(1839) Anatomie comparée du système nerveux considéré dans ses rapports avec l'intelligence. Tome premier
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(1839) Anatomie comparée du système nerveux considéré dans ses rapports avec l'intelligence. Tome premier

ANATOMIE COMPARÉE

DU

SYSTÈME NERVEUX

CONSIDERE

DAM SES RAPPORTS AVEC L'INTELLIGENCE

PAR

FR. LEUR ET et P. GRAT10LET

é

accompagnée d'un Allas de 32 planches dessinées d'après nature el gravées

TOME PREMIER

Comprenant la description de l'encéphale et de la moelle rachidienne, le volume, le poids, la structure de ces organes chez l'homme et les animaux vertébrés ; l'histoire du système ganglionaire des animaux articulés et des mollusques, et l'exposé de la relation qui existe entre la perfection progressive de ces centres nerveux et l'état des facultés instinctives, intellectuelles et morales,

PAR FR. LE DR ET

MÉDECIN DB l'hOSPICB DB BICETRE

PARIS

J.-B. BAILLIÈRE et FILS

LIBRAIRES DE L'ACADEMIE IMPERIALE DE MEDECINE

Rue Hautefeuille, 19 LONDRES I NEW-YORK

HIPP. BASLLlÈRE, 219, REGENT STREET HIPP. BMLUERE, 290, BIIOADWAÏ

MADRID, C. BAILLY-BAILL1ÈRE, CALLE DEL PRINCIPE, 11.

1839-1857

A MESSIEURS

ESQUIROL et LOUIS.

Vous m'avez donné l'exemple de la méthode à suivre dans la recherche de la vérité; vous avez applaudi au but de mes travaux, et votre amitié, qui m'est chère autant quelle m'honore, m'a rendu facile ce que, sans elle, je n'aurais jamais osé entreprendre.

Je vous office mon livre; recevez-le comme un hommage de ma vive reconnaissance pour tout le bien que j'ai reçu de vous.

FRANÇOIS LEURET.

AVIS DE L'ÉDITEUR.

Lorsque parut, en 1839, le premier volume de Y Anatomic du système nerveux de Leuret, fruit de dix années d'observations et d'études, il reçut des savants le plus favorable accueil. Pendant la longue et douloureuse maladie à laquelle il a succombé, Leuret nous exprimait souvent l'espoir de terminer son œuvre de prédilection.

Le regret général que causa l'inachèvement de ce bel ouvrage, s'il nous est permis d'ajouter, l'amitié qui nous liait à l'auteur, enfin des instances aussi nombreuses que pressantes de la part de tous ceux qui avaient pu apprécier LeUret, tout nous faisait un devoir de mener à bonne fin cette publication.

C'est après en avoir conféré avec les meilleurs amis de Leuret, avec les hommes qui conservent un religieux souvenir de la science et des éminentes qualités de cet habile observateur, MM. les docteurs Louis, Trélat, et M. Guerry, membre correspondant de l'Institut, que nous avons proposé à M. le docteur P. Gratiolet, de vouloir bien compléter l'anatomic comparée du système nerveux. Personne ne nous paraissait, en effet, dans des conditions meilleures pour exécuter ce travail.

Aide naturaliste au Muséum d'Histoire naturelle, auteur de Mémoires justement estimés sur l'anatomie du cerveau, ne calculant que l'intérêt de la science, M. P. Gratiolet a bien voulu répondre à notre appel et accepter cette mission, mission à la fois délicate et difficile, car M. Gratiolet a dû,

avant tout, se bien pénétrer de la pensée et de la méthode qui dirigeaient Leuret dans la rédaction du premier volume, afin de suivre les mêmes principes dans la composition du second.

Réunissant les noms de Fr. Leuret et de P. Gratiolet sur le titre de cet ouvrage, nous devons indiquer exactement ce qui appartient à chaque auteur.

M. Leuret a publié :

1° Le tome premier complet; 2° Les planches I à XVI, avec leur explication. Les planches XVII à XXII ont été dessinées d'après nature, par M. A. Chazal, et gravées sous la direction de Leuret.

M. Gratiolet a publié : 1° Le tome second complet ;

2° Les planches XXIII à XXXII, dessinées d'après nature par M. Formant, et gravées sous sa direction ; 3° Le texte explicatif et descriptif des planches XVII à XXXII.

Le lecteur nous saura gré de placer en tête de ce volume la Notice que M. le docteur Trélat a consacrée à la mémoire de Leuret.

Nous serons heureux si nos efforts réussissent à faire accueillir, comme elle le mérite, cette œuvre dont la place nous semble marquée dans la Bibliothèque des médecins et des naturalistes, à côté des travaux des anatomistes les plus célèbres.

J.-B. B.

Paris, septembre 1857.

PRÉFACE DE M. LEURET.

Il existe entre le système nerveux et l'intelligence des rapports certains, mais dont la nature et les conditions sont presque entièrement ignorées. On sait que l'intelligence ne se manifeste jamais sans le système nerveux, et l'on attribue aux différences de forme, de volume et de texture des parties qui composent ce système, les différences que l'on observe dans l'étendue et la variété des phénomènes instinctifs, intellectuels et moraux. Sur ce dernier point, on n'a rien encore déterminé, car on ignore quelles conditions organiques sont nécessaires à la manifestation de tel ou tel phénomène psychique.

Le premier, je dirais presque le seul moyen que nous ayons de préparer la solution de cet important problème, c'est de comparer dans chacune des familles, et même dans chacun des individus qui composent la série animale, l'état du système nerveux et celui de l'intelligence, afin de savoir si une organisation donnée coïncide toujours avec le même développement intellectuel, et si jamais ce développement intellectuel ne se manifeste avec une organisation différente.

Déjà beaucoup de travaux ont été entrepris dans cette direction ; mais les uns sont bornés à un trop petit nombre d'espèces d'animaux, pour fournir des données générales ; les autres, exécutés dans le but de réaliser des idées préconçues, n'ont fourni que des résultats erronés. Quand on étudie la nature, il faut constamment veiller sur soi, être en garde contre ses propres idées. La nature ne trompe pas, mais elle est si riche de faits qu'elle n'en refuse à aucun système ; tout ce qu'on veut y voir,

on l'y trouve; tout ce qu'on lui demande, elle le donne : suivant la manière dont on l'interroge, elle conduit à l'erreur ou à la vérité.

J'ai suivi une marche différente de celle des auteurs qui m'ont devancé ; j'ai compris dans mes études toute la série animale, et j'ai procédé comme si rien encore n'avait été établi sur les rapports qui lient l'intelligence au système nerveux. Les travaux antérieurs, je les ai pris comme simples renseignements, jusqu'à ce que, par mes propres observations, j'aie pu juger du degré de confiance qu'ils méritent; les opinions, les théories, je les ai mises en regard des faits, et je n'en ai trouvé qu'un petit nombre qui aient résisté à ce genre d'épreuve. Lorsque des faits m'ont paru incomplètement observés ou en trop petit nombre, j'ai su douter. N'ayant aucunement la prétention de tout savoir et de tout dire sur le sujet que j'ai entrepris de traiter, plutôt que de cacher mon ignorance, j'ai indiqué les questions qui, pour moi, étaient restées insolubles.

J'ai donné aux dissections et aux expériences microscopiques une attention toute particulière ; la structure des centres nerveux, l'arrangement, le diamètre, la nature de leurs fibres, ont été l'objet de mes recherches. Chez les invertébrés, j'ai étudié la chaîne ganglionaire et les principaux ganglions ; chez les vertébrés, la moelle épinière et l'encéphale. Ensuite, j'ai comparé ces parties les unes aux autres, et je les ai groupées d'après les analogies d'organisation que j'y ai découvertes. Les circonvolutions des mammifères m'ont surtout occupé ; le soin que j'ai rais à les préparer chez un grand nombre d'espèces d'animaux, m'a permis de les individualiser et de suivre les transformations qu'elles éprouvent dans leurs dispositions principales.

Plus de dix années ont été consacrées à ces études préliminaires, études plus fructueuses que celles qui avaient été entreprises jusque-là dans la même direction, et cependant, je l'avoue, encore trop incomplètes pour le but que je voulais atteindre.

Le cerveau, le cervelet, la moelle allongée, la moelle épinière jnt été disséqués, mesurés, pesés et analysés, soit organiquement à l'aide du microscope, soit chimiquement, à l'aide des réactifs, puis toutes les conditions matérielles du système nerveux ainsi établies, je les ai mises en regard les unes des autres, dans les différentes classes d'animaux.

Cette première partie de la tâche que j'avais entreprise une fois terminée, je me suis occupé de l'état psychique de chaque animal et de celui de l'homme. Mettant à profit les observations des auteurs qui ont traité cet important sujet, et après avoir moi-même répété et multiplié les observations de ce genre, avec toute l'attention dont je suis capable, j'ai dressé le tableau des facultés instinctives, intellectuelles et morales de l'homme et des animaux.

Ayant ainsi réuni devant moi deux séries de faits, les uns matériels, puisés dans l'étude du système nerveux, les autres psychiques, puisés dans l'étude des penchants, des habitudes, des facultés intellectuelles et des facultés morales, j'ai pu les comparer et juger s'il existe entre eux, rapport, harmonie. Cette comparaison m'a donné, sur quelques points, de la certitude, sur quelques autres des probabilités ; sur beaucoup, elle m'a laissé dans une complète ignorance. Les résultats auxquels elle m'a conduit m'ont servi à établir moins de vérités qu'à renverser d'erreurs, et parmi ces erreurs se trouve le système de Gall.

J'ai fait représenter dans des planches, dues au crayon et au burin d'artistes habiles, un très-grand nombre de cerveaux ; tous les objets y sont de grandeur naturelle, la plupart d'entre eux ont été dessinés sur des pièces fraîches, et je n'ai rien négligé pour que l'exactitude des dessins fût aussi complète que possible. Je n'ai emprunté aucune figure de cerveau de mammifères aux auteurs qui m'ont précédé, par conséquent, toutes celles que je publie sont originales. Il n'en est pas de même pour celles des invertébrés, dont quelques-unes seulement m'appartiennent.

J'ai eu soin d'indiquer à quelle source j'ai pris les autres, parce que la probité en matière de science, m'a paru aussi nécessaire qu'en toute autre chose.

Les cerveaux compris dans mon atlas ne viennent pas tous de ma collection ; quelques-uns, et notamment celui de l'éléphant, font partie du Musée d'anatomie comparée du Jardin des Plantes, Musée qui est placé sous la direction de M. de Blain-ville. Ce professeur auquel j'ai dû m'adresser pour y avoir accès, a d'abord semblé mettre une grande obligeance à me faciliter l'étude des cerveaux de cette collection ; mais, par une restriction inconcevable dans un homme aussi distingué, il m'a refusé l'autorisation de faire représenter les cerveaux qu'il me permettait d'étudier, alléguant que le public trouverait singulier qu'un anatomiste étranger au Musée fît le premier connaître quelques-unes des pièces qui y sont contenues.

Il m'a semblé, au contraire, que le public, aux frais duquel le Musée est entretenu, trouverait singulier qu'on le privât, dans la personne d'un des siens, d'une autorisation semblable à ceile que je demandais. Je n'ai donc tenu aucun compte de la défense qui m'était faite et j'ai passé outre, ne doutant pas que M. de Blainville ne reconnût tôt ou tard qu'en cela sa prétention n'est pas fondée, et qu'il n'applaudît lui-même à ce qu'il pourrait appeler mon larcin, surtout si ce larcin tourne au profit de la science.

En rédigeant cet ouvrage, j'ai tâché d'être juste envers tous les auteurs qui ont exécuté des travaux sur le sujet que je traite : dans le cas où j'aurais montré de la partialité pour ou contre quelques-uns, dans le cas plus probable où j'aurais omis d'en mentionner quelques autres, loin de trouver mauvais qu'on me le fasse apercevoir, je le désire, au contraire ; car n'ignorant pas ce que la culture des sciences coûte de temps et de peines, je ne voudrais contribuer en rien à priver un auteur du fruit de ses veilles et de son génie.

Paris, août 1839.

NOTICE

sua

FRANÇOIS LEURET

PAR TRÉLAT,

Médecin de l'hospice de la Salpétricre.

Jlavait l'impérieux besoin de se produire avec toutes ses ressources pour les consacrer au service de l'humanité. Peu d'hommes ont rencontré autant d'obstacles et sont parvenus à les vaincre avec une plus vertueuse persévérance; nous n'en connaissons pas un qui, après avoir laborieusement acquis la réputation et trouvé le chemin de la fortune, ait moins joui de sa légitime conquête.

François Leuret naquit à Nancy, le 30 décembre 1797. — Son père était boulanger, et voulait que ses six enfants exerçassent des professions manuelles. Sa mère, au contraire, quoiqu'elle n'eût pas reçu le bienfait de l'instruction, avait le goût et le respect du savoir; elle désirait vivement en faire acquérir au moins à ses trois fils. Le père commença par s'emparer de l'aîné; le second, après de longues contestations dans le ménage, étudia la médecine, devint médecin militaire, et se trouvait sur les côtes de la Hollande lorsque les Anglais y firent une descente, dans les derniers temps de l'empire. Le malheureux jeune homme, surpris par l'ennemi, résista, et fut jeté à la mer. C'est ce cruel événement qui eut une influence décisive sur la carrière du troisième fils de la famille. La pauvre mère, puisant dans son désespoir une force nouvelle, fit fléchir une seconde fois la résistance de son mari; toutefois, celui-ci ne consentit à faire instruire le jeune François qu'à condition qu'il serait prêtre : l'enfant fut placé, dans

ce but, au séminaire, où il apprit ies langues anciennes. Mais si l'amour de l'étude ne fit que s'accroître chaque jour dans cette organisation tout intellectuelle, celui de l'Église n'y fit aucun progrès. Le nouveau séminariste, qui avait un véritable culte pour la mémoire de son frère, et l'ambition de lui succéder, ne tarda pas à témoigner de son éloignement pour le sacerdoce, et de sa vocation pour les sciences. Celte révélation d'une force qui veut se produire s'affermit toujours par les obstacles : chez les natures puissantes, c'est une loi que rien ne peut mettre à néant, et qui fait tout fléchir au prix de plus ou moins de douleurs.

La noble femme qui avait tant combattu pour l'instruction de ses enfants, n'avait plus de santé depuis la mort de celui qui avait fait son orgueil maternel : ses dernières forces s'épui-sèrent dans la reprise de la lutte; mais elle ne succomba qu'après avoir obtenu que son dernier fils prendrait la place de l'autre, et irait étudier la médecine dans la Capitale. Concession incomplète et périlleuse pour l'étudiant désormais privé de l'appui de sa tendre mère! C'était en l'année 1816; Lcuret vient à Paris avec quatre de ses compatriotes de Nancy, élèves en médecine comme lui, s'y livre avec ardeur à l'étude de l'anatomie, et reçoit au bout de quelque temps de son père ces terribles paroles : « Quand j'ai appris l'état de boulanger, « je n'ai coûté d'argent que pendant une seule année. Dans « quelques mois il y aura un an que tu es à Paris, fais en a sorte alors de te suffire, car je ne t'enverrai plus rien. » Aucun raisonnement, aucune prière ne purent faire changer ni ajourner cette résolution, d'autant plus opiniâtre qu'elle avait sa logique. Le père faisait écrire dans une autre lettre : « L'état de médecin procure plus d'argent que celui de bou-a langer : c'est beaucoup faire que d'en payer l'apprentissage « pendant le même temps. »

Que de douleurs dans la signification de cet arrêt, en face d'études auxquelles on s'est attaché, et dont on a mesuré la hauteur et l'étendue! Que de larmes dans la lecture de chacun de ces mots si durs et si lourds pour une âme attendrie à l'as

pcct des souffrances qu'elle est impatiente de guérir, et trempée à la source la plus pure de toute véritable noblesse : l'amour du bien, la recherche et le culte du vrai!

Tous les malheurs fondirent à la fois sur celui qui, si jeune encore, n'avait connu la vie que parses souffrances. Son père venait de se remarier, et ses trois filles étaient en proie à la dureté de leur belle-mère; la moins âgée périt victime des mauvais traitements auxquels la faiblesse de son âge et de sa constitution l'exposait plus que les autres. On ne saurait exprimer de quel désespoir son frère fut accablé quand il apprit ce désastre, et quelle profonde atteinte en reçut son caractère. Sa douleur fut si vive qu'elle dut avoir de l'influence sur la détermination violente qu'il prit alors. Depuis plusieurs mois il ne recevait plus d'argent; ses amis, qui l'aimaient de l'affection la plus tendre, l'aidaient de leur mieux, et se concertaient ensemble pour relever ses espérances et son courage; mais la fierté de son âme se fût plutôt accommodée d'exercer le bienfait que de l'accepter. Aussitôt qu'il eut désespéré de ses propres forces, sans s'ouvrir à ses camarades, sans prendre aucun avis, il contracta un engagement militaire qui ne fut connu qu'au moment où il n'était plus temps de le rompre, quand le nouveau soldat était déjà en route pour sa garnison.

L'armée française venait d'être divisée par le maréchal Gouvion-Saint-Cyr en légions départementales, toutes revêtues d'un uniforme de drap blanc. Leuret fut incorporé dans la légion de la Meurthe, et dirigé vers la place frontière de Givet, pour y faire son apprentissage militaire. Ceux qui, l'ayant intimement connu, se rappellent la faiblesse de ses bras, et savent qu'il n'avait de bonheur qu'au milieu d'amis éclairés ou entre ses livres, ses scalpels et son microscope, ceux-là seuls peuvent mesurer ce qu'il eut à souffrir de ces manœuvres, de ces exercices quotidiens, de cette vie de garnison, et quelle dut être sa joie le jour où il apprit que sa légion était appelée à Paris. Lorsqu'il y arriva, ses chefs avaient déjà reconnu son peu d'avenir militaire, et ses dispositions pour un autre genre dévie. Il ne parvint, en plus de quatre années,

qu'au grade de caporal, et ne l'eût jamais dépassé quand même il n'eût pas quitté le service. Mais on ne l'en estimait pas moins à la caserne, où on l'exemptait de ses gardes, pour lui permettre de suivre les cours de la Faculté. Sa légion était à Saint-Denis, et tous les jours il venait à pied, faute d'argent, par une route plus boueuse qu'aujourd'hui, et retournait de même après avoir fréquenté les amphithéâtres de l'école. Sa prédilection pour l'étude des fonctions de l'intelligence et de ses maladies se révélait dès lors, et tous les élèves delà Salpétrière, de ce temps, ont vu et remarqué le petit soldat blanc, toujours si crotté, qui ne manquait pas une seule des leçons de M. Esquirol. 11 vendait son pain pour acheter de la chandelle, afin de pouvoir étudier une partie des nuits dans un coin de la caserne, où on lui permettait de se tenir à l'abri de la règle. Sans aptitude pour nettoyer son fusil, sans grâce à porter l'uniforme, sans vocation pour l'obéissance ou pour le commandement militaires, cet esprit supérieur s'était pourtant fait deviner et estimer même par ceux qui n'eussent dû trouver en lui que des défauts. L'amitié d'un sous-officier, devenu depuis capitaine, adoucissait bien des fatigues. Cet ami c'était M. Géruzez, frère du professeur de la Faculté des lettres d'aujourd'hui. Ayant su, par une confidence du vaguemestre de la légion, que le pauvre étudiant était souvent dans l'impossibilité d'avoir ses lettres, parce qu'il n'en pouvait payer le port, Géruzez avait obtenu qu'elles prissent un peu le plus long; il en remit ainsi plus d'une à son ami, en lui disant toujours qu'elle était affranchie. Dans ses bons et dans ses mauvais jours, Leuret a conservé pour son camarade de régiment une tendre affection; il lui prodigua les soins les plus dévoués dans la cruelle maladie qui le lui enleva plus tard, et n'en parlait jamais sans une reconnaissance pleine d'effusion.

Quelque pénible que fût pour lui cette résidence de Saint-Denis, si éloignée des livres et des amphithéâtres, le souvenir de Givet en faisait à ses yeux une espèce d'Eldorado dont la possession ne tarda malheureusement pas à lui être ravie. La découverte de la conspiration du 19 août 1820, dans laquelle

la légion de la Meurthe, le capitaine Nantil notamment, et plusieurs autres officiers étaient sérieusement compromis, provoqua l'envoi subit de ce corps militaire dans la garnison d'Avesnes. — Avesnes c'était Givet, et ses neiges, et ses propos grossiers de caserne, sans les compensations de l'étude, sans les bibliothèques, sans les cours et les douces causeries qui s'étaient mêlées à tout ce mouvement intellectuel. Aller à Givet une première fois sous le feu d'une résolution désespérée, c'était chercher l'imprévu; mais y retourner, c'était mourir.

Heureusement, de fortes amitiés, de celles que rien n'ébranle, qu'aucune distance n'efface, que nulle difficulté n'arrête, s'étaient indissolublement nouées ou resserrées pendant la garnison de Paris. Mais il faut reporter à M. Royer-Collard, médecin de la maison de Charenton et frère du publiciste, tout le mérite de la délivrance du pauvre exilé. Un matin, à la visite, un interne de cette maison prévient son médecin en chef qu'il a quelque chose d'important à lui dire, et entre avec lui seul dans son cabinet. Il lui expose les infortunes de Leuret, la valeur de son intelligence, la nécessité de mettre fin à son martyre. — « Que puis-je faire? répond le médecin.

— Créer dans la maison une place d'interne de plus (1). — Je ne ferai pas cela, mais je puis nommer un externe. — Alors un externe logé, nourri, chauffé, éclairé? — Pourquoi pas?

— Ah! c'est bien, c'est bien, Monsieur; merci mille fois, vous venez de faire une bonne action ! — Enfant que vous êtes, le plus difficile n'est pas obtenu, puisque votre ami n'est pas libre! » ¦—M. Royer-Collard se trompait, le plus difficile était fait, car Leuret ne voulait se prêter à rien, n'entreprendre nulle démarche, n'en accepter aucune tant qu'il n'aurait pas un gîte assuré. Une fois la parole de M. Royer-Collard donnée, courir, ivre de joie, chez un employé supérieur de la guerre, lui demander le moment de la prochaine inspection, l'intéresser à la réforme du mauvais soldat par l'exposé des faits,

(1) Le médecin en chef de la maison de Charenton était alors à peu près tout-puissant. Le directeur de l'établissement était son gendre.

tout cela ne fut que l'affaire d'une matinée. Peu de temps après, Leuret se laissait faire : on déclarait sans conteste qu'il était devenu impropre au service, et il quittait Avesnes pour Charenton. Six mois ne s'étaient pas écoulés qu'il montait en grade et remplaçait son ami dans les fonctions d'interne. Il était sauvé. Sa vie, désormais livrée à l'étude, sans prise d'armes, sans appels du régiment et sans le bruit de la chambrée, allait pouvoir se consacrer librement à son cher idéal. Tout cela se passait en l'année 1822. Il usa de toutes ses ressources, et commença par se remettre avec une infatigable ardeur aux études anatomiques. Les élèves pouvaient disséquer dans la maison même : il ne quittait pas l'amphithéâtre. Un peu plus tard, il faisait de l'anatomie comparée et des expériences physiologiques dans l'établissement d'Alfort avec MM. Dupuy et Vatel, professeurs de cette école, et avec M. Las-saigne, alors préparateur du cours de chimie de Dulong. En 1824, il publia, avec MM. Déguise et Dupuy, des expériences d'un grand intérêt sur les effets de l'acétate de morphine. En 1825, il écrivit un mémoire sur la structure de la membrane interne de l'estomac et des intestins, et sur un mode d'altération propre aux villosités de cette membrane. Les recherches physiologiques et chimiques sur les fonctions digestives, qu'il fit avec M. Lassaigne, furent mentionnées honorablement par l'Académie des sciences, à sa séance du 20 juin de la même année. Cette production est restée acquise à la science et est souvent consultée et invoquée. En 1826, il soutint sa thèse sur l'altération du sang : c'était l'expression et le résumé de laborieuses expériences faites à l'école vétérinaire et qui ont eu le mérite de précéder les travaux importants exécutés dans ces derniers temps sur la même matière.

Quand il fut reçu médecin, sa vie, déjà si accidentée, subit un nouveau changement. Malgré les encouragements de ses amis et les succès déjà obtenus, il désespéra de pouvoir rester à Paris, et se crut assez de résolution et assez d'empire sur lui-même pour pouvoir emprisonner son esprit dans un horizon de province : c'était trop présumer de ses forces. Il vit des

malades à Nancy et dans les environs, et publia un mémoire sur la dothinentérite observée dans la Meurthe au commencement de 1828; mais ce travail marqua la fin d'un exil qu'il ne put supporter davantage. Paris, avec son mouvement intellectuel, lui était nécessaire. Il y revint, et les circonstances qui y assurèrent son établissement ont trop d'importance pour ne point exiger d'être racontées.

C'est un des plus nobles titres d'Esquirol à la reconnaissance de la postérité que d'avoir toujours appelé près de lui, encouragé, aidé et soutenu dans leurs efforts les jeunes élèves laborieux et intelligents. Il était aussi puissant par la facilité de ses rapports et la générosité de son cœur que par la pénétration et la sagacité de son esprit. — Personne n'a oublié ces déjeuners du dimanche où les disciples, mêlés à d'autres hommes déjà distingués, étaient conviés, par la cordiale aménité du maître, à prendre part aux discussions les plus hautes sur les phénomènes physiologiques et morbides du domaine moral. Mais ceux d'entre eux qui se faisaient particulièrement remarquer par leur valeur réelle étaient traités plus paternellement encore. Esquirol, si accessible pour tous, était le premier à les rechercher; il les poussait à concourir pour les prix qu'il fondait annuellement à leur intention ; il leur montrait d'avance les asiles importants d'aliénés dont il désirait leur faire obtenir le service en chef. C'est ainsi qu'il a doté les principales maisons de traitement de notre pays de ses anciens élèves les plus capables d'honorer la science et de bien servir l'humanité. Celui en qui il trouvait à la fois la capacité et le désir de rester à Paris, il le retenait près de lui, l'admettait dans sa maison pour prendre part à ses travaux et au traitement de ses malades. Georget, dépourvu de toute fortune, enfant du peuple, comme le sont la plupart des hommes véritablement forts, n'a dû qu'à cette hospitalière tranquillité Tavantage de pouvoir produire "les livres qui ont assuré sa réputation. Il venait de mourir chez son maître à trente-trois ans, dans l'éclat de sa gloire naissante, quand Leuret, arrivant de Nancy, descendit chez le même ami au

quel il avait succédé six ans auparavant dans ses fonctions d'interne. Cet ami court chez M. Rostan; tous deux ont une idée : ils se rendent immédiatement chez M. Esquirol, qui, ayant remplacé M. Royer-Collard à sa mort, avait eu Leuret pour élève à Charenton, et gardait, d'ailleurs, un parfait souvenir du petit soldat qui avait suivi ses leçons avec une assiduité si exemplaire. La négociation fut prompte et facile. A peine provoqué : « Non-seulement il remplacera mon pauvre « Georget, dit l'ancien médecin de la Salpêtrière, mais il « sera le rédacteur en chef d'un journal dont j'ai rêvé avec « Marc la prochaine publication. » Les Annales d'hygiène publique et de médecine légale ne tardèrent pas, en effet, à paraître, et la promesse de M. Esquirol fut tenue. L'active exactitude et les propres travaux du rédacteur en chef contribuèrent puissamment, ainsi que ceux des autres fondateurs, MM. Adelon, Andral, Barruel, Darcet, Devergie, Esquirol, Ke-raudren, Marc, Orfila, Parent Duchâtelet, Villermé, à assurer les premiers succès de ce recueil, devenu aujourd'hui, avec le concours de plusieurs autres savants, l'une des plus précieuses collections scientifiques de notre époque.

Leuret y publia en 1831, avant la présence du choléra chez nous, un très-long et très-beau mémoire sur cette maladie, et concourut par ses sages conseils à préparer les mesures de prudence arrêtées un peu plus tard. Nommé, dès l'invasion de l'épidémie, membre delà commission de salubrité du douzième arrondissement, et médecin de l'hôpital de la Réserve, il s'acquitta de ce double devoir avec une' telle activité qu'il paraissait toujours exclusivement occupé d'un seul. L'administration lui décerna la médaille du choléra. Son esprit ne connaissait d'autre repos 'que le changement de travail. Â peine cette calamité publique venait-elle de cesser, qu'il fit imprimer avec son confrère, M. Mitivié, neveu d'Esquirol, un intéressant travail Sur la fréquence du pouls, principalement chez les aliénés, et sur la pesanteur spécifique du cerveau. Ce mémoire, dédié à M. Esquirol, est le produit des observations les plus attentives répétées en diverses saisons, à des heures

différentes de la journée, et dans toutes les variétés de situa-lion, sur la nombreuse population de nos deux plus grands hospices, et, pour terme de comparaison, sur celle des jeunes gens de l'école d'Alfort.

Sous le titre modeste de Fragments psychologiques sur la folie, un livre important par l'érudition qui s'y révèle, par l'élévation philosophique des idées et des sentiments qui s'y produisent, parut en 1834. Après l'abus qu'on avait pour ainsi dire fait de tout réduire, dans la science, à l'appréciation des phénomènes matériels, ce volume forçait les issues et agrandissait le champ de l'étude. Au lieu de faire de la maladie une forme complètement exceptionnelle, l'auteur, François Leuret, insistait pour y voir une modification de la santé, où l'on retrouve, la plupart du temps, les tendances, les formes particulières, l'exagération, et jusqu'aux nuances les plus délicates de l'état normal. C'est le moyen d'étudier fructueusement le délire, de trouver l'enchaînement et la loi des idées et des discours d'un grand nombre d'aliénés, et de reconnaître une certaine raison, une sorte de logique jusque dans leurs plus apparentes divagations.

Quand, au lieu de s'emprisonner dans les limites scolas-tiques, on plonge a grande vue sur tous les horizons, voyez quelle richesse d'observation sort de l'examen des coutumes et de la comparaison des siècles :

« La loueuse de chaises d'une des paroisses de Paris, traitée « par M. Esquirol, se faisait appeler la mère Sainte-Église. « Elle disait avoir dans le ventre des évêques qui tenaient un « concile.

« Thomas Willis, le même, par parenthèse, qui a écrit sur « la folie, disait que les esprits animaux sont dans une agita-« tion perpétuelle, et qu'ils refluent parfois si violemment au -« cerveau qu'ils y produisent des effets semblables à ceux de « la poudre à canon.

« Descartes regardait comme établi que la glande pinéale « est un miroir dans lequel vient se réfléchir l'image des corps « extérieurs.

« D'après saint Grégoire, une religieuse, en avalant une « laitue, avait englouti le diable avec la laitue pour n'avoir «pas fait le signe de la croix. »

On voit que les idées peuvent être absurdes, non-seulement selon la raison, mais encore selon les temps, selon les lieux, selon l'état des esprits, selon l'enfance du savoir ou sa virilité. Aucune des assertions ci-dessus rapportées n'est mieux prouvée que les autres. Toutes sont égales devant la raison, mais devant la raison éclairée des mêmes lumières. La loueuse de chaises est folle : Willis, Descartes et saint Grégoire pourraient bien l'être s'ils affirmaient aujourd'hui ce qu'ils ont affirmé de leur temps.

On a besoin de courage pour fermer ce livre une fois qu'on l'a ouvert. Ne le laissons pas sans dire avec quelle chaleur Leuret y signale là légèreté des condamnations prononcées contre des malades dépourvus de leur libre arbitre. Autrefois on les brûlait, dit-il, maintenant on leur coupe la tête : dans l'un comme dans l'autre cas c'est une déplorable erreur, et l'erreur devient crime quand il y va de mort d'homme. Il importe toutefois de constater que le présent est en grand progrès sur le passé, car les monomaniaques homicides sont infiniment moins nombreux de nos jours que ne l'étaient autrefois les sorciers et les loups-garous. C'est que le siècle est plus instruit : les lumières sont bonnes à quelque chose. Les condamnations et les exécutions sanguinaires multipliaient les fous. En quelques années, dans l'électorat de Trêves, on fit périr, sous prétexte de sorcellerie, six mille cinq cents habitants. Les prétendus voyages au Sabbat, qui ont tant occupé les inquisiteurs et les juges, n'étaient que des maladies de l'esprit. « J'oserai dire, écrivait un juge au parlement de Bor-« deaux, qu'il y a plus de deux mille enfants en Labour qui « vont chaque nuit au Sabbat. » Et ce juge envoyait tous ceux qui lui étaient soumis à la flamme du bûcher. 11 faut lire avec quel sang-froid il fait lui-même le récit de ces atroces jugements.

Celui dont la vie vient de finir si prématurément ne laissa

jamais échapper l'occasion de défendre, dans les Annales d'htjgiène et de médecine légale, avec toute l'autorité du savoir, cette question d'irresponsabilité des aliénés, toutes les fois que les faits la produisirent devant les tribunaux, ou que des esprits superficiels la livrèrent à la polémique. Il eut, en 1835, la satisfaction de faire arracher à l'échafaud, par une commutation de peine, un pauvre fou dont les juges n'avaient pu être éclairés à temps.

En décembre de la même année, cédant à la chaleur d'âme que n'ont jamais refroidie en lui les méditations du cabinet, il courut près d'un ami mourant, que les colères politiques, qui passionnent les juges comme les autres hommes, avaient fait renfermer dans la geôle de Clairvaux. Sa présence aida puissamment à la guérison du prisonnier.

Il écrivit, en 1836, sur les indigents de la ville de Paris, une notice que nous ne pouvons relire sans attendrissement, à cause des souffrances qu'elle met à nu, et des sentiments de haute morale qui y sont exprimés avec un rare talent de style. Vers le même temps il fit un voyage, et rendit compte de quelques établissements de bienfaisance du nord de l'Allemagne et de la Russie.

C'est alors aussi qu'il fut nommé médecin expectant à Bicêtre. On désignait sous ce nom les médecins résidants chargés de remplacer le chef de service quand il était absent. Aussitôt qu'il eut cet emploi, sans cesser de donner encore quelque temps ses soins à la maison que M. Esquirol a fondée et qu'il dirigeait avec l'élévation du savoir unie à celle du caractère, il s'établit à Bicêtre pour y poursuivre, dans la retraite, les travaux microscopiques qu'il avait commencés depuis longues années. Il rêvait son grand ouvrage sur le système nerveux, et consacrait ses jours et ses nuits à l'étude de son sujet par le scalpel, par la macération, par le dessèchement, par les agents chimiques, par l'eau, par le feu, à la vue simple et avec le secours du verre grossissant chez toutes les espèces vivantes qui couvrent le globe, depuis l'insecte jusqu'à la baleine et l'éléphant. Il avait fait, dans le cours des der

nières années, quelques économies, et les employait toutes à se procurer des éléments de recherches, à acheter des animaux souvent fort chers; l'excellent microscope qui faisait sa joie lui avait à lui seul coûté une grosse somme. Il écrivait dans les lointains climats pour qu'on lui procurât un cerveau de baleine, et parlait chaque jour du bonheur qu'il sentirait quand il verrait venir sa proie. Les collections du Muséum renferment des cerveaux d'éléphant. Il s'y présenta en toute assurance pour demander à les voir et à les faire reproduire. Ce qui lui arriva alors vaudrait la peine d'être conté. Ce n'est que par une sorte de surprise qu'il put se procurer l'étude et le dessin des pièces anatomiques tenues sous le boisseau. Le piquant récit de cette aventure se trouve tout au long dans la préface de l'ouvrage : on ne saurait dire les choses avec plus de courtoisie; mais cela suffît pour infliger au plus coupable peut-être de tous les monopoles, celui de la science, la sévère condamnation qu'il mérite.

C'est en 1829 que fut publié, en deux parties, le premier volume de VAnatomie comparée du système nerveux. Une somme de dix mille francs avait déjà été consacrée aux planches et au texte par M. J.-B. Baillière; mais la main qui avait commencé cette savante composition ne-devait plus en reprendre le cours. C'était un grand tourment pour Leuret, dans les derniers temps de sa vie, de laisser son œuvre inachevée et d'avoir entraîné son libraire dans une dépense qu'il ne pourrait le mettre à même de recouvrer. M. J.-B. Baillière eut connaissance de son scrupule, s'empressa de lui rendre visite, de le consoler, de le rassurer; il ne lui parla que de l'espoir de le voir bientôt guéri, et de la constante disposition où il était de continuer l'impression de son livre. Celui qui s'exprimait ainsi savait que cette guérison était impossible ; mais ses paroles firent du bien au pauvre malade qui prenait plaisir à les rapporter à ses amis.

En même temps qu'il avait donné tant de soins à cette étude de longue haleine, Leuret s'était occupé du service des aliénés avec l'entraînement qu'il savait mettre à tout ce qu'il voulait,

el dans le cours de 1839 il lut à l'Académie de médecine, sur le traitement des conceptions délirantes, un travail qui fut remarqué et publié dans les mémoires de cette Société savante. La pensée qui y était exprimée produisit bientôt l'important ouvrage qui a pour titre : Du traitement moral de la folie, et qui contribua sans doute à le faire nommer médecin en chef à l'hospice où il n'avait eu jusque-là que le titre d'expectant. Ce livre est dédié à M. Orfila.

C'est le docteur Payen qui apprit à Leuret sa nomination. — « Il me sera donc donné de faire quelque chose ! » s'écria celui qui recevait cette nouvelle. Ce mot était profond et vrai. C'était un cri de toutes les douleurs passées, et de plus l'expression de cette vérité, que, pour agir selon sa force, il faut répondre de ce qu'on exécute. L'homme fait pour répandre ses idées demeure souvent obscur tant qu'il est condamné à servir celles des autres. Pour qu'on reçoive son influence, si salutaire qu'elle puisse être, il faut qu'on y croie, et rien n'aide la foi de ceux qui écoutent comme la proclamation du droit de celui qui parle. Leuret le sentait bien : aussi, dès qu'il fut chargé d'un service en chef, avec quelle ardeur il consacra toutes ses heures à y introduire la réforme et le progrès ! C'était le temps où quelques membres du conseil général des hôpitaux, jeunes, actifs et éclairés, avaient pris goût à leurs fonctions et les exerçaient en toute conscience. Il était lié avec l'un d'eux, M. de Kergorlay, le voyait avec assiduité, et en obtenait libéralement tout ce qui était possible. C'est ainsi que le régime alimentaire des aliénés fut profondément amélioré ; que les malades, qui avaient jusque-là mangé malproprement et isolément, furent réunis en réfectoire; qu'on établit de véritables ateliers; que des classes de chant, de lecture, d'écriture, de dessin s'ouvrirent toutes à la fois ; que les idiots eux-mêmes, appliqués au travail, aux exercices gymnastiques et jusqu'à l'étude, furent relevés de leur abaissement. On a été injuste envers le conseil général ; plusieurs de ses membres ne faisaient rien, mais d'autres faisaient beaucoup. Ils s'appliquaient de toute l'ardeur de leur âme à diminuer, au moins pendant le

séjour à l'hôpital, l'excès de souffrance qui pèse sur les pauvres, et comme les maladies de ceux-ci ressemblent à celles des riches, à mettre les médecins en mesure de donner les mêmes soins aux uns et aux autres. Espérons qu'on reconnaîtra l'utilité de maintenir le bien qu'a fait ce conseil et de faire mieux encore !

Esquirol venait de mourir le 12 décembre 1840. Leuret, son élève respectueux, son admirateur et son historien fidèle, lui adressa sur sa tombe un suprême adieu où l'on trouve cet hommage sublime : « Avant vous, dans la connaissance et le « traitement des maladies mentales, aucun auteur ne s'est « acquis une célébrité comparable à la vôtre, et parmi vos « contemporains, ceux qui se sont le plus illustrés s'honorent « d'avoir adopté vos doctrines et d'être vos disciples. A vous « donc une gloire impérissable ! Vous avez réalisé ce que vos « devanciers avaient à peine conçu; vous avez créé dans la « science une ère nouvelle, et les principes posés par vous, « développés et fécondés par vos successeurs, seront pour « l'humanité un éternel bienfait. »

Les livres de Leuret, ses leçons à Bicêtre, la transformation qui s'opéra sous lui dans son service, lui attirèrent tout à coup des occupations nombreuses et ouvrirent devant lui le chemin de la fortune. Une maison de traitement fut fondée : on l'y appela comme médecin avec une rémunération considérable, et une brillante clientèle absorba tout son temps, toute son activité. Il était trop tard. Lorsqu'il avait habité la garnison de Saint-Denis, il lui était arrivé souvent, presque toujours même d'en franchir le soir la distance à grande course, pour retourner de l'amphithéâtre à la caserne. Il avait, dès cette époque, été fréquemment pris de palpitations et d'étouffements. A Charenton, il avait aussi fait des courses rapides pendant toute la durée des leçons que Spurzheim faisait le soir à Paris. Chaque jour de ce cours, il ne dînait qu'en rentrant, à onze heures ou minuit. Ce genre de vie avait porté à sa santé de désastreuses atteintes. Depuis longtemps, il était souvent forcé de dormir la fenêtre ouverte.

Après avoir passé des années entières à disséquer, à peser ou analyser des cerveaux, à considérer des globules au microscope, immobile et silencieux, il se livrait tout à coup à l'activité et au mouvement incessant d'un service éloigné de Paris et d'une clientèle qui s'accroissait chaque jour. C'était au-dessus des forces qui lui restaient : le passé avait tout pris, et ne laissait que peu au présent, rien à l'avenir.

Ses journées commençaient à six heures, hiver comme etc. Il allait à Bicêtre, et n'en revenait qu'à plus de midi. Le reste du jour appartenait à la maison de traitement et aux malades de la ville, le soir et une partie de la nuit à l'étude. A peine venait-il de se mettre courageusement à sa vie nouvelle, qu'il fut forcé de l'interrompre. Ses amis exigèrent qu'il allât dans le Midi. Il partit, et fut atteint en route des accidents les plus redoutables. Nous ne voulons pas dire la petite ville où ils éclatèrent. Comme il resta longtemps en état de mort apparente, et qu'on l'avait étendu sur un brancard, aucun habitant ne consentait à le recevoir : il fallut recourir à l'autorité du maire pour faire ouvrir une porte. M. Louis, averti à Paris, courut à lui. Leur amitié était née de leurs rapports scientifiques, et s'était nourrie d'estime; aussi avait-elle à la fois quelque chose de la douceur et de la sévérité de la science. Ils étaient si bien faits pour s'aimier et pour se convenir qu'ils se connaissaient aussi parfaitement après quelques années que s'ils eussent passé ensemble toute leur vie(l)!

M. Louis ne quitta son cher malade que quand il le vit hors de péril. Leuret alla se rétablir à Lamalgue, près Toulon, chez un autre ami, M. Jules Cloquet. Le souvenir, qu'il gardait de cette hospitalité pleine de charme pour lui l'occupait encore à ses derniers moments. Il recouvra des forces, mais pas assez pour pouvoir reprendre ses travaux. Il se retira dans son pays près de ses sœurs, y resta trois ans et ne fit qu'un court voyage à Paris, en 1848, pour obtenir de l'adminis-

(1) M. Louis, qui a la piété des souvenirs, a fait faire par l'un de nos plus habiles statuaires un beau buste de Leuret, dont on a reproduit un petit nombre d'épreuves. L'une de ces épreuves al dans la bibliothèque de Nancy.

tration des hôpitaux le congé nécessaire à sa guérison. Enfin, au mois de juin 1850, ayant appris que le maintien de ses fonctions devenait douteux, s'il ne se hâtait, il crut être en mesure de se rendre à son poste, revint à Paris et se présenta à ses amis qui furent heureux de retrouver en lui, malgré ses souffrances passées, toute sa vigueur intellectuelle et un corps en apparence bien rétabli. Après un moment, d'hésitation, il reprit son service de Bicêtre et alla voir des malades au loin, un, entre autres, sur la frontière de Belgique. Son courage était plus grand que ses forces réelles, et l'amour du devoir, tel qu'il le comprenait, supérieur au sentiment et à l'intérêt de sa conservation. Il s'aperçut que ses jambes enflaient, que son ventre devenait volumineux, et pendant quelque temps, il ne voulut en rien dire à personne, pas même à ses amis les plus intimes. En revenant de l'hôpital, il se couchait, afin de recouvrer assez de force pour le lendemain. Mais le mal ne pouvait se cacher longtemps, car il était grand. Ce n'était plus seulement le cceur qui était volumineux : on trouva le foie atteint d'une affection au-dessus de tout remède, les extrémités inférieures infiltrées, l'abdomen rempli d'une quantité considérable de liquide. Les fonctions respiratoires étaient de plus en plus gênées : la suffocation devint bientôt imminente, et l'on fut obligé de faire une première ponction le 4 novembre; l'opération, qui produisit chaque fois l'évacuation de dix litres de liquide, fut répétée jusqu'à trois reprises en seize journées, et cinq jours après la dernière, le 24 du même mois, il s'échappa par la plaie rouverte un plus grand volume d'eau. Cet écoulement spontané combla de joie le pauvre malade qui y voyait une crise salutaire et presque le signe d'une guérison prochaine. Ses amis qui s'éloignèrent peu de son chevet pendant les quatre mois de durée de cette cruelle maladie, ne pouvaient avoir la même opinion. Tous constataient chaque jour les progrès d'un mal invincible et assistaient avec une poignante douleur à la destruction d'une existence qui avait semblé promettre encore de glorieux services. Longtemps, il résista aux prières qu'on lui adressait de

laisser venir sa famille à laquelle il voulait dérober la vue de ses souffrances. Il n'accorda enfin cette grâce qu'à la demande de sœur Rosalie, qui, l'ayant vu à l'œuvre dans le choléra de 1832, lui avait voué l'estime la plus haute. Quant à lui, le sentiment dont la charité infinie et les vertus éminentesde sœur Rosalie avaient pénétré son âme, était un véritable culte. Il n'honorait personne au monde autant que cette mère des pauvres qui ne connaissait d'autre titre à la compassion et au secours que la faiblesse, la douleur et la faim, et qui laissait à Dieu le soin de juger le reste. Comme ses impressions étaient promptes et vives, il avait eu de grands chagrins : les plus déchirants n'avaient pas été ceux de sa première existence; il s'était montré beaucoup plus sensible à tout ce qui se rapportait à sa vie savante. Son livre Du traitement moral souleva contre lui beaucoup de médiocrités agressives qu'il n'eut pas la force de dédaigner, ou mieux encore, de plaindre avec douceur. Il se tint près des attaques au lieu de monter plus haut et dans son amertume et dans sa faiblesse, il n'avait jamais trouvé de consolation puissante et de force que près de cette fille de Vincent de Paul dont la foi était assez profonde et assez sûre d'elle-même pour n'avoir pas besoin d'éprouver celle des autres ni d'en douter. C'étaient ces ménagements et cette tolérance infinie qui avaient attiré, sans pourtant la convertir, une âme peu facile et quelquefois rebelle. Entre eux deux, si l'orthodoxie était loin d'être pareille, la foi était égale ainsi que le respect qu'ils s'inspiraient l'un à l'autre.

Comme il avait le don d'attirer à lui tout ce qui était supérieur, il comptait des amis dans plus d'un camp. C'est le propre des grands caractères. M. Récamier et quelques autres encore vinrent le voir et le pressèrent d'accomplir ses devoirs religieux. — « Nous ne les comprenons pas de même, leur répondit-il en souriant; si vous voulez, mes amis, que je prenne un confesseur, mon choix est fait, mais il est unique et sans discussion. Je ne veux pas d'autre prêtre que sœur Rosalie. »

A la première visite de la bonne Fée, c'était le nom qu'il aimait à lui donner, sans qu'elle en ait jamais rien su, il ne

manqua pas de lui conter l'aventure, mais elle, avec cette an-gélique douceur qui ne s'effrayait et ne se troublait de rien : « Je ne saurais vous entendre, dit-elle, mais je puis prier pour vous; je compte sur mes prières et bien plus sur la bonté de Dieu qui est juste et qui vous connaît encore mieux que nous, d

Quand il sentit venir sa fin, il voulut retourner à Nancy, et fut impérieux et inflexible dans l'expression de cette volonté. Un moment, en face de l'opposition qui lui fut faite, il avait rêvé comment il eût pu s'échapper tout seul. Un ami se joignit à ses proches pour le reconduire. Tous étaient effrayés de la témérité de ce voyage par le temps le plus froid de l'année; c'était le 24 décembre; une forte gelée se déclara pendant le trajet. Leuret fut ce qu'il voulut être : il supporta cette fatigue sans chanceler, arriva à Nancy le 26 au matin, et y vécut encore douze jours.

Il est mort en pleine possession de ses facultés morales, le lundi 6 janvier 1851, à cinq heures du soir, dans la ville où il avait pris naissance cinquante-trois ans auparavant, après avoir jeté sur un nom qu'il avait reçu obscur le double éclat d'un mérite eminent, du génie, oserons-nous dire, et d'une honnêteté qu'aucune épreuve ne fit jamais fléchir. La société fit peu pour lui. Il n'appartenait ni à l'Institut, ni à l'Académie de médecine, et avec son incontestable supériorité, ne devait peut-être son modeste titre de chevalier de la Légion d'honneur qu'au hasard d'avoir donné des soins à un ministre.

OUVRAGES DE FR. LEURET.

'î. Essai sur l'altération du sang. Thèse inaugurale. Paris, 42 mai 1826, in-4.

2. Mémoire sur la dothinentérite observée à Nancy, au commence-

ment de l'année 1828 (Archives gén. de médecine. Paris, 4 828, t. XVIII, p. 4 61).

3. Observation de ramollissement du cerveau et d'ossification dans

le cœur [Même recueil, t. XIX, p. 229).

4. Recherches et expériences sur les effets de l'acétate de morphine,

par MM. Déguise, Dupuy et Leuret. Paris, 1824, in-8.

o. Mémoire sur la structure de la membrane interne de l'estomac et des intestins, et description d'un mode d'altération propre à ses villosités {Nouvelle bibliothèque médicale. Paris, 4 825).

G. Mémoire sur les affections putrides, par Leuret et Hamont (Même recueil. 48*26, décembre 4 827).

7. Recherches physiologiques et chimiques pour servir à l'histoire de

la digestion, par MM. Leuret et Lassaigne. Ouvrage mentionné honorablement par l'Académie des sciences. Paris, 4 825, in-8 de 228 pages.

8. Paralysie existant du même côté que l'affection du cerveau (Jour-

nal des progrès des sciences médicales. 4828, t. XI).

9. Monomanie erotique méconnue par des personnes étrangères à

l'observation des aliénés (Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Paris, 4 830, t. Ill, p. 498 et suiv.).

4 0. Sur un cas d'empoisonnement, chez un homme ivre, par l'acide hydrocyanique (Annales d'hygiène et deméd. lég. Paris, 4 830, t. IV, p. 422 et suiv.).

4 4. Accusation de suppression de part (Annales d'hygiène et de médecine lég. 4 830, t. III, p. 220 et suiv.).

4 2. Observations de suicide chez des aliénés (Annales d'hygiène et de méd, lég. 4 834 , t. V, p. 225 et suiv.).

4 3. Mémoire sur l'épidémie du choléra-morbus qui a ravagé l'Inde, et qui règne dans une partie de l'Europe (Annales d'hygiène et de méd. lég. Paris, 4 831, t. VI, p. 344 et suiv.).

4 4. Sur une tentative d'homicide commise par un monomaniaque (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4833, t. IX, p. 434 et suiv,).

4 5. De la fréquence du pouls chez les aliénés, considérée dans ses rapports avec les saisons, la température atmosphérique, les phases de la lune, fâge, etc. Note sur la pesanteur spécifique du cerveau des aliénés, par MM. Leuret et Mitivié. Paris, 4 832, in-8 de 90 pages.

46. Fragments psychologiques sur la folie. Paris, 1834, in-8 de 426 pages.

17. Observation sur le cadavre d'une femme dont la tête a été brûlée (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 835, t. XIV, p. 370 et suiv.).

48. Notice sur les indigents de la ville de Paris, suivie d'un rapport

sur les améliorations dont est susceptible le service médical des bureaux de bienfaisance, fait au nom d'une commission (Annales d'hygiène publique et de méd. lég. 4 836, t. XV, p. 294 et suiv.).

49. Notice historique sur A.-J.-B. Parent-Duchâtelet (Annales d'hy-

giène et deméd. lég. Paris, 4 836, t. XVI, p. 5 et suiv.).

20. Statistique des malades indigents. Rapport fait en juillet 4 836, à

la séance annuelle du bureau de bienfaisance du douzième^arrondissement, au nom des médecins de ce bureau (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 836, t. XVI, p. 404 et suiv.).

21. Suspicion de folie chez une femme reconnue coupable d'avoir,

pendant sa grossesse, fait des blessures mortelles à deux de ses enfants (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4836, t. XVII, p. 374 et suiv.).

22. Notice sur quelques-uns des établissements de bienfaisance du

nord de l'Allemagne et de Saint-Pétersbourg (Annales d'hygiène et de méd. lég. 1838, t. XX, p. 346 et suiv.).

23. Mémoire sur le traitement moral de la folie, lu à l'Académie de

médecine le 21 août 1838 (Mémoires de l'Académie royale de médecine. Paris, 4 838, t. VII, p. 552).

24. Mémoire sur l'emploi des douches et des affusions froides dans le

traitement de l'aliénation mentale (Archives de médecine. 4 839, t. IV, p. 473).

25. Anatomie comparée du Système nerveux considéré dans ses rap-

ports avec l'intelligence". Paris, 4 839, t. 1er, in-8 de 592 pages, accompagné d'un atlas de 46 planches in-folio gravées et coloriées.

Cet important ouvrage, auquel l'auteur attachait, avec raison, un si grand intérêt, devait se composer de deux volumes in-8, avec un atlas de 32 planches. M. Leuret avait conçu jusqu'au dernier moment l'espoir de le terminer.

26. Rapport à l'occasion d'un visionnaire inculpé de tentative d'ho-

micide, par Ollivier d'Angers et Leuret (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 840, t. XX11I, p. 448 et suiv.).

27. Sur la nécessité de séquestrer de bonne heure les aliénés dange-

reux {Annales d'hygiène et de méd. lég. 4840, t. XXIV, p. 360 et suiv,).

28. Observations médico-légales sur l'ivrognerie et la méchanceté con-

sidérées dans leurs rapports avec la folie (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 840, t. XXIV, p. 372 et suiv.).

29. Rapport sur un cas de bigamie, par Esquirol et Leuret ( Annales

d'hygiène et de méd. lég. 4 840, t. XXIV, p. 402 et suiv.).

30. Du traitement moral de la folie. Paris, 4 840, in-8 de 462 pages.

31. Mémoire sur la révulsion morale dans le traitement de la folie,

lu à l'Académie de médecine, le 2 février 4 844 (Mémoires de l'Académie royale de médecine. Paris, 1841, t. IX, p. 655).

32. Discours prononcé sur la tombe d'Esquirol {Annales d'hygiène et

de méd. lég. 1844 , t. XXV, p. 5).

33. Rapport sur un cas de simulation de folie, par Ollivier d'Angers

et Leuret (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 842, t. XXVII, p. 383 et suiv.).

34. Rapport sur un cas de tentative d'homicide, commise par un hal-

luciné, par Ollivier d'Angers et Leuret (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4 843, t. XXX, p. 417 et suiv.).

35. Rapport sur un homicide imputable à la jalousie, par Leuret et

Ollivier d'Angers (Annales d'hygiène et de méd. lég. 4843, t. XXX, p. 487 et suiv.).

36. Recherches sur l'épilepsie (Archives de médecine, 4e série. 4843,

t. II, p. 32).

37. Note sur une sonde destinée à l'alimentation des aliénés (Même

recueil, 4845, t. IX, p. 220).

38. Des indications à suivre dans le traitement moral de la folie.

Paris, 4846, in-8 de 414 pages.

ANATOMIE COMPARÉE

DU

SYSTÈME NERVEUX

considéré

DANS SES RAPPORTS AVEC L'INTELLIGENCE.

Il y a un certain nombre d'animaux chez lesquels on ne connaît pas de système nerveux, soit que ce système manque complètement, soit que les moyens d'investigation, mis" en usage jusqu'à présent, n'aient pas été assez puissans pour le faire découvrir. Ces animaux désignés par M. de Blainville sous le nom-d'amorphozoaires, sont ceux dont l'organisation est la plus simple et qui touchent d'assez près aux végétaux. Parmi les zoophytes ou animaux rayonnes, les holoturies ont été indiquées par M*. Tiedemann (1) comme étant pourvues d'un système nerveux ; mais Délie Chiaje (2), qui dit avoir disséqué plus d'un millier de ces animaux, n'a jamais pu y trouver de traces de substance nerveuse réunie en filamens; les recherches de M. de Blainville (3), sur ce point, n'ont pas

(1) Anatomieder Rœhrenholotliurie, elc. Heidelberg, 1820, in-fol.

(2) Istutîzioni di anatomia e fisiologia comparata, Napoli, i83a, t. Ier, p. 119.

(3) Manuel d'acilnologie. Paris, i834, avec figures,In-8. p. 65.

I. 1

eu plus de succès; il en a été de même de celles de M. John Anderson (l).Dans l'astérie rougeâtre, M. Tiedemann(2) a décrit et figuré un anneau nerveux entourant l'orifice de l'œsophage et duquel émanent des filets nerveux divergens, au nombre de quinze $ Spix et R. Grant (3) décrivent les mêmes filets et disent les avoir vus ; mais Cuvîer révoque en doute leur existence : il pense que ces filets, décrits comme étant des filets nerveux, sont de nature tendineuse, et Délie Chiaje dit positivement que ce sont des artères (4). Chez l'actinie, M. de Blainville ^ vu, dans le bord même de la lèvre, une sorte de cordon gris, pulpeux, qu'il croit pouvoir regarder comme nerveux (5); toutefois ce n'est pas encore, même pour M. de Blainville, un fait bien démontré.

Les animaux privés de système nerveux sont-ils pour cela dépourvus de toute substance nerveuse? M. Carus et avec lui plusieurs anatomistes ne le pensent pas; ils admettent, sans l'avoir vue, une substance médullaire sensible, uniformément répartie dans les tissus de l'animal (6). Qu'il y ait une substance sensible, cela n'est pas douteux, puisque les animaux dont il s'agit montrent, par leurs mouvemens, qu'ils sentent l'impression des corps qui agissent sur eux; les holoturies, par exemple, se contractent sous l'influence d'une irritation extérieure; mais que cette substance soit de nature médullaire, c'est ce qui ne devrait pas être admis sans démonstration. M. Carus (7)étaie son opinion sur la proposition suivante de M. Oken : c La

(1) On the nervous system. London, i837,Inr4j p. 7-

(2) Y ay. cette figure reproduite d'après l'original, pl. ir».

(3) Outlines of comparative anatomy, Loud. 1835, in-8, fig. p. i83.

(4) Ouvrage cité.

(5) Ouvrage cité, p. 80.

(6) Carus, Traité d'analomie comparée, trad.. par Jourdan. Paris, 18 35, t. 3, p. 35.

(7) Loc, cil.

substance animale, dît M. Oken , a commencé par là masse nerveuse, c'est-à-dire parla chose la plus élevée, par celle que les physiologistes ont considéré comme étant la dernière à se montrer. L'animal tire son origine du nerf, et tous les systèmes anatomiques ne font que se dégager ou se séparer de la masse nerveuse. L'animal n'est que nerf : ce qu'il est de plus, ou lui vient d'ailleurs, on est une métamorphose du nerf. La gelée des polypes, des méduses, etc., est la substance nerveuse au plus bas degré, de laquelle n'ont encore pu s'isoléi* les autres substances qui sont ou cachées dedans, ou fondues avec elle. La masse nerveuse désigne ce qui, chez l'animal, est dans l'état d'indifférence absolue, et peut, en conséquence, acquérir la polarité par le moindre souffle, même par une pensée. (1) » Cette proposition qui, suivant M. Cams , répand une vive lumière sur l'élude des divers Systèmes organiques, est au moins fort contestable : elle peut être ingénieuse ; mais, en anatomie, ce ne sont pas des idées ingénieuses qu'il faut, ce sont des idées vraies et des faits démontrés. Or, comment démontrer que la masse composant les animaux placés au plus bas degré de l'éclielle animale, soit une masse nerveuse? Par sa disposition organique, par s-a nature chimique: ce sont là deux caractères essentiels, et qui peuvent servir de preuve; mais ni M. Oken, ni M. Carlis ne paraissent s'en être occupés. M. Brachetqui adopte comme vraies les idées de M. Oken stir là nature des animaux inférieurs, après avoir cité le passage qu'on vient de lire, ajoute : « Voilà donc expliquée cette absence apparente du système nerveux dans les classes inférieures; leur massé pulpeuse n'est qu'une sorte à'albumine toute nerveuse; les animaux primaires ressemblent donc à la substance poncti-

(i) Lehrbuch derNaturph'dosoplùe, 2e edit., Jcua, i83r, in-8, p. 256*

1.

forme qui constitue les premiers rudimens des animaux supérieurs. C'est une substance molle, nerveuse, qui se nourrit par imprégnation et par imbibition endosmotique, et qui n'avait pas besoin d'un organe spécial, puisqu'elle constitue à elle seule l'animal tout entier ou son origine. A quoi eussent servi des divisions et des subdivisions de cette substance nerveuse, puisqu'il n'y avait aucun organe, aucun appareil pour les recevoir? C'est celte origine première de l'animal qui a porté M. Virey à assimiler la substance encore amorphe à la matière du sperme (1). » Cette approbation sans examen est une chose qui a droit d'étonner, et dont on ne saurait assez se garantir, quand on cultive les sciences ; une critique même injuste serait moins à craindre, parce qu'elle aurait pour résultat de provoquer des recherches utiles, tandis qu'une trop grande déférence aux opinions des autres ne sert ordinairement qu'à propager l'erreur.

Je n'admets donc pas que la matière dont sont formés les animaux primaires ait une nature nerveuse : la faculté que possèdent ces animaux de se contracter et de se montrer sensibles aux agens extérieurs n'est pas du tout une preuve qu'ils soient tout nerfs. En pareille matière, on a droit d'exiger une démonstration, et la démonstration du fait dont il s'agit n'a pas même été entreprise.

Dans les animaux qui par leur organisation s'élèvent au-dessus des rayonnes, on trouve un système nerveux ordinairement bien visible, et, d'après les recherches récentes de M. Ehrenberg (2), les animaux microscopiques eux-mêmes n'en sont pas dépourvus. Ces animaux étaient regardés, tout

(1) Brachet, Recherches exp. sur les fonc. du syst.^nerv. gatigl., 2e édit. Paris, i83?, in-8, p. 66.

(2) Voy. Annales des se. naturelles, 2e série, t. 1. Zoologie. Paris, i834;

récemment encore, comme privés de viscères et n'ayant pas même une cavité, un sac, pour contenir et digérer la substance nécessaire à leur nutrition; on croyait qu'ils recevaient leur nourriture par une sorte d'irnbibition, et on avait désigné le plus grand nombre d'entre eux sous le nom û'infusoïrés homogènes (1). Or, ces prétendus homogènes , observés par M. Ehrenberg, ont été trouvés pourvus d'organes analogues à ceux d'animaux réputés plus élevés dans l'échelle animale. Ainsi, la monade, dont la dimension ne va pas au-delà de 0w,m,,0015 et qu'on ne voit bien qu'à l'aide d'un grossissement de trois à quatre cents fois, a une bouche garnie de cils et servant d'ouverture à une espèce de tuyau membraneux muni de cinq à six poches, destinées à recevoir et à digérer des alimens. Les genres Enchelide, Paraménie, Kol-pode, ont un tube intestinal tortueux, garni également de vésicules ou poches stomacales, et ne se réunissant plus, comme chez la monade, par ses deux extrémités, pour aboutir à une seule ouverture servant à recevoir les alimens et à rejeter les résidus de la digestion, mais se rendant à des points opposés du corps de l'animal et ayant, l'une et l'autre, des fonctions bien distinctes. Dans une des tribus des infu-soires, celle des cercaires qui comprend les animalcules sper-matiques, Nitzsch, professeur à Halle, a découvert l'existence de trois yeux; M. Ehrenherg a vu les mêmes organes chez la plupart des infusoires soumis à son investigation.

Puisqu'il y a chez les infusoires des organes destinés à une sensation spéciale, puisqu'il y a des yeux, il faut dans l'organisation une substance capable de recevoir l'impression. Pour agir, celle substance ne peut être isolée dans un organe, autrement la sensation resterait isolée aussi, ou plutôt elle n'exisle-

(*) Cuvier, Le Règne animal, Paris, i83o, t. 3, p, 323.

rail pas. Dès qu'il y a plusieurs organes de sensation, il faut à ces organes un lien qui les unisse entre eux et qui les mette en rapport avec le reste de l'organisme. Or, ce lien est le système nerveux. Le système nerveux existe donc nécessairement chez tous les animaux qui ont plusieurs organes destinés aux sensations, Celle conséquence, qui me semble rigoureuse, se trouve confirmée par l'observation. Dans Vhydatina senta,M. Ehrenberga trouvé deux corps ganglionnaires situés au milieu des organes rotatoires et en avant de l'estomac : le reste de l'organisation de Vhydatina est assez parfait, pour que l'on ne s'étonne pas de l'existence de ganglions nerveux; on y découvre, en effet, une membrane double et diaphane, quatre paires de muscles, dix-sept gaines musculaires appartenant aux organes rotateurs, des muscles pour le pharynx, \e cloaque, etc. Des observations ultérieures feront sans doute découvrir des nerfs chez la plupart des autres infusoires, sinon chez tous; car, ainsi que. je le disais tout-à-l'heure, puisqu'ils ont des yeux, ils doivent être pourvus d'un organe qui reçoive la sensation de la vue, et d'un point central qui puisse mettre cetle sensation en rapport avec le reste do l'économie.

Mais comme je n'ai aucun fait nouveau à présenter sur le système nerveux des animaux microscopiques, ni sur celui des rayonnes, je ne m'y arrêterai pas plus long-temps : je passe à des animaux mieux étudiés et plus complets, et chez lesquels l'existence du système nerveux ne peut être mise en doute.

CHAPITRE PREMIER.

SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES.

Le système nerveux des mollusques a pour caractère d'être composé de ganglions réunis entre eux par des anses nerveuses et fournissant un nombre de nerfs très variable suivant les espèces : c'est le système nerveux qui s'éloigne le plus de celui de l'homme, et il a même, au premier aspect, très peu d'analogie avec celui des autres invertébrés. Aristote (1) a commencé I'anatomie des mollusques, mais à peine dit-îl quelques mots de leur système nerveux ; Swammerdam (2) en a parlé plus explicitement ; ensuite sont venus Alexandre Monro (3), Scarpa (4), Tïlesius(5), Poli (6), Cuvier (7), et tout récemment MM. Deshayes (8), Carus (9), Owen (10), et Robert Garner (11). Chacun de ces auteurs ri'â pas envisagé son sujet dans toute l'étendue qu'il comporte ; les uns ont

(t) Histoire des Animaux,

(2) Bibtia naturœ, Amst. 1762, 2 vol. in—fol.

(3) Essay on comparative anat., Lond., 1775.

(4) Anat. disquisitione de auditu et olfactu, Pavie, 1789. ïn-fol., fig. (5} De respiratione sœpiœ officinalis. Leipsig, r8ot.

(6) Testacea utriusque Siciliœ, etc. Parme, 1791, 179a et 1828, in-fol.

(7) Mémoires pom servir à l'Histoire et à l'Ànatomie des Mollusques. Paris, 1817, in-4, fig.

(8) Encyclopédie méthodique, Hist. nat. des vers. Paris, i83o, in-4. t« 2»

p. 520.

(9) Traité d'Anat. comparée, Trad., par A. J. L. Jour dan, Paris, 18 35, 3 vol. in-8 et atlas in-4.

(10) Memoir on the pearly nautilus. Lond,. i83a, in-4.,

(11) The trans, of the Linnean Society of London. Vol. 17* part. 4. Lond., 1837. In-4, %»

étudie seulement quelques nerfs appartenant aux mollusques; d'autres ont fait avec détail l'anatomie d'un de ces animaux; Cuvier et M. Garner ont seuls traité ce sujet dans sa généralité. Le premier a décrit et figuré le système nerveux de plus de quarante mollusques; le second a essayé de compléter l'œuvre de Cuvier, en s'attachant surtout à l'élude de ceux des mollusques dont Cuvier s'était moins spécialement occupé.

Dans l'exposition du système nerveux des mollusques, je commencerai par ceux de ces animaux dont l'organisation est la plus simple, pour remonter ensuite à ceux qui s'élèvent davantage, soit par le développement de leurs ganglions, soit par la perfection de leurs sens; ainsi, je ne m'attacherai pas rigoureusement à suivre l'ordre adopté par les naturalistes, car mon bul principal étant l'étude du système nerveux, quand il sera nécessaire, pour rendre celte étude plus facile, de modifier les classifications établies, j'aurai soin de le faire. Conséquemment à ce principe qui trouvera son application chez les verlébrés et les articulés aussi bien que chez les mollusques, je parlerai successivement, dans ce chapitre, du système nerveux des acéphales, des gastéropodes, des pté-ropodes (1) et des céphalopodes, réservant ce qui concerne une autre classe de mollusques, celle des cirrhopodes, pour servir de transition entre ces animaux et les articulés.

§ I. DESCRIPTION DU SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES.

1° Acéphales sans coquilles, Cuv. ; Tuniciers, Lam. Les ascidies, animaux placés par Cuvier dans la première fa-

(i) Ce que l'on sait du système nerveux des héléropodes montre qu'il y a uue grande analogie avec celui des gastéropodes, mais il u'a pas encore été assez complètement éUidié pour trouver place ici.

mille des acéphales sans coquilles, n'ont qu'un seul ganglion et quelques nerfs ; ce ganglion est oblong, placé dans l'épaisseur de la tunique propre de l'animal, entre la production qui donne entrée aux branchies* et celle où répond l'anus. Parmi les nerfs qui en émanent, ily en a deux qui vont former un anneau autour de l'œsophage ; c'est le collier œsophagien que l'on retrouve dans tous les invertébrés, et dont la partie supérieure, renflée latéralement, a été regardée comme formant l'encéphale de ces animaux. Cuvier qui a distingué et fait représenter le système nerveux de l'ascidie mammelon-née,asuivi les filets nerveux qui, parlant d'une source unique, le ganglion, vont se rendre aux branchies, à l'œsophage et aux intestins, Dans les phallusies, M. Garner a suivi les nerfs jusqu'aux tentacules, à l'enveloppe musculaire, au manteau et à la bouche.

Celte grande simplicité dans le système nerveux des ascidies est en rapport avec le reste de l'organisation de ces animaux : en effet on ne découvre pas chez eux un système locomoteur, ils n'ont d'autre organe spécial pour les sensations que lesfilamens lentaculaires, placés à l'orifice du sac branchial, et qui servent à avertir l'animal de la nature des objets qui se présentent à cet orifice. Le cœur est formé d'un seul ventricule qui reçoit le tronc des veines branchiales et fournit une artère aorte. L'appareil digestif est le plus complet de tous, on y trouve un œsophage, un estomac, des intestins et un foie. Il existe dans le même individu des organes mâles et des organes femelles.

Tout élémentaire que soit celte organisation, elle suffit néanmoins à l'accomplissement de la digestion, de la respiration, de la circulation et de la sensation du4oucber. Un même ganglion préside à ces diverses fonctions, il réunit des propriétés qui, chez des animaux supérieurs, ont un siège

distinct et semblent avoir besoin d'une organisation spéciale. « La différence de fonctions des nerfs, selon Cuvier, dépend plutôt de l'organisation différente de ces parties que de leur essence propre. » Cette proposition, sur laquelle je reviendrai plus tard, et que des recherches microscopiques m'aideront à résoudre, pourrait trouver ici son application, puisqu'un même centre nerveux sert à-la-fois à la nutrition et au toucher.

2° Acéphale» testacés, Cuv. Conchifères , Lam. Acépha-lophores lamellibranches, Blain. Dans cette classe, les ganglions se multiplient, et suivant la remarque de M. Garner, ils tendent à avoir des fonctions spéciales. Le premier, ou labial, placé à l'entrée du tube digestif, est chargé en quelque sorte du choix des alimens; le second, ou branchial, fournit des nerfs aux organes de nutrition et d'assimilation. Le troisième, oupédieux, qui n'existe que dans les conchifères pourvus d'un pied, et qui manque par conséquent dans l'huître, est surtout destiné au mouvement.

Poli a donné la figure du système nerveux d'un certain nombre d'acéphales testacés, mais il a décrit les nerfs comme étant des vaisseaux cbylifères, et les ganglions comme étant les réservoirs du chyle. La ténuité des fibres nerveuses et leur transparence, chez la plupart des mollusques, avaient trompé cet anatomiste d'ailleurs très habile. Mangili a publié des observations fort exactes sur le système nerveux de plusieurs bivalves, et en particulier, des anodontes(l).M. Garner a complété , sur ce point, les recherches de Mangili et de Poli.

Le ganglion labial des acéphales testacés est toujours double, un filament transversal établit une communication entre celui du côté droit et celui du côté gauche. Dans les moules,

(i) Nuove ricerche zootom. sopre alcune specie di conchigUe ilvalvi. Milan, 18o/r, in-8, fig.

le ganglion labial est situé un peu en arrière de la bouche; dans les mactres, il s'approche davantage de cet orifice. Les nerfs qu'il donne vont aux tentacules, au manteau et aux fibres musculaires environnantes; il est en communication directe avec les deux autres ganglions.

I^e ganglion branchial est simple dans les huîtres, les mu-letles, les venus, etc.; il est double dans les moules, les mo-dioles, les pectens, et en cela il se trouve en rapport avec la situation des branchies, qui sont réunies dans les premières et séparées dans les secondes; Il fournit des nerfs aux branchies, au siphon respiratoire, aux viscères et à quelques muscles, et, comme je l'ai dit tout-à-l'heure, il communique par un filet avec le ganglion labial ; ainsi, la plupart de ses filets sont destinés aux organes de la nutrition, tandis que le ganglion labial, donnant les nerfs des tentacules, appartient à la vie de relation.

Le ganglion pédieux. est toujours simple; il n'existe que chez les bivalves pourvues, de pied. Il fournit beaucoup de filets à cette partie, et il communique par deux filets avec le ganglion labial : c'est le ganglion de la locomotion.

La spécialité de fonctions pour les trois ganglions dont sont pourvus les acéphales testaeés, est prouvée par leur situation et par la distribution des nerfs qui en partent; toutefois, pour avoir une destination particulière, chacun de ces ganglions doit-il être considéré comme ayant une propriété exclusive ? eu en d'autres termes, la sensation est-elle dévolue seulement au ganglion labial, la locomotion au ganglion pédieux, la nutrition au ganglion branchial? Non, carie ganglion labial ne distribue pas ses filets seulement aux tentacules, mais aussi aux muscles;, car le ganglion branchial donne également des filets à des organes qui ne servent pas à la nutrition. A ce sujet, M. Garner fait observer que le ganglion pédieux et le

ganglion branchial communiquent chacun directement avec le ganglion labial, et que parla ils doivent faire participer ce dernier aux propriétés dont ils sont doués, et recevoir à leur tour l'influence du ganglion labial. Icirevient la question dont je parlais en finissant l'article précédent/savoir, si la différence dans la fonction des nerfs tient à leur origine, ou à leur mode d'épanouissement; je l'examinerai ailleurs, ainsi que l'opinion de M. Garner.

3° Gastéropodes. Dans les gastéropodes, l'anneau nerveux commun à tous les invertébrés pourvus de nerfs, entoure l'œsophage, mais à une hauteur variable, et il présente un nombre de ganglions qui diffère presque dans chaque espèce. Quelquefois tous les ganglions de l'animal sont réunis par des anneaux, et groupés autour de l'œsophage, d'autres fois ces ganglions sont épars, et il n'en reste que deux qui sont alors situés à la partie supérieure de l'anneau, et fournissent des nerfs aux tentacules et aux yeux ; ce sont les ganglions, qu'à l'exemple de M. Garner j'ai appelés labiaux, chez les acéphales ; mais ici, dans les gastéropodes, ils mériteraient plutôt le nom de ganglions céphaliques, en raison des fonctions comparativement plus élevées qu'ils remplissent. Les oscabrions, animaux dépourvus de tentacules et d'yeux, feraient exception à cette règle, et manqueraient, d'après M. Garner, de ganglions céphaliques. Je n'ai pas été à même de vérifier celte observation ; ce que je puis assurer pourtant, c'est que le manque d'organes destinés spécialement au toucher et à la vision n'exclut pas l'existence des ganglions céphaliques; car, parmi les articulés, le lombric de terre, qui est dépourvu d'yeux et de tentacules, a néanmoins deux ganglions céphaliques très marqués, et qui ont la plus grande ressemblance pour leur position et leur forme, avec ceux de l'es cargol. Mais ces ganglions ne peuvent être vus qu'à l'aide

du miscroscope, et c'est peut-être pour ne s'être pas servi de cet instrument, que M. Garner n'a pu découvrir de ganglions céphaliques, chez l'oscabrion.

Un seul ganglion, entourant l'œsophage, existe chez le buccin; il fournit des nerfs aux viscères, à la spire, à la trompe, aux muscles, aux tentacules, aux pieds, et aux organes de la génération. Les doris, les onchidies sont dans le même cas. Dans les tritonies, le système nerveux consiste en quatre tubercules placés en travers de l'œsophage, et réunis par un filet nerveux qui complète l'anneau ; il part de ces ganglions environ douze nerfs allant aux yeux, aux tentacules , aux tégumens, aux mâchoires, aux viscères, et aux organes de la génération. Les patelles ont six ganglions, tous compris dans le même anneau ; deux de ces ganglions sont supérieurs et fournissent chacun trois paires de nerfs, dont une paire pour les tentacules ; les autres ganglions fournissent des nerfs, l'un aux viscères, l'autre au pied; ces deux derniers ganglions sont situés au-dessous de l'œsophage. Un seul ganglion, mais très considérable, fournit, chez les thethys, des nerfs aux tentacules, aux muscles voisins de l'orifice oral, aux organes de la génération, et à la masse charnue du corps. Au-dessous de l'œsophage, il existe un autre ganglion qui fournit les nerfs des viscères.

L'anneau nerveux œsophagien des gastéropodes est ordinairement double, et cette disposition est d(0}rapport avec le développement du larynx qui n'existe pas encore dans les acéphales, où l'anneau est toujours simple. Cuvier avait découvert ce double anneau chez un mollusque de la classe des ptéropodes, le Clio borealis (1), et M. Garner l'a retrouvé chez la plupart des gastéropodes.

(i) Lamarck, Hist, naturelle des animaux sans vertèbres. Paris, i836, t. vu, pag. 424,

Dans les acères et les aplysies, le système nerveux consiste en deux ganglions réunis par un filet transverse, placé au-dessus de l'œsophage, et en un troisième ganglion communiquant avec les deux précédens, et situé près de l'esto-maci Les deux premiers sont les ganglions céphaliques, le dernier est le ganglion viscéral ou branchial.

L'escargot a cinq ganglions et quarante*et-un nerf (l). Malgré la forme spirée de l'animal, les parties centrales de son système nerveux ont une grande régularité ; c'est autour de l'œsophage que sont placés les cinq ganglions : deux à la partie supérieure et latérale de l'anneau, ce sont les ganglions céphaliques; deux à sa partie inférieure et moyenne, ce sont les ganglions viscéral et pédieux qui semblent se confondre, et qui en effet, sont réunis entre eux dans une grande partie de leur étendue, mais qui sont séparés l'un de l'autre par une ouverture qui donne passage à l'artère aorte ; le cinquième est adossé à la partie inférieure de l'œsophage, il communique avec l'anneau par deux filets nerveux formant une anse, comme cela a lieu chez la plupart des autres mollusques.

Les deux ganglions céphaliques réunis par une commissure , forment la partie supérieure ou sus-œsophagienne de l'anneau ; il part de chacun d'eux cinq nerfs qui vont aux yeux, aux vrais tentacules ou tentacules inférieurs que M. de ftinville regarde comme des organes olfactifs, à la peau et aux muscles; un sixième nerf naît du ganglion situé à droite, tout près du nerf optique, et va se porter à la verge qui, située de ce côté,touche presque le ganglion céphalique. A la naissance du nerf optique, il y a, sur le ganglion cépha-

(i) Voyez pl. ire. Tous les nerfs de l'escargot ne sont pas reproduits dans la figure, parce que cette figuré n'est pas grossie et que beaucoup de nerfs de

l'escargot ne sont visibles qu'au microscope.

lique un léger renflement qu'on ne peut apercevoir qu'à l'aide du microscope.

J'ai dit que la réunion des leux ganglions céphaliques forme la partie supérieure de l'anneau, j'ai essayé de déterminer le volume relatif de celte partie avec celui des nerfs qui en partent. Le double ganglion céphalique mesuré, sà mesure réduite en millimètres cubes, m'a donnée 7,00

Les nerfs qui partent de ce double ganglion, au nombre de onze, ont pour les diamètres des cinq

nerfs du côté gauche..............., 1,34

Et pour les six nerfs du côté droit. . »...... 1,48

En tout. . . . , . . . 2,82 Ce qui donne, pour le rapport du volume du ganglion céphalique, au diamètre des nerfs qui en partent, celui de..................là 0,403

Outre les nerfs dont je viens de parler, il sort de chaque ganglion céphalique un cordon qui unit ce ganglion au ganglion viscéral, et qui complète ainsi l'anneau œsophagien. Le cordon dont il s'agit est formé à droite et à gauche, par deux filets nerveux qui marchent en se côtoyant, mais sans jamais s'unir l'un à l'autre et ne fournissant aucune branche ou ramification nerveuse. L'apparence de ce cordon est la même que celle des nerfs, la somme des diamètres des quatre filets dont il se compose est, en millimètres, de. . . 1,48

Or, le volume du ganglion céphalique étant,

comme il a été dit tout-à-l'heure, de...... 7,00

Et la somme des diamètres des cordons de

Vanneau de................... 1,48

Le rapport du ganglion à ces cordons est

celui de.................... th. o,2ll

A la partie inférieure de l'anneau œsophagien, se trouve

le ganglion viscéral qui est uni au ganglion pédieux d'une manière assez intime, ces ganglions n'étant séparés que dans une partie de leur étendue,-par un vaisseau artériel. De ce double ganglion parlent comme autant de rayons, un grand nombre de nerfs qui marchent dans toutes les directions. A l'aide du microscope, j'ai compté à ces ganglions, trente-deux nerfs outre les quatre cordons qui, formant l'anneau, se porlent aux ganglions céphaliques. Le ganglion viscéral fournit aux organes de la digestion , de la respiration, de la circulation et des sécrétions; il envoie des filets considérables au collier et aux muscles de la coquille, tandis que le ganglion pédieux donne presque exclusivement ses filets au pied.

Ne pouvant mesurer séparément le ganglion viscéral et le ganglion pédieux, à cause de leur intime adhérence, je les ai mesurés réunis et je leur ai trouvé un volume qui, ramené en millimètres cubes, est de.......... ^Qmm.

La somme des diamètres des nerfs qui en parlent, est de. .................. 9,72

Ce qui établit le rapport du ganglion aux nerfs égal à celui de...............• • là 0,972

La différence que donnent ces chiffres, entre le rapport des ganglions céphalique et viscéral, et les nerfs qui en émanent, exprime l'importance relative de ces ganglions. Dans les deux cas, le volume du ganglion l'emporte sur le diamètre des nerfs, mais, pour le ganglion céphalique, la différence est beaucoup plus grande que pour le ganglion viscéro-pédieux. Le ganglion céphalique est en somme le plus petit, mais, eu égard à ses nerfs, il est le plus considérable; il peut donc avoir sur ses nerfs une action plus puissante que le ganglion viscéro-pédieux n'en a sur les siens; il est le centre auquel viennent aboutir les nerfs destinés aux sens, c'est lui qui reçoit.les sensations.

¦ê

Les conséquences de ce fait sont faciles à tirer ; elles confirment un principe établi par S. T. Soemmering dans ses recherches sur le volume de l'encéphale de l'homme et des animaux vertébrés (1), comparé à celui des nerfs cérébraux, et montrent que chez les mollusques comme chez les animaux les plus parfaits, la nature procède d'une manière uniforme. Mais, dans ce chapitre, je dois me borner à une description anatomique ; les données physiologiques qui en découlent trouveront leur place ailleurs et plus utilement.

Dans certains gastéropodes, le nombre des ganglions nerveux s'élève jusqu'à onze : c'est ce qui a lieu dans les sabots (turbo) ; mais le plus ordinairement on en rencontre cinq qui sont : les deux ganglions céphaliques, le ganglion pharyngien , le pédieux, et le branchial ou viscéral ; dans les patelles, il y a de plus un ganglion labial.

k° Plëropodes. « Dans le clio boréal, le cerveau est à deux lobes placés sur l'origine de l'œsophage; de chacun d'eux naît un petit filet qui se renfle en un gros ganglion, lequel l'unit à son correspondant sous l'œsophage. Ces deux ganglions donnent chacun plusieurs filets aux parties environnantes ; deux de ces filets, un de chaque côté, se renflent encore en ganglions, qui s'unissant ensemble par un nouveau filet qui traverse sur l'œsophage, y forment ainsi un second collier lié avec le premier par le dessous; ils donnent chacun un filet deux fois renflé, et c'est de tous ces petits nœuds de matière médullaire que viennent les différens nerfs. Je n'ai pu apercevoir d'œil quoique la figure de Phipps paraisse en indiquer un, ni aucun organe particulier des sens extérieurs, excepté l'organe commun et général du toucher.» Celte description du système nerveux du clio boréal, le seul des ptéropodes qui ait été dis-

(i) Talula bateos eneepkali, Francf. 1798. In-fol'. fig.

2

séqué avec soin, a été donnée par Cuvier; elle montre qu'il existe la plus grande analogie entre le clio et les gastéropodes. Le nombre des ganglions du clio est en effet de cinq.

5° Céphalopodes. Comme dans les autres classes des mollusques , le système nerveux des céphalopodes varie suivant les espèces, et pour le nombre des ganglions et pour le volume respectif de chacun d'eux \ il y a pourtant une tendance bien visible de la masse nerveuse, à se porter en plus grande quantité vers l'orifice de l'oesophage. Là, en effet, se trouvent et les ganglions les plus considérables, et les nerfs les plus nombreux. Les organes des sens, dont le point de réunion est l'anneau œsophagien, ont, chez les céphalopodes, un haut degré de perfection ; l'œil, par exemple, y est presque aussi complet que chez les mammifères, et l'organe de l'ouïe est venu s'ajouter aux autres sens. Les ganglions principaux^ sont encore placés autour de l'œsophage ; mais l'un d'eux, le ganglion céphalique a, dans le poulpe, un volume qu'on ne retrouve pas dans les autres mollusques.

Le nautile que je décrirai d'après l'excellente gravure qiven a publiée M. Owen (1), a six ganglions dé chaque côté, en tout douze ganglions, dont huit sont réunis autour de l'œsophage, deux situés vers les lèvres, et deux autres au milieu des vis*-cères, Les ganglions, placés autour de l'œsophage, sont le céphalique, l'optique, le sub-^œsophagien antérieur et le sub-œsophagien postérieur. Le premier est au-dessus de l'orifice œsophagien, le second à sa partie externe et supérieure, les deux autres au-dessous. Les nerfs qui en partent sont, pour le ganglion céphalique, les nerfs linguaux et maxillaires; pour l'optique, le nerf optique ; pour le sub-œsophagien antérieur, les nerfs des tentacules digitales, les nerfs des tenta-

(i) V. pl. ire, la figure publiée par M. Owen , et que j'ai reproduite.

cules labiales externes, les nerfs infundibulaires, et un cordon de communication avec le ganglion labial ; pour le sub-œsopbagien postérieur, les nerfs des muscles de la coquille, les nerfs des viscères et de la veine cave. Le cinquième ganglion ou labial fournit des nerfs aux tentacules labiaux internes , et les nerfs de l'olfaction ; enfin, le même ganglion ou ganglion viscéral donne des nerfs aux branchies et aux viscères ; c'est ce dernier qui représente, chez le nautile, le ganglion sympathique des vertébrés.

Parmi ces ganglions, l'optique seul a une destination spéciale , celle de donner le nerf optique ; les autres tendent seulement à devenir spéciaux ; ainsi le sub-œsophagien antérieur fournit les nerfs des tentacules auxquels il donne le sentiment et le mouvement ; le sub-œsophagien postérieur fournit les nerfs de la vie organique, et en même temps ceux de plusieurs muscles locomoteurs; le labial interne fournit à l'olfaction et au goût; enfin le viscéral donne aux branchies et à plusieurs des organes de la digestion. Le volume des nerfs comparé à celui des ganglions, est très considérable , ainsi le nerf optique, qui est à la vérité le plus gros de tous, a un diamètre qui égale les deux tiers du ganglion optique, et qui est presque semblable au diamètre du ganglion céphalique.

Dans la seiche se trouvent des ganglions correspondant â ceux du nautile, mais avec des modifications. Le ganglion céphalique, qui, dans le nautile, ne consiste guère qu'en une simple commissure, a, dans la seiche, un volume beaucoup plus considérable ; il consiste , chez ce dernier animal, en un ganglion bilobé, central, et se distinguant nettement du ganglion optique, ce qui n'a pas lieu chez le nautile. Le ganglion optique est très volumineux, le ganglion sub-œsophagien antérieur, appelé aussi patte d'oie, donne aux muscles

2.

des pieds ; le postérieur donne les nerfs qui vont aux viscères et au cloaque, il est en communication avec le ganglion viscéral ou ganglion étoile. Ce dernier est l'analogue de celui qui, chez le nautile, donne les nerfs des branchies.

Le ganglion céphalique donne des nerfs qui sont au pourtour de l'orifice œsophagien ; il donne les nerfs optiques qui, avant de pénétrer dans l'œil, se renflent en un ganglion qui l'emporte de beaucoup en volume sur tous les autres, et même sur le ganglion céphalique; il est enfin en communication avec le reste de l'anneau, par une double bande nerveuse.

Le ganglion sub-œsophagien postérieur, outre les nens dont j'ai parlé et dont plusieurs vont aux branchies, donne aussi des nerfs pour l'organe de l'ouïe, organe qui, dans la classe des mollusques, n'existe que chez les céphalopodes. M. Garner fait remarquer, à l'occasion de ce nerf acoustique, que son origine est très voisine des nerfs respiratoires, ce qui établit un point d'analogie entre les mollusques et les vertébrés. Le même auteur ajoute que les nerfs qui vont aux organes extérieurs de la génération, ne naissent pas du ganglion céphalique, comme cela a lieu chez les gastéropodes, ce qui indique une tendance toujours croissante desganglions à se spécialiser, au fur et à mesure que l'on examine des animaux plus parfaits.

Chez la seiche', un cartilage protège Panneau œsoptiagien et surtout sa portion céphalique. C'est le premier indice du crâne que l'on retrouve également et même à un degré plus avancé chez le poulpe.

Quatre ganglions principaux existent chez le poulpe (1) :1e céphalique, le seul qui soit impair est située au-dessus de

(i) "V. pi, tre, la figure du système nerveux du ponple, reproduite d'après Cuvier.

l'œsophage, il est comparativement plus volumineux que celui de la seiche ; l'optique uni au premier par le nerf optique ; le sous- œsophagien ou ganglion en patte d'oie, qui est le point où aboutissent presque tous les nerfs, enfin le ganglion étoile qui se trouve au milieu des viscères et donne principalement à la bourse.

Le ganglion céphalique donne des nerfs qui vont à la base des pieds, à la bouche et aux lèvres, d'autres qui vont former un ganglion secondaire que je désignerai sous le nom de labial, enfin le nerf optique. Le ganglion céphalique est divisé transversalement par un sillon qui le partage en deux parties, l'une antérieure et l'autre postérieure. Cuvier a appelé la première cerveau, la seconde cervelet : j'examinerai plus loin la légitimité de ces dénominations.

Le ganglion optique, uni par le nerf du même nom au ganglion précédent, a un volume très considérable, il est uniquement destiné à l'organe de la vision qui est très volumineux chez les céphalopodes.

Le ganglion en patte d'oie fournit à lui seul, comme je l'ai déjà dit tout-à-l'heure, presque tous les nerfs de l'animal ; ces nerfs vont aux pieds, aux viscères, à l'entonnoir et à l'oreille , ainsi, il sert, en même temps, à la sensation, au mouvement, à la respiration et à hmutrition.

J'ai dit que le ganglion étoile allait principalement à la bourse, organe qui produit et contient la matière noire appelée encre de seiche.

D'après la description donnée par Cuvier, description que je prends pour guide, le poulpe a donc quatre ganglions, et les nerfs principaux qui en émanent sont au nombre de sept paires. A ces parties fondamentales du système nerveux du poulpe, il faut ajouter les cordons qui forment ou plutôt qui complètent le collier, en réunissant autour de l'œsophage, le

ganglion céphalique et le ganglion en patte d'oie. Ce cordon a cela de particulier qu'il est uniquement destiné à établir une communication entre les ganglions oesophagiens; il ne s'en détache jamais aucun nerf cl chez les mollusques où j'ai pu l'observer, il est, dans toute son étendue, formé par deux filets simplement adossés et ne communiquant cuire eux dans aucun point de leur étendue.

RÉSUMÉ.

1. Le système nerveux des mollusques consiste en ganglions, en nerfs et en cordons de communication.

2. Un même ganglion peut fournir à-îa-fois des nerfs à tout l'organisme.

3. Cependant les ganglions ont de la tendance à devenir spéciaux; les uns étant plus particulièrement destinés aux organes des sens, les autres aux organes de la nutrilion, d'autres enfin aux organes de la locomotion.

h. Le ganglion duquel émanent les nerfs de la vue, du goût et de l'odorat, est toujours situé au-dessus de l'œsophage.

5. L'organe de l'ouïe, quand il existe, reçoit le nerf qui lui est destiné, d'un ganglion situé à côté ou au-dessus de l'œ-sophage, lequel ganglion est commun aux nerfs viscéraux et locomoteurs.

6. Le ganglion le plus considérable n'est jamais le ganglion céphalique.

7. La situation du ganglion céphalique, son volume, les nerfs qu'il fournil, indiquent qu'il est un organe supplémentaire du tube digestif et qui a pour fonction principale de présider au choix des alimens et à leur préhension.

8. Le volume des nerfs est en rapport avec celui des organes

dans lesquels ils se divisent, et non avec celui des centres nerveux, auquel leurs troncs viennent aboutir.

9. Les ganglions œsophagiens, qui sont les ganglions principaux, sont toujours symétriques; les autres le sont ordinairement.

10. Chez plusieurs mollusques les organes extérieurs de la génération reçoivent des nerfs qui viennent directement du ganglion céphalique.

11. La chaîne qui réunit les ganglions de l'anneau œsophagien se compose de deux cordons nerveux adossés mais non confondus, et il ne s'en détache jamais aucun nerf.

12. Le ganglion céphalique, comparativement aux nerfs qu'il fournit, est beaucoup plus volumineux que les autres ganglions.

§ IL STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DES MOLLUSQUES.

Il est difficile de découvrir le système nerveux de la plupart des mollusques; mais une fois qu'on y est parvenu, on arrive facilement à en connaître la structure ; les circonstances qui s'opposent à une dissection quelque peu exacte de ce système, favorisent singulièrement les recherches nécessaires pour en découvrir la composition organique. En effet, la petitesse des ganglions, la ténuité, la transparence des filets nerveux permettent de placer ces organes tout entiers sous la lentille du microscope, avantage que l'on n'a, chez les grands animaux, que dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi, chez les mollusques, on peut suivre chaque nerf jusque dans la substance du ganglion, voir si les filamens qui vont aux organes des sens ont une origine différente de ceux qui vont aux muscles ou aux organes nutritifs. Chaque ganglion paraît avoir des fonctions spéciales, le ganglion céphalique, par

exemple, donne particulièrement des nerfs aux organes des sens, mais il n'est pas seulement doué de la faculté de sentir, car, de plusieurs points de son étendue, il fournit des nerfs destinés aux organes du mouvement. Ces nerfs du mouvement , les fournit-il de sa propre substance, ou les reçoit-il du ganglion pédieux ou moteur, avec lequel il est en communication? On peut résoudre ces questions pour ce qui concerne les mollusques, et préparer ainsi la solution des questions analogues qui se présenteront à l'occasion des animaux vertébrés.

M. de Blainville (1) dit à l'occasion des nerfs des mollusques ou , comme il les appelle, des malacozoaires : « Quant au nerf lui-même, il est difficile de le décomposer en fila-mens, et il semble formé par une matière médullaire homogène qui n'est cependant pas fluide. » Beaucoup de nerfs chez les mollusques ont, en effet, l'apparence qu'indique M. de Blainville , lorsqu'on les étudie à l'œil nu, ou même en s'aidant de la loupe ; mais il n'en est pas ainsi, comme nous le verrons lout-à-l'heure, lorsqu'on se sert du microscope. M. Ehren-berg (2) n'adopte pas la manière de voir de M. de Blainville; pour lui, les nerfs des mollusques ont une organisation analogue à ceux des autres animaux, seulement ils sont dépourvus de ce qu'il appelle des tubes articulés. D'après les recherches encore récentes de cet habile micrographe, le système nerveux serait composé dans toute la série animale, de fibres canaliculées ou de tubes. Ces tubes se diviseraient en deux ordres , les uns rectilignes, les autres renflés de dislance en dislance, ou comme il les appelle, articulés. Les premiers se distribueraient aux organes du mouvement, les autres aux or-

(1) Op. cit. p. 142.

(2) Observations sur la structura microscopique jusqu'à present inconnue du système nerveux. Berlin, i836 (en allemand).

ganesdes sensations; les animaux vertébrés auraient les deux ordres de tubes, et c'est en cela surtout que consisterait la perfection de leur organisation, les animaux articulés et les mollusques auraient seulement des tubes nerveux rectilignes, pour présider au mouvement, à la nutrition et à la sensibilité. Les tubes articulés ne contiendraient qu'un fluide transparent et homogène, tandis que les tubes rectilignes seraient remplis d'un fluide contenant des globules; c'est ce fluide que M. Ehrenberg propose d'appeler fluide nerveux, réservant le nom de matière médullaire pour la substance qui forme les parois des tubes articulés et celles des tubes rectilignes. J'ai examiné, avec grand soin, toutes les parties du système nerveux de l'escargot, et pour ne parler ici que de ce qui concerne ce genre de mollusques , je me suis trouvé presque toujours d'accord avec M. Ehrenberg.

La partie centrale de chaque ganglion de l'escargot, est formée d'une matière ponctuée, globuleuse, sans arrangement appréciable. En dehors de cette partie, se trouvent des lignes d'abord éloignées les unes des autres, et convergeant vers les nerfs dont ils constituent l'origine. Chaque nerf a une sorte d'épanouissement rayonné dans le ganglion, et cet épanouissement est la racine du nerf. Entre les racines des différens nerfs, iln'existe dans l'intérieur du ganglion, aucune communication directe, pas plus qu'avec les cordons du collier. Ainsi, pour ce qui concerne le ganglion céphalique, les nerfs qu'il fournit aux organes du mouvement naissent dans sa propre substance, et ne viennent pas, comme on aurait pu le supposer, du ganglion pédieux ou moteur; le double cordon formant de chaque côté le collier œsophagien, va se rendre directement dans la substance du ganglion, et c'est de celte même substance que partent, chacun en son lieu, les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs. Une commissure réunit le ganglion cépha

lique du côté droit à celui du côté gauche ; celte commissure est large, formée de fibres parallèles, analogues à celles qui vont former les nerfs, et naissant, comme elles, de la portion globuleuse du ganglion. Le ganglion viscéro-pédieux a une structure analogue à celle du ganglion céphalique.

Les nerfs et les cordons de communication sont tous formés de fibres rectilignes; il n'y a, sous ce rapport, aucune différence entre les nerfs de la sensation et ceux du mouvement; entre les nerfs qui naissent du ganglion céphalique et ceux qui naissent du ganglion viscéral ou du ganglion pé-dieux. Chacun de ces nerfs a, quant à sa structure intime, la plus grande conformité avec tous les autres. La seule différence qui existe entre eux vient de la manière dont ils sont enveloppés : les uns ont une membrane épaisse qui double le diamètre du nerf, les autres ont une simple enveloppe tellement ténue qu'il faut, pour l'apercevoir, un très fort grossissement. Ces enveloppes, épaisses ou ténues, sont parsemées de petites taches noirâtres, irrégulièrement disséminées sur différens points de leur étendue. Dès la naissance du nerf, on voit quelquefois une ligne qui en parcourt la longueur et la divise en deux parties égales; c'est la trace d'une division qui se complétera un peu plus loin ; car la division des nerfs ne se fait pas comme celle des vaisseaux, ce n'est jamais un tronc qui se ramifie, mais un faisceau commun qui se divise en fascicules. Les fibres canaliculées, d'un diamètre égal dans toute leur longueur, s'étendent, sans division, depuis l'origine commune à chacune d'elle, c'est-à-dire depuis le ganglion, jusqu'à la partie à laquelle elle est destinée.

Les nerfs de l'escargot sont formés de fibres canaliculées, rectilignes, remplies d'un fluide contenant des globules, Si l'on place un des nerfs de l'escargot sous la lentille du microscope, on y découvre des lignes parallèles, et entre ces lignes, une

substance ponctuée, globuleuse. En comprimant le nerf ainsi placé, entre deux lames de verre (1), en même temps que l'on continue à l'observer, on voit des molécules sortir en abondance de chacune des sections du nerf, et former comme un magma à l'endroit d'où elles sont sorties. Que la section du nerf soit complète, ou qu'il y ait seulement une incision partielle , le même effet se produit, avec cette différence cependant que, dans le premier cas, toutes les fibres canaliculées du nerf fournissent des globules, et que dans le second, ce sont seulement les fibres incisées. A l'aide de la pression, on peut vider complètement un nerf de tous ses globules ner-yeux, et le réduire en une simple enveloppe dans laquelle les tuyaux eux-mêmes, privés des globules qu'ils contenaient, finissent par disparaître comme disparaissent les vaisseaux capillaires sanguins vides de leurs globules. En comprimant avec une force graduellement croissante, le nerf optique de l'escargot, j'ai vu des séries de globules nerveux se diriger parallèlement les unes aux autres vers la section pratiquée à ce nerf, en sortir et se répandre au dehors. Ces globules, hors de leurs canaux, ont une certaine tendance à s'unir; ils sont d'abord comme agglutinés, mais ils finissent par se séparer sinon tous, au moins la plupart, et l'on peut alors mesurer leur diamètre et apprécier leur forme. Ils ne sont pas aplatis comme les molécules sanguines, mais globuleux, etils m'ontparu homogènes. Leur diamètre est de 0,0025 mill.; tandis que chez l'animal dont il s'agit, chez l'escargot, le diamètre des moélcules sanguines est de 0,0066 mill,, ce qui établit leur rapport dans la proportion de 1 à 2,64.

(i) G. Prockaska (de structura nervorum, trac. anat. sect. n,cap. 11, p. 3ag, Yiennae 1800), et M. Elirenberg (op. cit.), ont \ules globules nerveux sortir de leurs canaux : M. Elirenberg surtout a donné , sur cette expérience, les détails les plus satisfaisans.

Il est extrêmement facile de voir l'organisation canaliculée des nerfs de l'escargot, je l'ai constatée, non-seulement pour le nerf optique, mais aussi pour la plupart des autres nerfs, et je l'ai trouvée semblable dans tous : sous ce rapport, je n'ai pas aperçu de différence entre les nerfs de la sensibilité et ceux du mouvement ou de la nutrition. Plusieurs de ces nerfs ont une enveloppe qui double leur volume ; si on en place une portion sous la lentille du microscope, on voit l'enveloppe se rétracter et laisser libre la section du nerf; si alors on comprime , les molécules médullaires s'écoulent des tubes nerveux; leur enveloppe, quoique ayant aussi une apparence fibreuse, ne laisse échapper absolument aucune molécule nerveuse.

Puisque les nerfs de l'escargot sont composés de canaux, et que ces canaux contiennent des globules, n'en résulle-t-il pas qu'il y a une circulation nerveuse, comme il y a une circulation sanguine; et n'est-il pas permis de croire que, chez l'animal vivant, on pourra voir celte nouvelle circulation? Ici je pose seulement cette question sans chercher encore à la résoudre, parce qu'elle se représentera comme question générale, quand j'aurai exposé ce qui concerne la structure du système nerveux des animaux articulés et des animaux vertébrés. Toutefois, je dirai un mot des injections de nerfs des mollusques pratiquées par Poli. On sait que cet anato-miste, croyant avoir découvert et injecté les vaisseaux lactés des mollusques, avait découvert et injecté leurs nerfs. Dans quelle partie des nerfs l'injection avait-elle pu pénétrer? On a dit que c'était entre les fibres nerveuses et leurs enveloppes ; je partage cet avis. En effet, les canaux nerveux des mollusques ne peuvent pas être injectés, au moins par les moyens actuellement connus. Pour les plus fines injections, on se sert de tubes de verre ; or, ces tubes n'ont pas moins

de 0,4 mill, de diamètre,ils sont, par conséquent,beaucoup plus gros et que les canaux nerveux, et que les nerfs eux-mêmes', car le nerf optique de l'escargot, un des plus volumineux que fournisse le ganglion céphalique , n'a pas plus de 0,2. Il est donc de toute impossibilité qu'un tube de verre entre dans un tube nerveux, et qu'il y fasse pénétrer la matière à injection. S'il y avait pour les nerfs, comme il y a pour les vaisseaux artériels, veineux ou lymphatiques des réservoirs, des cavités par lesquelles l'injection pût être reçue, et de là se répandre dans les canaux nerveux, on réussirait peut-être à injecter les nerfs; mais ces cavités n'existent pas, ou si elles existent, on ignore où elles sont.

Les fibres canaliculées des nerfs de l'escargot en raison de leur extrême mollesse, ne sont pas séparables les unes des autres, et c'est ce qui m'a empêché de déterminer leur diamètre ; mais il n'en est pas ainsi du tissu fibreux qui enveloppe ces nerfs. Quand avec des instrumens délicats on serait tenté de croire que l'on est parvenu à séparer un nerf en plusieurs parties, on n'a pas fait autre chose que de séparer ce nerf de son enveloppe, laquelle se résout en fibres distinctes qu'il ne faut pas prendre pour des fibres nerveuses. On les reconnaîtra à deux caractères bien tranchés : elles ne contiennent pas, et, par conséquent, elles ne laissent pas échapper de globules médullaires; le tissu, qui les réunit, est parsemé de petites taches noirâtres, taches qui ne se rencontrent jamais sur le nerf privé de son névrilème. La meilleure manière de distinguer ces fibres névrilémati-ques des fibres nerveuses, est d'examiner la section d'un nerf; on voit les premières placées à la périphérie, revenues sur elles-mêmes, rétractées, et ne fournissant ni spontanément, ni par la pression, aucun globule médullaire, tandis que les autres, réunies en un faisceau central, laissent s'é-

chapper avee abondance les globules qu'elles contiennent: Sur les nerfs d'un escargot mort depuis quelque temps, les globules, ayant sans doute perdu de leur cohésion, s'échappaient des moindres déchirures faites à ces nerfs, avec presque autant de facilité et d'abondance, que les molécules sanguines s'échappent de leurs vaisseaux piqués ou dilacérés.

La couleur et la consistance des ganglions et des nerfs, chez les mollusques, varient beaucoup. Le plus ordinairement les ganglions sont opaques, les uns blancs, les autres grisâtres, tandis que les nerfs sont plutôt transparens. Chez les phallusies, le ganglion nerveux, unique dans ces animaux , est jaunâtre; celui des conchifères ou acéphales tes-tacés, est d'une couleur orangée plus ou moins intense ; celui de l'onchidie , parmi les gastéropodes, est d'un jaune brun. Le ganglion céphalique et les nerfs qui en émanent directement m'ont paru se rapprocher, plus que les autres, de l'organisation des parties analogues appartenant à des animaux plus élevés. Le ganglion céphalique est généralement assez ferme, et les nerfs qu'il fournit sont rarement transparens.

RESUME

1. Les ganglions nerveux des mollusques sont composés de matière globuleuse et de fibres.

2. Les nerfs sont composés de fibres creuses et contenant Un liquide rempli de globules.

3. Les fibres creuses ou canali culées des nerfs de la sensibilité , celles des nerfs du mouvement, et celles qui se répandent aux organes de la vie végétative, sont toutes de même forme et de même nature *• les globules nerveux, qui remplissent ces fibres canaliculées, n'offrent pas de différence appréciable.

U. Les nerfs, qui sortent d'un ganglion , appartiennent tous

à ce ganglion ; ainsi les nerfs moteurs, qui viennent du gah-glion céphalique, ne sont pas fournies à ce ganglion par ses filets de communication avec le ganglion pédieux : un même ganglion possède donc à-la-fois des propriétés différentes.

5. Il y a, chez l'escargot, des commissures, mais pas d'entrecroisement.

§ III. signification du système nerveux des mollusques.

Tout ce que j'ai dit jusqu'à présent sur le système nerveux des mollusques ne s'applique pas aux mollusques cirrhopo-des; ces derniers diffèrent trop des autres mollusques et ont des analogies trop marquées avec les animaux articulés, pour qu'il n'en soit pas fait à part une mention spéciale; j'en parlerai tout-à-l'heure et je montrerai la transition qui existe entre les mollusques et les articulés.

Le système nerveux des mollusques (celui des cirrhopodes excepté) a-t-il son analogue dans les animaux vertébrés? Quelle est sa valeur, sa signification dans le développement comparé du système nerveux de la série animale? Ces questions importent beaucoup à mon sujet, car de leur solution dépend la détermination du siège des facultés instinctives dans les mollusques.

Quelques anatomistes, parmi lesquels je dois citer Reil et Àckermann, pensent que le système nerveux des mollusques est l'analogue du système ganglionnaire ou nerf grand sympathique des vertébrés. La disposition de la masse nerveuse en ganglions et en nerfs donne, sous le point de vue descriptif, une certaine valeur à cette opinion. En effet, le très grand nombre des mollusques n'a, dans son organisation, rien qui ressemble, quant à la forme, au cerveau, au cervelet ou à la moelle rachidienne des vertébrés, et leurs ganglions épars, commit

niquant les uns avec les autres par des filets nerveux, ont, au premier aspect, une parfaite ressemblance avec les ganglions du grand sympathique. D'autres analomistes, plus préoccupés de la fonction assignée aux ganglions que de leur forme, n'ont pas hésité à donner le nom de cerveau, à celui des ganglions qui, placé au-dessus de l'œsophage, reçoit les nerfs principaux de la vie de relation. D'autres encore ont émis des opinions différentes, dont j'examinerai les principales.

L'analogie de forme ne doit pas, ce me semble, être prise en grande considération ; en effet, les mêmes organes peuvent , suivant les espèces d'animaux où on les observe, affecter des formes très différentes ; l'estomac d'un gallinacé est très dissemblable de celui d'un carnivore ; le poumon d'un mammifère est très dissemblable des branchies d'un poisson ; le cerveau lui-même, comme on le verra plus loin, privé de ses rapports avec les autres organes, ne serait pas reconnaissable de l'homme à la chauve-souris. La forme ne peut donc être prise que comme un des élémens de détermination, et l'on doit tenir compte de toutes les conditions organiques et fonctionnelles de la partie dont il s'agit d'établir la valeur. Ainsi, pour les ganglions des mollusques, il faut considérer leur situation, leur structure, voir quels nerfs en émanent et à quelles parties se rendent ces nerfs. Les ganglions du grand sympathique fournissent, chez les vertébrés, les nerfs de la vie organique ; que le ganglion céphalique des mollusques lui soit assimilé, le nerf optique cessera d'être un nerf de la vie de relation. Une pareille conséquence montre tout d'abord le vice du raisonnement qui y conduit. Au lieu de prendre le ganglion pour point de départ, que l'on prenne l'œil, le nerf recouvre ses véritables attributions ; mais pour continuer la comparaison avec les vertébrés, le ganglion céphalique devient la couche

optique, ou l'un des tubercules quadrijumeaux. Procéder d'après celte méthode, c'est comme si on entreprenait de calquer un objet simple sur un objet multiple; il resterait nécessairement dans l'objet multiple des lignes qui ne trouveraient jamais, dans l'objet simple, de terme de comparaison.

Les ganglions et les nerfs des mollusques ne sont donc pas les analogues du grand sympathique :représenlenl-ils chez ces animaux le système nerveux cérébro-spinal des vertébrés? Scarpa (1), Blumenbach (2), Cuvier (3), J.-F. Meckel (4), Gall (5), MM. Owen (6) et Garner (7) sont pour l'affirmative; Cuvier, dans la description qu'il a donnée des ganglions nerveux du poulpe, indique, chez cet animal, non-seulement un cerveau, mais encore un cervelet. Une dépression placée transversalement sur le ganglion sus-œsophagien, sépare ce ganglion en deux parties : dont l'antérieure serait le cerveau, et la postérieure le cervelet. M. Owen appelle ce même ganglion , chez le nautile , cerveau ou commissure centrale, et M. Garner, beaucoup plus explicite encore, cherche à démontrer qu'il y a une très grande ressemblance entre le système nerveux des mollusques céphalopodes, et celui des poissons. Le cerveau des mollusques est divisé en plusieurs ganglions placés autour de l'œsophage ; or, d'après M. Garner, le ganglion supérieur ou sus-œsophagien n'est aulre que le lobe optique des poissons, et la partie antérieure de ce ganglion est peut-être un rudiment des hémisphères cérébraux. Ce rudiment d'hémisphère donne naissance à un nerf .oui va

(r) Annot.anatomicœ, lib.i. De nervorum gangliis. Pavie ( 7Si, in-4. p. 38.

(2) Handbuch der vergleichenden Anatomic. Gœltingue, i8o5, p. 3i5.

(3) Op. cit.

(4) Handb. der menscldichen Anal. Halle, i8r5, M. p. 34 r.

(5) Anat. etpliysiol. du système nerveux. Paris, 1810, in-4° t. ' p. I09*

(6) Op. cit.

(7) Op. cit.

3

au ganglion labial , lequel ganglion labial fournit un grand nombre de nerfs destinés à deux membranes placées autour des mâchoires, et dont l'externe est analogue à celle que dans le nautile, M, Owén appelle organe olfactif.

M. Garner ne reconnaît pas de cervelet aux céphalopodes', et il fait observer à ce sujet, que le cervelet est souvent rudi-mentaire chez les reptiles. Les nerfs qui vont aux mâchoires, ù la langue, aux glandes salivairés, aux muscles de la déglutition , sont pour lui les analogues de là cinquième paire, et de l'origine du nerf grand sympathique ; la partie inférieure du cercle œsophagien qui fournit les nerfs respiratoire externe y acoustique et brattchiOAdscéral, ët le ganglion pédieux qui fournit aux Fibres musculaires du pied, sont les analogues de la moelle rachidienne ; et pour qu'on ne lui objecte pas que cette moelle rachidienne serait fort courte, M. Garner fait observer que d'après les recherchés d'Àrsaky et de Desmoulins, le lophitts ptscalvrms, le tetrottoii mold et lepetromyzon, ont ce prolongement d'Uhe extrême brièveté. M. Garner ajoute que les nerfs qui émanent du cerclé œsophagien des céphalopodes, traversent, pour se rendre à leur destination, des trous pratiqués dans Un cartilage ; il aurait pu dire encore que l'on trouvé chez le poulpe, ainsi que l'a démontré Cuvier, une véritable cavité crânienne dans laquelle est logé le ganglion céphalique.

Je n'adopte pas, sans restriction, l'opinion que je viens d'exposer. Et d'abord, je dois faire remarquer que là Comparaison de M. Garner ne se rapporte qu'aux céphalopodes et non à tous les mollusques; ensuite, je nierai posilivement que le ganglion céphalique des mollusques, puisse être désigné sous le nom de cerveau. Le cerveau n'est qu'une partie de l'encéphale des vertébrés ; il y a, en outre, les tubercules quadrijumeaux, le cervelet et la moelle allongée, qui en sont

aussi des organes constituais. Or, si chez les mollusques , il n'y a qu'une seule partie, à laquelle des quatre divisions de l'encéphale la rapportera-t-on? A celle qui lui ressemblera le plus? Mais aucune ne lui ressemble, au moins quant à la forme; cherchons donc un autre moyen de nous diriger. Le prétendu cerveau du nautile a pour caractère d'être une commissure placée en dedans des nerfs optiques, et de donner naissance aux nerfs linguaux et maxillaires : dans l'encéphale des mammifères, qui ressemble le plus à ce cerveau? C'est la moelle allongée. En effet, la moelle allongée donne naissance aux nerfs de l'encéphale, et de plus, elle est vraiment une commissure. Toutefois, dans le ganglion céphalique des mollusques, il n'y a pas seulement une commissure, c'est-à-dire des fibres nerveuses passant d'un côté à l'autre ; on y découvre en outre une substance granulée, globuleuse; or, la même substance se trouve dans la moelle allongée des vertébrés ; et d'ailleurs, je ne voudrais pas que l'on désignât ce ganglion sous le nom de moelle allongée, ce qui serait lui supposer des rapports avec un cerveau et un cervelet ; mais je lui laisserais le nom de ganglion céphalique , sous lequel il a été désigné et qui me paraît le plus convenable, particulièrement en ce qu'il indique une relation avec l'encéphale des vertébrés tout entier, et non avec une de ses parties. Malgré l'exemple donné par Cuvier, je n'appellerai donc pas cervelet la partie postérieure du ganglion céphalique du poulpe, parce qu'il n'est pas démontré qu'elle soit un cervelet plutôt qu'un des tubercules quadrijumeaux ou un appendice cérébral.

M. Carus a émis une idée théorique sur la valeur des différentes parties du système nerveux, considéré dans la série animale, et cette idée, si elle n'est pas mise au rang des vérités, est au moins fort ingénieuse. Le système

3.

nerveux est divisé, par M. Carus, en deux parlies fort distinctes, l'une destinée aux fonctions de la vie organique, l'autre aux fonctions de la vie animale ; toutes deux sont placées à des pôles différens : la première au côté ventral, au pôle terrestre ; la seconde au côté opposé, au pôle lumineux ou solaire. Le grand sympathique, chez les animaux vertébrés , est au pôle terrestre, la moelle épinière et le cerveau, sont au.pôle lumineux ; l'un préside à la nutrition, les autres aux fonctions de relation à ce qui constitue la vie de l'animal. Les mollusques, quoique privés d'un double système nerveux, ne dérogent cependant pas au principe établi par M. Carus; un de leurs ganglions préside à tous les autres, c'est le ganglion céphalique qui, placé au-dessus de l'œsophage , occupe véritablement le pôle lumineux ; tandis que les autres ganglions de ces animaux , placés au-dessous du tube alimentaire, occupent le pôle terrestre. Au premier sont dévolues les facultés les plus élevées dont sont doués les mollusques, aux autres les facultés secondaires.

M. Serres a soutenu, sur la signification du ganglion céphalique des mollusques, une opinion qui est toul-à-fait contraire à celle de Cuvier et de MM. Garner et Carus. Pour cet anato-miste, le ganglion dont il s'agit, est l'analogue du ganglion appartenant au nerf trijumeau des animaux vertébrés. Voici, en abrégé, quel a été,sur ce sujet, le raisonnement deM.Serres. La taupe est privée du nerf optique, et pourtant elle voit ; les cétacés sont privés du nerf olfactif, et pourtant ils odorent ; la plupart des poissons manquent du nerf spécial de l'audition, et pourtant ils entendent ; c'est que, dans chacun de ces cas, le nerf de la cinquième paire supplée aux autres nerfs, et remplit leurs fonctions. Ainsi, la vue, l'odorat, l'ouïe, peuvent appartenir à un même nerf, et la cinquième paire peut remplacer les autres nerfs cérébraux. A ce raisonne

ment, M. Serres ajoute : « le ganglion œsophagien n'est pas l'analogue du cerveau, car le cerveau de l'embryon est liquide, il a besoin d'être contenu dans des enveloppes osseuses ou cartilagineuses; or, rien de semblable n'existe autour des ganglions des animaux articulés. Les mollusques, les insectes , les crustacés, n'ont, pour chaque organe des sens, qu'un nerf, et les vertébrés en ont deux; or, chez les premiers , pas de cerveau, donc pas de nerf provenant du cerveau, mais seulement un nerf de la cinquième paire; privés de l'encéphale, les invertébrés doivent aussi être privés des nerfs propres de l'olfaction, de la vision et de l'audition. Enfin, des organes dissimilaires peuvent remplir une même fonction ; la peau et les poumons peuvent concourir à la respiration, donc, chez les invertébrés, le ganglion de la cinquième paire peut devenir le siège et le point de réunion de leurs diverses sensations. » A cela, je répondrai :

1° Que le nerf optique existe chez la taupe, Treviranus et surtout M. Cams (1) ont mis ce fait hors de doute;

2° Que les cétacés ne sont pas privés de nerf olfactif. Treviranus a décrit le nerf olfactif du marsouin (2) ; M. Mayer de Bonn l'a vu chez le même animal. Je dois dire pourtant, à ce sujet, que grâce à l'obligeance de M. Jean Muller, ayant pu étudier, à Berlin, le cerveau de la baleine franche, je n'y ai pas trouvé de nerf olfactif, quoique le sillon, occupé ordinairement par ce nerf, y fut bien tracé ;

3° Que, sur la question de savoir si l'audition s'opère chez les poissons par le moyen de la cinquième paire, les anato-mistes ne sont pas d'accord ; car si, d'un côté Scarpa est pour

(1) Op. cit. Tome 1, page io3.

(2) Biologie, Cuetliii^ue, i(Jo2~-1322. 1. 4, in-8.

l'affirmative, Cuvier (1), Treviranus et M. Weber ont reconnu que le nerf auditif existe réellement chez les poissons, et qu'il est seulement en connexion très intime avec la cinquième paire ;

4° Enfin, que ces trois assertions de M. Serres, fussent-elles aussi bien démontrées qu'elles le sont peu, il en résulterait seulement que le nerf de la cinquième paire peut présider à des fonctions très variées, mais nullement que son ganglion soit l'analogue du ganglion céphalique des invertébrés ; car ce ganglion céphalique est un organe central, excitateur et sensitif, tandis que le ganglion du nerf trijumeau n'est, en quelque sorte, qu'un accident de ce nerf, un renflement placé sur son trajet. Pour établir une comparaison fondée, même dans l'hypothèse de M. Serres, il faudrait ne pas s'arrêter au ganglion de la cinquième paire, mais remonter jusqu'au point où ce nerf entre dans la moelle allongée, car c'est là le seul point où ses filets d'origine puissent se croiser avec ceux de son congénère, et former une commissure qui rappelle la commissure du ganglion céphalique.

«Le ganglion œsophagien, dit encore M. Serres, n'est pas l'analogue du cerveau, carie cerveau de l'embryon est liquide , il a besoin d'être contenu dans un crâne, et il n'existe pas de crâne chez les animaux articulés. » Il n'y a pas de crâne chez tous les animaux articulés, mais il y en a chez plusieurs et notamment chez les insectes. Les mollusques eux-mêmes, dont M. Serres ne parle pas, et qui pourtant n'auraient pas dû

(i) « La septième paire de nerfs est consacrée à l'ouïe chez les poissons, comme chez les autres vertébrés. » C'est ainsi que s'exprime Cuvier et ailleurs il ajoute : C'est principalement dans la distribution de la huitième paire que l'on peut admirer la constance avec laquelle chaque nerf s'attache, dans toutes les classes, aux mêmes fonctions.» Voy. Cuvier et Valenciennes. Hist, nat. des poissons, Paris, 1829, tom. 1, p, 44I.

être oubliés, n'en sont pas tous dépourvus, Cuvier a décrit le crâne du poulpe, et M. Garner fait observer que les nerfs du ganglion céphalique des céphalopodes, traversent des trous crâniens, pour se rendre vers, les organes auxquels ils sont destinés. (1)

a Privés de l'encéphale, les invertébrés doivent nécessairement être privés aussi des nerfs propres de l'olfaction, de la vision et de l'audition. » Ce principe et la conséquence qu'en tire M, Serres ont lieu d'étonner quand on se rappelle la }oi fondamentale qu'a posée cet anatomiste, concernant le développement excentrique des organes (2). En effet, si le développement des appareils se fait de la circonférence au centre, comme le prétend M. Serres, les nerfs doivent être en rapport, et pour leur volume et pour leur nombre, non pas avec l'encéphale, dont ils sont séparés dans le premier temps de leijr formation, mais avec les appareils organiques eux-mêmes, « Tpus les nerfs, je répète les expressions de l'auteur dont je réfute l'opinion (3), tous les nerfs se formant de la circonférence au pentre, leur origine se trouve nécessairement dans les organes auxquels on suppose ordinairement qu'ils se distribuent, et leur terminaison ou leur insertion se fait sur l'axe cérébrospinal duquel on les a fait provenir jusqu'à ce jour. » Si cela est vrai, le nombre et la grosseur des nerfs doivent être en rapport avec le volume et la perfection des organes qu'ils animent; or, l'œil des céphalopodes est déjà d'une grande

(i) Aristote connaissait déjà le crâne cartilagineux des mollusques; voici ce qu'il en dit (Hist, des anim, I. iv, chap. 2) : « Les parties de la tête sont la bouche, qui a deux dents, et au-dessus des dents deux grands yeux ; entre les yeux est un petit cartilage, contenant un peu de cervelle. •

{2) Serres, Anat. comp. du cerveau, Paris. 1827, t. I, xxiv.

(3) Id, p. xxxvih.

perfection, comme on peut s'en convaincre en lisant la description qu'a donnée Cuvier, de l'œil du poulpe, et celle que M. Owen a donnée de l'œil du nautile; ainsi déjà chez les mollusques, on devrait appeler nerf optique, le nerf qui s'épanouit dans la rétine, et ne pas le considérer comme une branche de la cinquième paire ; mais chez les insectes, cette conséquence serait encore plus inattaquable, car ils ont, pour la plupart, l'organe de la vue tellement développé, qu'on pourrait presque dire de leur tête qu'elle est tout yeux. L'argument tiré du peu ou si l'on veut du défaut de développement du nerf olfactif des cétacés, où l'odorat paraît être très peu développé ; celui que l'on pourrait induire de la petitesse ou même de l'absence du nerf optique chez la taupe , où l'organe de la vue est presque nul, ne seraient donc pas applicables ici ; car chez les céphalopodes et les insectes, le volume des yeux, loin d'être amoindri, est plus que centuplé, si on le compare à celui des autres animaux. Enfin, une objection dernière et décisive ; le nerf optique des insectes et des mollusques se sépare isolément du ganglion céphalique; il n'est pas, à son origine, uni à d'autres nerfs, et il va de ce ganglion s'épanouir en entier dans la rétine, absolument comme chez les vertébrés : la seule particularité qu'il présente, c'est de se renfler dans certaines espèces d'invertébrés, en un ganglion plus ou moins considérable, et placé à une distance variable du ganglion céphalique, mais qui ne fournit pas de filets que l'on puisse considérer comme les analogues de la cinquième paire. La détermination faite par M. Serres du système nerveux des invertébrés, est donc tout-à-fait inadmissible.

Le cordon œsophagien double de chaque côté, et les ganglions auxquels ils vont s'unir, représentent la moelle ra-chidienne des vertébrés. La forme de ces parties est, à la

vérité, fort différente, pourtant on peut remonter des unes aux autres par une gradation évidente, et facile à saisir. Le système nerveux de l'anatife (1) étudié d'abord par Cuvier, puisparM.Martin-St-Ange, va me servir de preuve. Ce système se compose d'une double chaîne, dont la partie antérieure représente l'anneau œsophagien des autres mollusques, et dont la postérieure rappelle la moelle épinière des vertébrés. Le long de cette chaîne, règne une série de ganglions correspondant au volume et au nombre des cirrhes de l'animal ; supposez réunis tous les ganglions latéraux, en une seule masse ganglionaire centrale, et vous aurez le ganglion vis-céro-pédieux de l'escargot; réunissez au contraire les deux colonnes nerveuses le long de laquelle régnent les ganglions, et vous aurez une moelle analogue à celle des animaux articulés , et de ces derniers à la moelle des vertébrés, la transition est facile.

La supposition que je fais, relativement à la réunion en une seule masse des ganglions placés en dehors des cordons œsophagiens, se trouve réalisée dans les crustacés, où l'on peut suivre leur rapprochement successif depuis le talitre qui a une véritable chaîne ganglionaire, jusqu'au maïa qui a seulement deux ganglions, l'un céphalique et l'autre abdominal. MM. Audouin et Milne Edwards, qui ont fait ce rapprochement pour les crustacés, en ont établi la justesse sur des preuves qui le mettent hors de toute contestation, ainsi qu'on le verra dans le chapitre consacré à la description du système nerveux des crustacés. Comparez (2) l'anatife au

(i) "Voy. Pl. ne où le système nerveux de cet animal est figuré d'après les dessins qu'en ont publiées Cuvier et M. Martin-St.-Ange.

(a) Voy. Pl. ire où se trouvent les figures représentant le système nerveux de l'anatife, du talitre et du maïa.

talilre, ils ont, entre eux, une très grande analogie pour la disposition des ganglions nerveux ; comparez également l'escargot au maïa, vous verrez qu'il en est de même; ehI bien, du maïa au talitre, le passage s'opère par une série de crustacés, dont le système nerveux va progressivement en se rapprochant de l'un ou de l'autre.

Les ganglions spinaux sont considérés par M. E. H. We-^ ber (1), comme les analogues des ganglions des invertébrés, ce Les nerfs spinaux, dit M, Weber, ont un volume inverse de celui de la moelle épinière ; chez l'homme, la moelle épi-nière est considérable comparativement à ses nerfs ; le volume des nerfs augmente progressivement chez les oiseaux, chez les amphibies et chez les poissons, tandis que celui de la moelle diminue ; enfin chez les céphalopodes, la moelle n'existe plus, les nerfs seuls persistent avec leurs ganglions. Les filets qui, chez les vertébrés, partent des ganglions pour aller à la moelle, et constituent les racines des nerfs spinaux, s'unissent chez les mollusques, ceux d'un côté avec ceux du côté opposé, sans l'intermédiaire de la moelle, et forment la commissure moyenne qui joint entre elles les deux parties la^-térales, dont se composent les ganglions des invertébrés.» Cette manière de voir se rapproche de celle que M. Serres a adoptée relativement à la valeur du ganglion de la cinquième paire qui serait, d'après cet anatomiste, l'analogue du gan-^ glion céphalique des invertébrés ; on peut faire à l'une et à l'autre les mêmes objections. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit plus haut à ce sujet, j'aurai d'ailleurs occasion d'y revenir encore en parlant de la structure du cordon médullaire des articulés.

Treviranus (2) comparait les ganglions des invertébrés aux

(t) Anat. comp, nervisympathici. Leips. 1817, in-80. (2) Journ. compl, des se. méd, t. 18. p. a5o.

ganglions spinaux des vertébrés et à ia moelle épinière; il ne s'arrêtait pas, comme nous avons vu que l'a fait M. Serres, à une forme organique déterminée, et il avait grandement raison ; car, dans la question dont il s'agit, ce n'est pas une forme que l'on veut trouver, mais un organe remplissant une fonction spéciale. Or, les ganglions spinaux sont-ils bien l'organe que nous cherchons? ont-ils par eux-mêmes une valeur indépendante? Nullement. Coupez les racines antérieures et les racines postérieures de la moelle, et vous ôtez toute action aux ganglions spinaux. La moelle est l'organe central pour les vertébrés, comme les ganglions le sont pour les invertébrés, et c'est en eux que résident les phénomènes vitaux dont nous étudions les conditions et les causes organiques.

Des faits qu'il a découverts concernant la structure microscopique du système nerveux, M. Ehrenberg conclut que les invertébrés n'ont pas l'analogue de l'encéphale ou de la moelle rachidienne. La substance du cerveau et celle de la moelle sont formées, dit-il, de tubes articulés, lesquels tubes ne contiennent aucune moelle nerveuse, mais seulement un fluide dense, transparent, homogène, qu'il propose de désigner sous le nom de fluide nerveux. Or, M. Ehrenberg, ne retrouvant rien de semblable à des tubes articulés, ni dans les ganglions, ni dans les cordons, ni dans les fdets nerveux des invertébrés, conclut que ces animaux sont dépourvus de cerveau et de moelle épinière. Il ne sera pas difficile de faire voir combien cette conclusion est peu fondée.

La moelle épinière et le cerveau ne sont pas les seules parties du système nerveux des vertébrés qui consistent en une agglomération de ce que M. Ehrenberg appelle des tubes articulés ; d'après cet anatomiste, les nerfs olfactife, optiques et auditifs en sont formés également ; or, si l'on est fondé à nier

l'existence d'un encéphale et d'une moelle rachidienne chez les invertébrés, par la seule raison qu'on ne trouve pas dans le système nerveux de ces animaux de tubes articulés, il faudra également leur refuser des nerfs olfactifs, des nerfs optiques et des nerfs auditifs. Il n'y a nulle raison, en effet, pour que le principe posé ne s'applique pas aux nerfs senso-riaux tout aussi bien qu'aux centres nerveux. Il est douteux que les mollusques aient un nerf olfactif, mais il ne l'est nullement que beaucoup d'entre eux n'aient des yeux, que plusieurs n'aient des oreilles , et qu'il existe pour chacun de ces organes des nerfs spéciaux. Niera-t-on l'existence des nerfs optiques du poulpe, par exemple, parce que le nerf qui va s'épanouir dans l'œil de cet animal et qui sert à le vivifier, n'est pas formé de tubes articulés? Ce serait, il faut l'avouer, un singulier raisonnement ; car, pour être conséquent, on devrait nier aussi que la vision s'opère chez cet animal, puisque, toujours d'après M. Ehrenberg, les nerfs des sens, et même ceux de la sensibilité, sont exclusivement formés de tubes articulés. La théorie de M. Ehrenberg ayant pour conséquence de refuser aux invertébrés toute sensation, toute sensibilité, est, par cela seul, inadmissible.

Le ganglion céphalique, par sa contexture, ses relations et ses usages, représente, chez les mollusques, l'encéphale des animaux vertébrés ; ce que j'ai dit, en parlant de son volume, comparé à celui des nerfs, donne une nouvelle certitude à la légitimité de cette détermination. En effet, le volume du ganglion céphalique de l'escargot que j'ai pris pour exemple , est aux nerfs qui en partent, comme 1 est à 0,403, tandis que le ganglion viscéro-pédieux est à ses nerfs comme 1 à 0,977, ce qui établit en faveur du ganglion céphalique une prééminence marquée sur le ganglion pédieux, et répète la loi déjà citée de Sœmmering, qui donne à l'encéphale un

volume d'autant plus considérable proportionnellement aux nerfs qui en partent, que l'animal a des facultés plus développées. Cette loi, que Soemmering a posée pour l'encéphale, s'applique aussi aux ganglions dont la sphère d'action s'étend en raison directe de leur développement comparatif.

La moelle rachidienne est représentée par les deux doubles cordons qui ferment l'anneau œsophagien et les ganglions qui interrompent la continuité de ces cordons ou qui les terminent rappellent la chaîne ganglionaire des articulés, chaîne qui, chez les vertébrés, convertie en moelle rachidienne, laisse pourtant encore des traces de son existence chez les anguilles.

RÉSUMÉ.

1. Le système nerveux des mollusques n'est pas l'analogue du système ganglionaire des vertébrés.

2. Le double ganglion céphalique n'est pas l'analogue des lobes cérébraux.

S. Ce ganglion est toujours situé au côté lumineux de l'animal , tandis que les autres sont généralement du côté terrestre.

4. Le ganglion céphalique n'est pas l'analogue du ganglion appartenant au nerf trijumeau des vertébrés.

5. Le ganglion céphalique des mollusques représente chez ces animaux l'encéphale des vertébrés; il a plus d'analogie avec la moelle allongée qu'avec le cervelet, les tubercules quadrijumeaux ou le cerveau.

6. Il existe, chez beaucoup de mollusques, des nerfs spéciaux pour la vision et l'audition, peut-être en existe-t-il aussi pour l'olfaction.

7. Le cordon œsophagien et les ganglions que ces cordons réunissent, sont les analogues de la moelle rachidienne.

8. Toutefois, on ne peut pas dire que le système nerveux des mollusques soit seulement l'analogue du système cérébro-rachidien, il tient par sa structure, par ses usages et par sa forme, du système cérébro-spinal et du système ganglionaire des animaux vertébrés.

| IV. Facultés des mollusques.

La vie se borne, chez les mollusques, à ce quelle a de plus élémentaire : se nourrir et engendrer; la plupart des mollusques ne vont pas au-delà. Il en est même qui semblent n'avoir jamais que l'existence des foetus, tels sont les biphores qui restent long-temps unis ensemble, comme ils l'étaient dans l'ovaire , et qui nagent liés les uns aux autres. Les agrégés, animaux appartenant, ainsi que les biphores, à la classe des acéphales sans coquilles, après être restés quelque temps séparés, se réunissent et adhèrent ensemble tant que dure leur vie. Les botrylles sont réunis en forme d'étoile ; si l'on pique un des rayons de l'étoile, il se contracte seul ; si l'on en pique le centre, tous se contractent. Les pyrosomes se réunissent aussi par un de leurs bouts ; le bout resté libre est au dehors, il porte l'orifice buccal; l'autre, adhérent aux autres pyrosomes, est l'orifice anal. De cette agrégation résulte un grand cylindre qui, par les contractions et les dilatations combinées de chaque individu, se meut et nage dans la mer.

A quoi servent-ils ? Il y a des animaux qui s'en nourrissent, et Ton voit quelques-uns d'entre eux briller dans la mer de tout l'éclat du phosphore. La nature se pare de la beauté qu'elle leur donne ; elle les réserve comme alimens à des animaux plus parfaits : c'est là tout ce que nous savons du but de leur existence.

D'autres mollusques ne s'unissent pas entre eux, mais se fixent à la pierre ou à la terre : les ascidies, les huîtres sont privées de toute locomotion ; les premières ont un petit orifice par lequel elles absorbent et rejettent alternativement l'eau dans laquelle elles restent plongées ; leur vie ne nous offre rien de plus manifeste ; les autres ehtr'ouvrent leurs valves et reçoivent la nourriture que leur apporte l'eau de la mér. Les moules sont déjà mieux pourvues ; elles peuvent se mouvoir et changer de place. Pour avancer, elles se creusent un sillon et marchent sur le tranchant de leurs coquilles. Aristoté dit qu'il y a des moulés qui volent ; Poupart (!) a vu la grande espèce de moule d'étang voler à la surface de l'eau; il a vU aussi plusieurs individus frapper l'eau, de leurs valves, avec beaucoup de vitesse. Quand il fait froid, les moules s'enterrent dans le sable. *

Plusieurs mollusques sont parasites : les gastrôchènes vivent dans l'intérieur des madrépores qu'elles percent; les otions vivent sur les diadèmes, et ceux-ci sur les baleines. Les baleines, dont la peau sert ainsi de domici^à Une double série de mollusques, se nourrit elle-même d'une autre espèce de ces animaux qui se trouvent én quantité innombrable dans les mers du nord : c'est le clio boreatis. La baleine ne peut pas ouvrir la bouche sans en engloutir des milliers, aussi a-ton nommé le Clio pâture de la baleine. (2)

Les mollusques se nourrissent des matières organisées qui se trouvent en suspension dans l'eau, ou de végétaux ou d'autres mollusques, ou même de poissons. Les limaces et les hélices recherchent telle ou telle plante, attirés par l'odeur au milieu de la plus profonde obscurité (3). On sait peu de

(1) Rem. sur les coquillages à deux coquilles. Coll. acad. p. étr. t. 2. p, 34^.

(2) G. Cuvier, Mémoires sur les mollusques. Mémoire sur le clio.

(3) Blainville, Manuel de malacologie. Paris, 182.5, in-8, fig.

chose sur les facultés qui ont pour but de concourir à l'alimentation chez les mollusques, si ce n'est cependant chez les céphalopodes; ceux-ci, les mieux partagés sous le rapport du système nerveux, sont aussi les plus élevés pour leur instinct. Aristote en parle dans plusieurs passages de son Histoire des animaux. « Le plus rusé des mollusques, dit Aristote (1), est la seiche. Elle se sert de sa liqueur noire seulement pour se cacher, et elle ne la jette pas seulement lorsqu'elle a peur, comme font le polype et le calmar. Au reste, ces différens animaux ne jettent point en une seule fois tout ce qu'ils ont de liqueur, et quand ils l'ont jetée, elle se reproduit. La seiche se sert souvent de sa liqueur noire pour se cacher ; on la voit sortir du nuage qu'elle forme et y rentrer. Elle attrape les poissons à l'aide de ses longues appendices, et ce ne sont pas seulement des petits poissons qu'elle prend ainsi, mais souvent jusqu'à des muges. Elle rassemble tout, pêle-mêle, dans le domicile qu'elle habite, et après avoir mangé ce qu'il y a de bon, elle jette dehors les écailles des coquillages, les enveloppes des^ancres et les arêtes des poissons. » Cette faculté de changer de couleur, dont parle Aristote, est commune à tous les céphalopodes ; elle est bien supérieure, dit Cuvier, à celle du caméléon (2) ; tous également jettent une liqueur noire pour se cacher quand ils sont poursuivis ; c'est au point que la mer en est quelquefois presque noire, dans certains endroits.

La nourriture ordinaire des céphalopodes consiste en coquillages, écrevisses, crabes, etc., qu'ils saisissent avec leurs longs bras et qu'ils écrasent, malgré la dureté des en-

( i) Liv. ix. SgZ

(2) Cuvier, Règne anim. t. 3. p. 10; Carus. Nov. acta curios, xii. part. 1, p. 3ao; San Giovanni, Ann. des sc. nat. xvi. p. 3o8.

veloppes dont leur proie est couverte. Us font une chasse si destructive des homards et des crevettes, que les pêcheurs n'en trouvent plus que de mutilés. Les hommes eux-mêmes ont été plus d'une fois victimes des céphalopodes, non pas, comme on le dit, qu'il y ait des céphalopodes assez grands pour manger des hommes, mais parce que, en enlaçant les pieds des nageurs, ils empêchent leurs mouvemens et les font périr.

Après l'alimentation, qui entretient la vie de l'individu, vient la reproduction, qui entretient la vie de l'espèce. Toutes les manières connues de se reproduire, excepté celle par bouture, se retrouvent chez les mollusques. Les acéphales se fécondent eux-mêmes, et les petits séjournent dans l'épaisseur des branchies de plusieurs acéphales testacés avant de naître. Les scutibranches et les tubulibranches n'ont pas non plus besoin du rapprochement de deux individus. Les limaces et les hélices sont hermaphrodites, mais seuls ils ne peuvent procréer; il faut que deux de ces animaux se rencontrent et se réunissent : c'est le premier et le plus infime degré de ce que, dans l'espèce humaine, nous appelons amour. Chez les colimaçons, à l'époque ou la chaleur du printemps les a dégourdis , il se forme une double sécrétion, l'une dans l'ovaire, l'autre dans le testicule : alors des rapprochemens, des caresses, des essais, puis l'union intime de deux individus. Il existe d'autres manières encore pour d'autres mollusques qui s'enlacent les uns dans les autres de telle façon qu'ils forment des cordons procréateurs, dont on peut lire la description dans les ouvrages des naturalistes (1). Quant aux céphalopodes, ils ont des sexes séparés, et en cela ils s'élèvent au-dessus des précédens ; ils auraient même, si l'on en croit

(1) V. de Blainville , Manuel de malacologie, p, 184.

i. h

Aristote, des caractères différens suivant les sexes. La seicîiê mâle serait courageuse et viendrait au secours de la seiche femelle ; tandis que celle-ci, timide et faible, fuirait toujours à l'approche du moindre danger. (1)

Un des céphalopodes, celui auquel Aristote a donné le nom de polype nautile et qui, aujourd'hui, est plus ordinairement désigné sous le nom d'argonaute, a été l'objet de l'attention des observateurs. « Le polype nautile, dit Aristote, s'élève du fond de la mer et vogue à sa surface ; quand il veut monter, il renverse sa coquille, tant afin de faciliter sa sortie de l'eau, qu'afin de vider son vaisseau ; arrivé sur l'eau, il vide sa coquille. Entre ses bras est une espèce de tissu qui s'étend jusqu'à leur extrémité, et ressemble à la membrane qui joint les doigts des oiseaux palmipèdes ; la seule différence consiste en ce que la membrane de ces oiseaux est plus épaisse, au lieu que celle du nautile est mince comme une toile d'araignée. Lorsqu'il fait un peu de vent, le nautile se sert de cette membrane comme d'une voile ; pour ramer il se sert de ses bras qui sont dans l'eau. Survient-il quelque sujet de crainte, il se plonge dans la mer en remplissant sa coquille (2). » Pline, Elien, Oppien, etc., partagent l'opinion d'Aristote, qui se retrouve presque entièrement reproduite dans le Règne animal de Cuvier. M. Laurillard m'a donné, sur la natation de l'argonaute, des renseignemens qui la rendent moins poétique. Il a vu l'argonaute avancer sans rame et sans voile, mais bien à l'aide de l'entonnoir avec lequel il aspire et repousse alternativement une certaine quantité d'eau. Celte eau qu'il projette devant lui, éprouve une résistance qui se transmet à l'animal et le fait avancer à reculons.

Les nudibranches offrent quelque chose d'analogue à ce

(1) Histoire des animaux, I. ix. ch. i.

(2) lbid. liv. ix. ch. xxxvn.

qu'on disait de l'argonaute : ils se renversent pour nager, et le manteau ainsi que les tentacules dont ils sont pourvus leur tiennent lieu de rames.

Je ne dois pas omettre, dans l'histoire nécessairement si bornée des facultés des mollusques, un fait propre à une espèce de gastéropode pectinibranche. La fripière, c'est le nom que l'on a donné à ce mollusque, est remarquable par l'habitude qu'elle a de coller à sa coquille des corps étrangers, tels que des petits cailloux et même d'autres coquilles ; elle s'affuble ainsi d'une espèce de vêtement bizarre que l'on a comparé à une friperie. * :

L'intelligence des mollusques, excepté pourtant celle des céphalopodes, est, on peut le dire, entièrement nulle ; leurs sens sont en petit nombre. Ils ont la sensibilité générale, ou le sens du toucher, qui paraît s'exercer par toute la surface de leur corps, non recouverte par une coquille, et en particulier par les tentacules ; le goût, s'il existe, est probablement très faible; l'odorat s'exerce certainement chez plusieurs, ainsi que la vision, et chez un plus petit nombre, on ne peut mettre en doute l'organe et la faculté de l'audition.

Dira-t-on que les mollusques vivent en société, parce qu'ils se trouvent ensemble, dans les mêmes lieux? Pour les céphalopodes, cela serait tout au plus presumable ; mais pour les autres, s'ils se trouvent réunis, c'est parce qu'ils sont nés ensemble et qu'ils trouvent ensemble la nourriture dont ils ont besoin. Du reste, il n'existe entre eux aucun lien ; le rapprochement des individus pour la fécondation n'existe même que chez les céphalopodes et les gastéropodes. M. de Blainville, dans son Manuel de malacologie, a consacré un chapitre à l'exposé des rapports des mollusques entre eux ; un autre, au rapport des parens avec le produit de la génération; un troisième, au rapport des mollusques avec l'espèce humaine. Ces cha-

U.

pitres, comme on le pense bien, sont fort courts ; il n'y avait pas matière à discourir longuement sur de pareils sujets. J'y ajouterai cependant un mol. M. Chamisso a vu que, parmi les biphores, les individus sortis d'un ovaire multiple n'ont pas d'ovaire, et produisent des individus isolés, tandis que ces derniers donnent naissance à des individus pourvus d'ovaires , et par conséquent semblables à ceux dont leur mère est sortie ; en sorte qu'il y a alternativement une génération d'individus isolés, et une génération d'individus agrégés (1). Ce fait en rappelle un autre que l'on retrouve quelquefois chez l'homme.; je veux parler de la ressemblance des traits, des facultés et dés maladies qui se transmettent aux enfans, moins fréquemment du père que de l'aïeul.

RÉSUMÉ.

1. Les mollusques n'ont pas de facultés que l'on puisse comparer aux facultés de l'entendement.

2. Deux fonctions principales existent chez eux, l'alimentation et la génération. .

3. Parmi les mollusques, les plus élevés sous le rapport des facultés, sont les céphalopodes, c'est-à-dire ceux des mollusques qui ont le ganglion céphalique le plus considérable.

U. Tous les mollusques jouissent de la sensation du toucher; beaucoup de la vue et peut-être de l'odorat; quelques-uns jouissent aussi de l'audition.

(i) Cuvier, Règne animal, t. 3. p. i6j, et Chamisso, Dissert, de Salpa, Berlin, 1810,.

CHAPITRE II.

SYSTEMS N£RV2UX DES ANIMAUX ARTICULÉS,

Les animaux articulés, bien inférieurs aux mollusques sous le rapport des organes de la circulation et de la nutrition , l'emportent de beaucoup sur ces derniers quant au développement de leur système nerveux. On ne rencontre que très rarement, chez les animaux articulés, des ganglions épars, subordonnés en quelque sorte à l'existence des organes qu'ils animent ; la matière nerveuse se rapproche , se réunit pour former une longue chaîne renflée de distance en dislance par des ganglions. A la simple vue, on reconnaît que le cordon médullaire de ces animaux se rapproche de la moelle spinale des vertébrés. Le ganglion céphalique, et suriout les organes des sens acquièrent, dans les premiers ordres de celle classe, une admirable perfection. Le développement des facultés correspond à celui des centres nerveux ; on voit chez les insectes , par exemple, surgir des instincts dont les mollusques sont dépourvus , et s'opérer des actes qui dénotent une industrie supérieure à celle de la plupart des autres animaux ; parfois même, je ne crains pas de le dire, il se manifeste des phénomènes qui appartiennent à l'intelligence.

Une opinion généralement reçue fait descendre les animaux invertébrés au-dessous des vertébrés : cette opinion n'est pas fondée, car les insectes l'emportent sur les poissons, et parmi les insectes, la fourmi, l'abeille non-seulement sur-

passent les poissons et les reptiles, mais elles ont au moins autant de valeur que les oiseaux et les mammifères. Les naturalistes qui ont coordonné les animaux dans une seule série, ont trouvé des embarras qu'ils n'ont pu surmonter : ils ont éloigné les unes des autres des espèces très rapprochées sous beaucoup de rapports. Pour éviter ces embarras on a imaginé des séries parallèles, et Ampère, l'un des auteurs qui ont réalisé cette idée avec le plus de succès, a comparé et classé les animaux de la manière suivante (1) :

Vertébrés.

ire série.

' Mammifères Oiseaux. Reptiles. \ Poissons Mollusques ( Céphalopodes à tête dis- \ Ptéropodes. tincte. ( Gastéropodes / Acéphales . Mollusques j Brachiopodes acéphales, j Ascidiens simples \ Ascidiens composés

2e série.

Arachnides. Insectes. Myriapodes. Crustacés.

Cirrhipèdes. Annelides à pieds. Annel. sans pieds.

Echinodermes. Acalèphes. Polypes simples. Polypes composés.,

!Animaux articulés à sexes séparés.

IArticulés hermaphrodites.

| Rayonnes.

Le rang élevé qu'occupent, dans la seconde série, les arachnides et les insectes, rendra moins étonnantes pour nous leur industrie et leurs habitudes ; placés par leur organisation en regard des mammifères et des oiseaux, nous entrevoyons déjà l'importance et la cause des facultés dont ils sont doués.

Quoique construit sur un plan uniforme, le système nerveux des articulés offre cependant de notables différences suivant ceux de ces animaux chez lesquels on l'observe. Très simple et en quelque sorte élémentaire chez les uns, il est plus compliqué chez d'autres ; il présente des ganglions qui ne varient pas moins par leur nombre que par leur volume.

(i) V. Martin St-Ange, Mëm, sur l'organisation des cirrhipèdes et sur leurs rapports naturels avec les animaux articulés, Paris, i835, in-4°, fig. p. 34»

Je vais l'examiner successivement sur les enthelminlhes, les annelides , les crustacés, les arachnides et les insectes.

§ I. DESCRIPTION DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ LES ANIMAUX ARTICULÉS.

1° Enthelminthes. Les enthelminthes ont-ils tous un système nerveux? On le dit, mais je ne regarde pas ce fait comme bien démontré. Bojanus (1) l'aurait vu chez la douve du foie, M. Jules Cloquet (2) dans l'ascaride lombricoïde, et Otto dans le strongle géant.Cuvier reste dans le doute; Laennec (3), Lamarck, M. Serres admettent son existence chez les animaux dont il s'agit; Rudolphi (4), au contraire, la nie formellement. M. Jules Cloquet, qui, le premier, en a donné une description détaillée, s'exprime ainsi : « J'ai examiné le cordon dorsal et le cordon abdominal de l'ascaride lombricoïde sur plus de deux cents individus : vus sous le microscope, ces cordons ne présentent pas une structure fibreuse, mais semblent formés par un tissu granulé très fin ^ comme médullaire, qui offre quelque analogie avec celui des cordons latéraux.La disposition des cordons dorsal et abdominal, les renflemens successifs qu'ils éprouvent, les filamens déliés qu'ils donnent de part et d'autre , leur réunion autour de la bouche, leur couleur constamment blanche et leur texture intime peuvent les faire considérer comme des nerfs munis de renflemens et de ganglions. » Malgré l'autorité de M. J. Cloquet, je n'admets pas que les cordons supérieur et inférieur de l'ascaride lombricoïde soient des cordons nerveux. « Vus sous le microscope, ils ne pré-Ci; Isis, 1821, t. I, p. 168.

(2) Anat. des vers intestinaux, Paris, 1824, in-i0.

(3) Diet, des sc. we'd., t. 11, p. 34a.

(4) V. pour l'anat. des vers intestinaux, les travaux de Bojanus, Bieinser^ Rudolphi, Westrumb, Home, Delle-Chiaje, Mijrrcn, etc.

sentent pas une structure fibreuse, mais semblent formés par un tissu granulé très fin, qui offre quelque analogie avec celui des cordons latéraux. » A de semblables caractères on ne saurait reconnaître des nerfs, et la comparaison faite par M. Jules Cloquet qui leur trouve de l'analogie avec les cordons latéraux, cordons bien évidemment vasculaires, explique suffisamment la nature des premiers. J'ajoute qu'ayant examiné au microscope les lignes qui parcourent le côté dorsal et le côté ventral de l'ascaride Jombricoïde du cheval, je me suis assuré qu'elles ne présentent aucunement l'aspect d'un nerf, et je n'y ai reconnu aucun ganglion; cependant j'avais pris toutes les précautions possibles pour bien voir ces lignes et en apprécier la structure. Je suis très porté à croire que M. Jules Cloquet s'est trompé, et cela avec d'autant plus de raison que l'ascaride lombricoïde serait le seul animal, parmi les invertébrés, qui aurait une chaîne ganglionaire à son côté dorsal. Chez les invertébrés, tous les anatomistes en conviennent, il n'y a que le ganglion céphalique qui se trouve au-dessus de l'œsophage ; le reste du système nerveux est au-dessous du tube digestif.

J'ai parlé de deux cordons latéraux qui se rencontrent sur les côtés de l'ascaride lombricoïde; on convient généralement que ces cordons sont de nature vasculaire, et après l'inspection attentive que j'en ai faite, je partage cette opinion. M. Serres est d'un avis opposé , il ne met pas en doute que ces cordons ne soient des nerfs, et comme ces prétendus nerfs sont désunis dans toute la longueur de l'animal, car ils sont tout-à-fait sur les côtés, l'un à droite et l'autre à gauche , M. Serres reconnaît dans cette disposition, lapreuve que l'ascaride lombricoïde conserve, pendant toute son existence, l'état primitif et embryonnaire des larves des insectes (1). L'avis de

(x) Serres. An at, com p. du cerveau, t, 2, p, ij.

M. Serres n'étant pas conforme à l'observation, ne doit pas nous arrêter ; il est, on le voit clairement, le résultat d'une idée préconçue.

La forme du ganglion céphalique, tel qu'il a été décrit par les auteurs qui en ont admis l'existence, varie un peu suivant les espèces d'enthelminthes ; celle des cordpns ganglionaires varie aussi, mais dans des limites assez étroites et qui ne sont nullement comparables à ce qui a lieu, sous ce rapport, chez les mollusques. Une disposition anatomique se montrerait ici, pour se répéter avec plus ou moins de fidélité chez tous les articulés, c'est l'existence d'un appareil nerveux complet pour chacun des anneaux de l'animal, c'est-à-dire un ganglion et des nerfs qui vont à toutes les parties occupant l'anneau.

2° Annelides. J'ai soigneusement étudié le système nerveux du lombric de terre et de la sangsue, j'en parlerai avec détail et j'ajouterai sur ce point quelques faits nouveaux à ceux qui sont déjà connus. J'ai attaché une grande importance à les bien constater, parce que j'y ai trouvé, à l'état ru-dimentaire, des faits anatomiques qui se reproduisent non-seulement chez les autres articulés, mais aussi chez les vertébrés les plus parfaits.

Lombric de terre (1). Au-dessus de l'œsophage, tout près de la ventouse orale, se trouve de chaque côté un petit ganglion mamilla#e ; une commissure réunit ces deux ganglions qui communiquent avec la moelle ventrale par deux cordons constituant l'anneau œsophagien. Du point de réunion du cordon de l'anneau avec le ganglion céphalique, naissent deux nerfs qui se portent en dedans , vers la ventouse orale. Je n'ai pas vu d'autre nerf partant de ce ganglion. L'anneau n'est pas formé par un double cordon comme chez les mollusques , mais par un cordon unique ; il offre en outre

(i) V. pl, ire le système nerveux du lombric de terre, un peu grtjssi.

cette autre différence, qu'il fournit plusieurs nerfs destinés aussi, autant que j'ai pu m'en assurer, à la ventouse orale. Au-dessous de l'œsophage ces deux cordons se réunissent, et de leur adossement résulte la moelle ou chaîne ganglionaire qui règne dans toute la longueur du côté ventral du lombric. Cette moelle présente, à la première vue, un aspect noueux qui lui donne une grande ressemblance avec la moelle rachidienne de l'anguille ; mais cet aspect noueux est le résultat de la rétraction du névrilème, et il disparaît en grande partie par l'allongement de la moelle. Une ligne médiane sépare la moelle en deux parties et sur les côtés naissent les nerfs qui se portent à droite et à gauche de l'animal. Ces nerfs, qui sont toujours disposés par paires, sont alternativement doubles et simples. A l'endroit où naît la double paire de nerfs, la moelle éprouve un léger renflement; dans les espaces intermédiaires, c'est-à-dire là où naît seulement un nerf de chaque côté , on n'observe aucun renflement. Le volume de la moelle ne varie pas sensiblement de la ventouse orale à la ventouse anale , il est par conséquent le même d'un bout du corps à l'autre. Un ganglion, situé près de l'anus, termine la moelle en arrière. (1) Sangsue (2). Le ganglion céphalique de la sangsue

(1) M.Cams, dans son Traité élémentaire cAlnat. comp. Paris, i835 (V. pl. v, fig. i3) donne la description du système nerveux du lombric de terre; on n'y voit pas le ganglion céphalique, ni les doubles racines des nerfs spiraux. La figure que je publie sur le même sujet montre toutes ces parties grossies à l'aide du microscope, parce qu'on ne les aperçoit pas bien sans recourir à cet instrument. M. H. Rathke (de Bopyro et Néréide • comm. anatomico-phy-siologicœ duce, Rigœ et Dorpati, 1837, in-4),adonné la figure du système nerveux de la Néréide pub. Il y a beaucoup d'analogie entre cette figure et celle que j'ai fait exécuter pour le ver de terre. La moelle est formée de renfle-mens successifs, de chacun desquels il sort, à droite et à gauche, trois racines nerveuses.

(2) Voy. pl. 1, fig. *p*.

ressemble à celui du lombric terrestre, il se continue également en deux cordons, l'un à droite et l'autre à gauche, pour se réunir sous l'œsophage et former le commencement de la moelle. Cette moelle a des ganglions très distincts, bien visibles à l'œil nu et fournissant chacun deux paires de nerfs. Entre les ganglions, on ne trouve aucune racine nerveuse. Ainsi, deux différences bien tranchées existent entre le lombric de terre et la sangsue : dans le lombric, des ganglions peu distincts et des paires de nerfs qui alternent doubles et simples ; dans la sangsue, des ganglions véritables et pas de nerfs intermédiaires. Une ligne médiane règne tout le long de la moelle, qu'elle partage en deux cordons complètement séparables l'un de l'autre dans to ut l'espace compris entre les ganglions ; mais, sur ces ganglions, interception complète de la séparation, et même de la ligne médiane (1). Un ganglion anal termine la moelle ; il est très rapproché des deux avant-derniers et fournit des nerfs qui s'étalent en manière de patte d'oie.

La double paire de nerfs qui naît de chaque ganglion est l'une au-devant de l'autre dans la sangsue comme dans le lombric, et non pas l'une au-dessus de l'autre comme cela a lieu pour les racines des nerfs spinaux, chez les vertébrés.

La substance de ces nerfs et de ces ganglions est blanche et opaque, tandis que nous l'avons vue transparente surtout dans les nerfs, ou différemment colorée chez les mollusques.

(i) M. Moquin-Tandon, dans sa belle Monographie des h'vudinées (in-40, Montpellier, 1827), a omis de dire que la moelle de la sangsue se compose d'un double cordon nerveux, et M. Joseph Swan qui a publié la figure du Système nerveux du même Annelide, n'a pas même indiqué la trace de la séparation qui existe entre ces cordons. Y. l'ouvrage de ce savant anatomiste , intitulé : Illustrations of the comparative anatomy of the nervous système Lond. i835. in-40. L'auteur a été plus exact dans la représentation du Système nerveux de la scolopendre et du homard.

3° Crustacés. On trouve chez les crustacés une assez grande variété dans la disposition du système nerveux : il en est qui ont des ganglions isolés très analogues à ceux des gastéropodes ; d'autres qui ont une double chaîne ganglionaire ; d'autres enfin où les ganglions , placés successivement les uns après les autres, rappellent les ganglions de la sangsue et s'élèvent même jusqu'à ceux des insectes. MM. Audouin et Milne Edwards ont parfaitement décrit ces dispositions, et ils ont fait connaître les transitions successives qu'éprouve la matière nerveuse pour passer de la forme de ganglions isolés à la double chaîne ganglionaire. Je ne puis mieux faire que de rapporter ici un extrait du travail fait en commun par ces deux naturalistes, sur le système nerveux des crustacés. (1)

« Le système nerveux des crustacés se présente sous deux aspects très différens; tantôt, comme cela a lieu dans le ta-litre (2), cet appareil est formé par un grand nombre de renflemens nerveux, semblables entre eux, disposés par paires et réunis par des cordons de communication, de manière à former deux cordons ou chaînes ganglionaires, distantes l'une de l'autre et occupant toute la longueur de l'animal. Tantôt, au contraire, il se compose uniquement de deux ganglions ou renflemens noueux, dissemblables par leur forme, leur volume et leur disposition , mais toujours simples et en paires et situés l'un à la tête et l'autre au thorax. C'est ce que l'on rencontre dans le maïa.

a Ces deux modes d'organisation semblent essentiellement différens : cependant ils sont analogues, et pour s'en convaincre il suffit de suivre la disposition du système nerveux

(r) Recherches anat. sur le système nerveux des crustacés Ann. des se, nat.,mn. 1828, t. xrv,p. 77.

(2) V. la pl. i|C où se trouvent reproduites les figures publiées par 3MM.-4»doiiin et Milne Edwards, ô*u système nerveux du talitre et du maïa,

d'aulres crustacés. En effet, le talitre a deux chaînes gan-glionaires. Dans le phyllosome, ces deux moitiés latérales tendent à se réunir sur la ligne médiane à l'extrémité antérieure du corps ; elles sont distantes du thorax et s'accolent de nouveau dans l'abdomen. Dans le cimothoé les deux noyaux médullaires et les segmens du corps sont confondus sur la ligne médiane en une seule masse ganglionaire ; mais les deux cordons nerveux qui lient ces ganglions entre eux restent encore parfaitement distincts. Le homard nous montre un nouveau degré de cette espèce de centralisation du système nerveux, car non-seulement les ganglions sont devenus impairs par l'union des deux noyaux latéraux, mais les cordons inter-ganglionaires eux-mêmes présentent dans l'abdomen une disposition semblable et ne constituent plus qu'un seul tronc placé sur la ligne médiane. Enfin dans le palémon celte réunion des deux moitiés latérales du système nerveux est portée à un plus haut degré encore, parce que les ganglions ne présentent plus de traces de division sur la ligne médiane et que les cordons de communication ne sont restés distincts que dans les points où des obstacles mécaniques se sont opposés à leur réunion , c'est-à-dire là où l'œsophage passe entre eux, et vers le milieu du thorax, là où l'artère ster-nale les sépare , en allant gagner la face inférieure du corps.

« Mais ce genre de centralisation n'est pas le seul qui s'observe dans les crustacés. En même temps que les parties latérales du système nerveux se rapprochent de la ligne médiane, des modifications analogues se font remarquer suivant la longueur de l'animal. D'abord les nœuds ganglionaires sont également espacés comme dans le talitre. Dans le cimothoé les cordons inter-ganglionaires de l'abdomen se raccourcissent et les ganglions se rapprochent les uns des autres.Dans le palémon, c'est au thorax que celte concentration se fait remar

quer; les trois dernières paires de ganglions s'agglomèrent entre elles; il en est de même des deux premières, et les cordons qui unissent la troisième à ces deux masses médullaires sont assez courts. Dans le langouste un degré encore plus grand de centralisation, car tous les ganglions thoraciques sont, pour ainsi dire, soudés bout à bout, il n'y a qu'une masse nerveuse allongée, percée d'un trou pour le passage de l'artère sternale ; mais dans cette masse on distingue encore les noyaux médullaires qui concourent à la former.

« Dans le carcin (Cuvier), les noyaux nerveux se groupent autour d'un seul point. Dans le maïa, la concentration des noyaux nerveux est encore portée plus loin , ils sont réunis en une seule masse solide. »

Après cette description générale du système nerveux des crustacés, je vais entrer dans quelques détails sur ce qui concerne l'écrevisse et le homard.

Le ganglion céphalique de l'écrevisse a une forme quadrilatère , il est surmonté de deux tubercules mamelonnés semblables à ceux que l'on trouve sur les ganglions thoraciques et abdominaux du même animal. J'aurais voulu le mesurer pour en connaître le volume et le comparer au volume des nerfs qui en partent, mais sa surface est trop inégale et son épaisseur trop variable pour qu'il soit possible d'en avoir les dimensions avec exactitude. Il fournit des nerfs aux organes de la vue, du toucher, de l'ouïe et de l'odorat ; il communique avec la chaîne ganglionaire par un anneau très largement ouvert, au centre duquel passe l'œsophage. La chaîne ganglionaire n'est autre chose que la continuation des deux cordons de l'anneau,réunis à la région thoracique par cinq gan -glions, et à la région abdominale par six. Dans l'intervalle de ces ganglions, les colonnes nerveuses sont séparées naturellement ou très facilement séparables ; elles s'accolent l'une à

l'autre, mais ne se confondent pas : c'est le contraire dans les ganglions, la séparation ne peut s'y opérer sans déchirure,

Les ganglions thoraciques sont plus considérables que les ganglions abdominaux ; ils sont aussi plus rapprochés les uns des autres que ces derniers ; ils correspondent en procédant d'avant en arrière, le premier ganglion aux pinces, les quatre autres aux quatre paires de pattes. Un canal osseux les protège comme chez les vertébrés , le canal spinal protège la moelle du même nom. Dans l'abdomen ou queue de l'écrevisse, se rencontrent, à des distances régulières, six ganglions égaux entre eux pour le volume; le dernier ganglion seul fait exception ; il est très rapproché de celui qui le précède et très volumineux. Chacun des ganglions de l'abdomen répond à l'un des segmens dont se compose cette partie.

Les nerfs fournis par la chaîne ganglionaire sont deux paires pour chaque ganglion et une paire pour chaque espace inter-ganglionaire. Ces trois paires de nerfs, destinées à chacune des sections du corps, naissent sur un même plan, comme celles du lombric de terre. C'est un fait à noter, que des nerfs sortent de la chaîne ganglionaire dans les intervalles des ganglions : on sait que Gall s'est efforcé de prouver que la substance blanche naît toujours de la substance grise, et que les nerfs ont toujours pour point d'origine un ganglion. Le tiers des nerfs du ver de terre et de l'écrevisse ferait-il exception à cette règle ? La réponse à cette question se trouvera dans l'article suivant, quand je parlerai de la structure microscopique de la chaîne ganglionaire des animaux articulés.

Le dernier ganglion termine, sans aucun prolongement médullaire, la chaîne de l'écrevisse ; il sort de ce ganglion douze nerfs qui s'étalent en manière de patte d'oie et vont se rendre à l'extrémité postérieure de l'animal.

Le système nerveux du homard ne diffère pas sensiblement

de celui de l'écrevisse, seulement les parties dont il se compose sont plus distinctes, en raison du volume plus considérable de l'animal.

Les ganglions nerveux des crustacés sont blanchâtres ou transparens; les'cordons de communication sont transparens ainsi que la plupart des nerfs. Pour bien voir ces derniers, il faut les plonger pendant quelque temps dans l'alcool ou dans une dissolution saline. Il est des crustacés qui ont tout le système nerveux et même toutes les parties de leur corps, à l'exception des yeux, d'une transparence parfaite : tels sont les phyllosomes qui sont transparens comme du cristal, à à l'exception des yeux dont la couleur est bleu de ciel ; tels sont aussi les alimes et quelques autres. (1)

4° Arachnides. La forme d'un animal indique assez bien la disposition de son système nerveux : les crustacés, dont le corps est allongé, ainsi que les annelides comme la sangsue et le ver déterre, ont une longue chaîne ganglionaire; le maia, animal large et court, a seulement deux ganglions qui donnent leurs filets tout autour d'eux et en rayonnant; les céphalopodes ont presque tout leur système nerveux dans la tête et ainsi des autres mollusques, suivant que telle ou telle partie est chez eux plus ou moins développée. Il n'en est pas autrement chez les arachnides (2). La tête de ces animaux n'est pas distinctement séparée de la poitrine, les pattes sont, à leur insertion au thorax, très rapprochées les unes des autres, le corps est court et l'abdomen arrondi se termine sans aucun renflement caudiforme. Les ganglions thoraciques sont réunis en une seule masse qui elle-même est soudée au ganglion céphalique; un double cordon part de la masse nerveuse thoraci-

(i) V. Quoy et Gaimard; Observ. sur quelques crustacés, An, des se. nat., 1828, t. xiv.

y (2) v. Treviranus, Vom Bau der arachniden,Nuremberg, 1812,111-4°, F. aussi Léon Dufonr, Strauss, etc.

que et va se terminer dans le ganglion abdominal. Le ganglion céphalique donne des nerfs pour les organes manduca-toires et les organes des sens; la masse thoracique, de forme rayonnée, envoie, par chacun de ses rayons, des nerfs aux pattes; le ganglion abdominal fournit aux intestins, aux branchies , aux organes génitaux, etc. (1)

On voit dans l'ensemble du système nerveux des arachnides un type différent de celui des annelides et des crustacés ; la masse nerveuse tend à s'agglomérer vers les parties antérieures. Ne donnons pas cependant à cette tendance plus d'importance qu'elle n'en a réellement, *car nous allons voir dans les insectes les plus parfaits, le bourdon et l'abeille, par exemple, une chaîne ganglionaire très analogue à celle des annelides et qui en diffère seulement par le volume comparativement plus considérable de quelques-uns de ses ganglions. D'ailleurs, même parmi les arachnides pulmonaires, on rencontre un système nerveux formé de deux cordons parallèles, réunis de distance en distance , par des ganglions ; c'est le cas des scorpions. (2)

5° Insectes. Tous les insectes ont cela de commun que leur système nerveux consiste en une chaîne ganglionaire, mais le nombre et surtout le volume des ganglions varie beaucoup suivant le genre d'insecte et suivant la période de sa vie. Hé-rold (3) a suivi les changemens qui s'opèrent dans le papillon du chou, depuis son état de chenille jusqu'à celui de papillon. Dans la chenille , douze ganglions sont séparés, à l'exception des deux derniers, par de longs cordons nerveux?

(i) F. Pl.

(a) F. Cuvier, 'Règne animal^.. 4, p. 268, par Lalreille.

(3) Entwichlungseschichte dcr Schmetterlinge, etc., Cassel l8o5, in-4° Vi aussi, sur les métamorphoses du phalœna piniaria, Suecow, Anat. phys, Untersucluingen der insectcn, etc., Heidelberg, in-4°, iSi8.

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5

dans la chrysalide, un même nombre de ganglions, mais plus rapprochés et plusieurs tendant à s'unir ; dans le papillon, seulement sept ganglions, mais l'un d'eux, plus gros que tous les autres, formé par la concentration en une seule masse de plusieurs des ganglions isolés de la chenille (1). Ces faits, qu'a publiés Hérold dès l'année 1815, M. Serres les a reproduits avec une grande fidélité dans son Anatomie comparée du cerveau (2) ; mais, sans doute par inadvertance, M. Serres a oublié d'en indiquer l'auteur. C'est un oubli que je répare , parce qu'il faut rendre à chacun la justice que méritent ses œuvres. *

Le système nerveux de la chenille du bois de saule est formé, d'après Lyonet (3), de treize ganglions dont le céphalique est le plus considérable et donne naissance à un grand nombre de nerfs. Deux cordons nerveux longitudinaux, l'un à droite et l'autre à gauche, unissent entre eux ces ganglions; ils sont tout-à-fait séparés dans les quatre premiers espaces inter-ganglionaires, et séparés seulement en partie dans le reste de leur étendue. Les ganglions sont biîobés, deux paires de nerfs naissent de chaque ganglion et se portent en dehors. Le deuxième et le troisième ganglions sont soudés l'un à l'autre, le douzième et le treizième le sont également. Lyonet a compté chez la chenille dont il s'agit, quarante-cinq paires de nerfs, c'est-à-dire douze ou quatorze nerfs de plus qu'il n'y en a chez l'homme. Dans la chenille du bois de saule, dans le grillon domestique, comme dans plusieurs autres insectes, il y a des nerfs intermédiaires aux ganglions et qui paraissent tirer leur origine des cordons inter-ganglionaires.

(i) V. pl. ile.

(a) Tome 2, pag. a6 et suivantes.

(3) Traité anat. de la chenille, in-4°, 1762;—R. Grant) Outlines of comp-amt., p. 194.

Le carabe doré étudie par M. Léon Dufour (1) a une double colonne nerveuse réunie de distance en distance par neuf ganglions ; le ganglion supérieur ou céphalique donne des nerfs optiques qui sont très gros; le second est thoracique, le troisième pectoral, et les autres appartiennent à l'abdomen. Les filets nerveux qui en émanent sortent tous des ganglions, il ne s'en détache aucun des colonnes médullaires.

Le hanneton (2) a six ganglions qui se réunissent en deux groupes principaux ; au premier groupe appartiennent le ganglion céphalique et le ganglion sous-œsophagien, auxquels il faut ajouter les ganglions optiques ; au second groupe, les ganglions du corselet et de l'abdomen. Le ganglion céphalique donne cinq paires de nerfs, savoir : les nerfs antennaux, les nerfs optiques, et trois autres nerfs destinés aux mâchoires et aux lèvres. Ces trois derniers sont regardés par M. Strauss-Durkeim, auquel j'emprunte cette description, comme étant les analogues de la cinquième paire. Le ganglion optique, très considérable comme chez tous les insectes, donne uniquement aux yeux. Le ganglion sous-œsophagien , regardé par M. Strauss comme faisant réellement partie du cerveau, fournit des nerfs à la bouche et à plusieurs organes des sens. Quant aux ganglions du corselet, du thorax et de l'abdomen, ils donnent des nerfs en très grand nombre qui vont à toutes les parties du corps. M. Strauss a vu deux ganglions impairs placés sur l'œsophage, qui distribuaient des nerfs aux organes de la vie de nutrition. C'est le premier rudiment du nerf crand svmDatbique.

Deux insectes hémiptères étudiés par M. Léon Dufour (3), la nèpe cendrée et le pentatome gris, ont un système nerveux

(1) Recherches anat. sur les carahiques, etc., 1824-25 et a6.

(2) V. Pl. ire, le système nerveux du hanuelon, par M. Strauss-Durkeim.

(3) Recherches anat, et phys. sur les hémiptères, Paris, 18 33, in-4°« fig-

5.

qui diffère beaucoup l'un de l'autre (1). La nèpe cendrée a trois ganglions réunis par deux cordons nerveux distincts et séparés; le pentatome gris, au contraire, a ses deux cordons réunis et comme soudés l'un à l'autre, dans toute leur longueur. Plusieurs circonstances méritent ici de fixer notre attention : le petit nombre et le volume considérable des ganglions , la multiplicité des nerfs destinés à la vision, chez le pentatome; la naissance d'un grand nombre de nerfs, chez le pentatome et la nèpe cendrée, qui a lieu loin des ganglions. Ce dernier fait, si l'on s'en rapporte à une simple vue, servirait de réfutation à l'opinion de ceux qui font toujours venir les nerfs des ganglions. Je me contente de signaler ici celte observation que j'ai déjà faite à l'occasion du lombric de terre, pour i'éclaircir tout-à-l'heure à l'aide d'expériences microscopiques.

Le bourdon et l'abeille (2) ont entre eux une très grande analogie en ce qui concerne la disposition de leur système nerveux ; chez tous deux c'est une chaîne ganglionaire dont la parlic postérieure noueuse rappelle la chaîne ganglionaire de la chenille et môme de la sangsue ; mais une disposition importante et qui place ces deux insectes bien au-dessus de tous les autres, c'est la prépondérance de leurs ganglions céphaliques. Ces ganglions sont tellement volumineux qu'ils constituent véritablement une tête, surtout si l'on y joint le ganglion optique.

On voit, d'après ce qui précède, qu'il y a une très grande différence dans la disposition du système nerveux des animaux articulés ; cette différence peut-elle être soumise \ des

(0 r.pl. ire.

(u) /'".pl. ire, U figure du bourdon reproduite d'après Trevirantts, Ûïolo-gie, t. v, pl. irc; et pour J'abeiHV, Ratzeburg, Dcttelhmg unci ficschrdbung, etc., t, ïi, pl. xx e,

lois? Rien dans la nature ne se fait au hasard, partout il y a une règle et là où nous croyons voir de l'extraordinaire, du bizarre, par une étude plus attentive on Unit par découvrir des principes arrêtés, une règle constante. Ce qui est arrivé pour les monstres en est un exemple bien remarquable ; toutes ces formes singulières et en apparence capricieuses que présentent les vices de conformation, ont été ramenées à des causes simples et constantes par les savantes recherches de MM. Geof-froy-Sainl-Iïilaire (1). S'il en est ainsi pour les monstres, à plus forte raison cela doit-il être pour l'organisation normale. Plusieurs entomologistes se sont occupés de la recherche de ces lois : M. Latreille (2) a appliqué aux insectes , en général , la description du système nerveux des chenilles décrites par Lyonet et par Hérold ; mais sont venus ensuite les travaux de Léon Dufour et de Slrauss ; les recherches faites en Allemagne par Treviranus et Ratzeburg ont été connues en France, et il a été évident, pour nous, que le système nerveux des insectes est construit d'après un plan bien différent de celui qu'avait supposé M. Latreille. M. Strauss (3) a entrepris d'indiquer les lois auxquelles est soumis le système nerveux des animaux articulés et il en a posé huit qui sont applicables aux articulés dont le système nerveux est connu, mais qui probablement ne le seront pas à tous ceux qui n'ont pas encore été examinés, et ces derniers sont encore en grand nombre. Attendons, pour poser des lois, que tous les faits sur lesquels elles doivent s'appuyer soient découverts.

(i) E. G.-St-Hilaire, Philosophie anatomique; clI. G.-St-Hilaire, Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisme chez l'homme et les ani-maux, Paris, i832-t836, 3 vol. in-8° avec atlas.

(s) Règne animal de Cuvier, Système nerveux des insectes, t. 4»pag- 2t)3«

résumé.

1. Le système nerveux des animaux articulés est presque toujours composé d'une chaîne ganglionaire.

2. L'extrémité antérieure de cette chaîne est placée sur l'œsophage et renflée en un double ganglion, quelquefois même en un plus grand nombre ; le reste de la chaîne est situé au-dessous du tube digestif.

S. Il est douteux que les enthelminthes aient un système nerveux.

k. Les annelides sont pourvus d'une chaîne ganglionaire; leur ganglion céphalique donne des nerfs qui partent de l'endroit où il s'unit à l'anneau ; quelques nerfs sortent de l'anneau, contrairement à ce qui a lieu chez la plupart des mollusques ; les nerfs de la chaîne ganglionaire viennent non-seulement des ganglions, chez les sangsues, mais aussi des cordons inter-ganglionaires, chez le lombric terrestre.

5. Les crustacés présentent une grande variété dans la forme de leur système nerveux ; on y retrouve l'analogue du système nerveux des gastéropodes et de celui des insectes. Des transitions qui se trouvent dans la classe des crustacés servent à expliquer comment ce changement s'opère.

6. Le ganglion céphalique des crustacés donne des nerfs qui vont aux organes des sens, c'est-à-dire aux organes de la vue, de l'ouïe, du toucher et de l'odorat dans les genres qui sont pourvus de ces sens.

7. Chez les crustacés comme chez quelques annelides, les nerfs ne sortent pas seulement des ganglions, mais aussi des cordons inter-ganglionaires.

8. Chez les arachnides le nombre des ganglions est très borné, la matière nerveuse montre de la tendance à se réunir vers*la tête.

9. Le nombre des ganglions qui entrent dans la composition du système nerveux des insectes est très variable ¦ il est différent chez le même insecte, suivant que cet insecte est à l'état de chenille , de chrysalide ou de papillon.

10. Le ganglion le plus considérable, chez les insectes, est toujours le ganglion céphalique.

11. Le ganglion céphalique des crustacés est comparative* ment plus considérable que celui des annelides, celui des arachnides et des insectes plus considérable que celui des crustacés.

12. Comme dans les crustacés et dans plusieurs annelides, des nerfs simples naissent des cordons inter-ganglionaires.

13. Quelques insectes présentent des rudimens du nerf grand sympathique.

§ II. STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX DES ANIMAUX ARTICULES.

La conformation du système nerveux des animaux articulés est aussi variable que la structure en est uniforme : chez tous on retrouve les mêmes dispositions fondamentales des élé-mens organiques; car les différences que l'on observe portent seulement sur la somme des parties et non sur leur nature. On en aura la preuve dans ce que je vais dire touchant la structure du lombric de terre, de la sangsue, de l'ccrevisse, du grillon domestique et de l'abeille.

Le ganglion céphalique du ver de terre est une double eminence mamelonnée , blanchâtre, située au-dessus de l'œsophage ; les deux mamelons sont unis entre eux par une commissure, et se joignent à la chaîne gangiionalre par l'entremise d'un cordon. Examiné au microscope, on voit que ce ganglion est composé de matière globuleuse et de filamens. Parmi ces filamens ceux qui sont situés à la partie interne se

dirigent d'un mamelon à l'autre et forment la commissure, ceux qui sont en dehors entrent dans le cordon œsophagien ou vont former les nerfs destinés au pourtour de la ventouse orale* Toutes les fibres , tant celles des nerfs que celles du cordon œsophagien, ont une extrémité qui s'épanouit dans la substance globuleuse ; toutes les fibres de la commissure se rendent de la substance globuleuse d'un ganglion à la même substance du ganglion opposé.

Le cordon œsophagien du ver de terre est simple de chaque côté ; je l'ai examiné à l'état frais, et après l'avoir fait durcir dans l'alcool, je n'ai pu parvenir à y distinguer aucune séparation correspondante à celle que j'ai signalée dans l'escargot. Ce cordon, contrairement encore à ce qai a lieu chez l'escargot, fournit des nerfs, mais ces nerfs ont tous leur point de départ ailleurs que dans le cordon ; on peut les suivre jusque dans le ganglion céphalique. Arrivés l'un près de l'autre au-dessous de l'œsophage, les deux cordons œsophagiens s'accolent, sans se confondre, et leurs fibres marchent parallèlement les unes aux autres tout le long de la chaîne ganglionaire où on peut les suivre sans interruption.

J'ai dit que la moelle se renfle de distance en distance et forme là une espèce de ganglion. En dehors de ce renflement, il se détache deux nerfs de chaque côté , et dans l'intervalle qui existe entre deux renflemens, il s'en détache une seule paire. J'ai vu très distinctement les racines de chaque double paire de nerfs, au moment où elles entrent dans la moelle , se partager en deux ordres de racines, les unes transverses , allant se rendre du nerf situé au côté droit, dans le nerf situé au côté gauche, et les autres se continuant avec les fibres longitudinales de la moelle. Il en est autrement, si toutefois j'ai bien vu, des racines des nerfs simples qui sortent par les espaces inter-ganglionaires. Je n'ai pu distinguer, à ces raci'

nés, de fibres transverses; elles m'ont paru se continuer seulement dans les fibres longitudinales dont la moelle est composée. Ce serait donc un double mode d'origine, mais je n'oserais pas l'affirmer.

De ce que je viens d'exposer il résulte que les parties fondamentales du système nerveux du ver de terre sont : 1° le ganglion céphalique ; 2° les fibres longitudinales composant le double cordon médullaire ou moelle ventrale, fibres qui se continuent dans l'anneau œsophagien pour arriver au ganglion céphalique ; 3° de fibres transverses qui se trouvent à l'origine des doubles nerfs spinaux. C'est un fait de structure fort important à remarquer ici, que la double origine des fibres qui forment les nerfs partant de la moelle. Pour chacun de ces nerfs (les nerfs isolés exceptés, car sur ce point je n'ai pas de certitude complète), il y a une série de fibres longitudinales et une série de fibres transverses. Nous retrouverons le même fait dans les autres animaux articulés dont il me reste à parler. Serait-ce là le point de départ, la première indication des doubles racines des nerfs spinaux des vertébrés? Pourrait-on en induire que chez les vertébrés il existe des racines longitudinales et des racines transverses, racines qui, au lieu de se réunir dans un seul nerf en sortant de la moelle, comme dans le ver de terre, resteraient isolées jusqu'à leur entrée dans les ganglions spinaux? C'est une question intéressante et qui trouvera plus loin sa solution.

Les fibres du ver de terre sont rectilignes et canaliculées comme celles des mollusques, comme les fibres composant tous les nerfs dans la série animale : si on les comprime on en fait sortir des globules en très grand nombre. J'ai vu des globules s'échapper des sections faites à la moelle et aux nerfs ; j'en ai vu qui suivaient la direction longitudinale de la moelle et oui,, arrivés au niveau de l'une des doubles racines

spinales, entraient dans ces racines et allaient s'échapper par la section de cette racine. Ces globules suivaient la direction que j'avais reconnue aux fibres canaliculées qui s'infléchissent et se courbent pour former les nerfs latéraux de la moelle ou chaîne ganglionaire.

J'aurais voulu mesurer le diamètre de ces fibres, cela ne m'a pas été possible, parce que, dans l'état frais, elles ne se laissent pas isoler les unes des autres. En les durcissant à l'aide de l'alcool on peut à la vérité les séparer, mais alors on a des fibres contractées, rétrécies et dont la mensuration ne peut, pour cette raison, donner que des résultats.inexacts.

Dans aucun des points du système nerveux du lombric de terre, je n'ai aperçu l'espèce de fibres qu'Ehrenberg appelle fibres variqueuses.

Quoique placés dans la même classe par les naturalistes , le ver de terre et la sangsue ne sont pas de tout point semblables, quant à la forme et quant à la structure de leur système nerveux. Le ganglion sur-œsophagien ou céphalique est le même dans ces deux annelides, mais la moelle ventrale diffère beaucoup. Chez la sangsue cette moelle est formée de deux cordons seulement adossés et parfaitement séparabies, tandis que les cordons du ver de terre sont très intimement unis. La moelle de la sangsue est pourvue de véritables ganglions placés de distance en distance sur le trajet des cordons. Ces ganglions sont de forme lenticulaire, et en les examinant au microscope, on y distingue des fibres Ion -giludinales qui viennent des cordons, des fibres transverses qui sont, pour les nerfs émanant des ganglions , une sorte de commissure ; enfin une substance granulée. J'ai fait représenter (pl. lre) une portion de la chaîne ganglionaire de la sangsue (fig. lre) et un de ses ganglions grossi au microscope (fig. 2). En haut et en bas sont les deux colonnes nié

dullaires bien isolées l'une de l'autre ; dans le ganglion lui-même on suit ces cordons, on les voit s'y étaler et fournir des fibres aux deux paires de nerfs placés latéralement. Les nerfs ne reçoivent pas seulement des fibres venant des cordons longitudinaux, ils reçoivent aussi des fibres transverses qui croisent les premières à angle droit. Tous les ganglions de la sangsue, le ganglion oral et le ganglion anal exceptés, sont semblables à celui que l'on voit sur la planche ; le premier ressemble au ganglion correspondant du ver de terre, le dernier, plus considérable du double que ceux de la chaîne , donne des nerfs qui vont à la ventouse anale. Il n'y a pas, chez les sangsues, de nerfs autres que ceux qui partent directement des ganglions.

Les fibres des cordons médullaires ventraux composant la chaîne ganglionaire, de même que les fibres des nerfs, sont canali culées, et l'on parvient à distinguer et à faire sortir les globules contenus dans leur intérieur. Ces fibres ne sont pas de la nature de celles qu'Ehrenberg nomme fibres articulées ; car les lignes qui en indiquent le trajet marchent toutes dans une direction parallèle. Il ne m'a jamais été possible de les séparer, de les isoler, ce qui m'a empêché d'en connaître le diamètre.

La forme des organes médullaires de l'écrevisse diffère de celle de la sangsue et du ver de terre, mais la structure en est la même ; ce sont, pour les faisceaux longitudinaux, des fibres longitudinales , et pour les ganglions, des fibres transverses qui croisent les premières, et, de plus, une matière globuleuse environnant ces fibres. Les faisceaux longitudinaux sont plus nombreux que dans les animaux précédons, j'en ai compté trois de chaque côté ; en tout six pour la moelle ventrale. Toutefois ces faisceaux quoique distincts ne sont pas séparés les uns des autres par le moindre intervalle, ils sont

accolés et inséparables. Réunis trois à trois, comme je l'ai dit, ils constituent les cordons latéraux de la moelle, cordons qui, dans certains endroits, sont naturellement séparés, et qui, dans d'autres, se séparent par la plus légère traction.

Trois paires de nerfs naissent de chaque ganglion : deux en sortent directement, la troisième suit quelque temps les cordons longitudinaux qu'elle abandonne dans l'espace inter-gan-glionaire. Les ganglions placés au thorax , ceux d'où naissent les nerfs des pattes et des pinces ont un caractère particulier; ils sont bilobés ; chaque lobe est pyramidal, ayant sa base en dedans tournée vers la base du ganglion correspondant et la pointe suivant la direction des nerfs qui y prennent naissance. Sur le trajet des nerfs et tout près de leur origine, il existe une espèce de ganglion secondaire que l'on pourrait comparer aux ganglions spinaux des vertébrés. J'ai pu isoler une des fibres nerveuses de la moelle ventrale , et j'ai trouvé à cette libre un diamètre de 0,005.

La structure du système nerveux des insectes rappelle de tous points celle des autres animaux articulés. On y trouve des fibres longitudinales composant la moelle ventrale et se continuant par l'anneau œsophagien jusque dans le ganglion céphalique , des fibres transverses faisant communiquer les racines nerveuses d'un côté avec celles de l'autre côté, en passant à travers la moelle et cela dans l'endroit de cette moelle où se trouve de la substance globuleuse ; ce sont, comme dans l'écrevisse, dans le ver de terre, des nerfs sortant des cordons médullaires dans les espaces inter-ganglio-naires, mais venant aussi de la substance des ganglions.

Chez le grillon domestique et chez l'abeille, la moelle est formée de deux cordons, l'un à droite et l'autre à gauche ; ces cordons sont réunis par l'intermédiaire des ganglions et seu

lement à l'endroit où se trouvent les ganglions, car partout ailleurs ils sont ou naturellement sépares ou très facilement séparables. J'ai pu isoler des fibres de la moelle et des fibres des nerfs chez les deux insectes dont il s'agit ; mais ayant répété plusieurs fois cette expérience, j'ai obtenu chaque fois un résultat très différent, et je ne suis pas fondé à croire que l'un d'eux soit plus exact que l'autre. Quand un phénomène ne se reproduit pas avec constance, c'est qu'il est mal observé : j'ai donc mieux aimé ne pas tenir compte des mensurations que j'ai faites, plutôt que de m'exposer à donner des chiffres sur la valeur desquels je suis moi-même en doute.

Vus à l'œil nu ou grossi avec la loupe, les ganglions de l'abeille ont une apparence lenticulaire, ainsi qu'on peut s'en assurer en regardant la figure publiée par Ratzeburg et que j'ai reproduite (1); mais examinés au microscope, on les voit formés, comme les ganglions de la sangsue, de fibres entrecroisées, les unes transverses, les autres longitudinales. Le ganglion céphalique de l'abeille, qui est beaucoup plus considérable que tous les autres ganglions du même animal, n'a pas une forme assez régulière pour que j'aie pu le mesurer, et il est trop petit pour que je l'aie pesé : il m'a donc été impossible de comparer son volume au diamètre des nerfs qu'il fournit. J'ai d'autant plus regretté de ne pouvoir établir celte proportion, que l'abeille est, parmi les insectes, l'un des plus élevés en intelligence et l'un de ceux dont le ganglion céphalique est le plus volumineux; mais encore celte fois comme toul-à-l'heure, j'ai craint d'avoir et de donner des à-peu-près pour la réalité.

Le système nerveux des insectes n'a que des fibres rectili-gnes; ces fibres sont canaliculées, et par la pression on en fait sortir des globules. Les ganglions de ces animaux sont opa-

(i) Voyez pl, i*\

lins, les cordons médullaires sont transparens ainsi que les nerfs. On peut voir à l'œil nu les ganglions de quelques insectes , on aperçoit aussi, quoique faiblement, les cordons médullaires ; mais pour en bien connaître la forme et la disposition , pour apercevoir les nerfs , il faut recourir à la loupe ou au microscope. Quant à la structure, elle est très facile à découvrir lorsqu'on se sert de ce dernier instrument.

RÉSUMÉ.

1. Le système nerveux des animaux articulés est formé de deux séries de fibres ; les unes longitudinales qui vont de l'extrémité céphalique à l'extrémité caudale ; les autres transversales, qui vont du côté droit au côté gauche.

2. Les fibres longitudinales sont disposées en deux faisceaux latéraux distincts l'un de l'autre, et ordinairement séparés dans l'intervalle des ganglions.

3. Le croisement des fibres longitudinales avec les fibres transverses s'opère dans les ganglions.

h. Les fibres longitudinales d'un côté ne se croisent pas avec celles du côté opposé. ,

5° Les ganglions nerveux des animaux articulés sont formés de substance globuleuse et de substance fibreuse.

6° Les cordons nerveux sont formés de substance fibreuse seulement.

7° Les fibres nerveuses sont canaliculées, rectilignes, et remplies de globules que l'on en peut faire sortir par expression.

8° Les fibres nerveuses naissent toutes des ganglions.

9° Les nerfs ont pour la plupart une double origine, l'une dans les fibres longitudinales des cordons médullaires, l'autre dans les fibres transverses des ganglions.

10° H n'y a d'exception à cette règle que pour ce qui con -cerne les nerfs provenant du ganglion céphalique. La commissure de ce ganglion qui répète les fibres transverses des ganglions abdominaux, ne communique directement avec aucun nerf.

11° La racine des nerfs qui vont aux pinces et aux pattes, chez l'écrevisse, est pourvue d'un léger renflement formé de substance ganglionaire.

Î28 ïî y a chez les articulés de nombreuses commissures, mais pas d'entrecroisement.

§ III. SIGNIFICATION DU SYSTÈME NERVEUX DES ANIMAUX ARTICULÉS.

Comparons la chaîne ganglionaire du lombric de terre, au centre nerveux cérébro-rachidien de l'homme.Chez le lombric une colonne médullaire donnant à droite et à gauche des nerfs disposés par paire et ayant tous deux origines; les fibres de cette moelle se prolongeant en avant jusqu'à un double ganglion que réunit une commissure. Chez l'homme, une colonne semblable donnant aussi des paires de nerfs à droite et à gauche, nerfs ayant également deux origines ; cette colonne se divisant pour aller se rendre dans les ganglions encéphaliques, lesquels ganglions sont réunis par des commissures. Sur quelles parties portent les principales différences? Sur les ganglions encéphaliques, simples et très peu développés dans le lombric de terre, multipliés et énormément grossis chez l'homme. L'anneau nerveux (véritable prolongation des fibres de la chaîne ganglionaire) qui reste ouvert chez les insectes comme chez les mollusques, pour donner passage à l'extrémité antérieure, du. canal alimentaire-, slest. fermée

chez les animaux pourvus d'un névro - squelette ; mais la trace de la séparation s'y voit encore, elle est dans le sillon du quatrième ventricule. La place qu'occupent les organes de la vie de relation et ceux de la vie nutritive, est changée des invertébrés aux vertébrés; chez les premiers, le cœur, les gros vaisseaux, le tube digestif, sont au-dessus de la moelle dont la partie antérieure se bifurque pour laisser passer l'œsophage ; chez les seconds , la moelle s'est élevée au-dessus des organes de la vie nutritive, l'œsophage dont la position se trouve changée, n'ayant plus besoin de traverser la moelle pour arriver à la partie antérieure du corps, les deux côtés de cette moelle se rapprochent, mais conservent encore la trace de leur séparation. Tréviranus a donné cette interprétation au sillon médian qui se trouve dans la partie moyenne du quatrième ventricule, et je suis pleinement de son avis. Les mollusques eux-mêmes se trouvent, sous ce rapport, dans le même cas que les articulés. En effet, rapprochez les cordons qui entourent l'œsophage des mollusques, de manière à ce que ces cordons soient en contact l'un avec l'autre, vous aurez deux colonnes continues à elles-mêmes, et qui iront se rendre à l'encéphale; ouvrez au contraire le sillon du quatrième ventricule des vertébrés, et faites-y passer l'œsophage, vous aurez l'anneau des insectes et des mollusques. La position respective des nerfs encéphaliques s'accorde parfaitement avec ces changemens.Chez la seiche, le nautile, lepoulpe, les nerfs auditifs naissent des parties latérales de l'anneau; si le quatrième ventricule des vertébrés s'ouvre comme je l'ai dit, les nerfs auditifs se trouvent précisément comme dans les mollusques que je viens de nommer; il en est de même des nerfs de la huitième paire. Quant aux nerfs optiques, ils restent, dans les deux cas, au ganglion céphalique.

Plusieurs anatomistes parmi lesquels je citerai Cuvier,

Gall et Spurzheim, MM. Strauss-Durckeim et Léon Dufour, n'hésitent pas à regarder la chaîne ganglionaire des articulés comme l'analogue du centre nerveux céphalo-rachidien des vertébrés.

M. Léon Dufour (1) s'exprime ainsi à cette occasion : « La nature ne s'est pas écartée, pour l'organisation du système nerveux des hémiptères, du plan généralement adopté, car les insectes ont un cerveau, un prolongement rachidien, des ganglions et des nerfs; et les diverses parties paraissent avoir les mêmes attributions physiologiques que dans les êtres les mieux organisés. » En partie d'accord sur les choses avec M. Léon Dufour, je ne le serai pas sur les noms qu'il emploie. Ce n'est pas le cerveau que représente le ganglion céphalique des invertébrés, c'est l'encéphale ; la moelle ou chaîne ganglionaire ne saurait être un prolongement rachidien chez les animaux dépourvus de rachis. Jetez un coup-d'œil sur la figure (pl. lre) qui représente la partie supérieure du système nerveux du lombric de terre, et vous trouverez qu'elle a avec les organes encéphalo-rachidiens, une incontestable analogie; ce sont les mêmes organes, mais chez le lombric de terre, ces organes sont réduits à leur plus grande simplicité.

Gall qui a soutenu cette opinion, que j'adopte entièrement, n'a pas réussi à la faire prévaloir, parce qu'il avait mal choisi les preuves dont il s'étayait. La chaîne ganglionaire des articulés représentait, pour lui, la moelle rachi-dienne; mais il prétendait retrouver chez l'homme, à la naissance de chacune des paires de nerfs rachidiennes, un renflement qui constituait une espèce de ganglion (2). Comme

(1) Recherches anatom. et phys.sur les hémiptères, etc., pag. 25g.

(2) Gall et Spurzheim : Anat. et physiol. du système nerveux en général et du cerveau en particulier. Paris, 1810, 4, vol. in-4° tOm« *er Pages, 53 et 54,

i. 6

ce renflement n'existe pas, il n'était pas difficile de rejeter ce genre de preuve, et cette preuve une fois rejetée, la conclusion l'était également. On eût peut-être mieux compris que Gall avait raison, s'il s'était moins attaché à la forme et plus à la structure. La forme des ganglions est très variable, chez la sangsue ils sont lenticulaires, quadrilatères chez l'abeille, triangulaires chez le grillon domestique, etc. ; ils diffèrent pour un même animal, dans le thorax et dans l'abdomen, quelquefois ils se confondent au point de présenter à peine des renflemens. Quand ce dernier cas se présente, la matière globuleuse qui forme la substance caractéristique des ganglions, au lieu d'être agglomérée, se répand plus ou moins uniformément le long des cordons fibreux : c'est ce qui a lieu déjà chez le lombric de terre et à un degré plus marqué chez les vertébrés.

L'analogie qui existe entre la chaîne médullaire des insectes et la moelle épinière des vertébrés est tellement grande, que M. Serres, après l'avoir niée dans maint endroit de son Anatomie comparée du cerveau, fournit lui-même des faits qui concourent à l'établir. On sait que, chez les vertébrés , la moelle épinière se termine par des filets en nombre plus ou moins considérable, et que la réunion de ces filets constitue la queue de cheval. Chez les jeunes embryons des vertébrés, la queue de cheval n'existe pas encore, parce que la moelle descend très bas dans le canal rachidien : mais plus tard, les rapports de la moelle avec le canal sont changés, l'extrémité caudale de la moelle est placée plus haut qu'auparavant, soit, comme on l'a dit, parce qu'elle a éprouvé un mouvement ascensionnel, soit, comme je le pense avec M. ïiedemann (1),

(i) Tiedemann : Anat. du cerveau contenant l'histoire de son développement dans le fœtusf avec une exposition comparative de sa structure dans les animaux, traduite par M. Jourdain Paris, 1823, p. 189.

parce que les vertèbres lombaires et sacrées s'étant développées plus et plus tard que la moelle, les nerfs qui terminent cette moelle, ont subi une elongation proportionnelle à l'élon-gation du canal dans lequel elles sont contenues. Chez quelques invertébrés, il se produit un phénomène inverse, la queue de cheval se rencontre dans certaines larves pour disparaître dans l'insecte parfait. M. Serres expose de la manière suivante cette dernière transformation (l)v: ce La jeune larve de la mouche-asile a un axe nerveux (chaîne ganglionaire), beaucoup plus court que la longueur totale de l'animal ; les filets qui viennent aboutir à sa terminaison divergent dans tous les sens, pour s'y rendre des parties moyennes et inférieures de la larve ; ils forment, de cette manière, la plus belle queue de cheval qu'il soit possible de voir. Mais à mesure que la larve se développe, à l'époque où elle se change en nymphe, l'axe nerveux descend le long de la partie inférieure de l'animal; à mesure que cette descente a lieu, l'angle d'insertion des filets nerveux se redresse, les filets obliques deviennent horizontaux; les filets parallèles deviennent d'abord obliques, puis ils s'insèrent horizontalement comme les précédens, lorsque la terminaison de l'axe nerveux est descendue jusqu'à leur niveau, le bel éventail que formait la divergence des filets disparaît insensiblement, et, à l'examen de la fin de l'axe nerveux des insectes parfaits, on ne se douterait jamais qu'il ait pu exister. » J'accepte ces faits tels que les expose M. Serres, j'accepte aussi l'interprétation qu'il leur donne, mais je lui dirai : si les filets terminaux de l'axe nerveux de la mouche-asile, constituent une queue de cheval, la plus belle qu'il soit possible de voir, l'axe nerveux des invertébrés ne représente donc pas la réunion des ganglions spinaux des vertébrés, car chez les vertébrés, la queue de cheval est

(i) Ànat, comp, du cerveau, t. 2, p 120.

entre la moelle et les ganglions, et non en dehors de ces ganglions. Pour être conséquent avec l'interpréta don que vous avez donnée ailleurs de la chaîne ganglionaire des articulés, si celte chaîne représente comme vous le dites, les ganglions spinaux des vertébrés, les nerfs terminaux de l'axe nerveux de la mouche-asile, ne représentent pas la queue de cheval, mais les nerfs lombaires, sacrés et coccygiens, après leur sortie du rachis; par conséquent, la mouche asile»n'a pas de queue de cheval. Si elle a une queue de cheval comme vous l'établissez, et comme je m'empresse de le reconnaître avec vous, il en résulte que l'axe nerveux ou chaîne ganglionaire des invertébrés, est l'analogue de la moelle rachidienne des vertébrés.

Mais, en parlant de la signification du système nerveux des mollusques, j'ai déjà réfuté l'opinion des anatomistes qui rejettent toute analogie entre le système ganglionaire des invertébrés et le système nerveux cérébro-spinal des vertébrés ; je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y revenir maintenant. Quand j'aurai parlé delà structure microscopique de la moelle rachidienne, de la manière dont se comportent dans celte moelle, les doubles racines de ses nerfs, j'établirai de nouveaux points de comparaison qui serviront de contrôle à tout ce que j'ai dit sur ce sujet.

RÉSUMÉ.

1. Le ganglion céphalique des animaux articulés représente, pour ces animaux, l'encéphale des vertébrés.

2. Leur chaîne ganglionaire représente la moelle rachidienne.

3. Les cordons formant l'anneau œsophagien, et qui s'étendent du ganglion céphalique à la chaîne ganglionaire, représentent les pédoncules cérébraux.

h. Les nerfs de la chaîne ganglionaire ont une double origine qui rappelle la double origine des nerfs rachidiens.

§ IV. FACULTÉS DES ANIMAUX ARTICULÉS.

Les facultés dont sont doués les animaux et surtout les insectes , si elles ont excité l'admiration des naturalistes, ont souvent mis en défaut le raisonnement des métaphysiciens. Les questions auxquelles elles ont donné lieu, négligées maintenant plutôt que résolues, intéressent à-la-fois la psychologie, la morale et les croyances religieuses. Peut-on dire des animaux qu'ils sentent, qu'ils comprennent, qu'ils combinent, qu'ils réfléchissent? S'ils sentent, ils sont sujets à la douleur. Pourquoi de la douleur aux animaux? Qu'ont-ils fait pour mériter de souffrir? Quel dédommagement auront-ils? Et s'ils n'ont pas de dédommagement que sera pour eux la justice? S'ils comprennent, s'ils combinent, s'ils réfléchissent, que faisons-nous de plus? La forme... est-ce par là seulement que l'homme diffère de l'animal? A ces difficultés, les uns ont répondu avec Montaigne : Que sais-je? les autres ont opposé des croyances qui ne permettent ni l'examen, ni le doute. Il en est qui, après avoir examiné, ont donné leur solution; de ces derniers, je citerai les principaux, mais je ne les imiterai pas.

Le révérend père J. B. delà Grange, prêtre de iimuoire, disait: « Je serais trop long si je voulais rapporter toutes les marques évidentes que nous avons que les bêtes pensent, qu'elles ont des passions et de l'imagination. Il faut que les Cartistes (lespartisans de Descartes) avouent ou que les bêles ont un âme, comme nous le soutenons, ou bien qu'elles sont possédées par quelque ange ou quelque démon qui leur fait faire les actions qu'elles feraient si elles avaient une âme» (1).

(i) Les principes de la philosophie contre les nouveaux philosophes Descartes, Rohaut, Regius, Gassendi, le P, Maignau, ele, In-S, Paris, iC«f5, p, 348,

Et pour appuyer sa thèse, il citait le passage suivant, tiré des proverbes de Salomon (1), passage dans lequel il est question de l'âme des bêtes : ce Novit Justus animas jumentorum stio-rum, viscera autem impiorum crudelia. » Rorarius (2), nonce du pape Clément VII, à la cour de Ferdinand, roi de Hongrie, allait encore plus loin que de la Grange , car il a fait un livre tout exprès pour démontrer, non-seulement que les bêtes sont des animaux raisonnables, mais qu'elles se servent de la raison, beaucoup mieux que l'homme. Philon, que l'historien Eusèbe appelle (3) ce vir in dicendo copiosus, in sententiis locuples, in divinœ scripturœ intelligentia su-hlimis atque excelsus, » a composé un ouvrage qui a pour titre : Alexander sive de eo quod hruta animalia ratione sint prœdita. Lactance (4) et Arnobe (5) disent qu'à l'exception de la religion, il n'y a rien en quoi les bêles n'imitent l'homme. Pline (6) va plus loin encore, car il met la religion au nombre des vertus des éléphans. L'âme des bêtes est regardée comme raisonnable, par Straton, Enésidème, Parmé-nide, Empédocle, Démocrite et Anaxagore. Plutarque a fait un traité tout exprès pour prouver que les animaux raisonnent.

Pereira (7), Descartes (8), Regius, Gassendi, et parmi les anciens un grand nombre de philosophes ont professé une doctrine entièrement opposée. Les animaux sont pour eux de simples automates, des machines agissant sans conscience comme

(1) Proverbes, ch. xn, 10.

(2) Quod animalia hruta ratione utantur melius homme. Àmst, i654.

(3) Hist, eccles. lib. il, cap. xvur.

(4) De ira Dei.

(5) Adversus gentes. lib. n.

(6) Sec. Plinii hist. nat. lib. vm, cap. i.

(7) Antoràana margarita.

(8) Traité de la méthode.

sans volonté. Ces philosophes étaient pourtant bien forcés d'admettre les phénomènes intellectuels, au moins en apparence , que présentent les animaux, mais ils les interprétaient à leur manière. Voici, par exemple, comment Gassendi expliquait l'antipathie que l'on dit exister entre le loup et la brebis, et entre le lion et le coq. ce La brebis fuit naturellement le loup, dit Gassendi, quoiqu'elle n'ait jamais expérimenté le mal que cet animal peut lui faire, parce qu'il sort du loup des corpuscules qui sont propres à déchirer la brebis, et ne peuvent point frapper ses yeux sans les blesser et sans les diviser cruellement. La figure des corpuscules qui composent la voix du coq est si différente de la texture de l'ouïe du lion, que ces corpuscules ne sauraient pénétrer dans l'oreille du lion sans les déchirer ». (1) Régius qui se disputait comme on dit que font les théologiens quand ils n'ont pas raison, soutenait que les partisans de l'âme des bêtes ne peuvent pas se défendre d'être eux-mêmes des bêtes ou des athées.

Ce sont là les opinions extrêmes , il y en a eu d'intermédiaires. La plus généralement adoptée parmi ces dernières, donnait à l'âme des bêtes une essence matérielle, on l'appelait sensitive par opposition avec l'âme de l'homme, regardée comme une substance incorporelle (2). La dignité de l'homme pouvait se montrer satisfaite de cette distinction, mais son esprit ne l'était pas. L'âme des bêtes a-t-elle été créée en même temps que la bête ? Quand la bête meurt, son âme meurt-elle aussi? Leibnitz n'envisagea pas sans effroi ces deux questions;

(1) Voyez Gassendi, p. 35/,, etBayle, Diet. hist. art. Pereira.

(2) La plupart des théologiens regardaient l'âme des bêles comme inférieure à celle de l'homme; de la Grange lui même l'appelle sensitive- mais dans V admiration où il est de ses facultés, il la place, en réalité, au-dessus de l'âme de l'homme, puisqu'il la compare à celle d'un ange ou d'un démon.

le nombre prodigieux de créations et d'annihilations d'âmes qui devaient s'opérer chaque jour, le troubla, il ne put l'admettre et il conçut alors celte hypothèse, faite pour tout concilier. Avant sa naissance apparente, l'animal existait en germe depuis la création du monde, après sa mort apparente, il redevient ce qu'il était avant ce que nous appelons la vie, il se réduit à un degré de petitesse qui échappe à nos sens , jusqu'à ce que ses organes se pliant différemment ou se développant plus ou moins, donnent lieu à une ressuscitation ou à une transformation. c Au commencement du monde, dit Leibnitz , Dieu a créé la forme de tous les corps et par conséquent toutes les âmes des bêtes; ces âmes subsistent toujours depuis ce temps-là, unies inséparablement au premier corps organisé dans lequel Dieu les a logées. » Le savant et malicieux Bayle (1) qui expose celte doctrine, a l'air de se féliciter de l'heureuse solution trouvée par Leibnitz : c Sans elle, ajoute-t-il, il n'y avait d'asile pour les âmes des bêles, que dans la métempsycose ».

Entre des opinions si diverses, quel parti prendrai-je? Celui de passer outre, car, fort heureusement pour moi, je n'ai pas entrepris de composer un livre sur la métaphysique ; si j'ai parlé de l'âme des bêtes, ce n'est pas avec l'intention d'en discuter la présence ou l'essence ; j'ai voulu seulement que le lecteur ne fût pas effrayé quand il rencontrerait les mots intelligence, passion, volonté, appliqués par moi à ce qui concerne les animaux articulés et particulièrement les arachnides et les insectes. L'araignée, la fourmi, l'abeille, se montrent si ingénieuses que le mot instinct dont on est convenu de se servir pour désigner le mobile qui fait agir les animaux ne saurait leur être appliqué, à moins qu'on ne le donne également au mobile de la plupart des actions des hommes.

(I) Dict. historique, art.

« L'ensemble de la vie des animaux, dit Arislote (1), présente plusieurs actions qui sont des imitations de la vie humaine; cette exactitude qui est le fruit de la réflexion, est encore plus sensible dans les petits animaux que dans les grands. Dans la classe des insectes, on peut regarder comme les plus industrieux pour le travail, même comparaison faite avec tous les autres animaux, les fourmis et les abeilles. » (2) Faisons donc l'histoire intellectuelle de ces insectes ; mais auparavant, afin de procéder du simple au composé, parlons d'abord des animaux articulés inférieurs, c'est-à-dire des an-

nelides et des crustacés. La plupart des annelides vivent dans l'eau ; ils y trouvent

leur nourriture presque sans avoir besoin de la chercher; d'autres vivent dans la terre et ils s'en nourrissent. Il en est qui ont un tube calcaire, produit d'une sorte d'exsudation et dans lequel ils demeurent; d'autres qui réunissent, comme la fripière dont il a été parlé dans le chapitre précédent, des fragmens de coquille, des grains de sable, des morceaux de bois qu'ils agglutinent de manière à en former un tube. Quelques-uns ont le corps garni de soies, plusieurs ont des tentacules, et même des yeux, d'autres en sont tout-à-fait dépourvus. La sangsue se montre très sensible au contact des acides, des sels ; elle cherche le point de la peau qu'elle veut piquer , elle est sensible à la lumière , car elle s'agite quand on approche une chandelle allumée du vase où elle se trouve; elle paraît manquer entièrement de l'ouïe, de l'odorat et de la vue (3J. Parmi les annelides, plusieurs ont les sexes séparés , comme le lombric de terre; d'autres sont hermaphrodites, la sangsue est dans ce cas.

(1) Hist, des animaux, lib. ix, ch. vu.

(2) Id., id, ch. xxxvin.

(3) Moquin-Tandou, op. cit.

La simplicité de l'organisation des annelides doit faire présumer que si l'on ne sait pas tout ce qui peut avoir quelque rapport avec leurs facultés céphaliques ou instinctives , il ne reste pour tant pas beaucoup à découvrir sur ce point; partout , en effet, le nombre et la perfection des organes sont en rapport avec les besoins ; et les besoins sont eux-mêmes en rapport avec les facultés destinées à les satisfaire. Or , chez les annelides, il existe à peine quelques organes des sens, ce qui rend presque nuls tous les rapports de ces animaux avec les choses qui leur sont extérieures.

Les crustacés sont, pour la plupart, au-dessus des annelides ; ils savent se défendre et surtout attaquer, chercher et saisir une proie ; ils se cachent quand ils sont poursuivis : leurs principales fonctions sont bien encore de manger et d'engendrer , mais ils ont pour la nutrition surtout des organes et des fonctions accessoires. Ils voient, ils entendent, ils odo-rent, ils touchent; peut-être ont-ils un sens particulier qui les met en rapport direct avec l'état de l'atmosphère. Ils vivent dans l'eau et sont presque tous carnassiers. Ils sont armés de pinces qui les rendent redoutables à beaucoup d'animaux, ce On a vu, dit Latreille (1), des langoustes qui ayant saisi une chèvre lui faisaient perdre la terre, » elles avaient près d'un mètre de long. Les corophies, nommées aussi pernys, font une guerre continuelle aux néréides , aux amphinomes , aux arénicoles. Suivant M. d'Orbigny père, qui les a observées, il n'est rien de plus curieux que de voir des myriades de ces animaux s'agiter en tous sens, battre la vase de leurs grands bras et la délayer pour tâcher d'y découvrir leur proie. S'ils ont trouvé un annelide, quelque gros qu'il soit, ils s'unissent pour l'attaquer et le dévorer. Ils ne cessent leur

(i) Règne anim. de Cuvicr, t. 4, p. 80.

carnage qu'après avoir fouillé partout ; ils se rejettent sur les mollusques, les poissons et les cadavres restés à sec. On prétend môme, ajoute M. d'Orbigny, qu'ils coupent les soies des clayons renfermant des moules, afin de faire tomber ces mollusques et de les manger. » Il y a des crevettes qui vivent dans le corps des méduses et de plusieurs autres zoophytes. Certains crabes appelés tourlouroux vivent dans les cimetières et se nourrissent de cadavres.

Leur penchant à la copulation n'est pas moindre que leur voracité. Aucun d'eux n'est hermaphrodite; ils ont, surtout les mâles, des organes sexuels doubles. Les argules mâles ont tellement d'ardeur, qu'ils prennent souvent un sexe pour l'autre ou qu'ils s'adressent à des femelles mortes. Les iones, qui se tiennent sous le test de la callianasse souterraine, sont toujours unies deux à deux, un mâle et une femelle : il en est de même de quelques autres crustacés amphipodes.

Plusieurs crustacés ont soin de leurs petits , les œufs des écrevisses sont comme collés aux pattes de ces animaux ; et au moment où elles viennent d'éclore, les petites écrevisses restent sous le ventre de leur mère jusqu'à ce que l'enveloppe de leur corps ait acquis un certain degré de solidité. La fertilité des crustacés est très grande ; celles des cyclopes est telle, que dans l'espace de trois mois , la même femelle peut avoir donné lieu à quatre milliards et demi de naissances.

Quelques crustacés, dont le corps n'est pas entièrement recouvert d'une enveloppe solide , prennent domicile dans des éponges, des serpules , des alcyons, les autres dans des coquilles univales. L'hermite-bernard, pagurus streblonyx, se loge dans des coquilles tournées en spirales, comme sont les buccines, les turbines, les natices. Il se retire si avant dans sa coquille qu'on ne peut pas même l'apercevoir, mais s'il avance, au lieu d'un innocent mollusque, on voit sortir de

grosses pinces comme celles de l'écrevisse (1). Les autres crustacés vivent généralement au fond de l'eau, sous les pierres et n'en sortent que le soir, ou pendant la nuit.

A l'exception des Jiermites, qui vivent isolés, chacun dans la coquille dont il s'est emparé, les crustacés vivent ensemble , ce qui ne veut pas dire qu'ils vivent en société , parce qu'il est au moins fort douteux qu'ils aient entre eux des rapports comme en ont, parmi les insectes, les abeilles ouïes fourmis ; parmi les oiseaux, les corbeaux ou les oies ; parmi les mammifères, les moutons ou les chevaux. On les voit en bandes nombreuses aller ensemble dans les lieux où ils doivent pondre, se sauver quand ils entendent du bruit, et se précipiter ensemble sur leur proie ; mais rien n'indique qu'ils agissent de concert ; leurs actions instinctives pour tous paraissent isolées, individuelles ou imitatives.

Les anciens (2) ont dit que certains crustacés vivaient en société avec des mollusques, et des auteurs presque modernes , Hasselquist et de Bomare, l'ont répété. Lorsque la pinne ouvre ses valves, plusieurs cancres se tiendraient auprès d'elle et l'avertiraient, par un petit cri, de l'approche de quelque ennemi : ces cancres seraient alors reçus dans la coquille de la pinne qui se renfermerait aussitôt avec ses gardiens. Enfin le maïa ou araignée de mer figuré par les Grecs sur quelques médailles, serait doué d'une grande sagesse. De tels contes peuvent être cités, mais non pas réfutés.

Sous le rapport des instincts, les annelides peuvent être as-

(1) V. Du bernard-l'hermite, par Réaumur. Coll. acad.t. 3, p.345, pag. 2. Voyez aussi Aristote, Swammerdam, Cuvier, etc. Swammerdam était porté à croire que la coquille du bernard-l'hermite était propre à cet animal, mais en cela il s'est trompé.

(2) V. Aristote, Hist, des anim., art. pinne et pinnotère ; voyez aussi les notes de Camus, ajoutées à l'ouvrage cité d'Aristote, et le Diet, d'hist. nat. de Bomare.

similés aux mollusques inférieurs et les crustacés aux céphalopodes ; chez tous, la nutrition et la génération sont les fonctions principales ; les plus infimes vivent pour ainsi dire dans la matière qui doit leur servir de nourriture , ils n'ont rien ou presque rien à faire pour la trouver. Les autres vivent de proie, ils tuent afin de se nourrir, et leur chasse n'est pas toujours exempte de danger : on pourrait dire des premiers qu'ils sont de simples estomacs , des seconds qu'ils sont des estomacs armés de bras ou de pinces.

Au-dessus des uns et des autres se trouvent les arachnides, animaux qui possèdent des facultés supérieures à celles dont il a été question jusqu'ici. Outre le sentiment du besoin de prendre la nourriture nécessaire à l'entretien de leur vie, outre la force suffisante pour s'en procurer, les arachnides ont de l'adresse et de la ruse, elles font lâchasse aux insectes, dont elles s'emparent avec une grande habileté; elles ont une demeure qui les met souvent à l'abri de leurs ennemis ; elles prennent soin de leurs œufs, et même de leurs petits, jusqu'à ce que ceux-ci soient en état de se procurer des alimens.

Cuvier a divisé les arachnides en deux ordres : l'ordre des pulmonaires', et celui des trachéennes. Dans ce dernier sont rangés plusieurs animaux microscopiques dont jusqu'à présent la vie est fort peu connue: quant aux arachnides pulmonaires, elles offrent pour la plupart des habitudes et des mœurs dont l'étude a toujours excité de la part des naturalistes, le plus vif intérêt.

Les arachnides pulmonaires sont des animaux domiciliés , et leur domicile diffère suivant leurs besoins. Les lycoses vivent dans la terre où elles se creusent des terriers : les mygales se tiennent dans des galeries souterraines, longues et tortueuses qu'elles garnissent de soie, et dont elles ferment

l'entrée à l'aide d'un opercule mobile que l'on a peine à distinguer de la terre environnante : elles mettent tout à-la-fois dans la construction de ces galeries, de l'industrie et de la prévoyance: elles y sont logées commodément, et s'y trouvent à l'abri de la poursuite de leurs ennemis.

L'épéire à cicatrice se construit un nid de soie blanche dans lequel elle se tient à portée de sa toile. L'épéire fasciée file une toile sur le bord des ruisseaux et s'y établit au-dessus de l'eau. Il y a une espèce d'argyronète qui vit dans les eaux dormantes ; on la voit s'y mouvoir avec vitesse, l'abdomen soutenu par une bulle d'air qui l'environne ; elle s'y forme une coque qu'elle remplit d'air et qu'elle tapisse de soie : c'est là qu'elle passe l'hiver. Le théridion que l'on nomme bienfaisant, parce que, dit-on, il préserve le raisin de la morsure des insectes, se place dans les grappes qu'il environne quelquefois entièrement de ses toiles. Parmi les arachnides pulmonaires, les scorpions sont à-peu-près les seuls qui ne se construisent pas une demeure ou un nid; ils vivent à terre ; se tiennent dans des lieux frais et cachés sous des pierres.

Il est beaucoup d'arachnides qui sont parasites : les pyc-nogonons se fixent sur les cétacés ; les ixodes sur les chiens, lesbœufs, les chevaux qu'ils tourmentent quelquefois au point de les faire mourir ; l'acarus dans les boutons delà gale, etc., tous les autres vivent de chasse. Les scorpions recherchent avidement les œufs des aranéides et des insectes ; ils mangent les cloportes, les charançons, etc. Une femelle de scorpion que Maupertuis avait renfermée dans une bouteille, dévorait ses petits au fur et à mesure qu'il naissaient. Pline connaissait déjà celte férocité des mères à l'égard de leurs petits ; il raconte que d'ordinaire, un seul de ces petits évite la mort en se tenant sur le dos de sa mère qu'il tue dès qu'il le peut. Entre eux, les scorpions se tuent pour se manger les

uns les autres : Maupertuis en avait réunis une centaine qui se mangèrent presque tous, en peu de jours il n'en resta que quatorze qui avaient dévoré tous les autres. (1)

Les araignées vagabondes, que l'on a aussi appelées araignées-loups, ne restent pas dans un même lieu, attendant leur proie, comme font les araignées sédentaires; elles vont à la recherche de quelque insecte dont elles croient pouvoir s'emparer, le guettent et le saisissent. Les philadromes guettent aussi leur proie ; mais quand elles l'ont vue, elles tachent de l'embarrasser dans des filets qu'elles tendent exprès pour la retenir. Les araignées saltigrades chassent d'une manière assez analogue à celle des araignées-loups ; quand elles ont aperçu une mouche, elles s'avancent doucement, et sautent dessus avec une grande promptitude. Ce qui les distingue des araignées-loups, c'est qu'elles se suspendent à un fil à l'aide duquel elles retournent où elles étaient, pour se mettre de nouveau en embuscade. La plupart des autres arachnides font des toiles et attendent, cachées dans un coin, qu'un animal vienne s'y embarrasser ; il en est dont les toiles sont si fortes qu'elles arrêtent les petits oiseaux et embarrassent même la marche de l'homme. Quand une mouche est venue se prendre dans la toile de quelques-unes d'entre elles, si cette mouche est petite, l'araignée s'en saisit et l'emporte; si la mouche est grosse et que l'araignée craigne de la laisser échapper, elle la garrotte sur sa toile; si elle croit ne pouvoir pas l'emporter, elle déchire l'endroit de sa toile où la mouche est fixée et s'en débarrasse ; alors elle raccommode l'endroit déchiré, ou fait une toile neuve. (2) Outre leurs soies qui les rendent déjà si redoutables aux in-

(i) Expêr. sur les scorpions, par Maupertuis. Mém. de l'Acad. des Sciences. P. F. t. 7. p. 260; (a) Hombçrg, 0fc. m U» araignées, CoU, acad. P. E. t. », p. 53a. »

secies, beaucoup d'arachnides ont un poison qui fait promp-temcnt périr leur victime. M. Latreille s'est assuré qu'une seule piqûre d'araignée de moyenne taille, fait périr notre mouche domestique en quelques minutes. Quant aux grandes arachnides, celle de l'Amérique méridionale, par exemple, que l'on a nommée araignée crabe, leur poison peut donner la mort à des oiseaux, et faire du mal à l'homme. Qui n'a entendu parler des effets attribués à la morsure de la tarentule? Des populations entières ont perdu la tête, seulement pour y avoir pensé. Des auteurs très dignes de foi racontent les acci-dens qu'ils ont vus survenir à la suite de la morsure de la tarentule : de ce nombre sont Perotli, Alexander ab Alexandro, Mallhioli (1), Baglivi (2), etc. Tout récemment M. Salvatore de Renzi (3) a été témoin de faits analogues à ceux qui ont été rapportés par ces observateurs. On a contesté et même nié qu'aucune maladie grave ait jamais été produite par la piqûre de la tarentule; les phénomènes bizarres, les convulsions dansantes des tarantati, comme on dit en Italie, ont été attribués uniquement à l'imagination. En lisant les relations des historiens qui ont écrit sur le tarentisme, en considérant que l'époque à laquelle cette maladie a paru, est précisément celle où des convulsionnaires de toute sorte, se montraient dans les différentes contrées de l'Europe, et pour des causes étrangères à la piqûre d'aucun insecte, on ne pourra s'empêcher d'admettre l'influence d'une prédisposition générale qui a contribué à l'apparition et au développement du tarentisme ; toutefois la piqûre de la tarentule n'y était pas aussi étrangère qu'on l'a prétendu, car les convulsions se sont développées chez de jeunes enfans sur lesquels l'imagination ne pouvait

(1) Comm. sur Dioscoride, liv. n, ch. lvii,

(2) Op. omnia ; dissertatio de tarentule.

(3) Y. Gag,, méd. de Paris. Ann. i833. ISfo du i5 septembre, p. 634,

avoir été mise en jeu (1). Les scorpions sont réputés aussi venimeux que la tarentule, et les piqûres faites par ces animaux paraissent aussi avoir été suivies d'accidens très graves. Les scorpions se servent de leur venin pour tuer les insectes dont ils font leur nourriture.

Les araignées sont très voraces ; elles tournent les unes contre les autres leur instinct destructeur. Un président de la chambre des comptes de Montpellier, nommé Bon, ayant présenté à l'Académie des sciences, en 1710, des bas et des mitaines faits de soie d'araignée, Réaumur voulut savoir comment on pourrait s'y prendre pour conserver des araignées et les faire filer. En conséquence, il en prit quatre à cinq mille, qu'il plaça, au nombre de cinquante à trois cents, dans des boîtes, où il leur donnait pour nourriture du sang extrait des plumes de volaille : ce D'abord, dit Réaumur (2), les araignées cherchèrent cette nourriture avec empressement; mais bientôt les plus grosses et les plus fortes prirent goût à manger les plus petites, et, au bout de quelque temps, à peine en resta-t-il une ou deux dans chaque boîte. »

Les amours des araignées conservent quelque chose de la cruauté qui est naturelle à ces animaux; ce n'est pas sans crainte que le mâle s'approche de la femelle, il la féconde en l'effleurant à peine, et se sauve loin d'elle pour n'en être pas dévoré. La femelle prend ordinairement soin de ses œufs et de ses petits ; si elle est poursuivie, elle les emporte et ne s'en sépare que quand ils peuvent se défendre ou pourvoir à leur nourriture. Les araignées-loups femelles ont-elles été

(1) Le docteur Hecker a publié un excellent mémoire sur la chorée épidé-mique, mémoire dans lequel il trace d'un point de vue élevé et tout-à-fait philosophique l'histoire du tarentisme. Voyez ce mémoire traduit de l'allemand par le docteur Ferdinand Dubois, de Berlin, dans les Annales d'hygiène et de me'decme légale,V«r\i, i834, t. xu, p. 3i2.

(2) Examen de la soit des araignées, Coll. acad. P. E. t. 3, p. 3o3.

i. 7

obligées d'abandonner leur cocon pour se soustraire à un danger, on les voit revenir chercher ce cocon quand elles n'ont plus rien à craindre. Svvammerdam, qui conservait dans son cabinet des araignées dont il prenait un soin tout particulier, dit que pour bien couver ses œufs, une de ces araignées les portait avec elles comme dans une petite corbeille, et que si on les lui ôlait, elle courait après, à la manière d'une poule à laquelle on a ravi ses poussins.

On est parvenu à apprivoiser des araignées; M. Léon Dufour avait une tarentule qui venait prendre une mouche vivante qu'il lui présentait; chacun connaît l'histoire de Pélis-son qui, dans son cachot, avait accoutumé une araignée à venir près de lui et jusque sur ses genoux. M. Walkenaer ra-porte le fait suivant : ce Une dame, occupée à pincer de la harpe dans une chambre située au milieu d'un jardin, aperçut une araignée fixée au plafond, au-dessus d'elle. Aussitôt elle se transporte à l'autre extrémité de la chambre ; mais à peine a-t-elle fait retentir l'air de son instrument, que l'araignée commence à se mouvoir et s'arrête encore au-dessus de la dame et y reste sans mouvement comme attachée au plafond. La dame, dont la curiosité est excitée par ce phénomène, change de place une seconde fois, et reste quelques momens sans jouer ; l'araignée ne la suit pas et reste immobile , mais à peine les sons harmonieux ont-ils recommencé, que l'araignée court de nouveau se placer au-dessus de l'instrument qui les produit. » (1)

Les araignées ont été consultées par les hommes qui se mêlaient de faire des prédictions. « Multœ arcmeœ, dit Pline, imhrium signa sunt. » Et ailleurs : « Sunt ex eo auguria;

quippe incremento amnium futuro, telas suas altius toi-

¦

(i) Hist, des aratléïdes.

lunt (1). » Ce dernier passage s'applique aux araignées qui établissent leur demeure au-dessus des ruisseaux; il paraît que prévoyant la crue des eaux, elles élèvent leur demeure pour n'être pas submergées. Suivant Pline (2), les araignées sentiraient les premières et les plus faibles secousses des tremblemens de terre, aussi bien que les souiis. « Ruinis imminentïhus, assure-t-il, musculi prœmigrant, aranœi cum telis primi cadunt. »

L'existence de plusieurs organes des sens, chez les aranéï-des , ne saurait faire l'objet d'aucun doute, ces animaux sentent, ils entendent et ils voient; on ne sait pas s'ils odorent ou s'il leur serait départi quelque manière de sentir étrangère à la nature de l'homme.

Quelque élevées que soient les facultés départies aux ara-néïdes, ces animaux n'ont cependant qu'une vie solitaire ; ils manquent de la force que donne la réunion de plusieurs individus, des secours que la société peut seule procurer. Il n'y a entre eux de véritable relation que de la mère aux petits , encore est-ce pour un temps très court. Quant à l'union sexuelle, elle semble être plutôt un piège destiné à la destruction du mâle par la femelle, qu'un raprochement ayant pour but une véritable jouissance. Tels sont la plupart des animaux destructeurs ou qui vivent de proie; leur vie se passe à tendre des pièges, à épier quelque animal, à manger et à digérer. Quelques-uns, il est vrai, se réunissent et forment entre eux une véritable société ; mais ce sont les plus doux, ce sont ceux dont la faim s'apaise vite ; les autres, s'ils s'assemblent, c'est pour atteindre ou déchirer une proie qu'ils se disputent ensuite avec acharnement.

(ï) Lib. xi, cap. a4.

(2) Hist.lib. vin, cap. 28. Pronosl'ica animalium.

7.

Plusieurs insectes se placent, sous ce rapport, fort au-dessus des arachnides ; ils se réunissent, vivent et travaillent en commun, font des provisions pour l'époque où la terre ne fournit rien dont ils puissent se nourrir, et, s'ils sont attaqués, ils savent se prêter mutuellement secours. Dans la série des invertébrés, ces insectes sont les premiers; et dans la série des vertébrés, y compris le singe et même l'éléphant, aucun animal n'est au-dessus d'eux. Toutefois, il est des insectes moins intelligens que les arachnides, et les plus élevés parmi les insectes ne sont pas semblables à eux-mêmes dans les différentes époques de leur vie. La plupart ont trois périodes fort distinctes; d'abord ils sont chenilles, restent sous cet état pendant un temps plus ou moins long, et ressemblent aux annelides autant par la forme du corps que par leurs facultés instinctives. Ces chenilles se dessèchent, ou plutôt elles paraissent se dessécher, et dans leur état de mort apparente, elles sont ce qu'on nomme chrysalides. Puis l'enveloppe de la chrysalide se fendille, s'entrouvre; il en sort un papillon. Je n'entreprendrai pas l'histoire complète des facultés des insectes, de nombreux volumes n'y suffiraient pas; je renvoie pour cela aux ouvrages d'Aristote, de Pline, de Harvée, de Swammerdam, de Réaumur, de Redi, de Ch. Bonnet, etc., etc. Je m'attacherai seulement à exposer ce qui concerne les fourmis et les abeilles , considérées sous le point de vue de leur instinct, de leurs habitudes, de leurs mœurs et de leur intelligence. Je vais d'abord exposer les faits, je les discuterai ensuite , car les conséquences qui en dérivent tout évidentes qu'elles soient, on les a niées, afin de donner à l'homme une prééminence dont rien de ce qui vit sur le globe terrestre ne pût même approcher.

Les fourmis vivent en société, elles se construisent des habitations, prennent soin de leurs petits, se rendent des se

cours mutuels et travaillent de concert pour atteindre un but déterminé; elles ont un langage particulier, se livrent de fourmilière à fourmilière, j'allais dire de peuplade à peuplade, des guerres acharnées, savent faire servir à la satisfaction de leurs besoins d'autres insectes, tels que des pucerons et des galle-insectes qui sont pour eux une espèce de bétail; enfin il en est certaines espèces qui, supérieures aux autres par la force et par le courage, soumettent les espèces les plus faibles et se font servir par elles. L'histoire des fourmis est en partie l'histoire de l'homme. Suivant de graves métaphysiciens, qui vivaient au xvic siècle (1), l'homme est supérieur aux animaux, principalement en ce qu'il a inventé la magie; rien ne prouve, en effet, que les animaux les plus intellîgens, comme sont les fourmis et les abeilles, aient jamais cultivé les sciences occultes, ni même qu'ils aient la moindre notion de métaphysique, mais ce n'est pas seulement pour cela que nous mettons l'homme au-dessus d'eux, nous avons heureusement d'autres raisons pour le faire, raisons que nous développerons en lieu convenable. Qu'ici il soit question seulement des fourmis. L'habitation des fourmis est toujours construite par elles et adaptée à leur genre de vie. Les fourmis fauves logent sous des monticules qu'elles forment avec des débris de chanvre, de morceau de bois, de feuilles, de grain de blé, d'avoine ou d'orge, de pierres et d'autres objets qu'elles trouvent à leur portée. Dans différons points de ce dôme sont des avenues ménagées avec soin que les fourmis fauves tiennent ouvertes pendant le jour et dont elles gardent l'entrée, et qu'elles ferment pendant la nuit. Au-dessous sont des salles spacieuses dans lesquelles logent les fourmis et où elles déposent les larves et les nymphes dont

(i) V. le Diçl. de Dayle, art, Rorarius.

elles prennent soin. Les fourmis brunes, appartenant à l'espèce des fourmis maçonnes, sont logées sous un monticule qu'elles forment elles-mêmes; elles ont plusieurs étages élevés au-dessus du sol, un rez-de-chaussée, et des étages souterrains; quelquefois il y a jusqu'à neuf étages à la partie supérieure et autant à la partie inférieure. Ces étages sont cloisonnés, voûtés, et communiquent tous les uns avec les autres ; suivant qu'il fait chaud ou froid, les fourmis brunes se tiennent dans l'un ou dans l'autre de ces étages et y transportent leurs larves.

P. Huber (1) auquel j'emprunte la plupart de ces détails, parce qu'il a vu plus et mieux qu'aucun autre observateur qui se soit occupé d'un pareil sujet, décrit ainsi les manoeuvres de plusieurs fourmis noir-cendré et dont il a suivi le travail.

« Un jour de pluie, dit cet auteur, je vis une ouvrière creuser le sol auprès d'un trou qui servait de porte à la fourmilière ; elle accumulait les brins qu'elle avait détachés et en faisait de petites pelotes qu'elle portait çà et là sur le nid ; elle revenait constamment à la même place et paraissait avoir un dessein marqué, car elle travaillait avec ardeur et persévérance. Je découvris, d'abord en cet endroit, un léger sillon tracé dans l'épaisseur du terrain ; il était en ligne droite et pouvait représenter l'ébauche d'un sentier ou d'une galerie ; l'ouvrière dont tous les mouvemens se faisaient sous mes yeux, lui donna plus de profondeur, l'élargit, nettoya ses bords et je vis, sans pouvoir en douter, qu'elle avait eu l'intention d'établir une avenue, conduisant d'une certaine case à l'ouverture du souterrain. Ce sentier, long de deux à trois pouces,

(i) Recherches sur tes fourmis indigènes. Paris et Genève, 1810, in-8. avec planches.

formé par une seule ouvrière, était ouvert au-dessus et bordé des deux côtés d'une butte de terre ; la concavité, en forme de gouttière, se trouva d'une régularité parfaite, car l'architecte n'avait pas laissé, dans cette partie, un atome de trop. Le travail de cette fourmi était si suivi et si bien entendu que je devinais presque toujours d'avance ce qu'elle voulait faire et le fragment qu'elle allait enlever.

« Les fourmis qui tracent le plan d'un mur, d'une case, d'une galerie, travaillant chacune de leur côté, il leur arrive quelquefois de ne pas faire coïncider exactement les parties d'un même objet : ces cas ne sont pas rares, mais ils ne les embarrassent point : en voici un où l'on verra que l'ouvrière découvrit l'erreur et sut la réparer.

ce Un mur d'attente était élevé et semblait placé de manière à devoir soutenir une voûte encore incomplète jetée depuis le bord opposé d'une grande case ; mais l'ouvrière qui l'avait commencée lui avait donné trop peu d'élévation pour le mur sur lequel elle devait reposer. Si la voûte eût été continuée sur le même plan, elle aurait infailliblement rencontré cette cloison à la moitié de sa hauteur, et c'était ce qu'il fallait éviter. Cette remarque critique m'occupait, lorsqu'une fourmi arrivée sur la place, après avoir visité ces ouvrages, parut être frappée de la même difficulté, car elle commença aussitôt à détruire la voûte ébauchée, releva le mur sur lequel elle reposait, et fit, sous mes yeux, une nouvelle voûte avec les débris de l'ancienne.

ce Je me suis assuré, continue Huber, que chaque fourmi agit indépendamment de ses compagnes. La première qui conçoit un plan d'une exécution facile, en trace aussitôt l'esquisse; les autres n'ont plus qu'à continuer ce qu'elle a commencé. Celles-ci jugent, par l'inspection des premiers travaux, de ceux qu'elles doivent entreprendre; elles savent tontes ébau

cher, continuer, polir ou reloucher leur ouvrage selon l'occasion; l'eau leur fournit le ciment dont elles ont besoin, le soleil et l'air durcissent la matière de leurs édifices; elles n'ont d'autres ciseaux que leurs dents, d'autre compas que leurs antennes, et de truelles que leurs paltes de devant,dont elles se servent pour appuyer et consolider leur terre mouillée. » (1)

Il est d'autres fourmis qui se logent dans des troncs d'arbres où elles se creusent des cases ou chambretles qui communiquent dans des vestibules communs , et dont les cloisons sont aussi minces que des feuilles de papier ; d'autres enfin qui construisent leurs habitations avec de la sciure de bois ou quelque matière pulvérulente qu'elles mouillent pour les solidifier par la dessiccation.

Les fourmis se nourrissent de substances végétales et de substances animales ; elles sont très friandes de sucre et de miel ; elles recherchent aussi avec avidité une matière qui s'échappe par goulleleltes, de l'anus des galle-insectes et des pucerons; elles savent même, lorsque ces gouttelettes ne sortent pas aussitôt qu'elles le désirent, en provoquer l'excrétion, en flattant avec leurs antennes la partie postérieure du corps des pucerons. On a cru que les fourmis mangeaient des graines céréales, parce que l'on a souvent trouvé de ces graines sur le dôme du nid de quelques espèces de ces animaux; on s'est trompé, les fourmis ne mangent pas ces sortes de graines, elles les réunissent afin de s'en servir comme matériaux propres à bâtir. Les fourmis ne font pas provision de nourriture, mais de bétail; elles entraînent les pucerons dans leur fourmilière, les placent sur les racines qui s'y trouvent et les laissent s'y fixer. Les pucerons extraient de la

fi) 0/ , cit. p. 45 et suiv.

racine un suc qui les nourrit, et l'excédant de leur nourriture ils le donnent aux fourmis qui en provoquent la sortie avec leurs antennes. Les galle-insectes et les cochenilles donnent aux fourmis un aliment semblable à celui qui sort de l'orifice postérieur des pucerons ; mais on n'a pas encore vu que les fourmis les aient mis en réserve pour s'en servir au besoin.

Toutes les fourmis sont ou mâles ou femelles ; cependant, il y en a, et c'est le plus grand nombre, qui ne prennent aucune part à l'acte de la génération. Les femelles qui doivent produire et les mâles sont pourvus d'ailes. A une certaine époque, ils s'élèvent dans l'air pour s'accoupler ; cela fait, la femelle descend sur la terre, s'arrache les ailes, et se fait un nid où elle pond ses œufs et nourrit ses larves; quant au mâle, on ne le revoit plus ; on suppose qu'il meurt peu de temps après l'accouplement. Toutes les autres fourmis, celles qui n'ont pas d'ailes, sont les ouvrières ; c'est à elles que sont dévolus tous les travaux intérieurs, ceux de construction , d'éducation des petits, la recherche des alimens , et la défense contre les ennemis du dehors. Elles prennent un soin extrême des œufs et des larves. S'il fait du soleil, elles les portent au-dehors de la fourmilière, pour les échauffer ; s'il pleut, elles les rentrent bien vite; le liquide nutritif qu'elles ont recueilli dans leurs courses, elles le partagent avec leurs compagnes, avec les femelles ailées et les mâles, mais c'est aux larves qu'elles en donnent la meilleure part. Très souvent les nymphes sont enfermées dans un tissu qu'elles ont filé lorsqu'elles étaient à l'état de larves. Quand l'époque de leur sortie de celte coque est arrivée, les ouvrières en arrachent, pincent et tordent les fils, jusqu'à ce qu'elles aient fait un trou suffisant pour que la nouvelle fourmi puisse passer.

Des fourmis ouvrières sont toujours placées en sentinelles à l'entrée de la fourmilière ; si le soleil paraît, ces sentinelles vont trouver leurs compagnes qu'elles touchent d'une certaine façon avec leurs antennes , et aussitôt celles-ci vont au soleil, puis elles vont en chercher d'autres, et ainsi de suite jusqu'à ce que toute la fourmilière soit dehors. Elles se préviennent également quand quelque danger les menace ou quand un ennemi s'approche. Quelquefois elles fuient, le plus souvent elles s'avancent pour combattre. On ne sait pas si les fourmis d'une même fourmilière se font jamais le moindre mal, mais de fourmilière à fourmilière elles se livrent souvent des combats à outrance. On les voit s'accrocher l'une à l'autre et ne lâcher prise que lorsque l'une d'elles a arraché la tête ou un membre de son ennemi. Ordinairement les fourmis d'une même espèce se prêtent mutuellement secours; tantôt elles s'accrochent l'une à l'autre pour tirer dans le même sens et entraîner leur ennemi ; tantôt elles le tirent chacune dans Un sens différent pour l'écarteler.La cause de leur guerre est d'abord la différence d'espèce, car rarement les espèces différentes peuvent se supporter ; puis "un voisinage trop immédiat et la possession d'une fourmilière. J'ai vu des petites fourmis brunes attaquer des fourmis à ventre fauve, chaque fois qu'elles en trouvaient l'occasion et ne les quitter qu'après les avoir tuées; les fourmis à ventre fauve se sauvaient toujours à moins qu'elles ne fussent en grand nombre et près de leur fourmilière. Dans ce dernier cas, malgré son énergie et sa rage , la fourmi brune était prise par tant de fourmis à-la-fois, que malgré ses efforts elle succombait déchirée en lambeaux. 11 n'est pas rare que toute une fourmilière (à l'exception toutefois des femelles ailées ou des mâles destinés seulement à procréer et jamais à combattre) se dirige vers une fourmilière voisine, pour en expulser les habi

tans. Dans ce cas une guerre acharnée se livre, les vainqueurs entraînent les vaincus et pendant ce temps un certain nombre d'individus do la fourmilière menacée court s'emparer des petits pour les soustraire aux vainqueurs. Les fourmis, sous oti rapport comme sous plusieurs autres, font exactement ce que nous faisons. II y a chez elles des fourmis qui ne vivent que par la guerre, Huber les appelle fourmis amazones ; celles-là ne prennent aucun soin de leurs petits, ne construisent rien, et ne vont jamais chercher leur nourriture au dehors ; leur métier est la guerre, elles ne sortent que pour voler aux fourmilières voisines, des larves et des nymphes, qu'elles emportent chez elles et dont plus tard elles font leurs esclaves. Voici comment Huber raconte une de leurs excursions.

ce Vers cinq heures de l'après-midi je vois des fourmis amazones sortir de leur retraite, elles s'agitent, s'avancent au de^ hors de la fourmilière, leur nombre augmente de moment en moment, un geste se répète constamment entre elles. Toutes ces fourmis vont de l'une à l'autre, en touchant de leurs en-tennes et de leur front le corselet de leurs compagnes ; celles-ci , à leur tour, s'approchent de celles qu'elles voient venir et leur communiquent le même signal, c'est celui du départ. L'effet de ce signal n'est pas équivoque, car on voit celles qui l'ont reçu se mettre en marche et se joindre à la troupe. La colonne s'organise, elle avance en ligne droite et bientôt on ne voit plus aucune fourmi amazone sur la fourmilière, r « La tête de la légion semble quelquefois attendre que l'arrière-garde l'ait rejointe; elle se répand à droite et à gauche, sans avancer, l'armée se rassemble de nouveau en un seul corps, et repart avec rapidité. On n'y remarque aucun chef; toutes les fourmis se trouvent tour-à-tour les premières; elles semblent chercher à se devancer. Cependant, quelques

unes d'entre elles vont dans un sens opposé, elles redescendent de la tête à la queue, puis reviennent sur leurs pas, et suivent le mouvement général.

« Arrivées à plus de trente pieds de leur habitation, elles s'arrêtent, se dispersent et latent le terrain avec leuvs antennes , comme les chiens flairent les traces du gibier ; elles découvrent bientôt une fourmilière souterraine occupée par des fourmis noir-cendré, et dont les habitantes sont retirées au fond de leur demeure. Les fourmis légionnaires, ne trouvant aucune opposition, pénètrent dans une galerie ouverte, s'emparent des nymphes qu'elles rencontrent, sortent par plusieurs issues et retournent chez elles. Là elles déposent leur fardeau qui est reçu par des fourmis rousseâlres, et retournent jusqu'à trois fois prendre de nouveau butin.

« Les fourmis auxquelles on enlève leurs larves et leurs nymphes, cherchent à les défendre; mais elles sont vaincues par l'ardeur et l'impétuosité des fourmis amazones. »

Le but des fourmis amazones n'est pas de détruire des fourmis, mais de s'emparer des nymphes et des larves des autres fourmis, pour en faire des serviteurs ; elles n'emportent jamais que des larves et des nymphes d'ouvrières, parce que les autres ne leur seraient bonnes à rien. Une fois leur excursion finie, elles se reposent, tandis que les fourmis ouvrières soignent les petits et vont chercher la nourriture dont elles leur apportent une partie. Les fourmis amazones ne savent ni construire, ni trouver à manger, ni élever leurs larves. Huber en enferma trente avec des nymphes et des larves de leur espèce et une vingtaine de nymphes noir-cendré, dans une boîte vitrée dont le fond était couvert d'une épaisse couche de terre , et il versa un peu de miel dans un coin de leur prison. Seules, sans serviteurs, la plupart moururent de faim en moins de deux jours, sans même avoir cherché à se construire

une loge dans la terre; les autres étaient languissantes et sans force. Huber donna à celles-ci une fourmi noir-cendré, qui seule rétablit l'ordre, fit une case dans la terre, y rassembla les larves, développa plusieurs jeunes fourmis des deux espèces , ot conserva la vie aux amazones qui subsistaient en-

ÇQTV3. (1)

On connaît un seul exemple de cruauté exerce par une fourmi sur un puceron ; il a eu pour témoin oculaire M. Auguste Duveau,quile raconte presque en pleurant (2). ce Je voyais, dit M. Duveau, un puceron se cramponner comme pour mettre bas un petit; une fourmi se mit à le palper, et se retira à plusieurs reprises. Enfin, impatientée, je suppose, de ne point obtenirla gouttelette qu'elle attendait, elle saisit le puceron par le ventre, l'entraîna à un demi-pouce du lieu où il était, le suça fortement, de manière à l'aplatir, et le laissa comme mort sur la place. C'est la seule brutalité, ajoute M. Duveau, que j'aie vu exercer par les fourmis sur leurs amis. » Les exemples du contraire sont beaucoup plus fré-quens. C'est encore M. Duveau qui parle : c Je terminerai , dil-il, par un trait dont je fus fort édifié et presque attendri. Une fourmi avait saisi une gouttelette qu'elle tenait en l'air avec ses deux pattes antérieures et s'apprêtait à la sucer. Une autre fourmi vint à passer, elles se reconnurent, se convinrent apparemment, et bientôt les deux nouvelles amies, dressées comme deux écureuils, l'une en face de l'autre, sucèrent ensemble la gouttelette (3). » M. Latreille raconte que des fourmis voyant souffrir leurs compagnes auxquelles il avait coupé les antennes, faisaient sortir de leur bouche une liqueur qu'elles versaient sur la partie blessée.

(1) Op. cit. p. a4o.

(2) Nouvelles rech. sur l'hist. nat. des pucerons. Méro. du Muséum d'hist. nat. t. i3, 18-25.

(3) Loc. cit.

Les fourmis vivent en république : il n'y a parmi elles ni première, ni dernière, elles se prêtent un appui mutuel, vont au secours l'une de l'autre au moment du danger, s'en-tr'aident dans tous leurs travaux. Elles n'eut pas de reines comme en ont les abeilles ; les femelles pleines sont, il est vrai, l'objet d'une attention particulière, on va au-devant de leurs besoins, on les escorte, mais c'est afin deles garder , parce que ce sont elles qui sont chargées de perpétuer la fourmilière. Les femelles qui restent, ou plutôt que l'on force à rester, ont été fécondées au moment où toutes les fourmis ailées s'apprêtent à sortir : aussitôt après la fécondation, les femelles sont retenues prisonnières dans l'intérieur du nid jusqu'à ce que leur vehtre ait grossi : dès ce moment, comme elles n'ont plus envie de sortir, on les laisse libres, et elles deviennent l'objet des soins et des caresses des fourmis ouvrières. Les fourmis amazones font exception , leur gouvernement est une véritable aristocratie qui exploite les fourmis ouvrières, comme dans beaucoup de pays les blancs exploitent les nègres, comme chez les blancs, les classes supérieures, quand on les laisse faire, exploitent le peuple.

Passons à la monarchie des abeilles.

Il y a peu de ressemblance entre la monarchie des abeilles et les monarchies humaines, il y en a pourtant, et les voici : l'œuf qui doit fournir une reine est placé par sa mère dans une alvéole quatre ou cinq fois plus grande que celle des autres abeilles; il entre souvent dans la construction de cette alvéole plus de cire qu'il n'en faudrait pour loger cinquante abeilles ouvrières. Sa larve est alimentée avec profusion d'une gelée particulière destinée à elle seule. Devenue abeille, elle est dispensée de tout travail, d'autres abeilles la suivent constamment et font cercle autour d'elle quand il lui plaît de

s'arrêter. La manière dont la reine se repose est commune à toutes les abeilles; elle entre la tcte la première dans les grandes cellules à mâles et y reste très long-temps immobile. L'attitude qu'elle y prend ne permet pas aux abeilles delui rendre alors des hommages; cependant, même dans ces circonstance, les ouvrières ne laissent pas de faire le cercle autour (Telle et de lui brosser la partie postérieure du ventre qui reste à découvert. » Huber, fidèle historien des abeilles (1) a été plusieurs fois témoin de ce fait qui représente assez bien, quoique au figuré, les rapports établis parmi les hommes,entre les courtisans et les souverains. Enfin, jamais il ne peut exister qu'une seule reine dans la même ruche. Ici commencent les oppositions. Si une seconde reine s'est glissée dans une ruche, ou si, pour faire une expérience, on l'y a introduite, deux groupes d'abeilles toujours très nombreux, se forment aussitôt, et chacun d'eux entoure une reine qu'elles étreignent de toutes parts, mais sans lui faire de piqûre. Quand, au travers du tourbillon d'abeilles qui les pressent, les reines se reconnaissent et tentent de se diriger l'une contre l'autre, à Tintant un passage leur est ouvert qui leur permet de se saisir et de se battre. Il faut que dans ce combat, l'une des deux soit mise à mort, car si elles se quittent vivantes, elles sont de nouveau entourées, comprimées et n'ont de chances de vie que dans un combat nouveau. Quant aux ouvrières, elles ne se font jamais la plus petite égratignure pour soutenir les prétendantes : elles laissent aux reines le soin de s'entre-tuer. Est-ce prudence, est-ce respect? Voici une autre circonstance de la vie des reines qui soulève la même question. La reine est, sauf quelques exceptions rares, la seule

(i) Nouvelles observations sur les abeilles, 2 e édit. Paris et Genève, 1814, a vol. in-8. avec planches, vol. 1, p. 215.

abeille qui ponde des œufs, ses premiers œufs sont déposés dans de petites alvéoles, il en naîtra des ouvrières; les seconds sont des œufs de faux-bourdons, leurs alvéoles sont plus grandes que celles des ouvrières; tafin les derniers doivent donner naissance à des reines, ils sont dans des ruches royales, et comme je l'ai dit, une gelée roya\^ que Huber a trouvé d'un goût aigrelet et relevé, est placée près d'eux. Ces derniers œufs peuvent éclore et leurs larves se nourrir comme tous les autres, sans que la reine s'en occupe; changés en nymphes, ils deviennent, dans certains cas, l'objet d'une attention particulière. L'entrée de toutes les alvéoles contenant une nymphe est fermée par \me pellicule de cire, et cette pellicule est graduellement amassée par les ouvrières qui l'ont placée de telle manière que la mouche une foisformée, n'a pas de peine à la briser et à sortir. Iln'en est pas ainsi pour les reines. En temps ordinaire, la reine ne laisse sortir vivante de son alvéole, aucune reine nouvelle ; elle les lue à l'état de nymphe et les autres abeilles, spectatrices de celte destruction, viennent enlever les nymphes tuées, elles prennent la bouillie restant au fond des cellules, sucent le fluide que les nymphes ont dans l'abdomen et détruisent leurs cellules (1). Si plusieurs reines doivent sortir de leurs alvéoles, et que la ruche manque de reine, la première formée s'échappe, et ce qu'elle fait d'abord, c'est d'aller attaquer et détruire dans leurs alvéoles, toutes les autres reines. Mais quand le temps d'essaimer est venu, quand le nombre des abeilles est trop considérable pour une seule ruche, la reine doit quitter le domicile commun arec une partie des ouvrières. Alors, il faut de nouvelles'reines : les ouvrières veillent à ce qu'il en naisse. Avant de quitter la ruche, la

(i) Op. pit, t. i, p. 179.

reine essaie de s'approcher des alvéoles contenant des nymphes royales, mais les ouvrières font bonne garde et la repoussent. La reine partie, s'il ne faut pas un nouvel essaim, la mouche royale qui est la première formée peut sortir librement et détruire ses rivales; mais s'il y a un nombre suffisant d'abeilles, pour l'organisation de plusieurs essaims, des reines sont conservées autant qu'il en est besoin. Je ne puis résister au désir de transcrire ici la narration que fait Huber de la manière dont se forment les essaims, et du soin que les ouvrières prennent de conserver les reines qui doivent les conduire. Cet auteur parle d'une ruche vitrée qu'il observait au temps où se forment les essaims.

«Le 30 mai, la reine avait pondu beaucoup; le 2 juin à onze heures du matin, tout était parfaitement tranquille dans la ruche ; mais à midi, la reine passa tout-à-coup de l'état le plus calme à une agitation très marquée qui gagna insensiblement les ouvrières, dans toutes les parties de leur domicile. Quelques minutes après, elles se précipitèrent en foule vers les portes et sortirent avec leur reine; elles se fixèrent sur une branche d'arbre du voisinage. J'y fis chercher et enlever la reine , afin que les abeilles en étant privées, rentrassent dans la ruche ; et effectivement, elles ne tardèrent pas à s'y replacer. Leur premier soin, parut être de chercher leur femelle; elles étaient encore fort agitées, mais peu-à-peu elles se calmèrent et, à trois heures, tout était tranquille et bien ordonné.

« Le7, nous nous attendions à voir sortir une reine de la cel-lulle royale qui avait été formée le 30 mai. Dès la veille, cette reine était arrivée à son terme, ses sept jours étaient accomplis. Le guillochis de sa cellule était si approfondi que nous apercevions un peu ce qui se passait dans l'intérieur, nous pouvions distinguer que la soie de la coque était coupée cir-culairement à une ligne et demie au dessus de la pointe ; mais

II.

8

comme les abeilles n'avaient pas voulu encore que la reine sortît, elles avaient soudé le couvercle contre la cellule, avec quelques particules de cire. Ce qui nous parut alors fort singulier, c'est que celte femelle rendait, dans sa prison, une espèce de son, un claquement fort distinct. Le soir, ce chant était composé de plusieurs notes qui se suivaient rapidement.

«Le 8, nous entendîmes le même chant dans la seconde cellule. Plusieurs abeilles faisaient la garde autour de la cellule royale.

«Le 9, la première cellule s'ouvrit. La jeune reine qui en sortit était vive, sa taille effilée, sa couleur rembrunie. Nous comprîmes alors la raison pour laquelle les abeilles retiennent captives, au-delà de leur terme, les jeunes femelles dans leurs alvéoles ; c'est afin qu'elles soient en état de voler dès l'instant où elles sortent. La nouvelle reine devint l'objet de toute notre attention : dès qu'elle passait près des cellules royales, les abeilles qui gardaient ces cellules, la tiraillaient, la mordaient et la chassaient, paraissant fort acharnées contre elle, et ne lui laissaient de tranquillité que lorsqu'elle s'était fort éloignée de toute cellule. Ce manège se répéta très fréquemment dans la journée. La nouvelle reine chanta deux fois, et lorsqu'elle chantait, elle était arrêtée, son corselet appuyait contre le gâteau, ses ailes étaient croisées sur son dos, elle les agitait sans les décroiser et sans les ouvrir davantage. Quelle que soit la cause qui lui ait fait choisir celte altitude, les abeilles en paraissaient affectées, toutes baissaient alors la tête et restaient immobiles.

«Le lendemain, la ruche présentait les mêmes apparences, il y restait encore vingt-trois cellules royales qui étaient toutes assidûment gardées par un grand nombre d'abeilles. Dès que la reine s'en approchait, toutes les gardes s'agitaient,

l'environnaient, la mordaient, la houspillaient de toutes les manières et finissaient ordinairement par la chasser. Quelquefois elle chantait, en reprenant l'attitude que j'ai décrite tout-à-l'heure, et dès ce moment, les abeilles devenaient immobiles.

ce La reine emprisonnée dans une seconde cellule, quoique formée, n'était pas encore sortie ; nous l'entendîmes chanter à différentes reprises. Nous vîmes aussi la manière dont les abeilles la nourrissaient. En l'examinant attentivement, nous remarquâmes une petite ouverture dans la partie du bout de la coque que cette reine avait coupée au moment où elle était déjà en état de sortir et que ses gardes avaient recouvert de cire, pour la retenir prisonnière. Par cette fente, elle faisait sortir et rentrer alternativement sa trompe. Les abeilles ne vi-rentpas d'abord ce mouvement, mais enfin l'une d'elles l'aperçut et vint appliquer sa bouche sur la trompe de la reine captive, puis fit place à d'autres qui vinrent également s'en approcher, pour lui donner du miel. Quand elle fut bien rassasiée, elle retira sa trompe, et les abeilles rebouchèrent avec de la cire, l'ouverture par laquelle elle l'avait fait sortir.

ce Entre midi et une heure, ce même jour, la reine devint fort agitée. Les cellules royales de sa ruche étaient très multipliées, elle ne pouvait aller nulle part sans en rencontrer quelqu'une et, dès qu'elle s'en approchait, elle était fort maltraitée, frappait ailleurs et ne trouvait nulle part un meilleur accueil. Ses courses agitèrent enfin les abeilles qui restèrent pendant long-temps dans la plus grande confusion, puis se précipitèrent vers la porte de la ruche, sortirent et allèrent se placer sur un arbre du jardin. Ce qu'il y eut de singulier, c'est que la reine ne put pas les suivre, ni conduire elle-même l'essaim. Elle avait voulu passer entre deux cellules royales avant que les abeilles en eussent abandonné la garde, et elle enavait été tellement serrée et mordue, qu'elle ne pouvait plus

8j

se mouvoir. Nous l'enlevâmes et nous la plaçâmes dans une ruche séparée ; les abeilles qui étaient formées en essaim, et qui s'étaient accumulées en grappe sur une branche d'arbre, reconnurent bientôt que leur reine ne les avait pas suivies et elles rentrèrent elles-mêmes dans leur habitation.

«Nous étions très curieux de savoir ce que deviendraient les autres cellules royales ; outre celles qui étaient fermées, il y en avait quatre qui contenaient des reines parfaitement développées, et qui auraient pu sortir si les abeilles ne les en avaient empêchées. Elles ne furent point ouvertes pendant le temps qui précéda l'agitation de l'essaim, ni dans l'instant du jet.

«Le 11, aucune des reines n'était encore libérée; l'une d'elles avait dû subir sa transformation le 8 ; elle était donc prisonnière depuis trois jours. Enfin le 12, elle sortit et fut traitée exactement comme sa devancière; les abeilles la laissaient tranquille lorsqu'elle était loin de toute cellule royale , et la tourmentaient cruellement lorsqu'elle en approchait. Le même jour deux reines étaient sorties avec leur essaim » (1), Huber décrit avec le même soin la conduite des abeilles restées dans la ruche et les luttes que se sont livrées les reines, sorties de leurs alvéoles ; c'est à son ouvrage que je renvoie le lecteur désireux d'en connaître toutes les particularités.

Lorsque la reine vient à manquer, les abeilles paraissent fort tourmentées de cet événement, pendant vingt-quatre heures environ ; s'il y a des nymphes royales dans les alvéoles, on en attend la sortie et on les laisse se disputer la royauté comme je l'ai dit tout-à-l'heure; s'il n'y a pas de nymphe royale, on élargit l'alvéole d'un œuf d'ouvrière, on lui apporte la gelée aigrelette préparée pour les reines, et le temps venu, on

| (i) Op. cit. f, i,p. 255 et suiv.

l'enferme pour la laisser sortir pourvue des attributs de la royauté. Cette nourriture suffit pour opérer la transformation d'une ouvrière et développe en elle les organes générateurs femelles, au point où ils doivent être pour engendrer; car les ouvrières sont aussi des femelles, mais dont les parties sexuelles sont atrophiées. Dans aucun cas, les ouvrières ne vont chercher une reine ou une nymphe de reine dans une ruche étrangère; il ne leur faut, pour en faire une, qu'un peu de' gelée aigrelette donnée à une de leurs larves, et une grande alvéole dans laquelle cette larve puisse se développer complètement.

La reine des abeilles a une cour ; elle est entourée, de ce que parmi les hommes, nous appelons des respects et des hommages ; elle a une nourriture à part et, comme on l'a vu plus haut, sa loge coûte cinquante fois autant de cire qu'une loge ordinaire : ces privilèges auxquels il faut joindre celui de la fécondation qui lui est exclusivement réservé, et celui de se mettre à la tête d'un essaim, sont les seuls dont elle jouisse, aussi est-il vrai de dire que ce sont des fonctions maternelles qu'elle exerce dans la ruche, plutôt qu'une véritable royauté. Les ouvrières sont, les unes chargées de construire la ruche, les autres de récolter le miel. Les premières travaillent non pas isolément, mais successivement ; on voit celle-ci poser les fondemens de l'alvéole, être remplacée par une seconde, puis par une troisième et par d'autres qui continuent et achèvent son œuvre ; tandis que certaines ouvrières avancent le perfectionnement d'une pièce, d'autres commencent à dégrossir les cellules adjacentes; s'il faut une reine, elles élargissent plusieurs loges contenant des œufs d'ouvrières, destinées à donner des reines. Pour les mâles et pour elles-mêmes, elles construisent des loges différentes. Si l'on oppose des obstacles à ce qu'elles construisent comme

elles ont l'habitude de le faire, elles s'accommodent aux circonstances, modifient leur plan et viennent à bout de leur entreprise. Capables de remplir à-la-fois les fonctions de maçons et celles d'ingénieurs, elles sont chargées de la sûreté de la place. Les abeilles ont à se défendre contre les guêpes, les frelons, les teignes, les souris et les reines étrangères ; pour empêcher ces animaux d'entrer dans la ruche, des abeilles font toujours bonne garde, mais cela ne suffit pas toujours, surtout quand elles ont à redouter un nouvel ennemi qui profite de la nuit pour pénétrer chez elles ; cet ennemi est le sphinx atropos, ou tête de mort. Quand les abeilles craignent ses attaques, elles munissent leurs portes comme nous làfsons pour nos places de guerre. Tantôt elles y bâtissent un mur dont les ouvertures sont en arcade et trop petites pour per-metre au sphinx de s'y introduire; tantôt elles élèvent plusieurs cloisons les unes derrière les autres, ou masquent leurs portes par des murs placés au-devant d'elles. Contre l'invasion des abeilles appartenant à d'autres ruches et que le désir du pillage pourrait attirer, elles se défendent par des portes étroites qui ne laissent de passage que pour une seule abeille à-la-fois.

Leur prévoyance ne se borne pas là ; elles secondent les abeilles mellifères et préparent des alvéoles destinées à garder la provision de miel. En temps de disette, les alvéoles ordinaires suffisent et au-delà, mais quand la récolle de miel est très considérable, non-seulement les abeilles cirières construisent des cellules très grandes, mais elles les multiplient beaucoup et les placent partout où l'espace le permet. On voit, dans le temps de grande abondance, des gâteaux irréguliers dont les cellules ont quinze et même dix-huit lignes de profondeur. (1)

(i) Op. cit. t. a,"p. 257.

Quant aux abeilles qui ont pour destination de récolter le miel, elles nourrissent toute la ruche et font des provisions pendant la saison des fleurs, pour tout le reste de l'année ; si les ruches sont remplies de gâteaux, les cirières vont aussi à la récolte du miel et le rapportent dans les magasins de la ruche. Tout le miel emmagasiné est enfermé soigneusement : les cellules où il est déposé sont garnies d'un couvercle de cire, qu'on n'enlève que dans les cas de besoin extrême et lorsqu'il n'y a aucun moyen de s'en procurer ailleurs. On n'ouvre jamais ces magasins pendant la belle saison; d'autres réservoirs, toujours ouverts, fournissent aux besoins journaliers de la peuplade, mais chaque abeille n'y prend que ce qui lui est absolument nécessaire pour satisfaire au besoin présent. (1)

Jusqu'à présent je n'ai parlé que des femelles; c'est qu'elles jouent le principal rôle dans la monarchie des abeilles, les mâles y sont comparativement en très petit nombre et n'y servent qu'à l'accouplement. La reine abeille, quand elle est en état d'être fécondée, s'avance vers la porte de la ruche, et s'envole en la regardant, sans doute afin de la reconnaître, et revient environ un quart d'heure après. Une seconde fois, elle sort, mais pour plus long-temps et sans qu'on puisse la suivre des yeux. Ainsi que les fourmis et beaucoup d'insectes, elle est fécondée dans les airs où elle rencontre des faux-bourdons, revient dans sa ruche, et commence à pondre au bout de quarante-six heures. Le mâle qui l'a fécondée meurt bientôt, mutilé par l'acte même de la fécondation ; les autres mâles continuent de vivre jusqu'au mois d'août. Vers celte époque, parfois même plus lot, comme ils ne sont plus nécessaires et qu'il faudrait les

(i) Op. cit. t. à, p. 68.

nourrir sans en retirer aucun avantage, on les met tous à mort, et on détruit les nymphes qui pourraient en produire. L'heure de leur massacre arrivée, ils sont saisis par les ouvrières qui les tiraillent, les écartellent, les déchirent et les percent de leuraiguillon. Ceux qui ont échappé à la fureur des ouvrières, et qui ont cherché un refuge dans d'autres ruches, n'ont retardé leur mort que de peu d'instans, car partout on les détruit. Il y a pourtant une exception, c'est quand, dans une ruche, il n'y a pas de reine ; on les laisse vivre pour féconder la reine qui viendra. Voilà quel est le rôle des mâles, et quelle part la nature leur a départie chez les abeilles.

Pour accomplir toutes les actions dont je viens de parler, il faut que les abeilles aient des organes d'une grande perfection, et des sens délicats, aussi sont-elles douées de la vue, du toucher, de l'odorat, du goût, peut-être même de l'ouïe. Auraient-elles quelque autre manière de sentir? nous ne pouvons que le supposer. Et au-delà des sens, au-delà des sensations qu'ils procurent, qu'y a-t-il ? Un centre nerveux et des facultés : une âme encore, ont dit un grand nombre des théologiens et de métaphysiciens; mais pour mon propre compte , je n'oserais pas l'assurer.

Les facultés des insectes ont fourni matière à beaucoup de controverses, comme on a pu le voir en lisant le commencement de cet article ; les uns ont donné à ces animaux une véritable intelligence, les autres la leur ont refusée. Buffon s'est rangé au nombre de ces derniers. Je vais rapporter textuellement les argumens dont il s'est servi, et j'y répondrai. Dans son Discours sur la nature des animaux , Buffon s'exprime ainsi :

« Y a-t-il rien de plus gratuit que cette admiration pour les mouches, et que ces vues morales qu'on voudrait leur prêter; que cet amour du bien commun qu'on leur suppose, que

cet instinct singulier qui équivaut à la géométrie la plus sublime, instinct qu'on leur a nouvellement accordé, par lequel les abeilles résolvent le problème de bâtir le plus solidement qu'il soit possible, dans le moindre espace possible, avec la plus grande économie possible. Que penser de l'excès auquel on a porté le détail de ces éloges? Car enfin, une mouche ne doit pas tenir dans la tête d'un naturaliste, plus d'espace qu'elle n'en tient dans la nature ; et cette république merveilleuse ne sera jamais aux yeux de la raison, qu'une foule de petites bêtes, qui n'ont d'autre rapport avec nous que celui de nous fournir de la cire et du miel.

« Ce n'est point la curiosité que je blâme ici, ce sont les raisonnemens et les déclamations. Qu'on ait observé avec attention leurs manœuvres, qu'on ait suivi avec soin leurs procédés et leur travail, qu'on ait écrit exactement leur génération , leur multiplication, leurs métamorphoses, tous ces objets peuvent occuper le loisir d'un naturaliste : mais c'est la morale, c'est la théologie des insectes que je ne puis entendre prêcher ; ce sont les merveilles que les observateurs y mettent, et sur lesquelles ensuite ils se récrient, comme si elles y étaient en effet, qu'il faut examiner : c'est cette intelligence , cette prévoyance, cette connaissance même de l'avenir qu'on leur accorde avec tant de complaisance, et que cependant il faut leur refuser rigoureusement, que je vais lâcher de réduire à sa juste valeur.

« Les mouches solitaires n'ont de l'aveu de ces observateurs, aucun esprit, en comparaison des mouches qui vivent ensemble .-celles qui ne forment que de petites troupes, en ont moins que celles qui sont en grand nombre, et les abeilles qui, de toutes, sont peut-être celles qui forment la société la plus nombreuse, sont aussi celles qui ont le plus de génie. Cela seul ne suffit-il pas pour faire penser que celte apparence d'es

prit ou de génie, n'est qu'un résultat mécanique, une combinaison de mouvement proportionnel au nombre, un rapport qui n'est compliqué que parce qu'il dépend de plusieurs milliers d'individus? Ne sait-on pas que tout rapport, tout désordre même, pourvu qu'il soit constant, nous paraît une harmonie dès que nous en ignorons les causes, et que de la supposition de cette apparence d'ordre à celui de l'intelligence, il n'y a qu'un pas, les hommes aimant mieux admirer qu'approfondir?

« On conviendra donc d'abord, qu'à prendre les mouches une à une, elles ont moins de génie que le chien, le singe et la plupart des animaux ; on conviendra qu'elles ont moins de docilité, moins d'attachement, moins de sentiment, moins, en un mot, de qualités relatives aux nôtres : dès lors, on doit convenir que leur intelligence apparente ne vient que de leur multitude réunie. Cependant cette réunion même ne suppose aucune intelligence ; car ce n'est point par des vues morales qu'elles se réunissent, c'est sans leur consentement qu'elles se trouvent ensemble. Cette société n'est donc qu'un assemblage physique ordonné par la nature, et indépendant de toute vue, de toute connaissance, de tout raisonnement. La mère abeille produit dix mille individus tout à-la-fois, et dans un même lieu ; ces dix mille individus, fussent-ils encore mille fois plus stupides que je ne les suppose, seront obligés, pour continuer seulement d'exister, de s'arranger de quelque façon : comme ils agissent tous les uns comme les autres, avec des forces égales, eussent-ils commencé par se nuire, ils arriveront bientôt à se nuire le moins qu'il sera possible, c'est-à-dire à s'aider, ils auront donc l'air de s'en~ tendre et de concourir au même but. L'observateur leur prêtera bientôt des vues et tout l'esprit qui leur manque : il voudra rendre raison de chaque action, chaque mouvement

aura bientôt son motif, et de là sortiront des merveilles et des raisonnemens sans nombre ; car ces dix mille individus qui ont été tous produits à-la-fois, qui ont habité ensemble, qui se sont tous métamorphosés à-peu-près en même temps, ne peuvent manquer de faire tous la même chose, et pour peu qu'ils aient du sentiment, de prendre des habitudes communes, de s'arranger, de se trouver bien ensemble , de s'occuper de leur demeure, d'y revenir après s'en être éloignés , et de là l'architecture, la géométrie, l'ordre, la prévoyance , l'amour de la patrie, de la république, en un mot, le tout fondé, comme on le voit, sur l'admiration de l'obser-teur.

« On donne plus d'esprit aux mouches dont les ouvrages sont les plus réguliers ; les abeilles sont, dit-on, plus ingénieuses qne les guêpes, que les frelons qui savent aussi l'architecture, mais dont les constructions sont plus grossières et plus irrégulières que celles des abeilles. On ne veut pas voir où l'on ne se doute pas que cette régularité plus ou moins grande, dépend uniquement du nombre et de la figure, et nullement de l'intelligence de ces petites bêtes : plus elles sont nombreuses, plus il y a de forces qui agissent également et qui s'opposent de même, plus il y a par conséquent de contrainte mécanique, de régularité forcée, et de perfection apparente, dans leur production.

« C'est par sentiment et non par raisonnement qu'agissent les abeilles : elles ramassent beaucoup plus le cire et de miel qu'il ne leur en faut, ce n'est donc point du produit de leur intelligence, c'est des effets de leur stupidité que nous profitons , car l'intelligence les porterait nécessairement à ne ramasser qu'à-peu-près autant qu'elles ont besoin et à s'épargner la peine de tout le reste, surtout après la triste expérience que ce travail est en pure perle, qu'on leur enlève tout ce

qu'elles ont de trop, qu'enfin cette abondance est la seule cause de la guerre qu'on leur fait, et la source de la désolation et du trouble de leur société. »

On ne saurait prendre au sérieux plusieurs de ces allégations. Dire « qu'une mouche ne doit pas tenir, dans la tête d'un naturaliste, plus d'espace qu'elle n'en tient de la nature, » c'est juger de la valeur des animaux d'après leur volume relatif; or , à ce compte, la fourmi serait au-dessous du hanneton, l'hirondelle au-dessous de la buse, le chien au-dessous du bœuf, et l'homme, combien n'aurait-il pas d'animaux supérieurs à lui ? Buffon consent à ce que l'on examine les manœuvres des insectes, leur génération, leur multiplication, leur métamorphose, et puis il veut que l'on en reste là : les abeilles n'ont ni intelligence, ni prévoyance , ni connaissance de l'avenir ; ce sont «de petites bêtes qui n'ont d'autre rapport avec nous que celui de nous fournir de la cire et du miel. »

Que les abeilles n'aient pas la connaissance de l'avenir, je l'accorde sans peine; mais sous ce rapport, l'homme a-t-il plus d'avantages que les abeilles? Non, assurément. Quant à ce qui regarde la prévoyance et l'intelligence, discutons : ce Les abeilles recueillent plus de cire et de miel qu'il ne leur en faut ; elles pourraient s'épargner la peine de tout le reste, nous profitons, en leur prenant ce qu'elles ont de trop, des effets de leur stupidité. » Mettons, pour un moment, l'homme riche ou économe à la place de l'abeille ; un voleur vient, qui lui prend seulement ce qu'il a de trop, disons-nous que le voleur profite des effets de la stupidité de celui qu'il vole? Et l'avare qui, pour amasser, se prive des choses nécessaires à la vie, n'est-il pas plus stupide sous ce rapport que l'abeille. L'abeille économise, mais elle jouit; l'avare économise et ne jouit jamais.

ce La mère abeille produit dix mille individus tout à-la-fois

et dans un même lieu; pour continuer d'exister, ces dix mille individus sont obligés de s'arranger de quelque façon , de se nuire le moins possible, puis de s'aider, de s'entendre, de concourir au même but, de prendre des habitudes communes , de se trouver bien ensemble, de s'occuper de leur demeure, d'y revenir après s'en être éloignés, etc. » Que les abeilles soient obligées de s'arranger de quelque façon, je ne le conteste pas, mais que cette obligation provienne de ce qu'elles naissent toutes à-la-fois et dans un même lieu, je ne l'accorderai jamais. Pourquoi tant d'autres animaux qui naissent aussi à-la-fois et dans un même lieu, n'ont-ils pas des habitudes semblables à celles des abeilles? Et d'ailleurs, comment concevoir que toutes les actions des abeilles soient dues à cette cause? Tantôt, on les voit agir individuellement, tantôt agir de concert; les unes travaillent, les autres restent dans l'oisiveté. Dans la même ruche, on ne souffre pas deux reines, et si par hasard, il s'en rencontre deux, elles sont obligées de se battre jusqu'à ce qu'une d'elles périsse. N'est-ce pas là une grande preuve de sagesse, et, dans nos monarchies, quand deux prétendans se disputent un trône, le peuple qui prend part à ces luttes , ne ferait-il pas mieux d'imiter les abeilles, plutôt que de s'entre-égorger ? Le premier soin de la reine qui sort de son alvéole est d'aller tuer les reines non encore sorties de la leur, et si les ouvrières n'ont pas besoin de plusieurs reines, elles la laissent agir, sinon elles font bonne garde pour conserver des reines précisément autant qu'il leur en faut. Le massacre de tous les mâles, lorsque l'on n'a plus besoin d'eux, leur conservation dans les ruches où il n'y a pas de reine féconde, peuvent-ils être regardés comme les effets d'une force aveugle? La plupart des actions des abeilles sont de même nature , et l'interprétation que leur donne Buffon, doit être considérée comme n'ayant

pas la moindre valeur. Je le demande, si nous ne connais sions pas les abeilles et qu'un observateur qui en aurait découvert l'existence et les mœurs, vînt aujourd'hui nous révéler tout ce que l'on en a appris depuis Aristote jusqu'à Huber, et si, pour éprouver notre sagacité, cet observateur ne nous décrivait pas la forme des abeilles et nous taisait également certaines particularités relatives à leur féconda-lion, est-il beaucoup d'hommes qui n'en feraient pas des êtres très approchant de l'espèce humaine?

ce Les abeilles ont moins de docilité, moins d'attachement, moins de sentiment, en un mot moins de qualités relatives aux nôtres, que le chien, le singe et la plupart des animaux. » Cela est vrai, l'homme ne peut pas se mettre en rapport avec une abeille comme avec un chien ou un singe, mais est-ce la faute de l'abeille ou la faute de l'homme? Est-ce parce que les organes de l'abeille sont trop petits, ou parce que ceux de l'homme sont trop volumineux , que les rapports entre eux sont impossibles?Cette circonstance toute matérielle, fût-elle seule, mettrait nécessairement entre l'homme et l'abeille une barrière infranchissable.

Condillac qui, le premier, a réfuté plusieurs des argumens de Buffon, admet que les bêtes sont capables de quelques connaissances, o Ce sentiment, dit-il (1), qui est celui du vulgaire, n'est combattu que par les philosophes, c'est-à-dire par des hommes qui d'ordinaire aiment mieux une absurdité qu'ils imaginent, qu'une vérité que tout le monde adopte. j Il admet qu'entre les bêtes et l'homme, la différence, pour ce qui concerne la pensée, n'est que du plus au moins ; le moins dont sont pourvus les animaux, il s'appelle instinct ; le plus qui appartient à l'homme, il l'appelle raison, ce Ce qui man-

(i) Traité des animaux, a" partie : Des facultés des animaux.

que surtout aux bêles, ajoute-t-il, c'est un moyen de se communiquer leurs idées, c'est le langage : privées de cette ressource, chacune d'elle n'a guère pour s'instruire que sa seule expérience, tandis que l'homme accumule sur les connaissances de ceux qui l'ont précédé, les résultats de son expérience particulière. » Le langage ne manque pas aussi entièrement aux animaux que le croyait Condillac, nous avons vu que les fourmis sont loin d'en être dépourvues, et nous ne pouvons guère le refuser aux abeilles, quand nous considérons l'accord qui règne dans leurs actions. Les unes et les autres, de même que tous les animaux, ont sans doute le langage qui convient à leur nature et à l'étendue de leurs idées ; car on ne conçoit pas qu'elles puissent avoir des idées de relation, par exemple, sans posséder aucun des moyens nécessaires pour les exprimer.

Le meilleur historien des abeilles, Huber, dans une lettre qu'il écrivait à Charles Bonnet (1), a laissé échapper cette phrase : « Les abeilles n'ont que des idées purement sensi* Mes et pas de prévoyance, pas de combinaison, elles agissent entraînées par le plaisir ou la crainle de la douleur. » Quel plaisir, demanderai-je à Huber, peuvent prendre les abeilles à renfermer les nymphes royales, à retenir les reines calfeutrées dans leurs alvéoles, et à les y nourrir en attendant qu'elles en aient besoin pour conduire un essaim ? Pourquoi mettent-elles des couvercles différens aux différentes sortes d'abeilles ? Pourquoi portent-elles la bouillie royale aux lar» ves des reines? Pourquoi dire que les reines ont une cour et sont entourées de respectueuses ouvrières? De pareilles actions, chez les hommes, n'indiquent-elles que des idées sen* sibles, ou n'exigent-elles pas au contraire de la prévoyance

(i) Op. cit., t. i, p.' 3x3.

et de la réflexion? Au reste, c'est dans un seul endroit qu'Hu-ber donne aux abeilles des idées purement sensibles, souvent il est comme ravi d'admiration devant les marques nombreuses d'intelligence qu'il découvre en elles, et il exprime cette admiration d'une manière tellement positive, qu'il va presque jusqu'à l'égaler à celle de l'homme.

Les psychologistes qui refusent toute intelligence aux animaux, allèguent que chaque animal agit comme tous ceux de son espèce, sans y rien ajouter, sans y rien retrancher, sans avoir eu besoin d'apprentissage, et sans pouvoir lui-même rien transmettre à ses semblables; ils comparent à cette uniformité d'actions presque toujours restreintes dans d'étroites limites, l'immense variété des actions de l'homme, l'étendue et l'élévation de ses idées, et surtout ils font valoir la perfectibilité de l'espèce humaine dont les générations s'enrichissent successivement de toutes les connaissances acquises avant elles : la brute, comme ils disent, tient au monde physique seulement, tandis que l'homme s'élève au monde intellectuel et moral. Les conséquences qu'ils tirent de ces faits, c'est que l'homme seul a conscience de ses actions, que seul il est libre, tandis que les animaux ne savent en aucune manière comment ou pourquoi ils agissent, ou qu'ils le savent tout au plus comme nous le saurions dans un rêve.

Pour ce qui concerne les animaux, on ne saurait disconvenir que leurs actes ne soient infiniment moins variés que ceux de l'homme, cependant ces actes ne sont pas tellement réglés à l'avance qu'ils ne puissent être modifiés suivant une foule de circonstances imprévues. Les animaux attaquent et se défendent, ceux qui chassent emploient mille ruses pour réussir; ceux qui construisent varient souvent leur travail suivant les localités; s'ils se sont trompés, ils détruisent ce qu'ils ont fait et recommencent une nouvelle construction. Ce

ne sont pas là des actes purement physiques et placé dans les mêmes condilions, poussé par les mêmes besoins, l'homme faisant usage de son intelligence n'agirait pas autrement que les animaux.

L'éducation n'est pas nécessaire aux animaux, qui en naissant, sont propres à toutes les actions qu'on leur voit exécuter et qu'ils exécutent en effet, sans jamais les avoir apprises; l'homme au contraire apprend une partie de ce qu'il doit savoir ou faire par la suite, il est éducable. Sous ce rapport, l'avantage serait aux animaux, puisque avec moins de peine, ils font dès le commencement de leur vie, plus que ne fait l'homme au commencement de la sienne : toutefois, je dois faire observer que cela n'est pas aussi généralement vrai qu'on le dit, car plusieurs animaux ont besoin d'éducation, et la différence qui existe entre eux, àcet égard, tient à des conditions qu'il est facile d'apprécier : elle dépend du développement de leurs organes, au moment de la naissance. Les uns, en entrant dans la vie, sont déjà parfaits, les autres n'arrivent à ce point que peu-à-peu et par degrés. Le poulet va chercher le grain, le canard se dirige vers l'eau plus vile et plus sûrement que l'enfant ne dirige les bras et la bouche vers le sein de sa nourrice : comparez l'état de leur développement, et vous y trouverez la raison de cette différence. Si l'homme naissait avec des organes capables d'agir, il n'aurait assurément pas besoin d'éducation pour un grand nombre des actes qu'il exécute.

Je ne veux aucunement soutenir le paradoxe de ceux qui estiment l'intelligence des animaux à l'égal de celle de l'homme; je ne puis cependant m'empêcher de faire remarquer combien l'on a exagéré l'infériorité des animaux et la prééminence de notre espèce. Que l'on considère l'homme sous le point de vue moral, ou sous le point de vue intellectuel, on verra qu'il est soumis à certaines lois desquelles il s'écarte peu. I. 9

Pour en avoir un exemple, jetez les yeux sur les Comptes-rendus de la justice criminelle en France, ou mieux encore sur les ouvrages dans lesquels MM. Guerry (1) et Quételet (2) ont établi, d'après ces comptes-rendus, quel est le nombre proportionnel des crimes et des délits suivant les âges, les sexes, les saisons, les heures du jour, vous serez surpris et même effrayé de la régularité qui s'y trouve. Chaque année, dans le même département, un même nombre de crimes exécutés par des hommes du même âge et de la même condition sociale que les années précédentes. C'est, dit l'un des auteurs que je viens de citer, M. Quételet, une sorte de budget dont on peut, à l'avance, établir la quotité. Pour agir d'une manière aussi constante, il faut que les causes de cette répéti-ion aient bien de la force; pour n'y pas résister plus efficacement, il faut quel'homme ait bien de la faiblesse! et si l'homme est tellement faible que, dans certaines conditions, il cède toujours à une impulsion capable de lui faire commettre des crimes, ouest sa liberté? L'homme est libre, pourtant, j'ai hâte de le reconnaître, mais trop rarement, mais quand ses passions ne l'aveuglent pas, quand, par une bonne éducation, il s'est exercé à faire prédominer le sens moral qui est en lui. Autrement il obéit, moins fatalement, sans doute que les animaux, mais il obéit, et s'il ne s'agitait pas dans une sphère plus grande que ceux-ci, on serait tenté de dire aussi de lui qu'il est une machine.

Quant aux produits de l'intelligence humaine, si on les analyse avec soin et que l'on remonte à leur source immédiate, on ne tarde pas à se convaincre qu'ils sont une manifestation de l'homme interne, aussi souvent qu'un résultat de l'éduca-

(i) Essai sur la statistique morale de la France, Paris, i833, in-4% avec planches.

(j) Essai de physique sociale, Parjs, i835, a vol. in-8.

tion. Dans lout ce que fait l'homme, il y a des choses qui tiennent à sa nature, d'autres qui dépendent des circonstances au milieu desquelles il se trouve, mais le nombre des premières est au moins aussi considérable que celui des secondes. M. Henri Ritter a parfaitement exposé ce fait, lorsqu'il a dit à l'occasion de la marche et des progrès de la civilisation ; « La raison pour laquelle on a voulu faire découler de l'Inde, la civilisation de presque tous les peuples de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe, a sa source dans l'opinion très accréditée maintenant, mais fausse cependant, qui s'efforce de substituer un ordre externe à l'ordre interne, dans l'histoire de l'humanité. Si dans l'Inde, en Egypte, en Phénicie, en Chine, en Grèce, nous trouvons les mêmes vices et les mêmes erreurs, ce n'est pas une preuve que l'un de ces peuples les tienne de l'autre par la tradition : pas plus que les mêmes vertus et les mêmes vices, chez différens peuples, ne sont une preuve des rapports historiques de ces peuples entre eux. Les élémens de la pensée humaine sont partout les mêmes et l'unité interne de l'espèce humaine lie plus étroitement les peuples entre eux, que leur voisinage et tous les autres rapports extérieurs. On ne peut présumer un rapport historique entre plusieurs peuples, d'après la similitude des opinions, des croyances, que lorsqu'il ne s'agit pas seulement de quelques élémens de la pensée ou de leur union naturelle et simple, mais lorsqu'on retrouve des séries entières de ces liaisons de pensées, et d'idées, et toujours dans un ordre arbitraire ». (1)

L'étude delà folie (2) m'avait conduit à une conclusion tout-à-fait analogue à celle de M. Ritter. On sait qu'elle a été autrefois l'influence des prophètes, des inspirés, des vision^-

(i) Henri Ritter, Histoire de la philosophie, trad. parTissot, Paris, i835, tome i, p. 55.

(a) Fragment psychologiques sur la Folie, Paris, i834, in-8.

naires sur l'esprit des peuples : presque tout ce qui était annoncé par ces malades, on le regardait ordinairement comme certain, et l'on agissait en conséquence de celte persuasion. Or, les visions, les inspirations, les prophéties étaient révélées par des hommes hallucinés, c'est-à-dire par des hommes qui, atteints de sensations délirantes, racontaient de bonne foi et avec une entière conviction, ce qu'ils avaient senti, vu, entendu, flairé ou goûté. Les hallucinations adoptées comme faits positifs, ont eu des résultats qui, partout se sont reproduits presque identiques, elles ont fait naître la croyance aux apparitions, aux incubes, aux légions de diables, aux possédés. Cette croyance a été établie chez tous les peuples, elle fait partie de toutes les religions; on n'a pas découvert un coin de terre habitée quelque isolé qu'il fût resté jusqu'alors du reste du monde, sans que l'on y ait trouvé répandu l'intime conviction qu'il existe des êtres surnaturels dont le corps a été vu ou la voix entendue par quelqu'un du pays. Et chez nous, à chaque instant, nous trouvons des individus qui, frappés de la même maladie, ont des sensations et par suite des convictions semblables à celles de nos anciens visionnaires, sans que la plupart d'entre eux aient pu connaître, par la tradition ou autrement, que de telles sensations aient jamais été éprouvées. Si nos visionnaires rencontraient un assez grand nombre d'hommes ignorans et crédules, nul doute qu'ils ne devinssent chefs de sectes, et nous verrions se reproduire des erreurs semblables à celles dont l'histoire fait mention, erreurs qui ont long-temps servi de règle à la conduite des hommes et de base à leurs institutions sociales. Beaucoup d'idées absurdes et de superstitions n'ont donc pas eu besoin d'être transmises pour se propager de nation à nation; elles ont pu naître dans chaque pays, comme dans un même pays, elles se reproduisent accidentellement

de temps à autre. L'éducation les transmet, cela est vrai, mais si elles sont acquises pour un certain nombre d'hommes, elles sont spontanées pour ceux qui les ont proclamées; ces derniers ne les doivent qu'à eux-mêmes ou plutôt qu'à une aberration de leur entendement. Ainsi, là encore, c'est l'homme interne, et non pas les influences extérieures, qu'il faut placer en première ligne.

Quelques philosophes ont dit que les facultés innées constituent l'instinct, et les facultés de réflexion, l'intelligence; mais la faculté de réfléchir est innée chez l'homme, car l'homme réfléchit sans qu'il soit besoin de le lui enseigner, et d'autre part, comment nier que parfois certains animaux, les abeilles par exemple, ne réfléchissent aussi? La différence intellectuelle entre l'homme et les animaux n'est donc pas là; elle existe, sans aucun doute, elle est immense; mais comme l'ont avancé plusieurs théologiens, elle porte plutôt sur la quantité, que sur la qualité.

Cependant les animaux ne perfectionnent pas leurs œuvres; ils agissent maintenant comme on les a toujours vus agir; les abeilles, du temps d'Aristote, faisaient ce que font les nôtres, rien de plus, rien de moins; l'espèce humaine, au contraire, amasse toujours, elle perd quelquefois, mais en somme ses richesses intellectuelles vont croissant sans cesse et dans une progression indéfinie : c'est là un des caractères propres à l'intelligence de l'homme : celte intelligence n'est pas bornée à l'individu, comme dans l'huître, elle ne reste pas stationnaire dans l'espèce, comme dans l'abeille, elle s'accroît au contraire avec les générations ; aussi l'homme a-t-il une vie passée et une vie à venir, tandis que les animaux les plus parfaits n'ont qu'une vie présente, et les animaux inférieurs, qu'un moment.

RÉSUMÉ.

1. Les annelides ont le sens du toucher, peut-être celui du goût; ils ont la faculté de rechercher leur nourriture, mais pour la trouver, il faut que cette nourriture soit près d'eux.

2. Les crustacés ont plusieurs organes des sens généralement bien développés; ils attaquent, se défendent, se cachent, vivent ensemble; ils sont carnassiers et voraces. Leur ardeur pour la génération est extrême.

3. Les arachnides sont des animaux carnassiers, cruels, astucieux; ils sont domiciliés, les uns dans des terriers qu'ils construisent, les autres sur des toiles qu'ils tissent; ils vivent de chasse, élèvent leurs petits et les mangent souvent : ils se mangent aussi entre eux. Dans leurs amours, le mâle est fréquemment victime de la femelle. Beaucoup d'araignées empoisonnent leur proie. On en a vu qui aimaient la musique. Leur vie est solitaire. Ils ont des organes des sens, celui de la vue en particulier, très développés.

U. Les fourmis vivent en société, elles travaillent en commun et dans le même but, elles sont domiciliées dans des terriers ou dans des loges de bois qu'elles ont elles-mêmes formées; elles s'entr'aident, se font comprendre les unes des autres à l'aide de langage antennal; elles ont une espèce de bétail qui leur fournit une grande partie de la nourriture dont elles ont besoin. On trouve dans une même fourmilière des mâles, des femelles et des ouvrières : les ouvrières sont des femelles qui n'ont aucune part à la génération, elles sont chargées de la construction des habitations, de l'éducation des petits, et de l'alimentation de toute la république. Les femelles font des œufs; les mâles servent à la fécondation seu

lement. Les fourmis se livrent, de fourmilière à fourmilière, des guerres très acharnées; il est une espèce de fourmis qui, impropre au travail, possède des esclaves.

5. Les abeilles vivent aussi en société, qui se compose de reines, de mâles ou faux bourdons et d'ouvrières. Les reines occupent des alvéoles très spacieuses; elles ont une nourriture choisie; elles ne travaillent jamais, les ouvrières les entourent de respect. Leurs fonctions sont de faire des œufs, et de conduire les essaims. Les mâles sont uniquement destinés à la fécondation des femelles ; ceux qui ont servi à cet acte perdent leurs organes génitaux, et meurent ; les autres on les tue comme inutiles. Les ouvrières, qui sont des femelles non destinées à la génération, sont divisées en deux séries, les unes chargées de la construction des alvéoles, les autres de l'approvisionnement de la ruche. Dans le gouvernement des abeilles, tout concourt à l'avantage de la société commune : logement, provisions, défense de la place, éducation des petits, formation des essaims, naissance et détermination du nombre des reines; chacune de ces choses est si bien établie, qu'il est impossible de n'y pas voir la preuve d'une véritable intelligence.

6. Dans la série des animaux articulés, les facultés se développent en suivant la progression suivante : «

a) Quelques sensations et des instincts bornés à la recherche de la nourriture et à la génération ;

b) Sensations plus étendues et plus nombreuses, ardeur extrême pour la génération, voracité, cruauté aveugle ;

c) Sensations encore plus étendues, construction d'un domicile, voracité, cruauté, ruse, astuce;

d) Sensations très étendues, construction d'un domicile, vie de relation, services mutuels, approvisionnement, guerre et défense communes, en un mot sociabilité.

CHAPITRE III.

STSTXMS STZH.TEUX CÉRÉBB.O-SPIlf'AIi BUS POISSONS.

Dans l'ordre intellectuel, passer des insectes aux poissons, ce n'est pas monter, c'est descendre; dans l'ordre organique, c'est suivre le perfectionnement du système nerveux. En effet, tout ce que nous savons des mœurs, des habitudes, des instincts propres aux poissons, nous oblige à regarder ces animaux comme généralement inférieurs aux insectes, et à les placer fort au-dessous des fourmis et des abeilles, tandis que leur système nerveux, comme celui de tous les animaux vertébrés, offre de nombreux caractères qui le rapprochent du système nerveux de l'homme. Est-ce donc qu'entre le système nerveux et l'intelligence, il n'y aurait pas un rapport graduel et nécessaire? Nous verrons, en considérant le système nerveux non dans sa totalité, mais dans ses parties, que le rapport cherché existe, et qu'il est établi sur des preuves irrécusables.

Avant d'entrer en matière, je citerai les auteurs qui se sont particulièrement occupé de l'étude du système nerveux des poissons. Collins (1), Camper (2), Haller (3), Vicq-d'Azyr (4),

(i) A system of anatomy, relating of the body of man, beasts, birds, insects and plants. Lond., i685, a vol. in-fol.

(a) Mémoires de la Société' de Harlem, 176a.— Mémoires de l'Académie des Sciences, savons étrangers, t.vr, 1774.

(3) Elemenla physiologiœ, 1766, t. rv.

(4) Mémoires de l'Jcad. Royale des Sc., savans élr., t. vu, Paris, 1776-

A. Monro (1), Ebel (2), Scarpa (3), Cuvier (4), Arsaky (5), M. Garus (6), M. Weber (7), M. Fenner (8), G. R. Tre-viranus(9), E. M. Bailly (10), M. Serres (11), Desmoulins (12), Rolando (13) , M. Gottsche (14), M. Swan (15) , sont les principaux ; le lecteur fera bien de consulter leurs ouvrages, et après cela d'observer la nature ; car les livres, quelque bons qu'ils soient, ne profitent réellement qu'à ceux qui savent en soumettre la substance au contrôle de l'observation.

(1) The structure and physiology of fishes. Edinb., 1783, in-fol., pl.

(2) Scriptores nevrologici minores , ed. Ludwig, Leipsig, 1793, t. m, in-4.

(3) Anatomicœ disquisitiones de auditu et olfactu. Pavie, 1789, in-fol.,

pl.

(4) Leçons d'anatomie comparée, Paris, 1800, t. 11, p. 166.

(5) Commentatio depiscium cerebro et medulla spinali. Halle, 1813, in-4", pl.

(6) Versuch einer Darstellung des Nervensy stems, etc. Leips., 18x4, in-40.

(7) Anatomia comparata nervi sympalhici. Leip., 1817.

(8) De anatomia comparata et naturali philosophia commentatio. Jena, i8ao. In-8.

(9) VermischteScliriflen. Gœttingue, 1816-1821, 4 vol. in-40, avec 39, pl.

(10) Recherches d'anatomie et de physiologie comparées du système nerveux dans les quatre classes d'animaux vertébrés, etc. (Arch. gén. de Méd. Paris, 1824, t. iv, p. 45.)

(11) Op. cit., t. 1, p. i84-

(12) Anatomic des systèmes nerveux des animaux à vertèbres} etc., in-8", Paris, i8a5, ire partie, p. 140.

(13) Saggio sopra la vera strutlura del cervello e sopra le funzioni del sis-tema nervoso. Torino, 1828, 3 vol. in-8, fig.

(14) Vergleichende Anatomie des Gehirns der Grœtenfische, im Archiv.fur Anatoniie, etc., von "J."51iiIler,T5erîin, iWSb.

(15) Illustrations of the comparative anatomy of the nervous system, part. 11, Lond., i836, in-40, fig.

§ I. DESCRIPTION DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL DES POISSONS.

Chez les mollusques inférieurs, les ascidies, par exemple , un seul ganglion est chargé de présider à toutes les fonctions de l'économie; en remontant parmi les animaux de cette classe, les ganglions se multiplient, et il leur est départi des fonctions qui tendent à devenir spéciales : ainsi, la multiplicité d'organes est, pour eux, un élément de perfection. Chez quelques articulés, on trouve l'indice d'un nouveau fractionnement de l'appareil nerveux ; c'est un système particulier uniquement destiné aux fonctions nutritives, un véritable nerf grand sympathique. Chez tous les vertébrés, ce fractionnement existe et le système principal, celui auquel sont dévolues les sensations et les volitions, prend un caractère particulier de concentration. Toutefois, cette concentration est loin d'être la même dans tous les vertébrés : elle est faible chez les poissons , elle augmente chez les reptiles, elle augmente encore chez les oiseaux, pour acquérir son plus haut degré chez les mammifères, et enfin, chez l'homme.

Le système nerveux principal, le seul dont il s'agira désormais, a reçu le nom de cérébro-spinal, parce qu'il est contenu dans la tête et dans la colonne épinière; il consiste, pour les poissons, en un long faisceau médullaire surmonté, à l'une de ses extrémités, de plusieurs renflemens ou lobes auxquels viennent aboutir les nerfs des sens et ceux des organes les plus importans à l'entretien de la vie. Le faisceau, c'est la moelle épinière; la réunion des lobes, c'est l'encéphale.

1. Encéphale.

Les lobes, qui composent l'encéphale des poissons, varient

en nombre et en volume; il en est qui sont toujours impairs, d'autres qui le sont quelquefois ; un seul est constamment unique, c'est le cervelet. Ils varient aussi quant à la coloration; la plupart sont d'un gris rosé, les autres sont blanchâtres ou entièrement blancs. Toutefois, je dois prévenir que cette coloration n'est pas un caractère distinclif des ganglions; car, avec les progrès de l'âge, ils finissent par devenir tous presque aussi blancs les uns que les autres.

En procédant d'avant en arrière, les ganglions encéphaliques sont : 1° les ganglions olfactifs; 2° les ganglions cérébraux; 3° les ganglions optiques; 4° les tubercules quadriju-meaux; 5° le cervelet ; 6° les ganglions du nerf trifacial ; 7° les ganglions des nerfs de la septième et de la huitième paire ; 8° enfin, il existe à la base de l'encéphale, en arrière du croisement des nerfs optiques, deux autres ganglions qui sont les ganglions inférieurs.

1° Ganglions olfactifs. Presque toujours distincts des autres, parfois même doubles de chaque côté, on les voit aussi se réunir au ganglion cérébral. Dans ce dernier cas, il n'existe au devant des lobes optiques, lobes toujours faciles à reconnaître puisqu'ils donnent naissance aux nerfs optiques, qu'un seul ganglion, comme cela a lieu dans la baudroie, la morue, etc .(V. pl. 11), chez l'anguille, le brochet, le squale-renard, il y a au contraire une séparation bien tranchée entre le ganglion olfactif et le ganglion cérébral, ce sont des organes tout-à-fait distincts l'un de l'autre. Le ganglion olfactif se sous-divise lui-môme dans certains poissons; le squale-renard (pl. 11) offre un exemple de cette sous-division, ainsi que le congre ou anguille de mer. La couleur des ganglions olfactifs est d'un gris rosé, cependant j'ai vu ces ganglions entièrement blancs chez une vieille carpe. Lorsqu'ils sont séparés ceux de droite de ceux de gauche, par un intervalle, ils n'ont entre eux

aucune communication directe; lorsqu'on les voit réunis, ils sont simplement adossés et ne s'envoient aucun filet de communication. En avant, les lobes olfactifs fournissent les nerfs, du même nom, en arrière ils sont en contact avec les ganglions cérébraux; en bas ils sont implantés sur les prolonge-mens antérieurs de la moelle épinière; chez les raies et les squales, ces ganglions sont creusés d'une cavité ainsi que les prolongemens qui les unissent au ganglion cérébral.

2° Ganglions cérébraux. Placés en arrière des précédens, ils leur ressemblent souvent pour la coloration et le volume; mais ils en diffèrent parce qu'ils ne donnent naissance ni au nerf olfactif, ni à aucun autre nerf, en ce qu'ils sont réunis, celui de droite à celui de gauche par une commissure; enfin, en ce qu'ils présentent un indice de la scissure de Sylvius. Pour découvrir leur commissure , il suffit d'écarter l'un de l'autre les lobes ou ganglions cérébraux, la scissure qui sépare ces lobes est traversée par un petit filet blanc très ténu, qui va se rendre dans le centre de chaque ganglion. De même que le ganglion olfactif, les ganglions cérébraux sont implantés sur le prolongement antérieur de la moelle épinière.

3° Ganglions optiques. Haller, Vicq-d'Azyr, M. Cams, les ont appelés couches optiques; Camper, hémisphères cérébraux; Scarpa, grands tubercules du cerveau; Tréviranus, hémisphères postérieurs; Cuvier, lobes creux; M. Serres, Desmoulins, M.Gottsche, etc. lobes optiques. Chezbeaucoup de poissons, les ganglions optiques sont les plus considérables, ils ont toujours l'aspect blanc qui est propre à la substance médullaire. Chez les poissons osseux, ils sont tout-à-fait à découvert; chez les raies et les squales, ils sont en partie cachés par un prolongement du cervelet. A la simple vue et surtout si on les étudie après qu'ils ont séjourné dans l'alcool, leur aspect est partout le même; mais à l'état frais, on peut suivre, sur leur partie

interne et supérieure une des racines du nerf optique, et à leur partie interne et inférieure, une seconde racine du même nerf. Ils sont en rapport de volume avec les yeux ; chez les pleuronectes, par exemple, ainsi que l'a observé M. Gotts -Che, qui ont les yeux d'inégale grosseur , les lobes optiques sont inégalement développés. Si on incise ces lobes, on voit qu'ils ne constituent pas réellement un ganglion, mais qu'ils sont formés par une lame fibreuse assez mince. La lame optique d'un côté est adhérente par sa partie interne , à la lame semblable du côté opposé, et à l'endroit de cette adhérence, il existe des fibres qui vont de droite à gauche : ces fibres constituent là une véritable commissure, et représentent le corps calleux , ainsi qu'on le verra toul-à-l'heure. Les lames optiques forment les parois d'un double ventricule, séparé, celui de droite de celui de gauche, par une petite lame analogue à la lame interventriculaire ou cloison transparente des animaux supérieurs. L'intérieur de ces ventricules offre des objets diffé-rens suivant qu'il s'agit d'un poisson osseux ou d'un poisson cartilagineux. Dans le premier cas, on découvre, en avant, une commissure blanche qui réunit l'une à l'autre, la partie antérieure des deux lobes optiques; en arrière de celte commissure, les prolongemens antérieurs de la moelle qui régnent au-dessous de tous les ganglions encéphaliques auxquels ils servent de base, laissant entre eux un écartement qui rappelle l'infundibulum, ou partie basse du troisième ventricule des mammifères; en arrière de l'infundibulum, une autre commissure ou commissure postérieure, analogue à la précédente; enfin au-dessus de celte commissure, un tubercule aplati, bilobé, muni de deux longues appendices de substance médullaire d'un gris blanchâtre. Le tubercule bilobé représente les tubercules quadrijumeaux, et au-dessous de lui règne un aqueduc, l'aqueduc de Sylvius qui établit une corn

munication entre la cavité des ventricules optiques, et un autre ventricule placée sous le cervelet.

De chaque côté, le ventricule du lobe optique présente un petit renflement (tori semi-circulares de Haller, bourrelet demi-circulaire de Cuvier, ganglions antérieurs internes de Carus), qui est l'analogue du corps strié.

Dans les poissons cartilagineux, la cavité formée par les lames optiques ne présente pas de commissure, ni de tubercules quadrijumeaux bien distincts, mais seulement un infundibu-lum et l'entrée de l'aqueduc de Sylvius.

4° Tubercules quadrijumeaux. Ainsi que je viens de le dire, les tubercules quadrijumeaux existent chez les poissons osseux ; ils sont en communication directe, par leur partie postérieure, avec le cervelet, et il y a là un véritable processus cerebelli ad testes; par leur partie antérieure, ils se continuent en un longue lame plissée qui se recourbe sur eux, et les recouvre en grande partie. Quand on examine l'encéphale de la carpe, on voit en arrière et en dedans des ganglions optiques, deux corps oblongs qui ne sont autre chose que l'extrémité repliée des lames dont il s'agit.

5° Cervelet. Le cervelet est celui des tubercules encéphaliques le plus facile à reconnaître, chez la plupart des poissons : en jetant un coup-d'œil sur la figure de l'encéphale du squale-renard (pl. 11), on y retrouvera les sillons transverses propres au cervelet; ces sillons existent seulement chez un certain nombre de poissons cartilagineux; le cervelet est parfois réduit à une exiguïté extrême, il forme alors une simple lame placée en travers de la moelle, derrière les lobes optiques; mais le plus ordinairement, il consiste en une sorte d'appendice allongée, implantée latéralement sur la moelle épinière, et formant la paroi supérieure d'une cavité

ventriculaire, et recouvrant en totalité ou en partie, d'autres tubercules.

6° Gang lions du nerf trifacial. Lobus posterior, pons ma-millaris de Iïaller. Ces ganglions n'existent pas à beaucoup près chez tous les poissons; ils n'ont pas même de rapport de volume avec la cinquième paire; cependant comme on ne les rencontre jamais sans voir une partie du nerf de la cinquième paire s'y implanter, on ne saurait douter qu'ils n'appartiennent à ce nerf, ils sont adherens aux deux côtés externes et supérieurs de la moelle , en arrière du cervelet. Celui du côté droit est presque toujours uni à celui du côté gauche, sans qu'il existe à la partie médiane aucune trace de division. Ce ganglion a été considéré à tort par quelques anatomistes comme une dépendance du cervelet.

7° Ganglions des nerfs pneumo-gastriques. Lobus vagi, lobus striatus de Iïaller. Tout-à-fait en arrière des ganglions précédens et concourant à former les parois du ventricule cérébelleux ou quatrième ventricule, sont d'autres ganglions de la partie extérieure desquels naissent les nerfs pneumogastriques. Ces ganglions n'existent pas constamment, et quand ils existent, ils affectent des formes très différentes ainsi qu'on peut le voir (pl. 11), en comparant le squale-renard au rouget. Parfois les nerfs facial et labyrinthique ont aussi un ganglion à leur point d'origine, mais plus rarement que les nerfs pneumo-gastriques.

8° Ganglions inférieurs. Les derniers ganglions dont il me reste à parler sont, chez certains poissons, aussi volumineux que les ganglions cérébraux; on les trouve, après avoir enlevé l'encéphale de la cavité crânienne, en arrière du croisement des nerfs optiques; ils sont implantés à la partie inférieure des prolongemens antérieurs de la moelle, et sont pourvus d'une commissure que l'on découvre d'autant plus

facilement, qu'elle suit la direction des nerfs optiques, dont elle est séparée seulement par un intervalle de deux ou trois millimètres.

^IVI. Goltsche qui les a disséqués sur un très grand nombre de poissons, les a toujours trouvés creux; le même auteur fait remarquer qu'ils sont constamment doubles, chez tous les poissons, contrairement à l'opinion de M.,Serres, qui prétend les avoir souvent vus réunis en formant un seul ganglion, ce Dans mes recherches sur le système nerveux des poissons, dit à cette occasion M. Gottsche, je me suis si fréquemment trouvé en opposition avec M. Serres, que je serais tenté de croire que les poissons de Paris, sont conformés d'une manière différente de ceux que l'on trouve ailleurs ». (1)

Tous les anatomistes ne sont pas d'accord sur la détermination, ni même sur l'existence de chacun des ganglions dont je viens de parler. Le ganglion cérébral a été confondu avec les ganglions olfactifs; j'ai dit qu'il s'en distinguait par la présence d'une commissure dont il est pourvu, tandis que les ganglions olfactifs n'en ont jamais. On a nié l'existence de la voûte à trois piliers, des tubercules quadrijumeaux, de Vin-fundibulum, des commissures antérieure et postérieure, de l'aqueduc de Sylvius, et certains auteurs n'ont pas craint de regarder comme imaginaire, la description qu'avaient donnée de la plupart de ces organes, Ilaller, Cuvier, M. Ca-rus, Bailly, Arsaky, Desmoulins et d'autres anatomistes. L'un des opposans, M. Serres, s'exprime ainsi à ce sujet : ce On n'a pas voulu dépouiller les poissons d'une seule des parties de l'encéphale des mammifères ; on leur a trouvé une voûte à trois piliers, un corps calleux, des eminences mamillaires ; pour en venir là, on a choqué toutes les vraisemblances, inter-

(i) Op cit. p. 289.

verti tous les rapports anatomiques, on a fait un véritable monstre de l'encéphale des poissons (1). » Les objets que j'ai décrits et qui existent réellement se voient pourtant sans beaucoup de peine; ils ne font pas de l'encéphale un véritable monstre, ils en font un encéphale comme il a plu à la nature de le faire, et qui ne choque rien autre chose que les raisonnemens à l'aide desquels M. Serres prétend établir qu'il ne doit pas en être ainsi. Les tubercules inférieurs ont été regardés par Camper, Vicq-d'Azyr, Arsaky, Tréviranus, Desmoulins, etc., comme étant les analogues des tubercules mamillaires: Cuvier a contesté la vraisemblance de cette détermination qui n'a en réalité aucun fondement. Les tubercules mamillaires du cerveau de l'homme sont la continuation directe des piliers antérieurs de la voûte, piliers qui s'infléchissent dans cet endroit, et se recourbent pour monter ensuite dans la couche optique où ils se divisent en plusieurs filamens, ainsi que Gall et Spurzheim l'ont parfaitement démontré; tandis que les ganglions inférieurs de l'encéphale des poissons, sont des ganglions implantés sur les prolongemens de la moelle épinière, et donnant eux-mêmes naissance à une commissure située en arrière des nerfs optiques. L'analogue de la substance grise formant ces tubercules, se retrouve dans la substance grise située précisément à l'endroit correspondant du cerveau de l'homme, où à la vérité elle ne forme aucune saillie; mais où elle donne comme chez les poissons une commissure décrite par Haller, M.Carus, et qui, suivant E. M. Bailly, va se confondre dans le chiasma des nerfs optiques.

Au-dessus des tubercules quadrijumeaux, en arrière des lobes optiques, il existe un petit corps analogue à la glande pinéale ; et sous l'encéphale, entre les ganglions inférieurs, on trouve un corps pituitaire.

(i) Op. cit., t. i. p. 186.

I. 10

2. Nerfs encéphaliques.

La description de l'encéphale ne serait pas complète, si j'omettais de parler des paires de nerfs qu'il fournil; ces nerfs SOilt presque aussi multipliés et, proportion gardée, beaucoup plus gros que ceux de l'encéphale dé l'homme.

lre Paire, nerfs olfactifs. Plusieurs anatomistes ont confondu les nerfs olfactifs, avec les proîongemens médullaires qui établissent une communication entre les ganglions olfactifs et les ganglions cérébraux, et c'est ce qui a fait dire à quelques-uns d'entre eux, que les nerfs olfactifs sont creusés d'une cavité; Car en effet, les proîongemens médullaires dont ils parlent, présentent une cavité dans leur intérieur; mais ces proîongemens ne sont pas lesnerfs olfactifs. Ceux-ciontleur origine au-delà du ganglion dont ils portent le nom, et vont directement aux narines où ils arrivent, les uns immédiatement, les autres après un trajet plus ou moins long. On peut voir (pl. Il) céUx du brochet, de la morue, de la baudroie, se prolonger beaucoup, tandis que ceux du squaîe-renard excessivement tenus et courts, mais très multipliés, pénètrent aussitôt dans la membrane à laquelle ils sont destinés.

2e Paire, nerfs optiques. Ils naissent de la partie inférieure et antérieure des ganglions optiques, £ar deux racines dont l'une s'étale sur la partie interne et supérieure du ganglion correspondant, et l'autre sur la partie inférieure et externe du même-ganglion. Ces nerfs sont généralement très gros, ils sè portent obliquement en avant, celui de droite se dirigeant vers l'œil gauche, et celui du gauche vers l'œil droit. A l'endroit où ces nerfs se rencontrent, ils se croisent, en se plaçant l'un au-dessus de l'autre, chez les poissons osseux, et eh s'unissant intimement ensemble, dans les poissons cartilagi

neux où ils forment une commissure analogue à celle que l'on rencontre chez les vertébrés des classes supérieures. Cette transi lion qui s'opère dans une même classe d'animaux, est un fait anatomique fort remarquable; j'indiquerai comment elle s'opère en parlant de la structure des nerfs optiques des reptiles.

3e Paire, nerfs moteurs communs des yeux. On les voit à la base de l'encéphale, en dehors et un peu en arrière des ganglions inférieurs; ils sortent des prolongemens de la moelle dans lesquels on peut suivre une partie de leurs fibres; ainsi ces nerfs appartiennent directement à la moelle de laquelle ils émanent sans l'intermédiaire d'aucun ganglion.

Lf Paire, nerfs pathétiques. Ces nerfs si grêles qu'on serait tenté de les dire imperceptibles chez les grands animaux, existent cependant chez les poissons, même les plus petits; ils naissent dans un sillon profond qui se trouve entre le cervelet et la portion de substance cérébrale lobulée chez les poissons osseux, non lobulée chez les poissons cartilagineux : et que j'ai dit être l'équivalent des tubercules quadrijumeaux; ainsi c'est le même point d'origine que dans les mammifères les plus élevés. Ces nerfs partent du même endroit, leurs filets d'origine se continuent de l'un à l'autre, différens en cela des nerfs de la troisième paire, qui sont la continuation des fibres longitudinales de la moelle. Les nerfs pathétiques appartiennent donc à un système de fibres, dont je n'ai pas encore parlé, à celui des fibres transversales.

5e Paire, nerfs trijumeaux. Ces nerfs sont très considérables chez tous les poissons; ils ont deux racines distinctes, l'une dans le ganglion qui esl situé immédiatement derrière le cervelet, l'autre sur la moelle elle-même. On suil cette dernière racine de chaque côté de la partie inférieure de la moelle, dans une étendue variable, suivant les poissons, élen-

10.

due que j'ai trouvée de huit à dix millimètres chez le congre; après ce trajet, la racine dont il s'agit se rapproche de celle du côté opposé; l'une et l'autre arrivent au niveau du sillon médian inférieur de la moelle, et s'unissent en formant là une sorte de commissure ou d'anse qui, chez le congre, n'a pas moins de trois millimètres de largeur. L'endroit où se trouve cette commissure répond précisément à celui où se fait, chez les mammifères, l'entrecroisement des pyramides. La cinquième paire de nerfs encéphaliques de l'homme, a aussi deux origines; mais ces origines y sont en partie cachées par les fibres du pont de varole.

6e Paire, nerfs abducteurs. En dedans des racines du nerf de la cinquième paire, on voit de chaque côté un petit filet nerveux qui s'implante à la partie inférieure de la moelle, et qui'va se rendre au muscle abducteur de l'œil auquel il est destiné. Ce nerf, ainsi que les autres nerfs encéphaliques, a été exactement figuré par Cuvier, Rolando, M. Swan, M. Martin-St-Ange, etc. M. Serres, a eu l'intention de le faire représenter aussi; mais par une inadvertance extraordinaire, il l'a placé en arrière du nerf auditif, et l'a dirigé presque perpendiculairement à la moelle épinière, du côté de la queue. (1)

7e Paire, nerfs faciaux. Tout joignant le nerf de la cinquième paire, et en arrière de ce nerf, on trouve deux nerfs qui, par les uns, sont regardés comme des nerfs distincts de la cinquième paire, et par d'autres comme émanant de cette paire. Les nerfs, dont il s'agit, sont de chaque côté un nerf facial, et un nerf labyrinthique. M. Carus n'admet pas l'existence du nerf facial chez les poissons, M. Swan ne l'indique ni pour la raie, ni pour la morue dont il a décrit l'encéphale,

(i) Op. cit. pl. vi, fig. 142.

M. Martin-St-Ange regarde comme tel un filet qui, né en arrière de la cinquième paire, va se rendre aux premières branchies, M. Serres non-seulement affirme l'avoir vu, mais il l'a fait représenter sur un encéphale de morue, et il a donné les dimensions de ce nerf, chez vingt poissons. Si je ne savais combien M. Serres est sujet à se tromper, des assertions positives comme les siennes, entraîneraient ma conviction; mais les recherches que j'ai faites pour m'assurer si le nerf facial est un nerf indépendant de la cinquième paire, m'obligent à rester dans le doute. Je n'ai pu suivre assez distinctement l'origine du nerf facial, pour décider la question.

8e Paire, nerfs auditifs. J'hésite moins à me prononcer au sujet du nerf auditif, et en cela, je me trouve d'accord avec la plupart des anatomistes. Ce nerf a une existence isolée, une origine que l'on peut apercevoir dans le court espace qui sépare à leur naissance, le nerf de la cinquième paire du nerf pneumo-gastrique. Les fibres ne viennent pas des proîongemens longitudinaux de la moelle; mais comme celles du nerf pathétique, elles appartiennent à un système de fibres transverses que l'on ne trouve, chez les poissons, que dans la moelle allongée. Je reviendrai sur ce qui concerne ces fibres en parlant de la structure du système cérébro-spinal dont, ici, je fais seulement la description.

9" Paire, nerfs glosso-pharyngiens. Mêmes difficultés pour ces nerfs, que pour les nerfs faciaux; ils sont, chez les poissons, assez intimement liés aux nerfs pneumo-gastriques, pour que leur existence, comme nerfs distintes, soit au moins douteuse.

10« Paire, nerfs branchiaux. Us égalent presque en volume les nerfs de la cinquième paire, et ont presque toujours, à leur origine, un ganglion plus ou moins considérable. Le ganglion, situé à la partie supérieure de la moelle, en ar

rière du cervelet, est, comme on l'a vu plus haut, tantôt simple de chaque côté, tantôt multiple; jamais on ne les trouve soudés ceux du côté droit à ceux du côté gauche. La place précise qu'ils occupent est la fin du quatrième ventricule, on voit les nerfs pneumo-gastriques s'y porter presque en totalité; ils appartiennent au même système de fibres que les nerfs auditifs et pathétiques.

11e Paire, nerfs hypoglosses. M. Weber admet leur existence et Rolando les a figurés dans l'encéphale du squale glauque ; beaucoup de poissons n'en ont que des rudi-mens, en sorte que l'on ne doit pas s'étonner si beaucoup d'a-natomistes les ont niés. Ils sont implantés à la partie inférieure de la moelle, près du sillon médian. M. Serres assure les avoir mesurés sur vingt poissons : je vais dire ce que je pense de la mensuration des nerfs, et je ferai voir avec quelle réserve il faut adopter les résultats qu'elle donne.

3. Poids et volume proportionnels de l'encéphale des poissons,

Quand il s'agit de déterminer le poids de l'encéphale des poissons et de le comparer au poids du corps, il se présente des difficultés que l'on ne peut pas entièrement surmonter, et, sur ce point, on n'est pas encore arrivé à une détermination rigoureuse. Nous savons que le poids comparé du cerveau et du corps des mammifères, varie suivant les âges; et les rapports que nous aurions trouvés vrais pour l'enfant, nous nous garderions bien de les donner comme également vrais pour l'adulte. Nous pouvons connaître l'âge de l'homme et celui des animaux que l'on élève sous nos yeux, celle circonstance nous permet de multiplier nos observations et de leur

donner toute l'exactitude desirable. Il n'en est pas de même de poissons dont l'âge nous est presque toujours inconnu. Ar-^ saky n'a pas osé donner une évaluation, même approximative, du volume relatif de l'encéphale des poissons, tant il y voyait d'incertitude ; il se borne à dire que l'encéphale des poissons, est plus petit que celui de tousles autres vertébrés (1). L'ob^ stacle que j'ai signalé et qui est réel, n'est pas le plus grand-L'encéphale des poissons consiste-il seulement dans pettg réunion de ganglions que nous trouvons dans leur crâne, ou bien faut-il y joindre la substance grasse qui achève de remplir la cavité crânienne de plusieurs animaux appartenant à cette classe ? (2) On ne s'est pas encore fait cette question que mes recherches microscopiques m'ont conduit à proposer @{ à examiner. C'est, en effet, une chose bien singulière que l'exis* tence d'une quantité ordinairement considérable de substance oléagineuse dans la cavité crânienne. Supposera-t-on que cette substance n'ait d'autre usage que de combler un, vide, ou bien faudra-t-il admettre qu'elle ait un rapport direct avec la substance cérébrale? Elle est contenue dans un tissu dont la disposition aréolaire est très visible à l'œil nu et qu'un faible grossissement permet de bien étudier. Si on comprime le tissu dont il s'agit, il s'en échappe des gouttelettes globuleuses qui se réunissent les unes aux autres pour former des gouttelettes plus grosses, puis par des additions

(1) Op. cit. p. ir.

(2) La substance grasse, huileuse, dont il est ici question, n'existe pa6 sêu-^ lement dans la cavité du crâne, mais aussi dans le canal rachidien; Haller pense que la présence de cetle huile, dans le crâne, contribue à donner aux poissons la facullé d'élever la tèleà la surlace de l'eau; M. Gottsche ne partage pas cet avis, il regarde le liquide huileux dom il s'agit, comme l'analogue du liquide cephalo-rachidien des autres vertébrés.

successives, de larges plaques huileuses. La substance de plusieurs parties encéphaliques se comporte d'une manière toute semblable, c'est-à-dire qu'elle laisse aussi échapper des gouttelettes huileuses de même aspect que celles dont il vient d'être question. Les deux liquides étant de même apparence et probablement de même nature, celui que contient de tissu celluleux intra-crânien serait-il là en réserve pour alimenter l'encéphale? Et devrait-on regarder ce tissu celluleux comme une addition aux tubercules encéphaliques? Je n'ai pas de données suffisantes pour résoudre cette question ; on voit pourtant qu'il y a des présomptions pour l'affirmative et qu'il faut au moins attendre de nouvelles observations, avant de croire qu'en ayant le poids de l'encéphale tel qu'on l'a pesé jusqu'ici, on a réellement le poids total de cet organe.

Une troisième difficulté tient à la différence de dimensions que présentent les nerfs encéphaliques avant leur sorli-e du crâne : chez les mammifères où le cerveau et le cervelet sont considérables, tandis que les nerfs sont très petits, la différence de volume des nerfs peut être négligée, parce qu'elle n'influe pas sensiblement sur le poids de l'encéphale ; mais il n'en est pas de même chez les poissons dont les nerfs égalent quelquefois et surpassent l'encéphale en poids et en volume. On conçoit que celte condition influe beaucoup sur les résultats obtenus, surtout si l'on compare ses propres recherches avec celles qui ont été faites par d'autres anatomistes ; car pour établir entre ces recherches une relation exacte, il faudrait qu'elles eussent toutes été faites d'après un mode uniforme de procéder.

Cela dit, pour que l'on ne donne pas aux chiffres qui vont suivre, une signification plus grande qu'ils ne méritent, voici quels sont les rapports trouvés entre le poids de l'encéphale

et celui du corps, chez les poissons, par Redi (1), par Cu-vier (2) et par moi. Le poids de l'encéphale, comparé au poids du corps, a été

Chez une carpe, comme 1 est à.. 248

Chez une autre carpe.......... 560

Chez un brochet............. 1303 ;

Chez un chieu de mer......... 1344

Chez un second chien de mer.... 4333

Chez une anguille............. 1366

Chez un silure {glanit).......,. 1037

Chez un requin.............. 2496

Chez un thon...............37440

Ce qui donne pour moyenne 1 à 5668.

De nouvelles objections contre les conséquences que l'on pourrait vouloir tirer de la comparaison du poids de l'encéphale avec le poids du corps, chez les poissons, résultent de ce tableau. Les proportions sont tellement variables que chez deux carpes, la différence est du double et que de la carpe au thon, il n'y a absolument aucune comparaison à établir. Notons seulement que le rapport moyen est comme 1 à 5668 et rappelons-nous que cette proportion serait nécessairement très différente si les observations étaient plus nombreuses.

On ne peut pas compter sur plus de précision quand on veut déterminer le volume comparatif de l'encéphale des poissons avec le volume des nerfs encéphaliques des mêmes animaux. Par voie directe, on ne saurait obtenir la mesure des diamètres de l'encéphale, parce que la forme de cet organe est trop irrégulière pour ne pas offrir des difficultés insurmontables à une pareille mensuration; par voie indirecte,

(1) Degli animali negli animali, p. 114. — Haller, Élém.pliys. Lausanne, 1766, t. iv. p. 5.

(2) Leçons d'anat. comp. Paris 1800, t. 11, p. i5a.

on l'obtient facilement, on la calcule d'après le poids spécifique de l'organe ; mais pour les nerfs, c'est à peine si l'on peut avoir des données approximatives. Le diamètre de la plupart des nerfs (car c'est à cette mesure que l'on est obligé de s'en tenir pour calculer le volume des nerfs) varie suivant le point du nerf que l'on examine. Choisira-t-on, pour prendre le diamètre, l'endroit le plus large, ou le plus étroit, ou celui qui est intermédiaire? La forme des nerfs varie à l'infini, il en est de circulaires, de triangulaires, d'aplatis, de coniques, etc., et presque tous changent de forme comme de dimension dans les différens points de leur étendue. Enfin, plusieurs d'entre eux sont divisés en de nombreux filamens qu'enveloppe un névrilème, tels que les racines du nerf pneumo-gaslrique; d'autres divisés aussi en filamens sont dépourvus de névrilemme, tels que les nerfs olfactifs des raies et des squales; comment réunir entre eux ces filets pour en déterminer le diamètre ? comment, si l'on parvient à les réunir, faire la séparation des fibres nerveuses et celle de leurs enveloppes? Cette séparation serait pourtant nécessaire, car ce qui constitue le nerf, c'est la fibre nerveuse, et le nombre des fibres nerveuses, ne peut pas se déduire à priori du volume du nerf, car il y a des nerfs dont le névrilème double et triple le diamètre, tandis que d'autres en sont presque entièrement dépourvus. Ainsi, on ne doit pas compter sur l'exactitude de l'opération qui consisterait à additionner le diamètre de tous les nerfs, pour en comparer le total au volume de l'encéphale; parce que, quant aux nerfs, ce serait réunir des unités de nature dissemblable. Toutefois, on peut comparer un même nerf dans les animaux de toutes les classes; on peut également comparer chaque nerf (je parle de ceux que l'on parvient à mesurer exactement) au volume de l'encéphale et, de celle manière, obtenir des données appliquables à la ques-

tion dont il s'agit ici. C'est ce que j'ai essayé de faire pour le squale-renard et pour le brochet, deux animaux très dissemblables pour l'encéphale est néanmoins très analogues, pour les instincts et les mœurs. (1)

Squale-renard. L'encéphale pèse." ...... 9,4 gram.

Son poids spécifique est de. » , 1,030

Donc son volume est..... 9,126 mill, cubes.

Le diamètre de la section des nerfs suiyans qui sont circulaires, est,

Pour le nerf optique, de...... 3,00

Le moteur commun des yeux . . 1,5

Le pathétique........ 0,8

L'abducteur........ 0,1

Donc, le rapport entre chacun de ces nerfs et l'encéphale est :

Pour le nerf optique, le rapport de. là 1,291 Le moteur commun les yeux, là 5,164

Le pathétique....... là 18,155

L'abducteur.......1 à 1,161,955

Je ne parle pas des autres nerfs dont la forme est trop irrégulière pour que j'aie pu les mesurer.

Soit que l'on considère la moelle épinière comme une production de l'encéphale, soit que l'on admette que l'encéphale est produit par elle, soit enfin que l'on ne reconnaisse de l'une à l'autre ces deux parties aucun rapport générateur, il n'en est pas moins fort intéressant de les comparer entre elles, afin d'établir leur volume relatif. Soemmering et Tiedemann l'ont fait pour l'homme et quelques mammifères, et les conclusions qu'ils en ont tirées offrent trop d'intérêt pour que l'on ne

(1) Pour enlever l'encéphale, j'ai coupé les nerfs à l'endroit où ils pénètrent dans les trous crâniens, et la moelle épinière au niveau de la première paire

des nerfs cervicaux.

sente pas la nécessité de voir jusqu'à quel point elle s'applique aux poissons. Chez le squale-renard, la section de la moelle épinière mesurée au-dessous du point d'insertion de la paire vague, ou nerf branchial, est,

En largeur de........ 7 mill.

Et en épaisseur de ..... . 5

Ce qui donne, pour le rapport de la section de la moelle épinière, au volume de l'encéphale, le rapport de 1 à 260.

Brochet. L'encéphale pèse....... 1,3

Son poids spécifique est de. . . 1,030

Donc son volume est..... 1,262 mill, cubes.

Le nerf optique est aplati, la plus longue dimension de sa section est,

De............ 2,5

La plus petite de....... 2

Donc son diamètre moyen est de 2, 236

Les nerfs suivans qui sont circulaires, ont pour diamètre,

Le nerf moteur commun des yeux. 1,0

Le pathétique........ 0,5

L'abducteur......... 0,3

Ce qui donne, pour le rapport de ces nerfs avec l'encéphale,

Pour le nerf optique, le rapport de. . là 321

Le moteur commun des yeux . . 1 à 1,607

Le pathétique........ là 6,428

L'abducteur........ là 17,853

Quant à la moelle épinière, sa section mesurée, comme celle du squale-renard, au-dessous de l'insertion de la paire des nerfs branchiaux, est,

En largeur, de........ 3,5

En épaisseur, de....... 3,0

Donc, elle est, avec le volume de l'encéphale, dans le rapport del à 120.

Pour les raisons que j'ai déduites précédemment, je ne voudrais pas, je le répète, que l'on considérât ces chiffres comme exprimant des rapports vrais; ces rapports sont seulement approximatifs et rien de plus. La différence générale qui résulte de ces deux séries de faits, c'est que, chez le brochet, la moelle épinière elles nerfs encéphaliques, comparées à l'encéphale, l'emportent du double et même plus, sur la moelle épinière et les nerfs du squale-renard qui a par conséquent une masse relative de substance encéphalique plus que double de celle du brochet. Je n'ai pas tenté de peser séparément chacun des ganglions encéphaliques, parce que la démarcation entre ces ganglions n'est pas assez nette, pour que l'on puisse les enlever en entier, et n'enlever qu'eux : quand il s'agit d'objets qui ont un volume considérable, comme l'encéphale de l'homme ou des grands mammifères, une erreur de quelques decigrammes, ne tire pas à conséquence, cette erreur fausserait tous les résultats quand il s'agit des poissons.

h. Moelle épinière des poissons.

Je dois dire, en commençant la description de la moelle épinière des poissons, qu'ayant à comparer cet organe chez l'homme et chez les animaux, j'ai créé un mot qui m'a paru nécessaire pour rendre cette comparaison exacte et facile. En parlant de la face antérieure de la moelle de l'homme, il m'aurait fallu ajouter, si j'avais voulu la comparer à celle des animaux, que c'est chez ceux-ci, la face inférieure et pourla face postérieure de celle de l'homme, qu'elle devient chez eux, la face supérieure. La même répétition eût été nécessaire en parlant des racines nerveuses de la moelle, qui sont antérieures

et postérieures dans l'espèce humaine, inférieures et supérieures dans tous ies animaux.C'était un embarras et des Ion* gueurs sans cesse renouvelés. J'ai choisi le nom de spinal pour tout ce qui concerne le côté de la moelle vertébrale qui regarde les apophyses épineuses du canal rachidien, et j'ai créé celui de fulcral, pour tout ce qui est placé du côté du corps des vertèbres. Le corps des vertèbres est l'appui, le soutien de la colonne épinière, le mot fulcrum des latins exprime l'idée de soutien, c'est celui qu'il me fallait; j'en ai fait fulcral adjectif. Ainsi, je dis : côté fulcral et côté spinal de la moelle épinière; racines spinales et racines fulcrales, etc.; j'évite par là des périphrases, et je donne de la clarté à ma description.

La moelle épinière varie beaucoup chez les poissons, et dans aucune autre classe d'animaux, elle n'offre de différences aussi tranchées. Je vais d'abord décrire ses dispositions générales, je parlerai ensuite des différences qu'elle présente. Elle est constituée par un long cordon médullaire qui s'étend depuis l'encéphale jusqu'à la partie extrême du rachis. Dans la plus grande partie de son étendue, elle ne diminue pas sensiblement; elle n'offre pas non plus, à très peu d'exceptions près, de renflemens marqués. Son aspect est blanc, on y découvre plusieurs sillons qui en parcourent la longueur, et des racines nerveuses situées parallèlement de chaque côté, les unes sur la face fulcrale, les autres sur la face spinale. Elle se trouve comme divisée en deux moitiés latérales par un sillon médian fulcral et un autre sillon médian spinal, ce dernier plus profond que l'autre, et s'ouvrant largement du côté de l'encéphale où, par l'écartement de ses bords, il concourt à former une cavité qui n'est autre que le quatrième ventricule. Si l'on écarte les bords du sillon spinal, on découvre un canal qui règne dans toute l'étendue de la moelle, et qui corn

mence au quatrième ventricule. Par cette préparation qui n'a déchiré aucune partie nerveuse, car entre les bords du sillon dont il s'agit jusqu'au canal central, il n'y a aucune communication directe, ainsi que l'a démontré Desmoulins (1), on arrive directement dans le canal de la moelle.

Le sillon fulcral est bien moins profond que le sillon spinal, et il ne s'ouvre pas dans le canal médullaire. En écartant les bords de ce sillon pour en découvrir le fond, on voit une substance médullaire qui, par le fait môme de l'écartement, éprouve une légère traction d'un côté à l'autre. Le résultat de cette traction est de donner, au fond du sillon, l'apparence de linéamens transverses, ce qui a fait croire à quelques anatomistes qu'il y avait là une commissure. Il n'y a là ni commissure, ni linéamens transverses, ainsi que je m'en suis assuré en m'aidanl du microscope.

Trois autres sillons, moins profonds que les premiers, régnent le long de la moelle, et divisent ainsi cet organe en quatre faisceaux latéraux. Le défaut de profondeur de ces sillons est à remarquer, car on aurait tort de croire qu'ils circonscrivent des parties bien distinctes les unes des autres, chaque faisceau étant réuni aux faisceaux voisins dans la plus grande partie de son épaisseur, excepté toutefois les faisceaux spinaux médians qui sont simplement réunis par un tissu filamenteux pénétrant du dehors de la moelle dans le canal central de cet organe. Ces faisceaux spinaux médians existent dans tous les poissons, même les plus petits: à l'extrémité encéphalique de la moelle, au niveau du calamus scriptorius; on les voit de chaque côté se séparer l'un de l'autre en formant une sorte d'éperon, pour se porter au-dessous des tubercules de la paire des nerfs branchiaux ou pneuino-gastri-

(i) Op. cit. p, 140.

ques. Les autres faisceaux n'existent pas aussi constamment, et M. Serres qui, autant que je sache, en a parlé le premier, a peut-être eu le tort de les trop généraliser; car malgré le soin que j'aie mis à les chercher, il m'est arrivé de ne pas les apercevoir chez de très petits poissons.

Les racines des nerfs qui naissent de la moelle épinière, sont doubles chez les poissons comme chez l'homme : elles viennent l'une de la face fulcrale, l'autre de la face spinale : chacune de ces racines a quelquefois des sous-divisions, mais en petit nombre ; le plus souvent elles restent simples à l'endroit de leur insertion à la moelle. Assez communément, on les suit jusqu'auprès du sillon médian, les racines fulcrales étalées sur le faisceau médullaire, les racines spinales pénétrant directement dans un sillon. On verra la raison de cette différence quand je parlerai de la structure de la moelle.

La forme de la moelle de l'anguille diffère de celle des autres poissons ; elle présente des renflemens (1) successifs qui l'ont fait comparer à la chaîne ganglionaire des animaux articulés. Si l'on s'en rapportait à la simple vue, l'analogie que l'on a voulu établir paraîtrait fondée ; mais si l'on étudie la structure comparée des parties dont il s'agit, on y découvre une différence complète. Dans les ganglions des articulés, il existe des fibres longitudinales, des fibres transverses , et une substance granulée propre aux ganglions. Dans les renflemens de la moelle de l'anguille, aucune fibre transverse et pas de substance granulée en plus grande proportion qu'ailleurs. L'apparence ganglionaire de la moelle de l'anguille est, comme celle du lombric de terre, le résultat d'une sorte de froncement de cet organe. La colonne rachi-dienne de l'anguille est très flexible; pour que la moelle ren-

(i) r. pl. ii.

fermée dans cette colonne en suive les mouvemens sans se rompre, il fallait ou que la moelle fût, extensible, élastique, ou qu'elle fût plissée. Or, la substance nerveuse n'est rien moins qu'élastique; molle et fragile, elle se déchire à la moindre traction : elle ne pouvait qu'être plissée, et elle l'est en effet.

L'extrémité caudale de la moelle rachidienne est, en général, très longue chez les poissons; chez l'homme au contraire, elle se termine au niveau des premières vertèbres lombaires. Mais, pour l'homme, il n'en a pas été ainsi à tous les âges de sa vie : le fœtus humain a la moelle beaucoup plus descendue que l'adulte; elle remonte, comme je l'ai déjà dit ailleurs (1), au fur et à mesure que le fœtus se développe. Certains anatomistes qui se qualifient de transcendans ont vu dans ce rapport une preuve à l'appui du système en vertu duquel ils prétendent établir que l'homme, avant d'arriver à son état parfait, a été successivement poisson, puis reptile, puis oiseau, puis mammifère. D'après ce système, le germe de tous les animaux serait semblable et se développerait d'une manière uniforme ; mais suivant qu'il appartiendrait à telle ou telle classe, il s'arrêterait plus tôt ou plus tard. Les poissons conserveraient d'une manière permanente une des formes transitoires de l'homme ; les reptiles, une forme également transitoire, mais plus avancée, et ainsi progressivement pour les oiseaux et les mammifères. On est même descendu jusqu'aux mollusques, et on en a fait des élémens d'embryons humains. Pour arriver là, on a procédé d'une manière assez nouvelle : on a saisi toutes les analogies que l'on a pu rencontrer, souvent même on les a forcées, et l'on a négligé toutes les différences. Quant à ce qui concerne les

(i) V. p. 87 de ce volume.

I. Il

mollusques, par exemple, on a comparé les enveloppes de leur corps aux enveloppes du fœtus; et de la coquille, on a fait la membrane caduque, sans considérer que la membrane caduque appartient à la matrice, qu'elle n'est pas du fœtus, mais de sa mère, tandis que la coquille appartient exclusivement au mollusque qu'elle recouvre. Ou n'a pas eu égard non plus à la différence des fonctions, différence qui exclue nécessairement la similitude d'organisation. Ainsi, voyez quelles sont les fonctions qui prédominent chez les mollusques ; ce sont la digestion et la génération. Or, je le demande à quel degré existent ces fonctions chez le fœtus ? Nous verrons tout-à-l'heure que l'on n'a pas été plus heureux dans ce qu'on a avancé touchant la moelle épinière.

Peux faits signalés d'abord par Arsaky, vérifiés par Desmoulins, et dont j'ai constaté l'exactitude, font une grande exception à la règle concernant la longueur de la moelle épinière des poissons. D'après Arsaky, chez la baudroie (/o-phim pi catorius), la moelle épinière se rétrécit tout-à-coup au niveau de la troisième paire cervicale, comme elle diminue chez les mammifères à la hauteur de la région lombaire, et avant la huitième vertèbre, elle a complètement disparu. J'ai disséqué une baudroie chez laquelle la moelle avait disparu encore plus promptement : au niveau du trou occipital, elle était déjà rétrécie, et au niveau de la deuxième vertèbre cervicale, on n'en voyait à peine quelque trace (1). Dans le poisson-lune (tetrodon mold), sur deux individus dont le canal vertébral avait cinquante-quatre centimètres de longueur, Desmoulins a vu les filets nerveux qui forment la queue de cheval,

(iy V. l'encéphale de la baudroie, pl. 11. La tête de l'animal, qui a fourni ce très petit cerveau, était largo de 3So mill.; l'intervalle entre 1er. deux, yeux, était de 89 mill., et la longueur de la tête, mesurée depuis la bouche jusqu'au trou occipital,était de 'jiomill.

naître de la moelle, immédiatement au-dessous du quatrième ventricule, et ces filets au nombre de soixante-quatre paires, tous, d'une grande ténuité, étaient réunis en un faisceau logé dans le canal rachidien (1). Le ietrodon que j'ai examiné n'avait pas moins de 1 mètre 18 centim.de circonférence ; la longueur du rachis était de 0, 87, et la moelle épinière était tout aussi nulle que dans le cas précédent. Au niveau de chaque trou de conjugaison, deux nerfs depuis long-temps séparés des autres sortaient du canal et allaient se confondre en un ganglion commun. De ces deux nerfs, l'un venait du côté fulcral, et l'autre, du côté spinal.

L'isolement des filets nerveux chez la baudroie et le poisson-lune n'indique pas entre le prolongement rachidien de ces animaux et celui des autres poissons, une différence aussi grande qu'on le croirait au premier abord. La structure de cet organe nous montrera qu'il y a au contraire une très grande analogie, sur ce point, entre tous les poissons, et que le poisson-lune et la baudroie présentent, d'une manière manifeste, une disposition qui existe déjà chez tous les autres animaux de la même classe. (2)

RÉSUMÉ.

1. L'encéphale des poissons se compose de ganglions distincts, implantés sur les prolongemens antérieurs de la moelle épinière.

2. Outre les ganglions, il existe chez les poissons et notamment chez les poissons osseux, un corps calleux, une

(r) Op. cit. p. 144.

(•?) .Te réunirai dans un môme article ce que j'ai à dire touchan 1 le ganglions spinaux des poissons et ceux des autres animaux vurléb'és.

il,

voûte, des ventricules latéraux et moyens, un infundibulum t des commissures, un aqueduc de Sylvius.

3. Presque tousles nerfs encéphaliques qui existent chez l'homme, se retrouvent chez les poissons.

h. Parmi ces nerfs, les uns appartiennent aux fibres longitudinales, les autres aux fibres transversales dont se compose le système nerveux encéphalo-rachidien.

5. La comparaison du poids de l'encéphale des poissons, au poids du corps de ces animaux a donné pour rapport 1 à 5668.

6. Les nerfs optique, moteur commun des yeux, pathétique et abducteur, comparés à l'encéphale, sont plus volumineux chez le brochet que chez le sqale-renard : une différence analogue existe quant aux rapports de l'encéphale avec la moelle épinière des mêmes animaux.

7. La moelle épinière des poissons se compose de huit faisceaux, quatre de chaque côté.

8. Elle est creusée par un canal qui s'étend dans toute sa longueur.

9. Les racines des nerfs spinaux sont doubles comme chez les hauts vertébrés.

10. Les renflemens qui paraissent sur la moelle épinière de l'anguille, n'indiquent pas la trace de ganglions.

11. Chez quelques poissons, la moelle épinière est excessivement courte.

§ IL STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL DES POISSONS.

Plusieurs des parties de l'encéphale ou de la moelle épinière des poissons, que j'ai seulement mentionnées dans le pa

ragraphe précédent, parce qu'on ne les voit qu'en partie sans pénétrer dans la substance de ces organes, seront ici exposées de manière à ce que la description en soit complète.

Les premières données positives que l'on ait obtenues sur la structure du système nerveux, datent de l'époque à laquelle on a appliqué le microscope à l'étude de l'anatomie, et les progrès de la science sur le point qui nous occupe sont dus, en grande partie, au perfectionnement que les physiciens ont apporté dans la construction de cet instrument. Vers la fin du dix-septième siècle, Leeuwcnhoeck, ayant soumis la substance cérébrale à ses recherches microscopiques, annonce que la matière corticale ou grise est composée de vaisseaux sanguins, tandis que la matière médullaire est composée de filamens et de globules. (1) En 1717, il va encore plus loin, car il voit que les filamens, dont il a fait précédemment la découverte, sont creux, qu'ils contiennent des globules; il évalue en outre le nombre des canaux contenus dans un filet ayant la grosseur d'un cheveu, et il fixe ce nombre à 1000. Dès l'abord, Leeuvenhoeck est sur la voie de la vérité et ne laisse à ses successeurs que la tâche de perfectionner son œuvre. Delia Torre qui vient ensuite, se»met en opposition avec Leeuwenhoeck, et c'est tant pis pour la science, car il raconte sur la structure de la substance cérébrale , des choses que l'expérience n'a pas du tout confirmées (2). La substance nerveuse est pour Delia Torre, composée de globules disposés en ligne et maintenus réunis par un fluide visqueux. Il dit ces globules de dimensions variables suivant les parties d'où ils proviennent : très grands au cerveau, ils vont en s'amoindrissant par degrés, du cerveau

il) De itructura cerebri, Epistola. 1684. — Trans, philos, aimée 1674.— Collect, académ. P. Etrangère, t. 11 f p. 127.

(a) Nuove osscrvazionimicroscopkhe. Napoli, 1776.

au cervelet, de celui-ci à la moelle allongée, à la moelle épinière et aux nerfs où ils sont les plus petits de tous. Prochaska admet aussi que la substance nerveuse est formée de globules, et pour lui, ces globules diffèrent en volume, non pas suivant l'organe qui les a fournis, mais dans un même organe : ainsi, dans le cerveau comme dans le cervelet, comme dans les nerfs, on trouve des globules de dimensions variables (1). Du reste, les globules de Prochaska sont unis les uns aux autres par un fluide visqueux, à la manière de ceux de Delia Torre. A. Monro dit avoir vu des fibres serpentines, entortillées, mais solides ; en cela il se trompe moins que les deux auteurs précédens, et il est en même temps moins près de la vérité que Leeuwenhoeck (2). Fontana qui vient après, fait un grand pas; il annonce que la substance nerveuse est formée de cylindres à parois très minces, remplis, d'un fluide contenant des globules (3). Les frères J. et Ch. Wenzel s'occupent beaucoup du même sujet, et ne sont pas heureux dans leurs recherches. Ces auteurs établissent, «comme conséquences d'observations faites, disent-ils, avec tout le soin possible, dans des conditions différentes d'âge et de sexe chez l'homme, les mammifères, les oiseaux et les poissons :

« Que la substance corticale et la substance médullaire du cerveau humain ;

c Que la substance des ganglions qui sont dans l'intérieur du même cerveau ;

c Que la substance de la glande pinéale, de la moelle épinière et des nerfs;

ce Enfin, que la masse cérébrale des mammifères, des oiseaux et des poissons, consistent dans la réunion de corpus-

(i) Déstructura nervorum. Vindebonœ, 1779,111-8, cap. iv, p. 67. Obs. on the struct, of the nervous syst, tab. 33 et seq. Traité du venin de lavipère, Florence, 1781, in-4.

cules adherens entre eux, arrondis et semblables à ceux des muscles, du foie, de la rate et des reins.

ce Or, continuent les frères Wenzel, comme toute la trame des parties organisées est celluleuse, les corpuscules nerveux ont la forme des cellules où ils sont logés : d'où il suit que la structure du cerveau ne diffère pas essentiellement, quant à sa forme, de la structure des muscles ; mais qu'elle en diffère seulement par la substance remplissant la forme (substantia formam implente) (1). » L'objection que j'opposerai à des conclusions en apparence si positives, c'est qu'aujourd'hui on voit toute autre chose que les globules dont parlent les frères Wenzel et qu'on le voit bien clairement, constamment, et à l'aide de microscopes infiniment plus parfaits que ceux dont ils faisaient usage. J'ajoute que la plupart des micographes vivans, s'ils ne s'accordent pas sur l'interprétation des faits qu'ils découvrent, ne diffèrent pas entre eux quant aux apparences, quant aux formes de la substance nerveuse, tandis que les frères Wenzel sont les seuls qui aient observé ce qu'ils racontent.

J'en dirai autant des résultats publiés par sir Everard Home au sujet des recherches de M. Bauer, ce Si l'on met, dit-il, une portion de substance cérébrale dans l'eau, et qu'après l'y avoir laissée pendant quarante-huit heures, on en coupe une très petite tranche que l'on place sur une lame de verre préalablement mouillée, it qu'on laisse tomber une goutte d'eau sur celle tranche de cerveau, en tenant la lame de verre un peu obliquement et de manière à ce que l'eau coule sur la surface du verre, on voit, entraînées par l'eau, des portions de substance médullaire qui consistent en une quantité in-

(i) De penitiori structuré cerebri hominis et brutorum. Tubingœ, i8ift, lu-fol. p. 36.

nombrable de globules, et en fragmens de fibres formées par la réunion linéaire d'un certain nombre de ces globules. » (1) C'est encore la reproduction des fibres de Prochaska. Pour apercevoir la structure de la substance cérébrale, pourquoi recommander défaire macérer cette substance pendant quarante-huit heures? Est-ce donc qu'on n'y peut rien voir à l'état frais? Et si l'on n'a aucun moyen de contrôle, comment décider si ce qu'on a vu n'est pas le résultat de la macération ? Quelque vicieux que m'ait paru tout d'abord le procédé de M. Bauer, je l'ai mis en usage, afin de savoir ce qu'il me donnerait. J'ai fait macérer dans l'eau, pendant quarante-huit heures, un cerveau de dindon et un cerveau de perdrix ; j'ai suivi à la lettre les recommandations de M. Bauer, et je n'ai rien vu de ce qu'il a annoncé. Des débris de substance cérébrale, affectant des formes très irrégulières, quelques globules elliptiques sanguins, et des fibres qui n'étaient autre chose que des vaisseaux sanguins très facilement reconnais-sablés ; aucune fibre formée par la réunion linéaire de molécules : voilà ce que m'a donné cette expérience que j'ai répétée plusieurs fois, et qu'un de mes amis, M. Hélie, jeune médecin fort instruit, a répétée également et sans plus de succès.

Un analomiste dont les travaux sont ordinairement empreints d'une grande exactitude, M. Milne Edwards, est tombé dans la même erreur que M. Bauer. Il n'a pas fait macérer la substance cérébrale avant de l'examiner, il s'est au contraire servi d'animaux récemment tués, et après avoir enlevé une tranche très mince de la substance nerveuse, il Fa placée aussitôt sur une lame de verre que, de temps en

(i) Lectures on comparative anatomy, in which are explained the preparations in the hunteriau collection^ by sir Everard Home. Lond. 1823, t. lit, in-40, p. 37 et suiv.

temps, il avait soin d'humecter légèrement, l'expérience lui ayant prouvé, dit-il," que cette préparation réunit les conditions les plus desirables pour ce genre de recherches. A l'aide de ce moyen, il dit avoir vu qu'en effet la substance cérébrale est composée de globules, et il a fixé le diamètre de ces globules à 1/300 de millimètre. Comme M. Bauer, c'est avec ces globules réunis en séries parallèles, qu'il a vu formées les fibres nerveuses de la substance blanche et de la substance grise du cerveau, et celles de la moelle épinière, chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Toutes les parties du système nerveux sont, d'après M. Milne Edwards, composées de globules identiques entre eux et dont l'arrangement est toujours semblable Cl). Le mode de procéder dont s'est servi M. Milne Edwards est vicieux. Cet auteur a eu raison de faire choix de cerveaux frais, mais une lame de substance cérébrale, quelque mince qu'on la coupe, est toujours opaque. Or si l'objet que M. Milne Edwards a examiné n'était pas transparent, il n'a pu en apercevoir distinctement la structure et nous ne saurions compter sur la certitude de ses résultats. Nous y compterons d'autant moins que ces résultats sont contredits par les observations de M. Ehrenberg, observations dont j'ai, en partie; fait connaître la substance ; et celle d'un autre anatomiste allemand, M. Langenbeck, dont je parlerai tout-à-l'heure.

J'ai déjà mentionné les faits principaux publiés par M. Ehrenberg , j'ai dit que cet anatomiste admet que la substance blanche de l'encéphale et des nerfs est entièrement composée de fibres canaliculées ; qu'il distingue ces fibres en fibres rectilignes et en fibres articulées; que les unes et les autres sont remplies d'une matière liquide, d'une fluide nerveux ;

(i) Archives générales de médecine, Paris, 1823. t. ni, p. i83.

enfin, que la substance grise contient en outre des globules arrondis, distincts de la matière nerveuse. En ce qui concerne les mollusques et les articulés, j'ai été presque toujours d'accord avec M. Ehrenberg ; mais, parvenu au point où j'en suis maintenant, j'ai à discuter une question que je n'ai pas encore abordée, celle de savoir s'il existe réellement, dans le'système nerveux, deux ordres de fibres cana-liculées, les unes rectilignes, les autres variqueuses ou articulées. Les invertébrés, n'ayant, d'après M. Ehrenberg que des fibres rectilignes et mes observations sur ce point s'ac-cordant avec les siennes, je n'ai pas eu jusqu'à présent, à m'occuper de ce qui concerne les fibres dites variqueuses, et j'ai attendu, pour cela, que j'eusse à exposer la structure du système nerveux cérébro-spinal des vertébrés.

Les résultats obtenus par M. Langenbeck (l)ont beaucoup d'analogie avec ceux de M. Ehrenberg, ce qui semble assurer aux uns et aux autres un haut degré de certitude. M. Lan genbeck ayant placé de la substance cérébrale entre deux , lames de verre, y a trouve des fibres pourvues d'élargisse-mens. D'après la grosseur des fibres et le mode des élargis-semens, il a distingué ces fibres en fibres noueuses ou en tubes variqueux. Les fibres noueuses sont des filamens bien ténus, bien fins, qui unissent entre eux des globules comme les grains d'un chapelet ; les tubes articulés sont des fibres creuses, présentant de distance en distance des renflemens vésiculaires. M. Langenbeck doute si les fibres noueuses sont canaliculées, il regarde comme démontré que les fibres articulées sont canaliculées et contiennent une matière particulière sur la nature de laquelle son opinion n'est pas encore

(i) De retina observationes, anatomico-pathologicœ : acceclunt tabula; quatuor. Guetting, i836, in-40.

arrêtée. Il a vu, dit-il, qu'ayant comprimé, entre deux lames de verre, une portion de substance cérébrale prise aux cuisses du cerveau de la carpe commune, il s'est écoulé, des tubes articulés composant cette substance, une matière gélatineuse très limpide; mais qu'ayant répété cette expérience sur l'homme, le bœuf et d'autres animaux, il n'a pu apercevoir rien de semblable. Les fibres variqueuses sont les mêmes pour M. Langenbeck et pour M. Ehrenberg; les fibres noueuses dont M. Langenbeck seul a parlé, sont très variables entre elles; les intervalles qui séparent les nodosités sont inégaux ; la forme des nodosités ou globules diffèrent les uns des autres, pour la forme et pour le volume. (.(.Forma magno-pere varians, modo rotundiuscula, modo ovata magis, modo in circuitu obtuse angulata reperilur; plerumque non omnino sphœrica, sed superne compressa apparet. Etiam magnitudo globulorum, non eadem uhivis exis-tit. » (1)

Je puis dire ici à l'avance que les varices ou renflemens des fibres variqueuses ne présentent rien de plus constant que les nodosités; elles sont dépourvues les unes et les autres de ce caractère de régularité que la nature met dans ses œuvres, ce qui déjà doit nous faire pressentir qu'elles pourraient bien être le résultat de la préparation que l'on fait subir à la matière cérébrale, avant de la soumettre à l'examen microscopique. Mais avant d'entrer en matière, je ne puis m'em-pêcher de faire observer combien est incomplet le mode de procéder que l'on a suivi jusqu'à présent, dans l'étude de la structure du système nerveux.

On n'a jamais examiné que des portions séparées de la substance nerveuse, et il ne paraît pas que l'on ait songé à pla-

(i) Op. cit., p, 58.

cer en même temps tout un encéphale, sous la lentille du microscope. Par cette omission, on s'est privé de la connaissance des rapports que les différentes parties de l'encéphale ont entre elles. Pourtant cette expérience loin d'être impossible, comme on serait tenté de le croire au premier abord, n'est pas même difficile; il suffit, pour réussir à l'exécuter, de faire choix d'un petit encéphale, et de n'employer d'abord qu'un faible grossissement. Dans toutes les classes d'animaux, on trouve des encéphales assez petits pour cette opération; et si l'on veut ne pas borner là ses recherches, on doit, quand il s'agit de grands animaux, descendre jusqu'au fœtus, et même à l'embryon : et de même pour la moelle allongée et la moelle épinière. Sans l'inspection de l'ensemble, on s'expose à chaque instant à donner ce que l'on croit exister, pour ce qui existe réellement.

Je commencerai l'exposition de la structure du système nerveux cérébro-spinal des poissons, en parlant de ce qui concerne la moelle épinière, parce que c'est elle, comme on l'a déjà dit et comme je le dirai encore, en appuyant cette vérité sur des observations nouvelles, qui forme la base de tout ce système.

1. Structure de la moelle épinière des poissons.

J'ai enlevé deux centimètres environ de la moelle épinière d'une anguille tout récemment tuée, je les ai placés sur le compresseur (1), puis, par le sillon spinal, j'ai pénétré jusque dans le canal central, et renversant à droite et à gauche les

(i) Le compresseur est un instrument qui se compose de deux lames de verre superposées, attachées à une monture métallique, et que l'on peut rap-

bords du sillon, j'ai étalé cette moelle comme un ruban. Alors, j'ai simplement rapproché les deux plaques de verre du compresseur, de manière à main tenir entre elles le ruban étalé, mais non écrasé. A l'aide d'un grossissement de seulement cinquante l'ois, j'ai vu des fibres, des granules et des vaisseaux sanguins, partout où la substance examinée était transparente ou demi transparente. Les fibres étaient parallèles à la longueur de la moelle, les granules confus, les vaisseaux sanguins bien visibles. Le sillon fulcral très facilement recon-naissable, était formé par l'adossement des fibres parallèles, aucune fibre ne le traversait pour aller d'un côté au côté opposé. En serrant la vis destinée à rapprocher l'un de l'autre les deux plaques du compresseur, la moelle mieux étalée et déjà écrasée dans quelques endroits, n'a plus eu d'opacité nulle part, et j'ai pu voir partout la même structure que celle dont je viens de parler. Du moment où j'ai exercé la pression, jusqu'à la fin de l'expérience, il s'est échappé de tous les points de la moelle des globules très fins, homogènes, trans-parens, qui se réunissaient plusieurs à-la-fois, et se confondaient les uns dans les autres, comme le font plusieurs gouttes d'eau au moment où elles se touchent.Voilà donc un nouvel élément ajouté aux autres, par le fait de la compression. J'ai de nouveau serré la vis du compresseur, sans cesser un instant de regarder quels changemens s'opéreraient dans la moelle, et j'ai vu toute la substance devenir plus transparente, les fibres s'étaler davantage, s'allonger en s'effilant dans cer-

ÊÊk

tains endroits, tandis que dans d'autres elles blanchissaient et s'élargissaient en formant comme des nodosités ou des varices. Toutes les fibres ne s'élargissaient pas, et les distances

procher l'une de l'autre à -volonté, au moyen d'une vis ; l'objet que l'on veut examiner se place entre les deux lames. On doit l'invention de cet instrument à M. Purkinje.

auxquelles s'opéraient ces élargissemens étaient presque constamment inégales : le diamètre des fibres écrasées dans les endroits non élargis, n'était pas non plus le même partout. Tandis que ces phénomènes se passaient, des globules nombreux s'échappaient de toutes parts, s'unissaient les uns aux autres, et finissaient par former non plus des globules, mais de larges plaques qui ressemblaient tout-à-fait à de l'huile pressée entre deux lames de verre, et qui, en effet, n'étaient autre chose qu'une substance grasse , fluide , provenant de la moelle. Quant aux granules et aux vaisseaux sanguins observés avant la compression, je n'y apercevais aucun changement, si ce n'est qu'au fur et à mesure que la moelle augmentait de transparence, par le fait de son amincissement, les granules et les vaisseaux devenaient de plus en plus visibles. D'unefibre d'abordrectiligne qui s'est élargie sous le compresseur, j'ai vu surgir une espèce de nodosité qui s'en est détachée complètement. Une compression très forte a fait cesser tout mouvement, et les fibres, aussi bien que les granules, les plaques graisseuses et les vaisseaux sanguins, sont restés dans le même état.

La substance de la moelle ainsi étalée et rendue transparente, j'ai pu faire usage d'un fort grossissement ; les objets sus-mentionnés sont devenus encore plus distincts, mais je n'ai rien aperçu de nouveau.

Outre les fibres, les granules, les plaques graisseuses formées par la réunion des globules graisseux, que la compression a fait sortir de la moelle, et les vaisseaux sanguins, objets sur lesquels mon opinion est arrêtée, j'ai aperçu deux espèces de tubes, l'un à droite et l'autre à gauche, appartenant à chacun des faisceaux latéraux de la moelle. Le diamètre de ces tubes est à celui des fibres de la moelle, comme quinze à un. Dans des expériences subséquentes, je les ai vus s'arrêter

à la moelle allongée, et je les ai suivis jusqu'à l'extrémité caudale de la moelle épinière. Tout gros qu'ils soient, et malgré que j'en aie très distinctement distingué les parois, je n'en ai vu sortir ni matière graisseuse, ni molécules sanguines, et je n'ai pu rien apercevoir dans leur intérieur. Tout à côté d'eux et les croisant quelquefois, j'ai vu des vaisseaux contenant des molécules sanguines, mais qui n'avaient aucune communication visible avec ces tubes. J'ignore complètement leurs usages, ce que je puis affirmer, c'est qu'ils existent toujours, car je n'ai pas manqué de les voir chez tous les poissons dont j'ai examiné la moelle à l'aide du microscope.

Revenons aux fibres et aux molécules. Les fibres non comprimées sont toutes rectilignes; comprimées, elles s'élargissent par intervalle, en formant des nodosités, des articulations absolument semblables à celles que M. Ehrenberg a fait représenter. On voit les articulations se former sous les yeux et dans une multitude de points à-la-fois. Serait-ce là les fibres variqueuses de l'anatomiste allemand? Ce sont elles, sans aucun doute. Comment donc se fait-il que M. Ehren* berg ait regardé cet état variqueux comme étant la conformation naturelle des fibres de la moelle? Cela dépend de la manière dont M. Ehrenberg a opéré. Pour étudier la substance nerveuse, M. Ehrenberg l'écrase d'abord entre deux verres, et il l'observe ensuite; il voit des fibres écrasées et ne voit que cela; tandis qu'en opérant comme je l'ai fait, on voit ces fibres avant et après l'écrasement; or, avant l'écrasement elles sont toutes et toujours rectilignes. Il n'y a donc qu'un seul ordre de fibres, des fibres rectilignes; car, je le dis ici par avance, la moelle allongée de l'encéphale, les parties dans lesquelles on a trouvé des fibres variqueuses, doivent leurs varices à la préparation qu'on leur fait subir. Des anatomistes

allemands, parmi lesquels je puis citer MM. S. Valentin et Jean Muller, ont déjà contesté l'état variqueux des fibres de la moelle; l'expérience, dont je viens de donner les détails, fait voir que leur opposition est parfaitement fondée.

Entre la moelle épinière et les nerfs spinaux, M. Ehren-berg établit une grande différence quant à la nature des fibres; les nerfs auraient des fibres rectilignes, la moelle épinière des fibres articulées. L'observation, telle que Ta faite M. Ehrenberg, a dû, en effet, le conduire à celte conclusion; car les nerfs tout comprimés qu'ils soient après leur extrême division, ne présentent pas de fibres variqueuses, tandis que la moelle épinière en présente toujours; mais pour expliquer cette différence, il n'est nullement besoin d'admettre une nature différente dans les fibres nerveuses, il suffit de donner aux unes une enveloppe dense et serrée, et d'en priver les autres. C'est ce que la nature a fait. Dans les nerfs, la fibre est enveloppée d'un névrilème solide; dans la moelle, elle en est dépourvue.

Il n'y a donc pas de fibres variqueuses dans la moelle épinière de l'anguille; et comme l'inspection de la moelle épinière des autres poissons m'a donné le même résultat, je puis dire qu'il n'y a pas de fibre variqueuse dans la moelle épinière des poissons.

Ce premier point établi, voyons si la disposition longitudinale de toutes les fibres de la moelle épinière des poissons, ne nous servira pas à expliquer l'apparente bizarrerie que présente la moelle épinière du poisson-lune et de la baudroie.

J'ai dit, avec plusieurs anatomistes déjà mentionnés, que dès sa naissance, la moelle épinière du poisson-lune est dans ses nerfs, et qu'il en est presque de même pour la baudroie (V. pl. 11), tandis que chez tous les autres poissons, elle se

prolonge forl loin dans le canal vertébral. Cette différence, qui paraît capitale à beaucoup d'anatomistes, me semble à moi très secondaire. En effet, si les fibres existent et se continuent tout le long de la moelle épinière, est-ce une chose si importante qu'elles soient ou non séparées les unes des autres par un névrilème9 Un fait beaucoup plus important, c'est la présence, dans la moelle épinière, de fibres transversales; or ces dernières fibres existent chez les reptiles, les oiseaux et les mammifères, tandis qu'elles manquent chez les poissons. Les poissons ont donc tous une moelle épinière beaucoup moins dissemblable qu'on ne le croit, et le poisson-lune, aussi bien que la baudroie, tout exceptionnels qu'ils paraissent sur ce point, ne font que répéter d'une manière exagérée, ce qui constitue l'état normal des autres poissons.

Toutefois, je dois mentionner ici une disposition particulière que j'ai rencontrée chez la carpe, et que l'on retrouvera sans doute aussi sur d'autres animaux de leur classe. C'est un ganglion qui existe dans l'épaisseur de la moelle, à la naissance des racines spinales; la présence de ce ganglion ôteàla moelle épinière de la carpe, la simplicité qu'elle a chez le poisson-lune, la baudroie, l'anguille, etc. Je reviendrai tout-à-l'heure sur ce sujet, et je continue ce qui concerne la moelle épinière de l'anguille. J'ai dit qu'elle n'a pas de fibre transverse ; je me suis assuré dans l'expérience mentionnée tout-à-l'heure, qu'aucune fibre ne passait d'un côté à l'autre au niveau du sillon fulcral; j'ai constaté la même absence de fibre transverse du côté spinal. Dans ce cas, l'expérience n'était même pas nécessaire, puisque le sillon spinal est formé par le simple adossement des cordons spinaux. Ainsi, [dans la moelle épinière de l'anguille, j'ajoute comme dans la moelle épinière des autres poissons, il n'y a, dans la moelle, pas d'autres fibres que des fibres longitudinales.

Si on se rappelle ce que j'ai dit des animaux articulés, ces derniers seraient soms ce rapport mieux pourvus que les poissons, car au niveau des nerfs latéraux du cordon ganglio-naire, on voit, outre les fibres longitudinales du cordon, des fibres transverses qui les croisent à angle droit, pour aller d'un côté à l'autre (V. pl. 1, le ganglion de la sangsue). Ne nous laissons pas arrêter par cette objection; dans les articulés, chaque ganglion constitue un tout, les ganglions sont semblables entre eux ou au moins très analogues, il n'ont pas une prééminence marquée les uns sur les autres excepté toutefois le ganglion céphalique ; chez les poissons, au contraire, la moelle épinière est seulement une partie du système cérébro-spinal, elle ne constitue pas un organe indépendant, mais elle concourt à former un organe. La partie que je viens de décrire n'a, il est vrai, que des fibres longitudinales; mais ailleurs, dans la moelle allongée, on trouve des fibres transverses en grand nombre; c'est là qu'il faut les chercher.

La comparaison que je viens d'établir entre la structure de la moelle épinière des poissons, et celle de la chaîne ganglio-naire des articulés, nous conduit à réfuter une opinion émise par M. Carus (1) touchant la valeur, la signification des renfle-mens de la moelle de l'anguille. M. Carus compare ces ren-flemens aux ganglions des invertébrés; mais il n'a pour étayer cette opinion qu'une analogie de forme, et encore une analogie fort éloignée. On a déjà vu que les renflemens de la moelle de l'anguille résultent d'une sorte de plissement que l'on peut faire disparaître à volonté. L'étude de la structure comparée de la moelle de l'anguille et des ganglions de la sangsue par exemple, fait parfaitement juger de la différence qu'il y a entre ces parties. Dans les ganglions de la sangsue,

(i) Op, cit.

toujours des fibres transverses ; dans les renflemens de la sangsue, jamais.

La grande simplicité d'organisation de la moelle épinière des poissons, tendrait à faire regarder cette partie comme indiquant un état transitoire entre les autres classes de vertébrés et les mollusques. Chez ces derniers, les nerfs sontépars et vont isolément se rendre aux organes qu'ils animent ; chez le poisson-lune et chez la baudroie, ces filets également isolés sont réunis en faisceaux, et de même que pour les mollusques, il y a un névrilème à chaque fibre nerveuse. Ce névri-lème manque chez les autres poissons, et alors le faisceau formant la moelle épinière est constitué, non plus par des filets nerveux, mais par des fibres nerveuses. Ainsi, pour citer des exemples, chez l'anguille, les fibres nerveuses sont réunies; chez le poisson-lune, les filets nerveux résultant de la fibre nerveuse et de son névrilème, sont rapprochés et marchent parallèlement les uns aux autres dans le canal rachidien, tan» dis que chez les mollusques les nerfs rayonnent vers les organes auxquels ils sont destinés, au moment où ils se séparent du ganglion dont ils émanent.

La matière granulée, dont j'ai parlé plus haut, constitue la matière grise qui se trouve à l'intérieur de la moelle épinière, le long du canal spinal; sa quantité est moindre chez les poissons que chez les autres vertébrés; et c'est sans doute pour ne l'avoir pas aperçue, que plusieurs anatomistes ont mis en doute et même nié son existence. Je dois, à cette occasion, faire remarquer avec quelle facilité se font parfois les théories : Gall et Spurzheim admettent que la substance grise de la moelle, est la matrice, l'organe générateur de la substance blanche (1), et l'un des argumens que l'on a opposé à cette théo-

(i) Tïeviranus (voy. arch. géuér. méd., t. 2, p. 400) fait observer avec

12.

rie, c'est le défaut de substance grise dans la moelle épinière des poissons, ce Une conséquence de l'hypothèse de Gall et Spurzheim, dit M. Serres (1), c'est que la matière grise doit toujours être proportionnée à la matière blanche; or, dans la moelle épinière, ce rapport, loin d'être constant, est au contraire inverse. Ainsi, à mesure que l'on descend chez les mammifères, des singes aux rongeurs, et de ceux-ci aux oiseaux, la matière blanche va en augmentant et la grise en diminuant. Chez tous les poissons, la prédominance de la matière blanche est plus prononcée encore, et sur plusieurs, à peine trouve-t-on dans la moelle épinière, des vestiges de la matière grise. L'hypothèse de Gall et Spurzheim, en opposition manifeste avec les faits, n'est donc pas admissible. » Entre l'hypothèse dont il s'agit, et le fait anatomique sur lequel on l'a établie, il n'y a pas l'opposition qu'y trouve M. Serres : d'abord, il existe de la substance grise dans la moelle épinière des poissons, en plus grande quantité que M. Serres ne paraît en admettre; ensuite, puisque les fibres de la moelle épinière de ces animaux sont longitudinales, ne peuvent-elles pas provenir de la substance grise des ganglions encéphaliques, car ce qu'il faut à l'hypothèse de Gall et Spurzheim, ce n'est pas que les fibres blanches soient enveloppées de substance grise, mais qu'une de leurs extrémités plonge dans cette substance. Eh bien, l'extrémité céphalique des fibres de la moelle épinière des poissons, plonge dans la substance grise des ganglions encéphaliques. M. Cruveilhier,

raison, que la substance grise ne nourrit pas la substance blanche, car dit-il, une substance solide ne peut pas nourrir une autre substance solide. Il n'y a pas en effet nutrition de l'une par l'autre, il y a seulement rapport de volume, analogue à celui qui existe dans les muscles, entre la fibre tendineuse et la fibre musculaire.

(i) Op. cit. t. i, p. 55".

également opposé aux idées de GalletSpurzheim sur ce point, prétend que ce chez tous les poissons, la substance grise manque, en sorte que la moelle est canaliculée » (1). Mais le canal de la moelle peut exister avec la substance grise, il n'y a là aucune contradiction. Et c'est en effet ce qui a lieu, car la substance grise forme en quelque sorte les parois du canal. A cette occasion, je ferai remarquer que ce qui a pu tromper M. Cruveilhier, et ce qui a trompé en effet plusieurs anato-mistes, c'est le mode de coloration de la substance appelée substance grise. Cette coloration me semble une condition secondaire de son existence; ce qui la distingue réellement, c'est sa forme granulée mise en opposition avec la forme constamment fibreuse de la substance blanche. Mais pour apercevoir les granules qui la composent, les yeux ne suffisent pas, il faut se servir du microscope; si l'on n'a pas recours à cet instrument, on méconnaît beaucoup de faits d'une grande importance, et les conclusions que l'on tire de ce qu'on a vu, courent le risque d'être bientôt renversées.

Revenons à la moelle épinière de l'anguille : j'ai dit que la portion étalée sur le compresseur, m'a fait voir qu'au niveau du sillon fulcral, il n'y a aucun entrecroisement ; j'ai cherché plus particulièrement si un entrecroisement existerait dans l'endroit correspondant aux pyramides de la moelle allongée, et je n'ai rien trouvé d'analogue à ces pyramides. Il y a, comme je l'ai dit, un croisement des racines du nerf trifacial, mais rien autre chose. Au sillon spinal, pas d'entrecroisement non plus. Cela constaté, j'ai coupé une portion de moelle suivant sa longueur, et j'en ai placé une moitié sur le compresseur; j'ai vu les racines fulcrales et les racines spinales entrer dans la moelle épinière, et se continuer avec les fibres de cette

(1) Jnatomie descriptive, 4 vol. in-8. Paris, i835. t. îv, p. 6oi .

moelle ; je ne saurais dire si elles allaient aussi se rendre dans la substance granulée, je n'ai pas pu m'assurer de ce fait, malgré toute l'attention que j'aie mise à le chercher.

J'ai vu se répéter sur l'anguille de mer (nmrœna conger) tous les faits observés sur l'anguille de rivière, seulement la moelle ayant trop d'épaisseur pour être placée entière sous la lentille, je l'ai fractionnée. Une portion de moelle épinière de l'anguille dont il s'agit, mise sous la lentille, avec un grossissement de seulement cinquante fois, et à peine aplatie, m'a fait voir de nombreux linéamens clairs sur un fond brun, sans articulation ou nodosité, parallèles et très longs, car je n'ai aperçu la terminaison d'aucun d'eux. Alors, j'ai commencé la compression, quelques points des fibres sont devenus blancs et se sont élargis; en comprimant davantage, les fibres se sont distendues, amincies en certains endroits, tandis que les élargissemens devenaient de plus en plus considérables; enfin, en comprimant plus encore, une multitude de portions élargies se sont détachées des fibres, et se sont répandues çà et là dans la substance médullaire.

En aplatissant la substance de la moelle, à l'aide du compresseur, les fibres restent dans une direction parallèle, parce que l'instrument agit sans aucune déviation à droite ou à gauche ; comme on n'a pas la même précision en comprimant avec les doigts, il arrive nécessairement alors que les fibres déviées au moment où on les comprime , prennent des directions très opposées. Il ne faut pas se laisser induire en erreur par cette apparence et croire que les fibres de la moelle aient une direction variable. Ces fibres marchent dans le même sens que la moelle, et il n'y a d'exception à cette règle que pour les fibres qui, se détachant de la moelle, vont former les nerfs rachidiens.

Ce que je viens de dire concernant la moelle épinière de

l'anguille, s'applique à la plupart des autres poissons que j'ai examinés; tels que le rouget, Table, le goujon, etc. J'ai parlé d'une disposition particulière que présente la racine spinale des nerfs rachidiens de la carpe ; je vais donner quelques explications à ce sujet. Si avec des ciseaux très fins, on coupe la moelle épinière de la carpe, en deux moitiés, l'une spinale, l'autre fulcrale, et que l'on place ces parties ainsi séparées, entre les lames du compresseur, on voit après les avoir aplaties , que la racine des nerfs, ne se comportent pas toutes de la même manière; à l'endroit de leur jonction, les racines fui-craies se continuent directement avec les fibres longitudinales de la moelle, vers l'extrémité céphalique de laquelle ils se portent ; les racines spinales, au contraire, vont se rendre dans un noyau de matière grise qui se trouve dans l'intérieur de la moelle. Ce noyau est un véritable ganglion ; il a la même structure que les ganglions auxquels Gall et Spurzheim ont donné le nom de ganglions de renforcement. Des fibres de la moelle viennent en convergeant vers ce noyau ; d'autres fibres en sortent pour former la racine spinale. La somme des fibres du nerf est plus considérable que celle des fibres venant de la moelle : ainsi, c'est avec raison que l'on peut appeler ce noyau gris, ganglion de renforcement. Sa structure n'est pas fibreuse, mais globuleuse. La plupart des racines spinales sont simples et il n'y a pour elles qu'un seul ganglion; quelques-unes sont doubles , elles ont deux ganglions. Cette différence dans le mode d'origine des racines spinales et des racines fulcrales de la moelle épinière, est très importante à connaître; elle explique pourquoi les racines fulcrales ont leurs fibres étalées à la surface de la moelle, tandis que les racines spinales s'enfoncent dans un espèce de sillon où elles rencontrent de la substance grise. La moelle épinière de l'homme offre celte disposition d'une manière très marquée;les

racines postérieures des nerfs rachidiens pénètrent dans la moelle par un sillon au fond duquel s'avance la substance grise, taudis que les racines antérieures se répandent à la surface de cet organe.

2. Structure de l'encéphale des poissons.

La structure de l'encéphale est beaucoup plus compliquée que celle de la moelle épinière; les nombreux ganglions dont il se compose méritent tous une mention spéciale, en raison des dispositions particulières qu'ils présentent. Je les ai examinés isolément et dans leur ensemble, et j'ai vu très nettement les dispositions que je vais indiquer. Je me suis surtout servi d'ablettes et de goujons pour ce genre de recherches ; l'encéphale de ces animaux une fois enlevé avec précaution , je le séparais en deux moitiés latérales, et je plaçais une de ces moitiés sur le compresseur, ou bien j'enlevais une portion supérieure que j'examinais d'abord et ensuite j'en faisais autant pour la partie inférieure. Avec un peu d'habitude, ces petites opérations deviennent très faciles et l'instruction que l'on en retire dédommage largement du soin qu'elles exigent.

J'ai dit avec M. Serres, que la moelle épinière des poissons se compose de quatre faisceaux fibreux dont la réunion forme un canal situé dans l'intérieur de cet organe. A l'extrémité céphalique de la moelle , les deux faisceaux spinaux supérieurs s'écartent les uns des autres et de leur écarlement résulte le quatrième ventricule dont le fond est formée par les faisceaux fulcraux. Les faisceaux spinaux qui ne sont autre chose que les pyramides postérieures, et les corps restiformes vont ensemble se rendre dans les ganglions postérieurs de la moelle et dans le cervelet, tandis que les faisceaux fulcraux

se prolongent directement en avant et sans se croiser, jusqu'à la pointe antérieure de l'encéphale : et s'épanouissent dans les lobes optiques, les tubercules quadrijumeaux, les lobes inférieurs, les lobes cérébraux et les lobes olfactifs. Les fibres qui entrent dans les tubercules postérieurs du cervelet s'y étalent ou se perdent dans la substance granulée dont ces organes sont en partie formés. Il en est de même de la plus grande partie des fibres du corps restiforme qui entrent dans le cervelet ; cependant, quelques-unes de ces dernières dirigées vers la partie médiane de l'organe, s'unissent aux fibres correspondantes du côté opposé, formant ainsi une sorte de pont au quatrième ventricule. Telle est la terminaison antérieure ou céphalique des fibres de la moelle épinière qui composent les faisceaux spinaux;les fibres des faisceaux fulcraux vont aux lames optiques, aux tubercules quadrijumeaux, aux tubercules cérébraux, aux tubercules olfactifs et aux tubercules inférieurs. Commençons par ce qui concerne la lame optique : un gros faisceau se dirige en bas et en dehors de la lame optique, où il s'élargit un peu, puis rencontre une masse de substance granulée, un véritable ganglion (le corps strié) où ses fibres échappent complètement à l'observateur ; mais au-delà de ce ganglion, on les retrouve suivant la même direction que le faisceau primitif et s'épanouissant en un large éventail dans lequel elles finissent par s'isoler les unes des autres. Cet éventail a été connu de Fracassati, de Haller, de M. Gotlsche, etc. qui lui donnent le nom de couronne radiante, ourayonnée. L'isolement des fibres s'opère à la partie externe et supérieure de la lame optique. Les fibres y sont placées les unes à côté des autres, une lame membraneuse et vasculaire, située au-dessous d'elles, les tient réunies. Arrivées là, presque toutes les fibres de la lame optique convergent vers deux points, l'un inférieur

et externe , l'autre supérieur et interne , et y forment deux faisceaux qui se joignent tout-à-fait à la partie antérieure du lobe optique, et de la jonction desquels résulte le nerf optique. Ainsi les nerfs optiques sont en communication avec les fibres de la moelle épinière, et il n'y a d'interruption apparente à cette communication que dans l'intérieur du ganglion ; je dis interruption apparente, car les fibres qui y sont entrées divergentes, en sortent précisément dans la même direction, seulement plus divergentes. Toutefois, il m'est démontré que les fibres qui vont former le nerf optique ne viennent pas toutes de la moelle épinière, car le nerf optique a un volume d'environ le double du faisceau qui émane de la moelle, de façon que le ganglion placé à la partie inférieure de la lame optique est un ganglion de renforcement comme les ganglions spinaux dont il a été précédemment question. Pour bien voir cette disposition, il faut couper l'encéphale d'un goujon, par exemple, sur la ligne médiane, et en placer une moitié sur le compresseur; un grossissement de cinquante diamètres suffit.

La lame optique présente encore un autre ordre de fibres, moins nombreuses que la précédente, mais non moins importantes à connaître que faciles à observer. En décrivant les lobes optiques, j'ai dit que celui de droite est uni à celui de gauche par une sorte de raphé. Si l'on enlève ce raphé en même temps que la partie supérieure des lames optiques auxquelles il sert de moyen d'union et qu'on l'examine au moyen du microscope, on y découvre des fibres transverses formant, dans cet endroit, une véritable commissure. De chaque côté, ces fibres se continuent jusqu'au ganglion de la lame optique en croisant la direction des fibres qui vont au nerf optique.

¡gAinsi malgré l'autorité de Haller et de Cuvier, malgré l'o

pinion contraire des anatomistes, parmi lesquels on doit excepter Camper, M. Carus et M. Gottsche, il faut admettre que les poissons ne sont pas dénués de corps calleux. M. Gottsche n'a pas connu l'origine des fibres du corps calleux; j'ai vu très distinctement qu'elles partent de la même source que les racines du nerf optique, c'est-à-dire des pro longemens fulcraux, à l'endroit où ils sortent du corps strié.

Pour récapituler ce que nous présente le lobe optique, je dirai que ce lobe ou plutôt que cette lame est formée,

1° D'un pédoncule venant de la moelle épinière ;

2° D'un ganglion de renforcement;

3° De fibres qui, par leur réunion, constituent le nerf optique ;

4° D'une commissure.

Cherchons maintenant les parties correspondantes à celles-ci dans les grands animaux. L'analogue du pédoncule est tout trouvé, c'est le pédoncule cérébral; l'analogue du ganglion de renforcement, c'est le corps strié et la couche optique ; l'analogue de la commissure, c'est le corps calleux ; enfin, les fibres d'origine du nerf optique sont les mêmes dans les deux cas.

Au-dessous de la commissure existe une lame qui sépare d'avant en arrière la cavité que laissent au-dessous d'elles les lames optiques, c'est la cloison transparente et la voûte à trois ou plutôt à quatre piliers.

Après avoir fourni le faisceau qui va aux tubercules qua-drijumeaux et à la lame optique, le prolongement antérieur de la moelle épinière s'avance et se divise en autant de faisceaux secondaires qu'il y a de ganglions ; ainsi un faisceau pour le ganglion inférieur, un autre pour le ganglion cérébral, un troisième pour le ganglion olfactif, et un quatrième si ce ganglion olfactif est double. Dans chacun de ces gan

glions, le faisceau fulcral se perd au milieu de la substance granulée dont ils sont en grande partie composés.

A l'occasion des lobes optiques, j'ai parlé de fibres transverses qui forment, pour ces lobes, une véritable commissure; la plupart des autres ganglions de l'encéphale des poissons sont pourvus de fibres analogues. Toute la partie de la moelle sur laquelle sont implantés les tubercules des nerfs branchial, auditif, facial et trifacial, celle qui correspond à l'insertion du cervelet, sont traversées par des fibres qui vont d'un côté à l'autre, et qui croisant les fibres venues des corps restiformes et celles des pyramides postérieures, vont se perdre dans la substance de chacun des ganglions. Le croisement que l'on voit dans cet endroit rappelle tout-à-fait celui qui a lieu dans la moelle allongée de l'homme, entre les fibres des pyramides et celles du cervelet. Cette commissure et celle des lobes optiques sont les seules dont les fibres soient isolées; toutes les autres, au nombre de quatre, sont réunies en cordon. Au centre de l'aqueduc de Sylvius, en avant des tubercules quadrijumeaux, est une commissure, la commissure postérieure, qui va de l'un à l'autre de ces tubercules; en avant de l'infundibulum, une autre commissure visible comme la précédente, quand on a enlevé les lames optiques. Cette dernière, simple à sa partie moyenne, est double de chaque côté, c'est-à-dire qu'elle a à-peu-près la forme d'un X ; l'une de ses extrémités, la supérieure, va du ganglion de la lame optique au centre du ganglion inférieur, et ainsi pour la seconde , de telle façon que cette commissure unit entre eux le ganglion inférieur droit avec la lame optique gauche, et réciproquement. On ne distingue bien la commissure dont il s'agit qu'à l'aide du microscope, au moins pour ce qui regarde cette double origine. Les ganglions inférieurs ont une autre commissure que j'ai déjà décrite et qui existe en arrière de

l'endroit où se croisent les nerfs optiques. La dernière commissure dont j'ai également parlé, unit entre eux les deux ganglions cérébraux.

Le mode d'origine de ces commissures en forme de cordon est partout le même : au centre de tous les ganglions, ¡I existe un point où se rendent les fibres de chaque faisceau fulcral, c'est de là que ces commissures prennent naissance, par un grand nombre de filets qui marchent parallèlement les uns aux autres ; c'est sous une autre forme, ce que j'ai indiqué pour les lames optiques.

Les nerfs encéphaliques naissent pour la plupart des gan-glions;on a vu avec quelle facilité j'ai pu suivre les racines du nerf optique ; je n'ai pas réussi de même en recherchant l'origine des autres nerfs; ainsi dans les ganglions postérieurs du cervelet, j'ai vu entrer des fibres spinales et des fibres transverses; j'en ai vu sortir les racines des nerfs, mais je n'ai pu apercevoir de continuation, même indirecte, entre les unes et les autres. J'attachais cependant une grande importance à connaître la vérité sur ce fait, et l'on comprend la raison de l'intérêt tout particulier que j'y prenais , si l'on se rappelle que les filets nerveux des animaux articulés ont une double origine, l'une par des fibres longitudinales, l'autre par des fibres transverses (v. pl. 1er le ganglion de la sangsue), tandis que des nerfs rachidiens des poissons viennent presque exclusivement du système des fibres longitudinales. Qu'est-ce qui remplace, pour les poissons, les fibres transverses des animaux articulés ? Ce ne peut être que les fibres transverses de la partie céphalique de la moelle ; mais ces fibres vont-elles dans les nerfs et ces nerfs ont-ils des fonctions différentes de ceux qui naissent des fibres longitudinales ?

La réunion de deux ordres de fibres dans un même nerf peut tenir à ce que, chez les articulés, il y a en quelque sorte

une vie spéciale pour chaque anneau ; et leur séparation chez les poissons, à ce que les nerfs se dédoublent pour prendre les uns et les autres, des fonctions d'un ordre différent. Malheureusement, je ne puis faire là-dessus que des suppositions.

M. Gottsche en parlant des commissures de l'encéphale des poissons, ne peut s'empêcher de les comparer, comme l'avait déjà fait Al. Meckel, avec le pont de varole, et leur trouvant une parfaite analogie, car ce sont en effet des parties d'un même tout, il combat l'opinion des anatomistes qui regardent l'existence du pont de varole comme un des caractères de l'encéphale des mammifères. Si par pont de varole, il ne faut pas entendre seulement la réunion des fibres transverses qui fait saillie sur les prolongemens céphaliques de la moelle épinière, l'objection de M. Gottsche n'est pas fondée, car cette saillie existe chez les mammifères seulement ; si au contraire il faut y comprendre les fibres transverses qui s'entrecroisent avec les fibres de la moelle épinière pour former les lacis intérieurs que l'on voit en coupant ou mieux encore en raclant les fibres de la moelle allongée, M. Gottsche a raison et je partage son avis.

En récapitulant ce qui précède, concernant la structure des ganglions encéphaliques , nous trouvons pour chacun de ces ganglions un prolongement de la moelle épinière , pour chacun d'eux excepté les ganglions olfactifs, une commissure; pour les ganglions placés en arrière du cervelet; pour les lobes optiques et les lobes olfactifs, des racines nerveuses , pour tous une substance granulée et des fibres. Je n'ai pu suivre de continuité entre les tubercules quadrijumeaux et les nerfs optiques, c'est pourquoi je n'en fais pas mention; je n'aipas vunon plus que les ganglions inférieurs fournissent des racines au nerf optique, comme Cuvier l'a avancé, mais j'ai

observé très distinctement et à plusieurs reprises une traînée de fibres se dirigeant du cervelet aux tubercules quadriju-meaux, disposition qui n'est pas autre chose que le processus cerebelli ad testes.

Une différence importante qui existe entre les ganglions encéphaliques, différence indiquée par M. deBlainville(1); c'est que les uns servent d'origine à des nerfs, tandis que c'est le contraire pour d'autres. En tête de ces derniers , il faut placer le ganglion antérieur au lobe optique et que j'ai appelé ganglion cérébral; ensuite vient le ganglion inférieur, puis le cervelet, et peut-être dans la même catégorie faut-il placer les tubercules quadrijumeaux. M. de Blainville assure que les tubercules quadrijumeaux sont étrangers aux nerfs optiques : pour ce qui concerne les poissons , je suis dans le doute sur ce point ; pour ce qui concerne les autres vertébrés et notamment les mammifères, il m'est bien démontré que les nerfs optiques étalent en grande partie leurs racines sur les tubercules quadrijumeaux.

La substance blanche des ganglions, comme celle de la moelle rachidienne, est fibreuse ; la substance grise ou gris-rosé est en grande partie vasculaire : celte dernière contient en outre, et c'est là son caractère spécial, des granules en très grand nombre, granules qui dans le cervelet, ont une apparence particulière. Je reviendrai ailleurs sur ces granules , je vais maintenant parler des fibres.

3. Diamètre et nature des fibres du système nerveux cérébro-spinal des poissons.

Les fibres composant la substance blanche du système nerveux des poissons présentent des différences suivant

(i) V. Hollard, Précis d'anatomie comparée ou Tableau de l'organisa-

qu'elles appartiennent aux ganglions, à la moelle épinière ou aux nerfs ; elles ne sont pas même parfaitement semblables dans tous les nerfs. Plusieurs auteurs ont parlé du volume des fibres nerveuses, et ils en ont déterminé le diamètre : parmi les plus exacts, je citerai MM. Ehrenberg (1), Yalentin (2), et Langenbeck (3). Des observations faites par ces anato-mistes, il résulte que le diamètre des fibres nerveuses varie beaucoup, non-seulement d'une partie à l'autre, mais aussi dans la même partie. J'ai constaté ce fait et j'en ai cherché la cause. Pour examiner la substance nerveuse, on l'écrase entre deux verres; j'ai dit précédemment que, dans cette expérience, les fibres étaient tiraillées, aplaties, dilacérées, et par conséquent déformées. Quant aux nerfs, le procédé employé pour en étudier les fibres est sujet à moins d'incon-véniens. On place un petit filet nerveux sur une lame de verre, on cherche à en isoler les fibres au moyen de la pointe d'in-strumens très acérés ; on ajoute une goutte d'eau, et ayant recouvert le tout avec une petile lame de verre, on le place sous la lentille du microscope. Il y a bien encore là une compression exercée sur les fibres nerveuses, mais elle est légère et d'ailleurs le névrilème s'oppose à ce que la substance nerveuse s'élargisse beaucoup. Aussi, les fibres des nerfs paraissent-elles plus régulières que celles de l'encéphale ou de la moelle rachidienne.

Observées de cette manière, il arrive que les fibres de l'intérieur des ganglions encéphaliques et les fibres transverses de la partie supérieure de la moelle, sont toujours très pe-

don considérée dans l'ensemble de la série animale, in-8°. Paris 1837 p.567. (1) Op. cit.

(a) Muller's, Arch. i834. (3) Op. cit., p. Go.

(i) Toutes mes observations microscopiques ont été faites à l'aide de l'excellent microscope de M. Charles Chevallier, ingénieur-opticien, au Palais-Royal.

tiles el presque rectilignes ; que les fibres des commissures qui unissent les ganglions cérébraux, sont un peu plus grosses que les précédentes et quelquefois variqueuses ; que les fibres du nerf olfactif et du nerf optique, très petites aussi, sont quelquefois variqueuses ; que les fibres de la moelle rachi-dienne, généralement plus grosses que toutes les précédentes, sont variqueuses aussi, tandis que celles des nerfs encéphaliques, autres que l'optique et l'olfactif (je n'ai pas examiné l'auditif), que celles des nerfs rachidiens, plus volumineuses que toutes les précédentes, ne sont jamais variqueuses.

Pour déterminer le volume des fibres nerveuses, je n'aurai pas recours aux mensurations publiées par mes prédécesseurs, non que je ne les estime pas, mais parce que, dans une opération aussi délicate, outre qu'il faut être bien sûr de l'exactitude de ses instrumens (1), il est nécessaire que toutes les observations soient faites de la même manière. J'émettrai aussi un vœu à cette occasion, c'est que l'on veuille bien se servir toujours d'une mesure uniforme, afin de rendre les opérations comparables entre elles. A Berlin, on fait usage d'une mesure prussienne, à Londres d'une mesure anglaise, pourquoi, au lieu de cela, n'adopterait-on pas la mesure métrique? Outre que, par ce moyen, on abrégerait le travail, on préviendrait aussi les chances d'erreur qui résultent de la conversion d'une mesure en une autre, car lorsqu'il s'agit, comme ici, d'objets infiniment petits, toutes les chances d'erreur sont à considérer.

Le tableau suivant indique le diamètre des fibres de l'en-

céphale, de la moelle épinière et des nerfs de quelques poissons : j'ai disposé ce tableau suivant le volume des fibres nerveuses, en commençant par les plus ténues.

Diamètre des fibres nerveuses des poissons.

Millim.

Carpe. Fibre du nerf olfactif........ 0,00083 Renfl. d'une

Id. Id...................... 0,00166 fibre variq.

Goujon. Fibre de la lame optique..... 0,00166 0,00664.

Id. Id...................... 0,00332

Id. Fibre de la moelle épinière... 0,00581

Carpe. Id...................... 0,01000

Anguille de mer. Fibre du trifacial........... 0,01494

Id. Fibre du mot. commun des yeux. 0,01494

Carpe. Fibre du trifacial........... 0,01660

Le même animal. Fibre du même nerf......... 0,01992

Carpe. Fibre du nerf musculaire dorsal. 0,02506

Raie bouclée. Id...................... 0,02822

Carpe. Fibre du nerf branchial...... 0,02988

Il y a des différences très grandes entre les fibres d'un même nerf ; pour le nerf olfactif, par exemple, la différence est du double ; il en est de même pour la moelle épinière. Cependant, jamais je n'ai vu l'une des fibres de la lame optique ou de celles qui croisent la moelle épinière au-dessous du cervelet, avoir un volume approchant de celui des fibres appartenant aux nerfs. Les fibres de la lame optique et les fibres transverses de la moelle sont toutes excessivement fines et on ne les distingue bien isolées, qu'à l'aide d'un grossissement de 600 diamètres; jamais, non plus, elles ne présentent ces renflemens que M. Ehrenberg appelle variqueux ou articulés.

Les fibres nerveuses des poissons sont-elles creuses ou pleines? doit-on leur laisser le nom de fibres ou faut-il leur donner celui de canaux? J'ai déjà dit que ce sont des canaux: il faut le démontrer. Mais avant de parler des expériences

que j'ai faites à ce sujet, je vais citer deux passages extraits, l'un de M. Ehrenberg, l'autre de M. Langenbeck. Le premier de ces analomistes conclut des faits qu'il a découverts sur la structure des fibres nerveuses, qu'elles sont des véritables tubes contenant un liquide d'une nature particulière. Voici le passage en question, ce Dans les tubes articulés du cerveau, de la moelle épinière et des nerfs de la sensibilité, se trouve un fluide dense, parfaitement transparent; jamais distinctement granulaire : c'est le suc nerveux, la liqueur nerveuse qui diffère de la moelle des nerfs, comme le chyle diffère du sang. Le suc nerveux n'a pas encore été vu en mouvement, mais il est probable qu'il circule.

ce Tous les autres troncs nerveux ne sont pas formés de tubes articulés, mais de fascicules cylindriques entourés de prolongemens fibreux ou ligamenteux et de filets vasculaires; leur élément consiste en tubes cylindriques qui se continuent directement avec les tubes articulés. Les tubes cylindriques contiennent une substance granulée que l'on en peut faire sortir à l'aide d'une pression convenable. » (1)

Et M. Langenbeck ajoute : « C'est à peine si j'ai pu observer quelque chose de certain touchant la liqueur contenue dans les tubules nerveux ; car elle est transparente comme le verre. Seulement, j'ai aperçu, dans l'intérieur de quelques tubules, comme de légers nuages. Laulh (2) a été plus heureux; car il a distingué #ans ces tubules une quantité innombrable de globules. M. Valenlin (3) nie l'existence des globules.dont parle Laulh; il lés attribue à un commencement de putréfaction. Moi aussi j'ai vu des globules : mais je ne sais pas s'ils étaient en dehors ou en de-

(i) Op. cit. Conclusions, 5 et 6. (a) L'institut, n° 73. (3) Op. «it.

dans des tubes. En examinant au microscope une portion de substance prise aux masses du cerveau de la carpe et serrée fortement entre deux lames de verre, fai vu des tubes articulés de l'intérieur desquels s'échappait une matière comme gélatineuse et très limpide. Cette moelle, si toutefois je puis l'appeler ainsi, était plus ténue que celle qui s'écoule des tubes nerveux cylindriques, et elle contenait quelques globules semblables à ceux que l'on trouve aussi dans les nerfs. Je n'ai jamais rien vu de semblable dans la substance médullaire de l'homme, du bœuf ou d'autres animaux; c'est pourquoi je suis en doute sur ce que contiennent réellement les tubes nerveux. Le docteur Valentin a vu s'échapper des tubes nerveux formant la substance cérébrale, une liqueur limpide, lactescente, et comme huileuse. Je passe à mes expériences.

lre expérience. — Nerf musculaire du dos. Les fibres de ce nerf se présentent sous deux aspects différens : les unes sont comme granulées, elles paraissent de couleur jaune paille ; les autres sont blanches. Serrées par le compresseur, ces dernières laissent écouler la matière blanche qu'elles contiennent, et se vident, soit complètement, soit en partie. Tous les points qu'a laissés la matière blanche sont d'un jaune paille et ont un aspect granulé ; toutefois leur volume reste le même qu'avant la compression.

2e expérience. — Haie. Nerf musculaire du dos. Ces fibres presque les plus grosses que j'aie vues chez les poissons, sont blanches dans certains endroits et obscures dans d'autres. Je soupçonne que les endroits blancs sont pleins, tandis les autres sont vides. Je fais agir la vis du compresseur et je vois avancer les taches blanches qui sortent du tube en forme

(i) Op. cît,y p. 62.

de gouttelettes huileuses. Je comprends alors que les nerfs sont des tubes pleins d'un liquide huileux, et que les portions obscures de ces tubes doivent l'obscurité qu'elles présentent, au plissement de leurs parois ; et je pense que si des nerfs, en apparence semblables, peuvent être ou pleins ou vides de fluide nerveux, ce doit être un sujet fort intéressant pour la pathologie de rechercher à l'aide du microscope, quel est l'étal de ces tubes, dans les maladies dites nerveuses. Autour du nerf étaient, en grand nombre, des globules huileux, semblables à ceux que j'ai dit exister dans le crâne de la carpe, et d'autres globules isolés beaucoup plus petits. Si je ne parle pas des uns et des autres dans chacune de mes expériences, ce n'est pas qu'ils aient manqué, mais c'est seulement pour éviter des répétitions.

3e expérience. — Anguille de mer. Nerf trifacial et nerf branchial. En comprimant les fibres du nerf trifacial, je vois des corps blancs s'avancer vers l'ouverture de leurs tubes nerveux, et s'amasser au dehors. Tous les tubes pleins sont blancs ; les autres un peu sombres, mais conservant leur forme rectiligne et leur diamètre. Je vois une fibre du nerf branchial bien distincte, parfaitement isolée, mais recourbée en divers sens. Sous l'influence de la compression, les globules huileux en parcourent toute la longueur, en suivent les sinuosités jusqu'à ce qu'ils en soient sortis. Ces globules s'amassent près de l'orifice du tube el ne se confondent pas les uns dans les autres comme les globules huileux du crâne, ou bien encore ceux de la moelle épinière. Ainsi, malgré leur apparence, ils ne sont pas simplement huileux. Dans le tube, ils n'affectent aucune forme régulière ; ils en occupent toujours le diamètre et bien au-delà. Ce ne sont pas, à proprement parler, des globules, mais des portions de substance molle, lactescente et oléagineuse.

Ue expérience. — Carpe. Nerf branchial. Tubes nerveux très larges et entièrement vides; la matière qu'ils contenaient est comme agglutinée à leur orifice. Ils ont été comprimés avant d'être placés sous la lentille.

Résultats analogues dans toutes les expériences pratiquées de la même manière sur les nerfs, autres que l'optique et l'olfactif.

5e expérience. — Anguille. Nerf optique. A l'aide du sca-pel on parvient facilement à diviser ce nerf en fibrilles ; en comprimant légèrement, je vois une multitude de tubes rec-tilignes et pas un seul tube articulé ou variqueux. Des globules huileux s'échappent en grand nombre et se réunissent les uns aux autres pour se confondre en masses communes, comme font les globules huileux.

6e expérience. — Anguilles de mer. Nerf optique. Pas d'apparence défibres, ni rectilignes, ni articulées; la substance du nerf laisse échapper une infinité de globules huileux. La moelle épinière du même animal m'a présenté, sous le compresseur, une multitude de fibres articulées. Je ferai observer ici que l'animal n'était pas mort tout récemment comme l'anguille de rivière de la 5e expérience, qui était presque vivante quand j'ai enlevé son nerf optique; ainsi, on peut attribuer le manque d'apparence fibreuse, à la décomposition commençante du nerf. La même expérience, répétée sur une autre anguille de mer, m'a donné un semblable résultat c'est-à-dire , absence de fibres.

7e expérience. —Goujon. Nerf optique. J'y découvre beaucoup de fibres rectilignes et quelques fibres articulés.

8eexpérience.—Carpe. Nerf optique. Tissu linéaire, dense et serré; je ne puis, avec le scapel, le séparer en fibrilles ; la compression n'y fait pas développer de fibres articulées ; elle donne lieu à l'écoulement de globules graisseux en nombre infini.

Je n'ai pas, à beaucoup près, rencontré constamment des fibres variqueuses, dans les nerfs optiques des poissons : la varicosité est un phénomène accidentel et assez peu important, puisqu'il résulte, comme on l'a vu plus haut, du degré de consistance de l'enveloppe de chaque tubule nerveux.

9e expérience. —Carpe. Nerf olfactif. A l'œil nu, il paraît fibreux ; au microscope, on découvre une infinité de fibres rectilignes, et, malgré une forte compression, l'apparence fibreuse persiste et quelques fibres deviennent variqueuses, ressemblant assez aux fibres en chapelet de M. Langenbeck. Il s'est échappé pendant la compression, des globules graisseux en très grand nombre. C'est la même carpe qui a servi à la 8e expérience et sur laquelle j'ai vainement cherché des fibres variqueuses dans le nerf optique.

10e expérience.— Moelle épinière. Anguille de mer. La substance blanche de cette moelle aplatie par le compresseur, présente des fibres en très grand nombre, de diamètre variable et ayant, pour la plupart, de nombreux renflemens; il y a, en outre, des taches blanches, irrégulières. Celte substance délayée dans un peu d'eau, comprimée, est placée de nouveau sous la lentille; je vois que toutes les fibres ont disparu, il ne reste plus autre chose que des taches blanches , irrégulières. Ces taches sont réellement des débris de fibres.

11e expérience. — Anguille de mer. Moelle épinière. La portion que j'examine, prise à la surface de la moelle , est toute fibreuse ; les fibres ont un diamètre variable entre elles, et variable même, quant aux différens point de l'étendue d'une même fibre : elles sont, surtout les plus larges, pourvues de renflemens ou nodosités.

12e expérience. — Anguille de rivière. Moelle épinière. Àu moment de la compression, la moelle a laissé échapper

une quantité innombrable de globules huileux ; il est resté, pressées entre les lames de verre, des fibres variqueuses presque toutes de volume très différent.

13e expérience. — Anguille de mer. Moelle épinière. Pendant que je comprime une petite portion de cet organe, je vois se former un renflement le long d'une fibre tiraillée ; ce renflement augmente peu-à-peu de volume et se détache de la fibre. C'est une substance lactescente, huileuse, analogue à celle que l'on trouve dans les fibres pourvues de névrilème , analogue à ces innombrables nubécules blanchâtres que l'on voit toutes les fois qu'on a écrasé quelques fibres nerveuses.

14e expérience. — Goujon. Les fibres du cervelet, celles qui croisent la moelle au niveau du cervelet et des ganglions cérébraux postérieurs, celles qui forment l'admirable lascis que l'on découvre dans les lames optiques, ne sont pas articulées; quelque pression que je leur fasse subir, je ne réussis pas à y faire naître la moindre nodosité, et cela non-seulement dans l'expérience dont je parle ici, mais dans un grand nombre d'autres, entreprises soit sur des goujons, soit sur des ablettes, des anguilles, des carpes, etc.

Résulte-t-il de ces expériences que les fibres nerveuses soient canaliculées ?

1° Pour les fibres des nerfs, cela est hors de doute ; on voit la matière homogène qui les remplit en être expulsée par la compression , et couler dans ces fibres, absolument comme un liquide dans un canal.

2° Pour les fibres dépourvues de névrilème , cela est moins évident, mais cela est également vrai. Le fluide qui les remplit, s'il est lout-à-fait huileux, s'écoule après que leurs parois ont été déchirées par la compression. Pleines, ces fibres sont bien distinctes parce qu'elles se trouvent distendues; vides et déchirées i •''les perdent jusqu'à leur appa

rence fibreuse, en raison de la ténuité de la membrane qui les forme. Lorsque le fluide qui les remplit a un peu de consistance , alors l'apparence fibreuse persiste et lorsque leurs parois se déchirent, c'est pour donner passage au fluide lactescent, à la substance grasse qu'elles contiennent. La substance blanche contenue dans les fibres dites variqueuses et dans le fibres rectilignes est lout-à-fait la même; l'observation la plus attentive n'y fait pas apercevoir de différence.

3° Pour les fibres de la commissure diffuse du cervelet, des ganglions postérieurs; pour les fibres de la lame optique et la plupart de celles que l'on trouve dans l'encéphale des poissons, j'ignore complètement si elles contiennent ou non quelque liquide. Elles sont si ténues qu'avec un grossissement de 600 diamètres , je n'ai pu que les voir, et non les étudier suffisamment. Un grossissement plus considérable me les a montrées plus élargies, mais tellement obscures , que mes yeux se fatiguaient inutilement à les observer.

Sur quelques points je suis d'accord, sur d'autres je diffère d'opinion avec MM. Ehrenberg et Langenbeck.

J'admets avec M. Ehrenberg que les fibres nerveuses des poissons sont canaliculées, et je dis qu'elles contiennent un fluide dense et transparent. M. Ehrenberg veut que le liquide s^P'différent dans les nerfs et dans les tubes de la moelle et de l'encéphale ; en cela , je ne pense pas comme lui. La liqueur que j'ai trouvée dans les tubes nerveux de l'encéphale , de la moelle épinière et des nerfs des poissons, est parfaitement semblable partout. J'attribue au procédé employé par M. Ehrenberg, les dilatations qu'il a décrites comme servant à caractériser un ordre particulier de fibres nerveuses.

j'ai vu, ainsi que M. Langenbeck, une matière d'apparence gélatineuse s'échapper des tubes nerveux de la carpe ; j'en ai conclu que ce sont bien des tubes et n'eussé-jeWew ou de sent

hlahle dans la substance médullaire de lhomme, du bœuf et a"autres animaux, je ne croirais pas devoir renoncer à cette opinion, comme paraît être tenté de le faire, M. Langenbeck. En effet, que faut-il pour que le liquide nerveux puisse s'écouler des nerfs de la carpe, et qu'il ne s'écoule pas de la même manière des nerfs de l'homme ou du bœuf ? Il faut que, chez la carpe, il ait peu de cohésion, et que chez l'homme ou le bœuf, il soit dense. C'est précisément ce qui a lieu: le liquide nerveux de la carpe se comporte presque comme de l'huile; il n'en est pas ainsi chez les haut-vertébrés. Les fibres nerveuses des poissons sont donc de véritables tubes et s'il reste quelque doute à cet égard, c'est relativement aux fibres transverses et à celles qui se trouvent dans l'intérieur des ganglions cépha-liques.

Je dois, en terminant, faire remarquer qu'il existe une notable différence entre la matière contenue dans les tubes nerveux des vertébrés et celle des invertébrés ; chez ces derniers, la matière nerveuse consiste en un liquide séreux dans lequel se trouvent des globules ; chez les autres, c'est une substance homogène, blanche et qui, chez les poissons, a la consistance d'une huile un peu épaisse.

RÉSUMÉ.

1. La moelle épinière des poissons est formée de fibres nerveuses longitudinales, de granulations et de vaisseaux sanguins.

2. Des granulations composent la substance grise, des fibres composent la substance blanche.

3. Toutes les fibres nerveuses, celles des nerfs, comme celles de la moelle épinière et de l'encéphale, sont rec

tilignes , il n'existe pas réellement de fibres noueuses ou articulées.

h. Il y a la plus grande analogie, malgré l'apparence contraire, entre la moelle épinière divisée du poisson-lune et de la baudroie, et la moelle épinière fasciculée des autres poissons.

5. Les fibres nerveuses de la moelle épinière se continuent directement du faisceau fulcral de cette moelle dans les nerfs qui en émanent; du côté spinal, il y a chez la carpe entre les fibres des nerfs et les fibres de la moelle, l'intermédiaire d'un ganglion.

6. Il n'y a aucun entrecroisement des faisceaux médullaires, fulcraux ou spinaux, chez les poissons.

7. L'extrémité céphalique de la moelle épinière va se terminer dans les ganglions cérébraux ; aux ganglions du nerf vague et du nerf trifacial et au cervelet, vont se rendre les pyramides postérieures et les corps restiformes ; aux tubercules quadrijumeaux, aux lobes optiques, aux lobes inférieurs, aux ganglions cérébraux et aux ganglions olfactifs, vont se rendre les faisceaux fulcraux de la moelle. On voit les fibres du faisceau fulcral qui se rendent au lobe optique, se continuer à travers la lame optique, dans le corps calleux et dans le nerf optique.

8. Les ganglions sont composés de substance fibreuse et de substance granulée ; ils reçoivent tous un prolongement de la moelle épinière qui vient s'y épanouir.

9. C'est de l'endroit où s'opère l'épanouissement des fibres de la moelle, que naissent les commissures.

10. Pour tous les ganglions céphaliques, le ganglion olfactif excepté, il existe des fibres transverses qui forment leur commissure.

11. A l'exception du ganglion cérébral et du cervelet,

(i) Histoire naturelle des poissons, art. Scombbe maquereau.

tous les ganglions encéphaliques donnent naissance à des nerfs.

12. Les fibres nerveuses des poissons varient depuis 0 mill. 00083, jusqu'à 0 mill. 02988; celles des nerfs sont plus volumineuses que celles de la moelle et celles-ci plus que celles de l'encéphale; les plus petites de toutes sont les fibres transverses.

13. Les fibres nerveuses sont creuses, canaliculées, toutefois ce fait n'est pas encore démontré pour les fibres transverses de la moelle allongée et pour celles des ganglions encéphaliques.

14. Les fibres canaliculées contiennent un liquide blanc, huileux, que l'on en peut faire sortir par expression.

§ III. facultés des poissons.

« Nous ne pouvons écrire aucune page de l'histoire des poissons, dit Laeépède (l), sans parler d'attaques et de défenses , de proie et de dévastateurs , d'actions et de réactions redoutables, d'armes, de sang, de carnage et de mort. Triste et horrible condition de tant de milliers d'espèces condamnées à ne subsister que par la destruction, à ne vivre que pour être immolées ou prévenir leurs tyrans, à n'exister qu'au milieu des angoisses du faible, des agitations du plus fort, des embarras de la fuite , des fatigues de la recherche, des troubles des combats , de la douleur des blessures , des inquiétudes de la victoire, des tourmens de la défaite ! » Cette peinture des passions et de la vie des poissons, trop vive pour être vraie, a pourtant un fondement réel. En effet, il n'est aucun poisson quine soit destiné à nourrir d'autres poissons ou à s'en

nourrir lui-même- Les plus gros mangent les plus petits : les plus petits à leur tour, mangent les œufs ou les jeunes des plus gros. Aucune retraite nest tellement sûre qu'ils ne soient exposés à y trouver un ennemi, et souvent leur stupidité est telle, qu'ils vont d'eux-mêmes se présenter au danger. Il n'est pas rare que parmi ces myriades de poissons dont les phalanges se réunissent dans certaines saisons de l'année, pour aller déposer leur frai sur les côtes de la mer ou sur la rive des fleuves, il ne se trouve d'autres poissons excessivement voraces qui les accompagnent uniquement afin d'en faire leur pâture. Tous marchent de concert, et les petits ne paraissent en aucune manière redouter les plus gros: c'est le cas des harengs : un poisson tellement bizarre dans sa forme qu'il a servi de type à la chimère des anciens, si plein de contorsions dans ses gestes, qu'on l'a comparé au singe faisant des grimaces, les accompagne souvent sous les glaces du pôle arctique, et s'en nourrit comme d'un bétail : les pêcheurs, sans doute par ironie, ont donné à ce vilain animal le nom de roi des harengs.

Puisque la fonction principale des poissons est de manger, leurs facultés doivent surtout avoir pour but de leur en procurer les moyens et, comme ils vivent de proie, ces moyens sont des armes qui servent à l'attaque et à la défense. Leurs dents sont généralement nombreuses et fortes, leur queue est, pour plusieurs, une arme terrible, des prolongemens osseux que l'on a comparés les uns à une scie, les autres à un espadon, rendent ceux qui les portent redoutables à tous les autres poissons. La.forme de serpent que possèdent plusieurs d'entre eux, leur permet d'enlacer et de comprimer leur proie. Il en est qui, peu agiles, sont doués du pouvoir d'engourdir, par de véritables commotions électriques, tous les animaux qu'ils touchent. Quelques-uns, c'est le plus petit nombre, ont recours à la ruse.

L'organe qui leur est le plus utile pour trouver la nourriture dont ils ont besoin, est celui de l'olfaction ; aussi, chez tous, cet organe est-il très développé. Les molécules odorantes exhalées du corps des animaux et combinées à l'eau ou seulement suspendues dans ce liquide, se répandent au loin et deviennent un guide pour ces chercheurs de proie. L'œil les sert moins, car la lumière ne pénètre pas dans les abîmes de l'océan, ni même jusqu'à la profondeur du lit des fleuves; il les avertit quelquefois du danger et d'autres fois il les trompelourdement.On a vu des bandes innombrables de thons, effrayées à l'aspect d'un rocher dont le soleil éclairait la surface, se détourner de leur route habituelle et se précipiter vers des rivages inaccoutumés. Pline rapporte que ce fait a été observe plusieurs fois auprès de Chalcédoine, sur le rivage d'Asie, et que les thons fuyant vers la rive opposée, nageaient en grande hàle dans la direction de Bysance. Aussi les Bysan-tiens avaient-ils donné à ce rocher de Chalcédoine, pour eux si profitable , le nom de corne d'or. On sait que généralement les poissons se dirigent vers la lumière, et qu'un des pièges qui réussissent très bien aux pêcheurs, c'est d'approcher des torches allumées de la surface de l'eau ; les poissons y viennent en foule et sont facilement pris. L'ouïe est pour les poissons un organe important, le bruit effraie ces animaux et les met en fuite. On peut cependant en apprivoiser quelques-uns qui s'approchent en entendant prononcer le nom auquel on les a habitués. Lacépède a constaté ce fait sur les cyprins que l'on conserve dans les bassins du jardin des Tuileries ; les Romains l'avaient également observé dans leurs viviers : les murènes et autres poissons accouraient à la voix de leur maître qui les appelait par leur nom. Le goût n'est pas développé chez les animaux gloutons, aussi les poissons en sont-ils presque dépourvus et mangent-ils à-peu-près

loulce qui est à leur portée; on en excepte cependant les turbots qui ne vivent, dit-on, que de poissons frais. Le toucher n'est pas aussi obtus que les écailles dont la peau est couverte pourraient le faire soupçonner; il paraît être plus délicat sous le ventre, que partout ailleurs.

Parlons des mœurs des poissons, et comme parmi les animaux qui vivent de proie, les plus féroces doivent marcher les premiers, commençons par le requin.

Requin ! ce nom lui vient de requiem, c'est-à-dire : mort, repos éternel. L'effroi qu'il inspire aux navigateurs ne justifie que trop un pareil nom. Le requin attaque tous les animaux qu'il rencontre ; il s'attache à la suite des vaisseaux pour dévorer les cadavres que l'on jette à la mer. Pendant une tempête il vient guetter la proie que lui prépare un naufrage; s'il rencontre des baigneurs, il fond sur eux, les déchire et en avale les lambeaux. On en a vu un qui, pour s'emparer du cadavre d'un nègre que l'on tenait suspendu à la hauteur de vingt pieds, a pu s'élancer jusqu'à ce cadavre, s'y accrocher et le dépecer. Lorsqu'il trouve dans un même lieu des nègres et des blancs, il se précipite de préférence sur les premiers qu'il sent à ce qu'il paraît d'assez loin, à cause de l'odeur qu'ils répandent. On raconte , et cela est malheureusement vrai, que des hommes appartenant à la race blanche, quand il se baignaient, avaient soin d'amener toujours des nègres avec eux , pour faire , comme ils disaient, la part du requin : atroce prévoyance qui rendait ces hommes complices de la cruauté du plus insatiable des poissons! Le courage et l'adresse des pêcheurs ont cependant plus d'une fois triomphé de la fureur du requin, en le combattant corps à corps : des nègres armés de coutelas se sont précipités à la rencontre de cet animal et ont profité du moment où il se retournait, pour lui ouvrir le ventre. Mais ce n'est pas ainsi que l'on parvient

ordinairement à s'emparer de lui. On lui présente un appât accroché à un hameçon placé au bout d'une longue chaîne : si le requin est affamé , il se jette sur l'appât qu'il engloutit dans son estomac avec l'hameçon; sinon, il flaire, s'approche, puis s'éloigne et paraît hésiter. Alors que l'on feigne de retirer l'appât, le requin cède à sa gloutonnerie , court dessus et l'avale. Dès-lors il est pris , mais avant de le retirer de l'eau, on a grand soin d'attendre qu'il soit épuisé et mourant.

Le requin est du petit nombre des poissons chez lesquels l'accouplement a lieu; c'est pendant l'été qu'il entre en amour. Lorsque plusieurs mâles suivent la même femelle, ils se livrent de sanglans combats ; celui qui est resté vainqueur approche de la femelle et la féconde. Aussitôt après, il la quitte-, et s'il la rencontre, c'est pour la féconder de nouveau ou pour se battre avec elle, suivant l'impulsion qui le domine.

D'après Aristote (1) et Pline (2), lorsque le squale-renard, qui est une espèce de requin, a avalé un hameçon, il cherche à se faire vomir, et s'il n'y parvient pas, il essaie d'avaler aussi la chaîne, pour arriver au pieu de bois où les marins ont coutume de l'accrocher. Arrivé à ce pieu, il le brise et se délivre. On dit aussi de lui que pour saisir plus sûrement les nageurs qui descendent à la mer, il se met en embuscade sous les vaisseaux et se montre seulement quand il est temps de saisir la proie qu'il convoite. Mais ce piège n'est pas propre au squale-renard ; les autres requins agissent de la même manière. Le squale-glauque est encore plus à craindre que les précédens, à cause de sa couleur qui, se confondant avec

(i) Liv. ix, chap. 37. (?) Liv. ix, chap. 43.

la teinte des eaux de la mer, ne permet de distinguer cet animal que quand il n'est plus temps de fuir son approche. Tous les autres squales diffèrent entre eux par le volume ou par quelque caractère extérieur; mais leurs instincts sont les mêmes ; ils font tous autant de mal qu'ils en peuvent faire. Il y a pourtant une exception pour le squale tigré qui, dit-on, se nourrit surtout de mollusques.

Le brochet n'est pas moins féroce que les squales; il met à mort tout ce qu'il trouve ; il attaque ses semblables et mange ses petits : c'est le requin des fleuves et des rivières. On dirait que sa faim est insatiable, car elle ne paraît pas satisfaite par la grande quantité de poissons qu'il avale, et il n'est dégoûté d'aucune proie, fût-elle en putréfaction. Il est au moins aussi rusé que le requin, et quant à la reproduction, il est comme la grande majorité des poissons ; c'est-à-dire que, dans la saison chaude, mâles et femelles s'approchent du rivage, se frottent le ventre contre le sol, la femelle pour exprimer les œufs, et les mâles pour exprimer la laite qui doit féconder les œufs. Après les requins et les brochets, se montrent parmi les poissons qui ont le plus de cruauté, l'anar-rhique loup, le maquereau, la perche, les pleuronectes et les murenophis. Les murenophis, murènes des anciens, nous rappellent encore autre chose que la cruauté des animaux : autrefois, dans un siècle corrompu, quand l'empire romain tombait en pourriture, on leur donnait des hommes à manger !

Parmi les poissons doués d'astuce ou d'adresse, je citerai les suivans : la raie, la baudroie, le congre, l'uranoscope, le gade lote, le spare insidiateur, le chétodon et le zée. La raie et le squale offrent au naturaliste beaucoup de caractères communs. Ils appartiennent à la classe des chondroptéri-giens à branchies fixes, et il y a chez eux une véritable union

sexuelle, union qui s'opère également chez les chimères, les syngnates, les blennies, les silures et les anguilles. Toutefois, leurs instincts sont différens. Elles chassent aussi, mais rarement; d'ordinaire elles se plongent, aplaties qu'elles sont, sur la vase de la mer qu'elles agitent d'abord autour d'elles afin de s'en couvrir, et attendent ainsi blotties, qu'une proie vienne à leur portée; alors elles s'élancent dessus;, et l'engloutissent dans leur estomac. L'une d'elles, la raie torpille, a de plus une puissance électrique qui, au premier contact, stupéfie les animaux dont le corps touche le sien. Cette puissance électrique est commune à la raie torpille, à un tétrodon, à la gymnote, au trichiure, au silure, et au maloptérure; elle a chez les uns et chez les autres, des effets absolument semblables. Comment, avec une aussi singulière propriété, peut s'opérer i'union entre le mâle et la femelle? c'est ce que les observateurs n'ont pas dit, et ne sauront probablement jamais.

La plupart des peintres qui ont donné le portrait du diable, ont pris pour modèle la baudroie. C'est une tête volumineuse, aplatie, coupée en avant par une bouche largement ouverte, et se prolongeant par derrière en une queue longue et râpeuse; puis sur les côtés de la tête des nageoires en éventail ; au-dessus, des yeux énormes, et une rangée de crochets longs et pointus. Tout autour de sa bouche sont des filamens semblables à de petits vers, et que l'on appelle barbillons. Ces barbillons servent d'appât aux poissons dont la baudroie se nourrit; sans eux, elle mourrait de faim; à moins toutefois que les alimens ne vinssent d'eux-mêmes dans sa bouche, ce qui du reste n'est pas très rare dans plusieurs familles de poissons. Comme la raie, elle remue la vase, et quand elle en est cachée, elle agite ses barbillons. Les poissons qui cherchent des vers, s'y trompent, croient en avoir trouvé, et se jettent dessus. La baudroie, dont la bouche est ouverte, happe les

chercheurs de vers, et se met de nouveau en embuscade. L'uranoscope tend les mômes pièges à l'aide d'un seul petit filament dont est munie sa mâchoire inférieure, de même que le gadelote, et tous les autres poissons pourvus de barbillons vermiformes.

Quant au spare trompeur ou insidiateur, à un genre de ché-todon et au zée, ils vivent d'insectes qui voltigent au-dessus de l'eau ; à l'aide de leur museau dont la forme est allongée, ils lancent de l'eau sur ces insectes pour les faire tomber, et ils les avalent.

J'ai placé le congre au rang des poissons astucieux; ce n'est pas cependant qu'il le soit beaucoup ; mais dans la classe si hébétée des poissons, il ne faut omettre aucun de ceux qui témoignent un instinct particulier, quelque faible que soit cet instinct. L'astuce du congre consiste à se placer en embuscade à l'entrée des fleuves et des rivières, pour épier et saisir au passage les autres poissons. Le congre n'est pas le seul qui agisse de la sorte; il y en a plusieurs qui suivent son exemple, ou plutôt qui font la même chose que lui.

Tous les poissons, ainsi que je l'ai dit plus haut, ne sont pas également cruels ; il en est même dont les habitudes sont très douces. Toutefois, il n'est pas difficile de voir à quoi tient cette douceur; c'est qu'ils vivent seulement de petits poissons toujours plus faibles qu'eux: or, n'éprouvant jamais aucune résistance, ils n'ont pas l'occasion de paraître cruels, et quand les gros poissons viennent les manger, ils se laissent faire sans comprendre de quoi il s'agit. Au nombre des poissons qui se trouvent dans ce cas, on cite la baliste, l'esturgeon, la morue, le scorpène, le goujon. Tel n'est pas le xi-phiasespadon. Ce poisson, l'un des géans de la mer, a la mâchoire supérieure armée d'une tige osseuse longue et solide ; sa force est prodigieuse, et sous ce rapport, il surpasse

tous les poissons osseux, de même que le squale-requin sur passe tous les poissons cartilagineux; il lutte sans crainte et même avec avantage contre les squales, les crocodiles et les grands cétacés qui n'ont pas acquis tout leur développement. Cependant, il est doux; il se défend, mais il n'attaque pas, et aux poissons il préfère, pour sa nourriture, les algues et autres plantes marines. Rarement on le rencontre seul; ordinairement on en trouve deux ensemble, tantôt un mâle avec une femelle, tantôt deux mâles ou deux femelles réunis. Il ne craint pas les grands animaux, et pourtant il est quelquefois victime d'un insecte. On en a vu qui, piqués par des insectes aquatiques dont ils n'avaient pu se débarrasser, en se frottant contre le fond de la mer, entraient en fureur et s'élançaient sur le rivage, ou même sur les barques de pêcheurs. On ne présume pas qu'il y ait aucune union sexuelle entre la femelle et le mâle.

Les xiphias vivent en société, il en est de même des thons des saumons et des coregones-lavarets. Ces derniers se rassemblent pour remonter ou pour descendre le cours des fleuves, et ils avancent, un individu très fort placé en tête, les autres rangés sur deux lignes qui se réunissent à angle aigu au premier de la troupe ; les saumons se placent au contraire sur deux lignes parallèles, une femelle en tête et la première moitié des lignes composée également de femelles; en arrière sont les mâles toujours plus faibles que celles-ci ; et ensuite les petits. Le thons marchent en formant des légions qui représentent un grand parallélogramme et font de celte manière de longs voyages et des courses rapides. Quant aux autres poissons que l'on trouve réunis en nombre quelquefois infini, la plupart poussés par les mêmes besoins marchent ensemble, mais sans avoir entre eux aucune relation apparente. Les anguilles méritent une mention spéciale ; de même

que les raies, les squales, etc., elles s'unissent pour l'acte de la fécondation, mais de plus, elles se creusent des terriers qui leur servent de retraite et sortent quelquefois de l'eau en rampant sur le rivage, pour aller chercher des vers ou des pois nouvellement semés : elles vivent d'œufs de poissons , d'annelides, de jeunes canards ; et servent de nourriture aux loutres et aux oiseaux d'eau, Les esturgeons les avalent parfois sans même les blesser ; il est arrivé qu'en pareil cas, l'anguille suivait toute la longueur du canal intestinal de l'esturgeon, et sortait vivante par l'anus.

Tous les poissons nagent, l'anguille nage et rampe , il y a un poisson grimpeur et des poissons volans. Le grimpeur est une espèce de lutjan qui a été vu dans une fente du palmier éventail, à deux mètres environ au-dessus de la surface d'un étang et s'aidant pour aller encore plus haut, de la dentelure de ses opercules qui lui servait à s'accrocher, et de sa queue dont il s'aidait comme d'un levier. Les poissons qui volent sont le pégase appelé volant, leblennie sauteur, lascorpène volante, la trigle milan, les exocets métorien, sauteur et commersonnien, enfin le dactyloptère pyrapède : placés par leur organisation entre les oiseaux et les poissons, ces animaux sont les plus malheureux de tous ; trop faibles pour se défendre et ne sachant que fuir, ils trouvent partout des ennemis. J'emprunte à Lacépède ce qu'il dit de l'exocet volant et qui peut s'appliquer à la plupart des poissons disgraciés comme lui. « L'exocet volant est l'un des plus misérables des habitans des eaux ; continuellement inquiété, agité, poursuivi par des scombres ou des coryphènes, s'il abandonne , pour leur échapper, l'élément dans lequel il est né ; s'il s'élève dans l'atmosphère, s'il décrit dans l'air une courbe plus ou moins prolongée, il trouve en retombant dans la mer un nouvel ennemi dont la dent meurtrière le saisit, le déchire et le dévore ;

ou pendant la durée de son court trajet, il devient la proie des frégates et des autres oiseaux carnassiers qui infectent la surface de l'Océan, le découvrent du haut des nues et tombent sur lui avec la rapidité de l'éclair. »

La manière dont certains poissons passent l'hiver est fort remarquable; les harengs et les maquereaux , par exemple , vont au fond de la mer et placés parallèlement les uns aux autres, la queue en haut, ils s'enfoncent dans la terre , la tête la première, jusqu'à la moitié du corps. On en a retiré qui étaient ainsi enfoncés et dont les sens paraissaient entièrement émoussés; ils ne voyaient ni n'entendaient rien. Ce n'est qu'après un certain laps de temps, qu'ils recouvrent l'usage de leurs sens.

Cet exposé des facultés dont sont doués les poissons, tout court qu'il soit, résume cependant ce que l'on sait d'essentiel sur ce sujet : la difficulté d'observer des animaux qui, pour la plupart, habitent des lieux où l'homme ne pénètre jamais, limite le champ de nos recherches ; et les pêcheurs , ces hommes pratiques qui dans leurs courses ont tant d'occasions d'observer les mœurs et les habitudes des poissons, ignorans ou peu zélés, racontent trop rarement ce qu'ils ont vu et ne le publientjamais.

résumé.

1. Les poissons se nourissent en mangeant d'autres poissons , des mollusques, des articulés, des oiseaux, et des mammifères ; très peu sont herbivores.

2. Beaucoup d'entre eux sont féroces.

3. La plupart sont slupides.

4. Quelques-uns sont rusés.

5. On en cite un qui ayant une grande force musculaire et des armes puissantes, ne combat que pour se défendre.

6. Plusieurs forment entre eux une sorte de société.

7. Six espèces de poissons seulement s'unissent pour l'acte de la génération.

8. Ils ne soignent pas leurs petits ; quelques-uns les mangent.

9. Un seul se creuse une demeure , mais beaucoup s'enfoncent dans la vase ; d'autres se mettent la tête dans la terre pendant la saison glaciale.

10. Les émigrations des poissons ont pour but la recherche d'un lieu propre à la ponte et à la fécondation des œufs.

§ IV. RECHERCHE DU SIÈGE DES FACULTÉS DÉPARTIES AUX POISSONS.

Le siège des facultés intellectuelles est l'encéphale ; mais les facultés sont diverses et les encéphales diffèrent les uns des autres, il s'agit de déterminer quel rapport il y a entre Ces variations ou, en d'autres termes, de savoir si une certaine capacité intellectuelle correspond à un volume déterminé de substance encéphalique, et si chaque faculté spéciale correspond à une forme déterminée d'une portion quelconque de cette substance. J'ai déjà touché ce sujet à l'occasion des mollusques et des articulés ; mais l'impossibilité de faire une appréciation rigoureuse de la forme et du volume du ganglion céphalique, chez la plupart de ces animaux, ne m'a pas permis d'examiner alors la question dont il s'agit ici.

Quant aux encéphales des poissons, ils se divisent en deux ordres bien distincts, celui des chondroptérygiens et celui des poissons ordinaires. Jetez un coup-d'œil sur la planche deuxième et voyez la grande analogie qu'il y a entre l'encéphale de la baudroie, de la morue, du brochet, du rou-

get et même de l'anguille, et jugez de la différence que présentent ces encéphales avec celui de squale-renard. Les autres squales et les raies ont avec ce dernier une ressemblance très grande, ainsi qu'on en pourra juger, si on veut bien le comparer avec celui du requin (1), du squale glauque (2), du rochier (3), du mélandre (4), et de la raie bâtis (5). Ces derniers ont tous des lobes olfactifs très développés, un lobe cérébral volumineux et un long cervelet; ils ressemblent aux poissons osseux, principalement par les lobes optiques. Entre eux, ils n'offrent que de légères dissemblances; le lobe olfactifdu requin {squalus carcharías) est encore plus considérable que dans les autres squales et que dans les raies; le ganglion céphaliqne est moindre dans la petite roussette ou rochier que dans la grande roussette (squalus canícula); dans la raie bouclée, les lobes sont peu prononcés, peu saillans, tandis qu'ils le sont beaucoup dans la grande roussette, le squale renard et le requin. Le cervelet est l'organe qui présente les plus notables différences ; lisse comme tous les autres ganglions chez les poissons osseux, sa surface présente dans la raie bouclée , une dépression cruciale et en arrière quelques dépressions latérales que l'on retrouve aussi chez le squale rochier et la grande roussette, et qui se creusant davantage chez le squale-renard et le requin, se convertissent en véritables lamelles analogues aux circonvolutions cérébelleuses des oiseauxet des mammifères. J'ai compté huit lamelles complètes, c'est-à-dire allant de droite à gau-

(1) Publié par Arsaky, (a) Publié par Rolando.

(3) Publié par Desmoulius.

(4) Publié par le même.

(5) Publié par M. Swan. M. Martin Saint-Ange a aussi publié une excellente figure de l'encéphale delà raie, mais il n'a pas indiqué sur quelle espèce il l'avait pris.

che, sans aucune interruption, sur le cervelet du squale-renard, et quelques autres circonvolutions très petites et incomplètes; dans le squale-glauque, Rolando en a figuré dix.

Chez les poissons osseux, l'encéphale varie aussi sur plusieurs points. Le lobe optique est assez uniforme, mais le lobe olfactif n'est pas, à beaucoup près, également développé chez tous , quelquefois, ainsi que je l'ai dit ailleurs, il est double, tandis que d'autres fois il existe à peine ou se confond avec le ganglion cérébral. Il est très petit dans la baudroie, le brochet, le rouget,|et devient plus considérable dans la morue. Chez le xiphias, il est cinq à six fois plus gros que le ganglion olfactif, et il est double de celui du cervelet. Je ne connais aucun poisson qui ait le ganglion cérébral, comparé aux autres ganglions encéphaliques , plus considérable que le xiphias. Le cervelet très petit dans la baudroie et le brochet, est allongé dans le rouget et la morue, et tend à se rapprocher du cervelet des raies et des squales.

Sous le rapport des facultés, ainsi que nous l'avons vu dans le précédent article, les poissons peuvent se diviser en plusieurs catégories : les stupides, c'est le plus grand nombre , les féroces, les rusés, les industrieux , les sociables et les amoureux. Par amoureux, j'entends ceux chez lesquels la fécondation s'opère au moyen de l'union intime des deux sexes. En tête des poissons féroces : sont le squale et le brochet; tous deux également sanguinaires , dévastateurs, insatiables, ils régnent en véritables tyrans, l'un sur les eaux salées, l'autre sur les eaux douces ; tous deux ayant recours à la ruse la font servir à l'assouvissementde leurs appétits gloutons. Insociables au même degré, si on les trouve réunis, chacun avec ceux de son espèce, c'est parce que ensemble ils cherchent une proie ; mais s'ils n'en rencontrent pas, ils se livrent entre eux des guerres acharnées. Ils diffèrent cependant en un point,

le squale mâle s'unit au squale femelle , ce que ne fait pas le brochet. Comparons les encéphales (Voyez planche 11), ils sont aussi éloignés l'un de l'autre,cniant à la forme, qu'un encéphale de poisson puisse être éloigné de l'encéphale d'un autre poisson. Ce sont les deux extrêmes. La morue, animal des plus stupides , est plus rapprochée du squale-renard $ ert ce qui concerne son encéphale, que le brochet. Chez le brochet, c'est le ganglion optique qui l'emporte sur les autres, chez le squale-renard, c'est le ganglion cérébral ; le cervelet du squale-renard est énorme et traversé par des lamelles dont on n'aperçoit pas la moindre trace chez le brochet. Ici se présente une question phénologique, la première que j'aie à examiner et sur un point qui, au dire des phrénologistes, est des mieux établis. Le squale-renard, ainsi que les autres squales et les raies ont de l'amour, au moins de l'amour physique, et leur cervelet a une organisation plus parfaite que celle de presque tous les autres poissons. Y a-t-il là corrélation, rapport de cause à effet, ou simple coïncidence? les phrénologistes établissent que le cervelet est l'organe de l'amour physique, que si le cervelet est peu développé, l'amour est faible; que, s'il est grand, l'amour est passionné ; que s'il est malade, l'amour s'altère ; et pleins de confiance dans cette opinion, ils vont examinant la nuque des uns et des autres, dans le monde, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les bagnes, et disant à chacun quelles sont et l'intensité et la variété de sespenchans amoureux. J'ai toujours ambitionné de posséder cette science aussi belle au moins que la science divinatoire, et toujours elle m'a fui. Dans ma jeunesse, je voyais Spurzheim découvrir sur une tête, telle saillie que je n'apercevais pas, et dans un cerveau , tel volume comparatif qui ne m'était pas démontré. Doutant de la justesse de mon coup-d'œil, car souvent j'étais le seul parmi les assistans,

qui ne pouvais voir comme Spurzheim, je pris le compas et la balance, puis plus tard le scapel, et j e passai du doute à l'incrédulité. La manière dont Gall appréciait le volume et dans certains cas, la turgescence de l'encéphale ou des différentes parties de cet organe, m'avait toujours paru singulière* Pour peser le cervelet, par exemple, il le prenait dans la main et jugeait de son poids; pour en connaître les dimensions, il le mettait dans l'eau et jugeait de son élargissement (1). Quant à la turgescence, Gall comparait l'état du cervelet des oiseaux, par exemple, au printemps et en automne, il décidait qu'au printemps la turgescence avait augmenté, et il faisait remarquer que cette saison est celle des amours (2). Pour admettre ces faits comme réels, il fallait avoir une grande confiance dans l'exactitude d'un coup-d*œil, dans la fidélité d'un souvenir ; et cette confiance, je ne l'avais pas. Dès-lors, je résolus d'observer, de peser, de disséquer. Abordant la question des rapports de l'intelligence , des passions et des instincts avec le développement des centres nerveux, non pas pour prouver une doctrine, mais pour en chercher une, je m'attachai strictement et sans idée préconçue à l'observation des faits. Ceux qui liront mon livre jusqu'au bout, diront si j'ai eu raison d'avoir chosi cette route.

Pour obtenir sur le rapport de la perfection du cervelet des poissons et le développement de leur amour quelque donnée satisfaisante, il faut chercher d'abord s'il y a coïncidence entre ces deux faits. Eh! bien, cette coïncidence n'existe même pas. Les squales, les raies, les chimères, les syngnathes , les blennies, les silures, et les anguilles présentent le phénomène de l'union sexuelle, et parmi eux il y a seulement un certain nombre d'espèces de squales et de raies qui aient

(i) Sur les fonctions du cerveau, etc., t. 3, p. 455. (a) Ibid. page 281.

des lamelles au cervelet; la petite et la grande roussette n'en ont pas, il en est de même de la raie bâtis : ces trois derniers animaux présentent seulement de très légères dépressions : je ne sache pas que l'on ait examiné sous ce point de vue, les syngnathes, les blennies et les silures ; ainsi, pour ce qui les concerne, je reste en suspens: quant à l'anguille, il est hors de doute que son cervelet n'a pas de lamelles et qu'il y a, chez elle, comparativement moins de cervelet que chez la morue ; et cependant elle exerce l'acte de la copulation, de la même manière que les squales et les raies. Si, pour surabondance de preuves, on compare le cervelet de la morue qui ne présente pas le phénomène de l'union sexuelle , à celui des chiens de mer ou roussettes, on leur trouvera une analogie presque complète, et l'on aura ainsi, pour le même organe, des fonctions différentes.

Ainsi, d'une part copulation avec un cervelet très développé et avec un cervelet à peine développé; et d'autre part absence de copulation avec un cervelet bien développé; d'où il faut conclure qu'entre l'acte de la copulation et la perfection du cervelet, il n'y a , chez les poissons, ni corrélation , ni même coïncidence ; or la copulation étant le phénomène principal de l'amour physique, il est rationnel de conclure que l'amour physique ne réside, pas dans le cervelet, chez les poissons.

Quant à la ruse, elle n'a pas plus que l'amour physique, un développement ou siège particulier appréciable, dans l'encéphale des poissons, car la raie et la baudroie (v. pl. il) qui sont deux animaux doués de ruse, ont l'une et l'autre un encéphale très différent; l'encéphale de la raie ressemble à celui des squales, et l'encéphale de la baudroie à celui du brochet; or la raie et le squale n'ont pas les mêmes instincts, pas plus que la baudroie et le brochet.

Nous ne possédons malheureusement qu'une assez mauvaise

figure du xiphias gladius, ou xiphias espadon, c'est celle qui a été publiée par Arsaky (1), toutefois on y peut distinguer de très petits ganglions olfactifs, des ganglions cérébraux très considérables , des tubercules optiques recouverts en grande partie par l'extrémité postérieure du lobe cérébral, et un cervelet allongé à-peu-près comme chez le chien de mer, mais sans aucune dépression. Ainsi le volume le plus considérable appartiendrait au cerveau, ce qui se trouverait en harmonie parfaite avec le développement intellectuel du xiphias, considéré d'une manière générale, mais ce qui ne nous apprend rien sur le siège des qualités ou des facultés spéciales dont ce poisson est pourvu.

La première conséquence à tirer de ces faits, c'est qu'il ne faut pas attribuer à la forme qu'affecte la substance nerveuse encéphalique, un très grande importance ; en effet, rien ne prouve que, chez les poissons, elle corresponde avec le développement ou la nature des facultés. Sans doute, on doit la prendre en considération, mais la regarder comme pouvant servir à indiquer les attributs de la substance cérébrale, c'est s'exposer à de nombreux mécomptes. Avec des formes très simples, le système nerveux des insectes donne des produits extrêmement variés, tandis que les poissons qui par la division de la masse encéphalique, se placent au-dessus des insectes, sont, quant à leurs facultés, fort au-dessous des araignées, des fourmis et des abeilles. Ampère a placé sur le même échelon, dans des séries parallèles, les crustacés et les poissons ; les instincts de ces animaux sont en effet très analogues, pourtant il y a dans la forme du système nerveux cé-phalique des uns et des autres, une très grande différence. La comparaison du volume de la substance nerveuse encéphali-

(i) Op. ttY.pl. l,fig. 5 et6.

que, à celui du corps entier et à celui de la moelle épinière, et des nerfs, fournira des données plus satisfaisantes, mais ce n'est pas encore ici le lieu d'en parler.

Le degré d'ouverture de l'angle facial ou angle de Camper, s'applique à la détermination du degré d'intelligence des poissons, d'une manière aussi malencontreuse que la phrénologie. On sait que Camper tirait une ligne qui, partant du front, descendait jusqu'au bord alvéolaire de la mâchoire supérieure et qu'il coupait cette ligne par une autre qui, partant du trou occipital, se prolongeait en avant, pour aboutir au même point de la mâchoire. Le degré de l'angle formé par la réunion de ces deux lignes indiquerait, s'il est grand, une grande intelligence ; s'il est aigu, de l'imbécillité. Celte règle appliquée aux poissons tomberait plus d'une fois à rebours ; le xiphias a sur la mâchoire supérieure, un prolongement osseux qui a jusqu'à deux mètres de longueur ; et les poissons si habiles à chasser aux insectes, tels que spare trompeur et le zée ont une sorte de bec allongé en forme de tuyau, qui rapetisse singulièrement leur angle facial et mettrait au-dessus d'eux la stupide morue.

RÉSUMÉ.

t. La forme de l'encéphale des poissons ne correspond pas avec la nature et le développement des facultés dont ces ani~ maux sont pourvus.

2. La lamellation du cervelet, indice du perfectionnement de cet organe, n'est pas liée au phénomène principal qui caractérise l'amour physique.

CHAPITRE IV.

SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL DES REPTILES.

On a moins écrit sur le système nerveux des reptiles que sur celui des poissons; ces derniers méritaient l'attention spéciale qu'on leur a donnée en raison des nombreuses différences que présente leur système nerveux avec celui des autres vertébrés, et surtout à cause de la difficulté que l'on a éprouvée pour déterminer la valeur de quelques-unes des parties de ce système. Il n'en est pas ainsi des reptiles : leur encéphale a plus d'unité que celui des poissons, et l'on peut facilement en comparer les parties, aux parties de l'encéphale des oiseaux et des mammifères.

Haller, Cuvier, MM. Serres, Desmoulins, Carus, etc. ont parlé d'une manière générale de l'encéphale des reptiles: Bojanus (1), dans son magnifique ouvrage sur l'anatomie de la tortue d'Europe, a donné des figures très exactes du sys*-tème nerveux de cet animal; l'ouvrage déjà cité de M. Swan contient des figures représentant le système nerveux de la tortue verte ; le savant professeur Mayer de Bonn a donné la figure du système nerveux encéphalique du meno--poma et du menobranchus, deux reptiles appartenant à la famille des batraciens de Cuvier. Fr. Funk a décrit le sys-

(1) dmtome testudinis europea, Wilna 1819-1831» in-fol. 40 pl.

tème nerveux encéphalo-rachidien de la salamandre terrestre. (1)

Malgré les travaux importons des auteurs que je viens de citer, plusieurs questions nouvelles et qui ne manquent pas d'intérêt, méritent de fixer ici notre attention. Si les formes du système nerveux cérébro-spinal des reptiles sont bien connues, il n'en est pas de même de sa structure, et sans l'étude de la structure, l'étude de la forme est souvent stérile. C'est par l'étude de la composition organique, par des recherches microscopiques que nous parviendrons à savoir d'une manière certaine, quels liens unissent entre elles les différentes parties dont les formes extérieures frappent nosveux.

Les objets que nous avons décrits dans le système nerveux des poissons, sous quelles apparences se représenteront-ils chez les reptiles? Le cerveau, cet organe dont en définitive la connaissance importe le plus au but que je me suis proposé d'atteindre, quelles transformations aura-t-il éprouvées dans une classe d'animaux réputée supérieure à la classe qui la précède? Ici, la configuration mérite de nous occuper, et en même temps que la configuration, le volume. Nous arrivons à une série de vertébrés dont il nous est souvent possible d'étudier le caractère et les mœurs ; ce qui nous a surtout manqué pour les poissons, nous commençons à le trouver ici : habitation dans un milieu qui est aussi le nôtre ; par conséquent, possibilité d'expérimentation physiologique et d'observation psychique. Une barrière qui a été jusqu'à présent et qui sera probablement toujours infranchissable, sépare l'homme des animaux invertébrés ; entre eux et lui, pas de relation possible. Pour les mollusques, l'homme est comme s'il n'existait pas ; pour la plupart des articulés également.

(i) De salamandrœ terrestris vita, evolutione,formatloner tractatus, Berlin 1827.in-fol.3 pl.

§ I. description du système nerveux cérébro-spinal des

reptiles.

Le système nerveux cérébro-spinal des reptiles n'offre pas, à beaucoup près, la même variété que celui des poissons : chez les reptiles, la moelle épinière est conformée d'une manière très analogue, et les parties qui composent l'encéphale sont en même nombre chez tous. Serait-ce un retour vers la simplicité d'organisation que l'on rencontre chez les ascidies? Non ; car chez les ascidies, des nerfs nombreux et considérables, proportion gardée, vont se rendre à un petit ganglion ; tandis que chez les reptiles, ce sont des nerfs moins considérables, et des centres nerveux, des ganglions plus gros. Ainsi, chez les reptiles, prédominance du système central; diminution du système périphérique. Dans le système central, si les parties se rapprochent, elles ne se confondent pas, et, chose remarquable, celle qui prend le plus grand volume,

Quelques insectes le connaissent les uns comme un ennemi, les autres, comme une pâture ; aucun d'eux ne voit en lui un ami, un compagnon ou un maître. Quant aux poissons, à l'exception peut-être des murènes, c'est encore le même isolement, tandis que, pour quelques reptiles, on dirait qu'il y a déjà entre eux et l'homme quelque relation possible. Les lézards s'approchent des endroits habités par l'homme ; ils le voient et paraissent se plaire à le regarder, quelquefois ils semblent lui faire des caresses ; les couleuvres et même les serpens peuvent vivre avec lui, et jusqu'à un certain point obéir à ses volontés. C'est sur la route que nous venons de suivre un phénomène nouveau, et qui donne à nos études un intérêt de plus.

semble rester complètement étrangère à la production des nerfs ; au moins, n'en fournit-elle aucun d'une manière directe,

1. Encéphale.

Les parties principales dont se compose l'encéphale des reptiles sont le cerveau, les lobes optiques, le cervelet ; les parties secondaires sont les ventricules, le corps calleux, les commissures antérieure, postérieure et inférieure, le corps strié, la couche optique, Yinfundibulum, l'aqueduc de Syl-vius, la commissure diffuse du cervelet, le noyau gris inférieur, la tige pituitaire, la glande pinéale, et l'origine des nerfs encéphaliques.

Io Lobes cérébraux. Dans tous les reptiles, le cerveau l'emporte en volume sur les autres ganglions céphaliques ; il est allongé, pyriforme; sa grosse extrémité, tournée en arrière, se prolonge dans presque tous les reptiles, jusqu'aux lobes optiques; sa petite extrémité se termine en avant par un prolongement creusé d'un canal (1), et qui, après s'être un peu renflé, fournit les nerfs olfactifs. Lorsque l'on écarte le lobe cérébral du côté droit de celui du côté gauche, on les trouve distincts et séparés l'un de l'autre dans les trois quarts antérieurs ; dans le quart postérieur, ils sont réunis au moyen d'une commissure analogue pour l'aspect, à la commissure molle des couches optiques du cerveau de l'homme. La surface en est lisse; cependant, au côté externe de ce lobe, on voit, chez la tortue, par exemple, une légère dépression qui est là comme un rudiment de la scissure de Sylvius, et que parcourt une branche artérielle venant de la carotide, La

\ (i) T. pl. II, les nerfs olfactifs de la grenouille.

couleur de la substance des lobes cérébraux est d'un gris blanchâtre; celle de la commissure placée entre ces lobes a la même apparence.

Si l'on incise les lobes cérébraux, on les trouve creux, et la surface interne en est parsemée de vaisseaux sanguins. Les parois en sont minces, excepté cependant vers la partie externe et inférieure, où elles présentent un petit renflement ganglionaire, analogue au corps strié. Chaque lobe cérébral est comme implanté sur l'extrémité céphalique du prolongement fulcral de la moelle épinière.

Chez quelques reptiles, le crapaud et la grenouille, par exemple, il existe en avant du lobe cérébral, un petit ganglion olfactif qui se continue directement avec le prolongement creux dont l'extrémité antérieure, ordinairement un peu renflée, fournit les filets nerveux olfactifs.

2° Lobes optiques. Ces lobes situés en arrière des pré* cédens, sont arrondis, pyriformes et parfaitement blancs. Leur volume, contrairement à ce qui a lieu dans tous les poissons osseux, est constamment moindre que celui du cerveau, quelquefois de la moitié, quelquefois du quart. Ils sont implantés sur les prolongemens antérieurs de la moelle épinière, et réunis, celui de droite avec celui de gauche, par une espèce de raphé plus marqué en arrière qu'en avant. Deux racines d'un même nerf, du nerf optique, se voient à sa surface, l'une en dedans et en haut, l'autre en dehors et en bas : c'est une disposition lout-à-fait analogue à celle que j'ai décrite chez les poissons. Incisés, les lobes optiques présentent comme les lobes cérébraux, une cavité ; la cavité du lobe droit communique avec celle du lobe gauche; une dépression qui rappelle la voûte àtrois piliers, les distingue l'une de l'autre, plutôt qu'elle ne les sépare. La surface interne du lobe , ou pour parler plus exactement, de la lame optique,

est parsemée d'un nombre infini de vaisseaux sanguins.

3° Cervelet. Cet organe est loin d'être semblable chez tous les reptiles. Il consiste en une simple lamelle placée en travers du quatrième ventricule, chez le crapaud, la grenouille, le lézard, la salamandre terrestre, la couleuvre, le meno-branchus, l'amphisbène ; il forme au contraire chez la tortue une masse globuleuse égale et même supérieure en volume à l'un des lobes optiques. D'après M. Mayer, de Bonn (1), le menopoma , malgré sa grande similitude d'organisation avec les salamandres, a un cervelet différent de celui de la plupart des autres reptiles et fort semblable, quant à la forme , au cervelet allongé de la morue et du rouget : suivant Desmoulins, le crocodile serait dans le même cas.

U° Ventricules. Les prolongemens olfactifs sont creux chez tous les reptiles ; les lobes cérébraux le sont également ; les lobes optiques sont creux et communiquent celui du côté droit avec celui du côté gauche ; entre eux et un peu en avant, se trouve une portion du troisième ventricule , Vinfundi-bulum, et en arrière, l'ouverture de l'aqueduc de Sylvius qui conduit dans le quatrième ventricule. Chez certains reptiles^ le quatrième ventricule présente des tubercules analogues aux tubercules de la moelle allongée des poissons; c'est ce qu'on remarque chez le crocodile.

5° Corps calleux. Je note ici l'existence de celte commissure , parce que l'élude de la structure de l'encéphale des poissons m'a révélé son existence et que si on ne l'aperçoit pas à l'œil nu et comme partie distincte de l'encéphale des repiiles, on peut au moins la présumer. Tout-à-l'heure, je prouverai qu'elle existe réellement, et j'indiquerai le lieu où il faut la chercher.

(i) Voyez l'ouvrage cité,pl. vu, fig. 5.

6° Commissure antérieure. Elle est placée un peu en arrière du lobe cérébral, à l'extrémité antérieure de Vinfu n-dibulum.

7° Commissure postérieure. En arrière de Vinfundibu-lum, au-dessus de l'aqueduc de Sylvius.

8° Commissure inférieure. Elle prend naissance, chez les poissons, dans les tubercules inférieurs. Au lieu de tubercules inférieurs, on ne trouve , chez les reptiles, qu'un petit noyau gris, à peine saillant, situé en arrière de l'endroit où se croisent les nerfs optiques. C'est des parties latérales du noyau dont il s'agit, que naît la commissure inférieure que l'on distingue très bien, notamment chez la couleuvre, du chiasma des nerfs optiques.

9° Commissure diffuse. Quand on a enlevé le cervelet et ouvert l'aqueduc de Sylvius, on voit les faisceaux de la moelle épinière se prolonger sous les ganglions cérébraux, sans se confondre, ni passer d'un côté à l'autre : et, en travers de ces faisceaux, on voit de très nombreuses fibres médullaires, analogues à celles qui chez l'homme, traversent ce qu'on appelle le bulbe rachidien.

10° Corps strié. C'est un petit renflement gris que l'on découvre en ouvrant le ventricule cérébral dont j'ai parlé plus haut.

11° Couche optique. M. Carus décrit comme telle une petite portion de substance médullaire placée sur les pédoncules cérébraux du crocodile, entre ces pédoncules et les lobes optiques. Je n'ai pas eu l'occasion de disséquer le système nerveux du crocodile, je ne puis, par conséquent juger la valeur de celte détermination faite par M. Carus ; les reptiles que j'ai examinés m'ont présenté un tubercule si peu développé que je m'abstiendrai d'émettre une opinion sur ce sujet. Cependant, je dois ajouter que l'opinion

2. Nerfs encéphaliques.

Les nerfs encéphaliques des reptiles ne ressemblent pas entièrement à ceux des poissons ; je m'attacherai principalement ici à noter les différences qu'ils présentent, afin de ne pas répéter ce qui se trouve déjà exposé plus haut.

lre -paire. Nerfs olfactifs. Ils naissent de l'extrémité antérieure du petit lobule qui termine le prolongement olfactif : leurs racines ne s'étendent pas au-delà de ce lobule ; on ne peut pas les suivre jusqu'au cerveau.

2epaire. Nerfs optiques. L'existence des nerfs optiques paraît n'être pas constante chez les reptiles. Tréviranus nie que le prolée en soit pourvu ; M. Carus croit que cet animal en présente au moins les rudimens ; je ne possède aucun fait qui m'autorise à me prononcer sur ce point. Quant à l'origine

de Bojanus s'accorde en cela avec celle de M. Carus. Bo-janus admet que la très petite saillie de substance blanche que l'on voit en dehors de Yinfundibulum, chez la tortue d'Europe , est un indice de la couche optique.

Quant aux autres parties secondaires de l'encéphale des reptiles, telles que Yinfundibulum, l'aqueduc de Sylvius, le noyau gris inférieur, ce que j'en ai dit suffit à leur description; et pour ce qui concerne le corps pituilaire et la glande pi-neale, il me suffit de noter leur existence chez tous les reptiles.

Les analogues des corps quadrijumeaux ne se rencontrent dans aucun reptile : Bojanus , en parlant du nerf de la troisième paire, ou moteur commun des yeux, dit, à la vérité, que la racine de ce nerf est entre le cervelet et les tubercules quadrijumeaux, mais par tubercules quadrijumeaux, il entend les lobes optiques.

du nerf optique, elle offre une particularité importante à noter. C'est qu'elle s'étale en partie sur la petite saillie de substance blanche que Bojanus et M. Carus désignent sous le nom de couche optique, saillie que l'on remarque sur les pro-longemens fulcraux de la moelle, entre les lobes optiques et le cerveau. Les auteurs n'admettent pas l'entrecroisement des fibres des nerfs optiques chez tous les reptiles ; je parlerai bientôt de cet entrecroisement.

3epaire. Nerfs moteurs des yeux. Ces nerfs existent chez tous les reptiles, excepté peut-être chez le protée ; ils naissent des cuisses du cerveau ou prolongemens fulcraux de la moelle épinière, avant leur entrée dans les lobes cérébraux.

Ue paire. Nerfs pathétiques. Ils existent comme les pré-cédens ; mais n'ayant eu à ma disposition que des reptiles où ils sont très petits, comme les grenouilles, les lézards, les couleuvres , les tortues d'Europe, je n'ai pu les saisir afin de les mesurer comme j'ai fait, dans la classe précédente, chez le brochet et le squale-renard. Il m'aurait été facile de les mesurer sur de gros reptiles conservés dans l'alcool, mais cette mensuration m'eût été inutile, puisqu'elle ne m'eût pas donné un résultat comparable à celles que j'ai faites sur des animaux frais. M. Busconi (1) dit que ces nerfs sont tellement grêles, qu'on ne peut les voir avant le trente-cinquième ou quarantième jour, et qu'à tout âge leur position et leur marche présentent des obstacles, quand on veut les mettre à découvert; puis il ajoute ironiquement qu'un anatomiste français les a cependant vus, chez un têtard de 9 jours, mais par les yeux de l'imagination.

5e paire. Nerfs trijumeaux. Ils naissent sur les côtés de la

(i) Développement de la grenouille commune, depuis le moment de sa naissance jusqu'à son état parfait, Ire partie, Milan i836.

moelle allongée, tout près du cervelet, je n'ai pas été aussi heureux à suivre leurs racines que chez les poissons, et il ne m'a pas été possible de les observer au-delà de leur point d'insertion. Il n'y a pas de ganglions à leur origine, comme chez les poissons. Ce sont les nerfs les plus considérables du corps.

6e paire. Nerfs abducteurs. Leur origine, comme chez les poissons, est sur le même plan que les nerfs pathétiques ; ces deux paires de nerfs ne sont pas séparés ici, comme chez les mammifères, par le pont de Varole. J'ai trouvé les mêmes obstacles pour les mesurer que pour ceux de la quatrième paire. Aussi, quand il s'agira de comparer le volume des nerfs à celui de l'encéphale, n'aurai-je que les nerfs optiques et les nerfs moteurs communs des yeux, comme termes de comparaison.

7e paire. Nerfs faciaux. Ces nerfs sont petits, placés tout près des nerfs acoustiques, et surgissent de la moelle, en arrière des nerfs trijumeaux : ils sont bien distincts des autres nerfs ; ce qui n'a pas toujours lieu chez les poissons.

8e paire. Nerfs acoustiques. Ils naissent comme les nerfs faciaux sur les côtés de la moelle, et un peu au-dessus d'eux ; ils constituent des nerfs bien distincts.

9e paire. Nerfs glosso-pharyngiens. Ils naissent par plusieurs filets, en arrière du nerf acoustique.

10e paire. Nerfs vagues ou pneumo-gasfriques. Dépourvus de ganglions extérieurs, à leur origine, ainsi que les nerfs de la cinquième paire, ils diffèrent beaucoup, sous ce rapport, de ce [qu'ils sont chez les poissons. Cependant, il y a ici un fait qu'il ne faut pas passer sous silence, parce qu'il se rapporte directement à l'origine de ces nerfs : je veux parler du volume considérable de la moelle au niveau de l'implantation des nerfs trijumeaux, faciaux, acoustiques et pneumo-gastri-ques. Dans le lieu que j'indique, la moelle est renflée à cause

de l'implantation de ces nerfs. Cette disposition est très marquée, et on l'apprécie d'autant mieux que l'on peut comparer la moelle des différens genres de reptiles. Lorsque les reptiles sont dépourvus de membres, ou que leurs membres ne sont pas très rapprochés de la tête, immédiatement au-dessous de la naissance des nerfs vagues, la moelle se rétrécit presque de la moitié de son volume, c'est le cas du lézard, du crocodile, de l'amphisbène; lorsque, au contraire, les membres sont très rapprochés de la tête, chez les grenouilles et les crapauds, par exemple, comme les nerfs des membres antérieurs naissent tout près de ceux de la dixième paire, la moelle, au lieu de se rétrécir, reste uniformément élargie. L'augmentation de volume de la moelle, supplée donc alors aux ganglions situés sous le cervelet, ou en arrière de cet organe, chez les poissons. Quelques reptiles conservent des traces des ganglions dont il s'agit ; le crocodile est dans ce cas.

llepaire. Nerfs hypoglosses. M. Rusconi (1) n'a jamais aperçu ces nerfs dans la famille des batraciens. Cuvier a omis de les mentionner; Bojanus les a décrits et figurés chez la tortue ; « Ils naissent, dit cet anatomiste, de l'extrémité postérieure de la moelle épinière par un certain nombre de filets qui se réunissent en deux faisceaux principaux avant de sortir du crâne. » Je n'ai pu les apercevoir sur l'encéphale des reptiles que j'ai examinés.

S. Poids et volume proportionnels de l'encéphale des reptiles.

Je vais d'abord comparer le poids de l'encéphale au poids du corps; je comparerai ensuite le poids de l'encéphale au

(i) Op. cit.

volume de ceux des nerfs encéphaliques que j'ai pu mesurer exactement, Les pondérations dont les résultats sont consignés dans le tableau suivant, ont été faites par Caldesi (1), Cuvier (2), M. Carus (3) et par moi, Je place en première ligne, comme je l'ai fait pour les poissons (Zi), les encéphales comparativement les plus volumineux.

Le poids de l'encéphale est au poids du corps, chez les reptiles ci-dessous dénommés, dans la proportion suivante.

Lézard vert......là 160

Grenouille ...... 172

Salamandre...... 380

Grenouille ...... 414

Grenouille...... 500

Couleuvre à collier . . . 792

Couleuvre à collier, . . 1,580

Tortue déterre .... 2,240

Tortue de mer. .... 5,680

Ce qui donne pour moyenne 1321.

Je dois prendre ici la même réserve que j'ai prise pour ce qui regarde le poids comparé de l'encéphale et du corps des poissons ; un plus grand nombre de reptiles ou des reptiles différens de ceux qui ont fait le sujet de ces observations, eussent sans doute donné d'autres chiffres. Cependant on ne peut pas s'empêcher d'être frappé de la différence qui se fait remarquer entre les deux moyennes. La première, celle qui est relative aux poissons, est de 5668, la seconde celle qui est relative aux reptiles, est de 1324, ce qui établit le rapport d'environ 1 à 4, et réduit, par conséquent, le volume de l'encéphale des poissons, au quart de celui des reptiles.

(1) Caldesi cité par Haller. Elém.phys. t. iv, liv. 10, sect, i, § 3.

(2) Lec. d'anat. comp. t. 2, p. 162.

(3) Traitéd'anat. comp. Paris, i835. ti 1, p. 78.

(4) V. p. i53.

On a vu plus haut la raison pour laquelle je n'ai pas pris la mesure des nerfs abducteur et pathétique des reptiles ; je vais donner la mesure des nerfs optique et moteur commun des yeux, et comparer le volume de ces nerfs au volume de l'encéphale, chez le lézard et chez la grenouille.

Lézard. L'encéphale pèse......0,05 gram.

Son poids spécifique est de. . 1,03

Donc son volume est de. . . 48,54 mill. cubes.*

Le diamètre des nerfs suivans, qui sont circulaires , est

Pour le nerf optique de......0,4 mill. cub.

Pour le moteur commun des yeux, de 0,3

Donc le rapport entre ces nerfs et l'encéphale, est

Pour le nerf optique, celui de......là 386

Et pour le moteur commun des yeux de . . là 687

La moelle épinière, mesurée au-dessous de la naissance des nerfs pneumo-gastriques, c'est-à-dire immédiatement après s'être rétrécie, a

En largeur.......1,2 mill.

En épaisseur......1,0

Ce qui donne pour volume 1,2 mil!, cub.

Donc elle est, avec le volume de l'encéphale, dans le rapport de 1 à 40.

Grenouille, L'encéphale pèse........0,1 gram.

Son poids spécifique est de. . . . 1,03

Donc son volume est de..... 97,06 mill. cubes.

Le diamètre des nerfs suivans, qui sont circulaires, est

Pour le nerf optique de.......0,5 mill.

Pour le moteur commun des yeux de . . 0,35

Donc le rapport entre la section de ces nerfs et l'encéphale

est

Pour le nerf optique de.......là 494

Pour le moteur commun des yeux de . . là 1,009

La moelle épinière de la grenouille, beaucoup moins longue que celle du lézard, est aussi beaucoup plus volumineuse que celle de cet animal ; elle ne se rétrécit que fort peu au-dessous de la naissance des nerfs pneumo-gastriques, à cause du voisinage des nerfs destinés à la paire de pattes antérieures ; mesurée à l'endroit que je viens d'indiquer, elle a

Donc, elle est, avec le volume de l'encéphale, dans le rapport de 1 à 13.

On peut faire, à cette manière de mesurer la moelle épinière, une objection très fondée, puisque les diamètres que l'on obtient, éprouvent de très grandes variations, suivant que les membres antérieurs se trouvent plus ou moins près de la tête. Une autre objection serait fournie par ce fait, que les diamètres de la moelle, pris à quelque endroit que ce soit, n'indiquent pas le volume total de cet organe, car la moelle peut être large à sa naissance et être très courte comme chez la baudroie, ou rester large dans une grande partie de son étendue, comme chez la grenouille. On obvie, au moins en partie, aux chances d'erreur que je viens de signaler, en comparant le poids total de l'encéphale, au poids total de la moelle épinière. Chez la grenouille M. Carus,a trouvé que le cerveau (je pense qu'il a voulu dire l'encéphale) pesait le tiers de la moelle épinière; j'ai fait la même expérience, et j'ai obtenu des rapports un peu différens. Dans un cas, j'ai trouvé pour la moelle épinière de la grenouille 0,1 gram., et pour l'encéphale 0,lgram. également; dans un autre cas, chez un animal de la même espèce, j'ai eu pour la moelle épinière 0,08 gram., et pour l'encéphale 0,07 gram. ; c'est donc la moitié ou à-peu-près.

En largeur.......3 mill.

Et en épaisseur......2,5

Comme entre l'encéphale et la moelle épinière, il n'y a pas de démarcation organique tranchée, je dois dire dans quel lieu j'ai séparé ces parties, c'est immédiatement au-dessous de la naissance de la paire des nerfs pneumo-gastriques.

4. Moelle épinière des reptiles.

La moelle épinière des reptiles diffère beaucoup, quant à sa longueur ; chez les sauriens et les ophidiens, elle est très longue, puisqu'elle s'étend d'un bout à l'autre de la colonne vertébrale; chez les chéloniens et les batraciens, elle est beaucoup plus courte. Les diamètres de sa section sont en rapport inverses de son développement dans le sens longitudinal. Elle n'est pas également développée dans tous ses points, son extrémité céphalique l'emporte sur son extrémité caudale; et, chez les reptiles pourvus de membres, elle est un peu renflée à l'endroit où naissent les nerfs qui vont se rendre à ces parties.

Quatre sillons la parcourent dans toute sa longueur, ce sont, le sillon fulcral, le sillon spinal, et les deux sillons latéraux. Le sillon fulcral, de même que chez les poissons, n'est interrompu dans aucune partie de son étendue par des fibres passant de l'un à l'autre côté de la moelle ; il n'y a donc pas d'entrecroisement dans la moelle des reptiles. Le sillon spinal est plus profond que le précédent, il se continue, en avant, avec le quatrième ventricule qui est plus ou moins ouvert, suivant les reptiles. Chez les serpens, les couleuvres, on le voit à peine au-delà du cervelet; chez les crapauds et les grenouilles, il est largement ouvert. Une lame membraneuse pénètre dans ce sillon et permet d'arriver, sans effort, jusqu'à la partie intérieure de la moelle qui est creusée par un canal, comme celle des poissons. De chaque côté, et tout près du sillon médian spinal, se trouve un sillon presque su

perflcíel dans lequel pénètrent les racines spinales de la moelle épinière et qui se termine en haut, en circonscrivant les pyramides postérieures, placées sur les côtés du quatrième ventricule.

L'extérieur de la moelle épinière est, comme chez tous les vertébrés, composé de substance blanche ; l'intérieur est composé de substance grise qui s'y trouve en plus grande quantité que chez les poissons.

Les racines des nerfs sont doubles, c'est-à-dire supérieures ou spinales et inférieures ou fulcrales, ces dernières s'enfoncent dans le sillon latéral dont j'ai parlé tout-à-l'heure, les autres s'étalent à la surface de la moelle avec les fibres de laquelle elles se continuent directement.

La manière dont les racines des nerfs spinaux s'appliquent à la moelle ou plutôt s'insèrent dans la substance de cet organe, rend complètement inutiles les prétendus renflemens que plusieurs anatomistes ont indiqués comme existant à l'origine de chacun des nerfs rachidiens. Même dans la théorie de ces anatomistes, les renflemens partiels qu'ils ont supposés à la moelle épinière, n'étaient aucunement nécessaires. En effet, les racines nerveuses n'entrent pas dans la moelle sans s'être auparavant divisées en un grand nombre de filamens, et ces filamens eux-mêmes se divisent en fibres, de telle manière que les fibres d'un nerf supérieur s'approchent constamment des fibres du nerf placé au-dessous de lui, et toutes ces fibres sont disposés par séries longitudinales, de sorte qu'il n'en entre pas en plus grand nombre dans le point où correspond le nerf, qu'il n'en entre au-dessus ou au-dessous de ce point. La circonscription des différentes parties de la moelle épinière en ganglions distincts, n'est donc pas vraie, et avec le mode d'origine bien connu des nerfs spinaux, elle n'est pas possible.

RÉSUMÉ.

1. L'encéphale des reptiles se compose de trois ganglions principaux, réunis entre eux par des commissures.

2. Le ganglion le plus considérable de l'encéphale des reptiles , est le cerveau.

3. Chez beaucoup de reptiles, le cervelet est à l'état rudi-menlaire ; chez aucun d'eux, il n'est sillonné par des lamelles.

U. Il existe, chez tous les animaux de cette classe, un corps strié, un commencement de couche optique, un corps calleux, une commissure antérieure, une commissure postérieure, une commissure inférieure, une voûte, xminfundibu-him, un aqueduc de Sylvius, un quatrième ventricule; chez quelques-uns seulement, ce quatrième ventricule conserve la trace des ganglions postérieurs des poissons.

5. La moelle allongée ne se présente pas encore comme une partie distincte de l'encéphale; elle n'a pas de pont de Varole.

6. A l'exception de la paire des nerfs hypoglosses, tous les nerfs encéphaliques des hauts vertébrés existent chez les reptiles; cependant il existe un reptile qui paraît être dépourvu de nerfs optiques.

7. La comparaison du poids de l'encéphale des reptiles, au poids du corps de ces animaux, a donné pour rapport 1 à 1324.

8. Les nerfs optique et moteur commun dqs.yeux, comparés au volume de l'encéphale, sont plus volumineux chez la grenouille que chez le lézard.

9. La moelle épinière de la grenouille a un poids à-peu-près égal à celui de l'encéphale.

10. La moelle épinière des reptiles se compose de quatre

faisceaux, deux de chaque côté; elle a un canal central revêtu de substance grise.

11. Quand la moelle épinière des reptiles est très longue , elle est en même temps très ténue ; lorsqu'elle est grosse , elle est courte.

12. Elle présente des renflemens correspondant au développement des membres, mais aucun indice de renflemens ganglionaires.

13. Les racines des nerfs spinaux sont doubles, comme chez tous les vertébrés.

§ II. structure du système nerveux cérébro-spinal des reptiles.

Avant de parler de la structure de la substance nerveuse, je consignerai ici un fait d'observation microscopique que je ne cherchais pas et qui m'a beaucoup étonné. En examinant, à l'aide d'un très fort grossissement, une portion de moelle épinière d'une grenouille, pressée entre les deux lames du compresseur, j'ai vu de petites molécules s'agiter en diffé-rens sens et douées d'un mouvement spontané comme sont les monades. Cependant, réfléchissant que le tube intestinal des grenouilles est ordinairement rempli de monades, qu'il en existe également dans l'eau, où se trouvent des substances animales en putréfaction, je pensai que ces monades pouvaient provenir de l'eau dans laquelle la grenouille avait séjourné,^ou de ses intestins. Dans une seconde expérience , les mêîfies animalcules se montrèrent de nouveau ; dès-lors, mon attention étant fixée sur ce point, je voulus savoir au juste ce qu'il fallait penser du phénomène qui se présentait à moi. J'ouvris avec précaution le canal rachi-dien d'une grenouille, j'en fis sortir une gouttelette de

liquide, que je recueillis avec un tube de verre, et que je plaçai sous la lentille du microscope. Cette gouttelette contenait un nombre infini de monades et de plus quelques autres animalcules microscopiques. Je recueillis une goutte du liquide contenu dans le crâne, et j'y trouvai les mêmes animalcules. Je répétai cette expérience sur d'autres grenouilles, je la fis sur des lézards verts, et chaque fois, je trouvai des monades vivantes. Ainsi, le liquide céphalo-rachidien n'est pas à l'abri des animaux parasites. Les monades se forment-elles dans le liquide céphalo-rachidien ; ou bien y sont-elles amenées par la circulation qui les prendrait dans les intestins pour les y apporter? C'est une question que je fais, sans avoir maintenant aucune donnée pour la résoudre.

J'ai suivi, dans l'étude microscopique du système nerveux céphalo-rachidien des reptiles, les mêmes procédés que pour celle des poissons, je ne décrirai donc pas de nouveau les détails de ces procédés ; je passe de suite aux résultats.

1. Structure de la moelle épinière des reptiles.

Dans la moelle épinière des reptiles, des fibres longitu -dinales, très nombreuses, rectilignes,et devenant variqueuses par la compression. En outre, des fibres transverses très nombreuses, très ténues etparfaitementsemblablesauxfibres transverses qui chez les poissons, existent seulement dans la moelle allongée et l'encéphale etdont j'ai trouvé à peine quelque trace dans la moelle épinière deces derniers animaux. En outre, des granules et des vaisseaux sanguins très multipliés. Il est facile de déterminer que le siège des fibres transverses est la substance grise de la moelle, car après avoir ouvert le canal médullaire et avoir étalé la moelle , entre deux lames de verre, on peut en faisant glisser ces lames l'une

sur l'autre, faire mouvoir en sens divers, les fibres longitudinales et les fibres transverses. Ces dernières sont situées dans l'intérieur de la moelle et jamais au dehors.

Chez aucun reptile, je n'ai vu de ganglion particulier pour les filets d'origine des nerfs rachidiens. Ces filets divisés en fibres nerveuses, se continuent directement avec les fibres longitudinales de la moelle; au moment où elles pénètrent dans cet organe, elles se rétrécissent et montent vers l'encéphale. Les fibres transverses appartenant à la moelle, viennent aussi se diriger vers les racines des nerfs rachidiens , mais elles sont si ténues queje ne saurais dire si elles se continuent dans ces nerfs.

2. Structure de l'encéphale des reptiles.

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L'extrémité céphalique de la moelle épinière se termine dans l'encéphale. Les faisceaux spinaux de la moelle épinière, se portent en dehors du quatrième ventricule et se rendent au cervelet; là, ils vont d'un côté à l'autre pour former une commissure, un pont au quatrième ventricule. Les fibres de cervelet sont de la même nature que les fibres transverses, c'est-à-dire petites et sans véritables dilatations variqueuses; elles ne sont nulle part réunies en faisceau , elles forment au contraire, une lame très mince analogue à celle des lames optiques.

La portion des faisceaux fulcraux qui va aux lames optiques , se porte un peu en dehors, elle s'y renfle et va s'épanouir en une belle lame fibreuse dont les élémens se rapprochent de la même manière que chez les poissons , pour former deux racines à chacun des nerfs optiques. Une partie des fibres de la lame optique croisant les racines du nerf, se dirigent vers la ligne médiane où elles se continuent sans

aucune interruption, avec celles du côté opposé. Cette commissure, émanation presque directe des pédoncules cérébraux, est l'analogue du corps calleux. Toute la substance des lames optiques est manifestement fibreuse, mais de la nature des fibres encéphaliques, c'est-à-dire que , par la compression, on ne parvient pas à les élargir partiellement comme les fibres dites variqueuses ; elles sont très ténues. Pour voir la commissure dont je viens de parler, il faut, avec des ciseaux très fins, enlever d'un seul coup, les deux lobes optiques, à leur partie postérieure, car réunis en arrière par le corps calleux, ils sont séparés en avant, et laissent voir, à découvert, Vinfùndibulum.

La partie la plus interne des prolongemens fulcraux se rend aux lobes cérébraux , elle se comporte d'une manière analogue aux faisceaux qui se rendent aux lames optiques et rencontrent en dehors, un léger renflement où elles disparaissent. La presque totalité de la substance cérébrale, disposée en lame assez mince, est composée d'une substance granulée et vasculaire, dans laquelle on découvre quelques véritables fibres, parmi lesquelles il s'en trouve de variqueuses.

Quant aux commissures elles sont organisées chez les reptiles , de la même manière que chez les poissons.

L'entrecroisement des nerfs optiques existe chez la plupart des reptiles ; il est complet, c'est-à-dire que les fibres de droite passent toutes du côté gauche, et réciproquement, en chevauchant l'une sur l'autre. Pour apercevoir cet entrecroisement, il faut enlever le chiasma sans aucune des parties environnantes , le placer entre deux lames de verres et le soumettre à une légère pression.

S. Diamètre et nature des fibres du système nerveux cerebro-spinal des reptiles.

Le diamètre des fibres nerveuses des reptiles est loin d'être égal dans les nerfs, la moelle épinière et l'encéphale ; il ne l'est pas même dans l'une de ces parties considérée isolément ; cependant il ne faudrait pas conclure de là qu'il n'y ait rien de constant sous ce rapport. Les fibres encéphaliques sont toujours plus petites que celles de la moelle épinière, celles de la moelle épinière plus petites que celles des nerfs. Ces dernières varient suivant les nerfs, et dans un même nerf, je les ai trouvées un peu plus volumineuses quand elles étaient pleines que quand elles étaient vides.

Les fibres encéphaliques et les fibres transverses de la moelle , à quelque degré de pression qu'on les soumette , restent toujours les plus petites de toutes; viennent ensuite les racines des nerfs rachidiens , puis celles de la moelle épinière , puis enfin celle des nerfs. Les fibres de la moelle épinière sont celles qui présentent entre elles, les plus notables différences, ce qui doit tenir, d'une part, à ce qu'elles ont un volume plus considérable que celles de l'encéphale, et d'autre part, à ce qu'elles cèdent inégalement à la compression à laquelle on les soumet pour les rendre bien observables au microscope. Quant aux fibres des nerfs, elles s'élargissent peu, parce que les parois en sont formées par un névrilème solide.

Le tableau qu'on va lire fera bien ressortir toutes ces différences : j'ai mis en tête, comme pour les poissons, les fibres les plus ténues , et j'ai fini par les plus volumineuses.

Le diamètre, des fibres nerveuses des reptiles ne diffère pas en réalité de celui des poissons ; les deux tableaux (4) , commencent en effet par le même chiffre, 0lum, 00083 et ils finissent, celui des reptiles par 0,um, 02 et celui des poissons par 0mm, 02 et une fraction. Ce sont des nerfs pourvus de né-

(1) Cette'fibre s'embranchait avec une fibre plus grosse de la moelle,

(a) Cette fibre se continuait avec la racine d'un nerf spinal.

(3) Grosse fibre à laquelle était attachée, comme une ramification, la fibre/1)

(4) Voyez page 194.

Diamètre des fibres nerveuses des reptiles.

Grenouille Fibre du cerveau............. 0,00083

— Fibre de la moelle épinière se continuant avec la

racine d'un nerf rachidien........ 0,00133

— Cervelet. ............... 0,00166

Lézard Fibre du lobe optique........... 0,00166

— Ibid................. 0,00166

— Ibid............. . ... 0,0025

— Fibre du corps restiforme......... 0,0025

— Fibre du cervelet............. 0,0025

Grenouille Fibre Iransverse de la moelle allongée..... 0,0025

— Fibre du cervelet............. 0,0025

— Fibre de la moelle épinière......... 0,00333

— Fibre d'une racine de nerf rachidien..... 000366

Lézard Fibre du corps restiforme ......... 0,00416

Grenouille Fibre de la moelle épinière......... 0,00416 (i)

— Ibid................. 0,00666

— Fibre de la moelle épinière......... 0,00666(a)

— Fibre delà moelle épinière......... 0,0075 (3)

Lézard Fibre du nerf trifacial........... 0,0075

Grenouille Fibre d'une racine de nerf rachidien..... 0,00916

Lézard Fibre de la moelle épinière. ........ 0,01

Grenouille Fibre de la moelle épinière......... 0,01111

Couleuvre Fibre de la moelle épinière......... 0,01166

Grenouille Fibre pleine du nerf trifacial....... . 0,015

— Fibre vide du nerf crural.......... 0 015

— Fibre pleine du nerf crural. ........ 0,02

vrilème qui terminent chaque tableau, et pour le tableau concernant les reptiles, c'est une fibre remplie de matière nerveuse. La différence qu'il y a entre une fibre pleine et une fibre vide peut être appréciée en comparant cette dernière fibre avec celle qui la précède ; toutes deux appartiennent au même filet nerveux, celle qui était pleine avait un diamètre de 0mra, 02, l'autre 0, 015 seulement.

Dans mes expériences microscopiques, j'ai plusieurs fois aperçu une continuité entre les grosses fibres et les petites, mais cela n'était pas toujours assez distinct pour que je pusse y ajouter foi. M. Ehrenberg s'est trouvé dans le même cas et il n'a pas osé se prononcer. Chez la grenouille, j'ai vu une fibre rachidienne du diamètre de 0miB, 0075, unie à angle droit, à une fibre plus petite (de 0mm, 00416). Lorsque, dans les expériences précédentes j'ai vu ou cru voir une semblable jonction, c'était toujours à angle droit qu'elle s'opérait.

En entrant dans la moelle rachidienne, les fibres des racines nerveuses perdent tout-à-coup de leur volume, elles présentent là une sorte d'étranglement qui sans doute doit être attribué à ce que , dans le point que j'ai indiqué, le né-vrilème les abandonne.

Les fibres nerveuses des reptiles sont canaliculées comme celles des poissons, elles contiennent une matière blanche, homogène, grasse, que la pression peut en expulser. Je ferai pourtant ici la même restriction que j'ai faite dans le chapitre précédent, au sujet des fibres transverses de la moelle allongée et des fibres encéphaliques ; les unes et les autres ne m'ont pas aussi évidemment paru canaliculées que les autres.

Je dois eu terminant prévenir les personnes qui, peu habituées aux recherches microscopiques, voudraient voir les fi

bres de la lame optique, celles du cervelet et les fibres trans-verses de la moelle allongée et de la moelle épînière des reptiles; qu'il faut soumettre ces parties à une faible pression et se servir d'abord d'un grossissement peu considérable Ce n'est qu'après avoir bien observé l'ensemble des parties et leurs relations mutuelles, que l'on pourra passer à ufi grossissement plus fort, et augmenter la pression. Si tout d'abord, on voulait faire usage d'un grossissement de 600 diamètres, par exemple, on ne verrait que peu de chose, et l'on jugerait mal de ce que l'on verrait.

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résumé.

1. Le liquide cérébro-spinal des reptiles contient un nombre infini de monades vivantes et d'autres animacules microscopiques.

2. La moelle épinière des reptiles est formée de fibres, de granulations et de vaisseaux sanguins.

3. Les fibres sont de deux sortes, les unes longitudinales, volumineuses, et devenant variqueuses par la compression; les autres très ténues, transversales, allant des granulations aux fibres longitudinales.

k. Les granulations et les ramuscules sanguins, composent la substance grise de laquelle émanent les fibres trans-verses.

5. Les filets d'origine des nerfs rachidiens, viennent des fibres longitudinales de la moelle; ils ne se continuent pas directement, ceux de droite avec ceux de gauche, mais seulement par l'entremise des fibres transverses ou fibres très ténues de la moelle; je n'ai pu trouver de différence, sous ce rapport, éntreles racines spinales et les racines fulcrales.

6. De même que chez les poissons, il n'y a pas d'entrecroisement des fibres nerveuses de la moelle.

7. Les faisceaux fulcraux de la moelle épinière se rendent au cerveau et à la lame optique, où elles vont former le nerf optique et le corps calleux; les faisceaux spinaux se continuent dans le cervelet, et quelque peu aussi dans la lame optique.

8. Le cerveau est composé de substance granulée, vascu-laire, et de quelques fibres.

9. La lame optique est entièrement fibreuse.

10. La substance du cervelet est fibreuse, analogue à celle des fibres transverses de la moelle épinière.

11. Nulle part les fibres transverses n'existent en aussi grand nombre qu'à la moelle allongée.

12. Les fibres nerveuses des reptiles varient de 0mi11-,00083 jusqu'à 0m!il-,02.

13. Les plus grosses fibres sont les fibres longitudinales de la moelle épinière, et les fibres des nerfs; les plus petites sont les fibres transversales de la moelle, les fibres du cervelet, de la lame optique, du cerveau et des commissures qui unissent entre elles les parties de l'encéphale.

IU. Dans un même nerf, les fibres pleines sont plus grosses que les fibres vides.

§ III. facultés des reptiles.

L'analogie qui existe entre certaines actions des animaux et les nôtres est une des voies qui nous sont ouvertes pour découvrir quelles sont leurs passions, et pour pénétrer les motifs de leurs déterminations. Cette voie est insuffisante pour nous initier complètement à leur état psychique. Si l'homme résumait en lui toutes les manières de sentir dont

les animaux sont pourvus, s'il n'y avait dans les phénomènes de la vie que des degrés d'une même échelle, l'homme, placé le premier dans la série animale, n'aurait qu'à regarder au-dessous de lui, et se dépouillant d'abord de ses plus nobles attributs, puis successivement de tous les autres, il descendrait jusqu'à la dégradation la plus infime de l'organisation, jusqu'à ces amas de matière qu'un reste de mouvement spontané distingue à peine de la nature inorganique, et se décomposant ainsi lui-même, il passerait par une suite de transitions qui lui représenteraient successivement les différentes classes d'animaux. Mais quoique au-dessus de tous les êtres vivans, l'homme ne possède pas tout ce que ces êtres possèdent. Certains sens sont très développés chez plusieurs animaux, qui, chez l'homme, le sont beaucoup moins : or, un sens peu développé fournit peu de sensations, et partant peu d'idées dépendantes de ces sensations. Ajoutons que les sensations fournies par un même organe ne diffèrent pas seulement en intensité; elles varient souvent à tel point que, provenant d'une même source, les unes ne donnent pas du tout la connaissance des autres. Nous pouvons présumer ce qu'il en est, à cet égard, chez les animaux, en comparant ce qui se passe relativement aux qualités de l'organe de l'ouïe considéré chez plusieurs hommes. La finesse de l'ouïe est loin d'être la même pour chacun de nous ; l'un entend à peine des sons que l'autre distingue très nettement. Mais celui qui entend le mieux n'est pas nécessairement celui qui apprécie le plus justement quelle est la nature des sons , qui sent le plus vivement ce qu'ils ont de suave ou d'aigre, qui juge le mieux de leur harmonie. La perfection d'un sens ne consiste donc pas seulement à donner une sensation déterminée avec facilité et précision, mais aussi à donner une grande variété de sensations.

Ce que je dis pour l'ouïe de l'homme, doit s'appliquer à l'odorat des animaux : d'après le volume et l'organisation du nerf affecté à ce sens, chez les animaux, nous avons tout lieu de penser qu'il leur fournit des sensations qui nous sont inconnues, et nous jugeons, en effet, par les actes auxquels ils se livrent en conséquence de la mise en jeu de cet organe, qu'ils sont sollicités et entraînés par des inlluences extérieure , dont nos sens ne nous transmettent souvent aucune perception.

De là, pour nous, une cause d'ignorance de ce qui se passe dans les animaux, quant à leurs phénomènes psychiques.

Une autre cause d'ignorance non moins puissante que celle-ci, c'est la difficulté d'interpréter les actions des animaux, de comprendre la valeur des manifestations de leurs instincts et de leur volonté. Ils ont un langage mimique, nous n'en pouvons douter; beaucoup d'entre eux ont de la voix; quelques-uns même, c'est au moins l'opinion de plusieurs naturalistes, opinion que je partage et dont j'exposerai les preuves en parlant des oiseaux, quelques-uns, dis-je, ont un langage articulé. Mais de ces manifestations, nous ne comprenons que celles qui sont analogues aux nôtres, le reste nous échappe; nous y apercevons quelquefois une intention; souvent, rien.

Cette difficulté que nous trouvons à étudier les actions des animaux et par leur interprétation, à remonter aux causes dont elles émanent, nous empêchera toujours d'obtenir une solution du problème qui nous occupe : heureusement que, pour nous guider, nous avons un moyen qui peut servir utilement à contrôler les données fournies par le précédent, c'est l'analogie des besoins. Les besoins indiquent les facultés d'une manière tout aussi certaine que les actions. Olez à l'homme le besoin de se vêtir, en couvrant sa peau d'éeaillcs ou de poils

nombreux, et vous supprimez, en même temps, tous les arts qui ont pour objel l'habillement et la parure. Otez-lui la délicatesse de son goût, vous supprimez tous les arts culinaires; et de même pour les autres besoins : or, entre les besoins et les actions se trouvent les facultés. Ces trois faits sont dépendans les uns des autres; ils doivent être et ils sont, en effet, dans une complète harmonie.

Les besoins se reconnaissent, au moins les besoins matériels, par l'organisation. L'estomac a besoin d'alimens, le poumon a besoin d'air, l'œil a besoin de lumière, l'oreille a besoin de vibrations sonores; enlevez un de ces organes, ses besoins disparaissent, et en même temps ses facultés et ses actions. Les animaux dont les organes sont le moins multipliés sont donc ceux qui ont aussi le moins de besoins, qui exécutent le moins d'actions, qui jouissent de moins de facultés. Ainsi, l'espèce de mystère qui enveloppe les opérations psychiques des animaux, n'est pas aussi impénétrable qu'il le paraît au premier abord; sur ce sujet nous nous regarderons comme prévenus que nous ne saurons jamais le dernier mot, mais ce qu'une complète analogie nous aura servi à établir, nous serons autorisés à le regarder comme suffisamment démontré. Nous avons donc eu raison d'élever les insectes au-dessus des mollusques et des poissons : les reptiles eux-mêmes, quoique supérieurs à ces derniers, n'égalent ni les abeilles, ni les araignées, ni les fourmis, car leurs besoins sont en plus petit nombre que ceux de ces insectes, leurs actions sont peu variées, et il ne se manifeste, chez la plupart d'entre eux, que des facultés d'un ordre inférieur.

Les sens des reptiles sonllrès inégalement développés. Leur toucher est obtus, l'odorat faible, le goût presque nul ; leur oreille, dépourvue de conque, n'admet qu'un petit nombre de rayons sonores ; en revanche, ils ont la vue perçante et l'or

gane affecté à cette sensation, généralement très gros, est muni, dans plusieurs espèces, d'une sorte de voile ou membrane clignotante, qui le protège contre l'éclat d'une lumière trop vive.

Les plus stupides, parmi les reptiles, sont les crapauds, les grenouilles et les salamandres, au-dessus viennent les tortues, puis les lézards et enfin les serpens.

Les crapauds, les grenouilles et les salamandres vivent sur la terre ou dans L'eau, il est même des grenouilles, la raine verte, par exemple, qui se tiennent ordinairement sur les arbres. Ces animaux restent engourdis pendant la saison du froid, cachés sous la vase, et sans prendre aucune nourriture. On a dit que les crapauds peuvent se passer d'air pendant des années entières, parce qu'on en a quelquefois découverts dans des troncs d'arbre, dans des murailles où ils s'étaient trouvés enfermés depuis un long espace de temps. On s'est assuré par des expériences directes que les crapauds ont besoin d'air, mais qu'il ne leur en faut qu'une très petite quantité, et on ne doute pas, que dans les cas allégués, cette petite quantité n'ait pénétré jusqu'à l'animal par des pores ou des fissures qu'on n'a pas su découvrir. J'ai, moi-même, enfermé des crapauds dans des boules déplâtre gâché qui s'est solidifié autour de ces animaux, et je les ai conservés vivans pendant plusieurs mois. A travers les pores de la couche calcaire qui les enveloppait de tous côtés, il pénétrait sans doute un peu d'air, car maintenus sous l'eau, de manière à ne pouvoir venir respirer à la surface de ce liquide, ils périssent en quelques heures.

Les crapauds, les grenouilles et les salamandres ont besoin d'eau, d'air et d'un peu de chaleur, ils ont peu d'efforts à faire pour s'en procurer. Ils ont besoin de nourriture, mais ce besoin n'est jamais chez eux très pressant. Il leur faut une

proie vivante; ainsi, les grenouilles, par exemple, qui vivent d'insectes, de vers, et même de souris et d'oiseaux, ne s'em-pareraienljamais d'aucun de ces animaux sans l'avoir vu remuer. Les serpens sont dans le même cas, et comme il en est qui se nourrissent de crapauds, ceux-ci quand ils se voient attaqués, restent souvent immobiles et comme morts, afin sans doute, que les croyant réellement morts, leur agresseur les abandonne. Nons devons donc admettre chez ces animaux un sentiment de conservation assez prononcé. C'est à ce même sentiment qu'il faut attribuer leur fuite dès qu'ils entendent quelque bruit.

Un besoin qui paraît être, chez eux, plus impérieux qu'aucun autre, est celui de faire l'amour. Au printemps, lorsque lesoleilles a réchauffés, les mâles s'emparent chacun d'unefe-melle et la tiennent étroitement embrassée pendant un nombre de jours , qui varie de cinq à vingt. On les harcelle, on les blesse, et cependant ils ne quittent pas leur femelle; on peut même les décapiter sans qu'ils s'en détachent.

L'accouplement, chez les salamandres, est souvent précédé de jeux et d'agaceries ; la femelle ne cède pas tout de suite ; quelque temps elle a l'air de se défendre et de fuir, comme pour exciter les désirs du mâle. Les crapauds et les grenouilles n'ont pas de ces préludes amoureux ; ils font entendre un coassement un peu modifié , par lequel on suppose qu'ils expriment leurs désirs. On croit qu'ils éprouvent une sorte de jalousie, mais de mâle contre mâle seulement, et que, sans se disputer la possession d'une femelle, celui qui est accouplé ne voit pas sans colère qu'un autre mâle s'en approche. Ce qui est plus certain, c'est que mâle et femelle s'occupent des œufs, le mâle en favorisant leur expulsion, la femelle en ayant soin de les déposer dans un lieu convenable pour qu'ils éclosent. Lacépède cite un cas de domesticité

d'un crapaud qui a vécu 36 ans: ce crapaud se tenait ordinairement sous un escalier; il se laissait prendre, et paraissait même attendre qu'on le prît pour le placer sur une table où l'on avait soin d'apporter des petits animaux dont il faisait sa nourriture.

Quoiqu'ils habitent ensemble, les animaux dont il vient d'être question ne sauraient être regardés comme vivant en société : excepté à l'époque de leurs amours, ils n'ont aucune relation entre eux. Jamais ils ne se rendent aucun service et ne se concertent pas pour agir. Ils n'ont aucun besoin les uns des autres; leurs facultés sont des facultés égoïstes, celles de l'alimentation, de la conservation et de la reproduction. Le coassement des crapauds et des grenouilles indiquerait une sorte de relation entre chacune de ces espèces, mais non entre les individus qui les composent.

Les tortues, très semblables les unes aux autres sous une foule de rapports, diffèrent cependant en plusieurs points essentiels. On en trouve dans la mer, dans les eaux douces et sur des montagnes élevées ; la plupart se nourrissent de végétaux, tandis qu'il en est qui vivent presque exclusivement de poissons , de lézards et de jeunes crocodiles. Nous aurons à établir, et ceci est un point de phrénologie fort essentiel à examiner, si la différence dans le choix de leur habitation coïncide avec une forme particulière de leur cerveau. En attendant, disons que celles qui vivent dans l'eau ont des membranes interdigitales analogues à celles des grenouilles et des canards, tandis que celles qui vivent sur la terre et qui grimpent sur les montagnes, ont des doigts séparés. La tortue de mer ou tortue franche se nourrit d'algues et d'autres plantes marines ; la tortue bourbeuse, de poissons et d'insectes ; la tortue caouane, de poissons, de buccins et même de crocodiles. La tortue commune tient le milieu entre les unes et

les autres : habitante des bois, elle mange des herbes, des fruits, des insectes et des vers. Plusieurs d'entre elles peuvent rester très long-temps sans manger; ainsi le besoin de prendre de la nourriture est loin d'être très impérieux chez elles. On les trouve réunies , surtout les tortues de mer, en nombre parfois très considérable. Mais elles ne paraissent pas se rendre des secours mutuels; elles ont le sentiment du danger; elles se montrent attentives à l'éviter, soit parla fuite, soit en se retirant sous leur carapace. La caouane, celle qui mange des crocodiles, n'est dépourvue ni de ruse ni de courage. Quelquefois elle se jette sur ces animaux et les mutile avant de les manger. D'autres fois, elle attend au fond d'un trou les jeunes crocodiles et les prend à reculons, par la queue, sans qu'ils puissent pouvoir ni se retourner ni se défendre. La tortue bourbeuse passe l'hiver dans un trou qu'elle se creuse elle-même et que, vu sa lenteur à tout faire, elle met plus d'un mois à achever.

L'amour est la seule passion qu'elles paraissent vivement ressentir ; la tortue jaune, muette en tout autre temps comme sont les tortues, jette avant de s'accoupler un petit cri d'amour ; la tortue commune, ordinairement si douce, change d'humeur et devient belliqueuse; les mâles de cette espèce se battent entre eux pour la possession d'une femelle. Elles ne connaissent et ne voient même pas leurs petits ; mais elles ont grand soin de leurs œufs, qu'elles déposent dans le sable

et que le soleil fait éclore. Les tortues de mer parcourent

quelquefois un espace de deux cents lieues, pour trouver un

rivage favorable à la ponte. De la ruse, à un faible degré, est donc ce qui distingue les

tortues et les place au-dessus des grenouilles, des crapauds

et des salamandres. Les instincts sont plus variés et plus nombreux chez les

lézards que chez les reptiles précédens; il y a même dans quelques-uns d'entre eux. quelque chose qui les attire vers l'homme. L'iguane, le basilic, le porte-crète, le caméléon, le roquet, le goitreux, et surtout le lézard gris et le lézard vert, sont doux et familiers ; ils se laissent toucher volontiers et les enfans jouent avec eux. On peut leur mettre le doigt dans la bouche, sans qu'ils essaient de mordre. Us vivent d'insectes et de vers de terre. Leur adresse à attraper des mouches est très grande : quand ils ont aperçu un de ces insectes, ils s'en approchent doucement; puis, quand ils sont à portée de s'emparer de lui, ils s'élancent dessus et le saisissent. Entre eux, les lézards semblent jouer ; quelquefois ils se battent, et la cause de la guerre qu'ils se font est la possession d'une proie. Ils sont très ardens en amour; mais chez eux, l'amour n'a pas uniquement l'accouplement pour objet. Ainsi, l'iguane mâle est le protecteur de sa femelle; il la défend avec une sorte de rage, et, différant en cela de presque tous les animaux, il ne l'abandonne pas tout de suite après la jouissance.

Les femelles vont déposer leurs œufs dans un endroit propre à en favoriser l'éclosion : elles ne prennent aucun soin de leurs petits.

Les crocodiles sont aussi des lézards, mais bien différens de tous les autres : ils ont toujours faim d'animaux, et la force dont ils sont doués, les ruses auxquelles ils ont recours, les rendent extrêmement dangereux, même à leur propre espèce, car s'ils ne trouvent pas de proie, ils s'attaquent les uns les autres, se tuent et se mangent: ils mangent aussi leurs petits. Vivans sur la terre et dans l'eau, ils se tiennent le plus souvent le long des rivages des grands fleuves, se cachant sous l'eau, ou élevant seulement la tête un peu au-dessus de la surface de ce liquide, pour guetter et saisir les animaux qui viennent s'y abreuver ou s'y baigner. Si l'un d'eux aperçoit

un bœuf, il s'enfonça dans l'eau, va le saisir par une jambe, Falliré au milieu de l'eau et le noie pour le manger ensuite. Ils ne craignent pas non plus d'attaquer les hommes, de grimper dans des barques de pêcheurs, ou de poursuivre à terre de malheureux fuyards, qui, s'ils n'ont pas l'art de retarder la marche de leur ennemi, en faisant de nombreux détours, sont bientôt saisis et dévorés. La raideur du corps des crocodiles les oblige à marcher droit devant eux, et le seul moyen d'éviter leur poursuite, c'est de prendre, quand on les fuit, une course tortueuse.

Les crocodiles ont pour ennemis le tigre, l'hippopotame, le poisson scie, plusieurs cétacés. Maintenant, partout où ils existent, les hommes leur font la guerre; autrefois, en Egypte, on leur élevait des temples, on les adorait, et c'est à eux que la ville d'Ârsinoé était consacrée.

Ils sont susceptibles, dit-on, d'être apprivoisés; je croirais plutôt qu'ils sont seulement susceptibles d'être rassasiés; car c'est en les nourrissant beaucoup et en ne les laissant jamais avoir faim, qu'on est parvenu à les empêcher de se montrer féroces. Ils vivent ensemble, parce que leur nature les porte à habiter les mêmes lieux, mais ils ne sont nullement sociables. Leur accouplement dure moins que celui des autres reptiles ovipares; il a lieu la femelle étant sur le dos. Les soins du mâle se bornent, après l'accouplement, à aider la femelle à se remettre sur les pattes. Celle-ci fait quelquefois, avec des débris de plantes, un nid dans lequel elle dépose ses œufs, qui servent alors de nourriture à beaucoup d'animaux.

Parmi les reptiles, les crocodiles sont ceux dont la voix est la plus retentissante ; ils poussent des mugissemens qui glacent d'effroi ceux qui les entendent.

Appétit presque insatiable, ruse et cruauté, ces caractères appartiennent essentiellement au crocodile.

Le serpent est le symbole de la prudence ; c'est à ce litre et non pas à d'autres qu'il a été regardé comme le dieu des médecins. La prudence est, en effet, une de ses qualités, car il craint le bruit, il fuit le danger, et ne s'avance que lors~s qu'il est à-peu-près sûr de faire du mal sans avoir aucun risque à courir. Cette prudence-là n'est pas de mon goût, et le serpent de la Genèse est, à mon avis, beaucoup mieux dans son rôle que le serpent d'Esculape.

Parmi les animaux qui vivent de chair, souvent nous appelons doux ceux qui ne s'attaquent pas à l'homme ou aux grands animaux, et nous appelons féroces ceux qui sont dans le cas contraire : notre jugement n'est pas alors sans partialité. Dans la classe des serpens, par exemple, nous avons plusieurs serpens proprement dits, et toutes les couleuvres qui n'ont aucun venin et qui ne cherchent même pas à mordre. Ceux-là ne nous inspirent aucun effroi, nous disons qu'ils sont doux \ les autres, nous les redoutons, nous disons qu'ils sont cruels et féroces. Des voyageurs racontent qu'ils ont vu un énorme serpent lutter avec un tigre qui a fini par succomber, malgré la plus vigoureuse résistance; ce serpent est mis au rang des animaux féroces : la couleuvre qui vit de grenouilles, le lézard qui chasse aux insectes, sont réputés très doux. Pour les grenouilles, si elles pensaient, les reptiles féroces seraient les couleuvres, pour les mouches ce seraient les lézards : à l'égard des grenouilles et des mouches, les boas, les serpens à sonnettes seraient, au contraire, des animaux justes, laissant dans le repos les animaux inoffensifs, et faisant la guerre seulement à ceux qui peuvent leur nuire. Il arrive souvent à l'homme de ne pas raisonner autrement que ne feraient, dans ce cas, les grenouilles et les mouches.

Se nourrir de chair, c'est être carnassier; prendre une

proie vivante, c'est être cruel; choisir pour victime un animal égal ou supérieur à soi, c'est être féroce ; vivre d'herbes ou de petits animaux qui ne se défendent pas, ou de grands animaux que l'on ne tue pas soi-même, c'est être doux et paisible : voilà une des vérités humaines contre lesquelles il ne s'est élevé que de rares et inutiles protestations.

A ce compte, les espèces dont l'humeur est paisible sont en assez grand nombre : la couleuvre commune est timide, presque docile, et jusqu'à un certain point, susceptible d'être apprivoisée ; la couleuvre à collier est dans le même cas ; on la trouve quelquefois dans les étables, attachée au pis des vaches dont elle tette le lait ; la lisse, le serpent d'Esculape, la couleuvre des dames, la bande noire, l'agile, la rhomboï-dale, la daboie que l'on a divinisée dans le royaume de Juida, sur la côte occidentale d'Afrique, et plusieurs autres, toutes également dépourvues de venin, n'attaquent que les petits animaux tels que les grenouilles, les lézards, les petites souris, les jeunes oiseaux et les insectes. Elles s'adressent rarement à des animaux d'une force égale ou supérieure à la leur; aussi ne luttent-elles presque jamais que pour se défendre. Il y a cependant une époque de l'année où elles deviennent irascibles, c'est l'époque de leurs amours : alors elles ne supportent pas la contrarreté et se montrent très disposées à mordre. La faim n'a pas sur elles autant d'empire que l'amour, et comme elles trouvent presque toujours en abondance des animaux qui ne savent pas se défendre et dont elles font leur nourriture, elles n'ont besoin ni de ruse ni de force pour s'en procurer. J'ai conservé pendant quelque temps une couleuvre à collier, dans une boîte percée de trous : elle y restait ordinairement fort tranquille, et de loin à loin, je lui donnais uue grenouille à manger. Il lui arrivait parfois de faire de violens efforts pour sortir de sa prison, et

si elle y parvenait, elle allait déposer ses excrémens dans un lieu retiré dont elle s'éloignait aussitôt; si après des efforts redoublés, elle trouvait une résistance qu'elle ne pouvait vaincre, elle rendait ses excrémens dans sa boîte, mais il était évident que c'était faute d'avoir pu faire autrement : c'est là un instinct de propreté qu'il ne faut pas passer sous silence.

La proportion des serpens venimeux est aux autres ser-pens à-peu-près, dans la proportion d'un tiers. Les serpens venimeux n'ont pas tous un instinct de cruauté en rapport avec l'intensité d'action du poison que contiennent leurs vésicules dentaires ; quelques-uns peuvent même s'apprivoiser après qu'on leur a arraché les dents canines ou crochets. Toutes les vipères sont venimeuses, et il paraît qu'elles le savent, car souvent elles se cachent pour épier une proie qu'elles mordent à l'improviste, et se retirent aussitôt, comme pour attendre l'effet de la morsure qu'elles ont faite. Parmi elles , on cite le naja ou serpent à lunettes , qui, malgré sa férocité et son audace, obéit à la voix ou au geste de certains jongleurs indiens. Plusieurs autres sont dans le même cas; mais aucune de ces vipères, quoique privées de leur venin, ne devient timide et do^p3 avec l'homme, autant que les couleuvres. Les serpens à sonnettes sont tous très venimeux, rusés, et rien n'a pu encore adoucir leur naturel féroce. Toute proie leur est bonne, car il suffit qu'ils mordent pour tuer, tant leur poison est subtil. On dit même du boïquira que son regard stupéfie les animaux, au point qu'ils viennent d'eux ; mêmes se jeter dans sa bouche. Toutefois leur extrême gloutonnerie leur est souvent fatale : comme ils ne peuvent pas toujours engloutir leur victime en une seule fois, il n'est pas rare que l'on en rencontre ayant dans la bouche un animal qui n'a pu y entrer qu'en partie. Engourdis par l'acte de la

digestion, embarrassés par le reste de proie dont leur bouche est remplie, on s'en empare alors et on les tue. Certains cochons en sont friands ; de grosses couleuvres s'en nourrissent; les nègres eux-mêmes ne dédaignent pas d'en manger. Les serpens à sonnettes voguent sur l'eau avec facilité, poursuivent les barques des pêcheurs, et une espèce de ces serpens nommés piscivores, se cachent dans les arbres qui pendent aux bords des fleuves, pour guetter et saisir au passage les poissons, les oiseaux et même les hommes.

Les plus grands et les plus forts des serpens, sont les boas. Ils ont vingt, trente, et jusqu'à cinquante pieds de longueur. Pline parle d'un de ces animaux qui se présenta devant l'armée romaine, sur les côtes septentrionales de l'Afrique, et l'empêcha d'avancer. Quoique non venimeux, ils n'en sont pas moins redoutables; ils avalent des animaux d'un grand volume, et du temps de l'empereur Claude, on en tua un à Rome, qui avait dans le ventre un enfant tout entier. Ils ne craignent pas d'attaquer les quadrupèdes les plus féroces, ils les enroulent autour de leur corps et les écrasent; s'ils sont près d'un arbre, ils y attirent leur victime qu'ils broient contre cet arbre, en les comprenant l'un et l'autre dans une même étreinte. Ils joignent la ruse à la force; ils savent attendre un ennemi, le menacer, le fuir, et saisir le moment favorable pour s'emparer de lui. L'un de ces serpens, le devin, plus redoutable que tous ceux du genre auquel il appartient, a eu de nombreux adorateurs : on lui a élevé des temples; des prêtres ont sacrifié des victimes sur ses autels. Long-temps, et dans plusieurs pays, des hommes lui ont immolé des hommes !

Une passion est, chez les serpens, plus forte que la faim, plus forte que le sentiment de leur conservation; celle passion est celle de l'amour. S'ils sont surpris au moment de leur union, le mâle défend sa femelle, il s'expose à toutes sortes

de périls pour la conserver, il se laisse mutiler plutôt que de fuir. Cette union dure un jour tout entier, et même plusieurs jours : puis quand elle est consommée, les deux individus se séparent l'un de l'autre et ne se reconnaissent plus. Ceux des serpens qui sont ovipares vont déposer leurs œufs tantôt dans le sable où la chaleur du soleil les fait éclore, tantôt dans un fumier qui, en s'échauffant par la fermentation, produit le même résultat. Ceux qui sont vivipares (les vipères) ne prennent aucun soin de leurs petits.

Les grands serpens vivent seuls; les vipères et les couleuvres sont souvent réunies dans un même lieu, plusieurs de la même espèce : on en trouve quelquefois entrelacées les unes dans les autres, et elles passent ainsi la saison froide pendant laquelle elles restent engourdies.

Il est des circonstances dans lesquelles les serpens font entendre un cri ou plutôt un sifflement qui varie suivant les espèces et suivant les émotions qu'ils éprouvent. La menace, la frayeur ou l'amour s'expriment par des modes différens.

Malgré tous les moyens de nuire que la nature a donnés aux serpens, ces animaux sont eux-mêmes victimes d'un grand nombre d'ennemis qui leur font une chasse continuelle. Dans nos contrées, le blaireau, le hérisson, la belette, la martre, le putois, les détruisent. Ailleurs, ce sont les civettes , les mangoustes , le messager du Cap , le faucon, la cigogne, le milan, le corbeau, la buse, le crocodile. Ils se dévorent aussi entre eux. (1)

(i) V. H. Schlegel, Essai sur (aphysionomie des serpens, La Haye, 1837.

RÉSUMÉ.

1. Parmi les reptiles, il est seulement quelques espèces de tortues qui se nourrissent de végétaux, les autres mangent des animaux vivans.

2. Les crapauds, les grenouilles, les salamandres, sont stupides.

3. Les tortues le sont aussi, mais à un moindre degré.

U. Les lézards ne manquent pas d'une certaine intelligence; ils sont chasseurs adroits, astucieux; on dirait qu'ils reconnaissent la présence de l'homme.

5. Les serpens sont, pour la plupart, supérieurs à tous les autres reptiles, soit pour la multiplicité, soit pour l'étendue des facultés.

6. Tous les reptiles avalent leurs alimens avec gloutonnerie.

7. Relativement à l'homme, il en est de féroces et de pacifiques.

8. L'amour est la passion qu'ils ressentent avec le plus d'intensité : ils s'accouplent tous et pour un temps ordinairement très long.

9. Us vivent ensemble, mais ils ne forment pas de société régulière et organisée.

10. Ils ont presque tous recours à la ruse, soit pour attaquer, soit pour se défendre, mais à des degrés différens.

11. Le mâle et la femelle, hors le temps de l'accouplement, n'ont pas d'attachement l'un pour l'autre.

12. Us ne prennent aucun soin de leurs petits, et les mangent même assez souvent.

13. Quelques-uns s'apprivoisent cl sont susceptibles de quelque éducation.

§ IV. RECHERCHE DU SIÈGE DES FACULTÉS DÉPARTIES AUX REPTILES.

Le premier fait qui frappe l'attention, quand on compare l'encéphale des poissons à celui des reptiles, c'est la multiplicité et le balancement des parties qui composent le premier, et la tendance à l'unité du second. Dans les poissons, beaucoup de ganglions inégaux, en nombre variable, et ganglion cérébral souvent inférieur, quant à son volume, à tous les autres ganglions ; dans les reptiles, nombre de ganglions plus restreint, le même chez tous les animaux de celle classe, grande prédominance du ganglion cérébral, infériorité relative des ganglions optiques et ténuité du cervelet. Ce dernier organe est si peu développé qu'il consiste seulement en une petite bandelette placée en travers de la moelle, chez le crapaud (1), la grenouille (2) , la salamandre, le menobranchus(3), presque tous leslézards, la couleuvre (4), la vipère, le trigonocéphale(5), l'amphisbène (6), et le plus grand nombre des serpens ; il est plus développé chez le ménopoma (7), le crocodile, le boa (8), où il forme un véritable ganglion, mais toujours d'un petit volume et constamment dépourvu de circonvolutions. J'ai sous les yeux un encéphale de crocodile vulgaire dont le cervelet est plus

(1) Desmoulins, op. cit. pl. v, tig. 5.

(2) V. pl. 11 de l'Atlas ; et Carus, op. cit. pl. xii, fig. 5.

(3) Mayer, op. cit. pl. vn, fig. 6,

(4) V. l'Atlas, et Carus, pl. xu, fig. 4'

(5) Desmoulins, pl. v, fig, 7.

(6) Id. id. fig. 6.

(7) Mayer, pl. vu, fig. 5.

(8) Swan, op. cit. 3e part. pl. xvu, fig, 7.

gros, d'un tiers environ, que l'un des lobes optiques. Quant à ces derniers, chez tous les reptiles, ils sont toujours d'un volume moindre que le cerveau en arrière duquel ils se trouvent placés.

Le cerveau est de beaucoup la partie la plus considérable de l'encéphale des reptiles ; la forme de cet organe varie, il est ovoïde chez quelques-uns; conique chez d'autres, constamment moins volumineux en avant qu'en arrière, et s'ar-rêtant au niveau des tubercules optiques ou s'étendant jusqu'aux parties latérales de ces tubercules. Les reptiles les mieux partagés, sous le rapport du volume du cerveau, sont les serpens; les plus pauvres sont les grenouilles et les crapauds. Tous les reptiles appartenant à une même famille, n'ont pas le cerveau conformé d'une manière semblable. Ainsi, dans l'ordre des serpens il est pyriforme chez les couleuvres, les vipères, etc., tandis qu'il représente un cône allongé dans le serpent boa. On peut ramènera trois types principaux la configuration du cerveau des reptiles : 1° celui des grenouilles, des crapauds ; 2° celui des couleuvres, des vipères, des lézards, y compris les crocodiles; 3° celui des tortues, auquel appartiennent le serpent boa, le python et quelques autres. (1)

Le nombre, l'étendue et la nature des facultés ne sont pas en rapport avec celte division. Que les grenouilles et les crapauds soient dans la même catégorie, rien de mieux; mais les couleuvres elles crocodiles n'ont pas les mêmes inclinations; les tortues et le serpent boa diffèrent, sous ce rapport, autant qu'un animal puisse différer d'un autre animal.

Si la comparaison du cerveau des reptiles, considéré dans son ensemble, nous donne un semblable résultat, que trou-

(i) Ces trois types sont exprimés dans l'Atlas. V. pl. u.

verons-nous en cherchant à localiser chacune des facultés, comme ont prétendu le faire les phrénologistes ? A tous les reptiles un amour physique très développé, à tous un cervelet excessivement petit et chez la plupart vraiment rudi-mentaire. L'amour physique est pour plusieurs reptiles, la seule véritable passion, et cette passion aurait pour siège la partie de l'encéphale qui est le moins développée ! Cela n'est pas vrai, cela n'est pas possible.

Plusieurs autres facultés bien manifestes chez les reptiles et localisées par les phrénologistes, méritent de fixer notre attention : ce sont le penchant à détruire, la ruse et l'instinct qui porte l'animal à chercher le lieu qu'il doit habiter ou hahitativité. Gall admettait pour les animaux qui recherchent les hauteurs, une faculté spéciale qu'il comparait à l'orgueil, à la hauteur dans l'espèce humaine, et il donnait pour siégé à cette faculté, une partie du cerveau placée au-dessus de ce qu'il appelait la philogéniture (1). Spurzheim en a fait une faculté distincte et lui a donné le nom mal sonnant d!hahitativité ; il sentait tout ce qu'il y avait d'étrange ^. dans le rapprochement fait par Gall entre la recherche d'un domicile sur les montagnes ou dans les airs, et le sentiment de l'orgueil, mais il se conformait à l'opinion de son maître, qui donnait à la faculté dont il s'agit, un domicile dans la région postérieure du crâne. M. Vimont aurait, dit-on, confirmé l'observation de Spurzheim, par la comparaison de sept cents crânes d'oiseaux, et Broussais regardait cette observation comme suffisamment démontrée, ce Quelques phrénologistes, dit-il, révoquent en doute la position précise de l'organe de l'habitativité; moi, j'y crois. » (2)

(1) Gall, sur les fonctions du cerveau, t. lv, p. 275.

(2) Leçons de phrénologie, p. 201.

Je n'ai pas la foi de Broussais; je ne connais pas les sept cents observations de M. Vimont; je sais trop combien Gall et Spurzheim avaient négligé l'étude de l'anatomie comparée du cerveau pour adopter, sur parole , l'assertion qu'ils ont émise à cette occasion ; je dirai seulement qu'en bonne logique, cette assertion n'est pas admissible, et qu'en fait, elle n'est pas fondée. Si elle était fondée, la raine verte qui se tient souvent sur les arbres, le crapaud qui reste sur la terre ou qui se cache sous les pierres, la grenouille commune qui vit dans l'eau, auraient le cerveau différemment conformé, et cela n'est pas. La tortue de mer el%. tortue qui grimpe sur les montagnes n'auraient pas non plus un cerveau parfaitement semblable, et pourtant on n'y aperçoit ni à l'un ni à l'autre, rien de particulier. Le cerveau, considéré dans chacune de ces espèces, ne diffère en aucun point, il est dans la grenouille commune et dans la raine verte comme dans le crapaud; il est dans la tortue de mer comme dans la tortue terrestre? Ce qui diffère chez ces animaux, ce sont moins les appétits et les besoins, que les organes de progression. Les uns ont les membres disposés pour nager, les autres pour sauter, les autres pour grimper; ils nagent, sautent ou grimpent, afin de se procurer les moyens de vivre. Le principe est le même pour chacun d'eux; le mode d'exécution varie suivant la forme des instrumens qui exécutent.

L'assertion de Gall et Spurzheim concernant l'organe de l'habitativité, n'est pas admissible. En effet, le développement de cet organe ne doit pas être en rapport avec le genre d'habitation, mais avec le degré d'amour pour une habitation quelle qu'elle soit, car s'il fallait un organe pour les hauteurs, il en faudrait aussi un pour les plaines, un autre pour les eaux, un autre pour les profondeurs de la terre, et tous les animaux choisissant , pour l'habiter, le lieu qui leur

convient, il en résulterait que tous auraient l'organe de l'ha-bitativité. Il n'y aurait d'exception que pour un petit nombre d'animaux qui paraissent vivre partout ou presque partout, encore, pour ces derniers, faudrait-il trouver un organe qui les rendît cosmopolites.

La ruse et la cruauté ont été placées par Gall sur les parties latérales du cerveau : si nous comparons le cerveau dm crocodile à celui de la grenouille, nous trouvons une preuve en faveur de cette détermination ; mais si, pour élémens de comparaison, nous prenons le cerveau du serpent boa, qui est aussi féroce queHe crocodile, nous trouvons une preuve toute contraire. Le cerveau du crocodile est élargi latéralement , celui du boa est allongé d'avant en arrière : d'où il faut conclure que la ruse et la cruauté peuvent venir d'un cerveau large comme d'un cerveau étroit.

Mais la différence de forme de ces cerveaux, d'où provient-elle? Est-ce, comme le pensent les phrénologistes, d'une différence dans le développement des parties latérales des lobes cérébraux, ou bien du volume variable de quelque partie intérieure? Si l'on incise la lame cérébrale, on la trouve sensiblement aussi épaisse dans les cerveaux élargis que dans les cerveaux allongés ; ce qui diffère, c'est un organe sous-jacent, c'est le corps strié dont le volume et la forme ne sont pas les mêmes dans tous les reptiles , et notamment dans le boa et le crocodile que j'ai pris pour exemples. Ainsi, c'est au corps strié qu'il faut attribuer l'élargissement du cerveau chez le crocodile ; c'est cet organe, et non un autre, qu'il faudrait, dans le cas dont il s'agit, considérer comme le siège de la ruse et de la cruauté, si toutefois, ce que je n'admets pas, il était convenable d'assigner pour siège à la ruse et à la cruauté, une portion déterminée du cerveau.

RÉSUMÉ.

1. Dans les reptiles, un amour physique très ardent se manifeste, quoique le cervelet soit plus petit dans cette classe d'animaux que dans aucun autre vertébré.

2. La forme générale du cerveau est sensiblement la même chez des reptiles dont les instincts sont différens.

S. L'habitativité n'a pas un siège distinct dans le cerveau des reptiles.

h. La ruse et la cruauté ne sont pas des facultés propres aux reptiles qui ont le cerveau développé sur les parties latérales.

5. Le développement latéral du cerveau ne tient pas à une différence dans l'épaisseur de la lame cérébrale, mais au volume et à la forme du corps strié sous-jacent à cette membrane.

CHAPITRE V.

SYSTÈME NERVEUX CEREBRO SPIBJAL DES [OISEAUX.

L'étude des vertébrés inférieurs nous a appris qu'avec des ganglions encéphaliques très petits correspondaient des facultés peu nombreuses et applicables seulement à des objets matériels. En avançant, nous allons voir se développer le ganglion cérébral, et, dans une progression analogue, s'étendre les instincts, et se révéler des facultés d'un ordre supérieur. Est-ce le hasard qui fait marcher ainsi de concert, deux ordres de phénomènes si différens les uns des autres quant à leur nature, ou bien y a-t-il entre eux une relation nécessaire ? Peu de matière nerveuse, et des instincts bornés à l'alimentation, à la reproduction; quantité plus considérable de cette matière, et aux instincts viennent se joindre la cruauté et la ruse; plus encore,' et de la sociabilité, des passions fortes, de l'intelligence, des facultés morales, etc. Alliance bizarre ! Enigme éternelle que chaque génération veut expliquer, et que, malgré ses efforts, elle laisse à la génération qui suit, aussi incompréhensible qu'elle l'a reçue !

Un seul point de cette question est abordable, c'est l'examen des conditions de développement, de forme et de structure du système nerveux qui coïncident avec telles ou telles facultés instinctives, intellectuelles et morales. Ce problème résolu, le fait principal restera tout aussi impénétrable qu'auparavant ; on n'en saura pas mieux comment l'organe produit

le phénomène, ni même s'il le produit. Entre la notion d'intelligence et la notion de matière, il y a tout un abîme. Que la matière soit cause et que l'intelligence soit l'effet, on peut le dire, mais non l'expliquer, ni le prouver.

Nous voici arrivés à une classe d'animaux de beaucoup supérieure pour l'organisation et les facultés aux poissons et aux reptiles. Les oiseaux n'ont pas seulement une vie de nutrition et de reproduction, comme la plupart des vertébrés dont il a été question jusqu'ici ; ils vivent ensemble, construisent leurs habitations, se concertent pour agir, s'unissent dans un intérêt commun, se connaissent entre eux ; quelques-uns même connaissent l'homme, et ressentent pour tel ou tel homme en particulier, de l'affection ou de la haine.

Ampère a comparé les oiseaux aux insectes : il y a en effet beaucoup de rapports entre ces deux classes d'animaux. Linné a dit du perroquet quïl est le singe des oiseaux (1). Cette comparaison n'est pas non plus sans fondement; le perroquet imite l'homme autant que la différence de son orga -nisation lui permet de le faire, et nous trouverons entre l'organisation du cerveau du perroquet et celle du singe, un point d'analogie dont il sera important d'examiner la valeur.

Coiter (2) a le premier donné une description succincte de l'encéphale des oiseaux; il a signalé la non-existence de circonvolutions sur les lobes cérébraux de ces animaux, et le développement considérable du processus vermiforme de leur cervelet. Th. Willis(S) est entré dans de plus grands détails ; il a signalé l'absence de corps calleux, de voûte et de corps strié, décrit la commissure antérieure et la commissure pos-

(1) M. Virey adopte sur ce point l'opinion de Linné. Voyez Histoire des mœurs et des instincts des animaux. 2 vol. in-8. Paris, 1722 .

(2) Externarum et int. partium princ, corporis humaui tabulœ. Norainb. l573, in-iol.

(3) Cerehri anatome, cap. v, Lond.," 1664.

térieure, Vmfundibidum, et les lobes optiques, dont il a découvert la cavité. Valentin (1), Collins(2)ont ajouté quelques détails à la description donnée par Willis. Haller (3) admet l'existence des corps striés ; il a découvert dans le cerveau des oiseaux une partie restée inconnue à ses prédécesseurs, et il donne à cette partie le nom de corps strié. C'est un petit tubercule gris qui est un véritable rudiment de la couche optique des mammifères. Le même auteur signale le volume considérable du cervelet comparé au cerveau, et il explique ce fait par la situation des couches optiques, qui dans l'homme et les quadrupèdes font partie du cerveau, tandis qu'elles sont placées en arrière de cet organe chez les oiseaux. D'après Vicq d'Azyr (U), l'encéphale des oiseaux manque de circonvolutions cérébrales, ou même des hémisphères cérébraux, de corps calleux, de voûte à trois piliers, de corne d'Ammon, de corps bordés, de bandelette demi circulaire, de tubercules quadrijumeaux, de glande pinéale, de masses latérales du cervelet, d'éminences mamillaires, de corps olivaires et de pyramides. Il regarde le lobe antérieur de l'encéphale des oiseaux comme l'analogue des corps striés. Sœmmering (5) appelle couches optiques les lobes optiques, ainsi que Har-wood (6) et les frères Wenzel (7). Ebel (8) a comparé le volume du cerveau des oiseaux à celui des quadrupèdes. L'opi-

(1) Amphitheatrum zootomicum, Gissœ, 1720, in-fol.

(2) A sjstem of analomy, relating of the body of man, beast, birds, insects and plants, Lond., i685, 2 vol. in-fol.

(3) Op. cit.

(4) Hist, de l'Acad. des Se. de Paris, ann, 178Ç, et œuvres, Paris, i8o5.

(5) Vom Gehirn und Rückenmark, Mainz, 1752,

iß) System der vergleichenden Anat. und Physiologie }eic, Berlin, 1799.

(7) Prodromus eines Werkes über das Hirn der Menschen und Thiere, Tiib. 1Ç06, in-40.

(8) Observât, nevrologicas ex anatome comparala : script, nevrologici mi* nores, Ups, Ò79Ç,

nion de Vicq d'Azyr sur la nature du premier ganglion encéphalique est partagée par Cuvier (1), qui regarde le corps cannelé ou strié comme formant à lui seul presque tout l'hémisphère. Cuvier appelle couches optiques les lobes optiques; il dit que, entre les couches optiques et les corps cannelés, sont des éminences arrondies, qui se voient mieux dans l'autruche que dans les autres animaux. Ces tubercules sont de petits renflemens placés sur le trajet des pédoncules cérébraux, en avant des lobes optiques. On les voit très bien sur le pigeon, la pie, le geai, le perroquet, et même chez le vanneau, le pluvier, le combattant: ils forment par leur adossement le troisième ventricule. Ce sont en réalité les couches optiques, ou plutôt un rudiment des couches optiques. Le corps calleux, refusé aux oiseaux par tous les auteurs, est admis par Mala-carne, qui regarde comme tel ce que ses devanciers considéraient comme étant la commissure antérieure. M. Tiedemann combat cette opinion ; il indique sur les lobes cérébraux un seul sillon : c'est la scissure de Sylvius. Il constate l'existence de la glande pinéale, décrit une large commissure qui réunit les lobes optiques; il admet l'existence des corps striés, et nie celle des tubercules quadrijumeaux; il compte au cervelet 15 lamelles dans le corbeau, 14 dans le faucon, et 13 dans l'oie. Gall ne parle qu'en passant de l'encéphale des oiseaux ; il regarde comme étant les analogues de la paire antérieure des tubercules quadrijumeaux, les éminences qui donnent naissance aux nerfs optiques. Fr. Franke décrit la forme du cerveau: ce Les oies, dit-il, ont le cerveau de forme pyramidale, tandis que les gallinacés, les corbeaux et les passereaux l'ont de forme ovalaire. » Il trouve chez eux l'analogue de la voûte et du seplum lucidum, des corps mamillaires, des corps striés,

(i) Op. cit., t. 2 , p. 162.

formant la plus grande partie du lobe cérébral, une glande pinéale et une glande pituilaire ; enfin, il compte au cervelet 13 lamelles chez l'oie, 14 chez les gallinacés, 15 chez le corbeau, et 17 chez les passereaux. Suivant Meckel, il y a un rudiment du corps calleux chez les oiseaux. M. Carus (1) adopte cette opinion, et il compare l'organe dont il s'agit, au genou du corps calleux des mammifères. Il appelle couches optiques les petits ganglions placés en avant des lobes optiques ; il indique des ganglions placés à l'origine des nerfs acoustiques, et compte au cervelet de 16 à 30 lamelles. Desmoulins , qui a donné une description plus complète que ses prédécesseurs de toutes les parties composant l'encéphale des oiseaux, paraît regarder les lobes cérébraux comme les analogues des corps striés; quant aux lobes qui donnerit naissance aux nerfs optiques, il les appelle lobes optiques : il ne fait aucune mention des tubercules quadrijumeaux.

Une grande confusion règne, comme on le voit, dans là plupart de ces déterminations : cette confusion lient surtout à ce que l'on a voulu calquer, ainsi que j'en ai déjà fait la remarque, des objets simples sur des objets multiples. En voici un exemple. Le nerf optique naît, chez les poissons, d'une lame très niince qui est ùn épanouissement des cordons fulcraux de la moelle, lequel épanouissement forme une sorte d'enveloppe, de calotte à dès organes sous-jacens : chez lès reptiles, ce n'est plus une simple calotte, mais un petit lobe creux ; chez les oiseaux, c'est un lobe plus épais que dans les deux cas précédens, et il entre dans sa composition une quantité très notable de substance grise ; chez les mammifères et chez l'homme , le nerf optique naît à-la-fois d'une triple éminence, savoir, les deux tubercules quadrijumeaux

i) Op. cit.

et les couches optiques. Si la détermination de ces tubercules est faite d'après le mode d'insertion du nerf optique, il est évident que l'on ne pourra pas dire, dans le cas où un seul de ces tubercules existera, si c'est la couche optique, le tubercule testes ou le tubercule nates. Ce n'est pas une addition de parties nouvelles, plutôt qu'une division de la même partie. Ceux qui soutiennent l'une ou l'autre opinion n'ont ni complètement tort, ni complètement raison : il y a du vrai et du faux dans les deux manières de voir. Ce qu'elles ont de mauvais, c'est d'être exclusives. M. Serres a combattu, par des argumens très justes, ceux de ses devanciers qui ont appelé tubercules mamillaires les tubercules optiques ; il a également prouvé que ces tubercules ne sont pas les couches optiques. Mais il a été moins heureux quand il a voulu démontrer que ce sont les tubercules quadrijumeaux. Il n'y a pas identité entre ces tubercules considérés dans les mammifères ) et les lobes optiques des oiseaux, par exemple : il y a seulement analogie, et cette analogie n'exclut pas les couches optiques de toute participation à la production du nerf optique. C'est pour n'avoir pas fait cette distinction, que Gall a été porté à regarder les tubercules quadrijumeaux de l'homme comme étant l'unique origine du nerf optique. Il s'est dit : ce Le nerf optique tire son origine, chez les vertébrés inférieurs et même chez les oiseaux, des lobes placés en avant du cervelet ; ces lobes ne sont autre chose que les re-présentans des tubercules quadrijumeaux des mammifères : donc, ce sont les tubercules quadrijumeaux qui donnent naissance au nerf optique. » Mais un organe à peine aper-cevable chez quelques reptiles, rudimen taire chez les oiseaux , développé chez les mammifères et considérable chez l'homme, la couche optique, ne concourt-elle pas aussi à donner naissance au nerf optique? L'inspection dit : oui ; le

raisonnement de Gall dit : non. Non, car le nerf optique est formé par les tubercules quadrijumeaux, et le nouvel organe surajouté aux autres, la couche optique a un autre usage , c'est d'être un ganglion de renforcement pour les pédoncules cérébraux. A cette assertion de Gall, j'opposerai d'abord le fait anatomique suivant : c'est que les fibres de la racine du nerf optique vont en partie s'épanouir à la surface postérieure delà couche optique, et que les raisonnemens ne peuvent rien pour empêcher cette disposition d'exister ; je dirai ensuite que celte insertion ne s'oppose nullement à ce que la couche optique ne soit en même temps, pour les pédoncules cérébraux, un organe de renforcement. Les couches optiques ont une double destination, et se montrer exclusif pour l'une ou pour l'autre, c'est être également loin de la vérité.

§ I. DESCRIPTION DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-spinal DES OISEAUX.

Dans tous les oiseaux , le système nerveux cérébro-spinal offre une grande conformité : c'est la classe où les individus diffèrent le moins les uns des autres, sous ce rapport.

1. Encéphale.

L'encéphale des oiseaux se compose des mêmes parties que celui des reptiles, à l'exception toutefois du corps strié qui, s'il existe, serait confondu avec le lobe cérébral lui-même, ou serait représenté par un petit tubercule dont l'existence n'est pas constante , et qui, chez les oiseaux où on le rencontre, est placé en avant de la couche optique.

1° Cerveau. Cet organe est formé de deux lobes pleins, ordinairement pyriformes, parfaitement symétriques, réunis l'un à l'autre par leur partie inférieure et interne, mais libres dans tout le reste de leur étendue, convexes à leur face supérieure et entièrement dépourvus de circonvolutions. A la partie inférieure de ces lobes, on voit chez presque tous les oiseaux, une légère dépression qui indique plutôt qu'elle ne constitue la scissure de Sylvius, et à la partie supérieure et antérieure du cerveau, une dépression plus profonde que la première , mais qui n'existe que chez un petit nombre d'oiseaux. Sur la poule, le pigeon, la piegrièche, le merle, le loriot, le corbeau, on n'en voit aucune trace ; sur la buse et le coucou, on commence à l'apercevoir; chez le canard, le pic, elle est très visible, et chez le perroquet, elle a plus de profondeur que chez aucun des oiseaux dont j'ai pu étudier l'encéphale. Ce n'est pas encore ce que l'on peut appeler une circonvolution, mais c'en est un indice, et on doit la regarder comme un progrès dont l'organisation du lobe cérébral : ce sillon loge des vaisseaux sanguins.

La partie interne de chaque lobe cérébral est plane : c'est par là que les deux lobes sont en contact ; en les écartant l'un de l'autre, on voit qu'ils ont entre eux plusieurs points d'union. En arrière ils touchent le cervelet, ce qui n'a lieu dans aucun reptile ni dans aucun poisson ; leur face inférieure , qui forme en partie la base du cerveau, un peu concave et entièrement lisse , repose sur le crâne dans la plus grande partie de son étendue ; le reste de cette face est placée sur les pédoncules cérébraux et sur les lobes optiques. Les lobes cérébraux des oiseaux constituent une sorte d'ef-fiorescence de la moelle épinière, à laquelle ils sont attachés par les cuisses du cerveau, qui leur servent comme de pédicule. Considérée à l'intérieur, la substance en est d'un gris

rosé; on y voit des stries blanches qui viennent pour la plupart de la moelle épinière. A la face inférieure du cerveau, on voit ces stries blanches ou fibres médullaires pénétrer dans l'organe, et s'y diviser à l'infini ; un faisceau de fibres dont les premiers anatomisles qui ont décrit le cerveau des oiseaux ont déjà parlé, s'étale en manière de patte d'oie, se dirige vers la face interne du lobe, dans le bord supérieur duquel il se termine. Un autre faisceau blanc se remarque à la base du cerveau et sur les côtés de chaque lobe; il s'étend d'avant en arrière, depuis la partie la plus saillante du lobe, jusque tout près de la pointe du cerveau.

La substance cérébrale, vue à l'intérieur, ne se sépare pas en deux parties distinctes par leur couleur et parfaitement isolées ou plutôt délimitées; il n'y a pas de substance grise extérieure et de substance blanche intérieure comme chez les mammifères. La substance blanche est distribuée en faisceaux qui sont entourés de substance d'un gris rosé, dans laquelle ils vont se répandre. Le cervelet seul présente la délimitation des deux substances cérébrales, ainsi que je le dirai tout-à-l'heure.

Le lobe cérébral des oiseaux n'est pas creusé d'une cavité comme celui des reptiles. Les ventricules de cet organe sont situés en dessous, c'est-à-dire qu'ils résultent de l'application des lobes sur les cuisses du cerveau : aussi sont-ils plutôt des sinus que de véritables cavités.

Trois commissures réunissent l'un à l'autre les lobes cérébraux : l'une antérieure et inférieure, située tout-à-fait au bas et touchant le chiasma des nerfs optiques; la seconde, très petite, située un peu au-dessous de la précédente ou en avant du troisième ventricule : c'est l'analogue de la commissure antérieure. La troisième est située un peu en avant des couches optiques. La première de ces commissures est regardée

par Meckel comme un rudiment de corps calleux : M. Carus adopte cette détermination. (1)

Quoique le lobe cérébral des oiseaux soit comme le corps strié des mammifères, formé en grande partie de substance grise, et que l'on trouve, en l'incisant, son intérieur pourvu de stries blanches, il n'en résulte pas que ces deux organes soient, comme on l'a prétendu, les analogues l'un de l'autre. Le corps strié est un organe supplémentaire, un ganglion de renforcement, pour me servir de l'expression employée par Gall et Spurzheim, tandis que le lobe cérébral est un organe dans lequel se terminent les fibres de la moelle épinière. A sa partie antérieure, terminée en pointe, le lobe cérébral présente un petit tubercule qui donne naissance au nerf olfactif.

2. Couche optique. C'est un petit tubercule grisâtre, pair, comme implanté à la partie supérieure et interne des cuisses du cerveau, traversé par une petite bandelette de substance blanche, analogue à celle que l'on voit chez les mammifères. L'adossement de la couche optique gauche avec la droite donne lieu à une petite cavité ou troisième ventricule, au fond duquel esl une petite portion de matière grise que l'on voit à la base du cerveau sous la forme d'un mamelon placé en arrière de la commissure des nerfs optiques. Ce mamelon est un rudiment des lobes inférieurs de l'encéphale des poissons.

3. Lobes optiques. En arrière des couches optiques et sur les côtés de l'encéphale, sont deux corps globuleux, grisâtres dans la plus grande partie de leur étendue, comme implantés sur la partie externe et supérieure de la moelle épinière. Ces corps sont les lobes optiques : leur masse est formée de sub-

(i) Op. cit., \. r, p. 2y.

stance grise ; ils reçoivent des fibres blanches venant de la moelle épinière; ils fournissent au nerf optique une double racine analogue à celle que j'ai décrite chez les poissons; ils sont unis l'un à l'autre par trois commissures : la commissure postérieure placée à l'entrée de l'aqueduc de Sylvius, la commissure analogue au corps calleux, et la valvule de Vieussens , petite lame très mince, transparente, en arrière de laquelle on voit la racine du nerf pathétique qui la traverse à l'état de cordon et sans éprouver aucun aplatissement. Les lobes optiques sont creux, la cavité en est tapissée par une lame nerveuse blanche ; cette cavité communique avec l'aqueduc de Sylvius.

h. Cervelet. Le cervelet est volumineux chez tous les oiseaux ; il a un degré de perfection dont manque celui de la plupart des poissons et celui de tous les reptiles ; il est pourvu de circonvolutions ou lamelles transversales, et de deux petits appendices latéraux dont nous avons déjà vu un exemple chez le squale-renard. Suivant M. Carus , ainsi qu'on l'a vu plus haut, le nombre de ces lamelles varie de 15 à 30 (1). M. Tiedemann en indique 15 dans le corbeau, 14 dans le faucon et 13 dans l'oie. Fr. Franke ajoute que dans les passereaux il y en a 17. Comme ce ne sont pas des objets parfaitement distincts et isolés, il faudrait que l'on s'entendît bien sur la manière de les compter. Ces lamelles sont placées en travers, mais elles ne sont pas toutes complètes ; il y en a qui ne sont que des divisions des autres lamelles. Quel compte en a-t-on tenu? J'ai vu plusieurs fois une lamelle un peu épaisse être parcourue et comme divisée en deux par un vaisseau sanguin : on aurait dit de deux lamelles , et pourtant je n'en ai trouvé qu'une

\i) Op. cit., t. i, jj. 86.

seule en incisant le cervelet perpendiculairement et d'avant en arrière. Sur un passereau j'avais compté 13 lamelles grises, et il n'y avait que 10 lamelles blanches. Chez vingt oiseaux appartenant à toutes les familles de cette classe d'animaux , je n'en ai pas trouvé moins de 10 ni plus de 20 : J'en ai compté chez

Le perdreau... 12 Le vanneau... 12

La poule..... 14

Le canard .... 15 Le pigeon.... 16 Le choucas.... 16

L'oie........ 16

Le perroquet.. 16 Le geai mâle .. 18 La pie femelle. 18 La pie mâle... 20

Dont la moyenne est 15.

Renfermé dans ces limites, le nombre plus ou moins grand des lamelles m'a paru être en raison directe du volume du cervelet. De même que les squales, les oiseaux n'ont que la partie centrale ou ver du cervelet, et des appendices latéraux; ils manquent des masses latérales. Le ver, chez les oiseaux, se continue à la face inférieure du cervelet, et forme là une luette aussi bien développée comparativement, que chez l'homme.

En incisant le cervelet, ainsi que je l'ai indiqué loul-à-l'heure, on voit qu'il est comme formé d'une double lame plissée, l'une intérieure, blanche, l'autre extérieure, d'un gris rosé. Au centre de l'organe, qui est placé en manière de pont sur la moelle allongée, est une cavité très ample, qui s'ouvre largement dans le quatrième ventricule. Le cervelet communique en avant, par la valvule de Vieussens et les processus cere-belli ad testes, avec les lobes optiques; latéralement, avec

la moelle. Cette dernière communication a lieu par deux ordres de fibres : les unes s'enfoncent transversalement dans la moelle, et forment la commissure diffuse dont il a été question à l'occasion des poissons et des reptiles; c'est en grande partie à la présence de ces fibres transverses, dont le pont de varole n'est qu'un développement, que la moelle allongée doit l'augmentation de volume qu'elle présente en cet endroit. Les autres fibres viennent des faisceaux spinaux de la moelle.

La moelle allongée, placée au-dessous des organes dont il vient d'être question, leur sert à tous de support. En avant, elle se bifurque pour se terminer dans les lobes cérébraux ; en arrière, à son entrée dans le crâne, elle a le même volume que la moelle cervicale; mais bientôt elle s'aplatit, s'élargit et augmente de volume par l'addition d'une certaine quantité de substance grise, et par celle des fibres de la commissure diffuse. A sa face spinale, on voit les pyramides postérieures, le quatrième ventricule, dont le plancher montre, en relief, une partie des faisceaux fulcraux, l'aqueduc de Sylvius et les couches optiques; sur les côtés, l'implantation du cervelet, celle des lobes optiques, et sur différens points de son étendue, l'origine des nerfs encéphaliques.

L'encéphale des oiseaux présente, comme perfectionnement sur les deux classes inférieures des vertébrés, l'augmentation considérable de volume du ganglion cérébral, les dépressions vasculaires qui se remarquent à la face supérieure de ce ganglion chez plusieurs oiseaux, le recouvrement, partiel chez la plupart, complet chez les autres, des lobes optiques par les lobes cérébraux, la formation bien déterminée des couches optiques, enfin le volume et la lamellation du cervelet, lamellation dont, chez les poissons, la famille des squales nous a seule présenté quelques exemples.

2. Nerfs encéphaliques.

Le mode d'origine de la plupart des nerfs encéphaliques n'offre rien qui diffère essentiellement de ce qui a lieu, sous ce rapport, dans les mammifères et dans l'homme. Je ne m'arrêterai donc pas à la décrire; je noterai seulement ceci, 1° pour les nerfs olfactifs, il y a un petit tubercule, ainsi qu'il a été dit plus haut; 2° les nerfs optiques très volumineux viennent seulement des lobes optiques, et les couches optiques paraissent être complètement étrangères à leur production ; S0 entre la troisième et la sixième paire, il n'existe pas de pont de varole ; k° en raison de l'absence de cet organe , la cinquième paire sort entre les fibres longitudinales de la moelle allongée ; 5° enfin à l'endroit où naît le nerf acoustique, on voit dans le quatrième ventricule un petit renflement ganglionaire déjà signalé par plusieurs anatomistes.

3. Poids et volume de l'encéphale des oiseaux.

Comme les actions des oiseaux, et par conséquent aussi leurs facultés, sont mieux connues que celles des reptiles et des poissons, j'entrerai dans plus de détails sur le développement de leur encéphale que je ne l'ai fait pour ces derniers animaux. Ainsi je ne me bornerai pas à déterminer le poids et le volume proportionnels de l'encéphale des oiseaux, je donnerai de plus la mesure de ses principales dimensions.

Plusieurs anatomistes ont cherché à déterminer le poids de l'encéphale des oiseaux comparé au reste du corps. Le tableau suivant offre le résultat de quelques pondérations faites pour cet objet par Haller, Cuvier et M. Carus ; j'y ai ajouté mes propres observations.

Le poids de l'encéphale est au poids du corps dans la proportion suivante, chez les animaux ci-dessous désignés :

Mésange à tête bleue, comme i est à 12

Mésange id........,........... 12

Serin......................... i4

Mésange nonnette............... 16

Serin femelle................... 18

Pinçon....................... 19

Rouge-gorge................... 23

Tarin........................ 2 3

Perruche femelle..............? • 23

Chardonneret.................. 24

Linotte....................... 24

Coq.......................... 2 5

Moineau...................... 2 *

Pie femelle.................... 2 7

Geai mâle..................... 28

Rouge-gorge................... 3a

Pie mâle...................... 44

Perroquet..................... 4 5

Choucas ou petite corneille mâle.... 46

Alouette...................... 56

Merle........................ 68

Vanneau...................... 70

Sarcelle....................... 74

Vanneau...................... 7 6*

Pigeon........................ 91

Combattant.................... 104

Canard sauvage................. 107

Perdreau...................... i17

Pluvier.......................

Aigle.........................

Faucon....................... 202

Pigeon....................... 217

Canard....................... 2 57

Poule......................... 377

Oie.......................... 467

Autruche (1)...................1,200

Oie..........................3,6oo

7,84i

Ce qui donne pour moyenne 212.

(1) Vallisneri, cité par Buffon , art. Autruche,

La proportion est ici beaucoup plus favorable que chez les reptiles (1) et les poissons (2) ; elle montre un accroissement considérable dans le volume total de la masse encéphalique. L'inégalité de poids rencontrée chez les différens oiseaux n'est cependant pas en rapport direct et constant avec leur intelligence ; il y a des exceptions fort nombreuses et dont il faut tenir compte; mais je dois faire à ce sujet quelques observations. Parmi les oiseaux mentionnés dans le tableau ci-dessus, il s'en trouve dont le tissu cellulaire graisseux a acquis un très grand volume par le fait de la domesticité et de l'alimentation. Chez ceux-là, le poids relatif du cerveau doit être moindre qu'à l'état de nature. Parmi les individus d'une même espèce, dans l'espèce humaine par exemple, il en est qui ont une grande stature, des muscles vigoureux, un abdomen chargé de graisse : toutes ces circonstances qui ne changent rien à l'état primitif de l'encéphale, font nécessairement varier beaucoup le poids relatif de cet organe. Ainsi, dans ce qui concerne la proportion de l'encéphale à celle du corps, il ne faut pas tenir compte des différences entre les individus, mais seulement des différences entre les classes; autrement, on éprouverait de continuels mécomptes, qui conduiraient à faire rejeter des lois de développement qui n'en seraient pas moins très fondées.

L'encéphale des oiseaux est composé de parties assez distinctes les unes des autres pour qu'on puisse les peser séparément. Quel est le rapport de ces parties entre elles?

(i) Voy. p. 2 34. (a)Voy. i53.

Poids Poid» Rapport Rapport

du du du cervelet. Moelle ! de la m. al.

cerveau. cervelet. au cerveau. allongée. au cerveau.

Choucas mâle..... 3,4 gr. o,3 gr. i â n,33 o,65 gr. i à 5,23

Pie femelle....... 3,7 o,35 10,6 o,75 5

Pie mâle........ 4,2 0,4 to,5 0,6 4,2

Perroquet amazone. 4,3 o,5 8,6 o,65 6,66

Perruche femelle.. 3,9 0,4 7,5 o,5 6

Serin femelle..... o,55 o,o5 7 o,i5 a,33

Geai mâle........ 2,9 o,45 6j44 0,80 3,a5

Canard sauvage... 4,2 0,7 6 0,7 6

Pluvier......... i,45 o,25 5,8 o,5 3,9

Oie............ 9 1,8 5 i,4 6,4

Perdreau......., 1 0,2 5 o,65 i,55

Combattant...... 1 0,2 5 o,5 a

Alouette......... o,5 0,1 5 0,2 2,5

Sarcelle....*.... 3 0,4 4,62 0,7 2,64

Poule........... 2 o,5 4 1 1

Coq........ 2,i5 0,6 3,41 i,o5 2,04

Vanneau........ i,3 o,45 2,88 o,65 2

Vanneau........ 1,1 0,4 2,7^ 0,6 1,8 3

Moyenne........ 6,18 4,11

Dans ce tableau, les animaux sont classés d'après le Volume proportionnel de leur cervelet; les plus petits cervelets, les premiers, les plus gros, à la fin. Il est remarquable que le choucas et deux pies soient placés ensemble ; que le perroquet et la perruche le soient également, ainsi que le coq et la poule ; il ne l'est pas moins que la liste se termine par deux vanneaux. Ce résultat trouvé sans qu'il ait été prévu, démontre l'exactitude du rapport établi, puisque des oiseaux d'Une même espèce, qui doivent par conséquent avoir une organisation semblable, ont, en effet, le cervelet et le cerveau daitis des proportions analogues.

Le poids de la moelle allongée n'est pas aussi rigoureusement déterminé que celui du cervelet et du cerveau, parce que, malgré la précaution que j'ai prise de couper toujours la moelle au-dessous du trou occipital, il est arrivé qu'une partie de cet organe a été écrasée et perdue, en"coupant l'oc

cipital. Toutefois, en coordonnant les oiseaux portés au tableau, d'après le volume relatif de la moelle allongée, nous trouvons encore un arrangement qui mérite de fixer riotre attention. Cet arrangement, le voici :

Perroquet amazone. Pie mâle. Coq.

Pie. Geai. Combattant.

Perruche femelle. Pluvier. Vanneau.

Canard sauvage. Sarcelle. Vanneau.

Choucas mâle. Alouette. Perdreau.

Pie femelle. Serin femelle. Poule.

Les deux vanneaux sont encore ensemble, les deux pies le sont également, le choucas vient avant, la perruche et le perroquet sont en tête de la liste, séparés cependant par l'oie. Dans un des tableaux suivans, qui a pour objet de déterminer quel est le rapport entre le diamètre transverse et le diamètre antéro-postérieur du cerveau, nous retrouverons de nouveau l'oie placée entre la perruche et le perroquet.

Comparons maintenant le volume de l'encéphale à celui de quelques-uns des nerfs encéphaliques, chez les oiseaux.

p . . I Nerfs encéphaliques. Rapports de ces nerfs avec

P Diamètres des nerfs. l'encéphale.

Poids. Vol. Optiq. M.yeui. Pathét. Optiq. M. yeux. Pathétiq.

gr. rail.c. m. m. m.

Pie mâle. ..... 5,55 5388 0,0022 0,0007 0,0003 1 à 1417 1 à 14178 1 à 76971

Perruche femelle. . 3,9 3786 0,002 0,0006 0,0004 1206 13398 30146

Vanneau...... 2,5 2427 0,002 0,0006 0,0004 773 8588 19325

Poule....... 3,3 2204 0,0025 0,0009 0,0004 654 5085 25509

Chardonneret. . . 0,83 825 0,0015 0,0004 0,0002 466 6568 26272

Sœmmering, Ebel, Cuvier, M. Tiedemann et M. Serres, avaient déjà cherché à déterminer le volume de la moelle et celui des nerfs, comparés à celui de l'encéphale, et pour y arriver, ils avaient comparé les diamètres de l'encéphale à ceux de la moelle et des nerfs. Cette manière de procéder, bonne en apparence, n'est cependant pas susceptible d'une grande exactitude en raison de ce que la forme de l'encéphale étant

très irrégulière, on ne peut en déduire le volume d'après la longueur de quelques-uns de ses diamètres. J'ai préféré prendre le poids de l'organe, puis sa pesanteur spécifique, et par là arriver à déterminer quel en est le volume. Je compare à ce volume, réduit en millimètres cubes, le volume d'une partie de la moelle et des nerfs égale en longueur à un millimètre : c'est ainsi, comme on l'a vu, que j'ai procédé pour établir les rapports indiqués plus haut. Quant à ce qui regarde les nerfs, c'est la seule manière d'opérer, parce qu'on ne saurait isoler ces organes dans toute leur étendue, les enlever et les peser : mais il n'en est pas de même de la moelle épinière que l'on isole complètement des parties environnantes et dont il est facile de déterminer le poids. Il est d'autant plus avantageux de recourir à ce moyen chez les oiseaux, que la longueur des diamètres de la moelle épinière de ces animaux, pris comme on le fait d'ordinaire, au-dessous du trou occipital, donnerait fort mal le volume total de cette moelle, vu qu'elle présente dans deux points de son étendue, des renflemens considérables et qu'elle est d'une longueur qui n'est pas toujours en rapport avec ses dimensions latérales. M. Car us qui a pesé la moelle épinière d'un pigeon comparativement à l'encéphale du même animal, a trouvé le rapport de 1 à 3, 4, c'est-à-dire, un peu moins du tiers; mes recherches sur le même sujet m'ont fourni les proportions suivantes : chez

Une pie femelle, i à 9,6

Une pie mâle...... 9,2 5

Un geai mâle...... 8

Un perroquet...... 7,7

Plusieurs moineaux.. 4,2

Un vanneau....... 2,5

ce qui donne pour moyenne de la moelle épinière des oiseaux,

8,87, ou environ le9edu poids de l'encéphale de ces animaux.

Ce résultat est curieux, surtout si nous le rapprochons de ce que j'ai déjà dit des reptiles, dont l'encéphale et la moelle épinière sont d'un poids à-peu-près égal.

Passons à l'étude des dimensions. Plusieurs anatomistes ont déjà traité ce sujet d'une manière spéciale : ce sont les frères Wenzel (1), M. Serres (2), et M. Lélut (3). Ce dernier résumant les faits publiés par M. Serres, et par les frères Wenzel, et y ajoutant ses propres observations, a divisé les oiseaux en rapaces, en carnassiers insectivores et en frugivores ; puis il a déterminé la largeur relative de leur cerveau, afin de s'assurer si, comme les phrénologistes le répètent, d'après Gall, il existe un organe de la destruction, situé sur les côtés du cerveau. Or, il résulte des mensurations faites par ces auteurs, que le diamètre transverse du cerveau est au diamètre longitudinal de cet organe, chez les oiseaux :

Kapaces. Carnas!. inscct. FrugiTorfi.

D'après les frères Wenzel, comme x est à 0,70 1 à 0,84 1 à 0,79

M. Serres.................. 0,67 0,78 0,82

M. Lélut..................0,67 0,84 0,80

Ce qui donne pour moyenne......... 0,68 0,8a 0,80

D'où il faudrait conclure que, relativement à sa longueur, le cerveau est plus large chez les oiseaux rapaces que chez les oiseaux frugivores, et chez ces derniers, plus que chez les carnassiers insectivores.

J'ai aussi mesuré le cerveau d'un certain nombre d'oiseaux; chez tous ceux dont il est fait mention dans le tableau suivant, excepté l'oie etles perroquets, la longueur du diamètre trans-

(1) De penitiori structura ccrebri humanontm et bfutorum,Tub., 1812, in-fol.

(2) Op. cit., t. 2, p. 588 et suiv.

(3) De l'organe phrénologique de la destruction chez les animaux, Paris, i838, in-8° de 90 pages.

versai l'emporte sur celle du diamètre antéro-postérieur. (1)

Diamètre» Le diam. iraru». est au

Antéro-poit. Transven. diam. an t. post.comm»

Perroquet vert........ 3a mill. a8 mill. i à 1,14

Perroquet gris........ 29 27 1,07

Perroquet vert. «...... 26 24 1,07

Oie................ 36 34 1,06

Perruche femelle...... 32 21 1,04

Canard sauvage....., . 2 3 a 3 1

Canard domestique..... 2 3 24 o,g5

Chardonneret......... i3 14 0,93

Pic vert............. 22 24 0,91

Mésange à tête bleue... ia i3 0,91

Sarcelle............. 19 21 0,90

Mésange nonnette..... n,5 i3 0,88

Mésange............ io,5 ia 0,87

Moineau............ i3 i5 0,87

Serin............... io,5 12 0,87

Coq................ 18 21 0,86

Poule............... 18 ai o,86

Bruant.............. 11 i3 0,84

Pie................ ix i3 0,84

Fauvette............. 10 i» o,83

Rossignol femelle...... 10 la 0,8 3

Loriot femelle........ i5 18 0,8 3

Combattant.......... 14 17 0,8a

Pigeon.............. 14 17 0,8a

Poule............... 18 23 0,81

Autour............. 26 3a 0,81

Alouette............. 12 i5 0,8

Pluvier.............. 16 20 0,80

Vanneau............ ii 19 0,79

Merle femelle........ x5 19 0,79

Pie mâle............ 23 29 0,79

Choucas mâle......... 21 27 0,77

Hirondelle de fenêtre... 10 1$ 0,77

Fie femelle.......... ai 28 0,75

Pie-grièche.......... i3 17 0,75

Vanneau............ i5 »o 0,75

Perdreau............ i4 19 0,73

Corbeau noir......... a5 34 0,73

poule............... i3 18 0,7a

Coucou............. 13 17 0,70

Buse............... 2* 3i 0,70

Chouette............ i5 22 0,68

pigeon.............. 12 18 0,66

Moyenne... » • 0,8 5

(1) La même exception en faveur du perroquet se fait remarquer dans les mesures précédemment prises, ainsi qu'on peut s'en assurer en consultant les tableaux publiés par les frères YVenasel, M. Serres et M. Lilut.

Plus la longueur des lobes cérébraux est considérable, plus ces lobes s'étendent en arrière sur le cervelet et recouvrent les lobes optiques. Parmi les oiseaux inscrits au tableau qui précède, quelques-uns de ceux dont les lobes optiques restent très à découvert sont la buse, le pigeon et la poule; ceux dont les lobes en question restent en partie couverts sont le pluvier, le vanneau, le coucou, le loriot, le merle et l'autour. Les autres sont couverts entièrement ou même dépassés : dans ce dernier cas sont le corbeau noir, lé pic-vert, le canard domestique, le canard sauvage, la sarcelle, et surtout la pie, le geai et le perroquet. (1)

J'ai mesuré les dimensions du cervelet en hauteur et en largeur ; mais cet organe a une forme si irrégulière, que ses dimensions donneraient de son volume une idée très incomplète. Quant à présent, je me bornerai donc, pour ce qui regarde cet organe, à m'en rapporter aux données fournies par son poids.

La moelle épinière mesurée à sa naissance, c'est-à-dire au-dessous du trou occipital, a une largeur dont la moyenne, comparée au diamètre antéro-postérieur du cerveau, est comme 1 à 6,6.

U. Moelle épinière des oiseaux.

La moelle épinière présente, chez les oiseaux, une conformation qui est particulière à cette classe de vertébrés : c'est un renflement considérable de toute sa masse, et un écarte-ment des faisceaux spinaux, correspondant à la naissance

(i) Le dessin ne peut rendre ces rapports que d'une manière imparfaite, parce qu'il est difficile de donner à tous les cerveaux que l'on dessine, un© position qui soit absolument la même. Tel cerveau est vu un peu plus en arrière , tel autre un peu plus en avant, et c'est pour cette cause que les lobes optiques sont plus ou moins en saillie sur les figures de la planche x x.

des nerfs qui se distribuent aux membres pelviens. La cavité résultant de cet écartement a été nommée sinus rhomboïdal. Au niveau des racines des nerfs qui se portent aux ailes, il y a également un renflement, mais moindre que le précédent. Sur la facefulcrale, la moelle épinière a dans toute sa longueur, un sillon médian très distinct; sur sa face spinale trois sillons, l'un médian, qui s'ouvre largement à l'endroit que je viens d'indiquer, et qui laisse voir à découvert la partie supérieure de la portion correspondante des faisceaux fulcraux; les deux autres situés de chaque côté et très près de celui-ci, vers lequel se dirigent les racines spinales des nerfs rachidiens. Dans toute la longueur de la moelle règne un canal qui commence au quatrième ventricule, s'ouvre dans le lieu où se séparent l'un de l'autre les faisceaux spinaux, et se termine au coccyx.

II ne faudrait pas confondre les deux renflemens de la moelle avec ces renflemens partiels que Gall a indiqués comme existant constamment à l'endroit où naissent les nerfs rachidiens. J'ai déjà réfuté l'erreur de Gall à ce sujet; je n'y reviendrai donc pas. (1)

RÉSUMÉ.

1. L'encéphale des oiseaux se compose de trois ganglions principaux, le cerveau, le cervelet, les lobes optiques et d'un ganglion supplémentaire, la couche optique : des commissures réunissent entre elles ces différentes parties.

(i) Gall explique comment il s'y est pris pour voir, je dirai pour produire ces renflemens. U faisait bouillir la moelle contenue dans le canal et adhérente par les racines des nerfs rachidiens. La cuisson resserrait la moelle qui, fixée par ces racines, était, dans cet endroit, tiraillée et par conséquent élargie. V. t. r, p. 3î5 de l'édition in-40 de X Anntomie du système nerveux de Call et Spurzheim,

2. La face convexe du cerveau présente un léger sillon, mais chez quelques oiseaux seulement.

3. Le cerveau recouvre les lobes optiques en totalité ou en partie; il dépasse ces lobes, en arrière et latéralement, chez la pie, le corbeau, le merle, le canard, l'oie et surtout chez le perroquet. Toujours il se prolonge jusqu'au cervelet qu'il recouvre même quelquefois de la moitié environ.

U. Le lobe cérébral n'a pas de cavité, les substances grises et blanches n'y sont pas disposées par couches distinctes.

5. Les couches optiques existent à l'état rudimentaire.

6. Les lobes optiques sont inférieurs au cerveau; ils ont un volume très peu considérable, relativement à cet organe.

7. Le cervelet de tous les oiseaux est divisé en lamelles dont le nombre varie, suivant les oiseaux, de 10 à 20.

8. Deux commissures, l'une antérieure, l'autre postérieure réunissent entre eux les deux lobes cérébaux ; il y a de plus une petite commissure inférieure; sur les lobes optiques, on trouve une commissure large, dont les fibres viennent de la moelle épinière; une valvule de Vieussens et en arrière, le nerf pathétique qui forme là une autre commissure ayant la forme d'un cordon arrondi, placé au travers de la moelle allongée. Les couches optiques sont striées comme chez l'homme par les rênes de la glande pinéale; il existe un troisième ventricule et un infundibulum.

9. La moyenne du poids de l'encéphale comparé au poids de corps est de 1 à 212.

10. Le rapport moyen du poids du cervelet est à celui du cerveau comme 1 à 6,18.

Celui de la moelle allongée au cerveau, comme 1 à U, 12. Celui de la moelle épinière à l'encéphale, comme 1 à 8,87.

11. Le volume du nerf optique, du moteur commun des yeux et du pathétique, est, relativement au volume de l'en

céphale, moins considérable chez les oiseaux, que chez les reptiles et les poissons.

12. Le diamètre transverse du cerveau des oiseaux est presque constamment plus long que le diamètre antéro-pos-térieur.

13. La moelle épinière des oiseaux présente deux renflemens considérables, l'un correspondant à la naissance des nerfs qui vont aux ailes, l'autre à la naissance des nerfs qui vont aux pattes. Ce dernier présente une large ouverture qui communique avec le canal central de la moelle.

§ II. STRUCTURE DU SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-SPINAL DES OISEAUX.

Des fibres nerveuses canaliculées et des globules nerveux sont, en dernière analyse, les élémens organiques de ce système. Leur arrangement diffère un peu de ce qu'il est chez les reptiles et les poissons.

1. Structure de la moelle épinière des oiseaux.

L'intérieur de la moelle épinière est formé de matièregrise dont la quantité est, proportionnellement à la matière blanche, très considérable à l'endroit des deux renflemens, et surtout du renflement inférieur. Cette matière grise vient presque jusqu'à l'extérieur de la moelle par le sillon spinal latéral, celui que traversent les racines spinales des nerfs rachidiens. Elle est formée de granules et de fibrilles nerveuses transversales, d'un très petit diamètre. La substance blanche, recouvrant la substance grise, forme à la moelle une sorte d'enveloppe divisée par les sillons dont il a été question plus haut; il n'entre dans sa composition que des grosses fibres blanches, longitudinales.

Les fibres nerveuses formant les racines des nerfs rachidiens proviennent, les inférieures ou fulcrales, de la surface des faisceaux fulcraux ; les supérieures ou spinales, du sillon latéral-supérieur de la moelle.

2. Structure de -l'encéphale des ciseaux.

C'est à tort que Willis a dit, et qu'après lui un grand nombre d'anatomistes ont répété, que le cerveau des oiseaux est presque entièrement composé de substance blanche ; la substance grise s'y trouve au contraire en très grande proportion. Seulement, quoique située à l'extérieur, elle n'est pas disposée en couche, comme chez les mammifères. Chaque lobe cérébral peut être considéré comme un amas de substance grise ou d'un gris rosé, dans lequel pénètrent, à des profondeurs différentes, des expansions de substance blanche ou médullaire. Au microscope, la substance grise présente un aspect granulé, confus, quelques fibres nerveuses que la compression a rendues articulées, et un nombre très considérable de vaisseaux sanguins. La substance blanche, au contraire, est formée de fibrilles très petites, que M. Valentin dit avoir vues se terminer par des anses dont la courbure correspondrait à la substance grise(1). Il se trouve de la substance grise en arrière de la commissure des nerfs optiques ; le lobe optique, à sa circonférence, en présente une assez large surface, et tout l'extérieur du cervelet en est formé. Au cervelet, la substance dont il est question, est séparée de la substance blanche d'une manière aussi tranchée que chez l'homme. Cette circonstance indique dans le cervelet des oiseaux une perfection

(i) Vber den Verlauf und die letzten Enden der Nerven, in-4°de 190 pag. et 8 pl.; pl. vii, fig. 5g. M. Valentin a fait figurer des anses nerveuses qui se rendraient dans^la substance jaune du cerveau du]pigeon.

à laquelle n'atteignent pas les lobes cérébraux de ces animaux. Dans la moelle allongée, il y aussi de la substance grise, mais elle y est disséminée, et n'y forme pas de ganglion ou d'amas analogue au corps olivaire. On ne trouve pas non plus dans le cervelet d'amas qui rappelle le corps rhomboïdal, placé dans l'intérieur de cet organe, chez l'homme.

La distribution des fibres de la moelle épinière s'opère de la manière suivante, dans les lobes encéphaliques. D'abord ces fibres ne se croisent pas dans la moelle allongée, où l'on chercherait vainement une disposition analogue à celle des corps pyramidaux des mammifères. Les faisceaux spinaux s'éloignent l'un de l'autre, et laissant entre eux un écarlement qui est la fin du quatrième ventricule, ils se rendent au cervelet. Une portion des faisceaux latéraux se rend également au cervelet, tandis que le reste de la moelle , ou la portion fulcrale de cet organe, se porte aux lobes optiques, et au cerveau.

A l'endroit où le cervelet s'insère à la moelle, celle-ci est très renflée , et son accroissement de volume tient aux fibres venant du cervelet, fibres qui la traversent comme une sorte de pont de varole, placé en dedans de la moelle, et à la présence d'une quantité de substance grise plus considérable que celle dont la moelle épinière est pourvue. C'est ici le lieu de faire une remarque au sujet du pont de varole. Ce pont n'est pas en réalité un organe distinct, mais seulement une portion d'organe. Des fibres transverses venant du cervelet s'entrecroisent, dans tous les vertébrés, avec les fibres longitudinales provenant de la moelle épinière. Si la moelle est considérable et le cervelet peu volumineux, toutes les fibres transverses sont entrecroisées par les fibres longitudinales : c'est le cas des poissons, des reptiles et des oiseaux. Si la moelle diminue de volume, proportionnellement au cervelet,

le cervelet produit des fibres transverses dont une partie seulement s'entrecroise avec les fibres longitudinales de la moelle, tandis que l'autre partie reste en relief au dehors de la moelle : c'est le cas des mammifères et de l'homme. Quelque chose d'analogue a lieu pour ce qui concerne le corps calleux. M. Tiedemann a suivi les fibres de cet organe jusque dans la moelle allongée ; Gall a suivi ou plutôt admis des fibres venant des hémisphères pour se rendre au même point. Dans l'homme et les mammifères, le corps calleux a cette double origine; dans les oiseaux, les reptiles et les poissons, il n'en a qu'une, celle de la moelle épinière dont les fibres, renforcées par un ganglion , vont former une sorte d'anse entre les lobes optiques. Ainsi, sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, pour s'entendre, il suffit de bien connaître l'état de la question, et de ne pas donner aux mots un sens plus étendu qu'ils ne l'ont en réalité.

o. Diamètre et nature des fibres nerveuses du système cérébro-spinal des oiseaux.

Les extrêmes sont moins éloignés l'un de l'autre dans le tableau suivant, qu'ils ne le sont chez les reptiles et chez les poissons : c'est là la seule différence importante à noter entre les fibres nerveuses de ces animaux et celles des oiseaux, car l'ordre suivant lequel les fibres s'élargissent est à-peu-près le même chez tous. Le cerveau, le cervelet, les commissures ont les fibres les plus petites ; la moelle épinière vient après et présente des dimensions très variables, en raison de la facilité avec laquelle on peut les aplatir et les distendre; les nerfs qui terminent le tableau étant pourvues de névrilème, sont peu extensibles, elles se distribuent aux organes du mou

vement. Cependant le nerf maxillaire supérieur est presque à la fin, et il sert à la sensibilité : ainsi, il ne faut pas nous presser de conclure que le diamètre des fibres nerveuses diffère d'après la nature de leurs propriétés.

Il est un autre fait qu'il ne faut pas laisser passer inaperçu. Pour le pédoncule cérébral, j'ai noté comme présentant le diamètre des fibres de cet organe, 0,0025 ; tandis que, pour le plancher du quatrième ventricule, j'ai noté 0,01083. L'une et l'autre de ces parties sont des prolongemens de la moelle épinière qui, de tous les côtés de sa surface, a des fibres d'un grand et d'un petit diamètre. D'où vient qu'à la cuisse du cerveau il n'y aurait plus que de petites fibres , et qu'il y en aurait de très larges au plancher du quatrième ventricule? Où et comment se terminent les grosses fibres de la moelle ? En parlant de l'encéphale de l'homme, je répondrai à ces différentes questions.

Dans le nerf optique, les fibres ne se découvrent pas facilement ; elles sont liées entre elles par un névrilème tellement solide, qu'on ne parvient pas toujours à les isoler. Celles que j'ai vues n'étaient pas, à beaucoup près, exclusivement variqueuses; il y en avait un grand nombre qui étaient dépourvues de nodosités. Par contre, j'ai trouvé, dans le moteur commun des yeux de la mésange, beaucoup de fibres présentant çà et là des dilatations irrégulières, comme on en voit en si grand nombre dans les fibres de la moelle épinière ; particularité qui me paraît devoir être attribuée à ce que, dans la préparation nécessaire pour isoler les fibres de ce nerf, j'aurai déchiré le névrilème de plusieurs d'entre elles.

Diamètre des fibres nerveuses des oiseaux.

M.

Pigeon. Fibre de la commissure des lobes optiques..... o,ooi

Poule. Fibre du cervelet........................ 0,00166

Mésange. Fibre du lobe cérébral.................... 0,00166

Ici. Fibre du nerf optique..................... 0,00166

Pigeon. Fibre de la commissure des lobes optiques...... 0,002

Id. Fibre du pédoncule cérébral................ 0,0025

Chardonneret. Fibre du lobe cérébral.................... 0,002 5

Mésange. Fibre de la moelle épinière................. o,oo333

Poule. Fibre du nerf pneumo-gastrique.............. o,oo333

Id. ? Fibre de la moelle épinière................. 0,00 346

Id. Fibre du nerf pneumo-gastrique............. 0,00477

Pigeon. Fibre de la commissure des lobes optiques...... o,oo583

Mésange. Fibre de la moelle épinière................. 0,00666

Id. Fibre du nerf moteur commun des yeux....... 0,0075

Pigeon. Même nerf............................. 0,0075

Mésange. Fibre d'un nerf de l'aile................... 0,00833

Chardonneret. Même nerf............................. o,oo833

Poule. Fibre de la moelle épinière................. 0,00846

Id. Fibre du maxillaire supérieur.............. 0,0 r

Id. Fibre du glosso-pharyngien................ 0,01

Pigeon. Fibre du plancher du quatrième ventricule..... 0,01083

Mésange. Fibre de la moelle épinière...............*, 0,01166

Poule. Fibre du nerf moteur ocul. commun.......... 0,01309

Id. Fibre de la septième paire................. 0,01333

Pigeon. Fibre du nerf pathétique.................. 0,0141*

Il ne m'a pas été facile à beaucoup près, chez les oiseaux, autant que chez les poissons et les reptiles, d'exprimer des fibres nerveuses la matière blanche qu'elles contiennent. Chez les oiseaux, celte matière n'est pas aussi fluide que chez les vertébrés inférieurs. On pourrait trouver la raison de ce fait dans la différence de température que présentent ces animaux. Une matière nerveuse trop fluide s'échapperait des tubes nerveux des animaux à sang chaud ; une matière nerveuse trop dense ne serait pas appropriée à la température

des animaux à sang froid. Pour que les nerfs des uns et des autres soient dans des conditions analogues, il faut que la densité de la substance qui remplit ces organes, soit en rapport avec la chaleur à laquelle ils sont soumis.

RÉSUMÉ.

1. La moelle épinière des oiseaux contient plus de matière grise que celle des reptiles et des poissons; aussi a-t-elle un très grand nombre de fibres transversales.

2. Le cerveau est composé de substance grisâtre, dans laquelle pénètrent et se ramifient des faisceaux de substance blanche venant de la moelle allongée.

3. Les fibres de la moelle, en arrivant aux lobes optiques, se comportent d'une manière absolument semblable à ce qui a lieu chez les poissons et les reptiles.

k. La substance grise et la substance blanche, sont tout aussi distinctes l'une de l'autre dans le cervelet des oiseaux que dans celui de l'homme.

5. Il n'y a pas d'entrecroisement de fibres longitudinales, à la moelle épinière.

6. Le renflement que l'on observe à la moelle allongée, lient à la présence des fibres transverses ou commissure diffuse du cervelet.

7. Les canaux ou tubes nerveux, sont moins facilement observables chez les oiseaux que chez les reptiles et les poissons.

8. Les extrêmes d'élargissemétit des fibres nerveuses sont depuis 0, 001 jusqu'à 0, 01411.

§ III. FACULTÉS DES OISEAUX.

Les reptiles couvriraient la terre ; des myriades de mollusques, de crustacés et de poissons habiteraient les eaiix; les annelides, les enthelminthes, les infusoires s'agiteraient sur tous les points du globe, que le globe n'en paraîtrait pas moins plongé dans la torpeur; il serait morne et froid. De temps à autre, un aigre sifflement romprait l'éternelle monotonie des jours; un coassement rauque et dur troublerait çà et là le silence des nuits ; les êtres animés vivant pour se nourrir, se perpétuer, et quelques-uns pour veiller à leur conservation, sembleraient n'exister que comme des agglomérations de matière organique, instrumens d'une seule vie, longue, uniforme, sans progrès, sans but, sans avenir. Dans celte matière transformée tour-à-tour en serpent venimeux, en féroce crocodile, en timide ablette, en moule insensible ou réduite à l'état de simple monade, des facultés en petit nombre et toujours égoïstes. A peine quelques relations entre les individus, pas de secours mutuels, pas de soins des géniteurs aux petits, pas de prévoyance, pas de travail, aucune vertu. A chacun sa vie propre; une vie étroite, solitaire, connaissant à peine celle des autres et s'ignorant elle-même.

Viennent les insectes et la vie se développe, les facultés s'étendent, les individus se rapprochent, se connaissent, travaillent, s'entr'aident, forment une société qui a ses usages, ses lois et ses mœurs; les sens sont plus parfaits; on trouve de l'intelligence, et les premiers indices des facultés morales. Mais, pas encore de famille, pas d'amour véritable, pas d'amitié, pas de soins des forts pour les faibles, pas de reconnaissance des enfans aux géniteurs.

Que les oiseaux paraissent, et la grâce de leur forme, l'éclat de leur plumage, la vivacité de leurs mouvemens, la har

diesse de leur vol, donnent à la nature une richesse inconnue. Leurs voix remplissent l'atmosphère, ils devancent le lever du soleil, ils saluent les premiers rayons de cet astre, et semblent puiser dans sa bienfaisante chaleur, des chants nouveaux et de nouvelles amours. L'oiseau n'est pas seul, comme sont les mollusques, il ne fait pas partie d'une sorte d'existence collective, comme les abeilles et les fourmis, il a une valeur individuelle, une existence à part : il est domicilié; le mâle a une femelle qu'il aime, qu'il protège; les petits sont la propriété du père et de la mère qui les nourrissent, font leur éducation et les défendent au péril de leurs jours.

L'oiseau a de l'intelligence, des talens, des passions, des caprices ; l'âge lui donne de l'expérience; il est capable de progrès. Quelques espèces vivent de chasse; celles-là savent éviter certains pièges, et il n'est pas facile de s'en emparer ; d'autres ont une facilité singulière à imiter tous les sons qu'elles entendent , et à retenir les paroles qu'on prononce devant elles. Beaucoup d'oiseaux connaissent l'homme; les uns s'attachent à lui, d'autres le fuient, et dans leur amitié ou dans leur crainte, ils sont ordinairement dirigés, non par un instinct aveugle et machinal,mais par l'expérience des bons et des mauvais trai-temens.

Ils ont les sens de la vue, de l'ouïe et de l'odorat, doués d'une grande perfection; ceux du goût et du toucher sont moins actifs que les autres. Le sens de la vue, particulièrement chez les oiseaux dont le vol est rapide, et qui s'élèvent dans les airs à une très grande hauteur, est d'une acuité dont on ne retrouve d'exemple chez aucun autre animal* Quelques-uns de ces oiseaux, les plus gros surtout, tellement éloignés de la terre, qu'ils sont devenus invisibles pour nous, distinguent une proie à la surface du sol, se précipitent sur elle et la saisissent, sans qu'elle ait eu le temps de fuir.

La vue de tous les oiseaux n'a pas besoin, pour s'exercer, de la lumière du jour; le crépuscule et l'aurore, le clair de lune, suffisent à une classe d'oiseaux appelés nocturnes. Leur pupille, largement ouverte, laisse entrer dans l'œil, pendant le jour, un si grand nombre de rayons lumineux, que la vision en est rendue impossible. Aussi le soleil équivaut-il pour eux, à la plus profonde obscurité de la nuit. Cuvier a distingué sept espèces d'oiseaux nocturnes, savoir : les hiboux, les chouettes, les effraies, les chats-huans, les ducs, les chevêches et les scops. Ce sont des oiseaux de proie qui veillent quand les autres dorment, et qui n'ont besoin, pour s'emparer facilement des petits oiseaux dont ils font leur pâture, que d'attendre le moment du sommeil. Tyrans la nuit, ils deviennent, pendant le jour, l'objet des moqueries et des insultes de tous les oiseaux. S'ils sont rencontrés par des corbeaux, des geais, des pies, des merles, des rouges-gorges, des mésanges, des pinsons, des hirondelles, etc., etc., ils sont entourés, hués, becquetés par ces oiseaux qui, à force de tourmens, parviennent à les mettre à mort. On a vu une chouette vivante, à laquelle une troupe d'hirondelles avait enlevé presque toutes ses plumes. Chaque hirondelle se précipitait vivement sur la chouette, et, en passant, lui arrachait une plume : cela se faisait si vite, et la chouette aveuglée par la clarté du jour, avait si peu de moyens de défense, qu'elle en était réduite à des tâtonnemens et à des contorsions ridicules, plus propre à exciter la mutinerie de ses ennemis, qu'à leur causer de l'effroi. Les oiseleurs qui connaissent cette antipathie, quand ils veulent attirer des petits oiseaux, prennent souvent une chouette qui leur sert Rappelant; ou bien encore, ils imitent une chouette, et pour peu que la ressemblance soit exacte, les oiseaux accourent sur l'image, comme ils feraient sur la chouette elle-même.

Les canards, les oies et quelques autres oiseaux 'voient aussi pendant la nuit, car ils choisissent souvent ce temps pour entreprendre les voyages et les migrations que le retour périodique des saisons les oblige de faire.

Les oiseaux crient, gazouillent, ramagent, chantent, parlent, par conséquent ils entendent, et rouie de plusieurs d'entre eux est aussi fine que just», à en juger par la nature et l'harmonie des sons que forme leur gosier. Plusieurs s'effraient du moindre bruit, et s'envolent avec promptitude à l'approche d'un ennemi, car ils distinguent souvent si la cause du bruit qu'ils entendent est à craindre ou non. (1)

Buffon, et avec lui la plupart des naturalistes, pensent que l'odorat des oiseaux est assez faible, et, par exemple, ils regardent comme erronée l'opinion qui attribue aux corbeaux la faculté de sentir l'odeur de la poudre. Les oiseaux ont, en effet, moins d'odorat que beaucoup d'autres animaux, cependant quelques-uns d'entre eux, tels que le vautour et le corbeau noir, devinent facilement une proie qui se dérobe entièrement à leurs yeux; semblables en cela à la mouche appelée musca carnaria qui est attirée par l'odeur des chairs en putréfaction, à travers des cloisons de planches exactement jointes les unes aux autres. (2)

(1) L'ouïe des gros oiseaux paraît être plus fine que celle des petits, car ils fuient de plus loin que ces derniers.

(2) M. d'Arcet m'a raconté qu'un rat étant mort derrière le lambris d'une chambre, la putréfaction de son cadavre donnait lieu à un dégagement de miasmes, qui répandaient, dans cette chambre, une odeur fétide. Comme on ne savait pas précisément dans quel endroit se trouvait le cadavre du rat, il s'agissait d'enlever partie par partie le lambris de la chambre, lorsque M. d'Arcet eut l'idée de se servir d'une mouche {carnaria) qui, guidée par son odorat, fût attirée vers le cadavre. Cette expérience réussit; la mouche, dès qu'elle eut la liberté de voler, se dirigea vers un point du lambris,que l'on perça, etderrjère lequel on trouva la cause de l'infection.

La langue du plus grand nombre des oiseaux est de nature cornée, et par conséquent insensible aux saveurs; la membrane interne du bec est presque dans le même cas : quelques-uns ont la langue molle, ceux-là ont le goût assez délicat, et recherchent d'une manière particulière les alimens sucrés.

Les plumes qui garnissent la peau rendent le toucher presque impossible; la peau épaisse et dense qui recouvre les pattes produit le même résultat; aussi le loucher est-il le sens le moins développé de tous, chez les oiseaux.

La faculté de sentir, faculté pour ainsi dire extérieure, puisqu'elle s'exerce au-dehors par l'intermédiaire des organes des sens, s'élève donc, chez les oiseaux, à une 1res grande perfection; il en est de même des facultés intérieures. Parmi ces dernières, celles qui sont le plus généralement départies aux oiseaux, se rapportent à l'alimentation, à la conservation de l'individu, ou à la propagation de l'espèce; les autres, plus rares, sont un certain degré de perfectibilité, des talens, des notions et des passions.

Quelques oiseaux sont exclusivement carnivores; d'autres piscivores ou reptilivores, le plus grand nombre se nourrit d'insectes et de graines, très peu se contentent d'alimens purement végétaux. Les premiers sont appelés oiseaux de proie, les espèces n'en sont pas très nombreuses. On les divise en diurnes et nocturnes, suivant qu'ils sont éveillés pendant le jour ou qu'ils rôdent la nuit. J'ai nommé plus haut les nocturnes, ce sont les plus mal partagés de la classe; les diurnes pour la plupart doués de force et d'audace, occupent le premier rang parmi les oiseaux. De ce nombre sont les vautours divisés en plusieurs espèces dont la plus grande est celle du condor, animal dont le vol est plus élevé que celui de tous les autres; puis viennent les cathartes, les percnoplères, les srrif-

Document numérisé par la Bibliothèque universitaire Pierre et Marie Cuie - UPMC - Cote : WL 101 LEU

fous, les faucons, les aigles, les balbuzards* les circaètes, les harpies on aigles pêcheurs, les aigles-autours, les autours, les milans» les bondrées, les buses, les busards et le messager. Ils vivent tous de chairs, mais les uns veulent une proie vivante, les autres se contentent de chairs mortes, et ne sont pas rebutés par la putréfaction, non qu'ils manquent d'odorat, mais parce que ce sens les attire vers les chairs pourries. A ces oiseaux, il faut ajouter les pies-grièches, les corbeaux et quelques autres qui, par leurs instincts, sont de véritables oiseaux de proie, quoique en raison de leur conformation, ils aient été, classés au nombre des passereaux.

L'aigle, le balbuzard, le jean-le-blanc (circaète), le roi des vautours, le condor, le milan, l'autour, l'épervier, le gerfault, le faucon et le hobereau, l'émérillon, etc., vivent de proie qui consiste surtout en oiseaux et en mammifères. On a fait jeûner le jean-le-blanc, pendant plusieurs jours, puis on lui a présenté des fruits, des vers, des poissons , il les a refusés; des souris et des poules vivantes, il s'est jeté dessus avec avidité. Le roi des vautours vit de rats, mais il mange aussi des reptiles et même des excrémens. Le condor enlève des agneaux, des chevreaux et des enfaos. Le milan, au contraire, plus faible à la vérité que le condor, ne s'attaque jamais qu'à des animaux beaucoup plus petits que lui y l'épervier fait la chasse aux cailles, aux perdreaux, aux pigeons; l'autour est très sanguinaire, il s'attaque à des oiseaux qui sont d'une force supérieure à la sienne ; il en est de même du gerfault, du faucon, de l'émérillon, et surtout de la pie-grièche qui fait la guerre même à de gros oiseaux de proie, et qui, après les avoir tués, les plument, les dépècent et les mangent. Le hobereau n'a pas, il s'en faut bien, autant de courage ; c'est un voleur qui attend pour s'emparer des oiseaux qu'ils soient déjà abattus et pris ; il s'at

tache quelquefois aux pas des chasseurs pour leur dérober le produit de leur chasse. (1)

Le messager habite les lieux découverts des environs du Cap, où il poursuit les reptiles et surtout les vipères et les ser-pens, ce qui lui a mérité le surnom de serpentarius. La grue, le kamicki, et surtout la cigogne et l'ibis mangent aussi des reptiles. La cigogne est, dans certaines contrées, l'objet d'une sorte de respect qui va jusqu'à la superstition : c'est un oiseau utile et qu'il faudrait tâcher d'attirer dans les pays où abondent les serpens.

Les oiseaux piscivores se tiennent aux environs des rivières, des fleuves et aux bords de la mer, pour saisir les poissons qui sautillent au-dessus de l'eau ou qui nagent près de la surface de ce liquide. Les oiseaux de proie dont il s'agit sont le balbuzard, l'orfraie, la pigargue et les harpies, auxquels il faut ajouter quelques passereaux tels que le martin-pêcheur, et un certain nombre de palmipèdes parmi lesquels je citerai le pélican, le plongeur, le harle, le cormoran, le grèbe, la frégate et le fou. La pêche que fait le pélican est, assure-t-on, une affaire concertée et exécutée avec intelligence. Plusieurs péli-

(1) Quelques autres oiseaux de proie sont dans le même cas. « Dans nulle contrée, peut-être, dit M. Lesson, les oiseaux de proie ne montrent une plus grande et une plus confiante rapacité que dans les îles Malouines. On n'en compte que quatre espèces ; mais les individus en sont excessivement nombreux. Sans cesse affamés , ces oiseaux suivent avec audace tout être animé, dans l'espérance d'en arracher quelque pâture. Chaque fois que nous allions à la chasse, ils épiaient nos mouvemens, fondaient sur la proie abattue, ne lâchaient prise qu'à la dernière extrémité et nous donnaient peut-être l'unique exemple de venir disputer le gibier jusque dans les mains du chasseur. Fré' quemment la buse poliosome {falco pollosoma, Quoy et Gaimard) réunie aux Caracaras {falco novœ Zelandice ), dévoraient en un clin d'œil le canard ou l'oie que l'homme de l'équipage avait laissé derrière lui, et leur appétit était si grossier et si insatiable, que les pièges les plus simples suffisaient pour en prendre un grand nombre chaque jour. »

Forage autour du monde. Zoologie, t. l.p. 206.

cans se réunissent sur l'eau, se placent en ligne, poussent le poisson devant eux cl l'enferment dans une étroite enceinte, afin de le saisir facilement et en grande quantité. Ils ont dans le bec une poche très ample qu'ils emplissent de poissons, et vont ainsi chargés, se placer sur un rocher pour manger et digérer à leur aise. Un seul pélican avale, dit-on, autant de poissons qu'il en faudrait pour nourrir plusieurs hommes. Le harle est aussi très vorace ; on le compare sous ce rapport à la loutre qui, comme on sait, fait de très grands ravages dans les étangs. Le grèbe est celui de tous les oiseaux qui plonge le plus profondément pour pêcher : c'est l'opposé du condor qui s'élève dans les airs à une hauteur que nul oiseau ne peut atteindre. Le cormoran vole, marche, nage et plonge; comme il est susceptible d'une sorte d'éducation, et qu'il n'a-Yale pas le poisson aussitôt qu'il l'a pris, on s'en sert pour la pèche. On lui entoure le cou avec un anneau qui, sans gêner les mouvemens de cette partie, s'oppose néanmoins à ce que l'œsophage se dilate assez pour livrer passage à un poisson. Ainsi préparé, on envoie le cormoran chercher le poisson; il en saisit et le rapporte. Quand on juge la pêche assez abondante, ou l'oiseau près d'être fatigué, on ôte l'anneau de son cou, et on lui permet de pêcher pour son compte. Avant de le faire ainsi travailler, on attend qu'il ait faim, autrement il ne ferait rien du tout.

Les fous sont aussi utiles à la frégate, que le bétail à l'homme, que les pucerons, les cochenilles et les galles-insectes à la fourmi. Le fou se gorge de poissons qu'il a pêches lui-même, la frégate arrive, se jette sur lui et lui donne force coups de bec, jusqu'à ce qu'il ait rendu les poissons qu'il a avalés; puis elle s'en nourrit. Au rapport de M. Lesson, le pétrel géant fait de même à l'égard du cormoran , et le stercoraire à l'égard de la mouette. La frégate est très habile à

attraper les poissons volans que poursuivent et obligent à sortir de l'eau, les bonites et les dorades.

Les oiseaux qui se nourrissent principalement de chairs mortes, et dont plusieurs sont même attirés par l'odeur de la putréfaction, sont le vautour, le percnoplère, la buse, le bu-zard et le corbeau. Ils font choix de chair morte parce qu'ils n'osent pas toujours chasser une proie vivante. Tandis que l'aigle atlaque seul et hardiment l'animal qu'il veut manger, au risque même d'avoir long-temps à combattre, le vautour plus fort que l'aigle, mais sans avoir même le courage que donne ordinairement la faim, se réunit à d'autres vautours pour saisir une proie à laquelle il ne reste aucune possibilité de se défendre. C'est plutôt, dit Buffon, un oiseau de carnage qu'un oiseau de proie, et on peut le regarder comme le chacal des oiseaux. Le percnoplère, se laisse battre et chasser par des oiseaux moins forts que lui, il est toujours affamé, se lamentant sans cesse et cherchant des cadavres. La buse, reste parfois des heures entières perchée au même endroit, attendant (pie quelque petit animal vienne à portée de son bec; elle sait manger, mais elle ne sait pas chasser. Le buzard est un peu moins stupide; il s'attaque plus que la buse, à des oiseaux vivans, et il recherche aussi les poissons. Les goélands et les mouettes ressemblent, pour leur instinct, au vautour; ils sont lâches et gourmands, n'attaquent que les faibles, cl s'ils se battent entre eux, ce qui arrive souvent, et que l'un deux succombe, ils se le partagent pour le manger. (1)

La plupart des oiseaux, dont il vient d'être parlé, mangent exclusivement des animaux mammifères, oiseaux, reptiles ou poissons, quelques-uns mangent aussi des substances végé-

(l) Les goélands et les canards sont placés dans le même lieu , au jardin des plantes : dès qu'un canard est mort, les goelandsj se mettent à le dévorer, mais tant qu'ils vivent, ils sont en paix les mis avec les autres.

taies; les autres oiseaux se nourrissent en même temps de vers, d'insectes et de végétaux. Plusieurs sont regardés comme exclusivement végétivores, ce sont la gelinotte, le serin, l'oie, l'outarde, le petit tétras, le bouvreuil, les perroquets, les toucans, etc. Mais si quelques-uns d'entre eux préfèrent en effet les végétaux à tout autre nourriture, il n'est pas vrai de dire qu'ils se nourrissent exclusivement de substances végétales, car ils mangent aussi des insectes, des vers, et s'ils n'en font pas journellement usage, quand ils sont parvenus à l'âge adulte, ils en ont tous mangé dans les premiers jours de leur éclosion.

Quelques oiseaux sont regardés comme vivant exclusivement ou de vers, ou d'insectes, et, parmi ces derniers , il en est qui mangent presque exclusivement des insectes d'une même espèce. Le torcol, par exemple, darde sa langue dans les fourmilières et en la retirant, il happe les fourmis qui se sont placées dessus. Le pic frappe de son bec l'écorce des arbres, quelques insectes qui s'étaient nichés dessous cherchent à s'enfuir; au moment où ils sortent, le pic les prend et les mange ; il attend aussi les fourmis au passage, met sa langue dans les sentiers qu'elles parcourent , et quand sa langue en est chargée, il la retire. Le pic-vert était au premier rang parmi les oiseaux consultés par les augures, et le torcol était employé dans les enchante-mens ; comme on les voyait toujours solitaires ( il faut bien qu'ils le soient puisqu'ils ont à peine assez de tout leur temps pour se procurer de quoi ne pas mourir de faim) ; on les croyait sages et inspirés des dieux. Les grimpereaux n'ont pas même la faible ressource à laquelle les pics et les torcols doivent leur subsistance; ils ne vivent que des insectes qu'ils rencontrent, et n'ont pas l'instinct de les faire sortir de dessons l'écorce, comme le pic.

L'hirondelle happe les insectes qu'elle saisit au vol ; comme elle est très agile et que tous les insectes ou à-peu-près conviennent à son goût, elle ne manque jamais de nourriture (1). Le guêpier chasse les guêpes, les abeilles et d'autres moucheà qu'il attrape comme l'hirondelle ; l'engoulevent, moins agile et qui se montre seulement au crépuscule, chasse en volant de la même manière que l'hirondelle, mais avec moins d'adresse. L'industrie des hérons, pour se procurer des alimens, n'est pas supérieure à celle de l'engoulevent; il se met en embuscade, immobile pendant des heures entières, attendant qu'une grenouille on un poisson vienne à portée de son bec : il en est de même du butor qui se nourrit comme le héron, et qui n'est pas moins inactif que cet oiseau. Les toucans, les calaos ont des becs énormes et qui ne semblent pas du tout fait pour eux, ils parviennent cependant à manger; aux premiers il faut des fruits mûrs, aux autres des souris. Le bec-croisé et le bec-en-ciseaux semblent être également maléficiés, et n'avoir de bec que pour être mis dans l'impossibilité de se nourrir. Le premier, comme son nom l'indique, a un bec dont les mandibules chevauchent l'une sur l'autre : ït s'en sert pour enlever les écailles des pommes de pin «t s'emparer des semences qui sont dans f intérieur de ce fruit. Le second ne peut ni mordre de côté, ni ramasser devant lui, ni becqueter, en raison de la singulière conformation de son bec, dont la mandibule inférieure plus

(1) Swammerdam donne la raison pour laquelle les hirondelles volent bas, lorsque le temps est à la pluie.« Les abeilles aussi bien que plusieurs autres insectes, dit cet auteur, servent d'alimens aux hirondelles, qui ont l'adresse de les prendre en volant. C'est pourquoi, lorsqu'il pleut, et qu'il se trouve fort peu de petits animaux dans l'air, elles descendent vers la terre pour chercher dans cette chasse, la nourriture qui lui est la plus propre. Et c'est delà qu'est venue cette opinion fausse, que les hirondelles peuvent prédire le mauvais temjis ou l'orage.

longue que la supérieure est disposée en cuillère. L'animal décrit une courbe, rase la surface de l'eau et enlève ce qu'il y rencontre. C'est de celte manière qu'il se procure desaliniens.

Les vanneaux, les pluviers, les bécasses, se nourrissent presque exclusivement de vers : on dit qu'ils frappent la lerre avec leurs pieds, dans les endroits humides, afin de faire sortir les vers qu'ils saisissent el qu'ils mangent avec avidité.

Il y a des oiseaux qui font des provisions, mais en cela, ils se montrent moins clairvoyans que les fourmis et les abeilles, car s'ils amassent quelquefois des substances qui peuvent les nourrir, ils amassent aussi des objets qui ne peuvent jamais leur être d'aucune utilité. Le corbeau, la pie, la pie-grièche, le geai, etc., sont dans ce cas.

La plupart des oiseaux ont, d'une manière très prononcée, l'instinct de conservation. Cet inslinct se manifeste par la construction d'un domicile, la réunion en société, les voyages, les soins qu'ils prennent de se baigner, et de faire même une sorte de toilette.

Le domicile des oiseaux est un nid : presque tous eu ont, mais la manière dont il est construit et le lieu où il se trouve, diffèrent pour chacun d'eux. L'aigle construit son aire sur la cime des rochers, le condor place la sienne sur de grandes perches qu'il appuie sur des arbres rapprochés l'un de l'autre ; les milans et les buses montent moins haut : on a trouvé ces dernières dans des nids qui avaient été abandonnés par d'autres oiseaux de proie, tant il est vrai que la paresse est pour elles un défaut qui se manifeste dans toutes leurs actions. Parmi les oiseaux de nuit, le grand-duc est, à ce que l'on croit, le seul qui fasse son nid; les autres voient clair pendant si peu de temps qu'ils peuvent à peine trouver le moyen de se nourrir el n'auraient pas un moment potir l'aire leur nid. Les passereaux établissent leur nid

sur les arbres, les arbustes, sur l'herbe, sur la terre, et même sous la terre : on en trouve dans les fentes de rocher, dans les crevasses de muraille, sous les toits, dans les cheminées, sur les fenêtres, dans les troncs d'arbre. Chaque oiseau se conforme en cela à ses besoins et aux moyens d'exécution dont il peut disposer. Les palmipèdes se placent aux bords des eaux qu'ils fréquentent, à moins qu'ils n'aient à craindre un débordement ou quelque autre danger résultant d'une trop grande proximité de l'eau. La bergeronnette place son nid sur l'eau : ce nid , construit de feuilles de roseau, est suspendu à une feuille de la même plante. L'huitrier se borne à déposer ses œufs sur le sable ; pendant la chaleur du jour , c'est-à-dire depuis environ dix heures du malin jusqu'à trois heures de l'après-midi, il va chercher sa nourriture, et le reste du temps il le passe à couver. L'autruche se comporte d'une manière analogue. Les oiseaux domestiques, nos poules et nos coqs, par exemple, ne font pas de nid non plus; cela dépend de ce que logés convenablement, ils négligent un soin devenu pour eux complètement inutile.

Les nids varient non-seulement par leur position, mais par leur forme, leur structure, et la qualité des matériaux dont ils sont composés. Il entre de l'art dans la construction et un art qui s'apprend, car les jeunes oiseaux ne les font pas aussi bien que les vieux. Les vieux ne se copient pas servilement les uns les autres, ils savent accommoder leur travail aux exigences du lieu qu'ils ont choisi, et il est toujours facile d'apercevoir quelle a été leur intention dans les modifications, dans l'arrangement qu'il ont fait subir aux matériaux dont ils se sont servis.

Le temps où se font les nids est celui où les oiseaux sont en amour ; le mâle et la femelle travaillent de concert et avec une égale ardeur .à sa construction. Les oiseaux sédentaires

gardent ordinairement le nid qu'ils ont fait pendant toute l'année; les oiseanx voyageurs, soit qu'ils viennent de l'Afrique ou du Groenland, savent le retrouver. On s'en est assuré plusieurs fois, en attachant à la patte de quelques oiseaux, Un ruban ou un morceau d'étoffe qui permettait de constater l'identité de ces animaux. On les voyait revenir tous les ans, après Une absence de cinq à six mois passés dans des pays éloignés.

Quoique revenant dans les mêmes lieux, il y a des oiseaux qui font chaque année un nid nouveau tout près ou au-dessus de l'ancien. L'explication de cette particularité n'est pas encore donnée; on la trouverait peut-être dans quelque cause d'incommodité inhérente au vieux nid, comme seraient là malpropreté, la puanteur ou la présence d'insectes parasites et nuisibles.

La construction d'un nid donne à l'oiseau le sentiment de la propriété; l'oiseau sait que ce nid lui appartient, et si un voleur vient s'en emparer, ce n'est pas sans combat qu'il en reste possesseur. On raconte, mais ce fait est difficile à croire, qu'un moineau s'étant logé dans le nid d'une hirondelle, et ayant refusé d'en sortir malgré de très pressantes injonctions, l'hirondelle spoliée, aidée de ses compagnes, boucha si complètement l'entrée du nid, que le moineau y resta enfermé.

L'homme qui se dit le maître de la terre, possède souvent moins que l'oiseau : s'il est né pauvre, il n'a pas même d'habitation, il ne sait pas où reposer sa tête; le partage a été fait d'avance, aucune place n'est restée pour lui. Le pauvre a tort de naître, la vie est un fardeau qu'il traîne dans les privations et la douleur : la mort semble être le seul bien que la nature lui ait mis en réserve, et dont les riches n'aient pu le dépouiller.

Les oiseaux sont des animaux sociables, il faut en excepter cependant quelques espèces, et notamment les oiseaux de

proie, Jamais il n'y a deux nids d'aigle dans la même contrée. Dans la famille des passereaux, dans celle des grimpeurs, des gallinacés, des échassiers, presque tous sont sociable; chez les palmipèdes on ne cite pas d'exception. Ainsi l'autruche, l'outarde, l'étourneau, le moineau, la linotte, le perroquet, l'ami des palétuviers, l'hirondelle, le pluvier, le pélican, l'oie, le canard, le pétrel, le pinguin, etc., etc., recherchent chacun les animaux de leur espèce, et ne sont jamais seuls. Il n'en est pas de même du merle, du coucou, du houton , du pic, du torcol, du martin-pêcheur ou alcyon et du butor. Ce dernier est tellement solitaire, qu'il ne vit pas même en compagnie de sa femelle.

Les oiseaux qui vivent en société sont en même temps des oiseaux voyageurs ; le nombre en est très considérable ; j'en citerai seulement quelques - uns. La caille, le freux, la corneille, la draine, la litorne, le mauvis, l'hirondelle , le martinet, la cigogne, la grue, le vanneau, le pluvier, le cigne, foie, le canard, le manchot à lunettes (1), etc. C'est au printemps et à l'automne qu'ont lieu les arrivées et les départs , quelquefois aussi en hiver et en été. Les oiseaux qui passent l'été dans les pays excessi-

(x) Le manchot à lunettes voyage sur l'eau. Voici ce que dit M. Lesson de cet animal :

« La chasse des manchots ou pinguins se fait à coups de bâton : ils creusent des terriers pour se loger eux et leurs familles ; un îlot desMalouines a recule nom de l'île aux Pinguins. Là leur nombre n'est pas moindre de quelques dizaines de milles.

« L'importante fonction de la reproduction étant accomplie, et les jeunes étant assez forts pour habiter la mer, les manchots abandonnent leur demeure terrestre, et la république entière va à l'eau pour environ six mois de l'année.

« Au moment du crépuscule, tous les manchots poussent ensemble des cris sourds et continuels, de manière qu'à une certaine distance du lieu qu'ils habitent, on éprouvé Bue illusion parfaite, en croyant entendre le mélange de

vemeni froids , descendent en hiver un peu vers le midi; c'est pour cela que nous les voyons arriver dans nos contrées , en môme temps que le froid. Les oiseaux qui ont passé l'été chez nous, s'en vont à l'automne dans les pays plus chauds, en Afrique, par exemple, où ils restent tout l'hiver. Ainsi chaque oiseau voyageur conserve, en raison même de son voyage, l'égalité de température qu'il aime et dont il a besoin. L'époque de l'arrivée et celle du départ diifèrent, suivant l'aptitude des oiseaux, à supporter telle ou telle température : il en est qui s'en vont tard et qui reviennent tôt; il en est d'autres qui restent seulement quelques mois dans notre pays. L'instinct qui porte les oiseaux voyageurs à partir est tellement inné chez eux, que des cailles, par exemple, que l'on enferme toutes jeunes et auxquelles on donne abondamment à manger, s'agitent et se tourmentent quand l'époque du départ est venue. Ce n'est donc pas le besoin de trouver de la nourriture qui est le seul motif déterminant de leurs voyages. La température y est sans doute pour beaucoup, car les oiseaux tout pénétrés qu'ils sont jusque dans la cavité des os, par l'air atmosphérique, doivent en éprouver des influences qui nous échappent complètement. Quant au transport d'un lieu dans un autre, sous une même latitude et dans un même climat, des oiseaux voyageurs ou des oiseaux sédentaires, il a pour cause la disette, et par conséquent la recherche des alimens, ou la présence d'un ennemi et surtout celle de l'homme. Tous les voyageurs qui ont visité des pays rarement traversés par les hommes, ont été frappés de la confiance et de la sécurité des oiseaux qui,

voix et de mouvemens de peuple assemblé pour une fête publique, et dont l'atmosphère porte au loin, dans le calme, les sons confus et mélangés, iîk" Pu Peut croire que le manchot est monogame. »

Op. cit. Zool. t. i, p. a 'i i.

on toute autre circonstance, sont le plus empressés de fuir. Les oiseaux ont appris à leurs dépens que l'homme est à craindre pour eux'; aussi le distinguent-ils très bien de tous les animaux. Les chasseurs qui savent cela, se cachent quelquefois dans une espèce de boîte qui a la forme d'un animal paisible, la vache, par exemple, et ils approchent de certains oiseaux que sans ce stratagème, ils ne pourraient jamais atteindre que difficilement. Les canards et les oies sauvages qui,'dit un avi-ceptologiste, sont si défians , qu'ils ont peur de leur ombre, sont pris à ce piège; il en est de même des pluviers, des vanneaux, des élourneaux, des grives, des alouettes, etc. Les vanneaux et les pluviers ne séjournent jamais long-temps dans le même lieu; comme ils vont toujours en troupe, ils ont bientôt mangé tous les vers qui se montrent à la surface du sol où ils s'abattent, aussi sont-ils constamment en voyage, et l'on en trouve partout. L'été, les vanneaux sont au Kamtchatka, et l'hiver à l'extrémité orientale de l'Asie.

Les oiseaux se baignent et font une sorte de toilette, el à très peu d'exceptions près, ils nettoyent leur nid dans lequel ils ne déposent presque jamais leurs excrémens. Dès le malin, ils lissent leurs plumes avec le bec, et les palmipèdes, pour empêcher leurs plumes de se mouiller ou de s'imprégner d'eau, les*enduisent d'une sorte de graisse qui est sécrétée par des glandes placées près l'orifice du cloaque. Comme ils sont sujets à avoir sur la peau des insectes parasites, ils se pouil-lent aussi, et quelquefois, ils se rendent mutuellement ce petit service. C'est ce que l'on a eu souvent lieu d'observer sur les paons. Le martin pouille les chevaux et se nourrit de la vermine qu'il trouve sur la peau de ces animaux, quand il n'a pas de proie plus substantielle, ce qui lui arrive souvent, parce qu'il est très peureux quoique naturellement carnassier.

Les oiseaux sont tous les ans, à certaines époques, dominés par une passion violente, celle de l'amour. Ordinairement au printemps ou en été, quelquefois en automne et plus rarement en hiver, chaque oiseau mâle cherche une femelle à laquelle il reste uni pendant un espace de temps variable, mais qui est ordinairement de plusieurs mois. Les oiseaux qui vivent en troupe et qui voyagent, se divisent ainsi en petit ménage de deux individus; ceux qui restent ordinairement solitaires, se rapprochent pour s'apparier au moins jusqu'à l'éclosion des petits.. Après avoir choisi sa femelle, le mâle ne la possède pas toujours sans de violens combats contre ses rivaux, et il en a ordinairement plusieurs, car, chez les oiseaux comme chez l'homme, et même à ce qu'il paraît en plus grande proportion que chez ce dernier, il naît un nombre de mâles supérieur à celui des femelles. On ne sait pas quel est le sort des mâles qui ne trouvent pas à s'apparier, mais si l'on en juge par ce que deviennent la plupart de ceux que nous retenons prisonniers, et auxquels on ne fournit pas de femelle à l'époque de la pa-riade , il est permis de croire qu'il n'en survit qu'un petit nombre.

Le mâle et la femelle travaillent à faire leur nid, non-seulement ils agissent de concert, mais ils sont animés par un sentiment d'amour qu'il est facile de reconnaître à leur ramage et à leurs caresses. Le nid fait, la femelle y dépose ses œufs et les couve, tandis que le mâle va chercher ta nourriture de tous deux, et le reste du temps se tient non loin du nid, les yeux vers la femelle, gazouillant ou chantant ses plus jolis airs. Lorsque la femelle quitte momentanément le nid, le mâle la remplace et couve les œufs. Tous deux, quand les petits sont éclos, vont leur chercher la nourriture; aux oiseaux de proie, de la chair, des jeunes animaux; à près

que tous les autres, des insectes. Une fois que les petits sont en état de voler, le père et la mère les essaient à cet exercice; ils leur apportent la becquée, mais ils se tiennent à distance du nid. On voit alors les petits tendre le cou, s'avancer timidement et, se retirer dans la crainte de tomber; puis pressés par la faim, sollicités par les agaceries de leurs géniteurs, s'avancer de nouveau, étendre les ailes, essayer de s'en servir, et enfin trouver assez de force pour s'élever un moment hors du nid. Ce manège est répété jusqu'à ce que les petits soient assez robustes pour chercher eux-mêmes leur nourriture , alors la famille se disperse, et chaque petit pourvoit seul à ses besoins, jusqu'à ce qu'il s'apparie, ce qui ne tarde jamais plus d'un an ; car un an suffît pour qu'un oiseau soit en état de se reproduire.

Pendant tout le temps de la pariade, le mâle et la femelle restent tendrement unis, et ni l'un ni l'autre ne souffrirait l'approche d'un oiseau étranger. Le mâle ne laisserait aucun mâle auprès de sa femelle, et lui-même ne va pas chercher de femelle étrangère. Il pourrait le faire cependant, car si on casse des œufs, si on détruit son nid, il fait un nid nouveau et féconde d'autres œufs. Mais cette puissance de fécondation, il n'en fait usage qu'avec sa femelle, et l'amour qu'il ressent pour elle, ne laisse de place à aucun amour étranger. « Les oiseaux nous représentent, ditBuffon(l), tout ce qui se passe dans un ménage honnête; ils observent la chasteté conjugale, ils soignent leurs petits; le mâle est mari, père de famille; tous deux, quelque faibles qu'ils soient, deviennent courageux et s'exposent volontairement à la mort, quand il s'agit de défendre leur famille. » Chez les cailles, les mâles sont si ar-dens qu'ils viennent quelquefois chercher leur femelle jusque

( i) Discours sur la nature des oiseaux.

dans les mains de l'oiseleur. Les combattans doivent leur nom à la fréquence et à l'acharnement des combats que les mâles se livrent entre eux, pour la possession des femelles. Chez les corbeaux, le mâle reste avec la femelle pendant plusieurs années de suite ; on pense qu'il en est de même de la grive et de la perdrix. Le bouvreuil, dit-on, ne peut vivre séparé de sa femelle ou des camarades qu'il s'est choisis, et que si l'un est pris, l'autre se fait prendre. Les kamichis mâle et femelle ont l'un pour l'autre un attachement si profond et si durable, qu'ils ne se séparent qu'à la mort. Le pétrel est dans le même cas : le mâle et la femelle ne se quittent pas, et si l'un des deux vienlàmourir,l'autre becquette le corps de son compagnon, et donne des signes non équivoques de douleur.

Un chasseur m'a rapporté qu'ayant tué une hirondelle de fenêtre qui volait au-dessus d'une rivière , une hirondelle voltigea long-temps autour de l'hirondelle tuée et la becqueta à plusieurs reprises, comme pour la ranimer. M. Les-son s'exprime ainsi à l'occasion des sternes ou hirondelles de mer :

« Entourées d'ennemis qui cherchent à dévorer leurs œufs, les hirondelles de mer ont reçu en partage un courage qui étonne, d'après leur petite taille. Elles font lâcher prise aux oiseaux de proie ou aux maraudeurs des rivages, et les assaillent avec une ardeur sans exemple. Ces palmipèdes semblent nés pour la société , car on ne les trouve jamais que réunis par grandes troupes , et leur attachement paraît s'étendre aussi bien sur tous les membres de la communauté que sur leurs petits. Souvent il arriva aux chasseurs qui tuaient quelques-uns de ces oiseaux , de voir les sternes se précipiter sur celles qui avaient été frappées, voler au-dessus en tous sens, et remplir l'air de leurs cris perçans. » (1)

(r) Op. cit. t, T, p. mâ.

Mais l'amour n'est ni durable ni pur chez tous les oiseaux. Le torcol reste peu de temps avec sa femelle; le moineau, quoique très ardent, n'a pour sa femelle ni caresse, ni préludes amoureux, il coche souvent, très souvent, el voilà tout; J'étourneau mâle n'est pas long-lemps avec la femelle; le coq a plusieurs femelles pour lesquelles il a des alternions et des soins et qu'il coche tour-à-lour; il en est de même des autres oiseaux qiie Buffon nomme oiseaux pesans; on assure que le hibou, le moyen-duc, la hulotte, font leurs œufs dans des nids étrangers; mais ce fait n'est pas généralement admis; quant au coucou, personne n'en doute; il dépose ses œufs, un seul à-la-fois, dans les nids de fauvettes, de verdiers, de ramiers et d'alouettes, et les leur donne à couver après avoir cassé ceux qu'ils avaient pondus. Ce n'est pas par indifférence pour ses œufs que le coucou femelle les porte dans des nids étrangers, M. Florent Prévost en a acquis la preuve. Si l'on enlève du nid l'œuf qui y a été déposé par la femelle du coucou, celle-ci l'y replace; elle veut donc que cet œuf soit couvé; mais comme elle est polygame, elle ne couve pas, ses maris casseraient les œufs. Le coucou mâle quille la femelle avant l'éclosion et même avant la ponte. Ce que l'on a dit de la disposition des viscères abdominaux du coucou, disposition qui s'opposerait à la couvaison, n'a, d'après les dissections de M. Florent Prévost, aucun fondement réel. Les viscères abdominaux du coucou ne diffèrent pas de ceux des autres oiseaux appartenant aux espèces voisines et qui couvent leurs œufs.

Une aberration amoureuse dont j'ai déjà rapporté un exemple, en parlant des argules, se rencontre dans quelques familles d'oiseaux; on l'a observée chez la perdrix, la caille, le jaseur et le coq.

Les oiseaux ont en général un amour extrême pour les

petits qu'ils ont fait éclore : les plus faibles deviennent alors courageux, et plusieurs qui semblaient stnpides, deviennent rusés. Leroy dit que, dans les lieux où l'abondance du gibier rend la nourriture rare, la perdrix poursuit et tue tous les petits qui ne lui appartiennent pas, lorsqu'ils viennent croiser ses recherches (1). Chacun sait que la poule est intrépide quand il s'agit de protéger ses poussins. Les perdrix mâle et femelle ont une tendresse égale pour les petits qu'ils ont du reste couvé presque autant l'un que l'autre. Buffon dit que si la nichée est abordée par un chien, le mâle sort, fait le blessé, vole d'une aile et semble se traîner sur la terre, afin de se faire suivre du chien, et que, pendant ce temps, la femelle emmène ses petits et les cache. C'est tout le contraire des cailles qui ne se réunissent que pour s'accoupler, et dont la femelle se débarrasse de ses petits, aussitôt qu'elle le peut. Le loriot cherche à défendre ses petits même contre l'oiseleur. La femelle du bruant couve avec tant de soin, qu'en plein jour elle s'est laissée prendre à la main,, quand elle était sur ses œufs. La fauvette mâle et femelle, les perroquets, les cigognes, ainsi que la plupart des oiseaux qui vivent appariés, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, prennent un soin égal des œufs et des petits : cependant si on touche leurs œufs, plusieurs s'en vont et ne reviennent plus. On a vu une jeune alouette qui n'avait pas encore couvé, prendre d'autres alouettes plus jeunes qu'elle, un soin si grand, qu'elle n'aurait pas fait mieux si elle avait été leur mèrej elle aurait pu s'envoler, elle n'en a rien fait, le soin de ses nourrissons l'occupait tout entière, elle ne songeait pas à la liberté.

(i) Lettres philosophiques surt l'intelligence et la perfectibilité des animaux., etc., iii-S*. Paris, 1801; nouvelle édition, p. 83.

Dupont de Nemours (1) raconte le fait suivant, qu'il donne comme un exemple de charité maternelle, chez une femelle de serin : cet exemple s'il est bien vrai, ce dont je n'oserai pas me porter garant, parce qu'il est arrivé plusieurs fois à Dupont de Nemours d'être trop prévenu en faveur des animaux, cet exemple, dis-je, serait encore plus remarquable que le précédent. « Dans une grande volière peuplée d'oiseaux de diverses espèces qui vivaient assez bien ensemble, on avait placé un nid de rossignols, et la pâtée mêlée de chrysalides, de fourmis et de petits vers de farine, qui fait leur meilleure nourriture. Le père et la mère ne purent supporter la prison, ils moururent. Un petit restait et mendiait la becquée pai ses cris. Une serine avait observé ce triste et nouveau ménage , elle avait reconnu la différence des alimens que les parens, avant leur mort, donnaient au jeune rossignol, et de ceux dont elle-même faisait usage. Elle fut attendrie par la misère de l'orphelin ; mais ces vermisseaux, cette pâture infecte lui causaient un grand dégoût. Elle hésita long-temps, allant du petit au vase qui contenait la pâtée, et du vase au petit. Enfin elle surmonta sa répugnance, prit une becquetée et la porta d'un vol précipité à l'indigent, puis alla vite se laver le bec. Elle donnait ainsi jusqu'à trois becquées, mettant entre elles un petit intervalle, et se lavant soigneusement le bec à chacune. Elle ne recommençait à en donner trois autres qu'après un temps assez long, toujours montrant combien l'effort lui était pénible , et toujours multipliant les ablutions. Le petit fut élevé, il aimait tendrement sa nourrice ; mais le mâle serin, qui avait toléré l'éducation du rossignol au nid, se mit à battre le rossignol voltigeur, de sorte

(i) Quelques mémoires sur différens sujets , la plupart d'histoire naturelle, et de physique générale et particulière ; ae édition in-8°, Paris, i8i3, p. 228,

qu'on fut obligé do retirer celui-ci de la volière, pour lui sauver la vie. )J

Quelques oiseaux couvent à peine leurs œufs ; ce sont, pour la plupart, des oiseaux de rivage qui placent leurs œufs dans le sable , exposés aux rayons du soleil, et qui viennent les tenir chauds pendant la nuit. La pintade abandonne facilement ses œufs et même ses petits ; le coq d'Inde casse souvent les œufs de sa femelle, afin de l'empêcher de couver et de pouvoir en jouir : c'est ce que font aussi plusieurs autres oiseaux, mais en très petit nombre; car dans celte classe d'animaux, les soins de la famille sont partagés presque également entre le mâle et la femelle.

Parmi les animaux , les oiseaux seuls savent chanter et parler; ils ont un chant qui leur est propre, une langue particulière que nous comprenons rarement. Ils peuvent en outre apprendre et répéter les sons et les paroles qu'ils entendent. Quelques-uns, par la facilité qu'ils ont à retenir ce que nous disons, semblent prendre part à nos discours et converser avec nous. I! n'est personne qui ne connaisse et qui n'ait admiré les chants du rossignol, delà fauvette, de l'alouette , du pinson , du serin, et de tous ces oiseaux qui animent les campagnes ou que nous conservons dans les volières. Le moqueur est, dit-on, le*premier parmi les oiseaux chanteurs ; les sauvages le désignent sous un nom qui signifie quatre cents langues, et les savans l'appellent polyglotte ; son chant est plein de goût, d'action et bien cadencé ; il imite celui des autres oiseaux, et l'on assure qu'il rit aux éclats quand il les voit accourir près de lui, trompés qu'ils sont par l'imitation de leur chant. C'est même ce qui l'a fait désigner sous le nom de moqueur. Les oiseaux imitateurs de la parole de l'homme, et qui s'en font les échos, sont le perroquet, le sansonnet, le merle, le bouvreuil, la pie, la corbine, et même

le verdier, la linolte, le martin, le serin el le rossignol. Quelques-uns d'entre eux paraissent attacher un sens à nos paroles, et souvent on a vu le perroquet répondre à propos. Entre eux, les oiseaux parlent et se comprennent ; ils ont des tons différais pour exprimer leurs différentes passions. Les hirondelles ne s'assemblent jamais pour partir, sans parler Oeaucoup plus qu'elles ne font en tout autre temps. Le coq parle à ses poules, les appelle, les agace, les gronde; et les poules comprennent ce langage, car elles agissent en conformité des désirs exprimés par le coq. Si on blesse un loriot et qu'on le fasse crier, aussitôt tous les loriots de la forêt accourent près de lui ; ils ont reconnu la plainte d'un de leurs semblables et ils s'empressent afin de le secourir. Les hirondelles se montrent en cela souvent fort empressées et fort ingénieuses. Dupont de Nemours a été témoin du fait suivant. Il a vu une hirondelle qui s'était pris la patte dans le nœud coulant d'une ficelle attachée à une gouttière du collège des Quatre-Nations (aujourd'hui l'Institut). Sa force épuisée, elle pendait et criait. Toutes les hirondelles du voisinage se réunirent au nombre de plusieurs milliers, et poussaient des cris d'alarme. Après une assez longue hésitation, l'une commença, et, comme à une course de bague, elle donna, en passant, un coup de bec à la ficelle ; les autres firent comme elle, la ficelle fut coupée , et dans l'espace d'une demi-heure , la captive recouvra sa liberté (1). J'ai pour garant d'un autre l'ait de la même nature et gui s'est passé tout récemment, le témoignage d'un observateur dont la véracité ne fait pour moi l'objet d'aucun doute.

La poule d'Inde,quand elle dislingue un ennemi, ce quelle l'ait de très loin , car elle a la vue excellente., jette un cri

(t) Qo, cM , p. 189.

d'effroi que ses petits comprennent, car ils se cachent jusqu'à ce que la poule, par un autre cri différent du premier, les ait prévenus que le danger est passé. L'ortolan, quand il aperçoit un chasseur, pousse un cri que les autres animaux comprennent également, et qui les fait fuir ou se cacher. Le myti-lène de Provence en fait autant dès qu'il aperçoit une buse, un milan ou un épervier. Parmi les oiseaux qui voyagent en troupe, laplupart ont des sentinelles : les plus remarquables en ce genre sont les grues. Elles font des voyages plus longs que tous les autres oiseaux, et faisant en cela à-peu-près ce que font les corégones lavarets(l), elles s'avancent en triangle isocèle quand le temps est calme ; s'il fait du vent ou si elles sont menacées par un aigle, elles se mettent en rond, et pendant la nuit leur chef fait entendre un cri auquel tous les autres répondent. Lorsqu'elles se reposent pour dormir, elles ont des sentinelles qui veillent la tête haute, tandis que toutes les autres se cachent la tête sous l'aile. Aristote, dans son livre si riche d'observations sur les mœurs des animaux, et sur celles des oiseaux en particulier, dit que la grue est le plus ingénieux des oiseaux qui se réunissent et qui voyagent en troupe. Ceux qui en approchent le plus sont les corbeaux, les canards et les oies.

Malgré les preuves sans nombre de la faculté que les oiseaux possèdent de se communiquer leurs besoins, leurs de-sirs, leurs passions ou même quelques idées, par le moyen du langage, il s'est trouvé des partisans de l'automatisme des bêtes, comme l'on dit ordinairement, qui ont refusé aux oiseaux toute expression dans leur langage et toute transmission d'idées. Ce n'est pas Buffon, car en cent endroits de son histoire des oiseaux, il vante l'intelligence de ces animaux et la place

(i) Voy, précédemment, p. 212.

au-dessus de celle des mammifères , réparant ainsi l'injustice qu'il avait commise à l'égard des uns et des autres, en parlant des abeilles. Ce sont, pour la plupart, des idéologues et des théologiens qui ont pensé que ce serait avilir l'homme, si des animaux , des bêtes présentaient, sous le rapport intellectuel, quelques traits de ressemblance avec lui. Cependant les animaux, et en particulier les oiseaux, ont des idées; ils comparent, ils jugent, ils réfléchissent. Ils sont loin , assurément , d'avoir les mêmes aptitudes que l'homme ; leurs idées se rapportent presque exclusivement à des choses physiques, à des [besoins matériels; mais ils ont aussi des notions intellectuelles ; ils sont, par leurs seules ressources , capables de faire des progrès, de se perfectionner dans les choses qui sont a leur usage; ils ont des qualités, des défauts, et presque des vertus et des vices.

IÏ est admis par tous les oiseleurs, que les nids des jeunes oiseaux ne sont pas aussi bien façonnés, ni aussi sûremen placés que ceux des oiseaux auxquels l'âge a donné une certaine expérience. Les oiseaux qui restent long-temps dans leur nid, donnent à ce nid plus de solidité et un arrangement plus confortable que les autres ; ceux au contraire que l'on a façonnés à la domesticité et qui n'ont pas besoin de nids, n'en font pas. C'est le cas du coq et de la poule. Quant à l'argument tiré de la ressemblance que tous les nids d'une même espèce d'oiseaux ont les uns avec les autres, on peut assurer que cette ressemblance n'est pas aussi grande qu'elle nous le paraît au premier coup-d'œil. Ceux qui les connaissent bien et surtout ceux qui les ont faits, y voient des différences qui nous échappent. Les objets qui sont nouveaux pour nous et qui ont de l'analogie entre eux, nous paraissent, par cela seul et après un examen superficiel, être tout-à-fait les mêmes. Lorsqu'en France, on vit des Baskirs pour la première

fois, leur front rétréci, leurs yeux obliques, leur nez épaté et leur bouche énormément fendue, les rendaient tellement dif-férens de nous el si semblables les uns aux autres, que chacun s'y trompait. C'était lors de l'occupation, les Baskirs étaient en logement militaire chez les bourgeois; s'il leur prenait fantaisie d'entrer, en grand nombre, dans le logement d'un des leurs et d'exiger qu'on leur donnât à boire ou à manger, l'hôte était souvent obligé de servir la bande tout entière, dans l'impossibilité où il se trouvait de distinguer ceux auxquels il devait des alimens, de ceux auxquels il n'en devait pas. J'ai même entendu bien des gens se demander alors, comment les Baskirs pouvaient se reconnaître entre eux? Nous ne faisons pas autrement, quand nous disons que les nids des oiseaux ne diffèrent en rien les uns des autres.

Il faut bien que ces nids soient dissemblables et que les différences qui s'y trouvent, n'échappent pas aux oiseaux, car ceux-ci ne se trompent jamais de nid; leur mémoire est si bonne que tel oiseau voyageur, absent depuis six mois, passés en Afrique ou dans quelque autre pays éloigné, revient après ce temps, reprendre le nid qu'il avait quitté. c En général, dit à cette occasion Georges Leroy, dans tous ces ouvrages, qui ont un objet commun, et qui nous sont aussi peu familiers, nous ne pouvons être frappés que d'une ressemblance grossière, qui nous fait conclure à l'uniformité absolue. Il est vraisemblable, ajoute il avec raison, que les bêtes n'aperçoivent non plus aucune différence entre nos palais et nos chaumières; que l'aigle ne distingue pas, dans les mou-vemens des différens peuples sur lesquels elle plane, les degrés de police auxquels ils peuvent être parvenus. Une horde de sauvages, errant autour de ses cabanes et une troupe de savâns dans une ville bien bâtie, doivent également lui pa

raîtredes êtres qui marchent sur leurs pieds et qui s'agitent à-peu-près de la même manière. » (1)

Il en est de même pour nous, à l'égard des nids et même à l'égard de beaucoup d'oiseaux, parce que nous n'avons pas observé les uns et les autres avec assez d'attention.

Dupont de Nemours (2) dit avoir étudié le langage des corbeaux et le chant du rossignol. Le langage du corbeau, pour nous si monotone et si uniforme, lui a paru composé de vingt-cinq mots, très rapprochés les uns des autres, mais non pas semblables. Il a consacré à celte étude deux hivers; les corbeaux se laissaient approcher de lui, parce qu'il n'avait pas de fusil, mais seulement un petit livre blanc sur lequel il notait les mots qu'il entendait.

Comment s'y prendre pour connaître la signification de ces mots? comment croire seulement qu'ils aient une signification? « En observant soigneusement les animaux, répond l'observateur que je viens de citer, en remarquant que ceux qui profèrent des sons, y attachent eux-mêmes et entre eux, une signification, et que des cris originairement arrachés par des passions, puis recommencés en pareille circonstance, sont, par un mélange de la nature et de l'habitude, devenue l'expression constante des passions qui les ont fait naître. »

La langue des oiseaux une fois admise, comment, sans dictionnaire, pouvons-nous l'apprendre? Dupont de Nemours eu indique le moyen, qui est le même que celui dont nous nous servons, dit-il, pour apprendre la langue des peuples sauvages, ce C'est en écoulant le son, nous le gravant dans la mémoire, le reconnaissant lorsqu'il est répété, le discernant de ceux qui

(t) Op. cit., p. 61. o) Op. cit., p. i%f.

ont avec lui quelque rapport sans être exactement les mêmes, l'écrivant quand il est constaté, et, à l'occasion de chaque son, observant la chose avec laquelle il coïncide et le geste dont il est accompagné. » En suivant cette voie, la seule, en effet, qui puisse servir de guide en pareil cas, Dupont de Nemours dit avoir compris la signification du chant du rossignol mâle perché auprès de sa femelle, pendant qu'elle couve ses œufs ; il a donné ce chant en français ; mais, malgré tout ce qu'il y a de fondé et de juste dans le raisonnement du traducteur, j'avoue que je ne crois pas du tout à la fidélité de sa traduction.

£es jeunes oiseaux sontmoïns prudens que les vieux; les oiseaux qui ne connaissent pas l'homme se laissent tous approcher de lui sans aucune crainte : dès qu'ils le connaissent, les habiles s'en vont, les stupides restent, et tant qu'il y en a de ces derniers, on peut les tuer à coup de bâton. Il existe, sous ce rapport, un grand contraste entre les perroquets et les pinguins. D'abord, l'homme a pu s'approcher des uns et des autres ; mais l'expérience a profité aux perroquets, qui ont appris à connaître l'homme ; les pinguins n'ont rien appris ; on peut les abattre, et ils ne bougent pas, quoiqu'ils voient leurs pareils tomber à côté d'eux. Quelques passereaux qui viennent de la campagne à la ville, se comportent de manière à nous faire voir que l'expérience leur â servi. Dans les champs, ils ne se laissent pas approcher; à la ville, ils restent non-seulement à portée de fusil, mais presque à portée du bâton. Le corbeau, si craintif, si défiant, et qui se sauve de si loin, quand il voit un chasseur armé de son fusil et qu'il se trouve dans les champs, ne craint plus ni le fusil, ni la poudre quand il est à la ville. Pourquoi cela? C'est parce que dans la ville les fusils n'ont jamais fait de mal à aucun des siens, et que dans la campagne il a eu souvent à s'en garantir.

Les oiseaux sont instruits par ce qui les entoure, par les pièges qu'on leur tend, et acquièrent, avec l'âge, un certain degré de prudence. Mais, sous ce rapport, il y a encore une grande différence entre les espèces et même entre les individus. Généralement, les oiseaux qui se nourrissent de proie, sont plus cauteleux, plus réservés que les autres. Vivant eux-mêmes de chasse, ils connaissent assez bien les ruses des chasseurs etsavent s'en garantir. Pourtant, la buse, qui est un oiseau de proie a été donnée comme le type de la stupidité ; elle est en effet, inférieure en intelligence à la plupart des oiseaux et, principalement quand il fait froid, elle reste des heures entières dans la même attitude, sans paraître animée par aucun instinct. Mais il faut remarquer que la buse se nourrit de chair morte, et de petits oiseaux sans défense qu'elle va prendre dans les nids, de telle façon qu'elle n'est pas réellement un oiseau de chasse. Les oiseaux nocturnes sont aussi très stupides, et je tiens de M. Florent Prévost, très habile ornithologiste, que ces oiseaux adroits et rusés quand il s'agit de s'emparer de leur proie, ne savent pas échapper aux pièges qu'on leur tend ; ils sont si stupides que s'ils voient venir quelqu'un à eux, ils cachent leur tête derrière une branche d'arbre, croyant que cela suffit pour ne pas être vu. Buffon cite le sagopède comme un oiseau qui serait encore plus stu-pide que les précédens; il suffit pour prendre un sagopède de lui présenter du pain, ou même de faire tourner un chapeau devant lui : on l'arrête avec une simple rangée de pierres alli-gnées qu'il n'ose franchir, et on le dirige ainsi vers les pièges qu'on lui a préparés. Parmi les oiseaux insectivores et granivores, il en est d'assez intelligens et qui pourtant donnent dans tous les pièges. M.Louis Sénéchal conservait dans un laboratoire du jardin des plantes, des rouges-gorges et des mésanges, il les lâchait et les reprenait au même piège, sans que l'expé

rience du passé leur servît de rien ; il a fait la même épreuve avec des moineaux, mais avec un résultat tout opposé ; les moineaux ne s'exposaient pas à être pris une seconde fois de la même manière.

Les oiseaux, et en particulier les oiseaux chanteurs, écoulent tous les bruils qui sont à leur portée.Les palmipèdes eux-mêmes qui, au lieu de chant, n'ont jamais que des cris plus ou moins rauques, font entendre un cri de frayeur dès qu'ils sont surpris par quelque chose d'insolite; aussi regarde-t-on quelques-uns d'entre eux, les oies, par exemple, comme des gardiens ou plutôt comme des sentinelles préférables à des chiens, parce que, éveillés les uns ouïes autres par le moindre bruit, on peut quelquefois empêcher les chiens de japper, en leur donnant à manger, tandis que les oies n'en crient que plus fort. Les oiseaux chanteurs imitent le chant les uns des autres , quelquefois servilement, le plus souvent en y mêlant des phrases improvisées et transmettent quelquefois, par l'éducation , à toute leur famille, ces chants qu'ils ont appris.

C'est surtout dans leurs rapports avec l'homme, que les oiseaux se montrent attentifs et capables de progrès ; ils regardent, écoulent, observent, répèlenl(l), obéissent ou refusent et partagent ou contrarient nos passions et nos idées, toutefois dans ces limites assez bornées au-delà desquelles ils ne peuvent plus nous suivre. Les premiers sous ce rapport, ceux qui ont le plus de ressemblance avec l'homme, sont sans contredit les perroquets. Ce sont, de tous les oiseaux, ceux qui apprennent le plus facilement à parler, qui retiennent le mieux ce qu'ils ont appris, qui paraissent attacher quelque sens aux mots qu'ils disent, et qui ont le plus de sentimens

(i) Rhodiginus cité par Bulïon, parle d'un perroquetcendré qui récitait correctement le Symbole des apôtres.

08 de passions analogues aux nôtres. Entré l'état physique d'un perroquet et celui d'un enfant capricieux et taquin, il y a une très grande analogie. Je prends pour exemple un fait que le révérend père Bougot, gardien des capucins de Sémur, et qui a fait pendant long-temps son plaisir de l'éducation des perroquets, rapportait à Buffon (1). « Le crik à tête et à gorge jaunes, se montre très capable d'attachement pour son maître ; il l'aime, mais à condition d'en être souvent caressé. Il semble être fâché si on le néglige, et vindicatif si on le chagrine; il a des accès de désobéissance ; il mord dans ses caprices et rit avec éclat après avoir mordu, comme pour s'applaudir de sa méchanceté. Les châtimens ou la rigueur des traitemens ne font que le révolter, l'endurcir et le rendre plus opiniâtre ; on ne le ramène que par la douceur. L'envie de dépecer , le besoin de ronger, en font un oiseau destructeur de tout ce qui l'environne; il coupe les étoffes des meubles, entame le bois des chaises, déchire le papier et les plumes, etc. Si on l'ôte d'un endroit, l'instinct de contradiction l'instant d'après l'y ramène. Il rachète ces défauts par des agrémens ; il retient aisément tout ce qu'on veut lui faire dire ; mais la cage l'attriste et le rend muet, il ne parle bien qu'en liberté.

« Dans ses jours de gaîté, il est affectueux, reçoit et rend des caresses, écoute et obéit; mais un caprice interrompt souvent cette belle humeur. Il aime les enfans, et en cela, il diffère du naturel des autres perroquets ; il en affectionne quelques-uns de préférence, ceux-là ont le droit de le prendre et de le transporter impunément, il les caresse et si quelque grande personne le touche, en ce moment, il la mord très serré. Lorsque les enfans qu'il aime le quittent, il s'afflige, les suit et les rappelle à haute voix.»

(i) Op. cit., Crik à tête et à gorge jaunes.

L'antipathie que les perroquets ont pour les enfans paraît avoir pour cause la jalousie. Les perroquets aiment à être caressés et ils ne veulent pas que les personnes pour lesquelles ils ont de l'affection, fassent des caresses à qui que ce soit. C'est là un fait trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en citer des exemples.

L'antipathie de ces oiseaux pour d'autres personnes n'est pas également motivée : il leur arrive de prendre en haine quelqu'un dont ils n'ont jamais eu à se plaindre, qu'ils n'ont même jamais vu , et lui font, avec opiniâtreté , tout le mal qu'ils peuvent. Un perroquet avait de l'aversion pour un jeune garçon qui n'avait eu que de bons procédés envers lui; il allait, si le jeune garçon était absent, l'attendre à sa porte quelquefois pendant des heures entières, pour lui mordre les jambes quand il rentrerait. On entoura un jour les jambes de l'enfant avec du carton. Le perroquet s'approcha, tourna tout autour, chercha à mordre, et voyant qu'il n'y pouvait pas réussir, il tourna le dos et s'en alla comme eut fait un enfant boudeur. Le jaco ou perroquet cendré est si attentif, qu'il retient des paroles sans qu'on ait pris la peine de les lui apprendre. On cite un perroquet de Henri VIII qui, étant tombé dans l'eau, aurait appelé des bateliers à son secours, de la même manière qu'il les avait entendus appeler du rivage par les passagers. Ainsi que plusieurs autres animaux, les perroquets paraissent avoir des rêves, car on a entendu ces derniers parler en dormant.

Après le perroquet, les oiseaux qui sympathisent le plus avec l'homme et qui vivent avec lui dans une sorte de familiarité, sont quelques autres oiseaux parleurs, comme la pie, le merle, le sansonnet, le bouvreuil, le serin, etc., et d'autres qui ne parlent pas, comme le moineau, la poule, le dindon, l'oie, le canard, et même des oiseaux de proie,

tels que le faucon et la buse, la crécerelle et le hobereau.

Les oiseaux ont-ils quelque connaissance des saisons et des climats? La régularité avec laquelle ceux qui voyagent se réunissent à des époques marquées, et se dirigent, après avoir attendu un vent propice, vers les pays où ils doivent se retirer, si elle n'est pas un motif de résoudre cette question par l'affirmative, suggère au moins quelque doute à ce sujet. Connaissent-ils les heures du jour? on peut le penser car plusieurs d'entre eux se trouvent, chaque jour, à des heures déterminées, dans un même lieu, soit pour se reposer et gazouiller ensemble, soit pour se rafraîchir, et les chasseurs, qui n'ignorent pas ce retour à des heures fixes se trouvent à celte espèce de rendez-vous, s'ils veulent faire bonne chasse.

On prétend que la pie sait compter jusqu'à cinq ; Buffon ne

le nie pas ; Georges Leroy et Dupont de Nemours ajoutent

foi à ce que les chasseurs racontent à ce sujet. « Si la pie

voit entrer un homme dans une hutte construite au pied de

l'arbre où est son nid, elle n'entre pas dans son nid qu'elle

n'ait vu sortir l'homme de la hutte ; si on a voulu la tromper

en y entrant deux et n'en sortant qu'un, elle s'en aperçoit et

n'entre pas qu'elle n'ait vu sortir le second ; il en est de même

pour trois, pour quatre et même pour cinq; mais s'il en est

entré six, le sixième peut rester sans qu'elle s'en doute : elle

ne sait pas compter jusqu'à six. » (1) 11 y a des oiseaux faisant habituellement provision û'an-

mens, et cachant une foule d'objets qui ne peuvent leur être

d'aucune utilité. Quelques-uns sont réputés curieux, parce

qu'ils viennent s'abattre sur un miroir où se reflète leur

image; cette représentation leur donne l'idée delà présence

(x) Buffon, note ajoutée à son article Pie.

d'un autre individu de leur espèce, et c'est cet individu qu'ils cherchent en s'approchant du miroir. On en cite plusieurs qui ont une véritable amitié les uns pour les autres: les chardonnerets se battent rarement entre eux et se font de fréquentes caresses ; le serin, enfermé dans une volière avec d'autres oiseaux, a toujours un ami auquel il donne la becquée, soit parmi les oiseaux de son espèce, soit parmi ceux des espèces voisines ; le bouvreuil aime tellement son maître qu'il meurt ordinairement s'il le perd; l'agami s'attache à celui qui prend soin de lui ; il est jaloux de ses caresses et s'il n'a pas de maître, il se donne aux personnes qu'il rencontre : c'est, dit-on , le chien des oiseaux.

Les perroquets ont pour certaines personnes une très vive amitié; lesexemplesen sontlellement connus de tout le monde, que je m'abstiendrai d'en rapporter aucun; mais cette amitié n'est pas désintéressée: pour l'entretenir, il faut des soins, des alimens et des friandises. Les oies sont susceptibles d'un attachement durable : un jars était journellement en lutte avec une autre jars pour la possession de trois femelles , et il était presque toujours le plus faible; le garçon de basse-cour l'ayant aidé à triompher de son rival, il en conçut une si vive reconnaissance, qu'il suivait partout ce domestique, et que quand il fallut les séparer, le jars en devint tout maigre et mourut de chagrin.

Une amitié réciproque paraît réunir tous les pétrels d'une même troupe, et quand l'un de ces oiseaux vient à mourir , tous les autres donnent, dit-on, des marques non équivoques de regret. Les chasseurs profitent de la connaissance qu'ils ont de l'attachement que les corbines ou corneilles noires ont les unes pour les autres : on fixe un de ces animaux de manière à ce qu'il ait les pattes en l'air ; il crie, les autres corbines viennent pour la secourir et cherchent à

là délier ; la prisonnière saisit, avec ses pattes, la corlrine qui s'est le plus approchée d'elle et ne la lâche plus: c'est une prise pour le chasseur : on en fait autantavec la pie et le geai. Enfin, il n'est pas, jusqu'à la buse, qui n'ait témoigné de la reconnaissance et de l'amitié, en échange des soins qu'un homme avait pris d'elle. (1)

L'éducation que l'homme donne aux oiseaux développe donc chez quelques-uns d'entre eux, des qualités qui, sans cela, resteraient ignorées ou n'existeraient pas ; mais la manière dont nous en élevons plusieurs , fait naître en eux des vices étrangers à leur nature : ces vices sont ce que dans l'homme nous appellerions paresse, gourmandise, libertinage ; ils sont le propre des oiseaux de loisir ; de la volaille de basse-cour, cette haute classe des oiseaux qui ne fait pas de nid, qui regorge d'aliniens sans avoir la peine de les chercher, et qui, au lieu de vivre en pàriade, un mâle avec une femelle, comme vivent les autres oiseaux et comme ils vivraient eux-mêmes à l'état de liberté, sont bien logés , sont grassement nourris et s'accouplent sans choix, plusieurs femelles pour un seul mâle.

Les actions des oiseaux sont donc aussi nombreuses qu'étendues; elles impliquent l'existence des facultés regardées comme primordiales de l'entendement, savoir : la sensation, l'attention, la mémoire, l'imagination, le jugement et jusqu'à un certain point, la volonté qui suppose la liberté.

La sensation, ou faculté de sentir, est très vive chez les oiseaux; il est inutile que je m'arrête à démontrer celte vérité, qui ne fait l'objet d'aucun doute.

l'attention existe aussi, mais à des degrés très différens ;

(r) Voyez Buffon, art. Les Perroquets : c'ans cel article on trouve une note fort intéressante relative à une btise que l'on a rendue fimilière.

faible chez les oiseaux stupides, qui ne s'aperçoivent pas du danger qui les menace et dont les relations sont très bornées, elle est très vive chez d'autres qui, comme le perroquet, la pie, le sansonnet, etc., etc., écoutent, observent, étudient plusieurs des choses qui se passent autour d'eux.

La mémoire est presque aussi développée chez certains oiseaux que la sensation ; faible chez la mésange, par exemple , qui se laisse souvent prendre au même piège , elle est active chez les oiseaux voyageurs qui se reconnaissent entre eux, qui savent retrouver leur ancien domicile, etc. Mais elle atteint un très haut degré chez les oiseaux chanteurs, et plus encore chez les oiseaux parleurs, en tête desquels se placent la pie et le perroquet.

L'imagination est moins active que les facultés précédentes , chez les oiseaux; il est même un grand nombre de ces animaux qui n'en laissent pas apercevoir de traces, soit qu'elle manque, soit que nous soyons dépourvus des moyen! d'investigation convenables pour la reconnaître. Elle se montre dans la construction des nids, dans les perfectionnement que les oiseaux y apportent, dans les ruses auxquelles ih ont recours pour se procurer de la nourriture el se soustraire à quelques-uns des pièges qu'on leur tend.

Le jugement dans des choses très simples, et que j'appellerai sensuelles, ne saurait êlre refusé aux oiseaux, surtout à ceux qui sont éducables. Un gros oiseau ne va pas se percher sur une petite branche, la branche casserait, et d'ailleurs l'oiseau n'y reposerait pas convenablement; le canard, le pinguin aiment mieux vivre sur l'eau que rester sur la terre ; sans se rendre compte de la raison dynamique, du pourquoi, ils préfèrent l'eau à la terre et la recherchent : la cause de cette préférence est une sorte de jugement. Une buse élevée en domesticité avait fui dans les bois; d'autres

buses l'ayant rencontrée, lui donnèrent la chasse ; elle revint chercher un refuge chez son maître, que depuis elle n'a plus quitté. Elle avait jugé que la vie lui serait, là, plus douce qu'avec ses pareilles. Le perroquet est jaloux des caresses de son maître ; il ne souffre pas que l'on embrasse la personne qu'il aime ; il apprécie donc l'action d'embrasser ; il la distingue très bien de celle de frapper : il la juge donc.

La volonté, chez les oiseaux, se laisse apercevoir entre la sensation et l'action, et même entre la pensée et l'action. Deux oiseaux voient un aliment qui leur convient, et se dirigent vers l'endroit où l'aliment se trouve, pour s'en emparer; mais l'un y va directement, brusquement, sans être retenu par aucune considération, et comme en vertu d'une attraction magnétique; l'autre, cauteleux et rusé, observe, examine, cherche à découvrir si, auprès de l'aliment qu'il convoite, il ne se trouve pas un piège qui peut le surprendre, et ce n'est qu'après avoir tout observé autour de lui, qu'il s'approche de l'aliment désiré : le premier a senti, et il a obéi à sa sensation ; le second a senti, jugé et voulu : il a fait ce qu'il a jugé bon, il a exercé un acte de volonté (1). Dans la réserve qu'ils mettent à cocher, certains oiseaux mâles montrent aussi qu'ils peuvent vouloir s'abstenir et vouloir faire. Tant que la femelle couve , ils restent près d'elle attentifs, empressés, aimans, mais s'abstenant de cocher la couveuse et ne cherchant pas une autre femelle ; que l'on enlève les œufs, ces mâles recommencent à cocher pour réparer la perte qu'ils ont faite. Dans le premier cas, s'ils se sont abs-

(i) Le geai] et la pie, d'après une observation faite par M. le docteur Desportes, présentent un exemple du contraste dont je parle ici: le geai est glou* ton ; quand il s'agit d'un plaisir sensuel, il obéit aussitôt ; la pie, plus réservée ne s'approche qu'à bonnes enseignes, en tournoyant et après avoir fait ses observations.

tenus, c'est qu'ils ont voulu s abstenir ; c'est qu'ils ont préféré un amour moral à une jouissance physique.

Le germe des facultés de l'entendement se rencontre donc chez les oiseaux, mais le germe seulement, et chose fort importante à noter ici, parmi ces facultés, celles qui dépendent de l'action des nerfs sont les plus actives , tandis que les autres, les facultés de réflexion , sont les moins développées. Nous aurons à chercher, plus lard, avec quelle différence dans le développement comparatif du cerveau et des nerfs, coïncide celte différence dans l'intensité des facultés sensilives et des facultés réflectives.

Il serait tout-à-fait impossible de rien comprendre à la vie des oiseaux, si l'on refusait d'admettre en eux l'existence des facultés intellectuelles dont ils présentent de si incontestables phénomènes. La haine des petits oiseaux et leurs attaques contre la chouette pendant le jour, sont si parfaitement motivées, qu'il est superflu d'en rapporter des preuves : l'art de la chasse, l'adresse à saisir une proie dans le moment convenable, cette ruse de voleur qui consiste à attendre qu'un oiseau se soit gorgé de poisson pour le lui faire rendre et s'en emparer, afin de s'épargner ainsi la fatigue de la pêche; la perfection apportée dans la construction du domicile ; la faculté de reconnaître les autres oiseaux, les hommes, les lieux, de savoir les saisons et les heures ; les qualités nécessaires pour vivre en société , conduire , commander, obéir, placer des sentinelles , prévenir d'un danger qui menace, donner des signaux ; savoir aimer d'amour , ressentir la tendresse d'un ami; venir au secours d'un semblable qui est pris dans un piège et l'en délivrer; témoigner des regrets sur un mort ; entrer en communauté avec l'homme, vivre dans sa familiarité, comprendre quelques-unes de ses passions et les partager; tout cela indique, à ne pouvoir s'y méprendre, une

intelligence qui, pour être infiniment inférieure à l'intelligence humaine, est cependant de même nature que celle intelligence, dont elle diffère seulement par le degré.

Cependant une barrière infranchissable retient les oiseaux dans d'étroites limites, la môme qui empêche les abeilles de perfectionner leur race , et qui rend chaque espèce de mammifères, même les plus intelligens, égaux entre eux depuis le commencement des âges historiques (1). L'homme seul, dans la création, a dépassé cette barrière, et rien ne lait pressentir qu'il puisse s'arrêter dans la voie du progrès. Ce qu'il observe, il le transmet; el ce que l'un a découvert devient, pour ceux qui suivent, l'objet de nouvelles découvertes. Trouve-t-il au dehors ou puise-l-il en lui-même l'élément qui le perfectionne? Habitant d'un monde que laul d'êtres vivans, restés slationnaires, habitent avec lui, d'où vient qu'il ne grandit pas seulement comme individu, mais qu'il grandit aussi comme nation? La vie des peuples, comme la vie de l'homme, a son enfance, sa jeunesse et sa virilité; elle a aussi sa décrépitude; et si elle ne finit pas, c'est qu'elle porte avec elle un principe conservateur qui triomphe de la mort. Ce principe, quel est-il ? La raison du progrès de l'homme, celle du progrès social, où la chercher? Celle question est posée depuis long-temps : l'étude du système nerveux doit en préparer la solution.

1. Les sens de la vue et de l'ouïe sont très développés clic/, les oiseaux ; l'odorat elle goût le sont peu ; le loucher Pest moins que tous les autres.

(i) Ii n'y a d'exception que pour les animaux don' lliflainie a pris soifi I qu'il a perfectionnés par l'éducation.

2. Les habitudes nocturnes de certains oiseaux dépendent de la manière dont ils ont l'organe de la vue conformé.

3. Quelques oiseaux se nourrissent exclusivement de mammifères et d'oiseaux vivans ;

D'autres, de poissons et de reptiles également vivans.

Beaucoup mangent des chairs morles ;

Le plus grand nombre vit d'insectes et de végétaux.

k. Beaucoup d'oiseaux font des voyages périodiques, dans le double but de changer de climat et de se procurer la nourriture qui leur est nécessaire.

5. Les oiseaux sont domiciliés; ils vivent en famille ; quelques-uns se réunissent en troupe et voyagent de concert; ils ont une sorte de discipline, un chef, des sentinelles.

6. Il y a très peu d'oiseaux muets ; les autres ont un langage à l'aide duquel ils se communiquent leurs sentimens et leurs idées.

7. Il y a des oiseaux qui font des provisions.

8. Quelques-uns sont voleurs.

9. Les inclinations des oiseaux varient beaucoup suivant les espèces ; on en trouve qui sont doux, sociables ; d'autres qui sont cruels et qui vivent solitaires.

10. Les oiseaux sont généralement très ardens en amour; la pariade, sorte de mariage annuel, est l'état dans lequel ils vivent le plus ordinairement.

11. Presque tous les oiseaux élèvent leurs petits avec soin tendresse et prévoyance ; les plus faibles trouvent du cou rage quand il faut défendre leur couvée contre un ennemi.

12. On a vu plusieurs fois les oiseaux s'entr'aider et veni au secours les uns des autres.

13. L'homme est parvenu à faire partager à quelques oiseaux, plusieurs de ses sentimens et de ses idées.

14. L'art de l'imitation est très développé chez plusieurs

oiseaux, qui reproduisent la plupart des bruits qu'ils entendent , et même la parole de l'homme.

15. Les vieux oiseaux sont plus expérimentés, plus habiles que les jeunes ; ils se sont perfectionnés parce qu'ils ont vu et appris ; mais ils ne transmettent pas à leurs petits par l'éducation, les acquisitions intellectuelles qu'ils ont faites.

16. Il y a une grande analogie entre l'état psychique d'un perroquet et celui d'un enfant.

17. Les oiseaux connaissent les saisons, les climats, les périodes du jour; on croit même que l'un d'eux peut compter jusqu'à cinq.

18. Quelques oiseaux ont les uns pour les autres une véri table amitié.

19. L'éducation que l'homme donne aux oiseaux, procure à ces animaux quelques-uns des attributs de la vie humaine : mais, livrés à leurs propres forces, les oiseaux n'atteindraient jamais jusque-là.

20. L'abondance et l'oisiveté corrompent le naturel des oiseaux, comme elles corrompent le caractère de l'homme.

21. L'analyse des phénomènes psychiques que Ton rencontre chez les oiseaux, montre qu'ils sont doués des facultés primordiales de l'entendement, mais que la sensation l'emporte de beaucoup sur la réflexion.

§ IV. RECHERCHE DU SIÈGE DES FACULTÉS DÉPARTIES AUX

OISEAUX.

Déterminons les variétés que présente l'encéphale des oiseaux, afin de construire, pour ces animaux, une échelle qui serve à les classer ; nous verrons ensuite si ce classement correspond au développement des facultés dont le paragraphe précédent contient une esquisse.

Le poids de l'encéphale (1), comparé au poids du corps, varie depuis 12 jusqu'à 3600; la moyenne est de 212 , c'est-à-dire que l'animal entier est 212 fois plus pesant que son encéphale. En jetant un coup-d'œil sur le tableau qui a fourni cette moyenne, on voit de suite qu'elle est défavorable au plus grand nombre des oiseaux, car sur 37 oiseaux portés au tableau , il y en a 6 seulement placés au-dessus de la moyenne ; tous les autres sont au-dessous, tellement que chez ceux qui se trouvent le mieux partagés, l'encéphale est en poids la douzième partie du corps. Les oiseaux dont l'encéphale est comparativement le plus petit, sont des oiseaux appelés pesans et des oiseaux domestiques, qui, nourris dans les basses-cours, prennent un accroissement de volume qu'ils n'ont jamais à l'état de nature. Malgré celte condition défavorable à la détermination d'une moyenne qui exprime réellement le développement comparatif de l'encéphale et celui du corps des oiseaux, cette moyenne place les oiseaux bien loin des reptiles, et plus loin encore des poissons. En effet, nous avons eu pour rapport moyeu :

Chez lus poissons (2)....... 1 à 5668

Chez les reptiles (3)........ 1 à 1321

Et chez les oiseaux, nous avons 1 à 212

Ce qui donne aux oiseaux environ sept fois plus d'encéphale qu'aux reptiles, et deux cent sept fois plus qu'aux poissous.

Comparons maintenant les oiseaux les uns aux autres. Dans quelle partie du tableau trouverons-nous les oiseaux les plus inlelligens? Si c'était une loi rigoureusement vraie pour les individus comme pour les classes , que le poids du cerveau fût en rapport direct du développement intellectuel, les pre-

(r) Voyez précédemment, page 284. (2) U., page r( .',. 0) / /., page i34.

iniers, parmi les oiseaux inscrits au tableau, seraient les mésanges, les derniers seraient l'autruche et l'oie : entre eux, et à une égale distance des uns et des autres, se trouveraient la pie, le perroquet, le choucas, l'alouette et le merle. Mais il n'en est pas ainsi : l'oie el l'autruche ne sont pas des animaux stupides, el ce que nous savons d'elles nous oblige à les regarder comme supérieures aux mésanges. Quant aux perroquets, à la perruche, au geai, à la pie, la place qui leur doit être assignée n'est assurément pas après celle des mésanges, mais au-dessus d'elles, el même au-dessus de tous les autres oiseaux.

La comparaison du volume du cervelet à celui du cerveau donne un résultat différent (1) ; elle fournit un classement des oiseaux qui est assez en rapport avec leur étal psychique. Elle place en tête le choucas, la pie et le perroquet; à la fin elle met les vanneaux. Ce classement, qui exprime que les premiers ont un cerveau plus gros que les derniers, est presque celui que l'on suivrait, s'il s'agissait de mettre les oiseaux dont il est question à la suite les uns des autres, d'après le décaissement de leur intelligence.

Le poids de la moelle allongée comparé à celui du cerveau, dérange un peu cet ordre (2), mais, sous plusieurs rapports, on peut dire qu'il le rectifie : car le perroquet se place le premier; le coq et le combattant, deux animaux très ardens. en amour et très jaloux, sont à côté l'un de l'autre, et le geai vient après la pie.

Des deux tableaux qui précèdent, on peut tirer celte conclusion, savoir : que le cerveau, comparativement au cervelet el à la moelle allongée, est d'autant plus développé que les oiseaux sont plus intelligens.

(0 V. liage 286. 'a) V. page 2S7.

Le rapport de l'encéphale avec les nerfs fournit un résultat analogue, ainsi que M. Tiedemann l'avait déjà établi pour les mammifères comparés à l'homme. J'ai mesuré le volume du cerveau et celui des nerfs optique , moteur commun des yeux et pathétique du chardonneret, de la poule, du vanneau, de la perruche et de la pie (1). Les deux derniers animaux ont comparativement les plus petits nerfs, et par conséquent les encéphales les plus volumineux; ainsi, le rapport du nerf optique du chardonneret au cerveau du même oiseau, est comme 1 est à 466, tandis que les mêmes parties sont, chez la pie, dans le rapport de 1 à 1417. Je dois faire remarquer, cependant, que la pie est encore ici dans des conditions plus favorables , et plus haut placée que la perruche.

La comparaison du poids de l'encéphale avec celui de la moelle épinière, donne de nouveau l'avantage à la pie sur le perroquet et sur les autres oiseaux. La pie a la moelle épinière égale à un peu moins du neuvième de l'encéphale , le vanneau à plus de la moitié. Le perroquet est entre les deux, mais beaucoup plus près de la pie que du vanneau.

Jusqu'à présent, je n'ai eu égard qu'au volume absolu de l'encéphale ou à son volume relatif, j'arrive à ce qui concerne la forme de cet organe. Je n'ai pas à parler ici de la forme de la moelle épinière, ni de celle des lobes optiques, ces parties n'ayant pas une relation directe avec la production des phénomènes intellectuels. Quant au cervelet, je n'ai pas non plus à en parler, parce que sa forme ne diffère pas sensiblement dans les diverses familles d'oiseaux : reste donc le cerveau considéré dans son ensemble et dans ses parties.

Le tableau indiquant le rapport (2) qui existe entre le dia-

(i) V. page 287. (a) V. page 390.

melre transverse et le diamètre antero-posteneur du cerveau, classe les oiseaux d'une manière assez remarquable. La première chose à noter dans ce tableau, c'est que presque tous les oiseaux ont le diamètre transversal du cerveau plus long que le diamètre antéro-postérieur; nous tiendrons compte de ce fait quand nous aurons à comparer le cerveau des oiseaux avec celui des mammifères, et surtout avec celui de l'homme. Les perroquets sont placés en tête du tableau et groupés les uns^ près des autres; la chouette, la buse, le coucou sont à la fin. Les premiers ont tous le cerveau plus long que large, et ils sont les plus intelligens des oiseaux; les autres ont tous le cerveau beaucoup plus développé latéralement que d'avant en arrière, et ils sont généralement regardés comme stupides. La buse et le perroquet sont aux deux extrêmes pour le développement latéral du cerveau, ils sont également aux deux extrêmes pour l'état intellectuel. Ne faudrait-il pas conclure de là que l'élargissement latéral du cerveau est un signe de stupidité, tandis que son développement d'avant en arrière est un signe, ou plutôt une condition d'intelligence? Comme tendance générale, je crois cette conclusion vraie : mais je n'en ferai pas une loi, car cette loi serait sujette à de trop nombreuses exceptions : ainsi, le pigeon serait trop près de la chouette; la pie, le corbeau seraient trop éloignés du perroquet, les mésanges devraient se trouver au bas du tableau et non au-dessus du coq et de la pie.

Le rapprochement des perroquets entre eux, celui des canards et de la sarcelle, celui des mésanges, celui de la buse, de la chouette et du coucou, quelques autres encore indiquent un groupement naturel de ces oiseaux, groupement qui a pour base la largeur du cerveau comparée à sa longueur. Mais le rapport entre ces dimensions et la capacité psychique n'est pas la même pour d'autres espèces. Deux pigeons sont

placés assez loin l'un de l'autre, deux poules également, il en est de même des pies.

Gall aurait trouvé, s'il faut l'en croire, une différence constante entre le cerveau des oiseaux mâles, et celui des oiseaux femelles; et cette différence serait de nature à faire varier, suivant les sexes, le rapport entre le diamètre transverse et le diamètre anléro-postérieur du cerveau. « J'ai examiné (ce sont les paroles de Gall) (1), autant qu'il m'a été possible, les crânes des oiseaux, depuis lesplus petits jusqu'aux plus grands, et des mammifères, depuis la musaraigne jusqu'à l'éléphant, etj'ai trouvé partout que, dans les femelles, la partie cérébrale qui correspond à l'organe de l'amour de la progéniture chez l'espèce humaine, est plus développé que chez les mâles. Que l'on me présente dans l'eau les encéphales frais de deux animaux adultes quelconques, l'un mâle, l'autre femelle, et je distinguerai les deux sexes, sans me tromper jamais. Dans le mâle, le cervelet est plus grand, et les lobes postérieurs sont plus petits; dans la femelle, au contraire, le cervelet est plus petit et les lobes postérieurs ou la circonvolution affectée à celte fonction, sont plus gros et surtout plus longs. Lorsque ces deux organes se prononcent distinctement sur le crâne, je suis en état aussi de discerner les deux sexes, par la seule inspection de la boîte osseuse. Dans celles des espèces où la différence de l'amour de la progéniture est 1res grande d'un sexe à l'autre, les crânes diffèrent quelquefois tellement par leur forme, qu'on en trouve dans certaines collections, qui figurent comme des espèces différentes, ou du inoins comme des variétés de la même espèce, quoiqu'ils proviennent d'individus de la même variété, mais de sexe différent. »

(i) Sur la fondions du cerveau, tome lit, [ . 454.

Buffon (1) avait dit avant Gall: «Le maie et la femelle, dans les quadrupèdes, n'ont que des différences assez légères; ces différences sont plus grandes el bien plus apparentes dans les oiseaux; souvent, chez ces derniers, la femelle est si différente du mâle par la grandeur et les couleurs, qu'on les croirait chacun d'une espèce diverse. Plusieurs de nos naturalistes, même des plus habiles, s'y sont mépris et ont donné le mâle et la femelle, d'une même espèce, comme deux espèces distinctes et séparées ». La possibilité de prendre le mâle et la femelle de cerlaines familles d'oiseaux pour des espèces différentes, avait donc été prévue par Buffon; mais Buffon donne comme moyens de distinguer les sexes, des caractères purement extérieurs, Gall donne des caractères tirés de la conformation du crâne. Gall ajoute (2) à ce qu'il a dit précédemment: ce Dans les femelles, les hémisphères du cerveau sont plus développés, plus larges, plus longs et plus hauts que dans les mâles, et c'est pour cela que le crâne des femelles est plus large, plus long, et plus bombé dans la région correspondante », puis il indique, à la partie supérieure du crâne de la dinde et de la poule, et au niveau des yeux, une saillie qui n'existerait pas et qui, en effet, n'est pas figurée sur les crânes du coq et du coq-d'inde. (3)

Les observations de Gall ne sont pas du tout concluantes. ; les assertions qu'il émet sont au moins hasardées. A la seule inspection du crâne, distinguer les deux sexes, sans se tromper jamais ! Quand on s'exprime ainsi, on doit s'attendre à n'être pas cru sur parole. Au moment où j'écris,

(1) V. Plan de l'ouvrage sur les oiseaux.

(2) Op. cit., p. 456.

(3) V. l'Atlas iu-fol. de Gall, pl. I/VII; la fig. ire représente le crâne de la poule , la fig. 2 celui du coq ; la fig. 3 celui de la dinde et la fig. 4 celui du coq-d'inde.

j'ai sous les yeux et tout près l'un de l'autre, le crâne d'une poule et celui d'un coq, que j'ai connus tous deux dans la basse-cour où on les a élevés; la poule couvait bien, le coq était aussi ardent que le sont ses pareils : ainsi sous ce rapport, ils étaient l'un et l'autre dans des conditions normales. Cependant, à l'endroit du crâne désigné par le chiffre n dans la planche de Gall, il y a sur les crânes que j'observe une saillie, mais cette saillie est plus fortement prononcée sur le crâne du coq que sur celui de la poule, ce qui du reste, a également lieu pour toutes les autres saillies du crâne. La place que cette saillie occupe sur le crâne, à l'endroit indiqué par Gall, n'est pas d'ailleurs en rapport avec la partie du cerveau que Gall et ses partisans regardent comme étant plus développée chez les femelles que chez les mâles; elle est en avant de la cavité crânienne et correspond par conséquent à la partie antérieure du cerveau, et non pas à sa partie postérieure, comme il faudrait que cela fût pour que le cervelet des femelles restât moins à découvert que celui des mâles.

En voyant cette erreur de Gall partagée par tous les phrénologistes, on ne peut s'empêcher de faire la remarque qu'ils ont bien plus souvent étudié le crâne que le cerveau, ce en quoi ils ne sauraient être excusés, car lorsqu'on a la prétention de montrer dans un organe des dispositions jusqu'alors inaperçues, il faut s'attacher à connaître exactement cet organe et ne pas se borner à en décrire l'enveloppe. Les expressions dont Gall s'est servi constatent d'ailleurs un fait qui n'est pas en rapport avec l'opinion qu'il a émise, sur la forme du cerveau des femelles d'oiseaux, comparée à celle du cerveau des mâles. Si les hémisphères du cerveau des femelles sont plus développés, plus larges, plus longs et plus hauts que ceux des mâles; c'est seulement parce qu'ils sont plus grands chez les femelles que chez les mâles, ce

qui s'accorde parfaitement avec le développement relatif du corps des uns et des autres ; car, c'est un fait bien connu, que les oiseaux femelles sont, dans la plupart des espèces , plus gros et plus grands que les oiseaux mâles. Il ne faut pas pour cela invoquer une différence de développement relatif de telle ou telle partie du cerveau, parce qu'en réalité, on ne constate pas autre chose qu'une différence de développement de la masse totale du cerveau.

Pour ce qui me concerne, je déclare n'avoir pas trouvé de différence entre le développement relatif de telle ou telle partie du cerveau chez les oiseaux, suivant qu'ils étaient mâles ou femelles, et je regarde comme erroné tout ce que les phrénologistes ont rapporté sur ce sujet.

Gall assure qu'il existe une grande différence entre le développement latéral du cerveau chez les oiseaux timides et chez les oiseaux courageux; il va même jusqu'à en trouver une très notable entre le cerveau du coq du combat et celui du coq ordinaire (1); mais malheureusement, c'est toujours sur l'étude des crânes qu'il fonde cette opinion; ce sont des crânes qu'il décrit, et encore n'en donne-t-il que la forme extérieure. Si la doctrine de Gall est vraie sur ce point, nous devrons trouver un courage égal, ou à-peu-près égal chez les oiseaux dont le diamètre transverse du cerveau, comparé au diamètre antéro-postérieur, sera le même.Or, il faudra placer ensemble, d'après le tableau que j'ai dressé pour cet objet, le pic-vert et la mésange à tête bleue, la mésange nonnette, le moineau et le serin, le coq et la poule, le bruant et la pie, le combattant et la poule, le perdreau et le corbeau noir. Faire ce rapprochement , on s'en aperçoit de suite, c'est as-

(i) V. Op. cit., t. iv, page 26, et Atlas, pl. 64, fig. 3, représentant le crâne du coq du combat, et fig. 4 celui du coq ordinaire.

si miter les uns aux autres , des oiseaux doués de courage à des degrés très différens, en même temps qu'on en éloigne plusieurs qui se ressemblent réellement sous le rapport du courage.Ainsi, comme oiseaux courageux, il faudrait que l'élargissement du cerveau réunit dans un même groupe, la mésange à tête bleue , le moineau, la pie, le coq, le combattant et la pie-grièche ; et que dans un groupe opposé au premier, fussent placés les oiseaux timides, tels que le pic-vert, la sarcelle, la fauvette, le pigeon, le perdreau et la buse. L'observation, la mensuration exacte descerveaux donnent, surce point, un nouveau résultat entièrement opposé à la théorie de Gall. Si le pigeon, la chouette, la buse et le coucou ne sont pas plus courageux que la pie-grièche, la pie, l'autour, le combattant, le coq et la mésange, il est complètement faux de dire que les animaux courageux ont le cerveau plus large que les animaux timides; car chez les premiers, le diamètre transversal du cerveau, comparé au diamètre antéro-postérieur, est plus long que chez les derniers.

Si le tableau dressé par M. Lélut et dont on a vu plus haut le résumé (1), ne conduit pas directement au résultat que j'ai obtenu, il le fait au moins pressentir ; car il attribue un développement latéral de la tête plus considérable chez les oiseaux frugivores que chez les oiseaux carnassiers-insectivores.

Mais il y a dans la répartition de la masse cérébrale un fait que les diamètres précités ne révèlent pas et qui a pourtant une grande importance, en ce qu'il différencie complètement le cerveau du perroquet de celui de tous les autres oiseaux ; c'est l'épaisseur du cerveau et sa hauteur. Les oiseaux même les mieux pourvus en intelligence après le perroquet, comme la pie, le corbeau, ont, à la partie antérieure, le cerveau

(i) V. page 489.

prolongé en une pointe assez effilée qui contribue à en augmenter le diamètre antéro-postérieur, sans cependant que le volume du cerveau soit dans un rapport direct avec cet allongement; le cerveau du perroquet, au contraire, se rétrécit moins en avant que celui de tous les autres oiseaux, il est là volumineux et arrondi ; en arrière, une différence analogue se rencontre également, l'extrémité postérieure du cerveau dépasse de beaucoup les tubercules quadrijumeaux chez le perroquet et chez la pie, mais chez le perroquet, elle est presque sur le même plan que le cervelet qu'elle recouvre ainsi en totalité ou peu s'en faut, tandis que chez la pie, le cervelet reste plus à découvert.

Le prolongement de la masse cérébrale en avant el en arrière, serait-il un caractère propre à faire distinguer les oiseaux intelligens de ceux qui ne le sont pas ? Il n'est pas douteux que la masse cérébrale antérieure du perroquet soit plus considérable que celle de tous les autres oiseaux que j'ai étudiés (et j'en ai étudié un très grand nombre), l'inspection du cerveau de ces animaux suffit pour en donnerla preuve. Quant au développement de la masse cérébrale antérieure, on peut l'apprécier avec encore plus d'exactitude, parce que s'il est faible, le cervelet et les tubercules optiques sont plus ou moins à découvert; s'il est considérable, les tubercules optiques sont entièrement cachés et le cervelet lui-même est en grande partie recouvert.

La liste suivante contient le nom de quelques oiseaux rangés d'après le degré du développement de leur cerveau en arrière: ceux doni le cerveau se prolonge davantage sur les lobes optiques et sur le cervelet, sont les premiers.

Perroquet. Pie.

Corbeau noir. Choucas. Canard. Pic-vert. Pie-grièchè. Loriot. Hirondelle. \ Moineau. j Mésange. |

Fauvette. / an même degré. Pipi.

Rossignol. ] Bruant. / Coucou.(i) Merle. Chouette. Buse. Autour. Ponlé. Pigeon.

Cet ordre est très significatif, c'est Celui que l'on suivrait si l'on avait à prendre pour base de son arrangement, les facultés des oiseaux.

Il n'existe pas de circonvolution à la surface du cerveau des oiseaux; sur le plus grand nombre d'entre eux, on ne voit pas même de dépressions destinées à loger des vaisseaux sanguins. Les oiseaux chez lesquels il existe des dépressions de cette nature ne sont pas les plus intelligens, car la buse en a un, tandis que le corbeau en est dépourvu. Je reviendrai ailleurs sur ces sillons, et je dirai quels sont les vaisseaux qui les parcourent.

Lè volume relatif et la forme de la tuasse cérébrale des oi-

(r) Si l'ôfgane de l'amour des petits prolongeait le cerveau en arrière, le coucou , qui n'élève pas lés siens, devrait avoir les lobes optiques plus à découvert que tous les autres oiseaux, et par conséquent être le dernier sur cette liste. Or, ses lobes optiques sont au niveau du cerveau, tandis que les oiseaux dont les noms suivent le sien, on! tous les lobes optiques encore moins recouverts qu'il ne les a.

seaux, est donc en rapport avec le degré d'intelligence de ces animaux ; quant à ce qui concerne la détermination spéciale du siège de chacune des facultés, à leur localisation, j'avoue que, malgré l'observation la plus attentive , je reste dans une ignorance absolue.

Les phrénologistes se disent beaucoup plus avancés que moi, sur ce point, et l'un d'eux, M. Vimont, a tracé, sur le crâne d'une oie, vingt-neuf divisions indiquant vingt-neuf facultés dont voici rémunération. (1)

1. Conservation. 15. Configuration.

2. Choix desalimens. 16. Étendue.

3. Destruction. 17. Distance.

4. Ruse. 18. Sens géométrique. 6. Courage. ? 19. Résistance.

6. Choix dés lieux. 20. Localités.

7. Concentration. 21. Ordre.

8. Attachement à vie ou mariage. 22. Temps.

9. Attachement. 23. Langage.

10. Reproduction. 24. Éventualité.

11. Attachement pour le produit de 25. Construction.

la conception. 26. Talent musical.

12. Propriété. 27. Imitation.

13. Circonspection. 28. Comparaison.

14. Perception de la substance. 29.|Dùucéur.

Tout cela sur le crâne d'une oie ! Aussi n'y a-t-il pas si petite place qui ne soit occupée, En avant, à l'endroit où le cerveau se termine en pointe, M. Vimont a placé dix faculté^ et ce sont les plus belles, qui se trouvent tellement pressées les unes contre les autres, que ce serait merveille d'inscrire leur nom sur le cerveau, à l'endroit où M. Vimont prétend qu'elles siègent, se servit-on de caractères microscopiques. La merveille serait plus grande de les avoir découvertes,

(i) M. Vimont, op. cit. pl. xcm de son Atlas.

mais, ou bien c'est une plaisanterie dont je n'ai pas le mot, ou bien c'est le résultat d'une divination dont les procédés échappent à l'analyse et que, pour celte raison, je n'entreprendrai pas d'examiner. '

RÉSUMÉ.

1. Le poids de l'encéphale comparé au poids du corps, n'est pas dans un rapport direct avec le développement de l'intelligence, chez les oiseaux.

2. Le poids du cervelet comparé à celui du cerveau, s'en rapproche davantage.

3. Il en est de même de celui des nerfs, de la moelle allongée et de la moelle épinière, comparé au cerveau.

4. L'élargissement du cerveau des oiseaux est plus considérable chez les oiseaux stupides que chez les oiseaux inlelli-gens, mais il n'y a pas un rapport direct et nécessaire entre ces deux ordres de phénomènes.

5. La hauteur du cerveau et son développement en arrière, sont d'autant plus considérables que les oiseaux ont les facultés intellectuelles plus nombreuses et plus étendues.

6. Il n'est pas vrai de dire que les oiseaux femelles aient les lobes cérébraux plus allongés que les oiseaux mâles.

7. Il n'est pas vrai non plus que les oiseaux courageux ou féroces aient le cerveau plus large que les oiseaux dont les habitudes sont douces et timides.

8. Les résultats donnés par les phrénologistes touchant la localisation des facultés intellectuelles des oiseaux, ne découlent d'aucun fait anatomique ou physiologique.

CHAPITRE VI.

SYSTÈME NERVEUX CÉREBRO SPINTAI. DES MAMMIFERES.

En considérant quel grand nombre d'ouvrages ont été écrits sur le système nerveux cérébro-spinal des mammifères, on serait tenté de croire que la matière est épuisée, ou que si quelque chose reste à découvrir concernant ce sys-terne, ce sont des faits de détail et d une importance médiocre. Il n'en est rien cependant, et je puis encore répéter celte sentence de Sénèque, que M. Tiedemann a mis en tête d'un de ses plus imporlans travaux sur l'encéphale : Multum egerunt, qui ante nos fuerunt, sed non peregerunt : multum etiam adhuc restai operis, multumque restabit; nec ulli nato, post mille secula, prœcludetur occasio aliquid adjiciendi. (1)

La portion de l'encéphale des mammifères que les auteurs ont le moins exactement étudiée, est précisément celle que nous avons le plus d'intérêt à connaître, parce qu'on la regarde, avec raison, comme étant l'organe particulier affecté à l'accomplissement des fondions intellectuelles. On voit que je veux parler du cerveau. Certaines parties du cerveau ont élé bien décrites, ce sont celles qui se retrouvent les mêmes, ou à-peu-près les mêmes chez tous les mammifères; d'autres sont presque complètement ignorées, ce sont celles qui ont des caractères spécifiques. Ces dernières méritent cependant

(i) Icônes cerebri Simiarum, etc. Heidelberg, iSai. Prccfatio.

une attention toute spéciale, car si, dans l'organisation, quelque chose peut donner la raison de la différence qui existe entre les animaux, quant à l'étendue de leurs facultés psychiques, et de l'infériorité dans laquelle ils restent, relativement à l'homme, c'est sans contredit, la différence que présente leur cerveau.

§ I. DESCRIPTION du SYSTÈME NERVEUX CÉRÉBRO-spijnal des MAMMIFÈRES.

Il sera ici peu question de l'homme, mais presque uniquement des., animaux que les naturalistes ont placé dans la même classe que lui.

La moelle épinière tend à se subordonner de plus en plus à l'encéphale, au fur et à mesure que l'on s'élève dans la classe des mammifères; la moelle allongée se perfectionne par l'augmentation considérable du volume de sa commissure; un lobe nouveau se développe dans le cervelet; le cerveau acquiert une supériorité incontestable sur tout le reste du système nerveux, ses parties accessoires, telles que les couches optiques et les corps striés l'emportent de beaucoup sur les lobes optiques, et sa surface est sillonnée par des ondulations plus ou moins nombreuses nommées circonvolutions, parce qu'on a cru leur trouver de la ressemblance avec les circonvolutions intestinales.

1. Encéphale.

Les lobes optiques ne nous occuperont plus que comme un des organes secondaires de l'encéphale, ils sont liés à l'exercice d'une sensation qui est relativement moins importante dans les mammifères que dans les autres classes de vertébrés. La moelle allongée, le cervelet et surtout le cerveau exigent au

contraire une étude de plus en plus attentive, en raison des changemens qui s'y sont opérés, changemens qui ne portent pas seulement sur leur volume, mais sur leur configuration et sur leur structure.

1. Cerveau. On a dit que le cerveau des animaux mammifères est pourvu de circonvolutions; à quelques exceptions près, cela est vrai; on a dit aussi que les circonvolutions varient suivant les espèces d'animaux, cela est vrai aussi ; on a ajouté qu'elles sont en plus grand nombre chez les mammifères intelligens que chez ceux qui sont stupides, mais on n'a pas du tout prouvé cette dernière proposition. Erasistrate écrivait : Les circonvolutions sont plus nombreuses dans l'homme que dans les animaux, parce que l'homme l'emporte sur les animaux par l'esprit et par le raisonnement, et Galien lui répondait : Je ne partage pas votre avis, car, d'après cette règle, les ânes étant des animaux abrutis et stupides, ils devraient avoir un cerveau tout-à-fait simple, sans aucun sillon ou sinuosité, tandis qu'ils ont beaucoup de circonvolutions. (1)

Erasistrate et Galien n'avaient envisagé les circonvolutions que d'une manière générale, sans même entreprendre de les décrire ni de les rapporter à quelque type particulier. Willis a entrevu qu'il y avait une certaine régularité dans leur développement. Chez les quadrupèdes, dit-il, les circonvolutions sont en plus petit nombre que chez l'homme, et chez le chat, par exemple, elles ont une forme particulière (2). Il ajoute ailleurs : « Les anfractuosités du cerveau ont plus d'étendue dans les singes que dans le renard et le chien. » Perrault décrivant les circonvolutions cérébrales du singe, dit qu'elles sont assez semblables à celles de l'homme, mais

(i) De tisupartium, lib. S, rhap. l'i. (i) Cercbtlaftàtiîmej «tp.

sans décrire ni les unes ni les autres. Vicq d'Azyr (1) entre dans de plus grands détails que ses prédécesseurs ; il fait remarquer que, dans les singes, comme dans les quadrupèdes en général, les circonvolutions cérébrales sont peu nombreuses, symétriques des deux côtés, et semblables dans tous les individus du même genre; tandis que, dans l'homme, il assure qu'elles ne sont ni symétriques des deux côtés, ni semblables dans les différens sujets. Tyson (2) cité par Vicq d'Azyr, avait cependant assimilé le cerveau de l'orang-outang à celui de l'homme, et Vicq d'Azyr l'approuvait, mais ni l'un ni l'autre n'attachaient un sens précis à cette assimilation , car pour admettre que deux objets se ressemblent, il faut que chacun d'eux pris séparément ^ soit toujours conformé de la même manière. Or si, comme le prétend Vicq d'Azyr « dans le cerveau de l'homme, les circonvolutions ne sont ni symétriques des deux côtés, ni semblables dans les différens sujets, » comment dira-l-on qu'elles sont les mêmes que celles de l'orang-outang ?

L'idée qu'elles varient en effet beaucoup ou plutôt qu'elles ne présentent, chez l'homme, rien de constant, se retrouve dans les planches gravées de l'ouvrage de Vicq d'Azyr qui le cèdent à peine, quant à l'infidélité, à celles que M. Serres (3) a publiées depuis pour les animaux, el M. Vimont (4) pour l'homme.

Soemmering a été plus exact dans la reproduction de quelques-unes des circonvolutions cérébrales de l'homme, mais la double preuve qu'il ne les a pas connues, c'est d'abord qu'il ne

(1) Encyclopédie méthod. Syst. anat. Quadrupèdes, t." h.

(2) The anatomy oj a Pymy, compared voith that of a monkey, an ape and a man. Lond., 1761, in-40.

(3) Op. cit.

(4) Traité de phrénologie humaine et comparée, pl; i.xxxm de l'Atlas.

les a pas décrites, c'est ensuite l'éloge qu'il fait des planches de Vicq d'Azyr, qu'il appelle fidas naturœ imagines. (1)

Malacarne, décrivant l'encéphale du chevreau, parle d'une circonvolution placée à la partie interne du corps calleux, et qui entoure cet organe de l'un el de l'autre côté, comme une ellipse; c'est la seule circonvolution à laquelle il attribue une forme régulière. (2)

L'observation de Willis et celle de Malacarne, louchant la régularité des circonvolutions cérébrales, a été fécondée par Cuvier, en ce qui concerne les animaux. « Les singes, d'après Cuvier, ont beaucoup moins de circonvolutions que l'homme, et surtout les sapajous : le lobe postérieur n'en a même presque aucune. Dans les carnassiers, les sillons sont assez nombreux, et ils observent un certain ordre qui se retrouve le même dans la plupart des espèces. Les rongeurs n'ont presque aucune circonvolution sensible, tandis que les animaux à sabots, et surtout les ruminans et les chevaux en ont beaucoup. Le dauphin en a également qui sont nombreuses el profondes. »

Quant aux circonvolutions du cerveau de l'homme, Cuvier se contente de dire qu'elles sont les plus profondes de toutes, mais sans leur reconnaître aucune régularité. Laulh parle toul-à-fait dans le même sens (4), et les frères Wenzel, loin de faire avancer la question, contribuent au contraire à la rendre de plus en plus obscure. Suivant eux, « chez l'homme, les circonvolutions cérébrales d'un côté diffèrent de celles du côté

(i) De basi encephali. Scriptorcs nevrologici minores, I, ir, p. 2Û. (a; Encefalotomia di aleuni quadrupedi, etc. Manloue, 179a, in-fol. de 4.8 pages, p. 22.

(3) Leçons d'anat. comp., 1.11, p. 137.

(4) Sur la structure du cerveau. Journal complément., t. iV. Paris, 1819, p. 117- *

opposé, par la forme, la direction, les rapports, le siège, la longueur et la largeur. Il y a cependant, disent-ils, à la face interne de chaque hémisphère, immédiatement au-dessus du corps calleux, une circonvolution presque symétrique, mais on trouve encore des dissemblances marquées entre celle de droite et celle de gauche. Quant aux circonvolutions des mammifères, elles ne présentent rien de déterminé. » (1)

L'extrémité inférieure et postérieure de la circonvolution qui entoure le corps calleux, dont une partie avait été décrite par Malacarne, et admise par les frères Wenzel, a été l'objet d'une mention spéciale de la part de Treviranus (2). M. Serres, qui lui a donné le nom de lobe d'hippocampe, en a parlé dans le même sens que Treviranus, et M. Lélut (3) en a exposé la structure.

Ainsi dans l'étude des circonvolutions cérébrales, on avance pied à pied et l'on attache si peu d'importance à les examiner, que les auteurs qui ont découvert une partie de l'une d'elles, ne poursuivent pas leurs recherches jusqu'à en observer toute l'étendue.

Le magnifique ouvrage de M. Tiedemann sur le cerveau des singes et de quelques mammifères rares dans nos contrées , l'emporte sur tous ceux qui l'avaient précédé par l'exactitude et la beauté de l'exécution; on y trouve fidèlement rendues les circonvolutions de plusieurs singes, celles du phoque, du lion, du chat, du coati, de l'unau; mais l'auteur ne les a pas décrites, et le choix qu'il a fait de cerveaux

(1) De penltiori structura ccrebri hominis et brutorum, iu-fol. Tubing. 1812, p. 23.

(2) Recherches sur la structure et les fonctions de l'encéphale, des nerfs et des organes des sens, dans les différentes classes du règne animal ; trad. par M. Breschet, dans les Archives générales de Médecine, 3e vol. 182?, p. 2 3o.

(3) Note sur la substance blanche du lobule d'hippocampe, etc. Journal des progrès, année i83o, t. 11, p. i65.

rares dans nos contrées, aurait rendu cette description tout à-fait incomplète. Aussi M. Tiedemann n'a-t-il pas même tenté d'en indiquer la forme ou l'arrangement. En donnant des dessins exacts, il a fourni un document utile, mais que des recherches ultérieures pouvaient seules féconder.

Je n'en puis dire autant des travaux de M. Serres, sur le même sujet; il a si mal rencontré en faisant exécuter les planches de son Anatomie comparée, que pas une de ses figures n'est exacte et la description qu'il donne des circonvolutions cérébrales, a été faite d'après les planches et non pas d'après la nature ; ainsi il distingue les animaux en ceux qui ont des circonvolutions similaires d'un lobe à l'autre, et ceux qui les ont dissimilaires. Dans la première catégorie, il place les carnassiers, tels que le lion, le tigre, le loup et le renard, sans indiquer aucune différence entre les uns et les autres. Dans la seconde catégorie , il place l'homme, les cétacés, le cheval, qui les ont cependant tout aussi similaires que les premiers. Du reste, il n'en détermine aucune, il n'en connaît ni le nombre, ni le développement. (1)

C'est seulement en 1829 que les circonvolutions cérébrales de l'homme ont été connues et décrites. L'auteur de cette découverte est Rolando (2), dont M. Cruveilhier (3), a reproduit les idées, en 1836, mais qui a été si peu compris, qu'un de nos physiologistes les plus célèbres, M. Magendie (4), écrivait pendant le courant de cette dernière année : ce Le nombre, le volume, la disposition des circonvolutions cérébrales sont variés ; sur quelques cerveaux elles sont très

(1) Op. cit., t. ii, p. 58g.

(2) Délia struttura degli emisferi ccrebrali, in-4* de 4° pages, avec 10 planches lithographiées.

(3) Anatomie descriptive, t. iv, p. 662.

(4) Précis clém. de physiologie, 2e édil., t. 1, p. 228.

grosses; sur d'autres, elles sont plus mutipliées et plus petites. Leur disposition est différente dans chaque individu ; celles du côté droit ne sont pas disposées comme celles du côlé gauche. » Rolando avait cependant fait une description bien détaillée des circonvolutions cérébrales ; il avait établi leur similitude et leur constance chez l'homme, et il n'admettait, avec raison, aucune différence essentielle entre celle d'un côté et celles de l'autre.

Restait toujours la même ignorance des circonvolutions des animaux; M. Cruveilhier qui a essayé de traiter ce sujet, n'a pas été heureux dans le choix de ses propositions. «Dans l'espèce humaine, dit-il (4), ainsi que dans la série animale, le développement des circonvolutions m'a toujours paru en rapport direct avec le développement du cerveau considéré en masse. » C'est une erreur empruntée à Gall, et que M. Vimont a depuis combattu avec raison. « Sous le point de vue des circonvolutions , continue M. Cruveilhier, comme sous beaucoup d'autres, le fœtus humain représente les dispositions des animaux inférieurs. Les anfractuosilés d'un fœtus humain de cinq mois, ne sont ni plus profondes, ni plus multipliées que celles du cerveau du lapin » : et plus loin « sous le rapport du volume du cerveau et du nombre des circonvolutions, aucun mammifère ne se rapproche de l'homme. Chez les carnassiers et les ruminans, je n'ai point observé, dans les circonvolutions, la régularité que plusieurs anatomisles opposent au défaut de régularité des circonvolutions de l'espèce humaine (2). » Les faits sont en opposition directe avec chacune de ces propositions. Le fœtus humain, dès qu'il paraît des circonvolutions à sa surface, a des

(1) Op. cit., t. iv, p. 659.

(2) Id,, id., p. 717,

;aractères pris dans la disposition même des circonvolutions, qui le distinguent de tous les animaux inférieurs, et même de 1 tous les mammifères. Quant au nombre et au volume des circonvolutions, l'éléphant l'emporte sur l'homme : c'est un fait de la dernière évidence et dont on pourra s'assurer en jetant les yeux sur le lobe cérébral d'un éléphant, lobe que l'on conserve au muséum d'histoire naturelle de Paris, et dont les planches xii et xm de l'atlas, sont la fidèle représentation. Enfin pour ce qui concerne la régularité des circonvolutions, chez les carnassiers et les ruminans, elle est aussi constante que la régularité des artères ou des veines d'un côté du corps, comparées à celles du côté opposé. Il s'y rencontre des différences, des anomalies, mais il n'en est pas moins vrai que la description des artères du bras droit, par exemple, convient à celle du bras gauche. Le même degré de ressemblance existe entre les circonvolutions des deux lobes cérébraux.

Dans l'énumération que je viens de faire des auteurs qui se sont occupés de la description des circonvolutions cérébrales de l'homme et des animaux, c'est à peine si j'ai eu à citer le nom de quelque phrénologiste. Je n'ai cependant pas oublié de compulser les ouvrages publiés par les sectateurs de Gall, mais c'est que par une inexplicable préoccupation, eux qui attachent une si grande importance à la saillie de telle ou telle partie du crâne, ont négligé l'étude des circonvolutions du cerveau. Ni Gall, ni Spurzheim n'ont abordé celte matière , et les partisans de la doctrine enseignée par ces auteurs, ceux même qui ont écrit depuis 1829, n'on pas su tirer parti de la découverte de Rolando. Les figures du cerveau de l'homme, publiées dans le grand ouvrage de Gall, manquent d'exactitude, surtout en ce qui concerne les circonvolutions cérébrales; celles qui représentent le cerveau des animaux et qui sont d'ailleurs en très

petit nombre, sembleraient avoir été faites exprès pour la doctrine. Les figures h et 5, planche xxxm, qui représentent dans la pensée de Gall, le cerveau du lion et du tigre, si on les compare au cerveau de lion, pl. iv de l'ouvrage déjà mentionné de M. Tiedemann, et de celui que j'ai fait représenter, pl. v de l'atlas, ou mieux encore, si on les met en présence d'un cerveau de lion ou de tigre, paraîtront avoir été imaginées tout exprès pour offrir un développement énorme des parties situées en arrière de la scissure de Sylvius, parties auxquelles Gall a donné pour fonctions, la destruction et la ruse. Dans le texte de Gall, rien de plus satisfaisant que dans ses planches, aucune description, pas un mot si ce n'est sur la structure intime des circonvolutions cérébrales et sur leurs prétendues fonctions. (1)

Depuis Gall jusqu'à M. Vimont (2), aucun progrès touchant les circonvolutions. «.La surface des lobes cérébraux, dit ce dernier, présente des replis que nous avons désignés sous le nom de circonvolutions : il est facile de voir avec un peu d'attention, que celles-ci présentent des différences de forme et de volume assez prononcées; il est digne de remarque, que ces plis ne sont jamais parfaitement semblables des deux côtés : pareille chose se rencontre dans tous les animaux à cerveau pourvu de circonvolutions». C'est là tout ce que M. Vimont rapporte des circonvolutions de l'homme.

Pour ce qui concerne les circonvolutions des animaux, il ajoute : « Chez les quadrumanes , la forme du cerveau présente , en masse, assez de rapport avec celui de l'homme ; il est composé, comme chez lui, de deux hémisphères, séparés par Un repli de la dure-mère, couvert de circonvolu-

(i) Op. cit., édition in-4°, t. i, p. 297. (• .) Op. eit., t. 1, p. 167.

lions : mais il s'en faut de beaucoup que l'étendue, le nombre et la forme de celles-ci soient identiques chez eux. On trouve, au contraire, des différences étonnantes de nombre, de volume et de forme (1). Toute la famille des herbivores, le bœuf, la vache, le mouton, etc., présentent des circonvolutions très apparentes ; mais elles sont plus développées dans le sens transversal que dans le sens longitudinal. Dans le cheval, l'âne, la chèvre, le chevreuil, le cochon, la disposition des circonvolutions présente à-peu-près le même caractère. Dans la famille des carnassiers, tels que le chien, le blaireau, le chat, la marte, la belette, les circonvolutions sont très distinctes, mais plus allongées que dans les herbivores». (2) Avec aussi peu de précision dans les faits, comment localiser les facultés, comment distinguer chaque circonvolution, chaque partie d'une circonvolution? On sent tout d'abord le vide d'une théorie basée sur des observations de cette nature. Mais encore, dans les figures de cerveaux de mammifères que M. Vimont a fait représenter, il y a quelque exactitude 5 il n'y en a plus dans les cerveaux d'homme et notamment dans celui qui fait le sujet de la planche lxxxiii de son atlas. Cette figure est entièrement dissemblable des cerveaux humains, ou, pour me servir d'une expression employée par M. Vimont à l'égard des figures de têle et de cerveaux publiées par Spurzheim, elle est tout-à-fait imaginaire. (3)

(1) Op. cit., p. 184.

(2) Id., p. 187 et 188.

(3) « L'ouvrage de Spurzheim, dit M. Vimont", contient une multitud d'erreurs extrêmement graves. Toutes les figures servant à l'application soi imaginaires. Il est complètement dépourvu d'anatomie et de physiologie comparées , deux cas exceptés qui présentent des erreurs grossières ; ainsi, il indique l'organe de la douceur dans les sinus frontaux , et celui du courage su les muscles qui vont s'insérer à l'occipital. » Voy, t. n, p. 116. Et, parlai d'un autre phrénoloçisle, le même auteur ajoute : « L'ouvrage de M. Comh

C'était donc un sujet d'étude aussi important que nouveau de s'attacher à bien connaître les circonvolutions cérébrales des animaux, de les individualiser, pour ainsi dire, afin de les comparer entre elles, chez les espèces de mammifères où elles existent, et de déterminer en quoi elles ressemblent, en quoi elles diffèrent des circonvolutions cérébrales de l'homme. J'ai entrepris cette élude qui m'a fourni les résultats que j'en attendais, car elle m'a mis à même de découvrir un moyen propre à grouper les animaux dont le cerveau est pourvu de circonvolutions, d'après des caractères tirés des circonvolutions elles-mêmes. Ce groupement qui n'a pour base que la conformation d'un seul organe et même d'une seule partie d'un organe, n'est pas assurément celui qu'il faudrait suivre dans l'étude de l'histoire naturelle des mammifères; je l'ai fait seulement dans le but de rapprocher les uns des autres les cerveaux les plus analogues, d'éloigner les plus dissemblables, en prenant pour caractère unique, la disposition et le nombre des circonvolutions cérébrales. On verra de suite si les animaux classés d'après leurs circonvolutions, sont également classés d'après leur intelligence, et par conséquent s'il y a entre la production de l'intelligence et la conformation des circonvolutions, un rapport plus ou moins direct.

Je dois prévenir, avant de passer outre, qu'il ne s'agit pas ici d'une échelle ascendante ou descendante, destinée à établir la valeur intellectuelle, ou la valeur cérébrale des animaux, les uns à l'égard des autres. Je commence, il est vrai, par les mammifères qui sont le moins inlelligens, et je terme paraît encore au-dessous de celui de Spurzheim, pour la représentation des objets. Un anatomiste un peu distingué ne peut réellement pas jeter le* yeux sur ces figures, sans éprouver un sentiment pénible, tant elles sont peu conformes à ce que la nature nous offre, »

mine par ceux qui le sont le plus; mais dans la série des groupes ou familles que j'établis, il y a des embranchemens qui, bien qu'émanés des précédens, n'en sont pas cependant un développement perfectionné, et qu'il ne faudrait pas regarder comme une transition nécessaire pour arriver des plus simples aux plus parfaits.

Je dois dire aussi que je ne crois pas avoir groupé tous les mammifères, mais seulement ceux que j'ai étudiés, car je ne voudrais pas toujours inférer des cerveaux que je connais à ceux que je ne connais pas. Je n'ai rien négligé pour examiner le cerveau d'un aussi grand nombre que possible d'animaux, je m'en suis procuré beaucoup; j'ai visité les musées de Berlin, de Dresde, de Halle, de Saint-Pétersbourg, etc., j'ai tiré tout le parti possible de celui de Paris, mais je le déclare néanmoins, des éludes ultérieures sont nécessaires par achever le classement que j'ai entrepris,

Le premier groupe se compose des animaux dont le cerveau est dépourvu de circonvolutions, et n'a que des dépressions nulles ou presque nulles; le second des animaux dont le cerveau a des dépressions plus ou moins profondes, mais trop peu prononcées cependant pour constituer de véritables circonvolutions : les groupes suivans sont distingués les uns des autres, par le nombre des circonvolutions, et les dispositions particulières qu'elles présentent.

ie'' groupe.

Chauve-souris ordinaire. Elénomys.

Pipistrelle. Souslic.

Hérisson. Loir.

Taupe. Lérot.

Desman. Musçardin.

Ecureuil. Polatouche.

Rat. Campagnol.

Hvdromys. Souris.

Spermophyle. Mulot.

Otomys. Surmulot.

Oryctère. Ornithorinque.

2° groupe.

Marmotte. Lapin.

Callomys. Agouti.

Ondatra. Paca.

Helamys. Cochon-d'Inde.

Castor. Tenrec.

Porc-épic. Utia.

Lièvre. Sarigue.

3e groute.

Renard. Loup.

Chien.

4e groupe,

Chat. Guépard,

Lion. Cougouard.

Tigre. Lynx.

Jaguar. Ocelot.

Panthère. Hyène.

5e groupe,

Ours. Putois.

Coati. Loutre.

Blaireau. Furet.

Raton. Genette.

Martre. Civette.

Fouine.

6e groupe.

Mangouste.

5e groupe,

Aï. Encoubert,

Unau. Phascolome-Wornbat.

Tatou. Daman,

Pangolin.

8e groupe,

Oryclérope du Cap. Roussette.

Kauguroo.

9e groupe.

Chevreuil, Cerf.

Daim, Gazelle.

Axis. Kevel.

Antilope des Indes. Renne.

Chamois. Lama.

Addax. Chameau.

Chèvre. Dromadaire.

Bouquetin des Pyrénées, Bœuf.

Moufflon de Corse. Cheval.

Mouton. Ane.

10* groupï.

Cochon domestique. Pécari à collier.

Cochon tonquin. Pecari-Tajassou.

Sanglier. Babiroussa.

ii? groupe.

Phoque commun,

i* groupe.

Dauphin ordinaire. Baleine franche.

Marsouin.

i3" groupe.

Eléphant.

14e groupe.

Makis. Singes.

Premier groupe. Le premier groupe se compose d'animaux pris dans différentes familles : il s'y trouve des chéiroptères, des insectivores, des marsupiaux, des monotrè-mes (1), eï surtout des rongeurs : quelque parfaite que soit d'ailleurs l'organisation de plusieurs d'entre eux, ils ont une très grande analogie, quant à leur cerveau qui est dépourvu de circonvolutions et même de dépressions, si ce n'est laté^ ralement, à l'endroit qui correspond à la scissure dite de Sylvius. Comparez la chauve-souris, la taupe, l'écureuil, ln rat (pl. m de l'atlas) à la plupart des oiseaux (pl. n), notamment au pigeon, à l'amour, à la buse, à la chouette, vous verrez que le cerveau des uns et des autres est également

(i) V. Ornithorynchiiparadoxî descr'iptio anatomica, auctore, J. F. Mrec-kelio; Lypsiîe, i8a 3, p. 33,

lisse, et qu'ils sont tous fort au-dessous du perroquet. Ainsi le premier groupe des mammifères correspond, quant au défaut de sillonneinent du lobe cérébral, à ceux des oiseaux qui ont peu d'intelligence.

Deuxième groupe. Ce ne sont pas encore des circonvolutions que l'on rencontre dans ce groupe, mais des dépressions qui les annoncent. Les animaux dont il se compose sont des rongeurs, des insectivores et des marsupiaux : je n'y ai pas trouvé de chéiroplère, l'un des animaux de cette dernière classe, la roussette, ayant de véritables circonvolutions, j'ai du lui assigner une place dans un groupe différent.

Outre la scissure de Sylvius qui est ici plus prononcée que dans le premier groupe, il y a sur le lobe cérébral des dépressions qui ne manquent pas d'une certaine régularité, ainsi qu'on peut le voir en examinant le cerveau du lapin et celui de l'agouti. De chaque côté du sillon médian qui s'éten danl d'avant en arrière, sépare le cerveau en deux lobes, on voit une dépression parallèle à ce sillon qui circonscrit, surtout chez l'agouti, une portion de substance cérébrale dont l'aspect est, presque celui d'une circonvolution. Chez le castor (pl. ni, fig. lre) on voit des sillons moins prolongés, mais plus profonds, et ayant la même direction que chez l'agouti et le lapin. Le caviapaca a des sillons plus prononcés, mais moins réguliers que l'agouti; la marmotte a des dépressions très faibles; le porc-épic en a trois, l'une à la partie latérale du cerveau, c'est l'indice de la scissure de Sylvius; les deux autres sont à la partie supérieure de chaque lobe cérébral : sur un cerveau depuis long-temps conservé dans l'alcool (celui que j'ai fait dessiner), elles avaient peu de régularité; sur un autre cerveau que j'ai vu depuis, elles étaient moins dissemblables, et se rapprochaient assez de celles du paca.

Tous les cerveaux de l'atlas étant représentés de grandeur

naturelle, le lecteur peut décider jusqu'à quel point Gall et Spurzheim ont eu raison de dire que la présence et le nombre des circonvolutions, étaient en rapport avec le volume du cerveau. Le furet qui a sur chaque lobe cérébral, cinq circonvolutions bien distinctes, trois externes, une interne et une antérieure ou sus-orbilaire (pl. vi), a le cerveau d'un volume égal à celui de l'écureuil (pl. m), qui n'a pas de circonvolutions, ni même de sillons, et il est inférieur de beaucoup à ceux du lapin, du porc-épic, du paca, de l'agouti , du castor, etc. Ces derniers ont le cerveau plus volumineux que le chat (pl. v), la fouine (pl. vi), la roussette, l'unau, l'aï (pl. x) et le pangolin, qui, cependant, sont pourvus de circonvolutions. M. Vimont avait déjà relevé, même un peu durement, cette erreur commise par ses maîtres; il eût pu ajouter néanmoins que leur proposition n'est fausse que si on la considère dans un sens absolu; car il est généralement vrai de dire que les espèces d'anin aux qui ont les plus volumineux cerveaux, ont aussi les circonvolutions et leurs ondulations plus nombreuses et plus variées que les autres. Pour s'en convaincre, il suffît de voir le cerveau de l'éléphant (pl. xm et xiv), le plus gros de tous les cerveaux connus, et l'on peut dire le plus gros de tous ceux qui existent, celui de l'homme (pl. xvi, xvn et suivantes), celui de la baleine, celui du marsouin (pl. xn), et les comparer à celui du renard, de la fouine et du furet (pl. iv et vi).

3e groupe. Avant d'aller plus loin, il faut bien déterminer ce que l'on entend, ou plutôt ce que l'on doit entendre par circonvolutions, afin de savoir si, comme je l'ai dit précédemment , on peut les individualiser et les compter. Sur ce point, rien n'est encore défini; il est donc nécessaire de fixer le sens des mots, pour que l'on comprenne les choses.

Tous les contours, toutes les sinuosités que l'on remarque

à lu surface du cerveau de l'homme, par exemple, ont été appelés circonvolutions. Or , ces contours, qui se répètent assez rarement avec Une parfaite régularité d'un lobe à l'autre , et d'un' cerveau à un autre cerveau , ne sont pas susceptibles d'une description exacte. Mais les contours dont il s'agit ne sont que des parties secondaires, el en quelque sorte des accidens de ce qu'il faut appeler circonvolutions. Rolando (1) en a jugé ainsi, c'est le sens qu'il a donné au mot circonvolution, dans son ouvrage, cité précédemment, sur la structure des hémisphères cérébraux, etc'est aussi celui que je lui donne pour ce qui concerne le cerveau des mammifères.

J'explique ma pensée par des exemples. Voyez (pl. iv, fig. 2) la face latérale externe du lobe cérébral droit du renard. En S se trouve un sillon profond, long de sept à huit millimètres, et montant un peu obliquement d'avant en arrière ; c'est la scissure de Sylvius. Un corps arrondi PA forme, en se recourbant, le sillon dont il s'agit; ce corps est une circonvolution. Au-dessus de cette première circonvolution, îl s'en trouve une seconde qui se recourbe de la même manière qu'elle, et qui en diffère seulement par deux replis et une dépression. Au-dessus encore, une troisième qui se bifurque en arrière à l'endroit marqué P. Enfin, au-dessus de toutes, une quatrième circonvolution , pourvue à sa partie antérieure A, de quelques sinuosités ou ondulations. En tout, quatre circonvolutions.

En avant de celles-ci, est une cinquième circonvolution 0, que j'appelle circonvolution suS-orbitaire, parce qu'elle repose sur la cavité de ce nom. Suit une sixième et dernière circonvolution I, dont on voit une partie seulement, celle qui forme le lobe d'hippocampe, dans la figure 2, et dont la

(i) Op. cil,

presque totalité se trouve dans la figure 3, au-dessus du corps calleux c. c. A (fig. 3) correspond à la même lettre placée sur la quatrième circonvolution de la figure 2, et indique l'union de la quatrième circonvolution à la circonvolution interne; 0, l'union de cette dernière à la circonvolution orbitaire; I est placé sur la circonvolution elle-même , un peu au-delà de l'endroit où elle s'élève sur le corps calleux, en avant du cervelet. Ce sont là les circonvolutions du renard : il y en a six, dont quatre en dehors, une en avant et une en dedans.

Comparez maintenant ce cerveau à celui de l'ours (pl. vi). Vous retrouvez sur ce dernier la scissure de Sylvius, mais beaucoup plus longue , même proportion gardée avec la masse totale du cerveau, qu'elle ne l'est chez le renard. Pour circonscrire celte scissure, une circonvolution aussi simple et aussi nettement dessinée que chez le second. Au-dessus , une seconde circonvolution, embrassant la première, et également bien dessinée; au-dessus encore, une masse ondulée dans laquelle on aperçoit bien, surtout en arrière, la trace de deux circonvolutions, mais la trace seulement, car elles sont soudées l'une à l'autre dans un assez grand nombre de points , pour n'en faire qu'une seule. En avant, la lettre 0 montre la répétition de la circonvolution orbitaire du renard. En dedans existe la circonvolution interne. Ainsi, chez le renard, les circonvolutions sont au nombre de six, tandis que chez l'ours il n'en existe que cinq. A la première vue , on en aurait attribué à l'ours plus qu'au renard , parce que les circonvolutions 3 et h du renard, réunies chez l'ours, présentent des ondulations nombreuses.

Cela entendu, voyons ce que présente de commun et de particulier le cerveau de la troisième famille des mammifères, celle des renards, quant aux circonvolutions cérébrales.

La figure 1 (pl. iv), représentant la face supérieure du cerveau du renard, montre le complément de la quatrième circonvolution, dont la fig. 3 montre la partie interne et postérieure P, et que la figure 2 fait voir de côté seulement. Cette circonvolution présente, dans ses contours, des ondulations, et, à sa surface, des dépressions qui la caractérisent. A la partie antérieure surtout, à seize millimètres environ de la pointe du cerveau , se trouve une sorte de pli qui croise le sillon antéro-poslérieur du cerveau. C'est en avant de ce pli auquel je donne le nom de sillon crucial, que s'opère la réunion de la quatrième circonvolution , que l'on pourrait appeler aussi circonvolution supérieure, avec la circonvolution interne.

Les circonvolutions du loup (pl. iv) sont en même nombre que celles du renard, seulement elles ont des dépressions plus nombreuses et un sillon très prolongé , sur la troisième circonvolution externe, dans le lieu où, chez le renard, il y a seulement un rudiment de dépression. J'ai examiné le cerveau de plusieurs loups et celui d'une louve, il s'y trouve à peine quelque légère différence dans le nombre et la profondeur des dépressions.

Au premier coup-d'œil, on reconnaît que le cerveau du chien de berger, représenté au-dessus de celui du loup et du renard, est formé d'après le même type que ceux-ci ; cependant les ondulations y sont assez multipliées. La seconde circonvolution en présente une en haut et en arrière, qui n'existe pas chez le renard et le loup. Ce fait est exceptionnel , car la même dépression n'existe pas1 sur le lobe gauche du chien, et je ne l'ai rencontrée ni sur une chienne de berger, ni sur d'autres chiens.

La troisième circonvolution est divisée en arrière plus que chez le renard et autant que chez le loup ; j'ai vu un cas où

cette division n'existait pas à la troisième circonvolution , mais où elle était reportée à la quatrième.

Celle-ci présente des variations plus nombreuses que les autres. On voit sur la face supérieure du cerveau du renard (fig. 1), immédiatement derrière la ligne SS, un petit sillon qui existe à gauche sur la quatrième circonvolution , et qui manque à droite; le même sillon se rencontre tantôt à droite et tantôt à gauche, sur différentes espèces de chiens ; mais je n'ai rien trouvé de constant à cet égard.

J'ai comparé entre eux beaucoup de cerveaux de chiens appartenant à des espèces différentes ; chez tous, j'ai trouvé le même type , les mêmes circonvolutions ; je n'ai vu de différence que dans le nombre de dépressions et l'étendue des ondulations ; cette différence correspond au volume du cerveau : les plus gros cerveaux l'emportent en cela sur les plus petits. Je conserve le cerveau d'un gros chien dogue, excellent gardien, mais tellement féroce , qu'il s'attaquait même à la personne chargée de le nourrir. Toutes ses circonvolutions sont très grosses et très ondulées ; il s'y trouve des dépressions nombreuses , et la seconde circonvolution , au lieu de s'arrondir en haut et en arrière , comme chez le renard et le loup, présente un élargissement plus considérable que celle du chien de berger, qui, dans cet endroit, a une dépression très manifeste. Chez le chien dogue, la circonvolution dont il s'agit présente, au premier aspect, de l'analogie avec la circonvolution correspondante de la famille des chats.

La circonvolution sus-orbitaire simple , chez le renard, se dédouble chez le loup ; elle est simple chez le chien, seulement on y remarque parfois quelques légères dépressions. Dans tous les cas, elle a un sillon pour loger le nerf olfactif.

Quant à la circonvolution interne, ce que j'en ai dit, en parlant du renard, est parfaitement applicable au loup et au chien.

Ainsi, dans la famille des renards, les circonvolutions sont au nombre de six; les divisions, les dépressions, les ondulations, sont en nombre variable et en proportion du volume du cerveau.

4e groupe. Tous les animaux du genre chat et l'hyène sont compris dans ce groupe. Comme pour le groupe précédent, le cerveau le plus petit est en même temps celui qui a le moins de dépressions et d'ondulations. Le cerveau de panthère, représenté planche v, semblerait faire exception à cette règle : je dois en dire la cause. Il était enveloppé de ses membranes, et, pour cette raison, ses ondulations ne pouvaient être mises en évidence comme celles du lion, fig. 1 et 2 de la même planche , dont les membranes avaient été entièrement enlevées. Je me suis assuré que, pour la panthère, ce n'était en effet qu'une apparence, car, postérieurement à l'époque où la gravure a été terminée, j'ai vu un autre cerveau de panthère dépouillé de ses membranes , et qui était très analogue au cerveau de lion.

Il y a plusieurs différences essentielles, quant aux circonvolutions cérébrales, entre les renards et les chats; cependant les types ont de l'analogie. On trouve, chez les chats, quatre circonvolutions externes, une circonvolution interne et une circonvolution sus-orbitaire. Mais contrairement à ce qui a lieu chez les renards, ces circonvolutions ont entre elles plusieurs points d'union.

A l'endroit marqué S, chez le chat (fig. 2, pl. vi), se trouve un petit sillon qui représente la scissure de Sylvius; ce sillon est très développé chez la panthère, le lion et tous les grands chats. Au-dessus de lui est la première circonvolution, et au-dessus de celle-ci la seconde. Mais ces deux circonvolu

lions sont réunies l'une à l'autre, en avant et en haut de la scissure de Sylvius par une circonvolution supplémentaire -f-, très grosse chez le chat, et proportionnellement moindre chez la panthère, le lion et les autres grands chats. En haut et en arrière, la seconde circonvolution forme presque un angle aigu, conformation qui existe déjà, mais à un moindre degré chez le chien dogue.

Entre la seconde et la troisième circonvolution, se trouve un sillon non interrompu, mais entre la troisième et la quatrième, il n'en est pas ainsi sur le lobe gauche du lion (fig.lre): on voit en arrière un point d'union qui n'existe pas à droite. Ge point d'union existe des deux côtés, mais moins prononcé à droite qu'à gauche, sur le cerveau du chat. Il n'y a rien de constant sous ce rapport, et tout ce que l'on peut affirmer de cette communication, c'est qu'on l'observe très souvent.

La circonvolution sus-orbitaire (fig. 2) n'est pas toujours distincte de la partie antérieure A A A A des circonvolutions externes.

La circonvolution interne, celle dont l'extrémité inférieure forme la saillie ou lobe d'hippocampe, arrivée au niveau de la réunion du tiers antérieur avec les deux tiers postérieurs du corps calleux, envoie en haut et en avant, un prolongement qui va s'unir à la quatrième circonvolution externe (fig. 3, A), en arrière du sillon crucial, sillon que j'ai déjà signalé à la partie antérieure et supérieure du cerveau de la famille des renards, et qui est très bien marqué sur le lion et le chat (fig. lrt).

Les chats se distinguent donc des renards, quant à leurs circonvolutions cérébrales, par trois circonvolutions supplémentaires qui servent de moyen d'union aux circonvolutions que je serais tenté d'appeler fondamentales : deux de ces moyens d'union existent toujours, c'est comme je l'ai dit celui

qui réunit la première à la seconde circonvolution externe (-h fig. 2), et celui qui réunit la circonvolution interne avec la quatrième circonvolution externe (A fig. 3); celui qu'on ne rencontre pas constamment, et qui varie beaucoup quant à sa forme et à son volume, se trouve entre la troisième et la quatrième circonvolution externe.

Il existe une autre différence dont je n'ai pas encore fait mention; la troisième circonvolution qui, chez les renards, est toujours bifurquée en arrière, de manière à former en cet endroit, comme deux circonvolutions, ne présente rien d'analogue dans la famille des chats. (1)

5e groupe. Dans ce groupe, les circonvolutions sont très variées, cependant elles ont un point de ressemblance, c'est qu'elles sont au nombre de cinq seulement, trois externes, l'une sus-orbitaire et la cinquième interne.

La civette forme une transition très naturelle et très facile à saisir, entre le groupe des ours et celui des renards. Les circonvolutions sus-orbitaire et interne sont les mêmes dans les deux groupes, les circonvolutions externes n'offrent qu'une seule différence essentielle avec ce qui a lieu dans les renards, où elles sont, ai-je dit, au nombre de quatre très distinctes l'une de l'autre dans toute leur étendue: dans la civette, au contraire, la première, celle qui forme la scissure de Sylvius, distincte en arrière de la seconde, se confond, en avant, avec elle et de leur réunion, résulte une circonvolution unique (2).

(1) M. Owen, dans un mémoire intitulé : On the anatomy of the clieetah, felisjubata Schreb. (Transactions of the zoological society of London; vol. i, part, a, London, i834, in-4°, p. 129), décrivant le felis jubata (Guépard Linn.) avait signalé la ressemblance des circonvolutions entre tous les cerveaux appartenant aux animaux du genre chat.

(2) Les cochons présentent une disposition parfaitement analogue. V. pl. 10 , la face latérale du cochon tonquin. 1, 11 indiquent la première et la seconde circonvolution externe; le signe la réunion de ces deux circonvolutions; i-n, la circonvolution unique formée par les circonvolutions 1 et ir.

Prolongez en avant et au-dessus de la scissure de Sylvius, le sillon qui se trouve en arrière de cette scissure, et vous aurez le cerveau du renard.

Une autre différence, mais qui n'est qu'accessoire, c'est que chez la civette, la troisième circonvolution toujours bifur-quée en arrière comme dans la famille des renards, ne l'est jamais dans celle des ours.

La genette forme une transition entre le cerveau de la civette, et celui de la fouine. Le sillon postérieur qui divise la circonvolution située en arrière de la scissure de Sylvius de la civette, n'existe pas chez la genette; cette circonvolution est simple dans toute son étendue, seulement, en arrière, elle est un peu plus grosse qu'en avant. Ainsi, dans les renards, quatre circonvolutions externes, chez la civette, trois circonvolutions dont l'une est bifurquée; chez la genette trois circonvolutions simples et sans aucune division.

Le coati n'a que trois circonvolutions externes. La première n'est pas à beaucoup près d'un égal volume dans tous les points de son étendue (pl. vi, fig. 2); en arrière de la scissure de Sylvius, elle est très élargie; parvenue au haut de cette scissure, elle se rétrécit beaucoup en se recourbant et reste en partie au-dessous de la partie antérieure de la seconde circonvolution. La même disposition se rencontre chez la fouine, la martre, la loutre (pl. vi, fig. 2) et même chez l'ours.

La seconde circonvolution est très remarquable; le volume de sa partie antérieure est en raison inverse de celui de la première. Chez le furet, la fouine, le coati, elle est plus grosse en avant qu'en arrière, mais sans aucune dépression; chez l'ours (pl. vi), le renflement est très considérable, et, . en outre de ce renflement, on trouve une dépression; chez la loutre, le raton, la martre, le blaireau, le renflement est

très considérable, et les dépressions très nombreuses. Voyez (pl. vi, fig. 3) le cerveau de la loutre. La ligne S indique la scissure de Sylvius bordée par une circonvolution qui est plus mince et plus longue en avant qu'en arrière : au-dessus de celle-ci, on voit une seconde circonvolution qui, simple en arrière, se renfle considérablement après s'être recourbée pour se porter en avant, et offre cinq dépressions dont quatre sont très marquées.

Cette conformation influe beaucoup sur l'ensemble du cerveau. Comme elle grossit la partie antérieure du cerveau, elle donne de l'obliquité à la scissure de Sylvius. Chez l'ours et le coati, cette obliquité est à-peu-près la même que chez le chien et le loup; chez la loutre, au contraire, elle est très considérable. Le cerveau ainsi porté en arrière à cause du développement de sa partie antérieure, recouvre le cervelet dans une plus grande étendue chez la loutre que chez l'ours, circonstance très importante à noter, et qui montre combien il faut être en garde contre les inductions tirées de la forme du crâne, quand il s'agit de déterminer le développement relatif de telle ou telle circonvolution cérébrale. Le crâne de la loutre exprimerait un développement considérable des circonvolutions postérieures, l'étude du cerveau montre que c'est précisément le contraire qui a lieu.

La seconde circonvolution est, chez la loutre, en communication avec la troisième : on voit cette communication (fig. 3) un peu en avant de la ligne S, et l'on peut s'assurer qu'elle existe des deux côtés, en examinant la face supérieure du cerveau du même animal (fig. lle). Il existe à peine d'antres exemples de ce fait.

La troisième circonvolution simple et régulière chez le furet, offre en arrière, chez la fouine, un sillon qui se répète des deux côtés; le coati a plusieurs dépressions, la loutre a

comme des incisions assez profondes, et i'ours a des traces manifestes de la soudure de deux circonvolutions, surtout en arrière. Il y a sur le cerveau de l'ours, et surtout à sa partie antérieure, des ondulations dont l'aspect rappelle le cerveau de l'homme, et dont nous n'avons pas vu l'analogue dans les groupes précédemment étudiés.

En avant du cerveau vu par sa face supérieure, on trouve chez le furet, la fouine, le coati, le blaireau, le putois, un sillon transversal qui coupe crucialement le sillon médian ou antéro-postérieur du cerveau : ce sillon a une direction oblique d'arrière en avant et de dedans en dehors, où il représente une sorte de V. La circonvolution qui se trouve en avant de ce sillon, et qui forme la pointe antérieure du cerveau, n'est autre qu'une saillie de la circonvolution interne qui commence au lobe d'hippocampe (I, fig. 3, cerveau de la loutre), se porte en arrière, embrasse le corps calleux, et s'enlève en avant, pour s'unir, comme on l'a vu pour le renard (pl. iv, fig. 3), à la circonvolution supérieure.

Au-dessus de l'orbite est une dernière circonvolution, la circonvolution sus-orbitaire (0 ours brun et 0 loutre, fig. 3), elle présente un sillon pour loger le nerf ou plutôt le lobe olfactif.

Les cerveaux du cinquième groupe forment une sorte de transition entre les renards et les moutons : celui de l'ours surtout, porte le cachet des uns et des autres.

6e groupe. Les mangoustes seules comprises dans ce groupe, ont un cerveau qui se rapproche de celui de la civette et de la genette. Leurs circonvolutions n'ont aucune ondulation, et leurs divisions présentent le même caractère. Je ne saurais dire s'il faut en compter, à l'extérieur, trois plutôt que cinq, en raison de la netteté et de la longueur des incisions qui les séparent. Elles ont une direction très appro

chant de la ligne droite, et sont placées dans le sens longitudinal, comme sont au reste la plupart des circonvolutions des mammifères.

T groupe. I/unau, l'aï, le tatou, le pangolin, le phasco-lome et le daman font partie de ce groupe, ce dernier est un pachyderme, les autres sont des édenlés. Outre les circonvolutions orbitaire et interne qui n'offrent rien de particulier, si ce n'est que l'interne s'élève jusqu'à la face supérieure du cerveau dans la plus grande partie de son étendue, il y a trois circonvolutions externes qui vont sans interruption et même sans ondulations bien marquées, de la partie antérieure à la partie postérieure du cerveau. Elles ont, surtout chez l'unau et l'aï, quelque ressemblance quant à leur direction, à celles du chat, tandis que chez le pangolin, elles se rapprocheraient davantage de celles de la genette. Mais dans aucun des animaux composant ce groupe, on ne rencontre le sillon crucial si constant à la partie antérieure et supérieure du cerveau, chez les renards, les chats, les ours et les martres.

8e groupe. La roussette, le kanguroo et l'oryctérope du Cap, se trouvent réunis par le nombre et la forme de leurs circonvolutions. Deux circonvolutions dirigées d'avant en arrière existent à la partie interne du cerveau de ces animaux, la première, celle qui circonscrit la scissure de Sylvius, est très ondulée; la seconde, l'est un peu moins et présente, chez le kanguroo, une légère trace de sous-division. Les circonvolutions de l'oryctérope sont plus uniformes, moins ondulées que celles du kanguroo; celles de la roussette sont encore plus régulières, elles rappellent la dépression que l'on voit sur le cerveau du lapin.

9e groupe. Le cerveau de la famille des moutons qui forme le 9e groupe, n'a en réalité que quatre circonvolutions, l'une interne, la seconde sus-orbitaire, les deux autres externes,

mais elles ont de nombreuses divisions, quelques dépressions, et la forme en est très ondulée. C'est un grossissement, une sorte d'amplification du cerveau de l'oryctérope.

La famille des moulons estime des plus nombreuses parmi les mammifères; j'ai étudié le cerveau de vingt espèces, et j'ai trouvé cet organe formé d'après un même type, cependant avec quelques modifications.

La ligne S (pl. vu, fig. 3) tracée sur le cerveau du mouton et sur celui du cheval (pl. vin, fig. 2) conduit à la scissure de Sylvius, au fond de laquelle on voit, sur l'un et sur l'autre animal, une petite circonvolution qui rappelle les circonvolutions de Vile qui se trouve au fond de la scissure de Sylvius, chez l'homme. En arrière de cette ligne, et à la dislance de 12 et de 20 millimètres (pl. vm, fig. 2), sont deux lettres PP placées sur deux circonvolutions postérieures, et en avant de" ces lettres PP, un signe -f- placé à l'endroit où les deux circonvolutions se réunissent. De l'autre côté de la ligne S, se trouvent un signe + et deux lettres ÀA; les lettres A A sont placées sur les circonvolutions antérieures, le signe + au point d'union de ces circonvolutions. Entre les deux signes -f- + est une circonvolution ondulée, sillonnée, mais unique. Divisez-la suivant sa longueur, et vous arriverez d'un côté au sillon antérieur, de l'autre au sillon postérieur, et vous aurez ainsi deux circonvolutions, correspondant à la première et à la seconde circonvolution des renards.

Les chats nous ont présenté un commencement de soudure de ces deux circonvolutions, les moutons nous la montrent dans une plus grande étendue; chez la civette l'union persiste en avant, ainsi que chez les cochons (pl. x, cochon tonquin, 1-11). D'ordinaire, le mouton n'a qu'un seul prolongement antérieur de la circonvolution dont il s'agit, prolongement qui est parfois subdivisé, mais très faiblement. Le

chevreuil, la chèvre, le daim, le bœuf, le chameau, le cheval, en ont deux : chez ce dernier surtout, elles sont très considérables, en même temps que le point d'union + (pl. ix, fig. 3) entre les deux premières circonvolutions est très court.

La seconde circonvolution extérieure, placée à la face supérieure du cerveau, présente des dispositions analogues. La même ligne S (pl. vu, fig. lrc, et pl. vin, fig. lre) indique le lieu correspondant à la scissure de Sylvius chez le bœuf et chez le mouton. Les lettres P P sont placées sur le commen -cernent des deux circonvolutions postérieures, le signe + indique leur réunion, et les lettres A A leur division antérieure. Coupez d'avant en arrière le point de réunion, et vous aurez deux circonvolutions distinctes qui représenteront les circonvolutions ine et iv° des renards.

Le cheval, le daim, le chameau, etc., n'ont qu'un seul prolongement antérieur de la circonvolution dont il s'agit, tandis que le bœuf et le mouton eu ont deux.

Pour bien saisir l'ensemble de celte circonvolution et n'être pas embarrassé par la vue des détails, il faut l'examiner d'abord chez le chevreuil, où elle est à son état le plus élémentaire (pl. x, fig. lle). Celle du côté droit et celle du côté gauche forment, parleur adossement, la ligne médiane du cerveau; elles commencent l'une et l'autre par une extrémité arrondie située derrière le bulbe qui donne naissance aux nerfs ethmoï-daux ê, elles se portent directement en arrière, en augmentant de largeur et en présentant à leur partie interne des ondulations très marquées ; puis entre elles se trouve un sillon crucial (s. c), l'analogue de celui dont j'ai parlé à l'occasion des groupes précédemment étudiés, puis une scissure affectant la même direction que le sillon crucial, et enfin une véritable division en deux circonvolutions m et iv, qui se prolongent en arrière jusqu'au cervelet. La plus interne de ces

divisions est lisse, l'autre est sillonnée en différens sens et presque sous-divisée.

Le cerveau du mouton, du bœuf, du cheval, de l'âne, du daim ne diffèrent, sous ce rapport, que par des modifications très faciles à saisir. La partie antérieure de la double circonvolution in et îv, qui est unique chez le chevreuil, chez le cheval, le daim, le chameau, etc., est bifide chez le mouton et le bœuf ; la partie postérieure de celte même circonvolution qui présente chez le chevreuil deux divisions, en a un plus grand nombre chez tous les autres animaux composant le même groupe. La division externe ni devient multiple chez le cheval , et bifide seulement chez le bœuf et le daim. La division interne iv si uniforme du daim, se découpe en plusieurs sous-divisions chez tous les autres individus du même groupe, et notamment chez le mouton, le moufflon de Corse, le renne, etc.

La circonvolution sus-orbitaire est en rapport, quant à ses divisions, avec le volume du cerveau. Chez le mouton (pl. vu, fig. 3,0), elle est seulement déprimée ; tandis que chez le bœuf ( pl. vin, fig. 2,0) elle est divisée, de même que chez le cheval (pl. ix, fig. 3, 0), le dromadaire, le chameau, etc.

La circonvolution interne née du lobe d'hippocampe , se contourne sur le corps calleux et s'avance jusqu'à la partie antérieure et inférieure du cerveau. Au-dessus et en avant du corps calleux, elle s'élève chez les renards et les chats jusqu'à la partie antérieure de la quatrième circonvolution à laquelle elle s'unit. Une disposition analogue a lieu dans tous les autres groupes dont j'ai précédemment décrit les circonvolutions ; chez le mouton, cette disposition se répète ; elle n'est plus la même dans le bœuf, le cheval, le chameau. La circonvolution interne du mouton (pl. vu, fig. h, I) est triple en avant, où elle se confond avec la circonvolution anférieure

fil supérieure, qui commence immédiatement en arrière du Johe olfactif e chez le mouton , le chevreuil, le daim, etc. ( V. pl. x). Dans le milieu de sa longueur, elle est seulement double; plus en arrière elle est simple, et c'est à cet état -qu'elle va former le lobe d'hippocampe. II n'en est pas de même chez le bœuf, le cheval, le chameau, etc., qui n'ont pas la circonvolution interne tout-à-fait double, et chez lesquels cette circonvolution ne s'élève jamais jusqu'à la périphérie du cerveau. Un sillon continu règne au-dessus d'elle, et s'étend presque depuis les piliers antérieurs de la voûte cérébrale, jusqu'à la partie externe du lobe d'hippocampe, au niveau de la scissure de Sylvius, dans laquelle elle se termine ( V. pl. ix, fig. 1 et 2, lettre I ). Cette dernière disposition est doublement importante à noter; le défaut de communication entre la partie antérieure de la circonvolution interne et l'une des circonvolutions externes, différencie le cerveau du cheval, du bœuf, du chameau, etc., du cerveau des animaux compris dans les groupes précédens, et même de la plupart de ceux qui font; partie de la famille des moulons; le défaut de prolongement de la même circonvolution avec les circonvolutions placées sous l'os pariétal, différencie les mêmes cerveaux de celui de l'éléphant, du singe et de l'homme.

Quant à l'aspect général des circonvolutions du groupe des moutons, il ne ressemble pas à celui des renards, des chats et des ours. L'une des circonvolutions de l'ours, la supérieure, s'en rapproche cependant quant à ses ondulations; mais c'est avec les circonvolutions de l'homme qu'elles ont le plus d'analogie, ainsi que nous le verrons plus loin.

10e groupe. Les circonvolutions des cochons ressemblent beaucoup à celles des animaux classés dans le groupe des moutons, elles ont aussi sous quelques rapports de l'analogie avec celles des chats et de la civette; enfin l'une d'entre

elles est propre aux cochons, car je l'ai trouvée chez \e cochon domestique, le babiroussa, le pécari, le sanglier, le cochon tonquinet le tajassou, tandis que je ne l'ai jamais rencontré sur d'autres cerveaux.

D'abord les circonvolutions des cochons sont ondulées; il en existe deux à la périphérie du lobe cérébral, et la circonvolution supérieure est divisée en arrière, circonstances qui se rencontrent toutes chez les moutons. Mais les cochons et notamment le sanglier ont une sorte de coupure, deux l'ois rê-i pétée (pl. x, i-î ), le long de cette circonvolution, tandis que le mouton n'en présente pas et que le chevreuil n'en a que le premier rudiment. Le daim peut servir d'intermédiaire entre le chevreuil et le sanglier; son cerveau est sillonné complètement dans l'endroit où le chevreuil n'a qu'une dépression, et la continuité entre la partie antérieure et la partie postérieure de la circonvolution supérieure ne se fait pas à la surface du cerveau, mais seulement au fond du sillon : celte continuité a lieu à l'endroit indiqué par le signe î, sur le cerveau du daim. Un peu en avant se trouve la dépression cruciale, très faible chez le daim , le chevreuil, le cheval, l'âne, etc. ; très forte chez le mouton et le bœuf. Au lieu d'un sillon el d'une dépression cruciale, Se sanglier a deux sections ; et la continuité ne s'établit, d'une circonvolution à l'autre, que dans les endroits désignés, comme chez le daim (pl. x), par le double signe 1£ placé suivant la longueur du cerveau.

J'ai déjà parlé de la circonvolution latérale externe du cochon , et je l'ai décrite chez le cochon tonquin, où on la voit dans un grand état de simplicité : double en arrière de lascis sure de Sylvius, elle est simple en avant et sans dépression. Le^cochon ordinaire, le sanglier, le pécari, etc., présentent quelques dépressions, et une fois, chez le sanglier, j'ai vu sur la partie antérieure de la circonvolution dont il s'agit, à la

place4ndiquée par les chiffres i— n, une espèce de sillon.

Lorsqu'on a séparé les deux lobes l'un de l'autre, on voit la circonvolution interne, celle qui, venant du lobe d'hippocampe, s'élève derrière le corps calleux qu'elle embrasse, se prolonge sur ce corps et vient une seconde fois se recourber sur lui, pour se terminer un peu en avant des piliers antérieurs de la voûte. Cette commissure n'est pas lisse comme chez les renards (I. pl. ni), ni sillonnée par des circonvolutions analogues à celles du mouton ou du bœuf; elle ressemble tout-à-fait à celle du chat (I. pl. iv) et n'en diffère absolument que par le volume.

Enfin, une dernière circonvolution, celle qui, par sa forme, est propre aux cochons, se trouve à la partie externe et antérieure du cerveau : elle est au-dessus de la circonvolution i-n (cochon tonquin), en dehors de la circonvolution iv (sanglier), elle est unie à l'une et à l'autre de ces circonvolutions, par un prolongement caché dans le sillon qui leur sert de limite, aux endroits correspondais aux signes ^. Chez le sanglier, dont j'ai fait représenter le cerveau, elle n'existe toute formée que du côté droit, et l'autre côté en offre seulement une trace.

La circonvolution qui circonscrit la scissure de Sylvius des cochons étant simple en avant, tandis qu'elle est double en arrière, la circonvolution dont je viens de parler peut être considérée comme représentant une seconde division antérieure. C'est, en effet, ce qui est réalisé sur le lobe gauche du cerveau du sanglier.

Le cerveau du cochon tient en même temps du cerveau du mouton et de celui de la genette, et il a aussi des caractères spécifiques qui lui assignent une place distincte de celle des autres cerveaux.

11e groupe. Les circonvolutions cérébrales du phoque ont

de l'analogie avec celles des deux groupes précédens, sans toutefois ressembler parfaitement, dans aucune de leurs parties, ni aux unes ni aux autres. Celle qui se trouve placée à la partie supérieure du cerveau est triple en arrière (PPP, pl. xi, fig. 1), en avant, elle est seulement double AA; la plus interne de ses deux divisions antérieures se continue avec la circonvolution interne I, qui fait saillie à la partie antérieure du cerveau ; l'externe, qui semble coupée comme celle du sanglier, est réunie à sa congénère par un petit prolongement placé au fond du sillon |. Les deux signes -f- -f- indiquent le point de réunion des trois divisions postérieures et le commencement des deux divisions antérieures.

La scissure de Sylvius S S., fig. 1 et fig. 2, presque transversale à la partie inférieure du cerveau, est oblique à la partie latérale de cet organe, et se dirige d'avant en arriéré. La circonvolution AP forme cette scissure, et n'a pas la régularité de celle du porc ; elle offre cette particularité fort importante à noter ici, qu'elle envoie un prolongement postérieur P' (fig. 2) qui, réuni à un prolongement analogue venant du lobe d'hippocampe 1. h., se porte en arrière et en dehors du cerveau. Un sillon si., si., fig. 1, sépare l'une de l'autre les deux circonvolutions de la convexité du cerveau. Ce sillon est dirigé d'avant en arrière comme celui de tous les autres cerveaux appartenant aux groupes précédens, et comme ceux du marsouin (pl. xn, fig. lre), de la baleine, du daim, du chevreuil (pl. x), etc.

La circonvolution interne qui commence au lobe d'hippocampe 1. h., arrivée sous le bord antérieur du cervelet, n'est plus simple comme elle l'est ordinairement chez les moutons, les porcs, les chats, etc.; elle est au contraire double et môme triple. L'une de ses divisions, la plus interne, se porte en arrière du corps calleux, sur lequel elle se recourbe

pour le traverser d'un bout à l'autre, faire saillie en avant du cerveau (fig. 1, I), et se terminer en bas, entre le sillon médian du cerveau et la racine du nerf olfactif (I, fig. 2).Dans ce trajet, et arrivée vers la partie moyenne du corps calleux, elle s'unit à la circonvolution moyenne à l'endroit qui, sur cette circonvolution, est marqué par le signe -f- La se~ conde sous-division de la circonvolution interne, née immédiatement en arrière de la saillie d'hippocampe , se porte en arrière sur le cervelet, et forme là un large épanouissement, analogue à celui dont l'homme el le singe sont pourvus. Enfin, la troisième division du lobe d'hippocampe quand elle existe, se porte en dehors et en arrière du cerveau pour s'unir à la circonvolution P', fig. 2.

Quanta la circonvolution sus-orbitaire (0, fig. 2), elle est moins une circonvolution spéciale qu'une émanation des circonvolutions antérieures.

En résumé , le phoque a trois circonvolutions cérébrales : l'une interne qui, en arrière, ressemble à la circonvolution correspondante de l'homme et du singe, tandis qu'eu avant elle ressemble à celle des chats, des chiens, etc.; l'autre externe, formant la scissure de Sylvius, et fort irrégulière; la troisième, s'étendant d'avant en arrière du cerveau, formant les deux tiers de la face supérieure de cet organe, et ayant deux sous-divisions en avant et trois en arrière.

Le sillon crucial, chez le phoque, n'est pas placé au-dessus du cerveau , comme chez les autres animaux dont il a été question jusqu'ici, mais à sa partie antérieure. (On le voit, fig. 2, à l'extrémité antérieure du nerf olfactif.)

12e groupe. Quatre sillons non interrompus partagent d'avant en arrière chacun des lobes cérébraux du marsouin , du dauphin et de la baleine. L'un (si, pl. xn, lig. 2), situé à la partie interne du lobe, au-dessus de la circonvolution l 11

qui recouvre le corps calleux, sépare cette circonvolution de toutes les autres, depuis la partie antérieure du cerveau jusqu'au lobe d'hippocampe (l. h., môme figure). Les trois autres sillons (si., si., si., fig. lle) placés à la surface extérieure du cerveau, servent de limites à quatre circonvolutions, dont la première (I, fig. 13), sous-divisée un grand nombre de fois, (1 A, 1 P, fig. 3) forme une sorte de frange qui semblerait fixée au fond de la scissure de Sylvius (S, fig. 3). La seconde circonvolution (II, fig. lre) est sillonnée à la partie postérieure et sous-divisée à la partie antérieure : c'est celle qui correspond à la seconde circonvolution qui, chez l'ours, a deux dépressions, el qui est si volumineuse el tellement sillonnée chez la loutre, qu'elle donne à la scissure de Sylvius de cet animal une direction très oblique. La troisième circonvolution (III) est, au contraire, sous-divisée en arrière et simple en avant; elle a une analogie incontestable avec celle du cheval et du bœuf; seulement elle offre cela de particulier, qu'elle n'est pas réunie, chez le marsouin, à la quatrième circonvolution. Celle dernière IV, que côtoie la troisième circonvolution el qui est superposée à l'interne (fig. 1 et fig. 2) est sillonnée à la partie postérieure P, et sous-divisée en avant (AA).

Quant aux circonvolutions sus-orbitaires 00, elles ne sont remarquables que par leur situation, car rien autre chose ne les distingue des sous-divisions antérieures de la première circonvolution (1 A, fig. 3).

J'ai étudié deux cerveaux frais de marsouin ; ils étaient semblables l'un à l'autre à quelques très légères différences près. J'ai vu un seul cerveau de dauphin, celui que l'on conserve au Musée d'anatomie comparée du jardin des Plantes , et malgré sa vétusté, j'ai pu reconnaître qu'il ne diffère en aucun point essentiel de celui du marsouin.

Le musée de Berlin possède un encéphale de baleine franche et un encéphale de narval, qui y ont été apportés par le D1' Mandt. Ce sont les seuls que l'on trouve dans les collections d'histoire naturelle. J'ai été fort heureux de pouvoir les étudier, et je conserve à M. J. Muiler, professeur et conservateur du musée, une reconnaissance infinie pour l'empressement qu'il a mis à les mettre à ma disposition. Ce que j'en dirai s'applique surtout à la baleine, parce que le temps m'a manqué pour décrire le cerveau du narval.

Les lobes cérébraux de la baleine sont sillonnés de grandes el profondes circonvolutions, dont la première vue rappelle les circonvolutions de l'éléphant et celles de l'homme. Observées de près et dans leurs détails, ce sont les mêmes circonvolutions que celles du marsouin, mais avec des dépressions et des sous-divisions plus nombreuses.

La scissure de Sylvius , longue de 62 millimètres, est entourée de la circonvolution plissée, semblable à celle du marsouin (première circonvolution). La seconde circonvolution subdivisée et non pas seulement sillonnée,- en arrière , est simple en avant où elle présente de nombreuses dépressions. Le troisième est, sur les deux lobes, double en arrière, tandis qu'en avant, elle est double à droite et simple à gauche. La quatrième est la plus considérable de toutes. En arrière, elle est formée de trois parties, dont l'une, la plus extérieure , est profondément sillonnée; les deux internes sont simples , mais ondulées ; toutes trois se réunissent plutôt que chez le marsouin, el après cette réunion , il y a à gauche une division semblable à celle du marsouin , tandis qu'à droite la circonvolution reste simple. C'est là très probablement une simple anomalie, semblable à celle que l'on rencontre chez d'autres animaux, où l'on voit la bifurcation d'une circonvolution ordinairement simple, suppléer au défaut de divi

sion d'une circonvolution voisine ordinairement bit'urquée.

Les circonvolutions orbilaires sont les mêmes chez la baleine et chez le marsouin : je n'ai pas vu la circonvolution interne de la baleine, parce qu'il eût fallu, pour cela, détacher un des lobes cérébraux, ce que je ne pouvais pas faire et ce que je n'aurais pas même voulu demander.

Le cerveau de la baleine n'est donc pas autre chose qu'un grand cerveau de marsouin, comme le cerveau du bœuf est un grand cerveau de mouton, comme celui du loup est un grand cerveau de renard.

13* groupe. A l'exception des circonvolutions sus-orbi-taires, les circonvolutions du cerveau des animaux dont il a été question jusqu'à présent, se dirigent toutes d'avant en arrière ; elles traversent le cerveau dans le sens longitudinal. Entre ces circonvolutions plusieurs cerveaux ont des moyens d'union , des espèces de soudures : il s'en trouve chez le chat, l'ours, la loutre, les moutons, etc. , mais toutes sont partielles; aucune n'est placée en travers du cerveau , coupant les circonvolutions longitudinales en deux parties et les divisant en circonvolutions antérieures et en circonvolutions postérieures. Cette division des circonvolutions longitudinales, cette addition de circonvolutions nouvelles se montrent chez l'éléphant et le singe; nous la retrouverons aussi chez l'homme.

4 La planche xm représente la face interne du lobe cérébral droit d'un éléphant des Indes (1), et la planche xiv la face externe du même lobe. La circonvolution interne 1,1,1, qui se contourne sur le corps calleux, est séparée de la circonvolution antérieure, comme chez le cheval et le bœuf (pl. ix,

(i) Gall, planche xxxv de son allas, avait déjà crayonné cette figure, mais sans en tirer aucune induction.

fig. 1 et 2); par conséquent elle ne se confond pas avec la circonvolution antérieure , comme chez le mouton, le porc, le chien, etc. Elle est double en avant, puis elle devient simple jusque vers le bord postérieur du corps calleux où elle envoie une sorte de ramification aux circonvolutions supérieures. Le point de communication entre la circonvolution interne 1,1,1, et les circonvolutions supérieures S,S, est marqué par le signe -f-. Comparez à ce cerveau tous ceux qui ont été précédemment figurés ou décrits, aucun d'eux ne présente la même disposition.

Les circonvolutions que nous avons vues longitudinales, et continues à elles-mêmes de la partie antérieure à la partie postérieure du cerveau, sont, comme je l'ai indiqué tout-à-l'heure, coupées par des circonvolutions intermédiaires. Trois de ces circonvolutions coupées se trouvent sur la planche xiv; la quatrième est sur la planche xin , en avant et en arrière de la circonvolution interne et des circonvolutions supérieures.

En avant et au-dessus de la scissure de Sylvius S. S. se trouvent trois circonvolutions supérieures S. S. S., S'. S'. S". S"., pl. xiv, dont on retrouve la continuation au-dessus de la circonvolution interne (pl. xni, S. S.). La moins considérable de ces circonvolutions placées en avant des deux autres, donne quatre circonvolutions antérieures ( I A, II A, III A, pl. xiv et IV A, pl. xin), et au-dessous de la première de celles-ci, on voit la circonvolution sus-orbitaire 0. 0. En arrière de la même scissure, on voit quatre autres circonvolutions ( I P. II P., III P., pl. xiv et IV P., pl. xm), très volumineuses, dont la forme rappelle celles de la baleine et même celles du cheval, et qui, si elles n'étaient séparées des circonvolutions antérieures par les circonvolutions trans-verses ou supérieures, formerait un cerveau analogue à celui

de la baleine, du cheval et de la plupart des autres mammifères. En effet, supprimez les trois circonvolutions supérieures de l'éléphant, attachez la première circonvolution postérieure à la première circonvolution antérieure, la seconde à la seconde, et ainsi des deux autres ; faites disparaître de la circonvolution interne la division qui se porte de bas en haut et d'avant en arrière (pl. xm, +), et vous aurez un cerveau analogue à celui des animaux que je viens de nommer.

Il y a donc, chez l'éléphant, un appareil nouveau de circonvolutions , et cet appareil est situé à la partie supérieure du lobe cérébral.

Quant aux sinuosités, aux ondulations des circonvolutions, elles sont très analogues à celles de l'homme et à celles de la baleine.

14e groupe. Les singes et surtout les makis n'ont pas les circonvolutions ondulées et volumineuses comme l'éléphant et la baleine; aussi sembleraient-ils, au premier abord, être plus loin de l'homme que ces derniers ; mais une observation quelque peu attentive dissipe bientôt cette illusion. La forme générale du cerveau du singe, son développement en arrière, l'étendue et le degré d'inclinaison de la scissure de Sylvius, font de ce cerveau comme un embryon perfectionné du cerveau de l'homme, tandis que le cerveau de l'éléphant et surtout celui de la baleine, considérées sous ces différens rapports, descendent vers la forme du cerveau des autres mammifères.

Le singe alrois circonvolutions antérieures, trois postérieures, deux supérieures, une interne et des circonvolutions sus-orbitaires.

La circonvolution interne 1,1,1,1,1 (fig. 5,pl. xv), ressemble assez, en avant, à celledu renard; elle se porte jusqu'à la partie

antérieure du cerveau, où elle s'unit à la troisième circonvolution antérieure ; ensuite elle se dirige en arrière sur le corps calleux, fournit une large communication + qui s'élève jusqu'aux circonvolutions supérieures (+ fig. h el S +, et fig. 2 S +) puis descend en avant du cervelet, «ontourne la cuisse du cerveau et va reparaître en bas, tout à côté du nerf optique (I, fig. 3, et I, fig. 5), sous la forme du lobe d'hippocampe. Ce lobe ne va pas seulement à la circonvolution interne, il fournit en outre deux prolongemens, qui se portent au-dessus du cervelet, comme chez la loutre, le marsouin et quelques autres animaux, dont le cervelet est en -grande partie recouvert par le cerveau.

La scissure de Sylvius (S. S., fig. 2, et fig. h) est déjetée en arrière, par la présence de deux circonvolutions supérieures S,S,S,S, et S',S',S', fig. h, dont la postérieure S',S',S,S,S -j-, se porte en haut et en arrière pour s'unir à la circonvolution interne, tandis que l'antérieure fournit trois circonvolutions qui se dirigent vers la partie antérieure du cerveau ( I A, H A, III A, fig. 2 et fig. h). Entre ces deux circonvolutions, il existe un sillon (S, R, fig. 2 et fig. 4) qui les sépare dans loute leur longueur, et dont l'existence est aussi constante que celle de la scissure de Sylvius. J'ai donné à ce sillon le nom de sillon de Rolando, parce que cet anaiomiste l'a décrit chez l'homme, où il est encore plus développé que chez le singe.

En arrière el au-dessous de la scissure de Sylvius sont trois autres circonvolutions, I P, II P, III P, dont les deux dernières ne sont distinctement séparées que chez les singes plus élevés en intelligence que n'est le papion.

Les circonvolutions orbitrairesO, 0, existent toujours; elles sont plus larges et mieux divisées que dans les animaux inférieurs, mais elles n'ont pas la même régularité que les autres.

Si le cerveau du singe peut, jusqu'à un certain point, être considéré comme une ébauche de celui de l'homme, le cerveau du maki est une ébauche de celui du singe. Cependant on y retrouve, mais à l'état rudimenlaire, toutes les circonvolutions des vrais singes.

Le nombre, la forme, l'arrangement, les rapports des circonvolutions cérébrales ne sont pas livrées au hasard; chaque famille d'animaux a le cerveau conformé d'une manière déterminée, et la divergence d'opinions que l'on a émise à ce sujet, lient à ce que l'on n'avait pas examiné attentivement le cerveau d'un assez grand nombre d'animaux. L'observation démontre qu'il en est ainsi, l'induction aurait dû y conduire. Comment croire, en effet, que l'organe le plus important de l'économie, celui par lequel s'opèrent les manifestations de l'intelligence, auquel on attribue les instincts et les passions, n'ait pas une organisation arrêtée et aussi invariable que celles des autres parties?

Chaque groupe de cerveaux a un type qui lui est propre, et ce type est surtout manifesté par la forme des circonvolutions. Chez les renards, des divisions nettes et bien tranchées ; chez les chats moins de divisions, mais encore des formes bien arrêtées et très simples; dans la famille des ours et des martres, une tendance vers une aulre forme, conservaiion intacte de quelques circonvolutions, que j'appellerai primitives en raison de leur simplicité, et disposition de quelques autres à s'unir entre elles et à présenter des ondulations. Ensuite un type nouveau, des séparations fondamentales moins nombreuses, el des variétés plus grandes dans les détails pour les différens groupes auxquels appartiennent le phascolome, le kanguroo, le chevreuil, le cochon, lephoque, la baleine; puislout-à-coup une addition aux formes générales, des circonvolutions nouvelles pour l'éléphant, avec un développement infini des détails. Chez

le singe un lype encore plusparfait, plusrapproché de l'homme, mais inachevé et rudimentaire.

Dans une même famille, ordinairement plus le cerveau granditetplusilse divise, plus aussi il acquiert d'ondulations. Le renard , le chat domestique, la fouine, le furet, le chevreuil, le cochon lonquin, représentent chacun le premier degré d'une échelle dont le faîte est pccupé par le chien, le lion, la loutre, le daim et le sanglier. Dans son espèce, l'éléphant est au sommet ; je ne connais pas d'animal qui se placerait à l'extrémité opposée. Dans la sienne, le maki est tout-à-fait au bas, le singe est plus haut et l'homme fort au-dessus du singe. Cependant il y a de gros cerveaux qui ne représentent pas un perfectionnement de petits cerveaux appartenant à la même classe. Ainsi le bœuf n'est pas plus parfait que le mouton , la baleine n'est pas am-dessus du marsouin.

Y a-t-il des degrés intermédiaires entre tous les cerveaux? Y a-1 il des formes de cerveau différentes de celles que j'ai décrites? Une observation plus étendue pourra seule résoudre ces questions, qui sont du plus haut intérêt pour l'anato-mie et pour la psychologie.

Après cette exposé de la conformation des circonvolutions cérébrales, je vais passer à la description de la base et des parties intérieures du cerveau.

Chez les poissons, le cerveau consiste en un petit ganglion placé toul-à-fait en avant des autres ganglions cérébraux; chez les reptiles, il est creusé d'une cavité et se prolonge en arrière, sur la partie antérieure des lobes optiques; chez les oiseaux, il se prolonge davantage sur ces lobes, qu'il parvient même à recouvrir entièrement; chez les mammifères, le développement des lobes en arrière devient encore plus considérable ; les lobes optiques sont presque toujours recouverts

en totalité, et le cervelet l'est lui-même dans un certain nombre de cas.

Du rapprochement de la partie inférieure des deux lobes cérébraux, résulte une cavité que l'on a appelée le troisième ventricule; du reploiement du cerveau sur les prolongemens céphaliques de la moelle épinière, résulte, de chaque côté, une autre cavité qui se prolonge plus ou moins dans la substance même du lobe cérébral; c'est le ventricule latéral.

Les lobes cérébraux sont réunis entre eux par des commissures, et chaque lobe a de plus une commissure qui met en relation sa partie antérieure avec sa partie postérieure. Les commissures qui vont d'un lobe à l'autre, sont le corps calleux, la commissure antérieure, la commissure moyenne des couches optiques, et la commissure postérieure. La commissure antéro-poslérieure est double de chaque côté, elle est formée par les piliers de la voûte et la bandelette demi circulaire.

Les parois des ventricules moyens el latéraux représentent la surface interne des lobes cérébraux, comme les circonvolutions en représentent la surface externe : leur étendue est beaucoup moins grande que celles des circonvolutions; elles sont composées de substance blanche, tandis que les circonvolutions ne présentent que de la substance grise.

Le prolongement antérieur de la moelle épinière que l'on appelle cuisse du cerveau, pédoncule cérébral (p. c. pl. iv, renard, fig. 2 ; pl. vi, loutre, fig. 2 ; pl. vu, mouton, fig. 2, etc.), arrivé au niveau de la racine du nerf optique, est placé entre deux amas de matière grise, l'un au-dessus et en dedans de lui, l'autre en dessous et en dehors, ce sont les deux corps striés dont le premier est le corps strié iuterne, et le second le corps strié externe.

Au-delà des deux corps striés, le pédoncule cérébral sé

paré en faisceaux fibreux, s'étale en rayonnant dans l'intérieur du lobe cérébral. Le point d'origine de ce lobe est donc celui de l'insertion du pédoncule ; sa terminaison est dans le rebord qu'il présente en dedans et en arrière, et dont la circonvolution interne suit assez exactement les contours. En effet, cette circonvolution dont le lobe d'hippocampe est une dépendance, termine le cerveau, et si on la soulève, on pénètre, par la grande fente de Bichat, dans les ventricules latéraux sans faire subir aucune déchirure à la substance cérébrale.

Ventricule latéral. Ce ventricule, formé par une sorte d'épanouissement du pédoncule cérébral, qui, reployé sur ce pédoncule, en recouvre les parties supérieure et latérale, a une disposition différente suivant qu'on l'observe chez des mammifères dont le cerveau se prolonge plus ou moins pour recouvrir le cervelet. Dans la généralité des cas, il a la forme d'un C dont la convexité est en haut et en dehors, et la concavité en bas et en dehors. Chez les singes, il y a, de plus, une cavité nouvelle, une sorte de loge supplémentaire qui se prolonge dans la substance postérieure du cerveau-

Chacun des ventricules latéraux a été considéré, par les anciens, comme résultant de la réunion de trois cavités chez l'homme el le singe, et de deux cavités seulement chez les quadrupèdes. La partie antérieure de ce ventricule a été appelée corne antérieure ; la partie qui se recourbe derrière el en dessous du pédoncule cérébral, corne inférieure, et la troisième, corne postérieure. Les deux premières sont communes à l'homme et aux mammifères ; la troisième appartient à l'homme, aux singes, aux phoques et aux marsouins (1). La partie la plus avancée de la corne antérieure s'ouvre dans une cavité qui règne tout le long du lobe olfactif (pl. x, chevreuil e, fig. 2).

(i) Vf y;Tied. et Carus, op. cit.

Au-dessus des ventricules, se trouvent le corps calleux ét le centre ovale de Vieussens ou amas de substance blanche que l'on met à découvert quand, par une coupe horizontale pratiquée au-dessous du niveau du corps calleux, on enlève la partie supérieure de la substance cérébrale.

Corps strié. Dans la corne antérieure du ventricule, on voit un corps volumineux, pyriforme, ayant sa grosse extrémité en avant et formé de substance grise : c'est le corps strié, ainsi appelé parce que dans son intérieur existent des stries blanches qui, du pédoncule cérébral, vont s'épanouir dans l'hémisphère. De la réunion de ces stries résulte ce que Keil appelait couronne rayonnée.

C'est à tort que l'on a décrit la couche optique comme faisant partie du ventricule latéral; elle est en arrière et en dedans de ce ventricule dont elle est séparée par la bandelette blanche du lobe d'hippocampe, et par une autre bandelette correspondante à celle-ci, mais qui adhère à la partie supérieure du pédoncule cérébral, et dont je vais parler.

Bandelette demi circulaire, aussi appelée centrum semi-circulare, semi-lunare geminum, lacunar, par Vieussens; limbus posterior corporis striali, par Willis; frenulum no-vum, par Tarin; tœnia semi-circularis, par Haller; bandelette fibreuse du corps strié ou bandelette striée par Vicq d'Azyr, est une réunion de fibres blanches qui communiquent par une de leurs extrémités , avec la commissure antérieure, et par l'autre, avec le lobe d'hippocampe.

La corne inférieure descend presque dans cette éminence du lobe cérébral qui est placée en arrière de la scissure de Sylvius, éminence que M. Serres appelle lobe sphénoidal; on trouve dans sa cavité deux saillies et une bandelette.

La corne d'Ammon, ou d'hippocampe, ou de bélier, protubérance cylindroïde, est la plus considérable de ces sait

lies; elle est comme un relief intérieur de la circonvolution d'hippocampe, el c'est d'elle que vient le nom de celte circonvolution : à sa partie la plus inférieure, elle a quelques di-gitations très faibles, et une forme déjà apercevable, chez les petits animaux, et très visible chez les grands.

La bandelette de ïhippocampe, orps bordé, corps frangé, tœnia cerebri, appartient à la corne d'Ammon par une de ses extrémités seulement; elle fait partie de la lyre, elle constitue le pilier postérieur de la voûte.

La saillie collatérale de Meckel est située à l'extrémité de la corne inférieure du ventricule, vis-à-vis des digitations de la corne d'Ammon.

La corne postérieure du ventricule, appelée aussi cavité digitale, cavité ancyrotde, n'a été observée que chez l'homme, le singe, le marsouin et le dauphin; on y voit une petite saillie appelée petit pied d'hippopotame, petit hippocampe, ongle, éminence unciforme, ergot de Morand, qui vient de la corne d'Ammon : l'ergot de Morand est de même que le pied d'hippocampe, le relief intérieur d'une circonvolution.

Troisième ventricule. C'est une sorte de fenle qui résulte du rapprochement des deux couches optiques, ce ventricule s'ouvre en haut; la voûte dite à trois piliers ou irigone cérébral est placée sur son ouverture, mais sans y adhérer.

Si l'on examine le troisième ventricule, on trouve, en procédant d'avant en arrière, une corde blanche transversale que l'on appelle commissure antérieure (c. a. pl. iv, fig. 3, renard; c. a. pl. v, fig. 3, chat, etc.), en arrière et de chaque côté de cette commissure, les piliers antérieurs de la voûte (p. a. pl. ix, cerf et cheval, p. a. fig. lre), et immédiatement après, une large commissure grise, appelée commissure moyenne ou molle, qui réunit l'une à l'autre les couches

optiques dans une grande partie de leur étendue (on voit la section de celte commissure de la couche optique c. o. pl. iv, fig. 3 du cerveau du renard; c. o. pl. v, fig. 3 du chat; pl. vu, fig. U du mouton, etc.).

Entre les quatre parties dont je viens de parler, savoir : la commissure antérieure, la commissure molle et les deux piliers antérieurs de la voûte, est une ouverture (pl. ix, bœuf et cheval, même pl., fig. lre) qui conduit à la cavité principale du troisième ventricule.

Plus loin que la commissure molle, entre elle et la glande pinéale (g. p. pl. iv, fig. 3, etc.) est un second orifice qui, en avant et en bas, conduit, de même que le précédent, dans la cavité principale du troisième ventricule, et qui, de plus, s'ouvre en arrière dans l'aqueduc de Sylvius (a. s. pl. iv et v, fig. 3; pl. vu, fig. U, etc.); cette ouverture a pour limites la commissure molle, la commissure postérieure (c. p. pl. ix, cheval, fig. lrc), et les filamens de substance blanche qui, de la glande pinéale, se portent en avant sur la couche optique.

Le plancher du troisième ventricule est disposé, en arrière, en une sorte de plan incliné qui correspond aux cuisses du cerveau ou pédoncules cérébraux (p. c. pl. vu, fig. 2 et) ; en bas, il se termine en entonnoir ou inf'undibulum (in pl. iv et v, fig. 3), dans la matière grise qui entoure Je tubercule pi-siforme ou corps mamillaire (c. m. mêmes planches et mêmes figures) ; en avant et en bas , la paroi du troisième ventricule est très mince, demi transparente, c'est la pars pellu-eida de Tarin.

La couche optique est un gros tubercule, placé sur les cuisses du cerveau, avant leur entrée dans le corps strié ; c'est en très grande partie sur elle que repose la voûte à trois piliers, dont toutefois elle est séparée par un prolongement de l'arachnoïde (toile choroîdienne). Le tœnia semi-circularir;

la mel en dehors de la cavité du ventricule latéral. Le sillon dans lequel est logé le limbus posterior corporis striait, l'isole du corps strié, qui est placé au devant elle; en arrière, elle touche à la paire antérieure des tubercules quadrijumeaux, et sur sa partie interne et supérieure, l'on voit un faisceau de fibres blanches, qui se portent de la glande pinéale jusqu'au limbus porterior, dont il vient d'être parlé.

Deux commissures appartiennent à la couche optique, savoir la commissure molle, dont l'existence passe pour n'être pas constante, mais que j'ai toujours rencontrée dans les mammifères, que les frères Wenzel ont vu chez l'homme 56 fois sur 66, et que M. Cruveilhier regarde, je crois avec raison, comme ne manquant jamais, (i)

Glande pinéale. Elle n'appartient au cerveau que par ses pédoncules, car elle repose sur la paire antérieure des tubercule quadrijumeaux. C'est un tubercule grisâtre, duquel émanent des fibres blanches qui vont dans des directions différentes; les plus nombreuses s'avancent sur les couches optiques et constituent ce qu'on appelle les rênes de la glande pinéale ; les autres vont s'unir à la commissure postérieure. Je n'ai jamais trouvé chez les animaux, un autre ordre de fibres que M. Cruveilhier a vues, chez l'homme, se diriger verticalement en bas sur la partie la plus reculée de la paroi interne du ventricule moyen.

Les commissures du cerveau sont le corps calleux, les commissures antérieure, moyenne, postérieure, et la voûte à trois piliers. J'ai parlé des commissures antérieure, moyenne et postérieure ; je vais décrire la voûte à trois piliers et le corps calleux.

Corps calleux, grande commissure de cerveau, mésolobe.

(i) Op. cit., t. rv, p. 683.

Celle commissure réunit, l'un à l'autre, la partie supérieure de chacun des lobes cérébraux, elle se présente sous la forme d'un corps allongé d'avant en arrière, el placé horizontalement au pied de la grande scissure qui résulte du rapprochement des lobes ou hémisphères (c. c. pl. iv, fig. 3 et); sa face supérieure offre des stries longitudinales (chordœ longitudinales, processus corporis callosipyramidales, sutura) qui ne sont autre chose que l'empreinte des vaisseaux sanguins qui la parcourent et des stries transversales qui indiquent la direction des fibres composant l'organe'dont il s'agit. Celte face est recouverie par la circonvolution interne. La lace inférieure forme la paroi supérieure des ventricules latéraux; entre ces ventricules, elle adhère à la cloison transparente et à la voûte à trois piliers. Ses bords latéraux se réunissent à la substance blanche du centre ovale ; son extrémité antérieure (genou du corps calleux) se réfléchit en arrière et en bas jusqu'à la paroi extérieure du troisième ventricule ; quant à son extrémité postérieure ou bourrelet, elle est embrassée par la circonvolution interne.

La voûte à trois piliers, les corps frangés et la cloison transparente sont des parties d'un même tout. Entre le corps calleux (c. c. pl. ix, bœuf et cheval, fig. llC) et les piliers antérieurs de la voûte, se trouve un espace de forme triangulaire qui est occupé par une cloison mince, opaline (ventri-culorum septum, sep tufn cerehri médium, septum pelluci-dum) formée de deux lames, entre lesquelles existe un petite cavité (ventricule de la cloison, premier ventricule, cinquième ventricule, simis du système médian). Tarin admet que ce ventricule communique avec les ventricules latéraux, par une petite fenle qui s'ouvrirait entre les piliers antérieurs de la voùle. M. Cruveilhier (1) n'a jamais pu la voir chez

(i) Op. cit., t. iv, p 07b.

l'homme, je ne l'ai pas non plus observée chez les animaux.

Quant à la voûte, elle est formée de deux piliers latéraux longs et flexueux qui s'étendent depuis la couche optique jusqu'à l'extrémité du pied d'hippocampe. A la partie inférieure et interne de la couche optique se trouvent, dans l'épaisseur même de l'organe, des faisceaux fibreux bien décrits par Gall, mais qui avaient déjà été indiqués par Sabatier (1) et Reil (2); ces faisceaux qui descendent en convergeant, viennent former le tubercule mamillaire, eminentia candicans (c. m. pl. iv, chien, fig. 2), que l'on voit à la base du cerveau, au milieu de la matière grise (tuber cinereum) de Xinfundi-bulum. Là, les fibres, dont il s'agit, se contournent sur elles-mêmes,, et remontent pour se placer entre la commissure antérieure et la couche optique. Jusque au-dessus de la couche optique, les fibres du côté droit et celles du côté gauche, réunies en un double faisceau suivent une même direction; mais là, elles divergent, et séparées qu'elles étaient du corps calleux, par la cloison transparente, elles s'unissent à la partie postérieure du corps calleux, pour se porter sur le pied d'hippocampe qu'elles accompagnent dans toute son étendue jusqu'au bec inférieur du ventricule latéral, sous la forme d'une bande désignée sous le nom de corps frange ou bordé.

Les piliers de la voûte croisent donc les fibres du corps calleux, puisque les unes sont anléro-postérieures, tandis que les autres sont transverses. La réunion de ces libres a été comparée à une lyre, psallerium, corpus psalloïdes, dont les corps frangés seraient la monture, et les fibres du corps calleux, les cordes.

Au-dessus de l'ouverture antérieure du troisième ventricule, le pilier de la voûte n'est pas si exactement appliqué sur

(i) Mémoire, sur quelques particularités du cerveau.

(? ) Arc'iit'. dup'ns., 1. n: , [ . iofi. Y. aussi LauUi, op. cit.

la couche optique, qu'il s'oppose à toute communication entre le troisième ventricule et le ventricule latéral; l'intervalle que le pilier laisse en cet endroit s'appelle le trou de Monro; il est ovalaire, et sa dimension varie beaucoup suivant que les ventricules contiennent une quantité plus ou moins grande de sérosité, c'est-à-dire suivant que la sérosité a plus ou moins soulevé la voûte, en même temps qu'elle a écarté les parois des ventricules.

Tubercules quadrijumeaux, corpora bigemina, luber-cula globosa : complètement cachés dans presque toutes les espèces de mammifères, par le prolongement en arrière des lobes cérébraux, ces tubercules se présentent sous la forme de quatre éminences solides, les antérieures grisâtres, les postérieures blanches; elles sont continues^ par leur base et constituent évidemment des parties d'un même tout. Fixées sur les cuisses du cerveau, en avant et au-dessus du pont de varole, elles sont soudées, en avant, à la couche optique, en dehors elles sont en rapport avec les corps genouillés; en arrière elles communiquent au cervelet par l'intermédiaire d'une toile nerveuse mince, appelée valvule de Vieussens, laquelle est traversée par la racine du nerf pathétique (r. p. pl. ix, bœuf et cheval, fig. lre). Au-dessous des tubercules quadrijumeaux, règne un canal qui s'ouvre en avant, dans le troisième ventricule et en arrière, dans le quatrième, c'est l'aqueduc de Sylvius (a. s. pl. vu, fig. k).

Deux autres tubercules situés sur le pédoncule cérébral, en arrière et au-dessus de la paire postérieure des tubercules quadrijumeaux, les corps genouillés interne et externe, existent également entre le cerveau et le cervelet (pl. ix, cheval, fig. 2, c. g.). Le corps genouillé interne est en rapport avec le tubercule postérieur, par un faisceau que M. Cruveilhier appelle faisceau triangulaire latéral de l'isthme;

et le corps genouillé externe, situé en dehors du premier el plus avant, esl en rapport avec la racine du nerf optique.

Entre ces parties intérieures du cerveau considérées chez tous les mammifères, il n'existe guère que des différences du volume; les dispositions générales sont les mêmes, on n'y trouve aucun caractère spécifique qui puisse servir à diviser en familles distinctes, les animaux dont il s'agit.

Les tubercules quadrijumeaux et les ventricules latéraux présentent seuls des différences importantes. Si on compare les tubercules quadrijumeaux du chien à ceux du mouton, par exemple, on les trouve fort dissemblables. Chez le mouton, la paire antérieure des tubercules quadrijumeaux offre deux éminences larges, arrondies, grisàires, réunies entre elles par un raphé, et dont l'ensemble rappelle involontairement le nom de nates qui leur a été donné par les anciens; tandis que la paire postérieure beaucoup plus petite, située en arrière des premiers, est formée seulement de substance blanche, au moins à l'extérieur. Chez le chien, la paire antérieure est petite, embrassée par la paire postérieure el recouverte comme elle de substance blanche. Les herbivores se rapprochent généralement du mouton, quant à la forme et au volume des tubercules antérieurs, et les carnivores se rapprochent du chien, ainsi que plusieurs anatomistes l'avaient déjà fait remarquer. Quant aux ventricules latéraux, ce ils arrivent, dit M. Carus (1), à un point de développement tel qu'à chaque lobe correspond un de leur prolongement; savoir, la corne antérieure au lobe antérieur, la corne descendante au lobe d'hippocampe, et la corne postérieure, au lobe qui recouvre le cervelet. » Celle dernière n'appartient qu'à un petit nombre de mammifères.

(i) Op. cit., t. lit; p. Si.

Treviranus et M. Ovven ont appelé l'attention des anato-niistes sur le développement considérable de la commissure anléro-poslérieure de quelques mammifères, développement qui paraît d'autant plus considérable, que les autres commissures et notamment le corps calleux, ne présentent rien de semblable.

« L'hippocampe est, d'après la remarque de Treviranus, plus grand chez les rongeurs que chez les autres animaux, et la corne d'Ammon qui n'est autre chose que la saillie intérieure de ce lobe, doit être mise au nombre des organes les plus imporlans de l'encéphale des mammifères. Cette corne est en relation intime d'un côté avec les nerfs olfactifs et les corps striés, de l'autre avec le corps calleux et la voûte à trois piliers. On voit déjà, par celte disposition, que les cornes d'Ammon doivent être plus que de simples circonvolutions du cerveau, car aucune circonvolution n'est en relation aussi intime avec tout 1'inlérieur et tout l'extérieur de ce viscère. Les cornes d'Ammon sont très grosses chez la taupe et la chauve-souris qui ont le corps calleux, très petit, et qui ne possèdent aucune circonvolution au cerveau » (1)

Les observations de M. Owen tendent à confirmer celles de Treviranus. M. Owen regarde comme probable que les marsupiaux, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de placenta, et qui par là se rapprochent des oiseaux, n'ont qu'un rudiment de corps calleux, tandis qu'ils ont une commissure antéro-pos-térieure, considérable. D'après lui, les différences essentielles qui se trouvent entre le cerveau des vertébrés ovipares, existent surtout dans le système commissural, et les mammifères qui ont dans leur organisation quelques-uns des caractères de l'oviparité, se rapprochent des oiseaux par les commissu-

(i) Op. cil, V. Archives de médecine, t. m, p. a3o» aimée i8a3.

res cérébrales, ce La voûte, dit avec raison M. Owen (1), par ses deux piliers postérieurs et par la masse médullaire intermédiaire qui porte le nom de lyre, met les deux grands hippocampes en communication entre eux et avec les plis postérieurs du corps calleux; par son pilier antérieur, elle établit la communication entre les hippocampes et les couches optiques; par le septum lucidum, les rapports qu'elle a avec le corps calleux se prolongent jusqu'aux replis antérieurs de cet organe.

« La commissure des hippocampes, ajoute le même auteur, est la voûte; on peut s'en assurer particulièrement dans les animaux inférieurs où les hippocampes et les corps frangés qui en sont des appendices sont très considérables, tandis que le corps calleux est petit. Les corps frangés se prolongent en avant dans les couches optiques, dans les lobes antérieurs des hémisphères et dans le replis antérieur du corps calleux. »

D'accord en ce qui précède avec M. Owen, je ne le suis pas également quand il ajoute que la grande commissure qui unit entre elles les masses cérébrales super-ventriculaires du castor et autres animaux à développement placentaire, et qui est surajoutée à la commissure de l'hippocampe, manque dans le wombat, le grand kanguroo, le kanguroo oualabate, le phalanger renard, le dasyure de Maugé, le dasyure hérissé et le sarigue à oreilles tricolores. Je n'ai pas été assez heureux pour étudier le cerveau de chacun de ces animaux, mais j'ai étudié celui du grand kanguroo, et j'y ai vu bien manifestement un corps calleux, situé entre les deux lobes cérébraux, comme chez les autres mammifères. On sait d'ailleurs que le corps calleux n'est pas seulement une commissure pour les

(t) Structure du cerveau chez les marsupiaux : Transacl, philosoph. , année t 83^, p, i; et Annales des science; nature/les, i. vtïr, iHrH.

hémisphères cérébraux, et que les hémisphères fussent-ils très petits, le corps calleux n'en existerait pas moins; car il sert aussi de commissure à la portion céphalique de la moelle épinière ainsi que je l'ai précédemment établi.

Je dois encore noter ici le volume de la commissure molle ou commissure moyenne des lobes optiques qui est plus considérable dans les mammifères inférieurs que dans les singes: le développement de la glande pinéale et du corps pituitaire qui diminuent à mesure que les parties supérieures du cerveau se développent, et la réunion des deux piliers antérieurs de la voûte en un seul tubercule mamillaire, chez tous les mammifères, excepté chez le singe.

Cervelet. Il recouvre la paire postérieure des tubercules quadrijumeaux, et il est lui-même en partie recouvert par l'extrémité postérieure des lobes cérébraux. D'avant en arrière, il est divisé de chaque côté par deux sillons principaux qui le partagent ainsi en trois lobes (1, 2, 3, pl. iv, renard, fig. 2, etc.), savoir : un lobe moyen, ou ver du cervelet, dont l'extrémité qui s'avance dans le quatrième ventricule, a été appelée luette; un lobe latéral (2 même planche) moins saillant que le premier et formant une courbure ordinairement très prononcée, au niveau du bord postérieur du cervelet; enfin un lobe tout-à-fait externe (3, pl. m, lapin, fig. lre) qui en raison de sa forme a été aussi appelé flocons, touffe lami-neuse.

Des sillons plus ou moins nombreux coupent en travers ces trois lobes; parmi ces sillons les uns sont profonds, les autres superficiels; les premiers divisent la surface du cervelet en circonvolutions, ils s'étendent de droite à gauche dans toute la largeur de l'organe, les seconds sont ordinairement bornés à un lobe et présentent, dans leur trajet, de nombreuses sous-divisions : ce sont les lamelles du cervelet.

Le nombre des circonvolutions et celui des lamelles n'est pas facile à déterminer, non que les cervelets diffèrent beaucoup les uns des autres sous ce rapport, mais parce que ces objets ne sont pas tellement isolés qu'on ne s'expose en les comptant, à prendre pour deux circonvolutions ou pour deux lamelles, ce qu'un autre observateur aura pris pour de simples sous-divisions. Malacarne (1) indique, pour la chèvre et le mouton, huit circonvolutions et cent douze lamelles. Si l'on examine la coupe du cervelet du mouton (pl. vu, fig. 6), on y trouvera, en effet, huit principales divisions ou arborisations dont plusieurs sont elles-mêmes sous-divisées; quant au nombre de lamelles que présente la même section, il est de 75 seulement. La raison de celte dernière différence se voit de suite si l'on considère la déviation que présente le ver supérieur du cervelet (même pl., fig. lre), dont les circonvolutions qui s'éloignent de la ligne médiane n'ont pu être comprises dans la section.

La difficulté devient encore plus grande si l'on veut compter les lamelles du lobe moyen : d'abord parce qu'elles n'ont pas entre elles la même symétrie que les circonvolutions cérébrales, ensuite parce que les contours qu'elles forment laissent quelquefois dans le doute s'il faut les ranger parmi les lamelles du ver ou lobe moyen, ou parmi celles du lobe latéral. Cependant, ces difficultés toutes grandes qu'elles soient, s'opposent seulement à une numération exacte des circonvolutions et des lamelles cérébelleuses; mais nullement à une énuméraiion approximative. Ainsi, comparez les unes et les autres chez le renard (pl. iv, fig. 3), et chez le chai (pl. v, fig. 3), vous ne les trouverez pas très dissemblables de celles du mouton (pl. vu, fig. 4). Comparez les mêmes parties

(i) Op. cit., p. 37.

chez le mouton, le cheval et le bœuf (pl. ix), l'analogie se conservera la même, seulement avec le volume du cervelet, augmentera le nombre de ses divisions. Les circonvolutions sont certainement plus multipliées chez le cheval que chez le bœuf; mais je ne saurais indiquer la différence qu'il y a, sous ce rapport entre ces deux animaux, parce qu'on ne peut éviter un peu d'arbitraire en les comptant, parce qu'on ne peut distinguer nettement les divisions principales des sous-divisions.

En comparant la section du cervelet du cheval et celle du bœuf à celle du mouton, on voit que la division du cervelet, en un nombre déterminé de circonvolutions, n'est rien moins que rigoureuse : les chiffres placés à l'origine des circonvolutions (pl. ix) auraient pu être plus multipliés qu'ils ne le sont, surtout chez le cheval; cependant on reconnaît facilement que ces cervelets sont une sorte d'amplification de celui du mouton.

La section du lobe moyen du cervelet m'a présenté le nombre de lamelles ci-après, chez quelques mammifères :

Chauve-souris .... 9 lamelles.

Rat.......... 12

Lapin......... 82

Chat......... 66

Renard........ 68

Mouton........ 75

Bœuf......... 175

Che\al........ 178

Le nombre comparé des lamelles du ver ou lobe moyen et du lobe latéral du cervelet, est très différent, suivant que ces lobes sont relativement plus ou moins développés. Chez les rongeurs, les lamelles du lobe moyen sont moins nombreuses que celles du lobe latéral; c'est le contraire qui a lieu dans le phoque, le marsouin, la baleine, le singe.

Le cervelet est en communication avec la moelle allongée par trois ordres de fibres, savoir : celles du corps resti-forme (pl. vu, fig. 2, c. r.), celles du pont de varole (mêmes pl. et fig., p. v.), celles des processus cerebelli ad testes,- Tune des circonvolutions, celle de la luette à laquelle Malacarne a donné le nom de linguetta laminosa, est en communication avec la grande valvule du cervelet ou valvule de Vieussens (pl. ix, bœuf et cheval, fig. lre, v. v.), par une lamelle très mince et presque transparente de substance nerveuse qui sert de pont à la partie postérieure de l'aqueduc de Sylvius, et au commencement du quatrième ventricule.

Le quatrième ventricule, ventricule du cervelet, est une petite cavité dont les parois sont formées par les processus cerebelli ad testes, la valvule de Vieussens, la luette, l'extrémité inférieure et postérieure du vermis ou lobe médian du cervelet, les pédoncules du cervelet, et la face supérieure de la moelle allongée. Deux petits sinus, un de chaque côté, creusés dans la substance même du cervelet, font partie de ce ventricule.

Il y a de si nombreux rapports entre la plupart des organes dont je viens de parler, et ceux de l'encéphale de l'homme que je me borne à les indiquer ici, me réservant de les décrire avec soin dans le second volume de cet ouvrage : il en sera de même pour ce qui concerne la moelle allongée et la moelle épinière; j'éviterai par là d'inutiles répétitions et je fatiguerai moins l'attention du lecteur.

Moelle allongée. Les mammifères ont tous une moelle allongée plus compliquée que les oiseaux, et les plus élevés d'entre eux se rapprochent beaucoup, sous ce rapport, de l'espèce humaine. Les fibres transversales du cervelet, devenues très nombreuses, et le volume des faisceaux longitudinaux n'ayant pas augmenté dans la même proportion, une

partie de ces fibres se trouve en saiilie et forme une double commissure, l'une 1res large et placée immédiatement derrière l'origine du nerf moteur commun des yeux : c'est le pont de varole; l'autre plus étroite, placée comme une bande transversale au-dessous de la première, et qui semble servir de commissure aux nerfs faciaux.

Je me contenterai de faire ici la simple énumération des parties qui constituent la moelle allongée, me réservant, ainsi que je l'ai dit tout-à-1'heure, de les décrire quand je parlerai de celles de l'homme. En procédant d'avant en arrière, on trouve à la face inférieure de la moelle allongée, les pédoncules cérébraux formés de fibres longitudinales traversés par des linéamens que Gall a indiqués, et que Bailly de Blois a bien décrits : le pont de varole , la bande transversale qui lui est comme ajoutée, puis les éminences pyramidales et les corps resliformes; au lieu de pyramides, on voit chez le marsouin, le dauphin et la baleine, un très gros tubercule quadrangulaire en dehors duquel naissent les nerfs hypoglosses. Les singes ont en outre des éminences ovalaires; mais les autres espèces d'animaux en sont presque entièrement dépourvues.

A la face supérieure de la moelle allongée, existe un sillon longitudinal résultant de l'adossement des deux côtés de la moelle; ce sillon, appelé calamus scriptorius, se termine en bas par une extrémité effilée qui communique avec un canal creusé dans la longueur de la moelle épinière.

Un léger enfoncement placé dans le quatrième ventricule, tout près de la naissance de la moelle épinière, tapissé par la pie-mère et recouvert par l'extrémité postérieure du ver du cervelet, a reçu un nom particulier : c'est le ventricule d'A-rantius.

Pyramides postérieures. C'est le nom que quelques au

teurs ont donné à la partie supérieure ou céphalique des faisceaux spinaux de la moelle. Ce sont deux saillies perpendiculaires et parallèles l'une à l'autre qui régnent le long du sillon spinal, et sont plus blanches que les faisceaux de fibres environnantes.

Eminences transverses. Sur le plancher du quatrième ventricule est placée une petite saillie vermiforme, grisâtre, de laquelle naissent des fibres blanches, qui constituent la portion molle de la septième paire de nerfs, ou nerf auditif (labyrinthique). Cette éminence accompagne le nerf, v même après qu'il s'est détaché de la moelle (pl. ix, cheval, fig. 2, 1.).

2. Nerfs encéphaliques.

Les nerfs encéphaliques des mammifères ont avec ceux de l'homme des caractères communs si nombreux, que je crois devoir réunir dans un même article tout ce qui concerne les uns et les autres, pour en parler seulement dans le volume suivant; ici je me bornerai à noter quelques-unes des différences que les animaux mammifères présentent sous ce rapport.

Les nerfs olfactifs naissent chez presque tous les mammifères, de deux grosses éminences appelées éminences mamil-laires, creusées d'un ventricule qui s'ouvre dans le ventricule latéral, en avant de la grosse extrémité du corps strié. Cette disposition est la règle pour les mammifères, la disposition contraire est une exception. Le phoque et les singes n'ont de l'éminence mamillaire que la traînée de fibres blanches que l'on voit à sa face inférieure chez les autres mammifères (Voy. la base de l'encéphale du mouton, du chien, du bœuf, etc.), encore le volume en est-il excessivement réduit, et il ne s'y trouve aucune cavité; le marsouin, le dauphin et

la baleine seraient dépourvus du nerf olfactif 4'après quel*-ques anatomistes, et suivant quelques autres, ces céjta£és auraient seulement ces nerfs très petits. Quoique j'aie vainement cherché le nerf olfactif chez la baleine et chez plusieurs marsouins, je me range cependant à l'opinion des auteurs qui en admettent l'existence, tels que MM. Jacobson, de Blainville et Mayer de Bonn, parce que les faits contraires à leur opinion sont seulement des faits négatifs qui ne prouvent rien autre chose, sinon que pour voir les nerfs dont il s'agit, il faut les chercher dans des circonstances favorables; et ensuite par cette raison, que l'os ethmoïde des cétacés auxquels on refuse des nerfs olfactifs, a cependant les trous nombreux qui chez tous les animaux sont destinés au passage de ces nerfs.

On a contesté l'existence des nerfs optiques chez la taupe, ces nerfs ne manquent pas cependant chez cet animal3 je les ai vus à l'œil nu, et j'en ai déterminé le diamètre à l'aide du microscope; ce diamètre est de 0, 1 mill.

?

3. Poids et volume de l'encéphale des mammifères : rapport, que les différentes parties de cet organe ont entre elles,.

Je vais m'attacher à faire ressortir les différences qui existent dans l'encéphale des mammifères, sous le rapport du vo lume, de la configuration, et du développement relatif des parties dont il est composé, sans cependant revenir sur ce que j'ai dit, touchant les circonvolutions cérébrales.

La détermination du poids de l'encéphale à celui du corps, chez les mammifères, a occupé un grand nombre d'anato-mistes. Les anciens en ont dit quelques mots, mais sans rien préciser; Schneider, Ruisch, Blair, Arlet, Daubenton, Haller, Buffon, et surtout Cuvier, ont donné sur ce point des non

dérations exactes, et qu'il nous est d'autant plus précieux de posséder, que plusieurs des animaux dont ils ont pesé l'encéphale, sont très difficiles à se procurer, surtout à l'étal frais.

Quoique le nombre des animaux inscrits au tableau qui va suivre, soit considérable, cependant je regrette beaucoup de n'avoir pu l'augmenter encore, car il eût été désirable, non-seulement de peser l'encéphale de tous les mammifères, mais aussi de peser celui de chaque espèce de mammifères aux différens âges de la vie. Il y a, en effet, des différences très notables, mais non encore suffisamment établies, entre le poids de l'encéphale du premier âge et celui de l'âge mûr, chez tous les animaux, aussi bien que chez l'homme, et si l'on compare deux encéphales appartenant à des animaux d'espèces différentes, mais dont l'un soit jeune et l'autre adulte, on trouvera entre eux des différences qui pourront tenir à l'âge plutôt encore qu'à l'espèce.

Quoi qu'il en soit, je vais rapporter les résultats publiés par les auteurs que j'ai cités tout-à-l'heure, résultats auxquels se trouvent joints ceux que m'ont fourni mes propres observations.

Le poids de l'encéphale est au poids du corps,

Chez le Saïmiri...............comme 1 est à 22

Malbrouc jeune......... 24

Saï................... 25

Porc mâle d'un jour..... 27

Ouistiti............... 28

liai des champs......... 31

Porc mâle d'un jour..... 31

Lapin de quatre jours. ... 31

Mulot................ 31

Lapin de quatre jours.... 35

Taupe................ 36

Dauphin.............. 36

Coaïta................ 41

Chez le Callilriche.............comme 1 est à 41

Rat vulgaire........... 43

Souris................ 43

Chauve-souris femelle.... 43

Mone................. 44

Chauve-souris.......... 48

Gibhon............... 48

Mangabey......•...... 48

Lapin femelle de 4 jours.. 62

Mococo............... ®1

Dauphin.............. 66

Lapin mâle de quinze jours 69

Taupe................ 71

Marsouin......;...... 93

Chai................. 94

Chevreuil jeune......... 94

Noctule (chauve-souris).. . 96

Macaque.............. 96

Dauphin.............. 192

Papiou............... 104

Magot................ 105

Rat d'eau............. 124

Ondatra............... 124

Ornithorinque.........» 130

Rat femelle............. 130

Rat mâle.............. 136

Furet................. 138

Lapin................. 140

Lapin................ 152

Chat................. 156

Hérisson.............. 168

Brehis................ 192

llenard............... 205

Veau................. 218

Cerf.................. 221

Lièvre........... ..... 228

Loup................. 230

Panthère.............. 247

Ane..............____ 254

Ours................-, 265

Cerf.................. 290

Castor................ 290

Chez le Chien................comme 1 esl à 305

Mouton.............-. 351

Martre................ 565

Cheval................ 400

Verrat................ 412

Cochon de Siam........ 451

Porc femelle de huit mois. 493

Jeune éléphant......... 500

Cochon............... 512

Cheval................ 648

Sanglier............... 672

Cheval................ 700

Bœuf................. 750

Bœuf................. 860

Dont la moyenne est 186.

Il est bien remarquable que ce soient les singes, les rongeurs et les jeunes animaux appartenant à d'autres familles de mammifères qui occupent ici le premier rang. Les rongeurs se rapprochent en cela des oiseaux auxquels les assimile déjà l'absence de circonvolutions cérébrales , et ils se trouvent à côté des jeunes mammifères, formant ainsi la transition entre les classes inférieures et les classes supérieures, entre l'état embryonnaire et l'état parfait. Les cochons , à l'exception de ceux qui n'avaient vécu qu'un jour, sont placés à côté les uns des autres. Un éléphant est avec eux , mais c'était un jeune animal, qui, devenu adulte, se serait probablement placé bien loin après le bœuf et le cheval. Le chien est dafts la dernière moitié du tableau, c'est-à-dire qu'il est un des moins bien partagés sous le rapport du volume de l'encéphale ; il est à côté du mouton dont son intelligence et ses mœurs l'éloignent de tous points. Le lièvre est à côté du loup ; iLn'est pas besoin de dire quel contraste il y a entre ces animaux. Ce serait donc à tort que l'on chercherait un rapport direct entre le degré d'intelligence des animaux el le volume comparé de leur encéphale.

Cependant il existe un rapport de ce genre, mais on le trouve seulement entre les classes et non pas entre les individus, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le faire observer. Les animaux qui ont été l'objet des recherches entreprises pour éclairer celle question, n'ont pas été choisis dans le but de prouver tel ou tel système ; j'ai recueilli toules les observations que j'ai connues, j'y ai ajouté les miennes sans prévoir ce qu'elles donneraient : or, il résulte de leur réunion, que

Chez les poissons, le rapport de l'encéphale au corps est comme 1 à 5663

Chez les reptiles................................ 1321

Chez les oiseaux................................ 212

Et chez les mammifères.......................... 186

Donc il est vrai de dire que l'encéphale devient de plus en plus considérable au fur et à mesure que l'on s'élève dans la série animale. Mais on aurait tort d'induire de là que, dans une même classe, les individus sont d'autant plus inlelligens qu'ils ont l'encéphale plus développé, car ce serait là une assertion démentie par les faits.

Le rapport du cervelet au cerveau, donne-t-il, en ce qui concerne les mammifères, des données plus satisfaisantes?

Cerveau. Cervelet, ftapp.du cerveî. au cerveau,

Saïmiri............., ... » » 1 à 14

Hérisson................ 4,25 0,36 12

Lièvre..................11,47 1,01 11,30

Bœuf................... » ». 9

Lapin de quatre jours...... 1,7 0,2 8,5

Chien.................. » - » 8

Mone. ...:,....„........ ; « 8

Porc d'un jour............23,7 3,05 7,77

Taupe................... 0,75 0,1 7,5

Cheval..................5,52 7,4 7,45

Porc mâle d'un jour........24,05 3,3 * 7,29

Coaïta...................94,44 13,33 7,05

Papion.................. " » 7

Magot................... » » 7

Cheval.................. * » 7

Sanglier................. » » 7

Ouistiti.................. 4,35 0,69 6,30

Lapin femelle de quinze jours 4,2 0,7 6

Chat................... » » 6

Lièvre................. » » 6

Saï'..................... » ' » 6

Saï....................55,42 9,44 5,87

Lapin mâle de quinze jours.. 4,6 0,8 5,75

Lapin de quatre jours...... 1,7 0,3 5,66

Mouton................. •» » 5

Moeoco.................11,57 2,32 4,84

Cahiai..................55,44 11,47 4,82

Polasouche.............. 1,59 0,33 4,81

Mongous................20,71 4,35 4,81

Maki...................22,94 5,09 4,57

Taupe.................. » • 4,50

Gibbon..................71,46 15,93 4,48

Rat mâle..,............. i,5 0,35 4,28

Chauve-souris............. 0,31 0,075 4,13

Id..................... 0,4 0,1 4

Lapin................... 8,15 2,12 3,84

Écureuil................. 4,88 1,27 3,84

Rat..................... 1,3 0,35 3,71

Rat..................... » » 3,50

Agouti...................11,47 3,58 3,20

Castor...................17,21 5,73 3

Castor....................» 3

Loir................---- 1,11 0,53 2,09

Souris................... » » 2

Moyenne............. r à 5.91

Ce tableau rédigé d'après des observations recueillies les unes par Daubenton, d'autres par Cuvier et par moi, indique à peine une tendance vers le résultat qui nous a paru assez clairement donné par les oiseaux, savoir, que le volume relatif du cervelet au cerveau est d'autant moindre que les ani

maux sont plus intelligens. Les rongeurs et les singes se trouvent mêlés presque indifféremment; le lièvre est à côté du chat, le sanglier est à côté du singe papion. Les animaux d'une même famille, même ceux qui sont parvenus à l'état adulte, occupent parfois des places très éloignées les unes des autres; l'âge ne semble pas même apporter une différence très notable dans le développement du cervelet, car si d'un côté les lapins, peu de jours après la naissance, ont le cervelet plus petit que les lapins adultes, nous voyons deux porcs d'un jour être très rapprochés du sanglier. Le castor, dont l'industrie est aussi belle que celle des oiseaux les mieux pourvus, sous ce rapport, est placé presque au bas de la liste, et peu s'en faut qu'il ne soit aussi mal placé que la souris, animal dont le nom est le dernier du tableau.

Quant à la moyenne, elle est de 5,91, tandis que pour les oiseaux, elle est de 6,18, ce qui donnerait, si on pouvait la considérer comme exacte, un cervelet plus petit, et par conséquent un cerveau plus volumineux aux oiseaux qu'aux mammifères.

Peu satisfait de ces résultats, ne pouvant multiplier mes recherches sur un grand nombre d'animaux, et ne sachant rien encore de l'influence que le sexe peut apporter dans le développement du cervelet chez les animaux, j'ai senti la nécessité de faire des recherches plus spéciales que les précédentes. J'étais désireux d'ailleurs de m'assurer si, comme Gall l'a avancé (1), la castration opère un changement notable dans le volume du cervelet. En parlant de l'influence de la castration, Gall assure que, par le fait de cette mutilation ce le cervelet est arrêté dans son développement et n'acquiert pas, à beaucoup près, les dimensions auxquelles il fut parvenu si la

(0 Sur 1rs fonctions du cerceau, 1. in, p, 3$5 et 286, de l'éd. iu-8.

castration n'avait pas été entreprise. Si l'on examine, dit-il, les crânes d'hommes et d'animaux châtrés jeunes, la place du cervelet, elle paraît comme ratatinée; elle est beaucoup moins large et moins profonde; même les os crâniens immédiatement contigus, sont plus épais, moins transparens et plus raboteux que dans les sujets non châtrés. Que l'on compare le crâne du chat coupé avec le crâne du chat entier; les crânes des lapins coupés, de moutons, de chevaux hongres, avec les crânes d'animaux mâles entiers de la même espèce, la différence frappe au premier coup-d'œil, et devient bien plus sensible encore lorsque l'on mesure les cavités qui renferment le cervelet, les fosses occipitales, dans toutes leurs dimensions.

Le développement comparatif de l'encéphale des chevaux soumis à la castration et de ceux que l'on a laissés entiers devait, s'il était bien déterminé, servir à la solution des questions que je m'étais posées, et me fournir un document propre à confirmer ou à détruire la théorie de Gall concernant l'influence que la castration exerce sur le cervelet. M. Gérard Marchant a bien voulu faire pour moi celte épreuve, en pesant comparativement le cerveau, le cervelet et la moelle allongée d'un certain nombre de chevaux entiers, de jumens et de chevaux hongres qui servent aux opérations de l'école d'Alfort. Les pesées faites par M. Marchant, avec le concours de M. Lassaigne, offrent toute la garantie d'exactitude que l'on peut désirer, et je les regarde comme infiniment préférables à la simple inspection du crâne dont Gall se contentait toujours, ou même à la mensuration de la cavité crânienne du cervelet, quelque exacte qu'on puisse la faire.

Le tableau suivant contient îe poids absolu et le poids relatif du cerveau, du cervelet et de la moelle allongée de quarante-trois chevaux, savoir : dix chevaux entiers, douze jumens et vingl-el-un chevaux hongres.

ÉTALONS.

POIDS Rapport Torts

-———-, ^ de Rapport cervelet

Nombre. Ages. dè du du au la moelle avec

l'encéphale, cerveau. cervelet. cerveau, allongée, le cerveau.

grain. ; grâm. grain. gram.

1 9 aùs. 531 ' 430 60 1 à 7,16 41 là 10,49

I 9 592 485 65 7,40 42 11,54

3 9 526 424 61 6,96 41 10,35

4 10 448 350 56 6,25 42 8,33

5 40 à 11 489 380 58 6,55 41 9,27

6 11 564 458 62 7,39 44 10,40

7 14 559 458 62 7,39 59 41,74

8 15 519 418 60 6,97 41 10,19

9 17 586 480 66 7,27 40 12 10 17 544 448 62 7,22 34 13,17

Moyennes. . . 534 433 61 40

Rapport..................... 7,07 10,68

JUMENS.

1 7 528 425 65 là 6,54 38 là 11,2

2 10 459 365 60 6,08 34 10,73 5 11 475 382 58 6,6 55 10,91

4 12 531 432 63 6,85 36 12

5 13 à 14 503 412 60 6,86 31 13,29

6 14 501 409 60 6,81 32 12,8

7 14 à 15 540 336 66 5,09 38 8,84

8 15 518 420 60 7 38 11,05

9 15 509 413 60 6,88 36 11,47

10 15 526 430 62 6,93 34 12,64

11 15 508 409 61 6,70 58 10,76

12 16 ' 489 592 60 6,53 37 10,6

Moyennes» . . 498 402 61 35

Rapport..................... 6,59 11,49

HONGRES.

1 7 519 417 70 là 5,96 32 1 à 13,05

2 8 491 402 69 5,82 30 13,5.5 5 i 4«9 588 69 5,62 52 12,12

4 10 553 433 70 6,14 30 14,45

5 40 487 392 64 6,12 31 12,61

6 11 469 364 68 5,35 27 13,5

7 11 442 316 67 5,16 29 11,95

8 11 491 397 67 5,92 27 14,76

9 12 582 476 76 6,26 50 15,86

10 12 519 410 74 5,94 35 15,57

11 13 441 546 67 5,16 28 12,55

12 15 481 386 68 5,67 50 12,86

13 14 486 587 69 5,60 30 12,9

14 14 579 472 72 6,55 55 13,5

15 15 51C 416 70 5,94 30 15,87

16 15 603 490 75 6,44 38 12,9

17 15 526 423 71 5,95 52 12,21

18 16 515 415 70 5,93 30 13,83

19 16 672 566 76 7,44 30 18,87

20 16 544 445 72 6,15 39 11,36

21 17 504 407 68 5,95 29 14,03

10933 8806 1473 654

Moyennes. . . 520 419 70 31

Rapport..................... 5,97 13,46

Le poids de l'encéphale est donc

Chez les étalons, de........... 534 gram.

Chez les chevaux hongres, de... 520 Et chez les jumens, de......... 498

Ce qui donne pour moyenne du poids de l'encéphale des chevaux pris indistinctement, 517 grammes.

Les étalons marchent en première ligne, ensuite viennent les chevaux hongres, puis à la fin, sont les jumens. Les étalons et les chevaux hongres sont au-dessus de la moyenne, les jumens seules sont au-dessous.

La différence du volume de l'encéphale tient-elle à ce que la totalité de l'organe est moins développée chez les jumens que chez les chevaux hongres, et chez les chevaux hongres que chez les étalons, ou bien dépend-elle de l'infériorité relative de quelqu'une de ses parties.

Le cerveau des étalons.... pèse 433 gram.

Celui des chevaux hongres..... 419

Celui des jumens seulement.... 402

La moyenne est de 418, par conséquent les jumens seules sont encore au-dessous, et l'ordre résultant du poids comparatif de l'encéphale, n'a pas changé.

Venons au cervelet; cet organe pèse :

Chez les chevaux hongres...... 70 gram.

Chez les étalons............. 61

Et chez les jumens également.. . 61

Les chevaux hongres sont celte fois les seuls au-dessus de la moyenne; les étalons et les jumens sont les uns et les autres au même degré.

La comparaison du poids relatif du cerveau et du cervelet donne ces rapports d'une manière plus exacte; or, ces rapports sont les suivans :

Chez les chevaux hongres, le cervelet est au cerveau, comme 1 est à 5,97

Chez les jumens.................. 6,59

Et chez les étalons ....r...........: 7.07

Ainsi, ce sont les étalons qui ont comparativement le cervelet le moins développé; les jumens sont mieux favorisées qu'eux, sous ce rapport; et les chevaux hongres le sont plus que les uns et les autres. Si l'une des deux parties principales de l'encéphale s'est atrophiée chez les chevaux hongres, c'est le cerveau, car il est seulement de 419 grammes, tandis que le cerveau des étalons est de 433; et si l'une d'elles s'est développée de manière à prédominer sur les autres, c'est le cervelet des chevaux hongres qui pèse 70 grammes, tandis que celui des étalons et des jumens, n'en pèse que 61.

M'objeclera-t-on que les faits, sur lesquels je m'appuie, sont en trop petit nombre pour fonder une loi, et qu'avant

d'être formulée, celte loi devrait être basée sur des observa-lions répétées non-seulement chez les chevaux, mais aussi chez d'autres espèces d'animaux que l'on soumettrait à la castration? Je me rendrais volontiers, car les vérités physiologiques ne sont telles qu'à la condition d'être applicables non-seulement à une série de faits et à une espèce particulière d'animaux, mais à tous les faits de nature identique, considérés dans toute la série animale; mais je répondrai que ni Gall ni ses partisans ne seraient autorisés à me faire une semblable objection, car aucune de leurs assertions, touchant le siège des facultés, ne repose sur des observations aussi positives que celles dont je viens de donner les élémens et les résultats. Au lieu d'employer le mètre et la balance dans un ordre de faits qui le comporteraient si bien, Gall et Spur-zheim ont toujours, et leurs partisans ont presque toujours préféré la simple inspection. Les mots : « plus grand, plus petit, énormément développé, il est facile de voir, » et autres aussi peu précis se retrouvent à chacune de leurs pages, mots très expressifs pour des hommes prévenus, mais qui, dans la réalité, n'ont le plus souvent aucune valeur. Ainsi, dans la question dont il s'agit maintenant, Gall n'ayant donné aucune pondération que l'on puisse opposer aux miennes, il demeure établi que le cervelet des chevaux bougres n'est rien moins qu'atrophié, malgré la croyance et les assertions contraires généralement établies che;? les phrénologistes. (i)

(i) M. Parchappe, dans ses Recherches sur l'encéphale (i*r mémoire, an. i838), fuit remjjgquer avec raison que les phrénologistes ne s'appuient guère que d'appréciations approximatives, pour établir quel est le volume du crâne. «Les phrénologistes, dit-il, consentent à mesurer, mais ils préfèrent l'œil à la main; ce qu'ils rejettent surtout quand les résultats sont contraires à leurs dogmes, ce sont des mesures exactes (introd,, p. 10).

J'attache moins d'importance au poids relatif de la moelle allongée qu'à celui du cervelet, j'en ai dit plus haut les raisons. Quoi qu'il en soit, voici quelles sont les moyennes que le calcul m'a fourni à cet égard.

La moelle allongée est au cerveau :

ohez un Cheval, comme.....1 est à 11,30

Chien.......... 10,39,

Ane.......... 9

Porc mâle adulte .... 7

Porc d'un jour..... 6

Taupe......... 5

Lapin de 15 jours. . . . 4,18

Id............ 9,77

Lapin femelle adulte . . 3,36

Rat mâle adulte..... 3

Chauve-souris...... 2,69

Id........... 2,66

Rat........... 2,6

La moyenne de ces rapports est de 1 à 6,07. Quant aux nerfs, mesurés comparativement au volume de l'encéphale, ils sont dans les rapports que voici :

Optique. Mot. com. Pathétique. Abducteur. Trifacial. Facial. Auditif des yeux.

Chez le Chien. 1 à 17044 1 à 139452 1 à G0S722 1 à 403G7S 1 à 23242

Cheval. 36975 132102 „ 226469 13209

Ane . . 15407 1C107G 454317 352604 6S14 1 à 112802

Martre. 22S15 35872 181071 80618 » 1 à 69136

CIj;.., . 7262 24206 322094 136S90 6703

Lapin . 4454 18106 143577 80618 . 2943

Quoique j'aie pris la mesure des nerfs ci-dessus indiqués avec tout le soin possible, et que le calcul de leur volume ait été fait avec la plus grande attention, cependant je n'en donne le résultat que comme approximatif, attendu l'extrême difficulté de mesurer à quelques dixièmes de millimètre près, le diamètre de chaque nerf. Des nerfs extrêmement petits ou des fibres nerveuses peuvent se mesurer facilement à l'aide

du microscope auquel on adapie une chambre claire; mais des nerfs plus gros, mesurés au compas, ne présentent pas des conditions aussi favorables.

Quoi qu'il en soit, sur cinq nerfs mesurés, savoir : l'optique, le moteur commun des yeux, le pathétique, l'abducteur et le trifacial, le chien est trois fois placé en première ligne, c'est-à-dire que le volume de trois de ces nerfs, le pathétique, l'abducteur et le trifacial sont plus petits, relativement à l'encéphale, chez le chien que chez le cheval, l'âne, la martre, le chat et le lapin. Le cheval et l'âne viennent ensuite : ils sont les premiers, l'un pour le nerf moteur commun des yeux, l'autre pour le nerf optique. La martre et le chat sont placés après, c'est-à-dire que leurs nerfs sont plus gros que ceux du chien, de l'âne et du cheval ; enfin le lapin est le dernier de tous, c'est lui qui a les plus gros nerfs comparés au volume de son encéphale.

La moelle épinière est à l'encéphale :

Poids

-• —J~— 1,111 ~~- Rapports.

de l'encéphale, de la moelle ép.

gr- gr.

Chez un Lapin de quatre jours ..... 2,2 0.25 comme 1 à 8,8

Porc mâle d'un jour ...... 30,85 3,9 7,97

Id.............. . 29,75 4 7,6

Lapin de quatre jours..... 2,5 0,4 6,25

Id............... 2,35 0,4 5,87

Id............... 2,1 0,4 5,25

Chien adulte......... 79 19 4,58

Lapin de quinze jours, femelle. 5,9 1,3 4,53

Chatadulte.........• 31,85 7,04 4,17

Lapin de quinze jours, mâle. . 6,5 2,6 4,06

Rat.............. 2,55 0,8 3,02

Chauve-souris adulte...... 0,65 0,15 2,66

Lapin femelle adulte......10,5 5,7 1,84

Ce qui donne pour rapport moyen, chez les animaux ci-dessus désignés : 5,12,

Le poids relatif de la moelle épinière et celui de l'encéphale, comparés au poids du corps, diminuent à mesure que l'animal grandit : ainsi, dans une famille de lapins, j'ai trouvé les rapports suivans :

Entre l'encép. Entre la m. et le corps, ép.et le corps.

Lapin de quatre jours. 1 à 31 là 163 ld. 35 220

Id. de quinze jours. . 53 238

ld. id. 69 281

La mère des précédens. 267 493 Une chauve-souris adulte m'a donné 1 à 187 Un porc mâle d'un jour . . . : . 178 Un second animal du même âge. ; 226

Un rat............. 350

Un chien adulte . '........ 641

Un cheval (i) .f......... 1634

Les frères Wenzel, MM. Tiedmann, Serres, Lélut, Jules Lafargue (2), ont cherché à déterminer le rapport qui existe chez les animauy mammifères, entre le diamètre antéro-pos-térieur et le diamètre transverse du cerveau. M. Lélut s'est surtout appliqué à cettt détermination, afin déjuger la théorie phrénologique concernant le siège de la destructhité, et il a, dans ce but, réuni un plus grand nombre de faits que

(1) Je dois la connaissance de ce fait à M. Mignon, chef des travaux anato-miques de l'école d'Alfort, qui m'a utilement secondé daus plusieurs de mes recherches relatives à l'encéphale des chevaux.

(2) Par une suite de recherches faites dans un excellent esprit d'investigation, M. Lafargue, après avoir comparé entre eux un grand nombre de crânes d'animaux, est arrivé à cette conclusion, savoir: que la forme des crânes, dans le règne animal, est liée à des conditions de station et à dej conditions de mastication, et que, contrairement à l'opinion des phrénologistes, elle n'est pas en rapport avec l'intelligence. V. Applications de la doctrine phrénologique ou des localisations des facultés intellectuelles et morales , au moyen de l'anatomic comparée; dans les Archives de médecine, année i838, 3e et nouvelle série, t. i et t. i r.

ses prédécesseurs. Gall et Spurzheim, loin de se montrer partisans de cette méthode d'observer qui apprécie en millimètres la valeur des mots plus grand, plus petit, excessivement développé, et qui place dans la science une série d'observations que l'enthousiasme ou la crédulité ne peuvent détruire, l'ont attaquée chaque fois qu'ils en ont trouvé l'occasion. Us pressentaient sans doute, qu'avec une pareille méthode , leur système ne durerait pas long - temps, et ne pouvant donner de bonnes raisons pour la combattre, ils ont pris en pitié ceux qui la défendaient. M. Vimont les a imités et, en cela, il s'est montré plus soigneux de l'avenir de la-phrénologie que bon logicien. « Quelques moyens mécaniques, dit-il, ont été employés en Ecosse et dernièrement à Paris, pour apprécier avec autant d'exactitude qu'il est possible, les variétés de développement des diverses régions du crâne; on pressent que je veux parler du crâniomètre dont l'usage ne peut être de quelque utilité qu'aux personnes complètement étrangères aux applications crànios-copiques, ou assez mal organisées pour ne pouvoir s'y livrer. Je plains celles qui sont obligées de recourir à de pareils instrumens. Un simple fd que l'on applique au besoin sur un pied-de-roi, suffira pour apprécier la hauteur, la circonférence et les diverses étendues d'un organe à l'autre, ou de tout le crâne. » (1)

Malgré cette sorte d'anathème lancé contre ceux qui portent dans l'étude des dimensions de la tête, toute l'exactitude désirable, et sans crainte pour la qualification de mal organisé que les phrénologistes ont l'habitude d'adresser à ceux qui n'adoptent pas leurs opinions, j'ai mesuré le cerveau d'un aussi grand nombre de mammifères que cela m'a été possible.

( t) Op. cit., t, ii, p. i3 t.

Parmi les animaux compris dans le tableau qui suit, l'éléphant est le seul dont je n'aie pu mesurer le cerveau (j'ai dit que le lobe cérébral de l'éléphant des Indes, dont je donne la figure, était trop déformé pour avoir conservé ses dimensions); mais j'ai mesuré les diamètres de la cavité du crâne, ce qui m'a conduit au même résultat.

Diamètres Le diaui. traiisv. au aui.-post. Irausv. diani. atit.-post.

mm. mm. comme

Chien....... 72 54 1 à 1,33

Coati brun mâle .... 50 38 1,32

Papion ....... 95 72 1,32

Callitriche...... 62 47 1,32

Papion mâle *..... 101 77 1,31

Loutre femelle..... 60 46 1,30

Renne....... 98 76 1/29

Papion....... 82 64 1,28

Martre femelle..... 45 35 1,28

Ouanderou...... 66 52 1,27

Pecari-tajassou .... 63 50 1,26

Louve....... 82 65 1,26

Lapin mâle de quinze jours. 29 23 1,26

Lapine adulte..... 35 28 1,25

Macaque...... 66 53 1,24

Ane........ 108 88 1,23

Daim mâle...... 98 80 1,22

Roussette...... 33 27 1,22

Mandrill femelle .... 83 69 1,20

Porc femelle de huit mois . 78 65 1,2

Mouton....... 73 61 1,19

Ours blanc mâle .... 110 93 1,19

Porc mâle d'un jour ... 45 38 1,18

Malbrouc...... 65 55 1,18

Pécari........ 78 66 1,18

Renard femelle de six mois

(très méchant) .... 57 48 1,18

Cheval....... 137 117 1,17

Bœuf....... 113 96 1,17

Lapin femelle de i5 jours. 28 24 1,17

Chèvre naine..... 67 57 1,17

Grand mandrill .... 84 72 1,16

Maki vari...... 44 38 1,16

Renard femelle de six mois

(timide)...... 57 49 1,16

Kanguroo femelle. ... 51 44 1,16

Panthère mâle. .... 77 66 1,16

Loup mâle...... 74 64 1,15

Chèvre....... 74 65 1,14

Gazelle mâle . i . . : 64 66 1,14

Cougouar 77 67 1,14

Lion du Cap..... 91 81 1,13

Hyène....... 78 69 1,13

Ocelot ....... 68 51 1,13

Loutre....... 56 60 1,12

Chien....... 57 52 1,09

Loup] 57 52 1,09

Jument....... 111 101 1,09

Blaireau...... 53 49 1,08

Ours féroce mâle. ... 98 91 1,07

Moufflon de Corse. ... 72 67 1,07

Chamois femelle .... 73 67 1,07

Sanglier....... 68 64 1,06

Chien (féroce)..... 65 62 1,05

Lionne....... 78 75 1,04

Agouti....... 34 33 1,03

Phoque. 80 78 1,02

Kanguroo femelle (géant) . 51 50 1,02

Addax....... 80 78 1,01

Kanguroo géant .... 50 60 1

Id. .... 50 50 1

Cochon-d'Inde .... 21 21 1

Castor...... . 41 41 1

Aï........ 26 27 0,97

Phaseolome..... 40 41 0,97

Lapin de quatre jours . . 19 20 0,95

Id. . . 19 20 0,95

•Castor mâle ..... 44 47 0,93

Cavia-paca...... 40 43 0,93

Marmotte ...... 28 30 0,93

ïtal femella..... 15 16 0,93

liât mâle ...... 15 16 0,93

AKTÉKO-POSTÉMKUR DU CERVEAU.

Phoque....... 80 90 ', 0,88

Baleine. . ..... 172 200 0,86

Taupe....... 13 17 0,82

Id. ....... 13 17 0,82

Chauve-souris maie ... 9 11 0,81

ld. femelle . . 9 11 0,81

Id. id. . . 8 10 0,8

Eléphant (l)..... 146 200 0,73

Porc-épic ...... 32 41 0,78

Marsouin (fœtus) .... 65 85 0,76

Id. commun mâle . . 92 130 0,7

Eléphant d'Afrique (2) . . 171 250 0,68

ld. id. ... 171 282 0,63

Marsouin femelle .... 178 130 0,6

Moyenne ..... 1,07

Les cerveaux les plus allongés sont en tête du tableau, et les plus élargis à la fin. Au milieu de la confusion que présente ce tableau, où se trouvent à côté les uns des autres des animaux très différens par leurs instincts et leurs mœurs, on voit cependant qu'il s'y montre, pour plusieurs espèces, une tendance bien marquée. Ainsi tous les singes sont compris dans le premier tiers du tableau, et presque tous les rongeurs dans le dernier. Les rongeurs feraient donc la transition entre les oiseaux et les mammifères les plus élevés; la plupart d'entre eux sont même, sous ce rapport, moins bien partagés qu'un grand nombre d'oiseaux. Les chauve-souris sont encore au-dessous des rongeurs.

Mais le marsouin et l'éléphant viennent après la chauve-souris; le phoque et la baleine sont au même rang que les rongeurs, et deux lapins sont placés entre une louve et un singe macaque. Un loup et une jument sont au même degré, ainsi qu'un cougouar et une gazelle.

(1) D'après P. Camper.

(2) Celui qui a été étudié par Perrault et dont j ai mesuré la cavité crânienne.

Ici la longueur relative du cerveau n'indique pas, comme chez les oiseaux, que cet organe recouvre plus ou moins les tubercules quadrijumeaux et le cervelet; il y a des cerveaux très allongés qui recouvrent peu le cervelet, celui des runii-nans et des pachydermes se trouve dans ce cas; il y en a d'autres qui sont larges et courts ei qui, en grande partie, reposent sur le cervelet, c'est ce qui a eu lieu chez la loutre, le phoque, la baleine, le marsouin.

Le rapport du diamètre transverse au diamètre antéro-pos-lérieur, a donc moins de valeur chez les mammifères que chez les oiseaux, ce qui lient sans doute à la grande variété de forme du cerveau des mammifères, qui semblerait n'être pas construit d'après un plan unique, comme celui des oiseaux.

Le plus grand diamètre transverse du cerveau correspond toujours à la moitié postérieure de cet organe; il est généralement moins long que le diamètre antéro-postérieur. Si je n'avais eu le soin de prendre les dimensions du cerveau de l'éléphant, du marsouin, de la baleine el du phoque, j'aurais été porté à conclure que l'un des caractères propres aux mammifères dépourvus de circonvolutions, c'est d'avoir le cerveau plus développé en largeur qu'en longueur, et en cela je me serais trompé faute d'un nombre suffisant et d'une variété assez grande d'observations. Si je m'en étais rapporté aux mesures que Perrault a données du cerveau de l'éléphant, et qui ont été reproduites par M. Garus et par d'autres anato-mistes, j'aurais regardé ce cerveau comme le plus développé en longueur de tous ceux des mammifères, car Perrault dit que le cerveau de l'éléphant qu'il a disséqué avait huit pouces de long sur six de large, ce qui établirait un rapport de 1 à 1,35 entre le diamètre transverse et le diamètre antéro-postérieur de cet organe, mais ce que l'on a pas compris, c'est que

Perrault n'avait mesuré qu'un seul lobe, et n'avait par conséquent donné que la moitié de la largeur du cerveau. La mensuration du crâne de l'éléphant d'Afrique que Perrault a disséqué, et celle d'un autre éléphant qui avait des dimensions analogues m'a empêché de partager cette erreur.

La largeur de la partie antérieure ou frontale du cerveau est sujette à de plus grandes variations que celle de la partie postérieure de cet organe; mince, effilée chez le lapin, le lièvre, le loup, le chien, etc.; elle s'élargit chez les moutons, et devient circulaire chez le castor, le phoque, le marsouin. Chez l'éléphant, presque toute la masse cérébrale est en arrière et sur les côtés; chez le porc-épic, le castor, cette masse est presque aussi volumineuse en avant qu'en arrière.

Faute de s'entendre sur ce que l'on doit appeler partie antérieure du cerveau, les phrénologistes ont commis une singulière méprise. Ils ont vu que le front des animaux fuit en arrière au point de s'abaisser presque au niveau des os propres du nez, et ils ont conclu de cet abaissement à la disparition de la partie antérieure du cerveau, sans considérer que, chez les animaux, la cavité crânienne n'est pas au-dessus, mais bien en arrière des orbites, ce qui place le cerveau en arrière de la face et non au-dessus (1). Pour déterminer le volume relatif de la partie antérieure du cerveau chez les animaux, il faut non pas considérer la saillie du cerveau au-dessus des os de la face, mais comparer les cerveaux entre eux, les circonvolutions entre elles, et choisir dans le cerveau lui-même, un point fixe qui serve de départ pour diviser chaque lobe, en partie antérieure et en partie postérieure.

(i) J'ai déjà fait cette objection aux phrénologistes dans un mémoire publié en t835 {Gazette médicale, p. i,u), et M. Bouvier l'a reproduite en 18Î9, dans un Mémoire sur la forme générale du crdne dans ses rapports arec le dé~ veloppemenl de l'intelligence, imprimé dans les Bulletins de l'Académie royale de médecine, pour l'année

Si l'on compare la partie antérieure du cerveau du chien, du loup, du renard, avec la même partie du cerveau du mouton, du daim, du bœuf, du cheval, on voit que l'avantage est tout du côté de ces derniers. Le fait est si évident, qu'il n'est besoin d'aucune mensuration pour s'en assurer, un simple coup-d'œil suffît. La partie antérieure du cerveau, dans la famille des moutons, a beaucoup plus de largeur que dans la famille des renards; elle a également plus de longueur.

Afin de mesurer cette longueur avec exactitude, j'ai choisi pour point de départ une partie du cerveau qui est la même chez tous les mammifères et chez l'homme; ce point trouvé, j'ai mesuré également la partie postérieure, afin d'établir la dimension comparative de ces deux parties. Le point de départ dont je veux parler est le corps calleux : tout ce qui est en avant, je l'appelle partie antérieure; tout ce qui est en arrière, je l'appelle partie postérieure. Or, voici quelle est, chez un certain nombre de mammifères, la longueur comparée du corps calleux et des parties antérieure et postérieure du cerveau, le diamètre antéro-postérieur de cet organe étant pris pour unité. Les animaux portés dans le tableau suivant sont rangés d'après la longueur relative de la partie antérieure du cerveau.

J; APPOIsr

Iji.ini. Corps Pallie Partie du corps de la partie de la partie

autéro- call. antér. poster. calleux antérieure postérieure poster. ducerv. ducerv. au diamèt. anléropostér. du cerveau,

mil!, mill. mill. mill.

Lapin adulte ... 35 12 12 11 1 à 2,91 là 2,91 1 à 3,18

Chèvre..... 66 32 18 16 2,06 3,11 4,12

Chien..... 72 31 21 20 2,32 3,43 3,6

Loutre..... 70 28 20 22 2,5 3,5 3,18

Lapin...... 28 10 8 10 2,8 3,5 2,8

Kanguroo .... 50 13 14 23 3,85 3,57 2,17

Cavia-paca .... 40 20 11 9 2 3,63 4,44

Loup...... 57 20 16 22 2,85 3,8 2,59

Mouton.....00 38 17 14 1,88 3,93 4,71

Ours blanc . . '. .

Chameau.....

Lapin de quinze jours.

Mouton.....

Chai......

Renard .....

Ouanderou . . .

Ane......

Eléphant. . . . .

Lion .,.....

Macaque.....

L'a pi on.....

Mandrill.....

Phoque .....

Marsouin . . . . Maki-vari . . .

110 128 29

73 43 48 66 102 222 76 66 82 84 80 92 44

48

53

11

40

20

24

28

50

98

37

30

35

36

34

31

22

28 31

7 17 10 11 15 23 47 16 13 16 16 14 16

9

34 44 11 16 13 13 23 29 77 23 23 31 32 32 45 13

2,3

2,41

2,65

1,82

2,15

2

2,35 2,04 2,27 2,05 2,02 2,34 2,33 2,06 2,97 2

3,93

4,12

4,14

4,29

4,3

4,36

4;4

4,43

4,72

4,75

5,08

5,12

5,25

5,71

5,75

8,8

3,23 2,91 2,65 4,56 3,30 3,69 2,87 3,51 2,88 3,30 2,87 2,64 2,62 2,62 2,04 3,4

Moyenne des rapports

2,26 4,35 3,04

Les mammifères auxquels il est départi une plus plus longue masse cérébrale antérieure, sont tous ceux qui se trouvent inscrits au-dessus de la moyenne (4,35), les autres se trouvent inscrits au-dessous. Les premiers sont ;

Le lapin. La chèvre. Le chien. La loutre. Le kanguroo. Le cavia-paca.

Le loup. Le mouton. I/ours blanc. Le chameau. Le mouton. Et le chat.

Les autres sont :

Le renard. L'âne. L'éléphant. Les singes.

Le lion. Le phoque. Le marsouin. Le maki.

Le développement de la partie antérieure du cerveau et le volume des circonvolutions qui s'y rencontrent chez le mou-

ton, le cheval, le bœuf, et tous les autres animaux placés dans le même groupe, est très considérable, si on le compare au développement de la partie correspondante chez le chien, le renard, l'éléphant, et surtout chez les singes. Voyez la coupe du cerveau des uns et des autres, et vous trouverez qu'au-dessus et en avant du corps calleux, la masse cérébrale s'arrondit et s'élève chez les premiers, tandis que la disposition contraire a lieu chez les derniers.

Le développement de la masse cérébrale, en arrière du corps calleux, range les animaux portés au tableau qui précède dans l'ordre que voici :

Marsouin. Loutre.

Kanguroo. Ours blanc.

Phoque. Lion.

Loup. Chat.

Mandrill. Maki.

Papion. Chien.

Lapin. Renard.

Macaque. Ane.

Ouanderou. Chèvre.

Eléphant. Cavia-paca.

Lapin. Mouton.

Chameau. Mouton. Lapin.

Ainsi le mouton, la chèvre, le cavia-paca, l'âne, ont comparativement le cerveau moins développé en arrière que le chien el le renard, ceux-ci moins que le chat et le lion au-dessus desquels se trouvent l'ours el la loutre. L'éléphant et tous les singes l'emportent sous le rapport dont il est ici question sur les précédens, et en tête de tous se trouve (e marsouin. Si le lapin, le kanguroo, le chameau ne se trouvaient pas compris dans la première colonne, on serait porté à croire que le développement en longueur de la masse céré

brale, est d'autant plus considérable que les animaux sont plus élevés dans l'ordre intellectuel : nouvelle preuve de la nécessité de multiplier les observations avant de tirer des conclusions de celles que l'on a faites.

Le développement du cerveau, en hauteur, modifie l'ordre que je viens d'établir; le cerveau s'élève en avant chez les moutons, c'est le contraire qui a lieu chez les singes; le renard, le chien, le loup, le chat, le lion, tiennent le milieu entre ces animaux. Les dimensions des os du crâne et leurs rapports avec les circonvolutions cérébrales, sont parfaitement en rapport avec celle disposition. Chez le mouton, l'os frontal est très considérable, le pariétal est petit, l'occipital ne s'avance pas jusqu'au cerveau (pl. vu, fig. 4); chez le singe, le frontal est comparativement au pariétal, beaucoup moins étendu que chez le mouton, et l'occipital vient recouvrir, comme chez l'homme, l'extrémité postérieure du lobe cérébral, à laquelle la phrénologie a donné pour siège l'amour des enfans. M. Tiedemann avait déjà signalé celle opposition ainsi que Spix et M. Neumann. Les deux derniers y ont même trouvé la base d'un système en vertu duquel l'intelligence aurait son siège à la partie postérieure du cerveau; je signalerai plus loin les causes de l'erreur dans laquelle ils sont tombés à cet égard.

J'ai déterminé, pour un certain nombre de mammifères, la hauteur et la largueur du cervelet; la hauteur indique surtout le développement du lobe moyen ou ver du cervelet, tandis que le degré de largeur dépend surtout du développement du lobe latéral.

Diamètre

du cervelet. Rapport, haut. larg.

Phoque. ... 26 73 1 à 0,35

Papion mâle . . 22 56 0,39

Marsouin ... 32 80 0,4

Loutre. ... 15 36 0,41

ld..... 14 34 0,41

Martre femelle. , 13 30 0,43

Chat .... 15 34 0,44

Sanglier ... 21 47 0,45

Loup !. ... 15 33 0,45

Coati .... 14 31 0,45

Porc-épic... 13 28 0,46

Ocelot .... 18 39 0,46

Lion du Cap . . 25 53 0,47

Castor .... 17 36 0,47

ld. . . . . 15 31 0,48

Blaireau ... 19 39 0,48

Ours féroce . . 30 61 0,49

Porc .... 22 45 0,49

Lionne. . '. . 25 50 0,5

Marmotte. . . Il 22 0,5

Porc-épic... 15 30 0,5

Panthère ... 24 48 0,5

Cavia-paca. . . 16 31 0,51

Lapin .... 15 29 0,62

Ours blanc. . . 36 68 0,53

Singe Malbrouck. 19 36 0,53

Cheval. ... 39 73 0,53

Renne. ... 28 52 0,54

Chamois ... 24 44 0,54

Lapin .... 12 22 0,54

Cougouard. . » 27 49 0,55

Hyène. . . . 30 53 0,56

Pécari .... 22 39 0,56

Moufllou ... 24 43 0,56

Kanguroo. . . 20 35 0,57

Maki .... 18 31 0,58

Taupe .... 7 12 0,58

Kanguroo ... 22 37 0,69

Agouti .... 13 22 0,59

Ane..... 66 69 0,59

Jument. ... 37 61 0,60

Kanguroo ... 24 38 0,63

Chien .... 25 39 0,64

Rat..... 9 14 0,64

ET LA LARGEUR DU CERVELET.

Pécari. , . , 23 35 0,65

Lapin .... 12 18 0,66

Gazelle. ... 24 34 0,70

Chèvre. ... 26 36 0,72

Addax .... 32 44 0,75

Cochon-d'Inde. . 9 12 0,75

Chauve-souris. . 7 9 0,77

D'où il résulte que la largeur moyenne du cervelet est à la hauteur de cet organe, comme 1 est à 0,54.

Certains cervelets sont très aplatis, tandis que d'autres sont très élevés. L'élargissement de la partie moyenne est ordinairement en raison inverse de celui du lobe latéral. Ce dernier lobe est en effet très large chez le phoque, chez les singes, le marsouin, la loutre et la martre, tandis qu'il est presque nul chez le cochon-d'Inde et la chauve-souris qui, sous ce rapport comme sous plusieurs autres, se rapprochent beaucoup des oiseaux.

Le lobe extérieur (les flocons) presque toujours très mince et allongé, surtout dans les rongeurs, donne au diamètre transverse du cervelet une étendue qui n'est pas en rapport avec la masse de cet organe, comparée à celle des autres mammifères. J'aurais voulu déterminer exactement le volume de chacun des lobes du cervelet, en mesurant ou en pesant chacun d'eux; mais cela n'est pas possible parce que les limites qui séparent ces lobes n'ont rien de régulier ni de tranché. C'est un fait bien positif que les lobes du cervelet diffèrent beaucoup, quant à leur volume, chez les différens mammifères, mais je ne saurais indiquer les limites de leurs variations.

La plupart des groupes ou familles, dont se compose la classe des mammifères, se distinguent encore par d'autres caractères tirés de la configuraiion et du volume des parties secondaires de l'encéphale. M. Tiedemann a établi que le

cerveau comparé à la moelle épinière, à la moelle allongée, aux pyramides antérieures, au pont de varole, aux tubercules quadrijumeaux, aux tubercules pisiformes, est plus volumineux chez les singes que chez le phoque, le lion, le chat, le maki, le coati, le raton, l'unau, l'agouti, le porc-épic, le castor, etc.; le même anatomiste a également démontré que plus on descend dans la classe des mammifères, en prenant le singe pour le type de la perfection de cette classe, et plus la moelle allongée est volumineuse comparativement aux couches optiques et aux corps striés, organes qui appartiennent en propre au cerveau.

L'encéphale du singe est surtout remarquable par le développement relativement très grand de la partie postérieure du cerveau, l'absence presque complète de dépressions sur le lobe postérieur de cet organe, et le défaut de sinuosités, d'ondulations de ces circonvolutions, par l'absence des éminences mamillaires ou lobes ethmoïdaux, le développement d'une troisième cavité ou cavité ancyroïde dans les ventricules latéraux, le petit volume des tubercules quadrijumeaux, la saillie des éminences olivaires, et la largeur du pont de varole correspondant à l'étendue très considérable des lobes latéraux du cervelet.

Le cerveau des makis est formé d'après le même plan que celui des singes, mais il lui ressemble seulement comme une simple ébauche ressemble à un ouvrage achevé.

Je ne connais bien de l'encéphale de l'éléphant, qu'un lobe cérébral, et je n'ai vu de la moelle allongée de cet animal, et du cervelet, que des portions détachées. Plusieurs auteurs ont parlé de l'encéphale de l'éléphant ; ce sont Blair (1), Stukeley, Perrault (2), Duvernoy (3) et Camper.

(i) Mem. o/ the royal society, etc., vol. 5. p. 3o5. (?2) Mémoires, etc., p. 5aa.

(3) Mém, de l'Acad, de Saint-Pétersbourg, t. îv, année 1729.

Blair n'en a dit que peu de chose, il a remarque pourtant que les circonvolutions cérébrales avaient dans leur aspect général de l'analogie avec celles de l'homme. Slukeley l'a vu également; les ventricules, le corps calleux, les corps cannelés, lui ont paru d'une grande perfection, et c'est à leur conformation délicate, dit P. Camper, que Slukeley attribue la supériorité d'intelligence qui élève si avantageusement pes éléphans au-dessus des autres quadrupèdes. D'après Perrault, les couches optiques et les corps striés sont très gros, tandis que les tubercules quadrijumeaux sont très petits: ces faits ont été vérifiés par Camper qui s'est assuré de leur exactitude; mais ce que dit Perrault de la position relative du cerveau et du cervelet, n'est pas exact. « Le cerveau, d'après Perrault, est couché sur le cervelet. » S'il en était ainsi, le cerveau de l'éléphant serait supérieur à celui du singe, et même à celui de l'homme, car ce qui met le cerveau de l'homme au-dessus de celui de l'éléphant, ce n'est ni le nombre, ni l'étendue, ni la profondeur des circonvolutions, mais bien le prolongement de cet organe au-dessus et même au-delà du cervelet.

Camper a rectifié cette erreur de Perrault, en disant que « le cervelet de l'éléphant n'est pas couché au-dessous du cerveau, comme dans l'homme, ces deux organes étant séparés l'un de l'autre par une cloison verticale qui divise la cavité du crâne en deux chambres, l'une antérieure et l'autre postérieure, de sorte que le poids du cerveau ne peut comprimer le cervelet. » Le même auteur dit qu'il y a une grande ressemblance entre les cavités du cerveau, du plexus choroïde, des piliers de la voûte, des troisième et quatrième ventricules, de la glande pinéale, des tubercules quadrijumeaux de l'éléphant, avec les parties correspondantes du cerveau de l'homme, et il signale l'ample cavité qui se trouve dans les

corps mamillaires ou lobes olfactifs. Mais ces faits, exprimés d'une manière générale, laissent beaucoup à désirer; par exemple nous restons dans l'incertitude sur l'existence de la cavité ancyroïde ou cavité postérieure des ventricules latéraux, dont la présence coïncide chez l'homme et chez le singe avec le prolongement en arrière du lobe cérébral.

En somme, l'encéphale de l'éléphant, par les circonvolutions du lobe cérébral est au-dessus de celui du singe, par les tubercules quadrijumeaux, il lui est égal, mais par la forme générale du cerveau, la longueur de son diamètre transverse, la présence des éminences olfactives, la position du cervelet, il descend au niveau de celui des mammifères inférieurs.

L'encéphale du marsouin, du dauphin et celui de la baleine, sont remarquables par leur grande largeur; au premier aspect, celui de la baleine paraît aussi riche en circonvolutions que celui de l'éléphant et celui de l'homme; mais, ainsi que je l'ai fait remarquer, il manque des circonvolutions supérieures; les tubercules quadrijumeaux en sont, toute proportion gardée, plus considérables que ceux de l'homme, du singe et de l'éléphant; le ver ou lobe moyen du cervelet en est très rétréci, tandis que les lobes latéraux ont un grand développement. Le pont de varole, dont l'étendue est toujours en rapport avec celle des lobes moyens du cervelet, est aussi complet que chez l'homme. La plus grande largeur du cerveau de la baleine que j'ai étudié est de 200 millimètres; celle du cervelet est de 162; c'est, absolument parlant, beaucoup plus que l'homme dont le cervelet n'a guère plus de 100 millimètres de diamètre. Le pont de varole de la baleine est de 39 millimètres, et sa largeur prise entre la racine de la cinquième paire d'un côté et celle du même nerf du côté opposé, est de 56 millimètres. Les dimensions correspondan

tes chez l'homme, sont pour la première d'environ 25 millimètres, et pour la seconde, de 26 à 30; c'est donc et absolument el comparativement, une largeur beaucoup plus grande que chez l'homme.

Le pont de varole de la baleine m'a offert des fibres transversales ayant trois différens degrés de courbure, en conformité parfaite avec celles que Rolando a décrites dans l'espèce humaine : contrairement à ce qui a eu lieu chez l'éléphant et la plupart des mammifères, on ne trouve pas de lobe olfactif chez le marsouin, le dauphin et la baleine.

Le développement en hauteur du cerveau du marsouin et du dauphin est extrêmement remarquable; comparativement au diamètre antéro-postérieur, il est plus considérable que le développement correspondant du singe, de l'éléphant, et de tous les autres mammifères. ,

L'encéphale du phoque est large, aplati; le pourtour en est presque circulaire. Comme il est le seul de sa famille, je n'ai pu le comparer qu'à ceux des familles voisines ; mais à voir le défaut de sinuosités de ses circonvolutions cérébrales , on serait tenté de le prendre pour un rudiment d'un encéphale plus considérable dont le perfectionnement consisterait à avoir un plus grand nombre de dépressions et d'ondulations; si cet encéphale ayant le type de celui du phoque existait, le phoque serait pour l'animal auquel il appartiendrait, ce que le renard est pour le chien, le cochon-tonquin pour le sanglier, le chevreuil pour le bœuf, le singe pour l'homme.

Les nerfs olfactifs du phoque sont très petits, moins rudi-mentaires cependant que ceux des cétacés. Lever moyen du cervelet a de très nombreuses sous-divisions ainsi que le troisième lobe; quant au lobe latéral, d est plus élargi que chez la plupart des mammifères, cependant sous ce rapport il est au-dessous de celui du marsouin. Le pont de varole est large

et aussi complet que celui des animaux précédens. Le volume des tubercules quadrijumeaux du phoque est moins considérable que celui des singes, ainsi que M. Tiedemann en a fait l'observation.

Dans les dix premiers groupes ou familles de mammifères les nerfs olfactifs naissent comme celui de l'éléphant, par l'intermédiaire du lobe olfactif ; le pont de varole est plus étroit que chez le phoque, le marsouin et le singe; le cerveau se prolonge d'autant moins sur les tubercules quadrijumeaux et sur le cervelet, que l'on descend davantage. Ainsi, chez le cochon, le mouton, le chat, l'ours, la mangouste, le kanguroo, le phascolome, etc. les tubercules quadrijumeaux sont entièrement recouverts; le cervelet l'est lui-même, au moins en partie, tandis que, dans les rongeurs, l'ornitho-rinque et la chauve-souris, le cervelet est à découvert, et que l'on aperçoit même chez quelques-uns de ces derniers animaux, la saillie des tubercules quadrijumeaux au fond d'un sillon qui sépare le cerveau du cervelet. L'unau et l'ai ont le lobe moyen du cervelet un peu déprimé, tous les autres l'ont au contraire saillant, surtout les rongeurs, le kanguroo et les moulons. Ce lobe est moins en saillie chez le chat, le renard, le coati, la loutre, que chez les moulons et les rongeurs.

On s'est moqué avec raison de la désignation d'éminences nettes et lates, donnée aux tubercules quadrijumeaux; si l'on pouvait donner une raison, non pour justifier, mais pour expliquer comment on a été conduit à faire usage de pareilles expressions, il faudrait ainsi que j'en ai déjà fait la remarque, ne pas s'en tenir à l'aspect qu'offrent les éminences dont je parle, dans l'encéphale de l'homme. Il faudrait voir ce qu'elles sont chez les animaux et notamment dans la nombreuse famille des moutons. Là, les éminences antérieures, fiâtes, sont larges, hémisphériques et réunies par

une sorte de raphé, dont l'aspect rappelle, en effet, les nates dans l'espèce humaine. Quant aux testes, c'est très gratuitement qu'on leur a donné ce nom.

Les nates sont plus considérables dans les herbivores que dans les carnivores, leur aspect est grisâtre, tandis que celui des testes est constamment blanc.

l\. Moelle épinière des mammifères.

La grande analogie qui existe entre la moelle épinière des mammifères et celle de l'homme m'obligea remettre au second volume de cet ouvrage, tout ce qui la concerne. C'est alors que j'examinerai en détail, la conformation de la moelle épinière, son volume relatif, l'origine des nerfs qu'elle fournit, sa structure anatomique et sa structure microscopique.

RÉSUMÉ.

1. Dans l'encéphale des mammifères, le volume du cerveau l'emporte de beaucoup sur celui du cervelet, et les tubercules quadrijumeaux ne sont plus que des parties accessoires de l'encéphale.

2. Le cerveau de la plupart des mammifères est pourvu de circonvolutions.

3. Les mammifères qui manquent de circonvolutions cérébrales appartiennent tous aux ordres dont l'organisation est le moins parfaite.

h. Les circonvolutions célébrales des mammifères sont toujours les mêmes chez le même animal.

5. On peut classer les mammifères d'après la similitude de leurs circonvolutions cérébrales.

9. Le classement établi d'après les circonvolutions diffère en plusieurs points essentiels de celui qui a pour base la

conformation des organes de la préhension des alimens ; il rapproche des animaux semblables par leurs facultés, tandis qu'il éloigne les uns des autres des animaux à facultés différentes.

7. Les circonvolutions cérébrales ont plusieurs types bien tranchés, cependant on peut suivre les transitions d'un type à l'autre par des degrés intermédiaires.

8. Trois animaux, l'éléphant, le maki et le singe ont des circonvolutions dont les analogues ne se retrouvent que chez l'homme.

9. La présence et le développement des circonvolutions cérébrales ne sont pas en rapport direct avec le volume du cerveau; cependant il est généralement vrai de dire que les plus gros cerveaux ont les circonvolutions les plus nombreuses et surtout les plus ondulées.

10. Le renard, le loup, le chien, le chacal sont les animaux dont les circonvolutions cérébrales ont une grande simplicité.

11. Chez les chats, les circonvolutions sont en même nombre que chez les précédens, mais elles se réunissent le unes aux autres en plusieurs points.

12. Chez l'ours, le coati, etc., elles se réunissent davantage et présentent de nombreuses différences dans les détails.

13. Les herbivores ruminans solipèdes, ont des circonvolutions cérébrales moins simples et plus ondulées que les carnivores, et ressemblant assez pour l'aspect général, aux circonvolutions cérébrales de l'homme.

14. Les cochons et les ours, chacun dans un mode différent, ont un cerveau qui caractérise un état transitoire entre les carnivores et les herbivores.

15. Le cerveau du phoque se rapproche de celui des cochons.

16. Celui du dauphin, du marsouin et de la baleine, de celui des herbivores.

17. De tous les mammifères, l'éléphant et la baleine ont les circonvolutions les plus volumineuses et les plus ondulées, mais l'éléphant est au-dessus de la baleine par les circonvolutions qui lui sont communes avec le singe et même avec l'homme.

18. Les parties intérieures du cerveau et celles qui se trouvent à la base de cet organe, ont une grande ressemblance chez tous les mammifères quant à leur nombre et quant à leur forme; les différences les plus notables qui s'y trouvent portent principalement sur le volume.

19. Le cerveau recouvre les tubercules quadrijumeaux chez tous les mammifères; il recouvre au moins en partie le cervelet chez la plupart d'entre eux; et il le recouvre en totalité chez quelques-uns.

20. Le cervelet des mammifères a un lobe latéral qui n'existe pas chez les oiseaux et qui est très considérable chez le marsouin, le phoque et le singe.

21. Le plus petit nombre des lamelles du ver moyen que j'aie pu compter est de 9, elle plus considérable, de 178.

22. La moyenne du poids de l'encéphale comparé au poids du corps, chez les mammifères est comme lest à 186; les deux extrêmes, comme 1 à 22 et comme 1 à 860.

23. Les singes, les rongeurs et les jeunes animaux appartenant à d'autres familles de mammifères sont ceux qui ont l'encéphale le plus considérable, relativement au poids du corps.

24. Le cervelet est au cerveau dans le rapport moyen de 1 à 5,91.

25. Il n'est pas vrai de dire que la castration diminue le volume du cervelet.

26. La moelle allongée esl au cerveau, comme 1 csl à 6,07.

27. La comparaison du volume des nerfs avec celui de l'encéphale, chez cinq mammifères, savoir: le chien, le cheval, l'âne, la martre, le chat et le lapin fait voir que le lapin a de gros nerfs et un petit encéphale, tandis que le chien a un gros encéphale el de petits nerfs.

28. Le rapport moyen du poids de la moelle épinière est à celui de l'encéphale comme 1 esta 5,12.

29. Le poids relatif de la moelle épinière et celui de l'encéphale, comparé au poids du corps, diminue à mesure que l'animal grandit.

30. Le diamètre transverse du cerveau est généralement moindre que le diamètre antéro-postérieur : le chien et le coati ont le plus petit diamètre transverse, l'éléphant et le marsouin, ont au contraire le plus grand.

31. Les ruminans et les solipèdes ont la partie antérieure du cerveau plus large que les carnassiers.

;2. Le cerveau est plus développé en arrière, chez les singes et les makis, que chez tous les autres mammifères.

33. L'os pariétal est plus étroit, et l'os occipital est moins développé chez les moutons que chez les singes : c'est l'inverse pour l'os frontal.

34. La largeur du cervelet comparée à la hauteur de cel organe est très inégale chez les différens mammifères; le rapport varie de 0, 35, jusqu'à 0, 77 : la largeur moyenne esl à la hauteur comme 1 est à 0, 54.

35. Le pont de varole est aussi complet que celui de l'homme, chez lous les mammifères dont les lobes latéraux du cerveau sont très développés ; chez les autres, il est moins épais el surtout moins large.

§ II. structure du système nerveux cérébro-spinal des

En exposant la structure du système nerveux cérébro-spinal de l'homme, j'aurai soin d'indiquer les différences qui se trouvent entre ce système considéré dans l'homme et dans les mammifères, et je terminerai ce que j'ai à dire ici sur l'ana-lomie des mammifères, en donnant le diamètre des fibres nerveuses chez la chauve-souris, le rat, le chien et l'âne. Dans le but de faire mieux ressortir la différence qui se trouve dans le diamètre de ces fibres chez un même animal, suivant la partie du système nerveux cérébro-spinal où on les observe, j'ai mis à la suite les unes des autres toutes les mensurations qui concernent les fibres nerveuses de l'âne. Il résulte de ces mensurations, que la moelle allongée et la moelle épinière ont des fibres de dimensions très différentes, et que ces fibres peuvent acquérir, par suite de la compression à laquelle on les soumet pour les examiner, des dimensions très considérables, ce qui n'arrive jamais aux fibres du cerveau, du cervelet, et des parties secondaires de ces organes, telle que les commissures,les corps striés, les couches optiques, etc.

diamètre des fibres nerveuses des mammifères.

mammifères.

mm.

Chauve-soukis . . Fibre de la moelle épinière......... . 0,00166

Chien...... Id................... 0,002

Chauve-souris . . Id.................. 0,0025

Id........ du nerf maxillaire supérieur..... 0,00583

Rat........ de la moeile allongée......... 0,006

Chauve-soukis. , , de la moelle épinière......... 0,00666

Id......... du nerf brachial........... 0,01

Chien...... de la moelle épinière......... 0,01166

Ane.......Fibre du corps calleux........... 0,0013 j

ld......... de la face interne des ventricules . . . 0,0013

Id......... des rayons du corps strié...... 0,0013

ld......... de la raciue du nerf optique..... 0,0013

ld......... Id.................. 0,00166

ld. ........ de la bandelette de l'hippocampe . . . 0,002

Id . ....... des pyramides postérieures de la moelle

allongée............. 0,002

1*1 "........ de la substance grise du corps strié . . 0,002

Id ........ de la substance blanche des circonvolutions .............. 0,002

ld........ . du fond du quatrième ventricule. . . . 0,0025

Id . ....... de l'intérieur de la moelle allongée. . . 0,003

ld........ de la commissure des tubercules quadrijumeaux postérieurs...... 0,003

ld ........ de la substance blanche du corps strié. 0,003

ld........ de la substance grise périphérique du

cerveau.............. 0,003

ld......... de la substance grise du cervelet. . . . 0,00333

ld......... de la substance blanche du même organe ............... 0,00333

ld........ de la cuisse du nerf optique...... 0,00383

Id........ des tubercules quadrijumeaux postérieurs .....-......... 0,00466

Id. .... :.. , des tubercules quadrijumeaux anté-

rieurs............... 0,005

Id......... de la racine du cerveau........ 0,005

Id......... du fond du quatrième ventricule . . . 0,005

ld......... de la pyramide postérieure...... 0,00633

ld.. de la commissure de la quatrième paire. 0,007

Id ....... , du corps resliforme.......... 0,0075

ld......... des circonvolutions (substance blanche) 0,0075

ld . .'...... rectiligne du nerf auditif ....... 0,00783

/ /........ du ganglion du nerf auditif...... 0,00917

ld......... du nerf farial............. 0,01030

Id......... de la cuisse du cerveau........ 0,01166

ld........~, Renflement d'un fibre variqueux du nerf optique ............ ... 0,01166

ld.........Fibre de l'intérieur de la moelle allongée. . . 0,0225

§ III. FACULTÉS DES MAMMIFÈRES.

Aristote disait : a On découvre chez les animaux une faculté naturelle analogue aux différentes passions qui modifient notre âme : prudence, lâcheté, courage, douceur, rudesse ; je parcourerais ainsi toutes les habitudes de l'âme. Quelques-uns participent à une sorte de capacité d'apprendre et de s'instruire, tantôt en prenant des leçons les uns des autres, tantôt en les recevant de l'homme; ce sonl ceux qui sont capables d'entendre et de discerner la variété des signes. » (1)

Et Condillac : « Il y a dans les bêtes, un degré d'intelligence que nous appelons instinct, et dans l'homme, un degré supérieur que nous appelons raison. » (2)

La proposition d'Aristote esl vraie et sa pensée n'a pas besoin de commentaire. La proposition de Condillac esl vraie aussi, mais le mot instinct dont il se sert n'est pas employé ici dans l'acception qu'on lui donne ordinairement. Pour Condillac, l'instinct est encore de l'intelligence, mais une intelligence peu développée, tandis que le plus ordinairement on appelle instinct le mobile aveugle, inintelligent qui pousse à faire une action sans connaissance de la cause, sans prévision du résultat et sans modification dans les procédés. Frédéric Cuvier (3) a parfaitement défini ce qu'il entendait, et ce que l'on entend généralement par actions instinctives el par actions intellectuelles.

ce Les actions antérieures à toute expérience, dit-il, qu'elles soient simples ou complexes, sonl instinctives.

(i) Histoire des animaux, 1. ix, c. t.

fa) Traité des animaux , 'ze part., conclusion.

(3) Dict, des Se, naturelles, I. sxnr, n. 5^8; antt. '8'iî

(c Les actions produites ou modifiées par l'expérience, soûl électives, intellectuelles.

a Le chien, lorsqu'il va enfouir dans la terre les restes de son repas; le cheval et le renne, lorsqu'ils enlèvent la neige qui recouvre la terre pour y trouver leur nourriture; les vaches lorsque menacées par la présence du loup, elles placent leurs petits au milieu d'un cercle dont leur tête et leurs cornes forment la circonférence; les castors lorsqu'ils élèvent leurs huttes et leurs digues, lorsqu'ils vont couper le bois nécessaire à leurs constructions, lorsqu'ils réparent les ravages que leurs ennemis et le temps peuvent avoir faits à leurs habitations; le lapin lorsqu'il se creuse un terrier, l'oiseau lorsqu'il construit son nid (1), font des actions instinctives. »

ce Les autres (2) actions des animaux sont le résultat ma-nifeste d'une intelligence, parce qu'elles se conforment en tous points à la variété fortuite des circonstances au milieu desquelles elles se passent ou que ces circonstances seules occasionnent. Elles s'expliquent naturellement et sans effort, continue Frédéric Cuvier, en admettant dans les animaux des facultés intellectuelles semblables à celles qui nous auraient été nécessaires pour les produire, et toute autre explication serait inadmissible. »

Suivant l'auteur ce ce qui distingue surtout l'intelligence des animaux de celle de l'homme, c'est que les animaux sont dépourvus du sens intime, de la perception du moi et de la faculté de réfléchir, c'est-à-dire de considérer intellectuellement par un retour sur eux-mêmes leurs propres modifica-

(1) Quelques-unes de ces actions ne sont pas purement instinctives, mais la distinclion établie par F. C. n'en es! pas moins très juste.

(2) Examen de quelques observations de M. Dugald-Stewart, qui tendent à détruire l'analogie des phénomènes de l'instinct avec ceux de l'habitude, In-4°, Paris, 1823.

lions. lis ignorent qu'ils reçoivent l'impression des corps antérieurs, qu'ils pensent, qu'ils agissent. »

Ils pensent donc, sans toutefois s'élever à des idées abstraites, mais sans le langage, la pensée ne leur serait que d'un faible secours. J'ai établi précédemment que les oiseaux ont en effet un langage qui leur est propre, les mammifères ont aussi le leur. C. G. Leroy (1) s'exprime ainsi à ce sujet : « Si nous suivons de près les actions des animaux, nous voyons qu'il est impossible qu'ils ne se communiquent pas une partie de leurs idées, et qu'ils ne le fassent pas par le secours des mots. Ils ne confondent pas entre eux le cri de la frayeur et le cri de l'amour. Si une mère effrayée pour sa famille n'avait qu'un cri pour l'avertir de ce qui la menace, on verrait à ce cri la famille faire toujours les mêmes mouvemens. Mais, tantôt la famille précipite sa fuite, tantôt elle se cache, tantôt elle se présente au combat. Puisqu'en conséquence de l'ordre donné par la mère, les actions des petits sont différentes, il est impossible que le langage ne l'ait pas été. Peut-on dire que les expressions ne soient pas fort diversifiées entre un mâle et une femelle pendant la durée de leur commerce, puisqu'on remarque clairement entre eux mille mouvemens de différente nature? Empressement plus ou moins marqué de la part du mâle; réserve mêlée d'agacerie de la part de la femelle; refus dissimulés, emportemens, jalousies, brouilleries, raccommodement. Pourrait-on croire que les sons qui accompagnent tous les mouvemens ne sont pas variés comme les situations qu'ils expriment?

« Il est vrai que le langage d'action est d'un très grand usage parmi les bêtes, et qu'il est suffisant pour qu'elles se communiquent la plus grande partie de leurs émotions. Ce

(r) Op. cit., p. 84 et suiv."

langage familier, à ceux qui sentent plus qu'ils ne pensent, fait une impression très prompte, et produit presqu'à l'instant la communication des sentimens qu'il exprime, mais il ne peut pas suffire dans toutes les actions combinées des bêles qui supposent concert, convention, désignation de lieu, etc. Deux loups qui, pour chasser plus facilement ensemble, se sont partagés leurs rôles, dont l'un est allé attaquer la proie, pendant que l'autre, s'est chargé de l'attendre à un lieu donné pour la pousser avec des forces fraîches, n'ont pas pu agir ensemble avec tant de concert sans se communiquer leur projet, et il est impossible qu'ils l'aient fait, sans le secours du langage articulé. »

Les fonctions de lieutenant des chasses de Versailles et de Marly, que remplissaient G. Leroy, l'obligeaient à pratiquer les animaux,et les faits qu'il raconte ne sauraient être mis en doute. Quant à ses déductions, nous devons les examiner, et libres dans notre jugement, les adopter ou les rejeter, suivant qu'elles nous paraîtront justes ou erronées. L'autorité de Fréd. Cuvier, celle de Condillac, celle d'Aristotene nous arrêteront pas davantage, si mise, en regard des faits, leur opinion n'en est pas une conséquence nécessaire.

En esquissant l'histoire psychique des mammifères, je parlerai d'abord de l'intelligence et des instincts des carnivores ; je ne me conformerai donc pas entièrement à l'ordre que j'ai suivi en exposant la conformation de leurs circonvolutions cérébrales. Pour les circonvolutions, le point de départ et celui d'arrivée étaient fixés d'avance ; le premier était caractérisé par le plus faible développement ou même par l'absence des circonvolutions; le second par le développement des circonvolutions le plus rapproché de celui de l'homme. Entre ces deux points, j'ai coordonné les cerveaux de la manière qui m'a paru la plus favorable à leur description.

La netteté avec laquelle se dessinent les circonvolutions du renard, du loup et du chien, m'a obligé de placer ces animaux à la suite de ceux qui n'ont sur le cerveau que des dépressions plus ou moins profondes; après le renard, le loup et le chien, j'ai dù, pour me conformer au même principe, placer à la suite les chats, les ours, les mangoustes; alors j'ai repris la série des herbivores, pour arriver jusqu'à l'éléphant et au singe. Mais si je n'avais pas eu à coordonner les quatre groupes des carnivores dans la série des autres groupes; si la facilité de faire comprendre la description de leur cerveau ne m'avait été nécessaire pour éclairer la description du cerveau des herbivores, je les aurais placés à part et après le second groupe dans lequel se trouvent la marmotte, le lièvre, le sarigue; j'aurais dans le troisième groupe, placé l'ai, l'unau, le tatou, etc., et les autres groupes seraient venus après celui-là, suivant l'ordre que j'ai établi. II y a une filiation directe entre le cerveau des rongeurs et celui des herbivores, des piscivores et des omnivores. Le cerveau des carnivores a un type particulier qui le place en dehors de celui des autres animaux. Si donc, je change ici l'ordre établi dans le premier paragraphe, si je parle d'abord de l'état psychique des carnivores, il n'en faudra rien induire contre l'analogie d'organisation du cerveau et la nature des facultés intellectuelles. Cette analogie sera examinée dans le paragraphe suivant ; mais ici, on va déjà être frappé d'un premier fait: c'est que la plupart des groupes établis d'après la conformité des circonvolutions cérébrales, est en rapport avec la conformité des facultés intellectuelles, et que la base de la division organique devient, jusqu'à un certain point, celle de la division psychique.

La nécessité de se nourrir de proie donne aux Carnivore? un caractère particulier : leur organisation les rend capable?

de combattre et de vaincre les autres animaux; ils sont doués d'une intelligence qui les rend aussi habiles chasseurs que prompts à reconnaître les dangers auxquels les exposent la poursuite de leurs ennemis. Il ont une habileté inconnue aux herbivores, et si l'éléphant n'existait pas, on les mettrait avec raison, au premier rang des animaux.

1er groupe.—Renard, loup, chien, chacal.

Fin comme un renard, dit un vieux proverbe, et ce proverbe est bien fondé. Le renard est adroit, rusé et patient; sa voracité est aussi grande que celle du loup, mais comme il est plus faible que le loup, il agit avec plus de circonspection et il fait, quand il en trouve l'occasion, des provisions abondantes, ce qui le dispense de chasser toutes les fois qu'il a faim. Il se nourrit d'animaux vivans, tels que volaille, lièvre, rats, mulots, serpens, lézards, crapaux; il recherche aussi le miel et le lait. S'il est dans un pays où l'on ait établi des pièges pour les oiseaux, il va de grand matin, avant l'oiseleur, enlever le produit de la chasse: dans le voisinage d'une ferme, il guette le moment d'entrer dans la basse-cour, y pénètre, tue force volailles et emporte en autant de voyages qu'il le faut, tout ce qu'il peut emporter. S'il s'est jeté sur une ruche pour voler le miel qui s'y trouve, les mouches se précipitent sur lui, le piquent de leur aiguillon ; lui se roule sur la terre, les écrase, et revient à la charge jusqu'à ce qu'il se soit rendu maître de la ruche.

Il est très habile à reconnaître les pièges qu'on lui tend, il les évite presque toujours surtout s'il est vieux, car l'expérience lui profite et le rend encore plus circonspect qu'il n'était pendant sa jeunesse.

Généralement, il se tient près des habitations de l'homme et surtout dans le voisinage des fermes ; quelquefois il se

creuse un terrier ; d'aulres fois il s'empare du terrier d'un blaireau ou de celui qu'habite une famille de lapins, ce Si l'on a mis un piège à l'entrée de son terrier, il resterait 15 jours sans manger, plutôt que de sortir; mais si par fortune, un lapin qui était resté caché dans ce terrier, en est sorti et s'est laissé prendre au piège, le renard ne craignant plus le piège, sort aussitôt. » (1)

Il n'y a pas d'attachement durable entre le mâle et la femelle ; celle-ci, lorsqu'elle est prête à mettre bas, prépare dans son terrier, un lit de feuilles destiné à ses petits. Devenue mère, elle brave des dangers qu'en tout autre temps, elle aurait fui. Quoique entourée de pièges, elle sort pour chercher des provisions et si elle est trop souvent poursuivie elle déloge emportant sa famille avec elle.

On n'apprivoise le renard que difficilement et incomplètement ; on a essayé de l'accoupler avec le chien, mais on n'y a pas réussi.

D'après Buffon, il n'y a rien de bon dans le loup que sa peau: nous ne pouvons guère, en effet, retirer autre chose de cet animal, mais les facultés qu'il possède ne le rendent pas moins digne de notre attention. Ses sens sont exquis, il ne manque pas de courage et il a beaucoup d'adresse à la chasse. S'agit-il d'enlever un mouton, deux loups se réunissent, l'un se se dirige vers le chien qui garde le troupeau, se fait poursuivre par ce chien qu'il éloigne ainsi des moutons, et le second loup profite de l'éloignement du chien pour enlever sa proie : s'agit-il, pour un loup et une louve d'attaquer une bête fauve? le loup se met en quête, poursuit l'animal et le met hors d'haleine ; la louve, qui d'avance, s'est placée à quelque défilé, le reprend avec des forces fraîches et la bête poursuivie est vain-

(t) Leroy, op. cit., p. 3o et 3i.

eue (1). C'est de la même manière que le loup attaque les cerfs, les bœufs, el les chiens. (2)

Ainsi que le renard, le loup fait des provisions, en cachant dans la terre les débris d'animaux qu'il n'a pu manger ; le chien sauvage a la même habitude, et parmi les chiens domestiques, ceux qui vivent peu dans la société de l'homme, l'ont également.

Le loup n'a pas de terrier, il entre en amour une fois l'an, on présume que le mâle reste avec la même femelle pendant toute sa vie, cependant à l'époque du rut, le même mâle cherche successivement plusieurs femelles; celles-ci élèvent souvent seules leurs petits, qu'elles retiennent environ deux mois au liteau, puis elles les conduisent à la chasse, et les gardent jusqu'à l'époque où elles entrent en amour. Alors elles abandonnent leurs petits capables désormais de se procurer la nourriture dont ils ont besoin.

11 y a une antipathie naturelle entre le loup et le chien ; ces deux animaux ne peuvent pas se rencontrer sans se fuir ou se battre : cependant on est parvenu à faire couvrir une louve par un chien, mais il a fallu faire bien des tentatives avant de réussir (3). Pendant les premiers mois de leur vie, les loups sont moins féroces qu'ils ne le deviendront plus tard, mais presque jamais on ne parvient à adoucir leur caractère. La familiarité, l'apprivoisement dont ils sont susceptibles, n'approchent pas de ce que nous observons, sous ce rapport, chez le chien. Ils ont beau être repris, ils n'en sont pas moins disposés à égorger les animaux plus faibles qu'eux. II y a une circonstance dans laquelle ils se montrent timides et inoffen-

(1) Leroy, op. r!l.} p. 24.

(2) Buffon, art. loup.

(3) Buffon, art. loup et chien.

sifs, c'est quand ils sont pris dans un piège. Alors on peut les tuer sans qu'ils se défendent.

Le loup chasse la nuit plus souvent que le jour ; le voisinage de l'homme le rend très prudent : jeune on le prend sans beaucoup de peine , vieux il est défiant et se tient toujours sur ses gardes. (1)

Le chien, tel que nous le connaissons en Europe et dans tous

les pays civilisés, est pour le caractère et pour les mœurs, presque l'opposé du loup; mais, à l'état de nature, ces deux animaux se comportent presque absolument de la même manière. Dans les pays déserts, où se sont multipliés des chiens sauvages, ces animaux se réunissent en troupes qui se composent quelquefois de deux cents individus; ils chassent tous ensemble et ne craignent pas d'attaquer les sangliers, les taureaux, et même les lions et les tigres. Dans les pays barbares, ils se sont déjà rapprochés de l'homme el reflètent quelques-unes de ses qualités. Les voyageurs qui ont visité la Nouvelle-Hollande, disent qu'ils y ont rencontré des chiens attachés à leur maître, mais à leur maître seulement; du reste, hargneux, voleurs et incorrigibles, se jetant sur l'homme et sur les animaux avec la férocité du loup (2). Ces chiens ont la plus grande ressemblance avec les loups ; comme eux, ils mangent presque exclusivement de la chair crue et fraîche.

Le chien de berger et le chien-loup sont ceux qui, chez les peuples civilisés, se rapprochent le plus du chien sauvage que l'on a appelé aussi chien marron. « Ils lui ressemblent beaucoup, dit F. Cuvier, par les formes générales et par la délicatesse des sens ; mais le besoin de la société de l'homme

(i) Leroy, op. cit., p.

(a) The voyage of governor Philip to Botany-Ba , in-40 Lond.', 1789, et Fréd. Cuvier, Observ. sur le chien des habitons de la Nouvelle-Hollande, Ann, du Musée, t. xi, p.

est déjà très marqué en eux ; c'est l'homme qui fait leur famille, et tous les individus de leur propre espèce auxquels ils ne sont pas habitués, sont traités en étrangers, dès qu'ils se présentent. Cependant ils ne portent d'affection qu'aux seules personnes qui les protègent; ils s'attachent exclusivement à celles qui les nourrissent; toutes les autres ne leur sont rien; leur dépendance ne va pas jusqu'à les soumettre à tous les hommes en général, comme quelques autres races. Aussi leur fidélité est-elle sans bornes, quoiqu'ils soient très peu caressans.

« Ils ne supportent les corrections que jusqu'à un certain point, au-delà duquel ils fuient ou se défendent.Tous les objets qui sont la propriété de leur maître et sa personne surtout, sont défendus par eux, avec un dévoûment sans bornes. La faim ne suffit plus pour les déterminer à s'emparer d'une proie. Ils ont très peu de voix, comparativement à d'autres races, et leur activité est extrême. Chargés d'une surveillance continuelle, leur repos est rare el léger, et quel que soit l'abondance de leur nourriture, ils conservent l'habitude de cacher les restes de leur repas, en les enfouissant. (1)

Les chiens dogues, ceux que l'on commet à la garde des fermes et qui n'ont pour maîtres que des paysans mal façonnés, ont, dans le caractère, une rusticité, une sauvagerie que l'on ne retrouve plus chez les chiens habitans des villes.

Les formes du chien, son organisation se modifient d'une manière très marquée par le genre de vie auquel on le soumet, et les qualités physiques ou morales que l'homme est parvenu à lui donner, se transmettent, jusqu'à un certain point, par la génération. Aucun animal n'est aussi modifiable que le chien, aucun ne présente plus de variétés. Il est de tous les animaux le meilleur élève de l'homme, et souvent il en est le meilleur ami.

(i) Fr, Cuvier, api cit., p, 469.

Ge serait une chose incroyable, si elle n'était vulgaire, que la facilité avec laquelle les chiens entrent en communauté d'idées et de sentimens avec l'homme. Ils comprennent, non-seulement les choses qui sont à leur usage, mais celles qui y paraîtraient les plus étrangères, et l'éducation qu'ils reçoivent n'a pas seulement pour résultat de perfectionner leurs qualités innées, mais aussi de leur en donner de nouvelles.

Il n'est personne qui n'ait eu occasion de voir quelques-uns de ces chiens, appelés chiens savans, et qui n'ait été frappé de leur intelligence. Les plus remarquables en ce genre que l'on ait montrés à Paris, depuis un certain nombre d'années, élevés par des Italiens, avaient chacun reçu un nom; c'étaient Munito, Fido et Bianco. Le premier faisait, disait-on, des choses incroyables; mais comme je ne l'ai pas vu, j'aime mieux parler seulement des deux autres que j'ai observés avec autant de surprise que de plaisir.

Fido et Bianco appartenaient au même maître, M. Farima, qui les montrait au public. L'affiche portait :

« i° Fido composera tous les mots delà langue italienne qu'on lui dictera, répondra à toutes les demandes qui lui seront faites et traduira les mots suivans, en dictant seulement les nombres correspondans et en désignant s'ils doivent être traduits en français, en italien, en latin, en anglais, en allemand ou en grec.

Cinquante mots étaient écrits dans ces six langues, et numérotés ainsi :

1. Univers, Universo, Universus, Universe, JVelt, Oikumen.

2. Europe, Europa, Europa, Europe, Europa, Europe, etc.

« 2° Fido fera l'addition, la soustraction, la multiplication et la division,

aussi bien et plus vite que les personnes les plus exercées dans la

science des calculs.1 « 3° Fido et Bianco joueront aux cartes ensemble, ou avec quij que ce

soit, et aussi bien que les meilleurs joueur J « 4° Us copieront tous les écrits qu'on leur présentera. « 5° Ils connaîtront tous les objets, toutes les couleurs, toutes les fleurs,

la valeur des monnaies, etc. « 6° Fido fera des tours d'adresse et. de mémoire, »

En tenant compte de la part qu'avait prise le maître dans l'exécution d'un pareil programme, la part d'intelligence des chiens était encore assez grande pour exciter l'admiration.

Un assistant témoigna le désir que Fido écrivît, en anglais, le mot inscrit sous le numéro 19 : Fido alla chercher de grosses lettres mobiles, jetées sur le plancher ; il les rangea les unes après les autres, et, quand il eut fini, on lisait me-mory : c'était en effet le mot qu'on lui avait demandé. Son maître ne lui disait rien; en arrangeant ses lettres, le chien ne pouvait le voir, et, s'il existait quelque connivence entre eux, ce que je crois volontiers, cela se faisait si habilement, que je n'ai pu en rien découvrir, quoique mon attention fut dirigée sur le maître, plus encore que sur le chien.

On demanda au chien, par l'intermédiaire de son maître : Quel est le roi des animaux? Le chien alla chercher la lettre o; je le crus en défaut, et mes yeux se fixaient très attentivement sur son maître, afin de m'assurer s'il ne lui ferait pas quelque signe pour le tirer d'embarras ; mais je ne vis rien. Après la lettre o, il alla chercher la lettre n, puis la lettre d. Va-t-il mettre Ondatra'/ me disais-je, c'est assez mal choisir. Enfin, après un peu de temps et presque sans hésitation, il écrivit: On dit que c'est le Ion. Il y avait une faute, ou plutôt une omission: le maître appela Bianco, auquel il dit: on a demandé à Fido quel est le roi des animaux ; voilà sa réponse, regarde s'il n'y manque rien. Bianco, très pétulant, très vif et même étourdi, alla chercher aussitôt la lettre /qu'il porta sur le mot Ion, et se sauva bien vite, après avoir reçu un morceau de sucre que M. Farima ne manquait jamais de lui donner, ainsi qu'à son compagnon, quand ils avaient bien fait.

Un jeune collégien se présenta pour jouer aux cartes ; il fut battu par Fido.

On demanda à Fido de désigner plusieurs objets ; il le fit sans se tromper.

Je voulus qu'il m'indiquât l'époque du règne de François premier; il me l'indiqua : celle du règne de Henri IV; il me l'indiqua également.

Enfin, le programme fut rempli en tous points, el ni Fido, ni Bianco, ni leur maîlre ne laissèrent échapper le secret des moyens à l'aide desquels ils s'entendaient si bien et agissaient avec tant d'harmonie.

Restreignons autant qu'il nous plaira, la connaissance de ces chiens, en ce qui concerne la valeur des lettres, des mots, des chiffres et des cartes ; supposons que dans tous les choix qu'ils ont faits, ils aient été dirigés par un signe de leur maître, et qu'ils aient exécuté en quelque sorte matériellement, les ordres qu'ils en recevaient, il n'en restera pas moins pour eux une grande intelligence des signes que leur maître a pu leur faire dans le but de leur indiquer à chaque fois la lettre, ou le chiffre, ou la carte, ou l'objet qu'ils devaient choisir. Et, comme dans toutes leurs opérations, Fido et Bianco n'ont (pie rarement regardé M. Farima, comme celui-ci n'a fait aucun geste ni aucun bruit indicateur que j'aie pu saisir, quoique je me fusse placé très près de lui, nous nous trouvons forcés d'admettre, au moins sur ce point, une sorte de convention tacite entre les chiens et lui. Mais nous savons combien les chiens comprennent avec facilité la parole de l'homme, et nous avons tous vu les plus intelligens d'entre eux, obéir à des ordres qu'on leur donnait, sans que ces ordres fussent nécessairement accompagnés de signes.

Les chiens de berger sont, sous ce rapport, presque aussi inlelligens que les autres, Il suffit souvent de leur dire : va me chercher lel ou tel objet, et ils obéissent avec ponctualité.

Non-seulement les chiens comprennent les paroles, mais, à

ce que l'on raconte, il en aurait existé un qui serait parvenu à apprendre quelques mots. Leibnitz est cité comme ayant été témoin de ce fait. (1)

c Sans un garant tel que M. Leibnitz, témoin oculaire, nous n'aurions pas la hardiesse de rapporter qu'auprès de Zeitz, dans la Mismic, il y a un chien qui parle. C'est un chien de paysan, d'une figure des plus communes et de grandeur médiocre. Un jeune enfant lui entendit pousser quelques sons qu'il crut ressembler à des mots allemands, et sur cela se mit en tête de lui apprendre à parler. Le maître qui n'avait rien de mieux à faire, n'épargna ni son temps, ni ses peines, et heureusement le disciple avait des dispositions qu'il eût été difficile de retrouver dans un autre. Enfin, au bout de quelques années, le chien sut prononcer environ une trentaine de mots. De ce nombre, sont : thé, café, chocolat, assemblée, mots français qui ont passé dans l'allemand, tels qu'ils sont. Il est à remarquer que le chien avait bien trois ans, quand il fut mis à l'école. Il ne parle que par écho, c'est-à-dire après que son maître a prononcé un mot, et il semble qu'il ne répète que par force et malgré lui, quoiqu'on ne le mallraifllj oînt. Encore une fois, M. Leibnitz l'a vu et entendu. »

Ce fait qui est au moins rendu vraisemblable par la manière dont il est raconté, est moins extraordinaire que celui dont M. Dureau de Lamalle a récemment entretenu l'Académie des sciences, et dont l'authenticité ne peut faire l'objet d'aucun doute. Il s'agit d'un chien auquel son maître, médecin fort estimé, mort il y a peu de temps à Paris, est parvenu à apprendre la musique.

Le docteur Bennati, musicien habile, avait un barbet qui venait toujours se placer près du piano, quand il touchait

(i) V. Collection académique, p. L t, iv, 207;

cet instrument, et qui semblait aimer beaucoup la musique. Le docteur, qui étudiait alors le système de Gall, examine soigneusement le crâne de son chien, et y cherche l'organe de la musique; il n'en trouve nulle trace. L'idée lui prit d'essayer d'apprendre la gamme à son chien. Il commence avec le piano et n'obtient rien; avec le violoncelle, la flûte, la clarinette, il n'a pas plus de succès. Enfin il se rappelle que les chiens hurlent ordinairement quand on sonne une cloche; il en conclut que ce son particulier exerce une action propre sur l'organe auditif des chiens. Il se procure sept cloches diatoniques, et, en les faisant vibrer successivement avec un archet, il est parvenu en neuf jours, à faire chanter la gamme, très juste, à son élève. II a poussé même l'éducation musicale du barbet au point de lui faire exécuter des tierces, et d'accompagner correctement le chant de son maître, qui possède une des voix les plus étendues que l'on connaisse. (1)

M. Guerry a été témoin d'un résultat analogue obtenu chez un chien épagneul auquel une dame avait appris à chanter une sorte de gamme chromatique. Quand sa maîtresse le regar-* dait fixement en lui commandant de chanter, ce chien poussait très lentement, et en élevant le museau, un long hurlemenl cjui passait du grave â l'aigu. Le son ressemblait assez à celui que l'on obtient en glissant le doigt du sillet au chevalet, sur une corde de violon.

Rarement les chiens retombent dans les fautes pour lesquels on les a punis; ils savent par des gestes et des cris sur la signification desquels on ne peut pas se tromper, demander pardon à leurs maîtres; ils ont même le sentiment du juste et de l'injuste, ainsi que l'on peut s'en convaincre par le récit

(t) Dureau de Lamatle, Mémoire sur le développement des facultés intellectuelles des animaux sauvages et domestiques. Lu à l'Institut, le 2 mai t83o. Auu. des Sciences naturelles, t. xxit , i831.

du fait suivant qui s'est passé sous les yeux de M. Arago : et M. Arago se trouva arrêté par un orage, dans une mauvaise auberge, à quatre lieues de Montpellier. Il n'y avait qu'un poulet à lui donner pour dîner, il commanda qu'on mît ce poulet à la broche. La broche était munie d'un tambour où l'on faisait entrer des chiens qui donnaient le mouvement. L'un de ces chiens était dans la cuisine. L'aubergiste voulut le prendre, le chien se cacha, montra les dents, se refusa obstinément aux injonctions de son maître. M. Arago surpris, en demanda la cause. On lui répondit que le chien résistait, parce que c'était le tour de son camarade. M. Arago demanda qu'on allât chercher son camarade. Celui-ci arriva et, au premier signe du cuisinier, il entra dans le tambour et tourna la broche pendant dix minutes. M. Arago, pour rendre l'expérience décisive, fit arrêter la broche et sortir le chien, puis ordonna qu'on appelât le chien qui s'était montré si rétif. L'ordre fut exécuté. L'animal, dont le refus avait été si obstiné, convaincu que son tour de corvée était venu, entra de lui-même dans le tambour et se mit à tourner. » '

M. Bureau deLamalle(l),auquelj'empruntecerécit, ajoute que quatre gros mâtins noirs tournaient la broche au collège de la Flèche, dirigé alors par des jésuites. Ces chiens connaissaient parfaitement leur tour de service et se révoltaient constamment, comme contre une injustice évidente, lorsqu'on voulait les contraindre à une corvée qui devait être acquittée par un de leurs camarades.

Fréville (2) a fait un livre de plus de trois cents pages sur l'attachement, la reconnaissance, l'adresse des chiens les plus célèbres dont il ait été fait mention, et l'on regrette que ce livre soit si court, car on pourrait entreprendre de faire de

(t) Op. cit.

'a) Les chiens célèbres, j 4' edit, Paris, in-8 de 33iJ pages.

nombreux volumes sur ce sujet, et la matière ne manquerait pas. Là, ce sont les chiens du mont Saint-Bernard qui vont à la découverte des voyageurs haletans et couverts de neige, pour les conduire au couvent; là, ce sont d'autres chiens exercés à retirer de l'eau les hommes en danger de se noyer; dans les bergeries, des chiens souvent plus soigneux des intérêts du troupeau que le berger lui-même; dans toutes les fermes, des chiens qui gardent les propriétés de leur maître. Combien de fois des voyageurs attaqués en chemin n'ont-ils pas dû leur salut au courage et au dévoûment de leur chien? Et des hommes qui seraient restés enfouis dans des carrières si leur chien ne les en avaient délivrés, soit en allant chercher du secours, soit en creusant eux-mêmes une issue pour délivrer leur maître.

Le nombre des crimes que les chiens ont aidé à découvrir est maintenant assez grand pour que, les cas échéant, les juges ne manquent pas de tenir compte des indications fournies par le chien dont le maître aurait disparu, soit pour déterrer son corps, soit pour désigner l'assassin.

Enfin, il n'est pas rare que des chiens se laissent mourir d'inanition, sur la tombe de leur maître, tant ils sentent vivement la perte qu'ils ont faite, tant la vie sociale a affaibli en eux l'instinct de la conservation.

Je ne parle pas des ruses que les chiens emploient dans la poursuite du gibier, et de la docilité avec laquelle ils attendent qu'on leur abandonne une faible portion d'une proie à la conquête de laquelle ils ont souvent la plus grande part; la chasse est un talent qu'ils partagent avec les loups et les renards, et leur sobriété dans le cas dont il s'agit est une qualité qu'on leur a imposée par des traitemens sévères. A la chasse, ils sont animaux carnassiers; dans les maisons, ils sont les compagnons et les amis de l'homme.

On a vu quelques exemples d'amitié entre un chien et un cheval, un chien et un bœuf, et même celui d'une passion violente d'un chien pour une truie; mais ces exemples sont rares; c'est à l'homme que le chien s'est donné, il aime son maître plus que les chiens, plus même que sa propre famille.

Le chacal tient du loup par sa férocité, et du chien par la facilité avec laquelle il se laisse approcher de l'homme; il vit avec les animaux de son espèce, et ne chasse jamais seul. A défaut de proie récente, il fouille dans la terre, comme l'hyène, pour y chercher des cadavres.

2e groupe.—Lion, tigre royal, jaguar ou tigre d'Amérique, panthère, léopard, once, cougouard, chat-cervier, cura-cal, ocelot, chat, guépard, hyène.

Tous ces animaux vivent de proie, et généralement il leur faut une proie vivante; ils ont moins d'intelligence que ceux du groupe précédent; ils ne vivent pas en troupe, ni en famille; ils ne deviennent jamais domestiques, ne s'attachent pas à l'homme, et si quelques-uns d'entre eux consentent à vivre dans nos habitations, c'est parce qu'ils y trouvent une vie facile, abondante et douce, et non pour nous rendre des services. Dans les pays chauds et à l'état de liberté, ils sont tous au moins aussi féroces que le loup; en captivité et dans les climats tempérés, leur caractère paraît s'adoucir, on peut en apprivoiser quelques-uns et se faire craindre des autres.

Ils ne font pas de provision, et tuent seulement pour satisfaire leur appétit du moment, et sans aucun instinct de pré-, voyance pour l'avenir.

Ils ont moins d'odorat que le chien, le chacal, le loup et le renard; leur vue est faible pendant le jour, et s'accommode du crépuscule ou de la nuit.

Dans leur manière de chasser, on trouve plus de prudence que de force, plus de ruse que de courage. Ils sautent ou grimpent beaucoup mieux qu'ils ne courent, aussi leurarri-ve-t-il de se tapir et de guetter une proie au lieu de lui donner la chasse.

On a établi entre le lion et le tigre un contraste beaucoup plus grand qu'il ne l'est en réalité; la noblesse du lion a été vantée outre mesure, et la férocité du tigre a été exagérée. D y a une grande analogie entre le caractère de l'un et de l'autre. Si l'on en croit Pline (1) : ce Les lions sont démens envers ceux qui les supplient; ils épargnent ceux qui se prosternent devant eux, et lorsqu'ils sévissent, c'est plutôt contre les hommes que contre les femmes, et ils ne se jettent sur les enfans que lorsqu'ils ont bien faim. En Libye, on est persuadé que leur intelligence va jusqu'à comprendre le son des prières qu'on leur adresse. Pline ajoute qu'il a entendu raconter à une captive de Gétulie, qu'ayant rencontré un lion dans une forêt, elle l'avait fléchi en lui disant qu'elle était une pauvre femme, infirme, fugitive, et indigne de devenir la proie de celui qui commande aux autres animaux. » C'est sur des contes de cette nature qu'est fondée la réputation de clémence et de magnanimité que l'on a faite au lion.

On attribue à cet animal deux faits qui, s'ils étaient vrais, obligeraient cependant à croire non pas qu'il comprend les paroles qu'on lui adresse, mais qu'il est capable de reconnaissance et de souvenir envers ceux qui lui auraient fait du bien, même au bout d'un temps assez long. Blessé à la patte, et guéri par Androclès, un lion aurait reconnu cet homme contre lequel on voulait l'exciter à combattre, et au lieu de s'élancer sur lui, il l'aurait comblé de caresses. Un autre lion

f t) Pline, liv, vi 11, char». 16.

atteint d'un abcès à la patte, et guéri par les soins d'un homme qu'il aurait rencontré depuis, se serait jeté à ses pieds au lieu de le dévorer. Il faudrait pour ajouter foi à ces histoires qu'elles fussent racontées par des hommes moins amis du merveilleux, que ne le sont ceux qui nous les ont transmises.

La nature du lion le porte à la férocité, et s'il est adulte, on parvient rarement à l'adoucir. Il faut alors beaucoup d'intelligence et de tact pour s'en rendre maître et oser l'approcher. Jeune , on peut l'apprivoiser et l'habituer à une certaine obéissance. A cet âge, il est sensible aux caresses , et si on les lui a ménagées de manière à lui en faire un besoin, on peut conserver sur lui une certaine influence , même après la puberté. Nous avons vu à Paris, il y a quelques années, une ménagerie composée de la plupart des grands chats et notamment d'un lion très vigoureux et adulte qui luttait avec son maître sans jamais lui faire aucun mal. La ménagerie du Jardin des Plantes possède maintenant un jeune lion, de la taille d'un lion adulte, qui bondit de joie quand on approche de sa loge, qui est avide de caresses et avec lequel M. Sénéchal, aide-naturaliste employé au Musée , a joué en se roulant avec lui sur l'herbe, pendant plusieurs heures, sans en avoir éprouvé aucun mauvais traitement.

S'il est douteux que le lion conserve quelque temps de la reconnaissance pour le bien qu'on lui a fait, il est certain qu'il se souvient des coups qu'on lui a donnés ou des menaces qu'il a pu croire dirigées contre lui. L'un des gardiens actuels de la ménagerie du Jardin des Plantes, voulant faire rentrer un tigre dans sa loge, s'approcha brusquement de lui, armé d'une tige de fer. Le lion placé près de la loge du tigre et qui jusqu'alors avait paru assez inoffensif quand on ne l'approchait pas de trop près, crut que le gardien voulait l'attaquer, et de

puis lors quand il le voit, il le menace du regard et du geste. C'est du reste ce que font aussi la plupart des animaux féroces envers leurs gardiens, lorsque ceux-ci sont en habit de travail, car c'est en habit de travail que les gardiens les harcellent quelquefois pour les forcer à changer de loge. Habillés proprement, les gardiens sont moins souvent menacés, parce que les animaux dont il s'agit ne les reconnaissent plus.

Les lions sont très ardens en amour, et une lionne est parfois suivie de huit ou dix mâles qui s'entre-déchirent pour la posséder.

L'amour maternel est vif chez la lionne, elle nourrit et protège ses petits qu'elle cache avec soin pendant les premiers temps de leur naissance; et si elle se voit poursuivie, elle fait de nombreux détours avant de rentrer au gîte, afin de ne pas mettre ses ennemis sur la trace de ses lionceaux.

Dans les déserts où il ne peut connaître la puissance de l'homme, le lion ne craint pas d'attaquer une nombreuse caravane ; près des lieux habités, il est plus timide, ne s'avance qu'avec précaution, et l'on raconte que des enfans lui ont fait lâcher prisej^

Ni le lion, ni le tigre, ni aucun animal sauvage ne sont bien connus tant qu'ils sont à l'état de liberté ; en esclavage on ne les connaît qu'esclaves, mais si on ne peut, dans ce dernier cas, observer toutes leurs actions, on peut au moins étudier quelques-unes de leurs inclinations. Or, ce que l'on a été à même déjuger, relativement au tigre, c'est qu'il n'est pas plus cruel que le lion, mais qu'il l'est autant; et qu'il faut également se tenir en garde contre l'un et l'autre.

Le jaguar est le tigre du Nouveau-Monde ; on le dit moins féroce que le léopard et la panthère, mais on a dit la panthère plus féroce qu'elle ne l'est en réalité. Il se pourrait que l'on eut conclu d'un individu observé pendant peu de temps,

à tous les individus du même genre. Ce qui me porterait à croire qu'il en est ainsi, c'est que le jaguar qui est maintenant à la ménagerie du Musée, est presque toujours menaçant, et ne se laisse jamais approcher.

Pline assez crédule pour être riche en histoires sur les mœurs des animaux sauvages (1), parle, d'après le physicien Démétrius, de la rencontre qu'un homme aurait faite d'une panthère, et du service qu'il lui aurait rendu.

« La panthère était couchée au milieu du chemin, attendant qu'il passât quelque voyageur, lorsqu'elle fut tout-à-coup aperçue par le père du philosophe Philinus. Saisi d'effroi, le père de Philinus veut retourner sur ses pas, mais l'animal se roule devant lui, joignant aux caresses les plus pressantes, des signes de tristesse et de douleurs très intelligibles, même dans une panthère. Elle était mère, et ses petits étaient tombés dans une fosse d'où elle ne pouvait les tirer. Le père de Philinus fit ce que la panthère désirait, il lui rendit ses petits, et celle-ci, bondissant de joie, l'accompagna quelque temps pour lui témoigner sa reconnaissance. »

Quoi qu'il en soit de la véracité de Démétrius, peut assurer que les panthères sont plus douces que les jaguars, elles se laissent volontiers caresser. L'une de celles qui sont actuellement à la ménagerie, naturellement méchante, se laisse approcher quand elle est en amour et cherche à être flattée. C'est au reste ce qui arrive à la plupart des autres animaux féroces. Des besoins vivement sentis donnent prise sur eux; ceux qui sont très avides de nourriture s'apprivoisent souvent par la nourriture; ceux auxquels on peut donner le besoin des caresses, finissent par en éprouver tant de plaisir, qu'ils en désirent toujours.

Le léopard a les mêmes instincts que la panthère, il se

(t) Pline, Hktif liv? vin, ch. xvir.

tient, dit-on, dans le voisinage des lieux où les autres animaux viennent s'abreuver ; là il les guette et saute dessus quand il les aperçoit à sa portée. Il monte sur les arbres comme la plupart des autres chats.

L'once se laisse apprivoiser, et quand on l'a pris jeune, on peut le dresser à la chasse.

Le cougouard ne s'attaque pas seulement aux animaux* sang chaud, comme font en général les individus appartenant à la famille des chats ; il se nourrit aussi de caïmans, de lézards, de poissons et même de bourgeons de palétuviers. C'est lui qu'on a surnommé le tigre-poltron, parce que, dit-on, quand il est repu, il fuit à la moindre apparence de danger.

Le lynx ou loup cervier est avide du sang et du cerveau des animaux dont il s'empare, il abandonne le reste du cadavre pour chercher une nouvelle proie.

Le caracal, faible quoique vorace, n'osant pas toujours attaquer les animaux capables de se défendre, s'attache aux pas du lion pour manger, après lui, les restes de ses repas.

L'ocelot, comme le lynx, aime mieux le sang que la chair; aussi détruit-il un grand nombre d'animaux : on prit un jour deux petits servals et on les donna à une chienne qui avait du lait; ils dévorèrent leur nourrice. Le serval se tient presque toujours sur les arbres, et fait la chasse aux oiseaux plutôt qu'aux mammifères. Les autres chats diffèrent des précédens en des choses trop peu importantes pour mériter une mention spéciale, à l'exception cependant de l'hyène, du guépard et du chat domestique.

L'aspect de l'hyène est repoussant, celui du lion a de la majesté ; les historiens de ces deux animaux ont écrit d'après les impressions qu'ils en ont reçues, plutôt que d'après les faits. Quoique bien laide, l'hyène n'est pas plus cruelle que les autres chats, et souvent on la trouve si avide de caresses,

qu'on est presque tenté de la plaindre de n'être pas jolie. La ménagerie en possède maintenant quatre que Ton peut loucher; il y en a deux surtout qui, à l'approche des visiteurs, se placent près des barreaux de leur loge, ferment les yeux et la bouche, et présentent leur dos pour qu'on les flatte. On peut les caresser sans aucune crainte, même à la lête, et, tant qu'elles sentent la main de l'homme, eyes restent immobiles, comme dans une sorte d'ivresse. On dirait qu'elles craignent de faire un mouvement qui pût effrayer celui qui les touche, et faire cesser le plaisir qu'elles trouvent à sentir sa main.

Le chat appelé domestique n'est rien moins qu'un serviteur de l'homme; il a quelquefois des complaisances pour son maître, mais il ne lui obéit jamais, ce II a, dit Buffon, une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers ; il est voleur, souple et flatteur, adroit pour faire le mal et n'a que l'apparence de l'attachement ; s'il se montre sensible aux caresses, c'est pour le plaisir qu'elles lui font, bien différent en cela du chien, chez lequel tout est dévoûment. La femelle est plus ardente que le mâle ; ceux-ci dévorent souvent leurs petits. »

Le guépard paraît être, d'après la conformation de ses pieds qui sont pourvus d'ongles non rélractiles, aussi rapproché des chats que des chiens; par ses habitudes, il le serait également, d'après l'observation de Temming (1), quoique pour le cerveau, il soit tout-à-fait semblable aux chats comme on en pourra juger en jetant les yeux sur la figure qu'en a publiée M. Richard Owen (2). Le naturel du guépard est doux; cet animal devient facilement familier et reconnaissant. Une dame de ma connaissance avait donné à la mena -gerie du Musée, un guépard qu'elle avait conservé quelque

(i) Op. cit., p. 91. (a) Op. cit.

temps ; elle alla le voir au bout d'un an, celui-ci la reconnut et lui fit des démonstrations de la plus vive amitié. Contrairement aux autres chats, le guépard joue avec les chiens; le lion y joue aussi quelquefois, mais pour un petit nombre de chiens que le lion a épargnés, il y en a beaucoup qu'il a mis à mort, sans aucune provocation de leur part.

3e groupe. — Ours, raton, panda, benturong, coati, blaireau, glouton, martre, fouine, putois, furet, mouffette, loutre, civette, genette, mangouste.

Les animaux compris dans ce groupe ne sont pas exclusivement carnivores, ils ont un domicile choisi plutôt qu'arrangé par eux, ils grimpent ou nagent, vivent solitaires, chassent plutôt la nuit que le jour, et l'on est parvenu à en apprivoiser plusieurs. A la différence des chats qui ne mettent rien en réserve pour la faim à venir, et du chien, du loup, du renard et du chacal qui se contentent d'enfouir quelques lambeaux de chair, un grand nombre d'entre eux font des provisions de petits mammifères, d'oiseaux, de reptiles, d'œufs, de miel et de fruits. Pour les instincts, ils forment la transition entre les carnivores et les frugivores ; cependant ils paraissent, à certains égards, plus cruels que les premiers : ceux d'entre eux qui pénètrent dans les basses-cours, par exemple, y font plus de dégât que les carnivores, mais cela tient à ce qu'ils sont friands du sang et du cerveau des animaux , et que, pour satisfaire cette friandise, il leur faut plus de victimes qu'il n'en faut à un lion qui mange également toutes les chairs d'un animal, pour assouvir sa faim. Le lion mange un animal tout entier et il est rassasié; la fouine qui suce le sang des poules et leur mange le cerveau, ne se rassasie qu'après en avoir tué plusieurs, et comme elle fait des provisions, elle tue beaucoup, afin d'amasser beaucoup.

Le glouton est appelé le vautour des quadrupèdes : peu habile à la course et pourtant très vorace, il se perche sur un arbre, attend qu'un animal vienne à passer, il se jette dessus et le ronge vivant. On dit que l'isatis sert de pourvoyeur au glouton : celui-ci suit l'isatis à la chasse pour lui ravir sa proie, car l'isatis, dans la crainte d'être mangé lui-même par le glouton, est souvent forcé de lui abandonner le produit de sa chasse.

Buffon a possédé un glouton apprivoisé, que l'on avait soin de nourrir abondamment et qui, à cette condition, ne faisait de mal à personne. C'est surtout la nuit que le glouton est éveillé et qu'il se met en quête d'animaux à ronger.

Le blaireau demeure caché dans un terrier qu'il a creusé lui-même, tout le temps qu'il ne passe pas à la recherche de sa nourriture ; il vit surtout de chair crue, mais il se montre également avide de poisson, de fruits, de légumes, de lait, de fromages, d'ceufs. La femelle nourrit ses petits avec grand soin, elle les couche au fond de son terrier sur un lit d'herbes qu'elle leur prépare avant de mettre bas.

On apprivoise le blaireau sans beaucoup de peine. La ménagerie du Musée possède maintenant un Uinkajou : cet animal dort la plus grande partie du jour, mais la nuit il est très éveillé et très alerte , on le nourrit comme les singes , avec du lait et des végétaux, mais il mange aussi de la chair. Il a l'œil très vif et la physionomie aussi intelligente que celle du renard.

Le coati, le benturong, le panda, le raton ont des mœurs et des instincts fort analogues et approchant de ceux du renard; le coati s'apprivoise et devient caressant, il vit dans une tanière, et se ronge la queue comme font aussi quelques autres espèces d'animaux et notamment les singes.

Le raton se familiarise facilement avec l'homme; il a toute la ruse nécessaire pour se procurer les alimens dont il fait usage sans s'exposer au risque d'être pris. Ce qu'il mange, il le détrempe dans l'eau, avant de l'avaler, c'est ce que font aussi plusieurs oiseaux, et notamment le geai : pendant qu'il est en train de manger, si une poule s'approche de lui, il la laisse faire, et quand elle est à sa portée, il la happe et la tue. Il fait de même avec d'autres animaux plus faibles que lui.

On dislingue plusieurs sortes d'ours que l'on dit très différens les uns des autres pour le naturel et les inclinations. Ce sont : l'ours brun d'Europe, l'ours noir d'Amérique, l'ours malais, l'ours du Thibet, l'ours jongleur et l'ours blanc de la mer Glaciale. Ce dernier est réputé le plus vorace de tous, ce qui peut dépendre de ce qu'il vit dans un climat où il trouve rarement à se rassasier; les autres sont doux quand ils n'ont pas faim, et quelques-uns même refusent toute nourriture animale. Ils vivent surtout de fruits, de racines, ils aiment beaucoup le miel, et dans les pays où croît le cocotier, ils boivent le lait du fruit de cet arbre dont ils mangent la cime. La ménagerie du Jardin des Plantes possède un ours jongleur qui est très méchant; elle a possédé aussi deux oursons des Pyrénées avec leur mère, ce qui a permis d'observer quelques-unes de leurs relations de famille. Un jour, les oursons se battaient, la mère impatientée s'approcha d'eux, leur donna à chacun un vigoureux coup de patte qui les sépara. Si elle est mécontente d'eux, elle grogne et les bat; quoiqu'elle soit maintenant plus faible qu'eux, ils ne se défendent pas contre elle. Un des petits de la même femelle, la voyant ronger un os, s'était placé près d'elle et criait comme pour demander cet os , mais il n'osait pas y toucher; la mère, impatientée de ses cris, lui donna un vigoureux coup

de patte qui le fit taire et l'éloigna. Je tiens ce fait de M. Lau-rillard sous les yeux duquel il s'est passé.

L'ours vit solitaire, tantôt dans une caverne, tantôt dans un creux d'arbre ou même sur un arbre élevé où il s'arrange une sorte de nid. L'ours polaire choisit un creux d'arbre, un. enfoncement dans la neige, une fente dans un glaçon, et s'y endort jusqu'au printemps. (1)

L'ours ne fait pas de provisions comme les autres animaux que leur organisation rapproche de lui'; mais aussi il n'a que faire de ramasser des alimens, puisqu'il passe une partie de la mauvaise saison sans manger, et dans un état de somnolence presque continuelle.

On l'apprivoise, on lui apprend à danser; les Indiens se servent beaucoup de l'ours appelé jongleur; ici on élève l'ours des Pyrénées; mais quelque habitude que l'ours prenne d'être avec l'homme et de lui obéir, jamais on ne peut être rassuré sur lui. Rien n'annonce qu'il restera inoffensif et qu'il n'étranglera pas ceux qui lui ont donné le plus de soins. Cependant, je le répèle, quoiqu'on puisse l'habituer à ne manger que de la chair, il n'est pas essentiellement carnassier, car lors même qu'il est pressé par la faim, il passe souvent auprès des animaux, il vient jusque dans les villages, sans qu'on ait à redouter de lui autre chose que le ravage des champs de blé, des légumes ou des arbres à fruits.

L'ours est très bon observateur des actions de l'homme, et il apprend vile à en tirer parti. Un lion enfermé dans sa cage ne saura que rugir, et si la force ne lui suffit pas pour en sortir, il n'aura recours à aucun autre moyen. L'ours, plus réfléchi, observe comment on a fermé sa cage, cherche les

(t) Frêd, Cuvier et Geoffroy Sautt-Hilaire, Histoire naturelle des mammifères, i u» fol.

endroits qui semblent être les plus faibles, et au lieu de se mettre en colère , il emploie avec une patience singulière, tous les moyens qui peuvent le mettre à même de se procurer la liberté. Il met de l'adresse et de la ruse, là où le lion ne met que de la force.

Quoique habitant les greniers à loin ou quelque autre dépendance de la demeure de l'homme, cependant le putois est loin d'être un animal domestique, c'est plutôt un animal parasite et un voleur habile qui vit aux dépens des fermiers. En été, les mâles vont dans les bois; en hiver, ils viennent chercher des femelles, se battent entre eux pour les posséder, et celles-ci une fois que leurs petits commencent à être en état de trouver des alimens, cessent de les garder avec elles.

Le furet, qui est une espèce de putois, s'apprivoise assez facilement, et dans notre climat il ne vit que dans une sorte de domesticité. Il est moins fort et moins vorace que le pu-lois. Il a pour le lapin une si grande antipathie, qu'il ne peut voir cet animal mort ou vivant, sans se jeter dessus. On profile de cette disposition du furet pour l'employer à la chasse du lapin. On le musèle et on le place à l'entrée d'un terrier de lapins ; ceux-ci effrayés se sauvent, et on les prend ; le furet les poursuit hors du terrier et revient à son maître. Si on n'avait pas la précaution de ie museler, il sucerait le sang des lapins qu'il pourrait atteindre, s'endormirait au fond du terrier, et serait perdu.' Il est donc loin d'avoir l'habileté du chien ; il chasse par instinct seulement, landis que le chien chasse avec intelligence.

Les instincts de la belette sont ceux de la fouine et du putois, elle chasse de la même manière et fait aussi des provisions. Son odorat paraît être exquis. Buffon en avait apprivoisé une, à force de châtimens; celte belette rompit un jour la chaîne qui la retenait, courut vers Buffon, entra dans

sa poche, et y déchira un petit papier contenant de la viande qu'elle mangea. On a dit de l'homme qu'il est une intelligence servie par des organes; on pourrait dire de la belette qu'elle est un estomac servi par des sens exquis, et même par de l'intelligence.

La belette de Buffon distinguait très bien le ton de la menace et celui des caresses, elle reconnaissait son maître, et jouait avec un chien et un chat. Elle se montrait très ardente en amour, et il lui est arrivé, dit Buffon, de se satisfaire sur un autre animal mort et empaillé.

L'hermine ne diffère de la belette par aucun caractère essentiel, physique ou psychique.

La martre et la fouine viennent à la suite des animaux précédens; elles se ressemblent pour les instincts et les mœurs, si ce n'est que la martre habile les bois, tandis que la fouine préfère les greniers. La martre s'empare ordinairement du nid de l'écureuil; elle en agrandit l'ouverture et y fait ses petits. Ni la martre, ni la fouine ne sont susceptibles d'être apprivoisées.

La martre zibeline offre cela de particulier qu'elle habite de préférence le bord des fleuves; du reste elle ressemble, sous le rapport psychique, aux animaux précédens.

La mouffette a été appelée enfant du diable, à cause de l'odeur insupportable qu'elle répand. Cette odeur qui est d'autant plus forte que l'animal est effrayé, soustrait les mouffettes à la poursuite de leurs ennemis, plus efficacement encore que l'encre répandu par les sèches ne dérobent ces mollusques à la voracité des poissons.

De même que les putois, les martres, etc., la mouffette sort surtout la nuit, ce qui indiquerait qu'elle est destinée à épier les animaux et à les surprendre pendant leur sommeil; cependant elle est peu vorace, et quand on eu a tenu à la chaîne

ou dans des cages, on les a vues préférer les végétaux, les insectes et quelques mollusques, à la chair des animaux à sang chaud. La mouffette habite les fentes des rochers où elle élève quelque temps ses petits.

Le ravage que le putois fait dans les basses-cours, la loutre le fait dans les étangs; ses pattes pourvues de membranes natatoires, et l'aplatissement de son corps la rendent propre à se tenir facilement sur l'eau; elle plonge bien, et quoique les animaux dont elle fait sa nourriture n'aient d'autre moyen de défense que la fuite, cependant elle n'est dépourvue ni de force, ni de courage, ni d'intelligence; elle évite les chiens, mais elle sait lutter avec eux, et pour la chasser des lieux qu'elle habite, il faut que les castors se réunissent en grand nombre.

Elle est sauvage et farouche; les efforts tentés pour l'apprivoiser ont rarement réussi. On cite un seul exemple de succès en ce genre : c'est celui d'une loutre apprivoisée par des religieuses, paraissant entendre ce qu'on lui disait, sachant quelquefois obéir et vivant dans une certaine familiarité avec un chat du couvent. Elle satisfaisait à ses besoins sans distinction de lieu et sans que les corrections aient jamais pu lui faire entendre quelles sortes de précautions on aurait voulu qu'elle prît.

Tous les animaux mammifères dont il a été question jusqu'ici sont, jusqu'à un certain point, perfectibles. L'expérience leur sert et la prudence leur vient avec l'âge; La loutre ne fait point exception à cette règle et on s'empare moins facilement d'une vieille que d'une jeune loutre.

Le lit sur lequel elle fait ses petits est construit d'herbes et de morceaux de bois, elle ne les garde avec elle que le temps nécessaire pour leur apprendre à chasser.

La civette et la genette tiennent, pour la conformation et

les instincts, du chat et du renard. Je n'ai vu qu'une civette vivante; elle est à la ménagerie du Jardin des Plantes; on ne peut approcher de sa cage sans qu'elle menace de mordre comme un chat en colère. Elle s'est fait une large blessure au flanc gauche, en se mordant elle-même, et les gardiens n'oseraient pas ouvrir sa cage pour la panser. Il est vrai que sa cage est petite et que le malaise qu'elle en éprouve, peut contribuer à augmenter la férocité qui lui est naturelle. Buffon dit que la civette saute comme les chats et court comme les chiens; qu'elle cherche, comme les renards à entrer dans les basses-cours, qu'elle ressemble à cet animal, surtout par la tête, et qu'elle voit dans l'obscurité. C'est donc un animal de transition pour les instincts et la conformation extérieure, entre les renards et les chats. J'ai dit en parlant de son cerveau qu'on y trouve des caractères du cerveau du renard et des caractères du cerveau de la fouine : j'aurai à parler des rapports qui lient le cerveau de la fouine à celui du chat : c'est ce que je ferai dans l'article suivant. La civette vit de chasse, et à défaut d'animaux, elle inange des racines et des fruits. On peut l'apprivoiser. La genette est dans le même-cas, elle a de plus, comme les chats, l'art d'épier el de prendre les souris. L'hiver elle se tient dans un terrier, à la manière des lapins.

Un animal qui est domestique en Egypte, comme le chat l'est chez nous, mais qui est encore plus vif et plus courageux que le chat, c'est la mangouste. Non-seulement elle mange les rats et les souris, mais elle attaque les serpens et lespelits crocodiles : elle est avide d'œufs, et prend également ceux de poule et d'oiseaux. Elle recherche aussi ceux de crocodile, dont elle s'empare avec beaucoup d'habileté, ce qui Ta rendue chère aux Egyptiens.

On a comparé la mangouste au blaireau, au furet, à la be

lette, à la loutre. Elle a des rapports avec ces animaux; mais ses habitudes ne l'identifient avec aucun d'eux, pas plus que la conformation de ses organes extérieurs, pas plus que son cerveau.

Ici se termine la série des animaux carnivores. Ce ne sont pas les plus nombreux, ni même les plus forts ; leur apparition sur la terre est nécessairement postérieure à celle des autres animaux, et s'ils ne se faisaient pas la guerre entre eux, si le père et la mère eux-mêmes ne mangeaient pas leurs petits, les autres animaux , plus faibles qu'eux et souvent dépourvus de moyens de défense, auraient bientôt cessé d'exister. Mais les carnivores sont privés de ce qui fait la force des herbivores; ils ne s'unissent pas entre eux pour la défense commune, et s'il en est qui attaquent de concert et s'entendent pour la chasse, c'est le plus petit nombre, et ceux-là trouvent dans l'homme un ennemi qui les combat presque toujours avec avantage. Dans les groupes qui vont suivre, plusieurs animaux sont omnivores, aussi bien que l'ours, le coati, le blaireau ; mais ils présentent d'autres caractères qui les rapprochent des herbivores.

Au reste, tous les naturalistes l'ont dit, il n'y a pas de démarcation absolue à établir entre les animaux : on trouve entre ceux dont l'organisation et les instincts sont les plus opposés, des transitions nombreuses et variées, des êtres intermédiaires, qui forment le passage des uns aux autres, et qui ne se groupent naturellement avec aucun d'entre eux. Ce qui m'importe ici, c'est donc moins de faire une classification exacte des mammifères, que de savoir si les transitions d'organisation qui existent entre eux, sont en rapport constant et nécessaire avec les gradations de l'instinct et de l'intelligence.

groupe. — Chauve-souris, roussette.

J'ai éprouvé un grand embarras quand j'ai voulu coordonner les chéiroptères, les insectivores, les marsupiaux, les rongeurs et les édentés, d'après la nature de leurs instincts. Si je prenais le genre de nourriture pour base de ma classification, j'éloignais les uns des autres des animaux d'une valeur psychique à-peu-près égale, et j'en rapprochais d'autres qui différaient beaucoup entre eux. Ainsi la chauve-souris était séparée de la roussette, et le castor se trouvait à côté de Pu-nau et de l'ai. Devais-jc m'en tenir à quelqu'une des classifications adoptées par les naturalistes? Non ; car les naturalistes ont réuni dans un même ordre, des animaux dissemblables par les instincts, surtout en ce qui concerne les mammifères inférieurs qu'il s'agissait de diviser.

J'ai cherché alors si quelque action commune à tous ces animaux ne m'offrirait pas une mesure de leur intelligence, et j'ai trouvé que la manière dont ils se logent, serait pour moi un guide assez sûr. En adoptant cette base , je plaçais au dernier degré de l'échelle les chauve-souris et les roussettes, l'unau et l'aï; au plus haut degré, le rat musqué el le castor. Ce mode était préférable au premier. Il est vrai quïl place à côté les uns des autres des rongeurs, des édentés el des marsupiaux; qu'il divise les rongeurs en fractions qui se trouvent disséminés dans les autres ordres, et réciproquement; mais qu'importe ! s'il établit une gradation entre ies intelligences. Ce que je cherche, eu effet, c'est de savoir si cette gradation existe, et quels en sont les caractères ; or, pour arriver là, il faut, après avoir groupé les cerveaux, grouper les intelligences, afin de découvrir quelle sorte de corrélation existe entre les faits matériels et les faits psychiques.

Les chauve-souris sont au plus bas degré, pour les facultés instinctives, dans la classe des mammifères : elles habitent des cavernes, de vieilles masures, sous les toits des grands édifices. Elles mangent des insectes et de la chair fraîche ou pourrie. Pendant l'hiver, elles sont engourdies et ne sortent pas de leur demeure ; aussi ne font-elles pas de provisions. L'été el pendant le jour elles ne sortent pas non plus ; mais le soir et la nuit elles vont à la chasse aux insectes. Réunies quelquefois en nombre infini, on ne peut pas dire cependant qu'elles vivent en société, parce qu'elles ne se rendent mutuellement aucun service, et qu'elles n'ont pas besoin les unes des autres. Il est difficile de croire que le mâle conserve quelque temps la femelle qu'il a fécondée ; quant à la mère, elle allaite ses petits qui se cramponnent après elle, jusqu'à ce qu'ils soient en état de voler.

Il paraît que toutes les localités entre lesquelles nous n'apercevons pas de différences notables, ne sont pas les mêmes pour eux. A Paris, par exemple, c'est à peine si on en trouve quelques-unes dans les combles de l'église Notre-Dame; il n'y en a pas àSt.-Sulpice, ni dans la plupart des autres églises, tandis que les combles de l'église St-Gervais en contiennent par milliers. Ces combles ont la forme de l'église ; c'est-à-dire qu'ils sont disposés en croix. Pendant l'été, les chauve-souris se mettent toutes sous le comble qui répond au midi, et les trois autres quarts de l'année, elles se tiennent du côté du levant. Chaque année elles font la même migration.

La vétusté de la charpente du toit de St.-Gervais ayant exigé, il y a quelque temps, que cette charpente fût entièrement renouvelée, les chauve-souris furent obligées de chercher un refuge ailleurs; mais, le toit rétabli, elles sont revenues s'accrocher aux poutres neuves, en aussi grand nombre qu'elles l'avaient fait aux vieilles.

La cause de leur migration d'une partie de la toiture à l'autre, pourrait être la différence dans l'intensité de la lumière qui y pénètre ; le lieu de leur séjour ordinaire est le plus obscur, le moins largement en contact avec l'air extérieur, et, par conséquent, celui où la chaleur se conserve davantage.

Les chauve-souris ne voient que dans l'obscurité; le tact supplée jusqu'à un certain point à cette imperfection ; car une chauve-souris à laquelle on a arraché les yeux, peut encore voler el éviter les obstacles placés sur son passage.

Il y a des chauve-souris qui se nourrissent principalement de chair; d'autres, de fruits seulement. Le vampire est une chauve-souris d'Amérique qui s'attache aux animaux et se nourrit de leur sang: la roussette, au contraire, appendue aux arbres pendant le jour, vit de bananes, de pêches, de goyaves, de baies de guy et du suc des plantes ombellifères.

Je n'ai pas vu le cerveau du vampire ; mais j'ai vu le moule de celui de la roussette : il sera curieux, en raison de la nature de l'instinct de cet animal, de comparer son cerveau avec celui de la chauve-souris ordinaire.

5e groupe. — Unaiiy ai.

Au même degré que la chauve-souris, ou même encore au-dessous, se trouvent les deux tardigrades ou paresseux que l'on nomme l'unau et l'aï. La nature en a fait les plus lents, les plus lourds des animaux, et elle leur a donné pour nourriture des feuilles d'arbre et des fruits sauvages ! Il faut donc que ces pauvres bêtes, qui parcourent tout au plus une toise en une heure, grimpent sur un arbre pour y trouver de quoi se nourrir. Ils y grimpent ; mais avec des efforts inouïs, et quand ils y sont arrivés, quand ils ont mangé feuilles et fruits et que l'arbre n'a plus que du bois, comme il faudrait pour descendre des efforts dont la plupart du temps ils ne sont pas

capables, ils se laissent tomber par terre, et s'ils se remettent de leur chute, ils se traînent vers un autre arbre.

Ces animaux n'ont aucune défense; ils ont l'air morne, le regard sans vie. « Us représentent, dit Buffon, le dernier terme de l'existence, dans l'ordre des animaux qui ont de la chair et du sang. »

Je dirai en quoi le cerveau de l'unau et de l'aï ressemble à celui du castor.

Tous les animaux compris dans le groupe suivant, rongeurs, insectivores, édentés ou marsupiaux, ont cela de commun qu'ils se construisent une habitation souterraine.

6° groupe. — A. Aye-aye, marmotte, loir, le'rot, mulot, échimys, mérion, rat, souris, muscardin, rat d'eau, géo-mys, hamster, campagnol, lemming, gerboise, he'lamys, oryctère, porc-épic, lapin, lagomys, cahiai, agouti, paca, eochon-d'Inde.

On ne sait que peu de chose de l'aye-aye. Tlvit dans un terrier, ne sort que la nuit; on le dit paresseux et d'humeur très douce.

La marmotte est mieux connue (1); elle est en grand nombre sur les montagnes de la Savoie, dont les habitans l'apprivoisent pour la conduire dans les pays voisins, où ils en font un objet de curiosité et de spéculation. Elle se nourrit de viande, de pain, de fruit, de racines, d'insectes ; elle aime le lait et le beurre.

Plusieurs marmottes se réunissent pour faire en commun l'habitation dans laquelle elles passent toute la mauvaise saison, à l'abri du froid et de l'humidité, dans un état de torpeur et d'engourdissement. Cet engourdissement leur est

(i) V. Oesncr, AlnWande, Buffon, etc.

commun avec beaucoup d'autres rongeurs; l'ours lui-même y tombe aussi, et on ne doit pas attribuer ce phénomène seulement à l'influence du froid, car dans les pays chauds, on a observé qu'il avait également lieu.

Les marmottes, puisqu'elles sont engourdies dans leur terrier, n'ont pas besoin de faire de provisions ; aussi n'en font-elles jamais. Le terrain qu'elles se construisent est fait en Y, dont les deux branches ont chacune une ouverture qu'elles ferment pour le mauvaistemps. C'est au fond du terrier qu'elles déposent leurs excrémens. Tout l'intérieur de leur habitation est tapissé de mousse et d'herbe desséchée. Lorsqu'elles sortent pour chercher delà nourriture ou pour s'ébattre , il y a toujours des sentinelles qui veillent pour les autres, et qui, à l'approche d'un ennemi, font entendre un sifflement qui est le signal de la retraite. Au rapport de Gesner,la sentinelle est la dernière à rentrer; elle sait qu'elle est chargée de veiller à la sûreté de ses compagnes.

On apprivoise facilement la marmotte ; elles devient presque aussi docile que nos animaux domestiques. Elle éprouve pour les chiens la même antipathie que pour les chats, el se jette sur eux pour les mordre, surtout, assure-t-on, si elle croit être soutenue par son maître.

Aucun mammifère ne s'élève sur les montagnes autant que la marmotte, si ce n'est le lagomys.

Le loir, le lérot, l'échimys demeurent autant dans des fentes de rochers, dans des trous de muraille que sous la terre; ils sont engourdis pendant une parlie de l'hiver; ils se nourrissent de fruits, d'insectes, et font quelquefois la guerre aux petits oiseaux; il en est de même du mérion.

Le rat et la souris, analogues aux précédens quant à l'organisation, en diffèrent par les habitudes, en ce qu'ils sont les parasites de l'homme dans l'habitation duquel ils se lo

gent, et où ils trouveraient une nourriture aussi abondante que facile, si les chats, parasites comme eux , ne leur faisaient pas une guerre acharnée. Les rats et les souris font des provisions de nourriture; ils sont très lascifs, les rats surtout, dont les femelles défendent quelquefois leurs petits, même contre les chats.

La fécondité des rats est extrême (1) : ces animaux multiplient en nombre infini partout où ils trouvent une nourriture abondante, surtout une nourriture animale, et ils sont tellement féroces, qu'ils s'entre-dévorent si on les enferme dans un lieu où ils n'aient rien à manger. M. Magendie, M. Hamont ont été témoins de ce fait. Parent-Duchâtelet, d'après un calcul approximatif très fondé, évalue à cent mille le nombre des rats qui se trouvent à la voirie de Montfaucon (près Paris) et dans les environs; il dit que le terrain tremble sous les pieds et que des éboulemcns ont eu lieu, dans le voisinage de cette voirie, par suite des dégâts souterrains causés par les rats, et que ceux de ces animaux qui ne peuvent se loger dans le voisinage de Mont-faucon, établis à quelque distance de là, ont, à force de passer et de repasser sur le gazon, tracé des sentiers battus très facilement reconnaissables.

La souris, moins hardie que le rat, peut-être parce qu'elle est plus faible, a pour ennemi, outre l'homme et le chat, tous les oiseaux nocturnes et la fouine, la belette et même le rat. Elle est susceptible d'un peu d'éducation; on parvient à lui faire faire quelques petits exercices qui ont lieu de surprendre dans un animai aussi éloigné de l'homme par son organisation.

(i) Parenl-Duchâtelet , Mémoires sur les questions les plus importantes d'hygiène publique, t. n, p. a 20, dit que les rats font jusqu'à 18 petits a-la-fois , et que le nombre des portées est de cinq à six par an.

Le mulot habite les champs et les bois; s'il trouve un trou à sa convenance, sous un buisson , il le prend; sinon il en creuse un et s'y loge. Sa demeure est ordinairement composée de deux parties distinctes , l'une pour lui, l'autre pour ses provisions qui sont parfois très abondantes. Buffon en avait douze dans une même cage : au bout de quelques jours, comme on ne leur avait pas donné à manger, on vit qu'ils s'étaient entre-dévorés, il n'en restait plus qu'un seul, encore avait-il les membres mutilés.

Le campagnol, le muscardin, le hamster ont des mœurs très analogues à ceux des animaux précédens ; on dit avoir trouvé jusqu'à deux boisseaux de bon grain, dans les magasins du hamster ; il s'y renferment les uns et les autres, pendant la saison froide ; mais il est à présumer que s'ils s'engourdissent, ce n'est pas pour un temps aussi long que les marmottes, autrement les provisions qu'ils amassent, ne leur serviraient pas.

Le rat d'eau diffère de tous les rats et, par ses instincts, il se rapproche beaucoup de la loutre : il vit dans l'eau et se nourrit de poissons, de grenouilles, d'insectes; il mange aussi des végétaux. Il a un trou qui communique au ruisseau qu'il habite et il s'y enferme l'hiver.

On a vu lout-à-lheure quel nombre prodigieux de rats, la voirie de Montfaucon nourrit tous les jours ; un rat du nord, né sur les bords de la mer glaciale, le lemming, paraît être encore plus prolifique que le rat de Montfaucon ; il en part des bandes nombreuses qui se portant vers les contrées méridionales, affament les pays par où ils passent. Les rats d'Egypte étaient dans le même cas, et c'était, comme on sait, une des plaies de ce pays.

Les gerboises au nombre desquelles on a placé long-temps le daman ou agneau d'Israël queCuvier appelle un rhinocéros

n miniature, diffèrent des rats par leur caractère qui est tout-à-fait inoffensif. Elles se servent de leurs membres thoraciques qu'elles ont très petits, non pas pour marcher, mais pour saisir et porter à leur bouche ce qu'elles veulent manger, et elles marchent en sautant sur leurs pattes de derrière : on pourrait les appeler des bipèdes sauteurs. Elles s'apprivoisent peu.

Les hélamys sont presque des gerboises ; les oryctères et les géomys se rapprochent davantage des autres rongeurs.

Si le porc-épic était aussi méchant qu'il est bien armé, il pourrait être un animal dangereux, mais il ne se sert des pointes aiguës dont sa peau est hérissée, que pour se défendre des ennemis qui veulent l'attaquer. Il ressemble, sous ce rapport, à l'encoubert, au pangolin, et au tatou. Ses dents rongent le bois ; en captivité, il vit de pain , de fromage, de fruits, de racines el de graines.

Le lapin se nourrit exclusivement de végétaux, il ne fait pas de provisions, ne s'engourdit pas l'hiver; s'il est libre, il creuse un terrier; dans le cas contraire, il cherche à en creuser un, mais cet instinct se perd lorsque plusieurs générations se sont passées sans que le besoin d'en avoir un se soit fait sentir, et il revient également après plusieurs générations, mais plus promplement qu'il ne se perd, lorsque le lapin passe de la domesticité à l'état de liberté. Le lapin est d'une extrême timidité, une feuille lui fait peur; c'est seulement la nuit, que réuni à sa famille, car il vit en famille, il prend ses ébats sur la pelouse, pendant que le père veille à ce qu'aucun ennemi ne vienne à l'improviste.

L'ardeur copulalive des lapins est extrême, et les femelles sont presque constamment en amour.

Le lièvre ne devrait pas trouver sa place ici, car il ne fait pas de terrier ; mais ses rapports avec le lapin sont, si nom

breux que je n'ai pas dû séparer ces deux animaux l'un de l'autre. Il vit solitaire et toujours effrayé. Chassé par des chiens, il cherche à les dérouter et à mettre un autre lièvre à sa place : s'il en trouve le moyen, il va se cacher au milieu d'un troupeau de moutons. Tellement semblables l'un à l'autre qu'on serait porté à les regarder comme appartenant à une même espèce, et quoique très ardens en amour, le lièvre et le lapin ne cohabitent pas ensemble, au moins à ce que l'on assure. On peut les apprivoiser, ils sont capables d'un faible degré d'attention et ils apprennent à faire quelques tours d'adresse comme battre du tambour et sauter en cadence. On ne saurait dire qu'ils s'attachent à l'homme, car si, aidés du peu d'intelligence dont ils sont pourvus , ils trouvent le moyen de s'échapper, ils en profilent pour ne plus revenir.

Leroy (1) assure, peut-être en cela monlre-t-il de la partialité en faveur des lapins, que, chez eux, la vieillesse et la paternité sont fort respectés et, qu'en' retour, les vieux lapins ne rentrent jamais dans leur terrier, même quand un ennemi les menace, avant que tous les petits ne soient rentrés. Le fait, que j'ai cité plus haut de l'ours femelle corrigeant son petit qui pleurait pour avoir un os, fait qui est hors de doute, puisqu'il a été vu par M. Laurillard, rend au moins vraisemblable, ce que Leroy dit du respect que les jeunes lapins auraient pour leurs géniteurs.

Le lagomys est un grand faiseur de provisions; il amasse des las de foin hauts de six ou sept pieds ; il habite, ainsi que la marmotte, la partie la plus élevée des montagnes.

L'agouti et le paca ressemblent beaucoup au cochon, pour le naturel elles mœurs; ils fouillent la terre et sont.omnivores.

(i) Of . cit. p. So.

L'agouti ne vil pas seul; il a, comme le renard, l'habitude d'enterrer ce qui lui reste d'alimens ; on ne le trouve pas toujours dans un terrier, il habite aussi le creux des arbres et les fentes de rochers. Quant au paca, il habite volontiers le voisinage des rivières, il s'apprivoise pourtant : il vit seul dans son terrier.

Le cochon-d'Inde est l'un des plus stupides des rongeurs et en même temps l'un des plus féconds. A l'âge de six semaines, il est en état d'engendrer ; trois semaines après avoir mis bas, la femelle éloigne d'elle ses petits ; elle est presque toujours en amour et les mâles se battent pour la posséder. Le cochon-d'Inde esl exclusivement herbivore.

Quant au cabiai, il vit plutôt dans l'eau que sur la terre, il a les mœurs d'une loutre cl serait mieux placé, en raison de ses instincts, près de cet animal, que près des autres rongeurs : en cela il ressemble au rat-d'eau, dont il a été question précédemment.

Ces animaux exceptionnels méritent un examen spécial, précisément en raison de l'étrangeté de leurs mœurs, et nous sommes conduits à nous demander si, dans la tête du cabiai et dans celle du rat-d'eau, il y aurait un cerveau conformé de la même manière que celui de la loutre.

B. Hérisson, musaraigne, desman, taupe, eondylure,

scalope.

Le hérisson est encore un des animaux qui avec une armure redoutable n'a que des habitudes paisibles; il vit de limaces, de colimaçons, d'insectes et de fruits, si on lui donne de la viande, il en mange également, mais sans la rechercher avec avidité. Les pointes dont il est armé et qu'il dresse contre la fouine, la belette, le putois ou les oiseaux carnas

siers qui osent l'attaquer, il ne s'en sert jamais que pour sa défense. Il dort tout l'hiver ou plutôt il reste engourdi soit dans un terrier, soit dans une fente de rocher. On s'est assuré que la femelle mange ses petits, ce qui du reste lui est commun avec beaucoup de rongeurs.

La musaraigne, quoique en assez grand nombre dans les campagnes, n'est pas très connue; elle est timide, on la voit peu, elle vit de vers et d'insectes, et se tient dans son terrier presque tout le jour; c'est le soir seulement qu'elle en sort pour aller faire la chasse aux insectes.

Le rat-d'eau et le cabiai vivent dans l'eau et sont très vora-ces;le desman se tient aussi dans l'eau, il n'a pas cependant des habitudes de destruction aussi prononcées que les premiers; ce n'est pas sans doute qu'il détruise moins, mais c'est qu'il ne s'adresse pas à des animaux dont la vie soit aussi complète que ceux auxquels s'attaquent le rat-d'eau et le cabiai. Le desman vit surtout de sangsues; il se tient dans un trou dont l'orifice est sous l'eau, et qui s'élève en pente jusqu'au-dessus du niveau des débordemens. De cette manière, l'entrée de sa demeure n'est accessible qu'aux animaux aquatiques , animaux dont il n'a rien à craindre; et quand il veut trouver de la nourriture, il n'a qu'à descendre, elle est à sa portée.

M. Geoffroy-Saint-Hilaire a donné le plan de la demeure d'une taupe : c'est une galerie à nombreuses divisions, pourvue de vestibules placés de distance en distance; les parois en sont battues, solides, et de plus, à l'abri des inondations, se trouve un nid dans lequel la femelle dépose ses petits. (1)

On croit que la taupe a les mœurs douces et pacifiques; d'après MM. Geoffroy-Saint-Hilaire et Flourens, elle serait au contraire très vorace et plusieurs taupes ne pourraient

f l) Hîstoirj naturelle tles mammifères, tç c leçon, p. m.

pas seulement rester une nuit entière privées de nourriture, sans s'entre-dévorer; elles mangent des racines, des insectes, des vers.

Les mâles sont très ardens et se battent à mort pour la possession des femelles : ils les gardent et restent avec elles dans leur terrier pendant la saison froide.

M. Geoffroy-Saint-Hilaire explique la voracité des taupes non par un instinct de cruauté, mais par une faim avide due à la promptitude de la digestion et au peu de longueur du tube digestif.

Le condylure aurait, d'après les voyageurs, les mœurs de la taupe, et le scalope, celles du desman.

C. Tatou, oryete'rope, fourmilier, pangolin, omithorinque.

Des substances végétales, des oiseaux et des insectes forment la nourriture du tatou qui loge dans un terrier creusé par lui, et dont il ne sort qu'après la chute du jour. Il n'attaque jamais les grands animaux; mais il se défend à l'aide du test écailleux qui l'enveloppe; il se roule en boule, et présente ainsi de toutes parts, à ceux qui lui font la guerre, un bouclier impénétrable.

L'oryctérope vit de fourmis et se tient dans un terrier; il en est de même des fourmiliers, du tamanoir el du tamandua. Ces trois derniers plongent leur langue dans une fourmilière et la retirent chargée de fourmis; ils mangent aussi quelques autres insectes. Le jour, ils se tiennent cachés dans leur terrier, et ne sortent que le soir : on parvient à les apprivoiser} ils sont courageux, quoique faibles, mais peu inlelligens.

Il y a une grande analogie entre le pangolin et le tatou, même nourriture, même moyen de se défendre, même habitation Le pangolin forme, par son organisation el le lest

écailleux dont il est revêtu, une sorte de transition entre les quadrupèdes et les reptiles.

L'ornilhorinque, comme la musaraigne d'eau et les des-mans, se retire dans des terriers communiquant à des marais pleins d'eau-, il se forme aussi un nid sur les roseaux, avec des débris de plantes aquatiques. Il se nourrit, à ce qu'il paraît, d'herbes et de grains. (1)

D. Sarigue, cayopollin, thylacine, phascogale, dasyure, pe'ramèle, phalanger, poloroos, kanguroo, koala, phas-colome.

Un caractère important sous le rapport de l'organisation et sous celui du soin des petits, réunit tous ces animaux dans -un même groupe, plus encore que leurs instincts et leurs facultés. Les femelles ont une poche dans laquelle les petits, à peine formés, viennent se nicher et grandissent comme les fœtus des autres animaux grandissent dans le ventre de leur mère : les petits, quand ils sont devenus assez forts pour sortir de cette poche, s'y réfugient lorsqu'ils se croient menacés.

Le sarigue ou opossum, le cayopollin vivent de racines, de fruits, de poissons, d'écrevisses, d'oiseaux, etc., ce sont de véritables omnivores. Le sarigue est habile à attraper les poules; il mange des œufs, ce qui le rapproche un peu de la fouine, de la marte, etc. Le thylacine est plus avide de chair que le sarigue et doit ressembler au loup par ses mœurs; le phascogale au contraire recherche surtout les insectes.

Le phascolome vit d'herbe, il habite un terrier; ses habitudes qui sont douces le rapprochent du lapin et du lièvre.

{t) y. Ann. des se. nui, février, 1837; Isid. Geoffroy-Saint-Hilaire. Dict. élastique d'hisl. nat., e't Anthologie de Florence, t. xsiv, 1824.

D'autres animaux, le dasyure (1), le péramèle, le phalau-ger, le potoroos et le kanguroo, pourvus comme le sarigue, de la poche destinée à loger les petits, diffèrent trop du sarigue et des autres animaux dont il vient d'être parlé, pour trouver place ici. Aucun d'eux, excepté peut-être le péramèle, ne loge dans un terrier; le dasyure est tout-à-fait Carnivore, le phalanger se tient sur les arbres où il se nourrit de fruits et d'insectes, le potoroos est seulement frugivore, ainsi que le kanguroo dont le caractère est très doux.

E. Ecureuil, polatouche, mmcardin.

Ces trois espèces d'animaux nichent sur les arbres, les muscardins sur les branches les plus basses, le polatouche

(t) Le dictionnaire classique d'histoire naturelle, tome v, page 339, contient le passage suivant sur le dasyure à pinceau :

« Cet élégant petit animal était très franc, et ne cherchait point à mordre, quelques tracasseries qu'on lui fit. Fuyant la lumière un peu trop vite et recherchant l'obscurité, il se plaisait beaucoup dans la niche étroite qu'on lui avait préparée: lorsque, en doublant le cap Horn, on voulut la lui rendre plus chaude pour le préserver du froid, il arracha et jeta au-dehors toutes les fourrures qui la tapissaient. Il n'était pas méchant; mais on ne remarquait pas qu'il fût susceptible d'attachement pour la personne qui le nourrissait et le caressait. Chaque fois qu'on le prenait, il paraissait effrayé et se cramponnait partout à l'aide de ses ongles assez aigus. L'instant de ses repas était une scène toujours curieuse pour nous; ne vivant que de viande crue ou cuite, il en saisissait les lambeaux avec voracité, et lorsqu'il en tenait un dans sa gueule, il le faisait quelquefois sauter en l'air et l'attrapait adroitement, apparemment pour lui donner une direction plus convenable. Il s'aidait aussi avec ses pattes de devant ; et quand il avait achevé son repas, i! s'asseyait sur le train de derrière et frottait longuement et avec prestesse ses deux pattes l'une contre l'autre (absolument comme lorsque nous nous frottons les mains), les passant sans cesse sur l'extrémité de son museau, toujours très lisse, très humecté et couleur de laque; quelquefois sur les oreilles et le sommet de la tète, comme pour en enlever les parcelles d'alimens qui auraient pu s'y attacher. Ces soins d'une exeesshe propreté ne manquaienl jamais d'avoir lieu après qu'il avait fini de manger, "

et l'écureuil sur les branches élevées. Les deux derniers sau-tenl et grimpent si facilement qu'on dirait qu'ils volent; le polatouche, à cause de son agilité, a môme été appelé rat-volant et écureuil-volant.

Le polatouche et l'écureuil vivent de fruits et de graines; ils sont très doux, on les apprivoise sans peine, mais dès qu'ils peuvent recouvrer leur liberté et grimper sur un arbre, il est fort difficile de les décider à revenir. Us dorment une grande partie du jour et ne sortent guère que le soir. En parlant de la chouette j'ai dit que, pour se cacher, elle se contente souvent de cacher sa tête, croyant n'être pas vue parce qu'elle ne voit pas; l'écureuil est mieux avisé, il se place toujours derrière l'arbre, et une forêt serait remplie de ces animaux, chaque arbre en aurait un ou plusieurs, qu'il serait ditïicile d'en apercevoir aucun. Leur industrie se montre bien dans la manière dont ils construisent leur nid; ce nid est impénétrable à la pluie, un couvercle en abrite l'ouverture, et l'intérieur en est d'une grande propreté.

Le polatouche et l'écureuil font des provisions qu'ils accumulent dans les troncs d'arbres.

t. Rai mmqué ou ondatra, castor.

Les meilleurs constructeurs, parmi les mammifères, sont l'ondatra et le castor, « Ils ont entre eux beaucoup d'aualogie, ils vivent en société au moins pendant l'hiver, ils se bâtissent des cabanes habitées par une ou plusieurs familles ; et se placent toujours près des lieux qui peuvent leur fournir de l'eau et des racines. Si le lieu qu'ils ont choisi est bas, ils relèvent; s'il est trop élevé, ils le creusent et disposent l'intérieur par gradins où \\b puissent se retirer au fur el â mesure que l'eau monte,

«c Leur habitation est très artistement construite, elle est faite de joncs entrelacés, sa forme est celle d'un dôme, et, à l'intérieur, elle est enduite d'une glaise bien détrempée et recouverte d'une couche de joncs secs.

(c Us se creusent des puits pour boire et se baigner, ils ont une fosse pour les excrémens et des galeries pour aller chercher des racines. ?» (1)

Les constructions des castors, plus considérables que celles du rat musqué, exigent des travaux qui feraient honneur à des ouvriers, surtout si l'on considère que, pour les exécuter, les castors n'ont que leurs dents et leur queue.

Réunis au nombre de plusieurs centaines au bord de la rivière où ils veulent s'établir, ils s'occupent d'abord de maintenir l'eau constamment à une égale hauteur; pour cela, il leur faut une digue, ils la construisent de toutes pièces. Les uns coupent un arbre en ayant soin de faire la coupure de manière à ce que l'arbre tombe dans l'eau et non du côté opposé. L'arbre tombée ils en abattent les branches, dont ils font des pieux qu'ils enfoncent perpendiculairement dans le lit de la rivière. Ces pieux, rangés en pilotis, sont tous égaux en hauteur el placés les uns contre les autres, de manière que leurs interstices puissent être remplis avec de la terre. Des ouvertures sont pratiquées pour le passage de l'eau excédant le niveau ; le nombre et le diamètre de ces Irous varient suivant l'abondance de l'eau.

Cela fait, les castors se construisent des cabanes sur le bord de l'eau à un ou à plusieurs étages, ils s'y logent par paires un mâle et une femelle, et chaque paire se réunit à d'autres pour

(i) Extrait de divers mémoires de M. Sarrasin, médecin du roi à Québec , sur le rat musqué, par Réaiimur : dans VAbrégé des mémoires de l'Académie des sciences , pour t 7 a ri ; P F. t. v, p, iq;:;.

former des tribus dont chacune a son quartier et ses magasins de vivres, qui consistent en écorce fraîche dont les castors sont très friands.

Les castors se nourrissent presque exclusivement de végétaux, cependant ils mangent aussi quelquefois du poisson ; ils ont l'instinct de la propreté, instinct qui, du reste, leur est commun avec tous les animaux qui ont un domicile.

C'est pendant l'hiver que l'accouplement a lieu ; au printemps les mâles s'en vont, les femelles élèvent leurs petits, et s'en vont aussi, mais un peu plus lard: à l'automne suivant, les réunions se forment de nouveau, pour fonder d'autres colonies.

Les ouvrages exécutés par les castors ont de tout temps fort occupé les psychologistes qui, pour la plupart, ont refusé d'admettre que ces ouvrages fussent exécutés avec intelligence. Frédéric Cuvier lui-même (1) ordinairement si juste appréciateur des actions des animaux, s'exprime ainsi à leur sujet. « Les constructions des castors sont le fruit d'une industrie toute mécanique, le résultat d'un besoin purement instinctif. En effet plusieurs castors solitaires des bords de l'Isère, du Rhône et du Danube nous ont montré qu'ils sont constamment portés à construire, sans cependant qu'il puisse en résulter pour eux aucun avantage que celui de satisfaire un besoin aveugle auquel ils sont en quelque sorte forces d'obéir. »

Si par industrie mécanique Frédéric Cuvier a voulu dire instinct machinal, impulsion aveugle, évidemment il s'est trompé. Il y a, dans les constructions opérées par les castors, une si grande variété de travaux, un choix si bien fait, tant de difficultés accidentelles et toujours surmontées, qu'il est impossible de n'y pas reconnaître les caractères que l'auteur lui-même a donnés aux œuvres de l'intelligence.

« Les castors construisent, lors même qu'il ne peut en résulter pour eux aucun avantage. » Ils font comme les oiseaux ([lie nous retenons prisonniers et qui font un nid à leurs petits, lors même que nous leur en avons préparé un. Mais est-ce bien là une objection sérieuse? La hutte que fait le castor, le nid que fait l'oiseau, ne sont-ils pas beaucoupmieux appropriés à leurs besoins que le nid ou les huttes que nous leur préparons? Nous pouvons trouver, nous, que nos ouvrages sont plus parfaits que les leurs; mais ces animaux seront-ils obligés de voir et de sentir comme nous? Et d'ailleurs, la vie de prisonnier est pour eux une vie toute différente de celle pour laquelle ils sont nés. Qu'ils construisent, qu'ils fassent des provisions, tandis que nous nous chargeons de les loger et de les nourrir, cela n'a rien qui doive nous étonner. Savent-ils que nous prenons tant de soin pour eux? le peuvent-ils savoir? Une longue habitude de la domesticité en modifiant les besoins delà poule et du lapin, ôle à la poule l'instinct de se faire un nid, au lapin, celui de se creuser un terrier ; si nous placions les castors dans des circonstances analogues, qui peut dire qu'ils ne présenteraient pas la même modification? Je ne nierai pas qu'il y ait une impulsion instinctive qui porte les castors à construire leurs habitations ; mais dans la manière dont ils s'y prennent pour que cette impulsion ait un effet, il est de toute nécessité qu'une intelligence y préside. Dans les actions de l'homme, le premier mobile n'est souvent pas autre chose qu'un instinct; l'intelligence vient à la suite. L'intelligence connaît et opère, et c'est à elie que l'action finit par appartenir, bien que, dans son principe, cette action ait eu une cause aveugle.

Ne croyons pas élever l'homme en niant que les animaux aient de l'intelligence : chacun et chaque chose sont à la place que Dieu leur a assignée, nos systèmes n'y changeront

rien. Ce qui importe à l'homme, ce n'est pas d'arranger les créatures d'après l'instinct de son amour-propre, mais d'apprendre à les connaître telles que Dieu les a faites.

7e groupe. — Solipèdes et ruminant.

Des facultés analogues réunissent dans un môme groupe les solipèdes et les ruminans. Tous se nourrissent de végétaux; tous ont à se défendre contre les animaux carnassiers. De leur nature ils sont inoffensifs et portés à se réunir pour vivre en famille ou en troupe. Le nombre des espèces solipèdes est très borné : il ne s'élève pas au-delà de six ; celui des ruminans dépasse le nombre de soixante. Les premiers l'emportent de beaucoup sur les autres en intelligence, et l'un d'eux, le cheval, est, pour tous les animaux solipèdes et ruminans, ce que le chien est pour les carnassiers.

Comparé aux animaux qui vivent de chasse , le groupe entier des ruminans et des solipèdes leur est inférieur. Les ruminans surtout ont des actions peu variées , et la domesticité , au lieu de développer en eux des facultés nouvelles ou de faire grandir celles qu'ils possèdent, les abrutit au point de les rendre presque méconnaissables. En veillant sur eux pour les conserver, en diminuant leurs besoins , en mettant à leur portée tout ce que, dans l'état de nature, ils seraient obligés de chercher eux-mêmes, l'homme a presque aboli leurs facultés psychiques.

Fr. Cuvier a combattu l'opinion très généralement reçue que les herbivores ont un caractère plus doux que les carnassiers, et il assure que c'est précisément le contraire qui est vrai. « Tous les ruminans adultes(l), dit-il, les mâles, surtout, sont

(t) Essai sur la domesticité des mammifères {Mémoires du Musée, t. Mit, p, 4»6),

des animaux bruts, grossiers, qu'aucun bon traitement n'adoucit , qu'aucun bienfait ne captive. S'ils reconnaissent celui qui les nourrit, ils ne leur sont point attachés, et, en leur donnant des soins, il doit toujours être en défiance; car, dès qu'ils cessent de les intimider, ils sont prêts à le frapper. Il semble qu'un sentiment secret les porte à fuir et à traiter en ennemi totfte espèce d'animal étrangère à la leur. Il en est tout autrement, continue Fr. Cuvier, pour les animaux qui se nourrissent plus exclusivement de chair : c'est que les uns ont une intelligence grossière et bornée , tandis que les autres ne sont pas moins remarquables par l'étendue que par la finesse et l'activité de la leur, tant il est vrai que, même chez les animaux, le développement de cette faculté est plus favorable que nuisible aux bons sentimens. »

Ces remarques de Fr. Cuvier sont très justes en ce qui concerne les ruminans mâles parvenus à l'état adulte ; mais elles ne le sont pas , quant aux femelles ni même quant aux mâles de toutes les espèces de ruminans. Il est quelques-uns de ces mâles naturellement très doux et qui sont loin d'être dépourvus d'intelligence; les femelles et parmi les mâles ceux qui ont subi la castration, sont presque toujours doux et trai-tables ; cependaut il est vrai de dire que , si on les compare aux carnivores, les ruminans sont peu élevés en intelligence.

Parmi les ruminans et les solipèdes , il est des animaux qui s'attachent à l'homme , ou au moins qui lui obéissent. On les réduit par des alimens, des friandises , des caresses : on les dompte par des veilles long-temps prolongées ; on les affaiblit par la castration, et, une fois habitués à vivre dans la dépendance de l'homme, ils donnent naissance à des petits qui deviennent domestiques ; mais tous ne sont pas dans ce cas, et beaucoup d'entre eux ne s'apprivoisent jamais, quoi qu'on fasse pour y parvenir. Le degré d'intelligence de ceux qui

sont soumis à l'homme dépend souvent de la manière dont on les traite , et, si plusieurs d'entre eux sont stupides, il faut en accuser le peu de soin que l'on en a pris, et la brutalité dont on a usé à leur égard.

Le bœuf est un exemple bien frappant de cette vérité. Chez nous le bœuf connaît son gîte: il distingue son maître; il entend s'il faut s'avancer ou s'arrêter, et peu de chose de plus. Les Hottentots , qui ont pris un soin tout particulier des bœufs , les ont élevés à garder, à conduire, et à défendre les troupeaux contre les étrangers et les bêtes féroces.

La ménagerie du Jardin des Plantes a possédé un bison, que l'on a pu y étudier. La colère de cet animal n'était point aveugle; corrigé vigoureusement, tant qu'on le regardait fixement, il se tenait à l'écart, surtout s'il voyait son gardien armé d'un bâton. C'était pour lui une extrême contrainte que d'être retenu par le nez; cependant son intelligence n'alla jamais jusqu'à connaître les préparatifs qui avaient pour objet de passer une corde à travers l'anneau de son nez. (1)

Le moufflon et le mouton sont un même animal; le premier vit en liberté, l'autre vit en servitude; le genre de vie si différent qu'ils mènent a beaucoup modifié leurs facultés et leurs mœurs. Le moufflon est vif, fort, léger à la course ; il sait se défendre contre un ennemi, soit en le heurtant avec la tête, soit en le frappant du pied ; tandis que le mouton est lent; le moindre bruit l'effraie, il ne sait pas veiller à sa conservation, il n'a pas le sentiment du danger ; il a besoin d'un chef qui le dirige, et ce chef, auquel il obéit, n'est pas de son espèce, c'est un Carnivore. Que l'on enlève à une brebis l'agneau qui lui appartient et qu'elle nourrit, elle

(i) Histoire naturelle des mammifères, par MM, Geoffroy Sainl-Hilaire et Fr. Cuvier, 1.1.

ne le défend pas, elle ne paraît pas s'en apercevoir. Toutefois, le bélier n'est pas aussi dégénéré que la brebis; il se bat avec les autres béliers, et ne ménage pas toujours le berger. Le mouton est le plusstupide des ruminans.

Fr. Cuvier a fait sur les moufflons quelques expériences qui indiquent chez ces animaux une intelligence supérieure à celle des moutons, mais qui est cependant très bornée. Les moufflons aiment le pain, et lorsqu'on leur en présente, ils viennent pour le prendre. On se sert de ce moyen pour les attacher avec un collier, afin de pouvoir, sans accident, entrer dans leur parc. Quoiqu'ils soient tourmentés au dernier point lorsqu'ils sont ainsi retenus, quoique le collier qui les attend soit placé devant eux, jamais ils ne se défient du piège; ils viennent constamment se faire prendre sans qu'il se forme d'association dans leur esprit entre le collier et l'appât.

La chèvre, quoique vivant avec l'homme , ne se dégrade pas comme le mouton ; elle conserve ses qualités primitives , presque sans altération. Elle est vive, vagabonde, et pourtant très capable d'attachement, reconnaît son maître et se montre sensible aux caresses. On l'a dite capricieuse et inconstante, mais cela est vrai seulement de ses allures, car elle est attachée à celui qui la soigne, et on a vu des chèvres refuser toute nourriture et mourir de chagrin pour avoir perdu leur maître ou leur maîtresse. Il semble que ce soit par suite d'une inclina-lion naturelle que la chèvre s'attache à l'homme, car même dans les pays inhabités, elle ne devient pas sauvage.

La gazelle, le kevel et les autres antilopes ont beaucoup de rapports avec la chèvre ; ils sont vigilans, reconnaissent le danger, fuient avec vitesse, mais s'il n'est plus temps de fuir et qu'ils soient surpris, ils se défendent courageusement. On les trouve réunis en famille de cinq ou six individus.

La girafe diffère plutôt des autres ruminans par sa taille et

ses allures que par ses facultés; elle est douce, se laisse facilement conduire et vit aussi par petite troupe.

De tous les ruminans, le chevreuil est celui qui présente Je plus d'intérêt : je rapporterai textuellement ce qu'en dit Buffon , afin d'éviter le soupçon de partialité que les phrénologistes pourraient être tentés de concevoir contre moi, quand je comparerai les facultés du chevreuil aux circonvolutions du cerveau de cet animal.

« Le chevreuil a plus de vivacité, plus de courage, plus de finesse, plus de ressources d'instinct que le cerf : il est plus gai, plus leste, plus docile, plus rusé, plus adroit. Il est très rapide à la course, et s'il est poursuivi, il fait des détours très multipliés avant d'être fatigué, il revient sur ses pas, retourne, revient encore, et lorsqu'il a confondu, par ses mouvemens opposés, la direction de l'aller avec celle du retour, il se sépare de la terre par un bond, et se jetant de côté, il se met ventre à terre, et laisse, sans bouger, passer près de lui, la troupe de ses ennemis.

« Il demeure en famille ; le père, la mère et les petits vont ensemble; on ne les voit jamais s'associer à des étrangers; ils sont aussi constans dans leurs amours que le cerf l'est peu; comme ils naissent ordinairement au nombre de deux à chaque portée, un mâle et une femelle, les petits prennent l'un pour l'autre un attachement très vif et qui dure toute la vie (1). Si l'un d'eux est pris, l'autre lui survit rarement.

a La femelle du chevreuil cache avec soin ses petits; si elle aperçoit quelque danger, elle se laisse chasser pour détourner les chasseurs.

(i) Le cbevreuil a plus d'intelligence que le cerf el le daim, cependant ce sont toujours les petits d'une même portée qui s'apparient. La parenté, dans le mariage, ne serait-elle donc pas une cause d'abrutissement intellectuel aussi puissante qu'on l'a prétendu ?

« On ne peut pas les rendre obéissans, ni familiers, niais ils s'habituent assez facilement à la présence de l'homme.

ce Ils diffèrent des cerfs principalement en ce qu'ils vivent appariés et en famille, tandis que les cerfs changent de femelle et se réunissent en troupes assez nombreuses. »

Le cerf a des ruses analogues à celles du chevreuil, cependant il passe pour être moins habile à éviter la poursuite du chasseur; il est doux, se défend contre ses ennemis, mais n'attaque jamais si ce n'est lorsqu'il s'agit de la possession d'une femelle. Dans ce cas , les cerfs mâles se livrent entre eux de violens combats.

Les sens du cerf et ceux des autres ruminans, qui vivent en liberté, sont généralement bons ; l'œil, l'oreille et surtout l'odorat sont excellens; ce dernier sens a, chez la plupart des mammifères et même chez le plus grand nombre des animaux de toutes les classes, une perfection dont l'odorat de l'homme n'approche jamais.

Leroy (1) fait remarquer que le jeune cerf simple et sans expérience fuit sans méthode et avec maladresse, tandis que le vieux cerf montre par les ruses qu'il emploie, combien l'expérience lui a profité. Ce n'est pas seulement l'instinct qui est le mobile des actions de ces animaux, car ils dirigent leurs courses d'après des faits antérieurs, ils raisonnent et compliquent chacune de leurs démarches, de manière à arriver habilement au but qu'ils veulent atteindre.

Le chevreuil, le daim et le cerf ont de la ruse en raison inverse de leurs forces; le daim moins fort que le cerf a plus de ruse que lui; le chevreuil inférieur en force à tous deux, les surpasse par son habileté.

Pour les habitudes, les daims sont presque des cerfs ; ce-

(i) Op. cit.. p, /{8.

pendant ces animaux ne s'accouplent pas les uns avec les autres. On a observé que si un grand nombre de daims étaient dans le même parc, ils se réunissaient en deux troupes distinctes, à la tête desquelles se plaçait un chef, et qui devenaient bientôt ennemies.

L'axis, le renne et l'élan sont pour les habitudes, comme pour l'organisation, tous voisins du cerf et du daim. Toutefois le renne diffère des uns et des autres, en ce qu'il est très susceptible d'apprivoisement ; on en fait un animal docile, et qui, dans certains pays, en Laponie, par exemple, rend à l'homme des services journaliers. Ils sont très doux; en liber-lé, ils se réunissent en troupe; l'apparence du moindre danger les fait fuir, cependant quand ils sont attaqués de près , ils se défendent avec courage.

Le lama a les mêmes qualités domestiques que le renne, il est docile et patient; on l'emploie à porter des fardeaux. S'il veut se reposer, il le fait avec tant de précaution qu'il ne laisse rien tomber de son fardeau ; s'il est trop chargé, il reste à terre, et quand on le bat pour qu'il se relève, au lieu de se défendre, il se frappe violemment la tête contre le sol, quelquefois jusqu'à se tuer. Aurait-il l'instinct delà mort? celte marque de mécontentement ou de désespoir du lama, mériterait d'être attentivement étudiée.

On trouve chez le chameau toutes les bonnes qualités du lama et du renne, jointes à une extrême sobriété et à une patience à toute épreuve. Si le chameau est trop chargé, il ne se relève pas avant qu'on ne l'ait délivré de l'excédant qui l'écrase. Pour l'intelligence, il est bien au-dessus de nos bœufs, mais non pas au-dessus des bœufs qu'élèvent les Hot-lentots. L'espèce entière du chameau appartient à l'homme , elle est esclave, et dégénère par l'effet des mauvais traite-mens et des privations qu'elle endure, Périra-t-elle? ce

serait pour 1 homme un malheur , mais un malheur mérité, L'onagga, le couagga et le zèbre, animaux qui ont une analogie très grande avec le cheval et avec l'àne, vivent en troupes nombreuses et ne s'apprivoisent jamais qu'imparfaitement. L'homme en peut retirer quelques services; mais il ne peut jamais compter sur leur docilité. Leur intelligence paraît être inférieure à celle de l'âne; je dois ajouter cependant qu'elle n'a pas encore été suffisamment étudiée. Milord Clève, cité par Buffon, voyant qu'un zèbre ne voulait pas se laisser approcher par un âne, fit peindre l'âne en zèbre, l'accouplement se fit, et il en est résulté un poulain semblable à la mère. La réussite de cette supercherie n'indique pas une grande finesse dans l'intelligence du zèbre; d'autres herbivores auraient pu s'y tromper; mais je ne crois pas que le chien y eût été pris.

L'âne vit par troupes nombreuses dans les plaines de l'Asie; l'histoire et la tradition nous le montrent assujéti à l'homme, depuis un temps immémorial. C'est un animal tranquille, patient, laborieux, mais obstiné et indocile surtout quand il est vieux. Il connaît son maître, s'habitue aux lieux, aux personnes, est capable d'attention, et l'on est parvenu à en dresser quelques-uns qui ont été donnés en spectacle. (1)

Parmi les herbivores ruminans ou solipèdes, le cheval est le premier pour l'intelligence. A l'état sauvage, les chevaux vivent en troupe sous le commandement et la protection du

(i) Un livre curieux a été publié par Daniel Heinsius, à la louange de l'âne (Laus asini, in qttâ, prœter ejus animalis dotes ac naturœpropria, cum jjolitica non pauca, tum non nulla alia diversœ erttditionis asperguntur). Le mot asinus contient, suivant un grammairien dont se moque Heinsius, un sens très profond; on y trouve Assiduus, Sedulus, Industriels, Nec Unquam Sedens,

plus fort, au nombre de plus de cinq cents individus. D'après a manière dont ils se comportent les uns à l'égard des autres, leur aptitude el leur docilité à apprendre les manœuvres de la cavalerie n'ont rien qui doivent étonner, car d'eux-mêmes, ils se rangent en files et par divisions. Ils n'ont entre eux que des motifs d'émulation, ils n'attaquent jamais aucun animal, et comme ils sont moins portés à l'amour que beaucoup d'animaux, ils ne se battent pas pour la possession des cavales. Les cavales aiment beaucoup leur poulain et toutes les cavales aiment les petits de leur espèce, ce Parmi les cavales qui paissent ensemble, dit Aristote (1), s'il en meurt une, les autres se chargent de son poulain : une preuve de leur amour pour les petits, c'est que souvent les cavales stériles enlèvent à leur mère des poulains pour les élever; mais le défaut de lait fait périr les poulains. »

Peu d'animaux sont aussi facilement éducables que le cheval; on fait comprendre à cet animal ce qu'on venl qu'il fasse, et il devient, quand on sait l'élever, non pas l'esclave, mais le compagnon de son maître. A la guerre, il s'anime et combat avec courage; dans les courses, il lutte d'ardeur et de vitesse; dans les jeux il a de la souplesse et de la grâce. Il vaut d'autant mieux que l'on s'occupe plus de lui et qu'on l'élève avec plus d'intelligence. Les trailemens grossiers le rebutent et le rendent stupide, les bons traitemens, ou pour mieux s'exprimer, les traitemens bien entendus, une éducation raisonnée lui donnent une perfection inconcevable. En Arabie, les chevaux vivent en familiarité avec les Arabes; ils sont pleins de patience à supporter les mutineries des enfans, et n'osent souvent se remuer dans la crainte de leur faire du mal.

(l) Op. cit., |iv. ix, rhap. 5.

Quelques-uns, mais en petit nombre, sont vindicatifs et hargneux ; la plupart sont doux et reconnaissais des soins qu'on leur donne. Ils ont de la vanité. Ceux qui sont habitués aux beaux équipages, si on les attelle à une charrette, marchent la tête basse et avec une apparence de tristesse-J'ai entendu dire à plusieurs cochers, que les chevaux d'équipage du faubourg Saint-Germain et de laChaussée d'Antin, avaient une allure à peine reconnaissable quand on les conduisait au faubourg Saint-Marceau, qui est, comme on sait, un des quartiers les plus pauvres et les plus malpropres de Paris. L'histoire rapporte que Bucéphale ne se laissait monter que par Alexandre : encore fallait-il que ce souverain lut revêtu de ses habits royaux.

Par la violence seule, on n'arriverait jamais à dompter et à rendre sociable un cheval indocile; on y parvient au contraire par les alimens donnés à propos, par les veilles et par la castration. La privation des attributs de la virilité ôte au cheval du courage et de la force ; elle le rend docile et doux comme sont ordinairement les cavales.

On est toujours surpris de l'adresse et de l'intelligence des chevaux que l'on élève pour les jeux du Cirque. Après avoir assisté à l'une des séances qui se donnent chaque soir au cirque des Champs-Elysées , séance à laquelle j'avais moi-même assisté, un amateur de chevaux, M. du Prat-Taxis , écrivait : ce Les chevaux du Cirque semblent toujours être de moitié pour l'intelligence avec les écuyers qui les dirigent et les cavaliers qui les montent. Un cheval, amené seul dans le Cirque, a saisi avec les dents un mouchoir qu'un écuyer lui a jeté à la volée ; il a ramassé le même mouchoir à terre, l'a pris sur sa croupe et même sur ses épaules, et l'a rendu à l'éeuyer qui le lui redemandait. Un autre cheval s'est dressé sur ses pieds de derrière, a appuyé ses lèvres sur la détente

d'un pistolet chargé, et a fait partir ce pistolet sans paraître surpris de la détonnation; il est même revenu examiner cette arme comme pour attendre qu'on la chargeât de nouveau.

« Un troisième cheval, après avoir fait différens exercices avec son cavalier, a quitté l'enceinte en appuyant ses pieds de devant sur l'arrière-train du char-à-banc dans lequel était monté son cavalier, et l'a suivi dans cette attitude jusqu'au bout de l'enceinte, en ne marchant que sur ses pieds de derrière.

« Pendant les exercices, tous les mouvemens des chevaux semblent dirigés par la musique et combinés avec ceux des hommes qui les montent, à tel point que l'homme et le cheval ne forment qu'un, qu'au moment où l'homme se sépare du cheval, soit pour s'élancer en l'air, soit pour faire un soubresaut, l'on dirait qu'une partie de l'homme-cheval ou du cheval-homme se sépare de son entier, et qu'au moment où le cavalier revient sur le cheval, celte partie de l'être animé rejoint son entier.

a Que le cavalier tienne la bride dans la main ou la quitte, le cheval est toujours en harmonie avec son cavalier.

ce Le quadrille que nous avons vu danser aux chevaux est une nouvelle preuve de leur intelligence ; ils exécutaient en mesure et avec infiniment de grâce, toutes les passes et contre-passes. Les cavaliers qui les montaient dirigeaient par moment leurs mouvemens et dans d'autres les suivaient.

c Les chevaux ont valsé deux à deux étant montés chacun par un cavalier en suivant la mesure de la musique, et en exprimant par leurs mouvemens gracieux qu'ils comprenaient leur situation, et cet abandon voluptueux , ce laisser-aller était aussi visible dans les chevaux que dans les cavaliers. »

8e groupe. — Cochon, sanglier, babiroussa, pécari, tapir, hippopotame, rhinocéros.

Il faut placer ces animaux tous près des herbivores, car ils se nourrissent presque exclusivement de végétaux; cependant plusieurs d'entre eux mangent aussi de la chair, mais ils ne chassent pas, et sont sous ce rapport, à une distance très grande des chiens, des chats et des martes.

Le plus stupide, parmi eux, est le cochon domestique, et, chose bien singulière! c'est précisément celui dont l'homme a pris soin. Le contraire a lieu le plus ordinairement, le voisinage et le contact de l'homme donneut aux animaux une activité intellectuelle qu'ils n'auraient pas sans lui, mais il arrive au cochon ce qui arrive au mouton, c'est qu'où l'élève surtout pour le manger, qu'on favorise chez l'un et chez l'autre l'exercice des fonctions nutritives, tandis qu'on laisse s'engourdir les fonctions intellectuelles.

Le cochon a l'instinct de chercher sa nourriture; le mâle, qui est extrêmement prolifique, est très ardent pour les femelles, et celles-ci défendent leurs petits. Leur vie se passe à manger et à dormir. Ils aiment les eaux bourbeuses et se vautrent dans la fange. Us mangent de la chair surtout quand elle est mêlée à quelque aliment tiré du règne végétal; ils mangent aussi leurs petits, et plusieurs fois ils ont dévoré des enfans. Depuis quelque temps, dans certaines localités et notamment dans les environs de Paris, ou les nourrit avec de la chair de cheval, ce qui avait fait craindre à certaines personnes que leur naturel n'en devînt plus vorace et même féroce. Stupides comme ils sont, s'ils avaient un instinct carnassier très développé, on ne serait jamais en sûreté avec

eux. Heureusement, les craintes que l'on avait conçues à cet égard, ne se sont pas réalisées. (1)

Le sanglier est supérieur au cochon, ses sens ne sont pas hébétés, il voit, entend et flaire de très loin : il reconnaît le chasseur placé au-dessus du vent. Le sanglier mâle est jaloux de sa femelle; devenue mère, la femelle garde ses petits jusqu'à ce qu'ils soient devenus assez forts pour se défendre contre les loups.

Attaqués, les sangliers se réunissent, les plus faibles se mettent derrière les autres, ceux qui sont devant font une vigoureuse résistance.

La nourriture ordinaire du sanglier consiste en racines et en fruits ; il se montre parfois avide de chair, mais beaucoup moins que les animaux carnassiers.

Le babiroussa ou cochon-cerf est plus doux que le sanglier ; on ne l'a pas vu manger de chair. Il est très multiplié dans certains pays et notamment dans l'île Bourou, l'une des Moluques, sur le territoire des Alfourous où il se plaît au milieu des joncs et des plantes aquatiques. En captivité on le nourrit exclusivement de maïs ou d'autre aliment végétal. Il est d'humeur farouche et inquiète, mais non malfaisant. (2)

Fr. Cuvier a observé deux babiroussas, l'uu mâle et l'autre femelle, vivant ensemble à la ménagerie du Musée. Quand le mâle était couché sur la litière, la femelle le couvrait en-ièrement de paille, puis elle se glissait sous la paille restante, de manière à ne pouvoir être aperçue. C'est le seul exemple

(t) Parent-Ducbâîelet s'est occupé de cette matière, et d'après les faits qu'il a observés,il a reconnu qu'il n'y a aucun inconvénient à nourrir les porcs avec de la chair de cheval. V. Mémoires sur les questions les plus importantes de l'hygiène, a vol. iu-8. Paris rS36.t. », p. 444.

(?x) Voyage autour du monde , elc. par le C. Dttperrev : Zoologie par M Lejson et Garnot, f. 1. i'rparl. 124.

d'une action de ce genre dontFr. Cuvier ait été témoin, chez les animaux. (1)

Le même auteur, parlant du pécari et du cochon en général, leur attribue une intelligence supérieure à celle des rongeurs el des ruminans et d'un grand nombre de carnassiers. Il va même jusqu'à les comparer à l'éléphant ; mais, en cela, malgré toute la déférence due à l'autorité de son nom, je ne crains pas de dire qu'il s'est trompé. L'éléphant est remarquable par une aptitude d'observation et de jugement supérieure à celles des autres pachydermes.

On a élevé un pécari à la ménagerie du Musée , et on l'a apprivoisé aussi facilement qu'un chien. Il suivait partout son maître, montrait de la joie en le revoyant, se montrait avide de caresses. Docile à la voix de l'homme , il savait se faire obéir de ceux dont il se reconnaissait le maître.

On a fait vivre un pécari en société avec plusieurs chiens: ils avaient tous le même gîte et mangeaient à la même gamelle ; cependant, excepté un seul chien, que le pécari affectionnait, ces animaux ne prenaient part au repas que quand le pécari le permettait. Au moment du coucher, le pécari prenait place auprès de son chien favori, dans l'endroit le plus chaud , et les autres se groupaient autour d'eux. (2)

A l'état de liberté, les pécaris vivent en iroupes nombreuses et se nourrissent de végétaux et de reptiles.

Le tapir est aussi doux, mais moins éducable que le pécari : il est presque exclusivement herbivore et n'affronte aucun danger, bien différent en cela du sanglier, qui se défend quelquefois avec une sorte de rage. Sa trompe lui donne une ressemblance éloignée avec l'éléphant ; mais l'état de son intelligence le place fort au-dessous.

(1) Uist. ttat, des mammifères, art. Babiuoussa.

(2) ld , ait. PÉcaki.

L'hippopotame et le rhinocéros, malgré leur force musculaire , qui est prodigieuse , n'ont pas la cruauté des animaux carnassiers : ils sont même généralement assez doux el ne font la guerre qu'à ceux qui les attaquent. Un voyageur, cité par Buffon , raconte qu'il a vu un hippopotame , dont le plaisir était d'enfoncer toutes les petites chaloupes et les canots qu'il rencontrait: il mettait tout le monde à la nage; mais il s'en allait sans faire de mal à personne. La ménagerie du Musée a possédé un rhinocéros. Cet animal était d'une extrême douceur: il obéissait à son maître, et recevait ses caresses avec une véritable affection. De temps à autre , cependant, il entrait dans une fureur aveugle , dont la cause était peut-être le besoin de liberté ; car il était enfermé dans une loge étroite, qui gênait beaucoup ses mouvemens. Quand il était furieux, on le calmait sans beaucoup de peine avec des alimens et surtout avec des friandises dont il était très avide.

Les alimens dont se nourrissent l'hippopotame el le rhinocéros sont tous tirés du règne végétal.

9e groupe. — Phoque, morse.

Les cochons recherchent l'eau ; mais ils se tiennent le plus ordinairement sur la terre. Us se nourrissent de végétaux; cependant la nourriture animale n'est pas du tout incompatible avec leur goût, et il en est qui recherchentle poisson. L'intelligence du cochon domestique est presque nulle; celle du sanglier, du babiroussa , du tapir, de l'hippopotame, du rhinocéros, est plus développée; celle du pécari, qui est le plus édu-cable des cochons, peut s'étendre au point de donner à cet animal quelque ressemblance avec le chien, (i)

(i) Fr. Cuvier, op. cit., art. Pecaju.

Le phoque et le morse présentent presque en tous points un développement des facultés des animaux précédens. Us demeurent presque toujours dans l'eau. Quand ils sont à terre, ils paissent l'herbe, mais ils se nourrissent principalement de poissons : ils vivent en troupes, et les troupes se divisent en familles ; enfin ils sont éducables et sont susceptibles de concevoir pour l'homme et pour les chiens, une véritable affection. Fr. Cuvier (1) a vu de jeunes chiens, auxquels un phoque s'était attaché, s'amuser, pendant que le phoque mangeait , à lui arracher de la bouche le poisson qu'il était près d'avaler, sans qu'il témoignât la moindre colère ; mais , lorsqu'on donnait à manger à deux phoques réunis dans le même bassin , il en résultait toujours un combat à coups de pattes, et le plus faible laissait le champ libre au plus fort.

Si les chiens le harcelaient pour jouer avec lui, il leur donnait de légers coups de pattes, qui semblaient avoir plutôt pour but de les exciter que de les réprimer.

Au rapport de M. Lesson (2) , le phoque (phoca Ansonii) mâle a communément autour de lui trois ou quatre femelles, et chacune de celles-ci a deux petits, qui tètent leur mère pendant deux ou trois mois. Les phoques se livrent quelquefois des combats acharnés. Ces combats ont lieu entre les mâles seulement. Après la défaite, le vaincu se retire ou meurt, et les femelles appartiennent au vainqueur. Si un grand nombre de mâles prennent part au combat, les feinel-les se sauvent, à ce qu'on assure, en emportant leurs petits.

On peut apprivoiser les phoques et les rendre très dociles. Fr. Cuvier regarde le phoque commun comme étant de tous les animaux sauvages, celui qui s'habitue le mieux à l'homme

(i) Observations zoologiques sur les facultés physiques et intellectuelles du phoque commun, ili-4.

(a). Voyage de la Coquille, Zoologie.^, i4$.

et dont il est le plus facile de se faire comprendre. Le phoque devient alors tellement doux, qu'on peut lui mettre la main dans la bouche sans en avoir rien à craindre, excepté cependant quand il éprouve des désirs amoureux, car alors il entre dans une sorte de fureur qui rend son approche redoutable.

Buffon assure que si on a enlevé un phoque, ses compagnons pleurent sa perte : ce qui paraît certain, c'est que les phoques se connaissent, et savent au besoin se défendre contre un ennemi commun. Les morses vont au secours les uns des autres. Martens rapporte que lorsqu'il avait blessé un morse, les autres s'assemblaient autour du bateau qu'ils perçaient à coups de défenses, ou s'élevant hors de l'eau, faisaient tout leur possible pour s'élancer dedans.

La nourriture des morses est semblable à celle des phoques, elle consiste en coquillages, herbes et poissons.

10e groupe. —Lamantin, dauphin, marsouin, narval, cachalot, haleine.

Agrandissez l'intelligence du phoque, donnez à ses facultés morales un plus entier développement, et vous aurez, d'après le témoignage des naturalistes et des marins, l'état psychique du lamantin, du dauphin, du marsouin, du cachalot et de la baleine.

Le phoque vit en société et en famille, mais sa famille est plutôt une sorte de sérail qu'un lien réciproque, une affection partagée. Chez les cétacés, il n'y a qu'une femelle pour un mâle, c'est presqu'un mariage et un mariage durable, car on assure avoir vu plusieurs années de suite, le même mâle avec la même femelle. (1)

(i) Lacépède, Histoire naturelle, cétacés, art. Baleine.

Quelques «placés se font la guerre entre eux, ou attaquent les grands poissons; la plupart ont un naturel très doux, ne mangent que de petits poissons ou même des végétaux. On en a vu plusieurs non-seulement se laisser apprivoiser, mais rechercher d'eux-mêmes la compagnie de l'homme et témoigner pour lui un vif attachement.

Les lamantins, cétacés qui ne vivent que de végétaux, sont regardés comme étant lout-à-fait inoffensifs. Ce que l'on raconte de leur attachement est presque incroyable. Une femelle ayant été amenée au rivage, le mâle l'aurait suivie jusque-là, et y aurait passé la nuit, sans que les coups aient pu le faire fuir. Il en aurait été de même pour deux petits à l'égard de leur mère. Les lamantins auraient arraché le harpon du corps d'un des leurs, blessé par des marins.

Les dauphins étaient regardés par les anciens comme les plus familiers des animaux. Si l'on en croit Pline, un dauphin s'avançait vers le rivage, recevait la nourriture qu'on lui donnait, et se laissait monter par les baigneurs. D'après Mécé-nas Fabius et Flavius Alfius, un dauphin serait venu, chaque jour, recevoir sa nourriture des mains d'un enfant, à la voix duquel il accourait, et l'enfant étant mort, le dauphin serait mort aussi du chagrin de ne le plus voir. Aristote dit que sur un rivage de Carie, un dauphin ayant été pris, un grand nombre de dauphins s'approchèrent du port et ne regagnèrent la pleine mer, que quand on leur eut rendu le captif.

Beaucoup d'autres histoires de celte nature, histoires que j'appellerai volontiers des contes, se trouvent dans les anciens naturalistes; quelques faits avérés leur ont probablement donné naissance, mais les observations exactes sont en trop petit nombre pour nous mettre à même de distinguer, sur ce point, la vérité de l'erreur.

Les marins disent avoir vu des troupes nombreuses de ca

chalots qui paraissaient commandés par le plus grand et le plus fort de la troupe. On a une sorte de preuve que. ces animaux vivent appariés un mâle avec une femelle, car sur un nombre de dix-sept cachalots qui ont échoué sur les côtes de l'île d'Elbe, il y avait huit femelles et neuf mâles : chaque mâle avait une femelle près de lui.

Les cachalots n'ont pas la douceur du dauphin; ils sont même regardés comme très féroces.

Le narval est aussi fort à craindre, et Buffon, pour donner une idée de l'intelligence de cet animal, le compare à un rhinocéros ou à un hippopotame. La nourriture du narval consiste en poissons, en mollusques et en débris de cadavres.

On n'attribue à la baleine aucun instinct de férocité; elle se nourrit de crabes, de mollusques et surtout de clios que nous avons dit être sa pâture, dans les mers du nord. Quand elle est attaquée, elle se défend avec courage, et sa force la rend redoutable aux autres cétacés et à tous les poissons.

La chasse que l'on fait aux baleines les a rendues farouches , et leur a fait quitter, probablement pour toujours, de nombreux parages où elles régnaient autrefois.

11e groupe. — Eléphant.

L'éléphant est, de tous les animaux, celui que la nature a fait le plus intelligent et le meilleur (1). Les anciens l'avaient en grande vénération, et les partisans de la métempsycose croyaient que les éléphans blancs recevaient l'âme des empereurs indiens. Les Malais l'appellent Orang, c'est-à-dire être

(i) L'éléphant surpasse tous les animaux, en compréhension. Aristote, 1. ix,

ch, 7«,

raisonnable, el ils donnent le même nom au singe et à l'homme. Buffon dit que l'éléphant approche de l'homme autant que la matière peut approcher de l'esprit, et comme séduit par les témoignages sans nombre, de sang-froid, de prudence, de courage, de justice, qu'il remarque dans les élé-phans; voyant que les attentions, les offrandes, les respects dont on les entoure à Siam, à Laos et ailleurs, les flattent sans les corrompre, il semble reprocher aux Indiens de ne les croire animés que par des âmes humaines (1). Puis comparant l'éléphant au chien, au singe et au castor, il fait remarquer avec raison que le castor n'a de sens que pour lui et les siens, que le singe est souvent indocile et extravagant, que le chien doit à i'homme la perfection dont il est doué, tandis que l'éléphant est, par sa seule nature, supérieur à tous trois.

Le caractère de l'éléphant est doux, inoffensif; cet animal n'attaque jamais sans être provoqué, et comme il se nourrit exclusivement de végétaux, il n'est à craindre que pour ceux qui le provoquent. Il est éminemment sociable,vit en troupes nombreuses, excepté quand l'époque des amours est venue, époque à laquelle chaque mâle, accompagné d'une femelle, se retire au fond des forêts, mus l'un et l'autre, à ce que l'on croit, par un sentiment de pudeur. Ce qui donnerait à cette supposition une certaine vraisemblance, c'est qu'on n'a jamais vu l'accouplement des éléphans, et que ces animaux ne produisent pas, tant qu'ils sont en captivité.

On a rencontré de temps à autre quelques éléphans solitaires; on les regarde comme sauvages et indomptables, et l'on prétend, ce dont je n'oserais me porter garant, qu'en

(i) Les attentions, les respects, les offrandes, les flattent sans les corrompre; ils n'ont donc pas une âme humaine, cela seul devrait suffire pour le démon» irer aux Indiens, Buffon, Bfat, nat,, art, Fxér-h.Mrr,

raison de leurs défauts, ils ont été chassés de la compagnie des autres éléphans. Un voyageur raconte qu'un de ces éléphans solitaires s'était mis en embuscade dans un étroit défilé par lequel passaient ordinairement des caravanes portant des comestibles et notamment du sucre : pour franchir le défilé , on jetait du sucre à l'éléphant, et tandis que l'animal mangeait, la caravane se hâtait de continuer sa route.

Quand les éléphans voyagent, l'un d'eux se met en tête de la troupe et la dirige; un autre se place le dernier pour hâter la marche, ayant soin que les plus faibles et les plus jeunes se tiennent au milieu et à l'abri de tout danger. S'il s'agit de traverser une rivière profonde, les éléphans adultes entrent dans l'eau et se passent les uns aux autres, à l'aide de leur trompe, les jeunes éléphans.

Tous les éléphans domestiques ont d'abord vécu à l'état de liberté, car contrairement à ce qui a lieu pour les chameaux, l'espèce entière de l'éléphant est libre, attendu qu'elle ne se reproduit pas en esclavage. Quand il est dompté, pourvu qu'on le traite bien et qu'on le dirige avec intelligence, l'éléphant s'attache à celui qui le nourrit, lui obéit avec complaisance, et comprend la signification des ordres qu'on lui donne avec une promptitude étonnante. Ce n'est pas une force brute, ni une sorte de machine animée que l'on trouve en lui, c'est un aide intelligent qui agit avec prudence et réflexion. Il saisit un fardeau, le met sur son dos et le porte en prenant toutes sortes de précautions pour ne pas le laisser tomber; il transporte des ballots, du rivage dans un bateau, et les place dans l'ordre qu'on lui a indiqué; **' c'est un tonneau qui roule, il va chercher une pierre pour le caler.

Un éléphant qu'on élevait à la ménagerie de Versailles, semblait connaître si l'on se moquait de lui, et s'en vengeait quand il en trouvait l'occasion. Ayant été trompé par un

homme qui avait fait semblant de lui jeter quelque chose à manger, il donna à cet homme un coup de sa trompe qui le renversa, et le blessa grièvement; un peintre voulant le dessiner ayant la tête levée et la bouche ouverte, lui faisait jeter des fruits dans la bouche par son domestique; mais celui-ci ayant plusieurs fois trompé l'éléphant en faisant mine de lui jeter des fruits, l'éléphant en fut indigné, et comme s'il eût connu que le peintre était la cause de l'importunité du domestique, au lieu de s'en prendre à celui-ci, il s'adressa au maître, et lui lança une grande quantité d'eau qui gâta le dessin.

Le même éléphant détachait facilement une courroie dont il défaisait la boucle, et dénouait des nœuds de petite corde, avec beaucoup d'adresse.

La ménagerie du Musée possède maintenant un éléphant d'Afrique qui exécute avec intelligence plusieurs choses assez difficiles. Il ouvre une porte fermée à clef; il vient, s'arrête, se retourne, s'agenouille, salue, reçoit ou refuse des alimens, suivant l'ordre que son cornac lui en donne. Toutefois son obéissance n'est pas aussi passive qu'elle le paraît. U voyait du foin dans une] enceinte fermée par une grille, et se disposait à y entrer. Son'cornac lui dit de se retirer et de fermer la grille; il fit la sourde oreille. Pressé d'obéir par de nouvelles injonctions du cornac, il alla fermer une porte voisine, feignant de ne pas comprendre que la porte qu'il fallait fermer, était celle qui conduisait à la botte de foin. Le cornac qui m'avait vanté l'extrême docilité de son éléphant, était contrarié de cette désobéissance; j'en étais au contraire^fort aise, car elle indiquait un jugement dont, à mon avis, aucun autre animal ne serait capable.

Plusieurs fois on a fait intervenir des éléphans sur le théâtre, on leur a donné à remplir des rôles assez compliqués, et ils se sont toujours tiré de là avec bonheur. C'est au reste une i, tM

chose admise par les gardiens d'éle'phans que ces animaux comprennent presque tout ce qu'on leur dit.

Buffon, en parlant de l'éléphant, rapporte, d'après un témoin oculaire, plusieurs faits qui doivent trouver place ici. Dans l'Inde, ce on se sert de l'éléphant pour le transport de l'artillerie sur les montagnes, et c'est là que son intelligence se fait mieux sentir. Voici comment il s'y prend : pendant que les bœufs, attelés à la pièce de canon, font effort pour la traîner en haut, l'éléphant pousse la culasse avec son front, et à chaque effort qu'il fait, il soutient l'affût avec son genou qu'il place à la roue. Son conducteur veut-il lui faire faire quelque corvée pénible, il lui explique de quoi il est question, et lui détaille les raisons qui doivent l'engager à obéir. Si l'éléphant marque de la répugnance à ce qu'il exige de lui, le cornac promet de lui donner de l'arak ou quelque chose qu'il aime, alors l'animal se prête à tout. Mais il est dangereux de lui manquer de parole; plus d'un cornac en a été la victime.

ce J'ai plusieurs fois observé, dit un autre voyageur, que l'éléphant fait plusieurs choses qui tiennent plus du raisonnement humain que du simple instinct naturel qu'on lui attribue. Il fait tout ce que son maître lui commande. Si le maître veut que l'éléphant fasse peur à quelqu'un, l'éléphant s'avance vers cette personne comme s'il voulait la tuer et lorsqu'il en est proche, il s'arrête tout court, sans lui faire aucun mal. Si le maître veut faire affront à une autre, il parle à l'éléphant qui prendra avec sa trompe, de l'eau du ruisseau et de la boue, et la- lui jettera au visage.

ce Le Mogol a des éléphans qui servent de bourreaux aux criminels condamnés à mort. Si le conducteur leur commande de dépêcher promptement ces misérables, ils les mettent en pièces en un moment ; si, au contraire, il leur commande de les faire lan guir, il leur rompent les os les uns

après les autres et leur iont soullnr un supplice aussi cruel que celui de la roue. »

Sans une grande patience, l'éléphant qui a le sentiment de sa force et qui sait combien l'homme lui est inférieur à cet égard, n'obéirait pas à la volonté et aux caprices de son maître, comme il le fait si souvent. Cette patience a cependant des bornes, et après avoir subi des contrariétés ou de mauvais traitemens, l'éléphant sait se venger. Il est arrivé plus d'une fois que des cornacs ont été écrasés ou lancés au loin par leur éléphant, et, chose bien importante à noter ici, les premiers torts ne venaient jamais de l'éléphant. Il y a pourtant une circonstance où l'éléphant devient agresseur : c'est quand il est pris d'une sorte de folie déterminée, peut-être, par la non-satisfaction de ses désirs amoureux, et pendant laquelle il entre dans une véritable fureur. Alors il méconnaît son maître, et la force prodigieuse dont il est doué, le rend tellement dangereux que, dans cette circonstance, le seul parti à prendre, c'est de le tuer.

Un jeune éléphant qui a vécu à la ménagerie du Musée, avait été dressé, par son maître, à différens exercices dont il s'acquittait avec les marques d'une entière obéissance et d'une vive affection ; il avait besoin de la présence de son maître, repoussait les soins de toute autre personne et semblait ne manger qu'à regret lorsque sa nourriture lui, était présentée par une main étrangère. Mais son maître devint ivrogne et prit l'habitude de le battre. L'éléphant, auparavant d'une humeur gaie, parut taciturne et l'on crut qu'il était malade : ses jeux ne lui plaisaient plus, il donnait même parfois des signes d'impatience.Cet état de choses dura quelque temps. Enfin un jour, poussé à bout, l'éléphant jeta un cri furieux, et son maître qui le frappait, n'eut que le temps de fuir. Depuis, l'éléphant ne s'est plus laissé 'appro

cher de lui, en le voyant ii entrait en colère; et il n'a cessé de lui témoigner de la haine chaque fois qu'il l'a vu. (1)

Si l'on en croit Toscan, qui dit avoir été témoin des faits qu'il raconte, la musique exerce sur les éléphans une influence qu'aucun autre animal n'éprouve à un aussi haut degré que lui. Une expérience fut faite à ce sujet, sur deux éléphans qui étaient au Jardin des Plantes, le 10 prairial, an vi, et donna au rapport de Toscan, des résultats extrêmement curieux.

Un orchestre avait été dressé hors de la vue des éléphans. Aux premiers accords que ces animaux entendirent, ils cessèrent de manger pour courir vers le lieu d'où parlaient les sons, et témoignèrent leur surprise par des mouvemens divers et des altitudes variés. Chaque air nouveau, chaque morceau qui différait assez du morceau précédent pour être saisi par leur oreille, leur faisait éprouver une nouvelle émotion, et donnait à leurs mouvemens une expression dont le caractère se rapprochait toujours, plus ou moins, du rhythme musical. L'air de danse en si mineur de l'Iphigénie de Gluck, les mit dans une agitation extrême; ils semblaient suivre par leur allure tantôt précipitée, tantôt ralentie, par leurs mouvemens, tantôt brusques, tantôt soutenus, les ondulations du chant et de la mesure. Sous-l'influence de l'air si tendre et si mélodieux : O ma tendre musette, ils tombèrent dans une sorte d'enchantementj ils marchaient quelques pas, puis ils s'arrêtaient pour écouter mieux ; ils venaient ensuite se placer sous l'orchestre, agitaient doucement leur trompe, comme pour aspirer ces émanations amoureuses. Aux accens vifs et gais de l'air : ça ira, tout en eux, prit soudain un caractère d'emportement et de désordre. (2)

(i) Essai sur la domcst.des mammifères, etc. par Fr. Cuvier, p. 29. (a) Toscan, Décade philosophique, et Fournier-Pesçay; Dist, des Sciences médicales, t, xxxv, p, pi, \

L'aptitude des éléphans à éprouver des émotions fortes en entendant la musique, quoique assez générale, ne paraît cependant pas constante, et elle a été niée par quelques naturalistes qui ont fait à ce sujet des expériences dont le résultat a été presque entièrement négatif. C'est que, sous ce rapport, je le présume du moins, il en est de l'éléphant comme de l'homme : l'aptitude varie suivant les individus. Les éléphans qui ont fait le sujet des expériences précitées, étaient jeunes ; peut-être cette circonstance les rendait-elle plus sensibles à la musique que ne l'auraient été de vieux éléphans.

12e groupe. — Makis, singes.

Nous ne connaissons que très imparfaitement les rapports des animaux entre eux. Modifiés qu'ils sont par l'éducation que nous leur avons donnée, ou dégradés par l'abondance des alimens dont nous les avons remplis, les animaux domestiques ne se présentent pas à nous aussi complets qu'ils le seraient à l'état de nature. Quant aux animaux sauvages, retenus ordinairement dans des cages étroites et séparés des animaux de leur espèce, ils ne se présentent à nous qu'avec leurs facultés individuelles. Chez la plupart d'entre eux, les facultés de relation sont probablement très bornées, mais il n'en est sans doute pas de même pour les éléphans (1), et l'on ne peut s'empêcher d'admettre que des animaux qui comprennent l'homme si facilement et si bien, aient les uns à l'égard des autres, des relations multipliées.

Les singes en ont aussi: les voyageurs nous ont rapport»!

(ij 11 fout bien remarquer que les facultés données par l'homme â l'éléphant, ne se transmettent pas, chez cet animal, par voie de génération, puisque les éléphans domestiques n'engendrent jamais; ainsi l'éléphant est-ii toujours plus près que ie chien, de sou é:al primitif.

une foule de détails très curieux sur les mœurs des ces animaux ; ils nous les ont montrés réunis en troupes, ayant un chef, des sentinelles, s'avançant avec précaution et en ordre dans les jardins remplis d'arbres fruitiers, se jetant les fruits les uns aux autres, comme des ouvriers qui font la chaîne, fuyant avec adresse et promptitude quand ils sont poursuivis de près, se moquant de l'homme et lui lançant des excrémens au visage s'ils se sentent hors de la portée de ses coups, se rendant quelquefois des secours réciproques et se faisant entre eux toutes sortes d'espiègleries et de méchancetés.

Mais jusqu'à présent on n'avait pas été à même d'étudier de près, quel est le genre de vie des singes quand ils sont réunis en grand nombre, parce que, dans les ménageries, on les avait toujours tenus isolés. Depuis la construction de la vaste enceinte où ils ont la liberté de se trouver ensemble au Jardin des Plantes de Paris, on a pu faire sur eux des observations nouvelles et très étendues. Le gardien de ces animaux, le sieur Daboncourt, homme intelligent et qui s'acquitte de son emploi avec beaucoup de zèle, a recueilli sur la vie des singes des détails curieux qu'il m'a communiqués et dont j'ai constaté l'exactitude, au moins en grande partie, dans les visites que j'ai faites à la Ménagerie.

Les makis sont pour l'intelligence, au-dessous des véritables singes; ils sont frugivores; cependant ils mangent aussi des insectes, des œufs et de la chair cuite. Ils restent comme engourdis, pendant le jour, et se montrent assez actifs pendant la nuit. Ils vivent en troupes, on les apprivoise facilement; on les dit peu lubriques, cependant portés à rechercher les femmes. Dans la ménagerie, ils se tiennent dans un coin, exposé au soleil et les membres étendus, comme pour recevoir la chaleur de cet astre, sur la poitrine et le ventre. Celte position

leur donnant quelque ressemblance avec un homme qui lient les bras en croix, a fait dire à certains naturalistes, que les makis adorent le soleil. Je n'ai pas vu ces animaux prendre part aux jeux et aux espiègleries des singes, ils semblaient prêter peu d'attention à ce qui se passait autour d'eux, et les singes paraissent les regarder comme n'étant pas de leur espèce. Fr. Cuvier rapporte qu'une dame ayant donné un maki à la Ménagerie, celui-ci qui auparavant était fort enjoué, tomba dans un profond abattement, il resta plusieurs jours sans vouloir manger, assis, les bras croisés et la tête appuyée sur la poitrine ; il finit par succomber. C'était un maki femelle, à gorge blanche.

Les sapajous sont pleins de gentilesse et de malice -, les mandrills passent avec raison, pour les plus lubriques de tous les singes; les cynocéphales, les magots , les macaques et les guenons, c'est-à-dire, le plus grand nombre des singes sont médians et emportés. Il y a pourtant quelques exceptions : l'ascagne, le hocheur, la mone,le mangabey, quoique appartenant aux guenons, sont assez doux. Le coaïta, le cal-litriche, le malbrouc, le macaque de Buffon, le bonnet chinois , le rhésus sont moins intelligens que rhamadryas, le babouin ou papion, le mandrill; et au-dessus de ces derniers se placent les semnopithèques, la plupart des sajous, le chimpansé et surtout l'orang-outang dont quelques naturalistes ont presque fait l'égal de l'homme.

La plupart des singes sont assez doux pendant leur jeunesse, mais devenus adultes, ils ont des instincts de cruauté qui sou-ventles rendent intraitables; aussi voit-on les personnes qui les élèvent ne vouloir plus les conserver quand ils ont acquis tout leur développement. Les bons traitemens ne les adoucissent pas, et le gardien Daboncourt, autrefois plein d'indulgence pour eux, en a été si cruellement maltraité, qu'il s'est vu forcé

d'user constamment avec eux de la plus grande sévérité. Comme ils jugent en général assez bien de la mimique de l'homme, s'ils voient que le gardien s'amuse de leurs espiègleries, ils cessent de lui obéir et lui font quelques méchancetés. Il leur est assez ordinaire, par exemple, quand le gardien vient pour nettoyer leur case, d'emporter avec eux leurs excrémens, afin que le gardien ne puisse pas les enlever.

Presque tous les singes sont susceptibles de jalousie : s'ils témoignent de l'amitié à une personne qui leur donne des friandises, et qu'un tiers s'approche d'eux, ils font à ce tiers toutes les méchancetés dont ils sont capables. Un orang-outang mort il y a deux ans à la ménagerie aimait, quand il était malade, à être sur les genoux de son gardien, il ne souffrait pas alors que personne s'approchât de lui, et il chassait surtout les enfans. Quelqu'un ayant embrassé une jeune fille devant un papion, celui-ci, devenu furieux, lui lança un pot d'étain qui le blessa grièvement. Il ne faudrait pas croire cependant, que les singes reconnaissent les femmes habillées, et sachent les distinguer des hommes; ils sont également lubriques en présence des uns ou des autres, principalement s'ils voient que l'on s'amuse de leurs saletés.

C'est une chose assez singulière que la manière dont les nouveau-venus acquièrent le droit de domicile dans la vaste cage où les singes de la ménagerie se réunissent pour jouer. Presque tous cherchent querelle à celui qu'ils voient pour la première fois; cependant ce n'est pas sans prendre quelque précaution, celle, par exemple, de voir s'il est fort et si ses dents sont longues. Un de leurs premiers mouvemens est d'ouvrir les lèvres pour montrer leurs dents, et il est arrivé, qu'en présence du gardien, un bonnet chinois est allé lui-même écarter les lèvres d'un arrivant, pour juger s'il fallait le respecter ou le battre. Cette habitude des singes obli

gérait à tenir les petits constamment éloignés des autres, si quelques singes des plus forts, les papions el les hamadryas, ne se faisaient les protecteurs des plus faibles. Les cynocéphales, quoique naturellement cruels, aiment beaucoup les petits, et comme ils sont de nature changeante, ils préfèrent les nouveau-venus à ceux qu'ils connaissent déjà. On profite de cette disposition, el on place avec eux, pour dormir dans la même case, les singes auxquels il faut un protecteur. Leur connaissance est bientôt faite, et on peut les laisser aller ensemble, sans rien craindre pour les plus faibles.

Fr. Cuvier a vu une femelle macaque qui ayant eu deux fois un petit, dans la Ménagerie, n'en a pris aucun soin. C'est là une monstruosité, car les singes ont une tendresse extrême pour leurs pelits, et les femelles qui n'en ont pas sont heureuses de pouvoir en trouver ou en voler pour leur faire des caresses. J'ai vu ensemble deux femelles, l'une de papion, l'autre d'hamadryas; la première avait son petit accroché à sa poitrine, l'autre tournait auprès d'elle, trépignait, criait et faisait tous ses efforts pour le lui arracher. Elle tirait ce petit par les bras, par les jambes, avec une très grande force, nullement préoccupée de la crainte de lui faire du mal, mais comme uniquement poussée par un instinct violent de le posséder; mais la mère n'avait garde de s'en dessaisir et le défendait à belles dents. Les mères font la toilette de leurs petits : ce C'est un spectacle curieux, dit Fr. Cuvier (1), que de voir ces femelles porter leurs enfans à la rivière, les débarbouiller malgré leurs plaintes, les essuyer, les sécher et donner à leur propreté un temps et des soins que dans bien des cas, nos enfans pourraient envier. »

Les mâles partagent les soins que les femelles donnent aux

(i) Hisl, naturelle des mammifères, etc. llist. des siamangs.

petits. Un papion, dont la femelle est morte, est père d'un petit, âgé de trois ans, né à la Ménagerie. Ce petit est rabougri , rachitique; il dort toutes les nuits entre les bras de son père qui le surveille presque constamment. Il est l'objet d'une attention toute particulière de la part des autres singes desquels il n'a jamais reçu la plus légère égratignure, et qui lui font au contraire toutes sortes de caresses. Il n'a pour mériter cette faveur que les dents de son père, dont la force est supérieure à celle de tous les autres singes de la Ménagerie.

Une de leurs manières de se faire mutuellement plaisir esl de se pouiller; ils le font avec beaucoup d'adresse, relevant les poils avec une de leurs mains, et avec l'autre cherchant, non pas des poux, car ils n'en ont jamais, mais des débris d'épiderme qu'ils portent à leur bouche. S'ils prennent quelqu'un en amitié, ils le pouillent pour le fêter.

Ils ont l'habitude de se sucer les uns les autres, tantôt aux oreilles, tantôt sur les flancs. Ceux que l'on suce se laissent faire, quoique leur peau en soit détruite et usée jusqu'aux muscles. Ils maigrissent, perdent connaissance, et périraient si on ne les tenait pas isolés tout le temps nécessaire à la gué-rison de leurs plaies.

Les singes vivent surtout de fruits et de grains ; ils aiment le lait et le sucre ; ils ne sont pas gloutons, mais très friands. Le sucre qu'on leur donne, ils le savourent avant de l'avaler. Si on leur présente plusieurs alimens, ils goûtent de chacun, et mangent celui qu'ils ont trouvé le meilleur. À la différence de la plupart des autres animaux, ils n'ont pas de reconnaissance envers les personnes qui leur ont donné des friandises. La versatilité de leurs sentimens est égale à la mobilité de leurs gestes. Le plus vivace de leurs instincts est celui qui les porte à faire le mal ; sur tout le reste, leurs impressions, quoique vives, sont ordinairement très fugaces.

Le coaïta, qui appartient à la famille des sapajous, est plus timide que la plupart des autres singes ; ses mouvemens sont doux et réglés; il est peu intelligent, et si on le gronde, il agit au hasard et comme s'il avait perdu la tôte. La mone est aussi assez douce ; on dirait qu'elle a de la circonspection. Ses désirs ont de la persévérance et ne la portent jamais à rien de violent : elle ouvre les armoires, défait les nœuds, ouvre les anneaux d'une chaîne, et fouille dans les poches avec délicatesse (1). Le gardien Daboncourt m'a rapporté qu'un sajou de la Ménagerie, étant parvenu à sortir de sa cage, avait fermé les verroux de la porte d'entrée d'un corridor, et s'était blotti dans une armoire après en avoir ôté la clef. La combinaison d'idées qu'exige une action de ce genre se retrouve bien souvent dans la vie des singes (2). ce Un chacma qui blessa dangereusement son gardien, parce que celui-ci le menaçait d'un bâton, n'avait jamais été frappé. Arrivé très jeune à la Ménagerie, il avait continuellement été enfermé dans sa cage ; tout châtiment lui était inconnu, et le ton d'un homme qui gronde et qui tient un bâton à la main ne pouvait lui rappeler aucune punition, aucune douleur. Sa détermination n'avait donc pas eu pour cause une notion acquise par sa propre expérience, mais elle était le résultat d'un acte intellectuel particulier, d'un jugement naturel. »

Beaucoup d'autres actions des singes sont également le produit de leur réflexion. Une femelle de papion voyant son petit suspendu à une corde, inquiète sur lui, et ne pouvant arriver jusqu'au bout inférieur de la corde, grimpa contre un poteau voisin, alla saisir la corde par le bout supérieur, et, la tirant à elle, amena son enfant qu'elle recueillit dans ses bras. L'un

(i)Fr. Cuvier, op. cit.

h.) Id., id.. op. cil. art. Cynocéphales,

des orangs-outangs qui sont morts récemment à la Ménagerie du Musée, quand l'heure du dîner était venue, avait l'habitude d'ouvrir la porte de la chambre où il prenait ses repas en compagnie de plusieurs personnes. Comme il n'était pas assez grand pour arriver jusqu'à la clef de la porte, il se suspendait à une corde, se balançait, et, après quelques oscillations , il atteignait bien vite la clef. Son gardien, que tant d'exactitude impatientait, prit un jour le parti de faire trois nœuds à la corde, qui, devenue trop courte, ne permettait plus à l'orang-outang de saisir la clef. Celui-ci, après une épreuve infructueuse, s'apercevant de la nature de l'obstacle qui s'opposait à ses désirs, grimpa sur la corde, se plaça au-dessus des nœuds et les défit tous trois, en présence de M. Geoffroy Saint-Hilaire, qui m'a raconté ce fait. Le même singe voulant ouvrir une porte , son gardien lui donna un trousseau de quinze clefs ; le singe les essaya jusqu'à ce qu'il eût trouvé celle dont il avait besoin. Une autre fois, on lui mit dans les mains un morceau de fer dont il se servit comme d'un levier. M. Decaen, capitaine de navire, cité par Fr. Cuvier (1), avait un orang-outang âgé de quinze à seize mois, qui ne marchait jamais sur le pont du vaisseau sans tenir fortement dans ses mains des cordes ou quelque autre chose attachée au vaisseau, et qui refusait toujours de monter aux mâts. Son maître, M. Decaen, lui donna l'exemple : l'orang-outang le suivit, et depuis il ne craignit plus d'y aller seul.

Le même animal, quand il était fatigué par la visite des curieux, se cachait sous une couverture, et n'en sortait qu'après s'être assuré de la sortie des personnes auxquelles il n'était pas habitué. Quelquefois il témoignait de l'impatience

(i) Description d'un orang-outang et observations sur ses facultés intellectuelles. In-8.

et se frappait la tête par terre, puis regardait s'il avait produit quelque effet, dans le cas contraire, il recommençait comme aurait pu faire un enfant mal élevé et taquin.

RÉSUMÉ.

1. Les carnivores sont généralement plus industrieux et plus intelligens que les herbivores.

2. Le renard, le loup, le chacal et le chien sauvage ont des mœurs analogues ; mais le cheval et surtout le chien sont naturellement portés à s'attacher à l'homme et lui obéir.

3. Ils ont les uns et les autres, mais à un degré différent, de la finesse, de la ruse, de la circonspection; avec l'âge, ils acquièrent de l'expérience. Ils s'entendent et se concertent pour agir.

U. L'éducation ne développe, chez aucun animal, autant d'intelligence ni de meilleurs sentimens que chez le chien.

5. Les chats n'ont pas des dispositions naturelles, ni une intelligence aussi grande que le renard et le chien; ils ne vivent ni en troupe, ni en famille; ils ne s'attachent à l'homme que par égoïsme, et sans avoir jamais rien qui ressemble au dévoûment de chien. Ils chassent en épiant leur proie plutôt qu'en la poursuivant.

6. Les animaux composant les familles des ours, des martes et des civettes, ne se nourrissent pas tous exclusivement de chairs, quelques-uns d'entre eux préfèrent même les végétaux à tout autre aliment. C'est dans le groupe formé par ces trois familles que se trouvent les animaux les plus voraces et les plus destructeurs. En intelligence, les ours, les martes et les civettes sont inférieurs aux chiens, mais supérieurs aux chats.

7. La chauve-souris et la roussette, quoique appartenant

à la même famille, ont des mœurs très différentes, la chauve-souris vit surtout d'insectes, la roussette vit de substances végétales.

8. L'unau et l'aï sont phytivores, leurs habitudes sont douces, ils sont presque dépourvus de toute intelligence.

9. La plupart des rongeurs vivent de végétaux; quelques-uns sont très cruels et préfèrent les chairs aux végétaux; il y en a qui se mangent lès uns les autres, plusieurs vivent en société, et ceux qui ne s'endorment pas l'hiver, font des provisions de nourriture. A peu d'exceptions près, ils se construisent des habitations, et les plus remarquables, sous ce rapport, sont le castor, le rat musqué, la marmotte, la taupe, l'écureuil.

10. Deux rongeurs, le rat-d'eau et le cabiaï ont des instincts et des habitudes très analogues à ceux de la loutre.

11. Les édentés vivent de végétaux et d'insectes; quelques-uns mangent aussi des oiseaux. Ils n'ont que tout juste le degré d'intelligence nécessaire pour se procurer des alimens.

12. Parmi les marsupiaux, les uns sont très doux, comme le phascolome et le kanguroo, ceux-là vivent de végétaux; d'autres vivent de chairs, tels que le dasyure; d'autres enfin sont omnivores.

13. Les solipèdes et les ruminans se nourrissent exclusivement de végétaux; aucun d'eux ne se construit un domicile. Ils ont plutôt de la brutalité que de la cruauté; les mœurs de la plupart d'entre eux sont douces et pacifiques. Ils ne restent presque jamais solitaires; la plupart se réunissent en troupes et quelques-uns vivent en famille.

14. Le plus intelligent parmi les solipèdes est le cheval, et parmi les ruminans, ce sont le chameau et le chevreuil. Le moins intelligent parmi les uns et les autres, c'est le moufflon et surtout le mouton domestique.

15. Les pachydermes ordinaires se rapprochent beaucoup des herbivores ruminans ou solipèdes; le plus intelligent parmi eux est le pécari; le plus stupide est le cochon domestique, s ont plutôt de la brutalité que de la cruauté.

16. Le phoque et le morse se rapprochent des pachydermes ordinaires les plus élevés, du pécari, par exemple. Ils sont sociables entre eux et vivent en famille; ils se donnent des secours réciproques.

17. Les cétacés sont supérieurs aux précédens; ils vivent en société et en famille, un mâle avec une femelle seulement.

18. Aucun animal n'est par sa nature aussi intelligent et aussi bon que l'éléphant : il ne se nourrit que de végétaux.

19. Les makis sont frugivores, et pour l'intelligence, ils sont fort au-dessous de la plupart des rongeurs.

20. Les singes passent toute leur vie dans un état que Ton peut comparer à celui d'un enfant étourdi, capricieux, espiègle, malin, indocile, et dont les organes génitaux développés avant l'âge, le porteraient sans cesse à la lubricité.

21. Tous les jeunes mammifères sont plus doux pendant leur enfance qu'après être parvenus à l'âge adulte.

22. Les femelles de tous les mammifères sont plus douces que les mâles.

23. La castration donne aux mâles la douceur de caractère

des femelles.

24. Presque tous les mammifères sont susceptibles d'éducation, l'expérience leur profite : les carnivores emploient mille ruses pour attaquer, et les herbivores pour se défendre; les uns et les autres sont moins habiles quand ils sont jeunes que quand ils sont vieux.

25. Le voisinage de l'homme développe chez presque tous

les animaux l'étendue des facultés intellectuelles, soit par le soin qu'il prend de les intruire, soit que, leur faisant la chasse, il les oblige à prendre des précautions pour éviter les pièges qu'il leur tend.

26. Dans quelques espèces de mammifères les plus intelligentes, le père et la mère font en commun l'éducation des petits, ils les nourrissent el les défendent; le plus souvent, la mère est seule chargée de ce soin : dans les espèces inférieures, les petits ne reçoivent aucune éducation.

27. La tendresse pour les petits paraît être plus durable chez les singes que chez les autres animaux.

28. Les qualités que l'homme a développées chez plusieurs animaux ou l'abrutissement dans lequel il en a jeté quelques autres qu'il élève seulement pour en faire sa nourriture, se transmettent par la génération presque aussi invariablement que les qualités naturelles.

29. La plupart des herbivores, et notamment l'éléphant, les ruminans et tous les solipèdes vivent en société; ils ont des chefs auxquels ils obéissent.

30. Les plus prolifiques des mammifères sont les rongeurs : l'époque de la pariade varie pour les mammifères dont les mâles deviennent alors plus féroces qu'en aucun autre temps.

31. Plusieurs mammifères restent unis toute la vie, le même mâle avec la même femelle; le chevreuil et les cétacés sont dans ce cas, et peut-être le loup et le phoque.

32. Les singes ont probablement des chefs; quand ils approchent de la demeure de l'homme, ils placent des sentinelles qui les avertissent du danger.

33. Parmi les mammifères, il y en a qui s'habituent à l'homme, qui l'aiment et qui lui obéissent : il y en a d'autres qui sont toujours sauvages.

34. Ceux qui, à l'état dénature, vivent en société, sont en général plus faciles à apprivoiser que les autres. Cependant on apprivoise l'ours, le lion, le glouton, etc., qui sont des animaux solitaires, et l'on apprivoise pas le couagga qui vit en troupe.

35. Les mammifères ont un langage d'action et un langage de voix. Auraient-ils une sorte de langage parlé que nous ne comprenons pas? L'ensemble avec lequel ils agissent quelquefois, permettrait de le supposer.

36. Il y a, chez les mammifères, des parasites et des voleurs; il y a aussi des flatteurs qui font la cour aux petits dont les parens sont à craindre.

37. Le chien, élevé et instruit par l'homme, est le plus in-« lelligenl de tous les animaux : viennent ensuite l'éléphant et le cheval.

38. Plusieurs des actions des mammifères que nous ne pourrions faire sans intelligence, sont, chez les mammifères, le résultat de la perfection de leurs sens.

39. Les animaux ont des idées, delà mémoire, du jugement; quelques-uns ont Se sentiment de la justice et celui du devoir. Tous éprouvent les ardeurs de l'amour, plusieurs en ont la passion, et l'on en cite quelques espèces comme ayant de l'amitié les unes pour les autres.

40. L'intelligence des animaux, celle des mammifères en particulier, et des plus élevés parmi ces derniers, est mise en jeu par les objets extérieurs ou par l'impulsion des instincts; rien n'indique qu'elle s'élève jusqu'aux abstractions, jusqu'aux idées générales. Les animaux ne réfléchissent pas sur ce qui se passe au dedans d'eux-mêmes; mais seulement sur les choses qui sont au dehors et dans la limite que peuvent atteindre leurs sens.

§ IV. RECHERCHE DU SIÈGE DES FACULTÉS DÉPARTIES AUX

MAMMIFÈRES.

La phrénologie nous enseigne qu'il y a dans l'encéphale un organe pour chaque faculté, et que ce les facultés communes à l'homme et aux brutes ont leur siège dans les parties inférieures-postérieures et inférieures-antérieures du cerveau, tandis que les facultés, dont l'homme jouit exclusivement, ont leur siège au-dessous des parties antérieures-supérieure s et supérieures-antérieures du frontal (1) ». Il suit de là, que ce les cerveaux des animaux ne sont que des fragmens du cerveau humain. » (2)

L'auteur de cette doctrine, Gall qui dit avoir étudié le cerveau des mammifères, depuis la musaraigne jusqu'à l'éléphant, a commis plusieurs omissions bien inexplicables; il a négligé, par exemple, de décrire le cerveau des animaux; il n'a pas déterminé la valeur, l'identité des circonvolutions, chez les animaux qui en sont pourvus; il n'a pas désigné sur les cerveaux, mais seulement sur les crânes, la place de chaque faculté. Les crânes méritaient sans doute de fixer l'attention de Gall; mais comme Gall avait la prétention de faire une physiologie du cerveau et non pas une crânioscopie, il devait ne s'occuper du crâne que d'une manière accessoire, et fixer toute son attention sur le cerveau.

Ce vice dans la méthode que Gall a adoptée, ou plutôt cette absence de méthode, a rendu toutes ses déterminations d'organes inapplicables el fausses, en ce qui concerne les mammifères, et lui a mérité, de la part d'un de ses sectateurs (3),

(1) Gall, Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties, Paris, 1825, in-8°, t. 111, p. 208 et 209.

(2) ld. id,, t. iv, p. 449.

(3) Vimont, Traité de phrénologie, t. ir p. 112.

le reproche d'avoir fait un ouvrage ce plus propre à induire en erreur qu'à donner une juste idée du siège des organes ». Ainsi quand le principe de la pluralité des organes cérébraux serait vraie, les localisations faites par Gall seraient de nulle valeur. En effet :

1° Gall assure que le cervelet des animaux qui ont subi la castration, diminue de volume, ce qu'il prétend démontrer par le rapetissement, jugé à vue d'œil, des fosses occipitales; or, les pesées faites à ma prière, par M. Marchant (1), sur des chevaux entiers, des chevaux hongres et des jumens, ont fourni un résultat diamétralement opposé à 'l'assertion de Gall.

2° ce Chez le singe, le chien et le chat, dit Gall (2), la région postérieure est bien plus prononcée, plus saillante, dans les femelles que dans les mâles. Chez le chat, l'amour de la progéniture a son siège dans la seconde circonvolution à commencer par la ligne médiane. Cette circonvolution est plus large et plus bombée dans la chatte que dans le chat, ce que je puis démontrer dans plus de cent têtes de chats de ma collection. »

La collection de Gall achetée après sa mort, par le gouvernement, est maintenant au Jardin-des-Plantes; ou bien elle a été grandement mutilée, ou bien Gall se faisait une singulière illusion sur le nombre des têtes de chat qu'il possédait; car il n'en existe pas plus de 12. Si on joint à ce nombre celui des têtes des autres animaux appartenant à la famille des chats qui font partie de la collection de Gall, nombre qui est de 3 seulement, savoir : une tête de tigre, une tête de lion et une tête de panthère, on aura en tout 15 têtes, et non pas plus de cent, comme Gall le disait.

(t) V. précédemment,p. 427. (2) Op. cit., t. in, p. 461.

Quoi qu'il en soit, Gall localise cette fois d'une manière précise le siège de l'amour des petits; on sait de quelle circonvolution cérébrale il veut parler, c'est celle que j'ai appelée la troisième circonvolution, et qui s'étend le plus en arrière sur le cervelet; mais Gall n'indique pas soit en lignes, soit en millimètres, de combien la circonvolution dont il s'agit est plus grande chez la femelle que chez le mâle et, contrairement à son assertion, je puis affirmer que je n'y ai trouvé aucune différence.

3° Suivant Gall, ce le crâne du chien esl remarquable par le développement de l'organe de l'attachement, ainsi que celui du phoque et de la brebis : le crâne de la brebis se distingue sous ce rapport d'une manière frappante de celui du chevreuil qui vit à la vérité en famille, mais qui ne se réunit pas en troupe ». (t)

La preuve tirée de la comparaison du crâne de la brebis et de celui du chevreuil, n'est pas heureusement coi sie ; la brebis vit en troupe, mais elle ne paraît avoir d'attachement pour aucune de ses compagnes; elle les aime toutes également, c'est-à-dire qu'elle n'en aime aucune; quant au chevreuil, il a un vif attachement pour sa femelle, car il ne la quitte jamais et meurt quand elle meurt. Les phrénologistes d'aujourd'hui seraient fondés à me répondre, si je leur faisais cette objection, qu'ils distinguent l'attachement à vie ou mariage de l'attachement amical; mais ici, je ne m'adresse qu'à Gall seulement, et je prétends qu'en supposant sa doctrine vraie, il aurait dû voir le contraire de ce qu'il dit avoir vu.

Quant à la place de l'organe, Gall assure qu'on peut se convaincre qu'il est très développé chez les chiens, en formant une collection de crânes de ces animaux. Gall aurait dû ajou*

(I) Op. cit., t. ni, p. • .

ter qu'il s'est assuré si l'organe était développé chez tous les animaux qui ont de l'attachement, s'il ne l'est jamais chez ceux qui n'en ont pas, et déterminer le point précis du cerveau qui correspond à la saillie du crâne; mais il ne s'est aucunement préoccupé de ces difficultés.

h° Le courage, l'instinct carnassier et la ruse, ont chacun leur organe situé à la partie latérale externe du lobe cérébral; plus ils sont développés, plus aussi le cerveau est élargi latéralement. Le courage est au-dessus et un peu en arrière des oreilles (1); l'instinct carnassier, au-dessus du méat auditif (2); la ruse, au-dessus de la naissance du zygomali-que (3). Le développement de chacun de ces organes élargit donc le cerveau soit au-dessus, soit en avant, soit en arrière de l'oreille, et les cerveaux les plus larges sont ceux qui possèdent la ruse, le courage ou l'instinct carnassier, à un plus haut degré. Le compas peut servir à mesurer ce développement, et j'y ai eu recours. Les phrénologistes qui ont vu tout ce que les mensurations peuvent avoir de dangereux pour leur doctrine, ont condamné presque unanimement ce moyen d'investigation ; Gall n'en faisait pas usage, il le blâmait au contraire, et si parfois il lui accordait quelque valeur, c'était quand il donnait un résultat conforme aux principes de la phrénologie. Ainsi, en parlant de l'organe du courage, il dit (6) que « le diamètre d'un angle postérieur-inférieur du pariétal d'un côté à celui du côté opposé, était très grand chez un soldat de la garde qu'a connu M. Larrey, et qui aimait singulièrement à se battre. »

( i) Op. cit., t. iv, p. 26.

(2) Id., id., p. 65.

(3) ld., id., p. 19 c.

(4) ld., id., p. : -;.

Or, si l'on veut bien consulter le tableau que j'ai dressé de l'élargissement comparé du cerveau, chez les mammifères, on verra qu'en suivant les principes de Gall, le marsouin ayant le cerveau plus large que tous les animaux inscrits sur le tableau, et avec lui l'éléphant et le porc-épic, il faudra admettre que le porc-épic, l'éléphant et le marsouin sont en première ligne, parmi les mammifères, pour le courage, la ruse ou l'instinct carnassier. Après eux viendraient la chauve-souris, la taupe, la marmotte, et bien loin après, le lion, le chien, le sanglier, le renard, etc. Ce n'est pas tout, il faudra admettre que l'aï, le plus timide, le plus lent, le plus hébété des animaux, est, pour le courage, ou la ruse, ou l'instinct carnassier, supérieur à la famille entière des chiens et à celle des chats. J'ai possédé deux renards femelles provenant d'une même portée, tous deux étaient dans la même cage, et n'avaient cessé de vivre ensemble. L'un se cachait toujours quand on approchait, l'autre menaçait constamment et mordait les barreaux de sa cage. Ils sont morts; j'ai mesuré le cerveau de chacun d'eux, et par une singulière fatalité, le renard très méchant, avaitle cerveau un peu moins large que le renard timide!

Comme les phrénologistes sont d'ordinaire assez peu au courant de la forme du cerveau des animaux, il m'est arrivé d'en faire tomber plusieurs dans un piège qui montrait en même temps et leur bonne foi et la vanité de leur doctrine. Je leur présentais, l'un à côté de l'autre, un cerveau de loup et un cerveau d'âne (le cerveau du loup est élargi en arrière et sur les côtés, plus que celui de l'âne), et les phrénologistes me disaient : Voilà un fait qui vous condamne, comment ne vous rendez-vous pas à l'évidence du résultat qui en découle? Ensuite, je leur montrais un cerveau d'une forme analogue à celui du loup, mais encore plus élargi sur les côtés, et je disais à mon tour : Que pensez-vous de l'animal porteur de ce

cerveau? Il était de toute évidence, phrénologiquement parlant, que le porteur du cerveau élargi était plus carnassier, ou plus rusé, ou plus courageux que le loup : c'était un lapin!

5° L'organe de la hauteur qui est en même temps celui de l'orgueil, porte les animaux à choisir leur habitation sur des lieux élevés, il est situé ce sur la ligne médiane du crâne, immédiatement au-dessus de l'organe de la progéniture (1) ». Cet organe est plus petit chez le chevreuil que chez le chamois, chez la chevrette que chez le bouquetin, chez le rat de cave que chez le rat de grenier. »

Si Gall a avancé ce fait sérieusement, ce dont il est permis de douter, je dirai que la comparaison du cerveau du chevreuil avec celui du chamois, celui du rat de cave avec celui du rat de grenier, ne m'a rien offert de semblable.

6° ce Les orangs-outangs et les guenons, ont, suivant Gall (2), l'organe de la vanité; ils accueillent bien ceux qui les flattent, tandis que les papions sont dépourvus et de l'organe et de la faculté. » C'est là une assertion dont Gall ne prend pas la peine de démontrer l'exactitude, et nulle part il n'indique quel est, sur le cerveau de l'orang-outang (3) et des guenons, l'organe de la vanité.

7° ce Dans tous les chefs d'armée qui se sont acquis le nom de grands généraux par des actions préparées de loin, calculées avec circonspection, exécutées de sang-froid, j'ai observé, dit le fondateur de la phrénologie, des têtes larges et carrées vers la région supérieure-postérieure. C'est par la même raison que le serpent est le symbole de l'aride la médecine ». (4)

d) Gall, op. cit. t. iv, p. 279.

(2) Op. cit., t. iv, p. 3n.

(3) V. l'atlas de l'ouvrage de Gall, pl. xxxiv, où sont représentés le cerveau de l'orang-outang et celui du papion ; mais sans désignation d'organe.

(4) Op. cit., t. iv, p. 329.

Je ne sais à quel genre de distraction attribuer ce passage de Gall. Le serpent aurait le cerveau conformé, quant à l'organe de la circonspection, de la même manière que les grands généraux! La forme du cerveau du serpent boa, du python et de la plupart des autres serpens, ressemble à celle du cerveau des tortues; celle du cerveau des couleuvres et des vipères, ressemble à celle du cerveau des lézards et des crocodiles, et n'a pas le moindre rapport avec la forme du cerveau des chefs d'armée.

« La loutre et la fouine, continue l'auteur (1), ont cette région très large. » Tous les animaux ont la partie correspondante aux bosses pariétales de l'homme, plus élargie que la région frontale; la fouine ne présente en cela rien de particulier. Quant à la loutre, l'élargissement de la partie postérieure de la tête et celui du cerveau, dans la même région, sont en effet très considérables; mais cela tient, ainsi que je l'ai fait voir plus haut, à ce que la seconde circonvolution antérieure très volumineuse, a déjeté en arrière la scissure de Sylvius et les circonvolutions postérieures (V. pl. vi, loutre, fig. 3). Ainsi, le développement en arrière du crâne de la loutre, dépend de l'augmentation de volume des circonvolutions antérieures, et il coïncide avec des circonvolutions postérieures très petites. Nouvelle preuve qu'il ne faut pas, à l'exemple des phrénologistes, juger du cerveau par le crâne, ni prétendre apprécier le volume des circonvolutions, à travers les parois osseuses de l'enveloppe qui les recouvre.

8° L'éducabililé, ou perfectibilité, ou mémoire des choses, ason siège, suivantGail, dans la partie antérieure-inférieure du cerveau, immédiatement au-dessus des orbites (2). ce Les seules

(1) Op. cit., t. iv, p. 36tf,

(2) Id., id., p. 399.

circonvolutions placées vers la ligne médiane et séparées seulement par l'interposition de la partie antérieure-inférieure de la faux, sont affectées à la perfectibilité (1). Les animaux les moins capables d'éducation, ont ces parties plus petites que les autres animaux ».

Un animal qui a cette partie peu développée, et qui est en même temps peu susceptible d'éducation, c'est le renard (V. pl. iv, renard, fig. 3). La circonvolution dont il s'agit esl d'une grande simplicité, et elle se confond même entièrement avec l'extrémité antérieure de la circonvolution interne. Le cheval, au contraire, éminemment édu-cable, a cette circonvolution bien isolée, très grosse et même sous-divisée (V. pl. ix, cheval, fig. lre, la circonvolution située entre le lobe ethmoïdal e, et l'extrémité antérieure de la circonvolution interne I). Voilà deux faits qui sont en parfaite harmonie avec la loi établie par Gall; mais deux faits et même un plus grand nombre ne suffisent pas pour établir une loi; il faut aussi qu'il n'y ait pas de faits contradictoires; or, dans le cas dont il s'agit, des exemples nombreux sont en contradiction manifeste avec les indications qui seraient tirées de la comparaison du cerveau du renard avec celui du cheval. Les ruminans el les solipèdes, éducables ou non, se rapprochent tous plus ou moins du cheval, et le chien est tout-à-fait semblable au renard. Ainsi d'un côté, le chien et le renard, dont l'un est 1res éducable et l'autre non, ont une organisation analogue quant à la circonvolution assignée par Gall à l'éducabi-lilé, tous deux ont cette circonvolution 1res peu développée; tandis que les ruminans et les solipèdes ne présentent que des différences de détail, et plutôt de volume absolu que de volume relatif, dans la même circonvolution, sans qu'on puisse

(i) Ici,, id.} p. 400.

y reconnaître aucune conformation spéciale, suivant que ces herbivores sont ou ne sont pas doués de la perfectibilité.

C'est en vain que Gall cite en preuve de sa doctrine sur ce point, la différence qu'il prétend exister dans une saillie de crâne correspondant, suivant lui, à la circonvolution de l'é-ducabilité, chez le blaireau, la loutre, le castor, le chien-marin, le loup, le renard, le chien-lévrier et le chien couchant. Les saillies du crâne, dans la région dont il s'agit, indiqueraient plus imparfaitement encore que dans aucun autre point de cette boîte osseuse, le développement dételle ou telle circonvolution, en raison du voisinage des cavités nasales qui, inégalement étendues, masquent plus ou moins complètement, la partie antérieure du cerveau.

Gall cite les jeunes animaux comme étant plus éducables que les vieux, et il dit, avec raison, que dans le premier âge, les animaux ont le front moins effacé que dans l'âge adulte ou dans la vieillesse. Mais il n'en faut rien conclure en faveur de la loi qu'il a établie; car le fait qu'il a signalé dans la conformation du crâne, tient à l'inégal développement de la face et du crâne, aux différens âges de la vie. Dans l'enfance, la face est petite comparativement au crâne; mais quand son ossature se développe et se complète, elle cache des parties du crâne qu'auparavant elle laissait à découvert. Les changemens que les progrès de l'ossification impriment à la tête sont tels qu'ils ont trompé certains naturalistes au point de leur faire regarder comme appartenant à des espèces différentes, des individus de la même espèce. Un orang-outang jeune a été placé loin de l'orang-outang adulte, à cause de la différence immense qu'il y avait entre le développement de la face, chez l'un et chez l'autre. (1)

(i) La différence qui existe entre le développement comparé du crâne et

8° Une des erreurs les plus lourdes qui ait été commises en phrénologie, se trouve dans le passage suivant extrait de l'ouvrage de Gall : ce L'ensemble de celte masse cérébrale située sur le plancher orbitaire et contre le front, est composé de plusieurs organes, tels que ceux de l'éducabilité, du sens des localités, du sens des personnes, du sens des mots et du langage, du sens des tons, du sens des nombres et peut-être du sens de l'ordre et An sens du temps. Or,, suivant qu'une espèce se trouve douée de plus ou de moins de ces organes, sa masse cérébrale s'étendra plus ou moins sur les côtés, et la surface antérieure-inférieure du crâne sera plus ou moins large ». (1)

C'est là une des vérités phrénologiques les moins contestées , même par ceux qui n'admettent pas toutes les localisa-lions proposées par Gall et ses sectateurs; or, cette vérité est diamétralement en opposition avec les faits, ainsi que chacun peut s'en convaincre à la simple inspection. La surface antérieure-inférieure du cerveau est plus large de la moitié ou même des deux tiers, chez les ruminans et chez les solipèdes que chez le renard, le loup et le chien.

Il m'est arrivé plusieurs fois, en montrant ma collection de cerveaux à des phrénologistes, de leur présenter en même temps un cerveau de chien de berger et un cerveau de mou-ion, en leur disant : ce Des deux animaux porteurs des cer-

de la face chez le jeune singe et chez le singe adulte, signalée par Cuvier, Tilesius et Fuidolphi, se trouve exprimée d'une manière très nette dans les deux figures de Pongo que vient de publier M. Owen. L'une de ces figures représente la tôle d'un jeune Pongo; l'autre celle d'un Pongo adulte. La face acquis une dimension telle, chez ce dernier, qu'elle masque presque entièrement le crâne (V. Transact. of the zoolog. society of London, vol. 11, part, 3, Lond. i83ç)).

(i) Op. cit., t. v, p. 5i;

veaux que vous voyez, l'un conduit l'autre, montrez-moi le conducteur. » Tous, sans hésiter, ont désigné le cerveau du mouton. Et ils étaient conséquens en agissant ainsi; car, le cerveau du mouton est, à sa partie antérieure, bien plus élargi, bien mieux développé que ne l'est celui du chien.

D'où vient donc l'erreur de Gall, sur ce point? Elle a la même source que toutes ses autres erreurs : Gall a vu quelques faits, il en a déduit des lois, et son système une fois éla-bli, il n'a plus tenu compte que des observations qui venaient à l'appui de ses idées. Le front du singe est plus étroit que celui de l'homme, le front du loup plus étroit que celui du singe, celui des reptiles et des poissons est presque nul; voilà une dégradation organique qui est en rapport avec celle de l'intelligence. Mais la grandeur du front n'indique le développement de la partie antérieure du cerveau que d'une manière très imparfaite; il y a des cerveaux à partie antérieure bien développée, qui sont cachés derrière les fosses nasales; pour les distinguer des cerveaux étroits et comme effilés, il faut les extraire du crâne et ne pas se borner à examiner les contours de cette enveloppe; il faut, en un mot, faire de l'anato-mieetnon de la crânioscopie. Les phrénologistes n'ont pas l'habitude d'étudier dans cette direction : ce ne sont pas des cerveaux qu'ils étudient, mais seulement des crânes, et quand ils veulent décrire une circonvolution cérébrale, au lieu de la montrer et de la faire toucher, ils présentent une saillie osseuse, une bosse du crâne. Ceux d'entre eux qui ont pris, avec tant de candeur, le cerveau du mouton pour celui du chien, cultivaient la phrénologie avec distinction depuis un grand nombre d'années, quelques-uns même avaient publié sur cette science des ouvrages estimés des phrénologistes, et plusieurs m'ont avoué que certains de la fidélité avec laquelle le crâne-se moule sur le cerveau, ils avaient négligé

l'étude du cerveau, et s'étaient arrêtés à considérer les formes de l'enveloppe de cet organe.

9° On a entendu deux mammifères chanter ou du moins pousser des sons qui formaient une sorte de gamme, et ces deux animaux étaient des chiens, l'un observé par Bennati, l'autre par M. Guerry. Gall (1) prétend ce qu'il n'y a pas un seul mammifère doué du sens de la musique, au point d'être capable de chanter de lui-même ou seulement de répéter les chants qu'il entend, » en cela, il a presque entièrement raison; mais l'explication qu'il en donne, est celle-ci : ce Les crânes de celte classe d'animaux sont beaucoup moins larges que celui de l'homme, dans la région oûTorgane de la musique a son siège. » Je réponds : s'il y a une exception à faire en faveur d'un mammifère, c'est en faveur du chien. Eh bien! le chien a le cerveau beaucoup moins large que le mouton, l'âne et le bœuf dans la région où Gall a placé l'organe de la musique. Et si l'on compare le cerveau de ces herbivores à celui des oiseaux chanteurs qui est pointu en avant, à-peu-près comme celui du lapin, l'opposition sera bien autrement frappanle. L'âne, le bœuf el le mouton devraient prendre pour le chant, la place de l'alouette, du pinson et du rossignol.

Certains phrénologistes, embarrassés par quelques objections de ce genre, ont prétendu que l'on avait tort de mettre en regard des animaux d'espèces différentes, ils voudraient que l'on se bornât à comparer entre eux des animaux de la même espèce ; ainsi, il faudrait se borner, par exemple, à prendre deux têtes de renard et les opposer l'une à l'autre, mais ne pas étendre la comparaison jusqu'au mouton ou au lapin. Je ne refuse pas ce genre d'épreuve, et j'ai parlé de deux renards dont je conserve encore les cerveaux; l'un était

(0 O/i, cil,, t. v, p, ïïs3, • i

timide, l'autre méchant. Le renard méchant avait Vorgane de la méchanceté moins développé que le renard timide. Mais puisque les phrénologistes prétendent puiser leurs ar-gumens dans toute la série animale, puisqu'ils mettent en opposition les uns avec les autres des animaux d'espèces très différentes, par exemple, la marmotte et la marte, le chevreuil et les singes (1),- puisqu'ils placent sur une même ligne la tête du serpent (2) et celle des grands généraux , il doit m'être permis d'adopter leur méthode; de les attaquer et même de les battre avec leurs propres armes.

Que s'ils persistent dans leur opposition sur ce point, s'ils regardent la méthode employée par Gall comme vicieuse, comme servant également à prouver le pour et le contre, qu'ils n'y reviennent donc pas, même quand elle leur est favorable ; mais alors que deviendra la phrénologie qui doit, « nouvelle divinité scientifique, prendre rang dans l'Olympe de nos écoles et de nos académies? (3) » Elle se trouvera réduite, comme « l'astrologie, la nécromancie, l'alchimie, à des * assertions qui ne soutiennent pas un instant l'examen (4) ». Pour établir une doctrine, il ne faut pas recueillir les faits qui la prouvent sans avoir égard à ceux qui lui sont opposés; il faut au contraire réunir les uns et les autres, les grouper et déduire les conséquences qui en découlent avec un esprit dégagé de toute idée préconçue.

10° « Chez le hamster, la marmotte, le castor, l'organe des constructions est très facile à reconnaître. Il faut le chercher chez tous les rongeurs immédiatement au-dessus et en avant de l'arcade zygomatique. Plus les animaux sont doués à un

(i) Gall, op. cit., t. iv, p. 65. (a) Id., id., p. 329.

(3) Bouillaud, Journal de phrénologie, t. n, p. i5. (7i) Magendie, Précis èlém, de phjsiol., t, 1, p, 247.

haut degré de l'instinct des constructions, plus cette région de leur crâne est saillante (1). L'on trouve la même différence entre les oiseaux qui construisent des nids et ceux qui n'en font pas ». (2)

Je ne reprocherai pas à Gall d'avoir omis d'indiquer la circonvolution qui préside à la construction, parce que les rongeurs, ainsi que les oiseaux, ont le cerveau lisse ou à-peu-près; mais si, comme on peut le déduire de la place que Gall assigne sur le crâne à l'organe de la construction, cet organe existe à l'angle externe et antérieur du cerveau qui est en effet très marqué chez le castor (3), une forme analogue à celle du cerveau du castor devra se rencontrer chez tous les animaux constructeurs, et ne pas se rencontrer chez d'autres, au moins en ce qui concerne l'organe de [la construction. Cependant que voyons-nous? Les rongeurs se construisent presque tous des habitations ou au moins se creusent des terriers. Eh bien! au lieu d'avoir le cerveau élargi en avant, ils l'ont au contraire, fort rétréci dans cette région : les oiseaux, même les meilleurs constructeurs e nids sont tous dans le même cas. Les abeilles, les fourmis ne présentent rien qui rappelle l'organe de la construction des castors. Et, en revanche, l'aï, cet animal si bête qui vit accroché à des branches d'arbre, a le cerveau élargi en avant d'une manière qui ressemble assez à celle du castor. (4)

Les ouvrages de Gall ne contenant rien de satisfaisant sur la localisation faite par lui, des facultés des mammifères, j'ai cherché si, dans sa collection, je trouverais des indications

(1) Gall, op. cit., t. v, p. 186.

(2) ld.. id., p. 187.

(3) Y. pl. 11 de l'atlas, la figure du cerveau du castor.

(4) Ibid., pl. x.

plus positives que dans ses planches. La collection de Gall se compose presque exclusivement de crânes; on y voit quelques cerveaux moulés, mais seulement quelques-uns. Il s'y trouve deux modèles de cerveaux de chien, et à la partie antérieure de la troisième circonvolution, chez tous deux, est indiqué l'organe du sens de la localité. Mais sur les limites de cet organe en avant et en arrière, rien; sur son défaut de développement chez d'autres chiens ou chez quelque animal d'une espèce différente, rien; sur la relation de la circonvolution dont une partie seulement est occupée par le sens de la localité, avec la circonvolution correspondante chez d'autres animaux, rien.

Ainsi, tout ce qu'a fait le fondateur de la phrénologie pour déterminer le siège des facultés, chez les mammifères, se réduit en dernière analyse, à des assertions vagues et à des faits incomplètement observés. On dirait que Gall avait fait son système avant de se livrer à l'examen du crâne des animaux, et que ses travaux sur ce point se sont bornés à choisir çà et là, quelques observations qui lui paraissaient en harmonie avec des idées conçues à priori. Il serait même permis de croire que, parfois, Gall écrivait avant de voir, et qu'il improvisait quelques-unes de ses observations. La similitude qu'il établit, tpiant à l'organe de la circonspection, entre la tête du serpent et celle des grands généraux, donnerait à cette supposition une fâcheuse vraisemblance.

J'espérais que les objections adressées à la doctrine de Gall auraient fait sentir à ses disciples la nécessité de revenir à l'observation attentive des faits, à l'analyse anatomique des cerveaux, et en voyant que les phrénologistes paraissaient sentir l'importance d'études précises faites sur la nature, je croyais qu'ils ne tarderaient pas à renverser eux-mêmes la croyance établie par leur maître. Eh effet, M. Casimir Brous-

sais, faisant l'éloge du grand ouvrage publié récemment par M. Vimont, s'écriait : « Rien n'est plus beau de dessin, rien n'est plus frappant de vérité que les planches qui reproduisent jusqu'aux plus minutieux détails de la conformation du crâne et du cerveau chez les plus petits animaux vertébrés; et rien n'était plus nécessaire, plus indispensable ici que l'exactitude parfaite des dessins; car la moindre erreur de burin entraînait de suite une série de conséquences erronées, et portait la confusion dans l'exposition de la doctrine (1). » Et, à l'occasion du même ouvrage, M. Bouillaud, usant des termes les plus laudatifs, disait: ce Tous les objets y sont représentés de grandeur naturelle et avec une perfection de ressemblance vraiment admirable. » (2)

Puisque, de l'aveu des phrénologistes, rien n'est plus nécessaire que l'exactitude parfaite des dessins, puisque la moindre erreur de burin entraînerait une série de conséquences erronées qui porteraient la confusion dans l'exposition de la doctrine, je devais compter sur de bonnes dissections, sur des descriptions anatomiques exactes : point. Le burin dont s'est servi M. Vimont a été si infidèle, que sur la planche qui doit représenter la base du cerveau de l'homme (3), il a, servile imitateur du burin de Gall, réuni en un seul nerf le nerf hypoglosse, le nerf spinal et la première paire cervicale; il a défiguré les circonvolutions cérébrales, dételle sorte qu'il est impossible d'en retrouver une seule; et la scissure de Sylvius, il l'a écourtée au point que Sylvius lui-même ne la reconnaîtrait plus (4). Celte erreur de

(1) Journal de phrénologie, n" 2, p. 164» comple-rewlu l'ait par M. C. Broussais.

(2) Même journal, n° 4, p. 364.

(3) V. l'atlas de M. Vimont, pl. lxxxiv, el Patles de Gall, pl. iv.

(4) V, pl. uraih de l'atlas de M, Vimont.

burin a, comme on devait s'y attendre, entraîné une série de conséquences erronées, et une véritable confusion dans l'exposition de la doctrine, en ce qui regarde le cerveau et les facultés de l'h#mme.

Quant aux mammifères dont M. Vimont a fait représenter le cerveau, le burin l'a moins mal servi, et plusieurs cerveaux, notamment celui du chat, celui du chien et celui de la marte (pl. lxxv, fig. 3, 6 et 7) sont assez fidèlement reproduits; les circonvolutions en sont bien dessinées, et parsemées de plusieurs chiffres qui, sans doute, dans la pensée de l'auteur, désignent la place occupée par les organes cérébraux ; mais dont il a omis de donner l'explication, si ce n'est pour quelques-uns. J'ai démontré que les circonvolutions du cerveau des chats sont en même nombre que celles du cerveau des chiens, et qu'il est très facile de retrouver sur l'un celles qui existent sur l'autre. Celle des circonvolutions dont il s'agit, que j'ai appelée la quatrième, se continue d'avant en arrière, dans toute la longueur du cerveau. M. Vimont a placé sur celle du chien les chiffres 1, 6, 7, 9, et sur celle du chat, les chiffres 1, 3, 8,12 : aucune démarcation organique ne limite l'espace occupé par ces chiffres, chez le chat, et un seul sillon* le sillon crucial, sépare le chiffre 1 sur le cerveau du chien, des trois autres chiffres 6, 7, 9. Si chacun de ces chif-res indique un organe, ce que je n'oserais affirmer attendu que l'auteur ne s'explique pas à ce sujet, pourquoi en a -t il mis quatre? Pourquoi pas plus de quatre? pourquoi pas moins? et pourquoi des chiffres différens sur les deux cerveaux. La même circonvolution serait-elle formée par la réunion d'organes phrénologiques différens chez le chat et chez le chien? Et s'il en est ainsi, comment M. Vimont le sait-il? On se perd en conjectures, parce que l'auteur n'a rien déterminé, rien expliqué, rien défini.

En un point, cependant, il a été clair et presque méthodique, c'est quand il a divisé des crânes en un certain nombre de cases à chacune desquelles il donne des facultés spéciales. A la partie supérieure du crâne d'un chat (pl. xcn), il place les facultés suivantes':

Perception de la substance, Distance,

Éventualité, Localités,

Douceur, Circonspection,

Persévérance, Attachement pour les petits,

Choix des lieux, Attachement,

Concentration, Courage, etc. Attachement à la vie.

Et à la région correspondante, sur le crâne d'un chien (pl. xcm), il place :

La perception de la substance, La comparaison, L'éventualité, L'attachement pour les petits,

La douceur, L'attachement,

La persévérance, Le choix des lieux, La concentration.

La limite entre chacun de ces organes, c'est sur le dessin, un trait de crayon : bien, mais la limite sur le crâne? la limite sur les circonvolutions cérébrales? La limite naturelle enfin? Serait-ce un enfoncement, une saillie, la trace d'un vaisseau sanguin? Non, absolument aucune autre limite que celle assignée par le caprice du dessinateur.

Si après avoir divisé, isolé chacune des circonvolutions prises telles que la nature les a faites, et non telles que les phrénologistes les conçoivent, on avait dit : Telle circonvolution coïncide toujours avec telle disposition psychique, il y aurait eu là quelque chose de positif, des faits réellement dignes d'attention; mais, en phrénologie, rien de semblable; des crânes, toujours des crânes, et si parfois l'on montre des cer

veaux d'animaux, et que l'on y trace des lignes, que l'on y grave des chiffres, on les laisse tout-à-fait inexpliqués.

Lorsque par des dissections attentives, je fus parvenu à suivre les transformations que les circonvolutions éprouvent dans les différentes espèces de mammifères, et que je pus démontrer la présence des organes du meurtre, de la théoso-phie et du bel esprit, chez le mouton, je crus, je l'avoue, avoir trouvé un puissant argument à opposer aux sectateurs de la phrénologie, et je le leur proposai. Ils ne s'en émurent pas; ils s'arrangèrent des deux premiers, et gardèrent le silence sur le troisième.

L'organe du meurtre devint l'organe de la destruction; la saillie des régions temporales qui seule avait servi à en indiquer le siège et à en démontrer l'existence, cessa d'être obligatoire. M. Vimont trouva que chez les animaux herbivores « dont le cerveau est allongé, l'organe n'est pas extrêmement saillant, mais qu'il est plus long» (1). A quoi sert donc l'organe de la destruction aux animaux qui vivent de substances végétales? Il sert à la destruction des végétaux, et M. Vimont fit à cette occasion l'observation qualifiée par Broussais, de très ingénieuse, que l'univers n'est qu'une scène de destruction.

«On a voulu, dit Broussais, tourner ces idées en ridicule, même dans une académie , car les académies, quoique savantes , ne sont pas toujours très réflexives ; elles sont quelquefois plus passionnées que réflexives ; elles reçoivent souvent , sur les questions qu'elles ne comprennent pas, des impulsions qui leur viennent tout-à-coup, comme un coup de vent, d'un orateur insidieux à leur communiquer inopinément une passion très manifeste pour ou contre la question sur laquelle on délibère, etleur jugement n'est pas toujours conforme

j) Prouvais, Cours de phrénologie, Paris, t83f , p. 219.

à l'expérience et à la raison. On a donc trouvé ridicule dans une société savante de ce genre, que la destruction des végétaux fût comparée, par les phrénologistes, à celle des animaux. Pour moi, je ne vois pas de motif pour repousser cette idée si le but fondamental de l'organe est de procurer des moyens d'alimentation comme cela paraît certain. »

Mais , pour répondre à Broussais et à M. Vimont, remontons à Gall et voyons comment il s'y est pris pour découvrir l'organe de la destruction. « En comparant assidûment les crânes d'animaux, je trouvai, c'est Gall qui parle (l), je trouvai une différence caractéristique entre ceux des frugivores et ceux des carnassiers.... Je vis qu'il existe chez les carnassiers des parties cérébrales dont les frugivores sont privés. J'ai trouvé cette différence chez les oiseaux, comme chez les mammifères. Je plaçai l'un à côté de l'autre, deux crânes d'assassins , et je les examinai souvent. Chaque fois que je m'en occupais , j'étais frappé de ce que , très diversement conformés du reste, ils avaient l'un et l'autre une proéminence fortement bombée immédiatement au-dessus du méat auditif. Ce fut alors seulement que je commençai à tirer parti de ma découverte sur la différente conformation du cerveau et du crâne , chez les frugivores, et chez les carnassiers. »

Si les phrénologistes voulaient bien méditer ce passage de Gall, ils verraient que Gall s'est dit : « Voilà au-dessus des oreilles des parties cérébrales qui existent chez les carnassiers et dont les frugivores sont privés , il faut à ces parties une faculté qui soit propre, qui soit exclusive aux carnassiers; or, cette faculté, c'est l'instinct carnassier, c'est la deslructivité. La même faculté coïncide avec une con-

(i) Sur les fonctions du cerveau. Paris, 182$ , t. iv? p. 64 et suiv.

formation semblable , chez les assassins; donc c'est elle qui porte au meurtre, et quand je verrai la saillie du crâne exister , je dirai que la faculté , que le penchant existe. » La détermination de l'organe repose uniquement sur ce fait, que certaines parties cérébrales qui ne se rencontrent que chez les carnassiers et les hommes portés au meurtre, coïncident avec le penchant à détruire , penchant exclusif aux carnassiers et aux meurtriers : si donc on vient objecter que les parties cérébrales dont il s'agit se rencontrent chez les herbivores aussi bien que chez les carnassiers, il n'y a qu'un seul parti à prendre, c'est de rejeter entièrement la détermination que l'on a faite comme étant basée sur des observations incomplètes. En avouant que l'organe de la destruction se retrouve chez les herbivores, les phrénologistes ont donc ôté à cet organe le seul principe de son existence.

L'extension maladroitement donnée à l'organe de la de-slructivité, conduit à des conséquences singulières et que les phrénologistes n'ont sans doute pas prévues. L'action du castor et de l'écureuil qui coupent des branches, des écorces pour se construire des habitations, ne peuvent, d'après les phrénologistes, se rapporter qu'à l'organe de la destructivité (1). S'il en est ainsi, on doit également rapporter au même organe, des actions analogues, chez l'homme. Or, les bûcherons, les jardiniers, les faucheurs, les moissonneurs, les vendangeurs, etc., etc., tous occupés de la destruction des végétaux, doivent avoir la tête conformée comme les meurtriers et les assassins ! Alors que devient l'art de la divination par la crànioscopie, art que l'on voudrait introduire en médecine légale et à l'aide duquel Gall, Spurzheim, MM. Dumoutier, Vimont, Voisin, ont fait tant de belles découvertes dans les

(i) Broussais, op. cit., p. 221.

prisons et dans les bagnes? Le nom de cet art est au bout de ma plume; je ne crois pas qu'il soit nécessaire de l'écrire.

L'organe affecté par Gall à l'exercice des sentimens religieux, celui qui fait connaître Dieu et la religion, a été appelé par Spurzheim et ses disciples, organe de la vénération ; M. Dumoutier en a indiqué le siège précis sur le cerveau de l'homme ; on le trouve sur une portion de circonvolution située en haut et en avant de la tête, correspondant et pour le lieu, et pour la forme à la circonvolution dont une sinuosité circonscrit ce que j'ai appelé le sillon crucial chez le chevreuil, le daim, et que l'on voit, surtout chez le mouton, d'une ressemblance parfaite avec l'organe de la vénération que l'on voit sur le cerveau d'homme, modelé par M. Dumoutier. J'ai opposé ce fait aux phrénologistes, croyant les mettre dans l'embarras (1). Point. Broussais a répondu :

« Les phrénologistes ont refusé le sentiment de la vénération aux animaux : moi, je ne suis pas de cet avis. Une certaine nuance de vénération existe chez plusieurs espèces, parmi les vertébrés qui se choisissent des chefs, qui marchent d'après le signal que ces chefs leur donnent, et qui lui obéissent. Ainsi, même parmi les moutons, vous voyez un chef : s'il existe une troupe de chevaux sauvages, c'est le plus habile, le plus expérimenté qui conduit la troupe. Entre tous les animaux, le chien se fait remarquer par la vénération qu'il porte à l'homme, cet animal distingue parfaitement dans la maison qu'il habite, le rang qu'occupe chacune des personnes qui peuplent celte maison. » (2)

Ces faits psychiques allégués par Broussais sont de toute vérité, les sentimens dont il parle existent chez le mou-

(1) Gazette médicale, i835, n° icr.

(2) Broussais, Cours de. phrénologie, Paris, i836, p. 35o et 352,

ton, le cheval, le chien et chez beaucoup d'autres encore qui ont ce qu'il appelle l'organe de la vénération. Mais les animaux qui ont aussi cet organe et qui n'ont pas la faculté, qu'en penseront les phrénologistes? Le loup a l'organe de la vénération aussi bien développé que le chien; le lion, le tigre sont dans le même cas. L'organe de la vénération pour ces derniers, il faut en convenir, est un organe parfaitement inoccupé.

Un système analogue à celui de Gall, en ce qu'il est fondé sur des observations qui semblent choisies dans le but de réaliser une idée préconçue, mais presque entièrement opposé d'ailleurs au système de Gall, par ses conséquences, a été proposé par Spix. Il est curieux devoir à quel degré de divergence sont arrivés deux auteurs qui, l'un et l'autre, ont fait usage de l'anatomie comparée, pour fonder une doctrine de localisation cérébrale.

Spix (1), dont on se ferait une idée trop défavorable si on le jugeait seulement sur son système crânioscopique, après avoir démontré la grande analogie qui, suivant lui, existe entre la mâchoire inférieure unie à l'os écailleux et la cavité abdominale; la mâchoire supérieure unie aux os eth-inoïde etjugal, et la cavité thoracique; l'occiput et la cavité de la bouche, le syncipul et la cavité du nez et de l'oreille, le front et la cavité orbitaire, demande qu'il lui soit permis d'exprimer publiquement son opinion basée, dit-il, sur l'art crânioscopique, physiognomonique et pantomimique. Or, celte opinion est que l'âme végétative et motrice ou vitale siège à la base du crâne; l'âme sensuelle, abdominale, digestive, re-

(i) V. Cephalogenesls, sive capitls ossei structura, formatio et significatio per omnes animalium classes, famllias, gênera ac œtates digesta atque tabules illuslrata} legesquc simul psychologicœ, cranioscopicœ ac psysiognomicœ inde l-rivctœ, auctore. j, b. Spix, Munich, i8i5, in-fol. avec 18 pl.

productive et générative à l'occipital; l'âme réfléchissante, aux pariétaux; l'âme intelligente ou l'esprit, au frontal, ou plutôt dans les parties du cerveau correspondantes à ces os. Et localisant davantage, il place les sens externes et internes ainsi que la réminiscence dans le cervelet, l'imagination et la fantaisie dans l'extrémité postérieure du lobe cérébral que recouvre l'angle postérieur de l'occipital, la faculté de concevoir et déjuger, dans la portion du cerveau située sous la moitié inférieure des pariétaux et sous l'os écailleux, la raison et le sens commun au-dessus de l'insertion des muscles temporaux, la foi dans la région inférieure du front, dans la région orbitaire et dans la région temporale; enfin la science, dans la partie supérieure du front. Puis pour démontrer que sa localisation est une déduction logique des faits, qu'elle est puisée dans l'anatomie comparée, il dit :

ce L'homme est le seul qui ait un front développé, il est aussi le seul qui ait en même temps de la science, de la raison et de l'imagination (fantaisie); le singe est privé de la scienceetdela raison, il a peu de conscience et d'imagination; chez les autres animaux qui manquent de front, on ne trouve en avant que la portion orbitaire du cerveau et la foi, la confiance dont elle est le siège, mais une foi aveugle et dépourvue de science; enfin, en descendant jusqu'aux plus bas degrés de l'échelle animale, il ne reste plus que les portions basilaire el occipitale du crâne; aussi Pâme de ces derniers animaux manque-t-elle d'intelligence, de réflexion et d'imagination; on ne trouve plus en eux qu'un esprit agissant par les sens et un instinct vital borné à produire le mouvement, la nutrition et la génération. »

Avant d'établir cette doctrine, Spix avait observé beaucoup de têtes, et pour prouver la justesse de ses déductions, il a fait représenter sur une même planche la tête de l'homme , celle

du singe, du lion, de l'autruche, de la tortue, du crocodile, du boa, de la grenouille et du brochet. Les têtes ainsi choisies sont effectivement en rapport avec la doctrine de Spix 5 mais une tête de mouton ou de bœuf en eût bouleversé l'arrangement; car le frontal de l'un ou de l'autre, plus développé, comparativement que le pariétal et l'occipital, eût donné à ces animaux de la science, de la raison et une foi intelligente.

Plusieurs systèmes anciens, ayant pour but la localisation des facultés intellectuelles, ont été proposés et adoptés, mais aujourd'hui ils sont relégués dans le pays des chimères avec l'astrologie judiciaire et la nécromancie. Il faut les y laisser, et faire le même sort aux systèmes de Gall et de Spix. Un auteur moderne, M. Alexandre Walker, en a proposé un nouveau, basé, dit-il, sur les observations anatomiques de Gall, de M. Laurencet, et sur des observations qui lui sont propres.

D'après M. Alexandre Walker, les colonnes antérieures de la moelle épinière se rendent vers le cerveau et forment les faisceaux inférieurs de la moelle allongée, ainsi que les pédoncules cérébraux: elles s'épanouissent dans les corps striés, et parviennent jusqu'à la convexité des hémisphères, où elles forment les circonvolutions. Les fibres provenant des colonnes antérieures de la moelle, après avoir suivi cette direction divergente, se recourbent, convergent en arrière, en dedans et en bas, traversent les couches optiques, vont aux tubercules quadrijumeaux, au cervelet, aux corps resti-formes, et se rendent enfin aux colonnes postérieures de la moelle. M. Walker prétend avoir pu suivre, par la dissection, le cercle formé ainsi par les fibres nerveuses.

La circulation nerveuse, et avec elle les fonctions intellectuelles, suivent une marche qui est en rapport parfait avec la direction des fibres de la moelle et celles du cerveau.

Par l'intermédiaire des cordons antérieurs, la sensation

arrive au cerveau, et la perception s'y opère : la mémoire des sensations se fixe dans les circonvolutions cérébrales; l'association des idées se fait par l'intermédiaire des faisceaux qui unissent les circonvolutions entre elles; le corps calleux combine les idées; la voûte à trois piliers éprouve les émotions; les parois des ventricules ont la conscience; le cervelet et le pont de varole donnent les passions et la volonté ; enfin, les parties postérieures de la moelle président aux mouvemens. (1)

M. Alexandre Walker, qui a proposé ce système, accuse les savans français de n'être que des corsaires» Tout en lui accordant qu'il y a des corsaires parmi les savans français, comme il y en a parmi les savans de toute autre nation, je ne crois pas cependant qu'il s'en trouve un seul pour lui dérober l'invention de son système phrénologique.

La forme du crâne, et particulièrement l'étendue proportionnelle des os qui concourent à la formation de la cavité encéphalique, n'ont pas été connues de Gall et de ses disciples; autrement, plusieurs des principes, regardés encore aujourd'hui comme incontestables, en phrénologie, n'auraient jamais été proposés. L'os frontal, comparé au pariétal et à l'occipital, est regardé comme beaucoup plus étendu chez l'homme que chez les animaux: cet os diminu assure-t-on, au fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle animale, et avec lui les circonvolutions antérieures, siège principal des fonctions intellectuelles. Le singe serait, à ce titre, le premier des animaux vertébrés, et les poissons seraient les derniers.

Sans m'occuper ici de ce qui concerne les vertébrés autres que les mammifères, je dirai que le singe est le pre-

H (i) The nervous System anat. and physiol. London, i834, analysée dans la Revue médicale française, mai i835.

mier parmi eux, pour l'élévation de l'os frontal au-dessus de la face, mais qu'il est en même temps celui dont les pariétaux et l'occipital sont les plus considérables. Dans les autres mammifères, le frontal s'abaisse, la face se développe au-devant de lui, en même temps le pariétal se rétrécit beaucoup, et l'occipital cesse de recouvrir aucune portion du cerveau.

Du peu de développement de l'os frontal chez les animaux, les phrénologistes ont conclu au petit volume des organes intellectuels sous-jacens, et par conséquent à la diminution relative de l'intelligence ; du rétrécissement beaucoup plus marqué du pariétal, de l'absence complète, chez presque tous les mammifères, de cette partie de l'occipital qui recouvre l'extrémité postérieure du lobe cérébral de l'homme et du singe, je concluerais, si je raisonnais comme eux, à la diminution proportionnelle des organes situés sous le pariétal, à la disparition complète de ceux que recouvre l'angle supérieur de l'occipital, et, par conséquent, à la diminution et même à la privation des facultés dont ces organes sont le siège. Or , puisque la phrénologie a placé l'amour pour les petits sous l'angle supérieur de l'occipital ; puisqu'elle explique l'amour maternel des singes par la saillie du cerveau en arrière, il est clair que l'organe de la philogéniture n'existe pas quand le cerveau ne se porte pas en arrière, quand il ne recouvre que très imparfaitement le cervelet1, et que l'angle supérieur de l'occipital manque au cerveau? L'organe manque, donc la faculté manque, donc les mammifères autres que les singes, n'aiment pas leurs petits.

La phrénologie n'a pas prévu que le principe posé par elle conduirait là, et ne trouvant plus d'occipital pour loger la philogéniture, elle l'a glissé sous le pariétal. La seconde circonvolution que Gall désigne comme la circonvolution de l'amour pour les petits, chez le chat, est en effet recouverte

par le pariétal et seulement par cet os. Mais s'il est admis que les organes cérébraux puissent ainsi se déplacer, s'ils peuvent aller d'arrière en avant, ils peuvent sans doute aussi aller d'avant en arrière; alors, en admettant avec Gall que le frontal se rétrécisse réellement, chez les animaux, en proportion plus forte que les autres os du crâne, qui empêche d'admettre que les organes frontaux ne se déplacent aussi et ne se logent sous le pariétal? Que devient, dans ce cas, la valeur des inductions tirées du développement comparatif des os, de l'élévation du front, de la saillie de l'occipital? Elle est réduite à rien par les phrénologistes eux-mêmes.

Il est une circonvolution, celle que j'ai appelée interne, qui n'est en contact avec les os que dans la très petite portion de son étendue, appelée lobe d'hippocampe ; il en est d'autres, celles par exemple qui recouvrent le cervelet chez quelques mammifères, qui ne se révèlent pas par la forme du crâne, parce qu'il y a entre elles et le crâne d'autres circonvolutions interposées : quand la place de chaque faculté est désignée sur le crâne, quand le système psychologique occupe toutes les cases tracées sur cette enveloppe et qu'il ne reste plus de facultés à placer, quel rôle assignera-t-on à ces circonvolutions intérieures? Tandis qu'il n'est si petite fraction de la périphérie, qui n'ait d'importantes fonctions à remplir, les circonvolutions intérieures resteraient inoccupées? Cette objection a déjà été faite aux phrénologistes, mais comme ils n'ont pas jugé à propos d'y répondre, je crois convenable de la leur faire encore.

La détermination du siège des facultés départies aux mammifères , ne nous étant pas donnée par la phrénologie, et la localisation, faite par Gall et ses disciples, démontrée sans fondement, voyons si nous trouverons ailleurs la solution du problème qui nous occupe.

Le volume de l'encéphale ne nous fournit pas des élémens d'une loi. A la vérité, si nous choisissions les faits, nous pourrions dire, en ce qui concerne le volume absolu : La chauve-souris est un des mammifères les plus stupides, l'éléphant est au contraire celui qui a le plus d'intelligence : entre le cerveau de ces deux animaux, une différence énorme. Au plus gros cerveau, la plus grande intelligence ; au plus petit, la plus bornée. Entre l'un et l'autre, nous pourrions trouver des animaux de transition tant pour le volume du cerveau, que pour le développement de l'intelligence. Mais combien d'exceptions n'aurions-nous pas à cette loi ? Le chien n'a pas plus de cerveau que le mouton, et il en a moins que le bœuf; tous les rongeurs en ont moins que le mouton, regardé avec raison, comme un des mammifères les plus stupides. La comparaison du volume absolu ne peut donc pas suffire pour nous faire distinguer les animaux les plus intelligens de ceux qui le sont moins.

Le poids de l'encéphale, comparé à celui du corps, indique une tendance, il ne donne pas la base d'une loi : les mammifères ont comparativement plus d'encéphale que les oiseaux et que les autres vertébrés, mais c'est là une règle générale, et non une règle absolue ; et les uns à l'égard des autres, ils n'ont pas une proportion d'encéphale d'autant plus considérable , qu'ils sont plus intelligens. Le chien est sous ce rapport moins bien partagé que la chauve-souris ; le cheval moins bien que le lapin.

Dans le poids de l'encéphale se trouve compris le poids du cerveau, celui du cervelet et celui de la moelle allongée ; lequel de ces trois organes a l'avantage chez les mammifères les plus intelligens? Le résultat du tableau que j'ai dressé pour résoudre cette question, n'est pas assez prononcé pour que j'aie Heu d'en être satisfait. Les animaux les plus intelli-

gens sont inégalement répartis à toutes les hauteurs du tableau : il en est de même du poids de la moelle allongée comparé à celui de l'encéphale.

Quant au volume des nerfs encéphaliques considéré dans ses rapports avec le poids de l'encéphale, on peut dire que le premier est d'autant moindre, que le second est plus considérable ; il place le chien et le cheval au-dessus de l'âne, de la marte, du chat et du lapin. Le volume du nerf optique étant pris pour unité, le volume de l'encéphale diminue énormément en descendant des mammifères aux poissons : voici, pour quinze animaux différens, quel est le rapport du volume du nerf optique à celui de l'encéphale.

Cheval, le nerf optique est à l'encéphale, comme 1 est à 36975

Marte..............................,.......... 22815

Chien......................................... 17044

Ane.......................................... 15407

Chat.......................................... 9262

Lapin......................................... 4454 '

Pie........................................... 1417

Squale renard................................... 1291

Perruche....................................... 1206

Vanneau....................................... 773

Poule...........................,............. 654

Grenouille...................................... 495

Chai'donneret................................... 466

Lézard........................................ 386

Brochet..............................,......... 321

Le poids comparé de la moelle épinière au cerveau, et celui de la totalité de la masse encéphalique et rachidienne, comparé au poids du corps, donnent un résultat analogue à celui qui est fourni par les nerfs encéphaliques ; ils indiquent une substance cérébrale plus grande chez les animaux les plus intelligens que chez ceux qui le sont peu, mais il ne donne

pas un résultat rigoureusement applicable aux individus, de telle façon, qu'il est impossible, à moins d'une différence très notable dans le poids comparé du cerveau, de prononcer qu'un animal est plus intelligent qu'un autre, d'après le volume relatif de la substance qui compose le centre nerveux céphalo-rachidien.

La manière dont la substance cérébrale est répartie, soit en avant, soit en arrière, soit au-dessus du corps calleux, mérite d'être prise en grande considération. La partie antérieure du cerveau des herbivores, solipèdes, ou ruminans, est plus longue et plus large que celles des carnassiers, je l'ai déjà dit plus haut : je n'y reviendrai pas. La partie postérieure est plus longue et plus large chez l'éléphant, le singe, le marsouin, le dauphin, la baleine, le phoque, la loutre, que chez la plupart des autres animaux. Tous ceux qui ont la partie postérieure du cerveau reposant sur le cervelet et recouvrant cet organe, sont des animaux intelligens. Par opposition, les rongeurs, la chauve-souris et beaucoup d'autres mammifères plus ou moins stupides, ont le cervelet en partie ou même en totalité découvert, et chez quelques-uns, le défaut de développement en arrière des lobes cérébraux est tel, que l'on aperçoit entre ces lobes et le ver du cervelet, une portion des tubercules quadrijumeaux antérieurs. Ce fait serait-il donc l'expression d'une loi? Non, car le renard et le chien se trouveraient placés au même rang que le mouton, et fort en arrière du phoque et de la loutre ; non, car, ainsi que nous le verrons dans le volume suivant, le singe serait aussi bien partagé que l'homme, et même quelquefois l'emporterait sur lui.

Quant au développement en hauteur, il met le cheval au-dessus du bœuf, le marsouin et le phoque au-dessus des rongeurs, des marsupiaux, des édentés, des cochons, en un mot,

au-dessus de la plupart des autres mammifères ; mais le chien, le renard, le singe seraient au-dessous de tous ces animaux. Autant que j'en ai pu juger, il en serait de même pour l'éléphant. Je dirai donc du développement en haut de la masse cérébrale, ce que j'ai dit de son développement en arrière : c'est qu'elle est propre , mais non pas exclusive, aux animaux intelligens ; qu'elle indique une tendance, mais non pas une loi.

La présence ou l'absence des circonvolutions cérébrales paraît avoir une valeur beaucoup plus grande que la plupart des conditions organiques dont il a été question jusqu'ici.

Aux animaux inférieurs, jamais de circonvolutions; aux animaux supérieurs, toujours des circonvolutions ; et à l'éléphant, de tous les animaux le plus intelligent et le meilleur, les circonvolutions les plus nombreuses et le plus approchant de celles de l'homme. La loi que nous cherchons , la trouverons-nous ici? Il semble que nous soyons sur le point de la découvrir.

La forme générale des circonvolutions divise les cerveaux des mammifères en trois groupes. Dans le premier groupe, se placent les circonvolutions non fiexueuses, celles qui sont séparées les unes des autres par des lignes régulières, droites ou courbes; elles appartiennent exclusivement aux mammifères carnassiers. Dans le second, les circonvolutions ondulées, sinueuses qui, au premier aspect, ressemblent le plus à celles de l'homme ; elles appartiennent à tous les solipèdes et à tous les ruminans, animaux qui vivent uniquement de substances végétales; elles appartiennent à l'éléphant, qui est exclusivement herbivore; on les trouve aussi chez les cétacés et les amphibies , animaux dont quelques-uns se nourrissent de végétaux, mais dont la plupart vivent de poissons. Enfin, dans le troisième groupe, viennent se

ranger la famille entière des ours, celle des martes et celle des cochons, mammifères omnivores dont le cerveau a des circonvolutions sinueuses et des circonvolutions non sinueuses.

Les animaux du premier groupe, tous animaux de proie, agresseurs, astucieux , vivant de chasse, marchant le plus souvent seuls , font la guerre aux autres animaux, et sont rarement en paix les uns avec les autres ; ceux du second groupe vivent en société nombreuse ou au moins en famille ; ils attaquent peu; leurs ruses ont pour objet de mettre en défaut l'ennemi qui les poursuit, ou de se défendre en commun ; ils ont un chef auxquels ils obéissent. Les derniers , ceux du troisième groupe, vivent les uns seuls, les autres en société, et la différence qu'ils présentent, sous ce rapport, est comme liée à la disposition plus ou moins flexueuse de leurs circonvolutions cérébrales ; la loutre, le putois, la marte sont ordinairement seuls; leurs circonvolutions cérébrales sont peu ondulées : le sanglier, le porc, le pécari vont par bandes ; leurs circonvolutions, et surtout celles du pécari, se rapprochent de celles des moutons plus que de celles des chiens et des chats. En ce qui concerne ces ondulations, il y a même des différences individuelles. Le cerveau du renard ressemble à celui du loup, celui du loup à celui du chien de berger : ces trois cerveaux ont le même type fondamental. Le cerveau du barbet, du caniche et des autres chiens qui vivent le plus en familiarité avec l'homme, ont encore le même type, mais on y rencontre quelques modifications dans les détails; les lignes ont perdu de leur régularité; ce n'est ni un cerveau d'herbivore, ni même un cerveau dont les ondula-lions approchent de celles de l'ours. Du reste, on n'y retrouve pas la même régularité que dans le cerveau du chien de berger.

Chez les ruminans, un fait analogue : le chevreuil vit en

famille et non pas en troupe, l'homme n'en obtient aucune obéissance, aucun service, c'est un animal sauvage; la chèvre au contraire s'apprivoise et s'attache à l'homme; elle vit dans la société des autres chèvres. Eh bien ! le cerveau du chevreuil est bien moins subdivisé et bien moins ondulé que celui de la chèvre. Le cerveau du moufflon est aussi subdivisé, mais il m'a paru un peu moins ondulé que celui du mouton ; celui du zèbre, moins ondulé que celui du chameau.

Ce n'est pas l'augmentation de volume qui amène ces subdivisions; j'ai vu de petits chiens caniches qui avaient le cerveau plus ondulé que ne l'est celui du chien de berger et de jeunes moulons ou de jeunes veaux qui l'avaient également plus ondulé que celui du chevreuil. Cependant, je ne voudrais pas tirer de cette coïncidence une loi applicable à tous les mammifères; le chat domestique, plus sociable assurément que le tigre, a moins d'ondulations que le tigre, dans les circonvolutions cérébrales; le cochon tonquin, moins féroce que le sanglier, a des lignes plus régulières que le sanglier, à la surface du cerveau.

Au reste, la présence des ondulations cérébrales, ni même celle des circonvolutions, n'est liée à la sociabilité des animaux de telle manière qu'on puisse dire que l'une dépend de l'autre. Les oiseaux, qu'ils soient sociables ou non, en sont dépourvus; il en est de même des rongeurs et notamment du rat musqué et du castor.

Jusqu'à quel point les ondulations, dans les circonvolutions cérébrales, indiquent-elles l'étendue de l'intelligence? En prenant pour type de la perfection du cerveau des mammifères, celui de l'éléphant, qui est de tous celui dont les ondulations ressemblent le plus à celles de l'homme, nous trouverons après l'éléphant, l'orang-outang, la baleine, le marsouin et le dauphin, puis le cheval et les autres pachydermes, les ruminans,

les cochons, les ours, et enfin les chats, les renards, la civette, la genette el la mangouste. Sans ces derniers, nous aurions eu, en apparence, une règle de quelque valeur pour mettre en harmonie les cerveaux et les intelligences; mais, en ne considérant même que les cerveaux des herbivores, cette règle serait soumise à plusieurs exceptions. Le cochon est moins intelligent que l'ours, et il a plus d'ondulations que cet animal; le chevreuil, qui est de tous les ruminans et surtout des ruminans sauvages, le plus capable et le plus rusé, a moins d'ondulations et même de subdivisions que le daim, le cerf, le chamois, la girafe, le cheval, le moufflon, etc., et celle différence porte aussi bien sur la partie antérieure que sur la partie postérieure du cerveau.

La multiplicité des ondulations augmente l'étendue de la surface du cerveau; or, ainsi que nous venons de le voir, cette surface n'est pas toujours en raison du développement de l'intelligence.

Desmoulins (1) a cependant émis une proposition contraire, quand, se fondant sur des faits tirés de l'anatomie comparée, il a dit que : « le nombre et la perfection des facultés intellectuelles, dans la série des espèces et dans les individus de la même espèce, sont en proportion de l'étendue des surfaces cérébrales. » Comme cette proposition est basée sur des faits tirés de l'anatomie des mammifères, c'est ici le lieu de l'examiner.

Suivant Desmoulins, ce 1° le dauphin est l'animal qui a le plus de circonvolutions; il en a même plus que l'homme; mais, comme, relativement au volume du corps, le cerveau du dauphin est moindre que celui de l'homme de la moitié environ

( t) Anatomie des systèmes nerveux des animaux vertébrés, etc. Paris, f 8a: , ir.-S, 2e partie, pasr, 6ot .

il s'ensuit qu'il a en réalité moins de surface cérébrale que nous n'en avons.

« 2° Les circonvolutions dans les chiens, et surtout dans les chiens de chasse, ne sont guère moins nombreuses ni moins profondes que dans les singes, et même dans l'homme.

« 3° Les ouistitis, qui n'ont guère plus de circonvolutions que les écureuils, n'ont qu'une intelligence analogue à celle des écureuils, et fort inférieure à celle des autres singes.

fc 4° Les chiens, qui ont des sillons plus nombreux au cerveau que n'en ont les chats, remportent sur les chats en intelligence.

« 5° Les sarigues, les édentés, les tatous, les paresseux, les rongeurs n'ont pas de plis à leur cerveau ; ils sonl moins intelligens que les chiens et les chats. »

Lors même que ces faits avancés par Desmoulins seraient vrais, et ils ne le sont qu'en partie, la conclusion qu'il en lire n'en serait pas moins erronée, parce qu'il n'a pas amassé tous les élémens du problème qu'il tentait de résoudre, parce qu'il a négligé de tenir compte de ceux qui étaient contraires à son système. L'étendue de la surface cérébrale des ruminans dont Desmoulins ne parle pas, celle du mouton en particulier, est, proportion gardée, supérieure à celle du chien, du chat, et de tous les rongeurs; or, est-il besoin de dire que la plupart des rongeurs, que tous les chats et les chiens l'emportent en intelligence sur le mouton?

S'il fallait, ce qu'en principe je ne crois pas admissible, s'il fallait, dis-je, localiser les facultés instinctives et les facultés intellectuelles, dans des circonvolutions séparées, en considérant que le cerveau de l'ours qui vit de substances végétales et de substances animales, a des circonvolutions dont les unes sont analogues à celles du renard, et les autres analogues à celles des herbivores, je serais autorisé à placer dans

les deux premières circonvolutions, celles qui sont le plus rapprochées de la scissure de Sylvius, les instincts des carnassiers, et de placer dans les deux circonvolutions supérieures, les instincts des herbivores. Mais si cela était vrai pour l'ours, cela le serait aussi et à plus forte raison, pour le coati et le blaireau qui ont l'une des circonvolutions dont il s'agit comme atrophiée; cela serait vrai pour la loutre dont la première circonvolution, un peu moindre en avant que celle de l'ours, a la partie antérieure de la seconde circonvolution, sillonnée à la manière des circonvolutions des herbivores. J'ajoute que, sans même sortir de la classe des mammifères, nous trouvons en grand nombre, des herbivores et des carnivores qui n'ont aucune sorte de circonvolutions cérébrales. Si les instincts et les facultés intellectuelles étaient inhérens à une forme déterminée du cerveau, à une disposition particulière des circonvolutions cérébrales, le cerveau du rat d'eau et celui du cabiai devraient être semblables à celui de la loutre, et celui du kanguroo semblable à celui des ruminans.

Que si nous mettons en regard, pour le nombre des ondulations cérébrales, les ruminans et les carnassiers, nous voyons que l'avantage est tout entier du côté des premiers. Pour la forme générale, pour le nombre et l'étendue des sous-divisions, pour l'arrangement des circonvolutions, les animaux, les plus stupides, le mouton, par exemple, approchent de l'éléphant de beaucoup plus près que le chien.

Long-temps on a comparé les circonvolutions du cerveau aux circonvolutions intestinales; cette comparaison est fausse; car les premières sont toujours régulières, tandis que les secondes ne le sont jamais. Toutefois, il y a ce rapprochement à faire, que les animaux qui ont des circonvolutions intestinales les plus nombreuses, tels que les ruminans, les solipèdes, dont le tube digestif est très long, sont en même

temps ceux qui ontle plus d'ondulations au cerveau; tandis que les carnivores qui ont le tube digestif très court, et par conséquent moins de circonvolutions intestinales que les premiers, ont en même temps les circonvolutions cérébrales les moins sinueuses. Comme les sillons qui séparent les circonvolutions sont parcourus par des vaisseaux sanguins, il doit y avoir entre les subdivisions de ces vaisseaux chez les carnivores et chez les herbivores, des différences qui me paraissent dignes de fixer l'attention des anatomistes.

La multiplicité des ondulations cérébrales est certainement un progrès dans l'organisation; l'addition de circonvolutions nouvelles en est un plus grand, puisqu'il assimile en quelque sorte, le cerveau de trois espèces d'animaux, au cerveau de l'homme; cette addition coïncidant avec un degré supérieur d'intelligence, serait-il favorable à la localisation de quelques facultés?

Que l'on compare le bœuf à l'éléphant : ce dernier ayant des facultés et des circonvolutions que n'a pas le premier, une réponse affirmative à la question que je viens de poser semblerait devoir résulter de cette comparaison. Les circonvolutions supplémentaires de l'éléphant se rencontrent, aussi chez les singes, nouvelle preuve à l'appui de la déduction que l'on pourrait tirer de ce fait. Mais si les facultés supérieures sont inhérentes aux circonvolutions supplémentaires, ces facultés et ces circonvolutions doivent toujours coexister chez le même animal, elles doivent être dépendantes l'une de l'autre, comme l'effet l'est de la cause. Or, il n'en est pas ainsi, car une espèce de singes incomplets, les makis, ont un rudiment du cerveau du singe, dans lequel on trouve les circonvolutions supérieures, sans que ces animaux aient des facultés qui les élèvent au niveau des singes, ni même au niveau de la plupart des ruminans.

A cette objection, qui me paraît sans réplique, j'en ajouterai une seconde qui ne l'est pas moins. Les éléphans et les singes ont, par leur nature, des facultés qui les élèvent au-dessus de la plupart des autres mammifères : admettons qu'ils tiennent cette supériorité des circonvolutions supplémentaires dont leur cerveau s'est enrichi ; mais les chevaux et les chiens, privés des circonvolutions dont il s'agit, montent, par l'éducation, au niveau du singe et de l'éléphant; où fau-dra-t-il placer leurs facultés nouvelles? Le genre de vie que l'homme fait suivre au chien modifie en même temps l'état physique et l'état psychique de cet animal ; il imprime même à son cerveau quelques changemens organiques, mais il ne le transforme pas en un autre cerveau ; quoique faisant naître dans le chien des facultés que la nature ne lui avait pas réservées, il n'a pas changé le cerveau de cet animal en un cerveau de singe ou d'éléphant.

Plus on étend ses observations, et plus on aperçoit le peu de fondement des systèmes de localisations cérébrales: ce qu'un certain nombre de faits avait paru démontrer est démenti par un nombre plus grand. Par exemple, le maki, moins intelligent que le papion, n'a, on peut le dire, qu'un embryon du cerveau du papion ; celui-ci n'a, à son tour, qu'un embryon du cerveau de l'orang-outang. A tous trois les mêmes circonvolutions fondamentales ; mais tel sillon, à peine visible chez les makis, est, chez le papion, étendu et développé dans toutes ses dimensions, il présente de plus, chez l'orang-outang, des ondulations multipliées. Les ondulations sont donc un signe certain de perfection? A côté du cerveau de l'orang-outang mettez celui du chien et celui du mouton : le mouton paraîtra, d'après cette règle, de beaucoup supérieur au chien.

Ainsi, ni la présence des circonvolutions, ni leur nombre,

ni leurs ondulations ne révèlent, d'une manière absolue, le nombre et l'étendue des facultés départies aux mammifères. [- Le développement comparé du cervelet fournira-t-il des données plus positives? Chez les animaux inférieurs, le cervelet est moins développé, moins complet que chez les animaux supérieurs; ainsi, dans la chauve-souris, on compte au lobe moyen du cervelet seulement neuf lamelles, tandis que, chez le cheval, il y en a jusqu'à cent soixante-dix-huit; chez la chauve-souris le lobe latéral n'existe pas, chez le cheval il est petit, tandis que chez le singe, le phoque, le marsouin , la baleine, la loutre, il est comparativement presque aussi développé que celui de l'homme. Le nombre des lamelles du cervelet n'est pas en rapport avec le degré de l'intelligence, car le mouton et le bœuf en ont plus que le renard ; j'en puis dire autant du lobe moyen, car la loutre a ce lobe plus développé que le chien.

Après ce résumé, ou plutôt cette réfutation des opinions admises sur la cause immédiate de l'intelligence des mammifères, sur les conditions de l'organisation qui la produisent et qui la modifient, ou à l'aide desquelles elle se manifeste en prenant des formes variées, n'aurais-je pas maintenant à déduire des corollaires puisés dans l'observation de tous les faits tant organiques que psychiques dont il a été question dans ce chapitre? Et de la comparaison des mammifères, avec les autres vertébrés, avec les insectes et les mollusques, ne résultera-l-il pas des connaissances certaines, des principes assurés qui établissent quelles conditions organiques sont nécessaires à la production des phénomènes intellectuels; qui nous apprennent pourquoi le loup est féroce, le glouton insatiable, le lapin timide, le chameau, le cheval et le chien dociles et dévoués; pourquoi, dans des classes diverses, il existe des animaux pourvus d'instincts semblables, tandis que, dans une même classe et dans

une même famille, nous rencontrons souvent des instincts opposés? La réponse à toutes ces questions sera-t-elle donnée par l'étude de l'encéphale? Trouverons-nous dans les modifications de la forme et de la structure du cerveau, la cause qui fait varier à l'infini, dans la série animale, les penchans, les habitudes, les mœurs, les idées?

Avant de nous former une opinion sur chacun de ces points, poursuivons notre étude : un grand problème nous reste, celui de l'homme. L'homme résume tous les animaux, il est au-dessus d'eux, et rien de ce qui l'entoure ne s'élève jusqu'à lui. Il connaît le temps, il mesure l'espace, il calcule le mouvement des astres ; le souvenir des siècles passés, conservé d'âge en âge, reste dans sa mémoire ; il scrute le présent, il sonde l'avenir. Les œuvres de son intelligence ne tiennent pas de la terre ; les sentimens qu'il éprouve le portent au-delà. Il aspire après un monde nouveau, infini, parfait, où il trouve la justice qu'il aime et le bonheur qu'il rêve. Borné aux choses visibles, il doute, il hésite, il marche sans comprendre où il va, et, plein d'incertitude, il demande à une autre vie, la synthèse de sa vie.

Apprenons donc à connaître l'homme; cherchons si, dans son organisation, se trouve la cause de la supériorité intellectuelle dont il jouit; et jetant ensuite nos regards en arrière, nous comparerons l'homme aux animaux et les animaux entre eux, afin de savoir quels rapports existent, dans toute la série animale, entre le système nerveux et les facultés de l'intelligence.

RÉSUMÉ.

1. Gall n'ayant pas décrit le cerveau des animaux n'a indiqué que sur les crânes la place qu'il assigne aux instincts, aux sentimens, aux facultés intellectuelles et aux facultés morales.

2. Il s'est trompé quand il a avancé que les animaux auxquels on a fait subir la castration, ont le cervelet plus petit que les animaux entiers, et cette assertion qu'il avait émise comme une preuve que l'amour physique réside dans le cervelet, est de nulle valeur.

' 3. En tirant la conséquence rigoureuse des principes posés par Gall relativement aux rapports que les circonvolutions du cerveau ont avec les os du crâne, il faut admettre ou que les mamifères autres que les singes, n'aiment pas leurs petits, ou qu'ils les aiment sans avoir l'organe de l'amour des petits.

k. Relativement au siège de l'organe de l'attachement, Gall s'est borné à une simple affirmation.

5. En raisonnant d'après les principes de la phrénologie, le lapin serait ou plus carnassier, ou plus rusé, ou plus courageux que le loup.

6. Aucune disposition anatomique soit du crâne, soit du cerveau, ne justifie Gall d'avoir admis, chez les mammifères, un organe de la hauteur, et chez quelques singes, un organe de la vanité.

7. Si, comme il assure l'avoir fait, Gall avait comparé le crâne du serpent avec celui des grands généraux, il n'aurait pas donné au serpent l'organe de la circonspection.

8. Le prétendu organe de l'éducabilité, est également développé chez le renard et chez le chien, chez le moufflon et chez le cheval.

9. En raisonnant d'après les principes de Gall, il y aurait

beaucoup plus d'organes intellectuels chez le mouton que chez le chien du berger ;

10. D'après les mêmes principes, l'organe de la musique serait plus développé chez l'âne, le bœuf et le mouton, que chez l'alouette, le pinson et le rossignol, si même, ce qui est douteux, il était permis de l'admettre chez ces derniers; et la plupart des rongeurs qui se creusent des terriers auraient l'organe de la construction moins développé que l'aï.

11. Les organes cérébraux indiqués sur les crânes ou sur les cerveaux, par M.Vimont, n'ont aucune détermination précise, aucune limite assignable.

12. Les phrénologistcs ayant fait de l'organe du meurtre, établi par Gall, un organe de destruction pour les végétaux comme pour les animaux, et ayant attribué cet organe au mouton au castor aussi bien qu'au loup, ont ôté à cet organe le seul principe de son existence.

13. La circonvolution dont les phrénologistes postérieurs à Gall ont fait le siège de la vénération, de la déférence, de la soumission, etc., est aussi prononcée chez le loup que chez le chien; elle l'est plus chez le tigre que chez le chat.

14. Le système de Spix, fait en partie au rebours de celui de Gall, est basé, comme celui de Gall, sur les faits qui le prouvent, sans tenir compte des faits qui le condamnent.

15. Celui de M. Walker n'est pas même prouvé par un certain nombre de faits.

16. Ce ne sont pas les parties antérieures qui manquent au crâne des mammifères, mais les parties postérieures.

17. Plusieurs circonvolutions cérébrales n'étant pas en contact avec les os du crâne, ne sont pas accessibles à la crâ-nioscopie.

18. Le volume absolu du cerveau n'est pas clans un rapport nécessaire avec le développement de l'intelligence.

19. Il en est de même du poids comparé de l'encéphale au poids du corps; et du poids comparé du cervelet, de la moelle allongée et de la moelle épinière, au poids du cerveau.

20. Le volume des nerfs encéphaliques chez les vertébrés, est d'autant moins considérable que l'intelligence est plus développée.

21. Tous les mammifères qui ont le cervelet couvert par les lobes cérébraux sont intelligens : mais tous les mammifères intelligens ne présentent pas cette disposition organique.

22. On peut en dire autant du développement du cerveau, dans le sens de sa hauteur.

23. C'est chez les mammifères les plus intelligens que l'on trouve le cerveau le plus ondulé, mais tous les mammifères intelligens ne sont pas dans ce cas.

24. II y a des formes de circonvolutions qui n'appartiennent qu'aux mammifères carnivores, d'autres qui n'appartiennent qu'aux mammifères herbivores, d'autres qui tiennent des unes et des autres, et que l'on trouve chez les omnivores : mais il y a des mammifères carnivores, herbivores et omnivores qui n'ont pas de circonvolutions cérébrales.

25. On trouve des cerveaux très différens pour la forme, chez des animaux semblables pour les mœurs.

26. L'étendue de la surface cérébrale n'est pas en rapport nécessaire avec le développement de l'intelligence.

27. La présence des circonvolutions supérieures dont sont pourvus l'éléphant, le singe et le maki, ne prouve rien en faveur des localisations cérébrales.

28. Ni la présence des circonvolutions, ni leur nombre, ni

leur forme, ne révèlent d'une manière absolue, le nombre et

l'étendue des facultés des mammifères.

t.

ftn bu PREMIER volume.

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TABLE DES MATIÈRES

TRAITÉES

DANS LE PREMIER VOLUME.

chapitre premier. système nerveux des mollusques. 7 § I. Description du système nerveux des mollusques. 8 § II. Structure du système nerveux des mollusques. 23 III. Signification du système nerveux des mollusques............... 31

§ IV. Facultés des mollusques......... 46

chapitre DEUXIÈME. système enrveux des animaux

articulés.............. 53

§ I. Description du système nerveux chez les animaux articulés.......| . . . . 55

§ II. Structure du système nerveux des animaux

articulés..............71

§ III. Signification du système nerveux des animaux

articulés..............79

§ IV. Facultés des animaux articulés......85

chapitre troisieme. système nerveux cérébro-spinal

des poissons.............136

§ I. Description du système nerveux cérébro-spinal

des poissons.............138

1. Encéphale..............ld.

2. Nerfs encéphaliques...........146

3. is et volume proportionnels de l'encéphale pois-

sons...... . ;.......150

4. Moelle épinière des poissons.........157

% II. Structure du système nerveux cérébro-spinal

des poissons............ 164

1. Structure de la moelle épinière des poissons..... 172

2. Structure de l'encéphale des poissons....... 184

3. Diamètre et nature des fibres du système nerveux cérébro-

spinal des poissons...........191

§ III. Facultés des poissons......' '.; : . . 204

§ IV. Recherche du siège des facultés départies aux

poissons.............215

CHAPITRE QUATRIÈME. Système nerveux cérébro-spinal des reptiles .......... 223

§ I. Description du système nerveux cérébro-spinal

des reptiles............. 225

1. Encéphale..............225

2. Nerfs encéphaliques ........... 230

3. Poids et volume proportionnels de l'encéphale des reptiles. 233

4. Moelle épinière des reptiles......... 237

§ II. Structure du système nerveux cérébro-spinal

des reptiles............. 240

1. Structure de la moelle épinière des reptiles..... 241

2. Structure de l'encéphale des reptiles....... 242

3. Diamètre et nature des fibres du système nerveux cérébro-

spinal des reptiles........... 444

§ III. Facultés des reptiles....... -. . . 248

§ IV. Recherche du siège des facultés départies aux

reptiles.............. 264

CHAPITRE CIMQUIÈBIE. Système nerveux cérébro-spinal

des oiseaux............. 270

§ I. Description du système nerveux cérébro-spinal

des oiseaux . . • ....... 276

1. Encéphale -.............. Id

2. Nerfs encéphaliques........... 283

3. Poids et volume de l'encéphale des oiseaux ..... ld.

4. Moelle épinière des oiseaux......... 291

§ II. Structure du système nerveux cérébro-spinal

des oiseaux............. 294

1. Structure de la moelle épinière des oiseaux..... Id.

2. Structure de l'encéphale des oiseaux....... 295

3. Diamètre et nature des fibres nerveuses du système céré-

bro-spinal des oiseaux......... : 297

§ III. Facultés des oiseaux. ......... 301

§ IV. Recherche du siège des facultés départies aux

oiseaux ... .......... 343

CHAPITRE SIXIÈME. Système nerveux cérébro-spinal des

mammifères............. 357

I. Description du système nerveux cérébro-spinal

des mammifères...........358

1. Encéphale..............ld.

2. Nerfs encéphaliques........... 418

3. Poids et volume de l'encéphale des mammifères : rapport