ŒUVRES COMPLÈTES
DE
J. M. CHARCOT
LEÇONS
sur les
MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
RECUEILLIES ET PUBLIÉES
par
MM. BABINSKI, BERNARD, FÉRÉ, GU1NON, MARIE ET GILLES DE LA TOURETTE
TOME III
AVEC 90 FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
AUX BUREAUX DU PROGRES MÉDICAL
14, rue des Carmes.
LECROSNIER ET BABÉ
LIBRAIRES-ÉDITEURS
Place de l'Ecole-de-Médecine.
PREMIÈRE LEGON
S
Leçon d'ouverture.
Sommaire. — Création de la chaire de clinique des maladies du système nerveux. — Moyens d'étude : hospice-hôpital, consultation externe, laboratoires. — Légitimité de la spécialisation de l'enseignement de la pathologie nerveuse. — Intervention des sciences anatomiques et physiologiques dans la pathologie. Conditions dans lesquelles elle doit avoir lieu. — Méthode nosologique. — Méthode anatomo-clinique. —• Les névroses reconnaissent les lois physiologiques communes. — Difficultés de leur étude. — Simulation.
I.
Messieurs,
Il y a tantôt 12 ans, reprenant dans l'enceinte de cet hospice un enseignement qui, en ce temps-là, datait de quatre années déjà, j'émettais l'espoir que ce grand asile des misères humaines, où tant de maîtres de la médecine française se sont illustrés, deviendrait quelque jour, pour les maladies du système nerveux, un centre régulièrement organisé d'enseignement et de recherches.
Où trouver ailleurs, disais-je alors, autant de matériaux particulièrement appropriés à ce genre d'étude? De simples modifications dans l'arrangement intérieur de l'établissement suffiraient cependant, ajoutais-je, pour qu'on pût les mettre en pleine valeur !
Charcot. Œuvres complètes,, t. m, Système nerveux, 1
Cette opinion, depuis l'époque, je n'ai jamais cessé de la proclamer, pour ainsi dire chaque jour, m'efforçanl par tous les moyens en mon pouvoir — tantôt par l'enseignement oral, tantôt par la publication de travaux, auxquels mes élèves se sont souvent associés, — d'en rendre évidente, même aux plus incrédules, la portée pratique.
Vous savez, Messieurs, comment nos vœux se sont enfin réalisés au delà de toute espérance. Car, en ce moment, c'est au nom de la Faculté de médecine de Paris que je viens reprendre cet enseignement, né, il y a près de 17 ans, de l'initiative individuelle.
En inaugurant aujourd'hui, non sans une réelle émotion, je l'avoue, la chaire de clinique des maladies du système nerveux, mes premières paroles seront l'expression de ma gratitude envers ceux qui l'ont créée et qui me l'ont confiée. Je remercie la^hambre qui a pris l'initiative du projet, le Ministre de l'instruction publique qui l'a accueilli, mes collègues de la Faculté qui, consultés sur l'opportunité de la création, ont rendu un verdict favorable, me donnant là une preuve d'estime dont je suis profondément touché.
Je saisirai ensuite avec empressement l'occasion qui se présente d'offrir un témoignage public de reconnaissance, d'une part, au Conseil municipal de la ville de Paris, et, d'autre part, à rAdministration de l'Assistance publique, dont l'intervention libérale et éclairée a rendu possible ce qui, sans elle, eût rencontré des obstacles peut-être insurmontables. Grâce à cette intervention, en effet, antérieurement à la consécration universitaire, nous avions été mis en possession déjà, dans ce service, d'installations qui en avaient fait un véritable Institut neuro-pathologique.
Enfin, Messieurs, pour terminer cet acte de gratitude, il
m'incombe encore un devoir qu'il me sera particulièrement doux de remplir. Ravivant d'anciens souvenirs, je viens faire appel à ceux qui me font l'honneur de se dire mes élèves — tous aujourd'hui sont devenus des maîtres ou sont en voie de le devenir, — et, leur donnant une fois de plus l'assurance de mon vif et sincère attachement, je les convie à se réjouir avec nous de l'heureux succès d'une œuvre à laquelle ils ont participé.
II.
Je viens de faire allusion, Messieurs, aux modifications importantes qui, avec le concours de l'Administration de l'Assistance et du Conseil municipal, ont été, depuis quelques années, successivement introduites dans le service dont j'ai la direction. Je vous demande la permission d'entrer à ce sujet dans quelques détails. J'y trouverai l'occasion de faire ressortir les avantages que peut présenter l'installation de la chaire nouvelle dans cet hospice.
Ce grand asile, personne de vous ne l'ignore sans doute, renferme une population de plus de 5.000 personnes, parmi lesquelles figurent en grand nombre, sous le titre d'incurables, admises à vie, des sujets de tout âge affectés de maladies chroniques de tout genre, de celles en particulier qui ont pour siège le système nerveux.
Tel est le matériel considérable, mais nécessairement d'un caractère particulier, qui forme ce que j'appellerai l'ancien fonds, le seul que, pendant de longues années, nous ayons eu à notre disposition pour nos recherches pathologiques et pour notre enseignement clinique.
Les services que peuvent rendre les études et l'enseigne
ment faits dans ces conditions ne sont certes pas à dédaigner. Les types cliniques s'offrent à l'observation représentés par de nombreux exemplaires qui permettent de considérer l'affection du même coup, d'une façon pour ainsi dire permanente, car les vides qui se font avec le temps, dans telle ou telle catégorie, sont bientôt comblés. Nous sommes, en d'autres termes, en possession d'une sorte de musée pathologique vivant, dont les ressources sont considérables.
A la vérité, les premiers débuts du mal nous échappent souvent; mais, par compensation, il nous est permis de rechercher, par l'ouverture du corps, les lésions correspondant aux symptômes longuement et minutieusement étudiés pendant la vie. Or, qui ne reconnaît aujourd'hui l'influence décisive qu'ont eue sur les progrès de la neuro-pathologie les investigations microscopiques dirigées suivant la méthode anatomo-clinique?
Mais, d'autre part, les côtés faibles de la situation que je viens d'indiquer sont trop frappants pour ne pas sauter aux yeux. Dans l'hospice, en général, les cas très accentués, réputés incurables, sont seuls admis. Les formes légères, atténuées, y font défaut. On n'y apprend guère à apprécier ces nuances symptomatologiques délicates qui seules marquent parfois les débuts de certaines affections chroniques. D'ailleurs, quel espoir peut-on conserver de guérir ou de soulager, lorsque le mal a, depuis longues années, pris pied dans l'organisme et qu'il a résisté aux médications appropriées?
Ce sont là des imperfections notoires. Il était possible d'y remédier en instituant aux portes de l'hospice une consultation, impliquant la délivrance de médicaments. On pouvait espérer que là viendraient se présenter en grand nombre ces chroniques qui ne trouvent pas toujours un accès facile dans les hôpitaux de la ville, et qui, en tous cas, n'y trouvent pas
constamment les moyens de traitement appropriés à leur état.
Ces prévisions se sont réalisées. La consultation fonctionne depuis deux ans déjà, et les cas qui nous intéressent, en raison de la direction particulière de nos études, s'y présentent en grand nombre. J'aurai maintes fois l'occasion de vous présenter, dans nos conférences, des malades qui fréquentent l'hospice à titre d'externes. Ces malades ne se refusent pas, tant s'en faut, aux démonstrations cliniques. Ils comprennent que plus ils sont minutieusement et curieusement observés, plus sont grandes pour eux les chances de guérison ou de soulagement.
Le complément pour ainsi dire logique de cette consultation devait être l'installation, dans l'enceinte de l'hospice, d'un service où pourraient être admis, temporairement, quelques-uns des malades qui viennent nous consulter du dehors. Cette création, nous l'avions bien des fois demandée, mais nous venions nous heurter contre les difficultés fondamentales. Heureusement pour notre cause, elle a rencontré l'esprit élevé de M. le Directeur actuel de l'Assistance publique. Tous les obstacles ont été aplanis, et aujourd'hui, le service d'admission temporaire est institué. Il se compose de 60 lits, à savoir : 40 lits pour les femmes et 20 lits pour les hommes. Je ne saurais trop remercier M. Quentin de l'empressement qu'il a mis dans cette circonstance à seconder nos efforts.
Ainsi, à l'hospice est venue s'ajouter la consultation externe, et à celle-ci un service d'hôpital1. Tout cela forme un ensemble dont les parties s'enchaînent logiquement et que viennent compléter d'autres services connexes.
Nous possédons un musée anatomo-pathologique auquel sont annexés un atelier de moulage et de photographie; un
1. Limité à la réception des maladies du système nerveux.
laboratoire danaiomie et de physiologie pathologique bien aménagé et qui contraste singulièrement avec la salle étroite, mal éclairée, seul refuge que nous ayons eu à notre disposition mes élèves et moi, pendant près de 15 années, et que nous appelions pompeusement le « laboratoire » ; un cabinet d ophtalmologie, complément obligatoire d'un Institut neuro-pathologique ; Y amphithéâtre d'enseignement dans lequel j'ai l'honneur de vous recevoir et qui est pourvu, vous le voyez, de tous les appareils modernes de démonstration.
Enfin nous possédons un service richement doté de tous les appareils nécessaires à la pratique de Y électro-diagnostic et de Y électrothérapie, et où de nombreux malades viennent, trois fois la semaine, recevoir des soins appropriés à leur état.
Le concours dévoué que nous a prêté notre excellent ami, M. Lebas, directeur de l'hospice, dans l'installation de ces services, est vraiment au-dessus de tout éloge.
Tous voyez combien de^ojens d'étude;ont été libéralement placés entre nos mains. C'est à nous, maintenant, d'en tirer parti. En ce qui me concerne, bien que je sois parvenu à une époque de la vie où l'horizon commence à se limiter, j'espère trouver en moi assez de force encore et assez de foi pour ne pas faillira la tâche.
III
Je dois vous présenter encore, Messieurs, quelques remarques visant des objections, des doutes relatifs aux questions de principes et qui, à propos de la création de la chaire nouvelle, n'ont pas manqué sans doute de se présenter à l'esprit de plusieurs.
On s'est très certainement demandé, par exemple, si la con
sécration officielle d'une spécialité de plus était vraiment chose opportune et légitime, et si une fois engagés dans cette voie, nous n'étions pas menacés de voir l'unité de notre science se morceler et se dissoudre. A cela, on peut répondre d'une façon sommaire qu'aujourd'hui, en médecine, alors que l'analyse devenue plus pénétrante multiplie sans cesse le nombre des faits, nos facultés d'assimilation et notre puissance de travail ne se développant pas parallèlement, personne ne saurait plus sérieusement prétendre à tout embrasser, à tout approfondir. La spécialisation est donc devenue chose fatale et nécessaire. Il faut bien l'accepter, puisqu'on ne peut l'éviter. Il importera seulement de l'organiser en vue de mettre obstacle au morcellement sans limites et à l'isolement stérile, dont on aurait à déplorer, s'ils venaient à se produire, les funestes effets. A ce propos, je ferai remarquer que cette organisation, en ce qui concerne le corps enseignant, existe déjà, en quelque sorte, dans notre Faculté qui exige de ses agrégés, parmi lesquels se recrutent les professeurs, la connaissance de tout l'ensemble.
D'ailleurs, pour le territoire neuro-pathologique, le danger qui pourrait s'attacher à une spécialisation trop étroite n'est guère à redouter, car ce domaine est devenu aujourd'hui, personne ne songe à le contester, un des plus vastes qui existent, l'un de ceux qui s'enrichissent le plus rapidement, l'un de ceux dont la culture exige de la part de celui qui s'y livre le plus de connaissances générales. Il était donc légitime que la pathologie du système nerveux qui, à l'avenir, devra absorber tous les efforts de celui qui la voudra posséder, vint réclamer à son tour une place à part parmi les autres branches qui, comme elle, par la force des choses, se sont antérieurement déjà détachées du sein de la médecine générale.
Une autre considération à faire valoir est que, dans l'évolu
tion scientifique qui, durant ces trente dernières années, a reculé les limites de la pathologie nerveuse et en a rendu la spécialisation légitime, la France a été souvent l'initiatrice; elle devra continuer son œuvre et ne point se laisser devancer, sur son propre territoire, par les autres pays. Pour atteindre ce h ut et assurer définitivement la situation, il était nécessaire de mettre entre les mains d'un certain nombre de travailleurs tous les moyens de se tenir constamment à la hauteur du mouvement; or, cela ne pouvait se faire qu'en créant, pour l'enseignement des maladies du système nerveux, une chaire magistrale. Car, seule, une chaire occupée par un professeur titulaire pourra dignement répondre, en raison des privilèges et des devoirs qui s'y rattachent, aux besoins de l'enseignement et aux exigences du progrès scientifique.
IV
Il me paraît inutile de développer plus longuement cette apologie de l'institution nouvelle et d'accumuler en faveur de la cause de plus nombreux arguments. Actuellement, pour nous montrer fidèle aux habitudes consacrées, nous devons nous appliquer dans cette leçon d'inauguration, à faire connaître aux nouveaux venus, à ceux qui ne nous ont pas fait l'honneur d'assister à nos conférences, comment je comprends cet enseignement, ancien déjà, mais qui m'est aujourd'hui officiellement confié.
Comme par le passé, ^s'agira surtout ici de clinique, ou, autrement dit, de pratique. C'est dire que nous aurons à envisager tel cas particulier, tel malade qu'il s'agira de guérir ou pour le moins de soulager. Or ce but, Messieurs, cela va de (jsoi^ne saurait être atteint que par la mise en œuvre des notions préalablement acquises dans les diverses branches de la
médecine, car il faut savoir pour pouvoir. La pratique, en réa-_/
lité, n'a pas d'autonomie; elle vit d'emprunts, d'applications; sans rénovation scientifique, elle deviendrait bientôt une routine attardée et comme stéréotypée. Aussi peut-on affirmer, à mon avis, que, à part les questions de coup d'œil, d'ingéniosité et autres qualités natives, qui se perfectionnent, sans doute, par l'usage, mais qui ne s'acquièrent pas de toutes pièces, on peut affirmer, dis-je, que tant vaut le pathologiste, tant vaut le clinicien. Celui-ci, par conséquent, avant d'être vu à l'œuvre, peut être jugé déjà, du moins sommairement, parle seul examen de ses tendances scientifiques.
A cet égard, je n'en suis plus, Messieurs, à exposer ma profession de foi, et je puis m'en tenir, je pense, à déclarer une fois de plus que, dans mon opinion, l'intervention largement acceptée des sciences anatomiques et physiologiques dans les affaires de la médecine est une condition essentielle de progrès ; vérité, du reste, devenue en quelque sorte banale, avec le temps.
Mais un point que je tiens à relever avec insistance, c'est que, pour être légitime et vraiment féconde, cette intervention doit se faire dans des conditions particulières qu'il importe de ne jamais oublier. Permettez-moi de vous rappeler l'opinion formellement exprimée à ce sujet par un physiologiste illustre entre tous, Claude Bernard: « Il ne faut pas," dit-il, subordonner la pathologie à la physiologie. C'est l'inverse qu'il faut faire. Il faut poser d'abord le problème médical tel qu'il est donné par Vobservation de la maladie, puis chercher à fournir ïexplication physiologique : agir autrement ce serait s'exposer à perdre le malade de vue et à défigurer la maladie. » Yoilà, à mon avis, des paroles excellentes. J'ai tenu à les citer textuellement, parce qu'elles sont absolument significatives. Elles font suffisamment comprendre
qu'il existe en pathologie tout un domaine qui appartient en propre au médecin, que lui seul peut cultiver et faire fructifier, et qui resterait nécessairement fermé au physiologiste qui, systématiquement confiné dans le laboratoire, dédaignerait les enseignements de la salle d'hôpital.
La méthode appropriée à la culture de ce vaste champ peut être appelée nosologiqiœ ; c'est, en somme, la méthode tradi-tJonne;llajiar-excellen.cfi.w car cjest elle qui, depuis quel a médecine existe, s'occupe à décrire les états morbides, à déterminer leur caractéristique, leur étiologie, leurs corrélations, les modifications qu'ils subissent, sous l'influence des agents thérapeutiques. Or, les faits de cet ordre, Messieurs, veuillez le remarquer, constituent nécessairement les assises premières de toute construction scientifique en pathologie, et sans cette base, la physiologie de l'homme malade ne serait qu'un vain mot.
S'il fallait, dans la catégorie des maladies du système nerveux, montrer toute la puissance de cette méthode, il suffirait de rappeler une des parties de l'œuvre inimitable de Duchenne (de Boulogne), ce grand représentant de la neuro-pathologie française. Sans doute, son admirable étude des mouvements musculaires, faite à l'aide de l'électrisation localisée, pourra être, jusqu'à un certain point, réclamée par la physiologie. Mais il n'en est pas de même de sa création des grands types morbides qui s'appellent l'atrophie musculaire progressive, la paralysie infantile, la paralysie pseudo-hypertrophique, la paralysie glosso-laryngée, l'ataxie locomotrice enfin. Cette création, le plus grand côté de l'œuvre, incontestablement, puisqu'elle a peuplé d'être animés, vivants, conformes à la réalité concrète, reconnus de tous, des cadres jusque-là restés vides ou remplis de formes confuses, celte création, dis-je, appartient toute entière à la méthode nosographique.
V.
Mais cette méthode ne doit pas nécessairement se restreindre à l'observation des phénomènes extérieurs de la maladie ; elle peut, sans changer de caractère, s'appliquer au domaine anatomo-palhologique et se l'approprier.
On a dit souvent que les progrès de la pathologie et ceux le l'anatomie pathologique vont de pair. Cela s'est montré vrai, surtout en ce qui concerne les maladies du système nerveux. Un^exemple suffira pour montrer que lavdécouyerle d'une lésion constante, dans les maladies de ce genre, est un résultat d'une portée décisive.
La^jescription^qu'a donnée Duchenne (de Boulogne) de l'a-taxie locomotrice est des plus vivantes, des plus saisissantes. Elle passe, avec raison, pour un chef-d'œuvre. Cependant l'hésitation a régné pendant longtemps dans les esprits, jusqu'au jour où la lésion spinale, décrite depuis longtemps par Cruveilhier, put être rapportée au type clinique.
Néanmoins, quelques auteurs continuaient à penser que l'affection est à son origine une névrose. Toute illusion se dissipa lorsqu'on eut reconnu que la lésion est déjà constituée et parfaitement reconnaissable, dès les premières phases du mal, alors qu'elle ne se révèle encore cliniquement que par des symptômes fugaces, qu'elle est toujours présente, à un degré quelconque, dans les formes frustes, anormales, lesquelles ont pu, ainsi, être rattachées avec assurance au type normal, seul cité dans la description classique de Duchenne (de Boulogne).
Dans ce cas, comme dans bien d'autres, veuillez le remarquer, l'intervention de l'anatomie pathologique offre, en quelque sorte, un caractère purement pratique. Il s'agit, surtout,
de fournir à la nosographie des caractères plus fixes, plus matériels, si l'on peut ainsi parler, que ne le sont les symptômes eux-mêmes. On ne s'occupe pas de saisir la nature des rapports qui unissent les lésions aux symptômes extérieurs.
Sans méconnaître l'importance des résultats obtenus dans
Fig. 1. — AA, cordons latéraux. — A, faisceau de Tiïrck. — BB, zones radiculaires postérieures. — CC, cornes postérieures. — DD, cornes antérieures. — F, zone radiculaire antérieure. — E, cordons de Gall.
cette voie, il est certain que l'étude des lésions peut être adaptée à un autre point de vue et prétendre à des visées plus hautes, plus scientifiques si vous voulez. Elle peut, lorsque les circonstances sont favorables, fournir les bases d'une interprétation physiologique des phénomènes morbides, et, du même coup, par une conséquence inévitable donner au diagnostic plus de pénétration et de rigueur.
J'ai placé sous vos yeux un schéma {Fig. 1) qui représente, en quelque sorte, « le manuel », le « rudiment de la nouvelle
pathologie spinale ». — La moelle s'y trouve divisée en régions beaucoup plus nombreuses que celles reconnues autrefois par l'anatomie et la physiologie expérimentale. C'est là l'œuvre de la méthode anatomo-clinique.
Chacune de ces régions peut se montrer lésée, isolément, systématiquement, comme on dit, sans participation des régions voisines, de telle sorte que nous nous trouvons ici dans les conditions d'une vivisection bien réussie; à chacune de ces lésions circonscrites correspond une symptomatologie particulière qui révèle, en quelque sorte, le trouble de fonctions spéciales à chacune des régions affectées. On apprend ainsi que les faisceaux pyramidaux sont presque exclusivement composés de fibres qui transmettent directement à la moelle, et par son intermédiaire, aux membres, les ordres de la volonté ; que les cellules motrices des cornes antérieures tiennent sous leur dépendance la nutrition des muscles correspondants; que cette région des cornes antérieures n'a rien à faire avec la transmission des impressions sensitives, etc., etc. —Ici donc, la physiologie et la pathologie se confondent, en quelque sorte.
Des résultats analogues ont été obtenus par l'application de cette môme méthode anatomo-clinique à l'étude des localisations dans le bulbe et dans les hémisphères du cerveau. Je me bornerai à de courtes remarques concernant ce dernier point.
Vous n'ignorez pas que, sur cette question des localisations cérébrales, le désarroi est pour le moment dans le camp des expérimentateurs; les uns niant formellement ce que les autres affirment avec non moins d'autorité. À ces débats nous assistons, nous autres pathologistes, non pas certes avec indifférence, mais tout au moins avec calme; nous attendrons avec patience que l'accord se fasse.
C'est qu'en effet les moyens de recherche qui nous appartiennent en propre nous ont mis désormais en possession d'un certain nombre de faits fondamentaux, relatifs à l'homme, contre lesquels les données fournies par la vivisection ne sauraient jamais prévaloir. Ainsi nous savons, de science certaine, que la lésion destructive du faisceau pyramidal, dans son trajet capsulaire en arrière du genou, produit l'hémiplégie permanente vulgaire ; que les lésions destructives de l'extrémité postérieure de la capsule interne produisent le syndrome hé-mianesthésie cérébrale ; pour ce qui est maintenant de l'écorce des hémisphères, on ne discute plus guère aujourd'hui sur le rôle pathologique de la circonvolution de Broca. On sait que la destruction des circonvolutions de la zone dite motrice produit, si elle est générale, l'hémiplégie complète, ou au contraire seulement une monoplégie si la lésion se circonscrit dans telle ou telle région secondaire. Aux lésions irrita-tives de ces mêmes régions se rattachent les phénomènes de l'épilepsie partielle. Sans doute ces faits de localisation ne fournissent pas encore les éléments d'une doctrine arrêtée, concernant le rôle physiologique de diverses régions cérébrales. Mais, tels qu'ils sont, ils représentent comme autant de points de repère qui dirigent le clinicien dans la difficile recherche du diagnostic.
VI.
On comprend, par ce qui précède, l'importance que nous devrons accorder dans nos études à la recherche anatomo-pathologique. Mais vous n'ignorez pas, Messieurs, qu'il existe encore, à l'heure qu'il est, un grand nombre d'états morbides, ayant évidemment pour siège le système nerveux, et qui ne laissent sur le cadavre aucune trace matérielle appréciable. L'épilepsie, l'hystérie même la plus invétérée, la chorée et
bien d'autres états morbides qu'il serait trop long d'énumérer, s'offrent à nous comme autant de sphynx qui défient l'anato-mie la plus pénétrante. Ces composés symptomatiques privés du substratum anatomique ne se présentent pas à l'esprit du médecin avec celte apparence de solidité, d'objectivité qui appartient aux affections désormais rattachées à une lésion organique appréciable.
Quelques-uns même ne voient, dans plusieurs de ces affections, qu'un assemblage de phénomènes bizarres, incohérents, inaccessibles à l'analyse et qu'il vaudrait mieux peut-être reléguer dans la catégorie de l'incognoscible. C'est l'hystérie qui est surtout visée par cette sorte de proscription. Mais un décret, d'où qu'il vienne, ne suffira jamais pour la faire rayer du cadre nosologique. Il nous faudra donc la prendre telle qu'elle est et ne pas nous laisser rebuter par les difficultés que présente son étude. D'ailleurs, Messieurs, seule une observation superficielle a pu conduire à l'opinion que je viens de signaler; une étude plus attentive nous fait voir les choses sous un autre aspect, et un grand mérite de Briquet est d'avoir, dans son beau livre, établi d'une façon irréfragable que l'hystérie reconnaît, elle aussi, au même titre que les autres états morbides, des règles, des lois qu'une observation attentive et suffisamment multipliée permettra toujours de dégager. Permettez-moi, pour ne citer qu'un exemple, de vous rappeler la description de la grande attaque hystérique, aujourd'hui réduite à une formule très simple. Quatre périodes se succèdent dans l'attaque complète avec la régularité d'un mécanisme : 1° épileptoïde ; 2° grands mouvements (contradictoires, illogiques); 3° attitudes passionnelles (logiques); 4° délire terminal. Mais l'attaque peut être incomplète; chacune des périodes peut se montrer isolément; ou encore une ou deux seulement d'entre elles feront défaut. On comprend
combien de variétés pourront résulter de ces combinaisons ; mais toujours il sera facile à celui qui possède la formule de les ramener toutes au type fondamental.
Tout cela intéresse au plus haut point le clinicien qui doit apprendre à s'orienter au milieu de ce dédale en apparence inextricable. Mais ce que je tiens à relever ici, c'est que dans l'attaque, et je pourrais en dire autant de bien d'autres épisodes de l'hystérie, rien n'est laissé au hasard, que tout s'y passe, au contraire, suivant des règles, toujours les mêmes, communes à la pratique de la ville et à celle de l'hôpital, valables pour tous les pays, pour tous les temps, pour toutes les races, universelles par conséquent.
Il est un autre grand fait dans l'histoire des névroses en général et de l'hystérie en particulier qui montre bien que ces affections ne forment pas, dans la pathologie, une classe à part, gouvernée par d'autres lois physiologiques que les lois communes. C'est que leur symptomatologie se rapproche toujours et souvent très étroitement de celles qui se rattache aux maladies à lésions matérielles. Et la ressemblance est parfois si frappante qu'elle rend le diagnostic des plus ardus. On a quelquefois désigné, sous le nom de neuromimésie, cette propriété qu'ont les affections sine materia de simuler les maladies organiques. Entre l'hémianeslhésie vulgaire des hystériques et celle qui relève d'une lésion en foyer l'analogie et frappante. Au fond c'est le même syndrome. Même ressemblance entre la paraplégie spasmodique des hystériques et celle qui relève d'une lésion organique spinale (impuissance motrice, rigidité, exagération des réflexes tendineux, conservation du relief musculaire). Or cette ressemblance, qui désespère parfois le clinicien, doit servir d'enseignement au pathologiste qui, de] rière le syndrome commun, entrevoit une analogie de siège
anatomique, et, mutatis mutandis, localise la lésion dynamique d'après les données fournies par l'examen de la lésion organique correspondante. Et ceci nous conduite reconnaître que les principes qui régissent l'ensemble de la pathologie sont applicables aux névroses, et que, là aussi, on doit chercher à compléter l'observation clinique en pensant anatomiquement et physiologiquement.
VII.
Puisque j'en suis à vous parler des difficultés que le clinicien •encontre dans l'étude des névroses et des moyens dont il dis-ose pour surmonter ces obstacles, il est encore un point que e voudrais, avant de terminer, signaler à votre attention. Il s'agit de la simulation, non plus de cette imitation d'une maladie par une autre, dont nous parlions tout à l'heure, mais bien de la simulation intentionnelle, voulue, dans laquelle des malades exagèrent des symptômes réels, ou encore créent de toutes pièces une symptomatologie imaginaire. Chacun sait, en effet, que le besoin de mentir, tantôt sans intérêt, par une sorte de culte de l'art pour l'art, tantôt en vue défaire sensation, d'exciter la pitié, etc., est chose vulgaire, en particulier dans l'hystérie. Voilà un élément que nous rencontrons à chaque pas dans la clinique de cette névrose et qui jette, il n'y a pas à se le dissimuler, un jour de défaveur sur les études qui s'y rattachent. Mais, aujourd'hui, Messieurs, alors que l'histoire de l'hystérie a été tant de fois remaniée, fouillée dans tous les sens, est-il vraiment aussi difficile que quelques-uns paraissent le croire, de discerner la symptomatologie réelle de la symptomatologie imaginaire? Il n'en est rien, Messieurs, et pour ne point rester dans la généralité, permettez-moi de vous présenter, dès à présent, un exemple concret, choisi entre
Chargot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 2
bien d'autres, et propre, si je ne me trompe, à appuyer la thèse que je défends.
Il s'agit de la catalepsie produite par hypnotisation chez certaines hystériques. La question est celle-ci : cet état peut-il être simulé de façon à tromper le médecin. On croit généralement que si chez un sujet cataleptique un bras est étendu horizontalement, cette attitude peut être conservée par lui un temps assez long pour que cette durée même suffise à écarter tout soupçon de simulation. D'après nos. observations, cela ne serait point exact : au bout de 10, 15 minutes, le membre commence à descendre, et, au bout de 20 à 25 minutes au maximum, il est retombé dans la verticale. Or, ce sont là des limites qu'un homme vigoureux, essayant de garder la même position, peut atteindre. (Test donc ailleurs qu'il faut chercher un caractère distincfif. Chez le simulateur, comme chez le cataleptique, un tambour à réaction, fixé à l'extrémité du membre étendu [fig. 1, R), servira à enregistrer, parla méthode graphique, les moindres oscillations de ce membre, pendant qu'un pneumographe, appliqué sur la poitrine [fig. 1, P), donnera la courbe des mouvements respiratoires. Or, voici ce qu'on observe sur ces tracés, dont je vous présente l'abrégé.
Chez la cataleptique, pendant toute la durée de l'observation, la plume qui correspond au membre trace une ligne droite parfaitement régulière (fig. 2,11).
Pendant ce temps, chez le simulateur, le tracé correspondant ressemble d'abord à celui de la cataleptique, mais, au bout de quelques minutes, des différences considérables commencent à s'accuser; la ligne droite se change en une ligne brisée, très accidentée, marquée par instants de grandes oscillations disposées en séries (fig. 3, II).
Les tracés fournis par le pneumographe ne sont pas moins
significatifs. Chez la cataleptique : respiration rare, superficielle, la fin du tracé ressemble au commencement (fig. 2,1). Chez le simulateur, le tracé se compose de deux parties distinctes. Au début, respiration régulière et normale. Dans la
Fig. /.— Schéma de la disposition des appareils dans les expériences sur l'immobilité cataleptique.
R. Tambour à réaction de Marey. P. Pneumographe. C. Cylindre tournant. TT. Tambours à levier
deuxième phase, celle qui correspond aux indices de fatigue musculaire notés sur le tracé du membre, irrégularité dans le rhythme et l'étendue des mouvements respiratoires ; profondes et rapides dépressions, indices du trouble de la respiration qui accompagne le phénomène de l'effort (fig. 3,1).
En résumé, vous le voyez, la cataleptique ne connaît pas la fati gue, le muscle cède, mais sans effort, sans intervention
volontaire. Le simulateur, au contraire, soumis à la double épreuve, se trouve trahi des deux côtés à la fois : l°par le tracé du- membre qui accuse la fatigue musculaire, et 2° par le
tracé de la respiration qui traduit l'effort destiné à en masquer les effets.
Inutile d'insister. Cent autres exemples pourraient être invoqués, qui montreraient que la simulation, dont on parle
rug. S. — Schéma da tracés obtenus sur une hystéro-épileptique en état de catalepsie
hypnotique.
I. Tracé du pneumographe. II. Tracé du tambour à réaction.
tant quand il s'agit d'hystérie ou d'affections connexes, n'est à tout prendre, dans l'état actuel de nos connaissances, qu'un épouvantail devant lequel s'arrêteront seuls les timides ou les
novices. Désormais, il appartient au médecin véritablement instruit dans ces matières de dépister la fourberie partout où elle se produit et de dégager au besoin, des symptômes réels faisant foncièrement partie de [la maladie, les symptômes si
Fig. S. — Schéma des tracés obtenus ches un homme qui essaye de maintenir l'attitude
cataleptique.
I. Tracé de la respiration. II. Tracé du tambour à réaction.
mules que l'artifice des malades voudrait y surajouter. Nous aborderons donc, avec prudence sans doute, mais aussi avec confiance, l'étude de ces affections redoutées, pénétrés que nous sommes de la sûreté des méthodes d'observation qui sont entre nos mains.
Le temps presse et je dois conclure. Je serais heureux si j'étais parvenu, dans l'esquisse qui précède, à vous faire entrevoir l'idéal vers lequel tendront tous nos efforts. Dans la solution des problèmes qui nous sont imposés, toutes les branches, toutes les disciplines de la science biologique devront, se prêtant un appui mutuel, et se contrôlant l'une l'autre, marcher du même pas vers le même but. Mais je maintiens que, dans ce concertée rôle prépondérant, la juridiction suprême devra toujours appartenir à l'observation clinique.
Par cette déclaration, je me place sous le patronage des chefs de l'Ecole française, nos maîtres immédiats, dont l'enseignement a jeté un éclat si vif sur cette grande Faculté de médecine de Paris à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
DEUXIÈME LEÇON
«»
Sur l'atrophie musculaire qui succède à certaines lésions articulaires.
Sommaire. — Traumatisme articulaire. — Paralysie et atrophie musculaire consécutives. — Modifications de la contractilité faradique et galvanique. — Contractions provoquées par l'étincelle électrique. — Exagération des réflexes tendineux. — Atrophie musculaire simple. — Pas de relation nécessaire entre l'intensité de l'affection articulaire et celle des phénomènes paralytiques et atrophiques. —¦ Les extenseurs de l'articulation sont affectés d'une manière prédominante. — Les lésions musculaires sont sous la dépendance d'une affection spinale deutéropathique.
Messieurs,
Par son origine, l'affection dont souffre le malade qui va vous être présenté peut être dite chirurgicale : c'est, en effet, un traumatisme qui lui a donné naissance. Mais, par le fait de ce traumatisme, il s'est produit une affection spinale, d'un genre particulier, qui persiste encore aujourd'hui, alors que, depuis longtemps, l'arthrite, conséquence immédiate du traumatisme, a cessé d'exister; et c'est à ce titre que le patient réclame notre attention et nos soins.
Le nommé B..., âgé de 23 ans, employé au télégraphe, toujours bien portant, n'offrait dans ses antécédents autre chose à signaler que l'existence, chez un oncle maternel, de troubles mentaux pour lesquels il avait dû être placé dans une maison de santé.
Ce malade vous est présenté couché, bien qu'il soit capable de se lever et de marcher; c'est que je veux d'abord vous faire remarquer certaines particularités qui ne peuvent bien s'observer que lorsque le malade est au lit.
Je ferai ressortir tout d'abord que l'état général est excellent : bonne mine, bon appétit, toutes les fonctions organiques s'exécutent parfaitement. L'affection dont il est atteint consiste exclusivement dans un trouble de la marche, et c'est, comme vous allez le voir, l'usage du membre droit, ou plutôt de certains muscles de ce membre qui laisse à désirer. Il y a un an environ que le malade souffre de cette difficulté de la marche.
L'examen méthodique nous fait reconnaître ce qui suit : quand le malade est au lit, le membre inférieur droit exécute normalement tous les mouvements excepté un seul, l'extension de la jambe sur la cuisse. Les mouvements d'abduction et d'adduction de la cuisse, de flexion de la cuisse sur le bassin et de la jambe sur la cuisse, les mouvements isolés du pied, les mouvements de flexion et d'extension du pied sur la jambe sont libres ; mais l'extension de la jambe fait défaut. Ainsi, quand il veut étendre la jambe placée en demi-flexion, il contracte les extenseurs de la cuisse en faisant glisser son talon sur le plan du lit, ou bien il s'aide de ses mains ou de son autre pied pour allonger le membre. Ce sont donc, vous le voyez, les extenseurs de la jambe qui sont en défaut, ce sont les muscles innervés par le crural et plus spécialement le triceps qui sont affectés.
Le malade peut s'opposer, bien qu'avec moins de force qu'avec le membre sain, aux tentatives d'extension ou de flexion que l'on fait sur les articulations de la hanche et du pied, il résiste aussi fort bien quand on veut redresser le genou fléchi; mais, il n'oppose qu'une faible résistance à la flexion provoquée de la jambe sur la cuisse.
En somme, bien qu'il y ait un peu d'affaiblissement relatif de la plupart des muscles de ce membre, c'est principalement l'action du triceps qui reste aujourd'hui en défaut.
Cette paralysie limitée aux extenseurs du genou se révélera encore lorsque le malade va descendre de son lit, parle côté gauche, et se mettra à marcher. Vous voyez comment, pour descendre, il soulève la jambe droite à l'aide du pied gauche, pour suppléer à l'impossibilité de l'extension du genou droit. Il marche sans appui, mais vous remarquerez quelque chose de particulier dans son mode de progression; notez d'ailleurs que la situation s'est beaucoup améliorée depuis quelques jours : quand le malade est entré, les caractères de la démarche, très gênée encore, étaient beaucoup plus accentués. Vous pouvez toutefois remarquer que, tandis qu'à chaque pas en avant, le genou gauche se fléchit, puis s'étend, il ne se passe dans le membre inférieur droit presque aucun mouvement de flexion ou d'extension du genou; c'est dans la hanche que tout se passe; le membre inférieur droit, trop long en quelque sorte, opère un mouvement de circumduction tout d'une pièce, comme si la jointure du genou n'existait pas. Autrefois, il existait, en outre, une tendance de la pointe du pied à tomber, et qui rendait la marche encore plus difficile : cette paré-sie des muscles qui fléchissent le pied sur la jambe a disparu depuis.
Il importe de remarquer qu'il n'existe aucune trace de douleur survenant à l'occasion des mouvements et pouvant expliquer la difficulté de la progression; la jointure est aussi parfaitement libre; c'est donc dans le système nerveux ou dans les muscles qu'il faut chercher la cause de l'impuissance motrice.
Un examen plus attentif du membre affecté va nous faire
reconnaître d'ailleurs un certain nombre de phénomènes importants. Tout d'abord, vous constatez une diminution de volume du membre tout entier, qui était plus prononcée autrefois.
La mensuration donne :
A droite : A gauche :
A la partie supérieure de la cuisse..... 48 cent. 52 cent.
Au dessus du genou.................. 37 — 38 —
Au niveau du mollet.................. 33 — 35 —
Mais, même sans avoir recours à la mensuration, il est facile de reconnaître que la face antérieure de la cuisse droite est considérablement aplatie, comme excavée ; en outre, les muscles de celte région sont flasques et sans relief, même au moment d'un effort.
Il existe donc non seulement une parésie, mais encore une modification de la nutrition, une atrophie du muscle triceps. Peut-être y a-t-il aussi un peu de refroidissement relatif de la cuisse et du genou, mais sans trouble accentué de la sensibilité cutanée.
Ajoutons, pour compléter la description, les résultats de l'exploration électrique qui nous montre l'état de la nutrition des muscles. Au moment de l'entrée du malade, il y a 8 jours, et) l'excitation galvanique et faradique du nerf crural au pli de l'aine ne donnait presque aucune contraction ; b) sur les points d'élection, la faradisation avec emboîtement complet des bobines (appareil de du Bois-Reymond), ne produisait à peu près aucune réaction; on eût dit que les muscles étaient absents. On pouvait, d'après ce dernier caractère, s'attendre à voir la galvanisation provoquer la réaction qui s'observe quand la nutrition des muscles est profondément affectée, comme cela a lieu après la section expérimentale des nerfs, ou dans la paralysie infantile, quand il y a destruction des cellules motrices, ou bien encore dans les paralysies faciales graves. En
pareil cas, et c'est là un caractère de ce qu'on appelle en électro-diagnostic la réaction de dégénérescence, il se produit une exaltation de l'excitabilité galvanique, en même temps qu'une dépression ou l'absence de l'excitabilité faradique; eh bien, cela n'avait pas lieu dans le cas actuel; le courant galvanique, même avec 50 éléments, quelle que fût la disposition des pôles, ne donnait pas plus de contraction que le courant faradique. Il y avait donc une modification quantitative et non pas qualitative de la réaction; on peut, d'après cela, conclure qu'il s'agit d'une atrophie simple et non d'une atrophie dégénérative \
Chose remarquable d'ailleurs, ce muscle, qui reste à peu près inerte, soit sous l'influence de la volonté, soit sous l'influence des excitations électriques (soit directes, soit indirectes par l'excitation faradique ou galvanique du nerf), se contracte au contraire énergiquement quand, le malade étant placé sur le tabouret de la machine à électricité statique, on détermine une étincelle soit au niveau du droit antérieur, soit au niveau du vaste interne (le vaste externe fait exception, en ce sens qu'il avait conservé un certain degré d'excitabilité faradique et galvanique). Ajoutons que le choc mécanique portant sur le corps du muscle droit antérieur provoque une contraction évidente, et que la percussion du tendon rotulien détermine des secousses très prononcées, non seulement dans le membre percuté, mais qui se généralisent et sont très manifestes dans les deux membres supérieurs et surtout dans le gauche. Il est vrai que la percussion du tendon rotulien, du côté gauche, provoque des secousses presque aussi intenses.
1. M. Rùmpf a étudié, dans le service du professeur Erb, les réactions électriques des muscles dans les cas d'affections articulaires (de l'épaule, du genou, etc.). Il a trouvé, et ses résultats ont été contrôlés nombre de fois par ceux de Erb, que, dans ces cas, il y a une simple diminution de l'excitabilité électrique, et jamais de modification qualitative, ce qui distingue absolument ces altérations musculaires de l'atrophie dégénérative.
Par le redressement brusque de la pointe du pied, la trépidation ne peut être produite ni dans le membre inférieur gauche, ni dans le droit.
Tous les autres muscles du membre présentent les réactions électriques normales. Il n'en aurait cependant pas toujours été ainsi, d'après le récit du malade : ainsi, autrefois, les jumeaux et les muscles antérieurs delà jambe ne se contractaient pas également des deux côtés; mais, depuis, il s'est fait une amélioration. Notons en passant qu'il n'a jamais existé de troubles, ni de la miction, ni de la défécation.
Il s'agit de rechercher maintenant la raison et la signification de tous les phénomènes que nous avons soigneusement étudiés. En résumé, ce malade est atteint d'une paralysie avec atrophie simple, presque exclusivement localisée dans les extenseurs de la cuisse, avec modifications profondes, quantitatives seulement et non qualitatives, de la contractilité électrique.
La localisation des troubles suffit déjà pour guider le diagnostic. On sait aujourd'hui, d'après des études nombreuses1, que la paralysie atrophique des muscles extenseurs ou prédominant tout au moins dans les extenseurs, est une complication fréquente de diverses lésions spontanées ou traumatiques affectant les articulations correspondantes : ainsi, à la suite de lésions diverses de l'articulation scapulo-humérale, on voit souvent le deltoïde s'atrophier; à la suite d'arthrites, d'en-
1. J. Hunter, Œuvres complètes. Trad. Richelot, Paris, 1859, t. I, p. 581.
— A. Ollivier, Des atrophies musculaires. Thèse d'agrég., 1869. — Le Fort, Soc. de chir., 1872. — Sabourin, De l'atrophie musculaire rhumatismale. Thèse de 1873. — J. Paget, Leçons de clinique chirurgicale. Trad. Petit, 1877.
— E. Valtat, De Vatrophie musculaire consécutive aux maladies articulaires (étude clinique et expérimentale), Thèse de 1877. — Darde, Des atrophies consécutives à quelques affections articulaires, Thèse de 1877. — Guyon et Féré, Note sur l'atrophie musculaire consécutive à quelques traumatismes de la hanche, In Progrès médical, 1881, etc.
torses, etc., de la hanche, ce sont les fessiers qui sont quelquefois atteints de même; si c'est le genou qui est lésé, le triceps fémoral est atteint dans sa nutrition et sa motilité.
Ces faits, déjà connus de Hunter, de Paget, plus explicitement signalés dans ces dernières années par M. Ollivier, et enfin par M. Le Fort et dans la thèse précieuse de M. Valtat, où l'on montre expérimentalement, chez les animaux (cobayes et chiens), qu'à la suite d'arthrites du genou déterminées à l'aide d'injections irritantes, ce sont les muscles de tout le membre, mais plus spécialement les extenseurs de l'articulation qui sont atteints. Et, dans ce cas, l'atrophie, présentant les caractères de l'atrophie simple, sans caractère irritatif, survient très rapidement ; elle est de 20 0/0 au bout de 8 jours et de 44 0/0 au bout de 15 jours.
Eh bien, cet ordre de causes et cette relation entre l'affection musculaire et l'affection de la jointure peuvent-ils être invoqués dans notre cas! Oui, incontestablement; vous allez le reconnaître d'après l'étude du passé de notre patient, et il ne sera pas nécessaire d'aller chercher plus loin la raison des troubles observés; à l'origine de tous les accidents, il y a un traumatisme, et ce traumatisme a porté sur le genou, exclusivement sur le genou.
Il y a environ un an, le 5 mai 1881, B..., en sautant pardessus un arbre couché, s'est heurté le genou droit; il n'y a pas eu de chute, pas de douleur vive, cependant, le frottement avait été assez fort pour déchirer le pantalon. Il a pu marcher et faire trois kilomètres sans gêne ; mais, étant obligé de descendre une côte, il a éprouvé une certaine raideur dans-le genou et il a dû s'arrêter. C'est alors seulement qu'il a constaté qu'il existait une gouttelette de sang sur la partie antérieure de son genou, lequel n'était le siège d'aucun gon
flement. Quand il se releva, il ne put marcher qu'à l'aide d'une canne.
Pendant les 8 jours qui suivirent, il survint un peu de gonflement de la jointure.; le malade resta au lit, mais sans fièvre. Les médecins qui le voient paraissent étonnés du contraste qui existe entre l'arthrite, qui semble très légère, relativement peu douloureuse, et l'impuissance motrice qui est considérable. Un appareil silicate, maintenu pendant 21 jours, n'améliora pas les choses ; et, au sortir de l'appareil, même contraste, même étonnement du médecin qui ne comprend pas qu'en présence d'une arthrite indolore, il puisse exister une impuissance motrice aussi prononcée. Ce n'est que quatre mois après le début qu'on employa un traitement approprié à la situation, la faradisation ; et c'est alors seulement qu'il se ût un amendement et que la marche est devenue moins difficile.
La relation qui existe entre cette paralysie qui persiste au bout d'un an et un traumatisme léger qui n'a déterminé qu'une arthrite peu intense, n'a rien qui doive nous étonner, si nous consultons l'histoire naturelle, aujourd'hui assez bien connue après les travaux récents, des paralysies atrophiques articulaires ou de cause articulaire.
Si, en effet, dans un grand nombre de cas, les arthrites pro-topalhiques, spontanées ou traumatiques, qui déterminent les paralysies atrophiques, sont des arthrites douloureuses, d'une grande intensité, il n'en est pas toujours ainsi, tant s'en faut. Ainsi, une simple entorse bientôt guérie, une simple hydarthrose, affection non inflammatoire, non douloureuse, et, comme dans notre cas, une arthrite légère peuvent déterminer les mêmes troubles. Un y a aucune relation nécessaire entre l'intensité de Vaffection articulaire et celle des phénomènes paralytiques et atrophiques.
Pour ce qui est de la persistance des accidents deutéropa-thiques (paralysie et atrophie) après la cessation de l'affection protopathique (arthrite), c'est en quelque sorte la règle; et c'est là, dans l'histoire des paralysies amyotrophiques de cause articulaire le fait peut-être le plus intéressant, tant au point de vue pathologique qu'au point de vue clinique.
Le clinicien doit en effet être prévenu de cette circonstance remarquable. Il ne doit pas, en présence d'une arthrite légère, lorsque les phénomènes d'impuissance motrice ou l'atrophie sont bien constatés, s'exposer à porter un pronostic favorable, ni promettre une issue heureuse dans un bref délai; ce pronostic serait peut-être démenti. Vous le voyez, des mois peuvent s'écouler, laissant encore le membre hors de service, alors que depuis longtemps l'arthrite n'est plus représentée que par un peu d'empâtement des tissus péri-articulaires ou même ne laisse plus aucune trace.
Ces particularités nous conduisent à rechercher quelle peut être la raison physiologique de cette singulière complication des affections articulaires ; cette connaisance pourra peut-être nous guider dans la direction du traitement.
La plupart des auteurs contemporains paraissent d'ailleurs fixés sur ce point de théorie : l'affection articulaire a, par la voie des nerfs articulaires irrités, retenti sur le centre spinal, et là il modifie les centres dont émanent les nerfs moteurs et les nerfs qui président à la nutrition des muscles.
Il existerait dans la moelle une relation plus ou moins directe entre les cellules d'origine des nerfs centripètes articulaires et les cellules d'origine des nerfs moteurs et trophi-ques des muscles extenseurs (crural dans le cas qui nous concerne), puisque le résultat, quand il se produit, est constant, c'est-à-dire que, toujours, dans le cas d'irritation des nerfs du
genou, c'est sur les muscles extenseurs (triceps), ou du moins plus spécialement sur ces muscles, que porte l'atrophie. Je dis plus spécialement, car l'irritation, partie des nerfs articulaires, peut se répandre par diffusion en dehors de la distribution du crural, dans les muscles de la jambe et du pied. Dans les lésions articulaires de l'épaule, du coude, de la hanche, c'est toujours aux extenseurs que l'atrophie prédomine, bien qu'elle puisse comprendre plusieurs autres groupes musculaires du membre.
Remarquez qu'aucune autre des théories proposées ne peut être acceptée; ainsi, on parle de la propagation de l'inflammation articulaire, de proche en proche, jusqu'aux muscles voisins ; mais l'atrophie existe au même degré dans toute l'étendue du muscle, et d'ailleurs les expériences montrent qu'il y a atrophie simple, sans trace d'inflammation, sans myosite. L'hypothèse de l'atrophie par repos prolongé n'est pas admissible; l'affection articulaire est souvent assez peu intense pour ne déterminer qu'un repos de courte durée, et d'ailleurs, dans celte théorie, comment pourrait-on expliquer la localisation à peu près exclusive de l'atrophie aux extenseurs ?
On est donc réduit à admettre une affection spinale deuté-ropathique, et c'est en conséquence de cette affection que la paralysie et. l'atrophie se produisent. Mais en quoi consiste la modification du centre médullaire? Ce n'est pas une modification profonde de la cellule des cornes antérieures : car nous connaissons les effets de l'altération profonde de ces éléments dans la paralysie infantile, où il y a réaction de dégénérescence, à savoir exaltation de l'excitabilité galvanique et dépression de l'excitabilité faradique; à moins que, l'affection étant très avancée, le muscle soit tout à fait détruit; alors il
y aurait abolition des deux modes d'excitabilité, mais à peu près sans retour possible. Ici, au contraire, nous voyons que, par un traitement approprié, déjà les réactions électriques réapparaissent. Il s'agirait donc alors seulement d'une sorte d'inertie, de stupeur de l'élément cellulaire.
Faut-il conclure de là que, si, dans les cas de ce genre, on recourait, dès l'origine, à un traitement approprié, on obtiendrait une guérison rapide? Cela est vraisemblable; et cela me conduit à vous parler du traitement.
Toutefois, auparavant, faisons remarquer l'exaltation des réflexes tendineux des membres inférieurs. Est-ce une particularité du sujet, ou bien y a-t-il un état morbide d'excitation réflexe exagérée dans toute l'étendue de la moelle, en dehors de la région où, au contraire, les cellules motrices sont dans l'état de torpeur que nous supposions tout à l'heure ? Cela paraîtrait vraisemblable, d'après quelques autres faits analogues à celui qui nous occupe, et dont j'aurai occasion de vous parler bientôt.
Mais, j'en viens au traitement. Il s'agit ici d'une lésion spinale dynamique, sans modification profonde, autant qu'on sache, et l'on peut, sans crainte, insister sur le traitement électrique; les résultats obtenus jusqu'à présent sont encourageants pour l'avenir. L'étincelle électrique paraît avoir joué déjà un rôle remarquable, en ramenant l'excitabilité là où la faradisalion et la galvanisation restaient sans effet. Nous n'avons plus, dès lors, que l'embarras du choix : nous pouvons employer tour à tour l'étincelle électrique, la galvanisation et la faradisalion. Je me réserve de vous dire dans une prochaine occasion comment ce traitement sera conduit
1. Comme on vient de le voir, dans certains cas, un muscle absolument inexcitable par les courants faradique et galvanique se contracte au con-
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 3
Dans ce cas, l'affection spinale d'origine articulaire s'est présentée sous une forme bénigne, l'issue sera favorable, et
Iraire très bien sous l'étincelle électrique. Ce fait déjà signalé dans une leçon de M. Charcot sur l'électricité statique (Revue de médecine, 1881, n° 2) montre combien sont relatives et contingentes les données actuelles de l'électro-diagnostic. Il est très frappant qu'au nom des méthodes usuelles (galvanisation et faradisation exclusivement) on puisse déclarer électrique ment inexcitable un muscle qui se contracte normalement, dès que l'on a recours à un autre mode d'excitation électrique.
Il ne faudrait pourtant pas croire que cette prévalence d'action de l'étincelle électrique soit la règle. L'étincelle peut fort bien ne pas se montrer plus efficace que les courants, à provoquer la contraction d'un muscle malade. C'est ce que nous avons constaté, ces jours-ci encore, chez une femme atteinte d'atrophie incomplète des muscles du cou et des membres supérieurs, avec diminution (non absence) des réactions faradique et galvanique.
Quoi qu'il en soit, au point de vue pratique, les faits analogues à celui qui vient d'être étudié par M. Charcot prouvent l'importance de l'électricité statique en électro-diagnostic. Dorénavant, aux réactions faradique et galvanique, il faut ajouter la réaction franklinique ou (plus euphoniquement) franklinienne. On sait que beaucoup d'auteurs anglais ou américains désignent l'électricité statique, du nom de franklinisme : d'où franklinisation pour l'électrisation statique. Il y aurait au moins l'avantage de la brièveté à adopter ces dénominations.
fiestera à déterminer la signification clinique de cette réaction.
Venons-en au traitement du malade. Depuis la leçon,, il a été électrisé statiquement (ou mieux franklinisé) trois fois, ce qui porte à 8 le nombre total des séances. Il s'est produit une amélioration sensible qui contraste avec l'état antérieur, demeuré pendant de longs mois stationnaire, malgré les divers traitements. La marche est plus facile, etc.; mais, chose remarquable, es réactions faradique et galvanique reparaissent, de plus en plus nettes. Nulles, dans le principe, avec le maximum de l'appareil à chariot (pour la fa.adique) et un courant de plus de 20 milliampères (pour la galvanique), on les obtient maintenant dans les muscles malades avec 4 ou 5 centimètres d'écartement des bobines, et 9 ou 10 milliampères.
Point important, ces deux réactions ont reparu simultanément. Pour l'une comme pour l'autre, il n'existe usqu'à présent que la contraction kathodale de fermeture En d'autres termes, le courant faradique ne donne de contraction que lorsque le muscle est excité avec le pôle négatif. (Nous avons insisté, dans un récent article sur l'électro-diagnostic, sur la nécessité de tenir compte de la direction du courant pour le faradique, aussi bien qu'on le fait pour le galvanique). Pour le courant galvanique, on n'a aussi de contraction qu'en faisant l'excitation avec le pôle négatif et cette contraction ne se produit qu'au moment où l'on établit le courant. Toutes choses qui, ainsi que nous l'avons récemment exposé, se trouvent complètement exprimées par ces trois lettres : K, S, Z. Il y a donc une simple diminution d'excitabilité sans altération qualitative. Ces détails viennent confirmer le jugement porté par M. Charcot, au cours de la leçon, qu'il ne s'agit que d'une atrophie simple.
Pour ce qui est de la manière dont le traitement électrique sera poursuivi, nous avons, comme dit le professeur, le choix entre la faradisation,
cela est le cas habituel. Il est possible que, dans certains cas, l'affection spinale et l'affection musculaire consécutive soient plus profondes.
Il ne faut pas oublier non plus que la parésie et l'atrophie ne sont pas les seuls troubles deutéropalhiques qui puissent résulter d'une lésion articulaire. Ce groupe de faits est plus compliqué. Ainsi, certaines arthrites ou traumatismes articula galvanisation et la franklinisation. Dans l'état actuel des choses, il serait difficile de donner un motif péremptoirc de préférence pour l'un de ces moyens. Le parti le plus simple sera de continuer l'électrisation statique. Ses bons effets ont été évidents jusqu'ici, et elle est d'une application commode. Cela ne nous empêchera pas, d'ailleurs, de recourir de temps à autre à l'exploration ordinaire des réactions.
Reste à indiquer avec plus de précision comment sera exécuté ce traitement. Nous savons par expérience que l'étincelle électrique agit de la façon la plus favorable sur la nutrition des muscles; nous avons notamment traité avec succès, par ce moyen, une paralysie faciale ancienne, d'origine périphérique, et dans laquelle les réactions électriques étaient complètement abolies.
Mais, point sur lequel nous insisterons, pour obtenir des résultats thérapeutiques, les fortes étincelles, administrées au moyen d'une tige ou boule métallique, ne sont pas indispensables. Pour notre malade, elles ont été surtout un moyen d'exploration; pour le traitement, il subira désormais de produire, au moyen d'une tige de bois, des décharges en aigrette, beaucoup moins fortes et incapables de donner Uni a une contraction. C'est le procédé qui nous a déjà réussi, par exemple, dans certaines atrophies considérables de cause rhumatismale. M. le professeur agrégé Regimbeau (de Montpellier) a constaté, de son côté et d'une façon indépendante, des faits analogues (communication orale).
Pratiquement, cela est bon à savoir, car il n'est pas toujours sans inconvénient de chercher à provoquer, quand même, la contraction d'un muscle malade.
Théoriquement nous voyons l'action trophique la plus évidente être exercée par une décharge électrique dont la quantité comparée à celle des courants galvaniques usuels (en électrolhérapie) est absolument négligeable. Il convient donc de n'accepter que sous toute réserve, les vues systématiques des auteurs qui font le départ des propriétés physiologiques du courant, attribuant les effets trophiques a la quantité, par analogie sans doute avec les eflets chimiques. II est très probable que la question n'est pas si simple que cela.
En somme, le malade, sujet de la leçon de M. Charcot, nous a donné amplement l'occasion de justilier une fois de plus l'usage que nous faisons à la Salpêtrière de la machine électrique.
Dans l'état présent de l'électrothérapie, il ne saurait exister aucune raison a priori d'écarter un procédé. C'est donc à l'expérience seule qu'il faut demander des arguments pour ou contre l'électricité statique.
Romain Yicounoux.
laires produisent encore, par action réflexe, une contracture limitée aux muscles de la jointure ou s'étendant à tout le membre. Ce sont même là des cas très fréquents et l'on sait que, dans ces conditions, les jointures se placent dans la flexion, les fléchisseurs l'emportant sur les extenseurs. Dans d'autres cas, l'atrophie et la contracture se combinent.
Ces variétés d'affections spinales, produites sous l'influence d'une cause toujours la même, en apparence, nous intéressent particulièrement et nous aurons l'occasion d'y revenir, à propos de plusieurs malades qui se trouvent actuellement dans le service.
TROISIÈME LEGÓN
I. Contracture d'origine traumatique. — II. Tic non douloureux de la lace chez une hystérique.
Sommaire. —I. Influence du traumatisme sur la localisation de certaines déterminations diathésiques. — Contracture d'origine traumatique chez les sujets qui présentent la rigidité spasmodique à l'état latent. — Exagération des réflexes tendineux chez les hystériques.
II. Tic non douloureux de la face typique. — Contracture des muscles de la face chez une hystérique. — Simulation.
Le service de la clinique renferme, en ce moment, quelques cas fort intéressants, à mon avis, et tout à fait dignes de vous être présentés. Or quelques-uns d'entre eux pourraient nous échapper d'ici quelques jours ; chez d'autres, les accidents que je tiens à relever sont de ceux qui s'effacent quelquefois tout à coup, d'une façon imprévue. Je crois donc qu'il sera prudent de saisir l'occasion propice et de vous entretenir aujourd'hui même de ces faits.
I.
Le premier cas que je vais vous soumettre vous fera reconnaître l'influence qu'ont parfois les lésions traumatiques les plus banales sur le développement des phénomènes de l'hystérie locale, sur le développement de la contracture, en particulier.
On sait depuis longtemps que certaines affections, subor
données à une maladie diathésique, se développent quelquefois à l'occasion d'une lésion traumatique. Il est habituel alors que ces affections se localisent tout d'abord dans les parties mêmes où la piqûre, la contusion, la foulure se sont produites. C'est le cas, par exemple, pour le rhumatisme articulaire aigu, la goutte, ainsi que je l'ai depuis longtemps fait remarquer ; ainsi, chez un sujet goutteux, rien de plus commun que de voir survenir, en dehors des accès réguliers du printemps ou del'automne, un accès supplémentaire, à la suite d'une chute, par exemple. Et, chose remarquable, alors que les accès spontanés se localisent dans le lieu d'élection, l'accès suplémentaire aura pour siège, soit l'épaule, soit le genou, si c'est l'une ou l'autre de ces articulations qui a été atteinte de contusion ou de foulure. C'est là une notion aujourd'hui vulgaire, et, dans ces dernières années, M. le professeur Verneuil et ses élèves ont mis en pleine valeur l'intérêt qui s'attache à l'étude des faits de ce genre, au point de vue chirurgical.
Mais, ce que l'on sait moins peut-être, c'est que certains phénomènes locaux de l'hystérie, et, en particulier, la contracture d'un membre, se manifestent quelquefois de la même façon et sous les mêmes influences.
J'entre immédiatement dans l'exposé du cas, et, chemin faisant, je signalerai les enseignements qu'on en peut tirer.
Cette grosse fille, âgée de 34 ans, est une de nos plus anciennes pensionnaires de la division des épileptiques simples; elle est ici, en effet, depuis plus de 12 ans. Elle appartient à la catégorie des malades que, dans le service, on désigne sous le nom ¥ hystéro-éjrilep tiques àjyrises distinctes.
Je vous dois une courte explication, relativement à la signification de ce mot : cela veut dire que cette fille est atteinte
de deux maladies, dont les accès se présentent séparément; tantôt ce sont les crises hystériques qui se manifestent (les attaques, comme on dit ici), tantôt ce sont les crises d'épilepsie (les accès). On désigne, au contraire, sous le non à'ky siéra-épi-lepsie à crises mixtes les cas dans lesquels l'hystérie seule existe, mais dans lesquels aussi la maladie est caractérisée, dans le? attaques régulières, par 4 périodes, dont l'une, la première, s les apparences de l'épilepsie (phase épileptoïde, hystérie épi-leptiforme). Nous avons proposé la dénomination de grande hystérie pour caractériser celle forme et remplacer ce mot d'hystéro-épilepsie à crises mixtes, qui prête à la confusion.
Notre malade est à la fois atteinte de grande hystérie et d'épilepsie proprement dite, dont les attaques surviennent la nuit, avec morsure de la langue, émission involontaire d'urine, etc. Autrefois, c'est-à-dire antérieurement aux cinq dernières années, l'hystérie l'emporlait sur l'épilepsie : ainsi, en 1874, on comptait en un mois 244 attaques (hystérie) et 62 accès (épi lepsie) ; mais depuis 1876, les altaques ont une tendance disparaître, et les accès, bien que moins nombreux aussi, ; présentant à l'époque des règles tiennent décidément la première place.
Une des particularités des attaques d'hystérie chez B., à l'époque où elles se manifestaient en même temps que les accès d'épilepsie, c'est qu'elles étaient fréquemment suivies de con-traciures du membre inférieur droit, durant pendant 15 jours, un mois, etc. C'était à droite qu'existait l'hémianesthésie et et l'ovarie ; c'était à droite aussi que se manifestaient les phénomènes prodromiques de l'attaque (bourdonnements d'oreille, battements dans la tempe, etc.).
Les phénomènes hystériques s'étaient effacés presque complètement dans le cours de ces dernières années, et la malade était considérée par nous, depuis 5 ou 6 ans, non plus comme
une hystérique, mais bien comme une épileptique, dont les crises d'ailleurs tendaient à diminuer, sinon d'intensité, au moins de nombre.
Or, le 16 mai, c'est-à-dire il y a cinq jours, est survenu un accident qui nous a démontré que l'hystérie n'est pas encore éteinte, tant s'en faut, chez cette femme, et que la diathèse était là toujours vivace, mais à l'état latent. B... se rendait comme cTliabTtude à l'atelier où elle travaille, elle n'avait rien présenté de particulier les jours précédents; par maladresse, et sans avoir éprouvé aucun étourdissement, aucun vertige — elle est très explicite sur ce point, — elle fit dans l'escalier un faux pas, tomba lourdement sur le côté gauche et glissa comme une masse inerte sur une dizaine de marches. Deux de ses compagnes l'ont relevée aussitôt; elle ne s'était pas fait grand mal, et, aujourd'hui, la seule trace de la contusion consiste en une ecchymose qui couvre la malléole externe du côté gauche. Mais, immédiatement après la chute, la marche était devenue très difficile, et la raison de celte difficulté était dans l'existence d'une rigidité survenue dans toutes les jointures (hanche, genou, cou-de-pied) du membre inférieur gauche, qui avait supporté le choc.
Nous avons vu la malade, le lendemain matin, et nous l'avons trouvée dans l'état où nous la voyons aujourd'hui, et que nous allons vous faire constater à l'instant.
La malade vous est présentée couchée sur le côté droit. Le membre inférieur gauche est rigide au niveau du genou, au niveau du cou-de-pied. L'extension et la flexion sont également impossibles, la résistance est égale, quel que soit le sens dans lequel on veut agir. Les muscles fléchisseurs et extenseurs sont les uns et les autres en action, comme vous le voyez seulement, ainsi que cela est habituel, dans ce genre de contracture, en ce qui concerne le membre inférieur, c'est l'exten
sion qui prédomine; la cuisse et la jambe sont étendues; le pied est dans la flexion plantaire, par suite de l'action prédominante des jumeaux; en d'autres termes, les segments du membre sont en ligne droite, le pied offrant la position du pied-bot équin direct. J'ajouterai que le membre inférieur, que l'on peut comparer à une barre rigide, est dans l'adduction; si on parvient à l'écarter de la ligne médiane et qu'ensuite on l'abandonne à lui-même, il revient dans sa position première, comme par un mouvement de ressort. En outre, ce membre a subi, dans l'articulation de la hanche, un mouvement de torsion, par suite duquel la rotule et la pointe du pied regardent presque directement en dedans. D'ailleurs, aucun gonflement, aucune douleur articulaire, rien qui rappelle la chute, si ce n'est l'ecchymose au voisinage de la malléole externe, dont il a été question plus haut.
Je vous ferai remarquer que cette attitude forcée du membre est survenue, en quelque sorte, subitement. C'est là, ainsi que je l'ai fait ressortir déjà, un des apanages de la contracture spasmodique des hystériques, par opposition aux contractures de cause organique. Ainsi, dans la paraplégie spasmodique de la myélite transverse, de la sclérose en plaques, etc., ce n'est pas d'un coup que les choses en arrivent là; cette situation se prépaie lentement; dans une première période, vous avez une paraplégie avec flaccidité des membres, il y a seulement exagération des réflexes tendineux; dans une deuxième période, vous voyez survenir des accès de rigidité; dans une troisième, la rigidité s'établit dans l'extension ou la demi-flexion; et, enfin, dans une quatrième période qu'on n'observe presque jamais, ou du moins exceptionnellement, il y a rigidité invincible qui fait comparer les membres à des barres inflexibles.
Un des caractères les plus intéressants de la contracture
hystérique, c'est, vous le voyez, qu'elle peut arriver à son
^maximum tout d'un coup.
L'apparition de la contracture dans les circonstances qui viennent d'être racontées, chez un sujet connu pour avoir été affecté d'hystérie à un haut degré et pour avoir été déjà atteint de contracture, devait nous conduire tout naturelle-
¦* ment à soupçonner chez elle l'imminence d'un prçtjfe hystérique^ Nous devions donc rechercher si d autres stigmates de l'hystérie ne s'étaient pas manifestés chez elle à la suite du choc traumatique, en même temps que la contracture. C'est ce qui est arrivé en effet : l'hémianeslhésie, qui autrefois occupait le côté droit, n'existait plus depuis quelques années ; elle a reparu ; mais, maintenant, elle occupe le côté gauche, le côté où a porté le choc et où s'est faite la contracture.
L'aneslhésie occupe tout le côté gauche, les membres, le tronc, la face, à l'exception des parties qui avoisinent les organes des sens, comme cela arrive quelquefois. Il n'y a pas d'ovarie.
A part ces circonstances, rien à signaler, si ce n'est l'insomnie qui dure depuis cinq jours et l'apparition des règles qui sont venues en leur temps, depuis deux jours. Or, c'est à l'époque menstruelle qu'arrivent habituellement chez elle les crises d'épilepsie et qu'arrivaient autrefois aussi les crises hystériques. Il est au moins fort vraisemblable que, d'ici quelques jours, nous assisterons à une manifestation de ce genre, à la suite de laquelle la contracture pourra disparaître comme elle est venue, c'est-à-dire tout à coup ou à peu près. Et c'est pour cela que j'ai tant tenu à vous présenter cette femme aujourd'hui même ; car l'occasion de vous mettre sous les yeux une contracture hystérique d'origine traumatique pourrait ne pas se présenter à nous d'ici longlemps.
Mais, me direz-vous, êtes-vous bien convaincu que le trau-
matisme a eu sur le développement de cette rigidité spasmo-dique du membre l'influence que vous supposez? Ne s'agit-il pas là simplement d'une coïncidence fortuite? A l'appui de la thèse que je soutiens, les raisons à faire valoir ne manquent pas.
Prenons d'abord nos arguments en dehors de l'hystérie elle-même : 1° J'ai déjà eu occasion de relever les analogies considérables qui rapprochent la paralysie spasmodique des membres chez les hystériques, ou celles qui ne relèvent d'aucune affection spinale matérielle, des paralysies spasmodiques hémiplégiques ou paraplégiques qui se rattachent aune lésion médullaire. Ainsi, dans l'hémiplégie consécutive à une lésion du cerveau, occupant la capsule interne sur le trajet du faisceau pyramidal, les membres peuvent rester flasques; mais la contracture existe là, pour ainsi dire à l'état latent, comme le montre l'exagération des réflexes tendineux (phénomène du pied, phénomène du genou); et, quelquefois, en insistant, en répétant les chocs sur le tendon rotulien, on produit une contracture temporaire qui dure quelques minutes. Eh bien I dans de telles conditions, il y a imminence de contracture, et celle-ci pourra se développer si une lésion traumatique survient; et elle se manifestera sur la partie même qui aura été le siège de la contusion, de l'entorse. Ainsi, chez une femme hémiplégique dont l'histoire a été rapportée par M. Terrier, il se produisit une contracture qui persista plusieurs mois. On pourrait citer d'assez nombreux exemples du même genre, relatifs non seulement à l'hémiplégie, mais à la paraplégie, qui prennent le caractère spasmodique sous l'influence d'un traumatisme. D'ailleurs, pour déterminer la contracture dans un membre atteint de paralysie flasque, un traumatisme violent n'est pas nécessaire ; une faradisation intempestive, l'application d'un vésicatoire, d'un emplâtre stibié peut produire le même effet que le choc.
La théorie qui permet de fixer ces faits dans l'esprit est la suivante : 11 existe dans ces cas de paralysies qui reconnaissent pour cause une lésion matérielle, une hyperexcitabilité de la substance grise et en particulier des cellules motrices des cornes antérieures, un état spécial que j'ai proposé, faute de~Tîïîêïïx, de désigner sous le nom de strychnisme; or, les irritations cutanées, les irritations des nerfs centripètes en général, augmentent l'excitation déjà exagérée de la cellule motrice; la mesure est comblée, et le nerfcenlrifuge transporte l'excitation dans les muscles qu'il anime.
Mais il est temps de revenir à l'hystérie. Eh bien ! chez beaucoup d'hystériques, du côté de l'aneslhésie principalement, mais quelquefois un peu partout, il existe une excitabilité réflexe exagérée, bien que l'on trouve une parésie, une faiblesse dynamométrique bien marquée. Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'une excitation des nerfs centripètes, tendineux ou autres, déterminent les mêmes effets que dans les cas où il existe une lésion des centres nerveux ; la paralysie spasmo-dique des membres sans rigidité pourra, dans les mêmes conditions, se transformer en une paralysie avec conlraclure et rigidité articulaire.
Je pourrais citer de nombreux exemples du même genre, dont quelques-uns sont rapportés dans l'appendice du premier volume de mes leçons faites à la Salpêtrière. Dans un cas, à la suite d'une chute sur le dos de la main, on vit survenir une contracture du poignet qui dura plusieurs mois; j'ai encore observé le même phénomène à la suite d'un froissement de la main dans l'engrenage d'une machine; une autre hystérique, qui avait eu le dos du pied fortement pressé contre le barreau d'une chaise, fut atteinte d'une contracture du pied, etc. Brodie, qui connaissait parfaitement ces faits, et qui a été le premier à les faire connaître, en 1837, dans son
livre sur certaines affections nerveuses locales, cite des contractures du membre supérieur, à la suite de piqûres du doigt.
Ces faits sont d'autant plus intéressants que la contracture déterminée par le traumatisme est souvent la première marij-^ festation de la dialhùse-hyslérique. Ainsi, un traumatisme banal amène une contracture chez un jeune sujet qui, jusqu'à ce jour, n'a présenté aucun phénomène nerveux; regardez-y de près, et, vraisemblablement, vous verrez quelque accompagnement qui vous fera reconnaître jusqu'à l'évidence que l'hystérie est enjeu ; il serait bien étonnant que vous ne trouvassiez pas dans ces circonstances quelque trace d'hyperes-thésie, d'anesthésie, ou bien une douleur ovarienne, ou quel-qu'autre indice du même genre.
Je puis, d'ailleurs, vous rendre témoin de cette tendance à la contracture, qui existe souvent au plus haut degré chez certaines hystériques, il ne s'agit pas toujours chez elles de la grande hystérie, de l'hystérie à grandes attaques, mais de l'hystérie vulgaire.
Je vous présente deux jeunes hystériques dont, soit dit en passant, la mine éveillée et le goût pour la parure rendu manifeste par les rubans et les fleurs dont elles sont ornées, offrent un contraste frappant avec l'attitude de notre première malade, dont la physionomie trahit un état intellectuel considérablement affecté par la répétition des crises épileptiques. L'une de ces malades offre une anesthésie par plaques et une ovarie gauche; elle a des contractures spontanées à la suite de ses attaques ; l'autre esthémianesthésique gauche, son côté droit est analgésique, elle est ovarienne double. Vous voyez que, par la percussion répétée du tendon rotulien et du tendon d'Achille, leur jambe se place dans l'extension, tandis que le
pied se fléchit dans la position du pied-bot équin ; cette attitude est fixe, la rigidité du membre est absolue, on ne peut lui communiquer aucun mouvement ni d'extension, ni de flexion ; il s'agit en un mot d'une contracture des mieux ca-ractérisées, qui pourra durer plusieurs heures, si nous ne la faisons cesser en excitant les antagonistes, par le môme procédé que nous venons d'employer pour la provoquer. Ce que nous venons de faire sur le membre inférieur, nous pouvons le répéter sur le membre supérieur. Si, avec un marteau à percussion, nous frappons à petits coups répétés sur les fléchisseurs des doigts au niveau du poignet, vous voyez encore la main et les doigts se placer dans une flexion exagérée et rester fixés en contracture.
Je pense en avoir assez dit pour mettre en évidence l'influence des lestons traumatiques sur le développement de la contracture chez les hystériques, et, en dehors de l'hystérie, chez les sujets prédisposés par certaines lésions organiques. Nous aurons maintes fois l'occasion, dans le cours de nos études, d'appliquer cette notion intéressante à l'explication de certains phénomènes autrement inexplicables.
Mais, j'en reviens à la contracture de 13... Qu'allons-nous en faire? Attendre d'abord la révolution prévue, inévitable, en quelque sorte, qui peut-être y mettra fin. Mais, si elle persiste? Comme il s'agit d'une contracture unilatérale, nous avons sur elle quelque prise ; nous pouvons peut-être, avec l'aide de l'aimant ou par l'action d'autres agents du même ordre, provoquer un transfert de la contracture du côté opposé, et il peut se faire qu'à la suite d'un très grand nombre de ces transferts, la contracture s'épuise.
Il vient actuellement à notre consultation externe une petite malade dont l'histoire confine à celle de l'hystérie, si elle ne lui appartient pas tout à fait. Il s'agit d'une jeune Israélite de Saint-Pétersbourg, âgée de quinze ans, non réglée, qui fréquente notre clinique depuis environ six semaines. Elle est venue chercher à Paris une guérison qu'elle n'a pas encore obtenue ailleurs ; j'ignore si nous pourrons lui donner ce qu'elle demande, ou plutôt ce que son père demande pour elle. Yous comprendrez tout à l'heure pourquoi je fais cette réserve.
Il s'agit ou il paraît s'agir d'un tic non douloureux de la face ; mais l'affection se présente chez elle avec des caractères spéciaux qui s'éloignent considérablement du type normal.
Yoici également une femme, Messieurs, que j'aurai l'occasion de vous montrer clans une autre circonstance, et qui présente le tic facial non douloureux, sous sa forme commune. C'est une ancienne hystérique, ou plutôt c'est une femme encore hystérique, bien qu'elle ait plus de 50 ans, et chez laquelle les attaques hystéro-épilepliques ont depuis longtemps disparu ; mais, il lui reste une hémianesthésie gauche, et, de ce même côté, elle a un tic facial qui date de quatre ou cinq ans. Ce tic se manifeste par accès, qui se répètent plus ou moins souvent dans la journée, et il est constitué par un mouvement des paupières et un tremblement très rapide, se produisant environ 200 fois par minute, de la commissure labiale gauche ; le peaucier participe à un certain degré à la convulsion. Yoilà le type vulgaire.
Considérez maintenant notre jeune malade : ici le spasme
se produira quand nous le désirerons. Vous la voyez avec un coussinet sur l'œil droit, à l'état de repos ; il ne se passe rien de particulier dans la face. Mais nous allons enlever le coussinet ; si nous le relevons seulement légèrement, sans découvrir le globe de l'œil/ qui est en permanence protégé par les paupières contracturées, il se produit déjà une contraction des muscles de la face à droite. Si nous découvrons l'œil, le spasme se produit plus énergiquement encore, et il se fait une distorsion affreuse et fixe des traits du visage. Le résultat ne manque jamais ; repos aussitôt que le coussin est en place, contracture tant qu'il n'est pas appliqué.
Ainsi, il existe une différence remarquable entre ce cas et le précédent, tellement que nous sommes conduits à nous demander si nous ne sommes pas en présence d'un de ces cas singuliers de simulation dont est remplie l'histoire de l'hystérie.
Il faut dire tout de suite que l'affection actuelle a été précédée, il y a un an, d'un spasme de l'orbiculaire droit, qui est survenu sans cause connue, sans douleur. Peu de temps après, il se produisit des crises nerveuses avec rires, pleurs, cris. En août dernier, à la suite d'une électrisation locale, le spasme de la face s'est déclaré tel qu'il est aujourd'hui.
Examinons les choses d'un peu près. L'existence d'un blé-pharospasme chez des sujets nerveux, hystériques, n'est pas une chose rare, qui doive surprendre. Que ce spasme s'étende à la face, rien d'extraordinaire ; cela s'est vu dans nombre de cas. Enfin, rien de plus naturel que le spasme soit tenu en échec par une pression exercée sur certains points. De Grœfe a depuis bien longtemps appelé l'attention sur l'existence de ces points d'arrêt, que le médecin doit chercher, et que les malades trouvent souvent eux-mêmes, empiriquement. Dans le cas actuel, le point d'arrêt serait la paupière elle-même ou l'arcade sus-orbitaire.
Mais, voici où commence la série des phénomènes étranges. La pression exercée par ce petit coussin est bien peu de chose ; et, d'un autre côté, s'il ne s'agissait que de la pression, celle-ci devrait se montrer efficace, aussi bien lorsque nous la pratiquons nous-même, en appliquant le coussin et en le serrant à l'aide du bandeau, que lorsque cette opération est faite par la malade elle-même. Or, cela n'a pas lieu. Il y aurait donc là une influence personnelle qui donne beaucoup à penser. Je dirai même plus, il ne s'agit pas seulement chez moi d'un soupçon, mais bien d'une conviction. Oui, la jeune malade simule ou tout au moins exagère. J'admets volontiers la réalité du blépharospasme ; mais, pour ce qui est du spasme des muscles du domaine du facial inférieur et du peaucier, je le crois surajouté, inventé, simulé.
Il est probable que la même opinion est venue à l'esprit des médecins qui ont vu cette jeune fille à Saint-Pétersbourg' : en effet, une opération de section nerveuse a été préparée, la malade a été chloroformisée ; on s'est arrêté en route. Le spasme a persisté néanmoins, tel que vous le voyez aujourd'hui.
Mais, îrjj^ direz-vous, quel intérêt cette jeune fille peut-elle avoir àvjsjm^leTY^Tai déjà eu l'occasion de vous le dire, les hystériques simulent souvent sans but bien arrêté, par culte de l'art pour l'art. L'amour de la notoriété n'est-il pas le mobile ? Tromper, ou croire tromper les médecins de Saint-Pétersbourg, après eux ceux de Paris, passer ensuite à la Faculté de Vienne, et ainsi parcourir l'Europe entière, ne serait-ce pas là un intérêt suffisant ?
J'ajouterai que, placée sur le tabouret électrique, les paupières à découvert, la jeune malade paraît se fatiguer visiblement ; au bout d'un quart d'heure, elle paraît haletante, son corps se couvre d'une sueur froide et une attaque de nerfs plus
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 4
ou moins légitime est imminente. Nous n'avons pas voulu pousser l'expérience plus loin.
En^jaareille circonstance, que faire ? Attendre et ne rien dire. Nous ne voulons rien révéler, quant à présent, de notre opinion au père non plus qu'à la fille, dans la crainte de perdre leur confiance ; nous suivons seulement un traitement qui serf de prétexte. J'espère que notre jeune malade nous restera attachée encore pendant quelque temps et que j'aurai l'occasion de vous la représenter de nouveau l.
1. Depuis la leçon, Mlle A. a été isolée de sa famille. Elle est entrée à l'hospice le 27 mai, et elle n'a subi d'autre traitement que l'application à distance d'aimants du côté du spasme et quelques séances d'électrisation statique. Le 1er avril, sous l'influence de l'électrisation, le spasme a diminué momentanément et la sensibilité a augmenté. Jusqu'au 18 juin, il ne s'était rien passé de particulier ; mais ce jour-là, elle a eu une attaque avec cris aigus et quelques contorsions, prédominant toujours à droite, du côté du spasme. Ces attaques se sont renouvelées plusieurs fois depuis. Pendant e mois de juillet, on a fait presque tous les jours usage de l'aimant à distance ; la contracture de la partie inférieure de la face a disparu insensiblement ; le 26 juillet, il ne restait plus que le blépharospasme. Le lendemain, à la suite d'une contrariété, elle a eu une attaque assez violente, l'œil est resté normalement ouvert depuis ; mais les attaques se sont reproduites encore plusieurs fois. Ch. F.
QUATRIÈME LEÇON
Sur l'atrophie musculaire consécutive au rhumatisme articulaire chronique.
Sommaire. — Atrophie musculaire dans les arthropathies aiguës, sub-aiguës, ou chroniques. — Relation entre la localisation de l'atrophie et le siège de l'arthropathie. — Types du rhumatisme articulaire chronique primitif : 1° rhumatisme articulaire chronique primitif généralisé ou progressif; 2° rhumatisme articulaire chronique, fixe ou partiel; 3° nodosités d'IIe-berden. — Le rhumatisme chronique généralisé détermine des amyotrophies prédominant dans les muscles extenseurs des articulations malades.— Exagération des réflexes tendineux. — Avec l'amyotrophie, il existe une contracture à l'état latent. — Contracture spasmodique, réflexe d'origine articulaire.
Messieurs,
Je vais vous présenter un malade qui nous ramènera à l'étude de ces paralysies amyolrophiques qui nous ont occupé récemment.
Vous n'avez pas oublié, en effet, ce jeune employé des télégraphes qui, à la suite d'un choc portant sur le genou droit et ayant déterminé dans cette jointure une arthrite, très légère, du reste, souffre depuis près d'un an d'une parésie atrophique, surtout localisée dans le triceps crural du côté droit, et qui rend depuis cette époque la marche très difficile.
Les lésions traumatiques ne sont pas, tant s'en faut, les ;eules causes qui puissent amener de tels accidents. Il est bien
établi, en effet, que les lésions les plus diverses peuvent conduire au même résultat.
Le fait est bien constaté, en ce qui concerne le rhumatisme articulaire aigu, la goutte aiguë (Bouchard, Debove), le rhumatisme blennorrhagique. Ce qui vient d'être dit des arthro-pathies aiguës ou subaiguës, on peut le répéter du rhumatisme articulaire chronique. — Dans toutes ces affections articulaires, aiguës ou chroniques, l'amyotrophie se produit suivant les lois indiquées précédemment, c'est-à-dire qu'elle se localise d'une façon tout à fait prédominante sur les muscles extenseurs de la jointure affectée ; ainsi, ce sont les muscles fessiers qui sont surtout atteints quand il s'agit d'une arthrite de la hanche; c'est le triceps crural, si le genou est atteint; c'est le triceps brachial, si la lésion siège au coude, etc.
Cette relation entre le siège de l'affection articulaire et la localisation de l'atrophie musculaire est même assez régulière pour pouvoir être utilisée, dans certains cas de diagnostic difficile. Ainsi, dans certaines arthrites de la hanche, dans certains cas de morbus coxse senilis peu avancés, par exemple, lorsque les signes physiques sont encore difficilement appréciables, à cause de la situation profonde de l'articulation, l'aplatissement très marqué de la fesse du côlé correspondant résultant de l'atrophie des faisceaux inférieurs du grand fessier peut aussi être considéré comme un indice très significatif. Bien longtemps avant que les atrophies musculaires d'origine articulaire ne fussent connues, Adams 1 avait appelé l'attention sur cet aplatissement de la fesse, dans certaines affections chroniques de la hanche. Le cas que je vais vous soumettre appartient à la catégorie du rhumatisme articulaire chronique.
1. Adams. —A Treatise on rhumatic gout, etc., London, 1857.
Je rappellerai que j'ai proposé de ramener à trois types fondamentaux les formes très variées sous lesquelles cette affection se présente 1 :
1° Rhumatisme articulaire chronique primitif généralisé ou progressif. — C'est le rhumatisme noueux des auteurs ; il affecte, dès le début, une marche chronique et présente une tendance presque invincible à se généraliser. Ce sont les petites jointures des extrémités, celles des mains, en particulier, les métacarpo-phalangiennes, le plus souvent, qui sont atteintes d'abord, et elles sont prises symétriquement. Puis, à la longue, la plupart des autres articulations sont envahies d'une façon presque fatale. Pendant toute la longue durée de la maladie, le patient a souvent à supporter des douleurs vives, fréquemment accompagnées de réaction fébrile.
2° Rhumatisme articulaire chronique primitif, fixe ou partiel. — La maladie, qui présente les mêmes caractères de chronicité d'emblée que la forme précédente, reste en général localisée sur une ou deux grandes articulations et y produit des altérations profondes. Elle a été souvent étudiée en chirurgie, sous le nom d'arthrite sèche, de morbus coxse senilis, quand il s'agit de la hanche. Elle s'accompagne de douleurs peu intenses, et la réaction fébrile fait défaut.
3° Nodosités d'Heberden. — C'est l'affection décrite par He-berden, sous le nom de digitorum nodi. Très généralement, mais bien à tort, rapportée à la goutte, elle occupe à peu près exclusivement les articulations des phalangines avec les phalangettes, et quelquefois, en outre, des phalangines avec les phalanges; elle épargne, au contraire, les articulations méta-
1. Charcot. — Traité de la goutte de Garrod, noie, p. 602. — Maladies des vieillards, 2« éd. 1874, p. 197 et s.
carpo-phalangiennes, qui sont prises d'une façon prédominante dans le rhumatisme noueux proprement dit.
Il va sans dire que l'arthrite sèche est le subslratum anato-mique de toutes ces formes cliniques ; mais, à chacune d'elles répond une modification du type anatomo-pathologique. Ces trois formes, en effet, ne sont pas absolument séparées ; elles se relient entre elles par des transitions insensibles. Il y a, en quelque sorte, des faits intermédiaires, et le fait que nous allons étudier tient à la fois du rhumatisme articulaire chronique partiel et, si vous voulez, du rhumatisme articulaire chronique généralisé ; c'est un rhumatisme chronique partiel s'é-tendant à un grand nombre de jointures.
Le nommé L..., âgé de 51 ans, coiffeur, avait, jusqu'à l'âge de 44 ans, joui d'une bonne santé. Pendant les neuf dernières années, il a, par malheur, habité un rez-de-chaussée sombre et humide, formant arrière-boutique, et là, pendant là nuit, il a souvent souffert du froid. Cette influence d'une habitation humide est une des causes déterminantes le plus souvent relevées, et ajuste litre, dans l'étiologie du rhumatisme chronique; et il est très remarquable que les douleurs articulaires n'apparaissent, en général, que plusieurs années après l'époque à laquelle l'influence nocive a commencé à s'exercer; il y a donc Jaune sorte d'incubation. Ainsi, chez notre malade, ce n'est qu'au bout de cinq années de séjour dans cette chambre que les premières arthropatbies se sont produites. Les articulations ont été affectées successivement, dans l'ordre suivant : les poignets d'abord, puis les épaules, puis les cous-de-pied, les genoux, les hanches, les coudes ; en dernier lieu, les doigts, à un faible degré et les articulations cervicales. Cet envahissement successif s'est fait pendant une période de quatre ans. Les douleurs ont été peu vives, le gonflement peu prononcé;
il n'y a jamais eu ni rougeur, ni fièvre ; jamais le malade n'a été forcé de s'aliter, mais il a été gêné, tout d'abord, dans certains mouvements du poignet, nécessaires à sa profession; puis, est survenu un amaigrissement rapide et une grande faiblesse rendant la marche extrêmement difficile, et il s'est vu obligé d'abandonner son état.
Actuellement, il est facile de reconnaître les articulations malades, et les altérations dont elles sont atteintes sont nettement appréciables. Ces jointures sont pour la plupart, le siège de craquements : l'épaule gauche surtout, et les genoux.
Ceux-ci contiennent une certaine quantité de liquide, et les parties molles qui les entourent sont évidemment tuméfiées. Des craquements existent également dans les poignets, les coudes, les articulations de quelques doigts des deux mains. En un mot, sans plus insister, nous retrouvons dans un grand nombre d'articles les caractères classiques de l'arlhrite sèche.
Mais, le point sur lequel doit surtout porter notre attention c'est l'amaigrissement des masses musculaires. Il ne s'agit pas là d'une émaciation généralisée, dans l'acception rigoureuse du mot, mais bien d'une amyotrophie localisée, surtout sur certains muscles ou sur certains groupes de muscles; et nous retrouvons là la prédominance sur les extenseurs, à laquelle nous devions nous attendre. Ainsi, aux épaules nous constatons un aplatissement des deltoïdes; aux bras, ce sont les triceps qui sont surtout amaigris, tandis que les biceps ont encore conservé un certain relief. Les fessiers sont considérablement aplatis, et cela est en rapport avec l'affection des articulations coxo-fémorales. A la cuisse, le triceps est beaucoup plus atrophié que la masse des fléchisseurs, et la même loi se confirme pour toutes les articulations malades.
Les modifications des réactions électriques que présentent les muscles sont ici encore des modifications purement quantitatives et non qualitatives. Un seul muscle fait exception : c'est le vaste externe du côté droit, qui offre la réaction de dégénérescence, consistant en ce que l'excitabilité faradique est affaiblie, tandis que la galvanique est exaltée. C'est là une exception unique ; partout ailleurs les réactions électriques indiquent une atrophie simple, sans altération profonde de la nutrition. Certains de ces muscles atrophiés sont le siège de contractions fibrillaires très appréciables, le deltoïde, par exemple, le triceps fémoral, les fessiers; et quelques-uns de ces muscles sont manifestement excitables par la simple percussion directe, comme vous le voyez pour le deltoïde gauche, en particulier.
A ces lésions trophiques des muscles correspond une impuissance motrice, d'autant plus accentuée que l'amyotrophie est elle-même plus marquée. La marche est difficile, plutôt en raison de la parésie amyotrophique qu'en raison de la douleur. Aux mains, la force dynamométrique est très limitée : ainsi, elle est représentée par 10 pour la main droite, et par 12 pour la main gauche, la moyenne normale étant représentée par 80 environ.
Une analyse plus attentive fait reconnaître, qu'aux membres supérieurs, ce sont les extenseurs qui sont en défaut, comme on pouvait le prévoir; ainsi, par exemple, il est très facile de vaincre l'extension du coude, tandis que le membre placé dans la flexion résiste assez bien aux efforts qu'on fait pour l'étendre. La même chose se remarque relativement à l'articulation du poignet. Il en est de même pour le genou.
Vous le voyez donc, tout concorde, chez ce malade, pour les points essentiels, avec ce que nous avons vu chez l'employé du télégraphe dont la paralysie atrophique s'est développée en conséquence d'un traumatisme. Nous pouvons donc conclure
que les arthropathies du rhumatisme articulaire chronique généralisé déterminent, au même litre que les arthrites trauma-tiques, ce retentissement sur le centre spinal, d'où dérive la paralysie amyotrophique prédominant sur les extenseurs l.
Mais, entre les deux cas, il y a, sur un autre point, un rapprochement à établir. Je relevais, chez l'employé du télégraphe, comme un fait fort intéressant, l'exaltation du réflexe tendineux, marqué non seulement sur le membre malade, mais encore sur celui qui est sain en apparence ; et j'en concluais que l'affection spinale, quelle qu'elle soit, développée en conséquence de l'arthrite, était beaucoup plus étendue qu'on l'eût pu supposer tout d'abord. Eh bien ! ce même phénomène révélant l'exaltation de l'excitabilité réflexe se retrouve chez le malade queje vous montre aujourd'hui, et à un degré beaucoup plus prononcé encore. Ainsi, aux deux membres inférieurs, le relèvement de la pointe du pied détermine une trépidation très manifeste, surtout si le patient fait effort pour résister à cette extension. Pour bien apprécier maintenant l'exaltation des réflexes rotuliens, je fais placer le malade assis sur le bord du lit, l'extrémité des pieds reposant sur le bord d'une chaise. Vous voyez qu'à droite et à gauche la percussion des tendons rotuliens a pour effet de déterminer, à chaque coup, un mouvement dans les épaules, surtout à gauche. Ainsi, je le répète, chaque fois que l'on frappe sur le tendon rotulien, soit à droite, soit à gauche, il y a une contraction du deltoïde, du trapèze, du grand pectoral et l'épaule est manifestement soulevée, et elle entraîne dans son mouvement le membre supérieur tout entier.
1. M. Debove (Progrès medical, 1880, p. 1011) a eu l'occasion d'étudier au microscope les muscles d'un rhumatisant chronique atteint d'atrophie musculaire, et il a noté des caractères qui permettent de rapprocher ces amyotrophies des myopathies d'origine nerveuse : à savoir, l'irrégularité de l'atrophie, qui atteint à des degrés différents non seulement les faisceaux d'un même muscle, mais, même les fibres d'un même faisceau, et la sclérose du tissu conjonctif interstitiel.
Nous retrouvons donc ici, dans les membres inférieurs, les éléments qui constituent la paraplégie spasmodique à l'époque où la contracture permanente, ne s'étant pas encore développée, est cependant imminente. Et ces phénomènes sont tellement accentués qu'un médecin instruit a été conduit à penser que, dans ce cas, la lésion spinale était primitive, les arthropathies et l'amyotrophie étant secondaires. Mais, l'évolution des phénomènes proteste contre cette manière de voir ; les arthropathies sont en réalité le fait primitif, l'affection spinale, d'où dérive l'amyotrophie, n'est que secondaire.
Il n'est pas sans intérêt d'ajouter que, en dehors de cette excitabilité réflexe exagérée, marquée par l'exaltation des réflexes tendineux, caractère qui se retrouve aussi bien dans les membres supérieurs que dans les inférieurs, on ne retrouve aucun autre phénomène qui puisse être rapporté à une affection spinale. Aussi, aucun trouble de la sensibilité cutanée, pas de douleurs en ceinture, aucun trouble dans l'émission des urines, etc.
Ainsi, vous le voyez par ce qui précède, dans le cas où la parésie amyotrophique prédomine, la contracture existe pour ainsi dire en puissance, à l'état latent. Cela me conduit à vous faire remarquer que, si, dans certaines athropathies, la paralysie amyotrophique est, comme dans le cas précédent, le fait capital, il n'en est pas de même dans d'autres affections articulaires, où, au contraire, la contracture spasmodique tient le premier plan.
On enseigne depuis longtemps en chirurgie que, dans certaines arthrites, dans les formes douloureuses en particulier, les jointures affectées deviennent rigides. Elles se fixent alors ordinairement dans la flexion; ainsi, dans la coxalgie, la cuisse se fléchit sur le bassin ; dans l'arthrite fongueuse du genou, la jambe se fléchit sur la cuisse, etc.
On a longuement discuté sur la cause de cette rigidité de la jointure et de la déformation qui en est la conséquence. Vous n'ignorez pas que, dans l'école de Bonnet, de Lyon, on fait valoir surtout l'instinct du malade qui s'applique à imposera la jointure une position fixe, afin d'éviter la douleur autant que possible. On a accusé encore le poids des parties, le liquide accumulé dans la cavité articulaire, etc.; mais on reléguait la contraction spasmodique, involontaire, sur le second plan. Aujourd'hui, au contraire, c'est, si je ne me trompe, cette contraction spasmodique, involontaire, réflexe, qui est invoquée par la plupart des chirurgiens, et l'on en revient, par conséquent, à la doctrine de llunter. Dans un livre peu connu en France1, M. Hilton, chirurgien de Guy's Hospital, a nettement exprimé, sur ce point, ce que l'on pourrait appeler l'idée régnante : «Quand, dit-il, la cavité articulaire est enflammée ou irritée d'une façon quelconque, l'influence de cette condition est transportée à la moelle épinière, et, de là, réfléchie sur les divers muscles qui meuvent la jointure, par l'intermédiaire des nerfs moteurs correspondants. » M. le professeur Duplay, dans plusieurs passages de son livre, ainsi que Pitha, se rattache à cette théorie.
Or, il s'agit là d'une contraction spasmodique portant à la fois sur les extenseurs et sur les fléchisseurs, mais ces derniers l'emportant toutefois, de façon à déterminer le sens de la déviation. Il ne paraît pas s'agir ici d'une contraction intentionnelle ou instinctive, destinée à atténuer la douleur; car, dans beaucoup de cas, et, en particulier, en ce qui concerne la hanche, dans la coxalgie, on sait qu'il faut souvent, pour atténuer la douleur, s'opposer justement à cette contracture, en déterminant l'extension forcée. M. Masse2 a fait, d'ailleurs, cette
1. On test and pain, etc., 2e éd., London, 1817.
2. Influence, de l'altitude, des membres sur leurs articulations, Montpellier, 1878, p. 104.
remarque intéressante que, pendant le sommeil, ces contractures s'exagèrent souvent énormément, tandis qu'elles s'atténuent au contraire dans la veille, alors que le malade est en état de lutter contre elles.
Sans nier l'influence des causes accessoires, on est donc conduit à admettre que la contracture spasmodique réflexe est, en pareil cas, l'agent principal delà déviation articulaire. Cette opinion trouve, à mon avis, sa pleine confirmation dans l'étude des déviations remarquables qui se produisent si habituellement dans le rhumatisme articulaire chronique généralisé et progressif (rhumatisme noueux). C'est un point que je me suis efforcé d'établir, dans ma dissertation inaugurale, vieille aujourd'hui de trente ans, et sur lequel je vous demanderai la permission de revenir. Mais, l'exposé des faits relatifs à cette question exigerait les développements qui nous entraîneraient trop loin aujourd'hui et que je remettrai à la prochaine leçon.
Il ne sera pas sans intérêt, d'ailleurs, de faire ressortir expressément qu'a côté des paralysies amyotrophiques de cause articulaire, il existe des contractures spasmodiques qui se rattachent également à une altération des jointures ; que ces amyotrophies, comme ces contractures, relèvent d'une affection spinale déterminée par voie réflexe ; et de mettre en relief, enfin, la relation qui paraît exister entre ces deux ordres de faits, en apparence si éloignés l'un de l'autre.
CINQUIÈME LEÇON
I. Amyotrophie et contracture réflexes d'origine articulaire. — II. Migraine ophthalmique se manifestant à la période initiale de la paralysie générale.
Sommaire. — I. Rhumatisme articulaire chronique. — Contracture réflexe d'origine articulaire. — Déformations dans le rhumatisme articulaire chronique : 1° type d'extension ; 2° type de flexion. — Main de l'athétose, main de la paralysie agitante. — Les déviations articulaires du rhumatisme chronique reconnaissent pour cause une affection spinale développée suivant le mécanisme des actes réflexes. — II. Paralysie générale progressive. — Migraine ophthalmique au début. — Scotome scintillant. — Hémianopsie.
Messieurs,
I. La première malade sur laquelle je désire appeler votre attention présente un exemple d'arthrite sèche de la hanche, et vous pourrez chez elle reconnaître cet aplatissement de la fesse dû à l'atrophie des muscles fessiers, et que je vous ai déjà signalé comme pouvant, dans certains cas difficiles, contribuer à fixer le diagnostic.
Il s'agit d'une femme de 62 ans, chez laquelle nous ne pouvons pas relever l'étiologie ordinaire du rhumatisme articulaire chronique; elle n'a jamais habité un endroit humide, et d'ailleurs, les autres articulations sont indemnes. Elle accuse la machine à coudre, dont elle s'est servie pendant longtemps, d'avoir déterminé l'affection actuelle de la hanche droite. La maladie a débuté, il y a un an, par une certaine gêne dans la
jointure ; puis sont survenues des douleurs spontanées, se manifestant surtout la nuit, siégeant à la partie inférieure de la fesse, le long de la cuisse et à la partie interne du genou. Il y a eu, à un moment donné, des craquements articulaires qui n'existent plus. Aujourd'hui, il n'y a plus guère de douleur spontanée, et on n'en détermine point, lorsque l'on percute le grand trochanter ; il n'existe pas de raccourcissement bien marqué du membre, qui a cependant une tendance, remarquable à se placer dans la rotation en dehors, comme vous pouvez en juger à distance par la direction du pied. La malade marche assez bien, et quand elle a fait quelques pas, elle ne boîte guère: mais lorsqu'elle est assise, il lui est impossible de croiser la cuisse droite sur la gauche, tandis qu'elle croise facilement la gauche sur la droite. Les commémoratifs et les troubles fonctionnels encore existants metteut hors de doute l'existence, à un moment donné, d'une lésion articulaire ; mais si ces renseignements étaient moins significatifs, notre attention devait être attirée vers la jointure par l'aplatissement de la fesse droite, qui est très remarquable. Non seulement la fesse paraît à première vue très amaigrie, mais par la palpation on la sent plus molle, plus flasque que la gauche ; du côté droit, les doigts arrivent facilement au contact de l'ischion, ce qui n'a pas lieu du côté gauche; en outre, vous voyez que le grand trochanter droit paraît beaucoup plus saillant, ce qui tient à l'atrophie du petit fessier.
Je tenais à vous montrer cette malade, dont l'histoire doit être rattachée à celle des amyotrophies de cause articulaire qui nous occupent en ce moment. Je vais maintenant ajouter quelques détails aux documents q,ue je vous ai présentés déjà, relativement aux contractures spasmodiques qui se produisent souvent, en conséquence d'une lésion des jointures et quelquefois concurremment avec l'amyotrophie. J'ai essayé d'éta-
blir que, conformément à la doctrine de Hunter, ces contractures s'établissent par le fait d'un acte réflexe développé en conséquence de la lésion articulaire. L'excitation des nerfs articulaires retentit sur les centres spinaux, qui, à leur tour, réfléchissent cette excitation par la voie des nerfs moteurs sur les muscles, tant extenseurs que fléchisseurs de la jointure.
En général, la contracture spasmodique se limite aux seuls muscles extenseurs et fléchisseurs de la jointure affectée. Mais, dans d'autres cas, par suite de la diffusion de la lésion spinale, le spasme musculaire peut tendre à se généraliser, et s'étendre, par exemple, à tout un membre. Déjà nous avons appelé l'attention sur les faits de cet ordre, à propos de l'hystérie; mais, en dehors de l'hystérie, autant qu'on en peut juger d'après les observations publiées, ces contractures généralisées à toute l'étendue d'un membre, à la suite d'une lésion limitée à une seule jointure, peuvent s'observer encore. C'est ce dont témoignent les faits rapportés par Duchenne (de Boulogne) d'abord, et décrits par lui, sous le nom de contracture réflexe dorigine articulaire, puis par M. Dubrueil, de Montpellier 4. Dans le fait de M. Dubrueil, il s'agit d'un jeune homme de 16 ans, qui, en tombant du haut d'une échelle, s'était fait une entorse tibio-tarsienne gauche ; trois jours après, la contracture occupait non seulement les muscles du pied qui était fléchi dans l'adduction, mais encore ceux qui meuvent le genou et la hanche. Évidemment, h s sujets chez lesquels la contracture d'origine arthropathique se généralise ainsi sont des sujets prédisposés, et, à cet égard, ils peuvent être rapprochés des hystériques.
Pour en finir avec ce sujet, il me reste à vous montrer que,
1. Dubrueil. — Leçons de clinique chirurgicale, Montpellier, 1880, p. 5.
ainsi que je vous l'ai annoncé, les déformations du rhumatisme articulaire chronique progressif, du rhumatisme noueux, reconnaissent pour cause, elles aussi, la contracture spasmo-dique des muscles, développée par action réflexe, en correspondance des lésions articulaires.
J'ai essayé d'établir autrefois 1 que les déformations qu'on observe en pareil cas, et que nous nous bornerons à considérer aux extrémités supérieures, peuvent être ramenées, quel-
Fig. 4. — Représentant la déviation en masse des doigts vers le bord cubital de la main dans le rhvmatisme chronique. — Dessin de M. P. Richer.
que variées qu'elles puissent paraître, à deux types fondamentaux auxquels peuvent être rattachées toutes les formes accessoires.
Nous signalerons les traits communs aux deux types : En général, les mains sont dans la pronation et un peu fléchies. Les lésions sont habituellement symétriques. Les doigts subissent ordinairement une déviation en masse vers le bord cubital de la main (Fig. 4).
1. Charcot. — Etudes pour servir à l'affection décrite sous les noms dégoutte asthênique primitive, nodosités des jointures, rhumatisme articulaire chronique {forme primitive'), Thèse de Paris, 4 853.
Voici maintenant les caractères de deux grands types dont j'ai donné la description. — Premier type ou type d'extension. En considérant d'abord l'extrémité libre du doigt, nous voyons : a) une flexion de la phalangette ; b) une extension forcée de la phalangine; c) une inflexion de la phalange. La nommée D..., que je vous présente, offre cetle déformation d'une manière tout à fait caractéristique : c'est une femme de 49 ans, chez laquelle la maladie a débuté à 20 ans, après trois ans de séjour dans une habitation humide; chez elle, la plu-
Fig. 6. — Représentant la main gauche de la nommée D. Type d'extension. Dessin de
M. Richer.
part des autres jointures similaires sont affectées (Fig. 5). La même déformation se retrouve comme vous le voyez chez la nommée M... qui, elle, a été affectée au moment de la ménopause (Fig. 6).
Deuxième type, type de flexion. — Ici, nous avons une extension de la phalangette et une flexion de la phalangine, comme vous le voyez sur la malade que je vous présente (Fig. 7).
Telles sont les déformations qui, suivant moi, se rattachent tout aussi bien que celles qui se voient aux autres jointures de ces mêmes malades, genoux, coudes, etc., à la contracture spasmodique des muscles.
Chàrcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 5
Veuillez remarquer que la contracture spasmodique a cessé depuis longtemps chez ces malades ; mais les déformations qu'elle a produites persistent néanmoins, en conséquence de
Fig. 6. — Main gauche de la nommée M.., Type d'extension. Dessin de M. P. Richer.
l'épaississement des tissus périarticulaires ; les subluxations, les raccourcissements des ligaments qui ont été déterminés dans le temps fort long, du reste, où les jointures ont été main-
Fig. 7. — Main droite de la nommée X,,, Type de flexion. Dessin de M. Peugniez.
tenues dans une position vicieuse, par le fait de la rétraction musculaire spasmodique, ont conservé aux mains leurs attitudes caractéristiques. Quels sont les arguments que l'on peut faire valoir, en faveur de la thèse que je soutiens?
1° Il est impossible d'admettre que ces attitudes violentes, forcées, contradictoires, pour ainsi dire, soient des attitudes prises instinctivement par les malades pour éviter, autant que possible, la douleur, en maintenant l'articulation dans une situation fixe. En examinant les malades pendantla période d'acuité de l'affection, on reconnaît que, loin de rechercher ces attitudes forcées, ils luttent le plus qu'ils peuvent contre les contractures spasmodiques, les crampes, comme ils les appellent, qui les produisent.
2° L'accumulation de liquide dans les synoviales peut donner plus de mobilité aux jointures et favoriser l'action des muscles contractures ; mais cet élément ne peut être invoqué comme cause prédominante de la déformation. D'ailleurs, toutes les jointures qui, dans la main, subissent la déviation, n'ont pas toutes été atteintes d'hydarthrose, ou même d'inflammation. On peut ajouter, sans crainte d'être démenti, que le poids des parties ne joue, dans la production des déformations, qu'un rôle tout à fait effacé.
La contraction musculaire, par action réflexe, force aveugle et qui n'a rien de providentiel, est donc la seule influence à laquelle nous puissions nous rattacher.
J'ajouterai que des arguments puissants, quoique indirects, peuvent être encore invoqués en faveur de cette théorie. Je puis vous montrer que ces mêmes déformations des mains, ces mêmes déviations articulaires, que nous trouvons dans le rhumatisme noueux, nous les retrouvons tellement semblables, qu'on pourrait s'y méprendre, dans des cas où il n'existe pas d'affection articulaire, et où la rigidité des muscles est seule enjeu. Ainsi, par exemple, dans l'hémiplégie spasmodi-que infantile : la malade que je vous présente offre une contracture spasmodique de tous les muscles des membres supérieur et inférieur du côté gauche ; cela date de l'enfance, le
sujet est épileptique, mais il s'agit d'une épilepsie d'un genre à part ; jamais il n'y a eu trace d'arthrite nulle part et en par-
Fig. 8. — Main d'athétose rappelant la déformation du type d'extension. Dessin de m. P. Richer.
ticulier dans les mains. Or, dans cette main, qui vous montre les mouvements involontaires spéciaux de l'athétose, et en
Fig. 9. — Main de paralysie agitante, rappelant la déformation du type de flexion. Dessin de m. P. Richer.
conséquence un certain degré de mobilité articulaire exagérée, dans certains mouvements, lorsque la malade veut étendre la
main, on voit se prcùiuirTrïnre déformation qui rappelle notre premier type, le type d'extension (Fig. 8).
On peut faire la même remarque, à propos de la maladie de Parkinson. J'ai relevé depuis longtemps ces déformations qui ne peuvent être expliquées que par la rigidité prolongée des muscles antagonistes. On sait, du reste, que dans la paralysie agitante, les muscles des membres et du tronc sont dans un état de tension permanente qui détermine la rigidité des parties qui sont comme soudées. Aux mains, la déformation la plus commune est celle qui rappelle l'attitude d'une main qui tient une plume à écrire, et ici, c'est la contracture des interosseux qui est en jeu. Mais, dans certains cas, cependant, nous rencontrons une déviation des doigts en tout comparable à celle que nous observons lorsque les articulations sont lésées par le fait du rhumatisme noueux; dans le cas que je vous présente, vous retrouverez le type d'extension (Fig. 9). Dans cet ordre de faits encore, la déviation se produit par la seule action musculaire, les articulations ne sont nullement affectées.
Tels sont, Messieurs, les divers arguments qui me paraissent établir que, dans le rhumatisme articulaire chronique, les déviations articulaires reconnaissent pour cause une affection spinale développée suivant le mécanisme des actes réflexes.
Et ceci nous conduit à relever encore une fois que les affections articulaires, lorsqu'elles retentissent sur le centre spinal déterminent tantôt une exaltation des propriétés des cellules nerveuses, d'où dérive la contracture musculaire ; tantôt, au contraire, une dépression de ces mêmes propriétés, à laquelle se rattache la paralysie amyotrophique.
11 faut ajouter que ces deux modes d'affection spinale peuvent se trouver combinés sur un même sujet. Ainsi, dans le
rhumatisme noueux, par exemple, dans le temps même où les contractures occupent les muscles, on voit la plupart d'entre eux, mais ceux surtout qui produisent l'extension, subir une atrophie plus ou moins marquée. La dépression et l'exaltation des propriétés de l'élément ganglionnaire représentent, en pareil cas, les deux phases successives d'un même processus morbide. Mais il est des cas dans lesquels la dépression fonctionnelle de la cellule nerveuse paraît se développer primitivement d'emblée : ainsi paraissent se passer les choses dans les exemples d'amyotropbie primitive dont je vous ai entretenu en premier lieu. Mais vous n'avez pas oublié, sans doute, que, même dans ces cas, du moins à en juger par les quelques observations que je vous ai présentées, les conditions qui préparent la contracture musculaire et y prédisposent, à savoir l'exaltation des réflexes, se trouvent en quelque sorte combinées à l'amyotrophie.
Il n'y a donc pas, vous le voyez, contrairement à ce qu'on pouvait s'imaginer au premier abord, opposition, ni surtout contradiction entre les deux ordres de faits. Qu'il y ait contracture ou, au contraire, amyotrophie consécutive à une lésion articulaire, la lésion spinale est la même, au fond. Ces deux ordres de phénomènes représentent en quelque sorte les deux phases extrêmes d'un même processus morbide.
Je ferai remarquer, en terminant, que cette même combinaison, et cette même succession de la contracture et de l'amyotrophie ne sont pas, tant s'en faut, un fait unique dans l'histoire des affections spinales. Nous la retrouvons très accentuée dans la sclérose latérale amyotrophique, dont je vous ai présenté un exemple récemment *.
1. Depuis cette leçon, M. Charcot a reçu de M. Dreschfeld, professeur de pathologie à Manchester, la photographie de la main d'un étudiant du Collège Royal qui pouvait, en étendant la deuxième phalange et en fléchissant la première et la troisième, déterminer à volonté une déformation analogue à celle du rhumatisme chronique (fig. 40). Un élève de la clinique de la
II. C'en est assez sur les contractures spasmodiques et sur
Fig. 10. —Attitude vicieuse volontaire rappelant le type d'extension du rhumatisme chronique. — Dessin de M. P. Richer.
les amyotrophies de cause articulaire. Maintenant je vais vous
Fig .11. — Attitude vicieuse volontaire rappelant le type d'extension du rhumatisme chronique. — Dessin de M. P. Richer.
montrer un malade dont l'affection est d'un ordre tout à fait différent.
Salpêtrière peut également produire à volonté la même déformation (fig. 11). Ces faits montrent bien que la déviation se produit exclusivement sous l'influence de l'action musculaire;
Il est atteint de paralysie générale progressive, et si nous considérons chez lui seulement l'état actuel, nous reconnaissons qu'il s'agit d'un cas vulgaire, des plus classiques, et dont le diagnostic est malheureusement des plus faciles à établir.
M. L..., professeur d'histoire, venu en France pour étudier le droit, est âgé de 35 ans ; il offre actuellement les phénomènes suivants : embarras spécial de la parole qui est presque inintelligible, tremblement fibrillaire de la langue, tremblement spécial des mains, ensemble de phénomènes intellectuels et moraux qu'on peut grouper sous la rubrique démence paralytique.
Rien de plus classique, je le répète, que ce cas, aujourd'hui que l'on sait qu'il existe une forme de paralysie générale où le délire ambitieux ne figure pas, désignée sous le nom de forme paralytique, ou de paralysie générale sans aliénation.
Mais ce qui fait l'intérêt du cas, c'est le récit des phénomènes du début, fait d'une façon très intelligente, par la jeune femme du malade.
Je vous rappellerai que, d'après M. Jules Falret1, on admet que la paralysie générale qui, parvenue à son complet développement, affecte un appareil symptomatique à peu près uniforme, se présente à ses débuts sous des aspects très divers, mais qui peuvent être ramenés à quatre types ou variétés.
1° Variété expansive, avec délire ambitieux, satisfaction de soi-même et de son entourage, etc. Ces malades gagnent des millions, ont des prétentions à la poésie, etc. Ce délire ambi-
\, 3. Falret. — Recherches sur la folie paralytique. — Thèse de Paris, 1853.
tieux prend d'emblée les caractères de la démence (Falret). Ces idées sont mobiles, contradictoires, absurdes, bien différente de celle des monomanes ambitieux, qui sont logiques. Ces troubles psychiques s'accompagnent d'une certaine difficulté d'articulation de sons, d'inégalité pupillaire, de tremblement, d'incertitude des mouvements.
2° Variété mélancolique en contraste frappant avec la précédente.
a) Délire mélancolique, les malades se croient ruinés, déshonorés, etc.
b) Quelquefois, il y a association d'idées hypochondriaques ; crainte de mourir, ils s'imaginent qu'ils ont des maladies qui n'existent pas, en réalité, disent qu'ils ne peuvent ni avaler, ni uriner, que leurs conduits sont bouchés, etc. Ces troubles peuvent marquer le début, mais il y a bientôt de l'embarras de la parole, de l'inégalité pupillaire, etc.
3° Variété paralytique, caractérisée par l'absence d'idées délirantes ; alors seulement des modifications profondes du caractère, emportements et attendrissements sans motif, affaiblissement de la mémoire. Il y a, dans cette forme, prédominance des troubles moteurs, embarras de la parole, tremblement des mains et de la langue qui est animée de mouvements fibrillaires, incertitude de la marche, titubation. C'est la paralysie générale sans aliénation. Ces malades ont conscience de leur décadence, ils peuvent encore remplir jusqu'à un certain point leurs devoirs sociaux, bien que leur intelligence soit affaiblie.
4° Variété congestive ; dans cette forme on observe des sé
ries d'attaques dites congestives, séparées par des intervalles à peu près libres et se répétant un nombre varié de fois avant que les caractères de la paralysie générale ne s'établissent décidément à l'état permanent.
Ces attaques dites congestives sont variées dans leur forme ; ainsi, tantôt c'est une attaque apoplectiforme suivie d'une hémiplégie temporaire; tantôt c'est une attaque épileptiforme ; enfin, un cas assez fréquent est celui où, sans perte absolue de conscience, survient un engourdissement d'une main, des lèvres, un embarras temporaire de la parole et des idées, une aphasie transitoire, etc.
C'est cette variété congestive au début qui s'est produite chez notre malade, et chez lui, les diverses formes d'attaques se sont succédées en quelque sorte.
Mais le point sur lequel je veux surtout appeler votre attention, c'est que, chez lui, la plupart de ces accès ont été précédés par un ensemble symptomatique que l'on caractérise habituellement sous le nom de migraine ophthal-mique.
Les phénomènes se sont présentés dans les premiers accès de telle façon qu'on eût pu, en les considérant à l'état d'isolement, comme appartenant à une affection le plus souvent bénigne, tandis qu'il s'agissait, ainsi que la suite l'a montré, des débuts d'une affection inexorable.
Je n'entrerai pas aujourd'hui dans l'histoire de la migraine ophthalmique, c'est un sujet qui nous occupera d'une façon toute spéciale, quelque jour. Je vous rappellerai seulement que, dans un accès vulgaire de migraine opthalmique, nettement caractérisée, on voit se manifester, dans le champ visuel, une figure lumineuse, d'abord circulaire, puis demi-circulaire, en forme de zigzag, ou de dessin de fortification,
agitée d'un mouvement vibratoire très rapide, image tantôt blanche, phosphorescente, tantôt offrant des teintes jaunes, rouges ou bleues plus ou moins accentuées. C'est là ce qu'on appelle le scotome scintillant {Fig. 12).
Le scotome fait place souvent à un défaut temporaire hé-mianopsique du champ visuel, qui fait que l'on n'aperçoit plus que la moitié des objets.
L'examen campimétrique, très utile en pareil cas, fait reconnaître un défaut hémianopsïque, en général homonyme et latéral, qui ne s'étend pas habituellement jusqu'au point de fixation {Fig. 13).
Tout cela est suivi d'une douleur dans la tempe correspondante au côté où se fait le défaut visuel ou le spectre, et l'œil du même côté est le siège d'une douleur de tension qui rappelle quelquefois ce qu'on éprouve dans le glaucome aigu *. Des vomissements terminent la scène, et tout rentre dans l'ordre.
Telle est la marche ordinaire des phénomènes, dans la migraine ophthalmique simple. Dans d'autres cas de migraine, dite accompagnée, on voit s'ajouter d'autres troubles variés, sur lesquels Piorry a, le premier, appelé l'attention2. C'est, par exemple, un engourdissement de la main ou d'un côté de la langue, une aphasie, ou un embarras de la parole temporaire, des attaques épileptiformes, etc.3.
Or, même dans ces formes plus graves, la migraine peut s'établir à l'état de maladie, ou mieux d'indisposition habituelle, et même avec des retours fréquents, n'être suivie, après 10, 12, 15 ans, d'aucune conséquence grave. Mais n'al-
1. Dianoux. — Scotome scintillant ou amaurose partielle temporaire. Thèse de Paris, 1875.
2. Piorry. — Traite de médecine pratique, p. 75.
3. Ch. Féré. — Contribution à l'étude de la migraine ophthalmique. (Hernie de médecine, 1881.)
lez pas toujours, d'après la connaissance de ces faits, qui sont en réalité les plus vulgaires, porter toujours un pronostic favorable ; attendez avant de vous prononcer, regardez les choses de plus près, soyez réservés.
Fig. IS. — Différentes phases du scotome scintillant, d'après Hubert Airy. (Les lettres indiquent les diverses colorations : rouge, bleu, etc. (Philosophical transactions, 1870, p. 247.
Des accidents divers peuvent se produire ; ainsi, comme je l'ai démontré, il n'est pas un des phénomènes habituellement transitoires du syndrome : migraine ophthalmique, qui ne
puisse s'établir à l'état permanent; ainsi l'aphasie, l'hémiopie,
Fig. 13. — Représentant le rétrécissement homonyme du champ visuel, dans un cas demi-graine ophthalmique. (Empruntée à la thèse de M. Féré : Des troubles fonctionnels de la vision par lésions cérébrales, 1882, p. 109.)
la parésie d'un membre, après s'être manifestées, d'une ma
nière transitoire, nombre de fois, persistent définitivement à la suite d'un nouvel accès.
Enfin, une combinaison peu commune est celle dans laquelle ces mêmes accidents de la migraine figurent parmi les accidents prodomiques congestifs delà paralysie générale progressive. Cette combinaison est, sans doute, rare et n'est pas notée, je crois, par les auteurs ; je l'ai rencontrée cependant trois ou quatre fois.
Voici, d'ailleurs, l'histoire de M. L..., en résumé : Depuis deux ans, il est irritable, méticuleux; cependant, au mois de juillet dernier, il a pu passer avec succès un examen de droit, devant la Faculté de Paris. Les premiers troubles qui ont surtout frappé l'attention remontent au mois de septembre 1881. 11 a eu alors une première attaque, accès de migraine ophthalmi-que, avec scotome scintillant et affaiblissement de la vue du côté droit, accompagnés d'embarras de la parole, de parésie et d'engourdissement du membre supérieur droit. Il est resté troublé pendant huit jours, puis tout est rentré dans l'ordre. — Huit jours plus tard, il a eu une deuxième attaque, sans perte de connaissance, avec embarras de la parole. L'intelligence reste obtuse pendant 24 heures ; il paraît se remettre complètement, en apparence; mais il est nerveux, irrilé ; il peut se remettre au travail, cependant. — Au mois de février 1882, il a une troisième attaque avec les mêmes symptômes de migraine ; mais, en outre, il a cette fois des secousses convulsives à caractère épileptiforme, avec perte de connaissance. Cela a duré deux heures, ce qui semble indiquer qu'il y a eu une série d'attaques qui ont présenté cette particularité que les secousses prédominaient à droite. A la suite de cette attaque, l'embarras de la parole a persisté. — Huit jours plus tard, il a eu une quatrième attaque du même genre, avec recrudescence de l'embarras de la parole et faiblesse du bras droit. — Enfin, le 5 mai, il a une cinquième attaque, avec pa
résie du bras droit, suivie, le lendemain, d'une parésie du membre inférieur droit. Pendant les cinq ou six jours qui ont suivi, il ne pouvait dire autre chose que « à cause que ». Le bras droit est resté paralysé pendant un mois. C'est surtout à partir de ce moment que le niveau intellectuel baisse ; il est devenu très enfant ; il est docile, mais très mobile, pleurant et riant avec une grande facilité. Il ne peut presque pas écrire de lui-même, mais il copie cependant une page, d'une écriture tremblée. La mémoire est aussi affaiblie que le jugement et la volonté. Il éprouve de temps en temps le scotome scintillant. Vous le voyez s'avancer avec une démarche titubante ; ses mains tremblent, sa langue tremble aussi ; sa parole est à peu près inintelligible ; sa physionomie est caractéristique : le regard éteint, les paupières tombantes, etc. Sa pupille droite est plus dilatée que la gauche ; elle n'agit que faiblement par l'excitation lumineuse, mieux par la convergence.
La morale de tout ceci, Messieurs, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter sans critique à l'idée juste pour l'immense majorité des cas, que le scotome scintillant et les autres phénomènes qui souvent l'accompagnent sont choses de peu d'importance. Sous des dehors bénins peut se cacher le début d'une maladie grave ; il ne faut pas s'y laisser prendre \
1. Depuis que cette leçon a été faite et publiée dans le Progrès médical, M. Parinaud a fait connaître un fait du même genre (Archives de Neurologie, T. V, p. 57). Ch. F.
SIXIÈME LEÇON
De l'hystérie chez les jeunes garçons.
Sommaire. — Contracture hystérique. — Amblyopie. — Zones hystérogènes. Phases de l'attaque d'hystéro-épilepsie. — Hystérie chez les jeunes garçons : attaque, phénomènes permanents. — Importance de l'isolement dans le traitement.
Je me propose, dans cette leçon, de vous entretenir d'un jeune garçon qui fréquente notre clinique, depuis quelques semaines, et qui présente une série d'accidents nerveux assez intéressants. Tous ces accidents, comme vous le verrez, doivent être rapportés à l'hystérie, et ceci me conduira à vous montrer brièvement comment se présente cette maladie, quand elle se développe chez l'homme, et plus spécialement chez l'enfant.
Mais, avant d'en venir là, et pour mettre mieux en relief le cas particulier sur lequel je désire fixer votre attention, je crois utile de vous rappeler quelques-uns des grands épisodes de l'hystérie considérée chez la femme, dans un de ses types classiques : l'hystéro-épilepsie à crise mixtes ou grande hystérie, telle qu'elle se présente habituellement chez un grand nombre de malades de notre service. Je vous montrerai de nouveau deux hystériques que je vous ai déjà présentées en maintes occasions. L'une, la nommée B..., 34 ans, a offert,
Messieurs,
vous ne l'avez pas oublié, un bel exemple de contracture hystérique développée sous l'influence d'un traumatisme1. Pendant 5 jours, la contracture a occupé toutes les articulations du membre inférieur gauche ; de plus, nous avons reconnu, du même côté, l'existence d'une hémianesthésie complète, absolue, du moins en ce qui concerne la sensibilité générale. L'hé-mianesthésie persiste encore à un certain degré, mais la contracture a disparu. Qu'est-il arrivé depuis le moment où nous avons vu ensemble la malade? Les règles sont apparues, mais les crises hystériques sur lesquelles nous comptions pour mettre fin à la contracture ne sont pas survenues ; les seules crises qui se produisirent, et qui furent au nombre de trois, présentèrent toutes le caractère épileptique; elles eurent lieu la nuit, sans phénomènes prémonitoires, la perte de connaissance fut complète, avec morsure de la langue, etc. ; elles n'eurent aucune influence sur la rigidité des membres. Nous nous sommes décidés alors à essayer l'application de l'aimant au voisinage du membre contracture. Divers incidents se produisirent, à la suite desquels la rigidité du membre céda. Maintenant, vous le voyez, le membre inférieur gauche est presque complètement libre.
J'ajouterai que la tendance à la contracture paraît ne plus exister chez notre malade, car l'application de l'aimant au voisinage du membre, nous nous en sommes assurés, ne provoque plus la rigidité; j'en dirai autant de la faradisation, qui est restée sans effet. Un dernier fait à noter : la faradisation avec l'appareil Dubois-Reymond au maximum ne provoquait et ne provoque aujourd'hui aucune sensation ; mais hier nous avons pu constater, qu'en insistant un peu, la sensibilité reparaissait dans toute l'étendue du côté gauche. Cette circonstance donne à penser que, chez notre malade, la tendance
Voir p. 38.
Chakcot. LEuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 6
hystérique qui s'est manifestée dans ces derniers temps va cesser, et que bientôt tout reviendra à la normale ; probablement la sensibilité se rétablira à gauche, et pour quelque temps les manifestations hystériques ne se renouvelleront pas, mais la malade restera exposée à subir les accès épilepli-ques.
Les choses n'en sont pas encore à ce point chez la jeune israélite que vous voyez depuis bientôt trois semaines ; vous vous rappelez que, chez elle, la contracture occupait les 4 extrémités depuis six mois. Soit sous l'influence de l'électricité statique, soit spontanément, la situation s'est simplifiée. La contracture a disparu, d'abord aux membres supérieurs, puis au membre inférieur gauche, persistant dans le droit, et l'a-nesthésie qui, pendant la contracture, occupait les 4 membres, ne persiste qu'à droite. Après un certain nombre de modifications obtenues avec l'application prolongée de l'aimant, le membre inférieur droit, quant à la motilité, revient à la normale ; mais l'hémianesthésie persiste encore aujourd'hui.
Vous voyez que la malade endure non seulement la piqûre, mais encore la faradisation prolongée et intense. Un autre fait doit être relevé ; c'est que, en agissant sur les muscles et sur les troncs nerveux, la faradisation détermine des contractions musculaires qui ne cessent pas après l'excitation, mais s'établissent à l'état de contractures. Yoici, en effet, la griffe cubitale déterminée par l'excitation du nerf, en arrière du coude; voici un pied-bot produit par la faradisation des jumeaux. Vous voyez donc que la contracture existe toujours ici à l'état latent, et qu'il suffit d'une excitation bien légère pour la reproduire plus longtemps et peut-être à l'état permanent. J'ai signalé chez ces deux malades l'existence de rhémianesthésie, phénomène qui occupe une place importante dans l'histoire clinique de l'hystérie et qui se rencontre assez communément dans l'hystérie vulgaire, du moins à un certain
degré. Permettez que j'insiste un instant sur ce trouble de la sensibilité.
Voici la jeune Bl..., qui présente l'hémianeslliésie des hystériques, dans sa forme tout à fait classique et bien propre à l'étude. Du côté gauche existe l'insensibilité à la piqûre, au froid, et à toute excitation ; cette perte de la sensibilité générale s'observe dans le membre supérieur, dans l'inférieur, dans la moitié du tronc et de la tête. Vous voyez que cette jeune malade supporte les faradisations les plus intenses, sans accuser la moindre souffrance, et que l'anesthésie occupe non seulement la peau, mais encore les parties profondes, muscles et troncs nerveux, puisqu'on peut, en excitant les nerfs et les muscles, déterminer, sans que la malade souffre, une contraction assez prononcée et plus ou moins durable. Il est rare que la sensibilité générale soit seule affectée ; les appareils sensoriels du côté du corps où siège l'anesthésie sont aussi atteints ; en général, on note une diminution du goût, de l'ouïe et de l'odorat. Mais je réclamerai spécialement votre attention sur les troubles visuels, si intéressants au point de vue du diagnostic. Généralement, quand il y a insensibilité d'un côté du corps et de la face, il se manifeste dans l'œil correspondant un trouble de la vue, plus ou moins marqué, une sorte d'amblyopie, qui rarement va jusqu'à l'amaurose. L'étude méthodique de cette modification de la vision montre ce qui suit: 1° Rétrécissement souvent très prononcé du champ visuel. Souvent, quand l'anesthésie est double, ou quand il y a analgésie d'un côté et anesthésie de l'autre, on observe un rétrécissement du champ visuel des deux côtés, mais beaucoup plus marqué du côté où les troubles de la sensibilité générale sont plus accentués. Ce rétrécissement du champ visuel est, pour le clinicien, très intéressant. Les malades ne peuvent le prévoir ni l'exagérer, et
il n'est pas rare qu'il soit très accentué, alors que les troubles de la sensibilité générale sont peu accusés. — 2° Un autre phénomène qui accompagne généralement cette limitation du champ visuel, consiste dans la diminution de l'acuité de la vision ; il existe, en outre, souvent des troubles dans la perception des formes ; on relève encore l'obnubilation des sensations lumineuses. — 3° Mais un fait qui doit particulièrement attirer l'attention dans l'amblyopie des hystériques, c'est la dyschromalopsie, et, à un degré plus prononcé, l'a-chromatopsie, c'est-à-dire la diminution ou la perte absolue de la notion des couleurs. On sait qu'à l'étal normal toutes les parties de la rétine ne sont pas également aptes à percevoir les couleurs; ainsi, dans les conditions physiologiques, le champ visuel est plus étendu pour le bleu que pour le jaune, pour le jaune que pour le rouge ; vient ensuite le rouge, le vert, le violet, qui est seulement perçu par les parties les plus centrales de la réline. Dans l'amblyopie hystérique, les caractères de l'état normal se modifient de telle façon que les cercles représentant les limites du champ visuel pour toutes les couleurs se rétrécissent concentriquement. Le cercle du violet pourra se rétrécir jusqu'à devenir nul, et alors la malade, mise en face de la couleur, sera incapable de la nommer ; le même phénomène se répétera pour le vert, le rouge, etc. Le jaune et le bleu seront peut-être les seules couleurs persistantes, mais elles pourront elles-mêmes disparaître ; alors on dit qu'il y a achromatopsie totale. La malade reconnaît bien la forme des objets, mais les voit en gris, comme une photographie non colorée observée au stéréoscope.
Il y a pourtant chez beaucoup d'hystériques une exception fréquente à la règle que je viens d'établir, et suivant laquelle le bleu et le jaune sont les deux couleurs dont la notion, dans l'acrhomatopsie, persiste en dernier. Je dois signaler l'anoma
lie, bien que je ne fasse pas ici une étude complète de l'a-chromatopsie hystérique ; je dois la signaler, parce qu'elle se rencontre non seulement chez la plus grande partie des femmes hystériques que nous avons observées, mais encore chez les sujets mâles dont nous parlerons bientôt. Elle consiste en ce que l'étendue du champ visuel pour le rouge est plus grande que pour le bleu, de sorte que les malades peuvent avoir perdu la notion du violet, du vert, du bleu et du jaune, celle du rouge persistant seule. Voici un cas étudié par M. le Dr Parinaud, qui montre clairement le phénomène en question.
Chez la nommée N..., l'œil droit est affecté d'un certain degré de rétrécissement du champ visuel pour les couleurs qui restent pourtant dans l'ordre normal ; pour l'œil gauche, le rétrécissement du champ visuel pour la lumière blanche est manifeste, les champs des diverses couleurs sont plus étroits et à un degré plus marqué que du côté opposé ; mais, de plus, et c'est en quoi consiste l'anomalie, le champ du rouge est devenu plus étendu que celui du jaune et du bleu; ce dernier s'est rapproché du vert et s'est substitué au rouge. Si ce rétrécissement progresse, il pourra arriver que la notion de toutes les couleurs ait disparu, à l'exception de celle du rouge. J'insiste sur ces anomalies que nous retrouverons à un certain degré chez notre jeune garçon hystérique.
Je ne discuterai pas la nature des troubles visuel de l'hystérie ; je vous rappellerai seulement, en passant, que ces phénomènes ne sont accompagnés d'aucune modification, appréciable à l'ophthalmoscope, des milieux réfringents, ni du fond de l'œil ; il n'y a même pas de modifications vasculaires, il s'agit de troubles exclusivement dynamiques, comme l'on dit. Je dois, en outre, vous faire remarquer que ces phénomènes ne sont pas propres à l'hystérie, excepté, peut-être, ce qui e^t cela-
tif à la limite du rouge ; car, à part cette dernière particularité, ils peuvent se rencontrer dans le cas de lésions cérébrales en foyer occupant la capsule interne.
Fig. 14. — Zones hystérogèncs de la face antérieure du corps. (Fig. extraite de Ylncono-graphie photographique de la Salpétrière, par Bourneville et Regnard, t. III, jp. 48).
Nous devons encore relever, chez la malade qui fait l'objet de notre examen, l'existence, du côté aneslhésié, de deux points ou plutôt de deux plaques au niveau desquelles la sensi
bilité est exagérée ; un de ces points répond à la région ovarienne, l'autre à la région lombaire, à droite et à gauche des apophyses épineuses. Ce sont là les points ou plaques hystéro-
Fig.iiS, — Zones hystérogènes de la face postérieure du corps (loc. cit., p. 49).
gènes que nous retrouvons chez beaucoup d'hystériques et qui peuvent occuper d'autres régions que cellesjque nous avons indiquées. Ainsi, H... dontl'anesthésie est générale, mais plus
prononcée à gauche, présente trois zones hystérogènes : le point ovarien, un point lombaire gauche, et un point bregma-tique.
Que sont donc ces zones hystérogènes ? ce sont des régions du corps plus ou moins circonscrites, au niveau desquelles la pression ou le simple frottement détermine, plus ou moins rapidement, le phénomène de l'aura, auquel succède quelquefois, si l'on insiste, l'attaque hystérique. Ces points, ou mieux ces plaques, ont encore la propriété d'être le siège d'une sensibilité permanante, et, avant l'attaque, d'une exacerbation douloureuse spontanée qui, par suite, constitue une partie de l'aura. Ce sont tantôt des battements, tantôt une sensation de brûlure. L'attaque une fois développée, peut être souvent arrêtée au moyen d'une pression énergique exercée sur ces mêmes points. Un fait intéressant et digne de mention, c'est que ces points ne se rencontrent pas sur les membres l. Mais on les voit sur la partie antérieure du tronc, au niveau de la ligne médiane (poignée du sternum, appendice xyphoïde) sous la clavicule {fig. 14), au-dessous des seins et dans les régions ovariennes, chez la femme, à la région inguinale chez l'homme ; en arrière {fig. 13), entre les deux épaules, quelquefois à l'angle de l'omoplate, dans la région lombaire, à droite ou à gauche de la ligne médiane, au coccyx ; chez l'homme, il n'est pas rare de voirie testicule, surtout s'il est le siège'ti'rme^anomalie de position ou de développement, représenternine partie de zone hystérogène, ou bien c'est le prépuce dont la sensibilité est exquise, qui jouit de la même propriété. A la tête, nous en trouvons parfois au niveau du bregma, d'un côté ou de l'autre.
1. Depuis que cette leçon a été faite, M. Gaube a publié d'intéressantes recherches sur les zones hystérogènes. De cette étude, entreprise sous la direction de M. le professeur Pitres, de Bordeaux, il résulte qu'il existe des zones hystérogènes sur les membres supérieurs ou inférieurs, et que ces zones ont les mêmes propriétés que celles que l'on rencontre sur le tronc ou sur la tête (Gaube : Recherches sur les zones hystéroijènes, Thèse de Bordeaux, H82.) Ch. F.
L'étendue de ces zones est 1res variable, souvent elles ne sont pas plus larges qu'une pièce de cinq francs.
Pour compléter les préliminaires dont j'avais à vous entretenir, il me resterait à vous rappeler les caractères généraux de la grande attaque hystéro-épileptique ; mais je crois devoir me bornera vous renvoyer à mes précédentes leçon.
Tels sont les phénomènes qui se rencontrent très vulgairement dans la grande forme de l'hystérie chez la femme, et sur lesquels je voulais, au préalable, appeler votre attention. Eh bien, la plus grande partie de ces caractères peuvent se retrouver dans l'hystérie de l'homme. — L'hystérie existe donc chez l'homme?
A cette question de savoir si l'hystérie atteint aussi les individus du sexe masculin, nous devons répondre affirmativement, et nous pouvons de plus ajouter que le fait n'est pas très rare.
Dans une thèse récente, un élève de M. Ollivier, M. Klein1, n'a pas réuni moins de 77 cas d'hystérie chez l'homme. La proportion serait, du reste, d'après Briquet, de 1 homme pour 200 femmes. Ce chiffre est, sans doute, un peu exagéré. Quoi qu'il en soit, mon expérience me permet d'affirmer que l'hystérie peut se présenter assez souvent chez l'homme, et qu'on l'y rencontre avec tous les caractères observés d'ordinaire chez la femme. «-
Je me bornerai à citer, à titre d'exemple, un seul cas : Un garçon de 17 ans, S..., de Moscou, vint me consulter l'année passée. C'est un jeune homme grand et maigre, dans les antécédents duquel il faut relever l'existence d'un oncle « mélancolique ». Pour lui, il est exalté, écrit des vers, aime la musi-
1. Klein. — De l'hystérie chez l'h omme, thèse de Paris, 1880.
que, lit des romans avec avidité; pas de vice de conformation des organes génitaux. Depuis quelques mois, il est sujet à des attaques qui reviennent presque tous les jours, à 5 heures du soir. Il offre de plus, à titre de phénomènes permanents, une hémianalgésie à gauche, et, du même côté, un point hystéro-gène sterno-costal ; un brusque frottement sur ce point provoque une attaque. Les attaques spontanées sont précédées de tristesse, de battement des tempes, d'une sensation de boule qui va de la région précordiale au larynx, Qu'elles soient spontanées ou provoquées, les attaques sont constituées par une période épileptoïde, plus marquée dans une moitié du corps, avec convulsions toniques et cloniques prédominantes à gauche ; il perd connaissance, mais ne se mord pas la langue. Après quoi son corps se place en arc de cercle à convexité abdominale. Dans une troisième phase, il se met à marcher les yeux ouverts, poussant un cri de frayeur (il voit sa mère morte). A la tin de l'attaque, rires, pleurs, bâillements ; il demande à boire, tremble, dit qu'il a froid, etc. En résumé, l'hémianalgésie, l'existence d'un point hystérogène, les caractères de l'attaque qui viennent d'être signalés suffisent amplement à établir le diagnostic ; ce n'est pas de l'épilepsie, c'est bien de l'hystérie. Un traitement tonique et remploi méthodique de l'hydrothérapie, quelques changements dans l'hygiène intellectuelle suffirent à amener la guérison.
Mais l'hystérie grave ne se rencontre pas seulement chez l'homme et l'adolescent, on la voit encore chez l'enfant, avant la puberté. Des observations bien constatées le prouvent. Il semblerait, d'après^ M. Klein, que la plus grande fréquence de l'hystérie, chez l'homme, s'observe vers 24 ans ; je crois que le fait mérite confirmation ; suivant mes observations, la maladie serait, chez les jeunesjgarçons, plus commune qu'on le croit, vers 12 ou 13 ans ; on peut la rencontrer, vous le savez, dans
l'autre sexe, plus tôt encore, de 10 à 12 ans, par exemple. L'hystérie peut se présenter, d'ailleurs, chez l'enfant, mâle ou femelle, avec tous les caractères de Yhysteria major. Comme exemple du dernier genre, je pourrai citer le cas d'un garçon de 13 ans, que je vis en consultation, avec un médecin très distingué, mais qui fait montre de scepticisme à l'endroit de l'hystérie en général, et de l'hystérie chez l'enfant en particulier. En présence des attaques épileptiformes, il s'était demandé s'il n'y avait pas là épilepsie vraie ou consécutive à une affection encéphalique grave, une tumeur cérébrale, par exemple. Les attaques épileptiformes existaient, en effet, mais elles faisaient partie d'une série d'autres manifestations ; elles étaient suivies de grands mouvements, puis l'enfant se plaçait en arc de cercle, etc. Je fus témoin d'une de ces crises, je cherchai un point hystérogène, j'en trouvai un, en effet, dans le flanc gauche ; je le comprimai et les mouvements convulsifs cessèrent, bien que la connaissance ne revînt pas.
Dans l'intervalle des attaques existait une hémihyperesthé-sie gauche ; ce garçon, du reste, avait l'air efféminé, était entouré de joujoux de petite fille. Je prescrivis les toniques, l'isolement pour le soustraire à l'influence de ses parents, qui le gâtaient trop, et l'hydrothérapie. La guéiïson ne se fit pas attendre plus de trois mois. Malheureusement cet enfant succomba trois ans après d'une péricardite consécutive à la scarlatine; mais sans que les accidents nerveux se fussent reproduits.
Parmi toutes les observations connues d'hystérie chez les jeunes garçons, celle de MM. Bourneville et d'Ollier \ recueillie à Bicêtre, est peut-être la plus remarquable, et par le soin
1. Bourneville et d'Ollier. — Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, l'hystérie et l'idiotie, 1881, p. ¡10
avec lequel furent étudiées les particularités du cas, et par le caractère très accentué des phénomènes ; c'est un exemple d'hystéro-épilepsie, de grande hystérie dans toute la rigueur du terme. Il s'agit d'un enfant de 13 ans, né d'une famille dans laquelle se trouvaient plusieurs idiols épileptiques, et un enfant avec des instincts dépravés. Le sujet en question, au contraire, est doux etintelligent ; dans l'intervalle des attaques, on peut reconnaître qu'il est hémianesthésique gauche avec amblyopie, et qu'il présente trois zones hystérogènes (bregma, fosse iliaque gauche, région lombaire). Le point bregmatique est le plus sensible. Le moindre choc, le moindre frottement exercés sur ce point provoquent une attaque, et même les camarades du malade, ayant surpris le secret, se donnent souvent le malin plaisir de faire naître par ce moyen très simple les accidents convulsifs ; un forte pression arrête d'ailleurs l'attaque avec la même facilité. L'attaque est régulière; période épileptoïde, période de grands mouvements avec attitude en arc de cercle, puis attitudes passionnelles avec cris violents. Il n'y eut, de novembre 1879 à décembre 1880, pas moins de 582 attaques, sans qu'il s'y ajoutât de l'épilepsie, et sans qu'il persistât aucun trouble intellectuel, malgré la répétition fréquente des accès.
Le cas de l'enfant que je vais vous montrer est moins complet, moins correct, moins riche, si je puis dire, en phénomènes très accentués ; c'est un cas de petite plutôt que de grande hystérie; pourtant je crois qu'il n'est pas moins intéressant, surtout en raison des circonstances au milieu desquelles s'est développée la maladie.
C'est un jeune Israélite de 13 ans, originaire de la Russie méridionale; tous ses parents sont en bonne santé, le père est très impressionnable et nerveux, mais sans rien de bien caractérisé. Vous voyez l'enfant vêtu de l'uniforme du Gymnase
qu'il fréquente depuis trois ans, à*** (Russie méridionale) ; il a beaucoup travaillé, il est intelligent, a l'œil vif, nuús il est petit et très pâle. 11 se plaint, depuis plus d'un an, de douleurs de tête, mais seulement depuis 5 mois (en janvier) la céphalalgie est devenue intense, revenant tous les soirs, vers les cinq heures, suivie, peu après, d'attaques convul-sives.
Le diagnostic, parait-il, fut hésitant ; on aurait parlé d'une lésion organique, et le pronostic aurait été déclaré très grave. Le père, qui aime son fils à la folie, a entrepris le voyage et l'a conduit à Paris, où il nous l'a amené, il y a déjà 15 jours, implorant une guérison qu'il n'a pu trouver dans son pays. Dès le premier examen, nous avons pu le rassurer ; l'affection n'est pas grave, non seulement l'enfant vivra, mais on peut affirmer, sans crainte d'être démenti par l'événement qu'il guérira parfaitement.
Si nous considérons, en outre des autres circonstances de l'observation, que ce jeune sujet est atteint d'une céphalée persistante, avec un point de sensibilité exagérée sur le vértex, que la crise, depuis cinq mois, revient tous les jours à la même heure, nous pouvons déjà présumer Y hystérie, qu'un examen plus sérieux rend évidente. Dans les périodes intercalaires, on constate, en effet, que, du côté droit, il existe une hémianalgésie à la piqûre, au froid el à la faradisation ; le goût, l'odorat, l'ouïe, sont affaiblis de ce côté. 11 se plaint de ne pas voir clairement de l'œil droit, et l'examen méthodique du champ visuel montre un rétrécissement particulièrement marqué à droite (fig. 16), et, de ce côté, il ne voit que le rouge. En outre, il y a des plaques d'hypéresthésie au crâne et au vértex (zone hystérogène). Vers les 4 h. 1/2 ou 5 h. (vers les 6 h. 1/2 en Russie), la douleur de tête s'exaspère et lui donne la sensation d'une plaie vive, puis viennent des tin-
lements d'oreille ; il n'a pas la sensation, de boule, mais une sorte de constriction thoracique.
L'attaque est ordinairement coupée parla chloroformisation. Abandonné à lui-même, il se couche sur le côté gauche, la
Fjg. /0. _ Rétrécissement du champ visuel prédominant à droite chez le jeune B.
tête sur un petit coussin qui ne le quitte jamais, sanglolte et se replie sur lui-même. Les membres inférieurs et supérieurs sont fléchis, il se cache la tête dans les mains, et se met dans une sorte d'emprosthotonos ; il peut être soulevé tout d'une pièce. Cela dure trois à quatre minutes, puis les membres se détendent, les yeux se mouillent de larmes, et tout est fini ; pas de rire, pas de pleurs, pas de délire.
Il est cependant intéressant d'examiner l'attitude du père, quand approche l'heure de l'attaque ; il prend sa montre qu'il a mise à l'heure de son pays; vers 6 heures, il interroge son fils, lui demande s'il souffre ; si oui, il l'entoure d'une sollicitude respectable, sans doute, mais qui contribue certainement à entretenir les accidents et à les maintenir dans leur régularité.
Il n'est pas nécessaire, après la précédente analyse, d'établir un diagnostic différentiel. Il serait superflu de confronter ce cas avec ceux plus classiques que je vous ai décrits, tout d'abord, et de montrer les analogies qui établissent que tous appartiennent à la même famille. C'est de l'hystérie qu'il s'agit, et rien que de l'hystérie; l'idée d'une lésion organique intra-crânienne quelconque doit être repoussée. Parlant, le pronostic est relativement favorable en général, et absolument dans le cas actuel. Pas de doule sur le résultat, parce que, chez les jeunes garçons, l'hystérie, suivant mes observations, du moins, ne se montre certainement pas aussi rebelle que chez les filles.
Je prescrirai : 1° l'isolement, pour soustraire l'enfant à la sollicitude paternelle, laquelle ne fait que provoquer l'exaltation de l'état nerveux, ou, du moins, de la part du père, un maintien plus réservé et plus ferme ; 2° l'emploi des reconstituants ; 3° l'électricité statique et l'hydrothérapie qui, j'en suis convaincu, fera merveille. J'espère que le père ne refusera pas d'obtempérer à ces prescriptions et qu'il pourra, dans
quelques mois peut-être, reconduire au Gymnase de***, son fils complètement guéri1.
1. Le jeune malade fut soumis à l'électrisation slalique tous les deux jours et aux pratiques hydrothérapiques quotidiennes, en même temps qu'il suivait un régime reconstituant. Mais le père ne voulut pas consentir à se séparer de son fils, et tous les jours, à la même heure, il était dans l'attente de l'attaque qui ne manqua pas, en effet, de se reproduire, tout comme avant le commencement de ce traitement incomplet. Au bout d'un mois d'insuccès, il se décida enfin à le placer dans une maison de santé; mais, pendant une grande partie de la journée, il ne cessait de rôder autour de l'établissement, interrogeant tous ceux qui sortaient sur l'état de son fils, qui savait ce qui se passait et ne sentait pas complètement abandonné. Plusieurs semaines se passèrent ainsi et rien ne changeait : le père, désolé, voulait renoncer au traitement ; ce ne fut qu'à grand peine qu'on put lui faire comprendre que jusqu'alors il n'avait pratiqué qu'un isolement fictif, que le traitement était, par conséquent, incomplet, qu'il fallait qu'il s'éloignât tout de bon et que son fils ne pût plus douter qu'il était seul, bien seul, et qu'il ne sortirait plus que guéri. C'est ce qui fut fait : et ce qui se passa bientôt après montra bien la valeur thérapeutique de l'isolement réel, dans ces sortes de cas: au bout de quatre ou cinq jours, les attaques étaient déjà modifiées, moins régulières et moins fortes ; quinze jours après, il n'était plus question d'attaques, puis la zone hystérogène bregmatique disparut, et quand le petit, malade partit un mois environ après le commencement du traitement effectif, il ne restait plus en tout que des traces de l'amblyopie. Ch. F.
SEPTIÈME LEÇON
o
Deux cas de contracture hystérique d'origine traumatique
Sommaire. —Oljiitérje larvéer..s,anb.jxise:? coin uisive.s. — Contracture spas-modique permanente "d'origine traumatique. — Deux observations rela" tives l'une à une femme, l'autre à un homme. — Hérédité. — Griffe cubitale : étude expérimentale de cette griffe, par l'électrïsation et par la mise en jeu de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. \
Messieurs,
Bans la leçon d'aujourd'hui qui inaugure le cours de la nouvelle année scolaire, j'appellerai votre attention sur deux cas pathologiques qui se sont offerts récemment à notre observation et que plusieurs d'entre vous ont eu déjà l'occasion d'examiner. Ces deux cas m'ont paru dignes de vous occuper un instant; ils ont entre eux d'ailleurs les analogies les plus frappantes ; tellement qu'ils semblent en quelque sorte coulés dans le même moule, et méritent à tous égards d'être rappro-\ chés.
L'un et l'autre offrent, en effet, un exemple de l'hystérie anormale par l'absence de crises conyulsives. Ils ont de plus, en commun, un autre trait particulier, à savoir, l'existence d'une contracture spasmodique limitée à l'une des mains, et développée, suivant toute apparence, sous l'influence d'une excitation extérieure.
Charcot. Œuvres complètes, t. ui, Système nerveux. 7
J'ajouterai que si l'un de ces faits est relatif au sexe féminin, comme c'est la règle, l'autre, au contraire, concerne l'homme, et c'est là une circonstance qui, incontestablement, devra exciter voire intérêt.
En résumé : 1° Hystérie larvée et privée de la marque, en quelque sorte classique, de l'attaque convulsive ; 2° Contracture spasmodique permanente développée à la suite d'une influence traumatique ; tels sont les deux points que je voudrais surtout mettre en relief à propos de l'étude de ces deux malades de sexe différent, entre lesquels j'essaierai d'établir une sorte de parallèle.
I. Après ce préambule, j'entre immédiatement en matière par l'étude du premier de ces cas.
Il s'agit, vous le voyez, d'une jeune fille de 16 ans environ, d'une apparence délicate. Sa physionomie est assez calme, et ne présente rien de bien particulier. Nous ne la trouvons pas parée de couleurs voyantes comme la plupart des"sujels de. cette catégorie; elle n'appartient pas, dans, l'espèce,~ à la variétéjexpansive et bruyante; mais, soit dit en passant, ces hys-^rj^m^sjjlacjdes ne sont pas toujours les plusi'aciles à mener.
Quelques faits antérieurs" à Ta maladie actuelle méritent d'être signalés. Elle est maintenant orpheline ; elle a été recueillie à Il ans, à la suite de la mort de sa mère, survenue en conséquence de la phtisie pulmonaire, dans une maison dirigée par des religieuses. Mais, circonstance plus intéressante, son père a succombé à l'asile d'aliénés d'Orléans, où il a vécu trois ans ; la maladie qui a motivé son admission dans cet asile paraît avoir été la paralysie générale progressive, si on en juge par ce fait qu'il a subi plusieurs attaques convul-sives, à la suite desquelles il est resté paralysé. J'ajouterai qu'un de ses frères, âgé de 13 ans, recueilli dans une maison de secours, est à peu près idiot.
Ces tans mentaient d'être mis en relief, parce que l'hérédité njvro£§th|ajK3^|u^, vous le savez, au premier, mng^dans^
i'étiologie,,ç].el'hystérie. Cette cause peut être invoquée 30 fois pour 100, d'après Briquet: tantôt il s'agit, suivant la nomenclature proposée par M. Prosper Lucas, de Y hérédité homonyme ou de similitude, une hystérique donnant naissance à une hystérique ; tantôt de Y hérédité de transformation, les parents étant affectés d'une autre affection du système nerveux, de folie, d'épilepsie, etc.
Parmi les antécédents personnels de la malade, nous ne
Fig. 17. — Contracture hystérique de la main gauche. Dessin de M. 1'. Richer
trouvons guère à relever qu'une bronchite assez grave, d'une durée de trois mois. Absence bien constatée, soit dans le passé, soit dans le présent, des phénomènes de l'hystérie con-vulsive. Notre malade paraît ignorer absolument la boule hystérique, les spasmes, les convulsions.
Pour ce qui est de l'état moral, les renseignements fournis par la supérieure de la communauté où elle vivait sont peu explicites : « Elle a un amour extrême de la liberté; ses con« versations et son esprit ne sont pas bons. » Qu'y a-t-il derrière ces réticences toutes monacales ? Nous n'en savons encore rien; mais nous le reconnaîtrons-peut-être bientôt.
J'arrive maintenant au fait capital, la déformation de la majnj^uche, qui représente, vous le voyez, une véritable main-boQgu^e je qualifierai d'hystérique (fig. 17) . Je vous
dirai tout à l'heure dans quelles circonstances s'est développée cette déformation ; actuellement je ne relèverai qu'un point : il y a un an que cela dure. Depuis ce temps la déformation a été permanente, sans cesse ni trêve, excepté pendant une période de deux mois, où elle a été atténuée, sous l'influence d'un traitement.
Le poignet est libre ; il en est de même des autres articulations du membre supérieur. La déformation est donc limitée à la main. Les premières phalanges sont fléchies sur le métacarpe, les autres phalanges ne présentent qu'un léger degré de flexion. Les doigts, ainsi fléchis dans leur ensemble, sont serrésles uns contre les autres, forment une sorte de cône, dont le sommet répond à l'extrémité des dernières phalanges. Le pouce, dans l'adduction, est lui-même fortement appliqué contre l'indicateur.
Il est facile de se convaincre que la rigidité musculaire est la seule cause de cette déformation, et que les articulations et les ligaments ne sont pas affectés. Les tentatives de réduction le montrent suffisamment. La chloroformisation aurait pu nous en donner une preuve péremptoire ; mais nous avons craint une perturbation qui aurait pu vous empêcher d'étudier de visu cette déformation.
Nous retrouvons d'ailleurs ici les caractères de la contracture spasmodique : si, en effet, les fléchisseurs sont surtout affectés et déterminent le sens de la déviation, les extenseurs sont atteints, eux aussi ; car il est aussi difficile d'exagérer la flexion que de produire l'extension. Cette action simultanée des antagonistes est un des caractères de la contracture spasmodique, sur lesquels je reviendrai.
Chemin faisant, relevons quelques autres particularités : La main déformée est plus froide que l'autre, et elle offre une teinte bleuâtre assez marquée, dénotant un trouble manifeste des vaso-moteurs. Il existe une atrophie, ou plutôt uneémacia-tion légère, non seulement de la main, mais encore des autres segments du membre. L'avant-bras et le bras ont environ un centimètre de moins en circonférence que du côté opposé ; il ne s'agit pas là d'une atrophie musculaire véritable, mais d'un amaigrissement dû au repos prolongé. Nous trouvons, en outre, une diminution de la sensibilité générale et spéciale sur toute la moitié du corps, du côté de la déformation.
Il s'agit ici, remarquez-le bien, d'une contracture,pjerma-jiejxLe^dans l'acception rigoureuse du mot : nous la retrouvons malin et soir ; elle persiste pendant le sommeil, ce dont on peut se convaincre facilement, grâce à cette circonstance, que la malade étant insensible de ce côté, l'exploration peut être faite sans l'éveiller. On est donc en droit d'écarter tout soupçon de supercherie.
Peut-être, avant d'aller plus loin, n'est-il pas sans intérêt d'entrer dans quelques détails relatifs à la physiologie de cette contracture.
Quels sont les muscles qui entrent surtout en jeu pour déterminer cette attitude vicieuse ? Ce sont les interosseux qui sont intéressés au premier chef ; car, comme l'a montré Duchenne (de Boulogne), ces muscles ont pour rôle de fléchir la première phalange, et en outre, les inlerosseux palmaires ont pour action de rapprocher les doigts d'une ligne fictive passant par l'axe longitudinal du médius, et par conséquent de les serrer les uns contre les autres. Mais les interosseux ne sont pas seuls affectés, car les deux dernières phalanges sont aussi fléchies, et cette attitude est due à l'action des fléchisseurs profond et superficiel.
11 faut donc reconnaître l'action, non seulement du cubital qui innerve les interosseux, mais encore du médian, sous l'influence duquel agissent les fléchisseurs. D'ailleurs, la participation du médian est encore mise en lumière par l'attitude du pouce. Remarquez, en effet, que le pouce n'est pas seulement dans l'adduction, mais encore en môme temps en opposition ; il est porté en dedans, mais l'ongle est dirigé en avant et non directement en dehors, comme dans l'adduction simple. L'adduction du pouce est déterminée par l'adducteur, véritable interosseux du premier espace, qui est animé par le cubital ; mais l'autre mouvement est produit par l'opposant, qui est innervé par le médian.
D'ailleurs, nous n'allons pas nous borner à de simples assertions, relativement à ce mécanisme de la déformation de la main. Nous sommes en mesure de reproduire avec l'élec-trisation localisée, par la méthode de Duchenne (de Boulogne), les faits que nous venons d'énoncer. Ce genre d'expérimentation est assez difficile sur les sujets normaux, à cause des douleurs déterminées par la farodisation ; celte difficulté n'existe plus chez les hystériques anesthésiques, qui peuvent se prêter à l'étude, puisqu'elles n'éprouvent aucune douleur.
Je vous présente lanommée RI..., h v s té rn- p,pjjp.p l i qp p 11 p-mianesthésique gauche. Nous avons marqué ur^'point nohpen dedans du tendon du cubital antérieur ; c'est le, fiffint d'élection "pour la faradisaliondu nerf cubilal au niveau du poignet. Vous voyez que la faradisation produit une griffe cubitale partielle qui rappelle celle de notre malade, et dans laquelle les interosseux et l'adducteur du pouce entrent seuls en jeu. Si, au contraire, nous excitons le cubital au niveau de sa gouttière au coude, nous déterminons une griffe cubitale totale avec flexion des deux derniers doigts : ce dernier mouvement étant dû à l'action de la partie cubitale du fléchisseur profond.
Ces mêmes faits sont plus facilement étudiés, encore chez les sujets que l'on veut plonger dans la léthargie hypnotique. Nous pouvons, en effet, profiter de Y hyper excitabilité neuro-musculaire dont sont doués ces sujets, pour provoquer les mêmes mouvements, en irritant le nerf avec un corps dur quelconque, avec un simple bâton, sans faradisation. L'avantage dans ce mode d'expérimentation, c'est que ces mêmes attitudes sont permanentes, comme vous le voyez, sur cette malade, chez laquelle vous nous voyez produire par simple attouchement du cubital au niveau du poignet, la griffe interosseuse ; ou si nous voulons agir au niveau de la gouttière du coude, la griffe cubitale totale. Après avoir ramené la griffe inlerosseuse, vous nous voyez reproduire exactement la déformation de notre première malade, en excitant le muscle opposant dans la paume de la main. Je vous ferai remarquer que sur ce sujet hyperexcitable, la main contracturée en flexion, présente tous les caractères de la contracture spas-modique ; l'attitude est fixe, les fléchisseurs et les extenseurs entrent donc en jeu, il y a donc une action évidente de la moelle. Mais c'est là un point sur lequel nous reviendrons.
Après cette digression un peu longue, il est temps d'en revenir à notre malade.
Nous venons d'établir qu'il s'agit d'une contracture spas-modique ; mais il faut montrer maintenant qu'elle mérite bien le nom d'hystérique, et qu'on peut lui appliquer le pronostic relativement favorable des accidents de cet ordre, qu'on peut espérer, en d'autres termes, que, malgré sa longue durée et sa ténacité, elle pourra céder à l'action d'un traitement approprié.
Ce diagnostic peut être basé: 1° sur Vintensitè même de la contracture qui se présente rarement à ce degré, quand elle est due à une lésion organique, à une lésion scléreuse latérale de
la moelle; 2° sur la permanence absolue au même degré, nuit et jour. Chez les hémiplégiques, la contracture se relâche ordinairement en partie sous l'influence du sommeil ; 3° enfin, les circonstances au milieu desquelles l'attitude vicieuse s'est produite, ont une grande importance. Il y a plus d'un an, le 2 novembre 1881, la malade, en cassant un carreau, s'est fait sur le dos de la main, au niveau du deuxième métacarpien, une plaie insignifiante qui fut cicatrisée au bout de 4 ou 5 jours. C'est ce traumatisme léger qui a déterminé la contracture ; c'est là un caractère d'une grande valeur. De plus, le débuta été soudain et sans douleur. Enfin, la déformation persiste longtemps après que la plaie est guérie. Sans doute aussi, chez des sujets à lésions organiques (sclérose descendante cérébrale ou spinale), on peut voir le même accident se produire à la suite d'un traumatisme ; mais dans ce dernier cas, en général, le début de la contracture n'est pas brusque, il n'y a pas la même disproportion entre la légèreté du traumatisme et l'intensité de la contracture, qui n'a pas non plus la même persistance, après la guérison de l'irritation périphérique.
Celte disposition à la contraclure chez les hystériques, cette sorte de diathèse de contracture, qui peut être mise en jeu par un traumatisme banal, est remarquable chez certains sujets. J'avais observé depuis longtemps que certaines hystériques, à la suite d'un mouvement brusque, en jetant une pierre, par exemple, restaient avec le bras en contracture. Nous pouvons reproduire le même phénomène sur la nommée M..., que je vous présente : vous me voyez, en redressant brusquement le pied, déterminer un pied-bot équin qui ne cédera qu'à un massage prolongé. Remarquez que cette contracture se produit à l'état de veille, et qu'elle se présente avec la même intensité que celle que nous avons provoquée tout à l'heure,
srâce à rhyperexcitabilité neuro-musculaire, dans le sommeil hypnotique,
Pour en revenir à noire cas, vous voyez que cette suite de considérations permet déjà de présumer que l'affection est de nature hystérique. Mais cette présomption déjà si forte se
FUj. is. — Rétrécissement du champ rituel.
changera en certitude, lorsqu'une étude plus attentive nous permettra de relever les caractères qui établissent de plus en plus nettement la nature du substralum.
Si les attaques font défaut chez notre malade, elle présente cependant nombre de troubles nerveux qui constituent autant de stigmates caractéristiques de l'hystérie. Il existe en effet une ovarie gauche, une hémianalgésiè gauche, occupant non seulement la main, mais les deux membres, le tronc, la tète ; la malade n'est pas affectée parla faradisation de la peau. Il y a, en outre, une hémianesthésie sensorielle. Les organes des sens sont affectés d'une manière correspondante aux téguments qui les protègent, c'est un point que l'on a déjà eu occasion d'étudier d'une manière générale dans le service !, et qui, dans ce cas particulier, a été mis en lumière, en ce qui concerne l'audition, par un médecin qui suit actuellement nos visites, M. Walton 2. L'odorat, le goût, sont également affectés. Il en est de môme de la vision : il existe un rétrécissement du champ visuel {fig. 18) pour la perception lumineuse, et pour la perception des couleurs, avec transposition du cercle rouge, à l'extérieur ; il y a en outre une diminution de l'acuité visuelle, qui est représentée par un sixième de la normale.
Nous retrouvons donc chez cette malade tous les caractères de l'hémianesthésie hystérique avec ovarie. Ces troubles sen-sitifs ne pourraient être déterminés que par une lésion cérébrale en foyer, siégeant au niveau du carrefour sensitif, par l'alcoolisme ou l'intoxication saturnine ; mais comme nous ne retrouvons aucun signe de ces affections chez notre malade.
1. Ch. Féré. — Sur quelques phénomènes observés du calé de l'œil chez lei fv/sléro-épileptiques, soit en dehors de l'attaque soit, pendant, l'attaque (Soc. de biologie, 18S1, et Arch. de Neurologie, \¹, t. III, p. 281).
2. G.-L. Walton. — Deafness in hysterieal hemianesthœsia (Brain, part XX. 18S3).
force est bien de conclure que, chez elle, tous les phénomènes pathologiques sont de nature hystérique et purement hystérique. Et vous voyez qu'en somme ce qui, au premier abord, paraissait irrégulier, bizarre, rentre par celte voie dans la catégorie classique.
Messieurs, l'heure étant déjà avancée, nous remettrons la suite de cette étude à notre prochaine leçon.
HUITIÈME LEÇON
Deux cas de contracture hystérique d'origine trauraa-
tique (suite).
Sommaire. — Recherche de la simulation de la catalepsie et de la contracture. — Hystérie chez l'homme, fréquence, hérédité, âge adulte. — Formes frustes. — Contracture d'origine traumatique.
Messieurs,
Vous n'avez pas oublié que, dans la dernière leçon, je m'étais proposé de mettre en parallèle deux cas qui se sont présentés en même temps à notre observation, et dans lesquels il s'agit de contracture de nature hystérique, survenue à la suite d'une action traumatique, une blessure par un éclat de verre dans un cas, une brûlure superficielle dans l'autre. Ces deux faits, vous disais-je, se rapprochent parles analogies les plus frappantes, bien que dans le premier il s'agisse d'une jeune fille âgée de 16 ans, tandis que dans le second, c'est un homme vigoureux, un forgeron âgé de 35 ans, marié et père de plusieurs enfants.
La jeune fille a été déjà l'objet d'une étude attentive. Quant au sujet mâle que nous n'avions pas pu vous présenter l'autre jour, il nous a été confié par M. Debove, dans le service duquel il était, à Bicêtre. Je saisis avec empressement l'occasion qui se présente de soumettre cet homme, devant vous, à un
examen approfondi. Je SfTl^êlraTÎautant plus volontiers qu'il s'agit là incontestablement d'un cas rare entre tous, instructif au premier chef, et bien digne, par conséquent, de fixer un instant votre attention.
Mais avant d'en venir là, il conviendra, je pense, de compléter par quelques détails l'histoire de la jeune malade qui nous a occupés dans la dernière leçon.
Vous n'ignorez pas, Messieurs, que lorsqu'il s'agit d'hystérie, le clinicien doit toujours avoir présente à l'esprit la possibilité de la simulation dans laquelle les sujets tantôt exagèrent des symptômes réels, tantôt même créent de toutes pièces une symptomatologie imaginaire. Chacun sait, en effet, que le besoin de mentir, de tromper, parfois sans intérêt, par une sorte de culte de l'art pour l'art, tantôt en vue de faire sensation, d'exciter la pitié, etc., est chose vulgaire chez les hystériques. C'est là un élément que nous rencontrons à chaque pas dans l'histoire de cette névrose, et qui jette un certain jour de défaveur sur les études qui s'y rattachent.
Mais, aujourd'hui, Messieurs, alors que l'histoire de l'hystérie a été tant de fois remaniée, fouillée dans tous les sens, est-il vraiment aussi difficile que quelques-uns voudraient le laisser croire, de discerner la symptomatologie réelle, de la symptomatologie fausse, imaginaire, simulée?Non, Messieurs, il n'en est rien ; et pour ne pas rester à ce propos, dans la généralité vague, permettez-moi de vous rappeler un exemple concret, choisi entre bien d'autres, et dont je vous ai entretenus déjà, l'an passé.
11 s'agit de la catalepsie provoquée des hystériques. La question est celle-ci : cet état peut-il être simulé, au point de pouvoir tromper le clinicien expérimenté en ces matières,?
On croit généralement que si un sujet cataleptique est placé
le bras étendu horizontalement, cette attitude se conservera assez longtemps pour que cette durée seule suffise à écarter tout soupçon de simulation. D'après nos observations, cela n'est pas exact. Au bout de 10 à 15 minutes., le bras delà cataleptique commence à descendre, et au bout de 20 à 25 minutes, il reprendlaposition verticale suivantles lois delà pesanteur. Or, un homme vigoureux essayant de garder la même position peut atteindre la même limite. C'est donc ailleurs qu'il faut chercher un caractère distinctif.
Sur le simulateur et sur la cataleptique, on applique : 1° un tambour à réaction sur le bras étendu, pour permettre d'enregistrer les moindres oscillations des membres ; 2° un pneumo-graphe sur la poitrine pour obtenir la courbe des mouvements respiratoires. Yoici les résultats que l'on obtiendra : a. Sur la cataleptique, la plume qui correspond au tambour à réaction appliqué sur le bras, trace sur le cylindre enregistreur une ligne droite parfaitement régulière ; chez le simulateur au contraire, la ligne droite d'abord, puis brisée, finit par présenter de grandes oscillations disposées en séries, b. Les tracés fournis par le pneumographe sont encore plus significatifs ; chez la cataleptique la respiration reste rare, superficielle, régulière, jusqu'à la fin ; tandis que chez le simulateur, le tracé présente deux parties distinctes ; au début, la respiration est régulière, normale ; puis, correspondant aux oscillations des membres qui indiquent une fatigue musculaire, on observe une irrégularité dans le rhythme et l'étendue des mouvements respiratoires, les rapides et profondes dépressions respiratoires qui accompagnent le phénomène de l'effort !.
En résumé : 1° La cataleptique ne connaît pas la fatigue, le muscle cède sans effort, sans intervention volontaire ; 2° le simulateur, soumis à l'épreuve, est à la fois trahi par le tracé du membre qui indique la fatigue musculaire, et par le tracé de
1. Voir p. 38.
la respiration qui traduit l'effort destiné à marquer les effets de la fatigue.
Nous avons, ces jours-ci, mis en œuvre un dispositif analogue pour soumettre à l'épreuve la contracture de notre jeune
Fig. 10. — Expérience destinée à vérifier la réalité de la contracture de la main.
malade. L'avant-bras est appliqué sur une table contre laquelle le dos de la main est solidement fixé à l'aide d'un bandage. Une petite écharpe embrasse le pouce. Celle-ci est fixée par une corde qui passe sur deux poulies et soutient un plateau de balance dans lequel est placé un poids de un kilogramme (fig. 19). L'expérience dure environ une demi-heure ; pendant ce temps, le pouce est progressivement soulevé, et se détache de plus en plus du doigt indicateur. Après l'expérience, le pouce est revenu immédiatement dans sa position première, sans apparence de fatigue, aussi fortement appliqué qu'auparavant.
Pendant tout ce temps, le pneumographe, appliqué sur le devant de la poitrine, a enregistré chaque mouvement respiratoire. Or voici ce que le tracé nous montre ; la respiration est régulière, peu profonde, normale, égale depuis le commencement jusqu'à la fin ; il n'y a rien, par conséquent, absolument rien qui rappelle le trouble respiratoire, qui caractérise le le phénomène de l'effort (fig. 20, A, B).
En manière de contrôle, un jeune homme vigoureux, un externe du service, est placé exactement dans les mêmes conditions, il donne volontairement à sa main gauche l'attitude particulière que présente la main contracturée de notre jeune malade. Le pouce qui a été maintenu appliqué contre l'indicateur au début de l'expérience, a été soumis à la même traction continue, pendant le même espace de temps, c'est-à-dire une demi-heure; il a cédé peu à peu, et s'est écarté progressivement de l'indicateur, malgré la volonté de l'expérimentateur qui résistait. Rien jusqu'ici qui distingue nettement le cas du simulateur de celui de la malade ; mais c'est dans le tracé respiratoire que va se manifester le contraste. A l'origine, c'est-à-dire durant les premières minutes, la respiration est égale et régulière ; mais bientôt le désordre se produit, les inspira-lions sont prolongées, marquées par de fortes dépressions, et séparées par de larges plateaux. Le phénomène de l'effort devient évident (/îg. 20, G, D).
Aussi vous le voyez, grâce à une épreuve de ce genre, la fraude, si elle venait à se produire, serait facilement reconnue, puisque nous avons,dans l'étude du tracé respiratoire, le moyen de la démasquer.
On ne saurait évidemment, dans les études cliniques relatives à l'hystérie, s'entourer de trop de garanties. Mais veuillez re-
marquer, Messieurs, que cette épreuve à laquelle nous avons soumis notre jeune malade est, en quelque sorte, une épreuve de luxe ; déjà nous avions réuni des preuves nombreuses et
fig. 20.— Les lignes A et B, représentent les mouvements resj ir-itolres de l'hystérique; les lignes G et D ceux du simulateur.
suffisamment probantes de la légitimité de l'affection. Je pense que j'ai suffisamment insisté, et qu'il est établi dans votre esprit que les phénomènes que nous avons étudiés ensemble, dans la précédente leçon, sont des phénomènes pathologiques parfaitement légitimes, et dans lesquels la volonté du malade
Charcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 8
n'entre pour rien, absolument pour rien. Je vais vous mettre à même de reconnaître, dans un instant, que ce qui vient d'être dit à propos de la contracture de notre jeune malade, nous pensons l'appliquer point pour point, au cas du sujet mâle que nous allons maintenant considérer particulièrement1.
Au préalable, il ne sera pas hors de propos de vous dire quelques mots de la névrose hystérique en tant qu'elle se présente dans le sexe masculin. I/hjLsJjéjde-^^ot^^ per chez l'homme! Oui, incontestablement, et elle s'y voit
TîTuTîre q u e m m e ri t qu'on ne
serait porté à le supposer au pre-
mier abord. Ce sujet de l'hystérie mâle est un de ceux auxquels les médecins se sont attachés dans ces dernières années : ainsi on ne compte pas moins de cinq dissertations inaugurales relatives à ce sujet spécial présentées à la Faculté de Paris de 1875 à 1880. Déjà Briquet dans son beau livre avait avancé que pour 20 femmes hystériques on rencontre, à Paris du moins, un homme atteint de la même affection. Ce chiffre, je l'avoue, me paraît un peu fort ; toujours est-il que M. Klein, l'auteur d'une des thèses dont je parlais tout à l'heure, et faite sous l'inspiration de M. Ollivier, a pu recueillir dans les auteurs 77 observations d'hystérie mâle, auxquelles il a ajouté 3 faits personnels, ce qui donne le chiffre respectable de 80; d'où il faut conclure, tout au moins, que, chez l'homme, l'hystérie n'est pas vraiment une affection très rare.
Un fait mis en lumière par le même travail ; c'est que lorsqu'elle se développe chez l'homme, l'hystérie est le plus souvent héréditaire ; cette circonstance s'est présentée 23 fois sur 30, et il s'agit là d'hérédité maternelle et d'hérédité similaire,
1. La malade a été soumise à l'application répétée de l'aimant et la contracture a lini par disparaître; dans sa leçon du 12 janvier 1883, M. Charcot a pu montrer la malade complètement guérie de sa déformation, mais conservant encore les stigmates permanents de l'hystérie décrits plus haut..
Ch. f.
ee qui revient à dire que l'hystérie chez la mère engendre souvent l'hystérie chez le fils.
Une autre notion qui résulte de la comparaison de ces observations, c'est que les accidents hystériques, chez l'homme, apparaissent le plus souvent, conformément à l'opinion de IL Reynolds, qui les a observés à Londres, à l'âge adulte, après 14 ans, de 20 à 30 ans, quelquefois plus tard. Sans doute, l'hystérie du mâle peut se rencontrer chez l'enfant avant la puberté, de 5 à 14 ans ; mais l'hystérie de l'adulte est plus commune. Et, autre point à relever, ces hommes adultes en proie à la névrose hystérique ne présentent pas toujours, tant s'en faut, les caractères du féminisme ; ce sont, au moins dans un bon nombre de cas, des hommes robustes, présentant tous les attributs du sexe mâle, des militaires, des artisans mariés et pères de famille, des hommes, en un mot, chez lesquels on pourrait s'étonner, si on n'était point prévenu, de rencontrer une affection considérée par beaucoup comme exclusivement propre à la femme.
Enfin, j'ajouterai que, chez l'homme comme chez la femme, la névrose se manifeste sous la forme fruste, à la manière d'un type effacé; et il est parfaitement établi, d'autre part, qu'elle peut se présenter chez lui douée de tous les attributs qui répondent au tableau de l'hystéro-épilepsie, hysteria major, grande hystérie. L'an passé, je vous citais plusieurs observations parfaitement propres à mettre en lumière la réalité de ces faits. Je me bornerai, pour ne rien dire, en ce moment, des modifications psychiques analogues dans les deux sexes, à relever les points suivants :
1° L'hémianesthésie sensorielle et sensitive, ce stigmate qui caractérise à peu près sûrement l'état hystérique, lorsqu'on a soin de faire le départ de quelques affections qui
quelquefois la produisent (lésions capsulaires en foyer, saturnisme, alcoolisme), l'hémianesthésie hystérique, en un mot, peut se rencontrer chez l'homme comme chez la femme. Il n'est pas jusqu'au rétrécissement du champ visuel pour les perceptions lumineuses, et à la transposition des limites du champ visuel pour les couleurs qui ne puissent se rencontrer en pareil cas. Je vous en ai déjà montré un exemple.
2° L'ovarie, un des symptômes fréquents de l'hystérie féminine manque chez l'homme; mais chez lui, dans quelques cas au moins, l'irritation du testicule, retenu dans l'anneau, la pression du testicule provoque ou arrête 1'allaque.
3° A défaut d'ovarie, nous retrouvons chez l'homme les points hystérogènes, avec leurs mêmes caractères que chez la femme; mais chez lui les points d'élection sont surtout la région bregmatique, l'un des côtés de la poitrine ou de l'abdomen et surtout le flanc gauche.
4° Enfin la série des phases de la grande attaque hystéro-épileptique se retrouve également chez l'homme (voir entre autres les cas de MM. Bourneville et d'Olier, de M. Fabre (de Marseille), sans compter les quatre ou cinq faits du même genre que j'ai personnellement observés).
5° La paralysie paraplégique ou hémiplégique, avec exaltation, ou, au contraire, avec disparition des réflexes tendineux, est un phénomène qui s'observe quelquefois, beaucoup plus fréquemment, on peut dire, que la contracture, qui paraît avoir été rarement rencontrée.
Mais vous ne devez pas vous attendre à trouver réunis, chez un sujet mâle, ce grand concours de phénomènes. La névrose hystérique peut se présenter et se présente sans doute fort souvent chez lui dépouillée de ces grands attributs classiques, c'est-à-dire sous la forme fruste ; et c'est justement ce qui se présente chez le malade qui va nous occuper. J'espère pour-
tant parvenir à vous persuader que, malgré l'absence de ces grands caractères, c'est bien de l'hystérie qu'il s'agit, et rien que de l'hystérie.
Notre malade est un homme de 3i ans, forgeron, père de quatre enfants, assez robuste, sans aucun attribut du féminisme. Je dirai actuellement que, chez lui, nous n'avons trouvé aucun antécédent héréditaire ou personnel d'ordre névropalhique, aucune émotion morale qui puisse être invoquée comme cause de la maladie actuelle, rien, si ce n'est une influence traumatique, une brûlure. Le 26 juin dernier, une barre de fer rougie à blanc avait touché son avant-bras et sa main gauche. La brûlure, quoique peu profonde, mit six semaines à guérir, et aujourd'hui, il reste une plaque rouge violacée de 3 à 4 cent, de large sur 10 à 12 de hauteur, occupant la partie inférieure de l'avant-bras et le dos de la main. L'accident n'a pas causé trop d'émotion, paraît-il. D'autre part, la contracture n'a pas suivi immédiatement l'action traumatique; elle ne s'est développée, chose remarquable, que d'une manière graduelle; et dans l'histoire de la contracture hystérique de cause traumatique, c'est là une circonstance exceptionnelle. Quelques jours après l'accident, dit-il, son bras était lourd, ses doigts difficiles à remuer, comme engourdis ; mais, pour ce qui est de la contracture, c'est sans intervention d'une cause nouvelle qu'elle s'est produite seulement sept semaines après.
C'est le 15 août qu'il sentit des douleurs dans le bras, il ne dormit pas ; et, le lendemain, sa main présentait l'attitude caractéristique de la griffe interosseuse, le pouce était libre. Puis, le lendemain, la flexion des doigts existait ; enfin, le pouce s'applique à son tour contre les autres doigts. Et, dans ces divers temps, on voit se produire successivement la flexio du poignet et la pronation de l'avant-bras.
Etudions de plus près cette remarquable déformation de la main, résultant d'une contracture permanente de certains muscles, contracture tellement prononcée qu'elle résiste à toute tentative de réduction, et qui, depuis trois mois, n'a pas cessé d'exister, non seulement le jour; mais encore, sur ce point j'insiste tout particulièrement, même pendant la nuit. L'épaule et le bras sont libres, l'avant-bras est plutôt dans la pronation. La main est fléchie sur l'avant-bras ; les quatre doigts sont fléchis de telle façon que les ongles s'impriment dans la paume de la main. Les doigts sont énergiquement serrés les uns contre les autres, et le pouce lui-même est forte-
Fig. 21. — Contracture delà main gauche. (Dessin de M. P. Richer.)
ment appliqué contre la face externe de la deuxième phalange de l'index [Fig. 21).
Ici, l'analyse physiologique la plus simple montre que, pour déterminer celte attitude, c'est le nerf médian qui est surtout en jeu, il anime en effet les fléchisseurs du poignet et les fléchisseurs superficiel et profond. Mais le cubital est aussi en action : l'adduction des doigts montre l'intervention des interosseux. Ajoutons que les extenseurs sont aussi en jeu, comme dans toute contracture spasmodique.
Remarquez cette attitude du poing fermé et très énergique
quement fermé, j'y insiste, compliquée d'une flexion de la main, elle est aussi très énergique. C'est là, vous le voyez, une attitude forcée au premier chef, une attitude difficile à maintenir, même pendant un temps peu prolongé [Fig. 21).
C'est ici le lieu de rappeler une ingénieuse remarque de Duchenne. Vous savez qu'à la main les extenseurs des doigts et ceux de la main tout entière sont, pour ainsi dire, dans une sorte d'antagonisme : si on étend la main autant que possible, et si on essaie alors d'étendre les doigts, ceux-ci se fléchissent légèrement ; c'est que l'extension de la main a pour effet de raccourcir les extenseurs des doigts et par conséquent de les placer dans une situation peu favorable à leur action, tandis qu'au contraire les fléchisseurs des doigs distendus sont mis à même d'agir. Au contraire, et pour une raison analogue, si vous fléchissez la main, les doigts peuvent être facilement amenés à une complète extension.
Considérons maintenant l'action combinée des fléchisseurs de la main et de ceux des doigts, il y a là aussi une sorte d'antagonisme. Ainsi, pour fléchir fortement les doigts et fermer le poing, comme dans la menace, la main est étendue, l'action des extenseurs favorise celle des fléchisseurs. Si, au contraire, le poing étant fortement fermé, vous fléchissez énergi-quement le poignet, alors vous remarquez que la flexion des doigts se relâche et que ceux-ci ont une tendance très marquée à s'étendre ; vous ne pouvez les maintenir fléchis dans cette attitude de la main qu'au prix des plus grands efforts. Et ceci, Messieurs, est un fait bien de nature à écarter l'idée d'une simulation ; je doute qu'une personne résolue puisse, pendant plusieurs heures, et, à plus forte raison, pendant plusieurs jours, maintenir sans hésitation et sans défaillance l'attitude vraiment pathologique de notre malade. Il est certain,
en tout cas, qu'on ne saurait imaginer un homme capable de la maintenir pendant le sommeil profond. Or, chez notre sujet, celte altitude est conservée pendant le sommeil ; M. Debove s'en était assuré, et on s'en est assuré ici encore, à plusieurs reprises. Nous nous proposons du reste de soumettre notre malade à l'épreuve pneumographique, et je ne doute pas qu'elle ne nous donne le même résultat que chez la jeune fille que je vous ai déjà présentée l.
Vous acceptez déjà, je pense, qu'il s'agit là d'une attitude pathologique parfaitement légitime, et non d'une altitude simulée, d'un symptôme vrai, et non d'un symptôme imaginaire, artificiellement provoqué par l'intervention volontaire du malade, il me reste à établir que, de même que chez notre jeune fille, c'est bien l'hystérie qui est en jeu. J'ai dit déjà qu'il s'agit d'une forme fruste de la névrose ; il n'y a pas eu d'attaques, il n'y a ni antécédent, ni aucune modification psychique à signaler. Mais, si nous nous reportons à l'observation qui a été faite par M. Debove, le 1er octobre, et à celle qui a été faite par nous une semaine plus tard, nous trouvons ce qui suit : 1° Une hémianalgésie gauche, la piqûre ne provoque pas de douleur, mais une simple sensalion de contact ; le froid est moins bien perçu dans toute la moitié gauche du corps ; 2° Une obnubilation très marquée du goût, de l'ouïe, de l'odorat, également du côté gauche. Nous avons procédé à une mensuration régulière du champ visuel : des deux côtés il est rétréci, mais surtout à gauche ; le champ visuel pour les couleurs est rétréci en proportion, mais les cercles concentriques qui représentent le champ pour chaque couleur ont conservé leurs relations et leurs proportions réciproques, il n'y a pas
i. L'expérience a été faite dans les mêmes conditions et avec le même vésultat que chez la jeune fille. Ajoutons que, dans le sommeil chlorofor-mique, on n'a obtenu qu'une résolution incomplète de la contracture ; cette résolution, toutefois, avait été obtenue autrefois, à Bicêtre, par M. Debove.
Ch. P.
de transposition ; pas d'achromatopsie, pas de dyschromatop-sie (Fig. 22) ; 3° Toute trace de zone hystérogène fait défaut.
Quoi qu'il en soit, en l'absence de toute circonstance capable d'être rattachée à l'existence d'une lésion capsulaire en
Fig. 22
foyer, du saturnisme, de l'alcoolisme, et en raison de la présence d'une contracture, d'une déformation de la main, qui, considérée en elle-même, porte déjà la marque suffisante de l'origine hystérique, il y a lieu de conclure que, chez notre malade, tous les phénomènes soumis à notre observation appartiennent, comme nous l'avons annoncé, à l'hystérie, rien qu'à l'hystérie ; ils présentent une analogie vraiment frappante avec ceux que nous rencontrons chez la jeune fille que nous venons d'étudier.
Tel était l'état du malade, le 7 octobre. Depuis lors, sous l'influence d'une intervention, elles se sont légèrement modifiées. Un aimant a été appliqué du côté de la contracture, la sensibilité est revenue sans transfert au membre supérieur droit, au tronc, à la tête, au bras, mais non à la main et au poignet. Sur ces entrefaites, le malade est sorti, craignant, pour des raisons spéciales, d'être guéri trop vite. Il est rentré ces jours-ci ; on a fait une nouvelle application de l'aimant qui a amené cette fois la disparition de l'insensibilité de la main, et a provoqué un engourdissement et un commencement de rigidité de la main du côté opposé. M. Debove n'a pas été plus loin, dans la crainte de modifier trop profondément une situation dont il savait que je désirais vous rendre témoins.
Aujourd'hui,la contracture persiste seule chez notre homme, l'hémianesthésie a complètement disparu ; il existe seulement dans la partie contracturée un sentiment de crampe pénible qui trouble quelquefois son sommeil. Il s'agit donc maintenant d'un cas fruste par excellence, mais d'un cas dont la nature hystérique, si j'ai réussi dans mon espoir, ne saurait plus pour vous actuellement faire l'ombre d'un doute \
1. L'application répétée de l'aimant n'a eu d'autre résultat que de rame
jier la sensibilité dans le membre contracture. Le malade fut dès lors en proie à des souffrances extrêmement vives, siégeant dans l'avant-bras et dans la main, dues en partie à la pénétration des ongles dans les chairs, mais aussi dans une certaine mesure à la contracture elle-même ; car les muscles fléchisseurs surtout étaient très sensibles (ces douleurs spontanées avaient déjà été notées, quoique moins intenses, quand le malade était anes-thésique). Comme il réclamait avec insistance une intervention chirurgicale, préférant subir l'amputation que de supporter plus longtemps ses douleurs, M. Charcot résolut d'avoir recours à l'élongation du nerf qui était en cause dans la production de la déformation, du médian. Cette opération qui, antérieurement déjà, quand le malade était encore dans le service de M. Debove, avait été proposée par M. Gillette, chirurgien de Bicêtre, fut pratiquée, le 26 décembre 1882, par M. Terrillon, chirurgien de la Salpê-trière. L'opération a été faite à la partie supérieure du bras : ce nerf médian, soulevé sur une sonde cannelée, a été, à deux reprises, éloigné de 8 centimètres environ de sa position naturelle. En sortant du sommeil chloroformique, la malade éprouve dans l'avant-bras et la main des fourmillements accompagnés de douleurs, la contracture semble persister.. Après un sommeil de trois ou quatre heures, il se réveille sans douleurs dans l'avant-bras et la main ; la contracture a à peu près complètement disparu, cependant les doigts ne peuvent pas être étendus tout à fait. La situation s'est un peu améliorée depuis, mais, cependant, l'extension des premières phalanges est encore incomplète, ce qui semble dû à une rétraction des parties fibreuses ; d'ailleurs, la contracture est remplacée par une paré-sie des muscles primitivement atteints. En montrant le malade guéri, dans la leçon du 12 janvier 1882, M. Charcot a fait remarquer que, outre cette rétraction des parties fibreuses qu'on observe quelquefois, à la suite des contractures hystériques de longue durée, il existe un état lisse particulier de la peau de l'extrémité des doigts et en particulier de l'index, qui semble **ffilé en fuseau. Ch. F.
NEUVIÈME LEÇON
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Exemple d'une affection spinale consécutive à une contusion du nerf sciatique.
Sommaire.— Contusion de la fesse gauche. — Douleurs permanentes, douleurs intermittentes. — Impuissance motrice précoce. — Atrophie musculaire.— Troubles de la miction, de la défécation, des fonctions génitales. — Atrophie persistante des muscles innervés par le grand et le petit sciatiques gauches. — Exploration électrique. — Parésie et atrophie des muscles fessiers du côté droit.
Messieurs,
Le malade qui va vous être présenté et qui fera l'objet de la leçon d'aujourd'hui offre, à mon avis, un exemple fort remarquable d'une affection spinale organique développée en conséquence d'une lésion traumatique ayant porté son action non sur la moelle elle-même, mais sur un nerf périphérique.
Je n'ignore pas qu'il existe déjà, dans les recueils scientifiques, un certain nombre de faits tendant à établir que certaines lésions des extrémités, ou des troncs nerveux peuvent retentir sur le centre spinal et y déterminer des altérations plus ou moins profondes ; mais je doute qu'aucun de ces faits présente, au même degré que le nôtre, les conditions de netteté et de simplicité nécessaires pour entraîner la conviction. Cela ressortira pleinement, je pense, de l'exposé dans lequel j'entre immédiatement.
Il s'agit d'un homme âgé de 40 ans, assez vigoureux, bien constitué, vous le voyez. Il est père de deux enfants.
A. Je tiens à établir tout d'abord que, dans son histoire antérieure à la maladie actuelle, il ne s'est produit aucune circonstance qu'on puisse invoquer comme ayant contribué au développement de l'affection spinale dont il souffre à présent, ou de la douleur sciatique dont il a souffert. A la vérité, de 27 à 36 ans, alors qu'il était occupé à la livraison des bières, cet homme a commis de nombreuses débauches alcooliques; il a été atteint de delirium tremens, et a présenté, pendant quelque temps, un tremblement spécial des mains. Mais, depuis quatre ans, il s'est, à cet égard, fort amendé, et depuis qu'il exerce la profession de menuisier, il vit avec sobriété. Il ne paraît pas qu'il ait eu la syphilis; très certainement, il n'a pas eu de gonorrhée ; jamais il n'a habité une chambre humide ; jamais il n'a été particulièrement exposé au froid ; jamais il n'a souffert de rhumatismes.
B. Voici dans quelles circonstances s'est développé l'état pathologique que nous devons étudier. Le 28 décembre 1881, dans l'atelier de menuiserie où cet homme travaille, un madrier de 3 m. 30 de long et terminé par une surface carrée ayant environ 10 centimètres de côté, mû rapidement dans le sens de son grand axe par un autre ouvrier sur un établi, vint le frapper rudement sur la fesse gauche. Il croit pouvoir indiquer, avec précision, le lieu où le coup a porté ; il montre un point placé entre l'ischion et le grand trochanter, à quelques centimètres au-dessus du bord inférieur du muscle grand fessier. Aujourd'hui encore, lorsqu'il presse sur ce point, le malade éprouve un sentiment douloureux. Je ferai remarquer, comme un fait assez singulier, que pas plus le jour de l'acci-
dent que les jours qui ont suivi il ne s'est produit sur la région fessière ni ecchymose, ni tuméfaction.
Si vous voulez bien jeter les yeux sur la figure d'anatomie que je vous montre, vous reconnaîtrez immédiatement que le lieu où le choc a porté répond exactement au trajet des nerfs grand et petit scialique, un peu après leur sortie de l'échan-crure. Les deux troncs nerveux ont donc pu, et ils ont dû être simultanément soumis au choc.
Bien que les traumatismes de la région fessière ne soient pas rares, tant s'en faut1, il importe de relever cependant que la contusion du nerf sciatique n'est pas chose fréquente; il faut en effet, pour que cette contusion ait lieu, des conditions vraiment spéciales. Elles se réalisent lorsque le choc est déterminé par l'extrémité d'une poutre, d'un brancard, d'une crosse de fusil, l'angle d'un meuble; alors le nerf peut être pris en quelque sorte entre la violence extérieure et le plan osseux, dont il n'est séparé que par les jumeaux et le carré fémoral. Par contre, le plus souvent, dans une chute sur la fesse, alors que celle-ci porte sur un plan uni, le tronc nerveux reste protégé. Vous voyez que les conditions d'une contusion limitée au sciatique se sont réalisées chez notre malade, et rien ne pourra faire supposer que jamais l'articulation coxofemorale ait été intéressée d'une façon quelconque.
Il importe de bien établir maintenant en quoi consistent les premiers phénomènes produits. Il s'est agi là d'une affection limitée, exclusivement limitée au nerf sciatique. Les symptômes n'ont pas différé, à part le commencement, qui a été marqué par un début brusque, de ceux qui appartiennent
1. Voir à ce sujet un intéressant article de M. le Dr Bouilly. In Ardi, yen. de médecine, 1880, T. II, p. 655.
à la sciatique vulgaire, Yischias nervosa, maladie de Cotugno. — Cela ressortira de l'exposé qui va suivre.
Le choc avait été assez violent pour que le malade fût jeté à terre ; mais aussitôt il put se relever, et déjà, à ce moment, la douleur occupant le trajet du tronc du nerf sciatique et de ses branches s'était développée. La douleur que, depuis ce moment, et pendant une période de trois mois environ, il n'a pas cessé d'éprouver, se composait de deux éléments: a) douleur permanente, localisée sur le trajet du tronc nerveux, particulièrement en certains points où la pression l'exaspère. Nous relevons surtout chez notre malade, l'existence: 1° d'un point fémoral supérieur siégeant au bord inférieur du muscle fessier, entre l'ischion et le grand trochanter ; 2° d'un point pé-ronier, répondant au lieu où le nerf péronier contourne la tête du péroné; 3° d'un point malléolaïre externe', 4° d'un point dorsal du pied. Sur deux de ces points ont été appliqués des vésicaloires, dont on reconnaît encore la trace. Ces douleurs permanentes étaient accompagnées d'un sentiment également permanent, très pénible d'ailleurs, de fourmillement dans le pied et dans la jambe.
b) En outre de la douleur permanente, il existait des douleurs intermittentes, procédant par élancements brusques, soudains, fulgurants, réunissant pour ainsi dire les uns aux autres les points douloureux fixes. Les fusées douloureuses s'accompagnaient très nettement de secousses cloniquespar suite desquelles la jambe était vivement fléchie sur la cuisse. Ajoutons que, chez notre malade, les douleurs fixes ou intermittentes, les engourdissements et les secousses étaient surtout vifs la nuit, exaspérés par la chaleur du lit, au point que le patient avait pris l'habitude de passer ses nuits assis sur une chaise, et nous aurons complété un tableau clinique qui pourrait s'appliquer parfaitement à un cas de sciatique spontanée, rhumatismale ou de toute autre nature.
Déjà, dans les premières semaines qui ont suivi l'accident, il s'était manifesté dans le membre inférieur gauche un certain degré d'impuissance motrice, gênant considérablement la marche et la station et qui ne pouvait pas être rapportée entièrement à la crainte éprouvée par le malade d'exaspérer la douleur; car cette impotence fonctionnelle persistait dans le temps même où il se produisait un amendement de la douleur. Ajoutons que, lorsque trois mois environ après l'accident la douleur eut cessé à peu près complètement, l'impuissance motrice se montra à un haut degré ; car, pendant un autre mois, il a été impossible au malade de se tenir debout en équilibre sans s'appuyer sur les objets environnants. A peine au bout d'un nouveau mois, le cinquième après l'accident, pouvait-il faire quelques pas dans la chambre, en poussant une chaise devant lui ; et ce n'est qu'au bout de six mois qu'il lui a été permis de marcher à l'aide d'une canne ou sans appui pendant un quart d'heure, une demi-heure, non toutefois sans fatigue, ainsi qu'il le fait aujourd'hui.
Cette impuissance motrice d'un membre à la suite d'une sciatique n'est point chose rare, vous le savez, alors que l'affection névralgique a été intense. Elle s'accompagne, en pareil cas, ainsi que l'ont fait remarquer MM. Bonnefin et Lan-douzy, d'une atrophie plus ou moins prononcée des masses musculaires du membre. Une atrophie de ce genre existait très certainement, à cette époque, chez notre malade, bien qu'il ne Tait pas remarquée. Vous verrez dans un instant sur quoi notre assertion est fondée.
L'impuissance fonctionnelle et l'atrophie musculaire concomitante, dans la sciatique vulgaire, ne peut pas, vous le savez, être mise sur le compte du repos prolongé. En effet, d'après les observations de M. Landouzy, elle se manifeste de
bonne heure (au bout de 14 jours, dans un cas) après le début des premières douleurs et dans les cas même où le membre n'a jamais été immobilisé. La théorie généralement acceptée pour expliquer cette dystrophie musculaire, dans la sciatique vulgaire, est, vous ne l'ignorez pas, la suivante : on admet que l'irritation dont les tubes nerveux centripètes affectés sont le siège, remonte en quelque sorte vers le centre spinal, par la voie des racines postérieures, et s'étend jusqu'aux cellulesdes cornes antérieures correspondantes, qui consécutivement sont affectées. La lésion, légère ou grave, dynamique ou organique dont elles sont le siège, ont pour effet de supprimer soit momentanément, soit pour toujours, leur action trophique. En conséquence, les muscles auxquels se rendent les tubes nerveux centrifuges qui naissent de ces éléments ganglionnaires deviennent, à leur tour, le siège d'une lésion dystrophi-que plus ou moins passagère, ou, au contraire, définitive. Une des preuves que Ton invoque, et ce n'est pas la moins puissante, en faveur de l'intervention du centre spinal dans ce mécanisme, est que souvent l'atrophie frappe les muscles qui n'appartiennent pas au domaine du nerf où a siégé la névralgie ; ainsi, par exemple, dans des cas où la douleur a occupé exclusivement le tronc du grand sciatique, l'atrophie se produit non seulement dans les muscles innervés par ce nerf, mais aussi dans les muscles petit et moyen fessier, innervés par le fessier supérieur qui vient directement des premières paires sacrées.
Quoi qu'il en soit, l'observation courante montre que, dans la sciatique spontanée vulgaire, l'impuissance f^ictionnelle et l'atrophie musculaire qui l'accompagnent ne survivent pas lo%temps à la douleur. Il n'en est pas tout à fait ainsi dans la sciatique d'origine traumalique, si l'on en juge du moins par Un fait que M^eeligmûller a publié et où il s'agit d'une scia-
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 9
tique survenue à la suite d'un accouchement difficile et qui avait nécessité l'emploi du forceps. Dans ce cas, la névralgie a été suivie d'une atrophie paralytique, portant sur les muscles jumeaux, et qui a résisté à tous les moyens mis en œuvre. Nous allons voir que des lésions dystrophiques tout aussi graves et répandues sur un grand nombre de muscles se sont produites, dans notre cas.
Mais il nous faut insister actuellement sur une série de faits qui se sont produits environ trois mois après le traumatisme, point de départ de tout le mal, et qui mettent dans tout son jour, chez noire malade, la participation du centre spinal.
Donc, vers le 15 mars, alors que les douleurs commencent à s'atténuer, l'impuissance motrice était cependant portée au plus haut degré ; un sentiment de barre douloureuse occupant la région lombaire des deuxcôlés vint à s'établir et persista pendant plusieurs jours. Deux ou trois jours après, survint une impossibilité d'uriner. Le lendemain, le malade urina goutle à goutte, involontairement, et sans éprouver le besoin d'uriner. Il se fait alors transporter à l'hôpital Necker, dans le service de M. Guyon, où on le sonda. Là, on constata qu'il n'existait ni rétrécissement uréthral, ni tuméfaction de la prostate, faits que des explorations ultérieures ont confirmé. Depuis cette époque, le malade n'a pas cessé de se sonder deux ou trois fois par jour ; quand il néglige de le faire, l'urine s'écoule goutte à goutte. Aujourd'hui, la situation à cet égard s'est un peu améliorée : il urine quelquefois volontairement, mais non sans efforts ; le plus souvent cependant, il est obligé défaire, comme par le passé, un usage régulier de la sonde. £
Il ne saurait vous échapper que cette incon^nence persis
tante d'urine conduit nécessairement à incriminer le centre spinal. Là, il existe une lésion qu'on peut même localiser jusqu'à un certain point. La région désignée est celle où l'expérimentation (Goltz, Badge) place le centre des réflexes vési-caux, et cette région occupe l'extrémité inférieure du renflement lombaire, correspondant au point d'émergence des quatre dernières paires sacrées.
Vous savez que, dans ces mêmes régions, les expériences auxquelles je fais allusion placent également le centre des réflexes relatifs aux muscles du rectum, et de ceux qui président à l'érection et à l'éjaculalion. Eh bien, les faits cliniques établissent que, chez noire malade, ces deux centres ont été, eux aussi, affectés. En effet, le même jour où est survenue l'incontinence d'urine, l'incontinence des matières fécales s'est également produite , elle persiste encore aujourd'hui à un certain degré. J'ajouterai qu'à partir de cette époque, les érections ont fait défaut et n'ont pas encore reparu à l'heure actuelle.
Voilà une série d'accidents qui, je le répète, accusent incontestablement l'existence d'une lésion spinale, et celle lésion, on peut l'affirmer, n'est pas purement dynamique. Il s'agit là d'une lésion matérielle, anatomique, vraisemblablement d'une nature inflammatoire, d'une myélite, en un mot.
L'examen approfondi de l'état des membres inférieurs chez notre malade va nous fournir, d'ailleurs, des arguments nouveaux et d'un grand poids à l'appui de notre assertion.
Le malade est entré à la Salpêtrière, le 8 novembre dernier, dans l'état où nous le voyons aujourd'hui. Il marche habituellement, à l'aide d'une canne qu'il tient de la main droite. 11 peut se passer de tout appui cependant et marcher pendant une demi-heure environ ; alors la fatigue devient extrême,
surtout dans le membre gauche, et il est absolument obligé de s'arrêter. Il est remarquable que le membre gauche soit seul incriminé par le malade. Cependant, le membre inférieur droit est, lui aussi, affecté assez profondément, ainsi que nous allons le reconnaître tout à l'heure.
L'examen du membre inférieur gauche révèle ce qui suit : ce membre, comparé au membre droit, est amaigri un peu partout ; ainsi que le démontre la mensuration, il y a une différence de quelques centimètres en faveur des parties correspondantes du côté droit.
La jambe et le pied gauche sont froids, marbrés de taches rouges ; le pied est, en outre, légèrement tuméfié. Cet état rappelle ce que l'on voit, dans certains cas de paralysie infantile de date ancienne. La sensibilité, surtout la sensibilité électrique, est obnubilée sur presque toute l'étendue du membre gauche. Les réflexes cutanés sont normaux, à droite et à gauche.
Les réflexes rotuliens sont exagérés à droite, normaux à gauche. Lorsque, le malade étant assis, vous frappez sur le tendon rotulien gauche, il se produit un phénomène remarquable, qui dénote peut-être aussi l'intervention spinale ; à chaque coup, on voit la cuisse droite entraînée vers la ligne médiane par un mouvement très prononcé d'adduction.
Procédons maintenant à l'examen fonctionnel du membre gauche. Commençons d'abord parles muscles innervés par le plexus lombaire ; ces muscles ont conservé leur énergie normale, a) Ainsi, dans le domaine du crural, les mouvements de flexion de la cuisse sur le bassin, effectués par le psoas iliaque, sont conservés et énergiques ; les mouvements d'extension de la jambe effectués par Je triceps sont normaux, b) Les mouvements d'adduction effectués parles adducteurs, innervés par le nerf obturateur, sont normaux.
Il nous sera facile d'établir, par contre, que les muscles innervés par le grand et le petit sciatiques, les deux troncs nerveux simultanément contus, sont, pour la plupart, profondément atteints. 1° Le grand fessier est mou et flasque. Vous savez que ces muscles, d'après Duchenne, n'ont pas grand usage dans la station ; leur action se révèle quand il s'agit de mouvements qui exigent une action musculaire énergique, comme dans l'acte de monter sur une chaise. Vous voyez que notre malade est dans l'impossibilité d'accomplir cet acte sans appui, alors surtout qu'il veut l'exécuter avec le membre gauche. 2° Les muscles postérieurs de la cuisse, fléchisseurs de la jambe. 3° Les muscles qui produisent la flexion plantaire et la flexion dorsale du pied sont aussi fortement atteints. Il est impossible au malade, par exemple, de se tenir sur la pointe du pied.
Ainsi, tous les muscles innervés par le grand et le petit sciatique, ou peu s'en faut, sont profondément affectés. Une telle impuissance musculaire pourrait à la rigueur s'expliquer, en admettant une lésion des tubes nerveux moteurs, développée au-dessous du point contus, en conséquence même de la contusion. Mais, cette explication ne peut plus être admise, si l'on considère que, de ce même côté gauche, le petit elle moyen fessiers, innervés par le nerf fessier supérieur qui, lui, émane directement des premières branches du plexus sacré, que ces muscles, dis-je, participent, eux aussi, à l'altération.
On sait, surtout d'après les recherches de Duchenne, que ces muscles ont pour action, dans la station et dans la marche 1 fixer le bassin de manière à l'empêcher de s'i71"1' droite, soit à gauche, suivant que c'est che ou, au contraire, celui d11
Déjà, si nous con^'1 '
remarquons que la crêle iliaque est située du côté droit, sur un plan inférieur à celui qui passe par la crête iliaque du côté gauche. Le bassin est donc incliné à droite, et, à cette inclinaison du bassin adroite correspond l'abaissement relatif du grand trochanler droit et du pli fessier correspondant. Ajoutons que l'épaule droite est plus abaissée que la gauche, que l'axe rachidien est également légèrement incliné du côté droit. Celte inclinaison à droite du bassin permet déjà de soupçonner l'insuffisance des muscles moyen et petit fessier du côté gauche, muscles dont la fonction serait d'abaisser la crête iliaque gauche, de manière à la placer au même niveau que la crête iliaque droite. L'insuffisance en question se révèle mieux encore si le malade détache du sol son pied droit, comme pour exécuter le deuxième temps de la marche ; vous voyez qu'à ce moment, le bassin ainsi que le trochanter s'abaissent du côté droit, plus encore que tout à l'heure. Or, dans les conditions normales, au moment où le pied droit se détache pour exécuter le deuxième temps de la marche, le bassin devrait, par suite de l'action du moyen fessier gauche, subir plutôt un léger mouvement d'abaissement à gauche et d'élévation à droite, ce qui n'a pas lieu ici, tout au contraire.
Lorsque le malade marche, cette insuffisance du moyen fessier est mise dans tout son jour, à chaque pas, par un abaissement très prononcé de l'épine iliaque et du trochanter du côté droit; il en résulte pour le bassin une série d'oscillations à grand rayon, très particulières et vraiment caractéristiques.
Les muscles moyen et petit fessier du côté gauche sont donc atteints et profondément atteints. Or, ces muscles sont innervés par le nerf fessier supérieur qui, par son origine, n'a rien de commun avec le grand et petit scialique. Cette participation du nerf fessier ne peut guère s'expliquer qu'en faisant intervenir une lésion spinale.
L'existence de cette lésion spinale, déjà révélée d'un autre côté par la paralysie des sphincters vésical et anal et par l'asthénie des réflexes génitaux, sera établie plus péremptoirement encore par les résultats de l'examen méthodique du membre" inférieur droit, dans lequel nous trouvons un affaiblissement marqué des fessiers et de la plupart des muscles de la jambe.
Cette parésie des muscles du côté droit comme du côté gauche s'accompagne d'une atrophie qui se traduit par une diminution de volume facilement appréciable, mais surtout frappante du côté gauche.
Il convient maintenant de considérer un instant cette atrophie qui persiste depuis 6 mois. La question à résoudre est celle-ci, et nous allons voir qu'elle intéresse au plus haut point non seulement la théorie, mais encore la pratique : s'agit-il d'une atrophie simple, c'est-à-dire sans altération profonde des fibres, ou, au contraire, s'agit-il d'une atrophie dégénérative, d'une atrophie correspondant à une modification profonde, à une dégénération de l'élément musculaire ? Vous comprenez que le pronostic est lié, jusqu'à un certain point, à la solution de cette question. C'est qu'en effet l'atrophie simple cède habituellement à l'emploi des moyens appropriés, tandis que, dans l'atrophie dégénérative, le traitement est impuissant. Sommes-nous donc en possession d'un moyen qui nous permette d'établir cliniquement la distinction? Oui, très certainement et ce moyen consiste dans l'emploi méthodique de l'exploration électrique. Pour être complète, l'exploration électrique doit être faite successivement à l'aide de deux espèces de courants, faradique et galvanique.
Pour ce qui est de l'exploration galvanique (courants continus), je vous remettrai en mémoire que l'un des pôles qu'on appelle indifférent, est appliqué sur la poitrine, tandis que l'au-
tre, le pôle différent est appliqué sur le nerf ou sur le muscle qu'on veut examiner. Ce pôle différent peut être à volonté le pôle positif (An. Anode) ou le pôle négatif (a Kathode). Vous n'ignorez pas que, dans les conditions normales, les contractions musculaires se produisent seulement soit, à la fermeture (S. Schliessimg), soit à l'ouverture du courant (0. OEffnung). Or, pour obtenir à l'état normal une secousse (Z. Zuckung) avec le plus faible courant possible, soit 20 éléments, il faut que le pôle avec lequel on opère soit négatif, Ka, et la secousse se produit alors au moment de la fermeture, ce qui s'explique dans le langage électro-physiologique de la façon suivante : Ka S Z. Pour obtenir avecl'autre pôle, le positif, An, une contraction, il faudra augmenter le nombre des éléments et le porter de 10 à 15 par exemple. Ce résultat se traduit ainsi ; KaSZ AnSZ. Ce rapport fait partie de ce qu'on appelle la formule des réactions normales; et si on trouve, en explorant un muscle, qu'on obtient AnSZ avec un nombre d'éléments qui ne suffit pas pour que KaSZ soit obtenu, ce qui se traduit par AnSZ KaSZ, on dit qu'il y a inversion de la formule, et celte inversion fait partie delà réaction de dégénération; ou, en d'autres termes, la réaction ainsi obtenue correspond à une altération plus ou moins profonde du tissu musculaire.
Nous allons appliquer dans un instant ces notions à l'étude de l'état trophique des muscles atrophiés chez notre malade ; mais il faut à présent indiquer en quoi consiste, au point de vue de l'électro-diagnostic, l'atrophie simple des muscles et leur atrophie dégénérative.
1° Dans l'atrophie simple, l'excitabilité faradique et galvanique est modifiée en moins, c'est-à-dire que, dans les deux cas, il faut un courant plus fort que dans l'état normal pour obtenir une réaction ; mais les résultats sont parallèles, il n'y a pas de modification de la formule, KaSZ reste AnSZ. Ces atrophies simples se voient par exemple à la suite de l'iner
tie prolongée, ou encore dans certaines affections spinales dynamiques développées à la suite de certaines lésions articulaires.
2° L'atrophie dégénérative a été étudiée avec soin dans les conditions expérimentales chez les animaux, à la suite de sec-lions de nerfs. Des expériences de Erb et de Ziemssen découle, en résumé, que l'absence de réaction faradique, la réaction galvanique persistant mais modifiée en plus, indique un état sérieux, mais avec régénération possible ; qu'au contraire l'absence de réaction faradique et galvanique montre un état des plus graves, une modification dégénérative du nerf ou du muscle, à peu près certainement irréparable.
Or, Messieurs, en pathologie humaine, ces modifications profondes des réactions électriques correspondant à un état grave de la nutrition des muscles se voient dans les affections des nerfs périphériques (sections, lésions traumatiques, etc.) ; mais aussi dans les maladies spinales, lorsque la lésion est localisée de telle façon que les éléments ganglionnaires, les cellules dites motrices, sont profondément altérés ou détruits; ainsi, par exemple, dans la paralysie infantile après la période de réparation, ou encore dans les myélites centrales diffuses.
Appliquons maintenant ces données au cas de notre homme. L'examen des divers muscles affectés fonctionnelle-ment et trophiquement a donné chez lui les résultats suivants :
1° Le nerf crural est faradiquement et galvaniquement excitable des deux côtés. Les muscles adducteurs et triceps fémoral répondent aussi normalement aux deux excitations.
2° Dans le domaine du plexus sacré, nous trouvons à droite des réactions normales. A gauche, le muscle moyen fessier est inexcitable faradiquement ; ce qui revient à dire que le
trouble fonctionnel de ce muscle est lié à une lésion organique, que, par conséquent, la difficulté de la station qui en résulte, inclinaison du bassin et du tronc à droite, inclinaison à droite, quand le pied droit se détache du sol, persisteront vraisemblablement à titre d'infirmités incurables.
3°Ce qui vient d'être dit à propos du moyen fessier, on peut le répéter à propos du grand fessier, mais des deux côtés cette fois. Ces muscles animés par le petit sciatique ne répondent ni à la faradisation ni à la galvanisation, il y a là une réaction de dégénération surtout à gauche ; il n'y a donc guère d'espoir de voir se rétablir la fonction de ces muscles.
4° Pour ce qui est du domaine du nerf sciatique lui-même, je me bornerai à relever ce qui est relatif aux muscles jumeaux et aux fléchisseurs de la jambe sur la cuisse. A gauche, l'effet de la faradisation est nul ; la galvanisation ne produit qu'une contraction lente et faible. A droite, il y a aussi une réaction de dégénération, mais de dégénération moins complète (An SZ = Ka SZ) ; il reste quelque espoir de retour sous l'influence de pratiques électrothérapiques appropriées. On peut en dire autant pour les jumeaux; donc la flexion de la jambe sur la cuisse et la flexion plantaire du pied pourront sans doute être rétablies.
Ainsi, vous le voyez, l'exploration électrique des muscles nous fournit ici des données pour le pronostic, en même temps qu'elle nous permet de présumer jusqu'à un certain point le degré de la lésion spinale. Celle-ci occupe donc la région lom baire inférieure, d'après toutes les circonstances du cas et siège vraisemblablement surtout dans la substance grise centrale. Il n'y a aucune raison de croire que les faisceaux blancs antérieurs ou postérieurs soient envahis. Dans la substance grise, les cornes postérieures ne sont pas affectées profondé
ment, car il n'y a aucune modification de la sensibilité ; mais les cornes antérieures le sont certainement dans la région qui correspond à l'origine des branches du plexus lombaire. Il s'agit d'une lésion peu profonde, peut-être dynamique des cellules des cornes antérieures ; celles-ci sont dans cet état d'hyperexcitabilité que j'ai proposé de désigner sous le nom de strychnisme, et qui pourra expliquer l'exaltation des réflexes rotuliens, surtout du côté droit. Mais, au niveau de l'origine des branches du plexus sacré, l'altération des éléments ganglionnaires est plus profonde, un certain nombre de cellules sont modifiées ou détruites, ce qui correspond à l'altération si considérable des muscles fessiers.
La lésion spinale dont il s'agit, développée sous l'influence d'un traumatisme, autant qu'on en peut juger d'après l'évolution des phénomènes morbides, n'a pas de tendance progressive, tout le mal est fait depuis longtemps; on pourrait dire, d'après cela, que c'est une lésion éteinte, ou ayant même peut-être sur les points où les éléments nerveux ne sont pas complètement détruits une certaine tendance à la rétrocession.
Le traitement devra consister surtout à favoriser cette tendance à la reconstitution des éléments affectés. On prescrira au malade de ne point se soumettre de longtemps encore aux mouvements fatigants des membres inférieurs qu'exige sa profession. On sait, en effet, que des lésions spinales anciennes et éteintes se réveillent, pour ainsi dire, sous l'influence de l'exercice des membres correspondant à la partie affectée du centre spinal ; ainsi, dans la paralysie infantile du membre inférieur gauche, on peut voir, plusieurs années après, le membre inférieur droit se prendre à son tour, sous l'influence d'une marche forcée. Pour ce qui est de la médication, elle s'adresse surtout à l'état trophique des muscles affectés : nous conseille-
ions l'électrisation méthodique, faradique et galvanique, les frictions, le massage, et enfin l'hydrothérapie, dont l'influence sur la nutrition non seulement générale, mais encore locale, est incontestablement des plus remarquables.
DIXIÈME LEÇON
A
I. Sciatique double chez une cancéreuse. — II. Pachy-méningite cervicale.
Sommaire. — I. Sciatique double ; conditions dans lesquelles cette affection peut se présenter ; diabète, certaines méningo-myélites ; compression des paires nerveuses au niveau des trous de conjugaison. — Pseudo-névralgies du cancer vertébral. — II. Pachyméningite cervicale hypertrophique ; période pseudo-névralgique ; période paralytique ; période spasmodique. — Cas particulier ; Guérison avec rétraction des muscles fléchisseurs des jambes. Guérison définitive par l'intervention chirurgicale.
Messieurs,
I. La première malade qui va vous être présentée, dans la leçon d'aujourd'hui, nous ramènera un instant vers l'histoire de la sciatique symptomatique, qui nous a occupés dans les deux dernières leçons. C'est là un sujet dont l'intérêt pratique ne saurait vous échapper, et cette circonstance justifiera, j'espère, suffisamment, les quelques nouveaux développements dans lesquels nous allons entrer à ce propos.
A. Il s'agit d'une nommée D..., âgée de 61 ans, journalière, chez laquelle l'anamnèse n'a fourni aucun incident digne d'être signalé, soit sur sa famille, soit sur elle-même. Il y a 15 ans environ, elle aurait reçu un choc sur le sein droit, et, 5 ans plus tard, une tumeur commença à se développer dans cette région ; la tumeur s'ulcéra, et, il y a 18 mois, la malade dut
se résoudre à une opération ; mais, dès Je mois suivant, il s'élait fait une récidive, et on dut répéter quatre opérations successives, dans l'espace de 5 à 6 mois. La tumeur s'est encore reproduite. Enfin, le sein gauche fut pris à son tour, et la malade fut admise à la Salpêtriôre, dans la division des incurables et dans la salle spéciale réservée aux affections cancéreuses. Sur la porte de cette salle, on pourrait placer l'inscription qu'on lit, dit le Dante, au-dessus des portes de l'Enfer.
Le fait est que ces affections sont, quant à présent, vous le savez, au-dessus des ressources de l'art.
Je ne m'arrêterai pas à vous décrire la cicatrice difforme et indurée et les nodules cancéreux disséminés qui existent sur la poitrine de notre malade. L'intérêt est d'un autre côté.
Depuis 4 mois, son affection est entrée dans une nouvelle phase. La santé générale s'est altérée, son appétit a diminué, elle s'est amaigrie. Mais, voici qui doit nous occuper plus particulièrement : un peu plus tard, il y a 3 mois, survinrent des douleurs dans la région lombo-sacrée, qui ne se manifestaient que quand la malade était dans la station verticale, qu'elle marchait ou qu'elle faisait des mouvements dans son lit, et se calmaient dans le repos.
Remarquez bien, Messieurs, cette influence de la station verticale et de la marche, elle peut contribuer à fixer le diagnostic.
Les douleurs, loin de se limiter, envahirent bientôt le membre inférieur gauche et s'étendirent sur le trajet du nerf scia-tique, où. elles sont devenues continues, mais beaucoup plus fortes quand la malade fait un mouvement, ou essaie de se tenir debout ou de marcher.
Bientôt après, elles envahirent le sciatique droit. Il s'agit maintenant d'une sciatique double : la douleur existe des deux
côtés, à la fesse, au niveau de la tête du péroné, au dos du pied; elle est augmentée par la pression sur ces points; mais c'est surtout à gauche que les souffrances sont 1res vives.
a) La malade se plaint encore de douleurs dans le pli de l'aine, à droite et à gauche ; il existe donc, en même temps, une double névralgie crurale.
b) En outre, bien que la sciatique ne soit pas très intense, les douleurs s'exaspèrent dans la station verticale, au point que la marche est presque impossible ; il y a entre la douleur spontanée, qui est presque nulle au repos, et les douleurs provoquées par la marche, une disproportion qu'on ne rencontre pas dans les névralgies sciatiques vulgaires. Cependant, il n'existe aucun symptôme qui indique une lésion spinale ; ainsi, au lit, les mouvements de flexion et d'extension des membres sont énergiques, il n'y a pas d'exagération des réflexes ; il n'existe aucun trouble fonctionnel ni de la vessie, ni du rectum.
c) Enfin, autre fait qui n'appartient pas non plus à l'histoire de la sciatique ordinaire, c'est que, quand on exerce une pression ou une percussion, soit sur le sacrum, soit sur les vertèbres lombaires, on provoque une douleur assez vive ; et c'est là aussi que la douleur prédomine quand la malade se tient debout, essaie de marcher, ou fait des mouvements dans son lit.
Quelle est la signification de cette douleur, qui occupe le trajet des deux sciatiques? S'agit-il d'une sciatique vulgaire, complication accidentelle de l'affection cancéreuse du sein et sans gravité par elle-même? Non, sa signification est tout autre.
En premier lieu, la douleur sciatique est bilatérale. Or, tous les cliniciens font remarquer à l'envi que la sciatique double est suspecte, que c'est, en général, une névralgie symptoma-lique, c'est-à-dire liée à une affection protopathique plus on moins grave. Cela ne veut pas dire que la sciatique unilatérale ne soit pas aussi quelquefois symptomatique.
Dans notre cas particulier, en raison des anomalies diverses que nous avons signalées, nous pouvons affirmer qu'il ne s'agit pas d'une sciatique vulgaire, mais d'une sciatique symptomatique. Mais, quelle en est la cause?
Passons en revue les principales affections qui peuvent provoquer la sciatique double;
a) Dans le diabète, il n'est pas très rare d'observer des troubles nerveux très divers1, parmi lesquels il convient de signaler en particulier les hyperesthésies partielles, les douleurs fulgurantes, sur lesquelles j'ai appelé l'attention, et qu'on a rencontrées un certain nombre de fois depuis2, et les névralgies symétriques3, occupant de préférence le nerf sciatique. Mais, le diabète n'est point ici en cause, l'analyse des urines, en particulier, faite à plusieurs reprises, n'a révélé aucune trace de sucre.
b) Dans certaines affections spinales, il existe des douleurs sur le trajet des sciatiques et des deux côtés. Les douleurs de l'alaxie locomotrice se présentent avec des caractères que nous ne retrouvons pas ici. Dans les affections méningo-myéliti-ques, nous aurions une paralysie ou uneparésie des membres
1. Bernard et Féré. — Des troubles nerveux observés chez les diabétiques* In Arch. de neurologie, 1882, t. IV, p. 336.
2. Baymond. — Gaz.méd. de Paris, 1*8!, p. 627.
3. YVorms. — Bull, de l'Acad. de méd., 2° série, t. IX. — Drasche. Dia-ôelische neura/gien- In Wiener med. Woch., (882.
et des sphincters, et d'autres symptômes spinaux qui n'existent pas dans notre cas.
c) Si ce n'est pas la moelle et ses enveloppes qui sont enjeu, ce sont donc les nerfs eux-mêmes. Quelles sont les lésions qui, le plus souvent, en déterminant une compression du plexus sacré, peuvent provoquer une double sciatique? Une tumeur développée dans l'excavation pelvienne ; mais l'exploration de l'abdomen, du rectum, de la vessie, ne révèle rien de semblable. La lésion est ailleurs, c'est dans les vertèbres lombaires et sacrées qu'il faut la chercher. Il s'est produit là une infiltration cancéreuse, c'est, en conséquence de ces altérations des os que les nerfs sont comprimés dans les trous de conjugaison ; et c'est à cette compression qu'il faut attribuer les douleurs qui siègent sur le trajet des nerfs cruraux et sciali-ques. C'est là un point de physiologie pathologique facile à à élucider; mais il convient d'entrer dans quelques détails ana-tomo-pathologiques. Mon maître, Cazalis, a insisté depuis longtemps sur ce point, qu'il n'y a rien de commun comme l'invasion des corps vertébraux par le cancer secondaire, principalement quand la lésion primitive a pour siège le sein, et quand il s'agit de la forme squirrheuse. Quand elles sont limi tées aux corps vertébraux et peu étendues, ces productions secondaires restent latentes; mais elles peuvent envahir le corps d'une vertèbre, en totalité, et celle-ci, en conséquence, peut se ramollir; quelquefois même, les apophyses articulaires et les masses latérales qui forment les trous de conjugaison sont plus ou moins complètement infiltrées ; alors la vertèbre tout entière s'affaisse, les trous de conjugaison sont rétrécis et les nerfs sont comprimés, tandis que les méninges et la moelle restent intactes. Les conséquences de cet affaissement et de celte- compression peuvent se faire sentir, suivant le cas, soit sur les norfs du plexus brachial, soit sur les nerfs inler-
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveuse. 10
costaux, soit sur les nerfs lombaires ou sacrés, souvent d'un seul coté, mais quelquefois des deux côtés ensemble.
Cette lésion, admise dans notre cas, nous explique : 1° la bilaléralité de la sciatique ; 2° la participation du nerf crural ; 3° l'exaspération de la douleur lorsque la malade est debout et marche, ainsi que la sensibilité à la pression et à la percussion des régions lombaire et sacrée. Le pronostic découle de cette pathogénie, il n'est pas besoin d'insister sur sa gravité.
Avant d'abandonner ce cas, permettez-moi, Messieurs, de vous faire quelques remarques relatives à la clinique du cancer vertébral :
1° Il est rarement primitif; en général, c'est une manifestation secondaire de la diathèse. Très souvent, il est consécutif à un cancer du sein, surtout au squirrhe, qui peut se manifester sous forme d'une simple dépression indurée de la peau, dont la malade n'a quelquefois pas connaissance ; mais ce n'est pas exclusivement à la suite de tumeurs de la mamelle qu'il se développe. On peut le voir encore survenir chez des sujets atteints de cancer stomacal et dans d'autres circonstances encore.
2° L'affection carcinomateuse établie et siégeant au sein, par exemple, s'il existe une sciatique double, il ne faut pas opérer, car il y a métastase.
3° Quand il s'agit d'une névralgie intense et durable, chez un sujet à l'âge du cancer, cette persistance et cette intensité doivent éveiller l'attention, et on doit toujours rechercher l'état du sein, de l'estomac, de l'utérus, etc.
4° Les douleurs pseudo-névralgiques sont la révélation clinique la plus habituelle du cancer vertébral. Mais, il ne faut pas ignorer qu'il se traduit quelquefois autrement. Ainsi, lors-
qu'un corps vertébral est envahi, il peut se faire qu'un champignon cancéreux vienne àproéminer dans le canal rachidien, alors la moelle est comprimée. De cette compression résulte une paraplégie spasmodique qui ne diffère en rien d'essentiel de celle qui est déterminée par le mal de Pott ou par une tumeur intra-rachidienne ; elle ne s'accompagne généralement pas de douleurs pseudo-névralgiques, si les nerfs ne sont pas eux-mêmes atteints.
II. Le deuxième sujet que je vous présente est un exemple d'une affection connue aujourd'hui, en nosographie spinale, sous le nom de pachyméningite cervicale hypertrophique. L'intérêt de ce cas est double : 1° la malade a guéri ; 2° la gué-rison s'est complétée par une intervention chirurgicale appropriée, et c'est justement sur cette intervention utile de la chirurgie dans un cas d'affection spinale développée spontanément, que je veux surtout appeler votre attention.
Mais, auparavant, permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler en quelques mots les caractères anatomiques et cliniques de cette affection, tels que je les ai esquissés dans une communication faite à la Société de biologie, en 1871, et qu'ils se trouvent tracés d'une façon plus accentuée dans la thèse de M. Joffroy (1873).
A. Les lésions nécroscopiques sont relativement grossières; autrefois, on les attribuait à une hypertrophie de la moelle, qui, en effet, recouverte de ses membranes, présente à l'autopsie un renflement fusiforme de 5 à 6 centimètres de long, et remplit presque le canal rachidien. Mais ce n'est pas d'hypertrophie de la moelle qu'il s'agit ; les lésions consistent : 1° en une inflammation chronique de la dure-mère, qui présente quelquefois un épaississement de 6 à 7 millimètres ;
2° en une altération des racines nerveuses qui traversent la méninge enflammée, et qui sont elles-mêmes plus ou moins irritées; 3° enfin, la moelle elle-même peut être atteinte, à un certain degré, d'inflammation chronique ; mais ce qui domine habituellement, c'est la compression, et il en résulte une dégénération descendante du faisceau pyramidal que l'on peut retrouver jusqu'à la partie la plus inférieure de la région lombaire.
Cette esquisse anatomo-pathologique, toute sommaire qu'elle soit, suffira pour faire comprendre physiologiquement l'évolution du drame morbide dont je vais maintenant vous exposer les principaux épisodes.
Disons tout de suite qu'il s'agit d'une maladie accidentelle, pour ainsi dire, qui paraît reconnaître souvent pour cause l'influence du froid humide ; ce n'est point une maladie de famille ou d'hérédité, comme l'ataxie, et il n'y a pas à s'étonner, dès lors, que ce ne soit point une affection caractérisée par une lésion systématique.
Au point de vue symptomatique, on peut distinguer trois périodes..
La première période,période névralgique ou pseudo-névralgique, se fait remarquer par des douleurs vives, atroces, permanentes, avec exacerbations siégeant dans le cou, dans la partie postérieure de la tête, par une sensation de constriction siégeant au sommet de la poitrine. Ces phénomènes douloureux durent 4, 5 ou 6 mois, puis tout s'apaise. C'est la méninge qui en est cause, ou mieux ce sont les nerfs qui la traversent, mais non la moelle.
La deuxième période, période parahjtique, est caractérisée par l'impuissance motrice des membres supérieurs. La paraplégie cervicale s'accompagne datrophie musculaire, atrophie
simple pour certains muscles, atrophie dégénérative pour certains autres, comme on peut le reconnaître par l'exploration électrique méthodique. Une particularité intéressante de cette paralysie atrophique, c'est qu'elle porte surtout sur les membres innervés par le médian et le cubital, tandis que ceux qui sont soumis à l'innervation du radial sont relativement épargnés. De la prédominance d'action de ces derniers, résulte une déformation spéciale de la main, une griffe radiale que nous désignons sous le nom de main de prédicateur. A quoi cela tient-il ? Les tubes nerveux qui constituent le radial naissent-ils plus haut ou plus bas que ceux qui se rendent au cubital, au médian, et ne sont-ils pas compris au même degré dans l'altération?
Troisième période. Quelquefois, les choses en restent là, et tantôt la maladie se termine par la guérison complète, tantôt il reste des lésions atrophiques indélébiles des muscles. Mais, en général, la moelle est plus ou moins étranglée par les produits de l'inflammation méningée, ou même elle est envahie par le processus inflammatoire, il survient une myélite transverse avec dégénération secondaire ; il en résulte alors une paraplégie spasmodique, avec participation de la vessie et du rectum.
Mais la paralysie des membres inférieurs n'est pas une paralysie atrophique comme celle des membres supérieurs, elle n'est pas due, en effet, à une lésion des racines ou des cornes antérieures, mais seulement à l'altération dégénérative de faisceaux pyramidaux. C'est donc d'une paraplégie spasmodi-que, et non d'une paraplégie atrophique qu'il s'agit. Notez cette particularité que la flexion des membres inférieurs est souvent très prononcée, comme cela se voit surtout dans les paraplégies par compression.
Nous sommes maintenant en mesure de tirer parti du fait actuel ; c'est un cas régulier, classique, sauf sur quelques points d'importance secondaire. Yoici, en deux mots, l'histoire de la malade. Elle a été atteinte, à l'âge de trente-trois ans, à la suite d'un séjour de plusieurs années dans une habitation humide et froide. La période douloureuse a duré six mois, les douleurs occupaient non seulement les membres supérieurs, mais encore le thorax ; la moelle dorsale était donc atteinte. La période paralytique a débuté par les membres supérieurs, peu après les membres inférieurs se sont pris ; quoi qu'il en soit, pendant plus d'un an, il exista une paralysie atrophique des membres supérieurs avec griffe radiale et une paralysie spas-modique des membres inférieurs avec flexion excessive : les talons touchaient les fesses. Au bout d'un an, soit sous l'influence d'un traitement qui a surtout consisté en application de pointes de feu sur la région spinale soit spontanément, il s'est fait une résolution progressive des phénomènes paralytiques et atrophiques, du côté des membres supérieurs ; les mouvements de ces membres sont revenus aussi bien à l'avant-bras qu'au bras et à l'épaule ; les masses musculaires se sont développées, la griffe s'est effacée peu à peu. Dans les membres inférieurs, l'amélioration s'est faite à peu près parallèlement; l'exagération des réflexes tendineux a disparu, la rigidité musculaire ou, aufrement dit, la contracture s'est effacée, les mouvements sont devenus libres, dans la plupart des jointures, à l'exception toutefois des genoux.
A ce moment, il ne s'agissait plus d'une flexion des genoux à angle aigu, comme autrefois, mais d'une flexion à angle obtus ; et cette flexion n'était plus due à la contracture, car on pouvait produire dans la jointure les mouvements de flexion étendus et quelques mouvements d'extension ; mais quand on voulait dépasser une certaine limite, on était arrêté par une
résistance mécanique en quelque sorte, dont le siège paraissait êlre dans le creux poplité ; nous avons pensé que l'obstacle résidait dans les tendons des fléchisseurs raccourcis et aussi dans l'épaississement et l'induration avec rétraction des tissus péri-articulaires.
Quoi qu'il en fût, l'extension complète était impossible et il en résultait un obstacle à peu près invincible à la station et à la marche.
Il y avait lieu de croire qu'une opération chirurgicale appropriée aurait pour effet de rendre aux membres leur mouvement d'extension normale ; car j'avais déjà vu que, dans certains cas de rigidité due à des rétractions fibreuses survenues dans le cours de la paraplégie du mal de Polt, de bons résultats sont produits par la section des brides fibreuses ou des tendons raccourcis. Je consultai alors mon collègue, M. Ter-rillon, qui se rangea à mon opinion, et voulut bien se charger de l'opération. La malade fut placée dans son service d'où elle est sortie ces jours-ci. Yoici la note remise par M. Terrillon qui nous fait connaître les principaux incidents qui ont marqué le séjour de la malade dans son service.
Etat à Ventrée. — Les jambes sont dans la demi-flexion. La peau, au niveau du genou, et même de la partie inférieure de la cuisse, est luisante, lisse, et adhérente aux parties profondes. Lorsqu'on fait des tentatives d'extension, on n'obtient qu'un mouvement limité, et on sent manifestement, au niveau du creux poplité, les tendons du demi-membraneux, du demi-tendineux et du biceps devenir durs et saillants. Il existe, à ce niveau, un épaissis-sement considérable du tissu fibreux, formant une masse non circonscrite, dure, et qui paraît le principal obstacle au redressement du membre. La rotule, fortement appliquée contre les condyles, est immobilisée par l'induration fibreuse périphérique.
D'après Ja façon dont se passent les quelques mouvements qui existent encore dans le genou, et d'après l'examen extérieur, il est presque certain qu'il n'existe aucune adhérence inlra-articu-laire et que l'impossibilité du redressement est due aux lésions du tissu fibreux périphérique.
4 juillet. La malade est chloroformée, et on pratique, des deux côtés, la section des tendons du creux poplité signalés plus haut. En même temps une légère tentative de redressement fut pratiquée, mais sans insister, car, malgré la section tendineuse, la résistance due au paquet fibreux occupant le creux poplité était considérable. Appareil ouaté.
20 juillet. Anesthésie par le chloroforme. Tentatives violentes d'extension forcée, qui provoquent des déchirures avec craquement des tissus fibreux postérieurs, on ne va pas jusqu'à l'extension complète, dans la crainte de léser l'artère poplilée probablement englobée dans le tissu fibreux. La jambe droite est un peu plus étendue que la gauche. Les deux jambes sont de suite fixées dans des gouttières plâtrées remontant jusqu'à la racine des cuisses.
30 juillet. Nouvelles tentatives d'extension, et réapplication immédiate de l'appareil. L'appareil est enlevé le 15 août. Dès cette époque, la malade peut se tenir debout et marcher un peu ; depuis, les progrès ne se sont pas ralentis l.
En résumé, l'étude de la malade qui vient de vous être présentée fournit un certain nombre d'enseignements ; je me bornerai à relever les suivants : i° La pachyméningite cervicale hypertrophique n'est pas incurable ; la paraplégie qu'elle détermine, alors même qu'elle est très accentuée, accompagnée de flexion de la jambe sur la cuisse et de longue durée, peut guérir ; 2° Mais, de même que cela a lieu dans le mal de Pott,
1. Pendant plusieurs mois, la marche est restée pénible à cause de l'affaiblissement des muscles restés si longtemps dans l^naction. Sous l'influence de l'électrisation méthodique, les fonctions se sont peu à peu réta- -blies, et aujourd'hui (4 mai 1883) la malade peut circuler dans les cours delà Salpêtrière et faire près d'un kilomètre sans trop de fatigue. Ch. F.
et probablement aussi dans d'autres cas de paraplégie par compression, la longue persistance de l'attitude fléchie des membres inférieurs a quelquefois pour effet de déterminer dans les tissus péri-articulaires du genou et dans la région du creux poplité une induration et une rétraction qui, alors que l'affection spinale est guérie, met obstacle à l'extension de la jointure ; 3° L'intervention chirurgicale est nécessaire en pareil cas ; elle seule peut délivrer le malade d'une complication qui, seule désormais, mettrait obstacle à la station et à la marche.
ONZIÈME LEÇON
Sur un cas de /6ecité verbale. ^)
/
Sommaire. — Définition de(^aphasTe^ — Cécité verbale (Wortblindheit). — Observation : Début brusque ; hémiplégie droite et aphasie motrice qui disparaissent ; hémianopsie, alexie incomplète ; importance des notions fournies par les mouvements, dans la lecture mentale.
Messieurs,
Je me propose, dans plusieurs des leçons qui vont suivre, d'entreprendre avec vous quelques études cliniques relatives à l'aphasie i. C'est vous dire que nous allons nous heurter à des difficultés de plus d'un genre.
Le terme aphasie, en effet, considéré dans son acception la plus large, comprend, vous ne l'ignorez pas, toutes les modifications si variées, si subtiles parfois, que peut présenter, dans les conditions pattmjo^if^ues., la faculté que possède l'homme d'exprimer sa pensée par des signes (facilitas signa-tri x^àe Kant).
Or, cette faculté ou ces facultés qui nous permettent de communiquer avec nos semblables, doivent être rattachées, il est à peine nécessaire de le relever, aux fonctions les plus
1. Les leçons auxquelles il est fait allusion ici ont été délivrées pendant l'été de 1883 et ont été publiées en langue italienne par le D'-ltummo (Différente forme d'afasia, Milano, 1884). Une analyse en a été donnée par le Dr Marie, dans la Revue de médeine, t. III, 1883, p. 693. La thèse de M. le Dr Bernard (Paris, 1885) en contient la substance. Ces leçons seront reprises et publiées ultérieurement.
élevées de notre système nerveux central ; car si, à proprement parler, elles ne font pas partie intégrante de l'intelligence elle-même, elles ont très certainement, ainsi que le démontrent leurs dérangements, sur l'exercice de celle-ci, l'influence -la plus décisive. Vous comprenez, d'après cela, qu'une analyse délicate et qui nous conduira à invoquer, pour ainsi dire, à chaque pas, des notions appartenante la psycho-physiologie, nous permettra seule de nous orienter dans ces voies difficilement praticables.
A la vérité, les circonstances semblent devoir favoriser nos efforts. Le hasard, en effet, a réuni dans notre service plusieurs cas pathologiques d'une simplicité, d'une pureté vraiment remarquables. Us nous permettront d'étudier les formes fondamentales du syndrome aphasie, dégagées, ou peu s'en faut, de tout mélange, de toute complication, et par conséquent dans des conditions exceptionnellement favorables à l'analyse physiologique.
L'exposé clinique de l'un de ces cas fera l'objet de la leçon d'aujourd'hui ; les développements dont cette étude devra fournir la substance seront renvoyés à une autre leçon.
Le cas dont il s'agit offre, si je ne me trompe, un des plus beaux exemples qui se puissent voir de la forme d'aphasie qui, dans ces derniers temps, a été étudiée, à titre d'espèce distincte, par quelques auteurs, sous le nom de cécité verbale ( Wortblindheit, Kussmaul).
Je n'entreprendrai pas, pour le moment, de définir ce qu'on entend par cette dénomination, cela ressortira d'ailleurs suffisamment de la description dans laquelle je vais entrer.
M. II. P..., âgé de 3o ans, est propriétaire d'une maison de mercerie et de bonneterie à T... Il est chef de l'établissement depuis quatre ans ; avant cela, il était employé principal dans
une maison du môme genre. C'est un homme d'une culture moyenne, son éducation ayant surtout été dirigée de bonne heure vers le commerce. Il est entré à l'hôpital sur notre recommandation, espérant y être examiné de plus près et mieux traité, et il y est resté plusieurs mois sous notre observation. Il est intelligent et actif. Il parle et écrit assez correctement. Comme il dirige lui-même son magasin, il parle beaucoup, et écrit chaque jour de nombreuses lettres (12 ou 15 par jour). Il occupait souvent ses loisirs à lire des romans, des feuilletons. Il lisait très vite, mais avait l'habitude de mouvoir les lèvres et de prononcer les mots à voix basse en lisant. Il s'est marié, il y a dix ans ; il n'a pas d'enfants.
Si nous interrogeons Yhérédité, nous ne trouvons aucun antécédent nerveux dans sa famille ; son père est encore vivant et bien portant, sa mère est morte d'une maladie de cœur ou de poitrine.
Les antécédents personnels n'offrent non plus rien d'important. Il a fait la campagne de 1870, dans l'armée de l'Est, où il a beaucoup souffert, mais sans être jamais malade. Il n'a jamais eu de rhumatisme articulaire ; pas de battements de cœur avant son accident, ni depuis. Disons tout de suite qu'aujourd'hui, son pouls est régulier (80), son cœur aie volume normal, sans bruit de souffle. La seule affection qui mérite d'être signalée, c'est une migraine qui remonte à l'âge de 15 ans, revenant trois ou quatre fois par mois. Ces migraines, qui existent encore depuis son accident, sont assez pénibles quelquefois pour l'obliger à se coucher une heure ou deux. Elles présentent les caractères suivants : a) la douleur avant de se généraliser occupe habituellement la région frontale droite, un peu au-dessus du sourcil ; b) elle ne paraît pas s'accompagner de troubles de la vision; il ne connaît ni l'hémia-nopsie passagère, ni le scotome scintillant ; c) il n'existe aucun symptôme de la migraine ophtalmique accompagnée de
fourmillements dans les bras, dans les mains, pas d'aphasie temporaire ; d) ces migraines ne sont pas suivies de vomissements.
C'est à cela que se réduisent les antécédents pathologiques. En somme, rien à noter qui puisse se rapporter à la maladie précédente, si ce n'est, peut-être, la migraine; c'est là un point que nous aurons à étudier particulièrement dans la suite.
Passons maintenant à l'histoire de la maladie actuelle.
Le 9 octobre dernier, étant à la chasse au renard, il voit tout à coup un animal à demi caché dans les herbes, le prend pour un renard, fait feu et le tue raide ; malheureusement, ce n'était pas un renard, c'était le chien d'un ami auquel ce dernier était extrêmement attaché. Aussitôt lamentations, pleurs du propriétaire. P. est profondément ému et de la mort du chien, et du chagrin de son ami. Cependant, il continue la chasse, mais sans entrain, mange peu et à contre-coeur. Après le déjeuner, on se remet en chasse, un lapin passe, P. le couche en joue ; mais à ce moment il tombe à terre, il était paralysé du côté droit, assure-t-il. Quelques minutes après, il perdit connaissance.
A partir du moment de l'accident, les souvenirs du malade sont très vagues. Il sait qu'on l'a porté au chemin de 1er, pour le ramener à T...., et du trajet qui a été d'une heure environ, il a perdu toute souvenance. Un instant, il est revenu à lui, à la gare de T...., qu'il a reconnue ; mais peu après, il perdit de nouveau connaissance. Il raconte, d'après le récit de son entourage, qu'on l'a couché immédiatement, et qu'il a dormi toute la nuit.
Le 10 octobre au matin, lorsqu'il se réveille : il était complètement paralysé du membre supérieur et du membre inférieur droits, qui étaient absolument flasques et inertes; il
bredouillait en parlant, disait un mot pour un autre ; sa femme raconte qu'il a dit: « j'ai une main dans le soleil » (paraphasie). Il reconnaissait alors les personnes et les objets, mais ne pouvait les désigner par leur nom, il ne retrouvait même pas le nom de sa femme. Il est impossible de savoir si la bouche et la langue ont été déviées, ni s'il y a eu des troubles de la sensibilité.
Au bout de quatre jours (14 octobre), il commençait à remuer ses membres paralysés, au point de pouvoir se lever. Il assure que le membre supérieur était devenu comparativement beaucoup plus libre que l'inférieur ; il a traîné le pied pendant environ un mois.
Le 28 octobre, il se produisit un événement important. P... n'éprouvait plus guère alors de difficulté de la parole, il disait seulement de temps en temps un mot pour un autre. La main était assez libre pour qu'il pût écrire très lisiblement. Or il voulut donner un ordre relatif à ses affaires, prit une plume et écrivit; croyant avoir oublié quelque chose, il redemande sa lettre pour la compléter, veut la relire et c'est alors que se révèle dans toute son originalité le phénomène sur lequel je veux appeler votre attention. // avait pu écrire, mais il lui était impossible de relire sa propre écriture.
Ainsi, voilà un malade devenu tout à coup aphasique, ou plutôt paraphasique et hémiplégique du côté droit, au bout de quelques jours l'aphasie disparait et aussi l'hémiplégie ; le malade peut écrire, il écrit assez lisiblement pour donner un ordre ; mais lorsqu'il veut se relire, il est incapable de le faire.
Son écriture, à cette époque, était à peu près ce qu'elle fut quinze jours plus tard, c'est-à-dire trois semaines après l'accident ; voici un spécimen qui date de la dernière époque. Cette lettre, datée du 1er novembre et adressée à sa mère, est très
intéressanle à comparer à une autre lettre datée du 22 novembre 1880, c'est-à-dire de trois ans auparavant. La première ne diffère de la seconde que par un léger changement de l'écriture, les lettres étant plus verticales et d'une forme plus enfantine et par quelques fautes d'orthographe qui consistent surtout dans l'oubli des s et des x, à la fin des mots, et dans l'oubli d'un mot (chez). Nous voyons que, dans les lettres écrites, 4, 5 et 6 mois après, ces fautes ont disparu, et que l'écriture a repris sa forme normale.
A partir de la même époque, il s'est aperçu qu'il lui était impossible de lire un imprimé, tout autant et encore plus qu'une page d'écriture.
Ici se place un incident intéressant à certains égards, mais que je ne fais que signaler en passant, parce qu'il ne paraît pas se rattacher très directement aux accidents que nous voulons surtout mettre en relief. Quinze jours après l'accident (vers le 24 octobre), il éprouva une douleur vive, lancinante dans l'oreille droite, ayant duré environ deux jours, puis un sifflement constant, s'exagérant quand on lui parlait ou s'il était sous le coup d'une émotion morale.
Mais, voici un fait plus important peut-être, bien qu'il ne rentre pas d'une façon absolue dans le cadre des troubles du langage. Vers le 9 novembre, c'est-à-dire un mois environ après l'accident, il voulut essayer de jouer au billard. Il est droitier, sa main droite parfaitement libre serrait très bien la queue ; mais il s'aperçut preque aussitôt de l'impossibité où il était de jouer, et cette impossibilité tenait à ce que, du côté droit, le champ visuel était pour lui limité au point qu'il ne voyait que la moitié du tapis vert, la moitié de la bille et qu'il perdait de vue les billes, dès que celles-ci entraient dans la partie droite du champ visuel. C'est là la première mention que nous trouvions dans l'histoire du malade, d'une hémia-
nopsie latérale droite, qui depuis a été étudiée par nous régulièrement, car elle existe encore aujourd'hui, bien qu'atténuée.
En résumé, quand le malade est venu nous consulter, le 3 mars 1883, il n'existe plus de paralysie, plus d'aphasie motrice, il peut écrire couramment et régulièrement; mais il lui est impossible de lire les pages d'un livre imprimé ou récriture. Il a une hémianopsie droite.
Mais il nous faut actuellement étudier de plus près l'état de notre malade, au moment où il s'est présenté à nous pour la première fois. 1° C'est un garçon à l'œil vif, intelligent, à la démarche assurée, aux gestes faciles, ne présentant nullement cet air embarrassé et un peu hébété qu'offrent assez vulgairement les aphasiques. 2° Après nous être fait raconter son histoire par lui-même, sous le contrôle de sa femme, alors présente, tâche qu'il a accomplie sans difficulté, sans que nous ayons remarqué dans le débit aucune lenteur, aucune substitution de mots, surtout sans le moindre bégaiement, nous nous sommes assurés, qu'en effet, bien qu'il pût écrire couramment, il ne savait pas lire. Nous entrerons, sur ce sujet, dans de plus longs détails, dans un instant.
Pour le moment, nous voulons relever les faits suivants, constatés au moment de l'entrée. Il n'existe aucune déviation de la face ou de la langue, aucune trace de paralysie des membres supérieurs et inférieurs. La marche est libre, il peut se tenir aussi bien sur un pied que sur l'autre.
force DYNAMOMÉTltlQUE :
3 mars : main droite................. (iO fcil.
— main gauche................ 50 —
H avril : main droite................. 7'i —
— main gauche................ —
On ne constate aucun trouble de la sensibilité tactile, pas d'analgésie, pas d'altération du sens musculaire ; il apprécie
bien les poids, la température. Aucune modification du goût, de l'ouïe, de l'odorat, la vision seule est altérée, comme nous allons le voir tout à l'heure. Pas de modification des réflexes rotuliens, à droite et à gauche.
L'existence de l'hémianopsie latérale droite est facile à constater par le procédé le plus sommaire ; mais l'étude régulière de la fonction visu le et l'examen ophlhalmoscopique devaient nous fournir des résultats plus précis. 1° Il n'existe aucune modification de l'aspect ophthalmoscopique. 2° L'hémianopsie latérale homonyme droite est limitée par une ligne parfaitement verticale, passant parle point de fixation; c'est donc une hémianopsie type, telle qu'on est habitué à la rencontrer, lorsqu'il s'agit d'une lésion de la bandelette optique. 3° Pas de diminution de l'acuité visuelle, dans l'étendue du champ libre. 4° Aucune modification de la perception des couleurs.
Nous devons maintenant concentrer particulièrement noire attention sur ce qui concerne l'exercice de l'écriture et de la lecture.
Je dirai d'abord que notre malade ne présente aucun trouble dans les mouvements de la langue et des lèvres, dans l'articulation des mots; aucune altération notable dans l'intelligence ; les seuls troubles appartiennent à la catégorie des signes (Facilitas signalrix). En outre de l'impossibilité ou de la grande difficulté de lire, il y a encore à noter chez lui l'oubli d'un certain nombre de substantifs et de noms propres. Il a retrouvé le nom des personnes qui lui sont proches ; mais il n'a pas encore retrouvé celui des rues de Paris qu'il a autrefois fréquentées. Il voit bien ces rues dans son esprit (mémoire visuelle), et quand il les parcourt, il reconnaît bien les lieux par lesquels il doit passer, la maison où il a décidé de s'arrêter; mais comme il ne peut pas lire les noms de ces rues, et qu'il les a d'ailleurs pour la plupart oubliés, il n'ose pas s'a-
Charcot. Œuvres complètes, t. tu, Système nerveux. il
venturer seul. Il reconnaît parfaitement les objets usuels et les nomme par leur nom, à mesure qu'on les lui présente.
En ce qui concerne la lecture et l'écriture, voici le résumé des études que nous avons faites presque journellement. L'état du malade s'est amélioré aujourd'hui d'une façon notable, il faut donc distinguer deux périodes : l'une du 3 au 30 mars, la seconde du 1er au 15 avril.
Il écrit sans hésitation son nom et son adresse, une longue phrase et même une longue lettre, sans fautes notables d'orthographe, sans passer de mots. « J'écris, dit-il, comme si j'avais les yeux fermés, je ne lis pas ce que j'écris. » De fait, il écrit aussi bien les yeux fermés.
Il vient d'écrire son nom, on lui dit de le lire : « Je sais bien, dit-il, que c'est mon nom que j'ai écrit, mais je ne puis plus le lire. » Il vient d'écrire le nom de l'hospice, je l'écris à mon tour sur une autre feuille de papier et je le lui donne à lire ; il ne le peut pas d'abord ; il s'efforce de le faire, et pendant qu'il se livre à ce travail, nous remarquons qu'avec le bout de son index de la main droite, il retrace une à une les lettres qui constituent le mot et arrive, après beaucoup depeine,, à dire : « La Salpêtrière. » On écrit « rue d'Aboukir », l'adresse de son ami, il trace avec le doigt, dans l'espace, les lettres qui composent le mot et, après quelques instants, dit : « C'est la rue d'Aboukir, l'adresse de mon ami. »
Ainsi, vous le voyez, l'alexie n'est pas absolue pour l'écriture. La lecture est seulement extrêmement difficile et elle n'est possible que sous le contrôle des notions fournies par les mouvements exécutés par la main, dans l'acte d'écrire. C'est évidemment là le sens musculaire qui est en jeu, et ce sont les notions qu'il fournit qui permettent seules au malade de vérifier les notions vagues qu'il recueille par la vision.
On lui présente une page imprimée. Il dit immédiatement :
« Je lis moins bien l'imprimé que l'écriture, parce que pour l'écriture, il m'est facile de reproduire mentalement la lettre avec ma main droite, tandis que c'est beaucoup plus difficile pour les caractères imprimés. Il ne s'était jamais, en effet, appliqué à tracer avec la main des caractères imprimés, comme le ferait un peintre de lettres. On lui fait lire une ligne en caractères imprimés : le malade met 8 minutes à la déchiffrer et 3 minutes seulement à lire la même ligne en lettres cursives. On remarque que toujours, en lisant, le malade trace les caractères dans l'espace, avec la main droite; on lui met les mains derrière le dos et on lui dit de lire ; on le voit alors tracer les lettres avec l'index sur l'ongle du pouce. Pour lire l'imprimé, il lui est commode d'avoir la plume à la main ; à l'aide de celle-ci, il se livre à des essais qui lui facilitent la besogne.
Chaque jour, à partir du 5 mars, nous lui donnons un devoir de lecture. Il lit sans écrire, mais en s'aidant toujours de caractères tracés dans l'espace. On remarque que, sous l'influence du traitement, il fait des progrès journaliers. Voici un tableau qui met en relief la marche assez régulièrement croissante des progrès accomplis :
21 mars : 1 minute 43 secondes par ligne.
23 — 1 — 53 —
24—2—11 _
25 — 1 — 36 —
26 — 1 — 47 —
27 — 1 — 20 —
28 — 1 — 36 — 31—1—21 — 1er avril : 1 — 20 —
2 — — 40 —
3 — — 30 —
4 — — ;J5 —
7 — — 38 —
8 — — 36 — 10 — — 35 — 12 — — 27 —
Après electrisation du grand sympathique au cou :
13 avril : 31 secondes par ligne.
14 — 30 —
15 — 39 —
16 — 25 —
Pour bien faire comprendre l'importance des notions fournies par les mouvements dans la lecture mentale des signes écrits, on fait fermer les yeux aux malades, on arme sa main d'une plume et communiquant à sa main des mouvements passifs, on lui fait écrire sur un papier : « Tours, Paris », il dit immédiatement : « Tours, Paris » ; de même si les mouvements passifs ont lieu dans l'espace, sans plume.
A propos de la lecture, on fera encore les remarques suivantes. Enlisant l'imprimé, le malade ne meut pas ses lèvres, ne parle pas à voix basse, bien que ce soit son habitude, dans l'état de santé. Il se contente d'écrire les lettres qu'il connaît mal par la vision, ou de les tracer avec son doigt dans l'espace. 11 connaît toutes les lettres de l'alphabet, excepté q. r, s, t, et surtout x, y, z ; et, chose remarquable, ces trois dernières lettres qu'il ne reconnaît pas, qu'il ne déchiffre pas quand elles sont isolées, il les écrit facilement quand elles font partie d'un mot ; ainsi, il écrit vite les mots : « Xavier, Yvan, Zèbre ». Il a plus de peine à lire, quand il esta jeun, moins après manger. Au bout de 15 à 20 minutes de lecture, il se sent très fatigué. Si on l'interroge sur le sens de ce qu'il vient de lire avec tant de peine, il se souvient très peu des détails, à moins qu'il ne s'agisse de chiffres. Ainsi, il ne se rappelle que vaguement que dans l'article qu'il a lu la veille, il s'agissait d'une statue de la République, que celle-ci devait être colossale, mais il se rappelle très bien les chiffres de 400.000 et 200.000 francs mentionnés dans le journal. Il a fait, depuis, des progrès sous ce rapport.
11 connait bien les chiffres, les voit bien, additionne bien,
multiplie assez bien, mais commet des fautes, si la multiplication est un peu compliquée.
Quand la signification d'un mot lui est connue, il lit plus vite que s'il ne la connaît pas, ainsi :
République... Indépendance, Ptérygoïdiens,
4 à S secondes. 1 minute. 4 minutes.
Il répète plusieurs fois : « Quand je veux commencer à lire, même maintenant que j'ai fait des progrès, il me semble que c'est pour la première fois. »
En même temps que l'éducation se refait par l'application journalière, l'hémianopsie se modifie concurremment d'une façon progressive.
En résumé, vous le voyez, les notions fournies chez ce malade par la vision, dans la lecture, sont vagues et insuffisantes pour l'intelligence du texte, et c'est là ce qui constitue chez lui la cécité verbale. S'il peut lire, c'est à l'aide d'un artifice. La série de mouvements qui concourent à la représentation graphique d'une lettre, d'un mot, éveille seule chez lui le souvenir précis de la lettre, ou du mot. On pourrait dire d'un seul trait, qu'il ne lit qu'en écrivant.
En manière de contraste, j'appellerai votre attention, dans une prochaine leçon, sur un autre homme aphasique que je vous présente aujourd'hui, et qui, lui, absolument incapable de proférer un seul mot, entend tout, comprend tout, lit, mentalement, tout avec facilité, écrit couramment et comprend parfaitement tout ce qu'il lit et tout ce qu'il écrit.
Vous reconnaîtrez déjà, après ce parallèle, combien sont profondément distinctes les unes des autres les diverses formes de l'aphasie, alors qu'elles se présentent, chose rare, à la vérité, absolument dégagées de toute complication.
DOUZIÈME LEÇON
S
De la cécité verbale (Suite).
Sommaire. — Historique de la cécité verbale: MM. Gendrin, Trousseau, Kussmaul, Magnan, etc. — Etudes de 16 observations. — Cas cliniques. — Cas suivis d'autopsies. — Localisation. — Fréquence de l'hémianopsie. — Nature de la lésion.
Messieurs,
Tous n'avez pas oublié l'exposé que je vous ai fait, dans la dernière leçon, d'un trouble partiel de la faculté d'expression par le langage. Bien que, chez notre malade, l'acuité visuelle n'ait subi aucune modification, dans la moitié gauche du champ visuel des deux yeux, il éprouve une grande difficulté à épeler les mots qu'il voit parfaitement ; et cependant il traduit sa pensée par l'écriture, couramment et correctement. L'affection dont il s'agit, vous disais-je, a été, dans ces derniers temps, considérée comme constituant une espèce particulière d'aphasie, et décrite sous les noms de cécité verbale, cécité des motsr Wortblindheit. Cette dénomination appartient à M. Kussmaul, un des initiateurs dans l'étude, encore peu vulgarisée parmi nous, de cette forme clinique. Notre cas, ajoutai-je, se distingue de la plupart de ceux du même genre qui ont été publiés, en ce que le phénomène de la cécité verbale s'y trouve mieux dégagé, en quelque sorte, de tout mélange, de toute complication.
Il ne sera pas inutile, je pense, afin de mieux faire ressortir l'intérêt qui s'attache à ce cas, d'en rapprocher quelques-unes des observations appartenant au même groupe, publiées dans divers recueils.
L'histoire nosographique de la cécité verbale ne remonte pas très haut. C'est, je crois, M. le professeur Kussmaul qui l'a le premier décrite, à titre d'espèce distincte, en 1877 *. A M. Wernicke2, au contraire, appartient la première description d'une autre forme d'aphasie, sur laquelle j'aurai à vous exposer quelques détails, dans une prochaine leçon, et qu'il a appelée du nom d'aphasie sensorielle, tandis que M. Kussmaul, dans son élude systématique, la désigne sous le nom de surdité des mots, Worttaubheit.
11 ne faudrait pas croire toutefois que la cécité des mots n'ait pas été depuis longtemps observée ; ainsi il est très remarquable que, dans sa Médecine pratique, qui date de 40 ans, M. Gendrin3 parle de malades qui « se trouvaient dans l'impossibilité de lire, mais qui pouvaient écrire, par une sorte de souvenir du mouvement des doigts nécessaire pour tracer les mots ; la lettre une fois tracée, le malade n'est plus capable de la reconnaître ».
Une des observations dont Trousseau parle dans une de ses cliniques 4 appartient à cette catégorie. «Yoici, dit ce grand observateur, un malade qui ne sait plus lire, cependant il parle à merveille. Il ne peut déchiffrer le titre d'un journal, il ne peut assembler les syllabes ; cependant il n'est pas amblyopi-
1. Kussmaul. — Die Störungen der Sprache. Leipzig, 1877. '
2. Wernicke. — Der aphasisché Symptomen-complex. Breslau, 1874. — Ueber den wissenschaftlichen Standpunkt in der Psychiatrie. Kassel, 18S0. — Lehrbuch der Gehirnkrankheiten. Kassel, 1881, Bd. I, p. 206. — Forslchritte der Median, Bd. I, 1883.
3. Gendrin. — Traité philosophique de médecine pratique, p. 43', T. I, 1838.
4. Peter. — De l'aphasie a'après les leçons cliniques du professeur Trousseau (In. Arch. gén. deméd., 1865).
que, il est capable de ramasser une épingle parterre. Ce qu'il y a de plus invraisemblable, c'est que cet homme ne peut lire ce qu'il écrit très correctement. » Ce malade, comme le nôtre, avait été hémiplégique et aphasique pendant quelques jours.
Mais, je le répète, c'est à M. Kussmaul qu'on doit d'avoir relevé que la cécité des mots peut se présenter dans la clinique, pour ainsi dire, à l'état d'isolement, et qu'elle représente le trouble pathologique d'une faculté spéciale qu'on pourrait appeler, ainsi que nous le dirons ailleurs, la mémoire visuelle des signes du langage.
Ces vues de M. Kussmaul n'ont pas été admises sans conteste, en France ; elles ont même été l'objet d'une critique très serrée, de la part de MM. Mathieu1 et Dreyfus-Brisac2. Au contraire, elles ont été favorablement accueillies par M. Magnan, dans son enseignement de l'asile Sainte-Anne ; et une de ses élèves, Mlle Skwortzoff a publié, dans sa thèse3, un chapitre spécial consacré à la cécité des mots, qui renferme l'exposé d'une douzaine d'observations, dont une appartient à l'auteur et deux autres à M. Magnan.
Depuis la publication de ce travail, cinq nouvelles observations ont été publiées, trois suivies d'autopsie et dont il sera question plus loin, et deux autres bien détaillées, mais bornées au côté clinique : Tune appartient à M. Armaignac 4, l'autre à M. Bertholle 5, qui la désigne sous le nom iïasyllabie.
L'étude et la comparaison des observations, au nombre de
i Mathieu. — Arch. gén. de méd., 1879, 1881.
2. Dreyfus-Brisac. — De la surdité et de la cécité verbales. (Gazette hebdomadaire de méd. et de chir. 18H1, p. 477.)
3. Skworlzoff. — De la cécité et de la surdité des mots dans Vaphasie. jrhèse de Paris, 1881.
4. Armaignac. — Revue clinique du Sud-Ouest, 1882.
.5. Bertholle. — Asyllabie ou amnésie partielle et isolée de la lecture (Gaz. hib lom. de méd. et de chir., 188', p. 280).
16, qui viennent d'être signalées, fournissent, en ce qui concerne la clinique de la cécité verbale quelques enseignements qui ne manquent pas d'intérêt.
1° En général, le début de l'affection a été subit, et il s'est produit, à l'origine, un certain degré d'hémiplégie droite qui a bientôt disparu, ainsi que cela s'est vu chez notre malade. Dans les premiers jours, il y a eu, le plus souvent, un certain degré d'aphasie motrice, qui s'est peu à peu dissipée plus tard, laissant, dans quelques cas, la cécité verbale à l'état d'isolement. Toutes ces circonstances, vous le voyez, se retrouvent chez notre malade. Mais il importe de relever que la cécité verbale a pu se montrer primitivement isolée (cas d'Àrmai-gnac, de Guéneau de Mussy)1 sans complication d'hémiplégie* ...^1»'»«*^^
2° Etes troubles visuels sont vaguement signalés, dans un certain nombre de cas ; l'hémianopsie, telle qu'elle existait
chez notre malade, se trouve mentionnée dans une seule observation, celle qui appartient à M. Westphal2.
3° Cette même observation de M. Westphal contient encore un autre fait qui nous intéresse : vous n'avez pas oublié comment notre malade, lorsqu'il fait des efforts pour lire, soit un écrit, soit un imprimé, écrit effectivement les lettres et les mots ou encore se contente de les tracer dans l'espace, à l'aide de l'indicateur de sa main droite. Les notions fournies par ces mouvements des doigts paraissent indispensables pour donner de la valeur, de la précision aux notions vagues fournies par les images visuelles. En d'autres termes, le malade ne peut lire qu'en écrivant. Or, le même fait se trouve signalé
1. Guéneau de Mussy. — Ri-cueil ii\ph.'halmologie, 1879, p. 129.
2. Westphal. — ZeistckrUt fur Ethnoloyi 1874, 4 mai, p. 94.
dans l'observation de M. "Westphal et dans une observation de-Mlle Skwortzoff.
Fig. 33. — Étendue du champ visuel de P..,, le 21 février 1883.
4° Dans notre cas, ces mouvements instinctifs des doigts-venant en aide à la lecture visuelle ont été utilisés, vous ne
l'avez pas oublié, comme moyen de traitement. Tous'les jours, notre malade fait un devoir qui consiste à lire un certain nom-
Fia. 24. — Etendue du champ visuel de P..., le 3 mars 1 883.
bre de lignes, en s'aidant des mouvements instinctifs des doigts, pour raviver, en quelque sorte, les souvenirs visuels.
Nous avons vu comment, dans ces derniers temps, il a fait à cet égard des progrès assez rapides. Dans l'observation de MUe Skwortzoff, la malade hémiplégique à droite ne recevait, sans doute, par l'intermédiaire des doigts de la main gauche, que des notions très imparfaites. MUe Skwortzoff, d'après le conseil de M. Magnan, eut recours à un autre expédient : la malade apprit à reconnaître, par le toucher, de grosses lettres en relief ; et, lorsqu'elle fut suffisamment instruite de ce côté, s'efforça de lire par les yeux, en même temps qu'elle s'aidait de la lecture des caractères en relief par le toucher ; mais, au bout de plusieurs mois, la malade ne pouvait encore lire par ce procédé que des mots très courts.
5° J'en viens maintenant aux cas suivis d'autopsie. Ces cas sont au nombre de trois, l'un appartient à M. Déjerine l, un autre à M. Chauffard2, un troisième à MM. d'Heilly et Chantemesse3. Malheureusement, l'histoire clinique de tous ces cas a laissé à désirer, parce que la cécité des mots se trouve compliquée, dans une forte mesure, de surdité des mots. Toutefois, ces trois observations, les seules, si je ne me trompe, sur lesquelles on puisse fonder une tentative de localisation anato-mique, concordent parfaitement sur un point : dans toutes, la lésion prédomine sur le lobule pariétal inférieur, avec ou sans participation du lobule du pli courbe et de la première circonvolution temporale.
C'est donc dans le lobule pariétal inférieur, avec ou sans participation du lobule du pli courbe, que siégerait la lésion qui tient sous sa dépendance la cécité verbale que nous observons chez notre malade. Il est bien entendu que nous ne nous arrêtons à cette localisation que sous toutes réserves, et
1. Skwortzoff, lof. cit., p. 52.
2. Chauffard. — Revue de médecine, t. J, 1881, p. 391.
3. h'IIeilly et Chantemesse. — Progrès médical, 1883.
nous l'indiquons seulement comme vraisemblable, dans l'état actuel de la science, sur ce sujet.
Cette localisation, d'ailleurs, pourra nous rendre compte jusqu'à un certain point peut-être de l'existence d'un phénomène qui joue un rôle important dans l'histoire clinique de notre cas ; je veux parler du phénomène de l'hémianopsie, dont nous avous eu grand soin de relever l'existence. Il s'agit là, vous le savez, d'une hémianopsie homonyme latérale droite. Sans entrer pour le moment dans une discussion en règle, relative à la question de l'hémianopsie cérébrale qui, pour être convenablement traitée, exigerait de longs développements, je me bornerai, pour aujourd'hui, à relever qu'il existe un certain nombre d'observations, 7 ou 8 peut-être, suivies d'autopsie, qui semblent établir péremptoirement que le phénomène de l'hémianopsie latérale peut être la conséquence delà lésion de certaines parties de l'écorce cérébrale Or, il semble résulter aussi de ces observations que, presque constamment dans l'hémianopsie de cause cérébrale d'origine corticale, la lésion occupe à peu près la même région que celle que nous indiquions tout à l'heure, comme étant le siège des altérations dont relèverait la cécité des mots. Yous remarquerez que nous faisons abstraction, dans cet exposé, des données de l'expérimentation faite sur les animaux, relativement à la sphère visuelle, parce qu'il n'existe pour le moment que contradiction parmi les auteurs qui se sont occupés de la sphère visuelle,, chez les animaux, voire même chez le singe, il nous faudrait encore faire la preuve, et déterminer si ces résultats sont véritablement applicables à l'homme. Quoi qu'il en soit, les données fournies relativement à l'hémianopsie cérébrale, chez l'homme, pourraient servir à nous faire comprendre comment, dans notre cas, il y a coïncidence de l'hémianopsie latérale et
1. Ch. Féré. — Contribution à l'étude des froubles fonctionnels de la vision par lésions cérébrales [amblyopie croisée et hémianopsie), 18S2. . ¦
de la cécité verbale.'La môme interprétation pourrait être appliquée au cas de M. Wesfphal. Mais vous saisissez immédiate-
ment la difficulté qui se présente : si la cécité verbale et i'hé-mianopsie cérébrale reconnaissent le même siège dans Je
Fig. 2ô. — Etendue du champ \isuel de P.... le 3 avril 1883
cerveau, c'est-à-dire la région du lobule pariétal inférieur, les deux phénomènes cliniques devraient à peu près toujours se montrer associés. Or, cela ne semble pas être ; car on peut citer des exemples d'hémianopsie cérébrale, sans cécité verbale et de cécité verbale sans hémianopsie.
Il est à remarquer, cependant, que le phénomène de l'hé-mianopsie, dans le cas où il n'est pas aussi accentué que chez notre malade, dans les cas, par exemple, où la ligne qui limite le défaut visuel s'éloigne plus ou moins du point de fixation, peut parfaitement passer inaperçu, s'il n'est pas recherché régulièrement. Des observations ultérieures permettront seules de juger la valeur de cette supposition. Le lobule pariéta inférieur est, d'ailleurs, assez étendu pour que les deux ordres de lésions puissent y trouver leur place, sans se superposer nécessairement.
Je ferai remarquer en passant que, chez notre malade, soit spontanément, soit sous l'influence du traitement, l'hémia-nopsie s'est très remarquablement modifiée, à mesure que ce sont amendés les symptômes de la cécité verbale. A l'origine, l'hémianopsie ne différait en rien de l'hémianopsie classique, telle qu'elle résulte d'une lésion d'une bandelette optique, puisque la ligne de démarcation passait exactement par le point de fixation (Fig. 23). Aujourd'hui, il n'en est plus de même : la limite du défaut semble s'éloigner progressivement du point de fixation et l'étendue du champ visuel augmente peu à yeu(Fig. 23, 24 et 25). Un amendement de ce genre est un fait rare, exceptionnel dans l'hémianopsie qui dépend d'une lésion de la bandelette; il pourrait bien être un des caractères cliniques de l'hémianopsie de cause cérébrale.
Pour en finir, il me reste encore à rechercher avec vous en
quoi consiste l'altération qui détermine chez notre malade l'hé-mianopsie et la cécité verbale, et par quel mécanisme elle s'est développée. Là encore, nous ne trouverons à vous présenter que des hypothèses plus ou moins vraisemblables ; mais il faut bien reconnaître que, trop souvent encore aujourd'hui, c'est à cela que nous en sommes réduits, en fait de physiologie pathologique cérébrale.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que l'artère sylvienne, que je n'hésite pas à mettre en cause, fournit des branches à la fois à la circonvolution de Broca, siège de la lésion de l'aphasie, et aux régions où semblent devoir être localisées et la cécité verbale et l'hémianopsie. La lésion de ses branches artérielles est le fait primitif qui a eu pour conséquence une altération plus ou moins prononcée du tissu cérébral. Mais, en quoi consiste la lésion vasculaire, spasme, thrombose, embolie? Cela, bien entendu, ne peut être exactement déterminé. L'existence de migraines fréquentes et intenses pourrait peut-être permettre d'accuser, conformément à la théorie de La-tham, l'existence antérieure de spasmes vasculaires répétés dans le domaine de la sylvienne, à titre de cause prédisposante. Il semble, en effet, que la répétition du spasme vasculaire ait pour conséquence, dans certains cas, d'amener, à la longue, dans les parois des vaisseaux, des modifications profondes, puisque, dans la migraine ophthalmique, tout au moins, nous voyons, soit l'hémianopsie, soit l'aphasie, d'abord transitoires, s'élablir quelquefois à litre de symptômes plus ou moins permanents. Mais nous ne sommes pas parvenus à établir que la migraine dont notre malade a souffert ait été véritablement une migraine ophthalmique. L'hypothèse de la thrombose consécutive à l'artérite ou celle de l'embolie ne peuvent être accueillies elles-mêmes qu'avec réserve, la première en raison de l'âge du sujet, la seconde par ce fait qu'il n'existe aucune trace d'une affection organique du cœur. ' :. ¦
Je me bornerai donc aux remarques suivantes : il est probable qu'à l'origine le tronc de la sylvienne a été oblitéré. Ainsi s'exp iquera qu'au début le malade a été aphasique, amnésique, et en outre paralysé des deux membres du côté droit. Mais, dans le domaine des trois premières branches, la circulation s'est rétablie, et c'est ainsi que l'hémiplégie et l'aphasie même ont disparu. Au contraire, l'ischémie a persisté, dans le domaine de l'artère pariétale, et, en conséquence, le tissu nerveux a subi dans cette région des altérations plus ou moins profondes, auxquelles se rattachent l'hémianopsie et la cécité verbale établies à l'état permanent, depuis près de six mois. Toutefois la lésion, quelle qu'elle soit d'ailleurs, n'est pas absolument indélébile, puisque nous avons vu que, sous l'influence d'un traitement très simple, la fonction lésée tend chaque jour à se rétablir. Si cet amendement continue à progresser, ce que nous avons tout lieu d'espérer, nous n'aurons qu'à en féliciter le malade, car, à en juger d'après l'histoire des cas publiés jusqu'ici, la cécité verbale une fois établie ne rétrograde guère et reste le plus souvent à l'état d'infirmité indélébile.
Charcot. Œuvres complètes, t. iii, Système nerveux.
12
TREIZIÈME LEÇON
o
Sur un cas de suppression brusque et isolée de la vision mentale des signes et des objets (formes et couleurs)1.
Sommaire. — Gall, Gratiolet, Ribot. Des mémoires partielles. — Destruction partielle des diverses formes de la mémoire. - Mémoire visuelle. — Observation de Gallon. — Cas de suppression brusque de la vision mentale. — Ses effets. - Suppléance par les images auditives. — L'amnésie verbale ne répond pas à une unité. — Le mot est un comple.xus, on y reconnaît chez les individus éduqués quatre éléments fondamentaux qui sont : l'image commemorative auditive, l'image visuelle et deux éléments moteurs, à savoir l'image motrice d'articulation et l'image motrice graphique.
Messieurs,
Dans l'ouvrage important qu'il a consacré à l'étude des Maladies de la mémoire 2, M. ^h. Ribot; a parfaitement fait remarquer qu'aujourd'hui, en physiologie, la distinction des mémo^es partielles, pour la première fois signalée par Gall 3, est devenue une vérité courante, et, à ce propos, il relève que déjà Gratiolet 4 avait reconnu qu'à chaque sens correspond une mémoire qui lui est corrélative et que l'intelligence a, comme le corps, des tempéraments qui résultent de la prédominance
1. Leçon recueillie par M. Bernard.
2. Les maladies de la mémoire. Paris, 1881, p. 111, 112.
3. Fonctions du cerveau, t. I.
4. Anatomie comparée, t. II, p. 460.
de tel ou tel ordre de sensations dans les habitudes naturelles de l'esprit.
A la vérité, ajoute M. Ribot, « dans la psychologie, la méthode des facultés a si bien réussi à faire considérer la mémoire comme une unité que l'existence des mémoires partielles a été complètement oubliée ou prise pour une anomalie ». Mais en psychologie comme dans toute science de faits, c'est l'expérience qui doit décider en dernier ressort. Or celle-ci a prononcé et elle montre que, « dans la réalité, il n'y a en dernière analyse que des mémoires spéciales; ou comme disent certains auteurs, locales. »
Or, s'il est vrai qu'à l'état normal « les diverses formes de la mémoire » — c'est toujours M. Ribot qui parle — « out une indépendance relative, il est naturel qu'à l'état morbide, une forme disparaisse, les autres restant intactes. C'est un fait qui doit maintenant paraître simple, n'exiger aucune explication, puisqu'il résulte de la nature même de la mémoire. »
J'appellerai aujourd'hui votre attention sur un cas pathologique remarquable et bien propre à mettre en lumière, une fois de plus, l'existence en pathologie de cette suppression isolée de l'une des formes de la mémoire.
Il s'agit, dans ce cas, de la perte de la vision mentale des objets (Mental lmagery de Galton 1) — formes et couleurs, survenue subitement chez un sujet, qui jouit, comme on le verra, même après l'accident qui l'a privé de l'une de ses plus brillantes facultés, d'une grande activité intellectuelle. L'observation, fort intéressante à divers points de vue, vaut la peine d'être racontée in extenso*.
M. K..., négociant à A..., est né à Vienne; c'est un homme
1.Francis Galton. — Inquiries into human Faculty; mental lmagery, p. 83. London 1883.
2. L'observation a été recueillie par M. le Dr Bernard (de Marseille) alors mon interne.
fort instruit: il connaît pnrfailiment l'allemand, l'espagnol, le français, et aussi le lai i 11 et le grec classiques. Jusqu'au début de l'affection qui l'a amené près de moi il lirait à livre ouvert les œuvres d'Homère. Il savait le premier livre de l'Iliade à ne pas hésiter pour continuer un passage dont le premier vers aurait été dit devant lui. Il connaissait assez le grec moderne pour correspondre commercialement dans cette langue, Virgile et Horace lui étaient très familiers.
Son père, professeur de langues orientales à L..., possède, lui aussi, une mémoire des plus remarquables. Il en est de même de son frère, professeur de droit à W .., d'une de ses sœurs, peintre distingué; son propre fils, qui est âgé de 7 ans, connaît déjà à merveille les moindres dates historiques.
M. X... jouissait, il y a un an encore, d'une mémoire aussi remarquable. Comme celle de son père et de son fils, c'était surtout une mémoire visuelle. La vision mentale lui donnait, au premier appel, la représentation des traits des personnes, la forme et la couleur des choses avec autant de netteté, as-sure-t-il, et d'intensité, que la réalité même.
Recherchait-il un fait, un chiffre relaté dans sa correspondance volumineuse et faite en plusieurs langues, il les retrouvait aussitôt dans les lettres elles-mêmes qui lui apparaissaient dans leur teneur exacte, avec les moindres détails, irrégularités et ratures de leur rédaction.
Récitait-il une leçon alors qu'il était au collège? Un morceau d'un auteur favori plus tard? Deux ou trois lectures avaient fixé dans sa mémoire la page avec ses lignes et ses lettres et il récitait en lisant mentalement le passage voulu qui, au premier appel, se présentait à lui avec une grande netteté.
Pour faire une addition, M. X... n'avait qu'à parcourir les diverses colonnes de chiffres étalés devant lui, fussent-elles d'un grand livre, et il alignait le total sans hésitation, tout d'un coup, sans être obligé de se livrer à ces opérations de détail,
chiffre à chiffre, qu'on a coutume de faire. Il exécutait pareillement les diverses opérations de l'arithmétique.
Il ne pouvait se rappeler un passage d'une pièce de théâtre qu'il avait vu jouer sans qu'aussitôt il n'évoquât les détails de mise en scène, le jeu des acteurs, le spectacle de la salle elle-même. ;" —
M. X... a beaucoup voyagé. Il aimait à croquer les sites et les perspectives qui l'avaient frappé. Il dessinait assez bien. Sa mémoire lui offrait, quand il le voulait, les panoramas les plus exacts. Se souvenait-il d'une conversation. Recherchait-il un propos? Une parole donnée? Le lieu de la conversation, la physionomie de l'interlocuteur, la scène entière, en un mot, dont il ne recherchait qu'un détail, lui apparaissait dans tout son ensemble.
La mémoire auditive a constamment fait défaut à M. X... ou tout au moins elle n'a jamais paru chez lui que sur le second plan. Il n'a jamais eu, entre autres, aucun goût pour la musique.
Des préoccupations graves lui vinrent, il y a un an et demi, à propos de créances importantes dont le paiement lui paraissait incertain. Il perdit l'appétit et le sommeil; l'événement ne justifia pas ses craintes. Mais l'émotion avait été si vive qu'elle ne se calma pas comme il l'espérait, et, un jour, M. X... fut frappé brusquement de constater en lui un changement profond. Ce fut d'abord un complet désarroi; il s'était produit désormais entre son nouvel état et l'état ancien un contraste violent. M. X... se crut un instant menacé d'aliénation mentale, tant les choses lui semblaient nouvelles et étranges autour de lui. Il était devenu nerveux et irritable. En tous cas, la mémoire visuelle des formes et des couleurs avait complètement-. disparu, ainsi qu'il ne tarda pas à s'en apercevoir, et cette constatation eut pour effet de le rassurersur Sun état mental. Il reconnut d'ailleurs peu à peu qu'il pouvait, par d'autres moyens,
en invoquant d'autres formes de la mémoire, continuer à diriger convenablement ses affaires commerciales. Aujourd'hui, il a pris son parti de cette situation nouvelle, dont il est facile de faire ressortir la différence avec l'état primitif de M. X. . décrit plus haut.
Chaque fois que M. X... retourne à A..., d'où ses affaires l'éloignent fréquemment, il lui semble entrer dans une ville inconnue. Il regarde avec étonnement les monuments, les rues, les maisons, comme lorsqu'il y arriva pour la première fois. Paris, qu'il n'a pas moins fréquenté, lui produit le même effet. Le souvenir revient pourtant peu à peu, et, dans le dédale des rues il finit par retrouver assez facilement sa route. On lui demande la description de la place principale d'A..., de ses arcades, de sa statue : « Je sais, dit-il, que cela existe, mais je ne m'en puis rien figurer et je ne vous en pourrais rien dire. » Il a autrefois plusieurs fois dessiné la rade d'A..., il essaie aujourd'hui en vain d'en reproduire les lignes principales, qui lui échappent complètement.
Prié de dessiner un minaret, il réfléchit, et après avoir dit qu'il savait que c'était une tour carrée et haute, il trace sur le papier quatre lignes, deux verticales, plus longues et égales, deux horizontales. La supérieure unit l'extrémité supérieure des deux verticales et l'inférieure se prolonge de chaque côté inégalement pour représenter le sol. C'est un dessin tout rudi-mentaire. « Vous voulez une arcade, je parviendrai à la tracer, car je me souviens qu'un plein-cintre est une demi-circonférence, qu'une ogive est formée par deux arcs, se rencontrant à angle aigu. Mais je ne vois pas du tout ce que sont les choses dans la réalité. »
Le profil d'une tête d'homme que trace M. X... sur notre invitation, serait l'œuvre d'un jeune enfant. Il avoue pourtant s'être aidé, en le dessinant, de la figure des personnes qui l'entourent. Un informe griffonnage représente l'arbre qu'on l'a
prié de tracer. « Je ne sais pas, je ne sais pas du tout comment cela est fait. »
Le souvenir visuel de sa femme, de ses enfants est impossible. Il ne les reconnaît pas plus d'abord que la rade et les rues d'A..., et alors même qu'en leur présence, il y est parvenu, il lui semble voir de nouveaux traits, de nouveaux caractères dans leur physionomie.
Il n'est pas jusqu'à sa propre figure qu'il oublie. Récemment, dans une galerie publique, il s'est vu barrer le passage par un personnage auquel il allait offrir ses excuses et qui n'était que sa propre image réfléchie par une glace.
Durant notre entretien, M. X... s'est plaint vivement à plusieurs reprises de la perte visuelle des couleurs. 11 en semble préoccupé plus que du reste : « Ma femme aies cheveux noirs, j'en ai la plus parfaite certitude. Il y a pour moi impossibilité complète de retrouver cette couleur en ma mémoire, aussi complète que celle de m'imaginer sa personne et ses traits. »
Cette amnésie visuelle s'étend d'ailleurs aussi bien aux choses de l'enfance qu'aux choses plus récentes. M. X... ne sait plus rien visuellement de la maison paternelle. Ce souvenir lui était très présent autrefois, il l'évoquait souvent.
L'examen de l'œil a été complètement négatif. M. X... est atteint d'une myopie assez forte de — 7 D. Yoici d'ailleurs le résultat de l'examen des fondions oculaires de M. X..., fait avec le plus grand soin par M. le Dr Parinaud, dans le cabinet ophthalmologique de la clinique : Pas de lésions oculaires ni de troubles fonctionnels objectivement observables, si ce n'est toutefois un léger affaiblissement de la sensibilité chromatique intéressant également toutes les couleurs.
Nous ajouterons qu'aucun symptôme somafique n'a précédé, accompagné, suivi cette déchéance de la mémoire visuelle observée chez notre malade.
Aujourd'hui M. X... doit, comme à peu près tout le monde, ouvrir ses copies de lettres pour y trouver les renseignements qu'il désire, et il doit les feuilleter comme tout le monde, avant d'arriver à l'endroit cherché.
11 ne se souvient plus que des quelques premiers vers de l'Iliade et la lecture d'Homère, de Virgile, d'Horace ne se fait plus, pour ainsi dire, qu'à tâtons.
Il énonce à mi-voix les chiffres qu'il additionne et ne procède plus que par petits calculs partiels.
Quand il évoque une conversation, quand il veut se rappeler un propos tenu devant lui, il sent bien que c'est la mémoire auditive qu'il lui faut maintenant consulter, non sans efforts. Les mois, les paroles retrouvés lui semblent résonner à son Oreille, sensation nouvelle pour lui. Il taut qu'il fasse des efforts d'audition pour reproduire, par l'écriture, deux lignes que nous lui donnons à lire dans un journal du jour. En les lisant, d'ailleurs, il exécute avec les lèvres des mouvements dont il a conscience, et privé de la vision mentale, il lui est d^venujnécessaire d'avoir recours à la parole intérieure?,..e,Laux mouvements darticulation de la laïujue et des lèvres pour comprendre les lignes qu'il lit.
M. X... paraît avoir très bien analysé tout le mécanisme nouveau de sa mémoire et les remarques di\erses que nous faisons devant lui, il les avait déjà pour la plupart laites lui-même.
Depuis ce grand changement survenu en lui, M. X... doit, pour apprendre par cœur quelque chose, une série de phrases, par exemple, lire à haute voix plusieurs fois ces phrases et affecter ainsi son oreille et quand il répète plus lard la chose apprise, il a très nettement la sensation de Vaudilion intérieure, précédant l'émission des paroles, sensation qu'il ne connaissait pas autrefois.
M. X... parle fort bien et fort couramment le français. 11
déclare néanmoins qu'il ne peut plus penser en français et qu'il ne parle celte langue qu'en traduisant sa pensée de l'espagnol ou de l'allemand, les premières langues qu'il ait apprises dans son enfance.
Un détail intéressant est que, dans ses rêves, M. X... n'a plus comme autrefois la représentation visuelle des choses. Seule, la représentation des paroles lui reste, et celles-ci appartiennent à peu près exclusivement à la langue espagnole.
En outre, de la perte de la faculté de la représentation visuelle des objets, Yà^céché verbale existe chez noire malade à un certain degxé,;. Prié d'écrire les alphabets grec et allemand, il a omis dans la série plusieurs lettres, ainsi en grec, O^s.Ccp,^. Ces lettres sont tracées devant lui, il ne les reconnaît qu'après les avoir tracées lui-même et encore, après d'assez longs tâtonnements, après les avoir comparées entre elles. Des mots grecs dans la composition desquels entrent les lettres en question lui sont dictés ; les comprenant, il les écrit bien et délibérément, tandis que pour lire les mêmes mots écrits par une autre personne, il est obligé d'écrire au préalable ces mots. On voit par là qu'il lui faut compenser à l'aide de la main le défaut de mémoire visuelle des mots dont il est affecté à un certain degré, pour certaines langues.
Cependant, les notions appartenant à la catégorie du sens musculaire, fournies parles mouvements de la main, dans l'acte d'écrire, ne sont pas chez lui d'une intensité exceptionnelle. En effet si, lorsque ses yeux étant fermés, on communique à sa main les mouvements nécessaires pour écrire par exemple le mot Vienne, il est incapable de désigner le mot qu'on lui a fait écrire passivement, il est obligé de le voir et de le lire pour le désigner.
La note suivante, rédigée par le malade, à ma sollicitation,
complétera sur plusieurs points l'observation qui vient d'être relatée, et elle fera mieux comprendre encore le désarroi temporaire et aussi le déchet permanent qui se sont produits chez lui, en conséquence de la perte de la vision mentale.
« Je m'empresse de répondre à votre lettre et je vous prie de vouloir bien excuser ma connaissance imparfaite de la langue française, imperfection qui rend un peu difficile l'expression exacte de ce que je dois vous soumettre.
« Comme je vous l'ai dit, je possédais une grande facilité de me représenter intérieurement les personnes qui m'intéressaient, les couleurs et les objets de toute nature, en un mot tout ce qui se reflète dans l'œil.
« Permettez-moi de vous faire observer que je me servais de celte faculté dans mes études : Je lisais ce que je voulais apprendre et en fermant les yeux je revoyais clairement les lettres dans leurs plus grands détails; il en était ainsi pour la physionomie des personnes, des pays et villes que j'avais visités dans mes longs voyages, et, comme je vous le disais plus haut, de tout objet qui avait été aperçu par mes yeux.
« Tout d'un coup cette vision intérieure a absolument disparu. Aujourd'hui même, avec la meilleur volonté, je ne peux pas me représenter intérieurement les traits de mes enfants, de ma femme, ou de n'importe quel objet me servant journellement. Donc, étant établi que j'ai absolument perdu la vision intérieure, vous comprendrez facilement que mes impressions sont changées d'une façon absolue.
« Ne pouvant plus me représenter ce qui est visible, et ayant absolument conservé la mémoire abstraite, j'éprouve journellement des étonnements en voyant des choses que je dois connaître depuis fort longtemps. Mes sensations, ou. plutôt mes impressions, étant indéfiniment nouvelles, il me semble qu'un changement complet s'est opéré dans mon existence et naturellement mon caractère s'est modifié d'une façon notable.
Avant j'étais impressionnable, enthousiaste, et je possédais une fantaisie féconde ; aujourd'hui je suis calme, froid, et ma fantaisie ne peut plus m'égarer.
« Le sens de la représentation intérieure me manquant absolument, mes rêves se sont également modifiés. Aujourd'hui, je rêve seulement paroles, tandis que je possédais auparavant, dans mes rêves, la perception visuelle.
« Comme exemple plus concluant : Si vous me demandiez de me représenter les tours de Notre-Dame, un mouton qui broutte ou un navire en détresse en pleine mer, je vous répondrais que, quoique sachant parfaitement distinguer les trois choses très différentes et sachant très bien de quoi il s'agit, elles n'ont aucun sens pour moi, au point de vue la vision intérieure.
« Une conséquence remarquable de la perte de cette faculté mentale est, comme je l'ai dit déjà, le changement de mon caractère et de mes impressions. Je suis beaucoup moins accessible à un chagrin ou à une douleur morale. Je vous citerai qu'ayant perdu dernièrement un de mes parents auquel m'attachait une amitié sincère, j'ai éprouvé une douleur beaucoup moins grande que si j'avais encore eu le pouvoir de me représenter par la vision intérieure la physionomie de ce parent, les phases de la maladie qu'il a traversée, et surtout si je pouvais voir intérieurement l'effet extérieur produit par cette mort prématurée sur les membres de ma famille.
« Je ne sais si j'explique bien ce que j'éprouve ; mais je puis vous affirmer que cette vision intérieure qui me manque aujourd'hui, existait chez moi d'une façon peu ordinaire, et elle existe aujourd'hui chez mon frère, professeur de droit à l'Université de X... ; chez mon père, orientaliste, connu dans le monde scientifique, et chez une sœur, peintre d'un talent assez apprécié.
« Comme conclusion, je vous prie de remarquer que je suis
obligé aujourd'hui de me dire les choses que je veux retenir dans ma mémoire, pendant que j'avais auparavant seulement à les photographier par la vue. » Paris, le 11 juillet 18S3.
De ce fait, on pourrait rapprocher un autre cas que j'ai récemment observé, et où il s'agit d'un peintre âgé de 56 ans, qui, il y a quelques mois, sans accompagnement d'aucun autre trouble morbide, remarqua, à son grand chagrin, qu'il avait perdu la faculté de se représenter, d'imaginer les choses et qu'il n'était plus bon qu'à copier ; et encore pour copier est-il obligé de tenir le modèle constamment sous ses yeux, de façon à ne le point perdre de vue un seul instant.
L'observation de M. X. pourrait se passer de tout commentaire ; nous nous bornerons à son sujet, à de très courtes remarques.
On a vu que la grande mémoire dont jouissait encore M. X., il y a dix-huit mois, reposait surtout sur la faculté de représentation mentale visuelle qui, chez lui, était extrêmement développée. Sous ce rapport, il appartenait à cette catégorie d'individus dont parle M. Gallon \ qui lisent en quelque sorte mentalement, chacun des mots qu'ils prononcent, comme s'ils les voyaient réellement imprimés; qui, par conséquent, lorsqu'il s'agit d'exprimer une idée par un signe du langage, évoquent Y équivalent visuel àw motel non son équivalent auditif; chez lesquels la représentation visuelle des objets est quelquefois tellement puissante qu'ils sont capables de projeter en quelque sorte sur le papier l'image intérieure et de l'y fixer par le dessin. Lorsqu'elle est ainsi développée, celte faculté paraît être, suivant M. Gallon, un don de famille, et, de fait, le frère, la sœur, le père de M. X. la possèdent tous à un haut degré.
1. Loc. cit., p. 96, 99.
Il esl très remarquable que celte suppression si complète de la vision iniérieure, qui place M. X. hors d'état, de se représenter, de se figurer les objets, les physionomies — à tel point que les choses, le visages qu'il a vus maintes fois lui apparaissent toujours comme nouveaux, qu'il ne sait plus dessiner de mémoire, etc. — n'ait pas eu pour effet de modifier chez lui profondément la faculté d'expression par le langage ; car la représentation visuelle des signes lui fait défaut en somme, aus-i bien que celle des objets, des physionomies, des paysages, etc. Mais il y a lieu de relever à ce propos que, à partir du moment où il s'est senti privé de la mémoire visuelle, M. X. a été conduit, pour ainsi dire instinctivement, à développer sa mémoire auditive qu'il avait, semble-t-il, jusque-là fort négligée. Autrefois, quand il voulait apprendre par cœur une série de phrases, il lui suffisait de les avoir vues une fois ou deux; aujourd'hui, pour obtenir le même résultat, il est obligé de lire les phrases, plusieurs fois, à haute voix, et quand le moment est venu de refléter la chose apprise, il a très nettement la sensation, nouvelle pour lui, de l'audition intérieure précédant l'émission des paroles. C'est dire que, privé actuellement de l'image visuelle du signe, il a appris à évoquer son image auditive ou, en d'autres termes, que chez lui Yéquivale?it auditif remplace Y équivalent visuel du mot. C'est donc là un nouvel exemple de ces « suppléances » que l'on rencontrerait sans doute à chaque pas dans l'histoire de l'aphasie, si on les y cherchait plus attentivement.
Vous savez comment, dans mes dernières leçons sur Y aphasie1, me fondant sur l'analyse clinique d'un certain nombre de cas appropriés, je me suis appliqué à établir que ce qu'on nomme l'amnésie verbale, contrairement à une opinion assez généralement répandue, ne répond pas à une unité. Le mot,
1. Voir p. 152, note 1.
en effet, est un complexus , on peut y reconnaître, chez les individus éduqués, au moins quatre éléments fondamentaux qui sont: l'image commémorative auditive, l'image visuelle et enfin deux éléments moteurs, c'est-à-dire appartenant à la catégorie du sens musculaire, à savoir: 1'imagemotrice 1 d'articulation et l'image motrice graphique ; la première, développée par la répétition des mouvements de la langue et des lèvres nécessaires pour prononcer le mot; la seconde, parla répétition des mouvements de la main et des doigts nécessaires pour l'écrire. Il convient de remarquer, d'un autre côté, que l'amnésie verbale soit auditive, soit visuelle, représente en quelque sorte les premiers degrés d'affections qui, lorsqu'elles sont portées au plus haut point, constituent l'une la surdité, l'autre la cécité verbales. Ainsi, quand, l'idée étant présente, on ne peut évoquer soit l'image auditive, soit l'image visuelle du mot qui doit la caractériser, on dira qu'il y a amnésie verbale auditive dans le premier cas, amnésie verbale visuelle dans le second; mais quand les mots qu'on voit écrits ou qui résonnent à l'oreille ne sont pas reconnus, on dit qu'il y a ici surdité, là, cécité verbale. On pourrait, suivant le même principe, dire qu'il y ^amnésie motrice verbale — celle-ci se montrant d'ailleurs plus ou moms accentuée, suivant les cas — lorsque les images motrices, soit d'articulation, soit graphiques, seront en défaut. Il ne faut pas oublier, enfin, qu'en ce qui concerne le mécanisme du rappel du mot, il paraît exister des variétés individuelles assez tranchées ; les uns — et c'est peut-être le plus grand nombre, — lorsqu'il s'agit de traduire l'idée par le signe correspondant, évoquent exclusivement l'élément auditif, d'autres l'élément visuel, d'autres enfin ont recours directement à l'un ou à l'autre des éléments moteurs.
1. Image motrice: Bevoegungsbilder dans la nomenclature de M. Kuss-maul.
Ces trois grands types n'excluent pas, d'ailleurs, les formes mixtes de transition.
Si, pour plus de commodité, on voulait consentir à désigner sommairement sous les noms de visuels, auditifs, moteurs, les représentants de chacun de ces grands types, notre malade, M. X..., serait, par excellence, un visuel. D'après cela, on pourrait supposer que la suppression, ou l'obnubilation tout au moins, de la vision intérieure du signe, devra, chez lui, entraîner nécessairement avec elle de graves désordres dans l'expression par le langage. Mais c'est ici qu'intervient ce phénomène de la « suppléance », dont il a été question plus haut. Grâce à la persistance des éléments auditifs et moteurs du mot, la compensation s'est établie au point que, chez M. X..., le déchet ne se traduit en réalité que par des nuances délicates à peine sensibles et que le fonctionnement du langage s'opère, en somme, à peu près comme dans les conditions normales. Au contraire, l'absence de l'élément visuel, dans la constitution de l'idée, paraît être un dommage désormais difficilement réparable.
Quoiqu'il en soit, on ne saurait méconnaître que la suppression possible et réalisée aujourd'hui dans de nombreux exemples de tout un groupe de souvenirs, de toute une catégorie d'images commémoratives, sans participation des autres groupes, des autres catégories, est un fait capital en pathologie aussi bien qu'en physiologie cérébrale ; il conduit nécessairement à admettre que ces groupes divers de souvenirs ont leur siège dans certaines régions déterminées de l'encéphale, et il s'ajoute aux preuves qui établissent d'autre part que les hémisphères du cerveau consistent en un certain nombre d'organes différenciés, dont chacun possède une fonction propre, tout en restant dans la connexion la plus intime avec les autres. Cette dernière proposition est, d'ailleurs, aujourd'hui gé
néralement admise par ceux qui étudient les fonctions du cerveau non seulement chez les animaux, dans le laboratoire, mais encore et surtout chez l'homme, par les procédés de la méthode anatomo-clinique.
QUATORZIÈME LEÇON
Revision nosographique des amyotrophies 1.
Sommaire. — Amyotrophies deutéropathiques. — Amyotrophies protopathi-ques. — Myopathies primitives. — Paralysie pseudo-hypertrophique. — Forme juvénile de Erb. — Myopathie sans changement de volume des muscles. Forme de Leyden. — Analogies de la paralysie pseudo-hypertrophique et de la forme juvénile de Erb. — Forme infantile héréditaire de Duchenne (de Boulogne). — Ses caractères. — Cette dernière forme est analogue aux précédentes.— Paralysie pseudo-hypertrophique,forme juvénile de Erb, forme de Leyden, forme infantile héréditaire de Duchenne (de Boulogne); elles ne sont que des variétés de la myopathie progressive primitive.
Messieurs,
Les hasards de la clinique ont fait que nous trouvons en ce moment rassemblée, dans notre service, une intéressante collection de cas2 représentant les aspects très divers sous lesquels peut s'offrir à l'observateur Y atrophie musculaire de fonne progressive. Je me propose d'utiliser ces cas et d'entrer à leur sujet dans quelques développements relativement à cette question de l'atrophie ou mieux des atrophies musculaires progressives.
C'est qu'en effet cette question est depuis quelques années entrée dans une phase critique. L'histoire nosographique des
1. Cette leçon a été recueillie par MM. Marie et Guinon.
2. Ces observations sont rapportées in extenso dans un travail de MM. Marie et Guinon, intitulé : Sur quelques-unes des formes cliniques de la myopathie progressive primitive. (Revue de médecine, octobre, 1835.)
Cuarcot. Œuvres complètes, t. iii, Système nerveux. 13
amyotrophies progressives demande à être revisée à l'aide de documents nouveaux, reconstituée même en partie, sur de nouveaux fondements. Aujourd'hui je ne pourrai vous offrir qu'un essai, une esquisse de cette tentative de reconstitution, me réservant, dans une occasion prochaine, je l'espère, de vous présenter un plan plus détaillé et mieux arrêté.
Dans le domaine des amyotrophies progressives, les choses «ont plus complexes que nous ne l'avions d'abord imaginé. Reportons-nous un instant à mon enseignement d'il y a 10 ans. La dénomination toute clinique d'atrophie musculaire progressive comprend, disions-nous alors, des affections différentes que rapprochent seulement des ressemblances extérieures, superficielles, mais qui ont toutes ceci en commun, c'est qu'elles-sont d'origine spinale, qu'elles dépendent, en d'autres termes, d'une lésion de la moelle épinière et plus particulièrement des cornes antérieures de la substance grise. Cependant il y a lieu d'établir, ajoutions-nous, dans ce groupe au moins deux divisions fondamentales, à savoir:
1" Les amyotrophies spinales deutéropathiques, dans lesquelles la lésion de la substance grise est secondaire;
2° Les amyotrophies spinales prolopathiqnes dans lesquelles la lésion de la substance grise est le fait unique ou tout au moins le fait primitif, fondamental.
Dans ce premier groupe des amyotrophies deutéropathiques, nous établissions la distinction suivante. Tout d'abord viennent ces cas dans lesquels la lésion de la substance grise est un fait accessoire, accidentel, pour ainsi dire, ce sont les myélites diffuses, la sclérose en plaques, les tumeurs de la moelle épinière, l'ataxie locomotrice, etc. On peut éliminer dans notre étude cette classe d'amyotrophies spinales, qu'il est généralement facile en clinique de rattacher aux maladies dont elles dépendent. En second lieu, viennent les cas dans lesquels la
lésion des faisceaux blancs est primitive mais toujours nécessairement suivie d'une lésion de la substance grise. Ici ce sont les faisceaux pyramidaux qui sont pris les premiers, puis, en second lieu, les cornes antérieures, dont la participation est un fait nécessaire. Quand la maladie est constituée dans son entier, nous avons l'aspect ordinaire de l'atrophie musculaire progressive à laquelle se serait surajouté l'élément spasinodi-que qui suffit à la distinguer. Ce groupe est nosologiquement distinct et très légitimement constitué ; il n'y a, à l'heure qu'il est, rien à y ajouter, rien à en retrancher.
Quant à l'autre grande classe des amyotrophies spinales, nous avons proposé de la désigner cliniquement sous le nom d'atrophie musculaire progressive du type Duchenne-Aran. La lésion des noyaux gris moteurs, spinaux ou bulbaires est le fait unique, ou tout au moins primitif. S'il y a participation des faisceaux blancs, ce n'est que secondairement et accessoirement. C'est celte classeque l'on peut analomiquement caractériser par la dénomination d'amyolrophie spinale protopa-thique, ou mieux peut-être de poliomyélite antérieure chronique. Eh bien ! la constitution de celte seconde classe est moins homogène, il faut le reconnaître, que celle de la première. C'est elle qui est aujourd'hui en cause, elle qu'on cherche à ébranler jusque dans les fondements ; c'est contre elle que sont réellement dirigés les coups de la critique qui souvent portent juste. Il y a, dans cette catégorie, un remaniement à faire et des démembrements légitimes à opérer.
Ce n'est pas que les tentatives faites dans cette voie tendent à compromettre l'existence même du type nosographique Duchenne-Aran. Il existe en effet réellement un genre d'atrophie musculaire progressive caractérisée anatomiquement par la lésion isolée des cornes antérieures de la substance grise de la moelle et cliniquement par l'amyotrophie. Il est certain que l'on rencontre des cas dans lesquels le début, postérieur à la
20e année, s'est fait par les membres supérieurs, par les mains, plus particulièrement par les éminences thénar et hypothénar, les altérations gagnant progressivement la racine du membre. On rencontre dans ces cas des secousses fibrillaires et la réaction de dégénérescence dans quelques-uns des muscles atrophiés. Ils se distinguent cliniquement de la sclérose latérale amyotrophique en ce que la participation du bulbe, bien que réelle, y est plus rare que dans cette dernière affection et surtout en ce qu'il y a absence complète de l'élément spasmodi-que et plus tard de la contracture. Autrefois, cette catégorie d'amyolrophies était très vaste ; mais le nombre des cas qui la constituent semble devenir de plus en plus rare depuis que, sous l'influence d'études nouvelles et plus attentives, on les sépare en un certain nombre de formes distinctes, comme je l'ai fait pour la sclérose latérale amyotrophique. Il en résulte que son domaine fort étendu, il y a peu de temps encore, se limite de plus en plus, à mesure qu'on en extrait les éléments hétérogènes qui y avaient été annexés. Or, il s'agit justement de savoir ce que sont devenus, ce que tendent à devenir les cas que les recherches modernes détachent tous les jours du type Duchenne-Aran. Sous quelle forme nouvelle vont-ils se présenter à nous ; dans quelle catégorie nosographique allons-nous les voir figurer ou pourrons-nous les faire entrer?
Messieurs, à côté des amyotrophies d'origine spinale, il existe toute une classe qui chaque jour s'agrandit, dans laquelle la myopathie progressive plus ou moins généralisée est indépendante de toute lésion des centres nerveux ou des nerfs périphériques. 11 s'agit donc ici d'une maladie protopathique du muscle, d'une myopathie primitive. Comme exemple de ce genre d'affection, on peut citer la paralysie pseudo-hypertro-phique ou rnyosclérosique de Duchenne (de Boulogne). On
sait, par Eulenburg et Cohnhein, en 1866, par moi-même en 1871, que, dans ces cas, la lésion du muscle est complètement indépendante de toute lésion de la moelle et des nerfs. Et à ce propos, je dois rappeler combien j'ai protesté, à cette époque contre la tendance alors régnante à rapporter toutes ces myopathies progressives à des lésions des centres nerveux. Il y a, disais-je alors, des myopathies primitives et toutes les observations ultérieures ont démontré que j'avais raison. Elles tendent à démontrer, en outre, que ces myopathies primitives sont plus nombreuses et plus variées dans leurs manifestations cliniques qu'on ne l'avait soupçonné tout d'abord.
Mais cette forme de myopathie, la paralysie pseudo-hyper-trophique, telle qu'elle est sortie des mains de Duchenne (de Boulogne), ce grand artiste en neuro-nosographie, s'éloigne tellement, par ses caractères cliniques, des amyotrophies progressives spinales, que rarement, on les a assimilées cliniquement. Ainsi la paralysie pseudo-hypertrophique est une maladie de l'enfance. Après 20 ans, on ne la rencontre plus guère. On s'aperçoit que l'enfant devient maladroit en marchant, qu'il se fatigue plus facilement que les autres enfants de son âge, car c'est, toujours d'après la description de Duchenne, par les membres inférieurs que se ferait le début. Puis les membres supérieurs peuvent se prendre à leur tour ; mais quel que soit le degré de l'affection, les mains sont généralement respectées. Enfin, les muscles atteints ou tout au moins, bon nombre d'entre eux, présentent une augmentation de volume, un relief énorme, donnant à un membre ou à un segment de membre des formes herculéennes. Anatomiquement, cette hypertrophie se caractérise par des lésions du tissu interstitiel, ce qui n'existe pas à ce degré dans les amyotrophies spinales. En outre, particularité qui ne se retrouve pas dans la maladie de Duchenne-Aran, l'hérédité joue un grand rôle dans le dé veloppement de la pseudo-hypertrophie des muscles. On ren
contre souvent dans une même famille à la fois plusieurs enfants pris, dont les parents ou les collatéraux peuvent présent ter la même affection.
Le nommé Gai... est âgé de 19 ans. L'affection dont il est atteint et qui revêt chez lui les caractères cliniques de la paralysie myosclérosique de Duchenne, a débuté pendant l'enfance. Yoyez le relief énorme, l'apparence athlétique des muscles du mollet. Ils présentent, à l'état de repos, une augmentation de consistance notable, et, pendant la contraction, ils sont durs comme de la pierre. Les triceps de la cuisse sont gros, saillants et noueux pendant les contractions. Mais si vous éprouvez la résistance de ces organes, vous constatez que s'ils sont herculéens quant aux formes, ils sont loin de l'être quant à la force; il existe une véritable impotence fonctionnelle, impotence non paralytique, c'est-à-dire non d'origine nerveuse, mais plus ou moins exactement correspondante, selon toute probabilité, au degré d'altération des faisceaux musculaires. A côté de cette hypertrophie, vous pouvez voir, chez notre malade, une véritable diminution de volume et surtout de force des membres supérieurs, en particulier des muscles du bras. Et c'est là le seul point de ressemblance qui rapproche la paralysie myosclérosique de l'amyotrophie progressive de cause spinale et qui pourrait, à la rigueur, les faire confondre, quoiqu'elles soient bien distinctes l'une de l'autre.
Il existe encore une autre forme d'atrophie musculaire sans neuropathie qui atteint les jeunes gens ou les enfants. C'est celle que M. le professeur Erb (d'Heidelberg), a décrite dans ces derniers temps sous le nom de forme juvénile de V atrophie musculaire progressive et qu'il considère avec raison comme parfaitement distincte des formes spinales jusque-là décrites
1. Prof. W. Erb. — Ueber die juvenile Form der progressiven Muskelalro-phie,- etc. {Deutsch. 'Archiv, für Min. -Median, 1884). ... :
La forme en question n'est peut-être pas tout à faifnouvelle, mais la description contient certainement" des faits 'nouveaux ou qui, du moins, n'avaien^ pas été auparavant convenablement mis en valeur. Le maladie présente de grandes ¦analogies avec la paralysie pseudo-hypertrophique, ainsi ¦que le relève d'ailleurs parfaitement M. Erb. Elle débute généralement vers la 20e année, plus rarement dans l'enfance. Elle peut présenter quelquefois, bien que sa marche soit habituellement progressive, des temps d'arrêt, dus peut-être à l'efficacité du 'traitement; en un mot, elle laisse vivre les malades qui sont parfaitement capables de procréer et de reproduire généralement des amyotrophi-ques semblables à eux. Le début a lieu par les membres supérieurs, les bras en particulier et les muscles de la ceinture scapulaire (Schul-lergûrtel), jamais parlesémi-nences thénar et hypothénar. (Fig. 26). Les membres inférieurs peuvent être pris à leur tour, les mollets, comme dans la paralysie pseudo-hypertrophîque, restant en général indemnes de toute atrophie. C'est l'atrophie «en effet qui paraît le fait caractéristique: l'hypertrophie est rare,
/?Y. S6.
bien que M. Erb Tait signalée quelquefois dans les deltoïdes, les triceps, les muscles du mollet. Cette diminution de volume des muscles pourrait conduire à confondre la forme d'Erb avec la maladie d'Aran-Duchenne, et de fait, si l'on examine les cas que Duchenne a rassemblés dans son Traité de Célectrisation localisée, on en trouve un certain nombre qui, ainsi que le fait remarquer M. Erb, pourraient parfaitement être rapportés à la forme juvénile. Mais celle-ci se distingue cependant de l'atrophie musculaire progressive de cause spinale par un certain nombre de caractères distinctifs. Ce sont, entre autres : le mode d'envahissement qui, dans la forme juvénile, ne se fait jamais par les mains (éminences thénar et hypothénar) ; l'absence de secousses fibrillaires dans les muscles atrophiés ; les résultats de l'électrisation de ces mêmes muscles qui ne donne jamais la réaction de la dégénérescence ; l'âge du début, toujours au-dessous de 20 ans ; enfin, au point de vue anatomo-pathologique, l'absence complète de toute lésion spinale.
La forme juvénile décrite par M. le professeur Erb est donc bien distincte des amyotrophies de cause spinale. Mais se dis-tingue-t-elle également de la paralysie pseudo-hypertrophi-que?Je ne le crois pas, et ici, je m'associe à l'opinion émise, bien qu'avec quelques réserves, par M. Erb, dans son travail qui me paraît jeter une vive lumière sur la question qui nous occupe : hypertrophie apparente dans un cas, atrophie dans l'autre, c'est le seul point de différence. Mais il faut reconnaître, je pense, que ce caractère dislinctif n'est pas fondamental. L'hypertrophie n'est pas, à tout prendre, un élément essentiel à la constitution de l'affection dite paralysie pseudo-hypertrophique. Je suis en mesure de vous présenter un cas qui marque, en quelque sorte, la transition entre la forme juvénile avec amyotrophie d'un côté et la paralysie pseudo-hypertrophique de l'autre.
Chez le jeune L..., que vous avez sous les yeux (fig. 27), l'impotence fonctionnelle est le fait dominant ; quant à la modification de volume des muscles, en plus ou en moins, elle n'existe pas, ainsi que me l'a fait remarquer mon chef de clinique, M. Marie, que cette particularité avaitfrappé. Ce cas reproduit donc, pour ainsi dire, au point de vue de .l'impotence fonctionnelle, la forme d'atrophie juvénile d'Erb, moins l'atrophie, et la paralysie pseudo-hypertrophique, moins l'hypertrophie. Il ne répugne point à l'esprit d'admettre que l'altération des fibres musculaires, cause première de la faiblesse, puisse se produire sans modification de volume du muscle. Chez Lang..., qui est aujourd'hui âgé de 11 ans, le début a eu lieu dans l'enfance. Le petit malade présente l'ensellure, la démarche caractéristiques des pseudo-hypertrophiques [fig. 27). Quand vous le faites coucher par terre, sur le dos, il ne peut se relever sans s'aider de ses mains qu'il appuie sur ses genoux, grimpant pour ainsi dire le long de ses cuisses pour arriver à reprendre la position verticale, ainsi qu'il est ordinaire chez ce genre de malades.
Après cela, regardez les masses musculaires; nulle part vous ne constaterez soit l'atrophie, soit l'hypertrophie. Ce n'est pas à dire que cet enfant soit parfaitement bien musclé,, mais aucune modification de volume des muscles ne saute
Kj. il.
aux yeux. Le seul fait clinique dominant chez lui, par conséquent, c'est la diminution de force de ces muscles en apparence normaux, quant au volume.
Où faire rentrer ce cas, dans la forme juvénile deErb, dans la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne? Non Messieurs, ni dans l'une, ni dans l'autre exactement. Il paraît s'agir, en somme, non pas d'espèces morbides distinctes, mais simplement de variétés représentant divers modes d'évolution d'une seule et même affection, la myopathie progressive primitive.
Voilà donc déjà un certain nombre de cas qui peuvent être, vous le voyez, soustraits au type Duchenne-Aran. Mais ce n'est pas tout; je vais encore vous montrer deux autres formes d'atrophie musculaire, qui faisaient autrefois partie du cadre trop large de la maladie de Duchenne-Aran et que nous pouvons en faire sortir pour les remettre à leur vraie place, c'est-à-dire parmi les myopathies primitives.
Voici une jeune fille de 24 ans, la nommée Dali..., qui est atteinte d'amyotrophie des membres inférieurs ou plus exactement des jambes. Cette atrophie est très prononcée; la malade peut à peine marcher sans être soutenue, et si on examine attentivement sa démarche, on remarque quelle est toute particulière. En effet, par suite de l'impotence des muscles de la jambe, la pointe du pied tombe quand la malade, dans la marche, relève son membre inférieur pour le porter en avant. Il en résulte qu'elle est obligée, sous peine de laisser traîner à terre la pointe du pied, de fléchir outre mesure le genou, imitant le mouvement des chevaux qui steppent. C'est l'analogue de ce qui se passe toutes les fois que les muscles qui produisent la flexion dorsale du pied sont atrophiés, comme dans la paralysie alcoolique, par exemple, ainsi que j'ai eu récemment l'occasion de vous le démontrer. Le début
•de l'affection a eu lieu à l'âge de 14 ans, par les membres inférieurs ; puis les membres supérieurs se prirent à leur tour, à 20 ans, et aujourd'hui on constate, outre une certaine impotence fonctionnelle des bras, un léger degré d'atrophie de la main qui est aplatie du côté de la face palmaire à cause de la diminution de volume des éminences thénar et hypothénar.
Bien qu'il n'y ait ici aucune trace d'hérédité, bien que la malade n'ait ni frères ni sœurs atteints de la même maladie, «e cas me semble 1 se rapporter à la forme décrite par M. le professeur Leyden, sous le nom de forme héréditaire de latrophie musculaire progressive, et dont un des caractères serait de débuter par les membres inférieurs. Cette forme, d'ailleurs, ne s'éloigne pas sensiblement, à ce qu'il me paraît, de l'amyo-trophie juvénile d'Erb, et il est bien probable que, comme celle-ci, elle doit prendre rang parmi les myopathies progressives primitives, de cause non spinale.
Nous voici donc déjà en présence de trois formes cliniques, à savoir : la paralysie pseudo-hypertrophique, la forme juvénile de W. Erb, la forme héréditaire de Leyden, qui, distinc-tes par certains caractères, pourraient bien être identiques au' fond.
Passons maintenant à une autre forme que Duchenne (de Boulogne) a décrite comme représentant simplement une variété de l'atrophie musculaire progressive et à laquelle il a donné le nom de forme infantile de l'atrophie musculaire progressive. Elle semble être rare, car elle n'est guère mentionnée dans les traités classiques. Duchenne, dans son Traité de CElectrisation localisée, dit en avoir rencontré une vingtaine de cas,. et, dans la Revue photographique des hôpitaux, on
1. L'observation decotte malade se trouve in extenso dans un mémoire de MM. Charcot et Marie : Sur une forme spéciale d'atrophie musculaire progressive débutant par les jambes et distincte de la forme de Leyden, (Revue de médecine, février 1886.)
trouve des photographies, faites par Duchenne lui-même, et représentant la face de plusieurs malades atteints de cette affection. Ici, le début de la maladie se fait, suivant la description de Duchenne, par la face et en particulier par l'orbicu-laire des lèvres. Les lèvres se renversent en dehors de manière à simuler l'aspect habituel de ces organes chez les strumeux. Les membres ne se prennent que consécutivement, les bras d'abord, puis le tronc. Enfin, fait important à signa-
Fig. 28 et 20. — Elles montrent le maximum d'occlusion des yeux auquel peut arriver la malade.
1er, cette forme infantile est héréditaire et l'on peut retrouver dans une même famille des parents atrophiques engendrant des frères et des sœurs atteints à leur tour d'amyotrophie débutant à la face. D'après tout ce qui précède, on serait tout naturellement porté à conclure que l'amyotrophie relève, dans ces cas, d'une lésion spinale, comme dans les cas du type Duchenne-Aran, dont ils ne représenteraient, suivant Duchenne lui-même, qu'une simple variété. Ces prévisions seraient cependant mal fondées. MM. Landouzy et Déjerine ont en effet présenté, l'an dernier à l'Académie des Sciences, l'histoire de cas typiques de l'atrophie musculaire progressive in-
fantile de Duchenne, et dans un de ces cas, l'autopsie a démontré qu'il n'existait aucune lésion, soit de la moelle épinière, soit des nerfs périphériques. Il s'agit donc encore dans ces cas de myopathies primitives.
Je puis vous montrer une malade reproduisant exactement la plupart des traits de la description en question de Duchenne. Mlle Lagr..., âgée aujourd'hui de 16 ans, a été examinée, à la consultation externe, par M. Marie, qui a remarqué les symptômes intéressants qu'elle présente et l'a reçue dans le service. Chez elle, la maladie a débuté dans la plus tendre enfance, par une immobilité complète de la lèvre supérieure, marquée surtout dans le rire et les pleurs (fig. 28 et 29). Elle n'a jamais pu siffler, et si on veut lui faire accomplir cet acte, on remarque que la lèvre supérieure, •qui ne se contracte pas, flotte comme un voile inerte. Elle présente également un certain trouble de la parole, quelques lettres sont particulièrement mal prononcées, et elle parle comme si elle avait de la bouillie dans la bouche. Cette paralysie de l'orbiculaire donne à la physionomie un caractère tout spécial : les lèvres sont épaisses, renversées en dehors et un peu allongées en forme de museau, rappelant l'aspect des lèvres des slrunleux. Mais en outre, fait qui n'avait pas été noté, je crois, par Duchenne, chez notre malade, le facial supérieur est pris lui aussi ; la petite malade ne peut plisser son front, relever ses sourcils ; elle dort habituellement les yeux à demi ouverts, et, à l'état de veille, la contraction la plus énergique de l'orbiculaire des
Fig. 30.
paupières ne peut suffire à produire l'occlusion complète : il reste toujours entre les bords libres des paupières une fente de quelques millimètres de large à travers laquelle on aperçoit le globe de l'œil. Ce phénomène a été remarqué dès la plus tendre enfance. A l'âge de 14 ans, les membres supérieurs ont commencé à se prendre à leur tour (fig. 30), l'atrophie est apparue bientôt et ici la description de l'affection musculaire rentre absolument dans celle de la forme juvénile de Erb. L'atrophie des muscles du bras est considérable. La résistance est impossible du côté de l'extension comme du côté de la flexion. La malade ne pouvant lever son bras, dans l'acte de se moucher, par exemple, par une contraction normale des muscles élévateurs du membre, est obligée de le projeter violemment en haut, en l'écartant du tronc, et ce mouvement est tellement caractéristique qu'il saute immédiatement aux yeux (fig. 31). Pendant la marche, qui est celle du pseudo-hyper-trophique typique, y compris l'ensellure, les bras sont ballants, inertes et pendants le long du corps.
Je vous présente actuellement la père de cette jeune fille. Il est âgé de 44 ans, et est atteint de la môme affection qu'elle. Entre le père et la fille, vous le voyez, la ressemblance est frappante. Chez lui, comme chez elle, la face, les membres supérieurs, sont atrophiés; jamais on n'a constaté chez lui, non plus que chez sa fille, la moindre trace d'hypertrophie des muscles. Il ne peut froncer son front, l'occlusion des paupières est toujours incomplète. Il ne peut siffler et quand il essaye de le faire, l'orbiculaire se contracte inégalement et il se forme au niveau de la lèvre supérieure comme une sorte de nœud dans la moitié droite, seul point où la contraction s'opère. Comme chez sa fille, nous constatons une intégrité complète des muscles de la main. Remarquons en passant que, dans ces cas, les muscles de la langue, ceux qui servent à la déglutition, sont intacts et qu'on ne trouve, en un mot, aucun
des symptômes bulbaires qui existent quelquefois dans l'atrophie musculaire progressive de cause spinale.
Voilà, Messieurs,une forme bien originale ; le début par la face est bien particulier. Mais est-ce là un caractère spécifique et doit-on, à cause de cela, créer une forme spéciale? Je ne le crois pas. Faites abstraction de la participation de la face et vous aurez chez vos malades l'image de la forme juvénile d'Erb. Il est donc très vraisemblable qu'il existe de nombreux points de contact, pour ne pas dire plus, entre ces deux formes, et par conséquent, une analogie avec la paralysie pseudo-hypertrophi-que. Celte proposition serait démontrée, au moins en partie, si l'on trouvait d'une part des cas dans lesquels le début aurait eu lieu par les membres (forme juvénile) et où la face n'aurait été prise que tardivement, et, d'autre part, des cas dans lesquels plusieurs membres d'une même famille présenteraient, as
Fiy. SI.
sociées ou dissociées, chez le même individu, les diverses variétés que nous venons de décrire. Eh bien ! ces faits se sont rencontrés. Il existe un cas de M. Remak où le début a été celui de la forme juvénile ordinaire, c'est-à-dire où les membres supérieurs ont été envahis tout d'abord, tandis que la face n'a été prise que beaucoup plus tard, à l'âge de 29 ans D'un autre côté, M. F. Zimmerlin 2 a publié l'histoire d'une famille chez laquelle deux des enfants présentaient la forme juvénile d'Erb à début par les membres supérieurs, alors que le troisième était atteint de la forme à début facial, avec pseudo-hypertrophie des membres inférieurs.
D'après cela, le début par la face ou simplement la participation de la face ne seraient pas caractéristiques d'une espèce particulière, mais seulement d'une variété. Donc, en tenant compte des cas de transition, les formes si diverses que nous avons énumérées, distinctes en apparence, se confondraient cependant en un groupe unique, qui, lui seul, constituerait l'espèce. Si les choses sont réellement ainsi, elles sont en réalité bien moins compliquées qu'elles ne semblaient d'abord, et les amyotrophies progressives pourraient se diviser simplement en deux grandes classes de la façon suivante :
La première classe est représentée par les amyotrophies de cause spillale qui comprennent à titre d'espèces: 1° la sclérose latérale amyotrophique ; 2° l'atrophie musculaire progressive du type Duchenne-Aran, mais celle-ci réduite, bien entendu, à la plus simple expression et débarrassée de tous les éléments étrangers qui ne lui appartiennent pas et qui doivent rentrer dans le groupe suivant.
La seconde classe est constituée par les amyotrophies pro-
1. MendeVs Centralblatt, 1884, n° 15.
2. Mendel s Centralblatt, 1885, n° 3.
gressives primitives qui comprennent, mais seulement à titre de variétés :. 1° la paralysie vscudo-hypertrophique; 2° la forme juvénile de l'atrophie musculaire progressive du PT Erb ; 3° ï atrophie musculaire progressive de F enfance de Duchenne {de Boulogne) ; 4° ces formes de transition, telles que je vous en ai montré un cas, où la faiblesse musculaire est le fait dominant et où on ne trouve, en somme, ni atrophie, ni hyper-
Fig. 33. — Elle montré l'occlusion incomplète des yeux et l'asymétrie des lèvres, quand le malade veut siffler.
Fig. 32. — Sur cette figure, ï'exophtalmie n'est pas très apparente, mais on voit bien la conservation du deltoïde, l'atrophie du biceps et des muscles thénar.
trophie ; enfin, 5° la forme héréditaire de latrophie musculaire progressive de Leyden, à début par les membres inférieurs. Les cas mixtes ou de transition permettent de rapprocher ces formes diverses et même de les confondre. Peut-être même dans les cas décrits par M. Erb, un examen tout à fait spécial des muscles de la bouche et des yeux permettrait-il de retrouver quelques-uns des signes de la forme infantile de Duchenne. Chez presque tous nos malades, en effet, même chez celui qui ne présente ni atrophie ni hyper-
Charcot. Œuvres complètes, t. iii, Système nerveux. li
Irophie, il existe des troubles des mouvements des muscles de la face; mais dans les cas légers ces troubles ne sautent
Fig. 34. — Elle montre l'occlusion incomplète des yeux et un peu l'asymétrie des lèvres ; on voit bien aussi que le moignon des épaules est porté en avant.
Fig. 35. — Elle montre nettement la déviation du rachis et celle des épaules.
pas aux yeux, il faut les rechercher pour les trouver. Nous observons, en ce moment, deux autres malades qu'il nous est
malheureusement impossible de vous montrer et qui sont encore des représentants typiques de la forme infantile décrite par Duchenne (de Boulogne). Le père d'un côté, le fils de l'autre (fig. 32 et 33), sont tous deux affectés de la même façon, et chez tous les deux, la participation de l'orbiculaire des lèvres et de l'orbiculaire des paupières, serait peut-être restée inaperçue si on ne l'eût recherchée avec soin. Le fils est un exemple de ces cas de transition dont je parlais plus haut [fig. 34 et 35). Il existe chez lui une faiblesse très prononcée des muscles des membres supérieurs, sans atrophie ni hypertrophie, tandis que le triceps crural des deux côtés est manifestement plus volumineux et plus consistant que dans les conditions normales.
Ainsi, Messieurs, toutes ces variétés, si diverses en apparence, se fondraient les unes dans les autres pour constituer une seule et même entité morbide: la myopathie progressive primitive.
Telle est, Messieurs, la thèse que je me proposais d'esquisser aujourd'hui devant vous. Elle mérite certainement d'être développée et discutée suivant les règles, en faisant intervenir toute la série des documents que comporte une question de cette importance et c'est là une tâche que j'espère pouvoir remplir ultérieurement.
QUINZIÈME LEÇON
Tremblements et mouvements choréiformes. Ghorée
rhythmée
Sommaire. — Tremblement de la sclérose en plaques ; oscillations à grand arc. — Tremblement de la paralysie agitante et tremblement senile. — Tremblements à oscillations lentes ; à oscillations rapides ou tremblements vibratoires. — Tremblement hystérique. — Tremblements alcoolique, mercuriel, de la paralysie générale, de la maladie de Basedow.
Ghorée : Caractères des mouvements involontaires de la chorée de Sydenham.— Chorée et hémichorée pré et posthémiplégiques. — Athétose et hémiathétose.
Chorée rhythmée. — Caractères des mouvements : ils se manifestent sous forme de crises ; ils sont cadencés, systématiques et reproduisent plus ou moins fidèlement des mouvements de la vie ordinaire ou des gestes professionnels (ch. saltatoire, malléatoire). La maladie est généralement liée à l'hystérie. — Pronostic variable suivant les cas.
Messieurs,
Je veux vous parler aujourd'hui, à propos des cas de sclérose en plaques que je vous ai montrés dans les précédentes leçons, des divers tremblements, des mouvements involontaires, avec lesquels on pourrait confondre le tremblement à peu près caractéristique de cette affection. J'ai insisté sur les çajraclèresjarticuliers du tremblement de la sclérose en plaques, et déjà j'ai démontré qu'il ne se manifeste qu'à l'occasion des mouvements intentionnels d'une certaine jétendue
1. Leçon recueillie par M. Guinon, interne des hôpitaux.
(tremblement intentionnel, lntentionzittern des auteurs allemands) ; qu'il cesse d'exister lorsque les malades sont abandonnés à un repos complet, couchés dans leur lit, par exemple. S'ils sont assis, au contraire, les muscles du cou et du tronc entrent en jeu pour maintenir la position verticale du corps et il se produit des oscillations de la tête et du tronc, tandis que les membres sont au repos. Youlez-vous faire réapparaître le phénomène partiellement dans un membre, commandez au malade de porter à sa bouche un verre, une cuiller. Cet acte exige un mouvement volontaire d'une assez grande étendue, condition nécessaire pour amener le tremblement qui ne se manifeste pas habituellement dans les petits mouvements tels que enfiler une aiguille, coudre, etc. Au moment de la préhension du verre, les oscillations sont peu accusées, mais elles s'exagèrent progressivement pour atteindre leur maximum au moment où le vase approche de la bouche. Ce caractère spécial du tremblement de la sclérose en plaques se traduit facilement par un tracé à l'aide des appareils enregistreurs. La partie 1 de la fig. 36 représente le tremblement intentionnel de la sclérose en plaques.
La ligne horizontale A B indique le stade du repos. Le point B représente le moment où débute le mouvement volontaire ; B C figure la durée de ce mouvement, pendant lequel le tremblement est représenté par la ligne brisée xy z... dont chaque segment est d'autant plus long que l'on s'éloigne plus du point B.
Tel est le tremblement de la sclérose en plaques. Pour mieux mettre en relief les caractères si particuliers qui le distinguent, j'ai voulu employer la méthode des contrastes ; en d'autres termes, j'ai voulu opposer ce tremblement à d'autres tremblements appartenant à des maladies bien différentes, bien que plusieurs aient été confondues avec elle jusque dans ces derniers temps.
Commençons par la(^ralysie agitante.? Comme celui de la sclérose en plaques, le tremblement de la maladie de Parkinson se compose" d'oscillations rhythmées, mais de petite étendue et de durée courte. Vous pouvez constater ces caractères chez le malade que je mets sous vos yeux. Remarquez que la main et les doigts tremblent individuellement, mais gravez bien dans votre mémoire l'attitude toute particulière de la main. Les phalanges sont étendues les unes sur les autres, mais les doigts sont fléchis sur le métacarpe. Le pouce
Figé 36. —Cette figure est la reproduction demi-schématique du tracé obtenu par la méthode graphique, chez deus malades du service.
en adduction vient s'appuyer par sa pulpe sur l'index, imitant ainsi la position d'une main qui tient une plume à écrire, et les mouvements qui agitent toutes ces parties rappellent quelquefois l'acte de rouler une boulette de papier ou d'émiet-ter du pain. Cejremblement est continu, et se manifeste, fait important, en dehors de tout mouvement volontaire. Si vous commandez au malade de porter un verre à sa bouche, vous verrez peut-être le tremblement augmenter d'amplitude, mais jamais il ne produira ces oscillations à grand arc qui sont spéciales à la sclérose en plaques. Ce caractère se révèle bien sur les tracés pris à l'aide de l'appareil enregistreur. La par-lie 2 de notre figure représente le tremblement de la paralysie
agitante. On voit tout de suite, au premier coup d'œil, combien les deux tracés diffèrent dans la portion B G. Soit comme ci-dessus A B la ligne de repos ; elle est coupée par de petites lignes brisées correspondant au tremblement continu. Au point B commence le mouvement volontaire. A partir de ce point, les composantes de la ligne brisée xy z sont un peu plus longues et plus irrégulières que dans la période de repos, mais elles ne le sont jamais autant que dans la sclérose en plaques.
Rappelez-vous aussi que, dans la paralysie agitante, le tremblement n'atteint en général pas la tête et que si celle-ci semble participer aux mouvements involontaires, elle n'est en réalité que le siège de mouvements communiqués.
Les tremblements de la^clérose en plaques, de la maladie de^arkinson sont h. oscillations lentes) quatre à cinq par seconde en moyenne. Cette même lenteur des oscillations se retrouve dans le tremblement dit sénile. Yoici deux femmes atteintes de ce tremblement: chez l'une, la nommée La..., âgée actuellement de 73 ans, la maladie a débuté à l'âge de 60 ans par l'index de la main gauche, à la suite d'un traumatisme. Chez l'autre, la nommée Les..., âgée de 80 ans, elle s'est manifestée il y a quatorze ans, pendant le siège de Paris, à la suite d'une violente émotion. Chez ces femmes, les mains et les doigts tremblent comme dans la maladie de Parkinson, individuellement. La tête participe aux secousses pour son propre compte, et ces mouvements dans le sens vertical et horizontal, se succédant sans régularité, pendant lesquels la malade semble dire par geste oui et non, sont tout à fait caractéristiques des oscillations delà tête dans le tremblement dit sénile.
Avant de passer à la catégorie des oscillations rapides, je
veux vous mentionner unej^jDèçe,de ..tremblement qui tient le milieu entre les deux : c'est le tremblement hystérique. Nous avons actuellement, dans nos salles, deux hommes qui en sont affectés. Chez l'un, le nombre des oscillations est de cinq ; chez l'autre, de sept par seconde. Je ne fais que vous citer en passant cette espèce de tremblement, me proposant d'y revenir plus tard d'une façon plus détaillée. J'en fais seulement pro-visoiremen t, au point de vue de la rapidité des secousses, une catégorie intermédiaire entre le premier et le second groupe.
Dans une seconde classe, en effet, nous rangerons les tremblements à oscillations rapides, que j'appellerai tremblements vibratoires. Le nombre des secousses se monte ici à huit ou neuf par seconde, et c'est la seule différence apparente qui les sépare des premiers. Nous comprendrons parmi eux : 1° Le tremblement alcoolique ; 2° Le tremblement mercuriel; 3° Celui de la paralysie générale ; 4° Enfin celui de la maladie de Basedow. Et une distinction peut être encore faite entre les trois premiers et le dernier en se fondant sur ce fait que, dans ceux-là, les doigts tremblent par eux-mêmes, tandis que dans celui-ci, le tremblement individuel des doigts n'existe pas. Ce caractère peut-être facilement constaté à l'aide de la méthode graphique, ainsi que l'a fait M. Marie. Si l'on place dans la main d'un malade une poire en caoutchouc communiquant par un tube avec le tambour à réaction d'un appareil enregistreur, on voit que dans les cas où les doigts tremblent par eux-mêmes, le tracé est fortement ondulé, tandis que dans le cas contraire, dans la maladie de Basedow, par exemple, il est réduit à une ligne droite ou du moins interrompue par de très petites ondulations.
A côté de ces tremblements,c'est-à-dire de ces secousses à oscillations rythmées, il est une autre catégorie de mouvements involontaires qui pourrait être, et qui a été effective
ment confondue avec le tremblement de la sclérose en plaques. Je veux parler de la chorée ou plutôt des mouvements choréi-formes en général. 11 ne s'agit plus ici d'oscillations rythmées, mais de gestes à grandj*ajnn, contradictoires et illogiques. Ces gestes ne présentent aucune espèce de cadence, et ils sont sans signification, c'est-à-dire q u 'ils n ' i m i lent au eunmouvement expressif ni professionnel. Ils existent comme les précédents, pendant les temps de repos, et s'exagèrent dans les actes intentionnels, mais alors des gesticulations contradictoires troublent la direction générale du mouvement et font manquer le butjtandis que dans la sclérose en plaques et dans les autres tremblements dont je viens de vous parler, la direction générale du mouvement, si elle est interrompue par les secousses qui agitent le membre, n'en est pas moins toujours conservée dans son ensemble. Eh bien, Messieurs, malgré ces différences capitales, il y a entre les mouvements choréiques et le mouvement de la sclérose en plaques je ne sais quelles analogies extérieures qui font que des médecins distingués ont vu longtemps dans la sclérose en plaques une sorte de chorée. Duchenne (de Boulogne), qui avait bien distingué l'ensemble des signes de la sclérose en plaques, mais qui ne la connaissait pas au point de vue anatomo-pathologi-que, l'appelait paralysie choréiforme. Je veux donc vous dire quelques mots au sujet de ces chorées.
Nous avons tout d'abord la_jhgr£e^vujg,aire, dite rhumatis- A maie, Chorea minor, que l'on pourrait appeler chorée de Sy-denham et qu'il faut bien séparer de la véritable danse de Saint-Guy, de la grande chorée épidémique, Chorea major. elle affecte principalement, vous le savez, les enfants de 5 à 14 ans, plus rarement les adultes et les vieillards. Vous vous rappelez sans doute la nommée Flon... que je vous ai déjà présentée comme atteinte de chorée vulgaire. Chez cette jeune
fille, la maladie est en décroissance, et les intervalles de repos qui séparent les mouvements involontaires sont aujourd'hui assez longs. Mais soit sous l'influence d'une émotion, l'examen du médecin, par exemple, soit spontanément, il se manifeste, dans le membre supérieur du côté gauche, de petites secousses plus ou moins accentuées. La malade ramène brusquement sa main contre son corps ou la frotte à plusieurs reprises contre sa cuisse, dans des mouvements alternatifs de pronation et de supination. Chez elle, par exception, l'acte intentionnel n'exagère pas la convulsion, et si vous lui commandez de porter un verre ou une cuiller à sa bouche, la direction du mouvement n'est presque pas troublée et le but est atteint avec assez de sûreté, ce qui, tant s'en faut, n'existe pas toujours dans la chorée. La face est également, dans sa moitié gauche, animée de mouvements involontaires, et la figure grimace assez notablement.
Dans le même groupe des mouvements choréiformes incoordonnés, nous devons aussi ranger la chorée pré ou post-jhémiplégigue. Les mouvements sont en effet ici de même nature ; la seule différence essentielle réside dans la pathogénie, la maladie étant en pareil cas liée à des lésions cérébrales localisées d'une certaine façon.
Il en est de même, Messieurs, de Yathétose qui, dans une classification naturelle, doit être rapprochée de la chorée et de l'hémichorée posthémiplégiques. Dans l'athétose, il n'y a pas de repos et les mouvements ne sont nullement coordonnés. Je ne m'arrêterai pas à vous décrire les contorsions des doigts, leur flexion et leur extension alternatives; je vous ai déjà montré des exemples d'athétose. Je vous ferai seulement remarquer qu'elle diffère notablement de la chorée en ce que les mouvements sont moins brusques, plus lents, que dans cette dernière maladie — on dirait l'agitation des tenta
cules d'un poulpe — et en ce qu'ils sont limités aux doigts et aux poignets, aux pieds et aux orteils, quoique quelquefois, cependant, on puisse remarquer des mouvements de la face et dupeaucier. Le malade ne peut rien tenir dans sa main, rien porter à sa bouche ; mettez-lui un objet quelconque entre les mains, il le laissera bientôt tomber à terre. Dans les cas d'athétose double, ces phénomènes présentent quelquefois une analogie grossière avec le tremblement de la sclérose en plaques.
Ainsi sont formés, Messieurs, les deux premiers groupes de tremblements ou mouvements involontaires, je vais maintenant vous parler d'une affection qui constituera notre troisième groupe. Elle porte également le nom de chorée, bien qu'elle diffère considérablement, ainsi que vous allez le voir, de la chorée de Sydenham et des affections connexes. Cela nous éloigne un peu de la sclérose en plaques, mais je craindrais, en tardant plus, de manquer l'occasion de placer sous vos yeux un certain nombre d'exemples qu'on a rarement la chance de trouver réunis, car il s'agit d'une maladie, en somme, assez rare.
Dans la chorée rythmée," nous ne retrouvons ni les oscillations, ni les^îBrallons, comme dans le tremblement, ni les gesticulations illogiques, contradictoires, comme dans la chorée vulgaire ; mais si l'affection est caractérisée, elle aussi,par des mouvements involontaires, impulsifs, ces mouvements sont complexes eten outre, fait important,ils se reproduisent suivant un rythme régulier • ilsjsont cadencés. Ils n'ont donc pas, vous le voyez, le caractère d'irrégularité des mouvements choréiformes. que je vous ai décrits tout à l'heure. On peut aussi les dire systématiques, parce qu'ils semblent coordonnés suivant uncer-tain plan,(4mitant^)ar exemple : 1° certains mouvements a expression tels que ceux de la danse, des danses de caractère en particulier (chorée saltatoiré) ; 2° ou bien certains actes
professionnels, comme les mouvemenls des rameurs ou des forgerons (chorée malléatoire). En un mot, il y a reproduction plus ou moins fidèle d'actes voulus, logiques, intentionnels.
La maladie en question semble le plus souvent liée à l'hystérie, ou d'origine hystérique, bien qu'elle puisse subsister dans quelques cas par elle-même, en dehors de tout phénomène caractérisant habituellement l'hystérie. Yous allez d'ailleurs voir vous-mêmes comment la transition peut se faire entre ces deux états, car, sans plus insister sur ces généralités, je vais successivement faire passer sous vos yeux trois malades qui présentent à des degrés différents les symptômes de la chorée rhythmée.
L'une d'elles, la nommée Flor... vous est connue déjà. Mais vous ne l'avez vue qu'en passant, et elle mérite une étude plus approfondie. Elle est dans le service depuis plus de six mois et j'en ai déjà fait l'objet d'une leçon, l'an passé. C'est dire qu'il s'agit là d'une affection rebelle, dont on débarrasse difficilement les malades. Cette femme est âgée de 26 ans. Elle a été mariée deux fois, d'abord à 18, puis à 20 ans. Elle a eu trois enfants. Elle est d'un caractère irritable, mariée à un ouvrier, brave homme d'ailleurs, mais dont les fréquentes incartades sont le sujet de vives querelles dans le ménage.
On ne trouve rien dans les antécédents héréditaires, non plus que dans les antécédents personnels qui mérite d'être signalé. Il y a trois ans, à la suite de sa dernière couche, elle a commencé à éprouver les troubles suivants : Souvent, après le dîner, elle ressentait dans la région de l'estomac une sorte de gonflement avec pulsation, puis, au cou, la sensation de boule. Elle tombait alors dans une espèce d'état lipothymi-
1. Voir à PAfpendice (p. 441) l'observation plus détaillée de cette malade.
que, d'engourdissement de tout le corps, et ces accidents se terminaient par une crise de larmes. Elle eut également à cette époque des crachements et des vomissements de sang (hémorrhagies névropathiques de Parrot). Enfin j'ajouterai qu'elle présentait alors une hémianesthésie droite, d'ailleurs assez légère, qui est aujourd'hui passée à gauche, sans modifications du champ visuel, ni autres troubles sensoriels. Elle n'a jamais eu d'ovarie. Ce sont là, Messieurs, les stigmates de la grande névrose, disparus presque complètement du reste aujourd'hui, mais dont l'existence passée suffit pour nous permettre d'affirmer la nature ou tout au moins l'origine hystérique de l'affection dont elle est atteinte aujourd'hui.
Le début des crises de mouvements rhythmés remonte au 15 mai 1884, c'est-à-dire à l'année dernière. Ils se sont produits, pour la première fois, à l'occasion d'une dispute, survenue pendant la période menstruelle, et après une de ces attaques vulgaires qu'elle avait habituellement à la suite du dîner. Puis la chorée se constitua en permanence, les crises survenant à toute heure, excepté pendant le sommeil. Les accès duraient de une heure à une heure et demie, séparés par des intervalles d'abord courts, mais au bout de quelques semaines, ils devinrent de plus en plus éloignés et aujourd'hui ils sont très rares spontanément. Nous avons reconnu qu'on peut les provoquer à coup sûr par certaines manœuvres. L'électricité statique paraît avoir produit l'amendement qui s'est fait dans ces derniers temps ; c'est sous son influence sans doute que l'hémianeslhésie s'est déplacée d'abord, puis a disparu. Mais la malade est encore loin, je pense, de la guérison complète. Je me rappelle une jeune Polonaise dont les accès malléaloires du bras, revenant par crises d'une durée de une à deux heures, plusieurs fois par jour, continuaient depuis sept ans. Je ne sais si elle est guérie actuellement, et d'ailleurs, je vais tout à l'heure vous montrer une malade
chez laquelle les accès durent depuis plus de trente ans.
L'état actuel chez Flor... est aujourd'hui le suivant. Je vous ai dit qu'il y avait des crises spontanées et des crises provoquées. Les premières surviennent en général après le repas ; c'est en quelque sorte un souvenir de l'attaque hystérique vulgaire antérieure. Alors la malade ressent une douleur et des battements dans l'épigastre, une sorte d'engourdissement. Puis le membre supérieur droit commence à se mouvoir, suivi bientôt par le gauche et par les membres inférieurs. Vous assistez alors à une succession d'actes variés, très complexes, où vous pouvez reconnaître les caractères de rhythme, de cadence, d'imitation parfaite de certains mouvements intentionnels et logiques, dont je vous parlais dans ma description générale. Quand le début est spontané, la crise paraît sans autre aura, qu'un battement de la paupière droite.
Les crises provoquées s'obtiennent en tirant sur le bras droit, ou en frappant à l'aide d'un marteau sur l'un ou l'autre tendon rotulien, ainsi que je le fais devant vous. Dans le cas où c'est le bras qui a été excité, immédiatement ce bras part, animé de mouvements cadencés, rapides, dans lesquels la malade semble battre les œufs. Puis elle fléchit ses doigts, en applique la pulpe contre le pouce, et élevant le bras, fait le geste de l'orateur qui démontre. De temps en temps, le membre supérieur tout entier est emporlé dans de grands mouvements de circumduction. Les membres inférieurs s'agitent également à leur tour, et si la malade est debout et soutenue, elle danse alternativement sur chaque pied, imitant à peu £rès la bourrée où les danses des Tsiganes ou des Zingari d'Andalousie. Pendant toute la durée de l'attaque la malade est complètement consciente, et, fait remarquable, quand on est placé près d'elle et qu'elle va exéculer un de ses grands mouvements, qui pourrait avoir pour conséquence de frapper violemment la personne voisine, elle vous prévient de pren-
dre garde, avant que le geste n'ait commencé. Il semble donc, fait important au point de vue psychophysiologique, que l'act
Fig. 37, 38, 39.
soit précédé d'une représentation mentale qui avertit la malade de ce qui va se passer V.
Yous pouvez l'interroger pendant l'accès, elle vous répon-
^¡0. 40, 4/: 45.
dra qu'elle ne souffre pas, qu'elle est seulement très fatiguée, et incommodée par de violentes palpitations. De temps à autre elle s'arrête, se repose pendant un moment; vous croyez que
1. Les photographies reproduites ici ont été laites par M. Londe, dans le laboratoire de la Salpêtrière.
la crise est passée ; mais, non, tout recommence bientôt, et les mêmes phases se reproduisent. La durée totale de l'accès varie
Fig. 43, 44, 45.
entre une heure et deux heures. On la couche et tout est dit ; quand elle se relève, elle est un peu fatiguée.
Vous allez voir maintenant une crise fort analogue se pro-
Fig. 46, 47, 48.
duire chez une autre malade, à la suite de manœuvres semblables. C'est chez cette femme, la nommée Deb..., que la chorée dure depuis plus de trente ans. Seulement la maladie s'est un peu améliorée, dans ces derniers temps, en ce sens que les crises spontanées sont devenues extrêmement rares';
on ne lui en voit plus guère que de provoquées. Elle a aujourd'hui 67 ans. La ménopause est depuis longtemps passée ; on ne doit plus compter sur elle, par conséquent, pour faire cesser les accidents. Je vous montrerai, d'ailleurs, plusieurs exemples de ce genre, dans l'histoire de l'hystéro-épilepsie. Actuellement, il ne reste chez notre malade aucun signe permanent d'hystérie, et on ne trouve rien d'autre chez elle qu'une grande émotivité, et les accès de chorée rhylhmée. Les crises se provoquent facilement soit en tirant sur le bras, soit en percutant le tendon rotulien, comme chez notre première malade.
Mais avant de faire naître une de ces attaques, je veux vous rappeler sommairement l'histoire delà maladie. Le début remonte à l'âge de 36 ans. A cette époque, étant en voiture avec son mari, elle est tombée dans un précipice avec le cheval et la voilure. A la suite de la grande frayeur qu'elle éprouva, elle eut une perte de connaissance qui dura trois heures, puis une crise convulsive, grande attaque hystérique, suivie de contracture des membres du côté droit, puis d'aboiement. C'est au bout de quelques mois seulement qu'apparurent les crises rhylhmées comme le sont celles d'aujourd'hui ; seulement elles étaient à cette époque plus intenses et plus longues.
Regardez en ce moment la malade. Nous n'aurons pas besoin d'intervenir ; car l'émotion qu'elle vient d'éprouver à se trouver devant tant de monde dans l'amphithéâtre, nous évitera la peine de provoquer la crise. Dans une première phase, on voit se produire les secousses rhylhmées du bras, les mouvements malléaloires. La malade a les yeux fermés. Puis à celte période succède une période de spasmes toniques et de torsion des bras et de la tête, rappelant l'épilepsie partielle. C'est vraisemblablement là un vestige de l'attaque d'hystérn
Ciiarcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. lo
convulsive. Enfin se produisent des mouvements cadencés de la tête à droite et à gauche, mouvements rapides, échappant à toute interprétation, car je me demande à quoi ils répondent dans la série des actes physiologiques. En même temps, la malade émet une sorte de cri ou mieux de chant, de plainte modulée, toujours la même. Et ici nous retrouvons le caractère de coordination, d'adaptation apparente qui est propre à la chorée rhylhmée. La crise cesse sous nos yeux spontanément. Pendant toute sa durée, la malade n'a pas un seul instant perdu connaissance.
Vous voyez, par cet exemple, que la chorée rhythmée peut être, dans certains cas, une affection grave, non qu'elle menace directement la vie, mais parce qu'elle peut persister très longtemps et devenir une infirmité horriblement gênante, empêchant les malades de se livrer à aucune occupation et les obligeant à s'éloigner du monde, en raison de l'effroi qu'inspirent les attaques et du sentiment de répulsion dont ces malheureuses se sentent l'objet.
Heureusement, Messieurs, les choses ne sont pas toujours aussi sombres dans l'histoire de la chorée rhythmée et je puis, en opposition avec les deux précédentes malades, vous en présenter une troisième chez laquelle les mouvements choréiques rhythmés n'existent qu'à l'état rudimentaire, à l'état de germe, pour ainsi dire, revenant par accès spontanés ou provoqués, comme dans nos deux premiers cas, mais ici toujours entremêlés avec des phénomènes d'hystérie convulsive vulgaire. En un mot, la chorée rhythmée, qui revêt chez cette troisième malade la forme malléatoire, est un accompagnement de l'attaque hystérique, elle ne s'en détache pas pour s'individualiser.
La nommée Bac..., âgée de 29 ans, couturière, est dans le service depuis le 6 janvier 1885. On ne retrouve dans les an
técédents héréditaires ou personnels aucune trace de névro-pathie. A l'âge de 22 ans, à la suite d'un grand chagrin causé par la mort d'un parent, elle eut de véritables attaques d'hystérie dans lesquelles se manifestaient déjà les mouvements choréiques d'aujourd'hui. De 1878 à 1884, elle n'eut que quatre ou cinq crises et cela seulement à la suite de contrariétés. Je note en passant plusieurs arthrites blennorrhagiques, poignet droit, genou gauche, comme ayant coopéré de près ou de loin au retour des accidents actuels. Il n'existe pas de troubles sensoriels, pas de modifications de la sensibilité autres qu'une légère anesthésie âu froid du côté gauche; un point ovarien existe à droite, de telle sorte qu'ici, ainsi que cela se voit quelquefois, l'ovarie et l'hémianesthésie sont croisées.
Quand les attaques surviennent spontanément, elles débutent par un sentiment de gêne à la région épigastrique et par des battements de cœur; quelquefois la sensation nette de boule existe. Il n'y a jamais d'aura céphalique. On peut d'ailleurs provoquer les crises en tirant sur le bras gauche et en le secouant en même temps de manière à imiter les mouvements malléatoires choréiques. Au début, le bras gauche commence à présenter des mouvements malléatoires que le droit exécute bientôt après. Mais en même temps tout le corps se roidit, la tête et les membres inférieurs restant immobiles. De temps à autre, ceux-ci se mettent à trépider; les yeux restent clos ou les paupières palpitent. Par instants, la malade esquisse un arc de cercle qui interrompt la monotonie de l'attaque. La pression sur la région ovarienne droite fait cesser la crise et alors, pendant un moment, la malade reste sans parler et sans pouvoir remuer sa langue.
Ici l'origine hystérique de l'affection est encore plus nettement accusée que chez les deux premières malades. La maladie rhythmée ne s'est pas détachée, en quelque sorte,
comme affecLion autonome. Le cas est aussi, en conséquence, je l'espère, moins grave. En somme il s'agit, chez celte femme, en dehors des phénomènes malléatoires, de crises assez vulgaires, appartenant plutôt à la petite hystérie qu'à la grande, les attaques se produisant rarement, et à l'occasion d'une émotion. On peut espérer que, sous l'influence d'un traitement approprié les accès disparaîtront, en même temps que les symptômes choréiformes rhythmés qui les accompagnent.
SEIZIÈME LEGÓN
Spiritisme et hystérie 1.
Sommaire. — Influence des excitations intellectuelles sur le développement de l'hystérie : croyance au surnaturel, au merveilleux ; pratique du spiritisme.
Relation d'une épidémie d'hystérie ayant sévi sur les trois enfants d'une famille habitant un pénitencier militaire et adonnée au spiritisme.
Antécédents nerveux et rhumatismaux. — Description des attaques; hallucinations de la vue ; stigmates permanents et variables. — Conclusions.
Messieurs,
Il est incontestable que tout ce qui frappe vivement l'esprit, tout ce qui impressionne fortement l'imagination, favorise singulièrement, chez les sujets prédisposés, l'apparition de l'hystérie. Parmi tous ces traumatismes des fonctions cérébrales, il n'en est peut-être point de plus efficace, et dont l'action ait été plus souvent signalée, que cette croyance au merveilleux, au surnaturel, qu'entretiennent et qu'exagèrent, soit les pratiques religieuses excessives, soit, dans un ordre d'idées connexe, le spiritisme et sa mise en œuvre. 11 suffit de rappeler quelques faits demeurés célèbres, tels que, dans les temps anciens, celui de la « Possédée de Louviers 2 », dont
1. Leçon recueillie par M. Gilles de la Toukette.
2. Procès-verbal fait pour délivre une fille possédée par le malin esprit à Louviers (1591).Bureaux du Progrès médical; Bibliothèque diabolique. (Collection Bourneville), 1883.
l'imagination avait été mise en tension constante, avant la possession, parle maiin esprit qui revenait chaque nuit dans la maison qu'elle habitait ; et, tout récemment, cette épidémie d'hystérie qui sévit sur six enfants de la même famille bretonne, qu'on avait bourrés à satiété de contes fantastiques dans lesquels les sorciers et les revenants jouaient les principaux rôles l.
Il nous a été donné d'observer une de ces petites épidémies dont je vais vous présenter les principaux acteurs et qui mérite une description particulière, tant au point de vue de son mode de développement que pour les documents qu'elle apporte à l'étude de l'hystérie chez les enfants et particulièrement chez les jeunes garçons. C'est clans un pénitencier militaire que se sont déroulés les faits qui vont suivre.
Le séjour dans un pénitencier ne doit pas être très agréable : de plus, par suite de l'aménagement que nécessite un tel établissement, les logements mêmes des officiers-directeurs se ressentent forcément de la tristesse et de la sévérité du lieu. Celui qu'habile M, X..., lieutenant-adjoint, est situé au troisième ; on y accède par un escalier sombre, l'appartement lui-même est peu éclairé, car toutes les fenêtres, qui donnent sur une cour intérieure, vaste, il est vrai, sont situées très haut, au-dessus du niveau du sol, étroites, et ne permettent qu'un faible accès à la lumière. M. X... qui habite le pénitencier, depuis 3 ans 1/2, est actuellement âgé de 43 ans ; il paraît assez intelligent, bien qu'il ait parcouru la carrière militaire avec une grande lenteur ; j'insisterai du reste bientôt sur son état mental. Il possède une bonne santé physique habituelle et présente peu d'antécédents pathologiques : néanmoins, à l'âge de 13 ans, il souffrit d'une affection fébrile au début, et à la suite de laquelle il eut le délire pendant 6 mois.
1. Les possédés de Plédran, par le Dr Baratoux. in Progrès Médicalrii° 2'à, 1881, p. 550.
Madame X...., âgée de 36 ans et mariée depuis 1879, est une nerveuse; elle est impatiente, vive, très émotive : jamais cependant elle n'a eu d'attaques convulsives. 11 n'en était pas ainsi de sa mère, morte au mois de mars 1884, à l'âge de 72 ans, d'une affection cérébro-spinale, et qui, tous les ans, avait à deux ou trois reprises des attaques d'hystérie nettement caractérisées. Notons encore que son père était un rhumatisant avéré.
M. et Mme X... ont eu quatre enfants : trois sont encore vivants; le quatrième est mort, probablementd'athrepsie, à l'âge de 2 ans 1/2.
Voici l'aînée des trois survivants, Julie, âgée de 13 ans 1 /2. Elle est née avant terme, à 7 mois 1/2, et demeura assez longtemps chétive, ayant été élevée au biberon. Depuis trois ans, elle est en pension, comme interne, dans les environs du pénitencier. Dès son bas âge, elle a toujours été fort nerveuse : au couvent, comme chez elle, elle était désobéissante, difficile à vivre, riant et pleurant pour un rien. En 1883, elle a été réglée pour la première fois : ces premières menstrues, qui étaient accompagnées de violentes coliques n'ont pas reparu. Tous les ans, elle vient passer ses vacances au pénitencier, chez ses parents : ajoutons qu'elle n'a jamais été témoin d'une crise convulsive.
Je vous présente également le plus jeune des garçons, François, âgé de 11 ans, qui est pâle et anémique comme sa sœur : à l'âge de 14 mois il eut des convulsions, et, dès l'âge de 2 ans, il souffrit de douleurs rhumatismales dans les articulations des membres inférieurs, genoux et pieds. Ces douleurs qui, depuis cette époque, sont revenues à différentes reprises, sont assez vives pour le tenir au lit. Il est externe dans une pension voisine du pénitencier et revient tous les soirs coucher chez ses parents.
L'aîné des garçons, Jacques, âgé de 12 ans, également ané
mique, partage l'existence de son frère ; depuis plusieurs années, il a des tics variés qui occupent surtout la bouche, ainsi que vous pouvez en juger vous-mêmes.
Au mois d'août dernier, la famille tout entière se trouva réunie à l'occasion des vacances : le père et la mère vaquant à leurs occupations habituelles, les enfants jouant entre eux, dans la cour du pénitencier, presque toujours seuls, car les autres ménages d'officiers n'ont qu'un enfant âgé de 4 ans seulement. La vie dans l'intérieur d'une maison de détention doit être, avons-nous dit, fort monotone : en dehors des occupations ordinaires, il n'y a guère de distractions. Aussi, pour faire diversité à cette monotonie, les femmes des officiers principalement, suivaient-elles déjà depuis plus d'une année, et avec grand intérêt, les séances de spiritisme que l'amie de l'une d'elles venait présider tous les deux jours. Cette distraction était même très goûtée et le spiritisme comptait là de très fervents adeptes : en particulier, M. et Mme X... Cette dernière s'adonnait en outre, en dehors des séances, avec passion, à la lecture des livres traitant des sciences occultes, livres qu'elle n'hésitait pas à confier à sa fille. Quant à M. X..., que le spiritisme avait laissé d'abord fort indifférent, depuis le mois de mars 1883, il ne manquait jamais, tons les vendredis, de faire tourner la table, celle-ci lui ayant un beau jour et pour un vendredi, promis une médiumité à l'aide de laquelle il pourrait évoquer l'âme de sa mère. C'est ainsi que Julie avait pu déjà assister à une séance de spiritisme pendant les congés de Pâques : elle n'en avait du reste nullement été troublée. Venue en vacances le 19 août, elle avait déjà pris part à plusieurs réunions dans lesquelles elle s'était bornée à appuyer les mains sur la table, lorsque, le vendredi 29, son père essaya à nouveau de savoir si son tour d'être médium n'était pas venu. Il interrogea la table et celle-ci, au lieu de le désigner comme il l'espérait, répondit : Julie sera médium. Toute la journée du,
vendredi fui consacrée à une séance presque ininterrompue. Le lendemain, à 9 heures du matin, on se réunit a nouveau, on évoqua diverses personnes, et vers 3 heures de l'après-midi, la table ayant ordonné à Julie d'écrire, celle-ci saisit un crayon, mais, au même moment, ses bras se raidirent et son regard devint fixe. Le père effrayé lui jeta un verre d'eau à la face : elle revint à elle, et sa mère, pressentant le danger, lui défendit de faire tourner de nouveau la table. Mais ceci ne faisait pas le compte de la voisine, dont l'amie était spirite et qui assistait à la séance en sa compagnie. Désireuse d'interroger l'âme d'un certain personnage laquelle, paraît-il, était sœur de la sienne, elle emmena Julie chez elle et la séance recommença. Vers 7 heures, la table frappa, l'esprit se présenta et Julie lui dit : Veuillez signer votre nom. Aussitôt, elle-même, en sa qualité de médium, et sous l'inspiration de l'esprit, saisit un crayjon^n^J^^blant et signa convulsivement : Paul ^iHiJ^â^—^a_raphe. L'écriture était celle d'un homme; le P et le D présentaient, en outre, des caractères si bizarres que la fillette ne put jamais depuis cette époque en tracer de semblables. La signature n'était pas plutôt terminée, que la main qui avait signé se convulsa : puis, Julie poussant un rire strident, se leva droite, et comme folle, délirante, se mit à courir par toute la maison en poussant des cris inarticulés : bientôt après, elle se roulait par terre, présentant une série d'attaques hystériques caractérisées surtout par du clownisme. Le lendemain et les jours suivants, les attaques reparurent très nombreuses, au nombre de 20 à 30 par jour. Les choses durèrent ainsi jusqu'au 15 novembre, Julie continuait à avoir ses crises et n'étant guère améliorée par l'application de divers moyens et en particulier de l'hydrothérapie.
Quelques jours auparavant, François, le plus jeune des garçons, qui, de même que son frère, s'était toujours fort désintéressé des pratiques de spiritisme, avait été pris de dou
leurs articulaires qui le tenaient encore couché. Tout à coup, le 15 octobre, il se dresse sur son Kt, s'écrie qu'il voit des lions, des loups; puis il se lève, frappe les portes, voit son père mort, veut tuer des brigands imaginaires avec un sabre, se roule par terre, rampe sur le ventre et prend des attitudes passionnelles nettement caractérisées. Deux jours plus tard, Jacques présente une exagération de ses tics de la face, puis voyant sa mère pleurer, il s'écrie : « Je vais me tuer si tu pleures ! » Enfin, surviennent des accès de délire passager pendant lesquels il mâchonne, prononce des paroles incohérentes et voit des brigands, des assassins qu'il veut frapper.
C'estle 9 décembre que le père et la mère désolés, et, devant un traitement resté sans résultats, m'amènent leurs enfants à la Salpêtrière. L'isolement, tout au moins, devenait de plus en plus nécessaire, car, lorsque l'un d'eux prenait une attaque, les deux autres s'empressaient de suivre son exemple.
Julie, dont vous connaissez désormais Jes antécédents pathologiques et qui est âgée de treize ans et demi, est grande, fortement constituée pour son âge, très développée, bien que, comme je vous l'ai dit, les règles, qui se sont montrées une fois en 1883, ne se soient pas établies en permanence; malgré ce que nous a appris la mère, elle paraît avoir un caractère doux et tranquille. Dès les premiers jours de son arrivée, de même que les jours suivants, elle a eu plusieurs attaques qui, d'une façon générale, se sont caractérisées ainsi qu'il suit : tout à coup, quelquefois après une aura très courte et très variable, elle se renverse en arrière, les bras écartés du tronc, les mains enpronalion, les doigts fortement fléchis. Surviennent alors assez souvent une ou plusieurs esquisses d'arc de cercle surtout unilatéral, et enfin se montre la phase clownique caractérisée par des culbutes en avant et en arrière; la tête se rapproche du bassin, ou, au contraire, les membres supérieurs
«ont projetés en l'air et gigottent, la têle restant appuyée sur le lit. Pendant l'attaque, Julie pousse quelques grognements, rit, mais ne parle pas, Celle-ci se compose d'une série d'accès analogues à celui que je viens de décrire, dure toujours assez longtemps : trois quarts d'heure, une heure, une heure et demie même. On peut l'arrêter ou la provoquer à volonté en pressant sur l'un des points hystérogènes que présente la malade. Julie possède en effet des stigmates hystériques permanents ; bien qu'elle n'ait ni anesthésie cutanée, ni ovarie, elle a de nombreuses zones hystérogènes parallèlement situées sur les deux seins, les deux flancs, à la partie externe, les deux mollets, les deux malléoles externes et la partie interne de l'articulation du coude droit. L'examen des yeux fait par M. Parinaud donne des résultats caractéristiques : il existe en effet, à droite, un rétrécissement très marqué du champ visuel; de plus, non seulement le cercle du rouge est situé en dehors du cercle du bleu, mais encore il dépasse sensiblement, en dehors, celui de la lumière blanche. Les mêmes phénomènes existent à gauche, toutefois moins accentués. Les autres sens spéciaux sont intacts.
François, le plus jeune des garçons, âgé de onze ans, présente également des stigmates permanents, en dehors des attaques que je vais décrire. C'est ainsi que le lendemain de son entrée, on constatait une plaque d'anesthésie comprenant toute la face : cette plaque est, du reste, variable, car les jours suivants, l'insensibilité se bornait à la région médiane du front et du nez. Le reste du tégument externe est notablement hyper-eslhésié. Tous les sens spéciaux sont affectés : le goût est totalement aboli, l'insensibilité de la langue est complète, le réflexe pharyngien n'existe plus, la muqueuse pituitaire et 'odorat sont dans des conditions analogues, le conduit auditif externe n'est pas sensible, l'ouïe est très obtuse. L'examen du champ visuel est également très démonstratif : le rétrécisse
ment est très accentué à gauche, el non seulement le cercle du rouge est en dehors du cercle bleu, mais il dépasse encore celui de la lumière blanche. À droile, le rétrécissement est moins marqué et il n'existe pas de transposition des couleurs. François a tous les jours de 1 à 5 attaques : certaines d'entre elles durent jusqu'à deux heures. Il présente nettement la série des phénomènes du peiit et du grand mal hystérique : le premier se trouve constitué chez lui par une contracture des deux orbiculaires des yeux qui peut durer de 3 à 5 minutes, sans perte de connaissance : ou encore, l'enfant frappe du poing, du pied, prononce quelques paroles incohérentes, puis, tout est terminé. Mais, le plus souvent, les phénomènes précédents sont suivis par une série d'accès caractéristiques constituant une attaque. L'enfant raidit alors ses membres supérieurs et inférieurs, ferme les yeux, esquisse l'arc de cercle; puis il se jette à terre, rampe sur le ventre, frappe le sol en criant à l'assassin; il rue et se défend contre des êtres imaginaires. La phase tonique se montre à nouveau, et l'attaque se trouve ainsi constituée par une série d'accès avec enjambement ou prédominance variables des phénomènes les uns sur les autres. Phénomène remarquable, lorsqu'on lui comprime la main gauche les doigts étendus, on arrête l'attaque instantanément : on ne peut du reste pas la provoquer de celte façon. La peau, à ce niveau, ne présente aucun trouble de la sensibilité.
Jacques, âgé de douze ans, pâle et anémique comme son frère et sa sœur, est le moins malade des trois, bien qu'il ait néanmoins une, deux, quelquefois trois ou quatre attaques par jour. Outre qu'il ne présente pas de stigmates permanents, il y a chez lui une forte prédominance du petit mal sur le grand. Nous savons qu'avant d'être atteint il présentait des tics de la face ; ce sont ceux-ci qui s'exagèrent surtout au début de l'ai-taque ; il grimace, les commissures labiales sont tirées en
dehors, il mâchonne, ferme les yeux, prononce quelques paroles incohérentes et tout peut être fini. Mais, parfois, à la suite de ces phénomènes, ou même d'emblée, les yeux se-ferment, le corps se raidit, se met en arc de cercle : puis l'enfant court, se promène, parle tout haut, crie au voleur et enfin va se jeter sur son lit où se termine ou bien recommence une série d'accès qui durent rarement plus d'un quart d'heure.
% Ces faits m'ont paru mériter une attention particulière. Ce ne sont pas, en effet, des symptômes fugaces d'hystérie que présentent ces enfants : Julie est malade depuis quatre mois, et, si l'isolement paraît avoir un peu calmé ses crises ainsi que celles de ses frères, il n'en est pas moins vrai que celles-ci menacent de persister longtemps encore, car on ne peut réunir les trois enfants sans qu'immédiatement tous les trois ne prennent une attaque. La relation complète de cette petite épidémie de maison est, en outre, fort instructive. Elle vous fait assister à la genèse et à l'évolution de la maladie dans une famille de nerveux et à'arthritiques, tributaires partant de deux diathèses dont l'alliance est des plus fréquentes et des plus effectives ; elles vous fait pressentir les influences exercées par le genre de vie et les conditions d'habitat ; enfin, elle vous indique clairement tout le danger, surtout, chez les sujets prédisposés, des pratiques superstitieuses, — lesquelles ont malheureusement pour eux un si grand attrait, — de cette tension d'esprit constante dans laquelle sont plongés ceux qui s'adonnent au spiritisme, à la mise en œuvre du merveilleux pour lequel l'esprit des enfants est toujours si largement ouvert.
DIX-SEPTIÈME LEÇON
De l'isolement dans le traitement de l'hystérie1.
Sommaire. — Détails rétrospectifs sur une petite épidémie d'hystérie. Le traitement doit comprendre deux points. — A. Traitement psychique ou moral : 1° Eloignement du lieu où s'est développée l'hystérie; 2° Séparation respective des personnes atteintes ; 3° Suppression de toutes visites de la part des parents ou amis.
B. Traitement médical : 1° Modifier la diathèse, s'il en existe une; le rhumatisme, par exemple; 2° Electrisation statique ; 3° Hydrothérapie méthodique.
Influence prépondérante de Ylsolement. — Exemples. — Le traitement a été adopté et non inventé en Allemagne et en Angleterre.
Messieurs,
Avant de revenir au sujet principal de nos études actuelles, je crois utile de vous donner des nouvelles de ces trois enfants d'une même famille que je vous ai présentés le 19 décembre dernier. Je n'ai pas l'intention de vous retracer à nouveau l'histoire de cette petite épidémie d'hystérie, développée sous l'influence des pratiques du spiritisme ; vous en trouverez tous les détails consignés dans une précédente leçon. 11 me faut seulement relever quelques particularités propres à vous remettre en mémoire l'état de ces enfants, à l'époque où ils furent présentés, afin que vous puissiez mieux juger aujourd'hui les modifications qui se sont produites chez eux, sous
1. Leçon recueillie par M. Gilles de la Tourette (Progrès médical, 28 février 1885].
l'influence des mesures que nous avons prises et du traitement que nous avons institué.
La famille, je viens de vous le rappeler, se compose de trois enfants : deux garçons et une fille. C'est chez celte dernière, âgée de treize ans et demi, que l'affection a débuté, le 28 août 1884, àla suite d'une séance de spiritisme, qui s'était prolongée de neuf heures du matin à sept heures du soir, et dans laquelle Julie avait joué le rôle actif de médium. À la fin de la séance, étaient survenues chez elle des crises convulsives, qui se renouvelèrent 15 à 20 fois par jour, jusqu'à l'admission de toute la famille à la Salpêtrière, le 9 décembre 1884. C'est qu'en effet, les deux frères avaient suivi le mauvais exemple que leur donnait leur sœur aînée et, le 15 novembre, le plus jeune des deux, François, âgé de onze ans, six semaines environ après la fameuse séance de spiritisme, qui, du reste, ne l'avait nullement impressionné, était pris d'une crise hystérique délirante, alors qu'il était encore cloué au lit par une attaque de rhumatisme. Deux jours plus tard, le 17, l'aîné des garçons, Jacques, avait à son tour des crises délirantes avec hallucinations.
A partir de cette époque, les trois enfants ne peuvent plus se rencontrer dans la maison sans avoir des attaques. La fillette commençait, ses frères suivaient son exemple, et cela plusieurs fois par jour; la situation n'était donc plus tenable. C'est alors que les parents nous prièrent d'intervenir et que nous leur proposâmes de prendre leurs enfants dans notre service, ce qu'ils acceptèrent.
I.
La proposition que je faisais aux parents contenait elle-même une série de considérations thérapeutiques que je dois
maintenant vous exposer. L'admission à l'hospice me permettait de réaliser :
Véloignement des malades du lieu où leur maladie s'était déclarée ;
Vabsence du père et de la mère devenus eux-mêmes très nerveux, et dont la présence devait, d'après mon expérience antérieure, déjà ancienne sur ce point, enrayer tout traitement ;
La séparation respective des trois enfants.
La fillette, en effet, fut placée dans une des salles de femmes de notre Clinique; les deux garçons s'en furent dans l'unique salle d'hommes que nous possédions à celte époque. L'isolement respectif des trois malades n'était donc pas tout à fait complet : nous avions tout au moins supprimé la cohabitation. Telles devaient être, à mon sens, les conditions fondamentales du traitement : les parents consentirent à ne voir leurs enfants qu'avec mon autorisation, et je crus pouvoir leur annoncer que, vraisemblablement, dans quelques mois, nous pourrions les leur rendre complètement guéris.
Yoici quel était le côté moral ou psychique du traitement proposé ; nous comptions, bien entendu, mettre également en œuvre le traitement médical proprement dit : les enfants qu'on nous confiait étaient tous les trois pâles et anémiques, nous devions donc leur administrer les reconstituants parmi lesquels les amers et les ferrugineux tiennent la première place. On pouvait également chercher à modifier la dia-thèse rhumatismale, très accentuée tout au moins chez l'un d'eux.
Pour ce qui est des agents qui s'adressent particulièrement à l'état hystérique, nous comptions mettre en œuvre le traitement par Y électrisation statique, qui nous rend journellement, dans ces cas, de grands services, à défaut surtout de Y'hydrothérapie méthodique, noire établissement hydrothéra-
pique de la Salpêtrière n'étant pas encore complètement aménagé. Nous ne fondions aucune espérance sur l'emploi des bromures, l'expérience nous ayant depuis longtemps démontré que cette classe de médicaments, qui agita peu près toujours, à un certain degré du moins, dans l'épilepsie, restait complètement inefficace, non seulement dans l'hystérie, mais encore dans cette forme d'hystérie qui semble se rapprocher le plus de l'épilepsie, à savoir l'hystérie à forme épileptique ou hystéro-épilepsie. Je ne parlerai pas de l'opium à haute dose, pas plus que des autres antispasmodiques, dont je ne condamne certainement pas l'emploi, mais qui me semblaient devoir totalement échouer en pareille circonstance.
II.
Mais, Messieurs, je dois vous avouer que, si j'étais résolu à mettre en œuvre tous les agents thérapeutiques proprement dits, je comptais surtout sur Y isolement, c'est-à-dire sur le traitement moral, bien que celui-ci dût être forcément incomplet. En effet, il était possible que les enfants se rencontrassent dans l'hospice même — ce qui est souvent arrivé ; — de plus, les deux frères logeaient dans la même salle, et ainsi que leur sœur ils pouvaient, dans les dortoirs communs, avoir sous les yeux, et, à différentes reprises, des manifestations de l'hystérie convulsive. Mais, nous n'avions pas le choix, et, à mon avis, il valait mieux pour eux vivre dans ces conditions que de rester dans la maison paternelle, en contact perpétuel avec le père et la mère, et entre eux dans des relations de tous les instants.
Je ne saurais trop insister devant vous sur l'importance capitale que j'attache à l'isolement dans le traitement de l'hystérie, où, sans contestation possible, l'élément psychique
Chaucot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 16
joue dans la plupart des cas un rôle considérable, quand il n'est pas prédominant. Il y a près de quinze ans que je suis fermement attaché à cetle doctrine, et, tout ce que j'ai vu depuis quinze ans, tout ce que je vois journellement, ne Tait que me confirmer de plus en plus dans mon opinion. Oui, il faut séparer les enfants, les adultes, de leur père et de leur mère dont l'influence, l'expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse. L'expérience, je le répète, le démontre absolument, bien que la raison n'en soit pas toujours facile à donner, surtout aux mères qui ne veulent rien entendre et ne cèdent en général qu'à la dernière extrémité.
Dans la clientèle de ville, l'isolement, tel que je le comprends, se pratique journellement, pour des cas de ce genre, dans d'excellentes conditions. A Paris, depuis une quinzaine d'années, les maisons de santé hydrothérapiques soignent de tels malades avec un plein succès, disposées qu'elles sont à cet effet. En province, l'isolement est plus difficile à effectuer, car les établissements convenablement aménagés manquent le plus souvent : on peut, à la vérité, créer des maisons de santé artificielles, mais vous comprenez que l'installation y est souvent et forcément défectueuse.
Les malades sont placés sous la direction de personnes compétentes et expérimentées : ce sont habituellement des religieuses devenues par une longue pratique généralement très expertes dans le maniement de ce genre de malades Une main bienveillante mais ferme, beaucoup de calme et de patience sont ici des conditions indispensables. Les parents sont systématiquement éloignés jusqu'au jour où, une notable amélioration s'étant montrée, on permet aux malades, à litre de récompense, de les voir, d'abord à intervalles éloignés, puis de plus en plus rapprochés, à mesure que la guérisôn s'accentue. Le temps et l'hydrothérapie, sans compter la médication intérieure, font le reste. Pour ma part, j'ai l'intime con-
viction que l'hystérie naissante, surtout chez les sujets jeunes, et particulièrement chez les mâles, pourrait être souvent étouffée dans l'œuf, s'il était possible de persuader aux parents de prendre dès l'origine des mesures énergiques et de ne pas attendre que le mal prenne racine et se développe pour avoir été longtemps abandonné à lui-même.
III.
Afin de rendre palpable cette influence si remarquable de l'isolement dans le traitement de l'hystérie chez les jeunes sujets, y compris les jeunes filles nubiles, je pourrais vous citer nombre de cas où elle s'est montrée des plus efficaces. Mais, ne pouvant entrer dans de longs détails, je me bornerai à l'anecdote suivante, à mon avis, très caractéristique.
11 s'agissait d'une jeune fille d'Angoulême, de treize ou quatorze ans, qui avait considérablement grandi, depuis cinq ou six mois et qui, depuis ce moment, refusait systématiquement toute nourriture, bien qu'il n'existât chez elle aucun trouble de déglutition, aucun désordre gastrique. C'était là un de ces cas qui confinent à l'hystérie, mais qui ne lui appartiennent pas toujours en propre, et qui ont été si admirablement décrits par Lasègue, en France, et par \V. Cuil., en Angleterre, sous le nom d'anorexie nerveuse ou ^anorexie hystérique. Les malades ne mangent pas; elles ne veulent pas, elles ne peuvent pas manger, bien qu'il n'y ait aucun obstacle mécanique au passage des aliments, aucun obstacle à leur séjour dans l'estomac lorsqu'ils ont été ingérés. Quelquefois, elles s'alimentent en cachette, mais non toujours comme on l'a supposé, et, bien que les parents eux-mêmes favorisent cetle supercherie en déposant des aliments autrefois préférés, de façon à ce qu'ils puissent être dérobés à leur insu, l'alimenta
lion reste toujours insuffisante. On attend des semaines, des mois, espérant toujours que le désir des aliments va reparaître. Les prières, les supplications, la violence ne peuvent triompher de cette résistance. Alors, l'amaigrissement ne tarde pas à survenir : il atteint des proportions véritablement extravagantes : les malades ne sont plus, sans amplification, que des squelettes vivants. Et de quelle vie ! la torpeur cérébrale a succédé à l'agitation factice du début ; depuis longtemps, la marche et la station debout sont devenues impossibles ; les malades sont confinées au lit, où elles peuvent à peine se mouvoir : les muscles du cou sont paralysés, la tête roule comme une masse inerte sur l'oreiller ; les extrémités sont froides, cyanosées ; on se demande comment la vie peut persister au milieu d'un pareil délabrement.
Depuis longtemps déjà les parents se sont alarmés, mais l'alarme est au plus haut degré lorsque les choses en sont venues à ce point ; elle est, du reste, bien justifiée, car la terminaison fatale est là menaçante, et je connais pour ma part au moins quatre cas où elle est survenue.
Telle était à peu près la situation chez la petite malade d'Angoulême lorsque je reçus une lettre du père me dépeignant cet état lamentable et me priant de venir voir son enfant. « Un déplacement est inutile, lui répondis-je, je puis, sans voir la malade, vous donner le conseil approprié : conduisez l'enfant à Paris, placez-la dans tel ou tel de nos établissements hydrothérapiques, abandonnez-la, ou tout au moins, faites en sorte qu'elle croie que vous avez quitté la capitale, prévenez-moi et je me charge du reste. » Ma lettre resta sans réponse.
Six semaines plus tard, je voyais, un matin, arriver chez moi, tout effaré, un confrère d'Angoulême, qui m'apprenait que la petite malade, dont il avait été le médecin, était à Pa-
ris, installée dans l'un des établissements que j'avais désignés; qu'elle allait, du reste, de mal en pis et que très probablement elle n'avait plus que quelques jours à vivre. Je lui demandai pourquoi je n'avais pas été prévenu de l'arrivée de la jeune fille. Il me fut répondu que les parents avaient évité de le faire parce qu'ils étaient résolus à ne pas se séparer de leur enfant. A mon tour, je fis observer que l'élément principal, la condition sine qua non de ma prescription ayant été méconnue, je déclinais toute responsabilité dans cette malheureuse affaire. Cependant, à sa prière, je me rendis à l'établissement hydrolhérapique en question, et là, je pus voir un spectacle lamentable : celui d'une grande fillette de 44 ans arrivée au dernier degré de l'étisie et du marasme, dans le décubitus dorsal, la voix éteinte, les extrémités froides et violacées, la tête tombante, reproduisant, en un mot, dans ses traits les plus chargés, le tableau que je viens de vous esquisser. Il y avait véritablement de quoi être inquiet, très inquiet.
Je pris les parents à part et, après leur avoir adressé une rude remontrance, je leur dis qu'il ne nous restait, à mon avis, qu'une seule chance de succès ; c'était qu'ils s'éloignassent ou parussent s'éloigner au plus vite, ce qui revenait au même. Ils diraient à leur enfant qu'ils étaient obligés pour une cause quelconque de repartir immédiatement pour Angou-lême; ils m'accuseraient moi, le médecin, de leur départ; peu importait d'ailleurs pourvu que la jeune fille fût persuadée qu'ils étaient partis; et cela, immédiatement.
Leur consentement fut difficile à obtenir, malgré toutes mes remontrances. Le père surtout ne pouvait pas comprendre qu'un médecin pût exiger qu'un père s'éloignât de son enfant au moment du danger. La mère en disait autant. Mais la conviction m'animait, je fus peut-être éloquent, car la mère céda d'abord et le père la suivit en maugréant et n'ayant, je crois, qu'une faible confiance dans le succès.
L'isolement était constitué : ses résultats furent rapides et merveilleux. L'enfant, restée seule avec la religieuse qui lui servait de garde et le médecin de la maison, pleura un peu, une heure au plus, et se désola beaucoup moins qu'on aurait pu le supposer. Le soir même, malgré sa répugnance, elle consentit à prendre la moitié d'un petit biscuit trempé dans du vin. Les jours suivants, elle prit un peu de lait, de vin, de bouillon, un peu de viande : l'alimenlation se faisait, progressive, mais lente.
Au bout de 15 jours, elle était relativement suffisante : les forces revenaient avec l'embonpoint, si bien, qu'au bout d'un mois, je vis la jeune fille assise sur un fauteuil et capable de détacher sa tête de l'oreiller. Elle put marcher un peu : on fit alors intervenir l'hydrothérapie, et, après deux mois, à dater du début du traitement, elle pouvait être considérée comme presque complètement guérie : les forces, l'appétit, l'embonpoint ne laissaient plus grand'chose à désirer.
Ce fut alors que la fillette, interrogée par moi, me fit la confidence que voici : « Tant que papa et maman ne m'ont pas quittée, en d'autres termes, tant que vous n'avez pas triomphé — car je savais que vous vouliez me faire enfermer, —j'ai cru que ma maladie n'était pas sérieuse, et, comme j'avais horreur de manger, je ne mangeai pas. Quandjjri vu £ite vous étiez le maître, f ai eu peur, et, malgré ma répugnance, j'ai essayé de manger et cela est venu peu à peu. » Je remerciai l'enfant de sa confidence qui, comme vous le comprenez, contenait tout un enseignement.
IV.
Je pourrais facilement multiplier les exemples propres à bien mettre en lumière l'influence favorable de l'isolement bien entendu, dans le traitement de certaines maladies ner
veuses non qualifiées comme aliénation mentale, et de l'hystérie ou encore de la neurasthénie en particulier.
Ce que je viens de dire, en effet, à propos de l'anorexie nerveuse, je pourrais le répéter à propos de la plupart des formes de la névrose hystérique. Mais, il me suffira, pour le moment, d'avoir éveillé votre attention sur cette influence curatrice de l'isolement; c'est un sujet sur lequel j'aurai, d'ailleurs, l'occasion de revenir bien des fois, sans doute, dans le cours de cet enseignement ; j'en parle chaque année, depuis tantôt quinze ans, et plusieurs des leçons que je lui ai consacrées ont été publiées. La méthode a du reste fait son chemin, car je vois qu'en Allemagne, en particulier, de même, du reste, qu'en Angleterre et en Amérique, son efficacité commence à être hautement proclamée. Aussi réclamerai-je pour nous l'antériorité car, si je ne me trompe, elle nous appartient légitimement, tout au moins en ce qui concerne le traitement de l'hystérie et des affections connexes. C'est, en somme, l'isolement qui représente l'élément capital dans la méthode qu'ont préconisée depuis quelques années MM. WeirMilchell, en Amérique, Playfair, en Angleterre, Burkart', en Allemagne, dans le traitement de la neurasthénie et de certaines formes de l'hystérie
1. R. Burkart. — Zur Behaudlung schwcrer Formen von Hystérie und Neurasthénie. (Volkmann's Sammlung, 8 octobre 1884.)
2. L'isolement des hystériques est depuis longtemps considéré comme la partie principale de leur traitement. Nous n'en voulons pour preuve que la citation suivante empruntée à Jean Wier (1564). « Au reste, s'il y a plusieurs ensorceliez ou démoniaques en un lieu comme ordinairement nous voyons eela à venir es monastères, principalement de filles (comme estans les commodes organes des tromperies de Satan) il faut auant toute chose, qu'elles soyent séparées, et que chacune d'elles soit enuoyee vers ses parens ou alliez: aiin que plus commodément elles puissent estre instruites et guéries, ayant toutefois esgard au moyen selon la nécessité de chacune : à ce qu'on ne les chausse toutes à une mesme forme, comme on dit communément. » (Jean Wier. — Histoires-, disputes et discours des illusions et impostures des diables, etc., II, p. 173-174; édition Bourneville, Paris, 1885.)
V.
Mais, je m'aperçois qu'il est temps d'en venir à nos jeunes malades ; je voudrais vous montrer ce qu'est devenue leur affection depuis six semaines, époque à laquelle a été institué le traitement dans lequel l'isolement a joué, à mon avis, le rôle capital. D'une manière générale, l'amélioration s'est produite simultanément chez tous les trois, en commençant par les garçons, ainsi que je l'avais annoncé.
Le plus jeune, François, peut être considéré comme guéri ; il n'a pas eu de crises depuis quinze jours, et hier il est allé souhaiter la fête à son père ; il est sorti triomphant de cette épreuve. Il n'en est pas tout à fait de même du frère aîné, de Jacques, qui, du reste, a été pris le dernier. Les grandes crises ont chez lui complètement disparu ; cependant, elles ont été remplacées par de petits vertiges assez analogues par la forme aux vertiges épileptiques qui toutefois sont devenus très rares depuis quinze jours ; néanmoins, chez son père, où il accompagnait son frère cadet, il a présenté un de ces petits vertiges que j'ai l'habitude de désigner sous le nom de petit mal hystérique.
La jeune fille n'a pas pris part à cette petite expédition, elle est restée à la Salpêtrière, car nous sommes beaucoup moins" sûr d'elle que de ses frères ; elle n'est, du reste, pas guérie, bien que de jour en jour ses crises diminuent de fréquence, de longueur et d'intensité. Les choses eussent été certainement beaucoup plus vite si, dans la salle qu'elle occupe, elle n'était pas en constante promiscuité avec les grandes hystériques dont elle voit journellement les attaques. Mais, nous n'avons pu faire mieux, n'ayant pas de salle d'isolement à notre disposition. Quoi qu'il en soit, la situation s'est très améliorée, car, fait décisif, les enfants ont pu se trouver plusieurs fois réunis
tous les trois dans la salle d'électrolhérapie, sans qu'une crise «'en soit suivie.
Je vais d'ailleurs vous les présenter, les garçons d'abord, la fillette ensuite car, comme je vous l'ai dit, je ne suis pas très sûr d'elle et je crains que la vue de l'assemblée ne la trouble au point de provoquer quelques accidents. Donc, sur les garçons d'abord, et ensuite chez la jeune fille, je vous ferai reconnaître que les stigmates hystériques, comme nous les appelons, se sont modifiés de même que les crises spasmodiques ou délirantes; c'est là un fait important, car je ne crois pas qu'on puisse considérer une hystérique comme guérie, tant que les stigmates persistent encore. Voici d'abord le petit François, âgé de 11 ans: c'est chez lui que la guérison est la plus avancée. Vous remarquerez d'abord qu'il a bien meilleure mine qu'autrefois, la médication tonique et le régime de l'hôpital qui n'est cependant pas idéal, lui ont profité, sous ce rapport. Quant aux stigmates, je vous rappellerai qu'ils consistaient chez lui en une aneslhésie générale limitée à la face et surtout au front, sous forme d'un masque. Il ne sentait plus les odeurs et sa muqueuse nasale n'était pas plus influencée par les parfums que par l'ammoniaque ou l'acide acétique ; l'ouïe était obnubilée et on pouvait introduire dans le conduit auditif externe des petits cornets de papier, sans que la sensibilité en fût influencée. La sensibililé générale de la langue, de même que le goût, étaient complètement abolis : on pouvait impunément mettre sur la langue du sujet du sulfate de quinine ou de l'aloès, sans qu'il y en eût la moindre perception.
A ce propos, il y a environ une quinzaine de jours, je présentai ce petit malade à mon éminent confrère de Londres, M. le Dr Russel Reynolds, de passage à Paris, me proposant de lui faire constater ces troubles de la gustation. Je vous avoue que je fus très agréablement surpris en voyant le petit bonhomme retirer la langue, en faisant une grimace épouvanta
ble; cela m'indiquait que notre méthode de traitement avait porté ses fruits et que le malade était en voie de guérison. Celle-ci, du reste, en ce qui concerne le goût, ne s'est pas démentie, ainsi que vous allez pouvoir en juger par vous-mêmes.
La vision, vous le savez, présentait également chez cet enfant des troubles tout à fait spéciaux qui, s'il est vrai qu'ils n'appartiennent pas en propre à l'hystérie, s'y rencontrent si fréquemment, qu'on peut leur attacher une grande importance diagnostique. Le rétrécissement du champ visuel était très accentué des deux côtés : mais, alors qu'à droite il n'existait pas de transposition des couleurs, non seulement à gauche, le cercle du rouge était en dehors du cercle du bleu, mais encore il dépassait celui de la lumière blanche. Un nouvel examen campimétrique, pratiqué, il y a dix jours, par M. Parinaud, nous a montré que tous ces troubles s'étaient évanouis, et que la vision était redevenue normale.
Je vous ai déjà dit que les crises avaient complètement disparu : laissez-moi vous rappeler qu'elles avaient été nombreuses, puisqu'il y en avait en moyenne trois par jour, ce qui donne un total de 20 à 25 crises par semaine
Je vous présente maintenant le petit Jacques, l'aîné des garçons, âgé de 12 ans, qui avait été pris le dernier, moins sérieusement, du reste, que son frère, et ne portait point de stigmates hystériques permanents. Chez lui, le petit mal hystérique l'emportait de beaucoup sur le grand mal; néanmoins, il avait eu 15 attaques en 7 jours. Depuis 15 jours, il n'a présenté que deux vertiges : et encore l'un d'eux s'est-il montré, hier, dans les circonstances que vous connaissez. A ce propos, je relèverai une fois de plus qu'il s'agit là d'une imitation du vertige ou petit mal épileptique, et rien de plus. L'épilepsie n'est que dans la forme, non dans le fond, et en somme, le
petit mal épileptique et le petit, mal hystérique sont deux choses radicalement, foncièrement distinctes'. Yous remarquerez en outre, que si l'état général de l'enfant est devenu meilleur, il laisse néanmoins encore à désirer, sous de nombreux rapports.
Voici maintenant Julie, la petite fille, l'aînée des trois: il me semble qu'elle a grandi, depuis un mois, qu'elle s'est développée ; dans tous les cas, son état général est devenu plus satisfaisant. Pour ce qui est de l'hystérie,rappelez-vous qu'elle avait en moyenne tous les jours, de 4 ou 5 attaques ou séries d'attaques qui duraient de une demi heure à une heure et demie. Depuis 1S jours, les attaques ne se montrent plus que deux ou trois fois par semaine ; elles sont moins violentes et durent à peine un quart d'heure. Vous savez qu'il existait chez elle des points hystérogènes très bien caractérisés, parallèlement situés sur les deux seins, les deux flancs à la partie externe, les deux mollets, les deux malléoles externes et la partie interne de l'articulation du coude droit. Les zones des deux seins, des mollets et du coude droit ont disparu: il n'existe toujours pas d'ovarie, mais, en revanche, on constate quelques plaques d'anesthésie irrégulièrement disséminées à gauche. L'amblyopie hystérique, qui, chez elle, était très accentuée, n'existe plus, depuis 10 jours: enfin, je vous ai déjà dit qu'elle pouvait impunément rencontrer ses frères, sans prendre d'attaque.
Telle est la situation, et il y a tout lieu d'espérer que bientôt finira ce pelit drame ou mieux encore celte petite comédie de famille, car il n'y a rien de bien sombre dans tous ces
l.Voir sur ce sujet : 1° ttourncville et Regnard, ¡conoqr.photogv.de la Salpêtrière, t. I, j). 49 et t. II, p. 202; — Jiourneville, Recherches clin, et tliérap. sur l'épilepsie, l'hystérie, etc. Compte rendu du service des enfants de Bicè-tre pour 1883, p. KO.
événements. Dans une dizaine de jours, nous rendrons aux parents l'aîné des garçons, car le plus jeune partira aujourd'hui même et la fillette nous quittera un peu plus tard
Je vous donne à méditer l'enseignement que porte avec elle l'histoire de ces enfants : je crois qu'à l'aide des moyens que je vous ai exposés, on peut quelquefois parvenir à étouffer dans l'œuf, surtout chez les mâles, l'hystérie naissante, l'hystérie infantile. Je ne parle, en ce moment, que de celle-ci ; car, lorsque cette névrose est invétérée chez les adultes, les chances de succès sont, bien que grandes encore, beaucoup plus problématiques. Pour ce qui est de nos enfants, je crois que, malgré la prédisposition nerveuse qui, chez eux, semble si accentuée, les voilà désormais à l'abri pour longtemps, sinon pour toujours, des manifestations hystériques. Les parents, éclairés par l'expérience, s'éloigneront désormais des pratiques du spiritisme. Connaissant le point faible de leurs enfants, ils s'efforceront, je l'espère, à l'aide d'une hygiène, tant physique que morale et intellectuelle, d'éviter le retour de semblables accidents.
1. Le plus jeune des garçons est aujourd'hui complètement guéri; depuis plus de 15 jours, la jeune fille n'a eu qu'une attaque très légère, et pendant une visite des parents à la Salpêtrière.
DIX-HUITIÈME LEÇON
A propos de six cas d'hystérie chez l'homme 1.
Sommaire. — L'hystérie chez le mâle n'est pas aussi rare qu'on le pense. — Rôle du traumatisme dans le développement de cette affection : Railway-spine. — Ténacité des stigmates hystériques chez les grands malades des deux sexes.
Relation de trois cas typiques et complets d'hystéro-épilepsie chez l'homme. — Ressemblance frappante de ces trois cas entre eux et avec les cas correspondants observés chez la femme.
Messieurs,
Nous nous occuperons aujourd'hui de l'hystérie chez l'homme, et pour mieux circonscrire le sujet, nous considérerons l'hystérie mâle plus particulièrement chez les sujets adolescents ou de la force de l'âge en pleine maturité, c'est-à-dire chez des hommes de 20 à 40 ans, et, en outre, nous envisagerons spécialement la forme intense, très accentuée, celle qui répond à ce que Ton appelle, chez la femme, la grande hystérie ou hysléro-épilepsie à crises mixtes. Si je me décide à aborder ce sujet, que j'ai touché bien des fois déjà, c'est que nous possédons actuellement dans le service de la clinique une collection vraiment remarquable de malades, que je pourrai faire passer sous vos yeux et étudier avec vous. J'ai pour but, surtout, de vous faire reconnaître et, pour ainsi dire, toucher du doigt, l'identité de la grande névrose dans les deux sexes. Car, dans
1. Leçon recueillie par M. Georges Guinon, interne du service.
la comparaison que nous ferons, chemin faisant, des symptômes de la grande hystérie chez la femme et chez l'homme, partout nous aurons à relever les analogies les plus frappantes, et çà et là seulement quelques différences qui, vous le verrez, sont d'ordre tout à fait secondaire.
D'ailleurs, cette question de l'hystérie chez l'homme est, en quelque sorte, à l'ordre du jour. En France, pendant ces dernières années, elle a beaucoup préoccupé les médecins. De 1873 à 1880, à la Faculté de Paris, il a été soutenu cinq dis-sertations inaugurales sur l'hystérie chez l'homme, et M. Klein, l'auteur d'une de ces thèses faites sous la direction de M. le Dr Olivier, a pu réunir 80 cas de cette affection. Depuis ont paru les importantes publications de M. Bourneville et de ses élèves ; de MM. Debove, Raymond, Dreyfus et quelques autres ; et tous ces travaux tendent à prouver, entre autres choses, que les cas d'hystérie mâle peuvent se rencontrer assez fréquemment dans la pratique vulgaire. Tout récemment, l'hystérie mâle a été étudiée, en Amérique, par MM. Putnam et Walton i, principalement à la suite des traumatismes et plus spécialement des accidents de chemin de fer. Us ont reconnu, avec M. Page, qui s'est également occupé de cette question en Angleterre 2, que beaucoup de ces accidents nerveux désignés sous le nom de Railway-spine et qui, d'après eux, seraient mieux appelés Railway-Brain, sont, en somme, qu'il s'agisse de l'homme ou de la femme, simplement des manifestations hystériques. On comprend, dès lors, l'intérêt que prend une pareille question dans l'esprit pralique de nos confrères d'Amérique. Les victimes des accidents de chemin de fer demandent tout naturellement des dommages-intérêts aux Compagnies. On plaide ; des milliers de dollars sont dans la balance. Or, je le répète, sou-
1. I. Putnam, Am. Mum. off. Neurology, 1884, p. :l)7. — Walton. — Arch, of mecl., 1883, t. X.
'2. Page, Injuries of the spine and spinal cord without appeared mechanical lision, and nervous shock, London, 188ii.
vent c'est l'hystérie qui est enjeu. Ces états nerveux, graves et tenaces, qui se présentent à la suite des « collisions » de ce genre et qui mettent les victimes dans l'impossibilité de se rendre à leur travail ou de se livrer à leurs occupations pendant des périodes de plusieurs mois ou même de plusieurs années, ne sont, souvent, que de l'hystérie, rien que de l'hystérie. L'hystérie mâle est donc digne d'être étudiée et connue du médecin légiste, puisqu'il s'agit de gros intérêts porlés devant un tribuual qu'impressionnera peut-être, — circonstance qui rendra la lâche plus difficile, — la défaveur qui s'attache encore aujourd'hui, en raison de préjugés profondément enracinés, au mot d'hystérie. La connaissance approfondie non seulement de la maladie, mais encore des conditions dans lesquelles elle se produit, sera, en pareille occurrence, d'autant plus utile, que souvent les (roubles nerveux se produisent en dehors de toute lésion traumatique et simplement à la suite de l'ébranlement nerveux psychique qui résulte de l'accident et que, fréquemment, ils ne débutentpas immédiatement après lui ; c'est-à-dire qu'à l'époque où l'une des victimes de la collision, qui aura été atteinte d'une fracture de jambe, par exemple, sera déjà guérie, après une incapacité de travail de trois ou quatre mois, une autre sera sous le coup d'accidents nerveux qui vont peut-être l'empêcher de travailler pendant six mois, un an ou plus, mais qui n'auront peut-être pas encore atteint toute leur intensité. On voit, dans ce cas, combien est délicate la mission du médecin légiste et c'est ce côté médico-légal de la question qui semble avoir réhabilité, auprès de nos confrères américains, l'étude de la névrose hystérique, jusque-là un peu négligée.
A mesure que la maladie a été ainsi mieux étudiée et mieux connue, comme il arrive habituellement en pareille circonstance, les cas sont devenus, en apparence, de plus en plus fréquents, et en même temps d'une analyse plus facile. Je vous
disais tout à l'heure qu'il y a quatre ou cinq ans M. Klein, dans sa thèse, avait réuni 80 cas d'hystérie chez l'homme ; voici qu'aujourd'hui M. Batault qui prépare, dans noire service, un travail spécial sur ce sujet, a pu rassembler 218 cas du même genre dont 9 appartiennent à notre clinique l.
L'hystérie mâle n'est donc pas, tant s'en faut, très rare. Eh bien ! messieurs, si j'en juge d'après ce que je vois chaque jour parmi nous, ces cas-là sont bien souvent méconnus, même par des médecins très distingués. On concède qu'un jeune homme efféminé puisse après des excès, des chagrins, des émotions profondes, présenter quelques phénomènes hystériformes ; mais qu'un artisan vigoureux, solide, non énervé par la culture, un chauffeur de locomotive par exemple, nullement émotif auparavant, du moins en apparence, puisse, à la suite d'un accident de train, d'une collision, d'un déraillement, devenir hystérique, au même titre qu'une femme, voilà, paraît-il, qui dépasse l'imagination. Rien n'est mieux prouvé, cependant, et c'est une idée à laquelle il faudra se faire. Gela viendra, comme pour tant d'autres propositions qui sont aujourd'hui établies dans tous les esprits à l'état de vérités démontrées, après n'avoir rencontré pendant longtemps que le scepticisme et souvent l'ironie.
Il est un préjugé qui, sans doute, contribue beaucoup à mettre obstacle à la diffusion des maladies relatives à l'hystérie chez l'homme : c'est l'idée relativement fausse que l'on se fait en général du tableau clinique de cette névrose chez la femme. Chez le mâle, en effet, la maladie se présente souvent comme une affection remarquable par la permanence et la ténacité des symptômes qui la caractérisent. Chez la femme, au contraire, — et c'est là sans doute ce qui semble faire la différence capitale entre les deux sexes, pour qui ne connaît pas à fond la maladie chez la femme, -— ce que l'on croit être le trait carac-
' 1, E. Batault, Contribution à l'étude de l'hystérie chez l'homme.
léristique de l'hystérie, c'est l'instabilité, la mobilité des symptômes. Dans l'hystérie, dit-on alors, en se fondant naturellement sur des observations prises chez la femme, les phénomènes sont mobiles, fugaces et la marche capricieuse de l'affection est fréquemment interrompue par les coups de théâtre les plus inattendus. Eh bien ! messieurs, cetle mobilité, cette fugacité n'est pas, tant s'en faut, je vous l'ai montré par de nombreux exemples, un caractère univoque de la maladie hystérique, même chez la femme.
Oui, même chez elle, il y a des hystéries aux phénomènes durables, permanents, extrêmement difficiles à modifier et qui résistent quelquefois à toute intervention médicale. Et les cas de ce genre sont nombreux, très nombreux, s'il est vrai qu'ils ne constituent pas la généralité. C'est un point sur lequel je vais revenir. Mais, pour le moment, je me contente de vous faire remarquer seulement que la permanence des symptômes hystériques chez l'homme, leur ténacité empêchent souvent de les reconnaître pour ce qu'ils sont. Les uns, en présence de phénomènes qui résistent à tous les modificateurs thérapeutiques, croiront, je suppose, s'il existe des troubles sensoriels avec crises nerveuses simulant plus ou moins la crise comi-tiale, aune lésion organique en foyer, à un néoplasme intra-crânien, ou s'il s'agit d'une paraplégie, à une lésion organique spinale. D'autres reconnaîtront volontiers et même affirmeront qu'il ne peut être question, dans ces cas, d'une altération organique, mais simplement dune lésion dynamique ; mais en présence de symptômes dont la ténacité ne se concilie pas avec le schéma, qu'ils ont dans l'esprit, de l'hystérie, ils penseront qu'il s'agit là d'une maladie spéciale, non encore décrite, et qui mérite une place à part.
Une erreur de ce genre me paraît avoir été commise par MM. Oppenheim et Thomsen (de Berlin) dans un mémoire qui
I. Arch. de Westpkal. Bd. XV. Heft 2 et 3. Charcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 17
contient,d'ailleurs,un grand nombre de faits intéressants et bien observés, sinon toujours bien interprétés, du moins à ce que je crois. Ces messieurs ont observé l'hémianesthésie sensitive et sensorielle, semblable en tous points à celles de MM. Putnam et Wallon. Il s'agit, dans ces cas, de chauffeurs, de chefs de trains, d'ouvriers, victimes d'accidents de chemins de fer ou d'autres accidents et ayant subi soit un choc sur la tête, soit une commotion ouun ébranlement général. L'alcoolisme, le saturnisme, ne sont pas en jeu dans ces cas, et l'on reconnaît que, suivant toute vraisemblance, il n'existe pas, chez ces sujets, de lésion organique.
Yoilà donc des malades tout à fait semblables à ceux de MM. Putnam et ^Yalton ; mais, contrairement à ces derniers, les auteurs allemands ne veulent pas reconnaître qu'il s'agit ici de l'hystérie. Pour eux, c'est quelque chose de particulier, je ne sais quel état pathologique non encore décrit, qui demande à prendre une place non encore occupée dans les cadres nosolo-giques. Les principaux arguments que MM. Oppenheim et Thomsen fournissent à l'appui de leur thèse sont les suivants : 1° l'aneslhésie est tenace ; on n'y voit pas ces changements capricieux qui sont caractéristiques (?) de l'hystérie. Elle dure telle quelle des mois et des années; 2° Une autre raison, c'est que l'état psychique des malades n'est pas celui des hystériques. Les troubles de cet ordre, chez ces malades, n'ont pas les allures changeantes, mobiles de ceux de l'hystérie. Les malades sont plutôt déprimés, mélancoliques d'une façon permanente, et sans grandes variations en plus ou en moins.
11 m'est impossible, Messieurs, de me rallier aux conclusions de MM. Oppenheim et Thomsen, et j'espère vous démontrer : 1° Que les troubles sensoriels hystériques peuvent, chez la femme elle-même, présenter une ténacité remarquable, et que, chez l'homme, il en est très souvent ainsi ; 2° Que chez le mâle, en particulier, la dépression et la tendance mélancolique
s'observent le plus communément dans les cas d'hystérie les plus accusés, les moins contestables. On n'observe pas ordinairement, chez lui — cela est vrai, mais on ne saurait certainement pas voir là un caractère distinctif de premier ordre, — ces caprices, ces changements de caractère et d'humeur qui appartiennent plus habituellement, bien que non nécessairement, toutefois, à l'hystérie de la femme.
Mais il est temps, Messieurs, d'arrêter là ces préliminaires pour en venir à l'objet principal de notre leçon d'aujourd'hui. Nous allons procéder par démonstration clinique, en étudiant ensemble, avec quelques détails, un certain nombre de cas parfaitement caractérisés d'hystérie mâle. Chemin faisant, nous relèverons les analogies et les différences qui existent entre les phénomènes hystériques observés chez l'homme et ceux que nous reconnaissons chaque jour dans la forme correspondante de la maladie chez la femme. Enfin, je compte vous présenter, en manière de résumé, quelques considérations générales sur la grande hystérie considérée dans le sexe masculin.
Mais avant d'en venir à l'homme, je voudrais vous rappeler sommairement, par deux exemples, jusqu'à quel point, chez la femme, les symptômes permanents de l'hystérie, les stigmates hystériques, comme nous avons l'habitude de les appeler, pour plus de commodité, peuvent se montrer fixes, tenaces et exempts, par conséquent, de cette mobilité proverbiale qu'on leur prête et dont on prétend faire la caractéristique de la maladie. Je ne vous parlerai pas des six ou huit grandes hystériques actuellement rassemblées dans notre service. Quelques-unes d'entre elles présentent, depuis des mois ou des années même, une hémianesthésie simple ou double que les modificateurs thérapeutiques les mieux appropriées ne peuvent influencer que pour quelques heures. Je me bornerai à vous présenter deux femmes, véritables vétérans de l'hystéro-épi-
lepsie, qui délivrées depuis quelques années de leurs grandes attaques, et sorties depuis ce temps du service spécial, exercent dans l'hospice les fonctions de domestiques. La première, la nommée L...,bien connue dans l'histoire de l'hystéro-épilepsie et célèbre, en raison du caractère « démoniaque » que présentaient ses crises convulsives, est aujourd'hui âgée de 63 ans. Elle est entrée à la Salpêtrière, en 1846, et nous n'avons pas cessé de l'observer depuis 1871. A cette époque, elle était atteinte, comme elle est encore aujourd'hui même, d'une hé-mianesthésie droite complète absolue, sensorielle et sensitive, avec ovarie du même côté qui, pendant cette longue période de 15 ans, n'a pas été modifiée, même temporairement, soit par l'action maintes fois essayée des agents seslhésiogènes, soit par les progrès de l'âge, soit par la ménopause. Il y a cinq ou six ans, à l'époque où notre attention a été plus particulièrement attirée sur les modifications que subit le champ visuel chez les hystériques, nous avons reconnu chez elle l'existence très accusée du rétrécissement classique du champ visuel, marqué des deux côtés, mais beaucoup plus prononcé du côté droit. L'examen répété, chaque année, une ou deux fois, depuis cette époque, n'a jamais manqué de faire reconnaître la permanence de ce rétrécissement.
L'autre malade, la nommée Aurel..., actuellement âgée de 62 ans, et chez laquelle les grandes attaques, remplacées parfois par des symptômes d'angine de poitrine, n'ont cessé d'exister que depuis une dizaine d'années, présentait déjà en 1851, ainsi que le constate une note très précieuse datant de cette époque, l'hémianesthésie gauche complète, absolue, sensorielle et sensitive, que, ainsi que vous pouvez le constater, nous retrouvons chez elle encore aujourd'hui, c'est-à-dire après une longue période de 34 ans ! — Cette malade est soumise à notre observation depuis 15 ans, et jamais l'hémianesthésie en question n'a cessé, lors de nos examens souvent répétés,
d'être présente. Le rétrécissement double du champ visuel, très net des deux côtés, mais plus prononcé à gauche, que l'examen campimétrique nous a fait retrouver ces jours-ci, existait déjà chez elle, il y a cinq ans
C'en est assez, je pense, pour vous montrer comment, chez ces femmes, les stigmates dont personne ne songerait à contester la nature hystérique, se sont montrés stables, permanents, et combien peu cela répond à l'idée fausse, par trop de généralité, qu'on se fait en général de l'évolution des symptômes de la maladie.
J'en viens maintenant à l'étude de nos hystériques mâles.
Observation I. — Le nommé Rig..., garçon de magasin, âgé de 44 ans, est entré à la Salpêtrière, le 12 mai 1884, il y a bientôt un an. C'est un homme grand, fort, bien musclé ; il a été autrefois tonnelier et supporte sans peine un travail fatigant. Les antécédents héréditaires sont fort remarquables chez ce malade. Son père vit encore ; il est âgé de 76 ans. De 38 à 44 ans, par suite de chagrins et de pertes d'argent, il a souffert d'attaques de nerfs sur la nature desquelles le malade ne peut qu'imparfaitement nous renseigner. Sa mère est morte à 65 ans asthmatique. Le grand oncle de la mère était épileptique et est mort des suites d'une chute dans le feu survenue dans un accès. Les deux filles de cet oncle étaient également épileptiques. Rig..., a eu sept frères et sœurs qui ne présentaient pas de maladies nerveuses. Quatre sont morts; parmi les trois restants, une sœur est asthmatique. Lui-même a eu neuf enfants, dont quatre sont morts en bas âge. Des cinq qui vivent encore,une fille de 15 ans a des crises de nerfs; une autre,âgée de 10 ans, a des attaques d'hystéro-épilepsie que M. Marie a constatées ici même ; une autre fille est faible d'intelligence ; enfin deux garçons ne présentent rien de particulier à noter.
Dans les antécédents pei'sonnels, nous relevons les faits suivants : À 19 et à 29 ans, le malade a été atteint de rhumatisme articulaire aigu, sans lésions du cœur. La dernière attaque a duré 6 mois et c'est peut-être au rhumatisme qu'il faut attribuer les dé
formations des mains que l'on constate chez lui. Etant enfant, il était peureux ; le sommeil était troublé par des rêves et des cauchemars, et, en outre, il était somnambule. Il se levait souvent la nuit, travaillait, et le lendemain matin il était fort étonné de trouver son ouvrage fait. Cet état dura de 12 à 15 ans. Il s'est marié à 28 ans. On ne note dans les antécédents ni syphilis, ni alcoolisme, bien que le malade ait été tonnelier. Il est arrivé à Taris à l'âge de 32 ans, travaillant d'abord chez son père, puis employé comme garçon de magasin dans une usine d'épuration d'huile.
En 1876, il avait alors 32 ans, il Jui est arrivé un premier accident. Il se coupa assez profondément avec un rasoir qu'il affilait, comme certaines personnes ont coutume de le faire sur la face antérieure de son avanl-bras. Une veine fut sectionnée, le sang jaillit ; l'hémorrhagie et la frayeur aidant, le malade tomba par lerre privé de sentiment et de mouvement. Il fut long à se remettre et resta deux mois profondément anémié, pâle et sans pouvoir travailler.
En 1882, il y a par conséquent trois ans, il descendait en cave une pièce de vin, lorsque la corde qui la maintenait se rompit ; le tonneau roula dans l'escalier et l'aurait infailliblement écrasé s'il n'eût eu le temps de se jeter de côté ; il ne le fit pas assez cependant pour éviter une légère blessure à la main gauche. Malgré la peur qu'il éprouva, il put se relever et aider à remonter le tonneau. Mais, cinq minutes après, il eut une perte de connaissance qui dura vingt minutes. En revenant à lui, il était incapable de marcher, tant les jambes étaient faibles et l'on fut obligé de le ramener chez lui en voiture. Pendant deux jours, il lui fut absolument impossible de travailler; la nuit, son sommeil était troublé par des visions effrayantes et interrompu par des cris : « à moi.. ! je suis tué...! » Il revoyait en rêve la scène de la cave. Il avait néanmoins repris son travail, lorque 10 jours après l'accident, au milieu de la nuit, il eut sa première attaque d'hystêro-épilepsie. Depuis celte époque, les attaques revinrent à peu près régulièrement tous les deux mois et souvent, dans l'intervalle, pendant la nuit, soit au moment du premier sommeil, soit au réveil, il était
profondément troublé par des visions d'animaux féroces.
Autrefois, au sortir de ses crises, il se rappelait ce qu'il avait rêvé pendant l'attaque, phénomène qui n'existe plus aujourd'hui. Il était dans une forêt sombre, poursuivi par des brigands ou des animaux affreux, ou bien la scène de la cave se déroulait devant ses yeux et il voyait des fûts qui roulaient sur lui et menaçaient de l'écraser. Jamais, il l'affirme, ni pendant les attaques, ni dans l'intervalle, il n'a eu de rêves ou d'hallucinations d'un caractère gai ou agréable.
A cette époque, il alla consulter à Sainte-Anne. On lui prescrivit du bromure de potassium, et cette médication, remarquez-le bien, n'a jamais eu la moindre influence sur les attaques, bien que le médicament ait été absorbé d'une façon continue jusqu'à satu ration.
C'est dans ces conditions que Rig... a été admis à la Salpêtrière, dans le service de la clinique, et, à son entrée, nous constatons l'état suivant :
Le malade est pâle, anémique, il a peu d'appétit, surtout pour la viande, à laquelle il préfère les mets acides ; en somme, l'état général est assez peu satisfaisant. Les stigmates hystériques sont chez lui très nets. Ils consistent dans une hémianesthésie double en plaques d'une très grande étendue, pour la douleur (pincement, piqûre) et pour le froid. L'anesthésie sensorielle n'existe, en général, qu'à un très faible degré; le goût, l'odorat sont normaux; l'ouïe cependant est obnubilée d'une façon assez nette, surtout à gauche ; le malade n'entend pas mieux quand on applique sur le crâne l'objet sonore. Pour ce qui concerne la vision, les symptômes sont beaucoup plus nets et suffiraient seuls, en quelque sorte, pour permettre d'affirmer la nature hystérique de l'affection. Il présente, en effet, des deux côtés un rétrécissement notable du champ visuel, plus accentué cependant à droite. Il dislingue toutes les couleurs, mais le champ visuel du bleu s'est rétréci plus que celui du rouge et est passé en dedans de ce dernier, phénomène, quand il se rencontre, tout à fait caractéristique, autant que je sache, du champ visuel des hystériques et dont je vous ai
maintes fois montré des exemples. Enfin, pour en finir avec les stigmates permanents, il existe chez Rig... deux points hystéro-gènes, l'un cutané, siégeant au-dessous des dernières côtes droites, l'autre plus profond, au niveau du creux poplité du côté droit, point où le malade porte un kyste extrêmement douloureux spontanément. Il n'existe pas, chez II..., de point testiculaire. La pression exercée, sur les points spasmogènes, soit accidentellement, soit volontairement, fait naître chez le malade tous les phénomènes de l'aura hystérique: douleur précordiale, constriction du cou, avec sensation de boule, sifflements dans les oreilles, et battements dans les tempes; ces deux derniers phénomènes constituant, comme vous le savez, l'aura céphalique. Ces points, dont l'excitation peut provoquer l'attaque avec une singulière facilité, ne sont, par contre, pous nous servir de la terminologie proposée par M. Pitres, que très faiblement spasmo-frénaleurs ; c'est-à-dire que leur excitation même intense et prolongée n'arrête qu'imparfaitement l'attaque en voie d'évolution.
Dans Y étal ment ai do, Rig..., aujourd'hui, comme parle passé, c'est toujours, l'anxiété, la peur, la tristesse, qui dominent. Il ne peut dormir dans l'obscurité ; en plein jour, il n'aime pas se trouver seul ; il est d'une excessive sensibilité et il ressent une grande frayeur à la vue ou au souvenir de certains animaux tels que rats, souris, crapauds, qu'il revoit d'ailleurs souvent dans des cauchemars affreux ou dans de fréquentes hallucinations bypnagogi-ques. Il est toujours triste: « Je m'ennuie de moi-même », dit-il. Chez lui, une certaine mobilité d'esprit se traduit par ce fait qu'il ne peut s'attacher à rien et qu'il entreprend et abandonne avec la même facilité cinq ou six ouvrages à la fois. Il est intelligent et relativement assez instruit. Il est d'ailleurs d'un caractère doux et totalement dénué de mauvais instincts.
Les attaques sont spontanées ou provoquées. Quelle qtie soit la façon dont elles aient pris naissance, elles débutent toujours par une vive sensation de brûlure au niveau des points spasmogènes à laquelle succèdent d'abord la douleur épigastrique, puis la sensation de constriction du cou et de boule, enfin l'aura céphalique consistant en sifflements dans les oreilles et battements dans les-
tempes. A ce moment, le malade perd connaissance et Y attaque proprement dite commence. Elle est divisée en quatre périodes bien nettes et bien séparées. Dans la première, le malade esquisse quelques convulsions épileptiformes. Puis vient la période des grands mouvements de salutation, d'une violence extrême, interrompus de temps en temps par un arc de cercle absolument caractéristique, se dessinant tantôt en avant (emprosthotonos), tantôt en arrière (opisthotonos), les pieds et la tête touchant alors seuls le lit et le corps faisant le pont. Pendant ce temps, le malade pousse des cris sauvages. Puis vient la 3a période dite des attitudes passionnelles, pendant laquelle il prononce des paroles et pousse des cris en rapport avec le délire sombre et les visions terrifiantes qui le poursuivent. Tantôt c'est la forêt, les loups, des animaux affreux ; tantôt c'est la cave, l'escalier, le tonneau qui roule. Il reprend enfin connaissance, reconnaît les personnes qui l'entourent et les nomme ; mais le délire et les hallucinations persistent cependant pendant quelque temps encore ; il cherche autour de lui et sous son lit les bètes noires qui le menacent, il examine ses bras pensant y trouver les traces des morsures d'animaux, qu'il croit avoir senties. Puis il revient à lui, l'attaque est terminée, mais pour reprendre, le plus souvent, quelques instants plus tard, jusqu'à ce que, après trois ou quatre attaques successives, le malade ait retrouvé enfin complètement l'état normal. Jamais, pendant le cours de ces crises, il ne s'est mordu la langue, jamais il n'a uriné dans son lit.
Depuis près d'un an, R... est soumis au traitement par Pélec-trisation statique qui, dans les cas de ce genre, nous donne, vous le savez, souvent de bons résultats; nous lui avons prescrit, en même temps, tous les toniques, tous les reconstituants imaginables. Et cependant, les phénomènes que nous venons de décrire, stigmates permanents et attaques persistent tels quels, sans changements appréciables ; ils ne semblent pas, en somme, bien qu'ils aient déjà près de 3 ans d'existence, devoir se modifier de si tôt. Il s'agit cependant bien là, vous en conviendrez tous, d'un cas d'hystéro-épilepsie à crises mixtes (hystérie épileptiforme), aussi nettement caractérisé que possible ; et il est bien clair que la
stabilité des stigmates, sur laquelle nous avons suffisamment insisté ne saurait, entre autres, arrêter un instant notre diagnostic.
Pour en finir avec ce cas, si parfaitement typique, j'y relèverai encore quelques particularités que l'analyse clinique vous a fait reconnaître.
En premier lieu, je signalerai particulièrement l'hérédité nerveuse si fortement accentuée dans sa famille : hystérie chez le père, très vraisemblablement pour le moins; grand oncle et cousines germaines de la mère épileptiques ; deux filles, dont l'une est hystérique, l'autre hystéroépileptique. Vous rencontrerez fréquemment, Messieurs, ces conditions d'hérédité chez l'homme b}^slérique, plus accentuées peut-être encore que chez la femme.
Je vous rappellerai, en outre, comment, chez notre malade, les manifestations hystériques se sont développées à la suite et à l'occasion d'un accident qui a menacé sa vie. Le traumatisme qui en a été la conséquence —et il s'agit ici d'une blessure d'ailleurs assez légère du doigt, — eût-il suffi à lui seul, pour provoquer le développement des accidents nerveux? Cela est possible, mais je ne saurais l'affirmer. Toujours est-il que, à côté du traumatisme, il convient de tenir compte d'un facteur qui, très vraisemblablement, a joué dans la genèse de ces accidents, un rôle bien plus important que la blessure elle-même. Je veux parler delà terreur éprouvée par le malade au moment de l'accident et qui s'est traduite peu après par une sorte de parésie transitoire des membres inférieurs. Ce même élément psychique se retrouve en outre du traumatisme, dans quelques-uns des cas décrits par MM. Putnam, Walton, Page, Oppenheim et Thomsen, et où son influence, souvent prédominante, ne saurait être méconnue.
Cette même circonstance du développement des phénomènes hystériques, à la suite et à l'occasion d'un « shock » avec ou sans traumatisme, mais où l'émotion a joué un grand rôle, vous allez la retrouver, Messieurs, chez la plupart des autres malades qui vont maintenant vous être présentés.
Les cas dont il va être question actuellement, sont à plusieurs égards, en quelque sorte, calqués sur le précédent, cela nous dispensera d'entrer à leur sujet dans de très longs développements.
Obs. II. — Le nommé Gil... âgé de 32 ans, doreur sur métaux, est entré a la Salpêtrière en janvier 1885. On ne constate rien de bien particulier dans les antécédents héréditaires. Son. père, qui était très violent, est mort à 60 ans, à la suite d'une paralysie survenue sans attaques. Sa mère, morte tuberculeuse, était nerveuse, mais n'avait jamais eu d'attaques.
Les antécédents personnels sont beaucoup plus intéressants à étudier. A l'âge de 10 ans, il a été somnambule. Depuis son enfance, il a peur dans l'obscurité, et la nuit, il est sujet à des hallucinations hypnagogiques, à des cauchemars. De très bonne heure, il a abusé du coït; il ressent de temps à autre une sorte d'impulsion irrésistible vers les femmes. Il lui est arrivé souvent de courir soudain voir une fille pour venir ensuite reprendre son travail. Il est de plus masturbateur frénétique. Il est intelligent cependant; c'est un habile ouvrier et il apprend facilement ; à ses heures il est musicien, il joue du violon et de l'accordéon. Il fréquente volontiers le théâtre ; cependant d'un caractère plutôt sombre et taciturne, il recherche habituellement la solitude.
Son métier, dans lequel on emploie le mercure, n'a jamais produit chez lui d'accidents qu'on puisse rattacher à l'intoxication mercurielle. Pas de signes d'alcoolisme. Pas de syphilis.
Une première attaque s'est produite à l'âge de 20 ans, sans cause connue. Il était sur l'impériale d'un omnibus, lorsqu'il ressentit les premiers avertissements. Il eut le temps de descendre et l'attaque convulsive eut lieu dans la rue. Les attaques se reproduisirent ensuite assez fréquemment. Il en a compté dans le temps jusqu'à 4 ou 5 par mois. Il paraît que, à cette époque, dans plusieurs accès, il a uriné sous lui. Les crises convulsives s'étaient depuis plusieurs années considérablement espacées et ne revenaient plus qu'à de longs intervalles, lorsque, en 1880, le malade fut victime
d'une agression nocturne. Il reçut un coup de couteau sur la tête, dans la région pariétale droite, tomba sans connaissance, fut dévalisé et laissé pour mort sur la place. On le releva et on le transporta à la Charité, dans le service de M. Gosselin, où il resta pendant trois ou quatre jours sans connaissance. Un érysipèle se développa quelques jours après autour de la plaie de tête produite par le coup, et c'est au moment de la guérison que débuta une céphalalgie intense et d'un caractère particulier qui persiste encore aujourd'hui.
Pendant longtemps, à la suite de cet accident, il resta plongé dans une sorte d'hébétude dont il ne sorlit que peu à peu très incomplètement du reste, car depuis cette époque, même dans ses meilleurs jours, il lui est impossible de travailler, de s'occuper, de lire même avec quelque suite. Aussi bientôt lomba-t-il dans la misère. D'ailleurs, les attaques qui un instant avaient fait trêve, reparurent ensuite plus intenses et plus nombreuses qu'autrefois ; c'est pourquoi, en février 1883, le malade se présenta à l'Hôtel-Dieu où il fut admis. Il y demeura jusqu'en mars 1884.
C'est là que l'hémianeslhésie gauche complète, absolue, que nous retrouvons aujourd'hui fut pour la première fois constatée. Les attaques alors fréquentes et considérées, paraît-il, dans le service comme relevant du mal comitial, furent pendant près de 13 mois traitées par le bromure de potassium à haute dose, sans le moindre amendement.
Lorsque le malade fut admis à la Salpétrière, en janvier 1885, nous avons constaté ce qui suit :
L'état général, en ce qui concerne les fonctions de nutrition paraît assez satisfaisant. 11 mange bien et n'est pas anémique. Par contre, on ne tarde pas à reconnaître chez lui une dépression psychique très accentuée. Il est sombre, taciturne, méfiant ; il semble éviter les regards et ne fréquente guère les autres malades du service. Il ne se livre, dans la journée, à aucune occupation, à aucune distraction. L'hémianesthésie gauche déjà constatée à l'Hôtel-Dieu est complète, absolue, en ce qui concerne la sensibilité commune. Les troubles sensoriels de ce même côté gauche sont aussi très nettement accusés. De ce côté, en effet, obnubilation notable
de l'ouïe; perte complète de l'odorat et du goût; à. l'œil gauche, achromatopsie complète régulièrement constatée par M. Pari-naud et rétrécissement extrêmement prononcé du champ visuel pour la lumière blanche. Contrairement à ce qui a lieu dans la majorité des cas de ce genre, l'étendue du champ visuel, la notion des couleurs sont absolument normaux à droite. Il n'existe, d'ailleurs, aucune trace d'une lésion du fond de l'œil, soit à droite soit à gauche.
Constamment il se plaint d'une céphalée intense, gravativo ou plutôt constrictive, générale, occupant l'occiput, le sommet de la téle, le front, les tempes surtout, plus prononcée du côté gauche que du côté droit. Il lui semble porter sur la tête un casque, lourd et étroit qui l'enserre et le comprime. Cette céphalalgie permanente comme nous l'avons dit, s'exagère notablement un peu avant et à la suite des attaques. Elle s'exagère surtout lorsque le malade se livre à la moindre occupation, lorsqu'il veut lire, par exemple, ou écrire une lettre.
Les attaques dont nous avons été bien des fois témoin dans le service, présentent les caractères suivants : elles peuvent être spontanées ou provoquées ; dans les deux cas, elles ne diffèrent par aucun caractère essentiel. Trois zones hystérogènes ont été découvertes : deux d'entre elles occupent à droite et à gauche les régions sous-mammaires; la troisième existe dans la région iliaque droite; de ce côté, cependant, la pression du testicule et du cordon ne produisent aucune sensation anormale. Quand on presse légèrement sur les plaques hystérogènes, dont le siège vient d'être indiqué, le malade éprouve immédiatement tous les symptômes de l'aura cé-phalique, à savoir: battement dans les tempes, sifflement dans les oreilles, vertiges, etc. Mais, pour peu qu'on insiste, l'attaque survient à coup sûr très rapidement. Quelques spasmes épileptoïdes, de peu de durée, du reste, inaugurent la scène. Ils sont bientôt suivis de contorsions diverses et de grands mouvements de salutation, interrompus de temps à autre par l'attitude en arc de cercle; pendant ce temps, le malade ne cesse de pousser des cris sauvages Un rire convulsif, des pleurs, des sanglots terminent l'attaque. Au réveil, G. ne conserve aucun souvenir de ce qui s'est passé.
Les points hyslérogènes ne sont chez lui que très incomplètement spasmo-frénatcurs; quand on les comprime pendant l'attaque, celle-ci se suspend pendant un instant, mais elle reprend bientôi le cours de son évolution. Provoquées ou spontanées, les attaques se répètent, en général, successivement un certain nombre de fois de manière à constituer des séries ; jamais, en pareil cas, la température rectale ne s'est élevée au dessus de 3T°8 c.
D'après la description abrégée qui précède, vous reconnaîtrez que le cas de G. se rapproche beaucoup de celui de Rig... (lreobs.) dont il ne diffère que par quelques points de détail. Dans les deux cas, mêmes stigmates hystériques, mêmes tendances mélancoliques; mêmes attaques caractéristiques avec cette seule particularité relative à G. que chez lui l'aura évolue avec une grande rapidité, et que dans la crise, les attitudes passionnelles font défaut. Voici maintenant les quelques différences qu'il convient de signaler, à propos du second cas.
Nous avons dit que dans quelques unes de ses attaques, G. se mord la langue et urine sous lui. Le fait a été par nous parfaitement constaté. Nous avions été, un instant, porté à croire, d'après cela, que chez lui il s'agissait de l'hysléro-épilepsie à crises distinctes, à savoir : épilepsie vraie d'un côté, grande hystérie de l'autre, se montrant sous forme d'attaques séparées. Un examen plus attentif nous a fait reconnaître qu'il n'en est rien. Toutes les attaques, chez G., ont le caractère de la grande hystérie, et c'est pendant le cours de ces attaques-là que quelquefois il se mord la langue et que quelquefois il urine sous lui. Mais la morsure de la langue et l'émission involontaire des urines ne sont pas, tant s'en faut, des caractères univoques du mal comitial. Ces accidents peuvent s'observer dans l'hystéro-épilepsie dégagée de toute complication de mal comitial. Le fait est rare à la vérité; j'en ai observé et publié cependant un certain nombre d'exemples parfaitement caractéristiques1.
1. Quelques mois plus tard ce malade mourait brusquement, après avoir ingéré tout d'un coup une dose énorme de chloral qu'il avait amassée en secret. L'autopsie absolument négative, en ce qui concerne les centres nerveux, est venue confirmer pleinement le diagnostic.
En terminant ce qui concerne ce cas, j'appellerai voire attention sur la céphalée dont G. souffre d'une façon permanente; mais qui s'exaspère, à coup sûr, pour peu qu'il se livre à la moindre occupation. Avec toutes les particularités que nous avons relevées plus haut, la céphalalgie de ce genre n'appartient pas au tableau de l'hystérie ; elle se rencontre au contraire, pour ainsi dire, nécessairement, dans la névrose neurasthénique (Neuraslhenia de Beard dont elle constitue un des caractères prédominants, et où l'on observe également la dépression physique et mentale qui existe à un si haut degré chez notre malade. J'ai eu soin de relever que chez lui ces divers symptômes se sont produits, à la suite du coup qu'il a reçu sur la tête. Or, Messieurs, l'état neurasthénique, avec tout l'ensemble des phénomènes que Beard lui assigne dans sa remarquable monographie est l'une des affections nerveuses qui se développent le plus fréquemment, en conséquence du shock, en particulier dans les accidents de chemins de fer. C'est ce dont témoignent plusieurs des observations rapportées par M. Page2: j'ai, pour mon compte, rencontré deux exemples absolument semblables à ceux publiés par cet auteur, et dont l'un concerne un de nos confrères de Paris. D'après cela, il y a lieu d'admettre, je crois, que deux éléments biens distincts coexistent chez notre malade G. En premier lieu, l'état neurasthénique, conséquence immédiate et directe du shock dont il a été victime, il y a trois ans: en second lieu, l'hystéro-épilepsie avec tout le cortège des phénomènes qui la caractérisent. Celle-ci préexistait à l'accident, mais elle s'est toutefois considérablement aggravée depuis, ainsi que vous pourrez en juger en vous reportant aux détails de l'observation.
J'en viens maintenant à l'examen d'un troisième malade qui, du reste, rentre exactement, ainsi que je vous l'ai annoncé, dans le même cadre que les deux précédents.
1. G. M. Beard. —Die Nervenschwœche (Neuraslhenia. 2e Aufgabe. Leipzig, 1883.
2. IL Page. — Injuries of the spinal cord and nervous schock, etc., p. 170" et 172. London, 1883. Voir aussi L. Dana. Concussion of the spine and ils relation to neurasthenia and hysUria. (New-York médical Record. 6 déc. 1S84.
Obs. III. — L'homme que vous avez sous les yeux est un nommé Gui..., âgé de 27 ans, exerçant la profession de serrurier. Il est entré le 20 février 1884, dans le service de mon collègue, M. le docteur Luys. De ses parents, il ne connaît que son père qui est mort à l'âge de 48 ans, alcoolique avéré, et sa mère encore vivante, qui paraît n'avoir jamais souffert d'affections nerveuses. Il a eu sept frères et sœurs ; un seul de ses frères est vivant : il n'a jamais été malade, paraît-il, et n'est pas nerveux.
Vers l'âge de 12 ou 13 ans, G. est devenu très poltron, il ne pouvait pas rester seul dans une chambre sans éprouver un sentiment d'anxiété. D'ailleurs, il n'était ni irritable ni d'un caractère difficile. A l'école, il apprenait facilement et plus tard, vers l'âge de 17 ou 18 ans, il s'est montré, dans sa profession, adroit et intelligent. Plusieurs fois même, dans des concours pour des ouvrages de serrurerie, il a obtenu des médailles. Malheureusement, vers cette époque, un penchant immodéré pour les femmes et pour la boisson se sont développés chez lui. Il travaillait dans le jour comme ses camarades, mais la journée finie, il lui arrivait très souvent d'aller au bal et de passer la nuit au cabaret ou avec des filles. Ces excès se renouvelaient de temps à autre, plusieurs fois la semaine. Ils le privaient naturellement du sommeil nécessaire. Cependant ils ne paraissaient, pas le fatiguer beaucoup, car le lendemain, il se rendait à son travail comme d'habitude et s'acquittait de sa besogne convenablement.
A l'âge de 21 ans, en 1879, pendant une de ses expéditions nocturnes, il reçut un coup de couteau qui pénétra dans l'œil gauche. Il fut immédiatement porté à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. Panas, qui, peu de temps après, pratiqua l'énucléation de cet œil. Au sortir de l'hôpital, G... ne tarda pas à reprendre sa vie désordonnée.
A partir du commencement de 1882, il arriva fréquemment qu'au moment où il fermait les yeux pour s'endormir, il croyait voir un monstre à figure humaine qui s'avançait vers lui. Epouvanté, il poussait un cri, ouvrait les yeux et la vision disparaissait^ mais pour reprendre aussitôt que, de nouveau, il fermait les paupières. Il tombait alors dans un état d'anxiété extrêmement péni
ble, et souvent il restait ainsi une partie de la nuit, sans pouvoir trouver le sommeil.
Ces hallucinations hypnagogiques duraient depuis six mois environ, lorsqu'en juillet 1882, il fut victime d'un nouvel accident plus terrible que le premier. Occupé à poser un balcon au troisième étage d'une maison, alors que, peut-être, il était ivre, il tomba dans la rue, sur ses pieds, à ce qu'il affirme. Toujours est-il qu'il perdit connaissance pendant plus d'une heure. A son réveil, il se fît transporter de nouveau à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. le professeur Panas. Il paraît qu'on craignit alors l'existence d'une fracture du crâne. Néanmoins, la guérison ne se fit pas attendre très longtemps, et au bout de deux mois, le malade put rentrer chez lui. Bientôt après, les hallucinations nocturnes terrifiantes reparurent comme de plus belle, et peu après, commencèrent à se produire pour la première fois les attaques spasmodi-ques. Celles-ci ne furent pas tout d'abord aussi bien caractérisées qu'elles le devinrent par la suite. Elles consistaient surtout en des vertiges survenant tout à coup et suivis de rigidité, puis de tremblement des membres. Il n'y avait pas de perte de connaissance. Elles n'étaient pas, d'ailleurs, très fréquentes.
Les choses restèrent ainsi, pendant près de dix-huit mois. Au bout de ce temps, les prescriptions données par divers médecins consultés étant restées sans effet, G... prit le parti d'entrer à la Salpêtrière (service de M. Luys).
Peu après l'admission, G... devint sujet à des accès fréquents de coliques abdominales et gastriques suivies d'un sentiment de cons-triction au pharynx et bientôt de vomissements qui survenaient sans effort. Ces accidents qui n'avaient cédé à aucune médication, cessèrent au bout de six semaines environ tout à coup. Vers ce temps-là, fut reconnue l'existence de l'hémianesthésie droite, et aussi du tremblement particulier de la main droite dont il va être question dans un instant.
En janvier 1885, par suite d'un changement de personnel, les malades de M. Luys passèrent dans notre service et c'est alors que je vis G... pour la première fois. 11 est, vous le savez, assez bien musclé, vigoureux ; son état général paraît satisfaisant. L'é-Charcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 18
tat mental n'a présenté actuellement aucune grande anomalie, Les hallucinations hypnagogiques ont, depuis plus d'un an, à peu près, complètement disparu. G... n'est pas triste, il converse volontiers avec les autres malades et se rend utile dans la salle.
L'hémianesthésie est complète, absolue, à droite ; ni le contact, ni la piqûre ne sont perçus de ce côté du corps. Les organes des sens sont également profondément affectés de ce même côté : l'ouïe, l'odorat, le goût en particulier. Pour ce qui est de l'organe de la vision, l'examen méthodique y fait reconnaître des modifications très bien caractérisées. Du côté droit — vous n'avez pas oublié que l'œil gauche est absent, —le champ visuel est extrêmement rétréci. Le rouge seul est perçu par cet œil et le cercle de cette couleur est réduit presque à un point.
Le tremblement dont il a été question déjà plus haut et qui occupe la main droite est remarquable par la régularité parfaite de son rhythme constatée à l'aide des appareils enregistreurs. Il consiste en oscillations dont le nombre est de cinq en moyenne par seconde. A cet égard, il tient par conséquent le milieu entre le tremblement à oscillations lentes, tel que celui de la paralysie agitante, par exemple, et les tremblements vibratoires, ou autrement dit à oscillations rapides de la paralysie générale et de la maladie de Basedow. Il ne s'exagère pas sous l'influence des mouvements volontaires1. Le malade peut se servir de sa main pour boire et manger, et peut même écrire très passablement, à la condition seulement d'appuyer fortement avec sa main gauche sur son poignet droit, manœuvre qui fait cesser le tremblement pour un instant. Le sens musculaire est parfaitement conservé dans toute l'étendue du membre supérieur droit.
La seule zone hystérogène constatée chez G... occupe le testicule et le trajet du cordon spermatique, presque jusqu'à l'aine, du côté droit. La peau du scrotum de ce côté est très sensible et lorsqu'on la pince un peu fortement on produit exactement les mêmes effets que si l'on comprime soit le testicule lui-même, soit le cor-
i.Prog. méd., 1885, n» 12.
don, c'est-à-dire soit le développement, soit, au contraire, l'arrêt de l'attaque, suivant le cas.
Ces attaques, qu'elles soient spontanées ou provoquées par l'excitation artificielle de cette zone hystérogène sont toujours précédées par une sensation à'aura douloureuse parfaitement caractérisée, laquelle prenant son point de départ dans le testicule droit, remonte vers les régions épigastrique et cardiaque, puis à la gorge où elle détermine une forte constriction, et, enfin, atteint la tête où se produisent des sifflements, surtout dans l'oreille droite et des battements principalement à la tempe du même côté. Le malade perd alors complètement connaissance ; la période épileptoïde est commencée : d'abord augmente et se précipite le tremblement de la main droite, les yeux se convulsent en haut, les membres s'étendent, les poings se ferment puis se tordent dans la pronation exagérée. Bientôt les bras se rapprochent l'un de l'autre au-devant de l'abdomen par suite d'une contraction con-vulsive des muscles pectoraux. Après cela survient la période des contorsions, caractérisée surtout par des mouvements de salutation extrêmement violents qui s'entremêlent avec des gestes désordonnés. Le malade brise ou déchire tout ce qui se trouve à la portée de ses mains : Il prend les poses, les attitudes les plus bizarres, de manière à légitimer pleinement la dénomination de clownisme que j'ai proposée pour désigner cette partie de la deuxième période de l'attaque. De temps en temps, les contorsions ci-dessus décrites s'arrêtent un instant pour faire place à l'attitude si caractéristique dite « arc de cercle ». Tantôt c'est un véritable opisthotonos dans lequel les reins sont séparés du plan du lit par une distance de plus de 50 centimètres, le corps ne reposant que sur le vertex d'un côté, sur les talons de l'autre. D'autres fois, le cercle se fait en avant, les bras croisés sur la poitrine, les jambes en l'air, le tronc et la tête soulevés, les fesses et les reins reposant seuls sur le lit. D'autre fois, enfin dans l'attitude de l'arc de cercle le malade repose, soit sur le côté droit, soit sur le côté gauche. Toute cette partie de l'attaque est, chez G..., parfaitement belle, si je puis m'exprimer ainsi, et chacun de ces détails méritait d'être fixé par les procédés de la photographie instantanée. Je fais pas-
ser sous vos yeux les figures qui ont été ainsi obtenues par
.Figf. 49. — Arc de cercle en arrière.
M. Londe. Vous voyez qu'au point de vue de l'art, elles'ne laissent
Fia; 50. — AttituJe illogique.
rien à désirer ; mais de plus elles sont pour nous très instructives. Elles nous montrent, en effet, que pour ce qui concerne là régula
rite des périodes et le caractère épique des diverses altitudes, les
Fig. 51. — Arc de cercle en avant.
attaques, chez G. ..,ne le cèdent en rien à celles que uous observons,
Fig. 25. — Arcle de cercle de côté (en avant).
chaque jour, chez nos hysléro-épileptiques du sexe féminin les plus classiques ; et cette ressemblance parfaite mérite d'autant
mieux d'être signalée que jamais G... n'a pénétré dans îe dortoir où sont placées les femmes « en attaques», de telle sorte qu'on ne saurait invoquer chez lui l'influence de l'imitation contagieuse.
Seule la période des hallucinations et des attitudes passionnelles fait chez G... habituellement défaut. Quelquefois seulement, nous avons vu vers la fin de la crise sa physionomie exprimer
Fig. 53. ¦— Arc de cercle de côté (en arrière).
alternativement la frayeur ou la joie, alors que ses mains restaient dans le vide comme à la recherche d'un être imaginaire.
La fin de l'attaque est chez notre malade souvent marquée par une sorte d'aphasie motrice qui, en général, ne dure pas plus de huit ou dix minutes, mais qui, une fois, a persisté pendant près de six jours. Alors, quand le malade veut parler, quelques sons rau-ques, inarticulés, sortent seuls de sa bouche; il s'impatiente, s'agite, mais parvient cependant à se faire comprendre par des gestes très expressifs. Il lui est même arrivé plusieurs fois, en pareil cas, de prendre la plume et d'écrire très lisiblement quelques phrases très correctes.
C'en est assez sur ce cas à tous égards parfaitement classi
que. Mais nous n'en avons pas encore fini avec l'hystérie de l'homme. Nous la retrouverons dans la prochaine leçon, tout aussi caractérisée que dans les cas précédents, chez trois autres malades du service de la clinique.
DIX-NEUVIÈME LEÇON
A propos de six cas d'hystérie chez l'homme (Suite. l)
Sommaire. — Formes anormales de l'attaque hystérique chez l'homme. — Relation d'un cas dans lequel les attaques avaient pris l'aspect de l'épi-lepsie partielle. — Diagnostic de ce cas: importance des stigmates hystériques.
L'attaque convulsive peut faire défaut dans l'hystérie de l'homme. — Description d'un cas de monoplégie brachiale, chez un homme de 19 ans, hystérique. — Difficultés du diagnostic dans ce cas.
Messieurs,
Je viens terminer aujourd'hui l'étude que nous avons commencée dans la dernière leçon. Je procéderai, d'ailleurs, comme je l'ai fait l'autre jour, surtout par voie de démonstration clinique. Notre matériel d'hystériques mâles est loin d'être épuisé. Trois nouveaux sujets vont successivement passer sous vos yeux ; au fur et à mesure les principaux détails des observations qui les concernent vous seront communiqués. Je laisserai les faits parler d'eux-mêmes et je relèverai seulement par quelques courts commentaires, les enseignements les plus importants que fournissent ces observations. •
Obs. IV. — Le sujet qui va vous être présenté ne rentre pas tout à fait dans le cadre où nous sommes restés jusqu'ici, en ce sens qu'il s'agit d'un adolescent et non pas d'un homme fait.
1. Leçon recueillie par M. Georges Guinon, interne du service.
Mais, chez lui, la maladie paraît douée, vous allez le voir, de ce caractère de permanence et de ténacité que nous avons rencontré déjà.
Le nommé Mar..., âgé de 16 ans, est entré dans le service de la clinique, le 29 avril 1884, c'est-à-dire il y a un on. Il est né et il a vécu jusqu'à l'âge de 14 ans à la campagne. Sa mère aurait eu, en 1872, quelques attaques d'hystérie. Son grand-père paternel était alcoolique et d'un caractère très violent. C'est tout ce que l'on peut relever dans les antécédents héréditaires. Quant à lui, c'est un gros garçon, bien développé, quoiqu'il ait eu dans son enfance quelques manifestations strumeuses, à savoir: écoulements d'oreilles, ganglions dans la région mastoïdienne. 11 est intelligent, d'un caractère plutôt gai et n'a jamais été peureux ; mais il était sujet à des accès de colère très violents, allant, dans ces accès, jusqu'à briser tout ce qu'il rencontrait sous sa main. Il y a deux ans, il fut placé à Paris, chez un boulanger, à titre d'apprenti. Peu de temps après, il eut une fluxion de poitrine et l'affaiblissement que produisit cette maladie ne fut certainement pas sans influence sur le développement des accidents qui suivirent bientôt. Quelque temps après, encore convalescent, il éprouva une violente frayeur. Il fut, dit-il, attaqué par deux jeunes gens, un soir dans la rue ; il tomba presque immédiatement sans connaissance, et fut transporté, dans cet état, chez son patron. Il ne portait aucune trace de blessure. A partir de ce moment, il resta pendant quelques jours plongé dans une sorte d'hébétude. Il commença à devenir sujet, la nuit, à des cauchemars très pénibles qui le tourmentent encore aujourd'hui. Il rêvait qu'il se battait, et souvent, il se réveillait en poussant dos cris. Enfin, au bout de quinze jours les attaques d'hystérie commencèrent. Elles eurent lieu d'abord tous les jours, se présentant en séries de 8 ou 10, quelquefois on comptait deux séries dans la môme journée ; puis elles diminuèrent peu à peu dénombre et d'intensité.
Au moment où le malade entre à la Salpêtrière, on constate l'état suivant : Les stigmates hystériques sont très nets; ils consistent en une anesthêsie en plaques, disséminées irrégulièrement sur tout le corps, et sur lesquelles l'insensibilité est complète, au
toucher, au froid el à la douleur. L'ouïe, le goûl, l'odorat, sont obnubilés du côté gauche, et pour ce qui est de la vision, on constate l'existence d'un double rétrécissement du champ visuel, plus accentué du côté droit. De ce côté, le malade ne distingue pas le violet, tandis qu'à gauche il reconnaît toutes les couleurs; mais, des deux côtés, phénomène remarquable sur lequel j'ai maintes fois appelé votre attention et que nous avons déjà rencontré d'ailleurs chez le premier de nos sujets, le champ visuel du rouge est plus étendu que celui du bleu, contrairement à ce qui a lieu, vous le savez, dans les conditions normales. Il n'existe qu'un point hystérogène : il occupe la région iliaque gauche. Aujourd'hui encore, bien que la maladie ait débuté il y a deux ans, les attaques surviennent spontanément, à intervalles assez courts, tous les 10 ou 12 jours environ. Elles peuvent être provoquées très facilement, lorsqu'on exerce une pression même modérée sur le point hystérogène. Une pression plus énergique exercée sur ce même point arrête l'attaque.
Celle-ci, qu'elle soit spontanée ou provoquée, est toujours précédée d'une aura : douleur iliaque au niveau du point hystérogène, sensation de boule qui, de l'épigastre, remonte jusqu'à la gorge, bourdonnements d'oreilles, battements dans les tempes. Puis l'attaque commence : les yeux se renversent en haut dans leur orbite, les bras se raidissent dans l'extension, et le malade, s'il est debout, tombe en perdant connaissance. La phase épilep-loïde est en général peu accentuée et très courte, mais la période des grands mouvements et des contorsions qui lui fait suite est excessivement violente et de longue durée: Le malade pousse des cris, mord tout ce qu'il trouve à sa portée, il déchire ses draps, fait les grands mouvements classiques de salutation qu'il interrompt de temps à autre, en prenant l'attitude si caractéristique de l'arc de cercle. La scène se termine par la phase des altitudes passionnelles qui est fort accentuée chez lui et diffère un peu suivant les cas. Ainsi, quand l'attaque a été spontanée, il peut arriver que les hallucinations en jeu aient par moment un caractère gai, tandis que si la crise a été provoquée par l'excitation de la plaque hystérogène, le délire est toujours sombre, furieux, ac-
compagne de paroles grossières, d'injures : « Canailles, chameaux, carabins ! etc. »
En général, plusieurs attaques se succèdent, de façon à constituer une série plus ou moins nombreuse.
Chez ce sujet, je me bornerai à relever la permanence et, en quelque sorte, l'immobilité des éléments constitutifs de l'hystérie, rappelant ce qui s'observe souvent chez l'homme. Ainsi que vous l'avez pu remarquer, chez notre jeune malade, bien que deux ans se soient écoulés, depuis le moment du début, les crises convul-sives sont encore fréquentes aujourd'hui, quoique nous ayons pu faire, et les stigmates hystériques, anesthésie sensorielle et sen-sitive, n'ont pas varié sensiblement, depuis le jour où nous les avons étudiés pour la première fois. Rien ne laisse prévoir qu'il doive se modifier bientôt.
Il n'en est pas ainsi, Messieurs, habituellement, chez les jeunes garçons, particulièrement lorsque la maladie s'est développée chez eux, avant l'âge de la puberté. A cet âge, c'est là du moins ce qui me paraît résulter des observations nombreuses que j'ai eu l'occasion de recueillir, les symptômes hystériques sont, en général, beaucoup plus fugaces, beaucoup plus mobiles, quelque accentués qu'ils puissent être et ils cèdent le plus souvent assez facilement devant la mise en œuvre d'une médication appropriée
1. Deux jours après que la présente leçon a été délivrée, M. le professeur Charcot a admis dans son service un jeune homme de 21 ans, de nationalité belge, le nommé Fal, grand, maigre, haut en couleur, aux cheveux d'un blond pâle, qui, comme les précédents, offre à l'étude, sous sa forme la plus classique, toute la symptomatologie de Phystéro-épilepsie à crises mixtes. Dans les antécédents héréditaires, on ne trouve à relever, ici, que l'alcoolisme chez le père, et parmi les antécédents personnels dans l'enfance, des terreurs nocturnes, des cauchemars fréquents, et même, en plein jour, parfois, des visions d'animaux, de figures affreuses.
En novembre 1884, F..., fut gravement atteint du choléra. Il guérit, mais la convalescence fut longue, et pendant plusieurs semaines, il resta très affaibli, sujet à ressentir des crampes dans les membres inférieurs, et des douleurs abdominales. Trois mois après sa guérison, étant encore à l'hôpital, en convalescence, la vue d'un cadavre qu'on emportait le jeta dans une grande frayeur et presque aussitôt survint la première attaque. Une autre frayeur, survenue peu après, en conséquence d'une mauvaise plaisanterie imaginée par un malade couché dans la même salle, paraît avoir décidé la situation, car, à partir de cette époque, F... ne cessa d'être sous
A part une anomalie dans la forme des attaques, sur laquelle je reviendrai dans un instant, le cas dont je vais vous entretenir maintenant et qui concerne un jeune homme de 22 ans, doit être rattaché encore, comme les précédents, au type hystéro-épilepsie.
Obs. V. — Le nommé Ly..., maçon, âgé de 22 ans, est entré à la Salpêtrière, service de la clinique, le 24 mars 1885. Il est né à la campagne, aux environs de Paris; c'est un garçon de taille moyenne, peu développé et plutôt d'apparence débile. Son père, qui a exercé la profession de charretier, est alcoolique. Sa mère, morte tuberculeuse, a eu des attaques d'hystérie. Enfin, l'on trouve dans sa famille une grand'mère maternelle encore hystérique, bien qu'elle ait atteint l'âge de 82 ans, et deux tantes maternelles toutes deux atteintes d'hystérie. "Voilà des antécédents d'une importance capitale, quatre hystériques et un alcoolique dans la même famille ! les antécédents personnels ne sont pas moins intéressants à relever. Notre malade a toujours été peu intelligent, faible d'esprit, il n'a jamais rien pu apprendre à l'école ; mais il ne présente pas au reste, à part cette débilité psychique, de troubles mentaux bien caractéristiques. Il avoue avoir bu pendant assez longtemps cinq ou six petits verres d'eau-de-vie par jour et du vin en assez grande quantité: mais il assure avoir perdu cette
le coup d'hallucinations terrifiantes en même temps que les accès convul-sifs se montraient à peu près régulièrement toutes les nuits. Lors de l'entrée du malade à la clinique de la Salpêtrière, on constate ce qui suit: anesthésie cutanée disposée en plaques disséminées ; diminution du goût et de l'odorat à gauche; rétrécissement du champ visuel limité à l'œil droit; points hystérogènes très étendus, sous formes de larges plaques hy-péresthésiques occupant en avant presque toute la surface de l'abdomen et en arrière les régions des omoplates, les fesses, le creux poplité, la plante des pieds, etc. L'attaque peut être facilement provoquée lorsque ces plaques d'hypéresthésie sont soumises à une friction même peu vigoureuse. Après l'aura classique survient une période épileptoïde très nettement caractérisée. La période des grands mouvements, comprenant l'attitude en arc de cercle est également très classique. Enfin, survient la phase des attitudes passionnelles pendant laquelle le malade paraît en proie à un délire sombre ou furieux. Ainsi, de même que dans les cas dont il a été question précédemment, la grande hystérie est survenue chez cet homme, à la suite de l'affaiblissement causé par une maladie grave, en conséquence d'une grande frayeur, et chez lui, comme chez les autres, elle se montre douée à un haut degré de ses attributs caractéristiques, telle, en un mot, qu'on l'observe fréquemment chez la femme.
mauvaise habitude depuis qu'il est tombé malade. 11 y a trois ans, il a eu un érysipèle à la face suivi bientôt d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu, d'ailleurs assez légère, puisqu'elle ne le retint que quinze jours au lit. La même année, il se soigna pour se débarrasser d'un ver solitaire dont il souffrait, et prit de l'écorce de racine de grenadier. Le remède produisit l'effet attendu ; le malade rendit d'abord des fragments, puis le ver tout entier. Mais la vue du ténia qu'il trouva dans ses selles, le frappa d'une manière toute particulière et l'émotion qu'il ressentit fut assez vive, pour que, pendant quelques jours, il souffrit de légers accidents nerveux tels que coliques, douleurs et secousses dans les membres, etc.
Il y a un an, pendant qu'il travaillait à Sceaux de son métier, le fils d'un de ses camarades fut rudement frappé par son père; témoin de la scène, L... voulut s'interposer; mal lui en prit, car le camarade furieux tourna ses coups contre lui, et alors qu'il fuyait, lui lança une grosse pierre qui heureusement ne l'atteignit pas; mais la frayeur ressentie par L... fut très vive; immédiatement, il fut pris de tremblement des membres et la nuit qui suivit, il lui fut impossible de trouver le sommeil. L'insomnie persista les jours suivants; de plus, nuit et jour, il était tourmenté d'idées noires. Il croyait à chaque instant voir de nouveau son ver solitaire ou encore assister à la lutte dont il avait failli être victime . de plus, il souffrait de picotements dans la langue, ne mangeait plus, se sentait faible et travaillait mal. Cet état durait depuis quinze jours, lorsqu'un soir, vers six heures, survint la première attaque convulsive. Déjà, depuis le matin, il souffrait d'une douleur à l'épigastre avec sensation de boule, d'étouffement et de bourdonnement dans les oreilles. Au moment où l'attaque commença, nous dit-il, il sentit que sa langue était attirée dans sa bouche vers la gauche, par une sorte de traction involontaire, irrésistible. Puis il perdit connaissance et quand il revint à lui, on lui dit qu'il avait eu la figure tordue à gauche, les membres agités d'un tremblement, et qu'une fois les convulsions arrêtées, il s'était mis à parler à haute voix sans se réveiller. Pendant les mois qui suivirent, des crises, en tout semblables, se répétèrent tous les huit ou quinze jours environ, et il se vit obligé, durant
cette longue période, de cesser tout travail, à cause de l'état de faiblesse où il se trouvait. Ces crises furent considérées comme des attaques épileptiformes d'origine alcoolique et pendant près d'un an, il fut soumis à l'emploi du bromure de potassium à dose élevée, sans que les accidents en aient été modifiés en rien. Dans la journée qui suivit son entrée à la Salpêtrière, il se produisit spontanément une série de cinq attaques successives auxquelles il ne nous fut pas donné d'assister.
Le lendemain, l'examen méthodique du malade nous fait constater ce qui suit : anesthésie généralisée, disposée par plaques disséminées; rétrécissement considérable du champ visuel des deux côtés; le champ du rouge est plus étendu que celui du bleu ; diplopie monoculaire. Il existe deux points spasmogènes, l'un au niveau de la clavicule droite, l'autre au-dessous des dernières fausses côtes du même côté. Une pression un peu forte, exercée sur ce dernier point, détermina immédiatement lors du premier examen, une attaque que nous pûmes étudier dans tous ses détails. Elle est précédée de l'aura classique ; constriction épigas-trique, sentiment d'une boule au cou, etc. Dans ce moment même, et avant que le malade ait perdu connaissance, la langue, raidie, est attirée dans la bouche vers le côté gauche; on sent à l'aide du doigt, que sa pointe est portée derrière les molaires de ce côté. La bouche, entr'ouverte, se dévie à son tour, la commissure labiale gauche est relevée et tirée vers la gauche; tout le côté gauche de la face, à son tour, prend part à celte déformation; la tête elle-même, enfin, est fortement tournée vers la gauche. Le malade en ce moment est, depuis quelque temps, devenu inconscient. Alors les membres supérieurs se raidissent dans l'extension, le droit d'abord, puis le gauche. Les membres inférieurs, cependant, restent flasques ou du moins se raidissent très peu. Le mouvement de torsion vers la gauche, d'abord accusé à la face, ne tarde pas à se généraliser, et roulant sur lui-même, le malade se trouve bientôt couché sur le côté gauche. C'est alors que les convulsions cloniques remplacent les toniques. Les membres sont agités de vibrations fréquentes et de peu d'étendue. La face est le siège de secousses brusques, puis sur
vient un relâchement complet sans stertor. Mais, en ce moment, le sujet semble tourmenté par des rêves pénibles. Il revoit sans doute mentalement la scène de sa lutte avec son camarade. « Canaille..., Prussien..., un coup de pierre..., il veut me tuer;» telles sont les paroles qu'il profère d'une façon parfaitement distincte. Puis tout à coup, il change d'attitude ; on le voit, assis sur son lit, passer à diverses reprises sa main sur son membre inférieur, comme s'il cherchait à se débarrasser de quelque reptile qui, enlaçant sa jambe, ferait effort pour remonter le long de sa cuisse, et pendant ce temps, il parle du « ver solitaire ». La scène de Sceaux revient ensuite: « Je vais te tuer..., un coup de fusil..., tu vas voir. » Après cette période, marquée par le délire et les attitudes passionnelles correspondantes, la période épileptoïde se reproduit spontanément, inaugurant ainsi une nouvelle attaque qui ne se distingue en rien de la première et qui peut être suivie de plusieurs autres. La pression des points hystérogènes peut d'ailleurs interrompre l'accès dans les diverses phases de son évolution. Au réveil, L... paraît étonné, comme stupide, et il assure ne se souvenir en rien de ce qui s'est passé.
Toutes les attaques, en assez grand nombre, tant spontanées que provoquées, dont nous avons été témoin, ont présenté exactement le même caractère. Toujours nous avons vu se reproduire dans le même ordre, systématiquement, et jusque dans les moindres détails, les divers incidents de la phase épileptoïde, débutant par la langue et la face, tels qu'ils viennent d'être décrits, en un mot, puis les scènes variées de la phase délirante.
Voilà, Messieurs, une attaque d'hysléro-épilepsie, qui, par un côté, s'éloigne notablement du type classique. Dans la première période, en effet, nous voyons les accidents convulsifs reproduire jusqu'à l'imitation presque parfaite les symptômes de l'épilepsie partielle, tandis que les contorsions, les grands mouvements, l'arc de cercle enfin, font absolument défaut. Mais nous connaissons, chez la femme, cette variété de l'attaque hysléro-épileptique 1 ;
1. Voir l'observation de Geneviève B... et de Parm... (Iconogr. photogr. de la Sa/pëirière, 18, t. i, 1877, p. 49; t. n, p. 202 et t. m, 1979, p. 658.
bien qu'elle y soit assez rare, j'ai eu néanmoins l'occasion de vous en présenter, dans ces derniers temps, plusieurs exemples parfaitement authentiques. Elle a été, d'ailleurs, l'an passé, de la part de mon ancien chef de clinique, M. le Dr Ballet, actuellement médecin des hôpitaux, l'objet d'une étude attentive En rapprochant des observations contenues dans ce travail, le cas qui vient de nous occuper, vous serez amenés à reconnaître une fois de plus les traits de ressemblance vraiment saisissants qui rapprochent l'hystéro-épilepsie de l'homme de celle de la femme, alors même que, cessant de considérer exclusivement le type fondamental, on ouvre le chapitre des anomalies.
Une autre anomalie, moins rare celle-là, moins inattendue, c'est, dans l'hystérie de la femme, l'absence des crises convul-sives. Vous savez, en effet, que, suivant l'enseignement de Briquet, un quart environ des hystériques femmes n'ont pas d'attaques. La maladie, en pareille occurrence, sans rien perdre cependant de son autonomie, n'est plus représentée symptomatiquement que par les stigmates permanents auxquels s'adjoignent parfois plusieurs accidents spasmodiques ou autres, tels que la toux nerveuse, les contractures permanentes, certaines arthralgies, certaines paralysies, des hémorrhagies s'opérant par diverses voies, etc., etc.; or, les attaques peuvent également faire défaut dans l'hystérie de l'homme. Le cas que je vais vous montrer maintenant, lorsqu'il s'est présenté à nous, offrait un bel exemple de ce genre. La maladie s'est, en quelque sorte, complétée depuis, car actuellement les attaques existent. Mais pendant une longue période de lt mois, il s'est agi ici d'un cas fruste, d'une interprétation assez difficile, d'ailleurs, du moins à certains égards, ainsi que vous pourrez le reconnaître.
Donc, le 10 mars dernier, le garçon que vous avez sous les yeux se présentait à nous, atteint d'une monoplégie brachiale gauche, sans trace aucune de rigidité, molle, flexible en un mot, au plus haut degré, laquelle, disait-il, datait de 10 mois et était
1. Ballet et Crespin, — Des attaques d'hystérie à forme d'épilepsie par-tielletArch. de Neurologie, 1884, nos 23 et 24).
survenue quelques jours après un traumatisme dont l'action avait porté sur la partie antérieure de l'épaule gauche. Aucune trace de paralysie ou de parésie même, soit au membre inférieur correspondant, soit à la face; pas traces non plus, malgré la date ancienne déjà du début de la paralysie, d'atrophie des muscles paralysés, circonstance qui, jointe à l'absence de toute modification des réactions électriques dans ces muscles, nous conduisais immédiatement à éliminer l'influence — du moins l'influence locale, directe, —du traumatisme. Nous étions frappé, d'ailleurs, de voir la peau des régions carotidiennes soulevée par des battements artériels violents. Le pouls de Corrigan était nettement accusé. L'auscultation du cœur révélait l'existence d'un souffle, au deuxième temps et à la base et, d'autre part, nous relevions sommairement, dans les antécédents du malade, l'histoire d'un rhumatisme articulaire aigu qui l'avait tenu au lit, pendant cinq ou six semaines. L'idée nous vint, en conséquence, tout naturellement, que cette monoplégie dépendait d'une lésion cérébrale en foyer, corticale, étroitement limitée dans la zone motrice, au centre brachial et consécutive elle-même à l'affection valvulaire du cœur. Mais une étude plus attentive du cas devait bientôt nous détromper. Sans doute, la monoplégie en question dérive d'une lésion cérébrale corticale, principalement localisée dans la zone motrice du bras; mais il ne s'agit pas là d'une altération matérielle grossière, la lésion est purement « dynamique », « sine matériel », du genre de celles, enfin, dont on imagine volontiers l'existence pour expliquer le développement et la persistance des divers symptômes permanents de l'hystérie. C'est là du moins ce qui ressortira, je pense, très nettement de l'examen détaillé que nous allons faire de notre malade.
Obs. VI.— Le nommé Pin..., âgé de 18 ans, exerçant actuellement la profession de maçon, est entré à la Salpêtrière le il mars 1883. Sa mère est morte à l'âge de 46 ans, à la suite « de rhumatismes » (?) ; son père est alcoolique. Une de ses sœurs, âgée de 16 ans est sujette à de fréquentes attaques de nerfs. C'est un jeune homme d'apparence solide, bien musclé, mais le fonc-Chaucot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux, 19
tionnement du système nerveux a toujours laissé chez lui beaucoup à désirer. De 5 à 7 ans, il a été atteint d'incontinence d'urine. Toujours il a été peu intelligent, sa mémoire est faible et il n'a pas appris grand chose à l'école. D'ailleurs il était peureux, sujet à des terreurs nocturnes. Au point de vue moral c'est un anomal, un déséquilibré. Dès l'âge de 9 ans, il quittait souvent la maison paternelle et allait coucher sous les ponts, dans les salles d'attente des gares de chemins de fer. Son père l'ayant placé en apprentissage chez un fruitier, puis chez un pâtissier et d'autres encore, il recommença ses escapades. Une nuit, il fut. arrêté en compagnie d'une bande de jeunes vagabonds et interné à la Roquette où son père le laissa pendant un an.
Il y a deux ans, à l'âge de 16 ans, il fut pris d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu généralisé, précédé par un érysi-pèle de la face. C'est très vraisemblablement de cette époque que date l'altération organique du cœur que nous reconnaissons chez lui aujourdhui.
Le 24 mai 1884, il y a 18 mois de cela, P..., alors apprenti maçon, tomba d'une hauteur d'environ deux mètres, et resta, à la suite, quelques minutes seulement sans connaissance sur le lieu où il était tombé. Il fut transporté à son domicile, et là on reconnut l'existence de quelques contusions occupant la partie antérieure de l'épaule, du genou et du cou-de-pied gauche, contusions légères qui n'entravaient pas sérieusement l'usage des parties affectées.
Pendant quelques jours, on put croire que tout en resterait là, mais le 27 mai, c'est-à-dire 3 jours après l'accident, P... s'aperçut que son membre supérieur gauche était devenu faible. Il alla alors consulter un médecin qui reconnut, paraît-il, une parésie de tous les mouvements du bras gauche avec anesthôsie de ce membre. Le 8 juin, c'est-à-dire 15 jours après sa chute et 11 jours après le début de la parésie, il entra à l'Hôtel-Dieu. Là, il fut examiné avec soin; on reconnut ce qui suit: signes bien caractérisés d'insuffisance aortique. Les parties qui ont été contusionnées ne sont le siège d'aucune douleur, soit spontanée, soit provoquée par les mouvements actifs ou passifs. Paralysie incomplète du
membre supérieur gauche. Le malade pouvait encore, très incomplètement toutefois, fléchir la main sur l'avant-bras et celui-ci sur le bras; mais tous les mouvements de l'épaule étaient impossibles. Le membre paralysé était absolument flexible dans toutes ses articulations ; pas trace de rigidité. La face, le membre inférieur gauche étaient absolument normaux; en ce qui concerne la motilité, il s'agissait donc bien là d'une monoplégie, dans l'acception rigoureuse du mot. L'étude de la sensibilité fournissait les résultats que voici : Il existait déjà, à cette époque, une hémianalgésie gauche généralisée ; l'anesthésie était complète, au membre supérieur exclusivement. Dès cette époque, on constatait le rétrécissement du champ visuel double, beaucoup plus accentué à gauche, que nous allons retrouver tout à l'heure. Enfin, le 25 juin, c'est-à-dire 22 jours après le début de la paralysie, celle-ci était devenue absolument complète *. Le diagnostic resta incertain, la thérapeutique inefficace. La faradisation, plusieurs fois appliquée sur le côté gauche, eut pour effet seulement de rendre la sensibilité moins obtuse sur le tronc, la face, le membre inférieur. L'anesthésie et la paralysie restèrent telles quelles au membre supérieur. Le rétrécissement du champ visuel ne s'était également nullement modifié, à l'époque où P... quitta l'Iîôtel-Dieu.
C'est lê 11 mars de cette même année, par conséquent, dix mois après la chute et neuf mois après l'établissement complet de de la monoplégie que P... entra dans le service de la clinique, à la Salpêlrière. Nous rétablissions alors les antécédents tels que je viens de vous les dire et, de plus, un examen clinique minutieux nous fournissait les résultats que voici : insuffisance aortique bien caractérisée. Il existe un souffle au second temps et à la base ; les artères du cou sont soulevées par des battements apparents à la vue ; pouls de Corrigan ; pouls capillaire sensible au front.
La paralysie motrice du membre supérieur gauche, qui se présente inerte, pendant le long du corps et retombe lourdement
1. Tous ces renseignements relatifs à ce qui s'est passé à Pilôtel-Dieu, nous ont été obligeamment fournis par Mlle Klumpke, élève du service, où P----avait été admis.
lorsque, soulevé, on l'abandonne à lui-même, est complète, absolue. Il n'y a pas trace d'un mouvement volontaire ; pas trace de contracture. Les masses musculaires ont conservé leur volume et leur relief normal ; les réactions électriques, tant faradiques que galvaniques, ne sont en rien modifiées. Très légère augmentation relative des réflexes tendineux du coude et de l'avant-bras. Anes-thésie cutanée absolue au contact, au froid, à la piqûre, à la fa-radisalion la plus intense, sur toute l'étendue du membre, main, avant-bras, bras et épaule. Du côté du tronc, cette anesthésie est limitée par une ligne circulaire déterminant un plan à peu près vertical qui, passant par le creux de l'aisselle, empiéterait un peu sur le creux sous-claviculaire, en avant, le tiers externe de la région de l'omoplate, en arrière. L'insensibilité s'étend au même degré aux parties profondes ; on peut, en effet, faradiser fortement les muscles, les troncs nerveux eux-mêmes, tirailler énergiquement les ligaments articulaires, faire subir aux diverses jointures des mouvements de torsion violente, sans que le malade en ait conscience le moins du monde. La perle des diverses notions rattachées au sens musculaire est également complète ; le malade est dans l'impossibilité de déterminer, même approximativement, l'altitude qui a été imprimée aux divers segments de son membre, la place qu'ils occupent dans l'espace, la direction et la nature des mouvements auxquels ils sont soumis, etc.
En dehors du membre supérieur gauche, il n'existe de ce côté, aucune modification de la motilité, soit à la face, soit au membre inférieur, mais sur ces derniers points, ainsi que sur la moitié gauche du tronc, on retrouve l'analgésie déjà signalée lors du séjour à l'Hôtel-Dieu. L'examen du champ visuel nous donne du côté droit l'état normal, tandis qu'à gauche, il y a un rétrécissement énorme ; de plus, le cercle du rouge s'est transporté en dehors de celui du bleu. Il s'est donc produit dans le champ visuel, depuis le séjour à l'Hôtel-Dieu, une modification qu'il est intéressant de constater. De plus, nous relevons que l'ouïe, l'odorat, le goût, explorés par les procédés habituels, offrent une diminution très accentuée de leur activité, du côté gauche.
Il nous fallait maintenant chercher à déterminer autant que possible la nature de celte monoplégie singulière survenue à la suite d'un traumatisme. L'absence d'atrophie et de toute modification des réactions électriques des muscles, dans un cas où la paralysie datait de 10 mois, devait faire repousser du premier coup l'hypothèse d'une lésion du plexus brachial ; tandis que l'absence d'amyolrophie, à elle seule, ainsi que l'intensité des troubles de la sensibilité, permettaient de rejeter l'idée qu'il s'agissait là d'une de ces paralysies, bien étudiée par M. le professeur Le Fort et par M. Valtat, et qui se produisent en conséquence des traumafismes portant sur une articulation.
Une monoplégie brachiale peut survenir, très exceptionnellement, il est vrai, à la suite de certaines lésions de la capsule interne, comme le montre, entre autres, un fait récemment publié par MM. Bennet et Campbell, dans le journal le Brain1 ; mais en pareil cas, on ne rencontrerait certainement pas l'hé-miancslhésie sensorielle et sensitive qui, quelquefois, se surajoute à l'hémiplégie vulgaire totale par lésion de la capsule.
La production dans l'hémisphère droit d'un petit foyer soit d'hémorrhagie, soit encore de ramollissement déterminé par embolie, en conséquence de l'affection organique du cœur, foyer qu'on pouvait supposer limité étroitement à la zone motrice du bras, une telle lésion, dis-je, pourrait rendre compte de l'existence d'une monoplégie brachiale gauche. Mais, dans cette supposition, la paralysie serait survenue tout à coup, à la suite d'un ictus, quelque léger qu'il put être, et non pas progressivement ; elle eût été marquée, presque à coup sûr, plusieurs mois après le début, par un certain degré, tout au moins, de contracture et par l'exagération nettement accusée des réflexes tendineux ; elle ne se fût pas accompagnée enfin très certainement, de troubles de la sensibilité cutanée et pro-
1. Brain. avril, 1885, p. 78.
fonde, aussi accentués que ceux que nous observons chez notre malade.
On devait donc, de toute nécessité, écarter encore, dans le diagnostic, cette dernière hypothèse, et celle d'une lésion spinale que nous ne croyons même pas devoir discuter, n'était pas plus admissible. D'un autre côté, notre attention avait été vivement attirée, dès l'origine, sur les antécédents héréditaires assez significatifs du sujet, sur son état psychique et sur ses mœurs, sur les troubles de la sensibilité répandus bien qu'inégalement sur tout un côté du corps, sur le rétrécissement du champ visuel si prononcé du côté gauche et marqué par la transposition du cercle du rouge, sur les modifications, enfin, de l'activité des autres appareils sensoriels du même côté; tout cela nous portait, en quelque sorte, invinciblement, surtout en l'éibsence d'une autre hypothèse quelque peu valable, à interpréter le cas comme un exemple d'hystérie. D'ailleurs, les caractères cliniques de la monoplégie, son origine traumatique elle-même — et pour ce dernier point je vous renvoie à ce que j'ai dit ailleurs, — n'étaient nullement en contradiction, tant s'en faut, avec cette vue. En effet, la limitation à un membre de la paralysie motrice, sans participation, à aucune époque, du côté correspondant de la face; l'absence d'exaltation marquée des réflexes tendineux, d'atrophie musculaire et de toute modification des réactions électriques, la résolution absolue du membre conservée plusieurs mois après le début du mal ; l'anesthésie cutanée et profonde, portée au plus haut degré sur ce membre et la perte totale des notions relatives au sens musculaire ; tous ces phénomènes, lorsqu'ils se trouvent réunis et nettement accusés, comme ils l'étaient chez notre malade, suffisent largement, vous le savez, pour révéler la nature hystérique d'une paralysie.
En conséquence, le diagnostic « hystérie » était franche-
ment, résolument adopté. Sans doute, l'atlaque convulsive faisait défaut ; mais vous n'ignorez pas qu'elle n'est nullement nécessaire à la constitution de la maladie et cette circonstance ne devait pas nous arrêter. Par suite, le pronostic changeait complètement de caractère; nous n'étions plus en présence d'une affection de cause organique, peut-être incurable: nous pouvions nous attendre, malgré la longue durée du mal, à voir survenir soit spontanément, soit sous l'influence de certaines pratiques, quelqu'une de ces modifications brusques qui ne sont pas rares, dans l'histoire des paralysies hystériques, des paralysies flexibles en particulier. En tout cas, on pouvait prévoir que, tôt ou tard, la maladie guérirait. Un événement ultérieur devait bientôt justifier nos prévisions et, du mêm coup, confirmer pleinement notre diagnostic.
Le 15 mars, 4 jours après l'entrée du malade, on rechercha avec soin, ce qui n'avait pas été fait jusque-là, s'il existait chez lui des zones hystérogènes. On en trouva, en effet, une située sous le sein gauche, une autre sur chacune des régions iliaques, une autre enfin sur le testicule droit. On remarqua qu'une excitation même légère de la zone sous-mammaire déterminait très facilement les divers phénomènes de l'aura : sensation de constriction du thorax, puis du cou; battements aux tempes, sifflements dans les oreilles, surtout à gauche. Or, en insistant un peu plus, on vit tout à coup P. perdre connaissance, se renverser en arrière, en raidissant ses membres, et nous assistions ainsi à la première attaque d hystéro-épilepsie que le malade eût jamais éprouvée. Cette attaque était d'ailleurs absolument classique : à la phase épileptoïde succédait bientôt celle des grands mouvements. Ceux-ci sont d'une violence extrême, le malade dans ses mouvements de salutation va jusqu'à frapper sa face contre ses genoux. Un peu après, il déchire ses draps, les rideaux de son lit et, tournant sa fureur contre lui-même,
il se mord le bras gauche. La phase des attitudes passionnelles se développe ensuite; P. paraît en proie à un délire furieux : il injurie, provoque et excite au meurtre des personnages imaginaires : « Tiens, prends ton couteau... va... frappe donc! » Enfin, il reprend ses esprits, et lorsqu'il est revenu à lui, il affirme qu'il n'a gardé aucun souvenir de ce qui vient de se passer. Il est à remarquer que pendant toute la durée de celte première attaque, le membre supérieur gauche ri a pas p?*is part aux convulsions ; il est resté flasque, complètement inerte. A partir de là, les attaques se reproduisent les jours suivants, spontanément, plusieurs fois, présentant, d'ailleurs, absolument, toujours les mêmes caractères que l'atlaque provoquée. Dans l'une d'elles qui a eu lieu pendant la nuit du 17 mars, le malade a uriné dans son lit. Deux autres attaques se produisent le 19. Le 21 survient une nouvelle crise pendant laquelle le bras gauche s agite. Au réveil, le malade pouvait, à son grand étonnement, mouvoir volontairement les divers segments de ce membre, dont il ri avait pas pu faire usage, un seul instant, pendant une longue période de près de 10 mois. La paralysie motrice n'était pas complètement guérie, sans doute, car il restait un certain degré de parésie, mais elle s'était complètement amendée. Seuls les troubles de la sensibilité persistaient au même degré que par le passé.
Cette guérison, Messieurs, ou, pour mieux dire, cette esquisse de guérison, après le diagnostic auquel nous nous étions arrêté, ne devait pas nous surprendre. Mais, à notre sentiment, elle survenait prématurément, à contre-temps. En effet, il ne nous était plus possible désormais de vous faire constater de visu, dans toute leur plénitude, ainsi que nous en avions eu l'espoir, les caractères de cette monoplégie si parfaitement propre à l'étude. L'idée me vint alors que, peut-être, en agissant sur l'esprit du malade, par voie de suggestion, même à
l'état de veille, — nous avions reconnu au préalable que le sujet n'était pas hypnotisable — on pourrait la reproduire au moins pour quelque temps. C'est pourquoi, le lendemain, trouvant P. au sortir d'une attaque qui n'avait en rien modifié l'état des choses, je tentai de lui persuader qu'il était de nouveau paralysé. « Vous vous croyez guéri, » lui dis-je avec l'accent d'une entière conviction », c'est une erreur: vous ne pouvez plus élever votre bras, ni le fléchir, non plus que mouvoir vos doigts; voyez, vous êtes incapable de serrer ma main, etc. » L'expérience réussit à merveille, car au bout de quelques minutes de discussion, la monoplégie était redevenue ce qu'elle était la veille. Je n'étais nullement inquiet — soit dit en passant, — sur l'issue de cette paralysie artificiellement reproduite, car je sais, par expérience, depuis longtemps, qu'en matière de suggestion ce que l'on a fait on peut le défaire. Malheureusement elle ne persista pas plus de 24 heures. Le lendemain, une nouvelle attaque survint, à la suite de laquelle les mouvements volontaires se rétablirent définitivement. Cette fois, toutes les tentatives nouvelles de suggestion que nous avons pu faire sont demeurées impuissantes. Il ne me reste donc plus aujourd'hui qu'à vous faire reconnaître les modifications qui, en ce qui concerne le mouvement volontaire, se sont produites, en conséquence d'une attaque dans le membre autrefois complètement paralysé.
Le malade peut, vous le voyez, mouvoir à volonté toutes les parties de ce membre. Mais ces mouvements sont peu énergiques, ils ne triomphent pas de la moindre résistance qu'on leur oppose et tandis que, à droite, la force dynamomélrique se traduit à la main par le chiffre 70, elle ne donne à gauche que le chiffre 10. Donc, ainsi que je vous l'ai annoncé, si l'impuissance motrice n'est plus absolue comme autrefois, elle persiste encore cependant à un assez haut degré. D'ailleurs, les troubles de la sensibilité sont ce qu'ils étaient, non seule
ment dans le membre parésié, mais encore sur tout le côté gauche du corps, y compris les appareils sensoriels ; les attaques, d'un autre côté, restent fréquentes. Certes, vous l'avez compris, il ne s'agit là que d'un simple amendement et pour arriver à la guérison complète, il nous reste beaucoup à faire.
Je me propose de revenir, pour les mettre en pleine valeur, sur quelques-uns des faits que contient celte intéressante observation, à propos d'une étude sur les paralysies hystériques par traumatisme, que je compte vous présenter bientôt. Pour le moment, laissant de côté la monoplégie qui, en somme, ne constitue qu'un épisode, dans l'histoire de la maladie, je me bornerai à relever, en terminant, une fois de plus, que, chez cet homme, comme chez ceux qui l'ont précédé, la grande hystérie existe, douée de ses attributs caractéristiques.
Messieurs, en étudiant avec vous, dans ces deux leçons, les six cas d'ailleurs très significatifs, que le hasarda placés sous ma main, j'ai voulu surtout vous convaincre que l'hystérie, même l'hystérie grave, n'est pas, du moins chez nous, en France, une maladie rare ; qu'elle peut, par conséquent, se présenter, çà et là, dans la clinique vulgaire où seuls des préjugés d'un autre âge pourraient la faire méconnaître. J'ose espérer qu'après tant de preuves accumulées dans ces derniers temps, cette notion est destinée à tenir désormais, dans votre esprit, la place qu'elle mérite d'y occuper.
VINGTIÈME LEGÓN
Sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique, de cause traumatique, chez l'homme l. — Monoplégies hy stér o-traumatiques.
Sommaire. — Observation de Porcz...: Antécédents, rhumatisme articulaire. — Chute. — Monoplégie avec anesthésie du bras et de l'épaule. — Examen du malade : impuissance motrice avec flaccidité, anesthésie pour tous les modes de sensibilité, suivant une délimitation particulière ; pas de troubles trophiques, pas de modifications dans les réactions électriques des muscles paralysés. — Diagnostic: commotion ou contusion du plexus brachial ; caractères des symptômes qui s'observent dans celle-ci : zone d'anesthésie correspondant au territoire des nerfs atteints ; troubles trophiques, modification des réactions électriques 2.
Messieurs,
La leçon d'aujourd'hui sera consacrée à l'étude clinique d'un cas de monoplégie brachiale droite, survenue, il y a quelques mois, chez un homme de 25 ans, à la suile d'une chute sur l'épaule, monoplégie qui présente pour le diagnostic des difficultés très sérieuses. Ces difficultés, Messieurs, je ne les exagère pas à plaidr, et pour vous bien montrer qu'elles existent
1. Leçon recueillie par M. P. Marie, chef de la clinique, et G. Guinon, interne du service.
2. Leçon faite le 1er mai 1885. A la Société médicale des hôpitaux, dans la séance du 24 juillet dernier, M. le Dr Troisier a de nouveau présenté le malade Porcz... qui fait l'objet de cette leçon (voir la Gazette hebdomadaire, n° 31, 1885). Dans la même séance, M. le Df Joffroy a montré un malade de mon service, le nommé Pin..., dont il a été question dans la précédente leçon et sur lequel nous reviendrons dans la prochaine. (Note de la lre édition, 18,)
réellement, il me suffira de vous renvoyer à la discussion dont le malade présenté par mon collègue, M. Troisier, a été l'objet, à la Société médicale des hôpitaux, dans la séance du 27 mars dernier ; vous verrez là que les opinions émises par nos collègues, MM. Féréol, Déjerine, Rendu et Joffroy, à propos de la nature de cette monoplégie, qu'ils ont tous étudiée avec soin, sont sur plusieurs points très divergentes.
M. Troisier a bien voulu, et je suis heureux de l'en remercier, me confier ce malade, dont l'histoire, je n'en doute pas, après, ce que je viens de vous dire, excitera vivement votre intérêt.
Ne vous laissez pas rebuter, Messieurs, par la minutie des détails dans lesquels nous allons entrer, à propos de l'analyse de ce cas ; parmi eux, il n'en est peut-être pas un seul qui, à un moment donné, ne puisse trouver son application pratique.
Il s'agit d'un homme de 25 ans, nommé Porcz..., exerçant la profession de cocher de fiacre et qui est entré dans le service de la clinique le 15 avril dernier. L'affection remonte à plus de quatre mois et ne s'est pas du tout modifiée, depuis son début ; elle est, comme je vous l'ai déjà dit, survenue à la suite d'un accident; mais avant d'entrer dans le détail, il est bon que je vous dise quelques mots des antécédents de ce malade.
Sa mère est morte à 59 ans d'une maladie du foie ; elle était fort nerveuse ; P... se souvient de l'avoir vue plusieurs fois, à la suite d'une contrariété, être prise d'attaques dans lesquelles elle s'affaissait sur elle-même et perdait connaissance. Son père, grand buveur d'absinthe, n'a jamais présenté d'accidents nerveux. Sa sœur est souvent prise d'attaques de nerfs, probablement de nature hystérique. Il n'y a pas, paraît-il, d'aliénés dans la famille.
Parmi les antécédents personnels, nous relevons ce qui
suit : Dans l'enfance, bien qu'il ne fut pas particulièrement nerveux, lorsqu'il se trouvait seul, il avait peur, dit-il, « des voleurs », A l'âge de 7 ans, il est tombé du haut d'un 5e étage sur un grillage en fer d'où il a rebondi sur le pavé de la cour ; à parlir de ce moment, sa santé s'est notablement affaiblie, et, peu après, a commencé à se produire la déviation considérable de la colonne vertébrale que vous constatez actuellement.
A l'âge de 16 ans, Porcz... entre comme « laveur » à la Compagnie des petites voitures et, peu après, il contracte un rhumatisme articulaire aigu qui l'a retenu au lit pendant six semaines. Depuis cette époque, le genou droit se montre de temps en temps douloureux et tuméfié, il est, encore aujourd'hui, le siège de craquements ; à la suite de cette arthrite chronique d'origine rhumatismale, il s'est produit un certain degré d'atrophie du triceps crural (amyotrophie d'origine articulaire). Le membre inférieur est d'ailleurs notablement plus faible que l'autre et le malade boite légèrement de ce côté ; cette faiblesse relative du membre inférieur droit date, je le répète, de plus de 10 ans, elle n'a aucun rapport avec la maladie actuelle.
Cette légère infirmité et son apparence chétive, n'empêchent pas d'ailleurs Porcz... de faire, depuis l'âge de 18 ans, le rude métier, tantôt de cocher d'omnibus, tantôt de cocher de fiacre.
Revenons maintenant à la monoplégie et à ses causes directes. Le 24 décembre 1884, le cheval que conduisait Porcz... s'emporta ; notre malade fut projeté de son siège sur le pavé de la rue ; la chute eut lieu sur le côté droit, l'épaule droite ayant, afûrme-t-il, porté la première par sa partie postérieure. Pas de perte de connaissance, ni même d'émotion très intense. Porcz... put se relever, se rendre chez un pharmacien et remonter sur son siège ; l'épaule et le bras droits étaient un peu
douloureux, mais ne présentaient pas d'ecchymose, tout au plus y avait-il un peu de gonflement. Les mouvements du membre étaient gênés, mais non abolis, et P... put conduire son fiacre, durant cinq heures encore, en tenant les guides de la main gauche.
Pendant les cinq heures qui suivirent, le malade prit du repos ; la douleur et la gêne des mouvements semblaient aller en diminuant. Il espérait pouvoir bientôt reprendre son travail, lorsque le 30 décembre, six jours après l'accident, ayant dormi paisiblement toute la nuit, il constate à son réveil que son membre supérieur droit était flasque, pendant, inerte, incapable de tout mouvement, à l'exception toutefois des doigts de la main qui, eux, pouvaient encore se remuer un peu. Ayant pratiqué des frictions, Porcz... remarqua dès ce moment même, l'insensibilité de l'épaule, du bras et de l'avant-bras que nous constatons encore aujourd'hui. Il est parfaitement certain qu'il n'exista chez lui, soit au moment de la chute, soit après, aucune trace de perte de conscience, aucun trouble intellectuel d'une nature quelconque, aucune déviation de la bouche ou de la langue, aucun degré de paralysie dans le membre inférieur droit ; il s'agissait donc là d'une monoplégie brachiale, avec anesthésie, dans l'acception la plus rigoureuse du terme. Le 8 janvier 1885, notre malade se rend à l'hôpital Tenon, dans le service de M. Troisier, qui constate à son tour, neuf jours après le début de la paralysie, tous les faits que nous signalons actuellement d'après le récit du malade.
Aujourd'hui, 1er mai, quatre mois après le début de la monoplégie, les choses sont encore dans le même état: nous retrouvons le malade exactement dans les conditions où il était lorsque, il y a quatre mois, il a été examiné par M. Troisier, et, lorsque, il y a un mois, il a été présenté à la Société médicale des hôpitaux.
Étudions avec soin cette monoplégie singulière qui persiste telle quelle, vous le voyez, depuis quatre mois, malgré les divers traitements qui ont été mis en œuvre,
A. Impuissance motrice. Porcz... ne peut imprimer aucun mouvement volontaire soit aux muscles élévateurs de l'épaule, soit à l'épaule elle-même, qui est tombante, soit aux muscles du bras ou de l'avant-bras. Seuls les doigts de la main peuvent être mis en mouvement volontairement et encore ces mouvements sont-ils faibles, très faibles, au point de ne pouvoir pas s'aCcuser au dynamomètre.
Remarquez l'état de résolution, de flaccidité absolue du membre. Il pend le long du tronc comme un corps inerte et retombe lourdement quand, après l'avoir soulevé, on l'abandonne à lui-même; le malade est obligé de le porter en écharpe pour éviter les chocs et les coups auxquels il serait, autrement, à chaque instant exposé. Il n'existe, vous le constatez, pas la moindre trace de rigidité ni de contracture. Cela rappelle la flaccidité de la monoplégie dans la paralysie infantile spinale. Mais ici les réflexes tendineux, au coude et au poignet, sont conservés, peut-être ' même un peu exagérés, tandis que, vous le savez, il en est tout autrement dans cette forme de paralysie spinale. D'ailleurs, et c'est là un caractère distinctif absolu, bien que la paralysie soit établie depuis quatre mois, il n'y a pas cependant le moindre vestige d'atrophie ou de diminution de consistance des muscles paralysés. La mensuration donne au bras droit 23,5 cent. ; au bras gauche, 24 cent.; à l'avant-bras droit, 22,5. ; à l'avant-bras gauche, 22 cent.
B. Il existe aussi sur ce membre, en outre de la paralysie du mouvement, des troubles profonds de la sensibilité. La sensibilité au contact, à la douleur, au froid est abolie complète
ment, absolument ; et cette anesthésie cutanée, qui occupe d'ailleurs exclusivement les parties du membre où il y a impuissance motrice, se limite du côté des parties voisines restées sensibles par des lignes qui offrent une disposition singulière et, surtout du côté de la main, bien peu en rapport, ainsi qu'il est facile de le voir en examinant les figures ci-jointes (Fig. 54 et 55), avec le mode de distribution anatomique des nerfs cutanés du membre supérieur.
Vous voyez, en effet, que, sur le dos de la main, la limite de l'anesthésie est marquée, du côté des doigts, par une ligne perpendiculaire au grand axe du membre, située à quelques centimètres au-dessus de la série des articulations métacarpo-phalangiennes, tandis que, sur la face palmaire, cette limite est représentée par une ligne parallèle au pli du poignet et située au-dessous de ce pli, à un centimètre environ.
\1 insensibilité, d'ailleurs, n'est pas limitée à la peau ; elle s'étend aux parties profondes-, c'est ainsi que la faradisation, même énergique, soit des muscles, soit des troncs nerveux, alors qu'elle provoque cependant de fortes contractions musculaires, n'est pas sentie.
Les mouvements de torsion, d'arrachement imprimés à l'épaule, au coude, au poignet, n'occasionnent également aucune sensation, quelque violents qu'ils soient. Au contraire, à la paume de la main, sur une partie de la face dorsale de ceux-ci, et sur toute l'étendue des doigts, les divers modes de la sensibilité cutanée et profonde sont conservés, du moins en grande partie.
Il y a de plus, dans le membre, les doigts toujours exceptés, une perte absolue des notions qui se rattachent à ce qu'on est convenu d'appeler du nom de sens musculaire. Pour se rendre compte de ce fait, il suffit de fermer les yeux de P... et de lui enjoindre de chercher son avant-bras tenu écarté du tronc, de le saisir, à l'aide de sa main gauche. Il tâtonne d'à
bord dans le vide, plus ou moins loin du but, et lorsqu'il est lombé, presque par hasard, sur un point quelconque du membre, de préférence la racine, il parcourt avec sa main tout le bras pour descendre ainsi jusqu'au point qu'on lui a ordonné de toucher. Il ne sait point dire non plus, quand il a les yeux fermés, si l'on meut son poignet, son coude ou son épaule. Au conlraire, dans ces mômes conditions, il reconnaît très bien lorsque l'on pratique la môme manœuvre sur les doigts, quel est celui d'entre eux auquel on imprime des mouvements passifs. P... a perdu également la notion du poids des objets placés dans la paume de sa main ; lorsqu'il ne les regarde pas, jl ne saurait distinguer, sans s'aider du palper, une pièce de 5 rancs d'une pièce de 10 centimes; elles lui paraissent toutes deux également légères.
En résumé, impuissance motrice absolue des muscles de l'épaule, du bras et de l'avant-bras, avec perte complète de la sensibilité de la peau, des muscles, des nerfs, des tendons, des capsules articulaires, etc. ; perte absolue des notions relatives au sens musculaire, dans toutes les parties qui correspondent à la paralysie motrice ; absence complète de rigidité des parties privées du mouvement, avec conservation du relief des muscles et légère exagération des réflexes tendineux. Voilà les points les plus saillants que nous ayons relevés jusqu'ici.
Mais il importe de signaler encore ce fait très remarquable et très significatif dans l'espèce, que les muscles pas plus que la peau ne présentent aucune marque de troubles trophi-ques, bien que, je le répète, la monoplégie date de plus do quatre mois déjà. Vous avez constaté qu'il n'existe pas d'amaigrissement du membre; j'ajouterai que les muscles, soumis à un examen méthodique, n'ont présenté aucune modification des réactions électriques, soit faradiques, soit galvaniques: pas le moindre soupçon de réaction de dégénérescence
Gharcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 20
D'un autre côté, pas de teinte livide ou violacée de la peau, pas d'œdome; seulement, il existe peut-être sur le membre malade un très léger abaissement de la température. Ainsi, la température axillaire étant des deux côtés de 36°,9, celle du membre sain, étudiée à l'aide du thermomètre à surface placé sur la face antérieure de l'avant-bras s'élève à 32°,8, tandis que celle du membre paralysé, sur le point correspondant, n'est que de 32°4, c'est-à-dire inférieure de 4 dixièmes de degré environ.
Tels sont les phénomènes que l'analyse nous a révélés dans l'étude du membre paralysé. Il existe en outre chez ce malade, je dois vous en prévenir, Messieurs, en dehors de ce qui concerne la monoplégie, bien d'autres faits cliniques très ntéressanls; mais ils ne frappent pas les yeux tout d'abord, et nous n'avons pu les reconnaître qu'à la suite d'une enquête poursuivie dans une certaine direction. Je me réserve de vous signaler ces particularités au moment même où, après discussion, il s'agira de fixer définitivement le diagnostic.
Quelle est donc la nature de cette monoplégie que nous venons d'étudier minutieusement et dont nous connaissons actuellement les caractères cliniques? Relève-t-elle d'une lésion plus ou moins grave des nerfs périphériques, conséquence d'une contusion ou d'une commotion du plexus brachial produite par la chute sur l'épaule? S'agit-il d'une lésion spinale? ou d'une lésion cérébrale en foyer? Telles sont les hypothèses qu'il convient d'examiner maintenant.
La première se présente tout d'abord à l'esprit. Il existe de nombreux exemples de monoplégies brachiales survenues à la suite d'une chute sur l'épaule, et un certain nombre des phénomènes observés chez notre malade paraissent, à première vue, pouvoir s'expliquer tout naturellement dans l'hypothèse de la commotion ou de la contusion du plexus. Je suis
assez heureux pour pouvoir placer sous vos yeux, à côlé de p..., un malade chez lequel il existe une monoplégie brachiale qui, très certainement, cette fois, procède d'une lésion du plexus et qui s'est développée dans des circonstances assez semblables à celles qui ont déterminé la monoplégie brachiale chez P... Il ne s'agit pas ici, à la vérité, d'une chute sur la partie postérieure de l'épaule, comme chez notre malade, mais d'un choc violent portant sur cette même région, produit par la chute d'une poutre volumineuse et pesante; vous voyez qu'en somme les conditions du traumatisme sont analogues dans les deux cas. Recherchons quelles en ont été les conséquences chez notre second malade, dont voici l'histoire en abrégé
Le nommé Deb..., homme très vigoureux, âgé de 31 ans, terrassier, avait toujours joui d'une excellente santé, lorsque le 3 avril 1884, c'est-à-dire il y a treize mois, il reçut sur la partie postérieure de l'épaule gauche l'extrémité d'une lourde charpente et le choc fut assez violent pour le renverser la face contre terre. Une pointe de fer rivée à l'extrémité de la poutre, et portant une poulie, avait frappé sur la partie postérieure et supérieure du crâne et y avait fait une plaie d'ailleurs assez légère. Cependant il n'y avait pas eu de perte de connaissance immédiate, et pendant les quelques minutes qui ont suivi l'accident, 5 ou 6 minutes peut-être, le malade est resté conscient. 11 se rappelle très bien, entre autres, il l'affirme du moins, qu'à ce moment, il a éprouvé une sensation qui lui a fait croire que son membre supérieur était absent, qu'il était complètement séparé du corps. Puis survint une perte de connaissance qui, paraît-il, dura trois heures. Lorsque Deb.,. re-
i. Tout récemment, l'observation de ce malade a été donnée in extenso, par Mlle Klumpke, dans son intéressant travail sur les paralysies radicu-laires du plexus brachial. (Revue de médecine, 5e année, n° 7, 10 juillet 1585, p. 604.)
vint à lui, la paralysie motrice des divers segments du membre était absolue, comme elle l'est encore aujourd'hui ; seuls les
Fiy. 51 etiia. — Observation de Porcz...
mouvements d'élévation de l'épaule étaient conservés. Quant aux troubles de la sensibilité, ils paraissent avoir été, dès ce moment, tels que nous allons les voir. A partir de ce jour le, malade a séjourné dans divers hôpi
taux où il a été soumis, malheureusement sans résultat, à divers traitements et en particulier à l'électrisalion. Celle-ci,
Fig. 56 et î7. — Observation de De'j... a, analgésie. — b, ancstliósie absolue.
d'ailleurs, ne put jamais être appliquée d'une façon suivie. Très fréquemment, en effet, on s'est vu obligé d'interrompre le traitement, à cause des douleurs vives qu'il provoquait inévitablement, àia suite d'un petit nombre de séances.
J'appellerai donc votre attention sur les troubles de la sensibilité. Celle-ci est éteinte absolument dans tous ses modes, sur la main, les doigts y compris, l'avant-bras et une partie du bras; sur ces mêmes parties, la sensibilité profonde est également annihilée en même temps que font défaut les notions du sens musculaire. Mais, pour ne parler que de l'anesthésie cutanée, partout où elle existe elle se montre aussi complète que nous l'avons vue chez notre malade Por... Seulement, son mode de distribution est bien différent dans les deux cas. En effet, tandis que chez P... la zone d'insensibilité englobe l'épaule tout entière et s'étend même au-delà, chezD..., au contraire, celle zone est beaucoup moins étendue, puisqu'elle respecte l'épaule et une bonne partie du bras. Ainsi, à la par-lie antérieure et interne de ce dernier, elle se limite par une ligne qui atteint à peine sa partie moyenne ; sur le côté externe elle remonte encore moins haut. En arrière, elle dépasse à peine la région du coude, de telle sorte que la partie postérieure du bras est libre presque partout (Fig. 56 et 57).
Je tiens à vous faire remarquer, Messieurs, que cette disposition de la zone aneslhésique est justement celle qui a été observée dans les cas où le plexus brachial a été profondément lésé ou même interrompu complètement dans toute son étendue, transversalement, à la suite d'un arrachement, par exemple, ou encore dans les cas de section chirurgicale, ainsi que cela est établi par les observations recueillies par M. le Dr Ross (de Manchester), dans un important travail publié par le « Brain » !. Vous voyez, en particulier, par l'examen de la planche que voici (fig. 58 et 59), empruntée à M. Ross et relative à un cas d'arrachement du plexus brachial ayant déter-
1. James Ross, Distribution of Anœsthesia in cases of disease of the branches and of the roots of the brachial plexus. (Brain, april 1884, pp. 70 et s.)
miné, en ce qui concerne la paralysie motrice et les troubles trophiques, tant musculaires que cutanés, les symptômes de la rupture de toutes les branches de ce plexus !, vous voyez, dis-je, que la disposition de la zone d'anesthésie cutanée est exactement la même que celle que nous observons chez notre malade Deb... Or, chez ce dernier, il y a lieu d'admettre également, en tenant compte des troubles moteurs et des troubles trophiques qui seront tout à l'heure indiqués, une lésion grave, étendue à la totalité du plexus. Ce mode de répartition de l'anesthésie cutanée sur laquelle j'insiste, paraît donc être, en somme, l'expression classique des lésions organiques profondes, destructives, portant sur toutes les branches, tant sensitives que motrices du plexus brachial.
Si maintenant nous revenons au cas de Por..., nous reconnaissons que, chez lui, la distribution de la zone d'anesthésie est tout autre : par en haut, du côté du tronc, elle est beaucoup plus étendue que chez D..., puisqu'elle couvre l'épaule et, par conséquent, dans l'hypothèse d'une contusion agissant directement sur les trajets nerveux, elle eût dû intéresser, non seulement le plexus brachial, mais encore le plexus cervical. D'un autre côté, nous savons que chez P..., la zone d'anesthésie s'arrête, par en bas, à la main (Fig. 5i et 55). Or, la disposition de la ligne qui, de ce côté, marque la limite de l'anesthésie, est en contradiction formelle avec l'hypothèse d'une lésion qui aurait dû profondément atteindre toutes les fibres sensitives du plexus brachial. En effet, c'est, nous l'avons dit, du côté de la face palmaire, une ligne droite perpendiculaire au grand axe du membre, parallèle au pli de flexion de l'articulation du poignet, et du côté de la face dorsale, c'est une ligne légèrement courbée, à convexité inférieure, s'étendant un peu au-delà de la partie moyenne de la
1. .V l'exception de la brancha communicante du 4e nerf.
région métacarpienne. Voilà, certes, une disposition qui n'est nullement en rapport avec la distribution cutanée des nerfs de
Fig. 58 et 50. —Observation tirée du travail de M. Ross.
la sensibilité dans les dernières parties de la main (cubital et radial pour la face dorsale, médian et cubital pour la face palmaire) et vous avez compris que l'intégrité de ces nerfs cutanés de la main ne saurait s'expliquer dans la supposition
d'une lésion générale et profonde du plexus brachial. Les faits que nous venons de relever ne s'expliqueraient pas mieux dans l'hypothèse d'une contusion légère, ou encore d'une simple « commotion » du plexus, car on sait par de nombreuses observations, qu'en pareille circonstance, contrairement à ce qui se voit dans notre cas, les troubles de la sensibilité sont peu marqués, éminemment transitoires, ou même complètement nuls.
Chez D..., qui représente un exemple typique d'une lésion profonde, ancienne et irréparable du plexus brachial, nous relevons d'ailleurs des troubles trophiques, musculaires et cutanés et quelques autres phénomènes encore qui, tout autant que les troubles de la sensibilité contrastent singulièrement avec ce que nous observons chez Por... Sans doute, dans les deux cas, le membre paralysé est pendant, flasque, sans traces de rigidité articulaire, sans traces de contracture; mais voici la différence : chez P..., les muscles paralysés sont en outre extrêmement atrophiés. Us présentent, à l'examen électrique, tous les caractères de la réaction de dégénérescence portée à son plus haut degré ; les réflexes tendineux sont abolis : la peau, enfin, est froide, marbrée de taches violettes surtout vers l'extrémité du membre et le tissu cellulaire sous-cutané est légèremant œdématié. Rien de semblable chez P... Ici, vous le savez, les muscles ont conservé, malgré la date déjà ancienne du début de la paralysie, leur volume et leur relief normaux, ils ne présentent à aucun degré les caractères de la réaction de dégénérescence, les réflexes tendineux sont conservés, les téguments ne présentent aucune modification dans leur coloration ou dans leur consistance. Ce sont là, j'y insiste en terminant, des phénomènes qui ne peuvent nullement s'accommoder avec la théorie qui invoquerait l'existence d'une lésion grave du plexus brachial, étant donné que la maladie dure déjà depuis plus de quatre mois ; et l'on peut en dire
autant du fait si remarquable de la non-participation des doigts et de la main à la paralysie motrice et à l'anesthésie, si fortement accentués cependant dans toutes les autres parties du membre.
Ainsi, Messieurs, la monoplégie brachiale qui fait l'objet principal de notre étude, bien que survenue dans les conditions où peuvent se produire les lésions graves ou légères du plexus brachial, par commotion ou par contusion, ne dépend pas en réalité d'une lésion de ce genre. Le siège du mal doit être cherché ailleurs, dans les centres nerveux par conséquent ; s'agit-il donc d'une lésion organique en foyer, cérébrale ou spinale ? Il me sera facile, je pense, de vous montrer qu'il n'en est rien.
VINGT-UNIÈME LEÇON
Sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique, de nature traumatique, chez l'homme (Suite)l. — Monoplégies hystéro-traumatique s.
Sommaire. — Suite du diagnostic. — Amyotrophies dépendant d'une lésion articulaire ; lésion spinale ou cérébrale en foyer. — Symptômes nettement hystériques chez ce malade : hémianesthésie droite, polyopie monoculaire avec macropsie, rétrécissement bilatéral du champ visuel.
Observation de Pin.... Monoplégie flasque et perte de la sensibilité dans tous ses modes au membre supérieur gauche à la suite d'une chute. — Autres symptômes hystériques : diminution de l'ouïe, de l'odorat et du goût de ce côté, rétrécissement du champ visuel avec transposition du rouge, polyopie monoculaire, anesthésie de l'arrière-gorge, plaques hysté-rogènes, attaques d'hystérie suivies d'une amélioration de la paralysie du bras.
Paralysies psychiques: leur production par suggestion dans l'hypnotisme. — Différents états de l'hypnotisme considérés au point de vue de la possibilité des suggestions.
Messieurs,
Vous n'avez pas oublié comment, dans la dernière leçon, étudiant avec vous un cas remarquable de monoplégie brachiale survenue chez un homme de 25 ans, à la suite d'une chute sur l'épaule, nous avons été conduit à reconnaître que les symptômes observés chez notre malade ne relèvent pas d'une lésion des nerfs du plexus brachial. Nous nous sommes fondé, entre autres, dans notre démonstration, sur l'étendue
1. Leçon recueillie par MM. Marie, chef de la clinique, et G. Guinon, interne du service.
et sur le mode de répartition de l'anesthésie cutanée et profonde, ainsi que sur l'absence de troubles trophiques et de la réaction de dégénération dans les muscles du membre paralysé. Ces mêmes considérations nous permettent d'établir immédiatement et sans qu'il soit nécessaire d'insister, qu'il ne s'agit pas là non plus d'un exemple de ces paralysies amyo-trophiques qui se produisent quelquefois en conséquence des traumatismes portant sur une articulation et qui ont été particulièrement étudiées par M. le professeur Le Fort et par M. Yaltat1.
Après ces éliminations successives, il nous reste encore à examiner les deux hypothèses suivantes : notre monoplégie relève-t-elle d'une lésion localisée dans le cordon spinal ou, au contraire, relève-t-elle d'une lésion en foyer siégeant dans l'un des hémisphères cérébraux?
Nous ne nous arrêterons pas longtemps à discuter la première question que nous avons d'ailleurs touchée plusieurs fois, chemin faisant, dans le cours de la précédente leçon. Une lésion destruclive étroitement localisée dans une certaine étendue en hauteur de la corne antérieure grise, au renflement brachial du côté droit, pourrait, il est vrai, ainsi que cela se voit dans la paralysie infantile spinale, produire une monoplégie brachiale molle, sans participation aucune de la face et du membre inférieur correspondant, tout à fait semblable par conséquent, sous ce rapport, à celle que nous observons chez notre malade. Mais en pareille occurence, outre le début brusque, accompagné le plus souvent d'un état fébrile de plusieurs jours, on observerait certainement, au bout de huit ou dix jours déjà, la réaction dégénérative à un degré très prononcé sur tous les muscles profondément atteints, et au bout de
1. Voir, à la page 23 de ce volume, la seconde leçon, Sur l'atrophie musculaire qui succède à certaines lésions articulaires.
quatre mois une atrophie manifeste de ces muscles. De plus les réflexes tendineux seraient dès l'origine abolis. Enfin, toute trace d'anesthésie cutanée ou de paralysie du sens musculaire ferait défaut. Il est vrai qu'une lésion concomitante des cornes postérieures de substance grise, dans les régions correspondantes de la moelle, pourrait sans doute déterminer dans le membre paralysé des troubles plus ou moins graves de la sensibilité. Mais une telle altération portant exclusivement sur l'une des cornes antérieures et sur une région très limitée de la partie la plus postérieure de la corne postérieure du même côlé, n'a pas encore été observée, que je sache; et si celte lésion, au lieu de rester limitée comme nous le supposions tout à l'heure, avait envahi les parties médianes de la colonne grise, cette fois l'anesthésie porterait non plus seulement sur le côté correspondant à la lésion, mais encore sur le côté opposé.
Je n'insisterai donc pas plus, Messieurs, sur ce point, mais je considérerai d'un peu plus près l'hypothèse d'une lésion cérébrale en foyer. Dans quelle région des hémisphères cérébraux une lésion de ce genre devrait-elle être localisée, pour donner lieu aux symptômes observés chez notre malade?S'agit-il chez lui d'un foyer intéressant la capsule interne? Une telle lésion qu'on pourrait supposer s'être produite à la suite du choc qui consisterait, je suppose, dans la formation d'un foyer hémor-rhagique ou d'apoplexie capillaire résultant delà commotion consécutive à la chute, aurait dû, à peu près nécessairement, s'accompagner tout au moins, de quelques symptômes apoplectiques, ce qui n'a pas eu lieu chez notre homme. J'ajouterai qu'une monoplégie brachiale pure, telle en un mot qu'on la voit dans notre cas, est un fait presque inoui dans l'histoire des lésions de la capsule interne 1 ; elle supposerait d'ailleurs
1. Voir un cas de Monoplégie, par lésion de la capsule interne, publié par MM. Bonnet et Gampbcl, dans le journal le Brain, avril 18?5, p. 18.
une lésion limitée étroitement dans les parties antérieures de la capsule et par conséquent les troubles de la sensibilité y feraient défaut.
C'est donc ailleurs encore, plus haut dans l'hémisphère, c'est-à-dire dans Fécorce grise ou les parties immédiatement sous-jacentes du centre ovale, qu'il conviendrait de chercher la localisation de la lésion organique supposée.
Une lésion corticale suffisamment étendue et profonde, localisées dans le tiers moyen des circonvolutions médianes (frontale et pariétale ascendantes), a pour conséquence nécessaire une monoplégie brachiale ; cela est aujourd'hui suffisamment établi pour qu'il ne soit pas nécessaire d'argumenter à ce propos, mais il importe de remarquer que l'existence d'une monoplégie pure, c'est-à-dire sans participation, à un degré quelconque, du côté correspondant, soit des muscles innervés par le facial inférieur, soit de la langue, soit du membre inférieur, survenant à la suite d'une lésion corticale, est véritablement un fait rare. A peine pourait-on réunir une dizaine de cas de ce genre dans la collection de plus de 250 observations que nous avons rassemblées, M. Pitres etmoi, dans nos travaux relatifs à la question des localisations cérébrales corticales Or, dans le cas de notre malade, et c'est là un fait qu'il conviendra de mettre en valeur un instant, il est expressément relevé, qu'à aucune époque de l'affection, même au début,' ni la face, ni la langue, ni le membre inférieur n'ont présenté le moindre degré de paralysie ou même de parésie. Dès l'origine, je le répète, seul le membre supérieur s'est montré atteint.
J'ajouterai qu'une lésion corticale suffisamment accentuée pour provoquer une paralysie aussi complète et aussi durable
1. Çharcot et Titres, Elude critique et clinique de la doctrine des localisations motrices dans Vécorce des hémisphères cérébraux de l'homme. [Revue de médecine, 1883, n°s 5, 6, 8 et 10.)
des mouvements, que l'est celle que nous observons chez Por..., aurait dû nécessairement déterminer la production d'une dégénérescence secondaire descendante cérébro-spinale, s'accusant cliniquement par l'existence d'un certain degré de contracture dans le membre paralysé, tandis qu'il est parfaite-avéré que, dans notre cas, on ne rencontre pas dans diverses jointures la moindre trace de rigidité; bien au contraire, nous notons expressément que la paralysie motrice est ici remarquable par la mollesse, la flaccidité des parties ; les divers segments du membre n'opposent aucune résistance aux mouvements qu'on leur imprime. En outre, si les réflexes sont conservés chez notre malade, ils ne sont pas notablement exagérés, ainsi que cela devrait être dans un cas de lésion corticale avec dégénération descendante, quatre mois après le début de l'affection.
Enfin, Messieurs, les troubles de la sensibilité, si fortement accusés chez Por..., ne sont pas ceux qu'on rencontrerait s'il s'agissait d'une lésion de l'écorce qu'on devrait supposer limitée étroitement au tiers moyen des circonvolutions médianes. Dans un bon nombre de cas de lésions corticales localisées à l'un des centres moteurs, la sensibilité cutanée et le sens musculaire peuvent être, vous le savez, absolument intacts. Cela est démontré après tant d'autres faits relevés par mon ancien chef de clinique, M. le Dr Ballet, dans sa dissertation inaugurale 1 par une observation que M. Ferrier vient de publier dans le journal le Brain 2. Il est vrai que MM. Exner, Petrina, Tripier et plus récemment M. Sfarr 3 ont rassemblé un certain
1. G. Ballet, Le faisceau sensitif et les troubles de la sensibilité dans les cas de lésions cérébrcdes (Arch. de neurologie, t. IV, 1882 et Thèse de Paris, 1881,p. 61).
2. Brain, avril 1883. Il s'agit, dans l'observation de M. Ferrier, d'un cas de monoplégie crurale.
3. Allen Starr, Cortical lésions of the Brain, a collection and analysis of the american case of localised cérébral disease, pp. 48 et 49 (The american
nombre de faits de lésions limitées aux circonvolutions médianes, dans lesquels, outre la paralysie motrice, on a noté expressément que la sensibilité était affectée dans tous ses modes (sensibilité tactile, sensibilité à la douleur, sens musculaire, etc.). Mais il paraît établi, néanmoins, par ces mêmes observations que toujours, si l'altération est restée limitée exactement aux centres moteurs, sans empiéter sur les régions limitrophes du lobe pariétal, ces divers troubles de la sensibilité se sont montrés très peu accentués ou éminemment transitoires. Cela contraste singulièrement, vous le voyez, avec ce que nous constatons dans notre cas, où les divers modes de la sensibilité cutanée et profonde sont affectés au plus haut degré et d'une façon permanente, depuis plus de quatre mois.
Voilà autant de raisons qui doivent nous conduire à ne pas admettre, chez notre malade, l'existence d'une lésion corticale en foyer, comme déjà nous avons dû rejeter l'existence d'une lésion spinale et d'une lésion des nerfs périphériques. De quoi s'agit-il donc alors? A n'en pas douter, une lésion des centres nerveux est présenle dans ce cas ; mais où siége-t-elle, quelle est sa nature? C'est, je pense, dans l'écorce grise de l'hémisphère cérébral du côté opposé à la paralysie et, plus précisément, dans la zone motrice du bras qu'il faut la placer. De plus, pour rendre compte de l'étendue et de l'intensité des troubles delà sensibilité, on doit supposer, en s'appuyant sur quelques travaux récents, qu'elle n'est pas étroitement limitée à la zone motrice, et qu'elle s'étend en arrière des circonvolutions médianes aux parties adjacentes du lobe pariétal \ Mais à coup
Journal of the médical Sciences (extrait) 1S84), The sensory tract in the central nervous System, p. 78. (Ileprinted from the Journal of Nervous and mental Diseases, vol. VI, n° 3, July, 1884.)
1. Starr (Loc. cit.) et Bechterew. — Ueber die Localisation der Haidsensitn-lildt (Tast und Schmerzempfindungen) und des Muskelsinnes an der OLerflci-
sûr il ne s'agit pas là d'une lésion en foyer organique, destructive, comme cela devait être, dans les diverses hypothèses que nous venons de passer en revue. Ici, il ne saurait être question que de l'une de ces lésions qui échappent à nos moyens actuels d'investigation anatomique et que, faute de mieux, on est convenu de désigner sous le nom de lésions dynamiques ou encore fonctionnelles. C'est là ce que je vais essayer de vous démontrer maintenant.
Ainsi que je vous en ai prévenus, messieurs, en exposant les symptômes observés chez notre malade, il est quelques-uns d'entre eux— et, dans l'espèce ils sont des plus importants, — que jusqu'ici j'ai à dessein passés sous silence, me réservant de les relever et de les mettre en lumière comme ils le méritent, au moment opportun. Ce moment est venu enfin. Les symptômes en question, je vous l'ai dit, ne sautent pas aux yeux tout d'abord ; pour les trouver il faut diriger l'investigation suivant les données d'une certaine hypothèse que la présence même de ces signes, si réellement ils existent, viendra confirmer et légitimer. Vous prévoyez certainement de quelle hypothèse il s'agit: notre malade est-il un hystérique? porte-t-il en lui les stigmates caractéristiques assez nombreux et assez accentués pour qu'il nous soit permis d'affirmer que nous sommes réellement en présence de la diathèse hystérique? Vous allez être amenés à reconnaître qu'en faveur de cette opinion les preuves abondent. Oui, dans notre cas, la paralysie motrice, l'anesthésie et le reste se rapportent à l'hystérie : telle sera notre conclusion conforme d'ailleurs de tout point à l'opinion émise très explicitement sur ce cas, par mon collègue M. Joffroy, dans la séance de la Société médicale des hôpitaux \
ihe der Grùsshimhemisphiïren (Mendel's Neurol. Centr.^latt, n° 1S, 5 septembre 1883).
1. Séance du 27 mars 1885.
CiuncoT. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 21
Je relèverai tout d'abord ce fait que, chez Porcz...,les troubles de la sensibilité cutanée ne sont pas exactement limités au membre supérieur droit ; on les retrouve, bien qu'atténués, c'est-à-dire sous forme d'analgésie, dans toute l'étendue de ce même côté droit, face, tronc et membre inférieur. Il s'agit donc là, en ce qui concerne la sensibilité commune, d'une véritable hémi-anesthésie droite généralisée, seulement beaucoup plus prononcée sur le membre supérieur que partout ailleurs.
Si, maintenant, nous examinons les organes des sens, nous allons trouver de ce côté des renseignements précieux. L'ouïe est obnubilée du côté droit : ainsi le tic-tac d'une montre qui s'étend à gauche à une distance de 50 centimètres et plus, n'est plus perçu, à droite, au-delà de 20 centimètres. Le goût est complètement perdu à droite. Avant d'aller plus loin notons l'insensibilité spéciale que présente le pharynx : le doigt brutalement enfoncé jusqu'à toucher l'épiglotte ne provoque chez notre malade aucun acte de réflexe. Ce phénomène est, vous le savez, commun dans l'hystérie ; plusieurs observateurs, et en particulier M. Chairou, ont, ajuste titre, appelé sur lui l'attention, dans ces dernières années. Après avoir obtenu ces premiers résultats, nous nous attendions tout naturellement à constater, par l'examen du champ visuel, ce rétrécissement particulier dont je vous ai entretenus si souvent déjà. Mais lors du premier examen nous avons été déçus dans nos prévisions; nous nous sommes trouvés en présence d'un champ visuel normal. Je vous dirai, dans un instant, comment, à cet égard, les choses se sont modifiées bientôt après. L'étude de la fonction visuelle n'était pas restée stérile cependant ; elle nous avait fait reconnaître, en effet, l'existence d'un phénomène qui, à défaut de tout aulre, pourrait, je le crois, acquérir une importance majeure et coniribuer puissamment à dévoiler l'hystérie, dans un cas de diagnostic difficile. Il s'agit de lajoo
lyopie monoculaire des hystériques, symptôme que M. leDr Pa-rinaud a étudié depuis longtemps, sur les malades de mon service 1 et qu'il a, je pense, signalé le premier.
La polyopie monoculaire (diplopie ou triplopie) n'appartient pas, bien entendu, exclusivement à l'hystérie ; mais elle se présente, en général, dans cette affection, avec des caraclères spéciaux, qui permettraient, suivant M. Parinaud, de la distinguer des autres espèces du même genre.
Le cristalin offre, vous le savez, une structure segmentaire qui fait, qu'à la rigueur, on pourrait le dire composé de trois lentilles. On comprend, parla, que dans de certaines conditions plusieurs images, deux ou trois, puissent se produire sur la rétine. C'est là, en quelque sorte, un défaut naturel plus ou moins prononcé, suivant les sujets, que, dans l'état ordinaire, vient corriger le jeu normal de l'accommodation. 11 est facile de concevoir que, lorsque le fonctionnement physiologique de l'accommodation sera troublé, la polyopie monoculaire pourra s'en suivre. C'est ainsi qu'on l'observe dans la paralysie de l'accommodation produite par l'atropine, dans la contracture de l'accommodation déterminée par l'action de l'ésérine ; dans ce dernier cas, elle est en général très peu accentuée, vraisemblablement à cause du myosis concomitant. C'est d'ailleurs à la contracture du muscle de Biûke 2, sans myosis, que devrait être rapportée, suivant M. Parinaud, la polyopie monoculaire des hystériques. Sans léion fonctionnelle de l'appareil de l'accommodation, la polyopie monoculaire se voit encore chez les vieillards, dans la cataracte commençante, dans certains cas d'astigmatisme par kératite ou congénital. Or, il sera facile d'éliminer, dans un cas donné, les causes ci-dessus mentionnées de polyopie monoculaire, à sa-
1. H. Parinaud, De la polyopie monoculaire, dans l'hysté/ie, etc. (Extrait des Annales d'oculistique, Gand, mai-juin 1878).
2. La contracture du muscle de l'accommodation, dans l'hysLérie, a été étudiée par M. Galezowski (Progrès médical, t. VI, p. 39, 1818).
voir : sénilité, cataracte, astigmatisme par lésion de la cornée, introduction dans l'œil de l'ésérine ou de l'atropine, etc. De plus, en dehors même de l'absence de ces causes, la polyopie des hystériques paraît, je vous l'ai dit, se distinguer par des caractères propres. Je veux parler de la macropsin et de la mi-cropsie qui, suivant la remarque de M. Parinaud, en seraient inséparables, tandis qu'elles ne s'observeraient pas dans les autres cas. Placez chez Porcz... un crayon tenu verticalement à une distance de quelques centimètres de l'un des yeux, l'autre élant fermé, il ne distingue alors qu'une seule image. Mais si lo crayon est éloigné peu à peu au-delà de ce point, deux images lui apparaîtront bientôt ; à huit ou dix centimètres de l'œil elles sont bien séparées l'une de l'autre et très nettes. De plus, au moment où le crayon est placé tout près de l'œil il paraît démesurément gros, tandis que tenu à une distance de 15 à 20 centimètres, il paraît deux fois plus petit que cela ne devrait être dans l'étal normal. Telle est la polyopie monoculaire spéciale qui, associée aux troubles sensoriels et sensitifs que nous venons de rappeler, constitueraient déjà un dossier très significatif, dans un cas surtout où ni l'alcoolisme, ni le saturnisme, ni les lésions de la capsule interne ne peuvent être mis en cause. Un second examen du champ visuel fait, il y a trois jours, est venu du reste ajouter au tableau un nouveau trait. Il y a cinq jours, le malade est sorti de l'hôpital et il est rentré de son expédition très fatigué. Deux jours après, l'examen périmétrique accusait l'existence d'un rétrécissement concentrique du champ visuel à peu près également marqué des deux côtés, à la vérité sans transposition du cercle du rouge.
Je ne crois pas nécessaire, maintenant, d'entrer dans des développements pour faire ressortir que le concours de tous les faits qui viennent d'être successivement recueillis, véritablement inexplicable, dans l'hypothèse d'une lésion organique cérébrale, spinale ou des nerfs périphériques, se montre, au cou-
traire, d'une interprétation très simple, dans l'hypothèse d'une lésion dynamique hystérique. Mais je tiens à vous faire remarquer, qu'en somme, les caractères cliniques de la monoplégie de Porcz... ne diffèrent pas de ceux qui distinguent certaines formes de paralysies hystériques bien avérées ; c'est ce dont on pourrait se convaincre, d'ailleurs, au besoin, en consultant les auteurs les plus compétents dans la matière. Je signalerai, en premier lieu, Vabsence de toute participation de la face à la paralysie, fait mis en relief par Todd \ Althaus, Hasse 2, par moi-même *, par Weir Mitchell enfin, dans son excellent livre sur les maladies nerveuses des femmes 4 ; pour mon compte, je n'ai pas encore trouvé, jusqu'à présent, une seule exception bien démontrée à cette règle. Je relèverai ensuite: d'abord l'absence de toute modification des réactions électriques, de toute atrophie des muscles alors même que la paralysie date de plusieurs mois et, dans ces mêmes conditions de durée, la persistance de la flaccidité absolue du membre sans changement marqué du côté des réflexes tendineux; puis la perte du sens musculaire portée au plus haut point et telle qu'on ne l'observe guère dans les paralysies de cause cérébrale reconnaissant une autre origine. Je signalerai enfin le haut degré de
1. R.-B. Todd, Clinical lectures on paralysis, certain diseases of the brain, tic. London, 1856. « Again the great extent of the paralysis in the limbs, and the total absence of it in the face and tongue, are certainly evidence in favour of its hysterical character ; for although hysterical paralysis occurs in all parts of the trunk and extremities, it very rarely, if ever, attacks the face. » (Loc cit., p. 20).
2. liasse, Uandbui.h der Pathol., etc. II. Auflage. — Erlangen, 1869.
3. Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, lre édit.., 4e édit., p. 351. — 12e leçon. « Remarquez, en premier lieu, l'absence de paralysie faciale et de déviation de la langue, lorsque celle-ci est tirée hors delà bouche. Vous savez que ces phénomènes existent, au contraire, toujours à un certain degré, » — c'est presque toujours qu'il faut lire — « dans l'hémiplégie par lésion en foyer du cerveau. »
4. Weir Mitchell, Lectures on diseases of the nervous system especially in woman. 2° edit., Philadelphia, 1885. « Unlike the hemipalsy of cerebral and organic cause, hysterical halfpalsies involve more or less all of one side of the body, excepting the face; but in a few rare cases the neck is distinctly affected. » (Loc. cit., p. 25.)
l'anesthésie profonde et cutanée, le mode si particulier de réparation et de limitation de celle-ci, lequel semble bizarre, au premier abord, sans doute parce qu'il n'a pas encore été étudié de très près, mais ne répond nullement, en tout cas, à la distribution des nerfs sensitifs émanant du plexus brachiall. Je ne voudrais pas dire, tant s'en faut, que toutes les paralysies hystériques présentent nécessairement l'ensemble des caractères qui vennent d'être énumérés ; mais je crois qu'on peut affirmer ^ue lorsque ces caractères se trouvent coexister dans un cas donné de paralysie, la nature de celle-ci ne saurait rester douteuse.
Tels sont, Messieurs, les arguments, et ils nous paraissent péremptoires, qui nous conduisent à affirmer que, non seulement de par les circonstances de l'hérédité et de par l'existence des stigmates, notre malade doit être considéré comme un hystérique, mais que, de plus, la monoplégie elle-même se présente chez lui douée de tous les caractères qui spécifient cliniquement certaines formes de paralysie. En résumé, vous le voyez, tous les symptômes que nous observons chez Porcz... révèlent l'hystérie et nous ne rencontrons rien, chez lui, en définitive, qui ne relève de l'hystérie.
Voilà donc notre diagnostic fixé. A la vérité, j'accorderai, c'est du reste la seule concession que je puisse faire, qu'il ne s'agit pas ici d'un cas d'hystérie absolument complet, régulier,
1. Comparez fig. 54, 55, 56, 57. Cette disposition par segments géométriques que délimitent des lignes circulaires déterminant un plan perpendiculaire au grand axe du membre, représente vraisemblablement, du moins pour les membres, le type des anesthésies de cause corticale quelle que soit la lésion qui les produit, seulement, dans l'hystérie ce caractère sera, en général, beaucoup plus accentué, beaucoup plus facile à reconnaître que dans les cas de lésion organique en foyer, sans doute parce que, dans la première, la lésion dynamique se répand sur une plus grande étendue en surface et peut occuper, par exemple, systématiquement, la totalité de tel ou tel département des centres corticaux sensitifs. (J.-M.-C.)
classique, en un mot. Mais cela, justement, le rendra, aux yeux du clinicien, particulièrement intéressant ; car si la nature hystérique de l'affection est, par ce qui précède, actuellement bien établie, on doit reconnaître qu'elle ne s'imposait pas au premier abord et qu'il a fallu, pour la mettre en évidence, faire appel à toute une série d'épreuves et d'arguments qu'une étude clinique attentive et minutieuse pouvait seule fournir. C'est qu'en réalité quelque chose manque au tableau, et ce quelque chose, vous l'avez tous compris, c'est la présence de? attaques ainsi que l'existence des points hystérogènes. Evidemment cette circonstance ne saurait nous arrêter : l'attaque convulsive, vous le savez, n'est pas, tant s'en faut, nécessaire à la caractéristique de l'hystérie ; elle fait défaut, suivant Briquet, dans plus d'un tiers des cas chez la femme. Notre observation vient démontrer qu'elle peut faire défaut également chez l'homme et même, si j'en juge d'après ce que j'ai vu, elle manquerait chez lui pour le moins aussi fréquemment que dans l'autre sexe.
Pour légitimer plus encore les conclusions auxquelles nous nous arrêtons, et pour leur donner plus de poids, je crois utile de rapprocher du cas qui nous occupe en ce moment, celui d'un autre hystérique mâle que je vous ai présenté dans une leçon précédente, et dont, à l'époque, je vous ai entretenus longuement1. Il s'agit d'un jeune homme, nommé Pin..., que je fais de nouveau placer sous vos yeux. Aux quelques traits que je vais vous remettre en mémoire, vous allez certainement reconnaître que, à part certaines circonstances d'ordre secondaire, son histoire est calquée, en quelque sorte, sur celle de Porcz...
De même que ce dernier, Pin... a été atteint de monoplégie brachiale, à la suite d'une chute ; seulement, chez lui, la paralysie occupe le membre supérieur gauche, et c'est la partie
1. Voir l'observation détaillée du nommé Pin... pages 289 et suiv.
antérieure de l'épaule qui, dans la chute, a étéfappée. Le 11 mars, lors de notre premier examen, la paralysie était com-
Fig. 58]et 59 — Observation de Greuz...
plète, absolue, comme elle l'est encore chez Porcz... ; la face n'ayant jamais été affectée à un degré quelconque. Le membre paralysé était pendant, flasque, sans la moindre rigidité au niveau des jointures ; pas d'amyotrophie, pas d'altératiorTdes
réactions électriques, bien que le début de la maladie remontât alors à près de 10 mois. L'anesthésie cutanée et profonde
Fig. 60 et 61. — Observation de Pin ..
est portée au même degré que chez Porcz..., elle est plus étendue cependant que chez lui, puisqu'elle occupe les doigts de la main; mais elle se limite exactement de la même façon, du côté de la racine du membre (voir les fig. 54 et 55, 60 et 61).
La perte du sens musculaire est également portée au plus haut point dans toutes les parties insensibles. Ces divers troubles de la sensibilité d'ailleurs ne sont pas encore modifiés, et nous pouvons, à l'heure qu'il est, en constater très nettement l'existence, chez les deux malades.
Vous voyez jusqu'à quel point les deux cas se ressemblent jusqu'ici ; entre eux, il y a presque identité ; les détails qui vont suivre les rattacheront l'un à l'autre plus étroitement encore.
Dans la discussion du diagnostic, nous avons été conduits, chez Pin..., à éliminer successivement, comme nous venons de le faire chez Porcz..., l'hypothèse d'une lésion des rameaux du plexus brachial ; celle d'une lésion spinale, celle enfin d'une lésion organique en foyer des hémisphères cérébraux que la présence de l'insuffisance aorlique dont le sujet est atteint, rendait assez vraisemblable, et nous avons conclu, en fin de compte, que la paralysie dépendait d'une lésion dijnamique localisée dans l'écorce grise de la zone motrice brachiale, du côté opposé à la monoplégie. L'existence de la diafhèse hystérique se révélait d'ailleurs chez le malade par des traits significatifs: analgésie répandue sur la moitié gauche de la tête, du cou, du tronc et sur toute l'étendue du membre inférieur gauche ; l'ouïe, l'odorat, le goût explorés par les procédés habituels offrent une diminution très accentuée de leur activité du côté gauche. L'examen du champ visuel montre, du côté droit, l'état normal tandis qu'à gauche, il y a un rétrécisse-
1. Ce cas démontre, avec bien d'autres que je pourrais citer, que si le rétrécissement concentrique du champ visuel chez les hystériques, existe le plus souvent des deux côtés, cela n'est pas cependant une règle générale : ce rétrécissement peut être en effet exactement limité à un seul œil. Le cas du nommé Gil... en particulier, cité dans une précédente leçon (page 264 et suivantes) est un bel exemple de ce genre. A propos de ce dernier cas, je ferai remarquer que le malade ayant succombé ces jours-ci inopinément (il aurait, paraît-il, ingéré tout d'un coup un dose énorme de choral qu'il
ment considérable; de plus, de ce côté, le cercle du ronge s'est transporté en dehors de celui du bleu. Aujourd'hui, nous constatons, de ce même côté gauche, la présence de la polyopie monoculaire qui n'avait pas été remarquée jusque-là. J'ajouterai que le doigt introduit dans le pharynx jusqu'à l'épiglotte, ne détermine pas la production d'actes réflexes. Enfin, et c'est sur ce point seulement que le cas de Pin... s'éloigne notablement de celui de Porcz...., il existe chez le premier plusieurs plaques hypéreslhésiques hystérogènes, l'une située sous le sein gauche, une autre sur chacune des régions iliaques, une autre enfin sur le testicule droit.
Or, le 15 mars, il arriva, vous ne l'avez pas oublié, Messieurs, qu'à la suite d'une excitation un peu prolongée de la zone sous-mammaire, survint chez Pin..., une attaque hystéro-épi-leptique parfaitement classique. C'était la première que le malade eût jamais éprouvée; elle fut suivie de plusieurs autres en tout semblables. Actuellement encore, les attaques se produisent fréquemment, d'ordinaire spontanément. C'est à la suite d'une de ces attaques que s'est manifesté tout à coup, le 21 mars, dans la paralysie motrice, l'amendement que vous pouvez constater aujourd'hui. Pin... peut, vous le voyez, mouvoir à volonté toutes les parties du membre supérieur gauche. Mais ces mouvements sont peu énergiques, ils ne triomphent pas de la moindre résistance qui leur est opposée, et, tandis qu'à droite, la force dynamométrique se traduit à la main parle chiffre 70, elle ne donne à gauche que le chiffre 10. Donc si l'impuissance motrice n'est pas absolue comme autrefois, elle persiste encore à un assez haut degré. D'ailleurs, les troubles de la sensibilité sont restés, je le répèle, ce qu'ils étaient à l'origine, non seulement dans le membre parésié, mais encore sur
avait amassée en secret), l'autopsie absolument négative, en ce qui concerne les centres nerveux, est venue confirmer pleinement le diagnostic.
J.-M.-C.
tout le côté gauche du corps, y compris les appareils sensoriels. Par conséquent, il ne s'agit pas là, il s'en faut, d'une guérison
Fig. 62, 63. — Champs visuels du nommé Pin. ............ vert +. .4-. . + ¦ •+ rouge
complète ; mais celle-ci, il y a tout lieu de l'espérer, ne tardera pas à s'accentuer; car, évidemment, le pronostic n'est plus ici ce qu'il eût été si la paralysie se fut développée à la suite d'une
lésion destructive occupant l'écorce grise de l'un des hémisphères cérébraux.
Personne ne saurait contester, je pense, que dans l'observation qui vient d'être rappelée, tout se rapporte à l'hystérie. Or, entre ce cas et celui de Porcz... la présence des attaques et des points hystérogènes dans le premier fait seule la différence. Sous tous les autres rapports, les deux observations sont de tout point assimilables et l'on peut dire que celle de Pin..., plus complète, plus facilement déchiffrable que celle de Porcz..., du moins à certains égards, comble, en quelque sorte, la lacune qui existe entre celle-ci et les cas d'hystérie les plus vulgaires; elle marque, si l'on peut ainsi parler, la transition, et nulle part la série n'est un instant interrompue.
Nous avons donc sous les yeux deux exemples de monoplégie brachiale hystérique, de cause traumalique, observés chez l'homme ; telle sera la conclusion de tout ce qui précède.
Je crois vous avoir démontré que chez les deux hommes atteints de monoplégie brachiale, qui ont fait l'objet des précédentes leçons, la paralysie survenue à la suite d'un traumatisme, est de nature hystérique. Or, ici, le diagnostic entraîne tout naturellement avec lui le pronostic et il est clair que celui-ci sera infiniment moins grave dans le cas d'une affection de ce genre que dans le cas où il s'agirait d'une lésion organique destructive. Sans doute, chez nos deux malades, la paralysie, déjà de date ancienne, pourra persister, tout hystérique qu'elle soit, peut-être encore pendant des mois, des années même, surtout si nous n'intervenons pas à l'aide d'une action thérapeutique appropriée : toutefois la guérison, on peut l'affirmer, aura lieu tôt ou tard, et tous nos efforts doivent tendre à la hâter.
Mais comment, suivant quels principes, faudra-t-il intervenir?
C'est là ce qu'il s'agit de déterminer actuellement. Nous pourrions nous adresser aux moyens empiriques que nous possédons, relativement au traitement de l'hystérie : agents propres à relever l'état des forces, déchues à peu près toujours en pareille occurence ; application répétée des moyens esthésiogènes et, en particulier, électrisation statique; pratiques hydrothérapeutiques prolongées, etc. Mais ces agents, dont il ne faut certainement pas négliger l'emploi, s'adressent surtout à l'état général et les résultats de leur mise en œuvre, en ce qui concerne la paralysie, si j'en juge d'après mon expérience, pourraient se faire attendre bien longtemps encore. Certainement notre action se montrerait plus efficace si, au lieu de reposer uniquement sur des notions empiriques, elle pouvait être fondée sur des bases physiologiques; si, par exemple, il nous était donné de reconnaître, du moins en partie, le mécanisme de la production de ces paralysies hystériques trau-matiques.
Ce problème, hérissé de difficultés de tout genre, nous allons, Messieurs, tenter de l'aborder cependant. Je ne vous promets pas, bien entendu, de le résoudre sur tous les points, mais dans la voie que nous allons suivre, nous efforçant d'approcher, autant que possible, du but à atteindre, nous rencontrerons peut-être des aperçus dont les conséquences pratiques ne seront pas à dédaigner.
Pour parvenir au point où je veux vous conduire, je prendrai un chemin en apparence détourné : je reviendrai une fois de plus sur un sujet qui nous a occupés déjà1, je veux parler de ces paralysies singulières qui ont été désignées sous le nom de paralysies psychiques, paralysies dépendant d'une idée
1. J. M. Charcot, Lezioni cliniche delV anno scolastico 1884-84 sulle ma-lattie del sistema nervoso, redatte dal Dor, D. Miliotti. — Sulle paralisi psi-chiche, p. 103, 110. Milano, 1885.
(P. dépendent on idea), paralysies par imagination (P. dure h Einbildung),je ne dis pas, remarquez-le bien, paralysies imaginaires; car, en somme, ces impuissances motrices développées par le fait d'un trouble psychique sont, objectivement, tout aussi réelles que celles qui dépendent d'une lésion organique: elles s'en rapprochent même, vous allez le constater bientôt, par un grand nombre de caractères cliniques communs qui rendent souvent le diagnostic très difficile.
Depuis fort longtemps connues, ces paralysies ont été pour la première fois étudiées d'une façon méthodique et systématique, en 1879, par M. le professeur Russell Reynolds, dans un excellent travail où sont traités leur étiologie, leurs caractères cliniques, ainsi que les moyens de traitement qu'il faut leur appliquer1. Leur histoire, cependant, offre encore bien des points obscurs. On sait fort bien sans doute que, dans certaines circonstances, une paralysie pourra être produite par une idée et aussi qu'une idée contraire pourra la faire disparaître; mais eutre ces deux faits terminaux, combien de chaînons intermédiaires restent dans l'ombre. Evidemment, c'est là un sujet qui gagnerait beaucoup en précision comme en clarté s'il pouvait être soumis à une étude expérimentale.
Eh bien, Messieurs, grâce aux notions récemment introduites dans la science, sur la névrose hypnotique, il nous est devenu possible, dans une certaine mesure, de faire intervenir l'expérimentation dans les cas de ce genre. Nous savons que chez les sujets plongés dans l'état d'hypnotisme, il est possible — et c'est là un fait aujourd'hui devenu vulgaire — de faire naître par voie de suggestion, d'intimation, une idée, un groupe cohérent d'idées associées, qui s'installent dans l'esprit, à la manière d'un parasite, restant isolés de tout le reste,
1. R. Reynolds, Remarks on paralysis and other disorders of motion and sensatwi dépendant on Idea, read to the annual meeting of the British médical Association. Leeds. July. 1869. — In British médical Journal. Nov. 1869.
et pouvant se traduire à l'extérieur par des phénomènes moteurs correspondants. S'il en est ainsi, on conçoit que l'idée inculquée étant dans une expérience de ce genre, celle de paralysie, une paralysie réelle pourra, en effet, s'ensuivre ; et nous verrons qu'en pareil cas, elle se montrera souvent tout aussi accentuée cliniquement que si elle provenait d'une lésion destructive de la substance cérébrale. Ce sont là des assertions que je vais dans un instant essayer de justifier en vous rendant témoins de la production de ces paralysies dites par suggestion, lesquelles pourront être à bon droit considérées comme représentant le type des paralysies psychiques.
Au préalable, je crois devoir vous rappeler un certain nombre de faits que vous connaissez déjà, très certainement, par nos études antérieures!. Vous devez les avoir présents à l'esprit pour bien comprendre ce qui doit suivre. Donc je vous remettrai en mémoire tout d'abord que, dans la phase léthargique de ce que l'on appelle le grand hypnotisme, l'inertie mentale est tellement absolue, en général, qu'il est impossible d'entrer en relation avec le sujet hypnotisé et de lui communiquer par quelque procédé que ce soit, une idée quelconque, fl n'en est plus de même dans les deux autres phases de l'hypnotisme. Ainsi dans la catalepsie —je parle ici seulement de la catalepsie vraie, telle que je l'ai décrite — certains phénomènes de suggestion s'obtiennent aisément, et, en raison de leur simplicité et de leur peu de tendance à se généraliser, ils sont d'une analyse relativement facile. Evidemment c'est par là, en bonne méthode, que l'étude des suggestions hypnotiques doit être commencée. Ici encore, comme dans la phase précé-
1. J.-M. Charcot, Essai d'une distinction nosographique des divers états nerveux compris sous le nom d'hypnotisme. Note comm. à l'Académie des sciences. 1883. — Id. Lezioni cliniche redatte dal Ur Dom. Miliotti. Sulle paralisi psìchiche, p. 103, 110, Milano, 1885.
dente, il y a inertie mentale, mais celle-ci est moins profonde, moins absolue; il est devenu possible, en effet, de provoquer comme un réveil partiel, dans l'organe des fonctions psychiques. Ainsi, on pourra y faire renaître une idée, un groupe d'idées liées entre elles, par association préalable.Mais ce groupe mis en activité restera étroitement limité; il n'y aura pas de propagation, pas de diffusion du mouvement communiqué; tout le reste demeurera endormi. En conséquence, l'idée ou le groupe d'idées suggérées se trouveront dans leur isolement à l'abri du contrôle de cette grande collection d'idées personnelles depuis longtemps accumulées et organisées qui constituent la conscience proprement dite, le moi. C'est pourquoi les mouvements qui traduiront, à l'extérieur, ces actes de cérébra-tion inconsciente se distingueront par leur caractère automatique purement mécanique en quelque sorte. Alors c'est vraiment, dans toute sa simplicité, Vhomme machine rêvé par de la Mettrie, que nous avons sous les yeux1.
Dans cet état de catalepsie, chez la plupart des individus, le seul mode par lequel nous puissions entrer en relation avec l'hypnotisée, est la mise enjeu du sens musculaire. Seuls le geste, l'attitude que nous imprimons au sujet lui suggèrent l'idée que nous voulons lui transmettre. Lui ferme-t-on, par exemple, les poings dans un geste agressif, on voit la tête se porter en arrière, le front, les sourcils et la racine du nez, se plisser avec une expression menaçante. Approchez au contraire de sa bouche ses doigts étendus, alors les lèvres s'écartent, elle sourit, toute la face prend une expression de douceur bien opposée à celle qu'elle avait tout à l'heure. Après avoir étudié l'influence du geste sur la physionomie, on peut, en regard, étudier l'influence de la physionomie sur le geste,
1. Ue la Mettrie, L'homme machine, Œuvres philosophiques, T. I. Amsttr-4am, 1763. Voir aussi T. II, L'homme plante. L'homme plus que machine.
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 22
ainsi que nous l'avons fait voir, M. Richer et moi1. Or, c'est encore au sens musculaire qu'il faut rapporter les phénomènes qui se produisent, quand on actionne par l'électricité les divers muscles faciaux de l'expression, suivant les précieuses indications de Duchenne (de Boulogne). Si, chez notre sujet, nous déterminons, par exemple, la contraction de l'orbiculaire supérieur des paupières (muscle de la colère, D. de B.), vous voyez le visage se charger de colère ; en même temps le hras droit se place dans une attitude d'agression, le gauche dans une position de défense. Si, au contraire, c'est le muscle grand zygo-matique (muscle du rire, D. de B.) qui est excité, l'expression de la physionomie et l'attitude générale correspondante qui se dessinent, sont celles du rire. Ces phénomènes, d'ailleurs, que je me borne à vous indiquer sommairement, je vous ai, je le répète, depuis longtemps déjà, appris à les connaître2; mais ce sur quoi j'appelle en ce moment tout spécialement votre attention, c'est la façon dont chaque impression ainsi éveillée par l'intermédiaire du sens musculaire, reste en pareil cas limitée à elle-même, sans diffusion, fixée, pour ainsi dire, pendant un temps qui n'a de borne que la durée même de l'action musculaire qui maintient les membres dans l'altitude expressive artificiellement produite.
Nous arrivons maintenant à la troisième phase, dite som-nambuliqiœ, qui seule nous occupera dans nos études d'aujourd'hui. 11 s'agit seulement ici d'un état d'obnubilalion, d'engourdissement mental plus ou moins accentué. Celte fois encore, sans doute, le réveil déterminé par la suggestion reste
1. J.-M. Charcot and P. Richer, Note on certain fads of cerebral auto-n at ism, etc. Suggestion by the muscular sense. (Journal of Nervous and mental Disease. Vol. X, n° 1. January, 1883.) — Voir aussi Bertrand : Deux Ids psycho-physiologiques. (Revue philosophique, p. 244, 245, n° 3, mars 18s'4 ; — Bourneville et P. Reynard, Icon. phot, de la Salpêtrière, 1879, III, p. 149).
t. J.-M. Charcot, Lezioni cliniche, loc. cit., p. 103.
partiel; mais le nombre des éléments mis en jeu est moins limité que dans le cas précédent, et souvent il se produit une diffusion des phénomènes psychiques provoqués, assez étendue pour qu'il se manifeste une certaine tendance à la reconstitution du moi. Aussi voit-on alors, assez fréquemment, l'injonction, la suggestion devenir l'occasion d'une certaine résistance, de la part du sujet. Il cède, dans tous les cas, et se soumet, pour peu qu'on insiste. Toutefois ce n'est pas toujours sans discussion préalable. Ajoutons que les mouvements en rapport avec les idées suggérées sont, en conséquence, souvent très complexes; ils n'ont plus ce caractère de précision mécanique qu'ils présentaient dans la forme précédente et ils prennent au contraire, jusqu'à faire illusion, les allures d'actes volontaires, plus ou moins prémédités.
D'ailleurs, dans cette période somnambulique, tous les sens sont ouverts et l'on peut dire même que, si la conscience est déprimée, la sensibilité aux impressions communiquées se trouve, au contraire, exaltée. Il devient facile, par conséquent, d'entrer en relation, par des procédés très divers, avec la personne hypnotisée. Lui présente-t-on avec insistance un objet, la simple vue de celui-ci réveillera en elle un certain nombre d'idées en rapport avec la nature de l'objet, et ces idées s'objectiveront en quelque sorte fatalement, sous la forme d'actes correspondants ; ou bien encore si, par des gestes significatifs, on figure dans l'espace soit un objet, soit un animal, cet animal, cet objet imaginaires, prendront aux yeux de l'hynoptisée une existence réelle au point de mettre enjeu la série correspondante d'idées et de mouvements : enfin, et d'une façon plus parfaite encore, la suggestion pourra s'effectuer à l'aide de la parole, soit seule, soit, mieux encore, associée aux gestes.
En voilà assez, Messieurs, pour vous rappeler d'une façon
très générale quels sont, dans la période somnambulique, les grands caractères des phénomènes de la suggestion hypnotique, et comment, dans ce domaine, notre puissance ne rencontrera guère de limites ; car, en réalité, nous pouvons faire varier notre action, presque à l'infini. Aussi ne vous étonne-rez-vous point de voir qu'en inculquant à un sujet somnambu-lisé l'idée d'un état morbide, par exemple de l'impuissance motrice d'un dé ses membres, cette paralysie se réalise en effet, objectivement, s'offrant ainsi à nos investigations cliniques.
J'ajouterai, et c'est là un point qui nous intéresse au premier chef, que cette paralysie que nous aurons faite par voie de suggestion, nous pourrons, à notre gré, en modifier le degré, les caractères mêmes jusqu'à un certain point, la défaire enfin, également par suggestion. On prévoit aisément, d'après cela, que l'étude de ces paralysies artificiellement provoquées puisse être appelée à éclairer d'un jour nouveau l'histoire du groupe tout entier des paralysies psychiques.
Après ces préliminaires, procédons à la démonstration des faits. Cette jeune fille hystérique, la nommée Greuz..., que j'ai fait placer devant vous, présente du côté gauche une hémia-neslhésie complète, très régulière ; au contraire, il n'existe du côté droit aucun trouble appréciable de la sensibilité. Nous pourrons donc de ce côté observer aisément les perturbations subies par la sensibilité, dans ses différents modes, pendant l'évolution des troubles de la motilité que nous allons provoquer. Je vous ferai remarquer en passant que cette jeune malade n'ayant été soumise encore que quatre ou cinq fois aux pratiques de l'hypnotisme, il ne saurait être question chez elle de cette espèce d'entraînement qui se produit d'ordinaire chez
les sujets fréquemment hypnotisés. D'ailleurs, je puis affirmer que les phénomènes que vous allez reconnaître aujourd'hui se sont montrés exactement les mêmes, lors de la première expérience.
Greuz... est plongée dans l'état somnambulique, à l'aide d'une légère pression exercée sur les globes occulaires et dont l'action est maintenue pendant quelques secondes. La rigidité particulière des membres que vous voyez se produire, à la suite de légers attouchements promenés à leur surface, ou même de mouvements effectués à distance (contracture somnambulique), est un caractère somatique qui, vous le savez, nous permet de reconnaître que le sommeil est actuellement bien établi. Pour déterminer maintenant la production des phénomènes que nous avons en vue d'étudier, je procède par affirmation à haute voix : « Votre bras droit est paralysé », dis-je en m'adressant à la malade d'un ton convaincu. « Vous ne pouvez plus le mouvoir dans aucune partie ; il pend inerte le long du corps, etc., etc. » Nous assistons tout d'abord à une sorte de révolte1. « Mais non», répond-elle, « vous vous trompez, mon bras n'est pas paralysé le moins du monde : voyez je le meus très bien », et, en effet, elle le meut, très faiblement toutefois. Alors j'insiste, et toujours avec un accent d'autorité, je répète un certain nombre de fois mon affirmation première. Vous voyez qu'après quelques minutes de discussion, la paralysie s'établit en effet définitivement. En réalité, nous venons de produire une monoplégie brachiale dont il nous faut à présent déterminer minutieusement les caractères cliniques ; car peut-être cette monoplégie est-elle assimilable à celle que nous avons observée, dans nos dernières leçons, chez nos deux hommes hystériques, Porcz...
1. D'autres sujets se soumettent à la suggestion sans protester : il y a, à cet égard, de nombreuses variantes individuelles.
et Pin... C'est ce que nous nous proposons d'examiner actuellement.
L'impuissance motrice que nous venons de provoquer chez Greuz..., par suggestion hypnotique, est, comme vous pouvez le constater, complète, absolue. Le membre supérieur droit tout entier est pendant le long du corps, ne présentant aucune trace de rigidité, au niveau des jointures. Il retombe lourdement lorsqu'on l'abandonne à lui-même après l'avoir un instant soulevé. La malade ne peut en aucune manière mouvoir son bras, elle ne peut ni fléchir ni étendre l'avant-bras et et il en est de même pour le poignet et pour les doigts ; ainsi, dans ce membre, lout mouvement actif est aboli, comme aussi toute résislance aux mouvements passifs. Aucun muscle, je le répète, ne manifeste la moindre contraction, quels que soient les efforts qu'y emploie le sujet, à notre sollicitation.
D'un autre côté, la sensibilité, normale tout à l'heure, a maintenant complètement disparu dans toute l'étendue du membre ; vous pouvez même reconnaître que l'anesthésie a envahi le moignon de l'épaule et gagné une partie de la poitrine du côté droit. Elle n'intéresse pas d'ailleurs seulement la peau, elle occupe encore, au plus haut degré, les parties profondes, à savoir les muscles, les troncs nerveux, les ligaments, etc. Ainsi l'on peut, vous le voyez, imprimer aux diverses jointures les mouvements de torsion ou d'élongation les plus violents, faradiser les troncs nerveux et les muscles au point de produire dans ceux-ci les contractions les plus énergiques sans déterminer la moindre trace d'expression douloureuse ou même d'une sensation quelconque. Les réflexes tendineux du poignet et du coude se montrent, en outre, très notablement affaiblis.
Enfin, pour ce qui est du sens musculaire, dont j'ai eu soin de vous faire reconnaître l'existence, avant de commencer l'ex
périence, vous voyez qu'il fait actuellement complètement défaut : La malade, en effet, lorsqu'un écran est placé devant ses yeux est dans l'impossibilité absolue de trouver avec sa main gauche un point quelconque qui lui est désigné sur le membre droit et elle n'a aucune notion des mouvements que nous imprimons aux diverses articulations de ce membre.
, En résumé, nous sommes en présence d'une paralysie rao-noplégique complète, marquée par la flaccidité absolue des parties, une aneslhésie cutanée et profonde occupant toute l'étendue du membre et se répandant même au-delà, l'amoindrissement des réflexes tendineux et, enfin, la perte totale du sens musculaire. Or, Messieurs, ces caractères cliniques, vous le reconnaissez immédiatement, sont exactement ceux que nous avons relevés chez notre malade Pin..., au moment de son entrée dans nos salles et que nous pouvons constater, encore aujourd'hui, chez le nommé Porcz..., avec cette seule différence, évidemment d'ordre secondaire, que, chez ce dernier, le mouvement et la sensibilité sont conservés dans les doigts.
VINGT-DEUXIÈME LEÇON
o
Sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique chez l'homme (Suite) l.
Sommaire. — Production d'une monoplégie de tout le membre supérieur chez une hystérique par suggestion; moyen analogue employé pour la faire disparaître. — Production successive chez la même malade de la paralysie des différents segments du membre supérieur (épaule, coude, poignet, doigts). — La sensibilité et les réflexes tendineux disparaissent simultanément dans les parties atteintes par la paralysie. — La monoplégie peut être déterminée artificiellement chez une hypnotique par un choc sur l'épaule (suggestion traumatique). — Répétition des mêmes phénomènes, pendant la veille, chez une hystérique à l'état d'hypnotisme naturel et permanent.
Considérations sur le traitement chez deux hommes atteints de monoplégie brachiale : hydrothérapie, électricité statique, gymnastique spéciale ; mode d'action de ce dernier agent; images psychiques motrices. Bons résultats du traitement.
Messieurs,
Nous voilà donc en possession déjà de renseignements incontestablement très précieux. Mais il nous est permis de pousser l'analyse plus loin. En effet, au lieu de paralyser le membre entier tout d'un coup, nous pourrons le paralyser partiellement, segment par segment et ces opérations successives, vous allez le voir, nous feront pénétrer, en quelque sorte, plus avant encore dans l'intimité des phénomènes.
1. Leçon recueillie par M. Marie, chef de clinique, et G. Guinon, interne du service.
Pour en venir Jà, il nous faut, tout d'abord, passez-moi l'expression « déparalyser » notre malade. Il nous suffira pour cela de détruire les effets de la suggestion initiale en faisant intervenir une suggestion nouvelle de sens contraire. J'affirme donc à Greuz... que son bras a cessé d'être paralysé, qu'elle peut de nouveau le mouvoir, comme elle le faisait auparavant. Vous voyez qu'après quelques instants de discussion, le membre a repris en effet toutes les fonctions de l'état normal, tant au point de vue de la motilité qu'en ce qui concerne la sensibilité considérée dans tous ses modes.
Il nous est permis, dès à présent, ainsi que nous l'avons annoncé, de procéder successivement à la production de la paralysie isolée de chacun des segments du membre. En premier lieu, je suggère à la malade l'idée qu'il lui est devenu impossible de mouvoir l'articulation de l'épaule et voici qu'en réalité elle ne peut plus la mouvoir dans aucune direction, tandis qu'elle meut librement toutes les autres jointures à savoir le coude, le poignet, les doigts enfin. De plus, sur toute la partie où le mouvement volontaire est aboli, et là seulement, remarquez-le bien, la sensibilité cutanée et profonde est éteinte : Ainsi sur le moignon de l'épaule, les piqûres, les excitations faradiques, etc., ne sont pas perçues ; les mouvements de torsion, de distension, même violents, imprimés à l'articulation scapulo-humérale ne font éprouver aucune douleur, aucune sensation ; j'ajouterai que toutes les notions fournies par le sens musculaire relatives aux mouvements passifs, imprimés à cette articulation, font, elles aussi, complètement défaut.
Une sera pas sans intérêt, vous allez le voir, de considérer d'un peu près l'étendue et les limites de cette anesthésie dont nous venons de constater l'existence. (Fig. 64, 65, A.) Le département insensible représente en quelque sorte une plaque moulée sur l'épaule et qui rappelle la pièce des armures
du XVIe siècle, destinée à protéger cette région. Par en haut, la ligne qui limite l'anesthés„ie commence au niveau de la base
Fig. 64 et 65. — Observation de Greux...
du cou; elle s'étend, en avant, jusqu'auprès du bord droit du sternum, englobe le tiers supérieur du sein et se dirige obliquement vers le creux axillaire qu'elle occupe tout entier, se prolongeant même de 4 ou 5 travers de doigt, le long de la par-
tie axillaire de la région thoracique. En arrière (A.'), elle prend une direction presque verticale et s'étend depuis la base du
Fig. 66 et 67. — Observation de Porcz...
cou jusqu'à trois ou quatre travers de doigt, au-dessus de l'angle de l'omoplate ; dans le sens transversal, elle est éloignée des apophyses épineuses d'environ cinq travers de doigt. Le bras presque tout entier est contenu dans la zone d'anes
thésie qui, pour continuer la comparaison de tout à l'heure, semble lui former un véritable brassard. J'appelle particulièrement votre attention sur la façon singulière dont se limite, par en bas, cette plaque anesthésique. Vous voyez que la ligne déterminée par des piqûres successives et très rapprochées est très nettement circulaire ; elle limite un plan horizontal fictif, perpendiculaire à l'axe du membre, situé à deux travers de doigt environ au-dessus du pli du coude en avant et passant en arrière au-dessus de l'extrémité supérieure de l'olécrâne *.
Tel est le territoire d'anesthésie qui répond à la paralysie isolée de l'épaule. Nous allons voir les choses se modifier, si, par le même procédé de suggestion que nous avons employé à l'instant, nous déterminons maintenant la paralysie des mouvements de l'articulation du coude. Aussitôt que, pour cette jointure, l'impuissance motrice est devenue complète, vous voyez que la zone d'anesthésie s'est immédiatement étendue par en bas ; elle occupe actuellement non seulement l'épaule et le bras, mais encore le coude et l'avant-bras ; sa limite inférieure est constituée par une ligne circulaire horizontale, située à environ deux travers de doigt au-dessus du poignet et déterminant cette fois encore, remarquez-le bien, un plan perpendiculaire au grand axe du membre (fig. 64 et 63, B, ir).
Passons à un autre segment, celui du poignet. Là encore, à la suite d'une nouvelle suggestion analogue aux précédentes, la paralysie ne se fait pas attendre, si bien qu'en ce moment le sujet ne peut plus mouvoir ni son épaule, ni son coude, ni enfin son poignet : seuls les doigts de la main se meuvent librement. En conséquence, la limite inférieure de la zone d'anesthésie se trouve déplacée une fois de plus (fig. 64 et 65, C, C). Vous pouvez constater avec moi qu'elle est maintenant
1. Voir plus haut la note 1, p. 326.
marquée par une ligne horizontale coupant en avant la main, dans une direction transversale à peu près au niveau de l'articulation métacarpo-phalangienne du pouce ; en arrière, cette ligne passe notablement plus bas qu'en avant, elle se trouve à quelques millimètres seulement au-dessus de la ligne formée par la tête des métacarpiens, et se retrouve sur le dos du pouce, au niveau de l'articulation qui réunit les deux phalanges de ce doigt.
Or, Messieurs, et c'est là où je voulais en venir surtout, il se trouve, vous l'avez, sans doute, remarqué, que la paralysie que nous venons de déterminer chez Greuz...., par une série de suggestions successives, reproduit jusque dans les moindres détails, les caractères cliniques que présente la monoplégie de notre malade Porcz____En effet, dans les deux cas, c'est
exactement sur les mêmes segments du membre supérieur, épaule, coude, poignet, que porte l'impuissance motrice, les mouvements des doigts restant parfaitement libres; et, dans les deux cas également, partout où existe la paralysie du mouvement, il y a anesthésie cutanée et profonde, perte des notions du sens musculaire, tandis que les doigts qui ont conservé leurs mouvements ne présentent aucun trouble de la sensibilité. Oui, l'imitation que nous avons obtenue est parfaite ; elle s'étend, je le répète, jusqu'aux détails les plus minutieux. C'est ce dont vous pourrez vous convaincre si vous voulez bien, à l'aide de ces schémas que j'ai fait placer sous vos yeux, comparer la disposition qu'affecte le territoire d'anesthésie chez notre sujet hypnotisé, à celle qu'il affecte chez le malade Porcz... ; vous voyez que ces territoires offrent exactement la même étendue, la même configuration, je dirais presque qu'ils sont superposables [fig. 64 et 65, et fig. 66, 67.)
G'est là certainement un fait remarquable ; mais nous pouvons aller plus loin encore et compléter, chez Greuz..., la mo
noplégie, en déterminant par suggestion l'impuissance motrice des doigts, laquelle est, vous le voyez, immédiatement
Fig. 68, 69. — Observation de Greuz...
suivie de la perte de tous les modes de la sensibilité dans ces mêmes parties; de telle sorte, que, maintenant, la paralysie artificiellement produite est redevenue sur tous les points, tant en ce qui concerne les troubles de la sensibilité qu'en ce
qui concerne les troubles du mouvement, ce qu'elle était dans notre première expérience, c'est-à-dire exactement assimilable
Fin. 70 et 71. — Observation de Pin...
à la monoplégie observée chez notre deuxième malade Pin... [Fig. 70 et 71). Nous avons donc pu, en somme, chez notre hypnotisée, obtenir artificiellement, à l'aide de la suggestion, l'imitation parfaite de la monoplégie, déterminée chez nos
deux hommes par un mécanisme en apparence bien différent, l'action d'un agent traumatique.
Ne perdant pas de vue le but principal que nous nous proposons d'atteindre, dans cette série de leçons, je reviendrai dans un instant sur les résultats importants que nous venons de réaliser. En ce moment, je veux vous rendre témoins encore d'un certain nombre de faits de suggestion hypnotique, à l'effet de bien fixer dans votre esprit ceux que nous avons recueillis déjà, et de vous convaincre aussi que ces faits ne sont pas accidentels, formant l'apanage d'un sujet unique dans son genre, mais qu'ils peuvent, tout au contraire, être reproduits absolument sous la même forme, dans un certain nombre de cas. En premier lieu, je vais travailler à « défaire » la paralysie artificielle de Greuz.,.. en opérant segment par segment, comme tout à l'heure, lorsqu'il s'agissait de la produire ; seulement nous allons procéder en sens inverse, c'est-à-dire en commençant par la main ; le tour du poignet, puis celui du coude, celui de l'épaule enfin viendront ensuite successivement. À chaque temps de l'opération vous pouvez constater une fois de plus le mode de distribution de l'anesthésie qui correspond, pour chaque segment, à la paralysie motrice.
Actuellement je vais répéter chez une autre hystérique, la nommée Mesl..., toute la série des phénomènes que nous venons de produire chez la nommée Greuz____Mesl.... esthémia-
nesthésique à droite; c'est donc sur le membre supérieur gauche que nous devrons opérer. Les résultats que nous constatons sont, vous le voyez, absolument conformes à ceux que nous avons décrits, à propos du cas de Greuz... ; je n'insisterai donc pas ; j'ajouterai seulement qu'il en serait exactement de même, chez plusieurs autres hystériques hémianeslhésiques du service que nous avons étudiées, ces jours-ci, à ce point de vue et que je pourrais vous présenter, si le temps me le permet
tait. Toujours, chez les sujets de ce genre, la paralysie du membre non atteint d'anesthésie, déterminée par suggestion, s'est accompagnée d'anesthésie cutanée et profonde, de la perte du sens musculaire, enfin de la diminution ou de l'abo-ition des réflexes tendineux, dans les segments du membre frappés d'impuissance motrice *. On peut, cependant, je tiens à le faire remarquer, même chez les hystériques hémianesthé-siques, obtenir la paralysie motrice, sans accompagnement aucun de troubles de la sensibilité ; il suffit pour cela, ainsi que nous l'avons vu plusieurs fois, de persuader au sujet, au moment même où a lieu la suggestion, que le mouvement seul sera paralysé et que la sensibilité restera intacte. Je ne voudrais pas généraliser hâtivement, à propos d'expériences encore relativement peu nombreuses, mais je dois relever toutefois, que jusqu'ici, je n'ai pas encore observé cette variante sur les hystériques hémianeslhésiques, auxquelles j'ai suggéré, purement et simplement, la paralysie motrice du membre sans rien dire de la sensibilité. J'ignore, quant à présent, ce qui adviendrait en pareil cas, chez les hystériques non anes-thésiques.
C'en est assez sur ce sujet; j'en reviens maintenant à l'objet principal de nos éludes d'aujourd'hui. Vous avez reconnu que la monoplégie de nos deux hommes, Porcz... et Pin... et celles que nous avons produites à dessein chez nos hystériques, sont, en ce qui concerne les caractères cliniques, non pas seulement comparables entre elles, mais, en réalité, parfaitement identiques : impuissance motrice avec flaccidité des parties, insensibilité cutanée et profonde, délimitation de l'anesthésie par des plans circulaires perpendiculaires au grand axe du membre 2, perte ou diminution des réflexes tendineux,
1. Ce dernier fait n'est pas constant; les réflexes tendineux se montrent quelquefois manifestement exagérés.
2. Voir, plus haut, la notel, p. 316.
Charcot. Œuvres complètes, t. ra, Système nerveux. 23
abolition des notions du sens musculaire. Le syndrome est, dans les deux cas, le même absolument.
Il y a cependant à relever, sur un point, une différence qui, au premier abord, paraît bien profonde. Elle est relative, vous l'avez compris, au mode de production de la paralysie. Chez nos deux hommes, vous ne l'avez pas oublié, la monoplégie reconnaît pour cause occasionnelle, sinon un traumatisme, dans l'acception rigoureuse du mot, du moins un choc matériel plus ou moins violent, appliqué sur l'épaule ; tandis que chez nos femmes hypnotisées, c'est de la suggestion par la parole que relève la paralysie. Eh bien, Messieurs, cette différence en apparence si radicale, nous sommes en mesure de la faire disparaître. Nous allons, en effet, chez nos hystériques de nouveau hypnotisées, reproduire tous les phénomènes paralytiques que nous avons obtenus tout à l'heure, non plus, cette, fois, au moyen dune injonction, mais en faisant intervenir un agent analogue à celui qui a occasionné la monoplégie aussi bien chez Porcz..., que chez Pin... Il s'agit dun choc appliqué sur la partie postérieure de l'épaule et déterminé tout simplement en frappant brusquement cette région — bien entendu avec une force modérée, — à l'aide de la paume de la main. Le résultat, vous le voyez, ne se fait pas attendre ; immédiatement la malade tressaille, pousse un cri et, interrogée sur ce qu'elle éprouve, elle accuse dans toute l'étendue du membre supérieur correspondant, une sensation d'engourdissement, de pesanteur et de faiblesse ; il lui semble que le membre frappé ne lui appartienne plus, quil lui soit devenu étranger. Presque aussitôt d'ailleurs, la paralysie se réalise en effet ; elle atteint rapidement son plus haut degré et se présente alors avec tout l'ensemble des caractères cliniques que vous savez.
Ainsi la ressemblance entre les deux groupes de faits que nous comparons l'un à l'autre, se complète, vous le voyez, de
la façon la plus saisissante, même sous le rapport pathogéni-que. Sans doute, chez nos deux hommes — chez le cocher, dans sa chute de voiture, chez le maçon, lorsqu'il a sauté par la fenêtre d'un entresol, —le choc matériel a été beaucoup plus énergique ; mais il ne s'agit là, en somme, que d'une question de quantité, non d'une dissemblance foncière, de telle sorte que l'on peut arguer d'une différence d'impression-nabilité des sujets. Sans doute, ajouterai-je, ces deux hommes n'étaient pas en état de sommeil hypnotique au moment de la chute, non plus qu'à l'époque un peu postérieure où la paralysie s'est définitivement établie chez eux. Mais, à ce propos, il est permis de se demander si l'étal mental occasionné par l'émotion, par le choc nerveux (Nervous Shock) éprouvé au moment de l'accident et lui survivant pendant quelque temps, n'équivaudrait pas, dans une certaine mesure, chez les sujets prédisposés comme l'étaient certainement Porcz... et Pin..., à l'état cérébral que déterminent chez les hystériques les pratiques de l'hypnotisme Dans cette hypothèse, la sensation particulière accusée par nos femmes hystériques dans le membre soumis au choc, et qu'on peut supposer s'être produite an même degré et avec les mêmes caractères chez nos deux hommes en conséquence de la chute sur l'épaule, cette sensation, dis-je, pourrait être considérée comme ayant fait naître chez ceux-ci comme chez celles-là, l'idée d'impuissance motrice du membre. Or, en raison de l'obnubilation du moi produite dans un cas par l'hypnotisme ; dans l'autre cas, ainsi qu'on l'a imaginé, par le choc nerveux, cette idée une fois installée,
1. C'est très probablement suivant un mécanisme de ce genre que se développe la plupart de ces affections nerveuses variées, souvent si durables et si tenaces, bien que ne relevant pas d'une lésion organique, particulièrement étudiées par nos confrères d'Angleterre et d'Amérique, sous les noms de « Railway Spine » « Railway Brain » et dont il a été question, dans une précédente leçon (p. 2S0 et 251), au moment où j'attirais l'attention sur l'influence qu'exercent les chocs matériels, chez les prédisposés, dans la production des manifestations hystériques, même chez l'homme.
fixée dans l'esprit et y régnant seule, sans contrôle, s'y serait développée et y aurait acquis assez de force pour se réaliser objectivement, sous la forme de paralysie. La sensation dont il s'agit aurait donc joué dans les deux cas, le rôle d'une véritable suggestion l.
Je vous donne, Messieurs, cette interprétation pour ce qu'elle vaut, sans y attacher plus d'importance qu'elle ne mérite. Je la crois cependant vraiment digne d'être examinée de plus près et soumise au contrôle d'observations plus nombreuses. Je vais d'ailleurs vous rendre témoins d'un nouveau fait qui me semble encore plaider en sa faveur.
Il est des sujets, et peut-être sont-ils plus nombreux qu'on ne le pense, chez qui la plupart des manifestations tant psychiques que somatiques de l'hypnotisme, peuvent se rencontrer à l'état de veille, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir les pratiques d'hypnotisation. Il semble que l'état hypnotique qui, pour d'autres, est un état artificiel, soit pour ces singulières créatures, l'état ordinaire, l'état normal, si tant est qu'en pareille circonstance, il puisse être question d'état normal. Ces gens-là, passez-moi le mot, dorment, alors même qu'ils semblent parfaitement éveillés; ils procèdent, en tous cas, dans la vie commune ainsi que dans un songe, plaçant sur le même plan la réalité objective et le rêve qu'on leur impose, ou tout au moins, entre les deux, ils ne font guère de différence. J'ai fait placer sous vos yeux, à litre d'exemple, un
1. En ce qui concerne les sensations produites par le choc, nos deux hommes sont incapables de nous renseigner. L'un d'eux, Pin..., a perdu, en tombant, connaissance un instant; l'autre, Porcz..., assure être resté conscient. Ni l'un ni l'autre ne savent dire exactement ce qu'ils ont ressenti, dans le membre affecté, au moment de l'accident, et les quelques jours qui ont suivi. On sait qu'au réveil, pour peu que l'hypnose ait été profonde, les sujets hypnotisés paraissent le plus souvent ignorer absolument les phénomènes qui, dans l'état de sommeil, ont été provoqués chez eux.
sujet de ce genre : il s'agit d'une hystéro-épileplique bien connue de vous par nos études antérieures, la nommée Hab...l. Elle est atteinte depuis de longues années d'anesthésie généralisée, complète, permanente, et chez elle, les attaques répondent de tout point au type classique. Vous voyez qu'ici, bien qu'on n'ait employé aucune manœuvre d'hypnotisation, par conséquent, à l'état de veille, nous pouvons obtenir à la fois et la contracture par la pression exercée sur les masses musculaires, les tendons ou les troncs nerveux (contracture des léthargiques), et l'immobilité cataleptique des membres placés dans les attitudes les plus diverses, et aussi à l'aide de légers frôlements ou de mouvements à distance la contracture somnambulique. Tous ces phénomènes somatiques se trouvent donc chez ce sujet en quelque sorte mélangés, coexistant, au môme moment, sans distinction de périodes, contrairement à ce qui a lieu dans le grand hypnotisme. Mais, au point de vue psychique, ce sont évidemment les caractères de l'état somnambulique qui dominent. Eh bien! si, opérant par suggestion verbale, nous affirmons à cette malade, non endormie, je le répète, que son bras droit est paralysé, qu'elle ne peut plus le mouvoir volontairement, nous voyons immédiatement se produire effectivement la monoplégie flasque, douée de tous les caractères que nous avons appris à connaître ; après quoi, la simple affirmation qu'elle peut mouvoir son bras, tout à l'heure paralysé, suffit pour que les mouvements volontaires se rétablissent. Enfin, et c'est là le point qui nous intéresse spécialement, en ce moment, par la mise en jeu de cette espèce de suggestion traumatique dont je vous ai rendus témoins, il y a un instant et qui consiste en un choc brusquement appliqué sur l'épaule, vous voyez immédiatement le membre se paralyser de nouveau. Cette fois, l'identité entre la monoplégie
1. J.-M. Charcot, Lezioni clinicke, etc., Redatte dal Dr Miliotti. Lez. XX..., p. 159. Delio stato di malo istero-epilettico.
artificiellement produite et la monoplégie survenue chez Porcz.... et chez Pin..., en conséquence d'un traumatisme, n'est plus guère contestable, ce me semble, tant au point de vue symptomatologique qu'au point de vue pathogénique, elle est parfaite, ou peu s'en faut, car ni dans un cas ni dans l'autre, les pratiques d'hypnotisation ne sont intervenues; tout s'est fait à Y état de veille. La démonstration, si je ne me trompe, est suffisamment probante et je ne crois pas que, dans une recherche quelconque de physiologie pathologique expérimentale, il soit souvent possible de reproduire plus fidèlement l'affection que l'on s'est donné pour but d'étudier.
Les considérations qui précèdent, Messieurs, n'ont pas seulement une portée purement spéculative ; elles nous ont fourni en effet, déjà, certaines déductions pratiques, qui, au point de vue thérapeutique, en particulier, nous ont été, vous allez le voir, d'une certaine utilité.
Nos deux malades, Porcz..., et Pin..., sont soumis depuis quelques jours à un traitement régulier, dont je vais vous dire quelques mots. Ce traitement se compose de deux éléments. Pour une part, il est en quelque sorte indirect, en ce sens qu'il s'adresse surtout soit à l'état général, soit à la diathèse hystérique. Deux fois par jour Pin... reçoit une douche en jet, générale, froide; Porcz..., n'ayant pas pu tolérer la douche, prend trois fois par semaine un bain sulfureux. En outre, tous les deux jours, ils sont soumis l'un et l'autre à l'électrisation statique. Ce dernier agent est destiné surtout, vous le savez, à modifier les troubles de la sensibilité. L'expérience nous a appris depuis longtemps, qu'à la suite du bain électro-statique, la sensibilité, chez la plupart des hystériques anesthési-ques reparaît, d'abord pour un instant, pour quelques heures peut-être, puis, à mesure que les séances se répètent, pour un temps plus long, pour plusieurs jours, par exemple ; et
enfin, par la prolongation du traitement, elle peut se rétablir d'une façon définitive. En outre, en même temps qu'a lieu ce retour plus ou moins durable de la sensibilité, les autres phénomènes hystériques, les attaques, par exemple, se modifient, en général, favorablement, ou disparaissent l.
Mais j'appelle surtout votre attention sur la seconde partie de notre traitement ; elle est fondée sur cette idée que nous vous exposions tout à l'heure, à savoir que chez nos deux malades, la paralysie se serait produite par un mécanisme analogue à celui qui, chez les hypnotiques, détermine les paralysies par suggestion. Les tentatives diverses d'hypnolisation que nous avons faites chez ces deux hommes, et qui, si elles eussent réussi, auraient, sans doute, facilité singulièrement noire lâche, étant restées sans succès, nous avons dû nous borner à l'emploi des moyens suivants : En premier lieu, nous avons agi et nous agissons tous les jours, autant que possible, sur leur esprit en leur affirmant d'une façon formelle — ce dont d'ailleurs nous sommes parfaitement convaincus, — que leur paralysie, malgré sa longue durée n'est point incurable, et qu'au contraire, elle guérira très certainement, à l'aide d'un traitement approprié, au bout de quelques semaines peut-être, s'ils veulent bien nous y aider2. En second lieu, les membres
1. J.-M. Charcot, De l'emploi de l'électricité statique en médecine. Conférence faite à l'hospice de la Salpêtrière, le 26 décembre 1880. (Revue de médecine, 1881, t. I, p. 147.)
2. L'influence de l'idée sur le mouvement, dit M. Maudsley (Le corps et l'esprit, p. 269), est prouvée par la guérison soudaine de paralysies imaginaires (?), due à une injonction énergique. Dans ces cas, l'idée du mouvement, la croyance qu'il aura lieu est, dans le for intérieur, le mouvement lui-même. Elle est le courant nerveux actif qui, dirigé sur les nerfs appropriés, donne réellement lieu au mouvement externe. — L'idée d'un mouvement particulier, avait dit Slùller, détermine un courant nerveux vers les muscles impliqués et produit leur contraction. On sait qu'une intimation soudaine peut avoir quelquefois pour effet de déterminer brusquement la guérison d'une paralysie psychique datant peut-être de fort loin et qui jusque-là, avait résisté à la mise en œuvre des agents thérapeutiques les plus variés. Ainsi, par exemple, l'on fait sortir de force du lit où elle était depuis longtemps immobile, une malade atteinte d'une paraplégie de ce
affectés sont soumis à une gymnastique particulière. Nous mettons à profit les mouvements volontaires qui y subsistent encore, chez les deux malades, à la vérité, à un degré très faible, et nous cherchons à en augmenter progressivement l'énergie par un exercice très simple. Un dynamomètre est placé dans la main de chacun d'eux et on le leur fait serrer, de toute leur force, en les exhortant à augmenter progressivement, dans chaque expérience, le chiffre que marque l'aiguille sur le cadre de l'instrument. Cet exercice est répété régulièrement à chaque heure du jour, environ trois ou quatre fois. Ces épreuves, Messieurs, je tiens à vous le dire en passant, ne doivent être ni trop prolongées ni trop multipliées. Nous avons remarqué, en effet, que quand les exercices sont poussés trop loin, ou répétés trop souvent, le chiffre maximum marqué par l'aiguille tend à s'abaisser. Il importe donc de savoir attendre ; un excès de zèle, en pareille occurrence, aurait pour effet, j'en suis convaincu, en amenant la fatigue, de retarder le résultat attendu.
Nous agissons ainsi, si je ne me trompe, surtout psychi-quement. On sait que la production d'une image, ou, autrement dit, d'une représentation mentale quelque sommaire et rudi-
genre;puis, l'ayant placée sur ses pieds, on lui dit: « marchez » et voilà qu'elle marche. C'est là un exemple de guérison « miraculeuse » qui en explique beaucoup d'autres. Rien de mieux établi que ces faits dont, pour mon compte, j'ai été témoin plus d'une fois [Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, 3e édit., p. 33G et s. — P. Janet. Revue politique et littéraire, n° du 2 août 1884, p. 131). On ne saurait toutefois, à mon avis, mettre le médecin trop en garde contre la tendance qu'il pourrait avoir, en se fondant sur la connaissance de ces faits, à prendre volontiers, d'ailleurs, dans la meilleure intention du monde, le rôle de thaumaturge, même lorsqu'il s'agit d'un cas de paralysie psychique bien avéré ; l'injonction est un instrument dont on ne connaît pas encore bien le mécanisme, et dont, en dehors, des faits d'hypnotisation, on ne saurait mesurer la portée. Or, l'insuccès d'une guérison, en pareille circonstance, serait évidemment de nature à compromettre gravement l'autorité de celui qui l'aurait annoncée et peut-être à déverser sur lui le ridicule. « Never proohezy,unless you be sure », disent les Anglais. Procéder par voie d'entraînement mental lent et progressif sera toujours plus prudent et souvent plus efficace. J. M.
mentaire qu'elle soit, du mouvement à exécuter 1, est une condition préalable indispensable à l'accomplissement volontaire de ce mouvement. Or, il est vraisemblable que chez nos deux hommes, les conditions organiques qui président normalement à la représentation de cette image mentale ont été profondément troublées, au point de la rendre impossible ou pour le moins très difficile, en conséquence d'une action d'inhibition exercée sur les centres moteurs corticaux, par l'idée fixe d'impuissance motrice ; et c'est. à cette circonstance surtout que serait due, au moins en grande partie, la réalisation objective de la paralysie 2 ; si cela est, on concevra que la répétition des exercices dynamométriques ait pour effet de raviver dans les centres, la représentation motrice, condition préalable de la mise en jeu de tout mouvement volontaire, et de fait, ainsi que nous l'avons constaté, ces mouvements tendent à devenir de plus en plus énergiques à mesure que les séances se répètent. Les frictions, les massages, les mouvements passifs imprimés au membre paralysé, ceux aussi que déterminerait la faradisation des muscles ; tous ces moyens, dis-je, qui pourraient être mis en œuvre, dans le cas où l'impuissance motrice serait complète au commencement du traitement, agiraient dans le même sens.
1. Synonymie : Idée, conception du genre de mouvement à exécuter (James Mill) ; Rappel idéal du mouvement à exécuter (Bain) ; Intuition motrice (Maudsley) ; Faculté locomotrice (W. Hamilton); Représentation mentale du mouvement à exécuter (Spencer); Sentiment d'innervation (Wundt, Meynert). Voir sur ce sujet: James Mill, Bain. Sens et intelligence, p. 411, Spencer. Psychology, t. I, et Premiers principes, p. 216, p. 497. II. Jakson. Clinical and Physiological Researches on the nervous System. Reprints from the Lancet, 1873), p. 216. — Ribot. Philosophie anglaise, p. 280. — Maudsley. Physiologie de l'esprit, p. 250. — Wundt. Physiolog., p. 447. — Ferrier. Functions of the Brain, cap. XI. — C. Bastien. Le cerveau organe de la pensée, t. II, pp. 165, 171 à 176, 196 et l'appendice, p. 278. Strieker. Studien ueber die Sprachvorstellungen. Wien, 1888 ; — et Ribot. Rev. philosoph., n° 8, août 1883, p. 188. — Herzen. The Journal of mental science, avril 1884, p. 44.
2. Voir I'Appendice n° II, p. 464.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, de la théorie, le traitement institué, bien qu'il ait été inauguré, il y a trois ou quatre jours à peine, nous a donné déjà quelques résultats encourageants. Ainsi, chez Pin..., le chiffre dynamométrique s'est accru, dans ce court espace de temps, d'une façon remarquable. Il n'amenait que le chiffre 15k, quand il a commencé les exercices et vous voyez qu'aujourd'hui il atteint le chiffre 40k. Je vous ferai remarquer, en passant, l'influence dépressive très accentuée, qu'a, chez Pin..., l'occlusion des yeux, sur la force qu'il développe. Le chiffre qu'il obtient, lorsque ses yeux sont fermés, est toujours de 8 à 10k inférieur à celui qu'il donne lorsque, les yeux étant ouverts, il reçoit l'image visuelle du mouvement qu'il exécute. Aussi, dans le but de mettre à profit l'influence dynamogène du centre visuel sur le centre moteur, conseillons-nous à nos malades de regarder toujours très attentivement leur main pendant qu'elle actionne le dynamomètre 1.
Des résultats analogues ont été obtenus, chez Porcz..., bien que chez lui la motilité soit plus fortement affectée que chez Pin..., les mouvements volontaires étant absolument nuls dans l'épaule, le coude, le poignet, et très faibles dans les doigts de la main. En ce qui concerne les grandes articulations, l'impuissance reste la même quand les groupes musculaires qui meuvent ces jointures sont sollicités à agir isolément. Mais le malade ayant répété l'exercice du dynamomètre plusieurs fois déjà en notre présence, nous avons remarqué que, dans chacun de ces exercices, les muscles qui mettent en mouvement les grandes articulations avaient une tendance à se contracter syuergiquement. On les voit, en effet, pendant que le malade
1. Sur l'influence dynamogène des excitations sensorielles et sensitives, voir les recherches de M. Féré {Bulletin de la Société de biologie, avril, mai,, juin, juillet 1885. — Brain, juillet 1885. — Revue philosophique, octobre 1885.)
presse le dynamomètre, dessiner sous la peau des reliefs remarquables. En ce moment même, vous constatez que le poignet fléchi pendant que les doigts pressent l'instrument, présente une résistance bien marquée aux mouvements passifs d'extension ou de flexion qu'on cherche à lui imprimer.
Ces résultats, tout imparfaits qu'ils soient encore, pour l'instant, sont cependant de nature à nous engager de persévérer dans la voie que nous nous sommes tracée. J'ose espérer même que les choses iront assez vite. Je ne sais si je ne me trompe, mais je pense que, dans une quinzaine de jours, un mois peut-être, nous serons fort avancés déjà.
La leçon qu'on vient de lire a été délivrée le 29 mai 1885. Huit jours plus tard, parlant incidemment des deux malades en traitement, M. Charcot s'exprimait en ces termes :
r Je suis heureux de pouvoir vous faire constater les quelques progrès qui, depuis huit jours, se sont accomplis, chez nos deux hommes hystériques, en conséquence du traitement que nous avons institué. Chez Pin..., bien que les choses marchent lentement, les progrès sont cependant très réels. Ainsi, il y a huit jours, le chiffre maximum, marqué au dynamomètre, était de 40k, aujourd'hui il s'élève à 53k. Il s'agit ici du chiffre maximum obtenu dans les divers exercices ; la moyenne des chiffres atteints serait un peu inférieure. En même temps que la force dynamométrique s'est accrue, il s'est produit un retour de la sensibilité cutanée, dans une région très peu étendue, il est vrai, au niveau de l'épaule.
Chez Porcz..., la semaine passée, l'aiguille du dynamomètre ne marquait pas au-delà de 5k. Cette semaine, nous avons gagné quelque chose, car, une fois, le chiffre 13k a été atteint. En outre, la sensibilité cutanée tend à reparaître, dans
l'aisselle et au pli du coude (fig. 72 et 73). En même temps, le malade semble récupérer la notion de position, au niveau des
Fig. 72, 73. — Observ. de Porcz..., le 7 juillet.
parties redevenues sensibles du membre. Vous voyez par là que nos prévisions semblent devoir se réaliser. Il ne sera pas sans intérêt de suivre de très près les divers changements qui ne manqueront, sans doute, pas de se produire dans la suite,
chez nos malades, sous l'influence de la prolongation du traitement.
Ces modifications ont été, en effet, suivies pas à pas. Chaque jour on a enregistré, heure par heure, le résultat des pressions exercées sur le dynamomètre et, tous les jours, également, on a noté les progrès réalisés du côté de la sensibilité. À ce dernier point de vue, l'état est resté presque stationnaire chez Pin..., et aujourd'hui, 16 juillet, il existe seulement deux petites plaques sensibles à la partie postérieure du bras. Au contraire, des changements favorables se sont produits en ce qui concerne la motilité. Pour mieux suivre les progrès réalisés, on a pris jour par jour la moyenne des chiffres obtenus au dynamomètre, d'une part le matin et d'autre part le soir, et à l'aide de ces renseignements, on a dressé la courbe ci-dessous (fig. 74) \
On voit que, pendant la première semaine du traitement (celui-ci a été commencé le 5 juin), l'augmentation de force obtenue a été rapide et considérable, puisque le chiffre s'est élevé de 25k à 49k. Dans le courant de la quinzaine qui a suivi, la moyenne a oscillé entre 50 et 52k. Huit jours plus tard on atteignait 53k, et enfin, du 3 au 17 juillet, le chiffre moyen a varié entre 54k et 55k.
On sait que, chez Porcz..., l'anesthésie cutanée était absolue, au début du traitement (5 juin) sur toute l'étendue du membre, la main exceptée (V. fig. 66 et 67, p. 347). Huit ou dix jours plus tard, elle a commencé à reparaître au pli du coude et dans l'aisselle. Le 7 juillet on constate ce qui suit: (fig. 72 et 73, p. 364). La sensibilité a reparu sur une bonne partie du moignon de l'épaule, en avant et en arrière ; sur la moitié interne de la face antérieure du bras, des plaques sensibles sont disséminées çà et là sur les parties du bras et de l'épaule encore anesthésiées. La sensibilité s'est rétablie
1. Voir fig. 74, p. 366.
encore, au coude, en avant et eu arrière, dans une hauteur de
Fig. 74. — Observation de Porcz..., du 5 juin au 16 juillet.
10 à 12 centimètres environ. Il est remarquable de voir que
Fig. 75. — Observation de Porcz..., du 5 juin au 11 juillet.
du côté de la main, la limite de l'aneslhésie n'a pas varié d'une ligne. On retrouve au bras, surtout en arrière et à l'avant-bras, la tendance que, chez les sujets de ce genre, ont les plaques d'anesthésie à se limiter par une ligne circulaire déterminant un plan fictif perpendiculaire à l'axe du membre i. Sur l'épaule et sur la partie antérieure du bras les bords de ces plaques sont, au contraire, inégaux, comme déchiquetés.
En ce qui concerne la restauration des mouvements, les résultats obtenus chez ce malade ne sont pas moins remarquables (fig. 75). Le 5 juin, l'épreuve dynamométrique donnait chez lui 5k seulement ; au bout d'une semaine, le chiffre était dellk; il était de 47k au bout de deux semaines, de 2tk quinze jours plus tard. Le 11 juillet, le malade a quitté l'hôpital brusquement ; durant la semaine qui a précédé sa sortie la moyenne avait été de 27k.
Il est rendu au moins très vraisemblable, par ce qui vient d'être dit, que si le traitement eût pu être continué, un retour complet de la sensibilité et du mouvement dans le membre affecté eût été bientôt obtenu. Malgré cela, il importe de le remarquer, la guérison du malade n'eût pas sans doute encore été parfaite, car au moment où nous l'avons perdu de vue (Il juillet 1885) les stigmates hystériques— polyopie monoculaire, rétrécissement du champ visuel, hémianalgésie droite, etc., — ne s'étaient en rien modifiées 2. Chez Pin..., il en est de même; malgré l'amélioration très importante qui s'est produite chez lui, dans les mouvements du membre supérieur gauche, les divers troubles de la sensibilité et
1. Voir plus haut la note 1, p. 320.
2. Dans les premiers jours de février 1886, Porcz..., qui était soigné alors dans un service de chirurgie, se disputa avec un autre malade, à propos d'une partie de dominos. L'émotion qu'il éprouva fut telle que les mouvements du membre paralysé revinrent immédiatement, mais il n'en fut pas de même de l'anesthésie, qui persiste encore aujourd'hui (20 février 1886).
les attaques hystéro-épileptiques persistent à peu près au même degré qu'à l'époque où nous l'avons vu pour la première fois 1.
1. Voir I'Appe.ndice I, p. 441.
Ciiarcot. Œuvivs complètes, t. iii, Système nerveux. 24
VINGT-TROISIÈME LEÇON
Sur tin cas de coxalgie hystérique de cause traumatique chez l'homme !.
Sommaire. — .^X^ayaux de Brodie et d'autres auteurs sur les affections hys-tériques^des jointures,3r- Caractères des arthralgies hystériqù^STitttîïude du membre, modalités spéciales de la douleur. — Observ. de Charv..., traumatisme initial sur le membre inférieur gauche, attitude du malade ; forme de la fesse et du pli fessier. — Analogies cliniques considérables avec la vraie coxalgie organique. — Caractères distinctifs : signe de Brodie, hémianesthésie, anesthésie pharyngée, etc. — Nécessité de l'examen pendant Faction du chloroforme.
Messieurs,
La leçon d'aujourd'hui sera consacrée à vous démontrer que cet homme vigoureux placé devant vous est un hystérique, que l'affection douloureuse de la hanche dont il se plaint, depuis près de trois ans, — affection survenue à la suite d'un traumatisme et qui le met, depuis cette époque, dans l'impossibilité d'exercer sa profession, — relève de l'hystérie, et que, par conséquent, il s'agit là d'une maladie sine matériel, pouvant guérir, et non d'une maladie organique grave de la jointure entraînant après elle, à peu près nécessairement, une infirmité incurable.
A l'énoncé de cette thèse que je compte soutenir et que ne rend guère vraisemblable, je l'avoue, l'apparence du malade si
1. Recueillie par M. le Dr Marie.
éloignée du type encore aujourd'hui classique des hystériques, quelques-uns d'entre vous, les nouveaux-venus, penseront peut-être qu'il s'agit là d'une gageure imprudente ou bien encore d'une opinion paradoxale que j'émets pour me donner la vaine satisfaction de faire montre de ressources dialectiques. Mais je suis convaincu que d'autres auditeurs, ceux qui m'ont fait l'honneur de suivre mes leçons du dernier semestre, se montreront plus réservés; avant déjuger, ils attendront avec confiance, je l'espère, la fin de la démonstration. C'est qu'en effet ceux-là savent que l'hystérie peut exister, chez l'homme adulte même vigoureux, chez l'artisan non énervé par la culture intellectuelle ; ils savent aussi qu'elle peut se révéler tout d'abord sous la forme d'une affection purement locale en apparence, telle que, par exemple, la paralysie ou la contracture d'un membre.
Chez le malade que je vous présente aujourd'hui, il ne s'agit, à la vérité, ni de paralysie ni de contracture, mais bien — c'est du moins l'avis que je vais essayer de faire prévaloir — de l'affection pour la première fois décrite par Brodie, en 1837, sous le nom d affection hystérique des jointures1.
C'est une affection assez peu connue encore, je le crois, bien qu'à la suite de Brodie elle ait été l'objet de travaux importants en Angleterre d'abord 2, ensuite
1. Sir B.-G. Brodie, Lectures illustrative of certain local nervous Affections. London, 5 837. Lect. II. Various forms of local hysterical Affections, p. 35 et seq. Les leçons de Brodie, sur les affections nerveuses locales, ont été traduites en français, par le D1' Aigre (Librairie du Progrès médical, 1880).
2. W. Coulson, Hysterical Affections of the hip joint. [London Journal of Medicine, t. Ill, 1851, p. 631.) — Barwell. A Treatise on Diseases of the Joints. Ire édit., 1861, 2e édit., 1881. Oti hysteric pseudo-Disease or mock Disease of the joints. — F.-C. Skey. Hysteria... Local or surgical Forms of Hysteria, Hysteric affection of Joints, 3e lecture. London, 1867. — Sir Paget, Leçons de clinique chirurgicale. Trad, du Dr L.-II. Petit. 3e leçon, affections neuromimétiques des articulations, p. 274. Paris, 1877. — Voir aussi parmi les auteurs américains : S Weir Mitchell. — Lectures on Diseases of the nervous System. Philadelphia, 1885, 2e édition, p. 218, Hysterical Joints.
en France 1 ; puis enfin en Allemagne 5 et en Italie 3.
Je crois utile, en matière d'introduction, et pour rendre notre analyse clinique plus facile, de vous rappeler au préalable très sommairement les grands traits de la description magistrale de Brodie, l'initiateur dans la matière. — Les auteurs subséquents ont pu ajouter à cette description quelques détails intéressants, ils n'y ont, à ce qu'il me semble, rien changé d'essentiel.
Donc il s'agit là, selon Brodie, d'une affection douloureuse, d'une névralgie, d'une hyperesthésie, si vous voulez, des extrémités des nerfs articulaires, qui peut siéger sur diverses jointures et simuler, jusqu'à rendre des plus ardus le diagnostic, une lésion organique grave de l'articulation. C'est surtout quand elle siège à la hanche que le diagnostic de cette affection est difficile; une coxalgie non organique peut êLre prise pour une coxalgie organique grave, scrofuleuse ou autre, ou inversement. L'absence de lésions matérielles dans le premier cas est cependant suffisamment démontrée : 1° par la marche de la maladie, qui se termine par une guérison complète et souvent assez rapide; 2e par un certain nombre d'autopsies. Oui, bien que cela puisse vous surprendre dans une affection que j'annonce aussi bénigne, il en existe un certain nombre, mais ce sont le plus ordinairement des autopsies faites sur le vif^de yérilabiés oijJsies. — C'est qu'en effet, par suite d'une singulière tournure d'esprit, les malades atteints de celte affection réclament parfois à grands cris une intervention
1. M.-A.-C. Robert, Conférences de clinique chirurgicale, recueillies par le Dr Doumic. Chap. XVI, Coxalgie hystérique, p. 45o. — Verneuil. Bull, de la Société de chirurgie de Paris. 1865-1866. — Giraldès, Leç. sur les mal. chirurgicales des enfants, recueillies par Bourneville, Bourgeois et G. Bou-teiller', p. 610.
2. E. Esmarch. Ueber Gelenkneurosen. Kied und Haderleben, 1872. — 0. Berger. Zur Lehre von den Gelenkneuralgien.Berl.klin. Woch- 1873, p. 255. — M. Meyer. Veber Gelenkneurosen (Berl. klin. Woch., 1874, p, 310).
3. Angclo Minich, Délia coscialgia nervosa. Venezia, 1873.
active; aussi comprendrez-vous aisément que, lorsque ces malades atteints de mania operativa gassiya, comme l'a dit Textor, se sont, pour leur malheur, trouvés en présence de chirurgiens affectés d'une manie analogue, mais active cette fois, mania operativa activa (de Stromeyer), les opérations les plus fantastiques soient résultées de cet imprudent conflit. Des amputations ont été pratiquées, Brodie en cite plusieurs exemples, Coulson également; celui rapporté par ce dernier auteur est particulièrement intéressant : il s'agissait d'une jeune fille souffrant depuis trois ans d'une affection du genou; la jambe restait fléchie sur la cuisse ; les douleurs étaient in-supporlables ; quelques chirurgiens s'étaient refusés à toute intervention; enfin, il s'en trouva un qui consentit à opérer; l'amputation fut faite, et l'examen du genou montra une articulation normale, avec une synoviale parfaitement saine, présentant la délicatesse et la transparence de l'état physiologique; les os étaient seulement légers, peu résistants à la scie, les cartilages un peu amincis, ainsi que cela se voit communément sur les membres qui sont restés longtemps immobilisés !.
Je pourrais vous citer plusieurs autres exemples du même genre, mais je crois en avoir dit assez pour vous montrer qu'il existe des affections douloureuses des jointures, non matérielles, pouvant simuler des affections articulaires à lésions profondes, et conduire ainsi, en faisant errer le diagnostic aux conséquences les plus graves.
Mais à quels signes pourra-t-on reconnaître ces arthralgies sine materia, et les distinguer des arthropathies organiques ? — Le diagnostic est particulièrement difficile, surtout quand, ainsi que cela est chez notre malade, il s'agit de la hanche. Voici les principaux caractères cliniques de ces arthralgies signalés par les auteurs, qui, du reste, ainsi que je l'ai déjà
1. Coulson, loc. cit., p. 631.
dit, n'ont guère fait sur ce point que reproduire la description de Brodie :
1° l^e membre inférieur du côté affecté paraît raccourci, par suite de la contracture musculaire qui élève le bassin du côté correspondant.
2° La cuisse est, par rapport au bassin, dans une situation absolument fixe, de telle sorte que tout mouvement imprimé à la cuisse est immédiatement communiqué au bassin ; là encore c'est la contracture musculaire qui est en jeu.
Comme vous le savez, Messieurs, ces deux caractères n'ont rien de particulier à l'arthralgie hystérique, car l'un et l'autre sont de règle, dans la coxalgie organique, parvenue à ce que l'on appelle quelquefois la troisième période1. Mais l'étude des caractères qui suivent nous sera sans doute plus utile pour distinguer ces deux affections.
3° La douleur présente des modalités spéciales ; à la vérité, comme dans la coxalgie vraie, elle occupe simultanément la hanche et le genou, et présente une exacerbation à la suite de la percussion de la hanche, du genou ou du talon ; mais de plus, et c'est là ce que Brodie a très bien montré, elle n'est pas exactement limitée à la jointure elle-même, elle s'étend à la peau qui correspond à la jointure, empiète au-dessus du ligament de Poupart, remonte sur la partie inférieure de l'abdomen et occupe même la fesse. C'est donc, pour une part, une douleur superficielle, résidant pour ainsi dire dans la peau, dételle sorte que le pincement de la partie du tégument externe qui recouvre la jointure est quelquefois beaucoup plus douloureux qu'une pression même intense exercée profondément sur cette région. — La nuit, les individus atteints de coxalgie organique sont assez souvent réveillés par des tressaillements douloureux (starting pains) du côté de la hanche ; ceux atteints de coxalgie hystérique, au contraire, peu-
1. Barwell, toc cit.
vent bien être tenus éveillés par la douleur ; mais une fois endormis, ils ne sont pas réveillés par elle.
4° Le mode de développement de l'affecíion el son mode d'évolution peuvent, eux aussi, fournir des caractères très importants : chez les hystériques, elle peut survenir tout à coup, et disparaître de même, le plus souvent, à la suite d'une impression morale ; ou bien encore le sujet a des attaques con-vulsives, et c'est peut-être -à la suite d'une de celles-ci qu'il présente sa coxalgie, etc., etc.
Enfin, Brodie ajoute que sur les parties affectées du membre, la température ne s'élève pas, et que, quelle que soit la durée de cette affection, il ne subit aucune espèce d'atrophie, nous verrons tout à l'heure que si la première proposition est exacte, la seconde ne l'est pas toujours absolument.
Il y a là, Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, des nuances bien délicates: aussi, dans les cas difficiles, sera-t-il nécessaire de recourir, ainsi qu'on le conseille depuis tantôt trente ans, à l'emploi du chloroforme qui permettra de constater si, oui ou non, la jointure est le siège de lésions matérielles ; et encore est-il bon de faire remarquer avec M. le professeur Verneuil, que dans les coxalgies organiques récentes, l'examen au moyen du chloroforme ne laissera quelquefois soupçonner aucune lésion, et qu'on ne peut, par conséquent, assigner à ce moyen, — au moins dans les périodes dont il s'agit, — une valeur diagnostique absolue.
Yous voyez, Messieurs, qu'en somme le diagnostic entre la coxalgie hystérique et la coxalgie organique présente des difficultés fort sérieuses, et, de fait, dans presque tous les cas où j'ai été appelé à intervenir pour des cas de cette espèce, j'ai vu médecins et chirurgiens fort embarrassés les uns et les autres.
Après ces préliminaires, je reviens à mon malade, chez
lequel je crois pouvoir affirmer la nature purement hystérique de la coxalgie dont il souffre depuis bientôt 3 ans.
C'est un homme de 45 ans, nommé Ch..., père de sept enfants, qui ne présente pas d'antécédents morbides, soit héréditaires soit personnels, dignes d'être notés. Il a servi comme zouave pendant 7 ans et n'a jamais été malade pendant ce temps-là ; il n'a notamment jamais éprouvé, à aucune époque de sa vie, de crises nerveuses ni de manifestations rhumatismales.
Il exerce le métier de scieur de long et travaille à la machine dite scie droite, au service de l'une de nos grandes Compagnies de chemin de fer. Le 13 mai 1883, il a été victime d'un accident : la bielle de la machine à vapeur située au-dessous de l'endroit où il travaillait, a violemment heurté le plancher sous ses pieds, et il a été projeté en l'air, à une hauteur de 2 ou 3 mètres, assure-t-il. Il ne perdit pas connaissance, mais ressentit immédiatement une douleur vive, accompagnée d'engourdissement du membre, celui-ci lui semblait, dit-il, à la fois douloureux et absent. Il put faire quelques pas cependant; on le transporta chez lui ; il resta deux mois au lit, ayant, dit-il, dans les premiers temps, le membre gonflé; au bout de cette période, il commença à marcher avec des béquilles, puis il ne se servit plus que d'une canne ; il y a plus d'un an que son état est demeuré ce que vous le voyez aujourd'hui.
Si nous examinons le malade d'abord couché, voici ce que nous constatons :
Il existe, ainsi que vous le reconnaissez, un raccourcissement notable du membre inférieur gauche tout à fait analogue à celui qui s'observe dans la coxalgie organique à la 3* période. — La jointure est immobile, la cuisse comme soudée au bassin dans une position à peu près immuable. — Le malade accuse une douleur spontanée au niveau de l'aine, de la hanche et du genou, cette douleur s'exagère quand on exerce une
pression sur ces régions, quand on imprime des mouvements au membre, quand on percute le grand trochanter ou le talon. — De plus, veuillez le remarquer, le membre gauche lout entier, cuisse et jambe, est un peu moins volumineux que le droit; sa circonférence est moindre de un centimètre environ.
Maintenant, le malade étant debout, si nous le regardons par devant (jig. 76, A), nous voyons qu'il se tient penché sur le côté sain, tenant sa canne de la main droite, le pied gauche ne repose pas sur le sol ou n'y repose que très légèrement par la pointe; la jambe gauche est en extension et portée un peu en avant de la droite. C'est bien là, me disait l'autre jour mon collègue et ami M. le professeur Lannelongue, auquel je présentais une bonne photographie du malade vu debout, l'altitude et la tenue des coxalgiques qui sont capables de se tenir debout.
Si maintenant nous examinons le malade par derrière (fig. 76, B), nous remarquons tout d'abord le contraste qui, chez lui, existe entre les deux fesses : la droite est globuleuse et présente la fossette rétro-trochantérienne résultant de la contraction du grand fessier ; la gauche au contraire paraît plus large, aplalie, flasque ; ces caractères se retrouvent dans la coxalgie organique où ils ont été relevés par quelques auteurs' comme présentant une certaine importance clinique.
En réalité, ce contraste entre les deux fesses dépend uniquement de l'attitude du sujet. Nous nous en sommes assurés en faisant placer à côté de notre homme un individu sain, habitué à poser pour les peintres et auquel on avait commandé de contrefaire autant que possible, après l'avoir bien étudiée, l'attitude du malade. Les résultats de cette étude comparative
1. Barwel, par exemple, toc. cit.
sont parfaitement saisissables sur le dessin que je place sous vos yeux et qui a été fait d'après une photographie (%. 77).
Notons que le pli fessier est plus élevé et plus large à gauche qu'adroite et que ce dernier est double, tandis que le pre-
Fig. 76.
mier est unique. Le pli interfessier est incliné de bas en haut, de gauche à droite, du côté malade vers le côté sain ; il existe enfin une courbure assez accentuée du rachis présentant sa concavité tournée vers la gauche; ces diverses déformations tiennent, elles aussi, d'une façon évidente, uniquement de la position anormale dans laquelle est maintenu le bassin, et sur
tout de son élévation du côté malade. Je vous ferai remarquer en dernier lieu que c'est dans la position debout que l'inégalité de volume des deux cuisses et des deux jambes est le . mieux perceptible.
Fig. 77.
Pour ce qui est de la démarche claudicante de notre malade il n'est sans doute pas nécessaire d'y insister ; vous reconnaîtrez qu'elle ne diffère pas essentiellement de celle que présentent les individus atteints de coxalgie organique de date ancienne.
En résumé, vous le voyez, Messieurs, nous ne trouvons dans
ce premier examen rien qui soit contraire à l'idée d'une affection articulaire avec lésions plus ou moins étendues et plus ou moins profondes, s'étant terminée sans abcès, par une an-kylose de la jointure.
Y a-t-il vraiment une ankylose? L'exploration à l'aide du chloroforme permettrait, à l'époque où nous en sommes parvenus, — c'est-à-dire près de 3 ans après le début de l'affection, — de répondre à cette question d'une façon catégorique. Mais je me réserve de revenir tout à l'heure sur ce sujet.
Auparavant je veux examiner le malade à un autre point de vue. Je vais me placer dans l'hypothèse qu'il est atteint d'une coxalgie sine materia, et rechercher si les symptômes qu'il présente sont conformes à la description de Brodie :
Si nous considérons, en premier lieu, Yétat général de cet homme, nous voyons que, depuis deux ans et demi qu'il est malade, il n'est nullement affaibli cependant : pas d'amaigrissement, pas d'anémie; jamais il n'a eu de fièvre, jamais il n'a cessé un instant d'avoir un excellent appétit.
Cette conservation, pour ainsi dire parfaite, de la santé générale, ne s'accorde guère, on en conviendra, avec l'idée d'une affection arliculaire organique grave, datant de longs mois, alors même que celle-ci aurait présenté la marche la plus favorable.
Remarquez maintenant que la rigidité du membre occupe non seulement la hanche, mais aussi le genou et même le cou-de-pied. Or, ce sont là des symptômes qui n'appartiennent pas à la coxalgie vulgaire, non plus que le refroidissement relatif et la teinte violacée des parties, surtout prononcés au genou et à la jambe chez notre sujet.
Insistons actuellement de nouveau sur le phénomène douleur et considérons les choses de plus près que nous ne l'avons fait tout à l'heure. La douleur déjà intense spontanément, du moins par moments, s'exaspère, comme on l'a dit, par la per-
cussiondu trochanter, du talon, et en conséquence de toute tentative faite pour mouvoir la jointure. Mais elle présente ceci de particulier qu'elle est diffuse, en ce sens qu'elle s'irradie au-dessus du ligament de Poupart, remonte sur la partie inférieure de l'abdomen, presque jusqu'au voisinage du sein gauche et s'étend aussi à la fesse. De plus, lorsque, soit au niveau de l'aine, soit sur la partie antérieure du genou, la peau saisie entre les doigts est soulevée et légèrement comprimée, il se produit une douleur vive, hors de toute proportion avec le degré d'intensité du pincement exercé. J'insiste sur cette hyperesthésie de la peau au voisinage de la hanche, parce qu'elle a été relevée par la plupart des auteurs qui ont écrit, sur la coxalgie hystérique; elle mériterait vraiment d'être désignée sous le signe deBrodie, car c'est au célèbre chirurgien anglais qu'on doit d'en avoir fait remarquer l'importance au point de vue du diagnostic.
J'ajouterai qu'ayant remarqué qu'à la suite de ces excitations de la peau de l'aine et du genou, Ch... présentait les signes d'une anxiété extrême, que sa face rougissait, en même temps que les veines du cou et des tempes se gonflaient, etc., nous l'avons interrogé sur ce qu'il éprouvait à ce moment-là; or la description qu'il nous a donnée des sensations a répondu exactement à la description de l'aura hystérique vulgaire, à savoir : Constriclion épigastrique, puis battements de cœur, serrement de la gorge, enfin sifflements dans l'oreille du côté gauche et battements à la tempe du même côté. Mêmes résultats à la suite de la percussion exercée sur le grand trochanter, sur le talon ou à la suite de toute tentative de mouvement imprimé à la hanche. Vous voyez par là, Messieurs, que, si l'attaque hystérique n'existe pas chez notre malade, on peut, chez lui, tout au moins provoquer les phénomènes d'aura, qui, dans la règle, la précèdent, par l'excitation de véritables zones hystô-rogènes, dont les unes occupent la peau qui recouvre les join
tures de la hanche et du genou, tandis que les autres situées plus profondément paraissent siéger soit dans la synoviale, soit dans la capsule articulaire.
La découverte des faits qui viennent d'être signalés nous a amené tout naturellement à supposer qu'un examen plus at-
75.
tentif de notre homme et conduit dans une certaine direction, nous permettrait peut-être de relever chez lui d'autres phénomènes capables de rendre plus évidente encore et plus palpable, en quelque sorte, l'existence de la diathèse hystérique. A cet égard, notre attente n'a pas été trompée : L'étude méthodique de la sensibilité, dans ses différents modes, nous a fait reconnaître que, sur la presque totalité de la moitié gauche du
corps —quelques zones sont restées indemnes, —il existe une anesthésie complète pour la piqûre et pour la température. Pour les mouvements de certaines jointures (pieds, mains, poignets, épaules) les notions du sens musculaire ont disparu, tandis que pour d'autres, le coude, par exemple, elles sont conservées (fig. 78). Les sens spéciaux, goût, odorat, ouïe, sont notoirement affectés du côté gauche et de ce môme côté, le champ visuel est très notablement rétréci, tandis que rien de semblable n'a lieu pour l'œil droit. — Ajoutons, et c'est là, vous le savez, un caractère très significatif, que le pharynx peut être titillé, irrité dans tous les sens et de toutes les façons, sans provoquer la moindre trace d'action réflexe.
Tout ce qui précède nous conduit à conclure : 1° Que notre malade est un hystérique; 2° que l'affection articulaire dont il souffre présente un bon nombre de caractères qui appartiennent à la coxalgie hystérique et aucun de ceux qui désignent nécessairement l'existence d'une lésion profonde de la jointure ; l'amaigrissement du membre lui-même ne répond pas à l'atrophie musculaire, avec flaccidité qu'on trouve dans les coxalgies organiques et peut être tout naturellement rapportée à une inertie fonctionnelle relative, datant de deux ans et demi. Tout serait donc de nature hystérique chez notre malade aussi bien l'affection générale que l'affection locale. L'origine traumatique des accidents n'est pas, elle non plus, tant s'en faut, contraire à cette interprétation ; car nous savons par nos études antérieures que chez l'homme, plus peut-être encore que chez la femme, un choc traumatique peut avoir pour effet de révéler une disposition hystérique jusque-là restée latente.
Malgré tout, je serai le premier à reconnaître que, même en présence des arguments qui viennent d'être accumulés, des doutes peuvent subsister encore, relativement au diagnostic. Il n'est pas facile, en effet, en présence d'une impotence fonc
tionnelle aussi prononcée et remontant déjà à plusieurs années, de se dégager de l'idée d'une coxalgie organique qui aurait joué, en quelque sorte, le rôle de point d'appel pour les manifestations de la névrose. Il est clair que, seule, l'administration du chloroforme pourrait lever tous les doutes. Tout naturellement ce moyen, nous avons voulu l'employer, mais jusqu'à présentie malade s'est obstinément opposé à se laisser faire. Je ne désespère pas de lui faire entendre raison et de le déterminer, un jour ou l'autre, à se prêter à un examen qui en somme ne peut que lui être utile.
Mais, Messieurs, à défaut d'un examen fait par nous-même, nous pouvons, dès à présent, mettre à profit les résultats de l'exploration qui a été faite, il y a quatre ou cinq mois à peine, par un chirurgien éminent. Les résultats de cette exploration nous ont été communiqués par un confrère qui y assistait et qui nous affirme que pendant le sommeil chloroformique la jointure s'est montrée parfaitement libre, parfaitement mobile, exempte de toute rigidité, de toute adhérence.
Les conclusions tirées des résultats de l'examen en question ont été, Messieurs, les suivantes : 1° 11 n'existe pas, chez ce sujet, de traces d'une affection organique de la jointure ; 2° cet individu, très vraisemblablement, est un simulateur.
A cette dernière partie des conclusions, Messieurs, nous ne saurions évidemment souscrire, après l'exposé qui précède.
Très certainement, la coxalgie organique n'existe pas chez notre malade, cela est bien établi; mais il existe chez lui une coxalgie hystérique, sine materia, comme vous voudrez l'appeler. Or, toute dynamique qu'elle soit, la maladie est parfaitement légitime, parfaitement réelle et rien, absolument rien, ne saurait nous autorisera taxer notre homme de simulation.
Toujours est-il, Messieurs, vous l'avez compris, que du mo-
ment où il s'agit seulement ici, comme nous l'affirmons, d'une coxalgie hystérique, le pronostic est, à tout prendre, beaucoup moins sombre qu'il ne l'eût été dans l'hypothèse d'une affection organique. Sans doute, une coxalgie hystérique peut se perpétuer, durer des mois, des années même — et notre cas nous offre un triste exemple de ce genre, — mais en somme, la guérison doit survenir, à peu près nécessairement un jour ou l'autre, tôt ou tard.
Mais comment faudra-t-il s'y prendre pour hâter celte terminaison favorable que signalent nos prévisions ? C'est là une question qui, pour être convenablement traitée, exige de longs développements. Nous y consacrerons une prochaine leçon.
Ctt.UîCOT. (lit!M'uS Complètes, t. iu, *yl m: urrcC'iX.
25
VINGT-QUATRIÈME LEÇON
Sur un cas de coxalgie hystérique de cause traumati-que chez l'homme (Suite).
Sommaire. — Résultats de l'examen pratiqué sous l'action du chloroforme. — Phénomènes présentés en ce moment par le malade. — Coxalgies mixtes ou hystéro-organiques. — Coxalgies artificiellement produites chez deux femmes présentant les phénomènes du grand hypnotisme. — Différents procédés employés pour produire cette coxalgie. — Caractères de la coxalgie hystérique artificielle. —Shock nerveux. — Suggestion traumatique. — Méthode de traitement de la coxalgie hystérique : massage, ses bons résultats transitoires ; influence de l'état psychique. — Guérison probable.
Messieurs,
J'ai fait de nouveau placer sous vos yeux le malade que je vous ai présenté dans notre dernière leçon, comme offrant un exemple remarquable de l'affection qu'on est convenu d'appeler du nom de coxalgie hystérique.
Tous n'avez pas oublié les arguments nombreux et incontestablement d'un grand poids, à l'aide desquels nous nous sommes efforcé d'établir ce diagnostic. Et cependant, quelques doutes, quelques scrupules auraient pu subsister dans votre esprit. C'est qu'en effet, faute d'avoir pratiqué la chloroformi-sation du malade, nous n'avions pas pu nous assurer par nous-même de l'intégrité de la jointure.
Eh bien, Messieurs, ces doutes sont levés aujourd'hui. Le
malade qui, jusqu'ici, s'était refusé à l'emploi du chloroforme, sous l'empire de je ne sais quelle crainte, a mieux compris ses intérêts et s'est soumis à notre examen, vendredi dernier. Voici les résultats de notre exploration :
Au bout de six à sept minutes, après une période d'excitation très courte, contrairement à ce que nous avions lieu de craindre à cet égard, d'après ce que nous savons des effets de la chloroformisation chez les hystériques, le sommeil était complet. Les muscles étaient en entière résolution; ceux du membre malade furent les derniers à parvenir à cet état; la peau était devenue insensible au pincement, même aux endroits les plus hyperesthésiés ; on pouvait imprimer à la jambe et à la cuisse les mouvements les plus étendus sans être arrêtés parla moindre résistance ; la percussion du grand trochanter, celle du talon n'étaient nullement perçues. Ni la main, ni le stéthoscope n'ont, pendant qu'on exécutait tous ces mouvements, permis de constater le moindre craquement. Donc une conclusion s'impose à nous, c'est que la jointure est libre d'adhérences, que les surfaces articulaires et osseuses ne présentent aucune de ces déformations, de ces lésions qui ne sauraient manquer d'exister dans une coxalgie aussi ancienne, si elle était réellement de nature organique.
Permettez-moi encore, Messieurs, de vous faire connaître les phénomènes présentés par ce malade pendant la période du réveil : — la raideur commença à reparaître à un certain degré dans les muscles malades, avant qu'aucune manifesta-lion douloureuse se montrât du côté de la jointure. La sensibilité de la peau était déjà en partie revenue, le malade commençait à répondre à quelques questions, alors que la sensibilité des parties profondes (percussion du trochanter, du talon) n'était encore nullement exagérée ; c'est donc l'hyperesthésie profonde qui s'est reproduite en dernier lieu. Mais lorsque le réveil fut devenu complet, c'est-à-dire au bout de vingt à vingt
cinq minutes, la déformation, la douleur, la claudication redevinrent absolument ce qu'elles étaient avant la cliloroformisation.
Quoi qu'il en soit, voici le diagnostic désormais complètement assuré. Bien entendu, il n'en est pas de même du traitement ; tout reste à faire de ce côté, c'est vers ce but que doivent maintenant tendre nos efforts.
Mais avant d'aborder la question de thérapeutique, je crois utile d'arrêter voire attention sur un point qui touche encore au diagnostic de la coxalgie hystérique.
Si j'ai tenu aussi instamment à donner le chloroforme à mon malade, c'est qu'il eût pu se faire, en somme, que nous fussions en présence de la combinaison suivante : 1° Lésions organiques de la coxalgie scrofuleuse ; 2° lésions dynamiques de la coxalgie hystérique. — Notre malade est hystérique très certainement et présente nettement les symptômes de la coxalgie hystérique ; mais il pouvait se faire que ces phénomènes servissent de masque à une coxalgie vraie. — 11 se serait agi alors d'une forme mixte hystéro-organique ou orga-uico-hyslérique, comme vous voudrez l'appeler.
Cette forme mixte existe-t-elle en réalité dans la clinique? Oui, très certainement, et peut-être est-elle même plus fréquente qu'on ne le croit, bien que, si je ne me trompe, les auteurs la passent sous silence. Yu l'importance de ces faits, je tiens à vous en dire quelques mots. Grâce à l'obligeance de mes collègues, M. Lannelongue et M. Joffroy, je suis à même de vous faire connaître trois cas, dans lesquels cette combinaison s'est produite au milieu de circonstances qui rendaient l'erreur difficile à éviter. Dans ces trois cas, la première impression avait été qu'il s'agissait d'une affection hystérique; mais un examen plus attentif a montré que les phénomènes hystériques masquaient une lésion organique de la hanche, restée inaperçue \ A propos de cette combinaison de lésions organi-
1. Voici du reste l'exposé sommaire de ces trois cas :
ques et de symptômes hystériques, je vous ferai remarquer, en passant, qu'il ne faudrait pas croire que des désordres matériels un peu accentués de l'organisme excluent forcément les phénomènes hystériques ; cela peut arriver, sans doute, mais, s'il en est ainsi dans quelques cas, dans d'autres, les plus nombreux peut-être, on voit les stigmates hystériques persister pendant l'évolution des lésions organiques plus ou
1er cas. (Observation communiquée par M. le professeur Lannelongue). Garçon de 11 ans; la mère a de nombreuses attaques d'hystérie. Le membre du côté malade est contracture non-seulement au niveau de la hanche, mais encore cm niveau du genou et du pied. On ne peut toucher ce membre sans que l'enfant soit pris d'une véritable attaque de nerfs. Dans le sommeil chloroformique, on constate l'existence de craquements articulaires érormes. Il existe un raccourcissement de deux centimètres dû à ce que la tête fémorale a chevauché sur la cavité cotyloïdc. Hus tard, il s'est produit un abcès symptomatique.
2e cas. (Communiqué par M. le professeur Lannelongue). Petite fille ce 13 ans. Père atteint de paralysie infantile; mère ayant eu des attaques hystériques, jusqu'à l'âge de 30 ans. A l'âge de 7 ans, contracture douloureuse du pied droit. A 9 ans, crises nerveuses. A l'âge de 10 ans, reprise des crises nerveuses. A 11 ans, survient une douleur de la hanche droite avec claudication. lise produit une rémission complète qui fait croire à l'existence d'une affection purement nerveuse et on laisse, en conséquence, l'enfant marcher. Un retour des douleurs étant survenu, on soumet l'enfant à l'emploi du chloroforme. On constate alors des craquements et une très grande difficulté du redressement de la jointure, consécutif à une déformation des es. Un gonflement profond fait redouter la formation d'un abcès.
3e cas. (Communiqué par M. le I)r Joffroy). Mlle X..., de St-Pétersbourr, âgée de 18 ans. Antécédents héréditaires nuls. A 6 ans et à 14 ans, crises nerveuses nombreuses qui paraissent avoir été des accès d'hystérie à forme d'épilepsie partielle. A 6 ans, accidents coxalgiques transitoires. A 11 ans, réapparition à plusieurs reprises de ces mêmes accidents. A 18 ans, réapparition des accidents qui datent de 5 mois, à l'époque où l'on examine la malade. Douleur vive à la hanche et au genou, raccourcissement apparent; la malade marche à l'aide de béquilles, posant à peine à terre la pointe du pied ; pas de stigmates hystériques. Cependant, en tenant compte de l'opinion des médecins antérieurement consultés, de la marche singulière de la maladie et en particulier des rémissions, suivies de réapparitions qui ne cessent de se produire depuis près de 10 ans, on penche vers le diagnostic coxalgie hystérique, tout en faisant des réserves.L'emploi de douches tièdes générales amène d'abord une amélioration sérieuse ; il se produit une nouvelle rémission et la malade redevient capable de marcher sans trop de douleurs. Cependant, sur ces entrefaites, la chloroformisation étant pratiquée, on constate « qu'un complet relâchement de la hanche est impossible, que les mouvements imprimés à la jointure déterminent des craquements caractéristiques ne laissant aucun doute sur l'existence de lésions osseuses très avancées. »
moins graves ; par exemple, et ici je fais allusion à un cas récemment observé par nous dans le cours du rhumatisme articulaire aigu le plus intense, compliqué d'endopéricardite ayant consécutivement entraîné la mort.
Je n'insisterai pas plus longuement sur ce point, j'en ai dit assez, je crois, pour montrer que chez un sujet hystérique, lorsqu'une affection organique se développe, les symptômes relatifs à chacune des deux affections peuvent se combiner de manière à constituer un métis pathologique, dont l'histoire naturelle doit être bien connue du clinicien.
Pour en revenir à notre malade, il est, nous l'avons démontré, atteint d'une coxalgie bien et dûment hystérique sans mélange d'aucune lésion organique. Nous pouvons donc affirmer, je le répète, qu'il guérira un jour ou l'autre ; mais quand gué-rira-t-il, et quels moyens faut-il mettre en œuvre pour hâter ce résultat?
Je voudrais étudier avec vous tout d'abord la théorie, la physiologie pathologique des cas qui nous occupent, espérant rencontrer, chemin faisant, des indications qui puissent nous permettre de fonder notre intervention thérapeutique sur des bases rationnelles. Un moyen d'étude se présente à nous, moyen que j'ai déjà mis à profit en semblable occurrence ; il s'agit de produire artificiellement les symptômes de la coxalgie hystérique, dans l'espoir de mieux reconnaître les conditions et le mécanisme qui président au développement de celle-ci.
Ce n'est pas un animal, quelque élevé qu'il soit dans l'échelle, qui devra servir à ces études, mais bien, ainsi que vous l'avez compris, l'homme lui-même placé dans les conditions mentales spéciales à l'état hypnotique.
Les deux malades que je fais placer devant vous sont toutes
deux des femmes hystériques avérées offrant les caractères les plus nets du grand hypnotisme; elles présentent, comme vous le voyez, à l'état de veille, tous les grands symptômes de la coxalgie hystérique, douleur et claudication, symptômes sur lesquels je ne veux pas insister de nouveau. Mais ici, ce que je veux relever surtout, c'est que l'affection a été produite par nous, volontairement, artificiellement, pendant l'état hypnotique; naturellement, chez ces malades, les choses n'ont pas été poussées très loin, mais tout en restant dans les limites de la prudence, elles l'ont été assez cependant pour qu'on puisse nettement reconnaître chez elles, sous une forme bénigne, l'affection décrite par Brodie.
Chez une de ces femmes, c'est en produisant, pendant l'état somnambuiique, une légère torsion de la cuisse sur le bassin que nous sommes arrivés à ce résultat; aussitôt elle se plaignit d'une douleur dans la hanche, et veuillez le remarquer expressément, dans le genou, bien que celui-ci n'eût pas été soumis lui-même à la plus légère torsion.
Chez l'autre malade, nous nous sommes contentés, pendant qu'elle était plongée dans l'hypnotisme, de lui affirmer qu'elle venait d'avoir une attaque, pendant laquelle elle avait fait une chute sur la hanche ; le récit animé de l'événement supposé et la peinture des vives douleurs qui devaient s'ensuivre ont produit le résultat désiré; chose remarquable, ici encore, bien que nous n'ayons parlé que d'une contusion sur la hanche, la malade s'est plainte en même temps d'une douleur dans celle-ci et dans le genou; et quoique auparavant la malade fût anes-thésique de ce côté, on peut constater maintenant que la peau, au niveau de la hanche et du genou, est devenue très sensible. Je vous ferai remarquer de plus qu'une fois éveillées, nos malades ignoraient absolument notre intervention et croyaient fermement l'une et l'autre s'être heurté la hanche pendant une attaque.
Vous n'avez pas oublié, Messieurs, ces deux hommes, Por... et Pin..., que je vous montrais tout récemment encore et pour la seconde fois, chez lesquels à la suite d'un traumatisme de l'épaule, s'était développée une paralysie hystérique du bras correspondant. Je vous ai fait voir que cette paralysie pouvait être reproduite de toutes pièces, chez des sujets plongés dans l'hypnotisme ; au moyen de la suggestion verbale, ou bien encore au moyen d'une action traumatique légère portant sur l'épaule et constituant, si l'on peut ainsi parler, une véritable suggestion traumatique.
Mon sentiment est, Messieurs, que cet état hypnotique dans lequel la suggestion produit de tels effets, est assimilable, sur plus d'un point, à l'état, qu'en Angleterre on est convenu d'appeler du nom de shock nerveux {Nervous shock), par opposition au shock traumatique, avec lequel il se combine souvent, d'ailleurs, mais dont il peut rester indépendant. Ce shock nerveux se produit quand survient une émotion vive, une frayeur, la terreur déterminée par un accident, surtout quand cet accident menace la vie, comme cela se voit, par exemple, dans les collisions de chemin de fer. Dans ces occasions, il se développe souvent un état mental tout particulier, récemment étudié avec soin par M. Page, qui le rapproche d'ailleurs, très judicieusement à mon avis, de l'état d'hypnotisme Dans l'un et l'antre cas, en effet, la spontanéité psychique, la volonté, le jugement étant plus ou moins déprimés ou obnubilés, les suggestions sont faciles; aussi la plus légère action traumatique,
1. We are. . disposed to believe that the primary seant of functional disturbance lies in the brain itself, and that as in the hypnotic state... there is a temporary arrest in the function of that part of the sensorium which presides over and controls the movements and sensations of the periphery. (Page, Injuries of the Spine and nervous Shock, p. 107, 2e edit., Lond. 1885). — Voir aussi : Wilks, t on Hysteria and arrest of cerebral Action. » (Guifs Hosp. Rep., vol. XXII, p. 35), et Tuke « Influence of the Mind upon t/te Body, p. 97. » — Nous pouvons, je pense, en français, écrire indifféremment Shock ou Choc, Shock, Synon. : fr Choc; germ. Shok. Voir Richard Quain, Diet, o1' Médecine, Lond., 1882, art. Shock.
par exemple, portant sur un membre peut-elle devenir alors l'occasion d'une paralysie, d'une contracture ou d'une arlhral-gie. C'est pourquoi, si souvent, dans les collisions de chemin de fer, on voit, suivant les cas, survenir des monoplégïes, des paraplégies, des hémiplégies simulant des maladies organiques, bien qu'elles ne soient autres que des paralysies dynamiques, psychiques, fort analogues pour le moins aux paralysies hystériques.
Je regrette de ne pouvoir m'arrrêter plus longtemps sur le rapprochement que je vous indique entre l'état mental produit par le shock nerveux et celui qui caractérise la période som-nambulique de l'hypnotisme, mais je crois en avoir dit assez pour exciter votre atlenlion sur ce point et vous engager à en faire l'objet de vos méditations.
Pour retourner à notre homme atteint de coxalgie hystérique, vous avez parfaitement compris, Messieurs, que, dans mon opinion, la coxalgie de ce malade doit être interprétée suivant la théorie appliquée, dans nos leçons du dernier semestre, aux cas de monoplégie hystérique de cause trauma-tique. Vous l'avez vu, en effet, la douleur peut être, de même que la paralysie, suggérée dans l'état hypnotique, soit au moyen d'une suggestion orale, soit au moyen d'un léger traumatisme, et cette douleur, l'observateur peut, à son gré, la localiser sur une partie quelconque du membre.
Ainsi, de même qu'il y a des paralysies psychiques produites par ce que nous appelions, dans une de nos dernières leçons, la suggestion traumatique, de même aussi il y a des coxalgies spasmodiques reconnaissant le même mécanisme. Notre scieur de long est un exemple de ce genre; le traumatisme qu'il a subi a produit chez lui un shock nerveux et l'état mental correspondant à celui-ci. Sans doute, la hanche a éprouvé un ébranlement, peut-être même une contusion plus
ou moins prononcée, mais celte action locale n'a pas déterminé de lésions organiques sérieuses, et la douleur qu'elle a produite ne s'est développée, exagérée et définitivement établie, sous forme d'arthralgie permanente, qu'en raison de l'état psychique produit par le shock nerveux.
Telle est, Messieurs, la théorie que je propose : si j'ai un peu insisté sur ce point, c'est que le traitement en découle, en quelque sorte, tout naturellement. C'est d'une affection surtout psychique qu'il s'agit, c'est donc un traitement surtout mental qu'il faudra mettre en œuvre. — Mais comment s'y prendre ? Nous savons, par les observations de divers auteurs, que ces arlhralgies psychiques, soit d'origine traumati-que, soit dépendant d'une autre cause, guérissent quelquefois tout à coup, à la suite d'une émotion vive ou d'une cérémonie religieuse frappant vivement l'imagination. Malheureusement, aucun de ces moyens n'est entre nos mains ; nous avons bien essayé de faire acte d'autorité, de persuader avec insistance à ce malade, au moment où il sortait du sommeil chloroformi-que, et alors que la douleur et la claudication s'étaient atténuées, qu'il était guéri; mais je dois vous avouer que nous n'avons pas réussi. — Faudrait-il compter davantage sur l'influence d'une opération simulée, suivant le conseil de Hancock et de Barwell? Je n'en suis pas convaincu. D'ailleurs, vous le savez, quand on emploie des moyens de ce genre, il faut être sûr de réussir, et faillir en pareille circonstance, ce serait nous compromettre en pure perte auprès du malade. — Quant à l'emploi des pratiques hypnotiques, qui peut-être nous fourniraient ici un puissant moyen d'action, noire homme ne veut absolument pas en entendre parler.
Depuis une douzaine de jours, notre malade a été soumis à un traitement fort simple consistant en manœuvres de massage. Jusqu'à présent ce traitement n'a pas été suivi de
résultats définitifs. Néanmoins, je veux vous rendre témoins de son application et vous faire constater les conséquences immédiates de ces manœuvres répétées chaque jour sur lui.
Tous n'avez pas oublié, Messieurs, que Ch... est, dans l'acception rigoureuse du mot, hémianesthésique du côté gauche, à part certaines régions où. la peau est non-seulement sensible, mais encore hypéresthésiée. Ces plaques d'hypéreslhésie se voient, en particulier, au niveau du coude pour le membre supérieur, et pour le membre inférieur au niveau de la hanche et du genou; sur ces différents points, le pincement de la peau provoque de la douleur et des phénomènes d'aura ; cette hypé-resthésie n'est, d'ailleurs, pas limitée à la peau qui recouvre la jointure, mais atteint également les parties profondes (capsule articulaire et synoviale) ; aussi la percussion du talon, celle du grand trochanter sont-elles suivies d'une vive douleur, de même que les différents mouvements imprimés au membre inférieur. Je vous rappellerai de plus que cette douleur articulaire est accompagnée de contracture des muscles qui meuvent la hanche, le genou et même le bassin, et que l'élévation du bassin ainsi produite est la cause du raccourcissement apparent de la jambe gauche.
M'étant donc décidé à essayer, chez ce malade, les effets du massage, je priai M. le Dr Gautiez qui, depuis plusieurs années, s'occupe scientifiquement de cet agent, de vouloir bien nous prêter son concours ; je le remercie d'avoir répondu à mon appel. Nous lui avons laissé toute initiative à cet égard, et il va lui-môme vous rendre témoins du mode opératoire qu'il a cru devoir employer. — Vous voyez que les pratiques qu'il met en œuvre consistent tout d'abord en un simple effleurage avec la main sur la fesse gauche du malade ; peu à peu, la main appuie plus fortement, et c'est alors un vrai massage profond. Il y a huit jours, le patient supportait mal ces pratiques, aujourd'hui il les supporte mieux; au bout de quatre à cinq mi
nul.es, vous le constatez, il commence à ne plus sentir la main qui le frotte, puis il accuse un engourdissement dans tout le membre; bientôt même « il n'a plus de jarnbe » dit-il; de fait, tout le membre inférieur est devenu complètement insensible; les plaques d'hypéreslhésie du genou et de la hanche ont disparu, on peut pincer la peau impunément. Mais, de plus, l'anes-thésie a gagné les parties profondes, car on peut frapper sur le talon ou sur le grand Irochanter sans réveiller la moindre douleur. Enfin, et ceci est d'un intérêt plus considérable encore, la contracture a disparu et l'on peut mouvoir toutes les jointures du membre inférieur gauche dans tous les sens, même avec, quelque brutalité, sans rencontrer la moindre résistance et sans que le malade témoigne la moindre douleur. Maintenant encore, vous le voyez, nous pouvons, comme nous l'avons déjà fait pendant le sommeil chloroformique, constater que les jointures sont entièrement libres et mobiles, qu'elles ne sont le siège d'aucun craquement et qu'en un mol, la synoviale et les surfaces articulaires sont absolument saines. Enfin, toutes les notions de la catégorie du sens musculaire sont complètement abolies. De telle sorte, Messieurs, que nous avons, à proprement parler, transformé la coxalgie avec contracture en une paralysie hystérique flasque, répondant véritablement au type le plus parfait.
Combien de temps vont persister ces phénomènes de paralysie? De une heure à une heure et demie environ; puis qu'adviendra-t-il? La douleur reparaîtra dans la jambe, acquerra rapidement le degré d'intensité qu'elle avait auparavant et alors apparaîtront de nouveau la contracture et le raccourcissement apparent du membre. C'est donc un bénéûce bien fugace, j'en conviens, que jusqu'à présent nous relirons de ces séances de massage ; mais il est un fait que je dois vous signaler: depuis deux ou trois jours, le retour des douleurs et de la conlraclure n'est pas absolument intégral, le
malade reconnaît volontiers qu'à mesure que le nombre des séances s'accumule, les symptômes coxalgiques tendent à s'amender, et c'est là-dessus que nous comptons pour arriver à la longue au résultat désiré. Nous comptons aussi, il est vrai, sur une autre circonstance dont je vais vous entretenir, quand le malade se sera retiré.....
Cette circonstance est la suivante : l'affection dont souffre cet homme a, comme je vous l'ai dit, été contractée au service de la Compagnie d'un chemin de fer ; celle-ci lui paye actuellement, chaque jour, à peu près la somme qu'il gagnait en travaillant; si ce subside venait à lui manquer, incapable de gagner sa vie comme il l'est aujourd'hui, ce serait pour lui et ses sept enfants la plus horrible misère; aussi vit-il à ce sujet dans un état d'inquiétude perpétuelle, de dépression mentale qui est bien de nature à entretenir son mal, étant donné que celui-ci est, comme nous le pensons, surtout d'origine psychique ou, si vous l'aimez mieux, mentale. — Or, je crois savoir que l'Administration du chemin de fer est résolue à faire à Ch... une pension, sur laquelle il pourra compter à l'avenir. En conséquence, la situation mentale de notre malade sera, je l'espère, profondément modifiée, lorsqu'il n'aura plus toujours devant les yeux le spectre de la misère; l'état de dépression psychique dans lequel il vit ne tardera pas à disparaître, il deviendra plus facile de lui persuader que sa maladie n'est pas incurable, qu'elle peut et doit guérir, et que lui-même peut, s'il le veut fermement, concourir à sa guérison. — Ainsi, les pratiques de massage aidant, tout ira pour le mieux, du moins je l'espère.
Avant de terminer, je voudrais, Messieurs, retenir encore un peu votre attention sur les résultats obtenus chez ce malade par le massage. Sans doute, vous ne supposez pas qu'un simple massage puisse produire des effets aussi accentués, chez un sujet quelconque; certes, nous savons qu'il peut, à la
longue, amender et guérir des névralgies, des douleurs articulaires, etc., mais déterminer, même temporairement, une véritable paralysie motrice et sensitive d'un membre, cela dépasse les mesures de l'ordinaire.
De quoi donc dépendent les résultats vraiment singuliers obtenus chez notre malade ? — Je crois pouvoir affirmer qu'ils sont dus à la nature du sujet, au terrain; c'est parce qu'il s'applique à un sujet hystérique que le massage a produit chez notre homme des résultats aussi accentués ; on pourrait dire peut-être qu'ici le massage représente une sorte d'hypnotisme local. Je ferai valoir à l'appui de cette opinion que des pratiques analogues, appliquées chez deux femmes hystériques hémianesthésiques de mon service, ont donné des résultats tout à fait semblables ; en moins de cinq minutes, en effet, nous avons produit chez elles, sur le côté sensible, une anes-thésie de la peau, puis des parties profondes et enfin une paralysie motrice transitoire complète du membre, avec perte du sens musculaire. C'est là, en somme, un nouvel argument en faveur de l'existence de la névrose hystérique chez notre malade ; mais je crois vous avoir suffisamment convaincus sur ce point et ne veux pas insister davantage.
Je vous ai exposé les moyens que nous continuerons à mettre en œuvre pour parvenir au but que nous nous proposons d'atteindre; nos efforts seront-ils couronnés de succès? je l'espère sans vouloir cependant l'affirmer, et je serais heureux si, dans quelques semaines, dans quelques mois peut-être, je pouvais vous présenter ce malade, que nous venons d'étudier ensemble, avec quelque soin, guéri de l'affection dont il souffre depuis près de trois ans 1.
1. Le malade nous a quitté et a abandonné tout traitement; nous l'avons revu six mois après : la maladie ne s'était pas sensiblement modifiée.
VINGT-CINQUIÈME LEÇON
Sur un cas de contracture spasmodique d'un membre supérieur survenue, chez l'homme, en conséquence de l'application d'un appareil à fracture
Sommaire. — Par le fait de la chute d'un corps pesant sur le membre, développement d'une monoplégie brachiale présentant tous les caractères des monoplégies dites hystéro-traumatiques, — fracture de l'avant-bras, — shock nerveux ; ce que c'est que le shock local : son rôle dans la production des paralysies hystéro-traumatiques. — Application d'un appareil à fracture ; la monoplégie avec flaccidité se transforme en monoplégie avec contracture. Celle-ci présente tous les caractères de la contracture hystérique. — La tendance à la contracture spasmodique est chose fréquente, chez les hystériques des deux sexes. Le moyen de la provoquer le plus efficace est l'application, autour des membres, d'un lien circulaire. — La production artificielle des contractures constitue un véritable stigmate révélateur de l'état hystérique. — Amélioration du malade, à la suite de divers traitements : cependant, les mains conservent un certain degré de déformation qui ne cède pas à l'action du chloroforme et qui paraît relever de la production du tissu fibreux.
Messieurs,
Le malade qui va être l'objet de la leçon d'aujourd'hui est, comme vous le voyez, un homme d'une apparence vigoureuse; il présente un nouvel exemple de ces affections hystéro-traumatiques sur lesquelles nous avons particulièrement insisté cette année et l'année dernière. On ne saurait, je pense, trop multiplier les faits, dans ce domaine encore insuffisamment
1. Leçon recueillie par M. le Dr Babinski.
exploré et qui, si je ne me trompe, promet cependant, pour l'avenir, une ample moisson de résultats d'un grand intérêt pratique.
Cet homme offre, comme vous le voyez, une contracture du membre supérieur gauche qui, depuis plusieurs mois, prive ce membre de tout mouvement.
La contracture s'est développée chez lui, pendant le temps où le membre était enveloppé d'un appareil plâtré dont l'application avait été nécessitée par une fracture des os de l'a-vant-bras; fracture déterminée elle-même par la chute d'un corps lourd — à savoir une moitié de bœuf, pesant, paraît-il» environ 300 kilos, — sur celte partie du corps.
Eh bien, Messieurs, nous nous proposons de démontrer que cette conlraclure, qui est une conséquence plus ou moins directe du traumatisme, est de nature hystérique. Nous chercherons ensuite à interpréter le mécanisme qui a présidé à son développement.
Yoici, en quelques mots, l'histoire clinique de ce malade : C'est un homme de 30 ans, nommé Dum..., né dans la Dordo-gne et n'habitant Paris que depuis cinq ans. Il n'y a rien de particulier à signaler dans ses antécédents héréditaires ou personnels. C'est un garçon sans aucune éducation, quia vécu à la campagne jusqu'à l'âge de 25 ans ; il gardait les moutons, allait dans les foires et tuait les animaux pour les boucliers. Depuis qu'il est à Paris, il a travaillé chez différents boucliers delà ville et dans les abattoirs. Il n'a jamais, assure-t-il, fait d'excès de boisson ; il a, comme la plupart de ses camarades, paraît-il, l'habitude assez répugnante de boire tous les jours plusieurs verres de sang. « J'aime mieux le sang que le vin, dit-il, cela donne plus de force. »
L'accident qui nous intéresse particulièrement est survenu dans les conditions suivantes : Il y a de cela 4 mois et demi
environ — le malade ne peut préciser la date exacte, — il était aux halles centrales, occupé à décrocher, avec l'aide d'un de ses camarades, un demi-bœuf dont le poids était considérable ; le crochet cassa, et le malade fut renversé, son bras gauche pris sous le bœuf. Il assure qu'il n'a pas perdu complètement connaissance sur le moment, mais il reconnaît qu'il fut comme étourdi et que, pendant quelques instants, il ne savait pas au juste où il se trouvait, ni ce qui s'était passé ; on a dû le porter chez un pharmacien.
Il est probable que le shock nerveux qu'il a éprouvé là a été assez profond, car, actuellement, il paraît exister, chez notre sujet, un certain degré d'amnésie portant principalement sur les choses qui sont relatives à l'accident, mais, môme aussi sur les choses présentes ; et il ne paraît pas qu'il y ait, à cet égard, simulation ou dissimulation : comme nous l'avons déjà fait remarquer, il ne sait indiquer exactement la date de l'accident ; de plus, quand on lui demande de désigner le lieu où il demeure actuellement, il hésite, mais presque aussitôt, il tire de sa poche un papier où son adresse est inscrite, et nous nous sommes assurés que le renseignement est exact. Nous n'avons donc aucune bonne raison pour douter de la véracité de son récit.
Revenant sur les circonstances de l'accident, il prétend qu'au moment où celui-ci s'est produit, il a entendu un bruit de craquement qui lui paraissait avoir pour siège son avant-bras gauche, mais il affirme qu'à ce moment, il n'a éprouvé aucune douleur, ni le jour môme de la chute, ni les jours qui l'ont suivi. Non-seulement il n'éprouvait dans le bras aucune douleur en ce moment-là, mais, de plus, il déclare qu'il ne « sentait pas ce membre, » que celui-ci « était comme mort, » ou encore « comme absent, de l'épaule jusqu'au bout des doigts; » « au lieu d'un bras, ajoute-t-il, il me semblait, de ce côté, porter un poids de quarante livres. »
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 26
Le membre, d'ailleurs, paraîl avoir été absolument flasque ; on pouvait le mouvoir dans toutes les directions, mais aucun mouvement volontaire n'y était possible.
D'après ce qui précède, il paraît, pour le moins, très vraisemblable que les phénomènes qui se sont produits chez notre homme, à cette époque, dans le membre soumis au traumatisme ont consisté dans une anesthésie superficielle et profonde, avec impuissance motrice absolue, sans rigidité musculaire et que, par conséquent, ils ont été en tout comparables à ceux que nous avons minutieusement étudiés, dans les précédentes leçons, chez nos sujets masculins atteints de mono-plégie hystéro-traumatique 1 ; et à ce propos, je vous rappellerai, Messieurs, comment chez plusieurs individus hypnotisés, nous sommes parvenus à produire, pendant la période somnambulique, ce même genre de paralysie, en appliquant un coup de poing d'intensité modérée sur la partie supérieure du membre. La sensation d'engourdissement, d'absence du membre, de faiblesse enfin, qui se produisent à la suite du choc reçu par le membre, seraient, en pareil cas, comme dans les cas où ces mêmes phénomènes se produisent en dehors de l'hypnotisme, le point de départ de la suggestion qui a pour effet de développer la parésie déjà ébauchée en quelque sorte par le fait même de la contusion et, en la complétant, de l'établir d'une façon définitive. Telle est du moins la théorie que je vous ai proposée, vous ne l'avez pas oublié, pour l'interprétation des faits de ce genre 8.
Je ne suis pas fâché, Messieurs, de relever, puisque l'occasion s'en présente, que ces troubles sensitifs et moteurs sur lesquels j'appelle ici votre attention et qui se produisent sur les membres soumis à une contusion, n'appartiennent pas,
1. Voir les Leçons XX, XXI, XXII.
2. Voir surtout la Leçon XXII.
tant s'en faut, en propre aux sujets hystériques. Chez ces sujets-là, sans doute, ils se produisent sous l'influence des chocs en apparence lesplus légers et ils acquièrent facilement un développement considérable, hors de toute proportion avec l'intensité de la cause traumalique. Mais on les retrouve en dehors de l'hystérie, à peu près nécessairement, chez un individu quelconque, à la suite d'une contusion, pour peu que celle-ci ait une intensité notable. C'est ainsi que sous l'influence du choc produit, par exemple, sur Pavant-bras, par la pénétration d'une balle de fusil, le membre tout entier peut se montrer parésié et insensible, pendant une période de temps plus ou moins longue. Une simple contusion, sans plaie, suffit d'ailleurs pour déterminer des phénomènes du même genre *. On peut avancer, je crois, d'une façon très générale, que plus la contusion est légère et moins le sujet est névropathe, moins il est hystérique, si l'on peut ainsi parler, plus les accidents pa-rétiqu* s et sensoriels consécutifs au choc sont légers, circonscrits el fugaces. M. Billrolh raconte 2 que, s'étant donné par mégarde un coup sur le dos de la main, celle-ci devint insensible, en même temps que le mouvement volontaire fut un instant supprimé dans les doigts ; mais la durée de ces phénomènes ne dépassa pas trois minutes. M. Gussenbauer relate des faits du même genre. Cet ensemble de phénomènes ce syndrome sur lequel j'appelle en ce moment votre attention a été décrit par quelques auteurs sous le nom de choc local (localer Shok, Fischer; —localer PPundschreck, Bardeleben. — localer oder peripherer Shoklocalshok, Grœningen, etc.
En pareil cas, dans une certaine étendue autour de l'endroit où à porté la contusion, au-dessus et au-dessous, quelquefois dans toute l'étendue du membre, — par conséquent,
1. 0. Berger, Berlin. Klin. YVochensch., p. 234, 1871.
2. Voir G. II. Grœningen, Ueber den Shok, Wiesbaden, 1885, p. 78 et s.
il ne saurait s'agir ici de la lésion d'un nerf en particulier, — il se produit une aneslhésie culanée et profonde en même temps qu'une paralysie motrice plus ou moins accentuée» lesquelles, vraisemblablement, sont le résultat d'une participation par voie réflexe des centres nerveux. On peut, croyons-nous, sans forcer les analogies, relever qu'il y a là comme une esquisse, un rudiment, un germe de la paralysie hystérique traumatique, et l'on comprend que chez un sujet prédisposé psychiquement, cette paralysie rudimentaire provoquée par le choc se réalise et se développe au plus haut degré, en raison d'une élaboration mentale, d'un processus d'auto-suggestion dont nous avons essayé de vous faire reconnaître le mécanisme dans nos précédentes leçons *.
Il ne faut pas confondre ce choc local", relativement bénin, avec la stupeur locale que décrivait récemment le professeur Verneuil, dans une de ses leçons cliniques. Ici, à la suite d'une contusion toujours intense, il y a suspension de la circulation, de la calorification, de l'innervation (anesthésie et paralysie motrices) avec menace de sphacèle. Tous les accidents, en pareil cas, d'après M. Yerneuil, seraient le résultat de la compression des troncs artériels et nerveux par un épanche-ment profond ; il suffit, en effet, de débrider largement et de permettre ainsi au sang de s'écouler, pour les voir tous disparaître 3.
Quoi qu'il en soit chez notre malade, les phénomènes du choc local (Local shock) paraissent avoir été très accusés, puisque non-seulement la fracture s'est opérée sans douleur, mais que, de plus, le membre paraît avoir été frappé d'anesthésie complète dans toute son étendue, en même temps qu'il était privé de tout mouvement volontaire. Il a donc existé chez lui,
1. Leçons XX, XXI, XXII.
2. Voir YUnion inédicale, 1880.
3. Sur l'orthographe du mot Sho/c, voir p. 392, note 1.
en ce temps-là, une monoplégie avec flaccidité de tous points comparable à celles que nous avons étudiées récemment, chez plusieurs sujets hystériques, en conséquence d'un traumatisme. A ce propos, vous relèverez immédiatement qu'aujourd'hui ce
n'est pas une paralysie llaccide que nous avons sous les yeux, mais bien une contracture spasmodique, et c'est là justement un fait que nous nous réservons de discuter particulièrement par la suite ; auparavant, nous devons signaler quelques fails qui sont survenus dans les jours qui ont suivi l'accident.
Deux jours seulement après l'événement, le malade se décida à aller consulter un chirurgien à l'hôpital St-Antoine ; le poignet, la main, les doigts étaient devenus très enflés ; les
Fig. 70.
mouvements volontaires étaient absolument nuls ; les mouvements passifs étaient au contraire possibles, et il n'existait aucune trace de raideur dans le membre affecté qui, comme au début, était resté absolument insensible.
Pendant une période de 15 jours, l'avant-bras fut placé dans une gouttière et recouvert de compresses phéniquées et de cataplasmes. Puis on se décida à appliquer un appareil plâtré qui fut gardé 43 jours.
Au moment où, au bout de ce temps, l'appareil fut enlevé, on constata que le membre supérieur était contracture, le coude et les doigts dans la flexion, exactement dans la situa-lion où vous les voyez actuellement (fig. 79).
La chloroformisation fut pratiquée, elle permit de reconnaître qu'il n'existait aucune lésion articulaire, aucune rétraction fibreuse et qu'il s'agissait là d'une véritable contracture spasmodique.
On profita de la résolution produite par l'action du chloroforme pour tenter de modifier la position de la main en redressant les doigts ; en conséquence, une planchette maintenue par un bandage fut appliquée sur la paume de la main ; mais, à chaque instant, sous l'influence de la flexion invincible des doigts, l'appareil se dérangeait ; on fut obligé de l'enlever, au bout de deux jours, et la main, abandonnée à elle-même, reprit sa première attitude.
Depuis cette époque, un grand nombre de médecins ont été consultés, mais aucune tentative nouvelle n'a été faite. Tout récemment, mon collègue, M. leDr Périer, chirurgien de l'hôpital de Lariboisière, consulté à son tour, a eu l'obligeance de m'adresser ce malade (¡6 mai 1886), jugeant qu'il s'agissait d'un cas intéressant la médecine plus encore peut-être que la chirurgie.
Vous pouvez reconnaître comment, chez notre malade, le
membre supérieur gauche, habituellement porté en écharpe, est fléchi à angle obtus, au niveau du coude (fig. 79). L'avant-bras est maintenu dans la supination, tandis que les doigts, fléchis sur la paume de la main, sont serrés les uns contre les autres et offrent une tendance marquée à se recouvrir mutuellement. Le pouce est, de son côté, porté vers l'axe de la
main et l'ongle de ce doigt marque une forte empreinte sur la peau de la face externe de l'index (fig. 80 et fig. 81).
Les mouvements volontaires sont, pour ainsi dire, nuls dans les divers segments du membre, et pour ce qui est des mou vements passifs, ils sont eux-mêmes, en raison de la rigidité des diverses jointures, extrêmement limités. Au coude et au poignet, les réflexes tendineux sont manifestement exagérés et l'on provoque même très facilement une trépidation des doigts et de la main tout entière en cherchant à les redresser.
Fig. 80.
Il existe un certain degré d'amaigrissement, d'atrophie du membre ; mais les réactions électriques sont normales ; aucune trace, en particulier de la réaction de dégénération.
Il s'agit donc là, bien évidemment, d'une contracture spas-modique, d'origine neuro-musculaire.
Il est facile d'ailleurs d'établir que la déformation et l'impotence du membre ne sont pas ici le résultat de Tune quelcon-
Fig. 81.
que des complications d'un autre ordre qui peuvent se montrer, à la suite de l'immobilisation prolongée des parties ou d'une compression trop forte exercée sur elles par le bandage.
L'immobilisation prolongée peut produire, vous le savez, dans certains cas et chez certains sujets, une végétation conjonctive de la synoviale, une sorte d'arthrite suivie quelquefois d'ankylose celluleuse (Obs. de ïeissier et Bonnet, Hueter, etc.), arthrite fort analogue, soit dit en passant, à celles que nous avons étudiées dans le temps, M. Bouchard et moi, sur les membres depuis longtemps immobilisés dans l'hémiplégie de cause cérébrale ; mais la disparition bien constatée dans le cas actuel de toute rigidité, quand le sujet est placé sous l'influence du chloroforme, suffit pour montrer que ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Le môme argument permet d'affirmer du môme coup qu'il ne s'agit pas non plus d'une lésion des gaines tendineuses, des tendons, ou encore d'une hyperplasie avec rétraction du tissu cellulaire sous-cutané. La compression portant sur un tronc nerveux aurait pu, à la rigueur, produire la paralysie d'un groupe musculaire, des extenseurs, par exemple, et, en conséquence, une contracture paralytique déterminée par la prédominance d'action des antagonistes non paralysés. Mais il serait, en pareil cas, toujours facile, d'un côté, d'exagérer la flexion et, de l'autre côté, de vaincre jusqu'à un certain degré l'action prédominante des fléchisseurs. Or, c'est justement le contraire qui s'observe. L'action des extenseurs est tout aussi difficile à vaincre que celle des fléchisseurs et c'est là, précisément, vous le savez, un des grands caractères de la contracture spasmodique.
Dans ces derniers temps, M. le professeur Volkmann d'abord, puis, après lui, M. Léser1 ont décrit un genre particulier de contracture qui s'observe dans le cas de fracture, surtout aux membres supérieurs à la suite et en conséquence de l'application d'un bandage trop serré. Cette contracture serait une conséquence de l'ischémie produite dans le membre, par le fait de la compression excessive exercée par le bandage et elle devrait être assimilée, suivant les auteurs cités, à la rigidité qui se montre sur les parties ischémiées, dans l'expérience de Stenon ou encore chez l'homme à la suite de la ligature de l'artère principale d'un membre. Tous savez, d'après les détails que je vous ai présentés dans la leçon que j'ai consacrée, cette année, à l'étude de la claudication intermittente produite chez l'homme par oblitération artérielle2, que la contracture
1. R. Volkmann, Die ischaemischen Muskellaehmungen unrt Contracture». Cbl. f. Chir, 1881, n° 51. — Cbl. f. die med. Wiss. 1882, p. 445. — E. Léser, Vntersuch. ueber ischaemische Muskelcontracturen und Muskellaehmungen. Hallesche Habilitationsschrift, Leipzig, 1884. Centr. ht. f. klin. med., 1885, n° 77, p. 282 etSamm. klin. Vortraege, n° 77.
2. Charcot, Della claudicazione intermittente, etc. — Lez. raccolte dal
ou mieux la rigidité des membres qui se manifeste dans ces conditions-là, peut être considérée comme représentant, si l'on peut ainsi parler, une esquisse de rigidité cadavérique survenant chez le sujet vivant et qui, si l'expérience se prolongeait, ne tarderail pas à se compléter pour être suivie, en dernier lieu, de la mortification du membre. Or, c'est bien là, si je ne me trompe, le mécanisme invoqué par M. Yolkmann et par M. Léser, pour expliquer le développement de la rigidité dans les cas qu'ils ont observés. Suivant eux, le phénomène de la rigidité cadavérique avec coagulation de la myosine 1 se produirait ici, dans ceux des faisceaux musculaires qui se sont trouvés soumis au plus haut degré de l'ischémie ; tandis que dans les faisceaux musculaires moins profondément intéressés surviendrait un travail de réaction, consistant en une sorte de myosite éliminatrice, entraînant d'abord la résorption de la myosine coagulée, puis la sclérose musculaire et au dernier terme le raccourcissement définitif du muscle. M. Léser, dans les expériences qu'il a faites sur les animaux, croit d'ailleurs avoir obtenu des résultats propres à confirmer de tous points la théorie proposée par M. Yolkmann. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans l'examen critique de ces travaux. Je me bornerai seulement à relever que, parmi les caractères cliniques qui distinguent la contracture signalée par M. Yolkmann, il faut placer, d'après lui, au premier rang, l'existence de modifications profondes survenues dans les réactions électriques des muscles rétractés, et il n'est pas douteux qu'un autre caractère serait, en pareil cas, l'impossibilité d'obtenir la résolution de la rigidité du membre par l'intervention de la chloroformi-sation même poussée au plus haut degré.
Dr G. Melotti di Bologna. (Gaz. degli Ospitali, n° 73, p. 581, 1884.) Voir cet le leçon dans le t. V, des Œuvres complètes, p. 587.)
1. On sait que les dernières recherches de Brown-Séquard ont singulièrement ébranlé la théorie de la « coagulation de la myosine », comme cause de la rigidité cadavérique. (Académie des sciences, octobre 1886.)
Or, nous savons que chez Dum... les résultais de féleclrisa-tion comme ceux de la chloroformisation sont tout autres, absolument opposés, et il est rendu bien clair, d'après cela, qu'entre les faits de contracture décrits par M. Yolkmann et celui que nous avons sous les yeux, il n'y a aucune espèce de rapprochement à établir.
C'en est assez, je pense, pour permettre d'affirmer que la déformation du membre est bien, chez notre sujet, le résultat d'une contracture spasmodique; il nous faut maintenant jnontrer encore que, ainsi que nous l'avons fait pressentir, dès le début de cette leçon, la contracture en question est de nature hystérique.
On peut dire qu'il existe chez les hystériques tout un groupe de contractures spasmodiques — et le malade dont nous nous occupons offre un exemple de ce genre — qui, du moins au point de vue du mécanisme physiologique, ne diffèrent pas foncièrement de celles qui se développent à la suite de certaines lésions organiques des centres nerveux : lésions, vous le savez, diverses quant à leur nature et quant à leur siège, mais présentant pour trait commun cependant, d'entraîner avec elles la production de la dégénération secondaire du faisceau pyramidal. Dans les deux cas, en effet, la rigidité spasmodique porte à la fois sur les groupes musculaires antagonistes, extenseurs et fléchisseurs, par exemple ; elle s'accompagne d'une exagération des réflexes tendineux, de la trépidation épileptoïde provoquée, surtout quand il s'agit du membre inférieur; enfin, sous l'influence de l'action du chloroforme portée suffisamment loin, la résolution de la contracture devient complète. Tels sont les liens de ressemblance étroite qui rattachent l'un à l'autre les deux ordres de faits. Malgré cela, néanmoins, même indépendamment des particularités cherchées en dehors de l'état du membre, les
contractures hystériques pourront être distinguées souvent des contractures reconnaissant pour point de départ une lésion matérielle appréciable cérébrale ou spinale, à l'aide de certains caractères cliniques. C'est ainsi, par exemple, que, dans les premiers, la rigidité du membre est habituellement poussée au plus haut degré possible et, quelquefois, en outre, persiste telle quelle pendant le sommeil même le plus profond ; tandis que, dans les secondes, la contracture, en général moins accentuée, se montre, dans la règle, manifestement atténuée tant que le malade dort, et cette atténuation persiste pendant quelques heures après le réveil. C'est ainsi, encore, que l'anesthésie, en général très peu prononcée ou tout à fait nulle sur le membre contracture quand il s'agit d'une lésion organique, peut, au contraire, être observée au plus haut degré, occupant non-seulement la peau, mais aussi les parties profondes et s'accompagnant de la perte plus ou moins complète du sens musculaire, lorsqu'il s'agit de l'hystérie. Or, ces caractères dislinctifs de la contracture hystérique, nous les rencontrons très nettement accusés, ainsi que vous pouvez le reconnaître chez Dum... Et cela déjà nous porte tout naturellement à penser que, chez lui, c'est bien dans l'hystérie qu'il faut chercher le point de départ de la déformation du membre.
Nous ne saurions, d'ailleurs, nous laisser arrêter dans notre évolution vers celte conclusion, par l'existence que je vous fais reconnaître sur ce membre d'un certain degré d'atrophie musculaire et de refroidissement des téguments ; car ici l'on peut invoquer l'influence de l'immobilité prolongée et, de plus, rappeler de récentes études dont les résultats ont été exposés par mon chef de clinique, M. le Dr Babinski, d'abord dans le Progrès médical1, puis dans un mémoire qui fait par-
1. Babinski, De L'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques (Progrès médical, 1886. — Arch. de JSeurol., t. XII, nos 34 et 35.)
lie des Archives de Neurologie*. Ces études m'ont en effet conduit à reconnaître — contrairement à l'opinion vulgaire à laquelle je m'étais jusque-là rattaché sans réserve, — que les paralysies motrices hystériques paraissent être régulièrement marquées par l'existence d'un certain degré d'atrophie musculaire; que celle-ci même, à la vérité toujours sans accompagnement de réaction dégénérative, peut, être parfois poussée fort loin et se développer avec une rapidité remarquable !.
Quoi qu'il en soit, le diagnostic auquel nous nous arrêtons va se trouver pleinement légitimé, surtout en l'absence de tout symptôme pouvant se rapporter à une lésion organique en foyer des centres nerveux, par les résultats que nous donne la recherche des stigmates hystériques. Il existe du côté gauche, c'est-à-dire du côté où se voit la contracture, une hémianalgésie totale, et de plus, du même côté, une obnubila-tion assez marquée de l'ouïe, de l'odorat et du goût, en même temps qu'un rétrécissement très manifeste du champ visuel. Enfin, les attaques sont elles-mêmes représentées ainsi qu'il suit : De temps à autre, il se produit dans le membre contracture une sensation d'aura qui remonte vers le pharynx et y produit un sentiment d'étouffement. Plusieurs fois, cette attaque esquissée a été suivie d'une aphonie qui a persisté pendant quelques jours.
Je crois en avoir dit suffisamment pour montrer non-seulement que notre malade est sous le coup de la diathèse hystérique, mais encore que la contracture qu'il présente au membre supérieur gauche n'est pas autre chose qu'une des nombreuses manifestations de l'hystérie.
Pendant le cours de l'exposé qui précède, vous n'aurez sans
1. Voir en particulier la Leçon XX, p. 313.
2. Voir surtout les Leçons XX, XXI et XXII.
doute pas manqué, pour la plupart, d'avoir présente à l'esprit la question que voici : Pourquoi, chez notre homme, la monoplégie avec flaccidité produite par le traumatisme et comparable à tous égards, quant aux caractères cliniques et au mécanisme, aux monoplégies hystéro- traumaliques que nous avons étudiées dans nos précédentes leçons ; pourquoi, dis-je, cette paralysie molle du début s'est elle transformée par la suite en une monoplégie avec contracture? Dans mon opinion, Messieurs, c'est le fait même de l'application du bandage à fracture qui a causé ce changement; c'est, en d'autres termes, la pression exercée pendant un certain temps par ce bandage qui a provoqué l'apparition de la rigidité spasmo-dique des muscles ; pression modérée cependant, car il s'agit ici d'un spasme musculaire et nullement, je vous l'ai démontré, de cette altération fibreuse décrite par M. Volkmann comme survenant à la suite de l'application d'un bandage trop serré.
Je crois être en mesure de vous fournir immédiatement la démonstration de la proposition que je viens de formuler. Voici un second malade que vous connaissez déjà : c'est le nommé Mouil..., paysan robuste, âgé de 25 ans, employé à titre de manœuvre dans une gare de chemin de fer. Je vous l'ai présenté autrefois comme offrant un nouvel exemple, fort classique du reste, de monoplégie hystéro-traumatique Chez lui la paralysie est survenue à la suite d'un léger « tamponnement » ayant porté sur l'épaule droite. Vous voyez que la monoplégie ainsi produite, et qui date aujourd'hui de plus de six mois, est marquée encore, non seulement par une anes-thésie cutanée et profonde absolue, mais aussi, et c'est là le point que je veux relever surtout pour le moment, par une impuissance motrice totale avec flaccidité complète. Eh bien, Messieurs, je crois que si, chez Mouil..., une fracture des os du
1. Voir I'Appendice IV, p. 478.
membre paralysé se fût produite dans l'accident du tamponnement, et que l'application d'un bandage fût par là devenue nécessaire, nous aurions aujourd'hui sous les yeux, non pas une monoplégie avec flaccidité, mais bien une monoplégie avec contracture comparable à celle que nous observons chez Dum... Cette proposition peut être, vous allez le voir, justifiée en quelque sorte expérimentalement. Ainsi j'applique devant vous, sur l'avant-bras paralysé et flasque de Mouil..., quelques tours de la bande d'Esmarch et presque aussitôt vous voyez la contracture spasmodique se produire au poignet et aux doigts de la main. A la vérité, celte contracture se dissipe peu de temps après que la bande a été enlevée. Mais, fort de la connaissance des fails sur lesquels j'appellerai votre attention dans un instant, il me paraît légitime d'admettre que la contracture en question pourrait devenir durable, comme elle l'est chez Dura..., si l'application de la bande était plusieurs fois répétée, ou maintenue pendant longtemps.
Pour en revenir maintenant à Dum..., nous admettons donc que, chez lui, il a existé dans le membre paralysé une tendance à la contracture analogue à celle qui vient de se révéler chez Mouil... par l'application de la ligature, et que cette tendance s'est réalisée sous l'influence de la pression exercée par le bandage à fracture. En faveur de cette conclusion, nous pourrons invoquer encore que chez ce même Dum... la tendance à la contracture existe, à l'heure qu'il est, de la façon la plus manifeste, dans le membre inférieur gauche, c'est-à-dire du côté où se voit la contracture du membre supérieur. Vous constatez, en effet, que l'application de quelques tours de la bande d'Esmarch sur ce membre inférieur au-dessus du genou produit la rigidité de la jambe, et que la même application faite à quelques centimètres au-dessus du pied détermine la formation d'un véritable pied-bot équin. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner, après tout ce qui précède, que l'appli
cation prolongée du bandage à fracture ait pu, chez notre ma lade Dum..., déterminer la contracture musculaire durable que nous avons sous les yeux.
Ce développement d'une contracture spasmodique sous l'influence d'une compression circulaire exercée sur un membre, dont nous venons de vous présenter deux exemples, est assurément un fait fort curieux et qui mérite, tant par sa nouveauté que par l'importance qu'il peut acquérir au point de vue pratique, de fixer un moment l'attention. Déjà, depuis longtemps, nous avons insisté, dans diverses circonstances, sur l'existence fréquente chez les sujets hystériques de contractures survenant sous l'influence de causes traumatiques banales, ou encore se produisant artificiellement, même à l'état de veille, au gré de l'observateur, à l'aide de certaines manœuvres
Pour ce qui concerne ce dernier cas, c'est-à-dire les contractures artificiellement provoquées à l'état de veille, les nouvelles recherches que nous avons entreprises à cet égard, à propos du cas clinique que nous venons d'étudier, nous ont convaincu que c'est là un sujet qui n'a pas encore été suffisamment mis en relief et qui réclame de nouvelles recherches. Dès à présent, nous croyons pouvoir affirmer, après l'avoir recherchée sur un grand nombre de sujets, que la production artificielle de ces contractures est chose fréquente chez les hystériques des deux sexes, inconnue au contraire chez les sujets sains, et qu'on peut trouver là, par conséquent, un signe, un stigmate qui, au même titre que le rétrécissement du
1. Voir sur ce sujet : Charcot, De l'influence des lésions traumatiques sur le développement des phénomènes d'hystérie locale, in Leçons sur les Maladies du système nerveux, t. I, p. 449. Appendice, et, dans ce volume les 3s, 7" et 89 leçons. — Ch. Richet et Brissaud. Progrès médical, 8 mai 1880. — Paul Richer, Mémoire inédit présenté à l'Académie de médecine, 1883. (Prix Ci-vrieux.) — P. Descubes. Eludes sur les contractures provoquées chez les hystériques à l'état de veille, Thèse de Bordeaux, 1885.
champ visuel, l'hémianesthésie sensitive et sensorielle, etc., révélera, dans certains cas difficiles, l'existence de la diathèse hystérique. Les procédés que l'on peut employer pour déterminer ces contractures sont très divers ; nous nous bornerons à signaler ceux qui suivent : percussion répétée des tendons, tractions exercées sur les doigts, application d'un diapason en vibration soit sur les tendons, soit sur le corps des membres, faradisalion, etc. Mais de tous les moyens de ce genre, le plus efficace, le plus sûr, c'est incontestablement l'application circulaire de deux ou trois tours de la bande d'Esmarch ou d'un lien quelconque.
Avec le concours de mon interne, M. Berbès, l'application de la bande a été faite, dans le cours du dernier mois, sur un total de 70 sujets hystériques (43 femmes et 27 hommes), les uns actuellement en traitement, dans le service de la clinique, les autres fréquentant la consultation externe. Voici l'indication sommaire de quelques-uns des résultats les plus importants que nous avons obtenus dans cette série d'études 1 : L'existence d'une paralysie motrice sur le membre mis à l'épreuve n'est pas nécessaire pour que la contracture s'y produise ; chez les sujets hémianesthésiés, la contracture s'obtient le plus souvent exclusivement sur les membres du côté aneslhésié; elle peut se produire, toutefois, chez certains sujets également du côté resté sensible; en pareil cas, la contracture se montre toujours beaucoup plus prononcée et plus facile à provoquer du côté aneslhésié. Nous avons observé, sur un assez grand nombre d'individus, que la contracture provoquée est, dans un membre, dautant plus accentuée et dautant plus durable, après la cessation de la constriction, que
1. Voir, pour plus de détails sur ce sujet: P. Berbès. Sur la diathèse de contracture et en particulier sur la contracture produite sur les sujets hystériques (hommes et femmes), par l'application d'une ligature. (Progrés médical, n° 41,9 octobre 1886.)
Chakcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 27
l'expérience a été plus souvent répétée et plus longtemps prolongée. La rigidité so borne parfois au membre sur lequel la compression a été pratiquée et elle se limite aux parties du membre situées au-dessous de la ligature; mais, le plus souvent, elle s'étend au membre tout entier et, dans un certain nombre de cas, elle se répand sur fous les membres et même sur la face. Les circonstances qui viennent d'être relevées montrent bien, je crois, que la contracture dont il s'agit n'est pas la conséquence de l'ischémie produite dans le membre par l'application de la ligature ; il faut voir là, au contraire, sans aucun doute, le résultat d'une excitation périphérique entraînant la participation des centres nerveux, suivant le mécanisme des actes réflexes. Par ce côté, comme, du reste, par l'ensemble des caractères cliniques, la contracture provoquée chez les hystériques à l'état de veille ne diffère peut-être, vous le voyez, de la contracture provoquée dans la période léthargique du grand hypnotisme que par l'intensité des phénomènes, beaucoup plus grande, dans le dernier cas. D'ailleurs, les contractures provoquées des hystériques, comme celles des hypnotiques léthargiques, disparaissent en général très aisément, sous l'influence d'une pression légère portant sur les antagonistes des muscles dont l'action prédomine, ou encore par l'action d'une légère friction exercée sur lapeau du membre rigide. Il ne faudrait pas trop s'y fier cependant, et, pour ne parler que de la contracture des hystériques éveillées, il importe de ne pas oublier que la résolution en est d'autant plus difficilement obtenue que la ligature qui l'a produite a été maintenue plus longtemps. — Ce sont là, en somme, des expériences qu'il ne faut jamais entreprendre sans y mettre beaucoup de discrétion.
Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur ce sujet, qui offre d'ailleurs en soi assez d'importance pour mériter une étud» spéciale et approfondie.
Le troisième ou le quatrième jour qui suivit la leçon qu'on vient de lire, entraîné par un de ces caprices si communs chez les hystériques, même chez les mâles. Dum... voulut absolument quitter le service. Le jour même de sa sortie, le membre contracture fut soumis à un massage méthodique : sur les divers segments du membre, on pratiqua, à l'aide de la main enduite de glycérine, de légères frictions (frôlements), en même temps qu'à l'aide de tractions on cherchait à redresser
les doigts et à faire mouvoir le poignet, le coude, l'épaule. Cette opération qui dura environ dix minutes, avait provoqué d'abord des douleurs assez vives, au niveau de la face palmaire des doigts où l'anesthésie n'était pas complète ; mais elle avait été suivie en somme, d'un résultat très satisfaisant, car la contracture s'était très manifestement atténuée, les doigts s'étaient redressés et le malade était parvenu enfin à leur faire exécuter ainsi qu'à son poignet, à son coude, à son épaule, des mouvements assez étendus.
Le malade, je le répète, sortit de l'hôpital ce jour même et nous l'avons, depuis lors, perdu de vue pendant plusieurs mois. Nous l'avons revu ces jours-ci et il nous a appris que la contracture ayant reparu en partie, peu de jours après sa sortie, il s'était mis entre les mains d'un confrère de la ville qui l'a traité suivant la méthode du Dr Burcq. Il nous revient au
Fig. 82.
jourd'hui (16 octobre 1886) la main et les doigts chargés de plaques et anneaux de cuivre, qu'il n'a guère quittés, paraît-il, depuis l'époque où il nous a échappé. Voici quel est actuellement l'état du malade. Dans le membre supérieur gauche, la sensibilité a reparu; elle paraît même exaltée, surtout sur la face palmaire de la main où l'application d'un corps froid donne la sensation d'un corps chaud. La sensibilité profonde et le sens musculaire sont normaux. Partout ailleurs, la sensibilité générale ne présente plus aucune anomalie et pour ce qui est des sens spéciaux, on constate que le goût, l'ouïe, l'odorat sont aussi actifs, maintenant, à gauche qu'à droite et que le champ visuel gauche ne présente plus trace de rétrécissement concentrique. Sur tous les points l'amélioration est donc manifeste et j'ajouterai que les rudiments d'attaques ne se sont plus reproduits.
Il n'en est pas tout à fait de même pour ce qui est relatif aux mouvements du membre supérieur gauche. A la vérité, ceux de l'épaule, du coude et du poignet sont redevenus à peu près normaux, à peu près aussi étendus que les mouvements correspondants dans le membre opposé et c'est là, sans aucun doute, un résultat important. Mais les mouvements des doigts, assez énergiques dans la flexion (25 au dynamomètre; à droite 85), sont au contraire très limités dans l'extension. Et par suite, la main reste déformée ; tenus étendus, les doigts, en effet, forment avec la paume de la main, un angle de 90 degrés environ ; il est impossible de modifier notablement cet angle dans le sens de l'extension et toutes les tentatives qu'on fait pour l'ouvrir plus sont l'occasion de vives douleurs. A cet égard donc, la guérison est loin d'être complète et il est à craindre que la cause qui met obstacle à l'extension des doigts ne soit plus seulement la contracture spasmodique des muscles, mais bien, ainsi que nous l'avons quelquefois observé, entre autres, dans un cas fort analogue à celui qui
nous occupe la production du côté de la paume de la main, de tissu fibroïde rétracté dans le sens de la flexion. C'est là un point, du reste, qui ne pourrait être élucidé complètement que par l'emploi du chloroforme2.
1. Charcot, Œuvres complètes : Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, 1er fascicule, p. 123.
2. Le 18 octobre dernier, le malade a été soumis auv inhalations de chloroforme. Le sommeil a été aussi profond que possible; à aucune époque on n'a pu obtenir la résolution de la déformation des doigts qui vient d'être décrite. Evidemment, il ne s'agit plus là de contraction musculaire spasmodique. (J.M. G.)
VINGT-SIXIÈME LEÇON
Gas de mutisme hystérique chez l'homme1.
Sommaire. — Description du mutisme hystérique. — C'est un syndrome très bien caractérisé : aphonie, chuchottement impossible, aphasie motrice. — Conservation des mouvements généraux des lèvres, de la langue, etc. — L'intelligence n'est pas affectée, les malades ont conservé la faculté d'écrire couramment et de converser par signes. — Diagnostic du mutisme hystérique. Son importance dans certains cas. — Les simulateurs : il est généralement très facile de les dépister. ¦— Production expérimentale du syndrome mutisme hystérique, chez les hystériques hyp-notisables.
Messieurs,
C'est pour les opposer l'un à l'autre que je vous présente deux malades dont l'affection respective comporte un pronostic essentiellement opposé. Chez le premier, la guérison sera complète; elle est certaine, assurée; j'ajouterai que, suivant toute vraisemblance, elle surviendra brusquement, dans quelques jours, demain peut-être. Chez le second, au contraire, le verdict est le suivant: Prog?iosis pessima, exilus lethalis, et j'ajoute properatus; car il ne sera certainement pas sursis plus de trois à quatre mois à l'exécution de l'arrêt. C'est que ce dernier malade est sous le coup d'une lésion bulbaire organique, indélébile, à marche progressivement fatale, tandis
1. Leçon recueillie par M. Gilles de la Tourette. — M. le Dr Melotti a, de son côté, recueilli cette leçon qu'il a publiée dans la Gazetta degli Os-pedali, de Milan, VII, n°s 75 et 76.
que, chez l'autre, la lésion, vraisemblablement de siège cortical, est, en tout cas, d'ordre purement dynamique et de nature — l'expérience le démontre tous les jours, — essentiellement transitoire.
Cependant, Messieurs, les affections dont ils souffrent présentent entre elles quelques traits communs, sur certains points, même des ressemblances assez étroites, pour qu'un médecin inexpérimenté s'y puisse laisser prendre, peut-être; et cela, précisément, justifiera à vos yeux le rapprochement que j'en veux faire. Ce rapprochement, d'ailleurs, aura certainement un avantage, celui de nous permettre, à côté des points similaires, d'accentuer les contrastes et, partant, de mettre en pleine lumière les caractères cliniques distinctifs des deux ordres d'affections.
Sommairement, les traits communs sont les suivants : les deux malades sont placés, l'un dans l'impossibilité absolue, l'autre dans la presque impossibilité d'exprimer leur pensée par le langage articulé ; de plus, tous les deux sont aphones. L'aphonie du premier est absolue : à peine lui est-il possible d'émettre, et encore seulement à l'aide des plus grands efforts, un petit cri rauque. Le second peut encore faire entendre quelques petits grognements. J'ajouterai qu'ils ont l'un et l'autre conservé le langage mimé dans sa pleine intégrité ; on pourrait converser avec eux par signes ; mais la conversation sera singulièrement facilitée par l'intermédiaire de l'écriture. Non seulement, en effet, nos malades sont en pleine possession de leur intelligence et comprennent admirablement ce qu'on leur dit, mais de plus, ils peuvent très bien traduire leur pensée en écrivant, exactement comme ils le faisaient avant le développement de la maladie, c'est-à-dire dans un style et avec une orthographe en rapport avec l'éducation qu'ils ont reçue.
Tels sont, en gros, les traits de ressemblance ; quant aux
caractères dislinctifs, nous nous réservons de les faire ressortir ultérieurement.
Je m'occuperai d'abord du premier malade, celui qui doit être l'objet principal de cette leçon, le second n'ayant élé placé près de lui qu'à titre de repoussoir destiné à le mieux faire valoir. Eh bien, Messieurs, je dirai immédiatement qu'à mon avis, ce garçon, âgé de 33 ans, exerçant actuellement la profession de gazier, présente un exemple remarquable de ce que l'on désigne généralement sous le terme de mutisme hystérique. Mais, avant de rentrer de plain-pied dans l'exposé de son histoire et d'essayer de justifier mon diagnostic, je crois utile, pour rendre, notre démonstration plus aisée et plus profitable, de vous indiquer, en quelques mots, ce que nous savons de plus important sur cette singulière affection. C'est d'ailleurs là, je vous le rappelle, un sujet que nous avons déjà traité, en décembre dernier, et M. le Dr Cartaz, qui veut bien nous apporter son aide pour les examens Jaryngoscopiques, a fait connaître la substance de mes leçons d'alors, en y ajoutant quelques traits personnels, dans un mémoire intéressant1, fondé sur une vingtaine d'observations dont six nous appartiennent.
Le mutisme hystérique n'est pas une affection extrêmement rare ; il en a été souvent parlé, et vous le trouverez signalé dans tous les écrits consacrés à l'hystérie. Cependant, je ne crois pas que la caractéristique de ce syndrome eût été suffisamment isolée jusqu'au jour où ont été délivrées les leçons auxquelles je faisais allusion tout à l'heure. Aussi, les détails dans lesquels je vais entrer, présenteront-ils, peut-être, pour quelques-uns d'entre vous, l'attrait de la nouveauté.
Donc, Messieurs, voici l'énuméralion des grands caractères qui, suivant moi, distinguent le mutisme hystérique et en font
1. Voir I'Appendice V, p. 483.
un groupe clinique vraiment autonome, original, reconnais-sablé entre tous. Les choses se passent ainsi que je vais le dire, en m'appnyant tant sur les faits que j'ai observés que sur ceux publiés déjà ; c'est matière d'histoire naturelle.
Dans la grande majorité des cas, le mutisme hystérique débute soudainement. Il survient à la suite d'une frayeur, d'une émotion vive, de nature quelconque ; on le voit se produire parfois, au sortir d'une attaque hystérique ; ou bien encore, sans cause provocatrice apparente, dans le cours de l'aphonie hystérique.Enfin, il peut se développer, pendant le cours d'une laryngite vulgaire.
Sa durée est extrêmement variable; tantôt de quelques heures, de quelques jours à peine — chez notre malade, il existe depuis trois semaines ; — on l'a vu s'étendre à des mois, et des années même.
La guérison est constante, et la disparition du mutisme est le plus souvent aussi soudaine qu'en avait été l'apparition. Elle survient donc brusquement, et, comme devant, à la suite d'une vive émotion. Les récidives sont fréquentes.
Telle est, du moins, la règle ; mais, à côté de celle-ci, s'ouvre le chapitre des exceptions. C'est ainsi que, dans certains cas, le malade peut parfaitement ne pas récupérer d'emblée et entière la faculté qu'il avait perdue. Il lui sera possible de chuchotter, de parler à voix basse, mais il restera aphone ; il ne pourra s'exprimer à haute voix, tout au -moins pendant quelque temps encore. Parfois — ce qui est peut-être plus fréquent, — avant de rentrer en complète possession de l'état normal, il traversera une période où se montre un bégaye-ment particulier, consistant dans la répétition fréquente d'une même syllabe et apparent surtout lorsque le mot dont elle fait partie est d'une certaine longueur.
J'arrive à l'exposé des éléments constitutifs du syndrome. Bien que le malade ait conservé l'exécution intégrale des mouvements vulgaires de la langue et des lèvres, qu'il puisse mouvoir ces organes avec agilité dans toutes les directions, de façon à souffler, siffler comme dans l'état normal, il lui est désormais impossible d'articuler un mot, même à voix basse, de chuchotter, autrement dit, et, qui plus est, môme en y apportant la plus grande attention, d'imiter les mouvements dar-ticulation qu'il voit faire devant lui. Le malade est donc muet, dans l'acception la plus rigoureuse du mot, en ce sens qu'il ne peut proférer aucune parole. J'ajoulerai qu'il est plus que ¦muet, car, tandis qu'il est possible au sourd-muet de pousser des cris môme violents, le muet hystérique — remarquez bien ce caractère singulier — est aphone, le plus souvent d'une façon absolue, au point de ne pouvoir, comme cela se voit chez notre sujet, émettre qu'avec la plus grande difficulté le petit cri rauque que vous entendrez dans un instant.
N'est-ce pas déjà là, Messieurs, une association de symptômes bien remarquable? Certains s'arrêteront peut-être un instant à l'idée, qu'en pareil cas, le mutisme est une conséquence naturelle de l'aphonie poussée au plus haut point. Le malade est muet parce qu'il n'a pas de voix, parce que le larynx, les cordes vocales rf entrent pas en vibration. Toutefois, avec un peu de réflexion, vous reconnaîtrez vile avec moi que cette hypothèse couvrirait une erreur profonde. Les hystériques simplement aphones — leur nombre est grand — sont, il est vrai, dans l'impossibilité d'émettre des sons élevés, mais ils se font parfaitement comprendre en chuchottant et en parlant, comme on dit, « à voix basse ».
Le chuchottement, Messieurs, n'estpas autrechose qu'un langage parlé et articulé. Ce phénomène est, remarquez-le bien, indépendant, d'une manière absolue, de la voix laryngée : ce
fait a été démontré expérimentalement, de la façon la plus pé-remptoire, dans le laboratoire de M. Marey, en 1876, et d'un autre côté, en 1879, par M. Boudet, de Paris. Ces auteurs ont parfaitement établi, en s'aidant de la méthode graphique, que, dans le chuchottement, le larynx n'intervient pas, les cordes vocales n'entrant pas en vibration. L'air traverse alors le larynx comme il traverse la trachée ; il passe dans un tube inerte, voilà tout.
C'est ici que se révèle, peut-être surtout, le caractère vraiment spécial du mutisme hystérique. Si l'individu qui en est affecté ne peut chuchotter, ce n'est pas, bien entendu, parce qu'il est aphone, ou mieux, parce que son larynx ne vibre pas ; ce n'est pas parce qu'il a perdu les mouvements vulgaires de la langue et des lèvres — vous avez pu voir que notre malade pouvait parfaitement souffler et siffler, — c'est parce qu'il lui manque désormais la possibilité d'exécuter les mouvements propres, spécialisés, pour l'articulation des mots ; il est privé, en d'autres termes, des représentations motrices nécessaires pour la mise en jeu du mécanisme de la parole articulée.
Il s'agit donc là, en définitive, d'une aphasie motrice, et j'ajoute, purement motrice ; espèce rare, très rare dans le domaine de l'aphasie vulgaire, organique, à laquelle se trouvent le plus souvent associés, en proportions diverses, d'autres troubles du langage intérieur, tels que cécité et surdité verbales, ou encore l'agraphie ; enfin, un amoindrissement intellectuel plus ou moins prononcé. Nous allons voir que notre muet hystérique ne rentre nullement dans cette dernière catégorie. Je vous ferai en plus remarquer — caractère pratique de la plus haute importance — que, dans l'aphasie motrice organique, même la plus complète, le malade pousse des cris, émet à haute voix quelques syllabes, prononce quelques mois même, à la vérité souvent mal appropriés, mais parfaitement distincts.
D'un aulre côté, dans la paralysie labio-glosso-laryngée en général, jusque dans sa dernière période — celle dont notre deuxième malade offre un exemple complet, — bien qu'existe la paralysie des mouvements généraux des lèvres, de la langue, du larynx, l'exécution de la voix et l'articulation des mots, quoique faibles et au dernier terme presque indistincts, se retrouvent encore au moment de l'issue fatale. J'insiste à nouveau sur ces caractères, parce que, dans le mutisme hystérique, je le répète, le malade est muet, parfaitement muet, en même temps qu'il est sans voix.
Maintenant, voici d'autres signes également caractéristiques. Non seulement le muet hystérique a conservé toutes les ressources de son intelligence, non seulement il est apte à s'assimiler tout ce qui lui est transmis par l'ouïe ou par la vue, mais, en outre, il possède encore, ainsi que je le disais au commencement de cette leçon, la possibilité de se faire comprendre par la mimique et de communiquer sa pensée à l'aide de l'écriture. Tous ces phénomènes pourraient se rencontrer, sans doute, dans un cas de paralysie labio-glosso-laryngée, d'origine bulbaire — et, à cet égard, ce n'est pas sur cette base que s'établirait la distinction entre les deux affections ; — mais, dans l'aphasie organique, la symptomatologie ne revêt pas, vous allez le reconnaître, tout à fait le même caractère.
Tous savez combien sont rares, dans le domaine organique, les cas d'aphasie motrice pure, sans complication. A la perte des représentations motrices du langage articulé, s'ajoutent, en pareil ca, je viens de le dire, d'une façon générale et dans des proportions variables, d'autres troubles du langage intérieur. L'aphasique ne sait plus lire ou ne lit qu'avec difficulté ; il ne comprend pas ou comprend mal ce qu'on lui dit à l'oreille, bien qu'il ne soit pas sourd et qu'il ait conservé je suppose, son intelligence. Mais en admettant même qu'il n'existe aucune de ces complications, il aura généralement perdu, en grande
partie, tout au moins, la faculté de se faire comprendre par les gestes. Rappelez-vous combien il est difficile de converser de cette façon avec les aphasiques de ce genre. Très vraisemblablement, en outre, il ne saura plus écrire, car vous n'ignorez pas que les aphasiques par lésion organique qui écrivent sont véritablement rares et, habituellement, chez ces individus, l'acte d'écrire, s'il persiste à un certain degré, est lent, difficile, très imparfait.
Tout autre est le mue' hystérique ; il n'a rien, absolument rien perdu de son éducation antérieure et de son intelligence, non plus que sa faculté d'écrire. Sollicité par les questions de l'interlocuteur, il se saisit avec un empressement singulier, d'une plume, d'un crayon, qui vont lui permettre enfin d'exprimer nettement sa pensée. Il se produit là, en pareil cas, de la part du malade, une mimique saisissante au plus haut point, et qui, jointe à la constatation très facile de la perte de la voix et du langage articulé, permet presque de reconnaître le mutisme hystérique, pour ainsi dire, du premier coup, et sans plus long examen.
Je raconte souvent, à ce propos, l'histoire d'un jeune espagnol dont vous trouverez l'observation in extenso dans le mémoire de M. Cartaz. On me le présenta comme atteint, depuis plus d'une année, d'épilepsie syphilitique. Naturellement, il avait été traité comme tel. De plus, on ajoutait que souvent, à la suite de ses attaques, il restait aphasique pendant plusieurs jours. Lorsque je le vis, il était justement en proie à l'un de ces accès de prétendue aphasie. J'abordai le malade, et il me fit signe, en portant la main à sa gorge — geste ordinaire des muets hystériques en pareille occurrence, — qu'il lui était impossible d'articuler un seul mot. « Parlez à voix basse, lui dis-je » ; à peine put-il esquisser avec les lèvres quelques mouvements silencieux d'articulation. — « Criez, lui dis-je enfin ; » il ne put émettre aucun son. Entre temps, j'avais pu
rapidement constater qu'il était possible au malade de tirer la langue, souffler et siffler comme dans les conditions normales.
Sur ces entrefaites, poussé et impatienté par mes questions mon jeune espagnol s'était emparé d'une plume et me donnait par écrit, avec une promptitude remarquable, quelques détails de son histoire, aussi clairement qu'il m'était possible de le désirer, bien qu'il écrivit en français et non dans sa langue maternelle.
Mon diagnostic était fixé, et depuis quelque temps déjà: « C'est un hystérique », dis-je à mon confrère étonné et qui trouvait ma proposition imprudente, probablement parce qu'il la jugeait trop précitée.
L'examen ultérieur vint la confirmer. Il existait chez ce jeune sujet une hémianesthésie avec tremblement choréiforme du côté gauche ; un rétrécissement du champ visuel et de l'obnubilalion de l'ouïe du même côté ; de l'anetsthésie du pharynx ; en un mot, toute une série de stigmates qui ne laissaient aucun doute sur l'existence d'un fonds hystérique nettement formulé. J'ajouterai que la description de l'attaque qui nous fut alors donnée était vraiment caractéristique. C'était bien de l'hystéro-épilepsie et non de l'épilepsie vraie, ou encore de l'épilepsie symptomatique qu'il s'agissait, et, une étude plus attentive des antécédents, nous permit de reconnaître que la syphilis n'avait jamais existé que dans l'imagination du malade et dans celle du médecin consultant. Les événements qui se sont produits par la suite établirent péremptoirement que l'on était en présence de phénomènes hystériques et pas d'autre chose.
Me fondant sur les considérations précédemment annoncées et sur ce que m'a appris, sur ce sujet, une expérience déjà longue, je me crois autorisé à affirmer, Messieurs, que le syndrome mutisme hystérique est, par lui-même, assez carac
térisé, assez original pour pouvoir être reconnu pour ce qu'il est, même en l'absence de tous renseignements fournis par les phénomènes concomitants. Aussi, lorsque ses traits seront bien gravés dans votre esprit, serez-vous mis à même, à votre tour, d'arriver à ces diagnostics rapides qui, en somme, ne sauraient être considérés comme des tours de force que par les personnes non initiées.
Il est clair, néanmoins, que l'observation resterait incomplète si l'examen du malade n'était pas poussée plus loin. Or, c'est bien rarement que font défaut ces phénomènes permanents de l'hystérie que, pour plus de brièveté, nous appelons stigmates, sans compter les attaques, qui, elles aussi, existent habituellement: rétrécissement du champ visuel, hémianes-thesie simple ou double, troubles sensoriels divers, anesthésie pharyngée, voilà les phénomènes dont vous devrez soigneusement rechercher l'existence. Leur présence contribuera singulièrement à affirmer votre diagnostic. J'y ajoute la contracture d'un membre provoquée expérimentalement par l'application d'un lien circulaire : c'est un nouveau stigmate que de récentes recherches nous ont permis de déterminer, et dont la fréquence, chez l'homme comme chez la femme, est beaucoup plus grande qu'on ne le pourrait supposer *.
Il ne faut pas oublier toutefois que, si l'affection hystérique chez un sujet donné se montre le plus souvent polymorphe, elle peut se trouver par contre réduite à un seul élément symp-tomatique. Il en est ainsi du syndrome mutisme hystérique ; il se rencontre quelquefois parfaitement isolé, seul témoin de la maladie, et c'est là justement ce qui se voit chez le malade que nous avons sous les yeux.
Il y a là, vous le comprenez bien, Messieurs, une raison de plus pour attacher une grande importance à la notion exacte
1. Voir la précédente leçon.
de chacun de ces syndromes pris en particulier, car, en définitive, leur connaissance seule nous donnera la possibilité de dépis 1er l'affection, lorsqu'elle est ainsi réduite à sa plus simple expression. Heureusement que l'histoire naturelle des symptômes offre ici, en règle générale, des éléments d'appréciation suffisamment caractéristiques pour permettre de décider, même dans ces conditions relativement défavorables, et j'ajouterai, sans grandes chances d'erreur.
Si j'insiste encore une fois sur ce fait clinique, c'est parce que les muets hystériques, plus encore peut-être que les individus atteints des autres manifestations de la névrose, sont, la plupart du temps, je ne sais trop pourquoi, considérés comme des simulateurs. Et, cependant, je suis forcé de dire et de redire, qu'à mon avis, l'idée de simulation n'est que trop souvent fondée, en pareil cas, sur l'ignorance du médecin. Cela n'a peut-être pas une importance pratique capitale quand il s'agit d'une pure question de diagnostic, en ville ou à l'hôpital ; on peut alors faire fausse route sans qu'il en résulte pour le malade de bien grands inconvénients.
Mais, il n'en serait pas de même dans l'armée, par exemple, ou encore chez les individus en prévention judiciaire. L'entêtement dans des idées de simulation, insuffisamment motivées, pourrait conduire à commettre ici des injustices criantes : à employer, je le suppose, des moyens quelque peu barbares, comme par exemple, la faradisation à toute volée du larynx qui, vous le savez, n'est pas, tant s'en faut, sans danger. Aussi est-il de mon devoir de vous faire remarquer que, dans la circonstance, la simulation est peut-être plus facile à dépister qu'on ne le croit généralement. Peu de simulateurs, on en conviendra, seraient de force à réunir et à exhiber, dans un but de supercherie, tous les symptômes que nous a révélés l'histoire naturelle du mutisme hystérique, sans rien retran-
cher, sans rien ajouter de leur propre cru à cette symptoma-tologie si complexe et si spéciale à la fois.
En général, Messieurs, peut-être pourrait-on dire forcément, le simulateur est un fantaisiste. Il imagine volontiers, il brode et exécute des fioritures. Rappelez-vous la consultation donnée par Sganarelle à Lucinde, laquelle peut être considérée comme une parfaite simulatrice.
Sganarelle.—.....Qu'avez-vous ? Quel est le mal que vous
sentez ?
Lucinde (répond par signes en portant sa main à sa bouche, à sa tète et sous so?i menton). — Han, hi, hon, han. Sganarelle. — Hé ! que dites-vous?
Lucinde, continuant les mêmes gestes. — Han, hi, hon, han, han, hi, hon l.
Sganarelle. — Quoi ? Lucinde. — Han, hi, hon.
Eh bien, Messieurs, ces han, hi, hon, han, sont évidemment de trop et révèlent la simulation. Le muet légitime reste silencieux, je vous l'ai dit, et, s'il porte souvent la main à sa gorge pour montrer que là est, suivant lui, l'obstacle, il ne la place pas, que je sache, sur sa tête ou sur sa bouche. C'est, je le crois, par des considérations de ce genre que la simulation se démasquera souvent d'elle-même.
Il ne faut pas oublier surtout, Messieurs, que, dans de certaines circonstances, la simulation peut paraître très vraisemblable, alors qu'un examen plus attentif montre qu'il s'agit, en réalité, de symptômes parfaitement légitimes.
Tel est le cas suivant que j'ai eu l'occasion d'observer à la prison de Saint-Lazare, grâce à l'obligeance de mon collègue, M. le Pr Brouardel.
Hélène G..., jeune détenue de 24 ans emiron, avait adressé
i. Le Médecin malgré lui, scène VI. Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 28
à un prêtre, dont elle croyait avoir eu à se plaindre, le cadavre d'un enfant nouveau-né bien enveloppé et placé dans un panier. Le colis postal, étiqueté fromage, arriva juste au moment où le curé recevait des amis. Près du cadavre se trouvait un billet ainsi conçu : « Priez pour celle que vous avez perdue. ».... Voilà bien un délit d'hystérique !
Arrêtée à quelque temps de là, Hélène G... perdit subitement la parole, après le premier interrogatoire. Cette fois, direz-vous, le mutisme était évidemment simulé. Eh bien, non, Messieurs, il n'en est rien, à mon avis, et telle est aussi l'opinion, si prépondérante, en pareille matière, de mon collègue M. le Pr Brouardel. Voici mon argument: L'histoire naturelle du mutisme hystérique, encore peu connue aujourd'hui, est parfaitement respectée par l'inculpée. Hélène G... est muette et aphone ; elle ne profère pas le moindre bruit, même quand par surprise on l'excite à rire. Pas le moindre grognement, pas le moindre hin, hi, hon, han, pas le moindre geste hors de saison. Le début a été subit. Les stigmates hystériques sont, d'ailleurs, des plus prononcés et de telle nature que la-simulation en est impossible; aneslhésie totale, complète; anesthésie du pharynx ; rétrécissement du champ visuel, etc., etc.
Enfin, et voici qui, dans l'espèce, est absolument péremp-toire : ainsi que le font les muets hystériques, la malade écrit vite et correctement et c'est de cette façon qu'elle a pu communiquer avec le juge dinstruction et avouer son crime, tout au moins en grande partie. Une simulatrice, sans aucun doute, eût poussé les choses jusqu'au bout, elle eût cessé d'écrire, et, je le répète, dans le cas actuel il n'en fut absolument rien. L'autopsie du cadavre de l'enfant n'ayant pas démontré que celui-ci avait vécu, Hélène G... fut condamnée pour délit de suppression d enfant à trois ans de prison.
Mais, il est temps, je crois, d'en arriver à la démonstration de notre cas. Elle pourra, je pense, être faite rapidement, après les préliminaires dans lesquels nous venons d'entrer.
Notre malade, vous ai-je dit, est âgé de 33 ans. Après avoir exercé toutes sortes de métiers, il est aujourd'hui au service de la Compagnie du Gaz. L'hérédité nerveuse ne semble pas exister chez lui. Pas de maladies antérieures dignes d'être notées; toutefois, j'insiste sur ce fait que, pendant une période de six ans, de 24 à 30 ans, il a eu des attaques qu'il fait connaître à l'aide d'une description et d'une mimique des plus caractéristiques. On y retrouve l'aura, Tare de cercle, les grands mouvements ; le malade assure qu'il ne perdait pas connaissance. Cependant, plusieurs années auparavant, étant âgé de 20 ans, à la suite d'un grand bruit qui lui avait occasionné une violente terreur, il aurait perdu momentanément l'usage de ses sens. Il se marie, il y a trois ans, et les attaques cessent. Sans cause connue, autre qu'une laryngite accompagnée d'aphonie, il devint peu de temps après subitement muet. Entré dans le service de M. Rigal, il guérit au bout de quelques semaines, subitement, par l'application du miroir laryngoscopique. C'est il y a trois semaines que, à la suite de la même cause, à savoir : une laryngite de quelques heures de durée, le mutisme se reproduisit.
Vous voyez que notre malade présente tous les caractères classiques du mutisme hystérique tel que nous l'avons décrit. Je lui ordonne de crier, de parler, de chuchoter, il ne peut absolument rien faire de tout cela, et quand on insiste, il se sert du geste caractéristique de porter la main à sa gorge comme pour nous dire que là est son mal. Pourtant, il meut parfaitement sa langue et ses lèvres dans tous les sens. De même il peut écrire et traduire ainsi très convenablement sa pensée, à
la vérité, dans un style qui se ressent forcément de son éducation fort incomplète.
Dans le cas actuel, en dehors des caractères spéciaux du mutisme, les crises antérieures sont les seuls symptômes que nous puissions invoquer en faveur de l'hystérie, car notre malade est indemne de tous stigmates. Le mutisme se présente donc ici à titre d'accident hystérique solitaire, monosympto-matique, et cependant, nous n'hésiterons pas un seul instant, pour les raisons que nous avons fait, je l'espère, suffisamment ressortir, à le considérer comme parfaitement légitime.
J'en viens à notre second malade. Je laisse de côté l'âge de 72 ans, car la maladie bulbaire eût pu se développer vingt ans plus tôt, etnous connaissons des hystériques hommes de 40 ans et plus. Mais, j'insisterai sur le début lent et progressif de cette difficulté de la parole : s'il ne peut parler, ce malade crie encore, tout au moins. Il y a paralysie et atrophie de la langue ; sa bouche est élargie, ses lèvres pendent et donnent à sa physionomie un air pleurard. Malgré cela, l'articulation des mots n'est pas complètement perdue ; il peut encore, difficilement à la vérité — mais il le peut, — prononcer des paroles indistinctes. Chez lui, ce n'est pas la perte de la mémoire des mouvements d'articulation qui existe, ce n'est pas l'aphasie motrice qui est en scène, mais bien Y anarlhrie, conséquence de la paralysie des mouvements généraux de la langue et des lèvres.
J'ajouterai que le malade laisse involontairement échapper sa salive ; que la déglutition est très difficile ; que quand il boit, le liquide sort par le nez ; qu'enfin, la nuit, il a des accès de suffocation.
Vous voyez, Messieurs, après ce parallèle, qu'entre nos
deux malades, il n'existe, en somme, que des ressemblances grossières, et bien que le second, comme le premier, présente un contraste entre la faculté d'écrire facilement qui lui reste et l'impossibilité de se faire entendre par l'articulation, il est bon de relever que ce dernier phénomène n'est pas, dans les deux cas, de même ordre et reconnaît, au contraire, un mécanisme tout à fait différent.
Je terminerai celte leçon par une démonstration expérimentale, en vous présentant deux cas de mutisme artificiellement provoqués chez deux hystériques hypnolisables. Avant l'épreuve qu'elles ont subies, ces deux femmes n'avaient jamais été en rapport avec des muets hystériques, alors qu'elles fréquentaient journellement, au contraire, des malades atteintes d'anarlhrie, par paralysie labio-glosso-laryngée. Cependant, vous reconnaîtrez sans peine, chez elles, des caractères identiques à ceux que nous relevions tout à l'heure dans le mutisme hystérique spontané. Elles aussi ne peuvent ni crier, ni articuler une parole, ni même chuchoter ; et pourtant, les mouvements généraux de la langue et des lèvres sont indemnes de cette perturbation ; elles continuent à pouvoir s'exprimer par l'écriture et la mimique; leur intelligence est restée complète.
Je vous les présente éveillées mais encore muettes, et je dois vous dire maintenant comment on peut produire artificiellement ce phénomène du mutisme. La malade étant plongée dans la période somnambulique de l'hypnotisme, vous commencez par causer quelques instants avec elle ; puis, vous approchant d'elle de plus en plus, vous faites mine de ne plus ni l'entendre ni la comprendre. Elle fait alors effort pour parler plus haut, mais vous continuez le même jeu et ne paraissez pas comprendre davantage qu'auparavant. Il arrive alors que la voix du sujet baisse progressivement. L'aphonie au dernier
terme est complète ainsi que l'impossibilité d'articuler. Ce mutisme artificiel, obtenu pendant la période somnambulique, persiste, comme vous voyez, à l'état de veille. Je n'oserais pas le laisser se prolonger trop, car j'ai remarqué depuis longtemps que les accidents hystériques artificiellement produits dans rhypnolisme sont d'autant plus difficiles à faire disparaître à l'état éveillé, qu'on les a laissés persister plus longtemps
Messieurs, la possibilité de faire naître artificiellement le syndrome mutisme hystérique, par voie de suggestion, nous paraît désigner suffisamment Je point de départ de tous les phénomènes, comme aussi elle fait soupçonner du même coup le mécanisme de leur développement ; c'est dans l'é-corce grise des hémisphères cérébraux — je crois pouvoir l'admettre sans m'avancer trop, — qu'il faut chercher la lésion dynamique d'où dérivent les symptômes dont il s'agit et le mécanisme qu'il convient d'invoquer ici n'est autre que celui qui, suivant nous, rend compte de la production des paralysies dites psychiques ou mentales, si vous l'aimez mieux.
Cette théorie, aujourd'hui fondée sur un nombre considérable de faits et d'expériences, est applicable, vous le savez, à beaucoup d'affections hystériques, particulièrement à celles qui naissent sous l'influence d'une cause occasionnelle, telle qu'une violente émotion, un traumatisme, etc. C'est là un sujet qui nous a occupé maintes fois, dans plusieurs de nos précédentes leçons, auxquelles je renverrai ceux d'entre vous qui voudraient acquérir, à cet égard, de plus amples informations 2.
1. Le malade hystérique qui avait assistée une partie de la leçon paraît avoir été vivement impressionné par tout ce qu'il y a entendu dire. Le lendemain matin, peu de temps après son réveil, il retrouva subitement la parole.
i. Voir, en particulier, les Laçons XXI et XXII.
APPENDICE
I.
Deux nouveaux cas de paralysie hystéro-traumatique chez l'homme, fragments d'une leçon de M. Cuarcot (1886), recueillis par MM. Babinski et Berbèz.
(Voir les Leçons XX, XXI et XXII.)
1° cas de paralysie rystéro-traumatique survenue a la suite d'un accident de voiture '.
Le nommé Le Log..., né dans un petit village de Bretagne, est âgé de 29 ans , une de ses cousines germaines a été atteinte d'épi-lepsie (chute, cri, morsure de la langue, etc.), une de ses sœurs, morte dernièrement de fièvre typhoïde, avait eu des attaques de nerfs.
Lui a été atteint d'une fièvre typhoïde, à la suite de laquelle il est resté aphone, pendant plusieurs mois.
Il est venu à Paris, à l'âge de 12 ans, sachant à peine le français ; aujourd'hui il sait lire, mais à peine écrire. Les gens qui le connaissent font l'éloge de son caractère ; il s'est montré plusieurs fois bon et secourable. C'est un garçon rangé, nullement triste, non alcoolique. Il exerçait la profession de garçon de cuisine et, dans ces derniers temps, faute d'ouvrage, il était entré au service d'une marchande de verdure, aux halles. Son occupation consistait à vendre le matin aux halles, et, dans l'après-midi, tous les deux ou trois jours, il allait à Saint-Cloud, chez un fournisseur, chercher delà verdure qu'il rapportait à l'aide d'une petite voiture à
1. Observation recueillie par M. Berbèz, interne du service
bras à laquelle il s'altelail, tandis que le fils de sa patronne, jeune Gonr..., l'aidait en poussant par derrière.
C'est en revenant de Saint-Cloud, dans ces conditions-là, que le 21 octobre 1885, vers 6 heures du soir, survint l'accident qui l'a mis dans l'état où. nous le voyons aujourd'hui. Ce soir-là, sur le eours la Reine, Le Log... suivait, traînant sa voiture, la voie d'aller du tramway entre la voie de retour et le trottoir qui longe la Seine ; il faisait à peu près nuit. Il était parvenu à la hauteur du pont des Invalides, lorsque tout à coup vint fondre sur lui, courant à fond de train, une lourde voiture de blanchisseur très chargée, conduite par des gens ivres. La roue de la voiture à bras fut accrochée et Le Log... violemment projeté sur le trottoir d'où il a été relevé absolument sans connaissance. Le cheval de la voiture du blanchisseur n'a pas touché Le Log... et les roues de cette voiture ne lui ont pas passé sur le corps. Il ne portait pas de plaie apparente ; il n'y a pas eu de sang répandu. Placé dans sa propre voiture à bras, Le Log... fut conduit chez un pharmacien d'abord, où il est resté environ 20 minutes, et, de là, toujours sans connaissance à l'hôpital Beaujon.
Les détails qui précédent ont été donnés par le jeune Conr..., et confirmés d'ailleurs par un nommé L..., gardien de la paix du poste du palais de l'Industrie, présent au moment où l'accident est survenu. Ce récit est bien différent de celui que donne Le Log... lui-même, quand on l'interroge à ce sujet. // s'est fait sur la façon dont l'accident a eu lieu une légende à laquelle il croit fermement et dont toutes les circonstances se présentent de temps en temps dans ses rêves. La voilure du blanchisseur arrive de loin avec un grand fracas ; le cheval fond droit sur lui et lui donne de la tête dans la poitrine. Il tombe, sent sa tête heurter le sol et enfin, la lourde voiture lui passe sur le corps, au niveau de la partie supérieure des cuisses. — En général, à ce moment du rêve, le malade se réveille en sursaut et poussant des cris. A l'Hôtel-Dieu et ici même, à la Salpêtrière, on l'a plusieurs fois entendu s'écrier : « Arrêtez, ne fouettez pas le cheval, il va m'écraser. »
En réalité, le malade a complètement perdu la mémoire ds tout ce qui s'est passé au moment de l'accident, sur le cours la
Reine. Il est très vraisemblable qu'il a éprouvé là une commotion cérébrale intense, suivie de cette forme d'amnésie que MM. Ribot et Azam ont décrite sous le nom d'amnésie traumatique rétrograde.
Quoi qu'il en soit, il fut donc transporté à Beaujon où il resta pendant 5 ou 6 jours sans connaissance ; des sangsues, des sina-pismes ont été appliqués ; un sac de glace a été maintenu sur sa tête. Revenu à lui, il se montra fort surpris de se voir à l'hôpital; il ne se souvenait absolument de rien de ce qui s'était passé. Ce n'est que plus tard, après les avoir entendu raconter autour de lui, il l'avoue lui-même, que les circonstances de l'accident telles qu'il les raconte se sont présentées à son esprit.
Plusieurs faits relatifs à son séjour à Beaujon méritent d'être signalés : 1° Il sentait ses membres inférieurs comme morts : il ne pouvait d'abord les élever au-dessus du lit qu'en les soulevant à l'aide de ses mains. Au bout de quelques jours cependant, il put quitter le lit et sortir de l'hôpital pour se rendre chez lui en partie à pied ; 2° Il portait de grandes taches noires (ecchymoses) sur la hanche et sur l'aine droite, ainsi que sur l'abdomen ; 3° Il souffrait de la tête comme il en souffre encore aujourd'hui.
Au sortir de Beaujon, il resta huit jours couché dans son hôtel. Là apparaissaient les épistaxis abondantes qu'il n'a pu arrêter qu'en se tamponnant à l'aide d'un chiffon et qui se sont depuis reproduites plusieurs fois.
Etant sorti de chez lui pour aller voir des amis, il fut pris chez eux d'une grande attaque, précédée d'une sensation de boule remontant au cou, et dans laquelle il y eut perte de connaissance. Il fut alors placé sur un brancard et conduit à l'Hôtel-Dieu.
Il fut placé là sous la direction de M. le Dr Capitan, chef de clinique de la Faculté qui nous a donné les renseignements suivants concernant l'état de Le Log..., pendant le séjour de deux mois qu'il ht à l'Hôtel-Dieu. Durant la première semaine, le malade n'a pas cessé d'être plongé dans le coma. A son réveil, il a présenté, pendant deux jours, tous les caractères du mutisme hystérique. Epis-taxis fréquentes, plusieurs tamponnements. L'impuissance motrice des membres inférieurs, d'abord imparfaite, est devenue peu à peu complète.
M. Capitan a bien voulu, le 25 mars, nous adresser le malade. Voici les symptômes permanenls-que nous avons observés chez lui, en dehors des c?nses qui seront tout à l'heure décrites.
Le malade est couché dans le décubitus dorsal, prostré, silencieux, comme absorbé, ne répondant que lentement et comme à contre-cœur aux questions qu'on lui adresse. Du jour, au lendemain, il varie dans son récit ; évidemment la mémoire est assez profondément altérée et l'intelligence déprimée. La physionomie d'ailleurs exprime la tristesse, l'hébétude, la stupeur même par moments, d'ailleurs, pas d'embarras de la parole.
11 se plaint d'une céphalée gravative et, quand on lui touche légèrement la tête et qu'on frôle le cuir chevelu, il paraît vivement souffrir. Il dit avoir la nuit des flammes devant les yeux, des rêves fatigants, et, en tout temps, des battements dans les tempes et des bruissements d'oreilles.
En examinant la face, on remarque que la commissure labiale gauche est élevée et de ce côté la bouche entr'ouverte. Cela avait fait penser d'abord qu'il y avait là, à droite, paralysie du facial inférieur. Mais avec plus d'attention on reconnaît qu'il s'agit d'un spasme dans le domaine du facial gauche, se traduisant par des secousses tantôt lentes, tantôt précipitées, dont la commissure labiale de ce côté est le siège. — La langue, tirée hors de la bouche, n'est pas déviée.
Le malade est maigre ; son pouls plutôt lent et faible. La peau des extrémités est chaude et habituellement couverte de sueur. La transpiration sur ces parties est même, par moments, extrêmement abondante. La langue est naturelle, la température centrale normale. Le malade mange peu, mais il mange.
Les membres supérieurs ne présentent aucune trace de paralysie, ni d'insensibilité, seulement la force dynamométrique des mains est assez faible : à droite 40°, à gauche 35°. On remarque que les mains présentent un léger tremblement qui s'accentue notablement quand le malade porte un verre à sa bouche.
Mais c'est l'état des membres inférieurs qui réclame surtout une mention spéciale. Les mouvements volontaires y sont tellement affaiblis que Le Log... peut à peine les détacher du plan du
lit. Une résiste que très peu aux mouvements de flexion et d'extension qu'on lui imprime, au niveau des diverses jointures; mais
Fig'. — Ch mp visuo Je Le Log..
certainement il n'y a point de flaccidité des membres ; ils ne retombent pas lourdement, comme des masses inertes, quand, après les avoir un instant soulevés, on les abandonne à eux
mêmes. La station debout est possible, le sujet étant soutenu par deux aides, mais il oscille et menace de choir quand on lui dit de fermer les yeux ; impossible, du reste, de faire un pas en avant ; malgré tous les efforts qu'il fait, les pieds restent littéralement fixés sur le sol. Si les membres ne sont pas flasques, ifs ne présentent pas non plus les caractères de la paralysie spasmodique ; pas d'exagération des réflexes rotuliens, pas de trépidation par redressement de la pointe du pied.
Les troubles de la sensibdité observés aux membres inférieurs sont des plus remarquables. Ils portent à la fois sur la peau et sur les parties profondes. Pour ce qui concerne ces dernières, on reconnaît que les tractions, les mouvements de torsion très vigoureusement exercés sur les diverses jointures, hanche, genoux, coude-pied, etc., ne produisent pas la moindre douleur, pas même la moindre sensation ; quand les yeux sont fermés, le malade ignore absolument les attitudes que l'on imprime aux divers segments de ses membres inférieurs. Ainsi, l'un des membres est-il élevé, fléchi au pied, au genou, à la hanche, posé sur l'autre, le malade n'en sait rien absolument; à la peau, les piqûres, les pincements, l'application du chaud et du froid, restent inaperçus.
En raison de leur caractère très accentué, aussi accentué que possible, et de leur extension sur toute la surface des membres inférieurs, les troubles de la sensibilité offrent donc un contraste profond avec des troubles moteurs. D'ailleurs, pas d'atrophie des muscles dont les réactions électriques sont normales ; pas traces de paralysie de la vessie et du rectum.
La recherche des stigmates hystériques donne les résultats suivants : Anesthésie absolue du pharynx, on peut enfoncer le doigt jusqu'à l'épiglotte et le maintenir là, longtemps, sans provoquer la moindre réaction. Le goût est totalement perdu, un* pincée de sulfate de quinine est appliquée sur la langue, sans que le malade puisse dire de quoi il s'agit. Il y a de plus anosmie ; obnubilation de l'ouïe des deux côtés ; rétrécissement concentrique du champ visuel très prononcé à droite et à gauche (fig. 83) ; nous avons déjà signalé l'hyperesthésie permanente du cuir chevelu, laquelle s'exaspère aux moindres attouchements, aux moin-
dres frôlements. Les frôlements dont il est question provoquent l'apparition des battements dans les tempes et des bruits dans les oreilles.
Les attaques sont représentées de la façon suivante : douleur dans un des flancs, sensation de boule qui remonte jusqu'au cou, menaces d'étouffement, battements dans les tempes. Le plus sou-
Fig. 84 et 85. — Distribution de l'anesthésie chez Le Log.. ; sur la tête une large plaque d'hyperesthésie.
vent, une epistaxis termine la scène. Les choses, de ce côté, ne vont pas plus loin.
On doit faire ressortir maintenant d'une façon toute particulière le mode de limitation que présente du côté de l'abdomen et du tronc, l'anesthésie des membres inférieurs chez notre malade. En avant [fig. 84), cette limite est représentée par une ligne qui suit le pli de
l'aine de chaque côté, jusqu'à l'épine iliaque antérieure, réservant les organes génitaux ; en arrière, c'est une ligne qui suit (fig. 85), l'insertion des muscles fessiers, réservant au centre une sorte de V qui correspond au sacrum. Cette disposition est bien différente de celle qui s'observe dans les cas où l'aneslhôsie des membres inférieurs est la conséquence d'une lésion organique de la
Fig. 86 et 87. — Distribution des zones d'anesthésie dans les cas de paralysie partie des divers segments des membres, artificiellement produite par suggestion chez les hystériques hypnotisables (période somnambulique).
moelle épinière, soit, par exemple, d'un foyer de myélite partielle siégeant vers le milieu de la région dorsale et intéressant plus ou moins profondément la substance grise centrale. En pareil cas, l'anesthésie des membres inférieurs s'étendrait sur la région inférieure de l'abdomen, et se délimiterait, on le sait, des parties saines, par une ligne à peu près perpendiculaire à l'axe du tronc,
et passant au voisinage de l'ombilic. — Le mode de délimitation de l'anesthésie, chez Le Log..., reproduit, au contraire, exactement la disposition correspondante qui s'observe chez une hystérique hé-mianesthésique hypnotisée, lorsque, dans la période somnambulique on détermine chez elle, par suggestion, la paralysie totale du membre inférieur répondant au côté non anesthésié (fig. 86 et 87).
La présence des stigmates classiques et d'attaques, à la vérité, rudimentaires, mais suffisamment caractérisées, permet d'établir péremptoirement l'existence, chez le malade, du fonds hystérique. Mais on peut aller plus loin et montrer, en outre, que la paraplégie elle-même offre chez lui tous les caractères des paralysies hystériques psychiques ou nlentales, comme on voudra les appeler. A l'appui de cette thèse, il convient de rappeler tout d'abord le mode de délimitation de l'anesthésie des membres inférieurs du côté de l'abdomen. En avant comme on l'a dit, la limite en question est marquée par une ligne qui passe par le pli de l'aine, réservant les organes génitaux et remontant jusqu'à l'épine iliaque, tandis qu'en arrière la ligne frontière suit l'insertion des muscles fessiers, réservant, au centre, une figure en V qui répond à la face postérieure du sacrum (fig. 84 et 83).
Cette disposition si originale est bien différente, on le voit, de celle qui s'observe quand l'anesthésie des membres inférieurs est la conséquence d'une lésion organique en foyer siégant, par exemple, vers le milieu de la région dorsale et intéressant plus ou moins profondément la substance grise centrale. Alors, en effet, l'anesthésie des membres inférieurs s'étendrait sur la partie inférieure de l'abdomen où elle se limiterait du côté des parties saines, par une ligne perpendiculaire à l'axe du tronc, passant au voisinage de l'ombilic.
D'un autre côté, le mode de limitation de l'anesthésie, chez notre malade, reproduit, au contraire, exactement la disposition qui, —ainsi que cela résulte des nombreuses recherches
Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système ?ierveux. 29
faites par M. Charcot à ce sujet, s'observe chez les hystériques hémianesthésiques hypnolisables, lorsque, dans la période somnambulique, on vient à déterminer chez elles, par voie de suggestion, la paralysie motrice et sensitive totale du membre inférieur, répondant au côté anesthésié 1. Il faut ajouter que chez Lelog..., comme chez les hystériques en question, l'anesthésie s'étend jusqu'aux parties profondes, que toutes les notions relatives au sens musculaire sont abolies et que l'impuissance motrice se montre en même temps très accentuée.
Donc, en ce qui concerne la paralysie, le cas de Lelog... ne diffère cliniquement, par aucun caractère essentiel, des cas où, mez les hystériques hémianesthésiques hypnolisables, la paralysie des membres inférieurs a été provoquée par voie de suggestion. Cela déjà rend très vraisemblable que, dans les deux ordres de faits, le mécanisme de la production, tant de l'impuissance motrice que de l'anesthésie, est le même, Or, quand chez le sujet somnambulisé on suggère par la parole ridée d'impuissance motrice d'un membre et qu'on voit cette idée se réaliser effectivement sous la forme spéciale de paralysie qui vient d'être décrite, on ne peut guère, dans l'état actuel de la science, se refuser d'admettre que cela dépend d'une lésion dynamique affectant celles des zones motrices etsensitives de l'écorce grise cérébrale qui, à l'état normal, président au fonctionnement volontaire du membre. En conséquence, on est, du
1. Ainsi qu'on l'a vu pour le membre supérieur (Voir la Leçon XXI, pages ¦ 328, 340, 341 et la Leçon XXII, passim), on peut, chez les sujets hémianesthésiques hypnotisables, pendant la période somnambulique^ déterminer, par suggestion orale, ou par l'application d'un coup, la paralysie partielle ou totale d'un membre inférieur. Dans le cas de paralysie partielle des mouvements d'une jointure, hanche, genou, cou-de-pied, etc., l'impuissance motrice de cette jointure entraine avec elle, à peu près nécessairement — ainsi que cela a lieu dans le membre supérieur, — l'anesthésie cutanée et profonde d'un segment correspondant du membre. Les limites qui séparent les diverses zones d'anesthésie ainsi produites, sont représentées également par des lignes circulaires déterminant un plan fictif perpendiculaire au grand axe du membre (fig. 85, A et b).
même coup, conduit à proposer comme une hypothèse très plausible que, chez Lelog..., la production de la paralysie a eu pour point de départ un processus analogue.
A cette manière de présenter les choses, on objectera sans doute que, d'un côté, le malade n'a pas été soumis à l'hypno-tisalion et que, d'un autre côté, on n'aperçoit pas, au premier abord du moins, dans l'observation, les conditions d'une suggestion. Yoici ce que l'on peut alléguer relativement à ces deux points.
En premier lieu, il est certain que l'état mental qui s'observe dans la période somnambulique de l'hypnotisme ne constitue pas la condition unique où, par suite de l'obnubilation de la conscience, de la dissociation facile du moi, il soit possible d'éveiller dans les organes psychiques une idée ou un groupe d'idées associées qui, en l'absence de tout contrôle, de toute critique, devront s'établir à l'état autonome, vivre à la manière d'un parasite en quelque sorte, acquérant par ce fait même une force énorme et une puissance de réalisation pour ainsi dire sans limites.
Parmi les états mentaux inconscients ou subconscients dans lesquels, en dehors du somnambulisme hypnotique, les suggestions peuvent ainsi facilement se réaliser, on doit signaler certaines intoxications, celles du haschich par exemple (Ch. Richet) ou de l'alcool (Magnan) ; on peut signaler encore, suivant l'ingénieuse remarque de M. Page, les émotions, les commotions psychiques, le choc traumatique avec ou sans action physique directe sur la boîte crânienne, c'est-à-dire avec ou sans commotion cérébrale, ce dernier terme étant pris dans l'acceplion chirurgicale. L'expérience a montré en effet, depuis longtemps, que dans ces conditions-là, il n'est point rare de voir survenir des paralysies comparables cliniquement à celles dont il est question en ce moment.
Cela étant, il sera facile de reconnaître que, dans l'histoire
de Lelog..., on trouve toutes les circonstances requises pour la production de l'état mental particulièrement favorable à la réalisation objective des suggestions. On sait que, projeté violemment contre un trottoir, Lelog... a perdu connaissance immédiatement ; puis il est resté comateux pendant plusieurs heures, après quoi, il a été plongé enfin, pendant les deux ou trois jours qui suivirent l'accident, dans un état de véritable torpeur intellectuelle ; c'est dire qu'il a présenté alors la condition d'obnubilation psychique propice à l'efficacité des suggestions.
Mais l'on doit se demander actuellement quel a été, chez le malade ainsi préparé, le point de départ de la suggestion, si suggestion il y a eu. C'est ici le lieu de faire remarquer que toutes les suggestions ne sont point mises en jeu par la parole ; il en est qui se développent en conséquence de la perception d'une odeur, d'une saveur, à la vue d'un objet particulier, à la suite d'une sensation quelconque en un mot ; et si le plus souvent elles sont provoquées par une personne étrangère, parfois aussi elles sont la conséquence d'une modification sensorielle ou sensitive, développée soit spontanément, soit accidentellement chez le sujet lui-même, de manière à constituer ce que l'on appelle une autosuggestion.
A ce propos, M. Charcot a fait appel aux arguments qu'il a présentés dans de précédentes leçons1 relativement au mécanisme du développement des paralysies hystéro-trauma-tiques, mécanisme dans lequel ce serait justement l'autosuggestion qui jouerait le rôle capital. 11 convient ici de se remettre en mémoire, tout d'abord, les phénomènes du s/iock local*1 décrit par quelques auteurs, et qui consistent surtout en ce qu'une contusion portant par exemple sur un membre, pour peu qu'elle soit d'une intensité notable, produira néces-
1. Voir Leçons XXI, XXII, XX1JI.
2. Grœrangeri, Fischer, Billroth, etc. Voir la Leçon XXVI.
sairement, soit uniquement sur la partie du membre où le coup a porté, soit sur le membre tout entier, divers troubles transitoires de la sensibilité et du mouvement, tels que sensation de lourdeur, parfois aneslhésie réelle et parésie motrice plus ou moins accentuée. Pour un choc d'une intensité donnée, ces résultats varieront d'ailleurs singulièrement suivant les sujets. C'est ainsi que, chez un homme vigoureux, bien équilibré, un coup de poing d'une intensité modérée asséné sur l'épaule— et ce qui est dit de l'épaule on peut le répéter à propos de la fesse ou de la cuisse — produira à peine un léger sentiment d'engourdissement très passager et limité à la région contuse ; tandis que, suivant toute probabilité, chez une femme hystérique, l'engourdissement serait remplacé par des troubles beaucoup plus accentués, beaucoup plus étendus et plus durables. Ce sera, par exemple, chez cette dernière, simultanément le sentiment d'absence du membre tout entier, une aneslhésie généralisée de ce membre, une parésie parfaitement appréciable à l'exploration dynamométrique, etc. Ajoutons que, si cette même hystérique avait été plongée dans l'état somnambulique, le même choc eût déterminé, à peu près à coup sûr, une monoplégie complète, portant sur la sensibilité et sur le mouvement, présentant en un mot tous les caractères qui distinguent les paralysies hys-téro-traumatiques, considérées dans leur type de développement parfait.
Il est clair que les divers cas qui viennent d'être passés en revue représentent les termes d'une même série et que l'explication qui conviendrait à l'un d'entre eux, s'appliquerait également à tous les autres. Il suffira donc de considérer, par exemple, le cas du sujet hypnotisé où les accidents sont portés au plus haut degré et se présentent d'ailleurs dans des conditions plus accessibles à l'analyse. Or, pour ce cas-là, M. Char-cot propose d'admettre que c'est dans le fait même du choc
local, et, en particulier, dans les phénomènes sensitifs et moteurs qui s'y rattachent qu'il faut chercher le point de départ de la suggestion. D'un côté, la sensation de lourdeur, de pesanteur, d'absence du membre contusionné et, de l'autre côté, la parésie qui ne manque pas d'exister toujours à un certain degré, feront naître, en quelque sorte tout naturellement, l'idée d'impuissance motrice du membre ; et cette idée, en raison de l'état mental somnambulique si particulièrement favorable à l'efficacité des suggeslions, pourra acquérir à la suite d'une sorte d'incubation un développement considérable et se réaliser enfin objeclivement sous la forme d'une paralysie complète, absolue.
Cette théorie peut, on le conçoit, s'appliquer de tous points à l'interprétation du mode de développement des paralysies hystéro-traumatiques qui se produisent à l'état de veille, en dehors de l'hypnotisme. Ici, la modification mentale appropriée est déterminée par l'ébranlement nerveux général [iier-vous shock) qu'a nécessairement provoqué l'accident et, pour ce qui est de la suggestion elle-même, elle est la conséquence directe et comme un prolongement amplifié des phénomènes du choc local. Cette dernière circonstance est, soit dit en passant, bien propre à montrer pourquoi les paralysies psychiques consécutives à une contusion occupent constamment le membre sur lequel le choc a porté.
Un bon nombre des paraplégies déterminées par une émotion, la peur en particulier {Schrecklsehmungen des auteurs allemands)1 reconnaissent, sans aucun doute, l'explication qui vient d'être proposée. On sait que, chez l'homme, une émo-
l. Sur les paralysies émotives, voir surtout : R. B. Todd. Clin. Lect. Ed. by Beale. London, 1861, p. 779. — 0. Berger. Emotions neurose. Deutsch. Zeitf. prakt. Med., 1877, n 38, 39. Leyden. liuckenm. Kr. 1. Bd. pages 172, 173, 174.— R. Lippe. ZurCasuist. der Schrecklœhmung. Inaug. diss. Bres-lau, 1877.— P. K. Pel. Zur Casuistik der Schrecklœhmung) Beat. Klin. Woch., 1881, n» 23).
tion vive et soudaine, la frayeur, par exemple, et, a fortiori, la terreur, entraînent à peu près nécessairement avec elles un sentiment d'impuissance motrice des membres inférieurs, et, au plus haut degré, sans sortir encore pourtant des conditions pour ainsi dire physiologiques, une véritable parésie paraplégique accompagnée parfois de tremblement1. Le choc nerveux cérébral (nervous-shock), inséparable de l'émotion, produira en pareil cas, chez un sujet prédisposé, la modification mentale qui rendra possible la transformation de la parésie émotive, transitoire, physiologique, en une véritable paraplégie complète et durable. C'est de la même façon, probablement, qu'il conviendra d'expliquer bon nombre des paraplégies produites par la foudre.
Pour en revenir maintenant au cas de Lelog..., il ne nous reste plus qu'à déterminer pourquoi c'est dans les membres inférieurs que la paralysie hystéro-lraumatique s'est développée chez lui. On n'aura pas oublié que dans les premiers jours qui suivirent l'accident, le malade portait sur la partie antérieure de la cuisse droite et sur toute la partie inférieure de l'abdomen de larges ecchymoses ; on a pu remarquer de plus, qu'à cette époque, il se plaignait de ressentir dans les membres inférieurs, qui, d'ailleurs, étaient très notablement paré-siés, un sentiment de pesanteur, de lourdeur, et jusqu'à un certain point, d'absence de ces membres. Ce sont ces phénomènes-là très vraisemblablement, ainsi que la présence des ecchymoses qui ont fait naître dans l'esprit de Lelog... la conviction que les roues de la voilure qui l'a renversé lui ont, comme il dit, « passé sur le corps ». Cette conviction qui le poursuit jusque dans ses rêves2 est cependant absolument erronée. Nous le savons pertinemment par les renseignements
1. Ch. Darwin. VExpression des émotions, p. 30 elpass. Paris, 18 77.
t. Voir un cas de paraplégie survenue à la suite d'un rêve, communiqué à la Société de Biologie, par M. Féré (séance du 20 novembre 1886).
que nous ont fournis les témoins oculaires du drame. Mais si les cuisses et le bassin n'ont pas été écrasés sous le poids des roues, il n'est guère douteux, par contre, que ces parties, dans le temps où le malheureux a été projeté sur le trottoir, ont dû être fortement ébranlées par le choc local, et ce sont justement les phénomènes produits par ce choc qui, à leur tour, ont déterminé l'aulo-suggestion d'où dérive la paraplégie. Il y a lieu de remarquer que chez Lelog..., comme dans la plupart des cas du même genre, la paralysie ne s'est pas produile au moment même de l'accident, mais seulement quelques jours après, à la suite d'une sorte d'incubation d'élaboration mentale inconsciente'.
En outre des phénomènes de nature hystérique qui viennent d'être relevés chez Lelog..., il en est d'autres qui n'appartiennent pas à la même catégorie : on a vu que le malade souffre d'une façon permanente d'une céphalée conslrictive qui lui donne la sensation d'un casque lourd enserrant la tête de toutes parts. Tous les bruits retentissent péniblement à son oreille et il fait tout pour les éviter. Il lui est impossible de fixer son attention sur un point, de causer quelque peu sans éprouver rapidement une énorme fatigue. Aussi est-il silencieux et ne répond-il qu'à regret et comme en rechignant aux questions qu'on lui adresse. Le plus souvent, on le trouve morne, mélancolique, presque stupide, parfois anxieux. Il est irascible, s'emporte aux moindres observations qu'on lui fait,
1. Il s'agit là, en général, d'un phénomène de cérébralion, dementation, d'idéation inconscientes ou subconscientes. Le sujet mis en cause constate •le résultat, mais il ne conserve aucun souvenir ou il conserve tout au plus un souvenir vague des diverses phases du phénomène. Là-dessus on ne peut que rarement le consulter avec fruit, il ne sait rien ou presque rien. En somme, on peut comparer le processus dont il s'agit à une sorte d'action réflexe, dans laquelle le centre de l'arc diastaltique est représenté par lies régions de l'écorce grise où s'opèrent physiologiquement les phénomènes psychiques relatifs aux mouvements volontaires des membres. En raison de la dissociation facile de l'unité mentale, du moi, dans les cas de ce genre, ces centres peuvent être mis enjeu, sans que les autres régions de Yorgane psychique en soientavertiesetappeléesàprendre part au processus.
et demande incessamment à changer de place dans la salle où il est couché, se plaignant constamment de ses voisins qui « l'agacent », Il a de l'insomnie, et il est souvent tourmenté par des rêves pénibles relatifs aux détails de son accident tels qu'il les a imaginés. Sa mémoire, d'ailleurs, paraît considérablement affaiblie. De l'accident lui-même il ne se rappelle rien, quoi qu'il en dise, et il y a lieu de croire que tout ce qu'il en raconte il l'a rêvé et inventé inconsciemment, amplifiant tout ce qu'il a entendu dire à ce sujet. Même pour les faits antérieurs à l'accident, il y a dans son esprit des lacunes énormes. Ainsi, il ne peut dire le nom d'aucun des patrons chez lesquels il a travaillé, ni désigner leurs demeures, etc.
On remarquera que ces divers phénomènes rappellent de tous points les troubles psychiques qui, avec ou sans l'accompagnement de manifestations hystériques, se montrent fréquemment en conséquence d'un choc nerveux (Nervous Shock), plus particulièrement quand le choc a été précédé ou suivi d'une commotion cérébrale physique. Ces accidents-là ont été parfaitement décrits par MM. Skae, Page, AVestphal, Moeli, Krafft-Ebing, et tout récemment par M. Guder1. Il est clair que chez le pauvre Lelog... ils aggravent la situation déjà assez compliquée autrement. Les phénomènes qui relèvent de l'hystérie chez l'homme sont, par eux-mêmes, souvent fort sérieux, surtout quand ils sont d'origine traumatique, en raison de leur ténacilé, de leur durée, de leur résistance aux médications les plus rationnelles. L'existence de la psychose traumatique vient ajouter encore à la gravité du pronostic, car il ne serait pas difficile de citer des exemples où cet état devenu incurable s'est terminé par la démence.
1. Westphal. Charité Annalem. Jahr., 1878, S. 379. — Kiegler. Die im Eisenbahndienste York. Berufskvankh. Berlin, 1888. — Moeli. Ueber psychis-che Stœrungen nach Eisenbahnum. fallen. (Beri. Klin. Woch., 1881, n° 6.) — Kraflt Ebing. Lehrb. der Psychiat, 1883, p. 188. — P. Guder. Die Geistesslo-rungen nach Kopfverlelzung. Iéna, 1886.
Les détails qui précèdent relativement au cas de Le Log... datent du 19 avril 1886. Voici, en résumé, ce qui s'est passé chez lui depuis cette époque. Pendant toute la durée des mois de mai et juin, aucun changement appréciable. Les attaques avec saignement de nez ont été fréquentes et intenses. La mauvaise humeur et parfois la stupeur persistent ; de temps à autre un peu d'anurie. Le malade se nourrit mal; il vomit souvent. Sueurs profuses. Vers le milieu de juillet, les attaques prennent un caractère spasmodique plus accentué. Le malade se débat davantage ; il esquisse l'arc de cercle, déchire ses vêtements ; on est obligé de l'attacher. Cependant, au milieu de ces désordres, les membres inférieurs restent immobiles. Les epistaxis sont plus rares et moins abondantes au fur et à mesure que les convulsions tendent à prédominer. Le 15 août 1886, le malade a eu le matin une attaque convulsive très bien dessinée; il n'y a pas eu d'épis-taxis. Pendant l'attaque, à un moment donné, on a vu les membres inférieurs s'agiter et les pieds venir frapper avec tant de force contre les barreaux du lit que celui-ci en a été déplacé. L'attaque terminée, le malade est descendu de son lit et s'est mis à marcher, d'abord avec une certaine hésitation, longeant les murs et s'ap-puyant sur les objets environnants ; mais, au bout de quelques heures, la marche est devenue absolument normale.
Néanmoins, Panesthésie cutanée et profonde persiste, à un degré très prononcé encore, dans les membres inférieurs. Les autres stigmates, à savoir le rétrécissement du champ visuel, Panesthésie pharyngée, etc., n'ont pas subi de modification appréciable.
Depuis cette époque, les attaques sont devenues plus rares et moins intenses. L'amélioration, en ce qui concerne les mouvements des membres inférieurs, ne s'est pas démentie; le malade marche de mieux en mieux ; il est sorti plusieurs fois de l'hospice pour aller voir ses amis et a fait d'assez longues courses sans trop de fatigue. Cependant la torpeur cérébrale subsiste toujours à un certain degré, et les stigmates ainsi que l'aneslhésie des membres inférieurs, ne se sont en rien modifiés (1er novembre 1886).
La disparition subite de la paraplégie motrice, à la suite d'une attaque qui présente tous les caractères de l'attaque hystérique, vient confirmer d'une manière éclatante l'opinion formulée concernant la nature delà maladie. Le malade cependant, plus d'un an après l'accident, ne peut pas être considéré comme guéri. En effet les stigmates hystériques persistent chez lui à peu près comme ci-devant.
2° Cas de monoplégie brachiale hystéro-traumatique survenue a la suite d'un « tamponnement » ayant porté sur l'épaule1.
Le nommé Mouil...2 est un homme robuste, vigoureux, bien musclé. Il est âgé de 25 ans, c'est un campagnard. Il est né dans le département du Doubs, non loin de Besançon. Il y a un an, à peine, il faisait le métier de cultiver la terre, depuis le mois de mai i885 qu'il est arrivé à Paris il est employé à la gare d'un chemin de fer où on l'occupe à faire la manœuvre. Jamais il n'a été malade jusqu'ici; il ne parait nullement nerveux et ne sait pas ce que c'est qu'une attaque de nerfs. Il est plutôt lent, apathique, mou, torpide, et autant qu'on a pu en juger depuis 8 mois qu'il est dans le service, l'imagination ne paraît pas jouer chez lui un grand rôle. 11 ne paraît pas qu'aucune maladie nerveuse ait existé dans la famille.
Mouil... était en état de santé parfaite lorsque, le 1er décembre 1885 à 6 heures du soir, pendant qu'il travaillait à la manœuvre, son épaule droite fut prise entre le tampon d'un wagon et celui d'une locomotive. La contusion fut légère très certainement, car il n'en résulta aucun accident sérieux d'ordre chirurgical. Mais néanmoins, sous l'influence du choc, le malade perdit connaissance immédiatement et il s'affaissa. Transporté dans le cabinet du chef de gare, il ne reprit ses sens qu'au bout de 20 minutes environ.
Il est intéressant de relever les phénomènes qui, d'après lui, auraient existé immédiatement après son réveil: 1° Sa respiration
1. Observation recueillie par M. Babinski, chef de clinique de la Faculté.
2. Voir Leçon XXV, p. 414 et Seq.
était très gênée; illui semblait que son membre supérieur droit, le membre tamponné, était absent, remplacé par un corps t^ès lourd qu'on aurait pendu à son côté; 2° Il n'y aurait pas eu de tuméfaction immédiate des parties; 3° Les mouvements de l'épaule et du coude étaient impossibles, mais les doigts pouvaient se mouvoir encore pendant 3 ou 4 jours; de telle sorte qu'on peut affirmer que la paralysie motrice n'a pas été immédiatement complète. 5° Le malade ressentait un affaiblissement général tel qu'il lui a été impossible de se tenir debout, de se lever même. Il n'a pu se lever et sortir du lit qu'au bout de 13 jours.
Le malade fut transporté à Lariboisière, hôpital voisin de la gare du Nord, Il y arriva le jour même de l'accident, vers 8 heures du soir et fut placé dans le service de M. le Dr Brun. Le lendemain malin, on constate un peu de gonflement de l'épaule et une vaste ecchymose qui s'étend sur l'épaule, la région sous-claviculaire et une partie de la face. Le membre supérieur droit est complètement paralysé du mouvement, sauf les doigts de la main. Ce membre est en outre anesthésié; l'insensibilité à la piqûre est partout absolue. Mais à cette époque, vraisemblablement, la sensibilité profonde n'est pas encore affectée, car les mouvements qu'on imprime au membre pour rechercher s'il y a luxation ou fracture sont un peu douloureux. Le résultat de ces explorations est d'ailleurs complètement négatif.
Le 13° jour seulement le malade put sortir du lit. Il fut évacué dans un service de médecine, peu après, et entra à l'Hôtel-Dieu, service de M. Merklen, le 13 janvier 1886, c'est-à-dire six semaines après l'accident. Là on reconnut tous les caractères de l'affection monoplégique qui vont être décrits dans un instant et le diagnostic de M. Merklen fut, comme celui de M. le Dr Brun, qu'il s'agissait là d'une monoplégie hystéro-traumatique. Un fait à relever c'est que, dès l'entrée à l'Hôtel-Dieu, c'est-à-dire un mois et demi après l'accident, il existait déjà dans le membre paralysé, au bras et à l'avant-bras, une diminution de volume très notable, et il est à remarquer qu'il s'agit du bras droit. Pendant le séjour à l'Hôtel-Dieu, c'est-à-dire pendant plus d'un mois, le traitement faraclique a été continué sans interruption et sans aucun résultat.
L'examen du malade fait à la Salpêtrière, lors de l'entrée, le 2 mars 1886, a donné les résultats suivants : Monoplégie du membre supérieur droit, sans aucune trace de participation de la face qui n'a jamais été intéressée. La monoplégie motrice est complète; seul le trapèze peut élever l'épaule. La paralysie est du genre flasque, les réflexes tendineux ne sont pas exaltés; ils seraient plutôt un peu diminués.
Troubles de la sensibilité remarquables. 1° La sensibilité cutanée est absolument éteinte, dans tous ses modes, froid, pincement, etc. L'anesthésie cutanée occupe le moignon de l'épaule dans toute son étendue; elle est limitée du côté du thorax par une ligne non brisée, déterminant un plan circulaire, perpendiculaire au grand axe du membre, celui-ci étant supposé étendu (fig. 86 A et B) ; 2° L'anesthésie s'étend aux parties profondes. Les torsions, les tiraillements exercés sur les divers segments du membre ne sont pas même perçus; 3° les notions du sens musculaire sont complètement abolies ; le malade ne sait pas où est son membre, il ignore si l'on meut tel ou tel doigt individuellement, etc.
Troubles trophiques. On a déjà parlé de l'amaigrissement du membre; il faut ajouter que les doigts de la main sont violacés froids, comme cela se voit dans certaines paralysies organiques Cependant les muscles présentent des réactions électriques absolument normales. Il en est de même des nerfs. La faradisation qui fait énergiquement contracter les muscles ne détermine absolument aucune sensation.
Le malade n'a pas et n'a jamais eu rien qui ressemble à des attaques hystériques, mais les troubles sensitifs et sensoriels, permanents (stigmates hystériques) sont chez lui très prononcés. Il existe une analgésie à la figure sur toute l'étendue du côté droit du corps; partout ailleurs le malade ne sent pas le froid (fig. 88 et 89).
Les troubles sensoriels sont très remarquables : 1° Rétrécissement très prononcé du champ visuel des deux côtés; 2° Diplopie uniloculaire; 3° Affaiblissement de l'ouïe des deux côtés; 4° Affaiblissement de l'odorat également des deux côtés. Le goût est abso-
Jument perdu, et Ton peut plonger un doigt dans la profondeur lu pharynx et l'y maintenir sans déterminer la moindre réaction. Le malade n'est pas hypnotisable.
Le 1er novembre 1886, 11 mois après le début, malgré l'emploi de divers traitements, la monoplégie ne s'est en rien modifiée. Les stigmates persistent au même degré. L'état général est excellent,
Fig. 88 et 89. — Mode de distribution de l'anesthésie chez le nommé Mouil...
on reconnaît que l'application d'un lien circulaire produit sur les membres supérieurs ou inférieurs de Mouill... des contractures très prononcées et durables (dialhèse de contracture).
11 n'est pas nécessaire de s'étendre longuement sur ce cas de monoplégie hysléro-traumatique, car il est en quelque sorte calqué, jusque, dans les moindres détails sur les types désor-
mais classiques que M. Charcot a fait connaître'. On se bornera donc à relever ce qui suit : Les sensations produites par le choc local ont été ici le point de départ de la suggestion qui a abouti à la production d'une monoplégie complète, sen-sitive et motrice, laquelle persiste telle quelle depuis 18 mois; quant à l'état de suggestibilité, il s'est développé par le fait de l'ébranlement cérébral produit par le choc nerveux. On remarquera que la paralysie motrice n'a pas été complète du premier coup et que, dans ce cas par conséquent, comme dans les autres du môme genre, l'impuissance motrice ne s'est complétée qu'à la suite d'une sorte d'élaboration mentale inconsciente. L'amyotrophie sans modification des réactions électriques s'est produite chez ce malade assez rapidement. Cette amyotrophie hystérique, à développement rapide, a été récemment relevée plusieurs fois par M. Charcot, et elle a été l'objet d'un travail étendu, publié par M. le Dr Babinski dans les Archives de Neurologie^. Un abrégé de l'observation de Mouill... figure dans ce travail.
1. Voir les Leçons XX, XXI, XXII.
2. Voir J. Babinski De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques. (Arch. de Neurologie, nos 34 et 35. Voir aussi : Progrès médical, 1886, n° 6 et I'Appendice IV, p. 478.
II.
Les notions du sens musculaire et le mouvement volontaire.
(Voir la Leçon XXII, p. 361.)
J'ai été conduit à admettre, avec bon nombre d'auteurs, que les représentations motrices qui précèdent nécessairement l'accomplissement d'un mouvement volontaire, s'effectuent dans les centres moteurs corticaux où elles trouvent leur sub-stratum organique, et plus précisément, dans les cellules nerveuses motrices de ces centres. Elles seraient principalement constituées parle « sentiment d'innervation », de « décharge nerveuse » comme on l'appelle encore et auraient, je le répète, une origine centrale. Les notions fournies par ce qu'on nomme proprement le sens musculaire » (S. Kinesthétique de Bastian) consisteraient, au contraire, en des impressions venant de la périphérie, à savoir, de la peau, des muscles, des aponévroses, des tendons, des capsules articulaires enfin ; ces impressions s'emmagasineraient dans les centres sensitifs corticaux où pourrait avoir lieu leur rappel idéal. Seules, les premières de ces représentations seraient véritablement indispensables à la mise en jeu du mouvement voulu ; les secondes interviendraient, en général, seulement d'une façon consécutive, mais très efficacement cependant, en complétant, dirigeant, perfectionnant, pour ainsi dire, le mouvement déjà en voie d'exécution. On sait, d'ailleurs, par de nombreux
exemples, que l'image visuelle d'un mouvement volontaire qui s'exécute, contribue puissamment à ce dernier résultat.
D'après cela, si les représentations soit kinesthôtiques, soit visuelles persistant, les représentalions motrices proprement dites venaient à faire défaut, en conséquence d'une lésion survenue dans les cellules nerveuses du centre moteur cortical d'un membre, ou dans les prolongements qui les mettent en rapport avec les centres d'idôation, il s'ensuivrait nécessairement une paralysie complète des mouvements volontaires de ce membre. Dans un livre oublié qui m'a été obligeamment signalé par mon éminent confrère, M. le professeur Janet, Rey Régis, docteur en médecine de la Faculté de Mon!- \ pellier, avait déjà, en 1789, reconnu l'existence, de paralysies motrices dépendant de la perle du sotivemr^e if^ force.m.Qr tr/ce, causée par la lésion de certaines parties du cerveau./ {Histoire naturelle de l'âme. Londres, 1789, p. 26 à 28.)
On comprendrait par ce qui précède que la suggestion d'impuissance motrice puisse, ainsi qu'on l'a dit (p. 336), déterminer chez quelques sujets une paralysie motrice complète sans accompagnement d'un trouble quelconque de la sensibilité cutanée ou profonde, et plus particulièrement sans perte aucune des notions fournies par le sens musculaire. Mais souvent, comme nous l'avons fait remarquer, la suggestion de ce genre, en tant du moins qu'elle s'adresse à des hystériques préalablement hémianesthésiques et qu'elle ne s'accompagne d'aucune injonction relative à la sensibilité, celte suggestion, dis-je, est suivie, d'après nos observations, non seulement de la paralysie du mouvement, maU encore de la perte de la sensibilité dans tous ses modes, y compris les notions du sens musculaire. On pourrait dire que, dans ce dernier cas, la paralysie de l'appareil fondamental du mouvement volontaire, entraîne avec elle, en quelque sorte, la paralysie de l'appareil de perfectionnement. Il est vraisemblable, de plus, que dans
Charcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 30
ces faits de paralysie par suggestion hypnotique, comme dans bon nombre de cas de paralysie hystérique avec flaccidité, reconnaissant d'ailleurs peut-être, également, un point de départ psychique, les noyaux gris sous-corticaux et bulbaires, ainsi que les cellules nerveuses spinales qui, dans l'état normal, sont en relation directe ou indirecte avec les centres corticaux moteurs, peuvent être affectés plus ou moins profondément, en conséquence d'une diffusion de la lésion de ces centres. C'est ce dont paraissent témoigner et la perte des mouvements automatiques, quelle que soit leur origine, et aussi l'abolition ou la diminution des actes d'ordre purement réflexe, qui, en pareille occurrence, s'ajoutent à la paralysie des mouvements volontaires.
Les quelques passages qui vont suivre m'ont paru suffisamment caractéristiques pour montrer l'idée que se font les auteurs auxquels ils sont empruntés, concernant la nature et le siège du processus psycho-physiologique placé à l'origine des mouvements délibérés. « Si l'idée tend à produire le fait, dit M. Bain (Les Sens et l'Intelligence, trad. Cazelles, 1874, p. 298), c'est que l'idée est déjà le fait sous une forme plus faible. Penser, c'est se retenir de parler ou d'agir. » « Les actions mentales s'accomplissent dans les mêmes cercles (centres ?) que les actions physiques... Il suffit d'ordinaire d'une volition pour les porter au point où elles mettent en jeu les muscles » (loc. cit., p. 305). «Comme les nerfs reçus par les muscles sont principalement des nerfs moteurs qui y conduisent le stimulus émané du cerveau... nous ne pouvons mieux faire que de supposer que la sensibilité concomitante du mouvement musculaire coïncide avec le courant centrifuge de la force nerveuse et ne résulte pas, comme dans la sensation proprement dite, d'une influence transmise par les nerfs centripètes» (loc. cit., page 59). « Dans l'acte volontaire, considéré sous sa forme la plus simple, dit M. H. Spencer (Principes de psychologie, t. I, trad. Ribot et Espinas, p. 539), nous ne pouvons rien trouver de plus qu'une représentation mentale de l'acte suivie de son
accomplissement, — une Iransformation de ce changement psychique naissant, qui constitue à la fois la tendance à l'acte et l'idée de l'acte, en un changement psychique positif qui constitue l'accomplissement de l'acte en tant qu'il est mental. La différence entre un mouvement volontaire et un mouvement involontaire de la jambe, c'est que, tandis que le mouvement involontaire se produit sans aucune conscience antécédente du mouvement à faire, le mouvement volontaire ne se produit qu'après qu'il a été représenté dans la conscience. Et comme cette représentation n'est rien autre chose qu'une forme faible de l'état psychique qui accompagne le mouvement réel, elle n'est rien autre chose qu'une excitation naissante de tous les nerfs affectés à cette fonction, qui précède leur excitation actuelle. » Et ailleurs (Premiers principes, p. 216) : « La volition est une décharge initiale le long d'une ligne qui, par l'effet des expériences antérieures est devenue la ligne de plus faible résistance. Le passage de la volition à l'action n'est que le complément de la décharge. » D'après Wundt (Physiologie, trad. franc., p. 447), » le siège des sensations de mouvement ne paraît pas être clans les muscles, mais bien dans les cellules nerveuses motrices... Nous n'avons pas seulement la sensation d'un mouvement exécuté, mais celle d'un mouvement à exécuter. La sensation de mouvement est donc liée à l'innervation motrice, c'est pourquoi nous l'appelons sentiment d'innervation. (Innervationsgefiihl).» — M. Meynert, de son côté, s'exprime ainsi qu'il suit (Psychiatrie, p. .312): « Ich glaube der erste gewesen zu sein welcher sich dahin äusserte, dass die Innerva-lionsvorgange von den Hemisphaeren aus, welche man Willen-sacte nennt, nichts weiter seien als die Wahrnehmungs und Erinnerungsbilder der Innervations g e fühle, indem solche, jede Form der Reflexbewegungen begleitend, in die Hirnrinde übertragen werden, als die primare Grundlage secundar von dem Vorderhirn ausgeloster sehnlichen Bewegungen. Diese Erinnerungsbilder bekommen dann durch Associations Vorgange die Intensität der Kraft zugeführt, durch welche sie für die vom Vorderhirn ausgehenden secundaren Bewegungen, als Arbeitsans-toss längs centrifugalen Bahnen wirken. » — Dans ses Clinical
and physiol. ¡¡escarches on the nervovs System (1876, pages XX-XXXVII), M. II. Jackson adhère à l'idée de Bain, Wundt et autres, que notre « conscience de l'activité musculaire » est en grande partie initiale, centrale et réalisable dans les centres moteurs. — Suivant M. Maudsley (Physiolog. de l'Esprit, trad. A. Herzen, p. 249-250), « il paraît que c'est dans la partie frontale des circonvolutions (centres moteurs corticaux) que sont emmagasinés les résidus des sensations musculaires dont nous lirons nos intuitions motrices... » « Les parties de la surface du cerveau, qui agissent comme centres moteurs, sont le siège... de la conception du degré et de la qualité de l'innervation musculaire, c'est-à-dire de ce qu'on a appelé Inductions musculaires. — Yoici enfin comment, sur ce même sujet, s'exprime M. Février (Func-tions of the Brain, cap. XI) » : « De la même manière que les centres sensitifs forment la base organique de la mémoire des impressions sensitives, et le siège de leur résurrection idéale, de même les centres moteurs des hémisphères, outre qu'ils sont le siège de mouvements différenciés, sont aussi la base organique de la mémoire des mouvements correspondants, et le siège de leur réexécution ou reproduction idéale. Nous avons ainsi une mémoire sensilive et une mémoire motrice, des idées sensitives et des idées motrices ; les idées sensitives étant des sensations ravivées, et les idées motrices étant des mouvements ravivés ou idéaux, les mouvements idéaux ne forment pas un élément moins important de nos processus mentaux, que les sensations ravivées d'une façon idéale. — Contrairement aux vues qui viennent d'être exprimées, M. Baslian (Le cerveau organe delà pensée, t. II, 1882, pages 209, 165 et appendice) émet l'opinion que « les centres moteurs, où qu'ils soient situés, sont des parties dont l'activité paraît absolument libre de phases subjectives concomitantes; il ne semble pasque des reproductions idéales aient jamais lieu dans ces centres... » « C'est le changement de conditions du muscle excité et des parties con ligues, changement occasionné par le mouvement, qui engendre un groupe d'impressions ceñir'pèles dont le terminus est le centre kinesthétique (centre du sens du mouvement)... Celui-ci est donc un véritable centre sen-
sitif et des mouvements idéaux peuvent être ravivés en lui, soit isolément, soit associés à des impressions visuelles qui s'y rapportent... Cela ne saurait produire que la plus grande confusion, si l'on attribue l'activité de ce centre sensitif à celle des centres moteurs... Le substratum cérébral de l'esprit ne comprend donc, en aucune manière, les processus qui ont lieu dans les centres moteurs du cerveau, où qu'ils puissent être situés. En d'autres termes, on ne peut regarder légitimement les opérations mentales comme étant en partie immédiatement dues à l'activité des centres moteurs. »
À l'appui de la théorie proposée plus haut, on peut rappeler ce qui s'observe chez certains sujets, hystériques pour la plupart, qui, privés de tous les modes de la sensibilité dans un membre, ont conservé cependant en grande partie la faculté de mouvoir ce membre librement, alors même qu'ils ne peuvent avoir recours, les yeux étant fermés, à l'influence à la fois directrice et dynamogène de l'image visuelle du mouvement. Notre malade Pin... 1 offre aujourd'hui un bel exemple du genre. Chez lui, comme on l'a vu, la sensibilité cutanée et la sensibilité profonde sont complètement éteintes dans toute l'étendue du membre supérieur gauche et lorsque ses yeux sont fermés, il ne possède aucune notion des mouvements passifs imprimés aux divers segments de ce membre, non plus que de laposifion que ceux-ci affectent. Les yeux étant ouverts, les mouvements volontaires généraux et partiels du membre, tant pour la variété que pour la précision, présentent tous les caractères de l'état normal. Ces mouvements persistent, en grande partie, lorsque les yeux sont fermés, seulement ils sont plus incertains, comme hésitants, nullement incoordonnés toutefois : ils s'opèrent, en un mot, comme à tâtons. Pin... peut encore, les yeux clos, diriger ses doigts avec une certaine précision vers son nez, sa bouche, son
1. Voir Leçon XIX, p. 280 et Leçon XX, p. 323, 3M, etc.
oreille, ou encore vers un objet placé à distance et réussir à atteindre le but. Il le manque cependant le plus souvent ; il ne peut en général, lorsqu'on l'y invite, fléchir un de ses doigts isolément ; habituellement, tous les doigts se fléchissent alors simultanément. Parfois il ne sait dire s'il a, oui ou non, fléchi son poignet, etc., etc. Je ne parle pas de la pression dynamomélrique qui, pour la main, accuse par exemple 30 kil., lorsque les yeux sont ouverts, tandis qu'elle donne seulement lok. lorsqu'ils sont clos. Ces modifications qui se produisent dans l'exercice des mouvements, chez les malades de ce genre, lorsque le concours des représentations kines-thétiques et visuelles est supprimé, nous permettent de discerner jusqu'à un certain point en quoi consiste normalement le jeu de l'appareil fondamental des mouvements volontaires. Par contre, l'étude des cas de paralysie psychique portant uniquement sur le mouvement, fera reconnaître le rôle vraiment secondaire, tout important qu'il soit, des représentations visuelles et kinesthétiques, dans l'accomplissement normal des
mouvements volontaires. Peut-être, d'ailleurs, existe-t-il à l'état normal, des variétés à cet égard. Il est possible, en effet, qu'au moment où il s'agit d'exécuter un mouvement prémédité, les uns éveillent exclusivement les représentations motrices proprement dites, d'autres les représentations kinesthétiques ou visuelles; d'autres enfin, mieux doués sous ce
rapport que les précédents, tantôt l'une, tantôt l'autre de ces représentations ou encore les deux à la fois. Des différences dans l'éducation, l'habitude ou la prédisposition héréditaire peuvent rendre compte de ces variétés. On comprendrait par là qu'une lésion de même nature, de même étendue et de même localisation puisse, chez divers sujets, se traduire par des phénomènes cliniques différents, suivant qu'il s'agira d'individus appartenant à l'une ou à l'autre de ces catégories.
J.M. C.
III.
Guérison soudaine d'une hémiplégie hystérique1.
(Voir la Leçon XXII).
Messieurs,
Il y a quatre jours, à notre consultation du mardi, s'est présenté un cas de paralysie motrice, à début brusque, digne de fixer votre attention; comme il serait possible que les accidents présentés par la malade disparussent d'un moment à l'autre, j'ai cru opportun de vous présenter aujourd'hui même cette malade.
Henriette A..., âgée de 19 ans, d'une bonne santé habituelle, est blanchisseuse et va laver sur la Seine au bateau. Son père, fabricant de verres de lunettes, actuellement âgé de 50 ans, a été frappé, il y a quelque temps, d'une hémiplégie gauche à la suite d'une attaque d'apoplexie, et est sujet à de fréquents étourdissements. Sa mère et sa sœur ne présentent pas de phénomènes nerveux anormaux.
Quand à notre malade elle-même, elle a eu à l'âge de 16 ans une scarlatine, et, dans la convalescence, elle a été prise d'attaques de nerfs ayant, d'après ce qu'elle nous dit, présenté les caractères suivants : pas d'aura, perte de connaissance, pas de mouvements des membres; au réveil, sensation de boule épi-gastrique et besoin de pleurer ; jamais il n'y a eu de morsure de la langue ni d'évacuations involontaires pendant les atta-
1. Extrait d'une leçon de M. Ciiarcot, recueillie par M. le Dr Marie.
ques. Ces accidents nerveux n'ont duré qu'une année, de 16 ans à 17 ans; ajoutons qu'à cette époque la menstruation était fort irrégulière; mais, depuis l'âge de 17 ans, les règles sont devenues tout à fait normales. Jamais la malade n'a eu de rhumatisme, il n'y a aucun signe de lésion cardiaque.
Maintenant que vous connaissez, Messieurs, les antécédents de celte jeune fille, je vais vous raconter dans quelles circonstances a débuté l'affection dont elle est atteinle. Le 29 novembre, dans la nuit, pendant qu'elle dormait, une planche placée au-dessus de son lit se descelle et tombe avec les objets qu'elle supportait sur la tête de Henriette A... Elle se réveille en sursaut, très effrayée par le bruit, par ce choc imprévu, et, pendant tout le reste de la nuit, elle est agitée et ne peut retrouver le sommeil ; ajoutons que la chute de cette planche n'avait produit aucun traumatisme: Henriette A... ne présentait pas, affirme-t-elle, la plus légère trace de contusion. Toutefois ses règles, qu'elle ne s'attendait à voir paraître que quelques jours plus lard, survinrent dans le courant de la nuit.
Le lendemain malin, 30 novembre, elle se lève comme d'habitude, va au bateau et travaille comme elle le faisait chaque jour sans éprouver rien de spécial; mais, vers7 heures 1/2 du soir, au moment où, son seau à la main, elle allait chercher de l'eau, elle s'affaisse tout d'un coup sur le côlé droit; elle ne peut se relever, sa jambe droite ne peut la supporter, son seau a roulé loin de sa main droi!e qui ne peut plus le retenir. D'ailleurs, aucune perte de connaissance; dès qu'elle se sent tomber, elle appelle pour qu'on vienne la relever; aucune sensation de vertige ni d'élourdissement, aucun vestige de convulsion, en un mot aucun phénomène cérébral; la paralysie occupe le membre inférieur et le membre supérieur du côté droit, mais elle ne s'étend pas aux muscles de la face, c'est là un fait sur lequel j'appelle toute voire attention. L'im
potence éLaiL telle à ce moment qu'il fallut reconduire en voiture la malade chez ses parents.
Les jours suivants, 1er, 2, 3 décembre, la paralysie de la jambe droite s'amenda légèrement et progressivement ; cependant, lorsque Henriette A... se présenta mardi dernier à notre consultation, elle dut y être conduite en voiture et eut besoin d'êlre vigoureusement soutenue pour parvenir jusque dans la salle.
Pendant les quatre jours qui viennent de s'écouler depuis ce moment, l'amélioration s'est encore accentuée, et, comme vous allez le voir, la motilité est revenue dans une proportion notable au membre inférieur.
A présent, Messieurs, que vous savez les circonstances dans lesquelles s'est produite l'hémiplégie dont a été frappée notre malade, il est temps d'aborder l'étude des caractères qui lui sont propres.
Examinons d'abord l'état actuel de la motilité. Le membre supérieur droit est absolument inerte, flasque, et retombe en masse quand on le soulève; tel est, du moins, l'aspect général du membre, mais une étude plus minutieuse permet de constater que, si la plupart des muscles du bras et de l'avant-bras ont perdu la motilité, il en est quelques-uns qui l'ont conservée ; c'est ainsi que l'avant-bras peut être étendu (action du triceps), mais ne peut être fléchi (biceps brachial antérieur), et que les mouvements de flexion des doigts peuvent être exécutés quoique très faiblement; quant à la pronation, à la supination, à la flexion de l'avant-bras, elles sont devenues impossibles de même que l'adduction ou l'abduction du poignet, mais il y a encore de légers mouvements de flexion et d'extension du poignet, les doigts peuvent être légèrement rapprochés les uns des autres et mis dans la position spéciale due à l'action des interosseux.
Examinons la moitié des muscles de l'épaule : nous voyons que le deltoïde ne fonctionne plus du tout, que le grand pectoral a conservé à peu près sa force, que le trapèze et les autres muscles de l'épaule et du tronc se contractent d'une façon tout à fait normale.
Quant au membre inférieur, il a, nous vous l'avons dit tout à l'heure, repris en partie ses forces et ne présente plus les signes d'une paralysie véritable et totale, mais plutôt ceux d'une parésie plus accentuée sur certains muscles que sur d'autres; aussi, la malade peut-elle marcher quoiqu'en boitant légèrement. Il faut bien remarquer aussi ce fait que la face ne présente aucune déviation, qu'il n'y a aucune paralysie de l'orbiculaire des lèvres; on ne constate non plus aucune paralysie des muscles du tronc. En somme, la paralysie présentée par cette malade est non pas, à proprement parler, une hémiplégie, mais plutôt une monoplégie brachio-crurale.
Quand aux réflexes tendineux, ils ne sont pas, vous le voyez, exagérés, tout au contraire, ils sont moins accentués du côté paralysé que du côté sain; nous avons donc affaire, non pas à une paralysie spasmodique, mais à une paralysie flasque.
Nous allons passer maintenant à l'examen de la sensibilité; nous constatons qu'à la piqûre et à la température il y a au membre inférieur droit une obnubilation assez marquée ; au membre supérieur droit, il y a une abolition totale de la sensibilité, cette abolition comprend: la main, l'avant-bras, la bras jusqu'au niveau de l'acromion ; la peau de la poitrine est restée sensible, la limite de la séparation entre la zone sensible et la zone insensible siège vers le milieu delà paroi axil-laire. Quant aux sens spéciaux, vue, odorat, goût, ouïe, on n'y remarque aucune modification. Dans aucun point du corps,
nous n'avons trouvé d'hyperesthésie ; il n'existe pas, non plus, de point ovarien bien caractérisé.
Reste l'examen du sens musculaire : nous allons dire à la malade de saisir de sa main gauche saine la main droite paralysée, après avoir pris soin de lui boucher les yeux, et vous voyez, Messieurs, qu'elle est tout à fait incapable d'y arriver ; elle cherche sa main droite, en haut, en bas, de tous côtés et ne peut la trouver; du côté du membre inférieur droit, nous ne constatons rien d'analogue et elle n'éprouve aucune difficulté à saisir son pied droit avec la main gauche, après l'occlusion des yeux.
Un phénomène qui présente aussi quelque intérêt, c'est l'état de la température locale, celle-ci est abaissée de plusieurs dixièmes de degré du côté paralysé, ainsi qu'on peut s'en assurer par des applications répétées et comparatives du thermomètre de surface sur l'un et l'autre côté du corps. Il n'y a d'ailleurs rien à signaler au point de vue de la température centrale, pas de fièvre; état général excellent.
Si maintenant, Messieurs, nous cherchons à résumer les différents phénomènes, présentés par cette malade et à les grouper ensemble, de façon à arriver à un diagnostic rationnel, que trouvons-nous?
Une monoplégie associée avec diminution des réflexes tendineux, à début brusque, sans phénomènes cérébraux épilepti-formes ou apoplectiformes ; cette monoplégie s'accompagne d'une anesthésie absolue limitée au bras du même côté que la paralysie, et avec abolition du sens musculaire; enfin, tous ces accidents sont survenus chez une jeune fille de 19 ans ayant présenté auparavant des accidents hystériques.
Ce sont là les éléments qui nous permettent, Messieurs, d'établir la nature de cette hémiplégie. Et d'abord, est-elle due à une lésion cérébrale en foyer, hémorrhagie ou ramol
lissement ? On peut hardiment répondre par la négative ; ce ne sont pas là les allures ordinaires de l'hémorrhagie ou du ramollissement cérébral; car, nous l'avons vu, il n'existe pas dans notre cas d'hémiplégie véritable, mais une monoplégie associée, sans participation aucune de la face ; de plus, il y a une anesthésie concordant absolument comme siège et comme degré avec la paralysie des membres. Ce n'est pas davantage une hémiplégie de nature spinale, car, dans ce cas, vous le savez, la paralysie et l'anesthésie devraient être croisées, tandis qu'elles sont non seulement homologues, mais, pour ainsi dire absolument superposées l'une à l'autre.
En somme, Messieurs, il n'est pas besoin de nous attarder davantage, de nous créer des difficultés imaginaires de diagnostic, la nature purement hystérique de cette paralysie s'impose avec la plus grande évidence après l'examen détaillé que nous avons fait de cette malade, et nous n'avons qu'à l'accepter en ayant soin d'en tirer, au point de vue du pronostic et du traitement, les conséquences qui en découlent tout naturellement.
[Après avoir fait remarquer que, si l'on avait différé jusque-là l'examen électrique des muscles, c'était parce que, peut-êlre, toute tentative de ce genre amènerait le retour de la motililé et la guérison, et qu'il tenait à ce que ses auditeurs fussent témoins de ce qui en pourrait advenir, M. le professeur Charcot fait alors, séance tenante, faradiser les muscles de l'épaule et du bras du côté droit; au bout d'une minute, la sensibilité était revenue dans cette région (sans transfert), une minute plus tard, la sensibilité existait dans tout le membre supérieur et la paralysie avait disparu ; la malade se servait de son bras aussi bien qu'avant l'accident et serrait vigoureusement la main des auditeurs désireux de se rendre compte
de la réalité des phénomènes qui venaient ae se produire devant eux '.]
1. A ce moment, la faiblesse du membre inférieur, sur lequel aucune application électrique n'avait été faite, existait encore, elle persista pendant 2 jours, puis disparut spontanément et, dès lors, la sensibilité et la motilité furent absolument normales.
IV.
De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques *.
(Voir la Leçon XXV).
Parmi les divers caractères de l'hystérie, de cette névrose si fertile en manifestations de toute sorte, il en est un, de nature négative, qui semble avoir été considéré jusqu'à présent comme absolu. Il consiste en l'absence de troubles trophiques. Ce caractère négatif a été élevé à la hauteur d'une loi et un médecin paraît être fondé à rejeter du cadre de l'hystérie tout syndrome auquel se rattache quelque trouble trophique.
Des faits récemment observés dans le service de mon maître, M. le professeur Charcot, l'ont amené à établir que ce caractère n'est pas constant, et que par conséquent il ne constitue pas une loi, mais tout au plus une règle.
Quatre malades du service de M. Charcot, atteints de paralysie hystérique, présentent en effet dans les membres paralysés une amyotrophie qui ne peut être attribuée à une autre cause que l'hystérie. Tous ces malades ont été présentés par M. Charcot à ses leçons cliniques. Un travail ultérieur comprendra l'exposé complet de ces diverses observations ; mais nous croyons qu'il ne sera pas sans intérêt, vu la nouveauté
1. D'après les leçons de M. Charcot, par M. Babinski. Voir Progrès médical, 1s86, n° 6 et Archives de Neurologie, nos 34 et 35, 1886.
de ces faits, d'en présenter, dès maintenant, une courte analyse, et d'esquisser à grands traits la physionomie de ces atrophies. Nous devons, du reste, bien faire remarquer que nous ne considérons pas les caractères que nous allons indiquer comme absolus ; le nombre des cas observés jusqu'à ce jour sont, en effet, trop peu nombreux pour permettre une pareille généralisation.
Les observations sont, comme nous venons de le dire, au nombre de quatre. Dans deux de ces cas, il s'agit d'une monoplégie brachiale ; dans les deux autres, d'une hémiplégie avec intégrité de la face ; dans l'une de ces deux dernières observations, il y a prédominance de la paralysie et de l'atrophie dans le membre supérieur ; dans l'autre, prédominance dans le membre inférieur.
L'atrophie musculaire hystérique se présente sous l'aspect suivant : 1° elle est plus ou moins considérable, mais il faut savoir qu'elle peut atteindre d'assez fortes proportions ; chez deux malades il y avait comme différence entre le plus grand périmètre du bras malade et celui du bras sain, 3 centimètres, et chez un autre malade, il y avait entre les deux cuisses une différence de S centimètres ; 2° il n'y a pas de secousses fibrillaires ; 3° l'excitabilité idio-musculaire paraît normale ; 4° la contractilité électrique est diminuée en proportion du degré de l'atrophie musculaire, mais il n'y a pas de réaction de dégénérescence ; 5° cette atrophie peut se développer avec une grande rapidité. Chez un malade, elle était déjà appréciable tout au plus 15 jours après le début de la paralysie, et un mois et demi après, elle était très accentuée : on notait 3 centimètres de différence entre les deux bras; chez les autres malades, le développement de l'amyotrophie a été aussi très rapide ; 6° la rétrocession de l'atrophie semble pouvoir être rapide, comme son développement. Dans une observation de monoplégie brachiale, 10 jours après la disparition de la paralysie,
qui avait été brusque, la circonférence du bras avait déjà augmenté de 1 centimètre.
Quelle est la nature de cette atrophie musculaire? Nous avons déjà dit plus haut qu'à l'examen électrique, il n'y avait pas de réaction de dégénérescence. Il s'agit donc d'une atrophie simple, c'est-à-dire d'une atrophie indépendante de toute lésion matérielle de la substance grise de la moelle et des nerfs périphériques. C'est là une première donnée très importante, mais il faut aller plus loin et chercher à expliquer le mécanisme de cette lésion.
Il semblerait, au premier abord, assez naturel de l'attribuer à l'impotence fonctionnelle, mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on voit qu'une pareille interprétation serait erronée. On sait, en effet, que l'amaigrissement des masses musculaires qui résulte de la suppression simple de la fonction des muscles est lente à se produire, qu'elle n'est jamais très accentuée et qu'elle peut manquer complètement, même quand une paralysie dure depuis longtemps déjà ; c'est ainsi que chez un malade, le nommé Porcen... atteint de monoplégie hystôro-traumatique (il s'agit d'un des deux malades sur lesquels M. Charcot s'est fondé pour établir cette variété de paralysie, et dont les observations ont été publiées dans le Progrès médical de 1880) 1, les muscles du membre supérieur, quoique leurs fonctions aient été suspendues pendant une année entière, n'avaient pas subi la moindre atrophie. Or, chez les malades dont il est ici question, l'atrophie s'est développée très rapidement et a pris en peu de lemps des proportions très accentuées. Ces caraclères indiquent d'une façon bien évidente que cette diminution dans le volume des muscles appartient à la catégorie des phénomènes dits trophiques.
Une pareille assertion peut pourtant paraître étrange; car,
1. Voir la Leçon XX.
est-il possible de comparer l'atrophie dont nous nous occupons ici avec l'amyotrophie qui résulte d'une lésion organique des cornes antérieures de la moelle ou des nerfs moteurs et qui constitue le type delà lésion trophique? — 11 est sans doute indispensable d'établir entre ces deux variétés d'atrophie une distinction fondamentale. Mais il faut aussi bien remarquer que l'expression de « trouble trophique » n'implique pas fatalement l'idée d'une altération matérielle du système nerveux, appréciable à nos moyens d'investigation ; elle signifie simplement que l'action incontestable, exercée par ce système sur la nutrition des tissus, est modifiée ou supprimée; or, cette modification ou cette suppression peut être purement dynamique, et c'est évidemment à un phénomène de cet ordre que nous avons affaire ici.
M. Charcot a, du reste, fait ressortir que l'on connaît déjà des atrophies comparables à ces atrophies hystériques. Les amyotrophies qui sont consécutives aux affections articulaires sont aujourd'hui considérées par la généralité des médecins, conformément à l'opinion que MM. Charcot et Yulpian soutiennent depuis longtemps, comme reconnaissant une origine réflexe et résultant d'une modification dans l'état des cellules des cornes antérieures de la moelle ; il est vrai que ce n'est encore là qu'une hypothèse, car on ne saurait guère fournir une démonstration absolument rigoureuse de cette manière de voir ; mais elle s'appuie sur de très grandes probabilités. Or, il s'agit là d'une altération purement dynamique du système nerveux; les centres gris de la moelle et les nerfs périphériques sont normaux ; l'atrophie musculaire est, comme dans l'hystérie, une atrophie simple.
M. Charcot a encore rapproché l'atrophie hystérique d'une Viriélé d'atrophie que j'ai récemment signalée et qui s'appuie sur un fait observé à la Salpêtrière *. Il s'agit d'une amyotro-
1. Babinski. — Société de biologie, séance du 20 février 1886. Charcot. Œuvres complètes, t. ni, Système nerveux. 31
phie développée du côté paralysé, dans une hémiplégie de cause cérébrale suivie de dégénération descendante, et qui était indépendante de toute lésion des cornes antérieures de la moelle et des nerfs moteurs. Dans ce cas, il ne peut môme plus y avoir de contestation au sujet de l'origine de l'atrophie musculaire, comme dans l'amyotrophie articulaire où l'autopsie n'a pas encore parlé; il est certain qu'elle dépend du système nerveux central ; or, puisque les cornes antérieures de la moelle constituent le centre trophique des muscles et qu'elles ne sont pas altérées organiquement, il faut bien admettre qu'elles le sont dynamiquement. La seule différence entre cette variété d'atrophie et l'atrophie hystérique est que, dans le premier cas, la modification dynamique des cornes antérieures est consécutive à une altération organique du cerveau et du faisceau pyramidal, tandis que, dans le second cas, les modifications des diverses parties du système nerveux sont toutes dynamiques.
Quelles que soient, du reste, les hypothèses que l'on puisse soulever au sujet de ces observations, un fait important et incontestable s'en dégage, c'est que l'atrophie musculaire peut relever directement, contrairement à l'opinion régnante, de l'hystérie, et qu'il s'agit alors d'une amyotrophie simple l.
1. L'existence de l'amyotrophie sur un membre affecté de contracture hystérique a été signalée très explicitement par M. F. Kalkoff, dans sa thèse inaugurale, faite sous la direction de M. Seeligmuller. (Beitraege zur differential Diagnose der hysterischen und der kapsulSren Hemianesthesie, Halle, 1ï84.)
V.
Du mutisme hystérique
(Voir la Leçon XXVI.)
Parmi les manifestations si variées de l'hystérie, il en est une qui n'a peut-être pas, jusqu'ici, attiré l'attention comme elle le mérite ; c'est le mutisme. M. le professeur Charcot a traité ce sujet, dans ses leçons 2, à propos de quelques malades dont il a bien voulu me permettre de rapporter les observations. De ces observations, je rapprocherai quelques faits recueillis dans divers auteurs français et étrangers et qui appartiennent évidemment à la même catégorie.
Eu égard au nombre de malades, hommes et femmes, atteints d'hystérie, on peut dire que le mutisme est un phénomène relativement rare. On le trouve à peine mentionné dans les travaux anciens sur ce sujet et dans un certain nombre d'observations plus récentes, il a été en partie confondu avec l'aphonie; tout au moins l'interprétation que donnent les auteurs tend à faire admettre cette confusion.
Si l'on voulait dépouiller toutes les observations de névrose hystérique, si l'on cherchait dans les documents historiques, on trouverait à coup sûr un plus grand nombre de faits qui
1. D'après les leçons de M. Charcot, par M. CARTAz.x^Voir Progrès médical, 1886). —•"-*""—
2. Leçons de décembre 1885. (Voir la Gaz. des hôpitaux du 12 janvier 1886).
répondent aux caractères de ce syndrome clinique. L'histoire du fils de Crésus, rempli de perfections, dit Hérodote, mais muet et recouvrant subitement la parole au moment où un soldat ennemi va frapper son père, cette histoire est peut-être un exemple de mutisme hystérique. Nous nous en tiendrons à des observations plus modernes.
Briquet, dans son Traité, dit que « l'aphonie et plus souvent la dysphonie, car les malades peuvent encore parler à voix basse, se rencontrent de loin en loin chez les hystérique ;. »
« L'aphonie est d'autant plus complète qu'elle résulte et de la paralysie des muscles du larynx et de la paralysie des muscles du diaphragme. » Briquet cite cependant l'observation suivante de mutisme due à Watson (Philosoph. Transact., XIV). Une jeune femme était depuis longtemps sujette à de violentes convulsions fréquemment suivies de paralysie temporaire des muscles qui avaient été le plus fortement affectés; après un accès, elle perdit complètement la vue pendant cinq jours; une autre fois, elle perdit la parole qui revint au bout d'un temps très court. Les convulsions se reproduisaient de temps en temps, elle perdit de nouveau la parole et en resta tout à fait privée pendant 14 mois ; pendant ce temps, la santé se rétablit. Enfin un jour, après avoir beaucoup dansé, elle recouvra la parole et fut guérie. »
Ou trouve dans les mémoires de l'Académie des sciences (1753) l'histoire d'une jeune fille de quatorze ans frappée de paralysie et de perte de la parole par suite de frayeur.
Wells (Medic. Communications, 1790) rapporte l'histoire d'une femme qui, au sortir d'une attaque hystérique, s'aperçut qu'elle ne pouvait ni parler, ni émettre aucun son, bien qu'elle fût en pleine possession de ses facultés intellectuelles. Une nouve'le attaque lui rendit la parole.
En 1355, Sédillot présentait à l'Académie des sciences l'his-
toire d'une malade atteinte de mutité et d'aphonie depuis douze années, et qui fut guérie par l'électricité.
Richter (de Wiesbaden) a publié un fait plus curieux : celui d'une femme hystérique qui devenait aphasique régulièrement tous les jours; l'intelligence ne paraissait nullement altérée. L'accès se terminait par une abondante évacuation d'urine.
Bateman (Gaz. hebdomad., 1870) signale quelques cas d'aphasie hystérique et rappelle qu'à la Société médicale des hôpitaux (1867), à propos de faits de cette nature, M. Moreau regardait ce phénomène comme vulgaire. D'après ce qu'il m'a été donné d'observer dans le service de M. Charcot, je ne crois pas que l'aphasie hystérique soit si commune que semblait le dire M. Moreau. M. Legroux, dans sa thèse d'agrégation sur l'aphasie, signale la possibilité de cette manifestation chez les hystériques, et ajoutant toutefois qu'il ne faudrait pas la confondre avec le mutisme plus ou moins obstiné de certaines malades.
Dans l'observation intéressante qu'ils ont publiée et que je résume plus loin, MM. Liouville et Debove semblent rapporter le mutisme à une paralysie musculaire : « D'autres fois, disent-ils, elle (la paralysie) intéresse certains appareils musculaires, tels que celui du larynx et alors, selon son degré, elle produit l'aphonie ou le mutisme. »
Le professeur Revilliod (de Genève), qui a eu pendant longtemps dans son service l'hystérique qui fait le sujet de l'observation I, cherche dans une paralysie d'un nerf spécial l'explication des phénomènes d'aphonie et de mutisme présentés par le malade. Trois autres cas qu'il a observés en môme temps sont publiés dans un mémoire fort intéressant paru dans la Revue de la Suisse romande.
J'ai pu recueillir un certain nombre de faits de ce genre ; en joignant aux observations prises dans le service du professeur Charcot les plus importantes de celles qui ont été
publiées jusqu'ici, j'ai rassemblé une vingtaine de cas. L'examen attentif des malades que j'ai pu suivre permet de reconnaître dans ce mutisme un trouble psychique central, analogue à celui qui amène la paralysie d'un membre, l'abolition de tout ou partie du champ visuel, etc. C'est de l'aphasie, mais comme l'a fait remarquer M. Charcot, une aphasie à type caractéristique qui permet, pour ainsi dire, de diagnostiquer sa nature à première vue et de la distinguer des diverses formes d'aphasie de cause organique.
J'ai résumé la plupart des faits sans m'attacher à une escription minutieuse des diverses manifestations qui caractérisaient, chez ces malades, l'hystérie. J'ai cependant fait exception pour le premier cas que je relate longuement, en raison des détails intéressants de l'histoire du sujet et de l'examen qui en a été fait par nos confrères de Genève et de Lyon.
Obs. I (communiquée par M. Charcot). — Ch..., âgé de 37 ans, entré, le 8 novembre 1885, salle Bouvier, service de M. le professeur Charcot. Comme antécédents de famille, voici ce qu'il nous apprend :
Grand-père paternel, mort d'une affection de l'œsophage. Les frères et sœurs de ce grand-père étaient tous robustes et bien portants : l'un d'eux est mort à 78 ans. Le fils d'une des sœurs (par conséquent le neveu du grand-père) était d'une humeur chagrine, un peu hypocondriaque et a fini par se suicider. Grand'mère maternelle, très nerveuse, morte à 72 ans, d'un catarrhe (?). Il y avait eu, dans sa famille, un aliéné, mort dans une maison de santé. Grand-père maternel mort d'accident. Grand-mère maternelle morte d'un catarrhe, a eu un fils alcoo-licpje et considéré comme irresponsable. Père, mort d'une laryngite tuberculeuse à l'âge de 57 ans; avait des crises épileptiques. Mère nerveuse, très emportée, morte de phtisie; a eu huit enfants dont Ch. est l'aîné. De ses sept frères et sœurs, un frère est mort du croup à l'âge de 3 ans; deux sœurs sont mortes de
phtisie, à 24 et 26 ans. L'une d'elles était sujette à des crises de nerfs et à des attaques de sommeil cataleptiques. « Au réveil, elle était aphone; elle articulait très nettement, mais si bas, si bas qu'il fallait une extrême attention pour la comprendre. » Les quatre sœurs sont vivantes; deux sont souffreteuses, sans maladie définie. Une de ces dernières a un fils rachifique et colérique.
Ch. a eu une enfance maladive; à 12 ans, il fut cloué au lit pendant 5 à 6 mois par une maladie de langueur. Le médecin le traitait pour de l'anémie. « Le moindre bruit, dit-il, me faisait tomber en syncope; on ne pouvait causer auprès de mon lit. » A deux reprises, pendant son séjour au collège, il a eu des hé-moplysies. On l'avait surnommé le philosophe à cause de son caractère taciturne. Au sortir du collège, il entra, dans une école, comme aide-instituteur, puis resta quelque temps dans un grand établissement horticole privé.
A la suite de discussions de famille et de chagrins d'amour, il quitta la Suisse, son pays natal, pour aller s'engager dans la légion étrangère. Pendant son séjour en Algérie, il se laissa aller à boire de l'absinthe, contracta des fièvres intermittentes. La guerre de 1870 éclate ; son régiment vient en France. A Vierzon, il resta huit jours dans un état de délire, causé, dit-il, par des accès de fièvre. Il rejoint son régiment et, dans le cours de la campagne de l'Est, reçoit une balle dans le coude gauche (17 janvier 1871). La blessure nécessita l'amputation du bras qui fut pratiquée par le Dr Mollière (de Lyon). Il rentre en Suisse et est admis comme gérant d'un dépôt du département des postes. C'est à cette époque (fin 1871) que survient la première grande manifestation nerveuse. Pendant un souper avec quelques amis, il est pris, vers la fin du repas, d'un sommeil invincible et s'endort accoudé sur la table. Ses camarades ne parviennent pas à le réveiller. Yers le matin, éclate une crise nerveuse avec délire terrible. Le médecin crut à une méningite aiguë ; le Dr Mayor, appelé en consultation, confirme ce diagnostic. Le surlendemain, le malade revenait à lui. Rechute, quelques jours plus tard; application de sangsues, crise nerveuse encore plus terrible que la
première, mais la fièvre et le délire disparaissaient au bout de deux jours.
Jusqu'en 1875, on ne relève rien d'anormal dans l'état de Cb... A cette époque, il part pour l'Algérie où il a obtenu un emploi de commis rédacteur à la préfecture d'Oran. Quelque temps avant son départ, il éprouve pour la première fois des palpitations violentes et subites qui l'obligent à s'asseoir. « Des phénomènes assez étranges se manifestaient alors, pendant des journées entières, je ne pouvais supporter aucun vêlement sur le corps. J'avais l'épiderme en feu, des contractions dans tous les membres, et, quand j'essayais de passer un vêtement, c'était comme des milliers d'épingles qui semblaient me piquer. » A son passage à Lyon, en allant en Algérie, il fut pris subitement de ces étoulfe-menls, il entra dans une pharmacie où il fut pris d'une crise nerveuse analogue aux précédentes, mais qui ne dura que deux heures environ. En décembre 1877, variole légère.
« Au printemps de 1878, dans une tournée que je faisais avec mon chef de bureau, je fus trouvé un matin inanimé dans mon lit. Une saignée et des doses de calomel me firent revenir à moi, mais j'avais le larynx presque paralysé. Je restai 72 jours articulant péniblement mes paroles ; je pouvais me faire comprendre cependant. » 11 faut ajouter que le malade se laissait aller à des excès vénériens et alcooliques. Pour remédier à des accès fréquents de fièvre intermittente, il passe dans la province d'Alger, et, après trois ans de séjour, revient à Genève. En 1880, il parcourt à pied toute l'Europe et se fixe pour quelque temps chez son beau-frère en Prusse. C'est là que survient une deuxième attaque de catalepsie qui disparut sous l'influence d'une saignée ; au réveil, il y avait de la paralysie avec insensibilité de la jambe gauche et de plus, il y avait un muLisme complet. Aucune parole, aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche. « Mais, pas plus que maintenant, l'intelligence ne fut atteinte, seule la mémoire, pour quelques faits récents, me faisait défaut. » Il quitte la Prusse et revient à Genève.
Nous empruntons les détails de son séjour à Genève à l'observation rédigée par le Dr Revilliod. C'est dans cet état qu'il de
mande son admission à l'hôpital, le 11 février 1881, ne présentant comme phénomène pathologique que ce mutisme absolu et un peu d'engourdissement du côté gauche.
L'examen laryngoscopique, très facile par le fait d'un degré assez prononcé d'anesthésie du pharynx, permet de constater les lésions suivantes (Dr Wyss) : L'abduction et l'adduction des cordes vocales se font comme dans l'état normal, lorsque le sujet prononce les voyelles e, i; le seul acte qui manque à l'ordre mental, c'est la tension de ces cordes. Bien que rapprochées, elles restent sinueuses, festonnées, détendues, flottant plus ou moins selon la force du courant d'air inspiratoire et expiratoire. Si, dans ces conditions, le sujet est invité à augmenter l'effort nécessaire pour produire un son, les cordes vocales, au lieu de se tendre en se rapprochant, arrivent subitement, comme mues par un ressort, à se toucher hermétiquement, dans toute leur longueur, de sorte que, non seulement aucun son n'est produit, mais que la respiration suspendue exige un effort inspiratoire comme un soupir qui remet les choses en ordre.
Notre malade passe ses journées à lire, a écrire de vrais mémoires dans lesquels il décrit ses diverses impressions. Le 15 février, il écrit avoir prononcé ces mots: « Non, en avez-vous besoin », puis avoir été incapable de continuer, la gorge s'élant contractée et comme obstruée par un obstacle. Sa respiration fut également plus gênée qu'auparavant.
Après quelques séances de faradisation des muscles crico-thyroïdiens et sur le trajet du laryngé supérieur, il arrive à pouvoir donner quelques sons pendant la séance, puis quelques voyelles, mais sans précision, l'intonation ne se faisant qu'à la fin de l'expiration. La même chose se passe lorsqu'on lui fait pencher fortement la tête en avant ou lorsqu'on relève le bord inférieur du cricoïde. Mais ces exercices fatiguent beaucoup le malade, bien qu'il s'y soumette bien volontiers, convaincu qu'ils accélèrent le moment de sa guérison.
Le 30 mars, il prononce les voyelles assez facilement, les consonnes avec plus de peine. Le 30 avril, il parle et lit à haute voix, mais non sans fatigue. Après dix minutes de lecture, il se sent
essouflé et obligé de s'arrêter un momentpoursereprendre.il évite de parler spontanément.
On constate au laryngoscope que les cordes vocales sont bien tendues, mais ne se ferment pas complètement au milieu, lorsque le malade prononce les différentes voyelles, laissant ainsi échapper inutilement une grande quantité d'air.
Le 18 juin 1881, Ch.. quitte l'hôpital parlant spontanément et couramment sans difficulté. Il accuse seulement de la sécheresse du cou après une longue conversation.
Le traitement a consisté en faradisation et, depuis le 6 mai, en injections sous-cutanées d'un milligramme de sulfate de strychnine. Plaques de cuivre en collier. — En quittant Genève, Ch. trouve un emploi à Lyon. Le 11 septembre 1882, il est trouvé sans connaissance sur son lit. Une saignée le ranime ; mais au réveil, il est de nouveau muet et paralysé du côté gauche. Il entre dans le service du Dr Raymond Tripier, à l'Hôtel-Dieu, où il reste huit mois, soumis à un traitement consistant en bains tièdes, électricité, toniques et bromures. Au dire du malade, à l'examen laryngoscopique, on trouva les cordes vocales dans le même état constaté par M. Revilliod-
A sa sortie de l'hôpital, il reprend sa vie tourmentée, éprouve de nouveau des étouffements et des vomissements (de bile et de sang); son sommeil était tourmenté par des visions, des cauchemars. En janvier 1883, il va à Valence faire des recouvrements et le lendemain, on le trouve endormi à l'hôtel ; il fut transporté à l'hôpital où il se réveilla muet et encore paralysé du côté gauche.
Il revient alors à Genève et rentre dans le service du D1' Revilliod, jouissant de l'intégrité de son intelligence et de toutes les fonctions, mais absolument muet. L'examen laryngoscopique donna les mêmes indications que la première fois. Le 4 juin, nouvelle crise de sommeil cataleptique. La parole revient quelques jours plus tard et il sort le 21 juillet.
Le malade n'a pas voulu s'étendre en détail sur les événements qui ont marqué les années 1884 et 1885. Ce qu'on peut apprendre, c'est qu'il a eu, en 1884, cinq crises nerveuses ressemblant aux
premières (en 18G9) en un mois et demi de temps, mais incomplètes; dans une, on lui pratiqua encore une saignée, Deux fois, il tenta de se suicider. La dernière attaque de mutisme et de paralysie remonte à quatre mois, pendant un voyage au Havre. Il entre à l'hôpital de la Salpêtrière, le 8 novembre 1885.
A son entrée, il traîne encore un peu la jambe ; la paralysie a diminué depuis une huitaine de jours, mais le mutisme est complet. Il a actuellement des cauchemars où les hallucinations qui se montraient pendant son délire reviennent fréquemment, tantôt terribles, tantôt agréables et, dans ce dernier cas, accompagnées de pertes séminales. L'attouchement du front aurait produit chez lui, dansle courant de l'année dernière, la sensation d'aura qu'on provoque actuellement par la pression de la fosse iliaque gauche ; d'une zone circonférenlielle au-dessus du genou et à la cheville du même côté. L'exploration de la sensibilité montre en effet du côté gauche, en dehors de ces trois zones hystérogènes, une analgésie de toute la moitié gauche de la tète, du tronc et de la cuisse ; la piqûre est perçue comme un frôlement. A la jambe, l'aneslhésie est complète ; au pied, simple analgésie. Du côté droit, sensibilité intacte sauf à la main, où il y a analgésie à la face palmaire. Le bras gauche, rappelons-le, a été amputé en 1871.
L'ouïe est un peu diminuée à gauche ; il n'y a ni rétrécissement du champ visuel, ni achromatopsie. L'odorat esta peu près nul à gauche ; ce malade ne perçoit pas l'odeur de l'ammoniaque. Il a remarqué que, depuis quelques années, quand il a un coryza, il a une sensation de sécheresse dans la narine gauche, pendant que l'autre a l'écoulement habituel.
On constate une absence complète de réflexe du voile du palais, du pharynx et du larynx; l'anesthésie est absolue. On peut toucher, avec le doigt, le fond de la gorge, l'épiglotte; on peut, avec une sonde laryngée, toucher les cordes vocales sans provoquer d'action réflexe. Si l'on examine le larynx, on trouve les cordes vocales largement écartées, dans la position d'inspiration profonde. Si l'on dit au malade d'émettre un son, e, i, on voit les cordes se rapprocher vivement, en laissant entre elles un espace
ellipsoïde dû au défaut d'action des Ihyro-aryténoïdiens, muscles tenseurs et adducteurs. Mais il ne sort aucun son, ni sourd, ni voilé, rien. Quand on lui fait prononcer certaines consonnes, le malade arrive, par le jeu des lèvres, à produire un léger bruit, purement labial. En provoquant une expiration forcée, on détermine également une sorte de bruit, qui ne répond en réalité à aucun son vocal.
Ch. a eu quatre attaques d'hémiplégie accompagnée d'aphasie, toujours avec persistance de l'intelligence. Aussi, quand on l'interroge, le malade ne cherche-t-il pas à faire des mouvements des lèvres pour exprimer ce qu'il veut dire. Il saisit immédiatement avec vivacité la plume, le papier et répond dans un style imagé, souvent humoristique, qui dénote une intelligence bien au-dessus de la moyenne. Quand on l'engage à faire les mouvements des lèvres nécessaires pour la prononciation des mots, des consonnes, il esquisse ces mouvements, mais le mot ni la consonne ne sont prononcés. De même pour siffler, il resserre et avance les lèvres, mais il ne se produit aucun son.
Les mouvements de la langue sont très libres ; il n'existe aucun trouble de la déglutition et le malade est très affirmatif sur ce point, qu'à aucune de ses attaques d'hémiplégie, il n'a eu de déviation de la bouche ou de la langue. Au réveil, il lui semblait seulement qu'il avait quelque chose dans le cou qui l'empêchait de parler.
Ch. est sorti de l'hôpital à la fin de novembre, toujours muet. Quelques jours après, la parole revint subitement, sans cause émotionnelle ; mais il conserva pendant quelques jours du bégaiement. A la suite de ses autres attaques, la parole n'était pas revenue tout à coup ; il avait commencé par béga}rer, répétant deux fois la même syllabe, si le mot est trop long ou trop complexe. Il dit que l'air semble lui manquer pour finir les mots.
Les journaux nous ont appris que Ch. avait été trouvé peu de jours après, endormi dans son hôtel.
Obs. II (communiquée par M. Charcot). — M. S... Félix, de Madrid, âgé de 26 ans. Antécédents héréditaires inconnus; a eu
une enfance maladive, sujet à des angines fréquentes, à des épis-taxis ; une de ces hémorrhagies a été assez forte pour nécessiter un tamponnement nasal. Il a souffert, dans sa jeunesse, de maux d'estomac, de malaises indéfinissables de nature névropatbique. Il vit dans un milieu difficile et son oncle est pour lui une cause d'effroi, à cause des remontrances qu'il lui adresse sans cesse. En 1880, d'après le témoignage de son médecin espagnol, le malade aurait eu la syphilis, mais lui le nie absolument. Il fut cependant soumis à un traitement spécifique et c'est à la suite d'une cure thermale, faite dans une station d'eaux sulfureuses, qu'il eut la première crise convulsive. Depuis cette époque (3 ans), il a eu de fréquentes « attaques » avec perte de connaissance, que, le plus souvent, il ne prévoit pas. On regarde ces crises comme épileptiques et d'origine syphilitique. Un traitement spécifique des plus énergiques fut institué et les crises n'en devinrent que plus longues, plus violentes et plus rapprochées ; depuis quelque temps, ces attaques sont suivies de perte de la parole. L'aphasie dure quelques jours et tout rentre dans l'ordre.
C'est dans ces conditions que M. S... se présente à la consultation de M. Charcot. Il est muet depuis sa dernière attaque. Ces attaques sont assez subites, mais il ne se mord jamais la langue et il n'urine pas sous lui. L'œil est vif, intelligent, la langue peut se mouvoir aisément dans toutes les directions, il n'existe aucune déviation de la face. Le malade peut faire les gestes de siffler, souffler ; la déglutition n'est pas gênée, mais il ne peut prononcer un mot ; il ne peut crier, il ne peut émettre aucun son. Quand on lui parle, il comprend parfaitement, saisit immédiatement une plume et écrit, avec orthographe, en français, bien qu'il soit espagnol, sans le moindre embarras, des réponses très nettes. Cette circonstance, à notre avis, caractérisque, fit soupçonner l'hystérie. M. Charcot fit déshabiller le malade et reconnut une hémianalgésie droite; de ce côté, la sensibilité est obtuse à la poilrine et au bras pour la piqûre et pour le froid. Il existe un certain degré d'hyperesthésie dans la région dorso-lombaire ; mais pas de véritables points hystérogènes, ni dans les testicules, ni dans les aines et fosses illiaques. En plongeant le doigt dans le
pharynx, on constate qu'il y a peu de réflexes. L'examen laryn-goscopique n'a pas été pratiqué. L'examen des yeux, pratiqué par le Dr Parinaud, montre un rétrécissement très prononcé du champ visuel avec contracture de l'accommodation.
Le membre supérieur droit est atteint de chorée analogue à la chorée post-hémiplégique.
Le malade fut soumis à un traitement tonicrue, bromure et à l'hydrothérapie.
La parole revient quelques jours après, mais il bégaye un peu.
Un mois plus tard, le 10 novembre, il existait toujours de l'hé-mianalgésie à droite et de l'hémichorée des membres supérieur et inférieur droits. Pour le membre inférieur, l'hémichorée est visible, surtout quand le malade est assis.
Voici des spécimens des réponses du malade au moment de son départ, quelques jours plus tard.
« Je suis..., je suis allé faire. »
« Oui, oui, je parle un peu mieux. »
« Corn..., comment. »
On lui fait lire un journal :
« Tous... tous les préparatifs sont..., sont faits pour..., pour la conférence..., on sait de source auto... autorisée, etc.
On lui fait lire un journal espagnol, c'est la même chose.
Au bout de quelques semaines, disparition complète des accidents.
Obs. III (communiquée par M. Gharcot). — Bill... Antoinette, âgée de 21 ans, entrée à la Salpêtrière, service du professeur Charcot, issue d'une famille de musiciens. Sa mère est morte des suites d'une hémiplégie à l'âge de 49 ans. Elle-même n'a eu qu'une fièvre typhoïde. A l'âge de 19 ans, à la suite d'une frayeur (huissiers qui venaient faire une saisie), elle a été prise de chorée qui a duré six mois, puis de mutisme qui a duré huit jours et a été suivi de bégaiement. Le mutisme reparaissait par intervalles, a la suite de crises accompagnées d'étouffements, de constriction de la gorge, de sensation de boule, de douleurs dans les jambes, que la malade qualifie de crampes, avec gonflement.
Depuis, est survenu du hoquet avec spasmes respiratoires, mais elle n'a pas eu de grandes attaques d'hystérie. Le bégaiement ni le mutisme ne s'étaient jamais montrés avant cette peur. Anesthésie à gauche; ovaire gauche. Pas d'examen laryngosco-pique.
Obs. IV. — Larch... Sydonie, âgée de 19 ans, entrée à la Salpê-trière, service de M. Charcot, le 11 avril 1885.
Pas d'antécédents héréditaires ; pas d'antécédents personnels. Cependant la malade se plaignait souvent de douleurs dans la région ovarienne droite.
Le 9 avril à 10 h. 1/2 du soir, elle éprouve une grande frayeur (elle entre dans une chambre où se mourait une jeune fille). La nuit est agitée avec cauchemars. Le lendemain, à 6 heures du matin, la main droite laisse brusquement échapper le seau à ordures qu'elle descendait dans la rue ; parésie du membre supérieur droit. Elle remonte se coucher. A dix heures, un médecin qu'on a appelé constata la perte absolue de la parole ; la malade ne sait ni lire ni écrire.
A son arrivée à l'hôpital, mutisme absolu ; mais la malade comprend ce qu'on lui demande, au moins répond-elle par signes à des questions simples. La commissure labiale est un peu relevée au repos et surtout quand on la fait sourire : la langue semble un peu déviée à droite. La malade peut cependant facilement souffler une bougie. Sensibilité un peu émoussée du côté droit. Sens du goût et de l'odorat intacts. L'audition est un peu moins bonne à droite qu'à gauche ; le tic-tac d'une montre est perçu à droite à 9 centimètres ; à gauche à 34. Rétrécissement du champ visuel à droite. Pas de dischromatopsie.
Les réflexes du voiie du palais sont peu prononcés ; degré assez prononcé d'anesthésie du pharynx. A l'examen du larynx, on constate une intégrité parfaite de la muqueuse des diverses parties de l'organe ; les cordes vocales sont dans l'abduction complète. Si l'on dit à la malade de pousser un son, de dire é, de crier, on voit les cordes vocales se rapprocher incomplètement, en laissant un espace ouvert ellipsoïde (défaut de tension du
thyro-aryténoïdien). Il ne sort aucun son ; la malade ne peut non plus parler à voix basse. Le mutisme est absolu. Il n'existe plus trace de la parésie du membre droit.
Le 24 avril, sans aucun traitement, le rétrécissement du champ visuel a disparu ; le sens de l'ouïe s'est amélioré ; la tension des cordes vocales se fait plus complètement et dit: «et puis..., non. »
Le 6 mai. La malade prononce quelques paroles. Il n'y a plus d'apparences de déviation de la bouche.
Cette observation peut prêter à discussion et M. Charcot, au moment de l'admission de la malade, n'était pas disposé à voir là un cas d'hystérie, en raison des phénomènes de déviation de la bouche et de la langue. Aussi ne publions-nous le fait que sous réserve, bien qu'il nous semble rentrer dans la catégorie des manifestations hystériques.
La malade est sortie du service quelques mois après, non guérie.
Obs. V. — Gué..., entré à la Salpètrière, service de M. Charcot.
Homme, âgé de 30 ans. La première attaque nerveuse eut lieu en septembre 1882. Depuis le mois de janvier 1883, les attaques ont été, ce qui ne se produisait pas auparavant, toujours suivies d'aphasie passagère. Ces attaques, très violentes, sont classiques (aura, perte de connaissance, période tonique, clonique, etc.). Quand le malade reprend connaissance, il ne peut plus parler; il pousse des sortes de gloussements qui viennent appuyer et confirmer les gestes par lesquels il exprime sa pensée ou ce qu'il écrit. Il comprend très bien ce qu'on lui demande et écrit nettement ses réponses. Ce phénomène dure un temps plus ou moins long, qui paraît en rapport avec la violence de l'attaque ; la durée moyenne est de 4 à 5 minutes.
Cet état s'accompagne de phénomènes subjectifs : constriction delà gorge ; à mesure que cette sensation de pression disparaît, le malade recouvre la parole.
Chez Gué..., pendant cet état de mutisme, la sensibilité réflexe du voile du palais est conservée, comme, du reste, à l'état normal.
Ce mutisme a eu des phases plus longues, de plusieurs heures et de plusieurs jours. A la date du 24 février 1885, une crise a été très violente, avec spasmes et accès de suffocation ; l'aphasie a duré six jours. A diverses reprises, attaques, laissant du mutisme, qui se dissipe parfois après une nouvelle crise. D'autres fois, c'est spontanément que la parole revient; il sent que « quelque chose se relâche dans sa gorge ».
Obs. VI. — Lip..., entré à la Salpêtrière, service de M. Char-cot; sculpteur, âgé de 20 ans. Le 16 juin, étant au restaurant, il a été pris tout à coup d'aphasie, en même temps que de surdité : il n'entendait plus ce qu'on lui disait. Celte surdi-mutité serait survenue à la lecture d'une lettre dans laquelle son père lui reprochait sa conduite et lui refusait de l'argent. A son arrivée à l'hôpital, il n'entend pas quand on lui parle tranquillemen t ; mais si on parle fort et près de son oreille, il comprend. Il répond très nettement par écrit, soit en français, soit eu polonais, aux questions qu'on lui pose par écrit, ou en parlant très haut. Pas de paralysie, pas de troubles de la sensibilité. Les mouvements de la langue et des lèyres se font sans difficulté. L'intelligence est intacte.
Le mutisme n'est pas absolu comme le jour où il a perdu la parole ; il prononce a, é. Les jours suivants, il paraît présenter de l'amnésie motrice ; on écrit devant lui Varsovie en français et en slave, il ne peut prononcer le mot d'une façon satisfaisante : il dit Vavie et Vava au lieu de Varchava. Au contraire, en écrivant, il montre très bien qu'il a parfaitement compris Varsovie * il répond, en écrivant, sans la moindre hésitation.
Ces phénomènes persistèrent pendant une quinzaine de jours, époque à laquelle la parole revint et la surdité commença à s'atténuer.
Je ne fais que résumer en quelques mots l'observation sui-Charcot. Œuvres complètes, t. m, Système nerveux. 32
vante d'aphasie hystérique, chez une enfant de onze ans. On trouvera l'histoire détaillée de la petite malade dans la thèse du Dr Peugniez, élève du service de M. Charcot. (De l'hystérie chez les enfants, thèse de Paris, 1885.)
Obs. VII. — Marie D..., âgée de II ans, entrée à la Salpêtrière le 21 avril 1885, service de M. le professeur Charcot.
Le père a eu des convulsions fréquentes ; le frère de son grand-père était hémiplégique. Mère bien portante. Cousine maternelle enfermée dans un asile d'aliénés. Frère ayant eu des convulsions.
Les phénomènes hystériques datent de l'année 1884. Au commencement de février 1885, crises convulsives, contracture, etc.. La voix s'affaiblit graduellement à partir de ce moment, et la malade devient aphasique. Depuis trois mois, elle ne prononce que quelques mots : Ah, maman, je, pa...
Altérations du goût, de l'odorat ; rétrécissement du champ visuel, achromatopsie. La malade répond: Ah, oh, aux questions. Le 11 mai, à la suite d'une vive frayeur, elle crie: «Méchante, j'ai peur » ; et à partir de ce moment, la parole revient.
Obs. VIII (publiée par le Dr Thermes, France méd., 1879, p. 200).
Mlle X..., âgée de 21 ans. Le 15 février 1876, à la suite de l'impression du froid humide, du moins au dire de la malade, elle fut prise de toux, et bientôt la voix, ne tarda pas à se modifier dans son timbre et dans son intensité... L'examen laryngoscopi-que (pratiqué par Isambert) ne révéla aucune lésion organique, ni aucun phénomène inflammatoire, et le diagnostic fut: paralysie des cordes vocales par défaut d'innervation des muscles du larynx et en particulier des crico-thyroïdiens. En conséquence, les courants induits furent conseillés et appliqués par Isambert lui-même. Mais, au lieu de l'amélioration habituelle et attendue, l'aphonie fit des progrès et dégénéra rapidement en mutisme. Les médicaments les plus variés furent employés: révulsifs, bromure... Rien n'y fit.
____Durant un traitement par les bains thermo-résineux, nous
eûmes le loisir d'examiner M"8 X.... et certains symptômes subjectifs et objectifs nous firent penser à un mutisme greffé sur une hystérie à forme non conyulsive ou plutôt à une hystérie dont une des manifestations avait envahi la région laryngée et, en particulier, les muscles tenseurs des cordes vocales. Il y avait donc paralysie du pneumogastrique dans la portion laryngée et, dans l'espèce, paralysie des filets moteurs du laryngé supérieur.
L'examen laryngoscopique, fait à ce moment (février 1877) par Krishaber, révéla que la corde vocale gauche était immobilisée, que le bord libre occupait la ligne médiane et divisait l'aire gloltique comme la perpendiculaire dans un triangle isocèle. L'aryténoïde correspondant n'opérait plus ses mouvements de rotation sur son axe. La corde vocale gauche paraissait plus courte que l'autre, à cause de sa laxité et parce qu'elle était masquée par l'aryténoïde. Le pharynx était légèrement hyperé-mié.
Prescription: hydrothérapie. A la première séance, cri rie surprise , le mutisme est changé en aphonie incomplète. Après une dizaine de douches locales et générales, l'aphonie disparaît peu à peu, si bien que quinze jours après la première douche, la voix a repris son timbre et son intensité habituels.
.....Sous l'influence de l'émotion causée par une chute, attaque
convulsive, au sortir de laquelle la voix était reperdue, le mutisme revenu complet. Ceci se passait en 1877.
La famille s'adresse à un pseudo-médecin. Au bout de ce temps (février 1878), le mutisme est toujours complet. Hydrothérapie comme la première fois, môme résultat. M"° X... pousse un cri et la voix est instantanément recouvrée; mais ce n'est que momentanément. Cependant, au mutisme a succédé l'aphonie incomplète; il y a du chuchotement, et les mots arrivent affaiblis et sourds jusqu'à l'oreille, mais sont nettement perçus. L'amélioration va progressant jusqu'à guérison, et la malade, au moment où l'auteur publiait son observation, n'avait pas eu de rechute depuis dix mois.
Obs. IX.— (Liouville et Debove, Progres médical, 26 fév. 1876). — Jeune fille de 18 ans, hystérique, d'une santé habituellement excellente. Sa mère a de grandes attaques. Une sœur, âgée de 13 ans, a des attaques fréquentes et depuis deux mois, elle est prise d'un tremblement que plusieurs médecins ont qualifié de chorée hystérique. Le père lui-même est très nerveux.
Jusqu'à ces dernières années, l'hystérie ne s'était manifestée que par des attaques incomplètes. Il y a 18 mois, la malade fut péniblement impressionnée par des discussions et des scènes violentes qui eurent lieu entre son père et sa mère; c'est à ces chagrins domestiques qu'elle fait remonter, et probablement avec raison, l'origine de ses accidents. Vers ce moment, en effet, elle devint aphone, ne put plus parler qu'à voix basse, et, dans l'espace de deux mois, l'aphonie devint du mutisme; dès lors elle ne put même plus émettre un son. Dans la maison qu'elle habitait, on l'appelait la muette. Elle communique avec les personnes qui l'entourent au moyen d'une ardoise sur laquelle elle écrit ce qu'elle ne peut dire. La malade est entrée plusieurs fois à l'hôpital. Tous ceux qui l'ont examinée ont été d'accord sur le diagnostic de paralysie hystérique des muscles du larynx. Divers traitements ont été suivis sans succès.
Le 10 novembre 1873, elle fut amenée à l'Hôtel-Dieu. Elle n'a pas de boule hystérique, pas d'hémianesthésie, pas de troubles des organes des sens. Les ovaires et particulièrement l'ovaire gauche sont douloureux à la pression. En un mot, en dehors des troubles laryngiens et de la douleur ovarienne, la malade ne paraît présenter rien d'anormal.
La paralysie laryngée n'est pas seulement une paralysie du mouvement; elle est aussi une paralysie du sentiment. On peut promener le doigt dans l'arrière-gorge, chatouiller l'épiglotte, sans provoquer de mouvements réflexes, sans que la malade en éprouve aucune gêne. L'examen laryngoscopique, pratiqué par le Dr Moura, fit constater une paralysie des cordes vocales; celles-ci font un mouvement presque imperceptible lorsque la malade cherche à émettre un son.
La compression de l'ovaire amena quelques accès d'une toux
sèche, puis quelques cris étouffés. Enfin, la malade put articuler ces mots d'abord d'une voix presque imperceptible : « Vous me faites mal. » Les jours suivants, la compression fut continuée (cinq à dix minutes chaque séance), l'émission du son devint plus distincte et la malade cessa d'être muette ; elle n'était plus qu'aphone, elle pouvait parler, mais à voix basse et pour ainsi dire en soufflant ses paroles.
Ors. X. — (Debove, Soc. méd. des hop., 10 nov. 1882). — X..., atteint à diverses reprises de crises hystériques avec délire, contractions irrégulières de la face, etc.. ; à certains moments, X.., n'est plus agité, mais ne peut parler; il correspond par écrit avec les personnes qui l'entourent et répond ainsi aux questions. La crise finit par céder, le sommeil survient sous l'influence de fortes doses de chloralet de morphine.
Obs. XI. — (Sevestre. Soc. méd. des hôp., 1882). — Halz...,âgé de 22 ans, entre le 14 avril dans le service de Sevestre pour une paralysie du bras gauche survenue brusquement la veille. Il a déjà eu en 1870 et 1874 deux attaques subites de perle de connaissance, en 1877 des troubles passagers de la vision, des amau-roses fugitives qui se répétèrent en 1880. II y a deux ans, après une de ces attaques de cécité, il devint aphasique pendant huit jours; la parole revenant, la vue disparaît, et ainsi à plusieurs reprises.
Le 12 avril, il est pris d'une attaque d'aphasie; il est ainsi jusqu'au lendemain, puis brusquement recouvre la parole, mais s'aperçoit que son bras gauche est inerte. Le 14, on constate cette paralysie avec hémianesthésie gauche incomplète; le lendemain, la paralysie disparaît. Pas de dyschromatopsie.
Du 14 au 28 avril, le malade continue à présenter cette alternance de phénomènes passagers.
Obs. XII. — (Sevestre, ibid). — G... Léon, âgé de 25 ans, est sujet à des crises qu'on peut arrêter en comprimant le testicule. A la suite d'une de ces attaques, le malade fut pris de contracture
occupant tout Je côté droit du corps; en même temps, il était dans l'impossibilité de parler, bien qu'ayant conservé l'intégrité parfaite de l'intelligence. Après quelques jours cependant, et progressivement, la parole revint et la contracture cessa.
Obs. XIII. — (Sevestre, ibid). — Chez un infirmier de son service qui consulte M. Sevestre pour des douleurs de ventre, on constate une hémianesthésie droite; la peau, la conjonctive, la muqueuse nasale sont insensibles. Le malade raconte que, trois mois environ après le début de cette hémianesthésie, un matin en s'éveillant, il tomba à terre, sans perdre connaissance, mais resta 48 heures sans pouvoir parler.
Obs. XIV. — (Wilks, Discases of the nervous System, 1883, p. 463). — Jeune fille de 22 ans, gardant le lit depuis plus d'une année pour une affection de la moelle. Six mois avant de prendre le lit, elle avait eu de temps en temps des impossibilités de parler (speech had begun to fail) et depuis un an, elle n'a pu prononcer un seul mot. Elle répond par des signes de tête et en écrivant sur une ardoise. Wilks, consulté pour celte malade, crut reconnaître un cas d'hystérie et promit la guérison si la malade voulait venir à l'hôpital. Après un premier refus, elle se décida et Wilks lui parlant avec sévérité menaça de dévoiler son imposture en public. On lui retira son ardoise, elle se mit alors à remuer les lèvres, comme si elle ne pouvait parler. Après bien des efforts, et des séances d'électricité, on arriva, au bout de la semaine, à lui faire dire oui, non, à voix basse. La voix revint peu après, et la paralysie des jambes disparut également d'une façon complète.
Obs. XV. — (Wilks, ibidem, p. 465). — Femme de 28 ans, gardant le lit depuis 4 ans et demi. Elle avait eu des nausées, des douleurs dans les jambes; un jour, en voulant quitter le lit, elle a perdu l'usage de ses jambes. Durant ces quatre années, les symptômes ont souvent varié, paralysie des mains il y a 15 mois. Depuis dix mois, elle ne peut plus parler; la perte de la voix a été subite; elle communique avec les personnes de son entourage en
écrivant sur une ardoise. Tous les traitements ont été essayés sans succès. Elle entre dans le service du Dr Wilks, le 7 avril 1886. Comme dans le cas précédent, par la persuasion morale et par l'électricité, on arrivera à la guérir. Pendant une séance de fara-disation, le 24, elle s'écria: Oh! dearl yes. Elle put ensuite parler lentement et recouvra la parole d'une façon complète. La paralysie des jambes disparut plus lentement.
Obs. XVI. — (Revue de la Suisse romande, 1883 ; obs. 2 du mémoire de Revilliod). — Homme de 48 ans, admis à l'hôpital cantonnai, comme sourd-muet et paralysé du côté gauche. Il ne sait ni lire, ni écrire. Paralysie complète du mouvement et du sentiment du côté gauche, sauf à la face qui, quoique insensible, n'est pas déviée. Le bras droit est animé d'un mouvement rhythmique choréiforme presque continuel. Pendant que le bras exécute ce mouvement, la jambe est au repos complet. Mais essaie-t-on de chatouiller n'importe quelle parlie de la moitié droite du corps, la jambe droite répond par un tremblement clonique épileptoïde très prononcé. Une légère percussion du tendon rotulien produit le même résultat. Vue presque nulle à gauche, normale à droite. Surdité complète des deux côtés. Mutisme absolu.
Au bout d'une quinzaine de jours de traitement tonique et de séances d'électrisation, on constate que le tremblement spontané du côté droit a diminué. Du côté gauche, appparaissent quelques mouvements volontaires. Enfin, un beau jour, après une séance d'électrisation, le malade se met à pousser des hurlements de joie, accompagnés d'un rire sauvage. Peu à peu, l'ouïe reparaît. Lorsqu'on lui crie très fort dans l'oreille, le malade manifeste qu'il a entendu, puis il chuchotte quelques mots à voix basse. En même temps, les mouvements et la sensibilité reparaissent du côté gauche. Bref, un mois après son entrée, le malade parle à voix basse mais assez distinctement pour donner des renseignements.
Après avoir eu des crises épileptiformes, il serait resté hémiplégique depuis 1869, et serait devenu sourd-muet depuis 1878.
Obs. XVII. — (Revilliod, obs. 3 du Mémoire.) — Femme de
47 ans qui, sans avoir l'habitus hystérique, souffre depuis une dizaine d'années, presque continuellement des manifestations de cette névrose, vomissements incoercibles, toux ; enfin, mutisme avec douleur slernale et rachidienne. Ce mutisme a reparu à quatre reprises, durant de deux mois au minimum, à six mois au maximum, époques pendant lesquelles la malade ne pouvait tirer la langue, ni même ouvrir la bouche.
La perte et le retour de la voix ne se sont jamais produits brusquement. La phonation allait, au contraire, peu à peu en diminuant, avant de se suspendre tout à fait, de même qu'à l'approche de la guérison, les mots revenaient lentement, péniblement, d'abord très rares, par monosyllabes, puis de plus en plus nombreux et distincts.
Obs. XVIII.— (Par aï y sis ofthe larynx, par H. A. Johnson (Chicago), TV. York med. Jonm., 14 nov. 1885). — H. B..., célibataire, âgée de 24 ans. Pas de changement dans la forme ou la structure du larynx. Les cordes vocales sont dans la position cadavérique. Santé bonne sous tous les rapports, menstruation normale, appétit bon. Traitée par le fer, la strychnine ; on lui prescrit de vivre autant que possible à l'air libre. On appliqua aussi les courants faradiques et galvaniques, les derniers interrompus. Aucune de ces mesures n'a amené de changement dans les fonctions de l'organe. Après quelques mois, elle partit pour l'Est, puis de là en Europe, où elle consulta un grand nombre de laryngologistes, qui prescrivent le même traitement par la strychnine, l'électricité et les toniques.
Ces moyens avaient été de nouveau employés dans la pensée que, dans de nouvelles conditions et entre des mains plus habiles, ils pourraient réussir. Après avoir visité la Californie et la région méridionale de notre pays, la malade partit de nouveau pour l'Europe et alla passer un hiver en Egypte. A son retour, elle se confia aux soins du Dr Hughlings Jackson (de Londres) qui eut la bonne fortune de l'entendre parler, après cinq ans de silence. Pendant trois ans, elle n'avait même pas pu parler à voix basse, chuchotée. Les cordes vocales étaient restées dans l'état
décrit jusqu'à son retour d'Angleterre. A ce moment, elle parlait par moments à voix haute, mais pendant une partie du temps seulement. A l'examen, je trouvai que, dans l'effort de phonation les apophyses vocales se rapprochaient, mais qu'il persistait une ouverture triangulaire en arrière, en d'autres termes, qu'il y avait une paralysie des aryténoïdes, laissant un espace au travers duquel l'air s'échappait, rendant la phonation difficile et par moments produisant l'aphonie complète. De celte époque à ce jour, c'est-à-dire plusieurs années, il y eut des périodes de quelques jours et accidentellement d'une semaine au plus, où la malade ne pouvait parler qu'à voix chucholtée.Elle est et a toujours été bien porlante, mais elle est d'un tempérament lymphatique et se fatigue aisément. J'ai pratiqué à plusieurs reprises l'examen du larynx dans ces dernières années, sans trouver de modifications dans l'état de cet organe.
Il ne peut y avoir de doute qu'il s'agisse là d'une aphonie hystérique. L'intérêt du fait réside dans la continuité du trouble fonctionnel qui a résisté à tout traitement jusqu'à la visite de la malade au Dr Jackson.
Le traitement du Dr Jackson n'a pas différé beaucoup de ceux qui avaient déjà été essayés. On ne trouve aucune trace de dérangements utérins ou d'autres organes, qu'on rencontre ordinairement dans ces cas.
Obs. XIX. — (Communiquée par mon ami le Dr Chauffard). — L..., Léonie, domestique, âgée de 28 ans, entrée à l'hôpital de la Pitié le 27 mars 1885. Mère très nerveuse; père hypochondria-que. Il y a deux ans, la malade a eu de violents chagrins, puis une fausse couche. C'est à partir de ce moment que la voix a commencé à changer graduellement de caractère.
A son entrée, l'aphonie est complète; la malade chuchote à peine. Aucune douleur à la pression du larynx; aneslhésie assez prononcée du pharynx. Signes de phlhisie pulmonaire commençante. La malade est très nerveuse, pleure sans motifs et entre dans des accès de colère violents.
Points hyslérogèncs au-dessous et en dehors du mamelon gau
che, ainsi que dans la région ovarienne correspondante. Hémia-nesthésie complète à droite.
L'examen laryngoscopique ne révèle aucune lésion, ni paralysie, ni contractures. L'application du miroir est facile ; les cordes vocales sont blanches, parfaitement mobiles.
Peu après son entrée, survient un mutisme absolu ; au troisième jour, on fait une séance d'électrisation ; dès la seconde séance, la malade crie avec vigueur, et les jours suivants, la voix et la parole reviennent ; il faut à la malade un certain effort ; l'articulation ne devient nette qu'au bout de quelques jours.
Obs. XX. — (Demme, Wiener med. Blatter, 18 déc. 1884). — L'auteur procédait à une opération du tendon d'Achille pour un pied bot chez une petite fille de 6 ans, sans anesthésie. L'enfant était, avant l'opération, gaie, jouant avec sa poupée et causant avec sa mère et son père. Au moment de la section du tendon, elle poussa un cri perçant, et à partir de ce moment, on ne put tirer d'elle aucune parole. Gela dura huit jours, pendant lesquels ayant retrouvé tout son entrain, elle répondait par signes quand on lui parlait. Le matin du neuvième jour, elle prononça « mamma » et le répéta trente ou quarante fois. Le quatorzième jour, son vocabulaire s'était enrichi des mots « papa, béb. schlas-sen, tiniken » ; le dix-huitième jour, elle en prononçait d'autres et depuis, tout est rentré dans l'ordre.
La lecture de ces observations que j'ai rapportées un peu longuement, montre, qu'à peu de chose près, tous ces cas de mutisme sont identiques et présentent les caractères principaux suivants : début soudain, impossibilité de crier et de parler, conservation parfaite de l'intelligence, retour de la parole avec bégaiement spécial pendant un certain temps.
1° Le début est, en général, soudain; à la suite d'une frayeur, d'une émotion quelconque, le malade est privé de la
parole. Nous disons, en général, car dans certains cas (voy. obs. VIII, XVII, XIX) l'aphonie existait depuis un certain temps avant la perte de la parole. Dans un cas de M. Revilliod, il est dit que la phonation allait peu à peu en diminuant avant de se suspendre tout à fait.
C'est souvent après une attaque franche d'hystérie qu'au réveil, au retour du sentiment, on constate, avec ou sans autre paralysie, le mutisme absolu. D'autres fois, la perte de la parole arrive subitement, sans cause accidentelle bien appréciable.
2° Le malade est dans l'impossibilité décrier, d'émettre un son ; il est aphone, mais il est également aphasique, car il ne peut articuler les mots à voix basse.
Qu'on me permette une petite digression au sujet de cette distinction entre l'aphonie et l'aphasie. Les paralysies hystériques du larynx sont très fréquentes ; certains auteurs les considèrent même comme les plus fréquentes dans la catégorie de l'hystérie. Ce sont elles qui fournissent, dans certains cas, au médecin, ce succès facile et toujours surprenant de guérir instantanément le malade, quelquefois par la seule application du miroir. Leur caractère est typique; survenues subitement, chez des sujets nerveux, elles sont le plus souvent bilatérales et portent sur les muscles tenseurs et adducteurs, bien plus rarement sur les abducteurs. Suivant les muscles atteints, suivant le degré de paralysie, l'aphonie est plus ou moins complète. Il y a extinction ou raucité de la voix ; impossibilité de parlera voix haute ; mais la voix chuchofée persiste. Le malade peut se faire comprendre par la parole à voix basse. Les muscles phonateurs ne fonctionnent pas ou fonctionnent mal et le sujet ne peut émettre un son ni parler haut, de façon à se faire entendre à dislance ; mais il n'est pas aphasique ; il peut s'exprimer à voix basse.
1. Voir Progrès médical, n°s 7 et 9, 1886.
C'est un point bien démontré par les éludes si nombreuses de physiologie delà phonation; dans le chuchotemenl, dans la parole à voix basse, le larynx n'intervient pas, les cordes vocales n'entrent pas en vibration. L'air glisse dans le larynx comme dans la trachée, dans les conduits aériens, sans que les muscles intrinsèques viennent imprimer aux cordes de mouvements. Rosapelly (Travaux du labor. de Marey, 1876), Boudet de Paris (Acad. des sciences, 1879) et d'autres physiologistes, ont démontré expérimentalement, par l'inscription simultanée des vibrations du larynx, des mouvements des lèvres et de la langue, l'absolue indépendance du premier organe dans la production des consonnes et même des voyelles, dans la voix chucholée.
Je me serais moins étendu sur ce sujet si le professeur Revilliod n'avait cherché à expliquer par une simple paralysie d'un des muscles du larynx les troubles observés chez le malade qui fait le sujet de la première observation. Ch.. a passé plusieurs mois dans le service du distingué professeur de Genève pour les mêmes accidents qui l'ont amené à la Salpêtrière. Le laryngoscope faisait constater un défaut de tension des cordes vocales ; il existait de plus un certain degré d'aneslhésie de l'isthme du gosier et du vestibule de la glotte, troubles dépendants d'une paralysie du larynx supérieur. Le malade était, à son entrée dans le service, absolument muet.
Voici, d'après le travail du Dr Revilliod, comment il interprète la pathogénie de ce cas particulier: « L'anesthésie du domaine du laryngé supérieur concourt, de son côté, à démontrer que cette sorte de mutisme est due à une paralysie de ce nerf, lors même qu'on observe souvent le mutisme sans anes-
thésie et réciproquement, l'anesthésie sans mutisme.....Quoi
qu'il en soit, cette triade symptomatique (paralysie du crico-thyroïdien, aneslhésie de l'isthme et du larynx, douleur sternale dans l'effort vocal) nous invite à admettre que le laryngé
supérieur peut être seul atteint par l'hystérie et que ce nerf jouit du triste privilège d'être facilement influencé par cette maladie, de sorte que, lorsque dans un cas de mutisme, le laryngoscope nous démontre l'absence de tension des cordes vocales, coïncidant avec l'intégrité de leurs mouvements d'adduction et d'abduction, c'est-à-dire lorsqu'il indique la paralysie du laryngé supérieur et l'état normal du récurrent, nous serons autorisés à admettre la nature hystérique de cette affection. » Je ne saurais admettre ces conclusions. Que la paralysie du crico-thyroïdien, coïncidant avec l'intégrité des fonctions des adducteurs et abducteurs, indique l'origine hystérique de la maladie, c'est souvent exact, bien qu'on puisse trouver à ce défaut de tension plusieurs autres causes ; que cette lésion explique un degré d'aphonie plus ou moins complète, c'est encore vrai. Mais une paralysie du laryngé supérieur ne peut expliquer le mutisme ; la parole à voix basse peut subsister, le larynx seul est atteint, la voix haute seule est compromise.
Dans le cas cité par M. Revilliod, le mutisme était complet, comme je l'ai observé moi-même ; quand j'ai examiné ce malade la paralysie laryngée était cependant moins localisée ; le crico-thyroïdien était atteint ; mais aussi les thyro-aryténoï-diens ; le mutisme était toujours aussi absolu.
On peut du reste opposer à cette interprétation les faits où il existait, avec du mutisme, une paralysie laryngée portant sur d'autres muscles que le crico-thyroïdien.
Dans le cas de Jarvis (voy. obs. XVIII), il s'agissait d'une paralysie de l'ary-aryténoïdien ; dans celui du Dr Thermes, Krishaber avait noté une paralysie d'un abducteur. Dans certains cas, comme dans cette dernière observation, on peut voir des variétés dans les troubles laryngés survenant dans le cours de la maladie, sans aucune modification du mutisme.
L'aphonie n'a donc, dans ces cas complexes, rien de particulier ; on a constaté, au laryngoscope, des paralysies des muscles
tenseurs et adducteurs crico-thyroïdien, thyro-aryténoïdien, ary-aryténoïdien ; mais les autres muscles remplissent leur rôle, on voit les cordes vocales s'écarter ou se rapprocher de la ligne médiane, quand on dit au malade de chercher à crier. On constate également une aneslhésie plus ou moins complète du pharynx et même du larynx. Mais cette anesthésie n'a rien de spécial à l'aphonie ou au mutisme. On l'observe fréquemment chez les hystériques qui n'ont aucun trouble de la phonation ou de la parole.
Ainsi donc, dans le mutisme hystérique, nous trouvons en _même temps de l'aphonie et de l'aphasie motrice. C'est en effet là un des traits typiques de ce phénomène ; l'aphonie hystérique simple, la paralysie d'un des groupes de muscles du larynx, est très fréquente. Le mutisme est, au contraire, relativement rare. Et ce qui confirme la nature psychique, centrale de cette manifestation nerveuse, c'est que les muscles du larynx ne sont pas toujours frappés d'impotence, et quand ils le sont dans une mesure plus ou moins prononcée, le trouble fonctionnel qui résulte de cette parésie ou paralysie ne peut donner l'explication de l'ensemble du phénomène.
3° L'intelll^flncfi, ^31 àfeSftliMIiBt rnnseryée : sitôt qu'on l'interroge, et c'est là un signe bien caractéristique, le malade, conscient de son incapacité, ne cherche pas à répéter le mot, à essayer une articulation impossible. Il saisit rapidement la plume, le crayon^ et rédige par écrit, à la demande, les réponses toujours très nettes, très précises.
Nous disons que c'est là un signe caractéristique. Plus d'une fois, M. Charcot a reconnu la nature hystérique du mutisme à la seule façon d'être des malades, quand on les interroge. Aussi ne saurait-on accepter, dans toute sa rigueur, l'opinion de M. Legoux, qui pense que, dans l'hystérie, l'aphasie n'est pas un élément de diagnostic ; ce sont, au contraire, dit-il, les signes bien constatés de l'hystérie qui permettront de donner à ce
symptôme sa véritable signification. Je ne crois certainement pas qu'on puisse, à l'exemple d'un maître rompu à toutes les difficultés du diagnostic désaffections nerveuses, préciser aussi nettement et du premier coup d'œil, tous les cas d'origine hystérique ; mais je veux dire que par sa modalité, ses caractères, ce syndrome évoquera facilement chez un observateur attentif, l'idée de sa nature. Au surplus, on ne devra pas manquer de s'éclairer par un examen minutieux (exploration de la sensibilité, recherche des zones hystérogènes...), par l'étude des antécédents.
Cette forme d'aphasie ne ressemble, en effet, en rien aux aphasies de cause organique. Dans ce dernier cas, nous voyons le malade faire un effort pour saisir et répéter le mot, le balbutier d'une façon inintelligible ou répondre par un autre mot ou par un mot invariable. Ici, rien de semblable, il n'y a ni surdité verbale, ni cécité verbale, l'intelligence est intacte. La réponse suif immédiatement la demande, si le sujet sait écrire. A la période de retour de la parole, quand l'aphonie est moins complète, la différence s'accuse moins nettement. Le malade a quelquefois du mal à prononcer le mot parce qu'il bégaye, mais il l'écrit avec correction, témoignant bien de l'intégrité de l'intelligence et de la faculté graphique. Or, dans certains cas d'aphasie, due à une lésion organique, on peut observer cette dissociation : abolition de la parole, conservation de l'écriture. Mais elle n'existe jamais d'une façon aussi tranchée, et avec cette vivacité de l'intelligence, que nous constatons chez l'hystérique.
4° Le retour de la parole est également subit dans la plupart des cas; mais il ne se fait pas habituellement ad integrum dès le premier moment. Il y a, pendant un certain temps qui peut varier de quelques jours à des semaines, du bégaiement, une certaine hésitation de la parole. Chauffât (obs.I) avait lui-même bien remarqué cette particularité qui est frappante, dans l'obs. IL
Inutile d'ajouter qu'on observe en même temps ou qu'on relève, dans les antécédents, d'autres manifestations de l'hystérie. Souvent le malade présente de l'anesthésie, des zones hystérogènes ; l'un avait des vomissements, un autre de la surdité; cet ensemble symptomatique vient confirmer le diagnostic. L'hémiplégie, qui est survenue chez quelques malades, en même temps que l'aphasie, pourrait embarrasser dans certains cas; mais on n'observera pas, chez l'hystérique, de déviation de la bouche, de la langue, de paralysie faciale. C'est la présence, très passagère, de ce symptôme, qui nous a fait classer à part, comme dubitative, l'observation de S... (obs. IV). Il est, du reste, facile de reproduire, par la suggestion hypnotique, le mutisme hystérique. Pendant la période de somnambulisme, on fait causer une malade; puis baissant la voix, on lui dit : je n'entends pas... tu dis... mais tu ne peux donc plus parler... et au bout d'un instant, la malade est aphasique .fît aphone, ne pouvant ni crier ni parler, s'impatientant de ne pouvoir répondre aux questions ; si elle sait écrire, elle s'empare d'un morceau de papier et y trace rapidement et sans embarras quelques lignes qui font comprendre sa pensée : « Je ne peux pas parler, écrit-elle, « par exemple, » vous voyez bien que je ne peux pas. » C'est la représentation exacte des troubles observés chez nos malades, mais je ne fais que signaler en passant ces recherches, qui doivent faire prochainement l'objet d'un travail spécial1.
1. On trouvera encore des renseignements sur le mutisme hystérique (sort du silence) dans ï'Iconogr. phot. de la Salpêtrière, par Bourneville et P. Re-gnard, t. i, p. 52, 54, 60, 75, etc.; t. n et passim; dans Reche?xhes sur l'hystérie, etc., par Bourneville, p. 116 et dans les volumes de la Bibliothèque diabolique. (B.)
VI.
De l'Aphasie en général et de l'Agraphie en particulier, d'après l'enseignement de M. le professeur Charcot.
Par Pierre Marie1.
Dans une leçon faite en décembre 1887, à la Salpêtrière, M. le professeur Charcot a montré à ses auditeurs un nouveau cas à'agraphie. A celte occasion, il est entré dans quelques détails sur l'histoire de ce mode spécial d'aphasie, à l'étude duquel il a si puissamment contribué. Nous avons pensé qu'il serait intéressant de reproduire les points principaux de l'enseignement de notre maître, sur ce sujet.
La malade dont il s'agit est une femme de 64 ans, présentant quelques antécédents héréditaires, qui, en 1868, à l'âge de 44 ans, eut une première attaque d'hémiplégie; cette hémiplégie siégeait à droite et s'accompagna de paralysie de la langue. Au bout de quelque temps, la parole redevint normale, ainsi que les mouvements.
Mais, depuis cette époque, il a existé une véritable impossibilité d'écrire, quoique la malade pût parfaitement tenir une plume, sût très bien ce qu'elle voulait écrire, et eût môme conservé nettement la notion visuelle de l'orthographe des mots ; mais « l'idée (motrice graphique) des lettres ne lui revenait pas; » elle ne se rappelait plus la forme qu'il faut
1. Extrait du Progrès médical, 1S8^, n° S. Charcot. Œuvres complètes, il m, Système nerveux. 33
donner aux lettres. On a pu s'assurer, d'ailleurs, qu'auparavant elle jouissait d'une instruction assez étendue, grâce à l'examen des feuillets de son livre de dépenses, antérieur à l'époque de sa maladie. On sait de plus d'une façon formelle que, depuis cette attaque d'hémiplégie, la malade lisait son journal tous les jours et parlait distinctement.
En 1879, nouvelle attaque ; cette femme tombe subitement dans la rue, frappée d'une hémiplégie gauche, avec perle complète de la parole. Il a persislé, depuis, une parésie du côté gauche, mais la parole était revenue au bout de deux ans, lorsque, en 1885, survint une nouvelle attaque suivie d'un simple embarras de la parole, caractérisé par des troubles transitoires de l'articulation. Enfin, dans le courant de la même année, une quatrième attaque amena une perte complète et permanente de la parole. Depuis cette époque, il existe une paralysie labio-glosso-pharyngo-laryngée pseudo-bulbaire tellement marquée, qu'à plus d'une reprise il a été nécessaire de nourrir celte femme avec la sonde œsophagienne, tant la déglutition était difficile. Au laryngoscope, on constate très nettement que les lèvres de la glotte ne peuvent être rapprochées pour produire la phonation. Mais c'est là, en somme, un phénomène surajouté et tout à fait indépendant de l'agraphie, qui a existé seule et à l'état de pureté, dès 1868.
Ou s'assure, du reste, aisément qu'elle n'est atteinte ni de surdité ni de cécité verbale; elle désigne, sans aucune hésitation, les objets dont le nom est prononcé ou écrit devant elle. Si elle-même ne peut écrire, cela ne tient certes pas à la parésie des mains, qui n'est pas assez forte pour l'empêcher de tenir une plume et elle copie tant bien que mal les caractères et les chiffres imprimés ou écrits qui lui sont présentés. Mais quand elle veut « composer, » écrire de sa propre initiative ce que lui dicte le langage intérieur ou ce qu'on lui communique, c'est une tout autre affaire ; elle en est absolument
incapable. En résumé, celte malade a conservé l'image visuelle, l'image auditive et peut-être aussi l'image motrice d'articulation (on ne peut juger de cette dernière faculté, par suite de la paralysie labio-glosso-laryngée), mais elle a perdu le mécanisme qui permet de transmettre les pensées par le langage écrit. C'est donc bien là une agraphie vraie.
L'agraphie, d'après la définition de M. le professeur Char-cot, c'est la perte plus ou moins complète des mouvements coordonnés communiqués à la main pour exprimer la pensée par l'écriture, ou plus simplement encore « l'aphasie de la main ». Cette perte des mouvements coordonnés est d'ailleurs indépendante de toute paralysie ou parésie des mouvements vulgaires, ainsi qu'on peut s'en assurer en faisant copier aux malades des caractères ou des dessins, ou en leur faisant exécuter des travaux délicats (coudre, tricoter.)
Le mot agraphie date de 1867, époque où il fut introduit dans le vocabulaire scientifique par le physiologiste Ogle. Le fait lui-même avait déjà été nettement signalé, en 1856, à la Société de Biologie, par Marcé, qui avait décrit le symptôme agraphie et cherché à établir son indépendance. Mais cette indépendance ne fut réellement et dûment démontrée que dans ces dernières années, grâce à la double série de preuves qu'apporta M. le professeur Charcot (Leçons de 1883, publiées par Rummo *). En effet, tandis que, d'une part, notre maître fournissait une observation où l'agraphie se présentait à l'état de pureté, dégagée de toute confusion avec les autres formes d'aphasie 2, d'autre part, il montrait que, dans certains cas, la
1. J.M. Charcot.— Differenli forme d'afasia, Lezioni redatte del Dr Rummo. Milano, 1884. — Ces leçons ont été délivrées pendant l'été de 1883 et publiées en langue italienne. Une analyse en a été donnée par le Dr p. Marie dans la Revue de Médecine, t. III, 1883, p. 693. La thèse de M. le Bernard (Paris, 1885) et l'ouvrage de M. G. Ballet (Du langage intérieur, etc. Paris, 1886) en contiennent la substance. — Voir aussi Charcot: Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 154.
2. Une autre observation d'agraphie pure a été publiée par M. le professeur Pitres (Rev. de Méd.), 1884.
faculté graphique persiste, tandis que les aulres formes du langage sont en défaut et qu'alors celle-là peut venir jusqu'à un certain point au secours de celles-ci et exercer vis-à-vis d'elles un rôle de suppléance. La faculté du langage écrit pouvant ainsi, soit disparaître, soit être conservée d'une façon tout à part, son indépendance ne saurait être mise en doule.
Rappelant que la clinique était arrivée à isolerjm,alre élé-men tsjoujûteurs du mot : l'image auditive, l'image visuelle,
-~Yîmage motrice d'articulation, Y image, motrice graphique du fnlîl, M. Charcot signalait un bien intéressant passage'¥ulivre
de Hartley, médecin à Balh (Observations on man, 1749), précurseur de la grande école psychologique anglaise d'aujourd'hui, dans lequel ce médecin arrivait, par les seules ressources de l'induction, aux conclusions suivantes : « les mots peuvent être considérés sous quatre aspects : 1° d'abord comme impression faite sur l'oreille ; 2° comme actes de l'organe de la parole; 3° comme impression faite sur l'œil parles caractères (écrits ou imprimés); 4° comme actes de la main dans l'écriture. Après quelque réflexion, on trouvera que toutes les idées qu'excite le mot proviennent d'une des quatre sources qui viennent d'être mentionnées, principalement de la première (élément auditif; et de la troisième (élément visuel). » Comme on le voit, tout en donnant à ces deux sources de l'idée du mot une importance prépondérante, Hartley n'excluait pas les aulres.
Et, en effet, c'est là, on le sait, la base des opinions professées par M. le professeur Charcot sur la fonction du langage que cette multiplicité et celte indépendance relative des sources dont nous tirons les éléments du mot.
C'est donc en résumé, à quatre modes spéciaux de mémoire du mot (ou des impressions et actes par lesquels nous entrons en rapport avec celui-ci) que se résume le matériel de la faculté du langage ; supprimez l'une quelconque de ces mémoi
res partielles et vous produisez une et quelquefois même plusieurs espèces; d'aphasie. Comme renseigne M. le professeur
Charcot^ l'aphasie n'est qu'une amnésie^'pl inversement, tout* amnésie verbale quelque légère, quelque limitée qu'elle soi
est une aphasie. Il y a à considérer, par conséquent, à côté des aphasies correspondantes qui représentent le plus haut degré, les amnésies auditive, visuelle, motrice d'articulation et motrice graphique qui répondent au degré le plus faible. C'est là un point sur lequel notre maître a toujours pris soin d'insister tout particulièrement, car, à son avis, la notion de Yarnne'sie doit être la clef de toute la question des troubles du
langage que nous étudtanjjcw.
Cette notion des tiiéinoires et des sninésies partielle^, par
cela même qu'elle a pour base l'indépendance de ces centres, vis-à-vis les uns des autres, est, comme on le comprendra facilement, la contre-partie directe de la théorie qui veut établir une suprématie absolue des centres sensoriels sur les centres moteurs, au point d'admettre que ces derniers ne sont mis en fonction que par une sorte de réflexe parti des premiers. Cette théorie, M. le professeur Charcot la rejette presque entièrement comme beaucoup trop absolue. La notion de l'amnésie appliquée à chacun des centres en particulier est, en effet, la contre-partie de cette théorie, puisqu'elle a pour base l'indépendance de ces centres vis-à-vis les uns des autres. La clinique d'ailleurs, ici comme toujours, fournit des arguments sans réplique. Fréquents sont les cas où l'on voit la cécité verbale la mieux caractérisée ne s'accompagner d'aucun degré d'agraphie, à tel point même que, comme l'a montré M. Charcot chez plusieurs malades atteints de cécité verbale, c'est en retraçant avec la main les caractères que ces gens arrivent parfois à comprendre le sens de ce qu'ils lisent. De même pour la surdité verbale, il n'est pas très rare de la voir exister seule, sans aphémie ; plusieurs cas de ce genre ont été
publiés, et celui que l'on doit à M. Ililzig » en est un bel exemple. C'est là une preuve évidente que le centre moteur d'articulation a son existence propre et peut fonctionner sans aucun acte réflexe parti du centre de l'audition verbale.
On peut aisément sur le schéma suivant (Fig. 90), qui n'est autre chose que le schéma primitif de M. Charcot mis en place, se faire une idée de ces centres de mémoires partielles, des connexions qui les unissent entre eux et des relations qu'ils ont avec le monde extérieur.
Prenons, par exemple, le centre de la mémoire des signes du langage écrit, ou centre visuel des mots, CVM, c'est par l'œil que les notions spéciales ayant trait au mot écrit lui parviennent en même temps que les notions plus générales qui concernent non plus la signification des caractères, mais simplement leur forme, leur aspect extérieur, pour ainsi dire, vont s'emmagasiner dans le centre visuel commun, CVC. — Que le centre visuel des mots soit le siège d'une lésion, le malade pourra encore voir les mots écrits, mais il ne les comprendra plus, il sera atteint de cécité verbale. Mais si la lésion n'est pas exactement localisée en ce point, et c'est en somme le cas le plus fréquent, un autre phénomène viendra s'y joindre, le malade ne percevra plus par celte région du cerveau, par le centre visuel commun les impressions visuelles générales qui se dégagent des objets, il sera atteint en même temps et de cécité verbale et de cécité psychique, celte dernière se traduisant cliniquement par Yhémianopsie.
De même pour les centres auditifs CA.C, CA.M.
Quant aux centres moteurs soit de Xarticulation, soit de Y écriture, des remarques analogues peuvent être faites, mais de notables différences doivent être relevées.
1. Ed. Ililzig, Von der Materiellen der Seele. Vortrag gehalten in Balle Leipzig, 1886.
Fig. 90. — CVC, Centre visuel commun. — CVM, Centre visuel des mots. — CAC, Centre auditif commun. — CAM, Centre auditif des mots. — CLA, Centre moteur du langage articulé. — CLE, Centre moteur du langage écrit '.
\. La disposition des centres sur cette figure est purement schématique, et n'a, au point de vue topographique, aucune prétention à une exactitude anatomique rigoureuse.
De même que l'on a vu le centre visuel des mots être en rapports intimes avec le centre visuel commun, de même le centre moteur du langage écrit, CLE, est en rapport avec le centre moteur commun du membre supérieur, et le centre moteur de [articulation verbale, CLA, est en connexion étroite avec le centre commun de la langue et des /êtres; pour ne pas compliquer le schéma, ces deux centres moleurs communs n'ont, d'ailleurs, pas été figurés, il suffit de signaler ici cette analogie.
On remarquera que, sur le schéma, les centres visuel et auditif ne sont rattachés au monde extérieur que par une seule ligne à direction centripète. Ce ne sont, en effet, que des centres d'impression. Au contraire, les centres moteurs de l'articulation et de l'écriture sont rattachés au monde extérieur par deux' lignes (double flèche) : l'une centrifuge, l'autre centripète; c'est que, tout en étant surtout des centres d'expression, ils sont aussi, pour une certaine part, des centres d'impression.
Quant aux traits qui réunissent entre eux, dans les deux sens, les quatre centres de la mémoire des mots, ils expriment les connexions intimes et multiples, qui, d'après M. Charcot, existent entre ces différents centres et sur l'importance desquelles il y aura lieu d'insister tout à l'heure.
Pour le moment, ce sur quoi il faut attirer l'attention d'une façon toute spéciale, c'est sur la multiplicité et sur l'indépendance relative des sources dont nous tirons les éléments du mot. C'est, en effet, sur cette notion qu'est fondée la doctrine des suppléances fonctionnelles que M. Charcot a exposée en 1883 et qui tend de plus en plus à prévaloir. C'est encore sur cette notion que repose la méthode de rééducation qui donne souvent de si remarquables résultats. Instinctivement, d'ailleurs, tel malade atteint de surdité verbale, comme celui de Fraenkel, et ne comprenant pas le sens des mots qu'on lui dit arrive à pénétrer ce sens par un des artifices suivants: ou bien il cher-
che à répéter, à articuler ces mots, et, grâce à ces mouvements, il finit par les comprendre; dans ce cas, le centre moteur qui préside à l'articulation des mots vient au secours du centre auditif; ou bien ce malade écrit le mot qu'il entend et en saisit alors le sens; ici, c'est le centre moteur graphique qui vient au secours du centre auditif. Souvent aussi, comme M. Charcot en a montré plusieurs exemples, les individus atteints de cécité verbale arrivent à comprendre les mots écrits en cherchant à tracer eux-mêmes les caractères qui les composent, soit avec une plume, soit simplement dans l'air avec le doigt; c'estalors le centremoteurgraphiquequivientau secours du centre visuel. Les impressions plus fortes fourniespar le centre moteur graphique, viennent ici mettre en valeur les impressions faibles et d'un caractère douteux fournies par les impressions visuelles. Ainsi, on peut voir le centre visuel suppléé par le centre graphique, et le centre auditif par le centre moteur d'articulation, et cela, parce que la mémoire des mouvements d'articulation et celle des mouvements graphiques font, au même titre que les images visuelles et auditives, partie du langage intérieur et peuvent, elles aussi, comme ces dernières, réveiller l'idée du mot.
Mais la loi d'indépendance des centres n'est cependant pas une loi absolument générale, il y a réellement des cas où la suppression des centres sensoriels visuel et auditif paralyse le centre d'articulation et produit l'aphasie motrice ou l'agraphie. La raison de ces variétés c'est que, comme l'a montré M. Charcot, l'appareil du langage est loin de fonctionner de même chez tous les individus, il existe, à cet égard, des aptitudes, des types très divers. Suivant que, dans le langage intérieur, tel ou tel centre prédomine dans la représentation du mot, suivant que, chez tels ou tels individus, la formation de l'idée du mot a lieu de préférence par un des mécanismes exposés plus haut, on aura affaire à des visuels, à des auditifs, à des moteurs
graphiques, à des moteurs d'articulation, ou, enfin, à des indifférents, lorsqu'il s'agira de gens qui sont en état d'arriver à la représen talion du mot par l'un quelconque des quatre procédés en question. Cette notion des différents types de langage intérieur a été introduite dans la science par M. le professeur Charcot, et si nous y insistons ici c'est que son importance est extrême ; sans elle, il estimpossible de se rendre nettement compte soit de la faculté du langage, soit des différentes variétés d'aphasie. Et qu'on ne s'y trompe pas, la distinction en visuels, auditifs, etc., n'est pas une simple concession d'éclectisme (ce modérantisme scientifique, en général, si stérile), elle est l'expression exacte delà réalité vécue. Il est, en effet, de toute évidence que parmi les médecins physiologistes ou psychologues qui se sont occupés avec le plus grand soin de cette question des sources du langage intérieur et qui ont montré le plus de pénétration dans leurs investigations sur eux-mêmes, les uns sont des auditifs, les autres des visuels, quelque-uns «des moteurs ; aussi est-il aisé de comprendre, ainsi que l'a fait voir M. G. Ballet, dans sa thèse d'agrégation, pourquoi les résultats auxquels ils sont arrivés sont aussi différents les uns des aulres, bien que, dans le cas particulier, pour ce qui était de son propre mécanisme, chacun de ces auteurs eût pleinement raison i.
Cette notion des variétés individuelles, introduite par M. Charcot, permet, en outre, de comprendre que c'est chez les indifférents, comme il les appelle, chez les individus dont les centres jouissent de la plus grande autonomie que, dans le cas
1. On peut dire par exemple que M. le Pr Strieker est surtout un moteur.
On comprend aisément combien en présence de variations aussi étendues dans l'état normal, il est difficile de tracer les caractères qui pourraient permettre de distinguer cliniquement les aphasies corticales (par lésion des centres eux-mêmes) d'avec les aphasies sous-corticales ou de conduction (par lésion des seules libres issues de ces centres). 11 ne semble pas que ce desideratum ait été jusqu'à présent rempli d'une façon réellement pratique «t certaine.
de deslruclion d'un de ceux-ci, se manifestent le plus aisément les phénomènes de suppléancepar les autres centres. Tandis que les personnes qui n'ont cultivé qu'un seul genre de mémoire des images du mot se trouvent toutes désemparées, si le centre de cette mémoire vient à être altéré. Et, dans ce cas, on peut voir, par exemple, la seule lésion du centre auditif amener, •outre la surdité verbale, une véritable aphasie motrice, bien que la circonvolution de Broca ne soit le siège d'aucune altération ; •ou encore la seule lésion du centre visuel produire l'agraphie, sans qu'il y ait de lésion dans le centre de Exner (pied de la 2e frontale gauche). On peut ainsi se convaincre que tous ces cas qui pourraient être considérés, a priori, comme allant à rencontre de l'indépendance de la faculté du langage écrit, se trouvent, au contraire, expliqués de la façon la plus naturelle, et que l'agraphie n'en reste pas moins, comme l'a montré M. le professeur Charcot, une forme d'aphasie parfaitement autonome.
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE LEÇON.
leçon d'ouverture.
Sommaire. — Création de la chaire de clinique des maladies du système nerveux. — Moyens d'étude : hospice-hôpital, consultation externe, laboratoires. — Légitimité de la spécialisation de l'enseignement de la pathologie nerveuse. — Intervention des sciences anatomiques et physiologiques dans la pathologie. Conditions dans lesquelles elle doit avoir lieu. — Méthode nosologique. — Méthode anatomo-clinique. — Les névroses reconnaissent les lois physiologiques communes. — Difficultés de leur étude. — Simulation.............................................. t
DEUXIÈME LEÇON.
sur l'atrophie musculaire qui succède a certaines lésions articulaires.
Sommaire. — Traumatisme articulaire. — Paralysie et atrophie musculaire consécutives. — Modifications de la contractilité faradique et galvanique. — Contractions provoquées par l'étincelle électrique. — Exagération des réflexes tendineux. — Atrophie musculaire simple. — Pas de relation nécessaire entre l'intensité de l'affection articulaire et celle des phénomènes paralytiques et atrophiques. — Les extenseurs de l'articulation sont aflectés d'une manière prédominante. — Les lésions musculaires sont sous la dépendance d'une affection spinale deutéropa-thique............................................................ 23
TROISIÈME LEÇON.
1. contractures d'origine traumatique. — 2. tic non douloureux de la face chez une hystérique.
Sommaire. — I. Influence du traumatisme sur la localisation de certaines déterminations diathésiques. — Contracture d'origine traumatique chez
les sujets qui présentent la rigidité spasmodique à l'état latent. — Exagération des réflexes tendineux chez les hystériques. II. Tic non douloureux de la face typique. — Contracture des muscles de la face chez une hystérique. — Simulation.......................... 37
QUATRIÈME LEÇON.
sur l'atrophie musculaire consécutive au rhumatisme articulaire chronique.
Sommaire. — Atrophie musculaire dans les arthropathies aiguës, subaiguës ou chroniques. — Relation entre la localisation de l'atrophie et le siège de l'arthropathie.— Types de rhumatisme articulaire chronique primitif : Io rhumatisme articulaire chronique primitif généralisé ou progressif: 2J rhumatisme articulaire chronique fixe ou partiel ; 3° nodosités d'IIe-berden. — Le rhumatisme chronique généralisé détermine des amyotro-phies prédominant dans les muscles extenseurs des articulations malades.
— Exagération des réflexes tendineux. — Avec l'amyotrophie, il existe une contracture à l'état latent. — Contracture spasmodique, réflexe d'origine articulaire................................................... ül
CINQUIÈME LEÇON.
I. amyotrophie et contracture réflexes d'origine articulaire. — II. migraine ophtiialmique se manifestant a la période initiale de la paralysie générale.
Sommaire. — I. Rhumatisme articulaire chronique. — Contracture réflexe d'origine articulaire. — Déformations dans le rhumatisme articulaire chronique : l°type d'extension ; 2° type de flexion. — Main de l'athétose. main de la paralysie agitante. — Les déviations articulaires du rhumatisme chronique reconnaissent pour cause une affection spinale développée suivant le mécanisme des actes réflexes. — II. Paralysie générale progressive. — Migraine ophthalmique au début. — Scotome scintillant.
— llémianopsie................................................... (il
SIXIÈME LEÇON.
de l'hystérie chez les jeunes garçons.
Sommaire. — Contracture hystérique. — Amblyopie. — Zones hystérogènes.
— Phases de l'attaque d'hystéro-épilepsie. — Hystérie chez les jeunes garçons : attaque, phénomènes permanents. — Importance de l'isolement dans le traitement............................................... 8(3
SEPTIÈME LEÇON.
deux cas de contracture hystérique d'origine traumatique.
Sommaire. — Hystérie larvée, sans crises convulsivos. — Contracture spasmodique permanente d'origine traumatique. — Deux observations reía
tives l'une à une femme, l'autre à un homme. — Hérédité. — Griffe cubitale : étude expérimentale de cette griffe, par l'électrisation et par la mise en jeu de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire..................... 91
HUITIÈME LEÇON.
deux cas de contracture hystérique d'origine traumatique (Suile).
Sommaire. — Recherche de la simulation de la catalepsie et de la contracture. — Hystérie chez l'homme, fréquence, hérédité, âge adulte.— Formes frustes. — Contractures d'origine traumatique..................... 108
NEUVIÈME LEÇON.
exemple d'une affection spinale consécutive a une contracture du nerf
sciatique.
Sommaire. — Contusion de la fesse gauche. — Douleurs permanentes, douleurs intermittentes. — Impuissance motrice précoce. — Atrophie musculaire. — Troubles de la miction, de la défécation, des fonctions génitales. — Atrophie persistante des muscles innervés par le grand et le petit sciatiques gauches. — Exploration électrique. — Parésie et atrophie des muscles fessiers du côté droit................................. 124
DIXIÈME LEÇON.
I. sciatique double chez une cancéreuse. — II. pachyméningite cervicale.
Sommaire. — I. Sciatique double ; conditions dans lesquelles cette affection-peut se présenter; diabète^ certaines méningo-myélites ; compression des paires nerveuses, au niveau des trous de conjugaison. — Pseudo-névralgies du cancer vertébral. — II. Pachyméningite cervicale hypertro-phique; période pseudo-névralgique; période paralytique ; période spas-modique. — Cas particulier : Guérison avec rétraction des muscles fléchisseurs des ïambes. Cuérison définitive par l'intervention chirurgicale............................................................... 140
ONZIÈME LEÇON.
des différentes formes de l'aphasie, — de i.a cécité verbale.
Sommaire. — Définition de l'aphasie. — Cécité verbale (Wortblindheit). — Observation : Début brusque; hémiplégie droite et aphasie motrice qui disparaissent; hémianopsie, alexie incomplète; importance des notions fournies par les mouvements, dans la lecture mentale.............. 154
DOUZIÈME LEÇON.
de la cécité verbale (Suite).
Sommaire- — Historique de la cécité verbale : MM. Gendrin, Trousseau, Kussmaul, Magnan, etc. — Etudes de 16 observations. — Cas cliniques. Cas suivis d'autopsies. — Localisation. — Fréquence de l'hémianopsie.— Nature de la lésion................................................ 166
TREIZIÈME LEÇON.
sur un cas de suppression brusque et isolée de la vision mentale des signes et des objets (formes et couleurs).
Sommaire. — Gall, Gratiolet, Ribot : des mémoires partielles. — Destruction partielle des diverses formes de la mémoire. — Mémoire visuelle. —Observations de Galton. — Cas de suppression brusque de la vision mentale. — Ses effets. — Suppléance par les images auditives. — L'amnésie verbale ne répond pas à une unité. — Le mot est un complexus, on y reconnaît, chez les individus éduqués, quatre éléments fondamentaux qui sont l'image commémorative, auditive, l'image visuelle et deux éléments moteurs, à savoir l'image motrice d'articulation et l'image motrice graphique........................................................... 178
QUATORZIÈME LEÇON.
révision nosographique des amyotropiues.
Sommaire. — Amyotrophies deutéropathiques. — Amyotrophies protopa-thiques. — Myopathies primitives. — Paralysie pseudo-hypertrophique. Forme juvénile de Erb. — Myopathie sans changement de volume des muscles. — Forme de Leyden. — Analogies de la paralysie pseudo-hypertrophique et de la forme juvénile de Erb. — Forme infantile héréditaire de Duchenne (de Boulogne). — Ses caractères. Cette dernière forme est analogue aux précédentes. — Paralysie pseudo-hypertrophique, forme juvénile de Erb, forme de Leyden, forme infantile héréditaire de Duchenne (de Boulogne) ; elles ne sont que des variétés de la myopathie progressive primitive..................................................... 19:!
QUINZIÈME LEÇON.
tremblements et mouvements choréiformes. chorée rhythmée.
Sommaire. — Tremblement de la sclérose en plaques ; oscillations à grand arc. Tremblement de la paralysie agitante et tremblement senile. — Tremblements à oscillations lentes: à oscillations rapides ou tremble-
ments vibratoires. — Tremblement hystérique. — Tremblements alcoolique, mercuriel, de la paralysie générale, de la maladie de Basedow.
(Ihorée : Caractères des mouvements involontaires de la chorée de Sydenham. — Chorée et hcmichorée pré et post-hémiplégiques. — Athétose et hémiathétose.
Chorée rhythmée. — Caractères des mouvements ; ils se manifestent sous forme de crises ; ils sont cadencés, systématiques et reproduisent plus ou moins fidèlement des mouvements de la vie ordinaire ou des gestes professionnels (ch. saltatoire, malléatoire). La maladie est généralement liée à l'hystérie. — Pronostic variable suivant les cas.............. 215
SEIZIÈME LEÇON.
spiritisme et hystérie.
Sommaire. — Influence des excitations intellectuelles sur le développement de l'hystérie : croyance au surnaturel, au merveilleux; pratique du spiritisme.
Relation d'ime épidémie d'hystérie ayant sévi sur les trois enfants d'une famille habitant un pénitencier militaire et adonnée au spiri. tisme.
Antécédents nerveux et rhumatismaux. — Description des attaques; hallucinations de la vue; stigmates permanents et variables. — Conclusions............................................................ 229
DIX-SEPTIÈME LEÇON.
de l'isolement dans le traitement de l'hystérie.
Sommaire. — Détails rétrospectifs sur une petite épidémie d'hystérie. Le traitement doit comprendre deux points. — A. Traitement psychique ou moral : 1° Eloignement du lieu où s'est développée l'hystérie ; 2° Séparation respective des personnes atteintes ; 3° Suppression de toutes visites de la part des parents ou amis.
B. Traitement médical : 1° Modifier la diathèse, s'il en existe une; le rhumatisme par exemple; 2° Electrisation statique; 3° Hydrothérapie méthodique.
Influence prépondérante de l'Isolement. — Exemples. — Le traitement a été adopté et non inventé en Allemagne et en Angleterre........... 238
DIX-HUITIÈME LEÇON.
a propos de six cas d'hystérie chez l'homme.
Sommaire. — L'hystérie chez le mâle n'est pas aussi rare qu'on le pense. — Bôle du traumatisme dans le développement de cette affection : Bailway-
Charcot. Œuvres complètes, r. m, Système nerveux. 34
spine. — Ténacité des stigmates hystériques chez les grands malades des deux sexes.
Relation de trois cas typiques et complets d'hystéro-épilcpsie chez l'homme. Ressemblance frappante de ces trois cas entre eux et avec les cas correspondants observés chez la femme....................... 253
DIX-NEUVIÈME LEÇON.
a propos de six cas d'hystérie chez [/'homme (Suite).
Sommaire. — Formes anormales de l'attaque hystérique chez l'homme. — Relation d'un cas dans lequel les attaques avaient pris l'aspect de l'épilepsie partielle. — Diagnostic de ce cas : importance des stigmates hystériques.
L'attaque convulsive peut faire défaut dans l'hystérie de l'homme. — Description d'un cas de monoplégie brachiale chez un homme de 19 ans, hystérique. — Difficultés du diagnostic dans ce cas................ 280
VINGTIÈME LEÇON.
sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique, de cause traumatique chez l'homme : monoplégies hystéro-traumatiques.
Sommaire. — Observation de Porcz... : Antécédents, rhumatisme articulaire. — Chute. — Monoplégie avec aneslhésie du bras et de l'épaule. — Examen du malade : impuissance motrice avec flaccidité, aneslhésie pour tous les modes de sensibilité suivant une délimitation particulière ; pas de troubles trophiques, pas de modifications dans les réactions électriques des muscles paralysés. — Diagnostic : commotion ou contusion du plexus brachial ; caractères des symptômes qui s'observent dans celle-ci: zone danesthésie correspondant au territoire des nerfs atteints : troubles trophiques, modification des réactions électriques............. 299
VINGT ET UNIÈME LEÇON.
sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique, de nature traumatique
chez l'homme (suite); — monoplégies hystéro-traumatiques.
Sommaire. — Suite du diagnostic. — Amyotrophies dépendant d'une lésion articulaire ; lésion spinale ou cérébrale en foyer. Symptômes nettement hystériques chez ce malade : hémianesthésie droite, polyopie monoculaire avec macropsie, rétrécissement bilatéral du champ visuel.
Observation de Pin... : Monoplégie flasque et perte de la sensibilité dans tous ses modes au membre supérieur gauche à la suite d'une chute. — Autres symptômes hystériques : diminution de l'ouïe, de l'odorat et du goût de ce côté, rétrécissement du champ visuel avec transposition du
rouge, polyopie monoculaire, anesthésie de l'arrière-gorge, plaques hys-térogènes, plaques d'hystérie suivies d'une amélioration de la paralysie du bras.
Paralysies psychiques ; leur production par suggestion dans l'hypnotisme. — Différents états de l'hypnotisme considéré au point de vue de la possibilité des suggestions..................................... 315
VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
sur deux cas de monoplégie brachiale hystérique chez l'homme (Suite).
Sommaire. — Production d'une monoplégie de tout le membre supérieur chez une hystérique par suggestion ; moyen analogue employé pour la faire disparaître. — Production successive chez la même malade de la paralysie des différents segments du membre supérieur (épaule, coude, poignet, doigts). — La sensibilité et les réflexes tendineux disparaissent simultanément dans les parties atteintes par la paralysie. — La monoplégie peut être déterminée artificiellement chez une hypnotisée par un choc sur l'épaule (suggestion traumatique). — Répétition des mêmes phénomènes pendant la veille chez une hystérique à l'état d'hypnotisme naturel et permanent.
Considérations sur le traitement de deux hommes atteints de monoplégie brachiale : hydrothérapie, électricité statique, gymnastique spéciale ; mode d'action de ce dernier agent; images psychiques motrices. Bons résultats du traitement............................................ 344
VINGT-TROISIÈME LliÇON.
sur un cas de coxalgie hystérique de cause traumatique chez l homme.
Sommaire. — Travaux de Brodie et d'autres auteurs sur les affections hystériques des jointures. — Caractères des arthralgies hystériques: attitude du membre; modalités spéciales de la douleur. — Observ. de Charv..., traumatisme initial sur le membre inférieur gauche, attitude du malade; forme de la fesse et du pli fessier. — Analogies cliniques considérables avec la vraie coxalgie organique. — Caractères distinctifs: signe de Brodie, hémianesthésie, anesthésie pharyngée, etc. — Nécessité de l'examen pendant l'action du chloroforme....................... 370
VINGT-QUATRIÈME LEÇON.
sur un cas de coxalgie hystérique de cause traumatique chez l'homme
(Suite).
Sommaire. — Résultats de l'examen pratiqué sous l'action du chloroforme. Phénomènes présentés en ce moment par le malade. — Coxalgies mixtes ou hystéro-organiques. — Coxalgies artificiellement produites chez deux
femmes présentant les phénomènes du grand hypnotisme. — Différents procédés employés pour produire cette coxalgie. — Caractères de la coxalgie hystérique artificielle. — Shock nerveux. — Suggestion trauma-tique. — Méthode de traitement de la coxalgie hystérique : massage, ses bons résultats transitoires; influence de l'état psychique. — Guérison probable.......................................................... 386
VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
sur un cas de contracture spasmodique d'un membre supérieur survenue chez l'homme en conséquence de l'application d'un appareil a fracture.
Sommaire. — Par le fait de la chute d'un corps pesant sur le membre, développement d'une monoplégie brachiale présentant tous les caractères des monoplégies dites hystéro-traumatiques ; fracture de l'avant-bras; — shock nerveux. Ce que c'est que le shock local : son rôle dans la production des paralysies hystéro-traumatiques. — Application d'un appareil à fracture; la monoplégie avec flaccidité se transforme en monoplégie avec contracture. Celle-ci présente tous les caractères de la contracture hystérique. — La tendance à la contracture spasmodique est chose fréquente chez les hystériques des deux sexes. Le moyen le plus efficace de la provoquer est l'application, autour des membres, d'un lien circulaire. — La production artificielle des contractures constitue un véritable stigmate révélateur de l'état hystérique. — Amélioration du malade à la suite de divers traitements ; cependant, les mains conservent un certain degré de déformation qui ne cède pas à l'action du chloroforme et qui paraît relever de la production du tissu fibreux.................... 399
VINGT-SIXIÈME LEÇON.
cas de mutisme hystérique chez l'homme.
Sommaire. — Description du mutisme hystérique. — C'est un syndrome très bien caractérisé : aphonie, chuchottement impossible, aphasie motrice. Conservation des mouvements généraux des lèvres, de la langue, etc. — L'intelligence n'est pas affectée, les malades ont conservé la faculté d'écrire couramment et de converser par signes. — Diagnostic du mutisme hystérique. Son importance dans certains cas. — Les simulateurs : il est généralement très facile de les dépister. — Production expérimentale du syndrome mutisme hystérique chez les hystériques hypnotisables... 422
APPENDICE.
I. — Deux nouveaux cas de paralysie hystéro-traumatique chez l'homme; fragment d'une leçon de M. Charcot, recueillie par
MM. Babinski et Berbez.......................................... 441
II. — Les notions du sens musculaire et le mouvement volontaire..... 464
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
III. — Guérison soudaine d'une hémiplégie hystérique. Extrait d'une leçon de M. Charcot, par M. P. Marie............................. 471
IV. — De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques, d'après les leçons de M. Charcot, par M. Babinski..................... 478
V. — Du mutisme hystérique, d'après les leçons de M. Charcot, par
M. Cartaz........................................................ 481
VI. — De l'aphasie en général et de l'agraphie en particulier, d'après l'enseignement de M. le professeur Charcot, par M. Pierre Marie. 511
TABLE ANALYTIQUE
A
Affection hystérique des jointures, 371.
Aimant contre la contracture hystérique, 122.
Amblyopie hystérique, 83.
Amnésie traumatique rétrograde, 443.
Amyotrophies (Ptévision nosogra-phique des), 193; — deutéropa-thiques, 191; — protopathiques, 196.
Anarthrie, 436.
Anatomie (Intervention de 1' — en pathologie), 9 ; — pathologique de l'hystérie, 268.
Anatomo-clinique (Méthode), 11.
Ankylose celluleuse, 408.
Anorexie hystérique, 240.
Aphasie (Des différentes formes d'), 154; — motrice pure dans le mutisme hystérique, 427.
Articulaires (Traumatismes), 28.
Asyllabie, i68.
Athétose, 2j£l
Atrophie musculaire à la suite des lésions articulaires, 24; — consécutive au rhumatisme articulaire chronique, 51, 61; — à la suite d'une contusion sciatique, 128; — relevant de l'hystérie, 412.
B
Blépharospasme chez une hystérique, 48.
Brodie, signes des arthralgies hystériques, 370-380.
Bromure (Insuffisance du) dans le traitement de l'hystérie, 240.
C
Catalepsie, 18; — caractères de la
— , 337; — simulation de la —,
— 110.
Cécité verbale, 154, 1G6; — Hemianopsie dans la —, 159, 173; — historique, 166. — Observations, 155, 166. — Autopsies, 172.
Chloroforme (Action du) dans la coxalgie hystérique, 387; — dans la contracture hystérique suivie de rétraction fibreuse, 420.
Chorée de Sydenham, 215; — pré ou posthémiplégique, 215; — rhythmique ou hystérique, 216-225.
Choréiformes (Mouvements), 214. Commotion cérébrale, 443. Compression, son influence sur le
développement de la contracture
hystérique, 414. Consultation externe de la Salpê-
trière, 4.
Contracture d'origine traumatique, 39, 97; — réflexe d'origine articulaire, 59, 61; — Simulation de la —,111; — hystéro-traumatique, 117, 399, 406, 411; — hystérique provoquée par la compression, 414; — d'origine organique, 411.
Coxalgie hystérique de cause traumatique chez l'homme, 370; — ses caractères, 374; —provoquée par l'hypnotisme, 391; — hys-téro-organique, 388; — diagnostic
avec la coxalgie tuberculeuse, 380.
D
Démence paralytique, 72. Diabète (Sciatique double dans le), 143.
Diathèse de contracture, 104, 415. E
Electriques (Réactions — des muscles dans les atrophies musculaires d'origine articulaire), 33; — Réactions — dans les atrophies musculaires du rhumatisme chronique, 56; — Réactions — dans l'atrophie musculaire consécutive à une contusion du sciatique, 135; — dans la poliomyélite antérieure chronique, 195; — dans les paralysies hystéro-trauniatiques, 305 ; — dans l'atrophie musculaire relevant de l'hystérie, 407.
Ei.ectrisation statique (L') dans le traitement de l'hystérie, 240.
Eloigne ment (L') des malades du lieu où s'est développée l'hystérie, 240.
Elongation du nerf médian dans
un cas de contracture traumati-
que, 1^2. Epidémie d'hystérie, 229. Epilepsie partielle (Hystérie chez
l'homme avec attaque à forme d'),
283.
f
Face, Tic non douloureux de la —, 47; — spasme de la — dans l'hystérie, 444.
G
Griffe cubitale, 102; — interosseuse, 103.
H
Hémianesthésie, 115.
Hémianopsie dans la migraine oph-thalmique, 75; dans la cécité verbale, 159.
Hydrothérapie (L') dans le traitement de l'hystérie, 240.
Hyperexcitabilité neuro - musculaire, 103.
Hypnotisme (Coxalgie provoquée dans 1') ; dans la production artificielle du mutisme hystérique, 437. — Diverses phases et caractères de 1' —, 336, 337.
Hystérie, 14, 38, 47; — chez les jeunes garçons, 80, 232; — deux crises convulsives, 97; — influence des émotions morales dans le développement de l'hystérie, 226; — son traitement, 234; — chez l'homme, 114, 249; — Historique, 250; — Fréquence, 251 ; — Ténacité des stigmates dans les deux sexes, 253-255;
— Influence du traumatisme, 252; — Grande attaque hystéro-épileptique, 261, 266, 273; — Hystérie et neurasthénie, 268;
— Absence de lésions, 268; — Attaque à forme d'épilepsie partielle, 285; — Absence des attaques convulsives, 287; — caractérisée par les stigmates seuls et une manifestation accidentelle, la monoplégie, 289; — chez Vado-lescent,21. — Diilérences d'avec l'hystérie chez l'homme fait, 281.
Hystérique (Contracture), 37, 80, 97, 108, 399; — Amblyopie, 83;
— Affection — des jointures, 370; — Chorée —, 216, 225; -caractères des mouvements, 216;
— Monoplégies —, 293, 299, 400;
— Paraplégies —, 441; — Mutisme —, 422.
Hystérogènes (Zones), 86. Hystéro-traumatiques (Paralysies), 299, 399.
I
Imitation, 17.
Isolement dans l'hystérie, 50, 95, 240. — Cette méthode a été adoptée et non inventée en Angleterre et en Allemagne, 243.
L
Laboratoires de la Salpêtrière, 5. Léthargie, 336.
M
Magropsie et micropsie chez les hystériques, 324.
Mania operativa passiva et — activa, 373.
Massage, son mode d'emploi dans la coxalgie hystérique, 395,— ses résultats, 396; — ses résultats dans un cas de contracture hys-téro-traumatique, 419.
Méthode nosologique, 10 ; — ana-tomo-clinique, 11.
Miction (Troubles de la) à la suite d'une contusion du sciatique, 131.
Migraine ophthalmique au débu t de
la paralysie générale, 72. Monoplégies hystériques, 299, 400 ;
— Influence du traumatisme, 301, 400; État de la motilité, 303 ; — État de la sensibilité, 303, 319 ;
— Perte du sens musculaire. 304; — Pas de modification des réactions électriques, 305 ; — Diagnostic d'avec la névrite, 311 ,
— Diagnostic des lésions en foyer; 316; — Absence de participation de la face, 325; — Réalisation de paralysies identiques dans la phase somnambulique de l'hypnotisme, 341, 354, 357, 402 ; — Traitement psychique, 359.
Mutisme hystérique, 422; — historique, 424 ; — début, durée, pronostic, 424 ; — aphonie, anar-thrie, aphasie moderne pure; expériences de Marey et de Boudel de Paris sur le chuchottemen t, 426; — conservation du langage mimé, de l'écriture, de l'intelligence, 428 ; — coïncidence et absence des stigmateshystériqucs permanents, 431. — Simulation : son importance dans l'armée et en médecine légale, 432; — accident hystérique monosymptoma-tique, 435. — Production artificielle du mutisme, 437. — Siège et mécanisme, 438. Myopathie progressive primitive, 193;
— forme pseudo-hypertrophique, 193 ; — îormc juvénile de Erb, \ 96 ;
— ses carac!.ères, 196; — forme de transition sans changement de volume des muscles, 197 ; — forme de Leyden, 200; — forme infantile de l'atrophie musculaire progressive de lhtehenne, 200 ; — n'est pas une amyotrophie de cause spinale, '¿01 ; — ses caractères, 202; — Ces diverses formes font partie d'un groupe unique, 205.
N
Névroses, elles reconnaissent les lois physiologiques communes, 14.
Neurasthénie, — son traitement, Neuromimésie, 16. Nodosités d'IIeberden, 53.
O
Opération simulée, 394. Ovarie, 116.
P
Pachyméningite cervicale, 147; - intervention chirurgicale contre les rétractions celluleuses de la —, 150.
Paralysie agitante, 69; — consécutive aux traumatismes articulaires, 224; — consécutive à une contusion du sciatique, 128; — pseudo-hyper trophique, 193; — labio-glosso-laryngée, comparée avec le mutisme hystérique, 423.
Paraplégie hystérique, 441, 443; — état delà sensibilité; limitation particulière de l'anesthésie, 446.
Physiologie (Intervention de la — ) en pathologie, 7.
Pu fessier dans la coxalgie hystérique, 377.
Poliomyélite antérieure chronique ses caractères, 192.
Polyopic monoculaire des hystériques, 323.
Pseudo-hypertrophique (Paralysie), 322.
Psychique (Influence) sur la terminaison des affections hystériques, 359, 360, 397. — Paralysies —, 335.
R
Railway spine, 250, 355.
Réflexes (Exagération des) — dans l'atrophie musculaire consécutive aux traumatismes articulaires), 33; — Exagération des — tendineux chez les hystériques), 43.
Rétraction fibreuse consécutive à une contracture hystéro-trauma-tique, 4 0.
Rhumatisme articulaire chronique (Atrophie musculaire consécutive au —), 51 ; — Différents types du —, 53, 61 ; — Déformations du —, type d'extension, type de flexion, leur pathogénie, 65; — son influence sur le développement de l'hystérie, 228.
Rigidité spasmodique latente chez les hystériques, 41, 415.
S
Salpètrière (Organisation de la —) aupointde vue de l'enseignement,
3.
Sclérose musculaire, 409.
Sciatique (Contusion du nerf), 124; — double chez une cancéreuse). 140 ; — double dans le diabète, dans les affections spinales ot méningées, les lésions vertébrales, 143.
Scotome scintillant, 75.
Sensibilité (Troubles de la) chez les hystériques, 253, 255; — dans les paralysies hystéro-traumatiques 303, 319; — dans la paralysie-hystérique, 446; — dans les névrites, 308.
Shock nerveux, 355, 392, 403; — local, 402.
Simulation, 1620; — de la contracture et de la catalepsie, 109; — du blépharospasme. 48; — du mutisme, hystérique, 432.
Somnambulisme, 339 — Caractères du —, 339. — Paralysies par suggestion dans le —, 341.
Spasme de la face dans l'hystérie simulant une paralysie faciale, 414.
Spécialisation de l'enseignement des maladies nerveuses (Légitimité de la —), 7.
Spinale (Exemple d'une affection — consécutive à une contusion du nerf sciatique), 125.
Spiritisme, son influence et celle des pratiques superstitieuses dans le développement de l'hystérie, 229.
Steppage dans l'atrophie musculaire progressive, 199.
Stigmates hystériques chez l'homme, 253 ; — leur importance pour le diagnostic des paralysies hystéro-traumatiques, 321.
Strychnisme, 44.
Stupeur locale, 404.
Suggestion (Paralysies par), 341; — Caractères des — , 342; — Analogies avec les paralysies hystéro-traumatiques, 344, 351, 402 ; — traumatique, 354, 357, 392, 393, 402.
Système nerveux (Organisation de la chaire de clinique des maladies du), i.
T
Tic non douloureux de la face, 47.
Traumatismes articulaires, 23, 29 i ; leur influence sur la localisation de certaines determinations dia-thésiques,37, 97 ; — leur influence sur le développement de troubles nerveux en dehors de l'hystérie, 399; — et hystérie, 250, 289, 301, 402, 44?.
Tremblements, 209; — de la sclérose en plaques, 209; - de la para'ysie
agitante, 209; — sênile, 212; — hystérique, 212 ; — alcoolique, 213 ; mercuriel, 413; — de la paralysie générale, 413; — de la maladie de Basedow, 413.
Zones hystérogènes, .85 ; — chez la femme, 232; — chez l'homme, 260.
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE.
Chûtcaurouï. — Imprimerie A. Majesté.