ŒUVRES COMPLETES
D E
J.-M. CHARCOT
LEÇONS
sur les
MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
RECUEILLIES ET PUBLIÉES
par
BOURNEVILLE
TOME II
AVEC 35 FIGURES DANS LE TEXTE ET 10 PLANCHES
PARIS
AUX BUREAUX DU PROGRES MÉDICAL
14, rue des Carmes
A- DELAHAYE E- LECROSNIER
I. I il H A I H F S - F D IT K U R S
Place de TRcoia-da-Méderine
PREMIÈRE PARTIE
Anomalies de l'ataxie locomotrice
PREMIÈRE LEÇON
Prodrome anatomique.
Sommaire. — La tâche du clinicien diffère de celle du nosographe. — Diver-sité des opinions sur le siège de la lésion dans l'ataxie locomotrice. — Insuf-fisance des procédés employés. — Sclérose des cordons postérieurs; sa signification. — Examen à l'œil nu; notions qu'il fournit. — Premiers faits de sclérose des cordons postérieurs.
Examen macroscopique. — Induration grise , ses caractères. — Foyer originel de la lésion irritative. — Anatomie topographique microscopique. — Cir-conscriptions spinales. — Gordon de Goll. — Bandelettes externes des fais-ceaux postérieurs ; leur altération paraît constante dans l'ataxie locomotrice.
Sclérose fasciculée systématique médiane. — Sclérose fasciculée latérale. — Dans l'ataxie locomotrice, la sclérose débute par les bandelettes postéro-latérales. — Rapport entre les lésions et les symptômes. — Mode de propa-gation de la sclérose. — Faisceaux radiculaires internes.— Envahissement des cornes antérieures de substance grise : amyotrophie consécutive.
I.
Messieurs,
Je me propose, dans la série des quatre leçons qui vont suivre, d'étudier avec vous quelques points peu connus de l'his-toire anatomique et clinique de l'ataxie locomotrice progres-sive. C'est surtout au point de vue clinique que je compte me placer dans ces entretiens.
On peut dire que la tâche du clinicien et celle du nosographe sont très différentes. Le premier s'attache principalement au tableau abstrait des maladies ; il néglige à dessein, ou relègue
Gharcot. Œuvres complètes, t. h. 1
volontairement, au second plan, les anomalies, les déviations du type.
Le clinicien, au contraire, vit plus spécialement des cas indi-viduels qui, presque toujours, s'offrent avec des particularités s'éloignant plus ou moins du type vulgaire ; il ne saurait né-gliger les cas exceptionnels, anormaux, car c'est en leur pré-sence que sa sagacité trouve principalement l'occasion de s'exercer.
Or, pour ce qui concerne le premier point de vue, j'aurai peu de choses à ajouter aux descriptions classiques qui, depuis quelques années, ont été tant et tant de fois reprises et qui ne font d'ailleurs que reproduire, avec quelques variantes, la des-cription magistrale que nous devons à M. Duchenne (de Bou-logne).
En revanche, les anomalies de l'ataxie locomotrice, les dé-viations du type normal présentent à nos investigations un champ vaste encore et qui n'a pas été, tant s'en faut, parcouru dans toutes les directions. Dans cette exposition, nous comp-tons bien, du reste, utiliser les cas si nombreux soumis à notre observation dans cet hospice. Ils nous permettront de vous faire voir, à côté des types ordinaires, des combinaisons inattendues, peu ou point étudiées, et qui, cependant, sont loin de constituer des cas rares.
Sans négliger l'étude anatomique, nous ne nous y attache-rons qu'autant qu'elle peut jeter la lumière sur les faits cli-niques d'une interprétation difficile, et même je me propose, dans la présente conférence, de vous montrer, à propos,de l'a-taxie locomotrice, quel parti le clinicien peut tirer des recher-ches anatomiques conduites dans une certaine direction, sui-vant une certaine méthode. Faisons-nous donc anatomistes pour aujourd'hui, l'examen du vivant reprendra ensuite ses droits.
Les termes « ataxie locomotrice » répondent à une déno-mination toute symptomatique et, pendant quelque temps, on a pu hésiter sur la question de savoir à quel département du système nerveux ou périphérique il fallait rattacher l'ensemble de symptômes que ces mots désignent. Les uns incriminaient le cerveau et le cervelet ; les autres la moelle, avec ou sans le concours des nerfs périphériques. D'autres, enfin, ont soutenu que l'ataxie était une névrose : pour ceux-ci, la lésion des centres nerveux, trouvée à l'autopsie, ne se produirait qu'à la longue comme conséquence éloignée, mais nullement néces-saire, d'un trouble fonctionnel prolongé. Plusieurs d'entre vous ont pu entendre encore cette thèse développée par un maître habile, Trousseau.
On se fondait alors sur quelques nécroscopies, négatives disait-on; et ces nécroscopies sans résultat frappaient d'autant plus les esprits qu'elles avaient été conduites avec tout l'appa-reil des investigations les plus délicates et par des hommes compétents dans les études microscopiques. Mais, aujourd'hui, ces faits paradoxaux sont controuvés : la méthode était insuffi-sante, et nous croyons pouvoir affirmer que, dès les premières périodes de l'ataxie, alors même que la maladie, encore à ses débuts, est marquée seulement par des douleurs fulgurantes, on trouve, dans certains points bien déterminés du système nerveux — les faisceaux postérieurs de la moelle épinière — des lésions facilement saisissables.
J'espère vous montrer, Messieurs, que ces recherches, en apparence si minutieuses, n'exigent que du soin, du temps et l'application d'une méthode particulière, fort simple du reste, pour donner des résultats aussi positifs que ceux fournis par l'anatomie microscopique la plus élémentaire, celle qui corres-pond àl'anatomie descriptive.
Entrons donc de plein pied dans Vanatomie pathologique. L'étude anatomique des scléroses spinales comporte, vous le
Mais, et il importe de le remarquer dès l'origine, s'il est vrai que l'ataxie locomotrice progressive se rattache, ainsi qu'on l'a dit, à la sclérose postérieure comme «l'ombre se rattache au corps, » il ne faudrait pas croire, toutefois, qu'en appelant sclé-rose des cordons postérieurs l'ataxie locomotrice, vous vous trouviez en possession d'une définition adéquate.
Il n'en est certainement pas ainsi, et j'espère qu'il me sera facile d'établir sur des faits les propositions suivantes que je me borne pour le moment à énoncer sommairement:
1° Les cordons postérieurs sont quelquefois atteints de sclé-rose dans une grande partie de leur étendue, sans que les symptômes de l'ataxie en soient la conséquence ;
2° Certaines lésions de la moelle, primitivement développées en dehors des cordons postérieurs, peuvent, à un moment, les envahir dans une hauteur variable et produire accidentellement quelques-uns des symptômes de l'ataxie que j'appellerais vo-lontiers symptômes tabétiques ; mais ce n'est pas là véritable-ment l'ataxie locomotrice progressive.
3° En effet, celle-ci évolue avec un appareil de symptômes se succédant dans un ordre déterminé, toujours le même ou peu s'en faut ; c'est une maladie à part, autonome. La lésion à laquelle sont liés les symptômes occupe, en réalité, les cordons postérieurs, mais elle occupe systématiquement, dans ces cor-dons, une partie circonscrite, fixe, toujours la même : c'est ce dernier point que nous allons tout d'abord chercher à mettre en évidence.
IV.
savez, d'une manière générale: 1° l'examen à l'œil nu ; 2° l'exa-men microscopique tour à tour sur des coupes fraîches et sur des coupes durcies par divers procédés. Nous serons brefs sur les résultats de l'exploration macroscopique dans l'ataxie,, car elle est évidemment insuffisante, frappée, dès l'origine, de sté-rilité. En effet, dans les cas récents, elle ne dénote aucune al-tération et, dans les cas anciens, elle ne nous donne pas les moyens de préciser exactement le siège de la lésion, pas plus que sa nature. Elle nous enseigne simplement qu'il y a june induration grise. C'est tout et ce n'est pas assez.
N'oublions pas cependant que, malgré ses imperfections, c'est à ce mode d'examen que nous devons la découverte de la sclérose des cordons postérieurs. Et si je relève ce fait, en pas-sant, c'est parce qu'il est une conquête toute française, remon-tant à la grande époque anatomo-pathologique inaugurée par Bayle et Laennecet continuée par Cruveilhier. Dès 1827, Hutin montrait à la Société anatomique un spécimen de la dégéné-ration gélaliniforme des cordons postérieurs. Puis, vinrent Monod et Ollivier (d'Angers) ; mais, dans ces communications, les symptômes ne pouvaient être mis en regard des lésions ; aussi, ces observations n'éveillèrent-elles guère l'attention qu a titre de curiosités anatomiques. Ce n'est que plus tard, qu'aux symptômes de l'ataxie, définitivement coordonnés par M. Du-chenne (de Boulogne), on parvint à rattacher l'induration grise des cordons postérieurs et montrer que la maladie, considérée d'abord comme exceptionnelle, est, en réalité, très commune.
Outre les altérations des cordons postérieurs, l'anatomie macroscopique a décelé : 1° celle des racines postérieures (atrophie) ; 2° celle des méninges (méningite spinale posté-rieure) ; 3° celle des différents nerfs cérébraux, et entre autres, des nerfs optique, moteur oculaire, hypoglosse (atrophie et dégénération grise). Disons aussi, d'une ma-nière générale, qu'elle a permis de constater que les lésions
V,
L'étude de la moelle épinière, à l'aide des grossissements, a seule le pouvoir de combler les desiderata que nous venons de signaler. Ses procédés sont applicables, d'ailleurs, à di-vers points de vue. Elle peut, en premier lieu, se proposer de remonter jusqu'aux éléments anatomiques eux-mêmes, et de rechercher les modifications qu'ils subissent aux di-verses phases de l'évolution du processus morbide. C'est ainsi qu'on a reconnu que la lésion des cordons postérieurs, dans l'ataxie locomotrice progressive, est une des formes de la sclé-rose des centres nerveux.
La sclérose ou induration grise des centres nerveux répond, vous ne l'avez pas oublié, à l'un des modes de rinflammation chronique primitive. Un de ses traits les plus saillants, c'est l'hyperplasie avec métamorphose fibrillaire de la névroglie s'effectuant aux dépens des éléments nerveux ou s'opérant, tout au moins, parallèlement à la destruction de ces élé-ments.
Je n'insisterai pas pour montrer que, en ce qui concerne les caractères histologiques, l'induration grise, dans l'ataxie
sont plus prononcées à la région cervicale lorsque les symptômes prédominent aux: membres supérieurs, et à la région lombaire dans la forme commune, c'est-à-dire quand, les phénomènes morbides sont accusés, surtout dans les membres inférieurs. Ajoutons enfin que l'envahissement des cordons latéraux par l'induration grise n'avait pas échappé à ce procédé d'examen. Toutefois, je le répète, l'anatomie macroscopique ne fournissait aucun renseignement sur l'état de la substance grise, sur la localisation exacte de la lésion, sur la genèse et la nature du processus morbide, et sur bien d'autres points encore.
locomotrice, ne diffère en rien d'essentiel de ce qu'elle est dans la sclérose en plaques ou dans la sclérose symétrique des cordons latéraux, par exemple. La question paraît aujourd'hui définitivement résolue, et personne n'admet plus, je pense, qu'il s'agisse là, comme l'ont avancé quelques auteurs, M. Leyden entre autres, d'une atrophie simple. La méningite spinale, qui coexiste si fréquemment avec la sclérose des fais-ceaux postérieurs, dans l'ataxie, et qui se montre toujours, en pareil cas, exactement limitée à la surface de ces faisceaux, fournirait encore au besoin un nouvel argument en faveur de la nature irritative de l'altération.
Mais il est un point sur lequel il paraît impossible de se pro-noncer, quant à présent, d'une manière définitive : quel est le foyer originel de cette lésion irritative ? Est-ce la névroglie? Est-ce au contraire l'élément nerveux? J'avoue que, considé-rant comment l'altération reste confinée, en quelque sorte systématiquement, dans l'aire des faisceaux postérieurs, dont elle ne franchit les limites que dans les circonstances excep-tionnelles, je ne puis m'empôcher d'incliner fortement vers la seconde hypothèse. L'irritation parenchymateuse serait donc le fait initial; l'irritation interstitielle serait secondaire. Je trouverai peut-être, chemin faisant, l'occasion de signaler à votre attention quelques autres données qui viennent à l'appui de cette manière d'envisager les choses.
VI.
On peut encore, ainsi que nous l'avons annoncé, diriger à un autre point de vue l'étude de la moelle faite à l'aide des grossissements. Il existe, en effet, une sorte à'anatomie topo-graphique microscopique, dont l'objet est d'examiner les parties dans leurs rapports naturels, sans destruction, sans dilacéra-tion. Il s'agit alors, principalement, de reconnaître d'une
façon exacte, dans l'aire des faisceaux blancs, ou dans les di-vers départements de la substance grise, quelle est l'étendue, la configuration, la répartition exacte des altérations, de suivre leur mode d'extension, lorsque, débordant au delà de leur foyer primitif, elles se propagent aux régions voisines ou se communiquent même à des régions éloignées.
On doit, si je ne me trompe, à ce mode d'investigation une bonne partie des progrès récemment accomplis dans l'histoire, longtemps presque inextricable, des maladies spinales chro-niques. Ce résultat était d'ailleurs facile à prévoir. L'expéri-mentation sur l'animal, malgré ses procédés comparativement grossiers, avait suffi cependant pour mettre hors de doute que, dans ce cordon mince qu'on appelle la moelle épinière, il existe, pour ne parler que des faisceaux blancs, plusieurs ré-gions répondant à autant d'organes dont les fonctions, malgré l'analogie de composition, sont tout à fait distinctes. Ainsi les faisceaux latéraux sont tout à fait distincts physiologiquement des faisceaux postérieurs. Dans la substance grise elle-même, il y a lieu,vousle savez, d'établir, à ce point de vue, un certain nombre de circonscriptions plus ou moins nettement séparées.
La pathologie, à son tour, était venue confirmer, d'une manière générale, ces données, en montrant qu'une lésion, limitée à tel ou tel de ces départements, se traduit chaque fois par un ensemble particulier de symptômes ; mais elle devait encore, de nos jours, avec l'aide des nouveaux moyens d'étude anatomique, aller plus loin, devancer sur plusieurs points l'expérimentation. Celle-ci, en effet, même entre les mains de l'opérateur le plus habile, pourra-t-elle jamais, dans un organe aussi délicat que l'est la moelle, aussi difficile à atteindre, déterminer des lésions exclusivement bornées, par exemple, à certains groupes de cellules nerveuses, à certains faisceaux de fibres? Il est permis d'en douter. La maladie, au contraire, produit journellement de telles lésions, etl'anatomie topogra-
phique de la moelle nous les fait reconnaître avec la plus grande précision ; elle nous permet de constater quel groupe de cellules, quels faisceaux de fibres nerveuses ont été irrités, atrophiés ou détruits. Mettez en présence d'une anatomie aussi délicate des observations recueillies avec soin, où l'analyse des symptômes se montrera d'autant plus complète, d'autant plus profitable qu'elle aura été faite à la lumière de connaissances anatomiques et physiologiques préalables, et vous aurez entre les mains les conditions d'une expérience s'opôrant, si l'on peut ainsi dire, spontanément — et s'opérant sur l'homme, ce qui, dans l'espèce, est un avantage inestimable.
On peut dire qu'aujourd'hui, grâce aux recherches dirigées dans cet esprit, l'histoire d'un bon nombre d'affections spinales, dont la pathogénie était demeurée jusque-là plongée dans une obscurité profonde, s'est éclairée d'un jour inattendu. On a appris entre autres que la paralysie, dite essentielle, des enfants relève d'une myélite systématiquement confinée dans un tout petit département de la substance grise de la moelle : la région des cornes antérieures. On sait encore que la majorité des cas, désignés en clinique sous le nom atrophie musculaire progressive, se rapporte à une altération occupant le même siège, mais dans laquelle la lésion des cellules nerveuses s'o-père non plus suivant le mode aigu, mais bien suivant le mode chronique progressif. Nous pourrions multiplier ces exemples, mais il nous faut nous borner, et revenir maintenant à l'objet principal de notre étude.
VII.
Nous nous sommes efforcé, Messieurs, pendant le cours des deux dernières années, d'appliquer la méthode que nous venons de préconiser à la revision des données anatomiques qui concernent l'ataxie locomotrice progressive. Les résultats
Sclérose limitée aux cordons médians ou cordons de Goll. Fig. 1. Région cervicale. — Fig. 2. Région dorsale.
tômes de l'ataxie locomotrice, n'affecte pas indistinctement toutes les parties de ces faisceaux, mais occupe nécessai-rement certaines régions qu'il s'agit de déterminer à pré-sent.
On avait, depuis longtemps, remarqué que la sclérose fascicidée et ascendante des faisceaux postérieurs, telle qu'elle s'observe, par exemple, au renflement cervical, dans les cas où la moelle est comprimée sur un point de la région dor-
1 Pierret. — Notes sur la sclérose des cordons postérieurs dans l'ataxie loco-motrice progressive. {Archives de physiologie, 1872, p. 364.) — Notes sur un cas de sclérose primitive du faisceau médian des cordons postérieurs. {Ibid., 1873, p. 74.)
acquis, bien qu'imparfaits encore à quelques égards, nous paraissent cependant dignes de vous être présentés. Ils sont dus, pour la majeure partie, aux recherches entreprises, d'a-près mes conseils, par M. Pierret dans mon service. Ces tra-vaux ont fait l'objet de deux mémoires publiés dans les Ar-chives de physiologie1. Je m'attacherai seulement à vous faire connaître les points les plus importants qui ont été éluci-dés.
Je vous ai laissé pressentir que la lésion des cordons postérieurs de la moelle, à laquelle se rattachent les symp-
sale, par le fait du mal de Pott, n'a pas pour effet, à moins le circonstances spéciales, de produire les symptômes de ,'ataxie (incoordination motrice et douleurs fulgurantes) dans les membres supérieurs. Or, cette sclérose consécutive affecte exclusivement, en pareil cas, les cordons médians ou cor-dons de Goll. Il était déjà rendu vraisemblable par là que, dans l'ataxie, les cordons de Goll doivent être exclus de toute participation dans la production des symptômes essentiels. (Fig. 1, 2, 3, 4, a, a ; voyez aussi Planche I, Fig. 1). L'examen attentif des lésions que présente la région
Sclérose limitée aux cordons de Goll. Fig- 3. Coupe au niveau de la 12e vertèbre dorsale. — Fig. 4. Partie supérieure du renfle-ment lombaire. (Ces quatre figures sont empruntées aux Archives de physiologie.)
servico-dorsale, dans les cas à'ataxie locomotrice généralisée, c'est-à-dire intéressant à la fois les membres supérieurs et les membres inférieurs, est venu confirmer ces prévisions. On sait que, dans les cas de ce genre, on observe en dehors de la sclérose des cordons de Goll — laquelle est à peu près tou-jours présente — deux minces bandelettes grises que nous avions, dans le temps, reconnues à l'œil nu et signalées, M. Vulpian et moi.
Ces bandelettes, vues à la surface de la moelle, semblent occuper les sillons collatéraux postérieurs, et les racines sensi-tives les plus internes paraissent en émerger (Voyez Planche I, Fig. 2). Sur les coupes transversales, elles se montrent sous
forme de deux tractus gris, dirigés d'avant en arrière et un peu de dehors en dedans ; ces tractus sont séparés des cordons de Goll, en dedans, et des cornes grises postérieures, en dehors, par des bandes minces, où la substance blanche a conservé les caractères de l'état normal. Or, Messieurs, il ré-sulte des nombreuses observations, que nous avons recueillies avec M. Pierret, que les tractus sclérosés, dont il s'agit, ne se rencontrent jamais que dans les cas où, pendant la vie, les membres supérieurs ont présenté les symptômes tabétiques. Ils n'existent qu'à droite, ou prédominent de ce côté, selon que ces symptômes n'ont affecté que le membre supérieur droit ou s'y sont montrés plus accusés qu'à l'autre membre. C'était Finverse lorsque les symptômes avaient prédominé, au contraire, dans le membre gauche. De plus, dans tous les cas où les membres supérieurs étaient restés absolument indem-nes, les tractus ont fait complètement défaut. La présence des symptômes tabétiques semble donc, vous le voyez, intimement liée à l'existence des bandelettes scléreuses latérales.
Mais il manquait encore à la démonstration de reconnaître un cas où la sclérose des cordons de Goll fût absente au ren-flement brachial, bien que les symptômes d'ataxie eussent occupé les membres supérieurs. Ce cas s'est enfin présenté chez une nommée Moli, dont l'histoire a été rapportée tout au long dans un des Mémoires de M. Pierret. Chez cette femme, l'incoordination motrice, ainsi que les douleurs fulgurantes, avaient existé à un haut degré dans les deux membres supé-rieurs, et cependant la lésion scléreuse n'était représentée, à l'autopsie, dans la région dorso-cervicale de la moelle, que par les deux minces bandelettes grises ; le faisceau médian était exempt de toute altération (Planchk I, Fig. 3.)
Il résulte évidemment de tout ce qui précède que, pour ce qui concerne les membres supérieurs, la lésion des cordons de Goll ne saurait réclamer aucun rôle dans la production des
symptômes tabétiques. Quelle peut donc être la raison de l'exis-tence si habituelle de cette lésion dans l'ataxie? M. Pierret a émis l'opinion qu'il s'agit là d'un phénomène analogue à celui qui détermine la sclérose fasciculée médiane ascendante, à la suite des myélites partielles ; d'après cela, la lésion des cordons de Goll ne se produirait à la région cervicale, chez les alaxiques, que dans les cas où la sclérose se montre chez eux très pro-noncée à la région dorso-lombaire. Je me rattache pleinement à cette vue, et je n'ai rencontré jusqu'ici aucun fait qui lui soit contraire.
Ce qui vient d'être dit à propos des membres supérieurs s'applique d'ailleurs également aux membres inférieurs; le cas de Moli en fait foi. L'ataxie locomotrice se montrait en effet, chez cette femme, dans la forme généralisée. Les dou-leurs fulgurantes et l'incoordination motrice occupaient aussi bien les membres inférieurs que les membres supérieurs, et cependant la lésion des cordons médians faisait défaut ici à la région lombaire, tout autant qu'au renflement cervical ; seules, les deux mêmes bandelettes latérales sur lesquelles nous appelons votre attention, étaient affectées dans toute la hau-teur de la moelle et à cela se bornait, dans ce cas, la sclérose des faisceaux postérieurs.
Vous voyez, Messieurs, qu'en somme, la lésion scléreuse des bandelettes latérales est le seul fait anatomique essentiel dans l'ataxie locomotrice progressive. La sclérose des cordons mé-dians n'est, au contraire, qu'un fait accessoire, aléatoire et vraisemblablement consécutif.
Les faits qui précèdent coupent court, — cela ne vous a pas échappé sans doute, — à certaines récriminations que les sceptiques aiment à élever contre les résultats fournis par l'ana-tomie pathologique. Ils l'accusent d'être trompeuse, infidèle, parce qu'elle montrerait tantôt l'ataxie sans sclérose posté-rieure et tantôt celle-ci sans ataxie.
VIII.
Il y a lieu, comme vous l'avez compris, d'après tout ce qui précède, d'établir dans la sclérose postérieure deux for-mes bien distinctes, lesquelles peuvent se montrer isolées, indépendantes l'une de l'autre, ou, au contraire, entrer en combinaison. L'une de ces formes pourrait être désignée sous le nom de sclérose fasciculée systématique médiane ou sclé-rosée des cordons de Goll; elle existe tantôt à titre d'affection consécutive (sclérose ascendante, consécutive), tantôt à titra d'affection primitive. On ignore, quant à présent, quels symp-tômes particuliers se rattachent à cette forme de la sclérose postérieure. L'autre forme, la sclérose fasciculée latérale des cordons postérieurs, ou sclérose des bandelettes externes tient sous sa dépendance les symptômes tabétiques ; de même que la première, elle peut être deutéropathique, ou, au contraire, protopathique. Celle-ci n'est autre que le substratum anatomi-que de l'ataxie locomotrice progressive.
Je crois utile d'entrer dans quelques nouveaux développe-ments pour faire ressortir que cette sclérose fasciculée latérale est bien, en réalité, le fait anatomique fondamental dans l'a-taxie. Nous pensons pouvoir établir, en premier lieu, qu'elle s'observe dès le début de l'affection, même à l'époque où les douleurs fulgurantes composent à elles seules tout le tableau clinique, sans accompagnement d'incoordination motrice ; alors elle peut exister seule, les faisceaux de Goll ne présen-tant encore aucune altération. Le fait a été mis hors de doute,
La vérité est que la sclérose des bandelettes latérales des faisceaux postérieurs est la seule lésion constante dans l'ataxie locomotrice ; cette lésion existe, Messieurs, à toutes les épo-ques de la maladie, mais il faut savoir la chercher là où elle est.
croyons-nous, dans plusieurs cas où la mort, déterminée par une complication, est venue arrêter prématurément l'évolution de la maladie. Je puis citer, à ce propos, l'observation de la nommée Allard, relatée par M. Pierret. En pareille circon-stance, il ne faut pas l'oublier, l'œil nu et même un examen microscopique mal conduit seraient souvent impuissants à découvrir l'altération spinale qu'une étude méthodique, faite sur des coupes durcies et convenablement préparées, pourra seule révéler.
Il résulterait de cette donnée que, contrairement aux asser-tions des auteurs classiques qui font commencer la sclérose de l'ataxie, par les parties médianes, au voisinage des mé-ninges, celle-ci débute, au contraire, par la région des ban-delettes latérales. Nous devons ajouter que, d'après nos observations, à cette époque de la maladie, les racines spi-nales postérieures ne présentaient encore, en général, aucune altération appréciable, et enfin que les bandelettes scléreu-ses latérales sont alors très étroites, réduites, pour ainsi dire, à de minces tractus linéaires.
Il est permis d'espérer qu'à l'aide d'observations très nom-breuses, très variées quant aux symptômes,, et recueillies aux diverses époques de la maladie, on parviendra, tôt ou tard, — par la comparaison attentive des faits cliniques, avec les résul-tats microscopiques, — à reconnaître le mode d'envahisse-ment progressif de la lésion, soit de dedans en dehors, soit de dehors en dedans, et à déterminer, du même coup, les di-verses régions d'où dérivent les symptômes qui apparaissent successivement. Yoici les quelques résultats auxquels nous ont conduit, quant à présent, les recherches instituées dans cette direction. Les bandelettes scléreuses latérales, très étroites, très minces, tant que la symptomatologie en est ré-duite aux douleurs fulgurantes, s'élargissent à la fois en dehors et en dedans, lorsque l'incoordination motrice s'ajoute à
Il n'est pas sans intérêt de rechercher si, comme a priori cela est très vraisemblable, cette localisation des lésions sclé-reuses, chez les ataxiques, dans une région déterminée des cordons postérieurs, qu'on pourrait appeler région des ban-
celle-ci. S'il a existé une anesthésie très accusée, les cornes postérieures de la substance grise sont à leur tour envahies par l'altération, et en même temps les tubes nerveux se mon-trent atrophiés en grand nombre dans les racines postérieu-res. Enfin les symptômes parétiques ou paralytiques, avec ou sans contracture, qui viennent quelquefois, en général à une époque avancée de l'évolution, s'adjoindre à l'incoordination, répondre à l'envahissement de la partie postérieure des cor-dons latéraux. Pour ce qui est de l'extension si habituelle de la sclérose latérale aux cordons médians, nous n'avons pas remarqué jusqu'ici qu'elle ajoutât quoi que ce soit aux symp-tômes ordinaires de la maladie.
L'extension progressive de la lésion scléreuse au delà des foyers qu'elle occupe à l'origine peut d'ailleurs être étendue dans deux directions principales. Nous venons de voir com-ment, dans le sens transversal, elle se fait, soit en dehors vers les cornes postérieures de la substance grise et les fais-ceaux latéraux, soit en dedans vers les cordons médians. Dans le sens vertical, elle s'étend progressivement, du moins dans les circonstances ordinaires, de la région dorso-lombaire vers la région cervicale, en conservant la disposition de bandelettes latérales, en même temps que le cordon médian devient habi-tuellement le siège d'une sclérose consécutive ascendante. Les prolongements des bandelettes latérales par en haut peu-vent être d'ailleurs suivis jusque dans le bulbe où ils occupent la région des corps restiformes.
IX.
Mettes externes, ne serait pas en rapport avec une dispo-dtion anatomique particulière. Très certainement il existe me telle disposition. En effet, les bandelettes, dont il s'agit, •orrespondent exactement à la distribution intra-médullaire, lécritepar Stilling, Clarke, Kôlliker, de ceux des filets ner-eux émanant des racines spinales postérieures, qu'on dési-gne communément sous le nom de faisceaux radiculaires inter-
Fig. 5. — A, Racines postérieures. — B. Filets radiculaires internes et sclérose limitée à leur parcours. — C, Corne antérieure droite atrophiée. (Cette figure est tirée des Archi. ves de physiologie-)
nés (Kôlliker). Mais ces filets nerveux n'entrent pas seuls dans la composition des bandelettes ; car la lésion scléreuse se retrouve tout aussi prononcée dans l'espace qui sépare les points d'insertion des racines postérieures qu'au niveau même de ces points. 11 est rendu par là très vraisemblable que, en outre des faisceaux radiculaires internes, il existe en cette région des cordons postérieurs, des faisceaux de fibres, éta-blissant sans doute, dans le sens vertical, des connexions entre les diverses parties de la moelle. Ces fibres serviraient à la coordination des mouvements des membres, tout au moins, nous savons, d'une manière positive, par ce qui pré-
Chap.cot. Œuvres complètes, ?.?. 2
cède, que leur lésion produit l'incoordination, tandis que la lésion des faisceaux de fibres qui composent les cordons mé-dians ne paraît pas avoir cet effet.
La relation qui existe entre le trajet des faisceaux radiculai-res internes et le siège des lésions de l'ataxie contribuera, sans doute, à faire comprendre l'apparition de certaines com-plications qui s'observent dans cette maladie. Je me bornerai à un exemple. On sait qu'il n'est pas rare de voir, dans le cours de l'ataxie locomotrice, se produire une atrophie mus-culaire, tantôt partielle, tantôt, au contraire, plus ou moins généralisée. La raison anatomique de cette complication nous paraît se révéler dans le fait suivant : il s'agit du cas de la nommée Moli, auquel nous avons déjà fait allusion *. L'ataxie, caractérisée par des douleurs fulgurantes vives et une incoordination motrice très accentuée, était depuis longtemps constituée chez cette femme, lorsque survint une atrophie musculaire, laquelle progressa sous nos yeux assez rapidement, mais se montra limitée d'une façon très nette aux membres supérieur et inférieur du côté droit. Je ne pouvais me résoudre à voir dans cette complication le fait d'une coïncidence fortuite, et j'émis l'opinion que l'amyotro-phie relevait, dans ce cas, de l'extension de la lésion sclé-reuse des cordons postérieurs à la corne antérieure grise du côté droit (Fig. 5). La malade ayant succombé à une affec-tion intercurrente, l'autopsie vint justifier pleinement mes prévisions. A la région dorsale, comme à la région cervicale de la moelle, la corne grise du côté droit était manifeste-ment atrophiée. Les grandes cellules motrices présentaient des altérations profondes ; celles qui constituent le groupe externe, en particulier, avaient en grande partie disparu pour
1 Pierret (A). — Sur les altérations de la substance grise de la moelle épi-nière dans l'ataxie locomotrice, considérées da?is leurs rapports avec l'atrophie musculaire. {Archives de physiologie, 1872, p. 590.)
aire place à un îlot scléreux. Or, l'on sait que, suivant la des-cription de Kôlliker, un certain nombre des filets nerveux qui composent les faisceaux radiculaires internes se dirigent vers les cornes antérieures de substance grise, et peuvent être suivis jusqu'à ce groupe externe des cellules nerveuses motrices. C'est vraisemblablement par la voie de ces tubes nerveux que le processus irritàtif, primitivement développé dans les cordons postérieurs, se sera propagé jusqu'aux extrémités de la substance grise antérieure, et y aura dé-terminé les lésions qui président au développement del'amyo-trophie de cause spinale.
Le temps presse, et je ne puis insister plus longuement. J'ose espérer, d'ailleurs, que les développements dans lesquels je viens d'entrer suffiront pour vous mettre à même d'appré-cier tout le parti que la clinique peut tirer des études anatomi-mes délicates, dirigées suivant la méthode que j'ai voulu recommander à votre attention.
DEUXIÈME LEÇON
Des actions rétrogrades dans les maladies spinales ; leurs rapports avec la sclérose des cordons posté-rieurs. — Des douleurs fulgurantes et des crises gas-triques.
Sommaire. — Relations entre les filets nerveux radiculaires internes et le groupe des cellules nerveuses multipolaires des cornes antérieures. — Des symptômes récurrents ou rétrogrades. — Sclérose des faisceaux médians postérieurs ; propagation de la sclérose aux bandelettes latérales des cordons postérieurs.
Type classique de l'ataxie locomotrice progressive. — Période prodromiquc ou des douleurs fulgurantes. — Période de la maladie constituée ou de l'incoordination tabétique. — Période paralytique.
Des douleurs fulgurantes. — Leurs variétés : douleurs terebrantes ; — douleurs lancinantes ; — douleurs constrictives. — Des douleurs fulgurantes symp-tomatiques dans la sclérose en plaques disséminées, la paralysie générale progressive et l'alcoolisme chronique. — Symptômes viscéraux : douleurs vesicales, uréthrales; ténesme rectal.
Des crises gastriques. — Spécificité de leurs caractères. — Durée. — Cas frustes d'ataxie locomotrice.
I.
Messieurs,
Quelques-uns de mes auditeurs m'ont fait l'honneur, à la fin de la dernière séance, de me demander quelques explica-tions relativement à la connexion qui paraît exister entre les filets nerveux radiculaires internes issus des racines posté-rieures et le groupe externe des cellules nerveuses multipo-laires des cornes antérieures. Je suis amené à répondre que,
d'une manière générale, on ne peut, dans l'état actuel de la science, rien préciser encore concernant les relations anatomi-ques qui peuvent s'établir, à l'aide des prolongements cellulaires, soit de cellule à cellule, soit entre les cellules et les tubes nerveux, tant des racines antérieures que des ra-cines postérieures.
Voici, d'ailleurs, en quelques mots, ce qu'enseignent à ce sujet les recherches les plus récentes. Parmi les prolongements qui partent, en nombre variable, des grandes cellules ner-veuses des cornes antérieures, il en est un, vous le savez, qui, dans chaque cellule, se distingue entre tous par des caractères anatomiques bien tranchés. Très fin, très délié à son origine dans la cellule, ce prolongement s'épaissit peu à peu, sans se ramifier, et acquiert bientôt les caractères histologiques d'un tube nerveux. C'est ce prolongement que Deiters a fait con-naître sous le nom de Nervenforsatz (prolongement nerveux). Tous, ou à peu près, les prolongements nerveux, suivant M. Gerlach, se dirigent manifestement vers l'extrémité anté-rieure de la corne antérieure, où ils paraissent entrer en connexion avec les filets radiculaires, d'où émanent les racines spinales motrices. Quant aux autres prolongements cellulaires, qu'on désigne, pour les distinguer du précédent, du nom de Protoplasmaforsatze (prolongements de protoplasma), ils se ramifient bientôt après avoir quitté la cellule, et les ramifica-tions ainsi produites se subdivisent à leur tour presque à l'infini, de manière à constituer ce que M. Gerlach appelle lere'seau des fibres nerveux [Nerven fasernetz). C'est par l'intermédiaire de ce réseau, et non pas d'une façon directe, que les faisceaux radiculaires postérieurs entreraient en connexion avec les cellules nerveuses des cornes antérieures l. Il y a loin de ces données, un peu vagues, à la précision presque mathématique avec laquelle certains auteurs font communiquer les cellules
1 Gerlach. — In Stricker's Handbuch, t. II, p. 683.
nerveuses, soit entre elles, soit avec les filets nerveux des ra-cines, tant antérieures que postérieures. Mais il importe de ne jamais confondre l'anatomie problématique avec l'anatomie réelle : ce sont choses toutes différentes.
II.
Il est un autre point relatif, cette fois, à l'anatomie et à la physiologie pathologiques de la sclérose des cordons pos-térieurs, que le manque de temps m'a forcé de passer sous silence, et qui, je le crois, mérite cependant quelques déve-loppements.
Je vous rappellerai, Messieurs, que, dans le cas de dégéné-ration ascendante consécutive à une lésion partielle de la moelle dorsale (myélite partielle primitive ou liée au mal de Pott, tumeurs comprimant la moelle dorsale), les cordons pos-térieurs sont affectés de sclérose dans toute leur étendue en hauteur, jusqu'au voisinage du bulbe ; et cependant, dans les cas de ce genre, les symptômes ataxiques font absolument dé-faut dans les membres supérieurs, au moins dans l'immense majorité des cas.
Il y a, néanmoins, des exceptions à la règle, et ceci m'amène à vous dire quelques mots de ce qu'on pourrait appeler, en pathologie spinale, les symptômes récurrents ou rétrogrades, symptômes bien connus de Marshall Hall, qui les rattachait, sans plus s'expliquer, à une action rétrograde. [Rétrograde action in spinal Diseases. — Dérangements of the nervous System, p. 238.)
L'auteur, qui, le premier, paraît avoir été frappé des faits de cet ordre, est, si je ne me trompe, M. Louis Un sujet atteint
1 Mém. sur Vétat de la moelle épinière dans la carie vertébrale, in Mém. et Rech. anat. path. sur diverses maladies. Paris, 1826.
de carie des vertèbres dorsales avait présenté, outre la para-plégie, une paralysie complète avec contracture des membres supérieurs. Cependant, à l'autopsie, on constata que la moelle dorsale était seule ramollie dans une partie de son étendue. Les cas de ce genre ne sont sans doute pas très rares : Mar-shall Hall, Naseet Bieger en ont rapporté quelques-uns. J'en ai également observé plusieurs.
Ces faits ne constituent pas, d'ailleurs, un tout homogène, et il y a lieu d'établir au moins deux catégories principales. Dans la première, il s'agit d'une véritable paralysie motrice, avec ou sans contracture, occupant l'un des membres supé-rieurs ou tous les deux à la fois ; dans la seconde, il n'y a pas de paralysie proprement dite, mais il se produit dans les mem-bres supérieurs, lors des mouvements intentionnels, une inco-ordination motrice s'exagérant par l'occlusion des yeux, et en tout comparable à ce que l'on observe dans les cas d'ataxie loco-motrice progressive. Aussi, chez ces malades, bien que la lésion spinale primitive occupe un point limité de la région dorsale delà moelle, on observe, en outre de la paralysie des membres inférieurs que celle-ci détermine, tantôt des symptômes ataxi-ques, tantôt une paralysie plus ou moins prononcée dans les membres supérieurs.
Quelle est la raison de cette complication singulière ? Pour s'en rendre compte, Marshall Hall, ainsi que je le disais tout à l'heure, fait appel à une sorte à!action à distance. Il est incon-testable que certaines lésions expérimentales, portant sur le segment inférieur de la moelle épinière, peuvent retentir, par une action à distance sur les régions supérieures de ce cordon nerveux. C'est ce que met bien en lumière une expérience, déjà citée, de M. Herzen : un fragment de potasse caustique étant appliqué sur la partie inférieure de la moelle, chez une grenouille décapitée, il est impossible, tant que dure l'applica-tion, d'exciter dans les membres supérieurs des mouvements
réflexes. Je vous rappellerai aussi que, dans les expériences de Lewisson, l'irritation vive des nerfs viscéraux (reins, utérus) produit dans les membres inférieurs, une paralysie temporaire. Quoi qu'il en soit, il paraît bien difficile d'expliquer, par une action de ce genre, des symptômes permanents tels que sont, soit l'ataxie, soit la paralysie avec ou sans contracture des membres supérieurs, dans les cas pathologiques qui nous oc-cupent. C'est, selon moi, dans les modifications que peut pré-senter, dans certaines circonstances, la sclérose consécutive ascendante qu'il faut chercher la solution du problème.
Ainsi que je vous l'ai fait remarquer, Messieurs, la sclérose ascendante consécutive aux lésions partielles de la moelle dor-sale reste strictement limitée, dans les cordons postérieurs, aux faisceaux médians ; telle est du moins la règle ; or, ainsi que nous l'avons démontré dans la dernière séance, la lésion des faisceaux médians n'a pas pour effet, lorsqu'elle occupe le renflement cervical, de déterminer l'apparition des symptômes tabétiques dans les membres supérieurs. Mais une fois consti-tuée, la sclérose consécutive peut acquérir une existence indi-viduelle, et il se peut faire que, s'étendant au delà des limites qui lui sont ordinairement assignées, elle envahisse dans cer-tains cas, les bandelettes latérales des faisceaux postérieurs, dont la lésion, vous le savez, produit l'incoordination ; c'est ainsi que je vous propose d'interpréter les cas de la seconde catégorie. A la vérité, cet envahissement des bandelettes externes n'a pas encore, que je sache, été ratifié par l'autopsie ; mais les considérations qui précèdent rendent, si je ne me trompe, notre supposition très vraisemblable.
Restent les faits de la première catégorie. Voici l'explication que je propose à leur sujet. En outre de la sclérose fasciculée des cordons médians postérieurs, il existe presque toujours, dans les cas de lésion partielle de la moelle dorsale, principa-lement lorsque cette lésion siège très haut, au voisinage du
Il est temps, Messieurs, d'aborder l'objet principal de cette conférence. Il s'agit, vous vous en souvenez, d'étudier avec vous quelques points peu connus ou insuffisamment connus, — je le crois du moins, — de l'histoire clinique de l'a-taxie locomotrice progressive.
Si les cas qui vont nous occuper s'éloignent tous, à des de-grés divers, du type vulgaire, ils s'y rapportent tous cepen-dant par quelques traits essentiels qui ne font jamais défaut d'une façon absolue. Il me paraît utile, avant d'entrer en ma-tière, de rappeler en quelques mots les caractères fondamen-
renflement cervical par exemple, une sclérose plus ou moins prononcée de la région postérieure des cordons latéraux. Cette sclérose latérale ascendante reste le plus souvent rudimentaire, et ne détermine alors aucun symptôme ; mais elle peut, dans certains cas, s'accuser à un haut degré, et remonter jusqu'au bulbe, principalement, je le répète, lorsque la lésion partielle primitive occupe les parties supérieures de la région dorsale. Or, la paralysie des membres supérieurs, tôt ou tard suivie d'une contracture, est un symptôme lié à la sclérose fasciculée latérale occupant le renflement cervical delà moelle épinière.
En résumé, lorsque la sclérose secondaire ascendante de-meure, comme c'est la règle, limitée aux faisceaux médians des cordons postérieurs, on n'observe dans les membres su-périeurs ni paralysie, ni contracture, ni mouvements ataxiques. — Si, au contraire, les bandelettes externes sont envahies, les membres supérieurs seront atteints d'incoordination motrice. Enfin, la paralysie et la contracture apparaîtraient dans les cas où la sclérose consécutive occuperait, à un haut degré, les cor-dons latéraux dans toute la hauteur du renflement cervical de la moelle épinière.
III.
taux du type le plus commun. Nous serons mieux en mesure, après cela, connaissant les analogies, de faire ressortir et d'ac-cuser les contrastes.
Vous avez dans l'esprit la description de l'ataxie locomotrice telle que l'a faite M. Duchenne (de Boulogne). 11 ne sera donc pas nécessaire d'entrer dans de longs développements pour vous la remettre en mémoire, au moins dans ses grandes lignes. Tous, vous savez que l'ataxie locomotrice progressive est une maladie chronique primitive qui s'attaque simultané-ment à différents points du système nerveux, et qui, dans la règle, — il y a des réserves à faire sur ce point, — progresse en s'aggravant d'une manière à peu près fatale.
La lésion spinale, sur laquelle notre attention a surtout porté jusqu'ici, ne constitue pas toujours à elle seule, dans la maladie, le fond anatomo-pathologique. K elle se rattachent les symptômes dits spinaux, qui constituent, sans contredit, un des aspects les plus saillants du tableau symptomatique ; mais il est rare que ceux-ci existent isolément. Il s'y surajoute d'habitude tout un ensemble de phénomènes, qu'on a coutume de désigner sous le nom de symptômes cephaliques, et qui ont pour point de départ une lésion des nerfs cérébraux ou bulbaires, tels que les nerfs optiques, par exemple, ou les nerfs moteurs de l'œil.
Sous ce rapport, il y a un parallèle à établir entre l'ataxie locomotrice progressive et la maladie que j'ai proposé d'ap-peler sclérose en plaques disséminées. Celle-ci, comme celle-là, envahit à la fois divers points du système cérébro-spinal, et il y a lieu de distinguer, dans la description clinique des deux affections : 1° des symptômes spinaux ; 2° des symptômes cephaliques. — La sclérose en plaques, de même que l'ataxie locomotrice, est le plus souvent, dans sa marche, fatalement progressive. Mais là s'arrêtent les analogies, et, dans le détail, nous n'avons plus qu'à saisir des différences qui
permettent presque toujours déposer le diagnostic sans diffi-culté.
IV.
On a coutume d'établir dans la progression de l'ataxie lo-comotrice, qu'on suppose évoluer d'une façon normale, un certain nombre de périodes. On en reconnaît, en général, trois principales.
La première a reçu le nom de période prodromique. Pour-quoi prodromique ? L'appellation est peut-être mal choisie, car, déjà, lorsque les premiers symptômes apparaissent, la lésion est constituée, visible. Et d'ailleurs, conçoit-on une période prodromique susceptible de s'étendre à de nombreuses années, 8, 10, 12, 15 ans par exemple ? Peut-être vaudrait-il mieux l'appeler période des douleurs fulgurantes. Ces douleurs, en effet, sont incontestablement l'un des phénomènes les plus saisissables, bien qu'il ne soit pas absolument constant. Quoi qu'il en soit, la maladie, dans cette période, est représentée cliniquement par deux ordres de symptômes qui coexistent dans les cas complets et se montrent isolément dans les cas imparfaits, frustes, ainsi qu'on les nomme encore. Ce sont: Io Les symptômes céphaliques (paralysie d'un nerf moteur avec toutes ses conséquences, amblyopie plus ou moins mar-quée) ; 2° Les symptômes spinaux représentés, à cette époque, par les douleurs fulgurantes.
Dans la seconde période, dite de la maladie constituée, et qui pourrait recevoir la désignation de période dincoordination motrice, le tableau clinique se compose, en premier lieu, des symptômes de la première période, en proportion variée ; ainsi les symptômes céphaliques persistent et peuvent se montrer aggravés, plus accentués ; les douleurs fulgurantes, parfois,
sont devenues plus intenses. Mais, et c'est là le point capital, les symptômes spinaux ont subi une modification impor-tante.
On note, en second lieu, Y incoordination tabétique des mouvements volontaires. En quoi consiste ce symptôme ? Vous savez que les membres inférieurs ayant conservé leur pouvoir dynamométrique, il y a asynergie, c'est-à-dire association vi-cieuse et intempestive des actes moteurs élémentaires, asyner-gie qui a pour résultat de troubler la marche, la station, et même de les rendre impossibles.
Simultanément un peu plus tôt ou un peu plus tard, il se produit en outre, des troubles divers dans la transmission des impressions sensitives, se traduisant: 1° par une abolition des différents modes de la sensibilité cutanée ; 2° par une in-sensibilité des parties profondes : muscles, articulations, os, etc.
La troisième période mériterait peut-être la qualification de période paralytique. En même temps que la plupart des autres symptômes s'aggravent et que les membres supérieurs, libres jusqu'à ce moment, sont envahis à leur tour, suivant le mode indiqué dans notre prodrome anatomique, on voit un affaiblis-sement paralytique réel s'emparer des membres inférieurs, et s'y substituer progressivement à l'incoordination. En même temps aussi, la nutrition souffre fréquemment d'une manière générale: les malades maigrissent et il est fort commun de voir chez eux se déclarer des symptômes de phtisie. D'autres fois, la nutrition est atteinte lentement, localement : les mus-cles s'atrophient dans les membres privés du mouvement : il se produit une tendance aux eschares sacrées ; les symptômes de la cystite ulcéreuse apparaissent.
Tel est, Messieurs, en raccourci, le type vulgaire de l'ataxie locomotrice progressive. Nous sommes en mesure, mainte-
nant, de faire ressortir les anomalies, les déviations du type.
V.
Attachons-nous, en premier lieu, à l'étude de la première période. C'est alors qu'il importe surtout de reconnaître l'a-taxie locomotrice ; car, étant encore à ses débuts, on peut espérer qu'il sera moins difficile d'en enrayer la marche. Cepen-dant, à cette époque, elle est fort souvent méconnue. Pour beaucoup de personnes encore, la maladie ne commence qu'au moment où l'incoordination, l'ataxie qui lui donne son nom» est déjà manifeste. Or, je le répète, à ce moment-là, elle peut dater déjà de 10,15 ou même 20 ans. D'ailleurs, elle s'arrête parfois d'elle-même à cette période, sans jamais pousser plus loin, mais aussi sans rétrograder. C'est pourquoi, Messieurs, nous allons nous efforcer de vous montrer que les douleurs fulgurantes et les symptômes céphaliques peuvent se présen-ter et se présentent, en réalité, le plus souvent avec des ca-ractères à peu près spécifiques, et qui, en l'absence de tout autre phénomène concomitant, permettent communément de reconnaître la maladie pour ce qu'elle est et de la dénommer.
Arrêtons-nous, en premier lieu, aux douleurs fulgurantes, réservant, pour une époque prochaine, l'examen approfondi des symptômes céphaliques. Il suffira, pour faire ressortir l'im-portance de cette étude, de vous rappeler que, pendant de longues années, ces douleurs peuvent composer à elles seules, toute la symptomatologie de l'affection.
Les douleurs fulgurante s se rencontrent d'ailleurs dans la très grande majorité des cas d'ataxie locomotrice progressive. Il est incontestable, toutefois, qu'elles font défaut chez quelques malades ; mais c'est là une véritable exception. Ainsi, d'a-près une statistique de M. Cyon, qui comprend 203 cas, les
douleurs fulgurantes ont été notées expressément dans 138; 8 fois seulement on insiste sur leur absence.
Les variations qu'elles peuvent offrir nous conduisent à établir deux catégories :
Io Douleurs terebrantes. Dans cette première variété, les douleurs sont comparées par les malades à celles que déter-minerait l'introduction brusque et soudaine d'un instrument piquant, d'un poinçon, d'un poignard, auquel on imprimerait en même temps un mouvement de torsion. Ces douleurs sont limitées à un point et siègent le plus ordinairement au voisi-nage d'une jointure. Toutefois, ce serait aller trop loin si l'on prétendait qu'elles épargnent toujours le corps des membres. En général, dans un accès, les douleurs terebrantes alternent en différents endroits et occupent successivement plusieurs points des deux côtés du corps.
A l'endroit où elles siègent, il se produit momentanément, dans un espace très circonscrit, une hypereslhésie plus ou moins prononcée : le moindre frôlement exaspère la douleur, tandis qu'une pression un peu forte amène du soulagement. Les membres inférieurs sont toujours préférablement affectés ; néanmoins, les membres supérieurs, la tête, le tronc, ne sont pas, tant s'en faut, toujours respectés.
2° Douleurs lancinantes. Dans la deuxième variété, qui, du reste, coexiste d'habitude avec la première, les douleurs méri-tent, à proprement parler, le nom de douleurs fulgurantes. Elles semblent suivre le trajet d'un nerf le long duquel elles passent comme un éclair. Il en résulte que le membre ou une partie d'étendue variable est rapidement parcouru par la ful-guration douloureuse. En raison de la courte durée de la sen-sation pénible, la délimitation exacte du nerf affecté est souvent difficile. Elle peut se faire cependant très nettement,
bien que le cas soit rare, lorsque des éruptions cutanées se manifestent le long des nerfs où siège la douleur. C'est ce qui a ]ieu chez une malade nommée Magdaliat, que je vous pré-sente, et qui, pendant le cours d'un accès douloureux des plus intenses, nous a offert successivement des éruptions à'ecthyma sur le parcours du petit nerf sciatique d'abord, puis sur celui du saphène interne. Aujourd'hui encore, vous pourrez recon-naître les cicatrices dues à ces lésions qui remontent déjà à quatre ou cinq ans.
3° Douleurs constrictives. En outre des douleurs fulguran-tes, il y a à étudier dans l'ataxie, les douleurs constrictives ; ces douleurs surviennent soit en même temps que les précé-dentes, soit en dehors d'elles. Leur durée est plus longue, leur persistance plus grande. Il semble que, sur certains points, le membre soit saisi dans un étau. La douleur inté-resse-t-elle le tronc? Les malades la comparent à l'étreinte qu'occasionnerait une cuirasse ou un corset trop serrés. Les douleurs constrictives s'exaspèrent fréquemment dans le temps où régnent les crises terebrantes ou fulgurantes proprement dites. Nous résumerons, en quelques mots, la caractéristique des douleurs fulgurantes :
Io La fulguration douloureuse, comme son nom l'indique, n'a qu'une durée passagère ;
2° Elle se répète à des intervalles variables de manière à constituer des accès qui se prolongent pendant 4, 5 ou 8 jours ;
3° La douleur atteint son maximum d'intensité, surtout durant la nuit ;
4° Les rémissions qui séparent les accès peuvent être par-faitement libres ; les douleurs constrictives font seules excep-tion à la règle et persistent à un certain degré, dans l'inter-valle des crises ;
VL
Les faits nombreux qu'il m'a été donné d'observer me portent à admettre que les douleurs fulgurantes, lorsqu'elles se présentent sous les traits que j'ai essayé de faire ressortir, sont vraiment caractéristiques, je ne dirai pas de l'ataxie loco-motrice, mais bien de la sclérose rubanée postérieure, en tant, du moins, que la lésion a envahi le trajet intra-spinal des faisceaux radiculaires internes (bandelettes externes des faisceaux postérieurs). Cette réserve était nécessaire. Vous n'avez pas oublié, en effet, que les faisceaux médians (cordons de Goll) peuvent être sclérosés sans que les douleurs fulgu-rantes s'en suivent, et que, d'un autre côté, ces douleurs exis-tent, alors que la lésion scléreuse est restée limitée au trajet des faisceaux radiculaires. Seule, la sclérose des rubans exter-nes serait donc, vous le voyez, le substratum anatomique des douleurs fulgurantes.
Yous ne vous étonnerez pas, d'après cela, Messieurs, de voir les douleurs fulgurantes figurer de temps à autre dans la symptomatologie de diverses maladies, autres que l'ataxie, dans lesquelles les faisceaux postérieurs peuvent être envahis, d'une façon pour ainsi dire accidentelle, par l'inflammation
5° Le retour des accès varie beaucoup ; il s'effectue tous les quinze jours, tous les mois, tous les deux ou trois mois, quel-quefois à des intervalles beaucoup plus éloignés encore ;
6° Tantôt les douleurs fulgurantes sont d'une intensité modérée, et il faut appeler spécialement l'attention des mala-des pour en réveiller chez eux le souvenir ; d'autrefois, au contraire, elles sont d'une violence extrême et arrachent des cris affreux aux malheureuses ataxiques. Dans cet hospice, où le nombre de ces malades est grand, nous assistons fréquem-ment à des scènes de ce genre.
scléreuse. Tel est le cas de la sclérose en plaques dissé-minées. Il n'est pas rare que, dans cette affection, divers symptômes tabétiques, et en particulier les douleurs fulgu-rantes, viennent se surajouter aux symptômes propres. J'ai constaté plusieurs fois, en pareille circonstance, que les pla-ques scléreuses avaient envahi les cordons postérieurs qu'el-les occupaient dans une grande étendue en hauteur et en largeur.
Les accès fulgurants s'observent aussi assez souvent dans la paralysie générale progressive ; ils doivent certainement être rattachés, dans ce cas, aux altérations des faisceaux pos-térieurs qui, ainsi que l'ont montré M. Magnan et M. Westphal, sont un accompagnement fréquent des lésions ordinaires de la paralysie générale.
J'ai été consulté, il y a quelques années, par deux malades accusant une foule de symptômes nerveux bizarres, que je croyais pouvoir rattacher à l'hypochondrie. Ces deux malades se plaignaient plus particulièrement de douleurs, revenant par accès, en tout comparables à celles de l'ataxie locomo-trice. Ils ont tous deux présenté ultérieurement les symptômes de la paralysie générale progressive. Je ne doute pas que, chez eux, les bandelettes externes des faisceaux postérieurs fussent déjà atteintes à l'époque où les douleurs fulgurantes constituaient à peu près seules toute la maladie.
Quelques symptômes signalés dans le tableau clinique de l'alcoolisme chronique rappellent la description des douleurs fulgurantes : ainsi Magnus Huss a insisté sur les douleurs lancinantes, parfois très pénibles, dont se plaignent les alcooli-ques.
Tout récemment, M. Wilks et M. Lockhart Clarke 1 ont appelé l'attention sur une forme de paraplégie qui s'observe, paraît-il, assez fréquemment à Londres, chez les femmes, —
1. The Lancet, 1874.
Chap.cot. Œuvres complètes, t. ii. 3
même parmi les ladies, — et qu'ils désignent d'un commun accord sous le nom de paraplégie alcoolique. Un des traits les plus saillants de cette forme pathologique paraît être l'exis-tence de douleurs revenant par accès, et que les malades comparent à des chocs électriques. Les douleurs existent seu-les pendant longtemps avant que des désordres moteurs ne viennent s'y adjoindre. Il y a lieu de se demander si, ici encore, il ne s'agit pas d'une forme particulière de tabes, d'o-rigine alcoolique cette fois, mais devant être rattachée tou-jours,, cependant, aune lésion des cordons postérieurs, lésion que l'anatomie pathologique fera sans doute découvrir quel-que jour.
J'ai observé quelquefois des douleurs fulgurantes compara-bles à celles de l'ataxie, dans la myélite partielle et dans le mal de Pott. Dans plusieurs de ces cas, j'ai reconnu à l'au-topsie une lésion fasciculée extensive des cordons postérieurs, pouvant rendre compte de la présence des douleurs spécia-les.
En dehors des cas qui viennent d'être passés en revue et dont le départ sera toujours fait aisément, en tenant compte des symptômes concomitants, les douleurs fulgurantes pour-ront être rapportées, presque à coup sûr, à la forme parti-culière de sclérose postérieure qui conduit à l'ataxie locomo-trice progressive. Il y a bien, de temps à autre, dans la pratique, quelques difficultés d'appréciation, sur lesquelles j'attirerai votre attention ; mais, en réalité, cela est assez rare. D'ailleurs, fort souvent la situation se trouve simplifiée par l'adjonction aux douleurs fulgurantes de certains symptô-mes qui, comme celles-ci, ont un caractère spécial ; tels sont les symptômes dits céphaliques de l'ataxie, dont il sera bientôt question ; tels sont encore quelques autres symptômes moins remarqués, quoique assez fréquents néanmoins, qu'on pour-rait désigner sous le nom de symptômes viscéraux, parce
qu'ils témoignent évidemment d'une participation des nerfs viscéraux thoraciques et abdominaux.
Dans ce groupe de symptômes viscéraux, je signalerai tout d'abord les douleurs vésicules et uréthrales qui se manifestent quelquefois au moment où régnent les douleurs fulgurantes, et qui s'accompagnent d'un besoin d'uriner fréquemment, la mixtion étant d'ailleurs l'occasion de douleurs vives dans le canal.
Je mentionnerai en second lieu les douleurs d'un caractère particulier, dont le rectum est le siège, et qui surviennent dans les mêmes circonstances que les douleurs vesicales. Chez un malade, M. C, qui a présenté ces douleurs rectales dans leur type de complet développement, elles avaient pré-cédé de sept à huit mois la manifestation des accès de dou-leurs fulgurantes, qu'elles ont accompagnées par la suite. Elles se déclaraient subitement, et étaient marquées par une sensation comparable à celle que produirait l'intromission brusque et forcée d'un corps volumineux dans le rectum. C'est ainsi que le malade les dépeignait, et il ajoutait qu'à la fin de l'accès survenait toujours un besoin pressant d'expulsion et parfois même une expulsion effective de matières fécales.
Ces accidents se reproduisaient d'ordinaire deux ou trois fois par mois ; il s'y adjoignait habituellement un besoin fré-quent d'uriner, avec douleurs durant l'émission. Pendant plu-sieurs mois le cathétérisme et l'examen rectal furent maintes fois pratiqués sans qu'on soupçonnât la nature du mal. Ce n'est que beaucoup plus tard, que l'apparition des douleurs fulgu-rantes vint éclairer la situation.
VII.
Mais de tous les symptômes viscéraux qui peuvent se montrer dès la période des douleurs fulgurantes, un des plus
remarquables à la fois et des moins connus, si je ne me trompe, est celui que j'ai proposé de désigner sous le nom de crises gastriques.
Ces crises gastriques ou gastralgiques, comme vous vou-drez les appeler, offrent des caractères véritablement spéciaux. Très souvent, cependant, leur véritable signification restant méconnue, elles sont l'occasion d'erreurs graves dans le dia-gnostic.
Ce n'est pas là un symptôme rare ; aussi n'est-il pas resté complètement inaperçu. On le trouve mentionné dans un assez grand nombre d'observations recueillies par divers auteurs, et en particulier dans le cas n° 176, de l'excellent ouvrage de M. Topinard. Mais la connexité qui existe réelle-ment entre les crises gastriques et l'ataxie locomotrice me paraît avoir été signalée, pour la première fois, par M. Delamare auteur d'une thèse qui date de 1866 En 1868, dans mes leçons, je me suis efforcé de faire ressortir l'importance que j'attache à ce symptôme, et M. P. Dubois, un de mes audi-teurs, a consigné, la môme année, dans sa dissertation inau-gurale, le résultat des études qu'il a faites à ce sujet -, de concert avec M. Bourneville.
Je ne veux pas vous laisser ignorer que, dès 1858, M. Gull, dans la précieuse collection de Cas de maladies spinales (Cases of Paraplegia), qu'il a publiée dans les Guy's Hospital Reports, avait signalé la relation qui lui semblait exister entre certains symptômes gastriques et une affection de la moelle qui se rapporte évidemment à la description actuelle de l'a-taxie locomotrice progressive.
Nous retrouverons d'ailleurs des symptômes gastriques au moins fort analogues à ceux sur lesquels je veux appeler votre
1 Des troubles gastriques dans l'ataxie locomotrice.
2 Étude sur quelques points de l'histoire de l'ataxie locomotrice. Thèse de Paris, 1868.
attention, dans les maladies spinales autres que la sclérose postérieure, par exemple dans la paralysie générale spinale. Celte dernière affection, lorsqu'elle prédomine dans les mem-bres supérieurs, rappelle par quelques-uns de ses caractères la paraplégie saturnine, et les crises cardialgiques ou enté-ralgiques qui l'accompagnent quelquefois sont souvent consi-dérées alors, bien à tort, comme des coliques de plomb. Il y avait là une difficulté de diagnostic à propos de laquelle j'en-trerai plus tard dans quelques développements.
Mais il est temps de vous dire en quoi consistent ces crises gastriques. Tout à coup, le plus souvent à l'époque même où règne une crise de douleurs fulgurantes occupant les mem-bres, les malades se plaignent de douleurs qui, partant des aines, semblent remonter de chaque côté de l'abdomen pour venir se fixer à la région épigastrique. Simultanément, ils accusent des douleurs siégeant entre les deux épaules, les-quelles s'irradient autour de la base du tronc sous forme de fulgurations. Alors les battements du cœur deviennent ordi-nairement violents et précipités. M. Rosenthal, qui a quelque-fois assisté à ces crises, signale un cas où le pouls était ralenti pendant l'accès. En ce qui me concerne, j'ai toujours observé au contraire, en pareille circonstance, une accélération nota-ble du pouls, laquelle ne s'accompagne d'aucune élévation de la température centrale.
La fréquence du pouls sans fièvre est d'ailleurs un fait très commun, dès les premières périodes de l'ataxie, et en dehors des crises gastriques et des accès fulgurants, alors qu'il n'existe encore aucune trace d'incoordination motrice.
Des vomissements presque incessants et extrêmement péni-bles s'associent souvent aux crises gastriques. Les aliments sont d'abord rejetés ; puis, c'est un liquide muqueux, incolore, parfois mêlé de bile ou teinté de sang. Un malaise profond,
des vertiges, se surajoutent aux vomissements et aux dou-leurs cardialgiques; celles-ci peuvent être vraiment atroces, et la situation est alors d'autant plus affligeante que les fulgu-rations douloureuses sévissent souvent en même temps dans les membres avec une intensité exceptionnelle.
Les crises gastriques des ataxiques persistent habituelle-ment, comme les crises fulgurantes, à peu près sans répit, pendant deux ou trois jours, et il est très remarquable que, dans les intervalles de ces accès, les fonctions de l'estomac s'exécutent généralement d'une manière très régulière. Elles peuvent se montrer dès l'origine de la maladie et eu consti-tuer pendant de longues années, avec les douleurs fulguran-tes, toute la symptomatologie. Quand l'ataxie s'est pleinement confirmée et que l'incoordination motrice s'est développée, les crises gastriques ne disparaissent pas toujours pour cela ; elles se reproduisent, au contraire, souvent, jusqu'à la ter-minaison fatale, à chaque accès de douleurs fulgurantes. Tel a été, entre autres, le cas d'une nommée Ménil, qu'il nous a été loisible d'observer pendant plus de six ans dans nos salles.
Voilà, incontestablement, une forme de cardialgie bien sin-gulière, bien remarquable dans ses allures. Vous ne la trou-verez cependant mentionnée, je le crois du moins, dans aucun des traités spéciaux sur les maladies de l'estomac, même les plus récents.
Maintes fois, j'ai vu ce symptôme détourner l'attention du médecin, et lui faire méconnaître la véritable nature du mal ; je m'y suis laissé prendre aussi plusieurs fois dans le temps. Un notaire de la province vint pour me consulter, il y a dix ans, pour des accès cardialgiques, présentant les caractè-res que je viens d'indiquer ; il souffrait en même temps dans les membres de douleurs paroxystiques peu accentuées d'ail-leurs. Je ne connaissais pas alors le lien qui rattache ces divers accidents. Les crises gastriques ont disparu ; mais le
malade souffre aujourd'hui de tous les symptômes de l'ataxie locomotrice la mieux caractérisée.
La première fois qu'il m'a été donné de reconnaître la vé-ritable signification des crises gastriques, il s'agissait d'un jeune médecin, qui, en outre de ces crises, présentait des douleurs fulgurantes et une hydarthrose de l'un des genoux, développée spontanément (arthropathie des ataxiques). L'in-coordination motrice ne s'est manifestée chez lui que quelques mois plus tard. Tout cet ensemble de symptômes — crises gastriques, douleurs fulgurantes, arthropathies, qui n'ont en apparence aucune connexité, — revêt un cachet presque spé-cifique, sitôt que l'on considère ces symptômes sous leur véri-table jour.
J'ai encore vu les crises gastriques coexister avec les dou-leurs fulgurantes, pendant plus de cinq ans, sans accompagne-ment de désordres moteurs, chez M. T... Le diagnostic était rendu facile, dans ce cas, par l'existence d'une atrophie com-mençante d'un des nerfs optiques. L'opinion que j'émis, presque dès l'origine, sur la nature du cas, fut néanmoins vivement contestée par plusieurs médecins qui visitèrent le malade. Aujourd'hui, mes prévisions ne se trouvent que trop justifiées.
Nous n'en sommes pas réduits, d'ailleurs, pour traiter des crises gastriques, à faire appel seulement à des souvenirs. Je puis, en effet, vous présenter un certain nombre de malades chez lesquels vous pourrez étudier cet accident. Ce sera en même temps, pour vous, une occasion d'observer l'ataxie fruste dans quelques-unes des formes variées qu'elle peut revêtir.
1° La nommée Mar...., actuellement âgée de 46 ans, souf-fre depuis une douzaine d'années, de douleurs fulgurantes revenant par accès, et qui se montrent souvent combinées
aux crises gastriques. Celles-ci se déclarent environ tous les trois ou quatre mois : elles sont habituellement d'une inten-sité extrême, et lorsque la malade'est en proie à ces douleurs, elle pousse des cris, se tord et prend les attitudes les plus bizarres. Au bout de quelques jours, l'accès se termine tout à coup, comme par enchantement. Les digestions sont régu-lières dans l'intervalle des accès. Le diagnostic est facilité dans ce cas par l'existence d'un strabisme qui date de l'époque où les douleurs fulgurantes ont commencé à paraître. Il n'y a pas d'incoordination des mouvements des membres tant inférieurs que supérieurs. La démarche est régulière, et la station de-bout peut être soutenue longtemps sans fatigue. Seulement, quand la malade ferme les yeux, la station et la marche devien-nent un peu plus difficiles.
2° Coud... est âgée de 55 ans. Il y a 29 ans que cette femme est devenue aveugle. La lésion du fond de l'œil consiste en une atrophie nacrée des papilles ; les accès de douleurs fulgu-rantes se sont montrés chez elle depuis une dizaine d'années. Elles occupent souvent, non seulement diverses parties des membres, mais encore la région occipitale et la nuque. Les crises cardialgiques coexistent souvent avec les accès fulgu-rants, et elles s'accompagnent de vomissements. Ce siège, assez exceptionnel des douleurs fulgurantes à l'occiput et à la nuque, mérite d'être relevé à cause des vomissements qui se manifestent souvent en même temps qu'elles. Ce concours de circonstances pourrait obscurcir le diagnostic, et faire songer à l'existence d'une lésion cérébrale ou cérébelleuse. — C'est un point sur lequel nous reviendrons ailleurs. Jusqu'à ce jour, Coud... n'offre aucun trouble de la locomotion.
3°La femme Deg..., âgée de 52 ans, est aveugle depuis quinze ans. Il s'agit ici encore d'une atrophie nacrée des nerfs
optiques. Les accès de douleurs fulgurantes qui occupent les points du corps les plus divers, et fréquemment aussi le front, l'occiput, la nuque, ont comrflencé à paraître à l'époque où la cécité s'est déclarée. Elles sont souvent accompagnées de cri-ses gastriques d'une grande intensité. Les fonctions de l'es-tomac, dans l'intervalle des accès, sont régulières. Il n'existe, chez cette femme, aucun signe d'incoordination motrice.
4°Audib..., âgée de 36 ans environ, souffre de temps à autre de crises gastriques vraiment atroces, accompagnées de vomissements incessants et qui se manifestent, en général, en même temps que des accès fulgurants siégeant dans les mem-bres inférieurs. — Ces accidents remontent à 5 ou 6 années. Il y a deux ans est survenue spontanément une luxation de la hanche droite et, quelques mois après, une luxation de la han-che gauche (arthropathie des ataxiques). Quelques symptômes d'incoordination motrice existent depuis un an à peine.
Je n'insisterai pas davantage pour aujourd'hui.
TROISIÈME LEGÓN
o
De l'amaurose tabétique.
Sommaire. — Symptômes céphaliques dans l'ataxie locomotrice. — Lésions des nerfs crâniens et bulbaires. — Induration grise progressive du nerf opti-que. — Atrophie progressive de la papille. — Nécessité de l'examen oph-talmoscopique dans le diagnostic de quelques affections cérébrales.
Existence isolée de l'amaurose tabétique ; sa fréquence. — Caractères de la lésion anatomique du nerf optique à l'œil nu et au microscope. — Aspect de la papille : 1° à l'état normal ; 2° dans l'induration grise progressive. — Troubles fonctionnels qui accompagnent l'induration grise du nerf et de la papille optiques. — Modifications de la papille dans les cas d'embolie de l'artère centrale de la rétine, dans la glycosurie, la rétino-choroïdite syphili-tique et la paralysie générale.
De la neuro-rétinite. — Ses formes, ses symptômes. — Différences qui la séparent de l'amaurose tabétique. — Faits cliniques démontrant l'importance des signes fournis par l'ophtalmoscope.
Messieurs,
J'ai l'intention d'exposer aujourd'hui, devant vous, quel-ques points relatifs à ceux des symptômes de l'ataxie que nous avons désignés sous le nom de symptômes céphaliques. Ces symptômes répondent à des lésions variées des nerfs crâniens et bulbaires. Dès les premières périodes, ainsi que nous l'a-vons dit déjà, les douleurs fulgurantes, seule représentation, à cette époque, de la lésion spinale, se trouvent généralement combinées, en proportions diverses", avec des troubles des nerfs bulbaires ou des nerfs optiques. J'ajouterai que ces acci-dents, — et c'est là une circonstance bien propre à faire res-
Les troubles visuels dans l'ataxie peuvent être rangés sous deux principaux chefs. Ce sont : 1° des troubles de l'accommo-dation, la diplopie, liés à des lésions plus ou moins transitoires et fugaces ; 2° des troubles visuels dépendant d'une lésion par-ticulière du nerf optique. Ceux-ci sont autrement sérieux que les premiers, car l'affaiblissement de la vue, comme la lésion qui l'a produite, se distingue par une marche à peu près fata-lement progressive et envahissante.
La lésion des nerfs optiques, dont il s'agit, pourrait être dé-signée du nom d'induration grise progressive, par opposition d'une part à la lésion de ces mêmes nerfs dans la sclérose en
sortir l'intérêt clinique qui s'attache à leur étude, —peuvent précéder parfois, dans l'évolution du processus morbide, les douleurs fulgurantes elles-mêmes, et se montrer ainsi com-plètement isolés pendant plusieurs mois, voire même pendant plusieurs années.
Il n'est peut-être pas un seul nerf bulbaire qui, à ce moment même, ne puisse être affecté. Mais, le plus ordinairement, ce sont les nerfs moteurs oculaires qui sont envahis les premiers. C'est par ordre de fréquence, les nerfs de la troisième et de la sixième paires ; puis, mais de très loin, le nerf pathétique ; le facial, l'hypoglosse et la cinquième paire ne sont pas eux-mêmes toujours indemnes. Les symptômes qui répondent à ces lésions se traduisent, pour les uns, par un état paralytique, pour les autres, par les douleurs. Mais, de tous les nerfs crâniens, les nerfs optiques sont ceux qui, dans l'espèce, méritent surtout de fixer l'attention en raison de la grande fréquence de leur altération et de la gravité de l'affection que cette lésion déter-mine. Nous allons donc entrer à ce propos dans quelques dé-veloppements.
I.
plaques, qui reconnaît un processus fort analogue, mais dont la progression est moins inévitable ; et d'autre part, aux lésions connues sous le nom de névrite optique : dans ces deux der-niers cas, malgré quelques traits de ressemblance, les lésions et les symptômes diffèrent d'une manière essentielle de ce qu'ils sont dans l'atrophie optique tabétique.
L'induration grise progressive des nerfs optiques se traduit pendant la vie par des caractères ophtalmoscopiques spéciaux et qui répondent à ce qu'on est convenu en ophtalmologie d'appeler Y atrophie progressive de la papille. Ces caractères, Messieurs, seraient à peu près spécifiques, d'après quelques auteurs, et tels que — en dehors même des troubles fonction-nels concomitants qui, eux aussi, offrent des particularités très-dignes d'intérêt au point de vue clinique — ils permettraient de diagnostiquer l'ataxie ou la sclérose des cordons postérieurs, si déjà elle existe, ou d'en prévoir la venue plus ou moins pro-chaine, si elle n'est pas encore définitivement constituée. Les assertions de MM. Jaeger, Wecker, Galezowski sont formelles à ce sujet.
Nous verrons, Messieurs, ce qu'il faut en penser. Je dois dire toutefois par avance que, ayant été bien des fois témoin de la sûreté, de la précision du diagnostic établi par les médecins versés en ces matières, je suis arrivé à partager, au moins en grande partie, la conviction qui les anime. Bien que ces faits ne soient pas absolument de ma compétence spéciale, je vous demanderai la permission, cependant, d'entrer à leur égard dans quelques détails. Mon entreprise trouvera, je l'espère, sa justification dans l'intérêt qui doit s'attacher à toutes les ques-tions qui concernent le diagnostic du tabès dorsal.
II.
L'énoncé sommaire de deux points relatifs aux difficultés
que je signale suffira pour mettre en lumière l'importance qu'il y a pour nous, médecins, à nous familiariser, autant que possible, avec l'examen régulier du fond de l'œil.
En premier lieu, j'essaierai de vous démontrer que l'ataxie peut se présenter entourée de symptômes que reproduisent cer-taines lésions encéphaliques, les tumeurs, par exemple avec une telle similitude que le diagnostic en devient des plus difficiles, et je vous ferai voir du môme coup quel parti il est possible de tirer, en pareille occurrence, de l'examen ophtalmoscopique.
En second lieu, suivant quelques opthalmologistes, lalésion optique propre à l'ataxie peut, dans un certain nombre de cas précéder tous les autres symptômes et composer à elle seule, parfois pendant de longues années toute la maladie.—Or, ainsi que je vous l'ai fait pressentir, rien n'est mieux établi, à mon sens, que cette proposition. Si cela est vrai, il sera, vous le comprendrez, de la plus haute importance d'être fixé sur ces caractères qui, suivant les auteurs, permettent de reconnaître l'amaurose des ataxiques, et de la distinguer de toutes les autres formes d'affaiblissements de la vue.
En ce qui concerne, tout d'abord, l'existence isolée de Ya-maurose tabétique durant une suite d'années, c'est là un fait dont la réalité peut être facilement établie dans cet hospice à l'aide d'observations faites sur une grande échelle. Je crois pouvoir déclarer que la grande majorité des femmes, qui sont admises dans les dortoirs comme atteintes de cécité amauroti-que, offrent tôt ou tard, après leur entrée dans l'établissement, des symptômes plus ou moins manifestes d'ataxie. J'ai insisté sur ce point déjà, dans mes leçons de 1868 ; mes observations ultérieures me permettent de confirmer ce que j'avais alors avancé à cet égard. — Je pourrais vous présenter, à l'appui de mes assertions, des faits nombreux, je me contenterai de résu-mer deux exemples, d'ailleurs très démonstratifs :
1° mil... couchée au n° 12 de la salle Saint-Alexandre, est âgée de cinquante-cinq ans. Elle est entrée à la Salpêtrière, comme aveugle, en 1855. Les troubles de la vue, accompagnés de douleurs de tête, ont paru en 1850. D'abord limités à l'œil gauche, ils ne tardèrent pas en envahir l'œil droit. Au bout d'un an, la cécité était complète. Or, c'est en 1860 seulement, c'est-à-dire dix ans après le début des phénomènes, que les douleurs fulgurantes se sont manifestées pour la première fois. Elles se sont bientôt compliquées de douleurs en ceinture ; la maladie, depuis ce temps, est restée à peu près stationnaire.
Les symptômes d'incoordination motrice ont cependant com-mencé à s'accuser il y a quelques mois.
2° Coud..., placée dans le dortoir Saint-Charles, est égale-ment âgée de 55 ans environ. A 26 ans, il y a vingt-neuf ans de cela, elle éprouva des élancements violents dans l'orbite, et fut peu après frappée de cécité d'abord à gauche, puis à droite. Trois ans plus tard, elle fut prise de douleurs fulgu-rantes dans la tête et les muscles, douleurs auxquelles s'asso-cièrent des crises gastriques. Depuis lors, la maladie n'a pas subi d'aggravation.
Ces faits, je pourrais, Messieurs, les multiplier beaucoup, si je ne craignais pas de fatiguer votre attention. En somme, je suis très disposé à croire, d'après ce que j'ai vu, que les amaurotiques, chez lesquels Y atrophie progressive de la papille est la cause de la cécité, n'échappent guère à cette loi fatale.
Il importerait, par conséquent, de pouvoir reconnaître pour ce qu'elle est, dès l'origine, cette affection du nerf optique qui, dix, quinze ans après s'être constituée, sera suivie d'ataxie ; de pouvoir, en d'autres termes, un cas d'amaurose par lésion atrophique du nerf optique étant donné, déclarer si 1 ataxie
s'en suivra tôt ou tard, d'une façon à peu près inévitable, ou si, au contraire, l'affection du nerf optique demeurera isolée.
Recherchons donc quels sont les caractères de l'induration grise des nerfs optiques et examinons s'ils sont, en réalité, comme on le dit, à peu près infaillibles.
III.
Un mot d'abord concernant la lésion anatomique à laquelle se rattache le trouble visuel qu'il s'agit d'étudier.
A. l'œil nu, l'altération du nerf optique se présente sous la forme d'une induration grise, dont l'aspect rappelle à tous égards, celui de la sclérose fasciculée spinale. Elle paraît, en règle générale, débuter par l'extrémité périphérique du nerf et s'étendre ensuite progressivement vers les parties centrales. Les bandelettes optiques sont aussi atteintes à leur tour, à un moment donné, et quelquefois même les corps genouillés. Au delà de ce point, on perd les traces de l'altération. Il est remar-quable que celle-ci affecte, comme vous le voyez, dans le nerf optique, une marche centripète, tandis que les lésions cor-respondantes des nerfs spinaux ont, au contraire, une progres-sion centrifuge.
L'étude histologique, à son tour, fait reconnaître de nou-velles analogies entre l'induration grise des nerfs optiques et la sclérose spinale tabétique. Il y a lieu de remémorera ce pro-pos que, à l'état normal, les nerfs optiques se rapprochent, quant à la texture, beaucoup plus de la substance blanche des centres nerveux que tous les autres nerfs. C'est ainsi que, dans les nerfs optiques, on trouve, comme l'a signalé M. Leber, des cellules conjonctives étoilées et un réticulum fibroïde. J'ajou-terai que les tubes nerveux qui les composent sont très déliés, très délicats et offrent, en conséquence, une grande analogie avec les tubes nerveux de l'encéphale
Exposons, en premier lieu, les caractères ophtalmoscopiques qui correspondent, d'ailleurs, jusqu'à un certain point, à l'ana-tomie faite sur le vivant. Je vous rappellerai très brièvement l'aspect de la papille optique à l'état normal. —Vous n'avez pas oublié la forme ovaloïde que celle-ci présente; ses contours très nets, très accusés ; la dépression cupuliforme qu'elle offre dans sapartie centrale; enfin la teinte légèrement rosée qui distingue au contraire sa partie périphérique, et qui est due à la présence des vaisseaux propres que renferme le nerf optique dans son
La lésion qui constitue l'induration grise s'accuse d'ailleurs dans le nerf optique, comme dans la moelle épinière, par la métamorphose fibrillaire de la névroglie et la disparition con-comitante du cylindre de myéline d'abord, puis du cylindre axile. Dire quel est des deux phénomènes celui qui précède l'autre, est chose difficile ; j'incline beaucoup à croire que, de même que dans la moelle épinière, le tube nerveux est affecté en premier lieu, antérieurement à la gangue conjonctive. On s'expliquerait ainsi pourquoi, dans la lésion tabélique des nerfs optiques, l'élément nerveux subit une destruction comparative-ment bien plus complète et plus rapide que celle qui se pro-duit dans la sclérose en plaques, les cylindres d'axe persistant en effet beaucoup plus longtemps dans le cas de la dernière affection. L'induration grise des nerfs optiques, dans l'ataxie locomotrice, pourrait donc être, d'après cela, désignée sous le nom de névrite parenchymateuse.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas encore, quant à présent, dans l'histologie qu'il faut chercher des traits distinclifs, car, à cet égard, il y a une ressemblance très grande entre l'induration qui se produit dans le nerf optique en conséquence de la né-vrite liée aux tumeurs cérébrales {névrite optique) et l'indura-tion grise de ce même nerf chez les tabétiques. Recherchons donc dans la clinique des données plus décisives.
épaisseur. — Pour ce qui est des vaisseaux de la papille, vous savez qu'ils consistent en deux veines et une artère, celle-ci beaucoup moins volumineuse que celles-là, et reconnaissa-ble du reste aux divisions dichotomiques qu'elle présente.
Voici maintenant en quoi toutes ces particularités se trou-vent modifiées dans le cas d'induration grise progressive.
La papille n'a pas éprouvé de changement, soit dans sa forme, soit dans ses dimensions; ses contours sont toujours très accentués. Les vaisseaux restent ce qu'ils étaient aupara-vant; seulement, contrairement à ce qui a lieu dans l'état nor-mal, on ne peut plus les suivre, pénétrant à une certaine dis-tance dans l'épaisseur de la papille, sur laquelle il paraissent être simplement appliqués. Rien d'ailleurs qui s'éloigne pro-fondément de l'état normal ; mais voici le caractère décisif. Par suite du changement de texture qu'a subi le nerf optique, et en conséquence surtout de la disparition du cylindre de myéline, la papille a cessé d'être transparente ; elle réfléchit au contraire fortement la lumière et ne laisse plus voir dans sa profondeur les vaisseaux propres. Il s'ensuit qu'elle ne pré-sente plus la teinte rosée normale, et qu'elle offre, au con-traire, une coloration blanche, crayeuse, comme nacrée.
Tel est, Messieurs, le caractère dont il faut bien se péné-trer ; car, à lui seul, quand il est manifestement accusé, il suf-fit pour spécifier l'amaurose tabétique et pour éclairer la situa-tion d'une façon décisive. Il convient néanmoins de ne point négliger les troubles fonctionnels qui, eux aussi, ont bien leur importance. Ils peuvent, en effet, contribuer puissamment à établir le diagnostic, dans les cas où les symptômes ophtal-moscopiques sont peu accentués, en donnant plus de poids à l'impression ressentie par l'observateur. D'ailleurs, parmi ces troubles fonctionnels, il en est quelques-uns qui, même à dé-faut des signes ophtalmoscopiques, font jusqu'à un certain point préjuger la nature du mal.
Charcot. Œuvres complètes, t. ii. 4
Je signalerai en premier lieu la limitation concentrique et unilatérale du champ visuel, trouble fonctionnel qui ne se retrouve pas dans la névrite optique; en second lieu, la con-traction plus ou moins prononcée des pupilles, contraste frap-pant avec ce qui se produit dans la névrite optique, où les pu-pilles se montrent au contraire dilatées.
Nous devons citer un symptôme qui, suivant quelques au-teurs (Galezowski, Benedikt), est en quelque sorte spécifique : il s'agit d'une forme particulière d'achromatopsie caractérisée ainsi qu'il suit: 1° perte de la notion des teintes secondaires (1 à 5 de l'échelle de M. Galezowski) ; 2° perte de la notion du rouge et du vert : la notion du jaune et du bleu persistant, au contraire, à un haut degré et pendant longtemps. Ces signes peuvent se montrer déjà fortement accusés, alors que la perte de l'acuité visuelle est incomplète et permet encore de lire les gros caractères.
J'ajouterai que le début de ces accidents par un œil et la lo-calisation prolongée de la lésion, dans ce même œil, sont tout à fait l'inverse de ce qu'on observe dans la névrite optique. De plus, dans le tabès, l'évolution des troubles visuels est, dans l'immense majorité des cas, lente, graduelle, progressive, tan-dis que, dans la névrite optique, leur début s'opère assez sou-vent d'une façon à peu près subite.
Les autres troubles fonctionnels qu'il nous reste à signaler sont plutôt de nature à obscurcir le diagnostic ; mais en raison de cela même, ils méritent, eux aussi, d'être relevés. Telles sont des douleurs de tête continues ou à peu près et qui siè-gent principalement au front et à la nuque. A ces douleurs s'associent, dans bien des cas, des fulgurations revenant par accès et occupant le trajet des branches de la cinquième paire. Dans les paroxysmes, les malades éprouvent des sensations qu'ils comparent à celles que produirait l'arrachement du globe oculaire.
Si l'on fait abstraction des douleurs de tête, qui sont un symptôme assez banal, les phénomènes qui viennent d'être si-gnalés forment, dans leur ensemble, un syndrome à peu près caractéristique. Ils permettraient de distinguer aisément l'a-maurose tabétique de celle, par exemple, qui accompagne la sclérose en plaques.
L'embolie de l'artère centrale de la rétine donne lieu, à la longue, à des apparences ophtalmoscopiques qui simulent celles de la papille tabétique. Il y a toutefois des caractères distinctifs tranchés et que vous trouverez exposés dans les trai-tés spéciaux. Le début brusque, dans le cas d'embolie et la concomitance habituelle d'une hémiplégie et d'une cardio-pathie ne laisseraient d'ailleurs pas longtemps subsister le doute.
Je ne ferai que mentionner en passant, la lésion du nerf op-tique qui survient quelquefois dans la glycosurie et la rétino-choroïdite syphilitique, comme pouvant également reproduire, jusqu'à un certain point, l'aspect de l'atrophie papillaire tabé-tique. Enfin, dans la paralysie générale, on observe quelquefois une lésion de la papille qui ne diffère en rien de celle qui se montre dans l'ataxie ; mais nous avons eu le soin de vous faire remarquer déjà que les lésions spinales tabétiques se rencon-trent, dans quelques cas, liées àia paralysie générale, et cette circonstance permet peut-être d'expliquer l'occurrence fré-quente de l'atrophie papillaire progressive dans la méningite chronique diffuse.
Je me borne à signaler brièvement ces diverses affections , me proposant d'attirer toute votre attention sur les symptômes objectifs que produit l'altération du nerf optique désignée sous le nom de névrite optique ou de neuro-ré finite, car là se trouve en réalité le nœud de la situation.
Nul doute qu'il y ait des analogies, d'une part, entre les symp-
tomes concomitants de la neuro-rétinite et ceux qui accompa-gnent l'atrophie tabétique et, d'autre part, entre l'aspect de la papille qui marque l'atrophie papillaire consécutive à la névrite optique et celui de l'amaurose tabétique ; mais il y a aussi, pour l'un comme pour l'autre, des caractères distinctifs, et c'est la connaissance de ces caractères qui permettra d'assurer le diagnostic.
IV.
Pour atteindre ce but, il nous faut entrer actuellement dans quelques détails, au sujet de la neuro-rétinite et des circonstances au milieu desquelles elle prend naissance. De ces circonstances, deux surtout méritent d'être relevées :
Io a) La cécité, si commune dans les cas de tumeurs céré-brales, puisqu'elle se produit dans près de la moitié des cas (Friedreich et Ladame), paraît reconnaître le plus souvent pour causes la neuro-rétinite.
b) La méningite de la base, de nature syphilitique ou autre, est aussi assez fréquemment l'occasion de la neuro-rétinite, et, en pareil cas, le pronostic est bien différent de ce qu'il est dans l'hypothèse de tumeurs cérébrales. S'il s'agit, en particu-lier, d'une lésion syphilitique, la cécité peut n'être pas fatale-ment progressive et la vision persister au moins à un certain degré.
Les auteurs admettent deux formes principales de neuro-rétinite. En premier lieu, viendrait la neuro-rétinite, dite^«r étranglement (Stauungs Papille des auteurs allemands, — Chocked Disk des Anglais). Elle se caractérise anatomique-ment par une tuméfaction souvent énorme de la papille, recon-naissant pour cause une simple congestion avec exsudation sé-reuse. Cette forme serait liée surtout à l'existence de tumeurs
intra-erâniennes. — Selon de Graefe, les symptômes qui la caractérisent résulteraient de l'exagération de la pression à l'intérieur du crâne. Mais il paraît prouvé qu'en outre de la papille, le nerf lui-même peut être affecté dans toute son étendue, et offrir un certain degré de tuméfaction et de ramol-lissement, ou mêmes les caractères anatomiques de la névrite optique inflammatoire. C'est du moins ce qui semble ressortir des observations de MM. Hulke, Albutt et quelques autres. Il existerai!, d'après cela, une sorte de transition entre les deux formes de la neuro-rétinite.
2° La seconde de ces formes est habituellement désignée sous le nom de yieuro-rétinite descendante. Quelques ophtal-mologistes, et entre eux de Graefe, prétendent que cette forme est liée d'une manière spéciale à la méningite, et que si elle s'associe parfois, d'une façon concomitante, aux tumeurs, c'est qu'alors il y a en même temps une méningite de la base. S'il est possible d'invoquer trois exemples de de Graefe, cités par M. Albutt à l'appui de cette opinion, nous devons dire qu'un fait récent, observé dans cet hospice, vient la controuver au moins dans ce qu'elle a de trop absolu. 11 s'agit du cas d'une malade nommée Ler..., chez laquelle se présentaient les ca-ractères de la névrite optique avec atrophie du nerf. Ces lé-sions étaient liées à l'existence d'une tumeur sarcomateuse occupant le lobe occipital gauche du cerveau. La tente céré-belleuse avait été refoulée ; le mésocéphale ainsi que les bandelettes optiques et les tubercules quadrijumeaux, étaient fortement aplatis. Eh bien, dans ce cas, où la pression intra-cranienne était évidemment exagérée (l'hypertrophie et l'apla-tissement des circonvolutions ne laissaient aucun doute à cet égard) et où probablement l'étranglement de la papille avait eu lieu à une certaine époque, les nerfs optiques étaient gris, atrophiés, en un mot sclérosés dans toute leur étendue. Il n'existait pas de trace d'une méningite.
Cette atrophie scléreuse caractérise la seconde forme, ou, si l'on préfère, le deuxième degré de la névrite optique. Il s'agit ici, anatomiquement, d'une névrite interstitielle, avec substitution fibrillaire, destruction consécutive des éléments nerveux ; le processus morbide affecte là une marche plus aiguë que dans le cas de la névrite optique tabétique ; la mul-tiplication des noyaux est plus accusée, l'exsudation plus abon-dante, et c'est, en somme, dans la production de ces lésions que gît toute la différence.
V.
Recherchons maintenant quels sont les caractères qu'of-fre au clinicien la papille dans ces deux formes ou, si vous le voulez, dans ces deux périodes de la névrite optique, et opposons-les aux caractères qui distinguent la papille tabétique.
A. Pour ce qui concerne la papille étranglée, rien n'est plus simple. La papille, en effet, présente alors une tuméfaction, un gonflement manifestes déjà au simple éclairage. Les con-tours, d'ailleurs mal accusés, sont effacés pour ainsi dire par un exsudât paraissant répandu à la fois sur la papille et à son pourtour. Cet exsudât a une teinte gris rougeâtre. Çà et là, les vaisseaux centraux sont, en apparence, interrompus. Ce phénomène, très net pour les veines, l'est moins pour les ar-tères qui sont relativement plus petites. Les capillaires sont très développés, au moins à une certaine époque. Cet ensem-ble de phénomènes est déjà très frappant ; mais les symptômes fonctionnels, eux aussi, méritent d'être consultés. Je me bor-nerai à relever les traits suivants : les deux yeux habituellement sont pris du même coup ; le début est quelquefois subit ; il n'y
B. Quels sont maintenant les caractères de la névrite opti-queconsidérée dans la seconde forme? La papille, en quelque sorte élargie, se montre avec des contours frangés, irréguliers, mal délimités. On la dirait entourée par une espèce de nuage.
En raison de l'opacité acquise par le nerf optique, les capil-laires et la teinte rosée paraissent effacés. Les vaisseaux sont tortueux, sinueux, surtout les veines qui semblent interrom-pues, coupées de places en places.
Voilà, Messieurs, des caractères qui ne s'effacent jamais complètement et qui tranchent avec les caractères ophtal-moscopiques assignés à la papille tabétique. Quant aux signes fonctionnels, ils se confondent avec ceux de la papille étran-glée.
VI.
11 ne suffit pas d'avoir exposé les caractères qui distin-guent, tant au point de vue fonctionnel qu'à celui de l'exa-men opthalmoscopique, l'altération tabétique de la papille et celle qui se lie à la névrite optique, il est encore indispen-sable de montrer, sur le vif, le parti qu'on peut tirer de ces no-tions pour le plus grand bien du diagnostic. Je me bornerai à un exemple particulier.
Tout récemment, nous avions dans nos salles, presque côte à côte, deux malades : l'une, Deg..., que je vous ai fait voir comme un spécimen d'ataxie fruste avec crises fulgurantes et crises gastriques, et non accompagnées d'incoordination mo-trice ; l'autre, Ler..., qui a succombé il y a quelques jours La première est une ataxique, et personne ne saurait suspecter ce diagnostic, bien que le critérium anatomique fasse défaut;
a pas de diminution concentrique du champ visuel ; enfin, on ne note aucune modification chromatique.
la seconde avait une tumeur de l'un des lobes occipitaux du cerveau.
Mais, me direz-vous, quel rapport y a-t-il entre une tumeui occupant le lobe occipital et un cas d'ataxie à la première période? Ce sont deux maladies qu'on ne rapproche pas d'ha-bitude l'uoe de l'autre, parce qu'elles s'éloignent par des carac-tères très tranchés. Eh bien, Messieurs, il importe de ne pas trop compter sur ces caractères ; ils peuvent tromper. Et, de fait, la combinaison des symptômes était telle chez nos deux malades, que la perplexité, pendant longtemps, a été grande, le diagnostic absolument incertain. Il n'est pas douteux pour moi que certains cas de tumeurs cérébrales, sans nul doute fort exceptionnels, doivent être rapprochés, cliniquement, de l'ataxie locomotrice. L'exposition des deux cas que je viens de citer sera, du reste, plus démonstrative que ne le seraient de longs commentaires.
Le nommée Deg... offre les symptômes suivants : céphalal-gie intense, rémittente, siégeant à l'occiput et au front; dou-leurs dans les globes oculaires, cécité absolue des deux côtés ; douleurs à la nuque à peu près constantes, paraissant se ré-pandre dans toute la longueur d'un bras ; vomissements reve-nant par accès, composant de véritables crises gastriques et; «'accompagnant d'une exaspération des douleurs céphaliques, enfin fulgurations douloureuses dans tous les membres, reve-nant par accès.
Les symptômes observés chezLer... exigent plus de détails. Nous noterons : une cécité complète, survenue progressive-ment (le début subit, dans la névrite optique, vous le voyez, n'est pas nécessaire) ; — une céphalalgie intense occupant l'oc-ciput et le front, à peu près continue, mais s'exaspérant par accès ; — des douleurs vives dans les yeux, sujettes à des temps d'arrêt et à des exacerbations ; des vomissements, se montrant par crises, de même que chez Deg..., et persistant
quelquefois pendant quelques jours , — enfin des douleurs dans les membres.
Ces douleurs, qui forment l'exception à la règle que je si-gnalais en commençant cette leçon, à propos de la description des douleurs tabétiques, offraient, à s'y méprendre, le cachet des douleurs fulgurantes. Plus de vingt fois, dans l'observa-tion, on trouve consigné, d'après le récit sincère de la malade, enregistré au moment même des accès, que ces douleurs se montrent tout à coup, comme des éclairs, qu'elles n'occupent qu'un point, soit au voisinage des jointures (genou, poignet), soit sur le corps des membres, et qu'elles s'accompagnent d'une sorte de ressaut du membre où elles sévissent. C'est lorsque ces douleurs, ainsi que la céphalalgie, s'exaspèrent, que surviennent les accès de vomissement. A tous ces symp-tômes, nous devons ajouter une douleur vertébrale se répan-dant autour du tronc et simulant la douleur en ceinture.
Ces douleurs, de caractère particulier, si remarquablement accusées chez notre malade, ne sont pas, d'ailleurs, un fait absolument exceptionnel en cas de tumeurs cérébrales. Ainsi, sur 233 cas, M. Ladame a mentionné 23 fois des douleurs rhu-matoïdes dans diverses parties des membres. Il est sans doute très rare qu'elles prennent le caractère fulgurant ; cependant cet auteur signale, sans y insister, il est vrai, des douleurs plus ou moins vives revenant par accès, et courant fréquem-ment d'un point à un autre.
Quoi qu'il en soit, cette complication singulière est établie d'une manière péremptoire, ne serait-ce que par le fait même de Ler... Et il n'y a pas lieu d'invoquer, pour s'en rendre compte, quelque complication tabétique, car les cordons pos-térieurs, examinés avec soin lors de l'autopsie, ont été recon-nus parfaitement sains.
Eh bien, Messieurs, en pareille occurence — et selon toute probabilité, les cas de ce genre se reproduiront danslaprati-
que — le diagnostic n'est-il pas bien embarrassant ? Permet-tez-moi encore de vous faire remarquer, pour ajouter à l'inté-rêt de la situation, que la titubation existait dans le cas de la tumeur, et que Deg..., l'ataxique, n'en présentait pas de traces.
Or, l'ophtalmoscopie, dans cette conjoncture, est venue nous apporter un concours décisif. Je mets sous vos yeux deux des-sins faits d'après nature et que je dois à l'obligeance de M. Galezowski : l'un figure la papille de Deg..., et vous pouvez y reconnaître tous les caractères de la papille tabétique ; — l'autre représente la papille de Ler... : l'atrophie consécutive à la névrite optique se présente là avec tous ses caractères dis-tinctifs.
Après cet examen, toute difficulté cessait sur-le-champ. Il devenait évident que Ler... était sous le coup d'une tumeur cérébrale, et l'autopsie l'a vérifié ; quant à Deg..., elle est ataxique ; la nécroscopie prononcera quelque jour, et je ne doute pas qu'elle nous donnera raison.
Cet exemple, choisi entre tant d'autres, suffira, je l'espère, pour faire ressortir à vos yeux l'intérêt qui s'attache à l'étude ophthalmoscopique dans la clinique des maladies des centres nerveux. Je ne saurais donc trop vous recommander, Messieurs, de chercher dans l'application du miroir d'Helmoltz le con-cours si précieux qu'il est capable de procurer dans de sem-blables conditions. Les cas abondent dans cet hospice, et vous pourrez, en très peu de temps, avec un peu d'exercice, vous mettre au courant des faits fondamentaux.
M. Galezowski veut bien se mettre à notre disposition, et il vous offre de rendre évidente, à l'aide de l'instrument spécial qu'il a construit et qui facilite à un si haut degré la démons-tration, les faits particuliers sur lesquels j'ai insisté aujour-d'hui.
QUATRIÈME LEÇON
De quelques troubles viscéraux dans l'ataxie locomo-trice. — Arthropathies des ataxiques.
Sommaire. — Troubles des organes génito-urinaires. — Envies fréquentes d'u-riner ; — Satyriasis ; — Ténesmerectal. — Symptômes oculo-pupillaires. — Accélération permanente et dicrotisme du pouls.
De l'arthropathie des ataxiques : sa fréquence. — Observations. — Cette arthropathie se développe à une époque peu avancée de la maladie spinale. — Prodromes. — Phases de l'arthropathie des ataxiques. — Jointures qu'elle intéresse. — Ses caractères spéciaux. — Diagnostic entre l'arthropathie des ataxiques et l'arthrite sèche.
Lésions anatomiques. — Des arthropathies consécutives aux affections d'origine spinale. — Mécanisme de la production de l'arthropathie des ataxiques. — Lésion des cornes antérieures de la substance grise. — Desi-deratum.
Messieurs,
Je me propose de terminer ce matin l'histoire des anoma-lies qui se présentent le plus habituellement dans la première période de l'ataxie locomotrice progressive.
T
1.
Je vous ai entretenus, dans l'une des dernières séances, des crises gastriques et je vous ai montré le rôle diagnostique important que joue ce phénomène lorsqu'il se combine à certains symptômes céphaliques, tels que la céphalalgie et l'amaurose par induration grise du nerf optique. Il convient
de rapprocher de ces grises gastriques d'autres affections vis-cérales qui peuvent encore, dans la période des douleurs ful-gurantes, coexister seules avec ces douleurs.
A. C'est ainsi qu'il n'est pas exceptionnel de voir se mani-fester, au moment des accès de fulguration, certains troubles des organes génito-urinaires qui ont bien leur importance. Tels sont :
l°Les envies fréquentes d'uriner avec émission douloureuse des urines ;
2° Le satgriasis sur lequel insistait Trousseau et qui n'a guère été signalé que chez l'homme. Les symptômes qui le caractérisent consistent en érections fréquentes et incomplè-tes, avec éjaculation prématurée, etc. Des phénomènes ana-logues peuvent se montrer également chez la femme, ainsi que nous l'avons signalé, M. Bouchard et moi. Nous les avons vus accusés surtout chez la 'femme du nom de Barr..., que nous avons observée pendant longtemps à la Salpêtrière, et qui, lors des crises fulgurantes, éprouvait souvent des sensa-tions voluptueuses, semblables à celles que détermine le coït et accompagnées d'une sécrétion vulvo-vaginale abondante.
Le rectum peut être aussi le siège d'accidents singuliers. Nous rappellerons ici le cas d'un malade, M. C..., dont nous vous avons déjà parlé : avant même que les douleurs fulgu-rantes n'eussent apparu, il ressentait de temps à autre, et subitement, dans l'anus et le rectum, des sensations qu'il com-parait à celles que produirait l'introduction forcée dans le rec-tum d'un corps long et volumineux. Ces sensations survenaient tout à coup et disparaissaient rapidement. Il s'y joignait par-fois un besoin d'expulsion qui fut suivi, à différentes reprises, d'évacuations involontaires de matières fécales. Cette sorte de spasme douloureux de l'intestin a existé chez ce malade pen-dant près de huit mois avant que les douleurs des membres
ne se fussent déclarées. On comprend l'intérêt que peuvent acquérir ces épiphénomènes dans certaines circonstances où le diagnostic reste incertain.
B. Il y a quelque raison de supposer que le grand sympathi-que joue un rôle quelconque dans la production de ces crises viscérales, comme je les appellerai pour plus de brièveté, et c'est ici, peut-être, le lieu de vous signaler certains autres phéno-mènes dans lesquels le grand sympathique est clairement en jeu; je veux parler des symptômes oculo-pupillaires, mention-nés pour la première fois, je crois, par M. Duchenne (de Bou-logne). Il s'agit là de la participation du grand sympathique cervical.
Dès la première période de l'ataxie, il est commun d'obser-ver une inégalitépupillaire et, du côté où la pupille est le plus contractée (myosis), il y a quelquefois des phénomènes qui révèlent l'état paralytique des vaso-moteurs: la joue est rouge; l'œil injecté, présente une sorte de chémosis ; enfin, il y a une élévation relative de la température. Durant l'accès fulgurant, la pupille contractée se dilate et les signes de para-lysie vaso-motrice disparaissent momentanément.
C. De ces phénomènes je rapprocherai Y accélération per-manente du pouls qui, ainsi que je l'ai fait voir, s'observe fré-quemmentchez les ataxiques (90-100), et le dicrotisme habituel sur lequel M. Eulenburg a attiré l'attention.
Enfin, c'est le cas de mentionner en passant la fièvre réelle qui, au début de l'ataxie, accompagne les crises fulgurantes ainsi que je l'ai observé maintes fois, en particulier chez B..,, et comme l'ont vu également le docteur Finckelburg, directeur de l'établissement hydrothérapique de Godesberg, et M. Ro-senthal (de Vienne).
Mais, je ne puis m'étendre sur ces divers phénomènes qui
ont bien cependant leur intérêt. Je veux insister à présent sur une affection dont j'ai signalé l'existence et que j'ai l'ha-bitude de désigner, afin de ne rien préjuger, sous le nom $ arthropathie des ataxiques.
II.
Dans ma pensée, et j'espère vous faire partager ma ma-nière de voir, il s'agit là d'une des formes multiples de l'ar-thropathie spinale ? Qu'est-ce que l'arthropathie spinale pour-ront demander quelques-uns d'entre vous. J'ai proposé de désigner sous ce nom tout un groupe d'affections arti-culaires qui paraissent être sous la dépendance directe de certaines lésions de la moelle épinière auxquelles elles se rattacheraient par conséquent à titre d'affection symptomati-que. Les lésions irritatives de la moelle épinière, celles surtout qui occupent la substance grise, retentissent quelquefois, vous le savez, à la périphérie et déterminent soit dans la peau, soit dans les parties plus profondes, telles que les muscles, des troubles variés de nutrition. Les os et les articulations sem-blent ne pas échapper à cette loi !. Il s'ensuit que les arthro-pathies de l'ataxie locomotrice, suivant moi, seraient une des formes de ces affections articulaires, développées sous l'in-fluence plus ou moins directe de la lésion du centre spinal.
Dès à présent, il n'est pas inutile de vous faire remarquei que toutes ces affections articulaires, qui surviennent chez un malade atteint d'ataxie locomotrice, ne rentrent pas néces-sairement dans la description qui va suivre. Ainsi, il n'est pas rare de voir le rhumatisme noueux, l'arthrite sèche ordi-naire, coïncider avec l'ataxie. Alors, ces manifestations rhuma
1 La Planche VII, est relative à une ataxique qui présentait des lésions osseu-ses (fractures), et des lésions articulaires (arthropathies). On trouvera l'observa-tion de cette malade à I'Appendice.
tismales, et j'insiste sur ce point, — se présentent avec leurs symptômes habituels. L'arthropathie des ataxiques évolue, au contraire, avec des caractères cliniques tout spéciaux, comme vous allez le reconnaître, et qui en font une affection vrai-ment à part.
J'ajouterai encore qu'il ne s'agit pas, en pareille occurrence, d'un phénomène tout à fait rare, exceptionnel. Je puis vous montrer cinq exemples de ces arthropathies sur 50 ataxiques environ que je connais dans cet hospice. Cinq cas sur cin-quante, c'est déjà un chiffre respectable. J'ai observé pour mon compte cette complication de l'ataxie peut-être une trentaine de fois, tant en ville qu'à l'hôpital. De plus, à l'étranger, MM. Albutt, en Angleterre, Mitchell, en Amérique, Rosenthal, à Vienne, ont cité des faits analogues *.
Envisageons tout d'abord, Messieurs, le côté clinique. M. Bail, auquel on doit plusieurs travaux importants sur ce sujet, propose de distinguer dans l'arthropathie des ataxi-ques : 1° le développement précoce ; 2° le développement tar-dif. A mon avis, l'arthropathie en question est toujours un phénomène précoce, c'est-à-dire de la période initiale de la ma-ladie spinale ; et, pour préciser davantage, je dirai que, dans l'évolution naturelle de la maladie, il prend place, du moins en général, à une époque intermédiaire entre la période dite prodromique et la période d'incoordination. Si l'affection apparaît quelquefois à une époque tardive, ce qui est parfaite-ment exact, c'est toujours au membre supérieur, à l'épaule, au coude ou au poignet qu'on l'observe. Mais, vous savez que la sclérose spinale postérieure peut être tout à fait récente, dans
1 La question des arthropathies de l'ataxie a été récemment portée devant la Société de médecine de Berlin (30 octobre), îl propos d'un cas présenté par M. Ponfick et recueilli dans le service de M. Westphal.
Voir Berlin. Klin. Wochenschrift, no 46, 2'i novembre 1872, no 47, 2 dé cembre ; — voir aussi, même journal, no 53, une note de M. Hitzig: Einige Bemerkungen ùeber die Frage nach dem Lrspvung der Arthristis défor-mons. {Note de la i" édition.)
les régions supérieures de la moelle, alors qu'elle est déjà très ancienne dans la région dorso-lombaire. Notez, Messieurs, la date de cette apparition, pour ainsi dire constante et régulière, dans la marche delà maladie spinale, car c'est là un premier argument de quelque poids en faveur de la spécialité — pour ne pas dire spécificité — de la lésion articulaire dont je vous entretiens. Pour que vous vous rendiez bien compte comment l'affection se présente à l'observateur, laissez-moi rapporter brièvement quelques cas.
Premier cas. — M. B... a eu, en 1860, des accès de dou-leurs fulgurantes. En 1866, un jour, au réveil, il fut fort étonné de voir, sans le moindre prodrome, son genou gauche, le haut de la jambe et la partie inférieure de la cuisse corres-pondante, envahis par un gonflement indolore mais très con-sidérable. M. Nélaton, consulté, constata la présence de liquide dans la cavité synoviale. Au bout de quelques jours, la join-ture était le siège de craquements. Cinq ou six mois plus tard, tout était rentré dans l'ordre. Or, remarquez cette particularité, il n'existait au moment de l'accident aucun signe d'incoordina-tion motrice. Les jambes n'étaient pas projetées de côté et d'autre et aucune cause mécanique n'était intervenue. L'in-coordination motrice ne s'est montrée qu'en 1866. Plus tard (1870), l'ataxie ayant progressé, l'affection articulaire, au con-traire, avait disparu sans laisser de trace.
Voilà, Messieurs, un beau spécimen de la forme bénigne et précoce de la maladie.
Deuxième cas. — Chez un pharmacien de province qui est venu me consulter l'an passé, l'arthropathie, occupant égale-ment le genou, avait paru plus tôt encore — dès les premiè-res crises de douleurs fulgurantes. De même que dans le der-nier cas, l'affection aujourd'hui ne se décèle par aucun indice,
et l'incoordination, quoique très évidente, n'est pas cependant très prononcée, puisqu'elle permet au malade de se livrer avec ardeur à des excursions botaniques.
Troisième cas. — L'histoire du docteur X..., que je vous ai racontée à propos des crises gastriques, se rapproche aussi de celle de M. B... A une époque où la maladie n'était symp-tomatiquement constituée que par des accès de douleurs ful-gurantes et des crises gastriques, le docteur X... s'aperçut de l'existence d'une hydarthrose du genou avec gonflement géné-ral du membre, survenu sans cause appréciable, ce sont ses propres expressions. Il n'y avait pas de douleur locale et, bien qu'un peu gênée, la marche était possible. L'incoordination ne commença à se produire que cinq ou six mois après : c'est alors que je vis le malade. Le genou contenait encore une petite quantité de liquide et le membre, resté volumineux, présentait une espèce d'empâtement, d'induration, plutôt que de l'œdème.
Quatrième cas. —Je rappellerai ici Aub..., que je vous ai présentée et qui, elle aussi, avait des crises gastriques et des douleurs fulgurantes et marchait sans incoordination lorsque survint le gonflement de la hanche droite qui la fit admettre dans le service de chirurgie. La hanche gauche s'est prise plus tardivement, lorsque cette femme était dans nos salles et nous avons pu assister au développement de cette seconde arthropathie. C'est ultérieurement à l'apparition des arthropa-thies que les phénomènes d'incoordination se sont montrés dans chacun des membres.
Cette malade nous fournit un exemple, relativement rare, d'une arthropathie tabétique intéressant les hanches. J'ai cru, pendant longtemps, bien à tort, vous le voyez, que cette arti-culation était toujours respectée en pareil cas. Elle nous four-
Ghargot. Œuvres complètes, t. ii. 5
nit, d'autre part, un exemple de la forme m.aligne, c'est-à-dire avec désorganisation rapide et luxation de la jointure. Il con-vient d'opposer cet exemple aux trois premiers cas qui, eux, je le répète, appartiennent à la forme bénigne, laquelle peut se terminer par la guérison.
Cinquième cas. — Une malade, nommée Mén..., sur la-quelle j'ai observé pour la première fois les crises gastriques qui avaient des caractères très tranchés, présente une arthro-pathie typique de l'épaule. (De toutes les jointures des mem-bres supérieurs, c'est l'épaule qui est le plus souvent affectée). Mén... était depuis bien des années confinée au lit, et l'incoor-dination était peu marquée aux membres supérieurs, quand un matin, à la suite d'accès fulgurants, elle appela notre atten-tion sur la tuméfaction pathognomonique de l'épaule et du membre tout entier. Nous constatâmes une hydarlhrose énorme avec gonflement de tout le membre et, malgré cela, la malade ne se plaignait d'aucune douleur ; la température rectale n'était pas élevée ; le pouls était comme d'habitude à 100 *. Au bout de quelques jours, il était facile de perce-voir de très forts craquements dans la jointure. M... nous dit alors qu'elle en avait ressenti déjà durant les 7 ou 8 jours qui précédèrent le début de la tuméfaction. Le gonflement se dis-sipa assez rapidement et bientôt il se produisit une luxation de l'épaule en arrière (Fig. 6).
Ce cas revient de droit, comme le précédent, à la forme des-tructive de Tarthropathie, puisqu'il y a une dislocation de la jointure. Un autre point de cette observation mérite dès main-tenant d'être relevé : c'est l'absence de douleurs et de réaction fébrile. Sans être de règle absolue, l'absence de ces symptô-mes est presque constante.
1 La fréquence du pouls sans fièvre est chose commune chez les ataxi-aues.
Il est nécessaire de faire cette réserve : en effet, un malade de l'Hôtel-Dieu qui a été, de la part de M. Bail', le sujet d'une leçon clinique intéressante, fait exception à la règle.
Sixième cas. — Après avoir éprouvé, pendant quelques jours, des craquements dans l'épaule gauche, cet homme vit survenir, dans l'espace d'une nuit, une tuméfaction du mem-bre supérieur tout entier, telle que ce membre était presque le double du membre opposé l. Outre une douleur vive des parties affectées, on nota une élévation très prononcée de la température (40°).
Je n'insisterai pas sur un grand nombre d'autres cas d'ar-thropathie qu'il m'a été donné d'observer chez les ataxiques. Toutefois, avant de clore cette énumération, je dois vous faire remarquer en passant que chez le malade de M. Bail, on vit se développer une éruption de zona, alors que le gonflement per-sistait encore. Cette complication est bien propre à mettre en lumière l'origine névropathique, tout au moins, sinon spinale, de l'affection.
III.
Je me bornerai, Messieurs, à cette exposition sommaire, aussi bien suffit-elle pour faire connaître les principaux aspects de Tarthropathie.
A. En résumé, sans cause extérieure appréciable, sans coup ni chute, en dehors d'un traumatisme quelconque, l'affection locale apparaît. A ce moment, l'incoordination n'est pas encore prononcée, les malades ne lancent pas leurs jambes d'une manière désordonnée. J'insiste sur ce détail parce qu'il répond à une objection de M. Volkmann, suivi en cela par d'autres chirurgiens — qui ne veulent voir, dans l'arthropathie des
1 Revue photogr. des hôpitaux de Paris, 1871, p. 2S9.
C. L'arthropathie se produit d'ordinaire sans prodromes, si l'on en excepte cependant les craquements que nous trouvons mentionnés chez un certain nombre de malades (Buj..., Lel..., Mén..., etc.)
D. Le plus communément, le premier phénomène appré-ciable — car il n'y avait antérieurement aucune gêne dans les mouvements du membre — c'est la tuméfaction extrême de tout le membre, tuméfaction qui se compose: 1° d'une hydarthrose considérable ; 2° d'un empâtement qui offre pour la majeure partie une consistance dure et dans lequel les symptômes ordinaires de l'œdème ne sont pas d'habitude très accentués.
Cette arthropathie ne s'accompagne le plus souvent ni de fièvre, ni de douleurs ; ce n'est que par exception que ces symptômes sont consignés dans les observations.
Au bout de quelques semaines, de quelques mois, le gon-flement disparaît et alors tout rentre dans l'ordre (forme déni-
ataxiques, qu'une arthrite traumatique occasionnée par la dé-marche particulière à ces malades.
11 n'y a pas à invoquer non plus soit l'influence du froid, soit un état diathésique, goutte, rhumatisme, etc., les affections articulaires propres à ces maladies ayant d'ailleurs une tout autre physionomie.
B. Cette arthropathie se développe à une époque peu avan-cée de la maladie spinale, le plus ordinairement alors que la symptomatologie en est réduite aux douleurs fulgurantes. L'incoordination, il est vrai, ne tarde pas en général à se mon-trer lorsque l'arthropathie a paru. Ainsi celle-ci, vous le voyez, a sa place marquée dans la succession régulière des symptô-mes de l'ataxie locomotrice.
Tel est le tableau symptomatologique qu'offre ordinaire-ment l'arthropathie des ataxiques. Eh bien, je le demande, existe-t-il quelque part, dans les cadres pathologiques, une affection qui rentre exactement dans cette description? Il s'a-git là d'une arthrite sèche, me répond-on, toutes les fois que je défends l'autonomie ou au moins la spécialité de l'arthro-pathie des ataxiques, — et il y a tantôt six ans que j'ai entre-pris cette défense. Je ne conteste pas qu'il s'agisse là d'une arthrite sèche ; mais, de par les caractères cliniques, je main-tiens que cette arthrite sèche est toute spéciale et ne rentre pas dans la loi commune. Voyons plutôt ce que va dire la comparaison de la symptomatologie de l'arthropathie des ataxi-ques, telle que je viens de vous l'exposer d'après nature, avec la description classique de l'arthrite sèche dont j'emprunte-rai le substratum à un livre récent et justement estimé *.
1 Follin et S. Duplay. — Traité élémentaire de Pathologie externe, t, III, p. 26.
gne) ; tantôt, au contraire, il reste des désordres graves de ia jointure, des craquements, des dislocations, répondant à une usure des surfaces osseuses, des luxations variées (forme mali-qne). En dépit de ces lésions profondes, le membre correspon-dant à l'arthropathie peut encore rendre des services pour la préhension, — s'il s'agit de la hanche et du genou. Naturel-lement cette demi-liberté des mouvements diminue si l'incoor-dination fait des progrès ou si la luxation s'exagère.
E. Relativement à la fréquence, c'est le genou, puis l'é-paule, enfin le coude, la hanche, le poignet qui sont affectés de préférence. Mais les petites articulations ne sont pas tou-jours épargnées, ainsi qu'il nous serait loisible d'en citer quel-ques exemples.
IV.
1° Il est bien rare, dit-on, que la quantité de liquide aug-mente dans la jointure atteinte d'arthrite sèche. Or, cette augmentation de liquide paraît constante dans notre arthro-pathie.
2° Quelquefois, il est vrai, — c'est-à-dire par exception à la règle précédente, — l'épanchement est considérable et s'é-tend au delà de la jointure ; or, ce qui est l'exception dans l'arthrite sèche est, au contraire, la règle dans l'arthropathie des ataxiques.
3° La dislocation de la jointure, très rare dans l'arthrite sè-che, est très fréquente dans l'ataxie locomotrice.
4° C'est la hanche qui est surtout affectée dans l'arthrite sè-che ; l'épaule ne vient qu'au 3e ou 4e rang ; — dans l'ar-thropathie des ataxiques, c'est de préférence le genou, puis l'épaule qui sont pris, et la hanche ne vient qu'en 3e ou 4e li-gne.
S0 La marche de l'arthrite sèche est nécessairement progres-sive ; elle ne rétrograde jamais ; — eh bien, l'arthropathie des ataxiques peut rétrograder et peut même guérir, lorsque les désordres organiques n'ont pas été poussés trop loin, ainsi que vous le démontrent quelques-uns des exemples que je vous ai cités.
6° On nous dit encore que, dans l'immense majorité des cas, la forme mono-articulaire de l'arthrite sèche, reconnaît pour cause une lésion traumatique, une fracture intra-articulaire. Je crois, en effet, qu'il en est ainsi. Mais notre arthrite sèche spinale, qui est souvent mono-articulaire, ne reconnaît pas une telle cause : il n'est possible d'invoquer ici ni un trauma-tisme, ni une fracture intra-articulaire.
7° Ajoutons enûn, comme dernier trait, que les premiers symptômes de l'arthropathie des ataxiques apparaissent tout à coup, inopinément, tandis que dans l'arthrite sèche — et je me sers toujours de la description classique — les symp-
Fig.6. —Extrémité supérieure d'un humérus sain et d'un humérus offrant, les lésions de Varthropathie des ataxiques.
testablement, dans les cas de date ancienne, quand les sur-faces articulaires, usées et dépouillées de cartilage, ont con-
tomes s'accusent et s'aggravent d'une manière lente et pro-gressive.
Ces différences signalées, je suis le premier à reconnaître l'analogie des craquements, des tuméfactions osseuses, etc. Mais je tiens à faire ressortir encore ce qu'il y a de spécial dans l'évolution, l'enchaînement et le caractère des symptô-mes, enfin, à mettre au premier plan la connexité indéniable qui existe entre notre arthrite et l'affection spinale, connexité offrant surtout ceci de remarquable, que l'affection articulaire survient à une époque bien déterminée de révolution de la maladie spinale. Acceptons les analogies, mais n'oublions pas les différences si frappantes que la comparaison met en évi-dence.
V.
Il convient maintenant, Messieurs, d'examiner quelles sont les notions que nous fournit l'anatomie pathologique. Incon-
tinué à se mouvoir Tune sur l'autre, le membre n'ayant pas cessé de fonctionner tant bien que mal, ce sont les caractères de l'arthrite sèche qu'on observe: éburnation et déformations des surfaces articulaires, déformations des extrémités osseu-ses, bourrelets osseux, stalactites osseuses, corps étrangers, etc., etc. Toutefois, il est deux points sur lesquels je dois appeler vote attention :
1° La prédominance de l'usure sur la production des bour-relets osseux dans les cas récents. Comparez, par exemple, l'humérus que je vous présente (Fig. 6) et provenant d'une malade ataxique qui a succombé deux mois après le début de l'arthropathie, avec la planche d'Adams, figurant les lésions de l'arthrite sèche scapulo-humérale, et vous saisirez les rai-sons de mon insistance.
2° Je mentionnerai, en second lieu, la fréquence des luxa-tions vraies qui sont en quelque sorte la règle dans les articu-lations atteintes de l'arthropathie des ataxiques, lorsque les articulations comportent ce déplacement, dans l'épaule entre autres, tandis qu'elles ne sont que l'exception dans l'arthrite sèche vulgaire, où elles sont le plus souvent apparentes et non réelles.
En somme, anatomiquement parlant, notre arthropathie rentre dans le groupe de l'arthrite sèche. A cela, je n'ai pas d'objection sérieuse à opposer ; mais croit-on que ce classe-ment anatomo-palhologique avance beaucoup la question ? Si l'on place devant vos yeux, sous forme de pièce anatomi-que, une jointure présentant tous les caractères de l'arthrite avec exsudation séro-fibrineuse ou purulente, vous pronon-cerez sur le champ cette dénomination même à'arthrite puru-lente dont je viens de faire usage, et l'histologie ne changera rien à ce diagnostic tout local, tout anatomique. Le problème serait-il par là tout à fait résolu ? Évidemment non, car l'ar-thrite peut avoir été, pendant la vie, un des symptômes du
VI.
Malgré les caractères anatomiques qui la rattachent plus ou moins intimement au type classique de l'arthrite sèche, Xar-thropathie des ataxiques n'en reste pas moins une variété à part, en raison et de l'originalité de l'ensemble symptomati-que qu'elle présente et de sa connexité évidente avec l'a-taxie locomotrice dont elle fait-réellement partie à titre d'épi-phénomène.
C'est sur la cause de cette connexité qu'il s'agirait mainte-nant d'être éclairés. Si la solution de ce problème est dif-ficile, il n'est pas impossible, je pense, de la donner, au moins partiellement.
En premieur lieu, je ferai valoir cette particularité, à savoir que l'existence d'affections articulaires subordonnées plus ou moins directement à une lésion protopathique du système nerveux n'est pas, tant s'en faut, un accident exceptionnel. Je vous l'ai fait pressentir lorsque je vous ai déclaré, qu'à mon
rhumatisme ou de la scarlatine, ou de la morve, ou de l'in-fection purulente, etc.
Il en est de même, Messieurs, de l'arthrite sèche qui n'est souvent qu'une manifestation du rhumatisme noueux, de la goutte tophacée, ou une des lésions de la maladie d'Heberden, comme elle peut être aussi, enfin, le résultat d'une cause trau-matique tout extérieure, dans certains cas.
La considération anatomique, avec le concours même de l'histologie la plus avancée, ne peut pas tout donner ; son rôle est grand, il est vrai, mais non prédominant, et ne voir en pathologie que ce côté, c'est commettre le vice de raison-nement qu'on appelle, si je ne me trompe, dans le langage scholastique de la philosophie, une énumération incomplète.
A. On connaît, d'ailleurs, fort bien aujourd'hui les affections articulaires qui résultent des lésions des nerfs périphériques au même titre que l'herpès, la peau lisse, l'atrophie muscu-laire rapide, et tant d'autres troubles trophiques du même genre. Les observations de plaies de guerre, recueillies par le Dr Mitchell, durant la guerre d'Amérique, et publiées à nouveau dans un ouvrage tout récent *, sont très instructives à cet égard.
B. On connaît aussi ces affections articulaires singulières qui se développent dans les membres frappés d'hémiplégie, par hémorragie ou ramollissement du cerveau, à une cer-taine époque de la maladie, et qui rentrent anatomiquement dans la description de l'arthrite aiguë ou subaiguë.
C. Mais, pour ne parler que de ce qui concerne spéciale-ment la moelle épinière, je crois pouvoir déclarer qu'il n'est peut-être pas une des formes morbides auxquelles elle est assujettie qui ne puisse provoquer, dans certaines circonstan-ces, une affection articulaire relevant évidemment à titre de symptôme de la lésion de ce département des centres nerveux.
On observe surtout ces arthropathies : 1° dans la paraplégie du mal de Pott ; 2° dans la myélite aiguë ; 3° dans certains cas de tumeurs occupant primitivement la substance grise spinale (Gui) ; 4° dans certains cas d'altérations de la sub-stance grise déterminant l'atrophie musculaire progressive
1 S. "Weir Mitchel. — Injuries of Nerves and t/ieir Conséquences. Phila-delphia, 1872. —M. Dastre a publié une traduction française de cet ouvrage. Paris. 1874.
sens, l'arthropathie des tabétiques constitue un genre dans la classe des arthropathies spinales.
(Rosenthal, Remak, Patruban) ; 5° mais le cas où il est le plus facile de montrer la liaison qui existe, suivant moi, entre la lésion spinale et l'affection articulaire c'est celui des lésions traumatiques portant sur la moelle épinière ; je me bornerai à citer deux exemples à l'appui de ce que j'avance.
Dans un cas, relaté par M. Viguès, il s'agit d'une lésion de la moitié latérale gauche de la moelle épinière déterminée par un coup d'épée. 11 se produisit une hémiparaplégie gauche, avec conservation de la sensibilité de ce côté. Vers le dou-zième jour, on remarqua une tuméfaction du membre infé-rieur gauche tout entier, puis une arthropathie du genou correspondant. Enfin, deux jours plus lard, apparut une escarre siégeant sur la partie latérale droite du sacrum et sur la fesse du même côté
Ces accidents pourraient être considérés comme ne consti-tuant qu'une simple coïncidence si on ne les voyait se repro-duire tous avec une régularité admirable, dans d'autres cas ana-logues. Tel est, en particulier, celui que MM. Joffroy et Salmon ont observé et dont voici l'abrégé.
Un homme est frappé d'un coup de poignard qui lèse la moi-tié latérale gauche de la moelle. On vit peu de jours après sur-venir successivement : une paralysie complète du mouvement dans le membre inférieur gauche ; une diminution de la con-tractilité électrique dans tous les muscles de ce membre, indi-quant une souffrance rapide et profonde dans leur nutrition ; des escarres occupant la fesse droite (côté non paralysé du mouvement), bien que le malade reposât parfaitement sur le dos ; enfin, une arthropathie du genou gauche, en tout sem-blable à celle du malade de M. Viguès2.
Ainsi, sans cause déterminante appréciable, il s'est produit
1 Voyez pour plus de détails, Charcot : Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, p. 100, 5e édition.
2 Charcot, loc. «7., p. 101.
VII.
Nous devons nous arrêter maintenant à rechercher quel peut être le mécanisme qui préside au développement de ces arthro-pathies, et quelle est, en particulier, la région de la moelle épinière dont l'altération détermine la lésion articulaire ; car, évidemment toutes les régions du centre spinal ne sauraient être indistinctement mises en cause. Pour en revenir à l'ataxie locomotrice, où cette question a été surtout étudiée, il est clair, que, à priori, l'arthropathie ne pouvait être rattachée à la lé-lésion commune et banale des cordons postérieurs. Il fallait chercher ailleurs.
Par analogie avec ce qui a lieu dans l'atrophie musculaire et dans la paralysie infantile où la lésion trophique musculaire est évidemment liée à une altération des cornes antérieures de la substance grise, j'avais supposé que cette même région de substance grise pouvait être encore le point de départ de la lésion articulaire. Un fait, observé avec M. Joffroy, est venu donner appui à cette supposition. Il en a été de même dans deux autres cas étudiés avec MM. Pierret et Gombault. J'ajoute-rai qu'un certain degré d'atrophie musculaire dans le mem-bre affecté s'observe fréquemment, comme phénomène conco-
là une affection articulaire à type aigu, apparaissant constam-ment quelques jours seulement après la lésion spinale et ac-compagnée d'autres troubles trophiques, tels qu'escarres, mo-difications des propriétés des muscles, troubles trophiques qui ont évidemment la même origine. N'est-ce pas là, Mes-sieurs, des éléments suffisants pour établir que la moelle est, dans ces circonstances, le grand moteur des symptômes ?
\J arthropathie des ataxiques serait, à l'état chronique, le représentant des affections articulaires à type aigu qui éclatent à la suite des lésions spinales aiguës ou subaiguës.
mitant de l'arthropathie, nouvelle circonstance qui semble désigner aussi les cornes antérieures comme siège particulier de la lésion spinale. Je dois cependant, à la vérité, déclarer que, dans un fait tout récent d'arthropathie tabélique, malgré de patientes recherches, l'atrophie des cornes antérieures du côté correspondant à l'affection articulaire n'a pu être reconnue au niveau des points où elle avait été rencontrée dans les cas an-térieurs. Par contre, dans ce cas, les ganglions spinaux étaient très volumineux, évidemment altérés. Il se pourrait donc qu'ils fussent appelés à jouer un rôle dans la production de ces arthro-pathies. Pour ce qui est des nerfs périphériques, on s'est as-suré dans ce dernier cas, comme dans les précédents, qu'ils ne présentaient pas d'altération appréciable. En somme, la ques-tion relative au siège précis de l'altération spinale demeure encore en litige et réclame des investigations nouvelles. Tou-tefois, la subordination de l'affection articulaire à l'affection spinale n'en reste pas moins établie, je crois, par l'ensemble des considérations que je viens de faire valoir devant vous.
Malgré ce desideratum que je viens de signaler, je recom-mande, Messieurs, à toute votre attention, l'arthropathie des ataxiques, comme un fait pathologique et clinique d'une réelle valeur. En ce qui concerne le premier point, il y a là un élé-ment de solution pour un intéressant problème de physiologie. Cliniquement vous apprendrez à connaître une affection qui, si vous vous placez au véritable point de vue, pourra contri-buer à éclairer le diagnostic et à éviter des erreurs regretta-bles. Combien de fois n'ai-je pas vu des personnes non fami-liarisées encore avec cette arthropathie, en méconnaître la véritable nature et toutes préoccupées de l'affection locale, ou-blier même absolument que, derrière la maladie delà jointure, il y a une maladie plus importante dans l'espèce et qui, en réa-lité, domine la situation, — la sclérose des cordons posté-rieurs !
J'en ai fini, Messieurs, avec les considérations que je vou-lais vous présenter relativement à l'ataxie locomotrice. Mon intention ne pouvait être de vous exposer l'histoire complète de l'affection ; j'ai toujours voulu me borner à traiter le sujet d'une manière épisodique, m'attaquant aux points les plus si-gnificatifs ou les moins connus. Ceux d'entre vous, qui ne sont pas déjà versés dans la connaissance des maladies nerveuses pourront d'ailleurs reconstituer ce tableau classique en se re-portant aux nombreuses descriptions qui ont été données dans ces derniers temps et je ne saurais trop leur commander d'en revenir fréquemment à celle qu'a donnée M. Duchenne (de Boulogne), car, après tout, elle reste toujours la meilleure.
Il est un point auquel j'aurais voulu cependant donne; quelques développements si le temps me l'eût permis. C'est celui qui concerne le traitement. Mais, à l'heure qu'il est, dans ce domaine, il n'y a qu'un côté qui soit vraiment neuf et di-gne de nous arrêter je veux parler de l'application thérapeuti-que des courants électriques continus. C'est là un sujet d'au-tant plus digne de votre intérêt que l'application des courante continus est recommandée non seulement dans le traitement de l'ataxie, mais encore dans celui de bien d'autres maladies chroniques de la moelle épinière. On raconte des merveilles de ce moyen au delà du Rhin. Que faut-il penser de ces ré-cits ? Je ne sais encore ; car, pour les apprécier à leur juste valeur, il faut être spécialement versé dans ces matières Heureusement une circonstance favorable s'offre à nous M. Onimus qui, avec un grand zèle et avec une compétence indiscutable, se livre depuis près d'un an dans cet hospice è des recherches d'électrothérapie galvanique, a bien voulu noue promettre que samedi prochain, à l'heure habituelle de no-réunions, il développerait dans une leçon, en mon lieu et place, et bien autrement que je ne l'aurais pu faire, les principes qui doivent diriger dans l'emploi de cet agent. Je ne saurais troj
vous convier, Messieurs, avenir l'entendre 1. Dans huit jours je reprendrai le cours de mes conférences et je traiterai des accidents qui résultent de la compression lente de la moelle épinière.
i La leçon de M. Onimus a été publiée dans la Revue photographique de hôpitaux de Paris, 1872.
DEUXIÈME PARTIE
De la compression lente de la moelle épinière.
Chap.cot. Œuvres complètes, ò. è.
CINQUIÈME LEÇON
De la compression lente de la moelle épinière. — Prodrome anatomique.
Sommaire. — La compression lente de la moelle reconnaît des causes variées. — Importance de son étude.
Causes de la compression. — Tumeurs de la moelle : gliôme, tubercule, sarcome, carcinome, gomme, dilatation kystique de la moelle.
Tumeurs primitivement développées dans les méninges : sarcome, psam-raome, échinocoques, néoplasies inflammatoires (pachyméningite interne, pachyméningite hypertrophique).
Productions morbides nées dans le tissu cellulo-adipeux du rachis: carci-nome, sarcome, hystes hydatiques, abcès.
Lésions vertébrales : hyperostoses syphilitiques, arthrite sèche. — Mal de Pott: mécanisme de la compression delà moelle. — Mal vertébral cancé-reux. — Paraplégie douloureuse des cancéreux.
I.
Messieurs,
Il existe une forme particulière de paraplégie qui résulte de la compression lente que peut subir la moelle épinière en di-vers points de son trajet dans le canal rachidien. Les lésions organiques, capables d'amener ce résultat, sont de nature très différente. Ce sont, par exemple, des néoplasies inflammatoi-res, des tumeurs cancéreuses, sarcomateuses ou tuberculeu-ses, des productions syphilitiques, voire même des tumeurs parasitaires, etc.
Au point de vue de la clinique, ces lésions, d'origines si
variées,doivent être cependant rapprochées les unes des autres, au moins un instant. En effet, les accidents qu'elles occasion-nent, en interrompant le cours des fibres nerveuses dans la moelle, constituent souvent les premiers symptômes qui frap-pent l'attention du médecin et, la paralysie étant donnée, il s'agit pour lui de remonter jusqu'à la cause organique qui l'a provoquée.
C'est à cette espèce de paraplégie que je me propose de consacrer la séance d'aujourd'hui et celles qui suivront. Tou-tefois, avant de vous faire connaître les symptômes particuliers qui la révèlent durant la vie, il me paraît tout à fait indispen-sable de comparer, sous le rapport de L'anatomie et de la physiologie pathologiques, les lésions organiques multiples qui lui donnent naissance. Car, Messieurs, les effets de la compression lente sur le centre nerveux spinal ne varient guère que suivant la région de ce centre qui est intéressée et, en dehors de cette circonstance, ils se montrent toujours à peu près identiques, quelle que soit la cause qui ait déter-miné la compression. Ce n'est donc pas de ce côté qu'il convient de chercher, en général, la révélation de signes dis-tinctifs.
Mais, d'une part, avant d'arriver, par le fait des progrès na-turels de leur évolution, jusqu'à intéresser la moelle et, d'au-« tre part, dans le temps même où elles déterminent une com-pression plus ou moins prononcée de cet organe, les lésions dont il s'agit ont parfois une histoire anatomique et clinique qui leur est propre. Or, c'est surtout cette histoire qu'il sera nécessaire de consulter pour trouver les caractères qui nous permettront de remonter jusqu'à la source du mal.
Ce préambule me dispense, Messieurs, d'insister longue-ment pour faire ressortir à vos yeux l'importance de l'étude à laquelle nous allons nous livrer. Qu'il me suffise de vous rap-peler qu'un bon nombre de lésions organiques que nous allons
II.
Afin d'établir un peu d'ordre dans rémunération qui va sui-vre, nous grouperons les lésions en question d'après le siège qu'elles occupent, au début de leur développement. Pour ce point de vue, il convient de vous remettre en mémoire, d'une manière rapide, les principales dispositions que présente la moelle au milieu du canal rachidien. Vous savez que ce cordon nerveux, recouvert de son enveloppe propre, la pie-mère, est comme suspendu dans une sorte d'étui formé par la dure-mère à laquelle il n'est guère attaché que par l'intermédiaire des racines nerveuses et du ligament dentelé. L'arachnoïde joue le rôle d'une membrane séreuse interposée entre la pie-mère et la dure-mère. Celle-ci, à l'instar de la moelle, est, elle-même, suspendue dans le canal rachidien, canal osseux plus ou moins flexible selon les régions. La dure-mère ne touche nulle part à ce canal, si ce n'est au niveau des trous de conju-gaison qui servent d'issue aux nerfs et à la région cervicale, sur un point qui correspond à la face antérieure de la dure-mère spinale. J'ajouterai que ce contact est tout à fait indirect, médiat, et déterminé seulement par des tractus ligamenteux. Partout ailleurs la dure-mère est séparée des parois osseuses par une couche de tissu adipeux qui livre passage à des artè-res, à des veines et à des nerfs. En définitive, Messieurs, le canal rachidien enclave la moelle et ses enveloppes d'une façon à peu près hermétique, excepté, toutefois, au niveau des trous de conjugaison qui peuvent comme nous le verrons, laisser
passer en revue, sont des plus vulgaires, et, par conséquent, au premier rang dans la clinique usuelle. La carie vertébrale ou mal de Pott, le cancer vertébral, les tumeurs intra-rachi-diennes, peuvent être cités, en effet, parmi les causes les plus fréquentes de la paraplégie par compression lente.
J'ai dû vous rappeler très sommairement ces notions d'ana-tomie topographique parce qu'il n'est peut-être pas une seule des parties que je viens d'énumérer qui ne paisse devenir le siège d'une production morbide, laquelle, parles progrès ulté-rieurs de son évolution, pourra entrer en contact avec la moelle épinière et exercer sur elle une compression plus ou moins accusée.
Il suit de là : 1° que des produits ayant débuté en dehors du canal rachidien pourront s'introduire dans ce canal par la voie des trous de conjugaison ; — 2° que d'autres pourront se déve-lopper : a) dans les os ou le périoste ; b) dans le tissu cellulo-graisseux extérieur à la dure-mère (périméninge ) ; c) aux dé-pens des racines et des troncs nerveux ; d) dans la dure-mère ou dans l'arachnoïde et la pie-mère ; é) enfin dans la moelle elle-même.
III.
Envisageons tout d'abord les produits morbides qui pren-nent naissance dans la moelle elle-même. C'est là, Messieurs, dans l'espèce, un groupe véritablement à part, car le méca-nisme suivant lequel elles engendrent la paraplégie ne peut pas être assimilé sans réserve à celui qui préside à la compres-sion de dehors en dedans. En effet, le plus souvent, les néo-plasies qui composent les tumeurs se substituent lentement aux éléments nerveux plutôt qu'elles ne les compriment méca-niquement. D'un autre côté, vous comprenez sans peine que les effets, dus à la présence de ces tumeurs, se traduisent né-cessairement, dès l'origine, par des symptômes en rapport
pénétrer certains produits pathologiques, nés en dehors de ce conduit osseux.
avec l'interception des fibres nerveuses spinales, tandis que ces phénomènes, dans les cas de productions morbides, nées en dehors de la moelle, ne se manifesteront que tardivement : d'où un premier caractère distinctif que je me contente de relever pour l'instant, et dont nous retrouverons l'application par la suite.
Tumeurs intra-spinales. Nous nous bornerons, au sujet de ces tumeurs, à une brève énumération parce que, en somme, elles sont plutôt rares.
a) Le gliôme vient en première ligne, non en raison de sa fréquence, car c'est une lésion exceptionnelle, mais parce qu'il s'agit là d'une production pour ainsi dire spéciale à la région : en effet, le cerveau et la moelle sont surtout les organes où, jusqu'ici, on l'a rencontré.
Toute tumeur, vous le savez, d'après la loi de Muller, à son paradigme, son type physiologique. Or, ici la névroglie est le tissu normal aux dépens duquel se développe la tumeur dési-gnée sous le nom de gliôme et dont elle reproduit les carac-tères.
Il se présente sous l'aspect de masses molles, grisâtres, rap-pelant par leur coloration et tous leurs autres caractères, la substance grise des centres nerveux où, d'ailleurs, ils naissent de préférence. Les gliômes ne sont pas des tumeurs bien déli-mitées, énucléables ; ils se confondent avec le tissu nerveux par des nuances insensibles. Cependant le gliôme est une tu-meur dans l'acception vulgaire du mot, et c'est là un trait qui le différencie des foyers de sclérose avec lesquels il a tant d'analogies, car les parties qu'il a envahies (dans le cerveau, les couches optiques par exemple) se tuméfient d'une manière re-marquable, tout en conservant leur forme.
Histologiquement, nous retrouvons dans ces tumeurs des caractères qui rappellent la sclérose, car elles sont presque
exclusivement constituées par des éléments nucléaires et cel-lulaires nombreux qui ne sont autres que des myélocites en-globés dans une substance amorphe finement granuleuse. Sous l'influence de l'acide chromique, cette substance amorphe, intermédiaire se décompose, si l'on peut ainsi dire, en une infinité de minces fibrilles, offrant une grande ressemblance avec ce qu'on observe dans la sclérose confirmée. Mais, nulle part, et c'est là une différence fondamentale, on ne reconnaît la disposition alvéolaire propre au réticulum de lanévroglie et, de plus, les éléments nerveux font absolument défaut.
Je n'insisterai pas davantage sur le gliôme car, par rapport à la moelle, son actif se réduit, pour le moment, à trois ou quatre faits plus ou moins incomplets. Je ne puis toutefois m'abstenir de mentionner la particularité suivante : le gliôme est une production très vasculaire et les vaisseaux qui la tra-versent sont plus spécialement sujets à se rompre ; de là des inondations sanguines, variables en étendue, au sein de la tumeur. Ces hémorragies pourront se révéler pendant la vie par des accidents subits et, après la mort, donner le change en faisant croire qu'il s'agit d'une hématomyélie primitive, affection rare et dont la réalité même a pu être mise en doute.
b) Après le gliôme, je citerai le tubercule solitaire qu'il est possible de considérer comme une des tumeurs intraspinales, les plus fréquentes. Il coïncide, en général, avec des tubercules développés dans d'autres organes.
c) Les diverses variétés du sarcome et du carcinome ne se montrent guère d'emblée dans la moelle elle-même.
d) La gomme ou syphilome est aussi un produit morbide peu commun, en tant que tumeur intra-spinale. Il existe dans la science environ trois ou quatre exemples de ce genre et encore sont-ils le plus souvent insuffisamment relatés. J'espère néanmoins vous montrer, Messieurs, à propos d'un fait qui
IV.
Tumeurs primitivement développées dans les méninges. — Messieurs, on peut dire avec M. Gull que la majorité des tu-meurs qui se développent primitivement dans les méninges appartiennent aux néoplasies bénignes. Le carcinome ne figure là que très accessoirement à titre, du moins, de tumeur pri-mitive. C'est sur la dure-mère et principalement sur sa face interne que naissent la plupart des produits morbides, sessiles ou pédicules, qui n'acquièrent pas, d'ordinaire, un grand volume. Leurs dimensions égalent, le plus souvent, celles d'un haricot, d'une cerise, ou tout au plus d'un petit œuf.
Nous mentionnons parmi les plus communes : 1° Les diver-ses variétés de sarcome, comprenant le sarcome fuso-cellu-laire et le sarcome médullaire ou à cellules rondes ; — 2° le psammome ou tumeur arénacée, qui mérite de nous arrêter
s'est offert récemment à mon observation, qu'on peut, les circonstances aidant, reconnaître avec quelque précision durant la vie, la présence dans la moelle d'une lésion syphi-litique.
e) Je ne veux pas abandonner le groupe des tumeurs intra-spinales sans signaler à votre attention la dilatation kystique que présente quelquefois le canal central de la moelle épinière. Dans un cas de Gull, et dans quelques autres, cette lésion s'était traduite, du vivant du malade, par une parésie avec atrophie musculaire des membres supérieurs. La dilatation, dans ces cas, intéressait presque toute l'étendue en longueur du renflement cervical de la moelle. Le dernier phénomène, atrophie musculaire, se comprend aisément, puisque, en se développant, le canal dilaté doit en quelque sorte infaillible-ment déterminer une compression plus ou moins forte des cor-nes antérieures de la substance grise.
un instant, parce qu'il s'agit là d'un produit propre à la ré-gion ; c'est le sarcome angiolithique de MM. Ranvier et Cornil. La tumeur se compose de petits amas calcaires arrondis ou mûriformes, enveloppés de cellules accolées les unes aux autres et qui rappellent, par leur disposition, les globes épider-miques. Le type physiologique est représenté par de petites tumeurs fort analogues qui existent, à l'état normal, à la surface de la dure-mère crânienne et sur les plexus choroïdes. Dans la boîte crânienne, leur volume est rarement assez con-sidérable pour déterminer des symptômes de compression ; mais, dans le canal rachidien, alors même qu'elles n'attei-gnent pas le volume d'un haricot, ces tumeurs, placées à l'étroit entre la dure-mère et la moelle, occasionnent prompte-ment l'aplatissement du cordon nerveux et les phénomènes qui en sont la conséquence.
3° Je ne puis me dispenser de mentionner, en passant, l'exis-tence des e'chinocoques, développés entre le feuillet viscéral de l'arachnoïde et la pie-mère, ainsi que le démontrent différents faits, entre autres ceux de Bartels et d'Esquirol.
4° Enfin, à propos de la dure-mère, j'appellerai votre atten-tion sur des néoplasies inflammatoires capables de donner lieu aux phénomènes de la compression spinale lente, bien qu'il ne s'agisse plus, en pareille circonstance, de tumeurs dans l'acception rigoureuse du mot. Ce sont: t° lapachyméningite interne qui, ici comme dans le crâne, peut devenir le point de départ d'un hématome (cas de Kùhle) 1 ; 2° une forme de la pachyméningite particulièrement fréquente au renflement cer-vical et qu'on pourrait appeler hypertrophique, car elle consiste surtout en un épaississement souvent énorme de cette mem-brane. Communément aussi, les autres méninges participent à l'altération. Le canal membraneux que forment les ménin-ges se rétrécit, la moelle se trouve comme étranglée par ses
1 Kûhle. — Greefswalder medizinische Beitrage, 1 Bd. Dantzig, 1863, p. 8.
V.
De son côté, le tissu cellulo-graisseux du rachis donne éga-lement naissance à des productions morbides qui, en progres-sant, arrivent à comprimer la moelle médiatement, en refou-lant la dure-mère.
J'ai vu plusieurs fois le carcinome occuper cette région dans certains cas de cancer du sein; d'autres tumeurs, et en parti-culier le sarcome, les kystes hydatiques, peuvent y avoir leur siège primitif. Selon Traube, il se forme aussi dans ce tissu cellulo-graisseux des abcès qui, se faisant jour à travers les trous de conjugaison, viendraient apparaître sur les bords du rachis. Mais, en général, c'est une marche inverse que l'on observe : Des tumeurs de diverse nature, nées en dehors du rachis, dans son voisinage cependant, s'avancent vers l'inté-térieur, par le trajet naturel que constituent les trous de con-jugaison et pénètre dans le canal rachidien. Tels sont les kystes hydatiques, signalés par Cruveilhier ; les abcès préver-tébraux, ceux par exemple qui se développent en arrière du pharynx et qu'on désigne quelquefois, en Allemagne, sous le nom d'Angina Ludovici, du nom de l'auteur qui, le premier, les a bien décrits. D'autres fois, ces produits s'ouvrent une voie par un mécanisme différent. Ils s'introduisent dans la cavité rachidienne par un chemin plus large, sinon plus court,
1 Voir Leçon XTV.
enveloppes hypertrophiées qui, elles, subissent à un moment donné une sorte de rétraction s'effectuant par un mécanisme spécial et qui diffère de la compression ordinaire. L'affection qui produit ces accidents n'est pas rare, et il est possible delà reconnaître pendantla vie, àl'aide de certains caractères. Aussi mérite-t-elle, à tous les égards, une étude particulière que nous entreprendrons dans une des séances prochaines *.
en usant et dissociant les vertèbres. Je citerai, à ce sujet, les hydatides et les anévrysmes de l'aorte.
Signalons encore les névromes, les fibromes, les myxomes, développés aux dépens de l'enveloppe conjonctive des nerfs et dont la structure paraît faite sur le modèle du réseau muqueux de la gélatine de Wharton. Ces tumeurs déterminent d'abord la compression des éléments du nerf, puis, se trouvant à l'étroit dans le canal rachidien, elles refoulent la dure-mère, et, par son intermédiaire, pressent la moelle elle-même.
VI.
Lésions vertébrales. J'arrive, Messieurs, au point le plus im-portant, sans contredit, de cette exposition.
1° Je ne parlerai pas des hyperostoses syphilitiques plutôt admises à titre d'hypothèses que d'après une observation ri-goureuse, en tant, au moins, que formant des tumeurs assez volumineuses pour comprimer la moelle.
2° Je me bornerai aussi à mentionner Varthrite sèche des articulations vertébrales interapophysaires, l'hypertrophie de l'apophyse odontoïde entre autres, laquelle dans certains cas rares, très rares même, puisque Adams, qui s'est occupé spé-cialement de cette question, n'en avait jamais rencontré d'exemples, — est susceptible de produire les phénomènes de la compression spinale. Je citerai, pour mémoire, une obser-vation de M. Bouchard, recueillie dans mon service.
3° Mais je m'arrêterai tout particulièrement au mal de Pott (carie vertébrale) et au cancer vertébral. Ces affections peu-vent être comptées, en effet, parmi les causes les plus com-munes des paraplégies organiques, considérées d'une façon générale, et des paraplégies par compression étudiées en par-ticulier. Nécessairement, je n'entrerai pas dans tous les détails que comporterait l'histoire complète de ces affections ; je
m'attacherai d'une manière exclusive aux points qui ont trait le plus directement à la compression que ces lésions ont le pouvoir de déterminer.
A. Je commencerai par le mal de Pott. Chose remarquable ! bien que ce soit là une maladie évidemment très vulgaire, on ne s'entend pas encore sur le mécanisme suivant lequel la moelle est affectée dans le mal de Pott. Ce desideratum a été comblé dans ces derniers temps par un de mes internes, M. Michaud, dans une dissertation inaugurale que je recom-mande à votre attention '.
En général, on admet sommairement que la paraplégie résulte, en pareil cas, de la courbure exagérée et souvent anguleuse que présente le canal rachidien lorsque une ou plusieurs vertèbres se sont affaisées sur elles-mêmes. Mais, ainsi que Boyer et Louis l'avaient constaté, la paraplégie peut disparaître alors que la courbure persiste au même degré. En second lieu, la paraplégie par mal de Pott s'observe sans qu'il y ail la moindre trace de déformation 2. Enfin, et ceci constitue un troisième argument contre l'opinion courante, on sait, et c'est un point sur lequel M. Cruveilhier a insisté, que le rachis peut offrir les déformations les plus extraordi-naires, sans que la moelle soit intéressée.
Voici, Messieurs, d'après nos recherches, comment les choses se passent dans l'immense majorité des cas. Tout d'abord, il est possible qu'un abcès caséeux, formé au niveau des vertèbres malades, repousse le ligament vertébral anté-rieur qui fait alors saillie dans le canal ; mais ce n'est pas là le mécanisme habituel. Le ligament vertébral se dissocie, s'ul-cère et se détruit enfin sur un point de telle sorte — et c'est là un fait que M. Michaud a bien mis en lumière — que le pus
1 Michaud. — Sur la méningite et la myélite dans le mal vertébral, 1871.
2 Cas de M. Liouville.
de provenance osseuse se met en contact avec la face anté-rieure de la dure-mère qui consécutivement s'enflamme à sa manière. 11 se produit là une sorte de pachyméningite externe caséeuse toute spéciale et dont le mode d'évolution a été mi-nutieusement étudié par M. Michaud. C'est bien la surface externe de la dure-mère qui végète et qui prolifère, car la partie moyenne et la face interne restent souvent tout à fait indemnes.
Les produits de l'inflammation dissocient ces couches super-ficielles et, conservant une certaine cohérence, viennent con-stituer une espèce de champignon plus ou moins volumineux qui est, en réalité, l'agent de la compression. Dans la profon-deur, les éléments embryoplastiques sont encore parfaitement reconnaissables par l'analyse histologique ; à la surface, ils ont subi la métamorphose caséeuse. Cette inflammation se propage sur la dure-mère, d'avant en arrière; mais, rarement, le champignon forme un anneau parfait, de telle sorte que la moelle ne paraît comprimée que sur une partie de sa surface extérieure.
Il va sans dire que les troncs nerveux dans leur trajet à tra-vers des parties ainsi altérées de la dure-mère sont, à leur tour, le siège de lésions plus ou moins considérables et qui se seront traduites, durant la vie, par des symptômes propres : c'est là une notion que nous utiliserons par la suite.
B. A côté du mal vertébral de Pott, je placerai le mal verté-bral cancéreux. Plus rare que le mal de Pott, le cancer verté-bral se présente cependant assez fréquemment encore dans la clinique. Nous le rencontrons assez souvent à la Salpêtrière, placés que nous sommes dans des conditions d'observation à la vérité toutes spéciales.
Rarement primitif, le cancer vertébral se montre en parti-culier à la suite du cancer du sein, principalement quand
celui-ci revêt les formes dures du carcinome. On l'observe aussi consécutivement au cancer rénal, au cancer gastrique, à la dégénération cancéreuse des masses ganglionnaires pré-vertébrales, soit à titre de manifestation secondaire ou par le fait d'une sorte de propagation de proche en proche et pour ainsi dire directe.
Le cancer vertébral a été l'objet de travaux importants. Je citerai, entres autres, ceux de G. Hawkins, Leyden, Cazalis, mes recherches personnelles et enfin la thèse de M. L. Tri-pier qui a été faite surtout avec les documents puisés dans cet hospice *. Voyons, maintenant, comment se comporte anato-miquement le cancer vertébral.
Il est des cas où les noyaux cancéreux développés en petit nombre au sein des corps vertébraux demeurent absolument latents, cette variété du cancer vertébral est très commune ; mais ce n'est pas celle-là qui doit nous intéresser dans cette leçon.
D'autres fois, le corps des vertèbres, infiltré dans son ensem-ble, par la néoplasie, se ramollit et s'affaisse sous le poids du corps. Cet affaissement s'opère souvent sans qu'il survienne une déviation bien accusée, particularité qui a une certaine importance. Dans d'autres cas, on remarque une courbure arrondie, à grand rayon, bien différente de celle du mal de Pott.
L'infiltration cancéreuse ne se borne pas d'ailleurs aux corps vertébraux; elle envahit les lames et les apophyses. Dans de tels cas, les vertèbres sont parfois molles comme du caoutchouc. Une des conséquences les plus graves de cet état de choses sera la compression des troncs nerveux en plus ou moins grand nombre, à leur passage à travers les trous de conjugaison, par un mécanisme sur lequel j'ai déjà insisté.
1 Tripier (L.). — Du cancer de la colonne vertébrale et de ses rapports avec la paraplégie douloureuse, 1866.
Cette compression, remarquez-le bien, pourra exercer ses effets sans que la moelle soit en cause et c'est de la sorte que se produit l'ensemble symptomatique que j'ai proposé de dési-gner sous le nom de paraplégie douloureuse des cancéreux, car non seulement les nerfs ainsi comprimés sous le poids de la colonne vertébrale sont le point de départ de douleurs très vives, mais encore ils peuvent amener un affaiblissement de la puissance musculaire dans les membres auxquels ils se rendent, affaiblissement qui est lui-même suivi, à la longue, d'une atrophie plus ou moins prononcée des muscles.
La compression, l'irritation des nerfs sont fréquemment en jeu et à un haut degré dans le cancer vertébral. Elles existent aussi dans le mal de Pott, mais moins accusées, plus circon-scrites et s'effectuant, à la vérité, par un autre mécanisme. En pareille circonstance, l'irritation des nerfs est occasionnée par leur passage à travers des points enflammés de la dure-mère. La compression des nerfs peut se produire aussi dans les cas de tumeur ou de néoplasie inflammatoire ayant pris naissance dans les méninges : c'est donc là un élément qui se montre en proportions variées, dans tous les cas de lésions organiques qui, développées en dehors de la moelle, produi-sent, dans une de leurs phases, la compression de cet organe. Seules, les tumeurs développées primitivement dans les parties centrales de la moelle, échappent à cette loi, parti-cularité dont il faudra tenir compte à propos du diagnos-tic.
Mais revenons, Messieurs, au cancer vertébral. La com-pression des troncs nerveux par le mécanisme qui vient d'être indiqué n'est par tout. Il s'y surajoute ordinairement telle cir-constance qui aura pour conséquence d'entraîner la participa-tion de la moelle. Les masses cancéreuses font issue en dehors du corps des vertèbres ; elles gagnent le périoste, la
Charcot. Œuvres complètes, t. ii.
dure-mère qui, la plupart du temps, oppose un obstacle bien-tôt vaincu, et ainsi la moelle se trouve intéressée. Il y a bien d'autres combinaisons encore, mais je pense que les explica-tions qui précèdent suffiront pour vous faire connaître le fait le plus habituel.
SIXIÈME LEGÓN
o
De la compression lente de la moelle épinière. — Modi-fications anatomiques dans les cas qui se terminent par la guérison. — Symptômes. — Des pseudo-névral-gies. — De la paraplégie douloureuse des cancéreux.
Sommaire. — Modifications anatomiques que subit la moelle au niveau du point comprimé. — Changements de forme ; ramollissement, indura-tion. — Myélite interstitielle. — Scléroses consécutives ascendante et des-cendante. — Les fonctions peuvent se rétablir malgré l'existence de lésions profondes. — Régénération des tubes nerveux au niveau du point com-primé .
Des symptômes. — Symptômes extrinsèques, symptômes intrinsèques. — Anatomie topographique de la région vertébrale.
Des symptômes extrinsèques: pseudo-névralgies. — Des pseudo-névral-gies dans les cas de tumeurs rachidiennes, de mal de Pott et dans le mal vertébral cancéreux.
Paralysie douloureuse des cancéreux. — Douleur ; ses caractères : par-oxysmes. — Hyperesthésie tégumentaire. — Éruption de zona sur le tra-jet des nerfs douloureux ; anesthésie cutanée circonscrite ; atrophie et. contracture musculaires partielles. — Déformation de la colonne vertébrale. — Difficultés du diagnostic dans certains cas : osteomalacic, pachy-ménin-gite cervicale hypertrophique, irritation spinale, etc.
Messieurs,
Vous savez comment, dans la dernière séance, nous avons passé en revue les principales lésions organiques qui peuvent déterminer la compression lente de la moelle épinière. Actuel-lement, il nous faut étudier les effets que cette compression produit sur la texture de la moelle.
I.
Examinons d'abord ce qui se passe sur la moelle épinière au niveau du point où elle est comprimée.
Il est possible que, dans les premiers temps, il n'y ait là qu'une compression simple, sans modification autre que celle qui résulte de la pression exercée sur les parties. C'est ce qui a eu lieu très certainement dans les deux cas suivants. Dans le premier, rapporté par Ehrling, la compression était due à une luxation d'une vertèbre cervicale. La réduction fut opérée et, au bout de huit jours, tous les symptômes de compression s'étaient dissipés. — Le second cas, communiqué par M. Brown-Séquard, concerne un individu qui était atteint de mal de Pott et chez lequel se manifestèrent tout à coup les symptômes de compression marqués par une paraplégie com-plète : l'application d'un appareil prothétique convenable fit disparaître, en cinquante heures, toute trace de paralysie. Dans ces deux cas, assez exceptionnels, d'ailleurs, la com-pression s'est opérée brusquement. Ils diffèrent, par consé-quent, de ceux qui doivent nous occuper d'une manière spéciale.
Les nombreuses observations que nous avons faites avec M. Michaud, dans le courant des deux dernières années et relatives soit à des tumeurs, soit au mal de Pott, nous ont toujours montré, même à une époque voisine du début des accidents, une altération de texture plus ou moins profonde, en plus du changement de forme causé par la compression.
Il ne s'agit pas là, Messieurs, de phénomènes purement mécaniques ; la moelle réagit à sa manière et s'enflamme tôt ou tard sous l'influence de la compression quelle qu'en soit d'ailleurs la cause. C'est là un fait qui, je l'espère, sera faci-lement mis hors de doute.
On a quelquefois parlé d'un ramollissement, par ischémie comparable à celui que produit l'oblitération artérielle et qui surviendrait dans la moelle épinière au niveau du point com-primé. M. L. Tripier a signalé cette lésion secondaire dans le cas de cancer de la colonne vertébrale. Mais c'est là, sans doute, un fait rare, et je dois ajouter, d'ailleurs, que l'examen anatomique tel qu'il a été pratiqué dans ce cas, n'est pas à l'abri de la critique, la moelle n'ayant été étudiée qu'à l'état frais, et non à la suite des durcissements qui seuls peuvent mettre bien en évidence les hyperplasies conjonctives.
De fait, d'après mon observation, l'œil nu montre tantôt un ramollissement, tantôt une induration avec ou sans chan-gement de couleur de la région malade de la moelle. Mais l'examen microscopique, pratiqué sur des coupes après dur-cissement, fait toujours reconnaître, sur le point comprimé, l'existence d'une myélite transverse interstitielle, rappelant les caractères de la sclérose et accompagnée d'une destruction plus ou moins complète des tubes nerveux.
Je vous présente une planche où vous pourrez reconnaître les altérations qu'offrait la moelle au niveau du point com-primé, chez une femme atteinte de mal de Pott; cette femme a succombé par le fait d'une maladie intercurrente dans le temps même où la paraplégie consécutive, qui datait de près de deux ans, était des plus prononcées. (Yoyez Planches II et III.)
La névroglie paraît transformée en un tissu conjonctif dense et résistant. Les trabécules qu'elle constitue sont ordinaire-ment épaissies. Pour la plupart, les cylindres de myéline des tubes nerveux ont disparu, et on trouve à leur place des amas de granulations graisseuses agglomérées sous forme de corps granuleux. — Beaucoup de cylindres axiles ont persisté ; quelques-uns même paraissent avoir subi une augmentation de volume.
II.
Myélite transverse avec sclérose consécutive ascendante et descendante, tels sont, Messieurs, en résumé, les effets pour ainsi dire nécessaires de la compression lenle de la moelle, soit qu'il s'agisse du mal de Pott, du cancer, de tumeurs de tout genre, ou même encore de tumeurs intra-spinales.
Une question se présente ici : La désorganisation si accu-sée, dont il a été question plus haut, est-elle au-dessus des
En somme, nous retrouvons là des caractères qui se ren-contrent dans certains cas de myélite transverse primitive subaiguë ou chronique.
Mais, les lésions spinales, dans la compression lente, ne restent pas confinées au point comprimé ; elles s'étendent suivant des lois bien connues depuis les travaux de Tiïrck, au-dessus et au-dessous de ce point, le long de certains fais-ceaux de la moelle : au-dessus, elles intéressent les cordons postérieurs et au-dessous les cordons latéraux. Enfin, la lésion ne porte que sur une moitié latérale de la moelle, si la com-pression est elle-même hémilatérale.
Ces lésions secondaires sont-elles d'abord purement pas-sives, analogues à celle que détermine la section d'un nerf? Je ne saurais le dire. Toujours est-il qu'elles se montrent, ainsi que je l'ai fait voir, dans les cas de myélite primitive c'est-à-dire là ou la compression ne peut guère être invoquée. Toujours est-il aussi, — et c'est là une particularité impor-tante, — que, à un moment donné, les lésions en question se présentent dans les cordons envahis avec tous les caractères de la sclérose interstitielle. Il ne s'agit donc pas seulement d'une dégénération ascendante et descendante dans l'accep-tion rigoureuse du mot, mais d'une véritable sclérose ou myélite scléreuse fasciculée consécutive.
ressources de la nature et de l'art? Une moelle aussi profondé-ment altérée ne peut-elle pas reprendre en tout ou en partie ses fondions, en même temps, bien entendu, qu'elle récupé-rerait, la cause comprimante venant à cesser, tout ou partie de sa texture normale ?
Il n'est pas douteux que cela puisse avoir lieu pour le mal de Pott et très vraisemblablement il en serait de même pour le cas des tumeurs s'il n'était de la nature de celles-ci de ne point rétrograder.
La curabilité du mal de Pott, bien établie en particulier par MM. Bouvier et Leudet \ dans les cas mêmes où elle entraîne la paraplégie, permettait déjà de prévoir qu'il en serait ainsi.
A la vérité, quelques auteurs classiques semblent croire qu'une fois déclarée, la paraplégie, par mal de Pott, ne rétro-grade guère ; ils signalent seulement les cas dans lesquels la paralysie des membres supérieurs, après avoir été plus ou moins prononcée, s'amende ou disparaît même complète-ment, à mesure que se développe sur un point du corps un abcès par congestion.
Ces assertions vous donneraient, Messieurs, une très fausse idée de l'avenir de la paraplégie par mal de Pott. Il est notoire, dans cet hospice, que la paraplégie par mal de Pott guérit souvent, le plus souvent peut-être, dans les conditions où nous l'observons, alors même que les symptômes qui ne permettent pas de douter de l'existence d'une myélite invé-térée, se sont manifestés de la manière la plus évidente et datent déjà de loin.
Je ne saurais dire si le mal de Pott, qui guérit en pareil cas, appartient plus spécialement à l'une ou à l'autre des formes décrites par M. Broca. Tout ce que je puis affirmer c'est qu'il s'agit là de sujets qui ont surmonté les premières phases du
1 Leudet. — Curabilité des accidents paralytiques consécutifs au mal ver-tébral de Pott. (Soc. de biolog., 1862-63, t. IV, p. 101.)
mal, et dont la santé générale est satisfaisante. Ce que je puis assurer aussi, c'est qu'aucune de ces malades n'a eu d'abcès visibles à l'extérieur. En dehors de cela, je le répète, la para-lysie peut s'être montrée aussi complète que possible, accom-pagnée d'insensibilité, de contracture permanente, et avoir persisté sans amendement pendant des mois ou des années même.
Je puis vous présenter deux malades chez lesquelles cet heureux résultat a été obtenu. L'une d'elles a été complète-ment paralysée des membres inférieurs pendant dix-huit mois, l'autre durant près de deux ans. Toutes les deux, naturelle-ment ont conservé leur gibbosité ; mais toutes les deux ont retrouvé l'entier usage de leurs membres inférieurs : depuis deux ou trois années, elles marchent sans fatigue et peuvent faire de lohgues courses. Elle ne conservent pas, en d'autres termes, le moindre reliquat de leur paraplégie. J'ai observé déjà, soit dans cet établissement, soit ailleurs, cinq ou six faits semblables. En pareille circonstance, la guérison me paraît due à l'intervention de l'art : c'est à la suite de l'appli-cation de pointes de feu sur la gibbosité, de chaque côté des apophyses épineuses, que survient la guérison. Je ne crois pas qu'on puisse voir là, dans tous les cas, une simple coïnci-dence ; c'est en quelque sorte un résultat prévu, annoncé.
Eh bien, dans quel état a été la moelle au niveau du point comprimé chez ces sujets, ou mieux dans quel état est-elle encore ? Je crois pouvoir vous donner à ce sujet des éclaircis-sements satisfaisants. Les altérations que nous avons obser-vées chez une femme nommée Dup.., qui a succombé récem-ment à une coxalgie, alors que sa paraplégie était guérie depuis plus de deux ans, serviront à la démonstration.
La moelle, chez cette femme, au niveau du point où avait eu lieu la compression, en conséquence du mal de Pott, n'é-tait pas plus grosse que le tuyau d'une plume d'oie et corres-
pondait sur une coupe au tiers environ de la surface de section d'une moelle normale examinée dans la même région. Sa consistance était très ferme, sa couleur grise ; en un mot, la moelle avait toutes les apparences de la sclérose la plus avan-cée (Pl. III, Fi g. 1).
Au-dessus et au-dessous de ce rétrécissement, les faisceaux blancs, dans le sens des dégénérations secondaires, étaient occupés par des tractus gris.
Entre ces apparences que sur le point rétréci la moelle donne lorsqu'on l'examine à l'œil nu seulement et les phéno-mènes observés durant la vie, il existe, semble-t-il, une con-tradiction bien frappante et bien singulière. Le retour des fonctions, nous l'avons dit, était parfait au moment de la mort et, à ce moment cependant, la moelle, à ne tenir compte que des renseignements fournis par l'étude microscopique, était le siège de lésions tellement profondes qu'elle paraissait litté-ralement interrompue sur un point de son trajet par un cor-don d'aspect scléreux et où l'on aurait pu croire que toute trace de tubes nerveux avait disparu.
L'histologie nous montre que la contradiction n'est pas réelle. La substitution conjonctive n'est ici qu'apparente. Au sein des tractus fibreux très denses, très épais, à la vérité, et qui communiquent à la moelle sa coloration grise et sa con-sistance dure, le microscope fait découvrir une assez grande quantité de tubes nerveux, munis de leur cylindre d'axe et de leur enveloppe de myéline et par conséquent très réguliè-rement et très normalement constitués.
C'est par l'intermédiaire de ces tubes nerveux que s'effec-tuait, pendant la vie, la transmission normale des ordres de la volonté et des impressions sensitives.
Mais ici nous rencontrons plus d'une difficulté sérieuse.
En premier lieu, comment s'est produite la réparation de ces tubes nerveux qui ont rétabli les communications ner-
III.
Nous sommes maintenant en mesure d'étudier avec fruit les symptômes qui résultent de la compression lente de la moelle épinière. Mais, au seuil même de la question, la néces-sité se présente, pour nous, d'établir une distinction impor-tante. Les symptômes, qui se rattachent directement aux effets de l'interruption du cours des fibres nerveuses dans la moelle, ne s'observent presque jamais, dans la clinique, complète-ment isolés. A peu près toujours, il s'y surajoute des phéno-mènes dont le caractère varie suivant la nature de la lésion organique qui est enjeu. Et, Messieurs, la connaissance appro-fondie de ces phénomènes est du plus haut intérêt pour le
veuses entre Je segment supérieur et le segment inférieur de la moelle épinière? S'est-il agi là d'une reproduction de tou-tes pièces, ou seulement de la réapparition du cylindre de myéline autour des cylindres axiles dénudés ?
D'un autre côté, ainsi que je vous l'ai fait remarquer, la surface de section du tronçon de moelle rétréci représentait à peine, en diamètre, le tiers de la surface d'une moelle nor-male, considérée dans le même point. — Le nombre des tubes nerveux était en conséquence, dans le point comprimé de la moelle, bien au-dessous du taux normal. J'ajouterai que la substance grise n'était plus représentée en ce point que par une des cornes de substance grise où l'on ne retrouvait qu'un petit nombre de cellules nerveuses intactes. Cependant, ces conditions, en apparence si défavorables, avaient suffi, je le répète, au rétablissement complet de la sensibilité et du mou-vement dans les membres inférieurs.
Ce sont là autant de problèmes de physiologie pathologi-que que je ne suis pas à même de résoudre, pour le moment, et que je me borne à offrir à vos méditations.
IV.
Nous désignerons, pour plus de commodité, sous le nom de symptômes extrinsèques, les phénomènes qui s'entremêlent avec les symptômes particuliers de la compression spinale. A ces derniers, nous réserverons spécialement le nom de symp-tômes intrinsèques. Occupons-nous tout d'abord des premiers.
Afin de faciliter la connaissance de ces symptômes extrinsè-ques et pour mieux comprendre leur raison d'être, reportons-nous à l'étude topographique de la région où se produisent tous les accidents que nous allons avoir à décrire.
En procédant de dehors en dedans, nous rencontrons, après les parties molles extra-rachidiennes, abondamment pourvues de nerfs, les diverses pièces de la colonne vertébrale, dans lesquelles se distribuent des filets nerveux en assez grand nombre et qui peuvent devenir, dans l'état pathologique, le siège de douleurs vives. Puis vient la couche cellulo-grais-seuse (périméninge) où pénètrent par les trous de conjugai-son des filets nerveux multipliés qui accompagnent les sinus vertébraux [rami sinus vertébrales, Luschka).
Plus profondément nous trouvons les enveloppes de la moelle. En premier lieu se présente la dure-mère. Purkinje, Kôlliker, Luschka la disent privée de rameaux nerveux ; Ru-
clinicien, car c'est elle qui fournit, dans l'immense majorité des cas, les éléments du diagnostic. En effet ainsi que je vous le faisais remarquer dans la dernière séance, les conséquences propres à la compression spinale sont toujours les mêmes, quelle qu'en soit la cause. Ils ne changent guère, en défini-tive, que suivant le degré de la compression et suivant qu'elle s'exerce sur telle ou telle région de la moelle. Ce n'est donc pas de ce côté, vous le voyez, qu'il faut espérer trouver des caractères distinctifs.
diriger, au contraire, assure qu'elle en possède. Toujours est-il que, d'après Haller et Longet, la dure-mère est insensible à l'état normal ; mais, par contre, il est certain, d'après Flou-rens, que, dans l'état pathologique, c'est-à-dire lorsqu'elle est enflammée, la dure-mère peut devenir le siège de douleurs vives. Quant à Yarachnoïde, elle n'a pas de nerfs à elle pro-pres. En revanche, la pie-mère en possède un grand nombre.
Ce n'est pas tout encore. La moelle paraît jusqu'à un cer-tain degré douée de sensibilité dans les cordons postérieurs, si l'on en juge tout au moins par les conditions expérimentales.
Vous comprenez, Messieurs, par cet exposé sommaire, que les diverses parties que nous venons d'énumérer pourront toutes traduire leur souffrance par des douleurs plus ou moins vives. Toutefois, j'ai négligé à dessein jusqu'ici le point le plus important.
De la moelle épinière partent les racines antérieures et pos-térieures qui traversent la pie-mère, l'arachnoïde et enfin la dure-mère, se réunissent à ce moment-là, pour former les troncs originels des nerfs mixtes, lesquels cheminent pendant un certain temps dans les canaux de conjugaison avant de s'é-panouir au dehors. Or, toutes ces parties sont éminemment sensibles, les racines antérieures exceptées, et c'est justement de l'irritation qu'elles subissent par le fait de la compression que dérivent les plus intéressants de ces symptômes extrinsè-ques qui s'offrent à notre étude.
V.
Sans négliger les renseignements très dignes d'attention que nous fourniraient : Io la présence d'une tumeur extra-ra-chidienne (anévrysme, tumeur hydalique) ; 2° la constatation d une déformation de la colonne vertébrale, se présentant avec des caractères variés suivant qu'il s'agit, par exemple, du mal
de Pott ou du cancer vertébral ; 3° sans négliger enfin l'exis-tence d'une douleur locale correspondant au lieu où siège la lésion et dépendant de l'irritation des os ou de celle des mé-ninges, — c'est surtout aux symptômes résultant de l'irrita-rion des racines ou des nerfs périphériques qu'il faut nous attacher. Car c'est leur présence surtout qui impose aux diver-ses formes de la compression spinale lente une physionomie à part. Ils font défaut, en effet, c'est la règle, dans le cas où, soit des tumeurs, soit encore d'autres lésions se développent primitivement dans l'épaisseur de la moelle épinière. Aussi M. Cruveilhier a-t-il pu dire avec raison que la douleur vive est un symptôme des lésions extra-spinales et qui fait défaut dans les cas de lésions intra-spinales. Bien que, ici comme ailleurs, les exceptions ne soient pas rares, la règle persiste, M. Gull est de cet avis quand il déclare, lui aussi, que c'est là un fait ca-ractéristique.
D'après ce qui précède, Messieurs, ces symptômes devan-cent toujours — notez ce point, parce qu'il ne manque pas d'importance — l'apparition des symptômes intrinsèques, de telle sorte que souvent, pendant un temps fort long, ils com-posent à eux seuls toute la maladie, ou pour mieux dire toutes les apparences extérieures de la maladie. C'est là une circon-stance capable de devenir l'occasion, dans la clinique, d'une foule d'erreurs qu'il faut s'efforcer d'éviter. Qu'il me suffise, à l'appui de cette assertion, de vous rappeler, par exemple, les difficultés du diagnostic de la carie vertébrale à ses débuts.
Les symptômes dus à l'irritation des racines nerveuses ou des nerfs périphériques sont d'ailleurs constants, ou peu s'ei faut, et vous le comprendrez aisément si vous voulez bien re-marquer qu'à un moment donné une tumeur extraspinale, quel qu'en soit le point de départ, ne peut manquer de ren-contrer les racines nerveuses ou les nerfs mixtes dans leur
VI.
On désigne communément sous le nom de pseudo-névral-giquesles symptômes en question ; mais, en réalité, il s'agit là, presque toujours, du moins à une certaine époque, d'une véritable névrite, comparable, à tous égards, à celle qui naît et progresse sous l'influence d'une lésion traumatique. Le ca-ractère de la douleur est le même (Buming pains). L'absence de points douloureux exagérés par la pression, un des carac-tères objectifs des névralgies, est aussi à noter. Enfin se mani-feste la série des troubles trophiques qui n'appartiennent guère aux névralgies proprement dites ; tels sont, par exem-ple, du côté de la peau, le zona, les bulles pemphigoïdes, les escarres même, et, du côté des muscles, l'atrophie plus ou moins rapide, la paralysie, la contracture. Au reste, la nature inflammatoire de la lésion nerveuse a été plusieurs fois nette-ment constatée, entre autres par M. Bouvier, dans le mal de Pott, et par moi-même dans le mal vertébral cancéreux.
VII.
Mais, laissons, Messieurs, ce point de vue général pour descendre dans le concret et montrer l'intérêt qui s'attache dans la clinique à l'étude de ces symptômes. Nous les exami-nerons successivement dans les trois groupes principaux qui suivent : 1° Tumeurs intra-rachidiennes ; — 2° mal de Pott ; —
trajet intra-rachidien et d'en déterminer la compression, c'est-à-dire l'irritation, au moins dans les premiers temps.
En ce qui concerne les tumeurs exlra-rachidiennes qui ten-dent à s'avancer vers la moelle, elles amènent un résultat analogue, en produisant l'irritation des cordons nerveux après leur sortie du rachis (anévrysme aortique, hydatides).
3° cancer vertébral. Il sera facile ensuite d'appliquer, dans une certaine mesure, aux autres formes, les résultats que va nous fournir cette première étude.
Le principe, d'ailleurs, est toujours le même, quel que soit le point de départ de la douleur : celle-ci s'irradie suivant la direction des nerfs dont les origines sont affectées, irritées, comprimées, et elle se conforme, en général, à la loi de sen-sation périphérique. A la pression, on observe quelques va-riétés : tantôt la douleur se montre circonscrite dans une région plus ou moins limitée ; tantôt, au contraire, le trajet nerveux paraît affecté dans toute l'étendue de son parcours.
A. Tumeurs intra-rachidiennes. — La douleur pseudo-né-vralgique précède, ici, comme c'est la règle, le développement des symptômes myélitiques proprement dits. Les nerfs voi-sins de la tumeur sont comprimés les premiers ou, pour mieux dire, la moelle peut être comprimée pendant un cer-tain temps avant d'être irritée et de manifester sa souffrance par des symptômes propres, tandis que lesnerfs, eux, semblent répondre presque immédiatement à l'action de la cause irri-tante.
En pareille occurrence, la douleur occupe souvent une région très limitée : c'est un point, une ligne qui sont douloureux et non pas une surface. Le domaine où règne la douleur est, toutes choses égales d'ailleurs, d'autant plus circonscrit que la tumeur est moins volumineuse.
La douleur, bien entendu, siège à droite si la tumeur est à droite ; elle siège à gauche si la tumeur est à gauche ; elle est bilatérale — ce qui n'est peut-être pas le cas le plus commun — quand la production morbide presse également les racines nerveuses des deux côtés de la moelle.
A l'appui de ces assertions, je crois bon, Messieurs, de citer brièvement quelques exemples :
1° Dans le cas d'une malade, observée dans cet hospice et
nommée Grill___, il s'agissait d'un sarcome de la périméninge
lequel pénétrait dans un trou de conjugaison du côté gauche et s'était étendu jusqu'à la plèvre correspondante : il avait existé chez cette malade un point douloureux fixe à gauche, sur le thorax, plusieurs mois avant que les fourmillements des mem-bres inférieurs, qui ont inauguré la paraplégie, se fussent ma-nifestés.
2° J'emprunte l'exemple qui va suivre à un auteur anglais, M. Ceyley La tumeur— un psammome — siégeait au niveau de la onzième vertèbre dorsale et comprimait la moelle. Le malade avait accusé constamment un point douloureux, fixé vers la fosse iliaque gauche, pendant les six mois qui précédè-rent la première apparition des fourmillements dans les mem-bres inférieurs. Le siège particulier du point douloureux chez le sujet trouve son explication dans ce fait que le dernier nerf intercostal que comprimait la tumeur, fournit des branches terminales se rendant au voisinage de la crête iliaque.
3° Dans un cas rapporté par M. Bartels2, il s'agissait d'une tumeur hydatique intra-rachidienne comprimant la moitié gau-che de la partie inférieure du renflement cervical. Pendant trois mois, on n'observa pour tout symptôme que des douleurs s'irradiant dans le bras, la main et l'épaule du côté gauche, et accompagnées d'un sentiment de constriction à la base du cou. Ce ne fut qu'au bout de ce temps que survinrent des fourmil-lements dans le pied gauche et bientôt après les autres symp-tômes de compression spinale.
On comprend que tel ou tel autre nerf, le sciatique par exemple, puisse être affecté de la même façon : cela dépend du lieu occupé par la tumeur. Peu importe, du reste, le siège
1 Ceyley. — Pathological Society, t. XVII, p. 25, 1868.
2 Bartels. — Ein F ail von Echinococcus innerhalb des sakes der Dura mater spinalis (Deutsches Archiv fur klinische Medicin, vol. V, p. 180, 1869.)
de la douleur irradiée. Ce qui est important, c'est que, à un moment donné, le symptôme en question, bien et dûment constaté parmi les prodromes, suffirait pour différencier la pa-raplégie dérivant de la compression lente d'une affection spi-nale primitive.
B. Des pseudo-névralgies dans le mal de Pott. — Nous ne ferons qu'effleurer la description des pseudo-névralgies dans le mal de Pott, non pas qu'elles ne méritent point notre atten-tion, mais c'est que, pour traiter à fond une telle question, il nous faudrait entrer dans de nombreux faits de détail dont l'intervention serait indispensable. Là, en effet, est en grande partie l'histoire de la carie vertébrale latente et vous n'ignorez pas quelles difficultés on rencontre pour le diagnostic dans les premiers temps de la maladie.
La condition organique n'est pas ici complètement élucidée. Il est vraisemblable qu'elle est variable : tantôt la lésion du nerf siège au niveau de la dure-mère ; tantôt elle est dans le trou de conjugaison. Ce dernier cas est plus rare, s'il est exact, comme plusieurs auteurs l'avancent, que les trous de conju-gaison dans le mal de Pott ne s'affaissent jamais assez pour comprimer les nerfs qui les traversent. Qu'il me suffise, Mes-sieurs, de vous dire que, selon le siège du mal vertébral, la douleur en ceinture ou l'apparence d'une névralgie brachiale, sciatique, précède souvent de longtemps la première appa-rition des symptômes spinaux proprement dits.
Les accidents qu'entraînent les pseudo-névralgies, chez les malades atteints de carie vertébrale, peuvent aller jusqu'à produire des éruptions cutanées, telles que le zona ainsi que cela s'est vu dans un cas rapporté par M. Wagner 1 et dans un autre cas rapporté par M. Michaud 2, ou l'atrophie musculaire
1 E. Wagner. — Ârchiv. der Hdlkunde, 4 heft. 1870, p. 331.
2 Loc. cit.
Alors, celle-ci peut se montrer sans paralysie proprement dite ; suivant M. Benedickt \ la contractilité électrique peut être conservée en même temps que la sensibilité électrique est accrue, particularité qui semble prouver que l'atrophie muscu-laire est bien ici la conséquence d'un travail d'irritation.
C. Mais c'est principalement sur l'étude des pseudo-névral-gies, liées au mal vertébral cancéreux, que je veux concentrer toute votre attention. Il y a plusieurs motifs qui m'y décident. En premier lieu, c'est là un ordre de faits peu connus encore, ou au moins mal connus, mal interprétés, en dépit des travaux nombreux qui ont été publiés sur la matière. En second lieu, la connaissance de ces faits est, ainsi que j'espère vous le dé-montrer, d'une très grande importance dans la pratique. Enfin, faut-il le dire, c'est une question d'intérêt tout local. C'est en effet dans cet hospice qu'ont été entreprises en France les premières études sérieuses sur ce sujet : les pre-miers jalons ont été posés par mon maître et ami M. Cazalis. C'est lui, je le répète d'autant plus volontiers qu'on paraît l'avoir oublié dans un article récent, qui a fait connaître la raison anatomique et physiologique de cette espèce particulière de pseudo-névralgie en établissant qu'elle résulte de la pres-sion qu'éprouvent les troncs nerveux dans les trous de con-jugaison, et qu-'elle ne dépend pas, comme beaucoup de per-sonnes semblent encore le croire aujourd'hui, de la compression exercée sur la moelle épinière. Les travaux de M. L. Tripier 2, ceux de M. Lépine 3, ont complété, en y ajoutant quelques traits importants, mes premières observations, lesquels datent de 1865 4. Mais nous avions été devancé à l'étranger par
1 Électrothérapie, t. II, p. 316.
2 Tripier (L.) — Du cancer de la colonne vertébrale et de ses rapports avec la paraplégie douloureuse, 1ü67.
3 Lépine (R.) — Bull, de la Soc. anat., 1867.
4 Gharcot. — Sur la paraplégie douloureuse et sur la thrombose artérielle
Charcot. Œuvres complètes, ?.?. 8
M. Hawkins 1 et par M. Leyden 2 dont je ne connaissais pas, lors de la publication de mon mémoire, les travaux du reste fort remarquables, je relèverai seulement que ces auteurs ne parlent aucunement du mécanisme de la lésion, non plus que du mode de production des symptômes qu'elle détermine.
Ici, plus qu'ailleurs, la distinction entre les phénomènes pseudo-névralgiques, et les symptômes de compression spinale lente est de la plus haute valeur. De plus, parmi les pseudo-névralgies, il y a lieu de distinguer une espèce particulière qui prête, dans le cas où elle existe, une physionomie propre à la maladie. C'est lorsqu'il s'agit de cette forme-là, et de celle là seulement, qu'il est juste de dire avec Hawkins, Gull el Leyden, que les douleurs, dans le cancer vertébral, sont presque caractéristiques. Elles le sont, en réalité, alors jusqu'à un certain point, car elles ne se présentent guère avec le même caractère que dans les cas de tumeurs extra-rachidiennes faisant effort avec la moelle, comme dans le cas par exemple d'un anévrysme ou d'une tumeur hydatique qui use les corps vertébraux et se met en contact avec les nerfs rachidiens. Dam ces cas divers, la cause organique est toujours la même: c'est la compression, l'irritation vive que subissent les troncs nerveux, et dans le cas de cancer vertébral, en particulier, la lésion des nerfs est produite par l'affaissement des vertèbres ramollies.
En dehors de cette circonstance, le cancer vertébral n'a plus de douleurs qui soient propres, ou, autrement dit, le can-cer peut pénétrer jusqu'à la moelle sans produire d'autres
qui survient dans certaim cas de cancer. {Société médicale des hôpitaux, mars 1865). 'î i-u. X S- Jv^»**
1 C. Hawkins. — Cases of mali.gna.nt Disease of the spinal Colum (Med. chir. Transact., t. XXIV, p. 45, 1845).
. 2 E. Leyden. — Ueber Wirlkrebs. In Annalen der Krankenliaus. 1 Bd. 3 heft, p. 54. —Sur le même sujet consulter Black. Centralblat, 1864, p.493 : — Th. Simon. Paraplegia dolorosa. Aus der AUgem. Krankenh, Zu Hamburg. In Berlin Klin. Wochens., noS 35 et 3o, 1870.
douleurs que celles qui se développent en conséquence de toutes les autres lésions organiques, quelles qu'elles soient, capables de déterminer la compression spinale.
En résumé, il y a : 1° des cancers vertébraux latents ; — 2° des cancers vertébraux qui amènent la compression de la moelle, à peu près sans douleurs prédominantes ; — 3J enfin, le cancer vertébral, lorqu'il occasionne le ramollissement et l'af-faiblissement des vertèbres, est la source de douleurs dont le caractère est presque spécifique. Cet affaissement vertébral peut d'ailleurs exister seul ou s'accompagner des symptômes ordinaires de compression de la moelle ; mais, je n'hésite pas à le dire, dans l'espèce, le fait de la compression des nerfs est, pour la clinique, beaucoup plus intéressant que ne Test le fait de la compression spinale.
Les assertions que je viens de poser devant vous sont fon-dées sur des observations multipliées dont quelques-unes ont été consignées dans la thèse de M. L. Tripier, et dans les-quelles la lésion organique en question existait avec tout l'en-semble des symptômes caractéristiques sans aucune participa-tion de la moelle. Leyden, Hawkins, ont relaté des faits du même genre et, depuis l'apparition de la thèse de Tripier, j'ai plusieurs fois vérifié la justesse de mon interprétation pathogé-nique. Les nerfs comprimés, en pareil cas, sont rouges, tumé-fiés à un haut degré, toutefois sans changement histologique bien sérieux1 ; — à la vérité nos moyens d'investigation en ce qui concerne ce point sont encore relativement bien grossiers. Ce n'est que fort tard qu'ils s'atrophient et subissent la dégé-nérescence granulo-graisseuse. Jamais, en ce qui me con-cerne, je n'ai vu en semblable circonstance l'infiltration can-
1 Charcot et Cotard. — Sur un cas de zona du cou avec altération des nerfs du plexus cervical et des ganglions correspondants des: racines spina.es posté-rieures. (Société de Biologie, XVII. 1866, p. 41.)
céreuse du nerf invoquée un peu à la légère, je crois, par plu-sieurs auteurs.
VIII.
Il s'agit actuellement de faire connaître les symptômes sur lesquels j'ai voulu appeler tout particulièrement votre attention. Ces symptômes, j'ai proposé de les réunir sous le nom de paraplégie douloureuse des cancéreux \ Cette désignation de paraplégie douloureuse, je l'ai empruntée à M. Cruveilhier qui a bien reconnu ce genre de symptômes sans en entrevoir, tou-tefois, l'interprétation 2. Elle s'applique avec exactitude seu-lement au cas où la région vertébrale lombaire est atteinte dans une certaine étendue. C'est là, du reste, le cas plus habi-tuel.
Mais de fait, plusieurs autres combinaisons sont possibles. En premier lieu, les vertèbres étant affaissées, surtout d'un côté, il peut n'y avoir, en conséquence, qu'une hémi-para-plégie douloureuse ; ou bien encore les douleurs et les phéno-mènes concomitants pourront occuper le plexus blachial ou le plexus cervical, lorsque la lésion portera sur la région verté-brale cervicale.
D'autres fois, enfin, les douleurs se montreront exclusive-xnent circonscrites à la distribution de tel ou tel tronc nerveux. Il importe d'ailleurs de remarquer que, quel que soit le lieu où elle se montre et quelque circonscrite qu'elle soit, la dou-'eur, dans les cas de ce genre se présente absolument avec les mêmes caractères que dans la paraplégie douloureuse propre-ment dite.
Supposons qu'il s'agisse d'une altération des vertèbres lom-
1 Charcot. — Sur la paraplégie douloureuse qui survient dans certains cas de cancer. In Bulletin de la Société médicale des Hôpitaux, loc. cit. Cruveilhier. — Atlas, 32e livr., p. 6.
baires — ce cas répond, vous le savez, au type le plus com-mun — et que celles-ci aient été envahies par le cancer dans leur totalité, aussi bien du côté droit que du côté gauche, conditions qui se trouvent, du reste, reproduites chez une des malades que je vais vous présenter dans un instant, eh bien, il y a lieu de relever, en pareil cas, les symptômes suivants :
Des douleurs vives existent : les unes étreignant la partie in-férieure de l'abdomen à la manière d'une ceinture, les autres se répandant le long du trajet des nerfs cruraux et des nerfs sciatiques, depuis leur origine spinale jusqu'à leurs extrémi-tés périphériques.
Il y a hypères thésie des téguments, sur les points répondant à la distribution des nerfs douloureux. Cette hyperesthésie, le plus souvent, est telle que le moindre attouchement se montre des plus pénibles.
Les douleurs en question sont permanentes ou à peu près ; mais elles s'exaspèrent par crises qui se montrent surtout in-tenses pendant la nuit et revêtent quelquefois un caractère pé-riodique. Les mouvements dans le lit, qu'ils soient d'ailleurs actifs ou passifs, provoquent l'apparition de ces douleurs ou les exaspèrent. 11 en est de même, à plus forte raison, de la station et de la marche qui deviennent bientôt tout à fait im-possibles. Il résulte de là une sorte d'impotence qui ne relève point d'un amoindrissement de la force musculaire, car, au lit, dans le temps où les douleurs ne sont pas trop vives, les mouvements des membres inférieurs s'exécutent, si le ma-lade n'est pas très affaibli, comme dans les conditions norma-les.
Lors des paroxysmes, les douleurs sont véritablement atro-ces. Les malades les comparent à celles que produiraient l'écra-sement des os, une morsure des parties profondes faite par un gros animal, etc. On ne parvient, et c'est là un trait qui mé-rite d'être signalé, que très difficilement à les calmer par
l'emploi de doses élevées de substances narcotiques. Il y a lieu de faire remarquer dans ces douleurs des amendements sponlanés, et dont la raison physiologique nous échappe com-plètement.
A ces phénomènes peuvent s'adjoindre, surtout dans les périodes plus avancées de l'afîeclion, un certain nombre d'acci-dents parmi lesquels je signalerai plus spécialement les érup-tions de zona 1 qui se produisent sur le trajet des nerfs parti-culièrement douloureux, une anesthésie cutanée circonscrite sous forme de plaques et qui se développe malgré la persis-tance des douleurs dans le domaine des nerfs affectés (anesthe-sia dolorosa), Vatrophie plus ou moins prononcée des masses musculaires, et enfin la contracture survenant dans un certain nombre de muscles.
Je ferai remarquer enfin qu'une déformation faisant décrire à la colonne vertébrale une courbure à grand rayon, qu'une douleur locale vertébrale que provoque ou qu'exaspère très nettement la pression ou la percussion, sont des symptô-mes concomitants qu'il ne faut pas négliger de rechercher avec soin parce qu'ils peuvent éclairer la situation et que, d'ailleurs, ils s'observent fréquemment.
Ces divers symptômes, Messieurs, peuvent être, pendant de longs mois, la seule révélation du mal vertébral cancéreux; mais les symptômes de la paralysie par compression de la moelle pourront venir s'y surajouter.
Quoi qu'il en soit, lorsque les phénomènes de paraplégie douloureuse se montreront avec les caractères qui viennent d'être décrits, il y aura lieu de rechercher s'il n'existe pas, quelque part dans l'organisme, quelque autre manifestation de la diathèse cancéreuse ; car, vous ne l'ignorez pas, le cancer vertébral est habituellement secondaire, deutéropathique. Or,
1 Charcot et Cotard, loc. cit.
dans cette recherche, ou peut se trouver en présence de plus d'une difficulté de nature à égarer le diagnostic. Je me conten-terai, quant à présent, de vous signaler la circonstance sui-vante dont j'ai été témoin récemment. Il peut se faire que des malades portent au sein certains cancers atrophiques, indo-lents, auxquels elles ne prêtent pas la moindre attention. J'ai été consulté ces jours-ci par une dame qui souffrait depuis plusieurs mois d'une névralgie cervico-braehiale — c'était en réalité, vous allez le voir, une pseudo-névralgie — extraordi-nairement pénible, et qui avait résisté absolument à tous les moyens d'amendement mis en œuvre. Frappé du caractère spé-cial que présentait la douleur, et me remettant en mémoire les faits observés à la Salpêtrière, je demandai s'il n'existait pas quelque lésion mammaire. On me répondit par la négative; mais je crus devoir insister et examiner les choses par moi-même. Je découvris, au grand étonnement de la malade, que l'un des seins était déformé sur un point très circonscrit d'ail-leurs, parle fait d'une rétraction consécutive au froncement déterminé par un squirrhe atrophique. Tout récemment un médecin anglais, dont le nom m'échappe, a publié un cas du même genre dans un des volumes de la Société pathologique de Londres. Ces faits suffisent, je l'espère, Messieurs, pour faire ressortir à vos yeux jusqu'à quel point il faut, en pareille circonstance, se montrer attentif et circonspect dans l'examen des malades.
D'un autre côté, il ne faudrait pas aller jusqu'à croire que les douleurs du mal vertébral cancéreux, alors même qu'elles se présentent avec tous les attributs qui viennent d'être mis en relief, soient absolument spécifiques et propres à conduire, sans embarras, au diagnostic. Loin de là, des difficultés peu-vent survenir ; mais, en général, elles ne sont pas in-surmontables. Parmi les affections qui, en raison des dou-leurs dont elles s'accompagnent, pourraient induire en erreur,
j'ai déjà mentionné les anévrysmes aortiques et les kystes hy-datiques, lorsque ces tumeurs sont disposées de façon à com-primer et à irriter les nerfs spinaux. Je signalerai actuellement l'ostéomalacie, la pachyméningite hypertrophique cervicale, et enfin une névrose : Y irritation spinale.
L'ostéomalacie sénile, aussi bien que celles des adultes, rappelle parfois, par le caractère des douleurs dont elle s'ac-compagne, lasymptomatologie dumal vertébral des cancéreux. La pachyméningite cervicale hypertrophique, dans la première période, s'accompagne, elle aussi, de douleurs assez analogues; on peut en dire autant de cette affection bizarre, singulière, qu'on désigne quelquefois sous le nom d'irritation spinale, et que quelques médecins ont voulu, bien à tort, bannir des cadres nosologiques ; mais je veux me borner, pour le moment, à appeler votre attention sur ces difficultés de diagnostic. C'est un sujet sur lequel je me propose de revenir dans unp (autre occasion.
SEPTIÈME LEÇON
De la Compression lente de la moelle épinière. — Symp-tômes. — Des troubles de la motilité et de la sensibilité liés à la compression spinale. — Hémiplégie et hémi-paraplégie spinales avec anesthésie croisée.
Sommaire. — Lésions que subit la moelle au niveau du point comprimé. — Elles occupent toute l'étendue de la moelle en travers ou ne portent que sur une des moitiés latérales du cordon nerveux.
Premier cas: Succession des symptômes. — Prédominance, an début, des troubles moteurs : parésie, paralysie avec flaccidité, rigidité temporaire, con-tracture permanente des membres, exaltation des actes réflexes. — Troubles de la mixtion ; — théorie de Budge. — Modifications de la sensibilité : retard dans la transmission des sensations, dysesthésie. — Sensations associées.
Second cas : Lésions portant sur une des moitiés latérales du cordon nerveux. — Circonscription de la lésion. — Hémiparaplégie spinale avec anesthésie croisée; ses caractères. — Hémiplégie spinale.
Messieurs,
Avant de poursuivre nos études sur la compression lente de la moelle-épinière, permettez-moi de faire passer sous vos yeux des pièces anatomiques relatives à notre sujet, et que nous devons à l'obligeance de M. le Dr Liouville.
Dans la paraplégie par le mal de Pott, vous disais-je, la dé-formation du rachis n'est pas, en règle générale, l'agent de la compression que subit la moelle épinière; la moelle peut, même en pareil cas, être comprimée sans que la colonne vertébrale présente la moindre trace de déformation. La pièce de M. Liouville met la réalité du fait dans toute son évidence.
Le rachis, vous le voyez, n'était ici nullement déformé, bien que le corps de plusieurs vertèbres fût altéré profondément. Le ligament vertébral antérieur, au niveau de la lésion osseuse, était comme dilacéré et la matière caséeuse, d'après le méca-nisme indiqué par M. Michaud, était venue au contact de la dure-mère, qui, en conséquence, sur les points correspondants présentait un épaisissement remarquable (pachyméningite caséeuse externe). C'est évidemment cet épaississement de la dure-mère qui avait déterminé la compression spinale. Celle-ci 's'est traduite cliniquement par des symptômes de paralysie qui, pendant plusieurs mois, comme c'est l'habitude, ont été précédés par des douleurs pseudo-névralgiques simulant une névralgie intercostale *.
Je reprends actuellement le cours de nos conférences.
Il s'agit, vous le savez, de faire connaître les symptômes qui relèvent directement de la compression lente de la moelle épinière. Nous allons aborder, je ne dois pas vous le dissi-muler, une voie longue à parcourir et hérissée de difficultés de tout genre ; mais j'espère que, en établissant de bonnes étapes, nous arriverons au but sans trop de fatigue.
I.
Remettons-nous en mémoire les conditions anatomiques à
1 Ces pièces provenaient d'un homme âgé de 50 ans environ ; elles ont été recueillies dans le service de M. Béhier. Avant d'être pris de paraplégie, ce malade avait éprouvé pendant plusieurs mois, dans les parois thoraciques, des douleurs localisées sur le trajet des nerfs intercostaux, ce qui, un instant, avait fait croire qu'il s'agissait là d'une simple névralgie intercostale. Plus tard, en raison de la persistance et du caractère de ces douleurs, on avait émis l'o-pinion que la névralgie élait symptomatique, sans pouvoir encore, toutefois, préciser la nature de la maladie primitive. Ensuite survint la paraplégie qui éclaira définitivement le diagnostic. Le rachis, jusqu'à la terminaison fatale, conserva sa conformation régulière. Encore dans le service de M. Béhier, M. Lion ville a observé récemment un autre cas de paraplégie par le mal de Pott, également sans déformation de la colonne vertébrale.
II.
Envisageons donc les choses telles qu'elles se présentent dans les conditions ordinaires : chemin faisant nous relèverons les circonstances exceptionnelles, et, pour plus de clarté, pre-nons pour exemple le cas le plus vulgaire, celui où la lésion siège sur un point quelconque de la région dorsale de la moelle épinière.
Il y a dès maintenant une première distinction à établir. Tantôt, en effet, la compression affecte toute l'épaisseur de la moelle, en travers ; tantôt elle ne porte que sur une des moi-tiés latérales du cordon nerveux. C'est le premier cas, — de beaucoup le plus fréquent d'ailleurs, — qui nous occupera tout d'abord.
III.
Entrons bien dans la situation que nous devons examiner.
propos desquelles j'ai dû entrer dans quelques développe-ments. La moelle, vous ne l'avez pas oublié, se trouve com-primée, comme étranglée sur un point de son parcours. Or si, dans les premiers temps, il ne s'agit là que d'un phénomène purement mécanique, bientôt, dans l'immense majorité des cas, les éléments qui composent le centre nerveux spinal réa-gissent à leur manière. Au niveau du point comprimé, se produisent les lésions de la. myélite transverse par compression. tandis que, au-dessus et au-dessous de ce point, se dévelop-pent, suivant les lois que nous avons exposéees, les altérations de la sclérose fasciculée secondaire, laquelle occupe, dans le premier cas, la partie médiane des cordons postérieurs et, dans le second cas, la partie la plus postérieure des cordons latéraux.
Depuis quelques semaines, quelquefois depuis plus longtemps encore, les symptômes dits extrinsèques, et parmi eux les dou-leurs pseudo-névralgiques, occupent seuls la scène. Dans l'hy-pothèse où nous nous sommes placés, il s'agit uniquement bien entendu de lésions organiques primitivement situées en dehors de la moelle, ce centre nerveux n'a pas encore manifesté sa souffrance. Quels sont les symptômes qui vont inaugurer la série des accidents nouveaux ? Sont-ce les troubles moteurs ou les troubles sensitifs ? Cet ordre de succession, Messieurs, est difficile à déterminer, dans l'état actuel des choses, faute d'observations recueillies dans l'intention spéciale d'élucider ce fait particulier. C'est là d'ailleurs un point de détail assez se-condaire pour le côté pratique, mais qui toutefois, pour le côté théorique, n'est pas sans quelque intérêt.
En effet, l'existence, à titre de premier symptôme, de four-millements, de picotements, de sensations de chaud et de froid, dans les membres inférieurs, indiquerait nécessaire-ment, d'après la théorie, que, dès l'origine, les conducteurs de la sensibilité, c'est-à-dire la substance grise, ont subi une modification pathologique importante ; car l'expérimentation montre que dans les conditions normales la substance grise ne provoque, sous l'influence des excitations, aucune espèce de sensations. En revanche, les troubles purement moteurs, la parésie ou la paralysie plus ou moins complète des membres inférieurs sont des phénomènes qui peuvent se produire en dehors de toute modification dans les propriétés des éléments de la moelle, par le fait de la seule intercession mécanique de la continuité des fibres nerveuses.
Quoi qu'il en soit, Messieurs, la réalité paraît être que tan-tôt les troubles moteurs (parésie des membres inférieurs), tan-tôt, au contraire, les troubles sensitifs, en particulier les sen-sations rapportées à la périphérie et indiquant l'irritation de le substance grise (picotements, fourmillements, sentiment de
constriction, douleurs articulaires, etc.), ouvrent la marche.
IV.
Les troubles moteurs, en tout cas, ne tardent pas à prédo-miner, dans les premiers temps du moins, sur les troubles sensitifs. A part les quelques phénomènes subjectifs que nous mentionnions tout à l'heure, la transmission des impressions sensitives s'effectue longtemps d'une manière physiologique alors que les mouvements sont profondément altérés et il est même rare qu'elle soit jamais complètement interrompue oumême très sérieusement intéressée. Il semble que, placée au centre, la substance grise soit protégée contre les causes d'ir-ritation venues de la périphérie. C'est là une particularité re-connue depuis longtemps par l'observation clinique et qui éta-blit un contraste avec ce qui a lieu dans les cas de myélites spontanées ou de tumeurs intra-spinales, dans lesquels ces lésions occupent très habituellement, dès leur apparition, Ie parties centrales de la moelle.
Arrêtons-nous un instant aux troubles de la motilité.
A. Au premier degré, il s'agit d'une simple parésie, mais celle-ci se transforme bientôt en une paralysie plus ou moins absolue, avec flaccidité des membres, en d'autres termes sans rigidité musculaire.
Ce phénomène, en rapport avec l'interruption des cordons blancs, et plus spécialement des cordons latéraux, est con-forme, vous le voyez, aux données de la pathologie expéri-mentale.
B. Au bout de quelques jours, de quelques semaines, plus lard dans certains cas, plus tôt dans d'autres, il se manifeste, dans les membres paralysés, des secousses, des crampes, une
D. A cette phase de la maladie, sous l'action combinée de la suppression de l'influence modératrice du cerveau et proba-blement aussi par le fait de l'irritation dont la substance grise à son tour devient le siège, les propriétés réflexes s'exaltent dans le segment inférieur de la moelle. Alors on voit les membres paralysés se soulever et entrer en convulsion aux moindres attouchements ou encore quand le malade urine ou va à la selle.
Je n'insiste pas sur ces troubles de la motilité qui sont au-jourd'hui de connaissance vulgaire. Je me bornerai à vous faire remarquer que l'intensité de la contracture permanente des membres, et surtout de la contracture avec flexion est en général plus prononcée dans la myélite par compression lente qu'elle ne l'est dans la myélite spontanée.
Il en est de même de l'exaltation des propriétés réflexes de la moelle. Il ne faudrait pas néanmoins chercher dans cette
rigidité temporaire des masses musculaires, autant de sym-ptômes qui relèvent encore de la lésion des cordons latéraux mais qui indiquent déjà qu'une cause d'excitation a élu domi-cile dans ses faisceaux. Ce sont là, en somme, les premiers symptômes qu'on puisse rapporter à la myélite descendante des cordons latéraux.
C. Enfin survient la contracture permanente des membres qui ne manque à peu près jamais d'exister à une certaine époque de la maladie qui paraît devoir être rattachée, elle aussi, à la lésion scléreuse que présentent les cordons laté-raux dans le segment inférieur de la moelle. Il est de règle que cette contracture impose d'abord pendant quelque temps aux membres paralysés l'attitude de l'extension ; mais tôt ou tard, en général, survient au contraire, l'attitude de la flexion forcée.
différence, dont la raison, d'ailleurs, nous échappe entière-ment, un caractère diagnostic absolu.
E. Il est de règle aussi dans la myélite par compression, lorsqu'il s'agit du moins de la région dorsale f, que la vessie conserve en grande partie l'intégrité de ses fonctions pendant un laps de temps relativement considérable ; mais des troubles vésicaux plus ou moins accentués peuvent enfin survenir. ^ ce sujet, il y a une distinction à établir.
Si la compression siège trop haut, vers le milieu de la région dorsale, par exemple, on observe, en général, de la dif-ficulté dans l'émission des urines. Cette difficulté semble due à ce que les muscles qui jouent le rôle de sphincters restent dans un état de spasme permanent. La volonté ne modi-fie pas aisément cette contraction permanente, et l'émission involontaire des urines, qui se produit quelquefois, en pareil cas, s'opère par regorgement comme on l'a dit.
Au contraire, si la lésion siège très bas, vers la partie supé-rieure de la région lombaire, il peut arriver que les sphincters soient paralysés d'une manière continue et les urines s'écoulent alors involontairement.
Il est possible, dans une certaine mesure, de se rendre compte de cette différence, au premier abord singulière, si l'on se reporte à la théorie, fondée sur l'expérimentation, émise récemment par M. Budge relativement au mode d'action du système nerveux central sur les fonctions de la vessie 2.
En réalité, selon M. Budge, il n'existerait pas d'autre sphincter de la vessie que les muscles uréthraux (constricteur del'urèthre et bulbo-caverneux). Les nerfs qui font contracter
1 Holmes. — A Si/stem of Surgery, t. III, p. 838. —Inclusion of the spi-nal Cord in Caries of the Spine.
2 Budge. — Zeitschr. forât. Ileilk. XXI, p. 3 und 174. — Ueber die Reizbarkeit der Vorderen Ruckenmarksstrânge [Pflùger's Archiv fur Physio-logie, Bd. II, p. 511.
la vessie viendraient des pédoncules cérébraux. Passant par les corps restiformes, ils pourraient être suivis expérimenta-lement dans les cordons antérieurs de la moelle jusqu'à l'issue des 3°-5e paires sacrées. Les nerfs qui font contracter les muscles de l'urèthre suivent, toujours d'après M. Budge, à peu près le même trajet et ils offrent ceci de particulier, qu'ils sont modifiés dans l'état normal par une influence réflexe, qui leur est communiquée par les nerfs centripètes provenant de la vessie. Il se produit là, en conséquence, un acte qui a pour effet de déterminer la contraction permanente des muscles uréthraux, mais qui peut être annihilé même par une sorte d'arrêt que commande la volonté.
D'après cela, toute lésion qui aura pour conséquence d'inter-rompre dans la moelle, jusqu'à la sortie des 3e 4e et 5e paires sacrées, le cours des nerfs qui se rendent soit à la vessie, soit à l'urèthre, aurait également pour résultat de laisser subsister l'acte réflexe qui commande l'occlusion constante du sphincter; c'est pourquoi les lésions de la moelle cervicale et dorsale pro-duiraient le spasme permanent du sphincter vésical qu'on observe dans certains cas de compression spinale.
Si, par contre, la lésion siège plus bas, les conditions de l'acte réflexe dont il s'agit ne subsistent plus , le sphincter est paralysé d'une façon constante, et l'urine s'écoule alors inces-samment goutte à goutte, l'action des muscles de la vessie ne rencontrent plus d'obstacles.
Je n'ignore pas, Messieurs, que la théorie de M. Budge n'est pas, tant s'en faut, encore classique, et les faits expérimentaux sur lesquelles elle s'appuie, demandent eux-mêmes à être véri-fiés. J'ai cru devoir néanmoins l'exposer brièvement parce que, à mon avis, elle explique, quant à présent, mieux que toute autre, les faits révélés par l'observation clinique.
Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, dans la paralysie par compression, la sensibilité ne se modifie en général que très tard, d'une manière sérieuse, à moins qu'il ne s'agisse d'une lésion qui, primitivement, aurait occupé les parties centrales de la moelle. Quoi qu'il en soit, voici l'exposé de quelques particularités relatives aux troubles de la transmis-sion des impressions sensitives, lesquelles se manifestent de préférence, mais non pas cependant d'une façon exclusive, dans les paralysies par compression spinale; elles ne s'ob-servent, ainsi que vous l'avez dû pressentir d'après ce qui a été dit plus haut, que dans les cas où la compression est portée à un haut degré.
En premier lieu, je signalerai le retard dans la transmis-sion des sensatio?is, phénomène curieux et qui, si je ne me trompe, a été pour la première fois relevé par M. Cruveilhier 1 : il peut, ainsi que je l'ai une fois constaté, se passer quelque-fois jusqu'à trente secondes depuis le moment où l'impression a lieu jusqu'à celui où elle est perçue par le malade.
Je dois mentionner ensuite une sorte à'hyperesthésie ou mieux de dysesthésie par suite de laquelle les moindres excita-tions, telles qu'un léger pincement, l'application d'un corps froid, donnent naissance à une sensation très pénible, toujours la môme, quelle que soit la nature de l'excitation et dans la-quelle domine, d'après les récits des malades, un sentiment de vibration. Ces vibrations toujours d'après ce que rapportent les malades, semblent remonter du côté de la racine du mem-bre en même temps qu'elles descendent vers son extrémité.
1 Cruveilhier. — Anal, pathologiq., Liv. XXXVIII, p. 9. — M. Schiff. Lehrbruch der Physiolog. des Menschen, 1858-59, p. 2i9.
Gharcot. Œuvres complètes, t. ii. 9
Dans la plupart des cas, ces sensations persistent pendant plusieurs minutes, parfois un quart d'heure et plus encore, après la cessation de la cause excitatrice qui les a déterminées. En pareil cas, le malade éprouve toujours une grande difficulté à désigner exactement le lieu où l'excitation a été produite.
Enfin, il n'est pas rare que l'excitation portant sur un mem-bre, après avoir produit les phénomènes qui viennent d'être indiqués, soit suivie, au bout de quelque temps, d'une sensa-tion analogue qui paraît siéger symétriquement dans un point du membre opposé correspondant à la région primitivement excitée. Cela rentre dans l'histoire de ce qu'on désigne sous le nom'de sensations associées.
On a cherché, vous le savez, à se rendre compte ainsi qu'il suit de la production du phénomène en question :
Lorsque la transmission des impressions sensitives dans la moelle est rendue difficile par l'interruption d'un certain nom-bre de tubes nerveux (centripètes), ces impressions seraient transmises par la voie des cellules ganglionnaires, liées entre elles par leurs prolongements jusqu'à des fibres nerveuses restées saines ; ces impressions parvenues au centre de per-ception, par cette voie anormale, seraient consécutivement, suivant la règle commune, rapportées à la périphérie de ces dernières fibres nerveuses, et de là proviendrait l'erreur dans la localisation.
J'ai cru, Messieurs, devoir rappeler ces particularités, parce que, je le repète, elles s'observent plus communément, et à un plus haut degré, dans la paraplégie par compression que dans toute autre forme de paralysie des membres inférieurs. Mais il ne faudrait pas, cette fois encore, chercher là un caractère dis-tinctif absolu. D'ailleurs, ces symptômes, et j'insiste sur cette
réserve, ne s'observent guère, dans la paraplégie déterminée par une compression lente de la moelle épinière, que dans le cas où la lésion spinale est portée au plus haut point.
VI.
A moins de complications inattendues, la nutrition dans les parties paralysées demeure normale. Ainsi les muscles conser-vent pendant de longs mois leur volume et leurs propriétés électriques. L'inaclivité prolongée finit toutefois par amener l'émaciation et l'amoindrissement de la contractilité faradique des muscles paralysés. De leur côté, le tégument externe, la vessie, les reins ne présentent, durant longtemps, aucune mo-dification nutritive appréciable. Mais la vitalité de ces organes paraît rapidement se modifier sous l'influence de certaines complications. Ainsi, par exemple, dans un cas que j'ai observé de paraplégie consécutive à un mal de Pott, l'ouverture subite d'un abcès dans le canal rachidien détermina une brusque irri-tation du segment inférieur de la moelle bientôt suivie de la formation rapide d'escarres sacrées, d'une modification de la contractilité électrique des masses musculaires qui, peu à peu, présentèrent une atrophie remarquable. Les urines en même temps deviennent purulentes. Les accidents surve-nant dans de telles conditions sont, en général, promptement mortels. Du reste, sans l'intervention apparente d'une cause nouvelle, d'une complication quelconque, ces mêmes accidents peuvent se manifester plus ou moins rapidement, à un moment donné, dans le cours des paraplégies par compression et ame-ner l'issue fatale.
VIL
Jusqu'ici, Messieurs, nous ne nous sommes occupés que des
VIII
Toute lésion hémilatérale de la moelle, qui ne remplirait pas les conditions expresses que je viens d'énumérer, ne pro-duirait pas l'ensemble symptomatique sur lequel je veux atti-rer votre attention ou ne le produirait tout au moins que d'une manière imparfaite ; une fois, au contraire, ces condi-
lésions organiques qui interceptent le cours des fibres nerveu-ses dans la moelle, sur un point, dans toute son épaisseur. Je veux actuellement appeler votre attention sur le cas où l'une des moitiés latérales de ce centre est seule lésée par le fait de la compression.
Il importe de bien spécifier tout d'abord l'étendue et le mode de répartition de l'altération que nous avons en vue.
Nous supposons la moitié latérale de la moelle épinière lésée dans toute son épaisseur, jusqu'à la ligne médiane. La lésion doit avoir, par conséquent, interrompu le cours des fibres des cordons postérieurs et antéro-latéraux d'un côté et simultanément aussi les parties correspondantes de la sub-stance grise jusqu'à la ligne médiane. Dans ces conditions spéciales, et dans celles-là seulement, la lésion dont nous étudions les effets se traduit cliniquement par un ensemble symptomatique fort remarquable et vraiment caractéristique.
On peut désigner cet ensemble simplement sous le nom ^hémiplégie spinale avec anesthésie croisée, quand la lésion dont il s'agit occupe un point de la région cervicale.
Si c'est au contraire un point de la région dorsale ou lom-baire qui est affecté de cette façon, ce n'est plus l'hémiplégie, mais bien Y hémiparaplégie spinale avec anesthésie croisée qu'on observe. Vous allez reconnaître bientôt, Messieurs, la raison de ces dénominations.
tions remplies, le tableau symptomatique se présente néces-sairement. La connaissance que nous avons est de date toute moderne. C'est un des résultats les plus nets et les plus fruc-tueux qu'ait fournis, dans ces derniers temps, l'intervention de la physiologie expérimentale dans le domaine de la patho-logie spinale, et je suis heureux de dire que cet important résultat est dû tout entier aux travaux de mon ami, M. le professeur Brown-Séquard.
Ce n'est pas, toutefois, que l'hémiplégie et l'hémiparaplégie spinales aient passé inaperçues jusqu'à lui; mais, jusqu'à M. Brown-Séquard, ce n'était là, pensait-on, qu'une réunion, pour ainsi dire fortuite de phénomènes étranges, contradic-toires, inexplicables au point de vue de la physiologie régnante. Aujourd'hui, grâce aux travaux de M. Brown-Séquard, nous connaissons, en grande partie du moins, la raison des phéno-mènes qu'il nous est possible de faire remonter, avec préci-sion, jusqu'à la lésion anatomique qui leur a donné naissance.
Pendant longtemps, au point de vue clinique, l'intérêt a été surtout chirurgical, car la section hémilatérale de la moelle capable de déterminer l'hémiparaplégie avec anesthésie croisée paraît être une conséquence fréquente des lésions du centre spinal par un instrument tranchant. Cependant le médecin est appelé à observer parfois cette forme symptomatique, et, en particulier, lorsqu'il s'agit de la compression spinale occasion-née par une tumeur.
Prenons le cas d'une tumeur méningée, comprimant vers la partie moyenne de la région dorsale, une moitié latérale de la moelle épinière et supposons, pour nous mieux orienter, que la compression porte, par exemple, sur le côté gauche du cordon nerveux, ainsi que cela avait lieu dans un fait dont j'ai rapporté l'histoire (Fig. 6 et 7) l. Voici les principaux phéno-mènes qu'il y aurait à relever en pareille circonstance.
1 Charcot. — Hémiparaplégie déterminée par une tumeur qui comprimait la
Fig. 6 et 7.
muscles abdominaux de ce même côté. Les téguments, sur
moitié gauche de la moelle épinière. In Archives de physiologie, t. II, p. 29, 1869, pl. XIII. — La tumeur appliquée sur la face antérieure de la région dor-sale de la moelle, qu'elle comprime fortement d'avant en arrière et de gauche à droite, est assez régulièrement ovoïde. Son grand axe vertical mesure trois
Le membre inférieur du côté gauche serait paralysé, plus ou moins complètement, quant au mouvement, ainsi que les
les points correspondant aux parties atleintes de paralysie mo-trice, présentent, relativement aux parties homologues du côté opposé, une élévation plus ou moins prononcée de la température, conséquence de la paralysie vaso-motrice. La sen-sibilité, sur toute l'étendue de ces mêmes points, se rencon-trerait normale ou même notablement exaltée au niveau du siège de la compression spinale et, du même côté, une explo-ration attentive ferait reconnaître l'existence d'une zone d'a-nesthésie, dirigée transversalement et formant par en haut la limite des parties paralysées du mouvement et dont la sensibi-lité, ainsi qu'il a été dit, serait exagérée ou normale.
Adroite, c'est-à-dire du côté opposé à la lésion spinale, le mouvement serait parfaitement conservé dans le membre infé-rieur et les muscles de l'abdomen ; mais, par contre, la sensi-bilité sur ces points serait obnubilée ou même complètement éteinte dans tous ses modes. 11 s'agirait là d'une véritable hé-mianesthésie, limitée supérieurement au niveau de la lésion spinale, par une ligne horizontale bien tranchée et en dedans très exactement par la ligne médiane.
Vous comprenez aisément, d'après ce qui précède, la raison de la dénomination hémiparaplégie spinale avec anesthésie croisée, proposée pour désigner l'ensemble symptomatique dont il vient d'être question. Si la compression hémilatérale au lieu de siéger à la région dorsale de la moelle, occupait
centimètres et demi environ et son axe transversal un centimètre et demi. (Fig. 6 et 7, a.) Elle est située à cinq centimètres au-dessus d'une ligne fictive qui diviserait en travers la partie la plus large du renflement lombaire. Elle est logée en partie dans une dépression qu'elle s'est creusée aux dépens de la moelle. {Fig. 7, b.) Elle n'est pas placée exactement sur la ligne médiane, mais bien un peu à gauche du sillon médian antérieur qu'elle a repoussé vers la droite, de telle sorte qu'elle comprime beaucoup plus fortement la moitié gauche que la moitié droite. En un point, la compression de la moitié gauche de la moelle est poussée si loin que les deux feuillets de la pie-mère paraissent accolés l'un à l'autre ; au contraire, la moitié droite du cordon médullaire présente encore dans les points les plus fortement comprimés, c'est-à-dire au voisinage du sillon médian, une épaisseur de plus de deux millimètres. — Voir aussi un fait publié dans The Lancet (1856, p. 406), par M. Ogle.
une région plus élevée, la partie supérieure du renflement brachial, par exemple, ce sont les symptômes de Y hémiplégie spinale proprement dite qu'on aurait alors sous les yeux. Ici encore, on observerait une hémianesthésie croisée, c'est-à-dire occupant le côté du corps opposé au siège de la lésion spinale, mais l'insensibilité ne resterait pas bornée au membre infé-rieur et à un côté de l'abdomen, elle s'étendrait de ce même côté au membre supérieur, au tronc, au cou même, de telle sorte que la face serait peut-être seule respectée.
Du côté correspondant au siège de la lésion spinale, la pa-ralysie motrice occuperait à la fois le membre supérieur et le membre inférieur, lesquels présenteraient l'un et l'autre une élévation relative de la température. Le tronc et les membres de ce côté auraient conservé leur sensibilité ou se montre-raient hyperesthésiés. La zone d'anesthésie qui formerait la limite supérieure de ces parties serait située très haut, et oc-cuperait, par exemple, la partie supérieure du thorax et de l'épaule et même le cou.
L'anesthésie, répandue comme il vient d'être dit, et limitée exactement, géométriquement, pour ainsi dire, à la ligne mé-diane, sur presque tout un côté du corps, rappelle, à quelques égards, l'hémianesthésie des hystériques et celle qui s'observe, ainsi que nous l'avons fait remarquer ailleurs, dans certaines lésions en foyer de l'encéphale *. Mais, maintes circonstances peuvent être relevées qui, en cas de besoin, serviraient à la distinction. Ainsi, dans l'hystérie, comme dans le cas d'une lésion encéphalique, la face participerait à peu près nécessai-rement à l'hémianesthésie, ce qui n'aurait pas lieu dans l'hé-miplégie spinale. De plus, les troubles moteurs concomitants — parésie, paralysie avec ou sans contracture — se montre-raient, dans ce dernier cas, du côté opposé à l'anesthésie tan-
1 Voyez Charcot. — Leçons sur les maladies du système nerveux, tome I, p. 27.
dis qu'ils occuperaient le même côté que celle-ci chez les hystériques et chez les sujets atteints de lésions organiques de l'encéphale. Je ne m'étendrai pas plus longuement au sujet de ces traits distinctifs qu'on pourrait aisément multi-plier.
Je ne m'arrêterai pas non plus à développer l'interpréta-tion anatomique et physiologique qui a été donnée des symp-tômes de l'hémiplégie et de la paraplégie spinales. Je ne puis mieux faire à cet égard que de vous renvoyer aux divers écrits de M. Brown-Séquard 1 et je me bornerai aux remarques sui-vantes.
On suppose que les conducteurs des impressions sensitives, quels qu'ils soient, après avoir suivi dans chaque moitié laté-rale de la moelle épinière, un trajet dirigé de dehors en de-dans et d'arrière en avant, sur un plan légèrement incliné de bas en haut, viennent s'entre-croiser sur la ligne médiane. 11 y a lieu d'admettre, en outre, que les faisceaux qui, après l'entre-croisement, remontent vers l'encéphale, ne s'éloignent pas notablement du plan médian antéro-postérieur et qu'ils occupent la partie centrale de la substance grise au voisinage de la commissure. Voici maintenant les conséquences qui ré-sulteront d'une telle disposition.
La lésion hémilatérale de la moelle épinière — qu'il s'agisse d'une plaie déterminée par un instrument tranchant, d'un foyer de myélite, ou d'une tumeur, peu importe, — aura pour effet de détruire un nombre d'autant plus grand de conducteurs non encore entre-croisés, qu'elle sera plus étendue en hauteur; ainsi se produit la zone d'anesthésie plus ou moins haute sui-vant les cas, à direction transversale, qui s'observe au niveau de la lésion et du même côté que celle-ci.
1 Consulter Brown-Séquard : Physiology and pathology of the nervous Sys-tem. Philadclphia, 1860 ; — Journal de la physiologie, etc., t. IV, 1863,p. 124 ; — The Lancet, 1869, vol. I.
Au-dessous de la lésion, les conducteurs venant de ce même côté de la moelle suivront leur trajet jusqu'à la ligne médiane et s'y entre-croiseront avec ceux du côté opposé, sans avoir subi d'interruption dans leur parcours. C'est pourquoi les par-ties situées au-dessous de la zone transverse d'anesthésie con-servent la sensibilité normale. Elles se montrent très souvent même notablement hyperesthésiées.
Il n'a pas encore été donné, que je sache, de ce dernier phé-nomène, une explication qui soit tout à fait satisfaisante.
Pour ce qui est des conducteurs des impressions sensitives venues du côté de la moelle opposé à celui qu'occupe la lésion, ils ont tous à traverser, après leur entre-croisement, le foyer d'altération, pourvu que celui-ci s'étende réellement jusqu'à la ligne médiane, et ils subissent tous, par conséquent, dans cette partie de leur trajet, une interruption plus ou moins complète. C'est ainsi que se produit l'hémianesthésie croi-sée.
Quant à la paralysie motrice qui s'observe au-dessous de la lésion hémilatérale de la moelle et du même côté qu'elle, c'est une conséquence facile à prévoir de l'interruption subie par le faisceau latéral correspondant, les fibres qui constituent ce faisceau ne s'entre-croisant nulle part dans la moelle avec des fibres homologues du côté opposé.
J'avais soin de vous faire remarquer tout à l'heure que les faisceaux — en supposant que ce soit véritablement des fais-ceaux — résultant de l'entre-croisement des conducteurs des impressions sensitives paraissent ne pas s'éloigner notable-ment du plan médian anléro-postérieur, où ils occupent, de chaque côté, la partie centrale de la substance grise. 11 résulte de cette disposition qu'une lésion hômilatérale de la moelle, même assez prononcée, mais qui, ne s'étendant pas rigoureu-sement jusqu'à la ligne médiane, épargnant des faisceaux dont il s'agit, n'aurait pas pour effet de déterminer l'hémianesthé
sie croisée. Une telle lésion produirait, suivant le cas, l'hémi-plégie ou l'hémiparaplégie spinales, mais sans anesthésie croisée. Vous rencontrerez dans la pratique d'assez nombreux exemples de ce genre.
J'ai voulu me restreindre, Messieurs, à vous indiquer d'une manière très sommaire les traits les plus saillants de l'ensem-ble symptomatique qui révèle l'existence de lésions hémilaté-rales de la moelle épinière. Je ne puis me dispenser cependant d'ajouter à ce qui précède quelques détails complémentaires. Rarement les lésions dont il est question restent à jamais confinées dans leurs limites originelles. Tôt ou tard, elles se propagent, soit par en haut, soit par en bas, soit dans les deux directions à la fois, à une certaine distance, en dehors du foyer primitif. Il est presque de règle, par exemple, qu'au-dessous de la lésion transverse hémilatérale, et du même côté que celle-ci, le faisceau latéral soit à un moment donné atteint dans toute son étendue en hauteur, suivant la loi du dévelop-pement des scléroses fasciculées descendantes. En pareil cas, la contracture permanente ne tarderait pas à se surajouter à la paralysie déterminée dans les membres par la lésion spinale primitive : d'autres fois, l'irritation semble se propager, en outre, également au-dessous de la lésion en foyer et du même côté dans la corne antérieure de la substance grise. Alors, les membres, paralysés déjà et contractures, offriraient, en plus, une atrophie plus ou moins prononcée des masses musculaires. Enfin, vraisemblablement en rapport avec l'altération consécu-tive de divers points non encore déterminés de la substance grise, on peut voir les symptômes d'hémiplégie spinale se compliquer de divers autres troubles trophiques, tels que ar-thropathies, escarres fessières ou sacrées, etc.
C'en est assez, je l'espère, Messieurs, pour vous faire recon-
naîlre l'intérêt qui, à notre point de "vue, s'attache à l'étude d l'hémiplégie spinale. Je ne saurais trop le répéter, cet ensemble symptomatique ne se produit pas seulement, comme on a pu le penser pendant un temps, en conséquence de lésions trau-matiques de la moelle épinière. Je l'ai pour mon compte observé, sous la forme bien dessinée d'hémiparaplégie avec anesthésie croisée, dans cinq cas. Dans trois de ces cas, il s'a-gissait d'une myélite scléreuse transverse ; dans un quatrième d'une neoplasie intra-spinale 1 ; dans le cinquième enfin, déjà mentionné plus haut, une tumeur, primitivement développée à la face interne de la dure-mère, avait, à un moment donné, en s'étendant dans le sens antéro-postérieur, déterminé sur un point de la région dorsale, une compression à peu près exactement limitée à une moitié latérale de la moelle épi-nière.
1 Charcot et Gombault. — Note sur un cas de lésions disséminées des centre nerveux observées chez une femme syphilitique. In Archives de physiologie 1873, p. 173.
HUITIÈME LEGÓN
De la compression lente de la moelle épinière. — Paraplégie cervicale. — Symptômes particuliers. -Pouls lent permanent.
Sommaire. — De la paraplégie cervicale. — Compression des nerfs des extré-mités supérieures. — Lésions de la moelle épinière au cou ; leur mode d'ac-tion dans la production de la paraplégie cervicale. — Distinction entre la paraplégie cervicale due à la compression des nerfs périphériques et celle qui dépend d'une lésion de la moelle. — Altération des cellules nerveuses mo-trices et tumeurs de la moelle, cause d'une troisième forme de la paraplégie cervicale.
De quelques symptômes particuliers de la compression lente de la moelle cervicale. — Troubles oculo-pupillaires. — Toux et dyspnée. — Vomisse-ments à retour fréquent. — Gêne de la déglutition. — Hoquet. — Troubles fonctionnels de la vessie. — Attaques d'épilepsie.
Du pouls lent permanent. — Ralentissement temporaire du pouls dans les fractures des vertèbres du cou. — Pouls lent permanent lié à certaines affec-tions organiques du cœur (rétrécissement aortique, dégénérescence grais-seuse du tissu cardiaque, dépôts fibrineux). — Insuffisance des lésions car-diaques, dans certains cas, pour expliquer le pouls lent. — Accidents liés au pouls lent permanent : Syncope, état apoplectiforme, accès convulsifs. — Dans certains cas, le point de départ du pouls lent permanent doit être cherché dans la moelle cervicale ou dans le bulbe. — Cas du Dr Hal-berton.
Mort subite par rupture du ligament transverse de l'apophyse odon-toïde.
Symptômes qui accompagnent les lésions du renflement lombaire et de la queue de cheval.
Messieurs,
Je terminerai cette série d'études relatives à la compression spinale lente, en appelant votre attention sur certaines parti-
I.
Nous nous occuperons, en premier lieu, d'une forme singu-lière de paralysie qu'on peut rencontrer en pareils cas et que nous vous proposerons de désigner, à l'exemple de M. Gull, sous la dénomination, assurément très pratique, de paraplégie cervicale i. La paralysie occupe alors, soit un seul des mem-bres supérieurs, soit les deux membres supérieurs à la fois, ex-clusivement ou tout au moins, d'une façon prédominante. — Les membres abdominaux sont souvent affectés à leur four, par la suite, mais généralement à un degré relativement moin-dre. 11 n'est pas très rare de rencontrer cette forme de paraly-sie dans le mal de Pott cervical.
a) Il peut arriver, et il arrive, en effet, assez fréquemment dans cette variété du mal de Pott, que les nerfs des extrémités supérieures soient comprimés, tantôt au niveau des trous de conjugaison, tantôt dans leur passage à travers la dure-mère épaissie par le fait de la pachyméningite caséeuse. Cette com-pression, portée à un certain degré, aura nécessairement tôt ou tard, pour résultat, une paralysie portant, suivant le cas, soit sur un seul de ces membres isolément, paralysie toute pé-riphérique et qui se traduira à peu près, Messieurs, par l'en-semble des symptômes suivants :
A l'origine, une douleur vive occuperait le trajet des troncs nerveux comprimés et irrités ; il pourra s'y joindre une hyper-esthésie plus ou moins prononcée des téguments, des troubles vaso-moteurs variés, diverses éruptions cutanées vésicu-
1 Cervical Paraplegia, in Gur/s Hosp. Reports, t. IV, 1858, p. 207.
cularités qui s'observent quelquefois dans les cas où la lésion, qui détermine les phénomènes de compression, affecte la ré-gion cervico-brachiale de la moelle épinière.
leuses et huileuses, etc., en un mot toute la série des phéno-mènes que nous avons naguère appris à connaître à propos des •pseudo-névralgies et sur lesquels, par conséquent, il n'est pas nécessaire de revenir. L'impuissance motrice ne tarderait pas à survenir, et les muscles des membres paralysés présente-raient bientôt une atrophie plus ou moins accusée, accompa-gnée ordinairement d'une diminution plus ou moins accen-tuée de la contractilité faradique par les progrès du mal, l'iiyperesthésie ferait place aune anesthésie souvent très pro-fonde. Enfin, il y aurait lieu de relever l'existence, dans les membres privés du mouvement, d'un amoindrissement et même de la suppression totale des actes réflexes 1.
b) La compression subie par les filets nerveux qui donnent naissance au plexus brachial n'est pas, tant s'en faut, la seule cause organique capable de produire la paraplégie cervicale ; celle-ci peut se montrer encore en conséquence de lésions qui portent leur action sur la moelle épinière elle-même.
S'il est vrai qu'une compression très accentuée, poussée au point, par exemple, de déterminer un aplatissement prononcé delà moelle, a pour effet nécessaire, lorsqu'elle s'exerce sur la région cervico-brachiale, de paralyser les quatre membres, l'observation démontre, d'un autre côté, qu'une pression moins forte, s'exerçant sur cette même région, peut dans de cer-taines conditions, avoir pour résultat d'occasionner une pa-ralysie motrice limitée, au moins pendant quelque temps, aux deux membres supérieurs ou même à l'un de ces mem-bres.
1 Sur la paraplégie cervicale par compression des troncs nerveux, consultez : Brodie. — Injuries of the spinal Cord. In Medico-chirw gical Transact., 1837, t.XX, p. 131; — Marshall Hall, In Medic. chir. Transact., 1839, t. XXIII, p. 216; — Niemeyer. Speciell. Pathol., t. II, p. 32 ; — M. Rosenthal. — Constatfs Jaresb., 1866, 2« Bd., 1 abth. p. 45 et Nervenkrankh. — Bene-'otherap..,X. II, p. 316; — J.-A Michaud. Sur la méningite et sur la myélite dans le mal vertébral. Paris, 1871, p. 56.
Pour se rendre compte anatomiquement et physiologique-ment de ce phénomène, mis en relief par l'observation clini-que, on a proposé d'admettre que les conducteurs pour les incitations motrices volontaires des membres thoraciques occu-pent, dans les cordons antérieurs de la moelle cervicale, un plan plus superficiel que celui qu'occupent les conducteurs des mêmes incitations pour les membres inférieurs. Il suit natu-rellement de là que les deux ordres de conducteurs peuvent être lésés isolément, séparément *.
Quelle que soit la valeur de cette interprétation, on ne sau-rait, Messieurs, je le repète, mettre en doute l'existence de la forme de paralysie des membres supérieurs sur laquelle j'ap-pelle votre attention. Yoici d'ailleurs l'indication sommaire des traits particuliers sous lesquels elle se présente et qui per-mettent de la distinguer des paralysies cervicales liées à la compression périphérique des nerfs. — Dans celle-ci, vous le savez, l'impuissance motrice est précédée et accompagnée de douleurs vives (pseudo-névralgies) suivie, tôt ou tard d'anes-thésie : il s'y ajoute une atrophie plus ou moins marquée et plus ou moins rapide des masses musculaires, avec diminu-tion de la réaction faradique. Les actes réflexes dans les mem-bres paralysés sont amoindris et supprimés.
La paraplégie cervicale par compression spinale antéro-pos-térieure se présenterait au contraire avec des caractères tout autres. Ici les muscles conservent pendant fort longtemps leur volume ainsi que leur propriétés électriques. La sensibilité des membres paralysés peut n'être pas notablement modifiée ; enfin, non seulement les phénomènes réflexes persistent dans ces membres, mais encore ils s'y montrent quelquefois mani-festement exaltés. Cette circonstance qui suffirait à elle seule
1 Consulter : Brown-Séquard. — Journal de la physiologie, etc., t. VI, 1865, p. 139, 631 et 632. — Eulenburg. — Functionnellen Nervenkrankh. Berlin, 1871, p. 379.
pour démontrer que la lésion ne porte pas sur ;le trajet péri-phérique des nerfs, se trouve mis en relief déjà dans une ob-servation recueillie par M. Budd et qui fait partie d'un mémoire très intéressant dont la publication remonte à l'année 18391. Il s'agit, dans ce cas, d'une jeune fille scrofuleuse, atteinte de carie des vertèbres cervicales et chez laquelle se développa consécutivement un abcès rétropharyngien. Pendant deux ans environ la paralysie s'était montrée limitée aux membres su-périeurs ; elle envahit par la suite le membre inférieur droit. Sous l'influence de diverses excitations, ainsi que pendant l'acte de la mixturition et de la défécation, des mouvements involontaires plus ou moins énergiques survenaient dans ce membre, et aussi parfois, bien que toujours à un degré moins prononcé, dans le membre supérieur du même côté.
Un fait rapporté par le Dr Radcliffe doit être rapproché, à certains égards, de celui duDr Budd 2.
c) Il est encore, Messieurs, un autre mode suivant lequel une altération de la région cervico-brachiale de la moelle épi-nière pourrait déterminer une paralysie motrice bornée aux membres supérieurs. Vous n'ignorez pas que, dans certains cas de paralysie infantile spinale, la paraplégie cervicale s'ob-serve lorsque la lésion systématique des cornes antérieures de la substance grise est limitée, dans une certaine étendue en hauteur, au renflement brachial. Les membres paralysés pré-sentent alors, dès l'origine une flaccidité extrême, résultat de la perte de la tonicité des muscles ; les actes réflexes sont plus
1 Pathology of the spinal Cord. In Med. chir. Transact. 1839, t. XXXII, p. 141.
2 Un cas, recueilli à la clinique d'Oppolzer par M. Schott, et un autre cas observé par MM. Vogel et Dittmar sont aussi des exemples de compression lente s'exerçant sur la partie antérieure de la région cervicale de la moelle épi-nière, et ayant déterminé une paralysie motrice limitée aux membres supé-rieurs. Ces deux faits ont été signalés dans un intéressant travail de IM EïiîU Rolle. Krankheits Erscheinungen in Folge von Compression der oberster Dor-salstùcks des Rwckenmarcks. In Wiener med. Wochenschr., nos 24, 25, 1864 et Canstatfs Jahresb., 1865, t. III, p. 30.
Charcot. Œuvres complètes, t. il, 10
ou moins complètement abolis ; les muscles alrophiés ne ré-pondent plus aux excitations faradiques. La sensibilité n'est, dans la règle, en rien modifiée.
Une myélite aiguë, partielle, de même siège, produirait à peu de chose près les mêmes effets 1 et l'on peut en dire autant d'une tumeur qui, primitivement développée vers le centre de la moelle cervicale, s'étendrait principalement en avant de manière à affecter surtout la substance grise des cornes anté-rieures. Seulement, dans ce dernier cas, en raison de l'évolu-tion relativement lente de la lésion et de son extension, pour ainsi dire fatale à un instant donné, soit aux faisceaux blancs, soit aux régions postérieures de la substance grise, l'aspect des symptômes se montrerait nécessairement plus ou moins profondément modifié. Quoi qu'il en soit, on pourrait citer quelques exemples où une tumeur intraspinale cervicale a déterminé dans les membres supérieurs une paralysie se rap-prochant, à beaucoup d'égards, du type infantile. A ce propos je me bornerai à signaler une observation recueillie par M. Gull et où il s'agit d'un enfant de 8 mois chez lequel un tubercule solitaire s'était développé à la partie inférieure du renflement cervical, au niveau de l'origine des 6° et 7e nerfs cervicaux. La paralysie envahit d'abord graduellement le membre supé-rieur droit; puis, au bout de quinze jours, elle s'était étendue au membre supérieur gauche. Deux mois après le début des premiers symptômes, les membres paralysés, profondément amaigris, pendaient flasques et inertes de chaque côté du corps. Les membres abdominaux étaient faibles, mais le petit malade pouvait les mouvoir volontairement. La mort survint environ six mois après l'invasion de la paralysie. Jusqu'au der nier moment les mouvements volontaires persistèrent à ur certain degré dans les membres inférieurs2.
1 Ollivier (d'Angers), t. II, p. 319, 3e édition.
2 Guy's Hospital Reporta, 1858, p. 206, case xxxu. Voir aussi les cas xv
II.
Je me propose actuellement de vous présenter quelques re-marques relatives à un certain nombre de symptômes qui se manifestent parfois, en conséquence des lésions par compres-sion soit de la région cervicale, soit de la partie supérieure de la région dorsale de la moelle.
Les symptômes en question méritent d'autant mieux de nous arrêter que, d'un côté, ils ont été jusqu'ici, pour la plu-part du moins, peu remarqués, et que, d'un autre côté, ils peuvent exister, durant plusieurs semaines, ou plus long-temps encore, à l'état d'isolement, c'est-à-dire indépendants de toute paralysie motrice des membres, constituant pour ainsi dire, pendant ce temps, la seule révélation clinique de l'affection spinale.
a) Vous n'ignorez pas que des troubles oculo-pupillaires plus ou moins accusés se produisent assez fréquemment par le fait des lésions traumatiques portant sur la moelle cervicale ou sur la moelje dorsale supérieure. C'est tantôt la dilatation (myosis spasticà), tantôt au contraire, et plus souvent, la con-Taction pupillaire (myosis paralytica) qu'on observe en pareil cas ; elles occupent tantôt un seul œil, tantôt les deux yeux à la fois. On peut voir, sur un même œil, les deux ordres de phénomènes se succéder et alors la dilatation spasmodique précède la contraction paralytique1. Ce sont là aujourd'hui
du même recueil (1856, p. 181), où il s'agit vraisemblablement d'un gliôme.
1 Gehrard. — CcntralUatt, 1865, p. 10.
Je ne m'étendrai pas plus longuement ici sur cette dernière variété de paralysie cervicale d'origine spinale; elle sera ail-leurs l'objet d'une étude approfondie.
des faits de connaissance vulgaire1. Mais ce que l'on sait moins peut-être c'est que la mydriase, résultant d'une irrita-tion permanente de la région cilio-spinale, déterminée par une cause traumatique, peut subsister, d'une manière continue, pendant plusieurs semaines, sans adjonction de paralysie des membres, ainsi que le démontre une observation recueillie par M. Rosenthal et sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.
Ces mêmes modifications de l'orifice pupillaire peuvent se montrer liées aux lésions par compression des régions supé-rieures de la moelle. M. Ogle les a signalées dans plusieurs cas de mal de Pott cervical. Dans un cas du même genre, publié par M. A. Kulenburg2, la pupille droite resta très manifeste-ment dilatée pendant quatre semaines, après quoi elle reprit progressivement ses dimensions normales. L'affection osseuse, chez ce malade, paraissait occuper la dernière vertèbre cervicale et les trois premières dorsales. Un fait recueilli par M. E. Rollet, à la clinique d'Oppolzer3, est, dans l'espèce, particulièrement intéressant, parce qu'il montre la dilatation des deux pupilles, accompagnée d'un certain degré de protrusion des bulbes ocu-laires, précédant quelque temps le développement de la para-lysie motrice dans les membres inférieurs. Il s'agissait, dans ce cas, d'une tuberculose occupant les 3e et 4e vertèbres dor-sales et ayant déterminé par compression un ramollissement des cordons antérieurs dans la région correspondante de la moelle épinière. Il serait facile, sans doute, de multiplier ces exemples.
b) Je signalerai en second lieu tout spécialement la toux et
1 Leudet. — Mém. de la Société de Biologie, 1863, p. 105. — Rendu. -Des troubles fonctionnels du grand sympathique observés dans les plaies delà moelle cervicale. In Arch. gèn. de méd., sept. 1869. p 286 .97. — A. Eulen-burg und P Guttniiinn. — Pathologie des Sympathicus, Berlin, 1873, p. ®
-A. Eulenburg. — Greifswalder med. Beitriige, 1864, pp. 81, 88.
;1 Loc. cit. In CanstatVs Jahresb., 1864, t. III, p. 30.
la dyspnée qui, dans la compression des régions supérieures de la moelle épinière, peuvent exister à titre de symptômes isolés, longtemps avant l'apparition de la paraplégie. Combinés avec les douleurs névralgiques qui, en pareil cas, occupent naturellement les parties supérieures du thorax, ces symp-tômes ont quelquefois reproduit, jusqu'au point de rendre la méprise facile, les apparences de la phtisie commençante, c'est là une circonstance que le sens pratique de M. Gull n'a pas manqué de mettre convenablement en relief, et, à ce pro-pos, il cite une observation qu'il me paraît utile de vous faire connaître au moins sommairement.
Le fait est relatif à un boulanger, âgé de trente ans, qui, depuis deux mois environ, lors de son entrée à Gny's Hospital, se plaignait de toux et de dyspnée accompagnées de douleurs dans la partie supérieure du dos ainsi que dans l'é-paule droite, de transpirations fréquentes, d'un certain degré d'amaigrissement et enfin de prostration des forces. Quatre jours après l'admission, il se trouva tout à coup dans l'impos-sibilité de rendre ses urines volontairement et quinze jours plus tard les genoux devinrent douloureux (arthropathies spinales ?) en même temps que s'exaspérait la douleur thora-cique ; puis le mouvement commença à s'affaiblir dans les membres inférieurs. La paralysie motrice s'accusa aussi pro-gressivement dans ces membres ; bientôt elle se montra com-plète, absolue. La sensibilité était de son côté naturellement amoindrie dans les membres paralysés et dans toute la partie inférieure du tronc, jusqu'au niveau de la 3° côte. Une vaste escarre s'étant déclarée à la région sacrée le malade succomba, quatre mois environ après le début des premiers accidents. La moelle épinière, à l'autopsie, fut trouvée ramollie dans l'éten-due d'un pouce environ et dans toute son épaisseur, à la hau-teur de la première vertèbre dorsale. Une tumeur, du volume d'une noisette, était appendue à la face interne de la dure-mèreî
elle avait déterminé la compression de la moelle, d'avant en arrière, au niveau du point ramolli. Les lobes inférieurs des deux poumons présentaient les lésions d'une pneumonie ré-cente ; nulle part, dans ces organes, il n'existait de traces d'une lésion ancienne \
Des symptômes fort analogues, sous tous les rapports, à ceux qui viennent d'être mentionnés, se retrouvent dans une observation appartenant également à M. Gull, mais où l'affec-tion spinale n'était pas le résultat de la compression ; elle consistait en une induration qui occupait le renflement cer-vical 2.
c) Des troubles gastriques variés et, en particulier, des vo-missements à retours fréquents, doivent figurer aussi parmi les phénomènes qui se lient quelquefois aux premiers effets de la compression spinale cervicale. Ce symptôme s'est mon-tré très accentué dans un cas où il s'agit d'une tumeur intra-spinale (probablement un gliôme) qui occuperait la partie centrale de la moelle, dans la moitié inférieure du renflement cervical3. Il existait aussi chez le petit malade cité plus haut4, et qui présentait un tubercule solitaire développé dans la même région de la moelle. Il convient de mettre ces troubles digestifs en parallèle avec les crises gastriques de l'ataxie locomotrice progressive et de la paralysie générale spinale 5 ; mais il importe surtout, au point de vue de la physiologie pa-thologique, de faire remarquer que des vomissements très te-naces, très persistants, sont, en dehors de toute commotion cérébrale, un symptôme immédiat assez fréquemment lié aux lésions spinales occasionnées par une fracture des vertèbres
1 W. Gull. — Guy's Hospital Reports, 3e série, t. II, 1856, obs. i, p. 145.
2 Même recueil, obs. xvi, p. 185.
3 Gull, loc. cit., t. II, p. 184, case xv. Gull, loc. cit., t. IV, p. 206, case xxxir.
s Voir p. 36.
cervicales. Le fait se trouve mentionné déjà, à la vérité en passant, par Brodie ; mais il est mis décidément en lumière par l'intéressante statistique de M. Gurll, laquelle repose sur l'analyse de 300 cas de fracture des vertèbres cervicales sur-venues dans diverses régions K
d) Une gêne de la déglutition, plus ou moins prononcée et plus ou moins persistante, le hoquet, peuvent être rapprochés des troubles gastriques dont il vient d'être question. Us survien-nent dans les mêmes circonstances et se montrent, dans cer-tains cas de compression de la moelle cervicale, quelquefois bien avant l'apparition de la paralysie des membres 2. On peut en dire autant des troubles fonctionnels de la vessie et du rec-tum 3 et ce dernier fait contraste remarquablement avec ce que nous avons appris relativement à la façon dont se com-portent ces organes lorsque la compression porte sur la moelle dorsale. C'est là un point qu'il n'était pas sans intérêt de faire ressortir.
e) Je ne ferai que mentionner les attaques d'épilepsie qui se manifestent quelquefois d'une manière périodique chez les sujets atteints de lésions spinales par compression. Contraire-ment à ce qu'auraient pu faire supposer les effets bien con-nus des sections d'une moitié de la moelle épinière chez cer-tains animaux, l'épilepsie paraît être, chez l'homme, un résultat comparativement assez rare des lésions spinales. Pourtant j'ai pu aisément réunir une dizaine de cas de ce genre dont la moitié environ est relative à des lésions de la moelle cervicale déterminées par la compression.
1 E. Gurlt. — Handb. der Lehre von der Knochenbrùchen, 2 th. 1. Lief. 1864, p. 62. Dans un cas de Brodie le liquide vomi présentait une coloration noirâtre. La membrane muqueuse de l'estomac était parsemée de taches ecchymotiques, et la cavité de l'organe était remplie d'un liquide semblable à du marc de café, dans un des cas rapportés par Gurlt (n° 35.)
2 Gull. loc. cit., cas xv, xxxn. :J Gull, loc, cit., xv, xvi.
Le plus remarquable de ces faits est incontestablement ce-lui qui a été publié en 1862, dans la Gazette des hôpitaux, par M. Duménil (de Rouen) l. Vous ne confondrez pas ces con-vulsions générales, de cause spinale, avec l'ensemble sympto-matique décrit par M. Brown-Séquard sous le nom d'épi/epsie spinale et sur lequel nous avons plusieurs fois déjà appelé votre attention dans le cours de ces leçons 2. Les convulsions toniques ou cloniques sont, dans ce dernier cas, vous le savez, limitées aux parties situées au-dessous de la lésion de la moelle épinière.
f) Un des faits les plus intéressants, mais aussi, si je ne m'abuse, les moins remarqués, de la symptomatologie des lésions spinales cervicales, c'est, sans contredit, le ralentisse-ment permanent du pouls que l'on observe quelquefois en conséquence de ces lésions.
L'observation chirurgicale a depuis longtemps reconnu que les fractures des vertèbres cervicales ont assez souvent pour effet de donner lieu à un ralentissement remarquable des bat-tements du cœur. Telles sont en particulier les fracLures inté-ressant les 3e et 6e vertèbres du cou. M. Hutehinson a vu, en pareil cas, le pouls, — qui toujours alors, suivant lui, reste régulier, contrairement à ce qui aurait lieu s'il s'agissait de la
1 A. Duménil. loc. cit., p. 478. — Voir aussi les observations de Gedding, de Baltimore (Brown-Séquard, Journal de la physiologie, t. VI, d. F33) ; de Vebster (Medico-chirurgical Transact.. 2e série, t VIII) ; de Gendrin (Ollivier, d'Angers, t. Il, p 502 et 520), de Charcot et Bouchard ^Bouchard, D"S dégé-nérât ions secondaires de la moelle épinière, extrait des Archives généra'es de médecine, 1866, p. 'il); dans ce dernier cas la compression portait plutôt sur le bulbe.
Pour l'épilepsie liée aux lésions des régions dorsale et lombaire de la moelle épinière, consulter: Leudet (Archives de médecine, 186'?, t. I, p. 266); Ollivier, d'Angers, (3e édit. 1837, t. II, p. 319) ; Billet et Barlhez (t. III, p. 589 1859): Michaud (Sur la méningite et la myélite, Paris, 1871, p. 50). Brown-Séquard (Re^earches on Epilepsy, p. Il); Westphal (Archives de Psychiatrie, t. I, p, 84, 186s); Ollivier, d'Angers (t. II, p. 319.)
2 Gharcot. — Leçons sur les maladies du système nerveux, tome L, p. 218, 219.
commotion cérébrale, —ne plus battre que 48 fois à la mi-nute i. Suivant M. Gurlt, dont je vous ai recommandé déjà la statistique importante, les battements peuvent même descen-dre jusqu'à 36, à 20. Les fractures de la première dorsale pa-raissent être susceptibles elles-mêmes d'amener le ralentisse-ment des pulsations \ Bien entendu toute intervention de la commotion cérébrale se trouve écartée dans ses observations. Dans la règle, le ralentissement du pouls, lié aux fractures de la région cervicale, est un phénomène essentiellement tran-sitoire et bientôt il fait place à une accélération très prononcée et presque toujours de mauvais augure.
Il arrive cependant parfois qu'il persiste, à titre de symp-tôme permanent, pendant plusieurs semaines. Je reviens à ce propos sur le cas du docteur Rosenthal (de Vienne) que j'ai mentionné plus haut: Un enfant de 15 ans reçut un coup qui le frappa dans la région de la 6e vertèbre cervicale. Les symp-tômes d'une commotion cérébrale légère et tout à fait transi-toire se manifestèrent aussitôt, accompagnés d'une hémiplé-gie du côté droit qui, elle-même, ne dura pas plus de vingt-quatre heures. Néanmoins pendant les quatre semaines qui suivirent l'accident, en outre de la dilatation pupillaire déjà si-gnalée, on remarqua que le chiffre des battements du cœur restait, d'une façon permanente, très notablement abaissé. Les pulsations oscillaient entre 56 et 48 par minute. Le malade guérit complètement.
Ce cas, très remarquable incontestablement, ne rend-il pas déjà très vraisemblable, que le phénomène du pouls lent per-manent pourra, dans de certaines circonstances, s'observer avec toutes ses conséquences, à la suite des lésions irritatives
1 Hutcliinson. — On fractures of the Spine. In London Hosp. Reports, 1866, "t. Hl, p. 366.
2 Gurlt, loc. cit., p. 50, obs 61 empruntée à Hubhes {Dublin Hosp. Rep., * II, 18 5, p. 145) et obs. xxir, rapportée par Tyrrel (London med. and Phys. Journal,ï. LXI, new série, vol. VI, 1829, p. 232).
de la moelle cervicale, en dehors même de toute influence traumatique ?
J'ai dit « avec toutes ses conséquences, » parce qu'en réa-lité, ainsi que vous allez le reconnaître dans un instant, le pouls lent permanent n'est pas, tant s'en faut, un phénomène indifférent, pour peu qu'il soit très accentué.
En dehors des lésions traumatiques de la moelle cervicale ou du bulbe rachidien, le pouls lent, dans l'opinion des au-teurs, peu nombreux d'ailleurs, qui l'ont étudié, ne s'observe-rait que comme une conséquence de certaines maladies organi-ques du cœur: le rétrécissement aortique, la dégénérescence graisseuse des muscles ventriculaires l, la présence de dépôts fibrineux [infarctus ?) dans ces mêmes muscles2. Je suis bien loin de vouloir nier que le phénomène du pouls lent puisse reconnaître, en effet, pour point de départ une lésion organi-que du cœur. Mais je dois déclarer que trois fois j'ai observé ce phénomène persistant, sous une forme très accentuée (20, 30 pulsations par minute), à Tétat permanent, pendant plu-rieurs années, chez des vieillards de cet hospice, et que dans ces trois cas, après vérification anatomique attentive, le cœur a été trouvé soit tout à fait sain, soit ne présentant que des altérations véritablement banales, surtout à cette époque de la vie 3. J'ai été conduit par là à me demander, si, tout au moins dans ces cas où les lésions cardiaques font défaut, la cause organique du ralentissement des battements artériels ne
1 W. Stokes. — Observations on some cases of permanently Slow Puise, {Dublin Quarterly Journal of medic. Science. August. I. 146.— Traité des maladies du cœur et de l'aoHe, trad. par le Dr Senac, pp. 138, 232, 308, 315, 337. —- R. Quain.— Medico-chir. Transactions, t. XXXIII-
2 Ogle. — Fibrinous masses deposited in the substance of thehearts Walls ; Rernarkable Slowness of the puise ; Epileptic Seizures. (Patholoqical Society. 1863, p. 89.)
s Le cœur ne présentait, à l'auscultation et à la percussion, aucun signe d'altération dans un cas très intéressant de poids lent permanent avec attaques syncopales et épileptiques, publié par M. A. Rotureau, dans VUnion médicale. ( 1er mars 1870, n° 25, p. 331).
serait pas dans la moelle cervicale ou dans le bulbe rachidien, plutôt que dans le cœur. A la vérité, les recherches anatomi-ques, que j'ai entreprises à cet égard, sont restées jusqu'ici sans résultat définitif. Mais il importe de remarquer qu'elles datent d'une époque où nos moyens d'exploration, en ce qui concerne les centres nerveux, étaient beaucoup moins puis-sants qu'ils ne le sont devenus aujourd'hui.
Si, Messieurs, j'insiste sur le pouls lent permanent considéré dans ses relations possibles avec les lésions spinales ou bul-baires, c'est non seulement parce qu'il s'agit là d'un phéno-mène dont l'interprétation intéresse au plus haut degré la phy-siologie pathologique, mais encore parce que, très habituelle-ment, il s'y surajoute, ainsi que je le laissais pressentir tout à l'heure, des accidents graves capables de déterminer rapide-ment la mort.
Voici d'ailleurs en quoi ces accidents consistent. Ils sur-viennent par accès, se répétant régulièrement à des époques plus ou moins éloignées : tantôt ils se présentent avec tous les caractères de la syncope; tantôt ils participent à la fois, quant aux symptômes, de la syncope et de l'état apoplectique ; il est enfin des cas, dans lesquels il s'y adjoint des mouvements épileptiformes, surtout marqués à la face, avec changement de coloration du visage, écume à la bouche, etc. Le pouls qui, dans l'intervalle des crises, bat en moyenne, 30, 40 fois par minute, se ralentit encore pendant l'accès, jusqu'à descendre à 20, ou même à 43 pulsations. Il s'arrête même momentané-ment, quelquefois complètement. Toujours l'état syncopal ouvre la scène ; l'état apoplectique avec sommeil stertoreux survient ensuite, au moment où le pouls, un instant supprimé, reparaît, et où la pâleur des traits fait place à la rougeur du visage. C'est dans ces mêmes conditions que se montrent par-fois les convulsions épileptiformes.
L'ensemble symptomatique reste invariable, Messieurs,
ainsi que le démontrent mes trois observations, soit qu'il y ait des lésions organiques du cœur bien et dûment constatées, soit alors que ces lésions n'existent pas. Quelle est donc l'ori-gine du ralentissement du pouls et des accidents qui s'y sura-joutent dans les cas du dernier genre? Je suis très porté à croire, je le répète, qu'elle doit être cherchée dans la moelle épinière ou dans le bulbe. En l'absence d'observations per-sonnelles propres à décider la question, je puis étayer mon hypothèse non seulement sur ce qui a été dit tout à l'heure des effets produits par l'irritation traumatique des régions su-périeures de la moelle, mais encore sur la connaissance d'un fait particulier extrêmement remarquable et qui, jusqu'ici,'est resté dans l'ombre, je ne sais trop pourquoi.
Ce fait appartient au Dr Halberton, qui l'a publié dans les Transactions médico-chirurgicales de Londres, pour 1844 Il concerne un gentleman âgé de 64 ans qui, dans une partie de chasse, fit une chute sur la tête et perdit connaissance un instant. Il dut rester plusieurs semaines au lit, se plaignant d'une douleur vive au cou et d'une gêne marquée dans les mouvements de la tête. Cette gêne persista longtemps; cepen-dant durant les deux années qui suivirent l'accident, ce gentle-man put se livrer tant bien que mal à la plupart de ses occu-pations favorites. Ce n'est qu'au bout de ces deux années que survint la première crise syncopale {a fainting fit), et l'on reconnut à cette occasion, pour la première fois, que le pouls était ralenti d'une manière permanente. Pendant le cours des deux ou trois années qui suivirent, les accès se reproduisirent et se rapprochèrent de plus en plus, en même temps qu'ils devenaient plus longs. Le plus souvent, dans ces crises, l'état syncopal faisait place bientôt aux phénomènes apoplectiformes
1 Y,-H. Halberton. — A case of slow puise which faintinq ftts, which first came on tmo years after an injury ofthe neck,from a fall. (Med. chir. Traus.. t. XXIV. London, 1844.)
et épileptiformes dont je vous entretenais il y a un instant. Le pouls qui, dans les conditions ordinaires, était en moyenne à 33, tombait à 20, à 15 même aux approches de l'accès, et il cessait momentanément de battre lorsque celui-ci avait éclaté.
La mort survint dans une de ces crises, et voici ce que l'au-topsie, faite par Lister, permit de constater. La partie supé-rieure du canal spinal et le trou occipital étaient considérable-ment rétrécis dans le diamètre anléro-poslérieur ; à peine ce dernier pouvait-il admettre le petit doigt. La dure-mère et le ligament qui recouvre la partie postérieure du corps de l'axis, étaient très épaissis. L'atlas avait conservé sa situation nor-male, mais les articulations qui l'unissent à l'occipital avaient subi l'ankylose osseuse, de manière à ne permettre aucun mouvement. La moelle allongée était très petite et d'une con-sistance très ferme. Le cœur était volumineux, les parois ven-triculaires plutôt minces, mais il ne présentait d'ailleurs, à part un certain degré d'épaississement de l'endocarde dans plusieurs cavités, aucune altération digne d'être notée.
L'auteur n'hésite pas à rattacher tous les symptômes relevés dans son intéressante observation — pouls lent permanent, crises syncopales suivies de symptômes apoplecliformes et épi-leptiformes, — aux effets de la compression que la moelle cervicale et le bulbe avaient dû subir en conséquence du rétrécissement que présentaient la partie supérieure du canal vertébral ainsi que le trou occipital. Je m'associe sans réserve à son opinion 1.
1 Le pouls lent permanent avec attaques syncopales, apoplectiformes et épileptiformes, s'observe quelquefois à titre d'accident consécutif a la diphté-rie. Il y a lieu de croire, d'après ce qui précède, que ces symptômes qu'on s'efforce toujours de rattacher soit à une altération des parois ventriculaires, soit à la formation de caillots dans les cavités cardiaques, relèvent dans certains cas, au moins, d'une lésion siégeant dans le bulbe ou dans la moelle cervicale supérieure ; c'est là une thèse que je me réserve de développer par la suite. Consulter à ce sujet : Millner Barry. British med. Journal.
C'est ici le lieu de vous remettre en mémoire l'accident ter-rible qui se produit assez fréquemment dans le mal de Pott cervical : je veux parler de la.rupture du ligament transverse qui maintient l'apophyse odontoïde sur l'axis, et de la luxation de l'apophyse qui en résulte. L'histoire des effets de la com-pression brusque de la moelle cervicale et du bulbe, qui sur-vient alors, ne prête pas à de longs développement descriptifs ; c'est la mort subite, la mort « sans phrase » — passez-moi le mot — qui s'ensuit. Cet accident, je le répète, est loin d'être rare. M. Ogde, à lui seul, a rassemblé quatre ou cinq faits de ce genre, recueillis dans sa pratique d'hô-pital f.
III.
Pour en finir avec ce qui a trait à l'histoire de la compres-sion spinale lente, il me reste à vous dire quelques mots rela-tivement aux symptômes particuliers qui s'observent lorsque la lésion porte sur le renflement lombaire ou encore sur la queue de cheval. Je serai bref sur ce point, parce qu'il n'a pas encore été, que je sache, l'objet d'études cliniques suffi-santes. Les seuls faits à relever pour le cas où il s'agirait d'une altération profonde, occupant le renflement lombaire dans toute l'étendue de sa portion inférieure jusqu'au filum termi-nale, sont : la flaccidité que présenteraient les membres para-lysés, l'inertie très accentuée du sphincter anal et vésical, l'obnubilation ou même la suppression des actes réflexes 2. Si
Jally 1858; — R. Thompson. Med. Times J. Janv. 1860 ; — Eisenhman. Die Ursache der diphtherischen Lûhmungen. (Deustche klinik. July 1861, no 29, p. 286);— Greenhow. Clin. Soc. of London. (The Lancet, may 4, 1872, p. 615.)
1 Ogle. — Patholog. Society, 1863, p. il.
2 Brown-Séquard. — Diagnostic et traitement des principales formes de paralysie des membres inférieurs. Paris, 1864, p. 73. — W. Ogle. — Pa-
la lésion siégeait d'un seul côté du renflement, soit à droite, et par exemple au niveau de la 3e paire sacrée, s'étendant un peu au-dessus et au-dessous de ce point, on observerait les phénomènes suivants : paralysie des mouvements à droite n'occupant guère que la jambe et le pied ; conservation de la sensibilité de ce côté, dans les parties paralysées ; anesthésie complète ou à peu près, des parties correspondantes du côté gauche, avec conservation du mouvement volontaire. De plus, il y aurait — et c'est là ce qui permettrait de différencier ce cas de ceux où la lésion hémilatérale siège plus haut dans la moelle — perte de la sensibilité dans diverses parties des deux côtés du tronc et aux membres inférieurs, surtout à l'anus, au périnée et aux genoux *.
Les effets de la compression des nerfs de la queue de cheval rentrent naturellement dans l'histoire des lésions des nerfs périphériques. Les douleurs pseudo-névralgiques, la paralysie motrice et l'anesthésie, varieraient nécessairement de siège et d'étendue, suivant le mode de répartition et le degré de la lésion des nerfs. Les sphincters de l'anus et de la vessie seraient, en pareil cas, le plus souvent indemnes, mais il pourrait se former des escarres à développement rapide, à la région sacrée et sur d'autres parties des membres infé-rieurs 2.
Ici s'arrêteront, Messieurs, les développements relatifs aux symptômes des compressions spinales. Si le temps me l'eût permis, j'aurais voulu vous montrer, par l'examen de quelques
tholog.Society, 1853, t. IV. Fracture of the last dorsal vertehra with destruc-tion of the spinal marrow.
1 Voir a ce propos l'observation très intéressante, bien que non suivie d'au-topsie, rapportée par M. Brown-Séquard dans le Journal de physiologie, t. VI,
p. 624, obs. xxm.
2 Brown-Séquard, loc. cit., p. 623. — Knapp (New-York Journal of mé-decine. Sept. 1851, p. 198). — Desruelles. — Société anatomiq., 1852, p. 12. — London Hospital Reports, t. III, 1866, p. 343.
exemples particuliers, le parti qu'on peut tirer de la connais-sance des faits que nous avons enregistrés dans la clinique des maladies de la moelle épinière. Je me vois forcé, à mon regret, de laisser quant à présent, à l'état de projet, ce travail d'appli-cation.
TROISIÈME PARTIE
Des amyotrophies spinales.
Paralysie spinale infantile; — Paralysie spinale de l'adulte; — Atrophie musculaire progressive spinale ; — Sclérose latérale amyotrophique, elc.
Charcot. Œuvres complètes, t. ii.
I 1
NEUVIÈME LEÇON
5
Paralysie infantile
Sommaire. — Myopathies spinales ou de cause spinale. — Caractères géné-raux. — Localisation des lésions spinales dans les cornes antérieures de la substance grise.
Paralysie spinale infantile.— Elle sera considérée comme maladie d'éludé. — Symptômes: période d'invasion, ses modes; — seconde période ou ré-gression des symptômes avec localisation des lésions musculaires (Atrophie musculaire, arrêt de développement du système osseux, refroidissement des membres, déformations, pied bot paralytique).
Anatomie pathologique de la paralysie infantile. — Lésions des muscles aux diverses périodes ; surcharge graisseuse. — Lésions du système ner-veux : historique (Charcot et Cornil. Vulpian et Prévost, Charcot et Joffroy, Parrot, Lockh'irt-Clarke et Johnson, Damaschino et Roger). — Localisai ion des lésions dans les cornes antérieures de la substmee grise. — Altérations secondaires : transformation scléreuse de la névroglie; foyers de désinté-gration; sclérose partielle des cordons antéro-latéraux ; atrophie des racines antérieures. — Raisons qui tendent à démontrer que la lésion primitive réside dans les cellules nerveuses.
1.
Messieurs,
Je veux appeler votre attention sur un groupe nosographi-pie, que je vous proposerai de désigner sous le nom de myo-pathies spinales ou de cause spinale.
Une lésion trophique des muscles, plus ou moins étendue et plus ou moins profonde, est un trait commun à toutes les
1 Cette leçon, faite à la Salpêtrjère en juillet 1870, a été publiée dans la Revue photographique des hôpitaux, janvier et février 1872.
individualités du groupe et c'est là, de plus, leur caractère cli-nique le plus saillant.
D'un autre côté, les affections musculaires dont il s'agit paraissent devoir être rattachées toujours à une altération qui occupe, d'une manière prédominante, sinon exclusive, certains éléments bien déterminés de la substance grise, à savoir : Yappareil des cellules nerveuses dites motrices, lesquelles, comme vous le savez, ont pour siège les cornes antérieures de la substance grise de la moelle épinière.
Avant d'entrer dans l'étude particulière des diverses affec-tions qui constituent ce groupe, permettez-moi de vous pré-senter quelques détails préliminaires, propres à mettre en relief les caractères généraux que je veux indiquer d'une façon tout à fait sommaire.
Bien qu'elle occupe, dans la moelle épinière, un espace rela-tivement restreint, la substance grise centrale est cependant, au point de vue physiologique, la partie la plus importante du centre spinal. Qu'il me suffise de vous rappeler que ce cordon central de substance grise est un lieu de passage obligé pour la transmission des impressions sensitives, que les impulsions motrices volontaires et réflexes doivent nécessairement, elles aussi, passer par la substance grise,— de telle sorte que, si cette voie était coupée, l'accomplissement de toutes ces fonc-tions serait du même coup rendu impossible. Mais il semble aujourd'hui démontré que toutes les parties de la substance grise ne sont pas indistinctement affectées à l'exécution de ces diverses fonctions. Dans cet espace si limité, je le répèle, si circonscrit, qu'occupe la substance grise au centre de la moelle épinière, il y a lieu d'établir plusieurs régions, plusieurs dépar-tements bien distincts. C'est ainsi, par exemple, que M. Brown-Séquard, suivi en cela par M. Schiff, sépare physiologiquement, d'une façon très nette, ce qu'il appelle la substance grise cen-trale et les cornes de substance grise. La première aurait
seule (avec les cornes postérieures, du moins pour une part), un rôle sérieux dans la transmission des impressions sensi-tives. Quant aux cornes antérieures, elles seraient destinées surtout à la transmission des excitations motrices et auraient, peu de rapport avec la sensibilité.
Messieurs, ces résultats, fondés sur l'expérimentation phy-siologique, trouvent leur confirmation dans la pathologie. La maladie, en effet, mieux encore que ne peut le faire le physio-logiste le plus habile, produit parfois des altérations qui affectent isolément les diverses régions de la substance grise.
C'est là justement le cas des affections que nous allons dé-crire. Elles sont déterminées par une lésion qui peut siéger exclusivement, ou à peu près, sur les cornes antérieures et, en conséquence, tandis que la transmission des impressions sen-sitives n'est en rien modifiée, si ce n'est très accessoirement et comme par hasard, les fonctions motrices, au contraire, sont lésées profondément.
Cette absence d'une modification de la sensibilité est un trait qui différencie les maladies du groupe des diverses for-mes de myélites que nous étudierons bientôt et qui, comme les premières, peuvent affecter la substance grise centrale.
Dans ces myélites centrales, la lésion inflammatoire porte indistinctement sur tous les points, sur toutes les régions de la substance grise, d'où il résulte que la sensibilité et le mou-vement sont, de toute nécessité, altérés simultanément. Les fonctions motrices et la nutrition des muscles, sont seules affectées au contraire dans les cas de myopathies spinales pro-prement dites, du moins dans les types purs, exempts de toute complication. Et, puisque nous en sommes à comparer la myélite aux myopathies spinales, faisons ressortir encore les traits suivants qui appartiennent à la première et non aux secondes.
L'affection musculaire est, dans celles-ci, bornée aux mus-
cles de la vie animale, en particulier aux muscles des mem-bres; le tronc, la lête, ne sont pas épargnés, tant s'en faut; mais les fonctions de la vessie et du rectum sont, en général, respectées.
11 est rare, aussi, contrairement à ce qui a lieu dans la myé-lite ordinaire de voir des escarres ou d'autres troubles de nu-trition de la peau se produire dans les myopathies spinales, môme dans les cas les plus graves.
Enfin, Vexaltation des propriétés réflexes, les différentes formes de l'épilepsie spinale qui se voient dans certaines myé-lites, la contracture permanente qui s'y surajoute — et qui constitue aussi un des symptômes des maladies scléreuses des cordons blancs antéro-latéraux parvenues à un certain degré de développement, — font défaut dans les myopathies spinales.
En somme, Messieurs, les lésions du système musculaire de la vie animale, se traduisant par une impuissance motrice et une atrophie plus ou moins accusées, sont, ainsi que je vous l'avais fait pressentir, le caractère clinique prédominant des maladies qui composent le groupe nosographique que nous nous proposons d'étudier avec vous. Mais, à ce propos, il convient d'établir une distinction importante.
Tantôt l'impuissance motrice, survenue dans un certain nombre de muscles ou groupes de muscles, est le premier symptôme que l'observation fasse reconnaître. Le muscle est d'abord paralysé, les fonctions motrices sont anéanties d'une façon plus ou moins complète ; la structure du muscle semble ne s'altérer que secondairement.
D'autres fois, au contraire, les muscles affectés sont, dès l'origine, le siège de troubles trophiques très accentués et l'impuissance motrice, en pareille circonstance, semble être en quelque sorte proportionnelle au degré de l'atrophie subie par le muscle;
Ce sont là deux cas extrêmes, reliés par de nombreux inter-médiaires, car souvent, le plus souvent peut-être, les muscles malades sont à la fois paralysés et atrophiés et, en outre, lésés plus ou moins profondément dans leur texture.
Les affections, que nous allons réunir sous une même ru-brique, avaient été jusqu'ici tout à fait séparées, en noso-graphie, comme s'il s'agissait là d'affections radicalement dis-tinctes. Qu'il me suffise de citer, à titre d'exemple, \a.paralysie infantile spinale, la paralysie générale spinale, récemment décrite par M. Duchenne (de Boulogne), et qui n'a pas encore reçu droit de domicile dans les cadres classiques, h paralysie glosso-labio-laryngée, certaines formes de l'atrophie muscu-laire progressive, etc. J'espère vous démontrer que le rappro-chement que nous allons tenter mettra en lumière des caractères communs qui, jusqu'à ce jour, étaient restés mé-connus
1 On peut ramener toutes les atrophies musculaires développées sous l'in-fluence d'une lésion spinale (amyotrophies spinales) à deux groupes fondamen-taux. Dans un groupe, l'affection évolue anatomiquement suivant le mode aigu ou même suraigu. Dans l'autre, elle prend dans sa marche, les allures d'une maladie primitivement chronique. Il y a là matière à une division tranchée.
Le groupe des amyotrophies spinales à développement rapide, tant circon-scrit qu'il soit, offre déjà un champ d'étude assez vaste, car les lésions aiguës de la moelle épinière qui peuvent entraîner le développement rapide d'une atro-phie musculaire, sont nombreuses. Nous citerons, à titre d'exemple, la myé-lite aiguë centrale, c'est-à-dire localisée principalement dans la substance grise, y/iématomyélie, diverses formes de myélite traumalique, soit qu'il s'agisse d'une plaie produite par un instrument pénétrant dans le canal rachidien ; en-fin la paralysie infantile.
Parmi ces lésions spinales d"origine et de nature si diverses, il en est une dontle caractère anatomique fondamental est de s'attacher, pour ainsi dire systé-matiquement aux régionsde lasubstance grise occupées par les grandes cellules motrices, dont elle détermine l'atrophie et même la destruction complète. — Cetteaffection, qui n'est autre quelaparalysie infantile, constitue, en conséquence, dans le groupe des amyotrophies spinales aiguës, un type remarquable et qu'il convient de considérer tout d'abord, parce que la lésion médullaire et les con-séquences qui s'y rattachent se produisent là dans des conditions relativement beaucoup plus simples et par conséquent plus favorables à l'analyse que par-tout ailleurs (Cours cVanatomiepathologique de la Faculté, avril 1874.)
Mais il est temps, Messieurs, de laisser ces considérations préliminaires, trop générales pour n'être pas un peu vagues, et d'entrer dans l'analyse des faits. Nous choisirons comme éta-lon la maladie singulière qu'on désigne vulgairement sous le nom de paralysie infantile. C'est là, en effet, l'un des types les plus remarquables du groupe : les caractères spécifiques s'y montrent accusés de la manière la plus frappante ; partant, dans l'espèce, la paralysie infantile peut être présentée comme une maladie d'étude ; car si nous réussissons à bien faire ressortir devant vous les traits les plus saillants de son histoire, la tâche qu'il nous restera à accomplir sera, vous le reconnaîtrez, je pense, rendue facile.
Vous n'ignorez pas qu'il s'agit là d'une maladie propre jus-qu'à un certain point à l'enfance. En effet, c'est entre un an et trois ans qu'elle se développe le plus souvent Après cinq ans, les cas sont rares2, après dix ans ils sont tout à fait excep-tionnels 3. Mais il importe de reconnaître, Messieurs, qu'on peut voir se développer chez l'adulte, et même dans l'âge mûr, une affection qui ne diffère en rien d'essentiel de la pa-ralysie infantile, de telle sorte que, à côté de la paralysie spi-nale de V enfance, il y a lieu défaire une place pour la para-lysie spinale de l'adulte. C'est là un point que M. Duchenne (de Boulogne) a bien mis en lumière, que d'autres observa-teurs ont reconnu avec lui4, et que je relèverai à mon tour.
1 Laborde. — D2 la paralysie (dite essentielle ) de ienfance. Paris, 1864, p. 98.
2 Laborde, loc. cit., p. 63. — Heine. — Spinale Kinderlähmung, 2e aufl. Stuttgart, 1860, p. 60.
3 Duchenne (de Boulogne) fils. — De la paralysie atrophique graisseuse de Venfance. Paris, 1864, p. 2t.
4 Duchenne (de Boulogne). — De V èlectruation localisée, 3° édit. 1872, p. 437. — M. Meyer. — Die Electricitat. und ihre Anwendung, etc. Berlin, 1867, p. 210. — Roberts. — In Reynold. A system of medicine, p. 169.
Je vais rapporter en quelques mots les symptômes qui ca-ractérisent cette affection et, pour plus de clarté, nous recon-naîtrons dans notre description l'existence de deux périodes.
Première période. 1° Le mode d'invasion de la paralysie in-fantile est, vous le savez, des plus remarquables. La maladie a un début brusque, soudain, annoncé le plus souvent par une fièvre intense, avec ou sans accompagnement de convulsions, ou d'autres symptômes cérébraux et quelquefois de contrac-tures passagères.
Cette fièvre initiale, que nous venons de signaler à votre attention, s'observe, je le répète, chez la plupart des enfants ; toutefois, elle peut, paraît-il, faire absolument défaut '.
Quoi qu'il en soit, les symptômes paralytiques s'accusent d'emblée, du jour au lendemain, et dès l'origine, ils ont ac-quis leur summum d'extension et d'intensité. Ces symptômes paralytiques offrent de grandes variétés de siège. La paralysie est parfois absolue, complète, intéresse les quatre membres ou trois d'entre eux ; — ou bien elle n'affecte qu'un seul membre inférieur, ou encore l'un des membres supérieurs : ; — d'autres fois, très rarement à la vérité, elle frappe exclusi-vement les deux membres supérieurs — enfin, il est des cas où la paralysie, atteignant seulement les membres infé-rieurs, revêt la forme paraplégique.
En résumé, on observe ici une paralysie complète, absolue, avec flaccidité des membres, avec abolition ou diminution de l'excitabilité réflexe, mais — et c'est là un point sur lequel j'insiste encore — sans qu'il y ait traces d'obtusion de la sen-
1 R. Volkmann. — Veùer KinderlaJunung und paralytische Contracturem, in Sammlung Klinischer VoHriïge, no 1, Leipzig, 1870, pp. 3 et 4.
2 R. Volkmann, loc. cit.
3 Duchenne (de Boulogne), loc. cit., pp. 13 et 18. — L. Clarke. — Med. chir. Transactions, t. LI, 1868.
sibilité, de nécrose dermique, ni troubles fonctionnels soit du rectum soit de la vessie l.
Existe-t-il, à l'origine, des douleurs, des fourmillements in-diquant une participation au moins temporaire de la sub-stance grise centrale? Quelques observations faites par MM. Duchenne et Hein, chez des enfants déjà d'un âge assez avancé pour fournir des renseignements à cet égard, tendent à établir qu'il en est ainsi. Ce qui se passe, en pareil cas, chez l'adulte, plaide, nous le dirons ailleurs, dans le même sens. Du reste, c'est là, le plus souvent, un phénomène tran-sitoire, accessoire et certes l'absence d'altérations un peu ac-cusées de la sensibilité, contrastant avec une paralysie motrice aussi absolue, aussi complète, est un des caractères les plus frappants de la paralysie infantile
Voici encore un nouveau trait. Aune époque très rapprochée du début des accidents, la contractilité électrique faradique est amoindrie sur un grand nombre des muscles paralysés, éteinte sur plusieurs d'entreeux; c'estlàun phénomèneimpor-lant, constaté par M. Duchenne plusieurs fois dès le cinquième jour, mais qui se rencontre plir; fréquemment le septième et le huitième jours. Je rappellerai, à ce propos, ce que je vous ai dit naguère, à savoir que, selon quelques auteurs, la con-tractilité galvanique peut encore mettre en jeu les muscles que la faradisation n'affecte plus. Tout muscle qui, au bout de quelques semaines après le début, ne réagit pas, est'menacé d'être perdu pour la vie 3.
Tels sont, Messieurs, les caractères les plus saillants de la première période delà paralysie infantile ; je vous demande la permission de les résumer en quelques mots :
1 Volkmann, loc. cit. Cet auteur fait remarquer que les fonctions sexuelles, lors de l'âge adulte, ne sont pas entravées.
2 Duchenne (de Boulogne), loc. cit. — Volkmann, loc. cit.. etc.
3 Volkmann. — Klin. Vortrtige, p. J .
1° Invasion brusque de la paralysie motrice qui atteint du premier coup son summum d'intensité, à la suite d'un état fé-brile plus ou moins intense ou en l'absence de fièvre ;
2° Prompte diminution et même abolition apparente de la contractilité faradique dans un certain nombre de muscles frappés de paralysie.
3° Absence de troubles marqués de la sensibilité, — de pa-ralysie du rectum ou de la vessie, — absence d'escarres ou d'autres troubles trophiques cutanés.
Deuxième période. Messieurs, la régression des symptômes, dont nous venons de vous entretenir, inaugure la seconde pé-riode de la paralysie infantile. Elle commence à s'accuser du deuxième au sixième mois à partir du début ; parfois plus tôt, quelquefois plus tard. Elle met plusieurs mois à s'accomplir, six mois, dans certains cas, au dire de Volkmann. Huit ou dix mois après le début, époque qui marque la terminaison de cette période rétrograde, les muscles qui n'ont pas recouvré leurs fonctions peuvent être, d'après la plupart des observateurs, considérés comme lésés à tout jamais, comme perclus sans re-tour. Du reste, l'amendement ne se fait pas sentir, en règle générale, sur tous les points. Dans les cas ordinaires, il est toujours quelques muscles, ceux parfois de tout un membre ou seulement d'une région d'un membre, dans lesquels les lé-sions continuent à progresser, au contraire, pendant un cer-tain temps encore, puis persistent d'une manière indélébile, et présentent à l'observateur une série de phénomènes qui mérite de nous arrêter d'une façon spéciale.
a) ]_?atrophie devient bientôt manifeste sur ceux des mus-cles chez lesquels la contractilité faradique n'a pas reparu. On ne se rend pas toujours un compte exact de l'étendue de cette atrophie, parce qu'elle est souvent masquéej ne l'oublions
pas, par l'accumulation du tissu cellulo-graisseux. Elle con-stitue, d'ailleurs, l'un des traits saillants de la paralysie infantile et elle semble s'accuser plus vite, dans cette maladie, que dans les cas de lésions des nerfs mixtes où elle est cependant très rapide. Ainsi, d'après M. Duchenne (de Boulogne), elle est, dans la paralysie infantile, déjà très apparente au bout d'un mois, et il est des cas, rares à la vérité, où elle peut s'accuser môme dès les premiers jours.
b) Arrêt de développement du système osseux. Nous devons relever, ici, un trait imporlant que M. Duchenne (de Boulo-gne) et, après lui, M. Volkmann, ont fait ressortir : c'est l'arrêt de développement du système osseux. L'atrophie qui affecte les os n'est nullement en rapport nécessaire avec le degré ou avec l'étendue de la paralysie et de l'atrophie musculaires.
Ainsi, suivant une remarque de Duchenne (de Boulogne), un membre frappé de paralysie infantile pourra avoir perdu la plupart de ses muscles et cependant n'être'plus court, que celui du côté opposé resté sain, que de 2 à 3 centimèlres seulement tandis que, dans un autre cas, la diminution en longueur du membre frappé de paralysie peut aller jusqu'à S ou 6 centi-mètres, bien que, dans ce cas, la lésion musculaire soit restée localisée dans un ou deux muscles à peine et ait permis le prompt retour des mouvements *.M. Volkmann, deson côté, a observé des faits de raccourcissement considérable du mem-bre affecté chez des enfants qui, en raison du léger degré d'al-tération des muscles des pieds et du peu d'étendue des défor-mations essentielles, boitaient à peine et se tenaient sur leurs jambes une bonne partie du jour. Il dit même avoir vu quatre ou cinq fois une paralysie infantile tout à fait temporaire, et aboutissant, au bout de quelques jours, à un retour complet des
1 De Télectrisation localisée, 3e édition, 1 72, p. 400.
fonctions des muscles, être suivie cependant de lésions tro-phiques osseuses qui persistaient toute la vie %.
Il serait difficile de trouver un exemple plus propre à éta-blir l'action directe des lésions du système nerveux central sur la nutrition des parties osseuses, puisqu'il est impossible d'invoquer, dans cette circonstance, l'influence de l'inertie fonctionnelle prolongée.
c) Refroidissement du membre. Un autre phénomène qui mérite d'être signalé, au même titre que les précédents, c'est le refroidissement permanent souvent très prononcé que pré-sente tôt ou tard le membre paralysé. De même que l'atrophie, ce phénomène paraît s'accentuer plus dans la paralysie spinale infantile que dans toutes les autres formes de paralysie des membres". C'est peut-être le lieu défaire remarquer qu'en outre de l'atrophie des muscles et des os, on trouve à l'autop-sie, dans les cas de ce genre, une diminution remarquable du calibre des troncs vasculaires. Il est des circonstances où le refroidissement en question devient appréciable de très bonne heure, quelques semaines parfois après le début, ou même plus tôt encore 3.
d) Un dernier caractère sera fourni par les déformations qui se manifestent dans les membres paralysés, en conséquence de la prédominance d'action des muscles restés sains ou ayant, à un moment donné, récupéré leur tonicité. La pathogénie de ces déformations n'offre pas d'obscurités. Nous savons que l'a-trophie n'est pas répandue uniformément sur tous les muscles
1 R. Volkmann, loc. cit.,]). 6. « Même dans la paralysie infantile très limi-tée et très incomplète, les troubles trophiques dont il s'agit peuvent affecter le membre dans toute son étendue ; on en retrouve souvent des traces au tronc, au bassin, aux épaules et même, dans certains cas, à la tête. — Id., loc. cit.
2 Heine, loc. cit., p. 13.
3 Duchenne (de Boulogne) dit l'avoir constaté déjà du quatrième au cin-quième jour. — Loc cit., dernière édition, page 398.
d'un membre ; elle prédomine dans certains muscles et grou-pes de muscles; les antagonistes de ces muscles doivent im-poser, à la longue, des attitudes vicieuses répondant à la direc-tion de leurs mouvements. C'est d'ailleurs vers le huitième ou dixième mois que les difformités commencent à s'accuser. Ainsi se développe le pied bot de la paralysie infantile qui est le pied bot paralytique par excellence, et qui, dans l'immense majorité des cas, revêt la forme du varus équin.
La laxité des ligaments est extrême, et l'on peut facilement imprimer aux diverses parties du membre paralysé les attitu-des les plus forcées et rappelant celles des membres d'un poli-chinelle. Jointe aux autres caractères, et en particulier au refroidissement permanent du membre, cette grande laxité des jointures permet de distinguer à coup sûr le pied bot résul-tant de la paralysie infantile du pied bot congénital, alors même que Ton serait privé de toute espèce de renseigne-ment concernant le mode de développement des accidents1.
A partir de l'époque où les lésions sont devenues définitives dans certains muscles, on peut dire que la maladie est arrê-tée. Il ne s'agit-plus, dès lors, que d'une infirmité plus ou moins pénible qui, suivant la remarque de Heine, ne paraît pas avoir d'influence directe sur la durée de la vie. A l'appui de cette proposition, je puis vous présenter aujourd'hui une vieille habitante de cet hospice, laquelle offre à une distance de plus de soixante-dix ans, les vestiges très caractéristiques de la maladie qui l'a frappée à l'âge de cinq ans.
Tels sont les caractères fondamentaux de la paralysie infan-tile spinale considérée dans son mode régulier ; quelquefois, il se produit dans l'évolution naturelle de la maladie des irré-gularités qui, elles aussi, ont droit à notre intérêt.
Ainsi, il est des cas où la fièvre initiale présente une inten-
1 Heine, loc. cit., pages 14, 15, 20.
site et une durée exceptionnelles ; il en est d'autres où, après la fièvre, la paralysie, au lieu d'atteindre tout à coup son plus haut degré d'intensité, se développe au contraire d'une ma-nière progressive, dans l'espace de quelques jours ou même de quelques semaines.
Il est d'autres cas enfin où, dans la période de régression, il se produit des temps d'arrêt ou même des retours agres-sifs 1.
Je n'insisterai pas plus longtemps sur ces faits anormaux qui paraissent, d'ailleurs, assez rares. Je n'ai pas cru devoir toutefois les passer sous silence, parce que, à mon avis, ils peuvent servir à établir un trait d'union entre la paralysie in-fantile spinale et les autres maladies du groupe.
III.
Je vais essayer actuellement de vous faire connaître les lé-sions que les recherches récentes ont fait constater dans la pa-ralysie infantile et auxquelles se rattache l'ensemble si remar-quable de phénomènes qui vient de vous être- présenté. Nous traiterons en premier lieu des lésions des muscles, et en deuxième lieu des lésions du système nerveux.
{"Lésions des muscles. — Je serai bref sur ce qui est rela-tif à l'altération des muscles, car c'est là un sujet qui réclame encore de nouvelles études.
A. Première période. C'est surtout relativement aux pre-mières phases de la maladie que les données positives con-cernant l'altération histologique des muscles font défaut. D'a-près ce qu'on sait, la majeure partie des faisceaux primitifs subirait, dans cette première période, l'atrophie simple sans
1 Voir Heine et Duchenne (de Boulogne) fils, loc. cit., p. 8.
dégénéralion graisseuse. L'examen microscopique fait recon-naître, en effet, un grand nombre de faisceaux d'un très pe-tit diamètre qui ont conservé cependant leur striation normale, et qui ne présentent pas traces de granulations graisseuses. D'autres faisceaux, encore en grand nombre, entremêlés aux précédents, renferment en outre, de distance en distance, dég-ainas de noyaux du sarcolemme. On rencontre enfin, çà et là, un troisième ordre de faisceaux, le plus souvent en très petit nombre, lesquels ont perdu leur striation et laissent voir à di-vers degrés les caractères de la dégénération granulo-grais-seuse. Mais, c'est là, je le répèle, un fait plutôt exceptionnel. En somme, il paraît constant que les lésions irritatives prédo-minent sur les lésions passives. Nous verrons bientôt que, contrairement à l'opinion la plus répandue, le même ca-ractère se retrouve dans l'atrophie musculaire progressive de cause spinale.
Les lésions dont il s'agit paraissent s'accuser de bonne heure; M. Damaschino, d'après ce qui nous a été dit par M. Du-chenne (de Boulogne), les aurait constatées trois semaines après le début de la maladie sur un fragment de muscle oblenu à l'aide de remporte-pièce : à l'aide du même, procédé, MM. Volkmann et Steudener ont pu également étudier les muscles paralysés, aune époque assez voisine du début et ils y ont reconnu les mêmes altérations1. Ces derniers auteurs signalent, en outre, une hyperplasie du tissu conjonctif qui ne se trouve pas mentionnée par les autres observateurs et que nous avons reconnue, pour notre compte, d'une façon très nette, dans des cas de date ancienne.
B. Seconde période. Si l'on étudie les muscles altérés à une époque éloignée du début de la paralysie ainsi que nous avons
Volkmann, loc, cit., p. 5.
1 Voir, à ce sujet, dans le deuxième volume des Archives de physiologie, les observalions de MM. Vulpian, Gharîot et Joffroy, Parrot et Joffroy. 8Laborde, toc. cit., p. 142. f
3 Arch, de physiologie, t. II, p. 47.
Charcot. Œuvres complètes, t. il. 12
eu maintes fois l'occasion de le faire, à la Salpêtrière, on recon-naît que tous les caractères de la substitution et delà surcharge graisseuses, se surajoutent habituellement aux lésions qui ont été décrites plus haut. Des amas de granulations et de goutte-lettes graisseuses s'accumulent dans les gaînes du sarcolemme et s'y substituent au faisceau primitif qui disparaît en totalité ou dont on ne retrouve que des fragments ; d'un autre côté, des cellules adipeuses s'amassent en dehors du sarcolemme dans les intervalles qui séparent les faisceaux primitifs !. Ce tissu adipeux interposé est parfois assez abondant pour disten-dre les aponévroses d'enveloppe, de telle sorte que, ainsi que l'avait parfaitement reconnu M. Laborde 2, le volume et la forme des masses musculaires peuvent être, jusqu'à un cer-tain point, conservés, bien que la plupart des faisceaux primi-tifs aient disparu. Il est même des cas — et j'en ai observé un de ce genre 3 — où la surcharge graisseuse est tellement pro-noncée que le volume du muscle est notablement accru, de manière à reproduire exactement ce qu'on observe dans la période ultime de l'affection décrite par Duchenne (de Boulo-gne), sous le nom de paralysie pseudo-hypertrophique ou myo-sclérosique. C'est là un point sur lequel il importe que vous soyez bien fixés. Bientôt j'aurai l'occasion de vous faire connaître que, malgré cette analogie d'ordre secondaire, la paralysie infantile diffère cependant essentiellement de la pa-ralysie pseudo-hypertrophique [atrophia musculorum lipo-matosa de quelques auteurs allemands) par un ensemble imposant de caractères cliniques et nécroscopiques. Qu'il me suffise pour le moment de vous faire remarquer que la lésion spinale qui, dans la paralysie infantile, ne fait jamais défaut,
manque au contraire absolument — si j'en juge du moins d'après mes observations, conformes d'ailleurs en cela à celles de Cohnheim — dans la paralysie myo-sclérosi-que.
La surcharge graisseuse, bien qu'elle soit habituelle dans l'amyotrophie infanlile de date ancienne, n'y est cependant pas nécessaire : à côté des muscles distendus par la graisse, il en est souvent d'autres qui sont réduits à un très petit volume et dans lesquels le tissu adipeux fait à peu près complètement défaut On ne trouve dans ces derniers muscles que des fais-ceaux primitifs d'un très petit diamètre, mais ayant conservé leur striation : çà et là quelques gaines du sarcolemme renfer-ment des amas de noyaux. Ces faisceaux primitifs, atrophiés, sont séparés les uns des autres par un tissu conjonctif fibril-laire, évidemment de formation nouvelle. Les muscles qui ont subi ce mode d'altération ont, à l'œil nu, l'apparence du tissu fibreux ou encore celle du dartos. Il serait intéressant de savoir si l'hyperplasie conjonctive interstitielle qu'on observe en pa-reil cas est un fait constant et si elle remonte, ainsi que les observations de MM. Volkmann et Steudener portent à le pen-ser, aux premières phases de la maladie. Mais, c'est là un point qui réclame de nouvelles recherches.
2° Lésions du système nerveux. — Lésions spinales. Les lé-sions spinales dont je vais vous entretenir constituent incon-testablement, à l'heure qu'il est, le point le plus intéressante la fois, et le plus neuf de l'histoire anatomique de la paralysie infantile. Aussi crois-je utile d'entrer à ce propos dans quel-ques développements.
Beaucoup d'auteurs, vous ne l'ignorez pas, ont considéré l'affection dont il s'agit, comme siégeant dans les partiespéri-
* Voir l'observation de Wilson, in Arch. de plajsiologie, loc. cit.
phériques, muscles ou nerfs, d'autres ont voulu y voir une maladie essentielle — ce qui, dans l'espèce surtout, ne veut pas dire pas grand'chose. — Il est juste, toutefois, de recon-naître que la majorité des médecins, qui se sont occupés par-ticulièrement de la question, ont, d'un commun accord, dési-gné la moelle épinière comme étant l'organe où les lésions primordiales et fondamentales de la paralysie infantile devaient être cherchées. C'était, de leur part, une présomption exacte, mais qui, jusque dans ces dernières années, ne s'est appuyée sur aucune donnée vraiment positive. On avait invoqué les congestions, les exsudats, sans en démontrer rigoureusement l'existence, car faute de moyens suffisants d'investigation, les résultats des examens nécroscopiques étaient à peu près tou-jours restés négatifs ou équivoques. C'est dans ces condi-tions que furent faites, à la Salpêtrière, les premières études régulières, relativement à la nécroscopie du centre spinal, dans la paralysie infantile.
Dès 1864, nous avions reconnu, M. V. Corail, alors mon in-terne, et moi, à propos d'un fait recueilli dans mon service, ime partie des altérations spinales qui président au dévelop-pement de la paralysie infantile. Mais c'était, il faut le dire, la partie la moins importante. Ainsi, nous avions constaté l'exis-tence d'une atrophie des cornes antérieures de la substance grise et des cordons blancs antéro-latéraux, dans la région de la moelle d'où émanaient les nerfs se rendant aux muscles atrophiés; mais nous n'avions pas remarqué la diminution de nombre et de volume qu'avaient subie les grandes cellules motrices, altération qu'on peut cependant très nettement re-connaître sur une préparation faite à l'époque par M. Corail, et qui se trouve actuellement entre les mains démon ami, M. Duchenne (de Boulogne)1.
1 Comptes rendus delà Société de Biologie, 1864, p. 187.
La lésion des cellules nerveuses motrices dans la paralysie infantile a été, pour la première fois, signalée par MM. Vul-pian et Prévost, en 1866, chez une femme de la Salpêtrière. Dans ce cas, qui a été communiqué à la Société de biologie par M. Prévost, la plupart des cellules avaient disparu dans la corne antérieure du segment de la moelle correspondant aux muscles atrophiés et, sur les points qu'elles avaient occupé, la névroglie présentait la transformation scléreuse
Un fait, rapporté en 1869 par MM. L. Clarke et Z. Johnson sous le nom d'atrophie musculaire, doit être, croyons-nous, rapproché du précédent; la critique permet de reconnaître, en effet, qu'il s'est agi là, bien que les auteurs ne le disent point, d'un cas de paralysie infantile spinale. L'époque de la vie où la maladie a éclaté, la brusquerie de l'invasion des accidents, le mode de localisation de l'atrophie des muscles ne laissent guère subsister de doute à cet égard ; or, dans ce cas encore, l'examen microscopique a fait reconnaître l'atrophie des cornes antérieures, la disparition ou l'atrophie granuleuse d'un certain nombre de cellules nerveuses motrices et, en outre, l'existence de plusieurs foyers de désintégration sur divers points de la substance grise 2.
Mais, si je ne me trompe, l'étude qui a le plus contribué à déterminer le caractère des lésions spinales de la paralysie infantile, est celle que nous avons faite l'an passé, M. Joffroy, mon interne,-et moi, d'un cas très remarquable, relatif à une femme de mon service nommée Wilson, qui succomba à la phtisie pulmonaire à l'âge de 45 ans. La paralysie, chez cette femme, s'était développée tout à coup, à l'âge de sept ans; elle avait frappé les quatre membres dont la plupart des mus-cles s'étaient rapidement atrophiés. Les membres d'ailleurs
« Idem, 1866, p.213.
2 Medic. chir. Tramact., t. II. London, 1868.
Fig. 8. — Coupe de la moelle à la région cervicale dans un cas de para-lysie infantile spinale du membre supérieur droit. — Pièce recueillie à la Sal-pêtrière chez^une femme morte de paralysie générale à l'âge de cinquante ans. — Atrophie fibroïde de la corne antérieure du côté droit, émaciation consé-cutive de tous les faisceaux blancs dans la moitié correspondante de la moelle.
Iules motrices étaient altérées profondément, bien qu'à des degrés divers, et sur les points les plus sérieusement affectés, des groupes entiers de cellules avaient disparu sans laisser de traces. Presque toujours, la névroglie avait subi la transfor-mation scléreuse au voisinage immédiat et jusqu'à une cer-taine distance des cellules lésées, mais il était des points — et
1 Société, de biologie et Archives de physiologie, t. III, p. 135, 1870.
avaient subi un remarquable arrêt de développement et of-fraient des déformations caractéristiques \
Ici, les lésions étaient extrêmement accentuées et elles ré-gnaient à peu près dans toute la hauteur de la moelle épinière : elles occupaient, partout principalement, et sur certains points exclusivement, les cornes antérieures de la substance grise (Fig. 8). Dans toutes les régions de la moelle, les grandes cel-
c'est là un fait qu'il convient de faire ressortir — où cette lésion des cellules était la seule altération que l'examen histo-logique permît de constater, la trame conjonctive ayant, dans ces points-là, conservé la transparence et, à peu de chose près, tous les caractères de la structure normale.
Enfin, nous signalerons, dans notre observation, une atro-phie avec sclérose partielle des cordons antéro-latéraux et une atrophie très prononcée des racines antérieures, remarquable surtout au niveau des régions de la moelle le plus profondé-ment atteintes, altérations déjà signalées dans les publications antérieures à la nôtre.
Dans le travail auquel notre observation sert de fondement, nous nous sommes cru autorisé à admettre que la lésion des cellules nerveuses motrices, qui se trouve déjà mentionnée dans les cas de MM. Vulpian et Prévost et dans celui de L. Clarke, est un fait constant dans la paralysie infantile spi-nale et cïoù dérivent les principaux symptômes de la mala-die, en particulier la paralysie ainsi que l'atrophie des mus-cles ; nous avons, en outre, émis l'opinion que, suivant toute vraisemblance, c'est là le fait anatomique initial, les lésions de la névroglie et l'atrophie des racines nerveuses devant être considérées comme des phénomènes consécutifs.
Je ne puis aujourd'hui développer devant vous tous les ar-guments qu'on pourrait invoquer en faveur de ces assertions, cela m'entraînerait trop loin. Je réserve d'ailleurs cette tâche pour l'époque où j'aurai pu faire connaître les autres espèces morbides qui appartiennent au groupe des myopathies de cause spinale. Je compte alors entrer dans une discussion en règle à propos du rôle que je prête aux cellules nerveuses motrices dans la production des lésions trophiques des mus-cles. Pour le moment, je me bornerai aux considérations suivantes qui concernent plus particulièrement la paralysie infantile.
Relativement à notre première conclusion, il suffira de faire remarquer qu'elle trouve sa confirmation dans tous les faits, actuellement en assez grand nombre, qui ont été recueillis depuis la publication de notre travail. Ainsi la lésion des cel-lules motrices se trouve expressément signalée dans une ob-servation de MM. Parrot et Joffroy, où il s'agit d'un enfant chez lequel la maladie remontait à peine à une année 1 ; dans un fait recueilli par M. Vulpian à la Salpêtrière 2, dans deux autres cas, enfin, observés à l'hôpital des enfants, par M. Da-maschino et dont je ne connais encore les détails que par la communication qui m'en a été faite par M. Duchenne (de Bou-_ logne)3. Enfin, celte même lésion existait de la manière la plus nette dans trois nouveaux faits recueillis tout récemment dans mon service, et dont l'anatomie a été poursuivie avec le plus grand soin par mes élèves, MM. Michaud et Pierret. Ces faits nouveaux, joints aux faits anciens, constituent incontes-tablement un ensemble assez imposant, si l'on considère sur-tout que, jusqu'à ce jour, il n'a été relaté aucun cas contra-dictoire de quelque valeur. Les cas qui nous ont été opposés datent tous d'une époque où les procédés d'investigation ap-pliqués à l'étude anatomique de la moelle n'avaient pas atteint le degré de perfection qu'ils possèdent aujourd'hui, et d'ail-leurs aucun de ces faits ne porte ce caractère de précision qu'on est en droit d'exiger actuellement dans les observations de ce genre.
Pour ce qui concerne la seconde proposition, je ferai res-sortir ce qui suit: Si, sur certains points, les lésions de la né-vroglie envahissent la plus grande partie de la substance grise
1 Archives de physiologie, t. III, 1870.
2 Idem, t. III, 1870.
3 Les observations, au nombre de trois, recueillies dans le service de M. Ro-ger, par M. Damaschino, ont été récemment communiquées à la Société de Biologie et publiées in extenso dans la Gazette médicale, nos 41, 43. 45, 48, 51. (Octobre, novembre et décembre 187i.)
Fig. 9. — Coupe de la moelle faite à la région lombaire. — A, corne anté-rieure gauche, saine. — a, noyau ganglionnaire sain. — B, corne antérieure droite — b, noyau ganglionnaire médian dont les cellules sont détruites et qui est représenté par un petit foyer de sclérose.
et comme systématiquement dans l'espace ovalaire très cir-conscrit qui correspond à un groupe ou agrégat de cellules motrices (Fig. 9). Comment concevoir que cela puisse être, si l'altération avait son point de départ dans le tissu conjonclil intermédiaire aux éléments nerveux? N'est-il pas plus vrai-semblable qu'elle prend origine dans des organes spéciaux,
et s'étendent même parfois aux parties adjacentes des cordons antéro-latéraux, il n'en est pas moins vrai que, sur d'autres, elles restent exactement limitées aux cornes antérieures, qu'elles n'occupent même pas toujours dans toute leur éten-due ; on les voit, en effet, quelquefois se localiser exactement
cloués de fonctions propres, comme sont les grandes cellules nerveuses dites motrices? C'est ainsi que, suivant la théorie émise par M. Vulpian, théorie à laquelle j'adhère complète-ment, les scléroses systématiquement limitées aux cordons postérieurs doivent être rattachées à une irritation occupant primitivement les tubes nerveux qui entrent dans la compo-sition de ces faisceaux.
Il est des circonstances, d'ailleurs, — et l'observation de Wilson peut être rappelée à ce propos — où, sur certains points, l'altération d'un certain nombre, voire même d'un groupe entier de cellules nerveuses, est la seule lésion que l'examen histologique permette de constater ; la trame con-jonctive ayant, dans ces points-là, conservé la transparence et, à peu de chose près, tous les caractères de la structure nor-male. Dans d'autres régions, les lésions de la névroglie pour-ront se montrer plus accusées vers les parties centrales d'un agrégat de cellules nerveuses que dans les parties périphé-riques ; beaucoup plus accentuées également au voisinage im-médiat des cellules que dans les intervalles qui les séparent ; de telle sorte que ces dernières paraissent comme autant de centres ou foyers, d'où le processus morbide auraii rayonné, à une certaine distance, dans toutes les directions.
On ne saurait admettre, d'un autre côté, que l'irritation se soit originellement développée sur les parties périphériques, et qu'elle ait remonté ensuite jusqu'aux parties centrales par la voie des racines antérieures des nerfs rachidiens, car ces derniers, en général, — c'est là un point que MM. Parrotet Joffroy ont bien mis en lumière, — ne présentent au niveau des régions altérées de la moelle épinière, dans les cas récents, que des lésions relativement minimes et nullement propor-tionnées, quant à l'intensité, aux lésions de la substance grise.
Il nous paraît évident, d'après tout ce qui précède, que les
cellules nerveuses motrices sont bien réellement le siège pri-mitif du mal. Le plus souvent, sans aucun doute, le travail d'irritation gagne secondairement la névroglie et s'étend de proche en proche aux diverses régions des cornes antérieures, mais cela n'est nullement nécessaire. A plus forte raison, il faut considérer, comme un fait consécutif et purement acces-soire, l'extension, observée dans certains cas, du processus morbide aux faisceaux antéro-latéraux.
La lésion en question des cellules nerveuses, à en juger d'après le caractère des altérations que présente la trame con-jonctive, serait de nature irritative ; mais c'est là un point sur lequel l'examen direct, purement anatomique, ne peut, quant à présent du moins, nous renseigner. De même, en effet, que cela arrive pour les tubes nerveux, les cellules nerveuses irri-tées s'atrophient et, au dernier terme du processus, disparais-sent sans que le mode de l'affection dont elles sont le siège, se révèle par des caractères spéciaux.
Un mot, en terminant, relativement à ces altérations de la trame conjonctive, qui, suivant moi, seraient un fait secon-daire, consécutif à l'affection des cellules nerveuses. Dans les cas de date ancienne, elles consistent principalement en une métamorphose fibrillaire ou fibroïde du réticulum, avec dispa-rition plus ou moins complète des tubes nerveux et conden-sation du tissu; mais ce sont là seulement les derniers ves-tiges d'un processus morbide depuis longtemps éteint, et il est difficile de préjuger ce que peuvent être les altérations dans les premières phases. Il est assez vraisemblable toutefois qu'on trouverait là les caractères histologiques de la myélite aiguë avec multiplication des myélocytes et des noyaux des gaines vasculaires, telle, en un mot, qu'elle a été décrite par From-mann et par Mannkopf. L'existence des foyers de désintégra-tion, signalés dans l'observation de Clarke et dans quelques-
unes de celles que nous avons recueillies récemment à la Salpêtrière, montre que, par place, le tissu enflammé peut subir une véritable dissociation; les cas de M. Damaschino établiraient même qu'on peut, sur les points de la moelle le plus profondément atteints, rencontrer tous les caractères de la myélite destructive avec formation d'un foyer de ramollis-sement rouge avec lésions vasculaires, corps granuleux et le reste. Quoi qu'il en soit, vous comprenez aisément, Messieurs, que rien dans tout cela ne vient infirmer la théorie d'après laquelle f appareil des cellules nerveuses motrices serait le premier foyer et comme le point de départ du processus in-flammatoire.
Il me reste à mettre les symptômes en présence des lésions et à rechercher comment ceux-là dérivent de celles-ci; c'est ce que j'essaierai de faire prochainement.
DIXIÈME LEGÓN
Paralysie spinale de l'adulte. — Nouvelles recherches concernant l'anatomie pathologique de la paralysie spinale infantile. — Amyotrophies consécutives aux lésions spinales aiguës diffuses.
Sommaire. — Paralysie spinale de l'adulte : Historique. — Exposé d'un cas emprunté à M. Duchenne (de Boulogne). — Faits personnels. — Analogies étroites qui rapprochent la paralysie spinale aiguë de l'adulte et celle de l'enfant. —Modifications symptomatologiques en rapport avec l'âge.— Pro-nostic.
Travaux récents concernant l'anatomie et la physiologie pathologiques de la paralysie spinale infantile; ils confirment sur les points essentiels et com-plètent à certains égards les résultats précédemment exposés.
Un mot sur les lésions spinales aiguës qui ne sont pas, comme dans la paralysie infantile, systématiquement limitées aux cornes antérieures de la substance grise. — Myélite aiguë centrale généralisée, hémato-myélie, myé-lites traumaliques, myélites aiguës partielles. — Conditions dans lesquelles ce3 affections déterminent l'atrophie rapide des muscles.
I.
Messieurs,
Il y a longtemps déjà que M. Duchenne (de Boulogne) a reconnu l'existence, chez l'adulte, d'une parahjsie spinale aiguë, comparable à celle de l'enfant Le Dr Moritz Meyer )de Borlin) 2 et M. le Dr Roberts 3 ont, eux aussi, rapporté dans
1 Voir, à ce sujet, la thèse de M. Duchenne (de Boulogne) fils.
2 M. Meyer. — Die Ele ctr ici tat und ihre Auwendung. Berlin, 18Ò8, p. 210.
3 Reynold's System of Medicine, t. I, p. 169.
le temps des faits qui appartiennent évidemment à celte caté-gorie. J'ai, pour mon compte, été frappé plus d'une fois de la ressemblance remarquable qui rapproche cliniquement cer-taines paraplégies à début brusque, suivies d'atrophie mus-culaire, développées dans l'adolescence ou chez l'adulte, et la paralysie des jeunes enfants.
Je voudrais établir devant vous la réalité de l'existence de cette paralysie spinale de l'adulte comparable à la paralysie infantile spinale. J'espère y parvenir, en exposant d'abord les traits principaux d'une observation que j'emprunte à la nou-velle édition du Traité d électrothérapie de M. Duchenne (de Boulogne) et en faisant connaître ensuite quelques-uns des faits qui me sont personnels.
11 s'agit, dans le cas de M. Duchenne (de Boulogne), d'une fille âgée de 22 ans qui, un matin, se réveilla avec de la fiè-vre, de la courbature et de la difficulté à mouvoir ses mem-bres. Une heure après, elle se plaignait de douleurs dans la région cervicale postérieure, de fourmillements et d'irradia-tions douloureuses dans les doigts des mains. Cette dernière circonstance, si vous vous reportez à la description de la para-lysie infantile, pourra vous paraître constituer, dans l'espèce, une anomalie frappante ; mais nous n'avons pas manqué de vous faire remarquer, ailleurs que les enfants, atteints de paralysie spinale, se plaignent quelquefois de semblables dou-leurs lorsqu'ils sont assez âgés pour pouvoir traduire leurs impressions.
L'âge, d'ailleurs, en supposant même un processus au fond identique, doit nécessairement créer des différences dont il faut tenir compte. Ainsi, par exemple, dans les cas sembla-bles à celui que nous empruntons à M. Duchenne, le dévelop-
1 Voyez Leçon IX, p. 153
pement du sujet étant parfait à l'époque où la maladie appa-raît, vous ne devez pas vous attendre à voir se produire cette atrophie par arrêt de développement, qui, chez les enfants, détermine, pour une bonne part au moins, le raccourcisse-ment des membres affectés et est l'un des traits les plus sail-lants de la paralysie infantile.
Pour en revenir au cas de M. Duchenne, la douleur s'était à peine montrée que les quatre membres étaient complètement paralysés, absolument inertes. Quatre jours plus tard, la fiè-vre avait cessé.
La paralysie du mouvement persista pendant deux mois, sans modification appréciable ; elle semble avoir été, je le répète, complète, absolue ; et, malgré cela, la sensibilité de la peau n'était nullement affectée. Jamais non plus on n'ob-serva de troubles durables de la mixtion ; jamais enfin il n'y eut le moindre indice de la formation d'escarres.
Yers le milieu du troisième mois, la rétrogression des symptômes paralytiques commença à s'accuser.
En premier lieu, ce fut dans les membres inférieurs que les mouvements se rétablirent progressivement ; puis, quinze jours plus tard, ils reparurent aux membres supérieurs, mais, à la vérité, d'une manière incomplète. C'est que, dans un bon nombre de muscles des membres supérieurs, la nutrition avait souffert au point que l'atrophie y était déjà manifeste.
Six mois après le début de la paralysie, un examen attentif faisait reconnaître des désordres dès lors irréparables. Une grande partie des muscles du bras, de l'avant-bras et de la main étaient considérablement atrophiés, surtout à droite, et, en outre, ils ne réagissaient pas sous l'influence de la faradi-salion ; par opposition aux désordres constatés sur les mem-bres supérieurs, l'amélioration.avait continué à progresser dans les membres inférieurs : là, tous les muscles avaient récupéré leurs fonctions, à l'exception du jambier antérieur
du côté droit dont l'altération, par suite de la prédominance d'action des .antagonistes, avait occasionné la formation d'une sorte de pied bot équin paralytique.
Il n'est guère douteux, Messieurs, que, malgré les traits si particuliers de l'ensemble symptomatique, les cas de ce genre ont été maintes fois méconnus ou mal interprétés. Or, d'après ce que j'ai lu ou vu, la forme de paralysie spinale dont il s'agit, ne serait pas, tant s'en faut absolument rare, dans la clinique de l'adulte 1.
Le pronostic, cependant, ainsi que toutes les autres circon-stances de la maladie, diffèrent ici en général singulièrement de ce qu'ils sont dans les autres formes de paraplégie à début brusque, c'est là un fait avec lequel il importe d'être familiarisé. Aussi n'hésiterons-nous pas à entrer, actuellement, dans de nouveaux détails, à propos de deux cas très significatifs à mon sens, que j'ai recueillis récemment.
En raison de l'âge des sujets auxquels ils ont trait (19 ans
1 Plusieurs exemples de paralysie spinale de l'adulte ont été, dans ces der-niers temps, rapportés par m. Bernhardt. (Archiv, für psychiatrie, iv, Bd. 1873) et Kusmaul (Frey. — Aus der mediciuischen Klinik der Herrn prof. Kus-smaul, in Berlin. Wochensch., 1874, nos 1, 2 et 3. — Un des cas de M. Kus-smaul est particulièrement intéressant en ce que les oscillations de la tempéra-ture centrale y ont été nolées pendant toute la durée de la période fébrile ini-tiale. Ces observât ons ont été publiées in extenso dans le Progrès médical (1874, nos h et 12).
J'ai rencontré, il y a quelques années, en Angleterre, aux environs de Loeds avec mon ami le professeur Brown-Séquard, un gentleman, âgé de 38 ans qui, deux ans auparavant, après 4 jours de malaise, avait été pris d'une fièvre intense, laquelle dura pendant plus d'une semaine, et fut suivie d'une paraly-sie motrice complète des quatre membres brusquement développée. Un mois après le début des accidents, le mouvement commença à reparaître dans le bras droit, d'abord, puis progressivement dans les autres membres. Mais le malade présente actuellement une atrophie vraisemblablement indélébile très prononcée des muscles du bras droit et de la jambe gauche : à part quelques fourmillements, il n'a jamais existé de troubles de la sensibilité ; la vessie et le rectum ont toujours fonctionne normalement. 11 ne s'est pas produit d'escarres.
Un cas inséré par M. le professeur Guming (de Belfast), dans le journal de Dublin {Quaterly Journ. of Medtc. Science, may 18o9, p. 471) me paraît devoir être, comme les précédents, rattaché à la Pa alyne spinale de l'adult-, — Con-sulter sur ce sujet l'intéressant travail d'un élève de la SalpêLrière, M. Petit/ils, travail ayant pour titre : Atrophie aiguë des cellules nerveuses. (J.-M. C.)
et 15 ans 1/2), ils élablissent une sorte de transition entre l'observation qui procède et celles qui appartiennent à la paralysie infantile proprement dite.
Obs. I. — M. X... est âgé de 19 ans. Les seules particula-rités antérieures à sa maladie qui méritent d'être signalées, sont les suivantes : sa mère a eu trois grossesses et, pendant le cours de deux d'entre elles, elle a été atteinte de vésanie. La santé de X... avait toujours été excellente, il jouissait d'une grande force physique. Il est d'un caractère assez calme.
Pendant les mois de juin, de juillet et jusqu'au 10 du mois d'août 1873, X... fit de grands efforts intellectuels pour se préparer à un examen. Pendant ce temps, il éprouva à plu-sieurs reprises, des epistaxis abondantes qui ne lui étaient pas habituels. 11 échoua à son examen, et en éprouva une contra-riété des plus vives.
C'est dans ces circonstances que le 16 août, on rencontra X... dans le parc environnant le château qu'il habite, abattant un arbre avec une énergie maladive. A la question qu'on lui fit, relativement au motif de cet acte, il répondit : « J'ai be-soin de casser quelque chose, parce que je me sens agacé. » Le même jour il se plaignit d'une grande fatigue, de courba-ture, surtout prononcée dans la région lombaire et souffrit de sueurs abondantes.
Le lendemain, il se sentit plus malade. Il put se lever ce-pendant, mais ne put marcher qu'en s'appuyant sur une canne ou sur le bras d'un valet de chambre.
Le troisième jour se déclara un état fébrile, assez violent dès l'abord, et qui, bientôt, s'accompagna de symptômes tels qu'on put croire à l'invasion d'un fièvre typhoïde, s'annonçant avec des caractères d'une haute gravité. La langue était sèche et recouverte d'un enduit noirâtre, la soif vive ; la peau était
chaude, le pouls à 120 ; il y avait du délire la nuit. Enfin, le ventre se ballonna et l'on dut, pour vider la vessie, sonder plusieurs fois le malade pendant une période de 36 heures. Il importe de relever que la rétention d'urine fut, comme on le voit, tout à fait transitoire. Elle ne se renouvela plus par la suite.
Cette période fébrile se termina au bout de cinq ou six jours, et l'état général redevint rapidement tout à fait normal. Ce fut alors seulement qu'on reconnut l'existence d'une para-lysie du mouvement à peu près complète, et marquée par une flaccidité absolue des parties, portant uniformément sur les quatre membres. L'inertie motrice avait été remarquée déjà pendant la durée de la fièvre mais elle avait été considérée jusque-là comme résultant d'une adynamie profonde. Jamais il n'y avait eu tendance à la formation d'escarres.
Les choses en restèrent à ce point pendant les quinze jours qui suivirent. Au bout de ce temps, il se produisit un certain amendement dans l'état des membres supérieurs et le malade commença en outre à pouvoir se maintenir, tant bien que mal, assis sur son séant.
Je fus appelé à voir M. X... pour la première fois, le 1er novembre 1873, c'est-à-dire deux mois et demi après le début des premiers accidents. Je constatai alors ce qui suit: des deux côtés, mais surtout à droite, il existe une atrophie assez prononcée des épaules et de la partie postérieure du bras ; au contraire, les muscles de l'avant-bras, de la poitrine, ceux de l'abdomen et du cou surtout, contrastent par leur relief qui rappelle l'état normal. Des deux côtés, mais principale-ment à gauche, la paume de la main est aplatie et comme ex-cavée en conséquence de l'atrophie qu'ont subie les éminences thénar et hypothénar. Il se produit, de temps à auire, sponta-nément, dans les muscles de la îiain, des contractions fibril-laires qui communiquent aux doigts de légers mouvements.
Charcot. Œuvres complètes, t. n. '8
X... ne peut lever les épaules ni soulever les bras ou étendre l'avant-bras ; mais, en s'appuyant sur les coudes, il parvient à se servir des mains pour porter ses aliments à sa bouche. Les divers modes de la sensibilité cutanée ne sont en rien mo-difiés sur les différentes parties du tronc et des membres supérieurs.
Quant aux membres inférieurs, ils sont tous deux flasques, inertes, amaigris. On n'y observe aucune (race de contracture ou de rétraction. L'émaciation est plus prononcée aux cuisses qu'aux mollets. Les mouvements volontaires sont à peu près impossibles ; à gauche, tout se borne à quelques légers mouvements du gros orteil; à droite, tous les orteils peuvent être soit fléchis, soit étendus volontairement, mais seulement dans des limites très restreintes. On note avec soin qu'ici encore la sensibilité cutanée n'est en rien modifiée; on note aussi, particulièrement, que les divers modes d'exci-tation de la peau ne provoquent aucune trace de mouvements réflexes.
Le malade n'accuse aucune sensation pénible dans les membres paralysés. Il dit éprouver seulement, de temps à autre, quelques fourmillements ; il se plaint aussi d'un fré-quent besoin de changer de position, plus pressante la nuit que le jour. Les membres inférieurs sont habituellement froids, surtout le pied et la jambe gauches, qui sont de plus presque toujours couverts d'une sueur visqueuse.
Le pouls est normal, l'appétit excellent, le sommeil inter-rompu seulement, comme on vient de le dire, par le besoin de changer de position. Les sphincters fonctionnent d'une façon tout à fait régulière.
Il a été matériellement impossible de préciser l'époque où l'atrophie des muscles a commencé à se produire. On assure toutefois qu'elle a été remarquée quelques semaines seu-lement après le début de la maladie. 11 est à regretter éga-
lement que, faute d'appareils convenables, l'exploration élec-trique des parties atrophiées n'ait pu être pratiquée à cette époque.
Dans la consultation qui eut lieu lors de la première en-trevue, je m'appliquai à faire ressortir surtout le début brusque, presque subit, des accidents paralytiques, et mar-qué par une période fébrile bien distincte, la flaccidité et l'atrophie profonde rapidement survenue que présentaient les masses musculaires dans les membres paralysés, phénomènes contrastant avec l'absence d'anesthésie, de troubles durables de la vessie ou du rectum, d'escarres sacrées. J'émis l'opinion que l'ensemble de ces symptômes positifs ou négatifs permet-tait de rapprocher le cas de M. X... du type paralysie infan-tile spinale. Me fondant en dernier lieu sur ce qu'enseigne l'histoire naturelle, de cette affection, je crus pouvoir avan-cer que la rétrocession des symptômes, déjà ébauchée aux membres supérieurs, s'y accuserait plus encore et s'étendrait sans doute jusqu'à un certain degré aux membres inférieurs ; qu'il pouvait même se faire que la station et la marche re-devinssent possibles avec le secours d'appareils électriques ; qu'enfin le retour agressif des accidents n'était guère à re-douter 1.
La suite de l'observation montre que ces prévisions se sont réalisées. Une note, recueillie en février 1874, constate, en effet, qu'une amélioration très notable s'est opérée en ce qui concerne la puissance motrice et la nutrition dans les membres supérieurs ; aux membres inférieurs, la contractilité faradique commence à reparaître dans plusieurs muscles où elle était soit très amoindrie, soit abolie. Par contre, en raison dé la prédominance d'action des muscles postérieurs de la cuisse et
1 Je tiens de mon collègue, M. le docteur Bouvier, dont l'expérience est si grande en pareille matière, qu'il n'a vu que trois fois, dans le cours de sa lon-gue carrière, la rétrocession normale des accidents de la paralysie spinale in-fantile être entravée par une rechute.
de ceux des mollets, il se produit une tendance à la flexion des jambes et à la formation de pieds bots équins contre laquelle on a lutté par l'application de divers appareils.
En avril, la puissance musculaire a tellement progressé, dans les membres inférieurs, que le malade se tient debout et fait quelques pas dans la chambre avec le secours de deux per-sonnes.
Enfin, en août, un an environ après le début, il peut, étant assis, se dresser seul et, s'aidant de deux béquilles, faire de courtes promenades. Il peut même, au moyen d'un appareil qui s'oppose à la flexion du genou gauche, marcher quelque peu en s'appuyant sur une seule canne *.
Le fait suivant, quoique moins régulier à quelques égards que celui qui précède, mérite cependant de lui être comparé. Il peut être rapproché de ces paralysies temporaires décrites par Kennedy, et dont l'histoire ne saurait être séparée de celle de la paralysie infantile permanente.
Ors. II. — Charles R..., actuellement âgé de 15 ans et demi, est un grand jeune homme bien pris, à Tair intelligent. On ne signale dans ses antécédents aucune maladie digne d'être re-levée ; pas de convulsions. Il n'a éprouvé ni émotions morales vives, ni refroidissement. On fait remarquer seulement qu'il a beaucoup grandi en fort peu de temps.
1 Pendant la période qui s'étend du 19 août 1873 au 1er août 1874, le traite-ment a consisté principalement en l'application de ventouses scarifiées, de vésicatoires, puis de cautères le long de la colonue vertébrale. A partir de la dernière date, les muscles paralysés et atrophiés ont été soumis tous les deux jours à l'excitation produite par un courant faradique de moyenne intensité. En outre, X... prenait chaque jour des pilules de strychnine de i milligramme chaque, dont le nombre a été progressivement porté jusqu'à 15. Pendant les mois d'avril, mai et juin, on a associé, à l'excitation faradique, l'exci-tation galvanique et l'hydrothérapie ; c'est dans le cours de cette période surtout que les progrès se sont le plus remarquablement accentués. Durant les mois de juillet et août, à Bagnères-de Luchon, bains, douches et massage énergique.
Le 27 septembre 1873, il fut pris d'une fièvre peu intense qui ne l'obligea pas à se coucher. L'appétit toutefois était de-venu nul, la langue était chargée. L'état fébrile a persisté les 28 et 29, sans se montrer, à aucun moment, assez fort pour empêcher M. R... de rester hors du lit une partie du jour.
La seule particularité à noter, durant cette période de trois jours, c'est l'apparition sur le tronc d'un zona double dont on voit encore aujourd'hui (novembre 1873) les traces. L'éruption occupait le thorax dans toute son étendue en hauteuur. En avant, on voyait : 1° à droite, un premier groupe de vésicules au-dessous de l'aisselle ; un second, latéral aussi, au voisinage du bord inférieur du grand pectoral ; un troisième, médian, placé au-dessous de l'appendice xiphoïde ; — 2° à gauche, un groupe répondant au second groupe droit et un autre situé à gauche de la ligne médiane, à égale distance de l'ombilic et de l'extrémité inférieure du sternum. En arrière, il existait un groupe au niveau de l'angle inférieur de l'omoplate et un se-cond, plus latéral, presque à la même distance du précédent et de la crête iliaque. Il paraît certain que ce zona ne s'est pas accompagné de douleurs localisées sur le trajet des nerfs.
Sans avoir ressenti ni douleurs ni fourmillements, le 1er oc-tobre, en se levant le matin, et à peine descendu du lit, Ch. R... sentit ses membres inférieurs fléchir sous lui et il tomba lourdement sur le sol. C'est donc dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre que la paraplégie s'est produite. Le malade fut recouché. Il paraît bien établi que, ce jour-là, il n'avait plus de fièvre. La paralysie fut accompagnée, dès l'origine, d'une flaccidité marquée des membres inférieurs. Jamais la sensibi-lité cutanée n'y a été modifiée: on ne saurait dire s'ils ont ja-mais été froids ou cyanoses. Il y a toujours persisté quelques mouvements partiels. Ainsi, R... a toujours pu étendre et fléchir les orteils : par contre, il était, à l'origine, absolument
incapable de soulever ses membres en totalité au-dessus du plan du lit. On assure que, quelques jours après le début des accidents, l'amaigrissement des cuisses était déjà appréciable.
Les membres supérieurs n'ont, à aucune époque, été sé-rieusement engagés et R... a toujours pu continuer à se servir de ses mains, soit pour manger, soit pour tenir un livre. Ja-mais il n'a existé aucun trouble dans l'exercice des fonctions de la vessie ou du rectum.
La période de rétrocession a commencé à s'établir fort peu de temps après l'invasion. Ainsi vers le 15e jour, R... pouvait se tenir debout en appuyant les mains sur les objets environ-nants.
Vétat actuel, relevé le 17 novembre 1873, apprend ce qui suit : R... peut se tenir debout et même faire quelques pas à condition de s'appuyer à l'aide des deux mains sur les épaules-de son domestique. Les membres inférieurs sont amaigris dans la totalité, l'atrophie est surtout marquée aux cuisses qui sont flasques et comme aplaties d'avant en arrière, tandis que les mollets sont assez pleins encore et résistants. Les mus-cles du bassin semblent particulièrement atteints. Ainsi, lorsque R... est assis, il ne peut fléchir les cuisses sur l'abdo-men ; il esquisse à peine ce mouvement. Couché sur le dos, il lui est tout à fait impossible de relever le tronc. Quand le malade, maintenu dans la station verticale, essaye, avec le secours d'un aide, de marcher, on le voit, à chaque pas, se haïicherh. l'excès et incliner fortement le tronc successivement vers un côté, puis vers l'autre côté. L'état général est toujours resté excellent.
Nous revoyons M. R... en octobre 1874 ; les mouvements des membres inférieurs ont repris leur puissance normale et il peut aujourd'hui, sans fatigue, se livrer à tous les exercices du corps. Un certain degré de maigreur relative, de flaccidité des muscles antérieurs à la cuisse gauche, une tendance mar-
quée du tronc à s'incliner dans la station debout et la marche vers le côté droit, tels sont actuellement les seuls vestiges de la maladie spinale.
Les faits qui viennent d'être exposés à titre d'exemples, et qu'on pourrait aisément multiplier, suffiront, je l'espère, Mes-sieurs, à mettre en évidence que certains cas de paralysie spi-nale aiguë, observés chez l'adulte, sont, au point de vue clini-que, tout à fait assimilables à la paralysie spinale des jeunes enfants. Il resterait à déterminer si, ainsi que cela est vrai-semblable, la lésion spinale d'où dérive l'ensemble symptoma-tique reconnaît chez l'adulte la localisation étroite dans les cornes antérieures et tous les autres caractères qui distinguent celles de l'enfant. Mais l'autopsie n'a pas encore définitive-ment prononcé. Il y a là une lacune qui ne saurait tarder à être comblée *.
IL
Je crois utile de revenir aujourd'hui sur divers points re-latifs à Yanatornie et à la physiologie pathologiques de la paralysie infantile spinale. Je trouverai ainsi l'occasion de signaler et de mettre à profit plnsieurs travaux qui ont paru sur ce sujet, depuis la publication des premières recherches entreprises à la Salpêtrière.
Ces premières études concernant des pensionnaires de l'hos-pice, c'est-à-dire des sujets ayant succombé à une époque le
1 Cliniquement, l'observation publiée par mon interne, M. Gombault, dans les Archives de physiologie (1873, janvier, p. 80), se rapproche incontestable-ment beaucoup de la paralysie spinale infantile ; elle en diffère à quelques égards cependant au point de vue anatomo-pathologique. Les cellules mo-trices étaient profondément altérées dans les régions de la moelle épinière, correspondantes aux muscles frappés d'atrophie ; mais on ne rencontre nulle part, dans les cornes antérieures, les foyers limités ayant fait disparaître des groupes entiers de cellules nerveuses et produit l'épaississement fibroïde du tissu interstitiel qui paraissent être un caractère constant de la lésion spinale propre à la paralysie atrophique des jeunes enfants. (J.-M. G.)
plus souvent fort éloignée de la période infantile, ont été faites, incontestablement, par cela même, dans des conditions relativement défavorables. Elles ont permis, cependant, d'é-tablir déjà des données fondamentales que les observations ultérieures, instituées dans des conditions plus heureuses, c'est-à-dire sur de jeunes sujets, morts à une date rapprochée de l'origine de la maladie, ont pu compléter à quelques égards, mais n'ont pas essentiellement modifié. Cela ressor-tira, je pense, du court exposé qui va suivre.
1° Ce qui caractérise surtout, anatomiquement, la lésion spinale de la paralysie infantile, c'est la localisation étroite, systématique, des altérations dans les cornes antérieures de la substance grise et, plus précisément, dans la région de ces cornes qu'occupent les grandes cellules ganglionnaires, dites motrices. Rien, jusqu'ici, n'est venu contredire cette propo-sition établie dès l'origine de nos recherches 1.
L'altération dont il s'agit, — c'est un point sur lequel nous n'avions pas manqué d'insister, se montre parfois exactement limitée à un seul ou à deux des groupes ovalaires, nettement circonscrits, que, dans le renflement lombaire, par exemple, ces cellules forment en s'agrégeant {fig. 9). Ce sont là, pour ainsi dire, les foyers primitifs du mal, car, si la lésion s'étend au delà, elle paraît rayonner autour du groupe cellulaire comme autour d'un centre. Ce n'est qu'au plus haut degré de l'altération et seulement çà et là, sur quelques points, que la corne grise est envahie dans toute son étendue transversale {fig. 8). Il est de règle, en pareille occurrence, que les fais-ceaux blancs, les antérieurs et les latéraux surtout, présentent
1 Ces vues, relatives au rôle de l'altération des cellules nerveuses des cornes antérieures dans la pathogénie de la paralysie infantile et dts amyotrophies spinales progressives, ont été exposées dans une leçon que M. Gharcot a faite a la Salpêtrière, en juin 1868.
dans la région où la corne grise est aussi profondément at-teinte, une sorte d'émaciation, d'atrophie, avec diminution plus ou moins prononcée de tous les diamètres; mais cette lésion évidemment secondaire des faisceaux blancs n'est pas nécessaire. Elle peut faire défaut (fig. 9) et ne saurait, par conséquent, figurer au premier rang dans la caractéristique de la lésion spinale propre à la paralysie infan-tile.
La localisation si remarquable des lésions dans l'aire des groupes cellulaires m'avait conduit à admettre depuis long-temps, à titre d'hypothèse très vraisemblable, que le processus morbide occupe d'abord la cellule nerveuse, pour se propager ensuite à lanévroglie. Comment, en effet, expliquer autrement cette circonscription si frappante de l'altération dans le voi-sinage immédiat des éléments ganglionnaires? Je ne sache pas qu'aucun argument sérieux ait été, jusqu'ici, opposé à cette hypothèse.
2° La lésion des cornes antérieures, dans les cas de date ancienne, tels que ceux qui ont servi à nos études, consiste, en général, pour ce qui concerne les cellules nerveuses, en une atrophie scléreuse plus ou moins accentuée. Les élé-ments ganglionnaires de tout un groupe, de toute une région, lorsque l'altération est portée au plus haut degré, peuvent même avoir disparu sans laisser de traces. Quant à la névro-glie, on y trouve les caractères de l'hyperplasie conjonctive avec multiplication des éléments nucléaires et formation d'un tissu fibroïde, souvent très dense, marques évidentes de l'exis-tence passée d'un travail irritatif.
Toutefois, ainsi que nous l'avons reconnu ailleurs, les ob-servations recueillies à la Salpêtrière n'avaient mis, sous nos yeux, que les reliquats d'un processus morbide depuis long-temps éteint. En présence des documents qu'elles nous four-
nissaient, nous ne pouvions que chercher à reconstruire, par une espèce d'exégèse, les premières phases du processus. Sans doute les lésions de la névroglie nous offraient les traces incontestables de leur origine inflammatoire. Mais s'était-il agi là, autrefois, d'une myélite hyperplasique sans désagré-gation du tissu, ou, au contraire, d'une myélite destructive, avec i^amollissement ? Le problème était à peu près impossible à résoudre.
C'est ici que gît principalement l'intérêt des importantes observations de MM. Damaschino et Roger (loc. cit.). Ces auteurs ont eu l'occasion de pratiquer l'autopsie dans deux cas relatifs à déjeunes enfants ayant succombé l'un 2 mois, l'autre 6 mois après le début de l'affection et ils ont reconnu dans ces deux cas que, sur les points de la moelle le plus pro-fondément altérés, les lésions localisées, d'ailleurs, comme c'est la règle, dans l'une des cornes grises antérieures, con-sistaient en un ramollissement rouge, inflammatoire, avec injection vasculaire, production de corps granuleux, etc., etc. Au-dessus et au-dessous de ces points, l'altération pouvait être poursuivie encore à une certaine distance dans la sub-stance grise; mais, s'atténuant progressivement, elle n'était plus représentée bientôt que par la multiplication des éléments nucléaires et une injection vasculaire surtout marquée au voi-sinage immédiat des groupes de cellules nerveuses.
Ces observations établissent — comme on voit — que le ramollissement rouge doit être compté parmi les lésions spi-nales de la paralysie infantile. Mais rien ne démontre, quant à présent, que ce soit là, dans l'espèce, une condition obliga-toire. Il est même fort vraisemblable que, à l'exemple de ce qui a lieu parfois dans la myélite aiguë centrale vulgaire, les altérations de la moelle épinière, dans la paralysie des enfants, peuvent atteindre leur plus haut degré d'intensité et provo-quer, à la périphérie, les lésions trophiques musculaires les
Fiq, 10. — Cellules nerveuses des cornes antérieures de la moelle épinière. — A, état normal. — B, état hypertro-phique. — C, altération pigmentaire. — D, altération pigmentaire arrivée au dernier terme.—E, cellule atteinte d'atrophie scléreuse. — F, altération vacuolaire.
en ce qui concerne la moelle (Soc. de biologie, 1872). Le corps, volumineux et comme renflé, est en même temps trouble et. opalescent. Les prolongements sont plus épais qu'à l'état normal et comme contournés. J'ai comparé cette altération des cellules nerveuses de la moelle épinière à l'hypertrophie que présente, sous l'influence de certains processus irritatifs, le cylindre axile des tubes nerveux, soit dans le centre cérébro-spinal, soit dans les nerfs périphé-riques (Fig. 16, B).
plus graves, sans qu'il y ait dissociation des éléments nerveux et conjonctifs et autrement dit ramollissement *.
Un autre fait intéressant, mis en lumière par ces mêmes observations de MM. Roger et Damaschino, c'est que, dans ses premières phases, l'altération des cellules nerveuses est marquée par une atrophie avec pigmentation excessive de ces éléments. La lésion scléreuse, signalée dans les obser-vations qui nous sont propres, serait donc un phénomène consécutif 2.
1 Charcot. — Archives de physiologie, 1872, janvier-février; — Hayem, même recueil, 1874, p. C03.
2 C'est ici le lieu de rappeler les principaux modes d'altération dont les cellules nerveuses des cornes grises antérieures de la moelle épinière se mon-trent susceptibles.
1° Je signalerai, en premier lieu, la tuméfaction, souvent énorme, que subis-sent parfois ces cellules et que j'ai le premier reconnue, je crois, du moins
2° Quelques auteurs ont décrit, dans les cellules nerveuses de l'encéphale, une multiplication des noyaux (Joliy) qu'ils considèrent comme la marque d'un processus irritatif. M. Leyden dit avoir fait la même observation sur les cellules ganglionnaires de la moelle. Mais il importe de remarquer que, dans certaines régions de l'encéphale et dans le système du grand sympathique, la présence de deux noyaux dans une cellule nerveuse est un fait rare sans doute, mais qui se montre dans les conditions normales, en dehors de toute trace d'un processus irritatif; on ne connaît pas une prolifération de la cellule nerveuse correspondant à la prolifération des * léments cellulaires du tissu conjonctif par exemple. En somme, les altération" diverses que subissent ces cellules par le fait de l'inflammation, à part le gonflement signalé plus haut, sont toutes, anatomiquement parlant, atrophiques ou dégénératives (Fig. 10, C, D, E.).
3° Je signalerai, en passant, l'altération dite vacuolaire des cellules ner-veuses des cornes antérieures. Je l'ai maintes fois rencontrée dans des cas où la névroglie présentait, au voisinage, les caractères non équivoques de l'in-flammation. Je n'ai pas pu me convaincre encore que cette altération n'est pas un produit de l'art (Fig. 10, F).
4° J'insisterai plus longuement sur l'altération, dite pigmentaire, des celhdes nerveuses spinales. C'est un fait normal, pour ainsi dire, dans l'Age sénile que ces cellules soient remplies et distendues par une quantité souvent énorme de pigment. Est-ce là une circonstance tout à fait indifférente au point de vue du fonctionnement ; ne faut-il pas plutôt rapporter, pour une part, à cette mo-dification sénile de la cellule, l'affaiblissement moteur et les altérations des muscles des membres, qui se montrent à peu près fatalement à une certaine époque de la vie?
Quoi qu'il en soit, l'accumulation de pigment, dans une cellule nerveuse spinale, ne suffit pas, à elle seule, quelque marquée qu'elle soit, pour carac-tériser une lésion profonde de l'organite. Mais il s'y joint, dans les cas patho-logiques proprement dits, une atrophie véritable, dont M. L. Clarke a bien décrit toutes les phases; au premier degré de cette altération, la cellule dimi-nue de volume et la partie transparente du corps se réduit de plus en plus ; à un deuxième degré, les prolongements s'atrophient à leur tour, en même temps que le corps prend une forme globuleuse ; bientôt les prolongements ne sont plus représentés que par des filaments courts et grêles. Enfin, au der-nier degré, ils disparaissent. Le noyau de la cellule subit une atrophie conco-mitante. Cette atrophie pigmentaire, qui conduit à la destruction totale delà cellule, se montre liée à des processus irritatifs primitivement développés dans la névroglie avoisinante. ou bien elle existe isolément, indépendamment de toute lésion de la névroglie, dans certaines formes, par exemple, d'atrophie musculaire progressive, ou de paralysie bulbaire (Fig. 10, C, D).
5° Enfin, une dernière forme d'altération de la cellule nerveuse motrice est celle que l'on désigne quelquefois sous le nom de sclérose ou i¥atrophie sclé-reuse. — La cellule a diminué de volume, quelquefois considérablement. Elle est comme ratatinée, plus ou moins arrondie, ou, au contraire, allongée. Les prolongements sont courts, desséchés, ou absents. Le corps cellulaire est opa-que, d'aspect brillant : le noyau est petit, inégal et ratatiné. J'ignore si cette altération est toujours précédée par les lésions de l'atrophie pigmentaire ou
3° La lésion spinale, dont les principaux traits viennent d'être rappelés, est constante dans la paralysie infantile ,
c'est là un fait capital que j'ai fait pressentir déjà dans mes leçons de 1868 et que toutes les observations, aujourd'hui nombreuses, publiées depuis lors, soit en France, soit à l'é-tranger, sont venues confirmer. Parmi ces observations à l'appui, pour ne parler que des plus récentes, je citerai celles qui ont été publiées en Allemagne par MM. Recklinghausen, Rosenthal (de Vienne) et Roth (de Bâle) *.
Je m'étais efforcé, en outre, à la même époque, d'établir que la lésion en question doit être considérée comme initiale, primitive, et comme dominant, en un mot, tout le drame mor-bide. On ne pouvait admettre, en effet, qu'elle fût une con-séquence de l'inertie fonctionnelle des membres frappés de paralysie, car elle n'a rien de commun avec l'altération parti-culière de la moelle épinière, alors déjà fort bien étudiée par MM. Clarke, Vulpian et Dickinson, qui survient à la suite des amputations de date très ancienne 2. D'un autre côté, l'hypo-thèse qui placerait à la périphérie, soit dans les muscles, soit dans les nerfs, le point de départ des accidents, serait fort compliquée, fort embarrassée et ne reposerait sur aucune ana-logie ; tandis que l'hypothèse adverse, au contraire, en outre de l'appui que lui prête l'histoire de la myélite aiguë centrale vulgaire, compte encore, en sa faveur, l'expérimentation sur les animaux, qui, entre les mains de M. Prévost, a montré qu'une lésion, portant sur les parties centrales de la moelle, détermine des lésions musculaires fort semblables à celles qui s'observent dans la paralysie des jeunes enfants 3.
L'opinion que je me suis appliqué à faire prévaloir autre-fois n'a rencontré, comme vous le voyez, aucune objection
si elle peut être primitive. Elle se rencontre fréquemment dans les cas d'amyo-trophie spinale liée à un processus irritatif bien accusé [Fig. 10, E.). (Gharcot: Cours de la Faculté, 1874.)
1 Roth. — Anatom. Befund bei spînaler Kinderlahmung. In Virchow's Archiv, 1873, t. LVIII, p. 273.
2 Vulpian. — Archives de physiologie, 1868, p. 44?. — Idem, 1869, p. 675.
3 Prévost. — Société de biologie, séance du 14 avril 1872.
sérieuse ; elle paraît d'ailleurs, aujourd'hui, assez générale-ment répandue. Je crois donc pouvoir, d'après cela, m'en tenir à la théorie que j'ai proposée dans le temps, relativement à l'enchaînement des phénomènes. Les cellules nerveuses seraient le premier siège et le point de départ du processus irritatif et il se produirait là une téphromy élite antérieure aiguë parenchymateuse 1. Le processus se communiquerait rapide-ment, de proche en proche, au tissu coujonctif voisin, sans dépasser toutefois la limite de l'aire des cornes antérieures. Tandis que, sous l'influence de cette incitation morbide, la cellule subit les diverses phases d'atrophie capables d'aboutir à une destruction complète, la névroglie réagit, elle, à sa manière, et s'enflamme. Le processus phlegmasique peut même aller là, sur les points les plus altérés, jusqu'àla forma-tion d'un foyer de ramollissement rouge.
Quoi qu'il en soit, à ces altérations brusquement dévelop-pées se rattachent tous les phénomènes delà maladie, savoir : d'abord l'appareil fébrile initial, puis toute la série des acci-dents qui bientôt lui succèdent. La paralysie motrice, marquée par la suppression de la tonicité musculaire et des autres mo-des de l'activité réflexe, peut être considérée, d'après les vues physiologiques actuellement régnantes, comme une consé-quence toute simple de la désorganisation dont souffre l'appa-reil des cellules nerveuses motrices. De cette même lésion des éléments ganglionnaires relève aussi certainement l'atrophie rapide des muscles paralysés et les modifications de la con-tractilité électrique qui en sont le prélude ; mais on ne con-naît pas bien encore le mode pathogénique qu'il faut invo-quer ici. On admet volontiers que les nerfs centrifuges, qui prennent leur origine dans les parties affectées de la moelle
1 M. Kussmaul à proposé la dénomination Polyo-myelitisanterior acutissima pour désigner la lésion spinale de la paralysie infantile (Loc. cit. n° 1, p. 3). Je crois téphro-myélite préférable et je puis invoquera ce propos la puissante autorité de M. Littré (irecppa, cinis. Plut. — ?csçpatos, cinerem, ?\v n).
épinière, se comportent comme le bout périphérique d'un nerf sectionné. Ils subiraient les diverses phases d'altérations des-tructives, que MM. Neumann, Ranvier', Vulpian, Eichhorst2, ont, dans ces derniers temps, étudiées avec tant de soin à l'oc-casion des lésions expérimentales des nerfs, et la perte appa-rente de la contractilité faradique, ainsi que l'atrophie des-faisceaux musculaires, surviendraient en conséquence. Il ne faut pas oublier que ce n'est là encore qu'une hypothèse, à la vérité fort plausible, et il importe de remarquer en particulier que l'état des nerfs périphériques, dans les premières semai-nes qui suivent le début de la paralysie infantile, n'a pas en-core été reconnu de visu.
Quant à l'absence, constamment relevée dans les observa-tions cliniques, de troubles durables de la sensibilité cutanée, de paralysie du rectum ou de la vessie, de troubles trophiques cutanés ou viscéraux, elle tient, vous le savez, un rang éminent dans la caractéristique de la paralysie infantile et elle contri-bue, pour une bonne part, à séparer nettement cette affection des diverses formes de la myélite aiguë diffuse ; elle est phy-siologiquement en rapport avec la localisation étroite de la lé-sion spinale dans l'aire des cornes antérieures de la substance grise. Il se produitlà, parle fait de la maladie, dans les parties centrales de la moelle épinière, une expérience délicate et toujours réussie qui montre que les cornes grises antérieures ne sont pas nécessaires à la transmission des impressions sen-sitives et n'ont pas d'influence directe sur les mouvements de la vessie ou du rectum non plus que sur la nutrition soit de la peau, soit des organes génito-urinaires.
1 Ranvier. — Comptes rendus de f Académie des Sciences, 1872, 1873.
2 Eichhorst. — Virchovfs Archiv. 59 Bd, 1874.
Si les vues qui viennent d'être exposées sont fondées, il doit s'en suivre que toute lésion inflammatoire aiguë de la moelle épinière, quelle que soit d'ailleurs son origine, pro-duira nécessairement, à l'instar de la paralysie infantile, la paralysie motrice avec l'atrophie rapide des muscles paralysés pourvu que soit remplie la condition expresse, mise en relief tant de fois déjà, savoir: la lésion atrophique aiguë des cellu-les nerveuses motrices. D'un autre côté, les phénomènes sur lesquels j'appelais l'attention tout à l'heure et qui font régu-lièrement défaut dans la symptomatologie de la paralysie in-fantile en raison même de la circonscription systématique de l'altération à l'aire des cornes antérieures, ces phénomè-nes, dis-je, devront, au contraire, se rencontrer à des degrés divers, dans toutes les autres formes aiguës d'affection spinale, parce que toutes elles reconnaissent pour substratum des lé-sions plus ou moins diffuses.
Les choses sont ainsi, dans la réalité, c'est ce dont témoigne, entre autres, l'histoire de l'une des maladies spinales les plus communes chez l'adulte, et en même temps les plus graves. Je veux parler de la myélite aiguë centrale généralisée 1. La lésion se traduit ici, le plus souvent, microscopiquement par le ramol-lissement rouge. Mais les choses ne vont pas toujours aussi loin et les éléments, tant conjonctifs que nerveux, pourront se montrer profondément altérés, sans avoir subi de dissocia-tion2. Quoi qu'il en soit, elle occupe les régions centrales de la moelle épinière, la substance grise surtout, et tend à enva-
1 Les altérations profondes que peuvent subir les muscles des membres pa-ralysés dans la myélite centrale aiguë se trouvent signalées déjà par Rokitansky. 'Lehrb. despath. auat. 1«'' Bd. 1S S ^, p. 329, 2e Bd. 1856, p. 228.)
2 Voyez les observations de M. Gharcot sur l'histologie de la myélite aiguë (Arçh. de pkysiolog., 1872, janv.-fév.), et celle de M. Hayein sur le même sujet (Même recueil, 1874, p. 603.)
hir une grande partie de la hauteur du cordon nerveux, de telle sorte que, par exemple, la région dorsale et la région lombaire seront atteintes simultanément dans toute leur lon-gueur. Dans la substance grise, elle intéresse les cornes grises antérieures et, par conséquent, les cellules motrices, mais elle ne s'y limite point, et elle attaque aussi bien les cornes grises postérieures et les commissures. Enfin, elle se répand tou-jours, en outre, çà et là, d'une façon inégale, sur les divers faisceaux blancs.
Le débat s'opère souvent brusquement, et il peut être mar-qué comme dans la paralysie infantile, par un appareil fébrile plus ou moins intense. Si l'on compare, d'ailleurs, les deux affections sous le rapport des symptômes locaux, on remarquera que plusieurs leur sont communs. D'autres n'appartiennent qu'à la myélite aiguë diffuse. Les symptômes communs sont: la paralysie motrice avec flaccidité complète, amoindrissement hâtif de la contractilité faradique reconnue dans plusieurs ob-servations de myélite dès la première semaine 1 ; et enfin, l'atrophie des muscles rapidement développée. La théorie in-dique qu'ils dépendent de l'altération des cornes grises anté-rieures. Par contre, les symptômes nouveaux surajoutés, n'appartenant qu'à la myélite diffuse, révèlent la participation des autres régions delà moelle. Ce sont des altérations plus ou moins marquées de la sensibilité, et particulièrement une anesthésie cutanée plus ou moins profonde des membres pa-ralysés, la paralysie de la vessie et du rectum, l'émission d'u-rines alcalines, purulentes, enfin la formation d'escarres non seulement à la région sacrée, mais encore sur tous les points des membres paralysés soumis à une pression un peu pro-longée.
Ces escarres, qui, comme les autres phénomènes précédem-
1 Observations de M. Mannkopf. — Amtlich. Bericht ùber die Versamlung Deutscher Natwforscher und Aerzte za Hannover, p. 251, 1866.
Charcot. Œuvres complètes, t. h. 14
ment cités, font absolument défaut dans ia paralysie infantile, sont, au contraire, un fait vulgaire dans la myélite aiguë gé-néralisée. On sait qu'elles s'y produisent souvent avec une rapidité singulière, 4, 6, 10 jours après le début des premiers accidents et qu'elles contribuent puissamment à déterminer l'issue fatale.
Vhématomyélie, ou, en d'autres termes, Y hémorragie intra-spinale, se prête à des considérations semblables. Dans nom-bre de circonstances, son histoire symptomatique se confond, en effet, pour ainsi dire sur tous les points, avec celle de la myélite aiguë généralisée ; ainsi, pour ne parler que de la con-tractilité faradique, on l'a vue disparaître dès le quatorzième1, dès le neuvième jour 2, et il est fréquent, d'un autre côté, que de vastes escarres se déclarent rapidement au siège. L'hémor-ragie intra-spinale, ainsi que M. Hayem3 et moi-même 4 nous nous sommes efforcés de l'établir, ne serait d'ailleurs qu'une sorte d'épiphénomène de la myélite aiguë centrfde. Il paraît certain que, à peu près toujours, l'épanchement de sang se forme là, au sein de parties préalablement modifiées dans leur texture par le fait de l'inflammation.
Les lésions traumatiqnes de la moelle épinière, qu'elles résultent d'une fracture de la colonne vertébrale ou d'une plaie par instrument tranchant, peuvent, elles aussi, détermi-ner l'amyolrophie aiguë avec tous ses accompagnements, en un mot, la formation d'escarres à développement rapide. Les altérations spinales, dans ces cas de traumatisme, sont, à l'origine du moins, celles de la myélite aiguë transverse, c'est-à-dire qu'il s'agit de lésions inflammatoires qui, intéressant à la fois l'axe gris et les faisceaux blancs, n'occupent cependant
1 Observations de Levier. — Beitrag zur Pathologie der Ruckenmarks Apo-plexie, lnaug. Dis. Bern. 1864.
2 Observation de Duriau. — Union médicale, 1859, t. I, p. 308.
3 Hayem. — Des hémorragies mtraruchidiennes, 1872, p. 138. '* Gbarcot. - Leçons de la Salpêtrière, 1870.
qu'une petite étendue de la hauteur de la moelle. Mais sou-vent elles se propagent très rapidement au-dessous du point primitivement affecté, jusqu'à l'extrémité du renflement lom-baire, par exemple, si la lésion a porté sur un point de la région dorsale ; la propagation en question se fait dans les faisceaux blancs, suivant une loi bien connue, le long des faisceaux latéraux tandis que, dans la substance grise, ce sont les colonnes formées par les cornes antérieures qui sont envahies. Celte extension descendante des lésions spinales transverses, dans les cornes grises antérieures, n'est pas une simple vue de l'esprit ; je l'ai tout récemment reconnue nettement à l'examen de pièces provenant d'un cas de myélite aiguë transverse sur lequel je reviendrai. Elle seule permet de com-prendre, — je l'ai déjà fait remarquer ailleurs !, — comment une lésion spinale, en apparence limitée à un point circon-scrit de la région dorsale, peut déterminer dans les membres inférieurs paralysés du mouvement, l'atrophie aiguë des mus-cles, et en un mot tous les phénomènes, qui, ainsi que le montre l'analyse physiologique de la paralysie infantile, relè-vent de l'atrophie aiguë des cellules nerveuses motrices.
1 Charcot. — Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, p. 63, note 1.
ONZIÈME LEÇON
Des amyotrophies spinales chroniques. — Atrophie musculaire progressive spinale protopathique (Type Duchenne-Aran).
Sommaire. — Variétés cliniques des cas désignés sous le nom d'atrophie muscu laire progressive (atrophies musculaires progressives spinales). — Unifor-mité dans ces cas de la lésion spinale qui porte sur les cornes antérieures de la substance grise.
Étude de l'atrophie musculaire progressive spinale protopathique comme type du groupe : simplicité de la lésion spinale. — Amyotrophies spinales chroniques deutéropathiques. La lésion des cellules nerveuses motrices cbt ici consécutive: elle se surajoute à une lésion spinale de siège variable. — Aperçu des principales affections spinales qui peuvent produire l'amyo-trophie progressive deutéropathique : pachyméningite spinale hypertrophi-que ; — sclérose des faisceaux postérieurs ; myélite centrale chronique ; hydromyélie ; tumeurs intra-spinales ; sclérose en plaques ; — sclérose laté-rale symétrique.
De l'atrophie musculaire progressive spinale protopathique en particu-lier. (Type Duchenne-Aran). — Symptômes: atrophie individuelle des muscles, troubles fonctionnels, persistance prolongée de la contractilité fara-dique; secousses fibrillaires, déformations ou déviations paralytiques ; griffes. — Modes d'invasion. —Etiologie: hérédité, froid, traumatisme.
Anatomie pathologique. — Lésions de la moelle: altération limitée aux cornes antérieures de substance grise (cellules nerveuses, névroglie). — Lésions des racines nerveuses et des nerfs périphériques. — Lésions mus-culaires, leur nature.
I.
Messieurs,
Je me propose, dans les leçons qui vont suivre, de consa-crer quelques développements à l'histoire des amyotrophies
spinales chroniques. Les affections que comprendra cette appellation sont aujourd'hui encore souvent confondues en clinique sous la dénomination commune d'atrophie muscu-laire progressive. L'anatomie pathologique cependant a éta-bli depuis longtemps qu'il ne s'agit pas là d'un groupe homo-gène.
En effet, les lésions spinales qu'on peut rencontrer dans les cas qui portent en clinique cette dénomination d'atrophie musculaire progressive sont très variées. Elles ont toutefois, en commun, un trait particulier qui constitue, pour ainsi dire, le caractère anatomique fondamental du groupe : c'est la lésion des cornes antérieures de substance grise et plus expli-citement l'altération atrophique des cellules molrices de la région. Nous trouvons en quelque sorte ici la reproduction de ce que nous avons vu à propos des amyotrophies spinales aiguës ; seulement la lésion spinale, dans les cas qui vont nous occuper, évolue non plus suivant le mode aigu, mais au contraire suivant le mode subaigu chronique et, à cette cir-constance, se rattachent, malgré plus d'une analogie, des dif-férences considérables dans la succession des symptômes.
A. Vous vous souvenez sans doute, Messieurs, que, dans l'étude des amyotrophies spinales aiguës, nous avons pris pour objet un type régulier, la paralysie infantile où les lésions spinales sont systématiquement limitées aux cornes antérieures de substance grise. Un type du même genre nous servira de guide dans l'histoire des amyotrophies spinales chroniques. En effet, une lésion exactement limitée aux régions antérieures de la substance grise et laissant parfaite-ment indemnes tous les autres départements de la moelle épinière, substance blanche et substance grise, tel est le sub-stratum anatomique dans une certaine forme d'atrophie muscu-laire progressive qui répond à peu près cliniquement au type
vulgaire tel qu'il a été décrit par Cruveilhier, Duchenne (de Boulogne), Aran, et à laquelle nous donnerons, si vous le voulez bien, la qualification de spinale protopathique.
La constitution de cette forme protopathique de l'atrophie musculaire spinale, qui reproduit en quelque sorte, je le repète, dans le mode chronique, la paralysie infantile, est relativement fort simple. Ainsi, l'élément anatomo-pathologi-que est représenté: Io dans la moelle, par une lésion systé-matiquement limitée aux cornes grises antérieures ; l'alté-ration des grandes cellules nerveuses étant d'ailleurs une condition nécessaire, sine quanon, et parfois la seule lésion appréciable ; 2° dans les racines motrices et les nerfs moteurs périphériques, par une atrophie plus ou moins prononcée, conséquence de la lésion spinale ; 3° enfin dans les muscles correspondants, par des lésions Irophiques que nous aurons à passer en revue et d'où procède, à proprement parler, toute la symptomatologie de l'affection.
B. Les choses sont plus compliquées dans un second groupe d'amyotrophies spinales chroniques que, par opposition, je désignerai sous le nom de deuléropathiques. Ici, en effet, la lésion des cornes antérieures et des cellules nerveuses est nécessairement présente aussi, mais elle n'est qu'un fait de seconde date, consécutif en tout cas. La lésion originelle siège encore dans la moelle épinière, mais elle s'est dévelop-pée en dehors de la substance grise et ce n'est que secondai-rement, par extension, que celle-ci a été, à son tour, envahie. A la vérité, lorsque cet envahissement s'est opéré, la même série de phénomènes consécutifs en découle, et en particu-lier, l'atrophie progressive des muscles ; toutefois les symptô-mes amyotrophiques se trouvent alors comme entremêlés, ou mieux surajoutés à ceux de la maladie spinale primitive. Or, vous comprenez aisément, Messieurs, combien l'ensemble
symptomatique qu'on observe dans ces diverses combinaisons pourra se montrer complexe et variable. Car, de fait, il n'est peut-être pas une lésion élémentaire chronique de la moelle épinière qui ne soit susceptible, à un moment donné de son évolution, de retentir sur la substance grise antérieure et d'y déterminer l'atrophie des cellules motrices.
Pour ne parler que des faits dans lesquels une vérification anatomique a eu lieu, voici l'énoncé des principales formes d'affectiun de la moelle épinière qui peuvent donner lieu a l'amyotrophie spinale chronique deuléropathique :
Io En premier lieu, je signalerai la pachy méningite spi-nale hypertrophique. Elle consiste, nous le verrons, en une inflammation des méninges qui occupe surtout le renflement cervical de la moelle et qui répond sans doute à ce qu'on appelait autrefois Y hypertrophie de la moelle épinière. La lésion méningée se propage à la moelle elle-même et simulta-nément aux origines des nerfs rachidiens. L'atrophie muscu-laire des membres supérieurs se développe sous cette double influence ; elle se montre combinée à des symptômes particu-liers qui relèvent à la fois de la lésion méningée, de la lésion spinale et de celle des nerfs périphériques.
2° Vient ensuite la sclérose des zones radiculaires posté-rieures, subslratum anatomique de l'ataxie locomotrice pro-gressive l. La symptomatologie se composera ici des phéno-mènes liés à l'atrophie consécutive des cornes antérieures, — atrophie lente des muscles, — et de ceux qui caractérisent la sclérose des zones radiculaires postérieures — douleurs ful-gurantes spéciales, incoordination motrice, etc.
3° Divers types de myélite centrale, spontanée ou trauma-
i Voir Leçon I, p. 13.
tique, à marche chronique, doivent entrer dans cette énumé-ration ; une lésion anatomique que l'on désigne communément sous la dénomination d'hydromyélie ou hydromyélite mérite d'être mentionnée spécialement \
Quelques auteurs décrivent cette altération spinale comme résultant d'une dilatation du canal central de la moelle épi-nière. Il est certain que, dans la majorité des cas, il s'agit là de foyers canaliculés consécutifs à une myélite chronique cen-trale. Quoi qu'il en soit, la substance grise des cornes anté-rieures peut, en pareille circonstance, être intéressée au point
1 Cette lésion spinale a été désignée par Ollivier fd'Angers) sous le nom de syHngomyélie ou cavité centrale dans la moelle épinière (Traité des mala-dies de la moelle épinière, 3e édil., 1837, t. I, p. 202). J'ai fait connaître une observation de myélite spinale cervicale avec pachyméningite, remarquable, entre autres, par la présence de trois canaux longs et étroits, qui, creusés pour la majeure partie dans l'épaisseur de la substance grise, parcouraient, parallè-lement au grand axe de la moelle, le renflement cervical dans toulo son éten-due. L'un de ces canaux, de tous le plus considérable, pouvait môme être suivi jusqu'au niveau du tiers inférieur de la région dorsale. Dans lapins grande partie de son trajet, il occupait la corne grise postérieure du còlè gauche où, pour mieux dire, il s'était substitué à cette corne grise dont les divers éléments avaii nt disparu. Les deux autres canaux, moins volumineux, siégeaient, l'un immédiatement en arrière de la commissure postérieure, sur la ligne médiane, de manière à intéresser à la fois les deux faisceaux blancs postérieurs, l'autre en partie dans la corne postérieure droite, en partie dans le faisceau postérieur du côté droit. Ces derniers canaux se trouvaient en grande partie comblés par une substance amorptie, transparente, finement grenue, qui, en certains points, s'était désagrégé, vraisemblablement par le fait de quelque accident de prépa-ration, et avait laissé à sa place des lacunes plus ou moins étendues, à con-tours plus ou moins irréguliers. Celte même substance, finement grenue, légèrement condensée, formait la paroi des foyers et se continuait sans ligne de démarcation bien tranchée avec le tissu avoisinant qui présentait lui même, a une certaine distance, les caractères de la dégénéralion granuleuse. Cette observation qui figure dans un mémoire publié en commun avec M. Joffroy, alors mon interne (Archives de physiologie, mai, septembre et novembre 1869.) rendait déjà fort vraisemblable qu'un certain nombre des cas d''Hydromyèlie, assez communément rapportés jusqu'alors à une dilatation du can d central, peuvent résulter de la fonte d'un tissu pathologique développé au sein des parties centrales de la moelle épinière. La réalité dii fait me semble avoir été mise hors de doute par M. Hallcpeau dans un travail intéressant présenté à la Société de Biologie. {Mémoires de la Société de Biologie, tf-69, p. 199.) Tout récemment M. le Dr Th. Simon (de Hamboirg) a rassemblé un grand nombre d'observations [Arch. fur Psycniairie und nervenkaukhreiten, v. Bd. 1 heft. Berlin, Jr 74, p. 120 et suiv.) qu, iennent confirmer à cet égard les conclusions de travaux français. (.T.-M. GharcoO.
que les cellules nerveuses motrices subissent des altérations plus ou moins profondes et, par ce fait, l'atrophie muscu-laire, à marche progressive, viendra figurer dans la sympto-matologie de l'affection
4° Il existe aussi plusieurs exemples de tumeurs intraspi-nales (gliômes ou sarcomes), qui, développés au centre de la substance grise, dans la région cervicale, ont été le point de départ de symptômes d'amyotrophie progressive 2.
5° Nous devons citer encore la sclérose en plaques. En général, dans les cas ordinaires relatifs à cette affection, la substance grise n'est pas profondément atteinte ; il est pos-sible que cela arrive néanmoins, et alors, aux symptôme déjà si variés de l'induration mulliloculaire des centres ner-veux, viennent se joindre des amyotrophies à marche pro-gressive .
6° Mais la forme pathologique que je veux relever particu-lièrement parmi ces amyotrophies spinales chroniques, deu-téropathiques, est celle qui est caractérisée anatomiquement par une sclérose qui affecte symétriquement les faisceaux latéraux de la moelle épinière, dans toute la hauteur de ce cordon nerveux. Cette sclérose fasciculée peut même être suivie, ainsi que nous le dirons, jusque dans le bulbe et la pro-tubérance. La sclérose fasciculée latérale symétrique peut se rencontrer isolément, en dehors de toute lésion de l'axe gris ; mais, très fréquemment, elle retentit sur les cornes anté-
1. Voir entre autres le cas de M. 0. Schuppel : Ueber Hydromyelus. In Archiv der HeUkunde. Leipzig, 1865, p. 289.
2. 0. Schuppel. — Das gliom und gliomyxon des Ruckenmarks ln Archiv der HeUkunde, p. 127, 1867. — J. Grimm. — Atrophia muscidorum pro-gressiva, tumor carcinomatosus intumescentiœ spinalis, etc. In Virchovf s Archiv, 1869, 4 faeg. 8 Bd.
rieures de la substance grise, et plus particulièrement sur les cellules nerveuses de la région, en conséquence de quoi les symptômes amyotrophiques se surajoutent à ceux qui relèvent de la sclérose latérale.
Dans tous les cas qu'embrasse cette énumération, l'envahis-sement de la substance grise antérieure, ainsi que nous l'avons fait remarquer, est constamment un phénomène consécutif. Il est possible que la combinaison inverse puisse survenir, c'est-à-dire qu'une lésion primitivement développée dans le centre gris envahisse consécutivement les faisceaux blancs ; mais je ne crois pas, quant à présent, que cette combinaison ait jamais été régulièrement observée.
II.
Messieurs, ainsi que je vous l'ai annoncé en commençant, c'est tout d'abord Yamyotrophie progressive spinale proto-pathique définie, comme vous venez de l'entendre, que nous allons étudier dans cette leçon. Lorsque ce type, comparati-vement simple, vous sera connu, il deviendra plus facile de pénétrer dans l'histoire, maintenant encore assez embrouillée, des amyotrophies spinales deutéropathiques.
Nous nous efforcerons de dégager, autant que possible, la description de Yatrophie musculaire protopathique de tous les éléments étrangers qui l'encombrent chez la plupart des auteurs. Nous suivrons en cela l'exemple de M. Duchenne (de Boulogne) qui, de longue date, a commencé, en se pla-çant surtout au point de vue clinique, ce travail d'épuration. Les jalons, posés par cet auteur sur la voie qu'il a déjà par-courue, nous serviront, plus d'une fois, de guide dans l'ac-complissement de la tâche que nous allons entreprendre *.
1. Voir le chapitre V dans le Traité de VEleclrothérapie localisée.
A. Nous commencerons notre exposition par le côté clini-que ; après quoi, nous descendrons dans le détail des lésions anatomiques et, enfin, nous vous présenterons, en manière d# conclusion, quelques considérations relatives à la physiologie pathologique de l'affection.
a) Le premier trait à faire ressortir dans la symptomatologie de l'atrophie musculaire progressive, après le début insidieux, sans prodromes, ou avec des prodromes longtemps inaperçus, pour ainsi dire, c'est ce qu'on pourrait appeler Y atrophie in-dividuelle que subissent les muscles affectés ; en d'autres ter-mes, un muscle ou plusieurs muscles d'un membre peuvent avoir souffert une diminution de volume très remarquable, alors que les muscles voisins ont conservé leur relief nor-mal.
Ce premier trait est, en quelque sorte, caractéristique; c'est, écrit M. Duchenne (de Boulogne), « le faciès de la maladie ». Précisons, en faisant appel à un exemple concret. Supposons le cas, très commun dans l'espèce, où la maladie n'a envahi encore qu'un certain nombre de muscles dans un membre su-périeur. Tous les muscles de la main et de l'avant-bras auront, je suppose, à ce moment, subi une atrophie profonde, à l'ex-ception d'un seul peut-être, le long supinateur par exemple. En revanche, les muscles du bras et de l'épaule seront intacts et présenteront le volume de l'état normal de manière à former un contraste frappant avec l'atrophie très accentuée de l'avant-bras et de la main.
Prenons un autre exemple, plus rare. Ce sera, dans ce cas, les muscles thoraciques qui auront été affectés les premiers. Les pectoraux seront profondément émaciés, et, partant, la poitrine aura subi un amaigrissement très prononcé, tandis que les membres supérieurs, ayant été épargnés tout entiers, offriront une saillie relativement considérable. Ce mode d'en-
vahissement de l'atrophie qui procède, dans une certaine me-sure, muscle par muscle, fournit un caractère important parce qu'il ne se retrouve pas au même degré dans les amyotrophies deutéropathiques.
b) Les troubles fonctionnels que présentent les muscles en voie d'atrophie doivent nous arrêter actuellement. À la dimi-nution de volume se lie un certain degré à'affaiblissement des mouvements exécutés par le muscle et l'on peut dire que ces deux phénomènes, d'une façon générale, progressent paral-lèlement ; autrement dit, moins il y a de fibres musculaires dans un muscle ou plus il y a de fibres atrophiées, plus la fai-blesse est grand-e, et celle-ci ne paraît guère dépendre que de la diminution du nombre ou de l'atrophie plus ou moins pro-noncée des faisceaux musculaires.
Ce fait contraste avec ce que l'on sait des paralysies propre-ment dites ou par défaut d action nerveuse. Soit, par exemple, une paralysie des membres inférieurs déterminée par une compression s'exerçant sur un point limité de la moelle épi-nière à la région dorsale ; l'inertie motrice occasionnée dans les membres inférieurs par la suppression de l'action cérébrale pourra être complète, absolue, et cependant les muscles, en pareil cas, ne souffriront pas dans leur nutrition ou ne souffriront qu'à la longue, par le fait de l'inaction prolon-gée.
Dans les amyotrophies spinales, deutéropathiques, en raison de la combinaison habituelle d'une lésion des faisceaux blancs avec la lésion de la substance grise, il est de règle qu'un de-gré plus ou moins prononcé de paralysie par suppression de l'action nerveuse s'ajoute aux effets de l'amyotrophie protopa-thique où la substance grise est seule affectée.
c) Un autre fait, digne d'être relevé, est le suivant : le mus-
d) Il importe, dans la description, de ne pas oublirles secous-ses fibrillaires. Ces secousses se produisent spontanément, mais on peut en provoquer souvent l'apparition à l'aide d'un léger choc porté sur le muscle. Elles consistent, permettez-moi de le rappeler, en ce que la peau, qui recouvre le muscle atteint, paraît tout à coup soulevée par de petites cordes très fines, qui se dessinent dans la direction des principaux fais-ceaux musculaires. Quelquefois tout à fait partielles et locali-sées, elles sont, d'autres fois, assez énergiques pour mettre en mouvement un doigt, la main elle-même. Ces secousses fibrillaires n'appartiennent pas en propre à la forme protopa-thique. J'ajouterai, en outre, qu'elles se voient en dehors de l'atrophie musculaire progressive, chez des sujets sains. Elles constituent parfois, dans ce cas, un des symptômes d'une forme particulière d'hypochondrie, assez fréquente, soit dit en passant, chez les étudiants en médecine.
e) Je dois signaler, mais pour les écarter du tableau, d'au-tres symptômes qu'à mon sens on a compris à tort dans la description de l'atrophie musculaire vulgaire. Les douleurs spontanées, continues et névralgiques, les douleurs paroxys-tiques fulgurantes, mentionnées par quelques auteurs, appar-
cle, même quand il est parvenu à un degré avancé d'atro-phie, conserve sa conlractilité électrique faradique normale. La diminution ou l'abolition de cette contractililé ne se mani-festent que dans les phases ultimes, alors que l'atrophie est portée à son comble. C'est là un caractère qui tranche consi-dérablement avec ce que nous savons des amyotrophies spina-les aiguës où, dès les premiers temps et avant même que le volume du muscle ait décelé par ses changements une altéra-tion appréciable, la contractilité faradique est déjà remarqua-blement modifiée.
tiennent aux formes deutéropathiques (sclérose postérieure, sclérose symétrique latérale, pachyméningite).
J'en dirai autant de l'anesthésie et de l'hyperesthésie cuta-nées. Elles sont étrangères à l'atrophie simple. Il en est de même, d'après mes observations, des douleurs provoquées par la pression qui traduisent une exaltation delà sensibilité des masses musculaires.
f) Enfin, je dois consigner dans la symptomatologie de l'a-trophie spinale protopathique, les déformations ou mieux les déviations qui résultent forcément de l'affaiblissement des muscles atrophiés et de la prédominance que prennent en con-séquence les muscles antagonistes. C'est de la sorte que se produisent, pour ne parler que des mains, des déformations variées, connues sous le nom de griffes.
En somme, ce sont là des déviations paralytiques qu'il ne faut pas confondre avec les déformations par contracture, qui se montrent dans certaines formes deutéropathiques et y jouent un rôle intéressant comme cela se voit, entre autres, dans la sclérose latérale amyotrophique.
B. Après cette énumération des symptômes qui s'observent sur chacun des muscles malades, considérés en particulier, nous devons fixer l'attention sur quelques caractères tirés du mode de progression et de répartition que présentent les lésions musculaires dans leur envahissement successif. Dans cet ordre, nous avons à signaler un certain nombre de phé-nomènes d'une utilité incontestable pour la distinction noso-graphique.
1° Dans l'immense majorité des cas, l'amyotrophie progres-sive spinale protopathique débute par un des membres supé-rieurs, le droit surtout ; elle commence par la main et remonte
à l'avant-bras, au bras, à l'épaule, gagnant ensuite le tronc. Dans la règle, elle ne s'étend aux membres inférieurs, — remarquez bien ce fait que nous aurons à utiliser bientôt, — que lorsque le mal est parvenu à ses dernières limites. Je vous ai montré maintes fois, dans cet hospice, des sujets atteints de longue date d'atrophie musculaire protopathique, dont les membres supérieurs étaient, de même que le tho-rax, réduits à l'état squelettique, tandis que les membres inférieurs, peu ou/point affectés, permettaient, à peu près comme dans les conditions normales, la station debout et la marche.
2° L'envahissement primitif du tronc est beaucoup plus rare. M. Duchenne l'a noté dans une douzaine de cas seulement ; les membres supérieurs, alors, sont pris en second lieu.
3° Enfin, il convient d'indiquer, comme un mode d'invasion tout à fait exceptionnel, très rare dans l'atrophie vulgaire — ce sera l'inverse dans quelques atrophies deutéropathiques, celui où les muscles des membres inférieurs sont lésés avant tous les autres. M. Duchenne déclare n'avoir rencontré ce mode de début que deux fois sur 1S9 cas. À la vérité, M. Ham-mond, dans un traité récent1, dit qu'il l'a observé 8 fois sur 29; mais, si j'en juge par un des exemples qu'il rapporte, les faits qui ont servi à édifier cette statistique, s'écartent singulière-ment du type classique. Il s'agit, dans le cas auquel je fais allusion, d'un homme qui, après avoir accusé quelques trou-bles de la vision et avoir éprouvé pendant longtemps des four-millements ainsi que des douleurs {electric pains) dans les membres inférieurs, présenta une atrophie progressivement croissante, et, à un moment, devenue considérable, des mus-
1 XV. A. Hammond. — A Treatise on diseases of the nervous System, p. 666, fig. 31. New-York.
des de ces membres. Cette atrophie, si profonde qu'elle fût, des masses musculaires, ne s'opposait pas d'une façon absolue à la station et à la marche. Je ne puis m'empêcher de voir, dans ce cas, un exemple d'ataxie locomotrice ; on sait que, dans cette affection l'atrophie progressive des membres frap-pés d'incoordination motrice n'est pas une complication très rare.
C. On peut avancer que, dans les conditions régulières, la marche de la maladie est très lente : c'est par exception que, envahissant prématurément tous les muscles qui servent au mécanisme de la respiration (muscles intercostaux ou dia-phragme, ou encore les nerfs bulbaires, combinaison dont nous parlerons en un lieu spécial), elle se termine au bout de deux à cinq ans. Je le répète, dans les conditions habituelles, l'a-trophie vraie dure dix-huit ans sous forme partielle, dix-huit ou vingt ans même, alors qu'elle s'est depuis longtemps généra-lisée à tous les muscles.
D. Un mot maintenant concernant Yétiologie. Ce qu'on a écrit sur la consanguinité ou sur Y hérédité, en tant qu'élément étiologique de l'atrophie musculaire progressive, me paraît, d'après la critique des textes à laquelle je me suis livré, appar-tenir à l'amyotrophie spinale protopathique. Celles-ci, ajoule-rai-je, ne reconnaît guère de causes occasionnelles.
Les amyotrophies spinales, appelées rhumatismales, parce qu'elles semblent déterminées par l'impression du froid, sont, si je ne me trompe, du ressort de la myélite chronique, de la pachyméningite ou de la sclérose latérale.
Celles qui surviennent en conséquence d'une cause trau-matique, d'un coup porté sur le dos, comme chez le malade de M. Gull *, du poids d'une balle de coton trop lourde,
W. Gull. — Progressive atrophy of the muscles of the trunk an uppe
III.
Dans un exposé où il s'agit surtout de mettre en relief quel-ques caractères nosographiques fondamentaux, c'en est assez. Messieurs, pour le côté clinique. Nous avons recueilli, chemin faisant, des matériaux dont l'utilité ne saute peut-être pas aux yeux de prime abord, mais qui apparaîtra dans toute son évidence lorsqu'il faudra établir tout à l'heure comment les amyotrophies deuléropathiques se distinguent de l'amyotro-phie protopathique, mais aussi par tout l'ensemble des autres caractères pathologiques.
Actuellement, il convient de vous faire connaître ce qu'on sait sur Yanatomie pathologique de l'amyotrophie progressive spinale protopathique.
1° Nous commencerons par ce qui est relatif à la moelle. La lésion, dont il s'agit, porte nécessairement sur les grandes cel-lules motrices.
La névroglie peut être, elle aussi, affectée ; mais, en pareil
Extremities after a Blow on the Neek with the fist. In Guy's Hosp. Reports, 1858, p. 195.
1 W. Roberts. — Art. Wasting Palsy, in R. Reynold's System of medicine, p. 168. — D'autres exemples d'atrophie progressive des muscles, survenue a la suite de causes traumatiques, ont été cités par Bergmann (St-Petersburger Med. Zeitsch., p. 116, 1864, Thudicum et Lockhart-Clarke (Beale's Archives of medicine, 1863).
2 Berlin. Klin. Wochens., n° 42, 1813.
Charcot. Œuvres complètes, t. h. 15
comme chez le malade de M. Roberts, etc., sont vraisembla-blement aussi relatives à la myélite 1.
Mais pour ce qui est de l'atrophie primitive, le rôle écolo-gique de la transmission héréditaire paraît très important. Il a été relevé par tous les auteurs et récemment M. Naûnyn, pro-fesseur à Kœnigsberg, relatait l'hisloire d'une famille où la transmission avait pu être suivie à travers cinq générations 2.
cas, l'altération reste systématiquement circonscrite dans les cornes grises antérieures : les faisceaux blancs sont absolu-ment respectés.
La lésion de la névroglie est de nature inflammatoire ; ainsi les vaisseaux de la substance grise sont plus volumineux que de coutume et leurs parois sont épaissies. Les éléments cellu-laires de la gangue conjonctive présentent les traces manifes-
Fig. 11. — Coupe delà moelle épinière à la région cervicale dans un cas d'atrophie musculaire protopathique. — A, Corne antérieure gauche. ('Les cellules nerveuses ont persisté, mais présentent des altérations qualicatives.) — B, Corne antérieure droite. (Atrophie presque complète des cellules ner-veuses, un seul petit noyau ganglionnaire (6) persiste.)
tes d'un travail de prolifération. Des corps granuleux, en nom-bre variable, se rencontrent sur les préparations faites à l'état frais. Lorsque ces altérations de la névroglie sont très accen-tuées, la corne grise peut offrir une réduction dans tous ses diamètres (Fig. 11).
Pour ce qui est des cellules nerveuses, ce sont tantôt les ca-ractères de l'atrophie pigmentaire (Fig. 10, C, D, p. 203),
tantôt ceux de l'atrophie scléreuse (Fig. 10, E, p. 203) qu'on y observe.
En somme, nous retrouvons ici dans le mode chronique, les altérations que nous avons décrites à propos de la paralysie infantile, et il y a lieu de supposer, comme dans ce dernier cas, que la limitation des altérations aux cornes antérieures de la substance grise a sa raison dans cette circonstance que les éléments ganglionnaires sont le siège primitif du mal *.
D'après la considération des caractères anatomiques, la forme d'atrophie musculaire progressive, dont il s'agit, pour-rait être désignée sous le nom de téphro-my élite chronique parenchy?nateuse.
Les observations sur lesquelles s'appuie la description ana-tomo-pathologique qui vient d'être présentée ne sont pas nom-breuses encore. Il n'en existe guère, pensons-nous, que six ou sept au plus. — Nous citerons parmi elles, un fait de M. Lockhart-Clarke, un autre de M. Duménil (de Rouen) 2, un cas très important de M. Hayem 3 ; trois observations re-cueillies à la Salpêtrière, dans mon service 4 et, enfin, un
1 Voir Leçon IX, p. 163 et Leçon X, p. 188.
2 Malheureusement, dans les cas de M. L. Glarke et de M. Duménil, l'état de la substance blanche spinale n'est pas indiqué d'une façon explicite.
3 Hayem. — Note sur un cas d'atrophie musculaire progressive, lésions de la moelle. (Archives de physiologie, 1869, p. 79.)
4 Voici le sommaire de deux de ces observations qui seront bientôt publiées in extenso dans les Archives de physiologie. La troisième figure déjà dans ce recueil (année 1870, p. 247). Je l'ai présentée comme un exemple de paralysie glosso-laryngée.
Obs. I, recueillie par M. Gombault. — A. Duc..., institutrice, âgée de 56 ans, entrée à la Salpêtrière, le 24 juin 1872, morte le 26 septembre de la même anuée — a beaucoup souffert du froid et de la fatigue pendant le siège. — Début en avril 1871, par un affaiblissement progressif du membre su-périeur gauche. — Embarras de la parole à peu près à la même époque. — Pas de douleurs, pas de contracture dans les membres. — État actuel en juillet 1872 : torticolis paralytique très accentué avec courbures de compensa-tion dans le reste de la colonne rachidienne. — Symptômes de paralysie labio-glosso-laryngée avec atrophie manifeste de la langue. —Gêne très prononcée de la déglutition. — Les deux membres supérieurs, surtout le gauche, sont pendants, inertes, sans contractures. Les masses musculaires y sont atrophiées à peu près uniformément partout ; contractions fibrillaires très prononcées. —
fait très régulier à tous égards, observé récemment dans le service de M. le professeur Vulpian, par M. le D' 'Troisier \ Ce petit chiffre de faits compose néanmoins un ensemble so-lide. Toutes les observations contradictoires, c'est-à-dire celles dans lesquelles l'amyotrophie progressive se serait montrée conforme au type clinique Duchcnne-Aran, sans l'accompagne-ment des lésions spinales qui viennent d'être décrites, sont, je crois m'en être assuré, des observations qui pèchent, soit par le côté clinique, soit parle côté analomique. Eu égard à ce dernier point, Messieurs, je vous ferai remarquer que la lésion spinale de l'amyotrophie progressive protopathique, de même que celle de la paralysie infantile, ne peut être recon-
La contractilité faradique n'est pas modifiée. A la main, disparition complète des éminences tbénar et hypottiénar. 11 n'existe pas de déformation in griffe. — Membres supérieurs non atrophiés ; la station et la marche ont été possi-bles presque jusqu'au dernier moment. — Mort rapide par le fait d'une pneumonie lobulaire.
État de la moelle épinière à l'autopsie. — Renflement cervical : à l'état frais, des corps granuleux existent en abondance exclusivement dans l'aire des cornes antérieures. Les cellules nerveuses motrices présentent là tous les degrés pos-sibles de la dégénération pigmentaire. Sur les coupes durcies, on retrouve cette même altération des cellules nerveuses. Beaucoup d'entre elles ne sont plus représentées que par un amas globuleux de pigment. —• Nombreux îlots de désintégration granuleuse dans l'aire des cornes antérieures. — Les faisceaux blancs, et en particulier les faisceaux latéraux, ne présentent pas la moindre trace d-altération.
Obs. II, recueillie par M. Pierret. — La nommée G____ entrte à la Salpê-
trière, le 18 février 1850. est morte le li avril 1874, à l'âge de 55 ans — Début vers l'âge de vingt-six ans par le membre supérieur droit. — Extension len-tement progressive de l'atrophie au membre supérieur gauche. — Les membres inférieurs ne sont affectés de manière à rendre la marche impossible que depuis cinq ou six ans. — Pas de contractures, pas de troubles de la sensibilité : contrac-tions librillaires très accusées. Dans les derniers temps, tous les mouvements des membres sont devenus à peu près impossibles. — Mais l'atrophie des mus-cles est surtout prononcée au membre thoracique droit (main, épaule,avant-bras). La mortest survenue en conséquence d'une tuberculisation pulmonaire, à évo-lution rapide. — Examen de la moelle épinière durcie, sur des coupes. — Dans toute l'étendue de la moelle, mais surtout ù la région cervicale, un grand nombre de cellules nerveuses des cornes antérieures ont disparu, à l'exception d'un seul petit groupe {Fig. Il, b). — Les racines antérieures, émanant de la région cervicale, sont atrophiées ; on y trouve quelques tubes nerveux présen-tant l'altération granulo-graisseuse.
1 L'observation de M. Troisier a été publiée dans les Archives de physiolo-gie, 1875, p. 236.
nue sûrement que sur des coupes durcies et convenablement préparées. Toutes les recherches qui ne sont pas pratiquées suivant cette méthode, et dans de bonnes conditions de réus-site doivent être, à ce point de vue, considérées comme non avenues l.
2° Les racines nerveuses antérieures et les nerfs périphéri-ques sont affectés consécutivement à la lésion de la substance grise. Je vous rappellerai, à ce propos, que Ouveilhier avait considéré l'atrophie des racines antérieures comme le caractère anatomique de la forme d'atrophie musculaire dont il a contri-bué à élucider l'histoire et qu'il avait pour ainsi dire prévu que
1 M. Bamberger a publié (Wiener mediz. Presse, n° 27, 28 juli 1869 et Cen-tralblatt, octobre n° 46, 1869) deux cas d'atrophie musculaire progressive dans lesquels l'autopsie, faite par M. Recklinghausen, n'aurait permis de reconnaîtra aucune lésion de la moelle épinière. Malheureusement la relation de l'autopsie, en ce qui concerne le système nerveux, n'est pas accompagnée, dans ces cas, de détails circonstanciés. 11 n'est pas dit, entre autres, si l'examen microsco-pique a été fait sur des coupes durcies, — ce qui, dans l'espèce, est une con-dition absolument indispensable — et l'on ne mentionne pas d'une manière spéciale l'état des cellules des cornés antérieures. Nous croyons devoir rappe-ler encore une fois, que la moelle épinière peut, a l'œil nu, paraître tout à t'ait saine, alors que les cellules nerveuses de la substance grise ont subi cepen-dant les plus profondes altérations. Nous ajouterons qu'en pareil cas l'examen microscopique lui-même peut ne fournir aucun résultat décisif s'il ne porte que sur des pièces non durcies. — Les remarques qui précèdent s'appliquent de tous points à tous les cas, sans exception, que M. Friedreich a alignés dans son ouvrage récent (Ueùer progressive Muskelatrophies Berlin, 1873), contre la théorie nerveuse de l'amyotrophie progressive (Obs. I, II, IV, et XVI11. Je parle des observations recueillies par l'auteur lui-même ; toutes datent d'une époque (de 1838-1867), où le rôle de l'altération des cellules nerveuses mêmes n'avait pas encore été mis en lumière, et nulle part l'état anatomique de ces cellules ne ?e trouve explicitement mentionné. — Je ferai remarquer d'ailleurs que plu-sieurs des observations rassemblées par M. Friedreich sous une même rubri-que, ne méritent en rien la dénomination d'atrophie musculaire progressive, c( nom étant employé, même dans son acception la plus large et la plus vague ; ainsi les observations I et II ne peuvent guère être considérées que comme des exemples de paralysie spinale infantile, et l'observation VI, remarquable par le début fébrile et la marche rapide de l'affection, me semble se rapporter naturellement au type créé par Duchenne sous le nom de paralysie spinale de l'adulte. Un pareil laisser-aller en matière de distinctions nosographiques, sur-tout dans une question par elle-même assez obscure, est au moins regrettable et ne peut qu'entretenir la confusion. (J. M. G.)
cette atrophie serait rattachée quelque jour à une lésion de la substance grise *.
Il importe de reconnaître que l'atrophie des racines anté-rieures ne pourra pas être, au même degré que dans la para-lysie infantile, une atrophie destructive. Sans doute, dans les racines émanant des régions de la substance grise et plus pro-fondément altérées, on trouve habituellement un certain nom-bre de tubes nerveux vides de myéline, ou dans lesquels la myéline est frappée, à un degré variable, de dégénération granulo-graisseuse. Mais la majeure partie de ces tubes peut être, — c'est un fait dont je me suis assuré encore dans un cas récent — conservée intacte, ou tout au moins n'offrir d'autres, altérations que celles de l'atrophie simple. Cette intégrité rela-tive d'un très grand nombre de tubes nerveux des racines an-térieures se voit alors même que celles-ci offrent, à l'œil nu, une apparence très grêle et une teinte légèrement grisâtre.
Le mécanisme, suivant lequel l'altération spinale retentit sur les muscles dans l'amyotrophie progressive, semble donc différer à quelques égards de celui qui s'observe dans la para-lysie infantile. Dans celle-ci, en effet, un certain nombre de tubes nerveux subissent les mêmes altérations qu'un nerf sec-tionné. Dans l'atrophie musculaire, il n'est qu'un petit nom-bre de nerfs qui éprouvent ce sort, et encore la destruction se produit-elle là peu à peu, progressivement, et n'est-elle défi-nitivement accomplie que dans les dernières phases du pro-cessus morbide. Les autres tubes de la racine nerveuse con-servent l'intégrité de leur constitution, au moins dans ce qu'elle a d'essentiel.
Quel est donc le mode suivant lequel, dans l'amyotrophie progressive, s'effectue la lésion musculaire en conséquence de la lésion spinale ? .le ne vois guère à ce sujet, qu'une hypothèse
1 Cruveilhier. — Biqletin di VAcadémie de médecine, 1833. — Id. Sur la paralysie musculaire atrophique, 5° série, t. VII, janvier 1857.
à proposer : c'est que le travail irritatif, dont les cellules sont le siège, se transmet, par la voie des racines nerveuses et des nerfs centrifuges, jusqu'aux faisceaux musculaires qui, sous cette influence, subissent la lésion trophique. L'atrophie est ici, le phénomène primitif ; elle ne s'accompagne pas tout d'abord de paralysie par interruption de l'influx nerveux parce que celui-ci peut se propager, pendant longtemps encore, par la voie des tubes nerveux émaciés, mais non détruits.
3° Il me reste, en dernier lieu, à vous exposer en quoi con-sistent ces lésions musculaires qui surviennent ainsi en consé-quence des lésions du centre spinal. Je n'aurai pas à insister longuement sur ce point, car nombreuses sont les analogies qui relient les lésions musculaires de l'amyotrophie spinale protopathique à celles de la paralysie infantile.
Ce sujetd'histologie pathologique a été, dans le temps, l'objet de controverses nombreuses, très intéressantes à consulter au point de vue de la critique historique, mais qui, en dehors de ce domaine, ont perdu beaucoup de leur valeur.
Je rappellerai seulement que l'atrophie granulo-graisseuse d'un certain nombre de faisceaux est le fait qui avait frappé surtout les premiers observateurs, Mandl, Galliet, Lebert, Cru-veilhier, Aran et Duchenne. Se fondant sur ces observations, M. Duchenne avait cru pouvoir caractériser la maladie anato-miquement en lui imposant le nom à'atrophie musculaire graisseuse progressive.
M. le professeur Robin intervint alors dans le débat et il fit remarquer avec raison que beaucoup des granulations qui ap-paraissent dans les faisceaux ne sont pas de nature graisseuse, puisqu'elles se dissolvent dans l'acide acétique en même temps qu'elles résistent à l'éther 1.
1 Ch. Robin. — Comptes rendus et Uèm. de la Soc. de biologie, 1854, p. 201.
Vint ensuite M. Virchow qui réclama en faveur de la dégéné-ration graisseuse et renchérit môme sur les opinions déjà émises, en annonçant ce fait, fort exact, d'ailleurs, que la graisse ne prend pas naissance seulement au sein du faisceau musculaire, mais qu'elle envahit aussi parfois le tissu conjonc-iif interstitiel ou périmysium.
Il est facile de reconnaître aujourd'hui que, dans ce débat, on avait laissé passer à peu près inaperçu le fait essentiel. En effet, dans l'amyotrophie progressive spinale, comme dans l'atrophie infantile, la dégénération granulo-protéique, de même que la dégénération granulo-graisseuse des faisceaux musculaires n'est qu'un phénomène accessoire. C'est ce que prouvent les observations de M. Hayem et les obser-vations multipliées que nous avons pu faire à la Salpê-trière.
Le fait capital, dans l'espèce, c'est une atrophie simple du faisceau musculaire avec conservation delastriation en travers. Celle-ci persiste jusqu'aux dernières limites. Cette amyotrophie, sur quelques points, s'accompagne d'ordinaire d'une proliféra-tion plus ou moins marquée des éléments cellulaires du sar-colemme. Dans un certain nombre de faisceaux musculaires, la multiplication peut être poussée assez loin pour que les élé-ments de formation nouvelle s'accumulent dans la gaîne du sarcolemme de manière à la distendre et à refouler la substance musculaire. Celle-ci se segmente alors et prend l'apparence de petits blocs qui conservent toutefois, jusqu'aux dernières phases de l'altération, l'apparence striée.
Pour ce qui est des éléments cellulaires nouvellement for-més, quelques-uns prennent le développement de cellules avec protoplasma, mais c'est le cas le plus rare. La plupart avortent dans leur évolution et tendent à s'atrophier, en même temps que la substance musculaire fragmentée se divise de plus en plus et quelquefois disparaît sans offrir la moindre trace de
dégénératioii granulo-graisseuse. Toutes ces particularités ont été étudiées avec soin dans le travail de M. Hayem.
Enfin, le périmysium subit, lui aussi, clans une certaine me-sure, un travail de prolifération qui constitue une sorte d'es-quisse de la cirrhose musculaire. À son tour, la Upomalose interstitielle peut intervenir et aller même jusqu'à la Hpoma-tose luxuriante. Ce dernier fait mérite d'être particulièrement mentionné parce que la surcharge graisseuse peut, pendant la la vie, rendre méconnaissable l'existence de l'atrophie des masses musculaires et masquer ainsi le principal symptôme de la maladie.
Telles sont, Messieurs, les altérations musculaires dans l'amyotrophie progressive protopathique. Nous allons voir qu'elles n'appartiennent pas en propre à cette forme patholo-gique et qu'elles se retrouvent avec les mêmes caractères dans les amyotrophies symptomatiques qui, maintenant, doivent nous occuper.
DOUZIÈME LEÇON
Amyotrophies spinales deutéropathiques. — Sclérose latérale amyotrophique.
Sommaire. — Amyotrophies spinales deutéropathiques. — Sclérose latérale amyotrophique ; localisation de la lésion spinale dans les cordons latéraux — Raisons de cette localisation fournies par l'étude du développement de la moelle épinière. — Formation des cordons latéraux, des faisceaux de Col] et des faisceaux de Tiirck. Sclérose latérale consécutive à une lésion cérébrale. Sclérose latérale symétrique primitive. — Anatomic pathologique : Confi-guration et topographie de la lésion dans la moelle et le bulbe. — Lésions consécutives de la substance grise (cellules nerveuses motrices, névroglie), dans la moelle et dans le bulbe. —Altérations secondaires : Racines ner-veuses antérieures. — Nerfs périphériques. — Lésions trophiques des mus-cles.
Messieurs,
Nous en avons fini avec la forme d'atrophie musculaire pro-gressive qui relève d'une lésion limitée systématiquement ci la, substance grise spinale antérieure ; le moment est venu d'en-trer dans quelques développements, à propos des amyotro-phies spinales affectant le mode chronique, dans lesquelles la lésion centrale, ne reconnaissant plus une circonscription aussi étroite, occupe dans la moelle, en outre des cornes antérieu-res, soit la substance grise postérieure, soit divers faisceaux blancs.
Nous sommes convenus, vous ne l'avez pas oublié, d'appe-ler deutéropathiques les amyotrophies spinales de ce genre.
Elles composent un ensemble complexe et encore peu élucidé. Mais, comme je vous l'ai fait pressentir, il est, dans ce groupe, une individualité qui, en raison de son importance clinique, — à la vérité jusqu'ici à peu près méconnue, — et en raison aussi des particularités anatomiques et physiologiques qui s'y ratta-chent, mérite d'être examinée de près.
Ici, la lésion spinale est constituée par une combinaison, si l'on peut ainsi dire, de l'altération obligatoire de la substance grise antérieure avec une sclérose symétrique et primitive des faisceaux blancs latéraux.
1.
Envisageons, tout d'abord, le côté analomo-pathologique et entrons, en premier lieu, dans la description de cette singu-lière lésion des faisceaux blancs. Rien n'est plus original assu-rément et plus inattendu peut-être, pour quelques-uns d'entre vous, que cette lésion circonscrite en quelque sorte géomé-triquement dans une région des faisceaux blancs qui à l'état normal, du moins chez l'adulte, ne se sépare par aucune li-gne de démarcation appréciable du reste des cordons antéro-latéraux.
Mais la surprise cesse bientôt lorsqu'on fait appel aux no-tions fournies par l'étude du développement embryonnaire de la moelle épinière. En effet, on reconnaît alors aisément que la partie des cordons antéro-latéraux dans laquelle le processus inflammatoire peut ainsi se limiter systématiquement, forme pendant la vie fœtale et jusque dans les premiers temps de la vie extra-utérine, un système à part, distinct anatomiquement des autres faisceaux de la moelle épinière.
C'est là, Messieurs, un point de vue à peu près neuf, au moins dans ses applications à la pathologie. J'en ai touché un mot déjà dans la leçon qui a inauguré ce cours, mais je
pense qu'il y a lieu d'y revenir aujourd'hui avec plus de dé-tails.
Les résultats que je vais exposer, d'ailleurs très brièvement, sont empruntés aux travaux de Budge, Kùffer, L. Clarke, Kôlliker, Fiechsig et à ceux plus complets, sur certains points, qu'a entrepris récemment, à ma sollicitation, dans le labora-toire que je dirige, M. Pierret.
A. La moelle épinière n'est, vous le savez, dans les pre-miers temps de sa formation, qu'un anneau incomplet formé de substance embryonnaire. Aussitôt que le canal central est fermé en arrière, la masse embryonnaire tend à se séparer,
Fig. 12. — Coupe de la moelle d'un embryon humain d'un mois. — a, cornes antérieures. — ù, cornes pos-térieures. — c, canal central. — r/, racines antérieures. — e, racines postérieures. — a', zone radiculuire anté-rieure. — h', zone radiculaire postérieure.
par suite de l'apparition d'un sillon latéral, en deux parties, Tune antérieure, l'autre postérieure, pour chaque moitié laté-rale de la moelle. Ainsi se trouvent ébauchés, en premier lieu, les rudiments des cornes antérieures [Fig. 12, a), et des cornes postérieures (Fig. 12, b) de substance grise. A chacune de ces parties est venue s'adjoindre, vers la tin du premier mois, une zone de substance blanche, laquelle est en connexion avec les racines nerveuses.
Ces zones, dans la nomenclature proposée par M. Pierret. portent les unes, le nom de zones radiculaires antérieures (Fig. 12, a"1); elles entreront, chez l'adulte, pour une bonne part dans la constitution des faisceaux anléro-latéraux ; les autres s'appellent zones radiculaires postérieures (Fig. 12, tt). Avec l'adjonction des faisceaux de Goll, non encore développés
à cette époque, elles formeront ultérieurement ce qu'on dési-gne d'ordinaire sous le nom de cordons postérieurs.
Les faisceaux latéraux n'existent pas encore ; on les voit apparaître vers la 6e ou la 8e semaine dans le sillon qui sépare encore latéralement les deux parties de la substance grise,
sous l'aspect de deux petites masses ou tubercules de sub-stance embryonnaire, où les tubes nerveux ne se montreront que très tard (Fig. 13, /). Vers cette même époque (c'est-à-dire la huitième semaine environ) se développent, dans le
sillon qui sépare les zones radiculaires postérieures, deux pe-tites éminences symétriques qui tendent à s'accoler et qui régnent dans toute la hauteur de la moelle: ce sont les fais-ceaux de Goll (Fig. 14, m).
En même temps, une formation analogue a lieu dans le sillon qui sépare les zones radiculaires antérieures. Elle est relative aux petits faisceaux que j'ai proposé de désigner sous
Fig. 13. — Coupe de la moelle d'un embryon humain âgé d'un mois et demi. — a, b, c, etc., comme dans la figure 14. — /, cordon latéral.
Fig. 14. — C. de la moelle d'un embryon hu-main âgé de deux mois. — a, b, c, etc., comme dans la figure 12. — l, faisceau latéral. — m, développement des faisceaux de Goll. — n, dé-veloppement des faisceaux de Tiïrck (faisceaux antérieurs).
le nom de faisceaux de Tùrck (Fia. 14, 15, n}) et qui ne peu-vent être suivis chez l'adulte au-dessous de l'extrémité du ren-flement cervical de la moelle.
Ainsi se trouve complété l'ensemble des pièces distinctes, qui, par leur réunion et leur fusion plus oumoins intimes, com-poseront, à une époque plus avancée de la vie, les faisceaux antéro-latéraux tels qu'on les connaît chez l'adulte.
B. Mais les faisceaux latéraux devant, seuls nous occuper au-jourd'hui, je dois revenir plus particulièrement sur les carac-tères qu'ils présentent aux diverses phases de leur évolution.
Par les progrès dudéveloppement, ils inclinent àse confondre : en avant avec les zones radiculaires antérieures, en arrière avec l'extrémité antérieure des zones radiculaires postérieures, de manière à ne plus se distinguer bientôt ni des unes ni des autres.
Cependant, même après la naissance, chez le nouveau né on reconnaît encore, dans l'aire des faisceaux blancs, à certains caractères histologiques qui accusentun développement relati-vement moins avancé, la région qui appartient aux faisceaux latéraux proprement dits. Cette région se voit en arrière d'une ligne fictive transversale, qui passerait par la commissure, sous la forme d'un espace triangulaire correspondant à la partie la
Fig. 15. — C. de la moelle cervicale d'un embryon humain âgé de 12 à 15 semaines. — Môme signification des lettres.
plus postérieure du faisceau anléro-laléral. Dans cet espace, la substance blanche se distingue par une teinte grisâtre, appré-ciable à l'œil nu. L'examen microscopique fait reconnaître que là les tubes nerveux, à myéline sont rares, et que, au contraire la langue conjonctive prédomine; aussi ces parties se colorent-elles fortement par le carmin tandis qu'elles sont à peine tein-tées par l'acide osmique. Enfin, ces mêmes parties renferment, à l'état normal, une certaine proportion de cellules chargées de granulations graisseuses qui représentent dans la moelle ce que M. Parrot désigne sous le nom de stéatose physiologique.
J'ajouterai que, ainsi que le montre une planche du traité de Kôlliker, un sillon plus ou moins prononcé dénote souvent chez le jeune enfant, à l'extérieur de la moelle une séparation entre les faisceaux latéraux proprement dits et les faisceaux antérieurs. Mais, chez l'adulte, toute distinction s'efface ; tou-tefois, il est juste de reconnaître que, même chez lui, les ré-gions qui correspondent aux faisceaux latéraux sont marquées encore par le diamètre relativement petit des tubes nerveux et une certaine prédominance de la névroglie.
C'en est assez, je l'espère, Messieurs, pour faire ressortir l'indépendance que possèdent, sans conteste, dans les premiers temps de la vie au moins, les faisceaux latéraux de la moelle épinière ; je dois compléter pourtant cet aperçu, en vous fai-sant remarquer que ce système se trouve représenté dans le bulbe, au-dessus de l'entrecroisement, par les pyramides an-térieures et aussi dans la protubérance et dans l'étage inférieur des pédoncules cérébraux. Or, ces régions de l'isthme de l'en-céphale et du bulbe qui sont en relation avec les faisceaux laté-raux se distinguent, comme ceux-ci, chez le fœtus, par un dé-veloppement tardif et incomplètement accompli au moment de la naissance.
L'individualité, l'autonomie des faisceaux latéraux, déjà ren-due manifeste par les considérations qui précèdent s'accuse encore nettement lorsqu'on envisage les faits appartenant au domaine pathologique. Vous n'ignorez pas, car c'est là un su-jet qui nous a occupé l'an passé, qu'à la suite de la lésion uni-latérale de certains départements de l'encéphale, toute une moitié du système des faisceaux latéraux subit isolément, à la fois dans le pédoncule, la protubérance, le bulbe et toute la hauteur de la moelle épinière, une lésion consécutive, qui se traduit bientôt, histologiquement, par les caractères propres à la sclérose des centres nerveux. Dans l'isthme et dans le bulbe, la sclérose fasciculée peut être suivie jusqu'à l'entre-croise-ment, du même côté que la lésion cérébrale. Au-dessous de l'entre-croissement, au contraire, elle occupe dans la moelle le côté opposé. Cette lésion du système des faisceaux latéraux est, en pareil cas, absolument isolée ; elle ne s'accompagne en particulier, du moins dans la règle, d'aucune altération de la substance grise antérieure ou des racines spinales motrices et je rappellerai, à ce propos, que l'hémiplégie avec contracture qui coexiste avec cette lésion est remarquable par l'intégrité de la nutrition dans les muscles paralysés, tant que l'inertie fonc-tionnelle ne s'est pas trop longtemps prolongée.
Dans le cas où la lésion cérébrale primitive occuperait simul-tanément les points correspondants des deux hémisphères, le système des faisceaux latéraux serait naturellement lésé des deux côtés, à droite et à gauche dans toute son étendue, aussi bien dans l'isthme que dans le bulbe et dans la moelle épi-nière. Dans cette hypothèse qui, plus d'une fois, a trouvé sa réalisation, il s'agirait par conséquent d'une sclérose latérale symétrique, consécutive à une lésion cérébrale.
Mais la sclérose symétrique totale des faisceaux latéraux peut survenir protopathiquement, primitivement, c'est-à-dire sans aucune dépendance d'une lésion encéphalique quelconque. C'est là un fait que L. Tùrk, en 1856, et moi-même, dix ans plus tard, nous avons rendu évident et qu'il convient actuelle-ment de mettre en relief.
Ici, deux cas peuvent s'offrir : 1° La sclérose symétrique primitive existe seule, sans complication d'une lésion de la substance grise antérieure ; le trait le plus saillant dans le syn-drome relatif à la lésion, ainsi localisée, est une parésie des membres, des inférieurs surtout, marquée par une contracture, plus ou moins intense, des muscles lesquels conservent pen-dant longtemps tous les caractères indiquant une nutrition normale. Cette lésion de la moelle épinière, entre autres cir-\ constances, s'observe assez fréquemment dans le cours de la paralysie générale progressive : C'est là une coïncidence qui a été signalée plus particulièrement par M. Westphal. 2° Mais il arrive assez souvent qu'une altération de la substance grise s'associe à la sclérose symétrique des faisceaux latéraux. Or, la combinaison de ces deux ordres d'altérations constitue juste-ment le substratum anatomique de la forme pathologique sur laquelle je veux appeler votre attention. Les symptômes d'a-myotrophie progressive se trouvent alors associés là à ceux qui relèvent de la sclérose latérale.
III.
Nous devons maintenant étudier de plus près, au point de vue anatomique, les altérations dont il s'agit. Dans la descrip-tion qui va suivre, nous aurons à nous occuper successivement : 1° des lésions que présente le système des faisceaux latéraux dans les diverses régions de la moelle, dans le bulbe et dans
Charcot. Œuvres complètes, t. ii. i
Fig. 16. — Coupe transver-sale delamoelle épinière pas-sant par la partie moyenne du renflement cervical.
Fig. 17. — Coupe transversale passant par le milieu de la région dorsale.
Fig. 18. — Coupe transversale passant par le milieu du renflement lombaire.
moelle. —a) Sur des coupes transversales, à la région du renflement cervical, l'altération symétrique comprend une plus grande étendue en largeur que partout ailleurs. Ainsi, la région envahie par la sclérose s'étend en avant jusqu'au niveau, et même au delà, de l'angle externe de la corne anté-rieure. En arrière, elle confine presque à la substance grise postérieure. En dehors, toutefois, elle est séparée constam-ment de la couche corticéile de la moelle par un tractus de substance blanche restée intacte. {Fig. 16, A, A. —Voiraussi Pl. IV, Fig. 1, 2,3; Pl. Y, Fig. 1 et 2).
Toutes les autres parties des faisceaux blancs sont respec-tées, à l'exception des petits faisceaux de Tiïrck qui, dans cer-tains cas, sont lésés symétriquement. Ces faisceaux, je le rap-
l'isthme de l'encéphale ; — 2° des lésions concomitantes de la substance grise dans les mêmes départements des centres ner-veux ; — 3° des lésions consécutives des racines antérieures et des nerfs spinaux ; — 4° enfin des lésions trophiques des muscles.
Sur ce premier point, je serai bref, parce que je suppose connues les scléroses consécutives de cause cérébrale, dont les caractères anatomiques se confondent, à peu de chose près,
(avec ceux des scléroses primitives. Je me bornerai seulement
J à relever les points suivants.
A. Considérons, en premier lieu, ce qui se passe dans la
pelle en passant, paraissent appartenir au même système que les faisceaux latéraux.
b) A la région dorsale, la lésion est plus circonscrite. [Fig. 19.) En avant, elle n'atteint même pas une ligne fictive trans-verse qui passerait par la commissure. En dehors, elle se rap-proche de la zone corticale delà moelle dont elle n'est séparée que par une languette très mince de substance blanche in-tacte.
c) Enfin, à la région lombaire, la lésion est moins étendue encore. Elle n'occupe guère que le quart postérieur des cordons latéraux. Il est à remarquer que, en dehors, elle touche à la zone corticale. {Fig. 19).
B. En second lieu, qu'observe-t-on dans le bulbe ? La lésion s'accuse là par l'envahissement des pyramides antérieures dans toute leur étendue en hauteur. (Fig. 19.) Au-dessus, dans la partie inférieure de la protubé- 1 rance, la lésion peut être suivie tant que les fibres, provenant des pyramides, sont encore réunies en faisceaux ; mais, plus haut encore, lorsque ces fibres se disséminent, on les perd aisément de vue.
Quelques auteurs ont poursuivi les lésions de la sclérose la-térale primitive jusque dans le pied du pédoncule cérébral (étage inférieur du pédoncule) : mais on ignore comment elle se termine là,, c'est-à-dire du côté de l'encéphale. Toujours \ est-il que la capsule interne, qui semble n'être, pour une part, qu'un prolongement de l'étage inférieur du pédoncule, n'est cependant pas envahie.
Fig. 19. — Coupe transversale du bulbe passant par la partie moyen-ne de l'olive — A, A, pyramides antérieures sclérosées.
Voilà pour ce qui concerne les altérations des faisceaux blancs. Il importe de relever actuellement, Messieurs, celles qui appartiennent à la substance grise.
Elles ne diffèrent en rien d'essentiel de celles que nous avons étudiées à propos de Y atrophie musculaire spinale pro-topathique. C'est déclarer qu'elles sont, ici encore, systéma-tiquement localisées dans les cornes antérieures grises. Là, comme dans le premier cas, elles portent et sur la névroglie et sur les cellules nerveuses motrices qui sont en plus ou moins grand nombre dégénérées, atrophiées ou même com-plètement détruites. (Voir Pl. IV. Figi.)
Il est de règle que l'altération de la substance grise ne dé-passe point l'aire des cornes antérieures: cette particularité est mise en évidence surtout par l'intégralité parfaite, plusieurs fois constatée, des groupes cellulaires de la colonne de Clarke dans la région dorsale.
a) L'altération de la substance grise spinale, dans tous les cas que j'ai observés, prédomine à la région cervicale de la moelle épinière; elle est souvent très prononcée encore à la région dorsale ; mais elle tend à s'atténuer à mesure qu'on descend vers le renflement lombaire. Cette disposition de la lésion est en rapport avec une circonstance que je ne man-querai pas de mettre en relief dans l'exposé clinique, à savoir que l'atrophie musculaire, dans la forme nosographique qui nous occupe, porte rarement sur les membres inférieurs. Ces membres sont paralysés et contractures de très bonne heure, ce qu'explique l'existence de la sclérose latérale, mais leurs muscles ne sont pas ou sont relativement peu atrophiés.
b) Les altérations de la substance grise de la moelle épi-
Il ne me reste plus qu'à vous entretenir des altérations qui se produisent consécutivement aux précédentes dans les racines antérieures et dans les nerfs périphériques. Je ne puis que ré-péter ici ce que j'ai dit au sujet de l'atrophie musculaire spi-nale pçotopathique. Les tubes nerveux tout à fait vides de myé-line sont rares dans les racines ainsi que dans les nerfs périphériques. Les tubes granuleux sont en minorité. La plu-part des tubes nerveux sont conservés, seulement presque tous ont subi un certain degré d'atrophie simple. C'est là un fait que nous devrons faire ressortir lorsque nous traiterons de la pa-thogénie des lésions musculaires consécutives.
nière, de même que celles des faisceaux blancs, ont leur pen-dant dans le bulbe. Vous n'ignorez pas, Messieurs, qu'il existe, dans cette partie des centres nerveux, un certain nombre de noyaux de substance grise que l'on considère comme les ana-logues des cornes antérieures de la moelle et, par conséquent, comme servant d'origine aux nerfs moteurs bulbaires. Cette affectation n'est guère douteuse, particulièrement en ce qui concerne les noyaux d'origine de l'hypoglosse, du spinal et même du facial. Or, pour ne parler que du premier, les gran-des cellules multipolaires qui le composent et qui ont, au point de vue morphologique, tant d'analogie avec les grandes cellules motrices de la moelle, se montrent atrophiées ou dé-truites en même temps que la névroglie qui les englobe est sclérosée (Fig. 20). Mais je me contente, pour le moment, d'indiquer le fait, afin de ne pas laisser entièrement dans l'ombre tout un coin, fort intéressant d'ailleurs, du tableau. J'y reviendrai quand j'étudierai les amyotrophies bulbaires et la paralysie labio-glosso-laryngée.
V.
Fig, 20. — Coupe transversale du bulbe, faite au niveau de la partie moyenne du noyau de l'hypoglosse. — A, B, (à droite de la ligne fictive R,'R') représentent l'état normal. — A, noyau de l'hypoglosse composé d'une agré-gation d'une trentaine de grandes cellules multipolaires. — V, un vaisseau qui circonscrit en avant et en dedans le noyau. — C, plancher du quatrième ventricule. — D, fasciculus teres. — B, noyau du pneumogastrique. — A', B', etc., (à gauche de la ligne fictive R, R') représentent les mêmes parties dans un cas de sclérose latérale amyotrophique. On voit qu'il existe à peine cinq ou six cellules nerveuses intactes dans l'aire du noyau de l'hypoglosse. — A', fasciculus teres. — B', noyau du pneumogastrique ne présentant aucune altération appréciable.
spinale primitive. Seulement, le caractère inflammatoire de la lésion dans la sclérose latérale amyotrophique m'a paru plus accentué. Ainsi, l'hyperplasie du périmysium est plus mani-feste et, dans un cas même, j'ai vu avec M. Debove le tissu
Je puis me montrer encore très bref, relativement à ces lé-sions trophiques des muscles. Elles ne diffèrent pas, d'une ma-nière essentielle, de celles qu'on rencontre dans l'amyotrophie
Fig. 21. — Coupe de la langue. État normal.
conjonctif interstitiel, infiltré sur certains points d'un nombre considérable de leu-cocytes.
Je relèverai ex-pressément que la lipomatose intersti-tielle des muscles se produit, dans l'a-myotrophie liée à la sclérose latérale, tout comme dans l'amyo-trophie vraie. Le fait est intéressant pour ce qui est relatif à la langue , dont les muscles , dans la sclérose amyotrophi-que, s'atrophient à l'égal de ceux des membres, en consé-quence de l'altéra-tion des cellules du noyau de l'hypo-glosse. La langue, cependant, en pareil cas, peut avoir con-servé à peu de chose près son volume normal et ne pas offrir à sa surface les circonvolutions et les rides, animées de mouvements pour ainsi dire vermiculaires, qu'on y observe
Fig. 22. — Coupe de la langue dans un cas de sclérose latérale amyotrophique avec paralysie labio-glosso-laryngée.
souvent. Dans ces diverses circonstances, les faisceaux mus-culaires y sont atrophiés. Cette conservation de la forme et du volume de l'organe s'explique, dans les cas auxquels je fais allusion, par la lipomatose interstitielle. Dans un de ces cas, j'ai constaté, avec M. Debove, l'existence d'une sorte de cir-rhose hypertrophique produite par la végétation excessive du pérymisium tant interne qu'externe (Fig. 21 et 22.)
Après cet exposé des lésions propres à la sclérose latérale amyotrophique, il est dans notre plan de vous faire connaître les principaux symptômes qui la révèlent pendant la vie, dans le but de rechercher, autant que possible, le lien physiologi-que qui rattache les lésions aux symptômes,
On peut avancer, d'une manière très générale, que les symptômes auxquels je fais allusion sont de deux ordres: les uns sont en relation avec l'altération symétrique des faisceaux latéraux ; les autres relèvent de la lésion concomitante de la substance grise. C'est ce que j'essaierai de démontrer dans la prochaine séance.
TREIZIÈME LEÇON
De la sclérose latérale amyotrophique. — Symptomato-logie.
Sommaire. — Faits sur lesquels repose la Symptomatologie de la sclérose latérale amyotrophique. — Observations personnelles. — Documents à l'appui.
Différences qui séparent cliniquement la sclérose latérale amyotrophique de l'atrophie musculaire spinale protopathique.
Symptômes communs aux deux affections : amyotrophic progressive, con-tractions fibrillaires, conservation de la contractilité électrique.
Symptômes propres à la sclérose latérale amyotrophique. — Prédominance de la paralysie motrice. — Contracture permanente spasmodique. — Absence de troubles de la sensibilité. — Déformations paralytiques; attitude de la main. — Trémulation des membres supérieurs à l'occasion des mouvements intentionnels. — Modes de début. — Paraplégie cervicale. — Envahisse-ment des membres inférieurs. — Caractères de la contracture. — Phénomè-nes bulbaires : Gêne de la déglutition ; — Embarras de la parole ; — Para-lysie du voile du palais, de l'orbiculaire des lèvres, etc. — Troubles graves de la respiration.
Résumé des symptômes. — Pronostic. — Physiologie pathologique.
I.
Messieurs,
Après avoir décrit les altérations nécroscopiques propres à la sclérose latérale amyotrophique, il importe actuellement d'animer le tableau en vous montrant quel est l'ensemble des symptômes qui, pendant la vie, se rattachent à ces lésions.
J'espère établir, Messieurs, que cet ensemble symptomati-
que est assez frappant, assez caractéristique, pour qu'on puisse le distinguer aisément de celui qui relève de l'altération limitée à la substance grise spinale antérieure. Il me sera facile aussi, je le crois, de tracer ensuite une ligne de démarcation tran-chée entre la sclérose latérale amyotrophique et les autres formes (X atrophie musculaire spinale, deutéropathique.
Je dois tout d'abord déclarer que les observations qui vont servir de fondement à ma description sont peu nombreuses encore, une vingtaine au plus. Mais il y a lieu de remarquer que la même chose s'est présentée dans le temps à propos de Yataxie locomotrice progressive, et cependant le tableau cli-nique tracé par Duchenne (de Boulogne), à l'aide d'un petit nombre de faits, il y a bientôt vingt ans, n'a pas vieilli. Il sub-siste tel quel, aujourd'hui encore, dans ses traits les plus es-sentiels, sans avoir subi de modifications profondes. Puisse la description que je vais présenter de la sclérose latérale amyotrophique éprouver le même sort !
La plupart des faits, dont je puis invoquer l'appui, ont été rassemblés par moi ou par mes élèves, à l'hospice de la Sal-pêtrière. Il s'est agi, à l'origine, d'observations recueillies surtout au point de vue de l'anatomie pathologique *. Les symptômes néanmoins avaient presque toujours été relevés avec quelque soin. Aussi, à un moment donné, devint-il pos-sible, en comparant ces observations diverses, de saisir un certain nombre de traits fondamentaux, qui nous ont permis plus tard de reconnaître l'affection pendant la vie. Telle a été, du reste, l'histoire de la sclérose en plaques disséminées : on n'a connu, pendant longtemps, que les lésions singulières qui
1 Les observations suivies d'autopsie, rassemblées par moi à l'hospice de la Salpêtrière, sont au nombre de cinq. J'en donnerai plus loin l'exposé som-maire. Deux de ces observations ont été publiées avec détails, l'une par M. Joffroy et par moi (Arch. de physiologie, 1869, p. 356); l'autre, dans le même recueil (1871-72, p. 509), par M. Gombault. (Voy.a I'Appendice). (J. M. G.)
la caractérisent anatomiquement. Aujourd'hui, elle a pris rang dans la clinique usuelle.
En outre des faits qui me sont propres, j'ai trouvé dans dif-férents recueils quelques observations plus ou moins parfai-tes, qui se rapportent de tous points à la forme pathologique en question et je les ai mises à profit.
Je citerai, en premier lieu, parmi les faits de ce groupe, les observations II et IV de l'excellent mémoire publié en 1867 par M. Duménil (de Rouen) sur l'atrophie musculaire progres-sive dans la Gazette hebdomadaire. Puis, je mentionnerai trois observations appartenant à M. Leyden. Elles ont été pu-bliées, comme des exemples de paralysie bulbaire avec amyotrophie musculaire progressive, dans les Archives de psychiatrie, dirigées par M. Westphall1.
Je mentionnerai encore un cas inséré par M. Otto Barth dans le journal de Wunderlich 2 sous ce titre : Atrophia mus-culorum lipomatosa. L'auteur, peu soucieux des règles noso-graphiques, semble croire qu'il a eu là, sous les yeux, un exemple de paralysie pseudo-hypertrophique telle que l'entend M. Duchenne (de Boulogne). En réalité, l'autopsie, faite d'ail-leurs avec beaucoup de soin, montre surabondamment que c'est bien la sclérose symétrique et primitive des faisceaux la-téraux avec lésions concomitantes de la substance grise anté-rieure qui était en jeu. Un fait recueilli par le Dr Hun 3, un autre consigné par M. S. Wilks dans Guy''sHospital Reports4 sont encore, à mon avis, des exemples de sclérose latérale amyotrophique. Enfin, je ferai rentrer encore dans la même catégorie deux observations publiées récemment, l'une par
1 E. Leyden. — Ueber progressive Bulbcir-paralysie. In Archiv fur Psychiatrie, IL Bd., p. 648, obs. I, et p. 657, obs. II. — III. Bd. p. 338.
2 0. Barth. — Zur Kenntniss der Atrophia Musculorum lipomatosa. In Archiv der HeUkunde, 1871, p. 121.
3 American Journal of Insanity, oet. 2,1871, et Centralblatt, 1872, p. 429. * Vol. XV. 1-46 et Centralblatt, p. 239, no 16, 1870.
M. Lockhart-Clarke l'autre par M. R. Maier (de Fribourg)2.
En terminant celte revue des documents à l'appui, je dois dire, Messieurs, que M. Duchenne (de Boulogne), dans la nou-velle édition de son livre3, a ouvert sous le tilre de Paralysie générale spinale diffuse subaiguë un chapitre où figure un des cas recueillis à la Salpêtrière, dans mon service, relatif à la sclérose latérale amyotrophique. Ce chapitre renferme, de plus, un grand nombre d'éléments hétérogènes qui n'ont pu être classés ailleurs. La plus grande partie des amyotrophies spinales chroniques deutéropathiques s'y trouvent rassemblées sous une même dénomination. Évidemment, ce ne saurait être là qu'un chapitre d'attente, une sorte de caput mortuum qui demande un remaniement complet.
A ceux d'entre vous qui seraient désireux de constater de visu les symptômes de la sclérose latérale amyotrophique, j'annoncerai qu'il existe en ce moment à la Charité, dans le service de M. Woillez un pauvre maçon, âgé de 44 ans, qui présente, c'est du moins mon opinion, tous les caractères cli-niques fondamentaux de cette affection 4.
II.
1° Un premier trait distinctif qui sépare déjà foncièrement
1 J. Lockhart-Clarke. — Progressive muscular atrophy accompagned by mus-cular Rigidity and Contraction of Joints : examination of the Brain and spinal Cord. In Medico-chirurgic. Transactions, t. LVI, 1873, p 103.
2 R. Maier. — Ein F ail von fortschreitender Bulbur Paralysie. In Virchovo's Archiv. 618 Bd. 1" heu, p. 1.
3 Electrisation localisée, 3« édit., 1872, p. 469.
* Le malade a succombé depuis que cette leçon a été faite, à la suite de symptômes bulbaires. L'autopsie a été pratiquée par M. Voisin, interne du service. L'examen de la moelle conduit par M. Gombault, préparateur du cours d'anatomie pathologique, a fait reconnaître l'existence de la sclérose la-térale symétrique, avec atrophie des cellules nerveuses motrices dans les cor-nes antérieures à la région cervicale de la moelle et dans les noyaux d'origine des nerfs bulbaires. Les préparations, relatives à ce cas, ont été montrées au cours pratique de la Faculté.
la sclérose latérale amyotrophique de l'atrophie musculaire spinale primitive, c'est la rapidité relative de son évolution, considérée depuis le début des premiers accidents jusqu'à la terminaison fatale. Celle-ci ne se fait pas attendre, en moyenne, plus de trois ans, et elle peut survenir beaucoup plus tôt, au bout d'un an, par exemple, tandis que les malades, atteints d'atrophie musculaire progressive spinale protopathique, peu-vent vivre, vous le savez, pendant 8, 10 ans, 15, 20 ans même.
2° Durant celte période, comparativement courte, il est de règle que les quatre membres soient successivement, et dans un assez bref délai frappés tous de paralysie avec atrophie, ou, pour ce qui concerne spécialement les membres infé-rieurs, seulement de paralysie. Le malade, après quelques mois, un ou deux ans, trois ans au plus, se voit confiné au lit, privé plus ou moins absolument de l'usage de tous ses mem-bres. Mais, de plus, on voit régulièrement, — cela du moins est arrivé dans tous les cas que j'ai recueillis, — la maladie s'étendre au bulbe et, à peu près toujours, c'est à la para-lysie des nerfs bulbaires, hypoglosse et pneumogastrique sur-tout, que doivent être rapportés les accidents qui déterminent la mort. Cela contraste avec ce que nous savons de l'atrophie musculaire progressive vulgaire puisque dans celle-ci, suivant la statistique de M. Duchenne, l'atrophie des muscles ani-més par les nerfs bulbaires ne se serait montrée que 13 fois sur 159 cas.
3° Les données fournies par la considération des circon-stances étiologiques ne sont pas, quant à présent, — cela se comprend de reste en raison du petit nombre de faits parti-culiers qui peuvent être alignés, — d'importance majeure. Je me bornerai aux remarques suivantes.
L "hérédité n'est pas signalée dans nos observations. L'âge
auquel la maladie se développe varie entre 26 et 50 ans. Les femmes ont été plus souvent frappées que les hommes, con-trairement à ce que l'on dit de l'atrophie protopathique, mais il est indispensable de faire remarquer que la plupart des faits de sclérose latérale amyotrophique ont été rassemblés à la Salpêtrière, c'est-à-dire dans un hospice où les femmes seules sont admises.
Un tiers peut-être des malades rapportent le développe-ment de l'affection à l'influence du froid et de Yhitmidite', à laquelle ils ont été exposés par leur profession. Le maçon de la Charité invoque, à tort ou à raison, une chute qu'il a faite deux ou trois mois avant l'apparition des premiers symptômes, chute qui a eu pour résultat immédiat une fracture de la clavicule.
Je ne m'arrête pas plus longuement au côté étiologique qui ne pourra être sérieusement envisagé que dans un avenir plus ou moins éloigné. L'éliologie se fait surtout avec de grands chiffres et nous n'en sommes pas là encore, tant s'en faut.
4° Il est temps, Messieurs, d'en venir à l'analyse des symptô-mes. Ces symptômes sont de deux ordres :
À. Les uns sont communs à l'amyotrophie progressive vul-gaire et à l'amyotrophie par sclérose latérale ; ce sont: a) l'a-trophie progressive, envahissante, des masses musculaires; — b) les contractions fibrillaires qui se montrent surtout dans la période active de l'atrophie ; — c) la conservation de la con-tractilité faradique que présentent, jusqu'à la dernière limite, [les muscles frappés d'atrophie.
B. Les autres symptômes sont tout à fait étrangers à l'amyo-trophie spinale protopathique; le premier d'entre eux consiste
en une impuissance motrice, promptement développée qui, si elle ne précède pas toujours l'atrophie, est déjà souvent fort accusée alors que celle-ci n'est pas encore très prononcée. On peut dire, d'une manière générale, que dans l'amyotrophie protopathique, l'impuissance motrice relève en grande partie de l'atrophie des masses musculaires, tandis que, dans la sclérose latérale, la paralysie domine certainement la situa-tion ; l'atrophie des muscles n'est là fréquemment qu'un fait consécutif ou même accessoire.
Yoici maintenant un nouveau trait distinctif. Les membres, plus ou moins privés de leurs mouvements naturels, sont habituellement, dans la sclérose latérale, le siège d'une rigi-dité habituelle, résultant de ce qu'on appelle la contracture per-manente spasmodique. C'est là un phénomène absolument étranger à l'atrophie primitive.
Enfin, dans cette dernière maladie, l'absence de troubles quelconques de la sensibilité est la règle, tandis que, dans l'autre, il est assez ordinaire que les malades éprouvent, ou aient éprouvé dans les membres affectés : 1° des douleurs spontanées plus ou moins vives, des engourdissements ou des fourmillements ; 2° et aussi des douleurs provoquées par la pression ou la traction des masses musculaires. J'insiste sur ce dernier phénomène que je n'ai point observé jusqu'ici dans l'amyotrophie progressive protopathique.
III.
Mais les véritables caractères de la forme pathologique, dont la description nous occupe, sont mis en relief surtout quand on considère le mode de répartition, d'enchaînement et d'évolu-tion des symptômes.
a) La maladie débute, dans la grande majorité des cas, par les membres supérieurs, sans fièvre, le plus communément sans malaise appréciable, quelquefois à la suite de fourmille-ments et d'engourdissements.
Il s'agit, dès l'origine, d'un affaiblissement de la puissance motrice et quand celle-ci, pour la première fois, fixe sérieuse-ment l'attention du malade, les muscles des membres affectés offrent en général, à cette époque déjà, un certain degré d'é-maciation. Mais celle-ci, non plus que la parésie, n'est pas d'ordinaire circonscrite à une région limitée du membre, à quelques muscles de la main ou de l'avant-bras, par exemple: elle s'étend un peu partout, pour ainsi dire uniformément depuis l'extrémité du membre jusqu'à sa racine. Ce n'est plus cette atrophie individuelle des muscles que nous avons rele-vée à propos de l'alrophie musculaire vulgaire, c'est, au contraire, une sorte d'émaciation générale, d'atrophie en masse.
Elle n'atteint jamais, dans les commencements, un assez haut degré pour rendre compte à elle seule de l'impuissance motrice. En somme, il s'agit, dans ce cas, d'une véritable paralysie accompagnée ou plutôt suivie d'une atrophie plus ou moins rapide et plus ou moins généralisée du membre tout entier.
D'ailleurs, les muscles atrophiés, ou en voie d'atrophie, sont agités de mouvements fibrillaires souvent très accusés, et, comme dans l'atrophie simple, ils conservent, tant que l'atrophie n'est pas parvenue au plus haut degré, la contractilité faradique à peu près intacte.
b) En outre de l'émaciation des muscles, les membres para-lysés et atrophiés sont bientôt le siège de déformations et de déviations plus ou moins accentuées.
Les déformations, pour une part, sans aucun doute, dépen-
Fig. 23. — Attitude de Vavant-bras et de la main chez la nommée Tr., âgée de 58 ans, atteinte de sclérose latérale amyoUophique.
Le bras est appliqué le long du corps et les muscles de l'é-paule résistent quand on veut l'en éloigner.
L'avant-bras est demi fléchi et, de plus, dans la pronation ; il n'est pas possible de l'amener dans la supination et dans l'extension sans employer une certaine force et sans provoquer de la douleur.
Il en est de même du poignet qui, lui aussi, est souvent demi fléchi, tandis que les doigts sont recroquevillés vers la paume de la main (Fig. 23).
Ces attitudes forcées, les douleurs produites lorsqu'on essaie
Charcot. Œuvres complètes, ?.?. 17
dent de la prédominance d'action de certains muscles moins profondément affectés que les autres {déformations paralyti-ques). Mais, tel n'est pas le cas pour la majeure partie d'entre elles; les déviations dans la règle, sont dues à la contraction spasmodique de certains muscles, à une vérilable contracture qui rend rigides un grand nombre d'articulations. Ainsi, pour ne parler d'abord que du membre supérieur, voici quelle est l'attitude qu'il offre habituellement (Fig. 23).
de les modifier, suffiraient déjà en quelque sorte, jointes à l'émaciation presque générale et uniforme des membres sur-venue en quelques mois, pour faire reconnaître qu'il ne s'agit pas, en pareille circonstance, de l'atrophie musculaire spinale primitive.
Je ne dois pas oublier de mentionner une autre particularité. Parfois, dans la sclérose latérale, les membres supérieurs pa-rétiques, contractures et atrophiés, ont néanmoins conservé encore quelques mouvements. Eh bien, dans l'exercice de ces mouvements, par exemple l'élévation du bras tout entier, on voit le membre être pris d'une trémulation qui rappelle celle qu'on observe dans la sclérose en plaques disséminées et aussi chez certains sujets atteints, consécutivement à une lé-sion cérébrale en foyer, d'hémiplégie avec contracture. Cette trémulation, dans les deux derniers cas comme dans le pre-mier, me paraît relever de la sclérose latérale, trait commun entre tous les trois.
Il n'est pas inutile de remarquer que, lorsque le mal est très avancé, l'émaciation peut être portée à son comble : les éminences thénar et hypothénar sont tout à fait aplaties, la paume de la main excavée, l'avant-bras et le bras réduits presque à l'état de squelette. Généralement alors, la rigidité spasmodique devient moins prononcée, bien que les membres tendent à conserver l'attitude habituelle qu'ils ont conservée pendant longtemps.
Quelques malades ont la tête pour ainsi dire fixée, par suite de la raideur des muscles du cou; ils ne peuvent, sans effort et sans douleur, la fléchir où l'étendre, la tourner soit à droite, soit à gauche.
Dans un cas que j'ai observé récemment, les muscles qui élèvent le maxillaire inférieur étaient contractures au point que le mouvement d'écartement des mâchoires en était exces-sivement limité.
De même que dans l'amyotrophie progressive ordinaire, l'émacialion musculaire est quelquefois masquée, dans la sclérose amyotrophique, par une lipomatose luxuriante, la-quelle donne du relief aux muscles atrophiés: c'est ce dont témoigne, entre autres, le cas de M. 0. Barth.
IV.
La forme de paralysie amyotrophique qui nous occupe s'ac-cuse le plus souvent d'abord dans un des membres supérieurs ; puis, elle s'étend à l'autre de manière à donner bientôt l'image de ce qu'on appelle la paraplégie cervicale. Bien que la mala-die ne date que de quatre, cinq, six mois, un an au plus, l'é-macialion est déjà parvenue à un degré qui ne se voit, dans l'atrophie musculaire protopathique, qu'à une période avan-cée, éloignée par exemple de deux ou trois ans du début.
Les choses peuvent rester à ce point durant deux, six ou neuf mois, rarement davantage. Après ce délai, les membres inférieurs se prennent à leur tour et, en règle générale, ils s'affectent, vous allez le voir, autrement que les membres su-périeurs.
a) A l'origine, il s'agit là encore d'une parésie, précédée et accompagnée pendant quelque temps de fourmillements et d'engourdissements du membre. Mais cette parésie présente, dans l'estèce, ceci d'imporiant à noter qu'elle n'enlraîne pas nécessairement, comme la première, l'atrophie musculaire. Les muscles, au contraire, peuvent conserver jusqu'aux der-nières périodes de la maladie un relief et une consistance qui contrastent singulièrement avec l'état des membres supé-rieurs.
Cette paraplégie offre ce premier trait particulier qu'elle ne se complique pas de paralysie de la vessie ou du rectum
et qu'il n'y a aucune tendance à la formation des escarres.
Elle se distingue encore, vous allez le reconnaître, par d'au-tres caractères importants. La gêne dans les mouvements des membres inférieurs fait de rapides progrès. Le malade sent ses jambes lourdes, difficiles à détacher du sol. Bientôt, il ne peut plus marcher que soutenu par deux aides. Enfin, la sta-tion lui devient impossible et le voilà à peu près confiné au lit ou réduit à passer tout le jour assis dans un fauteuil. Quand les choses en sont arrivées là, un phénomène intéressant s'est déjà, en général, plus ou moins nettement accusé. Je veux parler de la rigidité temporaire ou permanente ou, autrement dit, de la contracture spasmodique des muscles, privés du mou-vement volontaire. Déjà, depuis quelque temps, le malade avait remarqué que, étant au lit ou assis, ses membres infé-rieurs, de temps à autre, s'étendaient ou se fléchissaient mal-gré lui et conservaient pendant quelques instants cette attitude produite involontairement. L'extension est le fait le plus com-mun dans cette sorte d'accès ; elle peut aller jusqu'à déter-miner une raideur comme tétanique qui rend les membres
{inférieurs semblables à des barres rigides, susceptibles d'être soulevés tout d'une pièce. Quelquefois, ils sont, en outre, agités d'une trémulation convulsive.
E La rigidité s'exagère encore lorsque le malade, soutenu par deux aides, veut se lever et essaie de marcher. Alors les mem-bres inférieurs se raidissent à l'excès dans l'extension et dans l'adduction, en même temps que les pieds prennent l'attitude du pied bot varus équin. Cette rigidité souvent extrême, quel-quefois peu accentuée 1, imposée à toutes les jointures des membres par l'action spasmodique des muscles, ainsi que la
1 Je ne saurais dire pourquoi, dans certains cas, la rigidité des mem-bres supérieurs ou inférieurs est peu prononcée, tandis que dans d'autres, au contraire, elle est un phénomène prédominant. Je n'ai jusqu'ici rien trouvé dans les conditions anatomo-pathologiques, qui puisse expliquer ces diffé-rences. (J.-M. C.)
trémulation qui, habituellement, ne tarde pas à s'y ajouter, rendent impossibles la station et la marche.
Ce qui tout d'abord n'est qu'un phénomène transitoire, se transforme, au bout de peu de temps, en un symptôme per-manent. La rigidité musculaire persiste alors sans cesse et sans trêve, dans les muscles fléchisseurs comme dans les ex-tenseurs, bien qu'elle prédomine dans ces derniers. Il est dif-ficile de provoquer l'extension des membres fléchis. D'habi-tude, à cette époque, si l'on redresse avec la main la pointe du pied étendu, on fait naître dans tout le membre une tré-mulation plus ou moins durable.
Ainsi, Messieurs, l'impuissance motrice tient moins à l'af-faiblissement de l'innervation qu'à l'état spasmodique des muscles; dans ceux-ci, d'ailleurs, la nutrition s'accomplit du-rant longtemps d'une manière normale. Ce n'est qu'à la lon-gue qu'on les voit pris de mouvements fibrillaires et s'atrophier dans leur ensemble à l'exemple des membres supérieurs. En général, quand cette atrophie est poussée à un certain degré, la rigidité s'amoindrit sans jamais, toutefois, disparaître d'une manière complète.
L'envahissement précoce des membres inférieurs et la na-ture des phénomènes, dont ils sont le siège, est un trait qui tranche avec ce que nous savons de l'amyotrophie spinale pri-mitive dans laquelle, vous vous le rappelez, ces membres ne sont envahis qu'aux périodes ultimes. Ils constituent, pour ainsi dire, les caractères d'une seconde période ; la troisième étant marquée, ainsi que nous allons le voir, par l'apparition des phénomènes bulbaires.
Y.
L'apparition de ces derniers symptômes est en quelque sorte obligatoire ; elle n'a jamais fait défaut quant à présent. Il s'a-
git là des phénomènes qui, par leur réunion, composent le syndrome désigné sous le nom de paralysie làbio-glosso-la-ryngée. Nous ne ferons que signaler en passant cette phase du mal, car c'est là un sujet sur lequel nous devrons revenir lorsque nous traiterons en particulier des paralysies de cause bulbaire.
Je mentionnerai seulement, pour ne pas omettre tout à fait une des parties les plus curieuses du tableau, les symptômes suivants :
1° La paralysie de la langue amenant une gêne de la déglu-tition et une difficulté de l'articulation des mots pouvant abou-tir à la perle absolue de la parole. La langue paralysée pré-sente bientôt-, en général, un certain degré d'atrophie: elle est rapetissée, comme ridée, et agitée de mouvements vermicu-laires ;
2° La paralysie du voile du palais qui rend la parole nason-née et concourt avec la paralysie laryngée à la gêne de la dé-glutition ;
3° Celle de l'orbiculaire des lèvres qui a surtout pour consé-quence une modification des traits du visage. La bouche est considérablement élargie transversalement par suite de la prédominance d'action des muscles non affectés de la face. Les sillons naso-labiaux sont très accentués. Ces différents symptômes donnent à la physionomie un air pleurard. La bouche, quelquefois, surtout après le rire ou les pleurs, reste longtemps entr'ouverte d'une manière permanente et laisse s'écouler incessamment une certaine quantité de salive vis-queuse ;
4° Enfin, en raison de l'envahissement des noyaux d'ori-gine des pneumogastriques, des troubles graves de la respira-
Lion et delà circulation surviennent et entraînent la mort du malade, déjà affaibli de longue date par une alimentation in-suffisante.
Je vais essayer, Messieurs, de résumer en quelques traits les caractères symplomatologiques de la sclérose latérale amyo-trophique, considérée dans ce qu'on pourrait appeler les con-ditions normales.
1° Parésie sans anesthésie des membres supérieurs, accom-pagnée d'émaciation rapide de l'ensemble des masses muscu-laires et précédée quelquefois d'engourdissements et de four-millements. La rigidité spasmodique s'empare à un certain moment des muscles paralysés et atrophiés et détermine des déformations permanentes par contracture.
2° Les membres inférieurs sont envahis à leur tour. Il s'y produit, en premier lieu, sans accompagnement d'anesthésie, une parésie qui, progressant promptement, fait que, en peu de temps, la station et la marche sont impossibles. A ces symptômes se joint une rigidité spasmodique, d'abord inter-mittente, puis permanente et compliquée parfois d'épilepsie spinale tonique. Les muscles des membres paralysés ne s'a-trophient qu'à la longue et jamais au même degré que ceux des membres supérieurs.
La vessie et le rectum ne sont point affectés ; il n'y a pas de tendance à la formation des escarres.
3° Une troisième période est constituée par l'aggravation des symptômes précédents et par l'apparition des symptômes bulbaires.
Ces trois phases se succèdent dans un court espace de temps. Six mois, un an après le début, tous les symptômes se sont accumulés et plus, ou moins fortement accentués. La mort ar-
rive au bout de deux ou trois ans en moyenne par le fait des symptômes bulbaires.
Telle est la règle ; mais il y a, bien entendu, le chapitre des anomalies. Celles-ci sont peu nombreuses toutefois et ne chan-gent rien d'essentiel au tableau qUe je viens de tracer. Ainsi la maladie, dans certains cas, débule par les membres infé-rieurs ; d'autrefois, elle se circonscrit dans ses commencements soit à un membre supérieur, soit à un membre inférieur ; par-fois, elle reste limitée, durant quelque temps, à un côté du corps, sous forme hémiplégique. Enfin, dans deux cas, elle a débuté par les symptômes bulbaires. Mais ce ne sont là, je le répète, que des modifications accessoires. L'ensemble des symptômes caractéristiques ne manque pas d'être bientôt constitué.
Le pronostic, quant à présent, est des plus sombres. Il n'existe pas, que je sache, un exemple d'un cas où l'ensemble des symptômes que je viens d'indiquer ayant existé, la gué-rison ait suivi. Est-ce là un arrêt définitif ? L'avenir seul le dira.
VI.
Il me reste, Messieurs, à rapprocher maintenant les lésions des symptômes et à rechercher, dans un court essai de physio-logie pathologique, le lien qui les rattache les uns aux autres.
1° La parésie qui s'accuse dès l'origine et les contractures permanentes, qui lui succèdent à bref délai, sont, sans con-teste, sous la dépendance de la sclérose latérale et symétrique.
Je vous rappellerai que partout où se rencontre la sclérose latérale, la contracture se montre tôt ou tard plus ou moins prononcée. Ainsi : a) dans la sclérose en plaques ; — b) dans
En effet, les muscles de la langue et ceux des membres su-périeurs surtout commencent à s'atrophier fort peu de temps
/hémiplégie cérébrale avec sclérose descendante consécutive ; — c) dans les myélites transversales par compression ou spon-tanées lorsque la dégénération descendante latérale en est la conséquence ; — d) enfin, dans la sclérose primitive des faisceaux latéraux sans atrophie musculaire.
2° La parésie et la contracture précèdent l'atrophie, cela est j établi clmiquement. Il y a donc lieu d'admettre que la sclérose latérale, dont elles relèvent, se produit avant la lésion de la substance grise antérieure à laquelle se rattache incontesta-blement l'amyotrophie.
Par quel mécanisme la lésion de la substance grise vient-elle se combiner à la lésion des faisceaux blancs?
S'agit-il d'une simple propagation par extension se faisant de proche en proche à travers la névroglie ?
Il est beaucoup plus vraisemblable que la propagation s'ef-fectue par la voie des filets nerveux, qui, vous le savez, établis-sent normalement une communication entre les faisceaux la-téraux et les cornes antérieures.
Le système des faisceaux latéraux tend à s'affecter dans son entier et cela très rapidement. Mais la lésion ne l'envahit pas dans sa totalité d'un seul coup. Ainsi, autant qu'on peut en juger par les révélations de la clinique, elle intéresse tout d'abord le département qui est en relation physiologique avec les mouvements des membres supérieurs. Plus tard, elle gagne le déparlement qui est en rapport avec les membres inférieurs ; enfin le groupe des faisceaux cérébro-bulbaires est envahi à son tour.
Il est remarquable que les altérations dont la première et la troisième circonscription sont le siège gagnent très vite les parties correspondantes de la substance grise.
après l'apparition des symptômes parétiques. Il n'en est pas de même pour le système de faisceaux relatif aux membres inférieurs : dans ces derniers cas, la parésie et la contracture persistent pendant longtemps sans que l'amyotrophie s'y ad-joigne. Ce sont là des particularités que nous ne pouvons que signaler sans chercher à en donner, pour le moment une ex-plication plausible.
QUATORZIÈME LEÇON
Amyotrophies deutéropathiques de cause spinale (Fin). — De la pachyméningite cervicale hypertrophique,
etc., etc.
Sommaire. — Amyotrophic liée à la sclérose latérale descendante consécu-tive à une lésion en foyer du cerveau et de la moelle épinière. — Cas à l'appui.
- Pachyméningite cervicale hypertrophique. — Anatomie pathologique . Altération des méninges ; — de la moelle épinière ; — des nerfs périphéri-ques. — Symptômes : Période douloureuse (douleur-» cervicales, rigidité du cou ; fourmillements et engourdissements ; — parésie ; — éruptions cuta-nées . — Seconde période (paralysie, atrophie, griffe, contracture, plaques d'anesthésie, paralysie et contracture des membres inférieurs.) — Caractères qui dist nguent la pachyméningite cervicale hypertrophique de la sclérose latérale amyotrophique. — Amyotrophic consécutive à l'ataxie locomotrice. — Forme particulière de l'atrophie musculaire en pareil cas. — Pathogénie. ~ Amyotroptiie consécutive à la se érose en plaques disséminées.
Paralysie générale spinale subaiguë. — Analogies avec la paralysie infan-tile. — Desideratum.
Amyotrophies indépendantes d'une lésion de la moelle épinière ; exemples. Paralysie pseudo-hypertrophique;— am.\otrophie saturnine.
Nouvelles considérations relatives àl'anatomie pathologique topographique de la moelle épinière. '
Messieurs,
Pour terminer l'histoire des amyotrophies de cause spinale, il me reste à exposer devant vous un certain nombre de faits relatifs à ce sujet et qui n'ont pas trouvé leur place dans les leçons qui précèdent. Cette tâche accomplie, j'aborderai l'é-
tude des atrophies musculaires qui relèvent des lésions du bulbe rachidien.
I.
A la fin de la dernière séance, j'ai essayé de prouver, en me fondant sur les données delà clinique, que, dans la sclé-rose latérale amyotrophique, la lésion symétrique des cordons latéraux, d'où résultent la paralysie et la contracture, se mon-tre la première, tandis que l'altération de la substance grise antérieure, à laquelle se rattache l'atrophie des muscles, serait un phénomène consécutif. La propagation de la lésion inflam-matoire des faisceaux blancs à la substance grise s'opère très vraisemblablement, ajoutais-je, par la voie des tubes nerveux qui établissent, à l'état physiologique, entre les deux régions, une communication plus ou moins directe. Quelques-uns de mes auditeurs m'ont, à ce propos, présenté une remarque qui, incontestablement, n'est pas sans valeur. Pourquoi, m'ont-ils objecté, les scléroses dites descendantes, qui se pro-duisent dans les faisceaux latéraux à la suite de diverses lésions en foyer, cérébrales ou spinales, ne retentissent-elles pas, à l'instar de la sclérose symétrique primitive, sur les cornes antérieures de manière à entraîner, elles aussi, le dé-veloppement de l'atrophie des muscles dans les membres paralysés ?
C'est, en effet, un caractère des scléroses qui surviennent consécutivement aux lésions partielles du cerveau et de la moelle épinière que les muscles demeurent, dans la règle, indemnes de troubles nutritifs, ou tout au moins ne s'amai-grissent qu'à la longue, en conséquence de l'inertie fonction-nelle prolongée à laquelle sont condamnés les membres paralysés. Je ne suis pas en mesure, Messieurs, de résoudre la difficulté d'une façon catégorique. Je me bornerai à vous
faire remarquer que la propagation des lésions à la substance grise dans les cas en question de sclérose latérale n'est pas, tant s'en faut, tout à fait sans exemple, et qu'alors, les mus-cles, dans les membres correspondants, subissent l'atrophie.
Ainsi, j'ai observé plusieurs fois des hémiplégies, de cause cérébrale, succédant par exemple à la formation d'un foyer d'hémorragie, lesquelles s'accompagnaient, contrairement à la règle commune, d'une atrophie plus ou moins pronon-cée des muscles dans les membres paralysés, survenant à une époque rapprochée du début apoplectique, et, dans quelques-uns de ces cas, l'autopsie a permis de s'assurer que la substance grise antérieure à laquelle il convient en pareille circonstance, suivant la théorie que j'ai exposée, de rapporter les altérations trophiques des muscles participait à l'altération scléreuse.
Le fait a été, entre autres, très nettement constaté dans un cas dont j'ai rapporté autrefois l'histoire à la Société de biolo-gie : il s'agit d'une femme âgée de 70 ans, qui fut frappée tout à coup d'hémiplégie gauche, occasionnée, ainsi que le montra l'autopsie, par la formation d'un foyer hémorragique siégeant dans le centre ovale de l'hémisphère droit. La contracture survint très rapidement dans les membres paralysés et, deux mois a peine après l'attaque, les muscles, tant du membre in-férieur que du supérieur, commencèrent à s'atrophier en même temps qu'ils présentaient une diminution notable de la con-tractilité électrique. L'atrophie musculaire progressa rapide-ment et, simultanément, la peau de toutes les parties des membres paralysés, soumises aux plus légères pressions, se cou-vrit de bulles et même d'escarres.
L'examen de la moelle épinière fît reconnaître la sclérose descendante occupant le côté gauche et présentant les carac-tères habituels ; mais, en outre, sur plusieurs points des ren-flements cervical et lombaire, la corne grise antérieure du
même côté offrait les marques d'un travail inflammatoire, et sur ces points un grand nombre des grandes cellules ner-veuses motrices avaient subi une atrophie très pronon-cée f;
M. le Dr Hallopeau a recueilli à la Salpêtrière, dans le service de M. Vulpian, un certain nombre d'observations qui concor-dent de tous points avec la précédente.
J'eslime encore que certaines atrophies musculaires plus ou moins rapides, qui se produisent dans les membres paralysés en conséquence de la myélite transverse dorsale, reconnais-sent le même mécanisme bien que la réalité de la lésion de la substance grise, en pareil cas, n'ait pas été, que je sache, jusqu'ici vérifiée de visu. Je vous ai cité, à l'occasion des plaies de la moelle épinière, une observation qui semble devoir se prêtera celte interprétation.
Toujours est-il. Messieurs, que, dans les scléroses spinales consécutives, le retentissement sur la substance grise est un fait exceptionnel tandis que, dans la sclérose symétrique, elle est un fait pour ainsi dire habituel et c'est là une différence dont on ne saurait, je crois, dans l'état actuel des choses, four-nir une explication plausible 2.
II.
Mais je suis entré, je pense, dans des considérations suf-fisantes sur le compte de la sclérose latérale amyotrophique et il est temps, par conséquent, de commencer l'exposition de quelques autres formes ^atrophie musculaire spinale deuté-
1 Leçons sur les maladies du système nerveux, 1.1, p. 61, 2e édition.
2 J'ai eu soin de faire remarquer ailleurs que la sclérose symétrique latérale de la moelle peut exister sans participation des cornes grises et conséquem-ment sans accompagnement d'atrophie musculaire. C'est ce dont té uoignent, entre autres, plusieurs observations de M. Westphal relatives à des cas de paralysie générale progressive. (J.-M. G)
ropathique. L'une de celles dont la connaissance peut être, sans conteste, le plus utile dans la pratique, est celle qui se manifeste à titre de complication de la pachyméningite cer-vicale hypertrophique, état morbide, qui, depuis plusieurs années, a fixé mon attention 1 et, tout récemment, a été l'ob-jet, de la part d'un de mes élèves, M. Joffroy, d'une bonne monographie 2.
C'est là, Messieurs, cliniquement, un type assez bien accen-tué ; la symptomatologie en est assez précise d'ordinaire, pour que le diagnostic puisse se faire sans grande difficulté. J'ajouterai, pour exciter davantage votre intérêt, qu'il ne s'a-git pas d'une affection nécessairement incurable et l'on peut voir actuellement dans mon service une femme qui, après avoir offert, pendant S ou 6 ans, tous les symptômes qui caractérisent la pachyméningite cervicale et être demeurée, par ce fait, pendant une longue période, confinée au lit dans une impuissance absolue, est capable aujourd'hui de marcher et de se servir de ses membres supérieurs pour exécuter quelques ouvrages. La guérison est donc possible : à la vérité, c'est presque constamment au prix de quelques infirmités, conséquences des difformités qu'entraîne à peu près fatale-ment la maladie.
A. Je vais vous donner tout d'abord quelques détails rela-tivement aux lésions.
a) La pachyméningite cervicale hypertrophique, ainsi que son nom l'indique, consiste en une altération des méninges, affectant plus spécialement la dure-mère. Quant au siège de la lésion, il est variable ; mais c'est le renflement cervical de la moelle qui paraît être, en quelque sorte, le lieu d'élection.
1 Soc. de Biologie, 1871, p. 35.
2 A Joffroy. — D* la pachyméningite cervicale hypertrophique (d'origine spontanée). Paris, 1873.
Fi(j. 24. — Coupe transversale pratiqué ' à la partie moyenne du renflement cervical de la moelle épinière, de A. Gastala (Pachyméningite cervicale hyper-trophiqne, thèse de M. Joffroy, loc. cit.).
A, Dure-mère hypertrophiée. — B, Racines nerveuses traversant les ménin-ges épaissies. — C, Pie-mère confondue avec la dure-mère. — D, Lésions de la myélite chronique. E, Coupe des deux canaux de formation nouvelle creusée dans la substance grise.
que, en effet, quand on ouvre, dans un cas de ce genre, le canalrachidien, on est frappé de voir la moelle, au niveau du renflement brachial, se présenter sous l'aspect d'une tumeur allongée, fusiforme, occupant une hauteur de 6 à 7 centimè-tres et assez volumineuse pour remplir par conséquent et d'une façon complète le canal osseux.
Mais, en réalité, ce n'est pas une véritable hypertrophie de la moelle qu'on a sous les yeux; car, sur les coupes transver-sales, convenablement pratiquées (Fig. 24), on reconnaît
L'altération de la dure-mère est le fait primitif, et c'est la pachyméningite cervicale qui, seule, nous occupe ici; mais, plus tard, la moelle elle-même d'un côté, et d'autre part les nerfs périphériques, qui émanent du renflement cervico-bra-chial, sont pris à leur tour.
Il est probable que ce n'est point là une maladie rare. Se-lon toute vraisemblance, les faits publiés autrefois par Laen-nec, Andral, Hutin, sous le nom hypertrophie de la moelle épinière, appartiennent à la pachyméningite cervicale. C'est
aisément que la moelle, loin d'être hypertrophiée, est, au contraire, aplatie d'avant en arrière, et que les méninges, épaissies, sont seules la cause de l'augmentation du volume apparent du cordon nerveux.
La pie-mère est affeclée, elle aussi, mais à un bien moindre degré que la dure-mère. Celle-ci, examinée de plus près, se montre composée de nombreuses couches concentriques (elle peut atteindre six à sept millimètres) ; elle est altérée dans toute son épaisseur, ainsi que le prouvent les adhérences qui l'unissent habituellement, en dehors, au ligament vertébral, en dedans, à la pie-mère.
Quelquefois la pachy méninge hypertrophiée semble com-posée de deux couches : l'une externe, l'autre interne. Cette dernière, qui paraît de formation nouvelle, est constituée, par un tissu fibroïde dense ; elle est donc tout à fait distincte de ces néo-membranes molles et très vasculaires qui, dans la dure-mère spinale, de même que dans la dure-mère cérébrale (moins souvent, toutefois, dans celle-là que dans celle-ci), ont la propriété de donner naissance à des hématomes.
b) La moelle épinière participe à l'altération, et l'on y trouve tous les caractères d'une myélite transverse, irrégulièrement disséminée et pouvant attaquer indifféremment la substance grise centrale ou les faisceaux blancs.
c) Les nerfs périphériques sont atteints en conséquence de la lésion spinale, en tant qu'elle porte sur les trajets radicu-laires et sur les cornes antérieures, et aussi dans leur passage à travers les méninges épaissies et enflammées. L'altération nerveuse périphérique affecte, en général, aussi bien les ra-cines antérieures que les racines postérieures, circonstances dont il y aura lieu de tenir compte pour l'interprétation des symptômes '.
1 La participation des racines postérieures paraît être une condition néces-Ciiarcot. Œuvres complètes, t. ii. 18
B. Les développements qui précèdent montrent que la lé-sion n'est nullement systématique, et fait pressentir des varia-tions dans les phénomènes cliniques. Cependant, je le répète, l'ensemble symptomatique est, en général, assez facile à carac-tériser.
a) 11 n'est pas douteux que les méninges ne soient lésées, tout d'abord, et peu après les racines nerveuses. Les phéno-mènes en rapport avec cette double lésion composent une première période ou période douloureuse, qui dure deux ou trois mois, et dont l'importance ne saurait être trop mise en relief.
Il s'agit, en premier lieu, de douleurs extrêmement vives qui occupent la partie postérieure du cou, s'étendent jusque sur le sommet de la tête et se répandent aussi dans les mem-bres supérieurs.
Ces douleurs sont accompagnées d'une sorte de rigidité, sur-tout marquée au cou qui est immobilisé, de manière à rappe-ler ce qu'on voit dans le mal de Pott sous-occipital \. Elles sont à peu près permanentes, mais s'exaspèrent de temps à autre, sous forme d'attaque.
Elles retentissent souvent dans les jointures qui, d'habi-tude, ne sont néanmoins le siège d'aucun gonflement. On note encore, concurremment avec ces douleurs qui, par mo-ments, peuvent se montrer très vives, atroces même, des fourmillements et des engourdissements dans les membres supérieurs, en même temps qu'il s'y produit un certain degré
saire à l'existence des symptômes de la période douloureuse. Cela est bien mis en évidence dans une observation présentée récemment à la Société anatomi-que par M. Rendu. Dans ce cas, qui est un exemple de pachyméningite hyper-trophique dorso-lombaire, les racines postérieures, en raison de la limitation des lésions méningées aux parties antérieures de la dure-mère, étaient épar-gnées et, en conséquence, les symptômes douloureux ont fait défaut (Bulletins de la Société anatomique, ls74, p. 598). i; Thèse de Michaud; Paris,. 1871.
de parésie. Enfin, on voit quelquefois survenir du côté de la peau des éruptions huileuses et pemphlgoïdes.
b) Les symptômes qui précèdent paraissent, vous l'avez compris, relever surtout de l'irritation des nerfs périphé-riques.
De nouveaux phénomènes, qui constituent la seconde pé-riode de la maladie, ne tardent pas à se montrer ; ils semblent dépendre surtout de l'extension de la lésion méningée à la moelle épinière et aussi d'une altération plus profonde subie par les nerfs périphériques.
Les membres cessent d'être douloureux, mais, en revan-che, ils se paralysent et les muscles s'atrophient. Cette atro-phie porte à peu près également sur toute l'étendue du membre, mode qui rappelle celui que nous avons décrit lors-que nous vous avons entretenus de l'amyotrophie par sclérose latérale. Cependant, pour ne parler que de ce qui concerne l'avant-bras et la main, il est digne de remarque que, dans la pachyméningite, les muscles compris dans la sphère d'inner-vation du nerf radial et du nerf médian sont surtout atrophiés, tandis que ceux qui dépendent du nerf radial sont relative-ment respectés. Il résulte de cette prédominance de l'altéra-tion dans quelques groupes de muscles, une sorte de griffe où l'extension de la main prédomine. Cette griffe n'est pas l'apa-nage exclusif de la pachyméningite cervicale dans laquelle, du reste, elle ne se rencontre pas d'une manière constante ; mais, comme elle ne s'observe pas dans les autres formes d'atrophie musculaire spinale, elle n'en fournit pas moins un élément intéressant pour le diagnostic et vous savez qu'à ce point de vue rien n'est à négliger. (Fig. 25.)
Quelle est la raison de cette indemnité relative des dépen-dances du nerf radial? Je ne sais. S'il était établi que les filets d'origine des nerfs cubital et médian émergent de la moelle
plus bas que ceux du nerf radial, on comprendrait ainsi que ces dernières puissent, dans la pachyméningite cervicale, rester en dehors du foyer morbide.
A ces symptômes viennent se joindre des contractures qui s'emparent des membres paralysés et atrophiés et souvent il se produit sur ces membres des plaques à'anesthésies qui peu-vent s'étendre jusqu'à la partie supérieure du tronc.
Ce n'est pas tout encore ; les membres inférieurs se para-lysent à leur tour et plus tard se contracturent tout comme
Fig. 25. — Attitude de la main dans la pachyméningite cervicale.
dans la sclérose latérale primitive ; toutefois, en opposition à ce qui se produit dans cette dernière affection, la contracture des membres inférieurs, dans la pachyméningite, ne paraît se compliquer d'aucune atrophie musculaire.
Il ne me semble pas difficile de fournir la raison anatomique et physiologique de cette paralysie et de comprendre, à ce double point de vue, l'absence d'atrophie musculaire et l'exis-tence, pour ainsi dire obligatoire, de la contracture, dans les membres paralysés. La paralysie motrice est ici déterminée j par la formation du foyer de myélite transverse qui se produit
consécutivement à la méningite. La rigidité spasmodique des muscles relève de la sclérose descendante qui, consécutive-ment à la myélite transverse, s'empare tôt ou tard des fais-iceaux blancs latéraux, et, comme dans les cas de sclérose des-cendante consécutive, les cornes grises antérieures restant dans la règle, absolument indemnes, on comprend par là pourquoi la nutrition des muscles n'est pas directement inté-ressée.
Cette absence constante d'amyotrophie est un trait qui dis-tinguera déjà la paraplégie qui accompagne la sclérose laté-rale amyotrophique, de celle qui se lie à la pachyméningite cervicale. J'ajouterai que, dans celle-ci, il peut se produire de l'anesthésie, des escarres à développement rapide, des trou-bles de la vessie et du rectum enfin, phénomènes qui font défaut dans la sclérose latérale amyotrophique.
Bien d'autres caractères distinctifs, en connexion avec des différences anatomo-pathologiques, permettraient encore, malgré les points de ressemblance qui les rapprochent de sé-parer cliniquement, l'une de l'autre, les deux affections dont il s'agit. C'est ainsi que l'ensemble des symptômes qui consti-tuent ce que j'appelé la période douloureuse, les anesthésies partielles disséminées, les éruptions huileuses, appartiennent en propre à la pachyméningite ; tandis que, par contre, la par-ticipation du bulbe, fort rare dans cette dernière, paraît au contraire — nous l'avons dit — être un des éléments néces-saires de la sclérose latérale amyotrophique.
m.
C'en est assez sur la pachyméningite hypertrophique ; ac-tuellement, je me propose de vous dire un mot concernant les amyotrophies qui surviennent quelquefois dans le cours de Xataxie locomotrice et de la sclérose en plaques.
A. On sait que l'amyotrophie progressive, plus ou moins généralisée, n'est pas un accompagnement rare de la myélite scléreuse postérieure. Pour s'en convaincre, il suffirait de se reporter aux observations nombreuses où cette coïncidence se trouve signalée et en particulier à celles publiées par MM. Du-ménil Yirchow s, Marrotte 3, Friedreich 4, Leyden 5, Fou-cart 6, Laborde 7, Pierret 8, et quelques autres. 11 résulte de ces observations que, cliniquement, cette atrophie musculaire des ataxiques se distingue par quelques caractères spéciaux. Ainsi, elle ne présente pas le mode régulier d'envahissement, non plus que la marche pour ainsi dire fatalement progressive, propres à l'amyotrophie progressive. Parfois disséminées sur les parties du corps les plus diverses, les lésions musculaires restent d'autres fois limitées à des régions très circonscrites ; au pied, par exemple (Friedreich), à la jambe (Leyden), au dos (Leyden, Friedreich), à la nuque (Leyden), où elles peuvent n'occuper qu'un seul muscle ou même une partie d'un muscle. Si les éminences thénar et hypothénar sont quelquefois affec-tées (Foucart), elles restent, dans un grand nombre de cas, parfaitement normales, Souvent les muscles des membres in-férieurs, frappés d'incoordination motrice, sont seuls envahis (Laborde, Duménil). Dans le cas recueilli dans mon service et publié par M. Pierret, l'atrophie portait à la fois sur toute l'é-tendue du membre supérieur et du membre inférieur d'un même côlé (Fig. 26).
Ce mode de répartition des lésions musculaires est déjà
1 Duménil (de Rouen). — Union médicale, 1862, n° 17.
2 Yirchow's Archiv. Bd. VIII. hept, ',, 1855.
3 Marrotte. — Union médicale, 11 juin 185:'.
4 Friedreich. —Uber degener. Atrophie der spinalen. Hinterstiange Virchow's Archiv. Bd. XXVI et XXVII. 1863.
8 Leyden. —Die graue Degener., etc. Berlin, 1863. 6 Foucart. - Franc? médicale, etc. Novembre 1857. ' Laborde. — Soc. de Biologie, 1859. 8 Pierret. —.Archives de physiologie, 1. 111, 1870, p. 600.
très particulier. Il faut ajouter que les symptômes de la sclé-rose postérieure tels que : douleurs fulgurantes, troubles ocu-laires, incoordination motrice, etc., seraient toujours là pré-sents, pour éclairer le diagnostic.
J'ai déjà signalé plusieurs fois le mécanisme suivant lequel, dans mon opinion, s'effectue, dans ces cas, l'envahissement
Fig. 26. — Coupe de la moelle épinicre u la région lombaire dans un cas d'ataxie locomotrice compliquée d'atrophie muscidaire. — A, sclérose de la zone radiculaire postérieure. — C, corne antérieure gauche saine. — D, corne anté-rieure droite atrophiée.
des cornes antérieures. L'irritation se propage par la voie des faisceaux radiculaires internes, dont le trajet peut être anato-miquement suivi jusqu'à la substance grise antérieure1. Tout récemment M. Hayem est venu donner, à cette interprétation, une confirmation expérimentale. L'arrachement des nerfs sciatiques, chez les lapins, a pour conséquence une déchirure
1 Gharcot. — Leçons sur les maladies du système nerveux, t. Il, p. 16.
qui se fait dans le trajet intra-spinal des racines postérieures. Il en résulte une inflammation qui se propage le long de ces racines jusqu'aux cornes grises antérieures, où les groupes de cellules nerveuses subissent consécutivement des altérations profondes1.
Dans tous les cas connus, les symptômes qui se rattachent à la sclérose postérieure précèdent le développement de l'a-myotrophie. Je ne crois pas qu'il ait été publié un seul exem-ple dans lequel l'amyotrophie se serait, au contraire, dévelop-pée avant les symptômes tabétiques.
B. Je ne ferai que mentionner l'atrophie musculaire qui se surajoute quelquefois aux symptômes ordinaires de la sclérose en plaques. Elle survient, d'après mes observations, dans les cas où les plaques scléreuses qui, dans la règle, prédominent sur les faisceaux antéro-latéraux, envahissent les cornes grises et y produisent des altérations profondes.
Je ne puis me dispenser d'arrêter un instant votre attention sur une autre forme de myopathie, que M. Duchenne (de Bou-logne) a le premier décrite, il y a longtemps de cela, sous le nom de paralysie générale spinale et que, pour mon compte, je ne connais encore que cliniquement2.
Cette affection, jusqu'à ce jour, n'a pas la place qui lui re-vient de droit dans la clinique usuelle. Pourquoi ? Je ne saurais le dire, car les faits de ce groupe ne sont pas très rares. C'est une lacune regrettable. Combien de fois, en effet, cette forme d'amyotrophie, presque toujours confondue avec l'atrophie musculaire progressive, n'a-t-elle pas été l'occasion d'erreurs
1 Hayem. — Des altérations de la moelle, consécutives à l'arrachement du nerf sciatique chez lelapin. (Arch. de physiologie, pp. 504-511, 1873).
2 De Vélectrisation localisée, 3e édition, 1872, p. 454.
IV.
dans le diagnostic et aussi, ce qui est plus grave, dans le pro-nostic ! Consulté sur un cas de ce genre, et croyant qu'il s'a-git là de l'amyotrophie progressive vulgaire, vous portez le verdict d'incurabilité et quelques mois plus tard, le malade peut vous revenir complètement guéri. Est-il rien de plus pro-pre à discréditer le médecin ?
Permettez-moi, en conséquence, de vous exposer, aussi succinctement que possible, les principaux caractères de la paralysie générale spinale subaiguë.
C'est une maladie de l'adulte, car elle se montre surtout vers 35 à 40 ans. L'hérédité ne paraît jouer aucun rôle dans sa pro-duction, mais quelquefois, de même que dans tant d'autres affections spinales, on a consigné l'influence du froid, du sé-jour dans un lieu humide.
La paralysie générale spinale est envahissante, sans être pourtant fatalement progressive, et la guérison, une guérison entière, ainsi que je le faisais pressentir tout à l'heure, peut être espérée. A part leur mode d'invasion et de progression, les accidents, qui constituent la maladie, reproduisent, avec assez de fidélité, vous allez le reconnaître, le type de la para-lysie infantile.
La paralysie débute soit par les membres inférieurs, soit par les supérieurs, d'où il s'ensuit une marche tantôt ascen-dante, tantôt descendante. L'inertie motrice s'accompagne d'une flaccidité très prononcée des parties.
Si l'on excepte quelques fourmillements passagers elle ne se complique d'aucun trouble de la sensibilité. Les fonc-tions de la vessie et du rectum sont respectées, quelle que soit l'étendue de la paralysie et il ne se produit jamais d'es-carres.
L'atrophie, qui ne tarde pas à apparaître dans les membres paralysés, rappelle ce qu'on voit dans la paralysie infantile. Bien qu'elle prédomine sur certains muscles ou groupes de
muscles, elle s'attaque cependant à toute l'étendue ou à toute une partie des membres. En même temps, la peau, sur les ré-gions paralysées et atrophiées, devient froide, cyanosée et comme momifiée.
Enfin, — et c'est là un trait distinctif qu'il importe d'op-poser aux symptômes classiques de l'atrophie musculaire progressive, — les muscles, ceux même qui n'ont pas subi une réduction de volume extrême, présentent une diminu-tion notable, sinon une disparition totale de la contractilité faradique.
Ces muscles, si profondément atteints dans leur nutrition, peuvent parfois cependant — l'expérience le démontre — ré-cupérer toutes leurs fonctions. Il est rare, néanmoins, que plusieurs des muscles les plus gravement compromis ne res-tent pas atrophiés à tout jamais,
Il ne faut pas oublier que la bénignité dans le pronostic n'est pas absolue. Dans certains cas, en effet, la maladie dans sa marche ascendante, peut envahir le bulbe et y déterminer des désordres analogues à ceux que nous avons mentionnés dans la sclérose latérale symétrique et que nous retrouverons dans la paralysie labio-glosso-laryngée proprement dite. En pa-reille circonstance, les choses changent de face et l'on peut voir, à bref délai, la maladie se terminer par la mort.
Une autre particularité doit vous être connue : dans son évolution lente, qui s'étend parfois sur plusieurs années, la paralysie générale spinale subaiguë est sujette à des amen-dements illusoires et à des rechutes. Cette irrégularité dans la marche de la maladie mérite de fixer l'attention du mé-decin et l'oblige à une grande réserve dans ses apprécia-tions.
Je signalerai enfin, comme un rapprochement curieux, qu'il n'est pas rare d'observer, dans la paralysie générale spinale, des troubles gasiriques, survenant par crises, analogues à ceux
qui ont été décrits, sous le nom de crises gastriques, à propos de l'ataxie locomotrice.
La clinique, d'après ce qui précède, désigne pour ce type une place dans la série des amyotrophies spinales, place in-termédiaire entre les formes aiguës et les formes chroniques, mais l'anatomie pathologique n'a pas encore prononcé. Il est on ne peut plus vraisemblable qu'elle ne contredira en rien ce classement. Il convient, toutefois, avant de conclure d'une façon définitive, d'attendre ses décrets.
V.
Je ne m'arrêterai pas, Messieurs, après ce qui précède, à énumérer toutes les autres formes possibles de l'amyotrophie spinale deutéropalhique, cela m'entraînerait beaucoup trop loin. Les principes que je me suis efforcé de mettre en relief suffiraient, d'ailleurs, je le pense, à vous guider dans l'inter-prétation de la plupart des cas de ce genre. Mais je ne puis me dispenser de vous entretenir, au moins sommairement, de cer-taines amyotrophies qui ne relèvent pas d'une lésion spinale et qui sont susceptibles cependant, comme celles qui nous ont occupé dans nos dernières leçons, de se généraliser et d'affec-ter une marche progressive. Parmi les amyotrophies de ce groupe, je citerai seulement, à titre d'exemple, la maladie dite paralysie pseudo-hypertrophique et les amyotrophies satur-nines. Je ne veux pas, tant s'en faut, entrer bien avant dans ce sujet ; je me propose uniquement de montrer qu'en ma-tière d'amyotrophie progressive, il faut se garder de céder à l'envie de tout expliquer physiologiquement par la lésion des cornes grises spinales antérieures. Cette lésion a son domaine pathogénique fort vaste déjà, il ne faut pas l'étendre à l'excès si l'on ne veut pas courir le risque de tout compro-mettre.
La paralysie pseudo-hyperthrophique, dite encore myosclé-rosique, se rencontre surtout, vous ne l'ignorez pas, chez les jeunes enfants ; quelques observations tendent à établir, toute-fois, qu'elle peut se montrer aussi chez l'adulte.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu, au point du vue clinique, d'y distinguer deux périodes, reconnues du reste par tous les au-teurs. La première ne dure guère plus de quelques mois, un an au plus ; elle est caractérisée par une sorte de parésie des membres inférieurs surtout, due à la modification de certains muscles, ceux-ci ne présentant pas encore d'hypertrophie apparente 1 ou se montrant même, parfois, manifestement atrophiés 2. Dans la seconde période, beaucoup plus longue la parésie tend à se généraliser et de plus les muscles affectés, ceux des mollets principalement, augmentent de volume et s'accusent par un relief souvent énorme.
Des suppositions de tout genre ont été faites relativement à la pathogénie de l'affection dont il s'agit. Dans ces derniers temps, beaucoup d'auteurs se sont montrés enclins à en cher-cher le point de départ dans le système nerveux 3 et plus par-ticulièrement dans la moelle épinière. En réalité, c'est là une hypothèse qui, je le pense du moins, ne repose sur aucun fon-dement solide. Déjà, dans un cas présenté à la Société de mé-decine de Berlin, par MM. Eulenbourg et Cohnheim 4, les résultats de l'autopsie des centres nerveux avaient été négatifs. À la vérité, dans ce cas, la moelle épinière ayant été examinée à l'état frais, ou après un durcissement imparfait, des lésions très délicates, telles que sont l'atrophie des cellules motrices
1 Duchenne (de Boulogne). — Electrisat. localisée, 3e édit., p. 605.
2 Pepper. — Clinical lectures on a case of progressive muscular sclerosis. Philadelphia, 1871, pp. 14 et 16.
3 Celte opinion se trouve formulée dans une édition déjà ancienne des Principles of human Physiology de \V. Carpenter. Edition de F.-G. Smilk ; Philadelphie, 1855, p. 342. Note.
4 Verhandlungen der Berliner medicinischen Gesellschats. Berlin, 1866. H. 2, p. 191.
et la sclérose des cornes antérieures de la substance grise, — auraient pu à la rigueur échapper aux investigations Mais
* Charcot. — Note sur fêtât anatomique des muscles et de la moelle cpi-nière dans un cas de paralysie pseudo-hypertrophique. In Archiv. de physio-logie, 1371-1872, p. 228.
L'observation dont il s'agit est relative à un jeune sujet atteint de paralysie pseudo-hypertrophique qui a succombé à l'hôpital Sainte-Eugénie, dans le ser-vice de M. Bergeron, à la suite d'une maladie intercurrente. L'histoire de ce petit malade est bien connue: elle a été tracée par M le D ' Bergeron, dans une communication faite à la Société médicale des hôpitaux, en 1867. (Bulletins et mémoires de la Société médicale drs hôpitaux de Paris, T. IV, l"-8 série, année 186', p. ^57.) M. Duchenne (de Boulogne) l'a reproduite dans son mémoire sur la paralysie musculaire pseudo-hypertrophique (Archi-ves générales df médecine, n08 de janvier 1868 et suiv., p. 19, ch. XII). Une bonne photographie en pied, annexée à la communication de M. Bergeron, montre le relief exagéré que présentaient la plupart des masses musculaires chez l'enfant en question, et fait particulièrement comprendre l'attitude carac-téristique qu'il affectait dans la station verticale. (Voir aussi les fig. 3, 4 et 9 du mémoire de M. Duchenne). Je ne puisque renvoyer, pour ce qui concerne le côté clinique, aux travaux que je viens de citer. Relativement à l'état de la moelle épinière, nos observations ont porté sur des coupes transversales, colo-rées par le carmin et préparées avec une grande habi été par M. Pierret. Ces coupes, d'ailleurs, ont été très multipliées et prises sur les points les plus divers des régions cervicale et dorsale de la moelle. Je dois faire remarquer, ici. que les muscles qui reçoivent leurs nerfs du renflement cervical étaient, pour la plupart, affectés à un haut degré, et que les deltoïdes, entre autres, offraient de la façon la plus accentuée les caractères de l'hypertrophie par substitution graisseuse. Si donc, dans ce cas, les lésions musculaires avaient été bées à des lé ions spinales, celles-ci n'eussent pas manqué de se montrer très accentuées dans le renflement cervical de la moelle épinière.
Or, le résultat a été absolument négatif; partout, nous avons,trouvé les faisceaux blancs antéro-latéraux et postérieurs dans un état d'intégrité par-faite ; la substance grise, dont nous avons fait l'objet tout spécial de nos in-vestigations, ne présentait aucune trace d'altération. Les cornes antérieures n'étaient ni atrophiées ni déformées. La névroglie y avait sa transparence accoutumée et les cellules motrices, en nombre normal, n'offraient, dans les diverses parties qui les constituent, aucune déviation du type physiologique. Rappelons que les racines spinales, tant antérieures que postérieures, ont paru également parfaitement saines.
Après avoir reconnu que les altérations musculaires dans ce cas ne rele-vaient point de l'altération des cellules nerveuses des cornes antérieures ou des racines nerveuses, il importait de rechercher si elles ne devaient pas être rattachées à quelque lésion du grand sympathique ou des nerfs périphéri-ques. Relativement au premier point, je ne puis donner aucun renseigne-ment, le grand sympathique ne figurant pas parmi les pièces que j'ai eues à ma disposition. Pour ce qui concerne le second point, je dois déclarer, après avoir examiné avec soin divers fragments provenant des nerfs sciatiques, o-édians et radiaux, que ces nerfs m'ont paru offrir, dans toutes leurs parties, les apparences de l'état normal. Nous avons même rencontré, dans l'épais-seur des muscles affectés, plusieurs fdets nerveux qui nous ont semblé égale-ment exempts d'altération.
le fait que j'ai publié, il y a quelques années dans les Archives de physiologie, n'est pas passible des mêmes objections, et
Tout récemment deux observateurs des plus compétents, MM. L. Clarke et W. Gowers ont présenté, à la Société royale médico-chirurgicale de Lon-dres, un fait qui, sous le rapport anatomo-pahologique, paraît être en contra-diction formelle avec celui qui précède. (On a case of pseudo-hypertrophie muscular paralysis. In Medico-chirurgical Transactions, tome LVII. Lon-don, 1874). Mais je ferai remarquer que, dans l'observation des auteurs an-glais, les lésions spinales, trouvées à l'autopsie, et constituées surtout par des foyers de désintégration, n'occupaient que d'une façon tout à fait acces-soire, pour ainsi dire accidentelle, cell s des régions de la moelle (cornes grisés antérieures et faisceaux radiculaires antérieurs) qui seuls ont une influence directe sur la nutrition des muscles, de telle sorte que les lésions spinales, dans ce cas, ne paraissent avoir été, en quelque sorte fortuites : il ne me parait pas, tout au moins, qu'elles aient pu être le point de départ des altérations prononcées du système musculaire.
Une observation, publiée il y a trois ans dans les Archiv der Heilkunde (Bei-traege zur Kennsniss d r atrophia musculorum lipomatosa. Leipzig, 1871, p. 120), par M. 0. Barth, tendrait, elle aussi, h faire rentrer la paralysiepseudo-hypertrophique dans le groupe des myopathies spinales. L'autopsie, en effet, conduite avec le plus grand soin, methors de doute l'existence de lésions spinales très accentuées ; je ne crois pas cependantque ce fait ait, tant s'en faut, lasignifi-cation qui lui a été prêtée. Il s'agit là d'un homme âgé de quarante-quatre ans environ, chez lequel, en 1867, trois ans avant la terminaison fatale, se mani-festèrent, dans les membres inférieurs, les premiers symptômes de paralysie motrice. La paralysie s'aggrava progressivement et s'étendit aux membres supérieurs. Deux ans après le début, le malade était condamné à séjourner au lit, et il était privé de la plupart de ses mouvements. En même temps que progressait la paralysie des mouvements, des douleurs plus ou moins vives, et des fourmillements incommodes occupaient les membres ; de plus, les muscles paralysés offraient une atrophie profonde et devenaient, sur certains points, le siège de contractions fibrillaires très accusées. En dernier lieu, les mouvements de la parole et ceux de la déglutition devinrent difficiles.
Pendant le cours des derniers mois, plusieurs des muscles atrophiés, en particulier les adducteurs du pouce et les muscles des mollets, subirent un accroissement de volume remarquable, bien que l'impuissance motrice persis-tât au même degré.
A l'autopsie, les muscles des membres présentèrent pour la plupart, à des degrés divers, les caractères de la substitution graisseuse.
Les faisceaux musculaires offraient : les uns, les altérations de l'atrophie simple, les autres en moins grand nombre, celles de la dégénération gra-nulo-graisseuse. Il restait, d'ailleurs, en plusieurs points, dans l'intervalle de ces faisceaux, un certain degré d'hyperplasie consécutive. L'examen de la moelle épinière fournit des résultats intéressants : Les faisceaux latéraux étaient sclérosés, symétriquement, dans toute leur étendue en hauteur, depuis l'ex-trémité supérieure du renflement cervical, jusqu'à l'extrémité inférieure de la région lombaire.
Les cornes antérieures de la substance grise étaient manifestement atro-phiées ; en outre, un bon nombre de grandes cellules nerveuses motrices, présentaient une atrophie plus ou moins accusée et même beaucoup d'entre elles avaient disparu.
il plaide absolument dans le même sens que celui de M.Cohnheim.
On constata enfin qu'une grande quantité de tissu adipeux s'élait accu-mulée sous la peau des membres et à la surface de la plupart des vis-cères,
lime parait tout à fait illégitime de rapporter l'observation dont je viens de rappeler très brièvemeut les principaux traits au type classique de la para-lysie pseudo-hypertrophique.
L'â^e relativement avancé du sujet, l'existence de douleurs vives et de four-millements dans les membres, les contractions fibrillaires, l'embarras de la parole et de la déglutition survenus à une certaine époque de la maladie, tou-tes ces circonstances protesteraient, nu besoin, contre une semblable assimila-tion. Elles se rattachent, au contraire, très naturellement au type morbide, sur lequel j'ai appelé l'attention dan les deux dernières leçons (pp. :13 à 242) et dans lequel, — ainsi que cela avait eu lieu dans l'observation de m. Barth, — la sclérose symétrique des cordons latéraux se combine avec l'atrophie pro-gressive des cellules nerveuses des cornes antérieures.
Sans doute, les lésions musculaires décrites dans le cas de M. 0. Barth, rappellent, h quelques égards, celles qu'on trouve uniformément signalées dans tous les cas de paralysie pseudo-hypertrophique jusqu'ici publiés ; mais cette circonslance ne suffirait pas à elle seule pour justifier un rapprochement noso-graphique. Je crois devoir, à ce propos, faire une remarque qui pourrait paraître banale, si le fait auquel elle s'applique n'avait pas été méconnu : C'est qu'aucune des lésions musculaires dont il s'agit n'appariient absolument en propre à la paralysie pseudo-hypertrophique, et ne saurait, par conséquent, suffire à la spécifier. Ainsi l'hypertrophie du tissu conjonctif interstitiel, avec atrophie simple des fibres musculaires, peut se retrouver, par exemple, à la suite des lésions traumatiques des nerfs ^antegazza. Gazetta lomb., p. 181, 1867. — Erb. Deutsch. Archivât. IV. 1868), et dans quelques cas d ? para-lysie infantile spinale (Volkman, Samml. klin. Vortraege. Leipz., 1870. — Charcot et Joffroy, Archiv. de physiolog., t. III, 1870, p. 134). Quant à la sub-stitution graisseuse avec ou sans accroissement de volume du muscle, elle peut se produire, à titre de complication éventuelle, encore dan« la paralysie infan-tile (l.aborde, thèse inau? , 1s64 ; — Prévost. Soc. de biologie, 1865, t. XVII, p. 215. —Charcot et Joffroy. Loc. cit. — Vulpian. Arch. de physiol., t. III, 1870, p. 316. — W. Muller. Britruge znr pathol. Anat. der lîuckenmarks. Leipzig. 1870. Obs. n). dans l'atrophie musculaire progressive, dans la para-lysie spinale de l'adulte (Duchenne, de Boulogne, loc. cit.), et dans bien d'au-tres circonstances qu'il serait trop long d'énumérer. Il est à noter qu'en pareil cas, la substitution graisseuse des muscles paraît se rattacher quelquefois à une lipomatose généralisée qui s'accuse, en particulier, — le cas de M. Barth en offre un exemple, — par l'accumulation de tissu adipeux sous la peau et dans les cavités viscérales. Tout dernièrement, M W. Muller (loc. cit.) a insisté avec raison sur ce point. Mais je me sépare complètement de l'auteur que je viens de citer, lorsque, refusant toute autonomie à la paralysie pseudo-hypertrophique, il avance que tous les faits qui ont été — artificiellement, selon lui, — groupés sous ce nom, pourraient être ramenés par la critique, à l'une quelconque des formes de l'amyotrophie liée à l'atrophie des cellules nerveuses motrices. Rien, à mon sens, n'est moins justifiable que cette opi-nion, et le cas même, qui fait l'objet principal de la présente note, suffirait à lui seul pour en démontrer l'inanité.
D'après ces observations, la paralysie pseudo-hypertrophi-que doit être considérée comme indépendante de toute lésion appréciable de la moelle épinière; j'ajouterai que, dans le fait qui m'est personnel, les racines nerveuses, et aussi les nerfs périphériques, se sont montrés comme celle-ci tout à fait exempts d'altération. C'est donc dans le muscle lui-même qu'il faut chercher le point de départ des lésions d'où dérivent les symptômes observés pendant la vie.
Voici, concernant les altérations musculaires dans la para-lysie pseudo-hyperlrophique, quelques détails empruntés à mon travail {loc. cit.), et qui ne vous paraîtront pas, sans doute, dénués d'intérêt.
Ce qui frappe tout d'abord dans ceux des muscles où l'on peut étudier très exactement les premières phases du pro-cessus morbide, c'est que les minces lamelles du tissu con-jonctif— dépendant duperymisium internum — qui, à l'état normal, séparent à peine les faisceaux musculaires primitifs et les laissent presque en contact réciproque, sont ici remplacées par d'épaisses travées dont le petit diamètre égale sur certains points celui des faisceaux musculaires, et même le dépasse (Fig. 27). Ces travées, ainsi qu'on peut s'en convaincre, sur-tout par l'examen de coupes longitudinales dissociées, sont constituées par du tissu conjonclif de formation récente, où les fibres lamineuses, dirigées surtout parallèlement au grand axe des faisceaux musculaires, sont entremêlées souvent avec des cellules embryo-plastiques en assez grand nombre.
L'interposition de cellules adipeuses entre ces fibrilles mar-quent une phase nouvelle du processus (Fig. 27, G.). Les cel-lules sont discrètes d'abord, isolées et comme perdues au mi-lieu des faisceaux de fibrilles ; mais leur nombre s'accroît sur certains points, dans de telles proportions qu'elles se substi-tuent aux fibrilles, lesquelles finissent par disparaître complè-tement. Cette substitution graisseuse, ébauchée déjà dans
quelques endroits sur les muscles non hypertrophiés, devient presque générale sur ceux où l'augmentation de volume est très prononcée. Dans ce dernier cas, l'examen microscopique
Fig. 27. — Coupe transversale d'un muscle dans la paralysie pseudo-hypertro-phique. (Phase intermédiaire entre la pre-mière et la seconde période du processus). — I, I, Ilots de tissu conjonctif. — M, M, Coupes des faisceaux musculaires. — G, G, Cellules adipeuses.
montre la majeure partie depa surface des coupes occupée par des cellules adipeuses, presque partout contiguës, tassées les unes contre les autres'et que la'pression réciproque a rendues
Fig. 28. — Coupe longitudinale d'un muscle dans la paralysie pseudo-hypertro-phique (deuxième période du processus morbide). Cellules adipeuses partout conti-guës et que la pression réciproque a ren-dues polyédriques.— Faisceaux musculaires isolés, dépouillés de leur enveloppe fibril-laire et mis en rapport immédiat avec les cellules du tissu adipeux. — Les faisceaux musculaires, même les plus grêles, ont conservé la striation en travers.
polyédriques. Çà et là, au sein du tissu adipeux, on rencontre soit des îlots composés de plusieurs faisceaux musculaires primitifs (de 2 à 8, 10, 12 au plus), enveloppés de toutes parts par les fibrilles conjonctives (Fig. 27,1), soit des tractus fibril-
Ciiarcot. Œuvres complètes, t. h. 19
laires isolés, sans faisceaux musculaires ; soit enfin, — et ce dernier cas est le plus rare,— des faisceaux musculaires isolés, dépouillés de leur enveloppe fibrillaire et mis en rapport im-médiat avec les cellules du tissu adipeux (Fig. 28).
En somme, la substitution graisseuse représente évidem-ment la phase ultime du processus morbide, et, à mesure qu'elle progresse, le tissu fibrillaire de formation nouvelle, ainsi que les faisceaux musculaires, tendent à disparaître *.
Pour ce qui est de ces derniers, l'altération qui aboutit à leur complète disparition, s'accuse déjà dès la première pé-riode, alors que le tissu conjonctif interstitiel commence à s'hyperplasier, en dehors de toute trace de substitution grais-seuse. Elle consiste en une réduction de diamètre plus ou moins prononcée; beaucoup de faisceaux sont tellement atro-phiés qu'il faut user de la plus grande attention pour les dis-
i Suivant Duchenne, de Boulogne (loc. cit., p. 603) — et Foster (The Lan-cet, May 8, 1869, p. 630), l'hypertrophie apparente, constatée lors des phases ultimes de la maladie, serait le fait de l'hyperplasie conjonctive. « C'est elle, dit-il, qui produit l'augmentation de volume des muscles, en raison directe de la quantité de tissu connectif et fibroïde interstitiel hyperplasié. Cette opinion est fondée sur les résultats plusieurs fois obtenus par l'examen de parcelles musculaires extraites, pendant la vie, à l'aide de Y emporte-pièce histologique ; mais l'on peut se demander si, dans cette petite opération, les îlots du tissu conjonctif ne sont pas entraînés de préférence par l'instrument qui saisirait, au contraire, beaucoup plus difficilement entre ses mors les agrégats de cel-lules adipeuses. Toujours est-il que, dans les cas où il s'est agi de fragments de muscles atteints d'hypertrophie, extraits sur le vivant par l'incision, ceux-ci ont présenté constamment, à un haut degré, les caractères histologiques de la substitution graisseuse (Griesinger et Billroth, Heller et Zenker, Wernich. Voyez Seidel : Die atrophia musculorum Lipomatosa. Iena, 1867), L'impres-sion qui me reste, après l'examen, plusieurs fois répété, des pièces que j'a étudiées, c'est que l'hyperplasie du tissu conjonctif et l'atrophie des faisceaux musculaires marchent pour ainsi dire du même pas ; celle-ci se montrant d'au-tant plus générale et d'autant plus prononcée, que celle-là est elle-même plu? développée, dételle sorte que la production du tissu conjonctif serait en quel-que sorte proportionnelle à l'étendue des vides laissés par l'atrophie ou la disparition des fibres musculaires. Il est possible toutefois que l'hyperplasie conjonctive prenne quelquefois le dessus et produise ainsi un certain degré d'hypertrophie apparente. Mais j'ai peine à comprendre qu'elle puisse expli-quer jamais l'accroissement de volume, souvent énorme, que présentent les masses musculaires à une certaine époque de la maladie, et je suis porté à croire que la substitution du tissu adipeux joue ici le rôle prédo-minant, (j. m. c.)
tinguer dans l'épaisseur du tissu conjonctif interstitiel, mais la majeure partie d'entre eux, ceux-là mêmes qui ont subi l'atrophie la plus profonde, conservent, jusqu'aux dernières limites de l'émaciation, la striation en travers la mieux accen-tuée. Ni la gaine du sarcolemme, ni les noyaux qu'elle ren-ferme ne présentent d'altération, et, quant à la substance musculaire, on n'y observe aucune trace de la dégénérescence granulo-graisseuse.
Vous ne pouvez manquer d'être frappés de l'analogie qui existe entre l'altération des muscles qui vient d'être décrite et celle qui, lorsqu'il s'agit des viscères, est désignée générale-ment sous le nom de cirrhose. Or, les lésions de la sclérose musculaire se voient dans des conditions très variées et elles peuvent, en particulier, se montrer accidentellement, il est vrai, dans diverses formes d'amyotrophie spinale deutéropa-thique. Seule, la circonstance que l'invasion du tissu adipeux se produit, à une certaine époque de la paralysie pseudo-hypertrophique, d'une manière fatale, au moins dans quelques muscles, me paraît constituer, dans l'espèce, un caractère vraiment distinctif; si bien que la dénomination de. paralysie myo-sclérosique, proposée par Duchenne (de Boulogne), ne devrait rigoureusement s'appliquer qu'aux premières périodes de la maladie, tandis que celles atrophia musculorum lipo-matosa (Seidel), de lipomatosa luxurians (Heller), assez géné-ralement usitées par les auteurs allemands, conviendraient seulement aux périodes avancées.
VI.
L'histoire de la paralysie pseudo-hyperlrophique nous offre, vous le voyez, un exemple de myopathies généralisées, à marche progressive, se développant en dehors de toute in-fluence du système nerveux. Dans les amyotrophies d'origine
saturnine, au contraire, l'amyotrophie paraît se produire en conséquence d'une lésion des nerfs périphériques.L'existence, en pareille circonstance, d'une altération des nerfs se rendant aux muscles paralysés et atrophiés, a été relevée pour la pre-mière fois, si je ne me trompe, par M. Lancereaux *. Cette même altération a été retrouvée chez une femme de mon ser-vice atteinte de paralysie saturnine par M. Gombault, mon interne, qui, de plus, a constaté dans ce même cas, à l'aide de procédés rigoureux d'investigation l'absence de toute lésion spinale 2. Les résultats, obtenus par M. Gombault, se trouvent confirmés de tous points dans une observation très intéres-sante, récemment publiée par M. C. Weslphal3. L'atrophie musculaire saturnine semble donc faite, d'après cela, sur le même modèle que les amyotrophies partielles rhumatismales ou de cause traumatique, en ce sens qu'elle paraît dépendre, elle aussi, d'une lésion des nerfs périphériques, et ce rappro-chement paraîtra d'autant plus légitime que, dans les deux cas, l'amyotrophie est marquée, vous le savez, par une dimi-nution ou même une abolition plus ou moins rapide de la contractilité faradique.
Quoi qu'il en soit, je ne sache pas qu'il existe, quant à présent, en dehors du saturnisme, un exemple bien avéré d'amyotrophie généralisée, relevant d'une altération des nerfs périphériques ; je n'ignore pas que, sous le nom d'atrophie nerveuse progressive, on a tracé la description d'une affection que caractériserait une amyotrophie à évolution progressive, provenant d'une lésion des nerfs sans participation de la moelle épinière ; je ne vois aucun motif qui permette de nier a priori l'existence d'une telle affection i. Mais je dois avouer
1 Lancereaux. — Société de Biologie, t. IV, 3e série, 1862-63, p. 73.
2 Gombault. — In Archives de physiologie, t. V, 1873, p. 592.
a G. Westphal. — Archiv. f. psychiatrie. IV Bd., 3^ hebl. 1874 et Progrès médical, 1874, p. 533. 4 M. Joffroy et M. Pierret m'ont dernièrement communiqué chacun un cas où
que, pour le moment, ce chapitre de nosographie me fait un peu l'effet d'un cadre sans tableau. Il n'existe pas en réalité, à ma connaissance du moins, une seule observation publiée dans laquelle on ait démontré anatomiquement cette névrite ou cette atrophie nerveuse progressive d'où dériverait la forme d'amyotrophie dont il s'agit. L'observation si intéres-sante d'ailleurs de M. Duménil, invoquée à ce propos, n'a pas le caractère qu'on lui a prêté. Dans ce cas, en effet, — en plus de l'altération des nerfs périphériques, — il existait dans la moelle épinière des altérations très profondes de la substance grise centrale et en particulier des cellules nerveuses mo-trices, et, par conséquent, on est en droit de se demander si la lésion spinale n'a pas été la première en date.
Des remarques du même genre peuvent s'appliquer aux faits publiés par plusieurs auteurs, et dans lesquels l'amyotro-phie progressive est présentée comme la conséquence d'une altération du grand sympathique. Il n'est pas douteux que des lésions du grand sympathique, aussi bien des rami communi-cantes que des ganglions, ont été plusieurs fois observées dans l'atrophie musculaire progressive ; mais je ne sache pas que, dans aucun de ces cas, la non-existence d'une lésion des cellules nerveuses des cornes antérieures ait jamais été régulièrement établie. D'un autre côté, il est constant que fort souvent les lésions du grand sympathique font absolu-ment défaut dans les formes les plus variées de l'amyotrophie progressive spinale. C'est ce dont témoignent entre autres, péremptoirement, les observations recueillies à la Salpêlrière par M. le docteur Lubimoff (de Moscou), et publiées dans les Archives de Physiologie (1874).
une amyotrophie généralisée, assez mal caractérisée d'ailleurs cliniquement, semblait devoir être rattachée à une lésion des nerfs périphériques. La moelle épinière était tout à fait saine dans ces deux cas.
Ici se terminera, Messieurs, l'exposé des considérations que j'ai voulu vous présenter, concernant les amyolrophies spinales. Chemin faisant, vous avez pu vous convaincre, si je ne m'abuse, que l'histoire de ces affections s'est éclairée d'un jour nouveau, en présence des résultats fournis par les études récentes, relatives à l'anatomie pathologique topographique de la moelle épinière.
Ces études, vous ne l'avez pas oublié, ont eu pour caractère particulier de faire marcher, si l'on peut ainsi dire, du même pas, dans une étroite connexion, la clinique et l'anatomie pathologique. Il me paraît opportun de vous montrer dans un bref aperçu, puisque l'occasion s'en présente, les principales acquisitions qui leur sont dues.
D'une façon générale, elles tendent à établir que la moelle épinière est composée d'un certain nombre de régions, répon-dant, en quelque sorte, à autant d'organes doués de fonctions spéciales. La lésion spontanée, isolée, générale ou partielle de chacun de ces organes s'accuse et se révèle durant la vie, par autant de composés symptomatiques particuliers, susceptibles d'être rattachés aujourd'hui par le diagnostic à leur origine organique. Ainsi se trouve constitué, dans la pathologie spinale, un certain nombre d'affections élémentaires dont la combinaison produit les formes complexes, celles-ci pouvant être, à leur tour, à l'aide de l'analyse clinique, décomposées en leurs éléments constitutifs.
L'expérimentation avait déjà, depuis longtemps, tracé la voie et déterminé même un certain nombre de ces régions fonda-mentales auxquelles je faisais allusion tout à l'heure. Mais elle n'avait pas, tant s'en faut, pénétré aussi avant que l'a fait la pathologie avec le concours des moyens puissants d'investiga-tion anatomique dont nous disposons aujourd'hui.
Fig. 29. — A, A, cordons latéraux; — A', faisceaux de liirck. — B, B, zones radiculaires postérieures. — G, C, cornes postérieures. — D, D, cornes antérieures. — F, zone radiculaire antérieure. — E, cordons de Goll.
si perfectionnées ; c'est, toutefois un essai supérieur peut-être, à quelques égards, aux tentatives d'un Strabon ou d'un Pom-ponius Mêla.
Vous voyez les anciens faisceaux postérieurs décomposés en deux régions bien distinctes: 1° les faisceaux deGoil (Fig. 29, E) dont la lésion isolée a été déjà plusieurs fois constatée et répond à un ensemble symptomatique qui ne tardera pas sans doute à être nettement déterminé et à prendre rang dans la clinique usuelle ; 2° les zones radiculaires postérieures
Je place sous vos yeux une sorle de plan lopographique où se trouvent indiquées, par des feintes diverses, les régions de la moelle épinière, jusqu'ici explorées par le pathologiste. Les terres inconnues sont laissées en blanc ; leur champ, vous le voyez, est encore grand ; mais il tend à se rétrécir de jour en jour. Ce n'est pas là, tant s'en faut, une carte complète, com-parable, même de loin, à nos cartes géographiques modernes
(Fig. 29, B. B), substratum anatomique de l'ataxie locomotrice progressive.
Les faisceaux ante'ro-latéraux des auteurs doivent à leur tour être décomposés en trois régions : 1° les faisceaux laté-raux proprement dits, A, A ; ils se montrent affectés systéma-tiquement dans toute leur étendue des deux côtés de la moelle, dans le cas de sclérose latérale symétrique et, par-tiellement, d'un seul côté de la moelle, dans la sclérose des-cendante consécutive aux lésions cérébrales ou spinales en foyer ; 2° les faisceaux de Tùrck, A ; — leur pathologie se confond presque toujours avec celle des faisceaux latéraux ;
Fig. 30. — Coupe transversale de la région lom-baire de la moelle provenant d'un sujet chez lequel les muscles du membre inférieur gauche étaient paralysés et atrophiés. A, La zone radiculaire du côté gauche en partie sclérosée. B,Zone radiculaire droite saine. G, Les méninges à ce niveau sont épaissies et enflammées. La corne antérieure corres-pondante, au contraire, est exempte d'altération ^Ca s communiqué par M. Pierret).
3° les zones radiculaires antérieures, F ; elles ont été laissées en blanc. Quelques observations établissent cependant qu'elles peuvent être lésées isolément (Fig. 30, A). L'altération s'est traduite, dans ces cas, ainsi qu'on eût pu le prévoir, par une paralysie avec amyotrophie dans le membre correspondant à la région lésée de la moelle épinière.
Pour ce qui est de la substance grise, on connaît mal les effets d'une lésion isolée des commissures, et en ce qui con-cerne les cornes postérieures (Fig. 29, C), on sait seulement que, lorsqu'elles sont le siège d'une altération profonde, il se produit une anesthésie cutanée plus ou moins prononcée dans les parties du corps situées du même côté que la lésion spinale. Nos connaissances sont plus avancées relativement au rôle pathologique des cornes grises antérieures. Il est, en
effet, bien établi aujourd'hui qu'elles peuvent être lésées iso-lément, primitivement, ou, au contraire, d'une façon secon-daire et l'on sait que dans les deux cas, si l'altération porte sur les grandes cellules motrices, il s'en suit forcément la production d'une amyotrophie. Celle-ci se développe rapide^ ment, si la lésion spinale évolue suivant le mode aigu (para-lysie spinale infantile) ou au contraire d'une façon lente et progressive (amyotrophie spinale protopathique, — sclérose latérale amyotrophique, etc.), si elle évolue suivant le mode chronique. Les cornes grises antérieures (cellules nerveuses motrices) et les zones radiculaires antérieures (trajet intra-spinal des racines antérieures) paraissent être les seules ré-gions de la moelle épinière qui intéressent directement la nutrition des muscles.
Tel est l'état des choses, quant à présent ; je ne sais si je me fais illusion, mais il me semble que les résultats acquis, tout imparfaits qu'ils soient encore, permettent déjà de pres-sentir, pour la pathologie spinale, un brillant avenir.
QUATRIÈME PARTIE
Sujets divers
Tabes dorsal spasmodique. — Paraplégies urinaires. Verl ige de Ménière. — Ilémichorée postliémiplégiquc. Epilepsie partielle d'origine syphilitique.
QUINZIÈME LEÇON
Du tabes dorsal spasmodique.
Sommaire. — Dénomination provisoire ; sa justification ; — sclérose symé-trique et primitive des cordons latéraux. — Tabes dorsal spasmodique et tabès dorsal ataxique. — Parallèle entre ces deux affections. — Caractères tirés de la démarche.
De la contracture et de la trépidation dans le tabès dorsal spasmodique. — Absence de troubles de la sensibilité. — Début. — Évolution. — Mode d'envahissement des membres. — Pronostic et traitement. — Diagnostic: Sclérose en plaques de forme spinale, contracture hystérique, myélite trans-verse, sclérose latérale amyotrophique, etc.
Messieurs,
Je ferai passer aujourd'hui sous vos yeux plusieurs malades chez lesquelles vous pourrez étudier à loisir les symptômes d'une affection spinale particulière, foncièrement distincte, à mon avis, de toutes les autres formes de la myélite chroni-que. Cette affection, que je vous proposerai de désigner, au moins provisoirement, sous le nom de tabès dorsal spasmodi-que, n'est pas très rare, et il n'est certes pas un médecin qui ne l'ait plusieurs fois rencontrée dans sa pratique. Mais elle n'a pas été remarquée, je crois, comme elle le mérite. De fait, autant que je sache, un seul auteur, M. le Dr Erb (d'Heidel-berg), l'a mentionnée d'une façon spéciale et s'est efforcé d'en déterminer la caractéristique. Vous lirez avec profit, dans le Berliner Klinische Wochenschrift (n° 26, 1875), la courte mais substantielle description qu'il en a donnée J.
1 Ueber einen wenig bekannten spinalen Symptomen complex. (Berlin. Klin.
Il ne sera pas hors de propos de chercher à justifier, en premier lieu, par quelques mots, la dénomination, singulière peut-être au premier abord, que je vous proposais tout à l'heure d'accepter pour distinguer cette forme pathologique. L'affection dont il s'agit reconnaît, j'en conviens, cela d'ail-leurs n'est guère discutable, un substratum organique, une lésion anatomique plus ou moins profonde dont la moelle épi-nière est le siège. Il est certain également, à ne considérer même que la nature des symptômes, que celte lésion porte particulièrement son action sur les faisceaux spinaux latéraux. 11 est possible enfin que, conformément à une remarque faite par M. Erb, l'altération spinale en question ne soit autre que la lésion systématique décrite pour la première fois parL. Tûrck et que j'ai fait connaître à mon tour, depuis longtemps, sous le nom de sclérose symétrique et primitive des faisceaux laté-raux de la moelle épinière. Mais, il importe de ne pas l'ou-blier, les observations où la sclérose latérale symétrique primitive, sans participation des cornes grises antérieures i, a été anatomiquement constatée et dans lesquelles la clinique avait, pendant la vie, révélé l'existence de symptômes qui paraissent aujourd'hui pouvoir se rattacher au type tabès dor-sal spasmodique, ces observations, dis-je, par suite d'un sin-gulier concours de circonstances, sont toutes de date relative-ment ancienne. Ce sont en quelque sorte de vieux souvenirs,
Woch., no 26, 1875.) — Consulter sur le même sujet un intéressant travail ré-cemment publié par M. O. Berger, de Breslau (Zur Pathologie und Thérapie der Rùckenmarks-Krankheiten-Primare sclérose der seitenstrange. Séparât-Abdruck aus der" Deutschen Zeitschrift fur praltische Medicin").
1 La sclérose latérale symétrique avec participation des cornes antérieures est le substratum anatomique de l'affection bien distincte de celle que M. Charcot a décrite sous le nom de sclérose latérale amyotrophique. (Voir plus haut les Leçons XII et XIII).
un peu effacés, et qui demandent par conséquent à être ravivés. C'est pourquoi je crois qu'il sera prudent d'attendre le contrôle d'autopsies nouvelles, avant de se décider à dé-nommer la maladie d'après le caractère anatomique.
D'un autre côté, l'antique appellation Tabès dorsal, malgré la signification assez indécise qui s'y est toujours attachée, peut s'appliquer assez bien pour désigner tout au moins une affection spinale primitivement chronique qui, comme celle qui nous occupe, progresse à peu près fatalement, bien que d'une façon lente, et, en définitive, à l'exemple de l'ataxie locomotrice, avec laquelle on peut la mettre en parallèle sur plus d'un point, ne pardonne guère *. Quant à l'adjectif spasmodique, il est destiné à faire ressortir le phénomène cli-nique dominant : Je veux parler de la contracture qui, presque dès l'origine, occupe les membres affectés, se montre bientôt permanente et constitue en quelque sorte, symptornatique-ment, à peu près toute la maladie. Tandis, en effet, que l'ataxie locomotrice progressive, qu'on pourrait, par opposition, ap-peler, ainsi que je l'ai proposé, le Tabès dorsal ataxiqne, s'at-taque tout d'abord au système spinal sensitif (douleurs fulgu-rantes, plaques d'anesthésie et d'hyperesthésie, etc.), et ne détermine que secondairement, du moins dans la grande ma-jorité des cas, l'incoordination des mouvements, le tabès spasmodique, au contraire, reste limité, pendant toute la durée de son cours à l'appareil moteur. Il se caractérise surtout, en somme, dans son état de complet développement, par une contracture permanente qui s'accroît progressivement et en-traîne tôt ou tard l'impuissance des membres, sans s'accom-pagner jamais de troubles notables de la sensibilité.
1 Tabès dorsalis (Sauvages. Classis. X, I, 1.) ou dorsualis (Romberg. Lehr. der Nerven-Krankh. Berlin, 1851, p. 185). La description de Romberg, comme on sait, se rapporte à l'ataxie locomotrice. — Tabès accipilur communiter pro omni corporis aut partis exlenuatione... (B. Castelli. Lexicon medicum. Gen., 1745, art. phthisis).
Ce qui vient d'être dit suffit pour montrer que, quant à pré-sent, le tabès spasmodique n'a encore d'existence réelle que dans le domaine clinique, ainsi que cela a eu lieu d'ailleurs pendant longtemps pour l'ataxie locomotrice. A la vérité, il s'y présente, en général, sous des traits assez accentués pour qu'il soit, en pratique, presque toujours possible de le distin-guer non seulement de la grande maladie spinale systématique qu'on appelle l'ataxie locomotrice progressive, mais aussi de la sclérose latérale amyotrophique, de la myélite transverse vulgaire, de la myélite par compression, et enfin, bien que la chose soit ici souvent fort difficile, de la sclérose en plaques de forme spinale. Il peut, en d'autres termes, être séparé de toutes ces affections spinales qui, dans la description, d'ail-leurs remarquable, d'Ollivier (d'Angers), se trouvent réunies en un groupe hétérogène, sous le nom de myélite chronique et que l'analyse clinique, éclairée par l'anatomie pathologique, tend chaque jour à dégager successivement.
Si, en effet, entre les divers états pathologiques que je viens d'énumérer, les analogies sont nombreuses, les points de con-tact fréquents, les caractères différentiels non plus ne font pas défaut. J'espère parvenir à le démontrer tout à l'heure. Mais je crois opportun, au préalable, de vous présenter un tableau où je m'attacherai à mettre en relief les symptômes dominants et le mode usuel d'évolution du tabès spasmodique. Au cours de cette description, j'aurai à chaque pas, devant les yeux, l'his-toire clinique de l'ataxie locomotrice, qui nous servira en quel-que sorte à accuser les contrastes.
Je vous remettrai tout d'abord en mémoire les principaux phénomènes qui marquent les premières phases de l'ataxie locomotrice, j'entends parler de la forme vulgaire de la ma-
1 OUivier (d'Angers). — Traité des maladies de la moelle épinière. 3e édit. Paris 1837, t. II, p. 426.
jadié, celle qui répond au type classique créé par Duchenne (de Boulogne). — Ce sont au premier rang, vous ne l'avez pas oublié, et bien longtemps avant que ne paraisse l'incoordina-tion motrice d'où l'affection tire son nom, des troubles divers delà sensibilité : douleurs fulgurantes et terebrantes revenant par accès et siégeant sur les membres, la face, le tronc ; dou-leurs permanentes fixées sur certains points ; aneslhésies et hyperesthésies partielles. Les troubles dits cephaliques tels que l'amblyopie ou l'amaurose, la paralysie des muscles mo-teurs de l'œil, appartiennent également à cette période. Enfin l'incontinence d'urine, la dysurie, les crises gastriques, sou-vent témoignent déjà, dès cette époque, de la participation des nerfs viscéraux.
Tout autre est, dès l'origine, la physionomie du tabes dor-sal spasmodique. Ici, le premier et pendant quelque temps le seul symptôme consiste dans un état parétique, portant égale-ment sur les deux membres inférieurs ou plus marqué sur l'un d'eux, et qui n'a d'autre effet d'abord que de rendre la marche, surtout le matin au sortir du lit, un peu difficile. Les malades dépeignent la situation en disant qu'ils se fatiguent vite, que leurs membres leur paraissent lourds et qu'en mar-chant ils traînent la jambe. A cette parésie s'adjoint bien-tôt une tendance plus ou moins prononcée aux spasmes mus-culaires.
Alors, dans la situation horizontale, au lit par exemple, les membres affectés commencent à se raidir de temps en temps sous forme d'accès, surtout dans le sens de l'extension et de l'adduction, à un plus haut degré. Us deviennent momenta-nément comme des barres rigides, inflexibles. Ils sont pris souvent, en outre, fréquemment sans cause appréciable, d'une trépidation qui tantôt reste bornée aux extrémités, tantôt se répand sur toute l'étendue du membre et peut même se com-muniquer au corps tout entier (Trépidation spontanée). Cette
Charcot. Œuvres complètes, t. ii. 20
trépidation, le médecin peut la provoquer, pour ainsi dire à volonté, en relevant brusquement, avec la paume de la main la pointe du pied ou l'extrémité des orteils (Trépidation provo-quée). La rigidité — et l'on peut en dire autant de la trépida-tion — s'accuse plus encore lorsque le malade sort du lit et se tient debout. Elle gêne la marche de plus en plus à mesure que, par suite de l'aggravation progressive du mal, elle s'ac-centue plus fortement et tend à devenir permanente 1 ; mais ce n'est que dans les phases avancées, et souvent au bout de nombreuses années qu'elle la rend définitivement tout à fait impraticable. Je me borne à indiquer ces divers phéno-mènes, sans entrer dans une description en règle, parce que nous les avons étudiés longuement déjà, à propos de la sclérose en plaques où on les retrouve dans tous leurs dé-tails 2.
Cependant quelle que soit l'intensité de ces symptômes appartenant à la sphère motrice, la sensibilité reste intacte : pas d'aneslhésie, pas d'hyperesthésie ; aucun trouble de la sensibilité cutanée considérée dans ses divers modes, non plus que de la sensibilité profonde; pas de douleurs lombaires -pas de douleurs en ceinture, pas de fourmillements, d'en-gourdissements, de sentiment de constriction dans les mem-bres, — ou tout au moins, ces symptômes, s'ils existent, se montrent si peu marqués qu'ils doivent être évidemment relé-gués sur le second plan ; — pas de douleurs fulgurantes ou terebrantes. D'un autre côté, les symptômes dits céphaliques font, eux aussi, complètement défaut ; il en est à peu près de même des troubles quelque peu accentués de la vessie et du
1 Quand la contracture est devenue permanente, elle existe même au lit ; mais elle se montre plus intense lorsque le malade veut se tenir debout et mar-cher. S'il se tient assis sur un fauteuil un peu élevé, il arrive souvent que les jambes se maintiennent presque horizontales, à peine fléchies, et que les pieds n'arrivent pas à toucher le sol.
2 Leçons sur les maladies du système nerveux, 2e édit., t. I, p. 245.
rectum. Enfin, et c'est là un trait qu'il n'est pas sans intérêt démettre en relief, les fonctions génitales qui, chez l'homme, sont dès l'origine si souvent atteintes profondément lorsqu'il s'agit de l'ataxie locomotrice, continuent d'habitude à s'exer-cer, pour ainsi dire, jusqu'au dernier terme et à peu près dans les conditions normales, chez les sujets atteints de tabès spas-modique.
La démarcation entre les deux affections s'accuse plus pro-fondément encore peut-être dans les phases plus avancées de leur évolution. On fait habituellement dater, vous le savez, ce qu'on est convenu d'appeler la seconde période de l'ataxie locomotrice du moment où les phénomènes d'incoordination motrice viennent se surajouter aux troubles de la sensibilité et aux autres symptômes dont nous donnions à l'instant l'énu-mération. C'est a'ors que se prononcent, à l'occasion des actes volontaires, dans la station et surtout dans la marche, ces mou-vements contradictoires, désordonnés, des membres inférieurs s'exagérant lorsque le malade est placé dans l'obscurité, au point de rendre parfois la progression ou la station très diffi-ciles ou même entièrement impossibles, et dont le caractère si particulier avait déjà frappé vivement l'attention des prédé-cesseurs de Duchenne.
Les désordres locomoteurs se dessinent aussi plus fortement dans le tabès spasmodique à mesure que la maladie progresse et s'aggrave, mais ils se caractérisent ici suivant un type tout à fait différent.
On ne trouve pas dans le tabès spasmodique ces membres souples, flexibles à l'excès, parfois même comme disloqués, ce luxe intempéré de mouvements qui prêtent à la démarche de l'ataxique son cachet spécial, et par suite desquels les pieds, en quelque sorte projetés en avant et en dehors, retombent à chaque pas, lourdement sur le sol; ici, au contraire, les mem-bres inférieurs rigides dans toutes leurs articulations, énergi-
quement appliqués l'un contre l'autre, ne se peuvent séparer qu'à la suite d'efforts où les muscles qui s'insèrent au bassin paraissent jouer le rôle principal et dans lesquels le tronc se renverse en arrière. Les pieds, pendant ce temps, ne se dé-tachent qu'à grand peine du sol auquel ils semblent fixés for-tement, produisant dans leur mouvement de progression un bruit de frottement, s'accrochant au moindre obstacle, s'em-barrassant souvent l'un dans l'autre. Ils sont fréquemment, en outre, agités, par la trépidation qui peut s'étendre vers la racine du membre et imprimer même, parfois, au corps tout entier une sorte de vibration. Le malade progresse ainsi, aidé d'une canne ou de béquilles, lentement, péniblement. Mais l'allure, toutefois, est assez ferme, et — trait important à relever — contrairement à ce qui aurait lieu dans l'ataxie, elle n'est en rien modifiée par l'occlusion des yeux-
Cette démarche si particulière que j'essaye de vous dépein-dre, je vous ai mis à même, ce qui vaux mieux, de l'étudier sur nature. Elle avait été remarquée déjà par Ollivier (d'An-gers), qui en a tracé un tableau réussi dans un passage que je ne saurais omettre de vous citer.
« Chaque pied, dit-il, se détache avec peine du sol, et dans » l'effort que fait alors le malade pour le soulever entièrement » et le porter en avant, le tronc se redresse et se renverse en » arrière comme pour contrebalancer le poids du membre in-» férieur qu'un tremblement involontaire agite avant qu'il soit
appuyé de nouveau sur le sol. Dans ces mouvements de pro-» gression, tantôt la pointe du pied est abaissée et traîne plus » ou moins contre terre avant de s'en détacher, tantôt elle est » relevée brusquement en même temps que le pied est déjeté » en dehors. J'ai vu quelques malades qui ne pouvaient mar-» cher un pas, quoique appuyés sur une canne, qu'en se ren-» versant le tronc et la tête en arrière, de telle sorte que leur
» allure, avait quelque analogie avec celle que détermine le » tétanos »
Tout cela est parfaitement exact et s'applique de tout point, ainsi que vous pouvez le constater, à la plupart des malades que je fais passer devant vos yeux. Mais il existe dans le type une variété que je dois vous signaler. Yous pouvez en étudier les caractères chez l'une d'entre elles, la nommée Oss...2. Vous voyez comment, appuyée sur ses béquilles, cette femme marche, le tronc incliné en avant, littéralement sur la pointe des pieds. C'est qu'à chaque pas, en raison de la prédominance du spasme tonique dans les muscles du mollet, le talon est for-tement relevé et touche à peine le sol. Aussi les souliers de cette femme sont-ils très usés à la pointe. Le pied, comme d'ailleurs dans les cas précédents, est pris de trépidation cha-que fois qu'il est porté en avant, et le tremblement par mo-ments s'étend à tout le corps. Lorsque la malade descend un plan incliné, elle se sent en quelque sorte entraînée par le poids de son corps, obligée de hâter le pas, et menacée à chaque instant de tomber la face contre terre. Ce deuxième mode de progression, suivant M. Erb, serait le plus habituel dans les cas de ce genre. Je suis porté à croire, d'après mes observa-tions, qu'il se rencontre au contraire moins fréquemment que le premier.
Quoi qu'il en soit, nous devons envisager maintenant les deux affections que nous opposons l'une à l'autre, au moment où elles sont parvenues au dernier terme de leur évolution. Yous allez être amenés à constater que les caractères distinc-tifs ne sont pas moins accentués dans cette période que dans les précédentes.
1 Loc. cit., p. 427.
2 Obs. III de la thèse de M. Bétous, p. 24.
Privés désormais l'un et l'autre de l'usage de leurs membres inférieurs, incapables de se tenir debout et de marcher, l'a-taxique comme le sujet atteint de tabès spasmodique passent le jour sur un canapé, dans un fauteuil, ou demeurent confinés au lit. Mais il est facile de reconnaître que la cause de l'impotence est radicalement différente dans les deux cas. Chez l'ataxique, réduit à cet état, c'est encore le pouvoir de coordonner les mouvements qui est surtout en défaut. Ceux-ci sont énergiques encore, pendant longtemps, violents même ; mais ils ne peu-vent plus être adaptés à l'exécution des actes physiologiques. Dans le tabès spasmodique, au contraire, l'impuissance mo-trice dépend évidemment de la contracture qui, poussée à l'extrême et devenue absolument permanente, maintient in-vinciblement les membres dans l'extension forcée et dans l'adduction, rendant ainsi impossible tout mouvement volon-taire. D'un autre côté, la trépidation spontanée ou provoquée qui, à moins de complications d'ailleurs très rares, ne s'ob-serve à aucune époque dans l'ataxie, continue à se produire ici à un haut degré l. Elle s'exalte même parfois au point de
1 II me serait difficile de dire à quelle époque le phénomène de la trépida-tion, dont il est fréquemment question dans le cours de cette leçon, a été, pour la première fois, remarqué et décrit.
Dans l'observation d'une femme atteinte de sclérose en plaques que nous avons recueillie en 1862, M. le professeur Vulpian et moi, à la Salpêtrière, nous l'avons mentionné dans les termes suivants : « Lorsque l'un des pieds de cette femme est fléchi et tenu dans la flexion par une main étrangère, il s'y produit aussitôt un tremblement difficile à réprimer, impossible même à arrêter par moments, lorsque l'épreuve est faite sur a pied droit. » Ainsi se trouvent nettement indiqués, pour la première fois, je crois, et la tré-pidation épileptoïde du membre inférieur et le meilleur moyen de la pro-voquer.
En 1866. dans une note lue à la Société médicale des hôpitaux, M. Vulpian a publié l'histoire complète du cas dont il s'agit, en y joignant deux autres obser-vations que je lui avais communiquées, et où le phénomène se trouve également mentionné. (Union médicale, juin 1867).
Dans sa thèse inaugmale faite sous ma direction, M. le docteur P. Dubois a signalé de nouveau la trépidation épileptoïde, comme se montrant aune cer-taine période de la sclérose en plaques disséminées, des paraplégies par compres-siO'i, de la sclérose des cordons antéro-latéraux, de la myélite chronique, etc. « Diverses manœuvres, dit l'auteur, contribuent à lui donnner naissance ; telles
déterminer dans les membres inférieurs de véritables crises convulsives, revenant par accès et dont la dénomination d'e-pilepsie spinale donne une assez bonne idée.
En outre de ces désordres, il existe encore, dans la période que nous considérons, bien d'autres phénomènes propres à différencier les deux maladies. Ainsi, dans l'ataxie, les divers
sont : L'application du froid sur la peau, ou la compression des muscles para-lysés, la flexion (flexion dorsale énergique du pied). (Etude sur quelques points de l'ataxie locomotrice progressive. Paris, 1868.)
J'ajouterai que, dans notre enseignement, M. Vulpian et moi. nous avons maintes lois attiré l'attention des élèves sur ce phénomène singulier (Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux, lle édition. T. I, p. 218, 1872-1873).
M. le professeur Brown-Séquard. à son tour, a fait connaître en 1868, dans les Archives de physiologie, une particularité intéressante relative à la trépidation. On savait déjà que le meilleur moyen de la développer consiste à relever brus-quement les orteils ou la pointe du pied tout entière. 11 a établi que la manœu-vre inverse, c'est-à-dire la flexion plantaire, brusquement effectuée, des orteils, a pour effet d'en déterminer l'arrêt.
Í1 y a deux ans, M. Erb et M. Westphal ont étudié à nouveau et avec grand soin la trépidation épileptoïde sous le nom de phénomène du pied (Fuss-phœno-men. — W. Erb. Ueber Sehnenreflexe bel gesund nund bei Riicken-markskran-ken. In Arch. fur Psychiatrie, 1874, p. "92. — C. Westphal. Ueber einige Bewegungs-Ersçh inungen an gela hmten Glie ern. Idem, p. 803.) Considé-rant que la percussion ou l'excitation du tendon rotulien ou du tendon d'Achille sont des moyens efficaces pour développer cette espèce de tremblement, ces auteurs ont cherché à établir qu'il a sou origine dans une excitation des ten-dons. D'après M. Erb, il s'agirait là d'un acte réflexe dont le point de d'part serait une irritation des nerfs de certains tendons ; l'interprétation de M. West-phal est différente : suivant lui, le tendon percuté ou tiraillé exercerait une action sur toutes les parties du muscle correspondant, qui sons cette influence entreraient en contraction. M. Joll'roy (Gazette médicale, 1875, et Société de Biologie), dans la critique qu'il a faite de c«s travaux, a défendu l'opinion jus-qu'alors couran'e et d'après laquelle la trépidation épileptoïde serait provoquée généralement par une excitation périphérique cutanée. Il a combattu dans ce qu'elle paraît avoir de trop abso'u l'opinion de M Erb. Il reconnaît avec ce pathologiste distingué que l'excitation des tendons est une des causes prin-cipales qui produisent la trépidation et il ne se refuse pas à voir là un exemple de réflexe tendineui ; mais il cite d'un autre côté des faits où incontestable-ment la cause provocatrice unique du phénomène a été une légère irritation de la peau (réflexe cutané). Pour ce qui est de la théorie de M. Westphal, elle semble infirmée par des expériences récentes de MM. Schullze et Far-binge (Centralblatt, 1876). Je ferai remarquer que le phénomène de la trépi-dation épilepioïde n'est pas spécial aux membres inférieurs. On peut le provo-quer, ainsi que je l'ai fait observer depuis longtemps, chez ceriains hémiplé-giques, dans le membre supérieur contracture, en redressant les phalanges des doigts de la main. (J.-M. C.)
troubles de la sensibilité, déjà si accentués lors des premières phases, persistent ou s'aggravent. On peut en dire autant des symptômes céphaliques, des troubles fonctionnels du rectum et de la vessie. Très communément les urines deviennent fé-tides et purulentes en conséquence de l'inflammation ulcéreuse de la membrane muqueuse vésicale. C'est même là un des grands dangers qui menacent la vie des malades. Rien de sem-blable ne se voit chez les sujets atteints de tabès spasmodique. La sensibilité, entre autres, reste indemne chez eux jusqu'au dernier terme ; il ne se manifeste chez eux ni troubles de la vision, ni strabisme, ni, en un mot, aucun des symptômes dits céphaliques. Les seuls troubles dans l'émission des urines qui se produisent, s'observent chez les femmes, et dépendent surtout de la difficulté qu'elles éprouvent à écarter les cuisses. Ajoutons qu'il n'y a pas de tendance à la formation des escarres et que les masses musculaires des membres inférieurs qui, chez les ataxiques, s'émacient souvent jusqu'à l'extrême, conservent au contraire, dans le tabès spasmodique, un relief et une consistance en quelque sorte proportionnés à l'intensité de la contraction spasmodique dont ils sont le siège.
IL
C'en est assez, je pense, pour montrer, ainsi que je l'avais fait pressentir, que, entre l'ataxie locomotrice progressive et le tabes spasmodique, le contraste est frappant sur les points fondamentaux. Aussi puis-je à présent abandonner le parallèle pour concentrer votre attention sur la dernière de ces affec-tions, dont je voudrais compléter la description par quelques traits nouveaux.
Elle paraît se manifester surtout entre 30 et 40 ans. Je suis porté à croire qu'elle est un peu moins fréquente chez la femme que chez l'homme. Ce n'est pas une maladie très com-
mune; je n'ai pu, en parcourant ce vaste hospice, réunir, pour vous les présenter aujourd'hui, plus de cinq cas qui s'y rapportent, tandis qu'il m'eût été facile de rassembler une quarantaine d'ataxiques.
On ignore absolument, quant à présent, les causes sous l'in-fluence desquelles elle se développe : toutefois une influence, assez banale du reste, l'action prolongée du froid humide, se trouve invoquée dans plusieurs de nos observations. Son évo-lution est progressive, mais éminemment lente. Chez les ma-lades que je vous présente et dont plusieurs peuvent encore se tenir debout et marcher tant bien que mal, ses premiers débuts remontent à 8, 10, 13 ans. Il n'est pas rare, d'ailleurs, qu'après avoir atteint un certain degré, elle reste, pendant plusieurs années, à l'état stationnaire.
Souvent limitée pendant toute la durée de son cours aux membres inférieurs qui, régulièrement, sont les premiers envahis, elle peut s'étendre, mais toujours tardivement, aux membres supérieurs. Ceux-ci deviennent, en pareil cas, le théâtre des divers phénomènes que nous avons relevés plus haut, et qui apparaissent successivement. D'abord, c'est un état parétique des mains qui se montrent inhabiles à saisir les objets. De temps en temps, les doigts se fléchissent involon-tairement dans la paume de la main. Plus tard, cette flexion pathologique devient permanente et invincible. C'est ensuite le tour du poignet, puis celui du coude qui, eux, se raidissent dans l'extension et dans la pronation. Quand les choses en sont là, les membres supérieurs demeurent immobiles, rigides, plus ou moins fortement appliqués sur chaque côté du tronc ; dans ces membres, la trépidation est sans doute toujours beaucoup moins prononcée qu'aux membres inférieurs ; je ne l'y ai pas encore souvent observée d'une façon très nette
1 Une circonstance s'oppose d'une façon presque absolue à la production
Les masses sacro-lombaires et les muscles de l'abdomen peuvent aussi être affectés. En conséquence, le ventre est proéminent, dur à la pression, séparé de la base du thorax par un pli horizontal plus ou moins profond, et, en même temps, il se produit une sorte d'ensellure. Ces phénomènes sont surtout faciles à apprécier lorsque les malades sont au lit. L'exacerbation qui se produit, par moments, dans la con-traction des muscles abdominaux peut avoir pour effet d'occa-sionner temporairement un certain degré de gêne de la res-piration.
Cependant, malgré les progrès du mal, la santé générale reste indéfiniment inébranlée. La nutrition, en particulier, même chez les sujets à peu près complètement confinés au lit, continue à s'opérer d'une façon normale, aussi bien dans les membres réduits à l'impotence que dans l'ensemble. Il n'ap-paraît pas que la maladie puisse, par le seul fait des accidents qui lui sont propres, déterminer jamais directement la termi-naison fatale. Celle-ci survient presque toujours par l'in-tervention de quelque affection intercurrente. Une de nos malades présente, depuis quelques mois, des signes non équivoques de tuberculisatiou pulmonaire. Je vous rappelle-rai, à ce propos, et déjà je l'ai fait remarquer maintes fois, que c'est là une complication assez fréquente à une période avancée des diverses formes de la sclérose spinale.
Le tabès spasmodique, une fois constitué, peut-il rétrogra-der spontanément ou encore sa marche peut-elle être enrayée par l'action des moyens thérapeutiques ? Je l'ignore. Relati-vement au dernier point, les tentatives que j'ai faites, même dans des cas où le mal n'avait pas atteint son plus haut degré
artificielle de la trépidation : c'est quand la rigidité du membre dans l'exten-sion est poussée à l'extrême. La manœuvre réussit, au contraire, à peu près toujours quand on est parvenu à produire une légère flexion dans l'articula-tion du genou.
III.
Séparer cliniquement le tabès spasmodique de l'ataxie lo-comotrice — j'espère l'avoir suffisamment établi par les déve-loppements qui précèdent, — est en général chose aisée. Les difficultés du diagnostic ne sont pas de ce côté ; où elles gisent, en réalité, c'est quand il s'agit des autres formes de la myélite chronique. Je voudrais essayer de vous mon-trer maintenant, par quelques exemples, comment la solu-tion du problème peut cependant le plus souvent être réali-
de développement, se sont montrés jusqu'ici peu efficaces. L'hydrothérapie méthodique longtemps prolongée, qui, dans certaines formes de l'ataxie, amène parfois de si heureux résultats, l'application répétée de pointes de feu le long de la colonne vertébrale, celle des courants continus n'ont abouti, quant à présent, en ce qui concerne ma pratique, qu'à pro-duire un amendement temporaire. L'emploi des bromures de potassium, de sodium ou d'ammonium, administrés ensemble ou isolément, a pour effet à peu près certain de diminuer ou de faire cesser, même complètement, la trépidation et la con-tracture. Mais les doses ont toujours dû être portées très loin pour obtenir ce résultat qui, d'ailleurs, ne s'est jamais maintenu plus de quelques jours après la cessation de l'em-ploi du médicament. M. le Dr Erb a été plus heureux : il a vu survenir une fois la guérison dans un cas à la vérité où le mal était de date récente et, dans d'autres cas, par la galvano-thérapie, il dit avoir obtenu des amendements sérieux et dura-bles.
Il y a donc lieu d'espérer encore que le pronostic de la maladie s'atténuera lorsqu'elle aura été mieux étudiée et qu'on aura appris, surtout, à la reconnaître dans les premières pha-ses de son évolution.
sée. En premier lieu, je vous ferai remarquer qu'il n'est pas un seul des symptômes du tabès spasmodique qui lui appar-tienne réellement en propre. La contracture permanente, pré-cédée de parésie aussi bien que la trépidation peuvent en effet — comme en témoigne, par exemple, l'histoire de l'hys-térie, — se produire sans qu'il existe aucune trace d'une lésion spinale, appréciable du moins par nos moyens d'inves-tigation. Ces mêmes phénomènes, d'un autre côté, sont, vous le savez par nos précédentes études, l'accompagnement pour ainsi dire obligatoire de toutes les inflammations scléreuses delà moelle épinière, quelle qu'en soit l'origine, à la condi-tion seulement qu'elles intéresseront le système des faisceaux latéraux dans une certaine étendue ; soit qu'il s'agisse de la forme insulaire ou, au contraire, de la forme fasciculée de la sclérose spinale. C'est pourquoi vous les voyez figurer dans la symptomatologie des affections très diverses où les faisceaux en question sont en cause : contractures hémiplégiques dura-bles, consécutives à une lésion cérébrale en foyer, paralysie générale progressive, myélite partielle transverse primitive ou déterminée par compression, sclérose latérale amyotrophi-que, sclérose en plaques disséminées, etc. Dans le diagnostic du tabès spasmodique, ce seront donc bien moins les symptô-mes en eux-mêmes qu'il faudra considérer, que leur mode de répartition et d'évolution ; leur isolement surtout, d'où résulte la monotonie du tableau clinique si particulière à la maladie, devra être envisagé aussi comme un élément de pre-mier ordre : car on peut dire qu'à moins de complication for-tuite, toute affection spinale dans laquelle des troubles de la sensibilité ou de l'intelligence, des désordres fonctionnels de la vessie ou du rectum, des paralysies des muscles moteurs oculaires, des lésions musculaires trophiques, etc., se mon-trent associés à la contracture, n'est pas le tabès dorsal spasmodique. Cela étant posé, je laisserai de côté certains
états morbides, comme les contractures hystériques par exemple, celles des hémiplégiques, dont la distinction, dans l'espèce, n'offre pas de difficulté sérieuse, pour ne m'arrêter qu'aux affections qui pourraient égarer quelquefois un œil même exercé.
J'ai fait placer devant vous une femme nommée Seb..., âgée d'une quarantaine d'années, confinée au lit depuis deux ans, incapable qu'elle est devenue de marcher et même de se tenir debout: vous pouvez remarquer que ses membres inférieurs, auxquels il lui est impossible d'imprimer volontai-rement le moindre mouvement, ne sont pas flasques et iner-tes, comme cela a lieu dans certaines formes de paraplégie ; ils sont au contraire rigides dans l'extension et dans l'abduc-tion ; on éprouve autant de résistance, lorsqu'on veut les flé-chir, qu'on en éprouverait à les étendre s'ils avaient été, au préalable, placés dans la flexion. La trépidation s'y produit à volonté lorsque l'on redresse la pointe du pied et sou-vent elle survient spontanément, sous forme d'épilepsie spi-nale. J'ai connu cette malade pendant plusieurs années pou-vant encore faire péniblement quelques pas dans la salle, s'appuyant sur les barreaux des lits où poussant devant elle une chaise dont elle saisissait vigoureusement le dossier et qu'elle faisait glisser sur le parquet ; à chaque pas, le tronc se renversait fortement en arrière, inclinant, en même temps, successivement sur un côté, puis sur l'autre. En somme, la démarche était alors à peu près celle que j'essayais de carac-tériser tout à l'heure dans la description du tabès spasmodi-que. Si l'examen n'était pas poussé plus loin, vous pourriez croire qu'il s'agit ici d'un exemple de cette dernière affection.
1 Sur le diagnostic de la contracture hystérique voir : Charcot. — Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, pp. 3*4 et suivantes. — Bourneville et Voulet. — De la contracture hystérique, etc.
Pour vous détromper, il suffira d'insister sur quelques détails que révèle une observation moins superficielle.
Un jour, il y a huit ans de cela, après s'être beaucoup fati-guée, elle resta, le corps étant en sueur, quelque temps placée dans un courant d'air très frais. Peu après, elle éprouva une sensation qu'elle compare à celle qu'aurait pu déterminer un courant d'eau glacée qu'on aurait fait couler le long de son dos. A cette sensation a succédé bientôt une douleur assez vive, accompagnée d'un sentiment de constriction et occupant à la fois le dos et les reins. Cette douleur, qui se répand sous forme de ceinture de chaque côté de la base du thorax, persiste encore aujourd'hui. En même temps sont survenus dans les membres inférieurs des picotements, des fourmillements. Il lui semble qu'ils sont parcourus tantôt par un courant d'eau très chaude, tantôt par un courant d'eau très froide, qu'ils sont enveloppés par moments dans des liens très fortement serrés ; ces phénomènes n'ont pas cessé d'exister depuis.
Quelques jours après l'apparition de ces troubles de la sen-sibilité est survenue la parésie, à laquelle se sont surajoutés bientôt la rigidité d'abord temporaire, puis permanente, la trépidation, les accès d'épilepsie spinale.
Actuellement, vous pouvez constater, comme nous l'avons fait maintes fois depuis cinq ans que la malade est admise dans l'hospice, l'existence d'une obnubilation très prononcée de la sensibilité dans ses divers modes, sur toute l'étendue des membres inférieurs et de l'abdomen. Quand on pince la peau sur un point quelconque des jambes ou des cuisses, ou lorsqu'on chatouille la plante des pieds, il se produit en outre, des secousses musculaires déterminées par action réflexe, les divers phénomènes de dysesthésie sur lesquels j'ai appelé vo-tre attention à propos des paraplégies consécutives à la com-pression lente delà moelle épinière ». J'ajouterai, pour com-
i Leçons sur les maladies du système nerveux, t. II, p. llQ,
pléter le tableau, que, dès l'origine, le besoin de la mixtion était devenu impérieux et voulait être promptement satisfait; que, depuis plusieurs années, il est survenu de la parésie vé-sicale, nécessitant de temps à autre l'emploi du cathéter ; qu'enfin les urines sont habituellement fétides, troubles, et laissent constamment déposer un sédiment muco-purulent plus ou moins abondant.
Les divers symptômes qui viennent d'être passés en revue, leur mode de succession et d'enchaînement, tout, en un mot, concourt, vous l'avez compris, à établir que la lésion spinale dont notre malade est atteinte n'est autre que la myélite trans-verse dorsale chronique avec dégénération scléreuse descen-dante consécutive des faisceaux latéraux. Il me paraît inutile d'insister pour faire ressortir que les troubles sensiiifs variés, énumérés plus haut, que la parésie vésicale et l'émission d'u-rines muco-purulentes, doivent être comptés surtout parmi les symptômes propres à accentuer la démarcation entre cette forme de myélite et le tabès spasmodique.
Dans les cas où la myélite partielle se rattacherait à la com-pression lente de la moelle épinière, elle se caractériserait en outre, en l'absence même des déformations vertébrales, par l'existence de ces pseudo-névralgies dont je me suis appliqué dans le temps à faire ressortir l'importance clinique, et dont l'intérêt, dans la catégorie que nous envisageons, serait d'au-tant plus grand, que ces douleurs se manifestent déjà à titre de prodromes, avant même que les symptômes parétiques se soient dessinés
Si, au lieu de comprendre la moelle dans toute son épais-seur en travers, la lésion, quelle qu'elle soit, restait limitée à une moilié latérale du cordon nerveux, la symptomatologie s'accuserait, suivant le type hémiparaplégie spinale avec anes-
1 Loc. cit., p. 98.
thésie croisée et le diagnostic serait rendu par là plus facile encore à déterminer.
La sclérose latérale amyotrophique a de commun, avec le tabès spasmodique, la parésie suivie de rigidité des membres, l'absence de troubles de la sensibilité, de désordres de la vessie et du rectum : mais elle s'en sépare profondément, pour ainsi dire dès le commencement, par l'alrophie que subissent les masses musculaires sur les membres affectés, par l'évolution plus rapide de la maladie considérée dans l'ensemble, par l'apparition pour ainsi dire régulière, au der-nier lerme, des symptômes bulbaires. D'ailleurs, dans celte affection, ce sont, dans la règle, les membres supérieurs qui, les premiers, sont envahis, contrairement à ce qui a lieu dans le tabès spasmodique2.
Il me reste, en dernier lieu, à signaler les rapports de res-semblance clinique qui, dans certains cas, peuvent exister entre le tabès dorsal spasmodique et la sclérose enplaques des centres nerveux. C'est là, ainsi que je vous l'ai fait pressentir, qu'il faut s'attendre à rencontrer plus d'une fois la pierre d'achoppement du diagnostic. Lorsque la sclérose multilocu-laire se présente avec tout l'appareil si original des symptômes spinaux, bulbaires et cérébraux qui la caractérisent dans son type de complet développement, il n'est certes pas difficile, en général, d'établir son identité ; mais quand il s'agit des formes imparfaites, frustes, comme on les appelle encore, c'est autre chose. Il n'est pas, en effet, si jé puis ainsi parler, une seule des pièces de l'appareil symptomatique en question, qui ne puisse, parfois, faire défaut. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, le tableau clinique de la sclérose en plaques se trouve dans certains cas réduit, à peu de chose près, à la seule
1 Loc. cit., p. 118.
2 Loc. cit., p. 210.
contracture des membres inférieurs, avec ou sans rigidité concomitante des membres supérieurs (forme spinale de la sclérose en plaques) '. Môme, en pareil cas, la coexistence actuelle ou passée de l'un des symptômes dits céphaliques, tels que lenystagmus, la diplopie, l'embarras particulier de la parole, les verliges, les attaques apoplectiformes, les troubles spéciaux de l'intelligence, cette coexistence, dis-je, fournirait un document d'une portée en quelque sorte décisive. Mais, en de-hors de cette combinaison, je ne vois plus sur quelles bases so-lides le diagnostic pourrait être établi : il ne resterait plus guère que la ressource des présomptions. Peut-être une observation plus attentive et plus minutieuse permettra-t-elle de relever quelque jour, soit dans la symptomatologie elle-même, soit dans les circonstances étiologiques encore si peu étudiées, quelques traits nouveaux qui, jusqu'ici, auraient échappé, et qui permettraient désormais, en toute occasion, de tracer entre les deux maladies une démarcation tranchée. L'ave-nir apprendra si nos espérances à cet égard ne sont pas illu-soires
1 Plusieurs cas de ce genre se trouvent réunis dans le mémoire présenté par M. Vulpian, à la Société des hôpitaux (Union médicale, 18S5). M. Charcot en a recueilli quelques autres depuis lors. — Voyez à ce propos ses Leçons sur les maladies du système nerveux, 2e édit., t. I, p. 264.
2 L'une des malades présentées dans cette leçon, comme offrant un exemple de tabès dorsal spasmodique, a succombé. — L'autopsie n'a pas confirmé le diagnostic qui, d'ailleurs, avait été posé avec quelques réssrves. Elle a fait reconnaître l'existence de plaques scléreuses disséminées, limitées à l'étage inférieur des pédoncules cérébraux, aux pyramides antérieures dans le bulbe rachidien, et occupant, dans la moelle épinière, sur certains points, les faisceaux postérieurs (région cervicale), sur d'autres les faisceaux latéraux 'région dor-sale inférieure). Les hémisphères cérébraux étaient dans toutes leurs parties absolument exempts d'altérations. Les détails de cette observation (la 4e dans la thèse de M. Bétous) seront publiés in extenso dans une autre occasion. Nous pourrons relever alors, dans l'histoire de la malade, l'existence de douleurs cervicales et dorso-lombaires, de vertiges, une aggravation de la parésie des membres dans l'obscurité, et diverses autres circonstances encore, qui eussent dû, si l'on y eût prêté plus d'attention mettre sur la voie du diagnostic. Pour le moment nous nous bornons à faire ressortir les difficultés que peut ren-contrer le clinicien lorsqu'il se trouve en présence de certaines formes frustes de la sclérose en plaques.
Chascot. Œuvres complètes, t. ii. 21
SEIZIÈME LEGÓN
3
Des paraplégies urinaires !.
Sommaire. — Préambule. — Point de vue théorique. — Réalité clinique des paraplégies urinaires. — Définition. — Les faits se rapportent à trois groupes.
Myélite consécutive aux maladies des voies urinaires. — Pa rareté chez la femme; sa fréquence chez l'homme. — Conditions de son développe-ment: gonorrhée, rétrécissement de l'urèthre, cystite, néphrite; affections de la prostate ; — pyélo-néphrite calculeuse. — Une exacerbation de la maladie des voies urinaires précède l'invasion des accidents spinaux. — Symptômes : fourmillements, anesthésie, douleur dorso-lombaire et en ceinture. — Paraplégie avec flaccidité : exaltation, puis abolition de l'ex-citabilité réflexe ; — contracture permanente ; —escarres. — Siège etnature dea lésions. — Pathogénie : propagation de la lésion rénale à la moelle par l'intermédiaire des nerfs (Troja, Leyden). — Faits d'expérimenta-tion à l'appui. — Exemples de propagation de l'inflammation des nerfs à la moelle.
Paraplégies urinaires réflexes. — Symptômes. — Interprétation de M. Brown-Séquard. — Expériences récentes. — Phénomène d'arrêt. — Irritation des nerfs périphériques. — Fausses paraplégies. — Névrite descen-dante. — Affections de l'intestin et de l'utérus.
Messieurs,
Je veux vous entretenir aujourd'hui des affections variées qui sont quelquefois désignées sous le nom collectif de para-plégies urinaires. C'est là, vous le savez, un sujet qui? dans ces dernières années, a été l'occasion de bien des con-troverses. Le débat a été vif, passionné parfois de part
1 Cette leçon, faite en juin 1870, a paru dans l'ancien Mouvement Médical, en 1872.
et d'autre ; mais il faut l'avouer, malgré tout, les ques-tions qu'il a soulevées paraissent même aujourd'hui, en partie du moins, enveloppées encore d'une obscurité pro-fonde.
A la vérité, c'est le côté théorique qui semble avoir sur-tout préoccupé les médecins qui ont pris part à ce débat. Il leur a paru plus particulièrement intéressant de rechercher par quel mécanisme une affection préexistante des voies urinaires peut retentir sur le centre spinal, et y déterminer soit une lésion organique, soit un trouble superficiel, se tra-duisant d'ailleurs, dans les deux cas, par un état paralytique ou parétique des membres inférieurs. On s'est beaucoup moins attaché, en général, à établir sur des observations régu-lières les caractères cliniques et anatomo-pathologiques de ces affections spinales conséculives.
Sans doute, l'interprétation pathogénîque est un point de la plus haute importance ; c'est, en quelque sorte, le couronne-ment de toute construction palhologique. Mais encore faut-il, avant même de songer à élever l'édifice, avoir sondé de toutes parts le terrain sur lequel on veut l'asseoir, et s'être assuré de la valeur des matériaux qu'on va mettre en œuvre. Eh bien, Messieurs, dans l'espèce, je n'hésite pas à le déclarer, cette précaution élémentaire a été trop souvent négligée, et telle est, si je me trompe, la raison qui fait que la confusion règne encore sur la plupart des points de l'histoire des paraplégies urinaires.
Vous pressentez, par ce qui précède, que c'est sur le ter-rain de la clinique et de l'anatomie pathologique que je vou-drais vous conduire tout d'abord, dans cette étude des paraplégies consécutives aux maladies des voies urinaires. Nous ne négligerons pas, cependant, le point de vue phy-siologique, et nous essaierons de pénétrer dans cette voie
anssi profondément que cela est possible dans l'état actuel de la science.
I.
Il est indispensable, en premier lieu, de prouver la réalité de l'existence des paraplégies urinaires. Vous savez que, sous ce nom, on désigne des affections paré tiques ou paralytiques des membres inférieurs, survenant dans le cours de certaines maladies des voies urinaires, et paraissant devoir être ratta-chées à celles-ci, à titre d'effet consécutif, daffection deutéro-pathique.
Dès l'abord, il est nécessaire, bien entendu, de rejeter de notre cadre les affections des reins ou de la vessie, qui se pro-duisent non plus comme cause mais au contraire comme con-séquence d'une maladie de la moelle épinière ; nous sommes éclairés maintenant, par nos études antérieures, sur la nature et la genèse de ces affections consécutives des voies génito-urinaires ; il n'est pas nécessaire d'y revenir.
Pour réaliser le but que je me propose, on peut invoquer d'assez nombreuses observations. Le nombre même des faits dans lesquels on voit, au cours d'une maladie des voies uri-naires, apparaître la paraplégie, suffit déjà pour montrer jus-qu'à l'évidence qu'il ne s'agit pas là d'une coïncidence fortuite. Mais, lorsqu'on veut spécifier les caractères cliniques ou ana-tomiques de ces paraplégies et indiquer les circonstances qui président à leur développement, on se trouve en présence d'obstacles de tous genres, et le nombre des faits se réduit alors singulièrement. Quoi qu'il en soit, même en ne tenant compte que des observations régulières, on arrive bientôt, après les avoir comparées, à reconnaître qu'elles doivent être ramenées à des catégories tout à fait distinctes.
1° Un premier groupe comprend les paraplégies urinaires
dans lesquelles la moelle épinière est le siège d'une lésion in-flammatoire et qui, pendant la vie, se révèlent par l'ensemble des symptômes qui appartiennent à la myélite.
2° A un second groupe se rapportent les cas dans lesquels la paraplégie se présente avec des caractères symptomatiques tout différents ; dans ces conditions, on observe plutôt une pa-résie, une faiblesse des membres inférieurs, qu'une paralysie, dans l'acception littérale du mot. Les symptômes sont fugaces, sujets à des amendements et à des exacerbations successives. L'invasion des accidents est quelquefois rapide ; leur cessation peut avoir lieu, elle aussi, tout à coup. D'ailleurs, en dehors du phénomène parésie, on n'observe rien qui rappelle les symptômes graves, propres aux lésions spinales profondes et, de fait, la nécroscopie a plusieurs fois permis de constater en pareil cas l'intégrité, apparente au moins, de la moelle épinière.
C'est, Messieurs, celte forme de paraplégie urinaire, dési-gnée sous le nom de paraplégie réflexe, qui a été surtout l'occasion des discussions auxquelles je faisais allusion tout à l'heure.
3° Le troisième groupe se compose des cas dans lesquels la faiblesse des membres, notée dans le cours de la maladie uri-naire, reconnaît pour cause, non plus une affection spinale, mais bien une lésion des nerfs du plexus sacré produite d'une manière directe, pour ainsi dire, par propagation de proche en proche du travail morbide.
Les deux premiers groupes nous occuperont surtout ; quant au troisième, nous nous bornerons à indiquer rapidement les faits qui le concernent.
Myélite consécutive aux maladies des voies urinaires. — Dans ces circonstances, il s'agit d'une myélite partielle sié-geant, au moins primitivement, à la partie supérieure du renflement lombaire. Cette indication vous permet déjà de prévoir par quelle réunion de symptômes la maladie va s'ac-cuser.
Toutefois, avant d'aller plus loin, il importe de connaître les conditions au milieu desquelles prennent naissance ces myélites consécutives.
Rare chez les femmes, cette sorte de myélite paraît être, en revanche, assez commune chez les hommes. D'ordinaire, elle se développe dans le cours des maladies des voies urinaires de longue durée.
Une gonorrhée plus ou moins prolongée ouvre la scène ; il s'ensuit un rétrécissement qui a pu être l'occasion d'une intro-duction répétée du cathéter. La cystite et la néphrite même ont pu se produire consécutivement. C'est, dans la règle, au milieu de ces circonstances qu'apparaît la paraplégie. — Elle peut se montrer encore, liée à une maladie de la prostate, à une cystite ou à une pyélo-néphrite d'origine calculeuse. On peut considérer comme exceptionnel un cas rapporté par M. Leyden, dans lequel la myélite aurait succédé à une cystite développée sous l'influence d'une simple rétention d'urine 1 occasionnée par un refroidissement.
En général, les accidents spinaux apparaissent plusieurs années seulement après l'invasion de l'affection urinaire, sou-
1 Leyden, Centralblatt, 1865, 1er cas. — Rétention d'urine de plus de qua-rante-huit heures de durée survenue à la suite d'un refroidissement. Cystite con-sécutive. Quatre semaines après la rétention apparaissent les premiers symptô-mes de la paralysie dus membres inférieurs ; à l'autopsie, ramollissement rouge de_la moelle lombaire.
vent deux, cinq, dix ans même. Ils éclatent à l'occasion d'une exacerbation des symptômes de la maladie primitive ou d'une complication inattendue. C'est ainsi que dans un cas rapporté par M. Ogle \ la paraplégie est survenue dans le temps où se produisait une suppuration rénale chez un sujet atteint depuis cinq ans de cystite calculeuse.
Dans une observation analogue citée par le docteur Gull, le ramollissement spinal s'est montré alors qu'en conséquence d'une gonorrhée un abcès s'était produit près du bulbe, éta-blissant une communication entre le rectum et la vessie 2.
Le fait cité plus haut de M. Leyden, et dans lequel la para-lysie survint quatre semaines seulement après une rétention d'urine déterminée par l'impression du froid, montre que la complication spinale peut se présenter d'une façon beaucoup moins tardive, dans le cours d'une maladie des voies uri-naires.
Je ne m'arrêterai pas, bien entendu, à décrire les symp-tômes de la maladie des voies urinaires à laquelle succède l'affection spinale; je ne m'arrêterai pas non plus longuement sur les phénomènes qui révèlent celle-ci, car ils ne sont autres, vous l'avez compris, que les symptômes appartenant à toute myélite transverse siégeant au-dessous du renflement lombaire ou occupant la partie supérieure de ce renflement.
Des fourmillements, des engourdissements, un sentiment de constriction, apparaissent d'abord dans les membres infé-rieurs, et sont bientôt suivis d'une anesthésie ou d'une anal-gésie occupant surtout les extrémités de ces membres ; la douleur dorso-lombaire et la douleur en ceinture font rare-ment défaut. Une paraplégie avec flaccidité plus ou moins complète ne tarde pas à s'accuser, elle s'accompagne, à un moment donné, d une exaltation de l'excitabilité réflexe, la-
1 Transad, of the pathol. Society of London. 1864, t. XV.
2 Med. chir. Trans., t. XXXIX, p. 200, 18S6.
quelle peut faire place à une inexcitabililé absolue, lorsque le renflement lombaire est lui-même envahi par le ramollisse-meni; il est des cas où une contracture permanente s'est dé-veloppée à la longue dans les membres paralysés1. La myélite peut s'étendre parfois au delà de son siège primitif, ainsi que le prouvent plusieurs cas où les membres supérieurs ont été à leur tour envahis par la paralysie. Enfin, dans les cas graves, il est assez habituel que des escarres se forment à la région sacrée, et décident la terminaison fatale.
La marche de cette forme de la myélite est d'ordinaire subaiguë. Toutefois, dans le cas rapporté par le docteur Gull, la mort est survenue quinze jours seulement après le début des accidents paralytiques.
Voici maintenant les renseignements fournis par l'au-topsie. Il est des cas où, à l'œil nu, la moelle paraît ne pré-senter aucune altération ; si alors, ainsi que cela a eu lieu, par exemple, dans l'observation du docteur Gull, on fait intervenir le microscope, des lésions histologiques plus ou moins accen-tuées, et, en particulier, l'existence des corps granuleux, sont mises en évidence. Mais, en règle générale, l'examen le plus superficiel fait reconnaître déjà, dans les parties affectées de la moelle, la diminution de consistance et le changement de coloration qui appartiennent au ramollissement.
Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que la lésion dont il s'agit paraît siéger, originellement du moins, un peu au-dessus du renflement lombaire, c'est-à-dire dans le lieu où, se fondant sur des faits anatomiques et expérimentaux, Budge et Gianuzzi placent le centre gônito-spinal, et d'où parlent les nerfs de la vessie.
Il me paraît suffisamment établi par ce qui précède que la
1 Voir en particulier le cas du célèbre chirurgien Sanson, rapporté par Cru-veilhier.
myélite transverse peut se développer quelquefois comme conséquence plus ou moins directe de certaines affections des voies urinaires. Il convient de rechercher maintenant quelle est la raison de cette relation, ou, en d'autres termes, par quel mécanisme la lésion génito-urinaire retentit sur le centre spi-nal, et y détermine l'inflammation.
L'idée la plus simple, si je ne me trompe, celle qui se pré-sente tout d'abord à l'esprit, est celle-ci : Les troncs nerveux seraient la voie par laquelle, de proche en proche, la lésion se propagerait, en suivant la direction centripète, des reins ou de la vessie, jusqu'à la moelle épinière. C'est là l'opinion à laquelle, dans une intéressante étude publiée récemment, se rattache M. Leyden ', et celte opinion me paraît fort vraisem-blable. J'ajouterai qu'elle n'est pas neuve, car, ainsi que le reconnaît du reste M. Leyden, elle a été émise dès 1780 par Troja, lequel n'ignorait pas, vous le voyez, la paraplégie urinaire.
Il faut reconnaître toutefois que, quant à présent, les résultats microscopiques n'ont pas témoigné à l'appui de cette interprétation pathogénique. On a constaté, d'un côté, les lésions des voies urinaires; de l'autre côté, la lésion spinale ; mais jamais, jusqu'ici, on n'a pu, sur les nerfs, retrouver les traces de la propagation présumée du travail inflammaloire.
Par contre, voici un fait expérimental qui peut, jusqu'à un certain point, être invoqué en faveur de notre hypothèse. Dans une série d'études sur la névrite, un élève de M. Leyden, M. Tiesler 2, avait eu l'occasion d'appliquer sur les nerfs scia-tiques de lapins des agents irritants de nature variée. L'un de ces animaux devint paraplégique et succomba trois jours plus tard ; l'autopsie fît découvrir, dans l'épaisseur du nerf scia-
1 Snmmlung klinisch. Vortrœge. ? 2, Leipzig, 18Tï.
2 Ueber h'euritis, p. 25. Kœnisberg, 1869.— Leyc!cn, loc. cit.
tique, sur le point où l'irritation avait été produite, un premier foyer purulent et un autre foyer dans le canal vertébral autour des racines du nerf, près de leur émergence. La moelle épi-nière, dans la région correspondante, était ramollie et infiltrée de corps granuleux et de leucocytes. La partie du nerf com-prise entre les deux foyers purulents paraissait parfaitement saine.
Tel est, à ma connaissance, le seul fait expérimental se rapportant directement à notre sujet Mais si l'on veut élargir le champ delà question et invoquer les analogies, on pourra faire intervenir ici quelques documents dont la signification ne saurait être méconnue.
Nous avons essayé, en inaugurant les leçons de cette année2, de montrer que les lésions du système nerveux central retentissent quelquefois, par la voie des nerfs, sur diverses parties du corps, pour y déterminer des troubles trophiques. Le phénomène inverse s'observe également, ou, en d'autres termes, il peut se faire que des lésions irritalives, occupant primitivement les parties périphériques, retentis-sent, cette fois encore, par l'intermédiaire des nerfs, sur les parties centrales du système nerveux et y déterminent un travail morbide plus ou moins accentué. Les faits qui témoi-gnent dans ce sens sont peu nombreux encore ; mais ils me paraissent assez significatifs pour que nous leur accordions un moment d'attention.
Vous n'ignorez pas que Graves a, dans plusieurs endroits de ses écrits, émis l'opinion que l'inflammation des nerfs
1 Depuis que celte leçon a été faite (juillet 1870), des résultats du même genre que ceux annoncés par M. Tiesler ont été obtenus par le docteur Feeiberg (Veber Reflex-lahmungen, in Berhnerklin. Wochensch., n° 42, 1871). Voir sur le même sujet les importantes recherches de M. le Dr Hayem. — Des altérations de la moelle consécutives à l'arrachement du nerf sciatique chez le lapin (Arch. de physiologie, 18 3, pl. 111 bis, p. S04.)
2 11 est l'ait allusion ici aux Leçons sur les troubles trophiques consécutifs aux lésions du système nerveux, faites en 1S70 (Tome I, p. 1-152).
périphériques peut se propager jusqu'à la moelle. Lallemand a cité le cas d'une névrite occupant primitivement le plexus brachial et dans lequel l'inflammation aurait remonté jusqu'à l'encéphale. Mais les assertions de Graves et le cas de Lalle-mand sont trop vagues pour que nous nous y arrêtions plus longuement. Voici des faits plus explicites1.
Les altérations des nerfs de la queue de cheval, lorsqu'elles siègent au-dessus du ganglion intervertébral, peuvent re-monter jusqu'à la moelle et y produire les lésions de la dégé-nération grise. Celle-ci occupe, en pareil cas, les faisceaux spinaux postérieurs. Le fait a été mis en évidence par une observation de M. Cornil2.
Huit jours après le début d'une névrite sciatique, déve-loppée sous l'influence de l'asphyxie par la chaleur du charbon, M. Leudet a vu survenir un affaissement parétique, occupant d'abord le membre inférieur correspondant au siège de la névrite, puis s'étendant au membre du côté opposé, et, en dernier lieu, aux membres supérieurs 3.
M. Leyden a emprunté à M. Benedikt le fait suivant : Une fracture du col du fémur, terminée par pseudarthrose, avait été l'origine de douleurs permanentes vives occupant dans toute sa longueur le membre inférieur du côté correspondant à la fracture. Peu après survint une paralysie complète avec atrophie musculaire, dans le membre supérieur, du même côté 4.
Dans un cas très intéressant, relaté par M. Duménil, — qui a donné du fait, je dois vous en prévenir, une interpréta-tion différente de celle que je propose, — on observa succes-sivement une névrite sciatique sur l'un des membres, puis
1 Voir Leudet: Archives générales de médecine, I8fiu, tome II, p. îi2S.
2 Voir Bouchard : Des dégénérations secondaires, p. 42.
3 Leudet, toc cit.
4 Leyden, loc. cit., p. 21.
une paraplégie, et enfin une paralysie des membres supé-rieurs. L'atrophie musculaire, avec diminution de la contrac-tilité électrique, s'empara successivement desmembres frappés d'impuissance motrice. La langue elle-même fut intéressée en dernier lieu. L'autopsie fit reconnaître des lésions remar-quables occupant principalement la substance grise centrale, la substance blanche étant, au contraire, à peine affec-tée \
Je rappellerai enfin un fait qui m'est personnel et que j'ai consigné dans le Journal de Physiologie de M. Brown-Séquard, pour 1856. Il est relatif à une lésion d'un nerf de l'avant-bras ayant déterminé d'abord une névrite du bout périphérique, suivie d'atrophie des muscles de la main et d'une éruption pemphigoïde. Plus tard, le membre supérieur du côté opposé fut à son tour frappé d'atrophie et d'anesthésie \
Il est au moins fort vraisemblable que, dans tous ces cas, les nerfs ont été le siège d'un travail inflammatoire, qui s'est propagé jusqu'à la moelle et suivant toute probabilité jusqu'à la substance grise centrale. En effet, dans la plupart de ces cas, l'anesthésie et l'atrophie musculaire des membres paraly-sés semblent indiquer qu'il s'agissait là d'une forme de la myélite centrale subaiguë, sur laquelle je me propose d'appe-ler bientôt votre attention, et dans laquelle l'atrophie muscu-
1 Gazette hebdoma laire, 1866, p. 51, 67, 84.
2 Voici un cas qui me paraît devoir être considéré comme un exemple de névrite ascendante suivie de myélite transverse: M. X..., âgé de cinquante ans, a élé amputé à l'âge de vingt ans de la cuisse gauche. Depuis plusieurs mois, il ressentait dans son moignon des douleurs vives, des fourmillements et parfois des soubresauts, lorsqu'un jour, en août 1875, survinrent la paralysie vésicale et des douleurs lombaires. Peu après, des fourmillements et des sou-bresauts se produisirent dans le membre inférieur droit, qui bientôt, en même temps que le moignon, fut pris de paralysie motrice avec flaccidité. Au bout de quelques jours de traitement, le malade recouvra les fonctions de la vessie, et quelques semaines après il était capable de sortir de son lit et de marcher, aidé bien entendu de ses béquilles. Un an après, il marchait mieux encore, mais il s'était produit dans le membre inférieur droit un certain degré de rigi-dité permanente. En redressant la pointe du pied on provoquait à coup sûr, dans ce membre, une trépidation très accentuée.
laire et les troubles variés de la sensibilité paraissent être des phénomènes constants1.
III.
Les faits qui constituent le second groupe des paraplégies urinaires sont ceux que Rayer, Brown-Séquard et M. R. Leroy d'Étiolés ont eu surtout en vue dans leurs descriptions. La paralysie se montre ici absolument dans les mêmes circon-stances que dans les cas précédents, et nous retrouvons dans l'étiologie les maladies de l'urèthre, de la vessie, de la prostate et des reins.
Rien donc, sous ce rapport, ne sépare ceux-ci de ceux-là. 11 n'en est plus de même pour ce qui concerne les carac-tères cliniques. Ils diffèrent radicalement, ainsi que je vous l'ai laissé pressentir, de ceux qui distinguent la myélite uri-yiaire.
Le tableau, tracé par M. Brown-Séquard, de ce qu'il nomme la paraplégie réflexe, a eu assez de retentissement pour qu'il ne soit pas nécessaire d'entrer à ce propos dans de longs développements ; je me bornerai à vous remettre en mémoire les traits suivants ; ils vous permettront de saisir les diffé-rences qui existent entre cette forme de paraplégie urinaire, qui s'observe en réalité assez fréquemment dans la pratique usuelle, et celle qui se rattache à la myélite partielle de cause rénale ou vésicale.
La paralysie ne s'étend jamais aux membres supérieurs; il s'agit d'ailleurs plutôt là d'un affaiblissement parétique des membres que d'une paralysie proprement dite ; le pouvoir réflexe de la moelle n'est jamais accru ; jamais la paralysie, soit de la vessie, soit du rectum, ne vient s'adjoindre à celle des membres inférieurs ; on n'observe ni spasmes muscu-
Voirles Leçons IX-XIV sur les Amy atrophies spinales.
laires, ni contracture; la dysesthésie, comme l'anesthésie, font toujours défaut; il se produit ni escarres, ni troubles trophiques d'aucun genre ; on note expressément l'absence de douleurs dorsales et de toute espèce de sentiment de constric-tion abdominale. Enfin, et c'est là un trait bien digne d'être relevé, il se produit souvent une modification rapide et parfois même une cessation complète des accidents paralytiques, sous l'influence d'un amendement dans l'affection des voies urinaires.
En somme, Messieurs, vous le voyez, ce sont là des symp-tômes relativement peu accentués, lorsqu'on les compare à ceux qui relèvent de la myélite urinaire ; jamais, en effet, l'af-fection dont il s'agit ne met, par elle-même, la vie en danger ; il ne paraît pas que jamais elle ait abouti à la myélite, et dans les cas, d'ailleurs assez peu explicites où l'autopsie a été pra-tiquée, la moelle a toujours paru exempte d'altération. A la vérité, quant à présent, le contrôle de l'étude microscopique fait défaut. Mais, d'un autre côté, la rapidité des amendements et des guérisons même observés dans nombre de cas, est telle, qu'il est fort peu vraisemblable que l'investigation mi-croscopique eût rien ajouté aux examens faits à l'œil nu.
Toujours est-il, Messieurs, que cet affaiblissement para-lytique des membres inférieurs, développé en conséquence d'une maladie des voies urinaires, est un phénomène au moins fort curieux, et il n'est pas surprenant qu'il ait oc-cupé si vivement l'attention des physiologistes. Vous n'ignorez pas quelle a été l'interprétation proposée par M. Brown-Séquard. Elle est fondée sur un fait d'expérimentation. La ligature du hile du rein aurait pour effet de déterminer une sorte de contracture prolongée des vaisseaux de la moelle épinière et de ses enveloppes, et c'est en conséquence de l'anémie spinale ainsi développée par voie réflexe que se pro-duirait la paraplégie. La validité de l'expérience a été con-
testée par M. Gull. Je n'insisterai pas là-dessus, n'ayant à invoquer aucune expérience personnelle : mais je ne puis me dispenser de vous exposer brièvement les résultats d'expériences plus récentes, et qui, s'ils ne dévoilent pas complètement le mécanisme des paraplégies réflexes, en dé-montrent cependant tout au moins, si je ne me trompe, la réalité.
Les phénomènes d'arrêt, observés en conséquence de l'ir-ritation de certains nerfs, vous sont bien connus ; vous savez comment l'irritation du nerf vague arrête le cœur, celle du splanchique paralyse l'intestin, et comment, enfin, celle du nerf laryngé supérieur suspend momentanément la respira-tion. Mais ce que l'on connaît moins généralement peut-être, c'est que l'irritation de certains points de la moelle ou des nerfs spinaux est capable, elle aussi, dans de certaines cir-constances, d'apporter un obstacle aux fonctions régulières de la moelle, d'y abolir, par exemple, momentanément, le jeu des fonctions motrices et des actes réflexes.
Si, l'encéphale étant détruit, chez une grenouille, on irrite la moelle épinière, dans sa région inférieure, par l'application d'un caustique, les actes réflexes sont atténués, à un degré remarquable, dans les membres supérieurs, pendant tout le temps que dure l'irritation. Cette expérience appartient à M. Herzen. En voici une autre instituée par le même physio-logiste : encore sur une grenouille, le cerveau et la moelle sont détruits, jusqu'au niveau du plexus brachial. Si alors on irrite par un moyen quelconque le nerf sciatique du côté gauche, par exemple, tant que l'irritation persiste, les mouvements réflexes sont abolis dans le membre inférieur du côté droit. S'il s'agit, entre autres, de l'excitation électrique, les mouve-ments reparaissent aussitôt après la cessation du courantl.
1 Herzen. — Expér. sur les centres modérateurs de l'action réflexe. Turin, 1864.
Les expériences de M. Lewisson 1 offrent, à mon point de vue, plus d'intérêt encore peut-être que les précédentes. Une première série n'est guère que la reproduction des expériences de M. Herzen avec des variantes et quelques modifications qui rendent les résultats plus délicats, plus précis.
Nous ne nous arrêterons qu'aux faits qui touchent de plus près le sujet qui nous occupe. Un premier point, mis en lu-mière par cet expérimentateur, c'est la non-existence d'une paraplégie réflexe consécutive à l'extirpation du rein. L'expé-rience de Comhaire, sur laquelle on a vécu si longtemps, ne donnerait pas les résultats qui lui ont été prêtés. Mais si sur un lapin, après avoir mis à nu l'utérus, les reins, la vessie vide, on presse plus ou moins fortement ces divers organes entre les doigts, il se produit dans les membres inférieurs une paralysie du mouvement, laquelle persiste tant que dure la pression et même lui survit pendant quelque temps. La constriction exercée sur une anse intestinale détermine d'ail-leurs les mêmes effets et est également suivie d'une paraplégie temporaire.
Je suis loin de méconnaître que, à beaucoup d'égards, l'ap-plication de ces résultats à l'explication des paraplégies dites réflexes, prête à la critique. On objectera entre autres que l'ac-tion paralysante, déterminée par la compression des viscères, doit nécessairement s'épuiser au bout d'un certain temps ; que l'irritation des nerfs périphériques résultant de la cystite ou de la néphrite, n'est pas exactement comparable aux effets de la compression de la vessie ou du rein. Tout cela est parfaitement juste. Mais sans aller jusqu'à admettre qu'il y ait, entre les deux ordres de faits, une complète identité, il est permis de reconnaître les analogies qui les rapprochent, et d'espérer que
1 Lewisson. — Ueber Hemmung der Thatigkeit der motorischen Ner-vencentren durch Reizung sensibler nerven (Dubois'Archiv, 1869. S. 25o-2t6). — Nothnagel, — Virchow's Archiv, janvier 1870 ; — Centralblatt, 1869, p. 623
le fait expérimental mettra quelque jour sur la voie de l'inter-prétation du fait clinique.
IV.
11 existe, ainsi queje vous l'ai annoncé en commençant, un troisième groupe de paralysies urinaires. Les cas, en fort petit nombre, qui le composent, quant à présent, sont des exemples de fausses paraplégies, en ce sens du moins que ce n'est pas la moelle qui est atteinte. Les choses se passent, en pareil cas, comme dans l'observation bien connue rapportée par M. Kussmaul i. Dans ce fait, une névrite descendante par propagation directe, s'était développée en conséquence d'une inflammation grave des voies urinaires, et avait occupé les plexus lombaire et sacré. Pendant la vie, outre la parésie des membres inférieurs, on avait noté l'existence de douleurs vives sur le trajet des deux nerfs sciatiques. Les cas de ce genre paraissent rares, je le répète, contrairement à l'opinion de Remak, qui semble croire que c'est là la forme la plus ha-bituelle des paraplégies urinaires.
Les modes pathogéniques qui viennent d'être passés en revue ne sont pas d'ailleurs les seuls qui puissent être invoqués pour expliquer le développement des paraplégies consécutives aux maladies des organes génito-urinaires. C'est ainsi que dans un des cas rapportés par M. Gull, une phlébite consé-cutive à un abcès du petit bassin, provoqué lui-même par une cystite ulcéreuse, s'était propagée jusqu'aux veines intra-spina-les. Il en résulta, par un mécanisme facile à saisir, une myélite partielle, bientôt suivie de mort.
Vous n'ignorez pas, Messieurs, que les lésions uro-génitales n'ont pas seules le pouvoir de déterminer des paralysies du
1 Wurzburg. Verhand, 1868.
C.habcqt. Œuvres complétée, t. n. 22
338 S'ARAPLÉGIES URINA1RES : TROISIÈME VARIÉTÉ
genre de -celles que nous venons d'étudier. Diverses affections de l'intestin ou de l'utérus peuvent, elles aussi, bien que plus rarement, être suivies des mêmes résultats. Je me borne à signaler le fait pour le moment ; il mérite de fixer votre atten-tion d'une manière toute spéciale.
Document numérisé par la Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie - UPMC - Cote : WZ 7 CHA
DIX-SEPTIÈME ET DIX-HUITIÈME LEÇONS
il
Du vertige de Meniere.
(Vertigo ab aure lœsa.)
sommaire. — Un cas de vertige de Meniere. — Description du cas. — Vertige habituel exagéré par les mouvements. — Caractères de ce vertige : exacer-bations paroxystiques ; — mouvements subjectifs de translation. — Lésions anciennes des oreilles : écoulement de pus, altération du tympan. — Marche et station impossibles. — Évolution de la maladie. — Complica-tion : attaques d'hystérie.
Historique. — Le vertige de Meniere est encore peu connu. — Diagnostic : congestion cérébrale apoplectiforme ; — petit mal épileptique ; — vertige gastrique. — Relation entre le développement soudain des bruits d'oreille et l'invasion des sensations vertigineuses.
Maladies de l'oreille : otite labyrinthique, otite moyenne, catarrhe, etc. — Pronostic. — Guérison par surdité. — Traitement.
Maladies réputées incurables. — Exemples de guérison. — Cas de vertige de Meniere. — Situation de la malade en mai 1875 : sensations vertigineu-ses permanentes ; — crises annoncées par un sifflement aigu. — Hallucina-tions motrices. — Traitement par le sulfate de quinine ; doses, effets : amen-dement remarquable. — Autre exemple d'amélioration, due à l'usage prolongé du sulfate de quinine.
I.
Messieurs,
Je désire appeler votre attention sur un cas très intéressant, à mon avis, et dont vous n'avez fort probablement pas vu sou-vent l'analogue dans les hôpitaux. Les symptômes se présen-tent, ici, sous une forme très accentuée, mais anormale à quel-
ques égards; si bien que l'affection qui est en cause en est rendue, jusqu'à un certain point, d'un diagnostic difficile. Vous pouvez tout d'abord constater de visu l'air de profond effare-ment qu'exprime la physionomie de la malade. Si l'on appro-che de son lit, elle donne aussitôt des signes d'une grande anxiété : vous la voyez, à la moindre impulsion qu'on lui com-munique, se cramponner aux objets environnants comme si elle se sentait menacée de tomber.
C'est que, en effet, elle se trouve sous le coup d'un état ver-tigineux, pour ainsi dire perpétuel, et que les moindres mou-vements exaspèrent. Ce vertige elle le peint elle-même en ter-mes pittoresques. C'est, dit-elle, la sensation qu'on peut ressentir lorsque, placé au sommet d'une tour élevée, on n'est pas protégé par un garde-fou ; ou bien encore, c'est le senti-ment que produit la vue d'un précipice. Ce vertige, je le répète, est à peu près incessant ; il existe aussi bien la nuit que le jour, aussi bien dans le décubitus dorsal que dans la station verticale. Cette dernière situation l'exagère toutefois énormé-ment. Il en est de même, je l'ai dit, des moindres mouve-ments imprimés au lit et, lorsque tout à l'heure on soulèvera la malade pour la transporter dans la salle qu'elle occupe habi-tuellement, vous l'entendrez peut-être, en proie à une exaspé-ration des sensations vertigineuses, pousser des cris violents.
Par moments, au milieu d'un calme apparent, et sans pro-vocation aucune, la malade, vous allez sans doute en être témoins, est tout à coup prise d'un soubresaut. Si on l'inter-roge alors sur la cause de ce brusque mouvement, elle répond invariablement qu'elle vient d'éprouver son accès. C'est qu'en réalité, en outre de l'état vertigineux habituel, que j'essayais de peindre à l'instant, il y a chez elle des exacerbations par-oxystiques du vertige, qui constituent des sortes d'accès. Ceux-ci paraissaient être caractérisés surtout par la sensation d'un brusque mouvement de translation, non pas des objets envi-
ronnants, mais bien du sujet lui-même, mouvement tout sub-jectif et dont le tressaillement est le seul indice extérieur. Cependant la conscience ne subit aucune obnubilation et la malade, au sortir de la crise, peut rendre compte de ce qu'elle a éprouvé. Tantôt, et le plus souvent, il lui semble qu'elle exé-cute une culbute en avant ; d'autres fois la culbute se fait en arrière. Enfin, ceci est le cas le plus rare, il se produit la sen-sation d'une rapide rotation du corps autour de son axe verti-cal, cette rotation, s'opérant constamment de gauche à droite. Quoi qu'il en soit, cette sorte d'hallucination motrice est con-stamment suivie d'anxiété vive, de pâleur du visage, de sueurs froides. Enfin des nausées et aussi parfois des vomissements terminent la crise, après quoi l'état vertigineux redescend à son taux pour ainsi dire normal.
En outre des phénomènes qui viennent d'être signalés, il en est un encore, Messieurs, qui mérite d'être relevé d'une manière toute spéciale, parce que, dans l'espèce, il est, je pense, au point de vue du diagnostic surtout, d'une impor-tance capitale. Je veux parler d'un sifflement qui, chez notre malade, occupe les deux oreilles, mais l'oreille gauche d'une manière prédominante. Ce sifflement existe à peu près con-stamment à un certain degré, mais s'exaspère par instants et acquiert alors parfois une acuité extrême. De fait, la malade le confond quelquefois avec le bruit strident que produisent dans la gare du chemin de fer voisin de l'hospice, les sifflets des locomotives ; il lui est arrivé d'interroger ses voisines pour s'éclairer à ce sujet. Cette exacerbation du sifflement habituel annonce toujours, Messieurs, — c'est là un point qu'il importe de faire ressortir, — la venue prochaine de l'accès vertigineux. Dès qu'il acquiert ce caractère aigu, « les culbutes » sont immi-nentes.
L'apparition constante des symptômes, dans les circonstan-ces qui viennent d'être indiquées, devait diriger notre atten-
tion du côlç des oreilles, et voici ce que l'examen nous a fait reconnaître : 1° Il se produit de temps à autre, depuis fort long-temps, des écoulements de pus mêlé de sang par les deux oreilles, par la gauche surtout; 2° à droite, la membrane du (ympan est épaissie, couverte de dépôts verdâtres ; à gauche,, elle a disparu, et elle est remplacée par des bourgeons fon-gueux. Il y a de ce côté un affaiblissement considérable de l'ouïe. — Ces diverses lésions ont été, du reste, régulièrement constatées par un médecin plus particulièrement versé dans l'étude des maladies de l'oreille et qui nous a obligeamment prêté son concours.
Sous la forme extraordinairement accentuée qu'il revêt chez notre malade, cet ensemble symptomatique, que l'on désigne vulgairement sous le nom de maladie de Ménière, est sans doute difficile à reconnaître ; il n'en est plus de même si, par l'étude des antécédents, on se reporte à quelques années en arrière, c'est-à-dire à une époque où les crises pour ainsi dire dissociées se produisaient d'ailleurs avec des caractères qui rappellent dans ses traits principaux la description classique.
Il n'y a guère plus de six années, eh effet, que chez G. l'état vertigineux s'est établi d'une façon permanente, de manière à rendre la marche, la station même impossibles et à nécessiter le confinement au lit. Avant cette époque, les accès ont été durant longtemps distincts, séparés par des intervalles plus ou moins longs durant lesquels tout semblait rentrer dans l'ordre. C'est ce que nous apprennent les détails de l'observation que M. Debove a recueillie avec le plus grand soin.
Il faut faire remonter les premiers accidents vers l'âge de 17 ans ; — aujourd'hui G... est âgée de SI ans. — 11 s'est agi tout d'abord d'une affection de l'oreille gauche, marquée sur-tout par des élancements douloureux qui, maintes fois, ont troublé le sommeil; les écoulements de pus mêlé de sang ont été fréquents dès cette époque. Pendant longtemps, la malade
Afin de ne point surcharger un tableau clinique déjà fort complexe, j'ai négligé à dessein de vous entretenir de certains accidents nerveux que Gir... a éprouvé pendant une bonne
a été placée sous la direction de Ménière. — Les accès verti-gineux, d'abord rares et peu intenses, se sont progressivement accentués et rapprochés ; mais dès l'origine ils paraissent avoir présenté, en raccourci, il est vrai, les caractères plus accentués qui les distinguent aujourd'hui. Ainsi, la malade se souvient fort bien qu'entre la 25e et la 38e année il lui arrivait fréquem-ment, étant assise, d'éprouver tout à coup des bourdonne-ments d'oreilles très intenses, et aussitôt il lui semblait que sa chaise se brisait sous elle... Elle poussait un cri, se levait vive-ment, et tout était fini. Plus tard, vers Page de 38 ans, les bourdonnements prémonitoires firent place à des sifflements aigus et en même temps les nausées et les vomissements com-mencèrent à faire partie intégrante des accès. Ceux-ci surve-naient souvent dans la rue ; Gir... éprouvait -ejors le plus habi-tuellement la sensation d'une chute en avant et elle se voyait obligée, pour ne pas tomber, de s'appuyer contre le mur.
Ils se montraient aussi fréquemment, à la maison, aux heu-res de travail, et Gir..., dans le cours des années qui ont précédé son admission dans cet hospice, avait pris l'habitude singulière de se placer, durant les heures qu'elle passait chez elle, dans une position telle que sa tête fut légèrement renversée en ar-rière, les jambes étant un peu élevées. Grâce à celte position qui lui est habituelle encore aujourd'hui, les vertiges se mon-traient, assure-t-elle, moins fréquents et moins pénibles.
Vers l'âge de 43 ans, les accès s'étaient rapprochés au point de devenir pour ainsi dire subintrants : peu de temps après la malade fut admise à la Salpêtrière, où elle est depuis six ans sous nos yeux, dans l'état lamentable où vous la voyez aujour-d'hui.
Il existe, Messieurs, de très importants travaux concernant la symptomatologie du vertigo ab aure Isesa. Je citerai, par exemple, la communication faite à l'Académie de médecine le 8 juin 1861, par Ménière, qui, vous le savez, a été, sans con-teste, l'initiateur ; puis les descriptions tracées de main de maître par Trousseau en divers endroits de la Clinique médi-cale de lHôtel-Dieu (t. II, p. 28 ; t. III, p. 11). Je citerai encore un très important mémoire du docteur Knapp (de New-York), où se trouvent rassemblés la plupart des éléments recueillis sur la matière jusqu'à ce jour (Knapp et Moos, Archives of opthalmology and otology, t. 1, n° 1, New-York, 1870) ; enfin un excellent article publié par M. Duplay dans les Archives de médecine.
Néanmoins, je crois pouvoir avancer que, malgré ces tra-vaux, la connaissance de l'état pathologique dont il s'agit n'est pas encore entrée comme elle le mérite dans lapratique usuelle. Bien que les cas de maladie de Ménière ne soient pas rares, tant s'en faut, au moins dans la clinique civile, ils sont à peu près toujours méconnus, rattachés qu'ils sont à des espèces plus vulgaires telles, en autres, que la congestion cérébrale apoplectiforme ou coup de sang, le pelit mal épileptique, ou encore et surtout, le vertige gastrique. J'ai été maintes fois témoin, pour mon compte, d'erreurs de ce genre. Je citerai à
partie de sa vie et dont elle porte encore les traces. Il s'agit d'accès d'hystérie convulsive qui se sont entremêlés souvent aux accès de vertige ab aare Isesa, sans jamais cependant se confondre avec eux. Actuellement les accès convulsifs ont dis-paru et l'hystérie depuis plusieurs années n'est plus représen-tée que par une hémianesthésie gauche incomplète, avec ova-ralgie du même côté.
II.
titre d'exemples le cas d'un malade auquel j'ai donné des soins et qui, étant tombé sur la place de la Bourse par le fait d'un accès de vertige labyrinthique, avait été soumis à la pratique des émissions sanguines. Le véritable caractère de la maladie ne fut reconnu que fort tard, à une époque où les accès, d'ail-leurs d'une grande intensité, s'étaient reproduits déjà un grand nombre de fois. Une surdité complète, absolue, des deux oreil-les mit fin à tous les symptômes. Je puis citer aussi le cas d'une jeune personne américaine considérée depuis longues années comme épileptique et traitée en conséquence, à la vérité sans le moindre amendement, par l'emploi de doses élevées de bromure de potassium. Il me serait facile de multiplier ces exemples.
L'erreur dans quelques cas est jusqu'à un certain point jus-tifiée par les difficultés, en réalités parfois très sérieuses, que peut offrir le diagnostic. Je crois pourtant que, dans la règle, le vertige labyrinthique se présente avec un ensemble de traits suffisamment caractéristiques pour que son identité puisse être déterminée sans trop de difficultés. Je vous demande la permission de relever les principaux de ces caractères ; car si je parvenais à les faire pénétrer dans votre esprit, ils vous mettraient en mesure, j'en ai la conviction, d'éviter à peu près toujours les écueils que je signalais tout à l'heure.
En premier lieu, je ferai ressortir l'intime relation qui existe entre le développement soudain des bruits d'oreille, ou l'exaspération brusque de ces bruits, et l'invasion des sensa-tions vertigineuses. En réalité l'un des traits spécifiques du vertige de Ménière, c'est qu'il est nécessairement annoncé et accompagné par les bruits en question. Sans doute les tinte-ments, les bourdonnements et les sifflements d'oreille sont un phénomène quelque peu banal et qui accompagne fréquemment diverses espèces de vertige autre que celui qui se rattache à
la maladie de xMénière, mais dans cette dernière affection il acquiert, au moment de l'accès, une prédominance et une in-tensité qui ne s'observent certainement pas ailleurs. C'est, d'après le récit des malades, « le bruit strident d'un sifflet de locomotive » ou le fracas qu'on produirait « en secouant vio-lemment un sac rempli de clous » ; c'est encore le bruit « d'une fusillade ou d'un feu d'artifice ». Ce bruit occupe exclusivement ou surtout une des oreilles. Il cesse avec l'accès vertigineux dans les cas récents ou légers ; mais tôt ou tard, si le cas est grave, il devient persistant, dans les intervalles, sous la forme atténuée d'un bourdonnement, d'un tintement plus ou moins incommodes, l'oreille affectée d'ailleurs ne manque pas de présenter bientôt une annihilation de l'ouïe plus ou moins prononcée et permanente.
L'attention du médecin une fois éveillée par ces phénomè-nes, l'examen de l'appareil auditif lui fait reconnaître toujours l'existence de symptômes locaux et accusant soit l'otite laby-rinthique idiopathique, soit l'otite moyenne sclérémateuse avec ankylose des osselets et propagée au vestibule et au laby-rinthe, soit encore un simple catarrhe de l'oreille, comme il résulte d'une observation publiée par M. Green (Bostoïi Med. and Sur g, 21 janvier 1869) et rappelée par M. Knapp. Il y a lieu de croire, d'ailleurs, d'après l'ensemble des faits, qu'une pression quelconque exercée sur le tympan et propagée au labyrinthe par la chaîne des osselets, suffit à déterminer les symptômes du vertige de Ménière.
Pour ce qui est maintenant du vertige considéré en lui-même, il offre lui aussi quelques caractères spéciaux. C'est le plus souvent, si j'en juge par les dix ou douze observations qui me sont personnelles, la sensation d'un mouvement de translation du corps tout entier, d'avant en arrière, de manière à figurer, suivant le cas, une chute en arrière ou en avant; c'est encore, lorsqu'il s'y adjoint un sentiment de rotation autour d'un
axe transverse, une véritable culbute, voire même un saut de tremplin. Parfois la rotation du corps semble s'opérer, au contraire, autour d'un axe vertical soit de gauche à droite, soit de droite à gauche. Il est des maladies,' qui, dans leurs divers accès croient éprouver tantôt l'un, tantôt l'autre de ces modes de rotation. Il s'agit là, en général, remarquez-le bien de mouvements tout à fait subjectifs, de véritables hallucina-tions qui ne se traduisent à l'extérieur que par un soubresaut, un mouvement de surprise, parfois la nécessité où se trouve le malade, pour ne pas tomber à terre, de se cramponner aux objets environnants, ou de s'asseoir. Mais il peut arriver qu'une chute ait lieu effectivement, et que le malade soit précipité à terre violemment, dans le sens correspondant à la sensation vertigineuse. Je puis citer à ce propos le cas d'une dame qui, dans ses accès, se sentait toujours précipitée la tête en avant, et qui, de fait, dans l'un d'eux, tomba lourdement sur la face, et se brisa les os du nez. Je n'ignore pas que le sentiment de rotation ou de translation peut s'observer dans les espèces de vertiges les plus divers, mais je crois pouvoir affirmer qu'on ne le trouve jamais là, ni aussi accentué, ni aussi constant qu'il l'est dans le vertige de Ménière.
Il importe de faire remarquer que pendant la crise, quelle qu'en soit du reste l'intensité, le malade conserve absolu-ment la parfaite conscience de ses actes, et que les premiers effets du saisissement une fois dissipés, il se trouve immé-diatement en mesure de rendre, sans embarras, un compte exact et détaillé de tout ce qu'il a ressenti.
A titre de phénomènes accessoires, je signalerai ce qui suit : D'une façon à peu près constante, des nausées et des vomisse-ments marquent la fin delà crise. Pendant la durée de celle-ci, la face est pâle, la peau est froide et couverte de sueur, de façon à reproduire l'image de la syncope bien plutôt que celle du coup de sang. Il peut exister une céphalalgie transitoire,
plus ou moins vive. Jamais il n'y a d'embarras de la parole, de spasmes musculaires, soit dans la face, soit dans les membres; jamais dans ceux-ci on n'observe ni fourmillements, ni engour-dissements, ni sensations quelconques rappelant une aura ; jamais de paralysie ni de parésie temporaires.
A l'origine, c'est-à-dire lorsque la maladie de Ménière en est encore à ses débuts, le vertige apparaît sous forme de crises dis-tinctes, de courte durée, séparées par des intervalles de calme absolu, pendant lesquels les symptômes de la maladie locale, d'où ils dérivent, persistent seuls. Mais, dans le cours naturel des choses, à mesure que l'affection progresse, les cris tendent à se rapprocher, à se confondre, de manière à constituer enfin un état vertigineux, pour ainsi dire permanent, au milieu duquel se dessinent des paroxysmes plus ou moins fréquents et qui reproduisent tous les phénomènes des anciennes crises. La malade que je vous ai présentée offre un exemple très ac-centué de ces crises subintrantes, qu'il est en quelque sorte habituel d'observer, je le répète, chez les sujets en proie, depuis de longues années, aux formes graves de la maladie de Ménière.
Vous comprenez aisément, Messieurs, l'usage qu'on peut faire de tous les éléments qui viennent d'être rassemblés, dans l'intérêt du diagnostic.
Je me réserve de vous faire connaître dans une autre occa-sion ce que l'on sait de plus positif relativement à Yanatomie pathologique et à la théorie. En ce qui concerne celle-ci, des expériences de Flourens, de MM. Brown-Séquard, Vulpian, Czermak, Gall, Lœwenberg, lesquelles consistent à produire chez les animaux des lésions diverses des canaux demi circu-laires, ont fourni, nous ne l'ignorons pas, des données impor-tantes. Aujourd'hui, je terminerai par quelques renseigne-ments ayant trait au pronostic et à la thérapeutique.
Il est très remarquable de voir que, dans la règle, les lésions graves des centres nerveux qui sont si fréquemment la conséquence des diverses maladies de l'oreille interne, n'in-terviennent pas habituellement dans la maladie de Ménière, alors même que celle-ci en est arrivée à son plus haut degré d'intensité. Voici comment les choses se passent le plus com-munément dans les cas les plus prononcés : la surdité s'accuse progressivement et, à un moment donné, elle devient com-plète, absolue.
Les symptômes vertigineux et les sifflements marchent pour ainsi dire du même pas, en ce sens qu'ils s'atténuent progres-sivement et enfin disparaissent. Il en a été ainsi, par exemple, chez le malade dont je vous ai parlé plus haut et qui, dans un de ses accès, est tombé sur la place de la Bourse. Sujet aux sifflements et aux vertiges depuis 1863, il s'en trouve aujour-d'hui complètement délivré. Mais par contre, il est devenu sourd, tellement sourd, que bien qu'il demeure à proximité du Champ-de-Mars, il n'a absolument rien entendu le jour de l'explosion de la poudrière de l'avenue Rapp (1871). Je me suis souvent demandé s'il n'y aurait pas lieu de chercher, par une intervention quelconque, à hâter ce dénouement, au moins dans les cas graves, lorsque, par exemple, les malades en sont réduits à l'état lamentable où vous avez vu la nommée Gir... ; c'est un point de vue que j'offre à vos méditations.
Quoi qu'il en soit, je ne dois pas vous cacher que le vertige de Ménière résiste très souvent aux traitements les mieux diri-gés. J'ai vu cependant plusieurs fois le vertige lié à un ca-tarrhe de la caisse s'amender et même disparaître sous l'in-fluence du traitement vulgaire de cette dernière affection ; c'est le lieu de vous remettre en mémoire le cas très intéres-sant, observé par M. Hillairel, et dans lequel les vertiges ces-sèrent complètement après l'ouverture d'un abcès de l'oreille moyenne.
Messieurs,
J'ai pensé qu'il y aurait intérêt à inaugurer les Conférences de cette année2 en vous montrant, à la Salpêtrière, — c'est-à-dire dans un établissement consacré pour une large part aux cas chroniques réputés incurables — deux exemples de gué-
1 Cette leçon a été faite en janvier 1874, et a paru pour la première fois dans ie Progrès médical (nos 4 et 5 de 1874).
2 Leçon faite en novembre 1875, et publiée dans le n 50 du Proarès médical de 1875.
L'application de révulsifs énergiques ne doit pas être négli-gée dans les cas intenses. Je citerai à ce propos le fait suivant dont j'ai été témoin récemment : Un de nos confrères de pro-vince, — aujourd'hui âgé de 44 ans, — éprouva pour la pre-mière fois, il y a six ans, de la pesanteur de tête et des bour-donnements d'oreille revenant par accès. Quelques mois plus tard, se trouvant à la campagne, seul, en voiture, il ressentit tout à coup des sifflements insupportables dans l'oreille gauche et en même temps sa tête, devenue pesante, semblait l'en-traîner en avant. Il fut obligé de descendre de voiture et de se coucher un instant le long du chemin. Des nausées, suivies de vomissements de matières glaireuses mêlées de bile, termi-nèrent la crise. Des accès du même genre se produisirent fré-quemment depuis cette époque, en même temps que l'ouïe s'affaiblissait du côté de l'oreille malade. L'examen ne fit dé-couvrir autre chose, de ce côté, qu'un certain degré d'épaissis-sement de la membrane du tympan. Tous les traitements mis en œuvre ayant échoué, je proposai faute de mieux, l'appli-cation de pointes de feu sur la région mastoïdienne gauche. Les applications furent répétées trois ou quatre fois. A la suite de ce traitement, tous les symptômes se sont très manifeste-ment atténués *.
rison ou tout au moins d'amendement équivalant, ou peut s'en faut, à une guérison. Le terme de maladies incurables, cela va de soi, ne saurait être pris dans un sens absolu, car s'il s'applique aux cas qui réellement ne comportent pas de remède, il s'applique aussi à ceux pour lesquels le remède n'a pas encore été trouvé, mais peut être trouvé.
Les faits qui vont vous, être présentés forment deux groupes bien distincts : dans l'un, la guérison ou l'amendement se sont produits spontanément, sans l'intervention de l'art ; dans l'autre, ils ont été voulus, cherchés, prémédités. J'insisterai particulièrement sur un cas qui appartient au dernier groupe.
Il s'agit, Messieurs, d'une malade que je vous ai fait voir pour la première fois, il y a deux ans, et que je vous ai mon-trée de nouveau l'an passé. Je n'entrerai pas dans de longs développements à propos de l'histoire clinique de ce cas ; vous pouvez la lire dans le Progrès médical1 qui en a consigné tous les détails. Elle a été reproduite, d'ailleurs, dans la plupart des feuilles médicales françaises et étrangères. Je me bornerai à relever les traits les plus saillants de cette histoire afin, sur-tout, de vous mettre à même de bien reconnaître quel était l'état des choses au moment où la thérapeutique est inter-venue.
C'est à mon sens un très bel exemple de la maladie de Ménière ou pour mieux dire du vertige de Ménière, car le syn-drome auquel se rapportent ces dénominations ne répond pas exclusivement à un seul état morbide, il peut se montrer com-mun à des affections très diverses.
La situation à cette époque, c'est-à-dire en mai dernier, était absolument la même qu'en 1874 ; c'est-à-dire que G... était, depuis plusieurs années, littéralement confinée au lit, sous le coup d'un état vertigineux pour ainsi dire permanent
1 1874, nos 4 et 5. M. Charcot fait allusion à la leçon précédente.
et rendue par là à peu près incapable d'exécuter spontané-ment des mouvements un peu étendus. Les moindres mouve-ments communiqués au lit exaspéraient aussi, à un haut degré, la sensation vertigineuse, et beaucoup d'entre vous n'ont pas oublié sans doute l'anxiété profonde peinte sur le visage de la malade, les cris déchirants qu'elle poussait, lorsque nous avons dû, les années précédentes, la faire transporter sur une civière dans la salle des Conférences.
En outre de cet état vertigineux, en quelque sorte habituel, et qu'accompagne un bruissement incessant perçu dans l'o-reille, G... était sujette à éprouver de temps à autre de grandes crises vertigineuses. J'ai insisté beaucoup, dans le temps, sur la description de ces crises, parce que je crois qu'elles consti-tuent le fait symptomatique fondamental, dans la maladie de Ménière, tandis que l'état vertigineux habituel peut être, en quelque sorte, considéré comme une complication, un ôpiphé-nomène, ne se montrant que dans des cas exceptionnels.
Les accès dont il s'agit sont, vous vous en souvenez, tou-jours annoncés et immédiatement précédés par la sensation d'un bruit aigu, perçant, qui survient tout à coup et qui, chez G..., en particulier, — comme d'ailleurs chez beaucoup d'au-tres malades du même genre, — simule, paraît-il, jusqu'à s'y méprendre, le bruit strident d'un sifflet de chemin de fer. J'ai été amené à considérer ce brusque sifflement comme un des éléments constants, nécessaires, et par conséquent comme un caractère du vertigo ab aare lœsa. Tout récemment M. le Dr Lussana, dans une série d'articles intéressants qu'a publiés la Gazetta medica Italiana Lombardia (1875, t. XXXV, série VII. T. II, nos 43 et suivants, octobre), a confirmé ce point qui intéresse à la fois la clinique et la physiologie pathologique.
Quant au vertige lui-même, il se montre chez G... conforme au type classique : sensation, succédant au sifflement, d'un brusque mouvement de translation, par suite duquel la malade
se croit tout à coup, comme par l'impulsion d'une force exté-rieure, précipitée soit en avant, soit en arrière. Les impulsions dans le sens latéral sont chez elle beaucoup plus rares ; absence de perte de connaissance, nausées et quelquefois vomisse-ments à la fin de l'accès.
Je vous rappellerai en passant que cette sorte d'hallucination motrice n'est point, passez-moi l'expression, toujours plato-nique ; je vous ai cité plusieurs cas dans lesquels les malades effectivement entraînés par le vertige, sont tombés lourde-ment sur la face ; l'un d'eux s'est fracturé les os du nez ; un autre, dont je vous parlerai dans un instant, s'est cassé plu-sieurs dents.
Je terminerai en faisant remarquer que, chez G..., la mala-die est fort ancienne, les premiers symptômes remontent au-delà de dix années ; qu'il existe du côté gauche une lésion de la caisse avec épaississement de la membrane du tympan et écoulement habituel de pus mêlé de sang.
Actuellement que vous avez présent à l'esprit l'ancien ta-bleau symptomatique, je vais entrer dans quelques développe-ments pour vous dire dans quelles circonstances s'est produit l'amendement qui fait qu'aujourd'hui G... peut se tenir debout, comme vous le voyez, et marcher sans aide ; rester toute la journée tranquillement assise sur un fauteuil, et subir enfin, sans trop d'émotion, toutes les secousses, tous les ébranle-ments qu'on lui imprime par curiosité.
Lors de ma conférence relative au vertige de Ménière, faite en 1874, j'émis quelques considérations thérapeutiques. Je re-levai entre autres que le vertige, ab aurelxsa, même le plus invétéré, guérissait quelquefois spontanément, quand le ma-lade devenailcomplètement et irréparablement sourd, et cessait d'éprouver le sifflement. Je me suis aussi demandé s'il ne serait pas possible de provoquer à dessein, par intervention
Chabcot. Œuvres complètes, t. ii. 23
chirurgicale, ce résultat souvent souhaitable. Je préconisai aussi l'emploi des pointes de feu sur les apophyses mastoïdes. Le moyen que j'ai mis en œuvre dans le cas sur lequel j'ap-pelle votre attention, est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup moins radical.
L'idée m'est venue que, à l'aide du sulfate de quinine, qui, chacun le sait, détermine, entre autres phénomènes, des bruis-sements, des bourdonnements d'oreilles plus ou moins accen-tués, on parviendrait peut-être, en prolongeant suffisamment l'emploi de doses assez élevées, à produire des modifications durables dans le fonctionnement du nerf auditif. Le résultat a justifié, vous allez le voir, ces prévisions.
Giraud... a pris le sulfate de quinine à la dose de 0,50 cen-tigrammes à un gramme par jour, d'une façon régulière, — à part plusieurs interruptions de quelques jours, nécessitées par des douleurs gastriques, pendant toute la durée du mois de mai et du mois de juin et les 20 premiers jours de juillet.
Vers le commencement de juin, c'est-à-dire environ cinq semaines après le début du traitement, on remarqua que, depuis quelques jours déjà, la malade pouvait être secouée dans son lit, transportée même d'un lit dans un autre, sans pousser des cris de détresse, comme elle le faisait régulière-ment en pareil cas.
Interrogée, elle nous apprit que les sifflements aigus avaient, vers la même époque, diminué d'abord d'intensité puis cessé complètement, et du même pas, les grandes crises vertigineu-ses. Le bourdonnement permanent avait été remplacé par un bruissement tout différent dans son caractère, et qui paraît devoir être rattaché à l'action de la quinine. Encouragé par ces premiers résultats, j'engageai G... à se lever et à essayer de se tenir debout, de marcher. Elle refusa tout d'abord éner-giquement, redoutant de voir reparaître les vertiges et jugeant d'ailleurs la tentative impraticable, pour ne pas dire plus...
J'insistai: enfin, elle consentit et un beau jour, soutenue par deux aides, elle parvint à faire, non sans de grands efforts, deux ou trois pas rendus très difficiles, paraît-il, par une sensi-bilité excessive de la plante des pieds, plutôt que par l'état vertigineux. J'exigeai que l'expérience fût répétée chaque jour. Les progrès furent assez rapides, car vers le 20 juillet, époque à laquelle le sulfate de quinine a été supprimé, G... avait pu faire déjà plusieurs fois, avec une démarche assez assurée, sans autre aide que le secours d'une canne, le tour de l'en-ceinte intérieure de ce vaste hospice. Le mal depuis cette épo-que n'a fait aucun retour agressif et vous pouvez juger par vous-mêmes, que l'attitude du corps et la démarche ne s'éloi-gnent pas beaucoup chez elle de celles d'une personne en bonne santé. J'ajouterai qu'elle n'est ni plus ni moins sourde qu'auparavant. Ce n'est donc pas, vous le voyez, en détermi-nant la paralysie complète du nerf auditif que le sulfate de quinine aurait agi dans ce cas.
Le fait sur lequel je viens d'appeler votre attention n'est pas unique dans son genre, j'en pourrais citer plusieurs autres où l'heureuse influence de l'usage prolongé du sulfate de quinine a été constatée. Je me bornerai à citer l'un d'eux, particuliè-rement intéressant, parce que le résultat obtenu a été contrôlé par plusieurs confrères.
Je fus appelé, en juin 1875, pour donner mon avis concer-nant l'état d'une dame, âgée d'une trentaine d'années, qui, depuis dix-huit mois, était devenue sujette à des crises épilep-tiformes, disait-on, ou, tout au moins, hystéro-épilepliques. Le bromure de potassium avait complètement échoué.
Lors de la consultation, il fut parfaitement établi que ni la syphilis, ni l'hystérie, ni une cause traumatique quelconque ne figuraient dans les antécédents. La malade, très intelligente d'ailleurs, voulut bien, à ma prière, entrer dans les plus minu-
tieux détails concernant le caractère de ses crises. J'appris d'elle que, pendant ses accès, elle était fort troublée, fort émue, sans doute, mais n'avait jamais perdu connaissance. Toujours le début était brusque, imprévu. La sensation d'une chute en avant survenait tout à coup, et, de fait, la malade avait été effectivement précipitée plusieurs fois la face contre terre, et une fois, entre autres, elle s'était cassé deux dents. Il s'agissait donc là d'un vertige de translation à début brusque, avec chute antéro-postérieure, sans perte de connaissance, donc, par conséquent, de quelques-uns des ca-ractères les plus accentués du vertige de Ménière. Pour com-pléter la ressemblance, j'ajouterai que, chez MmeX..., l'accès se terminait souvent par des nausées ou même des vomisse-ments.
Ces premiers renseignements une fois obtenus, j'explorai sommairement l'acuité auditive, à l'aide d'une montre, et je reconnus que l'ouïe était très manifestement affaiblie du côté gauche. Je posai, alors, une dernière question. La réponse devait, à mon sens, être décisive. Je demandai s'il ne surve-nait pas, quelquefois, dans les oreilles, un bruit aigu plus ou moins analogue à celui d'un sifflet. Le mari, présent à la con-sultation, prit cette fois la parole, et répliqua vivement, qu'en effet, Mme X... s'étonnait souvent d'entendre le sifflet des loco-motives d'un chemin de fer voisin à des heures inaccoutumées et alors, qu'en réalité, rien de semblable n'était arrivé. La con-nexité entre le développement brusque des bruits de sifflet et l'invasion des accès vertigineux fut, après cela, facilement établie.
Je crus pouvoir annoncer qu'il ne s'agissait pas ici d'épi-lepsie, non plus que d'hystéro-épilepsie, mais bien du vertige de Ménière. Je fis espérer qu'à l'aide d'un traitement approprié, les accès pouvaient être atténués, peut-être supprimés. Le sul-fate de quinine fut prescrit à la dose de 60 centigrammes,
et l'usage de cette dose prolongé pendant deux mois. Peu de temps après le commencement du traitement, les siffle-ments, et du même coup, les accès vertigineux ont cessé de se produire. Ils n'ont pas reparu depuis 1.
1 Je pourrais citer aujourd'hui un bon nombre d'autres exemples où les accidents vertigineux dont il s'agit ont été très notablement amendés ou même complètement guéris par l'influence de V'emploi prolongé du sulfate de quinine. M. le Dr Weir Mitchell a relaté plusieurs faits de ce genre, au dernier congrès de New-York. (J.-M. C.)
DIX-NEUVIÈME LEGÓN
De l'hémichorée post-hémiplégique.
Sommaire. — Hémichorée post-hémiplégique. — Faits cliniques. — Trou-bles de la sensibilité générale et spéciale. — Troubles moteurs : leur ressemblance avec les mouvements choréiques. — Trépidation des hémi-plégiques. — Instabilité des membres affectés d'hémichorée post-hémiplé-gique. — Caractères des troubles musculaires au repos et dans les mouve-ments.
Lésions organiques. — Foyers d'hémorragie et de ramollissement intra-encéphaliques. — Atrophie partielle du cerveau.
Rareté de l'hémichorée post-hémiplégique. — Relation entre l'hémicho-rée et l'hémianesthésie. — Siège des lésions auxquelles se rattachent ces symptômes: extrémité postérieure de la couche optique; — partie postérieure du noyau caudé ; — partie postérieure de la couronne rayon-nante .
Hémichorée prse-hémiplégique.
Messieurs,
J'appellerai ce matin tout particulièrement votre attention sur un ensemble de phénomènes que je vous propose de dési-gner sous le nom ^hémichorée post-hémiplégique. Cette dé-nomination, je l'emprunte à M. S.-W. Mitchell (de Philadel-phie), qui en a fait usage dans un travail récent1. Ceux d'entre vous qui, dans ces dernières années, ont suivi mes leçons, reconnaîtront facilement cet état morbide dont je leur ai déjà montré, à diverses reprises, des exemples intéressants2.
1 Post-paralytic Chorea. In The American Journal of the med. Sciences, oct. 1874, 342.
2 Leçons cliniques sur les maladies du système nerveux, t. I, 1884, p. 316.
Suivant la ligne de conduite que je me suis tracée en repre-nant ces leçons cliniques — que je voudrais comparer en quel-que sorte aux leçons de choses (objects lessons), si usitées dans les écoles américaines, je ferai tous mes efforts pour que le tableau de l'hémichorée post-hémiplégique ressorte pleine-ment et d'une façon claire de l'histoire de trois malades que je vais interroger successivement devant vous.
La première, R... Marie, est âgée de 51 ans. Dans ses anté-cédents qui, en somme, n'offrent qu'un médiocre intérêt, je relèverai seulement les points suivants : La malade a subi une fièvre typhoïde à 18 ans, et, à 30 ans, une fièvre intermit-tente qui a duré six mois.
A 41 ans, R... a été saisie d'une attaque apoplectique avec perte de connaissance et accompagnée, paraît-il, de vomisse-ment. Revenue à elle, elle présentait une hémiplégie avec flac-cidité complète du côté droit.
Durant les six mois qui ont suivi, la malade avait, à ce qu'elle assure, une notion exacte des objets, elle se rappelait leur nom, — par conséquent il n'y avait pas d'amnésie verbale, mais elle était impuissante à le prononcer, par suite d'une dif-ficulté qui existait dans l'articulation des mots. J'ajouterai, de plus, que, pendant cette même période, il y aurait eu momen-tanément, si l'on croit son récit, un certain degré de contrac-ture dans les muscles de la.main droite.
Quoi qu'il en soit, au terme de ces six mois, R... a pu com-mencer à marcher tant bien que mal. Mais, alors qu'elle récu-pérait peu à peu et progressivement les mouvements dans le membre inférieur droit, ceux du membre supérieur corres-pondant, bien que redevenus possibles et assez étendus, ont été gênés bientôt par un tremblement d'une espèce à part, comme choréique : c'est sur ce tremblement que je vais sur-tout insister.
La situation est demeurée telle qu'elle depuis cette époque, c'est-à-dire depuis environ dix ans, et, en particulier, dans les cinq dernières années qui viennent de s'écouler et pendant les-quelles R... n'a pas cessé d'être placée sous mes yeux à la Salpêtrière.
Nous avons à considérer, dans sa condition actuelle, l'état du côté droit du corps, d'abord au point de vue de la sensibi-lité, puis au point de vue des fonctions motrices. Je vous fais voir, en premier lieu, la malade couchée, afin de faciliter les explorations : mais je vous la présenterai de nouveau, tout à l'heure, dans la station verticale et marchant.
a) Il existe chez R... unehémianesthésie générale du côté droit du corps. En d'autres termes, la sensibilité est, de ce côté, profondément modifiée sur la face, le tronc et les mem-bres. Voilà pour la sensibilité générale. Ce n'est pas tout : Y ouïe, le goût, et les sens vraiment céphaliques : Y odorat et la vue sont aussi obnubilés de ce même côté. Sous ce rapport, nous allons rencontrer chez cette malade, vous l'avez pressenti, la reproduction exacte des caractères, bien connus de vous, de l'hémianesthésie des hystériques.
Ainsi : i° En ce qui concerne la vue, il y a, pour l'œil droit, une modification, légère il est vrai, l'acuité visuelle est là sim-plement diminuée ; 2° pour l'odorat, l'altération est plus pro-noncée ; la malade ne sent absolument pas, par la narine droite, l'odeur de l'éther; 3° le changement est encore plus netpour l'ouïe : la malade qui perçoit très bien le tic tac d'une montre à gauche, ne le perçoit que d'une manière très confuse adroite. Cette diminution de l'ouïe a été consignée dès le com-mencement de l'observation, car R... s'en est plaint d'elle-même, dès l'origine, sans que son attention fût appelée sur ce point ; 4° l'abolition du goût sera mise hors de doute par l'épreuve que nous allons faire avec la coloquinte. Vous voyez
qu'elle n'en sent pas l'amertume à droite, tandis qu'elle la dé-nonce dès que la substance touche le côté gauche de la mu-queuse linguale. ,
Vous venez de vous assurer par vous-mêmes, Messieurs, de l'exactitude de nos assertions pour ce qui a Irait aux sens spé-ciaux ; vous allez être convaincus, dans un instant, que l'exa-men n'est pas moins concluant lorsqu'il porte sur la sensibi-lité générale ; celle-ci est, jelerépète, manifestement diminuée sur toute la moitié droite du corps. Le contact d'un corps froid est bien plus vivement senti à gauche qu'à droite. Le chatouil-lement, l'introduction d'un corps étranger dans la narine droite ne produit aucune réaction. Enfin, il y a sur tout ce côté du corps : face, tronc et membres, une analgésie des plus accen-tuées, puisqu'on peut plonger profondément et brutalement une grosse épingle dans ces parties, sans que la malade mani-feste la moindre souffrance.
C'est là, Messieurs, comme je le rappelais tout à l'heure, une réunion de symptômes que l'on a bien souvent l'occasion d'observer dans l'hystérie et plus spécialement dans Y hystérie ovarienne.
Mais, chez R..., l'hystérie cependant n'est aucunement en jeu, preuve nouvelle, s'il en était besoin, que, dans les mala-dies du système nerveux, comme dans toutes les autres, nul phénomène, pris isolément, ne saurait être vraiment caracté-ristique. C'est le mode de groupement des accidents, leur mode d'évolution, d'enchaînement, la réunion des circonstan-ces tout entière qui sert surtout, ici comme ailleurs, aux dis-tinctions nosographiques.
b) J'aborde maintenant le second point à savoir : l'étude des troubles moteurs que présente cette femme. Ces troubles sont très particuliers. S'ils manquent à la face, dans ce cas, ils sont très évidents au contraire dans les membres supérieur et
inférieur du côté droit. Ceux-ci, je puis vous le faire remar-quer de suite, n'offrent ni atrophie, ni contracture, ni défor-mation quelconque. Nous allons maintenant les examiner suc-cessivement au repos et dans les mouvements.
Dans les mouvements intentionnels du membre supérieur, il se manifeste une agitation choréiforme tout à fait compara-ble à celle que j'ai décrite dans le temps à propos de la sclé-rose en plaques. Tant que R... est tranquille, au repos, il n'y a dans le membre presque aucun désordre moteur ; par contre, dans l'acte de porter un verre à la bouche, le bras est saisi de mouvements rythmiques très étendus et tels que, si on ne surveillait la malade, l'eau du verre serait violemment projetée de toutes parts. Nous verrons, dans un moment, quand elle marchera, des accidents analogues se montrer du côté du membre inférieur droit.
Ce désordre du mouvement se rapproche non seulement du tremblement de la sclérose en plaques, comme je viens de vous le dire, mais encore, à quelques égards, d'un phénomène qui s'observe ordinairement dans les cas vulgaires d'hémiplé-gie: je fais allusion, ici, à la trémulation qui ne manque guère d'apparaître quand les faisceaux latéraux de la moelle sont affectés de sclérose à un certain degré, pourvu, toutefois, que, la contracture étant peu accentuée, les mouvements vo-lontaires soient à un certain degré, encore possibles. Ces mouvements choréiformes post-hémiplégiques s'éloignent, d'autre part, de l'incoordination des ataxiques, ne serait-ce qu'en ce que la vue n'exerce sur eux aucune influence.
Mais il est un caractère qui sépare foncièrement ces mou-vements choréiformes du tremblement de la sclérose en pla-ques, de la trémulation des hémiplégiques, de l'incoordination motrice des ataxiques, etc., et qui, en revanche, les rapproche de la chorée : c'est l'existence, alors que le malade ne veut aucun mouvement, d'une instabilité des membres affectés. Ces
membres, dans ce cas même, — c'est un point qu'il importe tout à fait de mettre en évidence, — sont animés par des mouvements involontaires, analogues à ceux qui, dans les mêmes circonstances, se voient dans la chorée ordinaire. Ces mouvements, comme vous le pourrez constater, sont très évi-dents au membre inférieur. Vous voyez, en effet, la rotule sou-levée pour ainsi dire incessamment, d'une façon rythmique, par la contraction brusque et involontaire des muscles anté-rieurs de la cuisse, — vous voyez en même temps le pied porté tour à tour, malgré la volonté de la malade, dans l'adduc-tion et l'abduction, puis dans la flexion et l'extension.
La main, on le constate également, ne peut rester tranquille appliquée le long du corps ; elle est constamment agitée de secousses brusques et inattendues, en même temps que les doigts s'étendent ou se fléchissent sans motif.
J'ajouterai que, dans des cas absolument comparables au précédent mais plus accentués encore, ces mouvements invo-lontaires, très étendus, constituent une agitation permanente qui fait que, en définitive, cet état en ce qui concerne du moins le caractère des troubles moteurs ne s'éloigne par aucun trait essentiel de la chorée proprement dite.
C'est donc au mot chorée que nous ferons appel pour dési-gner le phénomène en question. Bien entendu il s'agit d'un simple rapprochement et nullement d'une véritable assimila-tion nosographique à établir avec la chorée vulgaire (chorea minor) ; sans doute, la coexistence habituelle de l'hémianes-thésie reconnue depuis longtemps dans la chorée ordinaire, d'après les observations de mon ancien collègue, le docteur Moynier, est encore un trait que celle-ci a en commun avec les faits qui nous occupent ; mais les caractères distinctifs abon-dent, d'autre part ; il me suffira de signaler, pour les cas à''hémichoréepost-paralytique, la limitation exacte et indéfinie des désordres moteurs à un seul côté du corps. La préexis-
tence d'une hémiplégie de longue durée avec flaccidité des muscles d'abord, puis marquée par un certain degré de con-tracture ; enfin le début brusque et véritablement apoplecti-que des accidents. Ce sont là, vous le voyez, des phénomènes qui n'appartiennent plus à la vulgaire danse de Saint-Guy.
En somme, l'affection s'est, à l'origine, présentée chez R... sous la forme de l'apoplexie cérébrale suivie d'hémiplégie telle qu'elle se présente en conséquence de la brusque formation d'un foyer de ramollissement ou d'hémorragie intra-encépha-lique. Et en réalité, Messieurs, c'est, il n'y a pas à en douter, à l'une ou l'autre de ces lésions organiques qu'il convient de rapporter les accidents que j'ai relevés chez noire malade.
Les mouvements choréiformes dont je me suis attaché à vous faire connaître les principaux caractères se montrent sous un jour nouveau, lorsque la malade, s'aidant d'une canne qu'elle porte de la main gauche, s'efforce de se tenir debout immobile ou se livre à la marche. Le corps tout entier est alors, vous le voyez, agité de secousses qui résultent de ce que des mouve-ments successifs de flexion et d'extension brusques se pro-duisent involontairement dans le genou et dans l'articulation du cou-de-pied du côté droit. Vous remarquerez que, par contre, le membre supérieur de ce côté reste à peu près im-mobile. Mais cela a lieu uniquement, grâce à un subterfuge : la main est tenue, en effet, fortement appliquée le long du corps ou encore fourrée dans une poche, sans quoi elle serait, à l'exemple du membre inférieur, constamment en mouvement.
L'hémichorée post-hémiplégique ne se présente pas seule-ment liée à la présence de foyers d'hémorragie et de ramollis-sement intra-encéphaliques, tels qu'on les rencontre vulgaire-ment chez l'adulte. Elle peut survenir aussi par le fait de ces lésions, encore assez mal connues dans les premières phases
de leur développement qui, chez les jeunes enfants, détermi-nent ce qu'on appelle Y atrophie partielle du cerveau (Colard, Thèse de Paris, 1868). La conséquence habituelle de ces alté-rations est, ainsi que l'ont depuis longtemps montré Bouchet et Cazauvielh, une hémiplégie incurable le plus souvent avec con-tracture (hémiplégie spasmodique de Heine). Mais il peut arri-ver en pareil cas, très exceptionnellement il est vrai, que l'hémiplégie fasse place, pour ainsi dire dès l'origine, à une hémichorée en tout semblable à celle que nous décrivions tout à l'heure. Une fois constituée, cette hémichorée persistera pendant toute la durée de la vie. Je suis à même de mettre sous vos yeux deux exemples de ce genre.
— R... est actuellement âgée de 18 ans. Placée peu après sa naissance à la campagne, elle aurait été sujette à des con-vulsions à partir de l'âge de 2 ans ; toujours est-il que lors-qu'elle fut reprise par ses parents à 4 ans et demi, elle était paralysée des membres supérieur et inférieur du côté droit, et éprouvait de temps à autre des accès d'épilepsie. La santé gé-nérale était d'ailleurs très altérée et R... demeurait constam-ment assise ou couchée. Grâce aux soins qui lui furent prodi-gués, elle prit peu à peu des forces et devint même au bout de quelques mois capable de marcher et de se servir un peu de son bras droit. On s'aperçut dès ce moment que la main de ce côté, dans les mouvements volontaires, était agitée d'une sorte de tremblement ; mais les mouvements choréiformes survenant en dehors de tout acte volontaire se seraient surtout accusés à partir de sept ans. Ils n'ont pas cessé d'exister depuis cette époque. Je n'entrerai pas sur leur compte dans les détails. Ce serait reproduire de tout point la description présentée à propos de notre première malade. Je ferai ressor-tir seulement que, à l'inverse de ce qui a lieu dans la grande majorité des cas à'hémichorée post-hémiplégique de l'adulte,
l'hémianesthésie fait ici complètement défaut Cette même particularité, c'est-à-dire l'absence d'anesthésie sur les mem-bres atteints de chorée s'est présentée encore dans le fait sui-vant, qui est relatif d'ailleurs, comme le précédent, à l'hémi-plégie des jeunes enfants 2.
— Gr... âgée de 29 ans, a éprouvé à l'âge de huit mois des convulsions qualifiées d'épileptiformes et suivies d'une hémi-plégie du côté gauche. Elle n'a pas cessé depuis cette époque d'être sujette à des attaques d'épilepsie. Les membres du côté droit sont actuellement un peu plus faibles et plus grêles que ceux du côté opposé, mais il ne sont ni contractures ni anes-thésiés. Ils se montrent sans cesse agités de mouvements cho-réiformes, auxquels la face ne paraît point participer, et qui sont exagérés par l'accomplissement des actes intentionnels.
J'en reviens actuellement au cas de Ronc... Les désordres moteurs que nous avons étudiés chez cette malade ne sont pas, tant s'en faut, un phénomène banal, dans l'histoire de l'hémorragie intra-encéphalique et du ramollissement partiel du cerveau. En effet, sur un nombre considérable de faits, rela-tifs à ces lésions, que j'ai recueillis à la Salpêtrière, depuis une douzaine d'années, j'ai observé l'hémichorée post-hémi-plégique 5 ou 6 fois au plus. Dans la règle lorsque l'hémiplé-gie survient par la formation d'un foyer intra-cérébral d'hémor-ragie ou de ramollissement, la paralysie motrice, si le cas est favorable, s'atténue progressivement et disparaît complètement sans qu'à aucune époque les mouvements choréiformes se
1 L'hémianesthésie permanente se produit quelquefois en conséquence de l'atrophie partielle du cerveau datant de la première enfance, j'ai ren-contré récemment dans les infirmeries de la Salpêtrière, un exemple de ce genre.
2 Cette malade, comme la suivante, appartient au service de M. Dela-siauve.
Quelles sont donc les conditions vraisemblablement très spéciales qui font que dans quelques cas exceptionnels d'hé-morragie ou de ramollissement cérébral en foyer, l'hémiplé-gie, contrairement à la règle ordinaire, est, à un moment donné, remplacée par l'hémichorée? Je ne saurais, quant à présent, répondre à celte question par une solution régulière. Voici cependant, à mon sens, dans quelle voie celle-ci pour-rait être cherchée. Je pense que ces foyers d'hémorragie ou d'encéphalomalacie qui déterminent l'hémichorée, affectent dans l'encéphale un siège particulier, fixe, bien différent du siège très varié qu'occupent les foyers qui produisent l'hémi-plégie vulgaire. Je fonde mon opinion principalement sur cette circonstance remarquable, déjà mise en relief, que Yhémia-nesthésie cérébrale, c'est-à-dire avec participation de tous les sens spéciaux (vue et odorat compris), ce phénomène qui se montre si rarement lié à l'hémiplégie vulgaire, est, au con-traire, un accompagnement, non pas obligatoire sans doute, mais très habituel au moins de Yhérnichorée post-hémiplégique. Or, il paraît établi que cette forme particulière d'hômianesthé-
soient montrés ; ou bien, si le cas est grave, la paralysie per-siste telle qu'elle, avec ou sans accompagnement de contrac-ture permanente, tantôt complète tantôt incomplète. Cette fois encore, — je parle, bien entendu, de la règle et je réserve le chapitre des anomalies, — les secousses choréiques font abso-lument défaut ; seulement, si l'inertie motrice est incomplète, il peut se faire, principalement lorsqu'il y a un certain degré de contracture, que les mouvements intentionnels soient trou-blés par une sorte de trépidation dont je vous ai entretenus déjà, tout à l'heure, et qui n'a rien de commun, je vous l'ai dit, tout à l'heure, avec les secousses convulsives qu'on voit, dans la chorée, se produire en dehors même de l'accomplis-sement des actes volontaires.
sie relève de lésions localisées dans certains points, toujours les mêmes, des hémisphères cérébraux et dont le siège semble être aujourd'hui à peu près déterminé. Il est vraisemblable, déjà, d'après cela, que les éléments nerveux, faisceaux de fibres ou corpuscules ganglionnaires, dont la lésion est capable de produire l'hémichorée, confinent à ceux dont la destruction détermine l'hémianesthésie.
La nécroscopie, d'ailleurs, a déposé en faveur de cette hypothèse. Trois fois j'ai eu l'occasion de faire l'autopsie de sujets chez lesquels une hémichorée datant de plusieurs années avait succédé à une hémiplégie marqué par un début brusque apoplectique. Dans ces trois cas, l'hémianesthésie existait, très prononcée, comme cela se voit chez notre malade Ronc... De plus, comme chez elle encore, mais cette fois sans doute parle fait d'une coïncidence toute fortuite, c'est le côté gauche qui se montrait affecté. Quoi qu'il en soit, la lésion révélée par l'autopsie consistait en des cicatrices ochreuses, vestiges non méconnaissables de l'existence antérieure de foyers hémor-ragiques. Les cicatrices en question occupaient dans l'hémis-phère droit une région toujours la même, à peu de chose près, et voici l'indication des parties qu'elles intéressaient ; ce sont constamment, c'est-à-dire dans tous les cas : 1° l'extrémité pos-térieure de la couche optique ; — 2° La partie la plus posté-rieure du noyau caudé. Il est noté expressément que les deux tiers ou les trois quarts antérieurs de ces noyaux gris étaient restés parfaitement indemnes; — 3° Enfin, la partie la plus postérieure du pied de la couronne rayonnante.
Dans deux des cas seulement, un des tubercules quadriju-meaux, l'antérieur du foyer correspondant au foyer ochreux, participait à l'altération.
Quelles sont, dans cette énumération, les lésions qui ont déterminé l'hémichorée; quelles sont celles, au contraire, d'où il faut faire dériver l'hémianesthésie ? celle-ci, nous nous som-
mes efforcé de le montrer ailleurs, relève de l'altération des faisceaux les plus postérieurs du pied de la couronne rayon-nante. L'altération de l'extrémité postérieur de la couche op-tique, celle de la queue du corps strié resteraient donc seules au compte del'hémichorée, car on ne saurait invoquer la lésion non constante des tubercules quadrijumeaux. Mais, d'un côté, on a vu maintes et maintes fois la couche optique et le noyau lenticulaire, atteints dans leurs diverses parties, des lésions les plus diverses sans qu'il s'en soit suivi la moindre trace de mouvements choréiques. De telle sorte que, suivant toute ap-parence, ce ne sont pas là encore les organes qu'il faut incri-miner dans la circonstance actuelle. Je crois plus vraisemblable, mais c'est là une pure hypothèse que je livre à vos méditations et à vos critiques, qu'à côté, en avant sans doute, des fibres qui, dans la couronne rayonnante, servent de voie aux impres-sions sensitives, il est des faisceaux de fibres douées de proprié-tés motrices particulières et dont l'altération déterminerait l'hémichorée. Une analyse anatomo-pathologique délicate, guidée par la clinique, parviendra peut-être quelque jour à circonscrire d'une façon exacte les régions limitrophes qui cor-respondent à ces deux ordres de faisceaux.
À côté de l'hémichorée post-hémiplégique, il y a lieu de mentionner un état pathologique pour ainsi dire inverse, c'est-à-dire dans lequel des mouvements choréiformes, développés brusquement dans les membres d'un côté du corps, à la suite d'un choc apoplectique, font place bientôt à une hémiplégie plus ou moins complète. L'hémianesthésie accompagne habi-tuellement cette sorte d'hémichorée qu'on pourrait appeler prœ-hémiplégique. Les cas de ce genre sont, je crois, assez rares ; je n'en ai pas recueilli plus de trois exemples. L'autop-sie a été faite dans un seul de ces cas. Il s'agissait là d'un foyer d'hémorrhagie, du volume d'une petite noix, qui disten-
Gharcot. Œuvres complètes, ?.?. 24
dait, dans sa moitié postérieure, la couche optique. La malade avait succombé trois semaines environ après l'invasion des symptômes apoplectiques. Une hémiplégie complète, absolue, avait remplacé l'hémichorée trois jours après le début. D'après ce qui a été dit plus haut, ce n'est évidemment pas en désor-ganisant une partie de la couche optique que l'hémorragie a produit ici, soit l'hémichorée, soit l'hémianesthésie. Ces deux ordres de symptômes doivent être, vraisemblablement, ratta-chés l'un et l'autre aux effets de la compression qu'avaient su-bie la capsule interne et le pied de la couronne rayonnante, au voisinage immédiat du foyer.
L'hémichorée, accompagnée ou non d'hémianesthésie, peut se produire encore, non plus brusquement, mais au contraire d'une façon lente et progressive et sans être nécessairement précédée ou suivie d'hémiplégie, en conséquence du dévelop-pement de certaines néoplasies dans la profondeur d'un hémis-phère. Les faits de ce genre se rencontrent assez fréquemment et j'en ai cité dans le temps plusieurs exemples remarquables. Il est on ne peut plus probable que les produits morbides qui déterminent de semblables effets reconnaissent une localisation analogue à celle que nous essayons de déterminer tout à l'heure, à propos des foyers hémorrhagiques ; mais nous ne possédons encore à cet égard aucune donnée positive. Ce sera pour l'avenir un intéressant sujet de recherches. La malade que je vais actuellement faire passer sous vos yeux appartient évi-demment à la catégorie des cas que je viens de signaler.
Elle est âgée de 60 ans environ. Elle souffre depuis une quin-zaine d'années de douleurs vagues occupant toute l'étendue du membre supérieur droit. Depuis 1869, elle est devenue sujette à des crises épileptiformes assez mal déterminées, et, vers la même époque, un tremblement choréiforme s'est emparé de ce même membre supérieur droit. Le tremblement en question
est pour ainsi dire permanent ; il s'exagère manifestement dans les mouvements intentionnels, mais il subsiste en dehors de toute action volontaire. Il se rapproche d'ailleurs beaucoup plus par l'ensemble de ses caractères des agitations de la chorée que du tremblement propre à la paralysie agitante ou du trem-blement sénile. J'ajouterai qu'une hémianesthésie totale avec participation des sens spéciaux a pu être observée chez cette malade pendant toute la durée de l'année dernière. Elle occu-pait le côté droit du corps : à l'heure qu'il est, la sensibilité spéciale paraît s'être partout rétablie, et quant à la sensibilité générale, elle est redevenue à peu près normale à la face, au tronc et au membre inférieur du côté droit. Seul le membre supérieur droit, siège des mouvements ohoréiformes, offre encore sur toute son étendue un affaiblissement très marqué de la sensibilité tactile.
En terminant, je ferai ressortir une fois de plus les analo-gies, au moins extérieures, qui rattachent les chorées sympto-matiques, liées à une lésion grossière de l'encéphale, de la chorée ordinaire. Celle-ci peut, comme celles-là, rester tempo-rairement au moins limitée à un côté du corps : elle s'accom-pagne souvent d'hémianesthésie ; elle peut être précédée ou suivie d'hémiplégie, etc., etc. ; en somme la différence qui sé-pare ces deux ordres d'affections si radicalement distinctes au point de vue nosographique est bien plutôt peut-être dans ce qu'on est convenu d'appeler la nature de la maladie que dans le siège anatomique. Si ce dernier, pour ce qui concerne les chorées symptomatiques, était un jour déterminé avec préci-sion, on connaîtrait au moins l'une des régions de l'encéphale où devraient être cherchées les altérations délicates d'où déri-vent les symptômes de la chorée vulgaire.
VINGTIÈME LEGÓN
o
De l'épilepsie partielle d'origine syphilitique.
Sommaire. — Épilepsïe partielle ou hémiplégique. — Ses rapports avec la syphilis cérébrale. — Considérations historiques. — Description d'un cas d'épilepsie partielle d'origine syphilitique. — Caractères et siège par-ticulier de la céphalalgie. — Nécessité d'une intervention thérapeutique énergique.
Modes de début des accidents convulsifs. — Nouveaux exemples à l'appui. — Succession des accès. — Apparition de la contracture per-manente.
Relations entre la céphalalgie et la région motrice du cerveau. Lésions : Pachyméningite gommeuse. — Siège probable de ces lé-sions.
Traitement mixte à interruptions.
Messieurs,
VEpilepsie partielle ou hémiplégique dont je m'efforçais tout récemment de vous faire saisir les principaux caractères et les principales variétés symptomatiques en me fondant sur les descriptions de Bravais sur celles plus récentes du Ur H. Jackson (de Londres) et aussi sur mes propres observa-tions, est une des manifestations les plus fréquentes de la Syphilis cérébrale. C'est là un fait, on peut le dire, hautement reconnu et proclamé aujourd'hui, parmi nos confrères anglais, ainsi qu'en témoignent, entre autres, les écrits de R. B. Todd, ceux de MM. Jackson, Broadbent, T. Buzzard2, et quelques
» Thèse de Paris, n 118, t. IV, 1827,
2 Broadbent. — The Lancet, 21 feb. 1874. — T. Buzzard. — Aspects of philitic nervous affections. London, 1874.
autres. Par contre, en France, si je ne me trompe, il n'a pas encore été remarqué autant qu'il mérite de l'être en raison de son intérêt pratique, malgré qu'un médecin des plus compétents en ces matières, M. le Dr A. Fournier, se soit attaché, l'an passé, à en vulgariser la connaissance dans un travail que je ne saurais trop recommander à vos méditations
Aussi trouverez-vous opportun, je l'espère, que j'arrête un instant votre attention ' sur un sujet encore insuffisamment étudié peut-être, en vous présentant l'exposé sommaire d'un certain nombre d'exemples assez réguliers d'épilepsie partielle d'origine syphilitique qu'il m'a été donné d'observer dans ces derniers temps. Dans le cours de mon exposé, je rechercherai, chemin faisant, l'occasion de vous faire toucher du doigt cer-taines particularités qu'offre souvent cette forme clinique de la syphilis cérébrale. Mais j'aurai surtout à cœur de mettre en relief qu'en pareille circonstance, l'administration opportune des agents appropriés, lorsqu'elle est conduite résolument — j'al-lais dire audacieusement, — suivant une certaine méthode, peut triompher quelquefois très rapidement, de tous les obsta-cles et amener une guérison durable dans des cas même où les mêmes agents administrés d'après d'autres- principes, plus timidement tout au moins, auraient complètement échoué.
I.
Le 13 décembre 1874, j'ai été appelé par M. le Dr Malhéné auprès de M. X..., âgé de 42 ans, atteint d'accidents céré-braux graves et confiné par ce fait dans sa chambre, depuis plusieurs mois. —Dans son récit, M. X... faitremonter la ma-ladie actuelle au mois de juillet de cette même année : employé dans une maison de banque, il était un certain jour assis comme
1 De l'épilepsie syphilitique tertiaire, leçon professée par A. Fournier (Clini-que de Lourcine), Paris, 1876.
d'habitude devant son bureau, occupé à écrire, lorsque tout à coup, sans avoir remarqué de phénomènes précurseurs immé-diats, il sentit, non sans effroi, son membre inférieur droit agité de secousses convulsives rhytmiques, précipitées, très énergiques. Cette sorte de trépidation dura peut-être quelques secondes, puis le membre inférieur rigide se souleva tout d'une pièce, et presque aussitôt après M. X... tomba à terre sans connaissance. Il ne reprit ses sens qu'au bout d'une heure en-viron et il ne sait rien de ce qui s'est passé pendant ce temps-là. Dès le lendemain, il put retourner à ses affaires, et aucun ac-cident nouveau ne s'était présenté quand, un jour, en septem-bre, au moment où il descendait d'omnibus, il tomba sur le pavé privé de connaissance, après avoir éprouvé, comme la première fois, pendant quelques secondes cette même trépida-tion avec rigidité du membre inférieur droit, signalée déjà plus haut. Un léger affaiblissement parétique des membres du côté droit, une notable confusion dans les idées, un certain degré d'obnubilation dans les idées, tels ont été les symptômes qui ont suivi cette seconde attaque et ont persisté après elle. A partir de celte époque, M. X... suspendit ses affaires, et il ne sortit plus de chez lui qu'à de rares intervalles, principalement parce qu'il craignait toujours d'être repris, dans la rue, de nou-veaux accidents.
Vers le milieu du mois de novembre, sans cause appréciable, sans avertissement aucun, éclata un 3e accès ; cette fois la durée des phénomènes de Y aura motrice a été plus longue et le malade, avant de perdre connaissance, eut le temps de re-connaître que les secousses convulsives rhytmiques ainsi que la rigidité, après avoir occupé le membre inférieur droit et sans l'abandonner, avaient envahi rapidement le membre su-périeur du même côté. Une personne présente en ce moment raconte qu'ensuite la tête s'est portée vers l'épaule droite en même temps que le côté droit de la face était grimaçant ; puis
les convulsions s'étendirent au corps tout entier, prédomi-nant cependant toujours sur le côté droit et, après leur cessa-tion, survint le sommeil stertoreux. Il est certain que, durant l'accès, M. X... ne s'est pas mordu la langue et n'a pas uriné sous lui. Sans qu'il eut repris connaissance, plusieurs attaques se produisirent, sur tous les points semblables à la première, de manière à constituer un état de mal dont la durée a été de trois heures environ. Les phénomènes consécutifs, déjà signa-lés à propos de la crise du mois de septembre, n'ont fait que s'accentuer davantage à la suite de celle dont il vient d'être question ; il s'y est joint pendant quelques jours un certain degré d'embarras de la parole et d'amnésie verbale, un senti-ment d'engourdissement dans la joue du côté droit, au voisi-nage de la commissure labiale, mais ces derniers symptômes ont été tout à fait passagers ; ils s'étaient complètement dissi-pés, lorsque je vis M. X...
Après avoir vérifié l'existence qui m'avait été annoncée d'un affaiblissement, d'ailleurs léger, des membres du côté droit, je reconnus qu'ils n'étaient le siège d'aucune sensation de fourmillement et qu'ils ne présentaient pas de traces d'anesthésie ; je constatai enfin que la vision n'était nullement troublée.
En écoutant le récit de M. X.., j'avais été tout naturellement conduit à soupçonner que, chez lui, la syphilis pouvait être en jeu et je procédai immédiatement à l'examen des diverses par-ties du corps accessibles à l'œil, espérant y rencontrer les ves-tiges de l'une quelconque des manifestations tardives de cette maladie. Le résultant de cette investigation fut absolument négatif.
Il n'en a pas été de même de l'étude des antécédents qui, elle, au contraire, me permit de recueillir des renseignements très significatifs. J'appris, en effet, ce qui suit: A l'âge de 29 ans, c'est-à-dire 12 ans environ avant l'apparition des pre-
miers accidents épileptiformes, M. X... avait contracté un chancre induré, suivi bientôt de diverses manifestations rele-vant de la syphilis constitutionnelle, parmi lesquelles a figuré la roséole. Le traitement de la maladie à cette époque paraît avoir été régulièrement dirigé et continué pendant plusieurs mois.
Les choses en restèrent là et pendant plus de dix ans, M. X... avait vécu en bonne santé, jouissant d'une sécurité parfaite, lorsque, vers la fin de 1873, il commença à ressentir un malaise singulier, marqué surtout par une grande prostration des forces, de l'inaptitude au travail intellectuel, des troubles dyspeptiques très accentués, très tenaces et qui se montraient rebelles à l'emploi des moyens vulgaires. Un certain degré d'amaigrissement, un état cachectique assez prononcé, qu'au-cune affection viscérale ne semblait motiver et, enfin, une céphalalgie d'un genre particulier vinrent bientôt compléter le tableau.
Cette céphalalgie n'a jamais entièrement cessé d'exister à un certain degré depuis lors ; je ne vous en ai pas entretenu cependant jusqu'ici dans l'énumération des faits, parce que je me réservais de la signaler spécialement à votre attention. A l'origine, elle se montrait constamment localisée dans un espace circonscrit, pas plus large qu'une pièce d'un franc, au-dessus du sourcil droit, vers la tempe ; plus tard, au moment des exacerbations, elle s'est étendue souvent jusqu'au sommet de la tête et même à l'occiput sans abandonner toutefois jamais son foyer primitif. Il paraît bien établi que les exacerbations ont lieu habituellement vers 7 heures du soir, se prolongeant plus ou moins dans la nuit et empêchant quelquefois le som-meil ; jamais elle n'ont été suivies de vomissements.
Si j'insiste sur la description de cette douleur de tête, c'est que vous retrouverez le même phénomène, avec les particu-larités qui viennent d'être relatées dans l'histoire de beaucoup
de cas d'épilepsie syphilitique. Le fait, d'ailleurs, a été mis en relief plusieurs fois par les auteurs qui se sont occupés de ces questions : « Lorsque la douleur de tête, dit entre autres M. Buzzard, est associée aux attaques convulsives de la syphi-lis, elle précède en général le développement des accès ; elle est souvent localisée dans un point particulier. Fréquemment on trouve noté, dans les antécédents, qu'elle a existé pendant plusieurs mois avant l'apparition de la première attaque » Il ne faudrait pas sans doute, tant s'en faut, aller jusqu'à com-parer cette céphalalgie fixée sur un point et précédant pendant longtemps les attaques convulsives comme un signe carac-téristique ; on peut la rencontrer, en effet, dans les diverses formes d'épilepsie partielle, indépendantes de la syphilis. Néanmoins, dans cette maladie, elle est, en général, beaucoup plus accentuée que partout ailleurs c'est donc un élément que le clinicien ne doit pas dédaigner d'utiliser puisqu'il pourra quelquefois contribuer à éclairer le diagnostic.
Après avoir recueilli les renseignements qui viennent de vous être exposés, je me crus autorisé à déclarer qu'à mon sens les divers accidents, éprouvés par M. X... depuis dix-huit mois, devaient être rattachés à la syphilis, èt que vrai-semblablement ils céderaient tous à l'emploi convenablement dirigé du traitement mixte. On m'apprit alors que, d'après le conseil d'un médecin autrefois consulté, M. X..., depuis près d'un an, n'avait peut-être jamais cessé complètement de se soumettre soit à l'usage d'un sirop hydrargyrique ioduré, soit à celui de doses moyennes d'iodure de potassium.
Cette révélation ne me découragea point et, me fondant sur l'enseignement tiré, d'observations antérieures, j'émis l'opi-nion qu'il fallait procéder ici en quelque sorte par une attaque
1 « If pain in the head be associated with the convulsive attacks,it generally pre-cedes the out break in syphilitic convulsion, and is often localised in one parti-cular spot. There is frequently a history of antecedent pain for montbe Before the first fit. » (T. Buzzard, loc. cit., p. 14).
de vive force et chercher à brusquer le dénouement ; que, en d'autres termes, l'administration immédiate de doses élevées triompherait peut-être rapidement, là même où l'action pro-longée de doses moyennes s'était montrée insuffisante pour conjurer les accidents et aussi pour les combattre une fois dé-veloppés. Nous convînmes, mon confrère et moi, d'instituer la médication ainsi qu'il suit : des frictions seront faites chaque jour avec 4 ou 6 grammes d'onguent napolitain ; en même temps l'iodure de potassium sera pris à la dose de 6 à 8 ou 10 grammes pour les 24 heures, en partie par la bouche, en partie en lavement. Le traitement devait être maintenu, autant que possible, dans toute sa rigueur, pendant 20 jours environ, suspendu ensuite complètement durant quelques jours, réta-bli de nouveau de la même façon que la première fois, et ainsi de suite, à trois ou quatre reprises.
J'ai revu M. X.... à la fin de de 1875. Il m'apprit que le trai-tement avait été mis en œuvre dès le lendemain de la con-sultation ; que deux mois après l'amendement dans tous les symptômes permanents, céphalalgie, parésie, dyspepsie, état cachectique, était tel déjà qu'il avait pu reprendre ses occu-pations ; que, un mois plus tard, il se considérait comme tout à fait guéri; que, enfin, quant aux attaques épileptiformes, elles n'avaient plus reparu et qu'il n'avait d'ailleurs rien res-senti qui pût lui en faire redouter la réapparition.
J'ai revu une seconde fois M. X.,., à la fin de 1876. La guérison, à cette époque, ne s'était pas démentie un seul instant.
II.
Ainsi que, plusieurs fois déjà, j'ai eu l'occasion de vous le faire remarquer, c'est par l'un des membres supérieurs, ou par un des côtés de la face, que s'opère le début des accidents
convulsifs, dans la grande majorité des cas d'épilepsie par-tielle, quelle qu'en soit d'ailleurs l'origine ». L'envahissement commençant par un membre inférieur doit donc être consi-déré, dans l'espèce, comme un fait rare, exceptionnel. Nous venons de voir néanmoins ce mode d'invasion signalé dans l'observation qui précède ; par suite d'un singulier concours de circonstances, nous allons le retrouver une fois de plus, dans l'observation suivante où, comme dans la première, il s'agit encore de syphilis cérébrale.
Un confrère étranger, de passage à Paris, me fit prier le 26 août 187... de le venir voir pour lui donner un avis, dans les circonstances suivantes : Dînant l'avant-veille chez un ami, il avait été tourmenté, pendant toute la durée du repas, par l'exaspération d'un mal de tête dont il souffrait à un degré modéré, depuis plusieurs jours déjà. Au sortir de table, il ré-solut de se rendre immédiatement chez lui, à pied ; mais à peine avait-il fait quelques pas dans la rue que, tout à coup, son membre inférieur droit fut pris de rigidité et en même temps secoué, en quelque sorte, par des convulsions rhytmiques précipitées et violentes. Presque aussitôt après, le membre supérieur du même côté fut à son tour envahi de la même façon et à ce moment M. B... tomba sans connaissance sur le trottoir. A son réveil, il se trouva, à sa grande surprise, cou-ché dans son lit où on l'avait transporté. La perte de connais-sance avait duré peut-être une heure.
Pendant la nuit qui fut sans sommeil et durant la journée du lendemain, des attaques du même genre se reproduisi-rent à trois ou quatre reprises. Seulement aucune de celles-ci n'alla, comme l'avait fait la première, jusqu'à la perte de
1 Ce fait, déjà signalé par Bravais, l'a été plus explicitement encore par M. H. Jackson (.1 studg on convulsion. In Tvans. of the St Andrews médical graduâtes Association, t. III, 1870). Mes propres observations le confirment pleinement. (J. M. C.)
conscience. Chaque fois qu'elles se produisaient, le malade assistait, non sans émotion, à l'envahissement progressif et régulier des mouvements convulsifs qui, commençant tou-jours par le membre inférieur gauche, gagnaient ensuite le membre supérieur du même côté, et quelquefois en outre la moitié correspondante delà face. Une nouvelle attaque, avor-tée également, comme celle de la veille, avait eu lieu dans la matinée du jour où je vis M. B... pour la première fois. Pen-dant tout ce temps, la céphalalgie n'avait pas cessé de sévir, s'exaspérant cruellement au moment où les accidents convul-sifs allaient se déclarer.
Je trouvai en M. B... un homme dans la force de l'âge, de haute taille, vigoureusement constitué et jouissant habituelle-ment d'une santé excellente ; seulement depuis quelques se-maines, il se sentait mal à l'aise, sans appétit, lourd, fatigué aux moindres efforts, et, de plus, les traits de son visage avaient pâli manifestement1. Après avoir reconnu, tout d'a-bord, l'absence chez lui de paralysie motrice, — et à part la céphalalgie, — de troubles quelconques de la sensibilité, soit à la face, soit dans les membres, je constatai aisément qu'il existait un certain degré de confusion dans les idées et peut-être aussi un peu d'embarras de la parole, toutefois sans symp-tômes d'aphasie.
La question des antécédents éloignés était particulièrement intéressante. M. B... me confia qu'il avait, dix-huit mois aupa-ravant, contracté un chancre avec induration, et qu'à la suite étaient survenues diverses manifestations diathésiques, parmi lesquelles le psoriasis palmaire, dont on pouvait d'ailleurs re-connaître encore les traces.
Je n'hésitai pas, vous l'avez prévu, à rattacher à la syphilis
1 Sur l'état cachectique et la pâleur terreuse que présentent habituellement les malades atteints de syphilis cérébrale, voir au point de vue du diagnostic les re-marques intéressantes de M. Buzzard. (Loc. cit., ?p. 83).
les accidents nerveux éprouvés par M. B.,., et je l'engageai à agir en conséquence à la fois promptement et énergiquement. 11 fut convenu que la médication serait instituée suivant le plan exposé tout à l'heure à propos du cas de M. X... et immédia-tement mise à exécution. L'administration de l'iodure de po-tassium et les frictions mercurielles furent commencées le jour même. Une attaque avortée, cette fois limitée au membre in-férieur, eut lieu encore le lendemain ou le surlendemain ; ce fut la dernière et, au bout de quinze jours, la santé générale s'était tellement améliorée que M. B... put regagner son pays.
Pendant un court séjour que j'ai fait en..., un an environ après l'accident du 24 août 187., j'ai eu le plaisir de rencon-trer à... M. B... et de le trouver dans un état de santé irré-prochable. Le traitement prescrit à Paris avait été suivi, avec les interruptions réglementaires, pendant environ trois mois. Aucun accident nerveux n'avait reparu.
Il peut arriver que les attaques d'épilepsie partielle syphili-tique soient précédées par un certain nombre d'accès dans les-quels la perte de connaissance se déclare soudain, à l'impro-viste, sans signes précurseurs immédiats, en même temps que les mouvements convulsifs éclatent du même coup sur tous les points ; et ainsi se trouve reproduit par conséquent le tableau classique de l'épilepsie vulgaire. Le cas dont je vais maintenant vous faire connaître les principaux détails nous offre un exemple de ce genre. Il présente d'ailleurs un certain nombre d'autres particularités intéressantes.
M. K..., né aux Antilles, d'une constitution très délicate, nerveux et impressionnable au plus haut point, a été atteint de chancre induré en 1868, à l'âge de 29 ans. Parmi les ma-nifestations syphilitiques qui ont suivi, de près ou de loin,
l'accident primitif, figurent une double iritis extrêmement te-nace, des taches (?) sur le front, le psoriasis palmaire, des douleurs rhumaloïdes intenses et prolongées, une anémie pro-fonde et durable, enfin des arthrites subaiguës ayant occupé principalement les articulations tibio-tarsiennes. Un traitement approprié à la situation a été suivi d'une façon à peu près con-tinue pendant six mois environ et, à partir de cette époque, définitivement abandonné.
Tout alla bien jusqu'en 1873. Vers la fin de celte année-là, M. K... qui, depuis plusieurs mois, remplissaiten Cochinchine des fonctions publiques, fut atteint de la diarrhée du pays, et, par ce fait, profondément débilité. Vers la même époque, il commença à ressentir très fréquemment, presque habituel-lement, des douleurs de tête qu'il croyait être des migraines et qui ontpersisté, en s'aggravant, jusque dans ces derniers temps.
En mai 1874, six ans environ après le début de la syphilis, bien que la diarrhée se fût un peu amendée depuis quelque temps, M. K..., toujours très affaibli, toujours sujet à ses maux de tête, fut à la suite d'une discussion vive, saisi tout à coup d'un accès d'épilepsie avec perte immédiate de la con-science, convulsions généralisées, d'emblée, écume à la bou-che, urines involontaires, etc. L'invasion, je le répète, paraît avoir été littéralement soudaine, inopinée, et le malade ne connaît l'attaque que d'après ce qui lui en a été dit par les as-sistants.
A la suite de cet accident il fut décidé, qu'en raison de l'état depuis plusieurs années fort délabré de sa santé, M. K... prendrait un congé illimité et rentrerait en France. Sur le pa-quebot, pendant la traversée, un nouvel accès se produisit, en tout semblable au premier ; puis, quelques jours après un autre encore, mais fort différent celui-là des précédents. Cette fois, en effet, le malade avait senti d'abord sa main gauche se fermer convulsivement et le bras correspondant se roidir, après
quoi, par suite d'un mouvement de torsion du cou, sa face s'était portée vers l'épaule gauche. Enfin, comme attiré par une force invincible vers la gauche, il était tombé sur ce côté et c'est à ce moment seulement, c'est-à-dire plusieurs secon-des après le début de l'accès que la perte de connaissance était survenue. Le véritable caractère des accidents convulsifs venait ainsi de se révéler : à partir de là, les accès ne se sont plus présentés jamais que sous forme d'épilepsie partielle ou hémiplégique, tantôt avec perle de connaissance, tantôt, le plus souvent peut-être, sans perte de connaissance.
Depuis le 9 juillet, époque du débarquement à Marseille, jusqu'à la fin d'octobre, autrement dit durant une période de près de quatre mois, ils n'ont pas cessé de se reproduire tous les cinqou six jours, et quelquefois même plusieurs foisparjour.
Pendant les trois premiers mois, à part la céphalalgie à peu près toujours présente, et localisée comme je le dirai, sur un espace circonscrit dans la région du pariétal droit, les in-tervalles des accès étaient restés libres de tout accident per-sistant; mais, dans les premiers jours d'octobre, la contrac-ture commença à s'emparer du membre supérieur gauche, de la main surtout, et à l'occuper d'une façon persistante de manière aie tenir, en permanence, dans la demi-flexion. Elle envahit même, bien qu'à un degré moindre, le membre infé-rieur correspondant. Il faut ajouter que la main et l'avant-bras contractures étaient devenus, dans le même temps, le siège de fourmillements incommodes et aussi d'une hyperesthésie exquise : le malade redoutait au plus haut point qu'on heurtât ce membre ou même qu'on le touchât légèrement, et, si cela arrivait quelquefois par hasard, il poussait des cris violents. Il assurait que, plusieurs fois, un ébranlement communiqué à sa main douloureuse avait été l'occasion du développement d'une de ses attaques convulsives1.
1 II n'est pas sans exemple, on le sait, que les accès d'épilepsie partielle
Il ne sera peut-être pas hors de propos de vous présenter la description des principaux phénomènes qui marquaient ces accès, telle à peu près que je l'ai recueillie de la bouche d'une personne fort intelligente, témoin des principales phases de la maladie de M. K... J'utiliserai d'ailleurs, dans mon récit, les observations, faites par le malade lui-même pendant le cours de celles de ses crises dans lesquelles la connaissance persis-tait.
Le début des convulsions est constamment annoncé par une exaspération de la céphalalgie localisée, comme il a été dit, sur un point de la région pariétale droite. La douleur, à ce moment, prend le caractère pulsatif, et, au bout de quel-ques minutes, elle semble se répandre sur la moitié de la face et du cou du même côté. Averti par ces phénomènes prémo-nitoires, le malade a presque toujours le temps de gagner son lit et de s'y étendre. Alors, on voit le membre supérieur gau-che se fléchir à l'excès au niveau des articulations du poignet et du coude, et prendre en même temps l'attitude de la pro-nalion forcée ; quelques secondes après surviennent les se-cousses rhytmiques qui l'ébranlent dans toute son étendue. La tête bientôt se porte vers l'épaule gauche et est agitée elle aussi par ces mêmes secousses; en même temps se produi-sent dans le côté gauche de la face, des grimaces qui se suc-
d'origine cérébrale puissent être provoqués par certaines manœuvres. Chez une femme de mon service, la nommée P..., présentant une contracture des membres supérieur et inférieur du côté gauche, permanente à un certain degré, mais s'exaspérant considérablement pendant la station debout et la marche, les accès spontanés, commencent par le membre inférieur. Celui-ci alors se roidit à l'excès, dans l'extension, le pied prenant l'attitude du pied bot équin spasmodique, et bientôt survient la trépidation. Le membre supé-rieur, puis la face, sont ensuite envahis successivement et la perte de con-naissance survient dans certains cas. Lorsque les accès ne se sont pas pro-duits depuis quelque temps, il est toujours possible d'en provoquer artificiel-lement le développement en relevant brusquement la pointe du pied gauche ; la trépidation se manifeste, en conséquence, presque à coup sûr, et tous les autres phénomènes de l'accès s'en suivent. (J.-M. C.)
cèdent rapidement. A son tour, le membre inférieur gauche est envahi ; il se roidil dans l'extension forcée, s'élève au-des-sus du plan du lit, puis quelques secondes après il est pris de trépidation. Enfin, dans certains accès, la rigidité et les con-vulsions rythmiques gagnent les parties du côté opposé du corps. Lorsque la perte de connaissance se produit, c'est à ce moment qu'elle survient. Je dois ajouter que plusieurs fois, après avoir éprouvé la sensation d'être attiré vers la gauche, le malade a subi pendant l'accès un véritable mouvement de rotation, s'opérant de droite à gauche, suivant l'axe longitudi-nal du corps, et s'est trouvé à la fin de la crise couché sur le ventre1.
Tel est l'ordre régulier et constant de la succession des phé-nomènes convulsifs. Je crois devoir vous faire remarquer in-cidemment que le mode d'invasion se fait ici conformément à la règle établie par les ingénieuses études de M. H. Jackson. Vous n'avez pas oublié, en effet, que d'après ce médecin dis-tingué — plus d'une fois j'ai pu vérifier l'exactitude de ses assertions à cet égard— lorsque les convulsions, dans l'épi-lepsie partielle débutant par le membre supérieur, tendent à se généraliser, elles n'envahissent le membre inférieur qu'a-près avoir, au préalable, gagné la face. Si, au contraire, il s'a-git d'un cas où la face est affectée tout d'abord, c'est, après elle, le tour du membre supérieur, et en dernier lieu celui du membre inférieur. Si enfin, comme cela se présentait dans les deux premières observations que j'ai rapportées, les convul-sions attaquent premièrement le membre inférieur, elles se répandent successivement sur le membre supérieur d'abord, puis sur la face. Cet ordre ne paraît êlre presque jamais inter-
1 II est remarquable que, chez M. K..., Ie3 accès survenaient à peu près toujours entre cinq et six heures du soir. M. Lagneau, fils (Maladies syphiliti-ques du système nerveux. Paris, 1860, p. 125), a réuni plusieurs exemples d'épilepsie syphilitique dans lesquels les accès se montraient de préférence le soir ou la nuit.
Chahcot. Œuvres complètes, t. ii. 25
verti : fait non seulement curieux, mais propre encore, on le comprend, à éclairer diverses questions appartenant au do-maine de la physiologie pathologique.
Encore au point de vue de l'interprétation physiologique je relèverai que la céphalalgie, dont l'exaspération annonçait, chez M. K..., le développement de l'accès, occupait un espace circonscrit sur la région du pariétal droit, tandis que les con-vulsions portaient, chez lui, sur les parties du côté gauche. Cette disposition alterne des convulsions et de la douleur de tête, ainsi que la localisation de celle-ci sur un point de la ré-gion pariétale, se trouvent plus ou moins explicitement signa-lées dans un certain nombre d'observations d'épilepsie par-tielle d'origine syphilitique 1 ou indépendante de la syphilis ; et peut-être la relation dont il s'agit sera-t-elle, en pareille circonstance, plus souvent mentionnée à l'avenir lorsqu'on s'attachera mieux à la rechercher. Quoi qu'il en soit, il y a là un fait digne d'intérêt lorsque l'on sait que les parties de la surface des hémisphères cérébraux qui sont en rapport avec la région pariétale du crâne, et plus particulièrement les circon-volutions qui bordent le sillon de Rolando (circonvolutions pa-riétale et frontale ascendantes) sont désignées par les travaux récents comme représentant la zone motrice, ou, autrement dit, comme la seule région de l'écorce cérébrale dont l'irrita-tion peut déterminer, sur le côté opposé du corps, la produc-tion des phénomènes d'épilepsie partielle. Vous ne devez pas vous attendre toutefois à rencontrer toujours une répartition des convulsions et de la céphalalgie aussi exactement conforme à la théorie. Vous avez vu, en effet, dans notre première ob-servation, la douleur de tête prémonitoire et les convulsions
1 Voir enlre autres les observations du Dr Todd : Clinical Lectures on paralysis,e\.c. London, 1856. — Lect. XVII : On a case of syphilitic diseuse ofthe Dura-Mater, p. 391.
initiales occuper le même côté ; je pourrais citer quelques au-tres exemples du même genre !.
Mais il est temps d'en revenir au cas particulier de M. K... Durant une longue période de quatre mois, des pratiques hy-drothérapiques mal réglées, des doses insignifiantes de bro-mure de potassium avaient été les seuls moyens opposés aux pro-grès du mal. Aussi la situation allait-elle empirant chaque jour, •et vers le milieu d'octobre, elle était devenue des plus inquié-tantes. Les accès sévissaient de plus belle. Il était survenu de d'amnésie, de l'hébétude, une véritable déchéance intellec-tuelle : la diarrhée, un instant conjurée avait reparu. La fai-blesse était à son comble ; le malade, depuis plusieurs se-maines déjà, confiné dans sa chambre, se trouvait dans l'im-possibilité absolue de quitter son lit.
Les choses en étaient à ce point lorsque MM. les docteurs Cornuel, Picard et moi, nous nous réunîmes en consultation auprès de M. K... Il fut convenu que l'on agirait aussi éner-giquement que le permettait l'état général du malade 2. On prescrivit la diète lactée et le nitrate d'argent sous forme de pilules ; en même temps, on pratiquerait les frictions hydrar-gyriques et l'iodure de potassium serait administré sous forme -de lavements à la dose de 3 à 5 grammes pour les 24 heures.
Grâce au concours intelligent de parents dévoués, nos pres-•criplions furent suivies pour ainsi dire au pied de la lettre. Les résultats obtenus furent immédiatement des plus encoura-
1 Dans plusieurs cas d'épilepsie partielle que j'ai observés, la douleur de " ête prémonitoire des accès était localisée sur deux points à la fois : l'un sié-geant dans la région pariétale d'un côté, l'autre sur la région temporale de l'autre côté. La douleur pariétale occupait toujours, dans ces cas, le côté opposé au siège des convulsions. (J.-M. G.)
2 Les bons effets des préparations mercurielles contre l'état cachectique qui relève de la syphilis tertiaire ont été parfaitement mis en relief par le Dr T Heade (de Belfast), dans un passage intéressant de son livre : Syphilitic affections of ?the nervous System. Loudon, 1867, p. 18.
géants. Au bout de huit jours seulement, il était devenu évi-dent déjà que le mal n'était pas au-dessus des ressources de l'art ; un seul accès nouveau s'était produit le 30 octobre ; la contracture permanente avait disparu comme par enchante-ment, l'état général enfin s'était notablement amélioré. Huit jours plus tard, le malade avait pu quitter son lit et faire quel-ques pas dans sa chambre.
Au commencement de décembre, il était devenu capable de sortir de chez lui et de faire en voilure d'assez longues prome-nades ; à la fin de ce mois, il s'était plusieurs fois promené à pied en plein air, pendant plus d'une heure. Depuis le 30 oc-tobre, les accidents nerveux n'avaient plus reparu.
Malheureusement, durant le cours des six premiers mois de l'année 187S, la diarrhée contractée en Cochinchine, se mani-festa derechef à divers intervalles, et, en conséquence, la re-prise projetée du traitement mixte à interruptions ne put pas être mise à exécution d'une façon régulière. Trois ou quatre fois, durant cette période, il se produisit des rechutes de l'af-fection cérébrale, marquées par des accès épileptiformes, moins intenses toutefois, et beaucoup plus rares que précé-demment. Mais enfin, pendant un séjour de plusieurs mois à Amélie-les-Bains, l'état de l'intestin s'étant modifié de la façon japlus heureuse, le traitement de l'affection convulsive put être repris sérieusement et prolongé pendant un laps de temps suf-fisant ; à la suite de ce traitement, les accidents nerveux dispa-rurent définitivement.
M. K... est venu me rendre visite à la fin de 1876 ; depuis près de 14 mois, il n'avait plus éprouvé d'attaques ; sa santé d'ailleurs s'était tout à fait raffermie. Il était sur le point de partir pour nos colonies d'Amérique où il comptait reprendre immédiatement ses anciennes fondions.
Ce serait s'abuser sans doute que de compter toujours sur
des résultats aussi heureux que ceux qui ont été obtenus dans les trois observations qui précèdent, et je n'ignore pas qu'il se-rait aisé de citer nombre de faits de syphilis cérébrale avec épi-lepsiepartielle où, malgré l'assistance d'un zèle éclairé, les cho-ses ont mal tourné. Je ne puis m'empêcher de croire, cepen-dant, que dans les cas où la nature des accidents nerveux étant reconnue à temps, le plan de traitement proposé pourra être mis à exécution, l'insuccès sera l'exception *.
1 La paralysie motrice transitoire d'un membre, survenant tout à coup, sans être précédée de contracture ou de convulsions toniques et se reprodui-sant à plusieurs reprises, à des intervalles plus ou moins éloignés, doit être placée, à côté de l'épilepsie partielle, parmi les manifestations si variées de la syphilis cérébrale.
En septembre 1872, je fus consulté par M. A., officier dans un régiment de cavalerie, pour une céphalalgie à peu près permanente datant de six se-maines environ et qui déjà à plusieurs reprises s'était montrée dans le cou-rant de l'année. En outre de la douleur de tête, il y avait des troubles dys-peptiques très accentués, souvent des vomissements, une grande prostration des forces, de l'amaigrissement, une anémie profonde. Le siège de la cé-phalalgie ne se trouve malheureusement pas précisé dans la note que j'ai conservée.
M. A... avait contracté un chancre induré quinze ans auparavant et depuis cette époque jusque dans ces derniers temps, il n'avait pas cessé d'être sou-mis de temps à autre, pour ainsi dire chaque année, à l'emploi de prépara-tions mercurielles, d'iodure de potassium principalement, dans le but de combattre divers accidents qui toujours étaient rattachés, à tort ou à raison, par les médecius consultés, à la syphilis. Sous l'influence de je ne sais quelles préoccupations, je méconnus, je dois l'avouer, pendant près-d'un mois, le vérita-ble caractère de la céphalalgie et des autres phénomènes qui l'accompagnaient. Aussi les accidents allaient-ils toujours s'aggravant.
Un jour on m'apprit que, depuis quelque temps, M. A... éprouvait de temps à autre, ce qu'on appelait des absences. 11 s'arrêtait soudain, l'œil fixe, au milieu d'une conversation, pâlissait, et au sortir de ces sortes d'accès, qui duraient à peine quelques secondes, il restait pendant un cer-tain temps comme hébété. D'ailleurs rien qui ressemblât à de l'aphasie; pas traces de convulsions sur aucun point au début de la crise. Le malade n'avait, lui, aucune connaissance de ces absences, dont il était du reste assez disposé à nier l'existence.
Un soir, vers sept heures, on vint me chercher en toute hâte. M. A... avait été frappé, deux heures auparavant, pendant une absence dont la durée n'avait pas dépassé le terme ordinaire, d'une paralysie subite affectant le membre supérieur gauche. En revenant à lui, il avait trouvé ce membre absolument inerte, flasque, pendant le long du corps. Je constatai que la paralysie était limitée au membre supérieur gauche qu'elle occupait dans toute son étendue, et qu'elle n'intéressait ni la face, ni le membre inférieur du côté correspondant. Les personnes présentes m'assurèrent qu'à aucun moment il ne s'était produit rien qui ressemblât à des convulsions. 11 n'exis-
Les lésions de la pachyméningite gommeuse circonscrite, avec participation des membranes subjacentes, paraissent être le substratum anatomique le plus habituel de l'épilepsie par-tielle syphilitique. On les trouve déjà décrites avec une cer-taine précision, dans une observation relative à cette affection publiée par Todd, en 1851 *. Deux planches chromo-litho-graphiées annexées à l'ouvrage de M. G. Echeverría 2 et qui donnent des lésions, qu'on n'a pas l'occasion fréquente de ren-contrer dans les autopsies, une représentation fidèle, concer-nent également un cas d'épilepsie partielle. Il en est de même d'une figure dessinée par Lackerbauer et publiée par M. Lancereaux dans son Traité de la syphilis s. Malheureuse-ment, les faits cliniques que ces figures sont destinées à illus-trer laissentbeaucoup à désirer.
En dehors de l'épilepsie partielle, des formes cliniques très diverses de la syphilis cérébrale peuvent relever encore de la pachyméningite gommeuse. Il n'est plus guère douteux au-ourd'hui que ces différences souvent si prononcées dans l'ex-
tait d'ailleurs aucun trouble delà sensibilité dans la partie paralysée : ni anes-thésie, ni analgésie, ni fourmillement. La monoplégie s'amenda progressive-ment, pendant la soirée, d'une façon très rapide. Le lendemain matin, il n'en existait plus de traces.
Les diverses circonstances qui viennent d'être relatées me frappèrent très vivement : l'influence de la syphilis ne me paraissait plus méconnaissable et j'étais désireux de regagner au plus vite le temps perdu ; j'instituai immédiate-ment le traitement mixte, suivant la méthode dont il a été plusieurs fois question dans le courant de la présente leçon.
Un nouvel accès de monoplégie brachiale gauche, en tout semblable au précédent et dont la durée ne dépasse pas 4 ou 5 heures, se produisit 3 ou 4 jours après le commencement du traitement : ce fut le dernier. La céphalal-gie, l'anémie, la prostration des forces disparurent, elles aussi, avec une rapi-dité merveilleuse et de façon à montrer aux plus incrédules que cette fois j'avais touché juste. Le traitement fut continué avec les interruptions recom-mandées pendant près de trois mois.
J'ai reçu il y a 5 ou 6 mois des nouvelles de M. A... J'ai été heureux d'apprendre que, depuis l'époque où je l'avais perdu de vue, aucun accident n'avait reparu. (J.-M. C.)
1 Medical Gazette, January 1851, et Clinical Lectures, toc. cit.
s On Epilepsij. New-York, 1870. Pl. III et VI.
3 Paris, 1866. Pl. Il, flg. 6.
pression symptomatique d'une même altération organique, dé-pendent surtout du mode de localisation de celle-ci à la surface des hémisphères. Suivant la théorie fondée sur des travaux ré-cents, les plaques gommeuses dans l'épilepsie partielle devront siéger à la surface des circonvolutions frontale ou pariétale as-cendantes ou, tout au moins, dans leur voisinage immédiat ; la réalité du fait n'a pas encore été régulièrement vérifiée, que je sache, quant à présent, mais elle ne tardera pas, sans doute, à l'être ;' en attendant, je puis faire remarquer que, dans la planche d'Echeverria déjà mentionnée tout à l'heure, il est aisé de reconnaître que les lésions gommeuses de la pie-mère occupaient le voisinage immédiat du sillon de Rolando, en ar-rière de lui, non loin delà scissure médiane, c'est-à-dire une région appartenant, pour une part, au domaine de la zone mo-trice corticale.
Tant que l'épilepsie partielle syphilitique n'est pas invétérée, tant que les accès qui la constituent cliniquement restent sé-parés par des intervalles libres de tout symptôme permanent la substance grise cérébrale, au contact de la pie-mère altérée, n'a subi encore, tout porte aie croire, que les lésions du genre de celles qu'on a quelquefois appelées dynamiques,—lésions transitoires en tous cas, et non désorganisatrices. 11 se produi-rait, en pareil cas, suivant H. Jackson, dans la substance ner-veuse, en conséquence d'un processus irritalif déterminé par voisinage, une sorle d'emmagasinement, d'accumulation de force dont la dépense se ferait de temps à autre, sous l'in-fluence des causes les plus banales et souvent inaperçues, par une sorte d'explosion d'actes moteurs désordonnés, convulsifs, soudains, portant sur le côté du corps opposé au siège de la lésion méningée. La décharge sera suivie d'un épuisement mo-mentané dont la traduction clinique est la paralysie tempo-raire avec flaccidité, qui s'observe en réalité très fréquemment à la suite des accès d'épilepsie partielle, dans les parties même,
qui(Trît été le siège principal des convulsions. Si ce n'est pas là, à proprement parler, une théorie régulière, c'est tout au moins une manière ingénieuse de grouper les faits.
A la longue, par suite de la répétition de ces actes, ou par le fait de l'extension progressive des lésions méningées à la sub-stance nerveuse, celle-ci s'altère à son tour profondément ; alors en môme temps que se produisent les dégénérations se-condaires descendantes, l'hémiplégie permanente et indélébile peut survenir *.
Ces considérations anatomo-pathologiques et physiologiques concourent, vous le voyez, à faire ressortir, une fois de plus, l'importance des décisions promptes et énergiques en matière d'épilepsie partielle d'origine syphilitique 2.
1 Sur la production des dégénérations secondaires à la suite des lésions de la zone motrice corticale, voir Charcot, Leçons sur les localisations dans les maladies du cerveau, p. 160. Paris, 18*6. — M. Hanot a présenté en 1870, à la Société anatomique, un exemple recueilli dans le service de M. Charcot, de dégénération descendante, avec hémiplégie permanente, consécutive à une lésion gommeuse cérébrale. (Bull, delà Soc. anat., 1870, p. 431).
2 Consulter aussi : A case of syphilitic Disease of the Brain, by J. Dreschfeld (The Lancet, 1817, vol. I, p. 268). Cette observation est particulièrement intéres-sante au point de vue de la localisation des lésions.
APPENDICE
APPENDICE
i.
Luxations pathologiques et fractures spontanées mul-tiples chez une femme atteinte d'ataxie locomotrice ;
par J.-M. Charcot.
(Voyez : Leçon IV, p. 62.)
L'observation dont je vais faire connaître les détails offre un nouvel exemple de ces troubles trophiques des parties pé-riphériques, produits en conséquence d'une lésion du centre nerveux spinal, et sur lesquels j'ai "appelé l'attention des physiologistes et des médecins. Il s'agit dans ce cas d'arthro-pathies et de fractures spontanées multiples survenues chez une femme atteinte d'ataxie locomotrice progressive.
Observation. — Ataxie locomotrice progressive. — Luxations et fractures spontanées consécutives. —Luxation ïlio-pubienne com-plète de larticulation coxo-fémorale gauche. Raccourcissement du fémur gâche. — Fracture du col anatomique du fémur gauche. — Luxation ilio-ischiatique complète de Varticulation coxo-fémorale droite. — Luxation sous-coracoïdienne complète de Varticulation scapulo-humérale ga che. — Fracture consolidée à cal difforme et oblique des deux os i Vavant-bras gauche. — Arthrite chronique de Varticulation scaf. lo-humérale droite. — Fracture consolidée à cal volumineux des deux os de Vavant-bras i.
1 Observation rédigée d'après les notes recueillies par M. Bourneville^ V aussi : Forestier, thèse de Paris, 1874).
La nommée A. G..., âgée de 57 ans, domestique, a été admise à la Salpêtrière, comme infirme, le 8 février 1866. Elle est entrée à l'infirmerie de l'hospice, salle Saint-Jacques, n° 23, le 15 octo-bre 1873.
Cette femme a eu neuf enfants ; sept d'entre eux sont morts entre 5 et 15 mois. Une autre a succombé à l'âge de 3-4 ans, des suites d'une couche. Il n'y a rien à noter dans les antécédents de la malade, si ce n'est de fortes migraines, accompagnées de vo-missements, coïncidant le plus souvent avec les règles. Les mi-graines ont en grande partie disparu vers l'âge de 35 ans (1850), époque à laquelle ont apparu les douleurs fulgurantes, qui mar-quent le début de la maladie actuelle. Ces douleurs ont occupé tout d'abord les membres inférieurs, les mollets surtout et les cous-de-pieds. « Je sentais, dit-elle, comme des éclairs me passer dans les jambes » ; elles étaient violentes, plus fortes la nuit que le jour, revenaient par crises, lesquelles duraient environ de 12 à 15 heures. Vers le même temps survint un sentiment habituel de construction douloureuse à la base de la poitrine. Les crises dou-loureuses qui, dans les premiers temps, se montraient toutes les trois semaines environ, devinrent, par la suite, plus fréquentes et plus violentes. Elles auraient atteint leur maximum d'intensité et de fréquence vers l'âge de 38 ans.
A l'âge de 42 ans, à la suite d'engourdissements dans le pied droit, la malade remarqua un jour que la cuisse de ce côté était considérablement tuméfiée', le membre, sur ce point, avait, paraît-il, presque doublé de volume. Cette enflure ne s'accompagnait ni de rougeur, ni de douleur ; elle n'empêcha pas C... de continuer, comme par le passé et sans gêne notable, son service de domes-tique. L'enflure et l'engourdissement persistèrent pendant plu-sieurs mois. Ces symptômes étaient en voie d'amendement, lors-que, un matin (1858), en descendant de son lit, la malade remarqua avec étonnement qu'elle boitait, et que son membre in-férieur droit s'était raccourci. Il s'était produit, pendant la nuit, dans le lit, sans douleur, une luxation de la hanche droite.
La marche, à partir de cette époque, fut rendue difficile, mai non impossible, tant s'en faut; car C..., devenue incapable di continuer son service de domestique, put encore, néanmoins, pendant près d'un an, se rendre chaque jour à pied dans un hôtei meublé éloigné de sa demeure et où on l'occupait à faire des lits.
Vers le commencement de l'année 1859, survint dans le pie gauche un engourdissement semblable à celui qui, dans le temps, avait occupé le pied droit. Cet engourdissement durait depuib
plusieurs mois, lorsqu'une nuit, à la suite d'un mouvement dans le lit, un craquement se produisit dans la hanche gauche qui se luxa.
A partir de ce jour, les deux membres inférieurs étant égale-ment, raccourcis, tout travail actif devint désormais impossible. C... se fit transporter à l'hôpital de la Charité, où elle demeura pendant quatre mois. A celte époque, elle pouvait encore se tenir debout et marcher même, en s'appuyant le long des murs. Elle éprouvait, comme par le passé, de temps a autre, des crises de douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs. Ces dou-leurs ne s'étaient pas montrées encore dans les membres supé-rieurs.
Après sa sortie de la Charité, C... fut admise successivement dans dans divers hôpitaux ; enfin, elle rentra, en juillet 1865, à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. Vigla. A ce moment, la ma-lade se servait très bien.de ses membres supérieurs, qui n'étaient le siège d'aucune douleur; quant aux membres inférieurs, où les douleurs fulgurantes continuaient à se produire de temps en temps, elle pouvait, au lit, leur imprimer des mouvements éner-giques ; mais ces mouvements étaient devenus désordonnés, mal coordonnés, rappelant ceux des jambes d'un polichinelle ». Les diverses jointures de ces membres avaient acquis une laxité extrême; aussi C... pouvait aisément « embrasser son pied, » le porter môme derrière sa tête, toutes choses qu'il lui était impos-sible de faire autrefois. Un jour, étant au lit, et voulant faire montre de sa souplesse, elle porta son pied gauche vers sa bou-che, comme pour l'embrasser, et dans ce moment le fémur gau-che se fractura.
Les douleurs fulgurantes commencèrent à se montrer dans les membres supérieurs un an environ après l'admission de G... à l'hospice de la Salpêtrière (fin de 1866), et depuis tors, elles n'ont pas cessé de survivre par crises. Elles siègent, tantôt sur un point, tantôt sur un autre ; jamais elles ne se montrent aussi violentes que celles qui, de temps en temps, occupent encore les membres inférieurs. Les mouvements dans les membres supérieurs n'ont été affectés que dans ces derniers temps. Aussi, à la fin de juin 1873, C .. pouvait encore sans difficulté porter ses aliments à sa bouche, se livrer à des travaux d'aiguille, ramasser sur son lit les objets les plus délicats, un brin de fil, une aiguille. Cepen-dant, il lui arrivait parfois de ressentir de la roideur dans les doigts, qui se redressaient obstinément. En dehors de cela, il n'existait à cette date, dans les membres supérieurs, aucune trace d'incoordination motrice.
Vers le milieu de juillet 1873, G..., au moment où elle chan-geait de position dans son lit, se fractura les deux os de l'avant-bras gauche. Elle ne saurait dire au juste comment cette fracture s'est produite ; mais il est certain qu'il n'y a eu ni chute, ni effort violent. Aucun appareil n'a été appliqué. La consolidation s'est faite assez rapidement ; le cal est volumineux, difforme. Depuis l'époque où cet accident a eu lieu, la main gauche présente une déformation particulière qui tend chaque jour à s'accuser davan-tage. Les éminences thénar et hypothénar sont rapprochées l'une de l'autre ; le pouce allongé repose sur l'index qui est légère-ment fléchi. Les autres doigts sont également dans la demi-flexion.
Trois mois après (septembre 1873), dans le temps où C... s'ai-dait de la main droite pour se redresser sur son lit, Vavant-bras droit s'est fracturé à son tour vers la partie moyenne. Aucune douleur ne s'est fait sentir au moment où la fracture est surve-nue. Un appareil a été appliqué. La consolidation s'est faite assez promptement, sans grande difformité. La main droite commence à présenter une déformation analogue à celle qu'offre la main gauche. Les mouvements des divers segments du membre sont faciles encore et réguliers. G... peut porter avec la main droite ses aliments à sa bouche, ramasser de menus objets, etc. Enfin, le 11 octobre 1873, à la suite d'un mouvement insignifiant, une luxation de l'épaule gauche s'est produite. L'épaule, au préalable, n'avait pas présenté de gonflement, et la malade n'y avait res-senti aucune douleur.
Vers la même époque, des troubles de la vision sont remarqués pour la première fois ; de temps à autre, les objets paraissent doubles : des étincelles passent parfois devant les yeux. On note que la pupille droite est, d'une manière permanente, plus dilatée que; la gauche.
État actuel (relevé le 26 novembre 1873). A ma prière, mon collègue, M. le Dr Meunier, chirurgien de la Salpètrière, a bien voulu étudier et décrire avec grand soin les lésions que présentent chez G... les os et les jointures. Je reproduis in extenso la note qu'il a eu l'obligeance de me remettre à ce sujet :
Membre inférieur gauche. — Il est très raccourci et mesure 62 centimètres de l'épine iliaque antérieure et supérieure à la malléole externe. 11 est placé sur le côté externe dans l'abduction et dans la rotation en dehors. Il n'y a à signaler aucune particu-larité notable pour le pied, la jambe, le genou et même pour la partie inférieure de la cuisse. C'est la partie supérieure de la cuisse ainsi que la hanche, et comme siège précis, c'est l'arlicu-
lation coxo-fémorale qui est lésée. Le grand trochanter est abaissé •et dans une position telle, qu'il est porté du côté de la partie pos-téro-externe de la cuisse. Il se trouve situé à une distance d'en-viron 12 centimètres de l'épine iliaque antérieure et supérieure, lorsque le membre est placé dans la rectitude (Voy. Planche VI.)
Toute la partie interne de la cuisse, à partir de 8 centimètres au-dessus du condyle interne du fémur, présente successivement des plis transversaux, plus ou moins profonds, que l'on peut éva-luer à environ une douzaine ; les uns occupent toute l'étendue de cette partie interne la dépassant même en arrière ; les autres, plus rapprochés du pli de l'aine, dépassent la partie antérieure de la cuisse et se prolongent même, sans l'atteindre, jusque vers la partie latérale externe.
Sur la partie externe de la cuisse se trouvent quelques bour-relets de peau, dans le sens longitudinal du membre, bourrelets s'effaçant par les mouvements.
La forme de la cuisse est celle d'un cône tronqué. — La cuisse tout entière est raccourcie, et mesure depuis l'épine iliaque anté-rieure et supérieure jusqu'au condyle interne du fémur une lon-gueur de 23 centimètres.
L'articulation de la hanche jouit de ses six mouvements, la flexion, l'extension, l'adduction, l'abduction, la rotation et la circumduction. Le mouvement d'extension est limité. Le mouve-ment d'abduction est le plus étendu, la jambe et la cuisse pouvant être placées entièrement sur leur partie latérale externe où elles reposent sur le plan du lit. Ces mouvements sont ceux exécutés par la malade elle-même. On peut les produire aussi complète-ment qu'ils sont décrits ci-dessus. Dans les mouvements provoqués •on entend parfois, surtout quand le membre est placé dans la rotation en dehors, des craquements très prononcés, dus sans doute au frottement de deux surfaces rugueuses.
Nous induisons de la description ci-dessus qu'il y a une luxation de la hanche. La tête fémorale étant portée en haut et en dedans, la variété de luxation est celle désignée sous le nom de luxation ilio-pubienne; ajoutons que cette luxation est complète et de cause pathologique.
Le fémur, très raccourci, ne présente point d'altération dans sa partie inférieure ni dans sa partie moyenne, jusques et y compris le grand trochanter. Dans toute cette partie de la diaphyse de l'os, il ne se rencontre ni solution de continuité, ni augmentation de volume. Il n'en est pas de même plus haut, où nous trouvons l'impuissance du membre, celui-ci ne pouvant être détaché com-plètement du plan du lit, surtout le talon. Il existe également, à la
racine du membre, de la mobilité anormale, ainsi que de la cré-pitation, caractères indiquant une fracture au col anatomique du fémur ; par suite fracture intra-articulaire; tels sont les signes rationnels et sensibles les plus accusés qu'il nous soit permis de constater par l'examen.
Membre inférieur droit. — Sa longueur est de 74 centimètres, par conséquent de 12 centimètres de plus que celui du côté op-posé ; cette longueur est mesurée depuis l'épine iliaque antérieure et supérieure, jusqu'à la malléole externe. Le membre est placé dans la rotation en dedans, le genou et le bord inférieur du pied reposant sur le plan du lit. Des plis moins nombreux mais plus obliques que ceux décrits pour le membre opposé existent à la partie interne de la cuisse depuis le bord interne du genou jus-qu'au pli de l'aine. On peut en compter six ou sept assez marqués, s'étendant depuis le genou ainsi que depuis la partie interne de la cuisse jusqu'à quelques centimètres de l'épine iliaque antérieure et supérieure. Ces plis remontent obliquement de bas en haut, de dedans en dehors, pour se diriger dans un sens oblique et pres-que vertical. — Le grand trochanter est remonté et placé sur une ligne qui joindrait transversalement l'épine iliaque antérieure et supérieure à l'ischion.
Les divers mouvements de l'articulation coxo-fémorale droite peuvent être exécutés par la malade elle-même. On peut aussi les provoquer; mais tandis que les mouvements d'adduction et de flexion sont exagérés, par contre les mouvements d'abduction et de rotation en dehors sont limités et même notablement diminués. C'est en produisant ces mouvements que l'on éprouve la sensation de craquements dans l'articulation coxo-fémorale. Le fémur, dans toute sa longueur ainsi qu'à ses deux extrémités, ne présente au-cune solution de continuité et aucune augmentation dans son vo-lume ; la tète du fémur peut se sentir facilement à travers la peau, du côté de la partie externe de la hanche. Elle est portée directe-ment en arrière et en haut. Il existe donc là une luxation ilio-ischiatique.
Membre supérieur gauche. — Il présente des lésions à l'épaule et à l'avant-bras. Le bras mesure, depuis l'acromion jusqu'à l'épi-trochlée, une longueur de 31 centimètres. Il est par conséquent un peu allongé. Le moignon de l'épaule est manifestement aplati. La paroi antérieure du creux de l'aisselle présente plusieurs plis verticaux. Les mouvements divers de l'articulation scapulo-hu-mérale sont produits spontanément avec une vivacité anormale, conséquence de l'ataxie dont est atteinte la malade. On peut éga-lement provoquer ces mouvements ; le mouvement d'élévation
du bras est le plus limité ; les mouvements d'adduction sont dimi-nués, la malade ne pouvant rapprocher complètement le bras du tronc ; les signes de la luxation existante ne sont pas très accusés ; toutefois, nous trouvons, en palpant le creux de l'aisselle, la tête numérale rapprochée de la partie interne et abaissée. Nous con-cluons de cet ensemble de signes à une luxation sous-coracoïdienne complète; la crépitation est très accusée dans les mouvements. Le reste de l'humérus est sain.
L'avant-bras gauche paraît légèrement raccourci ; il présente une augmentation de volume dans son tiers supérieur. Nous trouvons là, en effet, un cal un peu difforme occupant les deux os, commen-çant au niveau du tiers supérieur du cubitus à près de six cen-timètres de l'olécrâne, pour se diriger en descendant de l'avant-bras du côté du radius. Ce cal décrit une courbe à convexité en avant et à concavité en arrière. Il s'étend jusqu'à près de quatre centimètres de l'apophyse styloïde du radius. Il englobe tout l'espace inter-osseux vers le tiers supérieur de l'avant-bras, sur-tout postérieurement. Ce cal volumineux, allongé de haut en bas de dedans en dehors, est l'indice d'une fracture ancienne et con-solidée. Cette fraction spontanée a intéressé les deux os, le cu-bitus à son tiers supérieur, le radius à sa partie moyenne, c'est-à-dire qu'il y a eu là une fracture oblique à l'avant-bras. La cal, tel qu'il vient d'être décrit, gêne notablement les mouvements de flexion et d'extension des doigts. Les doigts de la main gauche sont habituellement allongés, mais leur extension comme leur flexion se font complètement ; toutefois, dans l'état habituel, les doigts sont placés dans une position différente tes uns par rapport aux autres, l'indicateur étant celui dont l'allongement est perma-nent.
Membre supérieur droit. — Sa longueur, mesurée depuis l'acro-mion jusqu'à l'épitrochlée, est de 29 centimètres : il est, par consé-quent, moins long de 2 centimètres que celui du côté opposé ; il ne présente point de luxation de l'épaule. Les mouvements de l'articulation scapulo-humérale se font tous en totalité. Il y a seulement par moments quelques craquements dans les mouve-ments, ce qui est l'indice d'une arthrite commençante.
L'avant-bras présente des lésions analogues, sinon identiques, à celles décrites ci-dessus pour l'avant-bras gauche. Il existe là un cal volumineux dont nous allons faire la description. Ce cal est l'indice d'une fracture ayant intéressé les deux os près et au-dessous delà partie moyenne. Le cal le plus volumineux est celui du cu-bitus ; il est placé sur le bord interne de cet os. Ce cal a une lon-
Charcot. Œuvres complètes, t. ii. 2fi
gueur d'environ 4 centimètres et descend jusqu'à cette même lon-gueur de la partie inférieure de cet os. L'épaisseur en est d'environ 3 centimètres ; beaucoup moindre en longueur est le cal du côté externe, c'est-à-dire celui du radius, son épaisseur pouvant être considérée comme sensiblement la même que celle de son os congénère. Les mouvements des doigts, c'est-à-dire ceux produits par l'action des muscles fléchisseurs et extenseurs des doigts, se font beaucoup plus aisément que ceux exécutés par les membres du côté opposé. Cette facilité plus grande des mou-vements doit être attribuée aux conditions dans lesquelles nous trouvons l'avant-bras.
En résumé, il y a eu là une fracture complète des deux os, qui est aujourd'hui consolidée et présente un cal volumineux.
Je compléterai cet exposé par quelques détails relatifs surtout à divers troubles de la sensibilité et du mouvement et à l'état gé-néral.
Appareil de la digestion. — La langue, tirée hors delà bouche, est animée d'un léger tremblement, prononcé surtout vers la pointe, du côté droit. L'appétit est bon ; la déglutition facile. Au-cun trouble de la défécation. La malade a éprouvé, à plusieurs reprises, des douleurs fulgurantes occupant la partie inférieure du rectum et les grandes lèvres. Ces douleurs sont, en général, moins intenses que celles qui se montrent dans les membres.
Circulation et respiration. — Pouls petit, régulier, moyenne-ment fréquent ; cœur à l'état normal. — L'auscultation et la per-cussion ne donnent, en ce qui concerne les poumons, que des ré-sultats négatifs.
La fonction urinaire est normale. Les urines ne présentent au-cune altération dans leur constitution physique et chimique.
Il s'est produit chez C..., dans le courant de ces dernières an-nées, un amaigrissement considérable. Elle mesurait autrefois 85 centimètres à la ceinture ; aujourd'hui elle ne mesure plus que 64 centimètres. C'est surtout depuis 1868 que cet amaigrissement a fait des progrès.
Les côtes sont solides et ne cèdent nullement à la pression, ainsi que cela a lieu habituellement dans l'ostéomalacie. Le bassin, non plus que les doigts des mains, ne présentent les déformations qui se lient en général à cette affection.
Mouvements, sensibililité. — On constate que les mouvements des membres inférieurs, tout limités qu'ils soient, sont encore assez énergiques, mais ils sont manifestement incoordonnés, de plus, la malade a perdu complètement la notion des positions im-
primées à ses membres. — Les mouvements provoqués, comme les mouvements spontanés, se font d'ailleurs absolument sans douleur.
Sur les membres la malade perçoit le contact, le chatouille-ment, le pincement, la piqûre d'épingles. Il n'y a pas de différence appréciable sous ce rapport entre les deux membres inférieurs. Il paraît manifeste, toutefois, qu'au niveau des pieds, la sensibilité est notablement émoussée. —L'exploration de la sensibilité au froid fournil les résultats suivants: Si, après avoir fermé les yeux de la malade, on applique sur les différents segments des membres inférieurs un vase en étain, c'est tantôt une sensation de brûlure qui est accusée, tantôt une simple sensation de contact. Ni le froid ni le poids du vase ne sont sentis. Mais si, pendant l'expérience, on laisse la malade regarder, elle parvient après avoir fait une sorte d'effort pour saisir la sensation vraie, à reconnaître qu'elle s'est trompée tout d'abord et que l'objet qui la touche est réelle-ment froid.
La malade ne peut plus se servir actuellement du membre su-périeur gauche, même pour s'aider à manger. Elle a peu de force dans la main de ce côté et l'incoordination motrice est très-pro-noncée dans tout le membre, que les yeux soient ouverts ou fer-més lors de l'accomplissement des mouvements. C'est surtout depuis un mois que l'incoordination des mouvements s'est accusée. Les divers modes de la sensibilité sont là conservés. Cependant la malade ne distingue pas nettement la différence qu'il y a entre deux corps inégalement froids. — Les mouvements du membre supérieur droit sont moins profondément affectés ; 1 incoordina-tion y est moins accentuée ; elle s'exagère notablement lorsque les paupières sont closes. Aujourd'hui, c'est à grand'peine qu'elle peut, à l'aide de cette main, porter un verre à sa bouche.
Décembre 1876. — Les craquements de l'épaule droite s'accusent déplus en plus ; on n'observe sur cette jointure ni douleur ni gon-flement.
15 décembre. — C... a remarqué ^depuis quelques jours qu'elle ressentait des craquements dans ,1'articulation temporo-maxillaire gauche. On reconnaît que la jointure en question jouit d'une mo-bilité exagérée. Les mouvements spontanés ou provoqués n'y pro-duisent d'ailleurs aucune douleur *.
i Cette malade est morte en 1876, de la rupture d'un anêvrysme de l'aorte. — La moelle épinière présentait une sclérose des cordons postérieurs, caracté-ristique de l'ataxie locomotrice progressive. — Les lésions sur lesquelles nous devons insister ici sont celles des os et des articiclations.
Cette observation n'a pas besoin, je pense, d'être accompa-gnée de longs commentaires ; les enseignements qu'elle ren-ferme s'imposent, en effet, pour ainsi dire, d'eux-mêmes.
Les circonstances particulières dans lesquelles, sous l'action
Les deux omoplates qui ont été fracturées sont raccourcies parce que le fragment inférieur a remonté sur la face postérieure du fragment supérieur. — Elles nous montrent un cal assez régulier et complet à droite, — irrégulier et incomplet à gauche en cesens que la fracture, qui a la forme d'un angle droit à sommet interne, n'est consolidée que dans sa partie verticale : les deux lèvres de la portion horizontale de la fracture ne sont pas soudées et sont revêtues de végétations osseuses. — Les fractures siègent à la partie moyenne de la fosse sous-épineuse.
La clavicule gauche présente une fracture consolidée, située à l'union de son quart externe avec ses trois quarts internes.
Le cubitus et le radius du côté droit offrent des cals volumineux consécu-tifs à des fractures qui se sont produites à l'union du tiers inférieur avec le tiers moyen. L'un et l'autre sont raccourcis.
Sur le cubitus gauche, on trouve un cal très-gros à la jonction du quart supérieur avec les trois quarts inférieurs. Du bord externe et postérieur de ce cal part une jetée osseuse qui se dirige obliquement en bas, en décrivant une courbe a concavité postérieure, et va s'unir au radius un peu au-dessous du tiers supérieur. — Le radius, qui a été fracturé à sa partie moyenne, pré-sente un cal long de cinq à six centimètres, volumineux, et qui, en bas, donne naissance à une autre jetée osseuse, laquelle vient s'unir à la face antérieure du cubitus, de telle sorte que la jetée supérieure est située en arrière des deux os et l'inférieur, au contraire, à leur partie antérieure. — Des deux côtés, les os des avant-bras sont raccourcis, principalement les radius et plus particu-lièrement le radius gauche. (Planche IX).
Les articulations coxo-fêmorales nous présentent les lésions habituelles des arthropathies des ataxiques. A droite et à gauche, le rebord si accusé à l'état normal des cavités cotyloïdes est en grande partie effacé ; il a même dis-paru dans la moitié inférieure, surtout à droite. En effet, de ce côté, la cavité cotyloïde n'a plus qu'un centimèlre de profondeur à droite et à peine un cen-timètre et demi à gauche.
Les lésions sont encore plus prononcées du côté des fémurs. A droite, la tête, le col et une portion notable du grand trochanter ont disparu. — A gauche, la tête n'existe plus; le col persiste, mais rudimentaire, réduit des deux tiers de son volume; le grand trochanter est usé et ce qui reste de l'extrémité supérieure du fémur vient aboutir à un cal irrégulier, offrant à sa partie inférieure et antérieure, une sorte de jetée triangulaire en forme de lamelle séparée de la face correspondante de l'os par un intervalle de trois ou quatre millimètres. En un mot, outre la lésion due à l'arthropathie, nous avons là une fracture. Presque tout le fragment supérieur s'est détruit par atrophie, par frottement, et la partie persistante s'est soudée avec le frag-ment inférieur. —Des lésions que nous venons de décrire, il résulte encore que, tandis que le fémur droit a 50 centimètres de longueur, le gauche n'a plus que 19 centimètres. (Planche X).
On voit, par la description qui précède, qu'il s'agit de lésions très intéres-santes et d'un genre tout à fait particulier et qu'on ne rencontre pas dans les formes ordinaires de l'arthrite sèche. B.
de causes traumatiques tout à fait insignifiantes, se sont pro-duites les diverses fractures, aussi bien celle de la cuisse que celle des deux avant-bras, ne permettent pas de reconnaître dans ce cas l'intervention de l'une quelconque des influences qui, dans la règle, président au développement des fractures dites spontanées. C'est ainsi, par exemple, qu'il y a lieu d'éli-miner toute action d'une prédisposition héréditaire, ou encore celle d'un élément diathésique tel que la syphilis, le cancer, la goutte, le rhumatisme. J'ajouterai que les diverses parties du squelette, les côtes en particulier et les os du bassin, ne pré-sentent chez la malade aucune des lésions qui, cliniquement, peuvent servir à caractériser l'affection désignée sous le nom d'osléomalacie ; enfin, et c'est là un point qu'il importe de bien mettre en relief, on ne saurait invoquer non plus l'exis-tence d'un trouble de nutrition du tissu osseux résultant d'une inactivité fonctionnelle prolongée des membres, consé-cutive elle-même à l'affection spinale. Tous les détails de l'observation établissent, au contraire, clairement, en ce qui concerne les membres supérieurs, que les fractures s'y sont produites à une époque où ces membres jouissaient encore de tous leurs mouvements physiologiques, la maladie spinale n'étant représentée là que par des accès de douleurs fulgu-rantes ; et, pour ce qui est du membre inférieur gauche, il possédait encore, lui aussi, lorsque le col du fémur s'est brisé, des mouvements étendus et énergiques, modifiés seulement, depuis quelque temps déjà, par l'incoordination motrice.
Après ces éliminations successives, on est conduit à admet-tre, si je ne me trompe, comme une hypothèse au moins fort vraisemblable, que la fragilité des os a été ici une conséquence en quelque sorte immédiate de la lésion des centres nerveux. Cette hypothèse, se rattachant étroitement à celle que j'ai proposée autrefois, lorsqu'il s'est agi de déterminer le mode pathogénique suivant lequel se produisent les arthropathies des ataœiques, je crois pouvoir me dispenser de rentrer à ce propos dans la discussion, et je me bornerai à renvoyer le lecteur aux arguments que j'ai déjà fait valoir à plusieurs reprises1.
1 Sur quelques arthropathies qui paraissent dépendre d'une lésion du cer-veau ou de la moelle épinière in Arch. de Phys , t. 1er, p. 161. Voir aussi même
Ce vice de nutrition, subordonné aune influence du système nerveux qui rend les os fragiles et fait comprendre le dévelop-pement des fractures spontanées, est aussi, je pense, un des éléments principaux qui concourent à la production de ces arthropathies singulières dont notre observation offre un exemple très remarquable. On sait, en effet, d'après la des-cription que j'ai donnée, que l'usure très rapide, et poussée à un degré extrême, des extrémités articulaires des os, est le principal caractère qui, au point de vue anatomo-pathologi-que, dislingue Y arthropathie des ataxiques de Y arthrite sèche vulgaire.
Il n'est pas sans intérêt de remarquer que la production de fractures survenant sous l'influence des causes les plus bana-les n'est pas, tant s'en faut, un fait absolument rare, dans l'a-taxie locomotrice progressive. J'ai, pour mon compte, rencon-tré déjà un certain nombre d'exemples de ce genre, et tout récemment M. Weir Mitchell1 appelait l'attention sur la fragi-lité des os des membres inférieurs chez les ataxiques et surla fréquence, chez ces malades, des fractures dites spontanées. J'ajouterai que parmi les observations qui se trouvent rassem-blées dans les divers écrits consacrés à l'étude de ce genre de fractures, il en est un certain nombre où l'on peut reconnaître, — bien qu'ils n'aient pas été relevés par les auteurs, — les symptômes tabétiques et en particulier les accès de douleurs fulgurantes. Je citerai, entre autres, à titre d'exemples, les observations n° 32 et n° 33 de l'ouvrage de M. E. Gurlf3.
(Extrait des Archives de physiologie normale et pathologique, 1874, p. 166).
recueil, t. II, p. 121 et t. III, p. 306 ; — Leçons sur les maladies du système nerveux, t. II, p. 62.
1 The influence of restili locomotor ataxy. (The Americ.journ. of ined.science, 18?3,july, p. 113, 119) et Centralblatt, p. 720, 5 octob., n 44, 1873.
2 E. Gurlt. — Eandbuch der Lehre von den Knochenbrùchen, 1er theil, p. Ii7 Die Knochenbrôchigkeit.
IL
Du vertige laryngé.
Sous le nom de vertige laryngé (laryngeal vertigo), M. le DrJ-R. Gasquet a publié (The Practitioner, août 1878) l'his-toire d'un cas que nous allons faire connaître d'après l'analyse qui en a été donnée récemment par M. le D1' G. Decaisne dans la Revue des sciences médicales (n° 26, 15 avril 1879, t. XIII, 2efascic).
a II s'agit dans cette observation, d'un amiral en demi-solde ayant toujours mené une vie active et qui avait joui jusque dans ces dernières années de la santé la plus florissante. 11 y a 3 ans, à l'âge de 70 ans, il fut pris d'une forte bronchite, avec toux spas-modique et accès de dyspnée se renouvelant plusieurs fois par jour. C'est à partir de cette époque qu'il devint sujet aux atta-ques dont il donne lui-même la description suivante : Il perd su-bitement connaissance et tombe sur le sol. Au bout de 2 ou 3 mi-nutes, il revient à lui, mais reste encore quelque temps étourdi. L'accès se borne à ces seuls phénomènes, jamais de convulsions, de cris, etc.
» Ce malade a été successivement traité comme atteint d'une affection cérébrale mal déterminée, d'épilepsie, de vertige stoma-cal, etc., mais sans succès. Au bout d'un certain temps, il remar-qua que les attaques, qui revenaient à des intervalles très irrégu-liers, étaient toujours précédées par une irritation du larynx et une toux spasmodique, laquelle toutefois n'était pas constamment suivie de l'explosion de l'accès. C'est alors qu'il se décida à soigner sérieusement son larynx (?) qui est aujourd'hui guéri. En même temps les attaques ont disparu, depuis neuf mois il en est complè-tement débarrassé. »
M. G. Decaisne rapproche avec beaucoup de raison cette in-téressante observation des cas dont M. Charcot a fait l'objet
d'une communication à la Société de biologie, dans la séance du 19 novembre 1876, sous cette même dénomination de ver-tige laryngé, employé par M. Gasquet. L'analogie qui existe dans les cas dont il s'agit est vraiment frappante. Il ne sera pas sans intérêt, puisque l'occasion s'en présente, de rappeler, d'après le compte rendu de la Gazette médicale de Paris (1876, n° 49, p. 588), les principaux détails des observations communiquées par M. Charcot à la Société de biologie et les quelques remarques dont il les a fait suivre.
» M. Gharcot fut appelé il y a une quinzaine d'années avoir un malade sujet à des attaques de goutte articulaire et qui souffrait de temps en temps d'acccès de toux spasmodique. Un jour, pen-dant la durée d'une quinte, il le vit tout à coup s'affaisser sur lui-même et se relever presque aussitôt, sans avoir présenté la moindre trace de convulsions. Le malade qui, au sortir de cette crise, assurait qu'il n'avait pas perdu complètement connaissance, fit connaître que de temps à autre il souffrait de ces accidents, depuis l'époque où la toux spasmodique s'était manifestée. Inutile d'ajouter que le malade, âgé de 55 ans, n'avait jamais éprouvé de symptômes d'épilepsie.
» En août 1876, M. Gharcot vit avec le Dr Caresme un malade, M. H..., âgé de 55 ans, qui, lui aussi, non épileptique, se plai-gnait d'être devenu sujet, depuis un an, à ce qu'il appelle des « attaques ». L'attaque est annoncée par un chatouillement sié-geant au-dessous du larynx et accompagné par une petite toux sèche; tout à coup le malade perd connaissance et s'affaisse. Pendant cette attaque, au dire des personnes qui sont à même de l'observer, la face devient violacée, turgescente, et il se produit parfois quelques secousses convulsives dans la face et dans l'un des bras. Il est certain que le malade ne se mord pas la langue et n'urine pas sous lui. L'accès est de très courte durée et à peine est-il terminé que M. H... se relève, sans hébétude, capable même d'achever la conversation un moment interrompue. Les accès sont devenus très fréquents depuis quelque temps ; on en a compté une quinzaine en un seul jour et il est arrivé au malade de tomber dans la rue. Chaque fois les attaques en question ont été précé-dées du chatouillement laryngé et de la petite toux; cependant il peut arriver que les accès de toux ne soient pas suivis de grandes attaques. Dans ce cas, le malade éprouve seulement un sentiment vertigineux qu'il ne peut pas définir et qui n'est pas suivi de chute.
» M. H... est depuis longtemps déjà atteint de bronchite chro-nique avec emphysème, mais c'est depuis un an seulement que se sont montrés le chatouillement, la toux spasmodique et les atta-ques qui viennent d'être décrits.
» M. Charcot a été amené à penser que, dans les cas de ce genre, le point de départ des accidents est peut-être une irritation particulière des nerfs laryngés centripètes. Il s'agirait donc là, d'une sorte de vertige laryngé, comparable a certains égards, au vertige de Ménière, qui lui paraît se rattacher à une affection des nerfs du labyrinthe. Sous cette impression il a prescrit des cau-térisations pharyngées au nitrate d'argent, les applications irri-tantes sur la région antérieure du cou, et à l'intérieur l'emploi du bromure de potassium à dose élevée. Soit par l'effet de cette médication, soit par toute autre cause, le malade a guéri au bout de quelques semaines de traitement.
» Depuis cette époque, M. Charcot a eu l'occasion d'observer quelques faits se rattachant à ce même type clinique: tout récem-ment en recherchant ce qui pouvait avoir été publié sur cet ordre de faits il a rencontré, dans le Berliner Klin. Wochens-chrift ( n°du 25 septembre 1876, p. 563 , une observation relatée par M. le Dr Sommerbrodt et où il s'agit d'un homme de 54 ans, atteint depuis un an d'accès épileptiformes et de symptômes laryngés. La présence d'un polype du larynx ayant été recon-nue, on procéda à l'extirpation. L'opération réussit complè-tement; depuis, les accidents épileptiformes n'ont plus re-paru. »
Dans ses dernières conférences cliniques de la Salpêtrière (décembre 1870), M. Charcot est revenu sur la description du composé symptomatique dont la lecture des observations qui précèdent permet de saisir les principaux traits et qu'il a pro-posé d'appeler du nom de vertige laryngé. A ce propos, il a attiré l'attention de ses auditeurs sur deux faits récemment observés par lui et qui appartiennent évidemment au groupe clinique dont il s'agit. Yoici l'exposé sommaire de ces deux observations nouvelles : on y verra que ces caractères fonda-mentaux du type se trouvent là, en quelque sorte, servilement reproduits.
» M. le Dr W..., né en Russie, est âgé d'environ 40 ans ; il y a douze ans, après être resté pendant l'hiver plongé dans f'eau jusqu'à mi-corps, près d'une heure durant; if a été atteint d'un
rhumatisme articulaire généralisé qui l'a retenu au lit pendant près de trois mois. Peu après se déclara une affection bronchique qui, d'abord aiguë, ne tarda pas à s'établir d'une façon à peu près permanente. Oppression constante, bruits sibilants qui s'en-tendent à distance, expectoration difficile. Fréquemment se mon-traient de -violents accès d'asthme qui, généralement, se ter-minaient par l'expectoration de crachats moulés, vermifor-mes.
» Pendant le cours de l'année 1877, les accidents spéciaux dont on va donner la description d'après le récit du Dr W..., se sont reproduits une dizaine de fois. En dehors des accès d'asthme, et sans intervention d'une cause appréciable, tout à coup le malade éprouve un peu au-dessous du larynx, sur le trajet de la trachée, un sentiment particulier de brûlure et de chatouillement très pénibles et peu après se déclare une quinte de toux ; puis très, rapidement survient un vertige et presque aussitôt M. W... sent successivement les doigts de sa main gauche se fléchir involon-tairement, le membre supérieur gauche se raidir dans l'extension et s'élever tout d'une pièce jusqu'à la hauteur de la tète, en même temps que ce membre, en entier, est agité par 3 ou 4 mou-vements cloniques. En ce moment M. W... perd connaissance ; à son réveil, qui a lieu quelques secondes après, il se trouve cons-tamment couché à terre, reposant sur le côté gauche. Les mem-bres du côté gauche ne présentent aucune anomalie, quant au mouvement et à la sensibilité, dans l'intervalle des accès qui viennent d'être décrits.
» Plusieurs fois le sentiment de brûlure et de chatouillement, la toux prémonitoire ont été suivis seulement par quelques ins-pirations sifflantes, une menace de suffocation et l'accès est resté ainsi incomplet. L'examen laryngoscopique pratiqué par M. Fau-vel n'a fait reconnaître dans l'organe qu'un peu de rougeur anormale de la muqueuse.
» Le Dr W... a succombé très rapidement, en pleine connais-sance, sans avoir présenté de convulsions, pendant le cours d'un accès d'asthme, le 12 janvier 1878. «
« M. G..., âgé de 45 ans, fut atteint vers le 20 juillet 1878, d'une bronchite sans caractère particulier qui guérit assez rapidement, mais laissa après elle au niveau du larynx un sentiment presque permanent de chaleur et de chatouillement. Ces sensations s'exas-pèrent de temps à autre tout à coup et sont suivies de quintes de toux très pénibles. Dans le courant du mois d'août M. G... étant au lit, fut réveillé brusquement par une de ces quintes; il se leva, perdit presque aussitôt connaissance et se réveilla quelques in
slants après gisant à terre. Depuis cette époque, les crises se sont très souvent reproduites, quelquefois il y en a eu 3 ou 4 en un jour. Constamment dans ces crises, le malade perd connaissance et tombe à terre ; il est plusieurs fois tombé dans la rue. Il se relève presque aussitôt, sans trouble marqué dans ses idées, mais ne conservant aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant la chute ; il se rappelle seulement le chatouillement laryngé, la toux et le sentiment vertigineux qui l'ont précédée. D'après le récit des personnes qui ont assisté à ces crises, la face devient quelquefois, au moment de la chute, turgescente et un peu violacée ; il y a de temps en temps quelques mouvements convulsifs dans la face et dans les membres ; pas de cri initial, pas d'émission d'urines. Le malade ne s'est jamais mordu la langue; il n'y a au moment du réveil ni nausées ni vomissements.
» L'examen laryngoscopique pratiqué par M. le Dr Krishaber n'a fait reconnaître, soit dans la cavité du larynx, soit dans celle delà trachée, l'existence d'aucune lésion.
» Telle était la situation lorsque M. G... vint consulter M. le Dr Charcot, en décembre 1878. Ce dernier prescrivit l'emploi du bromure de potassium à doses élevées et l'application de vésica-toires volants sur la région du larynx ; après trois semaines de traitement, les accidents avaient complètement disparu. »
On a pu remarquer jusqu'à quel degré les faits qui viennent d'être relatés s'accordent tous entre eux, du moins sur les points principaux. Les phénomènes qui peuvent justifier la dénomination de « vertige », proposée pour les désigner, ont été constamment annoncés par ceux qui, à leur tour, lé-gitiment en quelque sorte l'emploi du qualificatif « laryngé ». En effet, le sentiment de chatouillement, de brûlure, la toux, ayant pour siège apparent le larynx ou les régions supérieures de la trachée, ont dans tous les cas précédé la chute et la perte de la conscience. Celle-ci paraît être un caractère con-stant de ce que l'on pourrait appeler les « grandes attaques ; » elle a fait défaut seulement dans les cas légers, dans les atta-ques incomplètes. Dans les grandes attaques, l'existence de quelques phénomènes convulsifs localisés dans la face ou dans un ou plusieurs membres semble être chose fréquente. Dans un cas, les accidents convulsifs ont revêtu la forme de l'épilepsie partielle (cas du docteur W...), et le malade pouvait assister, en quelque sorte, au développement des premières phases de
l'attaque. La perte de connaissance suit de très-près l'appari-tion des symptômes de Y aura laryngée ; elle est de courte durée ; quelques secondes, quelques minutes à peine après la chute, le malade reprend ses sens ; il se relève, conservant à peine un peu de confusion dans les idées, et celle-ci se dissipe rapidement. La fin de l'accès n'est pas marqué, ainsi que cela a lieu dans le vertige lahyrinthique, par des nausées et des vomissements, et pendant sa durée il n'y a pas, autant qu'on le sache, du moins, morsure de la langue *, émission involon-taire d'urine, comme cela se voit fréquemment dans l'épilepsie.
Voilà, quant à présent, ce que les observations apprennent de plus important concernant la symptomatologie du vertige laryngé. Sans vouloir préjuger les enseignements de l'avenir, on peut, croyons-nous, admettre dès aujourd'hui, à titre de proposition, au moins très vraisemblable, que les accidents groupés sous cette dénomination répondent à une forme clini-que distincte, et qu'il sera possible désormais de séparer en pratique, à l'aide de certains caractères, des formes connexes. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, le vertige ab aure lœsa est annoncé d'ordinaire par une exacerbation brusque des sen-sations auditives, telles que bourdonnements, sifflements, etc. La chute quand elle a lieu n'est pas accompagnée de perte de connaissance, le malade s'est senti comme précipité tout à coup par l'action d'une main étrangère ; il est tombé en géné-ral, directement en avant, sur la face, plus rarement en arrière ou sur un des côtés 2 ; la fin de l'attaque est le plus souvent marquée par l'appariton de nausées ou de vomissements.
Ajoutons que sa subordination en quelque sorte nécessaire aux symptômes laryngés distinguerait le genre de « vertige qui nous occupe, des diverses formes du petit mal épileptiquè avec lequel il a d'ailleurs, on a pu le remarquer, plus d'un trait de ressemblance.
Dans les observations qui précèdent, le vertige laryngé paraît s'être produit comme une conséquence plus ou moins directe d'affections laryngo-bronchiques développées sous l'in-
1 Dans le cas du docteur Sommcrbrodt, il est dit que dans ses crises le malade se mordait souvent la langue.
2 Voir: Charcot. — Leçons sur les maladies du sijstème nerveux, tome II. p. 330.
fluence de causes banales, ou relevant au contraire d'un état diathésique, la goutte, le rhumatisme. Il n'en est pas toujours ainsi. On a vu déjà par l'observation du Dr Sommerbrodt que des accidents analogues peuvent se rattacher à la présence d'un polype dans la cavité du larynx ; d'un autre côté M. Char-cot a fait voir dans ses conférences, que tous les symptômes qu'il attribue au vertige laryngé se présentent quelquefois chez les malades atteints zYataxie locomotrice, ou ils consti-tuent l'une des variétés de ces crises laryngées tabétiques dont M. le Dr Féréol a le premier donné la description \ Mais c'est là un point que nous nous bornerons à relever pour le moment. Nous y reviendrons prochainement avec quelques développe-ments à propos de deux observations de vertige laryngé tabé-tique dont nous ferons connaître tous les détails.
En terminant nous tenons à faire ressortir que le « vertige laryngé » n'existe encore, à l'heure qu'il est, qu'à titre d'en-semble symptomatique. La théorie pathogénique doit être réservée : sans doute les symptômes prémonitoires de l'attaque semblent désigner le larynx ou les régions supérieures de la trachée, comme étant le point de départ de tous les accidents. On pourrait invoquer encore les données expérimentales, sur-tout celles qui sont relatives aux effets produits chez les ani-maux par l'excitation du nerf laryngé supérieur, faite dans de certaines conditions 2, mais on ne trouverait pas encore, pensons-nous, dans ce rapprochement des éléments d'une dé-monstration absolue. Nous ferons remarquer, à ce propos, que dans deux cas où l'examen laryngoscopique a été pratiqué (cas du Dp W..., cas de M. G...) la cavité du larynx et celle de la trachée ont été trouvées indemnes ou ne présentant que des lésions banales.
Quoi qu'il en soit l'application des révulsifs sur la région laryngée, les cautérisations pharyngées, l'administration du bromure à dose élevée, paraissent avoir été couronnées du succès, — en dehors des faits relatifs à l'ataxie locomotrice, ou à la présence des polypes dans le larynx —dans tous les cas où ces moyens ont été mis en œuvre. B.
1 Note lue à la Société médicale des hôpitaux, 18 décembre 1868,
2 Voir surtout : P. Bert. Physiologie comparée de la respiration, 25 et 26e leçons. Paris, 1870.
Sur la tuméfaction des cellules nerveuses motrices et des cylindres d'axe des tubes nerveux dans certains cas de myélite ; par J.-M. Crarcot.
(Voyez : Leçon X, p. 188.)
Dans le cas de myélo-méningite subaiguë dont il a fait l'ob-jet d'un travail rempli de détails importants, M. le Dr G. From-mann a noté avec soin la tuméfaction remarquable que pré-sentaient, çà et là, les cylindres axiles des tubes nerveux delà substance blanche, non seulement au niveau de la partie de la moelle la plus profondément lésée, mais encore à une grande distance de ce foyer, sur des points qu'il considère comme ayant été affectés secondairement1. J'ai eu récem-ment l'occasion de rencontrer cette altération des cylindres d'axe, dans trois cas de lésions irritatives de la moelle épi-nière ; les observations que j'ai faites à ce propos me permet-tront de confirmer et de compléter, à quelques égards, la description donnée par M. Frommann. J'ajouterai que, dans un de ces cas au moins, j'ai observé une tuméfaction de cel-lules nerveuses des cornes antérieures, laquelle, si je ne me trompe, n'a pas encore été signalée en pareille circonstance, et qui mérite d'être rapprochée de l'altération du même genre que présentaient les cylindres axiles.
Obs. I. — Pendant le siège de Paris, un mobile fut blessé de grand matin, dans une reconnaissance et apporté quelques heu-res après à l'ambulance d'Arcueil, complètement paralysé des membres inférieurs. Il succomba dans la nuit même, vingt-quatre
1 Untersuchungen über die normale und patholog. Anatomie des Rückenmar-kes. Iéna, 1864, p. 98-99 et 104-103. — Voy. aussi dans le même ouvrage les Figures 11 et 12 de la Planche IV.
Fig. 31. — Myélite trauma-tique. — «, Cylindres axi-les les plus volumineux, mesurant 0 ¡jl, U i — 0 \ -, 0099. — b, Cylindres axi-les normaux mesurant 0 ¡x, 0033.
heures environ après l'accident. Une balle était entrée vers l'é-paule droite et était sortie du côté opposé, au niveau des lombes. A l'autopsie, on trouva la moelle entièrement divisée au niveau de la partie supérieure de la région dorsale; un lambeau de la dure-mère rattachait seul les deux bouts séparés de la moelle épinière. L'examen microscopique, fait à l'état frais, de deux segments de la moelle, au voisinage de la perte de substance, dans l'étendue de deux centimètres environ, a donné les résultats suivants : il ne paraît exister aucune altération appréciable des éléments ner-veux, soit dans la substance blanche, soit dans la substance grise; pas de corps granuleux cellulaires ou non cellulaires, pas de granulations graisseuses isolées, au contraire les myélocites paraissent sensiblement plus volumineux qu'à l'état normal. Beaucoup d'entre eux sont enveloppés d'une mince couche tantôt globuleuse, tantôt légèrement allongée, de protoplasma. Quel-ques-unes de ces cellules rudimentaires renferment deux noyaux. Sur les vaisseaux capillaires, dont les parois ne présentent d'ail-leurs pas traces d'infiltration granulo-graisseuse, les noyaux sont volumineux, et plusieurs offrent des traces de segmentation. L'é-tude des coupes durcies par l'acide chromique et colorée par le carmin fait reconnaître des altérations qui avaient échappé lors de l'examen à l'état frais. On trouve sur les coupes transversales, disséminées en divers points des cor-dons latéraux et postérieurs, des espè-ces d'ilôts arrondis ou ovalaires clans l'aire desquels tous les cylindres axiles des tubes nerveux ont acquis un diamè-tre relativement considérable. (Fig. 31.) Quelques mensurations ont donné ce qui suit : cylindre axile resté normal au voisinage des points affectés, 0mm., 0033; cylindre d'axe hypertrophié de 0mm.. 0099 à 0mm, 01. L'enveloppe de miélyne ne s'est pas développée à proportion et elle forme autour des cy-lindres hypertrophiés une couche circulaire mince. On trouve çà et là quelques tubes nerveux à cylindre d'axe volumineux, non plus réunis en faisceaux comme les précédents, mais disséminés et isolés au milieu des tubes nerveux restés sains.
Le réticulum de la névroglie n'est épaissi nulle part, seule-ment les cellules conjonctives étoilées sont manifestement plus volumineuses et plus nettement dessinées qu'à l'état normal ; quelques-unes renferment deux gros noyaux. Les cellules conjonc-tives ne se montrent pas plus volumineuses et pas plus nombreu-
ses dans les espaces où les cylindres d'axe ont augmenté de vo-lume, que dans les régions où les tubes nerveux ont conservé tous les caractères de l'état normal. Les coupes longitudinales permettent de constater que les cylindres d'axe hypertrophiés n'ont pas, dans toute l'étendue de leur longueur, un diamètre uni-forme; loin de là, ils présentent de distance en distance des renfle-ments fusiformes et c'est seulement au niveau de ses parties ren-flées qu'ils acquièrent ces dimensions colossales qui ont été signalées plus haut. Dans les parties intermédiaires, le diamètre des cylindres d'axe ne va guère au delà du chiffre normal. Les cellules nerveuses de la substance grise n'ont paru présenter au-cune altération appréciable.
Obs. II. — Je dois la connaissance du deuxième fait à M. JofTroy, qui m'a mis à même de vérifier les détails anatomiques qui s'y rattachent. Il s'agit d'un homme âgé de 36 ans, grand et robuste. A la suite de prodromes assez vagues, n'ayant pas duré plus de vingt-quatre heures, cet homme fut pris, presque subitement, sans cause appréciable, de paraplégie complète avec perte de la sensi-bilité et rétention d'urine; six jours après le début, les urines ex-traites à l'aide de la sonde renfermaient du sang. —7e jour, dis-parition des mouvements réflexes aux membres inférieurs ; formation d'une escarre sur la fesse gauche. —8e jour, troubles de la respiration ; urines fétides. La contractilité électrique est conservée dans les muscles des membres inférieurs. — 13e jour, refroidissement des extrémités. Le malade succombe le 15e jour.
Autopsie.— Au niveau des 6e et 7e dorsales, la moelle dans toute son épaisseur, à l'exception d'une partie très peu étendue des colonnes blanches postérieures, est ramollie, transformée en une véritable bouillie renfermant des vaisseaux gorgés de sang. Au-dessus de ce foyer principal, le ramollissement remonte jus-qu'à la 2e et 3e dorsales, en diminuant progressivement d'étendue et en se limitant aux régions centrales de la moelle. Au-dessous, il descend, également limité à ces régions, jusque vers le com-mencement du renflement lombaire. Ce renflement, de même que le renflement brachial, paraît à l'œil nu n'avoir subi aucune alté-ration appréciable.
Examen microscopique à l'état frais. — On trouve dans les points ramollis, des corps granuleux avec ou sans noyaux, de nombreux myélocytes libres. Il n'y a pas de leucocytes. Sur les parois des vaisseaux, lesquelles présentent d'ailleurs un léger de-gré d'infiltration graisseuse ; les noyaux sont plus nombreux qu'à
l'état normal. On trouve sur quelques préparations des cellules nerveuses fortement pigmentées, mais n'offrant d'ailleurs aucune modification dans leur structure.
Examen de pièces durcies par lacide chromique et colorées par le carmin; coupes transversales ; région dorsale. — Toutes les par-ties qui avaient été ramollies se sont désagrégées, mais, en dehors de ces parties, on trouve disséminés, çà et là, un grand nombre de petites lacunes ou foyers de désintégration, tantôt arrondis, tantôt ovalaires; ces foyers siègent surtout dans les cordons blancs lalé-raux ou postérieurs ; mais on les rencontre aussi, en certain
Fig. 32. — a, a, Cylindres axiles les plus volumineux, mesurant î [J-, 01 — 0 [J-, 0099. — b, Cylindres axiles normaux mesurant 0 [ë, 0033.
nombre, dans la substance grise et en particulier dans les cornes postérieures. Dans le voisinage de ces foyers, comme au pourtour des parties désagrégées par le ramollissement, le réticulum de la névroglieest remarquablement épaissi, sans adjonction, toutefois, de fibrilles de formation nouvelle. Les nœuds du réticulum pré-sentent là des espaces de forme étoilée, renfermant trois et quatre et quelquefois cinq myélocytes. Beaucoup d'alvéoles sont vides, d'autres contiennent des tubes nerveux sains, la plupart renfer-ment des cylindres d'axe, le plus souvent dépouillés de myéline, et dont le diamètre dépasse de beaucoup le chiffre normal. Les plus volumineux de ces cylindres axiles mesurent 0, 04omm*, d'au-
Chabcot. Œuvres complètes, ?.?. 27
tres O, 035mm-, d'autres O, 025 mm-, seulement, l'état normal étant représenté par le chiffre 0, 025 mm-, En dehors du voisinage des foyers de désintégration, dans des points où le réticulum conjonc-tif n'est pas épaissi, les cylindres d'axes volumineux, se retrouvent tantôt isolés et disséminés çà et là, au milieu des tubes nerveux normaux, tantôt réunis par groupes arrondis ou ovalaires. Ils se retrouvent encore soit isolés, soit agrégés dans les régions cervi-cale et lombaire de la moelle épinière où les foyers de désin-tégration de l'hyperplasie du réticulum font complètement défaut.
L'étude des coupes longitu-dinales montre que les dimen-sions extraordinaires qui vien-nent d'être consignées corres-pondent à des renflements fusiformes des cylindres d'axe; dans l'intervalle de ces renfle-ments, le cylindre récupère à peu près le diamètre normal (Fig. 33 h On peut suivre les cylindres axiles à dilatations moniliformes sur des coupes successives représentant une étendue en longueur de 1/2 à 1 centimètre; au-dessus et au-dessous, ils reprennent les ca-ractères normaux.
A l'aide de mensurations comparatives, on croit recon-naître qu'un bon nombre de cellules nerveuses motrices, dans les diverses régions de la moelle, ont augmenté de volume. Quoi qu'il en soit, ce gonfle-ment des cellules est beaucoup moins prononcé et moins faci-lement appréciable qu'il ne l'était dans le cas qui va suivre.
Obs. III. — Ce troisième cas a été recueilli à l'hôpital de la Pitié par M. Bourneville, qui m'a laissé le soin de l'examen histolo-gique de la moelle épinière. Pour les détails relatifs au côté clini-que et à l'anatomie macroscopique, je renverrai à l'exposé publié par M. Bourneville. dans le numéro 40 de la Gazette médicale poui 1871 (7 octobre, p. 451), voulant me borner, sur ces points, à
Fig. 33. — a, Cylindres axiles les plus volumineux.
quelques indications très sommaires. Le sujet de cette observa-tion est une femme, âgée de 58 ans, qui se réveilla, un matin, avec une douleur assez vive siégeant à la nuque, et une contrac-ture du muscle sterno-mastoïdien du côté droit. Cinq jours après, une paralysie incomplète du mouvement, avec obnubilation de la sensibilité du membre supérieur gauche, s'était manifestée. Le huitième jour, à partir du début des premiers accidents, la mort survint inopinément à la suite d'un accès de dyspnée. La maladie, chez celte femme, se serait déclarée, paraît-il, sans prodromes. La malade assurait toutefois avoir éprouvé, deux ans auparavant, des symptômes fort analogues aux symptômes actuels, mais qui, au bout de très peu de temps, se seraient dissipés sans laisser de traces.
Autopsie. — Des sections transversales de la moelle épinière, après macération de quelques jours seulement dans l'acide chro-mique dilué, font reconnaître, dans la moitié latérale gauche, dans la région cervicale, un foyer sanguin de forme ovalaire, mesurant dans les points où il est le plufe large 4 millimètres (diam. ant.-postérieur) sur trois millimètres (diam. transv.), et qui s'étend, en hauteur, depuis le niveau delà première paire cervicale envi-ron, jusqu'au niveau de la septième. Ce foyer occupe la moitié interne et postérieure de la corne antérieure gauche de la sub-stance grise. Il se prolonge en avant, clans l'épaisseur du cordon antéro-latéral du même côté, suivant la direction du trajet intra-spinal des racines antérieures.
L'épanchement sanguin est en partie seulement de date récente. Sur certains points du foyer, il remonte évidemment à une épo-que déjà éloignée, car on trouve çà et là des granulations pig-mentaires et des masses arrondies offrant l'apparence d'une cellule et renfermant ces agrégats de globules sanguins. On ren-contre, en outre, soit dans le foyer lui-même, soit dans l'épaisseur des parties qui en constituent les parois : 1° des vaisseaux capil-laires présentant de distance en distance des dilatations monili-formes, et dont les parois chargées de noyaux très nombreux offrent çà et là des amas de granulations graisseuses ; 2° des cy-lindres d'axe dépouillés de myéline et beaucoup plus volumineux qu'à l'état normal; 3° de nombreux myélocites, les uns libres, les autres enveloppés d'une petite masse de protoplasma ; 4« enfin des débris du réticulum conjonctif, dont les mailles d'apparence iîbroïde sont notablement épaissies.
Après durcissement complet de la moelle, l'examen de coupes
transversales permet de constater en outre ce qui suit : sur des points de la substance blanche très éloignés des parois du foyer sanguin, dans la partie la plus postérieure des cordons postérieurs par exemple, on trouve des espaces à contours irréguliers où les cylindres d'axe entourés seulement d'une couche de myéline ont acquis pour la plupart des dimensions énormes des 26 a à 18 u, pour le diamètre transversal. Dans l'intervalle de ces tubes ner-veux à cylindres axiles tuméfiés, les mailles du réticulum sont quelquefois épaissies ; le plus souvent elles ne sont pas plus épais-ses que dans l'état normal.
Mais ce qui frappe surtout, dans cet examen, ce sont les dimen-sions vraiment colossales que présentent, dans la corne antérieure gauche de la substance grise, au voisinage du foyer sanguin, les cellules neigeuses multipolaires. Ainsi, tandis que les plus grosses cellules de la corne droite mesurent en moyenne, dans leur plus grand diamètre, 0ram-, 0495, celles de la corne droite peuvent atteindre jusqu'à 0 m?l•, 0825. Les moins volumineuses parmi ces dernières ont encore un diamètre qui mesure 0 mm-, 056. D'ailleurs, les cellules tuméfiées ne sont pas seulement plus vofumineuses qu'à l'état normal: elles sont, de plus, manifestement déformées. Elles ont perdu leur forme allongée et sont globuleuses ; on les dirait distendues à l'excès et leurs parois sont comme bosselées. Les prolongements de ces cellules n'offrent plus, eux-mêmes, leur gracilité habituelle ; ils sont épaissis et tortueux. La sub-stance qui constitue le corps des cellules ainsi altérées, se colore d'ailleurs fortement par le carmin, elle est finement granuleuse, légèrement opaline, et de plus quelque peu opaque, car l'œil pénè-tre difficilement jusqu'à la masse pigmentaire et au noyau. Ce dernier, toutefois, ainsi que le nucléole, ont toujours paru présen-ter les caractères de l'état physiologique. J'ai été assez heureux pour rendre M. Lockhart-Clarke, lors de son dernier séjour à Paris, témoin de toutes lesparticularitésqui viennent d'être signalées.
Les coupes longitudinales font reconnaître l'aspect moniliforme de la plupart des cylindres axiles tuméfiés, déjà noté dans les deux premières observations. Mais un fait propre au troisième cas, c'est qu'un certain nombre de ces cylindres volumineux, conser-vent leurs dimensions anormales uniformément dans une grande . étendue en longueur, sans trace de dilatation et de rétrécissement. Un dernier point qui doit être relevé tout particulièrement, c'est que, dans ce même cas, un premier examen fait à l'état frais avait permis de reconnaître la tuméfaction des cylindres axiles; de telle sorte qu'il ne saurait s'agir là d'un produit de l'art, d'un résultat accidentel du mode de préparation.
Je suis porté à croire que la tuméfaction des cylindres d'axe, décrite dans ces observations, et aussi celle des cellules ner-veuses, ne doivent pas être considérées seulement comme des curiosités d'histologie pathologique. Il paraît au contraire très vraisemblable que ces altérations seront retrouvées dans un bon nombre de cas de myélite aiguë ou subaiguë, où elles jouent sans aucun doute un rôle intéressant, lorsqu'elles au-ront suffisamment attiré l'attention des observateurs et que, d'un autre côté, nos moyens actuels d'investigation anatomi-que se seront encore perfectionnés. Pour ce qui est du gonfle-ment des cylindres axiles, au moment même où je termine la présente note, je le trouve mentionné, une fois de plus, et décrit même de la manière la plus explicite, dans une obser-vation faisant partie d'un intéressant mémoire qui vient d'être publié à Leipzig, par M. AV. Millier. Il s'agit, dans cette obser-vation, comme dans la première de celles que j'ai rapportées, d'une lésion traumatique de la moelle épinière. Le renflement brachial surtout avait été lésé et, à l'autopsie, il se trouvait ramolli ; la mort était survenue 13 jours après l'accident. Les cylindres d'axe, tuméfiés et-variqueux, se rencontraient, non-seulement dans le foyer de ramollissement ou à son voisinage immédiat, mais encore bien au-dessous de ce foyer, dans les cordons latéraux (Myélite descendante consécutive), à peu près dans toute la hauteur de la région dorsale l. On sait d'ail-leurs, d'après les recherches histologiques de M. Frommann 2 et d'après celles qui me sont propres 3, que, dans la plupart des formes de la sclérose, et en particulier dans la sclérose en plaques, on observe souvent, à une certaine époque de l'alté-ration, en outre de la métamorphose fibrillaire du réticulum de la névroglie, une augmentation de diamètre très apprécia-ble, d'un certain nombre de cylindres axiles. A la vérité, la tuméfaction est, dans ce dernier cas, uniformément répan-due sur une grande étendue en longueur du cylindre et non pas seulement localisée sur certains points, comme cela a lieu d'habitude dans la myélite aiguë. Quoi qu'il en soit, l'altéra-
1 Beitrûge zur pa/holog. Anatom. undPhysiolog. des menschlichen Rùckenmarks. Leipzig. 1871, pp. 11-13.
2 Untersuchungen, etc., 2 Theil, Iéna, 1867.
3 Histologie de la sclérose enplaques. Paris, 1869, pp. l! et 13.
tion dont il s'agit paraît être, on le voit, avec quelques varian-tes, commune aux formes aiguës, subaiguës et chroniques pri-mitives de l'inflammation de la moelle épinière.
Quelle est la signification de cette altération ? Elle doit, si je ne me trompe, être rapprochée du gonflement que présen-tent fréquemment divers éléments anatomiques, les cellules épithéliales glandulaires, les capsules des cartilages par exem-ple, sous l'influence de certaines irritations. S'il en est ainsi, on pourra se convaincre, en se reportant aux détails des observations consignées dans cette note, que la tuméfaction des cylindres axiles peut être, dans certains cas, la première expression anatomique de l'inflammation de la moelle épi-nière. On peut la voir, en effet, exister seule, indépendam-ment de toute altération concomitante appréciable du cylin-dre de myéline, du réticulum de la névroglie et des vaisseaux capillaires.
Sous ce rapport, notre première observation surtout est très instructive. Elle montre aussi avec quelle rapidité l'irrita-tion peut modifier, dans la moelle, la structure des éléments nerveux, même sur des points relativement très éloignés du siège primitif du mal. Le dernier fait, c'est-à-dire la propaga-tion au loin de l'irritation, par la voie directe des tubes ner-veux est également bien mis en lumière dans notre deuxième observation, ainsi que dans les cas de MM. Frommann et W. Mùller, où l'on voit à une grande distance du foyer princi-pal, les cylindres d'axe se tuméfier, çà et là, soit sur le trajet des faisceaux postérieurs, soit sur celui des faisceaux latéraux. Tout porte à croire d'ailleurs que l'irritation des tubes ner-veux, et, plus explicitement, de leur cylindre d'axe, est dans la myélite aiguë ou subaiguë, tan lot le fait initial, primordial (myélite parenchymateuse), tantôt au contraire un phénomène deutéropathique, consécutif à l'inflammation du réticulum conjonctif (myélite interstitielle). Il y aurait lieu, par consé-quent, d'appliquer aux myélites à marche aiguë ou subaiguë la distinction fondamentale proposée par M. Yulpian 1 à propos des scléroses spinales.
Le processus morbide, dont on vient de rappeler les traits
1 Archives de physiologie, t. II, p. 289.
les plus saillants, peut aboutir, s'il n'est pas entravé dans son développement, à la désagrégation et finalement à la destruc-tion complète du cylindre axile. Il n'est pas rare, en effet, de rencontrer, dans les cas datant d'un peu loin, un certain nom-bre de cylindres tuméfiés qui, examinés sur des coupes lon-gitudinales de la moelle, paraissent inégaux, bossues à leur surface et sillonnés transversalement de fentes plus ou moins profondes. Au degré le plus avancé, par suite de l'agrandis-sement de ces fentes, la partie tuméfiée du cylindre peut être divisée en plusieurs masses, inégalement globuleuses, indé-pendantes les unes des autres. Ce mode d'altération était très marqué dans nos deuxième et troisième observations : il a été parfaitement décrit dans les cas de MM. Frommann et de W. Müller. Lorsque les choses en sont à ce point, les cylindres axiles se sont depuis longtemps déjà dépouillés de leur enve-loppe de myéline. 11 n'est guère douteux que les cellules ner-veuses tuméfiées puissent éprouver, elles aussi, une atrophie consécutive correspondant à celte désagrégation des cylindres d'axe. Je me bornerai, quant à présent, à ces remarques que je compte reprendre et développer bientôt dans une étude d'ensemble sur l'histologie pathologique de la myélite aiguë : mais je ne voudrais pas terminer cette note sans faire remar-quer que la tuméfaction des cylindres d'axe n'appartient pas exclusivement aux tubes nerveux de la moelle épinière. Je l'ai observée, pour mon compte, plusieurs fois, dans des par-ties du cerveau anémiées, mais non encore ramollies, à la suite de l'oblitération d'une artère de l'encéphale par un thrombus.
La tuméfaction moniliforme des cylindres axiles a été obser-vée, d'ailleurs, depuis longtemps dans la rétine, par MM. Zen-ker l, Virchow 2, H. Millier 3, Schweigger 4 et Nagel % dans le cerveau (ramollissement jaune de la couche corticale et encé-phalite congénitale interstitielle), par M. Virchow 6. Enfin, plus récemment, M. H. Hadlich 7 a reconnu la tuméfaction
1 Archiv fur Ophth. Bd. II. S. 137.
2 Virchow's Archiv. Bd. X. S. 175.
3 Archiv fur Ophth. Bd. IV. 2. S. 1. '' Ibid., Bd. VI. 2 S. 294.
» Ibid., Bd. VI. 1 S. 191.
« Virchow's Archiv. Bd. X. S. 178 et Bd XLIV. S. 475. 7 Ibid., Bd. VI. 4e flg. S. 218, 1869.
variqueuse du prolongement axile ( Hauptaxencylinder Forsatz) des grandes cellules nerveuses de la couche cor-ticale du cervelet, chez un sujet atteint d'hémorragie céré-belleuse.
(Extrait des Archives de Physiologie normale et pathologique, année 1871-1872, p. 93)'.
Note sur un cas d'atrophie musculaire progressive spinale protopathique ( type Duchenne-Aran ) ; par
J.-M. Charcot \
(Voyez : Leçon XI, p. 212).
On retrouvera les principaux caractères cliniques qui per-mettent de reconnaître pendant la vie l'atrophie musculaire protopathique, réunis dans l'observation qu'on va lire et qui est un exemple remarquable de cette forme de l'amyotrophie chronique. Ici, du reste, le diagnostic, confirmé plus tard par l'examen anatomique, avait été porté durant la vie de la malade.
Laure W... fut admise à la Salpêtrière le 19 mars. Elle était atteinte d'atrophie musculaire progressive, dont elle avait éprouvé les premiers symptômes en 1862, à l'âge de 37 ans environ.
L'histoire des antécédents de la malade ne fournit que des renseignements négatifs : aucun des membres de sa famille n'a été atteint d'atrophie musculaire ; elle-même n'a jamais eu d'au-tre maladie que les fièvres éruptives de l'enfance, enfin elle a toute sa vie été couturière et n'a jamais ni éprouvé de privations, ni habité de logement insalubre.
Un certain affaiblissement progressif ne s'accompagnant d'au-cun trouble de la sensibilité marqua pour les membres supérieurs le début des accidents. Bientôt après l'atrophie s'empara desmus-ctes de la main gauche, puis six mois plus tard environ, la droite fut envahie à son tour. A partir de cette époque, la maladie sui-vit son cours d'une façon régulière et lente, occupant l'un après l'autre et de bas en haut les divers segments des membres supé-rieurs évoluant toutefois beaucoup plus rapidement dans le côté
1 En collaboration avec M. Gombault.
droit que dans le côté gauche. On doit noter cependant que, de-puis huit ans environ, les membres inférieurs étaient le siège de phénomènes singuliers. 11 s'agit de véritables accès de douleurs s'accompagnant de secousses musculaires violentes. Ces accès survenaient de préférence pendant le séjour au lit, mais ils pou-vaient se produire aussi pendant la marche, et ils étaient assez vio-lents pour faire exécuter à la malade des mouvements singuliers (révérences, saluts, etc). On les calmait par l'application d'eau froide sur les membres inférieurs.
État actuel, mai 1869, 7 ans après le début de la maladie. L'a-trophie a envahi les deux mains, les deux bras, les deux épaules surtout l'épaule droite, ainsi que les muscles des fosses sus et sous-épineuses. On ne constate de mouvements lîbrillaires ni aux avant-bras, ni aux bras, mais ils existent d'une façon très nette à l'épaule droite où ils sont déterminés par le choc le plus léger; on les remarque également dans presque toute la partie supé-rieure du dos. Les membres inférieurs sont parfaitement intacts ; la malade se promène toute la journée. Rien à noter du côté de la face, de la langue, du larynx. De temps en temps, légers accès de dyspnée, mais sans caractère immédiatement menaçant. Il y a un an environ, la malade a éprouvé des douleurs au cou, sur les côtés de la colonne vertébrale, dans les masses latérales. Aujour-d'hui, ces douleurs ont disparu, mais de semblables sont surve-nues dans le côté gauche du cou. De plus, depuis quelque temps, la malade éprouve des fourmillements et des engourdissements dans les deux bras.
1872. — La malade fut soumise pendant six mois environ au traitement par les courants continus (courant descendant), mais s'il y eut une amélioration, elle n'a pas été durable. L'atrophie, tout en faisant des progrès aux membres supérieurs et au tronc, n'avait pas envahi d'une façon appréciable les membres inférieurs dont les fonctions s'exécutaient librement. Cependant la malade accusait toujours l'existence de douleurs survenant par accès au niveau du cou, du dos, des membres inférieurs et on constatait directement que la pression sur les apophyses épineuses était dou-loureuse tout le long de la colonne vertébrale.
De 1872 à 1875, l'état de la malade demeura sensiblement le même. A plusieurs reprises, elle fut présentée aux personnes qui assistaient aux cours de la Salpêtrière, comme un exemple d'atro-phie musculaire spinale protopathique. Ce diagnostic était fondé sur les principaux caractères suivants: malgré la réduction de volume considérable qu'avaient subi les masses musculaires aux membres supérieurs, ceux-ci n'étaient pas atteints en réalité d'une para-
lysie véritable. Certains mouvements partiels étaient possibles, en particulier le mouvement d'élévation du moignon de l'épaule. Grâce à ces mouvements, la malade pouvait encore dans une cer-taine mesure se servir des mains. Au moyen de certains artifices, elle pouvait encore faire tourner te pêne d'une serrure, ouvrir un tiroir, soulever une chaise ou tout au moins la traîner où bon lui semblait. Dans leur ensemble, les membres supérieurs étaient flasques, pendant habituellement le long du corps, exempts de ri-giaité articulaire. Seuls, les doigts étaient fléchis dans fa paume de la main sans qu'il fût actuellement possible de les étendre. Les membres inférieurs étaient absolument indemnes ; les masses mus-culaires y étaient volumineuses, la malade marchait facilement et faisait même sans trop de fatigue des courses assez longues en dehors de la Salpêtrière.
1875. — L'atrophie des muscles est extrêmement prononcée dans les parties supérieures du corps. Elle porte à peu près égale-ment, sur les deux membres. Les deltoïdes, les muscles pecto-raux, sont presque complètement détruits ; les espaces intercos-taux sont profondément excavés ; il en est de même des régions sus et sous-épineuses ; dans toutes les parties supérieures du corps, le squelette se dessine et parait immédiatement placé sous la peau. La tète n'étant plus soutenue par les muscles delà nuque tombe en avant et demeure habituellement fléchie sur la poitrine. Il résulte de cette attitude une certaine gêne vraisemblablement toute mécanique de la déglutition qui ne peut s'effectuer que très-difficilement dans la position assise, et la malade doit manger de-bout. La colonne dorso-lombaire.est fortement incurvée en avant et les bras qui sont toujours flasques, pendent d'habitude en ar-rière de la poitrine.
Cependant les membres inférieurs sont volumineux, la marche est toujours assez facile. La gêne de la respiration est devenue très-grande ; la parole est entrecoupée, haletante, la voix un peu voilée ; toutefois, l'articulation des sons est parfaitement nette ; la langue a conservé son volume normal et la liberté de tous ses mouvements. Les troubles du côté de la parole doivent donc être attribués à la gêne de la respiration qui est notablement augmen-tée par les efforts et la marche. La malade ne peut monter un es-calier sans avoir immédiatement des palpitations. Le pouls n'a pas été compté en 1875 ; en 1873, il était calme et régulier. La sensibilité cutanée est normale. La pression sur les masses mus-culaires ne détermine pas de douleurs. Vintelligence est parfaite-ment conservée.
Pendant les deux derniers mois, l'affaiblissement général fait
des progrès rapides ; l'appétit se perd complètement, il survient des vomissements, une leucorrhée abondante, enfin de l'œdème des pieds et des mains. En même temps, la respiration devient de plus en plus embarrassée. Cependant, malgré cet état de faiblesse extrême, la malade continue à marcher quelque peu, et la veille de sa mort, elle peut encore se rendre à la consultation de l'in-firmerie.
Le 18 mai, il lui fut impossible de quitter le soir son dortoir pour se rendre à l'église comme elle en avait l'habitude. Pendant la nuit, on la vit quitter son lit pour aller s'asseoir dans son fau-teuil ; comme elle demeurait là depuis assez longtemps sans faire aucun mouvement, ses voisines appelèrent ; on s'approcha de la malade) on la trouva immobile, d'une pâleur extrême, ayant à peu près tout à fait perdu connaissance. On la remit dans son lit où elle ne tarda pas à mourir.
Autopsie le 19 mai. — Système nerveux. Le cerveau et le cer-velet ne sont le siège d'aucune lésion. Il en est de même delà protéburance et du bulbe rachidien. Les racines des nerfs bul-baires sont de volume normal et ont la coloration blanche habi-tuelle.
Moelle épinière. Les racines antérieures sont rougeâtres, trans-parentes, manifestement atrophiés. Leur couleur tranche sur la coloration franchement blanche des racines postérieures qui pa-raissent saines. Cet état des racines antérieures se rencontre seu-lement au niveau des régions cervicale et dorsale. Il cesse à peu près entièrement au niveau de la première paire lombaire. Le cor-don médullaire lui-même ne présente à sa surface aucune colora-tion grise, son tissu n'est ni ramolli, ni induré, il n'y a pas d'épais-sissement manifeste des méninges. Sur une coupe transversale pratiquée à la région cervicale, on remarque l'aspect gélatineux des cornes antérieures et l'absence complète de toute teinte grise au niveau des cordons latéraux.
Muscles D'une façon générale, les muscles malades sont déco-lorés ; ils not pris la teinte jaune feuille-morte et ont subi une ré-duction de volume plus ou moins considérable ; on ne rencontre nulle part de substitution adipeuse notable. Du reste, ils ne sont pas tous atteints au même degré et on peut même en rencontrer qui, comme le trapèze, ne sont atrophiés que partiellement.
Membre supérieur droit. — Le deltoïde est jaune et considéra-blement aminci. — Au bras, le triceps a seul conservé un volume et une coloration qui se rapprochent de l'état normal ; tous les autres muscles de cette région sont plus ou moins atrophiés et décolorés. Ils sont cependant moins profondément atteints que
les muscles de l'avant-bras, qui sont, pour la plupart, réduits à de minces membranes ; le cubital antérieur et le petit palmaire ont presque absolument disparu ; le grand palmaire et le rond pronateu;"' sont un peu moins atrophiés. A la région postérieure, tous les muscles sont profondément atteints, à l'exception de l'ex-tenseur propre du pouce qui est encore rouge et assez volumi-neux. — Les muscles de la région externe sont également atteints. A la main, les lombricaux ont seuls conservé la coloration rouge et un certain relief.
Membre inférieur droit. Ici tous les muscles ont un volume en-core considérable et une coloration normale; aucun n'est mani-festement atrophié. — La masse sacro-lombaire est parfaitement conservée ; à la nuque, au contraire, la plupart sont atrophiés et décolorés. — Le grand dorsal et toute la partie postérieure du trapèze ont subi une atrophie extrême. Le faisceau claviculaire de ce dernier muscle est au contraire rouge et volumineux. — Les muscles des fosses sus et sous-épineuses sont atrophiés. Les pectoraux, les intercostaux, les muscles de la paroi antérieure de l'abdomen, ont subi une atrophie extrême. L'espace intercos-tal est absolument translucide. — Le diaphragme est très-aminci ; on peut, en enlevant le péritoine, voir de nombreuses stries jau-nes correspondant à des faisceaux de fibres malades, alterner avec des stries rouges moins nombreuses. — Les sterno-mas-toïdiens paraissent à peu près sains, de même que les muscles des régions sus et sous-hyoïdiennes. — Les muscles du pharynx sont d'un beau rouge et remarquables par leur épaisseur, ceux du la-rynx paraissent également normaux. La langue a son volume normal, ses différentes couches musculaires sont rouges ; il n'y a pas trace de substitution graisseuse. — Les différents viscères ont paru sains.
Examen hislologique. — Région cervicale. — La disseclion de petits fragments de substance, prise au niveau des cornes anté-rieures, permet de constater l'existence d'altérations qui portent à la fois sur les parois vasculaires, sur les éléments du tissu inter-stitiel et sur les cellules nerveuses.
Etat des vaisseaux. — D'une façon générale, il s'agit ici d'un processus irritatif chronique, déterminant la formation d'éléments nouveaux et aboutissant à un épaississement parfois considérable des parois vasculaires. Les différentes phases de ce processus hy-perplastique pourront être assez facilement suivies sur les parois des capillaires.
A un premier degré, on rencontre, de distance en distance, à la face externe de cette paroi, des noyaux volumineux prenant par le
carmin une coloration intense et entourés d'une protoplasma gra-nuleux assez abondant. Ces éléments font une saillie notable à la surface du vaisseau, et se distinguent facilement des noyaux de l'en-dothélium qui sont plus pâles, et, dans certaines positions, proé-minent au contraire légèrement du côté de la cavité. Plus loin, la prolifération se produit : on trouve alors tantôt trois ou quatre noyaux réunis dans une masse commune de protoplasma ; tantôt des amas de jeunes cellules plus complètement développées. (Pl. VII, fi g. 6, a, è.)
Il est probable que ces éléments sont susceptibles de subir, par la suite, des modifications qui les conduisent à une organisation plus complète, car on trouve sur quelques points de véritables corps fusiformes, munis de très-longs prolongements et formant au capillaire une sorte d'adventice incomplète. Sur presque tous ces capillaires, la paroi propre a subi un épaississement très notable. Quand à l'endothélium, il ne paraît pas manifestement modifié. Malgré un examen attentif, il nous a été impossible de constater nettement le fait de la néoformation des capillaires.
Sur les vaisseaux pourvus de plusieurs tuniques, les phénomènes que nous avons décrits tout à l'heure se sont également produits. Ici, encore, ce sont les parties externes delà paroi qui sont le siège presque exclusif du processus morbide ; la gaine lymphatique est •épaissie, sa cavité n'existe plus, elle adhère intimement à la sur-face du vaisseau. Du reste, l'aspect que présentent ces parties varie très-vraisemblablement avec l'âge de la lésion ; tantôt elles sont chargées d'éléments cellullaires abondants, tantôt, au con-traire, c'est l'élément fibreux qui prédomine. Enfin, nous devons signaler dans ces mêmes points la présence habituelle de leucocytes, parfois tellement nombreux qui masquent à peu près complète-ment tous les autres détails histologiques. (Pl. VII, fig. 7.) Ici, encore,la membrane interne et en particulier l'endothélium parais-sent respectés. Quant à la tunique moyenne, elle est dans certains points évidemment altérée. Les fibres musculaires deviennent granuleuses et un certain nombre ont disparu.
L'altération de la névroglie est révélée par la présence de quel-ques corps granuleux, par un nombre très considérable d'éléments cellulaires, dont quelques-uns présentent les caractères de la mul-tiplication par scission (noyau en bissac) et enfin par l'abondance insolite du tissu fîbrillaire.
Quant aux cellules nerveuses, elles ont en grande partie disparu. On peut parcourir des préparafions entières sans en rencontrer une seule ayant des dimensions un peu considérables. Il faut se servir d'un fort grossissement pour arriver à en distinguer un
certain nombre. Les plus petites qui soient encore reconnaissables sont constituées par un noyau volumineux se colorant très bien par le carmin, pourvu d'un gros nucléole et entouré d'une petite zone arrondie ou ovalaire de pigment jaune. (Pl. VII, fig. 4, a, a.) Quelques autres, de dimensions moins réduites, ont conservé des angles, vestiges de leurs prolongements ; leur noyau est normal comme celui des précédentes, et leur protoplasma totalement infiltré de granulations pigmentaires. (Pl. VIL fig. 4, b.) En un mot, atrophie du protoplasma, perte des prolongements, augmen-tation relative du pigment jaune, persistance pendant longtemps des caractères normaux du noyau et du nucléole, tels sont les caractères du processus qui préside ici à la destruction des cellules nerveuses.
A la région lombaire, la substance des cornes antérieures est relativement saine ; les cellules nerveuses y sont abondantes, la plupart semblent saines, un peu plus pigmentées seulement que d'habitude. Toutefois, il s'en trouve quelques-unes en petit nom-bre, il est vrai, aussi complètement atrophiées que celles de la région cervicale. Les parois des vaisseaux ne sont pas absolument saines ; sur les gros vaisseaux principalement, elles sont manifes-tement épaissies.
Des portions de substance blanche prise au centre des cordons latéraux à la région cervicale et à la région lombaire ne conte-naient, à l'état frais, aucun corps granuleux. —Quelques fragments du noyau de l'hypoglosse, examinés par dissociation, ont montré l'intégrité parfaite de tous les éléments qui le composent.
Examen fait à laide de coupes après durcissement dans l'acide chromique. — La substance grise des cornes antérieures est pro-fondément altérée dans les régions cervicale et dorsale. Le maxi-mum des altérations occupe la partie inférieure du renflement cer-vical. Au-dessus et au-dessous de ce point, elles vont en s'atténuant ; à ce niveau, on constate la disparition à peu près complète des cellules nerveuses et de la plupart des tubes à myéline qui, à l'état normal traversent dans tous les sens l'aire de la corne an-térieure. Il en résulte que la substance grise prend parle carmin une teinte beaucoup plus foncée qu'à l'état normal. Malgré la dispa-rition des éléments nerveux, les dimensions de la corne antérieure n'ont pas notablement diminué, ce qu'on doit attribuer en grande partie au développement véritablement énorme qu'a pris le sys-tème capillaire de la région.
Dans les parties supérieures de la région cervicale, la vasculari-sation diminue, les tubes à myéline apparaissent de nouveau ; on distingue çà et là des cellules nerveuses reconnaissables ; quelques-
unes, deux ou trois au plus dans chaque préparation, ont môme des dimensions quasi-normales. A la région dorsale, la lésion va également en s'atténuant à mesure qu'on s'approche de la région lombaire.
Au niveau du renflement lombaire, la substance grise a repris à peu près complètement les caractères de l'état normal. Les cel-lules nerveuses y sont nombreuses, pourvues de prolongements, réunies en noyaux distincts, presque toutes contiennent un amas considérable de pigment.
De loin en loin, on en rencontre une atrophiée. Les gros vais-seaux ont leurs parois épaissies, beaucoup moins toutefois qu'à la région cervicale. Cet état des vaisseaux se retrouve de l'étendue des cornes postérieures qui sont plus vascularisées que d'habi-tude.
Dans toute l'étendue de la moelle, les cordons latéraux propre-ment dits, les faisceaux de Tiirck, les faisceaux postérieurs sont intacts. Seuls les grands tractus vasculaires qui les traversent sont un peu plus larges que d'habitude, et les vaisseaux qu'ils con-tiennent ont des parois épaissies.
Quant à la zone radiculaire antérieure, elle est atteinte de sclé-rose à la région cervicale et à la région dorsale. L'étendue de cette sclérose est manifestement en rapport avec l'intensité de la lésion qui occupe la corne antérieure, elle augmente, diminue, cesse en même temps qu'elle. Elle est en grande partie aussi sous la dépen-dance de la lésion des racines antérieures dans leur trajet intra-spinal. Ainsi, à la partie inférieure du renflement cervical, elle forme autour de la corne antérieure une ceinture presque com-plète qui envoie vers la périphérie de larges prolongements tandis qu'à la région dorsale elle est limitée au trajet des faisceaux radi-culaires et à la zone corticale. De plus, au niveau du point d'émer-gence des racines antérieures, la pie-mère est épaissie et manifes-tement enflammée. Cet état inflammatoire de la pie-mère se re-trouve, bien que moins marqué, sur tous les points de la périphérie de la moelle. Il a retenti sur la couche qui lui est immédiatement sous-jacente et il en est résulté une mince zone de sclérose corticale ayant son maximum d'épaisseur au niveau des faisceaux radicu-laires antérieurs, allant en s'atténuant sur les cordons posté-rieurs. — A la région lombaire, ces diverses lésions disparaissent la couche corticale et la zone radiculaire antérieure se retrouvent dans un état d'intégrité absolue.
Bulbe rachidien. — Coupe pratiquée à la partie moyenne des olives. — Les pyramides antérieures sont saines. Le noyau de i'hy-poglosse est rempli de nombreuses cellules assez fortement pig-
méritées, mais de volume normal. Le noyau du pneumogastrique est assez fortement vascularisé.
Racines spinales, — Les racines antérieures, à la région cervicale sont à peu près complètement détruites. C'est à peine si on trouve, de loin en loin, un tube rempli de myéline. Dans tout le reste, on ne rencontre que des gaines vides, pourvues à des intervalles très réguliers de gros noyaux granuleux et ovoïdes, et accolées les unes aux autres par l'endonèvre épaissi. Cet état est exactement le même pour les racines antérieures de la région dorsale. A. la région lombaire, on rencontre à peine quelques tubes atrophiés. — Les racines postérieures sont normales ainsi que celles du nerf hy-poglosse.
Nerfs périphériques. — Le nerf phrénique du côté gauche et deux nerfs intercostaux ont seuls été examinés. Ces trois nerfs ont subi des altérations analogues. L'examen aporté plus spécialement sur le nerf phrénique dont nous allons décrire les lésions. — Une portion de ce nerf prise le long du péricarde, vers la partie mo-yenne, fut placée dans l'acide osmique, puis une partie fut exami-née par dissociation ; une autre durcie par la gomme et l'alcool, ce qui permit d'en faire des coupes. D'une façon générale, on retrouve ici la même altération que dans les racines antérieures ; elle est seulement parvenue à un degré de développement moins complet. Les coupes longitudinales permettent déjà de constater la disparition d'un grand nombre de tubes et montre de larges ban-des conjonctives parsemées de nombreux noyaux séparantceux qui ont survécu. (Pl. VII, fig. 5.) Sur les coupes transversales, ces bandes conjonctives apparaissent sous la forme de ronds ou de petits po-lygones très semblables à la coupe des faisceaux du tissu con-jonctif fascicule. Il se colore en rose par le carmin et dans un point de leur surface on aperçoit de temps en temps une tache noire qui est la coupe d'un tube à myéline. Il semble cependant que l'atrophie n'envahit pas le nerf d'une façon absolument irrégulière qu'elle procède avec un certain ordre et le détruit, pour ainsi dire par faisceau. En effet, les tubes conservés sont groupés les uns près des autres et forment des îlots qui tranchent, par leur colo-ration sur lesautres points de la préparation où la destruction s'est effectuée. (Pl. VII, fig. \, a.)
Ces coupes transversales fournissent encore d'autres renseigne-ments : elles permettent, lorsqu'on les compare à des coupes sem-blables pratiquées sur un nerf sain, de se faire une bonne idée du nombre des tubes qui ont disparu, 1 en manque bien certainement plus des deux tiers, et de constater en même temps la réduction considérable qu'a subi le nerf malade dans ses diamètres, réduc-
r.TiAncnT. Œuvres cnmnlMos. t. tt. 28
lion qui est d'un tiers environ. Les préparations par dissociation permettent en outre de se faire une idée du processus qui, vrai-semblablement, a présidé à l'atrophie de nerf. On rencontre en effet, bien qu'ils soient fort rares, quelques tubes analogues à celui dont nous donnons le dessin. (Pl. VII, fig. 3.)
Ces tubes ont conservé le volume normal, mais le cylindre d'axe a disparu ou du moins n'est plus visible, la myéline est fragmentée, et dans les intervalles des blocs qu'elle forme, on constate l'existence de noyaux soit isolés, soit réunis au nombre de deux ou trois, manifestement contenus dans la gaine de Schwann et dont la signification au point de vue de la névrite parenchy-mateuse ne saurait, croyons-nous, faire de doute un seul in-stant.
Muscles. — Un certain nombre de muscles ont été examinés à l'aide des divers procédés actuellement en usage. Dans tous, la lésion prédominante est une atrophie simple des faisceaux pri-mitifs, avec augmentation purement relative du tissu conjonctif interstitiel, et l'absence de toute production exagérée du tissu adipeux.
La fibre malade conserve habituellement jusqu'à la dernière limite sa striation transversale et il ne se produit d'ordinaire au-cune pigmentation dans le nombre des noyaux musculaires pro-prement dits.
On rencontre cependant quelques exceptions à cette règle gé-nérale. Ainsi, dans le diaphragme, dans le long supinateur, cer-taines fibres sont remplies d'un contenu granuleuxet surd'autres, la substance musculaire est interrompue de distance en distance, par des amas de noyaux au nombre de 5, 10, quelquefois davan-tage. Ce sont là toutefois des faits exceptionnels. L'examen des coupes longitudinales pratiquées sur ces différents muscles permet de se faire une idée plus exacte de l'étendue des lésions.
Le grand dorsal, par exemple, est presque entièrement con-verti en une mince lame de tissu conjonctif. C'est à peine si, de loin en loin, on retrouve une fibre musculaire, et, chose singu-lière, cette fibre unique restée là comme pour attester l'existence du muscle, est parfois volumineuse. — Le trapèze dans sa portion postérieure, le grand droit de l'abdomen sont presque aussi pro-fondément atteints. Quant au diaphragme qui a le plus spéciale-ment attiré notre attention en raison de la lésion du nerf qui l'a-nime, l'altération est bien loin d'y être aussi avancée. Les fibres musculaires y sont encore nombreuses; elles ont conservé leur striation, et on a, de prime abord, quelque peine à admettre que ce muscle soit le siège d'une altération profonde. Mais quand on
met en regard des coupes qu'il a fournies, d'autres coupes prati-quées sur un muscle sain traité de la même façon, les différences deviennent frappantes par le fait de cette simple comparaison (Pl. VIII, fig. 4 et 5).
Dans l'une, les fibres sont volumineuses de 45 à 90a, toutes de dimensions à peu près égales, à peine séparées les unes des autres par un peu de tissu conjonctif, exactement parallèles. Dans d'au-tres, elles sont, d'une façon générale, extrêmement réduites en volume de 5 [j. à 35 p., de dimensions très inégales, séparées par des espaces conjonctifs relativement considérables. Cette dernière cir-, constance explique la forme onduleuse qu'elles ont prise, ne pou-vant suivre le tissu conjonctif dans le retrait que celui-ci a éprouvé sous l'influence des réactifs.
On voit que l'observation qui vient d'être relatée reproduit assez exactement les principaux caractères cliniques que nous avons assignés à l'atrophie musculaire spinale protopathique : longue durée, évolution lente; absence de tout phénomène spasmodique, attestée par la flaccidité générale des membres supérieurs, la mobilité de toutes les grandes articulations, la possibilité pendant longtemps d'exécuter des mouvements vo-lontaires partiels permettant d'atteindre un but déterminé. Seuls les doigts étaient fléchis et leurs articulations rigides; mais cette ridigité n'est survenue qu'à la longue et par le fait de l'immobilité prolongée. Nous en dirons autant"de l'attitude de la tête qui ne s'est produite que lentement, au fur et à mesure que les muscles de la nuque devenaient impuissants à la soutenir contre la pesanteur. L'intégrité des membres infé-rieurs n'est pas un fait moins remarquable, puisque la veille de sa mort la malade marchait encore assez facilement.
Cependant quelques phénomènes insolites se sont mon-trés : ce sont des douleurs dans certaines parties du corps, puis des secousses qui se sont produites dans les membres inférieurs. Ce dernier symptôme n'a évidemment que peu d'importance, car il s'est produit bien longtemps avant le début de l'affection ; de plus, il ne survenait qu'à de longs in-tervalles, si rarement que jamais il n'a été donné à aucun mé-decin de l'observer. On a vu, du reste, que la lésion n'était pas exactement limitée à la substance des cornes antérieures ; elle avait, en passant parles faisceaux radiculaires, produit un cer-
tain degré de méningite et une légère sclérose corticale. 11 est donc assez naturel que ces accidents, dans l'ordre anato-mique, se soient traduits pendant la vie par quelques symp-tômes exceptionnels, et qui ne sauraient modifier en rien d'es-sentiel l'ensemble du tableau clinique.
Il nous faut montrer maintenant que l'étude des lésions conduit à des conclusions semblables. Nous admettrons d'a-bord, sans nous arrêter à reproduire ici les arguments en fa-veur de celte opinion, arguments qui ont été plusieurs fois déjà exposés dans les Archives de physiologie, que les lésions observées dans les muscles, les nerfs et les racines ne se sont produites que consécutivement à l'altération spinale. Quanta la sclérose des zones radiculaires antérieures, l'examen d'un certain nombre de coupes de la moelle épinière suffit à dé-montrer que c'est là une lésion accessoire, variant en étendue d'une préparation à l'autre, en grande partie sous la dépen-dance do l'irritation propagée par les filets radiculaires anté-rieurs pendant leur trajet intra-spinal. Elle est plus pronon-cée dans les points où ils sont plus nombreux; elle affecte enfin la forme de bandes scléreuses, étendues de la corne an-térieure à la phériphérie de la moelle et rappelant ainsi très exactement la direction des racines en voie de destruction.
Les points où elle prend une extension plus considérable, où elle forme autour de la corne antérieure une zone d'une certaine largeur, sont précisément ceux où la myélite grise antérieure atteint son maximum d'intensité ; tous les éléments de la région sont à ce niveau altérés, et on peut admettre, soit que l'irritation de la névroglie, qui est manifeste dans ces points, s'est propagée de proche en proche à une certaine dis-tance du foyer principal; soit, ce qui est plus vraisemblable, que ce processus irritatif a été transmis à la zone radiculaire par l'intermédiaire des fibres nerveuses qu'elle reçoit de la corne antérieure.
Enfin, et cette dernière raison a une grande importance, on retrouve des cellules nerveuses en voie de destruction à la région lombaire, alors que les zones radiculaires antérieures se retrouvent dans cette région parfaitement normales.
Quant au léger degré de méningite qu'on observe, il est très naturel d'admettre qu'il s'est produit sous l'influence d
la lésion des filets radiculaires au niveau de leur passage dans la pie-mère; et que celle-ci, une fois enflammée, est devenue la cause de la sclérose corticale.
Si maintenant nous considérons que dans certains points, à la partie supérieure de la région cervicale, par exemple, de même qu'à la région dorsale, les cellules nerveuses sont en-core profondément altérées, alors que le tissu interstitiel ne présente plus que des lésions minimes, nous serons portés à penser que, vraisemblablement, dans ce cas, l'élément gan-glionnaire a été le siège primitif du mal.
Cette lésion de l'élément nerveux serait de nature irritative, si on en juge du moins par le caractère des altérations qu'elle provoque, lorsque plus tard, sous son influence, le tissu in-terstitiel est envahi à son tour. Epaississement des parois des gros vaisseaux, multiplication des noyaux des capillaires, pro-lifération des cellules de la névroglie, sclérose des faisceaux blancs dans les points où ils sont envahis ; tous ces phénomè-nes relèvent bien évidemment d'un processus irritalif chro-nique.
Pour tous ces motifs, il est donc très légitime de placer le cas qui nous occupe dans la catégorie des myélites antérieures chroniques primitives, et plus spécialement de la léphro-myé-lite parenchymateuse chronique.
Quanta la pigmentation exagérée des cellules nerveuses, bien que ce ne soit pas là un fait nécessaire, puisqu'il a pu faire défaut quelquefois, elle n'en est pas moins une des expressions les plus habituelles de la déchéance organique de ces éléments, et mérite à ce titre une mention spéciale.
On a vu que, parmi les nerfs périphériques, ceux qui ont été examinés avaient subi une atrophie considérable. Les phé-nomènes qui président à cette atrophie paraissent, dans ce cas, identiques à ceux qui se produisent dans l'extrémité péri-phérique d'un nerf sectionné, avec cette différence toutefois, qu'ici, dans le cas de l'amyotrophie, le nerf ne se trouve envahi que lentement, et pour ainsi dire fibre à fibre (Pl. VIII, fig. 1 et/ig. 3).
Il convient de rappeler en terminant les altérations profon-des qu'avaient subies la plupart des muscles servant à la respi-ration, en particulier les intercostaux et le diaphragme; car
c'est à l'altération de ces muscles qu'il faut vraisemblablement attribuer la terminaison fatale. En effet, il n'y avait pas de lé-sion apparente des poumons ni du cœur, et le bulbe rachi-dien ne peut guère ici être mis en cause. 11 est donc naturel d'admettre, pour expliquer la dyspnée habituelle, de même que les accidents qui ont rapidement terminé l'existence de la malade, la paralysie progressive des muscles respiratoires. Le nombre des fibres jouissant de leurs fonctions, diminuant de jour en jour, l'impuissance motrice se serait développée paral-lèlement jusqu'au jour où la lésion est devenue assez gé-nérale pour ne plus permettre le jeu régulier de la cage thoracique.
Toutefois, pour expliquer une paralysie aussi complète, dans les muscles pourvus de fibres encore assez nombreuses et qui, bien que considérablement réduites de volume, avaient cepen-dant presque toutes conservé leur striation transversale (Pl. VIII, fig. S), peut-être convient-il de faire intervenir la lésion du nerf très accusée, en particulier en ce qui concerne le nerf phrénique qui les plaçait pour la plupart dans les conditions des muscles paralysés par soustraction de l'action ner-veuse.
(Extrait des Archives de physiologie normale et patholo-gique, 1875, p. 741).
Deux cas de sclérose latérale symétrique amyotro-
phique.
(Voyez : Leçon XII, p. 234).
Nous reproduisons ici deux observations qui confirment de tout point les descriptions tracées par M. Charcot, dans ses leçons sur Vamyotrophie deutéropathique. Elles ont été publiées par M. Charcot, avec la collaboration de M. Joffroy 1 pour la première et avec la collaboration de M. Gombault pour la seconde \
Orservation I.
Atrophie musculaire progressive, marquée surtout aux membres su-périeurs — Atrophie des muscles de la langue et de ïorbicidaire des lèvres. — Paralysie avec rigidité des membres inférieurs. — Atrophie ou disparition des cellules nerveuses des cornes anté-rieures aux régions cervicale et dorsale. — Au bulbe, atrophie et destruction des cellules nerveuses du noyau de l'hypoglosse, atro-phie des racines spinales antérieures, des racines de l'hypoglosse et du facial. — Sclérose rubarne, symétrique des cordons laté-raux.
Catherine Aubel est entrée à la Salpêtrière (service de M. Charcot), au mois de juin 1865, présentant déjà à un degré très marqué les symptômes d'une atrophie musculaire progres-sive, dont le début remontait, alors, à neuf mois environ.
Ses parents, ses frères et ses sœurs, au nombre de cinq, n'ont présenté aucune affection digne d'être notée et tous jouissent d'une bonne santé. — D'un tempérament lymphatique, elle a eu dans son enfance des engorgements ganglionnaires ; quelques ganglions ont même suppuré, et elle porte au cou de nombreu-
1 Archives de physiologie normale et pathologique, 1869, p. 356. » Ibid., 1871-1872, p. 509.
ses cicatrices caractéristiques. — Elle a été réglée régulièrement depuis l'âge de onze ans.
Son état de santé ne présente ensuite rien de particulier à signa-ler jusqu'à l'âge de 28 ans, époque à laquelle elle place le début de l'affection actuelle. Accouchée à terme, le 2 septembre 1864, d'un enfant qui s'est, depuis, toujours bien porté, la malade ra-conte que, le 6 septembre, ayant voulu se lever, cela lui avait été impossible, ses jambes étaient trop faibles pour la supporter, et comme paralysées. — Le 12 septembre une nouvelle tentative pour sortir du lit n'a pas plus de succès ; la marche et la station sont à peu près impossibles par suite de la faiblesse des membres inférieurs. — Vers le 20 septembre, elle éprouva des douleurs dans les mains, et, à partir de cette époque, les membres supérieurs s'affaiblissent à leur tour progressivement.
Vers le 1er octobre, « elle est prise de la langue », selon son expression, et la parole commence à devenir très embarrassée. La malade se rend alors à pied, tant bien que mal, à l'hôpital Saint-Antoine. Renvoyée faute de place, elle y retourne le 11, mais cette fois, les membres inférieurs étaient devenus trop faibles pour lui permettre de marcher et elle se voit obligée de prendre une voiture. Admise ce jour-là dans les salles, elle y fut soumise immédiatement à l'emploi des pilules de nitrate d'argent. Ce trai-tement fut suspendu au bout de trois semaines. Il n'avait entravé en rien la marche envahissante de la maladie, au contraire, la faiblesse des membres inférieurs et supérieurs avait progressé rapidement, la marche était devenue tout à fait impossible ; la voix était devenue nasillarde, la parole embarrassée, difficile, presque inintelligible. Il nous a été impossible de savoir de la malade à quelle époque ont commencé à se produire l'atrophie et la déformation caractéristiques des membres supérieurs qu'elle présentait déjà à un très haut degré lors de son entrée à l'hospice.
Quoi qu'il en soit, au moment où elle a été admise à la Salpê-trière, l'affection semblait être rentrée dans une période d'arrêt, et l'on n'a remarqué aucune aggravation des symptômes depuis le mois de juin jusqu'au 11 septembre 1865, époque à laquelle a été recueillie la note suivante : La face est encore recouverte d'un masque accentué. La physionomie présente une expression singulière : tandis que le front, les sourcils et la partie supérieure des joues ont conservé leur mobilité, on remarque qu'en dehors des moments où la malade éprouve une émotion un peu vive, la partie inférieure de la face reste pour ainsi dire immobile et sans vie. Mais lorsqu'elle rit ou pleure, les commissures labiales sont
très fortement portées en dehors, la bouche s'ouvre très large-ment et le sillon naso-labial s'accuse d'une manière exagérée. La malade peut néanmoins fermer la bouche assez fortement, faire la moue, mais elle ne peut siffler, souffler, simuler l'acte de don-ner un baiser.
Elle paraît très intelligente et semble comprendre parfaitement toutes les questions qu'on lui adresse ; mais elle n'y répond qu'avec la plus grande difficulté et d'une manière presque inin-telligible. La voix est nasonnée ; la parole s'accompagne d'une espèce de grognement, et l'articulation de la plupart des mots se fait lentement, péniblement, avec une gêne extrême. La parole devient un peu moins indistincte, lorsque l'on ferme les narines de la malade.
La langue est petite, ratatinée, comme couverte de circonvolu-tions sur la face dorsale qui est le siège de mouvements fîbrillai-res et vermiculaires à peu près incessants. Elle ne peut être portée en haut vers la voûte palatine, mais elle peut être pous-sée quoique difficilement entre les arcades dentaires. 11 est pres-que impossible à la malade de l'allonger en pointe ou de la creu-ser en gouttière. La salive s'accumule dans la bouche et s'écoule continuellement au dehors. Le voile du palais, la luette, présen-tent l'aspect normal et lorsqu'on porte un cuiller au fond de la gorge le voile se soulève, mais à la vérité d'une manière assez lente.
Depuis quelques jours, Catherine éprouve une sensation de constriction dans la région pharyngienne, sans que l'examen direct fasse découvrir aucune rougeur delà muqueuse, ni aucun gonflement des amygdales.
La déglutition est parfois difficile et il arrive que des parcel-les d'aliments pénètrent dans le larynx et déterminent des accès de suffocation ; mais, jamais les boissons ni les aliments ne revien-nent par le nez. Les aliments solides ne s'accumulent pas non plus entre les joues etles arcades dentaires.
Les mouvements de la poitrine semblent normaux. L'auscul-tation ne démontre rien de pathologique ni au cœur, ni aux pou-mons, et toutes les fonctions de la vie organique s'accomplissent d'une manière normale.
État des menées. — Les membres supérieurs sont, dans l'en-semble, remarquablement amaigris et affaiblis, ils sont pendents le long du tronc ; mais, de plus, à l'épaule, aux avant-bras et aux mains, il y a atrophie prédominante de certains muscles ou grou-pes de muscles. Le deltoïde est, des deux côtés, très émacié et la saillie de l'épaule fait défaut.
Aux avant-bras, l'atrophie porte à la fois sur les muscles flé-chisseurs et extenseurs des doigts: aux mains, les éminences thé-nar et hypothénar sont remarquablement effacées ; le creux palmaire est excavé par suite de l'atrophie des interosseux ; de plus, les doigts sont fléchis assez fortement et d'une manière per-manente, surtout au niveau des articulations des premières pha-langes ; de telle sorte que l'on a sous les yeux un bel exemple de la déformation connue sous le nom de main en griffe. Les mou-vements des différentes parties des membres supérieurs sont d'ail-leurs extrêmement limités. C'est à peine si la malade peut sou-lever ses mains au-dessus de ses genoux où elles reposent habituellement presque inertes ; ce mouvement d élévation, qui paraît exiger de grands efforts, ne peut être tenu longtemps, et il s'accompagne d'un tremblement, surtout latéral, des mains, fort singulier. Les mouvements de flexion et d'extension des doigts sont très bornés. Depuis le mois de janvier, la malade, qui sait écrire, n'a pas pu tenir une plume ; ses mains ne lui sont d'ail-leurs d'aucun usage et il lui est tout à fait impossible de porter ses aliments à sa bouche. Les mouvements de l'épaule, ceux de l'a-vant-bras, ceux du bras, sont également très bornés. D'une ma-nière générale, le membre supérieur gauche est peut-être un peu moins faible que le droit. Il n'existe aucun signe d'une altération quelconque de la sensibilité dans toute l'étendue des membres su-périeurs.
La malade ne peut marcher ni même seule se tenir debout. Soutenue par deux personnes, si elle essaie de faire quelques pas, alors sesjambes se raidissent, s'entre-croisent, et, en même temps, ses pieds se portent en dedans par un mouvement involontaire d'adduction forcée.
Les membres inférieurs sont, eux aussi, fortement amaigris; mais c'est un amaigrissement général : on ne constate pas, comme aux membres supérieurs, les déformations qui tiennent à l'atro-phie prédominante de certains groupes musculaires. Les pieds sont un peu rigides, dans une demi-extension et fortement portés en dedans.
Il y a également de la rigidité, de la contracture, dans les ge-noux, qui sont demi fléchis, et dans l'adduction ; les hanches paraissent être également un peu rigides. La puissance muscu-laire n'est cependant pas complètement abolie aux membres in-férieurs, et la malade peut fléchir un peu, étendre les jambes. Ces mouvements, d'ailleurs très limités, ne s'accompagnent pas de trémulation.
Il n'existe aucun trouble de la sensibilité aux membres infé-
rieurs, où la malade n'éprouve ni douleurs, ni crampes, ni four-millements. La sensibilité électro-musculaire y paraît également normale, tandis qu'elle paraît être plutôt exagérée aux membres supérieurs.
Un grand nombre de muscles, ceux surtout des extrémités su-périeures, sont le siège de contractions fibrillaires extrêmement accusées. Ces contractions sont surtout remarquables aux avant-bras et aux mains. Elles se produisent tantôt spontanément, tan-tôt sous l'influence des attouchements. Elles sont assez énergiques pour produire des mouvements très prononcés d'extension des doigts et de la main tout entière lorsqu'on a produit à l'aide d'un doigt un choc léger sur la face dcvrsale de l'avant-bras, il se fait un mouvement d'extension bientôt suivi d'un mouvement de flexion correspondant, et cela se répète ensuite jusqu'à trois ou quatre fois pour une seule excitation. Si l'avant-bras est placé-dans la pronation, on peut, en frappant un petit coup sur le mus-cle supinateur, déterminer un mouvement de supination par suite duquel la main se renverse sur sa face postérieure. L'excitation électrique détermine ces mêmes contractions fibrillaires d'une ma-nière plus prononcée encore. Ces contractions fibrillaires sponta-nées ou provoquées se remarquent encore sur tous les muscles de la partie supérieure du tronc. Us sont aussi très marqués aux muscles du cou, mais c'est sur les muscles sterno-cléïdo-mastoï-diens, en particulier sur celui du côté gauche, qu'ils sont le plus fréquents et le plus accusés.
Il n'existe pas trace de mouvements fibrillaires sur les différents muscles des membres inférieurs. Nous avons fait remarquer déjà qu'à la longue ils sont très prononcés. Les muscles les plus pro-fondément amaigris, ceux des avant-bras, par exemple, ont con-servé à un haut degré la contractilité électrique. Ceux des membres inférieurs se contractent, eux aussi, énergiquement sous l'influence de la faradisation.
Tel était le tableau des symptômes au mois de septembre 1865, un an après l'affection. Depuis cette époque jusqu'au mois de fé-vrier 1869, aucun changement notable ne s'est produit. Seulement la faiblesse des membres supérieurs a toujours été en augmen-tant, mais cependant l'impuissance n'était pas complète et la malade pouvait encore remuer un peu les doigts. La contracture des membres inférieurs a fait également des progrès, mais sans jamais être excessive. Enfin, l'atrophie des muscles, s'accentuant de plus en plus, rendait les déformations des membres supérieurs, et sur-tout des mains, plus caractéristiques encore.
L'impuissance motrice et l'atrophie n'ont également marché
que fort lentement du côté de la face et de la région sus-hyoï-dienne. Néanmoins la difficulté de la prononciation et tous les autres phénomènes rappelant le tableau de la paralysie labio-glosso-pharyngée s'étaient aggravés sans qu'il s'y fut adjoint de troubles notables des fonctions respiratoires.
Au tronc, il ne s'était produit aucun phénomène nouveau. L'a-maigrissement était considérable, mais sans signe évident d'atro-phie musculaire. Les muscles respiratoires fonctionnaient norma-lement et, en particulier, il n'y avait pas de signes de paralysie diaphragmatique.
Les membres inférieurs présentaient la même faiblesse, le même amaigrissement que nous avons déjà décrit. On n'y remarquait ni déformations atrophiques des divers groupes de muscles, ni contractions fîbrillaires. Les pieds présentaient toujours la même position vicieuse. Ils étaient tournés en dedans, en même temps qu'ils étaient légèrement étendus sur la jambe. On avait remarqué que la malade s'affaiblissait et toussait depuis quelque temps, lorsque le 5 février 1869, à la visite du soir, on la trouve dans un état assez grave d'asphyxie qui s'était déclaré presque subite-ment. Le pouls était à 136. Il y avait 50 inspirations à la minute. Il s'était déclaré un râle humide laryngo-trachéal qui s'entendait à une grande distance. La partie supérieure des voies respiratoi-res était le siège d'une accumulation considérable de mucosités que la malade ne pouvait rejeter. Le lendemain, ces accidents pa-raissaient en partie dissipés ; mais, dès le soir, ils reprenaient toute leur gravité. — La malade a succombé le 11 février au soir.
Autopsie le 13 février 1869. — À. a) La rigidité cadavérique a été observée a diverses reprises chez cette femme : elle était com-plète douze heures après la mort au moment où l'on a fait le pre-mier examen du cadavre. Elle a persisté telle que pendant toute la journée du 12, et existait encore très manifeste le 13 au matin. Elle s'est montrée très forte même aux membres supérieurs, là où l'atrophie était le plus prononcée. Avant de faire l'autopsie, on a pris la mesure du contour des poignets, des bras, des jambes et l'on a trouvé les chiffres suivants :
Contour au poignet............................... 0. 125
— au bras................................. 0. 17
— à la partie moyenne delà cuisse.......... 0. 365
— à la jambe, un peu au-dessus des malléoles. 0. 175
Il n'y avait pas de différence entre les membres du côté droit et ceux du côté gauche.
b) Cavité thoracique. — Les poumons présentaient, chacun clans leur lobe inférieur, des granulations tuberculeuses et des noyaux de pneumonie caséeuse commençante. Les sommets étaient sains. — Le cœur pesait 185 grammes. Son tissu était rouge, ferme, il paraissait entièrement sain. 11 n'y avait aucune lésion valvulaire.
Les autres viscères ne présentaient rien à noter.
c) Système masculaire. — La dissection des muscles nous a donné les résultats suivants: 1° A la face. Les muscles des joues et du menton, mais principalement le buccinato-labial, étaient atrophiés, pâles, jaunâtres, réduits à de minces languettes mus-culaires. — Les orbiculaires des paupières, le frontal, les tempo-raux, les masséters, ne présentaient rien d'anormal.
2° Au cou. Les sterno-cléïdo-mastoïdiens paraissent sains. Les muscles de la région sus-hyoïdienne sont très-petits. Ils présen-tent une coloration jaune feuille-morte au niveau de la pointe de la langue. Ils sont au contraire assez rouges, quoique manifeste-ment atrophiés, dans la base de cet organe.
5°Auxmembres supérieurs. Ledeltoïdeest atrophié d'une manière très marquée ; il est mince, pâle, jaune feuille-morte. Les muscles du bras sont petits, mais d'une teinte rouge presque normale. A l'avant-bras, les muscles sont excessivement grêles, mais là en-core la coloration rouge est assez bien conservée. Les muscles de la main sont jaune feuille-morte et très atrophiés, surtout les interosseux. Les muscles de la main sont certainement, avec ceux de la langue, les plus altérés.
4° Au tronc. La masse sacro-lombaire, à sa partie inférieure, semble avoir subi un certain degré d'atrophie. La coloration est jaunâtre. Les muscles de l'abdomen présentent le même caractère et pour eux, comme pour les muscles du dos, les lésions semblent diminuer et même disparaître à mesure qu'on se rapproche de la poitrine. — Les pectoraux sont rouges et ne présentent pas d'a-trophie marquée. Les intercostaux sont assez minces et un peu jaunâtres. Le diaphragme paraît sain, du moins à l'œil nu.
5° Aux membres inférieurs. L'amaigrissement est assez mar-qué ; les muscles ne sont pas volumineux, mais cependant leur émaciation ne présente rien d'excessif, si l'on a égard à la mai-greur générale du sujet. En somme, il ne semble pas y avoir là d'atrophie proprement dite. Les muscles sont d'ailleurs rouges et leur tissu semble sain.
d) Système nerveux périphérique. — A l'œil nu, on est frappé par les changements considérables qui se sont produits dans le volume et dans la coloration des racines antérieures. Elles sont constitués par la réunion de faisceaux nerveux presque réduits à
des filaments, de sorte qu'elles sont excessivement grêles. Leur coloration a pris une teinte grisâtre très marquée, sans cepen-dant présenter la demi-transparence que l'on observe dans les nerfs qui ont subi une atrophie complète. Ces altérations de vo-lume et de coloration sont d'autant plus frappantes qu'il ne s'est rien produit de semblable dans les racines postérieures, lesquel-les ont conservé leur volume normal et leur coloration blanche. C'est surtout à la région cervicale que ces lésions sont le plus ac-cusées ; cependant on les observe encore dans presque toute la hauteur de la région dorsale ; mais elles tendent à s'effacera me-sure qu'on s'éloigne de la région cervicale. A la région lombaire, les racines antérieures ont repris le volume et la coloration de l'état normal.
Le facial et l'hypoglosse présentent, euxaussi, une teinte grisâ-tre, analogue à celles des racines antérieures cervicales et dorsales. Cette altération dans la coloration devient surtout manifeste quand on compare ces nerfs à d'autres, tels que le lingual, par exemple, qui ont conservé leur reflet blanchâtre. On ne remarque pas de diminution de volume de ces nerfs, analogue à celle que présen-tent les racines antérieures. — Les autres nerfs périphériques ne nous montrent aucune modification appréciable.
c) Système nerveux central. — L'encéphale n'est le siège d'au-cune altération. Nous avons signalé à propos du système périphé-rique ceux des nerfs crâniens qui présentaient une modification dans leur teinte. La moelle, examinée à l'état frais, ne nous a mon-tré aucune altération appréciable à l'œil nu, dans la plus grande partie de son étendue, mais dans une étendue de 5 centimètres environ au-clessus du renflement dorso-lombaire, elle offrait une diffluence excessive. De gros vaisseaux gorgés de sang et une teinte rouge diffuse s'observaient sur la partie ramoliie. Le ramol-lissement portait principalement sur la moitié gauche et sur la partie postérieure de la moelle. Il est possible que, malgré tout le soin qui a été mis à enlever la moelle, ce ramollissement ait été produit artificiellement; nous verrons que l'examen micros-copique semble donner un appui à cette opinion.
B, Examen microscopique. — lo Système musculaire. — Nous commencerons l'exposé de l'examen microscopique que nous avons fait du système musculaire par la description des altéra-tions des muscles de la main ; ce sont ceux, en effet, qui offrent les lésions les plus avancées. Les muscles des éminences thénar et hypothénar, et les muscles interosseux étaient arrivés au même degré de dégénération et donnaient le même résultat à l'examen microscopique. Les préparations ont été faites à l'état frais. Nous
prendrons pour type de notre description ce que nous avons ob-servé dans l'opposant du pouce droit.
En dilacérant la substance musculaire avec les aiguilles sur le verre à préparation, on reconnaît que la consistance des fibres est un peu plus grande qu'à l'ordinaire; elle rappelle celle du tissu conjonctif. Dansla plupart des faisceaux musculaires, il existe de fines granulations foncées, devenant brillantes et nacrées à un cer-tain foyer et qui semblent être des granulations graisseuses. Ni l'acide acétique, ni la potasse ne dissolvent ces granulations. Nous avons répété ces réactions plusieurs fois, et toujours le résultat à été le même. — Ces granulations varient beaucoup en nombre et en volume, d'une fibre musculaire à l'autre. Les stries transver-sales et longitudinales, qui se voient d'une façon très nette dans certaines fibres atrophiées, mais peu granuleuses, sont plus ou moins complètement masquées dans celles où les granulations existent en abondance.
La striation a entièrement disparu dans un certain nombre de fibres musculaires qui apparaissent sous l'aspect d'un cylindre rempli d'une matière transparente et qui renferment en nombre plus ou moins grand des granulations en général d'autant plus volumineuses qu'elles sont moins nombreuses. Ces granulations ne se dissolvent ni dans l'acide acétique ni dans la potasse, pas plus que celles des fibres qui ont conservé la striation.
Le volume des fibres musculaires semble normal pour un cer-tain nombre d'entre elles ; mais, pour la plupart, on observe une diminution parfois considérable. C'est ainsi qu'à côté d'une fibre musculaire de dimension normale, on en voit d'autres dont le diamètre transversal est réduit à un 1/3 ou à la moitié. Certaines fibres offrent même un diamètre 4 et jusqu'à 5 fois plus petit qu'à l'état normal. Et une particularité importante à signaler, c'est qu'un grand nombre des fibres qui ont subi une atrophie aussi considérable présentent encore une striation très nette et sont à peine ou même pas granuleuses.
Parmi les fibres musculaires les plus altérées, un petit nombre seulement nous ont présenté la division en fragments de la sub-stance musculaire. Dans les fibres où nous avons observé cette di-vision, les blocs de substance musculaire étaient pressés les uns contre les autres. Très rarement, ils laissaient entre eux un inter-valle, et alors, en ces points, le sarcolemme était revenu sur lui-même. Nous n'avons pas, comme l'a observé dernièrement M. Ha-yem dans un cas d'atrophie progressive, récemment publié, trouvé de multiplication des noyaux dans les tubes du sarcolemme.
Les vaisseaux, dans les muscles affectés, ne nous ont offert au-
cune altération. — Nous avons réussi plusieurs fois à voir très nettement de petits nerfs musculaires. Nous n'avons pas, dans ces cas, remarqué qu'ils continssent des fibres nerveuses dégénérées. — Le tissu conjonctif' interfibrillaire parait plus abondant qu'à l'état normal; on y observe une proportion exagérée de noyaux arrondis ou fusiformes.
En outre des altérations précédentes, la plupart des faisceaux musculaires présentaient un aspect fendillé, très remarquable principalement aux extrémités brisées des fibres : cet aspect fen-dillé se retrouve d'ailleurs dans des altérations du muscle, qui n'ont rien de commun avec l'atrophie progressive ; on les observe entre autres communément dans les muscles des membres infé-rieurs, chez les individus immobilisés depuis longtemps.
En résumé, dans les muscles de la main, c'est-à-dire là où les lésions étaient le plus accusées, nous avons observé ce qui suit : Io une diminution de volume dans la masse musculaire ; 2° une coloration jaune pâle des muscles ; 3°une consistance plus grande du muscle, rappelant celle du tissu conjonctif; 4° une altération granulo-graisseuse peu marquée pour certaines fibres; très accen-tuée pour d'autres ; o° la division en fragments de la substance musculaire ; 0° l'atrophie de certaines fibres musculaires, simple et indépendante de toute dégénérescence graisseuse ou cireuse ; 7° la prolifération du tissu conjonctif interfibrillaire.
Nous terminons ce résumé en faisant remarquer que, sur une seule et même préparation, on pouvait rencontrer toutes ces alté-rations à la fois. A coté d'une fibre musculaire entièrement saine ou à peine granuleuse, on en observait quelqu'une dont la stria-tion était presque entièrement masquée parles granulations grais-seuses. A côté de celles-ci, d'autres avaient subi entièrement la dégénérescence vitreuse. D'autres présentaient enfin t'atrophie à tous ses degrés. Quelques-unes offraient la division en blocs de la substance musculaire. Dans l'intervalle de ces fibres, on aper-cevait une grande quantité de tissu conjonctif et de noyaux arron-dis ou fusiformes.
Pour les muscles de la langue, nous pourrons nous borner à répéter la description qui précède. Observons seulement que c'est surtout dans les muscles intrinsèques de l'organe que les lésions étaient le plus accentuées. Les muscles de ïavant-bras ont à peu près conservé leur coloration normale. On trouve toutefois, dans l'intervalle des fibres, une augmentation notable du tissu conjonc-tif ; il y a, là aussi, des fibres granulo-graisseuses, des fibres vi-treuses, d'autres considérablement atrophiées ; mais, d'une ma-nière générale, toutes ces lésions sont beaucoup moins accusées
qu'à la main. Au deltoïde, nous retrouverons toutes les altérations les plus avancées que nous ayons décrites.
Les sterno-cleido-mastoïdiens ont été l'objet d'un examen spécial. On se rappelle que, dans l'observation, ils sont notés, surtout celui du côté gauche, comme étant le siège de contractions fibrillaires remarquables par leur spontanéité, leur fréquence et leur in-tensité. Les préparations faites avec la substance musculaire du sterno-cléido-mastoïdien gauche n'ont, à notre grand étonnement, absolument présenté aucune altération. Les fibres étaient remar-quables par leur volume relativement considérable, la striation bien nette et l'absence de toute dégénérescence. On ne remarquait même pas, dans ces muscles, cet aspect fendillé qui était àpeu près général dans les muscles des membres supérieurs et inférieurs.
Les pectoraux ne présentaient non plus aucune altération. Les intercostaux ne nous ont montré qu'une dégénérescence granulo-graisseuse peu marquée et l'aspect fendillé. Il en a été de même dans le diaphragme : nous n'avons rencontré qu'un petit nombre de fibres où les granulations fussent assez abondantes pour mas-quer la striation transversale.
Les éléments musculaires, aux membres inférieurs, ne renferment pas ou à peine de granulations graisseuses. Ils ne sont pas atro-phiés d'une façon appréciable ; la striation y est nettement accusée et ils n'offrent pas d'autre altération que l'aspect fendillé.
2° a) Bacines spinales antérieures. Examen à l'état, frais. Le nombre des tubes nerveux qui, dans ces racines, ont conservé les caractères de l'état normal, est plus grand qu'on aurait pu le supposer, à en juger par la diminution de volume et la teinte gri-sâtre qu'elles présentaient. Toutefois, sur la moitié des tubes au moins, on pouvait observer tous les degrés de l'atrophie, depuis l'émaeiation simple jusqu'à la complète disparition du cylindre de myéline. Nulle part on ne rencontrait dans les tubes des traînées de granulations graisseuses. Ce qui vient d'être dit est relatif sur-tout à la région cervicale de la moelle ; à la région dorsale, les lésions atrophiques se montraient moins prononcées, surtout dans les parties inférieures de cette région et, au niveau du renflement lombaire, elles faisaient complètement défaut.
b) Les racines spinales postérieures ont été examinées compara-tivement aux antérieures ; on n'y a rencontré aucune trace d'alté-ration des tubes nerveux.
c) Nerfs crâniens. Le facial et l'hypoglosse, examinés à l'état frais, en divers points de leur trajet, ont présenté, le dernier sur-tout, les lésions comparables à celles qui ont été signalées à pro-pos des racines spinales antérieures. Seulement, le nombre des
Charcot. Œuvres complètes, t. ii. 29
tubes nerveux restés sains y était relativement beaucoup plus grand. Le lingual et le pneumogastrique ont été l'objet d'un exa-men spécial; ils n'ont paru offrir aucune altération.
d) Nerfs rachidiens. Les deux nerfs phréniques, celui du côté droit principalement, nous ont paru renfermer un certain nombre de tubes nerveux atrophiés à divers degrés. Des altérations ana-logues ont été observées sur le médian et sur le cubital examinés à l'avant-bras ; sur ces derniers nerfs, quelques tubes nerveux atrophiés présentaient, d'une manière évidente, la dégénération granuleuse. L'examen du grand sympathique au cou et des gan-glions inférieurs, n'a fourni aucun résultat décisif.
e) Moelle épinière. Examen à l'état frais de la partie ramollie. On sait qu'immédiatement au-dessus du renflement lombaire la moelle présentait dans une certaine étendue, une diftluence remar-quable ; des fragments de tissu nerveux, provenant de ce point ramolli, ont été portés sous le microscope immédiatement après l'autopsie ; les tubes nerveux offraient les caractères de l'état normal ; on ne rencontrait dans les intervalles qu'ils laissaient entre eux, ni corps granuleux, ni granulations graisseuses. Les gaines vasculaires ne renfermaient pas non plus d'éléments gra-nuleux.
Ce résultat négatif doit porter à penser ou bien que le ramol-lissement était de date toute récente ou bien qu'il a été produit artificiellement.
Examen de préparations durcies par l'acide chromique et colorées par le carmin. Région cervicale. L'examen des coupes transversa-les minces pratiqué à diverses hauteurs, fait reconnaître des alté-rations qui portent les unes sur les faisceaux antéro-latéraux de la moelle, les autres sur la substance grise, en particulier sur les cornes antérieures et qui se montrent à peu près les mômes dans toute l'étendue de la région.
Sur tous les points des cordons antéro-latéraux, les cloisons de tissu conjonctif ont pris une importance considérable ; elles se sont notablement épaissies, et il semble qu'elles se sont multipliées. Dans les espaces qu'elles circonscrivent en s'anastomosant et s'en-trecroisant, on reconnaît aisément les surfaces de section de tubes nerveux, lesquels, au niveau des faisceaux antérieurs et sur la partie antérieure des faisceaux latéraux, ont conservé à peu de de chose près leur diamètre normal. Mais, sur un point qui cor-respond à la partie la plus postérieure de ces derniers faisceaux et dans toute l'étendue d'une région qui, en dedans, confine aux cornes postérieures tandis qu'en dehors, elle s'étend presque jus-qu'à la couche corticale : la gangue conjonctive est devenue tout
à fait prédominante. Les tubes nerveux, ayant conservé leur dia-mètre normal, sont là devenus très rares ; la plupart des tubes sont atrophiés à divers degrés, et il en est un grand nombre qui ne sont plus représentés que parle cylindre d'axe. Lorsque les coupes sont examinées à un faible grossissement, les points où pré-domine ainsi l'altération scléreuse des cordons latéraux se mon-trent sous forme de deux petites plaques rouges, transparentes, irrégulièrement arrondies, placées symétriquement vers la partie la plus postérieure de ces cordons, immédiatement en dehors des cornes grises postérieures. Les faisceaux blancs postérieurs ne présentaient aucune altération.
Dans l'examen de la substance grise, le haut degré d'atrophie qu'ont subi, dans les cornes antérieures, la plupart des cellules nerveuses, frappe tout d'abord ; il est évident, en outre, qu'un certain nombre de ces cellules ont disparu sans laisser de traces. Ce sont surtout les cellules du groupe interne ou antérieur qui ont subi les altérations les plus profondes ; là, toutes les cellules qui ont persisté sont plus ou moins atrophiées, tandis que dans le groupe externe on en rencontre sur la plupart des préparations, 1, 2, 3 et même parfois 4, qui ont conservé, à peu près, les dimen-sions et tous les autres caractères de l'état sain. Parmi les cellules atrophiées, les unes bien que 6 ou 7 fois plus petites que dans l'état normal, ont cependant conservé leur forme étoilée, leurs prolongements et possèdent encore un noyau et un nucléole dis-tincts. Les autres ne sont plus représentées que par de petites masses irrégulièrement anguleuses, sans prolongements, jaunes, brillantes, d'aspect vitreux, et, en pareil cas, le noyau, en géné-ral, n'est plus distinct. Toutes ces altérations peuvent être appré-ciées d'une manière rigoureuse, lorsque les parties malades sont comparées aux parties correspondantes sur des coupes de moelle provenant des sujets sains. Nous avons pris pour terme de com-paraison de très belles préparations de moelle saine que nous de-vons à l'obligeance de M. Lockhart-Glarke.
La gangue conjonctive des cornes antérieures se présentait sous l'aspect d'une masse finement grenue, nous n'avons pas remar-qué que les noyaux de la névroglie y fussent plus abondants que dans l'état normal ; il n'en était pas de même aux commissures antérieures et postérieures : là, les noyaux nous ont paru nom-breux, surtout au voisinage du canal central. Ce dernier était complètement oblitéré par un amas de cellules épithéliales.
Dans l'épaisseur de la commissure, comme dans les cornes an-térieures, les vaisseaux présentaient des parois manifestement épaissies, couvertes parfois de nombreux noyaux. — Les cornes
postérieures de la substance grise nous ont paru offrir toutes les conditions de l'état sain.
Région dorsale. L'examen n'a pu porter que sur les 2/3 supé-rieurs de cette région. La sclérose des faisceaux latéraux se mon-trait à toutes les hauteurs, au moins aussi prononcée qu'à la ré-gion cervicale : comme dans celle-ci, bien qu'à un degré moindre, les cellules des cornes antérieures étaient atrophiées, réduites à un petit nombre.
Région lombaire. L'altération scléreuse symétrique des cordons latéraux est encore ici très nettement accusée, mais moins étendue toutefois que dans les autres régions de la moelle ; elle occupe d'ailleurs le même siège. Les cellules des cornes antérieures sont presque en nombre normal ; elles offrent pour la plupart, les di-mensions de l'état sain. Quelques-unes seulement présentent des lésions alrophiques bien caractérisées.
Région du bulbe. — Coupes faites au-dessus du calamus. — A l'aide découpes transversales faites à diverses hauteurs de la région des olives et au-dessous, nous avons pu constater, delà manière la plus nette, que les cellules des noyaux d'origine de Vhypoglosse, dans toute l'étendue de ces noyaux, sont pour la plupart profon-dément altérées, atrophiées ou même complètement détruites. Cette altération rappelait exactement celle qui a été signalée à propos des cellules des cornes antérieures de la moelle, aux régions cervicale et dorsale. Nous avons pris pour point de comparaison, dans cette partie de notre étude, de très belles coupes provenant de bulbes sains, préparées par M. L. Clarke. Nous avons utilisé aussi les planches encore inédites de VIconographie photographi-que de M. Duchenne (de Boulogne), relatives à la structure du bulbe. Or, sur des coupes de Clarke, faites à 1/2 centimètre envi-ron au-dessus du bec du calamus scriptorius et réprésentant l'état normal, on pouvait compter' dans le noyau de l'hypoglosse, qui dans cette région est volumineux et bien limité de toutes parts, de 40 à 50 grandes cellules tripolaires ou quadripolaires ; par contre, sur les coupes provenant de notre malade et montrant la même région, on ne pouvait reconnaître que 3 ou 4, au plus, de ces cellules qui fussent à peu près intactes ; les autres avaient totalement disparu pour la plupart.
Quelques-unes, considérablement atrophiées, pouvaient se re-trouver encore à l'aide de forts grossissements ; d'autres n'étaient plus représentées que par de petites masses irrégulières, d'un jaune ocreux, brillantes et dépourvues de prolongements.
On pouvait remarquer, en outre, que les tractus délicats (pro-bablement des prolongements de cellules) qui, dans l'état normal,
se croisent et s'entre-croisent en mille directions dans l'intervalle des cellules, s'étaient ici complètement effacées ; et l'on ne trou-vait plus entre les cellules qu'une masse amorphe, finement gre-nue ; enfin le noyau de l'hypoglosse, considéré dans son ensemble, paraissait avoir perdu ses contours arrondis ; il présentait une forme ovalaire transversalement et s'était évidemment amoindri dans tous les sens.
Sur les mêmes coupes, on pouvait reconnaître, immédiatement en dehors du noyau de l'hypoglosse, le petit groupe de cellules que Clarke rattache aux origines inférieures du facial ; toutes ces cellules étaient saines et nous ont paru en nombre normal.
Plus en dehors encore, on rencontrait le noyau d'origine du pneumogastrique. La plupart des cellules du groupe étaient in-tactes ; un petit nombre seulement d'entre elles (7 ou 8 pour cha-que noyau et pour chaque préparation), les plus antérieures pré-sentaient la dégénération jaune à un degré très prononcé, ou bien elles avaient subi une pigmentation noire très remarquable.
Coupes pratiquées au niveau du bec du calamus. — En avant et de chaque côté du canal central, on retrouve les noyaux de l'hy-poglosse. Là encore, les cellules sont atrophiées ou dégénérées. En arrière et de chaque côté du canal, on peut étudier les noyaux du spinal ; ils présentent tous les deux quelques cellules qui ont subi la dégénération jaune ou la pigmentation noire et qui sont en même temps déformées. Les autres cellules de ces noyaux sont normales.
Coupe faite au-dessus des olives. — Les noyaux d'origine du facial, du moteur oculaire externe et de l'auditif nous ont paru présenter tous les caractères de l'état normal.
Observation IL
Sclérose symétrique des cordons latéraux de la moelle et des pyra-mides antérieures dans le bulbe. — Atrophie des cellules des cor-nes antérieures de la moelle. — Atrophie musculaire progressive. — Paralysie glosso-laryngée.
Elisabeth P..., 58 ans, est entrée le 11 juillet 1871, à l'infirmerie de la Salpètrière (service de M. Crarcot).
Renseignements fournis par son fils. L'affection dont elle est atteinte ne paraît par avoir débuté brusquement. — Au mois de juin dernier, P... marchait encore, bien qu'avec une certaine diffi-culté. Déjà sa main gauche ne pouvait lui servir et était tenue
rapprochée du corps. Elle se plaignait aussi de voir depuis quelque temps sa main droite s'affaiblir, ce qui la gênait pour manger. Elle avait également un léger embarras de la parole, mais la dé-glutition s'effectuait facilement.
Etat actuel, 29 septembre 1871. La physionomie est hébétée ; la bouche toujours grande ouverte laisse constamment écouler la salive.
Il semble que tous les muscles de la face soient dans un état de contracture permanente, qui s'exagère encore lorsque la malade vient à rire ou à pleurer : l'espèce de grimace qui se produit alors ne s'efface qu'avec une lenteur extrême.
Les mouvements de l'orbiculaire des lèvres sont notablement gênés. Celles-ci ne peuvent arriver au contact dans l'action de siffler ou de souffler. Elle souffle une bougie la bouche à demi-ouverte ; elle réussit à l'éteindre même lorsqu'elle est placée à une certaine distance de sa bouche. —Le mouvement de diduction des mâchoires paraît impossible. — La contraction des muscles masticateurs est peu énergique, aussi ne parvient-elle à broyer que les aliments de consistance molle.
L'articulation des mots est abolie ; les efforts de la malade n'a-boutissent qu'à la production d'une sorte de grognements tout à fait incompréhensibles. — L'intelligence est cependant conservée dans une certaine mesure, et la malade semble comprendre toutes les questions qu'on lui adresse.
La langue est atteinte d'une impuissance motrice à peu près absolue en même temps qu'elle présente les caractères d'une atro-phie déjà très prononcée. Petite, ratatinée, agitée de mouvements fibrillaires, creusée de sillons et recouverte habituellement d'un enduit noirâtre, elle demeure collée au plancher inférieur de la bouche, et c'est à peine si elle peut être portée en avant et dépasser les lèvres de quelques millimètres. Quant au mouvement d'éléva-tion de la pointe vers la voûte palatine, il est totalement aboli.
La gêne de la déglutition bien qu'un peu moins complète est cependant très prononcée. C'est depuis quelques jours seulement qu'elle s'est brusquement accentuée. Lorsqu'on introduit un liquide dans la bouche, la plus grande partie s'écoule entre les lèvres ; puis, il se produit une série de mouvements de déglutition, avec ascension considérable du larynx et bruit pharyngien très sonore. Vient-on à porter, avec une cuiller, le liquide jusque dans l'arrière-bouche, la déglutition s'effectue d'une manière un peu plus com-plète, mais elle amène un état d'anxiété extrême ; quel que soit le mode d'introduction de la substance alimentaire, son entrée dans l'œsophage paraît se faire avec une grande lenteur, et quel-
ques minutes après on voit encore se produire de bruyants mouve-ments du pharynx, provoqués par le liquide arrêté à son orifice supérieur. Jamais celui-ci ne reflue vers les fosses nasales, et, du reste, l'examen direct du voile du palais permet de constater qu'il est symétrique, et a conservé l'entière liberté de ses mouvements normaux.
Jusque dans ces derniers jours, on pouvait encore lever la ma-lade et elle passait des journées assise dans un fauteuil. Mais les symptômes s'étant aggravés subitement, elle est aujourd'hui abso-lument confinée au lit.
L'impuissance motrice, complète dans le membre supérieur gauche, est un peu moins prononcée dans celui du côté droit. Cette paralysie s'accompagne d'un certain degré de contracture ; les doigts sont fléchis dans la paume de la main, le poignet est dans la pronation, le coude demi fléchi résiste quand on veut re-tendre. Les masses musculaires sont atrophiées et agitées de mou-vements fibrillaires. L'atrophie, plus prononcée à gauche qu'à droite l'est peut-être aussi davantage à la racine du membre qu'à son extrémité. Tandis que les muscfes de t'épaule, le deltoïde en par-ticulier, ont à peu près disparu, laissant à nu les saillies osseuses, les éminences thénar et hypothénar, bien qu'amincies, ont encore conservé une notable épaisseur.
Au thorax, les grands pectoraux sont pris au même degré que les deltoïdes, le moindre attouchement y ramène des contractions fibrillaires, quand elles ne s'y montrent pas spontanément.
Les membres inférieurs, atteints beaucoup moins profondément sont égaux en volume. Ils présentent un amaigrissement nota-ble, étendu à tout le membre ; aucun groupe de muscles ne paraît plus spécialement atteint que les autres. Ils peuvent exécuter quelques mouvements dans le plan du lit. Les masses musculai-res, celles des mollets surtout, sont le siège de contractions fibril-laires abondantes. — L'examen faradique des muscles permet de constater qu'ils se contractent tous sous l'influence de l'électricité, ceux des membres inférieurs avec une énergie plus grande que les supérieurs. L'orbiculaire des lèvres, en particulier, paraît très sensible à l'excitation électrique. Mais la contraction musculaire ne se produit pas partout avec ses caractères normaux, et, dans bien des muscles, elle revêt la forme de mouvements fibril-laires.
La sensibilité semble conservée dans tous ses modes. Le pouls est à 104. Respiration régulière.
1er octobre. P. 100. Commencement d'escarre.
2 oct. P. 108 ; R. 26. — 6 oct. P. 100; R. 20. — 7 oct. P. 120.
10 oct. P. 130. Extrémités froides. Les urines sont troubles, ne contiennent ni sucre ni albumine. — Rétention d'urine. 13 oct. P. 124. - 14 oct. P. 120.
23 oct. — L'affaiblissement a fait des progrès considérables. La malade a à peine la force de pousser un cri. L'alimentation est de-venue impossible. — Extrémités froides, pouls insensible. — L'escarre s'est étendue sur une grande largeur. — Mort le 25 oc-tobre.
Nécropsie . — Etat des viscères. — Le cœur est de petit volume : il n'existe pas de lésions valvulaires, Jes parois ont leur épaisseur et leur coloration normales. — Pas de lésions dans les poumons. — Le foie, de volume normal, ne présente pas de cicatrices ; il en est de même pour la rate et les reins. La muqueuse vésicale est rouge, recouverte de saillies mamelonnées, tapissée d'exsudats puru-lents.
Etat des muscles. —Les muscles de la face sont très grêles, mais leur coloration se rapproche sensiblement de l'état normal. Le masséter, rouge à sa surface, est jaunâtre dans ses parties pro-fondes. — Les sterno-mastoïdiens, les scalènes, les trapèzes sont bien nourris et offrent une belle coloration rouge.
Les pectoraux et les muscles du membre supérieur gauche sont jaunes, décolorés, amincis et leur aspect contraste d'une manière frappante avec celui des muscles du cou ; le deltoïde surtout est très altéré. A la main, les muscles des éminences thénar et hypo-thénar sont décolorés. Le grand dentelé est comme le grand pec-toral pâle et atrophié. — 11 en est de même, mais à un moindre degré, pour les muscles de l'abdomen. — Le diaphragme a con-servé sa coloration, sa consistance et son épaisseur normales.
Aux membres inférieurs, les muscles, bien que grêles, sont à peine décolorés, un certain nombre d'entre eux ont été examinés; le couturier, le droit antérieur pour la cuisse ; à la jambe, les ju-meaux, le jambier antérieur, l'extenseur commun des orteils, au-cun d'eux ne présentait même cette couleur feuille-morte que donne si souvent aux muscles le séjour au lit longtemps prolongé.
Etat des centres nerveux. — Le cerveau, le cervelet et Yisthme de rencéphale ne présentent aucune altération appréciable ; les artères de la base sont saines. Le bulbe rachidien offre tous les ca-ractères de l'état normal. — Le tissu de la moelle est partout d'une consistance ferme ; il n'y a pas d'atrophie évidente portant sur les divers cordons blancs de l'organe. — Les filets d'origine des nerfs bulbaires situés au-dessous du facial, c'est-à-dire l'hypo-glosse, le glosso-pharyngien, le pneumogastrique et le spinal, contrastent, par leur finesse et leur coloration grise, avec les ra-
cines des nerfs situés au-dessus ; le facial, en particulier, est exempt de toute altération. Cette extrême ténuité et cette teinte grise se retrouvent sur un certain nombre de racines antérieures de la moelle.
Etude histologique. — Muscles. — L'examen des muscles de la langue, pratiqué à plusieurs reprises, a constamment donné un résultat presque négatif. Du moins jamais n'a-t-on trouvé cet état granuleux de la fibre musculaire, vu cette prolifération nucléaire abondante, qui caractérise la dégénération atrophique des mus-cles, arrivée à un degré avancé de son évolution. — Dans les muscles de la face, au contraire, de nombreuses fibres avaient perdu leur striation transversale et présentaient un état granu-leux très prononcé du contenu de la gaine.
Dans les muscles des membres supérieurs qui, à l'œil nu, avaient une coloration jaunâtre et une diminution de volume très accen-tuée, l'examen microscopique révélait la présence d'un grand nom-bre de faisceaux primitifs dégénérés. Dans les éminences thénar et hypothénar, en particulier, les fibres avaient subi une atrophie simple très marquée ; sur d'autres points, elles avaient en grande partie perdu leur striation transversale et les noyaux du tissu conjonctif interstitiel s'étaient extrêmement multipliés. Sur cer-taines préparations examinées dans la glycérine après l'addition d'acide acétique, on pouvait voir le contenu des gaines fragmenté, formant des îlots rangés en séries parallèles, séparés les uns des autres et masqués en partie par des amas de noyaux. Les mus-cles du tronc et des membres inférieurs ont présenté la même al-tération; ces derniers surtout, à un degré beaucoup moins avancé.
Nerfs. Les filets d'origine de la plupart des nerfs bulbaires ont été examinés, et tous présentaient des caractères histologiques bien voisins de l'état normal. C'est à peine si on pouvait y distin-guer quelques fibres à contenu granuleux, tandis que quelques autres, dépourvues de leur cylindre de myéline, étaient réduites à leur gaine et recouvertes de noyaux plus nombreux que d'habi-tude. Pas plus que les racines, le tronc de ces nerfs n'était dans son trajet ultérieur notablement altéré. On a noté, en particu-lier, l'intégrité des fibres de l'hypoglosse, parvenu à la base de la langue ; il en était de même pour le spinal, le pneumogastrique, le nerf facial.
Les racines antérieures des nerfs rachidiens, examinées au ni-veau du renflement cervical, ont présenté, au milieu d'un grand nombre de fibres restées saines, quelques fibres dégénérées.
Le nerf médian du côté gauche, examiné, après durcissement, sur des coupes transversales, a. été trouvé sain.
Centres nerveux. Préparations faites après durcissement dans l'acide chromique et colorées par le carmin.
Bulbe rachidien. L'examen de coupes transversales, pratiquées à différentes hauteurs de l'organe, permit de constater des lésions de la substance blanche et de la substance grise.
1° Substance grise. Les noyaux d'origine des nerfs bulbaires sont ici le siège de l'altération. Celle-ci, essentiellement caractérisée par la dégénération pigmentaire et l'atrophie consécutive des cel-lules nerveuses qui entrent dans la composition de ces noyaux, est surtout très prononcée dans celui du nerf hypoglosse ; à côté de quelques cellules demeurées saines, on peut observer dans les autres les caractères de la lésion à toutes les périodes de son déve-loppement. La plupart, envahiesdéjà parles granulations jaunes, réfractaires à l'action du carmin et notablement diminuées de vo-lume, ont pris une forme globuleuse. Elles donnent naissance à de rares prolongements pâles et amincis, qu'il est impossible de suivre comme à l'état normal, à une certaine distance de leur lieu d'origine.
La névroglie ne paraît prendre aucune part au processus mor-bide, elle a conservé sa transparence normale, et il est impossible de découvrir une augmentation évidente dans le nombre de ses noyaux.
Les groupes cellulaires, appartenant aux différents autres nerfs de la région, sont moins profondément atteints. Les cellules y sont en nombre considérable, et si quelques-unes semblent avoir subi une diminution de volume, on n'y retrouve que de bien rares exemples de cet envahissement pigmentaire si net dans le noyau de l'hypoglosse.
Les olives se montrent normales sur toutes les coupes.
2° Substance blanche. La lésion de la substance blanche occupe ici toute l'étendue des pyramides antérieures, qui sont le siège d'une sclérose très manifeste et se colorent vivement par le car-min. On peut la suivre dans ses faisceaux, depuis le point où ils émergent de la protubérance, jusqu'au niveau de leur entre-croise-ment. Il est facile, sur les mêmes coupes, de constater la parfaite intégrité des racines nerveuses dans leur trajet intra-bulbaire. Elle est surtout très évidente pour celles de l'hypoglosse et con-traste d'une manière frappante avec l'atrophie très prononcée de leur noyau d'origine.
La région de l'entre-croisement offre un intérêt particulier; tandis qu'à la partie antérieure, ce qui reste de la pyramide se détache sous la forme d'une bande rouge transversale, on voit la sclérose s'avancer en figurant un coin à base postérieure dans la
région de l'entre-croisement, et aller envahir, en passant du côté opposé, la formation réticulée et la partie supérieure des cordons latéraux. Les cornes antérieures qui, à ce niveau, sont re-présentées par deux îlots de substance grise complètement isolés de la substance centrale contiennent une notable proportion de cellules dégénérées.
Moelle. La moelle est le siège d'altérations fort étendues, qui portent à la fois sur les cornes antérieures de la substance grise et sur les cordons antéro-latéraux. Il est de plus à remarquer, que, du moins à la région cervicale, les lésions paraissent être arrivées à une période plus avancée de leur évolution dans le côté gauche que dans le côté droit de l'organe, qui est par suite devenu asymétrique. (Planches IV et V.)
Cordons antéro-latéraux. Ils présentent, sur des coupes trans-versales de la moelle, tous les caractères de la sclérose des fais-ceaux blancs. Les grands tractus conjonctifs, qui de la périphé-rie de l'organe vont gagner la substance grise, sont épaissis. Les mailles du reticulum, considérablement élargies, contiennent de nombreux no}raux. Elles limitent des espaces très inégaux dans lesquels se voit la coupe des cylindres d'axe. Ceux-ci sont pour la plupart plus minces qu'à l'état normal ; dans quelques endroits, au contraire, ils sont comme hypertrophiés. Les régions altérées se colorent vivement par le carmin.
Si on étudie la disposition de cette sclérose, on voit qu'elle oc-cupe, sur toute la hauteur de la moelle, des points symétriques dans chacune des moitiés de cet organe. Elle rappelle de plus, par son mode de distribution, les dégénérations descendantes consécutives à certaines lésions en foyer de l'encéphale, bien qu'elle en diffère par certaines particularités.
Dans toute la région cervicale, elle occupe, à la partie la plus interne des cordons antérieurs, une sorte de triangle dont la base s'appuie à la commissure blanche ; un des côtés du triangle longe le sillon antérieur, tandis que le sommet vient se terminer en s'ef-fîlant vers la partie moyenne de ce sillon. Ce triangle, plus large à droite qu'à gauche, cesse d'exister vers la partie inférieure de la région.
Dans les cordons latéraux, commençant en avant au niveau de l'angle externe de la corne antérieure, elle suit en dedans et en arrière le contour de la substance grise sans pénétrer dans son intérieur, tandis qu'en dehors elle est séparée de la périphérie par une bande étroite de tissu resté sain.
La partie supérieure de la région, celle qui est située immédia-tement au-dessous du collet du bulbe, s'éloigne un peu de cette
description. Ici, en effet, la corne antérieure est entourée de tous côtés par une sorte de couronne de tissu sclérosé. Si, des parties supérieures, on descend vers les régions dorsale et lombaire, on voit la sclérose abandonner le cordon antérieur et diminuer pro-gressivement d'étendue dans le cordon latéral. Dans la région dorsale le cercle de tissu sain périphérique s'élargit notablement, tandis que la sclérose abandonne le contour de la corne anté-rieure. A la région lombaire, elle s'est éloignée de la corne pos-térieure et forme une sorte d'îlot situé dans la partie postérieure du cordon, et entouré de toutes parts par le tissu normal excepté en arrière, où il envoie un prolongement vers la périphérie et le point d'entrée des racines postérieures. Tout le reste de la sub-stance blanche, et en particulier des cordons postérieurs, est exempt d'altérations. Il en est de même pour les racines antérieu-res dans leur trajet intra-spinal.
Substance grise. — Nous trouverons ici, exactement limitée à l'aire des cornes delà substance grise et symétriquement disposée dans les deux moitiés de la moelle, la lésion cellulaire qui a été décrite à propos du noyau de l'hypoglosse. Frappant indistinc-tement, et comme au hasard, les éléments des différents groupes de ces cornes, elle diminue graduellement d'étendue, à mesure qu'elle gagne les régions inférieures de la moelle. Tandis qu'au niveau du renflement cervical, c'est à peine si on peut évaluer à un cinquième du nombre total celui des cellules épargnées, à la région lombaire, plus de la moitié a consérveles caractères de l'état normal. La colonne vésiculaire de Clarke n'a pas été épar-gnée ; la dégénération a respecté, au contraire, tous les éléments des cornes postérieures.
La névroglie n'a pas, ici plus que dans le bulbe, pris une part active au travail morbide ; et l'on peut voir, sur toutes les coupes, des cellules réduites à quelques granulations pigmentaires, au sein d'un tissu parfaitement normal. Toutefois la substance grise a, sur certains points, été désorganisée dans son ensemble, et l'on peut constater dans les régions supérieures de la moelle, la pré-sence de véritables foyers. Allongés dans le sens vertical, ils oc-cupent symétriquement les deux cornes antérieures, dont ils ne dépassent pas les limites. Les coupes qui passent par leur partie moyenne, ne montrent qu'une masse épaisse d'un tissu se colorant fortement par le carmin, faisant saillie au-dessus de la surface de section, et dans lequel il est difficile de distinguer aucun élément. Mais ces foyers, renflés à leur partie moyenne, vont en s'efûlant à
leurs deux extrémités, et c'est dans ces points qu'il convient de les examiner. On voit alors qu'ils débutent par un certain nombre de petits îlots arrondis, au niveau desquels le tissu est manifeste-ment épaissi et rendu moins transparent, sans qu'on y remarque une multiplication évidente des noyaux de la névroglie.
Note sur un cas de paralysie glosso-laryngée suivi d'au-topsie ; par J.-M. Gharcot.
(Voyez Leçon XIII, p. 239).
Par l'ensemble des symptômes, l'observation que je vais rapporter dans ses détails se rattache au type clinique créé par M. Duchenne(de Boulogne) sous le nom de paralysie mus-culaire progressive de la langue, du voile du palais et des lè-vres ; mais, par le côté anatomo-pathologique, elle diffère notablement de tous les cas du même genre publiés jusqu'à ce jour. C'est à ce point de vue surtout qu'elle m'a paru di-gne de fixer un instant l'attention du lecteur.
Observation. — La nommée Baj..., Marie-Françoise, âgée de 68 ans, est entrée une première fois à l'Infirmerie générale del'hos-pice de la Salpêtrière, le 11 avril 1868, pour y être traitée d'une bronchite légère ; on n'avait pas noté, à cette époque, qu'elle eût la parole embarrassée. Cependant ses enfants affirment qu'ils avaient remarqué que, depuis un an déjà, elle s'exprimait de temps en temps très difficilement. Les troubles de la déglutition se seraient manifestés vers le mois de mai dernier. Toujours est-il que depuis cette époque il arrivait à la malade d'avaler de tra-vers et d'être prise de violentes quintes de toux. Pendant les repas, elle rejetait, aussi, fort souvent les aliments par le nez. Une exaspération de tous les symptômes se serait produite assez brus-quement, un mois environ avant la seconde admission à l'Infirme-rie, laquelle a eu lieu le 10 septembre. Dans l'espace de quelques jours, l'articulation des mots serait devenue presque impossible, et depuis ce moment la difficulté d'avaler les aliments et les bois-sons se serait rapidement exagérée. La malade assure que cette brusque aggravation n'a pas été accompagnée d'étourdissements ou d'autres phénomènes du même genre. La faiblesse des mou-
vements volontaires qui existe actuellement dans le membre su-périeur gauche, et dont il sera question plus loin, remonterait à quatre mois environ, et elle se serait prononcée lentement, d'une manière progressive.
État actuel. Le 10 septembre 1869.— L'articulation des mots est déjà tellement embarrassée que la malade ne peut réussir à se faire comprendre ; tous les efforts qu'elle fait pour parler aboutis-sent en effet, uniformément, à la production d'un grognement sourd, à timbre nasal. Cependant, autant qu'on peuten juger chez un sujet qui ne peut plus s'exprimer que par signes, l'intelligence semble être parfaitement conservée. La langue n'est pas aussi inerte qu'on pourrait le croire d'après ce qui précède ; elle a con-servé sa forme, son épaisseur, ses dimensions normales ; elle ne présente, à sa surface, aucune ride, aucune plicature anormale ; toutefois, en examinant ses bords avec grand soin, on croit aper-cevoir de temps à autre de légers mouvements fibrillaires. B... peut assez facilement encore la tirer hors de la bouche, la mouvoir à droite et à gauche, mais elle ne peut ni en relever la pointe, ni en appliquer la face dorsale contre la voûte palatine.
Les mouvements de l'orbiculaire des lèvres sont très notable-ment affaiblis. La malade ne peut figurer l'acte de donner un bai-ser ou de siffler, mais il lui est possible, en rassemblant toutes ses forces, d'éteindre en soufflant une bougie tenue éloignée de la bouche de plus de 10 centimètres.
La gêne de la déglutition est surtout des plus prononcées. Lors-que B... veut avaler un liquide, elle en rejette d'abord, presque tou-jours volontairement, une bonne partie par la bouche. Puis, por-tant le pouce de la main droite sur l'un des côtés du larynx, elle semble vouloir aider au mouvement d'élévation de cet organe qui bientôt va s'accomplir ; mais à peine le premier temps de la dé-glutition s'est-il effectué qu'il survient un état d'anxiété extrême : durant plus de cinq minutes, la malade paraît menacée de suf-focation ; elle ne tousse pas en général, mais elle fait entendre, à chaque inspiration un bruit laryngé sonore rappelant, jusqu'à un certain point, celui qu'on observe dans certains cas d'eedème de la glotte. Il arrive fréquemment que quelques gouttes du li-quide ingéré sont rendues par le nez. La déglutition des aliments solides, ou mieux semi liquides, est moins difficile peut-être que celle des liquides proprement dits, mais elle est le plus souvent encore troublée par les mêmes accidents.
L'examen direct du voile du palais n'y fait reconnaître aucune déformation : la luette occupe la ligne médiane et elle n'est pas pendante à l'excès : le voile membraneux paraît se contracter
d'ailleurs d'une manière à peu près normale sous l'influence des titillations.
Une salive épaisse et visqueuse s'amasse constamment dans la bouche et s'écoule parfois au dehors. On trouve souvent la malade occupée à rejeter, à l'aide de ses doigts introduits dans sa bouche, les mucosités épaisses et les parcelles d'aliments qui s'y sont ac-cumulées. En raison de la gène de la déglutition, l'alimentation ne se fait que d'une manière très incomplète; la malade fait com-prendre à chaque instant, par des gestes significatifs, combien il lui est pénible de ne pouvoir satisfaire sa faim. Elle est très mai-gre et déjà très affaiblie. En examinant l'état du système muscu-laire dans les diverses parties du corps, on remarque ce qui suit ; les muscles de l'épaule gauche sont manifestement plus amaigris que ceux de l'épaule droite ; de plus, le deltoïde est, d'une manière à peu près permanente, le siège de mouvements fibril-laires très accentués, qui se produisent spontanément ou que l'on réveille aisément lorsqu'ils cessent de se produire, à l'aide de lé-gers attouchements. Par suite de l'affaiblissement de ces muscles, la malade éprouve de la difficulté à élever son bras et elle ne peut porter sa main gauche jusqu'au niveau de sa bouche. Le bras et l'avant-bras, de ce côté, ne sont pas plus émaciés que les parties correspondantes du membre supérieur droit. Les masses muscu-laires y sont cependant, çà et là, le siège de quelques contractions fîbrillaires. Enfin, les mouvements de préhension se font aussi bien à l'aide de la main gauctie qu'à l'aide de la main droite, et il n'y a pas trace d'atrophie prédominante des muscles des émi-nences thénar et hypothénar.
Le membre supérieur droit est uniformément amaigri dans toutes ses parties ; nulle part il n'y existe d'atrophie partielle. Ce-pendant des mouvements fîbrillaires, peu accentués il est vrai, se produisent sur quelques points de son étendue, principalement à l'épaule.
Les membres inférieurs sont amaigris tous deux au même de-gré ; il n'y a pas de différence sous ce rapport entre le côté droit et le côté gauche. — Leurs mouvements sont normaux, seulement notablement affaiblis. B... peut toutefois se tenir debout et faire quelques pas dans la salle, mais non sans beaucoup de fatigue. A gauche, les muscles de la partie antérieure de la cuisse et ceux du mollet sont le siège de contractions fîbrillaires.
Des contractions fîbrillaires s'observent aussi sur la partie cer-vicale du trapèze et sur les sterno-cleido-mastoïdiens. Néanmoins l'action des muscles qui meuvent la tète est assez énergique et l'attitude de celle-ci est tout à fait normale.
Il ne paraît pas exister de troubles de la vision; les orifices pu-pillaires sont des deux côtés de même diamètre. Nulle part il n'existe chez B... de troubles de la sensibilité. — Le pouls est fai-ble, mais non accéléré ; la température du corps est normale. — Les urines, examinées à plusieurs reprises, ne renferment ni su-cre, ni albumine.
25 octobre. — L'affaiblissement a fait d'énormes progrès. B... ne peut plus se tenir sur ses jambes. Hier, elle est tombée en voulant sortir de son lit et n'a pas pu se relever sans aide. La déglutition est devenue absolument impossible et l'on s'est décidé, depuis quelques jours, à avoir recours à l'emploi de la sonde œsophagienne. On constate une fois de plus que les mouvements du voile du palais s'effectuent assez bien sous l'influence des ex-citations directes. On constate également que la langue peut en-core être tirée hors de la bouche, portée légèrement de droite à gauche ; mais ses mouvements sont évidemment plus lents et plus faibles que par le passé. Son volume toutefois ne s'est pas nota-blement amoindri ; sa face dorsale est encore parfaitement lisse et on n'y observe pas de contractions fibrillaires. Seuls, ses bords sont en certains points plissés, ridés et offrent des mouvements vermiculaires presque incessants.
26. — On observe pour la première fois que le pouls est fré-quent, à 130. Cependant la température du rectum est à 36°, 4.
27. — Le pouls est beaucoup plus fréquent encore que la veille. Le nombre de ses battements s'élève peut-être à 150 par minute. Il est très petit, presque insensible. La respiration est à 32. Les inspirations sont très pénibles, et accompagnées d'une contraction énergique des sterno-cléido-mastoïdiens et des sca-lènes. L'anxiété est extrême. Lorsqu'on demande à la malade si elle souffre, elle porte les mains à la région précordiale et fait comprendre qu'elle éprouve là une souffrance qu'elle ne peut dé-finir. A l'aide de la palpation et de la percussion, on constate que les battements du cœur sont assez énergiques. Le deuxième bruit est, à la base, à peine distinct ; il est au contraire assez bien mar-qué à la pointe. On ne perçoit pas de bruits anormaux.
28. — Pouls à 128 ; T. R. 37°, 6 ; R. 28. Les inspirations sont de plus en plus pénibles et accompagnées de contractions éner-giques des muscles sterno-mastoïdiens, scalènes, grand pectoraux et du bord antérieur du trapèze. On remarque que le ventre s'affaisse à la région épigastrique dans le temps même où les côtes et les clavicules s'élèvent. Il y a donc inertie du diaphragme.
29. — Même état que la veille. Le pouls est d'une rapidité ex-trême. T. R. 37°, 6. La malade a refusé de se laisser introduire
Chabcot. Œuvres complètes, t. ii. 30*
la sonde œsophagienne. Le soir : Dyspnée extrême, 32 respirations ; il y a peut-être plus de 150 pulsations à la minute ; la tempéra-ture rectale est à 37°, 9. La malade succombe tout à coup dans la nuit, sans agonie.
Nécroscopie. — Faite trente heures après la mort. La rigidité cadavérique est partout bien prononcée.
A. a. Etat des viscères. — Le cœur est de volume normal ; le ventricule droit est distendu par des caillots noirs. Il n'existe au-cune lésion des valvules ; les parois musculaires du ventricule gauche sont peut-être un peu pâles, mais d'une consistance assez ferme. Les poumons sont très emphysémateux, le droit surtout. Ils ne présentent pas d'autres altérations. Le foie est de volume normal. Les capsules surrénales et les reins sont sains, ainsi que la rate. L'estomac et les intestins sont ratatinés sur eux-mêmes ; ils ne présentent, d'ailleurs, aucune altération appréciable.
p. Etat des muscles. Les muscles extrinsèques de la langue et ceux des régions sus et sous-hyoïdiennes, présentent une belle coloration rouge ; par contre, les muscles propres de la langue se distinguent par leur pâleur et par une diminution évidente de leur consistance.
Au larynx, tous les muscles intrinsèques paraissent sains à l'exception des aryténoïdiens, des crico-aryténoïdiens postérieurs et des crico-thyroïdiens, qui sont évidemment atrophiés et pré-sentent, çà et là, une coloration jaune très manifeste. Les muscles crico-thyroïdiens du côté gauche sont d'ailleurs notablement plus altérés que leurs congénères, et l'on remarque qu'ils portent, au voisinage de leurs insertions, de petites taches ecchymotiques.
Les muscles du pharynx ne semblent pas avoir subi d'altération appréciable. La tunique musculeuse de l'œsophage paraît être de volume et de consistance normaux. — Les deux sterno-mastoï-diens sont grêles, mais ils offrent une coloration rouge.
Le muscle trapèze présente partout une teinte jaunâtre ; cette coloration anormale est surtout prononcée au niveau du bord an-térieur gauche de la partie cervicale de ce muscle. En ce point, les faisceaux musculaires sont très pâles, très friables et séparés par de petits amas de graisse.
La même altération se remarque à la partie antérieure du del-toïde du côté gauche. La partie postérieure du même muscle est relativement peu altérée. Le deltoïde du côté droit offre une belle coloration rouge.
Les deux pectoraux sont grêles, d'ailleurs nullement décolorés ; les intercostaux, au contraire, sont atrophiés et jaunâtres.
Aux bras, aux avant-bras et aux mains, les muscles ont, du côté
droit comme du côté gauche, l'apparence de l'état normal. Le diaphragme ne présente pas d'altération appréciable. Quelques muscles des membres inférieurs ont été examinés; ils ont pré-senté, pour ce qui est de la coloration et de la consistance, les caractères de l'état sain.
y. Etat des centres nerveux et des nerfs bulbaires. — Le cerveau proprement dit et les diverses parties de l'isthme ne présentent aucune altération appréciable ; le bulbe en particulier et la pro-tubérance offrent toutes les apparences de l'état normal. On n'y .peut reconnaître aucune trace d'atrophie ou d'induration. Les artères de la base sont à peine athéromateuses. La moelle, exa-minée à l'extérieur et sur des coupes faites à diverses hauteurs, paraît, elle aussi, tout à fait saine.
Les filets d'origine d'un certain nombre des nerfs bulbaires, à savoir l'hypoglosse, le pneumogastrique, le glosso-pharyngien et le spinal, surtout, sont grêles. Quant aux troncs nerveux éma-nés de ces racines, ils paraissent être un peu moins volumineux que dans l'état normal, mais ils n'ont subi aucun changemement de coloration.
B. Etude histologique. — ?.. Mucles. — Vers la pointe de la lan-gue, là où les fibres musculaires étaient le plus pâles, la moitié peut-être des faisceaux primitifs présentaient, sans avoir subi une réduction bien prononcée dans leur volume un certain degré d'al-tération granuleuse avec ou sans disparition de la strialion en travers.
On constate ensuite, à l'aide de préparations colorées par le car-min, sur un très grand nombre de faisceaux primitifs, une multi-plication très évidente des noyaux du sarcolemme. Le tissu con-jonctif, interposé entre ces faisceaux, présente à peu près partout des noyaux plus nombreux que dans l'état normal.
Il est remarquable que la prolifération des noyaux du sarco-lemme est peut-être plus prononcée sur les gaines des faisceaux qui ont conservé la striation en travers et qui ne sont affectés qu'à un très faible degré par la dégénération granuleuse que sur les faisceaux où cette dégénération est le plus marquée.
Çà et là, on rencontrait quelques gaines du sarcolemme, vides de substance contractile et remplies par des amas de noyaux. Ceux-ci présentaient quelquefois la forme en bissac. Enfin, sur quelques préparations, on observait des gaines revenues sur elles-mêmes et ne renfermant plus, dans leur cavité presque effacée, que des granulations d'apparence graisseuse ou des amas de noyaux.
L'altération granulo-graisseuse des faisceaux primitifs, l'ab-
sence de lastriation en travers, et la prolifération des noyaux du périmysium et du sarcolemme se rencontrent sur toutes les au-tres régions de la langue, mais à un moindre degré qu'au niveau de la pointe.
Bien qu'ils aient conservé leur coloration rouge de l'état nor-mal, les muscles extrinsèques de la langue présentent tous, çà et là, quelques faisceaux primitifs où l'on reconnaît très évidemment l'altération granulo-graisseuse et la multiplication des noyaux du sarcolemme ou du périmysium. On peut appliquer la même re-marque aux muscles du pharynx qui, eux aussi, paraissent sains à l'œil nu. Quant aux muscles du larynx, ceux d'entre eux qui, à l'œil nu, offraient une teinte jaune très manifeste, les erico-aryté-noïdiens postérieurs, par exemple, présentaient l'altération gra-nulo-graisseuse à peu près au même degré que la langue.
Les muscles du bras et de l'avant-bras, ceux de la main (émi-nences thénar et hypothénar), quoiqu'ils parussent à l'œil nu, tout à fait sains, quant à la coloration et à la consistance, présen-taient cependant, à l'examen microscopique, un bon nombre de faisceaux primitifs ayant perdu la striation en travers, et offrant l'altération granulo-graisseuse ainsi que la multiplication des no-yaux du sarcolemme à un degré plus ou moins prononcé.
Les fibres musculaires de coloration jaune, provenant de la partie antérieure du trapèze et du deltoïde du côté gauche, outre l'altération granulo-graisseuse étendue à un très grand nombre de faisceaux primitifs, offraient une accumulation de gouttelettes graisseuses, volumineuses, interposées entre les faisceaux primi-tifs.
Les muscles des membres inférieurs (muscles de la cuisse, muscles plantaires) ont été examinés en plusieurs points. On y a constaté l'altération granulo-graisseuse de quelques faisceaux pri-mitifs d'une manière très manifeste. Mais les faisceaux ainsi al-térés étaient là moins nombreux qu'aux parties correspondantes des membres supérieurs.
p. Nerfs crâniens. — Sur toutes les préparations à l'état frais provenant des filets radiculaires très grêles de plusieurs nerfs bul-baires, de l'hypoglosse par exemple, on constate, non sans éton-nement, que les tubes nerveux ont conservé leur cylindre de myéline.
On ne parvient pas à reconnaître d'une manière évidente l'exis-tence de gaînes vides et revenues sur elles-mêmes. De fines gra-nulations, peu nombreuses d'ailleurs, sont uniformément dissé-minées sur toute l'étendue de quelques tubes nerveux. Nulle part, elles ne sont en amas, sous forme de corps granuleux.
Les troncs des nerfs hypoglosse, spinal et pneumogastrique, ne présentaient pas d'autre altération que ce même état granu-leux de quelques tubes nerveux. Cette altération est très prononcée sur le laryngé inférieur. Le phrénique et le grand sympathique cervical ont offert les caractères de l'état normal.
y. Examen des centres nerveux, préparations durcies par l'acide chromique et colorées par le" carmin. — 1° Moelle épinière. — Cou-pes transversales pratiquées sur divers points du renflement tom-ba ire.
L'examen des faisceaux blancs ne fait reconnaître ni diminution dans le diamètre des tubes nerveux, ni multiplication des noyaux de la névroglie, ni, enfin, aucun épaississement des tractus con-jonctifs qui rayonnent du centre gris vers la périphérie de la moelle.
C'est dans la substance grise et plus spécialement dans l'aire des cornes antérieures que toutes les altérations sont concentrées et encore n'occupent-elles là que les cellules nerveuses, car, ici encore, la névroglie est normale ou ne présente, tout au plus, que des traces peu évidentes de multiplication des noyaux.
Quelques-unes de ces cellules nerveuses ont conservé tous les caractères de l'état normal ; elles sont en petit nombre puisqu'elles figurent pour un peu moins d'un tiers sur chaque préparation.
Eiles se reconnaissent aisément aux particularités suivantes : elles sont pourvues encore de leurs prolongements longs et déliés qui, comme la cellule elle-même, se colorent vivement et unifor-mément par le carmin. Le noyau et le nucléole sont bien distincts : la petite quantité de pigment qu'elles renferment souvent à l'état normal ne s'est pas accrue.
Les cellules qui offrent le premier degré de l'altération se re-connaissent immédiatement à la coloration d'un jaune ocreux très intense qu'elles présentent dans la plus grande partie de leur éten-due. Cette coloration résulte de la présence de granules pigmen-taires réunis sous forme d'amas et ne subissant pas l'influence du carmin. Les parties de la cellule qui n'ont pas été envahies par le pigment se colorent, au contraire, à peu près comme à l'état normal. Le noyau et le nucléole sont encore plus visibles et colo-rés, mais les prolongements sont, en général, très courts, comme flétris, ou mieux ils ont complètement disparu. En même temps, la cellule diminue de volume, elle tend à perdre ses contours an-guleux, et acquiert une forme globuleuse.
A un degré plus avancé du processus morbide, la cellule, amoin-drie encore dans toutes ses dimensions, absolument privée de prolongements, n'est plus représentée que par un petit amas de
granules jaunes. Le noyau et le nucléole ont entièrement disparu en général. Il est des cas cependant où ce dernier persiste encore; c'est alors la seule partie de la cellule qui ait conservé la pro-priété de se colorer par le carmin.
Enfin, on trouve çà et là, sur des points autrefois occupés par une cellule, les granulations jaunes désagrégées, disséminées. C'est là, sans doute, le dernier terme de l'altération. En pa-reil cas, on ne trouve plus la moindre trace du noyau ou du nucléole.
L'altération des cellules ganglionnaires est uniformément répan-due sur toute l'étendue des cornes antérieures ; elle ne s'attache pas spécialement à certains groupes de cellules, de telle sorte que les cellules saines et les cellules, malades à divers degrés, sont partout entremêlées. Les petites cellules des cornes posté-rieures n'ont paru présenter aucune trace de la dégénération jaune.
Les mensurations comparatives, faites à l'aide de bonnes pré-parations provenant des mêmes points, de la même région d'une moelle saine, ont montré ce qui suit :
Les cellules, qui ont conservé la propriété de se colorer par le carmin, dans toute leur étendue (cellulessaines), ont les mêmes dimensions que les cellules de la préparation normale ; toutes les cellules qui ont perdu leurs prolongements sont atrophiées. Tant que le nucléole est visible, il consérvele volume normal.
Coupes provenant des régions dorsale et cervicale. — Les altéra-tions des cellules sont les mêmes qu'à la région lombaire, plus accentuées seulement, surtout au renflement cervical. Les cellules de la colonne vésiculaire sont altérées au même degré que celles qui composent les groupes des cornes antérieures.
2° Région bulbaire. — a) Coupe faite immédiatement au-dessous du bec du calamus. — Le noyau d'origine de l'hypoglosse, visible à ce niveau dans sa partie inférieure, présente des altérations très prononcées qui, ici encore, portent exclusivement sur les cel-lules nerveuses, la névroglie est intacte ; peut-être les vaisseaux y sont-ils plus volumineux qu'à l'état normal ; ils paraissent en tous cas gorgés de globules sanguins.
La majeure partie des cellules (les deux tiers environ) offrent, à tous les degrés, l'altération pigmentaire décrite plus haut, à propos des diverses régions de la moelle épinière. Les cellules altérées sont disséminées partout et mêlées aux cellules saines ; elles n'occupent pas un lieu de prédilection ; peut-être, cepen-dant, sont-elles plus nombreuses qu'ailleurs, vers la limite externe du noyau.
En arrière et en dehors du noyau de l'hypoglosse, on peut étu-dier le groupe de cellules d'origine du spinal. Celles-ci, pour la plupart, ont conservé les caractères de l'état sain. Un bon nombre d'entre elles, pourtant, ont subi à divers degrés l'altération pig-mentaire, principalement vers la région externe du noyau. On sait qu'à l'état normal il existe, en ce point, quelques cellules plus ou moins pigmentées, mais le nombre en est alors beaucoup plus restreint.
b) Coupe faite à la partie moyenne des olives. — Les cellules des circonvolutions de l'olive n'offrent pas d'altérations appréciables. Celles qui constituent le noyau de l'hypoglosse à ce niveau sont, au contraire, lésées en grand nombre. Les cellules d'origine du pneumogastrique ne paraissent pas aussi profondément altérées. Entre le noyau de l'hypoglosse et celui du pneumogastrique se trouve dans cette région le petit groupe cellulaire que L. Clarke rattache au noyau du facial. Les cellules de ce groupe paraissent remarquablement petites et peu nombreuses. Elles n'offrent pas cependant l'altération pigmentaire. Une coupe, pratiquée un peu au-dessus de la précédente, permet de constater que les cellules d'origine du glosso-pharyngien ne sont pas sensiblement altérées.
c) Coupe faite au niveau de la partie la plus supérieure des oli-ves. — Cette coupe qui contient les noyaux du facial et du moteur oculaire externe ainsi que celui du trijumeau (portion sensitive (?), d'après Stilling), fait voir qu'un grand nombre de cellules du fasciculus 1er es et un petit nombre de cellules du trijumeau, pré-sentent tous les caractères de l'altération décrite plus haut.
Un des points les plus intéressants de cette observation, c'est incontestablement l'existence d'une altération qui, d'une façon pour ainsi dire systématique, occupe les cellules ner-veuses, non seulement dans toute la hauteur de la moelle épinière, mais encore dans le bulbe, et d'où résulte la désor-ganisation progressive ou même la destruction complète d'un bon nombre de ces organites. Dans le bulbe, l'altération porte particulièrement sur les noyaux d'origine de l'hypoglosse et du spinal ; mais elle s'observe aussi, bien qu'à un degré moin-dre, sur les noyaux du pneumogastrique et du facial. Dans la moelle épinière, elle est limitée aux grandes cellules nerveu-ses des cornes antérieures, cellules dites motrices ; les cellules des cornes postérieures ne paraissent pas être affectées. On
la rencontre dans toutes les régions de la moelle, mais elle prédomine certainement au renflement cervical.
En quoi consiste cette altération? L'accumulation de pig-ment jaune paraît y jouer un grand rôle ; il semble qu'elle soit le fait initial. L'atrophie des prolongements cellulaires, celle du noyau, et enfin du nucléole sont des phénomènes consécu-tifs. S'agit-il là d'un processus d'irritation lente, au contraire, d'une atrophie toute passive ? On ne peut rien décider à cet égard d'après les seuls caractères anatomiques, mais il est permis d'affirmer que ce processus morbide, quel qu'il soit, a affecté primitivement la cellule ; il ne lui a pas été communi-qué du dehors. En effet, le réticulum qui entoure de toutes parts les cellules nerveuses malades n'offre pas d'autre altéra-tion qu'une transparence plus grande qu'à l'état normal et ré-sultant, vraisemblablement, de la disparition d'un grand nom-bre de prolongements cellulaires ; on n'y observe, dans la moelle comme dans le bulbe, ni foyers de désintégration granuleuse, ni trace de métamorphose fîbrillaire ou même de multiplication des myélocites. On ne saurait donc admettre qu'un travail d'irritation ou de simple désagrégation se soit établi d'abord dans la trame conjonctive de la substance grise pour se propager ensuite jusqu'aux éléments nerveux. Mais on pourrait être tenté de supposer que le point de départ de l'altération des cellules ganglionnaires doit être cherché en de-hors des centres nerveux, c'est-à-dire dans les nerfs périphé-riques. Celte manière de voir n'est pas acceptable ; elle est en contradiction formelle avec des faits nombreux qu'il est inu-tile de rappeler tous. Nous nous bornerons à faire remarquer que, d'après les recherches de M. Yulpian, la section complète des nerfs périphériques, et en particulier de l'hypoglosse, n'a pas d'influence marquée sur leurs cellules d'origine. Or, on a vu que, dans le cas qui nous occupe, les rameaux des di-vers nerfs bulbaires offraient tout au plus des altérations très minimes, bien que les groupes cellulaires d'où ils émanent fussent, pour la plupart, profondément lésés. De tout ceci, il est, pensons-nous, légitime de conclure que les cellules gan-glionnaires ont été, dans le bulbe et dans la moelle, le siège primitif du mal et que les nerfs périphériques n'ont été affectés que secondairement, consécutivement àla lésion des centres nerveux.
Si maintenant l'attention se porte sur les lésions trophiques que présentait le système musculaire de la vie de relation, on sera frappé du mode singulier qu'affectait la répartition de ces lésions des faisceaux, sur les divers points du corps. Evi-demment, il ne s'agit pas ici d'un cas ordinaire d'atrophie musculaire-progressive ; les lésions des faisceaux primitifs sont bien celles qui appartiennent à cette dernière affection, et l'on trouve là, tantôt la dégénération granulo-graisseuse, tantôt l'atrophie simple des faisceaux avec prolifération des noyaux du sarcolemme. Mais elles ne sont pour ainsi dire con-centrées sur aucun muscle ou groupe de muscles ; elles sont disséminées un peu partout, et l'on trouve toujours dans les régions les plus variées, des fibres malades entremêlées parmi des faisceaux parfaitement sains. Elles sont cependant plus accentuées et plus répandues sur certains muscles que sur 'd'autres ; mais ici encore se présente un fait exceptionnel et qui mérite d'être signalé : contrairement à la règle, les mus-cles des extrémités, et en particulier ceux des éminences thé-nar et hypothénar, des avant-bras, sont relativement peu af-fectés. Par contre, les lésions étaient relativement profondes dans le deltoïde et le trapèze, surtout du côté gauche, dans divers muscles du larynx, et enfin dans la langue. Il importe de remarquer que ce mode de distribution ne pouvait être ré-vélé que par l'examen nécroscopique, car, pendant.la vie, l'é-paule gauche était le seul point du corps où l'examen clinique pûtconstater une atrophie partielle quelque peu prononcée des masses musculaires. La langue surtout, cela est dit très expli-citement dans l'observation, avait conservé son épaisseur, ses dimensions, sa surface lisse, et, en un mot, toutes les appa-rences de l'état normal, bien que ses muscles propres contins-sent, en assez grand nombre, des faisceaux primitifs dégéné-rés ou atrophiés, et que ses mouvements fussent d'ailleurs remarquablement entravés. En somme, laissant de côté le renseignement fourni par l'amaigrissement partiel de l'épaule gauche, l'atrophie musculaire progressive généralisée qui, dans notre observation, se trouvait combinée aux symptômes de para-lysie labio-glosso-laryngée, eût pu passer complètementinaper-çue, si l'attention n'eût été éveillée par l'existence de mouvements fibrillairesintenses répandus sur presque tous les points du corps.
Rapprochant les lésions musculaires, dont il vient d'être question des altérations que présentaient les cellules nerveu-ses dans les diverses régions de la moelle et du bulbe, on re-marquera qu'il existait entre celles-ci et celles-là une corréla-tion exacte. Des deux parts il s'agit de lésions diffuses répandues entre elles par un lien intime et faut-iï croire que, dans ce cas, les altérations du système musculaire ont pro-cédé, parla voie des nerfs bulbaires et rachidiens, de la lésion des centres nerveux? Les arguments favorables à cette opi-nion ont été développés à plusieurs reprises dans ce recueil ; nous ne croyons pas nécessaire de les reproduire à nouveau. Nous proposons donc d'admettre, à tilre d'hypothèse vrai-semblable, que tel a été, en effet, le mode pathogénique des phénomènes morbides. Mais cela étant concédé, possédons-nous tous les éléments nécessaires à l'édification d'une théo-rie quelque peu satisfaisante de l'affection telle qu'elle s'est présentée dans notre observation. Nous ne le pensons pas ; outre que nous ne savons absolument rien concernant la na-ture et l'origine de la lésion des cellules nerveuses. Il est en-core bien d'autres desiderata que nous ne pourrions signa-ler.
Nous ne relèverons qu'un point : on sait que chez notre malade les divers mouvements de la langue, ceux surtout qui sont relatifs à l'articulation des mots et à la déglutition, étaient considérablement affaiblis, et, à l'autopsie, on a trouvé dans les muscles qui constituent cet organe des lésions évidemment insuffisantes pour rendre compte d'un état paralytique aussi prononcé. D'où faut-il faire dériver cette impuissance motrice indépendante de la lésion trophique des muscles? Nous ne trouvons à invoquer que cette môme lésion des cellules ner-veuses, d'où nous avons fait procéder déjà l'altération nutri-tive des faisceaux musculaires, et il est difficile de comprendre par quel mécanisme cette unique lésion a pu produire simul-tanément des effets aussi différents. Remarquons en passant qu'on ne saurait faire intervenir ici une influence particulière du grand sympathique, puisqu'il s'agit d'expliquer, cette fois, non pas la présence des lésions trophiques musculaires qui trouvent leur raison d'être dans l'altération du noyau de l'hy-poglosse, mais bien l'existence d'une paralysie musculaire en
partie au moins indépendante de l'atrophie *. 11 y a là une difficulté sérieuse, que nous avons rencontrée déjà à propos de l'atrophie musculaire progressive et de la paralysie infantile spinale 2. Évidemment, on ne saurait, dans l'état actuel de nos connaissances, formuler sur ce point un jugement défi-nitif. Contentons-nous donc, quant à présent, d'enregistrer les données positives, fournies par l'étude anatomique, et at-tendons que de nouveaux faits soient venus répandre la lu-mière sur ces obscures questions.
On a proposé plusieurs fois déjà de rattacher à une lésion primitive des noyaux gris étages dans le bulbe l'ensemble symptomatique connu sous le nom de paralysie glosso-labio-laryngée 3. L'anatomie pathologique vient aujourd'hui fournir un appui décisif à cette hypothèse, fondée jusqu'ici exclusi-vement sur l'induction physiologique. Mais, il n'est nullement certain que tous les faits cliniques auxquels cette dénomina-tion peut être prêtée soient identiques et reconnaissentla même origine. Il est facile de prévoir, en premier lieu, que des lé-sions grossières du bulbe telles qu'une tumeur, un gonflement diffus, pourront dans certaines circonstances déterminées produire, à peu de choses près, les mêmes effets que l'atro-phie primitive des cellules nerveuses. D'un autre côté, il est évident que les cas dans lesquels l'altération porterait non plus sur les noyaux originels, mais bien sur les cordons nerveux après leur issue du bulbe, devraient former une caté-gorie à part. A la vérité, faute d'un examen complet du bulbe, la réalité des faits de ce genre n'est pas encore suffisamment
1 L'intégrité du grand sympathique cervical a été d'ailleurs explicitement mentionnée dans notre observation.
2 Dans l'atrophie musculaire progressive, la paralysie musculaire sans atrophie et l'atrophie sans paralysie se trouvent souvent entremêlées sur les mêmes points; c'est un fait que MM. Roberts (ReynolcTs System of medicine. t. II, p. 171 ; 1867 ; — Duménil de Rouen (Atrophie musculaire graisseuse progressive, pp. 93 et 108, Rouen, 1867), et plus récemment M. Benedikt (Eleklrothérapie, p. 385 ; Wien, 1868), ont fait ressortir avec raison. On l'observe dans les cas d'amyotrophie progressive les plus simples et alors qu'il n'existe aucun signe d'une lésion des faisceaux blancs de la moelle épinière.
3 Voir, entre autres: A. Wachsmuth. — Ueber progressive Bulbar-paralysie, etc. Dorpat, 1854; et Centralblatt, 1864; — L. Clarke. — Researches on Iheinti-mate structure of the Brain ; 2e série, 1868. p. 318.
établie. Enfin, l'intégrité anatomique absolue des muscles paralysés, constatée plusieurs fois par d'habiles observateurs semble devoir, à son tour, motiver une importante distinction. Je ferai remarquer toutefois à ce propos, qu'en pareil cas l'absence d'altération granulo-graisseuse des fibres muscu-laires a, le plus souvent, été seule nettement affirmée. Or, l'on sait, par d'assez nombreux exemples, que l'atrophie mus-culaire progressive le mieux caractérisée, peut parvenir jusqu'à son dernier terme, sans que les faisceaux primitifs aient perdu la striation en travers et présentent la moindre trace de la dégénération granulo-graisseuse. La multiplication des noyaux du sarcolemme et la réduction plus ou moins pronon-cée du diamètre d'un certain nombre de faisceaux primitifs sont alors les seules altérations musculaires que l'examen his-tologique permette de constater.
En terminant, j'appellerai l'attention sur les troubles circu-latoires très remarquables qui, chez notre malade, ont marqué les derniers jours de la vie. Le pouls battait de 130 à 150 fois par minute, sans que le thermomètre accusât la moindre élévation de la température centrale. Ce désordre des mouve-ments du cœur s'accompagnait d'un sentiment tout particulier d'anxiété, dont le mot dyspnée ne donnerait qu'une idée très imparfaite. Ces phénomènes rappellent ceux qui, plusieurs fois, ont été constatés chez l'homme, dans les cas où l'action des pneumogastriques était entravée en conséquence de la compres-sion exercée par une tumeur du médiastin ; l'altération des noyaux d'origine des nerfs pneumogastriques, que l'examen du bulbe a fait reconnaître dans notre cas, nous paraît rendre compte de ces troubles cardiaques qui n'ont pas peu contribué sans doute à déterminer la terminaison fatale.
(Extrait des Archives de physiologie normale et pathologique, 1870, p. 247).
Note sur l'état anatomique des muscles et de la moelle épinière dans un cas de paralysie pseudo-hypertrophi-que; par J.-M. Charcot.
(Voyez : Leçon XIV, p. 267.)
I.
Il y a quelques mois, mon ami, M. Duchenne (de Boulogne), me remit plusieurs pièces anatomiques en me priant d'en faire l'examen. Elles provenaient d'un jeune sujet atteint de l'affection décrite sous le nom de paralysie pseado-hypertro-phique ou myosclerosique, et qui avait succombé quelques semaines auparavant à l'hôpital Sainte-Eugénie, dans le ser-vice de M. Bergeron, à la suite d'une maladie intercurrente. L'histoire clinique du petit malade dont il s'agit est bien con-nue : elle a été tracée avec grand soin par M. le docteur Ber-geron, dans une communication faite à la Société médicale des hôpitaux en 1867 M. Duchenne (de Boulogne) l'a repro-duite dans son mémoire sur la paralysie musculaire pseudo-hypertrophique 2. Une bonne photographie, en pied, annexée à la communication de M. Bergeron, montre le relief exagéré que présentaient la plupart des masses musculaires chez l'enfant dont il s'agit, et fait parfaitement comprendre l'atti-tude caractéristique que ce dernier affectait dans la station verticale 3. Je renvoie pour ce qui concerne le côté clinique
1 Bulletins et mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris, t. IV, lru série, année 1867, p. 157. — Communication faite le 24 mai, avec une photographie.
2 Extrait des Archives générales de médecine, numéros de janvier 1868 et suivants, p. 19, obs. XII.
;i Voy. aussi les figures 3, 4 et 9 du mémoire de M. Duchenne.
aux travaux que je viens de citer, et je veux me borner à exposer dans la présente note les faits anatomiques qu'il m'a été donné de constater avec le concours de mon interne, M. Pierret. Quelques courtes remarques relatives à l'anatomie et à la physiologie pathologiques de la paralysie pseudo-hyper-trophiqe suivront les principaux points de l'exposé et en seront comme le corollaire.
Les pièces que j'ai en ma possession avaient toutes été préa-lablement durcies par l'acide chromique. Elles comprennent : 1° divers fragments provenant des muscles deltoïde, psoas, pectoral, sacro-lombaire ; 2° le renflement cervical et la moitié supérieure de la région dorsale de la moelle épiniôre ; 3° di-vers tronçons pris sur les nerfs sciatiques, médians et ra-diaux ; 4° un fragment de la paroi musculaire du ventricule gauche.
II.
En premier lieu, je dirai ce qui est relatif aux muscles exté-rieurs. Ainsi que cela résulte des détails de l'observation clini-que, les pectoraux et les sacro-lombaires avaient, pour ainsi dire, seuls échappé à l'hypertrophie apparente qui, à un mo-ment donné, s'était emparée de la majeure partie des masses musculaires ; on peut en dire autant des psoas qui, à l'autop-sie, présentèrent plutôt une réduction de volume. Les altéra-tions qu'offrent ces muscles peuvent être considérées comme représentant les premières phases du processus morbide ; les phases ultimes, au contraire, peuvent être étudiées dans les deltoïdes, qui se distinguaient, pendant la vie, par une augmentation de volume très accentuée
L'examen à l'œil nu des pièces durcies permet d'établir déjà une première distinction : ainsi, tandis que les fragments du deltoïde montrent, sur les coupes, une coloration jaunâtre, ainsi que l'aspect et la consistance d'une masse lardacée, — circonstances dues évidemment à l'interposition d'une grande quantité de tissu graisseux, les psoas, sacro-lombaires et pectoraux présentent de leur côté, à peu de chose près, l'as-pect de muscles normaux, traités dans les mêmes conditions par l'acide chromique, avec une consistance, toutefois, mani-
festement plus forme et une résistance rappelant celle du tissu fibreux.
Voici maintenant en quoi consistent les altérations histolo-gïques de ces muscles : sur les coupes transversales, ce qui frappe tout d'abord, dans le psoas par exemple, où la lésion en est à son plus faible degré, c'est que les minces lamelles du tissu conjonctif (dépendances du perimysiitm internum), qui, à l'état normal, séparent à peine les faisceaux musculaires primitifs, et les laissent presque en contact réciproque, sont ici remplacées par d'épaisses tra-vées dont le petit diamètreégale sur certains points celui des faisceaux musculaires ou même le dépasse. Ces travées, ainsi qu'on peut s'en convaincre sur-tout par l'examen de coupes longitudinales dissociées, sont constituées par du tissu con-jonctif de formation récente, où les fibres lamineuses, dirigées surtout parallèlement au grand axe des faisceaux musculaires, sont entremêlées avec des noyaux embryoplastiques et des cellules fusiformes en assez grand nombre. Sur d'autres mus-cles, comme les pectoraux, les sacro-lombaires, où l'évolution de l'altération paraît plus avancée, les noyaux et les cellules ont diminué de nombre ou semblent avoir disparu, et les tra-vées sont à peu près exclusivement formées de faisceaux de longues fibrilles onduleuses, disposées parallèlement les unes aux autres, à contours très nets, très accusés.
L'interposition de vésicules adipeuses entre ces fibrilles marque une phase nouvelle du processus (Fig. 32.) Les cel-lules graisseuses sont discrètes d'abord, isolées et comme perdues au milieu des faisceaux de fibrilles ; mais leur nom-bre s'accroît, sur certains points, dans de telles proportions qu'elles se substituent aux fibrilles, lesquelles finissent par
Fig. 34. —Coupe transversale d'un muscle dans la paralysie pseudo-hyperthrophiqve (Phase intermé-diaire entre la première et ]a se-conde période du processus). — 1, I, îlots de tissu conjonctif. — M, M, coupes des faisceaux mus-culaires. — G, G, -cellules adi-peuses.
disparaître complètement. Cette substitution graisseuse, ébauchée déjà dans quelques endroits sur les muscles non hypertrophiés, devient presque générale dans le deltoïde, où l'augmentation de volume était, on le sait, très prononcée. En effet, l'examen microscopique de ce muscle montre la majeure
partie de la surface des coupes transversales occupée par des cellules adipeuses, presque par-tout contiguës, tassées les unes contre les autres et que la pres-sion réciproque a rendues po-lyédriques ; çà et là, au sein du tissu adipeux, on rencontre, soit des îlots composés de plusieurs faisceaux musculaires primitifs (de 2 à 8,10, 12 au plus), enve-loppés de toutes parts par les fibrilles, soit des tractus fibril-laires isolés, sans faisceaux mus-culaires; soit enfin, et ce dernier cas est le plus rare, des faisceaux musculaires isolés, dépouillés de leur enveloppe fîbrillaire et mis en rapport immédiat avec les cellules du tissu adipeux (Fig. 33). Mais je le répète, partout, dans le deltoïde, le tissu grais-seux prédomine. Les îlots com-posés de tissu conjonctif fîbril-laire et de faisceaux musculaires primitifs ne se voient que çà et là, de loin en loin, et, sur certains points, ils font même totalement défaut ; au contraire, dans les pectoraux et dans les masses sacro-lombaires, la présence de cellules graisseuses est un fait rare, accidentel et, dans le psoas, où l'altération se montre à son premier degré, on n'en observe pas tra-ces.
En somme, la substitution graisseuse représente évidem-ment la phase ultime du processus morbide, et à mesure qu'elle progresse, le tissu fibrillaire de formation nouvelle
Fig. 35.— Coupe longitudinale d'un muscle dans la paralysie pstudo-hypertrophique (Deuxième pé-riode du processus morbide). — Cellules adipeuses partout con-tiguës et que la pression réci-proque a rendues polyédriques. — Faisceaux musculaires isolés, dépouillés de leur enveloppe fibril-laire et mis en rapport immédiat avec les cellules du tissu adi-peux. — Les faisceaux muscu-laires, même les plus grêles, ont conservé la striation en travers.
ainsi que les faisceaux musculaires tendent à disparaître. Il convient de rechercher actuellement suivant quel mode s'o-père cette disparition des faisceaux musculaires : elle s'accuse déjà dès la première période, alors que le tissu conjonctif in-terstitiel commence à s'hyperplasier en dehors de toute trace de substitution graisseuse. Ainsi, dans le psoas, sur les coupes transversales, les faisceaux musculaires, entourés de tous cô-tés par les travées considérablement épaissies du perimysium internum, paraissent, au premier abord, avoir conservé à peu près toutes les dimensions et les autres caractères de l'état normal ; mais un examen moins superficiel fait bientôt recon-naître qu'un bon nombre de ces faisceaux ont subi une réduc-tion de diamètre plus ou moins prononcée ; beaucoup môme sont tellement atrophiés qu'il faut user de la plus grande at-tention pour les distinguer dans l'épaisseur du tissu conjonctif interstitiel.
L'examen des coupes longitudinales et surtout les prépara-tions par dilacération complètent ces renseignements : la ma-jeure partie des faisceaux musculaires, ceux-là mêmes qui ont subi une atrophie très prononcée, conservent jusqu'aux dernières limites de l'émaciation la strialion en travers la mieux accentuée. Ni la gaîne du sarcolemme, ni les noyaux qu'elle renferme ne présentent d'altération, et, quant à la substance musculaire, on n'y observe aucune trace de la dé-générescence granulo-graisseuse. Telle est la règle : onrencon-tre cependant çà et là, quelques faisceaux, à la vérité en petit nombre, où les stries transversales font défaut, tandis qu'une striation longitudinale y est devenue très apparente; d'autres faisceaux absolument privés de toute striation, soit transver-sale, soit longitudinale, ont une apparence hyaline et sont chargés de granulations, il en est d'autres enfin, — ceux-là, toujours du plus petit diamètre, — dont la substance muscu-laire paraît divisée en fragments où la striation en travers est encore très manifeste, et dans l'intervalle desquels se sont ac-cumulés des amas plus ou moins nombreux de noyaux qui distendent la gaîne du sarcolemme. Mais, en somme, il est rare que les faisceaux musculaires, en voie de destruction, présentent l'un quelconque de ces modes d'altération. La ma-jeure partie d'entre eux n'offrent, jusqu'au dernier terme, que
Gharcot. Œuvres complètes, t. 11. 31
les caractères, de l'atrophie simple, sans multiplication des no-yaux et avec persistance delà slriation en travers.
Dans le deltoïde, les faisceaux musculaires se retrouvent avec les mêmes apparences : seulement ceux d'entre eux qui ont conservé le diamèire normal sont beaucoup plus rares. La plupart ont subi une atrophie manifeste, beaucoup sont re-marquables par leur extrême gracilité1. L'état hyalin avec dégénérescence granulo-graisseuse, la segmentation de la substance musculaire avec multiplication des noyaux du sar-colemme, sont peut-être ici plus fréquents qu'ailleurs, mais c'est encore l'atrophie simple qui domine toujours. Pour ce qui est des muscles pectoraux et sacro-lombaires, les lésions des fibres primitives qu'on y rencontre tiennent le milieu en-tre les deux extrêmes et permettent de suivre la transition.
On peut essayer, croyons-nous, en tenant compte des ré-sultats qui viennent d'être exposés, de reconstituer, au moins dans ce qu'il a de plus général, le mode d'évolution de l'altéra-tion musculaire propre à la paralysie pseudo-hypertrophique. A l'origine, à part l'épaississement des parois vasculaires, l'hyper-plasie connective et l'atrophie simple d'un certain nombre de faisceaux musculaires sont les lésions qu'on observe. A cette époque, ou bien la substitution graisseuse fait complètement défaut, ou bien elle joue un rôle évidemment accessoire. Cette première phase paraît répondre à la première période clinique signalée par tous les observateurs, période dans la-quelle les seuls symptômes appréciables consistent dans l'af-faiblissement plus ou moins prononcé de certains muscles, ceux-ci ne présentant pas encore d'hypertrophie apparente 2 ou se montrent même, parfois, manifestement atrophiés 3.
Que se passe-t-il dans la seconde période de la maladie, alors que les muscles paralysés commencent à augmenter de volume ? Suivant M. Duchenne (de Boulogne), l'hypertrophie apparente dont il s'agit serait le fait de l'byperplasie con-
1 Les mensurations ont donné : 1° pour les faisceaux primitifs, dans le mus-cle psoas, diamètre transverse: 0,0 429'"™, 0,026miu, 0,006timm, 0.0033 (les fais-ceaux présentant ce dernier chiffre sont rares) : 2° dans le deltoïde : 0,03mm, 0,012™», 0,0066mm, 0,0033 et au-dessous.
2 Duchenne (de Boulogne). — Electrisat. localisée, 3° édit., p. 605.
3 Pepper. — Clinical Lecture on a Case of progressive muscular sclerosis. Philadelphie, 1871, p. 14 et 16.
jonctive ; « C'est elle, dit-il, qui produit l'augmentation de volume des muscles en raison directe de la quantité de tissu connectif et fibroïde interstitiel hyperplasié. » Cette opinion est fondée sur les résultats plusieurs fois obtenus par l'exa-men de parcelles musculaires extraites pendant la vie, à l'aide de Vemporte pièce histologique 1 ; mais l'on peut se deman-der si, dans cette petite opération, les îlots de tissu conjonctif ne sont pas entraînés de préférence par l'instrument, qui sai-sirait au contraire beaucoup plus difffcilement entre ses mors les agrégats de cellules adipeuses. Toujours est-il que, dans les cas où il s'est agi de fragments de muscles extraits sur le vivant $ v,Y excision, ceux-ci ont présenté constamment, à un hautdegré, les caractères histologiques delà substitution grais-seuse L'impression qui me reste, après l'examen bien des fois répété des pièces qui m'ont été confiées, c'est que l'hy-perplasie du tissu conjonctif et l'atrophie des faisceaux mus-culaires marchent pour ainsi dire, du même pas : celle-ci se montrant d'autant plus générale et d'autant plus prononcée, que celle-là est elle-même plus développée. De telle sorte que la production du tissu conjonctif serait en quelque façon propor-tionnelle à l'étendue des vides laissés par l'atrophie ou la dis-parition des fibres musculaires. 11 est possible toutefois que l'hyperplasie conjonctive prenne quelquefois le dessus et pro-duise ainsi un certain degré d'hypertrophie apparente ; mais j'ai peine à comprendre qu'elle puisse expliquer jamais l'ac-croissement de volume souvent énorme que présentent les masses musculaires à une certaine époque de la maladie, et je suis porté à croire que la substitution du tissu adipeux joue ici le rôle prédominant. Quoi qu'il en soit, je suis prêt à recon-naître que la question que je viens de soulever ne saurait re-cevoir encore une solution définitive.
En quoi consiste le processus morbide qui, dans la paralysie pseudo-hypertrophique, détermine l'altération du tissu mus-culaire ? Je suis frappé, comme bien d'autres, des analogies qui existent entre cette altération et celle qui, lorsqu'il s'agit des
1 Duchenne (de Boulogne), loc. cit., p. 603. — Foster. — TheLancet, may 8, 1869, p. 630.
2 Griesinger et Billroth, Heller et Zenker, Wernich, voy. Seidel: Die Atro-phia musculorum lipomatosa. Iena, 1867.
viscères, est désignée généralement sous le nom de cirrhose, ou encore de sclérose, et je ne vois pas qu'on ait jamais for-mulé d'objections sérieuses contre ce rapprochement. Seule, la circonstance que l'invasion du tissu graisseux se produit à une certaine époque de l'affection, d'une manière fatale, au moins dans quelques muscles, me parait constituer, dans l'es-pèce, un caractère vraiment distinctif; si bien que la déno-mination de paralysie myosclérosique, proposée par Du-chenne (de Boulogne) ne devrait rigoureusement s'appliquer qu'aux premières périodes de la maladie, tandis que celles d'atrophia musculorum lipomatosa (Seidel), de lipomatosis luxurians (Heller), généralement usitées par les auteurs alle-mands, conviendraient seulement aux périodes avancées ; mais je ne veux pas insister plus longtemps sur ce point ; je vais m'arrêter actuellement à l'examen que j'ai fait de la moelle épinière.
II.
Les recherches récentes relatives à l'anatomie et à la phy-siologie pathologiques des amyotrophies spontanées ont per-mis, on le sait, de rattacher à une lésion de certaines régions déterminées de la moelle épinière un bon nombre de ces affec-tions. Bans ces derniers temps, on a plusieurs fois émis l'opi-nion que la paralysie pseudo-hypertrophique, qui, à quelques égards, se rapproche des atrophies musculaires progressives, reconnaît, elle aussi, une origine spinale. C'est là une hypo-thèse qui ne repose sur aucun fondement solide et il existe même déjà dans la science une observation, suivie de nécros-copie, qui tend à l'invalider complètement. Je fais allusion ici au cas présenté par M. Eulenbourg, à la Société de médecine de Berlin et dans lequel l'autopsie a été dirigée par M. Cohnheim *. À la vérité, dans ce cas, la moelle épinière ayant été examinée à l'état frais ou après durcissement imparfait, des lésions très délicates, — telles que sont l'atrophie des cellules nerveuses motrices et la sclérose des cornes antérieures de la substance
1 Verhhandlungen der Bevliner medicinischen Gesellschaft. Berlin, 1866, heft 2, p. 191.
grise, — auraient pu, à la rigueur, échapper aux investiga-tions. Sous ce rapport, notre fait ne laisse, au contraire, rien à désirer, et il plaide absolument dans le même sens que celui de M. Cohnheim.
Bien que nous n'ayons eu entre les mains qu'une partie de la moelle épinière comprenant la moitié supérieure de la ré-gion dorsale et le renflement cervical tout entier, les résultats que nous avons obtenus de notre examen n'en sont pas moins très significatifs. Il ne faut pas oublier, en effet, que les mus-cles qui reçoivent leurs nerfs de cette dernière région de la moelle étaient, pour la plupart, affectés, à un haut degré, et que les deltoïdes, entr'autres, offraient de la façon la plus accentuée les caractères de l'hypertrophie par substitution graisseuse. Si donc, dans ce cas, les lésions musculaires avaient été liées à des lésions spinales, celles-ci n'eussent pas manqué de se montrer très accusées dans le renflement cervical de la moelle épinière.
Nos observations ont porté sur des coupes transversales colorées par le carmin et préparées avec une grande habileté par M. Pierret. Ces coupes, d'ailleurs, ont élé très multipliées et prises sur lespoints les plus divers des régions cervicale et dorsale de la moelle. Or, le résultat a été absolument négatif: partout, nous avons trouvé les faisceaux blancs antéro-latéraux et postérieurs clans un état d'intégrité parfaite ; la substance grise dont nous avons fait l'objet tout spécial de nos investi-gations ne présentait aucune trace d'altération. Les cornes antérieures n'étaient ni atrophiées ni déformées ; la névroglie y avait sa transparence accoutumée et les cellules nerveuses motrices, en nombre normal, n'offraient, dans les diverses parties qui les constituent, aucune déviation du type physiolo-gique. Ajoutons enfin que les racines spinales, tant anté-rieures que postérieures, ont également paru parfaitement saines.
Je ne crois pas devoir insister pour faire ressortir l'intérêt qui, dans la question qui nous occupe, s'attache à ces faits nécroscopiques, corroborés d'ailleurs par l'observation anté-rieure de MM. Eulenbourg et Cohnheim ; si je ne me trompe, la conclusion à laquelle ils conduisent naturellement, c'est que, suivant toute vraisemblance, la paralysie pseudo-hyper-
trophique doit être considérée comme indépendante de toute lésion appréciable de la moelle épinière on des racines ner-veuses.
Une observation récemment publiée dans les Archiv der Heilkunde 1 par M. 0. Barth, assistant à l'Institut pathologi-que de Leipzig, semble être en contradiction formelle avec la proposition qui vient d'être formulée. Cette observation est rapportée, en effet, par l'auteur à la paralysie pseudo-hyper-trophique et elle est suivie d'une relation d'autopsie, faite avec le plus grand soin, où l'existence de lésions spinales très ac-centuées est mise hors de doute ; mais je ne crois pas que ce cas ait, tant s'en faut, la signification qui lui a été prêtée. Il s'agit là d'un homme âgé de 44 ans environ, chez lequel, en 1867, trois ans avant la terminaison fatale, se manifestèrent, dans les membres inférieurs, les premiers symptômes de pa-ralysie motrice. La paralysie s'aggrava progressivement et s'é-tendit aux membres supérieurs. Deux ans après le début, le malade était condamné à séjourner au lit et il était privé de la plupart de ses mouvements. En même temps que progres-sait la paralysie des mouvements, des douleurs plus ou moins vives et des fourmillements incommodes occupaient les mem-bres ; de plus, les muscles paralysés offraient une atrophie profonde et devenaient, sur certains points, le siège de con-tractions fibrillaires très accusées. En dernier lieu, les mou-vements de la parole et ceux de la déglutition devinrent difficiles. Pendant le cours des derniers mois, plusieurs des muscles atrophiés, en particulier les adducteurs du pouce et les muscles des mollets, subirent un accroissement de volume remarquable, bien que l'impuissance motrice persistât au même degré. A l'autopsie, les muscles des membres pré-sentèrent pour la plupart, à des degrés divers, les caractè-res de la substitution graisseuse, Les faisceaux musculaires offrirent les uns, les altérations de l'atrophie simple, les au-tres, en moins grand nombre, celles de la dégénération gra-nulo-graisseuse. Il existe d'ailleurs, en plusieurs points, dans l'intervalle de ces faisceaux, un certain degré d'hyperplasie conjonctive. L'examen de la moelle épinière fournit des résul-
1 Otto Barth. —Beitriïge znr Kenntniss der Atrophia musculorum lipoma-tosa. In Archiv der Heilkunde. Leipzig, 1871, p. 120.
tats intéressants : les faisceaux latéraux étaient sclérosés, sy-métriquement, clans toute leur étendue en hauteur, depuis l'extrémité supérieure du renflement cervical jusqu'à l'extré-mité inférieure de la région lombaire ; les cornes antérieures de la substance grise étaient manifestement atrophiés ; en ou-tre, un bon nombre de grandes cellules nerveuses motrices présentaient une atrophie plus ou moins accusée et même beaucoup d'entre elles avaient disparu. On constata enfin qu'une grande quantité de tissu adipeux s'était accumulée sous la peau des membres et à la surface de la plupart des viscères.
Il me parait tout à fait illégitime de rapporter l'observation dont je viens de rappeler très brièvement les principaux traits au type classique de la paralysie pseudo-hyperfrophique. L'âge relativement avancé du sujet, l'existence de douleurs vives et de fourmillements dans les membres, les contractions fibril-laires, l'embarras de la parole et de la déglutition survenus à une certaine époque de la maladie ; toutes ces circonstances, entre autres, protesteraient au besoin contre une semblable assimilation : elles se rattachent, au contraire, très naturelle-ment, si je ne me trompe, au type morbide, sur lequel j'ai appelé l'attention dans mes Leçons, et dans lequel, — ainsi que cela avait lieu dans l'observation de M. Barth, — la sclé-rose symétrique des cordons latéraux se combine avec l'atro-phie progressive des cellules nerveuses des cornes antérieures1 Sans doute, les lésions musculaires décrites dans le cas de M. 0. Barlh rappellent à beaucoup d'égards celles qu'on trouve uniformément signalées dans tous les cas de paralysie pseudo-hypertrophique jusqu'ici publiés ; mais cette circonstance ne suffirait pas, à elle seule, pour justifier un rapprochement nosographique. Je crois devoir à ce propos faire une remarque qui pourrait paraître banale, si le fait auquel elle s'applique ne semblait pas avoir été quelquefois méconnu : c'est qu'aucune des lésions musculaires dont il s'agit n'appartient en propre à la paralysie pseudo-hypertrophique et ne saurait, par consé-quent, suffire à la spécifier. Ainsi l'hypertrophie du tissu con-jonctif interstitiel avec atrophie simple des fibres musculaires
1 Deux cas d'atrophie musculaire progressive avec lésion de la substance grise et des faisceaux antéro-latêraux de la moelle èpinière, par MM. Gharcol et A. Joffroy (Archiv. de physiologie, t. II, p. 334).
se trouve, par exemple, à la suite des lésions traumatiques des nerfs 1 et dans quelques cas de paralysie infantile spinale 2 ; quant à la substitution graisseuse, avec ou sans accroisse-ment de volume du muscle, elle peut se produire, à titre de complication éventuelle, encore dans la paralysie infantile 3, dans l'atrophie musculaire progressive *, dans la paralysie spinale de l'adulte 5, et dans bien d'autres circonstances qu'il serait trop long d'énumérer. Il est à noter qu'en pareil cas la substitution graisseuse des muscles paraît se rattacher quel-quefois à une lipomatose généralisée, qui s'accuse, en parti-culier, — le cas de M. Barth en offre un exemple — par l'accumulation de tissu adipeux, sous la peau et dans les cavi-tés viscérales. Tout dernièrement, M. "W. Müller a insisté avec raison sur ce point, dans un intéressant recueil d'observa-tions relatives à Tanatomie et à la physiologie pathologiques de la moelle épinière 6. Mais je me sépare complètement de l'auteur que je viens de citer, lorsque, refusant toute autono-mie à la paralysie pseudo-hypertrophique, il avance que tous les faits qui ont été, — artificiellement suivant lui, — groupés sous ce nom, pourraient être ramenés par la critique à l'une quelconque des formes de l'amyotrophie liée à l'atrophie des cellules nerveuses motrices. Rien à mon sens n'est moins justifiable que cette opinion, et le cas même qui fait l'objet de la présente note suffirait à lui seul pour en démontrer l'ina-nité.
— Après avoir reconnu que les altérations musculaires dans la paralysie pseudo-hypertrophique ne relèvent pas de l'atro-phie des cellules nerveuses des cornes antérieures, il y a lieu
1 Mantegazza, Gazetta Lomb., p. 18, 1867. — Erb. Zur Pathologie und patholog. Anatomie peripherischer Paralysen. In Deutsch. Archiv, t. IV, 1868.
2 Volkmann. — Ueber Kinderlahmung. In Sammlung Klinischer Vortrüge. Leipzig, 1870. — Gharcot et Joffroy, Archives de physiologie, t. III, 1870, p. 34.
3 Laborde. — De la paralysie de l'enfance. Paris, 1864. — Prévost, — Comptes-rendus et mémoires de la Société de biologie, année 1865, t. XVII. p. 215. Paris, 1866. — Charcot et Joffroy, toc. cit.—? Vulpian. — Archiv, de physiologie, t. III, 1870, p. 316. — W. Müller. — Beiträge zur pathologis-chen Anatomie und Physiologie des menschlichen Bückenmarks; — n° 2. Ein Fall von umschriebener Muskelatrophie mit interstitieller Lipomatose. Leip-zig, 1870.
4 et 5 Duchenne (de Boulogne), Observations communiquées. e W. Müller, loc. cit.
de se demander si elles ne doivent pas être rattachées à quel-que lésion du grand sympathique ou des nerfs périphériques. Relativement au premier point, je ne puis donner aucun ren-seignement, le grand sympathique ne figurant pas parmi les pièces que j'ai eues à ma disposition. Pour ce qui concerne le second point, je dois déclarer, après avoir examiné avec soin les divers fragments provenant des nerfs sciatiques, mé-dians et radiaux, que ces nerfs m'ont paru offrir, dans toutes leurs parties, les apparences de l'état normal. Nous avons même rencontré, dans l'épaisseur des muscles affectés, plu-sieurs filets nerveux qui nous ont semblé également exempts d'altération, excepté toutefois dans un cas où l'un de ces filets, appartenant au muscle psoas, présenta sur des coupes minces, colorées par le carmin, une lésion remarqua-ble consistant en une hypertrophie très prononcée des cylin-dres axiles. En somme, nous croyons qu'avant de rien décider à l'égard de l'état anatomique des nerfs périphériques dans la paralysie pseudo-hypertrophique, il est nécessaire d'entre-prendre de nouvelles recherches.
En terminant, je signalerai comme un fait digne d'intérêt que la paroi musculaire du ventricule gauche du cœur ne par-ticipait nullement, dans notre cas, aux altérations qui se mon-traient si prononcées sur les muscles des membres.
(Extrait des Archives de physiologie normale et pathologique, 1871-1872, p. 228).
De l'Athétose.
Dans une de ses dernières leçons à la Salpêtrière \ M. Char-cot a exposé les caractères qui distinguent une variété de Vhémichorée post-hémiplégique, à laquelle M. W. Hammond (de New-York) a donné le nom d'athétose. Mais, tandis que M. Hammond, qui, le premier, a fait remarquer ces mouve-ments, les considère en quelque sorte comme constituant un état morbide particulier, autonome, M. Charcot estime qu'il s'agit là simplement de mouvements choréiformes et qu'ils doi-vent être rattachés nosographiquement à l'histoire de la cho-rée symptomatiqueà titre de simple variété 2.
Suivant M. Hammond, Vathêtose 3 « est caractérisée par l'impossibilité où se trouvent les malades de maintenir les doigts et les orteils dans la position qu'on leur imprime et par leur mouvement continuel. »
Cette définition est imparfaite pour les motifs suivants : 1° Il faudrait y ajouter que les mouvements des doigts se font lentement et que ceux-ci ont une tendance à prendre des atti-tudes forcées ; — 2° de plus, Vathêtose ne reste pas toujours limitée aux muscles qui meuvent les doigts et les orteils ; quelquefois, en effet, la main tout entière et le pied sont affec-tés ; — 3° enfin, chez l'une des malades que M. Charcot a montrées à ses auditeurs, quelques muscles de la face et du cou sont, en même temps que ceux de la main et du pied, agités de mouvements choréiformes.
* Décembre 1876.
2 aOrroç, without a fixed position.
3 Cette opinion a été émise déjà dans un travail intéressant de M. Ber-nhardt : Ueber den von Hammond Athetose gennants Symptomencomplex.
Les faits suivants mettent parfaitement en relief les carac-tères principaux de l'athétose.
Observation 1. — Gr..., âgée actuellement de 32 ans, a eu des convulsions à 8 mois qui ont été suivies d'une paralysie du côté gauche. A partir de cette époque jusqu'à 6 ans, elle a eu des accès d'épilepsie environ tous les deux mois. Ils ont disparu de 6 à 9 ans ; alors, ils se sont montrés de nouveau et ont toujours persisté *.
Actuellement, hémiplégie gauche, sans anesthésie ni contrac-ture, mais avec des mouvements choréiformes limités au côté gauche du corps et affectant la face, le cou, la main et le pied. Les doigts sont sans cesse en mouvement ; ils s'étendent et se fléchissent successivement et indépendamment les uns des autres; d'autres fois, ils s'écartent ou se rapprochent, en même temps que le poignet exécute des mouvements variés d'extension, de pronation, d'adduction et d'abduction. Gr... ne peut pas tenir son poing fermé ; aussitôt, les doigts s'étendent et se portent dans toutes les directions ; souvent le pouce est pris entre les deux pre-miers doigts. Elle ne se sert guère de sa main : quand elle a saisi un objet, elle le lâche bientôt par suite de l'ouverture des doigts.
Lorsque la malade est debout, le pied est d'abord tranquille et appliqué sur le sol ; mais de temps en temps, le gros orteil s'é-carte ; les orteils s'élèvent, se fléchissent ou le talon s'exhausse. Ces mouvements se produisent toutes les 3 ou 4 minutes.
Notons qu'il y a une sorte de synergie entre les mouvements de la main et ceux du pied : quand on dit à la malade d'ouvrir la main gauche ou de la fermer, le pied, chaque fois, se met en mou-vement et les orteils se fléchissent ou s'étendent.
Quelques légères grimaces dans la moitié gauche de la face; ce sont les muscles des commissures qui paraissent surtout agir. — Au cou, les troubles moteurs semblent siéger dans les muscles peaucier et sterno-mastoïdien gauches.
Observation II. — Maur..,, âgée de 33 ans. A 9 mois : con-vulsions suivies de paralysie du côté gauche. Accès d'épilepsie à 14 ans.
Aujourd'hui, M..., outre des accès d'épilepsie, présente une hémiplégie gauche avec analgésie intéressant à la fois la face, le tronc et les membres et des mouvements choréiformes occupant
1 Voir pour plus de détails : Raymond. — Etude anatomique, physiologi-que et clinique de Vhêmichorée, etc., p. 69. — Bourneville et Regnard. — iconogr. photographique de la Salpêtrière, t. n, p. 1 à 90.
seulement la main et le pied du côté paralysé (hémichorée post-hémiplégique, variété athétose).
Les jointures du membre supérieur gauche sont rigides. — La main est fléchie sur l'avant-bras. Les doigts sont instables: tantôt ils se fléchissent, tantôt ils s'étendent. L'attitude habituelle sem-ble être pour les deux premiers doigts, l'extension forcée. Quand on demande à la malade d'ouvrir la main, les doigts passent à l'extension forcée, les phalangettes se renversent, et presque aussitôt les doigts et la main se fléchissent. Essaie-t-elle de fléchir le pouce, elle y parvient, mais simultanément et malgré elle, les doigts s'étendent. Les grands mouvements du bras ne sont pas saccadés.
Tendance du pied à l'adduction ; le gros orteil se relève et se fléchit constamment. Il en est de même des autres et leurs mou-vements sont indépendants.
Si on commande à la malade de fermer ou d'ouvrir la main le Died sur-le-champ est pris de mouvements : le talon s'élève, les orteils remuent. — Quand on observe la malade au lit, on voit que la main et le pied gauches sont à peu près constamment agités de mouvements saccadés, synergiques ; afin de les atténuer, elle maintient la main gauche avec la droite.
Maintes fois, dans des leçons antérieures à celles que nous résumons, M. Charcot a fait voir les malades dont nous venons de rapporter sommairement l'histoire et, de son côté, M. Raymond, dans sa thèse, a consigné in extenso l'observa-tion de la première. Nul doute que ces faits, décrits comme appartenant à l'hémichorée, ne rentrent dans la description de l'athétose telle que l'a tracée M. Hammond. En effet, dans la seconde observation, nous trouvons mentionnées non-seu-lement Y instabilité des doigts, mais encore l'hémianesthésie, sous une forme atténuée, il est vrai, puisqu'il n'y a que de l'analgésie. Cette coïncidence de l'anesthésie et de l'athétose, qui a été relevée par M. Hammond, est une circonstance qu'on pouvait s'attendre à rencontrer. L'opinon émise par M. Char-cot qu'il s'agit ici d'une simple variété de Y hémichorée post-hémiplégique est, comme on le voit, justifiée par les faits cli-niques. Entre nos deux malades, il n'y a qu'une différence portant sur l'étendue des mouvements anormaux : limités à la main et au pied du côté paralysé, chez la première malade, ils
occupent, en outre, chez la seconde, la moitié correspondante de la face et du cou.
Entre cette dernière malade et une autre atteinte d'hémi-chorée post-hémiplégique, appartenant aussi au service de M. Charcot, la différence ne porte également que sur l'éten-due et aussi sur le rhythme des mouvements involontaires. Les quelques détails que nous allons reproduire mettront le fait en évidence. .
Observation III. — P..., âgée aujourd'hui de 19 ans, a été prise à 5 ans, de convulsions qui ont duré quatre heures et ont été suivies d'une paralysie incomplète du côté gauche. La para-lysie aurait disparu deux mois plus tard. A 6 ans, convulsions pendant cinq heures : paralysie incomplète des membres du côté gauche. — A 7 ans et demi, convulsions durant six heures, para-lysie complète. Dès que P... a commencé à se servir de son bras, on a noté les mouvements choréiformes. Trois mois après, appari-tion des accès à'épilepsie partielle.
Actuellement: hémiplégie sans contracture, mais avec hémi-chorée et affaiblissement de la sensibilité du côté gauche du corps.
Lorsque la main gauche est fermée, on remarque que les doigts veulent constamment s'ouvrir et qu'il s'ajoute à ces mou-vements, des mouvements de pronation et de supination. — La main est-elle ouverte ? on note des mouvements d'extension des doigts. Pour obtenir un peu de repos, la malade est obligée d'ap-pliquer fortement sa main sur un plan résistant.
Si l'on considère les mouvements intentionnels, on voit qu'ils sont désordonnés, saccadés, brusques. La malade porte-t-elle la main à sa figure? elle se soufflette. Lui fait-on prendre un objet léger? elle exécute un mouvement disproportionné de la main et, à chaque instant, menace de laisser tomber l'objet. Entre ces mouvements et ceux de la chorée vulgaire, la seule dissem-blance consiste en ce que, dans celle-ci, les mouvements sont plus arrondis, plus festonnés.
Si, avec M. Charcot, nous plaçons en face l'une de l'autre P... et Gr... (Ors. I), nous constatons de suite que les mouve-ments choréiformes ne diffèrent que sous le rapport de leur intensité, de leur étendue et de leur rhythme. Dans l'observa-tion I, ils sont circonscrits à la moite gauche de la face et du cou, à la main et au pied du même côté, tandis que, dans
l'observation III, en outre qu'ils sont plus brusques et plus saccadées, ils intéressent tous les mouvements des membres du côté gauche.
Des considérations qui précèdent, il ressort que ces trois malades présentent des troubles moteurs anormaux semblables ou ne différant qu'en ce qu'ils sont plus ou moins étendus, plus ou moins rapides, ou qu'ils affectent un plus ou moins grand nombre de muscles selon la malade que Ton examine.
D'autres raisons viennent corroborer cette assimilation. Chez ces trois malades, la lésion est de même nature ; toutes les trois sont atteintes d'atrophie cérébrale uni-latérale, con-sécutive à une lésion encéphalique grave datant de l'enfance; toutes les trois.offrent une hémiplégie et sont sujettes à des accès d'épilepsie partielle. Ainsi, nous avons une analogie dans la forme des troubles moteurs, une analogie dans les conditions de développement, et cela paraît suffire pour faire penser que Vathétose n'est qu'une variété de Yhémichorée post-hémip légique. B.
ERRATA
Page 62, note 1, au lieu de Planche VII, lisez : Planche VL
Page 348, ligne 28, au lieu de Gall, lisez : Goltz.
Page 362, lignes 20 et 30, au lieu de trémulation, lisez : trépidation.
PLANCHES
EXPLICATION DES PLANCHES
PLANCHE I
SCLÉROSE DES CORDONS POSTÉRIEURS
Pig. 1 (à gauche). — Coupe transversale de la moelle au niveau de la sixième vertèbre dorsale.
a, a, Petits noyaux de sclérose situés dans les rubans externes des cordons postérieurs.
b, Sclérose du cordon intermédiaire.
Fig. 1 (à droite). — Coupe transversale de la région cervicale. «, a, Rubans externes des cordons postérieurs ne présentant aucune trace de sclérose.
Fig. 2 (à gauche). — Coupe transversale de la moelle à la région cervicale. Les rubans externes, a, a, le cordon médian, b, les cornes postérieures, y compris le point d'émergence des racines postérieures, c, sont envahis totale-ment parla sclérose.
Fig. 2 (à droite). — Coupe de la région dorsale de la moelle. La sclérose a envahi les mêmes parties qu'au renflement cervical.
Fig. 3 (à gauche). — Coupe transversale de la moelle à la partie inférieure de la région dorsale. — a, a, Ilots de sclérose, situés dans les rubans externes des cordons postérieurs et rejoignant le point d'émergence des racines posté-rieures, c ; — 6,. petit îlot scléreux situé immédiatement en arrière de la com-missure postérieure.
Fig. 3 (à droite). — Coupe transversale de la moelle à la partie moyenne de la région cervicale.
a, a, Rubans externes envahis par la sclérose. — b, Cordon médian resté intact.
Charcot,Syst.nerv., t.II. Oeuvres completes
PL . I.
4 2
ñó.3
A.ftcTret dei
i'.LaoKerbauer Ulli.
Ghabcot. Œuvres complètes, t. ii.
PLANCHE II mal de pott; paraplégie
Pig. 1. — Substance blanche de la moelle au point comprimé chez un sujet mort avec une paraplégie complète. — a, Trabécules de sclérose. — b, Noyaux disséminés dans le tissu scléreux. — e, Coupe d'un vaisseau dont la gaine se continue avec le tissu scléreux. — cl, Tubes nerveux altérés. — e, La gaine de Schwann remplie de corps granuleux. — g, Tubes nerveux ayant subi une dilatation et une déformation considérables. — h, Cylindre d'axe refoulé sur les parties latérales.
Fig. 2. — Substance blanche de la moelle chez un sujet guéri de la para-plégie et mort d'une affection intercurrente. —a, Tissu scléreux; — 6, c, tubes nerveux régénérés; quelques-uns, b, ont le volume normal; les autres,c, sont d'un volume beaucoup plus petit.
Fig. 3. — Pachy méningite externe; coupe longitudinale d'une dure-mère qui commençait à s'épaissir. — a, Portion interne saine. — a, Portion interne offrant des amas de noyaux dans l'intervalle des faisceaux de libres. — d, Coupe de vaisseau. — e, Coupe du tissu végétant. — f, Eléments de nouvelle formation, noyaux, cellules et corps fusiformes. — g, Capillaires en anse ou fiexueux. — h, Couche privée de vaisseaux et formés d'éléments caséeux.
Charco't, Syst. nerv: t. II . Oeuvres complètes .
ñ i 7 ? p . ñ) .
Î
PLANCHE III
MAL DE POTT; TAIUPLÉGIE
Fig. 1. — Examen de la moelle par coupes successives dans un cas de mal de Pott dorsal. Dégénérations secondaires. — d, Point comprimé représenté, grossi, sur la fig. 2. — c, Région dorsale. Sclérose latérale et postérieure. — h, Région cervicale inférieure. Sclérose limitée aux cordons de Goll. — a, Renflement cervical, id. — e, Région dorsale inférieure. Sclérose diffuse des cordons latéraux. — f, Région lombaire. Sclérose latérale marquée surtout à droite. — g, Renflement lombaire. Sclérose bien limitée à la partie posté-rieure des cordons latéraux.
Fjg. 2. — Coupe de la moelle ëpinièrea la région dorsale (au niveau du point comprimé) chez un adulte qui après avoir été paralysé avait recouvré les mouvements. —a, a, Substance blanche du côté gauche, atrophiée et scie-rosée. — b, Corne antérieure gauche singulièrement atrophiée; la corne pos-térieure n'existe plus. — c, Vestiges delà partie latérale droite de la moelle.
Fig. 3. — Coupe à la région cervicale dans un cas de mal de Pott dorsal. Sclérose annulaire, marquée surtout vers les racines postérieures.
L narco l, îóü i. nei v.j L. li . ueiivres complexes.
m: ni.
Fió 1
ÍÄ. 2.
Ù 3.
ram . ~B ecquet a Paris .
PLANCHE IV
SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES CORDONS ANTÉRO-LATÉRAUX
Fig. 1. — Coupe transversale du bulbe rachidien au niveau de l'entre-croisement des pyramides.
a, a, Formation réticulée de Deiters et cordons latéraux.
b, Pyramides antérieures.
c, c, Cornes antérieures de substance grise.
e, Entre-croisement des pyramides. p, p, Cornes postérieures.
Fig. 2.— Coupe transversale de la moelle épinière à la partie supérieure du renflement cervical.
a, a, Cordons latéraux.
b, b, Cordons antérieurs.
c, c, Cornes antérieures, p, p, Cornes postérieures.
Fig. 3. — Coupe transversale de la moelle épinière à la partie inférieure de la région cervicale, a, a, c, c, p, p, comme dans la figure précédente.
f, f, Foyers de désintégration occupant différents points de la substance grise antérieure.
Fig. 4. — Elle représente les différentes phases de la dégénération pigmen-taire des cellules des cormes antérieures.
a, Cellule normale.
b, c, d, Cellules dégénérées.
Charcot,. Syst nerv, t II. Oeuvres complètes.
PL. IV.
Kg 2.
O'
PLANCHE V
SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES CORDONS ANTÉRO-LATÉRAUX
Fig. 1 . — Coupe transversale de la moelle épinière à la partie moyenne de la région dorsale, a, a, Cordons latéraux, c, c, Cornes antérieures. p, p, Cornes postérieures.
Fig. 2.-— Coupe transversale de la moelle épinière à la partie moyenne du renflement lombaire, a, «, Cordons latéraux, c, c, Cornes antérieures. p,p, Cornes postérieures.
Charcot, Syst .nerv., t. II Oeuvres computes.
PL. y.
Hj.t
4"
G omb auit del .
.^ackerbauer f Karmaitski hth )
PLANCHE VI
ATAXIE LOCOMOTRICE
Cette eau-forte, dessinée par M. Richer, interne des hôpitaux représentela malade Gott... dont l'observation est rapportée à la page 395.
Système Nerveux, t, il
Pl. VI
ujarcot U'.uvkks Complètes,
Ôïïlk , ? \padAyluy~l___
PLANCHE VII
ATROPHIE MUSCULAIRE PROTOPATH1QUE
Fig. 1. — Coupe transversale de la moelle épinière à la région cervicale. — A, Zone radiculaire antérieure sclérosée. — C, Corne antérieure remplie de nombreux vaisseaux, les cellules nerveuses y ont complètement disparu. — L, Cordon latéral. — P, Cordon postérieur. — T, Faisceau de Tiirck. — Ces trois faisceaux sont tout à fait sains.
Fig. 2. — Coupe transversale de la moelle épinière à la région lombaire. — Les lettres ont la même signification que dans la figure 1.
La corne antérieure, C, est parfaitement normale et contient de nombreuses cellules nerveuses. Il n'y a plus de sclérose de la zone radiculaire antérieure, T.
Fig. 3. — Partie moyenne de la région dorsale. — A, Zone radiculaire anté-rieure sclérosée. — C, Corne antérieure beaucoup moins vasculaire qu'à la ré-gion cervicale et con'enant une ou deux crllules nerveuses.
Fig. 4.— Diverses phases de la destruction des cellules nerveuses. — a, b, Cellules en voia de destruction. — c, Cellule normale.
Eig. 5. — Coupe longitudinale du nerf phrénique. — a, a, Tubes normaux dont la myéline est colorée en noir par l'osmium, séparés les uns des autivs par de larges faisceaux conjonctifs.
Fig 6. — Petit vaisseau pris dtans la substance grise de la corne antérieure. —? a, Cellule tuméfiée. — b, Cellules contenant plusieurs noyaux. — c, Noyau d'une cellule endotbéliale.
Fig. 7. — Vaisseau pris dam la même région et dont les parois sont cou-vertes de nombreux leucocytes.
i t,Svs1 nerv., t.Il vres zompi*
PL . VII.
A. Karman ski Ivth
Ñ'
Kg. 7.
Fi î. 4.
PLANCHE VIII
ATROPHIE MUSCULAIRE PROTOPATHIQUE
Fig. 1. — Coupe transversale du nerf phrénique. — a, a, Coupe de faisceaux, où les tubes nerveux conservés sont encore assez nombreux. — b, Espaces dans lesquels les tubes nerveux ont totaltment disparu (dessin fait à la chambre claire).
Fig. 2. — Coupe transversale d'un nerf phrénique normal. (Les contours ont été dessinés a la chambre claire avec le même grossissemmt que pour la figure 1).
Fig. 3. — Un tube du nerf phrénique malade {névriteparemhymaieuse). — a, a, Noyaux contenus dans l'intérieur de la gaine de Scawann. — b, Myéline fragmentée. — Le cylindre d'axe a disparu. Grossissement 700 diamètres en-viron.
Fig. 4. — Coupe longitudinale du diaphragme normal.
Fig. 5. — Coupe longitudinale du diaphragme malade. — a, Fibres atro-phiées bien qu'ayint c uissrvè leur striatiou transversale. — Elles sont de vo-lume inégal. Les espaces conjonctifs, b, sont élargis par le fait de l'atrophie des fibres musculaires.
Document numérisé par la Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie - UPMC - Cote : WZ 7 CHA
Charco! : 1 ' "' : • ? o ;
. VIH.
Gombault del.
A Karmans1*] lith -
PLANCHE IX
ATAX1E LOCOMOTRICE
Fractures spontanées du radius et du cubitus du côté gauche.
Charcot, Syst.nerv.,t.II. Oeuvre- --oncleles.
FL.IX.
ATAXIE LOCOMOTRICE
Fractures spontanées du radius et du cubitus .
im», becquet. paris .
Charcot. Œuvres complètes, t. n. 33
PLANCHE X
ATAXIE LOCOMOTRICE
Fracture spontanée du fémur. Arthropathies coxo-fémorales : lésions de l'extrémité des deux fémurs.
La figure placée sur le côté gauche de la planche, représentant un fémur sain, permet de se rendre un compte exact des lésions.
Charcot,Syst.nerv., t.II. Ûeuvrèa complètes.
PL. X
ATAXIE LOCOMOTRICE
Fractures et arthropathies des femurs.
imp becçue ã paris .
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE LEÇON
prodrome anatomique.
Sommaire. — La tâche du clinicien diffère de celle du nosographe. — Diver-sité des opinions sur le siège de la lésion dans l'ataxie locomotrice. — Insuffisance des procédés employés. — Sclérose des cordons postérieurs, sa signification. — Examen à l'œil nu; notions qu'il fournit. — Premiers faits de sclérose des cordons postérieurs.
Examen macroscopique. — Induration grise ; ses caractères. — Foyer originel de la lésion irritative. — Anatomie topographique microscopique. — Circonscriptions spinales. — Cordon de Goll. — Bandelettes externes des faisceaux postérieurs ; leur altération paraît constante dans l'ataxie lo-comotrice.
Sclérose fasciculée systématique médiane. — Sclérose fasciculée latérale. Dans l'ataxie locomotrice, la sclérose débute par les bandelettes postéro-latérales. — Rapport entre les lésions et les symptômes. — Mode de pro-pagation de la sclérose.— Faisceaux radiculaires internes.— Envahissement des cornes antérieures de substance grise : amyotrophic consécutive.. 1
DEUXIÈME LEÇON
des actions rétrogrades dans les maladies spinales,' leurs rapports avec la sclérose des cordons postérieurs.— des douleurs fulgurantes et des crises gastriques.
Sommaire. — Relations entre les filets nerveux radiculaires internes et le groupe des cellules nerveuses multipolaires des cornes antérieures. — Des symptômes récurrents ou rétrogrades. — Sclérose des faisceaux médians postérieurs : propagation de la sclérose aux bandelettes latérales des cor-dons postérieurs.
Type classique de l'ataxie locomotrice progressive. — Période prodro-mique ou des douleurs fulgurantes. — Période de la maladie constituée ou de l'incoordination tabétique. — Période paralytique.
Des douleurs fulgurantes. — Leurs variétés : douleurs terebrantes; — douleurs lancinantes ; — douleurs constrictives. —Des douleurs fulgurantes symptomatiques dans la sclérose en plaques disséminées, la paralysie gé-nérale progressive et l'alcoolisme chronique. — Symptômes viscéraux : douleurs vesicales, uréthrales ; ténesme rectal.
TROISIÈME LEÇON
de l'amaurose tabétique.
Sommaire. — Symptômes céphaliques dans l'ataxie locomotrice. — Lésions des nerfs crâniens et bulbaires. — Induration grise progressive du nerf optique. —Atrophie progressive de la papille. -- Nécessité de l'examen ophtalmoscopique dans le diagnostic de quelques affections cérébrales.
Existence isolée de l'amaurose tabétique; sa fréquence. — Caractères de la lésion anatomique du nerf optique à l'œil nu et au microscope. — As-pect de la papille : 1° à l'état normal; 2° dans l'induration grise progres-sive. — Troubles fonctionnels qui accompagnent l'induration grise du nerf et de la papille optiques. — Modifications de la papille dans les cas d'embo-lie de l'artère centrale de la rétine, dans li glycosurie, la rétino-choroïdite syphilitique et la paralysie générale.
De la neuro-rétinite. — ^es formes, ses symptômes. — Différences qui la séparent de l'amaurose tabétique. — Faits cliniques démontrant l'impor-tance des signes fournis par l'ophtalmoscopi....................... 42
QUATRIÈME LEÇON
de quelques troubles viscéraux dans l'ataxie locomotrice. — arthro-pathies des ataxiques.
Sommaire. — Troubles des organes génito-urinaires. — Envies fréquentes d'uriner; — Satyriasis; — Ténesme rectal. — Symptômes oculo-pupillaires.
— Accélération permanente et dicrotisme du pouls.
De l'arthropathie des ataxiques : sa fréquence. — Observations. — Cette arthropathie se développe à une époque peu avancée de la maladie spinale. Prodrames. — Phases de l'arthropathie dos ataxîques. — Jointures qu'elle intéresse.— Ses caractères spéciaux. — Diagnostic entre l'arthropathie des ataxiques et l'arthrite sèche.
Lésions anatomiques. — Des arthropathies consécutives aux affections d'origine spinale. — Mécanisme de la production de l'arthropathie des ataxiques. — Lésions des cornes antérieures de la substance grise. — Desi-deratum.................................•........................ 59
CINQUIÈME LEÇON
de la compression lente de la moelle épinière. — prodrome anatomique.
Sommaire. — La compression lente de la moelle reconnaît des causes variées.
— Importance de son étude.
Causes de la compression. — Tumeurs de la moelle : gliôme, tubercule, sarcome, carcinome, gomme, dilatation kystique de la moelle.
Des crises gastriques. — Spécificité de leurs caractères. — Durée. — Cas frustes d'ataxie locomotrice.................................... 20
Tumeurs primitivement développées dans les méninges: sarcome, psam-mome, échinocoques, néoplasies inflammatoires (pachyméningite interne, pachyméningite hypertrophique).
Productions morbides nées dans le tissu cellulo-adipeux du rachis ; carci-nome, sarcome, kystes hydatiques, abcès.
Lésions vertébrales : hyperostoses syphilitiques ; arthrite sèche. — Mal de Pott : mécanisme de la compression de la moelle. — Mal vertébral cancé-reux. ?— Paraplégie douloureuse des cancéreux...................... 83
SIXIÈME LEÇON
de la compression lente de la moelle épinière. — modifications anatomi-ques dans les cas qui se terminent par la guérison. — symptomes. — des pseudo-névralgies. — d î la paraplégie douloureuse des cancéreux.
Sommaire. — Modifications anatomiques que subit la moelle au niveau du point comprimé. — Changements dans la forme ; ramollissement, indura-tion, — Myélite interstitielle. — Scléroses consécutives ascendante et des-cendante. — Les fonctions peuvent se rétablir malgré l'existence de lésions profondes. — Régénération des tubes nerveux au niveau du point com-primé.
Des symptômes. — Symptômes extrinsèques, symptômes intrinsèques. — Anatomie topographique de la région vertébrale.
Des symptômes extrinsèques : pseudo-névralgies. — Des pseudo-névralgies dans les cas de tumeurs rachidiennes, de mal de Pott et dans le mal verté-bral cancéreux.
Paraplégie douloureuse des cancéreux. — Douleur; ses caractères; pa-roxysmes. — Hyperesthésie tégumentaire. — Eruption de zona sur le trajet des nerfs douloureux : anesthésie cutanée circonscrite; atrophie et contrac-ture musculaires partielles. — Déformations de la colonne vertébrale. —
Difficulté du diagnostic dans certains cas : osteomalacic, pachyméningite cervicale hypertrophique, irritation spinale, etc................... 98
SEPTIÈME LEÇON
de la compression lente de la moelle épinière. ?— symptomes. — des troubles de la mot1l1té et de la sensibilité liés a la compression spi-nale. — hémiplégie et hémiparaplégie spinales avec anesthésie croisée.
Sommaire.— Lésions que subit la moelle au niveau du point comprimé. — Elles occupent toute l'étendue de la moelle en travers ou ne portent que sur une des moitiés latérales du cordon nerveux.
Premier cas : Succession des symptômes. — Prédominance, au début, des troubles moteurs: parésie, paralysie avec flaccidité, rigidité temporaire, con-tracture permanente des membres, exaltation des actes réflexes. —Troubles de la miction; — théorie de Budge. — Modification de la sensibilité: re-tard dans la transmission des sensations, dysesthésie. — Sensations associées Second cas : Lésions portant sur une des moitiés latérales du cordon ner-
veux. — Circonscription de la lésion. — Hémiparaplégie spinale avec anes-thésie croisée; ses caractères.— Hémiplégie spinale........ ... 121
HUITIÈME LEÇON
de la compression lente de la moelle épin1ère. — paraplégie cervicale. — symptomes particuliers. — pouls lent permanent.
Sommaire. — De la paraplégie cervicale. — Compression des nerfs des extré-mités supérieures. — Lésions de la moelle épinière au cou ; leur mode d'ac-tion dans la production de la paraplégie cervicale. —Distinction entre la pa-raplégie cervicale due à la compression des nerfs périphériques et celle qui dépend d'une lésion de la moelle. — Altération des cellules nerveuses et tu-meurs de la moelle causes d'une troisième forme de la paraplégie cervicale.
De quelques symptômes particuliers de la compression lente de la moelle cervicale. — Troubles oculo-pupillaires. —Toux et dyspnée. —Vomisse-ments à retour fréquent. — Gêne de la déglutition. — Hoquet. — Troubles fonctionnels de la vessie. —Attaques d'épilepsie.
Du pouls lent permanent. — Ralentissement temporaire du pouls dans les fractures des vertèbres du cou. — Pouls lent permanent lié à certaines affections organiques du cœur (rétrécissement aortique, dégénérescence graisseuse du tissu cardiaque, dépôts fibrineux). — Insuffisance des lésions cardiaques dans certains cas pour expliquer le pouls lent. — Accidents liés au pouls permanent : syncope, état apoplectifornae, accès convulsifs. — Dans certains cas, le point de départ du pouls lent permanent doit être cherché dans la moelle cervicale ou dans le bulbe. — Cas du Dr Hal-berton.
Mort subite par rupture du ligament transverse de l'apophyse odontoïde. Symptômes qui accompagnent les lésions du renflement lombaire et de la queue de cheval................................................ 141
NEUVIÈME LEÇON
paralysie infantile.
Sommaire. — Myopathies spinales ou de cause spinale. — Caractères géné-raux. — Localisation des lésions spinales dans les cornes antérieures de la substance grise.
Paralysie spinale infantile. — Elle sera considérée comme maladie d'étude. — Symptômes : période d'invasion, ses modes ; seconde période ou régression des symptômes avec localisation des lésions musculaires (Atro-phie musculaire, arrêt de développement du système osseux, refroidisse-ment des membres, déformations, pied bot paralytique).
Anatomie pathologique de la paralysie infantile. — Les lésions des mus-cles aux diverses périodes ; surcharge gaisseuse. —Lésions du système ner-veux : historique (Charcot et Cornil, Vulpian et Prévost, Charcot et Joffroy, Parrot, Lockhart Clarke et Johnson, Damaschino tt Roger). — Localisation des lésions dans les cornes antérieures de la substance grise. — Altérations
secondaires : transformation scléreuse de la névroglie ; foyers de désingréta-tion ; sclérose partielle des cordons antéro-latéraux ; atrophie des racines antérieures. — Raisons qui lendent à démontrer que la lésion primitive ré-side dans les cellules nerveuses.................................... h63
DIXIÈME LEÇON
paralysie spinale de l'adulte. — nouvelles concernant l'anatomie patho-logique de la paralysie spinale infantile. — amyotrophies consécuti-ves aux lésions spinales aiguës diffuses.
Sommaire. — Paralysie spinale de l'adulte : Historique. — Exposé d'un cas emprunté à M. Duchenne (de Boulogne). — Faits personnels. — Analogies étroites qui rapprochent la paralysie spinale aiguë de l'adulte et celle de l'enfant. — Modifications symptomatologiques en rapport avec l'âge. — Pro-nostic.
Travaux récents concernant l'anatomie tt la physiologie pathologiques de la paralysie spinale infantile ; ils confirment sur les points essentiels et complètent à certains égards les résultats précédemment exposés.
Un mot sur les lésions spinales aiguës qui ne sont pas, comme dans la paralysie infantile, systématiquement limitées aux cornes antérieures de la substance grise. — Myélite aiguë centrale généralisée, hématomyélie, myélites traumatiques, myélites aiguës partielles. — Conditions dans lesquel-les ces affections déterminent l'atrophie rapide des muscles.......... 188
ONZIÈME LEÇON
des amyotrophies spinales chroniques. — atrophie musculaire progressive spinale protopathique. (type duchenne-aran).
Sommaire. — Variétés cliniques des cas désignés sous le nom d'atrophie muscu-laire progressive (atrophies musculaires progressives spinales). — Unifor-mité dans ces cas de la lésion spinale qui porte sur les cornes antérieures de la substance grise.
Étude de l'atrophie musculaire progressive spinale protopathique comme type du groupe : simplicité de la lésion spinale. — Amyotrophies spinales chroniques deutéropathiques. La lésion des cellules nerveuses motrices est ici consécutive: elle se surajoute à une lésion spinale de siège variable. — Aperçu des principales affections spinales qui peuvent produire l'amyo-trophie progressive deutéropathique : pachyméningite spinale hypertrophi-que ; — sclérose des faisceaux postérieurs ; myélite centrale chronique ; hydromyélie ; tumeurs intra-spinales ; sclérose en plaques ; — sclérose laté-rale symétrique.
De l'atrophie musculaire progressive spinale protopathique en particu-lier. (Type Duchenne-Aran). — Symptômes : atrophie individuelle des muscles, troubles fonctionnels, persistance prolongée de la contractilité fara-dique ; secousses fibrillaires, déformations ou déviations paralytiques ; griffes. — Modes d'invasion. — Etiologie: hérédité, froid, traumatisme.
Anatomie pathologique. — Lésions de la moelle : altération limitée aux cornes antérieures de substance grise (cellules nerveuses, névroglie). — Lésions des racines nerveuses et des nerfs périphériques. — Lésions mus-culaires, leur nature.............................................. 212
DOUZIÈME LEÇON
amyotrophies spinales deutéropathiques. — sclérose latérale amyo-
trophique.
Sommaire. — Amyotrophies spinales deutéropathiques. — Sclérose, latérale amyotrophique ; localisation de la lésion spinale dans les cordons latéraux. — Raisons de cette localisation fournies par l'étude du développement de la moelle épinière. — Formation des cordons latéraux, des faisceaux de Göll et des faisceaux de Tiirck. Sclérose latérale consécutive à une lésion cérébrale. Sclérose latérale symétrique primitive. — Anatomie pathologique : Confi-guration et topographie de la lésion dans la moelle et le bulbe. — Lésions consécutives de la substance grise (cellules nerveuses motrices, névroglie), dans la moelle et dans le bulbe. —Altérations secondaires : Racines ner-veuses antérieures. — Nerfs périphériques. — Lésions trophiques des mus-cles............................................................. 234
TREIZIÈME LEÇON
de la sclérose latérale amyotrophique. — symptomatologie.
Sommaire. — Faits sur lesquels repose la Symptomatologie de la sclérose latérale amyotrophique. — Observations personnelles. — Documents à l'appui.
Différences qui séparent cliniquement la sclérose latérale amyotrophique de l'atrophie musculaire spinale protopathique.
Symptômes communs aux deux affections : amyotrophic progressive, con-tractions fibrillaires, conservation de la contractilité électrique.
Symptômes propres à la sclérose latérale amyotrophique. — Prédominance de la paralysie motrice. — Contracture permanente spasmodique. — Absence de troubles de la sensibilité. — Déformations paralytiques; attitude de la main. — Trémulation des membres supérieurs à l'occasion des mouvements intentionnels. — Modes de début. — Paraplégie cervicale. — Envahisse-ment des membres inférieurs. — Caractères de la contracture. —Phénomè-nes bulbaires : Gêne de la déglutition ; — Embarras de la parole ; — Para-lysie du voile du palais, de l'orbiculaire des lèvres, etc. — Troubles graves de la respiration.
Résumé des symptômes. — Pronostic. — Physiologie pathologique. 249 QUATORZIÈME LEÇON
amyotrophies deutéropathiques de cause spinale (fin). — de la pachymé-ningite cervicale hypertrophique, etc., etc.
Sommaire. — Amyotrophic liée à la sclérose latérale descendante consécu-
tive à une lésion en foyer du cerveau et de la moelle épinière. — Cas à l'appui.
Pachyméningite cervicale hypertrophique. — Anatomie pathologique . Altération des méninges ; — de la moelle épinière ; — des nerfs périphéri-ques. — Symptômes : Période douloureuse (douleurs cervicales, rigidité du cou ; fourmillements et engourdissements ; — parésie ; — éruptions cuta-nées . — Seconde période (paralysie, atrophie, griffe, contracture, plaques d'anesthésie, paralysie et contracture des membres inférieurs.) — Caractères qui distinguent la pachyméningite cervicale hypertrophique de la sclérose latérale amyotrophique.
Amyotrophie consécutive à l'ataxie locomotrice. — Forme particulière de l'atrophie musculaire en pareil cas. — Pathogénie.
Amyotrophie consécutive à la sclérose en plaques disséminées.
Paralysie générale spinale subaiguë. — Analogies avec la paralysie infan-tile. — Desideratum.
Amyotrophies indépendantes d'une lésion de la moelle épinière ; exemples. Paralysie pseudo-hypertrophique ; — amyotrophie saturnine.
Nouvelles considérations relatives àl'anatomie pathologique topographique de la moelle épinière........................................... 267
QUINZIÈME LEÇON
du tabes dorsal spasm0d1que.
Sommaire. — Dénomination provisoire ; sa justification ; — sclérose symé-trique et primitive des cordons latéraux. — Tabes dorsal spasmodique ; — tabes dorsal ataxique. — Parallèle entre ces deux affections. — Caractères tirés de la démarche.
De la contracture et de la trépidation dans le tabes dorsal spasmodique. — Absence de troubles de la sensibilité. — Début. — Évolution. — Mode d'envahissement des membres. — Pronostic et traitement. — Diagnostic: Sclérose en plaques de forme spinale, contracture hystérique, myélite trans-verse, sclérose latérale amyotrophique, etc................ ...... 301
SEIZIÈME LEÇON
des paraplégies urinaires.
Sommaire. — Préambule. —Point de vue théorique. — Réalité clinique des paraplégies urinaires. — Définition. — Les faits se rapportent à trois groupes.
Myélite consécutive aux maladies des voies urinaires. Sa rareté chez la femme ; sa fréquence chez l'homme. — Conditions de son développement : gonorrhée, rétrécissement de l'urèthre, cystite, néphrite ; — affections de la prostate ; — pyélo-néphrite calculeuse. — Une exacerbation de la maladie des voies urinaires précède l'invasion des accidents spinaux. — Symptômes : fourmillements, anesthésie, douleur dorso-lombaire et en ceinture. — Paraplégie avec flaccidité ; — exaltation, puis abolition de l'excitabilité
réflexe; — contracture permanente; eschares. — Siège et nature des lé-sions. — Pathogénie : propagation de la lésion rénale à la moelle par l'in-termédiaire des nerfs (Troja, Leyden). — Faits d'expérimentation à l'ap-pui. — Exemples de propagation de l'inflammation des nerfs à la moelle.
Paraplégies urinaires réflexes. — Symptômes. — Interprétation de M. Brown-Séquard. — Expériences récentes. — Phénomène d'arrêt. — Irritation des nerfs périphériques. — Fausses paraplégies. — Névrite des-cendante. — Affections de l'intestin et de l'utérus................. 322
DIX-SEPTIÈME ET DIX-HUITIÈME LEÇONS
DU vertige de mén1ère.
(Vertigo ab aure lœsa).
Sommaire. — Un cas de vertige de Ménière. — Description du cas. — Vertige habituel exagéré par les mouvements. — Caractères de ce vertige : exacer-bations paroxystiques ; — mouvements subjectifs de translation. — Lésions anciennes des oreilles : écoulement de pus, altération du tympan. — Marche et station impossibles. — Évolution de la maladie. — Complica-tion : attaques d'hystérie.
Historique. — Le vertige de Ménière est encore peu connu. — Diagnostic : congestion cérébrale apoplectiforme ; — petit mal épileptique ; — vertige gastrique. — Relation entre le développement soudain des bruits d'oreille et l'invasion des sensations vertigineuses.
Maladies de l'oreille : otite labyrinthique, otite moyenne, catarrhe, etc. — Pronostic. — Guérison par surdité. — Traitement.
Maladies réputées incurables. — Exemples de guérison. — Cas de vertige de Ménière. — Situation de la malade en mai 1815 : sensations vertigineu-ses permanentes ; — crises annoncées par un sifflement aigu. — Hallucina-tions motrices. — Traitement par le sulfate de quinine ; doses, effels : amen-dement remarquable. — Autre exemple d'amélioration, due à l'usage prolongé du sulfate de quinine............................................ 339
DIX-NEUVIÈME LEÇON
DE l'hÉMICHORÉE POST-HÉMIPLÉGIQUE.
Sommaire. — Hémichorée post-hémiplégique. — Faits cliniques. — Trou-bles de la sensibilité générale et spéciale. — Troubles moteurs : leur res-semblance avec les mouvements choréiques. — Trépidation des hémiplégi-ques. — Instabilité des membres affectés d'hémichorée post-hémi-plégique. — Caractères des troubles musculaires au repos et dans les mouvements.
Lésions organiques. — Foyer d'hémorrhagie et de ramollissement intra-encéphaliques ; atrophie partielle du cerveau.
Rareté de l'hémichorée post-hémiplégique. -- Relation entre l'hémichorée et l'hémianesthésie. — Siège des lésions auxquelles se rattachent ces
symptômes: extrémité postérieure de la couche optique; —partie posté-rieure du noyau caudé : — partie postérieure de la couronne rayonnante. Hémichorée prse-hémiplégique................................ 358
Sommaire. — Epilepsie partielle ou hémiplégique. — Ses rapports avec la syphilis cérébrale. — Considérations historiques. — Description d'un cas d'épilepsie partielle d'origine syphilitique. — Caractères et siège par-ticulier de la céphalalgie. — Nécessité d'une intervention thérapeutique énergique.
Mode de début des accidents convulsifs. — Nouveaux exemples à l'ap-pui. — Succession des accès. — Apparition de la contracture per-manente.
Relation entre la céphalalgie et la région motrice du cerveau. Lésions : Pachyméningite gommeuse. — Siège probable de ces lé-sions.
Traitement mixte à interruptions................................. 372
Appendice.............................................•........ 393
I. Luxations pathologiques et fractures spontanées multiples chez une femme atteinte d'ataxie locomotrice......................................... 395
II. Du vertige laryngé...................»......................... 407
III. Sur la tuméfaction des cellules nerveuses motrices et des cylindres d'axe des tubes nerveux dans certains cas de myélite.................. 41
IV. Note sur un cas d'atrophie musculaire progressive protopathique (type Duchenne-Aran)........................,........................... 425
V. Deux cas de sclérose latérale symétrique amyotrophique........- 439
VI. Note sur un cas de paralysie labio-glosso-laryngée suivi d'au-topsie.............................................................. 462
Vil. Note sur l'état anatomique des muscles et de la moelle épinière dans un cas de paralysie pseudo-hypertrophique........................... 477
VIII. De l'athétose............................................... 490
Errata........................................................ 494
Explication des planches...................................... 495
VINGTIÈME LEÇON
de l'épilepsie partielle d'origine syphilitique.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES
TABLE ANALYTIQUE
A
Achromatopsie, 50.
Actions à distance, 23.
Alcoolisme chronique (Douleurs ful-gurantes dans T), 33.
Amaurose tabétique, 45 et suiv.
Amblyopie dans l'ataxie, 43.
Amyotrophies spinales, 163 ; variétés, 167. — Chroniques, 212 ; varié-tés, 214. — Protopathiques, 214. — Deutéropathiques, 2*14 (Voir Sclérose latérale). — Dans l'a-taxie locomotrice, 278. — Propa-gation de la lésion par les filets ra-diculaires internes, 279. — Dans la sclérose en plaques, 277, 280. — Lésions du grand sympathique dans les —, 291 ; — saturnines, 299 ; — rhumatismales, 292 ; — traumati-ques, 292.
Anatomie topographique microscopi-que, 7, 294.
Anesthésie dans l'ataxie, 16, 273. — Dans la paraplégie douloureuse, US. — Dans l'hémiparaplégie spi-nale, 132. — Dans la myélite aiguë centrale, 209. — Dans la pachymé-ningite, £76.
Aorte (Anévrysmes de 1') ouverts dans le rachis, 91, 114.
Arrêt (Phénomènes d'J, 335.
Arthrite sèche du rachis, 92.
Arthropathies des ataxiques, 39,62, 396. — Fréquence, 63, 69. — Epo-que d'apparition, 8, 69. — Faits cliniques, 64, 366. — Température, 67. — Formes et symptômes, 67 et suiv, — Diagnostic, 69. — Lésions desos,7t, 373. — Lésions des cor-nes antérieures, 76. — Consécutives aux lésions des nerfs périphériques, 74. — Aux hémiplégies cérébrales, 74.
— Aux lésions traumatiques de la moelle, 75. — Dans l'hémiplégie spinale, 139, 149.
Ataxie locomotrice progressive, 1. — Anomalies, 2. — Description clas-sique, 27. — Symptômes céphali-ques, 26, 42 et suiv. (V. Amaurose).
— Sympt. spinaux, 26. — Dou-leurs fulgurantes, 29, 366. — In-coordination, 28. — Période para-lytique, 28. — Symptômes viscé-raux, 34. — Traitement, 78. — Luxations pathologiques dans 1' — 395. — Fractures spontanées, 395, Résumé des symptômes, 304. (Voir Anesthésie, Arthropathies, Atrophie musculaire , Crises 6astriques, Douleurs fulguran-tes, Tabes dorsal spasmodique, Vertige).
Athétose, 490.
Atrophie musculaire progressive pro-topathique, 9, 74, 217, 218. — A. individuelle des muscles, 219. — Troubles fonctionnels, ¿20. — Mo-des d'invasion, 220. — Marche, durée, causes, 224. — Lésions de la moelle, 2: 5 ; — des racines an-térieures et des nerfs périphéri-ques, 229 ; — des muscles, 231, 431 ; — Pathogénie, 425. — Cas d' —, 435.
Atrophie. — deutéropathique, 108.
— Dans Yataxie, 18, — Dans V hémiparaplégie, 139. — Dans Y hé-miplégie cérébrale, 269. — Dans la myélite aiguë centrale, 215. — Dans la pachy méningite, 215. — Dans la paralysie générale spinale, 280. — Dans la paralysie infantile, ni, 175. — Dans la paraplégie cervicale, 143,146. — Consécutive aux lésions des nerfs, 292.
— nerveuse progressive, 292.
— partielle du cerveau, 365, 467. Aura, 319 ; — motrice, 374 : — laryn-gée, 412.
B
Bandelettes externes des faisceaux postérieurs de la moelle, 14, 24.
Bromure de potassium, 315, 355,387.
Bulbe rachidien, 432, 456, 458, 470. (V. Moelle, Nerfs, Paralysie
glosso-laryngée, sclérose.)
C
Cancer vertébral, 9i. Carie vertébrale latente, 112. Cautérisation avec les pointes de feu, 350.
Cellules nerveuses motrices (Tu-méfaction des) dans les myélites, 414 ; — 164, 245. (V. Atrophie musculaire, Bulbe, Cornes, Moelle.)
Centre génito-spinal, 328.
Céphalalgie dans l'épilepsie syphi-litique, 376.
Cerveau (V. Atrophie partielle.
Chorée vulgaire, 363. — Symp-tomatiques, 358. (V. Athétose.) Hémichorée.)
Commotion cérébrale, 153.
Consanguinité, 224.
Contractilité électrique (De la) dans les amyotrophies saturnines et rhu-matismales, 29 '. — Dans Y atrophie musculaire protopathique, 220. Dans la myélite aiguë centrale, 209. — Dans la paralysie générale spinale, 190. — Dans lu paralysie infantile, 170. — Dans la. paraplé-gie par compression, 131.
Contracture, 14, 20, 23, 92, 106, 201. — dans Y hémichorée, 359 ; — dans Yhémiparaplégie, 139; — dans la sclérose latérale, 241 ; — dans le tabes spasmodique, 305.
Cordons, latéraux (Développement des), 237, 238.
Cornes antérieures de la moelle; rap-ports avec les filets nerveux radi-culaires, 19. — Lésions des cellules nerveuse des — , 179, 204, note. — Après amputations anciennes, 205.
— Dans l'atrophie musculaire proto-pathique, 226. (V. Arthropathies, Ataxie, Atrophie musculaire.)
— Postérieures (Lésions des), 16. Crises gastriques, 35 et suiv., 55,
56.
— Laryngées tabétiques, 413. Cylindres d'axe des tubes nerveux
(Tuméfaction des), 414. Cystite, 326.
d
Déformations dans l'atrophie mus-culaire, 222. — Dans la sclérose latérale amyotrophique, 256. (V. Paralysie infantile.)
Dégénérations secondaires, 24, 25, 139, 240, 268.
Diplopie, 43.
Douleurs fulgurantes, 27, 29 ; -terebrantes, 30 ; — lancinantes, 30;
— constrictives, 31. — Caractères généraux des —,31. — Leur sub-stratum anatomique, 32. — Vesica-les, 35. — Uréthrales, 35, 60. — Rectales, 35, 60.
Dure-mère, 85. — Tumeurs de la
—, 89. (V. Méninge.) Dysesthésie, 129, 318. Dysphagie dans la compression de la
moelle, 151. — Dans la paralysie
glosso-laryngée, 463, 474.
E
Embolie de l'artère centrale de la
rétine, 51. Epilepsie dans la compression de la
moelle, 151.—Partielle, 372 et suiv.
— Céphalalgie, 376. — Des-
cription des accès, 384. — Traite-ment, 377, 387, 392, — Spinale, 152, 263, 310, 318. Escarres dans l'hémiplégie spinale 139. — Dans les lésions de la queue de cheval, 159. — Dans les myéli-tes centrales, 209. — Dans les pa-raplégies par compression, 131.— Dans les paraplégies urinaires, 328.
Etat de mal épileptique, 375. f
Frustes (Cas) d'ataxie locomotrice, 39, 46.
G
Gliome, 87.
Glycosurie avec lésion des nerfs
optiques, 51. Goll (Développement des cordons de),
237. (V. Scléroses.) Goutte et vertige laryngé, 408. Griffe, 222. — Dans la pachymé-
ningite, 275. — Dans la sclérose
latérale amyotrophique, 442.
H
Hallucinations motrices, 340, 346, 352.
Hématome, 90, 273. Hématomyélie, 88, 167, 210, 419. Hémianesthésie de cause cérébrale,
360, 366, 3î 1. — Croisée, théorie,
137. — Hystérique, 136, 361. Hémichorée post-hémiplégique, 358,
490, 492. — Prx-hémiplégique,
369.
Hémiparaplégie spinale avec anes-thésie croisée, 136, 319.
Hémiplégie cérébrale avec contrac-ture, 240. — spasmodique, 383. — spinale, 136.
Hémorrhagie intra - encéphalique , 364, 367.
Hérédité, 224, 253.
Hoquet dans la compression'spinale , 151.
Hydromyélite, 216. Hydrothérapie, 387. Hyperesthésie, 129, 222. (V. Hémi-paraplégie.)
Hypertrophie de la moelle, 272. Hypochondrie, 33. Hystérie ovarienne, 361.
_ I
Incoordination motrice, 27. Irritation spinale, 120.
k
Kystes hydatiques, 90, 91.
L
Langue (Lésions de la) dans les amyotrophies, 441, 445, 454. — Dans la paralysie labio-glosso-la-ryngée, 466, 467.
Leçons de choses, 359.
Lipomatose généralisée, 287,488. — Interstitielle, 288,233.—Luxuriante, 233, 291, 484.
Luxations (V. Ataxie.)
m
Mal vertébral cancéreux, 94. (V. Pseudo^névralgie ) Mal de Pott. douleurs fulgurantes, 34; — Causes de la paraplégie, 93 ; — Mécanisme de la compression, S3, 142 ; — Cu-rabiiité, 102.
Médiastin (Dyspnée dans les tumeurs du), 476.
Méninges spinales, 85. — Tumeurs des — , 89. (V. Dure-mère.)
Méningite de la base, 52. — Spinale postérieure, 5.
Moelle épinière (Développement embryonnaire de la), 236. — Ana-tomie topographique de la —, 7, 294. (V. Cordons, Goll, Turck).
— Affections élémentaires de la —, 294. — Hypertrophie de la —, 215,
— Tumeurs de la — : Dilatation kystique, 89 ; — Gliomes, 87 ; — Gommes, 88 ; — Tubercules, 88.
— Compression de la moelle, 99.
— Myélite transverse, 100. — Scléroses secondaires , 101. — Lésions de la—, dans les cas de guérison du mal de Pott, 103. — Régénération des tubes nerveux, 104.— Symptômes de la compres-
sion de la —, 105. — Pseudo-né-vralgie, 109.— Troubles de la mo-tililé, 125. — De la sensibilité, 129.
— Compression brusque de la — au cou, 158. — Lésions du renfle-ment lombaire, 158.— De la queue de cheval, 159. — Lésions trauma-tiques, 21C. — Etat de la — dans la paralysie pseudo-hypertrophique 484. (V. Ataxie, Atrophie, Bulbe-, Cellules, Cornes, Paralysies
glosso-laryngée et infantile,
Scléroses, etc.)
Monoplégie transitoire d'origine sy-philitique, 389, note.
Muscles (Lésions des) dans la para-lysie glosso -laryngée, 466, 467. — Pseudo-hypertrophique, 477. (V. Amyotrophies, Atrophie, Lipoma-tose, etc.)
Myélite centrale, 165, 167, 202,208.
— consécutive aux maladies des voies urinaires, 326; — partielle, douleurs fulgurantes, 34, 144, — spontanées, 129,1?0. — Transverse, 100,101,317,319.— Par compression, 319. (v. Moelle épinière.) — Tuméfaction des cellules nerveuses motrices et des cylindres d'axe dans certains cas de —, 414. (V. Ar-thropathies.)
Myopathies spinales, 163.
N
Néphrite, 326.
Nerfs (Lésions consécutives a la sec-tion des), 205. — Bulbaires (Lé-sions des), 42. (V. Amyotrophies, Paralysies, etc.) — Cérébraux (Atrophie des), 5, 43. — Optique (Atrophie du), 44 ; — Induration grise du,—43,47,49— Atrophie de la papille optique, 44, 49. — Dia-gnostic, 49, 5i. (V. Névrite.) — Phrénique, 433, 450. — Périphéri-ques (Lésions des), 74, 77, 273, 445.
— Sciatique (Arrachement du), 279.
Névrite des nerfs optiques, 48, 51. — Parenchymateuse, 48. — Du nerf sciatique dans les paraplégies uri-naires, 325, 329, 337.
Névroglie, 185, 225, 415, 430, 437, 458, 460.
névro-rétinite, 52, 53.
Nutrition (Troubles de la) dans les paraplégies par compression, 131. (V. Amyotrophies, Muscles, etc.)
O
Oreilles (Lésions des) dans le ver-tige de Meniere, 342, 346.
Os (Arrêt de développement des) dans la paralysie infantile, 122. (V. Ar-thropathies, Ataxies.)
Ostéomelacie, 120.
P
Pachïméningite, 90. — Caséeuse, 94, 122, 142. — Cervicale hyper-trophique, 120, 215, 271, 274. — Gommeuse, 390.
Paralysie agitante, 371. — Par com-pression, 125. — Générale progres-sive, douleurs fulgurantes, 33; — lésion de la papille optique, 51. — Générale spinale, crises gastriques,
36, 280.
— Glosso-laryngée, 167,261, 453. — Lésions des muscles, 445, 456 ; — des cellules nerveuses motrices, 469 et suiv.
—Pseudo-hypertrophique, 117,283,477.
— Etat anatomiquedes muscles, de la moelle, 477. — Saturnine, 291.
— Spinale aiguë de l'adulte, 188.
— Spinale aiguë de l'enfance, 9, 76, 168, 199. — Modes d'invasion, 169.
— Refroidissement des membres, 173. — Déformations, 173. — Lé-sions des muscles, 175 ; — de la moelle, 178.
Paraplégie alcoolique. 33. — Cervi-cale, 142. — Des cancéreux, 36, 116.
— Par compression, 83. — Consécu-tive aux lésions de l'intestin, 338 ;
— Del'utérus, 338. — Réflexes, 325, 333. — Saturnme,3'i, — Urinaires, 322.
Pemphigus, 275.
Pouls(Ralentissement et fréquence du) dans les crises gastriques, 37.
— Fréquence du — dans l'ataxie,
37. — Dans la paralysie glosso-la-ryngée, 428, 455,456,465.—Ralentis-sement du — dans les lésions de
la moelle cervicale, 152. — Lent permanent, 153, 156, — Lésions probables du bulbe, 157.— Dans la sclérose latérale, 426. (V. Hachis).
Prolongements nerveux, 21. — Du protoplasma, 21.
Pseudo-névralgies (Des), 109,112. — Dans la paralysie cervicale, 142.
Psoriasis palmaire syphilitique, 350-
Pupilles, 61, 147, 153, 455.
Pyélo-néphrite, 326.
Pyramides antérieures (Sclérose des), 458. (V. Moelle, Sclérose, etc.)
R
Rachis (Abcès du tissu cellulaire du), 91. — Cancer du —, 92, 95. — Kystes hydatiques du —, 91. — Rétrécissement du — avec pouls lent et épilepsie, 157. (V. Arthrite.)
Racines antérieures des nerfs, 428, 433,449. —Postérieures 5, 117, 107.
Ramollissement du cerveau, 237.
Rectum (Troubles du) dans la com-pression de la moelle, loi. (V. Douleurs.)
Réflexes (Exaltation des phénomè-nes), 128, 144, 166.
Reins. (V. Paraplégies urinaires.)
Rétino-choroïdite syphilitique, *1.
Rétrécissement de l'urèthre, 326.
S
Sarcome angiolithique, 93. Satypjasis, 6 0.
Sclérose, 6, 483. — Des bandelettes externes, 10, 14. — Des cordons de Goll, 13, 14, 24, 32. — Des cordons latéraux,!, 25,182,240. —Latérale amyotropkique, 217, 241,249. — Lé-sions des cordons latéraux, 24(1. — De la substance grise, 214, 451. — Des racines antérieures, 245. —Des nerfs périphériques, 245. — Des muscles, 246, 445, 446. — Symptô-mes, 248. — Évolution, 255. — Cau-ses, 253. — Atrophie en masse, 256. — Rigidité, 257.260. — Phénomè-nes bulbaires, 2J1, 439, 45:}. — Physiologie pathologique, 264. — Diagnostic avec le tabès spasmodi-que, 32ù. — Deux cas 439. — En plaques, 6, 25, 320. — Douleurs ful-gurantes, 33— Amyotrophie, 217.
— Trémulation, 258, 362. — Dia-gnostic avec letabès spasmodique. 320. —Des cordons postérieurs, 3, 4. — Par extension de la sclérose la-térale, 3i. — Des zones radiculaires postérieures 215.,
Secoussesfibrillaires, 221. (V.Amyo-trophies.)
Sensations (Retard dans la trans-mission des), 129. — Associées 130.
Stéatose physiologique, 239.
Sulfate de quinine, 3-4, 356.
Sympathique (Lésions du grand, 293, 488.
Symptômes récurrents ou rétrogra-des, 22.
Syphilis (V.Epilepsie,Moelle, Mo-noplégie, Psoriasis, Rétino-Cho-roïdite.)
Syringomyélie, 216.
T
Tabès dorsal, 303. — Spasmodique, 301. — Comparaison avec le tabès ataxique,303,304, etsulv. —Causes, 312. — Diagnostic, 315 — Démar-che, 307. — Durée, 313. — Mar-che, 313, 314. — Siège, 302. — Traitement, Ml5. — Trépidation, 3i5, 310.
Tabétiques (Symptômes), 4, 12.
Température: crises gastriques, 37 :
— Douleurs fulgurantes, 66. — Arthropathies, 67 ; — Hémiparaplé-gie spinale, 13»; — Paralysie spi-nale aiguë de l'adulte, 192 ; — P. glosso-laryngée, 455, 465.
Téphro-myélite aiguë parenchyma-teuse, 206 ; — Chronique, 227.
Toux (De la) dans la compression de la moelle, 148.
Tremblement sénile, 371.
Trépidation dans la myélite trans-verse, '17. — Des hémiplégiques, 362. (V. Tabès dorsal.)
Troubles des organes génito-urinaires dans l'ataxie, t 0.
Tubercules quadrijumeaux, 368.(V. Moelle.)— Des vertèbres, 14s.
Tumeurs cérébrales, 52, 55. (V. Mé-ninges, Moelle.)
Turgk (Développement des faisceaux de), 237.
U
Urèthre, Urines, Utérus. (V. Para-plégies, Rétrécissements, Trou-bles.)
V
Vaisseaux (Lésions des) dans la sclé-rose latérale, 4SI.
Vertige épileptique, 34i, 412. — Gas-trique, 311. — De Ménière, 3 9, 350, 409.
— Laryngé, 407. — Faits cliniques, 407, 409. — Causes : affections la-ryngo-bronchiques, 412 ; — ataxic locomotrice, 113 ; — traitement, 413.
Vessie (Contracture du col de la), 127. — Paralysie, 127. — Théorie de Budge, relative à l'action du sys-tème nerveux sur les fonctions de la —, 127. — Troubles de la — dans la compression de la moelle, 127. — Dans la paralysie spinale aiguë, dans la myélite aiguë, 209. — Dans les paraplégies urinaircs, 32o.
Vomissements dans l'ataxie. (V. Crises gastriques.) — dans le vertige de Ménière, 311, 347, 350, 353."
Z
Zona, 109, 112, 118, 197. Zones radiculaires antérieures,236. — postérieures, 236.
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE.
CHATEAU ROUX. — TY P. ET STÉRÉOTYP. A. MAJESTÉ.