissements.

Quelquefois il se produit des compensations, ainsi que Jacks l'a fort bien montré ; le raccourcissement d'une des valvules sigmoïdes, par exemple, laisse un vide qui se trouve quelque-fois comblé par l'allongement des deux autres; et la partie mécanique de la lésion peut guérir de cette manière. J'en ai rencontré moi-même des exemples évidents sur le cadavre.

Telles sont les lésions élémentaires de l'endocardite. Nous n'insisterons pas ici sur l'aspect qu'elles présentent à l'œil nu. On sait qu'elles occupent de préférence le cœur gauche et l'ori-fice auriculo-ventriculaire ; que, sur la valvule mitrale, elles affectent surtout la surface auriculaire et les parties qui se tou-chent; et qu'aux valvules sigmoïdes, ces dépôts pathologiques prennent volontiers la forme d'une guirlande de végétations. Mais ce qu'il importe de faire ressortir ici, c'est que souvent il n'existe point de lésions de canalisation : souvent il ne se produit que de simples stigmates qui, pendant la vie, ne don-nent lieu à aucun trouble fonctionnel appréciable, et ne sont reconnus qu'à l'autopsie (1). Ce cas est bien plus fréquent qu'on ne le suppose ; et en tenant compte de ces lésions rudimentaires, on augmente, dans une très grande proportion, le chiffre des coïncidences entre les affections du cœur et le rhumatisme. C'est surtout dans la forme chronique que ce point est important à noter, comme nous le verrons plus loin.

1- Gharcot. — Comptes rendus de la Société de Biologie, 3e série, 1862. *? III, p. 269. Ge travail est reproduit plus loin dans ce volume.

Mais nous voulons auparavant dire un mot de ces affections multiples qui relèvent de l'endocardite; c'est là un des côtés les plus originaux de la question, et l'une des conquêtes les plus récentes de la science.

On sait aujourd'hui que des corps mobiles peuvent se déta-cher des orifices malades, soit aux dépens des dépôts fibri-neux, soit aux dépens des valvules elles-mêmes, et que pro-jetés dans le torrent circulatoire, ils vont au loin produire des accidents variés.

Il faut distinguer ici les accidents produits par le déplace-ment de concrétions volumineuses de ceux qui résultent des transports de fragments presque moléculaires.

1° Les embolies artérielles proprement dites peuvent faire obstacle à la circulation dans des vaisseaux de premier ordre, on a vu la fémorale, et même l'iliaque externe, devenir subi-tement imperméables au torrent sanguin, par suite de la pré-sence d'un caillot volumineux parti du cœur.

Lorsque les artères des membres se trouvent ainsi oblité-rées, il en résulte une ischémie qui se termine ordinaire-ment par la gangrène. Watson, Tufnell, et plusieurs autres auteurs en ont rapporté des exemples dans l'endocardite rhumatismale (1).

Les embolies capillaires, qui sont infiniment plus fré-quentes, peuvent affecter presque tous les organes et donner naissance aux lésions les plus variées.

A. Lorsque les capillaires de la peau sont oblitérés, on voit se produire des taches ecchymotiques plus ou moins étendues.

1. Watson, — Princlples and practiceof phisic, t. II, p. 314, 4e édit.— Tuf-nell, Dublin Quarterlt/ Journal, vol. XV, p. 371. —Goodfellow, Transaction of the Medico-chirurg. Soc. of London, vol. XXVIII. 2e série, 1862.

B. Lorsque les vaisseaux de l'encéphale sont atteints, il en résulte des ramollissements, tantôt rouges, tantôt blancs, qui sont l'une des causes les plus fréquentes des hémiplégies chez les sujets non encore parvenus à un âge avancé. Lors-que l'artère oblitérée est d'un calibre important, il se produit quelquefois une hémiplégie instantanée : un ramollissement consécutif a presque toujours lieu. Un cas extrêmement remar-quable de ce genre a été rapporté par Kirbes.

On voit quelquefois se développer des accidents analogues, bien que les principales artères du cerveau se trouvent entiè-rement perméables après la mort. On voit d'abord apparaître tous les symptômes du ramollissement, qui suivent leur mar-che ordinaire ; mais après la mort, on ne découvre aucune lé-sion dans les canaux vasculaires. Cette anomalie peu s'expli-quer de deux manières. — Des oblitérations réelles ont pu siéger dans des vaisseaux d'un calibre important ; mais le caillot s'étant résorbé, l'artère est redevenue perméable, bien que le ramollissement consécutif ait persisté. — On peut admettre, au contraire, que de très petits vaisseaux ayant été oblitérés, une affection cérébrale se soit développée, sans qu'il ait existé aucun obstacle dans les grandes voies de la circulation encéphalique.

J'ai été moi-même témoin d'un cas de ce genre. La malade ayant été reçue d'abord dans le service de Trousseau, cet émi-nent clinicien admit l'existence d'une embolie cérébrale, consécutive à une lésion valvulaire du cœur. Cette femme ayant succombé plus tard dans mon service, à la Salpêtriôre, j'ai constaté, à l'autopsie, qu'il existait une endocardite ancienne avec végétations sur la valvule mitrale ; mais on ne trouvait aucune oblitération dans les artères de la base (1).

1. Trousseau. — Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, t. II, p. 587. — Bou-chard, Comptes rendus de la Société de Biologie, 1864, p. 111.

Les faits de ce genre peuvent s'expliquer par la résorption du thrombus ; elle est quelquefois complète au moment de l'autopsie ; mais, dans d'autres cas, on retrouve encore quelques vestiges du caillot obturateur, ce qui permet en quelque sorte de prendre la nature sur le fait.

Les lésions de cet ordre sont tellement fréquentes à la suite des cardiopathies rhumatismales, que M. Lancereaux, dans sa thèse, attribue à cette cause plus de la moitié des faits pathologiques qu'il a rassemblés (1).

G. La rate devient très-souvent le siège d'embolies capil-laires, qui donnent naissance à des infarctus disposés en forme de coin, la pointe dirigée vers le hile, ce qui tient au mode de distribution bien connu des vaisseaux de cet organe.

Nous avons eu nous-même l'occasion de recueillir une ob-servation intéressante, dans laquelle cette lésion se montra à la suite d'une affection rhumatismale du cœur. Le sujet était un homme de vingt-quatre ans, qui fut atteint d'un rhuma-tisme articulaire, d'abord aigu, puis chronique. Il présentait, pendant la vie, un bruit de souffle râpeux aux deux temps, à la pointe du cœur. Il se plaignait souvent d'une douleur vive à la région splénique. La rate avait acquis un volume consi-dérable ; il mourut avec les symptômes habituels d'une affection cardiaque.

A l'autopsie, on trouva des végétations fìbrineuses implan-tées sur les valvules mitrales et sigmoïdes, et deux dépôts fibrineux dans la rate, dont l'un était d'un volume très consi-dérable, l'autre un peu plus petit.

D. Les reins peuvent aussi subir des lésions analogues: M. Rayer, sans en connaître l'origine, les a fort bien décrites

1. De la thrombose et de l'embolie cérébrales. Thèses de Paris, 1862.

sous le nom de néphrite rhumatismale. Les figures 2, 5, 6 et 7 de la planche V de l'Atlas du Traité des maladies des reins sont des exemples de néphrite rhumatismale chez des sujets atteints d'une maladie du cœur.

Les embolies capillaires du rein donnent lieu à des lésions qui ont été fort bien décrites dans la thèse de M. le Dr Herr-raann(l). Elles consistent principalement en une dégénération graisseuse qui se produit autour du point lésé, et à laquelle succède plus fard une cicatrice aplatie.

E. Le foie lui-môme n'est pas à l'abri de ces accidents ; mais ils ne se développent que rarement dans cet organe.

G. A ces lésions, qui relèvent des embolies artérielles ou capillaires, il faut joindre les phénomènes septicémiques qui se développent parfois à la suite des cardiopathies rhumatis-males. On voit alors survenir les phénomènes de l'état typhoïde, de Y ictère grave, de la fièvre intermittente sympto-matique qui s'associent au rhumatisme articulaire aigu (2).

II. — De l'endocabdite et de la péricabdite dans le rhuma-tisme abticulaibe suraigu et chronique.

Messieurs, après avoir ainsi tracé l'histoire de l'endocardite et de la pericardite dans le rhumatisme aigu, nous cherche-

1. Des lésions viscérales suites d'embolie. Thèse de Strasbourg, 1854.

2. Lorsque le cœur droit est le point de départ des caillots migratoires, il peut se produire des embolies pulmonaires qui déterminent quelquefois une mort presque subite. Un fait de ce genre a été rapporté, il y a deux ans, par Goddard-Rogers. Il s'agit d'un cas de rhumatisme articulaire aigu avec endo-cardite, dans lequel le sujet fut subitement pris, au quinzième jour, d'un accès dorthopnée qui détermina la mort dans l'espace de dix minutes. A l'autopsie, on trouva l'artère pulmonaire oblitérée par un caillot volumineux, parti du 'cœur droit. (The Lancet, Londres, 1865. p. 19.)

rons à vous démontrer que ces complications ne sont pas exclusivement propres à cette forme de la maladie.

On les rencontre d'abord assez fréquemment dans le rhu-matisme subaigu, malgré la loi célèbre de M. le professeur Bouillaud, loi rigoureuse, loi tyrannique, si j'ose m'exprimer ainsi.

Sans doute, l'endocardite et la péricardite, sont plus fré-quentes dans le rhumatisme aigu et polyarticulaire. Valleix, Latham, Bamberger, Fuller, sont ici d'accord avec le savant clinicien français.

Cependant les complications cardiaques se rencontrent assez souvent dans des cas où peu de jointures sont affectées et où le mouvement fébrile est peu intense. West l'a constaté chez les enfants; Walshe, Ormerod et Garrod chez les adultes. S'il m'est permis d'invoquer ici ma propre expérience, j'ai vu plusieurs cas de rhumatisme subaigu, dans lesquels l'autop-sie a eu lieu, coïncider avec des affections du cœur. Un de ces faits est consigné dans la thèse d'agrégation de M. le docteur Bail (1). Mais il s'agit de prouver que ces lésions peuvent exister dans le rhumatisme chronique proprement dit, dans rhumatisme noueux.

Io II faut se rappeler que Y endocardite rhumatismale est une affection très souvent latente pendant la vie ; mais elle laisse presque toujours derrière elle des vestiges qu'on peut reconnaître après la mort. Il ne faut donc pas s'attendre à rencontrer toujours des bruits de souffle évidents chez les sujets atteints de rhumatisme chronique; mais l'anatomie pa-thologique permet d'établir, à cet égard, un rapport depárente entre la forme aiguë et la forme chronique du rhumatisme articulaire, qui prouve, une fois de plus, qu'il s'agit là d'une

1. Du rhumatisme viscéral, p. 61.

seule et même maladie, malgré la diversité des manifestations pathologiques.

On trouve assez fréquemment des lésions cardiaques dans le rhumatisme noueux. Un fait de ce genre a été signalé par Romberg en 1846 (1). Deux autres cas se trouvent consignés dans la Thèse de M. Trastour et dans la mienne, sur un en-semble de quarante et une observations. Depuis cette époque, l'attention étant éveillée sur ce point, les faits se sont mul-tipliés. Il y a quelques années, dans une leçon clinique, Beau faisait ressortir, chez une jeune fille, la coïncidence d'une arthrite noueuse avec un rétrécissement aortique. (2) M. le Dr Ollivier a recueilli tout récemment, dans le service de M. le professeur Grisolle, l'observation d'un homme âgé de vingt-trois ans, quiprésentait les déformations caractéristiques du rhumatisme noueux, et chez qui l'on constatait des signes d'une altération des valvules sigmoïdes de l'aorte.

Le plus souvent, il y a eu, chez ces sujets, aune époque antérieure, une attaque de rhumatisme articulaire aigu ; mais j'ai recueilli un assez grand nombre d'observations dans les-quelles l'endocardite s'est développée chez des rhumatisants chroniques, sans que la maladie ait jamais affecté la forme aiguë. Deux de ces faits sont consignés dans la thèse de M. le docteur Bail (3).

Dans le premier cas, il s'agissait d'une femme âgée de soixante-trois ans, concierge, qui portait à la main droite les déformations caractéristiques du rhumatisme chronique. Elle attribuait cette maladie à l'humidité de la loge qu'elle avait longtemps habitée.

Entrée à l'infirmerie une première fois, pour une hémiplé-

1. Klinische Ergebnisse, 1846. — Un cas analogue avait été déjà signalé par Todd, en 1843.

2. Gazette des Hôpitaux, 19 juillet 1864.

3. Op. cit., p. 121 et suiv.

gie à droite, elle ne présenta d'abord aucun signe d'une af-fection cardiaque, et rentra dans son dortoir après un traitement de deux mois. Mais à sa seconde entrée à l'infirmerie, elle offrait des signes évidents d'une maladie de cœur. Les symp-tômes de cette affection s'étant rapidement aggravés, la mort ne tarda pas à survenir.

A l'autopsie, on découvrit une adhérence générale du pé-ricarde au cœur, et cette lésion était évidemment d'origine récente, car ou parvenait aisément à décoller le péricarde des tissus sous-jacents. Le cœur avait acquis d'énormes dimen-sions : on voyait des végétations en guirlande sur les valvules sigmoïdes de l'aorte et sur la valvule mitrale, dont la surface ventriculaire offrait une vascularisation très remarquable.

Dans le second cas, la malade, âgée de quatre-vingt-quatre ans, est morte à l'infirmerie de la Salpôtrière d'un cancer du foie et de l'estomac. On trouva chez elle des arthrites sèches des épaules, des coudes et des genoux. Le cœur était flasque, volumineux, chargé de graisse ; il existait, sur les valvules sigmoïdes de l'aorte, des traces évidentes de l'endocardite an-cienne.

Il me paraît donc évident, d'après les faits que je viens de rapporter, que l'on peut rencontrer des lésions organiques du cœur dans le cours du rhumatisme chronique primitif.

2° Lapéricardite est probablement fréquente chez les rhu-matisants chroniques, car sur neuf autopsies que j'ai prati-quées en 1863 avec M. le docteur Cornil(l),je l'ai rencon-trée quatre fois. Nous avons d'ailleurs sous les yeux un fait de ce genre en ce moment, et M. le docteur Mauriac en a observé un cas fort remarquable à l'hospice des Ménages.

1. Corail. — Mémoire sur les coïncidences pathologiques du rhumatisme articulaire chronique. {Mémoires de la Soc. de Biologie, t. IV, 4e série, 1865.)

Voici l'analyse de celte intéressante observation : Chez une femme âgée de soixante etonze ans, depuis long-temps atteinte de rhumatisme articulaire chronique et de catarrhe pulmonaire, il s'est manifesté tout à coup une dyspnée assez intense, avec une douleur marquée au côté droit. La percussion fit constater une légère augmentation de la matité précordiale, et l'auscultation fit entendre un bruit de frottement péricardique rude et râpeux dans toute la moi-tié inférieure du sternum, où il marquait les bruits normaux du cœur. Sous l'influence d'un traitement approprié, cette malade se rétablit au bout do six semaines, après avoir éprouvé des phénomènes fluxionnaires du côté des articula-tions déjà malades.

On pourrait rapprocher ce fait d'une autre observation re-cueillie par M. Martel à l'hôpital Sainte-Eugénie, dans le ser-vice de M. le Dr Barthez. Chez un enfant de dix ans, atteint de rhumatisme articulaire chronique, on vit se développer une péricardite caractérisée par des bruits de frottement à la région précordiale. Cette affection, du reste ne persista pas longtemps. Le rhumatisme avait subi une exacerbation pendant la durée de la péricardite ; cet enfant présenta plus tard, àun très haut degré, les déformations caractéristiques du rhuma-tisme noueux.

Depuis l'époque où mon attention s'est portée sur ce point, j'ai vu plusieurs fois une péricardite coïncider avec les exa-cerbationsdes arthropafhies chez dessujefs atteints de rhuma-tisme chronique. Les faits que je viens de rapporter se trou-vent donc parfaitement d'accord avec mes observations per-sonnelles.

En résumé, l'endocardite et la péricardite exisfentinconfes-tablement dans quelques cas de rhumatisme articulaire chro-

nique; ces affections offrent les mômes caractères que dans le rhumatisme aigu. Elles se développent de préférence à l'épo-que des exacerbations de la maladie, et lorsqu'on se rapproche en quelque sorte de l'état aigu. Au reste, ces maladies ont en général un caractère moins sérieux lorsqu'elles se dévelop-pent dans le rhumatisme chronique.

III. — Des autres affections abarticulaires dans le rhumatisme

chronique.

Les affections cardiaques ne sont pas les seules manifes-tations viscérales de la diathèse rhumatismale. 11 importe de remarquer ici que les autres complications habituelles du rhumatisme articulaire aigu se rencontrent plus rarement que les précédentes dans le rhumatisme chronique. Mais nous reconnaîtrons bientôt que, par contre, cette dernière forme de la maladie comporte certaines affections presque complè-tement étrangères au rhumatisme aigu, ainsi qu'on pouvait aisément le prévoir.

Nous allons successivement passer en revue, à cet égard, les principaux appareils de l'économie.

Appareil respiratoire. — La pleurésie se retrouve dans le rhumatisme articulaire subaigu et chronique; mais elle est beaucoup plus rare que dans la forme aiguë.

La pneumonie aiguë est une complication fréquente de l'arthro-rhumatisme aigu; je ne l'ai jamais rencontrée dans la forme chronique. J'ai observé, sans doute, quelques cas de pneumonie chronique chez les rhumatisants, mais c'étaient des sujets cachectiques.

La congestion pulmonaire rhumatismale, cet accident si formidable qui expose les malades à une mort presque subite,

peut se rencontrer dans le rhumatisme chronique ou subaigu. M. le docteur Bail en a rapporté un cas fort remarquable dans sa thèse d'agrégation (1).

Certaines affections thoraciques se présentent surtout dans les formes chroniques et mal définies du rhumatisme articu-laire. L'asthme suivi d'emphysème est aussi commun dans cette affection que dans la goutte. J'ai vu moi-même cette complication se manifester deux fois à la Salpêtricre.

Dans le premier cas, il s'agissait d'une femme de soixante ans qui, pendant vingt-cinq ans, avait exercé la profession de blanchisseuse.

L'asthme datait de dix ans. Au début, les accès étaient rares et nocturnes : à l'époque de l'observation ils étaient tellement rapprochés, tellement confondus, que la malade passait la plus grande partie du jour et de la nuit assise sur son lit, respirant péniblement.

Il existait habituellement des râles sibilants qu'on enten-dait à distance. L'auscultation faisait reconnaître dans toute l'étendue des deux poumons une grande faiblesse du murmure vésiculaire. L'expectoration était peu abondante.

Cette femme n'avait jamais éprouvé de rhumatisme articu-laire aigu généralisé; mais, à plusieurs reprises, depuis dix-sept ans, elle avait eu des douleurs arthritiques, accompagnées de gonflements des jointures. Les articulations principale-ment affectées ont été les genoux, les épaules et la jointure métacarpo-phalangienne de l'index droit. 11 n'y avait point de déformations caractéristiques, mais les genoux étaient le siège de craquements prononcés (2).

Dans le second cas, il s'agissait d'une malade âgée de soixante-six ans. Cette femme, après avoir habité longtemps

1. Op. cit., p. 61.

2. Op. cit., p. 129.

Gharcot. CEuv. compl. t. vu. Maiad. des Vieillards. i5

un logement très humide, paraît avoir eu une attaque, de rhu-matisme articulaire aigu ; elle est restée au lit pendant six semaines et deux mois après s'être levée, elle ne pouvait pas marcher sans béquilles. Depuis cette époque, il y a eu de temps en temps des lumbagos et des douleurs articulaires fugaces. A quarante ans, nouvelle attaque de rhumatisme articulaire subaigu. Un dernier accès du même genre s'était produit quatre ans avant son entrée dans le service.

La ménopause avait eu lieu à cinquante-cinq ans, et c'est peu de temps après cette époque que l'oppression a commencé à paraître. Au début de l'affection pulmonaire, elle était restée deux mois environ sans pouvoir se coucher dans son lit. Les accès, toujours très longs, ont d'abord été assez éloignés les uns des autres, puis ils se sont rapprochés tellement que, depuis trois ans environ, l'oppression était permanente; elle augmentait beaucoup pendant la marche.

Depuis que l'affection thoracique avait acquis une telle intensité, les douleurs articulaires étaient devenues plus vagues et plus fugaces. Point de déformation des jointures ; craquements très manifestes dans les genoux.

Après un séjour assez prolongé à l'infirmerie, cette femme a fini par succomber, après avoir présenté un œdème considé-rable des membres inférieurs.

L'autopsie a permis de constater :

1° Une hypertrophie du ventricule droit, sans lésions valvulaires du cœur, et sans traces de péricardite ancienne ou récente.

2° Des lésions articulaires presque complètement identiques à celles du rhumatisme articulaire aigu, mais sans épanche-ment synovial dans la jointure, et avec un état velvétique beaucoup plus prononcé des surfaces osseuses.

3° Dans les poumons, une rougeur prononcée, unevascula-risation évidente de la muqueuse des bronches ; ces conduits

renfermaient une quantité considérable de mucus verdâtre et tenace.

Le fils de cette femme est depuis longtemps asthmatique (1).

Il est évident qu'il s'agit, dans cette intéressante observa-tion, d'un rhumatisme articulaire d'abord aigu, puis subaigu, qui a fini par passer à l'état chronique. La coïncidence de l'asthme chez cette malade avec ces manifestations articulaires est d'une importance capitale au point de vue qui nous occupe.

On sait qu'on a depuis longtemps signalé l'existence d'une laryngite liée au rhumatisme aigu. Garrod a décrit aussi une forme particulière de laryngite chronique dans le rhumatisme noueux.

La phtisie pulmonaire a-t-elle des rapports avec le rhuma-tisme chronique ? Cette question est encore douteuse, et nous nous proposons de la discuter plus loin.

Appareil urinaire. — Dans le rhumatisme aigu, il existe une néphrite spéciale que nous venons de signaler. Dans la goutte, les altérations du rein sont presque la règle. Dans le rhumatisme chronique, la néphrite albumineuse est assez fréquente dans les périodes avancées, d'après les recherches que j'ai entreprises sur ce sujet avec M. Cornil. Ces lésions, d'ailleurs, se rencontrent toujours chez des sujets profon-dément cachectiques.

Les affections de la vessie ne, sont pas très communes dans le rhumatisme articulaire aigu. Il ne faut point confondre avec la goutte vésicale ces ardeurs éprouvées en urinant par les rhumatisants, et qui tiennent à la concentration extrême des urines.

Dans le rhumatisme chronique, la cystite est au contraire

L Cette observation est rappportée dans la thèse de M. le Dr Bail, mais d'une manière incomplète.

assez fréquente, surtout chez les sujets depuis longtemps con-finés au lit.

Appareil de l'innervation. —A. Affections cérébrales. Nous avons constaté les analogies profondes qui existent entre l'encéphalopathie rhumatismale et les accidents cérébraux de la goutte. La folie rhumatismale, décrite parBurows, Mesnet, Griesinger, se trouve assez souvent associée aux formes sub-aiguës du rhumatisme.

Des accidents de cette espèce on été signalés dans le rhu-matisme chronique par Fuller et M. Vidal. Mais ces faits sont peu communs.

La migraine, si commune dans l'intervalle des accès de goutte, se retrouve aussi dans le rhumatisme chronique (1).

B. Affections médullaires. —La chorée, dont les rapports, avec le rhumatisme aigu sont si bien démontrés, ne paraît pas exister dans le rhumatisme chronique ; du moins, je ne l'ai jamais rencontrée dans cette affection.

Mais plusieurs maladies qui se rattachent à la moelle épi-nière se rencontrent dans la forme chronique du rhumatisme.

La paralysie agitante, ou tout au moins le tremblement, peuvent coïncider avec le rhumatisme chronique partiel ou généralisé.

J'ai vu plusieurs cas d'ataxie locomotrice coïncider avec l'arthrite sèche et les nodosités des jointures (2).

Quant aux paraplégies, elles s'unissent rarement au rhu-matisme aigu ou subaigu, et il faut bien se garder de confondre les douleurs articulaires des affections spinales avec le rhu-

1. Consulter à ce sujet la thèse de M. le Dr Malherbe. Paris, 1866, p. 55.

2. Depuis l'époque où cette leçon a été rédigée, j'ai eu l'occasion d'observer plusieurs faits qui me portent à croire que les phénomènes articulaires, dans l'ataxic locomotrice, sont le plus souvent placés sous la dépendance de l'af-fection médullaire, et ne se rattachent point au vice rhumatismal. Gonsidter, à cet égard, l'intéressant travail de M. le Dr Mougeot. (Thèses de Paris, 1867.)

matisme fixe sur les jointures, car les lésions de la moelle épi-nière produisent quelquefois une tuméfaction douloureuse des articulations, ainsi que l'ont vu Mitchell, Morehouse, Remak, et plusieurs autres observateurs.

Il nous reste maintenant à signaler certaines lésions qui, sans occuper les viscères intérieurs, sont cependant placées en dehors des jointures. Nous avons vu que la goutte, en de-hors des maladies viscérales, produit quelquefois des affec-tions abarticulaires ; il en est de même dans les formes aiguës et chroniques du rhumatisme.

Ainsi les douleurs musculaires de la goutte, suivies de crampes et de rétraction des muscles (Guilbert), peuvent aussi se rencontrer dans le rhumatisme aigu : mais on les trouve bien plus souvent encore dans le rhumatisme chronique.

Les névralgies sciatiques et trifaciales, qui s'observent à la ibis dans la goutte et le rhumatisme, appartiennent surtout aux formes subaiguës et peu intenses de ces deux maladies. On peut aussi les rencontrer dans le rhumatisme d'Heberden. M. le docteur Bastien m'en a communiqué un cas.

L'appareil visuel peut être affecté aussi bien dans la goutte que dans le rhumatisme. Nous vous avons déjà parlé de Yiritis et de la sclérotite goutteuse. Les affections des yeux dans le rhumatisme aigu sont rares ; mais il en est tout autre-ment dans le rhumatisme subaigu (Garrod, Fuller) et dans le rhumatisme chronique (Cornil). Il s'agit en général d'une iritis, mais il peut exister aussi des conjonctivites rebelles. On constate souvent une alternance évidente entre les phé-nomènes oculaires et les affections des jointures.

Enfin les affections de la, peau, si bien connues dans la goutte et le rhumatisme aigu, se rencontrent aussi dans le rhumatisme chronique. Elles sont peu communes dans la

forme intense de cette maladie; on les trouve surtout dans le rhumatisme chronique partiel, M. Bazin fait remarquer, du reste, que les affections cutanées sont d'autant plus tenaces et opiniâtres que les arthropathies sont moins prononcées.

Nous avons plusieurs fois retrouvé chez les rhumatisants chroniques les affections cutanées décrites par M. Bazin : Y eczéma, le psoriasis nummulaire, le lichen, le prurigo ar-thritique.

Enfin, nous avons souvent vu Yérgsipèle lié au rhuma-tisme noueux.

Dans la prochaine séance, nous aborderons la Symptoma-tologie du rhumatisme chronique.

QUINZIÈME LEÇON

Symptomatologie du rhumatisme articulaire, chronique progressif.

Sommaire. — Trois types fondamentaux du rhumatisme articulaire chronique.

— Ils constituent, au fond, une seule et môme maladie. — Rhumatisme ar-ticulaire chronique progressif ou rhumatisme noueux. — Souvent confondu avec la goutte, dont il diffère essentiellement. — Il affecte de préférence les petites jointures.

Arthropathies qui se rattachent au rhumatisme noueux. — Elles ressemblent souvent, au début, à celles du rhumatisme aigu. — Rétraction spasmodique des muscles. — Attitudes vicieuses. — Désordres permanents. — Douleurs.

— Craquements. — Déformations osseuses. — Jointures affectées de pré-férence. — Les mains sont presque toujours atteintes les premières. — En-vahissement symétrique. — Mode de succession des arthrites. — Généra-lisation d'emblée, fréquente chez les jeunes sujets : marche progressive chez les sujets âgés. — Déformation consécutive des membres. — Deux types principaux ; leurs variétés.

Marche de la maladie. — Altérations consécutives. — Forme atrophique ; —

forme œdémateuse. — Perte des mouvements. Déformation des membres inférieurs ; — de la colonne vertébrale. — Déviation

delà tête. — Envahissement général de toutes les jointures. Mode de production de ces lésions. — Opinions diverses. — Contractions spas-

modiques. — Causes accessoires. Symptômes généraux. — Hématologie. — Réaction générale. — Évolution

rapide. — Évolution lente.

Messieurs.

Jusqu'ici nous n'avons guère envisagé le rhumatisme arti-culaire chronique que par un seul côté. L'anatomie patholo-gique de cette affection a été jusqu'à présent l'objet de son

éludes: mais il est temps d'aborder le poiutdevue clinique, et de placer sous vos yeux l'appareil symptomatique qui révèle l'existence de cette maladie.

Nous avons insisté déjà sur la nécessité de reconnaître ici" trois types fondamentaux, souslerapport anatomique : ilnous-paraît également nécessaire d'établir cette distinction sous le rapport de la symptomatologïe. Il s'agit, vous le savez déjà, du rhumatisme noueux, ou rhumatisme articulaire chronique progressif, du rhumatisme articulaire chronique partiel et du rhumatisme d'Heberden.

Ce ne sont point là, d'ailleurs, trois maladies distinctes, mais trois formes particulières d'une seule et môme maladie. Il n'en est pas moins indispensable de les séparer, car la na-ture et l'enchaînement des symptômes, le pronostic et même-le traitement diffèrent dans chacun de ces trois types du rhu-matisme chronique.

Nous consacrerons cette leçon à l'étude du rhumatisme articulaire chronique progressif.

Le rhumatisme noueux constitue, au point de vue médical, le plus intéressant des trois types que nous venons d'indiquer. Souvent confondu avec la goutte, il a quelquefois été désigné sous le nom de rhumatisme goutteux. Nous vous avons déjà fait voir qu'il faut établir à cet égard une distinction pro-fonde. Le rhumatisme ne doit jamais être confondu avec la goutte; mais toutes les variétés du rhumatisme ariculaire font partie d'une seule et même famille pathologique, et doivent rentrer dans un cadre unique.

Le rhumatisme noueux est aux autres formes de rhuma-tisme chronique ce que le rhumatisme aigu généralisé est au rhumatisme subaigu ou partiel. Il affecte de préférence les petites jointures, celles des mains en particulier. C'est une maladie qui se montre trop souvent au-dessus des ressources

do l'art, et qui donnent naissance à des infirmités déplo-rables.

Nous aurons à décrire en premier lieu les arthropathies résultent de cette affection, en second lieu, les symptômes qui se rattachent à l'état général.

Arthropathies.

A la première période, les fohénomçnes ? artiçùTtSwfes, si l'on fait abstraction du siège qu'ils^occupent/iiè'dM^rent en rien de ce qu'ils sont dans le rhumatisme'.aig? ou subaigu. On constate dans les jointures affectées, la douleur, la rougeur, la tuméfaction et la chaleur, qui caractérisent aussi le rhuma-tisme aigu ; seulemen! les accidents offrent ici une moins grande intensité et sont infiniment moins mobiles. Notons d'ailleurs qu'il n'y a point d'œdème ni de desquamation, comme dans la goutte.

Mais à cet ensemble symptomatique, un nouveau phéno-mène vient souvent se joindre même dès l'origine, phéno-mène qui, dans la forme aiguë, est loin de se manifester au même degré : nous voulons parler de la rétraction spasmodi-que des muscles, qui produit une attitude singulière, et quel-quefois permanente, des membres affectés.

A la seconde période, des désordres permanents se sont dé-veloppés. La tuméfaction s'est emparée des parties molles, pour produire tantôt des hydarthroses, tantôt des épaississe-ments de la synoviale et du tissu sous-séreux ; elle s'est empa-rée aussi des parties dures, et c'est alors qu'on voit se pro-duire des ostéoïdes, ou corps étrangers, rares dans certaines jointures, plus communs dans d'autres ; des bourrelets osseux qui déforment des têtes des os ; enfin des subluxations des extrémités articulaires.

La douleur, soit spontanée, soit provoquée, s'établit alors en permanence : elle peut occuper l'articulation elle-même, le corps des os ou les muscles voisins, sous formes de cram-pes douloureuses.

C'est alors qu'on constate les craquements dus à l'éburnation des surfaces osseuses, si l'articulation conserve encore une certaine mobilité ; mais souvent aussi la rigidité qui résulte de l'ankylose celluleuse, de la rétraction des tissus fibreux, se faitsentir en ce moment. Enfin l'on voit alors paraître les dé-formations osseuses, suivant certaines lois, certaines règles qui seront étudiées plus loin.

Voyons maintenant quelles sont les jointures affectées de préférence. Nous avons dit que les petites articulations étaient le siège de prédilection de la maladie. Les jointures plus vo-lumineuses ne se prennent que plus tard, et même, dans le cas d'envahissement général, l'épaule et la hanche sont sou-vent respectées. Mais il faut ajouter ici que les extrémités su-périeures sont presque toujours atteintes les premières : il en est tout autrementdans la goutte, où les extrémités supérieures ne sont en général affectées qu'en second lieu.

Le mode d'envahissement du rhumatisme noueux offre aussi des caractères particuliers, ha symétrie est ici la règle, ainsi que l'a fait remarquer Budd ; cette observation a été confirmée par Romberg, et j'en ai moi-même vérifié l'exactitude. On sait que la goutte est loin de suivre rigoureusement une règle pa-reille. Remarquons toutefois que, dans quelques cas exception-nels, le rhumatisme chronique est asymétrique : et la rareté du fait nous engage à le signaler. On voit alors un seul côté du corps être frappé d'abord: puis aune époque ultérieure, les lésions articulaires se généralisent.

11 existe une distinction non moins tranchée entre la goutte et le rhumatisme noueux, par rapport aux parties qui sont affectées en premier lieu. Dans la goutte, c'est le gros

1° Mains et pieds seuls, petites jointures..... 25 fois.

— — — gros orteil....... 4 fois.

2° Mains et pieds en même temps qu'une grosse

articulation.................... 7 fois.

3° Une grande jointure d'abord ; plus tard les

doigts.................,..... 9 fois.

Examinons maintenant le mode de succession des arthrites, dans le rhumatisme noueux. Le plus souvent, elles se dévelop-pent de la périphérie au centre : les doigts sont d'abord affectés puis le coude, puis l'épaule. Mais cette succession régulière ne se rencontre guère que dans le cas où l'évolution de la ma-ladie se fait lentement. Chez les jeunes sujets de seize à trente ans, on voit souvent au contraire cette affection se généraliser d'emblée: chez les sujets plus âgés, de quarante à soixante ans, elle suit la marche progressive que nous venons de si-gnaler. Dans le premier cas, la maladie présente une évolution rapide ; dans le second, elle marche lentement. Il n'y a ce-pendant rien d'absolu sous ce rapport, car souvent, à l'épo-que de la ménopause, on voit les symptômes débuter brus-quement, et l'affection prendre d'abord les allures d'une mala-die aiguë.

H nous reste à signaler les déformations des membres qui

orteil : dans le rhumatisme noueux, ce sontle plus souvent les articulations métacarpo-phalangiennes de l'index et du médius qui sont envahies les premières ; et cela des deux côtés à la fois, conformément à la loi de symétrie que nous venons d'é-noncer. N'oublions pas toutefois que le début par une grosse jointure est ici beaucoup plus fréquent que dans la goutte, et que ce fait à lui seul peut souvent venir en aide au diagnos-tic. Nous allons vous présenter d'ailleurs quelques chiffres à cet égard. Le début a eu lieu par :

sont la conséquence de ce travail morbide. Elles sont surtout prononcées chez les jeunes sujets, lorsqu'il existe des dou-leurs spasmodiques, et des rétractions musculaires très pro-noncées. Il ne s'agit point ici des déformations des jointures elles-mêmes, mais des attitudes vicieuses qui résultent du changement de rapports qui s'est opéré entre les diverses parties du membre.

Ces difformités sont presque toujours identiques : elles reconnaissent des lois régulières. Pour ce qui concerne les extrémités supérieures, elles peuvent êtres ramenées à deux types principaux, avec les dérivés secondaires.

Dans l'un et l'autre type, la main est dans une pronalion plus ou moins exagérée. C'est là un caractère qui leur est commun ; ils diffèrent sous beaucoup d'autres rapports. Nous allons en donner une description succincte.

Premier type. — C'est celui qu'on rencontre le plus sou-vent. Il est caractérisé :

1° Par la flexion à angle obtus, droit, ou même aigu, de la phalangette sur la phalangine ;

2° Par l'extension de la phalangine sur la phalange ;

3° Par la flexion de la phalange sur la tête des métacar-piens.

4° Par la flexion, à angle moins obtus, des métacarpiens et du carpe sur les os de l'avant-bras ;

5° Dans un grand nombre de cas, il existe une inclinaison en masse de toutes les phalanges vers le bord cubital de la main, puis une déviation en sens inverse des phalangines sur les phalanges. La première de ces deux lésions est sou-vent l'une des premières déformations qui signalent le début de la maladie.

Ce type peut offrir deux variétés. Dans la première, la plu-part des caractères que nous avons décrits sont conservés ;

Fig. 18. — Premier type.

Dans la seconde, on voit manquer la flexion de la phalan-gette sur la phalangine, et alors le dos des doigts de la main

Fig. 19. — Première variété du premier type.

paraît excavé à partir de la tête saillante des métacarpiens.

Fig. 20. — Seconde variété du premier typ'e.

Second type. — Il est caractérisé :

1° Par l'extension de la phalangette sur la phalangine ;

2° Par la flexion des phalangines sur les phalanges ;

seulement la phalangine et la phalange sont sur le même axe, et forment une seule colonne.

3° Par l'extension des phalanges sur les tètes des métacar-piens ;

4° Par une flexion plus ou moins prononcée du carpe sur les os de l'avant-bras ;

5° Dans certains cas, il existe une déviation en masse des phalanges, qui se portent visiblement vers le bord cubital do la main.

Fig. 21. — Second type.

Ce type peut offrir, comme le précédent, deux variétés.

Dans la première, il y a flexion de toutes les articulations de la main les unes sur les autres, de manière à constituer une sorte d'enroulement.

Dans la seconde, on retrouve les mêmes caractères, mais il y a en outre extension des phalangines sur les phalanges.

Fig. 23. — Seconde variété du second type.

Nous ne nous sommes occupés jusqu'ici que des déviations des doigts de la main; mais que devient le pouce ?

Fig. 22,

'. — Première variété du second type.

C'est ici, comme ailleurs, l'articulation métacarpo-phalan-gienne qui se trouve surtout altérée. La première phalange du pouce est le plus souvent maintenue dans la flexion, quelque-fois dans l'extension.

Les autres articulations du membre supérieur participent, dans une certaine mesure, à ces déformations.

Ainsi, la flexion du coude est plus ou moins prononcée, quelquefois exagérée : l'extension est impossible.

L'avant-bras est dans la pronation. •

Il existe une flexion plus ou moins complète du carpe et du métacarpe sur l'avant-bras, avec saillie du cubitus et du radius.

Enfin, l'épaule est quelquefois rigide, et le membre supé-rieur se trouve fixé contre le thorax.

Voyons maintenant de quelle manière, et suivant quel ordre, les articulations du membre supérieur se trouvent envahies.

Deux cas peuvent se présenter :

a. Chez les jeunes sujets, la marche de la maladie est rapide, et les contractions spasmodiques des muscles étant très prononcées, les déformations sont nettement caracté-risées. 11 y a saillie des têtes osseuses par suite des subluxa-tions qui se sont opérées.

Ainsi, à la main, dans le second type, il se produit une saillie considérable des os de l'avant-bras, en arrière des os du carpe ; — une subluxation des têtes des phalanges, en avant et en dehors sur les têtes métacarpiennes, qui font sur le dos de la main une saillie considérable ; — une subluxa-tion peu prononcée des phalangines, en avant, sur les pha-langes, dont les têtes font saillie du côté de la paume de la main. Enfin, par suite de la flexion prolongée des phalan-

gettes sur les phalangines, les petits condyles de celles-ci l'ont saillie en arrière.

Il faut noter que les végétations osseuses, au pourtour des articulations des doigts, ne circonscrivent pas constamment les tètes des os : ce sont tantôt des tubercules, tantôt des aiguilles plus ou moins allongées. En tout cas, ces ostéo-phytes contribuent peu aux déformations articulaires.

Enfin, dans la forme que nous étudions, il existe une im-mobilité plus complète, d'où rigidité plus grande des liga-ments et des tissus fibreux : l'ankylose celluleuse se produit bientôt, et il en résulte un rapide amaigrissement des parties. Le terme rhumatisme noueux ne convient guère aux cas de cette espèce.

b. Chez les sujets plus âgés, la maladie suit une évolution plus lente, et les mouvements sont en partie conservés. Aussi les déviations sont-elles moins prononcées, et le volume des têtes des os, et des stalactites osseuses, est-il plus considé-rable.

Il existe, en effet, une sorte d'opposition entre le degré des déviations et le volume des bourrelets osseux, ainsi que l'é-tendue des déformations qui en résultent.

Quand la maladie s'est prolongée pendant un certain espace de temps, on voit se produire des altérations qui sont la con-séquence de cet état de choses. L'atrophie des os, l'atrophie des muscles et l'amaigrissement des parties molles sont les accidents les plus ordinaires en pareil cas.

Mais on peut distinguer ici deux formes tout opposées. Dans la forme atrophique, (Vidal) il se produit une induration de la peau, une sorte de sclérodermie : l'enveloppe cutanée est froide, pâle, lisse et polie, et ne se laisse plus rider.

Dans la forme opposée, on voit une infiltration œdémateuse, qui simule l'éléphantiasis, se développer sur le membre :

Nous allons maintenant étudier les lésions articulaires, qui peuvent se produire sur d'autres points du squelette.

Les membres inférieurs sont parfois indemnes, alors que les mains ont subi les altérations les plus prononcées. Cepen-dant, ce cas est rare, et, en général, les extrémités inférieures sont symétriquement déformées et déviées, et deviennent in-capables de se prêter aux mouvements habituels.

L'articulation de la hanche conserve en général sa liberté : mais il n'en est pas de même pour les genoux. On observe le plus souvent une flexion de la cuisse sur le bassin, et une flexion de la jambe sur la cuisse. Les déformations principales qui en résultent sont les suivantes :

Chargot. OEuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 16

cette tuméfaction est souvent accompagnée de symptômes in-flammatoires ; mais ces phénomènes s'observent surtout aux membres inférieurs.

Au reste, les muscles des membres subissent toujours, à la longue, sous l'influence de l'immobilité des parties, un cer-tain degré d'atrophie et de dégénération graisseuse.

La conséquence immédiate de ces altérations, c'est que les infirmes se trouvent privés des mouvements des extrémités supérieures, et ne peuvent plus se servir eux-mêmes. C'est alors qu'on voit apparaître ces inventions ingénieuses, ces longues fourchettes dont les dimensions et la forme varient selon le degré d'infirmité des malades, mais qui ont toujours pour objet de leur permettre de porter leurs aliments à la bouche, grâce aux mouvements plus ou moins restreints qu'ils ont conservés.

Remarquons, à cet égard, que les déformations de la main droite, dont les malades continuent à se servir, ne présentent pas un type aussi régulier que les déviations de la main gau-che, qui se trouve le plus souvent condamnée à une immobi-lité absolue.

L'extrémité inférieure du fémur fait saillie en avant de la tête du tibia ;

Le condyle interne du fémur devient proéminent ;

La rotule, rejetée en dehors, repose sur le condyle externe;

La tête du péroné fait saillie en dehors.

Il est rare de voir cependant une ankylose complète se produire dans le genou; mais des bourrelets osseux s'y déve-loppent presque toujours, et les corps étrangers peuvent s'y rencontrer en grande abondance.

Dans l'articulation tibio-tarsienne, au contraire, l'ankylose est très fréquente. Le pied peut être porté dans l'abduction; il repose alors sur le bord externe de manière à simuler le valgus. Il peut, au contraire, se porter dans l'abduction : c'est alors un varus équin.

Le gros orteil est porté en dehors, de manière à recouvrir les autres doigts du pied.

Des déformations importantes peuvent aussi se montrer du côté des vertèbres cervicales. Dans plusieurs cas que j'ai ob-servés moi-même à la Salpêtrière, j'ai vu la tête inclinée en avant et fléchie sur le sternum ; le menton touchait presque la poitrine. Les mouvements delà tête étaient fort bornés et fai-saient entendre des craquements. Chez la plupart de ces ma-lades, le cou se trouvait élargi à la partie postérieure.

C'est ainsi que la plupart des jointures peuvent être prises, chez un seul et même sujet, dans les cas de rhumatisme chro-nique généralisé ; et alors les malheureux infirmes sont con-damnés à rester dans leur lit pendant tout le reste de leur existence. On les voit quelquefois vivre plus de vingt ans dans cette affreuse position.

Mais il nous reste à étudier le mode de production de cee déviations. Quelques médecins les attribuent à une action pro-videntielle (Beau), dont le but serait d'atténuer l'intensité de?

douleurs. Elles seraient le résultat d'attitudes prises instincti-vement par les malades (Trastour).

Pour moi, je professe une opinion diamétralement opposée. Dans la majorité des cas, ces déformations sont le résultat de contractions, musculaires spasmodiques, et pour ainsi dire convulsives. Elles se produisent par une sorte d'action réflexe, dont le point de départ est dans les jointures affectées.

Je n'insisterai pas longuement sur ce sujet. Les arguments que j'ai autrefois exposés, renforcés de ceux de M. Crocq, me paraissent avoir péremptoirement démontré que c'est bien ainsi que les choses se passent.

On peut invoquer à cet égard :

1° La forme même des déviations; ce sont des attitudes manifestement forcées ;

2° La résistance que les malades opposent à ces rétractions spasmodiques, et qui, tout en demeurant impuissante à les prévenir, suffit pour prouver qu'elles sont involontaires ;

3° L'apparence générale de ces déviations, qui est bien en rapport avec l'idée d'un spasme musculaire : ce sont, en effet, des déviations d'ensemble, alors même que les jointures mises en jeu ne sont pas toutes affectées ;

4° Enfin, la présence de ces mêmes déformations dans des cas où les jointures ne sont nullement affectées ; on ne peut alors invoquer que la contraction spasmodique des muscles.

Ainsi, dans la paralysie agitante, dans l'atrophie congénitale du cerveau, dans l'atrophie des muscles interosseux, on voit quelquefois les membres prendre des formes qui sont de tout point semblables à celles qu'on observe dans le rhumatisme articulaire chronique.

Il serait d'ailleurs impossible de nier l'existence des causes accessoires à côté de cette cause fondamentale des déforma-tions rhumatismales. Le poids des membres, la laxité plus ou

ou moins grande des ligaments, contribuent pour une part plus ou moins grande à la production de ces déviations ; mais ces diverses conditions sont insuffisantes pour déterminer de pareils effets sans le concours de la rétraction musculaire. Ne voyons-nous pas, dans certains cas d'hydarthrose, une laxité énorme des ligaments des genoux se manifester sans qu'il se produise de déformations consécutives ? Le membre reste, au contraire, dans un état de flaccidité complète.

Les déformations que nous venons de décrire ne sont pas, — nous l'avons vu, — exclusivement propres au rhumatisme. Gependanl, l'altération des jointures, les craquements, l'hydar-throse, lesankyloses celluleuses et la rigidité consécutive des jointures, la symétrie des lésions, distinguent les effets du rhumatisme chronique de ceux que produisent la paralysie agitante et diverses autres maladies. Mais la goutte donne lieu aux mêmes contractions spasmodiques et aux mêmes déviations. Guilbert avait insisté sur ces rétractions muscu-laires dans son Traité de la Goutte.

Cependant, la présence des tophus, qui accompagnent en général ces sortes de déformations chez les goutteux, est un caractère vraiment spécifique. Chez les rhumatisants, on voit quelquefois des nodosités percer l'enveloppe cutanée; mais la partie mise à nu est de l'os, et non pas un dépôt tophacé, comme dans la goutte.

Symptômes généraux ; marche de la maladie.

A. L'hématologie, l'étude chimique des sécrétions n'ont jusqu'à présent donné que des résultats négatifs.

Musgrave dit que le sang est couenneux; il l'est effective-ment dans les formes aiguës, mais on n'y trouve jamais d'acide

urique : j'ai moi-même examiné le sang dans trente-cinq cas de rhumatisme articulaire chronique, sans jamais y trouver la moindre trace de ce principe.

Dans un cas rapporté par Bocker, l'analyse chimique a fourni des résultats très intéressants. Ce fait est cité comme un exemple de goutte, mais il pourrait bien appartenir au rhumatisme noueux : car les extrémités des os étaient gon-flées, ce qui n'a point lieu dans la goutte. Le sang et les uri-nes ont été examinés, et l'on a trouvé dans l'excrétion uri-naire une diminution notable de la proportion normale de phosphate de chaux ; dans le sang, au contraire, il existait quatre fois plus de phosphate de chaux qu'à l'état normal. Il paraît que le taux normal de l'acide urique n'était pas aug-menté : du moins l'auteur garde le silence sur ce point.

B. Au point de vue de la réaction générale et de la marche des accidents, il y a lieu de reconnaître deux formes essen-tiellement distinctes.

Dans le rhumatisme articulaire chronique à évolution ra-pide, il s'agit habituellement de jeunes sujets, âgés de seize à trente ans ou de femmes en état de grossesse ou depuerpéra-lité; les émotions morales, l'impression vive du froid,peuvent exercer aussi une certaine influence.

On voit, en pareil cas, un grand nombre de jointures pri-ses à la fois. Les rétractions musculaires sont plus prononcées ; les douleurs sont très intenses ; la rougeur, la tuméfaction sont assez vives, et l'affection est moins mobile que dans le type opposé.

Les symptômes généraux sont ceux du rhumatisme articu-laire aigu ou subaigu ; il y a une élévation marquée de la température, une accélération évidente du pouls, et dessueurs abondantes. C'est surtout dans les cas de cette espèce qu'on rencontre les affections cardiaques.

On pourrait admettre ici que le rhumatisme d'abord aigu, a pris ultérieurement la forme chronique : cette opinion sou-tenue par divers auteurs peut être vraie dans quelques cas. M. le Dr Bail m'a présenté un malade chez lequel les articu-lations métacarpo-phalangieunes furent envahies dans le cours d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu : il en ré-sulta une déviation des doigts vers le bord cubital de la main ; et cet homme, aujourd'hui rétabli, porte encore cette défor-mation caractéristique du rhumatisme noueux.

Nous croyons toutefois qu'il s'agit ici, le plus souvent, d'un rhumatisme chronique d'emblée, mais dont la marche présente quelques-uns des caractères de l'état aigu.

Après un certain temps, il se développe une fièvre rémit-tente, qui ressemble à la fièvre hectique : on voit ensuite se manifester une série d'exacerbations suivies par de longs inter-valles de rémission.

Dans les cas de ce genre, la maladie dure habituellement moins longtemps. Après deux, trois ou quatre ans, les jointu-res cessent presque complètement d'être douloureuses, et les choses en restent là. Quelquefois même, quand les déforma-tions se sont produites, elles cessent d'exister. Nous avons observé nous-mêmes des faits de cette espèce qui sont mal-heureusement très rares. C'est ainsi que chez une femme atteinte d'abord d'un rhumatisme subaigu fébrile affectant les épaules et les articulations métacarpo-phalangiennes, la rétraction spas-modique des doigts se manifesta trois mois après le début delà maladie : la déformation consécutive persista pendant une an-née entière, puis le malade guérit.

Dans le rhumatisme chronique à évolution lente, il s'agiten général de sujets plus âgés, ayant de quarante à soixante ans: on rencontre souvent cette affection vers l'époque de la méno-

pause. Cette forme a été décrite par Geist(l), sous le nom de goutte sénile C'est là surtout qu'on rencontre les nodosités des jointures, de Haygarth.

Les articulations sont envahies successivement une à une : c'est dans ces cas surtout qu'on peut étudier le mode d'enva-hissement de la maladie. Les douleurs sont moins vives, il y a moins de rougeur ; souvent môme elle fait complètement défaut. Les déviations par contractions musculaires sont moins prononcées ; au contraire, les déformations de chaque jointure sont plus accusées.

Quant à l'état général, il ne s'accompagne que rarement d'un mouvement fébrile : on constate seulement de temps en temps un petit accès. Enfin, le pronostic est, à tout prendre, moins grave que dans l'état précédent.

Nous avons comparé entre elles les deux formes extrêmes pour faire ressortir leurs analogies et leurs différences, mais entre ces deux points il existe une foule d'états intermédiai-res qui établissent entre eux une transition graduelle. Remar-quons d'ailleurs que , malgré la règle que nous avons formulée, il se rencontre chez les jeunes sujets des cas qui se comportent comme chez les vieillards : la réciproque est éga-lement vraie.

1. Klinik der Greisenkrankheiten. Erlangen, 1860.

SEIZIÈME LEÇON

Symptomatologie du rhumatisme chronique partiel et des nodosités d'Heberden.

Sommaire. — Rhumatisme chronique partiel. — Dénominations diverses qu'il a reçues. — Ne diffère pas essentiellement du rhumatisme noueux. — Ses caractères particuliers. — Petit nombre des jointures affectées. — Les grandes articulations sont le plus souvent frappées. — Début insidieux ; forme chronique d'emblée. — Déformations articulaires. — Manifestations diathésiques. — Affections cutanées. — Lésions viscérales.

Mode de développement. — Succède parfois au rhumatisme aigu. — Peut se manifester d'emblée. — Se généralise quelquefois.

Phénomènes articulaires. — Déformations. — Douleurs. — Absence de sensi-bilité à la palpation. — Craquements.

Pronostic relativement peu sérieux. — Abolition plus ou moins complète des mouvements. — Rétraction spasmodique des muscles assez rare. — Rigidité extrême de l'articulation.

Nodosités d'Heberden. — Indépendantes de la goutte. — Siègent au niveau des articulations des phalangettes. — Lésions identiques à celle de l'arthrite sèche. — Les autres jointures de la main souvent affectées, mais à un moindre degré. — Cette affection se rattache à la diathèse rhumatismale.— Elle peut, bien que rarement, coïncider avec la goutte.

Messieurs,

Nous allons compléter la description des symptômes du rhumatisme chronique, par l'étude des deux formes principa-les de cette maladie, qui font suite au rhumatisme noueux, dans la classification que nous avons adoptée. Il s'agit du rhumatisme chronique partiel, et des nodosités d'Heberden.

Le rhumatisme chronique partiel dont nous allons nous

occuper d'abord, a reçu un grand nombre de dénominations diverses suivant les auteurs. Lorsqu'il siège à la hanche, on l'appelle Morbus co.xœ senilis ; on lui a donné, lorsqu'il oc-cupe un autre siège, les noms à'Arthrite sénile, d1Arthrite sèche. C'est l'affection qui produit les difformités, les mieux caractérisées ; c'est Y Arthrite déformante.

Cette maladie ne diffère pas essentiellement de la précé-dente ; cependant, elle s'accuse par quelques symptômes par-ticuliers. Nous en avons déjà signalé plusieurs. Nous allons maintenant vous rappeler les différences les plus caractéris-tiques qui séparent ces deux formes d'une seule et même affection.

1° Les articulations sont prises en petit nombre, relative-ment à ce qui se passe dans le rhumatisme généralisé.

2° Les grandes jointures, et même celles qui, dans la forme précédente, ne sont que très exceptionnellement at-teintes, sont ici frappées le plus souvent.

3° La forme chronique d'emblée est ici la règle. Le début est le plus souvent insidieux ; les douleurs sont peu pronon-cées ; les membres affectés conservent le plus souvent leur mobilité, du moins jusqu'à un certain point. Mais, par contre, il se produit souvent des difformités considérables au niveau des jointures, par suite de l'exubérance des bourrelets osseux ; quelquefois aussi l'on rencontre une hydarthrose assez considérable pour contribuer à la déformation (Forme hypertrophique d'Adams).

Cette maladie a été surtout étudiée au point de vue de la pathologie externe : on s'est plus spécialement occupé des cas dans lesquels l'affection s'est localisée sur une seule articulation. En effet, le diagnostic peut alors offrir de grandes difficultés; car cette forme de rhumatisme peut simuler une luxation, une fracture, et mieux encore une tumeur blanche.

Ce sont là des questions qui ont surtout attiré l'attention des chirurgiens ; néanmoins, l'étude de cette maladie pré-sente un grand intérêt pour le médecin; en effet, il s'agit d'une affection presque toujours diathésique, qui peut sou-vent coexister avec des manifestations cutanées (1) et avec des lésions viscérales (asthme, cardiopathies) dont la signifi-cation se révèle par le fait même de leur coïncidence avec des arthropathies chroniques.

Remarquons d'ailleurs que la localisation du mal sur une seule jointure, le début latent de l'affection, l'énorme exubé-rance des bourrelets osseux de formation nouvelle, sont des faits plutôt exceptionnels que réguliers, et qui frappent sur-tout par leur singularité. Les arthropathies du rhumatisme chronique partiel se montrent très fréquemment avec tous ces caractères, à un degré bien inférieur, sans doute, mais par-faitement appréciable. Ce fait a une grande importance clini-que; car l'existence bien constatée de ces arthropathies peut être un indice facilement saisissable de la diathèse rhumatis-male : et c'est surtout à ce point de vue qu'elles nous inté-ressent.

Je n'entreprendrai point, messieurs, de vous donner une description en règle de cette forme du rhumatisme ; elle appartient surtout, comme je l'ai dit, au domaine de la chi-rurgie, sur lequel je ne veux pas empiéter. Je ne puis toute-fois me dispenser de vous faire connaître ceux des caractères de cette affection qui, au point de vue où nous sommes pla-cés, nous intéressent plus spécialement.

A. Le rhumatisme chronique partiel paraît succéder quel-quefois au rhumatisme articulaire aigu, dont il est alors la conséquence.

1. Golombel. — Recherches sur l'arthrite sèche. Thèse de Paris, 1862.

Adams, qui a spécialement étudié cette question, recon-naît ce mode de développement des phénomènes morbides. Il s'agit, en pareille circonstance, d'une des formes du rhuma-tisme mono-articulaire. Deux cas peuvent se présenter : tan-tôt le rhumatisme dégénère en tumeur blanche ; tantôt il prend les caractères de l'arthrite déformante. C'est là ce qui arrive le plus souvent; et cette transition n'a rien qui doive nous étonner, car nous savons que le rhumatisme aigu pré-sente, en germe, les lésions de la forme chronique.

B. Le début de l'arthrite déformante peut être aigu, quoi-que le rhumatisme soit partiel dès l'origine. Adams (1) et M. Colombel(l) en ont rapporté des exemples, et moi-même j'en ai observé quelques cas à la Salpêtrière. Ainsi, chez une femme âgée de cinquante-trois ans, il y eut, au début, des arthrites partielles aiguës, avec fièvre et rétraction mus-culaire; puis la maladie persista, sous forme d'arthrite sèche ; en dernier lieu, des douleurs symétriques se manifestèrent aux deux mains et l'on constata le passage de l'affection au rhumatisme noueux.

C. Au contraire, le début de la maladie peut, comme nous l'avons vu, être lent, insidieux, les accidents restant localisés, à l'origine, sur une seule jointure : mais le véritable carac-tère de l'affection se révèle à la longue par l'apparition d'une ou plusieurs autres arthrites, ou de quelques manifestations abarticulaires, liées au rhumatisme. Il existe actuellement à la Salpêtrière une femme de quarante-six ans qui, après avoir eu d'abord une arthrite sèche à la hanche, fut atteinte, à une époque ultérieure, d'une affection semblable au ge-nou. Chez une autre malade, âgée de soixante-trois ans, il

1- Op. cit., p. 44 et 301, obs. xvn.

y eut d'abord une arthrite sèche de la hanche droite, puis de la hanche gauche, puis une tuméfaction douloureuse du genou gauche, avec craquements; puis enfin survinrent des nodosités d'Heberden.

D. Enfin, l'on rencontre des cas assez nombreux où le rhumatisme, après être resté fixé pendant un temps plus ou moins long sur un certain nombre de jointures, se généralise. On peut du reste observer les deux transformations opposées. Tantôt c'est le rhumatisme partiel qui devient général; tantôt, au contraire, dans le rhumatisme généralisé, on voit prédo-miner une seule affection articulaire, et dans la jointure af-fectée, les lésions de l'arthrite déformante finissent par se développer. Adams en a rapporté divers exemples.

Il cite, entre autres, le cas du docteur Percival, médecin fort distingué, qui mourut en 1839, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, après avoir longtemps souffert de cette maladie. Il avait eu, en 1818, des douleurs assez vives dans les mains et les poignets, accompagnés d'un léger gonflement. Deux ans plus tard, une douleur légère se montra dans l'articu-lation coxo-fémorale droite, et peu après la marche devint extrêmement difficile. Le membre s'était raccourci et se por-tait dans la rotation externe : les mouvements étaient accom-pagnés de craquements très manifestes, et lorsqu'il était au repos, les jambes se croisaient; il ne pouvait quitter cette attitude sans éprouver une sensation pénible. Cinq ans avant sa mort, des symptômes analogues se manifestèrent à la hanche gauche.

Le docteur Percival mourut d'une affection de la vessie; et, conformément à ses dernières volontés, son autopsie fut faite par le docteur Colles, et les pièces furent présentées à la Société pathologique de Dublin. Les articulations offraient le type le mieux caractérisé de l'arthrocace sénile : les têtes

osseuses étaient aplaties et éburnées, ainsi que les deux ca-vités cotyloïdes. Le ligament rond avait complètement dis-paru. Le col du fémur était raccourci; la tête du fémur gauche était rouge et vascularisée, et de nombreux dépôts osseux couvraient la capsule ligamenteuse.

Chez une dame de soixante ans, atteinte, depuis vingt-cinq ans, de rhumatisme noueux, la maladie avait fini par se localiser sur les genoux, qui étaient ankylosés à angle droit, et présentaient les caractères classiques de l'arthrite sèche.

Quelle que soit d'ailleurs l'origine du rhumatisme partiel, lorsque l'affection s'est constituée à l'état chronique, c'est plutôt une infirmité qu'une maladie. — Je fais abstraction ici des lésions viscérales qui peuvent en être le cortège. — Cependant il ne faut point oublier qu'il se produit quelque-fois des exacerbations aiguës. L'affection articulaire, pendant longtemps indolore, finit par donner lieu à de vives souf-frances : la peau rougit, et l'on constate une aggravation évidente des phénomènes chroniques.

Les phénomènes purement articulaires, lorsque l'affection s'est régulièrement constituée, sont les suivants :

2° Il existe une déformation plus ou moins prononcée de la jointure : des crêtes osseuses, des corps étrangers, del'hydar-throse.

2° Le malade éprouve une douleur spontanée, assez vague, qui se dissipe par la marche, mais qui, à la longue, finit par s'exaspérer.

3° La douleur provoquée par la palpation ou la percussion est nulle, ou presque nulle, ce qui distingue cette arthropa-thie de celles qui sont de mauvaise nature.

4° Il existe toujours des craquements plus ou moins pro-noncés.

Cette affection ne menace point la vie, lorsqu'elle est exempte de toute complication ; mais elle abolit plus ou moins

complètemenL les mouvements de la partie affectée. Cepen-dant les malades continuent souvent à marcher, non sans quelque difficulté. C'est en pareil cas qu'on observe dans la jointure, à l'autopsie, des stries sur la partie éburnée des sur-faces articulaires.

La rétraction spasmodique des muscles est ici très rare, sauf au début ; mais il existe parfois une extrême laxité des ligaments ; ou bien, comme on le voit souvent à la hanche, une rigidité extrême de l'articulation qui résulte de la défor-mation des têtes osseuses, ou des cavités de réception.

E. Nodosités d'Heberden. Nous allons maintenant nous occu-per des nodosités d'Heberden, forme spéciale du rhumatisme chronique, qui n'a pas encore été suffisamment décrite, et qu'on trouve à peine indiquée dans les auteurs. La plupart des médecins la confondent avec la goutte, sans aucune restric-tion.

Lorsqu'il s'agit du rhumatisme noueux, on reconnaît vo-lontiers qu'il diffère de la goutte vraie par certains caractères ; mais en présence des nodosités d'Heberden, le doute n'est plus permis, dit-on; c'est bien de la goutte qu'il s'agit.

Pour moi, je professe une opinion tout opposée , et je dé-signe cette forme de rhumatisme sous le nom de nodosités d'Heberden, parce que cet auteur est le premier qui ait senti qu'il fallait séparer ces lésions de la goutte.

( Quelle est, » dit-il, dans ses Commentaires, « la nature « de ces petits nodules durs, du volume d'un petit pois envi-» ron, qu'on rencontre si fréquemment aux doigts, surtout un » peu au-dessus de leur extrémité, près de la jointure ? Us » n'ont aucune connexité avec la goutte. »

Ces petites nodosités, comme le fait remarquer Heberden, siègent au niveau des articulations des phalangettes. En gé-néral, l'extrémité digitale est un peu déviée, soit adroite, soit

à gauche. Il existe deux nodules au niveau de la jointure, qui paraît, en outre, un peu élargie. Dans l'articulation malade, on constate delà rigidité, mais point de craquements.

En général, le début de cette affection est très obscur ; cependant, il y a, par accès, delà rougeur, de la chaleur et une tuméfaction temporaire, des parties molles. Ce sont là de véritables accès que la maladie regarde souvent comme des attaques de goutte.

Les lésions anatomiques de cette arthropathie en minia-ture n'ont pas encore été décrites. D'après les nombreuses recherches que j'ai eu l'occasion de faire à la Salpêtrière on retrouve ici, comme dans les deux autres formes de rhuma-tisme articulaire chronique, les altérations de l'arthrite sèche : c'est un fait dont je me suis assuré maintes fois par la dissec-tion. Les cartilages diarthrodiaux subissent l'altération velvé-tique, puis ils disparaissent et l'on trouve à leur place une coucheosseuse éburnée. Les surfaces articulaires s'élargissent dans tous les sens par suite de la formation d'ostéopbytes qui reproduisent à peu près, en les exagérant, leur forme et leurs contours naturels. Les tumeurs pisiformes qu'on ren-contre, suivant la description d'Heberden, au voisinage delà seconde articulation phalangienne, ne sont autres que des tubercules osseux qui existent normalement à l'extrémité in-férieure de la deuxième phalange du côté dorsal : seulement le volume de ces tubercules s'est considérablement accru par l'apposition de couches osseuses nouvelles. Il n'existe pas trace de dépôts d'urate de soude, soit dans l'épaisseur des cartilages diarthrodiaux, soit au voisinage de la jointure, dans les parties molles.

Les autres jointures delà main sont en général affectées, mais à un bien moindre degré. Contrairement à ce qui a lieu dans le rhumatisme noueux, ce sont surtout les articula-tions des phalanges avec les phalangines, et en seconde ligne

les articulations métacarpo-phalangïennes, qui présentent, en pareil cas des lésions plus ou moins accentuées.

Ces nodosités sont intéressantes pour l'observateur, parce qu'elles révèlent un état constitutionnel, qui n'est autre que la diathèse rhumatismale.

Cette affection, très fréquente à la Salpêtriôre, appartient surtout à l'âge sénile; cependant il ne faudrait pas croire qu'elle ne se rencontre jamais chez de jeunes sujets ; bien au contraire, on la constate souvent aux périodes moins avancées de la vie; et c'est là un point qu'il importe de faire ressortir. C'est une maladie héréditaire; elle peut se mani-fester chez plusieurs membres de la môme famille. Elle offre une connexité évidente, soit avec le rhumatisme noueux, soit surtout avec le rhumatisme partiel ; on la voit, en effet, coïncider fréquemment avec l'arthrite de la hanche ou du genou.

Il arrive parfois que, dans la même famille, les uns ont le rhumatisme d'Heberden, d'autres le rhumatisme chronique généralisé, d'autres enfin le rhumatisme partiel : preuve nou-velle de la parenté qui réunit ces trois formes d'une seule et même affection.

Le rhumatisme d'Heberden coexiste souvent avec l'asthme, la migraine, les névralgies, surtout la névralgie sciatique, et le rhumatisme musculaire. Ces manifestations peuvent alterner aussi avec les accès aigus de cette maladie. Il n'est pas rare de le rencontrer chez des sujets atteints d'un cancer du sein, ou de tout autre organe.

Enfin ces petites nodosités peuvent coïncider avec la goutte, ainsi que j'ai eu moi-même l'occasion de le constater récemment. Dans le cas dont il s'agit, les nodosités avaient précédé la goutte de plusieurs années.

DIX-SEPTIÈME LEÇON

Étiologie du rhumatisme articulaire

Sommaire. — Causes principales du rhumatisme articulaire. — Elles sont communes à toutes les formes de celte maladie. — Pathologie historique. — Prépondérance de la goutte dans les écrits des médecins de l'antiquité. — Le rhumatisme noueux existait cependant déjà. — Géographie médicale. — Le rhumatisme articulaire aigu est une maladie qui appartient surtout aux climats tempérés. — Il est inconnu au voisinage des pôles et de l'équateur. — Le rhumatisme articulaire chronique abonde dans les pays tempérés, mais il existe aussi dans les pays chauds. — Hérédité : son influence est in-contestable. — Statistiques empruntées à divers auteurs. — Age. — La période classique du rhumatisme aigu s'étend de quinze à trente ans. — Le rhumatisme chronique se rencontre surtout à deux périodes de la vie : de vingt à trente ans et de quarante à soixante. — Sexe. — Les hommes sont plus sujets au rhumatisme articulaire aigu, les femmes au rhumatisme noueux.

Causes extérieures. — Froid humide. — Habitations humides. — Misère, mauvaise alimentation. — Ganses traumatiques. — Coups, chutes, phleg-mons, panaris. — Causes pathologiques. — Erysipèle. — Angine. — Scar-latine. — Blennorrhagie.

Fonctions utérines, — Chlorose. — Dysménorrhée — Ménopause. — Gros-sesse. — Allaitement prolongé.

Parallèle cidre l'étiologic du rhumatisme et celle de la goutte. — Ces deux affections ne sont pas identiques, mais il existe entre elles un certain degré (le parenté.

Messieurs,

L'étude des causes qui président au développement du rhumatisme articulaire va fournir de nouvelles preuves à l'appui de l'opinion que nous avons toujours soutenue.

Chaucot. OLuvr. coinpl. t. vu. Malad. des Vieillards. i-j

En effet, sur le terrain de l'ôtiologie, nous verrons les di-verses formes de cette maladie se rapprocher et se confondre : nous les verrons s'éloigner, au contraire, de la goutte; et nous constaterons ainsi que les types, en apparence si divers, que nous avons décrits jusqu'ici, reconnaissent, au fond, une commune origine.

Il ne faut cependant pas oublier que, d'après quelques observations, le rhumatisme articulaire peut créer, par voie d'hérédité, une prédisposition à la goutte : et la réciproque de cette proposition paraît être également vraie.

1.

Pathologie historique et géographie médicale. — Nous avons déjà constaté, en étudiant l'histoire de la goutte, que le rhumatisme articulaire avait fort peu attiré l'attention des médecins de l'antiquité, dont les descriptions se rapportent presque exclusivement à la goutte : ils confondaient d'ail-leurs cette dernière affection avec le rhumatisme, sous le nom de maladie articulaire (articulorum passio). Baillou est le premier auteur qui ait signalé le rhumatisme comme une maladie à part ; et ce qui prouve que cette distinction mit un certain temps à s'établir, c'est qu'elle n'est point encore admise dans les premières éditions de Boerhaave.

Le silence des anciens a fait supposer à quelques auteurs que le rhumatisme n'existait pas avant les temps modernes. Mais les ossements retrouvés dans les fouilles de Pompéi nous ont procuré sous ce rapport des renseignements plus positif? que ne peut en fournir la littérature médicale, au moins pour ce qui concerne le rhumatisme chronique : dans plusieurs cas, on a constaté, sur ces débris humains, les lésions qui caractérisent cette maladie. On trouve, à cet égard, de pré-

cieux renseignements dans {'Osteología Pompeiana, du pro-fesseur Delle-Chiaje, de Naples. Les figures qui sont jointes au texte ne peuvent laisser aucun doute dans l'esprit du lec-teur.

La géographie médicale du rhumatisme est encore à faire. Sous l'influence de certaines idées préconçues, il s'est établi une confusion regrettable entre toutes les maladies qui recon-naissent le froid pour origine : et l'on comprend combien la tâche de la critique devient difficile lorsqu'il s'agit de contrôler les observations recueillies dans des régions loin-taines.

Il paraît cependant établi que le rhumatisme articulaire aigu est une maladie qui appartient plus spécialement aux climats tempérés ; elle est inconnue dans le voisinage immé-diat des pôles et de l'équateur. Cependant, on rencontre assez souvent cette affection dans les climats chauds ; elle est fréquente en Egypte, d'après Pruner-Bey, et aux Indes orien-tales, d'après Webb : dans ce dernier pays, elle se compli-que souvent d'endopéricardite.

Au cap de Bonne-Espérance, dans la partie du géranium, l'armée anglaise fournit une proportion de cinquante-sept rhumatismes sur 1,000 malades ; tandis que sous le climat rigoureux de la Nouvelle-Ecosse, sur le même chiffre de malades on ne rencontre que trente rhumatisants.

Pour ce qui touche au rhumatisme articulaire chronique, on ne possède aucun renseignement précis. Il est certain, du moins, qu'il abonde dans les pays tempérés, en Angleterre, en Irlande, en France, en Allemagne, et dans toute l'Europe centrale. Mais il paraît exister aussi dans les pays chauds. Aux Indes, Malcolmson en a signalé l'existence chez les Cipayes ; et j'ai constaté moi-même qu'il était assez fréquent à Naples.

II.

Hérédité. — L'étude de celte question offre une grande importance pour la théorie du rhumatisme, car les affections héréditaires ne sont pas des maladies accidentelles, passa-gères, elles tiennent à la constitution même du sujet; nous le voyons bien pour la goutte.

Les statistiques de Ghomel et Requin établissent ici la fré-quence de la transmission héréditaire : malheureusement ces auteurs ont confondu le rhumatisme avec la goutte. Mais Fuller, qui tient compte de la distinction, a constaté la trans-mission héréditaire du rhumatisme 96 fois sur 300. ce qui donne une proportion de 29 pour 100; pour la goutte, la proportion est de 50 pour 100.

Pour le rhumatisme articulaire chronique, de nouvelles recherches seraient indispensables. Toutefois, ce que l'on sait tend à établir cpie cette affection procède souvent par voie d'hérédité, soit du rhumatisme aigu, soit directement du rhumatisme chronique.

Il faut cependant établir ici une distinction entre les trois types que nous avons décrits.

Pour le rhumatisme noueux, il ne saurait exister aucun doute à cet égard. Sur quarante-cinq cas de ce genre, M. de Trastour avait constaté que dix fois le père ou la mère était rhumatisants, et trois fois les femmes malades avaient des en-fants déjà frappés de rhumatisme articulaire. J'ai recueilli moi-même une intéressante observation decegenre.il existe en ce moment à la Salpêtrière une femme atteinte de rhuma-tisme noueux, dont la fille et la petite-fille éprouvent déjà des douleurs dans les petites jointures. Voilà donc trois géné-rations successivement atteintes de la même affection.

Pour le rhumatisme d'Heberden, l'hérédité me paraît éta-blie, d'après mes observations personnelles : c'est là bien souvent une affection de famille. C'est d'ailleurs un poinlque Garrod avait déjà fait ressortir.

En ce qui concerne le rhumatisme chronique partiel, la question est encore à l'étude, et je ne saurais me prononcer là-dessus.

III.

Age.— La période classique du rhumatisme articulaire air/u s'étend de quinze à trente ans; mais cette affection n'est pas rare aux premières années de la vie ; on la voit se déve-lopper chez des enfants de cinq à dix ans ; et, d'après West et la plupart des auteurs, les maladies du cœur sont plus fré-quentes chez les jeunes rhumatisants que chez les sujets plus âgés.

Nous axons ici une différence à signaler entre le rhuma-tisme et la goutte et qui ne se développe guère avant l'âge de vingt ans, comme nous l'avons déjà fait observer (p. 139);

La forme aiguë du rhumatisme articulaire se présente rare-ment après l'âge de cinquante ans. Sur cent quatre-vingt-dix-neuf cas, Macleod ne l'a vu se développer qu'une seule fois après l'âge de cinquante-cinq ans : et Fuller, sur deux cent quatre-vingt-dix-neuf cas, n'en a vu que sept après cin-quante ans.

J'ai moi-même observé deux faits de ce genre après soixante-dix ans. Il s'agissait, dans le premier cas, d'un rhumatisme aigu léger ; dans le second, il s'était développé un rhuma-tisme sub-aigu fébrile d'une grande ténacité.

Pour le rhumatisme noueux, nous avons démontré, M. Tras-tour et moi, qu'il est deux périodes dans la vie où l'on est plus particulièrement exposé à subir ses atteintes. C'est de

vingt à trente ans, époque de développement complet, et de quarante à soixante ans, époque de la ménopause, que cette affection se manifeste le plus volontiers. Haygarth avait donc commis une erreur en rattachant presque exclusivement le rhumatisme chronique à la ménopause.

Néanmoins cette maladie peut se montrer, soit avant, soit après les époques que nous venons de signaler. Nous possé-dons plusieurs observations qui en fournissent la preuve.

Ainsi, M. Laborde a présenté à la Société de biologie un petit garçon âgé de huit ans, qui présentait toutes les déforma-tions caractéristiques de rhumatisme noueux : la maladie avait débuté à l'âge de quatre ans. —J'ai déjà signalé, à propos de la péricardite rhumatismale (p. 138), le cas si remarquable que M. Martel a recueilli dans le service de M. le Dr Barthez. — J'ai observé moi-même les cas suivants :

Une infirme de la Salpétrière, qui avait été élevée dans une habitation humide, a été frappée d'un rhumatisme noueux à l'âge de dix ans.

Une autre infirme du même hospice, qui avait vécu pendant son enfance dans une loge humide, a été prise à l'âge de seize ans.

Enfin, un homme élevé dans une de ces carrières aban-données sur les bords de la Loire, qui servent fréquemment d'habitations, fut atteint de rhumatisme noueux à l'âge de vingt ans.

Le rhumatisme partiel, et surtout Y arthrite déformante, se rencontrent surtout chez des sujets avancés en âge ; on les ob-serve souvent dans l'âge moyen de la vie. C'est seulement chez les jeunes sujets que ces affections sont vraiment exception-nelles. Cependant on en a vu des cas au-dessous de trente ans.

Quant aux nodosités d'Eeberden, nous avons vu que si elles sont surtout fréquentes dans l'âge sénile, elles peuvent se montrer cependant chez les jeunes sujets.

IV.

Sexe. — Les hommes, sont plus sujets que les femmes au rhumatisme articulaire aigu. Cependant il n'existe pas, sous ce rapport, une différence bien prononcée.

Le rhumatisme noueux est incomparablement plus fré-quent chez les femmes (Trastour, Vidal). Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les habitants de Bicêtre aux femmes infirmes de la Salpêtrière.

Le rhumatisme partiel est peut-être plus commun chez les hommes; c'est ce qui a lieu surtout pour l'arthrite déformante.

Les nodosités d'Heberden paraissent être plus fréquentes dans le sexe féminin ; mais ce point n'est pas encore bien élucidé.

V.

Causes extérieures. 1° Froid humide. — L'impression brusque et passagère du froid ne peut être considérée que comme une cause occasionnelle, et nullement comme une cause spécifique du rhumatisme, il ne faut point imiter l'er-reur d'Eisenmann, qui, sous le nomd'Erkaltungskrankheiten (maladies par refroidissement), a écrit un ouvrage dans lequel le rhumatisme embrasse la pathologie tout entière, ou peu s'en faut.

Il est certain toutefois que, chez les sujets prédisposés, le froid jouit d'une grande puissance pour développer, soit le rhumatisme articulaire aigu, soit le rhumatisme chronique, à évolution rapide.

Mais nous sommes loin de contester l'influence d'un

séjour prolongé dans une habitation humide. Nous recon-naissons au contraire qu'il s'agit là de la cause la plus efficace, soit du rhumatisme articulaire aigu, soit surtout du rhumatisme noueux.

Les trois quarts environ des femmes atteintes de cette dernière maladie la rattachent à l'influence prolongée du froid humide. En affirmant que cette condition est constante, Beau a exagéré, sans doute, une vérité incontestable ; mais il est certain que cette cause existe dans la majorité des cas.

Des habitations au rez-de-chaussée, des chambres humides et sombres, des draps mouillés, des papiers tombant des murs, telles sont les conditions qui se retrouvent chez la plupart des sujets atteints de rhumatisme chronique. En outre, la plupart des malades ont séjourné longtemps dans ces tristes réduits : pendant quatre, six, huit et même dix ans. Il existe aux environs de Chantilly de vraies demeures de troglodytes ; ce sont des excavations situées au-dessous du sol, à l'intérieur de vieilles carrières abandonnées. Parmi les malheureux qui s'y sont réfugiés, il en est, au rapport de Beau, un grand nombre qui sont atteints de rhumatisme noueux. Il n'y a pas lieu de s'en étonner: cependant, il ne faut point oublier que dans plusieurs contrées la population vit encore dans des habitations souterraines, sans paraître en éprouver de grands inconvénients. C'est ce qui a lieu, par exemple, dans certaines provinces de l'empire russe, et notamment en Géorgie. — On sait que pendant la retraite des Dix-Mille, les Grecs, parvenus en Arménie, trouvèrent les habitants du pays logés dans des excavations de ce genre, et qu'au mi-lieu d'un hiver glacial, ils éprouvèrent un grand bien-être dans ces souterrains bien chauffés (1). Bappelons-nous d'ailleurs qu'il s'agit ici de pays très froids, et qu'on ne

l. Xénophon, 4vd(3aTcç, L,ivrc, TV, § 48,

s'enfonce sons terre que pour échapper à la rigueur du climat. Or, nous avons vu que tes froids excessifs ne sont point favorables, en général, au développement du rhumatisme. Mais, dans les régions tempérées, il est plus dificile de s'y soustraire lorsqu'on vit dans de telles conditions.

Et pourtant, d'une manière habituelle, la maladie n'éclate pas brusquement; il y a lopins souvent une période d'incu-bation, pendant laquelle les sujets n'éprouvent que des dou-leurs musculaires vagues. Souvent les manifestations articu-laires ne se développent que Irois ou quatre ans après la cessation de la cause.

2° On ne saurait contester l'influence de la misère et d'une mauvaise alimentation sur le développement du rhumatisme ; les indigents des ivorkliomes, en Angleterre et en Irlande, présentent de nombreux cas de rhumatisme noueux, ce qui démontre bien qu'il s'agit là d'une maladie surtout plé-béienne, quoique l'opinion contraire ait été soutenue par Haygarth.

3°Les causes traumatiques, comme pour la goutte, peuvent déterminer à la fois l'explosion de la maladie et le siège pri-mitif qu'elle doit occuper.

Nous possédons plusieurs observations dans lesquelles le rhumatisme aigu ou chronique s'est développé à la suite d'un coup, d'une chute, d'un phlegmon, d'un panaris, en débutant par l'articulation la plus voisine du point lésé.

Chez une femme atteinte du rhumatisme noueux, cette maladie avait débuté par l'épaule droite, qui avait été forte-ment contusionnée à une époque antérieure.

Chez un boucher déjà rhumatisant, un phlegmon se déve-loppa à la suite d'une piqûre à la main, et un accès de rhu-matisme aigu débuta par l'articulation du poignet, au niveau du siège principal de l'inflammation phlegmoneuse.

Chez une femme de la Salpétrière, un panaris, qui s'était

développé sur l'un des doigts de la main, marqua le début d'un rhumatisme noueux, qui commença par les jointures les plus voisines du point malade.

Souvent le rhumatisme partiel s'élève à la suite d'une chute ou d'un coup; et il est difficile de déterminer s'il s'agit là d'une affection générale, ou d'une maladie purement locale, consécutive à la violence extérieure.

VI.

Les causes pathologiques agissent souvent à la manière des accidents extérieurs. On voit le rhumatisme articulaire aigu se développer à la suite d'un grand nombre de maladies diverses.

Chez un individu déjà rhumatisant, un érysipèle de la face, contracté pendant une épidémie de cette affection, fut le point de départ d'un rhumatisme articulaire aigu. Il faut distinguer ce fait de ceux où l'érysipèle fait partie des mani-festations de la diathèse rhumatismale; car je pourrais citer plusieurs cas de rhumatisme noueux, dans lesquels les poussées d'érysipèle ont alterné avec les accidents articu-laires.

Quelques faits tendent à établir qu'il existe une angine rhumatismale ; mais il est très certain que maintes fois une angine purement accidentelle, a été le point de départ d'un accès de rhumatisme articulaire aigu.

On connaît la connexité qui existe entre les affections arti-culaires et la scarlatine. Il faut distinguer ici deux espèces de cas. Tantôt la scarlatine provoque l'explosion d'une affection articulaire qui ne se distingue en rien du rhumatisme aigu; tantôt, au contraire, il s'agit d'arthrites évidemment d'une nature à part, le plus souvent bénignes, suivant la remarque

1- Garrod, On Gout, p. 545. — Broadhurs, tin Reynold's System of medicine t. I, p. 920. — Trousseau, Clin. Méd. de l'Hâtel-Dieu, t. III, p. 375. — Le cas de M. Lorain m'a été communiqué verbalement.

de Trousseau, mais qui peuvent cependant acquérir un haut degré de gravité et devenir purulentes, comme Ta fait ob-server Garrod. Ces derniers cas mériteraient seuls le nom ^arthrites scarlatineuses: les premiers appartiennent au rhumatisme articulaire aigu, la scarlatine n'ayant joué là qu'un rôle d'agent provocateur. 11 en est de même pour la blennorrhagïe.

Existe-t-il un rhumatisme blennorrhagique? C'est là une question qui mérite de nous arrêter un instant.

Le plus souvent, lorsqu'il se produit des symptômes arti-culaires à la suite d'une affection uréthrale, on voit se mani-fester quelques arthropathies sub-aiguës, au nombre de deux ou trois, avec coïncidence d'iritis (Rollet) ; c'est là le type clas-sique de l'arthrite blennorrhagique.

Mais on voit aussi le rhumatisme articulaire aigu, avec en-docardite, survenir à l'occasion d'une simple chaudepisse. Un cas de ce genre a été observé par Brandes, et M. Lorrain m'en a communiqué un second.

Enfin le rhumatisme chronique, avec déformation des join-tures, peut aussi se développer à l'occasion de cette maladie (Garrod, Lorrain, Broadhurst, Trousseau) (1).

Comment interpréter ces faits ? S'agit-il toujours ici de manifestations rhumatismales ? Non, sans doute. Nous savons que les arthropathies consécutives aux fièvres ne sont pas tou-jours liées à cette diathèse. Les manifestations articulaires de la morve, de la variole, de l'infection purulente, ne sont évidem-ment pas rhumatismales. 11 peut donc se faire qu'il y ait des arthrites scarlatineuses ou blennorrhagiques indépendantes

du rhumatisme; je suis même convaincu qu'il en est bien des fois ainsi. Mais souvent l'affection articulaire qui naît dans ces circonstances est bien le rhumatisme, développé consé-cutivement à des affections qui ont aussi, dans certains cas, le pouvoir de frapper directement les jointures pour leur pro-pre compte (I ).

VII.

Fonctions utérines. — Tous les auteurs ont reconnu l'in-fluence exercée par les fonctions de l'appareil génital chez les femmes sur le développement des diverses formes du rhumatisme articulaire. Cela est vrai, non seulement pour la formeaiguë, mais encore pour laforme chronique de la maladie.

En effet, l'apparition des règles, la ménopause, la grossesse, l'accouchement, l'état puerpéral, l'allaitement, voilà, pour les femmes, des causes qui exercent une puissante influence sur le développement du rhumatisme articulaire.

Nous allons entrer à cet égard dans quelques détails.

La chlorose est un fonds sur lequel se développent volon-tiers les manifestations articulaires du rhumatisme. Musgrave cite plusieurs exemples d'arthritis ex chlorosi, qui appartien-nent évidemment au rhumatisme noueux. Les heureux effets des préparations ferrugineuses ont été constatés dans plu-sieurs cas de ce genre.

On sait que la ménopause est souvent marquée par un étal analogue à la chlorose des jeunes filles, et l'on sait aussi que souvent le rhumatisme chronique se développe à cette période de la vie.

1. Voyez à ce sujet la discussion qui a eu lieu à la Société médicale des hôpitaux, Union médicale, 23 décembre 1866, et 5, mars 1867.

La dysménorrhée pseudo-membraneuse a été signalée par Todd parmi les affections qui coïncident avec le rhumatisme noueux. 11 n'est peut-être pas sans intérêt de faire observer, à ce propos, que la dysménorrhée s'accompagne souvent d'éruptions (l'érythème noueux, par exemple) qu'on rencontre souvent dans le rhumatisme aigu ou sub-aigu. — Chez les personnes déjà affectées, on a vu une exacerbation des dou-leurs se produire à chaque menstruation. — La suppression brusque des règles, à la suite d'une vive émotion, a été quelquefois Je point de départ du rhumatisme noueux.

La grossesse est aussi l'une des causes de cette affection. Dans un travail qu'il a bien voulu me communiquer, mon collègue M. Lorain rapporte plusieurs exemples dans lesquels le rhumatisme articulaire aigu, ou sub-aigu, s'est manifesté chez les femmes enceintes. — J'ai rapporté dans ma thèse plusieurs exemples de rhumatisme noueux développé dans ces mêmes conditions : Todd avait déjà noté cette coïnci-dence. — Il n'est pas rare de voir les arthrites se montrer isolément pendant la grossesse, pour éclater d'une manière générale après l'accouchement. — On sait que le rhumatisme aigu lui-même a été observé dans le cours de la grossesse (Cho-mel et Requin, Todd). 11 ne faut pas cependant oublier que des arthropathies purulentes multiples peuvent se développer chez les femmes en couches. C'est à tort, suivant nous, que ces faits ont été désignés sous le nom de rhumatisme puerpéral.

Une autre condition dans laquelle les diverses formes du rhumatisme (surtout le rhumatisme sub-aigu ou chronique) peuvent souvent se présenter, c'est Y allaitement, surtout lorsqu'il est longtemps prolongé (Lorain, Carrod) (1).

H serait intéressant de comparer cette étiologie à celle de

L On r/out, p. 5GS.

la goutte, et de l'aire ressortir les différences qu'elles présen-tent : mais le temps nous presse, et il faut nous contenter d'une vue d'ensemble.

11 est vrai, d'une manière générale, que les causes de la goutte se rattachent au bien-être, aux excès, à la bonne chère; d'une manière générale, les causes du rhumatisme, et sur-tout du rhumatisme chronique, sont plutôt la misère, le froid humide, l'insuffisance de l'alimentation, et les influences débilitantes de foute nature.

Mais le contraste devient plus frappant encore, si nous com-parons aux affections qui s'associent volontiers avec la goutte celles qui accompagnent le plus habituellement le rhumatisme.

D'un côté, nous trouvons le diabète (1), l'obésité, la gra-velle (2), dont nous avons démontré (p. 117 à 124) les rapports de parenté avec la goutte, et qui ne se rencontrent que rare-ment avec le rhumatisme ; de l'autre côté, la scrofule (3), la phthisie,les affections cancéreuses (4) fréquentes dans lerhuma-

1. Sur 225 cas de diabète, le rhumatisme articulaire aigu a été noté deux fois seulement par Griesinger, dans ses Études sur le diabète. Je ne crois pas que le diabète ait jamais été observé comme une complication du rhumatisme chronique.

2. J'ai vu la gravelle urique coexister avec le rhumatisme noueux chez une femme ; mais le sang examiné dans ce cas, à plusieurs reprises, n'a jamais renfermé d'acide urique en excès.

3. La scrofule figure très souvent parmi les antécédents des sujets atteints de rhumatisme chronique progressif. Il est très fréquent de voir ces sujets présenter au cou des cicatrices spécifiques. Je pourrais citer plusieurs exemples de femmes qui,, pendant leur jeunesse, ont été affectées de tumeurs blanches, et chez qui, plus tard, le rhumatisme noueux s'est développé. Sur 119 cas de rhumatisme noueux, Fuller (toc. cit., p. 334) en cite 23 (1/5) dont le père, la mère et les collatéraux avaient présenté des signes évidents de phtisie pulmonaire. Cette affection, je puis l'affirmer, vient souvent emporter les infirmes atteints de rhumatisme noueux ; et dans ce cas, il m'a semblé que la phtisie se faisait remarquer par la lenteur de son évolution. — Chez les sujets atteints de rhumatisme aigu, la phtisie est rare (XVunderlich, Hamernjk). Cependant, la coïncidence de ces deux affections est possible : M. Danjoy, qui a appelé l'attention sur ce point, croit que la maladie est alors modifiée dans son évolution qui serait retardée.

4. J'ai pu maintes fois me convaincre, à la Salpôtrière, que la coïncidence des

nodosités d'Ileberden, soit avec le cancer du sein, soit avec celui de l'utérus, n'est pas exceptionnelle.

1. Voir à ce sujet Baillou, t. IV, p. 315. — Est-ce là ce qui fait dire à Juncker : Rheumatismus arthritidem ordine antecedit ?

tisme chronique, peu communes, au contraire, chezles goutteux.

Voilà bien des dissemblances, au point de vue étiologique, eutre ces deux diathèses ; et cependant, malgré les profon-des différences qui les séparent et que nous nous sommes ef-forcé de faire ressortir, elles présentent de véritables analo-gies ; aussi les a-t-on souvent confondues et même lorsqu'on les distingue, on est forcé de les rapprocher dans toute bonne classification nosologique. Il est d'ailleurs certain qu'une relation qui peut, se démontrer de plusieurs maniè-res, relie le rhumatisme à la goutte. On les voit coexister quelquefois chez le même sujet, qui présente à la fois les lésions de la goutte et celles du rhumatisme articulaire chro-nique. D'autrefois, le rhumatisme articulaire aigu se manifeste chez un malade, pendant la jeunesse ; puis, la goutte se dé-veloppe à l'âge d'élection (1). Les uns voient là une transfor-mation, les autres une succession.

Enfin, la relation peut s'établir par voie d'hérédité. Le rhu-matisme articulaire aigu est fréquent chez les enfants issus de parents goutteux (Heberden, Fuller, Todd). Les enfants des rhumatisants deviennent souvent goutteux (Fuller). Enfin l'hérédité peut se manifester par voie collatérale. J'ai vu moi-même le rhumatisme noueux se montrer chez une femme dont le frère était goutteux. Ces relations en apparences inti-mes, prouvent-elles l'identité de ces deux affections ? Non, certes: fout au plus admettrons-nous qu'il existe une base commune, un fond commun, une prédisposition articulaire, un état arthritique d'où l'une et l'autre tire leur origine.

DIX-HUITIÈME LEÇON

Traitement de la goutte et du rhumatisme articulaire

chronique

Sommaire. — Considérations générales sur le traitement de la goutte.— Trai-tement des accès. — Expectation. — Remèdes de charlatans. — Colchique.

— Avantages et inconvénients de cet agent. — Règles qui doivent présider à son emploi. —? Narcotiques : jusquiamc, opium. —? Sulfate de quinine.

— Iodure de potassium. — Teinture de gaïac.— Topiques. —Sangsues.— Vésicatoires. — Moxas. — Traitement de l'état constitutionnel. — Alca-lins. — Leurs diverses propriétés. — Soude, potasse lithine. — Action de ces médicaments. —? Cas dans lesquels les alcalins sont contre-indiquès. — Eaux minérales. — Toniques et reconstituants. — Traitement de l'affection locale, des tophus et de la rigidité des jointures. — Traitement de la goutte anormale. — Régime diététique.

Traitement du rhumatisme articulaire chronique. — Etat peu satisfaisant de nos connaissances à cet égard. — Traitement des exacerbations aiguës. — Opium, sulfate de quinine, saignées. — Alcalins. — Teinture d'iode. — Arsenic à l'intérieur et à l'extérieur. — Teinture de gaïac. — Iodure de potassium. —? Fer, huile de foie de morue. — Vésicatoires, révulsifs, — Eaux minérales. — Impuissance de l'art dans la majorité des cas.

Messieurs,

Nous abordons aujourd'hui la dernière partie de notre cours. Nous avons rejeté le traitement de la goutte à la fin de ces leçons, afin de pouvoir le mettre en parallèle avec celui du rhumatisme articulaire chronique. C'est ce sujet qui va nous occuper aujourd'hui.

Traitement de j.a goutte

À. Considérations générales. —La goutte est une maladie héréditaire constitutionnelle, primitivement chronique, mal-gré ses manifestations aiguës.

Mais la goutte est quelquefois aussi une maladie acquise, tantôt par des écarts de régime, tantôt par d'autres causes ; c'est là une sorte de génération spontanée.

On peut en conclure cpie les modifications hygiéniques ont droit ici à la première place, et que les agents thérapeutiques ne viennent qu'en seconde ligne. (Test là d'ailleurs, ce que l'expérience a depuis longtemps démontré.

Nous ne prétendons point que la maladie soit radicalement incurable ; on possède des exemples deguérison spontanée, mais l'art n'est pas encore parvenu à reproduire avec certi-tude, les procédés de la nature.

Toutefois, il existe des moyens propres à amoindrir les effets du mal, et à en éloigner les paroxysmes ; c'est sur l'ensemble de ces moyens cpie repose le traitement de Tétai, constitu-tionnel dans l'intervalle des accès.

Mais nous avons une mission plus humble, quoique fort utile, à remplir. Les manifestations périodicpies, les paroxys-mes de la goutte, soit aiguë, soit chronique, sont accompa-gnées de souffrances exquises et presque insupportables. Peut-on supprimer ces crises de douleur, ou tout au moins en diminuer l'intensité, en abréger la durée ? c'est là ce qui constitue le traitement du paroxysme delagoulle. Occupons-nous d'abord de ce dernier point.

B. Traitement, des acres de goutte aiguë et, chronique. — Il s'agit ici d'un traitement en grande partie palliatif.

Chaucot. OEuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 18

Quelques médecins vont môme jusqu'à proscrire tous les moyens de soulagement comme dangereux et pernicieux. C'est l'école de Sydenham, qui se place au point de vuethéo-logique. ( Dolor acerrimum naturse pharmacum,, » disait le grand maître. — « La goutte est le meilleur remède de la goutte, » a dit Mead. — « Patience et flanelle, » disait Cullen.

Les partisans de l'expectation s'appuient sur le peu d'effi-cacité des remèdes connus, sur le danger de leur application, et surtout sur le soulagement éprouvé par le malade après l'accès. Mais on peut répondre à leurs arguments que l'inertie des hommes instruits ouvre la carrière aux empiriques. Le médecin s'éloigne du goutteux ; les charlatans s'emparent de lui. Ils arrivent avec des moyens de soulagement dont l'effet est presque instantané et qui, s'ils produisent quelque-fois de graves accidents, sont souvent sans aucun danger réel. Tels sont l'élixir de Reynolds, la liqueur de Laville, le vin d'Anduran, les pilules de Lartigue, etc., etc.

Or, il paraît établi que ces prétendus spécifiques doivent pour la plupart leur efficacité à la présence du colchique. Le rôle du médecin est donc d'étudier attentivement les pro-priétés thérapeutiques de cet agent redoutable, qui tantôt procure au malade un immense soulagement, sans aucun dommage, et tantôt détermine de graves accidents, qui peu-vent entraîner la mort. Personne, du reste, pas même ses ennemis les plus acharnés, ne conteste sa puissance. Il fait disparaître, comme par enchantement, l'inflammation gout-teuse et la douleur terrible qui l'accompagne. Son action, à cet égard, est presque comparable à celle du quinquina dans les fièvres intermittentes; et c'est là encore un des ca-ractères différentiels qui séparent la goutte du rhumatisme articulaire. Dans la forme aiguë de cette dernière maladie, M. le professeur Monneret avait déjà démontré l'inutilité du colchique : et dans les formes diverses du rhumatisme chro-

nique, j'ai pu m'assurer moi-même que ce médicament n'of-frait aucun avantage.

Voyons maintenant ce qu'il peut faire dans la goutte. Dès le sixième siècle de l'ère chrétienne, les anciens connais-saient les avantages et les inconvénients du colchique : Alexandre de Traites nous apprend que, de son temps, on ne l'administrait qu'aux gens pressés par leurs affaires, et qui n'avaient pas le temps d'être malades. Démétrius Pépago-mène, qui vivait vers l'an 1200, l'appelle Theriaca articu-lorum.

Mais le colchique des anciens n'est pas le nôtre. Ils faisaient usage de Yhermodactyle (colchicumvareegatum, Planchon); nous employons aujourd'hui le colchique d'automne.

Tombé en désuétude, ce médicament a été remis en vogue par les effets du remède de Husson. Everard Home a pré-conisé le colchique, déjà remis en honneur par Storck, pour d'autres affections que la goutte. Plus tard, ses efforts ont été bien étudiés par Wandt, Halford, Watson et Garrod.

Toutes les parties de la plante sont utilisées, bulbe, se-mences et fleurs. On l'administre en extrait, en vin et en teinture. Le vin de bulbe de colchique se donne à la dose de 2 à 6 grammes dans les vingt-quatre heures, en trois ou quatre fois; l'extrait acétique se prescrit à la dose de 5 ou 15 centigrammes.

Un mot sur les effets physiologiques de ce médicament. A doses élevées, il produit :

1° Des phénomènes gastro-entéritiques plus ou moins graves ;

2° Une sédation marquée du système circulatoire avec ten-dance à l'algidité et ralentissement du pouls;

3° Enfin des symptômes nerveux et une ivresse particulière.

A doses minimes, il ne donne lieu qu'à de faibles nausées et à un ralentissement modéré de la circulation.

Or, c'est à faible dose, ou du moins lorsqu'il est toléré, qu'il agit favorablement dans la goutte; il faut, en l'admi-nistrant, éviter les phénomènes inflammatoires du côté du tube digestif : d'ailleurs son action paraît être d'autant plus efficace, que les effets visibles {operative effects) sont moins accentués.

Son action spécifique se manifeste par la disparition de la fluxion goutteuse et delà douleur qui l'accompagne; la ré-solution s'opère, comme par enchantement, au bout de huit à quatorze heures, Il est loin de posséder le môme degré d'influence sur les autres inflammations, et sur les diverses formes du rhumatisme articulaire, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer.

Quel est donc son mode d'action ? Question jusqu'à pré-sent insoluble. On a attribué les effets qu'il produit à l'éli-mination de l'acide urique; cette opinion, appuyée par Ghé-lius, Maclagan et Gregory, est combattue par Garrod, Boeker et Hammond. L'opinion de ces derniers observateurs est fondée sur des analyses attentives de l'urine, qui ne parais-sent laisser aucune prise à la critique.

On a invoqué son action sédative sur le système circula-toire ; mais là n'est point le secret, car il n'agit pas de la môme façon dans les autres inflammations.

Il ne s'agit pas non plus de son action purgative; car la vertu spécifique peut se manifester sans aucune évacuation intestinale.

On ne saurait enfin s'appuyer sur sa puissance narcotique, car il présente encore ici un effet tout spécial à la goutte.

Quoi qu'il en soit, son efficacité est hors de question. Mais il faut envisager le revers de la médaille; voyons donc quels sont les dangers qu'il présente.

Il est incontestable que lorsqu'il est imprudemment admi-nistré, des accidents fort graves peuvent en être la consé-

quence. Quelles sont les règles qui doivent présider à son emploi ?

1° La goutte est une maladie à rétrocession, comme nous l'avons établi plus haut. Si donc vous supprimez brusquement l'accès, des Iroubles viscéraux peuvent se développer : mais on n'a aucun danger de ce genre à redouter lorsqu'on em-ploie de faible doses. D'ailleurs, on ne doit pas administrer le colchique immédiatement au début de l'accès (Halfort, Trous-seau); on laisse s'écouler quelques jours avant d'en commen-cer l'usage. Enfin, on doit redouter son action irritante sur les voies digesfives ; c'est une raison de plus pour n'en pres-crire que des doses minimes.

2° Non seulement il faut éviter les doses élevées, mais encore, il importe de suspendre à temps l'emploi du médi-cament; car chez certains individus, ses effets paraissent s'ac-cumuler. On peut alors avoir à craindre l'impression brusque qui peut être produite sur le système nerveux. Je serais dis-posé à croire que plusieurs cas dans lesquels la goutte a paru rétrocéder sous l'influence du colchique, et déterminer la mort sont des cas d'empoisonnement par cette substance (Potton).

3° Il ne faut point habituer le malade à l'usage de ce médi-cament, car alors il est forcé d'en prendre des doses tou-jours croissantes. 11 y a des buveurs de colchique, comme des mangeurs d'opium et des ivrognes (Todd.) Dans ces condi-tions, il se produit une modification plus ou moins profonde de l'organisme, et la goutte peut, sous cette influence, passer à Y état atonique.

4° Le colchique ne doit pas être employé dans la goutte asthénique, mais on peut l'utiliser cependant dans certains paroxysmes de la goutte chronique. On l'accuse quelquefois de prolonger les accès; mais souvent, au contraire, il paraît abréger la durée du mal (Goupil, de Rennes).

5° L'action du colchique doit être favorisée par un régime convenable (dicte, repos au lit) et par des adjuvants; tels sont les alcalins qui combattent la surcharge urique; il faut donner la préférence aux sels de potasse et de lithine. Enfin les purgatifs seront souvent employés avec fruit, mais il faut éviter les mercuriaux, dont l'expérience a montré les graves inconvénients.

Il est des cas où le colchique ne peut pas être employé. La médecine n'est point pour cela complètement désarmée : 11 existe d'autres moyens auquels on peut utilement re-courir.

A l'intérieur, dans des accès aigus, on donne les narco-tiques, surtout la jusquiame. On peut aussi prescrire l'opium, mais il a l'inconvénient de ralentir les sécrétions, ce qui peut entraver l'évolution régulière de la maladie. 11 déter-mine aussi, chez certains sujets, des effets hors de toute proportion avec les doses employées : plusieurs fois j'ai vu ce médicament occasionner des phénomènes cérébraux inquié-tants, et même provoquer, dans des cas d'affection rénale, l'apparition d'accidents urémiques. On devra surtout redouter les accidents de ce genre, lorsque la goutte est déjà ancienne et que les lésions du rein goutteux se sont déjà prononcées. Un fait remarquable de ce genre a été rapporté par Todd.

On peut administrer aussi, avec quelques chances de suc-cès, le sulfate de quinine; mais son action est loin d'être aussi efficace dans la goutte que dans le rhumatisme aigu.

Dans les exacerbations de l'état chronique, le sulfate de quinine est encore utile. En dehors des accès, les douleurs plus ou moins permanentes dont les jointures peuvent être le siège seront quelquefois efficacement combattues par l'io-dure de potassium et la teinture ammoniacale de gaïac (20 à 40 gouttes par jour).

A l'extérieur, pendant l'accès, on peut employer divers

topiques. On a souvent fait des applications d'eau froide sur les jointures malades ; rien n'est plus apte à provoquer les rétrocessions, comme nous l'avons déjà montré.

On prescrivait autrefois les sangsues loco dolenti. Ce moyen est aujourd'hui abandonné, car on a remarqué qu'après son emploi, les jointures ne reprenaient que difficilement leur mo-bilité normale. Les narcotiques, au contraire, et surtout l'a-tropine, peuvent être appliqués, avec avantage sur la join-ture malade.

Les vésicatoires sont souvent utiles, soit dans les cas aigus, soit dans les cas sub-aigus. Un petit vésicatoire, dont la di-mension ne dépasse pas celle d'une pièce d'un franc, appliqué sur la jointure rouge et tuméfiée, agit souvent d'une manière efficace au milieu d'un paroxysme (Todd, Cartwrighf). J'ai quelquefois employé cette méthode avec de bons résultats.

Enfin, on a quelquefois employé des moxas. On peut citer, à cet égard, l'exemple du chancelier William Temple, qui s'en appliquait lui-même, chaque fois qu'il avait un accès de goutte.

C. Traitement de F état constitutionnel. — L'indication par excellence serait ici, non-seulement de modifier la crase du sang, mais encore d'empêcher la formation d'acide urique en excès. Ce serait là l'idéal du traitement ; mais comment le réaliser. On ne peut guère agir dans ce sens qu'en combattant la dyspepsie, en prévenant les excès, en condamnant le ma-lade à une diète appropriée.

Mais une fois qne l'acide urique est formé dans le sang, on peut combattre les effets qui résultent de sa présence en excès. On doit favoriser l'excrétion de ce produit par les reins, et les remèdes ont ici une action puissante ; on doit empêcher les dépôts d'urate de soude de se former dans les tissus, et lorsque ces dépôts existent déjà, on doit chercher à les dissoudre.

L'empirisme avait fait connaître un goupe d'agents qui ré-pondent à ces indications longtemps avant que l'acide urique n'eût été découvert. Ces agents, ce sont les alcalins. Sous ce titre, on comprend :

1° Les alcalis (soude, potasse, lithine) et leurs carbonates. Ils ont une action marquée sur l'estomac pour en neutraliser l'acidité ;

2° Les sels organiques (citrates, tartrates, etc.) à base al-caline ;

3° Les phosphates de soude et d'ammoniaque qui ont une réaction alcaline et une action spéciale sur l'excrétion uri-naire.

On aurait tort de croire que tous les alcalins peuvent être indifféremment substitués les uns aux autres. Qu'on se rap-pelle à cet égard les expériences de MM. Cl. Bernard et Gran-deau répétées plus tard par Guttmann (1). Ces observateurs ont constaté qu'un gramme de sel de potasse injecté clansles veines d'un chien de moyenne taille suffisait pour le tuer ; 20 centigrammes suffisaient pour tuer un lapin. Pour obtenir les mêmes effets avec un sel de soude, il fallait une dose au moins trois fois plus forte.

Voyons donc quelle est l'action spéciale de chacune de ces substances prises séparément, et pour commencer parles deux bases les plus habituellement employées, comparons entre elle la potasse et la soude.

Les sels de potasse ont une action diurétique dont la réa-lité a été bien démontrée par Mitscherlich. Celle des sels de soude n'est pas aussi marquée.

L'action dissolvante de la potasse sur l'acide urique est bien plus énergique que celle de la soude. On sait que l'urate de potasse est beaucoup plus soluble que celui de soude. D'ail-

1. Berlin. Klin. Woch. 1865.

leurs, si vous plongez un cartilage incrusté d'urate de soude clans une dissolution de carbonate de potasse, vous constate-rez une action dissolvante rapide : si vous le plongez, au contraire, dans le carbonate de soude, à peine obtiendrez-vous un effet appréciable dans le même espace de temps.

Ainsi la potasse serait, à priori, plus efficace que la soude ; cette dernière base est cependant utile chez les goutteux dans les cas où il existe, une affection hépatique, suivant Garrod (1).

Mais il est une substance encore peu connue, la lithine, qui paraît l'emporter à tous égards sur la potasse et la soude.

Cette base, qui a été découverte, en 1817, par Arfwedson, existe dans plusieurs eaux minérales, à Carlsbad, à Vais, à Vichy, à Baden-Baden et à Weilbach, où il existe une source nouvelle qui a reçu le nom de Natrolithionquelle, et qui renferme une forte proportion de cette substance.

L'analyse spectrale a permis à MM. Bunsen et Kirchoff d'en constater la présence dans le lait et dans le sang de l'homme. Ce n'est donc pas une substance étrangère à l'organisme, et si la potasse existe dans les globules, la soude dans le sérum, la lithine se trouve aussi, quoique en faible quantité, dans le liquide nourricier de l'économie.

Ce nouvel agent répond à toutes les indications dont nous avons parlé. Son action diurétique est très manifeste ; elle rend l'urine fortement alcaline et dissout avec énergie l'acide urique. Sous ce rapport, elle est bien supérieure à la potasse, car l'urate de lithine est le plus soluble de tous les urates.

Garrod s'est livré à l'expérience suivante: dans trois solu-tions contenant, la première, 5 centigrammes de carbonate

1. Antérieurement à la publication du traité de M. Garrod, M. le docteur Galtier-Boissière avait déjà appelé l'attention sur la plus grande intensité de l'action dissolvante de la potasse, comparée à la soude dans le traitement de la goutte. {De la Gaulle, Thèse de Paris, 1859, p. 112.)

de lithine ; la seconde, S centigrammes de carbonate de potasse; la troisième, 5 centigrammes de carbonate de soude, pour 30 grammes d'eau, jetez des fragments d'un même cartilage imprégné d'urate de soude. Au bout de quarante-huit heures, la lithine a opéré une dissolution complète; la potasse a exercé une action très légère ; la soude donne un résultat complètement nul.

L'urate de lithine est donc évidemment le plus soluble de fous les urates.

Quel sera le mode d'action des alcalins sur le sang dans la goutte? Ils n'ont aucun pouvoir pour amoindrir la forma-tion d'acide urique ; ils ne sauraient pas non plus le dissou-dre, comme on l'a prétendu, car il existe à l'état d'urate de soude. Mais, en rendant les tissus alcalins, ils peuvent s'opposer à la formation des dépôts ; d'ailleurs, les carbonates de lithine et de potasse pourraient dissoudre les dépôts déjà formés, ce que ne peut faire le carbonate de soude. Au reste, leur influence serait inutile, s'ils n'avaient pas en même temps une action diurétique.

Voilà ce que dit la théorie : interrogeons maintenant l'expérimentation thérapeutique.

Les alcalins, surtout la potasse et la lithine, administrés à petites doses, à doses très diluées, car l'action de l'eau est très efficace, et surtout administrés pendant un long espace de temps, ont une action remarquable sur la goutte. Ils en éloignent les paroxysmes, ils dissolvent quelquefois et rédui-sent les dépôts déjà formés, et donnent auxjointures plus de mobilité.

Le carbonate de lithine s'administre à la dose de 25 à 50 centigrammes dans les vingt-quatre heures. Je l'ai prescrit moi-même jusqu'à la dose de 40 centigrammes, sans produire sur l'estomac aucun effet fâcheux.

Slricker (1) a réussi à faire disparaître des dépôts tophacés chez une femme en lui faisant prendre une imitation artifi-cielle des eaux de Weilbach, d'après la formule suivante :

Cette quantité représentait la dose journalière.

M. Schutzenberger a conseillé l'emploi de. l'eau chargée de protoxyde d'azote et contenant un gramme de lithine par litre.

En prescrivant les alcalins d'après cette méthode, on par-vient à les faire tolérer pendant plusieurs mois. Il ne se produit aucun inconvénient sérieux, lorsqu'on s'en tient aux doses que nous avons indiquées.

Il faut d'ailleurs savoir les cas auxquels le traitement alca-lin est applicable. Il est formellement contre-indiqué :

1° Chez les sujets d'un âge avancé ;

2° Chez ceux dont les reins, plus ou moins altérés, n'ont plus aucun pouvoir d'élimination ;

3° Chez les individus qui, par une indiosyncrasie particu-lière, supportent mal les alcalins.

Il n'est peut-être pas inutile, à ce propos, de dire que les dangers de la saturation du sang par les alcalins ont été fort exagérés, en ce qui concerne du moins le bicarbonate de soude. Mon expérience personnelle est contraire à l'opinion généralement accréditée à cet égard. J'ai administré maintes fois à des sujets atteints de rhumatisme chronique le bicar-bonate de soude à la dose, en apparence, énorme, de 20 à 30 grammes, dans les vingt-quatre heures, quelquefois pendant plusieurs mois de suite; et jamais je n'ai vu survenir, en

1. Virchow's Archiv. Bd XXXV.

Eau chargée d'acide carbonique.

Bicarbonate de soude.......

Carbonate de lithine.......

500 gr. 0,25 cent 0,10 —

pareil cas, ni l'anémie profonde, ni la dissolution du sang, ni les hémorragies multiples, auxquelles on aurait pu préten-dre, d'après les idées généralement admises. Mais, pour ce qui est delà potasse à dose élevée, je n'ai point eu l'occasion d'en étudier directement les effets, et j'ignore complètement les résultats qu'elle pourrait amener.

Il, nous reste à dire quelques mots des eaux minérales dans le traitement de la goutte; c'est là le complément na-turel de l'étude à laquelle nous venons de nous livrer.

D'une manière générale, les eaux chargées de principes salins précipitent les accès et déterminent la crise qu'il faut éviter. Certes, ce n'est point là une contre-indication ab-solue, mais c'est une donnée que le médecin doit toujours avoir présente à l'esprit, afin de n'être jamais pris au dé-pourvu parles effets du traitement qu'il a recommandé. Les eaux, en général, sont contre-indiquées chez les malades atteints d'affections organiques du cœur et des reins.

Quant aux sources alcalines (Vais, Vichy, Carlsbad, etc.), elles paraissent avantageuses, au début de la maladie, chez les sujets robustes, et surtout sur ceux qui portent des af-fections du foie. Mais elles n'ont pas le pouvoir de dissoudre les tophus, et elles sont peu utiles, dans la goutte chronique, à moins qu'il n'existe de la dyspepsie.

Les eaux salines sulfureuses (Aix-la-Chapelle) ou simple-ment salines (Wiesbaden) conviennent à l'état torpide, aux cas atoniques.

Il existe des eaux indifférentes, pour me servir d'une ex-pression consacrée en Allemagne, à peine chargées, dans lesquelles le véritable principe actif est l'eau bue en grande quantité. Nous rangeons dans cette catégorie, du moins au point de vue qui nous occupe, Wildbab, Tœplitz, Gastein, Bath, Buxton et Contrexeville. Elles sont souvent très utiles

dans la goutte chronique. Nous avons vu plusieurs l'ois les eaux de Contrexeville administrées dans les cas de goutte ancienne, avec dépôts tophacés, et les résultats nous ont paru favo-rables. Enfin les eaux ferrugineuses (Pyrmont, Schwalbach, Spa) peuvent être utiles aussi dans le cas où le fer est indiqué.

Nous nous bornons à ce court énoncé de l'action des eaux minérales dans le traitement de la goutte. S'il fallait donner une appréciation critique de tout ce qui a été écrit à ce sujet, soit par les partisans déclarés des eaux, soit par leurs adver-saires, on remplirait aisément un volume. Qu'il nous suffise de dire, d'une manière générale que, de part et d'autre, on a beaucoup exagéré.

Parlons maintenant des toniques et des reconstituants. Ils ont une action indirecte sur la goutte, en modifiant l'état de l'estomac, en combattant l'atonie et en relevant les forces. Ils sont très utiles dans les cas de goutte asthénique.

On emploie avec succès la décoction de feuilles de frêne (Fraxinus excelsior); son emploi a été recommandé par Pouget et Peyraud. On la prépare de la manière suivante :

Feuilles de frênes. . . 30 grammes.

Eau.......... 1 litre.

Faites bouillir pendant 10 minutes.

Garrod a fait usage de cette infusion avec un certain suc-cès. On emploie aussi avec avantage la gentiane. C'est l'un des principes actifs du Portland-powder, et le quinquina.

D. Traitement de l'affection locale, des tophus et de laridigité des jointures. — L'exercice doit être prescrit aux goutteux : il tend à faire disparaître la rigidité : Sydenham l'avait déjà cons-taté. Pour dissoudre les tophus, on a conseillé de pratiquer des

lotions avec la potasse et la lithine : et, si les concrétions sont petites et superficielles, on peut ponctionner la peau pour les extraire, surtout lorsqu'elles sont demi-liquide. Mais, en général, lorsqu'elles sont larges, dures et profondes; il faut éviter toute opération ; il en résulte; souvent des ulcères dif-ficiles à cicatriser: (railleurs on ne doit pas oublier qu'on peut voir, sous l'influence de la moindre piqûre, survenir un éry-sipôle de mauvaise nature, chez les sujets atteints d'affec-tions rénales et surtout diabétiques. Quand il s'est formé des ulcères spontanés, il est de régie de les respecter.

E. Traitement de la goutte anomale. — On s'accorde généralement à reconnaître que lorsque la goutte est rétrocé-dée, surfout à l'estomac, il faut avoir recours aux révulsifs sur les articulations; sans contester leur utilité, je ferai remarquer qu'il existe bien peu d'observations authentiques, propres à établir l'efficacité de ces moyens pour ramener la fluxion goutteuse vers les jointures. Les stimulants, les cordiaux, l'eau-de-vie, sont souvent, au contraire, suivis d'effets facilement appréciables : l'expérience paraît en avoir démontré l'utilité. Quand il s'agit d'une goutte mal placée (migraines, ophthalmie, etc.), le colchique à petites doses est indiqué, d'après Watson, Holland et quelques autres auteurs. Mais c'est là une question qui nous paraît encore loin d'être résolue.

F. Régime diététique- — On recommande au goutteux de prendre de l'exercice ; il doit être sobre dans son alimentation, mais sans rien exagérer, car autrement il favoriserait le développement de la goutte atonique. On doit lui interdire rigoureusement la bière forte et les vins riches en alcool, mais on lui permettra les bières légères, le moselle, le bordeaux. Il pourra voyager ; le changement de climat est

Traitement du rhumatisme articulaire chronique.

Les détails dans lesquels nous venons d'entrer nous forcent d'abréger la dernière partie de cette leçon : d'ailleurs, on peut dire que le traitement du rhumatisme articulaire chronique est encore moins efficace que celui de la goutte: nous sommes encore moins avancés sous ce rapport, et nous n'avons mémo pas le colchique pour combattre les accidents les plus pres-sants de la maladie.

Dans les cas où il y a des phénomènes d'acuité, les indica-tions sont à peu près les mômes que dans le rhumatisme articulaire aigu. On prescrit l'opium, le sulfate de quinine, les saignées locales, etc., quelquefois avec succès : mais, le plus souvent, on est impuissant à entraver la marche progressive de la maladie.

Les alcalins à haute dose sont ici moins efficaces, d'après Garrod, qu'ils ne le sont, dans le rhumatisme articulaire aigu. C'est cependant le traitement auquel j'aurais le plus de confiance, d'après mon expérience personnelle, en le combinant au quinine. C'est là, d'ailleurs, une médication purement empirique. J'ai souvent prescrit de 30 à 40 gram-mes de carbonate de soude par jour, pendant plusieurs semaines, avec des résultats avantageux. Jamais je n'ai vu se produire les symptômes d'une dissolution du sang, comme

souvent avantageux, d'après les médecins anglais, qui recom-mandent l'Inde, l'Egypte, Malte et d'autres stations dans les pays chauds : mais cela ne dispenserait nullement d'observer le régime.

Il faut enfin régler l'hygiène de l'esprit, combattre l'irrita-bilité si naturelle à ce genre de malades, éviter les tristesses, les préoccupations et les excès de travail intellectuel.

je l'ai déjà dit, à propos de la goutte ; au contraire, les ma-lades m'ont souvent paru avoir une certaine tendance à en-graisser. Par ce traitement, on arrive, au moins, à leur pro-curer un certain soulagement pendant les exacerbations fébriles de la maladie.

La teinture d'iode, à l'intérieur, a été préconisée par M. le professeur Lasègue. La dose prescrite était élevée progressi-vement de huit à dix gouttes par jour, à cinq ou six grammes, pendant les repas, en prenant pour excipient un peu d'eau sucrée, ou, de préférence, du vin d'Espagne. La médication doit être continuée pendant plusieurs semaines, et au besoin pendant plusieurs mois. Sous son influence, on n'a jamais vu survenir aucun des accidents de l'intoxication iodique (1).

X?arsenic a été employé par Bardslcy etJenkinson, Begbis, Fuller et Garrod, en Angleterre ; par Beau et M. Guéncau de Mussy, en France(2). C'est surtout contre le rhumathisme chro-nique, siégeant sur les grosses jointures, que ce médicament a été employé par Bardsley : mais les autres auteurs que nous venons de citer en ont surtout fait usage contre les rhuma-tismes noueux. J'ai moi-même expérimenté cette médication à la Salpêfrière ; et, comme Garrod, j'ai vu l'arsenic produire quelquefois une amélioration notable, et d'autres fois échouer complètement. Je crois cependant pouvoir affirmer que l'ar-senic reste sans effet ou se montre même nuisible dans les cas très invétérés du rhumatisme noueux, et lorsque la maladie s'est déclarée dans un âge avancé.

1. Arch. gén. de méd., 185(5, t. II.

Bardsley. — Médical Reports, London, 1807. — Kellie, Edinb. med. and Sur;/. Journal, 1808, t. II. — ,). Begbic (même journal), n° 35, may 1858. — Fuller. On Rheumatism, 2° édit., London, 18G0. — Queneau de Mussy, Bull-de thérapeutique, t. LXVII, 1864, p. ?i. — Beau, Gaz. des Hôpitaux 19 juil-let 1864.

L'un des premiers effets de l'emploi du médicament est souvent de réveiller les douleurs, et de les exaspérer dans les jointures habituellement et plus profondément affectées. Quelquefois même, la rougeur et le gonflement se manifes-tent là où ils n'existaient pas, et l'on peut être obligé de sus-pendre momentanément le traitement. Mais, en général, la tolérance s'établit au bout de quelques jours, et l'on peut alors progressivement élever la dose. Il est avantageux, je le crois du moins, d'administrer l'arsenic sous forme de liqueur de Fowler à la dose de deux à six gouttes, et suivant la mé-thode anglaise, c'est-à-dire peu de temps après les repas.

En France où l'arsenic a été prescrit à l'intérieur, il a été également employé sous forme de bains, par M. Guéneau de Mussy et par Beau. J'ai fait moi-même usage de ce mode de traitement, à l'hôpital Lariboisiôre, en 1861. M. Ducom, pharmacien en chef de cet établissement, a bien voulu se livrer à l'analyse de l'urine des sujets que j'avais soumis à la la médication arsenicale, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Dans le premier cas, on a constaté la présence de l'arsenic dans les urines, après un court espace de temps. Dans le se-cond, les résultats ont été constamment négatifs. Il paraît donc assez probable que ces deux méthodes n'agissent point de la même manière sur l'organisme, même en admettant qu'elles soient l'une et l'autre également efficace pour com-battre la maladie, ce dont je serais disposé à douter.

Il y a un autre médicament que j'ai employé, dans les cas de ce genre, avec des résultats analogues à ceux de l'arsenic. C'est la teinture ammoniacale do gaïac, qui produit d'a-bordune exaspération des accidents locaux, puis une améliora-tion notable : la mobilité des jointures reparaît, quelquefois, au bout d'un certain temps et le malade éprouve un soulagement manifeste.

Charcot. Œuv. compl. t.vu. Malad. des Vieillards. ig

Uiodure depotassium a été quelquefois prescrit avec suc-cès contre le rhumatisme chronique.

Chez les sujets chlorotiques ou débilités, le fer, l'huile de foie de morue, peuvent avoir indirectement une influence utile, en modifiant l'état général.

Les moyens lacaux les plus usités sont les vésicafoires, les badigeonnages avec la teinture d'iode, et le cautère actuel (pointes de feu). Ce dernier moyen est surtout utile dans la forme partielle du rhumatisme chronique.

Quant aux eaux minérales, on a conseillé le Mont-Bore, Lamalou-l'Ancien, Vais, Néris, Plombières ; la plupart con-tiennent de l'arsenic ; est-ce à cette circontance que serait due l'efficacité qu'on leur attribue ?

Nous sommes loin d'avoir épuisé la longue liste des remè-des qui ont été préconisés contre le rhumatisme chronique par divers auteurs, ou que nous avons expérimentés nous-mê-mes. Nous avons cherché à mettre en lumière les moyens thérapeutiques qui nous ont paru doués de l'efficacité la plus réelle : mais, il faut en convenir, le rhumatisme chronique est une affection que toutes lesressources de la médecine, dans la majorité des cas, ne parviennent pas à guérir.

DEUXIÈME PARTIE

Thermométrie clinique dans les maladies des vieillards.

PREMIÈRE LEGÓN

De l'importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards.

Sommaire. — Préliminaires. — Difficultés de la pathologie des vieillards.,— Maladies latentes. — Absence de commémoratifs. — Défaut de réaction gé-nérale. — Irrégularité des symptômes. — Exemple tiré de la pneumonie lobaire. — Phénomènes comateux simulant l'apoplexie. — Indolence des coliques hépatiques et néphrétiques.

Emploi méthodique du thermométrie. — Température normale des vieil-lards. — Thermométrie axillaire et thermométrie rectale, chez les vieillards.

— Désaccord entre la température centrale et la température extérieure. — Avantages de la thermométrie rectale.

De la température du corps chez les vieillards, dans l'état pathologique.

— Limites extrêmes de la température centrale au-dessus et au-dessous du chiffre normal. — Des températures fébriles, basses, moyennes, élevées chez le vieillard. — Du danger des températures élevées pendant plusieurs jours. — Raisons du danger des températures élevées. — Expériences phy-siologiques. — Combustion exagérée du sang. — Médication antipyrétique.

— Dangers de l'abaissement de la température.

Messieurs,

Le but des conférences instituées par nous, dans cet hos-pice, en 1866, et dont nous inaugurons la quatrième série, vous est sans doute connu. Nous nous sommes proposé d'étudier avec vous les faits pathologiques les plus intéres-sants qu'offre, à notre observation, la population si variée de ce vaste établissement.

Deux points de vue, assez intéressants» fixeront plus parti-

culièrement notre attention cette année. D'un côté, nous nous attacherons à traiter avec détails l'histoire de plusieurs affec-tions chroniques du système nerveux central, qu'il nous est donné d'observer dans cet asile sur une grande échelle, sur-tout chez les femmes relativement peu avancées en âge ; d'autre part, nous nous efforcerons de vous faire connaître quelques-uns des chapitres les plus intéressants de la patho-logie des vieillards.

C'est à ce dernier point de vue que nous nous arrêterons, si vous le voulez bien, tout d'abord; vous n'ignorez pas que la pathologie sénile présente des difficultés d'un ordre à part, et qui ne peuvent être surmontées que par une longue expérience et par une connaissance approfondie de ses carac-tères particuliers.

Or, si l'on cherche à exprimer par une formule très géné-rale la raison de ces difficultés, on peut dire que, d'une part, chez les vieillards, les organes souffrent en silence, sans pro-voquer nécessairement les symptômes locaux qu'on est à peu près habitué à rencontrer, à peu près toujours en pareil cas, aux autres époques de la vie ; que, d'autre part, ils souffrent isolément, en ce sens que les diverses lésions dont ils peu-vent devenir le siège, ne retentissent que d'une manière très incomplète sur l'ensemble de l'organisme.

Ainsi, dans l'âge sénile, les désordres les plus graves pour-ront ne s'accuser que par des symptômes locaux ou par une réaction d'ensemble peu accentuée et hors de proportion avec l'intensité du mal. Ils pourront même passer inaperçus, car vous n'ignorez pas que c'est chez les vieillards que Ton ob-serve le plus grand nombre de maladies latentes.

D'ailleurs, il ne faut pas oublier que l'on ne saurait guère compter ici sur le secours des commémoratifs, et c'est là une difficulté d'un nouveau genre. L'indolence ou l'indifférence la plus absolue forment le fond du caractère de nos vieillards,

même dans les meilleures conditions, et lorsqu'il ne s'est pas encore produit chez eux une obnubilation plus ou moins prononcée des facultés intellectuelles. Le plus souvent vous en serez réduit à ignorer quand et comment la maladie s'est développée, et, pendant son cours, vous ne pourrez pas espé-rer obtenir du malade des renseignements de quelque intérêt, relativement aux sensations qu'il éprouve.

Mais nous avons hâte de laisser ces termes très généraux qui touchent un peu à la métaphore, et de nous adresser aux cas concrets, afin d'y chercher quelques exemples propres à fixer votre attention.

Supposons qu'il s'agisse de la.pneumonie /obaire, maladie fréquente dans cet hospice, et qui fait périr chaque année un grand nombre de nos vieillards. Vous savez par quel appareil de symptômes caractéristiques, locaux et généraux, elle se manifeste chez l'adulte. En somme à cette époque de la vie, c'est une maladie qu'il est, en général, très facile de recon-naître. Il n'en est pas de même, tant s'en faut, du moins fort souvent, dans l'âge sénile. Sans parler des difficultés nombreu-ses, très réelles, et souvent presque insurmontables que pré-sentent chez les sujets âgés, l'auscultation et la percussion, il nous sufira de faire remarquer que chez eux, même au plus fort de la maladie, et dans les cas où la lésion est le plus éten-due, non-seulement la douleur locale, mais encore tout l'ap-pareil des phénomènes extérieurs de l'état fébrile, tels que chaleur de la peau, prostration des forces, fréquence du pouls peuvent sinon faire complètement défaut, du moins ne se montrer que d'une manière très peu accentuée.

A côté de ces cas en réalité assez nombreux, où la réaction générale pêche par défaut, il en est d'autres, et ces cas ne sont pas non plus très rares, où elle se traduit par une série de phénomènes singuliers qui, loin d'appeler l'attention sur

le siège du mal, sont bien faits au contraire, pour tromper l'observateur non prévenu, et pour embarrasser encore le diagnostic.

Ainsi la pneumonie lobairepeut se dissimuler sous un appa-reil de symptômes qui rappellent, jusqu'à s'y méprendre, ceux que détermine une lésion grave de l'encéphale. En gé-néral, ce n'est pas le délire qui, comme cela a lieu assez sou-vent chez l'adulte, occupe ici la scène, mais bien l'état apo-plectique. Le malade se présente à vous endormi dans un corna profond dont l'invasion a été presque soudaine. La respi-ration stertoreuse, la flaccidité des joues, la résolution com-plète des membres, rien ne manque au tableau. Il s'y adjoint parfois des phénomènes d'hémiplégie, ou môme la contracture d'un membre, et nous avons rencontré plusieurs fois, en pa-reille circonstance, jusqu'à cette torsion du cou qui constitue des caractères habituels de l'apoplexie déterminée par l'hé-morrhagie intra-encépalique, ou par le ramollissement cérébral à début brusque.

Je pourrais aisément multiplier les exemples de ce genre, car ce n'est pas seulement dans la pneumonie, que de telles anomalies se présentent. Elles peuvent se rencontrer égale-ment dans la plupart des maladies qui ont pour caractère de susciter l'état fébrile. On peut d'ailleurs observer des irrégula-rités non moins remarquables dans des affections qui ne s'ac-compagnent pas de fièvre, mais qui se traduisent d'ordinaire, par des irradiations douloureuses. C'est ainsi que les coliques de la douleur hépatique et de la douleur (colique) néphrétique qui, chez l'adulte, se montrent en général si atroces, passent souvent presque inaperçues chez les vieillards, tant elles sont peu intenses.

Mais c'est à dessein, Messieurs, que j'ai insisté surtout sur cas anomalies que peut présenter chez les gens âgés, atteints

de maladies aiguës, l'état général, et plus spécialement l'état fébrile. J'ai, en effet, le projet de consacrer cette première leçon à mettre en relief, par quelques exemples frappants, les secours que peut trouver le médecin dans l'emploi méthodi-que du thermomètre au triple point de vue du diagnostic, du pronostic et de la thérapeutique, lorsqu'il lui faut s'orienter au milieu des écueils sans nombre qui s'offrent à lui dans la clinique des vieillards.

Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de dépenser beaucoup d'éloquence en faveur de la thermométrie clinique ; la mé-thode a fait son chemin, et elle s'est répandue un peu partout. Il n'en était pas tout à fait de même, lorsqu'en 1863, nous l'a-vons appliquée daus cet hospice à la pratique usuelle ; mais il reste encore peut-être quelque chose à faire pour montrer que ce n'est pas là un moyen exclusivement propre aux re-cherches scientifiques.

La thermométrie clinique, est, vous le savez, un moyen physique d'exploration, au même titre que l'auscultation et la percussion ; seulement, tandis que celles-ci s'appliquent sur-tout aux lésions locales, celle-là s'adresse au phénomène fondamental de l'état fébrile dont elle donne pour ainsi dire la mesure. (Wunderlich, Verhalten dcr Eigenwarme, in Krankheiten. Leipzig, 1868.) Qu'est-ce, en effet, que la fièvre? A cette question tous les auteurs répondent aujour-d'hui par la définition de Galion : Calor prœter naturam. C'est qu'en réalité tous les autres symptômes de la fièvre peuvent faire défaut et que seule, l'exultation de la chaleur animale est le fait constant, obligatoire.

Telle est la loi, loi générale, et à laquelle les vieillards eux-mêmes n'échappent pas. Car, Messieurs, cet isolement des organes," ce défaut de réaction, d'ensemble, que je vous signalais tout à l'heure, ne sont qu'une apparence; comme chez l'enfant, comme chez l'adulte, la fièvre, qu tout au

moins l'élévation de la température du corps existe chez les vieillards et elle y acquiert souvent une intensité à peu près égale ; seulement chez ceux-ci, plus souvent que chez ceux là, elle peut rester latente, c'est-à-dire ne point se révéler par les phénomènes extérieurs qui, ordinairement, l'accom-pagnent. Mais il faut savoir, à l'aide du thermomètre, en chercher la manifestation dans les régions centrales de l'or-ganisme.

Messieurs, c'est surtout lorsqu'il s'agit des maladies dans lesquelles la chaleur s'élève au-delà du taux normal, que l'importance de la thermométrie clinique peut être aisément mise en relief; il est cependant, surtout chez le vieillard, un certain nombre d'affections qui donnent naissance au phé-nomène inverse en provoquant un abaissement réel de la température. Or, cette algidité centrale ne peut être sûre-ment reconnue qu'à l'aide du thermomètre qui, ici encore, peut être appelé à rendre de grands services. C'est là un sujet encore peu exploré, mais qui nous fournira toutefois, je l'espère, l'occasion de vous présenter quelques détails impor-tants.

I.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous devons établir quelques préliminaires.

A. Température normale des vieillards. — Vous n'ignorez pas que chez les vieillards la fonction respiratoire est amoin-drie, ce qui s'exprime à la fois par la diminution de la quan-tité d'acide carbonique exhalée, par l'augmentation du nombre des inspirations et par la réduction sensible de la capacité vitale des poumons. Ce dernier résultat, d'après les recherches spirométriques de Wintrich, de Schnepf et de Geist, com-

mence à se manifester vers l'âge de trente-cinq ans, et ac-quiert son maximum de soixante-cinq à soixante-quinze ans. On admet, en général, en outre, que le mouvement nutritif de composition et de décomposition est également amoindri à cet âge; mais je ne sache pas que, sur ce dernier point, on ait jamais eutrepris de recherches décisives. Quoi qu'il en soit, Messieurs, chose remarquable, malgré ces circonstances évidemment favorables, la température n'éprouve, par les progrès de l'âge, aucune modification appréciable, 37°, 2, 37°, 5, rarement 38, au rectum, et tantôt un peu moins, tantôt un peu plus de 1 degré au-dessous de ce chilFre, dans l'aisselle; telle, est. d'après les recherches très nombreuses que j'ai faites à ce sujet, la température normale du vieillard, jusqu'aux extrêmes limites de la vie.

DeHaen, autrefois et, dans ces derniers temps, V. Baerens-prung, ont avancé que,, chez les gens très âgés, la tempéra-ture se tient au-dessus de ces chiffres. Je crois qu'il n'en est ainsi que dans des cas exceptionnels; j'ai présenté ici, il y a trois ans, dans une de ces conférences, une femme plus que centenaire, et jouissant d'une excellente santé; elle offrait habituellement, dans l'aisselle, une température de 37° et 38 au rectum. Je n'ai pas souvent retrouvé, depuis lors, cette température de 38° comme représentant l'état normal, môme chez des sujets parvenus aux dernières limites de l'âge sé-nile.

Ainsi, en résumé, la température centrale est la même chez les vieillards que chez l'adulte; j'ajouterai qu'elle pré-sente dans les deux cas, la même fixité, et qu'elle ne s'émeut d'une manière un peu sensible, même temporairement, que dans l'état pathologique.

Comment comprendre que chez les vieillards on trouve la température normale au moins aussi élevée que chez l'adulte alors que, dans l'âge sénile, les fonctions de nutrition sont

évidemment affaiblies? Il faut, sans doute, invoquer ici, sur-tout l'état de la peau qui, chez les vieillards, présente un appauvrissement notable du réseau des vaisseaux capillaires sanguins, et en môme temps une activité secrétoire bien moindre que chez l'adulte ; les vieillards produisent vrai-semblablement moins de chaleur que l'adulte, mais ils en perdent moins, soit par la peau, soit par les voies pulmonaires, et ainsi s'établit la compensation.

B. Thermométrie axillaire et thermométrie rectale chez les vieillards. — Je ne saurais quitter le sujet sur lequel nous venons de nous arrêter sans vous dire qnelques mots de la thermométrie pratiquée dans l'aisselle comparée à celle des cavités naturelles, et en particulier du rectum, chez les vieillards. Vous nous entendrez souvent parler de la tempé-rature du rectum, et c'est en effet cette cavité naturelle que nous choisissons toujours de préférence pour lieu de nos explorations thermométriques chez les sujets âgés. Nous vous devons de vous faire connaître les raisons qui, dès le début de nos études sur ce sujet, c'est-à-dire depuis près de 7 ans, nous ont déterminé à ce choix qui, au premier abord, pour-rait paraître singulier.

Messieurs, il est facile de constater, et chacun reconnaît que la température prise dans l'aisselle est toujours inférieure à celle qui est accusée par l'exploration rectale; l'aisselle, au point de vue de la température, se rapproche de la surface du corps; le rectum représente les viscères intérieurs. A la vérité, chez l'adulte, la différence entre la température de ces deux localités, outre qu'elle est, en général, très minime, se montre toujours presque proportionnelle. Mais il n'en est pas de même chez les vieillards où l'écart se montre tantôt consi-dérable, dépassant, par exemple, un degré, tantôt beaucoup moins accusé, suivant les circonstances les plus variées.

Ainsi, chez les vieillards, la température centrale présente seule de la fixité, la température axillaire offre au contraire, comme celle du tégument externe, bien qu'à un degré moin-dre, une mobilité extrême.

Mais c'est surtout dans l'état pathologique, et en particulier dans l'état fébrile, que se révèle dans tout son jour le désac-cord qui existe entre la température centrale et la tempé-rature extérieure, dans l'âge sénile. Je vous présente un tableau relatif à un cas de pneumonie lobaire observée chez une femme âgée de soixante-cinq ans; vous voyez que la courbe des températures rectales et celle des températures axillaires, bien qu'à peu près parallèles, d'une façon très générale, s'écartent cependant Tune de l'autre, sur divers points, de la manière la plus irrégulière.

Vous voyez même, à plusieurs reprises, les oscillations que présentent les deux courbes se faire en sens inverse. Ainsi, le cinquième jour de la maladie, le matin, dans le temps même où la température de l'aisselle marquait 37 degrés seu-lement, celle du rectum s'élevait à 40°, 2, différence de plus de 3 degrés. Le soir, les deux courbes se sont rapprochées, et l'écart n'était plus que de 1 degré. Le sixième jour, il est un moment où les deux courbes se touchent presque ; mais le lendemain, elles se sont de nouveau très notablement écartées. Chez cette malade, il y avait eu diarrhée incoercible et, à plu-sieurs reprises des symptômes de collapsus marqué par un refroidissement très notable du tégument externe. J'aurai à revenir plus fard sur la signification de ces symptômes de col-lapsus, qu'il est assez commun d'observer dans le cours des maladies aiguës des vieillards; qu'il me suffise pour le moment de faire ressortir que le désaccord éclatant que nous consta-tons dans ce cas, pris pour exemple, entre les données four-nies par les courbes axillaire et rectale, se rencontre très fréquemment dans la clinique des sujets âgés.

Telle est la raison principale qui nous a fait préférer dans la pratique l'exploration rectale à l'exploration axillaire; il en est une autre, à la vérité fort secondaire, qui n'eût pas suffi à nous déterminer dans notre choix, mais qui n'est pas cepen-dant dénuée de toute valeur. Quinze minutes au moins sont nécessaires, surtout chez le vieillard, pour obtenir, en cas d'exploration de l'aisselle, un renseignement exact. Au bout de cinq minutes, au contraire, en moyenne, la colonne mer-curielle d'un thermomètre plongé dans le rectum cesse d'os-ciller. La thermométrie rectale présente donc, vous le voyez, au point de vue de la rapidité d'exécution, sur l'autre mode d'exploration, un avantage marqué et qui n'est pas à dédai-gner dans la pratique d'un grand hôpital.

Je ne vous dirai rien de la répugnance bien naturelle que témoignent souvent les malades, à l'égard de ce genre d'exploration, si ce n'est que la persuasion parvient presque toujours à aplanir les dificultes survenant de ce côté.

C. De la température du corps chez les vieillards, dans l'état pathologique, a. Limites extrêmes de la température centrale au-dessus et au-dessous du taux normal. — Mes-sieurs, il est dans la thermométrie clinique un certain nom-bre de faits fondamentaux dont la réalité a été maintes fois vérifiée, et qu'on pourrait presque présenter comme des axio-mes. Permettez-moi d'énoncer quelques-uns de ces faits princi-paux.

Io Si la température centrale, à un moment quelconque d'une maladie et quelle que soit la maladie, s'élève à 41° 5, le danger est grand. Si elle atteint 41° 75, 42 degrés, la mort est certaine. Ces chiffres indiqués par Wunderlich, à propos surtout de la pathologie de l'adulte (loc. cit.), se retrouvent,

je puis l'affirmer, avec toute leur signification chez le vieil-lard, seulement on peut dire qu'à 41 degrés centigrades, chez lui, la situation est déjà des plus critiques.

Si l'élévation de la température centrale au-dessus d'un certain point annonce par elle-même et indépendamment des circonstances concomitantes, un très grand danger, à son tour l'abaissement au-dessous du taux normal, lorsqu'il at-teint un certain niveau, 3o degrés par exemple, (je ne garan-tis ce chiffre que pour les vieillards), dévoile lui aussi un cas des plus graves.

Vous le voyez, Messieurs, il existe des limites à peu près fixes que la la température semble ne pas pouvoir dépasser sans que l'existence du malade ne soit très fortement compro-mise. Les températures qui franchissent ces deux limites sont rares, exceptionnelles, et elles indiquent, à coup sûr, une ter-minaison fatale.

Il ne saurait vous échapper, que déjà la thermométrie nous fournit là, au moins pour le pronostic, un signe de la plus haute importance, puisque sa signification est pour ainsi dire absolue. Nous aurons bien des fois l'occasion de vous si-gnaler des applications tout aussi remarquables.

b. Des tempéra tares fébriles basses,moyennes,élevées chez le vieillard. —On peut dire d'une manière générale que, chez le vieillard comme chez l'adulte, une température qui s'élève peu au-dessus de 38 degrés, répond à une fièvre légère (tem-pérature sub-fébrile) ; au-dessous de 39°, 5, elle est d'intensité modérée ; entre 39°, 5 et 40 degrés, elle estintense; au-dessus de 40 degrés, elle est très intense (température hyperpyr étique).

Ces données, comme les précédentes, s'appliquent aussi bien aux vieillards qu'aux adultes ; car sous le rapport du taux que la température peut atteindre dans l'état fébrile , ceux-là peuvent ne le céder en rien à ceux-ci. C'est un point que je

me suis efforcé d'établir dans le temps, et que mes recherches ultérieures n'ont fait que confirmer. (De l'état fébrile chez les vieillards). (Voir plus haut p. 15).

Toutefois, Messieurs, —il importe que vous le remarquiez, — dans cette assimilation que j'établis, au point de vue des températures fébriles, entre l'adulte et le vieillard, j'entends ne parler que des sujets valides, ou autrement dit, libres de toute maladie antérieure, de tout état cachectique, au moment où l'état fébrile s'est développé, car il est certain que chez les su-jets préalablement affaiblis, quel que soit l'âge, la tempéra-ture, même lorsqu'il s'agit d'une maladie dont le caractère est de produire habituellement une fièvre intense, peut ne pas s'élever pendant tout le cours de l'affection au-dessus des tem-pératures fébriles moyennes, 39 degrés, 39°, 5, bien que le cas soit des plus graves et se termine par la mort. Mais je le répète et c'est là un point de la plus haute importance, à mon avis, cette faiblesse relative de la réaction thermique n'est pas un caractère de l'âge sénile.

Je vous présente deux courbes thermométriques que je veux mettre en parallèle : l'une concerne une femme de soixante-quinze ans, faible et cachectique, atteinte de pneumonie lo-baire ; les maxima au plus fort de la maladie n'ont dépassé qu'une seule fois 39°, 5 ; — l'autre est également relative àun cas de pneumonie survenue chez une femme âgée d'environ cinquante ans et jeune par conséquent, du moins relativement, mais atteinte d'un carcinome utérin, très avancé, et profon-dément cachectique. Les maxima n'ont jamais atteint 40 degrés; ils se sont tenus à 39°, 5, ou au-dessous. Cette malade, comme la précédente, a succombé en défervescence, ainsi que cela a lieu le plus souvent dans les cas de ce genre. Vous voyez comment ces deux tracés recueillis chez des sujets d'âge très différent sont cependant analogues sous tous les rapports.

Voici maintenant la contre-partie de cette démonstration :

les trois courbes que je vous présente actuellement sont rela-tives à trois sujets, dont l'un est un enfant de trois ans [Ziemssen), le deuxième un homme de trente-huit ans (Wun-derlich), le troisième une femme de soixante-quinze ans, observée dans cet hospice. Toutes trois se rapportent à la pneumonie lobaire ; vous le voyez, des analogies frappantes les rapprochent, et vous auriez, si vous n'étiez pas prévenus, grand peine à les distinguer l'une de l'autre. Aussi, lorsque Wunderlich (loc. cit.) avance qu'à la seule inspection d'une courbe thermométrique, on .peut reconnaître l'âge du sujet en ce que dans l'âge avancé les maxima se tiennent à un taux relativement inférieur, la proposition ne me paraît-elle pas parfaitement exacte. Tout au plus pourraît-on reconnaître ainsi, qu'il s'est agi d'un sujet robuste, ou au contraire d'un individu préalablement débilité.

c. Du danger des températures élevées soutenues pendant plusieurs jours chez les vieillards. — Voici maintenant un troisième point : une température hyperpyrétique, 45°, 5, peut se montrer, sans que le cas soit grave, pourvu qu'elle ne per-siste au môme taux que pendant un très court espace de temps, comme dans un accès de fièvre intermittente, par exemple, ou dans la pneumonie abortive (1). Mais si de telles températures se maintiennent pendant une série de plusieurs jours, presque sans interruption, comme cela a lieu dans une maladie à type continu, la pneumonie lobaire par exemple, le cas est très grave. Ce que j'avance est fondé sur les nom-breuses observations que j'ai pu faire à ce sujet relativement à la pneumonie des vieillards ; mais il me semble établi qu'il en est à peu près de môme aux autres époques de la vie. Quoi-

1. Voir : Gharcot. — Œuvres complètes, tome V, Maladies des poumons, etc., p. 631.

Gharcot. CEuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. ao

qu'il en soit, dans la plupart des cas de pneumonie lobaire observés à la Salpêtrière, et où, pendant la période d'état, les maxima ont plusieurs fois dépassé 40°, 5, la mort est surve-nue ; au contraire lorsqu'ils se sont maintenus à 40° et au-dessous, la guérison a été fréquente.

N'allez pas conclure de là que chez les vieillards, toutes les pneumonies dans lesquelles la température se maintient à un taux relativement peu élevé sont bénignes. Loin de là, vous le savez déjà, beaucoup, la plupart peut-être des pneumonies de basse température comme nous avons coutume de les ap-peler, sont remarquables par leur léthalité. Mais c'est un point sur lequel nous devons revenir plusieurs fois dans la suite.

IL

La raison du danger des températures élevées, dans la fièvre. — Vous avez reconnu l'importance toute pratique des faits qui viennent d'être énoncés, mais nous ne les connais-sons encore cependant que comme résultat d'une étude pure-ment empirique et faite en dehors de toute préoccupation théorique, L'intérêt qu'ils vous inspirent déjà s'accroîtrait encore très certainement s'il nous était donné d'en pénétrer la raison physiologique. Pourquoi, en effet, ces limites étroites, tracées sur l'échelle thermométrique, qui ne peuvent être atteintes sans que la vie soit très sérieusement compromise, et au-delà desquelles il ne reste plus d'espoir de sauver le malade ? Pourquoi la température, s'élevant à un taux fort en deçà de ces limites, mais persistant durant quelques jours sans rémissions sensibles, annoncent-elles un cas grave, quel que soit d'ailleurs le nom de la maladie?

Telles sont les questions qui se sont présentées à votre es-prit. Nous ne saurions, dans l'état actuel de la science, y ré-

pondre par une solution définitive, rigoureuse; mais nous pouvons espérer tout au moins, en nous appuyant sur les données de la physiologie pathologique et de la pathologie expérimentale, reconnaître dans quelle voie cette solution pourra être trouvée.

Reconnaissons, en premier lieu, que le trouble qui porte sur l'ensemble de l'économie, et qu'on nomme la fièvre, constitue un danger par lui-même, lorsqu'il est intense, indé-pendamment, en quelque sorte, de la cause qui la produit. Un malade est atteint de pneumonie, les fonctions respira-toires ne sont pas plus troublées que de coutume, en pareil cas, il n'y a pas de complication, et cependant, le malade succombe au milieu d'un appareil fébrile intense. L'autopsie est pratiquée, elle révèle l'existence d'une hépatisation lo-baire que l'auscultation avait reconnue pendant la vie, mais qui est resté limitée à une si petite étendue d'un lobe pul-monaire, qu'il est impossible d'admettre epe la lésion locale rende compte ici de l'issue fatale. Il me suffira de vous avoir cité cet exemple, car, grâce aux progrès de l'anatomie patho-logique, le temps n'est plus où l'on pouvait croire, avec Hoffmann, cpie l'autopsie fait toujours découvrir, dans quel-que organe, une lésion grossière qui explique la mort. C'est alors l'état général, et dans l'espèce, l'état fébrile qu'il faut accuser; mais quel est, au milieu de ce trouble presque gé-néral de l'organisme, l'élément qu'il faut surtout incriminer ? Ceci nous conduit à entrer dans une digression.

L'état fébrile, avec son cortège de symptômes, les uns fondamentaux et essentiels, les autres accessoires : élévation de la température, accélération du pouls, troubles nerveux, est le résultat de phénomènes fort complexes, mais qui peu-vent être ramenés cependant à un petit nombre d'éléments principaux.

Le point de départ paraît être une rapide métamorphose,

ou mieux, une combustion exagérée du sang, des tissus, laquelle s'opère un peu partout dans l'organisme et qu'a sus-citée l'action d'un poison morbide ou de toute autre cause.

L'élévation de la température centrale est un des résultats sensibles des actes de chimie intime, qui constitue cette com-bustion exagérée.

Les produits de cette combustion, déchets organiques, urée et matières extractives, s'accumulent dans le sang et circulent avec lui. Ils doivent, de toute nécessité, être re-jetés au dehors, tôt ou tard, par les émonctoires naturels, car il n'y a pas place pour eux dans l'organisme.

Ajoutez que dans les cas de fièvre avec affection locale certains troubles qui résultent du fonctionnement normal de l'organe affecté, viennent se surajouter au désordre général qui produit la fièvre. Ainsi, dans la pneumonie double, dans la bronchite capillaire, l'hématose étant profondément en-travée, il pourra y avoir anoxémie, accumulation d'acide car-bonique dans le sang : ou, s'il s'agit de l'hépatite aiguë paren-chymateuse (atrophie jaune aiguë du foie), par suite de la destruction rapide des éléments sécréteurs de l'organe, les matériaux destinés à former la bile, seront retenus dans le sang, et il y aura acholie. Mais je ne veux pas entrer dans le détail, et je m'en tiens aux faits les plus généraux.

D'où vient donc le danger de la fièvre? La consomption rapide des tissus, se produisant par une émaciation plus ou moins prononcée, par la diminution du poids du corps, par la prostration des forces, ne saurait être invoquée, du moins comme élément principal, que dans une maladie à évolution lente. Elle ne saurait jouer un rôle prédominant dans une fièvre à marche rapide, comme dans celle que détermine cette pneumonie lobaire que nous prenions tout-à-l'heure pour exemple.

La présence, dans l'économie, des déchets organiques,

produits de la consomption fébrile, constitue, sans doute, elle aussi, un danger sérieux, dans les cas où l'excrétion de ces produits se fait mal. Nous trouvons là, en effet, les con-ditions d'une autotoxémie ; car ces produits, aune certaine dose, sont pour la plupart délétères. Mais cette autotoxémie ne peut avoir lieu, comme d'ailleurs, la cholémie et l'anoxé-mie, dont nous parlions tout à l'heure, que dans certains cas particuliers, auxquels nous ferons allusion par la suite. Elle se révèle, d'ailleurs, par des symptômes spéciaux qui n'appartiennent pas nécessairement à l'état fébrile, même le plus intense.

Reste donc l'élévation de la température. Serait-ce que les organes, les tissus soumis pendant un certain temps à ces températures extrêmes, que nous signalions à votre attention, subiraient, dans leur condition matérielle, des modifications assez profondes pour rendre, à un moment donné, leur fonc-tionnement impossible ? Dans cette hypothèse, l'élévation de la température, dans la fièvre, ne serait pas seulement un résultat, un symptôme ; elle serait encore la cause de dé-sordres, parfois assez graves pour amener la mort.

Le vulgaire, qui, de la fièvre, ne connaît guère que la cha-leur fébrile, admet, sans embarras, qu'une fièvre intense peut emporter le malade. Cette opinion populaire, Messieurs, ne doit pas être traitée avec dédain, car elle a été embrassée, dans une certaine mesure, par des maîtres dans l'art, Syden-ham, Boerhaave, Van Swieten. De nos jours, elle a été reprise, et pour ainsi dire rajeunie par plusieurs auteurs recomman-dâmes, MM. Liebermeister il]cher die Wirkungen der fébrilen Temperatursteigerung. — Deutsches Archiv, IB, d., 1866J, Niemeyer (Speciell. Patholog., 7e aufl., 1868), en Allemagne, Richardson, en Angleterre ; et les arguments que ces méde-cins ont fait valoir en sa faveur, nous paraissent dignes d'être pris en sérieuse considération (Med, Times, May \ 809).

Les plus solides de ces arguments sont fournis par l'expéri-mentation. On peut, vous le savez, chez l'homme comme chez l'animal, élever artificiellement la température centrale, et produire par conséquent, un état au moins fort analogue à l'état fébrile. Les troubles cpii se produisent, lorsque la température du corps s'est ainsi élevée à un certain niveau au-dessus du taux normal, rappellent les symptômes de la fièvre : ainsi, le pouls s'accélère, les mouvements de la respiration se préci-pitent ; il survient un malaise inexprimable, de la céphalalgie, des troubles nerveux divers, de l'agitation d'abord, puis une grande prostration des forces ; et si, dans le cas où il s'agit d'un animal, l'expérience est poussée très loin, il survient du coma, une résolution générale et bientôt la mort.

On sait, à la vérité, depuis les expériences célèbres de Blag-clen et de Dobson, que l'homme peut être soumis à des tempé-ratures très élevées, même pendant un temps assez long, sans qu'il se produise cbez lui un trouble très notable. Ainsi, M. Richardson a supporté récemment, dans un bain d'air sec, une température de deux cent douze degrés Fahrenheit (envi-ron 100° centigrades), pendant près de vingt minutes, sans inconvénients. Mais cela n'est possible qu'à la condition expresse que, pendant l'expérience, la température centrale ne s'élève pas au-dessus d'un certain niveau, qui s'éloigne peu du taux normal. En pareil cas, vous ne l'ignorez pas, la surface pulmonaire et la peau sont le siège d'une déperdition énorme de calorique qui établit une compensation : aussi, est-ce seulement dans l'air sec que de telles expériences sont pos-sibles. S'il s'agit d'un bain d'eau liquide, porté de quarante à quarante-quatre degrés, ou bien d'une atmosphère humide, alors même que la température ne s'élève pas au-dessus de 40 à 45 degrés, elles sont extrêmement périlleuses ; car, alors, on a vu la température du corps s'élever à 39, 40, 41 degrés

mémo, dans un cas observé par M. Bartels, el en même temps, il s'est produit des accidents graves presque immédiats, et qui ont pu faire craindre une issue fâcheuse.

C'est, d'ailleurs, dans des conditions semblables que se produit l'accident redoutable si connu des médecins de l'ar-mée anglaise, dans l'Inde, sous le nom de coup de soleil, coup de chaleur, et qui s'observe même dans nos climats lorsqu'une armée est en marche, par un temps chaud et humide ; les malheureux frappés du coup de soleil sont parfois presque littéralement foudroyés, et l'on rapporte des cas de ce genre, où la température centrale, au moment de la mort, se serait élevée jusqu'à 44 degrés centigrades.

Mais revenons à l'expérimentation et considérons le cas où elle est poussée jusqu'à la dernière limite. Il s'agitici naturel-lement de l'animal. Or, Messieurs, toujours la morta lieu, en pareil cas, lorsque la température centrale a dépassé de 4 ou 5 degrés le taux normal, chez l'animal mis en expérience, soit 45 degrés pour les mammifères, et elle survient d'une manière presque subite. H y a donc, vous le voyez, pour chaque espèce d'animal un chiffre fatidique cpii ne peut être atteint sans que la mort s'ensuive.

Cela rappelle ce que nous observions, tout à l'heure, chez l'homme, dans l'état pathologique. Vous ne l'avez pas oublié, vers 42 degrés, chez l'adulte (c'est-à-dire lorsque le taux nor-mal a été dépassé d'environ 5 degrés), et un peu au-dessous de ce point, chez le vieillard, la mort est certaine, nécessaire ; et il devient par là au moins très vraisemblable que, dans ce dernier cas, comme lorsqu'il s'agit des animaux soumis à l'ex-périence, l'élévation extrême de la température centrale a été le grand agent de la terminaison fatale.

Mais quel est ici le mécanisme de la mort? Les expériences de MM. Claude Bernard, Caliiburcès, répétées par M. Panum,

établissent que c'est le cœur qui souffre surfout, en pareil cas; d'abord excité dans son fonctionnement, il cesse de battre aux environs de 45 degrés. L'organe ne présente pas de lésions grossières; mais son tissu a subi des modifications profondes, car il s'est produit une rigidité musculaire comparable à la rigidité cadavérique, et le refour de ses mouvements, môme pour un temps, sous l'influence des excitations, est devenu désormais impossible.

Le sang, lui aussi, présente, dans sa constitution, des alté-rations notables; il est tantôt très fluide, tantôt, au contraire, coagulé; et, suivant M. Richardson, le premier cas se ren-contre lorsque la mort a été très rapide ; le second, au contraire, lorsqu'elle est survenue plus longtemps après le début de l'expérience.

C'est ici le lieu de rappeler que, dans des cas pathologiques observés chez l'homme, et où la mort, précédée par une élé-vation considérable de la température, est survenue rapide-ment, le sang a été trouvé tantôt dans un état de fluidité extrême, tantôt, au contraire, coagulé dans les cavités du cœur. Boerhaave supposait que la coagulation du sang dans les vaisseaux est une cause de mort dans la fièvre, et tout récemment M. Weikarf a cherché à démontrer que c'est là, en effet, la cause qu'il faut invoquer dans le cas où la tempéra-ture s'élève aux environs de 42 degrés.

Les faits qui précèdent se rapportent tous aux cas dans les-quels la mort survient, à la suite d'une élévation extrême de la température centrale. Pour ceux où la chaleur fébrile se tient pendant un temps plus ou moins long à un taux moin-dre, bien qu'encore fort élevé, nous n'aurons plus à invoquer les données de la physiologie expérimentale, l'expérience n'ayant jamais été dirigée dans ce sens particulier. Mais on peut signaler néanmoins certains faits tendant à faire admettre qu'ici encore, l'élévation de la température peut, par elle-

mémo, produire des accidents graves et constituer un danger.

Remarquons d'abord, avec M. Liebermeister, que la plu-part des affections fébriles, quelle qu'en soif d'ailleurs la nature, où la température se maintient pendant un certain temps, d'une manière plus ou moins permanente, à un taux élevé, ont un caractère commun presque constant, .C'est qu'en pareil cas certains organes, après lam^rt, bnrenV^e^a^éra-tions parenchymateuses qui ont ^té, 'désignées quelquefois sous le nom de stéatose. Le foie, les muscles de la vie,ani-male, les reins, le cœur surfout subissent cette allér'aiiffn. Je me bornerai à citer à ce propos, le ramollissement plus ou moins prononcé que peut présenter ce dernier organe, dans la fièvre typhoïde, suivant Louis, et d'après Stokes, dans le typhus. A ces lésions se rattachent habituellement, pendant la vie, des symptômes de faiblesse cardiaque, d'asystolie. Est-ce à la permanence d'une température élevée qu'il convient de rapporter ces altérations, celles du cœur, en particulier, et les troubles qui en sont la conséquence ? on pourrait être tenté de l'admettre d'après le mode d'action des températures extrêmes sur le tissu du cœur.

D'ailleurs, on sait que l'accélération extrême du pouls, qui, dans les cas, de ce genre, constitue un signe du plus fâcheux augure, est, jusqu'à un certain point, proportionnelle à l'éléva-tion de la température.

Mais voici un argument, en quelque sorte plus direct : il est tiré des avantages incontestés de la médication dite antipyréti-que, appliquée au traitement des maladies aiguës à haute tem-pérature. Or, quel est l'effet le plus saillant à la fois et le plus constant, le mieux constaté, des divers agents de cette médi-cation : c'est d'abaisser d'une manière plus ou moins accen-tuée et pendant un temps plus ou moins long, la température centrale, et même au plus fort de l'état fébrile. Ainsi agissent la digitale ou la vératrine, dans la pneumonie, le sulfate de

quinine, dans le rhumatisme articulaire aigu ; ainsi agissent également les bains frais prolongés et souvent répétés, appli-qués dans ces derniers temps, en Allemagne, avec tant d'en-thousiasme, au traitement de la fièvre typhoïde, et cpii parais-sent avoir, d'ailleurs, produit des résultats vraiment dignes d'attention (Brand, Jurgensen, Liebermeister, Gerhardt),

D'après cequiprôcède, nous croyons pouvoir vous présenter, non pas à titre de vérité rigoureusement démontrée, mais du moins, comme une hypothèse très vraisemblable, cette conclu-sion que l'exaltation de la température centrale constitue, par elle-même, dans la fièvre, un danger.

Mais laissons, pour un instant, de côté la fièvre et l'élévation de la température, considérons un moment l'écart thermomé-trique en sens inverse ; recherchons en d'autres termes, pour-quoi Xabaissement de la température au-dessous du taux nor-mal, jusqu'à un certain niveau, est à peu près nécessairement suivi de mort. Le froid développé au sein de l'organisme a-t-jl en pareil cas, sur les organes, sur les tissus, une action po-sitive capable d'amoindrir l'énergie des actes organiques nécessaires à l'entretien de la vie ? Messieurs, on ne saurait guère douter qu'il en soit réellement ainsi.

Qu'un animal soit soumis, dans de certaines conditions, à l'action d'une basse température, à l'inanition complète, à l'intoxication déterminée par de certaines substances, l'opium, l'ammoniaque, l'acide cyanhydrique, que son corps soit re-couvert d'un enduit imperméable, comme dans les expérien-ces de Fourcault et d'Edenhuizen, toujours la température centrale s'abaisse, et en même temps les mouvements respi-ratoires s'affaiblissent; l'absorption de l'oxygène et l'exhalation de l'acide carbonique diminuent (Valentin, Arcli. far phy-siol. Heilk., 1858, p. 433). Si l'expérience est poussée loin, la température s'abaisse à un certain niveau, au-delà duquel la

mort survient. Or. qu'arrive-t-il dans ces circonstances si va-riées ? On peut dire que l'animal meurt de froid (Brown-Sé-quard, Soc. de Biologie, 1.1, p. 102, 1849). Il meurt de froid car le réchauffement artificiel retarde toujours la terminaison fatale, ou même permet, dans les conditions les plus heureu-ses, le retour complet à la vie.

Ainsi, Messieurs, de par la théorie comme d'après l'expé-rience le chaud et le froid, poussés à un certain degré, dans l'organisme, sont des éléments de premier ordre et dont il faut tenir compte, non-seulement pour établir le pronostic dans un cas pathologique donné, mais encore pour régler l'ad-ministration des agents thérapeutiques.

Mais je m'aperçois un peu tard que la digression dans la-quelle je suis entré m'a conduit fort loin, et il est temps d'en revenir à la pathologie sénile.

Il ne suffit pas d'avoir reconnu que, dans la vieillesse l'exal-tation de la température centrale ou son abaissement jus-qu'à un certain niveau ont la même signification qu'aux autres époques de la vie ; il nous faut établir actuellement que les oscillations de la température, consignées avec grand soin, jourpar jour, heure par heure, sous forme de tracés graphiques, pendant le cours de certaines maladies, fournissent chez le vieillard comme chez l'adulte, ainsi que je l'ai démontré dans le temps (Gaz. des Hôpitaux, 1866, ai Leçons sur les mala-dies des vieillards. 1867.)1 des types constants et caractéris-tiques pour chacune de ces maladies ; car c'est sur cette cir-constance même qu'est fondé ce diagnostic des maladies fébriles par la température, sur lequel M. le professeur Sée appelait récemment l'attention de ses auditeurs. Vous allez

t. Voir plus haut, p. 18.

reconnaître que, ainsi que je l'ai fait voir, ces types spcifi-qucs ne subissent pas de modifications notables, malgré l'âge ; ils restent chez le vieillard, du moins pour les points essentiels, ce qu'ils étaient chez l'adulte. Je vais essayer d'ail-leurs d'établir cette assertion sur de nouveaux faits. Ce sera pour nous l'occasion de passer en revue, à ce point de vue particulier, les affections qui, chez le vieillard, produisent la fièvre.

DEUXIÈME LEÇON

De l'importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards (Suite).

Sommaire. — Caractères thermiques des maladies fébriles dites typiques chez les vieillards. — 1° Maladies fébriles à type continu. — 2° Maladies fébriles à type rémittent. — 3° Maladies fébriles à type intermittent.

De l'élévation rapide et considérable de la température centrale qui sur-vient, à l'époque de la terminaison fatale dans quelques maladies des centres nerveux. — Tétanos. — Epilepsie. — Affections hystériformes. — Attaques apoplectiformcs de la paralysie générale des aliénés. — Attaques épilepti-formes des hémiplégiques. — Ecrasement de la moelle cervicale. — Frac-tures du crâne. — Hémorragie et ramolissement du cerveau. — Abaisse-ment initial de la température. — Elévation consécutive. — Théorie phy-siologique.

Messieurs,

En terminant la dernière séance, je vous disais que les ca-ractères fondamentaux des courbes thermométriques ne sont pas notablement modifiés par l'âge. Permettez-moi de justifier cette assertion en prenant pour exemple cpielques-unes des maladies fébriles dites typiques que l'on rencontre chez le vieillard. Ces maladies peuvent être rangées en trois groupes, suivant que le type fébrile est continu, rémittent ou inter-mittent.

Caractères thermiques des maladies fébriles dites typiques chez les vieillards.

1° Maladies fébriles à type continu. — Elles sont beau-coup moins nombreuses que chez l'adulte ; les fièvres érup-tives font défaut. Cependant, j'ai parfois observé la variole à ia Salpetrière. Dans la plupart des cas que j'ai vus, elle a re-vêtu la forme hémorrhagïque avec collapsus. Dans ces cas, les malades présentaient ordinairement un remarquable abaissement de la température centrale, une algidité vraie, état bien digne de fixer l'attention, et dont je me propose de traiter dans la leçon prochaine.

La principale affection de ce groupe, c'est la pneumonie lobaire, qui, malgré l'affirmation contraire de quelques au-teurs, s'observe chez le vieillard plus habituellement que la broncho-pneumonie.

a) La maladie débute généralement par un frisson (c'est par erreur que l'on a dit que le vieillard frissonne peu). En même temps, il y a refroidissement des extrémités. Cette pé-riode, dite pyrogénétique, est caractérisée par une ascension brusque de la ligne thermique. Du jour au lendemain, la température s'élèvera jusqu'à 40 degrés par exemple. Ce ca-ractère suffit déjà pour distinguer l'affection de celles qui ap-partiennent au groupe suivant, et dans lesquelles il y a une ascension lente et progressive.

b) Dans la période d'étal, la température parvenue à un certain niveau reste à peu près stationnaire pendant un cer-

tain nombre de jours. 11 faut néanmoins signaler les oscilla-tions diurnes, qui se font entre des limites assez rapprochées mais ne dépassent pas un degré. Dans son évolution, cette partie de la courbe montre tantôt une tendance progressive à l'élévation, et alors le cas est grave; tantôt une tendance à l'abaissement, pouvant parfois faire pressentir une solution favorable, mais seulement si l'ensemble des autres symptômes ne s'est pas aggravé.

La régularité de la courbe peut être réalisée par des cir-constances variées; je me contenterai, pour le moment, de vous signaler les modifications qui résultent de l'emploi des médicaments.

c) La troisième période se traduira par uue courbe diffé-rente, suivant que la terminaison devra être heureuse ou, au contraire, fatale.

Dans le premier cas, on observera une période de déferves-cence de bon aloi, emi sera parfois précédée par une exacer-bation temporaire de tous les symptômes, avec ascension brusque de la courbe. Cela correspond à ce que les anciens désignaient sous le nom de perturbatio critiqua. Cette ag-gravation des symptômes est de courte durée dans les cas qui doivent se terminer par la guérison; elle ne dure pas plus de quelques heures. Alors la défervescenec s'opère, et en gé-néral d'une manière très rapide; la courbe descend d'un seul trait rappelant ainsi, en sens inverse, les brusques variations de température qui ont marqué le début. Dans cet abaissement rapide, on voit assez souvent se produire des températures subnormales, s'accompagnant des symptômes dits de coltap-sus sur lesquels nous reviendrons ailleurs. Mais bientôt, la courbe se relève jusqu'au niveau normal et s'y maintient d'une manière définitive. La convalescence est commencée, malgré la persistance des symptômes locaux.

C'est en général, après le début de la défervescence, qu'on peut observer les phénomènes critiques qui avaient tant préoccupé les anciens. Ici la thermométrie se montre supé-rieure à l'ancien mode d'observation, puisque rabaissement terminal de la température précède l'apparition des phéno-mènes critiques. Remarquons en passant que, chez le vieil-lard, ces phénomènes sont moins fréquents que chez l'adulte. Très rarement ils consistent en epistaxis ou en sueurs, en gé-néral ils se traduisent soit par de la diarrhée, soit plutôt par des urines abondantes ou troubles.

Lorsque la terminaison doit être fatale, on observe parfois une brusque élévation de température, que nous avons vu aller en augmentant même après la mort. C'est là, de beaucoup le cas le plus commun chez l'adulte. C'est aussi ce qui se voit chez les vieillards valides, tandis que chez les vieillards affaiblis, la mort survient plus généralement dans la défervescence. Dans cette défervescence de mauvais aloi, la température ne descend pas, en général, aussi bas que dans la défervescence de bon augure. Nous verrons dans la leçon prochaine à quels carac-tères on peut distinguer, dans un cas où la défervescence s'é-tablit au déclin d'une pneumonie lobaire, si la terminaison doit ou non être favorable.

2° Maladies fébriles à type rémittent. — La pneumonie lobaire ou cafarrhale tient ici le premier rang ; elle est du reste, comme nous l'avons dit, beaucoup plus rare chez le vieillard qu'on ne l'a prétendu.

Dans la période pyrogénétique, l'ascension est lente et sac-cadée. Dans la période d'état, les oscillations diurnes sont as-sez grandes, et s'étendent en général au-delà de 1 degré ; enfin on n'observe pas de phénomènes critiques au moment de la défervescence.

Quant à la fièvre typhoïde, la phtisie aiguë cafarrhale, qui

figurent parmi les espèces les plus importantes du groupe chez l'adulte, elles l'ont à peu près complètement défaut chez le vieillard.

3° Maladies fébriles à type intermittent. — A la Salpê-trière, la fièvre palustre est très rare et je ne suis pas bien cer-tain de l'y avoir jamais observée. Mais, par contre, nous ren-controns fréquemment dans cet hospice des fièvres intermit-tentes symptomatiques d'affections des voies urinaires ou des canaux biliaires. Ces fièvres symptomatiques peuvent être dis-tinguées des fièvres intermittentes palustres à l'aide de certains caractères, et, vu leur fréquence, elles me paraissent assez mé-riter l'attention pour que je leur consacre quelques-unes des séances prochaines (1).

II.

De l'élévation rapide et considérable de la température

centrale QUI SURVIENT a l'éPOQUE de la terminaison fatale dans quelques maladies des centres NERVEUX.

Je n'ai eu en vue jusqu'ici que les maladies fébriles ; mais, dans le cours d'autres maladies, on peut voir survenir brus-quement, à un moment donné, une élévation énorme delà température centrale. Permettez-moi de m'arrêter quelques instants à l'étude de ce phénomène encore mal connu, mais qui est digne d'intérêt, ne fut-ce qu'en raison de son impor-tance pronostique.

Un coma profond quelquefois, mais rarement précédé d'un délire, une accélération très grande du pouls, les pupilles con-

1. Lu thèse récente du Dr Magnin renferme la substance de ces leçons. (De quelques accidents de la lithiase biliaire. Paris, 1869).

Œaiicot. OEuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 21

tractées, parfois des convultions toniques ou cloniques, le développement rapide d'eschares au siège, tels sont les phé-nomènes qui accompagnent habituellement l'élévation en question de la température centrale. Celle-ci atteint prompte-ment 41, 42 degrés, quelquefois plus; elle peut augmenter encore dans les instants qui suivent la mort.

11 y a lieu de se demander si, dans les cas de ce genre, il faut invoquer le mécanisme ordinaire de la fièvre pour expli-quer la production de ces hautes températures. Wunderlich dit d'une manière un peu vague d'ailleurs, qu'alors « les pro-duits de métamorphose des tissus ne se montrent pas en excès dans l'urine. » Dans deux cas de tétanos observés chez le cheval, M. Senator dit n'avoir trouvé dans l'urine, qu'une proportion faible d'urée (IX

Ce que l'on peut dire c'est que, dans tous les cas, le système nerveux est profondément affecté. Ce sont les maladies telles que le tétanos (traumatique ou non traumatique), l'épilepsie dite essentielle qui offrent le type de ces élévations terminales de la température.

Ces deux maladies s'accompagnent de convulsions toniques et c'est en général à la suite d'accès répétés qu'a lieu l'éléva-tion fatale de la température ; mais néanmoins on ne peut in-voquer comme cause de cet accroissement considérable de la chaleur, la contraction musculaire, car dans les cas ordinai-res, qu'il s'agisse du tétanos ou de l'épilepsie, les convulsions les plus intenses ne produisent qu'une élévation relativement peu prononcée de la température. (A. Monti, Bcitrage, zur termometrie des Tetaniis. Gentralblcttt, 1869, n° 44.) Rare-ment le chiffre thermométrique atteint alors 39 degrés.

1. Tout récemment, dans un cas de tétanos avec élévation de la température centrale, observé chez l'homme et terminé par la mort, M. Senator a trouve l'excrétion d'urée au-dessous du taux normal. (Virchow's Archiv, octobre 1869).

D'autre part, dans les cas où l'on note cette grande élévation terminale, les convulsions ont parfois cessé depuis longtemps et ont fait place à un coma plus ou moins profond. On a aussi cité quelques cas à'hystérie ou tout au moins affections hy'Steriformes avec ou sans convulsions, qui se sont terminés par la mort, et dans lesquels on a constaté cette élévation fi-nale delà température. Un fait général, c'est que dans aucun des cas dont il s'agit, on ne trouve ni dans les centres ner-veux, ni dans leurs viscères, une altération matérielle récente capable de rendre compte des accidents terminaux et de l'élé-vation de la température.

Vous savez que dans la paralysie générale des aliénés, elles se montrent tantôt apoplectiformes, accompagnées de paraly-sies plus ou moins durables, tantôt épileptiformes et suivies de coma.

Les recherches deM. Westphal ont montré que la tempéra-ture, un quart d'heure ou une heure après ces attaques, s'é-lève jusqu'à 39 degrés environ qu'il y ait eu ou non des convulsions. Elle s'abaisse rapidement si le cas est favorable, mais si la mort doit s'en suivre, elle persiste, et même va en augmentant. A l'autopsie, vous ne trouvez pas dans ces cas d'autres lésions que celles de la périencéphalite diffuse. Dans quelques cas cependant, on a constaté l'existence d'indurations pulmonaires de formation récente, mais, dans le plus grand nombre, rien n'est venu expliquer les accidents de la fin.

Je n'aurais pas, messieurs, rappelé ces faits qui appartien-nent à la pathologie mentale, s'ils ne trouvaient leurs analo-gues dans les affections qui sont plus particulièrement du res-sort de la pathologie sénile.

Nous avons, en effet, dans nos salles un grand nombre de malades atteintes depuis un temps plus ou moins long d'hémi-plégie consécutive à l'hémorragie, ou au ramollissement du cerveau. Or, il n'est pas rare chez elles, devoir s'établir une

affection marquée par des accès tantôt apoplectiformes, tantôt épileptif ormes, à retours plus ou moins fréquents. 11 existe la plus grande analogie, quant à la forme et aux conséquences, entre ces accès et les accidents correspondants de la paraly-sie des aliénés. La mort peut survenir dans ses attaques ou à leur suite comme dans la périencéphalite diffuse et, toujours en pareil cas, on observe une élévation rapide et très accusée de la température centrale. Or, quelque attention qu'on ap-porte à l'autopsie , il est impossible de découvrir, soit dans les centres nerveux, soit dans les viscères, quelque lésion ré-cente de nature à expliquer les symptômes graves qui ont amené la mort. On ne trouve que les lésions anciennes (foyers d'hémorragie ou de ramollissement) qui tenaient l'hé-miplégie sous leur dépendance et les dégénérations secon-daires du mésocéphale et de la moellequi sontla conséquence des altérations des hémisphères. Je crois utile de vous pré-senter, à titre d'exemples, deux tableaux relatifs à des cas de ce genre.

Le premier se rapporte à une femme âgée de trente-deux ans, affectée d'une hémiplégie incomplète du côté droit, da-tant de l'enfance, avec atrophie et raccourcissement des mem-bres paralysés ainsi que cela se voit généralement en pareil cas.

Elle était sujette à des accès épileptiques. Après un accès plus intense que d'habitude elle est amenée à l'infirmerie. La température rectale est de 38 degrés le jour de son en-trée. Les accès deviennent subintinants, ils se répètent environ une centaine de fois par jour. Ils sont séparés par un coma de plus en plus profond, des escharres se forment ra-pidement aux fesses et la malade meurt le sixième jour. La température centrale a augmenté chaque jour pour arriver à 42 degrés 2/5, le jour de la mort. A l'autopsie, il existait du

côté gauche de l'encéphale une dépression considérable, une plaque jaune étendue et une atrophie de tout l'hémisphère de ce côté. Il n'existait aucune lésion récente ni dans les centres nerveux, ni dans les viscères, (i) (pg. M).

Fl:,. 2i.

Le second cas est celui d'une femme de soixante et un ans, atteinte d'hémiplégie droite consécutive à une hémorrhagie cérébrale datant de deux ans.

Cette femme avait déjà eu plusieurs attaques épilepfiformes, en général assez légères. Un jour, survint-un accès épilep-tiforme intense et prolongé, suivi d'un état apoplectiforme ; deux heures après le début la température était de 38°, 8; cinq

1. L'observation de cette maladie a été recueillie et publiée par nous dans la Revue phot. des hôpitaux, 1869, p. 15.3, et communiquée à la Société anat, en mars 1869 (Bulletin de la Société anal., p. 152) (B.)

heures plus tard elle s'élevait à 40 degrés. Le lendemain, malgré la cessation des convulsions, la température était de 41 degrés et le surlendemain, jour de la mort, elle atteignait 42°, 5. A l'autopsie, on trouve deux foyers ochreux l'un dans le corps strié, l'autre dans l'épaisseur d'une circonvolution, Mais il n'existait aucune lésioifrécente capable d'expliquer ces accidents (Fig. 25).

Fig. 25.

Tout à l'heure, je ferai ressortir l'utilité clinique de la ther-mométrie dans les faits de ce genre ; je vous montrerai que les résultats qu'elle donne peuvent fournir des indications pré-cieuses, non seulement pour le pronostic, mais encore pour le diagnostic Mais je n'ai pas terminé l'énumération des affec-tions des centres nerveux où se rencontrent les hautes tem-pératures ultimes je passe aux affections où existent des

lésions récentes, en commençant par les lésions traumatiques.

Depuis un fait célèbre de Brodie qui, dans un cas d'écrase-ment de la moelle cervicale produit par une luxation des cin-quième et sixième vertèbres, observa une température de 43°, 7, on a publié (tout récemment encore Fischer, Naunyn et Quincke) un assez grand nombre d'observations analogues. Dans une leçon faite en Angleterre il y a quelques années, M. Brown-Séquard avait déjà réuni quelques-uns de ces faits, et leur analyse l'avait conduit à cette conclusion importante que l'élévation de la température suppose une grave lésion médullaire, tandis que si la moelle est simplement irritée c'est un refroidissement qu'on observe. Dernièrement, le Dr Fischer a fait la même distinction.

Il ne s'agit pas seulement, d'ailleurs, des lésions de la moelle. Billroth a vu à la suite d'une fissure du crâne, sans plaie extérieure, la mort survenir rapidement : la température centrale s'était élevée à 40°, 9.

Nous retrouvons ce même caractère dans les lésions graves non traumatiques de l'encéphale, déterminées par l'hémorra-gie ou le ramollissement. J'ai démontré par des observations répétées, qu'en règle générale, la mort est précédée dans ces cas, comme dans les précédents, par une brusque élévation de la température, pouvant atteindre jusqu'à 40 et 41 degrés. L'observation thermométrique contribue ici à établir le pro-nostic, car dans la règle, la température ne dépasse pas ou ne dépasse que peu le niveau normal dans l'apoplexie liée à l'hémorragie ou au ramollissement du cerveau, de date récente, quand il n'y a pas de complication phlegmasique ; de telle sorte qu'une élévation brusque de la température est, en pareil cas, un indice du plus fâcheux augure (Mémoires de la Société de Biologie, 4e série 1867, t. IV, p. 92). Je n'ai jus-qu'à présent rencontré qu'un fort petit nombre d'exceptions à cette règle.

• Ainsi que je l'ai fait pressentir, il existe un caractère ther-mique à l'aide duquel l'apoplexie avec ou sans convulsions résultant d'une lésion récente (hémorragie ou ramollisse-ment) peut être distinguée de ces attaques apoplectiformes ou épileptiformes qui surviennent quelquefois dans les cas d'hé-miplégie de date ancienne. Dans le dernier cas, en effet, la température s'élève toujours plus ou moins dès les premières heures tandis que dans l'apoplexie vraie, liée au ramollisse-ment ou à l'hémorragie cérébrale de formation récente, il y a au début un abaissement à peu près constant de la température au-dessous du taux normal (Fig. 26).

Fi/. 26. — Courbe de la température du rectum dans un cas d'hémorragie cérébelleuse terminée par la mort cinq jours après le début.

Quelle est la raison physiologique des phénomènes que nous venons d'exposer? Wunderlich et Erb qui, les premiers

ont appelé l'attention sur ce sujet, ont admis pour les besoins de la cause, que certaines parties du système nerveux ont, à l'état normal une influence modératrice sur les foyers de calo-rification. Or, si ces centres modérateurs supposés viennent à être profondément lésés, il en résultera que les actes chimi-ques qui produisent la chaleur s'effectueront d'une manière désordonnée, et conséquemment, il se manifestera une brus-que et parfois énorme élévation de la température.

Mais où siègent ces centres modérateurs ou régulateurs? Les expériences récentes de Tscheschichin sembleraient ré-pondre à cette question (Deutch. Archiv., 1866, p. 398). Voici en quoi elles consistent : si l'on coupe en travers la moelle à différentes hauteurs, les membres deviennent plus chauds par suite de la paralysie vaso-motrice consécutive ; mais en même temps il y a refroidissement des parties centrales, tenant en partie à la déperdition du calorique, en partie à la faiblesse cardiaque résultant de l'accumulation du sang à la périphérie. Mais si la section faite avec précaution porte sur le point d'union de la protubérance et de la moelle allongée, presque aussitôt après la température centrale s'élève brusquement et atteint, au bout de deux ou trois heures, un degré très élevé. En même temps, le pouls et la respiration s'accélèrent. De ces résultats, l'expérimentateur a conclu qu'il existe dans l'encé-phale, au-dessus du point indiqué, des centres modérateurs dont la paralysie détermine une production exagérée et désor-donnée de chaleur. Il serait à désirer que ces expériences fussent répétées. Si les résultats annoncés recevaient une con-firmation, ils pourraient être utilement rapprochés des faits cliniques.

TROISIÈME LEÇON

De l'importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards

Sommaire. — Abaissement do la température centrale dans certaines affections des vieillards. — Choléra indien. — Inanition et marasme syinptomatique du cancer. — Aliénation mentale avec dépression. — Algidilé centrale de cause médicamenteuse : sulfate de quinine, digitale, alcool, etc. — Action des substances putrides. — Septicémie avec fièvre. — Septicémie avec algidité centrale.

Action de la bile. — Abaissement de la température dans certaines affec-tions du cœur (rupture du cœur, asystolie, pericardite et endocardite aiguë, etc., etc. ); — dans la péritonite ; — dans les commotions du système ner-veux ; — dans l'attaque apoplectique, etc.

Collapsus : ses caractères en général. — Défervescence de la pneumonie lobaire avec collapsus. — Des pneumonies algides. — Du collapsus dans les maladies pestilentielles.

Messieurs,

Je ne me suis occupé jusqu'ici que de quelques états patho-logiques dans lesquels la chaleur s'élève au-dessus du taux normal, mais il n'est pas rare, surtout chez les vieillards, d'observer dans le cours de certaines affections le phénomène-inverse, c'est-à-dire un abaissement réel de la température des parties centrales. C'est sur ce point que je désire appeler au-jourd'hui votre attention.

S'il existe des maladies dont l'état fébrile constitue un ca-ractère constant, obligatoire, il n'en est pas qui produisent

nécessairement pendant toute la durée de leur cours un abais-sement de la température au-dessous du chiffre normal (1) ; de telle sorte que Valgidité centrale (c'est ainsi que nous désignerons l'état qui nous occupe), ne figure en général dans l'histoire des maladies, qu'à titre de phénomène épisodique, d'accident le plus souvent transitoire. Ajoutons qu'une signi-fication des plus graves s'y attache fréquemment.

Peut-être plusieurs d'entre vous, songeant à l'un des symp-tômes les plus saillants du choléra asiatique, à ce refroidisse-ment cadavérique des extrémités trouvent-ils bien absolue la proposition que je viens d'émettre. Mais la thermométrie ne s'arrête pas aux phénomènes extérieurs. Or, que nous apprend-elle dans le choléra indien? Dans le stade algide, la tempéra-ture des extrémités s'abaisse, il est vrai, d'une manière remarquable au-dessous du taux habituel, moins toutefois que pourrait le faire croire la sensation éprouvée par la main de l'observateur. Aux mains, aux pieds, même dans les cas les plus intenses, le thermomètre accuse le chiffre de 35, 31, 29n. Mais pendant ce temps, contrairement à toutes les prévisions, et contrairement aussi aux renseignements fournis par la ther-mométrie axillaire, la température centrale ne varie pas en général. C'est là un fait dont j'ai commencé la démonstration lors de l'épidémie de 1866 (2), et qu'ont plus tard confirmé d'une manière éclatante les recherches entreprises sur une grande échelle en Allemagne, par M. Guterbock, en France, par mon collègue M. Lorain. Sur 74 cas, recueillis par ce der-

1. Depuis l'époque où cette leçon a été faite, nous avons publié plusieurs mémoires qui montrent que, dans Yurémie, la température centrale présente un abaissement régulier de la température. Voir aussi un exemple d'hypo-thermie par suite de pendaison. {Progrès mêd., 1887, t. VI, p. 214.). (13.).

2. Note sur la température du rectum dans le choléra asiatique. (Compte rendu des séances et mémoi. de la Soc. de Biologie, t. XVII, 1865, p. 197.) Cette note a été reproduite à la page 159 du tome vm des Œuvres complètes de M. Gharcot. (B.)

nier auteur, quatre fois la température du rectum est descen-due à 35°, une fois seulement à 34°. Elle est montée dans 5 cas jusqu'à 40°. Et dans tous les autres cas elle a oscillé entre 37 et 38 degrés. Ainsi dans le choléra lui-même, jusqu'ici con-sidéré comme le type des maladies algides, le refroidissement est tout extérieur, il n'atteint pas les parties centrales du corps.

Il y a d'ailleurs un bon nombre d'état pathologiques en dehors du choléra dans lesquels on observe,à des degrés divers, ce désaccord entre la température des parties extérieures et celles des parties profondes. Dans certains cas d'agonie par exemple, il n'est pas rare de trouver le chiffre thermométrique élevé dans le rectum jusqu'aux limites hyperpyrétiques, alors que les extrémités sont froides. Et remarquons que le phéno-mène inverse ne se produit jamais. L'augmentation de cha-leur des parties externes ne va pas jusqu'à dépasser le cbiffre de la température centrale, si ce n'est peut-être dans un cas, celui d'une inflammation locale. John Simon avait conclu de ses expériences qu'une partie enflammée est un foyer où la température peut s'élever de quelques dixièmes de degré au-dessus de la température centrale. Les expériences récentes de Weber sont venues en effet confirmer ce résultat.

Lorsqu'il s'agit, non plus d'une inflammation, mais bien d'une simple hypérémie neuroparalytique, comme cela se voit dans certaines paralysies, ou encore dans le cours de certains états fébriles, dans la pneumonie par exemple, toujours le chiffre de la température des parties hypérémiées reste au-dessous du chiffre représentant la chaleur des parties pro-fondes.

1.

Mais revenons à Yalgidité centrale. Je vous ai déjà dit qu'elle se montre très rarement d'une manière durable dans

le cours d'une maladie. Les quelques exemples de ce genre qu'on pourrait citer sont relatifs à des maladies chroniques. Au premier rang, on doit placer les affections cancéreuses, mais seulement dans certaines conditions. Lorsqu'il y a par exemple amaigrissement, consomption, inanition allant jus-qu'au marasme. Aussi est-ce surtout dans les cancers gastri-ques et hépatiques qu'on observe cette algidité centrale. En dehors de ces circonstances, dans les formes les plus diverses, la température reste au taux normal, ou môme il y a une légère élévation du chiffre thermique. C'est un fait dont nous nous sommes assurés, cette année, par l'observation d'un nombre assez considérable de femmes atteintes de cancer du sein, de l'utérus ou de la face.

Ces mêmes conditions d'inanition et de marasme peuvent se retrouver dans des maladies autres que le cancer; à ce pro-pos on cite l'anémie profonde, le diabète et la phthisie dans certains cas. La température peut rester abaissée, pendant une période de temps souvent longue, à 36 degrés ou au-dessous, ce qui n'exclut pas, par moments, et surtout vers le soir une élévation relative de la température de 1 degré ou plus, la-quelle se traduit parfois par un frisson. Dans ces circons-tances, le poids du corps diminue progressivement et rapide-ment, bien que la température continue à s'abaisser jusqu'à la mort (Zehrfieber, 0. Weber).

C'est sans doute aussi par suite de l'inanition qu'un abais-sement plus ou moins durable de la température a été ob-servé (Wolff) assez fréquemment dans la folie subaiguë ou chronique, avec symptômes de dépression, principalement dans la mélancolie avec stupeur. Mais l'interprétation que nous proposons ne saurait s'appliquer à tous les cas de ce genre. Tout récemment, en effet, le docteur Lœwenhardt (de Sachsenber) a rapporté deux faits d'aliénation, dans lesquels on a observé au rectum les températures presque incroyables

de 31, 32, 32°, S, persistant pendant plusieurs semaines, sans que la nutrition parût souffrir notablement. L'un de ces malades était agité, l'autre erotique, et tous deux s'alimen-taient suffisamment (1).

11.

C'est surtout à titre d'incident survenant dans le cours des maladies aiguës, que l'algïdité centrale est intéressante à étudier.

Et d'abord, recherchons les conditions principales qui déterminent, en pareil cas, cet abaissement de la tempéra-ture.

Un grand nombre de substances, employées à titre de mé-dicaments, ont pour effet d'amener une dépression plus ou moins profonde de la température centrale. C'est surtout lorsqu'ils sont pris à des doses élevées, se rapprochant des doses toxiques, et principalement aussi lorsqu'ils sont admi-nistrés dans le cours de l'état fébrile, que l'action de ces médicaments se montre dans toute son énergie. Ainsi agissent la digitale, le sulfate de quinine, le calomel et même l'alcool.

Mais lorsqu'ils sont administrés dans les conditions physio-logiques, ils doivent être portés à des doses relativement énormes, pour produire un abaissement de quelques dixièmes de degré. C'est, par exemple, ce qui a lieu pour l'alcool (2).

Lorsque ces mêmes substances sont prises à des doses toxi-ques, elles déterminent pour la plupart un abaissement consi-dérable de la température qui, peut-être, contribue pour une

1. Allgemeine Zeilschrift für Psychiatrie. Berlin, 1868, 25, Bd, p. 685.

2. Sidney Ringer. — The Influence of Alcohol, etc. (Lancet, 1866, 25, Au-gust, p. 208.) — L. G. Gell and Sidney Ringer. The Influence of Quinine on tke Température of human Body in Health (The Lancet, 31 octobre 1868).

bonne part, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, à dé-terminer la mort. Parmi les substances qui produisent ce résultat, nous citerons le chloroforme et l'éther, l'alcool, l'opium, la belladone et la nicotine, le phosphore et la plu-part des acides, les acides sulfurique, oxalique, cyanhydri-que, etc. (1).

Il est intéressant de remarquer que si nombre de médica-ments et de poisons ont le pouvoir d'abaisser la température centrale, un nombre très limité d'agents, au contraire, a le pouvoir inverse.

À peine pouvons-nous citer trois ou quatre substances, pos-sédant la propriété d'exalter la chaleur animale. Tels sont : le café noir et fort, le thé (Lichtenfels et Frolich), mais à un moindre degré, le musc (Wunderlich), et enfin le curare qui, suivant les recherches de MM. Voisin et Liouville, produit un véritable état fébrile dans lequel la température centrale peut s'élever jusqu'à 40 degrés.

Nous placerons ici l'étude des variations de température produites par l'action sur l'organisme des poisons morbides, des substances animales ou végétales en voie de putréfaction. La plupart des substances putrides introduites dans le sang, dans l'expérimentation physiologique, ont pour effet d'élever la température centrale, et de produire un véritable état fébrile avec frisson, accélération du pouls, perte de poids du corps, etc. Les expériences maintes et maintes fois répétées dans ces temps par Billroth, Weber, Fischer, Bergmann, et tant d'autres, ont donné à peu près toujours les mêmes résul-

1. Brown-Scquard. Société de biologie, l. I, p. 182, 1819. — H. Wyss. Cas d'empois orme ment par l'acide sulfurique (Arc/do. der Heilkunde, 2e Ileft., 1869). — Magnan. Cas d'empoisonnement par l'alcool (Gazette des Hôpitaux, 1869, n° 82). — [A ces cas, nous ajouterons, ceux que nous avons commu-niqués à la, Société de biologie : Abaissement delà température centrale par

froid extérieur (1871, p. 1) ;

tais; et l'on détermine la fièvre non seulement par l'injection de substances putrides, mais encore par celle des produits de la métamorphose des tissus recueillis, par exemple, dans une plaie emflammée, alors môme qu'il n'existe aucune trace de putréfaction.

D'après les recherches modernes, vous le savez, la fièvre traumatique se produirait d'une manière analogue. Les liqui-des déversés à la surface des plaies et chargés des produits formés par la destruction des tissus, pénétreraient par diffu-sion, à travers les parois des lymphatiques et des veines, et se mêleraient au sang. C'est ainsi qu'ils développeraient l'état fébrile, en raison de ce pouvoir pyrogène, dont l'expérimen-tation démontrait tout-à-l'heure l'existence.

L'expérimentation a également démontré qu'injecté dans les veines d'un animal sain, le sang provenant d'un animal fébricitant détermine la fièvre. Et il n'est pas jusqu'à une émission sanguine un peu forte qui, chez un individu sain, après avoir eu pour effet d'abaisser la température pendant un court espace de temps,, ne produisent consécutivement un véritable état fébrile. Par suite de la diminution de tension survenue dans le système vasculaire, en conséquence de la spoliation, les produits de la métamorphose normale des tissus pénètrent tout à coup en grande abondance dans la circula-tion, et agissent à la manière des substances pyrogènes. Telle est, du moins, l'interprétation donnée par MM. Bergmann et Frese auteurs de ces expériences. (Centralblatt, 1869, n° 2).

Il paraît donc établi que la plupart des substances septiques, contenues dans les liquides pathologiques, ont pour effet de déterminer la fièvre. Mais il est également vrai qu'un certain nombre de substances du même genre, ont sur l'organisme une action radicalement inverse.

Ainsi, par exemple, dans les expériences de Weber et de Billroth, l'injection de substances animales putréfiées, d'eau

putride, a plusieurs fois déterminé une diminution très nota-ble du taux de la température, suivie ordinairement peu après d'un état fébrile plus ou moins intense, mais persistant; d'au-tres fois, au contraire, s'aggravant môme progressivement jusqu'à la mort, laquelle, dans ce dernier cas, survient en général rapidement.

Il est difficile de prévoir, à coup sûr, quelle substance putride injectée dans le sang produira la fièvre, quelle autre, au contraire, déterminera l'algidité centrale, car sous ce nom de matières putrides ou septiques, on comprend des sub-stances dont la constitution chimique est des plus variées. Il est au moins très vraisemblable qu'une môme substance, qui, prise à un moment donné de la fermentation putride, aura produit la fièvre, pourra, si on l'emploie à une époque plus avancée du travail de décomposition, déterminer l'effet in-verse, le refroidissement. Les principes dont la chimie peut déterminer la présence dans les matières en putréfaction varient, en effet, suivant la nature des matières qui leur ont donné naissance, et suivant les différentes phases de la fer-mentation putride. Or, parmi ces principes, il en est un cer-tain nombre qui, injectés isolément dans le sang, ont pour effet d'abaisser la température du corps. Telles sont, d'après les expériences concordantes de Billroth, de Weber et de Bergmann : le carbonate d'ammoniaque, l'acide butyrique, l'acide suif hydrique et le sulfhydrate d'ammoniaque. Si donc ces agents viennent à prédominer dans un liquide sur les sub-stances pyrogènes, on comprend aisément quel sera l'effet produit sur l'organisme par l'injection ou l'absorption d'un tel liquide.

Ces données empruntées à la pathologie expérimentale, nous donnent, croyons-nous, la clef d'un certain nombre de faits, en apparence contradictoires, observés dans la pathologie de l'homme.

Ciiarcot. Œuv. compl. x. vu. Malad. des Vieillards. 22

11 est, en effet, des septicémies avec fièvre, d'autres avec algidité centrale. Parfois même ces deux états, en appa-rence opposés, peuvent se succéder chez un même individu, sans que les conditions primordiales aient été en apparence modifiées.

Nous pourrions citer, à ce propos, ce qui s'observe dans les cas de gangrène traumatique ou spontanée, s'étendant aune grande partie d'un membre. 11 est avéré, vous le savez, qu'alors même que la circulation du sang s'est complètement arrêtée dans un membre frappé de gangrène, et que des caillots se sont formés à la fois dans les artères et dans les veines, les parties sphacélées peuvent être une source d'in-fection. C'est ce que la clinique avait reconnu déjà ; mais l'expérience de Kussmaul a mis le fait dans tout son jour. Sous la peau d'un membre ainsi séparé, au moins en appa-rence, du reste de l'organisme, il a injecté une certaine quan-tité d'iodure de potassium, et quatre heures après, il retrou-vait les traces d'iodure dans les urines. On ne saLirait douter, d'après cela, que les substances putrides des parties sphacé-lées ne puissent, elles aussi, pénétrer dans le torrent circula-toire. Les phénomènes d'infection qu'elles déterminent alors, se révèlent tantôt par une fièvre intense, tantôt, au con-traire, par l'algidité centrale. Nous observons fréquemment cette succession de phénomènes dans les cas de gangrène spontanée qui se produisent dans cet hospice, et qui résultent, en général, de l'oblitération athéromateuse ou par thrombose des troncs artériels principaux d'un membre. Si, en pareil cas, le malade résiste à l'infection pendant quelques jours, et, si surtout la gangrène revêt la forme humide, on peut voir la température centrale s'abaisser progressivement jus-qu'à 35, 36 degrés; dans un cas même, nous l'avons vu descendre jusqu'à 34° 5. La mort survient en pareil cas, au

milieu des symptômes d'un collapsus profond : algidité exté-rieure, sueurs froides, pouls presque insensible, etc.

Comment agissent les substances en question pour déter-miner si rapidement un abaissement aussi considérable de la température centrale ? On suppose qu'elles ont pour effet de détruire un très grand nombre de globules sanguins ou tout au moins d'annihiler tout à coup leur pouvoir respiratoire. 11 se produirait en pareil cas, suivant l'expression de Williams, une nécrémie, ou mort du sang. Quoique conservant leur caractère physique les globules ainsi altérés auraient perdu leurs propriétés chimiques.

Dans les cas où cette altération des globules se serait généralisée, il s'en suivrait un abaissement rapide de la tem-pérature.

Mais il est très vraisemblable qu'indépendamment de cette action, certaines substances affectent le cœur en paralysant ses mouvements. C'est ce qui arrive pour la bile. Chaque fois qu'elle pénètre dans le sang en certaine quantité, elle détermine à la fois un arrêt du cœur et un abaissement de la température centrale (Leyden, Rôhrig). L'expérimentation a même fait connaître, dans ces derniers temps, quels sont parmi les constituants si nombreux du liquide biliaire ceux qui, à l'exclusion des autres, déterminent le ralentissement des mouvements du cœur et l'algidité centrale.

On sait que, contrairement à l'opinion ancienne, la bile tout entière ou tout au moins les principes fondamentaux passent dans le sang dans l'ictère simple, tel qu'il est déter-miné par l'occlusion du canal cholédoque. Or, dans cet ictère spontané, comme dans l'ictère expérimental, on retrouve dans le sang et dans l'urine, ces éléments fondamentaux de la bile. Dans les deux cas. d'ailleurs, le ralentissement du pouls et l'abaissement de la température centrale peuvent s'observer.

Rôhrig [Archiv dcr Heilkimde, 1863) a fait connaître que

ces effets sont dus à la présence des acides biliaires : injectés seuls dans le torrent circulatoire, ils amènent ce résultat. Au contraire, rien de semblable n'est produit par la Cholesterine, les matières colorantes ou les matières grasses. Par cela seul qu'ils ralentissent et affaiblissent les battements du cœur, la présence des acides biliaires dans le sang pourra produire un abaissement de température. Mais Van Dusch et Kuhne (Virch. Arch.,Xl\) ont démontré qu'ils ont aussi la propriété de détruire les globules du sang, et ce dernier effet contribue sans doute pour une bonne part à produire la dépression du chiffre thermométrique.

III.

Après ce que je viens de vous dire relativement au méca-nisme de l'abaissement de la température sous l'influence de l'introduction des matières septiques dans le sang, vous ne vous étonnerez pas de retrouver ce même caractère dans cer-taines affections organiques ou fonctionnelles du cœur. 11 est de fait que la plupart des affections qui amoindrissent l'action du cœur tendent à produire un abaissement de la tempéra-ture centrale. On comprend facilement qu'un allanguissement de la circulation porté à un haut degré soit une circonstance très défavorable à l'accomplissement des actes chimiques qui entretiennent la chaleur du corps. On sait du reste que, lorsque l'affaiblissement cardiaque est poussé jusqu'aux der-nières limites, comme dans la syncope, le sang traverse les capillaires sans s'y modifier, et apparaît dans les veines avec la coloration rutilante du sang artériel. Or, dans les cas de ce genre, la température centrale s'abaisse, et elle s'abaisse même d'une manière très notable dans des circonstances où les choses sont poussées moins loin.

Parmi les affections du cœur lui-même s'accompagnant d'une diminution de la température centrale, je puis vous citer comme exemple un fait de rupture du cœur avec épanche-ment de sang dans le péricarde que nous avons observé en-semble dans cet hospice. Une vieille femme qui, un matin, dans son dortoir était tombée en syncope, fut amenée immé-diatement à l'infirmerie, où nous la trouvâmes plongée dans un état lipothymique, lequel persista à peu près toute la jour-née. Une seconde syncope survint vers le soir, et la mort eut lieu tout-à-coup. Pendant cette longue période lipothymique intermédiaire aux deux syncopes, les battements du cœur étaient faibles, fréquents, irréguliers, le pouls presque insen-sible, et la température rectale était de 36 degrés.

Vous n'ignorez pas que, dans les cas ftasystolie liés à une affection organique du cœur, il se produit de temps à autre des accès caractérisés par la faiblesse et l'irrégularité de l'impul-sion cardiaque, la cyanose, et l'algidité extérieure. Nous avons vu plusieurs fois, pendant ces accès, la température centrale s'abaisser à 3o, 36 degrés, et l'accès passé se relever bientôt jusqu'au taux normal. Dans le péricardite, dans Y endocardite aiguës, ainsi que nous l'avions annoncé dans nos premières études (1), on observe aussi quelquefois un abaissement nota-ble de la température centrale, il en est de même dans la péritonite. Les observations de M. Wunderlich ont confirmé pleinement les résultats que nous avions obtenus à cette époque.

Il pourra paraître singulier, au premier abord, de voir des phlegmasies qui occupent parfois une très large surface, toute l'étendue d'une grande membrane séreuse, déterminer un abaissement de la température centrale. Rien n'est plus réel cependant. Ainsi, une péricardite se surajoute à une pneu-

t De l'état fébrile dm les vieillards (Voir p. 18),

monie lobaire; on pourra croire que de cette combinaison devra résulter une ascension hyperpyrétique de la courbe ; il n'en est rien cependant. Ou bien la courbe restera station-naire, ou, le plus souvent, si j'en juge d'après des observa-tions plusieurs fois renouvelées, elle subira une dépression insolite. La production d'une telle dépression dans le cours d'une pneumonie jusque là régulière nous a plusieurs fois conduit à examiner le cœur avec soin et à reconnaître l'existence d'une péricardite qui sans cela nous eût complète-ment échappé. La pleurésie diaphragmatique, le pneumo-thorax par perforation, la péritonite traumatique, celle qui résulte de la perforation, l'étranglement interne, dé-terminent ainsi en général, du moins momentanément, l'abaissement de la température centrale. A la vérité, ce n'est pas là un résultat constant, mais c'est un résultat assez habi-tuel. Ajoutons qu'en pareil cas, l'algidité centrale peut par-fois persister ou progresser jusqu'à la mort, tandis que d'au-tres fois, elle fait place bientôt à une élévation excessive de la température.

Quoi qu'il en soit, on ne s'étonnera plus de voir l'irritation plus ou moins violente des grandes séreuses, et en particulier du péritoine, déterminer de tels effets si l'on se porte aux ré-sultats de l'expérimentation. On savait déjà qu'un coup porté sur la région épigastrique, que l'ingestion d'une boisson froide (1), le corps étant en sueur, peuvent déterminer la mort subite, apparemment par le mécanisme de la syncope.

Or. M. Brown-Séquard a démontré que l'excitation des ganglions semi-lunaires a, en effet, pour conséquence de pro-duire une syncope. Suivant lui, l'excitation de ces glanglions se transmet au bulbe, par la moelle épinière, puis se réflé-

1. Voyez sur ce sujet l'intéressant mémoire de M. A. Guérard : Sur les accidents qui peuvent succéder à l'ingestion des boissons froides (Annales d'hygiène, t. XXXVII, Paris, 1842).

chit sur les nerfs pneumogastriques, qui, irrités à leur four, déterminent l'arrêt du cœur dans la diastole. Portée moins loin, cette excitation du grand sympathique pourra détermi-ner une diminution permanente de la force du cœur, et ainsi se produira une sorte d'état lipothymique plus ou moins durable, avec abaissement permanent de la température (1).

C'est sans doute par un procédé analogue que la plupart des grandes commotions du système nerveux se traduisent d'abord par un état lipothymique avec algidité centrale, suivi ou non de réaction.

Magendie a démontré par des expériences dont M. Cl. Ber-nard a donné le confirmation (Leçons, etc., 1, p. 267) que toute irritation vive des nerfs périphériques, telle que celle produite par exemple par l'écrasement d'un membre, a pour effet de déprimer la pression cardiaque ; les recherches de Mantegazza nous ont appris, qu'en pareil cas, il se produit un abaisse-ment de la température centrale (2).

A la suite de certaines lésions traumatiques de la moelle, M. Brown-Séquard a observé un collapsus profond, une sus-pension complète des actions réflexes, et le passage de sang-rouge dans les veines. En même temps, il y avait abaisse-ment de la température centrale. Le même mécanisme peut être invoqué pour expliquer l'état lipothymique, qui, suivant la remarque d'un bon nombre de cliniciens (Abercrombie, Portai, Watson, Grisolle), marque le début de l'attaque apo-plectique par hémorragie ou ramollissement, et qui, d'après mes observations, s'accompagne d'un abaissement réel de la température des parties profondes.

1. Voyez : Brown-Séquard. — Archives de médecine, 1856, t. II, pp. 400-484. Lectures on Physiology and Pathology, p. 159. — Bernstein. Hezstillstand. durch Sympathicus Reizung (Centraïblatt, 1868, n° 52 ; ibid., 1864, n» 16.) — Eulenburg und Guttmann. Patliol. des sympathicus. (Arclt. fur Psychiatrie. 1869, 1« heft. II Bd.)

2, Schmidfs Jahrb., 1867, I, 153.

Nous venons de passer en revue les principales circons-tances dans lesquelles se produit rabaissement de la tempéra-ture centrale. Or, en général, lorsque cette dépression ther-mique s'opère brusquement, elle se traduit, à l'extérieur, par un refroidissement de la surface du corps et par un cortège d'autres symptômes alarmants. L'ensemble de ces symptômes a été désigné sous le nom de collapsus, par MM. Thierfielder et Wunderlieh (1), auxquels on doit une remarquable étude-sur ce point de clinique parmi nous trop négligé (2). Mais le syndrome collapsus peut se produire aussi dans des cas où la température centrale reste normale, ou même s'élève au-des-sus du taux normal, et suivant que l'un ou l'autre de ces cas divers se présentent, le pronostic et les indications thérapeu-tiques se trouvent singulièrement modifiées. Tantôt, en effet, le collapsus est le présage à peu près certain d'une terminai-son fatale, tantôt il est l'indice d'une situation fort alarmante sans doute, mais que les ressources de l'art bien dirigées pour-ront peut-être mener à bonne fin. Tantôt enfin, le collapsus n'est que l'exagération de phénomènes qui s'observent pres-que toujours à un certain degré, lorsque certaines maladies fébriles se terminent par une défervescence rapide et de bon aloi.

Vous voyez immédiatement, par ce simple exposé, jusqu'à quel point l'étude du collapsus doit intéresser le clinicien, puisque toutes les fois que cet enchaînement de symptômes

1. Archiv fur Physiol. Heil/e., 14e Jahrg., 2 Heft, 15 juin.

2, Dans l'excellent article Chaleur du Nouveau diction, de médecine et de chirurgie pratiques (t. VI. 1867, p, 808.) M, flirtz a bien fait ressortir l'intérêt qui s'attache h l'élude fin collapsus,

s'offre à lui, il y a un problème à résoudre, un pronostic à établir, un ensemble particulier de moyens thérapeutiques à mettre en œuvre ; ajoutez que le temps presse, car les acci-dents du collapsus peuvent conduire rapidement à une issue fâcheuse.

Ce genre d'accidents s'observe très communément dans les cas les plus divers chez les vieillards et les individus affaiblis par des maladis antérieures ou par l'alcoolisme. Mais c'est surtout quand il survient dans le cours des maladies aiguës, fébriles, que le collapsus mérite de fixer l'attention : c'est dansées circonstances que nous voulons l'étudier avec vous, et chercher à en déterminer les principaux caractères.

Supposons qu'il s'agisse, par exemple, de lapneumonnie lo-baire et choisissons un cas bien accentué. Jusqu'au 6'' ou 7e jour tout s'est passé suivant les règles; la pneumonie est intense, mais son évolution s'est montrée régulière ; la tem-pérature est à 3!) ou 40° et les phénomènes extérieurs de l'état fébrile sont bien développés. Brusquement, dans l'espace de quelques heures, la scène change, la physionomie s'altère, les yeux sont excavés, les joues, le nez pâles et glacés. Les extrémités sont froides et cyanoses. Le corps est couvert de sueurs froides. 11 y a une grande prostration des forces, par-fois môme du délire. L'impulsion du cœur est faible et irrégu-lière, les bruits paraissent sourds et éloignés, ; le pouls est filiforme, tantôt accéléré, tantôt ralenti. La respiration ra-pide et profonde.

Quelle est, en pareil cas, la signification de cet appareil de symptômes si alarmants ?

Ici r examen de la température centrale va nous fournir des indications précieuses.

1° Si, dans le temps môme où les phénomènes extérieurs a algidité se produisent, la température centrale se maintient

à un taux élevé, ou môme s'élève jusqu'au niveau des tempé-ratures hyperpyrétiques, la mort est certaine. C'est déjà l'ago-nie qui commence. Bientôt le doute ne sera plus possible ; le pouls s'accélérera encore, et le râle laryngo-trachéal ne tar-dera pas à paraître.

2° Si au contraire, en môme temps que les symptômes du col lapsus se sont manifestées, la température centrale s'est abaissée notablement ou est descendue même jusqu'au taux normal ou au-dessous, la situation du médecin est plus diffi-cile car tantôt c'est encore la terminaison fatale qui se prépare et qui surviendra dans un court délai ; tantôt, au contraire, au bout de quelques heures, la convalescence va commencer, et un pronostic grave, porté inconsidérément, pourra recevoir ainsi le démenti le plus formel. Il faut ici prendre en consi-dération très sérieuse les indications fournies par les autres phénomènes qui accompagnent l'abaissement de la tempéra-ture centrale.

Si le collapsus n'est que l'exagération des symptômes ordi-naires d'une défervescence de bon aloi, en même temps que la température centrale s'abaisse, les mouvements de la respiration et les pulsations artérielles se ralentissent et se régularisent, le pronostic est favorable en pareil cas, alors même qu'il serait survenu quelque symptôme inquiétant, telle qu'un délire intense parexemple (1).

Si, au contraire, la température centrale s'abaissant, la fré-quence du pouls et des mouvements respiratoires persiste ou même s'accroît, la situation est des plus graves. Bientôt, quoi qu'on fasse, l'agonie va s'établir. Et, tandis que tout à l'heure nous avons été conduit à porter un pronostic favo-rable maigri' l'apparition d'un délire violent, ici nous devrons maintenir le pronostic grave, alors même que la dôferves-

1. Webor. — Mecl, chirurg. Transactions, t. XLVIII, 1865,

cence aurait prò (luit chez le malade, un sentiment de bien-être.

Tel a été le cas d'une femme de cinquante-quatre ans, af-faiblie par un carcinome utérin et atteinte de pneumonie lo-baire, que vous avez observée dans nos salles. Au moment où vers le 7e jour de la pneumonie, se produisait une déferves-cence rapide, cette femme a accusé un sentiment singulier de bien-être auquel plusieurs d'entre vous se sont laissé prendre et qui bientôt a fait place à l'agonie.

Je viens de vous entretenir du collapsus qui, dans la pneumonie lobaire se produit au moment de la déferves-cence, c'est là le cas le plus commun. Mais le même ensem-ble de symptômes peut se montrer à toutes les époques de la maladie. Dans la période d'état, l'apparition du collapsus résulte le plus souvent d'une complication, telle qu'une pé-ricardite, une diarrhée violente, ou bien encore, surtout chez les vieillards, il se montre sous l'influence de l'action trop accusée d'un médicament, telle que le tartre stibié, la digitale. Le pronostic à établir varie singulièrement en pareil cas. Il dépend surfout de l'influence des moyens mis en œuvre pour combattre la complication ou pour réparer les dom-mages causés par la médication intempestive.

Le collapsus peut encore se manifester dès le début de la pneumonie; en pareil cas, il est en général transitoire et fait place bientôt à une réaction plus ou moins accusée ; d'autres fois cependant, il persiste pendant tout le cours de la mala-die, qui alors se termine, toujours à peu près, d'une ma-nière fâcheuse.

Ces pneumonies alcjides sont assez rares, même parmi les sujets profondément débilités que nous rencontrons en si grand nombre dans cet hospice. Plusieurs d'entre vous ont pu cependant observer dans nos salles un remarquable exemple dece genre. La nommée L...;, âgée de soixante-et-

onze ans, atteinte d'une pneumonie lobaire, a présenté, dès le début et pendant la durée de la maladie, un ensemble de symptômes qui la faisaient ressembler à une cholérique. Les extrémités étaient froides et profondément cyanosées, la face livide, les yeux excavés, la voix éteinte. Il n'y avait pas de diarrhée. Les évacuations alvines étaient plutôt rares, les urines pâles, peu abondantes, renfermaient une proportion d'albumine. La température rectale a oscillé entre 38 et 38°, 4; jamais elle n'a atteint le chiffre de 39°. Le pouls faible, presque insensible, a varié entre 100 et 108 pulsations. A l'autopsie, les lobes inférieurs et moyens du poumon droit, dans toute leur étendue, présentaient les caractères les plus accusés de l'hépafisation granuleuse rouge et grise; ce pou-mon pesait environ 1.000 grammes de plus que le gauche. Les reins n'ont offert aucune altération appréciable.

Cette variété decollapsus constitue un des caractères de la forme sidérante de la plupart des maladies pestilentielles : ainsi on l'observe dans la fièvre jaune, la peste, le typhus (1); elle se rencontre aussi dans l'intoxication palustre (2). Je l'ai observée plusieurs fois dans la variole des vieillards, qui re-vêt fréquemment, comme on sait, le caractère hémorragique. Dans ces cas, à l'époque même où les pustules noirâtres ap-paraissent sur divers points du corps, les extrémités étaient froides, cyanosées, la prostration des forces portée à l'extrême, la température du rectum oscillait entre 36 et 37 degrés.

Je suis loin d'avoir épuisé le sujet que je me suis proposé de traiter devant vous; mais le temps presse et je craindrais

1. Gharcot, articles Typhus Fever, Peste, Fièvre jaune, dans le quatrième volume, des Eléments de pathologie médicale, de A. Requin. Paris, 1868. — Ces articles ont été reproduits dans le tome. IX des Œuvres complètes de M. Gharcot (B.).

2. Dans la fièvre pernicieuse algide, voir : Griesinger, Traité des maladies nfectieuses, p. Paris, 1868,

de fatiguer votre attention en multipliant les exemples ; d'ailleurs j'en ai dit assez, du moins je l'espère, pour vous faire sentir tout l'intérêt qui s'attache aux études thermomé-triques clans la clinique en général et dans celle des vieil-lards en particulier (1).

1. Ces leçons, recueillies par M. le Dr A. Jokkroy, ont paru dans la Gazette hebdomadaire en 1869. (21 mai, 19 nov., li dee-).

TROISIÈME PARTIE

Études pour servir à l'histoire de l'affection décrite sous les noms de goutte asthénique primitive, nodosités des jointures, rhumatisme articulaire chronique (forme primitive), etc.

ÉTUDES POUR SERVIR A L'HISTOIRE

de l'affection décrite sous les noms de

GOUTTE ASTHÉNIQUE PRIMITIVE

nodosités des jointures

rhumatisme articulaire chronique (forme primitive), etc.

(Thèse de doctorat, 1853].

L'hospice de la Salpêtriére n'est pas seulement un asile pour la vieillesse indigente; c'est encore, comme on le sait, un lieu de refuge pour des femmes de tout âge, atteintes d'infir-mités incurables. Un bon nombre de ces infirmités reconnais-sent pour cause diverses affections chroniques des jointures.

Placé comme élève interne dans cet hospice, nous avons cherché à profiter de la position spéciale où nous nous trou-vions, et nous avons recueilli un certain nombre d'observations cliniques et nécroscopiques, qui font la base de notre travail

Les femmes qui ont été l'objet de nos études présentent toujours un gonflement profond et, par suite, une déforma-tion plus ou moins prononcée des petites jointures des extré-mités supérieures. Ces petites articulations sont, en outre déviées de la manière la plus singulière, et ne peuvent, le plus souvent, remplir aucun usage. Plusieurs des grandes articulations sont généralement prises plus ou moins long-temps après les petites, et les membres, alors placés dans un état de demi-flexion permanente, sont gênés dans leurs

Charcot. Œuvr. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. a3

mouvements, ou même réduits à une immobilité complète. Tous ces accidents, dans la majorité des cas, se développent sans fièvre appréciable, mais ils s'accompagnent quelquefois de vives douleurs. Chronique dès son origine, la maladie qui les a produits n'a jamais succédé à une attaque de rhumatisme articulaire aigu; les antiphlogistiques, mis en usage pour les combattre, quelquefois dès le début, n'ont jamais paru entra-ver leur marche. Enfin l'autopsie ne nous a jamais fait cons-tater, dans les jointures ou à leur périphérie, l'existence de matière tophacée, mais elle nous a mis à même de reconnaître des lésions profondes, qui paraissent de nature inflammatoire.

La plupart des médecins modernes font rentrer les cas dont nous venons de donner une description succincte dans l'histoire du rhumatisme articulaire primilivement chronique (Chomel et Requin (1), Bouillaud). M. Piorry (2) les étudie dans le chapitre où il traite des arthrites chroniques, et des arthropathies indépendantes de Thémite. En Angleterre, on les a longtemps étudiés sous le nom de nodosités des join-tures; mais M. Adams (3) nous apprend que ce nom est devenu synonyme de chronic rheumatic arthritis.

Cependant, quelques auteurs ont pensé que ces cas méri-taient une place à part dans les cadres nosologiques. Ainsi, G. Musgrave (4) en a tracé une description sous le nom de Arthritis rhewnatismo supervenicm; Sauvages, dans sa Noso-logie, en a fait deux espèces, sous les titres de Hheumatis-mus arthritieus et de Arthritis rhewnatica ; Landré-Reauvais,

1. Ghomel. — Essai sur le rhumatisme ; thèse soutenue en 1813. — Chomel et Requin. Leçons de clinique médicale, t. II, 1837. — Bouillaud. Nosoyraphie médicale, t. I, art. Arthrite rhumatismale.

2. Piorry. — Traité de médecine pratique, t. III.

3. Adams.— Cyclopedia of Anatomy and Physiology. London, 1839.

4. G. Musgrave.— De Arthritide symptomolica. Genève, 1747.

qui les a étudiés à la Salpêtrière, propose d'admettre une nou-velle espèce de goutte, qu'il appelle goutte asthénique primi-tive^)', enfin J. Hayliartli l'ait évidemment allusion aux mêmes cas dans son Histoire clinique des nodosités des jointures (2).

Le début habituel dans les petites articulations qui sont bientôt profondément lésées, la tendance à la généralisation, l'intervention presque constante de la rétraction musculaire, et, par suite, la production plus ou moins rapide des dévia-tions des extrémités, ou même des membres, tous ces carac-tères ont imprimé à la maladie, dans les cas où nous l'a-vons observée, une physionomie particulière et un cachet de gravité qui n'autorisent pas, sans doute, la création d'une affection distincte, mais qui motivent, du moins, une descrip-tion spéciale. C'est cette description que nous allons entre-prendre, dans trois chapitres consacrés : le 1er à la symplomalo-logie, le 2'' à l'étiologie, le 3e à l'anatomie pathologique. Ce sont là, en effet, les seuls points sur lesquels nos éludes ont pu spécialement porter.

Symptômes.

La douleur, la tuméfaction, la rougeur des jointures, les déviations des extrémités ou des membres, sont les principaux symptômes présentés par les malades que nous étudions. Avant de montrer la manière dont ils s'enchaînent et la marche qu'ils suivent, nous allons les passer successivement en revue et chercher à indiquer leurs caractères les plus sail-lants.

1. Landré-Beauvais. — Doit-on admettra une nouvelle espèce de goutte sous la dénomination de goutte asthénique primitive ? Thèse inaugurale, an VIII, n» 18.

2. J. Haygarth. — A clinical liistorg of t/ie nodositg of the joints.

Douleur. La douleur peut siéger exclusivement dans les jointures; mais, assez souvent, elle occupe en même temps le corps des membres ; et alors, elle paraît résider soit dans les extrémités osseuses, soit dans les muscles, soit dans les troncs nexveux, ainsi que nous chercherons à le démontrer. La dou-leur articulaire est très variable dans son intensité ; au ni-veau des petites jointures, elle est souvent vive, superficielle, comparable à celle qu'excite une brûlure au premier degré, accompagnée de rougeur et de gonflement ; dans les grandes articulations, elle est habituellement sourde, profonde ; elle consiste alors en une sorte d'engourdissement, et s'accompa-gne de gonflement diffus sans rougeur.

Lorsque l'envahissement successif d'un grand nombre de jointures a rapidement produit l'infirmité, la douleur articu-laire a pu être incessante pendant plusieurs mois, plusieurs années, et disparaître ensuite presque complètement. Mais le plus ordinairement, elle persiste indéfiniment, tout en présen-tant des exacerbations et des rémissions, sous diverses in-fluences, et à des époques que nous aurons à déterminer ; elle n'est pas mobile, elle ne paraît pas sous forme d'accès vérita-bles et ne se transporte jamais rapidement d'une jointure à une autre.

Il est des cas où la douleur articulaire est à peine sensible, pendant tout le cours de la maladie, alors même que les dévia-tions des membres se prononcent avec une rapidité extrême ; c'est ce qu'on peut voir dans l'observation suivante :

Observation I. — Pas d'antécédents héréditaires ni d'habitation humide. — Emotion vive suivie de la suppression des règles, et deux mois plus tard, du début des manifestations articulaires (17 ans). — Apparition rapide des rétractions musculaires. — Ténotomie : Amélioration. — Réapparition des rétractions mus-

culaires. — Caractères des déformations. — Absence presque complète de douleurs articulaires.

La nommée Eulalie Rolin, âgée de trente-quatre ans, couturière (Salpêtrière, bâtiment Saint-Jacques, rez-de-chaussée). — Les parents de cette femme n'ont jamaiseu de douleurs articulaires ; elle n'a jamais habité d'endroit humide, et n'a jamais été expo-sée au froid. Elle a été réglée à l'âge de onze ans ; elle a tou-jours joui d'une bonne santé; elle est d'une forte constitution, plutôt sanguine que nerveuse ; elle n'a jamais eu d'attaques de nerfs. Elle avait dix-sept ans, et était dans ses règles, lorsqu'on vintlui annoncer que son père était mort subitement. A la suite de l'émotion que lui causa cette nouvelle, ses règles, qui jusque-là coulaient fort régulièrement, se supprimèrent tout à coup, et elles ne reparurent, par la suite, qu'à l'âge de vingt-deux ans. Deux mois après la suppression des règles, les articulations métacarpo-phalangiennes des deux mains, et presque en même temps celles des genoux, deviennent rouges et un peu gonflées, mais sans douleur notable et sans fièvre. Presque immédiate-ment, comme dit la malade, les nerfs se retirent, et la rétraction symétrique des deux extrémités supérieures, d'abord, puis quel-ques mois après, la flexion forcée des genoux, se manifestent égafement, sans douleurs véritables, mais avec un sentiment de crampes se propageant le long des membres. Au bout de deux ou trois mois, pendant lesquels aucun désordre n'a été remarqué dans l'accomplissement des fonctions des viscères, E. Rolin était réduite à l'état d'infirmité où nous la voyons. Elle n'avait jamais suivi aucun traitement, lorsque M. Maisonneuve, aux soins duquel elle fut confiée, en 1841, opéra la section des tendons des muscles postérieurs de la cuisse, et plaça ensuite les membres inférieurs dans un appareil. Trois mois après cette opération, les membres avaient pris à peu près leur lon-gueur normale, et la malade commençait à marcher ; mais bientôt la rétraction se manifesta de nouveau, aussi marquée qu® par le passé, Depuis ce temps, la malade, complètement

incapable de se mouvoir, est entrée à la Safpêtrière. Les épau-les sont libres, les coudes et les poignets sont incomplètement ankylosés, les bras sont demi-fléchis sur l'avant-bras ; les mains, qui sont dans une pronation complète, présentent l'attitude que nous désignerons sous le nom de 1er type. Les jambes sont fléchies à angle presque droit sur les cuisses ; les articulations des genoux presque complètement ankylosées; les articulations des hanches sont libres, tes articulations des cous-de-pied et des orteils sont complètement mobiles et n'ont jamais été atteintes. La malade ne peut marcher ; mais on la porte de son lit sur une chaise, où elle s'occupe toute la journée à travailler à l'aiguille, les deux pouces ayant conservé une mobilité suffi-sante pour le permettre. Elle jouit d'ailleurs, depuis qu'elle est infirme, d'une santé florissante, et n'a jamais éprouvé la plus petite incommodité.

Cette absence presque complote de la douleur articulaire doit être considérée comme un phénomène exceptionnel, et c'est la seule fois que nous l'ayons notée.

La douleur osseuse est profonde, térébrante, plus pénible que la douleur articulaire; elle arrache souvent des pleurs aux malades, qui indicment quelquefois fort bien le trajet qu'elle suit le long des extrémités des os; elle est toujours plus intense la nuit que le jour ; elle n'existe guère que dans les cas où la maladie est depuis longtemps constituée. Nous avons cru remarquer que, chez certains malades, une per-cussion légère, exercée sur le corps des os, l'exagérait ma-nifestement.

Douleur musculaire. La variété de la douleur qui paraît résider dans les muscles se montre ordinairement plus ou moins longtemps après l'apparition de la douleur des join-tures; d'autres fois, au contraire, elle la suit de très près.

Elle est sourde, accompagnée d'un sentiment de crampes et de fourmillements, quelquefois, de tremblements dans les extrémités, et bientôt d'une rétraction musculaire, presque invincible, qui amène la flexion ou l'extension des membres et constitue un phénomène souvent très pénible, contre le-quel les malades luttent avec persistance. Celte douleur oc-cupe généralement toute la longneur d'un membre, depuis l'épaule, par exemple, jusqu'à l'extrémité des doigts; elle peut être limitée à un côté du corps, mais le plus souvent, elle se montre symétriquement des deux côtés; elle peut occuper simultanément les membres abdominaux et les membres thoraciques. Nous verrons que c'est principalement chez les jeunes sujets, dans les cas où la maladie a coïncidé avec la grossesse, l'accouchement, la suppression des règles, que cette rétraction douloureuse des muscles a été prononcée et persistante. Je crois que c'est à ce symptôme que Haygarth et Landré-Bauvais l'ont allusion, lorsqu'ils disent que l'affec-tion des jointures s'accompagne souvent de douleurs spas-modiques dans les membres. Dans ces derniers temps, M. Adams a parfaitement remarqué la sensation de crampes, et les fourmillements qui la caractérisent. Nous aurons à re-venir sur ce sujet dans plusieurs points de ce travail, et, en particulier, au moment où nous chercherons à apprécier le rôle que jouent les muscles dans la production de la rigidité articulaire, et des déviations des extrémités; mais nous devons dire, dès à présent, que ces déviations s'accomplissent assez souvent sans que les malades aient éprouvé la sensation dou-loureuse que nous avons essayé de dépeindre.

Les douleurs musculaires sourdes, qui sont accompagnées de crampes dans les membres, et suivies de rétraction, nous semblent bien distinctes de celles qui reconnaissent pour cause la myosite rhumatismale. Ces dernières ont été notées chez le tiers environ des malades que nous avons observées;

elles occupaient alors diverses régions du corps, et étaient li-mitées à un petit nombre de muscles. Elles avaient cessé d'exister, dans la plupart des cas, à l'époque où le gonflement des jointures s'était montré pour la première fois (Obs. III).

Nous avons noté, chez deux malades seulement, l'existence de douleur, occupant le trajet des nerfs. Dans ces deux cas, c'est le nerf sciatique qui paraît avoir été atteint. Nous ne pouvons donner plus de détails sur ces douleurs, car elles avaient cessé d'exister depuis longtemps, à l'époque où nous avons observé les malades qui les présentaient.

La rougeur des jointures est un phénomène qui se montre au début, et lors des exacerbations de la maladie. Nous n'a-vons pu l'observer que dans ce dernier cas. Elle était blafarde, circonscrite aux parties saillantes delà jointure, et s'accompa-gnait d'un peu de chaleur et de gonflement œdémateux des parties molles ; elle n'était le plus souvent appréciable qu'au niveau des petites articulations, et encore y manquait-elle sou-vent.

Gonflement. — Le gonflement inflammatoire des parties molles superficielles de la jointure est tôt ou tard remplacé par une tuméfaction permanente des parties profondes ; on ren-contre alors tantôt un gonflement mollasse, donnant la sensa-tion d'une fausse fluctuation, et qui est due à l'hypertrophie des couches celluleuses qui doublent la synovialeà l'extérieur; tantôt une tuméfaction dure, osseuse, qui justifie la dénomi-nation de nodosité (nodosity of the joints), employée par Haygarth pour la désigner. Ce gonflement noueux est quel-quefois accompagné ou précédé d'une véritable hydarthrose, que M. Adams paraît considérer comme à peu près constante à une certaine époque de la maladie. Nous ne l'avons que ra-rement notée, peut-être parce que, dans la plupart des cas,

nous n'avons assisté ni au début, ni auxpremiôres périodes de l'affection.

Les nodosités reconnaissent des causes diverses ; elles sont produites : 1° par des ostéides ou des corps étrangers mo-biles ; 2° par des stalactites osseusesplus ou moins régulières, souvent acuminées et toujours adhérentes aux têtes des os, et qui circonscrivent plus ou moins complètement les jointures ; 3° elles peuvent enfin exister , même en l'absence des stalac-tites et des ostéides, et reconnaître pour cause la subluxation des os, dont les têtes viennent faire saillie sous les tégu-ments amaigris, et paraissent quelquefois au point de les percer.

Les jointures gonflées sont tantôt mobiles, tantôt plus ou moins rigides: c'est dans le premier cas seulement qu'on peut y produire un craquement sec et tout spécial, en rapport avec les ulcérations et les érosions des cartilages diarthro-diaux.

On peut généralement, au moyen de la palpation, se ren-dre compte pendant la vie des malades, de la plupart des dé-tails que nous venons de présenter.

Rétraction musculaire. —Déviations. — Avant d'entre-prendre l'étude des déviations, nous croyons nécessaire d'in-diquer les articulations qui sont le plus souvent affectées, pendant le cours de la maladie. Toutes les jointures ne se prennent pas indifféremment ; quelques-unes des plus petites, celles des mains en particulier, sont atteintes presque cons-tamment, et fort souvent avee toutes les autres. Il est, au con-traire, des articulations qui ne se prennent que très tard, assez rarement, et presque toujours à un faible degré ; telles sont, par exemple, celles de l'épaule et de la hanche. Le ta-bleau suivant nous dispensera de donner sur ce sujet de plus amples détails ;

Tableau, des jointures le plus souvent affectées pendant la période d'état, sur 40 cas.

Articulations des phalanges entre elles (à un

haut degré)......................... 40 fois.

— métacarpo-phalangiennes (à des

degrés divers).................... 40

— du poignet............................. 36

— du coude............................... 31

— de l'épaule (elle est rarement prise

au môme degré que les précé-dentes).............................. 25

— sterno-claviculaire................... 5

— vertébrales................. 16

— temporo-maxillaire........... 6

— phalanges des orteils (du pouce

principalement)............ 17

— métatarso - phalangiennes (du

pouce urtout)............ 21

— tibio-tarsienne (à des degrés très

divers)................... 25

— du genou (à des degrés très

divers)................... 27

— de la hanche (simple roideur)... 2

On voit, par ce tableau, que les articulations des membres supérieurs sont plus souvent affectées que celles des mem-bres inférieurs. Aussi la plupart des infirmes ne peuvent-elles pas faire usage de leurs mains et de leurs bras, tandis que les articulations des membres inférieurs sont très sou-vent assez libres pour permettre la marche. Haygarth a donné, dans son Traité de la nodosité des jointures, un tableau qui a beaucoup d'analogie avec celui que nous venons de pré-senter. Nous n'avons pas eu à rechercher s'il est un côté du corps qui présente le plus souvent les jointures malades; car presque constamment, les deux côtés sont envahis symétri-quement.

Suivant M. Ghomel (/oc. cit.), la rétraction musculaire s'observe assez rarement, dans le cours du rhumatisme arti-culaire chronique, et ne se manifeste généralement que si la maladie existe depuis fort longtemps. Cet auteur rapporte cependant une observation où elle s'était montrée deux fois seulement après l'apparition des douleurs articuhiires. Dans tous les cas que nous avons observés, la rétraction des mus-cles paraît avoir eu la plus grande part dans la production des difformiiés; tantôt elle s'est manifestée, pour ainsi dire, dès le début, quelques jours, quelques semaines après l'appa-rition des douleurs articulaires (Ors. 1, II, V); tantôt, au contraire, elle s'est montrée très tardivement.

Dans tous les cas, sous son influence, les membres, et leurs extrémités surtout, se dévient tôt ou tard de leur direc-tion normale, et présentent les déformations les plus bizarres en apparence. Il semble, au premier abord, qu'il soit impossible de présenter une description générale de quelques-unes de ces difformités; rien de plus singulier, de plus varia-ble, par exemple, que l'attitude des extrémités supérieures de la plupart de nos infirmes. Cependant, nous avons été amené à penser que toutes ces variétés peuvent se rapporter à deux types principaux, que nous allons essayer de dépeindre.

Extrémités supérieures. — Caractère commun aux deux types : la main est en pronation plus ou moins complète, et quelquefois exagérée.

Premier type. C'est ce type qu'on observe le plus fréquem-ment; voici sa caractéristique : a) flexion (à angle aigu, droit, ou même obtus), de la phalangette sur la phalangine; b) ex-tension de la phalangine sur la phalange; c) flexion de la phalange sur la fête des métacarpiens (à angle obtus ou droit) ; d) flexion à angle très obtus des métacarpiens et du

carpe sur les os de l'avant bras ; e) déviation en masse de toutes les phalanges sur les métacarpiens vers le bord cubital de la main, puis déviation en sens contraire des phalangines sur les phalanges (voyez Planche IV, fig. 3 et 4, 1 et 2).

La déviation en masse des phalanges, vers le bord cubital de la main, est un caractère constant qui se montre un des premiers (voy. Cruveilhier, Atlas d'anat. pathol., liv, 9, pl. 6, et Adams, Cyclopec. of anatomy and physiology,avl.Hand).

Dans les cas où les parties molles sont maigres et atro-phiées, le radius et le cubitus font une saillie souvent consi-dérable en arrière des os du carpe. Il y a même fort souvent, subluxation des os du carpe en avant, ce qui fait paraître le dos de la main comme excavé et raccourci, d'autant mieux qu'on observe en même temps une subluxation de l'extré-mité supérieure des phalanges, en avant et en dehors des têtes des métacarpiens qui font dès lors, sur le dos de la main, une saillie considérable; par suite, les phalanges paraissent raccourcies et leur dos semble excavé. La subluxation, en général peu prononcée, des phalangines en avant et un peu en dedans des phalanges, détermine une saillie des têtes osseuses des premières du côté de la paume de la main. Enfin, par suite de la flexion exagérée des phalangettes sur les phalangines, les deux petits condyles de ces derniers os font saillie du côté du dos des doigts. La luxation est souvent presque complète, surtout au niveau des articulations méta-carpo-phalangïennes. Il est fréquent d'observer, au pourtour des petites jointures, des végétations osseuses, sous formes de tubercules, et qui ne circonscrivent jamais complètement les têtes des os.

Tous ces détails complémentaires peuvent s'appliquer au type suivant.

Deuxième type, Caractéristique : a) extension de la pha-

langette sur la plialangïne ; b) flexion des plialangines sur les phalanges; c) extension des phalanges sur les têtes des méta-carpiens; flexion plus ou moins prononcée du carpe sur les os de l'avant-bras; e) déviation en masse des phalanges, caractérisée par une inclinaison manifeste vers le bord cu-bital de la main. Il va sans dire que, suivant les cas, les ca-ractères du type sont plus ou moins prononcés (voy. Pl. IV, figl. et 2).

Variétés du premier type. 1° La plupart des caractères du type sont conservés ; seulement la plialangïne et la phalange sont sur le même axe et forment une seule colonne (Pl. IV, ficj. 1). 2° On voit quelquefois manquer la flexion de la pha-langette sur la phalangine, et alors le dos de la main paraît excavé à partir de la tête saillante des métacarpiens.

Variétés du deuxième type. 1° Flexion de toutes les articu-lations de la main les unes sur les autres, de manière à cons-tituer une sorte d'enroulement (voy. Pl. l\,fîg. 3) 2° Mêmes caractères, mais il y a extension des plialangines sur les pha-langes. Dans tous les cas, le pouce a une tendance presque invariable : il est le plus habituellement dans une abduction forcée, avec subluxation de la tête de la première phalange en dehors de l'extrémité inférieure du premier métacarpien.

Quand les difformités dont nous venons de tracer le tableau général sont un peu prononcées, la malade ne peut plus guère faire usage de ses mains. Cependant, dans bon nombre de cas, le pouce reste mobile et peut servir, tant bien que mal, à pincer les objets; quelques phalanges peuvent remplir le même usage, lorsqu'elles ont conservé des mouvements de latéralité. Mais si l'articulation du coude est en même temps rigide, ce qui arrive fort souvent, les malheureuses in-firmes ne peuvent plus porter leurs aliments à leur bouche,

ni chasser les insectes ou les corps étrangers qui viennent les tourmenter. Réduites à cette triste extrémité, ces femmes se montrent souvent fort ingénieuses. J'en connais deux à la Salpètrière, qui, privées de la plupart de leurs mouvements, ont imaginé des fourchettes armées de manches de deux pieds de long et qui paraissent faites sur le même modèle, bien que les inventeurs occupent dans l'hospice deux divisions fort éloignées. Au moyen de ces instruments qu'elles manient à l'aide de quelques phalanges restées mobiles, elles piquent, si je puis ainsi dire, leur nourriture qui a été préalablement coupée en petits morceaux, et qu'on a placée sur leurs genoux ou sur un meuble voisin. Une infirme dont Thurnam nous a donné l'histoire se servait d'une semblable fourchette (Thur-nam, Lond. médical Gazette, octobre 1838). Je n'en finirais pas, si je voulais décrire tous les stratagèmes qu'emploient ces femmes pour remplacer les mouvements qu'elles ont perdus, quelquefois depuis une vingtaine d'années.

Articulation du coude. Cette jointure est souvent élargie et déformée. On y sent par la palpation des saillies osseuses anormales, développées au pourtour des surfaces articulaires et sur les principales tubérosités naturelles. L'avant-bras est en pronation ou en demi-pronation ; il y a en même temps demi-flexion, ou même flexion à angle droit de l'avant-bras sur le bras On peut généralement exagérer cette flexion, car l'ankylose complète est rare; mais l'extension est presque toujours impossible, et si l'on cherche à l'opérer après avoir préalablement fléchi le membre, les muscles fléchisseurs en-trent immédiatement en contraction, et leurs tendons se des-sinent à travers les téguments, sous forme de cordes saillantes. Les craquements sont difficilement perçus dans cette jointure (voy. Adams, loc. cit., Elbom-Joint et Morel-Lavallée, Anna-les de la chirurg. française, t. xiii).

Articulation de Vépaule. On a a vu qu'elle s'affecte assez rarement, du moins à un haut degré ; on n'y observe en gé-néral qu'un peu de rigidité et quelques craquements.

Articulation du genou. Dès que les malades ont dû garder le lit, par suite de l'envahissement de cette jointure, les cuis-ses ont eu une tendance presque invincible à se fléchir sur l'abdomen, et les jambes se sont fléchies sur les cuisses. Quand la flexion, au niveau de l'articulation du genou, est très prononcée, l'extrémité inférieure du fémur s'incline légère-ment en dedans ; le tibia éprouve un mouvement de rotation sur son axe, la pointe du pied est un peu déviée en dehors ; en même temps, la rotule repose sur le condyle externe du fé-mur ; si l'on examine le membre de profil, il est aisé de re-connaître qu'il y a subluxation des tibias, en arrière de l'ex-trémité inférieure des fémurs, laquelle fait saillie en avant et peut être distinguée par lapalpation, ainsi que les bourrelets osseux qu'elle porte. Dans une de nos observations (la nom-mée Laroche, âgée de cinquante-deux ans, alitée depuis deux ans), le condyle externe du tibia a presque complètement abandonné le condyle correspondant du fémur, et fait saillie sous les téguments.

Les productions osseuses se rencontrent : 1° au pourtour de la rotule qui semble élargie ; 2° au pourtour et sur la limite du cartilage articulaire du fémur où elles forment une sorte de crête ; 3° au pourtour des fubérosités fibiales. Les corps étrangers d'un grand volume sont assez communs au pourtour de cette jointure (Adams) ; les craquements y sont faciles à percevoir. D'après ce que j'ai vu, je suis porté à croire qu'il y a rarement ankylose celluleuse complète de l'articulation du genou, même à une époque avancée de la maladie. La rétrac-tion des muscles me paraît la principale causede la flexion per-manentede cette jointure. J'en pourrais donner pour preuve

les sensations du malade qui éprouve un sentiment de cram-pes des plus pénibles dans toute la partie postérieure du membre abdominal, et en outre, la tension môme du corps des muscles qu'il est facile d'apprécier à travers les téguments. Ne pourrait-on donc pas tenter, plus souvent qu'on ne le fait, de détruire cette flexion permanente, en pratiquant la section des muscles rétractés ; d'autant mieux que ces tentatives ont pu être utiles aux malades, au moins pour un certain temps ? (Voy. Obs. I.)

Les malades luttent instinctivement, et par tous les moyens possibles, mais presque toujours en vain, contre la rétraction douloureuse des muscles postérieurs de la cuisse. J'ai appris de quelques-unes d'entre elles que l'emploi des machines et des tractions répétées n'avait généralement amené aucun bon résultat. Deux infirmes de la Salpêtrière ont prévenu la flexion du genou par un moyen ingénieux : elles ont fait pla-cer sous leurs membres inférieurs un long coussin en forme de plan incliné, appareil bien propre à contrebalancer l'action des muscles. Elles ont obtenu ainsi une légère demi-flexion permanente des membres inférieurs, qu'elles considèrent com-me bien moins incommode et bien moins pénible que ne l'est la flexion forcée. La demi-flexion aurait d'ailleurs l'avantage de permettre la marche à l'aide de béquilles, si les fonctions des membres supérieurs étaient d'ailleurs suffisamment con-servées.

Articulation du cou-de-pied. L'ankylose celluleuse y est très fréquente ; les productions osseuses péri-articulaires, et les corps étrangers s'y rencontrent fréquemment.

Orteils. Les orteils sont bien moins fréquemmentankylosés ou même simplement déviés, que ne le sont les doigts de la main. Le gros orteil a une tendance habituelle à se porter

en dehors, el il vient assez souvent se placer au-dessus des autres doigts du pied, dont il croise plus ou moins obliquement la direction. En tout cas, il arrive assez fré-quemment que la tête du métatarsien correspondant l'ait saillie à la partie interne du pied. Les craquements sont très facile-ment et très fréquemment perçus dans les articulations du gros orteil.

Articulation de la hanche. — Celte jointure s'affecte très rarement ; on \ rencontre cependant quelquefois des craque-ments et un certain degré de rigidité.

Articulations temporo-maxillaires. — Un y observe de la rigidité, des craquements, des corps étrangers. Deux des femmes que nous avons observées peuvent à peine ouvrir la bouche.

Articulations vertébrales. — Les articulations du cou sont très souvent rigides. Nous avons noté dans un cas une déviation de la colonne vertébrale (scoliose), qui s'est pro-duite à l'époque où les jointures des membres ont été enva-hies.

Dans I'Observation V, on peut voir comment la plupart des déviations que nous venons de passer en revue peuvent se trouver réunies chez une même malade à des degrés divers. Les difformités des mains, quoique très prononcées, n'y sont pas aussi régulières qu'on les rencontre quelquefois (voir les Ons. II et III.)

Du rôle de Faction musculaire dans la production des déviations. — Les détails trop minutieux peut-èlre, dans les-quels nous venons d'entrer, au sujet des déviations des mem-bres et de leurs extrémités, ne nous ont pas seulement paru

Charcot. Œuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. i\

curieux; ils nous ont encore conduit à rechercher quel rôle joue le système musculaire dans la production de ces diffor-mités. Ce rôle est important, ainsi que nous espérons le démontrer par les considérations qui suivent.

1° La rétraction musculaire qui amène les déviations est quelquefois accompagnée d'une douleur sourde, toute spéciale qu'on ne peut guère localiser cpie dans les muscles eux-mêmes ou dans les nerfs qui s'y distribuent, et qui est bien distincte de la douleur qui siège dans les jointures, ou de celle qui paraît siéger dans les extrémités osseuses.

2° C'est chez les jeunes sujets, chez les femmes dont les jointures sont prises pendant la grossesse, après un accouche-ment ou une suppression des règles, sous une influence quel-conque, que les déviations se prononcent le plus rapidement (Obs. I, Il et V). Cette marche précipitée ne peut-elle pas être attribuée en partie à ce que, à cet âge, les muscles encore vigoureux agissent plus énergïquement, lorsqu'ils sont pris de contractions spasmodiques douloureuses ?

3° Comment expliquer par les seules lésions articulaires la régularité des déviations qui présentent constamment un des types que nous avons décrits ?

4° Lorsqu'on fait l'autopsie des malades mortes avec les déviations les plus complètes des articulations des mains, on ne trouve le plus souvent des lésions arthritiques très pronon-cées, que dans un certain nombre de jointures. A quoi peut-on attribuer les flexions et les extensions qui existent dans toutes les autres, si ce n'est à l'action musculaire ?

S0 Un autre fait montrera que cette action peut, à elle seule, en dehors de toute lésion des articulations, amener les déviations dont nous nous sommes efforcé de tracer les types. Nous avons eu occasion d'examiner, dans la division de M. Lélut, à la Salpêtrière, des femmes infirmes par suite d'atrophie cérébrale congénitale ou acquise, affection qui a

été autrefois bien étudiée par M. Cuzauvielh. Un certain nom-bre de ces infirmes ont les muscles fléchisseurs et extenseurs des membres d'un côté du corps dans une sorte de tension continue ; si elles veulent étendre les mains fléchies, à peine celles-ci ont-elles dépassé le point qui sépare la flexion de l'extension, qu'elles passent brusquement, convulsivement, à l'extension et présentent notre deuxième type; si leurs mains étendues exécutent le mouvement de flexion, le môme phé-nomène se manifeste en sens inverse, et elles offrent notre premier type. Cependant, il n'y a chez ces infirmes aucune lésion des articulations.

6° Si, pendant la vie, on cherche à étendre ou à fléchir les jointures rigides, on éprouve cette résistance élastique qui appartient au tissu musculaire, et qui devient plus mar-quée, si l'on essaye de la vaincre. Après la mort, on trouve toujours que la rigidité articulaire est devenue moins com-plète et que les mouvements sont moins bornés ; ce qui s'ex-plique très bien par le relâchement qu'ont dû subir les mus-cles contractés. Enfin, si on coupe ces muscles, la rigidité diminue notablement.

7° Il faut savoir cependant que chez les malades dont on a l'occasion de faire l'autopsie, chez ces malades, dis-je, en général, arrivées aune époque très avancée de l'affection, la rigidité articulaire persiste encore, bien qu'à un plus faible degré, malgré la section des muscles : la section des ligaments eux-mêmes n'a encore que peu d'influence sur elle, et il faut aller jusqu'au tissu cellulaire de nouvelle formation qui dou-ble la synoviale à l'extérieur pour trouver le véritable et der-nier obstacle aux mouvements de l'articulation. Si on divise ce tissu, la rigidité cesse. Ces derniers faits ne sont nulle-ment en contradiction avec l'opinion que nous soutenons, sur le rôle de l'action musculaire.

8° Ce sont, en effet, les muscles qui, par leur contraction

persistante, dirigent la formation des brides celluleuses dans un sens ou dans l'autre, et président par conséquent au travail des déviations articulaires. Pendant que les jointures sont dans une attitude permanente produite par la rétraction des muscles, les lésions articulaires se développent et suivent leur marche. C'est alors que le tissu cellulaire de nouvelle formation vient doubler la synoviale ; mais s'il y a une dé-viation prédominante, une flexion par exemple la lame qui s'organisera dans le sens de la flexion, sera naturellement moins étendue que celle qui se trouvera dans le sens opposé, Or, c'est justement là ce cpi'on constate par l'examen nécros-copique.

Il est donc constant pour nous que la rétraction muscu-laire joue le principal rôle pour engendrer les déviations, surtout celles qui se produisent à une époque très voisine du début de la maladie. Nous sommes naturellement amenés à rechercher quelle peut être la cause de la rétraction.

Au début de la maladie, la rétraction musculaire est tou-jours active, comme dit M. J. Guérin ; elle est souvent dou-loureuse, et les malades cherchent par tous les moyens possibles à contrebalancer son action; elle n'est pas en rapport avec l'intensité des douleurs articulaires (Obs. I). Par toutes ces raisons, on ne saurait la considérer comme un résultat d'une position instinctive que les malades imprimeraient leurs membres pour atténuer les douleurs. On ne pourrait guère, non plus, l'attribuer à une action musculaire purement tonique, mise en jeu sous l'influence du repos prolongé au-quel seraient condamnés les membres ; car, outre que cette rétraction se montre parfois quelques jours, quelques se-maines après l'apparition des douleurs articulaires, elle peut commencer à se produire déjà à une époque où les malades font encore, tant bien que mal usage de leurs membres. Nous éliminons également l'hydarthrose, qui n'a, le plus sou-

vent, rien à faire ici, puisque, dans bon nombre de cas, cet épanchement articulaire n'a existé à aucune époque de la maladie.

Chez les malades que nous avons observées, la rétraction musculaire ne reconnaît pas pour cause, la propagation de l'inflammation des parties constituantes des jointures au tissu propre des muscles. En effet, alors même que les extrémités supérieures offrent, dans leur ensemble, les déformations les plus prononcées, un certain nombre seulement des articula-tions déformées paraissent avoir été le siège des lésions in-flammatoires.

On sait que Delpech, M. Chomel, et plus tard, MM. Duval, Guérin, Bonnet, Morel-Lavallée, ont considéré le rhumatisme porté sur les muscles, comme une des causes des rétractions musculaires. Sauvages avait déjà remarqué que le rheuma-tismus arthriticus attaque constamment les articulations et ça et là les parties charnues, qu'il produit l'amaigrissement et rend les doigts immobiles et roides (Sauvages, Nosol. méthod., class. 7, gen. 3, Rhumatisme). Sans doute, la brève description du nosologïste de Montpellier est marquée au coin de l'observation; mais, chez nos malades, ce n'est pas çà et là que les muscles ont été atteints pour déterminer les déviations; ils ont agi par groupes, de manière à produire des difformités toujours les mêmes, ou pouvant tout au moins se rattacher à un certain nombre de types à peu près invariables. D'ailleurs, les douleurs qui accompagnent la rétraction n'ont pas le caractère des douleurs musculaires rhumatismales, et les malades les en distinguent facilement.

On voit donc que l'examen des principales opinions émises par les auteurs ne nous rend pas suffisamment compte des faits que nous avons observés. La' discussion dans laquelle nous venons d'entrer fait naître deux hypothèses, mais ce ne sont que deux hypothèses et rien de plus; les contractions

musculaires spasmodiques ne seraient-elles pas l'expression d'actions réflexes morbides, excitées par les lésions articu-laires? Ou bien faut-il invoquer, pour les expliquer, une af-fection des nerfs moteurs, ou d'une partie centrale du sys-tème nerveux? Certainement la généralisation, dans certains cas, des déviations à toutes les parties des membres supé-rieurs ou inférieurs, la symétrie avec laquelle elles se produi-sent, s'accommoderaient assez bien de l'une ou de l'autre de ces suppositions, que nous n'admettons d'ailleurs qu'avec la plus grande réserve.

Phénomènes généraux. — Sécrétions. — Les phénomènes fébriles peuvent se montrer soit au début de la maladie, soit dans son cours, aux époques des exacerbations ; leur intensité paraît toujours assez bien en rapport avec le nombre de join-tures qui sont prises simultanément. Cependant, même dans les cas où l'affection s'est généralisée, ils peuvent passer inaper-çus. La fièvre du début n'a été notée dans nos observations que huit fois sur quarante ; elle a été dans presque tous les cas, peu intense et de peu de durée ; elle a persisté pendant deux ou trois jours d'une manière continue avec des exacerbations nocturnes, suivies de sueurs plus ou moins abondantes,géné-rales ou partielles ; une seule fois elle a duré quinze jours et s'est accompagnée d'insomnie et d'anorexie. Le plus souvent, les fonctions digestives n'ont présenté aucune altération no-table, et les malades n'ont généralement pas cessé de prendre des aliments, même à l'époque où les douleurs étaient des plus vives. Les autres fonctions ont continué à s'accomplir avec régularité. Nous rapportons les observations de deux malades qui, ayant été prises dans le cours d'une grossesse, accou-chèrent naturellement ; l'une d'elles allaita son enfant, bien qu'elle fût dans la période d'accroissement de la maladie, et déjà percluse de tous ses membres ; le plus souvent, les règles

n'ont pas été arrêtées dans leur cours (Observations III et V).

Beaucoup de nos malades ont conservé, pendant la période .d'état, de l'embonpoint et toutes les apparences d'une bonne santé ; il en est d'autres qui présentent une maigreur géné-rale très prononcée et qui sont comme desséchées ; mais ce sont celles dont les mouvements sont gênés ou nuls depuis de longues années, et qui peuvent à peine quitter le lit où le siège sur lequel on les place pendant le jour. La peau de ces derniers malades est pâle, luisante et semble faire corps avec les tissus sous-jacents ; leurs jointures paraissent énormes, par suite de l'atrophie qu'ont subi les muscles ; les stalactites osseuses, ou même les têtes des os subluxés, semblent sur le •point de percer les téguments. C'est aux petites articulations, aux doigts principalement, que cela s'observe le plus souvent; il peut même arriver que les tubercules osseux de nouvelle formation, s'ils sont très saillants, amincissent et usent pro-gressivement la peau par une sorte de compression de dedans en dehors, et finissent ainsi par se montrer à nu (Requin).

Les infirmes qui sont condamnés à une immobilité plus ou moins complète sont pâles, anémiques ; elles présentent sou-vent tous les phénomènes nerveux qui se rattachent à la diminution des parties solides du sang.

On observe souvent, même en dehors des exacerbations, des sueurs plus ou moins abondantes, parfois presque conti-nuelles, et prononcées la nuit surtout. Ces sueurs, quelquefois générales, d'autres fois partielles, sont habituellement peu in-commodes, et ne coïncident pas toujours avec la recrudes-cence ou la diminution des douleurs. Chez une jeune infirme (Chevalier, Divine, âgée de trente ans) que nous avons observée presque tous les jours pendant un an, la peau était habituel-lement recouverte d'une sueur visqueuse et gluante.

A l'époque des exacerbations, quand il y a un peu de fièvre, les urines sont quelquefois troubles et sédimenteuses ; en

dehors de ces accès, elles sont toujours claires et parfaite-ment naturelles : nous avons pu nous en assurer fort souvent.

Marche, enchaînement des symptômes. — Les symptômes arthritiques sont les premiers qui se manifestent ; ils se mon-trent toujours d'abord avec une apparence de bénignité telle qu'on ne leur accorde jamais l'attention qu'ils méritent peut-être. Les malades bravent les premières douleurs, bornées à une ou deux jointures, et accompagnées tout au plus d'un peu de tuméfaction et de rougeur. Elles continuent leurs travaux, souvent pénibles, malgré l'apparition successive de nouvelles arthrites, et ne s'arrêtent qu'à une époque où la rétraction s'est déjà emparée des muscles, et où la plupart des mouvements sont devenus impossibles.

On remarque généralement durant la période, souvent très longue, qui précède les rétractions quelques circonstances dont il nous a paru utile de tenir compte ; car elles seraient de nature peut-être à faire prévoir, dès les premiers temps, la marche toujours croissante, et, en quelque sorte, fatale, que la maladie suivra tôt ou tard.

Ce n'est pas sans un certain ordre que s'opère Yenvaliisse-ment successif des jointures : ainsi parmi ces dernières, il en est qui se prennent prescpie toujours en premier lieu, d'autres qui ne sont affectées que très tardivement, et qui même peu-vent ne pas être envahies. En interrogeant à ce sujet 41 in-firmes, voici ce que nous avons noté: les articulations des doigts de la main et du pied ont été les premières et les seules malades pendant un temps plus ou moins long dans 25 cas ; dans 7 autres cas, une ou deux grandes jointures, le poignet ou le cou-de-pied, par exemple, étaient affectés en même temps que les articulations des doigts ; 9 fois seulement, l'in-vasion s'est faite exclusivement par les grandes jointures, telles que le genou et le cou-de-pied ; mais, dans ce dernier

cas, les petites articulations des doigts n'ont pas tardé à se prendre.

Ajoutons quelques détails : dans des cas assez rares, foutes les articulations des doigts des mains et les métacarpo-phalangïennes se sont prises simultanément, dès le début ; mais il arrive souvent que les premières arthrites occupent les jointures du pouce et de l'index des deux mains : rarement les articulations des petits doigts sont affectées les premières; les jointures des gros orteils ont été les premières atteintes dans 4 cas seulement. Si une grande jointure se prend en pre-mier lieu, c'estle plus souvent celle du poignet ou du cou-de-pied ; le genou n'a été malade le premier que dans un petit nombre de cas; jamais l'articulation coxo-fémorale ne s'est prise la première.

La manière dont les arthrites se succèdent dans un membre est bien curieuse à noter : au membre supérieur, les doigts sont affectés les premiers; puis c'est le poignet, puis le coude, et enfin l'épaule ; fout se passe à peu près de même pour le membre inférieur. Hâtons-nous d'ajouter que cet ordre n'est ni absolu ni mathématique, mais nous l'avons observé dans la majorité des cas. Terminons ce qui est relatif à ce sujet, en faisant remarquer que, dans presque foutes nos observations, lorsque les jointures des membres inférieurs ont été atteintes en certain nombre et à un certain degré, celles du membre supérieur ont présenté les mêmes lésions à un degré plus avancé ; si bien qu'il est commun, ainsi que nous l'avons dit, de voir des infirmes qui peuvent se tenir debout, et marcher avec plus ou moins de facilité, tandis que, dans la plupart des cas, elles ne peuvent faire usage de leurs bras et surtout de leurs mains.-

Les premières arthrites qui se manifestent sont presque toujours légères ; elles persistent pendant quelques jours, quelques semaines, laissant après elles un peu de roideur dans

les jointures ; mais bientôt elles reparaissent dans les mêmes points et s'y fixent ; en môme temps, de nouvelles articula-tions sont envahies. Après un certain nombre de rechutes, les douleurs deviennent à peu près continues ; c'est alors qu'ap-paraissent les phénomènes de rétractionqui conduisent les ma-lades à de déplorables infirmités.

L'âge auquel les femmes sont parvenues, lorsque les pre-miers symptômes se manifestent, me paraît avoir laplus grande influence sur la durée de l'évolution de la maladie. On peut, sous ce point de vue, établir deux catégories de cas : quelques malades étaient âgées de 16 à30 ans, en moyenne, lorsqu'elles commencèrent à souffrir dans les jointures ; les autres avaient de 40 à 60 ans. Chez les premières, la succession des phéno-mènes morbides s'est toujours opérée avec une rapidité relati-vement très grande ; un grand nombre de jointures ont été prises en peu de temps et dans l'ordre indiqué plus haut; la ré-traction des extrémités, et bientôt celles des membres, se sont manifestées au bout de quelques jours, de quelques semaines, rarement après plusieurs années: en même temps, les dou-leurs articulaires ont étévives,accompagnéesd'unpeude fièvre, elles ont persisté pendant six mois un an, deux ans, presque continuellement, et avec des exacerbations nocturnes ; mais en revanche, elles ont été en décroissant et ont fini par disparaître complètement. La maladie était alors terminée, laissant après elle les difformités qui privent les malheureuses femmes de l'usage de leurs membres, et les condamnent trop souvent, pour le reste de leur vie, à l'immobilité la plus absolue.

La progression des symptômes est toujours beaucoup plus lente chez les femmes âgées, et il est permis de suivre pas à pas l'envahissement successif des jointures. La période d'in-vasion peut durer un an, trois ans, six ans, quelquefois même huit ans ; mais enfin à une époque qu'on ne peut pas pré-

ciser, la rétraction musculaire est mise en jeu ; elle agit sourdement, sans déterminer de douleurs musculaires spas-modiques, toutefois, elle n'en finit pas moins par causer insen-siblement des difformités très prononcées.

Nous venons d'opposer l'un à l'autre les deux cas où la marche est la plus différente ; on conçoit qu'il existe entre eux de nombreux intermédiaires.

Dans la première des observations qui suivent, la marche de la maladie a été relativement très rapide ; on peut, dans la seconde et dans la troisième, suivre une période d'invasion bien dessinée.

Observation lï. — Grands-père et mère rhumatisants. — Habi-tation humide. — Début des douleurs à 20 ans. — Nouvelles dou-leurs à 28 ans, dans le cours d'une grossesse. —? Déformations consécutives. — Description des jointures : deuxième type ou type de flexion.

Bâtiment Saint-Charles, 3e, lre ; Mm« Étard. — Cette femme est âgée de quarante-cinq ans, née de père et de mère l'un et l'autre domestiques de ferme. Le père est mort à l'âge de cinquante-cinq ans, d'une affection d'estomac, sans avoir eu de rhumatismes. La mère est morte à soixante ans, elle n'a jamais eu de douleurs articulaires ; mais le grand-père a eu un rhumatisme articulaire aigu; la grand'mère avait eu des rhumatismes chroniques, et les mains déformées, comme les a notre malade. Elle a une sœur qui s'est toujours bien portée, bien qu'elle ait eu vie et habitation communes avec elle. La femme Étard a habité, pendant les dix-neuf premières années de sa vie, dans une petite maison très basse et très humide. Déjà, vers l'âge de quinze ans, elle aurait eu des douleurs siégeant dans les muscles de l'épaule, et pour lesquelles un médecin aurait ordonné de déplacer le lit, trop voisin d'un mur humide ; au bout de huit ou dix jours, l'éfatnormal des muscles

s'était rétabli. A part ces douleurs, et un abcès des ganglions sous-maxillaires développé spontanément, et dont elle porte encore aujourd'hui les cicatrices, Mme Étard atteignit l'âge de dix-neuf ans, sans cesser de jouir d'une bonne santé. A seize ans, ses règles s'établissent aisément, restent régulières et abondantes, bien que ne durant que trois ou quatre jours. A dix-neuf ans, elle vient à Paris, se met en maison, fatigue beau-coup pendant trois ou quatre ans. Au bout d'un an, pendant l'été, sans cause connue, elle est prise de douleurs dans les articulations tibio-tarsiennes des deux côtés (il faut noter que les pieds n'étaient douloureux que dans les mouvements, la fièvre nulle, l'appétit intact). Au bout de quinze jours, tout paraissait rentré dans l'ordre. A vingt-deux ans, elle retourne au pays, et habite une maison saine. Pendant toute sa vie, la malade, bien qu'elle ne soit pas misérable, mange peu de viande, ne boit jamais de vin. A vingt-huit ans, n'étant pas mariée, elle devient enceinte, ce qui l'affecte beaucoup mora-lement. Elle était enceinte depuis six semaines, lorsque les douleurs reparaissent ; c'est par le genou gauche que le mal débute cette fois ; la jointure est rouge, tuméfiée, douloureuse. Ces phénomènes disparaissent très rapidement, sous l'influence de l'application de 25 sangsues; mais, deux ou trois jours après, les doigts de la main, les poignets, puis les coudes se gonflent simultanément. Tout cela se passe presque sans fièvre, mais les douleurs sont très vives et causent de l'insomnie ; c'est en vain qu'on applique successivement des sangsues sur les jointures qui se prennent, le mal ne s'amende pas, et en l'espace de dix-neuf jours, les difformités se montrent telles qu'on les voit aujourd'hui. A cette époque, et dès le début, la rétraction devient invincible ; les douleurssont très vives, pendant dix-neuf jours. Au bout de ces dix-neuf jours, pendant lesquels la malade continue à manger, l'état des membres inférieurs s'amende au point qu'elle peut marcher un peu; mais, dès le début, les membres supérieurs se sont déformés, contractures, à un degré extrême. La malade note bien qu'au début, il n'y a jamais ci;

de gonflement considérable des articulations, grandes ou petites, des membres supérieurs ; il s'est manifesté plutôt, dès l'origine, une tendance à f'atrophie et à l'amaigrissement. La grossesse se passe bien du reste ; l'enfant vient à terme sans accident ; il a aujourd'hui dix-huit ans, et il se porte bien ; la mère n'a pule nourrir, parce que déjà, les mouvements des mains étaient devenus insuffisants. A vingt-neuf ans, eife se rend à Saint-Louis, où elle prend huit fumigations et six bains de vapeur, qui lui procurent quelques mouvements. A la suite de ce traitement, la malade pouvait s'aider de ses mains pour boire seute ; cette amélioration dura peu. A trente ans, elle observe que, peu à peu, et sans que les douleurs soient devenues plus vives, les membres supérieurs se montrent déplus en plus difformes, et teis qu'on les observe aujourd'hui.

Etat actuel. La malade est pâle, anémique, son teint est plombé ; les avant-bras sont dans une pronation extrême, les tendons des fléchisseurs des doigts forment des cordons à la face antérieure de l'avant-bras devenue postérieure , l'avant-bras est en même temps fléchi sur le bras à angle obtus. Par suite de la pronation, le cubitus semble luxé et faire saillie sous la peau, en arrière du carpe ; il est environ à 1 centimètre en avant du pyramidal. Le radius a à peu près conservé les rapports normaux avec le carpe ; il y a soudure presque com-plète de l'articulation du poignet. Le métacarpe est fortement fléchi sur l'avant-bras ; puis les phalanges sont, au contraire, dans une extension forcée ; elles forment, avec le métacarpien, un angle obtus à sinus curviligne de 180°. Le pouce est à peu près normal, les mouvements sont trop bornés pour que la malade puisse fermer la main ; elle peut cependant tenir une aiguille entre le pouce et l'index ; les phalangines sont fléchies à angle aigu sur les phalanges, puis les phalangettes, au con-traire, étendues sur les phalangines, du moins pour la plupart. Il n'y pas, dans ces jointures, apparence de tophus, if y a plutôt maigreur ; mais il y a quelques saillies osseuses , tuberculi-

formes, au niveau des petites jointures ; et on peut reconnaître, par la palpation, qu'il ne s'agit pas là simplement de têtes d'os saillantes par suite de subluxation, il y a mobilité obscure dans toutes les petites jointures, on ne peut pas constater de craquements. Les deux membres supérieurs sont dans le même état à peu près ; la main gauche est un peu moins difforme que la droite : c'est là le deuxième type ou type de flexion dans tout son développement. Depuis longtemps, les jointures des mains sont douloureuses, la nuit seulement, et la malade ne peut les laisser sous les couvertures. Ce dont elle se plaint le plus, c'est d'une sensation de tiraillement dans le corps des membres, accompagnée quelquefois de fourmillements ; les épaules sont à peu près libres. Au coude, l'extension est impos-sible, la flexion très bornée, la supination impossible. Les genoux sont devenus roides ; la malade ne peut s'agenouiller ; il y a une sorte de demi-flexion permanente à leur niveau, et leur extension complète est impossible. Aussi la malade marche-t-elle courbée sur elle-même, elle ne peut guère faire plus de 200 pas ; elle monte quelquefois des marches d'escalier. Le genou présente une sorte de gonflement osseux, la rotule est immobile, les extrémités supérieures des tibias etinférieures des fémurs présentent à la palpation des crêtes osseuses. Rien aux cous-de-pieds ; les orteils sont un peu fléchis, recroquillés, sans ankylose ; il se présente un peu de gonflement des chevilles vers le soir. Les fonctions digestives sont en général bonnes ; constipation habituelle, pâleur, bruit de souffle au cœur, bruit de souffle dans les vaisseaux du cou.

Je dois noter qu'à l'hôpital Necker, on a essayé, sans succès, de redresser les membres supérieurs par des tractions répétées.

Observation III. — Pas d'antécédents héréditaires. — Habita-tion très humide. — Début des douleurs à 28 ans. — Description des déformations.

Hospice de la Salpêtrière ; Mme Gagnard, femme de chambre,

âgée de quarante ans. Bâtiment Saint-Jacques, 2° dortoir (période d'invasion bien dessinée). — Cette malade assure que son père et sa mère n'ont pas eu de douleurs; elle a un frère et une sœur qui en sont également exempts ; elle est restée à la campagne jusqu'à l'âge de quinze ans ; là elle n'habitait pas un endroit humide. Réglée à l'âge de seize ans, elle n'a pas été malade à cette époque. Elle vient à Paris à l'âge de vingt-deux ans, et de vingt-trois à vingt-huit ans, elle habite une chambre très humide, située au 3° étage, sous un toit ; l'eau coulait contre les murs, le lit même était humide. Elle se marie à vingt-sept ans, et un an après, les douleurs commencent à appa-raître. Jusque-là elle s'était bien portée, les règles avaient lieu régulièrement; grossesse à l'âge de vingt-neuf ans. Pendant la gestation, ilyaune légère exacerbation des douleurs, l'accouche-ment se fait à terme sans accident ; la malade n'allaite pas, les suites de couches n'ontrien d'anormal ; l'enfantmeurtunanaprès sa naissance. C'est par les mains que les douleurs ont tout d'abord débuté, par les articulations du médius de la main gauche ; puis les deux pouces ont été symétriquement et simultanément envahis. Pendant un an environ, tout le mal s'est borné là ; les autres jointures se prennent ensuite insensiblement et successi-vement ; puis, vers trente ans, une année après le début dumal, la malade est forcée de s'aliter ; elle reste au lit pendant trois ans sans pouvoir se lever. Jamais, même au début, de la période d'état elle n'a eu de fièvre ; elle n'a pas cessé de manger, mais elle a observé que souvent, à cette époque, ses urines étaient troubles et rouges; en même temps, elle avait des sueurs abon-dantes, surtout la nuit. La déformation des parties a commencé presque en même temps que la généralisation du mal, laquelle s'est effectuée en deux ou trois semaines. Les douleurs, qui étaient d'abord continues, ne se montrent plus aujourd'hui que par intervalles. L'évolution de la maladie s'est opérée complète-ment, dans l'espace de sept ans, et, aujourd'hui, elle est à son déclin ; presque aucun traitement n'a été tenté ; cependant, trois mois après l'accouchement, la malade est allée à Saint-

Louis, où elle a demeuré quatre mois ; là elle prenait des dou-ches et des fumigations tous les jours, sans éprouver une grande amélioration.

Etat actuel : La malade est brune, d'une constitution nerveuse et bilieuse ; maigreur prononcée, aucun désordre fonctionnel apparent ; pas de roideur dans le cou et la mâchoire; épaules non ankylosées, mais roideur et frottements très mar-qués ; les coudes sont dans la demi-flexion; ils peuvent être fléchis mais non étendus par la malade; on y perçoit des craque-ments : le poignet droit est mobile ; le gauche est complète-ment ankylosé à angle droit, de manière à simuler unemainbot palmaire ; la l'orme de la main droite est celle du second type (ou de flexion), la déviation en masse des phalanges vers le bord cubital est très prononcée. Ces os sont fléchis sur les métacarpiens, dont les tètes font saillie sur le dos de la main. Il y a subluxation des phalanges, en arrière de la tête des méta-carpiens, flexion au niveau des articulations des phalanges avec les phalangines, saillie des têtes osseuses à ce niveau, extension de quelques phalangettes sur les phalanges. Le pouce, les méta-carpiens, sont dans l'abduction et comme luxés ; la première phalange est, au contraire, dans la flexion forcée, et la seconde dans l'extension. Entre le pouce resté un peu mobile et la première phalange de l'index, la malade peut pincer une aiguille dont il lui est possible de se servir pour coudre. La main gauche présente à peu près la même forme que la droite, mais la flexion y est beaucoup moins prononcée. La malade peut manger seule, mais elle est obligée pour le faire de rapprocher sa tête de ses mains. Rien dans les hanches ; demi-flexion des genoux qui sont complètement ankylosés et fléchis à angle droit. Sur le bord des condyles du fémur, au niveau de la fente interarticu-laire, on sent de petites crêtes osseuses qui font saillie sous la peau; il en existe de semblables, au pourtour des condyles du tibia; la rotule est immobile, et subluxée, sur le côté externe de l'articulation ; les tibias ont éprouvé un léger degré de rota-tion en dehors, sur leur grand axe ; la pointe du pied est, par suite, déviée en dehors ; les genoux sont en même temps portés

un peu en dedans. De plus, en examinant les parties de profil, on voit qu'il y a subluxation du tibia, en arrière du fémur, chose que l'on peut d'ailleurs constater par la palpation. La tubérosité externe du tibia fait un peu saillie, en dehors du condyle externe du fémur. Les cous-de-pied ne sont pas anky-losés; les doigts de pied ne sont ni difformes, ni douloureux, ni ankylosés ; mais la malade ne peut pas marcher, on la pose le matin sur une chaise où elle travailfe assise toute la journée.

Observation IV. — Pas d'antécédents héréditaires (?). — Habi-tation humide. — Bronchite chronique à 47 ans. — Début des accidents rhumatismaux à 59 ans. — Envahissement rapide des autres jointures. — Description des jointures. — Description des déformations à 67 ans.

Hospice de la Salpètrière, bâtiment de la Vierge. — La nommée Bridon (Marie-Louise), âgée de soixante-sept ans. Cette femme n'a jamais connu sa mère ; son père, assure-t-eite, n'a jamais présenté de maladie semblable à la sienne, non plus que ses frères. Elfe a exercé pendant huit ans i'état de bfanchis-seuse en gros, et, pendant huit autres années, elle a habité une chambre très humide, dans une maison où elle servait comme domestique. Elle a été réglée à dix ans. Elle avait toujours joui d'une bonne santé, lorsqu'à l'âge de quarante-sept ans, après la disparition des règles, elle a éprouvé des étouffements, et a été atteinte d'une bronchite chronique qui l'incommode encore de temps à autre. Elle était âgée de cinquante-neuf ans, lors-qu'elle s'aperçut d'un peu de rougeur et de gonflement dans les articulations métacarpo-phalangiennes des deux mains ; quelques mois après, elle voit tes poignets devenir égatement rouges et gonflés. Mais elle ne cessait pas de faire son ouvrage, et n'é-prouvait, dit-elle, jamais de fièvre. Deux ans après l'apparition des premières douleurs, un grand nombre de nouvelles jointures s étaient prises sourdement, sans douleurs vives ; vers cette époque, lqs mains ont pris insensiblement l'attitude vicieuse Charcot. Œuvr. compl. ï.vii. Malad. des Vieillards. 20

qu'on leur voit aujourd'hui. Il y a cinq ans que la malade ne peut plus se servir de ses mains, si ce n'est pour s'aider à marcher avec une béquille.

Etat actuel. — Les mains sont en pronation complète ; toutes les jointures en sont rigides et à moitié ankylosées, mais à peine noueuses. Les phalangettes sont fléchies sur les phalangines, les phalangines légèrement étendues sur les phalanges, les phalan-ges fléchies, à angle obtus sur les métacarpiens (premier type). Les jointures des pouces sont mobiles, tuméfiées, et contiennent une assez grande quantité de liquide; les coudes etles épaules sont parfaitement mobiles. Les articulations tibio-tarsiennes sont volumineuses, contiennent également du fiquide, elles ont une mobilité exagérée; la malade ne peut appuyer le pied sur le solpour marcher, elle est forcée de se servir d'une béquille ; les orteils sont tous rigides, redressés ; on perçoit des craquements quand on les remue. Les genoux ne sont ni rigides, ni gonflés ; on n'y perçoit pas de craquements. Les hanches sont parfaitement libres ; le cœur a son volume normal, et l'auscultation n'y fait pas percevoir de bruits morbides. Tous les viscères parais-sent en bon état, et, malgré son âge, la malade est vigoureuse. Depuis deux ou trois ans, elle ne souffre, dans les jointures, que lors des changements de temps.

Rémissions, exacerbations. — Lorsqu'un assez grand nombre d'articulations sont affectées, lorsque la rétraction musculaire a produit des difformités, les malades ne cessent presque jamais de souffrir dans les jointures. On observe seu-lement des rémissions et des exacerbations qui apparaissent sous diverses influences. Sur 23 malades qui sont dans la périoded'état, et qui ont pu donner des renseignements pré-cis, il y en a 19 qui nous ont assuré qu'elles souffrent plus la nuit que le jour. D'ailleurs la plus grande intensité des dou-leurs, pendant la nuit, a été notée par presque tous les au-teurs (Haygarth, Landré-Beauvais, Chomel, Requin).

Il est des malades qui souffrent évidemment plus pendant les chaleurs de l'été que pendant l'hiver ; la plupart attribuent la recrudescence de leurs douleurs au froid et aux variations de température ; il en est quelques-unes enfin, qui prétendent souffrir sur fout à chaque époque menstruelle.

Maladies intercurrentes. — Landré-Beauvais admet que la goutte asthônique se porte souvent sur les viscères, mais nous ne trouvons dans sa thèse aucun fait capable de justifier son opinion. Haygarth a vu, chez trois malades seulement, que les nodosités semblaient alterner avec une colique d'estomac, la gastralgie, et dans un cas avec un asthme. M. Requin a insisté sur la fréquence des phénomènes dyspepsiques dans le cours du rhumatisme articulaire chronique. Pour nous, nous n'avons guère noté, dans nos observations, que des maladies intercurrentes qu'aucun lien véritable ne semblait rattacher à la maladie principale. Quelques infirmes, il est vrai, étaient sujettes à des douleurs d'estomac, et quelquefois même à des vomissements assez opiniâtres ; d'autres éprouvaient les spas-mes et les étouffements notés par Landré-Reauvais ; mais ces symptômes étaient à peu près continus, et ne semblaient ja-mais alterner avec les douleurs articulaires ; ils étaient sur-tout prononcés chez les sujets chloro-anémiques. Les femmes dont nous avons fait l'autopsie avaient succombé aux affec-tions les plus diverses (phtisie, pneumonie, entérite). L'étude des complications cardiaques devait naturellement nous préoc-cuper. Des 41 malades que nous avons observées, il en est 2 qui ont présenté à l'examen plessimétrique et stethoscopique les signes évidents d'une affection du cœur. L'une de ces malades est âgée de soixante ans et l'autre de quarante-neuf ans. Chez la première, il existe une altération des valvules mitrales, compliquée d'une hypertrophie considérable du cœur et accompagnée d'emphysème pulmonaire ; chez l'autre,

Je cœur est également hypertrophié, ainsi que le démontre la, percussion, mais les bruits cardiaques sont normaux. Cette dernière malade présente une infiltration œdémateuse des membres inférieurs.

Terminaisons. — Haygarth a signalé la longévité des ma-lades atteintes de nodosités des jointures ; une des femmes observées par cet auteur vécut quatre-vingt-treize ans. Nous avons observé à l'hospice de la Salpètrière un grand nombre d'infirmes qui ont atteint un âge très avancé (soixante et douze, soixante et dix-sept ans). 11 ne paraît pas que la mort sur-vienne souvent sous l'unique influence de l'affection des join-tures. On pourrait supposer que les infirmes vouées à une immobilité complète, sont fort exposées à la formation d'es-chares à la région sacrée. Pour nous, nous n'avons rencontré qu'une seule fois cette complication. La mort s'en est suivie mais nous n'avons pas pu savoir s'il n'existait pas dans ce ras quelque affection viscérale capable d'expliquer cette ter-minaison funeste. M. Chomel n'a vu, depuis la publication de sa thèse, aucun cas de mort par suite du rhumatisme articu-laire chronique.

Etiologie.

Presque tous les auteurs qui ont écrit sur l'affection qui nous occupe, font étudiée dans les établissements consacrés à l'indigence. Landré-Bauvais et M. Chomel ont recueilli leurs observations à la Salpètrière ; M. Adams a relevé les siennes dans l'hospice manufacturier de Dublin : la misère, avec toutes ses conséquences est une chose que l'on ne saurait ré-voquer en doute. Landré-Bauvais ne nous a donné aucun renseignement précis sur l'époque de la vie où se développe

le plus spécialement la goutte asthénique primitive. En con-sultant les trois observations qu'il nous a laissées, nous voyons que, dans la première, la maladie avait commencé à 30 ans; dans la deuxième, elle débute huit jours après un accouchement ; dans la troisième, elle n'apparaît qu'à l'âge de 72 ans. Les résultats notés par Haygarth sur le même sujet sont à signaler : suivant cet auteur, ce serait presque toujours à l'époque de la ménopause que débuterait la maladie. Ainsi 3 femmes seulement sur 33 furent prises pendant la période de la menstruation régulière. De ces 3 femmes, 2 étaient âgées de 30 à 40 ans, l'autre d'environ 50 ans ; presque toutes les autres malades avaient plus de 41 ans. Voici le résultat de nos propres recherches à ce sujet : sur 41 cas, 4 malades ont été prises à l'âge de 20 ans; 10 ont été atteintes de 20 à 30 ans; 7 de 30 à 40 ans; 14 de 40 à 60 ans ; enfin, 6 seule-ment avaient dépassé 60 ans.

D'où cette conclusion : il y a deux périodes dans la vie, où se montre principalement le début de la maladie ; la première période s'étend de 20 à 30 ans ; la seconde de 40 à 60 ans.

Aucun tempérament, aucune constitution n'ont paru avoir d'influence particulière sur le développement de l'affection. L'hérédité a été notée, dans nos observations, 11 fois sur 41 cas ; mais la cause que les malades ont le plus souvent invo-quée, c'est l'action prolongée du froid humide. Des 41 femmes que nous avons interrogées, il s'en trouve 19 qui ont habité, un bon nombre d'années, des chambres humides, froides, mal aérées, non éclairées, situées dans les rues de Paris les plus étroites. Nous avons été conduits à admettre, en outre, l'influence de l'humidité froide chez 8 autres femmes qui, par profession, séjournaient pendant la plus grande partie du jour dans des ateliers humides, où souvent même elles couchaient. 27 fois donc, sur 41, l'influence prolongée du froid humide paraît avoir contribué à la production de la maladie.

Il était intéressant de rechercher quel laps de temps s'écoule en général entre l'application de cette dernière cause et l'apparition des premiers symptômes, et s'il existe, comme dit Haygarth, une sorte de période d'incubation. 16 malades seulement ont pu nous donner des renseignements suffisam-ment précis sur ce sujet, et nous avons trouvé que quelque-fois l'affection articulaire se développe, alors même que la cause agit encore, tandis que le plus souvent, au contraire, 0,6, 8 ans se sont écoulés depuis qu'elle a cessé d'agir. L'ha-bitation prolongée dans un lieu humide est la seule cause occasionnelle à action lente que nous ayons notée ; toutes les autres causes invoquées par les malades nous paraissent pu-rement excitatrices, et elles se distinguent de la précédente en ce qu'elles sont suivies généralement de l'apparition immé-diate des douleurs. Dans 4 de nos observations, les jointures ont été prises pour la première fois vers la fin de la grossesse ou quelques semaines après un accouchement naturel. L'ac-couchement est, d'ailleurs, considéré par M. Cruveilhier comme une cause occasionnelle de rhumatisme articulaire chronique. MM. Chomel et Requin, M. Piorry, admettent, comme on sait, que cette même cause n'est pas sans influence sur le développement du rhumatisme articulaire aigu. Nous ne notons que deux fois la suppression des règles, et une fois seulement l'action brusque du froid, le corps étant en sueur, comme ayant provoqué l'apparition des premiers accidents, qui se manifestent souvent, au contraire, peu de temps après la ménopause, ainsi que Haygarth l'a remarqué.

Quelle est la fréquence de la maladie ? nous sommes por-tés à croire qu'elle est assez grande ; car, d'après un calcul approximatif que nous avons fait à la Salpètrière, avec notre collègue et ami M. ïrastour cette affection motiverait un vingtième des admissions dans les dortoirs spécialement des-tinés aux infirmes de tout genre.

Nous ne pouvons pas nous-mêmes rien affirmer sur l'in-fluence des sexes, puisque nous n'avons guère observé que des femmes. Landré-Beauvais se tait sur ce point peut-être pour la même raison. Haygarth nous apprend qu'il a ren-contre la nodosité des jointures chez 34 malades ; un seul homme figure dans son relevé. Il étaitun moyen assez simple de résoudre la question de l'influence des sexes : c'était de ré-péter h l'hospice de Bicêtre le travail que nous avons entre-pris à la Salpêtriôre ; mais nous n'avons pu mettre cette idée à exécution. Tout ce que nous pouvons dire sur ce su-jet, c'est que dans le cours de notre internat, nous n'avons rencontré qu'un petit nombre d'hommes qui présentassent une affection en tout semblable à celle que nous avons si fréquem-ment observée chez les femmes. Nous avons cru devoir rap-porter l'observation d'un de ces malades ; elle se trouve à la fin de notre travail.

Terminons ce chapitre , en faisant remarquer qu'aucun de nos malades n'a présenté d'attaques de rhumatisme articulaire franchement aigu, avant le début de l'affection dont le déve-loppement a été la cause de déplorables infirmités.

Anatomie pathologique.

Les malades sur lesquelles ont été pratiquées les autopsies qui font la base de cette partie de notre travail sont au nom-bre de six; elles ont succombé à des affections viscérales très diverses (pneumonie, phtisie, entérite chronique ulcéreuse, etc.). Ces femmes étaient âgées de cinquante à soixante et dix ans, lorsqu'elles moururent et présentaient les déformations des jointures depuis six, huit, dix années.

Nous n'avons guère à nous occuper que des lésions qu'ont offertes les parties constituantes et accessoires des jointures.

car, disons-le par avance, les autres organes de l'économie n'ont pas présenté d'altérations qui se rattachent directement à notre sujet.

Ces lésions étaient toujours les mômes, sauf le degré, quelles que fussent les jointures qu'on ouvrit. Elles étaient, comme on pouvait le. prévoir, plus constantes et généralement plus avancées dans les petites articulations des extrémités supérieures que dans toutes les autres ; elles portaient à la fois sur les extrémités des os, les cartilages diarfhrodiaux, la membrane synoviale. Nous allons les exposer brièvement, car elles n'ont rien qui difffôre essentiellement de ce qui a été dit par la plupart des auteurs des altérations propres au rhuma-tisme articulaire chronique, par Lobstein de l'épiphlogose articulaire, et tout récemment par MM. Deville et Broca, de l'arthrite sèche.

Les têtes des os, au voisinage des jointures malades, pa-raissent le plus souvent comme imbibées de sang, friables, ra-réfiées ; elle se laissent aisément pénétrer par le scalpel, d'au-tres fois, la raréfaction du tissu osseux est tout aussi remar-quable que dans le cas précédent ; les cavités médullaires du corps des os paraissent plus grandes que de coutume, leurs parois sont amincies, mais le tissu spongieux n'est pas infitré de sang, ses vacuoles sont comblées par une sorte de graisse demi-liquide. Enfin, le tissu des extrémités osseuses peut-être plus dur, plus compacte qu'à l'état normal, et en même temps privé de vascularité. Dans ce dernier cas, les parois du canal médullaire ont souvent acquis une épaisseur considérable. Landré-Beauvais avait déjà noté la pulpart de ces lésions dans la goutte mthénique.

Les têtes des os présentent presque toujours, au pourtour du cartilage diarthrodial, des espèces de végétations ou stalac-tites osseuses, qui les circonscrivent en forme de couronne complète ou plus ou moins interrompue. 11 est toujours facile

de reconnaître que ces productions adhèrent complètement aux os sur lesquels elles sont comme greffées ; elles m'ont sem-blé parfois molles, rosées, faciles à entamer par le scalpel, et d'une apparence cartilagineuse ; d'autres fois, elles étaient vé-ritablement ossifiées, et alors, elles paraissent d'une texture spongieuse et comme vermoulues. En tout cas, elles n'ont au-cune ressemblance avec les concrétions tophacées de la goutte.

Les cartilages diarthrodiaux présentent presque constam-ment soit de simples érosions, soit des ulcérations véritables. Les ulcérations sont de deux espèces : les unes, plus ou moins arrondies, à bords nets et comme taillés à pic pénè-trent foute l'épaisseur du cartilage, dont elles occupent tantôt le centre, tantôt la périphérie. Dans ce dernier cas, elles con-tiennent souvent très exactement des replis de la membrane synoviale, qui paraissent moulée sur elles. Les ulcérations de la deuxième espèce ont des bords frangés, mal circonscrits, leur fond est hérissé de petites houppes flottantes dont l'en-_ semble présente un aspect velouté. Ce sont,, en un mot, les ulcérations velvétiques, comme on dit aujourd'hui.

Dans les cas où les jointures avaient conservé un certain degré de mobilité, la membrane synoviale était injectée, rouge, violacée, comme variqueuse, et de sa face interne, qui était villeuse, partaient des processus plus ou moins ramifiés; la cavité de cette membrane était humide, tapissée d'une sérosité visqueuse ; elle renfermait quelquefois des flocons épais et laiteux, et souvent de petits corps étrangers, mobiles ou adhérents. Lorsque, les mouvements des jointures étaient, au contraire, plus ou moins obscurs, ou même presque nuls, la membrane synoviale avait en partie disparu. A sa place, on trouvait des tractus cellulo-fibreux, dirigés en sens divers et qui nous ont semblé partir du fond des ulcérations du car-lilage, ou, d'autres fois, du cartilage lui-même, devenu en partie fibreux.

Dans presque tous les cas, la membrane synoviale était doublée à l'extérieur par une série de gaines celluleuses de nouvelle formation plus ou moins épaisses, quelquefois en partie ossifiées. Ces gaines étaient souvent, sur le cadavre, la seule cause qui s'opposât au redressement des jointures déviées. Les ligaments péri-articulaires ne nous ont pas paru altérés ; il n'en est pas de même des ligaments intra-articu-laires, qui avaient quelquefois disparu plus ou moins com-plètement.

Les muscles des membres dont les articulations étaient atteintes d'ankylose ou de rigidité plus ou moins complète étaient souvent atrophiés et infiltrés de graisse ; ils avaient leur couleur et leur consistance normales, dans tous les cas où les jointures avaient encore conservé quelques mouve-ments.

Ainsi que nous l'avons déjà fait pressentir, à part les lésions qui avaient déterminé la mort, les viscères n'ont rien pré-senté qui doive être signalé ici : les organes urinaires ont été plus spécialement l'objet de notre attention; les reins n'ont offert aucun des caractères de l'altération si bien décrite par M. Rayer, sous le nom de néphrite goutteuse.

Nous n'avons jamais rencontré soit dans les jointures elles-mêmes, soit dans les parties voisines, les dépôts crétacés qui, pour la plupart des auteurs, constituent le caractère anatomique le plus saillant de la goutte. Rappelons que Lan-dré-Beauvais, qui a fait à la Salpêtrière, ainsi qu'il nous l'ap-prend lui-même, un grand nombre d'ouvertures de corps, n'a jamais rencontré de ces dépôts, dans les cas où la diffor-mité des articulations semblait annoncer leur existence.

Les altérations articulaires que nous venons de passer en revue, ne sont nullement particulières aux cas qui font l'objet de notre étude; tous les auteurs en ont signalé l'existence dans des circonstances où les grandes articulations étaient

seules atteintes (Bouillaud, Chomel et Requin.) Ces lésions, on n'en saurait douter, sont le résultat de l'inflammation. Mais l'inflammation qui les produit agît d'une manière lente; elle désorganise les tissus dans certains points, en même temps qu'elle engendre ailleurs des productions nouvelles (corps étrangers, bourrelets osseux); elle paraît n'amener jamais, à moins de circonstances étrangères, la production du pus. C'est là un caractère important à noter, que Lobstein avait remarqué déjà, mais qui a surtout été mis en lumière, dans ces derniers temps, par MM. Deville et Broca, dans leurs études remarquables sur Y arthrite sèche (1).

Résumé

Les infirmités que nous avons décrites, d'après les observa-lions relevées à l'hospice de la Salpêtrière reconnaissent pour cause une affection primitivement chronique, qui a pour siège de prédilection les petites jointures des extrémités des mem-bres, mais qui peut envahir la plupart des grandes articula-tions, successivement et dans un certain ordre.

Nous avons rencontré cette affection chez des femmes d'une

1. Nous avons trouvé de bons renseignements sur le sujet qui nous oeeupe dans les auteurs suivants :

Portai. — Observations sur la nature et le traitement du rachitisme. Paris, 1798.

Kohler. — Berchreib. der Phys. und Path. prap. Iena, 1795. Voigtel. — Handbuch. der path. Anal.. Halle, 1804. Sandifort. — Mus. anat., t. 2 ; 1793. Lobstein. — Anal, path., t. 2.

W.Smith — A Treatise on fractures in t/ie vicinitu of '/oints. Dublin. 1847.

Gruveilhier. — Atlas d'anat palhol., t. 2, 9e livraison. Requin. — Loc. cit.

Adams. — The Cyclop. of anat. and physiol.. Lond., 1839. Broca. — Comptes rendus de la Société anatomir/ue. 1851.

condition misérable, et qui, pour la plupart, ont été exposées pendant de longues années à l'influence du froid humide.

Elle a débuté le plus souvent par les jointures des doigts, de la main, où elle a produit des douleurs articulaires, mi gonflement des parties superficielles qui a gagné bientôt les parties profondes et y a déterminé des déformations perma-nentes.

A une époque plus ou moins voisine du début, il s'est dé-veloppé des douleurs sourdes, et d'un caractère spécial, qui paraissaient avoir leur siège dans les muscles, et qui s'accom-pagnaient de rétraction des extrémités ou des membres eux-mêmes ; d'autres fois, cette rétraction ne s'est accompagnée d'aucune douleur appréciable dans le trajet des muscles. Les déformations ont été caractérisées par le gonflement profond dont nous avons parlé plus haut, des subluxations des os, et des déviations quelquefois très prononcées.

Les déviations, qui se prêtent à une description spéciale, pour chaque espèce de jointures, se sont faites, en général, pour les grandes articulations dans le sens de la flexion ; elles ont pu, quant à ce qui concerne les mains, être ramenées, comme nous l'avons montré, à deux types à peu près cons-tants.

L'affection a présenté une marche très lente et a déterminé peu de douleurs, lorsqu'elle s'est développée chez des femmes âgées ; son évolution a été, au contraire, souvent assez ra-pide, les douleurs ont été vives, chez les sujets d'un âge moins avancé. Les déviations sont alors apparues de bonne heure, et sont devenues plus marquées.

Chez un certain nombre de jeunes sujets, la rétraction mus-culaire a singulièrement prédominé sur les phénomènes ar-thritiques. Après avoir présenté pendant longtemps des rémis-sions plus ou moins complètes, la marche est devenue enfin

continue avec des exacerbations. Les malades ont alors quel-quefois éprouvé des phénomènes fébriles, eu général peu in-tenses et de peu de durée. Dans deux cas sur quarante et un, nous avons rencontré une complication évidente du coté du cœur.

Aucune des manifestations de la diathèse urique n'a été remarquée. Les dépôts de matières fophacées dans les join-tures, ou à leur périphérie n'ont été observées à aucune époque de la maladie, quel qu'ait été d'ailleurs le nombre des petites articulations atteintes et le degré des altérations qui y ont été rencontrées.

Les lésions trouvées, par l'autopsie, dans les jointures, étaient les mêmes que celles qui ont été rattachées, par la plupart des auteurs, au rhumatisme articulaire primitivement chronique, à ces différences près, qu'elles siégeaient dans un plus grand nombre d'articulations à la fois et qu'elles se ren-contraient plus constamment et à un plus haut degré dans les jointures des extrémités supérieures.

Telles sont les seules conclusions immédiates que nous puissions déduire des études purement descriptives que nous avons faites.

On voit, par le résumé qui précède, que la description tra-cée d'après nos observations ne diffère pas essentiellement de celle qui nous a été donnée, par la plupart des auteurs, du rhu-matisme articulaire chronique, et par M. le professeur Piorry des arthrites chroniques et des arthropathies, indépendantes de l'hémite. Les causes, les lésions, les symptômes, sont au fond les mêmes dans les deux cas. Mais pourquoi, chez cer-tains sujets, les arthrites sévissent-elles de préférence sur les petites jointures des extrémités ? Pourquoi cette marche pres-que toujours fatalement envahissante? Pourquoi ces déforma-. bons, ces déviations habituellement prononcées, et parfois

si rapidement produites sous l'influence de la rétraction des muscles? Voilà autant de différences fort importantes que nous signalons, sans pouvoir en pénétrer la cause; nous n'en trouvons d'explication suffisante ni dans le sexe, ni dans l'âge, ni dans la constitution des sujets affectés, ni enfin dans l'in-tensité ou la nature des causes occasionnelles. Des observa-tions beaucoup plus nombreuses et plus suivies que les nôtres nous paraissent nécessaires pour résoudre ces questions que nous n'avons pu qu'indiquer.

Les analogies qui existent entre les cas que nous avons ob-servés et ceux qu'on trouve chez les auteurs, comme étant des exemples de goutte invétérée, sont tellement frappantes, que plusieurs pathologïstes (MM. Chomel, Requin, Grisolle) se sont appuyés sur elle pour établir qu'en nosologie, la goutte ne saurait être nettement séparée du rhumatisme. 11 nous paraît indubitable, d'après ce que nous avons lu, que parmi les ob-servations de goutte chronique, froide, asthénique, qui existent dans la science, il en est beaucoup qu'il faut considérer comme des exemples d'arthrites chroniques, rhumatismales, fixées sur les petites jointures. Si cependant il faut, |t. l'exemple de la plupart des médecins modernes (MM. Rayer, Cruveilhier, Piorry), considérer la goutte confie une maladie bien dis-tincte, suffisamment caractérisée au point de vue nosologique, parla diathèse urique dont elle est inséparable, les observa-tions que nous avons recueillies, manquaient toutes du carac-tère qui dégage du rhumatisme la goutte ainsi définie; même dans les cas les plus prononcés, les plus invétérés, nous ne trouvons ni les dépôts tophacés des jointures, ni les modifi-cations de la sécrétion urinaire, ni même les phénomènes viscéraux particuliers qui sont l'apanage des affections gout-teuses.

Ajoutons, d'après les auteurs, que la goutte est très sou-

vent héréditaire, qu'elle n'attaque que rarement les femmes, qu'elle est une maladie des gens riches, qu'elle reconnaît pour cause l'usage immodéré de vins généreux, de substances ali-mentaires abondantes et riches en matières azotées, et nous aurons indiqué des circonstances étiologiques bien opposées à celles que nous avons trouvées dans les antécédents de nos malades.

Nous aurions cherché à établir un parallèle plus complet entre la goutte et l'arthrite rhumatismale chronique des petites jointures, si nous avions été assez heureux pour pouvoir re-cueillir quelques faits relatifs à la première de ces maladies ; mais, pendant tout le cours de notre internat, nous n'avons rencontré, dans les hôpitaux, aucun malade atteint de goutte avec diathèse urique et productions tophacées dans les join-tures. Il nous a paru peu convenable de reproduire ici, sans avoir pu la vérifier par des observations qui nous fussent propres, une comparaison qui se trouve établie dans la plu-part des traités classiques.

Le but de cette dissertation aura été rempli, si les études que nous avons faites peuvent être utiles aux personnes qui, munies de matériaux plus complets, aborderont ce terrain assez aride et encore peu exploré.

Observation V. — Pas d'antécédents héréditaires. — Pas d'ha-bitation humide. ?—Début des douleurs, à .23 ans, au sixième mois de la grossesse. — Refroidissement durant les règles ; réapparition des douleurs ; envahissement de toutes les jointures. — Apparition rapide des déformations. — Description des jointures à 49 ans.

Hospice de la Salpètrière. Cuny (Anne), célibataire, née le 28 frimaire an XII, entra le 28 février 1834, division des incurables,

service de M. le Dr Moissenet. — Le père et la mère de cette malade n'ont jamais eu ni rhumatisme, ni goutte; elle a deux sœurs bien portantes et exemptes de douleurs dans les jointures. Elle a été réglée à vingt ans; à cette époque, elle avait des flueurs blanches, mais elle n'a pas eu les pâles couleurs; une fois établi, l'écoulement menstruel avait lieu tous les mois régu-lièrement. Dans sa jeunesse, cette femme n'a éprouvé aucune maladie. Depuis l'âge de quatorze ans, elle sert en maison; par-tout où elle a servi elle a été bien nourrie, bien logée ; elle n'a jamais habité d'endroit humide. A vingt-trois ans, elle devient grosse ; elle accouche à terme, et sans accident, d'un enfant, bien portant d'abord, mais qui meurt à l'âge de onze mois.

Vers le cinquième mois de sa grossesse, elle quitte Paris, et va habiter une maison de laboureur, et couche dans une cham-bre parfaitement saine. Vers le sixième mois de sa grossesse, elle s'aperçoit en tillant du chanvre, qu'elle éprouve de la gène clans les mouvements et de la douleur dans les articulations métacar-po-phalangiennes du pouce et de l'index de la main droite. Cette douleur est à peine accompagnée d'un peu de rougeur ; quel-que temps après, le genou droit se prend, devient rouge, et surtout gonflé. On applique sur cette partie une douzaine de sangsues qui soulagent momentanément; mais peu à peu les jointures tibio-tarsiennes se prennent à leur tour, puis les poi-gnets. Mais, dans ces deux dernières jointures, même au début, il n'y a ni rougeur ni gonflement, et seulement un sentiment de faiblesse et comme d'engourdissement; l'accouchement s'opère, naturellement et à terme, les lochies et la sécrétion du lait ont lieu normalement. Huit jours environ après l'accouchement, au commencement d'octobre, la malade, étant encore dans le sang, se rend, par un temps froid, à une source où elle lave du linge ; elle revient transie. Les douleurs, qui avaient à peu près disparu, reparaissent tout à coup, et cette fois, toutes les jointures de la main se prennent, et, en même temps, les articulations du cou-de-pied sont atteintes de nouveau; cette fois, les douleurs et la gêne des mouvements sont les seuls symptômes, il n'y a ni

rougeur ni gonflement. Au bout de quelques jours, toutes les. jointures du corps sont envahies simultanément sans nouvelle cause apparente. Dès lors, tout mouvement devient impossible, et depuis ce temps, la malade n'a jamais quitté le lit. Les mâ-choires, les mains, les orteils, les cous-de-pied, les genoux, les coudes, etc., toutes les articulations sont prises, à l'excep-tion des épaules e't des hanches. Malgré cette rapide invasion, il ne se manifesta pas de lièvre, du moins la malade l'assure ; elle n'a pas cessé un seul jour de manger. A partir de celte époque, les douleurs se sont fait sentir presque sans interrup-tion pendant quatre ans. Dès le début, l'usage des membres a été presque complètement aboli; la malade a maigri très rapi-dement, et, en peu de temps, elle est devenue très pâle. Aucun traitement n'a été dirigé contre le mal. Les douleurs étaient plus vives la nuit que le jour, et elles empêchaient quelquefois le sommeil; on les exaspérait en provoquant des mouvements. Dès le début des nouvelles douleurs articulaires, les membres ont pris une attitude vicieuse ; la malade y éprouvait un senti-ment de faiblesse, et une sorte de tremblement nerveux. Peu à peu, ils se sont fléchis, contractures, et ils sont devenus crochus comme on les voit aujourd'hui ; elle éprouvait alors des espèces de crampes, avec tendance invincible à la flexion de la plupart des jointures, elle faisait tous ses efforts pour vaincre cette flexion ; ce qui la gênait surtout, c'était la tendance qu'avaient les membres inférieurs à se fléchir, à se contracturer. Mais la malade, par un mécanisme ingénieux, a mis fin à la rétraction douloureuse de ses membres : elle a fait placer, sous ses cuis-ses, un long coussin en forme de plan incliné et elle a obtenu ainsi une demi-flexion légère, beaucoup moins incommode.

Pendant cette sorte de période d'acuité, elle n'a pas cessé d'être réglée. Elle a allaité son enfant, qu'on lui apportait sur son lit ; au bout de onze mois, l'enfant meurt (d'une maladie inconnue). A la suite de l'émotion que cet événement causa à la malade, les règles ont cessé de paraître pendant deux mois. Les urines, assure-t-elle, n'ont jamais présenté rien de remar-quable. Au bout d'un an, l'infirmité était aussi prononcée qu'elle

Charcot. Œuvr. compl. t. Malad. des Vieillards. 26

Test aujourd'hui, et au bout de quatre ans, les douleurs avaient, spontanément diminué. A cette époque, on a placé la malade sur une charrette, on l'a transportée à Paris où elle a été admise par complaisance à l'hôpital du Midi, dans le service de M. Ri-eord ; elle y est restée dix-neuf mois. Les douleurs étaient, continues, mais assez supportables ; lanuitseuleles exaspérait; la malade est sortie au bout de dix-neuf mois de l'hôpital du Midi, pour entrer à la Salpètrière où elle est déjà depuis vingt, ans. Elle était encore souffrante lorsqu'elle y est entrée, mais, les douleurs ne reparaissaient guère qu'avec les changements, de saisons; aucune médication n'a été essayée à l'hospice ; depuis vingt ans, cette femme est dans la position où nous la. voyons aujourd'hui ; elle n'a cessé, pendant ce temps, de se bien porter et n'a même éprouvé aucune indisposition notable.

Etat actuel. — Maigreur ou mieux atrophie générale, teinte blafarde des téguments, souffle anémique au cœur et dans les vaisseaux du cou, volume normal du cœur; la malade est dans le décubitus dorsal, elle ne quitte jamais le lit ; elle jouit d'une bonne santé, on peut le dire, et. prend son mal en patience ; au-jourd'hui, les douleurs ont presque complètement cessé ; les urines sont normales.

Etat des jointures. — Articulation temporo-max'dlaire : La malade ne peut ouvrir la bouche qu'incomplètement; quand elle bâille, craquement dans les articulations tempo-ro-maxillaires ; elle ne peut baisser la tète, le cou est tout à fait roide ; les jointures scapulo-humérales paraissent anky-losées (elles n'ont jamais été douloureuses). Mais la malade peut encore exécuter quelques mouvements de totalité du bras, au moyen de l'omoplate; tout le membre supérieur est alors soulevé d'une pièce.

Les deux coudes sont ankylosés complètement ; les bras sont fléchis à angle droit sur les avant-bras, lesquels sont dans la pronation et appliqués contre la poitrine; les poi-gnets sont dans la flexion ; les extrémités inférieures du

cubitus et du radius font saillie du côté du dos de la main; toutes les articulations métacarpo-phalangiennes sont un peu mobiles, et, dans les mouvements, on y entend de légers craquements; les phalanges sont fléchies sur les méta-carpiens; les articulations des doigts sont toutes déformées; la forme de la main est extrêmement bizarre, et se rappro-che beaucoup du 1er type que j'ai admis (type d'extension), c'est-à-dire qu'il y a successivement flexion des phalanges, puis extension des phalangines, puis enfin flexion des pha-langettes. Les pouces sont dans l'abduction, et encore mo-biles, la main est sèche, la peau y est comme collée sur les os, dont les têtes font saillie sous forme de tubercules; il n'y a pas de gonflement noueux véritable au niveau des jointures, et il n'y a pas lieu de songer à l'accumulation de matière tophacée à leur niveau. La malade, en raison des mouvements des phalanges et des mouvements d'épaule, peut encore porter les aliments à sa bouche, à l'aide d'une fourchette dont le manche est long de 2 pieds et demi; elle s'en sert pour piquer ses aliments qu'on divise préala-blement, et les porter ensuite à sa bouche, en faisant glis-ser l'instrument avec une de ses mains, tandis que l'autre main le dirige.

Varliculation coxo-fémorale est assez libre et elle n'a jamais été douloureuse ; les genoux, ankylosés complètement, sont dans une légère demi-flexion ; cous-de-pied : ankylose complète. Le pied droit est un peu dévié en dehors, les articulations méta-carpo-phalangiennes du gros orteil sont un peu mobiles; tous les autres orteils sont comme recroquiilés et ankylosés.

Observation VI. — Pas d'antécédents héréditaires. — Habita* lion humide ; première manifestation rhumatismale. — Nouveaux accidents sept ans plus tard, suivis de déformation articulaire. — Etat des jointures èi 56 ans. — Tuberculisaiion pulmonaire ; mort. — Autopsie : Description des lésions articulaires.

Le 3 Mars 1851, entre dans la salle Saint-Michel, Service

de M. Rayer, à l'hôpital delà Charité, le nommé Maul-Laurier-Beaufils, tailleur, âgé de cinquante-six ans. Cet homme n'a pas eu de parents goutteux ou rhumatisants; il se nourrit halituellement mal, et ne boit jamais de vin. En 1828, il habitait un re/.-de-chaussée tellement humide, que les murs en sont continuellement mouillés, et qu'ils sont couverts de cristaux. Au bout d'un an de séjour dans ce lieu, Maul éprouve tout à coup, pendant la marche, une douleur tellement vive dans l'articulation de la première avec la deuxième pha-lange du gros orteil droit, qu'on est forcé de le ramener chez lui. Cette douleur, il la compare à un engourdissement très in-tense. Quelques mois après cette première attaque, toutes les articulations des orteils du pied gauche deviennent simulta-nément rouges, tuméliées, et causent des douleurs analogues à celles qui avalent existé dans le pouce ; cette nouvelle inva-sion est d'ailleurs précédée de frissons et accompagnée de fièvre ; bientôt après, le pied droit se prend lui-même, et enfin les articulations des doigts des deux mains. D'abord bornées aux petites articulations, la tuméfaction, la rougeur et la douleur se montrent bientôt aux articulations tibio-tar-siennes, et aux deux articulations du poignet. Cette période d'acuité dure huit jours environ, pendant lesquels le malade, ne pouvant plus marcher, - était transporté chaque jour à l'hôpital Saint-Louis, où il fait usage, dès le début, de bains de vapeur et de fumigations. Au bout de ce temps, survient une rémission, suivie bientôt de nouveaux accès venant irrégulièrement de temps à autre, lesquels étaient précédés par de légers frissons, et s'accompagnaient de sueurs abon-dantes. Les choses restent ainsi, pendant cinq ans environ.

En 1835, Maul, qui habite cependant alors un logement sec, voit le mal, qui s'était borné presque exclusivement aux petites articulations des pieds et des mains, envahir les coudes, et, à cette époque déjà, se manifeste une certaine difficulté dans l'extension de l'avant-bras sur le bras. Ce sont surtout les membes supérieurs qui sont le siège des

douleurs, à cotte nouvelle période de la maladie; c'est alors qu'il commence à apercevoir une déformation dans les articu-lations des doigts de la mjdn ; à cette époque aussi, il fait remonter les ankyloses que nous observons dans diverses articulations des extrémités inférieures. Enfin, après une série de rechutes pendant lesquelles augmentent les diffor-mités articulaires et la perte ou la diminution des mouvements de certaines jointures, une douleur se manifeste pour la première fois dans l'épaule gauche, sans rougeur ni gonfle-ment cette fois.

Lors de son entrée à l'hôpital, cet homme nous paraît d'une constitution entièrement détériorée ; il est faible, cacochyme, pâle, et maigre ; il assure ne tousser que depuis un mois envi-ron, et n'avoir jamais craché le sang. Il y a dix jours, qu'à la suite de frissons, il éprouva un point de côté avec oppression au côté gauche de la poitrine ; bientôt surviennent de l'in-somnie et de l'inappétence ; il assure que, lors de l'invasion du point de côté, les articulations des mains, qui étaient gon-flées et rouges, cessèrent subitement d'être tuméfiées et dou-loureuses. D'ailleurs, pas d'antécédents syphilitiques, jamais aucun phénomène notable soit du côté de l'estomac, soit du côté du cœur ou des intestins. L'urine est habituellement trèsclaire.

Cet homme, outre les bains de vapeur dont il a fait usage, à une certaine époque, se contentait de prendre, lors des at-taques, de 8 à 10 gouttes de teinture de colchique, médicament qui le soulageait toujours, mais dont il était bientôt forcé de suspendre l'usage, à cause d'hallucinations et de maux de gencives qui ne tardaient pas à survenir.

Dans Y état actuel, nous avons à étudier chez le malade, 1° les vestiges de l'affection habituelle des articulations, qui est dans ce moment dans une période, de rémission ; 2° une affection pectorale. Voici d'abord dans quel état nous trouvons les diverses articulations.

Pied gauche. — Aucune ankylose ; seulement, quand on

meut les surfaces articulaires les unes sur les autres, on entend, un léger craquement dans les diverses articulations des orteils, et en particulier du gros orteil. L'articulation tibio-tarsienne paraît déformée, c'est-à-dire que les enfoncements naturels, paraissent remplis, et quand on en palpe les contours, la mol-lesse habituelle des parties est remplacée par une résistance très grande ; il semble que tout le pourtour de l'articulation se soit incrusté d'une matière solide ; d'ailleurs, immobilité complète de cette articulation ; le pied est hxé à angle droit sur la jambe. Cette soudure était déjà complète il y a une dizaine d'années. Dans toutes les autres articulations du pied, et dans celles des orteils, les mouvements paraissent conservés ; les. différentes pièces du tarse paraissent cependant soudées entre? elles.

Au pied droit, pas d'ankylose soit aux orteils, soit au tarse, soit dans l'articulation tibio-tarsienne; ni déformation, ni rou-geur, ni gonflement de ces diverses articulations ; cependant, le frottement des surfaces articulaires fait entendre un certain craquement. Le malade assure n'avoir jamais souffert dans les; articulations fémoro-tibiales ou coxo-fémorales.

Membre supérieur gauche. — En général, les articulations, du métacarpe avec les doigts et les différentes phalanges entre elles sont gonflées, déformées, mais sans rougeur pour le mo-ment ; la déformation paraît tenir à un gonflement des tissus, osseux mêmes, ou bien à des productions osseuses péri-articu-laires de nouvelle formation. Les doigts ont, par suite, un aspect, fusiforme, avec des renflements au niveau de chaque article. On remarque dans l'articulation entre le premier métatarsien et la première phalange du pouce, une sorte de luxation de cette dernière en avant et en dedans de la tête du métatarsien ;.en même temps, les mouvements provoqués de cette articulation sont obscurs ; il y a une sorte de demi-ankylose, ce qui n'em-pêche pas que le frottement des surfaces articufaires ne déter-mine un craquement très sensible ; d'ailleurs, déformation et gonflement analogues des articulations des deuxième, troi-

sième et quatrième métatarsiens avec les phalanges correspon-dantes, avec craquement des surfaces articulaires, mais sans ankyloses ; les phalanges paraissent en outre déformées un peu en avant de la tête des métacarpiens ; déformation analogue, mais plus légère, dans les articulations des différentes pha-langes entre elles ; crépitation sensible par les mouvements provoqués dans les diverses articulations. La main, considérée en général, est en outre déformée ; ainsi les diverses phalanges des doigts sont habituellement dans l'extension, mais les doigts sont légèrement fléchis sur les métacarpiens ; de plus, ils sont légèrement inclinés vers le bord interne de la main.

Les mouvements volontaires sont pour la plupart conservés, mais difficiles ; les mouvements provoqués sont limités. C'est ainsi qu'il y a un obstacle à l'extension de tous les doigts sur les métatarsiens, et que les mouvements divers dans l'articu-lation du premier métacarpien avec la première phalange sont très faibles, par suite de la clemi-ankvlose déjà notée.

Articulation radio-carpienne. — Elle est déformée, les saillies osseuses sont peu prononcées, les enfoncements sont comblés ; la main est immobile dans l'axe de l'avant-bras ; les mouvements provoqués ou spontanés sont tout-à-fait nuls.

L'ankylose paraît complète ; elle remonte, dit-il à une dizaine d'années.

Articulation huméro-cubilalc. — L'avant-bras fait un angle de 35 à 40 degrés avec le bras ; l'avant-bras et le bras sont, en outre, dans une pronation habituelle. Quand on cherche à étendre l'avant-bras sur le bras, ou à provoquer la supination, on ne peut y parvenir, car aussitôt les muscles paraissent agir violemment, et des cordes correspondant à leurs tendons se dessinent sous les téguments. Ces cordes paraissent dues aux tendons des muscles long supinateur, grand pronateur ; d'ail-leurs, elles existent à un certain degré, alors même qu'on ne cherche pas à détruire la flexion. Quand on dit au malade de fléchir l'avant-bras sur le bras, il le fait d'ailleurs sans douleurs

ou difficulté. Le biceps brachial et le brachial antérieur ne^ paraissent jouer aucun rôle dans l'obstacle à l'extension. Ajou-tons que le frottement des surfaces articulaires de l'articulationt du coude s'accompagne d'un craquement très sensible. L'épaule^ est douloureuse depuis trois mois environ ; cependant, il n'y a. pas là de craquement sensible, et les mouvements en sonb assez libres. Tout ce que nous avons dit du membre supérieur-gauche s'applique exactement au membre supérieur droit. Tel-est l'état des diverses articulations ; mais, nous l'avons dit, le-rhumatisme n'est pas actuellement la maladie principale. Nous, avons parlé du début de l'affection pectorale.

Le trois mars, jour d'entrée, nous constatons, par l'ausculta-tion, des râles très abondants, muqueux, à grosse bulles, des-deux côtés de la poitrine : pas de matité par la percussion ; souffle au premier temps au cœur et à la base ; ce souffle est. doux ; souffle vasculaire au cou ; expectoration de crachats muqueux, verts, larges, arrondis ; oppression assez forte ; fiè-vre. — Les jours suivants, même état. (Pot. gomm., diète.) Les 10 et 11, pot. stibiée, 0,010. — Les 12, 13 et 14, pot. ker-mès, 0,10; légère amélioration. —Le 14, application d'un vésicatoire au côté gauche de la poitrine.

Ce jour-là, on avait observé de l'obscurité du son sous la^ clavicule gauche, et quelques râles suspects ; en outre, de la. matité relative, à la partie postérieure et inférieure du poumon gauche. En ce point, il n'existait pas de souffle ; mais les râles muqueux qui occupaient toute l'étendue du lobe inférieur résonnaient en ce point avec un timbre tout particulier, ana-logue à celui qu'ils acquièrent quand ils éclatent au milieu du souffle bronchique. Les jours suivants, l'amaigrissement se prononce, la fièvre s'accroît, la langue se sèche, la dyspnée augmente ; enfin il survient du dévoiement, et le malade meurt le 16 mars.

Autopsie. — i° Etat des articulations; .2° état des viscères. ses articulations présentent tous les degrés imaginables de

l'affection qu'on a appelée, dans ces derniers temps, du nom d'arthrite sèche. Dans un premier groupe, nous voyons les cartilages présenter, en certains points, des dépressions; d'au-tres fois, de véritables pertes de substance, des ulcérations dont le fond est rugueux. Déjà la membrane synoviale est épaissie et injectée. Une espèce- de synovie épaisse, très vis-queuse, remplit la cavité articulaire. C'est dans cet état que se trouvent les articulations fémoro-tibiales. Au deuxième degré, le pourtour du cartilage est pour ainsi dire érodé ; il est an-fractueux et irrégulier. Au centre même du cartilage, existent aussi soit simplement des abrasions, des érosions, soit des ulcérations plus ou moins profondes, dont quelques-unes met-tent à nu la substance osseuse. Il semble, qu'en même temps, la texture du cartilage lui-même ait changé de nature ; il paraît s'être ajouté à la substance cartilagineuse, du tissu fibreux qu'on enlève sous forme de lamelles. A ce degré, la synoviale est très épaissie ; elle a une coloration d'un violet foncé ; sa face interne est couverte de bourgeons charnus, dont quelques-uns sont pédicules. Un liquide épais et visqueux, mais trans-parent, remplit la synoviale ; mais, dans quelques articula-tions, on rencontre une sorte de substance blanche, albumi-neuse, un peu concrète, complètement libre au milieu de la cavité. Notons qu'en outre, la face externe de la membrane synoviale est doublée d'une couche fibreuse, très résistante, qui la sépare des ligaments articulaires proprement dits. Cette couche nouvelle, qui semble due au tissu cellulaire sous-syno-vial épaissi et devenu fibreux, joue un grand rôle dans l'obs-curité des mouvements exécutés par certaines articulations.

Nous avons parlé de l'obstacle qui existait, pendant la vie, à l'extension de l'avant-bras sur le bras ; nous avons dû recher-cher sur le cadavre à quoi tenait cet obstacle; aussi avons-aous disséqué avec soin : 1° le tissu cellulaire sous-cutané ; -° les muscles eux-mêmes ; 3° les ligaments péri-articulaires. Après avoir coupé successivement ces différentes parties, nous ne vîmes pas cesser le moins du monde l'obstacle à l'exten-Sl°n ; mais, sous les ligaments péri-articulaires que nous enle-

vàmes avec précaution, nous rencontrâmes une couche épaisse, fibreuse, qui les séparait de la synoviale.

Quand cette couche eut été coupée et qu'il ne resta plus que la séreuse elle-même, tous les mouvements s'exécutèrent dans l'articulation, même à l'état normal ; c'était donc non pas dans l'articulation même, non pas plus précisément en dehors d'elle, que gisait la cause de cette contracture apparente, mais bien dans la couche intermédiaire à la synoviale et aux ligaments péri-articulaires, laquelle s'était épaissie et rétractée; ce qui ne veut pas dire que, pendant la vie, les muscles ne jouaient pas un certain rôle dans la difficulté qu'on éprouvait à étendre l'avant-bras.

Les articulations qui présentaient les altérations que nous venons de décrire étaient les plus nombreuses; c'étaient la plu-part des articulations métacarpo-phalangiennes et métatarso-phalangiennes, celles des phalanges entre elles, aux doigts comme aux orteils. Les deux articulations du coude rentrent dans le même groupe; quelques-unes de ces articulations pré-sentaient, en outre, en dehors de la synoviale, dans la couche même dont l'épaississement avait causé au coude une sorte d'ankyfose extra-articulaire, une espèce de productions osseu-ses, lesquelles étaient, pour certaines jointures, une des prin-cipales causes de leur gonflement, anormal.

Enfin, dans un dernier groupe, nous assistons au début de l'ankylose intra-articulaire celluleuse, et quelques articulations de notre malade présentent le degré le plus élevé de cette al-tération. En régie générale, c'est du fond d'une ulcération du cartilage, laquelle a mis à nu l'os, que partent tes brides cel-luleuses inlra-articulaires.

Ces dernières vont de l'autre côté se rendre soit au fond d'une ulcération analogue du cartilage opposé, soit à la face interne d'un point quelconque de la synoviale; mais souvent, c'est du catilage lui-même, transformé, devenu fibro-cartilage, que l'on voit partir ces brides cle formation nouveite ; elles sont friables, minces, transparentes, ou épaisses et résistantes; elles permettent certains mouvements dans les articulations méta-

carpo-phalangiennes des pouces, par exemple, un certain degré do flexion ; mais elles y limitent l'extension et l'abduction.

Dans d'autres cas, l'ankylose celluleuse intra-articulaire est complète, les liens celluleux sont solides et résistants ; c'est ce qu'on voit aux articulations radio-carpienne, tibio-tarsienne. Enfin, dans certaines articulations phalangiennes, le cartilage articulaire a complètement disparu; il n'en reste plus que des îlots. L'os mis à nu est rugueux, mais presque sans altération. Dans ce dernier cas, ¡1 n'existe aucune production fibreuse in-termédiaire.

Le cœur ne présente aucune altération sensible, soit dans ses parois, soit dans ses valvules. — Tubercules dans les poumons, surtout au niveau du lobe inférieur gauche, où il y a une exca-vation.—Les autres organes n'ont rien présenté de notable.

QUATRIÈME PARTIE

Mémoires et Observations sur la goutte et le rhumatisme.

MÉMOIRES OBSERVATIONS

Altérations des cartilages dans la goutte 1.

Je dois à l'obligeance de notre collègue, M. le docteur Rou-get, d'avoir pu examiner des fragments de cartilage, prove-nant de la surface tibiale de l'articulation du genou d'un gout-teux âgé de soixante ans environ, dont le cadavre avait été amené dans le pavillon de l'Ecole pratique pour y servir aux dissections.

Ces fragments de cartilage paraissaient infiltrés d'une ma-tière d'un blanc mat, d'aspect crayeux, formant des îlots d'iné-gaje dimension, irrégulièrement disséminés, mais en général disposés de telle manière que les plus volumineux occupaient surtout les parties superficielles et le centre du cartilage, tan-dis que les plus petits se rencontraient principalement dans les parties profondes et à la périphérie. Les tranches minces du cartilage, soumises à l'examen microscopique, nous ont permis de constater les particularités suivantes : la matière tophacée se présentait sous deux aspects principaux. Tous les grands îlots et un certain nombre de petits étaient constitués par une masse amorphe, grenue, tout à fait opaque. Les petits îlots, au contraire, dont quelques-uns n'étaient pas percep-

L Comptes rendus de la Société de biologie, 1858, p. 1:29.

I.

tibles à l'œil nu, résultaient pour la plupart, de la réunion de fines et longues aiguilles cristallines qui s'agrégeaient en rayonnant autour d'un centre commun, de manière à donner l'image d'une aigrette, de certaines algues, d'une pomme épi-neuse, etc. Au centre de ces agrégats de cristaux, on rencon-trait souvent un petit noyau de matière amorphe.

On trouvait enfin, disséminés ça et là, dans l'épaisseur de la substance intermédiaire du cartilage, dans l'intervalle des deux espèces d'îlots dont il vient d'être question, des cristaux acicu-laires en tout semblables aux précédents, mais complètement isolés, ou bien réunis au nombre de 2 à 4. L'acide acétique concentré dissolvait très rapidement et complètement sans effervescence, les masses de matière grenue aussi bien que les amas de cristaux, ceux-ci toutefois un peu plus rapidement que celles-là. Peu de temps après la dissolution des îlots, on voyait se former, dans les points mêmes qu'ils occupaient au-paravant, de nombreux cristaux de formes très variées, mais qui nous ont paru pouvoir être rapportés^ pour la plupart, à l'une quelconque des nombreuses cornées cristallines que peut revêtir l'acide urique.

Les dépôts de matière tophacée amorphe, et les amas de cristaux siégeaient toujours exclusivement dans l'épaisseur de la substance intermédiaire du cartilage ; on ne les rencontrait jamais dans l'intérieur des cellules. Celles-ci ne nous ont pas paru présenter d'altérations, alors même qu'elles étaient pour ainsi dire enveloppées plus ou moins complètement par un amas de matière tophacée. Ces résultats sont pour la plupart conformes à ceux qui ont été obtenus, dans des circonstances analogues, par plusieurs médecins étrangers. Dans son remar-quable travail sur les altérations du sang et de l'urine dans la goutte et le rhumatisme (Medic-Chirurgie. Iransact., vol. XXXI, p. 85,1843), le docteur B. Garroda fait figurer (/oc cit., pl. I, fig. h) un fragment de cartilage articulaire d'un goutteux

où l'on voit la matière tophacée disposée sous forme d'amas de cristaux aciculaires d'une grande ténuité. Dans un cas ob-servé par le docteur Bramson (Arthritische Erkrankung der gelenk-knorpel, in Zeitsch. far rationnel Medizin, 1845, T. III, p. 175), les cartilages de plusieurs articulations étaient infiltrés de matière crayeuse , et l'examen microscopique dé-montrait que cette matière siégeait exclusivement dans les espaces intercellulaires. Les cellules cartilagineuses elles-mêmes avaient l'aspect normal.

Enfin le docteur W. Budd [Researches on Gout, in Medico-chirurg. Transactions, 1855) a décrit et fait représenter les altérations que subisssent dans la goutte chronique les carti-lages articulaires. Cet auteur a vu la matière tophacée se dé-poser dans l'épaisseur du cartilage et sous forme granuleuse, et sous forme de cristaux en aiguille. Ces cristaux restaient quelquefois isolés, d'autres fois, ils s'agrégeaient de manière à présenter les aspects les plus variés. Les planches que nous soumettons à l'examen de la Société, et qui représentent les altérations des cartilages telles qu'on les rencontrait dans le cas qu'il nous a été donné d'observer, concordent parfaite-ment avec celles qui sont annexées au travail du docteur Budd.

Pendant longtemps, nous avons pu croire que les observa-tions de ce genre n'avaient jamais été reprises en France ; mais M. le docteur Broca nous a dit avoir présenté à la Société anatomique, il y a de cela plusieurs années, des cartilages provenant des jointures d'un goutteux, et où la matière to-phacée se montrait avec les apparences que nous avons dé-crites.

Ce n'est pas seulement dans l'épaisseur des cartilages que la matière des tophus peut se déposer sous forme cristalline. Garrod (toc. cit.) et Lehmann ont vu des cristaux aciculaires tout à fait semblables à ceux qu'on rencontre dans les carti-

Charcot. OEuv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 27

lages exister en très grande abondance dans le liquide qui _ s'accumule chez certains goutteux au voisinage des jointures des extrémités, dans les points où, à la longue, se forme-ront les concrétions tophacéespériarticulaires. Suivant Garrod _ et Lehmann, ces cristaux doivent être rapportés à l'urate de soude. Dans le cas qui fait l'objet du travail du docteur Bran-son (lue. cit.), les dépôts crayeux existaient dans l'épaisseur des tendons de la face dorsale des mains au voisinage des articulations métaCarpo-phalangiennes. La substance blanche compacte ou friable, qui formait ces dépôts, examinée au mi-croscope, paraissait composée en partie d'une matière gra-nuleuse, amorphe, et en partie d'aiguilles cristallines. La constitution chimique de ces aiguilles n'a pas été déterminée d'une manière exacte ; mais leur forme rappelait celle qu'on voit prendre souvent à l'urate de chaux.

II.

Sur les concrétions tophacées do l'oreille externe chez les goutteux.

J'ai recueilli pendant ces dernières années un certain nom-bre d'observations qui me paraissent propres à éclairer plu-sieurs points de l'histoire clinique et nécroscopique de la goutte proprement dite ; j'espère pouvoir prochainement faire part à la Société de l'ensemble des résultats auxquels j'ai été conduit par la comparaison de ces observations ; mais pour le moment, je me bornerai à présenter quelques remarques con-cernant les concrétions tophacées qu'on rencontre assez fré-quemment chez les goutteux, sur diverses parties du pavillon de l'oreille.

Ces concrétions ont été remarquées déjà par plusieurs mé-decins : MM. Fauconneau-Dufresne (dans Cruveilhier, Atlas oTanat. path., IVe livr.), Todd(CUnie. Lectures on Urinary Organs,]). 419. London 1859), Garrod, entre autres, les ont particulièrement mentionnées ou décrites. Ce dernier auteur surtout en a fait une étude attentive dont les résultats ont été consignés, d'abord dans un mémoire qui fait partie des Tran-sactions-médico chirurgicales pour l'année 1854 (vol. XXXVII) puis dans un important traité de la goutte publié récemment (The Nature and Treatment of Gout. London 1859). C'est

1. Comptes rendus de la Société de biologie, t. II, 3e série, 1860, p. 47.

plus spécialement sur les observations de M. Garrod et sur celles qui nous sont propres que sont fondées les considéra-tions qui suivent :

Le nombre des concrétions dont il s'agit est variable : on en rencontre tantôt une ou deux seulement, tantôt jusqu'à huit ou dix sur une même oreille. Elles peuvent n'exister que sur une seule oreille, ou occuper au contraire les deux oreilles d'un même sujet. Ce dernier cas semble être le plus rare. Leur siège de prédilection est la partie supérieure de la rai-nure de l'hélix; mais on les observe assez fréquemment sur l'hélix lui-même ou sur son bord tranchant, et enfin sur l'an-thélix. Ainsi qu'on le voit sur la planche que nous présentons à la Société, elles constituent chez un de nos malades trois petites tumeurs arrondies ayant environ le volume d'un pois : deux de ces tumeurs occupent l'extrémité inférieure de l'an-thélix; la troisième, un peu plus vokimineuse que les autres, est située sur le rebord obtus qui limite en arrière la cavité de la conque et fait légèrement saillie dans cette cavité. Nous croyons que ces concrétions n'ont pas encore été rencontrées sur les parties qui composent le tiers inférieur du pavillon, sur le lobule, par exemple. Graves (A System of Clinical Médicine, Dublin, 1843, p. 581), qui décrit une congestion du lobule de l'oreille survenant par accès chez quelques goutteux, ne dit point que cette congestion ait produit quelquefois, dans les parties où. elle se porte, un dépôt de matière tophacée.

Dans certains cas, les concrétions de l'oreille peuvent acquérir, comme on l'a dit plus haut, le volume d'un pois ; mais, le plus souvent, elles sont à peine grosses comme une tête d'épingle ou un grain de millet. Elles se présentent, d'ailleurs, sous deux formes principales. Dans une première forme, elles constituent de petites tumeurs sous-cutanées, hémisphériques, plus ou moins régulières et plus ou moins

saillantes ; mobiles avec la peau ou adhérentes au cartilage sous-jacent, parfois obscurément fluctuantes, elles ont d'au-tres fois une consistance comme pierreuse; la peau qui les recouvre peut avoir conservé sa coloration naturelle, ou laisser voir, an contraire, par transparence, la substance d'un blanc mat qui les compose. Dans la seconde forme, ce sont de petites plaques arrondies qui semblent faire corps avec le tégument externe, et au niveau desquels la matière d'aspect crayeux est à nu ou recouverte seulement par une mince couche épidermique.

Extraite à l'aide d'une légère incision lorsque les concré-tions sont profondément situées, ou détachée par le grattage lorsqu'elles sont tout à fait superficielles, la matière tophacée peut être demi-liquide, de consistance caséeuse, ou offrir enfin la dureté de la craie. Si l'on emporte un fragment sous le microscope, elle paraît quelquefois composée d'une infinité d'aiguilles cristallines, principalement lorsque le dépôt est mou et de formation récente (Garrod); mais le plus souvent, elle se présente sous l'aspect d'une poudre amorphe. Si l'on soumet la préparation à l'action de l'acide acétique concentré, les aiguilles cristallines ou la poudre amorphe se dissolvent bientôt, quelquefois avec effervescence, et l'on voit, au bout d'un certain temps, se former en leur place de nombreux cristaux affectant, pour la plupart, la forme rhomboïdale caractéristique de l'acide urique. Enfin, traitée par l'acide nitrique bouillant, la matière tophacée se dissout, et donne rapidement lieu, lorsqu'on fait intervenir l'ammoniaque, à une belle coloration pourpre de murexide. Comme on le voit, la substance des concrétions de l'oreille ne diffère par aucun caractère essentiel de celle qui constitue les tophus goutteux articulaires ou abarliculaires. (Voyez, sur ce sujet, la note pu-bliée plus haut, p. 415).

C'est, le plus souvent, à la suite d'un accès de goutte

articulaire intense ou de longue durée que se produisent les concrétions de l'oreille. Leur formation n'est en général, accompagnée d'aucun symptôme particulier, et les malades les portent quelquefois depuis longtemps sans les avoir remarquées. Cependant, parfois, elles donnent lieu de temps à autre, principalement au moment où les accès articulaires se déclarent, à un sentiment de gène et de picotement, ou même à une douleur plus ou moins vive ; il n'est point rare, en pareil cas, que les vaisseaux cutanés ou sous-cutanés qui les avoisinent soient dilatés et plus nombreux que de cou-tume.

Après avoir persisté pendant plusieurs mois ou même plusieurs années sans éprouver de modification appréciable, les dépôts tophacés de l'oreille peuvent diminuer de volume ou s'effacer à peu près complètement, ainsi que cela arrive quelquefois aux tophus articulaires. A mesure que certains dépôts disparaissent sur un point de l'oreille, on peut en voir de nouveaux se former sur un autre point. Il n'est point rare que les concrétions soient rejetées en masse, le plus commu-nément à la suite d'une inflammation plus ou moins vive qui s'empare des parties avoisinantes. L'intervention d'un travail inflammatoire n'est cependant ici nullement nécessaire : ainsi, chez un goutteux depuis longtemps soumis à notre observa-don, une concrétion superficielle, plate, arrondie, ayant 2 millimètres de diamètre environ, d'un blanc mat parais-sant faire corps avec la peau, et recouverte seulement par une mince couche d'épiderme, siégeait depuis plusieurs mois sur l'hélix de l'oreille droite. D'abord très adhérente lorsque nous l'aperçûmes pour la première fois, cette concrétion se détacha peu à peu, d'abord par un point de la circonférence, puis par les parties profondes, et devint tout à fait mobile. Un jour, enfin, elle tomba sans que le malade s'en aperçût. Or, ce travail d'élimination spontanée s'est effectué sans que

la peau ait jamais présenté aucun indice d'inflammation. Une petite perte de substance en forme de fossette, et représentant, en quelque sorte, le moule externe de la concrétion, marqua pendant longtemps le lieu où celle-ci avait existé.

Il ne faudrait pas considérer les concrétions tophacées de l'oreille externe comme un objet de vaine curiosité ; elles pa-raissent au contraire, devoir tenir une place importante dans l'histoire clinique de la goutte. En effet, d'après les recherches de M. Garrod, ce seraient de tous les dépôts goutteux situés superficiellement, et dont l'existence peut être directement reconnue pendant la vie, ceux qu'on observe le plus fréquem-ment. Lorsque sur un point du corps, au voisinage des join-tures, par exemple, il existe de semblables dépôts, on en ren-contre en même temps, du moins le plus communément, quelqu'un sur l'oreille, et, de plus, l'oreille peut en présenter un ou plusieurs, alors qu'il n'en existe pas ailleurs. Voici, du reste, les résultats statistiques sur lesquels se fonde l'opinion de M. Garrod. On rechercha attentivement, chez 37 goutteux, s'il existait des concrétions d'urate de soude, soit à la surface du corps, soit au moins dans des points où leur constatation est chose facile : ces concrétions furent rencontrées dans 17 de ces cas ; elles faisaient défaut dans les 20 autres cas. Sur les 17 cas où les concrétions existaient, 7 fois elles siégeaient sur l'oreille seulement, 9 fois on les rencontrait à la fois sur l'oreille et au voisinage des jointures ; enfin, dans un seul cas, il en existait au voisinage des jointures, bien que l'oreille n'en présentât pas de traces. Les sujets chez lesquels on ren-contra des dépôts tophacés sur l'oreille externe, sans qu'il en existât au voisinage des jointures, avaient tous éprouvé ou éprouvèrent par la suite un ou plusieurs accès arthritiques bien caractérisés ; chez plusieurs d'entre eux le sang et l'urine furent soumis à l'examen chimique, et l'on s'assura que ces

liquides renfermaient de l'acide urique en excès. Enfin, chez deux de ces individus qui succombèrent, bien que pendant, la vie les jointures ne fussent point déformées, on trouva les. cartilages d'encroûtement de plusieurs articulations chargés de dépôts d'urate de soude.

On prévoit aisément, d'après ce qui précède, que la cons-tatation des dépôts tophacés de l'oreille externe pourra, dans, certaines circonstances, être une précieuse ressource pour le diagnostic ; les pertes de substance ou les cicatrices que les concrétions laissent après elles, lorsqu'elles se sont détachées spontanément, devraient également être recherchées avec soin.

Des dépôts tophacés analogues à ceux que nous venons de décrire se rencontrent quelquefois, au dire de M. Todd (loc. cit., lect. XVI), sous la peau qui recouvre les cartilages des ailes du nez. Jusqu'à présent nous n'avons pas été assez heu-eux pour rencontrer des exemples de ce genre (1).

1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1859, p. 47 et Gazette hebdo-madaire, n° 35, 31 août 1860.

Contribution à l'étude des altérations anatomiques de la goutte et spécialement du rein, chez les gout-teux (1).

Nous avons pu observer récemment, à l'infirmerie de la Salpêtrière, une femme qui présentait, réunies à l'autopsie, la plupart des altérations anatomiques de la goutte. Nous pu-blions in extenso cette observation qui nous a permis de contrôler les faits avancés dans ces dernières années, par les médecins étrangers, et de les compléter, sur certains points, principalement en ce qui touche les lésions rénales et articulaires.

I.

Observation. — Arthropathies multiples très anciennes. — Pneumonie. — Mort. — A l'autopsie, dépôts d'urate de soude dans les cartilages, les séreuses et les tissus fibreux articulaires. — Atrophie et kystes du rein droit. — Néphrite parenchyma-teuse et dépôts d'urate de soude dans le rein gauche. — Néo-membranes de la dure-mère.

La nommée M..., âgée de 84 ans, avait été admise à l'hospice de la Salpêtrière le 29 février 1849, atteinte d'arthropathies multiples qui avaient produit aux membres, et surtout aux ex-

1. Mémoire lu à la Société de biologie (Mém., 1863, p. 139), en collaboration avec M. Gornil.

trémités, tant inférieures que supérieures, des difformités très prononcées. M... fut conduite à l'infîmerie, te 13 mars 1863. Le soir même de son admission, on constata les signes d'une pneu-monie occupant ie sommet du poumon droit : souffle tubaire, bronchophonie, râle crépitant, crachats rouilles, etc. La malade est dans un tel état de prostration qu'il est impossible de savoir d'elle à qu'elle époque remonte le début de l'affection actuelle.

On dit que, depuis plusieurs jours M..... avait de la diarrhée et

refusait de manger ; mais elle avait caché tout cela, dans la crainte d'être conduite â l'infirmerie dont elle redoutait le sé-jour. Huit ventouses furent appliquées sur le côté droit de la poitrine.

Le 16 mars, extrémités froides; les parties centrales présen-tent, au contraire, une température très élevée ; pouls faible, â 100 pulsations environ, â la minute ; face jaunâtre, légère-ment cyanosée ; nez froid; joue droite rouge et chaude ; lan-gue très sèche; râle laryn go-trachéal ; la diarrhée persiste. Prescription : Potion avec extrait de quinquina, 2 grammes; acétate d'ammoniaque, 4 grammes; poudre d'ipécacuanha, 1 gramme. Application d'un large vésicatoire sur le devant de la poitrine.

La malade meurt le 17 mars, à une heure du matin. Les ren-seignements qui suivent concernant l'histoire de M...., ont été fournis par sa petite fille qui la connaissait d'ailleurs assez peu, et la voyait assez rarement; on ne pouvait songer à interrorger

la malade elle-même , à cause de la gravité de son état. M.....

avait eu pour mari un employé de la maison de l'empereur Na-poléon Ie'', et peut-être a-t-elle vécu, pendant cette période de sa vie, relativement dans l'aisance. De son mari, elle avait eu dix enfants; cet homme, dont la conduite, paraît-il, laissait beaucoup à désirer, disparut, en 1815, et l'on n'eût plus de ses

nouvelles. M..... resta abandonnée, sans ressources, et le seul

soutien de sa nombreuse famille. Elle excerçait la profession de ravaudeuse ; les douleurs articulaires avaient débuté seulement pendant l'année 1846; mais rien n'est moins certain que cela.

Voici le résultat de l'examen des déformations que présen-taitM....Toutes, ou à peu près toutes les jointures des membres et des extrémités étaient rigides, à l'exception des épaules et deshanches. Les articulationsfémoro-tibiales et tibio-tarsiennes étaient le siège de craquements; celle des gros orteils étaient subluxées et ankylosées. La rigidité et les déformations perma-nentes étaient surtout prononcées aux mains, et depuis long-temps elles empêchaient tout travail. Les deux, mains forte-ment maintenues en pronation, sont affectées symétriquement et au même degré. Il y a déviation en masse de tous les doigts, vers le bord cubital de la main, et cette déviation est si pro-noncée, que le bord externe du petit doigt fait presque un an-gle droit avec l'axe du cubitus. 11 y a de plus, subluxation des phalanges en arrière et en dehors des tètes métacarpiennes, qui font, sous les téguments amaigris, une saillie très accusée ; par suite, tous les doigts de la main sont fléchis sur le méta-carpe, en même temps qu'ils sont dans l'abduction : de plus, les phalangines sont légèrement étendues sur les phalanges, et les phalangettes fléchies sur les phalangines. La plupart des join-tures, ainsi affectées, ont conservé encore une mobilité obscure; à leur niveau, il n'y a pas de traces de proéminences, de tu-meurs autres que celles que produisent les têtes des ossublu-xés; ou, autrement dit, il n'existe point de tumeurs tophacées appréciables. Nous trouvons donc ici l'exacte reproduction de l'un des types de difformités des extrémités supérieures, ob-servés le plus fréquemment clans le rhumatisme articulaire chronique progressif.

Nécroscopie. Examen des jointures. — La plupart des arti-culations des membres inférieurs et supérieurs ont été ouvertes, et, à l'exception des jointures des hanches, elles présentaient une altération consistant en un dépôt abondant d'urate de soude dans l'épaisseur et à la surface des cartilages diarth.ro-diaux ; les ligaments articulaires et tes tendons, au voisinage des jointures, étaient parsemés, en outre, de petites concrétions blanches, d'aspect crayeux, ne dépassant pas en général, le vo-

lume d'une tête d'épingle et formées également d'urate de soude. Ce qui est relatif aux extrémités supérieures mérite une mention spéciale : les phalanges étaient maintenues dans la flexion et l'abduction, par suite de la rétraction qu'avaient subie à la longue les tissus fibreux. Par suite de la subluxation des têtes des phalanges en arrière, les têtes des métacarpiens devenus presque complètement libres, se trouvaient placées immédiatement sous la peau. Leurs cartilages diarthrodiaux, ulcérés et détruits même en plusieurs points de leur extrémité périphérique, étaient partout incrustés d'urate de soude, et présentaient une surface blanche, d'aspect crayeux. En outre, sur la face dorsale des têtes métacarpiennes, immédiatement en arrière des surfaces diarthrodiales, il existait des dépôts de matière crayeuse, enveloppées de tissu cellulaire lâche et qui laissait voir, par transparence, leur couleur d'un blanc mat. Ces dépôts limités latéralement par les tendons des extenseurs, jouissent de mouvements de latéralité, sur les métacarpiens sont ils étaient tout à fait indépendants, placés immédiatement sous la peau, et pressés, pour ainsi dire, contre les têtes osseuses, ils étaient aplatis et ne formaient pas sur le dos de la main de paillie appréciable, de telle sorte que, avant la dissection des parties molles, leur existence ne pouvait pas être reconnue. On trouvait aussi des points blancs et de petites masses crayeuses, dures, enchâssées solidement dans les tissus fibreux péri-articulaires et dans les tendons des extenseurs sur toute l'étendue de leur trajet. Toutes les articulations des phalanges, des phalangines, des phalangettes étaient incrustées comme les métacarpo-phalangiennes, de matière crayeuse mais à un moindre degré, au voisinage des jointures ; le tissu cellulaire sous-cutané, le névrilemme,les couches profondes du derme pré-sentaient de semblables dépôts, sous forme d'une fine poussière blanche.

Aux genoux, les condyles du fémur, les surfaces articulaires du tibia et de la rotule paraissent également recouverts par un vernis blanc opaque, brillant, dur, d'aspect crayeux, lequel oc-

cupe, dans une épaisseur de 1/2 à 1 millimètre, la plus grande étendue des cartilages diarthrodiaux. Sur une coupe de ces cartilages, le dépôt blanc paraît limité du côté de la face pro-fonde par une ligne légèrement ondulée. La surface synoviale de la capsule articulaire, dans toute son étendue, ainsi que les divers ligaments de l'articulation offrent une multitude de pe-tits points blancs adhérents et donnant l'idée d'une line pous-sière. Ces mêmes points blancs se retrouvent dans l'épaisseur du ligament rotulien. Les articulations tibio-astragaliennes, celles clu coude et de l'épaule présentent des altérations ana-logues. La synovie est dans ces diverses jointures, rare, trans-parente, peu visqueuse.

La matière blanche qui incrustait les cartilages articulaires, traitée par l'acide azotique bouillant, puis par l'ammoniaque, a donné la belle coloration pourpre de murexyde.

Examen microscopique. Les dépôts d'urates des cartilages arti-culaires, examinés au microscope, sur des coupes perpendicu-laires à la surface de ces cartilages, vus à un faible grossisse-ment, formaient une zone opaque à la lumière transmise, blanche à la lumière réfléchie, régulière, du côté de la surface articulaire, festonnée, clu côté de la tête osseuse. A un plus fort grossissement (200 diamètres), chacun de ces festons arrondis (Fig. 27, V) donnait naissance à des houppes soyeuses de cris-taux fins et allongés qui se dirigeaient du côté des cellules de cartilage libres de tout dépôt (Fig. 27, 0). A la limite du dépôt, entre les cellules tout à fait transparentes et les portions noires d'urates, se trouvaient des masses opaques (Fig. 27, N et Fig. 28, C) ayant la forme et le volume des cellules cartilagi-neuses, et de ces masses partaient des cristaux tins. En ajou-tant de l'acide acétique, les cristaux et les masses opaques se dissolvaient en même temps qu'apparaissaient toutes les formes cristallines propres à l'acide urique (Fig. 27, v) et lorsque tout était dissous il restait aux points primitivement noirs de belles cellules cartilagineuses. Comme la dissolution se faisait lente-ment, on pouvait en suivre toutes les phases, et voir que, d'à-

bord, les aiguilles cristallines se dissolvaient ainsi que les urates contenus dans la substance fondamentale du cartilage en lais-sant les cellules noires et encore incrustées (Fig. 28, c"). Puis la membrane des cellules commençait à apparaître et les urates contenus dans leur intérieur étaient dissous jusqu'au noyau qui

Fia. 28. — Représentations en partie schématique de la dissolution dés-unîtes qui incrustent une cellule cartilagineuse sous l'influence de l'acide acétique. — c, Cellules cartilagineuses incrustées et hérissées de cristaux libres d'urate de soude. En c'les cristaux libres sont dissous, ci il se forme des cristaux d'acide uriquc,"u ; en c" la membrane de la cellule cartilagineuse paraît, tandis que son noyau reste encore incrusté ; enfin en c'" toute la cel-lule est devenue transparente, sauf un point au centre du noyau.

restait opaque un certain temps (Fig. 28, c"). Bientôt les urates renfermées dans le noyau de la cellule laissaient voir, en se dis-solvant, la membrane du noyau et le nucléole qui devenait transparent, en dernier lieu (Fig. 28, c1"). Nous avons répété un grand nombre de fois, et à de longs intervalles de temps, la

Fig. 21. — Coupe perpendiculaire à la surface articulaire d'un cartilage incrusté, p, surface articulaire, v , Groupes de cel-lules cartilagineuses infiltrées et hérissées de cristaux soyeux très fins d'urate de soude. o, Cellules cartilagineuses normales.

même expérience qui nous a toujours donné le même résultat ; de telle sorte qu'il est bien certain que ledépôt d'urate de soude, dans les couches superficielles des cartilages, se fait à la fois dans l'intérieur et à l'extérieur des cellules cartilagineuses. Les urates sont dans l'intérieur des cellules, sous forme amorphe, et ces dernières, transformées en une masse opaque qui con-serve leur forme arrondie ou ovalaire, servent elles-mêmes de centre d'où s'irritaient les aiguilles cristallines dans la subs-tance intercellulaire amorphe du cartilage.

A la surface des séreuses, particulièrement autour des car-tilages diarthrodiaux du genou, on voyait de petits points blancs situés sur les franges synoviales. En examinant ces dernières au microscope, on voyait un grand nomb:*e de houp-pes synoviales renfermant à leur centre une masse opaque généralement arrondie (Pl. III. fig. 5, N), simple ou double, blanche à la lumière réfléchie, noire à la lumière directe ; en ajoutant de l'acide acétique, cette masse montrait bientôt à sa périphérie de très petits cristaux d'acide urique et se dissolvait ensuite complètement.

Dans le tissu cellulaire sous-séreux, dans les ligamen ts ar-ticulaires, dans les tendons des muscles, dans la névrilemme des nerfs des doigts, dans le tissus conjonctif sous-cutané, dans les couches profondes du derme, en un mot, dans tous les tissus fibreux péri-articulaires, les points blancs, sablés qui s'y trouvaient en grand nombre, avaient la même structure et la même composition. Ils étaient toujours formés par des masses généralement arrondies, opaque, d'urate de soude amorphe qui donnait très rapidement des cristaux d'acide urique lorsqu'on les traitait par un acide. Ces petites masses étaient entourées par des faisceaux du tissu fibreux et élas-tiques qui se condensaient autour d'elles et les enchâtonnaient solidement.

Examen des viscères. — Péricarde sain, sauf l'existence d'une plaque laiteuse siégeant sur la surface viscérale et de la lar-geur d'une pièce de 50 centimes. — Le cœur, volumineux, ne

présente cependant aucune altération de texture: il pèse 280 grammes. — L'aorte n'est que très légèrement athéromateuse.

— Poumon droit, hépatisation granuleuse, grise, dans toute l'étendue du lobe supérieur. — Le poumon gauche, conges-tionné dans toute son étendue, offre dans l'épaisseur de sou lobe supérieur trois noyaux d'hépatisation rouge, chacun de la grosseur d'une noix.

La dure-mère est épaisse ; à sa surface interne, sur les par-ties qui correspondent à l'hémisphère gauche, on remarque des îlots rouges, comme imbibés de sang,saillants, irréguliers, disposés sous forme de plaques ou de simples points accolés à la dure-mère et bien indépendants de l'arachnoïde : ce sont des néo-membranes vasculaires et infiltrées d'extravasations sanguines. La moitié droite de la dure-mère présente quelques points rouges analogues, non réunis sous forme de plaques.

— Le cerveau parait sain, dans toute son étendue. Les artères de l'encéphale sont à peine un peu indurées.

20 grammes environ de la sérosité sous-arachnoïdiennne qui s'était écoulée, lors de l'incision des méninges furent recueillis et placés dans un verre de pendule et traités par l'acide acéti-que, d'après la méthode de Garrod (thread experiment). Les fils qui avaient été déposés au sein de ce mélange parurent, au bout de trois jours, recouverts d'un certain nombre de cristaux d'acide urique.

Le foie est de volume normal. La vésicule biliaire renferme trois calculs verdâtres, mous, irréguliers. La rate est normale.

L'utérus, la vessie, les uretères ne présentent aucune altéra-tion ; il n'existe pas de calculs, de graviers, soit dans la vessie, soit dans les uretères.

Reins. Le rein droit, réduit à un très petit volume, était adhé-rent au tissu cellulo-graisseux ambiant. La capsule propre, épaissie, adhérait intimement à la substance corticale du rein. Celle-ci, atrophiée elle-même, était, pour ainsi dire, transfor-mée en kystes nombreux dont les plus volumineux étaient gros comme une noisette. Les pyramides étaient également réduites

à de très petites dimensions, de telle sorte que la substance propre du rein indurée et de consistance presque fibreuse, for-mait autour du bassin et des calices dilatés une coque dont l'épaisseur ne dépassait pas 1/2 centimètre.

Examen microscopique (de 20 à 300 diamètres). Des alvéoles celluleuses très épaisses, très riches en noyaux, enveloppent de toutes parts les tubes urinifères et les glomérules de Malpighi. Les éléments propres du rein, tubes et glomérules sont atro-phiés. Leur volume est à peu près réduit de moitié. Les parois des vaisseaux artériels étaient épaissies. Nulle part, dans ce rein, il n'existait de dépôts d'urates. La surface muqueuse du bassinet présentait des plaques de coloration jaunâtre, répon-dant à des dépôts de même couleur, situés sous la membrane muqueuse. Ces dépôts étaient produits par une infiltration graisseuse du tissu cellulaire sous-muqueux ; on y rencontrait également des cellules de tissu conjonctif remplies de granula-tions fines qui se dissolvaient dans l'éther.

Rein gauche. Son volume est à peu de chose près celui de l'état normal. L'organe est mou, flasque ; sa surface, à laquelle n'adhère que faiblement la capsule fibreuse, est lisse, sans bosselures ou granulations. Sur une coupe, la substance corti-cale paraît manifestement épaissie; elle est d'une coloration jaune pâle; les vaisseaux et les glomérules de Malpighi injectés s'y dessinent, sous forme de petites stries et de petits points rouges, visibles à la loupe ou môme à l'œil nu. La substance fabuleuse présente une coloration rouge-brun assez vive. Ces altérations rappellent, comme on le voit, les caractères qu'a assignés M. Rayer à la deuxième forme de la néphrite albiuni-neuse ; mais, en outre, on aperçoit, sur un certain nombre des cônes, de petites lignes ou stries d'un blanc de craie, parallèles à la direction des tubuli, et qui se dessinent vivement sur la substance tubuleuse rouge et injectée. L'extrémité de quelques-uns cle ces infarctus est visible, sous forme de points blancs, au sommet libre des papilles.

Ciiarcoï. Œuv. compl. t. vu, Malad. des Vieillards. 28

Examen microscopique. Les tubes contournés de la substance corticale, examinés sur des coupes minces, à un faible grosisse-ment (80 diamètres), paraissent légèrement opaques. Ces tubes, plus larges que dans l'état normal, examinés à un plus fort grossissement (300 diam.), sont vus remplis de cellules épithé-liales volumineuses, à contenu granuleux (PL. III, fîg, 2, B), Ce contenu granuleux, d'où dépend l'opacité des tubes, est composé, à la fois, de granulations protéiques qui se dissol-vent, sous l'influence d'une solution de soude et par l'acide acétique et de granulations graisseuses qui résistent à l'action de ce réactif. L'examen à un grossissement de 80 à 300 dia-mètres d'une tranche mince de la substance tubuleuse, dans les points où elle renferme des dépôts blancs, linéaires, paral-lèles à la direction des tubes, a donné les résultats suivants : Les dépôts se dessinent sous forme de masses opaques, allon-gées, composées de volumineux et longs cristaux prismatiques, disposés parallèlement les uns aux autres, et réunis en fais-ceaux. Quelques-unes de ces aiguilles paraissent s'attacher, par une de leurs extrémités à la masse principale, et, libres par l'autre extrémité, elles se dirigent en rayonnant dans tous les sens (PL. III, fîg. 3, D, D', Grossissement de 150 diamètres.)

Par l'addition d'acide acétique, les cristaux libres, par une cle leurs extrémités se dissolvent les premiers, en même temps qu'en leur lieu et place on voit se produire les différentes for-mes cristallines qui caractérisent l'acide urique. Peu à peu, par suite de la pénétration de l'acide acétique dans les par-ties situées plus profondément, les cristaux réunis en faisceaux se dissolvent à leur tour, et bientôt, il ne reste plus qu'une masse opaque, amorphe, cylindrique, qui constitue comme le moule interne d'un tube urinifère dont elle conserve la forme et le volume. Cette masse amorphe, évidemment contenue dans le tube urinifère, est attaquée enfin elle-même et se dissout.

Plusieurs fois, il nous est arrivé de suivre, pour ainsi dire, pas à pas, la dissolution progressive de ces masses opaques contenues dans les tubes. La figure 4 représente un temps de

la dissolution. Une portion d'un tube urinifère, G, est déjà devenue transparente, tandis qu'un autre point, E, (fig. 4,) de ce même tube reste obstrué par la masse amorphe. On peut conclure de là qu'une partie de la matière qui constitue les dépôts blancs est contenue dans l'intérieur même des tubes urinifères où elle paraît exister à l'état de masse amorphe, tandis qu'une autre partie du dépôt située en dehors des tubes paraît, au moins pour la majorité, composée d'aiguilles cristal-lines soit agglomérées en faisceaux, soit libres, par une de leurs extrémités, et disposées sous formes de rayons. La partie amorphe et la partie cristalline ont d'ailleurs, la même consti-tution chimique, car toutes, après dissolution, donnent nais-sance aux cristaux d'acide urique.

La goutte, caractérisée par des dépôts d'urate de soude, dans les cartilages articulaires, est d'une extrême rareté chez les femmes, surtout chez celles qui sont admise à laSalpê-trière; au contraire, les cas de rhumatisme articulaire chro-nique primitif y sont très nombreux. Aussi avions-nous pensé, pendant la vie de la malade dont on vient de lire l'ob-servation, que nous avions affaire à un rhumatisme chronique, d'autant mieux qu'elle nous offrait un type parfait des défor-mations qui sont propres à cette dernière affection, et qu'il n'existait aucun signe apparent de tophus. Dans ce cas, en effet, les têtes des métacarpiens étaient saillantes; les pha-langes étaient fléchies et en subluxation sur les métacarpiens, les phalangines étaient étendues sur les phalanges, les pha-langettes étaient descendues ou fléchies; la déformation, en un mot, était exactement celle du premier type figuré par M. Charcot (PL II, fig. 2) dans sa thèse sur le rhumatisme chronique. (Voir plus haut, p. 303 à 351.) En outre, comme pour augmenter les chances d'erreur, il n'y avait, chez notre malade, aucun des signes visibles de la goutte, ni les nodo-sités des cartilages du pavillon de l'oreille, ni les tophus

I. De l'état du rein chez les goutteux.

Parmi les lésions du rein trouvées à l'autopsie de sujets goutteux, les unes, bien que dépendantes de la goutte, ne présentent rien qui lui soit spécial, tandis que les autres lui appartiennent en propre. La première catégorie de lésions n'est autre chose que la néphrite albumineuse; la seconde con-siste dans des dépôts d'acide urique ou d'urates de soude dans le rein. Ces infarctus rénaux, immédiatement liés à la goutte, présentent deux formes bien tranchées, suivant qu'ils sont constitués par de l'acide urique ou des urates. Dans ce der-nier cas, dont notre observation a présenté un bel exemple, le dépôt d'urates,, sous forme de lignes blanches (PL. 111, ficj. 1 A) est aussi caractéristique de la goutte et au même titre que les dépôts de même nature des articulations.

De tout temps, l'idée dégoutte a été associée, dans l'esprit des médecins, à celle de maladie rénale, ce qui tient à l'exis-tence souvent observée de calculs rénaux, chez les goutteux. Telles sont les relations indiquées par Aretée, Sydenham, Murgrave, Fasch, Hoffmann, Wepfer, Morgagni, etc. Au com-mencement de notre siècle, Scudamore a vu que l'albumine

siégeant sur les métacarpiens ou le poignet. Ces circonstances expliquent et justifient l'erreur de diagnostic qui a été com-mise pendant la vie, et notre observation démontre que le diagnostic entre la goutte et le rhumatisme chronique est par-fois impossible par la seule inspection des déformations arti-culaires. Nous reviendrons bientôt sur les altérations anafo-miques des reins et des articulations que nous avons trouvées à l'autopsie, mais nous croyons utile d'exposer, en quelques mots, l'historique et l'état actuel de nos connaissances, sur ce sujet.

se rencontrait parfois, dans l'urine des goutteux, qu'ils fussent ou non hydropiques et que de sa présence coïncidait avec une remarquable diminution de l'urée et des principes salins de l'urine (1). La néphrite albumineuse a été observée également chez les goutteux, par Bright, Blackall, Anderson. Leurs observations sont analysées dans le chapitre du livre des maladies du rein, de M. le professeur Rayer qui traite des rapports de la néphrite albumineuse avec la goutte. Il s'agissait, dans ces cas, des formes chroniques d'albuminurie, dont on a voulu faire, dans ces dernières années, en Angle-terre, une espèce spéciale, comme nous le verrons bientôt.

M. Rayer a décrit, sous le nom de néphrite goutteuse (2), une altération du rein plus directement liée à la goutte et qui coexiste avec la gravelle urique ; c'est le dépôt de petits grains jaunes ou rouges, composés d'acide urique fixés dans la subs-tance corticale et tubuleuse du rein et dans les calices.

M. de Castelnau a, le premier, signalé la seconde forme de dépôts qu'on trouve dans le rein, dans un mémoire sur la goutte et le rhumatisme, inséré dans les Archives de médecine en 1843 (3). A l'autopsie du malade qui fait le sujet de l'ob-servation remarquablement bien prise de M. Castelnau, on trouva les deux reins malades ; le gauche, atrophié, présentait sa membrane fibreuse adhérente, la substance corticale réduite à 1 millimètre 1/2 d'épaisseur, jaunâtre, comme si elle avait une tendance à la transformation graisseuse ; la substance tubuleuse était remplacée par une masse graisseuse ; les bas-sinets très dilatés contenaient du pus ; leur muqueuse était blanche et épaisse. Le rein droit plus volumineux que le gau-che, quoique restant bien au-dessous du volume normal du

1. Scudamore.— A Treatrîse, etc., fourth edith., p. 313. London 1823, cité par M. Royer, dans son Traité des maladies du rein, t. II, p. 540.

2, T. II, p. 42.

Archives générales de médecine, 4° série, t. III, p. 285,

rein, également envahi par la dégénéressence graisseuse, con-tenait seul des dépôts salius.

« Tous les cônes tubuleux qui restent renferment des dépôts de matière blanche, comme de l'émail, en tout semblable à celle des articulations ; cette matière est partout disposée en stries très fines qui affectent la direction des tubes urinifères et semblent être contenus dans Vintérieur de ces tubes eux-mê-mes ; ce n'est que dans des points très rares qu'on la trouve, sous la forme de granulations amorphes infiniment petites et toujours du même blanc éclatant. » La substance corticale n'en renfermait pas. Dans les réflexions fort judicieuses qui suivent, M. de Castelnau signale la différence des dépôts qu'il a observés avec ceux qu'a décrits M. Rayer. Dans les cas de M. Rayer, en effet, ce sont des grains rouges compo-sés d'acide unique, tandis que dans l'observation de M. Cas-telnau, ce sont des lignes d'un blanc éclatant chimiquement constituées par de l'urate de soude. (L'analyse en avait été faite par M. Laroque, préparateur à l'Ecole de pharmacie). Ce sont ces dépôts, chimiquement identiques à ceux des articu-lations qui appartiennnent en propre à la goutte, ce sont eux qu'ont observés plusieurs fois les auteurs anglais MM. Cœley Todd et Garrrod, et dont nous rapportons nous-mêmes un exemple.

Le docteur Todd, dans ses Leçons sur quelques mala-dies des organes urinaires (1), consacre un long chapitre à l'é-tat du rein dans la goutte, et il s'efforce d'établir qu'il y a constamment une forme particulière de néphrite chronique qu'il appelle le rein goutteux, gouty kydney.

Le rein goutteux de Todd est petit, dur atrophié, réduit à la moitié ou au tiers de son volume primitif. La capsule fibreuse

1. Robert Bentley Todd. — Clin. Lect. on certain diseuses of Ihe urinary organs and dropsies, London, 1857, in-12.

y est opaque et épaissie ; la surface du rein est rugueuse et granulée. Sur une coupe, on voit que la diminution de volume porte sur la substance corticale, si étroite que les pyramides touchent presque la surface de l'organe.

Cet état du rein s'accompagne quelquefois pendant la vie, mais non constamment, d'une hydropisie limitée et peu con-sidérable, qui n'est jamais générale et abondante, comme dans la maladie de Bright. La quantité de l'urine n'est pas di-minuée, mais elle est, au contraire, normale ou accrue. Elle est pâle, et contient de Y Albumine, mais en petite quantité. L'acide nitrique et la chaleur y font naître un léger précipité, qui peut même n'être pas appréciable, dans l'intervalle qui sé-pare deux attaques de goutte, pour reparaître au prochain accès. Les sédiments de l'urine y sont relativement enpetite quantité. De l'épithélium plus ou moins altéré, des cellules de pus, des dé-pouilles granuleuses (waxy casts) des tubes urinifères, forment dans l'urine, un dépôt blanchâtre quelques heures après l'é-mission. Qu'il survienne alors une attaque aiguë de goutte ou une irritation bronchique, et l'on trouvera dans l'urine des urates en grande abondance.

Tels sont les caractères anatomiques et cliniques sur les-quels s'appuie le docteur Todd pour différencier la néphrite chronique des goutteux de la maladie de Bright aiguë et chro-nique. Il est certain que les caractères différentiels donnés par le docteur Todd sont le fruit d'une observation exacte, que l'œdème est rare et limité, que l'albumine, quand elle existe dans l'urine, est peu abondante, que les reins sont ordinaire-ment atrophiés, endurcis et granuleux à leur surface ; mais d'un autre côté, cet état du rein et les symptômes qui en résultent peuvent s'observer, dans d'autres maladies que la goutte, et de plus, nous verrons bientôt, par l'analyse d'une observation de M. Garrod et par la nôtre, que les reins de goutteux peuvent présenter anatomiquement toutes les lésions

de la maladie de Bright (néphrite albumineuse, desquamma-tive ou parenchymateuse). Aussi croyons-nous que la distinc-tion établie par Todd ne peut être admise dans les termes où il l'a posée. Quant aux dépôts d'urate de soude dans le rein, l'auteur que nous analysons les a notés deux fois, mais sans paraître leur attacher une grande importance, dans une de ces observations et dans une autre qui lui a été communiquée parle docteur Ceeley. Notons, en passant, ce fait remarquable c'est que deux des malades de Tood sont mort subitement, avec des symptômes urémiques très évidents.

C'est au docteur Garrod qu'appartient l'honneur d'avoir mis en relief, dans son bel ouvrage sur la goutte (1), la forme spé-ciale des dépôts d'urate de soude, dans le rein. En 1849, dans l'examen des reins d'un goutteux mort d'une autre maladie, il rencontra, dit-il, un dépôt crayeux considérable. Il apparais-sait sous forme de raies disposées suivant la direction des tubes des pyramides ; la papille de chaque cône présentait de petits points blancs dus à cette matière. La substance corticale montrait aussi quelques-uns de ces dépôts. Il a eu depuis l'occasion d'examiner plusieurs reins de goutteux, offrant les mêmes lésions, notamment ceux de ces observations 4,5,6 et8.

L'examen microscopique des dépôts blancs linéaires, ajoute le docteur Garrod, y montre une structure cristalline consis-tant en prismes d'urate de soude. Leur composition est cons-tamment la même ; l'analyse chimique y démontre de l'urate de soude semblable à celui des dépôts des cartilages articu-laires. La murexyde, avec sa belle coloration purpurine, prend naissance par la réaction de l'acide nitrique chaud et de l'am-moniaque sur eux, et l'addition d'un acide fait cristalliser les rhombes d'acide urique.

1. Garrod. — On gout and rheumatic gout, London, 1869, et 2e édit. 1863, p. 236 e|, suivantes, changes in the kidneys of gouty subjects,)

Une question se présentait, à savoir si le dépôt d'urate avait eu lieu en dehors des tubes urinifères ou dans leur intérieur. Le premier examen anatomique fait par le docteur Garrod le porta à penser que les lignes blanches étaient dues au rem-plissage des tubes urinifères, et ce fut aussi l'idée de M. Cee-ley ; des examens ultérieurs modifièrent son opinion : les cris-taux d'urate de soucie, communément plus larges dans le rein que dans les cartilages, lui parurent plusieurs fois situés dans le tissu cellulaire, plutôt que dans la cavité des tubuli ; du reste, dit-il, ce point demande de nouvelles études.

L'examen anatomique du rein, dans le fait qui nous appar-tient, nous a permis de résoudre cette question, au moins pour ce cas particulier, dans lequel les cristaux semblaient, au pre-mier abord, placés dans l'intervalle des tubes {Fig. 3) ; mais, par l'addition de l'acide acétique et la dissolution des cristaux libres, on voyait qu'une partie du dépôt siégeait manifeste-ment dans l'intérieur même des tubes urinifères (Fig 4).

Quant à l'altération des reins qui accompagne ces infarctus uratiques, le docteur Garrod a généralement observé les reins atrophiés, condensés et granuleux à leur surface, comme les décrit Todd, sous le nom de gouty Kydney. Dans ces cas, l'urine était albumineuse et contenait des dépouilles (cylindres fibrineux) granulées ou cireuses (wazy casts. Mais peut-être l'état atrophique et granuleux du rein tenait-il uniquement à la période avancée de la maladie où étaient mort ses malades. C'est ce qui paraît résulter de l'analyse de l'observation très intéressante d'un goutteux mort à sa huitième attaque, peu de temps après le début de l'affection. Dans ce cas, le rein était sain en apparence, sa capsule s'enleva sans difficulté ; il pesait 4 onces 1/2 et cependant, la coupe de cet organe révéla, dans les cônes, de la substance tubuleuse des dépôts blancs d'urate de soude.

L'examen microscopique du parenchyme rénal fut fait par

le docteur G. Johnson qui trouva l'épiLhélium des tubes très granulé, infiltré de graisse, la ligne extérieure des tubes uri-nifères, très sombre, etc., toutes lésions appartenant à la né-phrite desquammative ou parenchymateuse (néphrite albumi-neuse de M. Rayer).

Dans un relevé des altérations rénales fait par M. Dickin-son (1), dans les autopsies d'une période de dix ans, à l'hô-pital Saint-Georges, à Londres, ce médecin n'a jamais ren-contré que des reins durs et granulés à leur surface chez les goutteux. Il distingue deux formes de lésion rénale, l'une portant sur le contenu épithélial des tubes, qui donne lieu au rein lisse à sa surface, l'autre portant sur le tissu cellulaire in-terstitiel qui cause le rein endurci et granuleux. Or, sur 132 cas de reins lisses à leur surface, un seul, et encore est-il douteux, appartient à un sujet mort delà goutte. Sur 281 cas de reins granulés, 27 au contraire appartenaient à des person-nes sûrement goutteuses. Pour Dickinson c'est donc le rein granuleux (néphrite interstitielle) qui est prédominant dans la goutte, et tel est ausi l'opinion de Basham (2).

Dans l'autopsie que nous avons faite, les deux reins pré-sentaient des lésions fort différentes, à droite et à gauche ; le rein gauche contenait seul des dépôts d'urate de soude. Il était de grosseur à peu près normale, de consistance molle. Sur la coupe, la substance corticale épaisse et de coloration gris jaunâtre montrait une injection assez vive des vaisseaux et. des glomérules de Malpighi. Sur des coupes minces de la subs-tance corticale, on voyait, au microscope, à un grossissement de 80 diamètres, que les tubes contournés étaient opaques. Cette opacité était due aux granulations protéiques et graisseu-ses contenue:, dans les cellules épithéliales des tubes qur

1. Dickinson. — Medico-chirurgical Transactions, 1851. p. 170.

2. On Dropsy connecled with rénal diseuses, 1859,

avaient eux-mêmes subi une assez grande augmentation de volume par l'hypertrophie et l'hypergénôse de leur contenu épithélial. Ce sont là les alrérations anatomiques de la néphrite parenchymateuse (deuxième degré de la néphrite albumineuse de M. Rayer),et il est impossible de ranger cet état du rein, dans le gouty kydney de Todd.

Les dépôts blancs, (PL. III. fig. !, À) linéaires, se déta-chaient vivement, sur la substance tubuleuse rouge et injec-tée. Examinée sur des coupes fines, à des grossissements de 80 à 300 diamètres, ils se sont montrés composés de longs cristaux prismatiques, généralement parallèles ou réunis en faisceaux, (PL. III, fig. 3 D) quelques-uns d'entre eux par-tant de la masse principalement, se dirigeaient dans tous les sens (PL. III, fig. 1 D).

Lorsqu'on eut ajouté de l'acide acétique, les cristaux libres furent dissous les premiers, en même temps que se formaient les tables rhomboïdales d'acide urique ; la masse tout entière perdit sa structure cristalline, devint amorphe, opaque, et prit la forme et le volume de tube urinifères. Une partie du contenu de ces tubes se dissolvant, on obtint la figure 4, dans laquelle une portion de tube, devenue transparente, G, se continuait avec une portion du même tube encore remplie. Ces examens microscopiques, répétés à dix^ers intervalles, ne nous ont laissé aucun doute sur le siège des dépôts dans le rein que nous avons observé. Les cristaux superficiels étaient libres et situés hors des tubes droits ; mais ces derniers étaient aussi remplis par un dépôt probablement amorphe du même sel qui servait de point d'implantation aux aiguilles libres.

Le rein droit offrait des altérations toutes différentes : il était petit, réduit au tiers à peine de son volume primitif difficile à détacher de son enveloppe graisseuse. Sa capsule fibreuse y adhérait intimement, la substance corticale atrophiée, était couverte de kystes. Sur une coupe de ce rein, les vaisseaux

se présentaient à l'œil nu, sous forme de lignes fibreuses très apparentes, dures et privées de sang. La muqueuse du bassi-net épaissie présentait des plaques de coloration jaunâtre, ré-pondant à des dépôts graisseux, situé dans le tissu cellulaire sous-muqueux. L'examen microscopique de ce rein montra une atrophie très marquée de tout son parenchyme sécréteur, glomérules et tubes, en môme temps que l'épaississementdes parois artérielles, et des cloisons fibreuses qui séparent les glomérules et les tubes. Il n'y avait pas dans ce rein, de dé-pôts uratiques. D'après ce qui précède et l'analyse des faits, il est vrai, peu nombreux, qui ont trait à notre sujet, nous croyons pouvoir conclure :

I. Que chez un certain nombre de goutteux, par suite de l'irritation que cause dans le rein le passage d'une grande quantité d'urates, l'albumine se montre dans l'urine, irrégu-lièrement et en faible quantité et coïncide parfois avec de l'œdème.

IL Que ces symptômes correspondant aune altération ana-tomique quelquefois très avancée des reins, qui consiste dans une forme chronique de la néphrite albumineuse (néphrite parenchymateuse), ou dans une altération chronique, carac-térisée par l'atrophie du parenchyme, avec épaississement des cloisons fibreuses et des parois artérielles, (néphrite intersti-tielle, gouty kidney de ïood), mais que ces lésions n'ont rien par elles-mêmes qui soit spécial à la goutte.

III. Que deux sortes de dépôts du rein appartiennent en propre à la goutte: 1° Les dépôts uriques ou néphrite gout-teuse de M. Rayer ; 2° les dépôts uratiques qui sont caracté-ristiques de la goutte, et complètement identiques à ceux des articulations.

11. Lésions des articulations dans la goutte.

Les dépôts uratiques caractéristiques de la goutte existent dans les cartilages, dans la séreuse articulaire, dans tous les tissus fibreux qui constituent les moyens d'union ou de con-solidation des extrémités articulaires ; on en trouve même parfois dans le tissu spongieux des têtes osseuses. Ces alté-rations ont été parfaitement décrites et représentées par M. le professeur Cruveilhier, dans son bel Atlas danatomie patho-logique. Nous ne reviendrons pas sur une description qui ne laisse rien à désirer, et nous donnerons seulement le résultat des recherches faites récemment, à l'aide du microscope, par divers auteurs et par nous.

Suivant M. le professeur Monneret (1), Leuwenhoeck aurait vu au microscope les cristaux salins des articulations des gout-teux.

En 1843, le docteur Garrod, dans son remarquable travail sur les altérations du sang et de l'urine, dans la goutte et le rhumatisme (2), a fait figurer un fragment de cartilage articu-laire d'un goutteux, où l'on voit la matière tophacée disposée sous forme d'amas de cristaux d'une grande ténuité. En 1845, Bramson (3) a donné l'examen microscopique et chimique des cartilages d'un goutteux qui présentait, entre autres particu-larités intéressantes des concrétions uratiques dans l'aorte.

En 1852, M. Broca et Dufour, en 1853, ont fait, à la Société anatomique, des communications, peu détaillées du reste, sur les dépôts cristallins des cartilages des goutteux.

1. Monneret. — Thèse de Concours, 1851.

2. Medico-chirurgical transactions, vol. XXXI, p. 85.

3. Bramson. — Arlrislicke Erkrankung der Celenkknorpel. in Zeitsch, fur rationnel medium, t. III, p. 175.

Le travail le plus complet, publié sur ce point d'anatomie pathologique, est celui du docteur W. Budd (1). Suivant lui, la matière déposée dans les cartilages se présente sous deux formes, tantôt granuleuse et amorphe, tantôt parfaitement cristallisée. Le type principal qu'il a décrit et fait dessiner est celui que nous avons représenté. D'une masse centrale opaque s'irradient, dans toutes les directions, des aiguilles cristallines d'une grande délicatesse. Pour ce qui garde le rapport de ces dépôts avec les éléments qui entrent dans la structure du car-tilage, l'auteur ne paraît pas avoir une opinion bien arrêtée.

« Cependant, dit-il, en étudiant une série assez étendue de spécimens, il devient graduellement évident qu'une relation existe entre le dépôt et la cellule propre du cartilage, ou, pour être plus explicite, que (dans quelques cas au moins), la cel-lule cartilagineuse est le foyer de chaque dépôt individuel, le centre autour duquel la cristallisation s'effectue. » M. Budd présente cette opinion sous toute réserve, et ne regarde pas cette disposition comme la plus habituelle. Les cristaux étaient, dans le cas qu'il rapporte, composés d'urate de soude. Les cellules des cartilages affectés n'avaient pas disparu, et le dépôt était interstitiel de sa nature.

L'un de nous a montré en 1859, à la Société de biologie, les altérations des cartilages d'un sujet goutteux, déposé à l'École pratique (2). « Les cartilages étaient infiltrés d'une matière d'un blanc mat, d'aspect crayeux, formant des îlots d'inégale dimension, irrégulièrement disséminés, mais en général, disposés de telle sorte que les plus volumineux occupaient surtout les parties superficielles et le centre du cartilage, tandis que les plus petits se rencontraient principalement

1. W. Budd. — Researches on Gout, in-Medico-chîrurgical Transactions, 1885.

2. Comptes rendus des séances et mémoires de la Société de bioloqie, 1859, p. 129.

dans les parties profondes et à la périphérie. A l'examen mi-croscopique de ces îlots, faits sur des tranches minces, la matière tophacée se présentait sous deux aspects différents. Tous les grands îlots et un certain nombre des petits, étaient constitués par une masse amorphe grenue, tout à fait opaque. Les petits îlots, au contraire, dont quelques-uns n'étaient pas perceptibles à l'œil nu, résultaient pour la plupart, de la réunion de fines et longues aiguilles cristallines qui s'agré-gaient en rayonnant autour d'un centre commun, de manière à donner l'image d'une aigrette, de certaines algues, d'une pomme épineuse, etc. Au centre de ces agrégats de cristaux, on rencontrait souvent un petit noyau de matière amorphe. On trouvait enfin, disséminés ça et là, dans l'épaisseur de la substance intermédiaire du cartilage, dans l'intervalle des deux espèces d'îlots dont il vient d'être question, des cris-taux articulaires en tout semblables aux précédents^ mais complètement isolés, ou bien réunis seulement au nombre de 2 à 4. L'acide acétique concentré dissolvait très rapidement et complètement, sans effervescence, les masses de matière, grenue aussi bien que les amas de cristaux, ceux-ci toutefois un peu moins rapidement que celles-là. Peu de temps après la dissolution des îlots, on voyait se former, dans les points mêmes qu'ils occupaient auparavant, de nombreux cristaux de formes très variées, mais qui nous ont paru pouvoir être rapportés pour la plupart, à l'une quelconque des cornées cristallines que peut revêtir l'acide urique.

Les dépôts de matière tophacée et les amas de cristaux, siégeaient toujours exclusivement dans l'épaisseur de la subs-tance intermédiaire du cartilage; on ne les rencontrait jamais dans l'intérieur des cellules. Celles-ci ne nous ont pas paru présenter d'altérations, alors même qu'elles étaient pour ainsi dire enveloppées plus ou moins complètement par un amas de matière tophacée. Nous verrons bientôt par l'analyse du

fait que nous rapportons aujourd'hui, que notre opinion a été totalement modifiée à cet égard, et que nous avons toujours vu, dans ce cas au moins, que la matière amorphe siégeait dans les cellules et que les cristaux aciculaires libres prenaient sur elles leur point d'implantation (voir fig. 19).

M. Garrod (op. cit.) donne de la disposition des cristaux dans les cartilages une description qui concorde pleinement avec celle de Budd et la nôtre ; il prouve en outre ce fait d'une importante capitale :

Que l'inflammation goutteuse est invariablement accom-pagnée du dépôt d'un sel spécial (urate de soude), qu'elle a, par cela même, un caractère spécifique et diffère entière-ment des autres affections articulaires.

Le dépôt d'urates a lieu dès les premières atteintes de la goutte articulaire, et M. Garrod rapporte l'exemple d'un gout-teux, qui n'a éprouvé qu'une seule attaque, dans une seule jointure, au gros orteil, et où l'on put constater le dépôt ca-ractéristique dam les cartilages. (Observ. IX).

L'étude microscopique des lésions articulaires de ce malade dont nous avons rapporté l'histoire, nous a montré les parti-cularités suivantes qui ne diffèrent pas pour les parties essen-tielles des faits que nous venons d'analyser.

A la surface des cartilages, se trouvait une couche assez épaisse, opaque à la lumière directe, blanche à la lumière refléchie. Examinée à un faible grossissement sur des coupes verticales, cette couche était limitée d'un côté, par la surface du cartilage, et de l'autre, pénétrait dans la profondeur sous forme d'îlots régulièrement disposés les uns auprès des autres comme des festons. Chacun de ces gros îlots examinés à un grossissement de 200 diamètres (PL, III. flg. 18, v) donnait naissance à des houppes soyeuses de cristaux fins et allongés. Dans les grands îlots ou entre eux, on voyait des masses opaques plus petites (fig. 18 N) qui servaient aussi

de centres de cristallisation, et qui avaient le volume et la forme de cellules cartilagineuses parfaitement normales. Comme la dissolution se fait lentement et ne met pas moins de deux à trois heures, on en pouvait suivre les phases et voir que les cristaux et la masse amorphe contenus dans la substance intermédiaire du cartilage disparaissaient les pre-miers, en laissant les cellules de cartilage noires et encore incrustées (fîg. 19, c1). Puis, la membrane des cellules com-mençait à paraître, et les urates contenus dans son intérieur étaient dissous jusqu'au noyau qui restait opaque (fig. 19, ). Enfin le noyau et, en dernier lieu, la nucléole, devenaient transparents [fig. 19, r3).

Ces résultats, parfaitement nefs et plusieurs fois répétés, permettent d'affirmer que dans ce cas, et probablement dans tous les faits analogues, la matière amorphe d'urate se dépose aussi bien dans l'intérieur des cellules cartilagineuses qu'en dehors d'elles. Là, comme dans le rein, pour les tubes urini-fères, le processus est identique, la matière amorphe conte-nue dans les cellules de cartilage d'une part, dans les tubes urinifères d'autre part, forme la base du dépôt et devient le centre d'où s'irradient des aiguilles cristallines qui pénètrent entre les éléments anatomiques voisins, dans la substance intercellulaire.

Sur les séreuses articulaires, on voyait des points blancs plus ou moins fins, toujours très adhérents, dont le siège prin-cipal était les grosses franges visibles à l'œil nu qui se trou-vent au pourtour du cartilage. Il existait même de ces dépôts dans les plus petites franges synoviales, visibles seulement au microscope (PL. III, fïg. 5), fait que nous n'avons trouvé signalé nulle part. Ces masses opaques donnaient immédiate-ment naissance à des cristaux d'acide urique, sous l'influence de l'acide nitrique.

Enfin, dans les tissus fibreux péri-articulaires, dans la

Charcot. Œuv. compl. t. vu. Maiad. des Vieillards. 29

Notre mémoire était depuis longtemps terminé, lorsque l'un de nous a eu l'occasion d'observer le fait suivant qui con-firme, de tout point, les conclusions précédentes, aussi bien en ce qui touche les lésions des reins que celle des articula-tions. Dans ce cas, en effet, notre malade perdait avec ses urines une quantité considérable d'albumine, et l'autopsie a montré que nous avions affaire à une néphrite parenchyma-teuse avec les granulations de Bright (troisième degré de la néphrite albumineuse de M. Rayer) et des dépôts uratiques du rein. Quant aux lésions articulaires, elles étaient exacte-ment les mêmes que dans la première observation.

Observation IL — Goutte articulaire ; albuminurie ; hyper-trophie du cœur. —Autopsie: néphrite albumineuse (troisième degré de M. Rayer) ; concrétions uratiques du rein ; incrustations de même nature des cartilages et des tissus fibreux articulaires.

M. (Louis), âgé de 50 ans, mécanicien, entre le 25 janvier 1864, dans le service de M. Hérard, à Lariboisière, au n° 19 de la salle Saint-Landry. Ce malade a tous les attributs du tempéramment sanguin et d'une forte constitution ; dans son enfance, il a eu des gourmes dans les cheveux et des glandes non suppurées au cou. Il dit avoir eu la gale, il y a trente-cinq ans. Il s'enrhume très facilement et tousse presque tous les hivers.

couche cellulaire de la séreuse, dans les tendons et les liga-ments, dans le tissu cellulaire voisin, et môme dans les cou-ches profondes du derme, les dépôts avaient toujours la forme de petits grains arrondis, solidement maintenus, constitués par de la matière amorphe. Leur solidité était due à une sorte de condensation autour d'eux du tissu cellulaire qui leur formait comme un enchatonnement.

En 1855, il entre à l'hôpital de la Pitié, où il fait un séjour de deux ou trois mois pour un arthropathie fébrile, accom-pagnée de palpitations. Il fut traité pour un rhumatisme ar-ticulaire aigu, et il attribue cette première attaque à l'impres-sion du froid auquel il était journellement exposé quand il sortait de la cave où il chauffait une machine à vapeur.

Depuis cette époque, il a eu presque tous les ans des atta-ques passagères caractérisées par des douleurs articulaires et la tuméfaction des jointures des extrémités. La première mani-festation de ses douleurs articulaires ne portait pas spéciale-ment sur les petites articulations, mais dans ses rechutes pos-térieures, ce sont toujours les petites articulations des doigts et des orteils qui se sont trouvées atteintes, et elles avaient conservé une tuméfaction persistante et de la gène dans les mouvements. Ses dernières attaques ne duraient pas habituel-lement plus de huit jours. A la suite de son dernier accès, il a été regardé comme anémique et traité à la Pitié par des pré-parations ferrugineuses.

Le 22 janvier 1864, il a ressenti pendant la nuit une vive douleur au gros orteil de l'un des pieds. Le lendemain, les deux pieds étaient pris; il s'est fait conduire au Parvis Notre-Dame, et de là à Lariboisière, où il a été transporté sur un brancard.

Actuetlement (25 janvier), la majeure partie des articulations des orteils, surtout celles des premiers métatarsiens avec les phalanges des gros orteils, et les articulations du cou-de-pied sont tuméfiées, douloureuses, et la peau qui les recouvre est d'un rose sombre. Le genou droit est également douloureux et tuméfié; aux mains, l'articulation métacarpo-phalangienne du pouce droit et la phalango-phalanginienne de l'index gauche sont noueuses, douloureuses et chaudes au toucher, avec fa même coloration rosée de la peau.

Le malade a de la fièvre, la peau chaude, le pouls fréquent; sa respiration est difficile et accélérée. La percussion du cœur donne une matité assez considérable, se prolongeant surtout à la base du thorax où la pointe bat en dehors du mamelon et

plus bas qu'à l'état normal; les bruits du cœur sont précipités, tumultueux et sourds, sans bruit de souffle. L'auscultation des poumons fait entendre des deux côtés des râles vibrants et ronflants.

Les douleurs articulaires s'amendèrent très vite, et le ma-lade en fut complètement délivré au bout d'une quinzaine de jours ; mais son affection cardiaque et pulmonaire resta dans le même état.

Dans le milieu du mois de mars, on s'aperçut que son vi-sage était bouffi, d'une pâleur blafarde, et ses chevilles cedéma-tiées. On examina alors, à plusieurs reprises, ses urines qui présentèrent les caractères suivants : elles étaient pâles, pres-que incolores, transparentes, avec un très léger dépôt au fond du verre : elles donnaient avec la chaleur et avec l'acide nitri-que un précipité floconneux très abondant d'albumine. Une seule goutte d'acide nitrique formait, en y tombant, un précipité lourd qui gagnait le fond du vase. L'examen microscopique du dépôt nous a montré des globules muqueux, des cellules épi-théliales, des tubes urinifères, plus ou moins infiltrés de gra-nulations graisseuses, des cylindres hyalins en grande quantité et des dépouilles épithéliales.

L'anasarque se propagea à toute l'étendue des extrémités inférieures et aux parois abdominales; les palpitations, les accès d'oppression s'aggravèrent, et le malade tomba dans un état de cachexie hydrémique complet; les extrémités supérieures et le thorax étaient les seules parties respectées par l'œdème.

Le 15 avril, le malade se plaint de nausées, d'envies de vo-mir et de douleur aux articulations des phalanges. Les arti-culations phalango-phalanginiennesde l'index et de l'annulaire gauche et la dernière jointure de l'annulaire droit sont tumé-fiées, leurs mouvements sont difficiles et la peau rosée à leur niveau.

Cette nouvelle recrudescence de douleurs ne dura que peu de jours.

Pendant le mois de mai, se manifestèrent les symptômes d'une ascite et de douleur continue dans les régions lombaires.

Les urines présentèrent les mêmes caractères et la même abon-dance d'albumine jusqu'au moment de sa mort, qui eut lieu le 4 juin.

Autopsie faite trente-six heures après la mort. — Les extré-mités supérieures seules ne sont pas intiltrées, mais la face, les parois abdominales et les extrémités inférieures le sont à un haut degré.

Le péricarde contient peu de liquide; le cœur est énorme, visiblement hypertrophié; ses parois, surtout celles du ventri-cule gauche, sont très épaissies et décoloration jaune pâle; les fibres musculaires sont altérées et en dégénération grais-seuse. Les orifices auriculaires et artériels sont parfaitement sains; l'aorte est suffisante, et très légèrement athéromateuse; on voit seulement sur la face interne de ce vaisseau de petites plaques jaunes non ulcérées. Les cavités du cœur sont remplies par des caillots adhérents, décolorés, qui se continuent dans l'artère pulmonaire. Dans cette artère, ils ne sont pas adhérents et paraissent partout formés sur place pendant l'agonie.

Les poumons sont sains, sauf une congestion générale des deux côtés, et, du côté gauche, des adhérences du sommet de la plèvre. Dans ce point existaient, à la surface du poumon, deux petites dépressions cicatricielles dures, qui répondaient à deux masses crayeuses, arrondies, de la grosseur d'un petit pois, renfermées dans des coques formées par le tissu pulmo-naire induré. Ces petites masses contenaient des granulations et des gouttelettes graisseuses, ainsi que des sels calcaires, mais pas de sels uratiques. Nulle part sur la plèvre, ni dans le poumon,on ne découvre de granulations tuberculeuses.

A l'ouverture du ventre, il s'écoule une quantité considérable de sérosité albumineuse limpide. Le péritoine est sain, le foie a son volume normal, la vésicule biliaire ne contient pas de calculs. La couleur du foie sur une coupe est uniformément brunâtre, sans distinction nette des lobules. Sa consistance est normale, sa surface lisse. — La rate est molle, sans augmentation de vo-lume. — L'estomac et les intestins sont sains.

Reins. Le rein droit est diminué de volume ; sa capsule s'en-lève facilement ; sa surface, mamelonnée, présente partout une coloration uniforme, gris jaunâtre, et des granulations à peine saillantes, de la grosseur d'une tête d'épingle, généralement plus opaques que le reste du tissu. Ces granulations sont séparées les unes des autres par des vaisseaux injectés, qui rampent dans les sillons qui bordent leur circonférence. La consistance du rein est pâteuse ; sur une surface de section, toute l'épaisseur de la substance corticale, y compris les pyramides de Bertin, présente la même couleur et les mêmes granulations opaques que la sur-face rénale, de telle sorte que l'altération du rein dans ce cas, est un type parfait de la maladie de Bright avec dégénération granuleuse du troisième degré de M. Rayer. Les pyramides de Malpighi offrent une coloration rosée due à l'injection des vais-seaux. En deux points de ces pyramides, on voit de petites con-crétions blanches, crayeuses, très fines, comme deux grains de pous-sière adhérente.

Ces deux petites concrétions, examinées au microscope, sont composées d'aiguilles prismatiques, cristallines, qui se dissolvent par l'addition d'acide acétique et se transforment en cristaux d'a-cide urique.

Le rein gauche est plus volumineux que le droit et la subs-tance corticale plus congestionnée, moins pâle qu'à droite. Il présente du reste à la surface et sur les coupes de la substance corticale des granulations jaunâtres, en tout semblables à celles de son congénère. Il n'y a pas de concrétions uratiques.

Examen microscopique des reins. — Les coupes de la substance corticale nous ont donné les résultats suivants : les granulations brightiques sont formées par des îlots de tubes contournés très altérés, opaques à un faible grossissement, remplis de cellules épithéliales inliltrées de granulations graisseuses pressées, ré-fringentes, dont les plus grosses ont de 3 à 4 millièmes de mil-limètres. Les cellules épithéliales sont généralement volumi-neuses. Les tubes urinifères ont à peu près leur volume normal (0mm044 à 0mm066 de diamètre). A côtéde cesîlotstrèsaltérésde

la substance corticale qui constituent, dans ce cas particulier, les granulations de la maladie de Bright, on voit des tubes uri-nifères, presque complètement sains, possédant des cellules épithéliales transparentes ou légèrement granuleuses.

Les glomérules de Malpighi sont généralement normaux ; il en est cependant qui offrent des granulations graisseuses dans la paroi de leurs artérioles.

Sur des coupes minces préalablement lavées au pinceau, on voit dans les tractus qui séparent les canalicules urinifères de très nombreuses granulations graisseuses, situées, soit autour des noyaux, soit dans les noyaux eux-mêmes. C'est une altéra-tion athéromateuse du réseau capillaire du rein. Les gros troncs artériels sont sains.

Articulations. — En les examinant avant de les ouvrir, il au-rait été difficile de savoir si elles étaient saines ou altérées ; elles n'étaient ni tuméfiées ni déformées, et la seule qui présen-tât un peu de roideur, était celle du gros orteil avec le méta-tarse. Nous avons ouvert les articulations métacarpo-phalan-giennes des deux mains, les fémoro-tibiales, et celles des gros orteils. Les premières étaient presque normales ; dans celles du pouce seulement, nous avons vu sur le cartilage et à la sur-face de la séreuse, de petits points blancs, crayeux. Dans les articulations du genou, qui contenaient une assez grande quan-tité de synovie épaisse et un peu touche, les cartilages articu-laires des rotules étaient, clans la moitié environ de leur sur-face, le siège de semblables dépôts. Quelques-unes de ces petites plaques crayeuses étaient déprimées en capsules à leur centre et érodées. Les cartilages des condyles étaient moins malades. La synoviale était partout parsemée de petits points blancs adhérents.Les articulations malades au plus haut degré étaient les métatarso-phalangiennes des gros orteils. Là, les surfaces des cartilages étaient complètement incrustées, et l'incrustation s'étendait au tiers ou à la moitié de l'épaisseur du cartilage, tan-dis qu'aux jointures précédentes, le dépôt de sels uriques était constitué par une couche très mince. La surface de ces dépôts

était rugueuse et usée par place ; ils s'enfonçaient dans la pro-fondeur du cartilage sous forme de cônes, dont le sommet ré-pondait à la partie du cartilage en rapport avec l'os. Dans ces articulations,la synoviale était fortement injectée et d'un rouge de sang dans tous les points où elle était respectée par les in-crustations de sels uratiques.

Vexamen microscopique nous a montré les mêmes lésions que dans l'observation précédente ; aussi nous n'y insisterons pas avec autant de détails. Dans les cartilages, l'incrustation des sels amorphes siégeait principalement dans l'intérieur des cel-lules cartilagineuses, et, à la périphérie de ces masses, s'enfon-çaient de tous côtés dans la substance fondamentale du carti-lage, les minces cristaux soyeux d'urate de soude. L'addition de l'acide acétique faisait apparaître des cellules cartilagineuses là où, avant la dissolution, on ne voyait qu'une masse opaque. La dissolution des dépôts dans les franges synoviales, dans les tissus fibreux et tendineux péri-articulaires était la même que dans l'observation relatée précédemment.

Ainsi, en résumé, un malade est pris d'attaques de goutte, d'hypertrophie du cœur, puis de néphrite albumineuse ; il suc-combe aux progrès de la cachexie hydrémique. A son au-topsie, on trouve les lésions caractéristiques de la goutte (dépôts d'urate de soude dans les cartilages), et de la maladie de Bright (troisième degré de M. Rayer) ; les reins présentent des traces de dépôts d'urate de soude. Il paraît bien probable que, dans ce cas, le passage à diverses reprises dans les reins, d'une grande quantité d'urates, à la suite de chacune des attaques de goutte, ou dans l'intervalle des accès, a été la cause occasionnelle, l'épine qui a déterminé la production de l'affection rénale qui s'est montrée avec tout l'ensemble cli-nique et anatomique de la maladie de Bright. Les dépôts ura-tiques que nous avons trouvés dans le rein, à l'autopsie, étaient très peu abondants il est vrai ; mais on sait avec quelle

facilité ils peuvent être dissous et éliminés par les urines, et leur présence n'en a pas moins une haute importance pour déterminer la nature goutteuse de la néphrite albumineuse dans ce cas.

IV.

L'intoxication saturnine exerce-t elle une influence sur le développement de la goutte ?

Dans un travail lu en 1854 devant la Société médico-chi-rurgicale de Londres (1), M. le docteur Garrod avait fait res-sortir comme une circonstance fort imprévue, et qui l'avait-vivement frappé, qu'une bonne partie, un quart au moins, des sujets goutteux admis dans son service d'hôpital avaient éprouvé, antérieurement au développement de la goutte, une ou plusieurs des formes de l'intoxication saturnine, et exer-çaient la profession de plombier ou de peintre en bâtiments. Une nouvelle série d'observations devait reproduire, à peu près dans les mêmes termes, ce résultat en apparence si sin-gulier : sur un ensemble de 51 goutteux observés à l'hôpital ftUniversity Collège, depuis 1854, M. Garrod n'a pas compté moins de 16 peintres ou plombiers ; et encore ce chiffre ne comprend-il pas les individus admis pour être traités d'une affection saturnine, et dont plusieurs avaient eu la goutte. Inu-tile d'ajouter qu'il s'agit, dans tous ces cas, de la goutte arti-culaire la moins équivoque, et caractérisée, en particulier par l'existence d'un excès d'acide urique dans le sang.

1. Medico-chirurgical Transactions, vol. XXXVI, 1854.

En présence de ces faits, on ne pouvait guère s'arrêter à l'idée d'une coïncidence purement accidentelle, et il devenait presque évident qu'une certaine relation existe entre les ma-ladies d'intoxication saturnine et la goutte. M. Garrod fut ainsi conduit à entreprendre quelques recherches dont les résultats, si par la suite ils se confirment, seront bien de nature à faire comprendre le mode de connexion qui rattache l'un à l'autre les deux ordres d'affections (1). Chez douze individus atteints d'une maladie de plomb bien déterminée, — colique ou para-lysie saturnines, — le sang fut examiné, dans le but de savoir s'il ne contenait point un excès d'acide urique. Deux de ces malades avaient autrefois éprouvé un ou plusieurs accès de goutte ; chez eux, le sang fut, en effet, trouvé riche en acide urique,, et cela n'a rien qui doive surprendre. Mais dans les dix autres cas, il n'y avait jamais eu la moindre apparence d'une affection goutteuse, et cependant, dans tous ces cas, deux seulement exceptés, les réactifs démontrèrent qu'il existait dans le sang de l'acide urique en excès. D'après ces résultats, l'intoxication saturnine aurait donc, au moins dans certains cas, ceci de commun avec la goutte qu'elle produirait, comme cette dernière, l'altération du sang par excès d'acide urique. Dans cette altération du sang, due aux affections saturnines, y a-t-il, en réalité, production exagérée de l'acide urique ou seu-lement rétention, et par suite accumulation de ce produit de désassimilation ? M. Garrod penche vers la seconde hypothèse, et voici sur quoi il se fonde : la quantité d'acide urique rendue par les urines dans les vingt-quatre heures fut dosée avec soin, pendant plusieurs jours chez deux personnes qui ensuite se soumirent pendant quelque temps à l'usage intérieur de l'acé-tate de plomb. Or, tant que dura la médication saturnine, il

1- A. Garrod. — The nature and Treatment of Gout and Rheumatic Gout. 2e édit., London, 1863, p 275.

y eut une diminution très notable de la quantité moyenne d'acide urique excrété. On observa, en outre, dans les deux cas, un phénomène très remarquable : au bout des deux ou trois premiers jours de l'administration du médicament, il y avait arrêt brusque de l'excrétion d'acide urique ; puis la fonction des reins se rétablissait ensuite, en partie, d'une manière in-termittente, ainsi que cela a communément lieu, chez les sujets qui sont sous l'influence de la goutte.

M. Garrod s'est fondé sur tout ce qui précède pour signaler d'une manière toute spéciale, dans son Traité de la goutte, parmi les conditions qui prédisposent à contracter cette mala-die, l'existence de ce qu'il appelle l'imprégnation saturnine. L'altération du sang par un excès d'acide urique, élément né-cessaire dans la goutte, éventuel dans l'intoxication saturnine, donnerait en outre , d'après M. Garrod, la raison de cette rela-tion étiologique. Une fois mis en relief, ce point d'étiologie ne pouvait manquer d'éveiller l'attention des cliniciens. Bientôt, en Angleterre, des faits conflrmatifs furent produits, en parti-culier par MM. Burrows (1), R. W. Falconer (2) et W. Beg-bie (3).On a même pris soin de relever dans les écrits de quel-ques anciens observateurs, plusieurs passages où une relation entre la colique de Devonshire et la goutte se trouve mention-néeen termes plusoumoins formels. G. Musgrave, parexemple, dans sa dissertation sur Yarthritis symptomatique, s'exprime comme il suit : « Alia vero colica, apud Damnonium, ex po-maceo immiti et acido nimis usurpato, derivatur... Septimo et octavo setatis lustro ssepe colica tentatur it, qui vinurn hoc in-digena potare soleant, itaquepergrsecari ; et ubi illa confir-matur et jam inveterascit, non raro colicœ suppullulat ar-thritis, cum articulorum dolore, tumore, cseteroque apparati!,

1. Garrod, loc. cit., p. 308 de la traduction française.

2. British Medicai Journal, 2 novembre 1861, p. 464.

3. Edinbarg Medicai Journal, august 1825, p. 125.

adpurse, et r/erminœ arthritidis faciem ordinato (1). » Voici maintenant un passage extrait d'un Essai sur /es eaux de Bath publié en 1772 par le docteur W. Falconer : « Les eaux de Bath sont de la plus grande utilité dans le traitement des affections goutteuses qui succèdent quelquefois à la colique de Poitou, et qui ont été observées et décrites par le docteur Musgrave, et depuis par le docteur Huxham (2). » — Viennent ensuite des documents de date moins ancienne : la Collection des écrits inédits de C. Hillier Parry (3), recueil riche d'ob-servations cliniques intéressantes, et qui révèlent presque tou-jours une rare sagacité, contient un tout petit chapitre daté de 1807, et portant ce titre : Gout from lead. « J'observe, y dit l'auteur, qu'après la paralysie saturnine, des malades d'âge moyen, d'ailleurs auparavant bien portants, sont très sujets à éprouver des accès de goutte dans les membres. M. C..., en-tre autres, a eu la goutte au pied, et il en a éprouvé quelque soulagement. » — Trois cas de goutte articulaire consécutive à la paralysie des mains, suite d'intoxication saturnine, sont encore mentionnés dans un nouvel Essai sur les eaux de Bath, publié en 1822 par le docteur Barlow. Enfin, parmi les observations que renferme le recueil des leçons faites par le docteur Todd, en 1843, au Collège des médecins de Londres, il en est une fort remarquable où l'on voit un peintre en bâti-ments être atteint pour la première fois de la goutte, après avoir subi plusieurs attaques de colique de plomb, et éprouver par la suite, un nouvel accès de goutte au moment même où il venait d'être délivré d'une nouvelle atteinte de colique sa-

1. De Arthritide symptomatica. Genevœ, 1752, cap. X, art. p. 565. — Voy. aussi p. 68, hist. 2, Arthritis colicœ ex pomaceo superveniens.

2. Garrod, loc. cit., p. 593. — Dans l'opuscule d'Huxham sur la colique de Devonshire, nous ne trouvons rien qui ait positivement trait à la goutte.

3. Collections from the Unpnblislied Médical Writings of the LateC. H. Parry, London, 1825, t. I, p. 244.

turnine (1). Le docteur Todd, dans un ouvrage postérieur au précédent, a signalé d'ailleurs les peintres en bâtiments au nombre des individus de la classe ouvrière atteints de goutte qui fréquentent le plus souvent les hôpitaux de Londres (2).

On voit qu'en somme, les résultats de cette enquête rétros-pective, de même que les témoignages récents, se montrent favorables à la thèse soutenue par M. le docteur Garrod. Ses propositions néanmoins, en raison surtout des circonstances dans lesquelles ont été recueillies les observations qui leur servent de fondement, paraîtront passibles d'objections. A Londres, en effet, la prédominance du régime animal, l'usage habituel et trop souvent, l'excès de certaines bières fortes, telles que le porter et le stout, placent la population ouvrière dans des conditions hygiéniques toutes spéciales. Ces condi-tions expliquent, en grande partie, pourquoi la population dont il s'agit se montre affectée de goutte assez fréquemment, bien plus fréquemment que cela n'a lieu partout ailleurs ; c'est là, du moins, une opinion à laquelle les médecins anglais pa-raissent aujourd'hui se rattacher tous d'un commun accord (3).

1. R. B. Todd. — Pratical Remarks rheumatic on Gout Fever and Chronic Rheumatism, of the Joints. London, 1843, p. 44.

2. Clinical Lectures on certain Diseases of the Urinary Organs, Lec. 15, on Gout, p. 400. London, 1857.

3. Voy. sur ce sujet : W. Budd, in The Library of Medicine, Ed. by A. Tweedie, t. V, p. 218 : — R. B. Todd, Clinical Lectures Urinary Organs : « Most Persons who indulge much in beer or porter suffer sooner or later » from this Disease (Gout), Malt liquor is par excellence the pabulum of » Gout. » London, 1857, p. 400. — Garrod, loc. cit., p. 256. T. Watson. Lec-tures on the Principles of Physic, t. II, p. 759. London, 1857. — Un exemple que nous empruntons à l'excellent article cité plus haut de M. XV. Budd met bien en lumière l'influence de certaines boissons fermentées sur le dévelop-pement de la goutte chez les basses classes à Londres : « Il est, dit M. Budd, » un corps d'ouvriers employés sur la Tamise à extraire le sable du fond du » fleuve. Comme cette opération ne peut se faire que pendant la marée basse, » les heures de travail sont réglées par cette circonstance, et tombent, tantôt » le jour, tantôt la nuit. Ce travail expose les ouvriers à toutes les intempé-» ries et sollicite un giand déploiement de force musculaire. En raison de » cela, il leur est alloué une très forte ration de boissons fermentées ; chaque

Or, il est bien peu probable qu'à Londres les professions à émanations saturnines se distinguent entre toutes, en ce qui concerne le mode d'alimentation et l'abus de certaines bois-sons fermentées ; s'il en est ainsi, il paraîtra bien difficile de démêler, au milieu d'éléments étiologiques aussi complexes, la part d'influence qui revient au plomb, soit dans le dévelop-pement de la goutte elle-même, soit dans la production de cette altération du sang par excès d'acide urique, rencontrée chez certains sujets atteints d'une affection saturnine. Sans doute, la statistique établit que, toutes choses égaies d'ail-leurs, les plombiers et les peintres en bâtiments fournissent aux hôpitaux de Londres plus de goutteux que les individus appartenant aux autres professions mécaniques, et cette cir-constance ne paraît guère pouvoir s'expliquer autrement que par l'influence du plomb. Mais, malgré cela, quelque incerti-tude peut subsister encore ; on comprend, dès lors, de quel poids seraient, pour la solution de la question, des études com-paratives faites dans des localités où l'hygiène particulière aux ouvriers de Londres ne peut plus être incriminée. Dans ces nouvelles conditions d'observation, l'occasion de rencontrer la goutte en connexion avec l'intoxication saturnine se pré-senterait, on le prévoit, bien moins souvent qu'à Londres ; mais dans chaque cas particulier, l'action du plomb, dégagée

» homme boit de 2 à 3 gallons de porter par jour, et généralement, en outre, » une quantité considérable de spiritueux (le gallon représente 4 litres 5). A » part cette consommation énorme de boissons fermentées, leurs habitudes et » leur régime de vie sont ceux de la plus basse classe de Londres. La goutte » est remarquablement fréquente chez ces ouvriers, et, bien qu'ils ne forment » pas un corps nombreux, plusieurs d'entre eux sont admis, chaque année, à » l'hôpital des gens de mer (Seamen's Hospilal Ship), atteints de cette affec-» tion. C'est là un fait très intéressant et qui semble démontrer que le travail » musculaire, quelque intense qu'il soit, ne suffit pas à contrebalancer l'in-» fluence de doses aussi considérables de porter. Les ouvriers dont il s'agit » sont presque tous des paysans irlandais, et, en conséquence, ils ne doivent » que bien rarement être prédisposés par hérédité à contracter la goutte.

en grande partie des autres influences étiologiques, apparaî-trait plus exclusive, et, partant, plus manifeste.

Malheureusement, de telles études n'ont pas été entre-prises, ou tout au moins elles n'ont fourni, quant à présent, aucun résultat significatif. Il s'est trouvé, par exemple, qu'à Edimbourg, où l'on a cherché à vérifier les propositions de M. Garrod, les affections saturnines, au rapport du professeur Christison, ne s'observent que très rarement. La goutte y est également des plus rares, au moins chez le peuple, qui mange peu de viande et qui, en fait de boissons alcooliques, n'use guère que du whisky, liqueur distillée et, à ce titre, peu propre à engendrer la disposition goutteuse (1). En France, en Allemagne, du moins à notre connaissance, on ne s'est pas occupé jusqu'ici de savoir s'il existe un rapport de causalité entre l'intoxication saturnine et la goutte. A Paris, où le régime de la population ouvrière ne diffère pas essentielle-ment de ce qu'il est à Edimbourg, les maladies de plomb sont nombreuses dans les hôpitaux, et cependant la goutte y est incontestablement très rare. Par le seul rapprochement de ces

1. A Edimbourg', où les peintres en bâtiments et les plombiers forment ce-pendant un corps assez nombreux, M. Christison n'aurait pas rencontré un seul cas de colique de plomb ou de paralysie saturnine pendant plus de trente-cinq ans qu'il est resté attaché aux hôpitaux à titre de médecin en chef. La goutte est également très rare dans cette ville d'après le même médecin, qui ne l'aurait observée que deux fois pendant toute la durée de sa carrière noso-comiale. (Voy. Garrod, toc. cit., p. 272.) — M. Bennet (Clinical Lectures on the Principles of Medicine, 2e édit., 1858, p. 916) fait également remarquer que la goutte est très rare chez le peuple à Edimbourg, et en général dans toute l'Ecosse. Cela tient, suivant M. Bennet, en partie à la sobriété des ha-bitants, mais surtout à cette circonstance que leur seule boisson alcoolique est le whisky, et qu'ils ne font pas usage des bières fortes et des vins capiteux dont la classe ouvrière de Londres use, au contraire, si largement. — De même qu'à Edimbourg, la goutte est rare à Dublin chez la population ouvrière, et vraisemblablement pour les mêmes causes. (Voy. à ce sujet Todd, Clinical Lectures on the Urinary Organs. London, 1857, p. 401.) — On sait que Ma-gnus Huss ne signale point la goutte parmi les affections qui, en Suède, ré-sultent de l'abus prolongé de l'eau-de-vie.

deux dernières circonstances, on pourrait être conduit à con-clure sommairement dans un sens diamétralement opposé à la thèse de M. Garrod. On pourrait encore faire ressortir que si une relation ôfiologique entre l'intoxication saturnine et la goutte existait en réalité, elle eût été au moins entrevue par des observateurs tels que MM. Grisolle et Tanquerel des Planches, qui ont poussé si loin l'étude des maladies de plomb. Ces arguments n'ont pas cependant une valeur absolue. Com-bien de fois, en effet, n'a-t-on pas vu un fait pathologique, naguère réputé pour très rare, ou môme resté ignoré, devenir ensuitepresque vulgaire,par cela seul qu'à unmoment donné, il a fixé l'attention des médecins? D'ailleurs, avant de con-clure, il serait tout à fait nécessaire de rechercher directement si quelques goutteux qui se présentent dans nos hôpitaux n'ont pas, pour la plupart, subi autrefois l'intoxication satur-nine; si, d'un autre côté, chez les sujets actuellement soumis à cette intoxication, on ne voit pas, plus souvent que dans toute autre circonstance, la goutte naître et se développer. Or, cette enquête spéciale n'a pas encore été établie, et, en consé-quence, la question ne peut encore, de ce côté, recevoir une solution définitive. Tout ce qu'il est permis de dire, quanta présent, c'est que s'il paraît acquis que l'intoxication satur-nine, — ainsi que le veut M. Garrod, — peut, avec le con-cours d'autres causes prédisposantes, contribuer à développer la goutte, rien ne démontre, pour le moment, que la goutte puisse se produire, pour ainsi dire de toutes pièces, par l'in-fluence exclusive ou tout au moins prédominante de l'intoxi-cation saturnine.

— Nous avons entrepris, sur le sujet qui nous occupe, une série de recherches que nous nous sommes vus forcés d'inter-rompre. Les résultats obtenus n'ont pas fourni jusqu'ici d'ar-guments décisifs ; ils sont toutefois, si nous ne nous trom-pons, de nature à laisser entrevoir que de nouvelles investi-

Charcot. Œuv compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 3o

gâtions dirigées dans le même sens, et poursuivies sur une plus grande échelle, ne resteront pas infructueuses ; c'est pourquoi nous avons cru utile de faire connaître ces résultats, ne fût-ce qu'à titre de renseignements.

Voici d'abord l'histoire détaillée d'un cas assez remarquable de goutte chronique développée chez un peintre en bâtiments atteint plusieurs fois de colique de plomb :

Obsebvation. — Aucun antécédent héréditaire. — Fièvre putride à 24 ans.—-Accès légers de coliques de plomb (24 à 28 ans). — Petits accès de 28 à 32 ans. — Premières manifes-tations goutteuses à 32 ans. — Accès annuels de goutte. — Hémorroïdes. —Envahissement progressif des jointures. —Atta-que congestive : parésie droite. — Tophus de l'oreille. — Etat du malade à 56 ans.— Description des jointures. — Examen microscopique des tophus. — Examen de la sérosité d'un vésicatoire.

Le nommé S... G... âgé de cinquante-six ans, né à Domodo-sola (Piémont), exerçant à la fois deux professions, celle de fumiste et celle de peintre en bâtiments, entre le 14 octobre 1861 à l'hôpital de Lariboisière, salle Saint-Henry, n° 19, dans le service de M. Pidoux (intérimat de M. Charcot).

Les parents de ce malade n'ont jamais été dans une position aisée. Son père, sa mère, et même son grand-père et sa grand-mère, n'auraient jamais été affectés, soit de goutte, soit de rhu-matisme; toujours ils auraient joui d'une forte santé; seule, sa mère était un peu asthmatique; elle est morte à l'âge de soi-xante-dix ans. S... a eu cinq frères ou sœurs qu'il a peu connus et sur la santé desquels il ne peut donner de renseignements. 11 a quitté son pays à l'âge de quatorze ans, et jusqu'à cette époque, il n'a jamais été malade ; il a voyagé un peu partout, exerçant en hiver la profession de fumiste et en été celle de peintre en bâtiments, mais c'est en France surtout qu'il a vécu. Marié à vingt-deux ans, il a eu cinq enfants ; toujours saposi-

tion a été très médiocre; jamais, assure-t-il, il n'a été à même de commettre d'excès habituels, soit dans le boire, soit dans le manger. Depuis deux ans, il a dû se séparer de sa femme et de ses enfants, et les renvoyer dans son pays, parce que, incapable de travailler, il ne pouvait plus suffire à leurs besoins.

S... est tombé malade, pour la première fois, à l'âge de vingt quatre ans; il était alors à Nevers ; il s'est agi cette fois d'une fièvre putride, à la suite de laquelle tous ses cheveux sont tom-bés pour repousser ensuite.

Entre vingt-quatre et vingt-huit ans, plusieurs accès de coli-ques de plomb; mais à l'âge de vingt-huit ans, étant à Orléans, un violent accès de coliques de plomb qui ne le retint pas moins de quinze jours au lit, et à la suite de laquelle il fut très long â reprendre ses forces. Plusieurs accès du même genre se sont reproduits par la suite.

L'affection goutteuse s'est manifestée pour la première fois à l'âge de trente-deux ans ; le malade était alors à Orléans, il fut pris tout à coup d'une douleur violente, siégeant dans le pouce du pied gauche et accompagnée de gonflement et de rougeur ; il y avait à peine de la fièvre. S... crut que c'était là le résultat d'une entorse. Il dut rester quinze jours au lit. Il assure que ce premier accès n'a pas été précédé de désordres de l'estomac. Il n'avait jamais éprouvé et n'a pas éprouvé depuis des troubles des fonctions des organes génito-urinaires: jamais il n'a rendu des graviers ou des calculs.

Depuis cette époque, il a éprouvé souvent des poussés hémor-rhoïdales, mais les hémorrhoïdes n'existaient pas avant le pre-mier accès.

Le deuxième accès a eu lieu un an après, le malade était à Dunkerque. Cette fois, douleur, gonflement et rougeur de la cheville toujours du côté gauche; cet accès a duré près d'un mois.

Le troisième accès a eu lieu à Amiens. C'est le genou gauche qui a été pris cette fois. La durée de cet accès a été d'un mois environ.

Depuis cette époque, les accès n'ont pas cessé de se repro-

duire à peu près chaque année, habituellement en automne à répoque des premières gelées et des brouillards; à chaque nouvel accès, de nouvelles jointures étaient prises en outre des anciennes. En outre, dans ces dernières années, les accès sont devenus plus longs qu'autrefois ; l'inappétence, pendant les accès, plus grande et la fièvre plus vive. Depuis deux ans environ, à peine les accès ont-il cessé qu'ils récidivent; enfin, depuis cette même époque, il reste, dans l'intervalle des accès, delà roideur ou même une impossibilité complète des mouve-ments dans certaines jointures; si bien que, depuis un an sur-tout, le malade est non seulement incapable de travailler, mais est obligé en outre de se servir de béquilles pour marcher; au-jourd'hui les grandes chaleurs et les premiers froids paraissent également propres à ramener les accès ; dans les accès, actuel-lement, toutes ou à peu près toutes les jointures des membres se montrent souvent également douloureuses et tuméfiées.

L'hiver passé, étant couché et en proie à une attaque de goutte, S... éprouva tout à coup une sensation de choc violent dans la tête et perdit connaissance pendant à peu près une heure. Quand il revint à lui, il y avait engourdissement et fai-blesse du bras droit et de la jambe droite; ces symptômes per-sistent encore aujourd'hui, mais à un faible degré; les membres inférieur et supérieur du côté droit sont évidemment plus fai-bles que du côté opposé ; il y a sensation de fourmillement dans les derniers doigts de la main et clu pied droit, ainsi que sur les bords externes du clos du pied, cependant, l'anesthésie sur ces parties est très peu prononcée. Depuis que ies accès se sont ainsi rapprochés, le malade a peu d'appétit et mange habituel-lement fort peu.

Il y a environ trois ans que S... a remarqué l'existence des concrétions tophacées qu'on remarque aujourd'hui sur l'oreille externe.

Etat actuel le 14 octobre. — S... paraît avoir été d'une très forte constitution ; il a encore de l'embonpoint, bien qu'il ait beaucoup maigri depuis deux ans. Il a une tète volumineuse, le cou court; les cheveux noirs et abondants commencent à gri-

sonner. Il paraît être très intelligent, vif; il s'exprime avec volubibité. Jamais il n'a eu d'affections cutanées, si ce n'est la gale, il y a fort longtemps de cela. — Avais senilis très pro-noncé des deux côtés.

Il est entré hier à l'hôpital avec la plupart des grosses join-tures rouges, douloureuses et tuméfiées, principalement celles des genoux, des mains et des poignets. Son attitude dans le lit, le mode de déformation que présentent les extrémités supé-rieures, avaient fait songer, tout d'abord, à l'existence du rhu-matisme articulaire chronique primitif ; mais un examen plus attentif fait reconnaître la présence de concrétions tophacées sur l'une et l'autre oreille externe, et d'un tophus au voisinage d'une des articulations des mains. On prescrit le sulfate de qui-nine et le calomel, et, au bout de quatre ou cinq jours, le gon-flement, la rougeur et la fièvre qui était assez vive, disparaissent pour laisser le malade dans l'état d'infirmité où il était avant l'accès.

Examen le 24 octobre. — Membres inférieurs. — Les orteils qui ont été si fréquemment le siège de la fluxion goutteuse, sont pour ainsi dire soudés, ankylosés dans leur articulation méta-tarso-phalangienne laquelle ne présente pas de gonflement. — Les gros orteils n'ont pas cette tendance à la déviation latérale qu'on observe si fréquemment dans le rhumatisme articulaire chronique progressif. Les pieds n'offrent d'ailleurs aucune difformité, aucune nodosité, non plus que les orteils; on y observe seulement un état scléreux de la peau qui, surtout au gros orteil, paraît faire corps avec les tissus sous-jacents. Les articulations iibio-tarsiennes, peu mobiles, ne sont pas tuméfiées, les genoux ne sont que très légèrement tuméfiés, nettement difformes ; il n'y a pas de déviation de la rotule. La cavité syno-viale ne contient pas de liquide; il y a un peu de roideur seule-ment dans ces articulations, dont l'extension complète est impossible, si le malade les meut pendant qu'on y tient la main appliquée, on perçoit une sorte de crépitation à petits grains, Les hanches paraissent complètement libres.

Extrémités supérieures. — Les articulations des poignets sont ankylosées; tous les mouvements y sont abolis ; ces jointures ne sont nullement tuméfiées ou déformées ; la peau qui les recouvre est sclérosée, pâle, comme polie à sa surface, et paraît soudée aux tissus sous-jacents. Les mains, par suite de l'an-kylose des poignets, sont maintenues dans la direction de F avant-bras, sans flexion, sans extension forcée, sans déviation latérale. Les mains présentent toutes deux le même mode de déformation; en général, les doigts, volumineux à leur origine, s'effilent brusquement à partir de la phalangine et deviennent très ténus à leur extrémité. Les doigts et le pouce sont dans la situation réciproque où ils se placent pour tenir une plume, toutefois plutôt dans l'extension que dans la flexion. Il n'y a point cette déviation en masse des doigts vers le bord cubital de la main, qui se rencontre si habituellement dans le rhuma-tisme noueux. Les phalangettes sont littéralement soudées avec les phalangines et celles-ci avec les phalanges, sans qu'il y ait déviation latérale, subluxation des os ou gonflement des join-tures. Seules, les articulations métacarpo-phalangiennes ont conservé une certaine mobilité. Dans l'intervalle des diverses jointures des doigts, on observe çà et là des nodosités, plus prononcées en général du côté de la paume de la main. Sur la face palmaire de la phalangine de l'index de la main droite, il existe une de ces nodosités consistant en une tuméfaction à base dure, fluctuante au sommet et qui occupe tout i'espace compris entre les deux articulations. Au sommet de cette tu-meur, la peau amincie laisse voir par transparence une colora-tion d'un blanc crayeux ; en ce point, une incision est pratiquée, et il s'en écoule d'abord une substance demi-liquide d'un blanc mat, puis une substance de même couleur, mais de consistance caséeuse. La matière issue de la plaie a été recueillie pour être soumise à l'examen microscopique. Les articulations huméro-cubitales sont mobiles, non tuméfiées ; derrière l'olécrâne,il existe de chaque côté une tumeur ayant la forme et l'apparence de l'hygroma, mais qui présente une fausse fluctuation, comme te ferait un lipome. Les épaules, le cou, sont roides, mais ne pré-

sentent pas de déformation. Le malade y éprouve souvent des douleurs lors des accès. Il éprouve également, en pareil cas, des douleurs qui paraissent siéger au niveau de l'insertion des cartilages costaux sur le sternum, et aussi dans le point qui correspond à l'union des os du nez avec le cartilage nasal ; mais en ces divers points, il n'existe pas trace de concrétion tophacée.

Les principaux viscères thoraciques et abdominaux, examinés avec soin, n'ont pas présenté d'altérations appréciables. Il existe de nombreuses et volumineuses concrétions sur l'une et l'autre oreille externe. Trois de ces concrétions se voient sur la face externe de l'oreille gauche ; elles sont logées dans la ca-vité de l'hélix, au voisinage de l'extrémité supérieure de l'oreille; l'une d'elle consistait en une espèce de kyste du volume d'un grain de chènevis, d'où l'on a extrait par une légère piqûre une matière demi-liquide d'un blanc mat qui a été examinée au mi-croscope. En renversant légèrement en dehors le pavillon de l'oreille, on aperçoit sur sa face interne un kyste analogue au précédent, mais plus volumineux et percé au centre d'un petit pertuis. Ce kyste est vide : il est très vraisemblable qu'il conte-nait autrefois de la matière tophacée qui se sera éliminée spon-tanément. Sur l'oreille droite, plusieurs concrétions blanches et dures, siégeant sur la partie inférieure de Vanthélix ; une autre concrétion se voit sur le bord postérieur même de l'oreille, au point d'union de ses faces interne et externe.

Examen microscopique de la matière des tophus. — Mon ami le docteur Vulpian et moi, nous examinâmes avec soin la ma-tière extraite par incision des tophus de l'index et de l'oreille externe. Cette matière était constituée par des amas de cristaux aciculaires très grêles. La solution aqueuse de soude pure, pour peu qu'elle ne fût pas très diluée, dissolvait rapidement ces cris-taux, et l'on voyait alors apparaître au bout de quelques ins-tants de petites masses, quelquefois régulièrement arrondies, mais le plus souvent irrégulièrement sphéroïdales, à demi transparentes, formées d'urate neutre de soude ; si l'on mettait

ensuite- ces petites masses en contact avec l'acide acétique, elles se dissolvaient et il se formait presque aussitôt de nombreux cristaux caractéristiques d'acide urique. Ces mêmes cristaux se formaient avec une égale rapidité quand on faisait agir l'acide acétique directement sur les cristaux d'urate acide qui constitue les concrétions tophacées. Les solutions très concentrées de potasse caustique et l'ammoniaque ne modifiaient d'aucune façon la matière tophacée.

Examen de la sérosité d'un vésicatoire. — Nous étions égale-ment désireux de rechercher si, chez ce malade, la présence de l'acide urique pourrait être constatée dans ta sérosité obtenue à l'aide d'un vésicatoire, en suivant le procédé indiqué par M. Garrod. L'expérience réussit pleinement : le sérum retiré des phlyctênes fut mêlé à de l'eau distillée à laquelle on avait ajouté un tiers environ d'acide acétique cristallisable. Le mé-lange ayant été bien agité, fut versé dans un verre de pendhle de 8 centimètres de diamètre environ ; puis on introduisit dans le liquide quelques fils de toile dont les fibres avaient été aussi bien dissociées que possible. Le verre fut placé sur un rayon de bibliothèque fermée, pour mettre te liquide à l'abri des diverses causes d'agitation ou d'altération auxquelles il aurait pu être soumis sans cette précaution. Au bout de quarante-huit heures, l'évaporation avait considérablement réduit ce liquide et l'avait amené à une consistance presque sirupeuse. L'examen micros-copique des fibres plongées dans le liquide, a montré qu'elles étaient couvertes de nombreux cristaux qui y adhéraient, et dont ies divers caractères morphologiques et microchimiques étaient ceux de l'acide urique. En effet, ces cristaux étaient très nettement rhomboïdiques ; ils étaient insolubles dans l'acide acétique et se dissolvaient au contraire facilement dans la so-lution aqueuse de soude caustique.

Tous les traits caractéristiques de la goutte sont, comme on voit, on ne peut mieux accusés chez ce sujet. Aiguë, du moins en apparence, à l'origine, et bornant ses manifestations

périodiques aux petites jointures des extrémités inférieures, la maladie tend peu à peu à devenir continue et prend enfin décidément les allures d'une affection chronique. Par suite, la plupart des articulations des membres ont été successive-ment atteintes, et il s'y est produit des altérations perma-nentes ; des tophus se sont développés au x^oisinage de quel-ques-unes des articulations des mains; l'une et l'autre oreille externe présentent des concrétions d'urate de soude ; enfin, à l'aide du procédé à la fois si ingénieux et si simple que M. Garrod a mis entre les mains des cliniciens et qu'il a dé-crit sous le nom de Thread Experiment (l'expérience du fil) (1); on a reconnu la présence d'une très notable quan-tité d'acide urique dans la sérosité obtenue par l'application d'un vésicatoire. Aucun doute ne saurait donc exister con-cernant la nature de l'affection dans ce cas d'une intensité presque exceptionnelle, et cependant, bien que le malade soit remarquable par son intelligence et par la lucidité de ses réponses, la recherche attentive des causes ordinaires de la goutte ne donne que des résultats négatifs ; l'hérédité, le genre de vie, ne peuvent être légitimement invoqués. Seule, l'intoxication saturnine se dessine nettement dans l'histoire des précédents pathologiques, et donne à notre observation, rapprochée de celles qu'ont rapportées les médecins anglais, une signification particulière et qu'il paraît superflu de faire ressortir.

1. On sait qu'à l'aide de ce procédé, M. Garrod a fail voir, par un grand nombre d'exemples, que jamais l'acide urique n'existe en excès, dans le sang, chez les individus atteints de rhumatisme articulaire aigu, tandis que cet excès existe constamment dans le cas de goutte aiguë ou chronique. Nous pouvons ajouter que, clans les cas, — peu nombreux à la vérité, — de goutte chronique que nous avons observés, nous avons toujours constaté l'existence de l'acide urique dans la sérosité d'un vésicatoire, tandis que jamais nous n'avons ren-contré semblable chose chez les nombreux sujels atteints de rhumatisme noueux que nous avons examinés à ce point de vue, soit k l'hospice de la Sal* pêtrière, goit ailleurs,

— Avec le concours de quelques amis, nous avons pu re-cueillir des renseignements détaillés concernant vingt malades admis, pendant la durée de deux mois qui viennent de s'écou-ler, soit à la Charité, soit à l'Hôtel-Dieu, pour y être traités de maladies saturnines bien déterminées et invétérées pour la plupart (colique de plomb en récidive, paralysie, tremble-ment saturnin). Plusieurs de ces malades, le tiers environ, ont assuré avoir éprouvé des douleurs articulaires qui s'étaient développées pour la première fois plus ou moins longtemps après le premier début de l'intoxication plombique. Ces dou-leurs, multiples ou bornées à une seule articulation, étaient accompagnés de gonflement, de rougeur et d'une incapacité plus ou moins absolue de mouvoir le membre ; elles étaient, par conséquent, bien distinctes de celles que détermine l'arthralgie saturnine. Le plus souvent, faute de données suffisantes, nous avons dû nous abstenir de nous prononcer sur la nature de ces arthropathies. Dans deux cas cependant, elles avaient occupé exclusivement les articulations méta-tarso-phalangiennes des gros orteils et s'étaient montrées, à plusieurs reprises, sous forme d'accès à début brusque, du-rant chaque fois une quinzaine de jours environ et rappelant,, en un mot, le type classique delà goutte articulaire aiguë (1). Dans aucun de ces deux cas, ni l'hérédité ni les autres causes prédisposantes reconnues de la goutte ne pouvaient être invoquées (2).

1. Dans trois de ces cas où l'intoxication saturnine s'était compliquée d'une affection articulaire, j'ai recherché, avec l'assistance de mon collègue et ami M. Vulpian, et en suivant le procédé décrit par M. Garrod, si le sang con-tenait un excès d'acide urique. Le résultat de nos recherches a été négatif dans les trois cas. il e ,t vrai que nous n'avons pas opéré sur le sérum du sang, mais bien sur la sérosité obtenue par l'application de vésicatoires, et c'est là, sans doute, une circonstance défavorable.

2. Notre collègue, M. le D1' Chauffard, a bien voulu nous donner quelques détails concernant l'histoire d'un malade qu'il a observé notamment à l'hôpital Saint-Antoine. Ce malade, peintre en bâtiments et âgé d'une trentaine d'an-

Nous ne voudrions pus, toutefois, accorder plus de con-fiance qu'il ne convient à un diagnostic fondé presque exclu-sivement sur les renseignements fournis par les malades (1).

nées, était entré à l'hôpital pour une colique saturnine de moyenne intensité. Les accidents saturnins à peine éteints, il se développa tout à coup un accès bien caractéristique de goutte aiguë siégeant à l'un des gros orteils. C'était la première fois qu'il éprouvait semblable chose. Après quoi, il se plaignit d'asthme nocturne, affection dont il avait été atteint autrefois à plusieurs re-prises. On s'informa des antécédents, qui montrèrent dans tout son jour l'hé-rédité goutteuse. Dans ce cas, l'intoxication saturnine n'aurait donc joué d'autre rôle que celui d'une cause excitante. 1. Extrait de la Gazette hebdom., n° 27, 1863, p. i33.

Y.

Goutte consécutive aux accidents saturnins (1).

M. Charcot, h propos du rapprochement fait par M. Bou-chard entre le saturnisme et l'hydrargyrisme, comme dimi-nuant la quantité d'acide urique dans les urines, rappelle qu'il n'est point rare de voir la goutte consécutive aux accidents saturnins. En ces derniers temps, il a eu sous les yeux deux goutteux chez lesquels l'hérédité ne paraît avoir joué aucun rôle, mais tous deux ont eu des accidents saturnins et y étaient constamment exposés par leur profession. La goutte, développée dans ce cas, ajoute M. Charcot, peut apparaître chez les individus encore très jeunes (25 et 30 ans), avec un caractère de sévérité extrême ; elle est d'emblée chronique et se présente avec toutes les lésions de la goutte tophacée. Un des malades qu'il a eu l'occasion d'observer, est mort dès l'âge de 35 ans, d'une encéphalopathie liée à l'albuminurie consécutive à la néphrite goutteuse.

Ce fait et d'autres, signalés par Garrod, Charcot, Bucquoy, Potain, ne permettent point de douter que la goutte, dans un certain nombre de cas, ne doive être considérée comme con-

\, Complus rendus de Ut Société fe biolor/ie,l813, p. 229;

sécutive à l'intoxication saturnine. Et l'on ne saurait, d'autre part, objecter contre cette manière de voir la rareté de la goutte dans les classes les plus exposées aux accidents satur-nins. 11 suffit d'admettre que la goutte soit, comme l'encé-phalopatliic saturnine, par exemple, un accident relativement rare de cette intoxication.

VI.

Goutte et vertige laryngé (i).

M. Ctiarcot, à propos d'une communication de M. Lev parle d'une série de faits qu'il a remarqués et qu'il croit peu connus.

M. Charcot fut appelé à voir un malade qui se plaignait de goutte et de toux. Un jour, à la suite d'une légère quinte, il le vit tout à coup s'affaisser sur lui-même et se relever pres-que aussitôt, sans avoir présenté la moindre trace de convul-sion. Le malade qui, au sortir de cette sorte de crise, assu-rait qu'il n'avait pas perdu connaissance, fit connaître que de temps à autre, il souffrait de ces accidents depuis l'époque où cette toux s'était manifestée. Il est inutile d'ajouter que le malade, âgé de 55 ans, n'avait jamais présenté le moindre symptôme d'épilepsie.

Peu de temps après, M. Charcot vit, avec le docteur Car-rière, un malade de 54 ans qui, lui aussi non épileptique, se plaint de devenir sujet, depuis un an, à ce qu'il appelle des attaques. Cet état est annoncé par un chatouillement qui existe au-dessous du larynx, une petite toux sèche qui est suivie quelquefois d'une sorte d'attaque pendant laquelle le malade s'affaise et perd connaissance. Pendant cette attaque,

1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1876, p. 336.

et au dire des personnes qui sont à même de l'observer, il paraît que sa face devient violacée, turgescente, et qu'il se produit quelques secousses convulsives dans la tête et dans le bras. Il ne se mord pas la langue, n'urine pas sous lui. L'attaque est courte, et à peine est-elle terminée, que le malade se relève, sans hébétude, et se trouve capable d'a-chever une conversation commencée avant l'attaque. Ces accès sont devenus très fréquents depuis quelque temps; il y en a quinze à seize par jour, et il est arrivé au malade de tomber dans la rue. Chaque fois, les attaques ont été précédées d'un chatouillement etd'une petite toux; cependant,ilpeutarriver que les accès d'une toux ne soient pas suivis de grandes attaques. Dans ce cas, le malade n'éprouve qu'un sentiment vertigi-neux qu'il ne peut pas définir, mais qui ne s'accompagne jamais de chute.

L'examen de la gorge fait reconnaître un peu de pharyngite granuleuse. Le malade est depuis déjà longtemps atteint de bronchite chronique avec emphysème ; mais c'est depuis un an seulement que se sont montrées les attaques. M. Charcot a été amené à penser que, dans ce cas, il pourrait bien s'agir de l'irritation d'un des nerfs laryngés, au même titre que le ver-tige dit de Ménière paraît se rattacher à une affection du nerf auditif dans le labyrinthe. Ce serait donc une sorte de vertige laryngé. Sous cette impression, il a prescrit les cautérisations pharyngées au nitrate d'argent, les applications irritantes sur la région laryngée et, à l'intérieur, l'emploi du bromure de potassium. Soit par l'effet de cette médication, soit pour toute autre cause, le malade a guéri au bout de quelques mois.

Depuis cette époque, M. Charcot a eu l'occasion d'observer quelques faits se rattachant au même type ; et tout récemment, en recherchant ce qui pouvait avoir été publié sur cet ordre défaits, M. Charcot a trouvé dans le Berliner klinische Wos-

chenschrift, une observation due à Sommerbrodt. Un malade souffrait d'accidents epileptiform es accompagnés de sensations laryngées. La présence d'un polype du larynx ayant été recon-nue, son extirpation fut décidée. Le malade guérit complètf-ment, et les accidents cpileptiformes ne reparaissent plus.

VII.

Altérations des articulations dans le rhumatisme articulaire chronique ; fausse contracture rhuma-tismale ; ankyloses (1).

L'observation et les pièces anatomiques que j'ai l'honneur de présenter à la Société sont de nature à éclairer plusieurs points de l'histoire du rhumatisme articulaire chronique. Les articulations présentent en effet à tous les degrés possibles, depuis la simple érosion du cartilage jusqu'à l'ankylose cellu-leuse, les lésions qu'on a désignées dans ces derniers temps sous le nom d'arthrite sèche. Nous voyons en outre une roi-deur avec obstacle à l'extension complète de l'avant-bras sur le bras, considérée pendant la vie comme due à une contrac-ture rhumatismale, siégeant dans les muscles, mais que l'au-topsie démontre tenir tout simplement à une lésion particulière de l'articulation du coude. Voici d'abord quelques détails sur les phénomènes observés pendant la vie.

Le3 mars 1851, entre dans la salle Saint-Michel, service de M. Rayer, à l'hôpital de la Charité, le nommé Maul-Laurier Beau-fils, tailleur, âgé de 56 ans. Cet homme n'a pas eu de parents goutteux ou rhumatisants ; il se nourrit habituellement mal et

1. Comptes rendus de la Société de biologie, 1851, p. 27. Charcot. Œuvr. comp. t. vu. Mal. des Vieillards. 3i

ne boit jamais de vin. En 1828, il habitait un rez-de-chaussée tel-, lement humide que les murs en étaient continuellement mouillés et qu'ils sont couverts de cristaux; au bout d'un an de séjour dans ce lieu,Maul éprouve tout-à-coup, pendant la marche, une douleur tellement vive dans l'articulation de la première avec la deuxième phalange du gros orteil droit, qu'on est forcé de le ramener chez lui. Cette douleur, il la compare à un engourdis-sement très intense. Quelques mois après cette première attaque, toutes les articulations des orteils du pied gauche deviennent simultanément rouges, tuméfiées et causent des douleurs ana-logues à celles qui avaient existé dans le pouce ; cette nouvelle invasion est d'ailleurs précédée de frissons et accompagnée de fièvres ; bientôt après, le pied droit se prend lui-même, et enfin, les articulations des doigts des deux mains. D'abord bornées aux petites articulations, la tuméfaction, la rougeur et la dou-leur se montrent bientôt aux articulations tibio-tarsiennes et aux deux articulations du poignet. Cette période d'acuité dure huit jours environ, pendant lesquels le malade, ne pouvantplus marcher, était transporté chaque jour à l'hôpital Saint-Louis où il fait usage, dès le début, de bains de vapeurs et de fumiga-tions. Au bout de ce temps, survient une rémission, suivie bien-tôt de nouveaux accès venant irrégulièrement de temps à autre, lesquels étaient précédés par de légers frissons et s'accompa-gnaient de sueurs abondantes. Les choses restent ainsi pendant cinq ans environ.

En 1835, Maul, qui habite cependant alors un logement sec, voit le mal qui s'était borné presque exclusivement aux petites articulations des pieds et des mains envahir les coudes, et à cette époque déjà, se manifeste une certaine difficulté dans l'extension de l'avant-bras sur le bras. Ce sont surtout les mem-bres supérieurs qui sont le siège du mal, à cette nouvelle période de la maladie. C'est alors qu'il commence à apercevoir une dé-formation dans les articulations des extrémités inférieures. Enfin, après une série de rechutes, pendant lesquelles augmen-tent les difformités articulaires et la perte ou la diminution des mouvements de certaines d'entre elles, une douleur se ma-

nifeste pour la première fois dans l'épaule gauche, sans rou-geur ni gonflement.cette fois.

Lors de son entrée à l'hôpital, cet homme nous paraît d'une constitution entièrement détériorée; il est faible, cacochyme, pâle et maigre. Il assure ne tousser que depuis un mois envi-ron, et n'avoir jamais craché de sang. Il y a dix jours qu'à la suite de frissons, il éprouva un point de côté avec oppression au côté gauche de la poitrine ; bientôt surviennent de l'insomnie et de l'inappétence. Il assure que, lors de l'invasion du point de côté, les articulations des mains qui étaient gonflées et rouges cessèrent subitement d'être tuméfiées et douloureuses. D'ailleurs, pas d'antécédents syphilitiques, jamais aucun phénomène nota-ble, soit du côté de l'estomac, soit clu côté du cœur ou des in-testins. L'urine est habituellement très claire.

Cet homme, outre les bains de vapeur dont il a fait usage à une certaine époque, se contentait de prendre lors des attaques de huit à dix gouttes de teinture de colchique, médicament qui le soulageait toujours, mais dont il était bientôt forcé de sus-pendre l'usage, à cause d'hallucinations et de maux de gencives qui ne tardaient pas à subvenir.

Dans l'état actuel, nous avons à étudier chez ce malade : 1° les vestiges de l'affection habituelle de l'articulation qui est en ce mo-ment dans une période de rémission ; 2° une affection pectorale.

Voici d'abord dans quel état nous trouvons les diverses arti-lations :

Pied gauche. — Aucune ankylose; seulement, quand on met les surfaces articulaires les unes sur les autres, on entend un léger craquement dans les diverses articulations des orteils, et en particulier du gros orteil. L'articulation tibio-tarsienne pa-raît déformée, c'est-à-dire que les enfoncements naturels parais-sent remplis, et quand on en palpe les contours, lamollesse habi-tuelle des parties est remplacée par une résistance très grande ; il semble que tout le pourtour de l'articulation se soit incrusté d'une matière solide ; d'ailleurs, immobilité complète de cette articulation ; le pied est fixé à angle droit sur la jambe. Cette soudure était déjà complète il y a une dizaine d'années.

Dans toutes les autres articulations du pied et dans celles des orteils,les mouvements paraissent conservés; les différentes piè-ces du tarse paraissent cependant soudées entre elles. Au pied droit, pas d'ankylose, soit aux orteils, soit au tarse, soit dans l'articulation tibio-tarsienne ; ni déformation, ni rougeur, ni gonflement de ces diverses articulations ; cependant, le frotte-ment des surfaces articulaires fait entendre un certain craque-ment. Le malade assure n'avoir jamais souffert dans les articu-lations fémoro-tibiales ou coxo-fémorales.

Membre supérieur gauche. — En général, les articulations du métacarpe avec les doigts et les différentes phalanges entre elles sont gonflées, déformées, mais sans rougeur pour le mo-ment. La déformation paraît tenir à un gonflement des tissus osseux mêmes, ou bien à des productions osseuses péri-articu-laires de nouvelle formation. Les doigts ont, par suite, un aspect fusiforme avec des renflements au niveau de chaque article.

On remarque dans l'articulation, entre le premier métatarsien et la première phalange du pouce, une sorte de luxation de cette dernière en avant et en dedans de la tête du métatarsien; en même temps, les mouvements provoqués de cette articula-tion sont obscurs ; il y aune sorte de demi-ankylose, ce qui n'empêche pas que le frottement des surfaces articulaires ne détermine un craquement très sensible ; d'ailleurs, déformation et gonflement anafogues des articulations des deuxième, troi-sième et quatrième métatarsiens avec les phalanges correspon-dantes, avec craquement des surfaces articulaires, mais sans ankylose ; les phalanges paraissent en outre déformées un peu en avant de la tête des métacarpiens ; déformation analogue, mais plus légère dans les articulations des différentes phalanges entre elles ; crépitation sensible dans les mouvements provoqués dans ces diverses articuiations.

La main considérée en général est en outre déformée ; ainsi, les diverses phalanges des doigts sont habituellement dans l'extension, mais les doigts sont légèrement fléchis sur les mé-tacarpiens; de plus, ils sont légèrement inclinés vers le bord

interne de la main. Les mouvements volontaires sont, pour la plupart, conservés, mais difficiles ; les mouvements provoqués sont limités. C'est ainsi qu'il y a un obstacle à l'extension de tous les doigts sur les métatarsiens et que les mouvements divers dans l'articulation du premier métacarpien avec la première phalange sont très faibles, par suite de la demi-ankylose déjà notée.

Articulation raolio-carpienne. — Elle est déformée ; les saillies osseuses sont peu prononcées ; les enfoncements sont comblés. La main est immobile dans l'axe de l'avant-bras ; les mouve-ments provoqués ou spontanés sont tout-à-fait nuls. L'ankylose paraît complète ; elle remonte, dit-il, à une dizaine d'années.

Articulation huméro-cubitale. — L'avant-bras fait un angle de 35 à 40 degrés avec le bras ; l'avant-bras et la main sont, en outre, dans une pronation habituelle. Quand on cherche à étendre l'avant-bras sur le bras, ou à provoquer la supination, on ne peut y parvenir, car aussitôt les muscles paraissent agir violemment et des cordes correspondantes à leurs tendons se dessinent dans les téguments. Ces cordes paraissent dues aux tendons des muscles long supinateur, grand et petit pal-maires, cubital antérieur, grand pronateur. D'ailleurs, elles existent à un certain degré, alors même qu'on ne cherche pas à détruire la flexion. Quand on dit au malade de fléchir l'avant-bras sur le bras, il le fait d'ailleurs sans douleur ou difficulté. Le biceps brachial et le brachial antérieur ne paraissentjouer aucun rôle dans l'obstacle à l'extension. Ajoutons que le frottement des surfaces articulaires de l'articulation du coude s'accompagne d'un craquement très sensible.

L'épaule est douloureuse depuis trois mois environ ; cepen-dant, il n'y avait pas de craquements sensibles, et les mouve-ments en sont assez libres. Tout ce que nous avons dit du membre supérieur gauche s'applique exactement au membre supérieur droit.

Tel est l'état des diverses articulations. Mais, nous l'avons dit

le rhumatisme n'est pas actuellemeut la maladie principale. Nous avons parlé du début de l'affection pectorale.

Le 3 mars, jour d'entrée, nous constatons, par l'auscultation, des râles très abondants, muqueux, de grosses bulles des deux côtés de la poitrine, pas de matité par la percussion. Souffle au premier temps au coeur et à la base ; ce souffle est doux. Souffle vasculaire au cot ; expectoration de crachats muqueux, verts, iarges, arrondis ; oppression assez forte ; fièvre. Les jours sui-vants, même état (Pot. gom. ; diète). — 10, 11 : Potion stibiée, 0,10 centigr.

12, 13, 14, Pot. Kermès, 0,10 centigr., légère amélioration. 14 Application d'un vésicatoire sur le côté gauche de la poitrine. Ce jour-là, on avait observé de l'obscurité du son sous la clavi-cule gauche et quelques râles suspects ; et en outre de la matité relative à la partie folliculeuse et inférieure du poumon gauche. En ce point, il n'existait pas de souffle, mais les râles muqueux qui occupaient toute l'étendue du lobe inférieur résonnaient en ce point avec un timbre tout particulier, analogue à celui qu'ils acquièrent quand ils éclatent au milieu du souffle bronchique.

Les jours suivants, l'amaigrissement se prononce, la fièvre s'accroît, la langue se sèche, la dyspnée augmente. Enfin, il survient du dévoiement, et le malade meurt le 16 mars.

Autopsie. — 1° Etat des articulations. — 2° Etat des viscères. — Les articulations présentent tous tes degrés imaginables de l'af-fection qu'on a appelée, dans ces derniers temps, du nom d'ar-thrite sèche, —- Dans un premier groupe, nous voyons les carti-lages présenter en certains points des dépressions, d'autres fois de véritables pertes de substance, des ulcérations dont le fond est rugueux. Déjà la membrane synoviale est épaissie et injectée elle-même. Une espèce de synovie très épaisse, très visqueuse, remplit la cavité articulaire. C'est dans cet état que se trouvent tes articulations fémoro-tibiales.

Au deuxième degré, le pourtour du cartilage est pour ainsi dire érodé. Il est anfractueux et irrégulier. Au centre même du car-tilage existent aussi, soit simplement des abrasions, des éro-

sions, soit des ulcérations plus ou moins profondes, dont quel-ques-unes mettent à nu la substance osseuse. Il semble qu'en même temps, la texture du cartilage lui-même ait changé de na-ture; il paraît s'être ajouté à la substance cartilagineuse propre, du tissu fibreux qu'on enlève sous forme de lamelles. Dans ce degré la synoviale est très épaissie ; elle a une coloration d'un violet foncé : sa face interne est couverte de bourgeons charnus, dont quelques-uns sont pédicules. Un liquide épais et visqueux, mais transparent, remplit la cavité synoviale ; mais, dans quel-ques articulations, on rencontre une sorte de substance blanche albumineuse, un peu concrète, complètement libre au milieu de la cavité droite.

Notons qu'en outre, la face externe de la membrane synoviale est doublée par une couche fibreuse très résistante qui la sépare des ligaments articulaires proprement dits. Cette couche nou-velle, qui semble due au tissu cellulaire sous-synovial épaissi et devenu fibreux, joue un grand rôle dans l'obscurité des mou-vements exécutés par certaines articulations. Nous avons parlé de l'obstacle qui existait pendant la vie à l'extension de l'avant-bras sur le bras ; nous avons dû. rechercher sur le cadavre à quoi tenait cet obstacle. Aussi nous avons disséqué avec soin : 1° le tissu cellulaire sous-cutané ; 2° les muscles eux-mêmes ; 3° les ligaments péri-articulaires. Après avoir coupé successive-ment ces différentes parties, nous ne vîmes pas cesser le moins du monde l'obstacle à l'extension ; mais, sous les ligaments péri-articulaires que nous enlevâmes avec précaution, nous ren-contrâmes une couche épaisse, fibreuse, qui les séparait de la synoviale. Quand cette couche eût été coupée, et qu'il ne resta plus que la séreuse elle-même, tous les mouvements s'exécu-tèrent dans l'articulation comme à l'état normal. C'était donc, non pas dans l'articulation même, non pas non plus précisément en dehors d'elle, que gisait la cause de cette contracture appa-rente, mais bien dans la couche intermédiaire à la synoviale et aux ligaments péri-articulaires, laquelle s'était épaissie et ré-tractée, ce qui ne veut pas dire que, pendant la vie, les muscles ne jouaient pas un certain rôle dans la difficulté qu'on éprou-

vait à étendre l'avant-bras ; mais ce role cessa complètement après la mort.

Les articulations, qui présentaient les altérations que nous venons de décrire, étaient les plus nombreuses. C'étaient la plu-part des articulations métacarpo-phalangiennes et métatarso-phalangiennes, celles des phalanges entre elles aux doigts comme aux orteils. Les deux articulations du coude rentrent dans le même groupe. Quelques-unes de ces articulations pré-sentaient en outre, en dehors de la synoviale, dans la couche même dont l'épaississement avait causé au coude une sorte d'an-kylose intra-articulaire, une espèce de productions osseuses, lesquelles étaient, pour certaines articulations, une des princi-pales causes de leur gonflement anormal. Enfin, dans un pre-mier groupe, nous assistons au début de l'ankylose intra-arti-culaire celluleuse, et quelques articulations de notre malade présentent le degré le plus élevé de cette altération ; dans les articulations du premier métatarsien avec la première phalange des deux pouces, on rencontre, au sein même de la cavité arti-culaire, des brides fibro-celluleuses qui s'étendent du métatar-sien à la phalange. Dans ces mômes jointures, où la synoviale est rouge, villeuse, couverte de bourgeons charnus, on rencontre aussi, en dehors de cette synoviale, des brides celluleuses inter-médiaires à la séreuse et aux ligaments péri-articulaires. Il y a donc, dans ce cas, ankylose intra-articulaire et extra-articu-laire.

En règle générale, c'est du fond d'une ulcération du cartilage, laquelle a mis l'os à nu, que partent les brides celluleuses intra-articulaires. Ces dernières vont de l'autre côté se rendre, soit au fond d'une ulcération analogue du cartilage opposé, soit à la face interne d'un point quelconque de la synoviale elle-même. Mais, dans d'autres cas, ce qu'il nous a semblé du moins, c'est du cartilage lui-même transformé, devenu fibro-cartilage, que l'on voit partir ces ligaments inter-articulaires de nouvelle for-mation. Ces derniers, tantôt friables, minces et transparents, tantôt plus épais et plus résistants, permettent d'ailleurs encore certains mouvements ; ils permettent, par exemple, dans les

articulations métacarpo-phalangiennes des pouces, un certain degré de flexion, mais limitent complètement l'extension et l'abduction : aussi, le muscle court abducteur du pouce a-t-il subi complètement la transformation graisseuse, ce qui con-traste avec l'état des autres muscles de la main qui ont conservé, à peu de chose près, leur volume et leur coloration normale.

Un degré de plus, et l'ankylose celluleuse intra-articulaire est complète. Les liens celluleux de nouvelle formation sont solides, résistants, et les mouvements de flexion ou d'extension sont devenus tout-à-faits nuls ; c'est ce qui existe pour les articula-tions radio-carpienne, tibio-tarsienne du côté gauche.

Dans quelques articulations phalangiennes, le but ou le résul-tat de la maladie a été tout différent de ce que nous venons de voir ; le cartilage a presque entièrement disparu, il n'en reste plus que quelques îlots. L'os mis à nu est rugueux, mais pres-que sans altération. Mais ce qui est surtout à noter, c'est qu'il n'existe ici aucune production celluleuse intra-articulaire. C'est dans ces articulations surtout que le frottement des surfaces déterminait pendant la vie une crépitation très sensible,

En résumé :

Le gonflement et la déformation des articulations tenaient dans ce cas : 1° à l'épaississement de la synoviale ; 2° à i'é-paississement avec transformation fibreuse du tissu cellulaire sous-synovial ; 3° à la formation dans ce tissu cellulaire de productions cartilagineuses et osseuses.

La diminution de la mobilité des os, les uns sur les autres, tenait, soit à la formation de liens celluleux développés entre les deux surfaces articulaires contiguës, soit à l'épaississement avec production détiens fibreux de la couche celluleuse, sous-synoviale. C'est à cette dernière variété d'ankylose qu'était due la fausse contracture des membres supérieurs. N'est-il pas possible, dès lors, que l'altération désignée par quelques au-teurs, sous le nom de contracture rhumatismale, ne soit sou-

vent rienmoinsque le résultat d'une modification dans le tissu même des muscles.

Enfin, nous assistons à tous les degrés possibles d'une al-tération particulière des cartilages, commençant par une sim-ple exulcération et se terminant par une dénudation plus ou moins étendue des os subjacents, altération qui s'accompa-gne souvent de l'adjonction de tissu fibreux à la substance cartilagineuse elle-même, et pendant ce temps, la synoviale s'est injectée, gonflée, elle s'est couverte de bourgeons char-nus ; mais le liquide qu'elle exhale ne diffère de l'état normal que par sa viscosité plus grande, et, dans certains cas, par la présence d'une substance albumineuse plus ou moins opa-que ; pas de pus, pas de véritables fausses membranes.

Le cœur ne présente pas d'altération sensible soit dans ses pa-rois, soitdans ses valvules. Lespoumons présentent denombreux tubercules; çà et là des excavations au sommet des deux orga-nes. Le lobe inférieur gauche présente une induration consi-dérable à son centre, laquelle est due à une hépatisation pul-monaire diffuse qui environne de toutes parts un noyau d'in-filtration tuberculeuse dont le centre s'est déjà ramolli. — Les autres organes n'ont rien présenté de notable.

VÏÏT.

Du rhumatisme génital.

(Lettre de M. Charcot à M. le Dr Lorain) i.

Dans le cours d'une intéressante discussion sur le rhuma-tisme blennorhagique à la Société médicale des hôpitaux en 1865-1866, M. le Dr Lorain, qui prenait une part active à la discussion, provoqua l'avis de M, Gharcot qui lui répondit par la lettre suivante :

« Vous me demandez, mon cher collègue, ce que je pense du rhumatisme génital, voici en quelques mots ce que j'ai exposé, dans mes leçons à la Salpêtrière, en m'appuyant sur vos observations et sur celles que j'ai pu recueillir dans divers auteurs :

« l°J'ai commencé parétablir que des causes traumatiques, telles que coups, chocs, plaies, phlegmons, etc., font naître chez les sujets prédisposés, tantôt le rhumatisme articulaire aigu, tantôt le rhumatisme articulaire chronique généralisé, (rhumatisme noueux ou partiel, arthrite sèche). C'est ainsi que le rhumatisme articulaire aigu s'est développé, à la suite

1. Bulletin et Mém. de la Société médicale des hôpitaux, 1866, p. 323.

« 2° Certaines causes pathologiques agissent comme les causes traumatiques et provoquent le développement d'affec-tions rhumatismales qui ne diffèrent en rien, du moins quant à la forme, de celles qui se produisent spontanément (je fais mes réserves sur la valeur du mot spontané).

«Ainsi, Yérysipèle delaface aprovoqué, à ma connaissance : 1° le rhumatisme articulaire aigu; 2° le rhumatisme articu-laire chronique primitif. — L'angine tonsillaire est souvent le point de départ (d'autres disent le prodrome) du rhuma-tisme articulaire aigu. — La scarlatine produit souvent le rhumatisme articulaire aigu, avec endocardite, pericardite, etc., et souvent aussi, le pronostic de la maladie n'est en rien changé. — La blennorrhagie. A la suite, et pendant le cours de l'uréthrite, on a vu se développer le rhumatisme articu-laire aigu, avec endocardite et pericardite. La blennorrhagie peut également être le point de départ du rhumatisme arti-culaire chronique avec déformation (rhumatisme noueux). Vous en avez recueilli un cas ; il en existe un autre de Brood-hurst (Reynold's a System of Medicine) ;Garrod en rapporte

d'un phlegmon provoqué par une piqûre, chez un boucher qui avait déjà éprouvé plusieurs atteintes de rhumatisme ; la pre-mière articulation affectée dans ce cas, a été le poignet ; or, le phlegmon siégeait sur le dos de la main.

«Le rhumatisme noueux s'est développé chez une femme de la Salpêtrière, à la suite d'un panaris qui occupait un des doigts de la main, et les jointures de ce doigt furent les pre-mières atteintes par l'inflammation rhumatique.

« Les chirurgiens ont vu fréquemment Y arthrite sèche (ce que j'appelle rhumatisme chronique primitif partiel) naître, à la suite d'un coup porté sur la jointure, et ils en ont conclu que cette sorte d'arthrite est tantôt une affection locale, tantôt une maladie constitutionnelle.

plusieurs exemples (On Gout, p. 545); Trousseau en cite un cas (Clinique médicale, t. III, p. 375).

«Fonctions utérines. —Les troubles, dans l'accomplisse-ment de cette fonction provoquent souvent le dévelop-pement des formes ordinaires du rhumatisme ; ainsi, la chlorose et la dysménorrhée sont notées parmi les causes ordinaires du rhumatisme noueux. Todd (On Gout, p. 180) relate un cas de dysménorrhée pseudo-membraneuse, avec rhumatisme noueux. J'ai moi-même rapporté, dans ma thèse, plusieurs observations de suppression des règles ayant été le point de départ du rhumatisme noueux.

« Ménopause. — C'est une des causes les plus fréquentes de l'apparition du rhumatisme noueux (Charcot; Trastour, etc.).

« Grossesse. — Formes subaiguës du rhumatisme articu-laire. (Lorain) Todd, (p. 179,) cite plusieurs cas de rhu-matisme noueux développé pendant la grossesse. Il existe encore d'autres observations du premier ordre (thèse de Charcot). En général, d'après mes observations, la maladie se prépare pendant la grossesse et éclate avec toute son in-tensité peu après l'accouchement.

« Allaitement. —Outre les casque vous avez observés, j'en indique un, relevé par Garrod; il s'agit d'un rhumatisme noueux développé dans ces circonstances. Garrod invoque Voverlactation (On Gout, p. 568).

«Ainsi, les causes les plus banales, telles que le trauma-tisme, par exemple, peuvent donner naissance au rhuma-tisme ordinaire. Des causes plus spéciales, et, en particulier,

« En résumé, les causes qui provoquent ces arthropathies spéciales sont aussi toutes puissantes à provoquer, dans cer-taines circonstances données (lorsqu'il existe une prédisposi-tion déjà accusée par des accès antérieurs), les arthropathies du rhumatisme ordinaire. En ce qui concerne spécialement el rhumatisme génital, tantôt la cause génitale est toute-puis-

les causes génitales, peuvent amener le même résultat. Mais ce n'est certainement là, à mon sens, qu'un coin du tableau, et je pense que la plupart des causes spéciales ou spécifiques qui viennent d'être passées en revue peuvent, par elles-mêmes, provoquer l'apparition d'affections articulaires qui différeront, à certains égards, et surtout cliniquement, du rhumatisme ordinaire. Il est facile de démontrer tout d'abord que certaines causes vraiment spécifiques font naître des arthrites qui n'ont de commun, avec le rhumatisme propre-ment dit, que le siège. Certains poisons morbides peuvent être placés au premier rang, sous ce rapport. 11 y a une ar-thrite morveuse; une arthrite varioleuse; une arthrite liée à la diathèse purulente.

«Ces arthrites-là, partielles ou multiples, ne sont évidem-ment pas le rhumatisme arliculaire commun.

« Je crois, de plus, qu'il y aune arthrite scarlatineuse bien différente du rhumatisme articulaire commun, lequel se déve-

0 ppe cependant quelquefois, sous l'influence de la scarlatine.

1 « Je crois aussi qu'il existe une arthrite blennorrhagique ayant ses caractères particuliers et distincts de ceux qui appar-tiennent au rhumatisme spontané : mais iln'en est pas moins vrai que le rhumatisme ordinaire peut se développer, sous l'influence de la blennorrhagie.

« Il y a, sans doute, une arthrite puerpérale spéciale ; mais l'état puerpéral est propre à développer le rhumatisme com-mun.

santé, puisqu'elle développe une forme morbide particulière, tantôt son rôle n'est qu'accessoire, puisqu'elle provoque le développement d'une maladie qu'une autre cause eût pu dé-velopper. Il peut se rencontrer, d'ailleurs, des espèces mixtes, bâtardes où se trouvent combinées :

« 1° L'influence delà prédisposition rhumatismale;

« 2° L'influence de lacause spécifique, génitale ou autre ;

«3° Enfin, on peut observer des cas simples, purs, où l'in-fluence de l'une ou de l'autre de ces causes se dessine dans toute son originalité. »

IX.

Notes annexées au Traité de la Goutte, de M. Garrod, traduit par M. A. Ollivier.

De l'antiquité du rhumatisme et de la goutte] historique. —Le mot rhumatisme, contrairement à une assertion qu'on s'étonne de voir formulée par Tralles (Usus opii, etc., Vratislaviee, 1757, sect. n, p. 301), se rencontre plusieurs fois dans les écrits des médecins de l'antiquité grecque ou latine. Mais il n'était pas usité alors dans le sens qu'on lui attribue exclusivement au-jourd'hui ; il ne servait pas à spécifier un type morbide particu-lier, et on l'employait généralement pour désigner toute espèce de fluxion humorale pouvant survenir dans le cours des ma-ladies les plus diverses, principalement lorsque cette fluxion se montrait accompagnée d'évacuations muqueuses ou pituiteuses. Les anciens, néanmoins, ont connu les affections variées qu'on a rassemblées de nos jours sous le nom de rhumatisme ; cela est rendu au moins très vraisemblable, particulièrement en ce qui concerne le rhumatisme articulaire aigu, par quelques passages des écrits d'Hippocrate, d'Arétée surtout, de Ceelius Aurelianus et d'Aëtius (voy. Fabricus,/)e rheumat. medic. veter. fragmenta. Erlang., 1802). Toutefois, il est remarquable qu'on ne rencontre fà qu'une indication très sommaire et peu explicite de cette dernière maladie ; tandis que la goutte, au contraire, s'y trouve, ainsi que le fait remarquer M. Garrod, décrite presque minu-

tieusement parfois et présentée le plus souvent avec ses attri-buts symptomatiques et étiologiques les plus caractéristiques. Le contraste est frappant ; il a conduit plusieurs auteurs mo-dernes (liecker, Rede ueber die aufeinander Folge der Dyskra-sien in grosseren Zeiträumen, in der med. Vereinzeitung, 1837, n1 34 ; — Leupo. dt. Gesch. der Mediän. Berlin, 1863, p. 66) à penser que, dans l'antiquité, le rhumatisme articulaire était rare ou tout au moins ne sévissait pas au même degré que la goutte ; et déjà Sydenham avait émis une opinion fort analogue. Quoi qu'il en soit, les auteurs anciens ont toujours confondu la goutte et le rhumatisme articulaire clans une description com-mune, sous la dénomination à'arthrilis ou de maladie articu-laire (articulorum passio) ; et il ne semble même pas qu'aucun d'eux ait jamais songé à établir, entre les deux affections, une séparation tranchée. « Certains médecins », dit; à la vérité, Cœlius Aurelianus (Morb. chron., lib. V. cap. ii) « appellent la maladie arthritique un genre, et la podagre une espèce. » Mais il ajoute aussitôt que ces noms expriment uniquement une dif-férence de siège et qu'ils n'ont pas d'importance dans la pra-tique. On pourrait, d'après cela, faire remonter jusqu'à l'anti-quité la doctrine de l'identité, que professent encore aujourd'hui plusieurs médecins éminents à l'égard du rhumatisme et de la goutte, et mettre ainsi la tradition de son côté, s'il était permis de prêter aux anciens, relativement à la distinction des mala-dies, les vues systématiques qui, en réalité, n'appartiennent qu'aux modernes. L'antique description de Yarthritis s'est trans-mise telle qu'elle, et sans avoir subi d'altération sensible jus-qu'au temps de Baillou. Le premier, cet auteur a décrit, comme distincte de Yarthritis, une affection à laquelle il a donné, on ne sait trop pour quelle raison, le nom de rhumatisme, nom qui reçut ainsi pour la première fois, une acception nosographique déterminée. Or, cette maladie qu'a décrite Baillou (Opera omnia). Genev., 1762, t. IV, p. 314) et que Rivière (Opera medic. Lugd., 1672, p. 297), puis Sydenham, ont étudiée à nouveau, sous le même nom, par la suite, correspond évidemment au rhuma-tisme articulaire aigu, tel que nous l'entendons aujourd'hui. Ghargot. — (Euv. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 32

En ce qui concerne le rhumatisme articulaire chronique, il serait difficile de signaler, chez les anciens, des descriptions qui s'y rapportent incontestablement; inaisi! existe des preu-ves d'un autre ordre pour démontrer que cette affection exis-tait, au moins dès te premier siècle de notre ère, chez les habi-tants du midi de l'Italie. Les fouilles entreprises, il y a quelques années, sur le sol qui couvre les ruines de Pompei, ont mis à découvert des ossements humains, pour la plupart dans un état de conservation parfaite, et dont la provenance ne peut être l'objet d'aucun doute. Parmi ces ossements, qui figurent au-jourd'hui dans les divers musées de Naples, il en est un certain nombre qui portent encore les traces parfaitement reconnais-sablés de diverses affections pathologiques. Or, quelques-unes de ces altérations paraissent devoir être rapportées au rhuma-tisme articulaire chronique. On pourrait s'en convaincre en consultant les descriptions et en examinant les figures qu'a données M. le docteur delle Chiaje (de Naples), de quelques-unes de ces pièces ( Cenno anatomico-patologico sulle ossa umane scavate in Pompei. Napoli, 1853. — Miscellanea analomico-patho-logica, t. II, pi. Lxxxin, fìg. 0,7,8. Napoli, 1857). Ce sont là, si l'on peut ainsi dire, des monuments qui témoignent de l'anti-quité du rhumatisme chronique, mieux encore que ne le pour-raient faire quelques passages, plus ou moins équivoques, tirés des auteurs anciens.

— Sur la pathologie historique de la goutte, consulter un intéressant travail du docteur A. Corradi (della odierna diminu-zione della podagra. Rologna, 1800) et l'excellent ouvrage du docteur A. Hirsch, de Danzig ( Handbuch der historich-géogra-phischen Pathologie, t. II, p. 572. Erlangen, 1859). (p. 5-6 de la traduction).

Hémorrhagies sous-cutanées dans la goutte. — Dans des cas, à » la vérité assez rares, la coloration d'un pourpre sombre, que » présentent les jointures affectées par la goutte, prend une » teinte plus foncée encore, parfois presque noire; cette teinte » persiste pendant plusieurs jours, après quoi, elle fait place

» aux nuances jaunes, vertes, etc., qui révèlent l'existence des extravasations sanguines. » ( W. Gairdner. On gout. London, 1860, 4e édit., p. 23.) — On peut lire à la page 300 de l'ouvrage cité du docteur W. Gairdner l'observation d'un cas de goutte dans lequel l'hémorragie sous-cutanée dont il est ici question était des plus prononcées (p. 21 de la trad.).

Goutte chronique d'emblée. — La goutte peut, comme le rhu-matisme articulaire, revêtir dès l'origine, la forme chronique, pour spécitier les cas de ce genre, M. le professeur Monneret propose la dénomination de goutte chronique d'emblée, qui mé-rite d'être acceptée (Programme du cours de pathologie interne, etc., 2e année, 1862, p. 134). — Il n'est peut-être pas sans inté-rêt de remarquer que l'affection décrite par Landré-Beauvais, dans sa dissertation inaugurale (Thèses de la Faculté de Paris, an VIII), sous le nom de goutie asthénique primitive, n'est pas la goutte, mais bien le rhumatisme noueux. Les observations sur lesquelles se fonde le travail de Landré-Beauvais ont toutes été recueillies à l'hospice de la Salpêtrière, où la goutte proprement dite ne se présente que très rarement. Les concrétions topha-cées n'ont été rencontrées dans aucuns cas suivis de nécroscopie rapportés par l'auteur, (loc... cit... p. 23).; or, l'existence de ces concrétions n'eût certainement pas manqué d'être consta-tée, s'il se fut réellement agi de la goutte, (p. 24 )

Congestion du foie au début des accès de goutte. — Parmi les phénomènes qui marquent le plus souvent le début des accès de goutte, M. W. Gairdner (loc. cit., p. 171 ) signale une tuméfaction passagère du foie, laquelle s'accuse d'ailleurs, comme à l'ordi-naire, par les signes que fournissent la palpation et la percussion, et par le développement anormal de l'hypochondre droit. Les faits de ce genre n'avaient pas échappé à Scudamore ; il men-tionne, entre autres, l'histoire d'un malade en proie à un pre-mier accès de goutte, et qui, pendant les deux ou trois mois précédents, avait ressenti de l'embarras du côté du foie, ainsi que de grands désordres dans l'estomac e4 -dans le canal alimen-

taire (Traité de la goutte et du rhumatisme. Paris, 1823. t. I, p. 120). Sujet à la goutte, et auteur d'un intéressant travail sur cette maladie, M. le docteur Galtier-Boissière (De la goutte, Dis-sert, inaug. Paris, 1859, p. 41) a constaté plusieurs fois, sur lui-même, cet accroissement temporaire du volume du foie, qui, chez certains goutteux, prélude aux accès. Il pense que la fré-quente répétition de ces hypérémies périodiques peut, à la longue, occasionner la tuméfaction permanente du foie qu'on observe assez fréquemment, ainsi que l'avait remarqué déjà Scudamore (loc. cit., p. 59) chez les individus qui souffrent de la goutte depuis longtemps (p. 25).

Siège de Vaffeciion articulaire goutteuse. — Sur 40 cas de goutte primitive des extrémités inférieures observés par le doc-teur Braun, cle Wiesbaden (Matériaux pour servir à une mono-graphie sur la goutte. Paris, 1802, p. 7), l'affection a occupé le côté droit. La goutte paraîtrait avoir, d'après cela, une certaine prédilection pour le côté gauche. — Dans ces mêmes 40 cas, la première attaque a porté 36 fois sur le gros orteil, 2 fois sur le clos du pied, 1 fois sur le genou, 1 fois sur la hanche (p. 27-28).

La douleur de la goutte aiguë comparée à celle du rhumatisme. — On a dit que clans la goutte, la douleur se montre sous forme d'un point situé sur le côté de l'articulation et qui existe parfois bien avant que la chaleur et le gonflement ne se soient mani-festés; tandis que, dans le rhumatisme articulaire aigu, au contraire, la douleur est étendue, large pour ainsi dire, et embrasse toute la partie affectée (Guilbert, De la goutte et des maladies goutteuses. Paris, 1820, p. 110. — Gendrin, Leçons cli-niques sur la goutte,dans Revue de thérapeutique médico-chirur-gicale, 1859, p. 483. — Vigla, Bulletin de la Société des hôpitaux. 1849, t. I, p. 178) Cela est parfaitement exact, au moins pour un certain nombre de cas (p. 30).

La goutte chronique comparée au rhumatisme noueux. — A ne

considérer même que le siège primitif clos affections locales ainsi que le mode d'envahissement successif des jointures, il existe entre la goutte parvenue à cette époque de son évolution et le rhumatisme articulaire chronique d'emblée, de forme pro-gressive — (rhumatisme goutteux, rhumatisme noueux des auteurs) — envisagé à son début, des traits de ressemblance et des caractères distinctifs qu'il ne sera peut-être pas sans inté-rêt de faire connaître dès à présent.

Dans le rhumatisme noueux, les articulations des mains, et, d'une manière plus précise, d'après mes propres observations, celles des phalanges entre elles, surtout les articulations méta-carpo-phalangiennes des deux premiers doigts, sont, dans la majorité des cas, le premier signal du mal. L'examen de 41 cas étudiés à ce point de vue spécial, nous a fourni les résultats suivants : les diverses jointures qui viennent d'être mention-nées ont été les premières et les seules atteintes, pendant un espace de temps plus ou moins long, dans 21 cas; dans 7 autres cas, une ou deux grandes jointures, le poignet ou le cou-de-pied, par exemple, ont été affectés en même temps que les articulations des doigts; 9 fois l'invasion s'est faite exclusive-mentpar les grandes jointures, telles que le genou ou le cou-de-pied; mais dans ces cas, les petites articulations des doigts n'ont pas tardé à se prendre. Dans 4 cas seulement, les join-tures des gros orteils ou les petites articulations des pieds ont été envahies les premières, ainsi que cela a lieu dans la goutte.

Presque constamment, lorsqu'il s'agit du rhumatisme noueux, la maladie observe dans ses envahissements une parfaite symé-trie. Ainsi les articulations homologues sont habituellement prises en même temps et parfois avec une égale intensité. MM. Adams (A Trealise on rheumalic gout. London 1857, p. 219.) Romberg (Klinische Wahrnehmungen. Berlin, 1851, p. 98), W. Budd (The Symmetry of disease, in Medic. chirurg. Trans., t. XXV, 1842, p. 158), ont beaucoup insisté, et avec raison, sili-ce caractère que nous avons nous-même fait ressortir (Etudes pour servir à l'hist. de l'affection décrite sous les noms de goutte

asthénique, primitive, etc. Thèse, de Paris, 1853) (1) et qui ne se retrouve pas dans la goutte, au moins au même degré. Adams cite, comme tout à fait exceptionnel, un cas de rhumatisme noueux, dans lequel une seule des mains fut affectée pendant toute la durée de la maladie; Haygarth n1a rapporté également qu'un fait du même genre, et parmi les cas très nombreux de cette forme de rhumatisme chronique que j'ai observés, dans l'espace de six années, à la Salpêtrière, je n'ai vu que 3 fois la maladie former son action aux articulations d'un seul côté du corps.

A mesure qu'il progresse, le rhumatisme noueux peut se porter sur toutes les jointures ; à proprement parler, aucune d'elles n'est à l'abri de ses atteintes. Il est à remarquer cepen-dant que les articulations des membres supérieurs sont encore, dans cette période ultime, plus souvent et plus profondément affectées que celles des membres inférieurs. Les articulations de la hanche et celles de l'épaule sont, en général, atteintes très tardivement, souvent très légèrement ; il est fréquent qu'elles soient respectées pendant toute la durée du cours de l'affection, ainsi que cela a lieu d'ailleurs, le plus souvent dans la goutte. Dans le rhumatisme articulaire chronique partiel, au contraire, — et c'est un point sur lequel nous devrons revenir plus loin — il n'est pas rare que l'articulation de l'épaule, ou celle de la hanche (morbus coxœ senilis) soient le pre-mier siège, voire même le siège à peu près exclusif de la maladie.

Le mode suivant lequel les arthropathies se succèdent sur un membre, dans le rhumatisme noueux, est intéressant à noter ; mais là nous ne trouvons rien qui ne se rencontre également dans la goutte chronique généralisée. Aux membres supérieurs les doigts sont, dans les deux maladies, affectés les premiers, puis c'est le poignet, puis le coude, et enlin l'épaule ; aux membres inférieurs, le genou se prend après l'articulation tibio-tarsienne, la hanche après le genou. Sans doute, cet ordre de succession des affections articulaires n'est pas toujours

1. Voir plus haut, page 353.

Les jointures du gros orteil peuvent rester indemnes dans la goutte articulaire. — Cette observation a été vivement critiquée et l'auteur anonyme d'un article, fort intéressant d'ailleurs, inséré dans Y American Journal of the médical Sciences (t. XL, 1860, p. 426), s'est refusé à y reconnaître les caractères de la goutte. Ce n'est pas ici le lieu d'établir une discussion en règle et de rechercher de quel côté est la vérité ; mais je crois utile de rapporter deux faits suivis de nécroscopie, qui ne peuvent laisser subsister aucun doute sur la nature de la maladie et qui démontrent péremptoirement ce qu'avance M. Garrod, à savoir : que la goutte peut avoir occupé sérieusement, à plusieurs reprises, la plupart des jointures, sans cependant avoir jamais établi son siège sur les articulations métatarso-phalangiennes des gros orteils. L'un de ces faits a été recueilli par M. le docteur Ollivier et par moi, il y a quelques années. L'autre appartient à M. le docteur E. Desgranges, qui l'a publié dans Y Union médicale de la Gironde, pour 1859 (n° 10, p. 452). Voici notre observation, que nous croyons devoir rapporter in extenso, en raison de l'intérêt qui s'y rattache à plusieurs points de vue.

Obs.. I. — A. D..., âgé de soixante-six ans, ancien huissier, s'est vu forcé, il y a vingt-cinq ans environ, de vendre sa charge par suite de mauvaises affaires. Depuis lors, il n'a exercé aucune profession, sa famille pourvoyant à tous ses besoins. Il a éprouvé pour la première fois, il y a trente ans, des douleurs articulaires, qu'il qualifie du nom de goutte, et qui, depuis cette époque, n'ont pas cessé de reparaître sous forme d'accès, une ou plusieurs fois chaque année, principalement pendant l'hiver. Il assure que son père, sa mère, son frère et sa sœur ont été atteints de la même maladie. La plupart des jointures ont été successivement atteintes ; mais il ne sait dire dans quel ordre elles l'ont été. Il a oublié également quelles jointures ont été prises en premier lieu, mais il assure que les gros orteils n'ont jamais été affectés. Les diverses articulations ne présentent

mathématiquement suivi, mais on l'observe, certainement, clans la majorité des cas (p. 38-40).

aucune tuméfaction, aucune déformation. Toutes sont parfaite-ment mobiles. Il n'existe aucune trace de dépôts tophacés extérieurs, pas même sur les oreilles. Le 5 mars 1860, se déclare un accès qui dure une dizaine de jours et qui occupe exclusive-ment le genou droit. La jointure douloureuse n'a été que très légèrement tuméfiée. Le 14 mars, survient un érysipèle qui débute par la face, s'étend rapidement d'un côté au cuir chevelu, de l'autre à la partie antérieure du cou et se complique d'un délire violent. La terminaison fatale a lieu le 20 mars.

Autopsie. — Le tissu cellulaire sous-cutané de la région antérieure du cou est infiltré de pus, aucune altération de l'encéphale ou des méninges. Les artères de la base du cerveau ne sont pas athéromateuses. — Aucune altération appréciable des viscères thoraciques ; seule l'aorte présente çà et là dans sa portion ascendante quelques plaques athéromateuses et une concrétion calcaire de petit volume. —Les viscères abdominaux étaient également exempts d'altérations. — Les reins toutefois n'ont pas été examinés assez attentivement pour qu'on puisse déclarer qu'il n'y existait pas quelques-uns de ces infarctus d'urate cle soude qu'on rencontre généralement chez les indivi-dus atteints de goutte chronique.

Sur un bon nombre de jointures, les surfaces articulaires paraissent recouvertes d'une couche d'un blanc mat, semblable à du plâtre ; cette matière est déposée dans l'épaisseur des cartilages diarthrodiaux, où elle se présente tantôt à f'état amorphe, tantôt sous forme d'amas d'aiguilles cristallines. L'acide acétique concentré dissout rapidement les cristaux ainsi que la matière amorphe, et en leur place on voit se for-mer bientôt, au sein du cartilage, des cristaux rhomboédri-ques d'acide urique. Soumis à l'action de l'acide nitrique bouillant, puis à celle de l'ammoniaque, un fragment de cartilage incrusté de la matière tophacée donne lieu à une belle coloration poupre (murexide). Sur la plaque d'apparence calcaire qui existait à la surface de l'aorte, les mêmes réactions n'ont pas produit la coloration pourpre, et il n'y a pas eu formation de cristaux d'acide urique.

Dans la cavité des diverses jointures ainsi affectées, il n'exis-tait pas d'épanchement de sérosité trouble. La membrane syno-viale était à peine injectée. Elle n'était pas recouverte de pro-longements villeux. Au pourtour des surfaces articulaires, il n'existait ni stalactites, ni bourrelets osseux de formation nou-velle, et, à part l'incrustation par l'urate de soude, les cartilages ne présentaient aucune altération appréciable. En un mot, on ne rencontrait là aucune des altérations qui caractérisent le rhumatisme articulaire chronique.

Voici d'ailleurs, en peu de mots, quel était l'état des diverses jointures. —Aux membres supérieurs, les articulations scapulo-humérales étaient toutes deux à l'état normal ; — au coude droit, le dépôt blanc occupe les surfaces articulaires du radius, du cubitus et de l'humérus, dans toute leur étendue ; au coude gauche, les altérations sont les mêmes, mais bien moins pro-noncées qu'à droite. — Poignets : les deux surfaces articulaires sont, au poignet droit comme au poignet gauche, revêtues du dépôt blanc dans toute leurétendue. Ce même dépôt se retrouve sur les surfaces d'articulation des diverses os du carpe entre eux et avec les métacarpiens, à droite comme à gauche. — Les autres articulations de la main droite ne sont pas altérées au même degré à droite et à gauche. A la main droite, les articu-lations métacarpo-phalangiennes du pouce et du médius pré-sentent seules le dépôt blanc ; l'articulation phalangienne du pouce est intacte ; au contraire, les articulations de la première avec la deuxième phalange des quatre autres doigte présentent le dépôt grayeux dans toute l'étendue du cartilage diarthrodial. Quand aux articulations des phalalangines avec les phalan-gettes, seule celle du médius présente le dépôt crayeux. — A la main gauche, les articulations métacarpo-phalangiennes, celles du pouce y compris, sont envahies par le dépôt d'urate de soude; l'annulaire seul fait exception. Les articulations phalan-gines avec les phalangettes de l'index et du médius présentent le dépôt hlanc, toutes les autres jointures des doigts sont intactes.

Aux membres inférieurs : Les deux articulations coxo-fémo-rales sont saines.—Articulations fémoro-tibiales : à droite, la

surface articulaire du fémur est recouverte dans la plus grande partie de son étendue par le dépôt blanc; les deux cavités arti-culaires et la surface rotulienne sont revêtues de cette même couche blanche qui se retrouve aussi par plaques aux faces su-périeure et inférieure des fibro-cartilages semilunaires. — En dehors de l'articulation, clans le tissu cellulaire sous-synovial, au voisinage de la face externe du condyle droit, il existe une petite concrétion blanche, arrondie, du volume d'une tête d'é-pingle. — Des altérations analogues se rencontrent sur le genou gauche, mais elles y sont beaucoup moins prononcées. — Des deux côtés, les articulations tibio-tarsiennes présentent une couche d'un blanc laiteux, uniformément répandue sur toute l'étendue des surfaces articulaires. Chacune des articulations du tarse offre le même revêtement blanc. Les articulations mé-talarso-phalangiennes et celles des phalanges entre elles, tant aux gros orteils qu'aux autres doigts de pieds, ne présentaient, soit du côté droit, soit du côté gauche, pas traces de dépôtsd'urate de soude.

En outre de l'intégrité des articulations métacarpo-phalan-giennes des gros orteils, qui est le point sur lequel nous appe-lons principalement l'attention, il est clans cette observation plusieurs circonstances qui méritent d'être relevées. On remar-quera, par exemple, que les membranes synoviales, même les jointures les plus profondément affectées, étaient à peine vascu-larisées ; qu'elles n'étaient pas hérissées à leur face interne cle prolongement villeux ; qu'au pourtour des surfaces articulaires il n'existait ni stalactites ni bourrelets osseux de formation nouvelle, qu'enfin, les cartilages incrustés d'urate de soude ne présentaient d'ailleurs pas de lésions de texture appréciables ; en un mot, on ne trouvait là aucune altération révélant un tra-vail d'inflammation chronique. Il n'en était pas tout à fait cle même, ainsi qu'on va le voir, dans le cas de M. Desgranges. On notera, en dernier lieu, dans notre observation, qu'à part une très petite concrétion, blanche, située au genou droit, dans le tissu cellulaire sous-synovial, on ne rencontrait pas d'agrégats sous-cutanés d'urate de soude, de tumeurs tophacées, en un mot, au voisinage des jointures affectées. Nous devons nous

borner pour le moment à indiquer ces faits, que nous aurons à invoquer ailleurs etdontl'intérêt est, comme on le voit, surtout relatif à la physiologie pathologique de l'arthropathie gout-teuse. Nous terminons cette note déjà étendue en donnant un abrégé de l'observation publiée par M. Desgranges.

Obs. II. — M..., âgé de cinquante-huit ans. Les douleurs arti-culaires ont débuté il y a vingt ans. Actuellement les petites articulations des doigts des mains sont seules tuméfiées et dé-formées. Les articulations des coudes et des genoux sont le siège de craquements. — Peu de temps après l'admission à l'hôpital, œdème des membres inférieurs, vomissements répétés, puis, au bout de quelques jours, gêne dans la parole, prostra-tion complète, langue sèche, regard fixe, respiration difficile. — Plusieurs attaques épileptiformes pendant les deux jours qui ont précédé la mort. — lYécroscopie : Hypertrophie du cœur avec épaississement remarquable des parois du ventricule gau-che. Les autres organes du thorax, ceux de l'abdomen, les reins y compris (?), fencéphale enfin, ne présentaient aucune alté-ration appréciable. —Aux articulations des genoux, les surfaces articulaires étaient recouvertes dans toute leur étendue d'une couche d'une matière blanche qui, examinée chimiquement par M. Faure, fut reconnue être composée d'urate et de phosphate de chaux (?). Sur d'autres articulations, la même matière blanche se présentait par plaques ; sur d'autres enfin, elle ne formait qu'un pointillé blanchâtre, tendant cependant à former des plaques. En plusieurs points, il y avait en outre érosion des cartilages, et en général, les capsules synoviales étaient rouges et enflammées. Voici d'ailleurs l'indication sommaire de l'état des diverses articulations : Les articulations scapulo-humérales sont indemnes, adroite et à gauche.—Aux articulations des coudes, des poignets, plaques blanches disséminées sur les cartillages cliarthrodiaux ; l'altération est plus prononcée à droite qu'à gauche. Mêmes altérations aux articulations méta-carpo-phalangiennes etphalangiennes des deux mains; seuls le petit doigt et le pouce de la main gauche sont intacts. — Arti-culations coxo-fémorales : plusieurs plaques blanches à droite

et à gauche. — Articulations fémorales : c'est là que les altéra-tions sont le plus prononcées. —En outre des dépôts d'urate de soude, on y remarque des érosions du cartilage et une in-jection marquée de la synoviale. — Articulations tibio-astraga-liennes : La poulie astragalienne est incrustée dans toute son étendue par la matière blanche. — Les articulations du gros orteil n'étaient pas affectées (p. 47-51).

Ankylose précoce du gros orteil. — M. ïodd a vu, comme M. Garrod, l'ankylose de la première jointure du gros orteil surve-nir à la suite d'une seule attaque de goutte. (Pratical remarks on gout, rheumatic fever and chronic Rheumatism of the joints. London, 1843, p. 35), et M. le professeur Trousseau fait remar-quer, de son côté, qu'une première attaque, même une première attaque survenue accidentellement, peut, dans certains cas, laisser après elle sur les jointures des traces aussi profondes qu'en laisse la goutte dont les accès se sont fréquemment ré-pétés. (Clin, médic, t. III, p. 328), (p. 63).

Déformations permanentes des jointures dans certains cas de goutte chronique. — Les déformations permanentes des join-tures qu'on observe dans certains cas de goutte chronique se présentent sous des aspects en apparence très-divers ; elles peuvent cependant être ramenées à deux chefs principaux : Les unes dépendent soit des attitudes vicieuses qu'adoptent instinc-tivement les malades clans le but d'éviter tous les mouvements capables de réveiller ou d*exalter les douleurs articulaires .; soit — et plus généralement — de la rétraction spasmodique et parfois douloureuse que subissent certains muscles (Guilbert, De la goutte, etc., Paris, 1820, p. i(ï. — Scudamore, loc. dit., t. I, p. 55. — Trousseau, Clin, médicale, t. III, p. 330) en consé-quence d'une sorte d'action réflexe morbide excitée par les affections articulaires. Les autres reconnaissent pour causes la présence de ces agrégats d'urate de soude situés en dehors des jointures, qu'on désigne habituellement, lorsqu'ils acquièrent un certain volume, sous le nom de tumeurs tophacées. Les

deux modes de déformation peuvent d'ailleurs se rencon-trer isolément, ou coexister, au contraire, chez un môme indi-vidu.

I. La simple déviation angulaire, ou à un degré plus avancé, la subluxation des os dont les extrémités viennent faire saillie sous les téguments, constituent les déformations du premier genre. Les jointures sont tantôt plus ou moins rigides ou même complètement ankylosées ; tantôt elles ont conservé encore une certaine mobilité, et, en pareil cas, les mouvements qu'on leur imprime s'accompagnent parfois d'un bruit de cra-quement. Elles peuvent être absolument exemptes de tumé-faction : par exemple, lorsque les dépôts uratiques extra-arti-culaires sont nuls, ou tout au moins fort minimes, et que les cartillages diarthrodiaux sont seuls envahis par l'urate de soude. Il peut arriver même que les parties immobilisées en conséquence de la rigidité des jointures, subissent, à la longue, une véritable atrophie, et alors ainsi que cela a lieu, aux mains en particulier, dans certains cas de rhumatisme noueux (E. Vidal, Considérations sur le rhumatisme articulaire chronique primitif. Thèse inaugurale. Paris, 1855, p. 25), la peau qui recouvre ces parties est pâle, lisse, polie, comme rétractée et pour ainsi dire sondée aux tissus sous-jacents (voir à ce sujet, un cas de goutte dont j'ai donné la description dans la Gazette hebdomadaire en 1803, t. X, p. 433). (Voir p. 437).

Les déformations goutteuses dont il est ici question, prin-cipalement lorsqu'elles affectent d'une manière symétrique et dans leur ensemble les extrémités supérieures, ne se distin-guent pas essentiellement, au point de vue clinique, de celles qui se produisent si communément dans les mêmes lieux, sous l'influence du rhumatisme articulaire chronique progressif. Cela ne saurait surprendre lorsqu'on remarque que, dans les deux cas, c'est un même agent, à savoir, la rétraction spas-modique des muscles, qui paraît jouer le rôle principal dans la production des déviations. Il y a là un intéressant sujet d'étu-des sur lequel nous nous proposons de revenir à propos du

rhumatisme noueux. Actuellement, nous nous contenterons d'exposer brièvement un fait bien propre à montrer jusqu'à quel point peut aller, dans certains cas, la similitude que nous signalons.

Obs. — Une femme âgée de quatre-vingt-quatre ans, atteinte d'arthropathies multiples qui avaient produit aux membres et surtout aux mains et aux pieds des difformités très prononcées, fut admise à l'infirmerie de la Salpêtrière, en mars 1863. Voici le résultat de l'examen des déformations que présentent cette femme. Toutes ou à peu près toutes les jointures des membres et de leurs extrémités étaient rigides, à l'exception des épaules et des hanches. Les articulations fémoro-tibiales et tibio-tar-siennes étaient le siège de craquements ; celles des gros orteils étaient subluxées et ankylosées. La rigidité et les déformations permanentes étaient surtout prononcées aux mains, et depuis longtemps elles empêchaient tout travail. Les deux mains for-tement maintenues en pronation sont affectées symétriquement et au même degré. 11 y a déviation en masse de tous les doigts vers le bord cubital de la main, et cette déviation est si prononcée que le bord externe du petit doigt fait presque un angle droit avec Taxe du cubitus. 11 y a, de plus, subluxation des pha-langes en arrière et en dehors des têtes métacarpiennes, qui font sous les téguments amaigris une saillie très accusée ; par suite, tous les doigts de la main sont fléchis sur le métacarpe, en même temps qu'ils sont dans l'abduction ; de plus, les phalan-gines sont légèrement étendues sur tes phalanges, et les pha-langettes fléchies sur les phalangines. La plupart des jointures ainsi affectées ont conservée encore une mobilité obscure : à leur niveau, il n'y a pas traces de proéminences, de tumeurs autres que celles que produisent les têtes des os subluxés ; il n'existe pas la moindre apparence de tumeurs tophacées. En somme, on trouve ici l'exacte reproduction de l'un des types de difformité des extrémités supérieures, observés le plus fréquemment dans le rhumatisme articulaire chronique progressif (premier type ou type de flexion. — Voyez Gharcot. Thèse inaugurale, Paris, 1853,

p. 16, pl. I, fig. 3 et A, pl. II, fig. 1 et c2 ). — Cette femme ayant succombé à une pneumonie, l'examen nécroscopique apprit ce qui suit : à l'exception des jointures des hanches, la plupart des articulations des membres inférieurs et celles des membres su-périeurs présentaient une altération consistant en un dépôt abondant d'urate de soude, dans l'épaisseur et à la surface des cartilages diarthrodiaux ; les ligaments articulaires et les ten-dons au voisinage des jointures étaient parsemés en outre de petites concrétions blanches, d'aspect crayeux, ne dépassant pas en général le volume d'une tète d'épingle et formées égale-ment d'urate de soude. Ce qui est relatif aux extrémités su-périeures mérite une mention spéciale : par suite de la su-bluxation des têtes des phalanges en arrière, les extrémités antérieures des métacarpiens devenues presque complètement libres, se trouvaient placées immédiatement sous la peau. Leurs cartilages diarthrodiaux étaient partout incrustés d'urate de soude et présentaient une surface blanche, d'aspect crayeux. En outre, sur la face dorsale des têtes métacarpiennes, immé-diatement en arrière des surfaces diarthrodiales, existaient des dépôts d'urate de soude enveloppés de tissu cellulaire lâche et qui laissait voir par transparence, leur couleur d'un blanc mat. Ces dépôts, limités latéralement par les tendons des extenseurs, jouissaient de mouvement de latéralité sur tes métacarpiens, dont ils étaient tout à fait indépendants : placés immédiatement sous la peau et pressés pour ainsi dire, contre les extrémités osseuses ; ils étaient aplatis et ne formaient pas, sur le dos de la main, de saillie appréciable ; de telles sorte qu'avant la dis-section des parties molles, leur existence ne pouvait pas être reconnue. On trouvait aussi des points blancs et des petites masses crayeuses dures, enchâssées solidement dans les tissus fibreux péri-articulaires et dans les tendons des extenseurs, sur toute l'étendue de leur trajet. Toutes les articulations des pha-langes, des phalangines et des phalangettes étaient incrustées comme les métacarpo-phalangiennes de matière tophacée, mais

1. Voir plus haut la reproduction de la thèse de M. Gharcot.

à un moindre degré. Au voisinage des jointures, le tissu cellu-laire sous-cutané, le névriième, les couches profondes du derme présentaient de semblables dépôts sous forme d'une fine pous-sière blanche. L'examen microscopique et chimique de la ma-tière blanche qui inérustait les cartilages ou siégeait dans les tissus fibreux a démontré qu'elle était essentiellement consti-tuée par de l'urate de soude (Charcot et Cornil, Mémoires de la Société de biologie, t. V, 3e sér., 186.4, p. 1411.)

Il serait facile de multiplier les exemples et de montrer que la goutte chronique peut reproduire fort exactement les autres types de déformation des membres qu'on observe dans le rhu-matisme noueux; mais c'en est assez pour établir que la distinc-tion des deux affections ne saurait être fondée d'une manière absolue sur la seule considération des caractères extérieurs, en l'absence des concrétions tophacées apparentes. Dans maintes circonstances, l'étude attentive du mode d'évolution des phéno-mènes morbites, celles des antécédents étiologiques, souvent même les résultats de l'examen microchimique du sang, de-vront, de toute nécessité, être invoqués par le clinitien. Il est juste de reconnaître toutefois que les cas où les déformations des extrémités supérieures se présentent symétriquement et avec les caractères qu'elles offraient chez la femme dont l'his-toire vient d'être rapportée, sont aussi exceptionnels dans la goutte qu'ils sont habituels, au contraire, dans le rhumatisme articulaire chronique progressif.

IL Quand aux déformations que produisent les amas d'urate de soude déposés à l'extérieur et dans le voisinage des join-tures, elles appartiennent en propre à la goutte; elles sont le plus souvent faciles à reconnaître, et pour ne citer qu'un exem-ple, lorsqu'elles affectent les mains, on les distingue en général aisément des déformations que détermine, là aussi, le rhuma-tisme noueux. Dans cette dernière maladie, les déformations

(1). Ce travail a été reproduit dans ce volume (p. 363 à 389).

articulaires en général, et celles des mains, en particulier, peuvent être rapportées à plusieurs causes ; elles dépendent en partie de l'existence de végétations osseuses, développées au pourtour des surfaces diarthrodiales, en partie de la subluxa-tion des os dont les têtes arrondies font saillie sous la peau. Conséquemment, à part le cas assez exceptionnel où les corps étrangers mobiles sont devenus superficiels, les nodosités du rhumatisme « ne constituent pas des tumeurs séparées » ( Hay-garth); elles font corps avec l'os dont elles ont la consistance ; ce sont, en un mot, les extrémités osseuses elles-mêmes, plus ou moins tuméfiées et déformées. Il en est tout autrement dans la goutte chronique, lorsque les déformations y sont produites par les concrétions tophacôes : celles-ci se présentent sous la forme de tumeurs irrégulièrement arrondies ou ovoïdes, bosse-lées, à base large ou, au contraire, presque pédiculées (fig. 3). Ces tumeurs, qui peuvent atteindre le volume d'un œuf de pi-geon ou celui d'un petit œuf de poule (pl. II), se développent surtout du côté du dos de la main; indépendantes jusqu'à un certain point des parties sous-jacentes, elles sont obscurément mobiles dans le sens latéral. D'une consistance demi-molle lors-qu'elles sont de formation récente, elles n'acquièrent presque ja-mais complètement la dureté du tissu osseux; elles siègent de préférence au voisinage des premières articulations phalangien-nes ou des jointures métacarpo-phalangiennes, mais pas toujours exactement au niveau de ces jointures, dont elles ne reprodui-sent pas, d'ailleurs, la forme et les contours. La peau qui les recouvre, distendue et luisante, fait souvent corps avec elles et paraît alors tachetée de plaques arrondies, d'un blanc mat, qui révèlent suffisamment la présence de l'urate de soude (pl. I, fig.) 3). Enfin, un dernier trait caractéristique, c'est que les doigts, lorsqu'ils se déjettent par le fait de la pression qu'exercent sur eux les tumeurs tophacées, ne présentent pas ces déformations d'ensemble et pouvant être rapportées à un certain nombre de types déterminés qu'on rencontre dans le rhumatisme noueux (comparez les figures 2, 3, 4, et la planche II, à la figure 25 du Traité de Garrod) (p. 77-81).

Gharcot. CEuv. comp. t. vu. Mal. des Vieillards 33

Concrétions tophacées de l'oreille externe. — Les concrétions tophacées de l'oreille externe avaient été remarquées déjà par plusieurs médecins, avant M. Garrod, en particulier par Ideler (Hufeland's Journal der practisch. Arzneikunde. Bd. 13, S. 4. Ber-lin, 1818), et M. Fauconneau-Dufresne (Cruveilhier, Atlas d'ana-tomie pathologique, 4e livr.). Scudamore qui ne les avait pas mentionnées dans son Traité de la goutte, les signale au con-traire ainsi qu'il suit, dans une lettre adressée au docteur Chambers: « J'ai vu, dit-il, des concrétions tophacées, alors qui! n'en existait pas ailleurs, siéger sur les lobes des oreilles, sous l'orme de petits points. (A lelter io docteur Chambers on ihe natu-re and proper ireatment of gout. London,1839, p. 33.) Mais c'est à M. Garrod qu'on doit la première description de ces concré-tions et c'est lui qui, le premier, a reconnu l'intérêt qu'elles peuvent acquérir dans le diagnostic de la goutte (Medico-chirurg. Transact., 1854, t. XXXVII). — Il y. aurait peu de chose à ajou-ter à la description de M. Garrod; nous nous bornerons aux remarques suivantes: Les concrétions dures de l'oreille externe se détachent tôt ou tard, par suite d'un travail d'élimination qui s'effectue d'ailleurs souvent sans que la peau présente le moindre indice d'inflammation. Àiors, une petite fossette repré-sentant en quelque sorte le moule externe de la concrétion marque pendant longtemps fe fieu où celle-ci existait. Dans les cas où la matière tophacée demi-molle est renfermée dans une sorte de kyste, ce dernier persiste fréquemment, après l'évacua-tion de son contenu, sous forme d'une tumeur arrondie, percée à son sommet d'un petit pertuis. On prévoit aisément que la constatation des pertes de substance ou des petites tumeurs-kystiques que les concrétions tophacées laissent après elles lors qu'elles ont été éliminées, pourrait, dans certaines circonstan-ces, aider au diagnostic. A ce propos, il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer que les concrétions tophacées se dévelop-pent quelquefois sur la face interne de l'oreille, et, en pareil cas, on ne peut souvent les apercevoir qu'après avoir renversé le pavillon légèrement en dehors. *

— Gharcot. Sur les concrétions tophacées de l'oreille externe chez

les goutteux : in Comptes rendus de la Société de biologie, 3e séi\, t. II, 1861, p. 47. (p. 88). —Ce travail figure dans ce volume (p. 419 à 425).

Noyaux d'urate de soude sur les paupières. — Je dois à l'obli-geance de M. le docteur Philippeaux d'avoir pu observer, tout récemment, un goutteux qui porte sur la partie centrale de la paupière supérieure gauche une tumeur tophacée du volume d'un gros pois. Cette tumeur arrondie, légèrement mamelonnée, sessile, offre en quelques points une coloration d'un blanc mat. Elle n'est le siège d'aucune douleur et gêne à peine les mouve-ments de la paupière. Une tumeur analogue se voyait naguère sur la paupière supérieure droite ; elle s'est ouverte sponta-nément, il y a quelques mois, donnant issue à une petite masse d'urate de soude. Une cicatrice arrondie indique seule aujour-d'hui le lieu où siégeait cette concrétion. Ideler (Hulfeland's Journal, loc. cit.) avait observé déjà les concrétions goutteuses des paupières et celles qui se rencontrent quelquefois sur les ailes du nez. Ces dernières ont été aussi mentionnées par le docteur Todd. (Climical leci. on urinary organs, p. 419, London 1859). Il ne m'a pas été donné de rencontrer des exemples du dernier genre, mais j'ai vu plusieurs fois de très petites plaques superficielles d'urate de soude, siéger sur divers points de la face, en particulier au voisinage du sillon naso-labial (p. 96).

Rôle des ulcères dans la goutte. — Un des cas auxquels M. Gar-rod fait sans doute allusion ici, a été communiqué par lui à la Société médicale de Westminster, en 1850 (The Lancet, 1850, p. 340). Chez le malade dont il s'agit, les douleurs de la goutte ap-paraissaient dans diverses articulations toutes les fois que des astringents étaient appliqués sur un ulcère siégeant au voisinage d'une jointure et qui donnait issue à du pus mélangé d'urate de soude. Le docteur Eissenmann (édition allemande du Traité de la goutte de M. Garrod, Wurzbourg, 1861, p, 40), se fondant sur la connaissance des faits de ce genre, a conseillé l'emploi des exu-toires dans certains cas de goutte chronique, et il rapporte l'his-

toire d'un goutteux chez lequel l'application de cette méthode aurait été suivie des meilleurs résultats (p. 103).

Anémie de la fièvre rhumatismale. — Il est de règle, qu'un état anémique plus ou moins prononcé et marqué par la décoloration des tissus, des souffles vasculaires et cardiaques, des alternati-ves de rougeur et de pâleur de la face, etc., s'établisse de bonne heure, dans le cours du rhumatisme articulaire aigu, alors môme qu'il n'a pas été pratiqué d'émissions sanguines, et quel que soit, en un mot, le traitement mis en œuvre. — MM. Piorry, Monneret (thèse de concours pour le professorat, 1851, p. 62; — Compendium de méd., t. VII, p. 376), Canstatt (Specielle Pa-tholog., 3e Aufl., I, Bd., S. 604), 0' Ferrai (Provincial Journal, 6 feb. 1849) et Trousseau (Clinique médicale de VHôtel-Dieu, t. III. p. 345), ont insisté beaucoup, et avec raison, sur cette anémie concomitante de la fièvre rhumatismale qu'elle contribue à ca-ractériser (p. 115).

Absence d'urate de soude dans le rhumatisme articulaire aigu et chronique. — A l'aide de son procédé du fil, M. Garrod a fait voir, par un grand nombre d'exemples, que jamais l'acide urique n'existe en excès dans le sang, chez les individus atteints de rhumatisme articulaire aigu, tandis que cet excès existe, au con-traire, constamment dans les cas de goutte aiguë ou chronique. (Observai, on certain pathol. condit. of. the blood in gout, rheu-matism andBright's disease, Med. chir. Trans., t. III, p. 83, 1848. —? Voir aussi le Tablau consacré au rhumatisme articuiaire aigu dans l'Appendice annexé au Traité de la goutte de Garrod.)

Je puis ajouter qu'en suivant ce même procédé, je n'ai jamais constaté ta présence de l'acide urique soit dans le sérum du sang, soit dans la sérosité obtenue par l'application d'un vésicatoire, chez les nombreux sujets atteints de rhumatisme articulaire chro-nique que j'ai examinés, à ce point de vue, pendant le cours des trois dernières années, à l'hopice delà Salpêtrière. Au contraire, dans les cas, à la vérité peu nombreux, de goutte aiguë ou chro-nique où j'ai pu faire l'examen dont il s'agit, l'existence des cris-

taux d'acide urique a toujours été nettement reconnue. Les ob-servations de Bence Jones (The Lancet, january 1858, p. 104) et de Ranke (Beobachtungen über die Ausscheidung der Harnsäure bei Menschen. München, 1858, p. 33) sur ce dernier point, ont d'ailleurs confirmé celles de M. Garrod, et je ne crois pas qu'il existe, quant à présent, de faits contradictoires.

Mes recherches relatives au rhumatisme articulaire chronique concernent toutes les formes et toutes les époques de la mala-die. Les cas sur lesquels elles ont porté peuvent être groupés ainsi qu'il suit : 1° rhumatisme articulaire chronique progressif (noueux, généralisé), 25 cas ; 2° rhumatisme articulaire chro-nique partiel (arthrite sèche déformante), 4 cas ; nodosités des phalangettes, accompagnées de rhumatisme musculaire, 2 cas ; en tout 31 cas.

Par ce qui précède, on voit que la présence d'un excès d'acide urique dans le sang sépare nettement la goutte, non-seulement du rhumatisme articulaire aigu, — ce qu'avait déjà pleinement démontré M. Garrod —, mais aussi, d'après mes propres recher-ches, des diverses formes du rhumatisme articulaire chronique.

Toutefois, il ne faudrait pas croire que l'excès d'acide urique en question constitue, à lui seul, un caractère absolument pa-thognomonique de la goutte. Il résulte, en effet, des travaux de M. Garrod lui-même (Loc. cit., Med.-chir. Irans., t. XXXI, que cette altération du sang se rencontre d'une manière habituelle dans la forme chronique de la maladie de Bright, dans certaines intoxications saturnines, et qu'elle s'est rencontrée accidentelle-ment dans des cas d'apoplexie et de convulsions épileptiformes dont les rapports avec la goutte n'ont pas toujours pu être net-tement établis ( p. 128-129).

Urate de soude dayis la sérosité sous-arachnoïdienne. — Une femme atteinte de goutte chronique ayant succombé dans mon service à l'hospice de la Salpêtrière, 20 grammes en-viron de la sérosité sous-arachnoïdienne qui s'écoulait pendant l'autopsie, lors de l'incision des méninges, furent recueillis dans un verre de pendule et traités par l'acide acétique, d'après

la méthode de M. Garrod. Les fils déposés au sein de ce mélange parurent, au bout de trois jours, recouverts d'un certain nombre de cristaux d'acide urique parfaitement caractérisés (p. 146).

Dépôts d'urée sur la peau dans l'urémie. — La fine pous-sière blanche, d'aspect brillant, qu'on trouve répandue sur les parties du corps où la peau est recouverte de poils, — à la tête, au cou, sur la poitrine, — dans certains cas d'urémie et, en particulier dans la période dite typhoïde du choléra asiatique, est constituée non par de l'acide urique, mais bien par de l'urée cristallisée ou amorphe, le plus souvent mêlée a une proportion variable de matière grasse. Cela résulte des recherches deSchottin, Heller, Drasche, Hamernjk, Hirschprung et quelques autres observateurs dont les travaux se trouvent résumés dans la Gazette hebdomadaire (1865, n° 33, p. 526). (p. 133).

Urates amorphes et acide urique cristallisé dans les urines. — Il n'est peut-être pas hors de propos d'insister sur ce fait, que la formation d'un sédiment plus ou moins abondant d'urates amorphes, ou d'un dépôt d'acide urique cristallin, dans les urines, peu de temps après l'émission, ne saurait prouver que l'excrétion de cet acide est augmentée d'une manière absolue. Des urines chargées de semblables dépôts peuvent, en réalité, ne contenir que des proportions d'acide urique relativement faibles ou même très notablement au-dessous du taux normal. L'oligurie fébrile, un haut degré d'acidité des urines, tel qu'on le rencontre, par exemple, dans certains états dyspeptiques (Prout, Brodie, Budd), sont, entre autres, des conditions qui suffisent fréquemment à déterminer la prompte formation des sédiments dont il s'agit, sans qu'il y ait élévation du chiffre de l'acide urique. D'un autre côté, il est aussi parfaitement établi, par les travaux récents de Bartels, que des urines qui ont con-servé leur transparence, même longtemps après l'émission, ren-ferment quefquefois une forte proportion d'acide urique. Par conséquent, une analyse méthodique portant sur la totalité

des urines rendues dans les vingt-quatre heures, permettrait seule de décider d'une manière positive si le chiffre de l'acide urique s'est élevé, abaissé, ou si enfin il s'est maintenu dans les limites de l'état normal. Il importerait même, suivant en cela le précepte de Parkes et de Ranke, de répéter cet examen pendant une série de cinq ou six jours ; car il est démontré que l'excré-tion de l'acide urique s'opère, très communément, d'une ma-nière irrégulièrement intermittente, et diffère très notablement dans les circonstances les plus variées, non seulement aux di-verses époques de la journée, mais encore d'un jour à l'autre.

Lorsque les dépôts d'acide urique cristallisé ou d'urates amorphes se forment non plus après l'émission, mais bien dans l'urine encore contenue dans un point quelconque des voies uri-naires, et, à plus forte raison, lorsque les malades rendent du gravier, on est très-souvent porté à admettre que l'acide urique existe en excès dans l'organisme et est excrété en proportion anormale. Mais ici encore, la conclusion n'est certainement pas légitime. Ce résultat peut en effet être déterminé par des causes toutes locales et entièrement indépendantes de la diathèse urique, telles, par exemple, qu'une inflammation catharrale de la ves-sie, des reins ou des bassinets (Broclie, Rayer). J'ai eu l'occasion d'examiner à plusieurs reprises, sans pouvoir y constater la moindre trace d'acide urique, le sérum du sang et la sérosité de vésicatoires provenant de sujets non goutteux qui rendaient ha-bituellement en même temps que l'urine de petits cristaux ou des concrétions plus ou moins volumineuses d'acide urique. Plusieurs auteurs admettent qu'en pareille circonstance, il se développe, au sein même des voies urinaires, une fermentation acide de l'urine, anatogue à celte que subit ce liquide, dans les conditions normales, un certain temps après l'émission (J. Sche-rer, Vogel). L'acide libre ainsi produit déterminerait dans les deux cas la précipitation de la presque totalité de l'acide urique contenu dans les urines.

Quoi qu'il en soit, on ne saurait nier que la gravelle urique puisse se montrer liée quelquefois à l'existence d'un excès d'acide urique dans le sang (Rayer). Mon ami M. le docteur Bail

m'a communiqué l'observation d'un homme âgé d'une cinquan-taine d'années, et qui rendait fréquemment, à la suite de coliques néphrétiques violentes, de petits calculs d'acide urique. Un vésicatoire ayant été appliqué sur la région épigas-trique, la sérosité fut recueillie dans un verre de montre et additionnée de quelques gouttes d'acide chlorhydrique. Il s'y forma rapidement de très-nombreux cristaux rhomboédriques d'acide urique. Cet homme n'avait jamais éprouvé aucun des symptômes de la goutte articulaire ; les urines ne renfermaient pas traces d'albumine. Il faut sans doute rapporter à cette seconde catégorie la plupart des cas où la gravelle urique précède l'apparition de la goutte, et, lorsque celle-ci est établie, alterne visiblement — bien que, le plus souvent, à de longs intervalles — avec les manifestations articulaires. Mais c'est là un sujet que nous devrons toucher encore dans une autre partie de ce livre (voyez le chapitre XVI du Traité de Garrod).

Consultez : Scudamore, loc. cit. — Rayer, Traité des maladies des reins. Paris, 1838, t. I, p. 94, 197, 198. — Prout, On Stomach and renal Diseases. London, 1848, p. 194. —J. Scherer, Unter-such, zur Pathologie. Heidelberg, 1843, § I, p. 17. — Brodie, Leçons sur les maladies des organes urinaires, traduites par J. Patron. Paris, 1845, p. 251, 278. — Parkes, On Urine. London. 1868, p. 218. — Ranke, Ausscheidung der Harnsäure. München, 1858. — J. Vogel, in Virchoiv's Handbuch derPathologie und The-r apie, VI Bd., 2 Abth., 3 Heft, p. 561. — Bartels, Harnsäure Aus-scheidung in Krankheiten, in Deutsch Archiv, für klinische Median, I Bd., 1 Heft., p. 13. Leipzig. 1865. —Beale, De l'urine,etc. Paris, 1865, p. 121, 171, 197, 404. (Traité de Garrod, p. 164-166).

Anatomie pathologique de l'arthropathie goutteuse. — Une Observation de Guilbert, remarquable pour l'époque à laquelle elle a été recueillie (De la goutte et des maladies goutteuses. Paris, 1820, p. 89), une autre non moins intéressante publiée, il y a une vingtaine d'années, dans les Archives générales de médecine (1843, 4e sér., t. III, p. 275) par M. de Castelneau, méritaient de figurer dans cette revue rétrospective, d'ailleurs

ires abrégée, des documents relatifs à l'anatomie pathologique de l'arthropathie goutteuse, (p. 205).

Diminution du phosphate et du carbonate de chaux dans les os des sujets goutteux. — Une analyse de Bramson (Zeitschr. fur rationnelle Medicin, 1845, t. III, p. 175) constate, comme celles de Marchand et de Lehman, la diminution du phosphate et du carbonate de chaux ainsi que l'augmentation considérable de la proportion des matières grasses dans les os des sujets gout-teux (p. 218).

Réactions chimiques de la synovie daus la goutte et le rhuma-tisme articulaire aigu. — Cette réaction acide du liquide synovial a déjà été notée dans l'observation n° 4. Elle a été aussi remar-quée par le docteur Todd, dans plusieurs cas de goutte chroni-que (Clinical lectures on diseuses of the urinary organs, p. 321). Mais cela n'est pas un fait constant. On verra en effet plus loin, par la lecture des observations 11 et 15, que la synovie, contenue dans les articulations où siègent les altérations goutteuses, peut présenter, comme dans l'état normal, une réaction franchement alcaline.

Il en est de même chez les sujets qui succombent pendant le cours du rhumatisme articulaire aigu : le liquide recueilli dans les jointures principalement affectées offre en pareil cas — comme l'a vu le docteur Todd (loc. cit) et ainsi que je l'ai cons-taté moi-même plusieurs fois, — tantôt une réaction alcaline, tantôt une réaction acide plus ou moins prononcée (p. 226-227).

Uvale de soude dans les diffévents tissus des goutteux. — Dans un fait rapporté par Schrœder van der Kolk (Nedevl.Lancet, 1853 Julij en Aug., p. 97, — et Canstatt's Jahvesb., 1854, t. II, p. 46), l'urate de soude accumulé en grande quantité sous la peau, au voisinage de plusieurs articulations des doigts de la main, avait envahi les parois des veines, et pénétrait même jusque dans l'épaisseur de quelques filets nerveux. — Le névri-lème était le siège de dépôts d'urate de soude, dans un cas du

même genre que nous avons observé M. Cornil et moi, et qui ligure dans la note insérée à la page 77 du présent ouvrage (p. 244). (Voir aussi à la p. 508 de ce volume.)

Ordre d'apparition des dépôts d'urate de soude dans la goutte. —? La formation d'un dépôt cristallisé d'urate de soude clans l'épais-seur clucartilage diarthrodial constitue, on définitive, le fait pri-mordial et fondamental dans le processus de l'arthropathie goutteuse. Elle paraît avoir lieu dès la lre attaque (p. 240 du Traité), tandis que les dépôts erratiques de la membrane syno-viale, ceux qu'on rencontre dans l'épaisseur des ligaments, du tissu cellulaire sous-cutané, des tendons, etc., se produisent secondairement et correspondent, par conséquent, à un degré plus avancé de saturation. On peut établir, de plus, qu'en règle générale, les concrétions articulaires précèdent les dépôts exté-rieurs. M. Garrod a observé cependant (p. 86) un cas dans lequel une concrétion de l'oreille externe se serait produite plusieurs années avant l'apparition d'aucun symptôme du côté des jointu-res. J'ai pu, pour mon compte, chez un homme âgé de trente-cinq ans, depuis plusieurs mois atteint de dyspepsie acescente, prédire à l'avance l'explosion de la goutte, grâce à la présence d'une semblable concrétion siégeant sur le rebord de l'hélix; mais ce sont là, incontestablement, des faits exceptionnels et qui ne sauraient infirmer la règle, (p. 247-248).

Etat du cartilage diarthrodial dans la goutte. — A part l'in-crustation d'urate de soude, le cartilage diarthrodial ne présente habituellement, dans la goutte, aucune altération appréciable. Les chondroplastes ont conservé leurs formes et leurs dimen-sions normales; les éléments cellulaires qu'ils renferment ne sont pas en plus grand nombre qu'à l'état physiologique ; enfin, il n'y a pas trace de segmentation de la substance fondamentale homogène. On peut toutefois observer des cas, — rares à la vérité, — où l'altération velvétique, f'usure des cartilages, les végétations osseuses développées à la périphérie des surfaces articulaires, et, en un mot, toutes les altérations de l'arthrite

rhumatismale chronique, se rencontrent sur une môme jointure avec les lésions propresà la goutte. Brodie (Diseases of the joints, Obs. LUI, p. 234; 5e édit. London, 1850), Bennet (Dublin quar-terly Journ. of med. science, t. XXXVII, 1864), ont rapporté des exemples de ce genre, et j'en ai vu plusieurs pour mon compte.

Les dépôts goutteux des cartilages coexistent aussi parfois avec les lésions qui surviennent dans les diverses parties des jointures, par le fait de l'immobilité prolongée (p. 249).

Sur les altérations des cartilages dans la goutte, consultez : Bramsom (Zeitschr. fur ration. Medizin 1845, t. III, p. 175); — Broca (Bull, de la Soc. anat., 1852, p. 637) ; Dufour (ibid., 1853, p.358); —Charcot (Comptes rendus delà Soc. de biologie. 1858, p. 129) i; — Charcot et Cornil (ibid., 1863, p. 1592) (p. 251).

Caractères microscopiques des infarctus d'urate de soude dans le rein. —Examinés au microscope sur les tranches minces du tissu du rein, les infarctus d'urate de soude apparaissent constitués par des groupes de longs cristaux prismatiques, libres par une de leurs extrémités, implantés par l'autre sur une base com-mune, autour de laquelle ils rayonnent, de manière à présenter l'aspect d'un éventail. Ces amas cristallins forment, par leur réunion, des masses allongées plus ou moins volumineuses et dont le grand axe suit exactement la direction des tubes droits. Les cristaux en question siègent très manifestement dans l'in-tervalle de ces tubes. Si l'on fait intervenir l'acide acétique, ils se dissolvent et bientôt il se forme sur les points qu'ils occu-paient des tables rhomboïdales d'acide urique. On reconnaît alors que la cavité même des tubes est obstruée par des amas cy-lindriques d'urate de soude, vraisemblablement à l'état amor-phe, lesquels se dissolvent à leur tour par l'action prolongée de l'acide acétique. Il y a donc à considérer dans l'infarctus urati-que des reins: 1° des cristaux groupés en manière d'éventail

1. Voir plus haut, p. 415.

2. Voir p. 425 à 475 de ce volume

situés en dehors des tubes droits; 2° desdépôts d'urate de soude dépourvus, du moins en apparence, de structure cristalline, siégeant dans la cavité même des tubes dont ils représentent le moule interne et sur lesquels s'implantent les groupes de cristaux. Cette disposition mérite d'être rapprochée de celle qu'on observe, lorsqu'il s'agit des cartilages diarthrodiaux : dans ce dernier cas, les nombreux cristaux aciculaires qui pénètrent la substance fondamentale du cartilage, paraissent implantés par une de leurs extrémités dans les chondroplastes autour des-quels ils rayonnent, tandis que la cavité de ceux-ci est littéra-lement remplie par les dépôts d'urate de soude amorphe (Char-cot et Cornil, loc. cit., p. 153 ; voy fig.3 ; et fïg. 6 et fig, 7.) (p. 269).

Altérations du rein dans la goutte. — Les altérations du rein qu'on observe dans la goutte peuvent être rapportées à deux espèces bien distinctes :

I. En premier lieu, on trouve l'affection décrite par M. Rayer sous le nom de Néphrite goutteuse (Rayer, Traité des maladies des reins, t. II, p. 42, 1840) ; c'est, à proprement parler, la gra-velle du rein. Les lésions anatomiques sont les suivantes : 1° à la surface de la substance corticale et quelquefois clans son épaisseur, on remarque de petits grains de sable qui, vus au microscope ou traités par les réactifs convenables, sont facile-ment reconnaissables pour être de l'acide urique. Lorsque ces dépôts de sable sont considérables, la substance corticale, est plus ou moins altérée là où ils se sont opérés ; 2° en outre des grains d'acide urique dans la substance corticale, on en voit quelquefois un plus grand nombre dans l'intérieur des mame-lons ou des calices, enfin on trouve quelquefois dans les calices ou dans le bassinet, non seulement des grains de gravelle, mais encore de véritables calculs d'acide urique, ou des cal-culs dont le noyau est formé de cet acide. — Encore peu étudiées, les altérations concomitantes du tissu rénale et, rénal paraissent devoir être rapportées tantôt à la néphrite interstitielle, tantôt à la néphrite suppurative. — Pendant la

vie, les lésions qui viennent d'être décrites peuvent rester laten-tes. Dans les cas où des graviers plus ou moins volumineux se sont engagés dans les uretères, elles se traduisent par les symptômes ordinaires de la colique néphrétique ; d'autres fois, les malades éprouvent, soit d'une manière pour ainsi dire habituelle, soit sous forme d'accès, des douleurs rénales plus ou moins accu-sées ; ils rendent, de temps à autre, en urinant, du sable d'acide urique cristallisé ; en même temps, les urines renferment une proportion variable d'albumine, et quelquefois, en outre, des globules rouges du sang.

II. En second lieu, on rencontre les lésions rénales de la ma-ladie de Brigh't, tantôt sous la forme de la néphrite parenchy-mateuse, tantôt sous celle de la néphrite interstitielle. Ce dernier cas est, incontestablement, de tous le plus fréquent, et c'est à la néphrite interstitielle qu'il faut rapporter les descriptions qui ont été données du rein goutteux (gouty kidney) par le docteur ïodd et quelques autres médecins anglais. Sur 152 cas de né-phrite parenchymateuse (reins à surface lisse) constatés par l'au-topsie, le docteur Dickinson (Medico-chirurg. Transact., 1861, p. 170) n'en a rencontré qu'un seul qui fut relatif à un sujet gout-teux, tandis que sur 281 cas de néphrite interstitielle (reins atrophiés, à surface rugeuse), 27 concernaient des individus qui, pendant la vie, avaient présenté les caractères les moins équi-voques de la goutte. Il importe de remarquer d'ailleurs, qu'à part la coexistence des infarctus d'urate de soude, les lésions du parenchyme rénal dont il s'agit ne diffèrent en rien d'essen-tiel de ce qu'elles sont, dans la maladie de Bright ordinaire et indépendante de la goutte.

Au point de vue symptomalogique, la néphrite albumineuse, lorsqu'elle est liée à la goutte, se distingue, peut-être, entre toutes, par sa bénignité apparente, et par une évolution plus lente. Souvent l'anasarque et l'œdème font défaut ; ils sont rare-ment très accusés ; la proportion d'albumine que renferment les urines est fréquement peu considérable, etc. Ces caractères, toutefois, sont loin d'être constants.

Quoi qu'il en soit, il est certain que la néphrite albummeuse des goutteux peut, comme les autres formes de la maladie, s'accompagner des redoutables symptômes de Y urémie convul-sive ou comateuse ; et il est au moins très vraisemblable que bon nombre d'accidents cérébraux qu'on rapporte à la goutte remontée ou mal placée, ne sont autre chose que des accidents urémiques subordonnés à l'affection rénale qui se développe si fréquemment sous l'influence de la goutte. La dyspepsie et la diarrhée urémiques, l'hémorrhagie intra-encéphalique, l'hyper-trophie du cœur, sont aussi parfois des conséquences de la néphrite albumineuse, chez les goutteux. Ce sont là des faits que M. Garrod a d'ailleurs parfaitement reconnus et dont il sera plus amplement question par la suite.

— Sur les altérations des reins clans la goutte, consultez : Rayer, loc. cit. —De Castelneau, loc. cit. —Todd,Clinical lec-tures on the Diseases of the urinarg organs, etc. London, 1857, p. 309.— G. Johnson, On the cliseasesof the kidney. London, 1852, pp. 78, 109, 173, 186. — W. R. Basham, On dropsy connected with diseases of the kidney . 2e édition, London, 1862, pp. 205, 210. — Charcot et Cornil, loc. cit. — Charcot, Gaz. des hôpitaux, 2 août 1866, — S. Rosenstein, Die Pathologie und Therapie der Nierenkrankheiten. Berlin, 1863, p. 220. — A. Fournier, De l'urémie. Paris, 1863, p. 85. — J. B. Malherbe, thèse de Paris, 13 août 1866.

Le docteur Bence Jones dit avoir rencontré, chez un goutteux des dépôts d'urate de soude cristallisé, dans la paroi des tubes bronchiques (Patholog. Society. — The Lancet, 1856, p. 98).

Dans le cas rapporté par Landerer, la concrétion aortique présentait la composition suivante : acide urique, 14 ; matière animale, 6 ; phosphate de chaux, 62; carbonate de chaux, 16; carbonate de magnésie, 2. (Buchner's repertorium, 1847, t. XIV, p. 60, et G. Day, Diseases of advanced lÀfe. London, 1819, p. 267. — Bence Jones (loc. cit.) et Bramson (Zeitschrift für ration, mediz., 1845, t. III) ont aussi rencontré de l'acide urique dans les concrétions de l'aorte thoracique chez des sujets goutteux (p. 273-275).

Plaques ostéiformes des valvules mitrales. — Lobstein cite un cas dans lequel des plaques ostéiformes contenues dans l'épais-seur des valvules mitrales étaient composées, suivant une ana-lyse faite par le professeur Masuyer, de phosphate et d'urate de chaux et de soude (Traité d'anatomie pathologique, t. II, 1833, p. 527). Le docteur Samuel Edwards aurait observé un fait du même genre (The Lancet, 1850, t. I, p. 073). (P. 276).

Causes de la rareté relative de la goutte à Edimbourg et à Dublin. — M. Bennett (Clinical lectures on the principles of mé-diane. 2e édit., 1858, p. 916) fait également remarquer que la goutte est très rare chez le peuple à Edimbourg, et en général dans toute l'Ecosse. Cela tient, suivant M. Bennett, en partie à la sobriété des habitants, mais surtout à cette circonstance que leur seule boisson alcoolique est le whiskey, et qu'ils ne font pas usage des bières fortes et des vins capiteux dont la classe ouvrière de Londres use, au contraire, silargement. ?— De même qu'àEdimbourg, la goutte est rare à Dublin, chez la population ouvrière, et vraisemblablement pour les mêmes causes (voy. à ce sujet Todd, Clinical lectures on the urinary organs. London, 1857, p. 401. — J. F. Duncan, Dublin quarterly journ., May 1865, p. 302) (p. 287).

Influence de l'usage des bières fortes sur la production de la goutte. — Il paraît certain qu'à Londres, l'usage habituel et trop souvent l'abus de certaines bières fortes, telles que le por-ter et le stout, placent la population ouvrière clans des condi-tions hygiéniques toutes spéciales et qui doivent expliquer, en grande partie, pourquoi la population dont il s'agit se montre affectée assez fréquemment, bien plus fréquemment que cela n'a lieu partout ailleurs ; c'est là du moins une opinion à laquelle les médecins anglais paraissent aujourd'hui se ratta-cher tous d'un commun accord et que Scudamore avait déjà très nettement exprimée. « Je suis disposé à penser, a-t-il dit, » qu'en Angleterre et particulièrement à Londres, la goutte est » devenue bien plus fréquente dans les basses classes de la

» société, depuis l'usage très général et très abondant du porter. » C'est un liquide très nutritif qui, joint aux spiritueux, et » même à une quantité modérée d'aliments solides, peut être » regardé comme très propre à amener cette pléthore inflamma-» toire qui dispose à la goutte. » (Traité sur la nature et le traite-ment de la goutte. Paris, 1823, t. I, p. 103.) Sur cette question le docteur Todd n'est pas moins explicite : « Toutes les personnes, » dit-il, « qui font abus du porter souffrent tôt ou tard de la » goutte »; et un peu plus loin : « La bière est par excellence l'ali-» ment de la goutte » (Clinical lect. on the urinary Organs, 1857, p. 400). —Dans plusieurs de ses écrits, le docteur T. Watson a témoigné dans le même sens (voy. the Lancet, 1843, p. 308. — Lectures on the principles of physic, t. II, p. 759. London, 1857) (p. 292.)

Rareté de la goutte dans les pays chauds. — Dans ses Klimato-logische Untersuchungen (Notizen ueber die geographische Absent von Giaat. Leipzig, 1858, p. 212), le docteur A. Muhry a rassemblé les nombreux documents qui témoignent que, sous les tropiques — aux Indes en particulier, en Afrique, au Pérou et surtout au Brésil — la goutte est rare ou même à peu près inconnue, non seulement chez les indigènes, mais encore parmi les résidents européens. — Voir aussi sur le même sujet : A. Hirsch; Hand-buch der historich-gcographischen pathologie, t. I, p. 572. Erlan-gen, 1859) (pages 305-300.)

Influence de la race — L'influence de la race serait aussi fort im-portante à considérer; mais, sur ce point,les renseignements font défaut à peu près complètement. Toutefois, le docteur Quarrier a rapporté plusieurs observations de goutte survenue chez les nègres servant comme marins dans l'armée anglaise. (Edim-burgh médical and surgical Journal, 1808, t. IV, p. 459) (p. 306).

Saturnisme et goutte. — Ce point d'étiologie, mis en relief par M. Garrod, ne pouvait manquer d'éveiller l'attention des clini-ciens. Bientôt, en Angleterre, des faits confirmatifs furent pro-

duis, en particulier par M. R. W. Falconer (British medicai Journal, c2 November 1801, p. 464), etW. Begbie (Edinburgh medicai Journal, August 1802, p. 123). On a même pris soin de relever, dans les écrits de quelques anciens observateurs, plu-sieurs passages où une relation entre la colique Devonshir et la goutte se trouve mentionnée en termes plus ou moins formels. G. Musgrave, par exemple, dans sa dissertation sur YArlhriiis symptomatique, s'exprime comme il suit : « Alvi vero colica apud Damnonium expomacco immiti et acido nimis usurpato derivatur... Seplimo et octavo œtatis lustro sœpe colica tentatur ii, qui vinum hoc indigena potare soleant, itaque pergrœcari ; cl ubi Ma confir-mai ur et jam inveteraseli, non raro colicœ suppulutal arlhritis, cum articulorum dolore, tumore, cœterique apparta, ad pane et genuimv arthritidis faciem ordinato. » (De arlhritide symptomaiica Genovce, 1752 cap. X, art. 5. p. 05. — veniens.) Voici maintenant un passage extrait d'un Essai sur les eaux de Baili, publié en 1772 par le docteur W. Falconer : « Les eaux de Bath sont de la plus grande utilité dans le traitement des affections goutteuses qui succèdent quelquefois à la colique de Poitou, et qui ont été observées et décrites par le docteur Musgrave, et depuis, par le docteur Huxham. » Pour ce qui concerne ce dernier auteur, je dois déclarer que dans son opuscule sur la colique de Devonshi!'; je n'ai rien trouvé qui ait positivement trait à la goutte.

Viennent ensuite des documents de date moins ancienne. La collection des écrits inédits de C. Hillier Parry Collections of the Unpublished médical Wrilings of the late C. H. Parry, London, 1825, t. I, p. 243), recueil riche d'observations cliniques inté-ressantes, et qui révèlent presque toujours une rare sagacité, contient un tout petit chapitre daté de 1807, et portant ce titre : Goût from Lead (Goutte par le plomb). J'observe, y dit l'auteur, qu'après la paralysie saturnine, des malades d'âge moyen, d'ail-leurs auparavant bien portants, sont très sujets à éprouver des accès de goutte dans les membres. M. C..., entre autres, a eu la goutte au pied, et il en a éprouvé quelque soulagement. » — Charcot. OEuv. comp. t. vu. Mal. des Vieillards. 34

Trois cas de goutte articulaire consécutive à la paralysie des mains, suite d'intoxication saturnine, sont encore mentionnés dans un nouvel Essai sur les eaux Bath, publié en 1822 par le docteur Barlow. — Parmi les observations que renferme le recueil des leçons faites par le docteur Todd, en 1813, au col-lège des médecins de Londres, nous pourrions en citer une, fort remarquable, où l'on voit un peintre en bâtiments être atteint pour la première fois de la goutte après avoir subi plusieurs attaques de coliques de plomb, et éprouver, par suite, une nou-velle atteinte de colique saturnine (Pracficals Remarks on Gout, etc. London, 1843, p. 44) ; un second cas de goutte développée chez un individu atteint de paralysie saturnine se trouve dans les leçons cliniques du même auteur, sur les maladies du sys-tème nerveux (Clinical lect. on Paralysis, etc. London, 1856, p. 530 et seq.). Parmi les réflexions qui suivent cette observa-tion, on remarque la phrase suivante : « Chez ce malade nous avons constaté un accompagnement fréquent de l'intoxication saturnine, c'est-à-dire la goutte ». Le docteur Tood, dans un ouvrage postérieur au précédent (Diseuse of the Urinary Organs, sect, 15, on Gout, p. 400. London, 1857), a signalé d'ailleurs les peintres en bâtiments au nombre des individus de la classe ou-vrière atteints de goutte qui fréquentent le plus souvent les hôpitaux de Londres. Enfin, le docteur Bence Jones a, lui aussi, fait remarquer que les plombiers et les polisseurs de glaces sont particulièrement disposés à contracter la goutte (The Lancet, p. 45, 1856).

On voit qu'en définitive, les résultats de cette revue rétros-pective, de même que les témoignages récents, paraissent favo-rables à la thèse soutenue par M. Garrod. Il ne faut pas oublier toutefois qu'à Londres, la prédominance du régime animal, l'usage des bières fortes, placent les ouvriers en général — et ceux qui manient le plomb ne se distinguent en rien sous ce rap-port — dans des conditions spéciales qui suffisent à expliquer, au moins en partie, pourquoi la goutte est chez eux fréquente. Il paraît, par conséquent, fort difficile, au milieu d'éléments étio-logiques complexes, de démêler la part d'influence qui peut

revenir au plomb. On comprend par là de quels poids seraient pour la solution de la question, des études comparatives failes dans les localités où l'hygiène alimentaire spéciale aux ouvriers de Londres ne peut plus être incriminée.

En France, en Allemagne, du moins à notre connaissance, on ne s'est pas occupé jusqu'ici de savoir s'il existe en effet, un rapport de causalité entre l'intoxication saturnine et la goutte. J'ai dans le temps entrepris quelques recherches sur ce sujet, et j'ai publié, in extenso, l'observation d'un individu atteint de la goutte chronique avec concrétions tophacées et chez qui le genre de vie,pas plus quel'héridité ne pouvaient être invoqués; seule l'intoxication saturnine, caractérisée par plusieurs accès de colique de plomb, se dessinait nettement chez lui dans l'his-toire des précédents pathologiques. Mais je dois reconnaître qu'en somme, il résulte de mon enquête, qu'à Paris, où les mala-dies de plomb sont nombreuses, la goutte est très rare cepen-dant, clans les hôpitaux, même parmi les individus qui sont sous le coup de l'intoxication saturnine. D'après cela, je crois qu'il est permis dédire, dès à présent, que s'il paraît acquis que l'intoxication saturnine— ainsi que le veut M. Garrod — peut, avec le concours d'autres causes prédisposantes, contri-buer puissamment à développer la goutte, rien ne démontre cependant que la goutte puisse se produire pour ainsi dire de toutes pièces, par l'influence exclusive ou tout au moins prédo-minante de l'intoxication saturnine. — Compar. Charcot. L'in-toxication saturnine exerce-i-elle une influence sur le développe-ment de la goutte. — Gaz. hebdomad., 1863, p.433, '(p. 308-311).

Dans trois cas où l'intoxication saturnine s'était compliquée d'une affection articulaire mal déterminée, j'ai recherché, avec l'assistance de mon ami le docteur Vulpian, et en suivant le pro-cédé décrit par M. Garrod, si le sang contenait un excès d'acide urique. Le résultat de nos recherches a été négatif dans les trois cas. 11 est vrai que nous n'avons pas opéré sur le sérum du sang, mais bien sur la sérosité obtenue par l'application de vé-

1. Ce travail se trouve à la page 390 du présent volume.

sicatoires, et c'est là, peut-être, une circonstance défavorable (p. 317).

Influence du vin de Champagne. — Relativement à l'influence du vin de Champagne sur le développement des accès de goutte, voyez Day (Diseases of advanced life London, 1849, p. 304) ; — Braun (Matériaux, etc., Paris, 1862, p. 46, et surtout Scuda-more (Traité de la goutte, Paris, 1823, p. 140 (p. 321).

Influence du vin de Bourgogne. — C'est dans ce sens que Scu-damore a pu dire : « L'Ermitage rouge et le Bourgogne, le der-nier de ces vins surtout, renferment la goutte dans chaque ver-re. » (Gout and gravel. 4e edit., London, 1823, p. 665. (p. 322).

Actions du traumatisme sur la goutte. — Sur la goutte dévelop-pée à la suite de causes traumatiques, consultez un intéressant article de Scudamore (Traité de la goutte, Paris, 1823, p. 149). Il est remarquable que les accès de goutte qui se produisent dans de pareilles circonstances ont, en général, moins d'inten-sité que ceux qui se développent spontanément, et, si l'on peut ainsi dire, dans leur temps, (p. 325).

Influence de la saignée. — Dans ses Remarques sur la goutte, M. Todd a consacre uninteressant chapitre à l'étude de la goutte survenantchezlessujets débilités (Goutoccurring in a low stateof system. — Loc. cit. London, 1843, p. 43). — Dans le même ouvra-ge (p. 53), il mentionne l'histoire d'un individu qui, à plusieurs reprises, fut pris de la goutte après avoir été saigné au bras.

Goutte chez les animaux. — La goutte peut-elle exister chez les animaux ? Dans un traité récent de pathologie comparée (Lehrbuch der vergleich. Pathologie. Leipzig, 1865, p. 684, M. Gleisberg n'hésite pas à résoudre cette question par la négative. Il est de fait que la rplupart des altérations des jointures qui, chez les mammifères ou les oiseaux, ont été attribuées à la goutte, appartiennent plutôt au rhumatisme chronique (arthrite

sèche) ; mais il est incontestable, néanmoins, que certains oi-seaux et quelques reptiles maintenus en captivité, présentent parfois des dépôts tophacés qui, tant par leur siège que par leur constitution chimique et microscopique, rappellent les concré-tions qui, chez l'homme, caractérisent la goutte, Aldrovandi (Or-nitholog., t. I, p. 456) avait remarqué déjà que les faucons sont sujets à présenter des tumeurs siégeant autour des doigts et formés par des amas d'une matière gypseuse. Mais voici des faits plus récents et plus précis : Chez le perroquet (Psittacus gran-dis), Berlin, d'Utrecht (Archiv, für die Holländisch Beitrage zur Natur und Heilkunde. Utrecht, 1857, p. 362. Bd. I), a observé plusieurs fois, sur les jointures du métatarse et des doigts anté-rieurs, des tumeurs composées d'une substance blanche, plâ-treuse, qui, examinée au microscope et traitée par les réactifs convenables, offrait les formes cristallines et les caractères chimi-ques qui distinguent l'urate de soude. On rencontrait, en outre, chez ces animaux, des concrétions de même nature dans les diverses articulations des extrémités antérieures, sur le péri-carde et sur le péritoine, dans la substance tubuleuse des reins. Des altérations, en tout semblables, ont été observées par Mait-land et Berlin (loc. cil.) sur la tortue géométrique, et tout ré-cemment, par Pagenstecher et Darius, chez VAlligator sclerops Verdandl. der naturl. med. Ver. zu Heidelberg. III, 129-133, et Centraiblatt, 1865, 4 feb., n° 6).

II est curieux de rencontrer chez ces animaux aussi peu voi-sins de l'homme, des lésions assez analogues à celles de la goutte ; mais un fait plus intéressant encore peut-être, c'est que les lésions dont il s'agit peuvent être artificiellement provoquées et portées même à leur plus haut degré, par l'expérimentation. C'est ce qui résulte d'un remarquable travail publié récemment à Tubingue par le docteur Zalesky (Untersuch.ueber den urämisch Process. Tubing., 1865). Cet observateur lie les deux uretères, chez des pigeons, des oies et des couleuvres (Colucer natrix). On sait que chez les oiseaux et chez la plupart des reptiles, l'urine à l'état normal, ainsi que l'ont démontré John Davy et d'autres chimistes, ne renferme généralement pas d'urée et est

à peu près exclusivement constituée par de l'acide urique ou de l'urate d'ammoniaque. Les premiers phénomènes morbides se déclarent de douze à quinze heures après l'opération. La vie se prolonge deux ou trois jours au plus. Après la mort, on constate les altérations suivantes : Ie Les reins sont affectés en premier lieu, avant tous les autres organes, et c'est là que les lésions se montrent toujours le plus prononcées. Les canalicules urini-fères sont dans la substance tubuleuse, oblitérés et distendus par des amas d'urates à l'état concret; tandis que leurs origines, dans la substance corticale, sont, ainsi que les corpuscules de Malpighi, libres de tout dépôt. Des masses uratiques solides remplissent le calibre des uretères au-dessus des ligatures. 2° Les membranes séreuses (le péritoine au niveau du foie princi-palement et sur l'estomac, le péricarde) sont parsemées de plaques blanches qui, examinées au microscope, paraissent composées de noyaux uratiques amorphes, autour desquels rayonnent de fines aiguilles cristallines. Bon nombre de ces amas siègent dans la cavité des vaisseaux fymphatiques qu'ils obstruent, tandis que les vaisseaux sanguins restent perméa-bles. 3° La capsule du foie est farcie de dépôts uratiques ; ceux-ci font défaut, au contraire, dans la profondeur de l'organe, ou, s'ils s'y produisent, ils épargnent tes cellules hépatiques et oc-cupent exclusivement la trame conjonctive. 4° Des dépôts d'u-rate se voient quelquefois dans la cavité des petites ramifica-tions bronchiques. 5° On en observe souvent en grand nombre sur Vendocarde, principalement aux appareils valvulaires ; on en rencontre aussi ça et là dans l'épaisseur des parois musculaires du cœur. 6° La membrane muqueuse de Xestomac et celle de de l'intestin sont, chez les oiseaux, habituellement rouges et enflammées ; les follicules gastriques sont en outre obtitérés par des amas d'urate de soude. Chez la couleuvre, l'urate se dépose dans la cavité de l'estomac, sous forme d'une boue blanchâtre. 7° La plupart des jointures présentent des accumulations d'urate de soude qui siègent dans la cavité articulaire et quelquefois, en outre, à l'extérieur des capsules fibreuses. 8° En règle géné-rale, on ne rencontre dans les muscles de, la vie animale aucune

trace de concrétions uratiquos, mais toujours l'examen chimique permet de constater l'existence d'une très notable quantité d'a-cide urique dans l'extrait musculaire. 9° Constamment le cerveau et ses enveloppes ont paru exempts de dépôts uratiquos. 10° Pour ce qui touche aux liquides de l'économie, le sang renferme une forte proportion d'acide urique, et après la mort, on trouve dans les caillots du cœur et des gros vaisseaux de petits grumeaux d'urate de soude. La bile aussi est chargée d'urate de soude qui, dans la vésicule du fiel, se sépare sous forme concrète.

Ces faits de pathologie expérimentale font connaître sous leur forme la plus accentuée les effets de la saturation urique. Pour le moment, nons nous bornerons à les indiquer, sans plus de commentaires. Ils trouveront plusieurs fois leur application par la suite (p. 326-329).

Acide urique dans les poumons, le foie, etc. — L'acide urique a été rencontré également dans les poumons (Cloetta, Wieder-hold), dans le foie, dans le cerveau (Parkes, loc. cit., p. 28). On suppose assez généralement qu'il se produit dans ces organes, comme dans la rate, pendant l'acte de la désassimilation. M. le professeur Robin a indiqué une nouvelle source de l'acide urique ; suivant lui, les urates se produisent au sein des tissus fibreux par désassimilation, « comme la créatine dans les muscles ». (Dictionnaire de médecine, etc., 1865 p. 078. — Programme du cours d'histologie, etc., 1864, p. 90). Les tissus fibreux de l'éco-nomie, d'après le même auteur, s'assimilent dans l'acte de la nutrition les substances atburninoïdes, qui se changent en génile, partie constituante de ces tissus ; dans l'acte de la désassimila-tion, la géline se dédouble en principes cristallisables, au nom-bre desquels prédominent les urates et l'acide urique. (Trous-seau, Clinique médicale, t. III, p. 351, 1865) (p. 333).

Influence des boissons sur les excrétions de l'acide urique. — Re-lativement à l'influence des diverses boissons sur l'excrétion de l'acide urique, nos connaissances sont encore fort peu avancées. Quelques recherches cependant ont été entreprises, dans le but

d'élucider la question. Voici l'indication sommaire des résultats les plus intéressants auxquels elles ont conduit. Suivant Bœcker (Beitrage zur Heilkunde, vol. I, p- 240) et Hammond(Amm'c m journal of medic. science, octobre 1850), l'alcool, et cela s'ap-plique sans doute également à la plupart des boissons distillées, aurait pour effet de diminuer remarquablement la proportion d'urée rendue dans les vingt-quatre heures, et aussi, mais à la vérité d'une manière bien moins sensible, celle de l'acide urique. Encore d'après Bœcker (Ueber die Wirkung des Biers auf den Menschen. — Archiv des Vereins für ivissensch. Heilk., Bd. I, p. 343), la bière, celle du moins qui renferme 4, 7 à 5, 4 d'al-cool pour 100, augmente au contraire le taux de l'acide urique, tandis que celui de l'urée est considérablement amoindri. Sui-vant Liebig (Moleschott, Handbuch der Diaielik. 1850, p. 540), il faudrait en dire autant du vin, du moins en ce qui concerne l'acide urique. Le thé et le café, d'après Bœcker (Archiv, des Vereins, etc., Bd, I, p. 173. — Beitrage zur Heilkunde, Ed. I, p. 188), agiraient dans le même sens que l'alcool, c'est-à-dire en diminuant l'excrétion de l'acide urique, en même temps que celle de l'urée.

Les individus soumis aux expériences dont il est ici question étaient, sans aucun doute, dans l'état normal ; par conséquent, tout porte à croire que l'accroissement ou le décroissement de l'excrétion de l'acide urique observés chez eux après l'emploi des diverses boissons, correspondait à une augmentation ou à une diminution réelle de la proportion de cet acide formée dans l'organisme. Cela étant, on pourra remarquer qu'il existe une certaine concordance entre les résultats obtenus par l'expéri-mentation physiologique et ceux qu'a fournis, sur ce point spé-cial, l'étude empirique des faits étiologiques, relatifs à la goutte (voyez le chapitre VIII, p. 286, 288, 292, etc.). C'est ainsi que l'alcool et les boissons distillées en général, qui semblent n'a-voir pas d'influence marquée sur le développement de la goutte, tendent à diminuer la production de l'acide urique ; tandis que les boissons fermentées simples, qui, comme la bière et le vin, augmentent cette production, paraissent, au contraire, contri-

NOTES SUR LA GOUTTE 537

buer puissamment à faire naître l'affection goutteuse (p. 341).

Accroissement de l'acide urique dans l'hypertrophie de la rate. — En dehors de tout état fébrile, dans certaines affections -qui s'accompagnent d'une hypertrophie de la rate, et, en particu-lier, dans la Leucémie splénique (Parkes, Médical Times, June, 1850. — On Urine. London, 1860, p. 331. — Walshe et Ranke, Ausscheidund g'er Harnsäure. München, 1858, p. 23), on a plu-sieurs fois constaté, à l'aide de l'analyse méthodique des urines, un accroissement remarquable de la proportion de l'acide urique rendu dans les vingt-quatre heures (p. 343).

Action de l'exercice musculaire sur l'acide urique.—Beneke, par exemple (Nord See Bad., 1855, p. 85), Genth (Unter-such, über den Einfluss pes Wassertrinkens auf den Stoffwechsel. Wiesbaden, 1856) et Fl. Heller (Heller's Archiv. N. F. I), ont observé une augmentation dans l'exrétion de l'acide urique, à la suite de l'exercice musculaire longtemps prolongé. Ranke (Aussch. der Harnsaure. München, 1858, p. 14), a vu, de son côté, la proportion de l'acide urique diminuer très-légèrement par le fait d'un exercice modéré, et s'accroître, au contraire, à la suite de mouvements musculaires qui avaient déterminé un sentiment marqué de fatigue dans les membres. Ces résultats contradictoires montrent assez que la question est loin d'être résolue, contrairement à ce que semblent admettre plusieurs théoriciens (p. 344).

Acide urique et goutte. — Voyez aussi Rayer (Rapports des alté-rât, de l'urine et du sang ; in Traité des malad. des reins. Paris, 1839, t. 1, p. 243). — Personne, peut-être, parmi les médecins français, ne s'est exprimé d'une manière plus formelle que M. Cruveilhier, concernant le rôle important de l'acide urique dans la théorie de la goutte ; c'est ce dont témoigneront quel-ques passages que j'extrais de Y Anatomie pathologique du corps humain (planche 3, 4e livraison), et qu'il m'a paru intéressant de rappeler ici. « La lésion matérielle de la goutte, » dit M, Cru-

veilhier, « celle qui lui est exclusivement propre, consiste dans le dépôt de matières tophacées dans l'intérieur des articulations et dans leur voisinage. » La sécrétion d'tirate de soude a-t-elle lieu dès la première attaque de goutte ? Cela ne me paraît pas douteux. La formation de Turate est un phénomène trop spécial pour qu'on ne doive pas lui donner la première place dans la série des phénomènes qui constituent la maladie, et je re-garderai jusqu'à nouvel ordre Furate comme la cause matérielle de la goutte, amené, comme malgré moi, par l'anatomie patho-logique à la même opinion que Sydenham et tant d'autres ob-servateurs de l'antiquité. »... « La grande différence qui existe entre la goutte et le rhumatisme me paraît principalement con-sister dans la sécrétion de Furate dans un cas, et dans le défaut de cette sécrétion dans l'autre. » (p. 362).

Etat du sang dans l'intervalle des accès de goutte. — Dans Un article dont la publication est toute récente et qui fait partie du Système de médecine, édité par le docteur Russell Reynolds (t. I, p. 827. London, 1869), M. Garrod a fait connaître ainsi qu'il suit, les résultats de quelques recherches nouvelles qu'il a entreprises relativement à l'état du sang dans l'intervalle des accès de goutte : « 1° Dans les intervalles qui séparent les pre-mières attaques de goutte, il n'y a pas surabondance de l'acide urique du sang ; 2° on a noté une diminution très-prononcée de la proportion de l'acide urique du sang chez plusieurs malades observés au sortir d'une attaque de goutte aiguë ; 3° dans la goutte chronique, le sang examiné dans l'intervalle des accès a toujours été trouvé riche en acide urique ; 4° dans plusieurs cas où il s'était manifesté des symptômes de goutte irrégulière, sans accompagnement d'affection des jointures, on a reconnu la présence d'un excès d'acide urique dans le sang. » (p. 368).

Même sujet. — Cette observation eût été plus démonstrative si le malade ne se fût pas trouvé sous le coup de l'intoxication saturnine dans le temps même où son sang a été soumis à l'exa-men ; car, par le seul fait de cette intoxication et indépendam-ment de toute affection goutteuse, le sang peut, comme on l'a

vu, se trouver chargé d'acide urique. Un cas qu'om trouvera mentionné au chapitre XII du présent traité, serait plus propre que le précédent à démontrer que, sous la seule influence de la goutte, le sang renferme un excès d'acide urique antérieurement aux accès. Il s'agit dans ce cas d'un vieillard qui, après avoir éprouvé plusieurs attaques épileptiformes, fut pris d'un accès de goutte articulaire ; des ventouses scarifiées avaient été appli-quées aux tempes, alors qu'existaient les accidents cérébraux, le sang obtenu fut examiné : on y trouva une forte propor-tion d'acide urique. Malheureusement, les détails manquent (p. 309).

Expectation dans la goutte. — Ce serait peut être ici le lieu de rappeler, en manière de correctif, les arguments nombreux et puissants qui ont été produits en faveur de l'emploi de la mé-thode expectante, dans la goutte régulière. Mais nous ne sau-rions mieux faire que de renvoyer le lecteur aux pages élo-quentes consacrées par M. Trousseau au développement de cette question (Clin. méd. de VHôtel-Dieu, t. III, p. 353), D'ail-leurs, on trouvera signalés, chemin faisant, particulièrement au chapitre XIV, les accidents plus ou moins graves qui peuvent survenir chez les goutteux, aux diverses époques de la maladie, par suite de l'application inopportune des agents médicamen-teux (p. 399).

Action du mercure sur la goutte. — A l'appui de l'opinion émise par M. Garrocl, relativement à la susceptibilité particulière que présenteraient les sujets goutteux à l'écart des préparations mercurielles, M. Price Jones a cité le fait suivant : Un homme vigoureux soumis depuis trois jours à l'emploi de doses relati-vent minimes de calomel, fut pris tout à coup, le matin du troisième jour, sans avertissement préalable, d'une très abon-dante salivation. L'urine ne renfermait pas traces d'albumine et il n'existait d'ailleurs aucun signe de maladie rénale. Deux jours après le début de l'affection hydrargyrique, survint une attaque de goutte bien caractérisée, et l'on apprit alors du

malade que depuis huit ans, il avait été fort sujet à éprouver de semblables accès. (Medic. Times. 1855, p. 66, t. I) (p. 409).

Danger de l'opium dans les maladies des reins et dans la goutte. — Chez les sujets atteints d'une affection quelconque du paren-chyme rénal, mais en particulier dans la maladie de Bright, l'opium détermine souvent des effets hors de proportion avec les doses employées; plusieurs fois j'ai vu ce médicament occa-sionner, en pareil cas, des phénomènes cérébraux inquiétants, et provoquer même l'apparition de symptômes urémiques. On devra craindre, dans la goutte, de voir les préparations opiacées produire des accidents de ce genre,lorsquelamaladie est déjà de date ancienne et que les lésions du rein goutteux se sont déjà prononcées. C'est ce dont témoigne, entre autres, un fait inté-ressant rapporté par le docteur Todd, dans ses Leçons cliniques sur les maladies des voies urinaires (loc. cit., p. 343). Il s'agit là d'un individu atteint de goutte depuis longtemps et présentant sur divers points du corps, particulièrement sur les oreilles externes, de volumineuses concrétions d'urate de soude. Les urines pâles, exemptes de sédiment, renfermaient une certaine proportion d'albumine. Se trouvant sous le coup d'une exacer-bation des douleurs articulaires qui le privait de sommeil depuis plusieurs jours, ce malade prit une dose modérée de poudre de Dover. Peu après, il tomba dans une somnolence profonde et les urines devinrent très rares. Sous l'influence d'une médication appropriée mais seulement au bout de deux jours, les urines se montrèrent abondantes et en même temps, l'état comateux disparut. Il faut sans doute rapprocher de ce fait l'histoire d'un goutteux que rapporte Musgrave (De arthritide anomalâ, cap. xv, hist. III) et qu'il présente sous ce titre : Somnus ab opiato profundus ipsa propemodum mors (p 411-412).

Mauvais effet des sangsues dans la goutte. — On avait remarqué depuis longtemps que les applications de sangsues sur les arti-culations envahies par l'inflammation goutteuse ont souvent pour effet de déterminer la faiblesse permanente et la rigidité

plus ou moins prononcée de ces parties. La réalité de ce fait — dont la raison nous échappe d'ailleurs quant a présent — nous paraît être établie aujourd'hui sur un assez grand nombre d'ob-servations authentiques. Le docteur Todd (Urinary diseases, loc. cit., p. 414) et après lui M. Garrot! (art. Gout, in Reynold's a System of medicine, t. I, p. 859. London, 1866) ont appelé parti-culièrement l'attention sur ce point. Tout récemment, M.Garrod a rapporté, entre autres exemples du même genre, l'histoire de deux sujets goutteux chez qui les articulations des genoux furent rapidement frappées d'ankylose complète, après avoir été, à deux ou trois reprises seulement, le siège de la goutte. Dans ces deux cas on avait, chaque fois, combattu le mal par l'application de sangsues nombreuses sur les jointures en-flammées (p. 417).

Vésicatoire dans la goutte. — Suivant Todd (Urinary diseases loc. cit., p. 414), les vésicatoires peuvent être employés avec avantage, alors même que l'affection est de date récente et que les articulations rouges, tuméfiées et douloureuses, présentent les signes de l'inflammation la plus vive ; il importe seulement qu'ils ne soient pas appliqués sur une trop large surface. Tou-jours ils doivent être de très petite dimension; leur diamètre ne doit pas dépasser, par exemple, celui d'une pièce de cinq francs pour une grande articulation et celui d'une pièce de cinquante centimes lorsqu'il s'agit d'une petite jointure. Afin de rendre leur action plus prompte et plus énergique, il sera utile de re-couvrir de farine de moutarde, ou de térébenthine, pendant vingt minutes environ, les parties sur lesquelles ils doivent être appliqués. J'ai plusieurs fois obtenu de bons effets de l'emploi des vésicatoires en suivant fa méthode préconisée par le docteur Todd (p. 419).

Du colchique dans la goutte. — Suivant M. Gairdner, par exem-ple (On gout, p. 335.London, 1860), l'administration du colchique dans la goutte « ne produit jamais autant de soulagement que lorsque le médicament agit doucement, silencieusement et sans

déterminer aucune action purgative ». Bon nombre d'auteurs ont témoigné dans le même sens. — Voyez, en particulier, Todd (Practic. remarks an goût, p. 105. London,18-43) ; Watson (On iheprinciples and praclice of physic, t. II, p. 707. London, 1857); W.Budd (Library of médecine, t.V, p. 222); Wells (On gout, p. 223. London, 1824) ; Goupil, de Rennes (Mémoires sur le colchi-que d'automne, in Archiv. génér. de médecine, p, 37, 5° série, t. XVIII. Paris, 1801); Galtier-Boissière (De la goutte, Paris, 1856) (p. 428).

Action du colchique sur l'urée. — Les recherches de Bœcker qui datent de 1849 (Beiiraege zur Heilkunde, t. II, p. 204), ten-dent, comme celles de Garrod, à établir que sous l'influence du colchique, il y a plutôt diminution de la proportion de l'urée et de l'acide inique rendus par les urines (p. 445).

Différence entre lu gout le et le rhmaiisme articulaire chronique .— C'est ce qu'ont établi, entre autres, les recherches de M. Mon-neret, du moins relativement au rhumatisme articulaire aigu (Arch. gén. de méd., 4e sér. , t. IV, 1844). Cette affection se sépa-re donc encore profondément de la goutte à ce nouveau point de vue. Je puis ajouter, d'après mes propres observations, que dans le rhumatisme articulaire chronique, généralisé ou partiel, le colchique administré à l'époque des exacerbations se montre à peu près toujours impuissant (p. 447).

Buveurs de colchique. — Dans le passage auquel on fait allu-sion ici, le docteur Todd compare ingénieusement les buveurs de colchique aux mangeurs d'opium (Urinary diseases, loc. cit., p-416). Mais en se qui concerne le colchique, la tolérance n'est pas, tant s'en faut, un fait général, et l'on rencontre assez fréquem-ment, ainsi que l'a reconnu lui-même M. Todd (On gout, loc. cit., p. 106), des sujets chez qui l'usage continu de petites doses de ce médicament détermine tôt ou tard des effets d'accumulation (Cumulative effects). Ceux-ci se traduisent habituellement par l'apparition brusque, inopinée, de phénomènes toxiques plus ou

moins graves et qui se sont quelquefois terminés par la mort. Sous ce rapport, comme l'a bien fait ressortir M. le professeur Boucbardat (Annuaire de thérapeutique, p. 13(5, Paris, 1853. — Manuel de matière médicale, t. I, p. 1(52, Paris, 1804), le colchique peut être rapproché de la digitale ou de la strychnine, et il n'est guère douteux que plusieurs cas cités comme des exemples de goutte remontée ou rétrocédée, doivent être rapportés à un empoisonnment par le colchique; plusieurs faits qu'on trouve consignés dans un intéressant travail du docteur Potton, de Lyon (De la goutte, etc., p. 46,61. Paris, 1860), nous paraissent en particulier, pouvoir se prêter à cette interprétation (p. 450).

Différence d'action des sels de soude et de potasse. —On voit, par ces exemples,que les analogies qui rapprochent si intimement, au point de vue chimique, les sels de sodium et de potassium, ne sauraient faire oublier qu'ils diffèrent cependant profon-dément, à beaucoup d'égards, relativement aux effets qu'ils produisent sur l'organisme vivant. Voici l'indication sommaire de quelques faits qui témoignent encore dans ce sens. M. Claude Bernard, contrairement aux assertions de Magenclie, avait déjà eu l'occasion de constater la parfaite innocuité du carbonate de soude injecté dans les veines ; il avait vu qu'on peut aller jusqu'à des doses considérables sans produire d'acci-dent. L'expérience lui avait également démontré la possibilité de mêler, pendant plusieurs mois, à la nourriture des animaux, des quantité considérables de sels de soude, sans donner lieu à aucun trouble chez les sujets soumis à une semblable alimen-tation, tandis qu'il avait reconnu que les sels de potasse sont loin d'être supportés, à la même dose, clans les aliments. A son tour, M. Orandeau (Journal de Vanatomie et de la physiologie, 1864, t. I, p. 332) a montré que si les sels de soude peuvent être, chez le chien et le lapin, introduits à dose très-fortes dans le torrent circulatoire sans produire d'accidents graves, les sels de potas-se injectés dans le sang de ces mêmes animaux se montrent, au contraire, éminement toxiques, des doses très-faibles suffisant pour amener la mort foudroyante. Mais les deux alcalis ne diffè-

rent pas seulement par l'intensité des effets qu'ils produisent, car il résulte des recherches de M. Gultmann (Berliner Klinisch Wochenschfift, 1865, n° 34, 35, 36), que les sels de potasse agissent d'une manière spéciale sur le cœur dont il ralentis-sent et affaiblissent les contractions, et sur la moelle épinière dont il amoindrissent l'excitabilité réflexe, tandis que les sels de soude ne produiraient rien de semblable, (p. 475).

Carbonate de lithine.—j'ai eu maintes fois l'occasion de constater la réalité de ce fait ; j'ai, dans plusieurs essais, porté progressivement le carbonate de lithine jusqu'à la dose relati-vement considérable cle 2 grammes et même 3 grammes dans les vingt-quatre heures, sans qu'il se soit produit aucun effet fâcheux. Mais, lorsque ces doses élevées sont soutenues pendant plusieurs jours, on ne tarde pas à voir survenir des symptômes de dyspepsie cardialgique qui obligent bientôt à suspendre l'em-ploi du médicament, (p. 486).

Traitement du Dr Staicker. — Chez une femme goutteuse, âgée de soixante-dix-sept ans, et qui, malgré plusieurs saisons passées à Wiesbaden, n'avait pu se débarrasser de concrétions qu'elle portait à l'extrémité des doigts, le docteur Staicker prescrivit l'emploi d'une boisson composée ainsi qu'il suit : Eau chargée d'acide carbonique, 500 grammes ; bicarbonate de soude, Ogr. 25 ; carbonate de lithine, 0 gr. 10. La malade devait prendre, les premiers jours, la totalité cle la dose dans les vingt-quatre-heures, et ensuite la motié de la close seulement. Au bout de quinze jours environ de ce traitement, les concrétions avaient, paraît-il, complètement disparu (Virchow's Archiv et Ganstatt's Jahresber., p. 169, ad. IV, 1864). (p. 490).

Accidents qui simulent la goutte remontée à l'estomac. —- Les coliques hépatiques ou néphrétiques, les troubles digestifs plus ou moins graves liés à la néphrite goutteuse, peut-être même l'empoisonnement par de certains remèdes, tels que le colchique par exemple, ont dû simuler plus d'une fois les accidents de la

goutte remontée à l'estomac. Ou pourrait eu dire autant des indigestions qui, chez les goutteux, acquièrent fréquemment une intensité exceptionnelle. Ce point de diagnostic a été discuté avec soin par M. Brinton, dans ses Leçons sur les maladies de Vestomac (The diseases of the stomach, etc., 2° édition. London. 1864, p. 354). (p. 560).

Dégénérescence graisseuse du cœur dans la goutte. — L'exis-tence fréquente de la dégénérescence graisseuse des parois mus-culaires du cœur dans la goutte, surtout lorsque la maladie date-de loin, est un fait attesté par un bon nombre d'observateurs compétents (Stokes, Quain, Garrod, Gairdner, Barclay), et il est incontestable que les symptômes qui appartiennent à cette lésion cardiaque ont été souvent mis sur le compte de la goutte vis-cérale. Tels sont, par exemple, les accès d'asthme cardiaque avec tendance à la syncope et suppression momentanée du pouls (Hervez de Chégoin) ; certains accidents apoplectiformes, accompagnés parfois d'une hémiplégie passagère (Law, Cheyne); les douleurs vives de la région précorcliale s'irradiant le long du bras et simulant ainsi l'angine de poitrine qui, pour cette rai-son, peut-être, a été souvent considérée comme une affection d'origine goutteuse. Il est certain également que dans un bon nombre des cas où la mort subite a été attribuée à la goutte remontée du cœur, cet organe avait subi déjà, à un haut degré, la dégénérescence graisseuse. Cheyne, Kennedy, Gairdner ont vu chez des sujets goutteux la mort survenir tout à coup dans ces circonstances, sans qu'il y eut rupture du cœur. La mort rapide avec rupture de la paroi interventriculaire a été observée par Latham. La terminaison fatale est quelquefois survenue pendant la durée de l'accès de goutte articulaire, qui agit peut-être ici en déterminant la crise cardiaque.

Consultez à ce sujet Stokes, Traité des maladies du cœur, tra-duc. de Sénac. Paris, 1804, p. 328, 338 — Quain, Fatty diseases of the heart. London. 1850. — Gairdner, Gout, etc London, 1860, p. 81, 87. — A. W. Barclay, Gout ang rheumatism in re-lation to diseases of the heart. London, 1800, p. 120. — Cheyne Charcot. OEuv. comp. t. vu. Mal. des Vieillards. 35

Dublin hosp. reports, t. II, 1818. — Kennedy. Dublin med. Press' t. XXII. 1849, p. 370. — Latham, Clin, méd., I, II, 1840, p, 1(59 — Hervez de Chégoin, Union médicale, 1800, n° 30, p. 470. (p. 562).

Dangers de l'application du froid. — Plusieurs faits rapportés dans un travail du docteur F. J. Lynch (On the metástasis of disesed action ta the brain in gout — in Dublin quarterly Journal, t. XXI, 1856, p. 276) sont très-intéressants sous ce dernier rap-port. On voit, en effet, très-nettement dans ces cas, des acci-dents cérébraux plus ou moins graves se déclarer subitement par une brusque métastase, à la suite de l'application du froid sur les jointures envahies par l'inflammation goutteuse (p. 562).

Accidents urémiques dans la goutte. — Nous avons fait obser-ver déjà (voyez la note p. 275), que bon nombre d'accidents cérébraux qu'on rapporte à la goutte remontée ou mal placée ne sont autre chose que des accidents urémiques, subordonnés à l'affection rénale qui se développe si fréquemment sous l'influ-ence de la goutte. Il y a là un point important de diagnostic (p. 564).

Affections gastro-intestinales liées à la goutte. — Les expé-riences de M. Zalesky ont fait voir que chez les oiseaux dont les uretères ont été liés, la membrane muqueuse de l'estomac et celle de l'intestin sont rouges et enflammées. Les follicules gas-triques sont, en outre, oblitérés par des amas d'urate de soude. Chez la couleuvre, l'urate se dépose même dans la cavité de l'estomac, sous forme d'une boue blanchâtre (voyez la note p. 329). Il est possible que chez l'homme, les liquides gastriques ou intestinaux se chargent également d'urates dans les cas de saturation unique. Ce serait une cause de ces affections gastro-intestinales qu'on trouve si fréquemment liées à la diathèse urique et à ta goutte. II y a là un intéressant sujet de recher-ches. On sait que dans la maladie de Bright ancienne, où les accidents gastrique sont si communs, les liquides rendus par le vomissement renferment souvent une forte proportion d'urée

ou de carbonate d'ammoniaque. (G. Budd ; On organic diseases and fonctionnai disorders of the stomach. London, 1858, p. 247) (p. 564).

Dyspepsie guérie par un accès de goutte. — J'ai observé les faits suivants : Un homme âgé de 35 ans, issu d'un père gout-teux, souffrait depuis plusieurs mois de dyspepsie cardialgique, avec pyrosis. Il portait une petite concrétion tophacée, à l'une des oreilles, sur le rebord de l'hélix. Un accès de goutte bien caractérisée, — c'était le premier qu'il eût jamais éprouvé, — se déclara sur l'un des gros orteils au lieu d'élection ; aussitôt les accidents gastriques disparurent. (Voyez la note page 248).

Dans un autre cas, il y avait eu autrefois un seul accès de goutte articulaire. Une dyspepsie intense s'était déclarée plus tard, et après avoir vainement invoqué les secours de la science régulière, le malade crut devoir s'adresser à rhomœopathie. Un succès inespéré vint, en apparence, couronner ce mode de trai-tement, et l'on s'applaudissait déjà d'avoir eu recours à la mé-decine nouvelle, lorsque tout à coup, il survint un accès de goutte au pied qui donna l'explication de cette guérison mira-culeuse (p. 568).

Troubles cardiaques dans la goutte. — Les troubles cardiaques qui se manifestent quelquefois dès les premiers temps de la goutte ont été décrits d'une manière remarquable par M. Stokes, dans un passage que je crois devoir reproduire in extenso : « On « observe, dit-il, chez les jeunes sujets du sexe masculin, des « palpitations peu graves, avant le premier ou le deuxième « accès de goutte. Ces palpitations surviennent souvent pen-« dant la nuit ; il semble que le cœur soit agité par des soubre-« sauts, ou qu'il roule sur lui-même. Ces accidents sont peu « douloureux et le cœur continue à fonctionner avec une acti-« vite presque normale ; quelquefois cependant, il existe une « douleur sourde et une sensibilité anormale avant ou pendant « ces accès. Le lendemain matin, le malade en se levant, s'aper-« çoit d'un gonflement à une articulation du pied. Les symp-

« tomes cardiaques disparaissent et l'attaque de goutte est peu

« intense et peu prolongée. Je ne connais pas un seul fait où

« des accidents de cette nature aient été suivis d'une affection

« cardiaque. Mais dans les cas où il y a eu des attaques de

« goutte répétées, surtout à un âge avancé, le praticien doit

« hésiter avant d'attribuer les troubles fonctionnels du cœur à

« la goutte sans altération anatomique du cœur. » (Traduction du docteur Sénac, loc. cit., p. 534.) (p. 569.).

Dépôt d'uvale de soude sur la sclérotique. — Dans deux cas d'ophtalmie goutteuse, M. Garrod a rencontré des dépôts blancs d'urate de soude à la surface de la sclérotique (Reynolds, A System of médicine, t. I, p. 824). On ne peut guère révoquer en doute, en pareil cas, l'influence directe de la goutte, (p. 575).

Urate de soude dans l'extrait musculaire. — Peut-être ces acci-dents résultent-ils d'une action directe de l'acide urique sur les tissus. Dans les expériences de M. Zalesky, dont nous avons maintes fois déjà invoqué les résultats (p. 339, note), les mus-cles de la vie animale ne renferment, à la vérité, jamais de con-crétions uratiques; mais toujours l'examen chimique permet de constater l'existence d'une assez forte proportion d'urate de soude dans l'extrait musculaire, (p. 579).

Fréquence du coup de fouet dans la gouile. — Quoi qu'il en soit, les muscles et les tendons paraissent subir assez souvent, dans la goutte, des modifications de texture qui les rend plus friables, et c'est avec raison, croyons-nous, qu'en traitant du coup de fouet, W, J. Johnson (The Lancet, 22 novembre 1851) a signalé la remarquable fréquence de cet accident chez les gout-teux (p. 579).

On peut rapprocher de ces faits deux observations plus dé-monstratives encore, à certains égards, qu'on trouve rapportées dans l'intéressant travail du docteur Lynch (loc. cit., obs. VII et VIII). L'un de ces cas a été reproduit avec quelques détails complémentaires dans les leçons cliniques du docteur Todd

{Clinical lectures on paralysis, etc. London, 1856, p. 293). (p. 585).

Folie goutteuse. — Plusieurs exemples de folie goutteuse ont été rapportés par le docteur Lynch, dans le travail déjà cité (obs. IV et V). Au point de vue du diagnostic, il est intéressant de remarquer que toutes les formes du rhumatisme cérébral, la céphalée, le délire aigu, la folie eniin, se trouvent à peu près exactement reproduites dans la goutte (p. 586).

Affection spinale liée à la goutte. Dans un cas rapporté par R. B. Todd (cycloped. of anat and physiology., t. IV, p. 721), on voit une paralysie complète du mouvement et du sentiment des membres inférieurs disparaître peu de temps après que la goutte eut été appelée aux extrémités. Plusieurs exemples d'affection spinale, liés, suivant toute vraisemblance, à la goutte, sont consignés dans un intéressant travail de M. J. Begbie (Contribu-tions to practical médecine. Edinburgh, 1866, p. 24, obs. XIII et VIV).

Il ne faudrait pas rapporter à une affection de la moelle épi-nière ou de ses enveloppes, cette faiblesse musculaire déjà signalée par Scudamore, qui succède aux attaques intenses de goutte articulaire et peut simuler une véritable paraplégie. Il importe également de ne pas oublier que, d'après les observa-tions de Mittchell et de quelques autres, des arthropathies fort semblables à celles que produisent le rhumatisme ou la goutte, se développent quelquefois à la suite de diverses lésions trau-matiques ou spontanées de la moelle épinière et des nerfs qui en partent. J'ai observé un fait qui me paraît très instructif sous ce rapport. Des douleurs articulaires avec gonflement et rougeur s'étaient montrées à plusieurs reprises différentes, chez un homme âgé de cinquante-cinq ans, qui commençait à présenter des symptômes de paraplégie. Ces douleurs avaient occupé tantôt les genoux, tantôt les articulations métatarso-phalangiennes des gros orteils. Plusieurs médecins crurent à l'existence d'une méningite rhumatismale ou goutteuse, La pa-

raplégie devint complète au bout de quelques mois, et cepen-dant, le gonflement articulaire continuait de se produire de temps à autre. Quelques semaines avant la mort, on vit appa-raître à la nuque une tumeur volumineuse faisant saillie de chaque côté, derrière les oreilles, avec torsion du cou et de la face vers l'épaule droite, et l'impossibilité de tourner la tête à gauche. L'autopsie n'a pas eu lieu, mais il est on ne peut plus vraisemblable qu'une affection de la colonne vertébrale, suivie de compression de la moelle, a été le point de départ de tous les accidents. — Consultez, sur ce sujet, Bail, Du rhumatisme viscéral. Paris, 1800, p. 88, (p. 587, 589).

Goutte rappelée par des applications stimulantes. —• Il est vive-ment à regretter que M. Garrod n'ait pas étayé cette assertion par des observations cliniques détaillées, car c'est à peine s'il existe, dans les auteurs, quelques faits authentiques propres à démontrer que la goutte peut être, en effet, rappefée sur les jointures primitivement affectées, par le moyen des applications stimulantes (p. 590).

Rhumatisme articulaire chronique primitif. — Cette synonymie n'est pas complète; il faut y adjoindre les dénominations sui-vantes : Arthrite sèche (Deville etBroca). — Arthrite déformante (Virchow). — Arthritis pauperum. — Arihrocace sénile, Rachi-tisme sénile (Malgaigne, Hattier). —Rhumatisme articulaire chro-nique primitif (Vidal, Plaisance).

J'ai proposé de ramener, ainsi qu'il suit, à trois types fonda-mentaux les formes très variées sous lesquelles se présentent le rhumatisme articulaire chronique : 1° Rhumatisme articu-laire chronique primitif généralisé ou progressif ; c'est le rhuma-tisme noueux des auteurs. Les cas de ce groupe se distinguent surtout en ce que l'affection présente habituellement une ten-dance presque invincible à se généraliser; ce sont d'abord les petites jointures des extrémités, celles des mains, les méta-carpo-phalangiennes surtout, qui sont atteintes symétrique-ment; puis, à la longue, la plupart des autres articulations sont,

dans un certain ordre, envahies successivement et d'une manière presque fatale. 2° Rhumatisme articulaire chronique primitif fixe ou partiel. La maladie reste généralement localisée sur une ou deux grandes articulations, ou elle produit des altérations profondes; elle a été surtout étudiée en chirurgie sous les noms d'arthrite sèche, de morbus coxœ senilis, etc. 3° Nodosité d'Hc-berden. C'est l'affection décrite par Heberden sous le nom de digitorom nodi. Très-généralement rapportée à la goutte, elle occupe à peu près exclusivement les articulations des phalan-gines avec les phalangettes, et quelquefois en outre, celles des phalangines avec les phalanges. Elle épargne, au contraire, les articulations métacarpo-phalangiennes, qui sont prises en premier lieu et d'une manière prédominante, dans le rhuma-tisme noueux.

Ces trois types se relient entre eux par des transitions insen-sibles ; on trouve assez souvent leurs caractères réunis sur un même sujet. Les différences qui les séparent sont dans l'expres-sion symptomatique, non dans l'essence même delà maladie. Ils se relient aussi au rhumatisme articulaire aigu: c'est alors le rhumatisme chronique généralisé qui établit la transition. Il n'est pas extrêmement rare, par exemple, de voir cette dernière forme succéder immédiatement, sans tempsd'arrêt, au rhumatis-me articulaire aigu, le continuer pour ainsi dire, et même s'ac-compagner comme lui d'endocardite ou de péricardite. Les ar-guments sur lesquels s'appuient ces vues nosographiques ont été développés dans la dissertation inaugurale de M. Plaisance, dans celles de M M. Vergely et Malherbe. Les principaux d'entre eux seront reproduits par la suite (p. 602, 603).

Rhumatisme noueux.— Commcntarïi de morborum historié, cap. IX Francof. ad Mcen., 1804. — Le rhumatisme noueux avait été déjà parfaitement caractérisé par Sydenham dans un pas-sage qui mérite d'être reproduit in extenso. Après avoir parlé des douleurs qui, après la cessation de la fièvre, persistent si souvent à la suite du rhumatisme articulaire aigu, Sydenham ajoute: Non ad menses tantum, sed ad annos étiam aiiquot,

«imo per omnem adeo vitam miserum haud infrequenter » (rheumatismus) discruciat, quamvis in hoc casu, non eodem »Semper vigore, sed paroxismis quibusdam periodico repeti-» tis, ad instar Arthritidis, subindè lacessit: Imo vero potest » fieri ut ubi diu multumque vexaverint dictis dolores, tandem » sponte désistant, atque interim aeger omni membroriim mo-»tuad mortem usque privetur, digitorum articulis quasi in-»versis,et protuberantiis,ut in Arthritide,nodosis in interna ma-»gis quam externa digitorum parte se prodentibus ; stomacho » nihilominus valeat, et caetera sanus vitam toleret. » (T. Sy-denh. opéra, sect. AI, cap, V.) (p. 603, 604).

Rhumatisme articulaire chronique: bibliographie. — J. Hay-garth : A clinical history of diseases. Part first being 1° A clini-cal history of the acute rheumatism; 2 A clinical history of the joints. London 1805. — On the discrimination of chnonic rheuma-tism from gout, etc., in Medical Transactions, t. IV, 1813. — R. Adams: 1° plusieurs articles publiés dans la Cyclopydia of ana-tomy and physiology. London, 1836 ; — 2° A treatise on rheuma-tic gout or chronic rheumatic arthritis. London, 4857. (p. 604.). W. Fuller. On Rheumatism, Rheumatic gout, Sciatica. 3e edit. London, 1890.

En outre des travaux cités par M. Garrod dans ce chapitre, consultez sur la pathologie du rhumatisme articulaire chronique: Landre Beauvais, Thèses de la faculté de médecine de Paris, an VIII. — Chomel, Dissertation sur le rhumatisme. Paris, 1813. — W. Smith, A treatise of fractures in the vicinihj of the joints. Dublin, 1847. —? R. B. Todd, Practical remarks on gout, rheuma-tic fever and chronic rheumatism of the joints. London 1843. — Deville et Broca, Comptes rendus de la société anatomique, 1851 — Lasègue, Etudes thérapeutiques sur les eaux minérales des bords du Rhin. Paris. 1847. — Romberg, Klinisch. Ergebnisse. Berlin, 1840; p. 115, 1851, p. 98. —Charcot, Thèses de Paris, mars 1853. — Trasbour, Du rhumatisme goutteux chez la femme. Paris, novembre 1853, — Vidal, Considération sur le rhumatis-me articulaire chronique primitif. Paris, 1835, —? Gurlt, Beitrage

zur Veigleich. Patholog. der Gelenkkrank. Berlin 1853. — Plai-sance, Etude nosographique sur le rhumatisme articulaire chro-nique primitif, Thèses de Paais 1858. — Lebert, Handbuch der praktisch. medicin, IIe Auflag., II Bd., 2e Abdth. Tubing., 186é. — H Colombel, Recherches sur Varthrite sèche. Paris, 1862. — V. Cornil, Mémoires sur les coïncidences du Rhumatisme articulaire chronique. — Gazette médicale de Paris, 1864, n° 36, 38, 39. — Trousseau, Clinique médicale, t. III, p. 391, 1895. — Vergely, Essai sur Vanatomic pathologique du rhumatisme articulaire pri-mitif. Paris, 1899. — B. Malherbe, Des affections viscérales dans la goutte et le rhumatisme chronique, Paris, 1866. — Bail, Du rhumatisme viscéral. Paris. 1866. (p. 606).

Maladies du cœur dans le rhumatisme articulaire chronique— Il n'est pas aussi rare qu'on le croit généralement de rencon-trer l'endocardite et la péricardite, dans la forme chronique du rhumatisme articulaire. Cela, du moins, me paraît résulter des observations assez nombreuses que j'ai faites sur ce sujet, à l'hospice de la Salpêtrière.

C'est surtout au rhumatisme articulaire chronique généralisé que s'associent les affections dont il s'agit, et on les rencontre là dans deux conditions différentes. Tantôt,— et cela s'applique surtout à l'endocardite, — elles paraissent s'être produites pen-dant le cours d'accès de rhumatisme articulaire aigu qui ont précédé le développement du rhumatisme chronique ; puis, celui-ci s'étant établi, elles ont persisté telles quelles; ou bien, après être restées latentes, quelquefois pendant plusieurs an-nées, elles se sont, par la suite, manifestées de nouveau, à l'occasion d'une exacerbation de l'affection articulaire ; tantôt, au contraire, le rhumatisme a revêtu dès l'origine, la forme chronique, et l'on est conduit à reconnaître que les affections du cœur se sont développées sous sa seule influence.

I. En 1846, le professeur Romberg (Klinisch. Ergebn. Berlin, 1846. p. 11.5) avait déjà reconnu l'existence d'une lésion mitrale chez une femme de vingt-trois ans, atteinte de rhumatisme

noueux, et qui, douze ans auparavant, avait éprouvé une attaque de rhumatisme articulaire aigu. Un fait du même genre avait été mentionné par Todd, dans ses leçons sur la goutte et le rhu-matisme (London, 1843, p. 179). — Sur 41 femmes atteintes de rhumatisme noueux, que nous avons observées, M. Trastour et moi, à la Salpêtrière en 1852, deux présentaient les symptômes les mieux accusés d'une affection organique du cœur. — Il y a quelques années, dans une leçon clinique (Gazette des hôpitaux, 19 juillet 1864), M. Beau faisait remarquer, chez une jeune fille, la coïncidence d'une arthrite noueuse avec un rétrécissement de l'orifice aortique. — Tout récemment enfin, M. le docteur Ollivier recueillait à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. le pro-fesseur Grisolle, l'observation d'un homme âgé de 23 ans, qui présentait les déformations caractéristiques du rhumatisme noueux et chez qui l'on constatait, en outre, tous les signes d'une lésion profonde des valvules sigmoïdes de l'aorte. Cet homme avait subi autrefois trois attaques de rhumatisme arti-culaire aigu.

Dans la plupart des exemples qui viennent d'être rapportés, en raison de l'existence antérieure d'accès de rhumatisme articu-laire aigu, il est à peu près impossible de décider si le rhuma-tisme chronique a eu une influence réelle sur le premier déve-loppement des affections du cœur. Les faits qui vont suivre sont sous ce rapport, plus explicites : Dans le cours des trois der-nières années, j'ai rencontré cinq fois, à l'autopsie, des traces évidentes d'endocardite chez des femmes atteintes de rhumatis-me articulaire chronique généralisé et qui jamais n'avaient éprouvé d'accès de rhumatisme articulaire aigu. Les lésions occupaient tantôt l'orifice aortique, tantôt l'orifice auriculo-ven-triculaire gauche ; les valvules étaient épaissies, indurées, opa-ques ; elles présentaient, dans leur épaisseur, de nombreux vaisseaux, et portaient à leur surface, aux lieux d'élection, des groupes de végétations d'apparence fibrineuse. Une planche annexée à la thèse de M. Bail (Du rhumatisme viscéral, Paris, 1866, pl. I, fig. 2) donne une bonne idée des altérations obser-vées dans un de ces cas. Les valvules avaient conservé d'ailleurs

leurs formes et leurs dimensions normales ; si bien que, pendant la vie, ces lésions ne s'étaient révélées par aucun symptôme appréciable. C'étaient de simples stigmates qu'une nécroscopie attentive avait seule fait reconnaître. Mais si minimes qu'elles soient, ces altérations acquièrent aux yeux du nosographc une valeur incontestable, puisqu'elles le conduisent à établir entre le rhumatisme noueux et le rhumatisme articulaire aigu, un rap-prochement fondé sur un caractère important.

II. La péricardite s'observe comme l'endocardite, et peut-être plus fréquemment encore, dans le rhumatisme articulaire chro-nique généralisé. Sur un total de neuf sujets atteints de cette dernière affection et dont l'autopsie a été pratiquée, dans mon service, pendant le cours de l'année 1803, on a noté deux cas de péricardite ancienne et deux cas de péricardite récente. (Voy. Cornil, Mémoire sur les coïncidences du rhumatisme articulaires chronique, in Gazette médicale, année 1804, nos 30, 98, 39.) Ces résultats concordent avec ceux que j'ai obtenus, dans les mêmes circonstances, les années suivantes. Tantôt la péricardite existe seule, tantôt elle est compliquée d'endocardite. Depuis l'époque où ce sujet a fixé mon attention, j'ai vu plusieurs fois la péri-cardite aiguë ou subaiguë coexister chez des sujets atteints de rhumatisme noueux avec les exacerbations des arthropathies. Une observation de ce genre, recueillie à l'hospice des Ménages sur une femme âgée de soixante et onze ans, m'a été communi-quée tout récemment par mon excellent collègue, M. le docteur Tamarel- Mauriac.

De tout ce qui précède, on peut conclure, je pense, que les affections du cœur, telles que l'endocardite et la péricardite, appartiennent à la forme généralisée du rhumatisme articulaire chronique, tout aussi bien qu'au rhumatisme articulaire aigu ; seulement, moins habituelles dans le premier cas que dans le second, elles se distinguent aussi par leur intensité moindre et parla moindre gravité de leurs conséquences (p. 609-910).

Envahissement successif des jointures dans le rhumatisme arti-

cataire progressif. —iNous avons fait connaître ailleurs (page 424) les lois suivant lesquelles s'opère, d'après nos observations l'envahissement successif des jointures dans le rhumatisme ar-ticulaire chronique progressif. Nous avons vu là que les articu-lations des membres supérieurs sont affectées en premier lieu et plus profondément que celles des membres inférieurs. Aussi, beaucoup d'infirmes ne peuvent-ils plus faire usage de leurs mains et de leurs bras, alors que les articulations des membres inférieurs sont encore assez libres pour permettre la marche.

Les déformations des jointures et les déviations que présen-tent tôt ou tard les membres, dans les cas où la maladie a agi avec intensité, se prêtent pour chaque partie à une description spéciale. Ici, nous devrons nous borner à présenter le tableau sommaire des difformités qu'on observe aux mains. Ce sont d'ailleurs celles qu'il est surtout utile de bien connaître.

Ces difformités peuvent être, suivant moi, ramenées à deux types principaux : 1° type de flexion, 2° type d'extension.

Caractère commun aux deux types. — La main est en prona-tion plus ou moins complète et quelquefois exagérée.

Premier type. —- C'est celui qn'on rencontre le plus fréquem-ment ; voici sa caractéristique : a) flexion (à angle obtus, droit ou même aigu) delà phalangette sur la phalangine ; b) extension de la phalangine sur la phalange ; c) flexion de la phalange sur la tête des métacarpiens (à angle obtus ou droit) ; d) flexion à angle très obtus des métacarpiens et du carpe sur les os de l'avant-bras ; e) dans un grand nombre de cas, déviation en niasse de toutes les phalanges sur les métacarpiens vers le bord cubital de la main, puis déviation en sens contraire des phalan-gines sur les phalanges. — La déviation en masse des phalanges vers le bord cubital de la main est souvent une des premières déformations qui s'accusent.

Deuxième type. — Caractéristique ; a) extension de la pha-langette sur la phalangine ; b) flexion des phalangines sur les

phalanges ; c) extension des phalanges sur les tètes des méta-carpiens ; d) flexion plus ou moins prononcée du carpe sur les os de Favant-bras ; e) dans certains cas, déviation en masse des phalanges, caractérisée par une inclinaison manifeste vers le bord cubital de la main.

Variétés dupremier type. — 1° La plupart des caractères du type sont conservés ; seulement la phalangine et la phalangette sont sur le même axe et forment une seule colonne. 2° On voit quelquefois manquer la flexion de la phalangette sur la phalan-gine, et alors le clos des doigts de la main paraît excavé à partir de la tête saillante des métacarpiens.

Variétés du deuxième type. —1° Flexion de toutes les articula-tions de la main les unes sur les autres, de manière à constituer une sorte d'enroulement. 2° Mêmes caractères, mais il y a exten-sion des phalangines sur les phalanges.

Dans tous les cas, le pouce a une tendance presque invaria-ble ; il est plus habituellement dans une abduction forcée avec subluxation de la tête de la première phalange en dehors de l'extrémité inférieure du premier métacarpien.

Quand les difformités dont nous venons de tracer le tableau sont un peu prononcées, le malade ne peut plus faire usage de ses mains. Cependant, dans un certain nombre de cas, le pouce reste mobile et peut servir tant bien que mal à saisir les objets. Quelques phalanges peuvent remplir le même usage, lorsqu'elles ont conservé des mouvements de latéralité. Mais si l'articulation du coude est rigide, ce qui arrive fort souvent, les malheureux infirmes ne peuvent plus porter leurs aliments à leur bouche, ni chasser les insectes ou les corps étrangers qui viennent les incommoder. Réduites à cette triste extrémité, les femmes, — car c'est surfout chez les femmes que les choses en arrivent à ce point — se montrent souvent fort ingénieuses. J'en connais plusieurs à la Salpêtrière qui, privées de la plupart de leurs mouvements ont imaginé des fourchettes munies de manche de deux pieds de long, et qui paraissent faites sur le même nio-

dèle, bien que les inventeurs ne se soient jamais rencontrées et occupent dans l'hospice des divisions fort éloignées. Au moyen de ces instruments, qu'elles manient à l'aide de quel-ques phalanges restées mobiles, elles prennent leurs aliments, qui ont été préalablement coupés en petits morceaux et qu'on a placés sur leurs genoux ou sur un meuble voisin. Une infirme, dont Thurnam nous a donné l'histoire, se servait d'une sem-blable fourchette (London médical Gazette, octobre 1838). On n'en finirait pas si l'on voulait faire connaître tous les strata-gèmes auxquels ces femmes ont recours pour remplacer les mouvements qu'elles ont perdus.

Les déformations des mains que produit le rhumatisme noueux peuvent se retrouver, — ainsi que nous l'avons fait re-marquer déjà (page 80), — avec des caractères identiques, dans la goutte chronique. Mais les cas de ce genre sont tout à fait exceptionnels, et presque toujours lorsqu'ils se présentent, l'existence d'une concrétion tophacée superficielle, au voisinage des jointures déformées ou sur quelque autre point du corps, vient éclaircir le diagnostic.

Chez quelques malades atteints de rhumatisme noueux, les muscles des membres immobilisés s'atrophient. La peau est lisse, luisante, comme parcheminée. En même temps, les join-tures paraissent énormes et les stalactites osseuses soulèvent fortement, en quelques endroits, les téguments amincis. Il est même arrivé quelquefois que ces productions osseuses ont ul-céré la peau et se sont montrées à nu. On distinguerait aisément les tubercules osseux ainsi mis à découvert, par suite de la per-foration de la peau, des masses tophacées blanches, de consis-tance crayeuse, composées en grande partie d'urate de soude, qu'on trouve au fond des ulcérations qui se produisent fréquem-ment au voisinage des jointures des mains chez les vieux gout-teux (p. 012-015).

Nodosités d'Heberden. — On trouve ici (1), comme dans les 1. Il s'agit des digitorum nodosi, d'Heberden.

deux autres formes du rhumatisme articulaire chronique, les altérations de l'arthrite sèche; c'est un fait dont je me suis assuré maintes fois par la dissection. Les cartilages diarthro-diaux subissent l'altération velvétique, puis ils disparaissent et l'on trouve à leur place une couche éburnée. Les surfaces articulaires s'élargissent dans tous les sens par suite de la for-mation d'ostéophytes qui reproduisent à peu près, en les exa-gérant, leur forme et leurs contours naturels. Les tumeurs pisiformes qu'on rencontre, suivant la description d'Heberden, au voisinage de la seconde articulation phalangienne, ne sont autres que les tubercules osseux qui existent normalement à l'extrémité inférieure de la deuxième phalange, du côté dorsal; seulement, le volume de ces tubercules s'est considérablement accru, par l'apposition de couches osseuses nouvelles. Il n'existe pas de traces de dépôts d'urate de soude, soit dans l'épaisseur des cartilages diarthrodiaux, soit au voisinage de la jointure, dans les parties molles (p. 616).

Artliriie sèche. — Le processus qui détermine les lésions dont il s'agit a pour caractère principal de donner naissance à des productions organisées nouvelles, telles que franges et villo-sités synoviales, corps étrangers articulaires, bourrelets osseux etc., pendant que d'un autre côté et simultanément, il raréfie les extrémités osseuses et tend à détruire les cartilages diar-throdiaux; de plus, à moins de circonstances étrangères, il n'aboutit jamais à la formation du pus. Ces caractères avaient été déjà parfaitement saisis par Lobstein, Colles et Adams; mais ils ont été particulièrement mis en lumière par MM, De-ville et Broca, dans leurs études sur l'arthrite sèche. Ces études ont été complétées, à certains égards, par les travaux de plu-sieurs médecins qui, à l'examen des lésions faites à l'œil nu, ont ajouté le contrôle des observations microscopiques. Parmi les travaux de ce genre nous citerons ceux de Redfern (Edimb, monthly Journal, 1849), H. Meyer Muller's Archiv, 1849), Zeis Nova acta acad. Leop. Carol., XXIII), C. 0. Weber (Virchow's Archiv., janvier 1838, p. 74), et ceux plus récents de MM. 0.

Ranvier (Thèses de Paris, 1865), Cornil (Traduction des Elé-ments de pathol, interne de Niemeyer, p. 556. t. II) et Vergely (/oc. cit.).

C'est par la surface du cartilage articulaire et par la mem-brane synoviale que les altérations paraissent débuter. Celle-ci devient rouge, vivement injectée, et de sa surface interne par-tent des prolongements villeux qui se terminent quelquefois par une petite masse arrondie supportée par un long pédicule. Dans l'épaisseur de quelques-unes de ces petites masses, on distingue, à l'aide du microscope, des cellules plus ou moins nombreuses qui ne diffèrent pas des cellules ordinaires du cartilage. C'est là le premier vestige, et pour ainsi dire, l'état embryonnaire des corps étrangers qui, plus tard, pourront ac-quérir un volume considérable, s'ossifier, perdre le pédicule qui les attache à la membrane synoviale et devenir ainsi libres dans la cavité articulaire.

La destruction du cartilage se fait suivant un mécanisme dont les diverses phases ont été minutieusement étudiées. Les chondroplastes s'hypertrophient et il se forme, dans leur inté-rieur, de nouvelles cellules cartilagineuses; en même temps la substance fondamentale homogène devient striée, se fen-dille, et se trouve enfin divisée en une infinité de ianières ou fibrilles dont l'ensemble rappelle la disposition des filsduvelours d'Utrecht. Rendues libres, par suite de cette désagrégation de la substance fondamentale, les capsules mères s'ouvrent et versent les cellules qu'elles renferment dans les sillons qui séparent les fibrilles. Celles-ci s'isolent de plus en plus, s'atro-phient et disparaissent; ou encore, elles se détachent complè-tement et tombent dans la cavité articulaire où elles subissent, comme les cellules, la dégénérescence granuleuse ou mu-queuse.

Mis à nu par suite de la destruction du cartilage d'encroûte-ment, l'os présente une surface lisse, luisante, comme éburnée; au-dessous, le tissu osseux paraît raréfié, friable, imbibé de sang. Mais en même temps, des végétations ou stalactites osseuses se sont formées au pourtour des têtes des os ou des cavités

de réception, dans le voisinage du cartilage diarthrodial. Ces productions adhèrent très intimement à l'os sur lequel elles sont comme greffées. D'abord molles, faciles à entamer par le scalpel, elles ont l'apparence cartilagineuse; plus tard, elles sont ossifiées, et alors, elles présentent une texture spongieuse et comme vermoulue. On a maintes fois constaté d'ailfeurs que les procédés suivant iesquels l'ossification s'opère dans ces stalactites ne diffèrent pas notabfement des procédés de l'état physiologique.

Ces altérations dont nous n'avons fait qu'indiquer les traits les plus généraux, sont communes aux diverses formes du rhu-matisme articulaire chronique. Seulement, souvent à peine accusées et comme à l'état rudimentaire dans le rhumatisme généralisé à évolution rapide, elles acquièrent parfois, dans ces formes lentes et particulièrement dans le rhumatisme partiel, une extension énorme. Il suffira de se reporter au chapitre VII (p. 243), pour reconnaître jusqu'à quel point elles diffèrent des lésions de l'arthropathie goutteuse (p. 618-621).

Rhumatisme noueux. Causes. — Une cause que les malades atteints de rhumatisme noueux accusent le plus souvent, c'est l'action prolongée du froid et de l'humidité combinés ; par exemple, le séjour habituel et de plusieurs années dans des chambres mal éclairées dont les murs laissent suinter l'eau. Ce genre de cause a été invoqué par les trois quarts environ des ma-lades questionnés à ce sujet par M. Trastour et par moi, à l'hos-pice de la Salpêtrière. Un fait intéressant, c'est que i'apparition de la maladie a lieu souvent plusieurs années après que les sujets ont cessé d'être soumis à cette influence (p. 625).

Arthrite rhumatoïde et scrofule. — La scrofule est un fonds sur lequel l'arthrite rhumatoïde se développe fréquemment ; il n'est pas rare de voir les malades, atteints des diverses formes de cette dernière affection, porter au cou des cicatrices caractéris-tiques. A fa Satpêtriôre, les femmes qui, par suite des difformités qu'occasionne le rhumatisme noueux, restent confinées au lit

Ciiakcot. Œuv. com. t. vu. Mal. des Vieillards. 36

pendant plusieurs années, succombent habituellement à la tuber-eulisation du poumon. Sur 119 sujets affectés de rhumatisme goutteux, M. Füller (loa.cit., p. 334) en a compté 23, environ 1 sur 5, ayant eu un frère, une sœur ou un ascendant direct, atteint de phthisie pulmonaire (p. 625).

Arthrite rhumatoïde et rhumatisme blennorrhagique. — Des exemples du même genre ont été rapportés par Broodhurst (Reynolds, System of clinical Mediane, t. I, p. 993. London, 1866), Trousseau (Cliniq médicale, t. III, p. 375), et Lorain (Union médicale, 25 décembre 1866, p. 617 ,648) (p. 626). (Voir p. 491).

Rhumatisme noueux et grossesse. — M. Todd (Pratical remarks on Gout, etc., p. 178) a rapporté plusieurs exemples de rhuma-tisme noueux développé pendant le cours d'une grossesse, j'ai rencontré des faits analogues. D'après mes observations, la maladie se prépare pendant la grossesse et éclate avec toute sois intensité peu après l'accouchement (p. 626).

Epoque d'apparition du rhumatisme art"u-uluire chronique chez la femme. — Il y a chez les femmes deux périodes de la vie où le rhumatisme articulaire chronique généralisé éclate de préfé-rence : la première de ces périodes s'étend de vingt à trente ans, la seconde de quarante à soixante ans. La maladie est rare chez les très jeunes sujets ; je l'ai cependant observée chez un gar-çon âgé de quatre ans et chez un autre garçon âgé de dix ans ; dans ces deux cas, elle présentait une intensité exceptionnelle et avait produit des déformations très prononcées. J'ai noté l'hérédité dans 11 cas sur 41. Il est certain que le rhumatisme noueux est beaucoup plus commun chez la femme que chez l'homme ; opposition bien tranchée avec ce que l'on sait de la goutte (p. 627).

Ressemblance des lésions dans les formes aiguës et chroniques du rhumatisme articulaire. — Suivant MM. Hasse (Zeilehr, für Ration, med., Bd. 5, p. 192), Kussmaul (Archiv, für Physiolog.

hfeilk XI, 4, 1852), et Gurlt (in Forster, Handb, der pathotog. Anal. Leipzig, 1803, p. 1000), te tissu des- extrémités articulaires des os subit, dans l'arthro-rhumatisme aigu, des altérations qui y révèlent l'existence d'un travail phlegmasique : MM. Olïivier et Ranvier (Compt. rend, de la Soc. de biolog., Paris, 1805-180(5, p. 201) ont tait voir, d'un autre côté, que dans cette même ma-ladie, les cartilages diarthrodiaux présentent souvent en plu-sieurs points l'hypertrophie des chondroplastes avec proliféra-tion des cellules et la segmentation de la substance fondamen-tale dont il a été question à propos des altérations produites par l'arthro-rhumatisme chronique (p. 020). Il y a donc lieu, même au point de vue des lésions anatomiques, d'établir un rappro-chement entre les formes chroniques et la forme aiguë du rhu-matisme articulaire (p. 029-030).

Rhumatisme noueux et migraine. — Il faut citer la migraine parmi les affections qui paraissent avoir une certaine relation avec le rhumatisme noueux; sur 30 femmes atteintes de cette dernière affection, 12 avaient éprouvé autrefois des migraines intenses. Presque toujours celles-ci disparaissent au moment où se déclare la maladie articulaire. La relation dont il s'agit avait été signalée déjà par M. le professeur Trousseau (Clin, méd., t. Iff, p. 302). La néphrite albumineuse n'est pas très rare dans les périodes avancées du rhumatisme articulaire chroni-que généralisé; mais elle est là beaucoup moins fréquente que dans la goutte chronique (p. 030).

Rhumatisme noueux et iritis. — J'ai vu trop souvent l'iriiis se développer chez des sujets atteints de rhumatisme noueux, et alterner avec les exacerbations des arthropathies, pour ne pas reconnaître qu'il existe entre ces deux affections une certaine connexité.

Sur les maladies de l'œil dans le rhumatisme articulaire chro-nique, consultez: Bennelt (Clinic. lectures, 2° édit. , 1858, p. 914),, Watson (On theprinciples, etc., t. I, p. 342), Fuiîer (On

gout, rheumat. goul., etc., 4856. p. 377, V Cornil (Mémoire sur les coïncidences, etc., loc. cit,) (p. 630-631).

Bons effets des alcalins à haute dose dans les formes aiguës, subai-guës et chroniques du rhumatisme. — Des observations cliniques assez nombreuses me portent au contraire à penser que l'emploi des alcalins à haute dose n'est pas applicable seulement à la for-me aiguë du rhumatisme articulaire. J'ai vu souvent l'adminis-tration journalière de 25 à 30 grammes de bicarbonate de soude, maintenue pendant plusieurs semaines, être suivie de bons effets dans la forme subaiguë de la maladie et aussi dans sa forme chronique généralisée, au moment de ces exacerbations mar-quées par un appareil fébrile quelquefois assez prononcé, qui semblent indiquer une tendance vers l'état aigu. Même dans les cas du dernier genre, malgré l'administration du bicarbonate de soude à doses aussi élevées et aussi longtemps maintenues,, je n'ai jamais vu survenir d'accidents capables d'inspirer la moindre inquiétude; et en particulier, je n'ai jamais observé que les malades présentassent des symptômes indiquant, soit une tendance aux hémorrhagies, soit une anémie profonde. Je n'ai jamais prescrit le bicarbonate de potasse en pareille cir-constance et j'ignore si son emploi serait aussi facilement sup-porté (p. 034).

Rhumatisme noueux et teinture d'iode.— Dans plusieurs cas de rhumatisme noueux, M. Lasègue a administré, avec succès, la teinture d'iode. La dose prescrite était élevée progressivement de 8 à 10 gouttes par jour à 5 à 0 grammes pendant le repas, en prenant pour excipient un peu d'eau sucrée ou, de préfé-rence, du vin d'Espagne. La médication doit être continuée pendant plusieurs mois. Sous son influence, il n'est jamais sur-venu aucun des accidents de l'intoxication iodique. (Archiv. génér. de médecine, 1850, t. II. p. 037.)

Emploi de l'arsenic. — L'emploi de l'arsenic à l'intérieur dans le rhumatisme articulaire chronique, a été surtout préco-

nisé, en Angleterre, par Jenkinson, Bardsley (Médical Reports, London 1807), Kellie (The Edinb. médical and surgic. Journal, 1808, t. IV), J. Begbie (id, , n° 35, Ma., 1858), Fuller(On rheu-matism, etc,, 2e édit. London, 1860, p. 362); en France, par MM. N. Guéneau de Mussy (Bullet. de thérapeutique, t. LXVII, 1864, p. 24) et Beau (Gaz. des hôpitaux, 19 juillet 1864). J'ai moi-même expérimenté cette médication sur une assez grande échelle à l'hospice de la Salpêtrière ; comme M. Garrod, j'ai vu l'arsenic produire quelquefois une amélioration notable et d'autres fois, échouer complètement. Il ne m'a pas été possible jusqu'ici de déterminer les conditions de la réussite ou celles de l'insuccès. Je crois pouvoir dire toutefois que l'arsenic reste sans effet ou se montre même nuisible, surtout dans les cas très invétérés de rhumatisme noueux et lorsque la maladie s'est déclarée dans un âge avancé. J'ai observé que l'un des premiers effets de l'emploi du médicament est souvent de réveiller les douleurs ou de les exaspérer dans les jointures principalement affectées. Les choses vont même quelquefois si loin, que la rou-geur et le gonflement se manifestent là où ils n'existaient pas et qu'on est obligé de suspendre momentanément le traitement. Mais, en général, la tolérance s'établit au bout de quelques jours, et l'on peut alors élever progressivement les doses. 11 y a, je crois, avantage à administrer l'arsenic sous forme de liqueur de Fowler à la dose de 2 à 6 gouttes, deux fois par jour et suivant la méthode anglaise, c'est-à-dire peu de temps après les repas (p. 638-639).

Nodosités d'Heberden, évolution. —Relativement aux nodosités d'Heberden, je puis ajouter, en me fondant sur mes propres observations, les détails quivont suivre: Ainsi que le fait remar-quer M. Garrod (p. 617), les arthrites se développent souvent, dans cette forme du rhumatisme articulaire chronique, sans occasionner d'autre inconvénient qu'un iéger sentiment de gêne dans les parties affectées. Cependant, de temps à autre, il se produit des espèces de paroxysmes pendant lesquels les join-tures deviennent douloureuses, chaudes, et paraissent tuméfiées

plus que de coutume, en même temps que la peau qui les recou-vre prend une coloration rouge plus ou moins prononcée. — Ces paroxysmes coexistent ou alternent souvent avec des dou-leurs musculaires rhumatoïdes, eten particulier avec le lumbago. — Certaines névralgies, et surtout la sciatique, la migraine, l'asthme catarrhal avec exacerbations périodiques, se rencon-trent assez fréquemment, chez les sujets qui portent les nodosi-tés dont il s'agit. — Il est parfaitement exact que ces nodosités constituent parfois une maladie de famille et qu'elles coïncident souvent, chez un même individu, avec l'arthrite rhumatoïde occupant une grande articulation, telle que celle de l'épaule ou de la hanche (morbus coxx saillis), par exemple. (Voyez pius haut p. 558.) (P. 656-657).

Coexistence de la lithiase biliaire, de la gravelle urique et de la goalie. —? L'observation clinique démontre que la lithiase bi-liaire coexiste assez fréquemment avec la gravelle urique et la goutte, Stockhardt (Decholejithis. Lipsia^, 1832) et Faber ont si-gnalé depuis longtemps la présence de l'acide urique dans cer-tains calculs biliaires ; Frerichs (Klinik der Leberkrankh., Bd. II, S. 174, Braunschweig, 1861) aurait rencontré un fait du même genre. Peut-être ces calculs provenaient-ils de sujets goutteux. On n'a pas oublié que dans les expériences de Zalesky, chez les animaux dont les uretères ont été liés, la bile est chargée d'urate de soude, qui, dans la vésicule du fiel, se sépare sous forme con-crète (note, page 329 du Traité de Garrod et p. 100 de ce volume).

— Sur la relation qui existe entre la lithiase biliaire et la goutte, consultez : Prout (lac. cit.) ; — G. Budd (On diseases of the liver. London, 1852, p. 360, 309) ; — Henoch (Klinik der Un-tenleibs-Krankheiten, 2° edit. Berlin, 1863, p. 170), ?— Harley (Jaundice, ils pathology, etc. London, 1863) ; — Willemin (Des coliques hépatiques, etc. Paris, 1802) (p. (559).

Tophus et calculs d'acide liihique. —« Je ne me rappelle pas », a dit Brodie, « avoir vu un seul goutteux atteint de concrétions arthritiques, communément appelées tophus, qui fut en même

temps sujet aux calculs d'acide lithique. Ces concrétions sont composées d'acide lithique combiné avec la soude ; et si cet acide est sécrété dans les articulations, il ne peut pas l'être dans les reins. » (Malnd. des organes urinaires, Paris, 1845, p. 278). (p. 661).

Néphrite goutteuse. — Les symptômes de la néphrite goutteuse se manifestent quelquefois de très bonne heure dans la goutte chronique d'emblée. Chez un malade dont l'histoire a été rap-portée par M. Traube (de Berlin), dans une de ses cliniques (Berliner klinisch. Wochenschr., 27 nov. 1865, u° 48), les signes de l'affection rénale ont été constatés un an à peine après les premières manifestations de la goutte articulaire. Un fait du même genre a été observé par M. Holland (Médical Notes, etc. London, 1839, p. 133). (p. 664).

Goutte et urémie. — Voyez la note page 524. L'indication de plusieurs exemples d'urémie observée chez des sujets goutteux a été donnée à la page 275 (voy. la note) ; un fait du même genre, remarquable à divers égards, se trouve consigné dans les Médical Notes and Jtcflections de H. Holland(loc. cit.) (p. 665.)

Goutte et diabète. — La notion d'une connexité plus ou moins étroite entre le diabète et la goutte ne semble guère remonter au delà d'une quarantaine d'années. Scudamore, loin de pressentir cette affinité, soutenait au contraire que les deux affections dont il s'agit se rattachent à des causes tout opposées. En 1828, un auteur allemand, Stosch (de Berlin), a signalé dans son Traité dudiabeteYexisten.ee d'un diabète métastatique survenant après la cessation de la goutte, et il cite à ce propos, deux observateurs anglais, Whytt et Fraser (W. von Stosch, Versuch einer Patholo-gie und Therapie des Diabetes mellitus. Berlin, 1828). — Quelques années plus tard dans sa Pathologie (t. VI, p. 607), Neumann mentionnait la goutte parmi les causes du diabète secondaire. — A une époque encore plus rapprochée, Prout faisait remarquer, en plusieurs endroits de son bel ouvrage (On the Nature and

Treatement of slomach and rénal Dlseases. 5e édit. London, 1844, p. 25, 32, 34, 211), qu'il n'est pas rare de voir coïncider le diabète, soit avec la gravelle urique, soit avec la goutte confir-mée ; en pareil cas, suivant lui, la glycosurie reste le plus sou-vent latente pendant longtemps, et elle n'est remarquée que lorsque les symptômes vulgaires du diabète, en particulier la polyurie, se sont ouvertement déclarés. — En France, M. Rayer a depuis longtemps appelé l'attention de ses élèves sur cette relation qui existe entre la gravelle urique, la goutte et le dia-bète. On peut consulter entre autres, à cet égard, la thèse de M. Contour (Paris, 1844, p. 49), et les leçons de M. Claude Ber-nard pour 1855. « Nous devons savoir reconnaître », dit l'émi-nent physiologiste, dans une de ses leçons, « ce qu'on pourrait appeler des diabètes alternants, c'est-à-dire des diabètes se suc-cédant par accès avec les symptômes d'une autre maladie, et particulièrement avec des accès de goutte ou de rhumatisme. On voit quelquefois des malades goutteux présenter tout à coup des symptômes diabétiques, et les urines se charger de sucre, c'est-à-dire la goutte se changer en un accès de diabète. M. Rayer cite un certain nombre de ces cas, et moi-même, j'en connais un qui est très caractérisé.» {.Leçons de physiologie expé-rimentale appliquée à la médecine, cours du semestre d'hiver 1854-1855. Paris, 1855, p. 429). M. Marchai (de Calvi) est revenu en 1856 (Union médicale, 1856, n° 29) sur cette question, dont il a bien compris toute l'importance et plus tard, il en a fait l'objet d'une étude suivie, dans ses remarquables Recherches sur les ac-cidents diabétiques (Paris, 1864, pp. 39, 46, 285, 409.)

D'après cet observateur distingué, il existe un diabète rele-vant de la diathèse urique ou de la goutte. Cette conclusion est conforme aux observations antérieures et à la réalité des cho-ses. Mais on pourrait peut-être reprocher à M. Marchai (de Calvi) d'avoir un peu trop étendu le domaine de cette forme de diabète et celui de la diathèse urique en général. Les re-marques qu'il présente à cet égard ne sauraient guère s'appli-quer qu'aux classes les plus favorisées de la société, du moins en France, Il existe un rapport entre le diabète et la goutte où

la gravelle urique, cela est incontestable; mais la fréquence de cette relation varie singulièrement suivant le terrain sur lequel on s'est placé pour observer les faits. Ainsi le profes-seur Griesinger, qui a étudié le diabète chez des sujets appar-tenant à toutes les classes, n'a rencontré que trois goutteux sur deux cent vingt-cinq diabétiques (Studien ùber Diabètes, in Ar-chiv. fur physiol. Heïlk., 1859, p. 16). Au contraire, le docteur Seegen, qui exerce la médecine aux eaux de Garlsbad, et dont les malades appartiennent par conséquent aux classes aisées, a rencontré trois cas de goutte sur trente et un cas de diabète. (Seegen, Beitràge zur Casuistik der Meliturie. — Virchow's Ar-chiv. Bd. XXI, Bd. XXX, 1804.)

Il est rare de voir la goutte ou la gravelle urique et le diabète confirmé coexister dans le même temps, chez le même sujet, mais ces deux affections alternent ou se succèdent. Il est de règle que la gravelle ou la goutte ouvrent la scène; puis en général, leurs symptômes s'effacent au moment où le diabète apparaît. M. Rayer avait déjà remarqué que la goutte se change en diabète et M. Garrod, dans un article récent a dit en propres termes : « Quand le diabète apparaît, la goutte cesse. » (Reynod's System of Médecine. London, 1866 t. I, p. 825.) — Le pronostic peut se montrer quelquefois aussi grave en pareil cas que lorsqu'il s'agit du diabète ordinaire ; la me-liturie goutteuse, en effet, elle aussi, provoque de temps à autre le développement des phlegmons de mauvaise nature, des acci-dents gangreneux, de la phtisie pulmonaire, etc. Je suis porté à croire cependant, d'après ce que j'ai observé, que cette forme du diabète se distingue le plus souvent par sa bénignité rela-tive ; le régime et l'emploi des amers, de l'iodure de fer, com-biné avec l'usage des eaux alcalines, en triomphent en général aisément. Je pourrais citer des faits dans lesquels la guérison obtenue par ce traitement a coïncidé manifestement avec le retour de la gravelle ou des accès de goutte. J'ai vu cepen-dant plusieurs fois les deux ordres] d'affection coexister sans s'amender mutuellement. Il est un fait d'un certain intérêt au point de vue pratique, et qui mérite d'être relevé particulière-

ment. La glycosurie urique ou goutteuse, suivant la remarque de Prout, reste souvent latente : il est donc important d'exami-ner de temps à autre les urines des sujets affectés de goutte ou de gravelle urique, afin d'y rechercher la présence du sucre.

On ne doit pas se borner à envisager les rapports entre la goutte et le diabète chez un même sujet; il faut les rechercher encore chez les divers membres d'une même famille. On peut voir un père goutteux et diabétique engendrer un fils qui pré-sentera seulement les symptômes de la goutte; j'ai rencontré un sujet goutteux dont le père, diabétique, n'avait jamais eu la goutte. J'ai observé la combinaison suivante : Père (brasseur et distillateur) diabétique, mort phtisique à l'âge de quarante-huit ans. — 1er fils (même profession) : Traces de scrofule; rhumatisme articulaire aigu vers l'âge de trente ans; obésité; diabète à l'âge de cinquante ans; il vit encore aujourd'hui. — 2e fils (même profession) : Accès de goutte depuis l'âge de vingt-cinq ans; obésité à trente-cinq ans, puis diabète. Mort à la suite d'une affection cérébrale. — 3e fils : Tempérament lym-phatique, goutte à trente ans; puis obésité; diabète. Mort à la suite d'un accident traumatique. — 4e fils : Excès alcooli-ques, obésité. Mort des suites d'une cirrhose du foie. — 5e fils : kératite scrofuleuse, goutte; obésité à trente-cinq ans; diabète. Mort phthisique à l'âge de quarante-huit ans. — 0e enfant, une fille : Quelques accès de douleurs articulaires vagues et siégeant dans la jointure métatarso-phalangienne des gros orteils. Obé-sité remarquable.

Il y a évidemment une corrélation plus ou moins intime entre ces divers états pathologiques se reproduisant ainsi, à divers degrés, chez tous les membres d'une même famille.

Voici l'indication de plusieurs faits relatifs au diabète urique ou goutteux. — Bence Jones (On intermitting Diabetes, and on Diabète of old âge, in Med. chir. Transactions, 1855, vol. XXXVI, p.403 : goutte, anthrax,diabète). — Billiard, de Corbigny (Gazette des hôpitaux, 1852, p. 212 : goutte, diabète, phtisie, fils gout-teux).— Kuchenmeister (Gunsburg's Zeit sehr., Bd. IV. p. 438) et Marchai (de Calvi), toc. cit., p. 147 : goutte, diabète, furoncles

gangreneux) ; - Marchai de Calvi (loc. cit., p. 134, fait de M. Mé-nestrel : goutte, diabète, phlegmon diffus). — Gharcot (Leçons-sur les maladies des vieillards, etc., 3P fascicule, Paris, 1807 : goutte, diabète; retour des accès de goutte après la cessation du diabète, (1) (p. 665-668).

Insuccès des opérations chez les goutteux. —? Les opérations, celle de la cataracte, par exemple, réussissent mal chez les gout-teux, suivant W. Budd (Library of medieine, t. V, p. 213); les phlegmasies prennent souvent chez eux, d'après Prout, un ca-ractère adynamique. Il s'agit ici surtout de sujets atteints de goutte chronique et cachectiques. Dans ces mêmes circonstan-ces, les pyrexies présentent une gravité exceptionnelle. Le ty-phus, en particulier, serait constamment mortel, d'après Bchmitdmann (Observât., t. III, p. 379) et Murchison (A Treatise on continuée Levers, etc. London, 1862t p. 227). La syphilis, au dire de S. Wels (Practic ? Observations on Goût, London, 1834, p. 87^) est grave chez les sujets atteints de goutte ; elle prend volontiers le caractère scorbutique.

Lorsque la goutte est récente et qu'il n'existe pas d'état ca-chectique, les maladies intercurrentes sont loin de prendre aussi habituellement une tournure grave, et les choses se pas-sent à peu près comme dans les conditions ordinaires. On peut consulter à ce propos plusieurs faits rassemblés par Scudamore dans son Traité de la goutte (p. 677).

Ligature des uretères. — Sur la ligature des uretères chez les oi-seaux. — Galvani avait déjà pratiqué la ligature des uretères chez les oiseaux, et remarqué quelques-unes des altérations vis-cérales qui sont la conséquence de cette opération. C'est ce dont témoigne le passage suivant, rappelé par E. du Bois Reymond dans les ArcJriv. von Reichert (1863, p. 408), à propos des re-cherches de M. Zaleski : « Devinxi... uretères vivente pullo (in « quocl in volatilibus actu lilo instructo post anum profonde ex

1. Ces leçons forment la première partie de ce volume.

» una parte ad alteram trajecto, indeque nodulo quiaquid intra » fili capita reperitur, arctissime devincto haud difficile, et abs-» que ulla sectione obtinetur). Ea spe ductus, ut cum vinculo » urinas cohiberetur ex ureteribus effluxus, urina ipsa alba in » volatilibus, atque ad concrescenclum adeo apta, in minimis » usque excretoriis ductibus congesta, atque concreta qua^si-» tam renum structuram patefaceret. Paucis post cliebus, pul-» lus periit ; qui celer interitus in singulis, in quibus deinceps » idem periculum cepimus, semper evenit.

» Ejus cadavere dissecto, alba terrestris materies conspici-» tur, quse omnes ferme partes coinquinat, atque membranas » potissimum, inter quas prsesertim pericardium, quod gyp-» seum evasisse videtur atque extima hepatis membrana. Re-» nes vix a naturali magnitudine recedunt, ad lobos prse se » ferunt alba materie repletos, quam, non est dubitandum, » urinœ fuisse crassiorem solidioremque partem. » Opere edite ed inedite del professore Luigi Galvani. Bologna, 1841; 4,p. 15, p. 684-685).

CINQUIÈME PARTIE

Varia.

VÀRIA

I.

Sur l'ostéomalacie senile ».

11 se produit assez fréquemment chez les vieillards une ra-réfaction du tissu osseux qui porte plus particulièrement sur les côtes, la colonne vertébrale et les os du bassin. On trouve presque toujours à l'autopsie de ces sujets, de nombreuses fractures de côtes, les une récentes, les autres anciennes, con-solidées avec ou sans déplacement. Cet état morbide se traduit habituellement, pendant la vie, par un ensemble de symptômes qui permet d'en établir le diagnostic. Les malades éprouvent des douleurs souvent très vives sous l'influence des moindres mouvements, et bientôt, dans les cas intenses, il se condam-nent à un repos absolu. Confinés au lit, ils redoutent tout dé-placement, tout contact, et emploient toute leur attention à éviter ces causes d'aggravation de leurs souffrances. Une pres-sion, même légère, exercée sur les côtes, les os du bassin, les extrémités épiphysaires des os longs, provoque des dou-leurs. A ces symptômes se joignent quelquefois des contrac-tures permanentes, siégeant dans divers muscles du tronc ou des membres.

1. En commun avec M. Vcjuman. Cette note, tirée de l'Expose? de (¿1res de M. Cliarcot, résume diverses communications Faites k la 8o jiéié de Biohf/ie, en 1863 et 1864, qui n'ont pas été publiées (Bj.

11.

Du tremblement senile.

Contrairement à l'opinion vulgaire, partagée du reste par quelques médecins, le tremblement sénile n'est pas commun. Une visite régulière, faite l'an dernier par M. Charcot dans tous les dortoirs de la Salpêtrière, consacrée, on le sait, pour une large part aux vieillards, lui en avait procuré une dizaine de cas; une visite analogue, faite cette année, a été moins fructueuse, car elle n'a fourni que les cinq vieilles femmes que M. Charcot a placées sous les yeux de ses auditeurs.

Souvent, dit-il, les littérateurs dramatiques ont dépeint daus leurs comédies les vieillards tremblant à l'excès de la tête et des membres. C'est là une erreur que Shakespeare, obser-vateur aussi scrupuleux que grandpoëte, a su éviter. Et, pour apporter la conviction dans les esprits, M. Charcot cite quel-ques passages empruntés à plusieurs des drames de l'immor-tel poëte anglais.

Le premier est tiré du drame intitulé Henri IV. Dans la se-conde scène du premier acte, le juge gourmande Falstaff pour avoir corrompu le prince de Galles. Falstaff, un instant, fait le jeune, ce qui mène le juge à lui répliquer dans les termes que voici :

« Osez-vous encore, dit-il, vous appeler un jeune homme ? N'avez-vous pas l'œil larmoyant, la main sèche, le visage jaune, la barbe blanche, une jambe amaigrie, un ventre qui grossit?

N'avez-vous pas la voix cassée, le menton épais, l'esprit mince ? Enfin, tout n'est-il pas ravagé par la vieillesse, etc., etc.

Comme on le voit, il n'est pas du tout question ici du trem-blement. Dans la pièce « Comme il vous plaira » un des per-sonnages de Shakespeare, Jacques compare, on s'en souvient le monde à un théâtre. Les hommes et les femmes sont les acteurs. Les actes de la pièce répondent à sept âges ; le sixième à la première vieillesse ; le septième à l'extrême vieillesse « qui vient finir cette histoire pleine d'étranges événements. C'est la deuxième enfance, état d'oubli profond ou l'homme est sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien. » 11 n'est fait dans ce passage, de même que dans le précé-dent, aucune mention du tremblement. Ce n'est pas d'ailleurs seidement sur ce point des choses de la médecine que Sha-kespeare s'est montré un peintre fidèle, mais sur bien d'au-tres, assez nombreux pour qu'un médecin anglais, le Dr J. C. Bucknill ait pu en faire un livre plein d'enseignements même pour les gens du métier (1).

Si nous passons maintenant en revue les opinions des médecins, nous constatons qu'un certain nombre d'entre eux ont adopté le préjugé des gens du monde. Parlant des modi-fications qui surviennent du côté du système musculaire dans la vieillesse, L. Fleury dit « que l'on observe souvent le tremblement sénile (2). » Dans un article consacré au trem-blement (3), nous lisons que « l'affaiblissement des parties qui en est le résultat (de la vieillesse) dorme presque constam-ment lieu au tremblement » et qu' « il est rare de voir un vieillard qui ne tremble pets. »

Toutefois, il est juste de reconnaître que beaucoup de mé-

1. The médical Knowledge of Shakespeare. London, 1860.

2. Cours d'hygiène, t. II, p. 306.

3. Ancien Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. 1821. Charcot. OEuvr. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 3?

decins n'ont pas indiqué le tremblement parmi les phéno-mènes qui caractérisent la vieillesse et parmi eux se rangent tous les écrivains qui se sont occupés spécialement des ma-ladies de l'âge avancé. M. Charcot cite plus spécialement Day, Durand-Fardel, Malcomson, Geist et Bibra : ces auteurs ne décrivent même pas le tremblement sénile, à titre d'état pathologique. Quelques cliniciens, du reste, ont protesté autrement que par le silence, tel est entre autres, Trous-seau.

On a coutume, écrit-il, de dire que cet espèce de tremblement est un effet de la faiblesse que l'âge avancé entraîne avec lui ; mais, si le fait est vrai en quelque cas, il ne l'est plus d'une ma-nière générale. D'une part, en effet, ce tremblement ne s'observe pas nécessairement chez tous les vieillards, même très-avancés en âge ; d'autre part, il se rencontre assez fréquemment chez des sujets dans l'âge mûr et même chez des adolescents (1).

Ainsi que le lait remarquer M. Charcot, le tremblement dit sénile n'est pas la seule affection que l'on ait considérée alors comme un apanage de la vieillesse. Le niorbus coxœ senilis, la gangrène par oblitération artérielle et dite sénile ne se voient pas à la Salpêtriôre aussi fréquemment qu'on pourrait le croire, d'après le préjugé vulgaire.

Un simple coup d'œil jeté sur cinq vieilles femmes que M. Charcot a montrées à ses auditeurs permet de voir en quoi consiste surtout le tremblement sénile. C'est principa-lement la tête qui est intéressée. Les mouvements dont elle est animée sont variables ; les vieillards exécutent sans cesse tantôt les mouvements qui répondent à l'affirmation (flexion de la tête, puis extension), ou à la négation (mouvements de latéralité), tantôt et alternativement l'un ou l'autre de ces

1. Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu de Paris, 4e édition, t. IL, p. 280,

mouvements. Dans chacune de ces variétés, il existe une certaine uniformité, les mouvements qui la caractérisent se reproduisant à peu près dans un ordre régulier.

M. Charcot signale ensuite une autre variété, celle-là un peu plus complexe. Outre le tremblement de la tête, on note une trômulation intéressant la lèvre inférieure et le menton qui est branlant. C'est ce que les enfants, cpii se moquent des vieillards, — cet âge est sans pitié, — appellent « faire la bouche de lapin » pour employer les expressions même de l'une des malades.

Le tremblement envahit quelquefois les mains. Pourtant, nous le répétons, c'est à la tête qu'il prédomine; il n'est pas spécial aux personnes âgées,puisqu'on l'observe parfois, avec tous ses caractères, ainsi que l'ont noté divers auteurs et nous-même, chez des individus qui sont encore jeunes ; diverses circonstances et principalement les contrariétés, les émotions, donnent lieu à des exacerbations de ce trem-blement.

Il importe de ne pas confondre le tremblement sénile avec les spasmes rhythmés des muscles du cou, lesquels éclatent dans les mêmes conditions que le tremblement sénile. En pareille occurrence, la tête tourne toujours de gauche à droite ou de droite à gauche. Ces spasmes, dont notre maître a fait voir un curieux exemple l'an dernier, diffèrent du tremble-ment sénile en particulier, parce cpie celui-ci est plus rapide, moins régulier, se complique fréquemment soit de mouve-ments alternatifs de flexion et d'extension, soit de mouve-ments de la mâchoire inférieure.

Le tremblement sénile succède souvent à des émotions morales et se développent subitement. Afin qu'on puisse mieux se rendre compte de la vérité du tableau tracé par M. Charcot et que nous avons essayé de reproduire fidèlement, au moins dans ses principaux traits, nous allons résumer en quelques

mots les observations des malades que M. Charcot a présen-tées.

Cas I. — Mag..., 70 ans : tremblement prédominant à la tête, ayant débuté subitement pendant la guerre, consécutivement à une peur causée par la vue d'un grand nombre de fédérés que l'on fusillait sous ses fenêtres. Les mains sautent parfois quand elle travaille à la couture ; quelquefois les jambes et le tronc tremblent.

Cas II. — Ki..., 68 ans : tremblement de la tête surtout et du bras droit, survenu en 1871, à la suite d'une frayeur causée par la vue d'une « bombe » qui tua 5 ou 6 personnes en écla-tant. Le tremblement se compose de mouvements de latéralité, de flexion et d'extension de la tête.

CasIII.—Men...,82 ans : tremblement intéressant principale-ment la mâchoire inférieure. Cette femme prétend que sa mala-die s'est développée brusquement, après une émotion vive occasionnée, pendant la guerre, par la mort d'un de ses neveux qu'elle vit tuer sous ses yeux. Aussitôt elle fut prise d'un trem-blement général et tomba dans une sorte de léthargie. Lors-qu'elle revint à elle, le tremblement avait diminué, et s'était circonscrit. Peu à peu, depuis lors, il est devenu plus intense. Les contrariétés l'augmentent. La langue est respectée, la parole normale. Il y a, chez cette femme, un léger tremblement des pouces qui l'empêche d'enfiler son aiguille. Elle tremble plus de la main droite que de fa gauche. Rien du côté des jambes.

CasIV. —Blon..., 71 ans : tremblement limité à la tête qui fait alternativement oui et non. Ce tremblement a paru en 1869, à la suite d'une peur déterminée par un accident de voiture : elle faillit être écrasée. Quinze jours après, son mari s'aperçut de son tremblement : « On dirait, faisait-il remarquer/que tu dis toujours oui. » Quant à elle, elle ne s'était aperçu de rien. Le tremblement s'est aggravé progressivement et davantage de-

puis qu'elle est à la Salpêtrière. Pas de tremblement des mains ou de la mâchoire (1).

Cas V. —Pot..., 84ans : tremblement delà tête, sans partici-pation de la mâchoire inférieure. Les mains sont libres. La ma-lade est encore capable de coudre ; quelquefois pourtant, elle ressent de petites secousses et se pique les doigts. Le tremble-ment a débuté il y a une vingtaine d'années.

Pour terminer cette esquisse du tremblement sénile, nous dirons que, jusqu'ici Vanatomie pathologique n'a rien appris sur son compte ; nous ne connaissons pas son substratum ana-tomique. Quant au traitement, on peut avouer également qu'il est demeuré toujours impuissant (2).

1. Lorsque ces malades écrivent, elles appuient fortement; les traits sont larges, épais. Veulent-elles tracer une ligne droite, joindre un point à un autre, il y a de temps en temps un petit crochet et plus le tremblement est prononcé, plus nombreux sont les crochets.

2. Leçon résumée par Bourneville et publiée dans le Progrès Médical, 1876, p. 816.

III.

De la chorée vulgaire chez les vieillards.

Après avoir décrit la chorée rhythmigue hystérique, dans une leçon que nous avons rapportée tout au long (1), M.Char-cot a entretenu ses auditeurs de la chorée vulgaire chez les vieillards. Nous allons résumer ici les principaux traits de sa conférence.

La chorée, chez le vieillard, ne diffère pas essentiellement de la chorée vulgaire, la chorée de Sydenham ; c'est, en un mot, le pendant de celle qu'on observe si communément chez les enfants. En passant en revue tous les vieillards de la Sal-petrière, M. Charcot n'a pu réunir que deux malades : Alten... et Cour... Un premier fait paraît donc acquis : la rareté de la chorée dans la vieillesse. Rien, par conséquent, d'étonnant que les auteurs qui se sont occupés de pathologie sénile n'en parlent pas. Parmi les faits disséminés dans la science, M. Charcot cite celui d'une femme de 83 ans, consigné par M. Roger ; celui d'un malade de M. G. Sée, âgé de 59 ans ; enfin une observation de Graves, concernant un homme de 70 ans.

La chorée vulgaire est-elle modifiée en quelque façon dans sa forme, lorsqu'elle est transplantée chez le vieillard ? Non, du moins, en rien d'essentiel. Tout ce qu'il est possible de

1. Cette leçon fait partie du premier volume des Œuvres complètes de M. Charcot (p. 386.)

relever, c'est la lenteur relative des mouvements, la variété peut-être moins grande des grimaces, la marche essentielle-ment chronique. Alten... a 71 ans; la chorée a débuté il y a 12 ans. — Cour... a le même âge ; la chorée a paru à 60 ans. — Ces deux exemples mettent hors de doute la longue durée de la chorée chez les personnes avancées en âge.

Le pronostic, en général, n'est pas grave, en ce sens que la vie n'est pas compromise ; mais il l'est en ce sens que la maladie est incurable. M. Charcot déclare n'avoir vu signalé aucun cas de guérison. Il ne faudrait pas croire non plus que toujours le pronostic soit relativement bénin. M. Charcot a vu une vieille femme, dont les mouvements étaient excessivement exagérés, succomber dans un état typhoïde avec une élévation notable de la température centrale. — Dans un autre cas, bien que les mouvements fussent circonscrits à une moitié du corps et comparativement modérés, la maladie a été grave dès le début. Elle s'est compliquée d'un délire maniaque, et la mort a eu lieu également avec une élévation brusque de la tempé-rature. La plupart des vieillards affectés de chorée ont paru à M. Charcot, être dans un état de démence plus ou moins prononcé.

Uétiologie semble différer quelque peu de l'étiologie de la chorée des enfants. Chez les vieillards, il ne paraît pas y avoir de relation entre la chorée et le rhumatisme. On ne rencontre non plus chez les vieilles choréiques aucune des formes du rhumatisme articulaire chronique, qui s'observent si fréquem-ment dans les hospices. Enfin, dans les autopsies qu'il a pra-tiquées, M. Charcot n'a pas constaté de lésions du cœur.

La chorée, chez le vieillard, paraît être une maladie émo-tionnelle, comme le sont tant d'autres névroses du genre des chorées. Chez Cour.., la chorée est survenue « à la suite de

choses dont je ne saurais parler, dit la malade, sans verser des larmes. » — Chez Alt... la chorée est survenue dans les conditions suivantes : Son mari, aliéné, était à Bicêtre depuis plusieurs années ; elle avait l'habitude d'aller lui rendre visite toutes les semaines, parce qu'elle l'aimait beaucoup. Un dimanche, en arrivant à l'hospice, elle apprend que son mari a été transféré en province. Elle en éprouva un vif chagrin et quelques jours après la chorée débutait.

Tout récemment, M. Charcot a observé un cas de chorée chez un homme âgé. Elle s'est développée, il y a dix ans, dans les circonstances suivantes : Cet homme, qui est proprié-taire, eut une violente discussion avec un de ses locataires ; deux heures après, la chorée débutait par les membres supé-rieurs. Elle se généralisa en quelques jours. Pendant deux années, les mouvements ont été si violents que tout sommeil était impossible. Aujourd'hui, ils sont moins forts, mais on observe, en outre, une anesthésie avec parésie du côté droit. L'emploi, à dose élevée, du bromure de potassium, chez cet homme, n'a procuré qu'un peu d'amendement.

M. Charcot a insisté ensuite sur la nécessité de ne pas con-fondre la chorée vulgaire chez les vieillards, avec un autre état pathologique qu'on désigne quelquefois sous le nom de chorée sénile et qui n'est autre chose que le tremblement sénile. ( Voir p. 576 ). M. Charcot fait voir plusieurs malades atteintes de ce tremblement et signale les différences qu'il y a entre la chorée vulgaire et le tremblement sénile (1).

1. Leçon résumée par Bourneville et publiée dans le Progrès médical, 1878, n° 10, p. 177.

PLANCHES

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE I.

Fis. 1. — Main droite d'un homme de soixante-neuf ans, atteint de la goutte, depuis l'âge de trente-deux ans. — Un tophus volumineux se voit à la base de l'index au niveau de l'articulation métacarpo-phalangienne. Un autre tophus, moins volumineux que le précédent, existe à la base du médius. Cet homme porte sur les oreilles externes de nombreuses concrétions d'urate de soude.

Fig. 2. — Main gauche d'une femme de quatre-vingt-quatre ans, goutteuse, morte à l'hospice de la Salpêtrière, en 1863. — Les deux mains étaient affec-tées symétriquement et au même degré ; il n'existait au voisinage des jointures aucune apparence de tumeurs tophacées. On trouve ici l'exacte repro-duction de l'un des types de difformités des extrémités supérieures observées le plus fréquemment dans le rhumatisme articulaire chronique progressif. —

Les cartilagesdiarthrodiaux des articulations métacarpo-phalangiennes étaient incrustés d'urate de soude. En outre, sur la face dorsale des têtes métacar-piennes, existaient des dépôts tophacés, qui, placés immédiatement sous la peau et pressés contre les extrémités osseuses, s'étaient aplatis et ne formaient pas, sur le dos de la main, de saillie appréciable ; de telle sorte, qu'avant la dissection leur existence ne pouvait pas être reconnue.

Fro. 3, 4, 5, 6. — Ces figures sont relatives à l'anatomie des nodosités d'He-berden. On voit, figure 3, la seconde articulation phalangienne déformée, re-couverte encore par les parties molles. Les saillies pisiformes décrites par Heberden sont bien accusées.—La figure 4 montre les extrémités osseuses mises à nu par la dissection ; les surfaces articulaires élargies dans tous les sens, par suite de la formation d'ostéophytes. — Figure 5, la même prépa-ration vue de côté. — Comparez la figure 4 à la figure 6 qui représente l'état normal.

^-^TTTc^rv^T-x . _ VA.UVJC5 ÑÎÏ1 u leieS

lome VU : Fi. i

PLANCHE II

Pig. i et 2. — Déformations des mains dans le rhumatisme articulaire chro-nique généralisé. Les caractères du premier type sont bien accusés dans la figure 2. — La figure 1 donne une bonne idée des déformations du second type.

Pig. 3. Altérations de la valvule mitrale dans un cas de rhumatisme arti-culaire chronique primitif généralisé.

2:

P. Lackerbauer et Charcot ad nat del.

Imp Becquet à Paris

PLANCHE III.

Fig. 1. — Néphrite goutteuse. — Segment de coupe du rein grossi deux fois à la loupe : les lignes blanches d'aspect crayeux A, sont des dépôts d'urate de soude occupant la substance tubuleusc, qui sont représentés à un grossis-sement de 150 diamètres dans la figure 3.

Fig. 2. — Tube urinifère contourné de la substance corticale, dont les cel-lules épithéliales B, grosses et d'apparence trouble, sont en outre remplies de granulations graisseuses (grossissement, 300 diamètres).

Fig. 3. — Cristaux d'urate de soude D, formant le dépôt visible à l'œil nu re-présenté en A, figure 1. (Coupe de la substance tubuleusc grossie 150 fois.)

Fig. 4. — Cette figure est relative à une période de la dissolution de ces dépôts, sous l'influence de l'acide acétique. Les cristaux libres sont dissous, et il ne reste plus qu'un dépôt amorphe E, dont la dissolution se continue len-tement. On voit très clairement alors qu'une partie de ce dépôt siège dans l'intérieur des tubes urinifères G ( coupe du rein vue à un grossissement de 200 diamètres).

Fig. 5. — Franges synoviales de l'articulation du genou couvertes de leur épithélium, et présentant en M un dépôt d'urate de soude généralement amorphe. — N. B. Ces diverses préparations proviennent d'une femme gout-teuse de quatre-vingt-quatre ans, morte à la Salpôtrière en 1863, et dont la main gauche est représentée dans la planche I, figure 2.

Fig 6. — Oreille gauche du nommé I. M..., ancien cocher, né en Pologne en 1807, et chez qui le premier accès de goutte s'est déclaré à l'âge de vingt-cinq ans. (Hôpital Rothschild, service de M. le Dr Worms).

h, h, li. Concrétions volumineuses d'urate de soude. — Ces tophus, au dire du malade, auraient commencé à paraître trois ans après le premier accès de goutte articulaire.

PL. III

Lornil et Charcot del.

Imp Becifuef.Paris.

T.Lackevba.uer h'lh.

PLANCHE IV

FiG. 2, 4. — Déformations articulaires du deuxième type. Fig. 1, 3. — Déformations articulaires du premier type. Fig. 5. — Déformations articulaires du premier type. Fig. 6. — Main atteinte de nodosités d'Heberden. Fig. 7. — Doigt atteint de nodosités d'Heberden.

CHARCOT. - Oeuvres Complètes

Toms VII • Pl.1V.

Lecrcsnier et Babé, Editeurs, Paris.

IMP MOHPOCO

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

Maladies des Vieillards.

Avis de l'éditeur................... .......................

Préface de l'auteur.............................................. n

Introduction.................................................... m

La médecine empirique et la médecine scientifique ; parallèle entre les anciens et les modernes.........................................

PREMIÈRE LEÇON

caractères généraux de la pathologie senile.

Pages

But de ces conférences. — Organisation de la Salpctrière au point de vue médical. — Maladies chroniques ; maladies des vieillards. — Histo-rique de la pathologie sénile. — Physiologie de la vieillesse. — Altéra-tions anatomiques des organes et des tissus. —Elles peuvent se résumer toutes en un seul mot : Yatrophie. — Exception pour le cœur et les reins. — Troubles divers qui résultent de ces modifications de struc-ture. — Certaines fonctions se trouvent amoindries chez le vieillard , d'autres sont conservées. — Immunités pathologiques de la vieillesse : cachet particulier qu'elle imprime à la plupart des maladies........ 1

DEUXIÈME LEÇON

de l'état fébrile chez les vieillards.

Défaut de réaction dans l'âge sénile. — Les organes semblent souffrir isolément. — Maladies latentes. Les lésions les plus graves peuvent Charcot. Œuvr. compl. t. vu. Malad. des Vieillards. 38

passer inaperçues. — Fièvre chez les vieillards. — Qu'est-ce que la fièvre ? — Importance de la thermométrie clinique. — Du frisson chez les vieillards. — Courbes de température dans la pneumonie lobaire. -Déductions pratiques que l'on peut en tirer. — Défervescences, crises, perturbations critiques. — Maladies dans lesquelles la température s'a-baisse au lieu de s'élever........................... 19

TROISIÈME LEÇON

. du rhumatisme noueux et de la goutte. — hématologie pathologique de la goutte.

Fréquence du rhumatisme articulaire chronique à la Salpètrière. — Ses ressemblances avec la goutte. — Doctrine de l'identité : silence des médecins de l'antiquité à cet égard. —Nécessité d'entreprendre l'étude préalable de la goutte avant celle du rhumatisme chronique. — Dia-thèse goutteuse : ses caractères généraux. — Goutte régulière, irrégu-lière : goutte aiguë, goutte chronique. — Hématologie pathologique de cette affection. — Les tophus de la goutte sont composés d'urate de soude. — L'acide urique existe à l'état normal dans le sang. — Il se trouve en excès dans le sang des goutteux. — Procédé du fil. — L'acide urique n'existe pas en excès dans le sang des rhumatisants. La goutte n'est pas la seule maladie qui coïncide avec cette altération. — Modifica-tions accessoires dans la composition du sang, chez les goutteux. — Etat des urines dans la goutte aiguë, pendant l'accès et dans l'intervalle des accès : dans la goutte chronique...................... oi

QUATRIÈME LEÇON

axatomie pathologique de la goutte.

Altérations locales de la goutte. Etat des articulations. Cartilage diarthro-dial. — Les dépôts d'urate de soude occupent de préférence les tissus privés de vaisseaux. —Etat de la synoviale et des ligaments. — Tophus.

— Leur composition.— Phénomènes inflammatoires.— Arthrite sèche.

— Ankylosc. — Lieu d'élection de la goutte : articulations qu'elle peut envahir. — Concrétions tophacées péri-articulaires. — Concrétions dans l'épaisseur du derme. — Tophus de l'oreille externe. — Enumération

des points principaux où des tophus peuvent se former.......... 54

CINQUIÈME LEÇON

anatomie pathologique de la goutte viscérale.

Goutte remontée ; lésions fonctionnelles de la goutte. — Elles se ratta-chaient, dans la plupart des cas où l'autopsie a pu être pratiquée, à des altérations matérielles. — Lésions organiques qui se rencontrent le plus souvent dans les viscères chez les goutteux. — Dégénérescence graisseuse du cœur. — Athérome de l'aorte. —Lésions bronchiques. — Néphrite goutteuse. — Elle comprend deux espèces bien distinctes. — Goutte du rein. — Rein goutteux des Anglais : lésions qui correspondent à cette désignation. — Dépôt d'urate de soude. — Maladie de Bright.

— Néphrite interstitielle.

Altérations analogues à celles de la gouttp, chez les animaux. — N'exis-tent point chez les mammifères. — Se rencontrent chez certains oiseaux.

— Lésions du même genre chez les reptiles. —Expériences de Zalesky.

— Conséquences de la ligature des uretères chez les animaux...... 64

SIXIÈME LEÇON

sémèiologie de la goutte. — diathèse urique. — goutte aiguë.

goutte chronique. f

Deux formes principales de la goutte ; goutte aiguë, goutte chronique. — La goutte est toujours au fond une maladie chronique ; mais l'accès aigu a une physionomie bien différente de l'état permanent. — Diathèse urique. Ensemble symptomatique qui la caractérise. — Sécrétion urinaire moins abondante et plus riche en matériaux solides. — Gravelle microsco-pique. — Goutte aiguë. — Prodromes. —Invasion des douleurs articu-laires. — Symptômes généraux. — Caractères principaux de la goutte aiguë. — Phénomènes consécutifs. — Déviations du type régulier. — Goutte aiguë généralisée. — Goutte molle ou asthénique. — Retour des accès. —Transformation insensible de la goutte aiguë en goutte chro-nique. — Cachexie goutteuse. — Gravité des affections intercurrentes.— Goutte chronique succédant à la goutte aiguë. — Goutte chronique d'em-blée. — Evolution des tophus.........•............... 73

SEPTIÈME LEÇON

symptomatologie de la goutte viscérale.

Prédilection des anciens pour l'étude des métamorphoses pathologiques. Importance de la goutte larvée à ce point de vue. — Scepticisme des

modernes. —Définition de la goutte viscérale. — Troubles fonctionnels: lésions organiques. — Goutte larvée ; mal placée ; rétrocédée ; remon-tée. — La goutte viscérale peut-elle exister indépendamment de toute affection articulaire ? — Affections du tube digestif. — Spasme de l'œso-phage. — Dyspepsie, cardialgic, gastrite goutteuse. — Manifestations hépatiques de la goutte. — Appareil circulatoire: lésions du cœur et des vaisseaux. — Mort subite. —Manifestations cérébrales de la goutte. Son influence sur les maladies de l'axe médullaire n'est pas encore bien démontrée. Appareil respiratoire : asthme goutteux. —Voies urinaires : souvent affectées dans la goutte. — Troubles fonctionnels du rein. — Néphrite goutteuse. — Indication de quelques autres affections abarti-culaires qui se rattachent à la goutte..................... 87

HUITIÈME LEÇON

AFFECTIONS CONCOMITANTES DE LA GOUTTE.

Accidents qui paraissent liés à la diathèse goutteuse. — Anthrax urique.

— Phlegmons et érysipèlesde mauvaise nature. — Gangrène sèche. Affections intercurrentes dans la goutte. — Traumatisme, phlegmasies.

thyphus, syphilis, etc. — Marche des inflammations chez les goutteux non cachectiques. — Goutte critique. Action des médicaments, plomb, mercure, opium, etc. Affections concomitantes de la goutte.— Ses affinités avec le diabète.

— Fréquence plus oumoins grande de cette relation.—Le diabète, l'obé-sité et la goutte se rencontrent souvent, sinon chez le même individu, du moins chez des sujets appartenant à la même famille. — Observations à l'appui. — Conséquences pratiques. — Gravelle. — Concrétions uri-naires. — Acide urique, acide oxalique. — La formation d'un sédiment urique ne prouve pas toujours que l'excrétion de cet acide soit augmen-tée. — La gravelle se rattache quelquefois âla présence d'un excès d'a-cide urique dans le sang. — Corrélation réelle ou supposée entre la goutte, la scrofule et la phtisie ; entre la goutte et le cancer ; entre la goutte pf le rhumatisme............................. 110

NEUVIÈME LEÇON

ÉTIOLOGIE DE LA GOUTTE.

Etude des conditions qui président au développement de la goutte. —Mé-thode qu'il convient de suivre dans les recherches de ce genre. — In-convénients de l'intervention prématurée des théories chimiques et

physiologiques. — Nécessité de séparer les faits acquis des hypothèses qu'on cherche à leur appliquer.

Pathologie historique de la goutte. — Antiquité de cette maladie. — Auteurs qui en ont signalé l'existence.—Diminution actuelle delà goutte.

— Permanence de ses caractères. — Modifications survenues dans nos habitudes hygiéniques et leurs conséquences probables.

Géographie médicale de la goutte. — Elle réside surtout en Angle-terre et à Londres. — Se rencontre cependant, à un moindre degré dans quelques autre pays. — Disparaît presque complètement dans les pays chauds.

Etude analytique des causes de la goutte. — Causes individuelles : Spontanéité. — Hérédité. — Sexe. — Age. — Tempérament, constitu-tion. — Causes hygiéniques : Climats. — Alimentation excessive, défaut d'exercice. — Travaux intellectuels. — Excès vénériens. — Boissons fermentées : aie, porter, vins, cidre. — Causes excitantes. —Appendice.

— Des bières anglaises.............................. 12?

DIXIÈME LEÇON

pathologie de la goutte.

Théorie rationnelle de la goutte. — Elle ne peut guère être formulée dans l'état actuel de la science. — Cullen. — Découverte de l'acide lithique (acide urique). — Influence de cette donnée sur les travaux modernes. — Recherches de Garrod. — Il démontre que l'acide urique existe en excès dans le sang des goutteux. — Origine de ce produit excrémentitiel. — Elle est encore peu connue. — L'urée et l'acide urique sont ils des produits immédiats de la désassimilation ? — Expériences de Zalesky.

Recherches empiriques. — Effets du jeûne. — Alimentation animale.

— Exercice. — Résultats contradictoires sous ce rapport. — Influence des boissons : expériences de Bocker.

Théorie de l'accès de goutte. — Articulations affectées de préférence.

— Tissus fibreux, cartilages. — Prédilection de la goutte pour le gros orteil. — Envahissement successif des jointures. — Tophus. — Dépots d'urate de soude dans les cartilages. — Douleur. — Réaction géné-rale. — Phénomènes viscéraux.— Insuffisance de nos connaissances actuelles sous ce rapport.............................. 152

ONZIÈME LEÇON

du rhumatisme articulaire chronique et de ses lésions

Le rhumatisme articulaire chronique est une affection essentiellement nosocomiale. —Nature de cette affection. — Ses rapports avec le rhu-matisme aigu. — Principales variétés de cette maladie. — Rhumatisme articulaire chronique progressif (rhumatisme goutteux). — Rhumatisme articulaire chronique partiel. —Nodosités d'Heberden : ne doivent point être confondues avec la goutte.

Caractères anatomiques du rhumatisme articulaire chronique.— Né-cessité d'étudier avec soin les lésions locales. —Unité de cette affection.

— Indication des premiers travaux qui se rapportent à ce sujet. Caractères fondamentaux de l'arthrite rhumatismale chronique. — Al-tération de la synoviale : des cartilages dia'rthrodiaux ; du liquide intra-articulaire ; du tissu osseux. Etude histologique de ces diverses lésions.

— Modifications qui correspondent aux principales formes cliniques de

la maladie.......................,............... 164

parallèle entre le rhumatisme articulaire chronique et les autres arthropathies constitutionnelles au point de vue anatomique.

Analogie entre le rhumatisme articulaire chronique, et celles du rhuma-tisme articulaire aigu. Altérations des jointures dans le rhumatisme ar-ticulaire aigu et subaigu. — Tantôt nulles, tantôt manifestes. — Arthrite avec exsudation. — L'inflammation n'est pas superficielle. — Les carti-lages et les os peuvent y participer. — Lésions de la synoviale. — Lé-sions des cartilages diarthrodiaux. — Lésions des os. — Nature du liquide épanché dans la cavité synoviale. — Analogie de ces lésions avec celles du rhumatisme chronique.

Caractères qui distinguent l'arthrite déformante des autres arthropa-thies.— Arthrite par repos prolongé. — Arthrite scrofuleuse. - Arthro-pathies syphilitiques.— Arthropathie goutteuse.

Les altérations du rhumatisme chronique n'ont pas un caractère spé-cifique. — Elles peuvent résulter de plusieurs causes étrangères au rhu-matisme. — Elles sont alors presque toujours monoarticulaires. — Le rhumatisme chronique est le plus souvent polyarticulaire.......... 180

anatomiques.

DOUZIÈME LEÇON

TREIZIÈME LEÇON

du rhumatisme articulaire aigu, considéré spécialement dans ses rapports avec le rhumatisme articulaire chronique bé# " la goutte.

Description succinte du rhumatisme articulaire aigu et subaigu. — Son analogie avec le rhumatisme chronique ; différences qui le séparent de la goutte. — Rhumatisme aigu; rhumatisme subaigu. Arthropathies mul-tiples. — Douleur. — Tuméfaction. — Rougeur. — Température. — Durée. — Mobilité de l'affection.

Etat général dans le rhumatisme. — Fièvre. — Marche irrégulière de la maladie. — Rapport entre l'intensité du mouvement fébrile et le nom-bre des jointures affectées. — Pouls. — Sécrétions. — Salive. — Urines. Anémie profonde.

Parallèle entre le rhumatisme articulaire aigu, la goutte et le rhuma-tisme articulaire subaigu.

Hématologie pathologique du rhumatisme articulaire aigu et subaigu. 194

QUATORZIÈME LEÇON

des affections viscérales dans le rhumatisme articulaire aigu et chronique.

Parallèle entre les affections viscérales de la goutte et celles du rhuma-tisme aigu ou chronique. Développement tardif des affections viscérales dans la goutte, dévoppement prématuré de ces affections dans le rhuma-tisme aigu. — Ces lésions ne se manifestent que plus tard dans le rhu-matisme chronique. — Différence entre la nature des lésions viscérales dans le rhumatisme et dans la goutte. — Affections du cœur dans le rhumatisme. — Péricardite rhumatismale. — Endocardite rhumatis-male. Modifications apportées à l'histoire de cette maladie par les pro-grès de l'histologie moderne. — Structure de la membrane interne du cœur. — Lésions inflammatoires de l'endocarde. — Elles siègent prin-cipalement sur les valvules. — Description de ce processus pathologique. — Tuméfaction de l'endocarde : vascularisation de cette membrane. — Conséquences de cet état pathologique. —Embolies capillaires. — Lé-sions de canalisation. — Etat typhoïde. — Période chronique de la ma-ladie. — Affections mutiples qui sont la conséquence de ces lésions. — Ischémie; gangrènes localisées, — Taches ecchymotiques. — Ramol-

Trois types fondamentaux du rhumatisme articulaire chronique. — Ils constituent, au fond, une seule et même maladie. — Rhumatisme articulaire chronique progressif ou rhumatisme noueux. — Souvent confondu avec la goutte, dont il diffère essentiellement. — Il affecte de préférence les petites jointures.

Arthropathies qui se rattachent au rhumatisme noueux. — Elles res-semblent souvent, au début, à celles du rhumatisme aigu. — Rétraction spasmodique des muscles. — Attitudes vicieuses. — Désordres perma-nents. — Douleurs. — Craquements. — Déformations osseuses. — Jointures affectées de préférence. — Les mains sont presque tou-jours atteintes les premières.— Envahissement symétrique. — Mode de succession des arthrites. — Généralisation d'emblée, fréquente chez les jeunes sujets : marche progressive chez les sujets âgés. — Défor-mation consécutive des membres. — Deux types principaux ; leurs va-riétés.

Marche de la maladie. — Altérations consécutives. — Forme atro-phique ; — forme œdémateuse. — Perte des mouvements.

Déformation des membres inférieurs ; — de la colonne vertébrale. — Déviation de la tête. — Envahissement général de toutes les join-tures. — Mode de production de ces lésions. — Opinions diverses. — Contractions spasmodiques. — Causes accessoires.

Symptômes généraux. — Hématologie. — Réaction générale. — Évo-lution rapide. — Évolution lente................. ..... 231

lisscments cérébraux. — Dépôts fibrineux de la rate, du foie, des reins.

— Complications diverses du rhumatisme articulaire aigu. — Les lé-sions cardiaques peuvent exister aussi dans le rhumatisme subaigu et dans le rhumatisme chronique. — Lésions de l'appareil respiratoire.— Pleurésie, pneumonie, congestion pulmonaire. —Asthme, emphysème.

— Phtisie pulmonaire. — Lésions de l'appareil urinaire. — Néphrite.

— Albuminurie. — Cystite. — Lésions du système nerveux. —? Affec-tions cérébrales.— Affections médullaires. — Lésions abarticulaires de diverses natures.— Douleurs musculaires. — Névralgies. — Troubles de l'appareil de la vision. — Affections cutanées : eczéma, psoriasis, prurigo, lichen, etc., etc..........• ............... 208

QUINZIÈME LEÇON

symptomatologie du rhumatisme articulaire chronique progressif.

SEIZIÈME LEÇON

symptomatologie du rhumatisme chronique partiel et des

nodosités d'heberden.

Rhumatisme chronique partiel. — Dénominations diverses qu'il a re-çues. — Ne diffère pas essentiellement du rhumatisme noueux. — Ses caractères particuliers. — Petit nombre de jointures affectées. — Les grandes articulations sont le plus souvent frappées. — Début insidieux ; forme chronique d'emblée. — Déformations articulaires. — Manifes-tations diathésiques. — Affections cutanées. — Lésions viscérales.

Mode de développement. — Succède parfois au rhumatisme aigu. — Peut se manifester d'emblée. — Se généralise quelquefois.

Phénomènes articulaires. —Déformations. — Douleurs. — Absence de sensibilité à la palpation. — Craquements.

Pronostic relativement peu sérieux. — Abolition plus ou moins com-plète des mouvements. — Rétraction spasmodique des muscles assez rare.— Rigidité extrême de l'articulation.

Nodosités d'Heberden. — Indépendantes de la goutte.— Siègent au niveau des articulations des phalangettes. —Lésions identiques à celle de l'arthrite sèche. — Les autres jointures de la main souvent affec-tées, mais à un moindre degré. — Cette affection se rattache à la dia-thèse rhumatismale. — Elle peut, bien que rarement, coïncider avec la goutte. . . ,..................,.................248

DIX-SEPTIÈME LEÇON

étiologie du rhumatisme articulaire.

Causes principales du rhumatisme articulaire. — Elles sont communes à toutes les formes de cette maladie. —Pathologie historique. — Pré-pondérance de la goutte dans les écrits des médecins de l'antiquité. — Le rhumatisme noueux existait cependant déjà. — Géographie médi-cale.— Le rhumatisme articulaire aigu est une maladie qui appartient surtout aux climats tempérés. — Il est inconnu au voisinage des pôles et de l'équateur. — Le rhumatisme articulaire chronique abonde dans les pays tempérés, mais il existe aussi dans les pays chauds. — Héré-dité : son influence est incontestable. — Statistiques empruntées à di-vers auteurs. — Age. — La période classique du rhumatisme aigu s'é-tend de quinze à trente ans. — Le rhumatisme chronique se rencontre surtout à deux périodes de la vie : de vingt à trente ans et de quarante à soixante. — Sexe. — Les hommes sont plus sujets au rhumatisme articulaire aigu, les femmes au rhumatisme noueux.

Causes extérieures. — Froid humide. — Habitations humides. — Misère, mauvaise alimentation. — Causes traumatiques. — Coups, chutes, phlegmons, panaris. — Causes pathologiques. — Érysipèle. — Angine. — Scarlatine. — Blennorrhagie.

Fonctions utérines. — Chlorose. — Dysménorrhée. — Ménopause.

— Grossesse. — Allaitement prolongé.

Parallèle entre l'étiologic du rhumatisme et celle de la goutte. — Ces deux affections ne sont pas identiques, mais il existe entre elles un certain degré de parenté............................. 257

DIX-HUITIÈME LEÇON

traitement de la goutte et du rhumatisme articulaire chronique.

Considérations générales sur le traitement de la goutte.— Traitement des accès. — Expectation. — Remèdes de charlatans. —Colchique. —Avan-tages et inconvénients de cet agent. — Règles qui doivent présider à son emploi. —Narcotiques : jusquiame, opium. —Sulfate de quinine.— Iodure de potassium. —Teinture de gaïac.— Topiques extérieurs.— Sangsues.—Vésicatoircs.— Moxas.— Traitement de l'état constitution-nel. — Alcalins.— Leurs diverses propriétés.— Soude, potasse lithine.

— Action de ces médicaments. — Cas dans lesquels les alcalins sont contre-indiqués. — Eaux minérales. — Toniques et reconstituants. — Traitement de l'affection locale, des tophus et de la rigidité des join-tures. — Traitement de la goutte anormale. — Régime diététique.

Traitement du rhumatisme articulaire chronique. — État peu satis-faisant de nos connaissances à cet égard. — Traitement des exacerba-tions aiguës. — Opium, sulfate de quinine, saignées. — Alcalins. — Teinture d'iode. — Arsenic à l'intérieur et à l'extérieur. — Teinture de gaïac. — Iodure de potassium. — Fer, huile de foie de morue. — Vésicatoircs, révulsifs. — Eaux minérales. — Impuissance de l'art dans la majorité des cas. . . ,...........................272

DEUXIÈME PARTIE

Thermométrie clinique dans les maladies des vieillards.

PREMIÈRE LEÇON

de L'IMPORTANCE DE LA THERMOMÉTRIE chez LES VIEILLARDS.

Préliminaires. — Difficultés de la pathologie des vieillards. — Mala-dies latentes. — Absence de commémoratifs. — Défaut de réaction géné-rale. — Irrégularité des symptômes. — Exemple tiré de la pneumonie lobaire. — Phénomènes comateux simulant l'apoplexie. — Indolence des coliques hépatiques et néphrétiques.

Emploi méthodique du thermomètre. — Température normale des vieillards. — Thermométrie axillaire et thermométrie rectale, chez les vieillards.— Désaccord entre la température centrale et la température extérieure. — Avantages de la thermométrie rectale.

De la température du corps chez les vieillards, dans l'état patholo-gique. — Limites extrêmes de la température centrale au-dessus et au-dessous du chiffre normal. — Des températures fébriles, basses, moyennes, élevées chez le vieillard. — Du danger des températures élevées pendant plusieurs jours. — Raisons du danger des températures élevées. — Expériences physiologiques. — Combustion exagérée du sang. — Médication antipyrétique. — Dangers de l'abaissement de la température.............. . ............293

DEUXIÈME LEÇON

DE l'IMPORTANCE DE la THERMOMÉTRIE dans LA CLINIQUE DES VIEILLARDS (Sllite).

Caractères thermiques des maladies fébriles dites typiques chez les vieil-lards. — 1° Maladies fébriles à type continu. — 2° Maladies fébriles à type rémittent. — 3° Maladies fébriles à type intermittent.

De l'élévation rapide et considérable de la température centrale qui survient, à l'époque de la terminaison fatale dans quelques maladies des centres nerveux. — Tétanos. — Epilepsie. —Affections hystériformes. — Attaques apoplectiformes de la paralysie générale des aliénés. — Attaques épileptiformes des hémiplégiques. — Ecrasement de la moelle cervicale. — Fractures du crâne. — Hémorrhagieet ramollissement du

cerveau. — Abaissement initial de la température. — Elévation con-sécutive. — Théorie physiologique......... . . . ,.......... 272

TROISIEME LEÇON

de l'importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards.

Abaissement de la température centrale dans certaines affections des vieillards. —Choléra indien. —Inanition et marasme symptomatique du cancer. — Aliénation mentale avec dépression. — Algidité centrale de cause médicamenteuse : sulfate de quinine, digitale, alcool, etc. — Action des substances putrides. —Septicémie avec fièvre. — Septicé-mie avec algidité centrale.

Action delà bile.—Abaissement de la température dans certaines affec-tions du cœur (rupture du cœur, asystolie, pericardite et endocardite aiguë, etc., etc. ); — dans la péritonite ; — dans les commotions du système nerveux ; — dans l'attaque apoplectique, etc.

Collapsus : ses caractères en général. — Defervescence de la pneu-monie lobaire avec collapsus. — Des pneumonies algidcs. — Du col-lapsus dans les maladies pestilentielles.....?..........., . . . 330

TROISIÈME PARTIE

Études pour servir à l'histoire de l'affection décrite sous les noms - de goutte asthénique primitive, nodosités des jointures, rhuma-tisme articulaire chronique (forme primitive), etc.

Historique ; synonymie............................................... 353

Symptômes........"............................................... 355

Etiologie...........................................g................ 388

Anatomie pathologique.............................................. 391

Résumé.;........................................................ 391

QUATRIÈME PARTIE

Mémoires et observations sur la goutte et le rhumatisme.

I. Altérations des cartilages dans la goutte. . ........ ........... 415

II. Sur les concrétions tophacées de l'oreille externe chez les goutteux. 419

III. Contribution à l'étude des altérations anatomiques de la goutte et

spécialement du rein chez les goutteux................. 363

De l'état du rein chez les goutteux.......................... 425

Lésions des articulations dans la goutte .................... 445

IV. L'intoxication saturnine exerce-t-ellc une influence sur le dévelop-

pement de la goutte ? ............... .................... 436

V. Goutte consécutive aux accidents saturnins..................... 458

VI. Goutte et vertige laryngé............................... 478

VII. Altérations des articulations dans le rhumatisme articulaire chro-

nique ; fausse contracture rhumatismale ; ankyloses............ 481

VIII. Du rhumatisme génital....................................... 491

IX. Notes de M. Gharcot, qui accompagnent la traduction du Traité de

la goutte, de Garrod, faite par M. A. Ollivier............... 496

CINQUIÈME PARTIE

Varia.

I. Sur l'ostéomalacie sénile................................. 485

II. Du tremblement sénile............................................ 486

III. De la chorée vulgaire chez les vieillards...... ................. 491

Explication des planches............................ 495

Table des matières----....... ......... .................... ---- 592

Table analytique........................... ................. 60/7

fin de la table des matières.

TABLE ANALYTIQUE

A

Abcès péri-articulaires, 188.

Abcès de goutté : prodromes, 76; — douleurs 77;— symptômes généraux 77. — retour des —,80; — caractères des nouveaux—, 81; —congestion du foie au début des —, 499 ; — influence des voies sur le développement des —, 532; — influence des trauma-tismes, 53.'; — influence de la sai-gnée, 532: — traitement ; colchique, 274, 541;'— narcotiques, 278; — sulfate de quinine, 278; — iodure de potassium, 281 ; — sangsues, 279;

— mauvais effets des sangsues, 540;

— vésicatoires, 279, 541. Acholte, 308.

Acide oxalique, dans le sang des goutteux, 53, 122: — inique : dans le sang, 49,' 50, 52, 123, 154, 159; — re-cherches de T —, 44, 50; — varia-tions pendant les accès de goutte, 52, 63; — différence dans la goutte et le rhumatisme, 52, 203 ; dans les humeurs des goutteux, 53; — dans la goutte ordinaire, 537 ; — dans la goutte viscérale, 91 ; — dans le rhu-matisme aigu, 202 ; —? dans les urines, 534 ; — dans les poumons, 535; — dans le foie, 535; — origine, 155 ; — théorie de la combustion directe, 155; — théorie de Robin, 155; — formation clans le rein, 155;

— variations suivant l'alimentation,

158; — variations suivant l'activité respiratoire, 159; — variations sous l'influence des boissons, 159, 535:

— accroissement dans l'hyperthro-phie de la rate, 537; — action de l'exercice musculaire, 537.

Albuminurie dans la goutte, 54. 83.

Ale, 147; — fabrication, 148.

Algidité centrale, 298, 331 ; — courte duréedel' —,333334; — dans lesma-ladies chroniques, 334; — conditions déterminantes, 334; — cause médi-camenteuse, 385; —dans l'asystolie, 341 ; — dans la péricardite et l'en-docardite, 341 ; — dans la péritonite, 341.

Anémie rhumatismale, 203; — gout-teuse, 204; — dans la fièvre rhuma-tismale, 516.

Anévrysmes valvulaires, 214.

Ankyloses, dans la goutte, 59, 78; — dans le rhumatisme noueux, 247;

— dans le rhumatisme chronique, 403, 481.

Anoxémie, 308. Anthrax urique, 112. Aphasie dans la goutte, 101. Apoplexie capillaire, 12;— goutteuse, 101.

Arc sénile dans la goutte, 100.

Arthrite pauperum, 45; —goutteuse, 107 ; — rhumatoïde, 166, 562 ; — sèche, 167, 171, 249, 403 481 ; — du rhumatisme, 182; — sénile, 249; — déformante, 249, 256; — par repos

prolongé, 248; — lésions de l'arti-culation, 249: — fongueuse et scro-fuleuse, 249, 192.

Arthritique (état), 271.

Arthropathies : goutteuses, 47, 59, 161, 190, 520; — syphilitiques, 189! secondaires et tertiaires, 190 ; — rhumatismales 156, 196, 197; — douleur, tuméfaction, rougeur, 197; température, 197 ; — durée, 197 ; — du rhumatisme noueux, 233 ; — ca-ractères comparés, 168; — caractère dans les rhumatismes noueux, 234 ; — mode de terminaison, 235.

Asthme, 5 ; — goutteux, 102 ; — et rhumatisme, 169, 225 ; — observa-tions d' — dans le rhumatisme chro-nique, 225.

Asystolie (Algidité dans 1') 341.

Ataxie locomotrice : rapports del' — avec le rhumatisme, 228.

Athérome artériel, 12; — dans la goutte, 66, 99.

Atrophie des organes chez les vieil-lards, 8; —et dégénération, 9,10.11.

0

Bière, 142, 147; —aie et porter, 142. 147, 148.

Bile (Action de la—) sur le sang, 339. C

Calorification des vieillards, 13.

Cancer et goutte, 126.

Cardite polypeuse, 210.

Cartilac.es (Altérations des —) dans le rhumatisme chronique, 174; — altérations dans le rhumatisme aigu, 183 ; — infiltration uratique, 191 ; altérations dans la goutte asthénique, 393; — altérations dans la goutte ordinaire, 415, 452; — infiltration tophacée, 415 ; — cristaux d'uratc de soude, 416.

Céphalalgie goutteuse,"100.

Chorée ; — rapports avec le rhuma-tisme, 228; — chez les vieillards, 582 ; — son'analogie avec la chorée de Sydenham, 582 ; — [pronostic, étiologie, 583; observations, 583 , 584; — traitement par le bromure

de potassium, 583; diagnostic, 583. Cœur (Rupture du —) dans la goutte, 583, — dégénérescence grais-seuse dans la goutte, 66, 98; — af-fections du — dans la goutte, 98, 546; — abaissement de la tempé-rature dans les affections du —, 545. Colchique : dans la goutte, 274, 541 ; — buveurs de —, 542; — inutilité dans le rhumatisme, 274 ; — effets physiologiques, 375 ; — mode d'ac-tion, 275; — mode d'emploi, 277; inopportunité dans la goutte asthé-nique, 163; action sur l'urée, ,542 ., Gollapsus, 319; — dans les lésions traumatiques de la moelle, 343; — dans la pneumonie lobaire, 343 ; — température dans le —, 344 ; — dans les maladies pestilentielles. 349.

Concrétions : — d'acide lithique, 566; — compositions des — uri-naires dans la goutte, 122; topha-cées (voir tophus et urate de soude). Congestion pulmonaire dans le rhu-matisme, 224. Convulsions dans la goutte, 100. Corps étrangers, dans le rhumatisme

chronique. 174, 178. Coup : — de fouet dans la goutte, 548; — de soleil, 311; de chaleur, 311.

D

Defervescence dans la pneumonie 35, 36.

Déformations dans le rhumatisme noueux, 233, 234, 558 ; — différents types, 338, 237 , 238, 557; — ordre d'envahissement, 239. 258; — mode de production, 242; — analogie avec la goutte, 243 ; — dans la goutte as-thénique, 361, 508 ; — du cou-de-pied, 368; — des orteils, 368; — de la hanche, 369; — des articulations temporo-maxillaires, 369 ; — des articulations vertébrales, 369 ; — rôle de la rétraction musculaire dans leur production, 369; — observa-tions, 509.

Dégénération graisseuse, 9; — des

muscles, JO; — du cœur, 11;— des

arterioles du cerveau, 11. Délire aigu dans la goutte, 100. Diabète, 21 ; — rapports avec la

goutte, 117; — métastatique, 117;

— symptomatique de la goutte, 117;

— urique ou goutteux, 118. Diathèse urique, 74; — dyspepsie,

75; — phénomènes nerveux, 75; — palpitations de cœur, 5 ; — catarrhe bronchique, 75 ; — aggravation des accidents par les écarts de régime, 75; — douleurs articulaires, 75.

Douleur : dans la goutte, 76, 162, 500 ; — dans le rhumatisme aigu, 125, 500 ; — musculaire dans le rhu-matisme, 229; — dans la goutte asthéniqueprimitive, 355; — osseuse et musculaire dans la goutte asthé-nique, 356.

Dyspepsie ; — dans la goutte, 48, 68, 74 ; — intestinale, 125,500 ; — guérie par un accès de goutte, 547.

e

Ecchymoses dans le rhumatisme arti-culaire, 216.

Embolies artérielles, 216; — capil-laires, 216; — capillaires de la rate, 216; — du rein, 216; — du foie, 219.

Encéphalophatie rhumatismale, 228. Endocarde, 211.

Endocardite rhumatismale : âge, 210; historique, 211 ; — processus in-flammatoire, 212; — ulcérations, 212; — végétations valvulaires, 213; conséquences de V —, 214; — loca-lisation sur les valvules, 218, 214; absence fréquente de lésions de ca-nalisation, 214 ; — du rhumatisme chronique et subaigu : historique,219;

— début, 220; — observations, 220; — algidité dans 1' — ,211; ulcéreuse 214.

Epilepsie (Température dans 1' —), 324.

Erysipèle dans la goutte, 112.

F

Fébriles (Maladies) chez les vieil-lards, 316; — type continu, 317 ; —

Charcot. OEuv. compl. t. vu. M

début, 317 ; — oscillation de la tem-pérature, 317;— à type intermittent. 319.

Fièvre 'chez le vieillard, 24, 246; — augmentation de la température, 25; — fréquence du pouls, 25; — rhu-matismale, 195, 199; — dans la goutte aiguë, 203 ; rémittente dans le rhumatisme noueux, 246; — symptômes de la —, 308 ; — cause des dangers de la —, 308; — alté-ration du sang, 342.

Fièvre intermittente svmptomatique, 30, 196.

Fièvre jaune, 23.

Foie dans la goutte, 97; — dans le

rhumatisme, 229. Folie goutteuse, 101, 549. Frisson chez les vieillards, 30, 318.

G

Gangrène diabétique, 118; — sèche.

112; — spontanée, 338, 578; — trau-

matique, 338. Géographie médicale de la goutte,

135.

Génital (Appareil), 13.

Goutte: Causes, 46,47; — observations, 503 ; — caractères généraux, 46 ; — état du sang, 47; — irrégulière, 48; rétrocédée, remontée, mal placée, 48; — aiguë et chronique, 48; — chronique d'emblée, 499; — partielle et généralisée, 48 ; — dyspepsie dans la —, 48; — accès, 48; — acide urique dans la —, 51, 52; — glo-bules sanguins dans la —, 52; — fibrine, albumine, alcalinité du sang, 52; — état du sang dans l'intervalle des accès, 538; — état des urines dans la —, 53, 518 ; — albuminurie dans la —, 54, 72; — dépôts d'urate de soude, 55, 56, 578; — tophus, 56, 59 ; — diminution du phosphate et du carbonate de chaux dans les os, 531 ; — arthrite dans la — invé-térée, 59; — ankyloses, 60, 508; — lieu d'élection, 59, 500; — manifes-tations rares de la —, 60; métas-tases et rétrocessions, 65 ; — lésions fonctionnelles, 65;— autopsie dans

%d. des Vieillards. 39

le cas d'accidents gastriques, 65; — hemorrhagic cérébrale dans le cours de la —, 66; — ruptures du cœur, 6(3 ; — dégénérescence graisseuse du cœur, 66, 545 ; — chez ies animaux, 69, 532 ; — forme fine pri-mitive de la —, 83 ; — déformations, 83; — anomalies, 85; — rappel de la — par des applications stimu-lantes, 560; — arc senile, 99; — céphalalgie, délire aigu, apoplexie, convulsions, folie,100,463;— aphasie, 10; — cérébrale, 10; — affections de la moelle dans la —, 101, 549; — asthme, 102; — vertige laryngé, 478;

— douleurs musculaires, 107; — né-vralgies, 107; — affections cutanées, 107; — ulcères dans la—, 515; — iritis, 108; — coup de fouet dans la —, 542; —prédispositionsauxphleg-mons et au sphacèle, ill; — affec-tions intercurrentes, 112; — phleg-masies dans la —, 113; typhus, syphilis, 114; — critique, 115; — intra-articulaire, 162: — passage à l'état atonique, 277; — action du plomb, du mercure, 115, 529 ; — opium dans la—, 115; —dangers de l'opium, 549; — térébenthine, 116;

— rapports avec le diabète, 117, 120, 567 ; — rapports avec la gravelle, 121, 566; — scrofule et phtisie, 125;

— rapports avec le cancer, 126 ; — rapports avec le rhumatisme, 38,127, 423; — rapports avec la lithiase bi-liaire, 566 ; — rapports avec l'urémie, 566; — et phvsiologie pathologique, 128; — historique, 129, 496; — an-tiquité de la —, 131, 531 ; — dimi-nution actuelle de la —, 132; — permanence des caractères à toutes les époques, 133 ; — géographie médicale, 135; — localisation aux régions tempérées, 136; — rareté à Edimbourg et à Dublin, 527; — ra-reté dans les pays chauds, 528; — Etiologie : Influence du climat sur le développement de la —, 139;

— spontanéité de la —, 137 ; — hé-rédité, 137; — influence du sexe, 138; — âge, 139; — tempérament, 139; — race, 139; — alimentation excessive, 140; — défaut d'exercice,

139; — influence du système ner-veux, 140;— excès vénériens, 141; boissons fermentées, 141 ; — bière, 142, 147, 527 ; — vins, 143; — in-fluence du saturnisme, 144, 528; — consécutive aux accidents saturnins, 145; — mécanisme de l'action du plomb, 145 ; — causes excitantes, 146 ; — indigestions, 146; — froid hu-mide, 147 ; — travaux intellectuels immodérés, 147 ; — traumatismes, 147; — causes débilitantes, 147 ; —? théories de Sydenham, 153 ; — théorie de Gullen, 153; — traite-ment ; — de l'accès par le colchique, 274, 457 ; — de l'état constitutionnel dans la —, 279 ; — potasse, soude, 280; — lithine, 282, 459; — eaux minérales, 284; eaux alcalines, 285;

— eaux salines sulfureuses, 285; — eaux indifférentes, 285 ; — eaux ferrugineuses, 285; — toniques et reconstituants, 286; — des tophus et de la rigidité articulaire, 285; — de la goutte anormale, 285;— ré-gime diététique dans la —, 286 ; — expectation, 539; —mauvais effets des sangsues, 540; — articulaire :

— altérations des cartilages, 522; dépôts uratiques articulaires, 445; historique des lésions articulaires, 445; — examen microscopique des lésions articulaires, 446; — obser-vations des lésions articulaires, 509;

— déformations dans la —, 510 ; — observations de déformations, 510.

Goutte abarticulaire non-viscérale, 106;

— douleurs musculaires, 107; névral-gies, 107; — affections cutanées,107.

Goutte aiguë, 76, 203 ; — prodro-mes, 76 ; — accès, 77 ; douleur, 77, 500 ; symptômes généraux, 77 ; — œdème, 78 ; — desquamation consé-cutive à l'accès, 78 ; — modifications de l'état local après l'accès, 78 , — ankyloses, 79, 508 ; — siège anor-mal, 199 ; — généralisée primitive, 80 ; — variétés, 144.

Goutte asthénique primitive, 5, 166, 353, 395 ; — historique, 353 ; début 354 ; douleur articulaire, 305 ; — observation d'absence de douleur ar-ticulaire, 356 ; — douleur osseuse

354 : — douleur musculaire, 358 , 396 ; — rougeur, 360, 396 ; — gonflement, 360, 396 ; — état des jointures, 361, 396 : — rétraction musculaire, 361; — déviations des jointures, 361 ; 397 ; — variétés de déviations, 362, 397 ; influence de l'action musculaire sur les dévia-tions, 369 ; — fièvre, 375 ; — sueurs, 375 ; — état des urines, 375 ;

— ordre d'envahissement successif des jointures, 376 : — progression des symptômes, 378, 397 ; — ob-servation de marche rapide, 379, 382, 385 ; —rémissions, exacerbations, 386 ;

— viscérale, 387 ; — terminaisons, 388 ; — influence de la misère, 388, 388 ; — influence de l'âge, 388 ; — tempérament, hérédité, 391 ; — froid humide, 391 ; — fréquence, 390 ;

— sexe, 391 ; — absence de rhuma-tisme articulaire aigu, 390 ; — état des extrémités osseuses, 390, 398 ;

— végétations osseuses, 390, 398 ;

— ulcérations des cartilages, 393; —? altérations de la synoviale, des téguments, des muscles, 393 ; — non-spécificité des lésions articu-laires, 393 ; — différence avec la goutte, 393 ; — parallèle avec l'ar-thrite rhumatismale des petites join-tures, 394.

Goutte cérébrale, 101.

Goutte chronique, 82 ; — gravité des maladies intercurrentes, 83 ; — acci-dents abarticulaires, 83 ; — d'em-blée, 422; — insuccès des opérations dans la 571.

Goutte gastrique, 92, 546 ; — lar-vée, 93 ; — forme cardiaïgique, 94, 479 ; — forme spasmodique, 94 ; — fréquence, 95 ; — erreurs de diagnostic, 95, 546 ; — indiges-tions, 95.

Goutte viscérale, 209 ; — historique, 87 ; — définition, 89; — larvée, re-montée, 91, 163 ; — de l'esiomac, 93 ; — du foie, 97 ; — du cœur, 98 ;

— asthme, 87.

Gravelle biliaire, 20. 64, 42, 99 ; — Goutte chez les animaux; 532.

rénale, 69 ; — urique, 117 ; — et

goutte, 21.

El

Hématologie pathologique de la goutte, 49 ; — acide urique dans le sang, 50, 51 ; — proportions des globules, 52; augmentation de la fibrine, 53 ; — diminution de l'albumine, 53 ; — diminution de l'alcalinité, 53 ; — acide oxalique dans le sang ; 53 ; — du rhumatisme articulaire aigu et subaigu, 204 ; — absence d'acide urique dans le sang, 205 ; — acide lactique dans le sang, 206 ; — ino-pexie, 206 : —du rhumatisme noueux, 299.

Hémiplégie pneumonique, 24. Hémorrhagie cérébrale dans la

goutte, 99. Hérédité de la goutte, 391. Hystérie: température dans V— 323.

î

Ictère grave, dans le rhumatisme, 279.

Immunités pathologiques chez les

vieillards, 15. Inopexie, 563.

Iritis goutteuse, 108; — rhumatismale, 195.

L

Lithine : dans le traitement de la goutte, 282; — action diurétique, 282 ; — indications et contre-indi-cations, 283.

M

Migraine : — dans le rhumatisme, 229 ; — et rhumatisme chronique. 194.

Morbus coxae senilis,178, 249;—ana-tomie pathologique, 178 ; — rareté, 578.

Mort subite, 22.

Musculaires : forces — des vieil-lards, 13.

Narcotiques; 278

Néphrite goutteuse : 65,66,104, 121, 477 ; — anatomie pathologique, 67 ;

— rhumatismale, 545, 586, 595; — différence avec le mal de Bright, 439.

Névralgies; 229.

Nodosités de Haygarth, 354 ; — cau-ses, 355.

Nodosités d'Heberden, 558, 545, 542, 575;.— différence avec la goutte, 248;

— siège, 282, 258.; — forme, 248; — début, 255;—anatomie pathologique, 255; — fréquence à l'âge senile, 256;

— évolution, 478 ; — coexistence avec l'asthme et la sciatique, 256.

o

Obésité, 119.

Ophtalmie dans le rhumatisme chro-nique, 167.

Opium,danger del'—dans la goutte,540.

Ostéiformes (plaques) — des valvules cérébrales dans la goutte, 527.

Ostéomalagie senile. 455

P

Paralysie agitante dans le rhuma-tisme, 228.

Paraplégie dans le rhumatisme, 228.

Pathologie senile, historique, 5 ; — difficultés de la —, 294 ; — anoma-lies de la —, 296.

Peau : affections de la — dans le rhu-matisme, 223.

Péricardite du rhumatisme aigu, 229 ;

— du rhumatisme chronique et su-baigu, 222; — algidité dans la—, 332.

Péritonite : algidité dans la —, 333. Perturbation critique, 37. Peste, 20.

Phénomènes critiques, 104.

Phlegmons, dans la goutte, 112.

Phtisie, dans le rhumatisme chro-nique, 227.

Pleurésie, dans la goutte, 103 ; — dans le rhumatisme chronique, 227.

Pneumonie, dans la goutte, 103 ; — dans le rhumatisme chronique 227.

Pneumonie lobaire, 19 ; — tempéra-ture dans la —, 27 ; — persistance d'une température élevée, 37 ; — mort dans la defervescence, 38; — chez les vieillards, 295, 318 ; — collapsus dans la —, 345; formes algides de la —, 347.

Porter, 147, 149; — fabrication, 148.

Pouls, chez les vieillards, 20 ; — dans le rhumatisme, 200 ; — dans la goutte aiguë, 203.

Q

Quinine (sulfate de) 278.

R

Ramollissement cérébral, 7, 66.

Rate, accroissement de l'acide uri-que dans l'hypertrophie de la —, 500; embolies capillaires, 210.

Réaction: chez les vieillards, 78, 290; chez les enfants, 23

Rein goutteux, 72,102,436,438,507 ; — observations, 420, 421 ; historique, 437; — dépôts uriques et uratiques, 440, 443, 445; observations de dépôts uriques, 445 ; — albuminerie, 438 ; — infarctus uratiques, 441, 447, 523 ; — danger de l'opium dans le —, 540.

Respiratoires (fonctions), 13.

Rhumatisme aigu, 182; — lésions de la synoviale, 183; — altérations des cartilages, 183; — altérations des surfaces osseuses, 184; — vascula-risation de la moelle des os, 185; — altérations du périoste, 185; — liquide de la synoviale, 185; — synovite aiguë, 185; — lésions ana-logues dans les affections du cœur, 186 ; — absence de suppuration, 192 ; — identité du — avec le rhu-matisme chronique, 193, 562; — arthropathies multiples, 196, 197;— altérations du sang, 197; — état gé-néral dans le —, 199; — fièvre, 199; — pouls, 200; — sécrétions dans le —, 201 ; — sueurs, 201,205; — salive, 201 ; — urines, 202, 203 ; — anémie, 203 ; — état du sang, 205 ; — acide lactique dans le sang, 205 ; — rapports avec la diathèse hémorrha-

pique, 206; unité du —, 206; encé-phalopathie du —, 228 ; — folie dans le —, 228; — subaigu ou capsulaire, 203, 204.

Rhumatisme articulaire. Etiologie : historique, 257,358,496 ; — confusion avec la goutte, 259 ; — géographie médicale, 259; — influence du froid, 263; — hérédité, 260; — âge, 261;

— sexe, 263; — froid humide, 263;

— misère, 265; — traumatismes, 264; — érysipèle, angine, scarlatine, 266, 492; — blennorrhagie, 268; — chlorose, 268; — ménopause, dys-ménorrhée, grossesse, 268, 493, 494; allaitement, 269, 493; — différences avec l'étiologie de la goutte, 270;

— parallèle avec la goutte, 271. — Rhumatisme articulaire chronique,

45; — rapports avec la goutte, 38, 127, 413; — fréquence chez la femme, 140; — époque d'apparition chez la femme, 563;— synonymie, 167: — variétés, 167; primitif, 167; — pro-gressif, 167,563 ; — ophthalmie dans le—, 167; —néphrite albumineuse dans le —, 167 ; — anatomie pa-thologique, 169; — unité du—, 170, historique, 170; — caractères ana-tomiques fondamentaux, 172: — ob-servations, 481 ; — absence de pus, 172:— altérations de la synoviale, 172, 481; — corps étrangers, 174;

— altérations du cartilage, 174, 481;

— éburnation des os, 175; —par-ticipation du périoste et des liga-ments, 176, 481; — modifications anatomiques dans les jointures im-mobiles, 178; — comparaison du —, avec les arthropathies chroniques, 178 ; — parallèle avec le rhumatisme articulaire aigu, 178; — unité des diverses formes cliniques, 191 ; — cardiopathies dans le —, 211 ; — pleurésie dans le —, 191 ; — pneu-monie dans le —, 224 ; — con-gestion pulmonaire, asthme, phthisie dans le —, 224 ; — trois types ana-tomiques fondamentaux du —, 231, 556; — traitement : narcotiques, 286, 287; — alcalins, 287, 564; — teinture d'iode, 288; — arsenic, 288, 225; - teinture de Gaïac, 298; — iodure de potassium, 290; — trai-tement général, 289; — eaux mi-nérales, 290 ; — bibliographie, 552.

Rhumatisme chronique partiel, 165, 248; — mode d'envahissement des jointures, 249; —forme hypertro-phique, 249 ; — début, 250; — symp-tômes, 251; — douleur, 252; — caractères 252 ; — rétraction spas-modique des muscles, 254.

Rhumatisme blennorrhagique, 267, 493.

Rhumatisme génital, 493; — et ar-thrite rhumatoïde, 562.

Rhumatisme goutteux, 45, 166, 232.

Rhumatisme d'Heberden, 242, 232.

Rhumatisme noueux, 166, 232, 551 ; symptômes, 199; — douleur, cra-quements, déformations, 232, 235, 556; — localisation, 232; — symétrie, 234;— différence avec la goutte, 234;

— différents types de déformations ;

— 235 ; —ordre d'envahissement des articulations, 239, 555 ; — forme atrophique, 240: — lésions arti-culaires, 241; — marche, 244; — symptômes généraux, 244, 244; — évolution rapide, 244 ; — évolution lente, 244; — causes, 561 ; — et grossesse, 561 ; — et migraine, 563; — et iritis, 563; — teinture d'iode dans le —, 564.

Rhumatisme viscéral, 208 ; — analogie grossière avec la goutte viscérale, 209, 216 ; — éricardite, 219, 222 ; — endocardite, 219, 222 ; — embolies, 218, 219; —lésions encéphaliques, 228; — état typhoïde 219; — ictère grave, 219; — fièvre intermittente symptomatique, 219;—encéphalo-pathie, folie, migraine, chorée, pa-ralvsie agitante, tremblement, ataxie, 228.

S

Salive dans le rhumatisme aigu, 201. Salpètrière (organisation médicale de la —), 4.

Sang : acide urique dans le —, 49, 123, 153, 155; — acide oxalique dans le —, 53, 122; — altérations du — dans le rhumatisme aigu, 196;

différence du — dans la goutte et le rhumatisme, 203 ; — acide lactique dans la — des rhumatisants, 205; altérations dans la fièvre, 359; — action de la bile sur le —, 339.

Saturnisme, rapports avec la goutte, 14i, 458; — opinion des auteurs, 392; — statistique, 494; — obser-vations, 466.

Sécrétions dans le rhumatisme aigu, 201;— dans la goutte aiguë, 201.

Scrofule, rapports avec la goutte, 125.

Stalactites osseuses, 187. Stéatose, dans les affections fébriles, 313.

Stout, 150, 527.

Sueurs, dans le rhumatisme aigu, 201 ; — dans la goutte aiguë, 201.

Syncope, par excitation des ganglions semi-lunaires, 342.

Synoviale, lésions de la — dans le rhumatisme aigu, 183; — liquide de la — dans le rhumatisme aigu, 185; lésions dans l'arthrite par repos pro-longé, 185; — lésions dans les ar-thropathies syphilitiques, 188; — lésions dans la goutte, asthérique, 392.

Synovie, réaction chimique dans la goutte et le rhumatisme articulaire, 521.

Synovite aiguë, dans le rhumatisme, 185.

Syphilis, dans la goutte, 113 T

Température, élévation dans la fièvre 25; — dans le tétanos, l'épilepsie, le choléra, 26, dans l'hystérie, la paralysie générale, 323, dans les accès épileptiformes et apoplecti-formes, 323 ; — centrale, 30, 269, 331; — dans la pneumonie, 31. 36; — dans le rhumatisme aigu, 197 ; — dans la goutte aiguë, 203; — in-fluence des médicaments sur la—, 35; — normale chez le vieillard, 298; — hyperpyrétique, 321: — danger des — élevées, soutenues, 306; — basse, 303; causes des— élevées, 309; — abaissement de la —, 314, 330; — critique, 319; — subnormales, 319; — centres mo-dérateurs et régulateurs de la —, 329; — substances diminuant ou élevant la —, 934 — variations par les poisons morbides, 335; — va-riations dans les états pathologiques, 336 ; — élévation expérimentale de la —, 310, 336; — élévation par l'injonction de substances putrides, 337; — abaissement par l'injonction de substances chimiques, 336; — abaissement dans les affections or-ganiques ou fonctionnelles du cœur, 340

Thermomètrie clinique, 26 ; — son im-portance chez le vieillard, 292, 314, 314 ; — axillaire, 30, 300 ; — rec-tale, 41, 302.

Tophus, 14, 57, 161 ; — Composition, 57, 421 ; — examen microscopique, 401 ; siège, 56, 420 ; — volume, 420 ;

— caractères cliniques, 83 ; — con-sistance, 421 ; — mode d'apparition, 421 ; — évolution, 84 ; — élimina-tion, 84, 422 ; — cutanés, 63 ; — de l'oreille, 108, 419, 514; — traite-ment, 285.

Tremblement, dans le rhumatisme, 228 ; — senile, historique, 576, 577;

— prédominance à la tête, 488 ; — —? diagnostic avec les spasmes ryth-més du cou, 579 : — observations, 580.

U

Ulcères : rôle des — dans la goutte. 515.

Urate de soude : dépôt d' — dans la goutte, 64 ; — envahissement d' — dans le cartilage diarthrodial, la synoviale, les ligaments, 62, 418, 541 ; — dans l'aorte, 161,

— dans les bronches, 456 ; — dans les jointures, 154 — absence d' — dans le rhumatisme, 169, 516 ; — dans la goutte aiguë, 202; — noyaux d' — sur les paupières, 515 ; — dans la sérosité sous-arachnoïdienne, 517 ;

— amorphe dans les urines, 518 ;

•— dans les différents tissus des

goutteux, 521 ; — ordre d'apparition des dépôts d' — dans la goutte, 522 ; — dépôts sur la sclérotique, 548: — dans l'extrait musculaire, 548.

Urée, 156, 157 ; — formation dans le rein, 158 ; — dépôt sur la peau dans l'urémie, 518; — action du col-chique sur 1' —, 542.

Urémie dans la goutte, 105, 567.

Uretères : ligature des — 70, 157, 153 ; — chez les oiseaux, 571.

Uréthrite goutteuse, 105.

Urines dans la goutte, 53, 75; — dans

le rhumatisme aigu. 202. Urique: — diathèse —. 75 (voir acide

urique).

V

Variole, 318.

Vertige laryngé et goutte, 478. Vessie irritable, 105 ; — affection de — dans le rhumatisme, 227.

fin de la table analytique