REVUE DE HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL THÉRAPEUTIQUE
24e Année. — N° 1. Juillet 1909.
BULLETIN
Un monument â là mémoire du pMftjj^fc/Liégeois. — Le banquet de la Société d'Hypnologie et de Psychologie. — Le programme de la section de pédagogie au congres de l'Association française pour l'avancement des sciences.
Un certain nombre de savants français et étrangers ont décidé d'élever il Bains-les-BaiiH. ¡1 l'endroit ou il trouva une mort si tragique, nn monument a- Jules Liégeois, professeur a la Faculté de droit de Nancy, membre correspondant de l'Institut, collaborateur de Liébeanlt, nn des premiers fondateurs de « l'Ecole de Nancy ».
Le comité est ainsi composé : I. Présidents d'houueur :
MM. Adam, recteur de l'Université de Nancy, MM. les professeurs Beauuiset Bernheim, de Nancy.
II. Président : M. le Dr Van Renterghem, d'Amsterdam.
III. Membres du Comité :
MM. le Dr Bérlllon. directeur de la Reuie de l'Hypnotisme. Blondel, doyen de la Faculté de droit de Nancy.
Charlier. président de la presse de l'Institut et des Sociétés savantes. Dr Damogtou. médecin iiu Caire.
Paul Janson, avocat, ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats de Bruxelles. Dr Ladame, de Genève.
Lyon-Caen, membre de l'Institut, doyen de la Faculté de droit de Paris-Dr Mathieu, directeur de l'Etablissement thermal de Bains-les-Bains. Dr Moll, de Berlin.
Dr Morselll, professeur a l'Université de Gènes. Dr Von Schrenk-Notzing. de Munich. Dr L'oyd-Tuckey, de Londres. Dr Thomson, professeur a l'Université d'Odessa. Dr Jules Voisin, président de la Société d'Hypnologie. Les souscriptions sont reçues par M. Albert Bonjean, avocat à Verviers (Belgique), secrétaire du Comité du mounment Liégeois.
Comme les années précédentes, le banquet annuel de la Société d'hyp-nologie et de psychologie, avait réuni un grand nombre de convives. Aux côtés de M. le Dr Fiessinger, membre de l'Académie de Médecine qui présidait, avaient pris place M. le Dr Jules Voisin, médecin de la SalpG-trière, M. le Dr Beau visage, professeur à la Faculté de médecine de Lyon, sénateur ; M. Lionel Dauriac. professeur honoraire à la Faculté des lettres de Montpellier ; M. Muteau, député ; M. le Dr Berillon, professeur à l'Ecole de psychologie ; M. le Dr de Groer, de Saint-Pétersbourg ; M. le Dr Bony ; M.le Dr Le Menant des Chesnais ; M. le Dp O. Jennings ; M. le Dr Paul Joire. de Lille ; M. le Dr Kouindjy ; M. Gnilhermet, avocat à la Cour d'appel ; M. le Dr Berthet : M. le Dr Bernard, de Cannes ; M. le Dr Feridoun-Bey, de Constantinople ; M. le Dr Cimino, de Naples ; M. le Dr
Parrot ; 31. le Dr Laumonier ; MM. Grollet, if oret, Lepinay, Petit. Babb. médecins vétérinaires ; 31. le Dr de la Fouchardire ; 31. Bouchard, chimr-gien-dentiste ; 31. Louis Favre, professeur : 31. Collin ; 31. Gosset, professeur : 31. Quinque. dii-ecteui- de l'Etablissement médico-pédagogiquo de Créteil : 31. le D1" Paul Farez : 31. Gtamier. A la fin du dîner des allocutions furent prononcées par 31. le Fiessinger, 31. le Dr Berillon. 11. le professeur Beauvisage, M. Muteau: 31. le professeur Lionel Dau-riac ; 31. le Dr Lauinonier. Enfin 31. le Dr Jules Voisin a clôturé la série des toasts en faisant ressortir l'esprit scientifique et les sentiments de solidarité qui caractérisent la Société d'hypnologie et de psychologie.
* *
La section de pédagogie et d'enseignement du Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences dont la session aura lieu à Lille du 2 au 10 août, sera présidée par 31. le professeur Beauvisage. sénateur. Les questions mises à l'ordre du jour sont les suivantes :
1° L'Éducation des enfants anormaux: procédés pédagogiques pratiques et résultats obtenus ;
2° Le travail manuel à l'école primaire :
3° L'obligation de l'enseignement professionnel pour les adolescents : 4° Le certificat d'études primaires élémentaires ; sa suppression ou sa transformation.
Indépendamment de ces questions, diverses communications seront faites par M. Lefèvre, professeur à l'Institut Tajot sur les Devoirs des grands centres industriels à l'égard des anormaux, par 31. le Dr Tacbard, de Toulouse : sur l'Education physique, de 31. le Dr Berillon : sur les Arriérés du jugement, de Mlle Lucie Berillon, professeur au lycée Mollère : sur la Préparation au bonheur par l'éducation, de 31. Julien Bey ; de l'Education après l'école, de 31. le Dr Chervin ; sur l'Education de la parole, etc.. etc. Le programme de la section de pédagogie se présente comme devant être des plus attrayants.
TRAVAUX ORIGINAUX
La psychothérapie et les méthodes de rééducation (1)
par m. 10 dr BÉniLLON,
professeur à l'Ecole de psychologie. (Suite)
L'action psychothebapique directe : l'hypxotisue
L'action psychothérapique directe repose presque exclusivement sur l'emploi de l'hypnotisme et des procédés qui en dérivent. L'hypnotisme constituera toujours, en psychothérapie, l'agent curatif doué de plus grande efficacité, car son action résulte : 1° de sa vertu enrative propre : 2° de son inflnence nettement sédative ; 3° de la puissance qu'il confère aux suggestions faites dans cet état ; 4° du fait qu'il constitue par lui-même, la première et la plus active des méthodes de rééducation ; 5° de la possibilité d'en doser les effets d'après les règles d'une posologie très précise.|
(1) Leçon faite à l'Ecole de psychologie. — Y. le n° précédent.
La vertu eurative de l'hypnotisme a été mise en évidence par les travaux d'un grand nombre d'auteurs. Braid dans plusieurs passages de son livre fameux publié eu 1841 sous le titre : Nearypnology ; traité da sommeil nerveux on hypnotisme, a fait, le premier, ressortir sa remarquable puissance eurative : « Les observations que je publie, suffiront, dit-il, pour prouver que l'hypnotisme est un ageut important a ajouter a nos moyens curatifs, et une force thérapeutique digne de l'attention de tout médecin instruit et exempt de préjugés. »
Liébeanlt, dans tous ses écrits, ne cesse de revendiquer pour le sommeil provoqué la place prépondérante dans l'art de la psychothérapie.
* Le sommeil, écrivait-il en 1894, est le meilleur des remèdes. Rien ne prévaudra jamais contre cette vieille vérité. Comme isolant, cet état est l'adjuvant le plus précieux de la suggestion : écartant toute distraction de l'esprit, il augmente nécessairement la suggestibilité des dormeurs et les rend aptes a mieux recevoir les affirmations qui ont pour but de les débarrasser de leurs maux. Et n'aurait-il que la propriété d'être un calmant — il en a bien d'autres — qu'il faudrait y recourir. Aucun .artifice de suggestion, dans une foule de cas. ne remplacera jamais un état physiologique où l'on se replonge tous les jours avec attrait. Pourquoi l'exclure de la thérapeutiqne du moral sur le physique ? Pourquoi ne servirait-il pas de point d'appui à la suggestion dont il est lui-même un dérivé ? Il me semble, qu'on me permette une comparaison triviale, que lorsqu'on peut se faire un lit. et qu'on le possède, ce serait folie de ne pas s'y coucher et de s'étendre a côté sur la dure. Le sommeil n'est-il pas comparable a un bon lit où l'on doit mettre le dormeur et l'y suggestionner. »
Le dernier article du Dr Liébeault parut sous le titre : L'état de veille et l'état d'hypnose. Il y résume très nettement son opinion sur la valeur thérapeutique de l'hypnose (1) :
« On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de la suggestion a l'état de veille, et les quelques disciples du professeur Delbceuf qui ont admis, avec lui. cette opinion irréflective sur la possibilité de l'efficacité d'une telle suggestion, sont allés même jusqu'à dire qu'elle est, dans ce cas, plus puissante sur l'organisme qu'elle ne peut l'être dans le sommeil. Us se sont grandement trompés. S'ils ont eu des succès, ces succès ont dû être peu importants, et ils ont été uniquement les fruits d'un sommeil partiel ou spontané. » (2)
Telle était également l'opinion de Dumontpallier. Le fondateur de la société d'hypnologie et de psychologie, quelques mois avant sa mort, la résumait dans les termes suivants :
* Une faut pas, disait-il, rayer de notre vocabulaire le mot hypnotisme, puisqu'il exprime un état physique qui favorise la suggestion en aug-
(1) Liébeault : L'état de veille et l'état d'hypnotisme. (Rerue de l'Hypnotisme, 12- année, niai 1898.
(2) l iébeault : a travers les états passifs : le sommeil el les rêves (Revue de l'Hypnotisme, 8e année, 1894, p. 60.)
mentant la suggestibilité du sujet. Gardons donc Phypnotisme qui est un moyen, un procédé d'une grande valeur thérapeutique.
« Quelque théorie que l'on veuille donuer de l'état du cerveau dans l'hypnotisme, quelque doctrine qu'on veuille soutenir sur la suggestion, restons sur le terrain pratique, et si Ton obtient du succès par la suggestion, verbale ou écrite, parce que « la foi guérit », j'ai obtenu des succès plus remarquables et plus constants avec la suggestion hypnotique. C'est donc un devoir pour moi de rester fidèle à l'hypnotisme dans la pratique de certains cas déterminés où la suggestion à l'état de veille se trouve insuffisante. » Et il concluait par ces mots : » La suggestion à l'état de veille a une action thérapeutique indéniable : la suggestion hypnotique a mie action thérapeutique encore plus grande. »
Telle est la doctrine dont s'inspirent ceux qui placent l'hypnotisme au premier rang des agents thérapeutiques dont le clinicien dispose pour le traitement des névroses. J'ai personnellement apporté à la défense de cette doctrine un grand nombre de contributions, mais je tiens surtout à rappeler ma communication, publiée en 1897, sous le titre : Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué, basée sur l'examen de la tension artérielle. De mes recherches comparatives sur la tension artérielle dans l'état de veille et dans l'état de sommeil provoqué, il résulte nettement que l'hypnotisme est doué, per se, sans l'intervention d'aucune suggestion directe ou indirecte d'une action nettement cura-tive. (1)
L'action sédative et antispasmodique de l'hypnotisme découle de ce fait qu'il est doué des mêmes propriétés que le sommeil normal. Les effets sédatifs et antispasmodiques d'un sommeil réparateur sont bien connus. Il est certain que le sommeil provoqué n'exercera sûrement cette action favorable qu'autant qu'il sera établi dans des conditions qui le rapprochent le plus possible du sommeil normal. Cet état ne peut-être obtenu qu'en s'abstenant rigoureusement de toutes interventions expérimentales susceptibles de mettre en jeu l'activité psycho-motrice des sujets. L'hypnotiseur devra se borner a provoquer l'apparition du sommeil par les procédés capables de réaliser un sommeil assez profond. Pour arriver a ce résultat, il est indispensable de recourir à l'action des agents physiques. L'emploi des d iapasons à sonorité prolongée est un des meilleurs moyens d'arriver à ce résultat. Ensuite l'opérateur régularisera le sommeil par des formules évoquant l'idée de calme et de repos, telles que les suivantes : « Dormez comme si vous étiez endormi le soir dans votre lit : donnez sans être agité, sans rêver ; dormez uniquement pour vous reposer, et surtout dormez le plus profondément possible ; isolez-vous du monde extérieur, sans être influencé par les mouvements et les bruits du dehors. » Le sommeil, une fo!s obtenu, devra être prolongé le plus longtemps possible.
(1) Bérillos : Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué basée sur l'examen de la tension artérielle. 'Revue de l'Hypnotisme. Tome 12. 1897, p. 20.
Que l'hypnotisme confère aux effets des suggestions faits dans cet état une intensité plus marquée, cela n'a été discuté par personne. U n'y a donc pas lieu de s'y arrêter. Un point sur lequel je crois plus essentiel d'insister, c'est que l'expérience qui consiste à provoquer l'hypnotisme constitue en elle-même une méthode de rééducation de l'attention et de la volonté.
En effet, le premier temps de l'expérience ne consiste-t-il pas a solliciter, de la part du sujet, la mise en jeu d'uu effort d'attention. Cela est tellement évident que les observateurs les plus compétents ont réduit toute la psychologie de l'hypnotisme à une « concentration de l'attention. » Cette théorie exprimée par Braid, a été ensuite admise avec de légères variantes, par Braid, Durand de Gros, Liébeault, Heidenhain et Benrd. Lasègue et Charcot, acceptèrent également l'interprétation de l'hypnotisme par « l'attention concentrée. »
L'exercice qui consiste à réaliser et à maintenir à son maximum l'acte si difficile de l'attention volontaire peut être légitimement considéré comme un procédé des plus capables d'aboutir à la rééducation de l'attention.
Substituer à l'état d'activité mentale, comme cela se passe dans la production de l'hypnotisme, l'état diamétralement opposé de la passivité et dn repos, n'est-ce pas soumettre le patient a l'entraînement le plus propre, à mettre en action les fonctions d'arrêt du cerveau. A ce point de vue également toute expérience d'hypnotisme doit également être envisagée comme un procédé de rééducation de la volonté d'arrêt. Ceux qui revendiquent une priorité quelconque dans l'utilisation des méthodes de rééducation n'ont fait que suivre d'un pas tardif les enseignements des maîtres de l'hypnotisme.
Enfin, le cinquième et non le moindre des mérites de l'hypnotisme, c'est que, contrairement à ce qu'ont professé certains détracteurs de cette science, il est susceptible d'être appliqué d'après les règles d'une véritable posologie.
La pratique de l'hypnotisme entre les mains des médecins compétents •comporte l'administration de doses variables selon les symptômes et les états dans le traitement desquels il est indiqué. Selon les cas, non seulement les applications de l'hypnotisme devront être graduées, mais il sera possible de varier la durée et l'intensité du sommeil provoqué, de rapprocher ou d'éloigner les séances d'après les indications et les nécessités. D en sera de même des suggestions dont l'impérativité variera selon le degré plus ou moins accentué de la suggestibilité du sujet.
(A suivre)
A propos de quelques récentes publications sur l'incontinence d'urine.
par M. le D' Paul Fàrez.
I
Il ne se passe guère d'année que, dans quelqu'une de nos Facultés de médecine, on ne présente une ou plusieurs thèses de Doctorat sur l'Incontinence dite essentielle d'urine.
Quand les auteurs arrivent au chapitre « Traitement », il en est qui, sans scrupule ne font pas la moindre allusion à la Psychothérapie. L'un d'eux, cependant, s'avisa un jour d'écrire : « On a proposé de traiter l'incontinence nocturne d'urine par l'hypnotisme. Hais M. Doulrebente a rapporté le cas d'un fonctionnaire qui, hypnotisé par Donato, en fut tellement impressionné qu'il prit nn accès de mélancolie avec stupeur, refus des aliments, etc... » Et voila l'hypnotisme condamné, sans antre forme de procès.
L'auteur ne s'est pas dit que le « magnétiseur » en question, opérant dans une salle de spectacle, n'avait d'autre but que d'impressionner les assistants ; sans connaissance, sans préoccupation médicale, Donato réalise les hallucinations les plus diverses ; ayant obtenu le résultat désiré, il s'occupe fort peu des suites de ses expériences ; il ne prend pas soin de réveiller le sujet avec l'art et la minutie qui conviennent. Qu'a de commun avec ces exhibitions théâtrales l'action exclusivement thérapeutique du médecin compétent, prudent, qui pratique avec discernement la posologie de l'hypnotisme ?
Oserait-on proscrire de nos écoles la gymnastique, sous prétexte qu'un jour, au Nouveau-Cirque ou à l'Olympia, quelque acrobate est tombé sur la scène au cours de ses exercices et qu'il en est résulté une luxation ou une fracture ? Songe-t-on à rayer l'hypodermie de l'a pratique médicale parce que, de loin en loin, nne garde peu soigneuse a fait à son malade une injection sous-cutanée et qu'il en est résulté nn abcès ?
Quoiqu'il en soit, depuis lors, la plupart des auteurs qui écrivent sur l'incontinence reproduisent textuellement le même cliché : « On a proposé l'hypnotisme... Mais M. Doutrëbente, etc., » Us se copient avec une-fidélité touchante, sans se demander un seul instant si l'argument mérite d'être retenu ou s'il a une valeur probante quelconque.
Pendant qu'ils y sont, et faisant flèche de tout bois, ils répètent, servilement, d'autres arguments de même valeur.
On invoque Garnier. « L'hypnotisme, a-t-il dit, peut éveiller l'hystérie en puissance : l'hypnotisé peut garder de sa séance une impression fâcheuse ou quelque hallucination. »
L'hypnotisé peut, c'est une simple possibilité.
Qu'une thérapeutique, appliquée d'nne manière intempestive et brutale par quelque maladroit, ignorant ou inexpérimenté, soit capable de quelque effet « fâcheux », cela se peut. Hais il se peut aussi qu'un médecin avisé, rompu à son emploi l'applique d'une manière à la fois inoffen-eive et efficace. Cette possibilité, on n'a pas même la loyauté de l'envisager.
A ce compte on aurait tout aussi bien le droit de dire : « Le chirurgien peut oublier dans le ventre de son opérée une pince ou . une compresse (cela s'est vu) ; toute laparatomie est condamnable.
La strychnine peut empoisonner ; tous les alcaloïdes peuvent causer des désagréments, s'ils sont employés autrement qu'il ne convient. Va-t-on pour cela demander la suppression de l'alcaloïdothérapie ?
Mais il y a mieux. On met en avant Solon et Surbled qui attribuent à l'hypnotisme deux cas d'encéphalite mortelle !
Vraiment, Messieurs, à quel médecin impartial, compétent, doué de sens critique, fera-t-on croire que l'hypnotisme est capable de provoquer une encéphalite mortelle ? Et quelle dose de légèreté ou de crédulité faut-il supposer chez celui qui reproduit avec sérénité une telle proposition, sans en éprouver ni doute, ni étonnement ?
Avant de mourir, ces malades ont bu, mangé, dormi, marché, uriné ; il ne serait pas plus illogique d'écrire que c'est cela qui leur a été mortel, car enfin il ne suffit pas qu'un fait vienne après un autre pour qu'il en soit inévitablement l'effet.
Ace propos, laissez-moi vous citer deux cas. J'emprunte l'un à notre très compétent confrère de Bruxelles, le De Van Velsen ; l'autre m'est personnel.
Un professeur d'une université de province écrit à Van Velsen pour lui demander de venir dans la ville de C, afin d'hypnotiser un de ses malades. Us conviennent d'un rendez-vous. Mais au jour dit, le professeur est subitement empoché et la séance est remise au lendemain. Le lendemain, au moment de quitter Bruxelles, notre distingué collègue reçoit une dépêche lui annonçant que la malade dont il s'agit vient de mourir subitement. « Si, dit van Velsen, J'avais été, ce jour-là, faire une séance de suggestion à C, je n'aurais certes pas empêché cette dame de mourir et beaucoup auraient mis la mort subite sur le compte de l'hypnotisme. »
Voici mon fait personnel.
Le samedi 5 septembre 1908, je reçois d'un médecin de la Seine-Infé-rieure une lettre me disant en substance : « Je désire vous envoyer une malade qui a des troubles gastro-intestinaux, justiciables, à mon sens, de l'hypnotisme ; elle est décidée à aller se soumettre à votre traitement sans retard ; elle logera à l'hotel et ira vous voir autant de fois que son état l'exigera ». Devant quitter Paris pour plusieurs jours, je lui donne rendez-vous seulement pour le vendredi 11 septembre à 2 heures. Le vendredi, à S heures, j'attends en vain la malade annoncée. Le lendemain, lettre explicative de mon confrère : cette personne est morte subitement sur le quai de la gare, au moment où elle allait prendre le train pour se rendre à Paris. Si, comme on me le demandait, j'avais pu donner un rendez-vous à cette malade pour le 7 ou le S, elle eut été en plein traitement le 11. Comme elle était, le 11. en imminence de mort subite, elle serait peut-être morte subitement chez moi ou eh sortant de chez moi et les logiciens de l'éternel sophisme post hoc ergo propter hoc n'auraient pas manqué d'étiqueter ce cas : Mort causée par l'hypnotisme !
A ce sujet, encore un mot personnel.
MM. Bazy et Deschamps ont présenté. Tau dernier, à la douzième session de l'association française d'Urologie, un rapport très remarquable qui est ce qu'on a écrit de mieux sur l'Incontinence d'urine. Ces auteurs m'ont fait le grand honneur, dont je les remercie très vivement, d'exposer en détail et très fidèlement, avec la techique spéciale qu'il comporte, mon
traitement de l'incontinence par la suggestion pendant le sommeil naturel ou suggestion somnique. Toutefois, soucieux de présenter une documentation complète, ils citent íes argunients(!) de Doutrebente,Garnier. Solon, Surbled et tutti quanti ; et ils ajoutent que ce sont ces critiques qui m'ont amené a traiter l'incontinence par la suggestion non plus hypnotique mais somnique.
Sur ce point, je suis obligé de rectifier formellement.
Les critiques des auteurs susnommés, je les considère comme inexistantes et ne méritant pas, en somme. d'être discutées. Ainsi que l'ont montré Liébault, Cullerre. Wetterstrand et principalement Bérillou. l'hypnotisme est le procédé de choix dans le traitement de l'incontinence: il est complètement inoffensif : il constitue un procédé commode.rapide, efficace, il donne des résultats efficaces et durables. J'ai simplement recommandé la suggestion somnique comme substitut de la suggestion hypnotique, dans le cas où l'hypnotisation ne peut pas être réalisée et dans le cas où les familles la refusent par pusillanimité, opinion fausse, crainte illusoire, etc. Je reconnais et je proclame l'excellence de l'hypnotisme proprement dit, que je pratique couramment et dont je n'ai qu'à me louer.
II
Bon nombre d'auteurs soutiennent que Tablatiou des végétations adénoïdes guérit inévitablement l'incontinence nocturne d'urine ; de là à conclure que les végétations adénoïdes sont la cause de l'incontinence, il n'y a qu'un pas... et ce pas a été franchi.
Or, consultons les statistiques.
Sur 716 enfants que Fischer a opérés de végétation adénoïdes. 106 seulement étaient incontinents, soit 14,80 pour 100.
Sur 400 cas d'adénoïdes, Mygin n'en a trouvé que 31 d'incontinence, soit 7,75 pour 100.
Gruback, sur 427 cas d'adénoïdes n'a trouvé que 61 fois la coexistence de l'incontinence, soit 14,2S pour 100.
Donc non seulement les végétations adénoïdes ne conditionnent pas tons les cas d'incontinence, mais encore les cas où l'incontinence s'accompagne d'adénoïdes constituent une infime minorité, soit 12.83 ponr 100, si l'on réunit tous les cas des trois statistiques ci-dessus.
Il n'en reste pas moins, dira-t-on, que bon nombre de fois, l'ablation des adénoïdes amène la disparition de l'incontinence. Oui,... à moins que l'incontinence ne persiste comme auparavant, ou même qu'après avoir été supprimée précédemment, elle ne reparaisse à la suite de l'opération. — à moins encore que, inexistante avant l'opération, elle n'apparaisse après.
Dans les cas heureux, est-ce véritablement la suppression des adénoïdes qui guérit l'incontinence ? Notre pratique des incontinents a fait naître en nous la conviction que cette ablation agit sur l'incontinence soit par le trauma quelle provoque soit par la suggestion dont ou l'accompagne, soit encore par les deux à la fois.
Tous íes laryngologistes que l'on consulte pour adénoïdes et auxquels on révèle l'existence de l'incontinence ne manquent pas d'affirmer, péremptoirement, que celle-ci sera guérie par l'opération. Or, en fait, une suggestion qui s'appuie sur une intervention aussi impressionnante, aussi douloureuse, aussi sanglante, ne peut manquer de se réaliser souvent.
Mais voici la contre-partie. Désireux d'étudier l'influence réelle de l'ablation des adénoïdes sur la guérison de l'incontinence, Lang se garde bien de suggérer, directement ou indirectement, que l'une agira sur l'autre. Ayant examiné 50 incontinents, il n'en trouve que 8 atteints d'adénoïdes. Il opère ceux-ci, purement et simplement, sans commentaires, et, après l'opération. 7 sur 8 restent incontinents comme devant.
Lorsque l'opération pure et simple guérit, par elle seule. l'incontinence, c'est par contre-coup, à la faveur de l'ébranlement nerveux, du choc qu'elle provoque et qui bouleverse les conditions physiologiques du patient, mais et surtout en particulier son sommeil, cela est si vrai qu'on a constaté la disparition de l'incontinence après les opérations les plus diverses, — tout aussi bien, d'ailleurs, qu'après des trauniatismes psychiques.
Cette considération me remet en mémoire une discussion peu banale survenue il y a quelques années à la Société de Médecine d'Angers.
H s'agit d'une jeune fille incontinente, dont le clitoris est extrêmement excitable et toujours en érection ; Tesson (d'Angers) pense que cet éré-thisme du clitoris a fait naitrc un ércthisme semblable de la vessie et que, en supprimant un des organes trop sensibles, il fera disparaître ou-du moins, atténuera l'excitabilité de l'autre. Il enlève le clitoris et l'incontinence cesse.
Notre distingué collègue Binet-Sanglé, présent à la séance et très au conrant de la pratique psychothérapique, fait observer que, selon toute vraisemblance, ce résultat est d'ordre suggestif et que cette jeune fille, tout en conservant son clitoris, aurait pu, tout aussi bien, être guérie par la seule suggestion hypnotique.
Aussitôt très vive protestation de Charier. lequel « préférerait mille fois recourir à l'opération au chloroforme que de confier sa malade à un hypnotiseur. » Invoque-t-on, contre l'hypnotisme des raisons, des arguments, des griefs ? L'hypnophobie ne raisonne pas ; elle affirme et cela lui suffit!
Au cours de la même séance, un assistant demande à Tesson quelle conduite il tiendrait si pareil cas se présentait chez un individu du sexe masculin. Tesson réplique que cela demanderait mûre réflexion mais il ne s'engage pas a ne pas opérer !! Que Dieu garde nos petits Français de tomber dans ses mains redoutables !
III
Los maladies infectieuses peuvent, soit momentanément, soit définitivement, faire cesser l'incontinence nocturne, d'une part â titre de trauma-tismes. d'autre port, en raison des toxines qu'elles déversent dansl'écono-
mie. Ces toxines sont, les unes stupéfiantes, les autres convulsivantes. Suivant que les premières on les secondes prédominent, la profondeur du sommeil est augmentée et l'incontinence persiste ; ou bien le sommeil est devenu beaucoup plus léger, le malade est averti de ses sensations vésicales et sphinctériennes, il se lève pour uriner on même il empêche la vessie de se vider et l'incontinence est suspendue.
J'ai connu une jeune incontinente qui fut atteinte de rougeole. Pendant toute la durée de cette dernière, elle est nerveuse, agitée, dort mal, 60 réveille souvent... et, pas une fois, elle n'urine au lit. Dès qu'elle est convalescente, elle retrouve son sommeil profond et elle se remet à uriner la nuit, comme par le passé.
Voici un autre cas, inversé, puis-je dire, où les toxines ont, non pas atténué, mais aggravé la profondeur du sommeil.
Un jeune homme de 13 ans, interne dans on collège de Seine-et-Marne, vient passer ses vacances de Pftques chez ses parents. On est très mécon-tent de lui au collège, on parle même de le rendre a sa famille parce que, chaque nuit, sa literie est souillée par l'urine qu'il a émise involontairement. Je le vois deux soirs de suite et lui fais, chaque fois, une bonne séance de suggestion sommique (pendant son sommeil). Ces deux nuits là et la suivante, aucune émission involontaire d'urine. Le lendemain, on l'opère de végétations adénoïdes, ainsi que la décision en avait été prise avant que l'on ne m'eût appelé auprès du jeune homme. L'incontinence ne reparait pas et « naturellement ” le laryngologiste revendique ce succès. Notre jeune homme retourne au collège ; un mois se passe, sans rechute,an bout duquel il contracte la varicelle. Il est très fébrile, appesanti, abattu ; son sommeil est lourd ; l'incontinence reparaît... et persiste après la guérison de la varicelle. Lors de son premier congé, je le revois chez ses parents et la suggestion sommique triomphe définitivement de son incontinence, il y a de cela sept ans.
IV
Parmi les nombreux, les trop nombreux médicaments vantés contre l'incontinence, il en est un qui jouit, tout particulièrement, de la vogue dn monde médical. Je dois dire qu'il a pour parrain un homme considérable, le grand Trousseau, dont les Cliniques doivent nous être doublement chères ; elles constituent, en effet, une œuvre incomparable, non surpassée, non égalée, trop peu lue de nos jours ; et puis, elles ont été en grande partie, rédigées par notre vénéré maître Dumontpallier qui, avec une rare abnégation y a fait figurer, comme étant de Trousseau lui-même, bon nombre de ses travaux personnels.
C'est presque avec enthousiasme que Trousseau célèbre l'action de la belladone. Sur la foi de ce glorieux ancêtre, tous les auteurs modernes recommandent la belladone, et son alcaloïde l'atropine, comme les médicaments classiques de l'incontinence. Jarare in verba magistri est. plus qne jamais, le péché mignon de la gent médicale.
J'assistais, un jour (ce n'était point à Paris) à une soutenance de thèse sur l'incontinence et j'ai entendu l'un des juges dire au candidat : « Oui
je suis de votre avis, le meilleur médicament de l'incontinence, c'est, en effet, la belladone ; et si la belladone est utile, c'est évidemment, parce qu'elle diminue l'excrétion urinaire. »
On croit rêver, en entendant de pareilles choses. Comment, à une époque où l'intoxication domine toute la pathologie, où la dépuration urinaire est l'a b c de tout traitement, un agrégé recommande, en pleine Faculté, une médication dont le propre est de restreindre le fonctionnement dn rein ! Et, après cette prouesse, on ose reprocher inconsidérément à l'hypnotisme thérapeutique des méfaits illusoires !
Oui, une semblable médication a le grand clinicien Trousseau comme répondant ; mais le respect que l'on doit aux hommes éminents ne va pas jusqu'à accepter, sans sourciller, leurs erreurs. Pour ma part, je proteste très énergiquement, par la parole et par la plume, toutes les fois que j'en ai l'occasion, contre cette erreur d'un homme de génie et j'estime que la belladone, surtout aux doses où l'on est convenu de l'employer, est un médicament dangereux, encore que d'une efficacité très relative.
En effet, Trousseau |lui-même, qui fut son instauratenr, le présente comme un remède « éminemment utile » qui procure presque toujours « un amendement notable », qui « soulage » presque toujours.
Or, toujours d'après Trousseau, dans le traitement par la belladone, il faut montrer beaucoup de patience, en réclamer du malade et continuer l'emploi du médicament pendant de longs mois, car. dit-il, quand l'amélioration est notable, si l'on abandonne le remède, les accidents reviennent et il faut recommencer. Même après guérison, la belladone doit, sons peine d'une rechute, être continnée six, huit et dix mois !
Pour obtenir des résultats si tardifs et si précaires, Trousseau recommande jusqu'à des doses quotidiennes de quinze, même de vingt centigrammes d'extrait de belladone et en une seule prise ! Une telle posologie ne pourrait s'excuser que si elle donnait des guérisons rapides et durables ; or nous venons de voir qu'il est loin d'en être ainsi. On ne saurait donc trop s'élever contre cette dangereuse toxicomanie.
V
Les auteurs sont également unanimes à recommander de diminuer considérablement la quantité de boisson chez les incontinents. Mais encore une fois, cette diminution portera préjudice à la dépuration urinaire. Et puis, quand un individu est constipé, lui demande-t-on de manger de moins en moins, de manière qu'il ait de moins en moins de déchets à rejeter ? Loin de là ; la vraie voie est d'entraîner chaque organe à accomplir normalement et complètement sa fonction ; on tâche de redresser son activité déviée ; on ne le dispense pas de travailler, mais on rééduque son travail. Ici le problème n'est pas de restreindre la quantité d'urine émise, mais de discipliner la vessie et de l'habituer à conserver pendant la nuit l'urine, excrétée en quantité normale.
VI
Autre chose encore. Les familles déplorent la mauvaise habitude noc-
turne de leur enfant, elles déplorent encore plus les souillures de sa literie. Alors, la nuit, la maman s'applique à dormir légèrement et, toutes les deux heures, elle se lève ; à grand peine, elle réveille l'incontinent et l'oblige à se mettre sur le vase ; l'urine que celui-ci reçoit n'ira toujours pas transpercer le matelas et la mère de famille se recouche, convaincue d'avoir fait son devoir. Or, excellente, peut-être, au point de vue de l'économie ménagère, cette pratique est détestable au point de vue médical.
Livré à lui-même, l'incontinent urinera peut-être une fois ou deux pendant la nuit, c'est-à-dire que sa vessie saura rester quatre ou cinq heures, peut-être plus sans se vider. En obligeant l'enfant à se lever, on entraîne sa vessie à se vider toutes les deux heures ; on va a l'encontre de la guérison, puisque celle-ci, au contraire. n'est obtenue que lorsqu'on a entraîné la vessie à résister aux sollicitations évacuatrices et à rester pleine jusqu'au lever. Les familles croient bien faire : c'est au médecin à leur expliquer, d'abord, l'illogisme de cette pratique, puis à combattre victorieusement l'incontinence par les moyens efficaces qui ont fait leurs preuves.
VII
Il n'existe à la vérité, aucun médicament spécifique de l'incontinence. Contre elle, tout a réussi et tout a échoué. Les interventions les plus diverses, même les plus bizarres, sont efficaces ou inefficaces suivant que la suggestion les vivifie ou non. La suggestion est. en dernière analyse, l'élément vraiment curatif, qu'il s'agisse de substances chimiques, d'agents physiques ou de dispositifs très ingénieux, comme, par exemple, l'appareil à sonnerie électrique ou à courant faradique du Dr Genouville.
Dès lors, on comprend que la suggestion directe agisse, en dehors de toute médication et de toute instrumentation, pourvu qu'elle soit déposée dans un terrain bien préparé, dont la réceptivité a été méthodiquement exaltée. Un incontinent est d'autant plus accessible à la suggestion qu'il a été plongé dans un état plus accentué d'hypotaxie, et le sommeil hypnotique constitue l'état d'hypotaxie le plus favorable a la pleine réussite de la suggestion.
Que fait donc la suggestion hypnotique et comment réalise-t-elle la guérison ?
Tous les incontinents dorment trop profondément. Les mamans savent la peine qu'elles ont à réveiller leur enfant, au milieu de la nuit, je ne dis pas complètement, mais juste assez pour qu'il se mette sur le vase. Ce sommeil trop profond, ou barhgpnie. est la clef de l'incontinence. En effet, la suggestion enjoint à l'incontinent de dormir moins profondément et, tout en dormant d'un sommeil réparateur, d'être a l'affût de ses sensations vesicales ; elle lui prescrit, dans les premiers temps, de se lever, dès qu'il sentira le besoin d'uriner, et de vider sa vessie séance tenante, plus tard de s'entraîner à contracter son sphincter vesical et a retenir son urine jusqu'au lever.
Toutefois, il est des sujets chez lesquels, pour diverses raisons, le som-
meil hypnotique n'a pu être obtenu. D'autres fois, des parents timorés, esclaves de préjugés surannés, refusent de laisser hypnotiser leur enfant. Alors il faut utiliser le sommeil naturel comme on le ferait du sommeil hypnotique artificiellement provoqué dans la journée.
La suggestion sommique (pendant le sommeil naturel) comporte, toutefois, dans ces cas, une technique spéciale ; je l'ai maintes fois exposée ; il me parait opportun de la rappeler ici et je demande la permission de me citer :
« Nos petits incontinents, avons-nous dit. dorment trop profondément. Si, pendant leur sommeil naturel, on leur fait des suggestions avec les ménagements et la discrétion que comporte ce procédé, tel qu'on l'emploie, par exemple chez les aliénés, ils n'entendent rien et, par conséquent, n'en retirent aucun bénéfice.
L'expérience que j'ai acquise sur ce point me permet d'être très catégorique. Pour que nos paroles impressionnent un incontinent, il est indispensable que nous lui parlions à haute, h très haute voix. Souvent-même nous devons secouer le dormeur, le tirer des profondeurs de son sommeil, le réveiller à demi, provoquer la mise en jeu de son automatisme psychologique, lui demander formellement d'acquiescer a notre suggestion et même l'obliger a la répéter.
Ainsi, dans le cas actuel, j'ai procédé comme il suit : « Tu m'entends bien, quand tu sentiras le besoin de faire pipi, tu appelleras ta maman. Tu me le promets ? Tu y penseras bien Allons, réponds-moi. N'est-ce pas que tu appelleras ta maman '? » — « Oui ! », dit l'enfant, en se retournant dans son lit, sans toutefois se réveiller. — « Mais, qu'est-ce qne tu diras à ta maman ? Allons vite, parle ! Qu'est-ce que tu lui diras ?» — Maman pipi ! » articule l'enfant, toujours sans se réveiller. — « Tu me le promets : c'est sûr, bien sur ?» — « Sûr ! ».
Si elle torde à me répondre, je lui souffle sa réponse : « Tu l'entends bien, tu appelleras, tu crieras : Maman pipi ! C'est bien entendu, répète-moi ce que tu lui diras ! » Et docilement elle répète : « Maman, pipi ! »
Elle a été impressionnée, elle a acquiescé : dès lors la suggestion s'est gravée dans son esprit et sera efficace. ” (Reçue de l'Hypn. nov. 1903).
VIII
Un récent article de la Semaine médicale commençait par ces mots : « La thérapeutique de l'incontinence d'urine chez les enfants n'a, jusqu'ici, enregistré qu'un nombre relativement restreint de succès... » Pour écrire ce qu'on vient de lire, il faut, arbitrairement, supprimer d'un trait de plume, les succès rapides, faciles et durables obtenus par suggestion,
En 1900, Cullerre (de la Roche-sur-Yon) accusait, sur 64 cas d'incontinence traités par la suggestion hypnotique, 10 améliorations et 50 guéri-sons. Les statistiques de Bérillon sont encore plus favorables. Aussi, ceux qui ignorent ou qui doutent feront bien de rendre visite à la clinique de l'Ecole de Psychologie où, en tous temps, ils pourront observer plusieurs cas en cours de traitement ; ils y verront avec quelle simplicité, quelle innocuité et quelle régularité la suggestion hypnotique triomphe de cette
incontinence dite essentielle d'urine, dont les médecins étrangers a la psychothérapie, déplorent la « ténacité déconcertante. »
Intoxication cocaïnique par les muqueuses de la face
par le D[ Tarkius, Directeur de la Maison de Santé d'Epinay (Seine)
La communication que je vais avoir l'honneur de vous faire est. je crois, intéressante à deux points de vue, d'abord, par le procédé employé par le malade : un médecin n'eut peut-être jamais songé à utiliser ce procédé, dont un malade à l'esprit plus inventif a pu se servir pendant des années.
L'observation est également importante au point de vue des troubles cérébraux d'origine cocaïnique. Certains auteurs prétendent en effet que l'intoxication cocaïnique ne peut amener des troubles mentaux.
L'occasion nous sera probablement offerte plus tard de reproduire cette observation, a ce dernier point de vue. D'ores et déjà, il faut constater qu'elle est une preuve que l'intoxication cocaïnique suffit à provoquer des troubles cérébraux.
Il y a quelques mois, un homme âgé de 36 ans, entrait dans mon Etablissement. Cetjiomme arrivant à Paris était descendu dans un hôtel des Boulevards. Le soir même de son arrivée, il était pris de troubles cérébraux de nature inquiétante pour ses voisins et pour les directeurs de l'Hôtel.
Quelques jours après, les manifestations cérébrales devinrent de plus en plus aiguës et un soir, à l'heure du thé, il fit irruption, en costume sommaire, dans les salons de l'Hôtel. Il brandissait à la main droite un petit canif de poche ouvert, et menaçait les personnes attablées. D'où désarroi, fuite des clients dans l'hôtel et au dehors et poursuite des clients par le malade jusque sur le boulevard : intervention de la police et conduite a l'Infirmerie spéciale où il séjourne 24 heures.
Le certificat d'entrée indique que le malade était en proie à des hallucinations et illusions surtout auditives : déséquilibration psychique et cocaïnomanie chronique ; fugue sous l'influence des terreurs, de la crainte des assassins ; préoccupations hypocondriaques ; inégalité pupil-laire, tremblement des mains ; appoint alcoolique probable.
A son arrivée dans mon Etablissement le malade était encore sous l'influence de ses hallucinations. Il peut quelques jours après son entrée, lorsque le calme fût revenu,me donner les renseignements sur les causes de son trouble cérébral.
Ce malade est atteint depuis l'âge de 20 ans d'asthme des foins (hay fever) et d'éternuements répétés, survenant par crises de 30 à 40Jéter-nuements presque sans interruption. La vie sociale et mondaine, me disait-il, m'était devenue impossible. Il m'arrivait souvent, à la suite d'une invitation à dîner, d'éternuer pendant cinq minutes, soit à table, au salon ou au fumoir. Ces crises, entrecoupées d'un intervalle plus ou moins long, revenaient plusieurs fois dans la soirée. Fréquemment, c'était dans la rue. sans cause apparente. J'étais, me disait-il, désespéré
et j'avais, bien entendu, consulté un grand nombre de médecins et suivi un non moins grand nombre de traitements. La morphine d'abord, n'eut sur moi aucun effet appréciable, et l'idée me vint d'employer la cocaïne non en poudre mais en solution concentrée.
J'achetais en gros cette substance et faisais moi-même la solution. Je n!ai jamais su au juste la quantité que je faisais dissoudre. Avec un tampon d'ouate imbibée de la solution, plusieurs fois par jour, sons l'imminence d'une crise, je frottais longuement les gencives, les narines et j'en arrivais a répandre sur les conjonctives des gouttes de cette solution et plus tard j'en introduisis même dans les oreilles. Cela dura quelques années. J'éprouvais un grand soulagement ; mais je m'apercevais que je perdais le sommeil, l'appétit, le goût et l'odorat. Je continuais néanmoins, de crainte d'une crise d'éternuements. C'est alors que dans mon récent voyage en France, à la fin de 1908. je fus pris de frayeurs, de terreurs diurnes et nocturnes. Il me semblait qu'on me poursuivait, qu'une bande d'apaches était à mes trousses : j'entendais leurs menacés et c'est pour me défendre contre leurs poursuites dangereuses que. en proie à des hallucinations terrifiantes, je me fis arrêter sur le boulevard.
A l'examen, on constate une insensibilité des muqueuses de la bouche, du nez et des yeux.
Les troubles cérébraux disparurent rapidement avec la cessation du toxique. Le premier symptôme de la convalescence fut une envie irrésistible de dormir. Le malade dormait 18 heures par jour, comme un enfant disait-il. L'appétit revint très vite : pas d'éternuements, pas d'accès d'asthme.
Au bout d'un séjour d'un mois, le malade partit guéri, en apparence du moins; mais il est à craindre que, les mêmes manifestations se reproduisant, il n'ait recours de nouveau aux mêmes moyens pour les combattre. _
Le congrès des h Danseurs de la Pentecôte »
par M. le Dr WITRY (de Trèves-sur-iloselle).
Le 1er mai a eu lieu, à Cardiff, la réunion d'une des sectes religieuses les plus étranges de l'Angleterre, celle des « Danseurs de la Pentecôte ». Des délégués de Londres et de tout le Royaume-Uni se sont rencontrés pour faire un pandémonium d'hystériques religieux. Cette secte a donné des spectacles encore plus étranges que les danses extatiques des derviches. La salle du Parc-Hôtel, où le congrès s'est réuni, retentissait de cris qui semblaient sourdre de tous les coins, Plusieurs membres de la secte se roulent sur le parquet comme des clowns. Un homme taillé en Hercule, se tient debont au milieu de la salle. Sa large poitrine palpite sous le coup d'une émotion considérable ; ses yeux flambloient pleins d'inquiétude : son visage est crispé comme s'il subissait les pires tortures ; à la fin, il pousse un rire strident. Sans cesse s'élève le fracas assourdissant des délégués en prières. Ce sont des cris sauvages implorant la grâce de Dieu, des gémissements d'âmes et de corps épuisés, le hurle-
ment du désespoir on des explosions de rires éclatants. Un colosse, aux chevenx drus et noirs, pleure et sanglote. On voit quelques délégués, assis jusqu'alors, se dresser d'un bond ; ils enfoncent les mains dans leurs flancs comme s'ils avaient été frappés d'une balle et qu'ils voulussent l'extraire, tandis qne. devant eux, un homme pousse un cri aigu qui semble celui d'un chat sauvage traqué. Le directeur de cet étange service religieux est un M. Smith Wigglesworth de Bradford.
Bans l'après-midi, il provoque les délégués à des ovations frénétiques en hurlant continuellement : « A moi, mes frères ! Tenez, venez ! La gloire, la gloire ! Du sang, du sang ! Amen ! Amen ! Cela dure une heure entière. S'adressant à un assistant qui est resté coi jusqu'alors, il lui crie.: Si tu ne fais pas plus de bruit, mon frère, tu seras perdu ! »
Un homme d'environ 40 ans est étendu sur le parquet, immobile, rigide, pousssant de petits cris comme un enfant méningitique. Les sanglots, les hoquets deviennent plus violents ; de temps en temps, le chant d'un cantique se mêle en sourdine à tout cela.
Quand le meeting est terminé, au bout de longues heures, quinze délégués sont tellement « possédés de l'Esprit » qu'ils ne peuvent plus quitter la salle. Le plus possédé est à genoux devant l'autel, il remue ses lèvres sans proférer une senl parole ; il secoue la tête et se tord à la fin dans une crise convulsive. Tout à coup il a un rire strident et bredouille des mots inintelligibles. Alors le chef de la secte tire une petite fiole de sa poche et en fait tomber quelques gouttes sur la tête de son frère agenouillé ; l'effet est subit, miraculeux : l'homme, en proie à son paroxysme, rentre subitement dans son état normal, comme si rien ne s'était passé.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle du mardi 21 janvier 1909. — Présidence de M. le Dr FRESSINGER, membre correspondant de l'Académie de Médecine.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. Fiessin-ger, président, de la séance annuelle, prononce une allocution dans laquelle il souhaite la bienvenue aux membres venus de province et de l'étranger et rappelle le but scientifique et psychologique que se propose la société.
M. le secrétaire général expose la situation morale et matérielle de la société dont le progrès est toujours croissant. H donne lecture de lettres d'excuses de Mil. les docteurs Witry, de Trèves-s-Moselle ; Dr Van Velsen, de Bruxelles ; Dr Orlitzky, de Moscou : Damoglou, du Caire ; Dr Vicenti Hernandez, de Séville ; Dr Lemesle, de Loches ; M. Liégeois, juge d'instruction a Epinal ; Dr Paul Magnin, vice-président : Dr Lux. médecin principal ; M. Boirac, recteur de l'Académie de Dijon, vice-président ; Dr Mercier, médecin principal ; Dr Barbier, Dr Klippel : Dr Van Reuterghem, d'Amsterdam ; Dr Van de Chys, d'Amsterdam ; professeur Ubeyd Oullah, de Constantinople ; Dr Lachaud, député ; Dr Irigoyen, de
Saint-Sébastien ; Dr Jaguaribe, de Sao Paulo ; Dr Godou. directeur de l'Ecole dentaire.
M. le Secrétaire général rappelle ensuite les pertes éprouvées par la Société dans le courant de l'année. Il expose les titres de M. le Dr Fer-nand Lagrange, de Vichy et du professeur Liégeois, de Xancy, dont les éloges seront faits prochainement par la Société. Il évoque en particulier les liens qui unissaient il. le professeur Liégeois à la Société d'bypno-logie et de psychologie dont il fut l'un des fondateurs. Vice-président du premier congrès de l'Hypnotisme en 1889. ainsi que du second en 1900, le professeur Liégeois avait exposé dans ces congrès des travaux remarquables sur les rapports de l'hypnotisme avec le droit et avec la jurisprudence. Pendant de longues années il fut pour nous un collaborateur précieux. Tous les membres de la Société professaient pour son caractère la plus haute estime. Quelques-uns étaient devenus ses amis, aussi sa perte sera-t-elle vivement déplorée. Son fils, juge d'instruction à Epinal. devenu membre de la Société, perpétuera parmi nous le souvenir de ses hautes qualités morales et continuera la tradition des études que Liégeois avait introduites dans notre programme.
La Société délègue M. le docteur Bérillon, secrétaire général, au congrès de l'association française pour l'avancement des sciences ; M. le docteur Paul Parez, au congrès des aliénistes et neurologistes de Nantes ; et M. le docteur Deraoncby, au congrès de psychologie de Genève.
La suite de la séance est occupée par la lecture de l'Eloge de Liégeois, par M. Guilhermet, avocat a la cour et d'un grand nombre de communications qui seront imprimées dans les comptes-rendus.
Chaque année le nombre des membres qui assistent à la séance annuelle s'açcroit. Cette année nous avons relevé les noms de AI M. les docteurs Fiessinger. Jules Voisin, Bérillon, Paul Farez. Paul Joire (de Lille), Hurtrel (d'Amiens), Bony (de GennevilHers), de Groer (de Saint-Pétersbourg), Cimino (de Xaples. Feridoun-Bey (de Constantinople), Kouindjy, d'Hôtel (de Poix-Terron). Bernard (de Cannes), Tanïus (d'Epinay—sur-Seine), Le Menant des Chesnais.' de la Fouchardière, Jennings, Berthet, Courtault, Rabaut, Désandré, Barthe de Sandfort. Félix Regnault; de M. Scié-Ton-Fa, mandarin ; de MM. Grollet. Lépinay, Petit. Babb Moret, médecins-vétérinaires, de M. Louis Favre. Gallia, A. Jounet, Gosset ; Ansclius Gonzalès (de Madrid), professeurs ; Quinque, directeur de l'établissement Médico-Pédagogique de Créteil : Baguer, directeur de llnstitut départemental des sourds-muets, M. Jean député ; Guilhomet, avocat à la cour, Bouchard, chirurgien dentiste, Paul Garnier, etc., etc.
Assistaient en outre comme auditeurs M. le professeur Beauvisage de Lyon, M. le docteur Otto Karmin, privât docent de psychologie à Genève ; M. le docteur Laumonier, M. Combes, secrétaire général de l'alliance scientifique universelle, docteur Parrot, etc.
Eloge du professeur Liégeois (de Nancy)
par M. Georges GUILERMET , avocat à la conr d'appel
Messieurs.
« On a besoin, disait un écrivain, pour louer les hommes vulgaires d'emprunter les ornements de l'éloquence : la simplicité des faits suffit à l'éloge du vrai mérite. »
Un long discours ne serait donc pas nécessaire : il suffirait de dire qae Liégeois fut le premier légiste à s'être occupé scientifiquement de la question médicale de l'hypnotisme.
Tandis que le Dr Bérillon a tiré de ce phénomène de surprenantes applications à la pédagogie, Liégeois approfondit les rapports de la loi et de l'hypnotisme dont il rechercha les applications au droit criminel, au droit civil et à la médecine légale.
C'est à Damvillers, dans la Meuse, que Liégeois naquit, le 30 novembre 1S33 ; rien ne permit, an début, de supposer qu'il serait un jour le oham, pion violemment attaqué d'un système médico-légal. Lorsque le jeune Liégeois, nommé conseiller de préfecture à Chateauroux, après avoir été successivement chef de cabinet dû préfet de la Meuse et chef de cabinet du préfet de la Meurthe, se préparait à rejoindre son nouveau poste, il eut sans doute souri si quelqu'une de ces bohémiennes qui sillonnaient les routes de Lorraine avait cru voir dans la main du jeune conseiller la célébrité procurée par de retentissantes polémiques sur une question de médecine.
Il ne songeait guère à l'hypnotisme quand il fut appelé par le minisire de l'Intérieur au poste de sous-chef de cabinet qu'il quitta en 1865 pour aller occuper, figé de trente-trois ans, a la faculté de Nancy, la chaire de droit la plus aride, la plus ignorée de la foule, celle où le mérite le pins rare procure à peine une notoriété restreinte : la chaire de droit administratif. L'année suivante, il fut nommé en outre, titulaire de la chaire d'économie politique.
Mais il devait retrouver dans la capitale de la Lorraine, deux hommes avec lesquels il se lia vite et qui eurent tôt fait de le convertir à la cause, j'allais dire à la religion de l'hypnotisme.
Liébeault mettait la dernière main à son ouvrage si intéressant sur le • Sommeil et les états analogues » et Bernheim se livrait dans sa clinique à des expériences dont Liégeois devint le spectateur assidu.
Ah ! quelle ne dut pas être l'angoisse de l'honnête jurisconsulte quand il lui fut donné de connaître nn des éléments les plus capricieux sans doute, mais les plus actifs de l'erreur judiciaire !
Si la volonté humaine pouvait subir de pareilles dominations, elle était exposée à commettre à son insu le délit on le crime, il était possible qn1 elle encourût injustement les responsabilités pénales et les responsabilités civiles les plus lourdes !
Quelle facilité pour un être sans scrupules, possédant ce merveilleux
pouvoir, de provoquer le sommeil, d'assouvir des convoitises criminelles ou simplement malhonnêtes et frustratoires !
Liégeois comprit tout de suite que! intérêt il y avait pour le juge, pour l'expert, pour l'avocat, à connaître ces importantes questions. Si la législation actuelle contient dans les différents Codes des dispositions capables de satisfaire les théoriciens de l'hypnotisme pour transformer les jurisprudences, ces modifications sont possibles, mais à la condition que la mentalité du juge se transforme elle-même.
Comment celui-ci pourrait-il tenir compte d'un pareil élément d'appréciation, s'il ne connaît pas l'hypnotisme, s'il n'y croit pas, s'il ne sait pas quels indices lui permettiont d'orienter son enquête vers ces régions nouvellement explorées de la responsabilité humaine ?
Liégeois ne peut guère encourir le reproche de précipitation : pendant près de vingt ans, il étudia consciencieusement l'hypnotisme, et ce n'est qu'en 1881, aux portes de la vieillesse, qu'il lut à l'Académie des sciences morales et politiques un mémoire sur « La suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel ».
Cinq ans plus tard, il publiait un livre unique, bourré d'observations et de faits, éloquent plaidoyer en faveur d'une idée : « De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec les jurisprudences et la médecine légale ».
La théorie de Liégeois eut des partisans ardents, mais souleva des oppositions et des haines irréductibles.
Plaidant dans le procès Chambige. le célèbre avocat Durier s'écriait que les haines littéraires sont les plus terribles de toutes. On peut en dire autant des haines scientifiques. Les objections passionnées, les arguments féroces, les injures mêmes ne furent pas épargnés à Liégeois et à son œuvre : il les reçut avec la sérénité de l'apôtre. Qui donc avait tort ; qui donc avait raison ?
Il n'appartient pas à un juriste d'en décider : laissons aux médecins le soin de discuter ces délicates questions. Ds ne m'en voudront pas de constater que la médecine, comme le droit, connaît l'incertitude des doctrines et l'antagonisme des systèmes. Pourtant, je ne puis croire à l'inanilé d'un dogme promulgué par Braid, Durand de Gros, Liébeault, Mesnet, Charles Bichet, Beannis. Luys, Charcot, Paul Kicher, Pitres, F. Baymond, Dumontpallier, Magnin. Bérillon, Jules Voisin.
Quelques objections que l'on fasse, je répondrai que le caractère et la probité professionnelle de ces hommes me sont garants de leurs doctrines.
Le livre de Liégeois parut au moment même où une affaire criminelle passionnait le monde entier. La disparition de l'huissier Gouffé, la découverte de son cadavre près de Lyon dans une malle, l'arrestation d'Eyraud et de Gabrielle Bompard furent les péripéties d'un drame judiciaire dont le dénouement eut lieu en Cour d'assises.
Ce procès se transforma vite et les polémiques de presse montrèrent que le jury de la Seine aurait moins à juger Eyraud et Gabrielle Bom-
pari qu'à choisir entre les théories de l'école de Nancy et les théories de l'école de la Salpêtrière.
Pour l'une, la suggestion criminelle est une réalité irrésistible et les hypnotisés peuvent se classer ainsi :
Io Les sujets qu'on transforme en véritables impulsifs : ceux-là exécuteront une suggestion criminelle sans hésiter.
2° Ceux qui. antérieurement, n'ont pas de sens moral. ; les suggestions criminelles faites à ces sujets ne rencontreront aucune résistance.
Pour la seconde, l'abolition de la liberté morale n'est que fictive, le sujet pouvant discuter la valeur et la gravité de l'acte suggéré et restant maître de l'accomplir ou de résister à son gré.
Brouardel soutenait même que le sujet ne fait que ce qu'il veut, que ce qui n'est pas en opposition avec ses habitudes, son éducation, son caractère.
L'Ecole de Xancy fut représentée au procès par Liégeois, témoin à décharge cité par la défense ; l'Ecole de la Salpêtrière par Brouardel, témoin à charge cité par l'accusation.
Je n'ignore pas que. si Liégois fut persuasif, il n'évita pas d'être long.
D méconnut ce que savait si bien l'admirable Henri Robert : qu'à Paris l'attention se fatigue vite et que la fiévreuse activité de la vie contemporaine a gagné dame Thémis elle-même.
Pendant quatre grandes heures d'horloge, Liégeois, avec la calme et robuste conviction d'un homme de l'Est, avec sans doute cet accent un peu rude et qui s'attarde, développa et défendit les idées si remarquables de son système.
A l'entendre, Gabrielle Bompard. facilement hypnotisable, n'avait été que l'exécutrice inconsciente d'une volonté criminelle.
Quelle surprise ce dut être et quel effarement pour la Cour, pour le jury, pour l'auditoire, d'entendre exprimer en des termes techniques qui ne leur étaient guère familiers, des idées quelque peu déconcertantes ! Si l'on ne brûle plus, à notre époque, ceux qui commettent le crime d'être des précurseurs, on cherche toutefois à les tuer par l'ironie et le ridicule.
Brouardel se servit de cette arme et sut la manier avec l'habileté d'un chirurgien qui voudrait faire souffrir cruellement le malade.
Que dit-il au juste, je l'ignore, mais je crois bien qu'il ne manqua pas d'exciter l'hilarité de l'auditoire en observant que la défense ayant à faire trancher nne question de médecine, n'avait trouvé, pour soutenir un système favorable aux accusés, qu'un professeur de droit administratif de Xancy.
Liégeois devait avoir sa revanche et le procès qu'il perdit devant la Cour d'assises de la Seine, il l'a gagné depuis ou presque, devant le jury de l'opinion scientifique.
Au cours de sa carrière, il avait dû constater avec quel scepticisme gouailleur certains tribunaux de- province accueillent l'expert, voire même l'avocat de Paris, et quelle sévérité est ordinairement réservée au malfaiteur issu de la métropole ; il put se rendre compte que Paris a
parfois les travers et les ridicules d'une petite ville, car Brouardel usa du même procédé contre l'expert de province venu déposer à Paris.
Et poartant. les théories de Liégois sont claires, impressionnantes et si les juges du procès Bompard avaient eu le loisir d'étudier complètement le livre de Liégeois, d'en examiner soigneusement toutes les conséquences juridiques, peut-être que les circunstantes atténuantes arrachées au jury se fussent transformées en acquittement.
C'est au premier chapitre une histoire complète du magnétisme animal, à propos duquel l'auteur évoque les énigmatiques figures de Mesmer, de Puységur. de l'abbé Faria. de Xoizet. de Berna. Au magnétisme animal succèdent l'hypnotisme et la suggestion depuis Braid jusqu'à notre époque.
Puis Liégeois examine les différents procédés d'hypnotisation : à l'inverse de l'Ecole de la Salpêtrière. il affirme que le sommeil hypnotique peut être obtenu chez des sujets sains et non pas seulement chez les hystériques.
Une fois admis le principe de l'hypnotisation de tous les sujets. Liégeois se préoccupe alors de la suggestion. L'hypnotisé sera-t-il accessible au conseil perfide, obéira-t-il à l'ordre impérieux quel qu'il soit?
« L'automatisme est absolu, déclare-t-il. Je ne crois pas qu'on puisse trouver une preuve plus décisive que ces exemples de femmes révélant, dans le sommeil somnambulique, les secrets les plus intimes de leur cœur ou les actes de leor existence normale qu'elles ont le plus d'intérêt à tenir cachés. »
Mais, s'il est ainsi possible de forcer et de violer les consciences, quelle résistance opposeront-elles aux suggestions criminelles ?
« Nous tirerons de là cette conséquence, continue Liégeois, que toute conscience a disparu chez l'hypnotisé qu'on a poussé à un acte criminel ; il est par suite irresponsable et doit être acquitté. Seul, celui qui a donné la suggestion est coupable. »
Et Liégeois, après avoir narré ses démêlés avec l'Institut, nous apporte des observations et des expériences confirmatives de sa théorie. N'oubliant pas qu'il a pour adversaires surtout des médecins, Liégeois niot une certaine coquetterie à développer longuement les effets physiologiques de l'hypnotisme.
A propos des effets psychologiques, il évoque la magie antique, les hallucinations spontanées, les hallucinations provoquées, dont l'étrange domaine est pour ainsi dire sans limites. Par la condition seconde et les états analogues, par la suggestion à l'état de veille, par le somnambulisme naturel, Liégeois passe en revue toutes les modalités de l'hypnose : puis, se souvenant enfin qu'il est surtout un homme de droit, qu'il se propose de fournir au juge des documents nouveaux et des connaissances nouvelles, il consacre tout un chapitre à ces éléments terribles d'erreur judiciaire : l'hystérie et les faux témoignages des enfants. L'affaire La Boncière. l'affaire Benoit, l'affaire Julie Jacquemin en sont trois exemples émouvants.
La grande préoccupation de Liégeois, c'est d'étudier l'hypnotisme dans ses rapports avec le droit : les crimes et délits imputés à des somnambules, la responsabilité dans les états hypnotiques sont analysés minutieusement par lui et les exemples qu'il donne à l'appui sont bien faits pour convaincre. Quel juge, les ayant lus. se refusera à reconnaître l'importance de l'hypnotisme dans la criminalité ? Mais pourquoi Liégeois a-t-il donc donné une place si importante au droit criminel ?
Evidemment, les erreurs judiciaires ont, au criminel, d'atroces et parfois irréparables conséquences : mais les discussions et les informations de la presse, les garanties de la loi de 1897 sur l'instruction contradictoire, la large publicité des débats, l'intérêt porté par tous a ces affaires et la possibilité pour tous d'attirer l'attention du juge sur l'hypnotisme, restreignent les chances d'erreur. Dans le droit civil, l'hypnotisme peut intervenir comme un facteur important, et, parmi les sept cents pages du livre de Liégeois, on s'étonne de n'en trouver que deux consacrées à cette importante question.
Et pourtant, est-ce que la suggestion ne sera pas aussi dangereuse en matière civile qu'en matière criminelle ?
Une conscience humaine se refusera souvent au faux témoignage apporté publiquement, entraînant la mort, les travaux forcés, l'emprisonnement, qui sera moins difficilement accessible au faux témoignage apporté dans l'obscure tranquillité des chambres civiles, sans publicité, pouvant entraîner des conséquences qui, pour ne pas être toujours moins dommageables, ont pourtant moins de brutalité. Les juridictions clandestines n'offrent aucune espèce de garantie, et les juges savent bien quelle est la valeur des enquêtes dont ils doivent néanmoins tenir'compte.
Le Code de procédure civile n'autorise à établir par témoignage que les faits admis en preuve par un jugement préalable. Ces faits doivent être énumérés, et si au cours de l'enquête le témoin apporte une déposition sur un fait nouveau capital au procès, le juge ne peut la recueillir, le fait n'étant point visé par le jugement autorisant l'enquête. Là, le témoin ne peut être déconcerté dans son système mensonger par des questions publiquement adressées, et quelles facilités de suggestion hypnotique ou autre ne donnent pas les articles 255 et 260 du Code de procédure civile ?
En effet, le jugement ordonnant la preuve doit contenir rénumération des faits à {prouver et l'assignation donnée nu témoin reproduira cette énuniération.
En matière criminelle, le témoin ignore le dossier, la citation à comparaître qui lui est remise observe une discrétion prudente ; en matière civile, au contraire, le témoin est informé à l'avance, par l'exploit à lui délivré, des faits qu'on lui demande de confirmer ou de démentir.
Comme les juges, les officiers ministériels devront être avertis des grands phénomènes de l'hypnotisme. Avant de conférer l'authenticité à des contrats, ne faut-il pas qu'ils connaissent ces formes nouvelles et délicates de l'incapacité des personnes ?
Et l'officier de l'état civil, chargé de constater l'accord des parties, ne devra pas oublier que l'hypnotisme peut constituer un vice du consentement.
Enfin, Liégeois observe avec raison que le juge devra rechercher soigneusement si les libéralités dans la donation ou le testament n'ont pas été déterminées par la suggestion hypnotique. La jurisprudence offre-t-elle un exemple d'annulation en raison de manœuvres hypnotiques ? Je n'en ai pas trouvé. Un docteur en médecine objecterait que la question ne pouvait pas se poser : les médecins seuls connaissant le mécanisme de l'hypnose et respectant trop les lois de la délicatesse et de la probité pour faire manvais usage des moyens de la thérapeutique.
Mais le juriste ne doit pas l'oublier, quelques affaires criminelles ont montré que les initiés pouvaient être étrangers au corps médical ; il faut se demander alors si. parmi les moyens innombrables et les ressources prodigieuses qne possèdent ceux qui convoitent la fortune des autres, l'hypnotisme ne figure pas. C'est qu'alors ces manœuvres occultes seraient passées inaperçues et l'enseignement de Liégeois serait précieux, puisqu'il fait l'éducation du juge sur cette délicate question.
En l'absence d'une jurisprudence, constatons que les auteurs se sont rangés à l'opinion de Liégeois et que le professeur Grasset, entre autres, dans ses ouvrages réputés, reconnaît que la doctrine régnante en matière de suggestion est celle de Liégeois. Ce savant modeste, cet honnête homme, a jeté sur une terre qui n'était pas encore tout à fait préparée la bonne semence.
Quelques épis ont levé, mais l'heure est proche où les dernières résistances du corps médical vont tomber, où le jurisconsulte considérera l'hypnotisme comme un phénomène naturel pouvant apporter une solution nouvelle aux grands problèmes juridiques. Et si l'œuvre du professeur de Xancy peut faire éviter en Cour d'assises, au Tribunal correctionnel, dans une Chambre civile, une seule erreur, il aura fait davantage pour l'équilibre social et pour le bonheur humain que tels héros dont les noms s'inscrivent en lettres de sang sur les pages de l'histoire.
Méthodes pour l'emploi de l'hypnotisme Quelques faits de la Clinique de psychothérapie de Lille
par M. le Docteur Paul Joire.
La Clinique de psychothérapie de Lille a donné lieu celte année à un grand nombre d'observations variées, que j'ai fait relever par mes élèves, mais dont vous n'attendez pas ici un récit détaillé, ce genre de faits vous est trop connu. Toutefois, s'il est vrai qu'une observation quelconque, faite judicieusement, porte toujours en elle-même un enseignement utile, à plus forte raison, des séries d'observations, groupées et comparée s méthodiquement, nous permettent de faire des remarques dont nous pouvons toujours tirer profit pour notre pratique.
Je me bornerai donc a vous signaler trois faits généraux, auxquels
j'ajouterai !e récit plus détaillé d'un cas particulier qui. pour diverses raisons, mérite d'attirer votre attention.
La première remarque que je ferai est, qu'il est regrettable qu'un grand nombre de malades, atteints de troubles nerveux, tardent si longtemps à s'adresser à la méthode hypnotique, qui seule peut les guérir, et souffrent ainsi en pure perte pendant des mois et même des années. Voici des neurasthéniques ; celui-ci se lamente et se désespère depuis deux ans ; celui-là a dû abandonner son travail depuis un an, cet autre depuis six mois ; ils viennent à la clinique où ils reçoivent le traitement hypnotique et, en quelques semaines ils sont transformés, guéris.
Ici c'est un jeune homme, atteint de pseudocoxalgie. Il botte depuis des années, il a suivi des traitements par l'électricité, l'hydrothérapie, etc. Ses parents, en désespoir de cause, se décident à l'amener à la clinique où il est guéri en trois séances.
Voici, d'autre part, une pauvre femme qui a une névralgie faciale depuis cinq ans ; elle souffre nuit et joui' et ne se souvient pas d'avoir eu une bonne nuit de sommeil. Une autre a, depuis deux ans, des douleurs dans la mâchoire inférieure, on lui a examiné les dents qui ue sont pas malades, elle ne sort que la tête enveloppée. Toutes deux sont guéries en quelques semaines par l'hypnotisme et retrouvent le sommeil, l'activité, la gaieté.
Pourquoi tous ces malades ont-ils souffert si longtemps ? Que nos confrères comprennent enfin que, quand ils ont en vain essayé tous les traitements sur un malade nerveux, il existe encore pour lui un espoir dans la Psychothérapie, et qu'il est de leur devoir de l'indiquer au malade.
La seconde observation que je ferai, très brièvement, concerne les choréiques. Il s'en est présenté un certain nombre à ma clinique, et tous ont été guéris assez rapidement. Or, on sait qu'il est assez difficile d'appliquer l'hypnose au traitement de cette affection, de sorte que j'emploie habituellement pour le traitement de ces malades un autre procédé, les applications d'aimants, qui du reste me réussissent parfaitement. A la clinique au contraire, j'ai constamment, cette année, employé l'hypnose et la suggestion hypnotique, et je n'ai éprouvé aucune difficulté à endormir mes malades. J'attribue cette facilité plus grande à provoquer le sommeil, au traitement collectif. A la clinique, les malades voient endormir les autres, ils sont témoins des suggestions qui leur sont faites et de leurs effets, cela provoque déjà chez eux un état de réceptivité qui favorise les suggestions.
Je dirai enfin quelques mots d'une méthode, dont je me suis bien trouvé, chez les nombreux malades atteints de crises hystéro-épileptiques qui ont été traités à la clinique. Beaucoup de ces malades avaient des crises violentes, avec chute, perte de connaissance : quelques-uns avaient de ces crises tous les jours. Chez ces malades, au lieu de suggérer la diminution ou la disparition de la crise, je faisais la suggestion suivante : « Dorénavant vous sentirez toujours les crises venir, quelque chose vous en avertira : et, quand vous sentirez ainsi que vous êtes menacé d'une
crise, vous irez immédiatement vous asseoir dans un fauteuil ou sur une chaise. Tous en aurez le temps et, dès que vous serez assis, vous vous endormirez immédiatement, d'un sommeil calme, profond, identique à celui dans lequel vous êtes plongé en ce moment. Vous dormirez ainsi, pendant dix minutes exactement. Au bout de dix minutes, vous vous éveillerez seul, spontanément, et vous serez calme, reposé : la crise sera passée, vous aurez dormi au lieu d'avoir une crise. »
Eh bien, cette suggestion s'est toujours parfaitement réalisée : les malades s'endormaient et n avaient pas de crise. Puis, au bout d'un certain temps, je leur suggérais que la crise transformée ne se reproduirait que tous les 2. 4, 8 jours, et enfin elle disparaissait.
Je crois que cette méthode que j'ai appelée substitutive, parce qu'elle substitue une forme de crise à une autre, peut rendre de grands services, dans des cas où l'on tenterait en vain d'espacer ou d'arrêter les crises sans ce procédé.
Je veux maintenant vous citer avec un peu plus de détails une observation dont certaines particularités méritent d'attirer votre attention..
M. P. ingénieur électricien vient me trouver pour me demander de le traiter par l'hypnotisme afin de le guérir de sa neurasthénie.
C'est un homme d'une trentaine d'années, d'une très grande activité et qui s'est beaucoup surmené.
Il a été d'abord dans la marine et a fait de nombreux voyages. Rentré chez lui il s'est marié et a fondé une affaire de montage électrique. Cette affaire, grâce à son activité, a pris rapidement une extension considérable et comme il est seul pour la diriger il cumule les travaux techniques et administratifs : il en est résulté pour lui un surmenage dont il ressent maintenant les effets.
Bref 31. F. se plaignait de douleurs de tête, de troubles digestifs, d'insomnie et d'agitation pendant la nuit. Il accusait une grande diminution de la mémoire, la perte de la capacité de travail, qui autrefois au contraire était très considérable chez lui.
Je n'insiste pas sur le détail des symptômes neurasthéniques que présentait ce malade, l'observation serait trop banale pour que j'en parle ici.
Je dirai seulement que M. F. se montre très suggestionnable ; je l'endors facilement et toutes les suggestions enratives que je lui fais se réalisent très bien, de sorte qu'en peu de temps il est sensiblement amélioré et en bonne voie de guérison.
Je ferai remarquer ici que M. F., qui est un homme très intelligent, s'intéresse aux j hénomènes hypnotiques il a assisté à quelques uns de mes cours et c'est à la suite de cela qu'il est venu me trouver avec une confiance raisonnée dans le succès du traitement. Ceci prouve, une fois de plus, que ce sont les sujets intelligents et qui comprennent bien ce que c'est que l'hypnotisme que l'on endort le plus facilement et chez lesquels on obtient les meilleurs effets des suggestions hypnotiques.
Ces quelques détails nécessaires étant connus, j'arrive au phénomène intéressant pour lequel je vous ai présenté cette observation.
M. F. se trouvant donc déjà en bonne voie de guérison, me dit un jour brusquement : « Pourriez-vous. par nn procédé hypnotique quelconque, me Taire trouver la solution d'un problème. Je cherche depuis plusieurs mois la construction d'une lampe à arc qui ne présente pas certains défauts qui existent dans tontes les lampes actuelles ; il manque quelque chose à mon mécanisme que je n'arrive pas à trouver : j'y songe constamment depuis plusieurs mois, je multiplie croquis sur croquis et cela ne va pas. je n'arrive pas à résoudre le problème que je cherche. C'est même dans ce travail auquel je m'acharne et dans cette préoccupation constante que je trouve en partie la cause de mon surmenage cérébral. »
La question ainsi posée demandait des explications ; voici donc ce que M. F. me raconta. Il y a un an il avait déjà étudié longuement cette question et il avait dessiné un schéma par lequel il arrivait à la résoudre : il s'agissait d'un mécanisme demandant des combinaisons de courants très compliquées, pour donner un mouvement automatique aux charbons sans faire intervenir aucun ressort d'horlogerie, comme cela a lieu dans les lampes actuelles.
Au mois de mai dernier il avait donc fait le dessin de son mécanisme, puis, absorbé par d'autres occupations plus urgentes, il avait laissé là son invention sans plus y penser jusqu'au mois d'octobre. A cette époque, voulant reprendre son travail, il avait cherché ses documents, et ses dessins : impossible de les retrouver. Il s'était donc mis de nouveau à l'œuvre pour recommencer son travail, mais arrivé à ses combinaisons de courants il se heurtait sans cesse à une difficulté qu'il n'arrivait pas à résoudre. Il avait tracé un grand nombre de croquis, aucun ne donnait le résultat cherché !
Ainsi donc la question se posait de la façon suivante : Il s'agissait de trouver le secret d'un mécanisme entièrement nouveau, qui n'existe actuellement dans aucun appareil construit. Jlàis cette invention a existé dans le cerveau de M. F. U en a imaginé le mécanisme de toutes pièces il y a un an. sa main l'a dessiné et son œil a vu le dessin : mais ce dessin a été détruit et le souvenir en a disparu actuellement de sa mémoire. Dans ces conditions, me rapportant à d'autres faits du même genre que j'avais déjà observés, et en particulier à une expérience que j'ai publiée dans mon Traité de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique, je répondis à M. F. que j'avais bon espoir de lui faire retrouver le dessin oublié et que, dans tous les cas. il n'y avait aucun inconvénient à tenter l'expérience.
Pour le mettre dans les meilleures conditions, je lui recommandai de m'apporter.à sa prochaine visite, du papier exactement semblable à celui sur lequel il avait tracé le dessin perdu, et s'il était possible, les mêmes instruments qui lui avaient-servi il y a un an.
M. F. a coutume de dessiner ses projets de croquis sur de petites feuilles de carton, qu'il porte toujours dans son calepin, au moyen d'un etylographe. qu'il a également toujours sur lui.
Le lendemain, quand il. F. arrive, je lui fais encore préciser toutes
les circonstances que je viens de relater et il me répète : « C'est extraordinaire, depuis cinq mois je cherche la combinaison de ce mécanisme et il m'est impossible de la trouver. Je suis certain cependant que l'on peut y arriver, car je l'avais trouvée il y a un an. »
Soyez tranquille, lui dis-je, nous allons y arriver, vous ferez exactement tout ce que je vous dirai.
Mon intention, pour remettre au jour de sa mémoire consciente ce qui avait existé dans son cerveau il y a un an, était de lui faire revivre, comme dans un rêve, les instants où, il y a un an. il avait tracé le dessin perdu et vainement cherché aujourd'hui.
Je fais asseoir M. F., et lui ayant préalablement fait prendre, d'une main son portefeuille qui renferme ses petits carions, et de l'autre son stylographe, je l'endors : comme je l'ai déjà dit, il arrive facilement à un sommeil profond, puis je commence les suggestions suivantes :
« Tous allez voir se dérouler tous les instants de votre vie depuis un an. comme dans un tableau animé, ou dans un rêve ; mais vous allez revivre cette année à rebours, c'est-à-dire que vous passerez d'un, jour à la veille, puis au jour précédent, et ainsi de suite. A mesure que vous remonterez ainsi le temps à reculons, vous oublierez successivement les temps les plus récents, qui s'effaceront momentanément de votre mémoire à mesure que vous passerez dans des jours plus anciens, de telle façon que vous vous trouverez exactement dans l'état d'esprit, avec toutes les idées et les impressions que vous avez eues à chaque époque où vous vous serez reporté.
Tenez, nous commençons, nous sommes hier, vous êtes venu pour me demander si je puis vous faire retrouver le dessin de votre lampe que vous avez oublié.
Nous voici à la semaine dernière, vous la revoyez dans tous ses détails, du samedi jusqu'au lundi. Déjà nous ne sommes plus en mars, nons sommes en février, nous voilà au milieu du mois, au commencement ; nous sommes maintenant en janvier. » Successivement je le fais ainsi passer en décembre, novembre, octobre.....jusqu'au mois de mai.
Arrivé au commencement du mois de mai. je lui dis: « Vous allez, maintenant revivre d'une façon précise cette période de votre existence, en reproduisant, en particulier, avec une exactitude absolue les différents points que je vais rappeler à votre mémoire. Vous connaissez les
défauts qui existent dans les lampes à arc actuelles.....; vous voulez
remédier aux inconvénients qu'ils présentent.....; vous avez l'idée d'un
mécanisme nouveau, qui ne présenterait pas les défauts que vous voulez
supprimer.....; ce mécanisme se précise peu à peu dans votre esprit.....;
vous le voyez nettement, vous allez en fixer le schéma sur un de ces cartons.....: vous prenez votre plume, vous le dessinez.
Pendant tout ce temps, la physionomie de M. F. exprime la réflexion, le travail, une recherche profonde. Il tient, d'une main, son carton sur son portefeuille, de l'autre sa plume. Tout à coup, il trace sur le carton des lignes, on le voit réfléchir, faire mentalement des calculs, il trace un schéma, le corrige, place des lettres.
Il s'arrête, regarde avec attention ce qu'il rient de faire, son visage exprime le mécontentement, il prend brusquement le carton et le jette à terre.
Il réfléchit quelques instants et il recommence un nouveau dessin. Il s'arrête à un certain point, indécis, il frappe le carton de la pointe.de sa plume en disant : là... là... Il corrige, trace de nouvelles lignes, regarde de nouveau son dessin, on voit qu'il n'est pas satisfait ; il dit : * Ce n'est pas cela », et il jette à terre, avec impatience, ce second carton à la suite du premier.
Il réfléchit longuement, pnis, lentement, automatiquement, il trace quelques mots sur un carton : Il faut inverser les pôles de l'inducteur et non de l'induit. Il faut que j'aie deux contacts par relai inversé chaque fois. »
Sa physionomie redevient calme, il laisse tomber doucement, sans impatience, le carton sur lequel il a écrit ces lignes et il se met à dessiner sur un autre. Cette fois, il n'hésite plus, il trace un schéma très compliqué, jusqu'au bout, sans s'arrêter. Quand il a terminé, il l'examine longuement et sa physionomie exprime la satisfaction ; à mi-voix il dit : « Voilà, c'est cela, c'est bien cela. »
Toute activité cesse et il dort profondément.
Je lui fais alors les suggestions d'usage pour le remettre en état normal, et je l'éveille.
Il s'éveille avec les symptômes qu'il présente toujours, au sortir du sommeil profond. Un peu à la fois il revient à la réalité ; sa plume, son portefeuille qu'il tient toujours à la main, lui rappellent ce qu'il est venu faire.
Il regarde le dessin qu'il tient à la main, avec un étonnement non dissimulé : « C'est moi qui ai fait cela ? » me demande-t-il ; « c'est moi qui ai fait cela *? » Mais voilà ce que je cherche depuis six mois ! oui, c'est bien cela, avec ceci je suis certain d'arriver à ce que je veux. »
Je lui demande alors si ce dessin est bien conforme à celui qu'il avait fait au mois de mai. « Mais oui, me dit-il. je n'y comprends rien. Je cherche à résoudre ce problème depuis six mois, sans pouvoir y arriver, et voilà qu'en une heure, sans effort, sans peine, sans m'en apercevoir, je l'ai trouvé, car il n'y a pas à dire, c'est cela, c'est bien cela ! » et, comme semblant douter encore, il me répète : « C'est bien moi qui ai fait cela ! je n'y comprends rien. Je vous avais demandé de faire l'expérience, mais je ne croyais pas que cela fût possible. »
Je lui montre alors les autres dessins.épars sur le tapis, il les ramasse, les exaaiine : il n'a aucune conscience de les avoir tracés. En effet « ceux-ci ne valent rien, dit-il. » Puis voyant le carton sur lequel il a écrit la direction qu'il devait donner au courant, il me regarde d'un air interrogateur et me demande : « C'est aussi moi qui ai écrit cela ! c'est en effet un des points importants du problème, mais la solution exacte c'est bien le dessin que je tiens là. »
M. F., heureux, met alors, avec grand soin, son dessin de côté dans son portefeuille your ne plus le perdre.
J'interroge M. F. sur ce qu'il a éprouvé pendant son sommeil, car le souvenir lni revient, peu à peu. d'une partie de son état d'hypnose.
Il se souvient très bien avoir vu défiler devant lui. les jours, les semaines et les mois, à rebours ; pour m'en donner un exemple il me signale un fait qui le frappa particulièrement. H a fait au mois d'août un voyage a la mer, il n'y pensait en aucune façon en ce moment ; quand il est arrivé dans le sommeil à cette période de l'année, il a vu ce voyage se dérouler à ses yeux absolument à rebours : ainsi il a vu d'abord son retour a Lille, son voyage de retour, son départ de l'hôtel, son séjour à la mer, son arrivée, puis son départ de Lille. Il a vu tout cela d'une façon si précise, qu'il me signale des détails insignifiants qui étaient complètement sortis de sa mémoire : une bicyclette appuyée sur le quai de la gare, qu'il a aperçue en passant ; un manteau, oublié par une dame dans un tramway, faits qui n'ont en pour lui aucune importance, mais dont il reconnaît la réalité et qui ont repassé sous ses yeux pendant son sommeil.
Mais il est à remarquer que, lorsque nous arrivons au mois de mai et à la recherche de son problème, il en a actuellement perdu tout souvenir, il est inconscient maintenant de ce qui s'est produit à cet instant de son sommeil.
C'est que. pour arriver à cette recherche plus difficile, il a dû être placé dans un état de somnambulisme plus profond, état qui. comme je l'ai démontré ailleurs, exclut tout souvenir après le réveil.
De cette observation, chacun pourra tirer certaines conclusions pratiques utiles, tant pour le fait du travail cérébral qu'il est possible d'obtenir dans un état profond d'hypnose, que pour le procédé de rétro-gression de la mémoire qui peut être utile dans certains cas.
L'anesthesie hypnotique en art dentaire
pur Mr Edmond Bouchard, Chirurglen-Den tiste
S'il est une profession où l'hypnose joue un rôle considérable, où la suggestion est appliquée tous les jours, inconsciemment, il est vrai, c'est bien l'art dentaire. Je n'en veux pour preuve que le dicton populaire : menteur comme un arracheur de dents. Or il ne faut voir la qu'une preuve de notre suggestion inconsciente sur la mentalité' du malade, car après avoir été opéré, après avoir senti la douleur, il s'étonne qu'on ait pu lui persuader qu'il ne souffrirait pas et ayant souffert, il nous applique le dicton populaire.
Il était intéressant d'enrayer ce mouvement de dépréciation générale à l'égard de notre profession et de prouver, en utilisant la suggestion complète, que le dicton populaire n'était pas fondé. De plus devant les résultats obtenus il nous a semblé que l'hypnose devait figurer dans notre manuel opératoire, au même titre qne tons les anesthésiques locaux et généraux dont la loi de 1892 nous a permis l'nsage en clientèle. Utilisant en art dentaire l'anesthesie que procurele sommeil hypnotique, nous sommes arrivés à des résultats remarquables ; et c'est de la valeur
comparative de l'hypnose et des autres anesthésiques que nous allons tous entretenir :
Les observations que nous publierons d'autre part ont été faites devant témoins :
Dans mon cabinet d'Opération. Au cercle Odontologique de France.
Au Congrès Dentaire d'Angers, où j'ai demandé que la valeur anes-thésique de l'hypnose fût étudiée par les dentistes au même titre que tous les autres anesthésiques.
Quels sont, en art dentaire, les avantages d'où résulte la [supériorité de l'hypnose ?
Avantage de temps, de préparation, de durée illimitée :
Aucune contre-indication :
Innocuité absolue ;
Résultats certains ;
Suppression de la peur du dentiste et de l'angoisse occasionnée par tout instrument dentaire, notamment par le tour à fraiser.
Avantage de temps. — Nous prenons toujours comme type le sujet consentant et préparé. La période pendant laquelle le sommeil est obtenu varie entre deux et trois minutes ; pour les extractions, j'opère pendant le sommeil ; après avoir suggestionné le malade, j'obtiens une opération sans douleur et sans hémorragie ; je reviendrai du reste sur les avantages précieux que procure la vasc—constriction que l'on obtient chez les hypnotisés.
Avantage de préparation. — Ici pas d'aiguille â flamber, de masque à stériliser ; tout l'apparat qui impressionne si fâcheusement le malade n'existe pas ; pas de crise d'étouffement. pas de sensation d'asphyxie commune à tou6 les anesthésiques ; le malade s'endort confiant, paisiblement, sans sensation pénible et sans l'angoisse qui étreint toutes les personnes, même les plus courageuses, qui, pour la première fois, subissent l'anesthésie générale, le saut dans l'inconnu.
Durée illimitée. — Pas d'intoxication quelle qu'elle soit, aucune crainte de syncope, à aucune période, un sommeil calme et reposant, aussi reposant que l'opérateur le désire, un état de veille dans lequel on obtient l'insensibilité, une tranquillité absolue, une période suggestive où, après avoir réveillé le sujet, on peut travailler. Voici le procédé que j'emploie dans toutes les bypêresthésies de la dentine : j'endors, je suggestionne, je réveille et je travaille : le patient est étonné de subir le tour à fraiser sans aucune souffrance et sa confiance s'accroît en raison inverse de la douleur.
Aucune contre-indication. — Personnellement, chez tous les malades devant subir une anesthésie locale ou générale, j'ai l'habitude de me livrer à un examen du sujet : et, si j'ai lieu de soupçonner la moindre lésion organique, je me refuse de faire usage d'un agent anesthésique avant d'avoir pris l'avis d'un docteur qui couvre ma responsabilité quant à son emploi. Or il ne faut pas oublier que la cocaïne, dans certaines
lésions dn cœur peut être aussi dangereuse a employer qu'un anesthési-que général. Avec l'hypnose, aucune de ces précautions n'est à prendre : aucune contre-indication, aucune responsabilité ; nous avons immédiatement une sécurité complète qui peut, en cas d'urgence, nous permettre d'agir beaucoup plus vite et qui ne présente pour l'opéré aucune des manifestations pénibles qne comporte souvent l'élimination d'un agent toxique.
Les résultais certains. — Dans la statistique que je possède et qui s'augmente de jour en jour, j'ai eu des malades qui, rebelles a l'idée de se faire hypnotiser, s'y prêtaient mal et je n'obtenais pas d'hypnotisme, leur éducation étant à faire. Mais chez les hypnotisés je n'ai jamais aucun insuccès comme résultat et des malades qui venaient avec angoisse à ma consultation viennent absolument rassurés, tranquilles et persuadés qu'ils ne souffriront pas. Je pense donc qu'il y a là, pour nous dentistes, nn champ d'étude très vaste et qu'il y aurait lieu de multiplier en art dentaire les applications de l'hypnotisme qui donne des résultais incomparables.
1re observation. — Jeune homme, 24 ans : racines abcédées (dent de six ans, maxillaire supérieur coté droit). Nous lui proposons de l'endormir, il accepte. Après quelques minutes, le sommeil profond est obtenu, je lui dis que je vais procéder a l'extraction de ses racines, qu'il ne souffrira pas et que j'enlève toute la sensibilité dans la région que je touche avec le doigt, qu'il n'aura ni douleur ni hémorragie. Le malade présente toutes les apparences et l'abandon du sommeil ordinaire : il y a détente de tous les muscles ; les bras pendent inertes, la tête se balance : je procède à l'extraction de trois racines, et je réveille de suite le malade en lui soufflant sur le visage : il n'a absolument rien senti et n'a aucune hémorragie. J'ai eu l'impression que j'opérais après une injection de cocaïne et d'adrénaline : le malade est enchanté.
2me observation. — Mlle Alice X., présentée au Cercle Odontologique de France : incisive centrale supérieure extrêmement sensible ; diagnostic ; mortification pulpaire survenue sous obturation. La dent est douloureuse au moindre attouchement ; constatation en est faite par mes confrères MM. Lannois et Manteau ; je l'endors par imposition des mains, sur les yeux. Après que je l'ai suggérée, M. Lannois procède à l'ouverture de la chambre pulpaire, sans que la patiente manifeste la moindre sensibilité. Je n'ai suggestionné que la partie entourant l'incisive centrale ; or, à un moment. la pièce du tour à fraiser vient à toucher la gencive inférieure : la malade ouvre les yeux et se soulève à moitié pour dire : « vons me brûlez la lèvre » ; et ce fut tont. Même sommeil que dans l'observation précédente. J'annonce que la sensibilité ne reviendra que quelqnes minutes après le réveil, et que, pendant ce temps, on ponrra continuer à fraiser la dent sans douleur. Je provoque le réveil et tout se passe comme il avait été prévu.
3me observation. — Hyperesthésie dentaire dans une dent atteinte de second degré : ici l'observation est intéressante pour nous dentistes car
j'ai pu fraiser, sans aucune douleur, une dent extrêmement sensible chez une malade suggérée à l'état de veille.
Ces observations sont des observations types prises dans celles que je possède et montrent tout ce que l'art dentaire peut retirer de l'hypnose, au plus .grand avantage de la clientèle qui ne veut plus souffrir.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
La mémoire chez Napoléon, Cuvier et de Candolle.
On raconte que Napoléon, comme Jules César d'ailleurs, pouvait dicter à ses secrétaires plusieurs lettres à la fols. Acceptée telle quelle, cette légende serait absurde autant que puérile. Elle signifie simplement que le grand Empereur avait le cerveau merveilleusement construit, que les cases de sa mémoire étaient méthodiquement remplies comme l'armoire d'une bonne ménagère, et qu'il savait puiser à volonté et à discrétion dans tons les tiroirs.
• Quand je veax interrompre une affaire, disait-Il a- Las Cases, je ferme son tiroir et j'ouvre celui d'une autre. Elles ne se mêlent point... »
Voilà ce que rappelait Incidemment M. Bérillon dans son excellente Revue de mai dernier (page 330, note 1).'
L'organisation mnémonique de Georges Cuvier avait les pins grandes analogies avec celle de Napoléon. « Chez lai. dit Alphonse de Candolle (1), mémoire était basée sur l'esprit de classification. Je puis le prouver par une anecdote. Mon père le félicitait nn Jour de sa grande mémoire. Cnvler lui dit : « Mais c'est tout simple ; n'avez-vous pas en quelque sorte dans la tête un arbre dont les branches représentent les sciences et les rameaux leurs subdivisions ? Quand un fait se présente, je le suspends à sa place, et alors je le retrouve s'il le fnut. » Ouvier avait si bien cette faculté à son commandement qn'il pouvait écouter nne discussion, et en même temps suivre son idée, ce qni lni permettait de répondre en développant une opinion. Cela suppose une attention intermittente, prompte ment dirigée par la volonté. Interrompu dans une rédaction, il reprenait sa phrase sans relire, ”
Puisque nous sommes sur ce chapitre tant rebattu et toujours neuf de la mémoire, je venx encore citer deux faits authentiques et prodigtenx concernant l'Illustre botaniste Augustin-Pyramus de Candolle et attestés par son fils Alphonse. Etant an collège, il avait reen nn prix hors concours, parce qu'il pouvait réciter les six premiers livres de l'Enéide ! Un autre cas : Il avait fait la plaisanterie d'escamoter une chanson de l'abbé Morellet ponr l'avoir entendu denx fols. Les exemples de mémoire extraordinaire ne sont pas rares, mais c'est l'autorité des témoins qui est trop souvent contestable.
(1 ) Histoire des savants et des sciences depuis deux siècles,''2 e édition, page 309.
Dr E. CALLAMAND (de St-Mandé).
L'Administrateur : J. BÉRILLON. Le Gérant : Constant LAURENT Privas.
Privas, Impr. C. Laurent, avenue du Vinel
revue de l'Hypnotisme
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e Année. — N° 2.
Août 1909.
BULLETIN
Distinctions honorifiques
Dans la récente promotion de .Juillet, plusieurs de nos collaborateurs.membres de la Société d'hypnologie et de psychologie ont été l'objet des distinctions des plus flatteuses. Parmi elles, nous sommes très heureux de citer la nomination au grade -de commandeur de la légion d'honneur de notre maître. M. le professeur Raymond. Aucun ne remplit Ba haute mission de professenr avec plus de talent, d'autorité et de conscience que le professeur Raymond. Son œuvre considérable s'accroît, à chaque instant, de nouvelles contributions a la science de la neurologie. Successeur de Charcot à la chaire de clinique des maladies nerveuses il la faculté, son enseignement a maintenu, à la Salpêtrlère, l'affluence des élèves et des auditeurs qui y avaient été amenés par la célébrité du maître. N'est-ce pas le meilleur éloge que nnus puissions faire de oet enseignement dont nous avons si souvent publié des leçons dans la Reaue de l'Hypnotisme.
Dans la même promotion, nous relevons le nom du dr Auguste Marie, médecin en ¦chef de l'asile de Villejulf, organisateur de l'Assistance familiale, directeur des Arclw de Xeurotoyie, auteur de travaux de grande valeur en psychiatrie, promu officier.
M. le professeur Motáis, d'Angers, M. le D' Chervin, directeur de l'Institut de bègjes de Paris, anthropologiste. M. le Dr Ralmondl. créateur de la Pooponlère, ont été nommés chevaliers, recevant la récompense de travaux Importants et de services signalés dans des ordres d'idées différents.
Enfin, dans une sphère plus modeste, M. le d[ P. Barbier a reçu, dans la médaille de bronze de la mutualité, une récompense des pins méritées pour la part prise ala création d'oeuvres du plus haut intérêt social.
L'Etat hongrois et les enfants « difficiles »
En Hongrie. l'Etat lui-même s'est constitué, depuis environ dix-huit mois, le protecteur obligatoire dea enfants vicieux, difficiles etmoralement abandonnés. Depuis le 1er octobre 1907, en effet, l'Etat Hongrois a recueilli pour son compte 1110 enfanta appartenant a ces diverses catégories, les a fait étudier par des médecins et des instituteurs compétents dans un asile temporaire, et les a placés ensuite, selon les résultats de l'examen, dans des familles de particuliers, dans des établissements d'édneation plus ou moins rigoureuse, dans des maisons de santé ou, enfin, dansdea asiles pour enfants Incurables. Cette nouvelle organisation réduit au strict minimum le nombre d'enfante vicieux envoyés dans des maisons de correction. De plus, le gouvernement hongrois a supprimé, pour les mineurs, toute inscription au casier judiciaire, de ¿acón a ce que l'enfant ne soit jamais marqué d'un stigmate indélébile parle fait de son passage dans un des établissements d'éducation spéciale organisés par l'Etat. Les avantages de ce mode d'assistance sont considérables : non seulement Il permet de mieux comprendre l'étfologle et la pathologie des caractères Infantiles anti-sociaux, mois par ses placements individualisés, rationnellement appropriés à chaque cas, 11 crée une véritable prophylaxie de la criminalité juvénile, il institue une thérapeutique sociale en faveur des enfante à caractères anormaux.
TRAVAUX ORIGINAUX
La psychothérapie et les méthodes de rééducation
par le Dr Bérillon, professeur a. l'Ecole de psychologie
l'action psychothérapiote directe : l'hipnotisme. (Suite)
L'hypnotisme consiste dans la production expérimentale d'une inégalité fonctionnelle dans les centres de l'écorce cérébrale. En effet, pendant, que certaines fonctions cérébrales deviennent plus actives, d'autres-suspendent en partie leur activité et se mettent, par ce fait, dans une-sorte de sommeil. C'est de la réalisation de ce sommeil partiel que résulte l'hypnotisme. Comme il en est le phénomène le plus apparent, on a pu dire avec raison que l'hypnotisme était la science du sommeil provoqué.
La notion d'une inhibition de certaines fonctions de la vie psychique corrélative d'une augmentation d'activité, d'une dynamogénie, dans-d'antres fonctions, domine l'étude de l'hypnotisme. Il semble que les-relations réciproques des divers éléments du système nerveux soient régies par une loi générale de balancement et d'oscillation par laquelle-les augmentations de propriétés et d'activité dans certaines fonctions ne sont possibles qu'autant qu'elles soient compensées par des diminutions-de propriétés et d'activité dans d'autres fonctions. La répartition des-localisations cérébrales supérieures dans des régions différentes de l'un ou l'autre des hémisphères du cerveau nous a depuis longtemps amenés, mon ami Paul Magnin et moi, a admettre que Y hypnotisme ne serait, en fin de compte, qne la conséquence d'une inégalité fonctionnelle, expérimenta-lement provoquée, des deux hémisphères cérébraux.
Comme l'hypnotisme ne se conçoit pas sans une inhibition modifiant les associations des centres nerveux et suspendant une partie des fonctions cérébrales, le terme d'inhibition hypnotique convient donc parfaitement lorsque l'on veut désigner l'état d'hypnotisme ou un des états analogues. Il y aurait donc intérêt a y recourir plus fréquemment dans le langage courant.
Les caractères fondamentaux de l'inhibition hypnotique sont les suivants : (1)
1° La suspension ou l'augmentation des activités ou des propriétés des éléments nerveux est provoquée expérimentalement ;
2° La durée de l'action est déterminée par la volonté de l'expérimentateur ;
3° L'action peut être limitée a des territoires nettement déterminés du système nerveux et à des fonctions influencées isolément;
4° La production de l'inhibition dans telle ou telle fonction ou région, de l'organisme est corrélative de l'apparition des phénomènes de dynamogénie dans d'autres fonctions ou d'autres régions;
(1) Bérillox : Iutroduptlon à l'étude de l'hypnotisme, Revue le l'Hypnotisme. N° année, n° 1, 2, 3 et 4. Juillet 1900 et suivants.
5° Après l'expérience. les cellules nerveuses influencées se retrouvent dans les mêmes conditions normales qu'avant le début de l'expérience.
L'inhibition hypnotique est donc un état expérimental essentiellement physiologique. Cet état ne saurait devenir pathologique que par le fait de fautes expérimentales. Dans ce cas. il faudrait incriminer, non la méthode, mais le défaut de compétence de l'expérimentateur.
Les procédés capables de provoquer l'inhibition hypnotique sont nombreux. On peut les diviser en deux catégories : 1° Les influences psychiques : 2° Les agents physiques. Dans la première catégorie les centres nerveux sont simplement impressionnés par une idée, qu'elle émane de l'hypnotiseur ou quelle soit personnelle à l'hypnotisé. Dans la seconde ils sont au contraire influencées par des excitations périphériques s'exer-cant sur l'un ou l'autre des sens (fascination visuelle, auditive, olfactive, excitations périphériques faibles et répétées, etc..) Dans la pratique. c"est par l'association de ces diverses actions que l'on obtient les meilleurs résultats, et il est très difficile de limiter la part qui revient à l'influence psychique de celle qu'il faut attribuer aux agents physiques. Sans compter que la prédisposition à s auto-hypnotiser ou à céder au sommeil normal constituent également des facteurs de la plu6 grande importance.
En fait, l'être humain qui. d'une façon générale, cède avec tant de facilité a l'appétit du sommeil normal, n'a pas moins d'aptitudes, pour peu qu'on l'encourage ou qu'on J'incite a le faire, a réaliser l'inhibition hypnotique. Pour que cette inhibition se produise et que l'homme, devenu indifférent au milieu extérieur, tombe de lui-même dans un état passif, il suffit qu'il laisse orienter sa pensée vers une idée prédominante, qu'il se laisse bercer par un rythme musical ou qu'il s'absorbe dans la contemplation d'un spectacle qui le charme. Par la facilité avec laquelle l'attention se monoidéise, on peut dire que l'homme justifie la définition suivante que. pour ma pari, je suis souvent tenté de lui appliquer : L'homme est avant tout, un animal hypnotisable ». En effet, quand il ne rencontre pas d'hypnotiseur sur son chemin, il s'auto-hypnotise et rien n'est plus commun que de rencontrer des gens dont l'esprit demeure dans un perpétuel état de fascination. Cet état psychologique devient habituel : seuls varient, et encore dans une faible mesure, les objets sur lesquels leur pensée s'immobilise dans une inlassable contemplation. Nous aurions beaucoup à dire s'il fallait énumérer les pratiqués religieuses monotones, les travaux automatiques, les habitudes sociales qui aboutissent nécessairement a de? états de conscience analogues a l'état d'hypnose. Dès qu'un certain nombre de personnes, par suite de circons. tances fréquentes dans notre état social se trouvent réunies en troupeau, on constate qu'elles perdent immédiatement toute faculté de contrôle. On a pu dire avec raison que les foules donnent une notion fort exacte de la réalisation spontanée d'un hypnotisme collectif.
Ces états de conscience ne nous intéressent ici que parce qu'ils nous font présumer que des sujets aussi prédisposés a s'auto-hypnotiser ne
pourront que bénéficier à se soumettre aux effets d'un hypnotisme dirigé avec sagacité vers un but utile, par des psychothérapeutes compétents et exercés. C'est de cet hypnotisme, réalisé d'une façon expérimentale, et non de l'hypnotisme survenant fortuitement, à son insu ou malgré lui. que le clinicien fait état, A tout instant de son intervention, le médecin doit rester le directeur de l'expérience qu'il a entreprise. Pour la conduire a bien, il ne devra jamais oublier que la production expérimentale de l'inhibition hypnotique est liée à un certain nombre de conditions, dont les principales sont les suivantes :
1° Action personnelle de l'expérimentateur (compétence, entraînement professionnel, autorité, éloquence) ;
2° Influence du milieu (imitation, interventions favorables ou contrariantes) ;
3° Prédisposition individuelle du sujet (propension à la réalisation facile du sommeil normal, hypersuggestibïlité) ;
4° Eéalisation des conditions fondamentales de l'hypnotisme : consentement mental et consentement organique du sujet (1).
5° Immixtion de phénomènes d'ordre émotif ou affectif. Ipeur, confiance, sympathie, besoin de direction, etc.) ;
6° Choix et utilisation des procédés hypnogènes.
Lorqu'on tente d'hypnotiser un sujet, on se heurte à une première difficulté, celle de se rendre un compte exact du résultat obtenu. Très souvent, les malades déclarent qu'ils n'ont rien ressenti et ils en déduisent qu'ils n'ont pas été influencés. Il arrive fréquemment qu'ils commettent là une erreur manifeste, l'état hypnotique ayant été réalisé dans une certaine mesure. Ce qui le prouve c'est qu'ils se trouvent engourdis quand on les invite à se lever ; il en est d'autres qui éprouvent le besoin de dormir quand ils sont rentrés à leur domicile. De plus, après la tentative d'hypnotisme, ils font preuve d'une suggestibilité plus grande qu'avant l'expérience.
En réalité, l'inhibition hypnotique existe bien avant l'apparition du sommeil et certains qui peuvent faire de la suggestion à l'état de veille, le font quand le malade est dans un état hypnoïde ou dans un des premiers degrés de l'hypnotisme.
Je considère comme inexacte l'expression de suggestion à l'état de veille : dans un grand nombre de cas on devrait dire suggestion à l'état de veille apparente. En effet, le prestige du médecin, l'autorité qu'il tire de son rôle directeur dans une clinique ou dans un hôpital, le cortège dont il est entouré, la mise en scène avec laquelle il intervient, exercent sur beaucoup de gens une véritable intimidation. Comme je l'ai démontré, dans un travail publié en 1907, les phénomènes d'inhibition qu'on observe dans l'intimidation sont absolument analogues à ceux de
(1) Bérillon : Les conditions fondamentales de l'hypnotisme : Le consentement mental et le consentement organique. (Revue de l'Hupnotisme. 23e année, n° 1. juillet 1908).
l'hypnotisme (1). Le malade se trouve placé spontanément dans un état d'inhibition hypnotique. La personne à laquelle on croit faire une suggestion à l'état de veille est déjà monoïdeisée. Son pouvoir de contrôle étant suspendu, sa suggestibilité s'en est exaltée. Elle est tombée dans un véritable état d'hypnose fortuit. C'est ce que j'ai exposé en 1903 dans un article intitulé : L'hypnotisme fortuit et l'auto-hipnotisation, dans lequel je soutenais que la suggestion, faite par le médecin, n'acquiert chez certains sujets une telle intensité que parce qu'ils se sont spontanément et préalablement auto-hypnotisés par la mise en jeu de l'expectant attention. J'ajoutais que si on soumettait à une critique rigoureuse les observations dans lesquelles des médecins ont affirmé qu'ils avaient obtenu un résultat thérapeutique par suggestion à l'état de veille, on démontrerait d'une façon évidente que la production préalable de l'influence hypnotique a précédé la suggestion, ainsi qu'il en résulte de leurs propres descriptions.
De telles erreurs d'interprétation ne se produiraient pas si les médecins qui s'adonnent à la pratique de la psychothérapie prenaient la peine d'acquérir des notions élémentaires sur l'hypnotisme. En négligeant ces études fondamentales, non seulement ils se privent des procédés psychothérapiques les plus efficaces, mais ils perdent de vue le mécanisme par lequel leur propre influence arrive à s'exercer.
J'ajouterai que l'hypnotisme rend encore en psychothérapie d'autres services d'un prix non moins inestimable. Il constitue en effet, dans beaucoup de cas. un excellent moyen de diagnostic et de pronostic. Ceci m'amène à rappeler la formule que j'ai souvent l'occasion de répéter, à savoir que le fait d'être hgpnotisable comporte pour te malade la presque certitude d'être curable. C'est donc dans la réalisation de l'état d'hypnotisme, poursuivie avec patience, que réside presque exclusivement l'art du psychothérapeute. Le jour où, chez un malade, jusqu'alors réfractaire à la production de l'inhibition hypnotique, on voit apparaître des signes non douteux de passivité, de résolution musculaire, puis enfin de sommeil provoqué, le pronostic se transforme immédiatement dans un sens favorable.
Les malades sont les premiers à le comprendre. Aussi, c'est avec insistance qu'ils sollicitent l'apparition de ce sommeil provoqué dont leur instinct leur à fait deviner toute la portée. Mieux que la plupart des médecins, ils se rendent compte que l'hypnotisme peut seul permettre de réaliser les modifications psychologiques et profondes et les transformations somatiques dont dépend leur guérison. C'est pour cela qu'il convient, pour la production de l'hypnotisme, de revenir aux procédés des anciens maîtres de l'hypnotisme dont la pratique reposait presque uniquement sur l'utilisation des agents physiques. Les états profonds n'apparaissent
(1) Bérillon : Psyehologie do l'intimidation : Los timidités. — Revut de l'Hipno-titme. Mai et Juin 1907 et juillet J907.
Bérillon ; L'hypnotisme fortuit et l'auto-bypuotisalion. Revue de l'Hypnotisme. 17« année, n- 10, avril 1903.
que par l'association de l'action psychique et des agents physiques. Ainsi se trouve démontrée la valeur du principe formulé par Bacon : n?? manus nuda, net intellectus sibi permissus, multium calet. Seuls les agents physiques peuvent aider à vaincre la résistance aux suggestions thérapeutiques que l'on rencontre à un degré plus ou moins accentué chez les personnes soumises aux tentatives d'hypnotisation.
Les états profonds de l'hypnose correspondent a certaines indications nettement déterminées. Ils permettent seuls d'exercer une action assez profonde pour modifier des états de conscience anormaux, en particulier pour effacer les idées fixes, les doutes, les phobies, les anxiétés, les obsessions et les erreurs de jugement qui s'imposent tyrauniquement à l'esprit du malade.
L'emploi des procédés purement psychiques, préconisés depuis quelques années sous le nom de suggestion ..de persuasion ne correspond dans le traitement de psychonévroses confirmées, a aucune réalité tangible. Bien mieux, je considère que la doctrine de la suggestion, jetée naguère en pâture au snobisme des médecins et à la crédulité des psychologues d'école, constitue le sophisme le plus invraisemblable qui ait jamais été énoncé. ? ne sera pas nécessaire de se livrer a un grand effort d'esprit pour le démontrer.
(A suivre.)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle du mardi juin 1909. — Présidence de M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine.
L'auto-suggestion graphique dans le traitement des psycho-névroses
par M. le Dr Hurtrel, d'Amiens.
Bien que la société ait mis à l'ordre du jour cette importante question de la rééducation de la volonté par la psychothérapie, je crains que l'on ne puisse établir des règles fixes et immuables pour le traitement des états neurasthéniques.
Et d'abord, est-on bien fixé sur la pathogénie de la neurasthénie. Chaque jour nous lisons des articles très bien faits qui se contredisent. Contentons-nous de marquer les coups de boutoir des chefs d'écoles, acceptons, sous réserve, leurs grands mots, leurs théories et soignons les psychonévroses avec ce que le Dr Monin appelle spirituellement « la pharmacie de l'âme. > Si, dans un cas difficile, l'un de nous découvre un moyen, si petit soit-il, sa description ne sera pas plus déplacée, je crois, que les conceptions doctrinales acceptées aujourd'hui, combattues demain. Les causes des psychonévroses qui naturellement doivent guider le traitement, sont si nombreuses, si diverses, qu'il semble à priori, que de multiples facteurs doivent intervenir pour assurer la guérison. En effet, les prescriptions varieront selon le tempérament du malade, son
????, son Age. sa situation sociale, son entourage. De plus, le succès dépendra de la façon de formuler et sera subordonné aux qualités du médecin.
Toutefois, de l'observation des malades, il semble résulter certaines particularités communes qui ont frappé les psychologues et leur onî permis de formuler des règles.
Le sommeil hypnotique utilisé comme moyen de rééducation de la volonté est certes le plus efficace, car alors les suggestions sont reçues •docilement, aveuglément, meublent plus aisément les cases cérébrales vides ou intoxiquées par les mauvaises suggestions. Quoiqu'en disent cenx qui taxent cette méthode de « cambriolage cérébral », je l'emploie fréquemment, car rien n'est plus facile de rendre aux sujets leur personnalité, grâce précisément ? la méthode elle-même.
Mais, la suggestion hypnotique ne peut être reçue par tous les mala-des. Les psychasténiques. les obsédés, incapables d'attention se livrent difficilement : les phobiques qui ont peur de ne pas se réveiller sont réfractaires.
Il faut donc parfois recourir a d'autres moyens.
L'auto-suggestion verbale, recommandée par le Dr Coste de Lagrave. Tend de grands services. Je l'ai essayée, mais j'ai remarqué qu'elle était plutôt applicable aux sujets robustes voulant se débarrasser d'un défaut, -d'un tic. d'une manie, d'une obsession. L'effet est lent et j'avoue que I'anto-suggestion, dix. cent, mille Tois répétée dans une journée, renou--veiée le lendemain devient une fatigue pour les affaiblis, les déprimés.
Xous devons ? la perspicacité, au jugement de notre collègue Bérillon l'application d'un procédé de traitement très intéressant — l'écriture.— Ses communications sur la Psychothérapie graphique sont très suggestives.
L'abolition du goût de la lecture et de l'écriture, la dyslexie et la dgsgraphîe, sont des indices de gravité de l'état maladif et la persistance des aptitudes à ces exercices est d'un pronostic favorable.
Est-ce ? dire qu'il suffise d'écrire à main posée une heure ou deux •chaque jour, même des formules adaptées à l'état mental du sujet, pour voir disparaître les troubles psychiques ? Non, il faut de la méthode, de la clairvoyance et faire preuve d'esprit d'a-propos pour varier et diriger 3es exercices.
Ainsi, certains malades protestent contre les tentatives, alléguant leur apathie, leur manque d'énergie. Si le médecin exerce une grande influence sur le sujet, très bien, mais même dans ce cas, la fatigue surviendra, l'ennui suivra et la méthode fera faillite, si le malade n'est pas soutenu, guidé par la réelle compétence de l'éducateur. Bouc nécessité de varier les exercices d'écriture, dictée, copiée, volontaire. Parfois, les circonstances suggéreront des trucs, des procédés. Une de mes malades, atteinte de psychasthénïe depuis cinq ans, se montrait réfractaire à cette méthode. Elle n'en avait point la force, disait-elle et la persuasion la plus tenace ne pouvait vaincre sa résistance.
Si ??s malades ne lisent et n'écrivent que parce qu'elles sont incapables d'attention, elles aiment cependant lire ce qui a trait à leur maladie et écrire pour confier au papier leur petites misères ; beaucoup ont leur journal. J'ai eu l'idée d'utiliser cette particularité, pour faire inscrire sept à huit fois par jour le genre de malaise, selon le moment, idée fixe,-phobie, etc., ainsi que les craintes qui en résultaient.
Le malade prit intérêt à la rédaction de son journal ; après quelques-jours, j'avais fixé son attention, vaincu la dysgraphie, et je pus obtenir qu'elle fit suivre chaque inscription de sensations d'une bonne résolution.
Ainsi, tandis que le 10 février elle refusait d'écrire, le 2 mars vers-onze heures du matin elle notait : (je cite au hasard) « Je suis prise de terreur folle, je frissonne, je tremble. Cette frayeur me vient d'une souffrance que je ressens de la tête aux pieds : c'est comme une sensation de brûlure à l'épiderme. Je ne veux plus avoir peur, c'est ridicule. »
Le même jour, à quatre heures du soir :
« Je rentre de ma promenade. J'ai encore eu en chemin de mauvaises-pensées, cela devient stupide. Je veux demain être beaucoup mieux. Je-le veux, je le serai. »
Le 4 mars, une heure et demie, elle écrit :
« De mauvaises idées me tenaillent, je ne veux pas les écouter. — Je-souffre. mais je dois me contenter de ce que je suis, en attendant mieux. Je ne veux plus avoir de mauvaises pensées. Je vois l'avenir en noir et-pourtant il me semble percevoir une lueur d'espoir. »
Le 8 mars à midi :
« Le mieux qui s'est fait sentir hier, semble vouloir continuer. Mon réveil et ma matinée n'ont pas été trop pénibles. Il ne s'est présenté que quelques idées de suicide qui n'ont pas tenu. Ma promenade du matin n'a pas été pénible. Malgré tout, j'ai tonjours cet engourdissement dans la tête et l'impression dans la poitrine.
» J'ai beaucoup d'espoir de guérir vite et j'ai en moi un certain bien-être que je ne définis pas bien. Enfin ça va mieux. »
Sans s'en douter, cette malade faisait de l'auto-suggestion écrite, plus-efficace que la verbale, parce que plus reposante, plus pénétrante.
Le 15 mars, j'obtins l'abandon de l'annotation des phénomènes mor— * bides et ne retins que l'auto-suggestion.
L'amélioration s'étant manifestée, j'ai fait bénéficier plusieurs sujets de cette méthode.
De cette façon et à son insu, le malade fixe son attention, discipline les neurones, oublie les souffrances, puisque n'en parlant plus et s'auto-suggestionne par une image, l'écriture, qui se grave profondément-Progressivement, on espace les exercices, pour ne pas dépenser trop d'énergie.
En résumé, les meilleurs résultats m'ont été fournis par l'écriture appliquée. Il semble qu'elle repose, éclaircisse les brouillards, pénètre
les cases cérébrales par une triple action dérivative, substitutive et suggestive.
Est-ce à dire que la psychothérapie soit le spécifique des états neurasthéniques ? Non certes, et le médecin ne devra rien négliger, en lui adjoignant des conseils d'hygiène alimentaire, de repos, le traitement de la canse organique possible.
Son éclectisme sera de rigueur, peu importe qu'il emploie l'allopathie, la musique, l'homopatbie, ou l'eau de Lourdes — sans oublier, lorsque la situation du patient le permettra, l'automobile, dont l'action bienfaisante parait expliquée par les trépidations qui rappellent le fauteuil vibratoire de Charcot.
Discussion
M. Bérillos. — La psychothérapie graphique, lorsqu'elle est méthodiquement et systématiquement appliquée, offre cet avantage que la rééducation de l'attention, de l'application, de l'effort volontaire, de l'initiative s'effectuent d'une façon pour ainsi dire automatique, à la seule inspection des cahiers de traitement, je puis formuler un pronostic. Dès que les progrès se manifestent dans l'exécution des exercices graphiques, je puis pronostiquer une terminaison promptement favorable.
D'une façon générale, le procédé thérapeutique est facilement accepté par les malades. Au dispensaire neurologique de la rue Saint-André des Arts, aussi bien qu'à mon cabinet de consultation, la plupart des malades arrivent munis de leurs cahiers. Ils se conforment de leur mieux aux modifications graphiques que je leur prescris. Je remercie mon collègue le docteur Hurtrel d'avoir rappelé ma priorité dans l'exposé de cette méthode. Un certain nombre de confrères l'utilisent avec succès, en particulier à l'étranger, mais ils ne reconnaissent pas le mérite de la leur avoir enseignée.
Le traitement de la morphinomanie
par M. le Dr O. Jennings. du Vésinet.
Je ne récuse pas l'emploi de l'hypnotisme dans le traitement de la morphinomanie vraie. L'hypnotisme est au contraire très utile chez tous les morphinomanes anormaux et impnlsifs. Mais il y a des tributaires de la morphine aussi pondérés que des buveurs de vin les plus modérés, chez lesquels la persuasion, le raisonnement et un soulagement efficace suffisent.
Certains hypnotiseurs ne reconnaissent pas toujours la réalité de la détresse somatique et cherchent à tout faire chez un morphinomane par la suggestion, dans l'ignorante croyance que la souffrance du sevrage est toute mentale. Quant & moi, sachant combien cette souffrance est réelle, j'ai toujours adopté comme règle de conduite de garder mes atouts pour la Fin, de tenir mes meilleurs moyens en réserve pour les moments difficiles, et en cela je suis heureux de me trouver d'accord avec les. psychologues les plus compétents.
« Chez la plupart des hommes, a dit mon éminent confrère le Dr « Bérillon. sous l'influence de la plus faible dose de vin pur. de thé. de « café, de tabac, le système nerveux se trouve tellement excité que l'état « sédatif indispensable â la production de l'hypnose est irréalisable ».
La morphine étant pour ses adeptes non pas un sédatif, comme on le suppose à tort, mais un stimulant par excellence, il vaut mieux réserver l'hypnotisme pour la fin du traitement, pour le moment où le besoin organique vrai n'existe plus, et quand il peut rester encore des impulsions contre lesquelles l'hypnotisme sera on ne peut plus utile.
Par conséquent le meilleur moyeu dans la conduite d'une cure de démorphinisation est de ne pas risquer un échec en essayant de faire de l'hypnotisme dans les conditions défavorables dont parle Bérillon, mais de le réserver pour les cas favorables et pour le bon moment et surtout de l'associer au traitement physiologique nécessaire pour soulager la souffrance organique.
Ceci est du reste aussi l'opinion formelle de mon excellent confrère qui en parlant à la Société d'hypnologie a dit : « Nous avons eu recours « à des stimulants physiologiques, nous conformant comme nous l'avons « fait dans toutes les circonstances analogues aux préceptes justement « formulés par le Dr Jennings. Dans trois autres cas le traitement par la « suggestion a été employé comme adjuvant au traitement dirigé par « notre confrère ».
Le Dr Bérillon fait suivre cette déclaration de quelques remarques sur l'importance capitale de la suggestion pour décider le malade à arriver à une guérison complète pour exalter son désir de se soustraire à la tyrannie de l'habitude, la lui rendre odieuse, et pour le décider à faire preuve d'une certaine initiative personnelle, pour le déterminer même à entreprendre la guérison. Il fortifie en cela ma thèse que l'hypnotisme n'est pas nécessaire dans les cas où le malade est résolu à. se guérir, si on peut efficacement le soulager. Car souvent le malade ne reste tributaire de la morphine que parce que les médecins ignorent tout ce qui se rapporte à cette question.
J'ajouterai en terminant que si je considère l'hypnotisme simplement comme adjuvant dans le traitement de la morphinomane, j'ai toujours insisté sur sa grande valeur dans le traitement de l'alcoolisme.
Je disais dans un travail datant de huit ans : Un dernier moyen qui est de la plus grande utilité c'est la suggestion hypnotique.
Discussion
Dr Bérillon— La cure et le traitement psychologique de l'alcoolisme reposent sur quatre conditions essentielles :
1° La séparation momentanée du buveur de son milieu habituel ; 2° La désintoxication progressivement réalisée : 3° La rééducation du caractère et de la volonté : 4° Le redressement d'erreurs de jugement fréquentes chez les sujets adonnés aux intoxications artificielles.
La cure de l'alcoolisme ne peut être considérée comme définitive que lorsque les buveurs ont été débarrassés de préjugés ayant cours dans leur milieu, et relatives à l'utilité alimentaire des boissons alcooliques.
L'emploi de l'hypnotisme et de la suggestion, considérés comme procédés de rééducation du caractère et de la volonté, permettent de limiter la cure de l'alcoolisme a un séjour de deux ou trois mois dans un établissement spécial.
La cure psychologique de l'alcoolisme comporte, non seulement la rééducation de la volonté, mais également celle du jugement. L'abus des excitants alcooliques s'accompagne toujours des dispositions à raisonner d'une façon défectueuse. Le redressement mental n'est complet que si l'on se préoccupe de transformer certains préjugés fortement enracinés dans le cerveau de tout alcoolique.
Dr Le Menant des Chesnais.— Je ne considère un alcoolique comme guéri que quand il se transforme en apôtre et que je l'aï amené a faire
-du prosélytisme en faveur de la sobriété. 11 y a la une pierre de touche
• de la guérison que je crois utile à signaler.
Un cas grave d'anorexie mentale : guérison
par M. le Dr Tarrius. directeur do la Maison de Santé d'Epinay (Seine).
Etat physique. — Mlle X... âgée de 18 ans. entre le 5 novembre 1908. On constate un état de maigreur extrême, avec cyanose des extrémités, remontant pour les membres supérieurs jusqu'aux poignets et pour les membres inférieurs jusqu'à mi-jambes avec oedème très prononcé. Les oreilles et le nez sont froids. Comme ensemble, la malade a l'aspect d'un squelette. Elle pèse 18 kilogs : la taille est de lm45. C'est un cas d'infantilisme. Les organes sont sains : aucun ne paraît anormal, le foie est diminué. La figure est vieillotte. La respiration est douce, le cœur bat régulièrement, avec ralentissement toutefois : 60 à 65 pulsations. La température axillaire prise tous les jours varie de 37°2 à 37°5. Pas encore réglée. Démarche lente : station debout difficile. Les yeux sont enfoncés, mais brillants. La glande thyroïde est atrophiée, presque disparue. Le goût est diminué pour les aliments, à l'exception des aliments épicés. vinaigre, café que la malade réclame souvent. Pas de douleur épigastri-
•que. En outre de la maigreur de squelette, il semble que la malade présente comme un arrêt de développement de tout le corps. Pas de symptômes d'hystérie.
Etat moral. — La jeune fille est très soigneuse de sa personne : elle s'habille proprement : paraît sérieuse. L'intelligence ne parait pas avoir été atteinte. Le cerveau a conservé
•sa vitalité fonctionnelle et cette vitalité s'accuse par l'esprit de ruse et d'initiative que manifeste la malade. Du reste elle obtint son certificat
-d'études à l'âge de 11 ans et a 16 ans elle subit avec succès l'examen du brevet élémentaire. Elle est très attentive à tout ce qui se dit autour d'elle à son sujet, aux
avis et aux recommandations donnés à l'infirmière. Rien ne l'intéresse que ce qui peut avoir un rapport avec son alimentation et c'est pourquoi elle prend en grippe les personnes qui s'occupent de l'alimenter. Les réponses sont précises : elle a l'esprit lent, mais net, sachant se défendre contre les encouragements ouïes persuasions relatives à son alimentation. Il n'est pas de ruse qu'elle n'emploie pour échapper, au moment des repas fréquents, h la surveillance des personnes qui l'assistent. Garder les aliments dans la bouche, sous la langue est pour elle un jeu. Elle arrive à- les prendre dans ses mains, a les cacher dans sa jupe, son corsage. Elle a confectionné une poche spéciale dans laquelle elle cache tout ce qu'elle peut détourner au moment même des repas. Elle rafle tout ce qu'elle peut prendre, en dehors des repas, fruits, biscuits etc. Elle cache le tout dans son lit, son armoire et jusque dans son vase de nuit. Ces larcins, commis depuis deux ans, passèrent à l'état d'habitude, puis a l'état de manie, à tel point que même pendant son traitement à la maison de santé d'Epinay, elle obéit, toutes les fois qu'elle put tromper la surveillance, a cette manie,-calculée probablement, puisque le but était de laisser croire qu'elle avait ingéré tous les aliments qui lui étaient destinés. Cette manie de petits larcins ne s'appliquait pas seulement aux aliments, mais encore aux divers objets laissés sur les tables tels que ciseaux, fil, épingles etc., objets qu'elle cachait sur elle ou chez elle ou qu'elle portait malicieusement, je crois, chez une autre personne.
C'est ainsi qu'on découvrit un jour, dans la chambre dn Dr Poulalion. médecin-adjoint, sous le matelas, des oranges et des biscuits qu'elle avait apportés dans l'intention probable que la découverte de ces provisions pourrait nuire au confrère. Le Dr Poulalion croit, au contraire, que ces provisions apportées chez lui étaient exécutées automatiquement, sans conscience : c'est du moins ce que la malade répondait aux reproches qui lui étaient faits.
Cette malade fut confiée il y a un an environ au Dr Bérillon dans son établissement de Créteil. Elle y fut traitée six mois : les parents la reprirent pour tenter un nouvel essai. Je laisse à notre confrère le D* Bérillon le soin de tirer de cette observation les conclusions psychologiques qu'elle comporte. Il a connu la jeune malade et il sait par expérience, puisqu'il l'a traitée, quel était son état psychique et les mobiles qui la faisaient agir.
Début de ta maladie. Antécédents. — Quand on demande à la jenne fille de nous dire pour quel motif elle refuse de s'alimenter, elle répond invariablement qu'elle ne veut pas grossir, qu'elle n'a pas besoin de manger et qu'elle ne ressent aucun besoin de mauger. Cette réponse était faite à ses parents, aux médecins qui l'ont soignée chez elle : elle est faite à nons-même.
Les parents sont bien portants : une sœur, plus jeune est très forte.
La malade n'est pas réglée au moment de son entrée (5 novembre 190S) elle a dix-huit ans.
La jeune fille n'a jamais été malade avant l'Age de 12 ans. Elle eut-
alors la dipthérie et à la suite,elle souffrit de douleurs articulaires. Dans le cours de ces deux maladies, dont la durée fut de deux à trois mois, la malade contracta l'habitude de manger peu. sans amaigrissement notable. Cette habitude persista et ce ne fut que vers l'Age de 16 ans qu'elle décida de rationner son alimentation dans une proportion telle que les parents s'en aperçurent. Les seuls aliments qu'elle prenait ouvertement ou en cachette étaient des aliments épicés. et surtout du café dont elle faisait un grand usage.
Dans le même temps, pour diminuer son tour de taille déjà bien réduit, elle serrait son corset jusqu'aux dernières limites.
Traitement. — Le traitement institué fut d'abord: l'isolement du milieu dans lequel la maladie avait évolué, c'est-à-dire l'interdiction de toute visite de la famille (la première visite n'eut lieu qu'après deux mois de séjour) ; l'alimentation forcée par la persuasion, la contrainte et même parla sonde qui fut employée souvent au début, les repas fréquents.
Je parvenais, avec beaucoup de patience à faire prendre à la malade malgré son opposition et sa répugnance, quelques cuillerées de bouillon, de lait, de carnine et de l'huile de foie de morue, à tous ces petits repas il était donné du jus de pruneaux pour combattre la constipation.
La Thyroïdine Bouty fut donnée, en raison de l'atrophie du corps thyroïde. Les pilules furent prises régulièrement et avec une grande surveillance tant à cause des ruses employées par la malade pour annihiler nos efforts qu'à cause des accidents provoqués par l'emploi de la thyroïdine. Il semble que cette médication ait-eu quelque succès, puisque dès le premier flacon (20 pilules) la malade se montra moins rétive, et qu'elle prit des aliments solides, avec appétit et goût. Mais néanmoins, aussitôt que la surveillance paraissait se relâcher, la jeune fille avait recours à ses procédés habituels. Deux flacons furent pris : il ne se produisit qu'un accident : une syncope, sans suite aucune.
L'amélioration se manifesta dès le deuxième mois et sans discontinuer alla en augmentant jusqu'au départ de la malade. Elle prenait ses repas à la table commune et s'alimentait comme les autres pensionnaires, mais toujours en manifestant une préférence pour le vinaigre, la moutarde, le poivre, etc.
Les pesées faites par le Dp Poulalion. médecin adjoint et les photographies prises à l'entrée et à la sortie de la malade par Mr Jean Tarrius. étudiant en médecine indiquent bien le progrès obtenu pendant les six mois de séjonr.
Pesées
5 novembre 1908 ....... 18 kg.
21 novembre —..... 18 kg. 300
27 décembre —.......19 kg. 400
5 janvier 1909 . . . . . . . 19 kg. 600
28 janvier — ........ 23 kg.
16 février — ........28 kg.
21 mars —.......34 kg.
3 mai --.......36 kg. 500
L'anorexie des adolescents. — Particularités mentales et traitement psychologique.
par le Dr Bérillos.
Il n'y a pas de domaine où l'influence psychologique s'exerce avec plus d'intensité que dans celui de l'alimentation. C'est par exemple, par l'imitation, voire par un certain snobisme, que se créent la plupart des aversions, des antipathies et des dégoûts qu'un grand nombre de personnes manifestent pour tels ou tels aliments. Il en est de même de l'attraction éprouvée pour certains mets, dont on retrouve l'origine dans des habitudes de famille, de nationalité et surtout dans des préjugés locaux. C'est ainsi que se créent ces préférences pour des mets dits nationaux, préférences qui ne sont souvent justifiées que par des raisons de sentiment. On les retrouve d'ailleurs dans tous les pays et sous toutes les latitudes.
Un fait qui mérite de retenir l'attention, c'est la ténacité habituelle de ces aversions alimentaires. Quand elles ont été implantées dans un esprit, il devient presque impossible de les déraciner. Certaines personnes se laisseraient mourir de faim plutôt que de se nourrir d'un aliment pour lequel elles ont fait profession d'antipathie. Quand des prescriptions religieuses interviennent dans la constitution de ces préjugés alimentaires, il n'y a aucun argument qui puisse triompher.
A notre époque, on ne rencontre plus ces proscriptions systématiques que dans certains pays et dans quelques races, par exemple chez les Hindous à l'égard du'régime carné en général ; et chez les Juifs, dont on connaît l'antipathie pour la viande du porc, ainsi que pour celle du lapin.
Si le rôle joué par la religion dans la fixation des préférences alimentaires n'a cessé de s'atténuer, par contre celui du médecin continue à augmenter tous les jonrs. Les prescriptions journalières dans lesquelles le praticien conseille ou défend l'usage de certains aliments, arrivent souvent a créer au point de vue du régime alimentaire, des idées absolument systématiques. Plus nombreux qu'on ne le croit sont ceux qui prennent à la lettre une prescription médicale, surtout dans la partie qui concerne l'alimentation. C'est ainsi que l'on voit se développer, chez beaucoup de personnes, de véritables phobies a l'égard d'aliments déterminés. Il leur semble qu'il leur suffirait d'y goûter pour s'exposer à passer de vie a trépas. Bans ce cas. les organes paraissent, en quelque sorte, se faire les complices de la prévention de l'esprit, car des troubles gastro-intestinaux divers, et en particulier des vomissements, ne manquent pas de justifier les appréhensions de ces sujets impressionnables.
Le médecin, lorsqu'il s'adresse à des personnes hypersuggestibles, émotives.ou*dont il ne connaît pas les dispositions mentales, ne doitdonc s'exprimer, sur la question alimentaire, qu'avec une certaine réserve. J'ai eu l'occasion d'observer plusieurs cas dans lesquels l'anorexie des adolescents avait eu pour point de départ certain une opinion exprimée trop formellement par le médecin.
Comme on l'a dit avec justesse, l'anorexie des adolescents qui sévit presque exclusivement sur des sujets du sexe féminin, est une maladie spéciale aux enfants gâtés ou aux filles uniques.
La situation psychologique de ces jeunes filles qui appartiennent le plus souvent à un milieu aisé, présente un certain nombre de particularités sur lesquelles il convient d'insister.
L'enfant y est considéré comme un objet dont la conservation peut imposer les plus grands sacrifices ; aussi la sollicitude maternelle, sans cesse en éveil, se préoccupe, par crainte de dépérissement, de gaver sa fille d'une nourriture excessive et par crainte d'accident, de limiter le plus possible des manifestations de son activité : Il en résulte nécessairement une tendance à l'obésité précoce pour laquelle le médecin est amené à donner un jour ou l'autre, son appréciation. Dans un cas que j'ai pu suivre longuement, le médecin de la famille énervé par les inquiétudes sans cesse exprimées par la mère sur le régime de son enfant, lui dit brusquement : « Madame, si vous continuez ainsi à. bourrer constamment votre enfant de viandes et de victuailles, elle deviendra grosse comme un tonneau.— Ce qui lui convient,c'est un régime plus sobre et une existence plus active. ” Prenant à la lettre cette prescription qui correspondait d'ailleurs à une intention intime, la jeune fille réduisit son alimentation quotidienne à quelques croûtes de pain et imposa à sa mère des promenades d'une longueur interminable. On ne voyait sur les routes que la jeune fille amincie, faisant de grandes enjambées, suivie par la mère essoufflée, s'épongeant le front et criant sans cesse : « assez ! assez ! ” La jeune personne, indifférente à ces lamentations, ne rentrait qu'à la chute du jour et se couchait sans absorber aucun aliment. Elle se levait de très bonne heure le lendemain et s'impatientait de ce que la mère n'était pas assez empressée à reprendre ses courses interminables.
A ce régime, l'anorexique ne tarda pas à revêtir un aspect presque squelettique, la santé générale ne paraissant pas d'ailleurs en être autrement altérée. C'est dans cet état qu'elle me fut confiée. Après quelques mois de soins la guérison était obtenue et elle s'est mariée, contractant une union selon ses goûts. Dans d'autres cas. ce furent des critiques des amies de pension, se moquant de l'appétit ou de l'épaisseur de la taille qui ont amené le même état d'esprit. La fréquentation de certaines personnes du sexe féminin dont la taille élancée provoque l'admiration peut exercer la même influence.
* Maigrir, maigrir à tout prix ». telle semble la devise adoptée par les jeunes nnorexiques. Tons les aliments susceptibles de favoriser l'embonpoint sont rejetés avec horreur. L'activité physique, la danse, les promenades, les exercices forcés qui éliminent le tissu adipeux sont au contraire l'objet d'un culte qui ne prend fin que par l'impossibilité matérielle de se tenir debout.
Che étude psychologique attentive m'a permis d'arriver à cette opinion que la recherche de l'amaigrissement n'est pas le principal
mobile de cette abstinence presque complète d'aliments. L'idée fixe qui domine l'état mental des anorexiques est surtout constituée par une tendance à l'avarice. Le désir d'amaigrissement est le motif apparent. La cause réelle de leur résistance à absorber des aliments est l'intention non avouée de réaliser des économies sur la nourriture. Les anorexiques adolescentes bien qu'appartenant a un milieu social aisé, ont eu sous les yeux de nombreux exemples de l'attachement aux biens de la terre. Très fréquemment leurs oreilles ont été rebattues de plaintes concernant le renchérissement constant des denrées alimentaires et de l'ennui qu'il y a à dépenser le meilleur de ses revenus pour cet acte a répétition si fréquente, qui est celui de manger.
Alors que dans leur milieu familial, les personnages les plus autorisés se glorifient de leur sobriété, vantent le mérite d'un appétit tôt et facilement satisfait, elles peuvent s'étonner à bon droit, qu'on veuille leur imposer, à elles-mêmes, un régime aussi recherché. Pour elles, en effet, aucun mets n'est trop délicat, ni trop coûteux, on trouve qu'elles ne mangent jamais assez et qu'elles ne sont jamais assez dodues. C'est qu'elles sont tenues pour un trésor précieux, et les principes admis pour le reste des humains ont, pour cette raison, cessé de leur être applicables La sollicitude familiale à l'égard d'enfants obtenus et conservés avec quelque difficulté, peut seul expliquer de tels miracles.
En réalité, les adolescentes anorexiques reproduisent, avec une ressemblance frappante, le portrait physique et moral de tel ou tel de leurs ascendants réputé pour son économie quelque peu sordide ou pour son avarice. L'état mental de ces anorexiques n'est que la résultante d'une prédisposition héréditaire et d'une influence de milieu. A ce sujet, j'ai recueilli tant de renseignements probants que je n'ai aucune crainte de voir infirmer mon opinion. De ces anorexiques guéries, il en est que j'ai pu suivre dans le cours de leur existence. Leur esprit d'économie n'a pas changé et malgré leur situation de fortune elles n'éprouvent qu'une médiocre sympathie pour ceux dont l'estomac aime à se repaître d'aliments variés ou de bonne qualité. La gastronomie leur semblera toujours un art qui entraîne à trop de dépenses.
Plusieurs des adolescentes anorexiques que j'ai eu l'occasion d'observer et de traiter étaient issues de parents âgés, d'autres avaient passé la plus grande partie de leur enfance auprès de grands parents qui s'étaient chargés de leur éducation. Chez toutes, j'ai retrouvé l'influence prépondérante de l'ascendant parcimonieux, liardant sur la nourriture, en lutte sourde ou déclarée avec les personnes de l'entourage qui comprenaient la nécessité de satisfaire aux exigences de leur appétit. La tendance aux larcins se présente aussi fréquemment chez les adolescentes anorexiques. Leur disposition à l'économie les porte à ne rien laisser traîner de ce qui peut avoir quelque valeur, alimentaire ou autre. Elles obéiraient en cela à quelque instinct obscur analogue a celui qui porte les animaux de certaines espèces à faire des provisions. Les cas d'avares, se laissant manquer de tout à côté de richesses considérables, est présent à tous les
esprits. L'anorexie des adolescents est. pour moi. la manifestation précoce de l'état mental qui aboutit a l'avarice.
Le traitement de l'anorexie de l'adolescence comporte donc plusieurs indications essentielles :
l° La malade devra être séparée de son milieu familial pendant une durée prolongée.
2° Une période assez longue devra être consacrée à son observation clinique et psychologique. Cette période dans laquelle elle ne sera l'objet d'aucune contrainte, est indispensable pour acquérir sa sympathie et sa confiance. La malade placée dans un milieu où tout le monde se soumet a un régime normal, sera favorablement influencée par les exemples qu'elle aura sous les yeux.
3° On n'aura recours au lavage à la sonde et à l'alimentation forcée que dans le cas où l'état d'inanition l'imposerait. Cette intervention a souvent pour heureux effet d'intimider le sujet et de le déterminer à manger pour en éviter une nouvelle application.
4° Le traitement devra être essentiellement psychothérapique. Il consistera eu une rééducation progressive de la volonté, de l'attention. Des enseignements spécianx auront pour but de remédier aux erreurs de jugement, résultant des influences de milieu énoncées plus haut. Les malades devront être amenées à comprendre que l'avarice est un vice odieux et que le fait de lésiner constamment sur la nourriture est l'indice d'un esprit étroit et mal équilibré. La suggestion hypnotique, en renforçant les impressions psychothérapiques, facilite la guérison et diminue la durée du traitement.
5° La guérison ne devra être considérée comme définitive que lorsque la malade aura recouvré son poids normal, lorsque les règles seront revenues et surtout lorsqu'elle aura l'esprit débarassé des habitudes d'avarice dont son esprit avait été pénétré pendant les premières années de son existence.
Algomanie
par le Dr Henry Lemesle, professeur a l'Ecole de psychologie de Paris, directeur de l'Institut Liebeault de Loches
O ma Douleur, tu es mieux qu'une bien aimée »... Francis Jammrs (Le Deuil des Primevères).
Nous avons employé autrefois (1) les dénominations d'alyophiles et d'algomanes pour désigner, en psychiatrie, des malades à qui nous avons consacré depuis une étude plus complète, sous le nom très explicatif d'« Amants de la Douleur ».
Ici nous voulons conserver l'appellation que nous avions choisie
(1) Les degénérés algomanes et auto-destructeurs. Société d'HyphoIogie et de Psychologie. 19 Juillet 1897, sons la présidence du Dr Dumontpalliér.
d'abord, avec l'espoir de lui faire obtenir ainsi, dans la terminologie. la place qu'elle mérite.
Et afin de justifier dès maintenant le titre de cette étude et de démontrer que la douleur a toujours eu des amis et des fanatiques, demandons à l'histoire, aux beaux-arts, aux lettres, enfin et surtout à l'agiographie et au martyrologe chrétien un enseignement qu'ils nous prodiguent.
Notre intention n'est pas d'écrire une histoire complète de l'Algomanie: nous voulons plus modestement recueillir pour les grouper certains cas de manie de la douleur, un peu au hasard dn souvenir, afin d'en dégager les éléments qui justifient la dénomination de cette entité morbide.
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L'Algomanie : DANS l'HISTOIRE des religions
Les religions disparues ou présentes offrent à elles seules quantité d'algomanes confirmés, comme si le sentiment religieux était par lui-même fonction et manifestation de cette incomplétude psychique de cette inaptitude vitale qui, nous le verrons, sont avant tout génératrices de l'Algomanie. Non moins intéressante que celle des personnages sacrés, l'histoire des sectes religieuses permet d'étudier des délires de la douleur, augmentés par l'imitation et la contagion mentale.
Certains psychologues, il est vrai, par une révérence toute proche de la superstition, peuvent s'interdire de diminuer en l'analysant, ce sentiment, ce credo des hommes religieux que cultiver la douleur c'est pour la créature mieux affirmer son amour pour celui qui l'a créée; il ne peut plus en être de même à l'égard des nombreux personnages sacrés, algo-manes certains. Ce sont bien des algomanes tous ces auto-destructeurs qui par la mort, ou seulement par des mutilations, des macérations, des privations gratuites provoquèrent des réactions de douleurs, en portant des atteintes variées à leur personnalité physique ou morale.
Au point de départ de certains de ces actes, il y eut, le plus souvent, cette suggestion, ou mieux cette hantise, de la compensation du bien et du mal, ce principe trouvé au berceau de toutes les religions et qui veut que le mal subi, accepté ou recherché sur terre soit payé, aux paradis futurs, d'un bonheur qui dépasse à l'infini le sacrifice consenti, la douleur subie.
Oui, voilà l'axiome fondamental de la plupart des chefs de religion et de leurs continuateurs, qui en firent un impératif et purent ainsi réclamer de leurs adeptes la souffrance ou la mort, inaugurant ainsi le culte de la douleur, et cette douleur, inséparable de la condition humaine, cette douleur indestructible, la justifiant et la magnifiant à leur profit. Douleurs et souffrances inéluctables furent « offertes » à la divinité qui pourvoirait à la compensation attendue.
C'est là que beaucoup d'algomanes s'aiguillèrent vers leur manie et des algomanes de naissance ou d'éducation et d'entraînement abritèrent, de ces principes, un état démentiel admiré de leurs contemporains et proposé à notre vénération.
C'est an culte de la douleur que la religion catholique en particulier, doit, pour beaucoup, sa toute puissance, mais il se produisit, a certaines époques, un résultat qui, dépassant les limites, compromettait les intérêts religieux parce qu'il atteignait la démence manifeste : il fallut tenter d'éteindre l'incendie allumé aux cerveaux : Rome se vit contrainte de désapprouver, d'excommunier même, certains algomanes trop zélés devenus compromettants.
Algomanie collective. — L'étude des anciens cultes de l'univers donne des exemples de fanatisme de la douleur, qui se traduisent par des aberrations aboutissant aux pénitences les plus variées, aux mutilations et même au suicide. Ainsi agissaient en Phénicie, les prêtres de Baal et d'Astar/é. Les prêtres et adeptes de la Cybèle et de l'Algs phrygiens, revêtaient l'exercice de leur culte des marques de la plus vive tristesse, ils pleuraient, s'arrachaient les cheveux, se déchiraient le visage : quelques-uns, enfin, se distinguaient en s'infligeant la mutilation suprême, qui leur conférait le titre de Galles placés sous l'autorité d'un Archigalle.
Ces derniers se montrèrent ainsi les précurseurs à'Origène et de sea disciples qui trouvaient toute autorité dans le précepte de S1 Mathieu : « Sunt eunnchi qui seipsos castraverunt propter regnum cceloram » (Matth. XTS. 12). Le grand procès de Tamlow (1868) a ramené l'attention sur des descendants (?) d'Origène, les Skoplsys de Bussie, dont la secte encore florissante date de la seconde moitié du xvm* siècle.
Dès son origine, le christianisme donna naissance à de nombreuses sectes, qui, pour n'avoir pas abouti à des mesures aussi radicales, n'en versèrent pas moins dans l'Algomanie manifeste : — les Abeliens IVe siècle) devaient se marier, mais comme Abel ils ne devaient pas connaître leur femme : — les Passolorynchites, vivant en Galatie, an temps de S1 Gérome. observaient un silence rigoureux et la plupart assuraient ce silence en se plaçant un doigt sur la bouche et en se bon-chant le nez ; — les Dosithéens avaient entre autres pratiques, celle de conserver la même posture durant vingt-quatre heures : — les Pleureurs s'appliquaient à verser continuellement des larmes qui devaient être agréables à Dieu ; — les Parfaits, secte anabaptiste, se réclamant de la maxime évangélique ; malheur à cous qui riez, car vous pleurerez, s'interdisaient le moindre sourire et tout signe de satisfaction ; — les Hœsy-castes (XIVe siècle) qui trouvèrent à Constantinople des appnis dans les empereurs Cantacuzène et Paléologue. attendaient de la contemplation prolongée de leur nombril, la vision de la lumière divine du Thabor : divers conciles tantôt les condamnèrent et tantôt les approuvèrent : le seul point d'aillenrs en controverse, était de savoir si cette lumière était crée ou d'origine divine.
De toutes ces sectes, la plus notable fut celle des Flagellants. La flagellation a son origine chez le peuple juif ; le cérémonial en est ainsi décrit : le patient s'étend par terre, le visage tourné vers le nord, il fait l'aveu de ses fantes en récitant le 38e verset du psaume 78, composé de 43 mots et chaque mot est accompagné d'un coup de fouet ; en récitant trois fois
ce verset on infligeait 39 coups. C'est vers la fin du IIe siècle que l'on vit les premiers Flagellants : cette secte prit naissance il Pérouse dont les habitants, pour faire cesser les maux de l'Italie, commencèrent, dans les rues de leur ville, des processions dans lesquelles ils se fustigèrent ; la contagion morale s'exerça de telle façon que de nombreux algomanes du temps organisèrent dans toutes les villes de l'Italie des processions semblables. La cour de Rome s'émut de cet excès de zèle, le condamna, et les Flagellants disparurent pour ne reparaître qu'après un siècle, en Allemagne, a l'occasion d'une épidémie. Combattus à nouveau. Us ne tardèrent pas à disparaître pour ne se montrer qu'au XIVe siècle, époque à laquelle ils entrèrent en lutte avec l'Inquisition qui les anéantit.
Certains ordres religieux (Carmélites. Clarisses) ont conservé l'usage de la flagellation.
Nous verrons par la suite de cette étude, en abordant la psychologie de l'Algomanie. comment à tous points de vue doit être expliquée cette recherche de la douleur qui était, réelle, certaine, de « bonne qualité » pourrait-on dire, du moins le plus souvent. C'est ainsi que la confection de la « discipline » était l'objet de soins particuliers, qui révélaient un véritable art de la douleur. Une discipline fameuse fut inventée par Jeanne de France, fondatrice des Annonciades et fille de Louis XI. dont elle prit sans doute, en la circonstance, le conseil éclairé : cette discipline, dite des Cinq plaies, était une sorte de croix d'argent avec cinq clous d'argent pointus. II se montra également très expert en l'art de la douleur, ce père Julien de la Croix, qui recommandait que les cordes des disciplines fussent d'inégales longueurs, afin que chacune d'elles portât isolément, multipliant ainsi la souffrance.
A l'Algomanie collective, se rattache l'ordre des Religieuses adoratrices perpétuelles du St-Sacrement, fondé en 1659 par Catherine de Bar et qui eut un temps de grande célébrité : tous les matins, une sœur nouvelle qualifiée victime réparatrice, entrait en retraite et des rigueurs et pénitences extraordinaires lui étaient imposées. Desmarots de St-Sorlin proposa l'extension de cet ordre et se fit fort, si l'on pouvait constituer une armée de JOO.000 victimes, de réduire le Jansénisme et d'abattre toutes les citadelles du diable. — Sous Louis XVI. une demoiselle Brohan fonda l'Association des Saintes rictimes, qui, elles aussi, devaient s'immoler continuellement à Dieu.
« Pendant un demi-sièclé et à partir de 1731. » nous rapporte Félix Regnault dans son livre si précieusement documenté (Hygpnotisme et Religion). « le tombeau du diacre Paris opérait des miracles et provoquait « des épidémies de convulsionna ires qui châtiaient leur chair pour « glorifier Dieu. Il y avait les petits et les grands secours. Les petits « secours consistaient en attouchements, pressions, coups modérés sur « diverses parties du corps : dans les grands secours les patients se sou-« mettaient aux coups les plus violents sur tout le corps et les suppor-« taient sans souffrance et même avec joie. On les tirait aux quatre « membres on les suspendait par les pieds, on montait à plusieurs sur
« une planche posée sur leur ventre... certains se firent crucifier et « restèrent ainsi plus de trois heures ».
Comment quitter l'étude de l'Algomanie collective, sans réporter sa pensée vers les tortionnaires des temps anciens et modernes qui. au nom d'un principe, furent des fanatiques de la douleur... d'autrui ? Par ceux-là nous connaissons un phénomène psychologique plus complexe, mais dont l'analyse nous montrera que. tout compte fait, persécuteurs et martyrs, bourreaux et victimes, étaient souvent faits pour s'entendre, et que tributaires de la même inversion psychique, ils devaient s'attirer les uns les autres par une affinité fatale.
* *
L'Algomanie individuelle n'a pas eu. à notre avis, une influence sociale moins puissante que l'Algomanie collective : si la première n'a pas provoqué ces véritables tourmentes de la raison en délire, ces épidémies morales à grand fracas dont nous avons, en partie, retracé l'histoire, elle a cependant fourni des exemples d'autant plus dangereux que, si l'Eglise a souvent réprouvé l'Algomanie collective qui la menaçait de schismes, elle a toujours honoré l'Algomanie individuelle utile à son crédit et h son influence. Toutes les sectes que nous avons citées ont été plus ou moins excommuniées tandis que les algomanes privés sont devenus des saints ou des bienheureux, c'est-à-dire des personnalités proposées en exemple.
A qui fera-t-on croire quelles ne dérivaient pas d'un état mental pathologique très net les pratiques d'un Siméon sti/lite, congédié de son monastère pour l'excès de son austérité,ou celles d'un Pierre aVAlcantara dont nous avons déjà parlé dans une étude antérieure (1).
« Ce saint homme, nous dit Sle Thérèse, avait passé quarante ans sans « dormir plus d'une heure et demie pendant la nuit et le jour ; durant le « peu de temps qu'il était assis pour dormir, il appuyait sa tête contre « un morceau de bois scellé dans le mur. Il passa plusieurs années sans
* regarder aucune femme et il me disait que s'il les voyait c'était comme
* s'il ne les voyait pas. Il était, quand je commençai à le connaître, si « atténué et si décharné que sa peau ressemblait plutôt à une écorce « d'arbre desséché qu'à de la chair. Il portait un cilice qu'il n'avait pas « quitté depuis vingt-deux ans : il criait à haute voix et de telle sorte
* que ceux qui l'entendaient le prenaient pour un insensé. » (Mémoires de S'" Thérèse).
N'était-il pas l'un de nos algomanes. ce St Ambroise qui versa tant et tant de larmes, que l'auteur de la Légende dorée irraduct. abbé Boze) dut en faire une classification :
1° Larmes de compassion sur les fautes des antres : saint Paulin rapporte de lui que si quelqu'un venait lui confesser ses fautes il pleurait si amèrement qu'il faisait pleurer son pénitent.— 2° Larmes de dévotion dans la vue des biens éternels ; il répondait à saint Paulin lui demandant pour-
(1) H. Lemesle, La Transterbération de St Thérèse d'Arila (Doin. édit. 1901).
quoi il pleurait la mort des saints : je ne pleure pas parce qu'ils sont décèdes, mais parce qu'ils m'ont précédé dans la gloire. — 3° Larmes de compassion pour les injures qu'il recevait d'autrui ; mes armes, disait-il, contre les soldats Goths, ce sont mes larmes.
Que penser de St Dominique l'Encuirassè. qui, d'après son historien, Pierre Damien, récitait chaque jour deux fois le psautier, en se fustigeant à chaque psaume, au point que sa peau était toute noire, toute meurtrie de coups « et que son visage était plein de tumeurs et de « bosses, livide et déchiré comme des herbes qu'on aurait pilées dans un « mortier pour faire de la tisane ? »
Entre tons ses confrères en AJgomanie. le bienheureux Robert d'Ar-brissel (1), abbé de Fontevrault du xrv* siècle, renouvela de saint Ad/iel-me, évèque anglais du vin® siècle, un procédé de souffrance peu connu mais bien périlleux ; cet abbé, fondateur de l'abbaye d'hommes et de femmes de Fontevrault, « entrait (2) courageusement dans le lit de ses « religieuses afin, disait-il, qu'en s'exposant à la tentation de les possé-« der. en aiguisant ses sens contre un corps de femme, il remportait « plus haute victoire sur eux par le refus qu'il faisait de les satis-« faire. »
Parmi les saintes qui montrèrent un amour spécial de la souffrance, Ste Rose de Lima ne doit pas être oubliée. « Née d'une famille opulente « elle aspira à la pauvreté et dès l'âge le plus tendre elle coupa sa che-« velure... se frotte avec de la chaux vive pour brûler sa peau et la faire
« gercer... elle mêla à ses aliments des plantes amères et les arrosa
« même de fiel de mouton... elle arriva a vivre de quelques pépins « d'oranges. Toutes les nuits elle s'administrait la discipline et malgré « les conseils de son confesseur, elle alla jusqu'à se donner cinq mille « coups en quatre jours. Quand ses épaules étaient tout ensanglan-
« tées, elle les chargeait d'une lourde croix de fer et allait nu-pieds « dans le jardin du couvent. Elle s'enfonçait dans la tête une couronne « hérissée de pointes et chaque jour elle la changeait de place afin de « multiplier ses blessures. Couverte d'un double cilice, elle se frottait le
« corps avec des orties et quand elle avait épuisé tous les moyens « qu'elle pouvait inventer pour souffrir de plus en plus, une immense « joie s'emparait d'elle. »
Ste Thérèse nous a donné, avec une précision absolue, la description de l'état mental qui nous intéresse lorsqu'elle écrivait : « Les souffrances
« seules peuvent désormais me rendre la vie supportable. Souffrir, voilà
« ou tendent mes vœux les plus chers. Que de fois du plus intime de « mon âme, j'élève ce cri vers Dieu : Seigneur ou souffrir, ou mourir,
« c'est la seule chose que je vous demande. » (Vie de Ste Thérèse, Ollier, Lettres. I. 390).
(1) H. Lemesle. Le Martyre de Robert d'Arbrissel. Société d'Hypnotisme et de Psychologie, 17 déc. 01.
(2) Joan. de la Maintenue Clypé : T. I. p. 118. (Manuscrits de l'abbaye des Vaux de Cerney 1710).
Ste Catherine de Sienne se montra apologiste de l'Algomanie quand elle écrivait à Urbain VI : « Devenez semblable à votre chef, le doux Jésus, « qui toujours depuis le commencement du monde jusqu'à la fin a voulu « que rien ne se fasse sans beaucoup souffrir. » Lettres I. 83.
Si maintenant, quittant les « siècles de foi a. nous passons aux temps présents, et nous nous demandons quelle a été sur l'Algomanie l'influence de l'évolution philosophique de la France et des nations occidentales, nous devons constater que le prestige de l'Algomanie a été atteint par cette évolution.
Depuis les encyclopédistes et les progrès de la médecine mentale, les Pierre d'Alcantara ou les Rose de Lima ne se trouvent plus guère qu'aux quartiers d'asiles spéciaux, ou du moins, les faits et gestes de ceux d'entre eux qui restent en liberté, ne sont plus l'objet que d'une admiration restreinte, de la part de zélateurs préparés.
Le curé d'Ars est l'un des rares exemples d'Algomanie contemporaine, à rapprocher de ceux que nous avons cités plus haut.
La Calabre, pays de fanatisme et de superstitions tenaces, nous offre encore un exemple d'Algomanie collective ; pendant la semaine sainte des troupes de gens parcourent les rues en se tailladant les chairs. Un bel exemple d'Algomanie individuelle d'origine mystique, mais qui à notre époque n'a plus cours que comme observation médicale, est celui de la convulsionna ire de Tebaldi, qui chaque jour, à la même heure, se levait de son lit et se frappait la tête contre le mur un nombre invraisemblable de fois (4.500) avec une force terrible.
.%
L'étude que nous avons appliquée à la religion catholique, parce que cette religion plus répandue dans notre entourage est ainsi présente à tous, cette étude aurait été aussi féconde appliquée à ses deux sœurs en origine sémite : la religion Juive et la mahométane : les relions védique, avestique et bondhique, les deux religions chinoises enfin, de Confucius et de Lao-Tseu. seraient encore des sources précieuses de contribution à l'Algomanie.
Les religions boudhiste et musulmane ont plus spécialement donné et donnent encore, avec leurs fêtes de supplices, et leurs processions sanglantes (Kerbela) un appoint important à l'histoire de l'Algomanie.
Notre ami F. Regnault, qui a étudié très particulièrement, et dans leurs pays d'origine, les Fakirs, les Derviches et les Aissaouas. décrit dans son ouvrage Hypnotisme et Religion les exercices de ces Fakirs des Indes, « qui restent immobiles pendant des années, exposés aux rayons du « soleil, se font écraser par le char de Jaggernaut. s'entrent des crampons « de fer dans les chairs et restent ainsi suspendus au-dessus du sol ; — « il a rappelé que les Derviches musulmans et les Aissaouas ne sont pas « moins zélés et qu'ils se tailladent les chairs en subissant l'épreuve du « fer rouge, en exécutant une danse pyrrique : chez eux nous trouvons « les mangeurs de verre et aussi la pratique de ceux qui se serrent le
« ventre par une longue corde a nœud coulant, tirée par un groupe « d'hommes pendant que le patient secoue toujours la tête qui semble « près de tomber des épaules ».
Tant il est vrai que la tendance aux macérations qui. suivant le mot de Benjamin Constant, est dans le cœur de l'homme, s'est toujours associée à l'idée religieuse, l'une et l'autre se prêtant un mutuel appui. Il convient d'étendre à la plupart des religions ce que SI. Ollier a dit de l'une d'elles : « Je n'ai jamais douté que le centre du christianisme ne fut « dans la souffrance ». (Lettres I. 276).
(A suivre.)
PÉDAGOGIE
La pédagogie au Congrès de l'association française à Lille
La section de pédagogie du Congrès de l'association française pour l'avancement des sciences sons la présidence du professeur Beauvisage, sénateur de Lyon, a été fort active: on peut en juger par les renseignements suivants qne nous empruntons au Progrès de Lille.
Cette section n'a certes pas chômé au cours du Congrès. Elle n'a pas consacré moins de huit débats de 3 à i heures chacun a l'examen des problèmes d'éducation inscrits à son ordre du jour.
Les communications et les discussions se sont groupées autour de 3 questions principales :
1o Les enfants anormaux : 2° l'éducation professionnelle ; 3° le certificat d'études primaires.
Le problème des anormaux a été étudié avec une haute compétence scientifique et un grand sens des possibilités pratiques, par 31. le docteur Beauvisage, professeur a la Faculté de Médecine de Lyon, auquel on doit l'organisation à Lyon des classes de perfectionnement d'anormaux ; par M. le docteur Bérillon. directeur de l'établissement médico-pédagogique de Créteil : par 31. Bouleau, directeur de l'asile d'aliénés de Clermont ; par 31. Lafontaine. directeur de l'Institution de sourds-muets de Villerbonne : par 31. Lefebvre. professeur a l'Institut Turgot. de Boubaix ; par M. le docteur Chervin. directeur de l'Institution des bègues de Paris.
Les conclusions de la section sur cette importante question peuvent se résumer en quelques mots :
Les arriérés sont susceptibles de relèvement ; pour y réussir il faut faire leur éducation en les séparant des enfants normaux.
En matière d'éducation professionnelle, la section de pédagogie a entendu les intéressantes communications relatives à l'éducation physique du docteur Tachard, de Toulouse ; à la préparation au bonheur par l'éducation du caractère, de Mlle Lucie Bérillon. professeur au Lycée Molière de Paris : à l'instruction et à l'éducation après l'école, de 31. Julien Ray, de la
Faculté des sciences de Lyon : au travait manuel à l'école primaire et à l'enseignement professionnel aux adolescents, de M. Frison, directeur de l'Ecole professionnelle de Douai : enfin à renseignement technique dans les facultés, de M. André Blondel. professeur à l'Ecole des Ponts et Chaussées.
Les conclusions adoptées par la section sont en faveur de la prééminence dans l'éducation de la culture intellectuelle et morale, de la prépondérance à donner aux méthodes actives qui mettent enjeu les observations personnelles et l'activité propre de l'élève, de l'avantage que présenterait le travail manuel dès le début de la scolarité primaire en conformité des programmes de 1882 : de l'organisation dans les universités d'un enseignement technique supérieur dont le développement serait en rapport avec les besoins régionaux.
Quant au problème du certificat d'études primaires abordé à la suite d'nne double communication de M. le docteur Beauvisage et de M. Fri-xon, la section a pensé que ce modeste maïs utile examen, devait être conservé, mais reporté à l'âge de 13 ans, c'est-à-dire à la fin de la scolarité primaire légale, et avoir pour programme l'enseignement du cours supérieur dans lequel on donnerait une place au dessin et aux applications pratiques.
La chaleur et l'entrain de la discussion ont resserré les liens d'estime et de sympathie entre les membres de la section, qui ont eu le plaisir de se grouper une dernière fois, autour de leur président, en un banquet cordial à l'Hôtel Moderne.
Les arriérés du jugement
Xous devons noter, à la section de pédagogie, un important travail de M. le docteur Bérillou, de Paris, sur : Les arriérés du jugement. — Résultats des méthodes de redressement appliquées à l'établissement médico-pédagogique de Créteil. — Il n'y a pas toujours parallélisme dans le développement des facultés intellectuelles. Tels enfants peu avancés dans les études scolaires, font preuve, au contraire, d'une grande précocité dans l'apparition du jugement. Tels autres, quoique doués d'imagination, présentent de grandes facilités à s'instruire, demeurent légers, inconséquents, incapables de profiter des leçons de l'expérience.
Ce sont ces jeunes gens irréfléchis, dont les actes ne sont jamais conformes aux règles élémentaires de la prudence et du bon sens que. par opposition aux arriérés de l'intelligence le docteur Bérillon désigne sous le nom d'arriérés du jugement.
Par des traitements appropriés il est possible de favoriser la maturité de leur discernement et de développer les qualités de prudence, de réflexion sans lesquelles un homme reste incapable de se diriger sainement dans la vie.
Les procédés utilisés à l'établissement médico-pédagogique de Créteil se résument dans les préceptes suivants :
1° Placer l'enfant dans un milieu favorable au développement de sa réflexion et de son initiative ;
2° S'assurer du fonctionnement normal des sens, les appréciations fausses étant souvent le résultat de perceptions sensorielles erronées ou incomplètes :
3° Culture du jugement et de l'aptitude à raisonner juste par des exercices spéciaux, des épreuves pratiques, des leçons de choses, des enseignements tirés des faits de l'expérience ;
4° Réaliser l'entraînement au travail manuel dont l'exécution initie progressivement aux nécessités de la vie pratique ;
5° Réaliser l'éducation du caractère par la discipline des réflexes psychiques ;
6° Recourir à la psychothérapie graphique, moyen de culture de l'at-tention volontaire et de l'application :
7° Appliquer la suggestion hypnotique dont l'emploi systématique aboutit à la guérison des habitudes vicieuses, des tendances impulsives et accélérer la maturité du jugement.
L'association de ces divers procédés amène, dans la grande majorité des cas. la guérison des mauvaises dispositions mentales chez les arriérés du jugement et les sujets dépourvus de discernement.
FAITS CLINIQUES
Ophtalmo-céphalée essentielle pseudo-hystérique
par M. GaAsrM:LÉMEXT, de Lyon
Il y a lieu, en pathologie oculaire, de créer, sous le nom d'ophtalmocéphalée essentielle, un nouveau type d'affection oculaire et céphalique comprenant à la fois et englobant : a) la céphalée de croissance des adolescents ; b) la tropiopie de Furster : c) et d'une manière générale, tous ces troubles visuels accompagnés ou procédés de céphalalgie que l'on ne peut rattacher, ni à une lésion appréciable des yeux, ni à une anomalie de la réfraction, de l'accommodation ou de la convergence ; lesquels pourtant tourmentent les malades d'une façon presque constante et prolongée, sans que l'on puisse en indiquer la cause prochaine ou éloignée.
Il s'agit là. non pas d'une entité morbide bien déterminée, à symptômes toujours les mêmes et univoques ; mais bien d'un syndrome à symptômes complexes et variables d'un malade à l'autre, et même chez un malade selon les jours et les heures.
Ce syndrome ressemble pas mal au syndrome de la névrose hystérique avec laquelle il affecte une parenté ou tout au moins une certaine ressemblance d'ailleurs. Aussi pourrait-on l'appeler et l'auteur propose de l'appeler ophtalmo-céphalée essentielle, para ou pseudo-hystérique.
Le traitement de cette affection est le même qui; l'hystérie et consiste à recourir, non pas à des remèdes calmants ou nervins. mais bien à des
médications susceptibles de frapper l'imagination des malades, telles que de cuisantes cautérisations, des décharges électriques aussi fortes qu'il est possible de les supporter, la suggestion verbale ou hypnotique, en un mot tous les modes thérapeutiques à grands fracas et capables de vivement impressionner le sujet.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
Anthropologie Bolivienne, par le D' Cuebvis, membre de la Commission des missions et do Comité des travaux historiques et scientifiques au Ministère de l'Instruction publique, etc.. trois volumes, in-8 raisin. Paris, 1608. Librairie H. Le Soudier.
Mon collègue et ami Chervin vient de faire paraître, dans les publications de la Mission française en Amériqne dn Sud, trois gros volumes sur l'anthropologie bolivienne, savoir :
l*r volume. Ethnologie, démographie, photographie métrique, 1 vol. de 415 pages avec 156 figures et 24 planches hors texte.
2* volume. Anthropométrie, 1 vol. de 435 pages avec 76 figures.
3* volume. Craniologie. 1 vol. de 150 pages avec 36 figures et 81 planches hors texte.
Soit au total : 1000 pages, 267 figures et 105 planches hors texte.
Comme on voit, l'étude est complète et substantielle.
Chervin a. tout d'abord, utilisé le questionnaire rédigé, jadis, par la Société d'anthropologie de Paris, en le complétant sur certains points. Les questions suivantes ont été examinées dans tous leurs détails : alimentation, sensibilité générale et spéciale, sentiments affectifs, religion, vie sociale, industrie, facultés intellectuelles, etc. Chervin a eu la bonne fortune de trouver des hommes extrêmement compétents et impartiaux pour répondre à ce questionnaire dont les longs développements n'occupent pas moins de 75 pages. MM. Louis Saunier et Louis Galland, ingénieurs, et Edouard TVolff, ancien consul de France en Bolivie, qui, tous trois, ont vécu pendant de longues du maître français de l'antropo-logie. Ils ont été assez heureux pour y parvenir.
L'outillage est aussi simple que possible. Il se compose : 1° d'un appareil photographique fixe et réglé pour des photographies a une échelle donnée : 2° de fonds réticulés au centimètre, sur lesquels viennent se projeter les images du crâne : 3° d'un support métallique spécial, servant d'axe de rotation, et permettant tout d'abord d'orienter le crâne suivant le plan horizontal des axes orbitaires, et ensuite grâce à un cercle gradué, de lui faire effectuer avec la plus grande facilité une rotation complète de 360 degrés sur un axe basilaire vertical. On peut donc obtenir tontes les photographies désirées pour montrer toutes les particularités que présente le crâne.La photographie s'obtient automatiquement, sousl'angle indiqué, que tous les observateurs pourront obtenir à leur gré. Elle leur servira également h étudier et à calculer l'asymétrie des différentes pièces osseuses qui composent le crâne.
L'outillage photographique imaginé par Chervin et Bertillon constitue assurément un progrès considérable et rendra les plus grands services non seulement aux anatomistes. mais encore à tous ceux qui ont besoin d'obtenir des dessins exacts et à une échelle connue.
Les préhistoriens, par exemple, pourront l'utiliser, avec fruit, pour la photographie des poteries et autres objets provenant d'un mobilier funéraire.
Les 81 planches hors texte qui terminent le 3* volume de Y Anthropologie bolivienne reproduisent, suivant cette méthode métrique — dont l'exactitude et la simplicité ne sauraient être contestées — plusieurs centaines de crânes rapportés de l'Amérique du Sud par la mission.
JJ ne me convient pas de louanger, ici, mon ami Chervin, qui, du reste, n'aurait pas voulu y consentir. Ce simple résumé bibliographique montre assez toute l'importance de son travail, pour lequel il n'a marchandé ni son temps ni sa peine.
A. DE MOBTILLET.
La mesure clinique de la tension artérielle, par le Dr Louis-Albert Ajlbla i ; ¦ i (de Vittel). Maloine, éditeur. Préface de Vf. H. Huchard..
Dans ce livre, après avoir rappelé brièvement les quelques notions de physiologie, dont la connaissance est indispensable, h qui veut étudier la tension artérielle, l'auteur expose l'intérêt de cette étude pour le diagnostic et la direction du traitement des affections cardiaques vasculaires. en insistant particulièrement sur la marche des diverses tensions artérielles maxima et minima. et de la tension artériolaire, au cours de l'artérîo-sclérose. Un chapitre consacré â l'étude du travail du cœur en clinique complète ces recherches.
Enfin, après avoir précisé les critiques auxquelles donnent lieu les appareils les plus fréquemment employés pour la mesure de la tension et en avoir donné une description (avec figures), ainsi que la technique suivant l'inventeur, le Dr L.-A. Amblard explique comment il a été amené à établir son propre appareil, le Spliggmontètroscope. qui permet la mesure objective et absolument précise des tensions artérielles maxima et minima, et de la tension artériolaire.
Une préface de M. le Dr H. Huchard présente en termes élogieux ce livre de son élève, résumé d'études poursuivies sous sa haute direction.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Le culte du Vaudoux dans les Antilles
Porto Rico, juillet 1909.
Monsieur le Directeur, Dans l'un des derniers numéros. (n° 6, 23e année) de votre substantielle Revue de l'Hypnotisme, certain article sur le Vaudoux a particulièrement attiré mon attention. Le culte dn Vaudonx existe encore, dit-on. a Haïti et ln relation que donne l'auteur
de l'article (qui d'ailleurs ne signe pas) en serait assez exacte. Mais le sujet est si délicat qu'il faut se garder des généralisations natives et des longues énumérations. Je donteen effetqu'une documentation sérieuse étayepar exemple l'affirmation que « ces coutumes anthropophagiques ” ont existé a Porto-Rico. Rien n'est moins exact et la discussion n'est même pas possible. Comprenant que les choses dé notre pays ne peuvent pas constituer une spécialité de la science d'Europe. Je vous signale simplement l'erreur comme un service que votre Rêtue mérite qu'on lui rende. Crispulo. H. Diaz.
En remerciant notre aimable correspondant de l'erreur qu'il nous signale, Je lui répondrai qu'il se trompe s'il pense que les psychologues et les archéologues de In vieille Europe dédaignent les documents qui émanent de la nouvelle et de l'ancienne Amérique. Xous serions au contraire, très heureux de connaître tout ce qui se rattache aux traditions, ft l'ethnographie et a la psychologie de ces pays trop pen connus de nous. X. D. L. R.
L'Esculape
H vient de se fonder une Société médico-artistique « l'Eseulape » qui organise pour le mois de novembre prochain une exposition de peinture, sculpture, gravure et arts décoratifs. Cette Société se propose aussi de donner des représentations littéraires, dramatiques et musicales.
Le Comité d'honneur est composé de : MM. Garlel, Gilbert, Henneguy (P.;, Marcel Labbé, Edmond Perrier. Bichelot. AVidal.
Les membres du Comité sont: MM. F. Bezaneon. président : MM. Marx,Barbillon, Delmond-Bébet, vice-présidents : P. Rabier, Fr. Dehépain, secrétaires : R. Sassier, Fr. Ferrand. trésoriers ; Cabanes. Cocquelet. Léon Petit.
Les confrères qui désirent adhérer à la Société sont priés d'envoyer leur adhésion a l'une des adresses suivantes : MM. P. Rabier. 24, rue de la Tour : B. Sassier, 40, rue d'Alésifl : Fr. Ferrand. 0 b^. rne de Chilteuudun.
Monument en l'honneur du professeur Giard
Les nmis et les élevés du Pr a. Giard. désireux de rendre hommage à sa mémoire, ont constitué, sous la présidence de M. Malassez, un Comité qui a entrepfis de réunir les fonds nécessaires à l'exécution d'un médaillon du maître.
Tontes les souscriptions sont accueillies. A partir de 20 francs, elles donneront droit a un exemplaire en bronze de la médaille, réduction du médaillon : à partir de 30 francs, à un exemplaire en argent : A partir de 100 fr., a une reproduction du médaillon dans la grandeur de l'original.
NÉCROLOGIE
Le docteur René PAMART
îsous avons le très vif regret d'apprendre à nos lecteurs la mort d'un de nos collaborateurs les plus dévoués, le DrRené Pamart, professeur de Psychologie musicale a l'Ecole de psychologie. 2sotre ami s'est éteint à Lamothe-Beuvron (Loir-et-Cher) le 24 juillet 1909. à l'Age de 34 ans. Il a été inhumé au cimetière Montparnasse le mardi 27 juillet, à 11 heures du matin. En présence d'une nombreuse assistance, M. le docteur Paul Farez a prononcé les paroles suivantes :
Messieurs, .
Je dois a l'amitié le douloureux privilège de dire un dernier adieu à
notre collègue René Pamart et de retracer brièvement sa trop courte carrière.
Après de brillantes études à Alger, puis à Paris. — après une très fatigante pratique médicale de plusieurs années à Gonesse, — où il a laissé les souvenirs les plus reconnaissants. — Pamart est venu s'installer à Paris, dans le but de pratiquer la psychothérapie pour laquelle il se sentait, à la fois, une vive passion et des aptitudes réelles.
Désireux de se spécialiser, il se garda bien de s'improviser spécialiste, du jour au lendemain ; il voulut se faire. Il suivit nos cours d'hypno-logie: il fut un assidu de nos cliniques de psychothérapie : mais cela ne lui suffisait point : il voulut acquérir l'expérience clinique et étudier le malade lui-même qui. en définitive, est notre maître à tons : c'est ainsi qu'il devint l'assistant du Dr Bérillon à la clinique de l'Ecole de psychologie, en même temps qu'au Dispensaire pédagogique.
Il fut, pour le Dr Bérillon, un auxiliaire empressé, actif, exact, dévoué, sûr. Les malades apprécièrent bientôt son inlassable patience, sa douceur, sa volonté tenace, persévérante, presque toujours victorieuse ; et ils lni rendirent en affection tout ce qu'il leur donnait de soins empressés. Petit à petit sa compétence s'affirma ; et c'est tout à fait maître de sa parole ainsi que de sa pensée qu'il nous fit, avec une indiscutable autorité, à la Société d'hypnologie et de psychologie, les intéressantes et instructives présentations qu'aucun de nous n'a oubliées.
Les lecteurs de la Revue de l'Hypnotisme ont dégusté, comme ils le méritaient, ses articles sur l'HypersuggeStibilité, l'Hémianesthésie, l'Aphonie hystérique, la Métallothérapie, l'Insensibilisation par la lumière bleue, le Diagnostic des crises hystériques et des crises épilep-tiques, l'Onychophagie. le Monoïdéisme et la suggestion mnsicale.
Psychologue et sociologue, il fut membre assidu de la Société française pour les études islamiques. — tout comme il l'était de la Société de Pathologie comparée. Lorsque M. Rollet, émerveillé des excellents résultats de la pédagogie suggestive et de l'orthopédie mentale, demanda au Dr Bérillon qu'un de ses collaborateurs voulut bien s'occuper des pauvres petites épaves recueillies par le Patronage de l'enfance coupable, c'est Pamart qui fut tout naturellement désigné pour sa compétence et son dévouement désintéressé. Il eut le bonheur de ramener dans le droit chemin, en particulier, quelques petits kleptomanes, au sauvetage desquels nous avons tous applaudi.
Doué d'intelligence artistique et de sensibilité affinée, musicien érudit, virtuose même à ses heures, il recueillit à l'Ecole de psychologie la succession de notre éminent maître Lionel Dauriac et exposa la psychologie musicale. Par son enseignement très suivi, très apprécié, il a tenu largement ce qu'on attendait de lui ; sa collaboration a fait honneur à la jeune et vaillante Ecole qui l'avait accueilli avec tant de confiance.
U semblait qu'un bel avenir s'ouvrît devant lui : nous avions tous foi en sa carrière brillante.....Et voilà que la sinistre faucheuse en a implacablement arrêté le cours ! Sa voix est à jamais éteinte ; sa plume est à
jamais brisée ; mais il restera de lui le souvenir d'un ami sûr et dévoué, d'un collègue bon et serviable, d'un médecin consciencieux et probe, qui a honoré sa profession et que ses malades entouraient, entourent encore d'une fidélité reconnaissante.
Les témoignages que nous apportons ici, nos très vifs et unanimes regrets n'atténueront certes pas l'immense douleur de sa pauvre vieille mère, déjà si cruellement éprouvée. Nous lui dirons seulement que notre cœur est meurtri à l'unisson du sien, que son fils, que son cher fils est de ceux dont la disparition laisse parmi nous un grand vide et que, par ses qualités d'intelligence, de cœur et de caractère, il s'est placé dans les premiers rangs de ceux que notre mémoire fidèle a voués au culte du souvenir.
Mon pauvre et cher Pamart, trop tôt ravi & la science et à notre affection, au nom de vos amis et des confrères présents, au nom de tous vos collègues de la Société d'hypnologie et de psychologie, ainsi que de l'Ecole de Psychologie qui vous aimaient bien, je vous dis : Adieu!
La Revue de l'Hypnotisme dont le docteur Bené Pamart fut un des dévoués collaborateurs tient à s'associer aux regrets exprimés par le Dr Paul Farez. Ses cours professés à l'Ecole de psychologie sur la psychologie musicale, avaient obtenu un succès des plus marqués. Un auditoire d'élite n'avait cessé de témoigner, par son assiduité et par son augmentation croissante, de l'intérêt qu'il prenait aux études de notre savant collègue. Sans aucun doute le docteur Bené Pamart, se fut assuré, dans cette branche spéciale de la psychologie, une autorité considérable, si une mort prématurée ne l'avait ravi à l'affection de sa famille et de ses collègues. Bené Pamart s'était inspiré dans ses leçons des travaux de notre éminent maître, M. le professeur Lionel Dauriac. dont il était un des disciples et dont il continuait l'enseignement. Nous conserverons de la collaboration de René Pamart un souvenir durable.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Graham Wallas : Human nature in politici in-8° relié, 32*2 pages, Londres, Archibold Constable, 1908, 7 fr. 50.
Dr P. Botjlou3ixé de Tittel : Vingt jours parmi les sinistrés. Naples, Calabre, Sicile, in-18, 3 fr, 50. Calmann-Lévy.
Dr DrFESTEL : Hygiène scolaire. Bibliothèque d'hygiène, in-12. 420 pages. Doin, Paris, 1905, 5 fr.
Tascbide : Essai sur la psychologie de la main, in-8°, 500 pages. Bibliothèque de philosophie expérimentale. Marcel Rivière, Paris, 1909. 12 fr.
Amblabd : Mesure clinique de la temia artificielle. Préface de M. le Dr Huchard, in-12, 135 pages. Maloine, Paris, 1909. Dr Hermass Swoboda Die Kritizchen Lage des Menschen and ihre
Berechnung mit dem Periodenscleiche. 63 pages, in-18, Denticke, Leepsig, 1909.
Boter Hebiab : La volonté magnétique dominatrice in-S°, 325 pages. 10 fr. Coxstaxt de Ylltel : Les ressources des arthritiques, in-12. 212 pages; St-Dizier, 4 fr.
Raymoxd Weill : Les origines de l'Egypte Pharaonique, in-8°, 510 pages. Annales du Musée Ouimet. E. Leroux. Paris, 1908.
Dr Bértllox : Le traitement psychologique de l'alcoolisme. — In-12, 32 pages. Paris 1906. Bureaux de la Reçue de l'Hypnotisme, 1 fr.
Dr Bérillox : Le concours de l'agrégation en médecine : nécessité de son remplacement par l'institution des privat-docent. In-8°. 24 pages-Bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. 1 fr.
L. Bérillox : La timidité chez l'enfant. 24 pages in-S°. Bureaux de la Revue de l'Hypnotisme, 1 fr.
Dp Berlllox : La psychothérapie graphique : son importance dans le traitement des psychonévroses, broch. in-12, 8 pages. 8 fr. 50.
Dr Bérillox : L'Œuvre psychologique du Dr Liébeault. In*8°. 40 pages. Revue de l'Hypnotisme, 1 fr.
Les Merveilles de l'Hypnotisme, pur le docteur Geiucd-Boxset, médecin-praticien à Oran. 1 volume in-», 281 pages. Prix : 3 fr. 50. — Librairie J. Roussel, 1, rue Casimir-Delavigne. Paris (VP).
L'ouvrage que noue donne aujourd'hui le docteur Boootn fait suite aux deux ouvrages antérieurs, déjà parus, sur l'Hypnotisme thérapeutique et la Transmission de pensée.
Il forme, pourtant, un tout Indépendant.
L'antenr commence par justifier le titre choisi. Le* résultats que fournit l'hypnotisme, au point de vue scientifique, récréatif on thérapeutique sont, en effet, merveilleux.
Apres nn compte-rendu historique rapide, II expose la nature des nombreux états hypnotiques, variés, qui se présentent dans la pratique. Il les explique théoriquement, et dans plusieurs chapitre successifs, il fait connaître les applications diverses et multiples dont l'hypnotisme est susceptible. Il en fournit de nombreux exemples et rapporte des observations extrêmement curieuse et intéressantes
Les personnes qui veulent se perfectionner dans la science de l'Hypnotisme liront avec intérêt ce livre dont un des principaux mérite, sans avoir de grandes visées scientifique est de tendre a l'impartialité.
ERRATA
Dans le numéro dé juillet 1909.
Page 8, lignes 12 et 18. lire : il constitue on procédé commode et efficace; il donne des résultats rapides et durables.
Page 9. lignes 15 et 16. lire : les conditions psychologiques et physiologiques dn patient, en particulier son sommeil.
Page 9, ligne 34. au Heu de : opération nu choroforme, lire : opération sans chloroforme.
L'administrateur: J. BÉRILLON. Le Gerant : Constant LAURENT. Privas
Privas Imp. C Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE
24e Année — N° 3. Septembre 1909.
Inauguration du monument du professeur Liégeois, à Bains-les-Bains
L'inauguration du monument élevé à la mémoire du professeur Liégeois a eu lieu à Bains-les-Bains, le Dimanche 12 Août. Ce monument, élevé k l'entrée du parc de l'Etablissement thermal, près de l'endroit où le professeur Liégeois avait, l'année précédente été tué par un automobile se compose d'nn élégant piédestal de granit, surmonté d'un buste en bronze. Le buste, véritable chef-d'œuvre de ressemblance, - est dû au sculpteur Bussières, de Nancy. Le piédestal en granit est l'œuvre de notre concitoyen, M. Mougeuot. architecte diplômé à Epinal.
L'Université de Nancy était représentée officiellement par 51. Flo-quet, doyen de la Faculté des sciences de Nancy, vice-président du conseil de l'Université, qui remplaçait M. le recteur, empêché.
La Société d'hypnologie et de psychologie de Paris et l'Ecole de psychologie de Paris, ainsi qu'un certain nombre de médecins français -et étrangers, avaient tenu à prendre part k cet hommage rendu au savant disparu, qui s'était illustré par ses travaux sur l'hypnotisme. M. Liégeois, fils, juge d'instruction, a Epinal, et Madame Liégeois, la veuve du regretté professeur, assistaient à la cérémonie. Les docteurs Mathieu, directeur de l'établissement thermal, et d'Arcier, représentaient le corps médical de Bains-les-Bains.
La modification apportée à la date de l'inauguration avait contrarié les intentions de nombreux amis et admirateurs du professeur Liégeois et les avait empêchés de se rendre k Bains-les-Bains. Le DrBérillona exprimé les excuses de M. le Dr Jules Voisin, président de la Société d'hypnologie et de psychologie, de MM. les Dre Paul Magnin, Paul Farez et Henry Lemeslc, professeurs k l'Ecole de psychologie, de M. le Dr "Witry, de Treves-s-Moselle, et de M. le Dr Damoglou, du Caire, professeurs correspondants de l'Ecole de psychologie.
Nous sommes heureux de reproduire les discours prononcés en cette circonstance, regrettant que, pour quelques-uns l'étendue ne nous ait ; pas permis d'en donner le texte complet :
DiFcours de M. le professeur Floquet
doyen de la Faculté des Sciences de Nancy.
« Mesdames. Messieurs,
» Il y a environ une année, le riant pays de Bains, qui. avec sa population aimable et laborieuse, avec sa douce verdure, ses frais ruisseaux, semble si peu fait pour le drame, a été le théâtre d'un événement vrai-
ment tragique. Le 14 août 1908. a l'autre entrée de ce parc, sous les yeux: de Mrae Liégeois, mon cher et vénéré collègue Jules Liégeois tombait sous-les roues d'une automobile et expirait après une courte, mais cruelle-agonie.
» En raison de la haute notoriété de la victime, cet accident, dont on a pu dire, comme de celui qui ravit Curie, qu'il fut bête et brutal, provoqua une émotion considérable et ce monument, dû au talent de M. le sculpteur Bussières. et élevé sur place à la mémoire du regretté savant, donne satisfaction au désir de tous.
» L'Université de Nancy que Jules Liégeois a tant honorée et où il a laissé de si amers regrets, ne pouvait demeurer étrangère à l'inaugura-tion. Le président de son conseil, M. le recteur Adam, ayant le regret de se trouver empêché, c'est a son vice-président qu'incombe la mission de le représenter, et c'est à ce titre, Messieurs, que je salue l'image de notre excellent ami, eu même temps que je renouvelle à sa famille l'oxpresion de notre.douloureuse et unanime sympathie.
» Des voix plus autorisées que la mienne vous diront comment Liégeois sut voir les rapports de la suggestion hypnotique avec la jurisprudence et la médecine légale. Je voudrais simplement rappeler ici les grandes-lignes de sa belle carrière et les traits principaux d'un noble caractère.
« Il était né à Damvillers, dans la Meuse, le 30 novembre 1833. Dès l'âge de 17 ans, empêché par les circonstances de terminer ses études, il entra dans les services administratifs, et, le 6 mai 1851. il était attaché à la préfecture de la Meuse, où il resta jusqu'au 6 juillet 1854. A cette date il devint chef de cabinet du préfet de la Meurthe, et conserva ces fonctions pendant près de douze années. C'est pendant cette période. Messieurs, que Liégeois montra toute l'énergie dont il était capable. Agé déjà de 21 ans, désirant compléter ses études, il entreprend de cumuler avec l'exercice d'absorbantes fonctions officielles, le travail d'une préparation, à lui tout seul, non pas seulement d'un baccalauréat . ès-Iettres. mais encore de la longue série des examens de droit jusqu'au doctorat inclus..
» Je dis tout sent, car, à cette époque, Nancy n'avait pas encore de Faculté de droit. A force de veilles qui, hélas ! devaient compromettre un jour sa vue. le vaillant chef du cabinet réussit pleinement dans sa tâche et. un à un. il conquit successivement tous ses grades à la Faculté de Strasbourg, qui, finalement, en 1863, lui conférait le doctorat en droit. Le 10 avril 1865, le nouveau docteur était nommé chef de cabinet du directeur général du personnel au ministère de l'intérieur.
» Cependant. Liégeois, bien que travaillant tout seul à Nancy, s'était distingué dans les concours de la Faculté de Strasbourg, et, dans l'un deux, il avait même été classé d'abord ex-œqao avec ce futur maître qui s'appelle Ernest Glasson. Aussi, Victor Dnruy. le grand ministre dn second Empire, qui savait apprécier les mérites, le nomma tout à coup professeur à la Faculté de droit de Douai, le 20 septembre 1865.
» Liégeois, qui avait alors son avenir assuré dans l'administration et qui serait arrivé rapidement à une situation de préfet, refusa poliment.
Mais Dni'ur tînt bon. et. un mois plus tard, le 19 octobre, il nommait notre ami a la Faculté de droit de Nancy, qui venait d'être installée l'année précédente. Cette fois. Liégeois accepta et, dans une lettre des plus élogienses. le ministre lui exprima sa satisfaction : on y remarque cette phrase : « Je félicite sincèrement la Faculté de Nancy et l'Univer-« site de votre acceptation ».
» Duruy avait hautement raison, car. pendant trente-huit années, Nancy a bénéficié des talents de Jules Liégeois. Sa chaire magistrale était celle du droit administratif. Mais, indépendamment de cette chaire, il fut chargé de cours importants, au premier rang desquels il convient de placer le cours d'économie politique, qu'il donna de 1868 à 1877. C'était un enseignement tout nouveau et le jeune professeur eut l'honneur de l'inaugurer en province. Partisan convaincu du libre-échange, il en aimait et propageait les doctrines avec ardeur, allant conférencier à Metz, a Lunéville. se rendant tous les dimanches dans la Meuse pour les enseigner aux élèves instituteurs de l'Ecole normale de Commercy. De 1882 k 1891. il a été chargé du cours d'histoire du droit public, de 1892 à 1895, d'un cours de législation industrielle, puis, en 1895. d'un cours d'histoire de doctrines économiques...
» L'Université de Nancy conservera précieusement son souvenir et plus d'un d'entre nous aimera venir en ce lieu pour revoir les traits, bï bien reproduits, de notre cher et regretté Liégeois. »
Discours de M le D van Renterghem, (d'Amsterdam)
président du Comité International de la souscription. Mesdames. Messieurs,
L'année 1908. h cette même date, la ville de Bains-les-Bains fut la scène d'un accident d'automobile qui enleva h sa famille et à la science l'homme d'élite, de vaste savoir, de noble cœur qu'était Jules-Joseph Liégeois.
Cette mort tragique eut un retentissement énorme dans tout le monde scientifique.
A cette occasion, la presse tant française qu'étrangère consacra à l'œuvre du professeur Liégeois les articles les plus élogieux.
Un grand nombre de savants français et étrangers, jugeant qu'au lieu de s'en tenir a de platoniques regrets, il valait mieux conserver, sous une forme matérielle, le souvenir du savant disparu, conçurent le projet d'élever un monument destiné a perpétuer sa mémoire près de la place même où il fut tué.
Un comité international s'institua qui sut s'assurer de la collaboration artistique du sculpteur Bussières, de Nancy, dont les mains magistrales ont fait revivre d'une manière saisissante les traits du regretté maître et ami.
La municipalité de Bains-les-Bains. avertie du projet du Comité, sachant son désir de doter leur ville du buste de Liégeois, s'est hâtée de
lui offrir à titre gracieux le terrain désiré et nécessaire à l'emplacement de l'œuvre d'art.
C'est au nom du Comité, à titre de président, que je viens inaugurer au jour du premier anniversaire de la mort du maître regretté ce monument et le confier aux bons soins de la Société de l'Etablissement thermal.
De plus éloquents que moi feront l'éloge des travaux de Jules Liégeois et rappelleront les traits principaux de son caractère élevé. Je ne les suivrai pas dans cette voie, de peur de répéter ce qu'ils auront si bien dit avant moi. mais je me restreindrai à rappeler brièvement a votre mémoire ses titres et qualités sous le triple rapport d'homme de bien, de savant et de novateur !
A l'âge de dix-huit ans, Liégeois, chargé des fonctions de chef du cabinet du préfet du département de l'a Meuse — c'était en 1851 après le coup d'Etat, quand gouverna le régime des commissions mixtes — ayant appris parhazard que les frères Buvignier (qui furent député et sénateur de. la Meuse) devaient être arrêtés le lendemain pour être déportés ù Cayenne et à Nouméa ; indigné et révolté de cette mesure, il résolut de sauver les condamnés, quoiqu'il ne les connût aucunement. Il trouva le moyen de faire prévenir les victimes désignées et elles purent à temps franchir la frontière belge. Lorsqu'il apprit que la Commission mixte soupçonnait le procureur de la Réqublique d'avoir averti les condamnés, il n'hésita pas de risquer sa carrière et sa liberté et révéla à son chef, le préfet de la Meuse, ce qu'il avait fait, ne voulant pas qu'on soupçonnât un innocent. Jamais les fières Buvignier n'ont su le rôle que Liégeois avait joué dans cet épisode de leur vie, Liégeois ayant pendant toute sa vie, par modestie, gardé le silence à ce sujet. Plus tard, dans un cours à la Faculté de droit de Nancy, il eut le courage de protester publiquement contre le régime odieux des commissions mixtes ; or, sous l'Empire, cette protestation était un acte de courage civique.
Un autre trait traduisant ses qualités de cœur fut son assiduité à faire gratuitement un cours d'économie politique aux élèves instituteurs de la Meuse, à l'Ecole normale de Commercy, où il se rendait pour cela tous les dimanches.
Ce n'est qu'en passant que je mentionne la collaboration qu'il a. dans de nombreuses circonstances, apportée à des médecins qui lui demandaient de les initier aux difficultés de la suggestion hypnotique.
L'activité de Liégeois ne se confinait pas en dedans des limites de son enseignement, de la Faculté de droit, mais s'étendait bien au-delà. Auditeur assidu aux cours de la Faculté des lettres, on y tenait à son jugement comme ù celui d'un maître. « C'est un des savants qui ont le plus honoré l'université de Nancy » disait de lui le professeur Blondlot de la Faculté des sciences au recteur de l'Université de Nancy, M. Adam.
Après ses qualités d'homme dé bien et de savant, il convient d'exposer ses titres de novateur et c'est surtout comme tel que Liégeois a su conquérir la renommée universelle dont il jouissait.
Elève de Liébeault, le co-fondateur de l'Ecole de Nancy, il en fut le plus fidèle collaborateur.
Dans son mémoire sur la suggestion hypnotique dans les rapports avec le droit civil et le droit criminel qu'il lui devant l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de France (1884). Liégeois posait le problème de la responsabilité criminelle, pour la première fois sur un terrain absolument nouveau. La brochure de Liégeois frappa vivement l'attention du monde savant et devint l'objet de discussions passionnées ; aux yeux de quelques-uns les conclusions furent considérées comme un scandale et ils s'efforcèrent de tourner son auteur en ridicule.
La haute valeur intellectuelle de Liégeois et sa grande probité scientifique toutefois lui donnèrent le courage de braver les préjugés et les sarcasmes de ses collègues de la Faculté qui ne comprenaient pas qu'un professeur de droit pût s'occuper d'hypnotisme. Il poursuivit avec ardeur ces nouvelles étndes et s'y passionna tant qu'il lui vint l'idée de faire les études de médecine et de prendre son grade de docteur de façon n avoir plus d'autorité que comme simple professeur de droit. Sa mauvaise vue empêcha ce projet mais ne le retint pas de composer son livre magistral. La suggestion et le somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale, volumineux ouvrage qui parut en 1889 en réponse à l'opposition faite à sa première publication de 1884. Hiche en documents et en faits expérimentaux avec l'historique complet de la question et des vues originales, ce livre mérite une place dans la bibliothèque de tout médecin et tout jurisconsulte ; il contribuera sans doute à modifier bien des idées préconçues, à éclairer la justice et à jeter un jour nouveau sur la responsabilité criminelle et les faux témoignages en justice.
Nonobstant ses 74 ans et sa mauvaise vue croissante, Liégeois continuait a rassembler de nombreuses notes en vue d'un nouvel ouvrage sur l'hypnotisme et la suggestion lesquels il étudia et expérimenta avec passion jusqu'à ses derniers jours.
Il ne lui a pas été donné d'écrire le dernier livre, la mort a prématurément fauché sa belle existence au grand désespoir de sa famille et celui de ses nombreux élèves et amis. Son départ laisse un ineffaçable souvenir dans le monde scientifique.
Homme d'une loyauté remarquable, Liégeois a passé sa vie ù chercher la justice ; aussi sa veuve fit-elle mettre sur sa tombe ce verset :
« Il a aimé la justice et haï l'iniquité » qui résumait toute la conduite de sa vie. — J'ai dit.
Discours de M. le D: Beauuis
professeur honoraire a la Faculté de ^vaiicy, directeur honoraire du Laboratoire de psychologie de la Sorbonne.
Messieurs.
J'ai désiré m'associer à l'hommage rendu à la mémoire du profosseur Liégeois.
Je laisse a d'autres le soin de retracer sa vie et ses travaux. Mon
premier mot sera pour remercier 31. le docteur van Rentergheni d'Amsterdam, de sa uoble et généreuse pensée.
C'est & lui, étranger à notre pays, qu'est due l'initiative de ce monument. Ce fait n'étonnera aucun de ceux qui connaissent l'histoire de ce qu'on a appelé l'Ecole de Xancy.
Quand nous nous sommes groupés autour du docteur Liébeault. nous avions en face de nous une école rivale.
Cette école avait pour chef un savant d'une incontestable valeur, d'une situation prépondérante, dont la parole faisait foi et qui pouvait, sans déchoir, se tromper une fois, puisqu'il avait, à son actif, tant de trouvailles et découvertes scientifiques indiscutées.De plus, nous avions encore a lutter contre l'indifférence, les railleries et l'hostilité du silence, plus dangereuse encore qu'une hostilité déclarée.
Heureusement, il arriva ce qui s'est produit souvent : c'est que l'idée éclose sur le sol de la patrie française, cette idée-mère, comme je l'appellerais, si féconde et si pleine d'avenir, est méconnue dans le pays où elle a pris naissance, puis adoptée et reprise au dehors, elle nous revient avec l'estampille étrangère, défigurée et démarquée quelquefois.
Je me hâte de le dire, ce n'est pas le cas : la doctrine de Xancy est restée, en émigrant à l'étranger, telle qu'elle était dans ses lignes fondamentales, et, si elle a été victorieuse, elle le doit, en grande partie, à l'appui des savants étrangers dont les noms sont dans toutes les mémoires.
Dans cette période initiale a laquelle je viens de faire allusion, Liégeois a été l'ouvrier de la première heure, le plus militant, le plus convaincu.
H a apporté à l'œuvre commune, l'appui de son autorité morale, de son caractère ; une foi robuste et active qui n'a jamais fléchi un instant ; et, grâce à lui, la législation criminelle a dû compter et comptera encore de plus en plus avec les phénomènes de l'hypnotisme et de la suggestion.
De tels hommes sont rares, et heureuses les doctrines nouvelles qui trouvent, pour défenseurs, des hommes d'une science aussi profonde et d'un aussi noble caractère.
Et il a fallu qu'une mort affreuse, imprévue, vienne terminer une telle carrière, dans l'horreur tragique d'une épouvantable fatalité. Discours de M. Monal
président du Conseil d'administration de l'établissement thermal de Bains-les-Bains (Vosges)
Au nom du Conseil d'Administration de la Société de l'établissement thermal de Bains-les-Bains. je viens recevoir le monument érigé dans notre parc, à la mémoire du professeur Liégeois par de nombreux savants français et étrangers, ses admirateurs et ses amis.
Les témoignages d'estime et de haute admiration qui viennent d'être exprimés nous font plus apprécier encore, s'il était possible, la faveur qne nous a fait le comité de souscription en nous confiant le buste de ce savant.
Grand admirateur de la belle nature. M. Liégeois était un fervent de notre station. Chaque année, il aimnit venir s'y reposer de ses travaux dans le calme et la tranquillité.
Il affectionnait nos grands bois aux promenades nombreuses et faciles, mais, les ombrages de notre beau parc avaient surtout ses préférences. Il s'y promenait chaque jour, longuement, entouré des amis que lui attirait vite la rare délicatesse de ses sentiments, sa grande modestie et son extrême bonté.
Il me semble le voir encore s arrêtant, redressant sa haute taille, le visage éclairé d'un bon sourire.
La cruelle destinée la frappé mortellement à quelques pas d'ici, sous les yeux de son épouse désespérée, près de nous, impuissants, attirés.
C'est bien dans ce parc où il aimait tant venir au milieu des arbres et des fleurs que devait s'élever ce monument. Il rappellera aux visiteurs, à ses admirateurs, a ses nombreux amis le souvenir de l'homme de bien et du grand savant que fut le professeur Jules Liégeois. (à suivre)
TRAVAUX ORIGINAUX
La psydrothérapie et les méthodes de rééducation : Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille » (1)
par M. le D* Bérillos, professeur îi l'Ecole de psychologie
Le mot suggestion dérive du mot latin suggerere, dont la traduction littérale signifie placer au-dessous. A Borne, on donnait le nom de suggestion à la tribune sur laquelle les orateurs se plaçaient pour haranguer les citoyens. Plus tard on appelé suggestion la loge impériale, le lieu élevé d'où les empereurs romains, dominant le cirque et la foule, assistaient aux jeux publics.
Le terme de suggestion, si l'on s'en rapporte à son étymologie, inipli-que donc l'idée de domination. C'est le sens avec lequel il est entré dans la langue française, et comme le dit avec raison le Dr Félix Regnault. suggestionner ne peut signifier autre chose qu''imposer sa volonté au moyen de simples ordres. (2) Telle était également l'opinion du professeur Pierre Janet lorsqu'il donnait le nom de suggestion à cette influence d'un homme sur un autre qui s'exerce sous l'intermédiaire dn consentement volontaire (3). La même indication se trouve dans la définition de 31. Alfred Binet,
(1) Il est bien entendu que dans toute cette discussion, je ne vise que le dogme de la suggestion dite à Vètut de veille. Mon but est précisément de démontrer que les prétendus effets physiologiques ou thérapeutiques de ln suggestion à l'état de veille ne correspondent à aucune réalité effective et ne sont que le résultat d'observations
-superficielles. T.a croyance à nne efficacité quelconqne de ln suggestion simple.
c'est-à-dire ramenée a la seule action de la parole, sans l'intervention préalable de l'hypnotisme ou de tonte autre manœuvre capable de diminuer ou de supprimer le
contrôle mental, sans l'Intervention d'aucune mise en scène ni d'aucun adjurant matériel susceptible de frapper l'Imagination du malade et sans nue argumentation plausible capable d'entraîner la conviction, n'est qu'une vue de l'esprit, qu'une Illusion doctrinale. En la débarassant du sophisme qui, depuis plusieurs années, ln détourne de son rôle essentiel qui est la rééducation mentale sons ses diverses formes, j'ai ln certitude de rendre a la psychothérapie un service inestimable. 12) Félix Begsaclt : Ce qu'il faut entendre par la suggestion. Revue de i'hypno-
iisme. 16e année, n° â, p. 46. (3) Pikrre Janet : L'automatisme psychologique. 1889, p. 140.
écrivant: « La suggestion est une pression morale qu'une personne exerce sur une autre » (1).
La notion de direction autoritaire, de violence, se retrouve dans la définition de tous les auteurs qui ont eu des idées exactes sur le mécanisme de la suggestion. Personne n'admet qu'un individu, lorsqu'il est libre d'agir a sa guise se soumette passivement, automatiquement à la domination du premier venu, fut-il nn médecin. Un tel être n'aurait rien de normal et sa disposition mentale en ferait une victime et un esclave.
Jusqu'à une époque assez rapprochée de nous la suggestion était prise en mauvaise part. Elle était envisagée comme l'instigation d'inciter quelqu'un à l'accomplissement d'une action mauvaise. Aussi, Littré. qui pour l'usage des mots se conforme toujours à l'acception la plus généralement adoptée, considère la suggestion comme une insinuation mauvaise. Son opinion est en cela conforme à celle de l'ancienne jurisprudence pour laquelle le terme de suggestion est presque synonyme de captation. L'ordonnance de 1735 (art. 47) avait mis la captation et la suggestion au nombre des causes de nullité des testaments. Mais faute de définition déterminant la valeur exacte de ces deux termes, les faits les plus vaguement articulés devinrent le point de départ de procès scandaleux, où les actes les plus naturels et les plus désintéressés de l'affection filiale ou conjugale étaient incriminés. Pour éviter de tels abus, le code Napoléon préfère laisser à la seule appréciation des juges le soin de discerner, entre les faits allégués et prouvés, ceux qui pourraient faire croire que la volonté du testateur a été violentée on viciée. Ainsi la captation et la suggestion n'entraînent plus, par elles-mêmes, la nullité du testament. Des sollicitations, des soins constants, des témoignages d'affection, quoiqu'ils aient eu pour effet d'amener le testateur à des dispositions favorables n'ont rien de légalement répréhensible. Pour qu'il en soit ainsi, il faut des manœuvres frauduleuses, des actes de nature à tromper le testateur et à égarer son esprit (2 .
En supprimant la captation et la suggestion comme cause de nullité de testaments, les rédacteurs du code Xapoléon ont été bien inspirés, car pas plus aujourd'hui qu'à leur époque, il n'est possible de démontrer que la seule parole d'autrui soit capable de déterminer chez une personne d'Age adulte et de mentalité normale, l'accomplissement d'actes contraires à ses intentions.
Braid qui, le premier, a mis en lumière la valeur de l'hypnotisme., avait très bien reconnu que la production de cet état a pour effet de rendre les sujets p!us accessibles à la direction de l'hypnotiseur.
Liébeault dans son traité du Sommeil limite l'emploi de la suggestion à. une direction mentale imprimée à l'esprit d'un sujet hypnotisé. C'est ce
(1) Binet : La suggestibillté. 1900, p. 10.
(2) La Cour de Cassation. le 6 janvier 1814. en confirmant nn arrêt de la Cour d'Âgen, a jugé qu'on ne peut annuler un testament pour suggestion de captation, qu'autant que ces machinations sont empreintes du dol et de la fraude : qu'elles ont tendu enfin à tromper le testateur et a anéantir sa volonté.
qu'il exprime nettement dans le chapitre intitulé : Considérations, au point de vue curatif, sur l'art d'endormir et de faire les suffi/estions. Ce grand observateur n'a jamais admis, à aucun moment de son existence, qu'une suggestion faite ? l'état de veille eut la moindre valeur, thérapeutique ou autre. Le fondement de sa doctrine est qu'une suggestion n'aura d'efficacité eurative, qu'autant qu'elle s'adressera à un sujet préalablement hypnotisé ou. tout au moins, plongé dans un état analogue à l'hypnotisme qu'il désigne sons le nom d'état passif
Tel était également l'opinion formelle de Durand de Gros : * Certains de nos hypnotistes, dit-il. soutiennent que la suggestion est l'alpha et l'oméga de l'art, qu'elle est tout, en nn mot, et qu'il n'est rien en dehors d'elle. Cette prétention est évidemment excessive. En effet, pour suggestionner quelqu'un ne faut-il pas l'avoir rendu d'abord suggestionnable, c'est-à-dire l'avoir disposé, soit au moyeu des passes mesmériques. soit au moyen du procédé aspectif de Braid, à subir l'empire de l'idée suggérée? Il y a donc, avant la suggestion et au-dessous d'elle, quelque chose qui n'est pas elle; et ce quelque chose, c'est l'opération mcsmérique ou braidique. qui doit créer dans l'individu l'état préalable de suggestion-nabilité. Dans le langage de nos théories, j'appelle cette disposition préliminaire du nom â'Iit/potaxie, et les agents qui la produisent des hypoiaxiques. J'appelle d'autre part, idéoplastie, l'art d'appliquer la suggestion. »
Ainsi, il résulte clairement des conclusions auxquels sont arrivés les premiers savants qui se sont occupés de l'hypnotisme, que la suggestion tirant toute sa valeur du fait qu'elle s'adresse à un sujet hypnotisé, ne saurait être envisagée que comme un phénomène d'importance secondaire.
Comment se fait-il qu'à des notions aussi précises on soit arrivé à substituer la conception, absolument erronée, que la suggestion à l'état de veille, c'est-à-dire une parole exprimée à un sujet en pleine possession de ses facultés de contrôle, puisse être douée d'une efficacité thérapeutique quelconque ?
Il y a là. en effet, une évolution qui ne peut guère s'expliquer que par l'absence de rigueur scientifique de quelques-uns et la condescendance inexplicable du plus grand nombre.
De nos jours le mot suggestion, dont l'application était étymologique-ment limitée à cette acception si simple : « La domination d'un esprit par des affirmations captieuses ou autoritaires d'un autre ». a été étendu à une foule d'attributions mal définies ou contradictoires. Depuis une quinzaine d'années, il n'a cessé d'être appliqué à tort et à travers. Jugez-en plutôt : En médecine, la suggestion c'est la parole do- psychothérapeute, c'est aussi l'influence qu'il exerce, c'est la direction qu'il imprime aux pensées du malade ; elle est également l'ensemble des phénomènes qui s'effectuent dans son cerveau. En sociologie la suggestion a remplacé
(1) Durant de Gros : Les origines modernes de l' hypnotisme. (Revue de l'Hypno-titme. première année, n- 11, p. 850).
l'éloquence des orateurs, la persuasion des avocats, l'enseignement des professeurs, la vibration des tragédiens, la séduction des hommes d'affaires et l'évangélisation des pasteurs. Il est encore des hommes qui s'imaginent avoir des convictions, une opinion, des idées qui leur sont personnelles. Pauvres gens qui ne se doutent pas que tout cela leur vient de la suggestion !
Envisagée tantôt comme moyen, tantôt comme cause et tantôt comme effet la suggestion suffit actuellement à tout justifier, à tout expliquer, à tout faire comprendre. C'est la clef par laquelle s'ouvrent non seulement toutes les portes, mais aussi tous les cerveaux. Comme me le disait récemment un homme d'esprit de mes amis : « La suggestion, mais c'est la bonne à tout faire de la psychologie ! » Pour faire ressortir la confusion et l'obscurité que l'abus de ce mot a fait naître dans les études sur l'hypnotisme et sur la psychothérapie, je ne puis mieux faire que de rappeler ce que je disais, il y a quelques années, à mes collègues de la société d'hypnologie et de psychologie : « La suggestion se présente actuellement à nous avec tant d'acceptions différentes, qu'elle n'a plus aucune signification propre. C'est comme si on se servait du même mot pour désigner le fusil, l'acte de le charger, celui de viser, la pression sur la gâchette, la détonation, la fumée, la trajectoire, le projectile, la blessure et enfin l'état d'esprit de celui qui a reçu la décharge.
En réalité, le désordre introduit dans des études où le génie de patients observateurs avait apporté tant de clarté ne provient que d'une définition mal conçue et dépourvue de toute signification qui, à force d'avoir été répétée, est en quelque sorte devenue classique. La voici :
« La suggestion est l'acte par lequel une idée est introduite dans le cerceau et acceptée par lui. »
La Logique de Port-Royal a pris soin de faire remarquer que « lorsqu'on est obligé de définir un mot, on doit autant que l'on peut, s'acco-nioderà l'usage, en ne donnant pas aux mots des sens tout à fait éloignés de ceux qu'ils ont, et qui pourrait même être contraires à leur étymolo-gie. » Au premier aspect, il apparaît que, dans la définition ci-dessus, il n'a pas été tenu le moindre compte de l'étyraologie. Ignorant sans doute que suggestion vient de saggestere (placer au-dessous, dominer), l'auteur exclut de sa définition toute indication de domination, s'appliquant, au contraire, à donner au mot de suggestion une extension illimitée. La méconnaissance du conseil si judicieux de Port-Royal est flagrante. Mais c'est là le moindre défaut de cette définition. Une seule minute de réflexion doit suffire pour reconnaître que son rédacteur a accompli le tour de force de réunir, en dix-sept mots, toutes les formes de sopliisn/es pat-défaut et par absurdité dans tes définitions.
Pour qu'une définition soit bonne, rappelle Agathon de Pother dans son remarquable livre sur la Logique, il faut :
1° Que l'idée exprimée par le mot que l'on emploie soit parfaitement circonscrite ;
2° Qu'à chaque circonscription d'idées corresponde une expression qui lui soit spéciale et qui lui corresponde exactement ;
3° Que l'idée circonscrite ne renferme pas l'absurde ;
4° Enfin, que dans la subdivision d'une idée générale on n'oublie aucune des idées particulières qu'elle renferme.
Tout manquement à ces règles constitue un sophisme, c'est-à-dire un raisonnement faux qui. sous l'apparence de vérité et de rigueur, vise à surprendre notre jugement.
Or, aucune des règles si judicieusement formulées par Agathon de Potter n'a été observée dans la définition de la suggestion pour laquelle, depuis vingt-cinq ans. on ne cesse de solliciter notre admiration.
En effet, si nous procédons minutieusement à l'analyse de cette définition, nous constaterons :
1° Que l'idée exprimée par le mol suggestion n est en aucune façon circons-¦crite.
La suggestion y est confondue avec toute insinuation d'idée, d'acte.
d'image ou de sensation, avec toute persuasion, avec toute éducation, avec toute action de la parole. Si cette définition était exacte il faudrait
selon l'expression d'un homme d'esprit, nommer suggestion la démonstration par laquelle on prouve à quelqu'un que deux plus deux font quatre. En effet, si on la prend à la lettre, l'enseignement, la lecture, la conversation, les spectacles, toutes les perceptions que nous devons à nos sens, tout est suggestion. « C'est, comme le dit le professeur Grasset, une confusion de langage. »
A mon avis, il s'agit d'une faute beaucoup plus grave que d'une confusion de langage qui pourrait n'être que le résultat, non intentionnel.
-d'un défaut d'ordre et de clarté dans les idées. Xous nous trouvons en présence d'un véritable sophisme. L'abus de l'ambiguïté des termes, quand il est volontaire, constitue un sophisme auquel ont fréquemment recours ceux qni ont intérêt à ne pas exprimer clairement le fond de leur pensée. Le sophisme par indétermination de l'idée s'associe habituellement avec celui de Vignorance du sujet [ignoratio elenchi). Dans le cas qui nous occupe, cela n'est pas douteux, l'extension illimitée
donnée au mot suggestion témoigne, comme II nous sera facile de le démontrer plus loin, d'un défaut complet d'observation scientifique. Il
est également la preuve que l'auteur ne s'est jamais instruit aux enseignements des maîtres de la philosophie, car il se serait évité de répéter sous une forme puérile, ce qui.avant lui,avait été éloquemment décrit et défini par les plus grands esprits. 2° Qu'à chaque circonscription d'idées ne correspond aucune expression
.qui lai soit spéciale et qui lui corresponde exactement.
Tous les termes généraux introduits dans la définition visée, semblent avoir été, avec une intention calculée, pris dans leur sens le plus vague et le moins déterminé. Aucune expression spéciale ne contribue à tracer les limites exactes dans lesquelles il conviendrait de circonscrire la notion de la suggestion. Cela tient assurément à ce que l'auteur obéit
à certain instinct d'accaparement qui l'a porté à faire de la suggestion un domaine qui lui serait propre. Dans ces conditions, on
s'explique que le désir d'étendre indéfiniment les limites d'une propriété convoitée l'ait peu incité à recourir à l'opération cependant si nécessaire du bornage.
C'est qu'il s'agissait, avant tout, d'une véritable main-mise sur tout ce qui. depuis des siècles, constitue la monnaie courante de la philosophie et de la sociologie ; et nous avons assisté, en ce qui concerne la suggestion, à une tentative de trust dont on n'avait, jusqu'alors, vu d'exemples que dans le domaine du mercantilisme.
Un des meilleurs procédés pour arriver à ce résultat est assurément de rester dans une imprécision voulue, ce qui autorise en l'absence de limites nettement tracées, à formnler, le cas échéant, de faciles revendications de priorité.
Cela a permis, en particulier, quand un nouveau psychothérapeute. M. le professeur Dubois, de Berne, a voulu se cantonner dans la pratique de la persuasion ;de lui dire : * Haltc-Ià ! vous n'avez aucun droit sur la persuasion. Elle m'appartient, il y a vingt-cinq ans que je l'ai annexée à ma suggestion. Je vous défends de toucher à la persuasion qui, comme la suggestion, est mon bien propre ».
Il était impossible de révéler avec plus de candeur des intentions d'accaparement que. seuls, de bons psychologues avaient su discerner dans le fatras voulu d'une série de publications absolument contradictoires et incohérentes.
3° Que tontes /es idées circonscrites contiennent l'absurde.
Cela est malheureusement d'une démonstration si facile que je ne comprends pas qu'elle n'ait pas été faite depuis longtemps.
Si jamais quelque professeur de philosophie avait, dans un congrès scientifique, proposé de définir ainsi la fonction de la digestion : « C'est l'acte par lequel un aliment est introduit dans l'estomac et accepté par lui » ; il est vraisemblable que ses collègues eussent déclaré que cette définition insignifiante et absurde ne méritait pas même de figurer dans un manuel à l'usage des écoles primaires.
Les médecins sont, paralt-il, gens plus faciles à satisfaire et la définition : La suggestion est l'acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui, a été accueillie avec une faveur marquée. Bien qu'elle fut absolument dépourvue de signification, cette définition, sans être soumise à aucun contrôle, a été reproduite un très grand nombre de fois.
C'est que la croyance aux oracles, qu'on supposait définitivement délaissée, s'est perpétuée, aussi vivace qu'aux temps antiques, dans la corporation médicale. Quand elles émanent d'une bouche officielle, les paroles les plus ambiguës revêtent toujours pour le plus grand nombre de nos confrères, un certain caractère d'infaillibilité.
Le premier mot que nous trouvons dans cette définition, est celui d'acte. S'il fallait énumérer par le menu tous les actes qu'un homme accomplit depuis son lever jusqu'à son coucher, on pourrait se trouver-embarrassé. Tous les gestes, tous les mouvements ayant une destination quelconque sont des actes. Il se mouche, c'est un acte II vous salue,
c'est un acte. Il marche, voilà encore un acte. Dans l'exécution de tous ces actes apparaît la nécessité d'un certain effort, d'une contraction musculaire. Gril s'agit d'une suggestion à faire, comment va s'accomplir cet acte solennel '? Le plus habituellement le suggestionneur commencera par ouvrir la bouche, puis il dira quelques paroles. Si j'en crois l'universalité des hommes, il y a antinomie complète entre le fait de parler et celui d'agir. Le spirituel chansonnier Th. Leclercq a même pu. sans soulever de protestations, différencier les paroles des actes par l'attribution d'une sexualité différente : « Les actes sont des mâles, dit-il, les paroles sont des femelles. »
Qui n'a, dans le cours de sa vie. entendu la locution courante : « Et maintenant assez de paroles, passons aux actes. * Il parait que tout cela est changé. Quand un homme parle dans l'inteution de suggérer son prochain, ses paroles doivent être envisagées comme actes. Voilà qui va faire beaucoup de plaisir aux phraséologues, aux orateurs de réunion publique et à tous ceux auxquels on serait tenté d'adresser le reproche de parler toujours et de ne jamais agir.
Notons en passant que la définition visée ne détermine pas le moins du monde quelles sont les personnes qualifiées pour faire des suggestions. Cet acte, puisqu'acte il y a. pourra-t-il être effectué par le premier venu ? Est-il nécessaire qu'il soit doué de quelque intelligence, qu'il ait acquis à cet exercice une aptitude quelconque 1 Est-ce un don du ciel, une aptitude innée, une faculté créée par un apprentissage ? L'acte de suggestion est-il exécutable par les muets, les bègues, ceux qui s'adressent à nous dans une langue que nous ne comprenons pas ?
Bien de cela n'est indiqué dans la définition que nous critiquons. Faute d'explications, elle laisse à entendre que le pouvoir d'introduire des idées dans un cerveau est un acte à la portée de toutes les intelligences, les plus faibles comme les mieux douées.
Y a-t-il rien de plus absurde que d'envisager, d'une part, la suggestion comme un procédé doué d'une grande valeur thérapeutique et d'admettre, d'un autre côté, que l'application de ce procédé puisse être faite par toute personne capable d'émettre une parole ou d'exécuter un geste.
(A suivre)
Le miracle et la critique scientifique
par M. P. Saixt-Yves • La science ignore lesurnuiurel elle ne le nie ni ne l'affirme, elle ne s'en n'occupe pus. Si voila pourquoi ce savant peut être religieux en pleine sécurité de conscience. 11 n'a pas à fermer la porte de son laboratoire qnnnd il entre dans son oratoire. 11 n'a pas besoin pour adorer que le merveilleux existe, il lui suffit que tel phénomène naturel ait pour lui, pour su conscience intime une signification que le monde n'a pas a connaître ». R. Alliek Science, Philosophie, Religion
1873. in-8. p. 27-27
Notre notion actuelle de la science semble, dès l'abord, incompatible avec l'idée du miracle, telle que l'a définie l'enseignement scolastique.
La plupart des hommes qui ont reçu quelques notions des sciences modernes admettent en conséquence fort difficilement les récits de faits miraculeux.
Ceux qui savent voir sont unanimes à le proclamer. Mgr Mignol, dans une Lettre sur VApologétique contemporaine, écrivait : « A l'heure présente et pour beaucoup d'esprits, les miracles sont plutôt un obstacle à croire qu'un moyen de croire. L'intelligence moderne façonnée dans le moule soi-disant scientfiqne, devenue très exigeante en fait de démonstration se trouve plutôt mal à l'aise en face d'un miracle (1). » Le B. P. Lagrange disait peu après : « Aujourd'hui moins que jamais, la raison n'est pas portée a admettre une intervention continuelle de Dieu par voie exceptionnelle et miraculeuse (2). »
Un an plus tard, un pasteur protestant, M. Fulliquet, insistait sur l'existence de cette opposition au miracle dans les masses.
« Cette mentalité populaire scientifique qui existe très réellement, qu'il est puéril d'ignorer ou de négliger, qui durera certainement longtemps, a une répugnance instinctive, une répulsion ouverte et marquée pour le miracle. Il suffit qu'une religon se présente, rattachée à certains faits miraculeux, il suffit qu'un livre sacré relate des événements miraculeux, il suffit qu'un homme religieux, sous une forme quelconque, retrouve la croyance au miracle, pour qu'il s'élève dans l'esprit de la foule comme un obstacle invincible, une suspicion indestructible et pour que l'évangélisation en soit absolument paralysée (3). »
Et hier encore, un apologiste catholique d'une haute culture, signalait a son tour l'existence de cette difficulté chez les catholiques instruits :
« Aujourd'hui, disait-il, nous croyons plutôt malgré le miracle, quand nous croyons. On dira peut-être que nous avons tort. Quoiqu'il en soit, c'est là un fait ; la pratique de la science nous a menés là et nous en sommes là, même si nous ne sommes point déterministes, car si nous ne le sommes, tout alors est miracle et c'est comme s'il n'y avait pas de miracle : Aucune obligation ne peutavoir prise sur cet état de choses (4). »
La science condamne-t-elle donc irrévocablement le miracle.et peut-on .prévoir avec Benan (5), le jour on la croyance aux merveilles surnaturelles disparaîtra comme la croyance aux farfadets et aux revenants a disparu ?
Tout semble indiquer que l'esprit moderne marche dans ce sens. Mais nous ne pourrons répondra à cette question qu'à la fin de notre quadruple enquête. Pour le moment il ne s'agit que de la seconde : Le savant
(1) Reçut du Clergé, T. XXIV. p. 575.
(2) La Méthode historique. Paris, 1903. in-12, p. 18.
(3) G. F; : Miracles de la Rible, p. 3.
(4) Alb. IdKSAKB. Esquisse d'une Apologétique dans Annales de Philosophie Chrétienne, 190B. T. II. p. 575.
(5) Il y a longtemps déjà qu'il écrivait : « Une très grande partie du peuple n'admet plus le surnaturel, et on entrevoit le jour oii les eroynnces de ce genre dipsaraitront dans les foules, de la même manière que la croyance aux farfadets et aux revenants a disparu ». E. Kenin. Souvenirs d'enfance. Paris, s. d., in-8°, XV. p.
peut-il au nom de la science attester le miracle ? ou encore : Peut-on discerner le miracle par remploi des méthodes scientifiques ?
H suffira, pour répondre clairement, d'examiner tour a tour ce qu'il faut entendre par faits scientifiques, par lois scientifiques et par classifications scientifiques. Le miracle pour être attesté scientifiquement devra réaliser en effet trois conditions : être établi a la façon d'un fait scientifique et à l'encontre des autres faits scientifiques échapper soit aux lois, soit aux classifications scientifiques.
Examinons tour à. tour ces trois points essentiels.
LE FAIT SCIENTIFIQUE
§ 1. — Le fait scientifique est-il nécessairement un fait expérimental ?
La science positive reçoit d'ordinaire dans le langage courant, le nom de science expérimentale. C'est là un abus qui n'est pas sans inconvénient. Renan et Littré, qui furent des maîtres parmi les grands esprits de ce temps, se sont laissés prendre à cette duperie de mots. Renan écrivait :
« Que demain un thaumaturge se présente avec des garanties assez sérieuses pour être discuté : qu'il s'annonce comme pouvant, je suppose, ressusciter un mort, que ferait-on ? Une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées de critique, serait nommée. Cette commission choisirait le cadavre s'assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où déviait se faire l'expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaires pour ne laisser prise à aucun doute. Si, dans de telles conditions, la résurrection s'opérait, une probabilité presque égale à la certitude serait acquise. Cependant, comme une expérience doit toujours pouvoir se répéter, que l'on doit être capable de refaire ce que l'on a fait une fois, et que dans l'ordre du miracle il ne peut être question de facile ou de difficile, le thaumaturge serait invité à reproduire son acte merveilleux dans d'autres *irconstances, sur d'autres cadavres, dans un autre milieu. Si chaque fois le miracle réussit, deux choses seraient prouvées : la première, c'est qu'il arrive dans le monde des faits surnaturels ; la seconde, c'est que le pouvoir de les produire appartient ou est délégué à certaines personnes. Mais qui ne voit que jamais miracle ne s'est j-assé dans ces conditions-là : que toujours jusqu'ici le thaumaturge a choisi le sujet de l'expérience, choisi le milieu, choisi le public ; que d'ailleurs le plus souvent c'est le peuple lui-même qui, par suite de l'invincible besoin qu'il a de voir dans les grands événements et dans les grands hommes quelque chose de divin, crée après coup les légendes merveilleuses (1). »
De telles exigences dépassent celles même de la méthode scientifique (2). Il n'est pas nécessaire, pour constater un fait, qu'il soit l'objet
(1) E. Rexan. VU de Jésus. Paris. 1867, In-8°. Introd. p. XCVII-SCVUI. — Même Idée dans Feuitlee détachées. Paris, s. d., ln-8°, pp. XV1-XVII, 413 et 416.
(2) « Jamais Kenan, écrivait Charles Renouvieren 1897, ne connut assez les limites et la méthode des sciences expérimentales, ponr comprendre qu'elles ne vont au fond de rien et qu'il leur est interdit de nier, aussi bien que d'appuyer la solution
d'expérience et puisse être reproduit dans les laboratoires. L'astronome
se contente d'observer. Il ne commande pas aux phénomènes qu'il enregistre et la voûte céleste n'est pas un amphithéâtre pour l'expérimentation. Cependant l'astronome affirmera qu'il a vu passer un bolide dont il décrira la trajectoire et l'apparence et personne ne rejettera son dire (1).
La Bible nous raconte quelques événements astronomiques merveilleux : devons-nous les rejeter par cela seul qu'ils nous ont été présentés comme miraculeux ? Pouvons-nous ajouter foi à l'étoile des mages, au recul du soleil qu'attesta le déplacement de l'ombre sur le cadran d'Achaz?
Je veux supposer un instant que les textes qui rapportent ces merveilles soient acceptés de tous comme textes historiques. Est-il admissible que les Mages aient vu surgir une étoile ? M. A. France nous fournit ht réponse à cette question :
« C'était certes un miracle pour les astronomes du Moyen-Age, qui croyaient que le firmament, cloué d'étoiles, n'était sujet à aucune vicissitude. Mais, réelle ou fictive, l'étoile des Mages n'est plus miraculeuse pour nous qui savons que le ciel est incessamment agité par la naissance et par la mort des univers et qui avons vu en une étoile s'allumer tout à coup dans la Couronne boréale, briller pendant un mois, puis s'éteindre.
« Cette étoile n'annonçait point le Messie ; elle attestait seulement qu'à une distance infinie de nous, une conflagration effroyable dévorait un monde en quelques jours, ou plutôt l'avait autrefois dévoré, car le rayon qui nous apportait la nouvelle de ce désastre céleste était en chemiu depuis cinq siècles et peut-être depuis plus longtemps (2). »
L'apparition d'une nouvelle étoile peut donc être scientifiquement constatée, mais peut-on ne pas rejeter le récit qui rapporte le recul de l'ombre sur le cadran d'Achaz ? Qui donc a jamais vu le soleil rétrograder dans sa course ? Les conséquences de l'arrêt ou du recul du soleil eussent d'ailleurs été telles, qu'il ne fût sans doute demeuré personne pour en demander le renouvellement.
d'aucun problème philosophique d'ordre général, ou de donner ou de refuser nu fondement aux théories de la morale et du droit plus qu'aux croyances surnaturelles. » Cité par F. Bkl-netièbe : Cinq lettres sur Ernest Renan. Paris, 1904, ln-l2, p. 84. Voir encore Ch. Renouvier : Philosophie analytique de l'histoire. Paris, 1898, in-8°. II, p. 366. — M. BouiAC tombe dans la même erreur que Benan quand il veut que l'un des caractères essentiels du fait scientifique soit de « se laisser expérimenter ». La Psycholoyie inconnue. Paris 1908, in-8°, p. 76. Il écrit néanmoins un peu plus loin : « Pouvons-nous observer et reproduire a volonté tous les phénomènes astronomiques et par exemple le passage de Vénus sur le soleil ? Rare ou fréquent, exceptionnel ou habituel, capricieux ou régulier, uu fait est un fait : à nous de l'étudier et d'eu découvrir la loi » Idem, p. 285. — Anatole Franck définit quelque part le faii scientifique : « Celui qui peut être reproduit indéfiniment dans les mêmes conditions, on prédit mathématiquement arec certitude. ». J. Bois. L'Au-delà et les Forces inconnues, P., 1902, in-12, p. 346. Cette dernière définition n'élimine pas les faits astronomiques, mais elle me semble encore trop étroite. Des faits d'observation (les sciences mimienlea en fournissent un grand nombre), peuvent fort bien avoir été admirablement observés et ce fi reprises nombreuses sans que pour cela nous puissions prédire leur retour de façon mathématique.
(1) Sur ln distinction des sciences d'observation et d'expérimentation C. Flammarion : L'Inconnu et les Problèmes Psychiques. Paris, 1904, in-12, p. 244-245.
(2) A. Franck. Le Jardin d'Epicure. In-12, p. 210-211.
Spmosa. qui semble avoir cru a L'historicité du récit des Chroniques, se contentait d'expliquer cette merveille par une parhélie.
Ainsi, sans demander la répétition expérimentale d'un phénomène, on peut être conduit à admettre sa réalité, simplement en lui cherchant des analogues, et il est rare que la recherche soit sans résultat. Le recul du soleil, jadis considéré par les théologiens comme un miracle de premier ordre, c'est-à-dire réservé à Dieu seul, se conçoit par un simple jeu de la lumière dans les nuées (i|. Ce ne fut qu'une apparence. Il s'explique plus facilement que l'are-en-ciel qui fit connaître miraculeusement à Noé l'apaisement de Jéhovah (2).
Les données astronomiques ne sont pas d'ailleurs les seules qui échappent à l'expérimentation. On en peut dire autant pour nombre de phénomènes météorologiques et biologiques. L'incertitude des prévisions relatives au temps ; l'impuissance des médecins pour produire ou pour guérir certaiues maladies en sont des preuves éclatantes.
Accordons à Renan et à Littré (3) qu'un fait susceptible d'être reproduit expérimentalement est plus facilement contrôlable qu'un fa!t d'observation et surtout d'observation intermittente. Mais on ne saurait nier que certains faits de pure observation ne soient parfaitement et rigoureusement attestés )4). _ (À suivre).
Algomanie
pur M. le D[ Lkueblk, professeur a l'Ecole de psvchologie (Suite)
L'Algomaxie et la vte sociale
Nous verrons, par la suite de cette étude, combien le besoin de la douleur, à des degrés très variables, est un besoin courant, et le lecteur prévenu, trouvera certainement des cas fréquents d'Algomanie dans le cercle de ses observations quotidiennes.
Est algomane. le morphinomane qui, à défaut de morphine, réclame du moins la douleur de la piqûre et l'injection d'eau pure, faite le plus souvent, comme l'injection de morphine, aux endroits les plus sensibles. Est algomane avant d'être tabacomane. le priseur qui ne demande tout d'abord
(1) Quelques auteurs catholiques ont avancé une semblable explication. Cf. Des Seiences positives et du Surnaturel, par L. Paris, 1877, in-8°, p. 119 et suiv.
(2) Le livre dans lequel IFahc-Âstoisk i«e Domisis, évêque de Spalatro, ébaucha la théorie do l'orc-en-clel De radiis visas et lucis in vitris perspecliris. et irride, Venise, 1611, ne fut pas sans provoquer quelque scandale. Ce livre fut brillé avec son corps et ses antres écrits en 1624.
Emile littré s'exprime d'une façon très analogue a celle de Renan dans la
Sréface a sa traduction de Strauss : Vie de Jésus ou examen critique de son histoire. arts, 1836, ln-8-. Préface, t. i. pp. 1I-IX. Il écrivait dans La Philosophie positive (t. X, p. 440) « Le parti catholique fait appel au miracle. Je ne dirai certes pas qu'il a tort, cela le regarde. Seulement, qu'il le sache bien, c'est peine absolument perdue auprès des gens qui sont élevés dans la notion expérimentale de l'ordre naturel et des lois dn monde. Désormais les miracles n'apparaissent pins qu'a ceux qui. d'avance, croient aux miracles.»
(4) Littrè lui-même écrivait : « Je ne donne guère d'attention aux guérisons miraculeuses dont la théologie est aujourd'hui si prodigue que quand elles présentent quelque phénomène médical qu'il me soit possible de ranger à côté d'autres analogues, agrandissant ainsi le champ d'une pathologie où les médecins ont dissipé les erreurs. » Philosophie positive, t. XI, p. 1Ô5. Il publia d'ailleurs une étude intéressante dans laquelle, comme plus tard l'école de Chareot. il cherchait a expliquer scientifiquement les miracles produits nu tombeau de Saint-Louis : Un fragment de médecine rétrospective dans La Philosophie positive, t. V, p. 103.
au tabac que la réaction de douleur. Elles sont algomanes, ces voleuses de grands magasins, dont Lacassagne a rapporté les observations et qui chaque jour reviennent voler pour éprouver les mêmes frayeurs et les mêmes angoisses.....
N'est-il pas justement susceptible d'Algomanie. l'altruisme qui ne se manifeste qu'au spectacle de la douleur, l'altruisme très spécial et que nous analyserons, de ceux qui. avec empressement, recherchent la société des désespérés ou des malades, soignent les blessés, s'installent au chevet des moribonds, ensevelissent les morts et suivent des enterrements, mais demeurent fermés à toute douleur ne rentrant pas dans le cercle de leur manie et se soustraient, sans remords, aux obligations d'une charité même élémentaire "? Ces amateurs du spectacle des douleurs physiques ou morales réalisent par là des personnages étranges qui, dans leur dualisme, se réclament à la fois de saint Vincent de Paul et de Torquemada.
Algomanes, ces parents réservant le meilleur de leur affection à ceux de leurs enfants, qui. volontairement, ne leur causent que chagrins et déboires.
Algomanes encore, ces femmes qui ne respectent leur associé d'existence que si elles trouvent en lui « un maître » même brutal;aux regards du psychologue, ces malades se montrent, par là, sœurs cadettes de ces évadées des meilleures familles, qui se font les maîtresses, passionnées et très soumises, de lutteurs, de dompteurs, voire d'assassins. Ce besoin impérieux d'être dominées, subjuguées, terrifiées, qnc tant de femmes portent au cœur, a bien été exprimé par la Clirgsis, de Legendre :
Femme d'un assassin !... Ah j'avais dans ridée Que terreur et désir, l'un l'antre se mêlant, Par là je connaîtrais an bonheur violent ! Oui, se dire en aimant, que c'est jouer sa vie, Qu'à l'être inquiétant qui vous tient, une envie Farouche peut soudain venir de vous briser, Et que son coup de griffe est près de son baiser ! C'est cela qui n 'est pas dans tes clwses banales !
Pylade.
Ce sont des algomanes ces prostituées mauresques dont Rey nous a fait connaître les pratiques (Soc. d. scienc. méd. de Lyon, juin 1896) et qui se font des brûlures sur les membres supérieurs avec des cigarettes allumées et appliquées coup sur coup pendant un quart d'heure ou une demi-heure. Ces brûlures sont situées de préférence à la partie antérieure de l'avant-bras : larges, circulaires, nombreuses (quelquefois on en compte jusqu'à vingt, faites successivement) leur profondeur est considérable.
N'est-elle pas parfois révélatrice de l'Algomanie, cette attirance exercée sur beaucoup d'esprits par des spectacles ou des sports dangereux {Corridas de muerte, Looping et ses dérivés. Alpinisme. Chasse an tigre,
Aéronautique..-) si riches en secousses inorales et offrant la gamme si précieuse a certains, de tous les » en deçà » du frisson de la petite mort?..
• *
Le besoin morbide et impérieux qu'éprouvent certains êtres, de compléter Tindigence de leur quantum émotionnel, par le spectacle de la douleur d'autrui. jette une clarté de plus sur la question des Irresponsables devant la Loi.
Par la connaissance de l'Algonianie, est entamé encore le bloc, déjà très diminué, de la responsabilité morale ; du même coup se trouve fortement atteinte cette autre fiction de la responsabilité pénale, an nom de laquelle, répartiteurs de châtiments, nos modernes magistrats s'efforcent de concilier une notion philosophique imprécise et changeante, avec la nécessité de défense sociale contre les êtres vicieux et nuisibles.
L'amour de la douleur, à tous ses degrés, nous est ainsi révélé comme promoteur fréquent de certains actes sociaux ; mais semblable au Protée de la fable antique, cet amour revêt les formes les plus variées et souvent les plus opposées : auxiliaire de progrès ou pourvoyeur de criminalité.
L'algomanie chez les philosophes et les poetes
« Ceci est un bouquet de fleurs estrangères et du mien n'y al mis que le filet a les lier ».
(Montaigne).
Les faits d'Algomanie que nous venons de mettre en lumière, nous permettraient de tenir désormais cet état mental comme suffisamment distinct et établi, et nous pourrions, dès maintenant, eu aborder l'examen psychologique.
Mais n'est-ce pas déjà utilement aborder l'interprétation du phénomène, que de présenter quelques citations d'écrivains qui ont décrit ou exalté l'amour de la douleur? Ne nous arrêtons pas aux écrits qui dépeignent le sentiment normal de douleur et retenons seulement de « la plaintive élégie en longs habits de deuil », celles qui chantent la volupté de souffrir.
On nous objectera que ce sentiment pathologique, raisonné par les philosophes, exalté par les poètes, leur est tout à fait spécial, peu nous importe : que le témoignage qu'ils en donnent so t l'expression d'un état fréquent ou seulement une confidence toute personnelle: il nous suffit que cet état d'âme ait trouvé tant d'interprètes et ces interprètes nombre d'admirateurs, pour que nous ayons le droit d'affirmer qu'il n'est pas seulement possible, mais qu'il est réel et qu'il existe.
Platos a bien décrit un sentiment d'Algomanie lorsqu'il a dit : « Nous « éprouvons de la joie aux représentations dramatiques qui nous arra-« chent des larmes ».
Ce même sentiment a été exprimé par St Augustis : « Pourquoi donc « l'homme trouve-t-il quelque attrait à regarder les événements lamen-« tables et tragiques que lui-même il ne voudrait pas souffrir ? Et ce-
« pendant il en veut souffrir quelque douleur même qui est son plaisir.
« Quelle miséiable folie ! S'il n'e6t pas douloureusement ému. si le spec-« tacle le laisse froid et insensible, il s'en va dégoûté et mécontent ». (Confessions, lib. II cap. II). Et pins loin : « entraîné de force par quel-« ques amis aux jenx sanglants du cirque. Alipius s'était promis de tenir « les yeux fermés pendant la durée de cet odieux spectacle. Mais une « immense clameur poussée par la foule les lui ayant fait ouvrir, le « voilà sédait et entraîné comme les antres «. (Confessions libr. IV, c. VIII).
D'après Montaigne : « Métrodus disait qu'en la tristesse il y a quel-« que alliage de plaisir. Je ne sais s'il voulait dire autre chose, mais moi « j'imagine bien qu'il y a du dessein, du contentement et de la complai-« sauce à se nourrir de la mélancolie. Je dis qu'outre l'ambition qui s'y « peut encore mêler, il y a quelque ombre de friandise et de délicatesse. « qui nous rit et qui nous flatte au giron même de le mélancolie. Y a-t-il « pas des complexions qui en font leur aliment ? Et. dit un Attalus en
« Sénèque. que la mémoire de nos amis perdus nous agrée, comme « l'amer au vin trop vieil ».
Pour Malebbanchk : * La tristesse est le sentiment le plus agréable
« que puisse avoir un homme, dans le temps qu'il n'a pas le bien qu'il
« souhaite ». (Recherche de la Vérité, livre V). — « La douceur est au « nombre des éléments qui se rencontrent dans toutes les passions sans « exception, même les plus mélancoliques et les plus tristes ». (VI0 lettre à la princesse Elisabeth).
La. Fontatse n'a-t-il pas parlé dn « sombre plaisir d'un cœur mélan-c colique », et le même auteur (Amours de Psyché, 1er livre in-fine) ne nous fait-il pas observer que : « les larmes que nous versons sur nos « propres maux sont, au sentiment d'Homère, une espèce de volupté. « Car en cet endroit où il fait pleurer Achille et Priam l'un du souvenir « de Patrocle. l'autre de la mort du dernier de ses enfants, il dit qu'ils « se saoulent de ce plaisir, il les fait jouir de pleurer, comme si c'était quelque chose de délicieux ».
Desca-BTES a bien remarqué cette satisfaction que l'on prend à la don-leur d'autrui : « Il y a même quelque douceur et contentement dans la « tristesse que l'on ressent à l'occasion des autres », (Liv. II. chap. XX.)
Joly (Psychologie des Saints) en conformité avec ce que nous avons avancé concernant l'Algomanie religieuse, bien qu'il n'en arrive pas à nos déductions dernières, conclut cependant en notre sens : « Ainsi se « mélangent dans l'âme du saint un commencement de bonheur qui se « manifeste par une joie constante et en même temps une souffrance qui « non seulement n'est pas redoutée mais est recherchcliée et provoquée! » Cette joie dans la douleur, a paru tellement liée à l'état de sainteté, que Benoit XIV fait de sa présence constante dans la vie du serviteur de Dieu nne des conditions de ln béatification!
D'après Barres : « La mort et la volupté, la douleur et l'amour s'ap-
« pellent les unes les autres dans notre imagination... Il n'y a pas de
c volupté profonde sans brisement de cœur... » Amori et Dolori sacrum (préf.|
L'état psychique qui nous intéresse est encore plus sensiblement décrit et exalté par certains poètes, particulièrement contemporains, qui pour chanter la douleur et l'amour de la douleur ont trouvé les accents les plus pénétrants et ont infiniment renchéri sur l'affirmation de Young : « Il y a des perles dans le torrent de l'affliction ! »
Avec LuCAis. nous voyons Cornélie veuve de Pompée qui « embrasse « étroitement sa cruelle douleur : elle jouit de ses larmes, elle aime son « deuil à la place de l'époux qu'elle a perdu. •
Michel-Ange, d'après son biographe Romain Rolland (Vie de Michel-Ange, p. 24), avait fini par prendra une sorte de gortt de la souffrance, il y trouvait une joie amère :
Plus me plaît ce qui plus me nuit (Epin mi jiove dote pin mi nnoce)
(Poésies xlii.
et plus loin :
Ma joie, c'est ta mélancolie (La mia allegress ' è la malinconia)
(Poésies LXXXX).
Voici Racine :
« Il fallait bien souvent me priver de mes larmes »
(Phèdre).
Enfin nos contemporains si abondants sur le sujet :
Peut-être devrions-nous réclamer pour l'Algomanie, certains passages des œuvres de Vigny :
» J'aime la majesté de ta souffrance humaine ».
ll-a Maison du Berger.)
et surtout de Musset :
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. »
(La Nuit de Mai.)
Mais ces poètes sont de beaucoup dépassés par une véritable pléiade d'algomanes distingués, ou du moins de chantres de l'Algomanie, dont nous ne citerons toutefois que les principaux :
* * *
Charles Baudelaire :
deux déchirés comme des grèves En vous se mire mon orgueil ! Vos vastes nuages en deuil Sont les corbillards de mes rêves Et vos lueurs sont te reflet De l'enfer on mon cœur se plaît!
Lu Fuch do Mal : (Horreur sympathique.)
Pendant que des mortels la multitude rite Sons te fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile. Ma Douleur, donne-moi la main, riens par ici.
Les Fleurs du mal : (Recueillement.)
Enfin, nous avons, pour noyer Le vertige dans le délire. Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre, Dont la gloire est de déployer L'ivresse des choses funèbres' Bu sans soif et mangé sans faim !... — Vite soufflons la lampe, afin De nous cacher dans les ténèbres !
Les Fleurs du Mal : (L'Examen de Minuit.)
Albert Samais :
DOULEUR
Douleur quel sombre instinct dans tes bras rions ramène ? Pourquoi frémissons-nous cette âpre volupté En entendant du fond des violons monter Le vieil écho profond de la misère humaine ?
Pourquoi nos soirs d'amour n'ont- ils toute douceur, Que si l'âme trop pleine en lourds sanglots s'y brise? La tristesse nous hante avec sa robe grise. Et vit à nos côtés comme une grande sœur.
Les plus hauts d'entre nous, voguant par les ténèbres. Artisans raffinés de leur propre tourment, Ont taillé leur souffrance ainsi qu'un diamant, Pour lui faire jeter des éclats pins funèbres.
Et le cœur dit : « je sais l'ivrogne furibond Certes, la joie est bonne et luit couleur de gloire ; Mais quand c'est la Douleur même qui verse à boire Le verre qu'elle tend nous semble si profond »;
Car je suis dans l'ivresse ardente de souffrir. Frère des grands flambeaux, dont le rent tord la flamme, Et qui saignant à flots les pourpres de leur âme, Jettent leurs plus beaux feux à l'heure de mourir.
Au Jardin de l'Infante.
Charles Guérin :
J'implore un coup de lance au flanc, j'ai soif de fiel, Qu 'une femme implacable entre toutes les femmes
Me tende sa chair froide et sa bouche où je puisse Me blesser d'un atroce amour /... l'étoile du ciel Palpite d'un éclat plus vif après la pluie, L'âme humaine renaît en clarté dans les larmes.
Le Cœur solitaire, p. 10, 2e édition.
La douleur est un vin d'une acreté sauvage. L'âme trop tendre encore qu 'elle a rongée au vif En devient insensible à tout autre breuvage, Qui n'a pas son goût corrosif.
Poison dont ma jeunesse avant l'heure fut ivre.
Ta morsure aujourd'hui peut seule m'émouvoir.
Ce n'est plus qu'en saignant que mon cœur se sent vivre,
Ma force est dans mon désespoir.
L'Homme intérieur, xxvi.
* *
Jean Moréas :
O mer, o tristes flots, saurez-vous dans vos bruits Qui viendront expirer sur les sables sauvages. Bercer jusqu'à la mort, mon cœur et ses ennuis Qui ne se plaisent plus qu 'aux beautés des naufrages.
Les Stances. I. 2.
Les maux les plus ingrats me sont présents des dieux, Je trouve dans ma cendre un goût de miel suave.
Les Stances, I. 9.
Francis James :
PRIÈRE POUR AIMER LA DOULEUR
Je n 'ai que ma douleur et je ne veux plus qu 'elle. Elle m'a été, elle m'est encore fidèle... Pourquoi lui en vondrais-je, puisque aux heures, Oh mou âme broyait le dessus de mon cœur, Elle se trouvait là assise à mon côté ? 0 Douleur j'ai fini, vois, par te respecter, Car je suis sûr que tu ne me quitteras jamais. Ah ! je le reconnais : tu es belle à force d'être.
O ma Douleur, tu es mieux qu'une bien-aimée.
Le Denil des Primevères.
Scares :
SILENCE
Celui-là seul connaît toute mélancolie Dont le cœur était né pour voûter toute joie.
(Airs. p. 145).
AIME LES PLEURS
J'aime ma Douleur : J'aime la cruelle Qui me mord le cœur... Ce cœur qui t'appelle.
C'est que plus que moi Ma souffrance est belle ; Dans les pleurs je bois A l'onde éternelle.
Le cœur soulevé Va plus haut que l'aile ; Le rire est rené, La peine est réelle.
Rien n 'est acheté En nous que la peine, Et d'elle a levé L'immortelle graine.
Aimons nos douleurs, Ce n'est qu'en nos pleurs Que notre âme est belle.
Airs. p. 197).
* *
Saint-Georges de Bouhélier :
LA JOIE DANS LA DOULEUR
Quoi ! prendrai-je plaisir à cette ombre, à ces larmes, A ta peine qui passe en mon cœur dévasté ? Tirerais-je an bonheur de toutes mes alarmes ? Serait-ce là ma joie avec ma volupté ? Aimerais je, est-il vrai ? vivre au sein des orages, Et puis m'envelopper de l'éclair de ces nuits ? Serais-je satisfait des maux qui me ravagent, Parce qu'ils font goûter les attraits de l'ennui ? Suis je si démuni des biens de la fortune
Que ce soit de l'horreur d'être avec des tombeaux. Que je forme à présent ma jouissance commune, Heureux, quand ma douleur trouve de beaux sanglots ?
(Les chants la Vie Ardente.)
De cette aspiration constante vers la peine et la douleur, de cet élan perpétuel de l'humanité, ou plutôt de cette partie déchue de l'humanité, pour laquelle la vie même et le progrès ne peuvent se concevoir, s'accomplir, sans la souffrance, nous trouvons le symbole dans l'œuvre d'Ary Sohepper : Les Douleurs de la terre s'élevant vers le ciel : c'est ce sentiment profond que nous rappelait hier le maître Richepix. dans la Route d'Emeraude :
« Il faut pour être grand qu'on saigne.
« Qu'on ait aimé,pleuré, désespéré...
« On ne doit se sentir un dieu que sur la croix.
Xous nous efforcerons d'établir, en étudiant le processus intime de l'Algomanie. comment, et dans quelle mesure cette assertion peut être retenue.
du plaisir et de la douleur
La vie, devons-nous le rappeler, n'est que l'action réflexe transformant les excitations ou les émotions de toute nature, qui, par les sens, pénètrent l'organisme. Si nous fermons un ou plusieurs sens aux excitations du dehors, nous provoquons dans la conscience, une inhibition plus ou moins notable, un état de suspension, de sommeil plus ou moins profond, d'un plus ou moins grand nombre de nos facultés.
Xotre organisme, comme notre sensibilité, ne se peuvent concevoir en état de repos, d'inergie, d'indifférence ; ils sont, au contraire en perpétuelle évolution, ils se transforment et c'est a la vie surtout que convient la formule d'Heraclite : t.vvz% eut.
Il n'est pas plus rationnel d'admettre que la sensibilité, sensations et sentiments, puisse être interrompue, que de croire, pendant le sommeil, les fonctions de respiration et de circulation abolies : sensation et sentiments, c'est la sensibilité vivante, et Us sont continus comme elle.
Même pendant le sommeil le plus profond, alors que l'organisme parait en état de recueillement, d'atonie, les circonstances de tempéra-rature ou de bruit, d'odeurs, les conditions hygrométriques, sont autant de facteurs perpétuellement changeants qui. à chaque instant, provoquent des sensations nouvelles, des émotions conscientes ou inconscientes, avec on sans influences oniriques perceptibles, et modifient ainsi à chaque instant notre individualité.
Lorsque se produit le sommeil normal, sous l'influence du jour finissant ou de l'obscurité de la nuit, l'œil se ferme aux excitations, l'ouïe refuse aux bruits l'attention, nous nous abandonnons sur un lit a la détente de tous nos membres : l'organisme normal, alors, est saisi d'un sommeil d'autant plus profond que nous nous sommes plus complètement soustraits à toute eause de sensations. S'il s'agit d'obtenir le sommeil
provoqué, l'hypnose, nous userons, sans doute, de ces conditions du sommeil normal, mais nous les enrichirons largement par un ensemble de procédés qui nous permettent de restreindre plus étroitement l'excitabilité, et surtout nous serons servis par la Théorie de l'inhibition : pour fermer un sens aux excitations qui le tiendraient en activité, il suffit d'y produire une suite continue de sensations monotones et homogènes, de telles sensations équivalant à la suppression de toute sensation.
Ces principes dont l'application nous permet de diminuer, d'endormir l'activité vitale et la conscience de cette activité, nous apportent l'exacte contre-épreuve de l'assertion de Feux Thomas : « De même que l'orga-« nisme a besoin de s'exercer pour vivre, de même notre sensibilité a
* besoin d'être émue. »
L'« exercice » de l'organisme, de même que l'« émotion » de la sensibilité, aboutissent au plaisir et à la douleur: un état moyen d'indifférence, d'ataraxie. n'étant qu'une conception physlologiquement irréalisable. *
Nos sphères d'actvîté physique, intellectuelle ou morale sont perpétuellement pour nous le théâtre de plaisirs ou de douleurs. .Par l'éducation de la sensibilité, nous en arrivons a ne donner la qualification de plaisir ou de douleur, qu'aux émotions d'une certaine intensité, et, sans méconnaître l'influence du physique sur le moral, nous devons admettre que, dans une certaine mesure, douleur et plaisir physiques, intellectuels ou moraux, peuvent se produire parallèlement et simultanément, chaque sphère évoluant pour sa part, de telle sorte, comme le disait Soc rate, que le plaisir et la douleur s'accompagnent, et qu'il semble que les dieux, n'ayant pu les reconcilier, les aient rivés à une même chaîne.
Nous voyons par la combien de formes peut prendre notre sensibilité quand elle s'exerce, et combien est « ondoyante et diverse * l'idée que nous nous faisons de nos plaisirs et de nos douleurs. Pour mieux dire, autour de certaines classifications conventionnelles de nos émotions en plaisirs et douleurs, gravitent une infinité de perceptions, de sensations, que chacun de nous apprécie souvent, tour à tour et contradictoirement, selon sa disposition organique ou mentale, soit comme plaisir, soit comme douleur. Combien ne devons-nous pas entrevoir d'états de plaisir ou de douleur si nous acce, tons la théorie de Fouillée : « Si notre organisme « n'est qu'une société de cellules vivantes, ayant chacune leur activité « et leur sensibilité propres, il est probable que .des rudiments d'émo-« tions agréables on désagréables émergent de toutes les parties et vien-« nent retentir dans la conscience générale, de manière à lui commu-« niquer le timbre du plaisir ou celui de la peine, selon les éléments « auxquels reste la victoire. Nos peines et nos plaisirs seraient ainsi le
* résumé de peines ou de plaisirs élémentaires de myriades de cellules: « un peuple souffre ou jouit en nous, notre bonheur individuel est en « même temps un bonheur collectif et social. » (La Psychologie des idées forces.
Et maintenant que devons-nous entendre par plaisir et par douleur ?
Bouillier a donné du plaisir et de la douleur une définition généralement admise : « Il y a plaisir toutes les fois que l'activité de l'unie « s'exerce librement, dans le sens des voies de notre nature ou bien « lorsqu'elle triomphe des obstacles qui lui éta'ent opposés. Il y a dou-« leur, au contraire, toutes les fois que ce même effort est empêché. « arrêté par quelque obstacle du dedans ou du dehors. Tous les modes « de notre activité sans exception, soit ceux de l'activité motrice et « vitale, soit ceux de l'activité intellectuelle et volontaire, sont néces-« sairement accompagnés de plaisir ou de douleur, selon qu'ils s'exer-« cent conformément à ce grand but de la conservation ou du dévelop-« pement de notre être ou qu'ils échouent vaincus et impuissants ».
N'éprouvons-nous pas certaines sensations, ou certains sentiments de plaisir, qui pourtant ne sont pas favorables à la conservation ou au développement de notre être '? La bonne chère, n'est-elle pas l'occasion de satisfactions qui. pour être opposées souvent à la conservation de notre être, n'en sont pas moins des plaisirs présents? un breuvage glacé peut causer une maladie, et aller ainsi à rencontre des voies de notre nature, tout en nous procurant un plaisir certain. La définition de Bouillier ne peut être acceptée qu'en la complétant : à l'expression : dans te sens des voies de notre nature, ajoutons, ou de ce que nous tenons subjectivement pour tel.
Le plaisir et la douleur sont donc très subjectifs et particulièrement en raison de l'originalité native de la sensibilité de chacun, accusée encore par une éducation qui constitue une originalité acquise.
Pathogénie et Traitement de l'Algomaxie
Un sujet normal est capable d'une quantité égale de plaisirs et de douleurs, selon son aptitude à être ému. selon ce que nous pourrions appeler la longueur d'onde de sa sensibilité excitée et vibrante. Que par suite de mauvaise santé, de deuils, de soucis, de chagrins, notre zone de sensibilité-plaisir soit restreinte et même interdite, nous comprenons que, ne trouvant plus dans le sens plaisir le quantum d'émotions nécessaires à l'exercice de notre sensibilité, nous tendrons à réparer cette perte en demandant a la zoue-douleur un supplément d'émotions compensatrices : voilà une algophilie constituée, c'est l'Algophilie de compensation.
Selon les circonstances, cette Algophilie peut n'être que transitoire, diminuer parallèlement avec le retour graduel à l'exercice de la sensibilité-plaisir, ou au contraire être définitive, se transformer en Algoma-nie. et même s'exalter, le sujet s'entraînant par une sorte d'éducation de la sensibilité-douleur, et devenant un fervent de la douleur, comme d'antres le deviennent de l'alcool :
......... « La douleur se changeant en folie
Finit par enivrer comme un vin de l'enfer. »
(V. Hugo.)
L'Algomanie peut naître d'une recherche de la douleur., inspirée par
un souci d'ostentation, de singularité. Ce désir d'ostentation est d'ailleurs le plus souvent un symptôme révélateur de l'hystérie; or, puisque l'hystérique a une tendance à réaliser toute suggestion, à transformer en actes, à actualiser les idées reçues, k faire de toute idée une idée fixe, il est facile de concevoir avec quelle facilité un nlgophile de fantaisie devient, en ce cas. un algomane définitif. Tous les malades enfin qui. par leur hérédité, sont prédisposés à devenu' des hystériques, ou plus spécialement des obsédés, des impulsifs, des phobiques... pourront fournir des recrues à l'Algophilie puis k l'Algomanie ; cette Algomanie des dégénérés s'installera en eux, à la faveur de la tare mentale, qui imprimera toujours son cachet à la manie de la douleur.
•
Le mode même de constitution de l'Algophilie et de l'Algomanie, uous trace la voie à suivre pour la cure de ces psychopathies.
L'Algophilie de compensation et certaines formes de l'Algophilie des dégénérés, seront rapidement curables par la rééducation psychique, par la mise en œuvre méthodique de ce qui subsiste du dynamisme sensibi-lité-plaisir.
Cette rééducation sera l'œuvre de la suggestion, en état de veille, ou en état de sommeil provoqué. A. l'Algomanie constituée, les mêmes moyens psychothérapiques seront encore nécessaires, mais ils devront être précédés d'une préparation du malade et du terrain nerveux.
Suivant la formule si exacte et si précieuse de Durand de G-ros, l'Hypotaxie devra précéder l'Idéoplaslie ; nous retrouvons ici les principes généraux de traitement, que nous avons exposés dans une étude précédente : (1)
« Quand le malade n'est accessible à aucune suggestion, même faite « en état d'hypnose, il devient nécessaire d'inhiber son psychisme, de « suspendre le fonctionnement de ses centres cérébraux supérieurs, en « le faisant dormir profondément et longtemps.
« Agent curateur par excellence, le sommeil provoqué, mieux encore « qne le sommeil naturel, est, d'une part, une fonction de réparation « nerveuse, et. en second lieu, le plus précieux moyen de dérivation : il « apporte l'oubli, et fait perdre au malade le fil de ses conceptions « fausses.
« Dans un bataillon qui s'avance, lorsque la cadence de la marche a « été perdue, faire retrouver le pas régulier, en rectifiant successive-« ment l'allure de chaque unité, serait une besogne gratuite : au con-« traire, provoquer un arrêt de l'ensemble, pour commander ensuite un « départ exact et simultané, est le procédé rapide et sûr. Ainsi devons-« nous faire en pathologie psychique : discuter une a une les idées « fausses, tel est le travail auquel s'attachent toujours les familles de « nos malades, sans autre résultat que d'infliger à l'obsédé une fatigue « nerveuse supplémentaire ; le médecin ne doit pas s'attarder k ces
(1) H. Lemesle. Obsessions et Psychothérapie : Maloine, éditeur. 1908.
« moyens impuissants: si les suggestions de détail, appliquées a tel cas « particulier, ou la suggestion générale même, restent inefficaces, il « faut, sans retard, mettre en œuvre ce moyen d'ensemble puissant « qu'est le sommeil prolongé. »
Nous pouvons donc résumer ainsi le traitement de la psychose que nous venons d'étudier : la suggestion vigile réussira dans certains cas récents et bénins, et chez les hystériques (consentant sincèrement a se laisser guérir) : — la suggestion et la rééducation de la sensibilité, à la faveur des séances répétées de sommeil provoqué, s'étendront à un plus grand nombre de cas; = enfin ces mêmes moyens thérapeutiques, rendus possible par une aire préalable de sommeil prolongé seront appliqués aux cas rebelles et anciens d'Algomanie confirmée.
PÉDAGOGIE ET ANORMAUX
Les classes d'anormaux à Bordeaux
par M. le Docteur E. Régis. professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine. Médecin-Inspecteur spécialiste des Ecoles communales de Bordeaux.
On sait le zèle éclairé et l'activité persévérante qu'a déployés M. le professeur Régis pour organiser à Bordeaux les classes d'anormaux, dont U a été, par la suite, et selon toute justice, nommé médecin-inspecteur spécialiste. Le rapport médical qu'il vient de publier expose magistralement les débuts de l'œuvre, le recensement général et le classement des anormaux psychiques, la création de classes spéciales, l'organisation de l'inspection médicale spéciale, les premiers résultats de l'action médicale et l'étude médicale des enfants des classes spéciales. De ce dernier chapitre nous extrayons les observations suivantes qu'on lira avec intérêt et profit.
Dans le domaine du système nerveux, les documents recueillis par nos médecins-inspecteurs adjoints ont été abondants et concordants. Voici ce que dit à cet égard le Dr Jacquin :
« Le dynamomètre nous a montré chez tous nos enfants, ou presque tous, une conservation de la force musculaire ; il nous manque cependant, pour l'affirmer d'une façon ferme, l'épreuve comparative faite chez des enfants normaux du même fige
« Si la force musculaire est conservée ou à peu près, par contre l'habileté manuelle n'est pas toujours très développée. Il suffit, pour s'en convaincre, de faire faire aux enfants quelques exercices un peu compliqués. Il y a peut-être là quelque chose d'analogue à ce qui a déjà été noté à propos de la mimique. Les mouvements réclamés par un acte un peu complexe ne sont pas toujours coordonnés, paraissent même contradictoires et dépassent le but. C'est une sorte de paratonie, qu'on peut ranger dans la catégorie des débilités motrices étudiées récemment par Dupré. Ce phénomène se rencontrerait de préférence chez les arriérés les plus touchés cérébralement.
« L'étude des réflexes tendineux ne mérite pas de nous arrêter. Trois enfants cependant présentaient des réflexes rotuliens vifs. Ce symptôme n'avait de réelle importance que chez un arriéré profond post-typhique
offrant de l'hyperréflectivité tendineuse, de la trépidation épileptoïde, nne marche spasmodique, une parole brève et explosive.
« Lee tics, relevés avec soin, ont été constatés chez neuf enfants sur vingt. Ce sont des tics rarement systématisés, consistant parfois en véritables grimaces et prédominant à la face, de préférence sur les paupières ou sur les lèvres.
c Les sensibilités tactile, thermique et douloureuse nous ont paru conservées. Le sens stéréognostique est intact. La sensation de rugueux, de poli, de poids est presque toujours normale. Nous avons soigneusement cherché l'appoint névropathique : hystérie, épilepsie, neurasthénie. Un seul de nos élèves, arriéré mental léger, fils- d'alcoolique, qui a uriné tard au Ht. est sujet a des impulsions brusques, violentes, précédées parfois de pâleur, tous symptômes qu'on pourrait a la rigueur rattacher à l'épilepsie.
« Quant à la céphalée, on l'observe souvent et elle est un excellent indice de fatigue cérébrale. »
Etat psychique. — Au point de vue psychique, un fait important se dégage : c'est que, malgré des différences apparentes, on retrouve chez la plupart des anormaux des particularités identiques, consistant en quelque sorte les stigmates fondamentaux de leur psychicité.
Leur intelligence proprement dite est des plus variables. Elle va depuis celle de l'arriéré léger jusqu'à celle de l'arriéré profond, en passant par tous les degrés intermédiaires ; et à côté de ce demi-idiot post-typhique de la classe Saint-Charles, cité plus haut, qui est bien plutôt un anormal d'asile qu'un anormal d'école, on en peut citer qui comprennent et s'assimilent ce qu'on leur enseigne presque aussi bien que les normaux du même âge. La plupart aiment la musique et le chant. Quelques-uns sont doués d'aptitudes artistiques. Beaucoup ont le sens de l'imitation ou plutôt du mimétisme développé et poussé parfois jusqu'au comique.
Chez tous, quels qu'ils soient, et c'est là, comme il fallait s'y attendre le trait caractéristique. Yattention. cette « volonté intellectuelle » (Ribot)-ce « moteur de la vie de l'esprit » (Navra), est nulle ou des plus fugaces/ C'est au prix de mille difficultés qu'on parvient à fixer leur esprit, et encore n'est-ce que pour un instant. Incapables d'un effort sérieux et surtout d'un effort soutenu, ils tombent rapidement dans la distraction, dans l'amusement, dans la rêverie automatique ou la somnolence hébétée, se reprenant à demi sous la stimulation du maitre, mais pour s'abandonner de nouveau aussitôt après. L'anomalie scolaire, sous toutes ses formes, est le triomphe de l'aprosexie.
L'attention étant le grand pourvoyeur des souvenirs, il va de soi que chez nos anormaux la mémoire est fuyante, infidèle, et que les impressions passent et disparaissent sans pour ainsi dire laisser de traces.
L'instabilté est tellement la note dominante de ces cerveaux qu'elle arrive presque toujours à se manifester du côté de l'activité physique.
Tant et si bien que la subdivision des anormaux en calmes et instables que nous avions adoptée dans notre classement général comme dans la constitution de nos deux classes d'anormaux, l'une d'agités, l'autre de
déprimés, si elle reste exacte en principe. est loin, en pratique, de correspondre à l'absolue réalité. Sauf quelques rares arriérés, toujours uniformément les mêmes, la plupart des autres varient plus ou moins dans leur humeur et dans leur mode de réaction.
Chez certains, et le Dr Jacquin a judicieusement noté le fait, ce sont des moments d'excitation qui traversent, |ar périodes, le calme habituel.
Chez d'autres, la torpeur et l'agitation semblent alterner à peu près régulièrement, comme en une sorte de balancement cyclothymique.
Il n'y a donc pas des anormaux tout instables ou tout calmes, tout agités ou tout déprimés ; il y a surtout, comme dit Jacquin. « des types mixtes, chez lesquels l'instabilité, l'agitation, la turbulence n'existent pas toujours de façon continue et permanente, mais procèdent par bouffées, par intermittences ».
C'est là un fait qui ressort très nettement de nos observations et de celles des maîtres.
TJn autre fait à signaler, corollaire pour ainsi dire du précédent, c'est la variabilité, chez tous nos enfants, du caractère, de l'affectivité, avec tendance plus grande à Vinsensibilité morale, à l'égoïsme.
Jacquin remarque toutefois que l'indifférence émotionnelle, l'inaffec-tivité ne sont pas toujours, chez eux, aussi marquées qu'on a voulu le le dire ; quelques-uns aiment réellement leurs parents et font preuve, vis-à-vis du maître, d'une réelle affection.
Beaucoup sont de nature honnête et doués de bons sentiments (Abadie), mais leur moralité est bien fragile et leur notion du bien et du mal bien incomplète. Ils sont, plus que les autres, portés au mensonge, au col, à la méchanceté, à la cruauté, aux actes pervers, souvent de façon irrésistible, automatique et presque inconsciente.
Car nos anormaux se distinguent encore, naturellement, par leur impulsivité, allant parfois jusqu'à l'instinctivité.
Cette impulsivité se manifeste par l'irréflexion, la spontanéité, la brusquerie de leurs gestes et de leurs actions, par leur irritabilité, leurs colères parfois violentes, par leur fugues subites et réitérées, devenues cependant beaucoup moins fréquentes depuis leur entrée dans la classe spéciale, qui exerce sur enx un attrait particulier.
Le type psychique de ces anormaux est réalisé par celui de la classe Montgolfier qii'Abadie dépeint en quelques traits précis, ainsi qu'il suit: « C'est un garçon de treize ans. grand, vigoureux, parfait au point de vue physique. Il est intelligent moyennement. Sa mobilité d'attention n'a d'égale que son instabilité motrice. Il échappe à chaque instant à la surveillance et il a sans cesse besoin d'être tenu sous les yeux. Toujours en mouvement, il est paresseux à l'étude. Méchant, il bouscule ou martyrise ses camarades. Violent, il se sert volontiers des objets qui sont 6ons sa main pour frapper plus sûrement. Impulsif, il vole fréquemment, et se défend ensuite avec énergie et habileté. Enfin, ce qui domine tout chez lui, c'est la facilité avec laquelle il se livre à des fugues de courte durée, mais sur lesquelles il ne fournit aucun détail. Ces fugues survien-
draient surtout, dit la mère, après des nuits agitées, entrecoupées de cauchemars. Ce dégénéré est le fils d'une hystérique et d'un alcoolique, le neveu d'un aliéné. »
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La séance de rentrée de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 19 octobre à 4 heures et demie, sons la présidence de AI. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrlère.
Les séances ont lieu le troisième mardi de chaque mois. Elles sont publiques. Les médecins, les étudiante et les membres de l'enseignement sont invités à y assister.
Adresser les titres de communications A AI. le D' Bérlllon. secrétaire-général. 4. rue de Castellnne et les cotisations à M. le Dr Pan) Parez, trésorier. 154. boulevard Haussnianu.
Communications déjà portées A l'ordre du jour ; Dr békiu.on : L'éparpillemeut mental, forme inférieure de l'activité Imellectui-lU-. Dr Conetault : Association de la psychothérapie et de la mécauothérapie pour les
rééducations fonctionnelles lavec présentation d'appareils). Dr ?erthet : La rééducation du pied avant l'entorse.
M. Moret. médecin-rétérlnalre : Du dressage des animaux envisagé an point de vue psychologique.
SI Quinque, directeur de l'Etablissement médico-pédagogique de Crétell : La rééducation de l'attention chez les débiles mentaux pnr la psychothérapie graphique.
Dr Paul Fabez : Un cas d'onirothéraplc spontanée.
Suicides d'écoliers
Le professeur Albert Eulenburg, de Berlin, vient de publier une brochure sur la statistique et la pathogénlc des suicides d'écollcra en Allemagne La statistique d'Eulenburg porte sur une période de vingt-six ans et ses observations médicales exactes se rapportent ? 1.258 cas bien étudiés. Ces 1.258 cas n'ont irait qu'à des suicides d'écoliers d'écoles moyennes ei supérieures. 898 d'écoles moyennes. 365 d'écoles supérieures. En comparant ces chiffres on établit 53 suicides d'écoliers par an eu Prusse. soit un suicide par semaine. Fait terrible, qui trouve très peu de consolation dans l'antre constatation, qne dans ces vingt-six dernières années le nombre des suicides n'a pas augmenté malgré la grande augmentation des écoliers.
Quelles sont les motifs de ces suicides? On trouve que 378 cas sont attribués à la peur d'une punition. En y ajoutant ceux qui proviennent de la peur d'un examen, de l'insuccès dans un examen et antres causes semblables, on arrive même au chiffre do 473. Cela vent dire : Plus du tiers des suicides d'écoliers sont ocensiounés par la peur des punitions eucournes pour insubordination on pour Insuffisance de travail on de valeur. Cette constatation mérite surfont l'attention des pédagogues. Ils pourraient a ce sujet faire d'utiles réflexions sur les lacunes de l'éducation scolaire. t*n autre fait très important est accusé par celte statistique : 120 cas ont pour cause l'aliénation moutafe. Ce fait regarde les médecins des écoles, 10 °/n des enfants qni se suicident sont des aliénés, vient une troisième rnbriqne avec le titre : Causes Inconnues. Elle renferme 352 suicides d'écoliers. Quelles tragédies, quelles tortures d'adolescents, quels troubles d'Urnes affolées se caehent dans ces chiffres ! — Eulen-hurg s'occnpe très sériensement du côté purement pathologique de la question et arrive a des conclusions qni concernent la direction des écoles, la collaboration des médecins et l'influence de la famille. D'après lui, « les écoles et les établissements d'Instruction » doivent être commués peu il peu en des « établissements d'éducation ”. Pour autant qu'on peut parler d'une collaboration de la famille et de l'école dans certains cas des suicides d'écoliers, Enlenburg prouve, que la faute retombe presque toujours sur la famille, qui pèche par manque de surveillance, par un manque d'intuition dans la vie psychique de l'adolescent, par négligence du développement physique et psychique, par mépris de l'individualité, etc. On ne peut que souscrire à ces observations ainsi qu'aux suivantes : Qu'on fasse une sélection plus sévère et un éloignemcut plus catégorique et plus rapide des éléments non aptes
?pour l'éducation des écoliers en modernisant le système des examens. Un pédagogue, professeur Gerhard t. arrive, dans une conférence faite récemment, en s'appnyant sur des documents officiels allant jusqu'à 1908. aux mêmes conclusions : le médecin et le pédagogue demandent, que l'éducation par la famille remplisse tout son devoir il côté de l'école, cette dernière restant Impuissante, dès que la famille néglige ses devoirs envers l'adolescent.
Dr TVitrv, (de Trèves-sur-Mosellc,.
L'administrateur : J. BÉRILLON. Le Gerant : Constant LAURENT. Privas
Privas, Imp. C. Laurent, avenue du Vonel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e Année — N° 4. Octobre 1909.
Inauguration du monument du professeur Liégeois, à Bains les-Bains.
(Suite)
Discours de M. le Dr Bérillon.
Secrétaire général de la Société d'hypnologie et de psychologie, professeur à l'Ecole de psychologie.
« Le nom dn docteur Liébeault et celui du professenr Liégeois resteront indissolublement associés dans l'histoire de la psychologie contemporaine. Ils constituent les deux piliers fondamentaux d'un édifice dont la solidité transmettra aux générations futures le souvenir de l'Ecole psychologique de Nancy.
Le premier aura la gloire d'avoir doté la science médicale d'une branche nouvelle : ta psychothérapie basée sur les effets bienfaisants du sommeil provoqué. A Liégeois reviendra l'honneur d'avoir appris aux magistrats et aux sociologues, les conséquences que les phénomènes du somnambulisme et de l'hypnotisme comportent pour la jurisprudence et la criminologie.
Tout en étant distincte, l'œuvre de chacun d'eux se rattache étroitement à celle de l'autre par un point de départ commun : la connaissance des modifications apportées dans le fonctionnement cérébral de l'homme par l'hypnotisme et par les états analogues.
Avant Liébeault. d'autres avaient reconnu la possibilité de réaliser artificiellement chez l'être humain l'apparition d'un état de sommeil provoqué analogue a celui dans lequel nous nous plaçons de nous même lorsque le sommeil normal nous envahit ; mais on lui doit d'avoir établi les rapports d'identité entre le sommeil provoqué et le sommeil normal et d'avoir déterminé les lois qui président à la production de ces sommeils.
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Grâce à lui. on connaît les règles par lesquelles il est possible, sans aucun inconvénient pour leur santé, de réaliser l'apparition de l'état d'hypnotisme chez un grand nombre de personnes.
De l'œuvre psychologique de Liébeault résulte la démonstration de ce fait gros de conséquences sociales que l'homme si disposé à la discussion, à la contradiction, à la rébellion, voire même a la révolte, quand il est dans l'entière excitation de la veille, est susceptible de se transformer, sous l'influence de certains procédés, en un être absolument passif. Dans l'état d'hypnotisme, la personnalité devient parfois si malléable qu'elle peut sous la direction d'un conducteur ingénieux se prêter à des formes nouvelles comme la terre à modeler sous les doigts d'un habile statuaire.
On conçoit dès lors quelles peuvent être les déductions d'un pareil fait. Par lui, la médecine des états nerveux devient capable de modifier les états névropatbiques les plus divers. Le clinicien peut, avec les plus grandes chances de succès, entreprendre la cure des idées fixes, des obsessions, des doutes, des peurs, des scrupules pathologiques, des sentiments affectifs dénaturés ou pervertis, et de cette innombrable série des fatigues professionnelles, des émotions répétées et des préoccupations démoralisantes sous le poids desquelles peuvent succomber, à la longue, les cerveaux les mieux organisés.
Séduits par les transformations heureuses qui s'opèrent sous leurs yeux, les médecins qui s'occupent de pédagogie revendiquent aussi leur part de cette découverte prodigieuse, et l'on assiste sous l'influence du traitement médico-pédagogique par l'hypnotisme à la guérison de penchants antisociaux et d'habitudes vicieuses enracinées. Le pédagogue entrevoit lorsqu'il se trouve en présence d'êtres auxquels une éducation insuffisante ou mal comprise n'a pu conférer ces dons, la possibilité d'aller encore plus loin et de les doter de freins contre l'impulsion au mal, de qualités morales supérieures, de sentiments empreints de plus de dignité et de noblesse. Qu'on se garde de sourire, déjà ont été sauvés du naufrage moral, par les méthodes médico-pédagogiques, des êtres qu'on croyait irrémédiablement perdus.
Je n'entreprendrai pas de rappeler ici les péripéties de l'existence du docteur Liébeault auquel fut toujours associé d'une façon si étroite le professeur Liégeois. Des manifestations éclatantes organisées à Nancy et à Paris, par la Société d'hypnologie et de psychologie ont fait ressortir à la fois la puissance de son génie et l'élévation de son caractère.
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Liébeault a eu des détracteurs, comme tous les grands hommes ; mais ce n'est point de leurs écrits que lui sont venus les désagréments de sa carrière. Nul ne poussait plus loin, comme il l'écrivait lui-même le dédain des jugements superficiels.
Mais il est un spectacle auquel l'homme de science, malgré la sérénité de sa philosophie ne saurait rester indifférent : c'est celui d'assister de son vivant, au démembrement de son œuvre.
C'est par les sectateurs trop zélés, a-t-on dit. que périssent les partis politiques et les religions. C'est par les disciples présomptueux ou mal intentionnée que se désagrègent les doctrines scientifiques les micnx établies.
Lorsqu'un homme, par une longue concentration d'esprit, qui est la manifestation du génie, a réuni les éléments d'une nouvelle méthode positive, génératrice de progrès et de découvertes utiles à l'humanité, il est rare que des esprits intéressés ne s'ingénient pas à disperser les matériaux dont ils comptent utiliser les débris. C'est ainsi que par l'abus des raisonnements incomplets, par l'énoncé de séduisants sophismes, par défaut d'esprit philosophique, ou simplement par le désir d'établir leur
renommée sur les ruines de la renommée précédente, ils arrivent à déposséder les véritables inspirations des doctrines de la gloire qu'il leur appartient.
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Te! fut le danger auquel fut exposée l'œuvre de Liébeault. Modeste et désintéressé, il eut certainement été vaincu dans cette lutte inégale, si de bons disciples ne l'avaient soutenu de leur collaboration et réconforté -de leur amitié.
Au premier rang de ces hommes intègres fnt toujours Liégeois. Le buste que nous avons sous les yeux donne une impression exacte de ce que fut sa physionomie empreinte de tant de courage, de tant de sincérité et de tant de probité.
Grâce à lui, grâce à sa ténacité toute lorraine, l'erreur judiciaire si redoutable fera désormais moins de victimes. Dans tons les procès où apparaîtra l'influence pernicieuse exercée par des esprits dominateurs sur des âmes timorées ou dominées par la contrainte hypnotique, le juge sera porté a rechercher désormais où se trouve la véritable responsabilité. Bientôt la société, trop indulgente aux meneurs qui, par le sophisme du délit d'opinion, échappent si facilement aux rigueurs de la répression, réservera son indulgence aux esprits faibles, que Je seul fait de se trouver groupés en fonle transforme en sujets hypnotisés, et dont le cerveau, alors dépourvu de contrôle, agit avec les apparences d'une liberté qu'il n'a pas.
Â
Interprète fidèle des sentiments de la société d'hypnologie et de psychologie de Paris, dont il fut membre fondateur, de l'Ecole de psychologie dont il fut un des inspirateurs, de la Revue de l'Hypnotisme dont il fut le collaborateur dévoué, j'apporte au professeur Liégeois l'expression d'une admiration que le temps n'atténuera pas. îvous ne cesserons jamais d'associer Liégeois à l'œuvre de son ami Liébeault. Unis dans le dur labeur et dans la lutte pour le triomphe d'une idée commune, ils resteront associés dans la gloire. ”
Discours de M. Albert Bonjean,
avocat a Verriers, secrétaire du Comité international du monument Jules Liégeois.
Mesdames, Messieurs,
Si Jules Liégeois appartient à la France par son haut patriotisme et par les nombreuses générations d'étudiants qui se sont pressées autour de sa chaire, d'où ne cessait de tomber la bonne parole, il appartient à toutes les nations par la place prépondérante qu'il a su occuper dans le domaine du droit moderne.
H y a quelques années, la jurisprudence et la doctrine tendaient à se cantonner dans le cercle étroit des formules toutes faites et des principes intangibles.
C'était le triomphe de l'Ecole, avec ses prescriptions, son absolutisme-rigide, ses règles fatales et conventionnelles, sorte de cliché qui servait à tous les cas et résolvait tous les problèmes-Ce fut alors que le docteur Liébeault — oh ! le nom vénéré — publia son livre célèbre : « Le sommeil et les états analogues ».
Cette publication sonna le réveil d'une science qui avait eu les honneurs de toutes les condamnations et de tontes les railleries. Je veux parler de « l'Hypnotisme ».
Liégeois qui avait assisté, perplexe et émerveillé, aux multiples expériences de Liébeault. ne tarda pas à percevoir la lumière que ces études devaient jeter dans les applications variées du Droit.
Si les phénomènes hypnotiques peuvent bouleverser à ce point la conscience humaine subissant sous leur influence la plus radicale des-transformations, si, de par ce mystérieux agent, la raison, le jugement, la mémoire sont abolis ou diminués, si l'hypnotisé, dans certains cas spéciaux, est livré pieds et poings liés, à la volonté de l'hypnotisme, son maître, que deviennent donc l'imputabilité, la responsabilité et pour tout-dire en un mot : la Justice !
Et de suite apparaissent dans le recul du passé, les sorcières du moyen-âge condamnées au bûcher, sur la foi d'aveux arrachés à leur-inconscient ; les Ursulines de Loudun avec le cortège de leurs aberrations et de leurs fautes, dues à des troubles pathologiques maintenant-bien connus, les miracles du diacre Paris au cimetière de St-Médard,. révolutionnant la France et multipliant les névroses et, de plus près dans l'histoire, les déroutantes affaires criminelles dont les échos ne sont point éteints encore et au-dessus desquelles on sentait planer, je ne sais quel mystère dans le prétoiri:. trop souvent implacable, des cours d'assises.
Liégeois recueillit patiemment avec ferveur et surtout avec la prudence et le sang froid du savant qui cherche à se convaincre avant de-convaincre les autres, les observations journalières que lui rendait plus facile la fréquention assidue de la clinique de son fidèle et courageux, ami, le docteur Liébeault.
Bientôt, il se mit lui-même à l'œuvre. Le jurisconsulte s'était fait guérisseur. Et il avait eu cette énergie, parce que sa thérapeutique quotidienne, lui permettait tout en soulageant les misères de ses semblables,, de toucher du doigt, pour ainsi dire, les troubles et les désarrois si souvent inquiétants de l'Ame humaine.
Un mot prononcé par Jules Liégeois, dans l'introduction de son livre,, nous a toujours fait frissonner : • l'effrayante fuillibilité du témoignage humain ».
Le grand et noble savant, dont nous célébrons aujourd'hui l'œuvre impérissable, a eu l'immense mérite de pousser un cri d'alarme. Et ce ne fut pas seulement un mérite, mais encore un véritable acte de courage.
On ne peut se figurer à l'heure actuelle les railleries, les scepticismes et même les excommunications dont furent l'objet, — voilà bientôt, quelque trente ans, — les brillants créateurs de l'école de Nancy.
Anjourd'hui, on s'incline devant leurs travaux qui font partie du patrimoine de l'humanité et le monde savant se fait une gloire de se grouper autour de ce buste qui incarnera le souvenir d'un des soldats de la première heure, tombé en pleine maturité encore dans le tragique accident que vous savez. Il serait hors de propos d'analyser ici les travaux de Jules Liégeois sur l'hypnotisme.
Une fois les matériaux accumulés, il voulut saisir l'opinion publique. Et. s'adressant au représentant le plus autorisé de l'intellectualité française, il ne tarda pas à soumettre, en 1884. à l'Académie des sciences morales et politiques, un mémoire sur : « la suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel ».
A cette date de 1884, l'œuvre de Liébeault était, chose inouïe, restée pour ainsi dire, ignorée de tous.
Ce fut un événement que ces révélations de Liégeois qui faisaient penser à la cognée du bûcheron ouvrant des voies à travers la forêt pour y introduire, à la place d'encombrantes broussailles, la circulation féconde de l'air et de la lumière. Les critiques et les éloges, les attaques èt les applaudissements ne firent pas défaut au vigoureux novateur.
Mais la force de son travail, basé sur l'argumentation la plus irrésistible : l'observation, résista à tous les chocs et se révéla bientôt, péremp-toire.
Quatre ans après, Liégeois fit de son mémoire un livre, portant comme -titre : * De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la Jurisprudence et la Médecine légale ».
L'œuvre, enrichie d'expériences nouvelles, peut être considérée comme le traité le plus complet et le plus remarquable de notre époque sur la matière.
Il aborda ensuite la troublante question de l'hystérie et du témoignage d'enfants, pour citer après quelques exemples d'erreurs judiciaires imputables a d'invincibles parti-pris. Enfin, il énuméra plusieurs crimes commis par et contre des somnambules et établit péremptoirement selon nous, et malgré la résistance de certaines autorités d'ailleurs des plus recommanda bles, la possibilité des crimes et des délits suggérés.
Afin d'écarter toute équivoque, il est utile que l'on sache que Liégeois, -contrairement à certaines mentalités avides de merveilleux et se défiant trop peu d'elles-mêmes, a toujours considéré l'hypnotisme comme une science naturelle, basée exclusivement sur la raison et sur l'observation -objective.
Mais, son titre de gloire sera partout celui d'avoir, le premier jurisconsulte de tous les pays, fait entrer l'hypnotisme dans le droit et la médecine légale.
Pour cette raison, Liégeois appartient désormais à l'histoire.
Messieurs, le buste que la France intellectuelle érige aujourd'hui à l'un de ses plus nobles enfants, représente Jules Liégeois enveloppé dans les plis de sa robe professorale.
Les hommes de devoir et d'étude qui ont suivi pendant tant d'années
les leçons du maître et qui s'éparpillent aujourd'hui aux quatre coins de la France applaudiront a l'évocation pieuse.
Permettez-moi d'ajouter à celle-ci l'hommage du monde scientifique étranger qui a connu et aimé le savant, si brutalement arraché par la mort à son vaillant labeur et dont l'hypnotisme pourrait profiter encore, hélas !
Xous le disions en commençant, si Jules Liégeois est fils de cette glorieuse France dont procèdent, en réalité toutes les nations, puisqu'elles lui ont emprunté leurs principes, il est nôtre aussi pour nous étrangers-et, certes. Messieurs vous n'y contredirez pas — par les sex-vices impérissables qu'il a rendus à la cause du droit universel.
C'est à ce titre que je salue cette grande et vénérée mémoire.
TRAVAUX ORIGINAUX
La psychothérapie et les méthodes de rééducation Le sophisme de la a suggestion à l'état de veille » (1),
par M. le Dr Béroxos, professeur a l'école de psychologie
(Suite)
Pour rendre encore plus saisissante l'incohéx-ence qui caractérise la fameuse définition : La suggestion est l'acte par lequel une idée est introduite dans le cerceau et acceptée par lui, il suffit de rappeler un certain nombre de phrases familières à celui qui l'a conçue. En effet, parlant des prétendus effets de ses suggestions il ne cesse de recourir, à chaque instant, aux formules suivantes : La suggestion s'est réalisée ; le malade exécute la suggestion ; il reste sons l'influence de la suggestion ; la suggestion le guérit ; la fonction de la locomotion est restaurée par la suggestion. Je fais au malade la suggestion de ne pas obéir â la suggestion d'autrui. Il lui est même arrivé de s'exprimer ainsi : « Une potion suggestive pour la nuit remplace la suggestion directe et procoqne le sommeil. » Sous la même plume la suggestion devient religieuse, médicamenteuse, ete
Ainsi la suggestion qualifiée d'acte dans la définition est cependant-envisagée, d'une façon courante, par le même auteur, comme un médicament, comme une potion que l'on administre. Or, il arrive, la suggestion étant un acte, que, lorsque le suggestionneur accomplit cet acte, il administre également un acte. Qui pourrait se reconnaître dans une pareille logomachie. Molière obéissait assui'ément à un véritable génie prophétique lorsqu'il écrivait : « L'on n'a qu'à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant et toute sottise devient raison. »
Si un simple praticien avait été assez mal avisé pour baser une-thérapeutique sur « l'acte d'introduire une idée dans te cerceau. » Que de gens se seraient empressés de faire ressortir le ridicule d'une telle prétention-(1) V. précédents de (mai, juin, juillet, août et septembre 1909).
Mais cette proposition émanait d'un homme investi de fonctions universitaires officielles et cette phrase absurde autant que solennelle fut d'emblée tenue pour admirable.
Jamais quelqu'un a-t il, en effet, émis une prétention aussi plaisante que celle d'introduire un concept abstrait, d'essence intangible, impondérable et immatérielle, telle que l'est une idée, dans une chose concrète et palpable, dans cet organe matériel constitué de tissus, de fibres et de cellules.
C'est un sophisme évident, en parlant de l'organe désigné sous le nom de cerveau, que de le considérer comme un réceptacle dans lequel on va pouvoir introduire des notions abstraites. Il ne serait pas plus absurde en parlant de l'esprit, ou de la pensée, de dire qu'on va les découper en tranches minces à l'aide d'un microtome.
Mélanger l'abstrait au concret, en assemblant des termes vagues, indéterminés comme le sont ceux d'acte, d'idée, de cerveau, ne peut aboutir qu'à une proposition dépourvue de toute signification. C'est le prototype du sophisme par accumulation d'absurdités.
L'auteur de la définition à laquelle s'adresse notre critique, a dû s'imaginer qn'elle rencontrerait d'autant plus d'admirateurs qu'elle serait moins susceptible d'être comprise. Beaucoup de nos contemporains sont tentés, en effet, de supposer de la profondeur là où il n'y a que de l'obscurité.
Si « l'acte » d'introduire une idée dans un cerveau a la moindre importance thérapeutique, il eut été logique non seulement de donner de cette idée médicament une notion quelque peu précise, mais aussi d'indiquer à quel genre d'idées il conviendrait spécialement de recourir pour obtenir des effets curatifs.
A ce sujet, le logicien Agathon de Potter a démontré fort éloquem-ment que les médications par les idées ne comportaient pas moins d'inconvénients et de dangers que les autres interventions thérapeutiques.
Je ne crois pouvoir mieux faire que de citer intégralement les lignes dans lesquelles il a résumé cette démonstration.
« Supposons que l'on entre dans l'officine d'un pharmacien, renfermant toutes les préparations dont on peut avoir besoin. Supposons de plus qu'il ne manque à l'arrangement de cette officine que des étiquettes sur les flacons et sur les tiroirs, ou que les étiquettes soient placées au hasard, sans aucun égard au contenu qu'elles devraient indiquer ? Le pharmacien pourra-t-il tirer parti des richesses qu'il possède ? Sera-t-il capable de donner exactement ce qui lui sera demaudé ? Ne s'exposera-t-il pas à livrer un poison à la place d'un composé qui devait sauver la vie au malade "? Son magasin, avec tout ce qu'il renferme, ne lui sera-t-il pas de la plus parfaite inutilité ? Disons mienx. ne formera-t-il pas entre ses mains un instrument plein de dangers? « Il n'est personne qui ne réponde affirmativement à cette question. ”
« Il y a eu de par le monde, et il y a encore des philosophes, des économistes, des spécialistes, — et Agathon de Potter aurait pu ajouter des sug-
gestionneurs,— de la façon de ce pharmacien ? De même que celui-ci oubliait ses étiquettes ou les plaçait mal. reux-là ne définissent point ou définissent mal leurs expressions.
« Or, quel moyen de raisonner juste avec des mots dont la signification n'est pas rigoureusement déterminée ? Aussi, comme le pharmacien empoisonnait ses clients, les philosophes empoisonnent leurs lecteurs avec cette aggravation que l'empoisonnement des lecteurs se propage et nuit à la société tout entière. Il convient de mettre le monde en garde contre cet empoisonnement social en lui montrant d'abord qu'il y a la plus grande analogie entre la tête d'un de ces philosophes et l'officine mal tenue d'un pharmacien.
Il importe ensuite de faire comprendre que. pour se servir utilement d'une expression, elle doit avoir une valeur claire et non absurde, qui lui soit propre.
L'auteur de la définition visée a répété dans plusieurs livres et reproduit à satiété dans le même article réédité plusieurs fois chaque année sons nn titre différent, que la suggestion est l'acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui. Mais, tout d'abord, il conviendrait de savoir ce qu'il faut entendre par une idée. Par le nom d'idée, déclare Descartes, j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées. (1)
Plus récemment, on a défini l'idée : La représentation qui se fait de quelque chose dans l'esprit, soit que cette chose existe au dehors, ou soit purement intellectuelle.
Dans le langage philosophique, l'idée est un fait intellectuel qui répond en notre esprit aux objets dont nous avons pris connaissance.
Taudis que nous ne disposons que d'un nombre assez restreint de mots, le nombre des idées est illimité ; c'est ce que Diderot exprime en disant : Je crois que nous avons plus d'idées que de mots : combien de choses senties et qni ne sont pas nommées. (2)
Comment, ces innombrables idées étaient susceptibles de devenir autant d'agents thérapeutiques précieux et personne ne s'était encore avisé de les utiliser ? Heureusement l'intuition géniale d'un professeur à la faculté de Nancy nous a enfin doté de cette médication aussi nouvelle que puissante que son droit d'inventeur lui donnait le droit de baptiser. Grâce a lui, nous possédons la suggestion à l'état de reille.
Par les effets de cette grande découverte, que de malheureux malades vont se trouver guéris ou soulagés. Pour cela, le procédé est des plus simples. De même que l'on administre les médicaments soit parla voie stomacale, soit par la voie hypodermique, on a désormais, en plus, la possibilité d'introduire des idées curatives dans le cerveau. Il est vrai que lorsque l'on se propose d'introduire des idées dans le cerveau des autres, cela suppose, comme première condition, que l'on en ait soi-même.
(1) Descartes : Réponse aux secondes objections. 58.
(2) Diderot : Pensées de la peinture, 8. P. 170.
Il convient également que les idées introduites soient saines, exemptes
de défectueux mélanges, et. autant que possible, complètes. « J'ai
quelquefois de demi-idées, écrit Voltaire, comme quand je vois de loin
les objets confusément. » Il est certain qu'un malade dans le cerveau
duquel on n'introduirait que des demi-idées, alors même qu'elles
proviendraient directement de Nancy, n'aurait pas lieu d'être satisfait.
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Dans ses publications, la découverte dont l'auteur semble tirer le plus de vanité, après celle bien entendu de la possibilité d'introduire des idées dans le cerveau, c'est d'avoir vu, le premier, qu'il était nécessaire cependant que cette idée fut acceptée par le dit cerveau. L'insistance .avec laquelle il reproduit celte formule nous porte à croire qu'il attache à la notion d'acceptation par le cerveau de l'idée introduite, une importance considérable. Il ne s'agit cependant, encore ici. que d'un pur sophisme par absurdité dans la proposition exprimée.
Comment est-il possible qu'une idée, quand elle a été introduite dans le cerveau puisse être refusée ensuite par lui "?
Par quel mécanisme ce rejet va-t-il s'effectuer ? Peut-on se représenter le cerveau refusant une idée, à la façon dont un estomac récalcitrant rejette uu aliment indigeste ? Hélas, il ne dépend pas de nous d'éliminer a notre gré les idées qui se succèdent dans notre esprit et Voltaire, à l'article Idée du Dictionnaire philosophique, a pu dire avec raison :
« Que voulez-vous ? H n'a pas dépendu de moi ni de recevoir, ni de rejeter dans ma cervelle toutes les idées qui sont venues y combattre les unes contre les autres et qui ont pris mes cellules médullaires pour leur champ de bataille. Quand elles se sont bien battues, je n'ai recueilli que l'incertitude. Il est bien triste d'avoir tant d'idées et de ne pas savoir au juste la nature des idées. Je l'avoue, mais il est bien plus triste et beaucoup plus sot de croire savoir ce qu'on ne sait pas ».
(A suivre)
L'optimisme universel
par M. le Dr Bbidou. I
Parmi les tendances affectives qu'énumère la Psychologie classique, sans les rattacher de tous points à une orientation prédominante, il en est une qui nous parait plus propre que toute autre a satisfaire aux besoins de la synthèse mentale, et dont l'étude nous semble un peu trop dédaignée par les auteurs contemporains : c'est la tendance intuitive que les gens du commun ont coutume d'exprimer modestement en disant « qu'ils feront pour le mieux » quand on leur demande un effort. Et l'on dit vulgairement de ces bonnes gens là que ce sont « des gens consciencieux. » Or. il est évident que ces expressions de la psychologie courante décèlent un optismisme relatif, puisqu'elles supposent une certaine apti-
titude à discerner le mieux du pire, et qu'elles font de la tendance à préférer le premier au second une aptitude signalétique de la conscience.
Bans le premier essai que nons avons consacré à cette intéressante question, nous observions que le mobile originel, qui nous pousse à chercher le mieux dans tous les genres, est réfractaire à nos définitions verbales ; mais que, malgré son caractère indéfini, son influence est familière à tous les hommes, et que, depuis l'antiquité, la langue vulgaire le désigne par ce mot fuyant : l'Espérance. — La mythologie grecque avait réservé l'espérance au fond de la boîte de Pandore, comme nn remède à tous les maux que cette fatale boite avait répandu sur le monde. — Plus tard, les chrétiens l'ont rangée parmi les hautes vertus qu'ils nomment « théologales » et l'ont placée comme un trait-d'union entre la croyance et l'amour. (1) — La psychologie populaire a résumé ces conceptions en disant que c'est l'espérance qui nous fait vivre ; et malgré l'opinion séparatiste qui veut « que le sens commun ne boH pas la science » nous estimons que cette expression du pragmatisme universel correspond à un sentiment assez lucide pour mériter un examen. — Au surplus, n'est-ce pas l'optimisme relatif dont nous parlons qui, sous le nom de tendance indéfinie vers le progrès, constitue l'hypothèse fondamentale du transformisme ? Et tandis que les savants des deux mondes, qui étudient l'ensemble des fonctions biologiques sous le nom d'histoire naturelle, sont d'accord pour admettre une conception qu'ils tiennent pour la plus belle des temps modernes, n'aurait-on pas lieu de s'étonner que les personnes qui étudient la fonction maîtresse de la vie, fassent encore bande à part, et ne mettent pas au premier plan la tendance unitaire qui, dans l'état d'incohérence de nos méthodes, apparaît seule capable de satisfaire aux besoins généraux de la recherche, de la synthèse et de l'enseignement psychologiques.
Il y a d'ailleurs une intime parenté entre la tendance optimiste, que nous voulons mettre en lumière, et celle que les physiologistes appellent un peu vaguement l'instinct de conservation ou bien encore celle que les philosophes ont dénommée le vouloir-vivre. Mais l'instinct de la conservation et le vouloir-vivre ne représentent que l'aspect le plus pauvre de la tendance qui nous occupe, c'est-à-dire une propension routinière à persister dans la durée. Or. cette progression dans le temps, si on l'isole arbitrairement des améliorations que poursuivent les sujets dans l'étendue, semble uniforme et grossièrement quantitative. Et nul psychologue n'admettra qu'on sépare ce progrès monotone dans la durée des perfectionnements relatifs qu'obtiennent dans l'étendue leurs formes successives et leurs qualités spécifiques. Il suffit de comparer entre eux le fœtus, l'enfant et l'homme fait pour voir qu'au cours du temps l'individu ne se contente pas d'une conservation banale. D'autre part, nul savant ne conteste plus que les traits généraux de ce développement personnel lui soient communs avec le développement de la race entière, ni que la
(1) Poor éviter le mot amour dont l'usage est profane, le catéchisme ecclésiastique dit textnellement ; « la Foi. l'Espérance et la Charité. »
loi de cette formation s'applique aux facultés psychologiques. Pascal l'avait dit avant nous : « Toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend sans cesse. » Mais Pascal n'était spécialement ni un théoricien intransigeant de l'analyse quantitative, ni un dilettante absolu de l'analyse qualitative ; il souhaitait que l'esprit géométrique et l'esprit de finesse parvinssent à fonctionner d'accord. 11 sentait que la tendance vers la synthèse est l'aptitude maîtrese de la pensée, et il l'a démontré clairement dans toutes ses œuvres.
Si la variété des mouvements fonctionnels explique les conflits temporaires et les remous locaux qui modifient le courant de l'évolution, elle noas masque l'intime raison qui les oriente généralement dans un même sens. Mais si l'on admet avec nous cette hypothèse optimiste, que la nature, en son entier, obéit à la même tendance que les êtres et les éléments qui la composent, tout se syncrétise et s'éclaire. — Voici, par exemple, un horticulteur qui poursuit un effort intelligent en vue d'améliorer les fleura et les fruits de son jardin. D'où vient qu'il espère le succès. Des séries d'expériences lui ont appris que la nature lui vient en aide et que l'instinct des plantes est progressiste. Mais pour lui c'est un phénomène si coutumier qu'il ne songe pas à en parler ; et nous verrons que bien des psychologues sont dans le même cas, tant l'habitude nons rend myopes en face des rapports généraux que la psychologie doit mettre au premier plan, et qu'elle oublie pour s'attarder aux distinctions micrograpbiques - Un exemple d'nne autre espèce nous est offert par les civilisations du même ordre qui se sont développées séparément dans l'Inde et le Mexique anciens. Comment ne pas croire qu'un mobile unique ait déterminé ces deux créations et que leurs mécanismes séparés.relevant d'une même origine, soient orientés vers le même pôle?
Comme tous les mouvements de la nature, le fonctionnement de l'esprit humain offre des rythmes onduleux, et sa progression générale comporte a tout instant des alternances de régression partielle. Mais son allure est si mobile que les formes arrêtées de langage n'ont pas assez de fluidité pour en symboliser les harmonies. Cependant, quand nous associons par la pensée les données fragmentaires qui sont éparses dans les livres et celles que nous procurent nos expériences, nous ne pouvons nous défendre de souhaiter que la tendance harmonieuse que représentent si faiblement les mots espoir ou optimisme obtienne le rang qui lui convient dans la méthode psychologique, c'est-à-dire le tout premier rang. Malgré les lenteurs qui caractérisent les progrès instinctifs des fonctions inférieures de la nature, leur histoire nous révèle une propension vers le mieux-être aussi tenace que les produits de l'intelligence humaine : et nous sommes amenés à nous persuader que dans les rouages de l'univers Y automatisme et l'inertie des physiciens n'existent pas. — -Mais, étant donné que l'origine et la fin du progrès cosmique nous sont complètement inconnus, nous n'espérons en figurer l'action que d'une façon relative et graduellement progressive. Ajoutons que la littérature classique prête
généralement an terme optimisme un sens tellement absolu et grossier que, dans le langage des écoles, cette expression représente plutôt la caricature de la tendance évolutive que sa forme esthétique et saine. C'est au point que nous hésiterions à faire usage d'un terme aussi discrédité si nous n'avions l'espoir d'en rétablir le sens correct et légitime. La notion du progrès s'éclaire par le fait même que l'on s'efforce de l'appliquer plus largement aux données objectives et subjectives, surtout dans leurs fonctions les plus élevées. Déjà nous n'en sommes plus à faire de la lutte sauvage pour la vie le mobile capital de l'existence. Nous reconnaissons que le progrès des individus et des peuples tend à changer la vieille antinomie des formes et des êtres en concurrenee, et la concurrence en concours. Entre les savants éclairés de notre terre, les conflits insolents n'existent plus. Chacun sait qu'il ne peut rien faire de bon dans l'isolement, et que s'il devient jamais capable de réaliser une conception originale, c'est en synthétisant les travaux encore mal coordonnés'de ses ancêtres et de ses contemporains. Tout inventeur a d'innombrables précurseurs ; et la belle conception de Lamarck se retrouve à l'état rudimentaire chez Heraclite, qui disait que tout s'écoule et se tranforme, et chez Thaïes qui faisait de l'eau des mers et des fleuves le premier élément générateur, ou, comme on dirait aujourd'hui, le plasma commun de la vie.
Aux dernières lignes de sa Psychologie des Sentiments, M. Ribot a formulé des conclusions qui fournissent un apport à notre thèse : « C'est bien la tendance, écrit-il, qui est le fait primordial de la vie affective, et nous ne pouvons mieux la définir qu'en empruntant à Spinoza le passage suivant qui résume tout l'esprit de notre livre : « L'appétit est l'essence « même de l'homme, de laquelle découlent nécessairement toutes les « modifications qui servent à le conserver... Entre l'appétit et le désir, il « n'y a aucune différence, sinon que le désir, c'est l'appétit avec cons-* cience de lui-même. Il résulte de tout cela que ce qui fonde l'appétit et « le désir, ce n'est pas qu'on ait jugé qu'une chose est bonne ; mais au « contraire qu'une chose est bonne parce qu'on y tend par l'appétit et le « désir. » (1). Bien que ces trois phrases de Spinoza paraissent obscures au prime abord, il est facile de démontrer que la pensée qu'elles traduisent s'accorde avec l'hypothèse du progrès, bien que cette idée primordiale semblât si naturelle à Spinoza qu'il ne songeât même pas à l'exprimer. L'auteur admet que sur l'échelle qualitative des faits de conscience, telle qu'on a l'habitude de l'employer, sans formuler l'hypothèse qui lui sert de base, l'appétit occupe un degré moins relevé que le désir, et que la subordination relative de la première tendance à la deuxième représente un des éléments fondamentaux de notre jugement. C'est dire que la marche objective de ces tendances est en accord avec le progrès subjectif" de la conscience et que l'idée même de hiérarchie transparait dans tous ntfs jugements. Mais la pensée de Spinoza devient
(1) Th. Ribor. Psychologie des Sentiments. 4' édition, page 144. Alean. éditeur. Paris, 1008.
encore pins claire si nous considérons que la tendance à graviter, comme il le dit « vers la chose qui est bonne » est représentée couramment dans le langage scientifique par une série de termes expressifs où l'appétit et le désir occupent des échelons transitoires. Bien que l'aptitude élective, d'où procède toute adaptation et tout effort vers le mieux être, s'appellent, suivant les conditions où elle opère, affinité chimique, assimilation cellulaire, appétit sensoriel, désir intelligent, ou espérance métaphysique,, ces termes d'inégale valeur n'expriment au fond qu'une même tendance. Incapable de progresser isolément, chaque fonction de la nature tend normalement à opérer des efforts d'association nouveaux ; et chacun de ces essais décèle une aptitude à décider que, relativement aux circonstances, telle chose est meilleure que toute autre, et une tendance plus ou moins instinctive ou réfléchie à se mouvoir dans la direction préférée.
Comparée aux degrés originels de cette aptitude élective, l'espérance représente évidemment un grand progrès ; car elle porte beaucoup plus loin dans la durée et dans l'espace. L'affinité, la tendance assimilatrice et l'appétit n'ont droit qu'à des objets prochains. Le désir voit un peu pins loin ; mais il est assez impatient dans ses efforts. L'espérance est plus prévoyante, plus inventive, plus capable d'imaginer de nouvelles synthèses et pour tout dire plus créatrice. Nous désirons vivre en paix avec nos voisins ; car la chose nous semble possible et prochainement réalisable avec un peu d'intelligence. Mais l'entente générale des peuples n'est qu'un espoir, une probabilité lointaine, dont la réalisation exigera de longs efforts, une longue patience et une très large clairvoyance. Ce qui met l'espérance au dessus du désir, de l'appétit, de l'assimilation et de l'affinité rudimentaire, c'est sa tendance à reculer les frontières du connu ponr indiquer théoriquement l'objet nouveau, l'objet lointain, qui peutêtre n'existe pas encore, mais que l'effort associé de l'homme et de la nature saura réaliser plus tard.
Nous ne disons guère d'un animal qu'il espère telle ou telle satisfaction ; ce serait lui attribuer une prévoyance qu'il est incapable de manifester comme nous pour des paroles ou des images avant d'opérer des recherches et des efforts plus effectifs. Car bien que les mots espérance et désir déterminent sur l'échelle continue du progrès des distinctions purement formelles, on peut constater que l'espérance, étant moins impatiente et moins brutale que le désir, possède plus nettement que lui la faculté d'indiquer ses projets par des schémas figuratifs et par des expressions métaphysiques avant de les réaliser plus solidement. Et malgré les faciles erreurs où nous entraîne l'usage des symboles idéaux qui schématisent nos espérances, il n'est pas de physicien si positif qui ne les emploie pour édifier cérébralement ses conceptions avant d'opérer l'effort matériel que comportera l'expérimentation instrumentale. C'est par une série de tâtonnements que l'espérance opère ses créations ; et c'est ce rythme oscillatoire que Spinoza nous semble avoir jugé trop sévèrement dans son Ethique en reprochant à l'espérance une instabilité
fâcheuse (1). Ce n'est pas l'optimisme en soi qui est critiquable, ce sont les moyens inégaux dont nous sommes obligés d'user h tour de rôle pour lui donner satisfaction. Toutes nos réflexions sont instables par le fait même qu'elles représentent un continuel effort pour avancer notre savoir ; mais chacun de nos efforts est l'expression d'une espérance, et représente l'un des degrés de notre élan vers le mieux-être indéfini.
C'est également par une série d'essais que procède l'organisme créateur. A première vue il ne nous semble pas que la nature soit capable, comme l'architecte, de faire alterner des schémas avec des constructions solides en vue d'affirmer son savoir et sa puissance. Plus prodigue de ses matériaux que les architectes, mais plus lente en ses inventions, surtout dans ses règnes inférieurs, la nature opère, sans se lasser, des séries de formations qui ne diffèrent entre elles que par des caractères partiels et temporaires, mais dont le rythme oscillatoire offre des hauts et des bas non moins considérables que les espoirs et les actions des hommes. A cet égard le microbe et le diplodocus symbolisent deux moments extrêmes du processus alternatif dont la figure humaine réalise actuellement le terme supérieur ; et l'on ne peut guère contester que cette méthode nous autorise a espérer des avatars indéfinis. Dans le cours onduleux de ses projets, de ses incertitudes et de ses créations infatigables, l'espoir des hommes comporte également des produits extrêmes. Tantôt l'effort de ses recherches, égaré par la forme dissociée des procédés numériques ou verbaux, aboutit aux avortements du scepticisme ; tantôt il imagine les figures monstrueuses dont le mysticisme a fait ses dieux et dont les schémas immobiles ne sont pas moins nuisibles au mouvement progressif de la conscience que les intransigeances de l'analyse mathématique ou littéraire. Car telle œuvre des hommes ou de la nature, qui était légitime a son époque, prend un caractère anormal et rétrograde quand elle survit aux circonstances qui avaient motivé son éclosion. Dans le devenir incessant de la création, rien ne s'adapte absolument aux cloisons du déterminisme. Tout est mobile et transitoire. Toute forme est le projet d'une autre forme qui n'est elle même que le schéma d'une création moins imparfaite. Grâce à la dépendance intime de tous les échelons fonctionnels, ce qui profite à chacun profite à tous.
Aussi ne pouvons-nous admettre l'antithèse littérale que M. Le Dantec a établie entre le progrès esthétique et l'évolution mécanique (2j. Le savant professeur l'a reconnu lui-même, la corolle radieuse et parfumée des fleurs offre aux insectes un point de repère qui permet à chaque animal de retrouver l'espèce qui lui convient, et d'effectuer utilement les transports de pollen qui épargnent aux végétaux la dégénérescence
(1) Spinoza. Ethique, livre III, théorème XVIII. seholie ii : « L'espérance n'est autre chose qu'une joie instable, née de l'image d'une chose future on passée de laquelle nous doutons.
(1) Félix Le DANTEC. le Crise du Transformisme. Puces 4-5 et 9-1u. Alcan éditeur, Paris 1906.
qu'entraine la continuité de ce qu'on appelle chez nous les mariages consanguins. Voici donc que les ornements colorée, qu'on disait inutiles au mécanisme de la vie. vont contribuer naturellement au progrès général des plantes : et le principe de dépendance, qui rattache toutes les fonctions de la nature à la même loi. se trouve une fois de plus vérifié. D en est de l'organisation phylogénique, envisagée dans les trois règnes, comme du fonctionnement personnel ; tous les rouages en sont orientés dans le même sens ; le perfectionnement de la synergie mécanique y apparaît constamment solidaire du progrès esthétique, d'où procède par la même raison le progrès moral. Il ne faut plus admettre avec Spencer que la méthode évolutive est caractérisée par la tendance des phénomènes à passer constamment de l'homogène h l'hétérogène ; il faut soutenu' que l'alternance de l'association et de la dissociation constitue le rythme organique des choses, mais avec une tendance immanente à faire prédominer l'accord sur la désunion et l'harmonie sur le chaos. Quant a l'existence d'un homogène primitif, elle nous est aussi peu intelligible que l'origine du temps ou du mouvement.
II
Bien que l'étude sommaire qui précède demande à être complétée par une série d'applications et de vérifications logiques, nous essayerons d'en préciser la signification dans les cinq paragraphes suivants :
1° L'aptitude élective des éléments, des organes et des êtres, à tendre, comme dit Spinoza, « vers l'objet qui est bon. » pour l'adapter à son progrès, est représentée dans le langage commun des sciences par des termes discontinus dont la valeur est inégale, mais qui se rattachent visiblement au même schéma psychologique. A mesure qu'elle parait moins mécanique et pluscajable de discernement, on l'appelle tour à tour affinité, assimilation, appétit, désir ou espérance, et ces mots figurent a nos yeux les principales étapes de l'optimisme et de la conscience universelles.
3° Considérées objectivement, les deux fondions de sélection et d'adaptation qui constituent les modes alternatifs de cette aptitude génétique représentant également les deux fonctions maltresses de la méthode rela-tiviste et progressiste qui, sous le nom de transformisme, domine aujourd'hui toutes les sciences.
3° Considérées dans leurs effets subjectifs, ces mêmes fonctions, lorsqu'elles s'exercent logiquement, consolident chez nous le sens du réel, c'est-à-dire la faculté de voir les choses dans leur ensemble, avec les proportions relatives que leur attribue la nature, au Heu d'accorder une valeur définitive et absolue à telle ou telle catégorie, comme le font les esprits séparatistes, les pédants, les mystiques et les déséquilibrés de toute espèce.
4° A tous les moments de la durée le progrès fonctionnel comporte phy-siologiquement des hauts et des bas alternatifs. Ces fluctuations inégales confèrent à certaines formes de l'espace une survivance plus longue et un relief plus apparent qu'aux formes transitoires d'où elles procèdent.
Et comme les symboles du langage ne représentent que les étapes les-plus saillantes de révolution spécifique, les termes dissociés que nous employons ne suffisent pas à représenter la continuité du phénomène (1) Mais l'effort méthodique de la pensée peut combler les lacunes de l'expérience et utiliser ces termes statiques pour établir un schéma jalonné de la dynamique.
5° Par le fait même que les progrès de l'organisation biologique sont solidaires à tous égards, nous ne pouvons fixer une origine à la conscience ni contester sa propension visible à se perfectionner au cours des siècles. Et comme l'éducation de l'individu reproduit les traits généraux du développement universel, c'est au schéma de l'évolution que le psychologue doit emprunter les jalons essentiels de sa méthode. Le peu que nous en avons dit nous a déjà fait entrevoir comment l'espoir métaphysique, en modérant ses enthousiasmes devient l'indispensable prévoyance , comment l'aptitude élective en devenant plus capable d'estimer les éléments qui contribuent a son progrès acquiert un sentiment moins incomplet du monde réel ; comment les oscillations même de ce progrès rend les efforts de sélection plus clairvoyants en les obligeant à multiplier leurs expériences ; comment enfin le progrès continu des adaptations fonctionnelles-aboutit logiquement à l'altruisme, c'est-à-dire à la création la plus récente, la plus humaine et la plus synthétique de la nature.
m
En préconisant la méthode évolutive, nous ne saurions nous dispenser de rappeler l'ouvrage éloquent où M. Bergson a célébré le prodigieux élan de la vie vers le mieux être. Mais nous ne pouvons admettre avec lui que cette propension ne tende pas généralement vers la synthèse, comme le fait la pensée humaine. Par exemple, M. Bergson écrit que les-fonctions végétatives et celles de la vie animale, bien qu'issues d'une même origine, opèrent des marches divergentes, et qu'au point de vue psychologique elles ne semblent pas orientées dans un même sens (1). Le peu que nous avons dit précédemment au sujet du mutuel concours que se prêtent la nature et le jardinier dans leur commune tendance à perfectionner les fruits et les fleurs de la terre, suffit à indiquer pourquoi nous ne pouvons approuver l'idée séparatiste formulée par M. Bergson-Mais ce dissentiment partiel ne nous empêche pas de nous réjouir en voyant lTéminent professeur tenter d'approprier à la psychologie une méthode que nous tenons pour supérieure à toutes les antres.
A la fin de l'excellent livre où il résume ses travaux antérieurs sur les névroses (2), M. Pierre Janet fait nn heureux effort vers la synthèse en s'appuyant sur l'hypothèse universelle du Transformisme. Toutes les névroses, dit-il, offrent ce caractère commun de constituer des mouve-
(l) Voir à ce propos dans l'Evolution Créatrice de II. H. Bebgsos le chap. IV intitulé : « Le mécanisme cinématographique de la Pensée ». 4me édition, Alcan. Paris, 1907.
(2) L'Evolution Créatrice. Chap. II : « Les directions divergentes de l'évolution... La plante et l'animal. »
ments de régression, relativement au rythme progressif de la santé. Les fonctions personnelles sont arrêtées dans leur évolution, dans leur adaptation au moment présent, dans leur tendance normale vers le mieux être, par le seul fait que le malade, égaré par son ignorance de l'hygiène physique et morale, consacre la majeure partie de ses forces à l'exercice démesuré d'un système de fonctions et qu'il atrophie toutes les autres. Les oscillations modérées qui caractérisent l'émotivité physiologique s'hypertrophient dans leur durée comme dans leur étendue chez le névrosé, et l'on observe des erreurs passionnelles que la chronicité transforme en monstruosités pathologiques. Le sens objectif du réel et l'optimisme subjectif se trouvent atteints solidairement puisque la première de ces deux fonctions est la base matérielle de la deuxième. Le malade passe de l'espérance au désespoir, sans observer la proportion formelle des choses, ni la mesure de ses facultés propres. Ses fluctuations émotives prennent une allure exorbitante ; ses préoccupations deviennent des obsessions : ses insouciances, de l'inertie. Son intelligence est désorientée ; et sa conscience n'aperçoit plus la voie montante qui la rallierait patiemment au salubre courant de la vie normale.
Le hasard vient de nous remettre sous les yeux, h ce propos, l'une des observations les plus intéressantes que nous connaissions parmi celles que fournit le tableau de la vie moderne. Nous voulons parler de la curieuse autobiographie que l'écrivain Huysmans a intitulée « En route » Plus sincère que les confessions de J J. Rousseau, cette œuvre nous parait aussi plus instructive. C'est le récit très minutieux du désarroi qu'éprouve un passionné fourbu lorsqu'il essaye de revenir à la santé sans en savoir les conditions biologiques. Passant de l'érotisme animal au mysticisme le plus exalté, il oscille entre deux extrêmes sans retrouver son équilibre et sans prendre un moment de repos. Il passe de l'alcôve publique à l'église ; et de l'église, il revient h son vomissement. Parmi les tableaux artistiques où ces fluctuations ressortent en termes colorés, nous nous heurtons aux expressions les plus... bourgeoises. La première fois qu'il suit une procession, un cierge en main, notre psychasthénique se trouve lui-même tellement étrange qu'il s'écrie d'une voix lamentable : « Je dois avoir l'air joliment couenne ! » Et cette exclamation naïve trahit le côté régressif et puéril de sa mythomanie d'artiste. Mais bien que l'étalage de ces oscillations démesurées nous semble tour à tour comique et pitoyable, la lecture en est instructive au plus haut point. Car Huysmans nous y apparaît aussi lucide dans l'analyse partielle de ses misères qu'il est aveugle en matière de synthèse biologique.
S'il est un remède à cet égocentrisme étroit, c'est dans l'étude générale de la vie qu'il faut le chercher. Lorsque M. Pierre Janet publiera l'ouvrage de psychothérapie que nous promet la dernière page de ses « Névroses », nous ne doutons pas que le schéma rythmique et mesuré
(1) Pierre Janet, Les Névroses. Voir spécialement, a la fin de la deuxième partie le §4 du Chap. IV intitulé « Les Névroses, maladie de l'évolution fonctionnelle ». 1re Edition. Flammarion, Paris, 1909.
de l'évolution en commande logiquement toutes les parties : et ce sera pour notre science un grand bienfait. Car il n'est pas de médecin qui ne fasse de la psychiatrie, sans y songer, en s'efforçant à relever le niveau mental de ses malades, depuis le guérisseur mystique ou effronté qui promet tout, tablant sur la complicité bonasse de la nature, jusqu'au modeste praticien qui sait vaguement que l'espérance est le meilleur tonique des déprimés, mais qui ne s'est pas suffisamment instruit a en aménager l'emploi. Auprès du malheureux fébricitant, la suggestion autoritaire suffit, et la pratique en est relativement facile : le malade est traité comme un enfant. Mais quand il s'agit de rétablir l'ordre, la mesure et la proportion dans les sentiments d'un psyehasthénique dont l'intelligence est partiale, mais partiellement lucide encore, la tache devient plus malaisée.
Dans le cas dont nous parlions tout à l'heure, par exemple, ce n'est pas en invoquant l'exemple des couvents et le secours des anciennes trinités mythologiques, ainsi que le faisait Huysmans, que l'on peut obtenir la guérison d'un érotisme déprimant, mais en observant que pour s'élever de l'étape animale que l'on nomme « l'égolsme à deux » à l'étape humaine et sociale, l'amour sexuel a passé biologiquement par l'étape intermédiaire qui se nomme l'étape familiale. Car dans l'évolution typique, toutes les fonctions tendent à s'améliorer en s'orientant par lents degrés vers le groupement et la synthèse.
Suivant les procédés qui régnent dans nos écoles, bien des psychiatres diraient, en parlant de Huysmans. que son émotivité était morbide, mais que son intelligence était intacte. Or, cette façon de parler sépare outre mesure deux fonctions de la conscience dont les oscillations sont solidaires. L'individu qui se cantonne avec passion dans le cercle arbitrairement déterminé d'une science, d'un art ou d'une croyance, prend un caractère exclusif, et l'étroitesse de son esprit se manifeste aussi nettement dans ses tendances intellectuelles que dans ses mouvements affectifs. Quelle que soit l'ingéniosité dont il fasse preuve dans l'exercice de la spécialité qu'il a choisie, plus il en aime les formes avec outrance, et moins il s'intéresse aux autres formes de la nature ou de la vie. Or il appartient normalement à tous les éléments de l'axe nerveux d'établir entre leurs apports une série d'associations coordonnées et progressives au profit de la synthèse mentale. Et bien que Huysmans passe aux yeux des lettrés pour un esprit de rare qualité, le psychologue, qui voit les choses d'un peu plus haut, ne peut pas méconnaître que son intelligence était fermée en ce qui concerne l'évolution globale des espérances, des religions et des œuvres humaines, puisque, dans ses incertitudes, il ne trouvait rien de mieux a faire que de retourner aux cultes monastiques. On peut nous objecter qu'à ce point de vue personne n'est complètement intelligent. C'est notre avis. En cette matière comme en toute autre.la perfection n'existe pas. Mais ce qui caractérise approximativement l'intelligence normale, c'est la tendance à voir plus largement les choses à mesure qu'on avance dans la vie. et la propension solidaire à aimer les
objets ou les êtres en proportion du rôle qu'ils jouent dans le perfectionnement indivisible de la conscience personnelle, familiale et sociale. Car dans l'état actuel des sciences, c'est au schéma de l'évolution qu'il faut toujours en revenir si l'on veut débrouiller le chaos des théories psychologiques. Imaginer que les phénomènes sont soumis à un ordre progressif et progressivement cohésif, c'est faire de la métaphysique, puisque tous les apports physiques de l'expérience se présentent à nous dissociés. Mais cette idée n'en est pas moins l'hypothèse nécessaire de la logique, de la méthode et du bon sens.
Encore la question de la responsabilité (A propos d'un livre récent du Dr Binet- Sanglé)
par M. le Dr Paul Farez. professeur à l'Ecole de Psychologie.
Mon collègue et ami, le Dr Binet-Sanglé, m'a fait la gracieuseté, — dont je le remercie, — de m'adresser son deuxième volume sur Jésus. Je rends hommage au labeur considérable que suppose ce copieux livre de 516 pages ; mais je n'ai ni autorité ni compétence pour apprécier une œuvre d'exégèse. Aussi bien n'est-ce pas de cela qu'il s'agit.
Si j'ai pris la plume au sujet de ce livre, c'est à cause d'une question incidente soulevée aux pages 51-54.
A propos de son rapport au Congrès de Genève, relatif a la question médico-légale de la responsabilité, M. Gilbert Ballet, dit Binet-Sanglé, a soulevé « d'étranges colères » et s'est attiré « la réprobation d'un certain nombre de médecins ».
Bien que j'aie argumenté, sans colère aucune, contre M. le Professeur Gilbert Ballet (1) et que j'aie pour lui non pas de la réprobation mais beaucoup d'estime, je me figure que. sans être désigné nommément par Binet-Sanglé, je suis tout de même personnellement visé ; et c'est, en quelque sorte, Pro domo que j'écris ces lignes.
Binet-Sanglé affirme qu'il n'y a pas de libre arbitre ; il proclame le déterminisme universel.
Il ne comprend pas, il n'admet pas qu'on ne partage pas ses doctrines.
Il détient la vérité absolue, la vérité totale ; de cela, il ne doute pas. le moins du monde.
Si, donc, on n'est pas. pleinement et ouvertement, de son ayis,_c'est qu'on ne l'ose pas, c'est qu'on a « le cœur bas placé », c'est qu'on n'est pas indépendant, c'est qu'on se laisse lâchement infliger la loi du silence, c'est que, si quelque médecin osait dire la 'rérité, le capitalisme réduirait cet audacieux « à la misère et a la mort » (p. 52).
Lui, au moins, il a du « cœur au ventre », en même temps qu'il a ce cœur « très haut placé » ; lui, il est capable d'« héroïsme sans bornes ». en osant jeter à la face de tous « la vérité scientifique ».
(1) Paul Farez. L'expertise médico-légale et la question de la responsabilité. Rev. de l'Hypn. octobre et novembre 1907 et brochure, Paris. Quelquejeu, 1907. 16 pages.
Je n'ai pas entendu dire que. depuis le congrès de Genève, le Professeur Gilbert Ballet eût connu la misère ou fût mort de faim ; et je ne-crois pas qne son « héroïsme sans bornes » soit en train de mettre 6ur la paille mon excellent confrère de l'Ecole de Psychologie.
D'autre part. Binet-Sanglé me paraît bien mal connaître la clientèle-civile, ainsi, d'ailleurs, que les praticiens ses confrères. C'est à ces derniers que j'en appelle.
Les malades que nous connaissons, ceux que nous fréquentons journellement, demandent a leur médecin de les soigner avec sa science, son expérience, son dévouement, et non pas daller, — ou de ne pas aller, — à l'église, au temple, à la synagogue. En fait, il n'y a peut-être pas de carrière où l'on puisse, sans courir de risque, manifester autant d'indépendance d'esprit et de caractère que dans la nôtre, où presque un chacun a son entière liberté de parole et de pensée.
L'abandon du médecin pour des raisons philosophiques ou religieuses-est une infime et négligeable exception. Dans toute ma carrière médicale, une seule fois, au moins à ma connaissance, une cliente m'a quitté pour-un semblable motif ; c'était il y a six ou sept ans. Et encore, elle ne s'est point retirée spontanément ; elle a cédé à la pression de sa sage-femme qui intriguait pour faire agréer un de ses amis. Voilà tout ce qne j'ai personnellement enregistré ; on conviendra que c'est peu. Au reste, les uns et les autres, nous avons une clientèle très bigarrée. Pour ma partr j'ai des clients fidèles, confiants, affectueux, dont les uns admettent le déterminisme de tous nos actes, tandis que d'autres ne l'admettent pas ; d'autres encore, beaucoup plus nombreux, se préoccupent fort peu de cette question. Aucun d'eux, sous aucune forme, ne m'a jamais demandé une profession de foi quelconque, philosophique, politique ou religieuse (1).
L' « héroïsme sans bornes » que Binet-Sanglé nous demande de professer à son exemple n'est pas si dangereux qu'il voudrait le faire croire; il n'est pas exact que les capitalistes dispensent au médecin « le luxe ou la misère », « la vie on la mort », au prorata de son attachement à certaines doctrines philosophiques.
Notre collègue consent, il est vrai, à admettre que quelques médecins,, sans être des pleutres ou des vendus, expriment d'autres opinions que les siennes, par véritable conviction. J'ose croire que son amitié me
(1) Dans le Journal des Praticiens dn 16 octobre 1909, on peut lire, sur ce sujet, les lignes suivantes :
« Tel médecin Israélite on libre penseur sera mandé par les familles catholiques, tel médecin catholique entrera dans les familles Israélites. Nons avons jadis donné le nom de deux papes qui, pour rien au monde, n'auraient accordé leur confiance à d'antres qu'à leur médecin juif. Le désir de la guérison rend insensible sur toutes les conformités d'idées qui courraient chance d'ouvrir un courant de sympathie. Il n'y a pas lieu de se désoler et de gémir. Il en a toujours été ainsi. Bien d'exceptionnel comme les âmes qui plaeentleurs croyances au dessus de leur intérêt. La vie d'abord, ou verra ensuite. C'est pourquoi, dans les clientèles des médecins connus, se croisent des publics si différents et si opposés de tendances a celles de l'homme de l'art chez lequel Ils accourent chercher soulagement et guérison. »
range parmi ces derniers. Mais cette conviction, différente de la sienne, heurte son entendement : il ne peut pas la comprendre (p. 52. ligne 20).
Je présume,— sans déprécier, le moins du monde, sou intellectualité,— qu'il y a encore, de par le monde, beaucoup d'autres choses qu'il ne comprend pas. Il y en a même que nous ne comprenons pas chez lui et que nous aborderons tout à l'heure.
Il n'y a pas de libre arbitre, affirme-t-il catégoriquement.
Qu'en sait-il ? Qui le lui a dit. appris ou prouvé ?
« La Science », répond-il.
La Science ? Mais ta Science n'existe pas. La Science, ce n'est rien, ou plutôt c'est un mot, une abstraction: c'est une idole qui vous fascine, devant laquelle vous vous inclinez religieusement, en laquelle vous avez une foi mystique, de laquelle vous êtes une sorte de prêtre dévot (vous. Binet-Sanglé !) et au nom de laquelle vous formulez des dogmes.oui des dogmes et. qui plus est. des dogmes métaphysiques.
Ne soyez pas scandalisé : écoutez-moi jusqu'au bout.
La Science, dis-je, n'existe pas. Ce qui existe, ce sont diverses sciences particulières. Celles-ci se sont fondées, se sont constituées, ont conquis leur indépendance et lenr légitimité, le jour où elles ont été en possession n'un objet bien défini, de postulats et d'une méthode. .
Les postulats, c'est à dire les principes, axiomes ou définitions, sur lesquelles elle s'appuie, chaque science particulière se les donne : ils n'ont guère, le plus souvent, qu'une valeur subjective.
L'objet est systématiquement circonscrit, limité, borné : il n'envisage la réalité que par un côté, sous un seul aspect, à un unique point de vue.
La méthode est un moyen de clarifier, d'ordonner, de sérier ; elle ne vaut que restreinte à cet objet particulier et en fonction des postulats que cette science s'est donnés.
Chacune de ces sciences étudie donc un certain genre de phénomènes et les rapports de ces phénomènes entre eux. Elle ne s'applique qu'à ce côté spécial et restreint de la réalité. Ce qui n'est pas de son domaine, elle l'ignore : elle se prescrit de le passer sous silence.
Toute science qui sort de son champ limité, pour se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas de sa compétence, devient, par cela même, antiscientifique : elle n'a plus droit ni à notre estime, ni à notre respect.
Pressé, semble-t-il, par des objections impérieuses.Binet-Sauglé se décide à dire : « Je ne me fais, sur la science, aucune illusion : je sais ce qu'elle a de relatif ... La science . . . pour moi . . . n'est qu'un système ...»
Alors nous sommes d'accord "? Oh. que non pas !
Cette concession, de pure forme, est faite du bout des lèvres ; il n'y attache aucune importance ; il n'en tient pas compte, puisqu'il continue à dogmatiser au nom de la Science, à donner à celle-ci uue porte universelle et à lui faire dire, abusivement, d'une façon catégorique, qu'il n'y a pas de liberté. Il prétend qu'il n'a pas la religion de la Science, mais il écrit comme quelqu'un qui en a l'idolâtrie.
En effet, nous lisons, à la page 52: « L'homme à qui l'on confère le diplôme de Docteur en médecine a passé cinq ou six années de sa vie à. étudier l'organisme humain. Il n'a pas constaté un seul phénomène dont le déterminisme ne soit évident... Toute l'histoire de la psychiatrie et de la médecine lui crie le déterminisme de nos actes .... etc. »
L'étudiant en médecine n'a vu, dans l'organisme humain, ni liberté, ni. responsabilité ? Parbleu ! L'objet des sciences dites médicales les exclut. Le physiologiste, par exemple, s'il venait à rencontrer sur son chemin quelque chose qui leur ressemblât, devrait se détourner, ne pas voir, s'interdire, en un mot, ce quelque chose qui, par définition, est étranger à son champ d'investigation. Ce n'est ni la physiologie, ni l'anatomie, ni l'histologie, etc., que l'on doit interroger pour être éclairé sur les-phénomènes moraux.
Prenons quelques comparaisons.
La montre renseigne sur la durée, le thermomètre sur la température, le baromètre sur la pression atmosphérique, l'hygromètre sur l'humidité de l'air ambiant. Que penserait-on du savant qui émettrait la prétention de consulter le thermomètre pour connaître l'état hygrométrique, la-montre pour la pression atmosphérique, l'hygromètre pour la durée ou le baromètre pour la température ? Tout comme chaque instrument,, chaque science spéciale ne peut donner de renseignements que sur le-genre très particulier de phénomènes pour lequel seul elle est compétente.
Si vous jugez la comparaison forcée, que diriez-vous de l'astronome qui vous tiendrait ce langage ? « Je ne vois entre les astres que des rapports mécaniques ; des mouvements et les lois de ces mouvements me-suffisent pour expliquer les révolutions des mondes. Quant à ces choses-étranges dont j'entends parler, telles que la différence qualitative de certains agents chimiques, la distinction de l'animé et de l'inanimé, les-phénomènes de conscience, etc., à aucun moment je ne les ai rencontrées :. je les considère donc comme des chimères et je les nie. » Ce que l'astronome aurait le tort de faire dire à sa science, vous avez également tort-de vouloir le faire dire aux « sciences médicales ». Ce n'est pas l'astronome qu'on interroge sur les problèmes de la physique, ni le physicien' sur ceux de la chimie, ni le chimiste sur ceux de la physiologie, ni.-par conséquent, le physiologiste sur les questions morales ou philosophiques.
Mais, dans l'étude de l'organisme, le médecin a vu partout le déterminisme ? Parbleu ! Le déterminisme est une nécessité des sciences naturelles. Grâce à lui, en effet, elles se donnent des barrières, elles délimitent leur champ d'exploration, elles procèdent à l'opération du bornage : grâce à lui, elles endiguent, elles canalisent leurs recherches : le déterminisme est, pour elles, un fil conducteur, une hypothèse commode, dont la seule utilité, la seule valeur, la seule raison d'être est, précisément, de fournir à l'esprit de quoi satisfaire ce que Binet-Sanglé, lui-même, appelle, tout à fait excellemment, le besoin de cohésion, d'ordre et de clarté que chacun porte en soi.
Alors, en affirmant, au nom de telle ou telle science particulière, le déterminisme universel, Binet-Sanglé transforme un besoin de notre esprit en une nécessité objective, une loi de notre pensée en une loi des choses, un artifice de méthode en une vérité absolue, applicable à toutes les réalités. Or, c'est là un procédé antiscientifique, une inférence contraire a la logique et. pour parler net, un sophisme.
Il se dit homme de science et il superpose aux recherches purement scientifiques une métaphysique spéciale, avec ses dogmes et son orthodoxie. Devenu métaphysicien, il y perd toute son autorité de savant. Chose étrange, — dans le même moment où il dénie au médecin légiste le droit de donner une opinion pratique sur le plus ou moins de liberté que parait présenter un accusé, — lui, Binet-Sanglé, s'arroge le droit d'affirmer la non-liberté. Qu'on le résolve par l'affirmative ou par la négative, on a, tout de même, tranché un problème de métaphysique. Or, prétendre l'avoir tranché au nom de telle science particulière, c'est cela qui est logiquement et scientifiquement inadmissible. Le savant, en tant que tel, n'a pas le droit, non seulement de résoudre, mais même de poser un problème de métaphysique ; il doit l'ignorer.
Mais, l'homme de science, une fois sorti de sa spéculation, se retrouve en tant que citoyen. La vie pratique l'enserre et l'oblige à agir comme s'il avait résolu, d'une manière indubitable, ces questions supra, niéta ou extra-scientifiques, à propos desquelles aucune science n'est qualifiée pour lui donner une clarté quelconque.
D'après ce que sa réflexion lui a montré comme vraisemblable ou comme probable, il se fait, pour les besoins de la pratique, une opinion dans laquelle entre naturellement un élément subjectif ou personnel. Il donne son adhésion à telle ou telle solution, laquelle devient ainsi, pour une très grande part, un objet de foi. de choix. Ecoutons Binet-Sanglé lui-même : s'il professe le déterminisme, c'est qu'il a choisi ce système et qu'il l'a choisi â l'exclusion des autres (page 53).
Peut-être malgré lui, à son insu pourrait-on dire, instinctivement, spontanément, il a laissé échapper du fond de lui-même cet aveu, pourtant si contraire a tout le reste de ses doctrines. Mais, tout de suite, il oublie cet aveu on se comporte comme s'il ne l'avait pas fait.
Tout à l'heure, il a concédé que la science est relative et, aussitôt, il lui a donné une valeur absolue. Maintenant, il concède que le déterminisme est un système qu'il a choisi et, instantanément, il proclame que les choses crient le déterminisme, que le déterminisme est dans les choses. Or, il l'y voit, précisément parce que son esprit l'y a mis.
Dans le domaine exclusivement scientifique, non seulement la thèse déterministe est soutenable. mais on ne peut pas ne pas la soutenir, justement parce que, grâce à elle, on répartit les choses avec la cohésion, l'ordre et la clarté qui sont indispensables à notre compréhension. Mais, dès qu'on pénètre dans la sphère de l'action, aussitôt se révèle le caractère illogique et contradictoire de ce système appliqué rigoureusement aux faits.
Sans cesser d'être fidèle aux méthodes scientifiques et sans devenir, pour cela, cupide ou lâche, tout le monde agit comme s'il existait une certaine part, je ne dis pas de liberté ou de libre arbitre (car ces mots exaspèrent Binet-Sanglé, tout comme le rouge excite le taureau), mais une certaine part d'indétermination. Voilà le postulat de la pratique, indispensable a l'action,
Que cette part d'indétermination, — si elle existe, — soit légère, minuscule même, j'en conviens très volontiers. Mais il suffit, pour donner un sens à la vie, que cette indétermination, même très réduite, soit possible.
Binet-Sanglé, lui. s'en prend à la moyenâgeuse liberté d'indifférence. Mais nous avons fait du chemin, depuis le moyen âge. Ce vieil oripeau. — au sujet duquel on a tant combattu, il y a quelques siècles. — depuis longtemps il n'en est plus sérieusement question et c'est à peine si les manuels les plus élémentaires de philosophie le mentionnent encore, pour mémoire.
Binet-Sanglé écrit qu'il deviendra un « antidéterministe » convaincu enthousiaste, fervent, lorsqu'on lui aura fait « constater un phénomène qui ne procède pas d'un autre phénomène ». Or, c'est une impossibilité qu'il demande ! Constater ? Mais, constater c'est situer, ne serait-ce que dans le temps ou dans l'espace, c'est rapporter à quelqu'un ou à quelque chose, c'est rapprocher, préciser, distinguer, etc. Or on ne rapporte, on ne rapproche, on ne précise, on ne distingue qu'en fonction d'autre chose.
Et, depuis quand, soutenir qu'il y a peut-être dans le monde un peu d'indéterminé signifie-t-il qu'un phénomène ne procède pas d'un autre phénomène ?
Il y a mieux. Pour avoir le droit de postuler pratiquement cette part d'indétermination, il faudrait, paraït-il, prouver à Binet-Sanglé que ses actes sont indépendants de son système nerveux (p. 53, en bas).
Mais qui donc a jamais parlé de cela ? Quelle étrange opinion a-t-il de l'intellectualité de ses contradicteurs, faut-il qu'il les ait peu lus. pour croire qu'ils aient des prétentions aussi étranges ! Vraiment, c'est par trop commode de pourfendre ses adversaires, quand on leur prête des opinions extravagantes. Une fois encore, on se bat parce que la notion en litige n'a pas été définie. On ne s'entend pas sur le fond, parce qu'on ne s'est pas entendu, au préalable, sur le mot.
On accordera, sans peine, aux métaphysiciens du déterminisme que, dans le domaine de la pratique, tout le passé semble bien avoir été déterminé. Tout acte, une fois accompli, rentre, pour notre entendement, dans la chaîne des causes et des effets ; c'est un conséquent lié à son antécédent ; c'est « un phénomène qui procède d'un autre phénomène. »
La seule question pratique intéressante, à ce point de vue, est la suivante. A un certain moment, dans des circonstances données, qu'il s'agisse d'acte ou de jugement, en face de deux futurs supposés ambigus, l'agent moral peut-il se déterminer pour l'un à l'exclusion de l'autre, en
maintenant le premier dans le champ de sa conscience, en y concentrant tonte son attention, en en faisant un état fort, prépondérant, exclusif ? Réaliser cet état fort serait alors faire choix entre l'un des deux termes de l'alternative.
Là est toute la question, très restreinte, on le voit. Elle ne met pas
« La Science • en péril. La possibilité de ces futurs ambigus, voilà la seule concession que nous demandons à Binet-Sanglé. pour donner un sens et une valeur à ces notions pratiques de liberté et de responsabilité.
Or, cette concession, peut-être sans y prendre garde. Binet-Sanglé nous l'a faite, et de deux manières :
1° Il nous reproche tp. 53) notre obstination, notre entêtement, notre refus d'accepter ce qu'il appelle LA Vérité scientifique. C'est donc que. d'après lui, nous sommes libres de n'être pas obstinés, libres de n'être pas entêtés, libres de ne pas refuser notre adhésion !
2° « Si je choisis, dit-il. ce système, si je le choisis à l'exclusion des antres... » C'est donc qu'il lui était loisible d'en choisir un autre ? En excluant les uns, en retenant l'autre, il s'est décidé, il s'est déterminé.
Voilà donc l'aveu des futurs ambigus tiré de la vie intellectuelle de Binet-Sanglé lui-même.
Cette concession, va-t-il la reprendre. — comme les précédentes — , ou n'en tenir aucun compte. — comme ci-dessns ?
S'il la reprend, il s'est contredit bien inutilement : s'il ne la reprend pas, sa doctrine est un bizarre assemblage de deux thèses contradictoires.
Cette indétermination qui a permis à Binet-Sanglé de choisir le déterminisme et d'exclure les autres systèmes, voilà, précisément, la part de liberté que postulent. — en dehors de toute métaphysique scientifique ou religieuse. — les hommes de science, une fois rentrés dans la vie pratique. Si l'homme a le pouvoir de rendre certaines représentations prépondérantes et de se déterminer dans leur sens, il devra développer ce pouvoir, l'exalter et s'en servir pour combattre, par l'éducation de soi-même et des autres, la tyrannie très lourde, très puissante mais non plus fatale de l'hérédité.
II est vrai que, ramener le débat à ses justes proportions et le placer sur le terrain phénoménal de la psychologie concrète, ce serait arracher l'homme de science aux passions politico-religieuses !
Or, au fond, c'est la question religieuse, c'est-à-dire une question extra-scientifique, qui obsède le savant qu'est Binet-Sanglé. S'il pourchasse, sans merci, la responsabilité et. avec elle, le libre arbitre, c'est, écrit-il, « parce que, sans libre arbitre, il n'y a plus de religion » (p. 52). Ce qu'il veut, c'est anéantir l'esprit religieux. Comme citoyen, c'est son droit strict; comme homme de science, il n'a nul droit de mobiliser telle science particulière pour lui demander un service qui ne ressortit point de sa compétence.
Sans libre arbitre, la religion n'a plus pense-t-il, de support, de raison -d'être, de possibilité ?
Or, il oublie les Jansénistes, que, cependant, il connaît si bien. Ils n'ont,
certes, pas fait une place excessive au libre arbitre ; est-ce que cela a, le moins du monde, atténué leur religiosité ? Celle-ci, au contraire, n'en a été rendue que plus rigoureuse.
Par contre, croit-il que l'irréligiosité exclut nécessairement la liberté ?
Mais, l'un des premiers et des plus rigoureux déterministes (en ce qui concerne l'explication du monde), le contempteur le plus impénitent de toute religion, l'athée le plus convaincu n'a-t-il pas été, — en même temps que le plus grand psychologue peut-être de l'antiquité — le véritable Instaurateur de la philosophie de la liberté ? Il s'agit,on l'a reconnu, de ce grand calomnié de l'histoire qui a nom Epicure.
Entraîné par sa phobie antireligieuse, Binet-Sanglé confond science, philosophie, religion. Reprenant à son compte la parole : « Qui n'est pas avec moi est contre moi », il accable, en bloc, de sa réprobation, de son mépris, de sa colère les « antidéterministes », les spiritualistes, les religieux. Pour lui, semble-t-il, ces trois termes sont synonymes ; ils répondent à une seule et même réalité. Pas une seconde, îl ne parait soupçonner qu'on puisse être spiritualiste, sans être inféodé à une chapelle religieuse, ou admettre une certaine théorie psychologique de la liberté (comme, par exemple, l'ambiguïté des futurs), sans se réclamer de la métaphysique spiritualiste. Cela, non plus, probablement il ne le comprend pas et, par conséquent, il ne l'admet pas. Quiconque ne s'est pas enrôlé avec lui dans une nouvelle croisade contre toutes les religions ne saurait, d'après lui, manquer d'être « un collaborateur des moines de Lourdes. »
A la vérité. 0 y a des sectes scientifiques, tout comme il y a des sectes-religieuses. Tontes deux ont les mêmes procédés intellectuels, la même prétention & l'infaillibilité, les mêmes façons de traiter les non-orthodoxes, la même intolérance, les mêmes anathèmes. les mêmes excommunications, la même mise hors la loi. Telle église nous enseigne qu'on ne peut être un honnête homme si l'on n'admet pas ses dogmes; ne pas admettre les dogmes de Binet-Sanglé c'est être inintelligent, aveugle, lâche ou vendu !
Autoritaires, tranchants, assoiffés d'absolutisme, les illuminés de La Science ont le même tempérament que les illuminés de la croyance ou de la foi.
Nous sommes loin de la belle sérénité qui sied à la recherche vraiment et uniquement scientifique !
Si j'insiste tant, c'est pour qu'il soit bien avéré qu'à l'Ecole de Psychologie ce n'est pas un mot d'ordre, pour tous, de confondre les points de-vue, d'outrepasser les droits de telle ou telle, science et de prétendre résoudre des problèmes métaphysiques au nom d'une simple discipline de telle méthode scientifique. Il en est, — et j'en suis. — qui ont, autant que quiconque, le respect des méthodes scientifiques, sans tomber, pour cela, dans l'idolâtrie de cette entité nominale qu'on appelle La Science. Contrairement à Binet-Sanglé, nous pensons que toute prétention à l'absolu est présomptueuse et vaine, que nous ne possédons ni la vérité
de tout, ni tonte la vérité de rien, qu'une partie de la réalité nous échappe, que celle-ci est obligée de se déformer ou de s'appauvrir afin de devenir pour nous objet de connaissance, que toute science humaine-est relative et que les vérités scientifiques sont comme des candidats qui ont été élus mais qui peuvent bien, un jour, ne pas être réélus.
Avec une sincérité et une franchise auxquelles je rends pleinement hommage, encore qu'elles soient parfois un peu brutales, — avec une' foi respectable et un talent très apprécié, Binet-Sanglé apporte le fruit copieux de son labeur et de ses veilles ; et il en tire des conclusions qu'il croît être des vérités. Libre à un chacun de les critiquer, de les réformer, de leur accorder ou de leur refuser, en tout ou en partie, son adhésion.
Certains esprits, aussi dogmatiques que lui, aussi doctrinaires que lui, aussi intransigeants que lui, se sont étonnés et indignés de son enseignement. Nous ne nous sommes pas laissé impressionner par leurs récriminations, étant de ceux auxqnels la contradiction ou la discussion ne font pas peur. Et si, quelque jour, dans notre groupement même, quelque vent d'ostracisme venait à souffler (car tout peut arriver), je serais le premier à revendiquer, pour chacun de nous, pour ceux surtout dont nous ne partageons point les opinions, la pleine et entière liberté de parole et de pensée. D'après notre mentalité, à nous, on doit respecter la liberté même chez ceux qui la nient ; la tolérance est due, même aux intolérants.
Je n'ai certes nullement l'illusion de l'avoir convaincu. Tout comme lui, j'ai dit ce que je pense, à propos d'un problème qui m'intéresse autant que lui, en tant qu'homme et que philosophe. Au cours de cette trop longue discussion, je me suis efforcé de n'être pas désagréable à un collègue et à un ami ; j'ai eu la ferme intention de rester très courtois. Si, cependant, quelque expression lui parait un peu vive, je m'en excuse bien sincèrement et la regrette. D'ailleurs, Binet-Sanglé ne saurait m'en vouloir, puisque, d'après sa théorie, j'en suis irresponsable.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle de mardi 19 juin 1909. — Présidence de M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de Médecine
(Suite)
La rééducation professionnelle après les traumatismes
par M. le Dr Bérillon
Dans un grand nombre de professions où la dextérité manuelle et l'entraînement ininterrompu jouent un rôle important, les 'traumatismes exercent l'influence la plus défavorable. Il est extrêmement fréquent que la suspension d'activités habituelles, et l'immobilité nécessitée par le traitement, réalisent une sorte dankylose mentale, mettant obstacle au rétablissement des aptitudes professionnelles. S'il convient donc d'engager ces malades à nenégliger aucune occasion d'entretenir leurs aptitudes professionnelles, il faut également se préoccuper de procéder
a leur rééducation quand ils éprouvent quelque sensation d'impuissance à se remettre au travail. Ces applications nouvelles de la psychothérapie s'adressent surtout aux artistes musiciens, aux ouvriers d'art, prédisposés à ressentir d'une façon plus profonde les effets des traumatismes. L'emploi de la suggestion hypnotique constitue la méthode non seulement la plus efficace, mais aussi la plus rapide pour le traitement des aboulies et de ces états d'impuissance motrice contre lesquels, livrés à leurs propres forces, les traumatisés sont, le plus souvent, impuissants à réagir.
A l'appui de ces considérations, je pourrais citer un certain nombre de faits tirés de ma pratique journalière. Je me bornerai à mentionner le cas suivant. Un violoniste connu, au cours d'une promenade en automobile, fut victime d'un accident qui n'eut d'antre suite pour lui qu'une profonde émotion, et la production d'ecchymoses multiples.
Sur le conseil de son médecin, qui le savait très émotif, il se soumit ù un repos au lit et à un isolement de ses relations habituelles. On craignait que de nombreuses visites eussent une influence fâcheuse, car il accordait à l'événement dont il avait été la victime une importance excessive et il s'en montrait fort ému. Le repos s'étant prolongé, il arriva qu'il contracta, â cette immobilité, une impotence fonctionnelle lui créant des difficultés pour se tenir debout et pour reprendre ses occupations .
La sensation d'impuissance à agir fit naître chez lui la crainte de perdre le fruit de longues études et il tomba dans un profond découragement, ne tentant plus aucun effort pour se remettre a son enseignement.
C'est dans ces conditions que je fus appelé auprès de lui La tâche était rendue difficile par des préjugés, profondément ancrés dans son esprit, qui le portaient à refuser de se soumettre a toute action de la suggestion hypnotique. Il fallut user de diplomatie. A la suite de plusieurs visites j'arrivai à lui suggérer quelques efforts volontaires. Je lui mis son violon dans les mains et l'obligeai, non sans peine, à en tirer quelques sons. Des exercices de psychothérapie graphique, exécutés d'abord dans son lit. puis ensuite assis à une table, contribuèrent efficacement à la reéducation de son attention volontaire et de son application. Enfin, un jour, il se sentit capable de reprendre son travail habituel.
L'accident, par son peu de gravité, ne comportait pas des conséquences aussi importantes que cellee que j'ai constatées chez cet artiste. Dès les premiers jours, il aurait dû être invité a accomplir tous les actes dont il pouvait être capable : il aurait même dû s'efforcer de jouer du violon dans son lit. L'immobilité a laquelle il se soumit, outrepassant les conseils qui lui en avaient été donnés, et surtout l'excès de sollicitude dont il fut entouré par un milieu émotif, avaient notablement aggravé la situation. Il en est résulté qu'une rééducation motrice a été nécessaire pour lui rendre l'aptitude à l'activité qu'il avait si rapidement perdue.
J'entends fréquemment des malades se plaindre que. depuis un trau-
matisme de peu de gravité, ou un accident bénin ayant occasionné une grande frayeur, ils se sentaient notablement diminués dans leur valeur professionnelle. « Je ne vaux plus, disent-ils, que la moitié de ce que je valais, je m'en rends compte et j'en suis très affecté ». Dans ces cas, une rééducation de la volonté, associée à des exercices capables de reconstituer les aptitudes professionnelles perdues, amène toujours les résultats les plus favorables. La suggestion hypnotique, en augmentant l'intensité de l'intervention.contribue à abréger la durée du traitement.
COURS ET CONFERENCES
Spiritisme et délire de persécution
par M. le professeur Raymond.
Une malade, couturière, âgée de 40 ans, a toujours été une émotive. Il y a cinq ans, elle a commencé à s'adonner aux pratiques du spiritisme, et n'a pas tardé à être atteinte de la folie spirite.
Elle était absolument convaincue de son pouvoir médiumnique. Elle ne laissait passer aucun craquement de meuble, aucun bruit insolite sans lui donner une signification. Elle faisait souvent tourner les tables et évoquait les esprits. Elle avait conversé avec Socrate, Platon, etc. ; mais, un jour, ayant voulu évoquer son père, ce fut un « monsieur innominé * , dit-elle, qui lui apparut. « sans doute le diable » .
Ceci se passait, il y a deux ans. Et, depuis cette époque, elle est en lutte perpétuelle avec le diable, qui lui fait mille misères, veut la posséder, la mord en divers points du corps, lui vole ses aliments, l'empêche de dormir. Elle se fait du reste de ce personnage, nne idée saugrenue et invraisemblable. Il a seulement 20 centimètres de longeur et de très petites dents avec lesquelles il lui fait des morsures cruelles. A diverses reprises, elle a apporté des cheveux, des excréments, etc., quelle dit provenir du diable en question.
Il est impossible, par aucune raillerie, ancnn raisonnement, de lui enlever cette obsession. Elle a fabriqué, avec du carton, un plastron pour se défendre contre les attaques de ce démon. Puis elle s'est mise à prendre des bains sulfureux, espérant l'éloigner par la mauvaise odeur. Enfin elle s'est soumise, toujours sans résultat, au traitement par l'électricité, par les courants de haute fréquence, par les rayons X. Avec un bâton, elle s'est frappée durement sur le corps dans le but de faire sortir le démon qui la possède. De guerre lasse, elle est venue à la Salpêtrière. Peut-être arrivera-t-on à la débarrasser de son diable : car déjà elle semble moins tourmentée. Elle dit, en parlant de lui : « Je le garderais bien, s'il voulait être plus raisonnable. »
Elle a aussi des hallucinations où elle voit un fantôme blanc.
Cette malade présente, en somme, un véritable délire de persécution systématisé; son cas rappelle celui de cet enchanteur halluciné, publié par Ball.
(1) Présentation de malade à la clinique des maladies du système nerveux à la Salpétrière.
CONGRÈS ET SOCIÉTÉS SAVANTES
Congrès international de médecine de Buda-Pest (août 1909)
Le rôle du psychologue dans l'éducation des enfants normaux et anormaux
par M. A. Ley (de Uccle-Bruxelles)
L'école moderne tend de plus en plus, en principe au moins, à individualiser l'éducation. C'est dans ce but que le médecin doit faire l'examen complet de l'enfant, surveiller sa santé physique et l'intégrité de ses organes sensoriels. Il cherchera, d'accord avec l'éducateur, à établir les caractéristiques mentales permettant de diriger scientifiquement son développement harmonique et à déterminer ses aptitudes en vue d'un rendement social maximum. L'action du psychologue dans les écoles pour normaux est également indispensable si l'on veut arriver à établir scientifiquement et exactement la formule normale des diverses manifestations intellectuelles. Chez les enfants anormaux ou irréguliers, une des premières préoccupations du médecin doit être d'arriver à une classification permettant de faire un diagnostic, un pronostic et d'arriver à une répartition rationnelle et homogène des enfants.
Cette classification est difficile et la confusion des termes y est grande. Les expressions idiot, imbécile, débile ont un sens souvent peu précis. Il existe toutefois une tendance h les préciser sur des bases psychogénétiques. Decroly propose l'emploi des termes insuffisance grave, moyenne et légère, et base leur distinction sur certaines réactions organiques et sociales, langage, manifestations affectives.
C'est par une étude approfondie des cas, par une analyse des fonctions •mentales au moyen des méthodes psychophysiologiques, que l'on arrivera à Taire la lumière sur ces divers groupements.
Les médecins doivent s'habituer à la collaboration avec le pédagogue au moyen des méthodes scientifiques. A ce point de vue. les universités devraient organiser des cours de psychologie pédagogique et les écoles normales pour éducateurs des cours de physiologie mentale. La direction de tous les établissements médico-pédagogiques, écoles et asiles, doit être médicale et scientifique.
Les sujets qui ont été en conflit avec la justice, les imbéciles moraux et irréguliers affectifs doivent être examinés par les méthodes médico-psychologiques.
Les études entreprises en commun par le pédagogue, le juriste et le médecin ont une importance pratique et sociale très grande. C'est dans la connaissance exacte des types d'anomalie infantile et dans l'application judicieuse des mesures préventives et thérapeutiques que gît toute la question de la prophylaxie des maladies mentales et de la criminalité.
L'imbécilité au point de vue clinique et médico-légal.
par M. Sommer (de Giessen). rapporteur.
Les idiots traités dans les asiles et les habitués des écoles de correction
ont beaucoup de points de ressemblance : il serait désirable qu'on applique aux deux groupes les mêmes méthodes d'investigation et qu'on arrive à une meilleure coopération entre les médecins et les éducateurs.
Quand on étudie la criminalité juvénile, il faut bien se rappeler qu'nn grand nombre des habitués des maisons de correction sont, sans conteste, des imbéciles.
Il est très probable que, si on analyse avec soin toutes les influences extérieures ou internes, on arrivera de plus en plus à cette opinion que le crime juvénile doit être regardé comme une maladie.
Les tendances criminelles chez les enfants phrénasténiques.
par M. Ehxesto Tramonti (de Rome).
L'auteur a pu démontrer avec de longues recherches pratiquées sur 136 enfants phrénasténiques de l'Asile-EcoIe de Rome qu'ils présentent, en haute proportionnalité, cérébroplégiques ou non. des tendances criminelles variées et particulièrement des tendances à la violence.
Pour cette raison et en raison du danger très fréquent de la recrudescence de ces tendances antisociales à l'époque de la puberté, il est nécessaire que tous les phrénasténiques éducables soient soumis à l'assistance intégrale, c'est-à-dire l'internement dans des asiles-educato-rium, jusqu'à 12-14 ans ; il faudrait ensuite l'intervention des sociétés de patronage avec leurs diverses institutions appliquées selon les cas jusqu'à 25 ans. Le meilleur moyen d'éducation, c'est le travail continu et méthodique. Pour les ineducables, l'internement dans des asiles ad hoc est nécessaire.
La psychothérapie, partie intégrante de tout traitement.
par M. le Dr Le Cavelier (de Montréal).
L'hygiène et la thérapeutique reçoivent chaque jour une orientation plus précise des progrès de la microbiologie et de la médecine expérimentale, de l'étude plus approfondie de la physique et de la chimie biologiques, de nos connaissances de plus en plus complètes sur la composition des aliments et de leur métabolisme physiologique.
Les vérités thérapeutiques viennent de plusieurs points en même temps et le praticien occupé ne peut que constater les faits et utiliser les moyens les plus favorables au traitement des malades.
Après avoir visité les principaux hôpitaux de toutes les grandes capitales. M. Le Cavelier a groupé en une « gerbe thérapeutique « les procédés les plus nouveaux et les plus efficaces dans l'art de guérir et les a réunis par les liens de l'anatomie normale et pathologique, de la physique et de la chimie biologogiques. de la physiologie et de la pathologie générale. Il a fait ainsi un volume excellent qu'il présente au Congrès.
Après avoir donné une définition de la maladie, il rappelle l'anatomie et la physiologie de la partie atteinte et expose le rôle des toxi-infections ou des auto-intoxications qui peuvent éclairer le tableau pathogénique et orienter la thérapeutique.
En pathologie, il faut toujours voir et apprécier, en même temps que
le trouble fonctionnel ou la lésion d'un organe, la physiologie de l'appareil qui jonc le rôle supplémentaire et la solidarité de toute l'économie.
En thérapeutique, l'on doit considérer l'action d'un traitement sur l'ensemble de l'organisme avant d'en voir uniquement l'effet sur la partie malade. L'auteur classe les moyens dont nous disposons en: Io Les soins d'ordre hygiénique ; 2° Le régime diététiqne ; 3° La psychothérapie : 4° La physiothérapie ; 5° Une médication pragmatique, éclectique et physiologique. U donne une large place à la diététique qui est la base de la vie cellulaire et de la chimie biologique.
Toute la médication prescrite est physiologique, en ce sens qu'elle vient utilement en aide au malade par tous les moyens efficaces et qu'elle cherche à seconder la nature, sans jamais se substituer à elle pour produire des réactions de défense physiologiques capables de ramener l'organisme en équilibre normal de santé.
Cette thérapeutique a son côté philosophique par les explications que développe M. Le Caveller pour montrer et démontrer les indications ou les contre-indications de tels remèdes, leurs différents effets sur la partie malade et sur l'ensemble de l'organisme. « Il faut, a écrit Hippocrate. rallier la philosophie à la médecine et la médecine à la philosophie, car le médecin philosophe est égal aux dieux. »
Il existe une philosophie de la thérapeutique parce que le praticien instruit est appelé à tout moment a agir avec discernement dans la mise en pratique de tontes ces connaissances acquises pour traiter le malade et la maladie.
En clinique, l'on ne peut séparer la pathologie de la physiologie et de la psychologie si l'on veut arriver à des déductions pratiques. L'auteur a fait un résumé succinct de la philosophie pragmatique de la médecine et tenté d'expliquer, autant que possible, la raison d'être et le mode d'ac -tion des remèdes choisis.
Contractions cloniques des muscles du cou guéries par l'hypnotisme
A la séance extraordinaire de la Réunion libre des Chirurgiens de Berlin, le Dr Kausch a rapporté l'observation d'un malade de 38 ans, employé, qui souffrait depnis 9 mois de contractions extraordinairement pénibles dans le côté gauche du cou, contractions survenant toutes les 5 minutes et durant presque autant de temp6. Ces contractions étaient localisées au muscle sternocléido-mastoïdien gauche et à la portion claviculaire du trapèze gauche. Le malade avait essayé en vain de tous les remèdes imaginables et il se voyait sur le point d'être mis à la retraite lorsqu'il s'adressa à M. Kausch. Celui-ci extirpa une portion du sternocléido-mastoïdien. réséquant, au coure de cette opération, le nerf spinal. Mais les contractions se reproduisirent dans les autres muscles du côté gauche du cou, se propageant même aux muscles de la nuque. On revint alors au traitement médicamenteux, à l'isolement dans nne chambre obscure, etc., rien n'y fit. Ce n'est que par l'hypnose qu'on arriva à supprimer les contractions. Actuellement le malade est complètement guéri.
L'administrateur: J. Bérillon. Le Gérant : Constant LAURENT. Privas
Privas, imp. c. Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e Année — N°5. Novembre 1909.
Inauguration au monument du professeur Liégeois.
à Damviliers
Le dimanche 24 octobre. la coquette ville de Damvillers s'était mise en fête à l'occasion de l'inauguration du monument élevé en l'honneur du professeur Liégeois, qui était né dans cette commune le 30 novembre 1833.
Un grand nombre de notabilités politiques et scientifiques avaient répondu a l'appel du comité et parmi eux MM. Lefebure. député ; Humbert, sénateur ; Aubert, préfet de la Meuse : Catusse. sous-préfet de Montmédy : docteur Bérillon. Crispulo. Diaz, de Porto-Rico, délégués de la Société d'hypnologie et de psychologie ; Guillhermet, avocat à la cour de Paris, délégué de l'Ecole de psychologie ; Alfred Pierrot, secrétaire du Comité du monument, la famille Liégeois, représentée par M"10 veuve Jules Liégeois et M.Gaston Liégeois, juge d'instruction à Epiual : MM. Brunot. professeur à la Sorbonne : le capitaine Lallcmand. du 147° : docteur Maillard, conseiller général : Herbillon. conseiller d'arrondissement : Emile Bastien-Le âge : Pierrot, du Journal de Montmédy ; Gerberon. inspecteur des forêts à Montmédy. etc.
Après la réception offerte à la Mairie par MM. Lalondrelle etMauduit le cortège se rendit sur l'emplacement du Monument. On y entendit successivement les discours de Mil. le Dr Van Renterghen, d'Amsterdam, président du Comité : Alfred Pierrot, secrétaire du Comité ; Lalondrelle. maire de Damvillers : Bonjean. avocat à Verviers : Lyon-Caen. doyen de la faculté de droit a Paris : Guîlhermet. avocat, professeur» l'Ecole de psychologie : Dr Bérillon, secrétaire général de la Société d'hypnologie et de psychologie : Maillard, conseiller général : Lefebvre. député de Montmédy et Charles Humbert. sénateur de la Meuse.
Tous ces discours furent vivement applaudis. Dans nos précédents numéros nous avons publié les discours prononcés à l'inauguration du monument élevé le 22 à Baius-les-Bains. Tous les éloges prononcés à cette occasion ont été renouvelés par les orateurs qui ont parlé à Damvillers : aussi nous nous bornerons à reproduire dans notre prochain numéro les paroles de M. le professeur Lyon-Caen et de M. Guilhermet.
De nombreux savants français et étrangers s'étaient fait excuser de ne pouvoir assister à cette imposante cérémonie. La prochaine réouverture des cours de l'Ecole de psychologie dans laquelle 31. Guilhermet fera la leçon de réouverture le 10 janvier 1910 sur les causes psychologiques de l'erreur judiciaire fournira une nouvelle occasion d'évoquer la mémoire du savant inspirateur que fut le professeur Liégeois.
TRAVAUX ORIGINAUX
La psychothérapie et les méthodes de rééducation Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille » (1).
par M. le Dr Bérillon. professeur à l'école de psychologie
(Suite)
Lorsque Braid. après de patientes investigations sur la production artificielle du sommeil, eut démontré la valeur thérapeutique des procédés qu'il désignait sous le nom générique d'hypnotisme, on aurait pu croire que ses contemporains s'empresseraient de tirer parti des nouvelles méthodes dont il venait de doter la psychologie et la médecine (1) Il n'en fut rien. Ce fut en vain que des hommes à l'esprit élevé, comme Azam ide Bordeaux) Velpeau. Cloquet. Follin, Xatalis Guillot, Broca, Verneuil. Deniarquay (3) s'efforcèrent, en France de faire ressortir l'importance des travaux de Braid. Xi l'éloquence de Durand de Gros (4) ni celle de Lasè-gne (5) ne furent suffisantes pour renverser les obstacles que le miso-néisme et l'esprit de routine opposent a l'utilisation des découvertes les plus précieuses. Les idées de Braid. un instant admirées, ne tardèrent pas à tomber dans l'oubli.
Il appartenait a un modeste médecin de Xaney. le Dr Liébeault. (6) de renouer la tradition interrompue. Ayant observé les analogies qui existent entre le sommeil naturel et le sommeil provoqué, il détermina les lois qui président à leur production. Son livre sur le Sommeil (6) consacre le point capital, que si l'homme dispose, à l'état de veille, d'un pouvoir de contrôle qui lui permet de conserver son individualité et de se soustraire aux influences extérieures qui voudraient le dominer, au contraire, lorsqu'il est hypnotisé, devient accessible à la direction d'autrui. Liébeault donnait à cette intervention psychologique exercée sur l'homme hypnotisé, ou placé dans un état passif, le nom de suggestion.
Pour lui, la thérapeutique suggestive n'acquérait de valeur spécifique qu'autant qu'elle était le résultat de suggestions hypnotiques. Les idées de Liébeault ne tardèrent pas à recevoir une consécration éclatante le jour où Charcot (7), et Paul Richer (8) à la Salpêtrière, Dumontpallier (9) et
(1) Revue de l'Hypnotisme, n° précédents (octobre et novembre 1909).
(l) Braid : Neurypnology or the rationale of nervous sleep. T.ondon I843.— Traité dn sommeil nerveux ou hypnotisme. Trad. J. Simon 188$.
(2) Azam : Note sur le sommeil nerveux on hypnotisme. (Archives générales de médecine. 1800).
(8) Demarquay et Giraud-Teulon. Recherches sur l'hypnotisme on sommeil nerveux. 1860.
(4) Durand de Gros : Cours de Braidisnie ou hypnotisme nerveux.
(5) Lasègne : Le Braidisme : (Revue des Deux Mondes). 1881. T. XL VII, p. 914.
(6) Llébeanlt. Du sommeil et des étals analogues. Paris, 1800.
(7) Charcot : Sur les divers états nerveux provoqués chez les hystériques. (Académie des Sciences. 18 Janvier 1882). — Œuvres complètes T. IX. (8) Paul Richer. Etudes cliniques sur l'hystéro-épilepsie. 1885. (9) Paul Magnin : Etude critique et expérimentale sur l'hypnotisme, 1884.
ses élèves à la Pitié (1). étudiant les phénomènes de sommeil spontané qui se présentent fortuitement chez les hystériques, abordèrent l'étude expérimentale de l'hypnotisme. Plaçant les sujets clans des états d'hypnose beaucoup plus profonds que ceux qui avaient été observés jusqu'alors, ils poussèrent jusqu'aux limites les plus extrêmes la réalisation des phénomènes quel'on peut observer dans l'état d'hypnotisme. Il en résulta la démonstration que, par la production de l'hypnotisme, il devient possible non seulement de provoquer de vives réactions dans le domaine meutal. mais aussi des modifications très appréciables dans le fonctionnement des organes viscéraux.
De ce moment, la inédecinese trouva dotée d'une psychothérapie méthodique. Cette psychotérapie reposait essentiellement sur l'utilisation des phénomènes réactionnels qui résultent de la production de l'hypnose II y avait là un fait dominateur basé sur des démonstrations rigoureuses et dont personne ne songeait à contester la valeur scientifique. Comment se fait-il que. dans ce domaine ou les travaux d'hommes d'une si haute valeur scientifique avaient apporté tant de clarté et de précision, on ait vu. depuis lors, réapparaître le chaos le plus informe et la confusion la plus lamentable.
Ce recul, ce retour à l'empirisme grossier dont Braid. Liébeault. Chareot et Dumontpallier avaient eu tant de peine à dégager l'hypnotisme et la psychothérapie est le fait d'un homme qui a cru que son titre de professeur devait suffire à lui valoir une place prépondérante dans un ordre d'idées où il était entré tardivement, sans aucun enthousiasme, sans préparation antérieure et où ni sa compétence réelle, ni l'originalité de ses vues ne lui donnaient d'autorité. Il n'a abouti qu'à accumuler dans ses publications, non seulement les sophismes, les truismes, mais aussi les contradictions les plus flagrantes.
Déjà M. Pierre Janet (2) dans un compte-rendu du Congrès international de psychologie expérimentale de Londres, en 1892. faisait, non sans quelque ironie, ressortir les incohérences et les variations qui s'étaient manifestées dans les opinions de cet auteur. Faisant allusion à sa dernière communication, il s'exprimait ainsi :
« Autrefois on s'efforçait de montrer la réalité et l'importance des phénomènes hypnotiques, de les distinguer, autant que possible, de la simulation et de la simple complaisance. Aujourd'hui, paraît-il. tout est changé, l'hypnotisme s'est confondu avec les phénomènes les plus simples de la vie courante, la suggestion n'est rien d'autre que la gron-derie d'une mère ou la leçon d'un professeur ; bien mieux, on renonce au mot hypnotisme et à la chose même : « L'hypnotisme, ce n'est rien, rien du tout : la suggestion, cela est tout à fait inoffensif, c'est un bon conseil, voilà tout; l'hallucination, c'est un rêve, une petite rêverie ; est-ce que cela existe l'hallucination '. mais non, ce n'est rien, rien du tout. » On ne
(1) E. Berillon : Hypnotisme expérimental. In dualité cérébrale et l'indépendance fonctionnelle des hémisphères cérébraux. 1884.
(2) Pierre Janet : Le Contres International de psveholocie expérimentale. (Revue scientifique), 1892.
conserve plus qu'une seule notion, c'est que cet hypnotisme qui n'est rien, possède une puissance merveilleuse et guérit absolument tout...
..... Singulière manière d'étudier les phénomènes de l'esprit. Faut-il
donc que la psychologie, introduite dans ta médecine, vienne simplement y apporter le gâchis ? »
Hélas ! ce n'est pas l'introduction de la psychologie dans la médecine que provient toot le mal. Il résulte, au contraire, de l'ignorance profonde de la psychologie dont certains cliniciens ont fait preuve en abordant des questions auxquelles aucune de leurs études antérieures ne les avait préparés.
Après avoir émis la prétention de dégager la suggestion du sommeil artificiel, suggestif ou braidique. il s'est trouvé, au contraire, que tel de ces cliniciens a rendu la notion de la suggestion tellement vague.tellement imprécise, tellement confuse, qu'il est désormais impossible de lui reconnaître la moindre valeur médicale.
Jugez-en plutôt d'après ses propres écrits : « Je défiais la suggestion, dit-il. toute idée éveillée dans te cerveau. Cette idée peut pénétrer dans le cerveau par n'importe quel sens : la parole, la lecture, la musique, une sensation interne, une odeur, etc.. toute impression transférée au centre psychique crée une idée. Tout phénomène de conscience est une suggestion.» C'est par cette phraséologie creuse qu'on a prétendu prouver qu'il y a dans la suggestion à l'état de veille, c'est-à-dire ex abrupto et sans préparation ni adaptation préalable du sujet, les éléments d'une thérapeutique par l'esprit. Eu réalité, on n'a pas fait autre chose dans tout cela que d'exprimer dos lieux communs. Il y a longtemps que tout le monde sait que « toute impression transférée au centre psychique crée une idée. » Il y a encore plus longtemps qu'Esope, dans son fameux apologue des langues, a montré l'influence tantôt favorable et tantôt nuisible qu'exerce la parole sur les'actions humaines. A ce compte. Esope ne mériterait-il pas d'être considéré comme le véritable inventeur de la suggestion.
En réalité, l'influence psychologique du médecin a toujours existé sous le nom de traitement moral et il n'y aurait qu'un faible honneur à tirer du fait d'avoir baptisé cette intervention si ancienne du nom de suggestion. Dans tous les cas. cet honneur devrait légitimement revenir à celui qui le premier en a fait usage pour désigner une influence psychologique exercée dans un but expérimental ou thérapeutique, c'est-à-dire à Braid.
Mais après avoir fait ressortir l'accumulation des sophismes contenus dans la définition qui considère « la suggestion comme l'état par lequel nue idée est introduite dans le cerceau et acceptée par lui », il me reste encore à démontrer jusqu'où l'abus des truismes peut être poussé, quand un médecin s'occupe de psychologie sans s'être préalablement initié à l'étude des bons auteurs classiques.
Dans chacune de ces publications, il est une formule snr laquelle notre auteur revient avec une complaisance telle qu'on doit la considérer comme la clef de voûte d'où dépend la solidité de son fragile édifice :
Cette formule est la suivante : « Nous avons établi que toute idée tend à se faire acte » Il est possible qu'un certain nombre de médecins, absolument ignorants des questions philosophiques, aient vu dans cette phrase l'expression d'une vue profonde de l'esprit. Par contre il n'est pas un philosophe de carrière qui n'ait souri en constatant avec quelle insistance et quelle naïveté était reproduit ce vieux truisme scolastique.
Déjà, du temps d'Aristote. la tendance motrice de l'idée avait été constatée et énoncée. C'est cette notion qu'exprime l'adage de philosophie admis par tous : « L'idée est un principe de mouvement. »
S'il est un fait admis de temps immémorial, sans qu'il soit nécessaire d'en faire à nouveau la démonstration, c'est que tous nos états de conscience influeut sur l'organisme et tendent à se traduire au dehors par des phénomènes moteurs ou sensibles. C'est ce qu'exprimait Gratiolet. d'une façon très saisissante, lorsqu'il écrivait : « Il est impossible d'être sitisi d'une idée vive, sans que le corps se mette à l'unisson de cette idée.
La même constation se retrouve chez tous les auteurs qui. depuis Cabanis, ont poursuivi l'étude des rapports du physique avec le moral. A une époque plus rapprochée de nous, Ribot a écrit : « Tout état intellectuel est accompagné de manifestations physiques déterminées. La pensée est une parole ou acte à l'état naissant, c'est-à-dire un commencement d'activité musculaire. » (1)
Un philosophe contemporain, M. Fouillée, a même basé une doctrine sur ce point de départ, que « toute idée est une force, partant un commencement d'action. » (2)
Dans un travail dlus récent, M. Alfred Binet. après avoir insisté sur ce point que la plupart de ceux qui emploient le mot de suggestion n'en ont pas une idée claire, ajoutait : « Il faut évidemment reconnaître comme erronée l'opinion de tout un groupe de savants pour lesquels la suggestion est - une idée qui se transforme en acte » : à ce compte, la suggestion se confondrait avec l'association des idées et le terme aurait une signification des plus banales, car la transformation d'une idée en acte est un fait psychologique régulier, qui se produit toutes le fois que l'idée atteint un degré suffisant de vivacité.
Qu'on ne vienne donc pas nous présenter, comme une vue personnelle, ni même comme une chose exacte (3) ce simple truisme qui consiste à répéter, après tant d'autres, mais sous une forme inoins élégante : « que toute idée tend à se faire acte. » (4)
Aussi bien placé que qui que ce soit, pour vérifier l'action réelle que peut exercer la suggestion à l'état de ceille sur l'esprit d'un malade, j'ai pu constater l'absolue inefficacité de ces interventions empiriques. Pour tout esprit impartial il suffit de quitter le domaine dé la théorie et de se
(1) Th. Ribot : Le mécanisme de l'attention. Revue philosophique. 1887. T. II) (2) Fouillée : Evolutionnisme des idées forces. Paris IS90. (3) A. Binet : La suggestibilité, 1900, p. 9.
(4) En réalité, l'idée ne se traduit au dehors par des phénomènes moteurs qu'autant qu'elle est liée a des éléments affectifs. L'intensité des actes est toujours en rapport avec la puissance de l'élément affectit. Aussi les Idées purement abstraites ne s'accompagnent généralement d'aucun acte qui leur correspondent.
placer sur le terrain pratique, pour être convaincu «le l'inanité d'une doctrine qui prétend transférer au simple verbiage toutes les vertus qui furent jadis attribuées aux panacées anciennes.
Le soi-disant utilisation de la suggestion à l'état de veille ne correspond à rien de réel. Ce serait en vain qu'on voudrait y rechercher les éléments d'une psychothérapie méthodique.
En relisant les écrits dans lesquels on retrouve à chaque page les témoignages de la self-admiration que l'auteur éprouve pour ses conceptions doctrinales, je ne pouvais faire autrement que de me remémorer les reproches suivants, adressés par Bichat. à la matière médicale de son temps : « Incohérent assemblage d'opinions elles-mêmes incohérentes, elle est peut-être de de toutes les sciences physiologiques celle où se peignent le mieux les travers de l'esprit humain. Que dis-je ? Ce n'est point une science pour un esprit méthodique. C'est un ensemble informe d'idées inexactes, d'observations souvent puériles, de moyens illusoires, de formules aussi bizarrement conçues de fastidieusement assemblées. » (1)
Et, comme il faut admettre que les doctrines manifestement erronées ont leur point de départ dans des erreurs d'observation, je terminerai cette étude critique en recherchant les causes par lesquelles des cliniciens ont pu aboutir à de telles illusions sur les effets physiologiques ou thérapeutiques de la « suggestion a l'état de veille. »
(A suivre)
A propos du libre arbitre
Réponse au Dr Farez
par M. le Dr Biset - Sanglé
Il m'est impossible de répondre utilement au Dr Farez sans me citer moi-même. J'en demande pardon au lecteur.
Voici ce que j'écrivais dans le tome II de la Folie de Jésus :
« La question du libre arbitre est à l'ordre du jour.
« A un récent congrès d'aliénistes.Gilbert Ballet provoqua sur ce sujet une discussion qui n'est point prêt d'être close.
« Bien qu'il s'en fût tenu à déclarer que le problème de la responsabilité humaine relève de la métaphysique et ne doit pas être solutionné par les médecins légistes devant les tribunaux. Gilbert Ballet souleva d'étranges colères ; il s'attira la réprobation, non seulement des religieux, mais d'un certain nombre de médecins.
« Je sais bien qu'il ne faut pas demander à nos contemporains un héroïsme sans bornes. Je sais bien que. dans l'état social actuel, dans cet état de transition où se heurtent deux classes, deux mondes, deux civilisations, la situation des médecins est difficile et leur indépendance limitée : je sais qu'il est certains d'entre eux pour lesquels la loi du
(1) Bichat : Anatomie générale. Considérations générales P. XVII. 1930.
silence est inéluctable et qui. du jour au lendemain, seraient réduits à la misère s'ils osaient dire la vérité. Les professions dites libérales sont en réalité les moins libres. La clientèle riche ou aisée qui apporte aux médecins et aux avocats l'appoint nécessaire à leur existence est religieuse toujours. Sa religiosité est sincère, plus sincère qu'on ne le pense, mais elle nait d'une nécessité sociale, elle naît de ce que le capitalisme n'a point de plus ferme soutien que la religion et qu'on aime sincèrement, naïvement qui vous aide. Cette clientèle ne tolérerait pas de ses médecins, je ne dis pas une profession de foi antireligieuse ou areli-gieuse, mais une profession de foi déterministe, la négation du libre arbitre, parce que. sans libre arbitre, il n'y a plus de religion.
« Il faut avoir, comme on dit, du cœur au ventre pour jeter quelques vérités a la face de ceux qui dispensent, au gré de leur fantaisie, le luxe ou la pauvreté, la vie ou la mort. Or tout le monde n'a pas le cœur aussi bas placé. »
A ceci Farez répond;
« II n'y a peut- être pas de carrière où l'on puisse, sans courir de risque, manifester autant d'indépendance d'esprit et de caractère que dans la notre, où presque un chacun à son entière liberté de parole et de pensée. L'abandon du médecin pour des raisonsphilosopbiquesou religieuses est une infime et négligeable exception. »
Pour Paris, c'est entendu. Mais je conseille à Farez de se livrer a une petite enquête auprès de nos confrères de province. En province, surtout dans les départements de l'Ouest, les médecins se divisent, sauf exceptions, en deux catégories :
1° Les spiritualistes, les religieux ou les déférents à l'égard de la religion qui ont la clientèle riche:
2° Les matérialistes, les libres penseurs qui ont la clientèle pauvre.
- Mais il est aussi ajoutai-je des médecins qui sont antidéterministes par conviction, et c'est bien de toutes les choses qui heurtent notre entendement le plus difficile à comprendre
« L'homme à qui l'on confère le diplôme de docteur en médecine a passé cinq ou six années de sa vie a étudier l'organisme humain. Il n'a pas constaté un phénomène dont le déterminisme ne soit évident. Il a vu passer sous ses yeux des tableaux généalogiques où les paresseux, les érotomanes et les tortionnaires surgissent par douzaines de la rencontre d'un spermatozoïde alcoolique avec un œuf tuberculeux. Il sait découvrir la paille qui détraque les rouages de la machine nerveuse. Atout instant la cause organique, chimique de la tristesse chronique qui conduit au suicide, de l'accès de cruauté qui conduit au meurtre, dé l'accès de luxure qui conduit au viol 6'impose à son attention. Toute l'histoire de la psychiatrie, toute l'histoire de la médecine lui crie le déterminisme de nos actes et il veut néanmoins peser et quantifier la responsabilité du malheureux que son hérédité, son éducation et son milieu jettent au banc des accusés comme le galet que la mer bretonne jette sur sa falaise d'airain. Bête mauvaise, bête dangereuse, qu'il faut mettre dans l'impos-
sibilité de nuire, qu'il faut détruire au besoin. Coupable ? Non pas !
« Ces médecins antidéterministes sont eux-mêmes les exemples les plus éclatants de l'irresponsabilité humaine, car ils apportent dans cette discussion leurs préjugés de classe, de caste, de famille, tout ce que l'éducation met en l'homme de fatalité ; ils y apportent cette obstination, cet entêtement, ce refus d'accepter la vérité scientifique avec toutes ses conséquences qui fait de certains d'entre eux les collaborateurs des moines de Lourdes. »
Il y a donc, selon moi. deux sortes de médecins autidéterministes : ceux qui le sont par intérêt et ceux qui le sont par conviction.
Mon grand tort — et j'en demande pardon à ceux que j'ai pu froisser — est de n'avoir point pratiqué dans mon dilemme une porte de secours qui permit a tout le monde d'en sortir.
Au surplus, si j'avais songé à Farez en écrivant ce chapitre, je ne l'aurais point rangé dans la première classe.
Mais je ne l'ai rangé ni dans Tune, ni dans l'antre. Je n'ai fait aucune personnalité. Je n'ai pas employé l'argument ad hominem. Je me suis élevé, avec l'ardeur qui est dans mon tempérament, contre une doctrine que je réprouve parce qu'elle aboutit a des absurdités pénitentiaires. C'est mon droit. J'entends en profiter. J'entends respecter le droit des autres. Jamais il ne m'est venu à l'idée de répondre par un article indigné aux ouvrages où l'on affirme que les déterministes sont des genssans moralité et sans idéal. Je n'ai jamais songé à prendre la chose pour moi.
« Et qu'on ne vienne pas me dire, écrivais-je encore : « Le suggestionné, le croyant, l'homme de foi c'est vous ! Vous nous reprochez d'avoir la religion du libre arbitre et vous avez celle du déterminisme, vous nous reprochez d'avoir la religion de la religion, et vous avez la religion de la science ! *
« Non. Je ne me fais sur la science aucune illusion, je sais ce qu'elle a de relatif, je sais qu'elle est basée sur un a priori, sur cette pétition de principe que les sens et la raison ne nous trompent pas : or il n'est pas impossible qu'il nous trompent. La science n'est pas pour moi une doctrine : elle n'est qu'un système. Et si je choisis ce système, si je le choisis à l'exclusion des autres, c'est qu'il satisfait le besoin que j'ai en moi de cohésion, d'ordre et de clarté.
« Je suis prêt à devenir le plus convaincu des antidéterministes, le plus enthousiaste des spiritualistes et le plus fervent des religieux le jour où l'on m'aura fait constater un phénomène qui ne procède pas. qui ne peut procéder d'un autre phénomène, le jour où. en m'observant moi-même, j'aurai acquis la certitude que mes émotions, mes sentiments, mes pensées et mes actes sont indépendants de mon cerveau, de ce cerveau qu'ont modelé mes pères et qui. par toutes ses expansions nerveuses, puise dans le monde extérieur l'énergie qu'il transforme selon la fatalité de sa constitution ancestrale.
Voilà ce qu'il me fallait dire avant d'aborder l'historique do l'idée de Dieu. »
Ainsi donc j'admets a. la base de la science et de la doctrine déterministe cette hypothèse, cet à priori, cette pétition de principe que les sens et la raison ne nous trompent pas. Voici le commentaire de mon ami courroucé.
« Il se dit homme de science et il superpose aux recherches purement scientifiques une métaphysique spéciale, avec ses dogmes et son orthodoxie. Devenu métaphysicien, il y perd toute son autorité de savant Chose étrange, — dans le même moment où il dénie au médecin légiste le droit de donner une opinion pratique sur le plus ou moins de liberté que peut présenter un accusé, — lui. Binet-Sanglé. s'arroge le droit d'affirmer la non-liberté. »
« Il nous reproche notre obstination, notre entêtement, notre relus d'accepter ce qu'il appelle La Vérité scientifique. C'est donc que d'après lui. nous sommes libres de n'être pas entêtés, libres de ne pas refuser notre adhésion ! »
Mais ce n'est pas un reproche, c'est une constatation. Ceux qui refusent d'accepter la vérité scientifique le font en vertu de leur mentalité, de leur tempérament, de leur constitution et, en dernière analyse, de leur composition chimique. Je ne leur en veux pas. Je n'ai pas la moindre « phobie antireligieuse ». On a ça vers les dix-huit ans. Farez n'a pas lu mon livre. Je le renvoie à l'introduction du tome I et à la page 507 du tome II.
Il écrit encore :
« Si je choisis, dit Binet-Sanglé. ce système, si je le choisis à l'exclusion des autres... » C'est donc qu'il lui était loisible d'en choisir un autre? En excluant les uns, en retenant l'autre, il s'est décidé, il s'est déterminée » . Comment cela ? Le choix implique le libre arbitre ? Voilà qui est nouveau. Mon choix a été la conséquence inéluctable de ma constitution psychique, de mon « besoin de cohésion, d'ordre et de clarté » qui l'a emporté sur les autres tendances sans que cet être fabuleux que les métaphysiciens appellent le moi, le moi autonome ait eu à intervenir.
Farez ne nous dit pas nettement s'il est déterministe on non. Mais il écrit :
« L'étudiant en médecine n'a vu dans l'organisme humain ni liberté ni responsabilité ? Parbleu ! L'objet des sciences médicales les exclut. »
Il existe donc des sciences dont les objets n'excluent pas le libre arbitre et la responsabilité. J'attends impatiemment qu'on nous les fasse connaître.
Mon honorable contradicteur n'admet aucune relation entre les diverses sciences :
« La science n'existe pas. Ce qui existe, ce sont diverses sciences particulières. Celles-ci se sont fondées, se sont constituées, ont conquis leur indépendance et leur légitimité, le jour où elles ont été en possession d'un objet bien défini, de postulats et d'une méthode... Chacune de ces sciences étudie un certain nombre de phénomènes et les rapports de ces phénomènes entre eux. Elle ne s'applique qu'à ce côté spécial et res-
treint de la réalité. Ce qui n'est pas de son domaine, elle l'ignore ; elle se prescrit de le passer sous silence. »
Alors il est interdit au physiologiste d'appliquer à la psychologie la méthode des sciences naturelles et au médecin d'empiéter sur le domaine des anciens hypnotiseurs ! Quoi ! Parez ignore que les divisions apportées dans l'étude des phénomènes ne sont dues qu'à la brièveté de notre vie et an champ limité de notre effort ! Il ignore que la science est une et indivisible, que les sciences particulières ne progressent qu'en se pénétrant, que le magnifique épanouissement de la psychologie et de la sociologie à notre époque, est due à l'audace des médecins, des physiolo-gistesetdes naturalistes qui sont entrés en conquistadors dont ces Florides luxuriantes où erraient, impuissants, les Peaux-Rouges et les Aztèques !
« Comme nn vol de gerfauts hors du charnier natal.
Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos de Moguer routiers et capitaines Parlaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal. (1)
Aux astronomes, aux géomètres, aux cosmographes, aux savants officiels gonflés de morgue et d'insolence et aux dignitaires de l'Eglise réunis en 1486 au Collège de Salamanque les compagnons de Colombo ont répondu : « Au nom de l'Ecriture sainte et de la tradition, vous nous dites qu'il n'y a point d'autre continent, vous nous dites qu'il n'y a point d'antipodes. Xousvous*répondons,nous, au nom de la raison humaine: « U y en a si bien que nous y allons ! > Et ils sont partis. Et ils ont abordé à la terre espérée, ils ont fouillé le sol immaculé, ils ont fait passer sur la libre Amérique un tourbillon de vie et un tourbillon d'or !
Ainsi, négligeant les vieilles philosophies et les vieilles doctrines, bravant l'anathème des Académies, sans autre arme que leur foi en la science une et indivisible comme la France de 93. les médecins-psychologues ont largué l'amarre et se sont abandonnés au caprice de l'Océan !
Car la foi en la science, elle au moins, n'est pas stérile. Elle ne fait point miroiter devant les yeux d'intangibles rêves. Quand elle promet un continent, la mer ou le ciel, elle les donne : elle les a donnés. Chacune de ses découvertes enlève à l'humanité un peu de ses douleurs, de ses craintes, de ses angoisses. Chacune lui apporte un peu plus de bien-être, de justice et de bonheur.
Réplique du Docteur Paul Farez
J'ajouterai seulement quelques lignes, car je m'en voudrais de prolonger le débat.
J'ai parfaitement vu le passage, reproduit ci-dessus, dans lequel Binet-Sanglé concède que la science est relative : je l'ai signalé expressément et j'ai souligné qu'il s'accordait mal avec d'autres passages où
(1) de Hérédia. Les trophées.
l'auteur écrit et affirme comme s'il n'avait pas fait cette concession. Mon commentaire, cité textuellement plus haut, s'adressait, de toute évidence, non au premier passage, mais aux seconds.
Son choix, dit Binet-Sanglé. a été une « conséquence inéluctable » Alors, ce n'est plus un choix : c'est de l'impulsion et de l'impulsion irrésistible. Le mot choix ne signifie plus rien et autant le rayer du dictionnaire.
On choisit ou on refuse, dit-il. en vertu..., en dernière analyse, de sa composition chimique. Alors c'est le chimiste qui. en dernière analyse, rendra raison des phénomènes psychologiques et des phénomènes moraux ! Mais où s'arrêter dans cette voie ? Autant vaudrait demander aussi au chimiste de légiférer, par exemple, dans les beaux-arts. Devant une statue qui fait l'objet de l'admiration universelle, le chimisleaurait le droit de dire : « Çà. c'est un bloc de marbre, autrement dit du carbonate de chaux ; je n'y vois, donc il n'y a que des atomes de carbone, d'oxygène et de calcium ; quant à ce qu'y ajoutent ces spectateurs illusionnés, ce sont des chimères inexistantes. » Que la composition chimique soit une condition indispensable, chacun l'admet ; que tout se ramène a la composition chimique, voila qui est insoutenable.
Je n'ai jamais ni dit, ni pensé, ni rien écrit qui permit de croire que « d'après moi « il existe des sciences dont les objets n'excluent pas le libre arbitre et la responsabilité. » Je dirais volontiers avec Flournoy que « la science expire où commence la liberté ». Scientifique veut dire, à certains, égards « prévisible ». c'est-à-dire, déterminé à l'avance, selon des lois établies, tel le passage d'un astre au méridien, à tel jour, telle heure, telle minute et telle seconde. Qu'un phénomène de liberté puisse être prévu par la science, voilà qui serait contradictoire ; nous sommes d'accord. Tous les phénomènes passés ont été déterminés, cela va de soi. Mais, le geste que je vais accomplir, une nécessité inéluctable a-t-elle établi à l'avance que je le ferai dans tel sens et non dans tel autre '? Toilà tout le problème Mais pour le résoudre, il faut distinguer, non seulement le présent et le passé, mais encore le possible et le réel. J'accorde, sans difficulté, qu'en fait, dans l'immense majorité des cas, les phénomènes ont été déterminés aveuglément par le jeu des forces puissantes dont parle, très justement. Binet-Sanglé : voilà ce qui est. Mais ce qui est tel aurait peut-être pu se manifester différemment si. au lieu de se laisser déterminer du dehors, l'individu conscient s'était déterminé du dedans, c'est-à-dire s'il avait pris soin de maintenir, dans le champ de sa conscience, telle représentation, de manière à en faire un état fort et. pat-conséquent, un motif ou un mobile déterminant. Les circonstances dans lesquelles l'homme pourrait se déterminer pour l'un ou pour l'autre des Futurs supposés ambigus, ne sont peut-être pas. j'en conviens, aussi-nombreux que le croient certains partisans de la liberté. Mais, plus on proclame l'inéluctable tyrannie de ces forces diverses, plus on restreint le désir ou la pensée d'essayer de se déterminer Par contre, plus on postule la possibilité de se déterminer, plus on risquera, semble-t-il.
d'échapper a ces forces dites inéluctables. S'acharner à s'en affranchir, même dans une faible mesure, n'est-ce pas le principal objet de l'éducation de soi-même ? Tentera-t-on cet effort, si l'on s'est laissé persuader qu'il sera inévitablement vain ? De lourdes chaînes pèsent sur nous, mais peut-être parce que nous ne nous décidons pas à les.secouer. C'est peut-être notre abdication seule qui fait que ces facteurs déterminants apparaissent comme inéluctables.
Je ne dis pas nettement, m'objecte Binet-Sanglé, si je suis ou ne suis pas déterministe ? Je croyais, au contraire, avoir été très net. J'espère que ce supplément d'information le renseignera mieux sur ce point.
Continuons la série de ses reproches.
Il serait, d'après moi. interdit d'appliquer à la psychologie la méthode des sciences naturelles ? Ai-je dit cela ? Où et quand ? La psychologie, pour être scientifique, a le droit, que dis-je ? le devoir d'appliquer celte méthode, mais a son objet propre. — qui n'est pas celui de la physiologie .
J'interdirais au médecin d'empiéter sur le domaine des anciens hypnotiseurs ?.. Je n'admettrais aucune relation entre les diverses sciences ?... Je ne me reconnais vraiment pas dans ces opinions qu'on me prête.
J'ignore encore que « la Science est une et indivisible »? C'est bien pis ! J'ignore même ce que c'est que la Seience, j'entends la Science, sans aucun qualificatif. Jusqu'à plus ample informé. « La Science » m'apparaît comme une entité nominale, vide de sens et ne répondant à rien.
J'ignore, dit-on. que les sciences particulières ne progressent qu'en se pénétrant? Oh ! je n'ignore pas cette opinion, mais je la conteste formellement, car elle est contraire aux faits. Les sciences particulières progressent, c'est-à-dire parviennent à de nouvelles vérités, à la condition de rester fidèles à leurs méthodes, de se cantonner rigoureusement dans leur domaine, et de s'interdire cette compénétration...
En somme, nous couchons l'un et l'autre sur nos positions. — ainsi, d'ailleurs, qu'il fallait s'y attendre.
En terminant, je remercie mon ami Binet-Sanglé pour la courtoisie de sa réponse. Il n'a pas cédé à la tentation, bien naturelle, bien légitime, de riposter, du tac au tac. a quelques expressions que je reconnais avoir été un peu vives. Or, résister à cette tentation est plus méritoire qu'on ne croit et cela dénote une grande maîtrise de soi. — dont je le félicite,
Les miracles et la critique scientifique (1)
par M. P. Saint-Yves (suite)
Les croyants, dégagés de l'antique magie, n'ont jamais prétendu que les faits miraculeux soient des faits expérimentaux : mais on revanche tous ou presque tous sont persuadés que quelques-uns d'entre eux sont aussi certains que les plus assurés des faits scientifiques.
(1) Voyez Revue de l'Hypnotisme, 21e année, n° 3. septembre 1909.
Le fait scientifique a une caractéristique que présentent fort rarement les faits miraculeux tels qu'ils nous sont rapportés par les historiens les plus sérieux : le fait scientifique est précis. La précision, ou mieux une précision toujours croissante, telle est la caractéristique du fait scientifique. Aussi bien certains savants, tels que M. le Dantec. soutiennent qu'il ne saurait y avoir de fait scientifique en dehors des faits qui comportent des mesures et par suite une description impersonelle. Il écrit : « C'est alors seulement que nons avons le droit de parler d'une connaissance scientifique des faits, c'est même là. en quelque sorte, la définition de la science ( 1). »
Cettedéfinition rigoureuse du fait scientifique exclurait nécessairement le miracle. Mais nous savons que les sciences naturelles, par exemple, nous offrent nombre de faits qui échappent encore à toute mesure et n'en sont pas moins considérés comme scientifiques. Pourtant, même les faits de cet ordre ont ce caractère de comporter une précision bien supérieure à celle des récits miraculeux. Ce sont tout au moins des faits bien observés.
L'exactitude des faits scientifiques dépend de plusieurs conditions : de l'état d'esprit de l'observateur, des circonstances générales de l'observation, enfin de la démilitation des faits eux-mêmes.
L'observation exacte n'est pas à la portée du premier venu : « Pour bien observer il faut une grande étendue de connaissances, il faut être non seulement habile dans la branche que l'on cultive, mais encore dans toutes celles qui peuvent mettre à même d'apprécier, de neutraliser les causes étrangères de perturbation (2). » Cette science préalable que réclame Herschell pour l'observateur lui est doublement nécessaire : d'abord pour discerner l'expliqué de l'inexpliqué : ensuite pour démêler les faits réels des illusions et des fraudes que peut comporter chaque catégorie de phénomènes.
La connaissance approfondie de sa spécialité ne saurait d'ailleurs suffire au savant. En présence d'un fait inattendu il lui faut encore celle des lois du mécanisme mental, cet instrument des instruments et une grande et constante défiance contre les illusions d'ordre général auxquelles est sujet l'exercice de nos sens ou qu'entraînent avec soi des théories préconçues. (Celle de l'intervention de Bieu en est une).
Cette double science, à la fois générale et spéciale, n'est pas tout encore. Sans d'autres qualités morales non moins essentielle, à savoir: capacité d'attention, sang-froid, patience et prudence, il n'est guère de bonne observation scientifique. Les auteurs de récits miraculeux étaient-ils de bons observateurs ? — Il s'en faut bien. Presque tous furent des hommes ignorants, imbus de grossiers préjugés populaires touchant la const tution
(1) le dantec. L'Athéisme. Paris, 1906, in-12, p. 193. herschell écrivait déjà : • Dans tous les cas qui admettent la numération ou la mesure, il est de la dernière • importance d'obtenir des nombres précis. . . Mais ce n'est pas seulement a préserver d'évaluations inexactes que sert la précision numérique ; elle est véritablement l'âme de la science. » Discours sur l'étude de la philosophie naturelle. § 515, et e. radier notait encore; « La science tend en toutes choses k la mesure. » Logique, p. 100.
(2) Herschell. Discours sur l'étude de la philos, naturelle, pag. 126.
de la nature et celle de leur propre esprit: n'ayant aucune défiance à l'égard d'eux-mêmes, aucune réserve ; s'étonnant de tout et rapportant tout fait insolite ou inaccoutumé à des causes animées ou à des esprits (11, Autre cbosc. La préparation générale dont nous avons parlé ne suffit même pas pour obtenir de bonnes observations. Un homme bien doué et bien entraîné fera des mauvaises observations s'il ne prépare chaque observation particulière en se plaçant dans les conditions spéciales requises pour le genre d'observations qu'il entreprend. C'est généralement dans le calme, le silence et la paix qu'opèrent les savants. Les laboratoires ressemblent aux églises : ce sont des lieux de recueillement, on y respire la « paix sereine » dont parle Pasteur. Et. quand le savant opère en pleine campagne, il choisit autant que possible des coins retirés, a l'écart des routes bruyantes.
Les miracles se sont presque toujours produits au milieu des foules et chacun sait leur influence déplorable sur la plus simple observation. Les grandes floraisons de faits miraculeux ont toujours jailli dans des milieux rustiques et tourmentés, parmi des gens incultes maix pieux chez lesquels l'entraînement mystique avait aboli tout sang-froid, toute prudence et exalté au contraire les facultés extraordinaires, l'extase et l'inspiration. Où trouver, parmi ces témoins qui observent des faits étranges au milieu des supplications, des plaintes individuelles, des prières collectives, des mouvements saccadés et des élans subits, où trouver, dis-je, un observateur préparé ?
Il y a plus, le fait scientifique n'existe pas en dehors de la pensée. C'est un abstrait découpé par l'esprit dans la trame de la nature. Ce découpage résulte d'un choix inspiré presque toujours par des idées préconçues. Loin d'être une photographie minutieuse, il est une schématisation qui peut différer d'un observateur a l'autre. C'est là une infirmité inhérente à l'observation. Les savants d'offorcent d'y remédier par l'application de règles essentielles. Ils demandent qu'une observation soit complète et directe.
Or, tel n'est pas le cas. ordinairement, pour les miracles. La plupart des faits miraculeux dont il nous reste quelque récit ne sont que les échos de traditions plus au moins lointaines : non des observations directes, mais de simples racontars. Les faits extraordinaires, appuyés sur les seules traditions, n'ont aucune valeur scientifique.
Cependant les miracles de Lourdes se présentent dans les meilleures conditipns. Ils sont consignés dans des procès-verbaux que rédigent des savants, et semblent fournir de véritables exemples d'observation scientifique* Il n'en est rien. Ce sont des observations incomplètes. Voici ce qu'en dit. en effet, Huysmans;
« Le Dr Boissarie et le Dr Cox sont obligés de se contenter de pièces
(1) Durant les origines du christianisme et pendant tout le Moyen-Age, la constatation des miracles n'a jamais eu le moindre caractère scientifique. On peut s'en faire une idée par ce qu'elle était au XII. siècle dans un grand sanctuaire de la Vierge. Cf. e. Albé (chanoine hon. de Cahors . Les Miracles ae N.-D. de Roc-Amu-dour au XII siècle. P. Champion, s.d. (l987), in-8°, p. 16, 48 et 58.
délivrées par on ne sait quels médicastres, souvent mal rédigées exprès, de peur de se compromettre lorsque ces gens savent que les malades les reclament en vue d'un voyage à Lourdes ; il n'y a aucune sécurité ; l'?n ne peut se fier ni à la science, ni à la bonne foi de ces Diafoirus de cantons ; et la clinique, dans des cas qui pourraient être intéressants, se tait. L'on a cherché à remédier a cette incertitude et à ce désordre ; mais toutes les solutions proposées s'avèrent si l'on y réfléchit, vaines (1). »
(A suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle de mardi 19 juin 1909. — Présidence de M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de Médecine
Le traitement diététique de la paresse
par le Dr J. Lacmosier
Contrairement aux idées qui ont généralement cours, la paresse n'est point d'ordinaire voulue, elle est subie, et par là il me semble que les enfants paresseux rentrent, à un certain point de vue. dans la catégorie des anormaux qu'étudie présentement la Société d'hypnologie et de psychologie.
Et en effet, les petits paresseux sont des malades, — il suffit de les examiner attentivement pour s'en convaincre — mais des malades très inégalement atteints Les uns ne le sont que de temps à autres, — beaucoup d'artistes et de littérateurs rentrent dans cette catégorie, — les autres ne le sont qu'au moment de la classe ou de l'étude, les derniers enfin le sont tout le temps, au jeu, à l'école, à la maison.
Etudions-les donc de près et si, comme le dit Maurice de Fleury, le paresseux en bonne santé n'existe probablement qu'en théorie, nous arriverons à reconnaître les causes de cet état de choses.
Or l'examen clinique nous permet de constater que presque tous ces enfants sont des intoxiqués, de l'appareil digestif, musculaire et nerveux, mangent trop, qui jouent trop, qui se surmènent avant de s'installer à la table de travail et sont alors incapables de fournir l'ettention et la exion nécessaires, ou bien des épuisés, des asthmiques, des héréditaires, descendant, dans près des 3/4 des cas, d'arthritiques ou de névropathes notoires. Ces derniers sont paresseux tout le temps, les autres, et les plus nomreux. ne le sont que par intermittence.
Et alors la paresse nous apparaît, au moins chez les grands paresseux, comme un des symptômes de cette insuffisance fonctionnelle généralisée, qui caractérise, comme l'a indiqué Maurel (de Toulouse), l'arthritisme à
(1) j.-k. huysmans. Les Foules de Lourdes. Paris, 1906, in-12, p. 263. — Voir aussi idem, p. 255-266.
la période proterminale de son évolution. Elle nous apparaît aussi comme un moyen de défense contre les excitations trop fortes auxquelles sa faiblesse empêche l'organisme de répondre. Et par conséquent, si nous voulons en venir à bout, il faut en quelque sorte la respecter, il faut laisser de côté la méthode des punitions dangereuses et des gâteries inopportunes. Notre paresseux est un petit malade qui ne peut donner qu'un effort minime, dont tous les organes ont nn fonctionnement restreint et que les sollicitations ordinaires épuisent. Nous réduirons donc ces dernières autant que possible, de manière que les fonctions restent aptes à y réagir et pour cela nous mettrons d'abord et avant tout notre paresseux au repos physique et psychique.
Toutes les fonctions déficiantes doivent la subir et en premier lieu les fonctions digestives. toujours viciées. Il importe par conséquent de mod.fier l'alimentation de telle sorte que. tout en fournissant les rinci-pes nutritifs sirictement nécessaires à la taille, au poids, au développement de l'enfant, elle sollicite le moins possible le travail d'élaboration et l'initabilité réflexe. Ou supprimera donc complètement la viande, le bouillon, l'alcool le café, le thé, les condiments, et on empruntera les éléments des repas, qui doivent être nombreux (4 ou 5), mais peu copieux, aux farines de céréales, aux fruits, aux pommes de terre, aux œufs et aux laitages. On permettra quelques gâteaux secs, très peu de pain grillé ou rassis, et. de temps à autre, une petite quantité de poisson blan bouilli et de légumineuses en purée L'enfant doit manger lentement, bien mastiquer sa nourriture et insaliver convenablement même les aliments liquides comme les potages. Pour boissons des eaux minérales légères, non gazeuses, ou des tisanes aromatiques chaudes, jamais de vin. de bière, ni ne cidre.
Cette alimentation a beaucoup d'avantages. Elle nentraine ni hypersécrétion glandulaire, ni hyperacidité : elle n'épuise donc pas-les organes digestifs et ne réclame d'eux que le minimum de travail, d'où la rapide amélioration des états dyspeptiques. Etant pen toxique et pauvre en poison, elle soulage le foie qui cesse d'être douloureux et gros : étant peu fermeutescible. elle fait disparaître les ballonnements, les gaz. et comme cependant elle laisse des déchets cellulosiques assez abondants, elle supprime la constipation sans irriter la muqueuse intestinale. Biche en oxydore et en matières minérales, en phosphore notamment, elle relève la tonicité musculaire et nerveuse, augmente la minéralisation des plasmes. active la rénovation des globules rouges ; enfin étant émi nemment diurétique, elle facilite l'alimentation des déchets accumulés. Aussi, par le seul moyen de cette dialétique. rigoureusement observée, voit-on l'enfant se réveiller de son indolence, reprendre des forces et des couleurs et manifester un besoin nouveau d'activité.
A ce régime alimentaire, on doit adjoindre quelques procédés physiques, les frictions sèches ou alcooliques et le bain de lumière, des mouvements progressifs d'abord passifs puis actifs de gymnastique. Mais pas de douches ni de bains froids, auxquels l'enfant réagit fort mal. Au début
de la cure, le moins possible d'exercices physiques et de jeux fatiguants, mais de longs sommeils, pendant lesquels les organes ne fonctionnent qu'à petit bruit sans que s'arrête cependant le travail normal de l'élimination. Même une sieste, l'après-midi, a souvent de bons effets.
Au bout de quelques jours, on peut laisser l'enfant faire une petite marche accompagnée, avec un motif d'intérêt ou de curiosité qui la justifie, car il ne faut jamais faire accomplira l'enfant. — et au paresseux moins qu'à tout autre — une besogne dont il ne discerne ni le but ni le bénéfice. Plus tard, quand l'amélioration s'accusera nettement par le réveil de l'appétit, ou besoin de mouvement et d'occupation, on le laissera jouer à des jeux qui demandent un peu d'attention, de décision) de maîtrise de soi. tennis, bicyclette, natation, escrime, équitation. etc.
La transplantation n'est pas indispensable. Si on le peut cependant on conduira avec avantage l'enfant à la campagne, de préférence en montagne, mais à une altitude modérée. Le bord de la mer est plutôt à éviter, du moins sur les côtes septentrionales. Aucune station thermale n'est particulièrement indiquée, mais Salins-Moûtiers, Plombières, Vic-sur-Cèse, Forges-les-Eaux, ne peuvent que donner des résultats favorables.
Enfin, pas de médicaments, car toute drogue est un poison pour ces organismes fragiles. C'est tout au plus si, dans certains cas, il est permis d'ordonner des poly phosphates, du quinquina ou des injections hypodermiques salines.
Reste la question du repos psychique et de la rééducation de l'attention et de la volonté qui s'en suit. Mais ici au seuil du domaine de la psychothérapie je m'arrête, car ma compétence cesse d'être suffisante. Les maîtres qui sont ici ont fixé avec tant d'autorité l'emploi de cette méthode, que je n'aurais rien de mieux à faire que de tout leur emprunter. C'est pourquoi je me suis borné, dans cette courte étude, à souligner quelques points du traitement physique de la paresse, qu'il ne faut jamais, si l'on veut arriver à une cure définitive, ni négliger ni omettre, mais qui doit au contraire se superposer toujours à la psychothérapie.
Discussion.
M. Fiessinger. — Il arrive souvent que des enfants paresseux au cours de leurs études ont réussi cependant dans la vie. Je crois qu'il ne s'agissait pas là de véritable paresse, mais beaucoup plus d'une curiosité intense qui les portait à disperser leur attention sur des sujets multiples.
M. Bérillon. — La paresse scolaire est parfois la manifestation d'un sens réfléchi, loin d'être un défaut. Un enfant intelligent, doué d'aptitudes déterminées, se rendant compte que les enseignements classiques contrarient sa vocation, se défend en négligeant ses études et en reportant son attention sur des sujets plus utiles. C'est ce qui a été observé chez un certain nombre de grands hommes et en particulier chez Ch. Darwin qui. tout enfant, préférait s'intéresser aux insectes et aux plantes, plutôt que d'étudier dans les livres.
La rééducation des fonctions digestives : La rééducation alimentaire
par M. le Docteur Paul Parez, professeur à l'Ecole de Psychologie
En dehors de la rééducation dans les grandes psycho-névroses gastrointestinales, il y a une rééducation plus terre a terre, mais indispensable, qui doit s'adresser aux gens, en apparence, bien portants, ainsi qu'à ceux que guette la dyspepsie et à ceux qu'elle a déjà atteints : c'est la rééducation alimentaire.
Presque tont le monde s'alimente d'une manière irrationnelle, non pas tant dans le fond que dans la forme : la façon de manger importe bien plus que ce que l'on inange. On triture à peine ses aliments ; on les insalive insuffisamment ; on les déglutit prématurément ; au lieu de les déguster, on les engouffre avec voracité : on en avale une grande quantité sans l'avoir ni mâchée ni insalivée du tout ; on expédie le repas comme une corvée ; on est un « consommateur » et non pas un convive. On ne pense pas à ce qu'on mange ; pendant le repas, si l'on est seul, on se laisse absorber par une lecture captivante ; si l'on est en famille, on s'entretient des affaires, des soucis, des préoccupations, des ennuis ; on discute, on se querelle, on s'emporte contre les contradicteurs, contre les enfants, contre les domestiques, contre les fournisseurs ; on admet tout ce qui est capable de provoquer la mauvaise humeur : on empêche que le repas soit pris avec gaieté, détente, euphorie.
Pour ce qui concerne surtout la quantité de l'alimentation et de la boisson, le nombre, l'heure et le rapprochement des repas, on est esclave de sensations impérieuses ou déviées, de besoins factices ou patholo-. giques : on est victime d'idées fixes ou obsédantes, de croyances erronées, de préjugés tenaces, d'interprétations fausses, d'arguments spécieux, de théories fantaisistes, d'impulsions irréfléchies, d'instincts pervertis, de mauvaises habitudes héréditaires ou sociales ; on subit la tyrannie de la mode ; on obéit au snobisme, à la vanité, à la gloriole : on cède à la contagion de l'exemple : on pèche par inattention, par indifférence, par insouciance et surtout par ignorance ou méconnaissance des conditions les plus élémentaires de toute bonne alimentation et de toute bonne digestion.
On ne compte plus les méfaits des médications gastriques : les régimes sont trop souvent tyranniques, inopportuns, inutiles, sinon dangereux. Or, la seule observance de l'hygiène morale de l'alimentation dispenserait presque toujours de médication et souvent de régime ; elle est l' a b c de toute thérapeutique et de toute rééducation digestivos.
La tache du praticien est. à cet égard, complexe, longue, difficultueuse. délicate ; elle exige une patience inlassable et doit répondre aux indications suivantes.
I. Insister, auprès du patient, sur les vérités cliniques relatives à l'alimentation et à la digestion : lui exposer les préceptes généraux qui
en découlent. Presque toujours, il est stupéfait de ce qu'on lui révèle, principalement sur la mastication ou l'iusulivation. « Mais je n'en savais rien, dit-il ; on ne me l'a jamais appris ! »
II. Sortir bien vite des généralités et faire un diagnostic individuel ; dépister, énumérer les différentes fautes que chacun commet, lni en donner la preuve immédiate, par des pesées, des dosages, des réactions appropriées (par exemple, en ce qui concerne la salive) ; lui expliquer les inconvénients ou les dangers de persévérer dans ses errements ; lui montrer l'utilité de se réformer ; par des prescriptions individuelles et des indications précises, exposer nettement le programme que chacun devra remplir.
IH. Après avoir instruit son patient, c'est-à-dire après l'avoir éclairé sur les vérités générales et sur ses fautes individuelles, après lui avoir énoncé ce qu'il doit faire et surtout ce qu'il doit ne pas faire, le praticien a simplement amorcé son rôle ; il lui en reste la partie la plus difficile : décider le malade a se corriger. Il devra l'amener à considérer la question alimentaire comme très importante et digne de mériter son attention, obtenu' de lui qu'il consacre aux repas le temps nécessaire et qu'il consente à penser a ce qu'il fait, conformément à l'adage latin « Âge quod agis ». combattre victorieusement ses objections, triompher de ses résistances, ou de son apathie, ou de ses habitudes, invoquer toutes les raisons de famille, d'altruisme, d'utilité, d'égoïsme que comportent le cas et l'état psychologique du sujet, ne pas se contenter de docilité résignée ou d'obéissance passive, provoquer le désir de s'amender, faire naître le bon vouloir, l'état d'attente, même une sorte de prosélytisme qui réalise de concert avec le médecin, une complicité active. On arrive à ces résultats non point par de froids raisonnements, mais par une suggestion vivace, énoncée avec une foi communicative et faisant appel a des mobiles affectifs : parfois on n'est victorieux que si l'on a eu soin de plonger, au préalable, le patient dans un état plus ou moins profond d'hypotaxie.
IV* Le patient a été amené a. désirer fermement s'amender. Alors, le praticien devra s'ingénier a. lui formuler des prescriptions de réalisation commode, adaptées à son individualité, à son tempérament, à son genre de vie. à sa condition : il recommandera, s'il y a Heu. un régime ou une médication qui n'auront, eu aucune manière, le défaut de compromettre les occupations journalières ou les relations sociales : en outre il s'appliquera à conseiller des moyens pratiques, des artifices, des « trucs ». des procédés auxiliaires, des correctifs qui lui rendront les prescriptions médicales non seulement faciles, mais presque agréables, en même temps qu'efficaces
V. En outre, il faudra faire comprendre au patient que sa bonne digestion dépend non pas de régimes compliqués ou de prétendues panacées médicamenteuses, mais principalement de lui-même, c'est a dire de son initiative et de l'attention, de la persévérance systématiques avec lesquelles il s'appliquera a réaliser les conditions psychologiques de toute bonnf. alimentation. Pour cela, il devra se contrôler, développer
son pouvoir d'arrêt, s'affranchir de son impulsivité, se retenir, s'observer pour arriver à dissocier les éléments de ses mauvaises habitudes et à en contracter de bonnes, enfin, par un entraînement méthodique, par une discipline psycho-motrice. développer la maîtrise de soi et apprendre à compter sur lui. La rééducation alimentaire, en sus de ses préciaux avantages digestifs, aboutit donc, par surcroit, a une réforme de soi-même, à une véritable rééducation de la volonté
Si ces différentes indications étaient remplies pleinement, elles suffiraient, le plus souvent, à guérir les gastropathes. — au moins les fonctionnels, et ils sont légion ; en tous cas, elles empècheraint l'installation des dyspepsies menaçantes. S'il en était ainsi, le praticien dirigerait l'hygiène à la fois physique et morale de tous ceux qui ont recours à lui, il ferait œuvre de prophylaxie, il enseignerait à ne pas mal faire, il apprendrait les moyens de ne pas devenir malade et de rester valide, il aurait la joie de ne soigner que des bien portants, il vivrait non plus de la maladie mais de la santé de ses clients. Ils n'ont pas tort ces Chinois qui ne paient leur médecin qu'autant que celui-ci les maintient en bonne santé.
Société d'hypnologie et de psychologie
Séance d'Octobre 1909. — Présidence de M. le M Dr. J Voisin
La séance est ouverte à 4 h. 43.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
31. le Secrétaire général anuonce a la Société la mort récente de nos collègues, les Drs Toulzac et René Pamart. enlevés tons deux a la fleur de l'âge.
Le Dr Toul'/ac, médecin légiste à Versailles, était un assidu de nos séances et il nous avait fait récemment une communication très instructive sur la protection des débiles mentaux contre les sévices dont ils sont l'objet dans les campagnes et dans les ateliers.
Le Dr Pamart, professeur à l'Ecole de Psychologie, avait su grouper autour de lui, par son enseignement, un nombreux auditoire. « Son habileté psychothérapique, dit le Dr Bérillon. a pu être appréciée, ici même, au cours de ses présentations si documentées. Le Dr Paul Parez s'est fait l'interprète de la Société en prononçant aux. obsèques l'émouvant discoure qu'on a lu dans la Reçue de l'Hypnotisme : mais ce qu'il n'a pas dit. c'est que, pendant de longs mois, il a soigné Pamart avec un dévouement inlassable et qu'il a lutté, avec énergie, contre un cas malheureusement désespéré : il a ainsi accompli une œuvre de bonne confraternité dont je le remercie, au nom de notre Société. »
M. le professeur Lionel Dauriac prend la parole. - Je m'associe pleinement, dit-il. aux regrets que vient d'exprimer M. le Secrétaire général. Le Dr Pamart avait une intelligence très souple, en même temps qu'une grande puissance d'assimilation : non seulement il comprenait vite et pleinement ce qu'on lui expliquait, mais il avait le don
d'y ajouter par des commentaires personnels et la faculté de vibrer au contact de ses lectures. Il était aidé dans ses recherches par une facilité dont il savait éviter les abus. On pouvait attendre beaucoup de lui ; il ?e lui a manqué que la santé pour produire une œuvre féconde. En mon nom personnel aussi, je remercie le Dr Paul Farez d'avoir, par ses soins assidus et dévoués, essayé d'arracher à la mort une intelligence qui méritait de vivre »
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres de MM. les Docteurs Lingbeck (de la Haye), Berthet. Demonchy. Henri Mallié. de Ruelle (Charentel et de M. Liégeois rus-M. le Secrétaire général annonce qu'il a représenté la Société lors de l'inauguration récente du monument élevé à notre regretté collègue le professeur Liégeois, k Bains-les-Bains. et qu'il y a prononcé un discours. Il représentera également la Société le dimanche 24 octobre en compagnie de M. Guilhermet, avocat, ainsi que du Dr Van Renterghem (d'Amslerdam) et du Dr Witry (de Trêves) a l'inauguration du monument que Damvilliers son village natal a élevé au professeur Liégeois.
Les communications inscrites à l'ordre du jour sont faites ainsi qu'il sait :
1. Dr Bérillox. — Le rôle de la timidité dans l'étiologie de l'alcoolisme.
Discussion : Drs Paul Magxix, Bérillox et professeur Lionel Dacriac. 2. Dr Paul Farez. — Un cas d'onirothérapie spontanée. Discussion : Drs Paul Magnin, Bérillox et Paul Farez.
3. Dr Courtault. — Association de la psychothérapie et de la méca-noihérapie pour les rééducations fonctionnelles (avec présentation d'appareils.
4. Dr Douglas Bryax (de Leicester). — Un cas d'influence psychothérapique indirecte.
5. Dr Preda (de Bukarest). — Influence de la suggestion hypnotique dans un cas de maladie de Basedow.
6 Dr Crispulo Diaz (de Porto-Rîcol. — Réalisation automatique d'une suggestion post-hypnotique.
M le Président met au voix les candidatures suivantes qui sont adoptées à l'unanimité :
Dr O Jennings (Le Vésinet) : M Ismael Hamet. interprète principal de l'armée : Dr Berthet ; Dr Kouindjy : Dr Cnrrxo (de Naples) : M. Ahmed Loufti el Sayed (Le Caire) : Dr Bevalot : Dr Mathieu (de Bains-les-Bains) ; Dr Preda (de Bukarest) : M. Anselmo Gonzales (de Madrid).
La séance est levée à 7 heures.
Influence de la suggestion hypnotique dans un cas de maladie de Basedow
par 31. le Docteur Georges Preda. (de Bukarest)
La maladie de Basedow est suffisamment connue et. a côté de ses symptômes objectifs, parmi lesquels la « triade symptoinatique » les symptômes psychiques et émotifs, causent des préoccupations aux malades.
Mais si la description de ces symptômes est exacte et ne laisse rien à désirer, leur étiologie a donné lieu à des théories nombreuses et contradictoires : quant au traitement il varie selon les auteurs puisqu'il découle des diverses théories adoptées sur la pathogénie.
Nous n'avons pas l'intention de faire l'historique de toutes les médications employées, ni la critique de la méthode actuellement en vogue, la méthode opothérapique. Les relations qui existeraient entre les troubles psychiques et la sécrétion des glandes eudocrines sont encore très peu connues : le rapport de 31. Laignel Lavastine, cherche a résoudre la double question des troubles psychiques dans les syndromes glandulaires et des syndromes glandulaires dans les troubles psychiques ; mais le dernier mot n'est pas encore dit.
Ici nous ne nous proposons que d'apporter une contribution à l'étude du traitement des divers symptômes de la maladie de Basedow. des symptômes émotifs en particulier, faisant connaître les résultats obtenus, par les méthodes psychologiques, c'est-à-dire par l'éducation et la suggestion hypnotique en ce qui concerne les symptômes psychiques et objectifs du goitre exophtalmique.
Le 17 septembre de cette année, se présentait à la consultation de la clinique de 31. le Dr Bérillon, la Dlle 31... H... 16 ans. demeurant à Puteaux. conduite par sa mère qui, depuis trois à quatre mois, aurait observé des modifications de plus en plus prononcées dans le caractère de sa fille.
Le diagnostic du goitre exophtalmique s'impose. Le goitre, l'exoph-taltnie. les tremblements étant très manifestes ; mais la malade présentait en outre, à un degré assez accentué, des symptômes d'émoticité morbide, qui se traduisaient non seulement par l'impressionnabilité. l'inquiétude, l'anxiété psychique, mais encore par des phénomènes somatiques dans la sphère des vasomoteurs ; palpitations, étouffements. angoisse, bouffées de chaleur: enfin la malade déclarait avoir eu, de temps en temps, dés crises même de sueurs, de diarrhée, d'insommie. etc.
Nous n'insisterons pas davantage sur cette observation : nous faisons seulement cette remarque que nous n'avons rien trouvé d'important dans ses antécédents personnels, collatéraux ou héréditaires.
Il résulte des symptômes énoncés que nous étions en face d'un cas de goitre exophtalmique type, mais dans lequel, les symptômes émotifs étaient les senls qui avaient été aperçus et avaient attiré l'attention de la fille et de la mère : nous ne pouvons affirmer s'ils sont apparus les premiers ou non.
Devant les symptômes observés, connaissant l'inefficacité des différentes médications et méthodes employées et se basant sur les résultats déjà obtenus, dans plusieurs cas semblables. 31. le Dr Bérillon a prescrit la suggestion hypnotique associée à l'application des rayons rouges.
Le traitement a été appliqué dès le premier jour et régulièrement continué jusqu'à présent à raison de 2 séances chaque semaine (séances de suggestion de 15 à 20 minutes application des rayons rouges pendant nue durée égale». Les résultats obtenus ont été consignés régulièrement et sans entrer dans une description trop détaillée, je dirai seulement qu'une apparente modification dans les troubles d'émotivité a été observée dès la 3me séance, et que l'amélioration s'est continuée progressivement..
A présent, un mois après le début du traitement, les tremblements ont complètement disparu ; le goitre est remarquablement diminué : en ce qui concerne l'amélioration des autres symptômes observés, vous pouvez vous en rendre compte d'après la lettre suivante que je viens de recevoir de la malade :
« Depuis un mois que je suis votre traitement de rayons rouges et d'hypnotisme j'ai ressenti une grande amélioration dans mon état de santé. Aujourd'hui les bourdonnements, les peurs, les étourdissements. les maux de gorge ont cessé et mon goitre a bien diminué. J'espère que celui-ci disparaîtra, car j'ai grande confiance en votre traitement. Quant à mon caractère il s'améliore de jour en jour : au début de ma maladie je n'avais que des gestes brusques et des mouvements d'impatience, grâce à vos bons soins mon élat de santé s'en trouve beaucoup mieux. »
Il résulte donc que le traitement par la suggestion hypnotique combinée avec l'application des rayons rouges a eu pour effet, non seulement la disparition des symptômes émotifs, mais encore, une influence très manifeste sur les symptômes objectifs, présentés par notre malade, le goitre ayant beaucoup diminué, les tremblements ayant complètement disparu...
Il nous reste maintenant à donner une interprétation de phénomènes observés et puisque nous ne connaissons pas de cas semblables publiés, nous essayerons de donner une explication, en nous basant sur l'étude des diverses théories émises sur l'Emotivité, insistant spécialement sur l'action du système sympathique, action qui. d'après nous, aurait la plus grande importance en l'espèce et pourrait donner la clef de toutes les modifications obtenues.
Les théories émises sur les troubles de l'Emotivité sont nombreuses et se confondent avec les théories même de l'Emotion. * L'Emotivité n'étant autre chose que le trouble produit dans l'ensemble des actions que définit l'Emotion ».
Mais les théories émises pour expliquer ce dernier phénomène n'ont de commun que d'avoir essayé de le diviser en nombreux et différents éléments qui ont abouti à les ramener à un complexus des sensations... La nature de ces sensations ? Elle est différente, suivant les auteurs. Pour les uns, ce sont les sensations qui viennent des organes périphé-
riques et qui ont le cerveau comme centre ; pour les autres les sensations seraient celles qui consistent dans les modifications de la circulation sanguine périphérique ou centrale ; pour d'autres enfin, l'Emolivité ne serait qu'une forme de sensibilité centrale (Cœnestésie cérébrale).
1) Parmi les premiers il faut mentionner Forster Monatsschrift fur Psychatrie Und Neurologie) qui définit l'Emotion « un sentiment qui accompagné une sensation distincte ».
Ex. : Elle est un simple sentiment, l'impression produite par une peinture que nous trouvons belle ; c'est une émotion que nous éprouverons, si cette impression du beau est si vive « que nons en sentons des frissons dans le dos ».
2) D'après Mosso et François Franck, les promoteurs de la théorie vaseulaire, c'est aux variations du courant artériel général que sont subordonnées toutes les opérations cérébrales... « le cerveau est dans ses actes les plus délicats, le serviteur des changements massifs qui peuvent se produire dens la circulation générale. »
3) William James et Lange disent que l'émotion est le résultat d'un phénomène de la sphère intellectuelle coexistent avec un phénomène de la sensibilité organiqne.
4) Sans trop insister, il faut mentionner l'intéressante discussion entre M. Pierrot qui. s'appuyant sur les travaux de Pagano, Cherringhtonj Bechterew. etc.. soutient l'existence d'un centre de l'Emotion dans le noyau coudé, par opposition à M. Bevault d'Allonnes qui veut la voir dans les centres receptivo-excitateurs automatiques, dont la réceptivité et la fonction excitatrice s'accomplissent en dehors de tout psychisme...
Enfin, d'après M. Sarlo (Rivista di psichologia applicata), l'émotion se présente comme « un organisme psycho-physiologique et non comme un agrégé des états élémentaires ».
Nous avons résumé les principales théories émises sur les Emotions et sur les troubles de l'Emotivité ; leur étude nous conduit a une théorie éclectique. Nombreux sont les centres qui participent en même temps que le noyau coudé à la production des états de conscience effectifs et par suite de l'Emotion ; les phénomènes de sensibilité organique coexistent avec les phénomènes de la sphère intellectuelle pour produire l'Emotion ; les variations vaseulaires cérébrales participent aux variations mentales et peuvent présider aux variations périphériques.
C'est cette théorie éclectique qui va nous servir à l'interprétation et à l'explication des améliorations survenues dans le cas de notre malade, où le double traitement par la suggestion hypnotique et les rayons rouges ont donné les résultats déjà énoncés. Pourtant il faut avouer l'importante prépondérance que nous accordons aux troubles vasculaires, troubles en rapport avec les modifications survenues dans le fonctionnement du grand sympathique, et à qui nous attribuons un grand rôle dans les troubles non seulement émotifs, mais même objectifs des syndromes Basedowiens.
Le sommeil hypnotique est le facteur qui a produit la sédation géné-
rale, qui a écarté de l'esprit du malade toute distraction et qui l'a débarrassé de tout choc psychomoteur ; le sommeil provoqué par hypnose a déterminé, d'après MM. les Drs Bérillon et Magnin, l'inhibition et la dynamogénie des différents centres qui participent, en même temps que le noyau eau dé. à la production des états de conscience affectifs ; c'est dans le sommeil provoqué que nous avons pu, grâce à la suggestion, lui faire recevoir nos affirmations ; le sommeil hypnotique est enfin le facteur qui a déterminé la sédation du système sympathique, élément le plus important d'après nous, car il a eu comme résultat les modifications de vascularisation cérébrale et périphérique, sur le compte desquelles nous mettons, non seulement les troubles d'émotivité. mais aussi les symptômes objectifs présentés par la malade. (Goitre exophtalmique, tremblements.etc).
En ce qui concerne l'application des rayons rouges, nous croyons qu'ils ont constitué un facteur secondaire surajouté, leur action locale sur le système vasculaire influençant le sympathique et indirectement le cerveau {centre de différents troubles observés).
Il résulte donc 1° que nous accordons un rôle important au grand sympathique qui, d'après nous, tient sous sa dépendance les troubles d'émotivité et les symptômes objectifs de la maladie de Basédow : 2° que la sédation de ce système permet d'obtenir ia guérison des premiers et l'amélioration des seconds.
D'ailleurs, le rôle du sympathique dans les différentes manifestations tant de l'hypnose que du goitre exophtalmique est bien prouvé. A l'appui de cette dernière affirmation nous rappellerons que :
lj Les différents troubles observés et décrits par de nombreux auteurs pendant et sous l'influence de l'hypnose fies troubles des pupilles, des paupières, de la circulation de la face et de la tête.des glandes lacrymales et sudoripares. etc i ne peuvent être attribués d'après les connaissances actuelles d'anatomo-physiologie qu'à l'action de ce système.
2° Les résultats obtenus pendant l'hypnotisme dans les modifications de la tension artérielle, modifications soigneusement étudiées par M. le Dr Bérillon et dans les maladies mentales par M. Luzicato à l'aide de différentes méthodes sphygmographiques.
3° Les résultats obtenus et consignés par de nombreux et distingués chirurgiens sur l'amélioration des différents troubles de syndrome base-dowien, à la suite des opérations pratiquées sur le sympathique même (portion corvicalej : extirpation, résection de nerfs et ganglions (sympa-thectomie . Nous avons cru intéressant de faire connaître cette observation et quoique n'apportant qu'un cas unique, nous croyons qu'il suffit pour montrer l'infuence des méthodes psychiques sur les troubles émotifs et même objectifs de la maladie de Basedow.
Nous allons suivre cette intéressante étude, et si les résultats confirment le fait signalé, si la guérison de ces symptômes se maintient, les recherches auxquelles elle va donner lieu, fourniront une explication plus claire de leur mode d'action et serviront peut-être à l'interprétation
de la pathogénie de celte maladie tout en contribuant surtout à la guérison de ses manifestations. En effet, si les troubles émotifs sont quelquefois les seuls qui attirent l'attention et constituent l'objet d'inquiétude du malade, les troubles objectifs sont encore souvent apparents et prennent une gravité plus grande que les premiers par suite des troubles et des complications auxquelles ils les exposent.
Un cas d'influence psychothérapique indirecte
par M. le Docteur Douglas Bryan (de Leicesier)
Le cas suivant est un exemple a l'appui de mon travail critique sur l'état de veille apparente comparé à l'état de veille réelle.
J'ai soigné par la suggestion hypnotique une dame âgée de trente-cinq ans qui souffrait d'une constipation opiniâtre depuis son enfance. Elle venait pour se faire traiter trois ou quatre fois par semaine. Son mari l'accompagnait généralement ; mais à cinq ou six reprises différentes il en fut empêché et une dame de ma maison resta alors avec elle dans la chambre. Le traitement consistait à endormir la malade et a lui faire des suggestions pendant cinq minutes; puis je la laissais dormir environ un quart d'heure et je venais la réveiller.
Au bout d'un mois, elle fut guérie. La dame qui était restée avec elle à différentes reprises me dit. par hasard, que la constipation qui la gênait depuis plus de six aus avait soudain disparu et que ses intestins fonctionnaient régulièrement tous les jours. Je lui dis que j'avais plaisir à apprendre cela. Comme elle me demandait la raison de cette soudaine guérison. je lui répondis que je n'en avais aucune idée, et n'y pensai plus.
Quelques jours plus tard elle me dit : « Je sais ce qui a guéri ma constipation : ce sont ies suggestions que vous avez faites à votre malade, car il se trouve que j'agis tout-à-fait en accord avec elle pour ce qui concerne le moment, etc., etc.
C'était en effet le cas et la guérison s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. Or cette dame n'avait jamais été hypnotisée, maïs elle était souvent restée dans la chambre avec nombre de mes malades que j'avais endormis, entendant maintes suggestions, y compris celles relatives à la guérison de la constipation. Il y a environ dix-huit mois j'avais essayé de l'hypnotiser pour une névralgie faciale, et une autre fois pour des douleurs dorsales mais sans succès ; elle n'avait montré aucun signe de snggesti-bilité et de plus se considérait comme tout à fait rebelle, à l'hypnotisme-Pendant que je soignais l'autre malade, cette dame reposait sur un sofa occupée à lire ou à coudre et je suis sur qu'elle ne prêtait aucune attention consciente aux suggestions qu'elle était si habituée à entendre.
Quand elle me dit que sa constipation avait disparu, il ne me vint pas d'abord à l'esprit que cela put avoir un rapport direct avec les suggestions faites à ma malade, et je pensai que cette guérison, dûe purement au hasard, ne valait pas la peine d'être prise en considération, mais quand, plus tard, elle me fit remarquer combien cela répondait exactement aux suggestions faites à l'autre personne, je changeai d'opinion et fus forcé d'envisager la cure comme le résultat de mes suggestions.
RECUEIL DE FAITS
Monoplégie du membre supérieur, datant de sept mois, guérie instantanément par suggestion impérative
Une enfant de 12 ans. très nerveuse, est adressée au docteur Lupianez pour une monoplégie du membre supérieur droit datant de 7 mois, afin qu'il la traite par l'électricité. Un an auparavant elle est tombée sur la lête et elle a éprouvé une contusion ; 4 à 5 mois après, apparut subitement la paralysie sans aucun autre trouble. L'enfant raconte qu'elle a été 6 h 7 jours sans uriner ; à part une salivation abondante, elle n'éprouve, pendant ce temps, aucun des troubles qui accompagnent l'anurie ou la rétention : quand les urines réapparurent elles étaient normales, même comme quantité. Avant sa paralysie elle éprouva de fréquents maux de tête et, par moments même, elle ne savait plus ce qu'elle disait. Les bains d'Alarye l'améliorent. Elle a la sensation de la boule hystérique et a eu quelques attaques convulsives. Sa mère est hystérique. Le membre paralysé est en adduction, l'avant bras fléchi par le bras, la main et les doigts étendus normalement, le pouce en dedans. Le Dr Lupaniez lui ordonne de faire le signe de la croix de la main gauche et de faire prendre a la droite la même position. Elle répondit que cela lui est impossible : on lui fait faire le mouvement et. sans effort, elle conserve la position. Le Dr lui ordonne aussitôt de porter son bras en dehors, ce qu'elle essaye de faire en s'aidant du bras sain ; puis, d'une manière absolument impérative, il lui commande de ne s'occuper que de sa main gauche qu'il a mise en l'air et. s'emparant de la volonté de l'enfant, en quelques secondes, il peut voir les muscles jusqu'alors contractures se relâcher, le membre se mettre en extension et l'enfant remuer doigts et bras, puis se jeter-au cou de son père et lui dite en pleurant : « .Te suis guérie, allons voir maman. *
CHRNIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
Lu prochaine séance de lu Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 19 décembre 4 heures et demie, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpetrière.
Les séances ont lieu le troisième mardi de chaque mois. Elles sont publiques. 1*3 médecins, les étudiants et les membres de l'enseignement sont invités à y assister.
Adresser les titres de communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire-général. 4, rue de Castellane et les cotisations a M. le Dr Paul Farez. trésorier. 154 boulevard Haussmann.
Communications déjà portées à l'ordre du jour : Dr BERTHET : La rééducation du pied contre l'entorse.
M. MOBET. médecin-vétérinaire : Du dressage des animaux envisagé au point de vae psychologique. M LEPIXAY : Procédés d'éducation visuelle chez le chien.
Dr Jennings (du Vésluet) : Le traitement psycho-physiologique des morphinisés d'habitude.
Dr Paul Farez : L'onirothérapie suggérée.
Dr Berillon :Bôle de lu détente musculaire dans la production de l'hypnotisme.
ECOLE DE PSYCHOLOGIE
49, rue Saint-André-des-Arts, 49
(au siège de l'Institut psycbo-physiologique)
Comité de Patronnage
MM. Beaunis. dir. hou. du laboratoire de psychologie à la Sorbonue : A. Bixet, dir. du laboratoire de psychologie à la Sorbonne : Blaxchard, prof, à la Faculté de Médecine : Boirac, recteur de l'Académie de Dijon : Brissaud, prof, à la Faculté de Médecine ; Lionel Dauriac, prof. hon, de la Faculté de Montpellier ; Marcel Dubois, prof, à la Sorbonue ; Giard, prof, a la Sorbonne : Huchard, membre de l'Académie de Médecine; Ribot, prof. hou. au Collège de France ; Albert Robin, prof, à la Faculté de Médecine ; J. Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Ecolede Psychologie (49, rue Saint-André-des-Arts. Liste des présidents et des conférenciers des séances de réouverture 21 Janvier 1901. Prof. Tarde. — Dr Bérillon et Dr Paul Magnins. 13 Janvier 1003. Prof. Albert Korin. — Dr Paul Maonin. 12 Janvier 1903. Prof. Giard. — Dr Caustier, agrégé de l'Université. 12 Janvier 1904. Prof. Raphael Blanchard. — Dr Paul Farez. 10 Janvier 1905. Prof. Marcellin Berthelot- — Dr Bérillon.
10 Janvier 1906. Dr Jule.- Voisin, médecin de la Salpétrière. — Dr Paul Magnin. 1er Février 1908. Inauguration du buste du Dr Liébeault : Berthelot, Bienvenu-Martin et Jules Voisin. — Dr Paul Magnin. Dr Lloyd-Tuckey et Dr Bérillon. 9 Janvier 1907. M. Bienvenu-Martin. sénateur, anc. ministre. — Dr Binet-Sanglé. 9 Janvier 1908. Prof. Brissaud. — Prof. Ubeyd-Oullah et Dr Bérillon. Janvier 1909. M. Doumer, député, anc. ministre. — Prof. Scié-tox-fa.
Programme des Cours et des Conférences de l'Ecole de Psychologie
POUR L'ANNÉE 1909 (9e année)
La neuvième séance le réouverture îles cours, aura tien le lundi lu Janvier, a ?> heures, sons In présidence de M. ?????. député, uncien ministre.
ORDRE DXJ JOUR :
lu 1)" ????.1.?\ : 1? programme de l'Ecole de Psychologie :
¦.' M. i "r m ?-, i.n h . avocat il In Cour d'Appel : Les émises psychologiques de l'erreur judiciaire.
ECOLE DE PSYCHOLOGIE
4$, rue S*int-Andrè-des-.\rts, ??
Cours de 1910 ;'?• assék! ??? cm» et tea cimfëitncts de ????? dr ??-jclioto'jic mal /iiibtics»
Hypnotisme thérapeutique. — Psychothérapie DT Bliiii.lon, professeur.
Objet du coins : 1° L'hypnotisme et les méthodes de rééducation en psychothérapie. 2» L'hypnotisme et l'orthopédie mentale : Les arriérés du jn«ement.
Les jeudis à cinq heures, k partir du jeudi 1-1 Janrier.
Hypnotisme expérimental D'Panl Maosin, professeur.
Objet du cours : Les rééducations psycho-motrices.
I*s jeudis à cinq heures et demie, à partir du jeudi IX janvier.
Psychologie pathologique.
D' Paul Faiirz. professeur.
Objet du cours: Lu psychologie-physiologie de la soif. /•'* samedi* à cinq heures, à partir du samedi H janvier.
Pathologie mentale appliquée aux religions.
D' Biskt—Sàxgi-É, professeur.
Objet du cours : Jésus de Nazareth. (Suite du cours de l'année précédente). Is* samedis a cinq heures et demie, a partir du samedi l-> janvier.
Psychologie sociale.
D Bboiia, professeur.
Objet du cours : Les problèmes psychiques de l'humanité contemporaine. Les mercredis à cinq heures, à partir du mercredi jî* janvier.
Psychologie des races.
SI. Sciê-Tos-Fa, professeur.
Objet du cours : La civilisation chinoise.
Les mercredis à cinq heures et demie, à partir du mercredi l~ janvier.
Psychologie expérimentale
M. Louis Favre.
Objet du cours : De la méthode dans les recherches psychiques. Les vendredis à six heures, à partir du vendredi 14 janvier.
Psychologie musicale
Dr Demonchy. professeur.
Objet du cours : Les procédés psychologiques dans l'éducation musicale. Les vendredis à cinq heures et demie, à partir du vendredi 14 janvier.
Psychologie du criminel. M. Guilhermet, avocat à la cour.
Objet dn cours : Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire. Les vendredis à cinq heures, à partir du vendredi 14 janvier. Psychologie des animaux.
M. Lépinay, médecin-vétérinaire, professeur.
Objet du cours : Les diverses formes du langage chez les animaux. Les mardis à cinq heures et demie, à partir du mardi 11 janvier
Anatomic et psychologie comparées. M. Grollet, médecin-vétérinaire, professeur.
Objet dn cours : Le cerveau, orgine de la pensée chez les animaux supérieure. Les mardis à cinq heures, a partir du mardi 11 janvier-
HORAIRE DES COURS :
Heure- lundis mardis jeudis vendredis
5 h. 3h.1/2 Conferences 1 générales Grollet Broda Bérillon Guilbermet P. Farez
Lépinay Selé Ton-Fa P. Magnin Demonchy Binet-Sanglé,
6 h. L. Favre
INSTITUT PSYCHO-PHYSIOLOGIQUE
49. rue Saint-André-des-Arts.
L'Ecole de Psychologie et l'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychologie physiologique et de la pédagogie suggestive.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique comporte :
I. Ecole de psychologie : (Voir le programme des cours et des conférences).
Professeurs correspondants : Dr Paul Joire: (Lille). Dr Jaguaribe (Saô-Paulo,Brésil), D' Orlitzkv (Moscou), Dr Damoglou (Le Caire), Dr Vicente Heemandez (Séville), Dr Quackenbos (Sew-York). Dr Lingbeek (La Haye). Ureyd Quillah (Sinyrne), Dr Bahaddin (Constantinople). Dr Macaetney Montévidéo).
Professeur honoraire : Dr Wateàu.
II. Dispensaire pédagogique et neurologique — Dispensaire antialcoolique-
Médecins : Dr Bérillon, Dr Paul Magnin, Dr Paul Parez, Dr Bevalot, Dr de la Fouchardière.
III. Laboratoire de psychologie expérimentale.
Chefs des travaux: Dr Bérillox. Dr Demonchy. Dr Oreda.
IV. Laboratoire de psychologie comparée. Chefs des travaux : MM. Lépinay et Géollet, médecins vétérinaires.
V. Education physique.
Chef des travaux: M. Gosset.
VI. Musée de psychologie.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie.
Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme à la psychothérapie et à la pédagogie, reprendront le jeudi 15 janvier à 10 heures du matin. Elles seront dirigées par les Dr Bérillon, Magnin, Paul Farez. Bévulot et do la Fouchardière. On s'inscrit les Jeudis a l'Institut psycho-physiologique, 19, rue Saint-André-des-Arts.
Consultations du Dispensaire pédagogique.
Les consultations données au Dispensaire pédagogique, sous les auspices de l'Ecole de psychologio ont lien les mardis, jeudis, samedis de dix heures à midi, 11. rue Saint-André-des-Arts.
Ces consultations sont destinées aux enfants et anx adolescents anormaux (retardataires, instables, timides. Indisciplinés, pervers et nerveux).
Les médecins, les étudiants et les membres de l'enseignement sont admis aux consultations du jeudi.
Promenades et excursions psychologiques.
Les coure de l'Ecole de psychologie seront complétés par des excursions psychologiques. Des visites à la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle et au laboratoire de psychologie comparée auront lieu sous la direction de M. Lépinny. (On s'inscrit au Cours).
Excursion pédagogique.
Une excursion pédagogique aura lieu un dimanche a l'Etablissement médico-pédagoglque de Crétell (enfants et adolescents retardataires et nerveux), sous la direction de MM. les Drs Bérillon et Quinque directeurs. (On s'inscrit nu Cours).
Conférences psychologiques.
Les conférences psychologiques hebdomadaires portant sur ton Ma les branches de la psychologie, et faites par les savants les plus autorisés, ont Heu les lundis ù cinq heures, à partir du lundi 12 janvier. (Consulter le programme spécial).
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie
Ecole de psychologie. 49, rue Saint-André-des-Arts. — Les cours de l'Ecole de psychologie ont lieu tous les jours à cinq heures jusqu'à fin mars. Des conférences hebdomadaires sont faites les lundis à cinq heures.
Cours de clinique psychotheraphique. — MM. les Drs Bérillon et Paul Farez reprendront à l'Ecole de psychologie. 49. rue Saint-André-des-Arts, le jeudi 25 novembre à 10 heures et demie du matin leurs leçons de Clinique psychothérapique, avec présentation de malades.
Dispensaire pédagogique, 49. rue Saint-André-des-Arts. — Consultations les mardis, jeudis, samedis, de 10 heures à midi, pour les enfants anormaux (retardataires, instables, vicieux et nerveux). Les professeurs, les médecins et les étudiants sont admis aux consultations du jeudi.
Dispensaire asti-alcoolique, 49. rue Saint-André-des-Arts. — Mardis, jeudis, samedis à 10 heures.
Hospice de la salpêtrière : Clinique des maladies nerveuses. — Les leçons du professeur Bay mond ont lieu tous les mardis et vendredis à 10 h.
Service du Dr Jules Voisin. — Leçons cliniques les jeudi à 10 heures.
Consultations les samedis à 9 heures.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Marie (A.). Bechterew, Cloustox, G-rasset. Lugahd, Magxax, Pilcz. Baymoxd. Ziehex. Traité international de psychologie pathologique. Tome I : Psychopathologie générale. TJn vol. grand in-8 de XII-1028 pages. (Paris. Félix Alcan. éditeur). Prix : 25 francs.
Majret et Salager : La folie hystérique. Coulet, Montpellier. in-S 252 pages. 1910.
Les mystères de l'au-delà Dialogues sur le catholicisme entre un croyant et un athée. In-8, 223 pages iDaragon, Paris. 1910) : Prix : 5 fr. Dp Bixet-SaxglE : La folie de Jésus. Tome II. 9. In-12. 515 pages.
Paris. Matoine. 5 fr. Dr ü. Jexxixgs : The morphia habit and its voluntary renunciation. In-
12. 492 pages. Baillière Tyndall. London, 1909. DrJ. Box jour, de Lausanne : La suggestion hypnotique et la psycho-
théraj ie actuelle. In-12. Paris. J-B. Baillière, 111 pages. Dr Pierre Jaxet : Les névroses In-12. 397 pages. Bibliothèque de philosophie scientifique. Flammarion. Paris, 1909. 3 fr. 50. Dr Geraud Boxxet : Les merveilles de l'hypnotisme. In-12. 28 pages.
Rousset, Paris 1905 3 fr. 50. Dr Bérillox : Le traitement psychologique de l'alcoolisme. — In-12. 32
pages. Paris. 1906. Bureaux de la Berne de l'Hypnotisme 1 fr. Dr Bérillox : Le concours de l'agrégation en médecine : nécessité de
son remplacement par l'institution des privat-docent. In-S°. 24 pages.
Bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. 1 fr. L. Bérillox : La timidité chez l'enfant. 24 pages. In-8° Bureaux de la
Revue de l'Hypnotisme. 1 fr. Dr Bérillox : La psychothérapie graphique : son importance dans le
traitement des psychonévroses. Broch In-12. S pages. 0 fr. 50. Dr Bérillox : L'Œuvre psychologique du Dr Liébault. In-8°. 40 pages.
Revue de l' Hypnotisme. 1 fr.
L'administrateur : J. bérillox. Le Gérant : constant Laurent, privas
Privas, imp. c Laureat, avenue du vanel.
BEVUE DE L'HYPNOTISME
24e Année — N° 6. — Décembre 1909.
BULLETIN
Dixième réouverture des cours de l'Ecole de psychologie. — Une leçon sur la psychothérapie il la Faculté de médecine.
La dixième réouverture des cours de l'Ecole de psychologie aura lieu le lundi 10 janvier, à cinq heures, sous la présidence de M. Cruppt. député, ancien ministre.
La leçon d'ouverture sera faite par M. Guilhermet. avocat à la Cour d'appel. Elle aura pour sujet : Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire.
La question abordée par M. Gnilbermet est de celles qui doivent, avec le plus de raison, solliciter l'attention des esprits généreux et amis de l'équité. 11 appartenait a l'Ecole de psychologie, qui ne reste indifférente devant aucun des grands problèmes philosophiques, de mettre à son ordre du jour une étude qui témoigne de son souci constant de l'actualité.
A cette séance il sera fait remise d'un buste du professeur Liégeois, de Nancy, par M. Liégeois fils, juge d'Instruction a Epinal. Ce buste est conforme a ceux qui ont été inaugurés récemment à Bains-les-Bains et à Danvillers. La remise de ce buste sera pour nous, l'occasion de rendre un nouveau témoignage d'admiration à la mémoire du maître regretté.
Cette année, l'enseignement a l'Ecole sera continué par MM les docteurs Bérillon. Paul Magnin, Panl Farez. Binet-Sanglé, Broda, Demonchy. MM. Lépinay et Orollet. médecins-vétérinaires, poursuivront leurs enseignements sur la psychologie comparée. M. Louis Favre consacrera ses leçons a l'emploi de la méthode expérimentale en psychologie.
Les cours seront complétés par des conférences hebdomadaires ayant lieu le lundi à cinq heures. Le programme de ces conférences comporte les sujets les plus variés se rapportant à la psychologie.
Les cours et conférences de l'Ecole de psychologie sont publics. Nos lecteurs sont conviés à assister.
L'annonce d'une leçon do professeur Gilbert sur lit psychothérapie avait amené à la Faculté de médecine une recrudescence d'auditeurs. Désireux de connaître les opinions du professeur sur celte question d'actualité. Je m'étais également rendu dans son amphithéâtre. A ma grande surprise, la leçon n'était pas faite par le professeur lui-même, mais par un conférencier très barbu, dont la personnalité n'était inconnue. Ayant demandé a quelques auditeurs quel était le nom du conférencier, le n'obtins que des réponses évasives.
Le premier me répondit : « C'est le cours du professeur Gilbert ». Le second émit la supposition que le professeur s'était fait ce jour lit suppléer par un ngrégé. Enfin le troisième me dit : « Ce doit être un professeur étranger : d'après sou accent, je 6nppose que c'est nn Belge ». Devant l'insuccès de mes questions, Je jugeai inutile d'insister et m'appliquai à profiter de l'occasion qui s'offrait à mol de m'instruire sur la psychothérapie.
Tout d'abord, j'appris que les chirurgiens ouvraient trop facilement le ventre de leurs malades, et que, dans bien des cas. quelques paroles réconfortantes devaient suffire à dissiper les appendicites les plus rebelles. Ensuite, l'orateur, reprenant la théorie des rapports du physique et du moral, exposa sa manière de concevoir ces rapports. Pour lui, c'est à tort que le siège de l'intelligence est localisé dans les centres nerveux. Il y a dit-il, de l'intelligence dans toutes les cellules de l'orga-
nisme. « Les choses se passent comme dans nne usine, où les produits fabriqués ne sont pas le résultat de l'inspiration du directeur, mais de la collaboration intelligente du moindre des ouvriers ». Ce paradoxe, qnt serait a sa place dans une réunion socialiste, est-il bien contorme a ln réalité des faits? L'ouvrier qui passe sa Journée à charger et a décharger du charbon on A reproduire Infiniment la même opération limitée au même fragment d'objet, accomplit-il une tache Intelligente. Ce n'est pas l'avis des plus grands économistes. Proudhon n'a-t-il pas dit : « Le travail amenant par sa division parcellaire, l'affaiblissement de l'esprit, diminue dans l'homme la plus noble partie de lui-même et la rejette dans l'animalité. Dès ce moment, l'homme déchu travaille en brute ». C'est également la conclusion de Tocqneville : « A mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, l'ouvrier devient plus faible, plus borné, plus dépendant. L'Art fait des progrès,l'artisan rétrograde «.L'exemple de l'intelligence de l'ouvrier d'usine jouant un rôle dans l'extension de l'industrie paraîtra, a plus d'un, mal choisi. A ce compte, 11 faudrait aussi décerner un brevet d'Intelligence nn cheval qui traîne le camion, a la machine qui façonne les produits. C'est cependant sur cet exemple que le conférencier a basé sa démonstration de l'intelligence de toutes les cellules de notre organisme. D'après lui, il y a de l'esprit dans toutes les cellules. Les cellules du foie, de la rate, des valvules dn coeur étant, par simple décret, proclamées intelligentes, la psychothérapie consiste a faire appel a l'intelligence de ces cellules. Incapables de résister a l'influence de bonnes paroles, elles se conduiront désormais comme des personnes bien élevées. Voilà la théorie que l'on affirme être la sente rationnelle.
J'avouerai que cette affirmation ne m'a pas convaincu. Il y a certains qualificatifs dont l'usage m'inspire une défiance instinctive. J'avoue partager a cet égard l'opinion du sage de l'antiquité qui disait : « Quand quelqu'un m'annonce que ce qu'il va me dire est l'expression de la pins exacte vérité, Je m'attends toujours a l'énoncé du mensonge le plus éhonté. » L'étiquette rationnelle, appliquée sur une doctrine, ne suffit pas nécessairement a en justifier le bien fondé.
« Le vrai peut quelquefois n'être pu vraisemblable ».
Parodiant Bolleau, me serait-il permis de supposer que le rationnel • IVui quelquefois n'être pas raisonnable. »
Keste à savoir si les élèves du professeur Gilbert ont acquis la moindre notion pratique qui leur permette d'appllqner. le cas échéant, la psychothérapie. L'émincnt professeur de la faculté de médecine no m'en voudra assurément pas d'eu douter.
TRAVAUX ORIGINAUX
La psychothérapie et les méthodes de rééducation. Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille »
par M. le Br Bérlllox, professeur à l'Ecole de psychologie.
(Suite.)
Suggérer quelque chose k quelqu'un, cela veut dire que par simple affirmation, sans l'intervention d'aucun raisonnement, on a provoqué chez lui des opinions, des mouvements, des sensations et des actes.qui ne seraient pas survenus si la suggestion n'en avait pas été faite. Transportée dans le vocabulaire médical, la notion de la suggestion évoque l'idée qu'elle pent être utilisée pour obtenir la disparition de signes et de symptômes morbides. Cela ne peut signifier autre chose. Il est évident que si l'action du psychothérapeute s'appuie sur des raisonnements,
s'il fait intervenir des arguments destinés à persuader, à déterminer, il ne saurait plus être question de suggestion.
S'efforcer, comme on l'a encore tenté récemment, d'établir une confusion entre la suggestion, qui procède par affirmation sans réplique, et la persuasion qui, pour convaincre, fait, au contraire, appel à toutes les ressources de la dialectique, constitue le plus méprisable des sopliismes par méconnaissance de la valeur propre des mots. La suggestion et la persuasion sont deux procédés absolument différents. Soutenu* le contraire, c'est se décerner à soi-même un brevet de mauvaise foi, à moins que ce n'en soit un d'inconscience ou d'incohérence.
Si nous conservons donc au mot suggestion son sens exact qui est celui d'influencer quelqu'un par affirmation péremptoire, il est hors de doute que l'emploi d'un tel procédé pourra réaliser des effets physiologiques ou thérapeutiques chez un sujet préalablement plongé dans l'état d'hypnotisme. Mais j'affirme que cette même suggestion, quand elle s'adresse a un sujet adulte, à l'état de veille, doué de son pouvoir habituel de contrôle et n'ayant été soumis à aucune manœuvre préparatoire, n'est doué d'aucune valeur thérapeutique. Cependant il ne se passe pas de joui* où quelque auteur n'affirme qu'il a obtenu des guérisons ou de simples améliorations par le seul emploi de « la suggestion à l'état de veille ». En réalité, les illusions de ces auteurs sur les prétendus effets Physiologiques et thérapeutiques de « la suggestion a l'état de veille > ne sont que le résultat d'observations incomplètes. Les erreurs dont ils sont les victimes proviennent d'une série de causes dont les principales sont les suivantes :
Io La méconnaissance de l'hgpnotisme fortuit ;
2° Les états hypnoïdes fréquents chez les hystériques des deux sexes ;
3° L'infériorité intellectuelle des malades d'hôpital et le défaut d'intérêt de leur observation psychologique ;
4° La suggestibililé et la crédulité naturelle des enfants ;
5° L'insuffisance d'éducation psychologique ches les cliniciens.
1. L'HYPXOTJSaiE FORTUIT
Un cas d'hypnotisme survenant chez un sujet, à l'insu du médecin, après une tentative qui avait paru suivie d'insuccès fut communiquée à la Société d'Hypnologie et de Psychologie, en février 1896, par M. le Dr Le Menant des Chesnais (1). Ce fait démontrait que l'action de l'hypnotisme réalise souvent des effets plus profonds que les dires du malade pourraient le faire supposer. Des malades qui affirment ne pas avoir été hypnotisés ont, au contraire, été plongés dans un état d'automatisme très marqué. Dans ces conditions, si un résultat thérapeutique quelconque se trouve obtenu, un observateur superficiel ne manquera pas de l'attribuer a la suggestion a l'état de veille.
(1) Le Menant des Chesnais : * Du sommeil provoqué à l'insu du malade dans un cas, a I'insu du médecin dans l'Autre.* (Revue de l'Hypnotisme, 11e année. n° 1. juillet 1890, p. 23.
Les faits analogues â celui qui fut exposé par le Dr Le Menant des Chesnais sont extrêmement fréquents Dans ma pratique, j'ai eu l'occasion d'en observer un très grand nombre. Je les ai signalés, à plusieurs reprises, dans mon enseignement. Il n'eût pas été inutile, pour l'édification du plus grand nombre, qu'ils eussent été publiés.
Le premier des observateurs qui. avec une sagacité dont il faut le louer, ait appelé l'attention sur la fréquence de l'hypnose fortuite est le Dr Henri Dcsplats. professeur de clinique médicale à la faculté libre de Lille. Ce savant clinicien, dont toutes les observations relatives à l'hypnotisme témoignent d'un sens psychologique si avisé, avait remarqué, à plusieurs reprises, que des malades auxquels il s'adressait, sans avoir l'intention de les hypnotiser, présentaient des manifestations d'hypnose spontanée.
Dans un cas publié par lui dans la Revue de l'Hypnotisme en 1897. il s'agissait d'un jeune homme employé dans un établissement religieux. L'hypnose fortuite était le résultat de l'action exercée par les douces paroles du directeur et ses compresses constamment renouvelées. Pour faire cesser l'état d'hypnose le Dr Desplats n'eut qu'à souffler sur les yenx du sujet eu lui disant impérieusement : « Réveillez-vous ». La fin de son article se terminait par les considérations suivantes : « Il est donc vrai que certains sujets peuvent être hypnotisés, sans qu'on s'en doute, par les manœuvres et les manifestations des gens qui les entourent et par les objets eux-mêmes. Cette hypnose, que j'appelle fortuite, est beaucoup plus commune qu'on ne pense, surtout chez tes sujets entraînés; elle peut être l'occasion d'absences, d'actes inconscients, d'accès convulsifs. etc. » (Il
Malgré l'intérêt que présentait la communication du Dr Henri Desplats, il ne parait pas qu'elle ait suffisamment retenu l'attention des cliniciens. En effet, lorsqu'on examine avec un peu de soin les observations deB auteurs qui prétendent avoir obtenu des effets thérapeutiques par le seul emploi de la suggestion à l'état de veille, il n'est pas difficile de reconnaître que les sujets auxquels ils s'étaient adressés, avaient été préalablement plongés par eux dans J'état d'hypnose. Dans un grand nombre de ces observations il ne s'agit même pas d'hypnose fortuite mais d'hypnose réellement provoquée. C'est ce qu'avait fort éloquem. ment exprimé le Dr Liébeault dans le dernier article qu'il adressa à la Revue de l'Hypnotisme et qui y fut publié sous le titre : « L'état de veille et l'état d'hypnose. » (2)
« On a beaucoup parlé, écrivait-il dans ces derniers temps, de la suggestion à l'état de veille, et les quelques disciples du professeur Delbœuf qui ont admis, avec lui, cette opinion irréflective sur la possibilité de l'efficacité d'une telle suggestion, sont allés même jusqu'à dire qu'elle est, dans ce cas. j lus puissante sur l'orgauisme qu'elle ne peut l'être
(1) DT Henri Desplats : L'Hypnose fortuite (Revue de l'Hypnotisme. Vi' année.X*ï. Juillet 1897, P. 5).
(*2) Liêheaclt : L"état de veille et l'étui d'hypnose (Hevue de l'Hypnotisme. 12e année, mai 1908.
dans le sommeil. Ils se sont grandement trompés. S'ils ont eu des succès, ces succès ont dû être peu importants, et ils ont été uniquement les fruits d'un sommeil partiel et spontané. »
C'est par une absolue communauté de vues avec le savant inspirateur de l'Ecole de-?vancy que j'ai été amené à reprendre cette question d'un intérêt si capital Je l'ai fait dans un travail paru en 1903 sons le titre : « L'hypnotisme fortuit et l'auto-hypnotisation (1).
Avant d'y aborder l'examen particulier de faits qui démontrent jusqu'à l'évidence, que des guérisons par « suggestion à l'état de veille » avaient, au contraire, été réalisées dans l'état hypnotique » j'y énonçais des considérations qu'il me parait utile de reproduire ici, car depuis ce moment, de nouvelles observations n'ont fait que me confirmer dans mon opinion :
« L'hypnotisme, qui consiste primitivement dans l'inhibition. c'est-à-dire dans la suspension d'activité de quelques-unes des fonctions mentales, et en particulier de la volonté, peut survenir fortuitement. Les causes qoi sont susceptibles de produire l'hypnose peuvent s'exercer sur un individu sans qu'il y ait chez autrui aucune intention de provoquer cet état. En un mot, un homme peut s'auto-hypnotiser involontairement et spontanément. L'état d'esprit que l'on a désigné sous le nom d'expec-tant attention, certains états affectifs ou émotifs, la fatigue, peuvent favoriser l'auto-hypnotisation chez des individus prédisposés ou simplement ignorants. Les états psychiques que l'on désigne sous le nom de timidité ne sont le plus souvent que des états d'auto-hypnotisation incomplète . Les états hypnoïdes spontanés sont fréquemment le résultat de chocs physiques ou d'impressions morales vives s'exerçant sur des hystériques, des fatigués, des alcooliques ou des intoxiqués. L'imitation et les influences du milieu jouent aussi nn rOle considérable dans la production des états hypnoïdes. De plus, la suggestibilité des individus, loin d'être identique, varie sous l'influence des différentes dispositions organiques. L'ensemble des conditions qui concourent à la production de l'hypnotisme est fort complexe. Il en résulte que tel individu qui n'est pas hypnotisable aujourd'hui pourra l'être le lendemain au plus haut degré, et que tel sujet qui sera réfractaire à l'influence d'un individu subira au plus haut point la domination d'un autre. »
« Mais, de toutes les causes susceptibles de provoquer l'hypnose fortuite, la plus puissante est assurément l'intimidation exercée par des personnes douées d'une certaine autorité naturelle ou auxquelles on attribue quelque prestige. Certains hommes sont doués naturellement de ce pouvoir d'intimidation. Parmi les médecins dont l'influence intimidatrice s'c6t le plus souvent manifestée d'une façon efficace au point de vue thérapeutique, nous devons citer Charcot et Dumontpallier. Par simple affirmation nous avons vu ces maîtres provoquer chez des malades de
(1) Bérii.los : l'hypnotisme fortuit et ranto-hypnotisation. (Revue de l'Hypnotisme, 17e année, n- 10, avril 1903.
leur clinique de véritables inhibitions psychiques, sans avoir eu recours préalablement h aucun procédé d'hypnotisation. •
« Dumontpallier, en particulier, excellait dans l'an de créer, chez une hystérique, une paralysie psychique,par simple suggestion impérative. »
* Que des paralysies psychiques soient obtenues chez un sujet préalablement hypnotisé, cela n'a rien de surprenant. Ce qui parait plus singulier, c'est qu'elles puissent être provoquées dans l'état de veille apparente aussi bien chez des sujets qui ont été déjà endormis auparavant que chez d'autres qui n'ont jamais été hypnotisés et même n'ont jamais entendu parler d'hypnotisme. Or, il est inadmissible de considérer comme étant en état de veille complète un être qui, tout à coup ne peut plus, par exemple, marcher ou se servir d'un membre, simplement parce qu'on lui en a fait la suggestion.
€ A cet égard le public prouve souvent qu'il a sur l'hypnotisme des notions plus claires que beaucoup de médecins. Dans le langage courant le mot hypnotisme est synonyme de monoïdéisme et l'on dit d'un individu qu'il parait hvpnotisé lorsque son attention s'est absorbée dans une idée fixe et qu'il en résulte par lui une diminution de ses facultés de contrôle. »
« La possibilité de l'hypnotisme fortuit ou de Vauto-hypnotisme spontané explique l'action thérapeutique, en apparence si merveilleuse, de ce que l'on appelle a tort la suggestion à l'état de veille. En réalité, la puissance de la suggestion n'acquiert chez certains sujets une telle intensité que parce qu'ils se sont spontanément et préalablement auto-hypnotisés par la mise en jeu de Vexpectant attention. »
« Si l'on soumettait à une critique rigoureuse les observations dans lesquelles des médecins ont affirmé qu'ils avaient obtenu un résultat thérapeutique par suggestion à l'état de veille on démontrerait d'une façon évidente que la production préalable de l'influence hypnotique a précédé la suggestion, ainsi que cela résulte de leurs propres descriptions. »
Une observation détaillée du Dr Gibert, du Havre, dans laquelle il prétendait avoir obtenu une guérison par « suggestion a l'état de veille », alors qu'en réalité ses procédés l'avaient préalablement hypnotisé et privé de tous ses moyens de contrôle mental, apportait à l'appui de ma thèse la démonstration la pins évidente.
Combien de faits de prétendue influence thérapeutique par suggestion à l'état de veille pourraient résister à une analyse quelque peu attentive . La plupart des auteurs n'ont-ils pas pris soin d'apporter eux-mêmes avec une inconscience vraiment surprenante la preuve qu'ils avaient hypnotisé leurs sujets.
Ainsi dans le numéro même de la Revue de l'hypnotisme où fut publiée la communication du Dr Desplats, se trouve une communication ayant pour titre : Hypocondrie consécutive à une hystéro-neurasthénie d'origine ioxi-infectieuse. Guérison en cinq séances de suggestion sans hypnose.
L'auteur qui préparait alors l'évolution qui l'a fort heureusement, éloigné de la pratique de l'hypnotisme prétendait avoir agi sans le concours de l'hypnose. Or. voici ce qu'il écrit : « Une tentative d'hypno-
tisation par le procédé de Liébeault n'obtint aucun succès, la malade ne voulait à aucun pris être endormi. Sans insister, je lui rappelai les merveilleux effets du magnétisme et. dans la même séance, opérant dans te silence et dans nue demi-obscurité. je tins pendant près de trois quarts d'heure les mains appliquées sur le front du sujet. Durant tout ce temps je ne cessai d'affirmer la disparition de la céphalée et de harceler de suggestions la malade jusqu'à ce qu'elle eut consenti à déclarer qu'elle se trouvait mieux. »
Que pensez-vous de ce praticien qui. après avoir eu recours aux procédés les plus capables d'hypnotiser un sujet, affirme cependant pour les besoins d'une mauvaise cause, qn'il la traité sans hypnose ?
Dans une thèse parue vers la même époque sous le titre très catégorique de Suggestion à l'étal de veille (1), en 1897, le Dr Paloque ne va-t-il pas jusqu'à considérer comme étant dans l'état de veille, les nombreux sujets chez lesquels le Dr Tournïer, de Lyon, avait obtenu « des phénomènes de légère somnolence, auxquels il pratiquait l'occlusion des paupières et la friction des globes oculaires. » « Peu de gens.ajoutait-il, sont réfractaires à ce phénomène presque mécanique et physiologique. La compression lente, modérée des filets épanouis du nerf optique produit une inhibition des facultés intellectuelles conscientes et une torpeur particulière en est la conséquence, ou d'autre part l'individu soumis à cette manœuvre a son esprit concentré sur cette action mécanique qui le préoccupe et dont il attend des effets merveilleux. A ce moment la suggestion verbale a d'autant plus de prise, la volonté ayant subi une dérivation. »
Ainsi, c'est après avoir employé une série de manœuvres propres à provoquer l'état d'hypnose que le docteur Paloque déclare qu'il a fait ses suggestions à l'état de veille. Enfin, comprenant qu'il va peut-être un peu loin il se décide, non sans quelque hésitation, à donner à l'état qu'il a obtenu par tous ces procédés le nom contradictoire à'état de veille hypnotique.
Pour celui qui sait lire à travers les lignes, ces contradictions ne sont pas faites pour susciter beaucoup d'étonnement. Nous vivons à une époque où beaucoup de jeunes gens se préoccupent avant tout de se concilier les bonnes grâces de personnes qui leur sont hiérarchiquement supérieures. Personnellement édifiés sur l'efficacité thérapeutique de l'hypnotisme, ils ne se font pas faute d'y recourir à l'occasion, mais ils se garderaient bien d'en prononcer le nom. Certains en ont fait publiquement l'aveu, estimant qu'il était plus diplomatique de renier ses convictions que se heurter aux préjugés ou aux parti-pris des « patrons ».
Je suit'.oiseau, »oyei mes ailes Je suis souris, viveni le» rais :
Telle parait être la devise d'un cerlain nombre qui n'ont pas estimé l'hypnotisme d'après l'attrait psychologique que pouvait présenter son étude, mais d'après le profit matériel qu'il était possible d'en tirer.
Je ne voudrais cependant pas dire que la plupart de ceux qui ont
(1) Paloque : De la suggestion à l'état de veille. Thèse, Lyon 1897.
décrit des observations d'action thérapeutique réalisés par suggestion à. l'état de veille, aient obéi à des motifs peu recommandables. Il faut l'envisager assurément comme une exception celui de nos confrères qui, non sans quelque cynisme, nous faisait ainsi sa profession de foi : « Dans ma pratique j'ai recours à l'hypno}isme tout comme vous, mais comme le mot n'est pas toujours favorablement accepté par la clientèle, j'évite avec soin de le prononcer. Tout en leur affirmant n'avoir recours qu'à la suggestion à l'état de veille, je mets en œuvre tous les procédés capables de les hypnotiser Je les traite aussi par l'hypnotisme sans qu'ils sans doutent. » Je n'insisterai ras sur l'état d inconscience que révèle une telle manière d agir.
En règle générale, les médecins qui s'adonnent à la pratique de l'hypnotisme ont le courage de leurs opinions et il faut les en louer.
Ce qui a donné naissance a l'illusion de l'influence attribuée à une prétendue suggestion à l'état de veille, c'est qu'il est arrivé a. un certain nombre de thérapeutes d'avoir provoqué l'hypnotisme, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans te sacoir.
Ils ne savent pas, et comment l'auraient-ils appris, que l'inhibition hypnotique peut non seulement être l'effet du choc moral résultant de diverses influences psychologiques; telles que l'intimidation, la peur, mais également d'une simple lassitude de l'attention. Ils ignorent aussi qu un état d hypnotisme fortuit peut survenir au cours d'un examen clinique qui se prolonge un peu au-delà de lapuissance de résistance du malade.
D'ailleurs, comme le disait fort excellement le docteur Paul Magnin» dans la si remarquable leçon de réouverture des cours k l'Ecole de psychologie qu'il fit le 10 janvier 1906, sur la Psychothérapie et l'Hypnotisme :
« Et d'ailleurs c'est une grave erreur de vouloir plonger les malades dans un état de sommeil profond. Il suffit souvent de les hypnotiser an minimum. Dans cet état les raisonnements porteront qni, tout à l'heure, à l'état de veille, étaient impuissants. Car, j'insiste sur ce point ; on s'adresse, dans ce cas. k la raison du malade. Le sujet discute encore les idées qu'on cherche à lui inculquer mais finit toujours par se laisser convaincre. En l'endormant, on a simplement éteint en lui sa résistance pathologique. En ce faisant, on lui a précisément restitué la possibilité de raisonner logiquement. On lui a permis, passez-moi l'expression, de ratteler son centre supérieur à ses centres inférieurs désagrégés par la maladie. Dans ce cas, vous le voyez, on a fait de la persuasion à l'état d'hypnotisme.
« La considération qui trouve choquant d'agir en dehors du contrôle de l'individu n'a elle aussi qu'une valeur plus apparente que réelle. Parmi les malades qui s'adressent k nous, beaucoup ont été soignés par
(1) Dr Paul Magxis : Psychothérapie et hypnotisme. Revue de l'Hypnotisme, janvier 1906 et brochure in-8°).
psychothérapie à l'état de veille et cela sans résultat. Ils viennent nous trouver précisément pour être hypnotisés.
« Au reste, dans le cas où le sommeil très profond pourra paraître indispensable, rien ne sera fait sans le fameux contrôle du malade puisque toujours et par avance, auront été arrêtées avec lui et de son plein consentement, les suggestions à lui faire.
« Peu importe d'ailleurs qu'il soit nécessaire dans certains cas, d'annihiler pour un moment plus ou moins complètement la personnalité de l'individu et de le mettre en état passager d'automatisme, dès l'instant que la guérison est au bout. »
(A suivre.)
Le miracle et les critiques scientifiques
par M. Saint-Yves (Suite)
§2. — Les qualités de l'observation scientifique.
Ainsi, c'est entendu, même à Lourdes, ce laboratoire, les miracles ne se présentent pas comme des observations scientifiques.
¦ Ne nous laissons pas duper par les mots, écrit M.le Boy; aucun « bureau de constatations » ne saurait faire œuvre scientifique sérieuse ; son rôle, beaucoup plus modeste, se réduit à démasquer les supercheries grossières ou à modérer les excès compromettants d'un zèle trop exalté : police des miracles, non pas étude (1). »
L'observation dn fait miraculeux péchera toujours en effet par un vice essentiel, à savoir, la connaissance complète des antécédents. Sa production étant nécessairement une surprise (n'est-il point un fait imprévisible ?), on ne s'inquiète jamais d'observer les antécédents d'un phénomène qu'on n'attend pas et pour les seuls cas où cela semblerait possible : les guérisons obtenues dans les grands sanctuaires, c'est un fait impraticable.
Concluons : donc les faits dits miraculeux peuvent être des faits certains et emprunter leur certitude à la valeur de la méthode d'observation ; mais ils no sont pas des faits de rigoureuse observation scientifique.
§ S. — De l'observation des faits rares et du préjugé que l'on tire de leur
invraisemblance.
Les faits rares on extraordinaires jugés au critérium ordinaire sont déclarés invraisemblables. Mais, parmi ceux qui les déclarent tels, les uns les rejettent purement et simplement, ajoutant parfois en forme de justification : ce sont des faits imcompréhensibles ; les antres les reçoivent, mais entendent les rendre compréhensibles en les attribuant à une intervention surnaturelle et les tiennent pour miraculeux.
(1) ed. Le Roy. Loc. cit., p. 171.
Ces deux attitudes sont aussi irationelles l'une que l'autre et supposent un même préjugé : celui - de la valeur normative, des notions de vraisemblance et d'invraisemblance. La première attitude est plus fréquente parmi les gens instruits. Montaigne la stigmatisait déjà en ces termes : « C'est une sotte présomption d'aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas vraysemblable : qui est un vice ordinaire de ceux qui pensent avoir quelque suffisance outre la commune (l). » La seconde attitude est fréquente parmi les ignorants. Une chose leur parait-elle invraisemblable ? Sans se soucier de contrôler la vérité du fait, ils déclarent aussitôt qu'il s'agit d'une intervention de Dieu ou du diable
Les uns et les autres pourraient profiter des leçons du passé. Les gens de suffisance, comme certains savants officiels, feraient bien de se remémorer parfois l'histoire malheureuse des oppositions soi-disant scientifiques, que rencontrèrent jadis des faits alors nouveaux, sous prétexte d'invraisemblance.
Dans l'hiver 14S6-14S7. la junte de cosmographes, d'astronomes, de géomètres, de géographes et de dignitaires de l'Eglise, réuni au collège des Hautes-Etudes de Salamanque, pous étudier les idées et les projets de Christophe Colomb, déclare à l'unanimité que la terre ne peut pas être sphérique (2).
Lorsque Howard lut à la Société royale de Londres un compte rendu des premières recherches approfondies qui avaient été faites sur les aéro-lithes, le célèbre naturaliste genevois Pictet était présent. Passant à Paris pour retourner à Genève, ce dernier communiqua à l'Académie des Sciences de Paris ce qu'il avait entendu à Londres : comme il s'exprima en termes qui dénotaient une entière conviction de sa part, il fut subitement interrompu par de Laplace qui s'écria : « Nous en avons assez de fables pareilles ! » Pictet dut s'arrêter. Et cependant, il résulte d'un relevé exact inséré dans l'Annuaire du Bureau des Longitudes, qu'au commencement de ce siècle il existait cent quatre vingt exemples suffisamment constatés d'aérolithes. Quelques années plus tard, une députation de l'Académie constata dans le département de l'Aisne une chute de plus de deux mille pierres météoriques qui étaient tombées à la fois (3). »
Que devenait l'ancien argument de Lavoisier: « Il n'y a pas de pierres dans le ciel, il ne peut donc pas en tomber sur la terre. » C'était le cas de rappeler au grand chimiste et au grand astronome, le mot profond de Shakespeare :
« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre qu'il n'y a de rêves dans notre philosophie (4). »
(1) Même note chez h. etienne. Apologie I, XVIII-XIX.
(2) navakbtte. Observaciones a las probancas in Collection diplomatica, III, 5S9. — astonio de réuesal. Hostoria de la provinsia de S. Vincente de Chiapa, Madrid, 1919, II, vu, p. 152.
(3) bd. casc-desfossés. Magnétisme vital, expériences récentes, avec une préface de m. eoiRAC, Paris 1897, in-12, p. 13-15.
(4) They are more things in heaven and earth
Than are dreams in of our philosophy.
Grâce au spectroscope, nous sommes arrivés à connaître la composition des étoiles et cependant moins de dix ans avant l'invention de cet appareil. Aug. Comte déclarait qu'il nous serait impossible de connaître jamais la composition chimique des astres.
« Il était clairement impossible pour la pensée des philosophes, à Pise, qu'un grand poids et un faible pussent tomber du haut de la grosse tour dans le même temps ; et si ce principe est de quelque usage, ils avaient raison de ne point croire l'évidence de leurs sens qui les assurait de ce qu'ils voyaient ; et Galilée, qui acceptait cette évidence, était, pour employer les paroles de la même éminente autorité. « non seulement ignorant de cë qui se rapporte à l'éducation du jugement, mais ignorant de sa propre ignorance (1) ».
La théorie des ondulations lumineuses de Young, malgré les preuves qu'il apportait, lui attira toutes les moqueries et tous les mépris des censeurs scientifiques de son temps (2).
(A suivre)
Rôle de la timidité dans l'étiologie de l'alcoolisme
par le Dr Bébillon
L'examen physiologique des buveurs qui se présentent au dispensaire anti-alcoolique de la me St-André-des Arts dans une proportion toujours croissante m'a appris qu'avant la constitution définitive de leurs habitudes la grande majorité d'entre eux étaient affectés de timidité.
Chez la plupart la disposition à subir l'intimidation d'antrui. quand ils sont à jeun de toute boisson alcoolique, est si marquée qu'ils en ressentent une véritable souffrance morale. Cet état se reproduit dans un grand nombre de circonstances et ils se montrent très affectés de ne pouvoir disposer de leurs moyens habituels, quand ils se trouvent en présence de personnes qui les intimident.
La reproduction fréquente de cet état de malaise les incite à rechercher les moyens de s'y soustraire Qu'une circonstance fortuite les renseigne sur l'utilité qu'ils peuvent retirer de l'ingestion d'une dose modérée de liqueur alcoolique et les voilà lancés dans une mauvaise voie. J'avais, dès 1897, dans un travail intitulé : Les phobies neurasthéniques envisagées au point de vue militaire (3) indiqué comme cause d'un alcoolisme invétéré.
(1) a. russel-vallace. Les Miracles et le Moderne Spiritualisme. P., Leymarie, in-8% p. 76.
(2) Dans l'Edinburgh Review de 1803-1804, pour tout compte rendu d'une conférence de Young sur ce sujet, on écrit : « Cette autre conférence du fécond et pourtant stérile Dr Young, ne contient que bévues, qu'hypothèses sans étais, que fictions gratuites. »
(3) Vérillon : Des phobies nenrasthéniques envisagées au point de vue dn service militaire (Comptes rendus de la Société de Médecine publique, 1893, et Revue de l'hypnotisme, 8e année, février 1894.
(3) bérillon : L'abonlle des buveurs d'habitude. (Revue de l'Hypnotisme. 16e année. n8 12, p. 362, juin 1002).
(3) Bérillox : Le traitement psvchologique de l'alcoolisme, broch. ln-12. 31 pages, Paris, 1906.
t3) Bérillon : Le traitement des buveurs par la suggestion hypnotique. Création d'un centre d'arrêt psychique. (Congrès des aliènistes et neurologistes, Nancy, 1896).
les états d'anxiété que ressentait un jeune soldat, doué d'une assez grande culture intellectuelle, lorsqu'il se trouvait en présence d'un supérieur. Voici d'ailleurs le résumé de son observation absolument caractéristique.
Alcoolisme d'habitude, consécutif à de la timidité, traité avec succès par la suggestion hypnotique
M. G-..., jeune homme très distingué, instruit, ne contracte l'habitude de boire que pour se soustraire aux ennuis d'une timidité obsédante qui lui avait valu de nombreux désagréments.
Pendant le cours de son service militaire, sa gaucherie, sa maladresse, son défaut d'aptitude a un certain nombre d'exercices, avaient provoqué de la part de ces chefs un certain nombre de punitions. A l'idée de se trouver en présence de quelques-uns de ses supérieurs, il tombait sous l'empire d'une telle émotivité qu'il en perdait complètement le sang-froid.
TJn jour, pendant une halte, une cantinîèrc passe. Il n'avait jamais bu d'alcool ; un camarade, le voyant déprimé, lui en offre un pen, Il accepte, s'en trouve bien, et dès lors s'adonne à l'habitude des liqueurs fortes au point d'en devenir complètement alcoolique.
Quelques mois après sa sortie du service, désireux de se guérir de ses habitudes d'intempérance, il vient nous consulter. Le traitement par la suggestion hypnotique, auquel il se soumet avsc docilité, ne tarde à lui rendre la volonté et le pouvoir de renoncer à des habitudes qu'il ne subissait qu'avec beaucoup d'ennui.
Depuis lors, à maintes reprises j'ai eu dans diverses communications l'occasion de signaler le rôle joué par la timidité dans l'étiologie des habitudes d alcoolisme.
Actuellement, des faits nouveaux viennent journellement me confirmer dans l'opinion qu'un grand nombre de buveurs n'ont recherché au début l'excitation des boissons alcooliques que pour y trouver une assurance qui leur faisait complètement défant. Ayant constaté que l'ingestion d'alcool avait pour effet de supprimer les angoisses de la timidité, ils n'hésitent plus à recourir ti un moyen qui leur permet de se soustraire à la direction d'autrui. En effet, quand ils sont à jeun d'alcool, leur suggestibilité est telle qu'ils subissent l'entraînement du premier venu : au contraire, quand ils sont alcoolisés, ils deviennent absolument réfrac-taires à toute influence. Ils sont devenus positivement inintimidables.
Par ce moyen, une jeune artiste lyrique a pu, pendant quelques années, affronter des scènes, qu'un trac indescriptible la mettait hors d'état d'aborder. TJn seul verre de cognac a. pendant quelque temps, suffi à lui donner tout l'aplomb désirable : mais par la suite elle est tombée dans un alcoolisme accentué, et sa carrière qui s'annonçait fort brillante en fut fatalement interrompue.
Parmi les nombreux exemples de timidité entraînant ceux qui en étaient atteints vers l'alcoolisme, je dois signaler le cas d'un officier des plus distingués qui n'affrontait jamais la rencontre d'un général sans s'être remonté par l'absorption d'un verre de vin généreux. C'est à cette
pratique que remonte le début d'un alcoolisme deveuu depuis lors invétéré.
J'ai retrouvé la même cause chez des médecins, des littérateurs, des artistes, des gens du monde, des courtiers de commerce. Sans l'excitation de l'alcool, ils se déclaraient incapables d'affronter la moindre démarche, de remplir leurs obligations professionnelles. Un peu d'alcool leur rendait l'assurance nécessaire et ils lui demandaient le stimulant nécessaire pour réagir contre l'intimidation d'autrni. Au début, ils n'y avaient recours qu'avec regret, comme a un adjuvant dont ils ne pouvaient se passer.
La cure de l'alcoolisme doit doue être complétée par une rééducation du caractère. Il convient également de s'efforcer d'arriver à un redressement des erreurs de jugement qui ontégalement joué un rôle dans l'aggravation de l'habitude.
. Discussion.
M. Paul Magstx. — Mon expérience confirme les vues de 31. Béril-lon. Je soignais, par la suggestion hypnotique, un alcoolique absinthi-que : les résultats obtenus étaient très encourageants, bien qu'il n'eût accepté le traitement qu'avec une arrière-pensée et simplement pour se conformer aux désirs de sa mère. Ayant appris que pour être hypnotisé il est nécessaire d'être à jeun d'alcool, il eut l'idée d'utiliser cette notion pour échapper à mon influence. Dès lors il eut soin, avant de venir chez moi, de prendre un petit verre, et dès lors je n'ai plus rien pu en faire.
31. Dacbiac rapporte l'observation d'un homme de 35 ans qui était sujet à des crises d'agoraphobie ; l'ingestion d'alcool suspendait immédiatement la crise. Il avait, il est vrai, la conviction que l'alcool produisait cet effet.
31. Bérlllox. — Sans doute l'alcool supprime la penr et la timidité, mais le timide qui recourt a l'alcool se retrouve plus timide lorsqu'il n'en a pas pris: aussi l'intoxication chronique le guette. En appelant l'alcool a son aide, il le paie très cher, tel celui qui emprunte de l'argent à un taux usuraire. Dès lors c'est une psychothérapie préventive qne réclame la timidité. Ce qu'il faut au timide, c'est, non un poison, non un excitant toxique, mais un excitant mental. Par la suggestion hypnotique, il doit être soumis à un dressage spécial et habitué à prendre des décisions.
Un cas d'onirothérapie spontanée
par 31. le docteur Paul Farez, Professeur a l'Ecole de psychologie.
C'est un simple fait clinique, recueilli au hasard de la pratique journalière, que je vais rapporter.
M. X.. âgé de trente-cinq ans. m'écrit le 10 septembre, pour me demander un rendez-vous : « Je désire, dit-il. recourir h vous pour un cas personnel de phobie dont les conséquences sont, actuellement, fort
désagréables pour moi. II s'agit d'une auto-suggestion qui, depuis mon enfance, n'a fait qne s'aggraver : et il y a tout lien de croire qu'une suggestion en sens inverse en aurait raison. » Je le convoque pour le 13 septembre à six heures du soir.
A l'heure dite. U m'arrive et m'expose son cas, à peu près en ces termes : « Je suis atteint d'une maladie de la volonté ; je ne peux pas mettre à exécution un projet qu'il faut pourtant que je réalise. Voila. J'ai la terreur maladive du dentiste ! Entre quatorze et quinze ans. j'ai été martyrisé par un opérateur maladroit ; et, dès lors, je me suis bien promis de ne plus me laisser toucher par aucun dentiste. J'ai donc traité mes dents « par le mépris » : et, actuellement, mes mâchoires sont dans un état lamentable. J'ai eu de nombreux abcès ; des caries multiples me font beaucoup souffrir ; ma raison me dit que je dois voir un dentiste ; je le décide, je le veux... et je ne penx pas prendre sur moi de monter son escalier. Pour mettre mon amour-propre en jeu. je fais à ma femme la promesse formelle d'aller me faire soigner, .et je manque à ma promesse. Pour me forcer la main, je fais prendre des rendez-vous... auxquels je manque régulièrement. Vingt fois, je me suis dirigé chez le dentiste ; pas une fois, je n'ai pu me décider a monter son escalier. Il y a là une appréhension à vaincre : or. je ne puis la vaincre par ma seule volonté ; j'ai besoin d'être aidé. *
Un de ses parents, médecin très versé dans les questions de psychothérapie, l'a suggestionné, à l'état de veille comme on dit. sans aucun résultat bien entendu. Il a alors essayé de l'hypnotiser et n'y est point parvenu. Se rendant compte qu'il a peu d'autorité sur son parent et que celui-ci est. d'ailleurs, très difficile à influencer, mon confrère m'adresse son phobique. lui affirmant que. sans aucun doute, moi. je parviendrai à l'endormir.
Sur cette bonne parole, AI. S. vient me voir avec confiance. Flairant un cas très difficile, je lui dis : * Pour cette première fois, je ne vais pas du tout vous endormir. Je vais vous familiariser avec les procédés ordinaires de l'hypnotisation, afin qu'une autre fois vous n'ayez plus, à leur sujet, ni appréhension ni curiosité. Je vais vous entraîner, vous préparer, vous tater, voir dans quelle mesure et de quelle manière vous réagissez à tel ou tel agent d'hypotaxie. apprendre à vous connaître et à vous manier, tout comme on apprend à jouer d'un nouvel instrument. »
Couché sur une chaise longue, il s'efforce de fixer l'objet brillant que je lui désigne ; je lui fais du vibro-massage frontal, etc. Pendant tout ce temps, il ne peut ni se taire, ni rester immobile. Ayant, tout de même, au bout d'un long moment, obtenu le silence et le repos musculaire, je le laisse, quelques instants, les yeux fermés, dans une demi-obscurité, et je fais mine de m'éloigner. Aussitôt, il s'énerve et se met à gesticuler, prétendant qne c'est plus fort que lui. qu'il ne peut resier tranquille, etc. Je n'insiste pas et lui donne rendez-vous pour le lendemain à six heures du soir.
Après l'avoir reconduit, je me dis, à part moi : « Cas très mauvais, et
qui me donnera « du fil à retordre » ; ce sera très long et très difficile. »
Le lendemain, dans l'après-midi, je reçois de lui un pneumatique. Je lis : « Je n'ai pas eu conscience d'avoir été, hier, endormi et suggestionné par vous ; mais j'ai, depuis quelques heures, cette idée fixe que je dois aller, ce soir, non pas chez vous, mais chez le dentiste ; et, chose curieuse, cette idée n'est pas accompagnée de l'appréhension habituelle. Je tenterai donc l'expérience, pour profiter de ces bonnes dispositions inattendues. Excusez-moi, si je manque notre rendez-vous, ce soir. J'irai vous remercier, si la chose réussit, et, dans le cas contraire, vous demander de continuer le traitement hypnotique, dont le succès parait démentir les apparences. »
Quelques jours après, M. X vient me voir, amené, dit-il, à la fois par la gratitude et la curiosité. Il ne comprend pas ce qui s'est passé, mais il est stupéfait de l'heureux résultat obtenu.
Le jour de sa première visite chez moi, il s'est couché de bonne heure. Toute la nuit, il a rêvé que je l'endormais, que je lui suggérais qu'il pourrait aller chez le dentiste, qu'il irait sans appréhension, qu'il s'y rendrait dès le lendemain.
Le lendemain, dans le courant de la journée, sa femme lui dit :
« X'est-ce pas, c'est bien aujourd'hui à six heures que tu dois aller chez le docteur Farez ?
• Pas du tout, répond-il ; c'est chez le dentiste que je dois aller.
— Mais tu as pris rendez-vous avec le docteur pour six heures.
— C'est chez le dentiste que je dois aller. »
En effet, à six heures, il va crânement, sans appréhension, et se laisse examiner, puis soigner. On convient qu'on lui enlèvera sept ou huit dents ou racines ; il y est tout à fait décidé et accepte, d'avance, cette série d'extractions, comme la chose la plus simple du monde.
« Subir les soins du dentiste n'est rien, me dit-il ; la grosse affaire, pour moi, était d'aller chez lui. Or. j'y vais délibérément sans la moindre appréhension. »
Il est d'autant plus étonné du résultat que sa femme lui avait manifesté son scepticisme à l'égard de l'hypnotisme ; d'autre part, lors de notre première entrevue, je lui avais fait pressentir que, pour le rendre suffisamment suggestionnable,nous aurions peut-être besoin de recourir aux grands moyens, par exemple à la narcose éthyl-méthylique (1 ).
(1) Pour la documentation de cette question, voir :
1. Paul Fasez. Somnoforme et suggestion. Reçue de l'hypn., fév. 1903. p. 254. — La psychologie du somnoformisé, Revue de l'hypn.. juillet'et août 1903, pp. 19 et 87.
— Suggestion durlng narcosis prodneed by some halogenous derlvattves^of ethane and méthane (ethyl-metliylie suggestion). The Journ. of ment. Psth., Xevr-York. vol. Y-, n°" 2-3. p. 61. — La suggestion pendant la narcose produite par quelques dérives halogènes de l'éthane et du méthane (suggestion éthyl-méthylique). A///' Cony. des .ilien. et neurol.. Bruxelles, août 1903 et Revue de l'hypn.. sept. 1903 p. 67.
— Impotcntla coeundi d'origine mentale, guérie par la suggestion éthyl-méthylique. Revue de l'hypn.. juin 190Ï. p. 360. — L'analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthylique. Revue de l'hypn. juin 1994, p. 369. — Nouvelles applications de la narcose éthyl-méthylique. Revue de l'hypn., mai 1905. p. 341.
2. Wiazeusky (de Saratow. Russie). Vomissements incoercibles de la grossesse
Il est manifeste que. s'il a été débarrassé de son appréhension, il l'a été par suggestion pendant le rêve. Son rêve l'a suggestionné et la suggestion à réalisé son plein effet pendant la veille subséquente.
Pour recevoir efficacement l'ordre d'aller chez son dentiste, il avait besoin d'être plongé dans un état profond d'hypotaxie. Son sommeil nocturne a excellemment réalisé cette hypotaxie. Dès lors que la montée chez le dentiste ait été autosuggcstionnée ou hétérosuggestionnée, peu importe. La suggestion a surgi dans la conscience du dormeur sous la forme onirique d'une hétérosuggestion médicale. Le sommeil a été comme le terrain fécond, le rêve comme une graine vigoureuse ; la graine a germé et produit son fruit. C'est donc bien d'un cas d'oniro-thérapie spontanée qu'il s'agit ici.
Les vérités cliniques qu'évoque ce cas ne sont plus à prouver ; je me contente de les formuler, pour mémoire :
1° Les rêves spontanés peuvent avoir une importance très grande, soit au point de vue de la psychologie pratique, soit au point de vue de l'action, soit au point de vue de la médecine, générale ou spéciale. Les uns sont hypermnésiques, d'autres impulsifs, d'autres encore, comme dans ce cas. curateurs, tandis que d'autres sont, soit prémonitoires d'une maladie prochaine, soit véritablement pathogènes (1).
2° Certains rêves peuvent être aisément provoqués, a titre expérimental o.u à titre thérapeutique, soit pendant le sommeil naturel (par suggestion directe ou indirecte), soit immédiatement avant l'invasion du sommeil naturel, soit par une suggestion à échéance, faite pendant le sommeil hypnotique.
3° On a tort de négliger l'onirothérapie. Pratiquée systématiquement, elle offrirait au psychothérapeute, dans certains cas. complexes on difficiles, des ressources variées, souvent efficaces.
4° Le sommeil normal constitue, pour la réceptivité aux suggestions directes, un état d'hypotaxie aussi favorable que le sommeil hypnotique lui-même (2). Or, cette hypotaxie existe tout naturellement chez chacun
guéris par lu su™eslion pendant lu narcose éthyl-méthylique, Revue de l'hypn., avril 1905 : Cl. mai 1905 p. 347. 3. Bernard (de Cannes). Revue de l'hypn., mai 1905, p. 344.
1. Etienne Jouruas (de Marseille). Un cas de sommeil hystérique avec personnalité subeonscleute, Revue de l'hypn., juin 1905. p. 367 ; Cf. mal 1905, p. S46.
5. Fkcili-ade (de Lyon). Revue de l'hypn., mai 1905, p. 346.
6. Antonio Gota. Caso de un sueno histerico con personalidad subconseiente. La Clin. mod. Zaragoza 1, 15 de Acosto de 1908, pp. 453 et 479.
7. De Geijeestam (de Gothembourg, Suède). La technique de l'hypnothérapie, Revue de l'hypn., janv 1909. p. 204.
(1) Paul Farez. Les rêves soi-disant prophétiques ou révélateurs, Revue de l'hypn.. août 1902.
(2) Paul Farez. De la suggestion pendant le sommeil naturel, Revue de l'hypn., mars, avril, mal et Juin 1898 : brochure Malolne. 46 p. — Incontinence d'urine et suggestion pendant le sommeil naturel, Indépend. mèd., 23 août 1899 et Revue de l'hypn., août 1899. — Technique, indications et surprises de la suggestion somniqne. Indépend, méd., oct. 1900 et IIe Cong. intern. de l'hypn. de 1900. — Suggestion during natural Slecp. Journ. of ment. Path. Xew-York. june, 1901 et Revue de l'hypn., août 1901. — Incontinence nocturne d'urine, guérie par suggestion pendant le sommeil naturel chez une enfunt de vingt-six mois, Revue de l'hypn., nov. 1903. — Alcoolique traité avec succès, contre son gré et a son insu, par suggestion pendant le sommeil naturel, Revue de l'hypn., mars 1905.
de nous, chaque jour, pendant un certain nombre d'heures : elle ne demande ni temps ni peine pour être réalisée.
5° Enfin, ces considérations mettent une fois de plus en lumière cette vérité fondamentale de la psychothérapie.à savoir que.pour obtenir dans les cas tenaces des résultats durables, il faut disposer d'une hypotaxie préalable qui exalte la suggestionnabilité et à la faveur de laquelle la suggestion s'implante puis fructifie;
Discussion :
M. P. Magsdï. — Notre collègue Coste de Lagrave a beaucoup recommandé, à titre auto-suggestif, l'entraînement à 1' * état de veille passif », quand on va s'endormir ou que l'on vient de se réveiller. Chez Charcot et chez Dnmontpallier, nous avons vu que dans le délire de rêve qui suit la grande attaque hystérique, on peut, par suggestion, faire dévier le rêve.
il. Bérillos. — j'ai constaté que la psychothérapie graphique, faite, le soir, avant le sommeil, amène une sédation marquée. Les maximes ou pensées en rapport avec l'état du malade, écrites à main posée, surnagent, pour ainsi dire, pendant le sommeil, et deviennent d'excellentes suggestions. Quant à la suggestion pendant le sommeil naturel, U ne faut pas du tout la permettre aux parents, car. alors, ce serait la porte ouverte aux maladresses et aux tyrannies, ainsi que je l'ai observé chez une femme divorcée, qui voulait suggérer à ses enfants la haine de leur père. Cette suggestion, tout comme la suggestion hypnotique ne doit être pratiquée que sous la garantie d'un médecin compétent.
M. Paul Fabez. — En effet, excellent agent thérapeutique, la suggestion somnique (ou suggestion pendant le sommeil naturel) est capable de quelques méfaits. Dans diverses publications, j'ai signalé particulièrement ce qui suit : payement d'une dette suggérée, vol suggéré, impudicité suggérée, paraplégie et antipathies suggérées, confession extorquée. Arme a deux tranchants, la suggestion somnique ne doit être qu'un agent médical employé uniquement dans un but curateur.
Séauce du mardi 16 novembre 1Ô09. — Présidence de M. le D Jules Voxsut, médecin de la Salpétrlère.
La séance est ouverte à 1 h. 45.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire-Général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres des Docteurs Macartney (de Montevideo). Smir- . noff (de Moscou) et Podiapolaky (de Moscou), ainsi que les brochures suivantes : Dr Jaguaribe (de Sao Paolo, Brésil) Psychologie de l'Alcoolisme et Dr José Corréa Dias (de Lisbonne) : La folie est-elle contagieuse ?
Les communications inscrites à l'ordre du joui- sont faites, ainsi qu'il suit :
Dr Prox (d'Alger). — Influence du réveil spontané sur la réapparition des troubles gastriques. Discussion : Dr Paul Parez.
Dr Podiapolsky |de Moscou). Des troubles vaso-moteurs par suggestion hypnotique.
Dr Shirnoff (de Moscou). — Modifications vaso-motrices produites parla suggestion hypnotique. DiscussioniD1* Bérillonet Paul Farez.
Dr Bêbillos. — L'éparpillement mental, forme inférieure de l'activité intellectuelle ; son traitement par la suggestion hypnotique.
Dr Pbeda. — Quelqnes notes sur les phénomènes demi-spontanés observés par M. Abrutz chez les hystériques pendant l'hypnose.
M. ?????. — Du dressage des animaux envisagé an point de vue psychologique.
M. le Président métaux voix les candidatures suivantes, qui sont admises à l'unanimité : D™ Corbin (de Niort), Messayed (du Caire), C. Diaz (de Porto-Sico) et Bridou de Paris.
La séance est levée à G h. 50.
Des troubles vaso-moteurs par suggestion hypnotique
par M. P. PodiaPOlskt (de Moscou).
En juillet 1908, alors que j'étais à la campagne, le hasard mit entre mes mains les numéros du 30 avril et du 30 mai de la Revue Neurologique de cette année, avec le compte-rendu d'une séance de la Société de neurologie, dans laquelle fut traitée la question des troubles vaso-moteurs par suggestion et auto-suggestion. Les avis étaient partagés. Babinski, notamment, niait la possibilité de ces troubles, et son opinion parut prévaloir. Les arguments invoqués en pareil cas sont toujours les mêmes : « Nous n'avons jamais observé de phénomènes de ce genre ; ceux qui croient les avoir vus avaient affaire à des hystériques, or, les hystériques mentent, simulent et parviennent à tromper les expérimentateurs ».
n faut le dire, ce n'est que rarement qu'on parvient à provoquer par la suggestion hypnotique des brûlures imaginaires sous forme de vésicules ou de phlyctènes. Nombre d'expérimentateurs ne furent jamais à même de les observer. D'autre part, on connaît l'énorme influence du cerveau sur tontes les fonctions vitales. Les faits cliniques, eux aussi, ont. semble-t-il, assez démontré la possibilité de ces phénomènes pour que ni la négation, ni l'affirmation pure et simple ne soient plus de mise en pareille matière.
D'ailleurs, le naturaliste ne saurait désapprouver une expérience de plus. Cela étant, la recherche d'un nouvel argument, d'ordre expérimental, en réponse à de nouvelles dénégations, me parut opportune.
Je me mis donc en quête d'une somnambule sur laquelle j'avais déjà fait des expériences, il y avait cinq ans de cela, et que j'avais perdue de vue. Depuis lors, cette jeune paysanne nommée B... s'était mariée et avait charge de famille. Elle habitait un pays éloigné ; par surcroît, nous nous trouvions à la saison des travaux champêtres (août). Cependant, je ne désespérais pas de pouvoir me la procurer. J'avais réussi
autrefois à la guérir, par la suggestion, d'un mutisme hystérique. Or. un Buccès psychothérapique nous vaut toujours la reconnaissance du malade et nous donne du prestige à ses yeux. En effet, je fus bientôt avisé, par on télégramme, de la prochaine venue de B .. k Saratov, où je me trouvais a ce moment, et, le 13 août 1908, je pus procéder a l'expérience.
Mais avant de la relater qu'il me soit permis de résumer certaines de mes expériences antérieures.
En 1900. voulant suggérer, à un paysan, une rougeur par application imaginaire de sinapisme, je n'obtins aucun érythème, ni aucune sensation nette de cuisson. L'idée me vint alors que cet homme simple n'avait, probablement, jamais connu le sinapisme et qne son cerveau, dépourvu d'images correspondantes, était inapte à évoquer les sensations qu'elles comportent. Le peu de cuisson qu'il éprouva passagèrement pouvait correspondre au faible picotement que déterminent certaines lotions figurant parmi les remèdes de bonne femme, mais il ne ressentait pas le sinapisme imaginaire. Quelque temps après, on dut lui appliquer, pour bronchite aiguë, un véritable sinapisme, et. k la prochaine séance hypnotique, il me fut facile de provoquer chez lui, par la suggestion, une sensation de cuisson avec rougeur bien manifeste (l). On doit donc admettre que. pour assurer le succès d'un phénomène suggéré, il est nécessaire que le sujet en expérience ait réellement éprouvé, au préalable, certaines sensations avec leurs suites habituelles. Ainsi le gramo-phone n'exécute que la mélodie qui est inscrite sur le phonogramme.
Mais si ce genre de phénomènes suggérés est rare, cela ne tiendrait-il pas à ce que les expérimentateurs ne s'enquèrent guère de l'existence antérieure d'images actives chez leurs sujets '? Les expérimentateurs peuvent aussi être victimes de l'auto-suggestion. Les choses se passent souvent de la façon que voici. TTn expérimentateur, assis dans son cabinet de travail, prend, sur sa table, le premier objet venu (porte-plume, crayonj qui lui suggère involontairement l'idée d'une tige. Alors il parle au sujet en ces terme, par exemple : « Je tiens dans ma main une tige chauffée au rouge avec laquelle je vous brûle ! » Mais avec une tige métallique on ne se brûle guère qu'accidentellement. La plupart des gens, k quelques exceptions près, se sont brûlés, mais tout le monde n'a pas éprouvé une brûlure au second degré, avec formation de vésicules. D'aucuns se sont brûlés avec de l'eau bonillante, d'autres avec un verre de lampe, de la cire à cacheter, nne flamme, etc. On doit savoir individualiser.
En 1903, j'avais guéri la jeune paysanne en question d'un mutisme hystérique dont elle fut brusquement frappée à la vue d'un incendie qui la terrifia. Plus tard, je remarquai chez elle une petite cicatrice au doigt, trace d'une ancienne brûlure par un charbon ardent. Je me tins alors ce raisonnement :«Les brûlures déterminées par la suggestion ont
(1) P. Poidiapolsky : De l'hypnotisme et de la suggestion. Travaux de la Société des naturalistes de Saratov. 1901. v. LII, fase. 7.
beau être rares et difficiles à provoquer, dans le cas présent, il y a beaucoup de chances d'obtenir la formation d'une bulle ».
Donc, un soir, j'appliquai à B.. après l'avoir plongée dans un profond sommeil hypnotique, une petite monnaie en argent (de 15,5 millimètres], exerçant avec elle une légère pression et suggérant, en même temps, une brûlure par un charbon ardent. La rougeur apparut aussitôt, et elle demeura très nette après enlèvement de la pièce de monnaie dont elle reproduisait très exactement la forme et les dimensions.
On réveille B, qui ne se rappelle rien de la suggestion, mais commence immédiatement a se plaindrede douleurs au point influencé.On y trouve, le lendemain matin, une vésicule distendue par son contenu, haute de 2 millimètres et ayant l'aspect d'un bouton de chemise en nacre. Elle s'est formée par coalescence de plusieurs phlyetènes et occupe toute la partie influencée, donc correspond aux dimensions de la pièce de monnaie (1). Ce fait fut observé à l'hôpital d'Atkarsk où toutes les précautions furent prises pour que B.. ne pût, pendant la nuit, trouver moyen de se brûler par un objet incandescent ou par une substance chimique D'ailleurs, une garde se tenait auprès d'elle, et les dimensions de la pièce d'argent ne lui étaient pas connues. Cette pièce fut sortie clandestinement de sa poche alors que le sujet était déjà endormi.
Quelques mois plus tard, je refis sur B. cette même expérience dans une séance de la Société des naturalistes de Saratov (2|. Cette fois, au lever de la pièce de monnaie, on ne pût remarquer de rougeur, bien que B... éprouvât de la douleur au point influencé : mais, dès le lendemain matin, (l'expérience avait été commencée la veille, au soir), on constata la présence d'une vésicule. Comme précédemment, elle apparut en l'espace de huit heures et demie. La seconde expérience fut faite au dos, en un endroit où il aurait été bien difficile de se produire une lésion intentionnelle.
En 1905, j'expérimentai sur un serrurier qui, fréquemment, se brûlait avec des éclats de fer incandescents, mais n'avait jamais eu de phlyetènes dont il prévenait la formation par des applications huileuses. Après l'avoir endormi, je lui dis : « Vous venez de vous brûler par des éclats incandescents... vous ressentez une douleur violente. . vous n'avez pas d'huile à votre disposition... une vésicule se formera certainement. » Des tâches rouges ne tardèrent pas à apparaître sur la main, mais il n'y eut pas de phlyetènes. La mélodie que je voulais faire jouer au gram-mophone vivant n'y était pas enregistrée (3).
Dans toutes les expériences précitées, le sujet se trouvait en somnambulisme complet (amnésie).
(1) P. Podiapolskv : Brûlure suggérée chez une femme ayant présenté du mutisme hystérique, Revue de l'Hypnotisme. Août 1901.
12) P. PouuroLeKv : Formation d'une bulle par brûlure Imaginaire, déterminée par la suggestion verbale en état de sommeil provoqué. Travaux de la Société des naturalistes de Saratov v. IV, faso. S.
Paul Farez : Les troubles trophiques dans l'hystérie : brûlure suggérée. Reçue de l'Hypnotisme 22e année n° 6.
(3) Travaux de la Soc. des naturalistes de Saratov. v. III, fasc. 1.
Tels sont les faits que j'ai constatés antérieurement. Je passe maintenant a ma dernière expérience.
Aureçude l'avis m'informant de l'arrivée de ma somnambule, je convoquai, pour élaborer les conditions de l'expérience, une réunion composée du D* V. A. Mouratov, directeur de la Colonie des aliénés du Zemstvo do gouvernement de Saratov et privat-docent de l'Université de Moscou, de Mm0 Mouratova, du Dr X. E. Ossokine, ex-chef de clinique psychiatrique à Kazan. des docteurs I. V. Viasemsky et S. A. Liass, médecins du Sanatorium urbain pour alcooliques, lesquels, par parenthèse y sont traités par l'hypnotisme.
Ces Messieurs approuvèrent mon plan, visant à isoler le sujet de toute possibilité de se provoquer des lésions par frottement ou des brûlures réelles et à le tenir sous une surveillance aussi continue que sévère. En effet, l'expérience manquerait de rigueur si, après la suggestion hypnotique, on laissait le sujet retourner k son domicile, la partie influencée recouverte d'un pansement occlusif. Un bandage de ce genre ne saurait, certes, constituer de garantie, et il peut, d'autre part, troubler l'expérience. Du moment que nous ne connaissons pas le mécanisme de la suggestion et étant donné que le contact d'une pièce de monnaie suffit pour « fixer » en ce point les effets suggestifs, on peut se demander si la sensation étendue suscitée par le pansement occlusif ne serait pas susceptible d'effacer la brûlure imaginaire au point où elle devrait se produire.
Mmc Matvéyéva. Officier de santé du Sanatorium, pour alcooliques fut désignée comme garde permanente ; MM. Viasemsky et Ossokine, ainsi que moi-même devions veiller auprès de B.. de façon k réaliser une surveillance continuelle.
Une circonstance faisait, pourtant, douter quelque peu du succès ; c'est que B., alors qu'elle fut hypnotisée la première fois, après avoir éprouvé une brûlure réelle, avait pu vraiment vivre, pendant le sommeil hypnotique, la suggestion reçue. Mais, par la suite, elle apprit que les brûlures expérimentales n'étaient que des brûlures imaginaires, ce qui, dans une troisième expérience pouvait fort bien empêcher la suggestion de produire tout son effet. C'est ainsi que dans le rêve, tantôt nous prenons nos sensations pour des réalités, tantôt elles nous apparaissent comme des demi-réalités, notre conscience nous avertissant que ce n'est qu'un rêve. Rappelons à ce propos que, dans notre première expérience surB.. nous avion? obtenu de la rougeur sous la pièce de monnaie tandis que cette rougeur n'apparnt pas à la seconde expérience, bien que la vésicule dût se produire par la suite.
En plus, B pouvait envisager de mauvaise grâce la perspective d'éprouver à nouveau l'ennui et la douleur de la formation de phlyctè-nes. Il fallait donc escompter toutes ces possibilités.
L'expérience est faite le lendemain, 13 août 190$. k 1 h. de l'après-midi.
Sont présents : les docteurs Viasemsky. Ossokine, Liass et Mme Matvéyéva qui. comme il a été dit. ne quittera plus le sujet. B.. se
laisse plonger instantanément en un sommeil hypnotique profond (suivi d'amnésie). Je lui suggère deux brûlures en des endroits difficilement accessibles pour elle. Une de ces suggestions est accompagnée de l'application d'une pièce de vingt kopeks (un franc environ). A l'autre suggestion, le sujet est touché avec le fond convexe de l'étui métallique d'un thermomètre
Je sortis ces objets derrière le dos de B. déjà endormie et je les appliquai sur la peau, avec une pression légère, en disant : « Je vous brûle réellement, comme lorsque vous vous êtes brûlé avec un charbon ardent ; et il se formera en ce point une vésicule ».
B. est placée sur une couchette plate, moelleuse, complètement dépourvue d'ajustages en bois, de façon à éviter toute possibilité de lésions artificielles par frottement. B. dort sur cette couchette. Dans la même chambre se trouvent le lit de Mm0 Matvéyéva, un lavabo, une table, plusieurs chaises. On se proposait d'abord de laisserB en l'état d'hypnose.
Dans les deux expériences précédentes, la suggestion avait été faite, le soir, pour qu'elle pût agir pendant la nnit. et la vésicule était apparue vers le matin. Le sommeil nocturne devait favoriser le développement des phénomènes qu'on voulait obtenir. Mais cette fois on procéda autrement, comptant que tout le processus se déroulerait avant la nuit, si on remplaçait le sommeil nocturne naturel par un sommeil hypnotique diurne. Or. à 4 h. de l'après-midi à la question si «-lie dormait bien. B. répondit: « Je suis fatiguée ». Cela étant, on se vit obligé de la réveiller et on s'aperçut alors qu'étant demeurée tout le temps dans la même posture, elle s'était endolori le flanc. B. dit n'avoir pas besoin de sommeil, ayant bien dormi dans le wagon, et prie de ne pas l'endormir par force. On la laisse veiller sous une surveillance continue et des plus vigilantes Le Dr Yiasemski. Mm* Matvéyéva et moi-même nous noas trouvons réunis presqu'en permanence auprès d'elle. De 8 à 9 h. vient le Dr Ossokine. Il est le premier à constater l'existence de deux taches rouges diffuses sur le dos de B.. lesquelles, cependant, ne correspondent pas avec une exactitude absolue à la région fixée parla suggestion.
B. s'endort spontanément vers dix heures et demie ; mais, un peu après minuit (MDie Matéyéva lisait à ce moment), elle se réveille pour dire qu'elle éprouve de la douleur, qu'une vésicule a dû se former et se rompre, puisqu'elle se sent mouillée à un endroit qu'elle désigne et qui se trouve être celui qu'on a touché avec l'étui du thermomètre.
Signalons l'habitude de B. de rester assise sans s'appuyer. Hypnotisée en cette posture, elle s'incline en avant, s'éloignent du dos de la chaise, et s'endort en soutenant légèrement sa tête de la main gauche. Cette habitude exclut tout frottement du dos. et elle figure une attitude très naturelle chez une paysanne qui. dans son isba, a le banc pour meuble unique. Je le répète. B. n'est pas restée un instant sans surveillance et elle n'a jamais été perdue de vue. Elle s'est comportée, pendant ce temps, d'une façon naturelle et insouciante, modeste comme toujours,
elle ne manifesta pas la moindre tendance à faire quoi que ce soit en cachette.
Le matin, les phlyctènes furent vues par toutes les personnes qui assistèrent à la conférence préparatoire de l'expérience et. en plus, par les docteurs I.-L Lint vare v. anatonio-pathologiste du Zemstvo du gouvernement de Saratov, et Schedrovitzky, directeur du Laboratoire privé de recherches pathologiques, chimiques et bactériologiques.
D'après la suggestion, les vésicules devaient se former aux points suivants :
La brûlure gauche (pièce de monnaie de 22 millimètres de diamètre) devait se trouver à 3 centimètres de la ligne médiane du rachis et à 2 centimètres au-dessus de l'angle inférieur de l'omoplate.
La brûlure droite (fond de l'étui du thermomètre, de 12 millimètres de diamètre) devait se trouver à 5 centimètres du rachis, au niveau de l'angle supérieur de l'omoplate.
Xous croyons cette hypothèse inadmissible dans notre dernière expérience. Elle est également inadmissible pour les deux expériences faites sur B. en 1903 sous un controle moins rigoureux. De fait, à ceux qui nient de parti pris l'existence des troubles vaso-moteurs dont il s'agit, je voudrais poser les questions suivantes :
Io Avec quel instrument et de quelle façon serait-il possible de provoquer sur soi-même l'apparitiou d'une vésicule pendant la nuit, alors qu'on se trouve dans un milieu hospitalier absolument inaccoutumé ?
2° Comment se douter des dimensions exactes d'un objet inconnu avec lequel il faudrait se brûler ou se frotter la peau jusqu'à formation d'une vésicule ?
3* Comment effectuer une manœuvre douloureuse en un point difficilement accessible du dos et avec une assurance de main capable de produire une lésion de forme et de localisation voulues ?
4° Comment la fourberie du sujet pourrait-elle concorder miraculeusement avec les conditions bien déterminées dans lesquelles se produit le phénomène ? Cela, d'autant plus, qu'il est impossible d'obtenu- par la suggestion une telle lésion chez un sujet, même hystérique, qui n'aurait jamais eu de brûlure réelle.
5° Pourrait-on, enfin, admettre cette supposition assez simpliste, que tous les expérimentateurs furent incapables de comprendre le type psychique de leurs sujets et furent trompés par eux ?
Voici maintenant les conclusions que je me crois autorisé à tirer de mes trois expériences :
Io La négation des effets de la suggestion sur les nerfs vaso-moteurs manque de fondement.
2° La réalité de ces phénomènes est démontrée par une série de faits.
3* Le somnambulisme dans lequel les suggestions contraires sont abolies, parait constituer l'état le plus favorable pour obtenir les phénomènes en question.
4° Chez les sujets particulièrement sensibles (suggestionnables). ces
phénomènes peuvent être obtenus aussi à l'état de veille, réel ou apparent.
5° La vésicule par brûlure imaginaire ne parait pouvoir se produire qne si le sujet a déjà eu une brûlure réelle de ce genre.
6° L'état de sommeil paraît accélérer la « maturation » des phénomènes vaso-moteurs suggérés.
7° Certaines idées peuvent interférer de façon à ne pas laisser reconnaître, dans l'effet obtenu, les images qui l'ont provoqué.
8° Une sensation réelle, une fois éprouvée, peut-être projetée, par la snite. sur un point quelconque des téguments. Dans notre expérience, pareille impression réelle au doigt, put être, par la suite, provoquée soit au niveau de l'articulation radio-carpienne, soit en un point quelconque du dos.
9° La localisation de cette projection peut ne pas être enregistrée exactement par la mémoire, et, dans ce cas, il y a déplacement de la projection.
10° Un pansement occlusif, appliqué par dessus la lésion suggérée est, peut-être, susceptible d'effacer la sensation de localisation et de rendre, de la sorte, négatif le résultat de l'expérience.
Mais, en réalité, les lésions apparurent aux points que voici :
La lésion gauche se forma o centimètres plus bas et plus à gauche. C'était une tache rouge légèrement tuméfiée, de forme arrondie, et de même dimension que la pièce de monnaie. On y apercevait trois ou quatre phlyctènes qui n'avaient pas encore en le temps de se fusionner en une vésicule unique. C'était là, en somme, la répétition de ce qui s'était passé dans la première expérience sur cette personne.
La lésion droite était située 1 centimètre plus haut Elle figurait une vésicule continue, déjà ouverte et de forme plutôt elliptique que circulaire, la pression exercée par l'étui du thermomètre n'ayant pas été faite dans un sens strictement vertical : elle fut. en outre, plus forte que celle exercée par la pièce de monnaie.
Ainsi donc, cette troisième fols, tout comme dans la seconde expérience, la rougeur n'apparut pas aussitôt après l'application de l'objet, et tout le processus, en tant qu'il s'était déroulé à l'état de veille, avait subi un retard manifeste, avait « mûri » non en huit, mais en donze heures. Cependant, au bout de huit heures, la rougeur était déjà visible. Enfin, les lésions avaient été projetées sur les téguments d'une façon quelque peu inexacte..
En ce qui me concerne, je ne puis admettre de fraude de la part du sujet ni cette fois ni dans les expériences précédentes.
Le type de B. est loin d'être celui d'uue hystérique fantaisiste et simulatrice De plus, si l'on admettait la fraude, il faudrait supposer qu'à pareille tromperie se serait livrée, sans but valable, une personne qui m'est infiniment reconnaissante de lui avoir rendu la parole, alors qu'elle était jeune fille, et qui, cinq ans plus tard, mariée, accourut à mon appel, en pleine période de travaux champêtres, rien que pour se laisser provoquer à nouveau des lésions cutanées.
Mais en admettant même qu'en lui suggérant la formation d'une Tèsi-cole par brûlure nous lui eussions demandé l'impossible, cette suggestion n'èquivaudrait-elle pas à inculquer une intention irréalisable, créant une impulsion a produire la brûlure par un moyen quelconque pendant l'état post-hypnotique, de telle sorte que B., comme nous-mêmes d'ailleurs, deviendrait victime d'une auto-tromperie ?
Modifications vaso-motrices produites par la suggestion
hypnotique
par M. le Docteur Dosate Sïitrxoff (de Moscou)
Intéressé par l'hypnotisme je m'appliquai, sur. la proposition de M. P.-P. Podiapolsky, à trouver une occasion de vérifier ses observations sur les vésicules, provenant des brûlures imaginaires, provoquées par la suggestion hypnotique.
Je fis mon premier essai sur un très bon somnambule, un garçon de la campagne, âgé de 16 ans, que je traitais cet hiver-ci à Noël, dans le gouvernement d'Ekathérinoslave,d'incontinentia nocturna. Deux séances me suffirent pour le guérir. Il était très accessible à la suggestion ; son sommeil comportait une amnésie complète au réveil. Il s'était endormi facilement dès la première séance. Ma tentative, bien qu'elle ait eu lieu après la réussite de mon traitement n'eut pas de succès ; je ne pus provoquer aucune trace de brûlure. Je dois dire que ce sujet ne put se rappeler avoir jamais présenté de brûlure avec ou sans vésicule.
Ce fait négatif, corroborait l'observation de M. Podiapolsky. (1)
Le cas suivant est celui d'une très bonne somnambule, domestique chez un de mes amis. Il m'est arrivé de la guérir d'un mal de dents par la suggestion hypnotique. Elle aussi était très suggestionnable. Le sommeil, avec amnésie, était immédiatement réalisable et s'accompagnait de catalepsie.
Cette jeune fille consentit très volontiers à se soumettre à une expérience pendant laquelle elle devrait être brûlée.
Paraskovie A... est une paysanne du gouvernement de Smolensk. Elle exerce la profession de cuisinière. Elle vivait auparavant dans la ville de Yiasma et depuis cinq mois elle habite Moscou. Jusque là elle accomplissait dans son village la besogne d'une paysanne chez son père.
Son père, figé de 53 ans, n'est pas pauvre ; il a 12 arpents de terre. Sa santé n'est pas brillante : souvent il souffre de douleurs aux bras, aux jambes, au côté gauche et surtout quand il fait mauvais temps. Il ne boit jamais d'eau-de-vie. Il est marié en secondes noces.
Cette jeune fille perdit sa mère ayant seulement six mois. Je ne pus savoir quelle avait été la santé de la défunte.
Le père avait deux frères. L'un d'eux, qui travaillait dans les mines,
(I) Voir son article : « Des troubles vaso-moteurs provoqués par la suggestion hypnotique ». Journal de Korssakoff, 1909, v. I-2. Les articles précédents y sont insérés.
mourut à trente ans après avoir, pendant trois ans. souffert d'une maladie soi-disant inconnue Le second, âgé de soixante ans. est bien portant.
La mère avait aussi deux frères. L'un d'eux mourut prématurément d'une laryngite tuberculeuse : l'autre, âgé de trente ans. est bien portant et demeure à Moscou.
Le père de Paraskovie avait, de sa première femme, encore trois fils : l'un Agé maintenant de 30 ans. l'autre de 27 et le troisième de 24 ans. tous bien portants.
Paraskovie dans son enfance était une fille robuste et bien portante. Elle dit n'avoir eu, dans son enfance, d'autre maladie que la petite vérole dont elle porte les marques au visage. En 190S, elle a souffert, pendant 4 semaines, d'un violent mal de tête, accompagné de douleurs dans les bras et les jambes sans qu'on sache à quelle cause l'attribuer. A part cela elle a toujours joui, grâce h sa solide constitution, d'une santé excellente. Elle a un caractère toujours égal. Elle a la mine florissante et son embonpoint ne l'empêche ni de travailler, ni de se mouvoir librement. En un mot c'est le type de la villageoise russe tout à fait saine de corps et d'esprit.
Le 17 mars, je lui fais, pour la première fois, une suggestion de brûlure.
A dix heures et demie du soir. Paraskovie est hypnotisée. Somnambulisme immédiat. Lorsqu'elle est endormie, je lui demande si jamais elle a eu quelque brûlure avec vésicules. La réponse est affirmative : elle s'est brûlée plusieurs fois, au fourneau, la dernière fois, à gauche, au-dessus de l'articulation radiocarpienne.
J'applique, au milieu de la face externe de lavant-bras, un bouton de manchette d'un centimètre environ de diamètre, de forme triangulaire à bords convexes et j'accompagne l'application de suggestions appropriées. Je lui dis que je brûle l'endroit touché, qu'il en résultera une brûlure, pareille à celle que lui a causée son fourneau, que la région touchée deviendra d'abord rouge, qu'ensuite qu'il 6'y formera une vésicule : que la brûlure ne la fera pas souffrir longtemps et guérira bientôt.
La suggestion, faite j'attends dix minutes pour réveiller le sujet car la réalisation des suggestions posthypnotiques est facilitée lorsque le sommeil dure à peu près un quart d'heure. (Tokarsky, Podiapolsky.)
Le lendemain matin (le 18), d'après le récit des patrons de Paraskovie, a l'endroit que le bouton avait touché, on voyait une vésicule analogue à celle que produit une brûlure et large comme une lentille (1). Paraskovie la gratta et il s'en écoula un liquide aqueux. Lorsque je vis, ce jour-là, à cinq heures de l'après-midi le bras de l'expérimentée, il n'y avait qu'une petite tache rouge dans une région privée d'épidémie."
Le même jour, je résolns de répéter l'expérience et d'en modifier un peu les détails.
Je prends le même bouton et. avant d'endormir Paraskovie je le lui
il) Peul-Otre ln forme circulaire de la brûlure résultait-elle de ce que la surface du bouton était, non plane, mais nu peu sphériqne.
montre en disant que je vais le faire rougir au feu de la lampe et que de nouveau, je lui en brûlerai le bras, lorsqu'elle sera endormie.
Sitôt le sommeil obtenu, je prends le bouton et, pour plus de vraisemblance, je m'approche de la table, où se trouve la lampe, j'y reste même un bon moment. Puis je reviens vers le sujet et je lui applique le bouton sur le bras non loin de la brûlure de la veille, en accompagnant son application de suggestions appropriées : après quoi, je la laisse dormir un quart d'heure.
L'endroit, où devait se manifester la nouvelle brûlure, était un peu plus haut, que celui de la veille.
Déjà, avant le réveil, on voit une rougeur très nette, de forme elliptique, dont le grand axe répond à celui de l'objet appliqué. Pourtant cette rougeur apparaît, à l'endroit touché, mais un peu plus bas. TJn quart d'heure après survient nne vésicule, au milieu de la rougeur, laquelle s'étend sur une surface dont le diamètre répond a peu près à un verchok de dimension.
Le 22 mars, je fais une troisième expérience de brûlure suggérée, à laquelle assistent 1IM. P.-P. Podiapolsky et K.-J. Pangalo.
A 5 h. 1/2, Paraskovie s'endort tout d'un coup. Somnambulisme. Cinq minutes après sur le même bras gauche, un pen plus en dedans est appliquée la lettre ;t C " (une lettre de galoche) en enivre et plate;je dis à l'expérimentée qu'elle souffrira juste le même mal qu'elle a déjà ressenti au moment de sa brûlure occasionnée par le fourneau. Cette dernière brûlure, ainsi que l'ont constaté les assistants, donna un résultat plus intense qne les autres fois. Interrogée pendant son sommeil le sujet répondit que le bras la brûlait douloureusement.
La suggestion faite, le sommeil fut prolongé pendant une heure. Tout d'abord rien ne se manifesta mais une heure n'était pas encore écoulée qu'on put distinguer une rougeur, non à l'endroit où avait été appliquée la lettre, mais autour de la brûlnre précédente. Elle rappelait la rongeur qui s'était étalée dans le cas précédent et avait à peu près la même dimension (près d'un verchok de diamètre). Bientôt cette rougeur disparut et il en apparut une nouvelle entre les deux régions précédemment expérimentées. Cette rougeur commença à blanchir puis à se gonfler et, deux heures après la suggestion, une vésicule blanche était constituée de forme oblongue, à grand axe atteignant près d'un centimètre.
Dans cette dernière expérience, on ne put dépister aucune simulation : toutes les phases de la brûlure se déroulèrent sons nos yeux.
Nous Urnes une expérience inverse : Paraskovie fut endormie pendant 2-3 minutes et on lui appliqua au bras droit une cigarette allumée, en lui suggérant qu'on la touchait avec un crayon et qu'il ne se formerait pas de vésicule. Jusqu'à huit heures du soir, on ne vit qu'une rougeur et on laissa la jeune fille regagner son domicile. Toute souffrance avait été anéantie par une affirmation appropriée et par la suggestion d'une bonne nuit.
Le lendemain, le 23 mars, à 5 heures de l'après-midi, les deux bras de
Paraskovie furent examinés. Sur le bras droit, brûlé par la cigarette, s'était formée une petite vésicule, toute ronde, de 4 m.m. de diamètre. Autour d'elle il y avait une petite rougeur à peine visible.
A l'endroit de la brûlure imaginaire, il y avait une vésicule surplombant la surface de la peau, de forme irrégulière, rappelant une lettre " C " déformée, de moitié plus petite que la lettre appliquée (longueur 11 m.m., largeur 6 m.m.). Autour de la vésicule une rougeur très nette occupait aussi la place de la brûlure précédente Le jour même, la vésicule éclata et il s'en écoula un contenu aqueux incolore.
Pendant la nuit (du 23 an 24) la vésicule se remplit de nouveau et devint plus grande qu'elle n'avait été la veille. Le 24 au matin elle a été photographiée. L'expérimentée n'éprouvait aucune douleur ni dans l'un ni dans l'autre bras.
Il faut remarquer que la brûlure se déplaça de l'endroit indiqué vers l'endroit de la brûlure précédente. Ces déplacements avaient aussi lieu dans les expériences de M. P.-P. Podiapolsky. Cela provient peut-être de ce que l'endroit marqué ne reste pas assez nettement dans la mémoire de l'expérimentée ou bien de ce que des impressions précédentes ont exercé une influence propre.
L'examen des deux brûlures décrites, l'une imaginaire, l'antre réelle, montre une grande différence entre elles On aurait bien pu s'attendre qu'à l'endroit de la brûlure avec la cigarette il ne surviendrait pas de vésicule. Et peut-être il n'en serait pas apparu, si Paraskovie avait été laissée endormie plus longtemps que 2 à 3 minutes.
Ainsi, il ne reste aucun doute sur la possibilité de la production de ces phénomènes vaso-moteurs. On sait que. il y a quelque temps de cela, ces phénomènes ont été mis en doute à la Société de Neurologie, surtout par M. Babinsky. il. Podiapolsky lui répondit au mois d'août dernier avec des arguments expérimentaux. (1)
En y ajoutant les faits décrits ci-dessus je suis heureux de pouvoir soutenir l'opinion de M. Podiapolsky.
Du dressage des animaux, envisagé au point de vue
psychologique
par M. J. Mohet. médecin vétérinaire
La bienveillante insistance de notre dévoué et savant secrétaire général, le Dr Bérillon, m'a décidé à aborder, devant vous, un sujet d'ordre moins élevé que ceux habituellement étudiés dans votre Compagnie.
Je vais vous parler des animaux et de leur dressage ; si vous jugez que ma communication a quelque intérêt, je ne regretterai pas d'avoir négligé mes hésitations.
Dans la série des animaux domestiques, je fais, pour les besoins de ma thèse, deux catégories.
tl) Voir te renvoi à son article.
Première catégorie : Celle comprenant tous les animaux qui vivent près de l'homme, en une liberté relative, qui sont capables d'un raisonnement rudimentaire et dans l'adaptation desquels il entre beaucoup de dressage et un peu d'éducation. Le chien en est le type
De ceux-là je ne vous parlerai pas aujourd'hui.
Deuxième catégorie : Celle des animaux vivants en domesticité absolue sans liberté matérielle, ayant toujours vécu et vivant toujours — ou presque toujours — à l'attache.
Ces animaux sont incapables de raisonnement, leurs actes propies sont le résultat d'instincts, d'impulsions, leur obéissance résulte de sensations de réflexes. —je veux ajouter aujourd'hui, de suggestions.
De cette catégorie, le cheval est le modèle.
Le cheval, en raison de la nature et de la variété de ses services, est depuis presque toujours, adapté aux exigences de l'homme ; il l'aide dans ses travaux, le sert dans ses plaisirs, le porte à la guerre : il est sous sa complète et intime domination. Aujourd'hui la quintessence de cette domination intime se manifeste dans le dressage du cheval de selle de « haute école ».
C'est de ce cheval de « haute école » dont je vais vous parler, car la psychologie de son dressage résume et condense en les perfectionnant la psychologie de toutes les autres méthodes.
Et d'abord, je veux insister sur ce point qu'on ne produit pas le dressage par la force brutale,
Lorsq ue l'on voit un cocher ou un cavalier arrêter son cheval en tirant sur les rênes, on croit généralement que l'arrêt s'est produit parce que ce cocher ou ce cavalier a opposé, par l'intermédiaire des rênes et du mors, une force de résistance suffisante pour neutraliser la force impulsive de la monture. C'est une erreur, le cavalier et son cheval, ou bien le cocher avec sa voiture et son cheval, ne sont, ensemble, qu'un tout qui se meut et, seraient-ils plus forts que leur cheval, ce cavalier et ce cocher ne peuvent, par leurs efforts de traction, arrêter la masse par laquelle ils sont portés, pas plus que le batelier ne peut, de la même façon, arrêter le bateau sur lequel il vogue.
C'est une vérité mécanique dont la démonstration mathématique est facile.
La preuve de cette vérité se découvre au simple examen du cheval emballé.
Emballé ! il l'est irrésistiblement : les efforts combinés de plusieurs personnes, si elles sont dans sa voiture, ne l'arrêteront pas : il continuera sa course jusqu'à la catastrophe ou l'épuisement, non, comme on le croit généralement, parce qu'il a pris le mors entre ses dents pour se soustraire à son action, mais parce qu'il a été momentanément jeté hors de l'état de docilité, d'obéissance acquis par le dressage, et il a été jeté dans cet état par la mise en jeu d'un réflexe violent qui a dominé tous les autres.
Donc pour obtenir du cheval, la docilité nécessaire, l'homme a dû employer autre chose que la force purement mécanique. Ceci posé, je reviens au cheval de » haute école ».
En terme d'équitation on dit d'un cheval qu'il est « mis » lorsque son dressage est très poussé. Eh bien, Messieurs, un cheval « mis » est un cheval qui a été suggestionné. J'espère me faire comprendre.
Pour mettre un cheval au point il est nécessaire d'aller du simple au composé ; on procède soit « pied à terre », soit monté, les moyens mécaniques, dont je ne parlerai pas. peuvent être différents, mais la psychologie en est, exactement, du même ordre.
On commence par n'exiger, simplement, qne le calme à l'arrêt l'immobilité confiante, le dédain des choses et des bruits extérieurs, puis toujours à l'arrêt, on provoque la « flexion des mâchoires ». C'est, en terme d'équitation, la mise en main » ; c'est aussi la clef du dressage.
Ce mouvement de « flexion des mâchoires » résulte de la décontraction des muscles de la région cervicale supérieure et des masséters, en même temps que d'une légère flexion de l'articulation atloïdo-occipilale ; la tête se trouve, alors, dans un état de naturelle souplesse et cette souplesse a toujours, pour corrollaire, un équilibre général et sans raideur.
Cette confiance obtenue, ce calme, cette décontraction générale, cet abandon, enfin, constituent bien — je crois — le « consentement organique — recherché par nos collègues les médecins des hommes, comme nécessaire à toute suggestion.
D ne s'agit plus, pour mener le dressage à bien, puis poar le parfaire, que d'opérer graduellement avec calme et volonté, de provoquer les mouvements à obtenir par des sensations physiques répétées, et encore répétées entre de nombreux repos, sensations poussées, s'il est nécessaire, jusqu'à la douleur par l'éperon on la cravache, mais sans jamais dépasser la mesure, sans pousser au déséquilibrement ou à la fatigue, sans jamais détruire cette souplesse, ce relâchement musculaire, ce « consentement organique », à la faveur duquel, le dressage avance, la suggestion opère et sans demander jamais d'autres mouvements, d'autres allures que ceux compatibles avec le jeu normal des muscles de l'animal.
Le cheval ne raisonne pas, mais son cerveau est un merveilleux enregistreur, sa mémoire des sensations est extraordinaire. Le dressage méthodique développe chez lui et met en œuvre toute une gamme de réflexes, il emmagasine en ce cerveau toute une variété de sensations ; mais des sensations voulues par l'éducateur et cataloguées par lui.
Ces réflexes et ces sensations prennent, au contact de l'écuyer, un développement, une acuité tels qu'ils entrent en jeu à la plus fine, à la plus invisible des sollicitations.
On dit, alors, que le cheval est « accordé », il a complètement perdu son libre arbitre, il est dominé par son maître qui en joue comme un virtuose ; il est subjugué, il ne peut pas ne pas obéir, il est suggestionné.
La Société décide que la question sera maintenue à 1 ordre du jour.
CHIMIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine, séance de la Société d'hypnologie ot de psychologie aura lieu le mardi 19 décembre à 4 heures et demie, sous la présidence de XI. le D[ Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Les séances ont lieu le troisième mardi de chaque mois. Elles sont publiques. Les médecins, les étudiants et les membres de l'enseignement sont invités a y assister.
Adresser les titres des communications à M. le DT Bérillon, secrétaire-général, 4, rue de Castellane et les cotisations a M. le Dr Panl Forez, trésorier. 154, boulevard [laussmann.
Communientions déjà portées à l'ordre du jour : D' Pebsicky (d'Odessa) : Le traitement des phobies par la méthode analytique. D' Bsmllox : 1° L'œsophagisme des névropathes : 2° La rééducation olfactive, son importance dans le traitement des psychonévroses. Dr Douglas Biiyan : Observations psychologiques sur la vie sexuelle des femmes. Moret, méd.-vétérinaire : Le dressage des animaux suite de discussion).
Les mémoires extraordinaires
La note récente du DT Callamond snr les mémoires extraordinaires de certains grands hommes m'a rappelé le cas d'un vieillard nommé Jules Zostol, qui fut pendant un certain temps hospitalisé a l'hospice de La Rochelle. Ce vieillard, qui pratiquait avec ferveur la religion protestante savait par co?ur imperturbablement tons les versets de la Bible. Plusieurs membres du Synode l'ont interrogé de la manière suivante : Récitez-moi tel verset de tel chapitre de tel livre. Interviewé sur tous les livres de la Bible ou à peu près, môme snr les moins connue, pas nne fols sa mémoire ne s'est trouvée en défaut. Il commençait a réciter ce verset tel qu'il est, que ce verset commence nne phrase ou que, simplement, il soit la continuation d'une pensée, que par lui-même il signifie quelque chose ou qu'il ne signifie rien. On pouvait lui demander de commencer au milieu du verset, il le faisait sans la moindre difficulté. On a eu l'Idée de lui demander le 32e verset d'un chapitre qui n'en possède qne 31. II signale aussitôt l'erreur en offrant de réciter le verset 32 du chapitre précédent qui en possède 33, ce qui était parfaitement exact. Il pouvait calculer mentalement, avec une extrême rapidité, le nombre de secondes que vous aviez vécu a l'heure présente, etc. Sa mémoire fonctionnait comme une machine absolument sûre. On affirme qu'il n'avait jamais commis d'erreur ni dans ses citations de la Bible ni dans ses plus invraisemblables calculs. S'il est de nos lecteurs qui s'intéressent a la question, je leur serais reconnaissant de signaler les cas de mémoire vraiment extraordinaire qui pourraient être parvenus a leur connaissance.
J. ».
NOUVELLES
Cours et conférences de l'Ecole de psychologie
49, rite St-André-des-Arts. pour l'année 1910 (10° année)
La dixième séance de réouverture des cours, aura Heu le lundi 10 janvier, à 5 heures, sous la présidence de M. Crcppi, député, ancien ministre.
Ordre du jour : 1° Dr Bérillox : Le programme de l'Ecole de psychologie ; 2° M. Gcilhermet, avocat ô la Cour d'appel : Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire. 3° Allocution de M. Cruppi.
4° Installation du buste du professeur Liégeois.
Cours de l'Ecole de psychelogie
(Le programme des cours a été publié dans le numéro précédent).
Conférences psychologiques hebdomadaires
Les lundis à cinq heures.
Lundi 10 janvier, à cinq heures : Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire, par M. Guilhermet, avocat à la cour d'appel. — Sous la présidence de M. Cruppi. député, ancien ministre.
Lundi 17 janvier, à cinq heures : Le musée de l'enfant anormal. Les figurations des anomalies dans l'art, par M. le 1 )' Bérillon. médecin inspecteur des asiles d'aliénés. — Sous la présidence de 31. le Dr Beauvisage. professeur à l'Université de Lyon, sénateur.
Lundi 24 janvier, a cinq heures : L'emploi de la volonté et dn courage sur le champ de bataille, par M. le capitaine Simon, professeur de l'Ecole de St-Cyr.— Sous la présidence de II.le Dr Félix Regnault. professeur à l'école de psychologie.
Lundi 31 janvier, à cinq heures : La psychologie du bonheur : sa réalisation par l'éducation du caractère, par 3Ille Lucie Bérillon. professeur au lycée 31olière. — Sous la présidence de 31. Gustave Belot, professeur de philosophie au lycée Louis le Grand.
Lundi 7 février.à cinq heures: Par 31. Ismaël Hamet, interprête principal de l'armée. Sous la présidence de 31. Soubhy Bey. docteur en droit.
Luudi 14 février, à cinq heures : Les deux facteurs de la décadence contemporaine : l'alcoolisme et le faux humanitarisme, par 31. le Dv Bérillon, professeur à l'Ecole de psychologie. — Sous la présidence de 31. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Lundi 21 février, à cinq heures : L'hypnotisme considéré comme moyen d'investigation psychologique, par 31. le Dr Paul Joire. de Lille. — Sous la présidence de M. le Dr Paul Farez. professeur h l'Ecole de psychologie.
Lundi 28 février, a cinq heures : Les troubles psychologiques du langage, par 31. le Dr Chervin. directeur de l'Institut des bègues. - Sous la présidence de 31. le Dv Paul 3Iaguin. professeur à l'Ecole de psychologie.
Lundi 7 mars, à cinq heures : La nouvelle armée Chinoise, par 31. Scié-Ton-Fa. mandarin. — Sous la présidence de 31. le Dp Broda, professeur à l'Ecole de psychologie
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Brieu (Jacques) : Essai critique sur la Forme, d'après la Théosophie.
l'Occultisme et la Kabbale. Broch. in-S°. Librairie du Magnétisme. Bjîiec (Jacques) : La Philosophie et la Métaphysique sont-elles mortes '!
Broch. in-S°. Chez l'auteur. Claparède (Ed.) : Rapport sur la terminologie psychologique. Genève
1909.
Claparède (Ed. i et Baade (W.): Becherches expérimentales sur quelques processus psychiques simples dans un cas d'Hvpnose. Librairie Kündig. Genève. 1909.
L'administrateur : J. BÉRILLON. Le Gerant : Constant LAURENT. Privas
Privas, Imp. C Laurent, avenue du vanel.
REVUE DE HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL THÉRAPEUTIQUE
24e Année — N° 7. Janvier 1910.
Le professeur Brissaud. — Le Jubilé scientifique du professeur Teissier (de Lvon). Un hommage du Dr Huchard.
La mort du professeur Brissaud, survenue le 20 décembre dernier, a plongé dans une profonde consternation ses élèves, ses nombreux amis personnels et tous ceux qui avaient en l'occasion d'apprécier sa haute intelligence, la noblesse de son caractère et son amour inné de la justice.
Le professeur Brissaud.
Ses collaborateurs directs ont, dans diverses publications médicales, fait ressortir l'importance et la variété de ses travaux scientifiques. Ils ont pu consacrer a cet exposé de longues pages sans arriver à exprimer tout ce qne cette œuvre, résultat de trente années de labeur ininterrompu, comporte d'idées réellement personnelles, de vues originales et d'inspirations philosophiques. Nous ne les suivrons pas dans cette tache, et nous nous bornerons à rappeler que le professeur Brissaud dans toutes les questions qu'il a abordées a donné la marque d'un esprit véritablement supérieur.
Elevé a la forte école des Millard, des Charcot, des Lasègue et des Jaccoud, il était devenu, ce qui n'est pas une chose déjà si commune à notre époque, un professeur dans la plus belle acception du terme. En effet tons les dons de l'art d'enseigner semblaient s'être rénnis en sa personne: érudition vaste, parole claire, langage
précis, forme littéraire, éloquence entraînante er. par-dessus tout, esprit fécond en aperçus nouveaux et vraiment capables de captiver et de fixer l'attention.
La seule chose qui puisse surprendre, c'est qn'avec de telles qualités il ait pu, sans accroc, gravir tous les échelons qui conduisent aux sommets de ta hiérarchie professorale ; d'autant plus que chez Ini l'homme était encore supérieur nu professeur. C'est ce que le professeur Gilbert Ballet a exprimé eu termes d'une éloquence si expressive qu'il y aurait, après lui, quelque témérité a le recommencer.
• Sans doute, écrivait-il dans le Bulletin Médical, Brissand jonlssalt d'une Intelligence hors de pair: mais 11 y eut chez lui quelque chose de plus admirable encore-que l'intelligence, ce fut le caractère. Dans toute l'acception du mot. il fut le vir probus. Son puissant cerveau, qui vibrait avec une intensité surprenante a toutes les impressions, a la lecture d'un bon travail scientifique on d'une belle œnvre littéraire, à la vue d'nne œuvre d'art, et pourquoi ne le rappellerait-on pas, ù la pensée d'un mets délicat (de même qu'il connaissait les recoins des bibliothèques et les curiosités de la plupart dos musées, il savait aussi tontes les ressonrees culinaires de Paris, et causait en dilettante des mets locaux de nos provinces), son cerveau vibrait surtout A l'idée d'une belle action. Avec quel enthousiasme il parlait do ceux qui «font du bien» ! Il jugeait d'abord les gens au point de vue éthique. Il avait un accent particulier pour dire de quelqu'un : e'est nn «honnête homme », qui montrait tout le prix qu'il attachait a des qualités qu'il possédait lui-même au plus haut degré. Il fut tonte sa vie une de « ces hautes consciences inaccessibles a la peur», dont on parlait récemment».
Certes Brlssnud fut bien tel que le décrit le professeur (îilbert Ballet. En pourrait-on donner une meilleure preuve que le fait d'être venu. Il y » deux nus. présider la huitième séance de réouverture des cours do l'Ecole de psychologie.
Ce n'était assurément pas le mouvement d'un esprit ordinaire qne celui qni avait amené le professeur Brissand. investi des plus hautes fonctions universitaires, a donner ainsi l'appui de son autorité n nn groupe d'hommes indépendants, n'ayant pour toute recommandation qne lenrs efforts antérieurs et lenr désir de travailler à une œuvre utile.
Ce jour-lit, il prouva qu'il était non senlement de ceux qui savent mettre leurs actes en rapport avec leurs principes, mais aussi qu'il professait le plus suprême dédain pour les préjugés issus des conventions dogmatiques et seolastiqnes.
Xi ne tirait d'ailleurs aucun orgueil de son esprit d'indépendance qu'il considérait comme un devoir naturel. Un jour qne je lui exprimais mon étonnement que cette liberté d'action ne fut pas plus fréquente dans les milieux officiels, il me répondit : « Détrompez-vons, les hommes d'esprit indépendant ne sont pas si rares que vous le croyez, a la Faculté de médecine : j'estime qu'il y a actuellement dix, huit professeurs disposés** accorder ouvertement leur approbation it toute institution qui, comme la vôtre, résulte de l'initiative Individuelle. Il suffit pour cela, qu'il en émane des idées nouvelles, des trnvanx personnels et qu'elle concoure h la réalisation d'un progrès. »
Après s'être inspiré, pendant la pins grande partie de sou existence scientifique de ce « penser anatonilque » dont on a fait longtemps le tnliim moven* de la neurologie, il avait été amené par la force des circonstances*! comprendre l'Importance du * penser psychologique. »
C'est parce que je lui avais entendu, un Jour, exprimer son regret d'avoir trop longtemps méeonnn le rôle de la psychologie en médecine, qne Je m'étais enhardi U lni parler de l'idée qni nous avait guidés dans la création de l'Ecole de psychologie. Je fus fort surpris, je l'avoue, de lut entendre dire qu'il était parfaitement au courant de tout ce que nous avions fait et qu'il serait heureux, si l'occasion s'en présentait, de nous en témoigner son npprobatlon.
Le 9 Janvier 1908, devant un auditoire d'élite attiré par l'autorité de sou nom. Il tenait sa parole. Sous considérerons toujours les félicitations qu'il ndresa. ce jour-là, aux professeurs de l'Ecole de psychologie pour le succès de lenr iiitative. comme un des encouragements les plus précieux qu'il lenr ait été donné de recevoir. E. B,
A l'occasion du vingt-cinquième anniversaire d'enseignement magistral du D' Teissier, professeur de clinique médicale à la Faculté de Lyon, une touchante manifestation a eu lieu daus l'amphithéâtre de ln clinique de l'Hotel-Dlen.
Les nombreux élèves du savant professeur lyonnais lui faisaient la remise d'une plaquette commméinoratlve offerte par plus de 50Ü souscripteurs.
Cette très belle plaquette, remarquable œuvre d'art exécutée par le docteur Paul Rlcher, membre de l'Institut, rend admirablement, sur son avers, la physionomie souriante et sympathique du médecin lyonnais. -Ktatis set: lviii. La Phosphatcbie. La GaiPPK. Ll8 AlBUIIIXUIIIKS. I.-• I*'' :a s CIIKONIQCES.
Au revers, le Maître examine une malade dans sa salle de clinique, un élève prend des notes, la sœur cheftaine, avec sa cornette des Hospitalières lyonnaises, donne un reflet archaïque et calme a cette scène dominée par le baste da professeur Bénédiet Teissier qui. si longtemps, enseigna dans cette même clinique. Elle a comme gardé l'empreinte de cette Ame droite et élevée, et plus encore, de la bonté de son cœur. En exergue : Patri son impah PABrraQcx $ciextl.r bt miser» inéditos.
En ouvrant la séance, le doyen Hugounenq, adresse au Maître, au nom de la Faculté de médecine, les félicitations de ses collègues, pnis des discours furent prononcés par les professeurs Roque, Maragliano. Quiès, Arloing et par M. Joubin, recteur de l'académie. Enfin M. le Dr Mayel a remis no professeur Teissier un livre Jubilaire contenant soixante-dix mémoires originaux et Inédits, rédigés à cette occasion par des médecins français et étrangers.
Le professeur Teissier, vivement touché de ces démonstrations affectueuses a pro-jioucé une allocution très applaudie.
C'est avec le pins grand plaisir que nous enregistrons cette manifestation pieuse à l'égard d'un savant auqoelj sa haute élévation d'esprit, la noblesse de son caractère, sa valeur professorale et, je dois ajouter aussi, sa bonté, ont valu le cortège de tant de profondes sympathies. „
une cérémonie d'un caractère tout Intime a en lieu le 12 Janvier à l'Hôpital S'ecker. Dans l'amphithéâtre Laennec, construit par le Dr Hucliard, ses anciens internes et externes s'étaient réunis pour lui offrir un objet d'art à l'occasion de sa retraite des hôpitaux.
Successivement on entendit des allocutions de MM. Weber, Bardet, Gillet : de M. Renon qui remplace M. BTuehnrd dans sou service. Puis ce fut le tour du professeur Albert Bobin. H rappela les années de jeunesse, son concours des hôpitaux ou M. Huchard lui a donné avec sa voix, un témoignage d'amitié qu'il n'a jamais oublié. 11 rappelle qu'il y a deux ans. Il lui a fait une grande peine, a lui et à ses nombreux amis, qnand il n refusé le professorat d'hydrologie il la Faculté, alors que sa nomination était assurée ; le tout exprimé dans une forme exquise et cette simplicité de débit qui convient aux mouvements sincères du cœur. M. Hnchard remercie, ironve un mot aimable pour chacun, rend justice aux efforts de ses collaborateurs ; ¡1 combinera de se consacrer au travail Í» la Clinique du cœur, pulsqu'aussl bien le travail uni ii l'espérance et h l'amitié, assure les meilleures conditions de bonheur.
TRAVAUX ORIGINAUX
Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille »
par M. le Dr Bérillox, professeur à l'Ecole de psychologie.
I. — L'Hypnotisme fortuit (Suite.)
Un des caractères, et non l'un des moins singuliers, de l'hypnotisme fortuit, est que habituellement l'on constate chez les sujets un état
d'inhibition plus accentuée que lorsque le sommeil provoqué résulte d'hypnotisations méthodiques. Cela tient à un certain nombre de causes dont la principale réside dans la soudaineté avec laquelle, dans ce6 cas, s'exerce l'action hypnogénique. Le sujet, non prévenu, n'a ni l'idée ni le temps d'organiser la moindre résistance à l'influence qui s'exerce sur lui. Il subit, au plus baut degré, tous les effets du choc idêo-émotionnel. Une autre raison se trouve dans ce fait que les conditions réalisées par le hasard interviennent avec une intensité, je dirai même avec une brutalité, qui n'ont rien de comparable avec les moyens de douceur auxquels les expérimentateurs ont habituellement et intentionnellement recours. C'est ainsi que l'hypnose fortuite survient surtout à la suite d'un choc brusque, peut être provoquée par le bruit d'une forte détonation, d'un coup de tonnerre, ou est le résultat d'une émotion étreignant le sujet jusque dans les fibres les plus profondes de son être.
Les conditions les plus favorables à la réalisation de l'hypnose fortuite se trouvent particulièrement réunies dans les cas où une personne se* trouve soumise à la manœuvre d'une chloroformisation feinte. C'est, pourquoi il n'est pas étonnant que l'on ait déjà relevé un assez grand nombre d'observations dans lesquelles les sujets se sont trouvés soudainement plongés dans un état profond d'hypnotisme, après avoir fait-quelques inspirations dans un masque à chloroformisation.
« En 1862, raconte Woodhouse Braine, je fus appelé à administrer le chloroforme à une jeune fille très nerveuse, profondément hystérique, à qui l'on devait enlever deux tuml rs. J'envoyai chercher du chloroforme, et, en attendant, pour habituer la jeune fille au masque de l'appareil, je le lui appliquai sur le visage ; immédiatement, elle se mita respirer au travers. Au bout d'une demi-minute, elle dit : « Oh ! je sens, je sens que je m'en vais ! » Le flacon de chloroforme n'était pas encore arrivé. Un pincement faible la laissa indifférente ; je pinçai rudement: à ma grande surprise, elle ne sent.t rien. L'occasion me parut favorable, et je priai le chirurgien de commencer. Je demandai plus tard à la jeune fille si elle avait senti quelque chose « Xon, dit-elle, je ne sais ce qui s'est passé. » A sa sortie de l'hôpital, elle croyait fermement à la puissance de l'anesthésique qu'on lui avait administré (1). »
A une date plus récente, M. Carlier, aprésenté à la Société de Médecine du département du Xord. l'observation d'un cas d'anesthésie que l'auteur qualifie à tort « d'anesthésie par suggestion » puisque le sujet comme il le reconnaît lui-même par sa description, était endormi. Voici d'ailleurs le texte de la communication :
« Je présente à la Société l'observation d'un cas d'anesthésie par suggestion pendant une opération chirurgicale. Il s'agissait d'un homme de vingt-six ans sur lequel M. le Pr Le Port devait faire une cure radi-
(1) Gnyau. dans Education et Hérédité. Parle. 1889, p. 2.
(2) Carlier : Un cas d'anesthésie par snegestion pendant une opération chirurgicale, i Echo Médical du Nord, 28 Dec. 1906.)
cale de hernie inguinale gauche. A peine fut-il étendu sur la table d'opération, et lui eut-on ajusté sur la figure le masque de l'appareil de Bicard, qu'on s'aperçut qu'il était endormi, sans qu'il eut respiré à ce moment la moindre goutte de chloroforme. La résolution musculaire était complète, la sensibilité générale abolie ; mais le réflexe cornéen était conservé. On se garda bien de lui donner du chloroforme. La toilette fut faite, et l'opération commencée se poursuivit absolument dans les mémos conditions que si le sujet avait été réellement endormi au chloroforme. A peine y eut-il un peu de contracture et de résistance des muscles, pendant la réfection de la paroi antérieure du canal inguinal. Tout à la fin, on lui fit respirer quelques gouttes de chloroforme, afin de lui donner l'illusion d'avoir été réellement endormi. Quand tout fut terminé, le sujet se réveilla de lui-même sans présenter la phase d'abrutissement qui suit toujours le sommeil chloroformique. Examiné le lendemain de l'intervention, le sujet ne nous a paru présenter aucun antécédent névropathique. Il n'a été malade, ni dans l'enfance, ni dans l'âge adulte. Il n'a jamais eu de crises nerveuses. La sensibilité est normale, de même que les réflexes, à part le réflexe pharyngien qui est très diminué. Son état psychique parait aussi absolument normal, à part une certaine facilité à rire et à pleurer. »
A ceux qui pourraient s'étonner de la réalisation si rapide de l'hypnotisme dans les cas dont il vient d'être question, je ferai observer que les sujets avaient été soumis au procédé par lequel il est possible de réaliser les états les plus profonds de l'hypnose. En effet, que demande-t-on à la personne sur laquelle on se livre à un simulacre de chloro-formisation ? C'est de respirer à fond dans le masque appliqué sur le visage et de faire de longues inspirations.
Or, la manœuvre à laquelle les yoguis de l'Inde ont habituellement recours pour obtenir des effets marqués d'anesthésie hypnotique consiste essentiellement dans le ralentissement des mouvements respiratoires. Plusieurs de nos confrères des Etats-Unis qui, lorsqu'ils les soumettent à des tentatives d'hypnose, demandent h leurs sujets de retenir leur respiration et de n'inspirer l'air qu'à des espaces de plus en plus éloignés, obtiennent les meilleurs résultats de cette méthode. Lorsque je l'associe aux autres procédés d'hypnotisation j'obtiens également des états d'hypnose plus accentués.
La conclusion de ce chapitre est que, chez un grand nombre de sujets doués d'une prédisposition particulière, l'hypnose fortuite aura une tendance d'autant plus grande à se réaliser qu'ils ne se douteront pas de leur aptitude à en subir les effets.
Qui de nous n'a, dans son cabinet, et cela ù maintes reprises, été. témoin du fait suivant. Pendant que vous vous efforcez, sans résultat satisfaisant, d'hypnotiser un malade, la personne qui l'accompagne s'endort profondément.
L'intérêt qu'elle porte au succès de l'expérience en cours l'ayant placée dans « l'expectant attention » elle glisse d'elle-même, par simple lassitude
de l'esprit, sur la pente du sommeil et réalise spontanément l'état d'hypnose fortuite.
C'est à une influence indirecte de ce genre qu'il faudrait rattacher le cas suivant qui fut publié dans la Revue de l'Hypnotisme, sous le titre : Un cas d'hypnotisme fortuit, et qui mérite d'être rappelé :
« Au théâtre de Reims, on jouait le Petit Clmperon-rouge, pièce dans laquelle se trouvait un rôle d'hypnotiseur. Bien entendu la scène d'hypnotisme était simulée et l'actrice chargée de jouer le rôle du sujet hyp-notisé n'avait d'hypnotisée que l'apparence. Soudain, on s'aperçut qu'une choriste, Mlle Marie Châtel, âgée de 19 ans, était tombée spontanément dans un profond sommeil hypnotique. L'hypnotiseur avait opéré sans le vouloir. Le médecin de service chercha vainement pendant plusieurs-heures à tirer la jeune fille du sommeil hypnotique : c'est k quatre heures dn matin seulement qu'elle s'éveilla. » il)
A ce sujet j'ajoutais les réflexions suivantes :« Ce cas d'hypnotisme fortuit démontre au plus haut point l'influence que l'imitation peut jouer dans la production des états hypnotiques. Il est probable que le médecin du théâtre était peu familiarisé avec l'hypnotisme. Cela expliquerait la difficulté qu'il a éprouvée a réveiller le sujet. »
C'est un fait bien connu qu'un grand nombre de personnes, par le seul fait qu'elles sont réunies et qu'elles constituent « une foule » présentent spontanément une telle suggestibilité que la comparaison de leur état psychologique collectif avec celui d'un sujet hypnotisé s'impose nécessairement. Aussi, s'il est une idée dévenue banale à force d'avoir été répétée, c'est celle qui consiste k dire que la foule se comporte, dans ses-réactions et dans ses manifestations, exactement comme le ferait un sujet plongé dans l'état d'hypnose.
C'est qu'en réalité l'hypnose de la foule est de pnose fortuite. Elle s'est réalisée spontanément, par l'apparition d'une inhibition mentale s'étendant, de proche en proche, et sans qu'ils s'en doutent, à tous les-cerveaux de ceux qui la composent.
Or, si cette hypnose fortuite se produit si facilement chez un grand nombre de personnes par la seule circonstance qu'elles se trouvent groupées en troupeau, n'en est-on pas autorisé k admettre que le même état; pourra se reproduire chez ces mêmes sujets, pour peu que des conditions favorables à son développement se trouvent réalisées.
L'existence de ces états d'hypnotisme fortuit n'avait été reconnue ni par Braid, ni par ses élèves directs. Seul, Lasègue auquel, en ce qui concerne l'hypnotisme, on doit tant d'observations ingénieuses, en avait-compris l'importance.
II importe, écrivait-il, dans l'histoire longue et complexe des sommeils artificiellement provoqués, de ne pas mettre, à titre de simple appendice, le récit des hypnotismes de second ordre, mal distincts,
(1) Un cas d'hypnotisme fortnit. (Revue de l'Hypnotisme). 17' année, mai 1903. p. 350.
reliant ù leurs heures, au hasard d'un incident, sans l'intervention d'un tiers opérateur. Le malade seul, livré a. sa propre observation, atteint d'un malaise qui lui interdit de s'observer est réduit à une motion très confuse ; cas hypnotismes bâtards et passagers sont matière k étude pour tous ceux qui s'intéressent aux capricieuses déviations du système nerveux. » (1)
Il est vraiment regrettable que les clinicieos qui, depuis quelques années, se sont adonnés k l'étude de la psychothérapie, n'aient pas pris le soin de lire les pages si instructives consacrées par Lasègue à l'étude du braidisme et du sommeil normal. Au lieu de parler k tout propos de l'influence thérapeutique «de la suggestion à l'état de veille » ils auraient été amenés à se demander s'ils n'opéraient pas sur des sujets dans un état d'hypnotisme, qui pour être fortuit, était cependant plus accentué que s'il avait été le résultat de procédés mis en œuvre par un expérimentateur exercé.
H. — Les états hypxoïdes
Alors que Y hypnotisme fortuit résulte d'influences inopinées, s'exerçant d'une façon passagère et indépendantes de l'intervention volontaire d'un hypnotiseur, les états hypiioïdes sont au contraire constitués par des dispositions mentales ayant un certain caractère de permanence et de continuité.
Tel est le cas de sujets, plus nombreux qu'on ne croit, chez lesquels l'état de veille complet ne se trouve réalisé que dans des circonstances exceptionnelles. L'existence de ces individus se passe dans un état de somnolence, d'apathie intellectuelle qui n'est pas incompatible avec l'exécution d'un certain nombre d'actes purement machinaux, mais ils ne sauraient se montrer capables d'une activité entreprenante ni d'une réelle initiative. Leur existence s'écoule passive et monotone, aucun événement d'un intérêt quelque peu palpitant ne venant les déranger dans leur quiétude. Si, à certaines heures, on les voit sortir de leur indifférence habituelle, cette excitation passagère n'est que d'une très courte durée et ils ne tardent pas k retomber dans leur passivité contemplative.
Lasègue, dans son étude sur le Sommeil, a consacré quelques lignes à ces réveils difficiles ou incomplets : « Ce qu'il faut savoir, dit-il, c'est que le réveil, s'il est quelquefois brusque, peut d'autre fois être constitué par une série de transitions infinies au cours desquelles les individus parlent, causent, mais sont incapables d'état intellectuel. Leurs facultés psychiques semblent ne reprendre leur activité que par fragment, et tant que leur ensemble n'est pas ressaisi par le dormeur, celui-ci garde une conscience imparfaite des objets du monde et présente une mine hébétée particulière ».
(1) Cette différence lient an monde de production de ces états. Tandis que les premiers résultent des émises de caractère accidentel, les seconds dépendent de conditions habituelles du milieu, où sont liées a des dispositions ataviques, pathologiques, éducatives, psychologiques, propres au sujet qui les présente.
L'observation de Lasègne. peu applicable aux habitants des cités où l'activité delà vie revêt toujours uu caractère plus animé, concernerait plutôt certaines populations peu civilisées, dont la vie s'écoule dans une inertie somnolente.
M. Crispulo Diaz, de Porto-Bîco. me disait que la plupart des nègres de son pays retombent spontanément dans un sommeil profond dès que leur travail est interrompu et qu'ils se mettent dans une attitude favorable du repos. D'autres observateurs ont également signalé la disposition que présentent les nègres des pays tropicaux à être plongés dans des états d'hypnose ou d'auto-hypnose.
M. le Dr Matignon a noté également l'extrême facilité avec laquelle les chinois des classes inférieures, au milieu de la journée, s'endorment d'nn sommeil profond dans les positions les plus incommodes (1).
La même observation a été faite dans plusieurs pays tropicaux de l'Amérique centrale. Un européen qui a parcouru récemment la République de l'Equateur m'exprimait l'étonnement qu'il avait éprouvé en constatant l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de secouer l'apathie d'indigènes de ce pays. Même par l'offre d'une somme d'argent importante, il ne pouvait les déterminer a sortir de la somnolence dans laquelle ils se complaisent.
L'état de far-nîenle dans lequel se délectent certaines populations du littoral de la Méditerrannée témoigne d'une disposition mentale analogue. C'est un fait d'observation réelle que Proudhon a noté lorsqu'il a écrit : « Le lazarone qui a mangé sa polenta ne remuerait pas un sac pour tout l'or du monde. »
Ces gens là ressemblent à des sujets qui resteraient livrés à eux-mêmes après avoir été hypnotisés et chez lesquels aucune excitation extérieure ne viendrait provoquer d'idées, d'actes ou de sensations. Si aucune sollicitation n'intervient pour leur faire une suggestion de réveil, il n'y a aucune raison pour qu'ils ne restent pas indéfiniment endormis ou à moitié endormis. Cette interprétation est d'ailleurs conforme à celle que M. le professeur Beaunis exprimait en 1885, dans la Reçue Philosophique.
« D'après ce que j'ai observé — écrivait-il — je serais porté à croire que pendant le sommeil hypnotique, il y a un repos absolu de la pensée, tant que des suggestions ne sont pas faites. Quand on demande à un sujet placé dans le sommeil hypnotique — et j'ai fait cette demande bien des fois—: « A quoi pensez-vous?» — presque toujours on a cette réponse: «Arien. * — llya donc un véritable état d'inertie ou plutôt de repos intellectuel, ce qui s'accorde bien du reste avec l'aspect physique de l'hypnotisé : le corps est immobile, le masque impassible ; la figure a même une expression de
(1) passage de l'article du D* Matignon, auquel nous faisons allusiou. est ainsi conçu : • II est vrai que le chinois ft une qualité. Il ne consomme que ce qu'il doit consommer ; quand il iTa rien ft faire, il se repose où dort. Il peut dormir d'un profond sommeil pendant cinq minutes dans n'importe qu'elles positions. la tête en bas on appuyée sur une roue de brouette, en plein soleil et la bonehe garnie de mouches. » (Acme d'hygiène).
calme et de tranquillité qu'elle atteint rarement dans le sommeil ordinaire; il n'y a certainement ni rêves ni pensées d'aucune sorte, caries sujets qni se rappellent si bien, une fois endormis de nouveau, tout ce qui s'est passé dans un sommeil antérieur ne se rappellent rien d'un sommeil hypnotique dans lequel il ne leur a pas été fait de suggestions. »
H n'est pas douteux qu'entre l'état de veille active et consciente, et l'état de sommeil complet, il y ait de nombreux états intermédiaires. Quand ces états sont plus manifestement rapprochés du sommeil que de la veille, quand l'individu demeure plongé dans une véritable torpeur intellectuelle, c'est alors qu'ils méritent le nom d'étals hypnoides.
Ces états apparaissent chez certaines populations sous la forme endémique. On peut même lui reconnaître, dans quelques cas. une origine intentionnelle, tar la somnolence acceptée et pratiquée d'une façon prolongée par un grand nombre de familles du Nord et de l'Ouest de la Hussie a pour principe de remédier aux fâcheux inconvénients de la disette. Il y a quelques années, des renseignements sur une pratique singulière nommée la « lëjka » émanant du bureau statistique du gouvernement de Pskow, furent publiés par le Courrier Russe. Il nous parait utile de les reproduire :
« Dans les districts frappés de mauvaises récoltes à l'état chronique, la population a élaboré un moyen de s'adapter « au manque de provisions », moyen qui est peut-être inconnu dans tout autre endroit du monde civilisé. Ce moyen s'appelle la lëjka, ou le couchage (du verbe lejat, être couché) et consiste en ceci : « A peine le chef d'une famille s'aperçoit-il vers la fin de l'automne qu'une consommation normale de sa provision de blé ne le mènera pas jusqu'à la fin de l'année agricultu-rale, qu'il prend dispositions pour en diminuer fortement la ration. Mais sachant par expérience que dans ce cas il lui sera difficile de conserver à leur hauteur normale sa santé et surtout sa force physique nécessaires pour les travaux de printemps, il se plonge, lui et sa famille, dans la lêjka, c'est-à-dire que tout simplement tout le monde va rester couché sur le poêle pendant quatre ou cinq mois. Se levant seulement pour chauffer la hutte, ou pour manger un morceau de pain noir trempé dans de l'eau, il tâche de se remuer le moins possible et de dormir le plus qu'il peut. Allongé sur son poêle, conservant la plus complète immobilité, peut-être même ne pensant plus, cet homme n'a qu'un seul souci pendant la durée du long hiver, celui de dépenser le moins possible de sa chaleur animale ; pour cela il tache de moins manger, de moins boire, de moins se remuer, en un mot de moins vivre. Chaque mouvement superflu doit fatalement se répercuter dans son organisme par une dépense superflue de chaleur animale, ce qui à son tour appellera nécessairement une recrudescence d'appétit qui l'obligera à dépasser le minimum de consommation de son pain, minimum qni seul le permettra de faire durer sa provision de blé jusqu'à la récolte nouvelle. L'instinct lui commande de dormir, dormir, et encore dormir. L'obscurité et le silence régnent dans
la halte où, dans les coins les plus chauds, hivernent, seuls ou entassés, les autres membres de la famille. Durant le cours de la famine de cette année, la presse a plusieurs fois noté des cas semblables, mais jusqu'à présent on ignorait que la lejka n'était pas un fait temporaire, passager ou accidentel, mais tout un système élaboré par une série de générations de paysans qui se sont habituées à considérer la ¦« demi-ration » comme la règle, la satiété uu idéal irréalisable, et la faim une incommodité à laquelle on peut * s'adapter » au moyen du sommeil hivernal. » A ce sujet la Reçue Scientifique exprimait les réflexions suivantes :
« Sans discuter le côté moral de ce fait, on peut se demander, au point de vue scientifique, si ces paysans « hivernants » ont une température et les fonctions cérébrales à l'état normal, ou si, comme chez les animaux ayant les mêmes habitudes, ils sont dans un certain état de torpeur avec température abaissée, dans de certaines limites naturellement. Les statisticiens des « Zcmstvo » en Russie sont très souvent des médecins et il serait curieux de connaître plus de détails sur ces cas. comme ayant une certaine importance physiologique et psychique. •
Il est tout à fait probable que les individus qui pratiquent le lëjka ne ne se préoccupent pas plus de l'alimentation de leur intelligence qne de celle de leur organisme Aussi bien au point de vue des acquisitions mentales qu'à celui de la nutrition physique, ils se limitent à la portion congrue. En cela, Us présentent la plus complète analogie avec les animaux hivernants dont tonte l'activité se trouve à l'accomplissement de quelques actes hygiéniques, indispensables à la conservation de l'individu.
Dans tous les temps, on a connu le rôle joué par l'inanition sur l'appauvrissement des facultés intellectuelles. L'usage de jeûner et de s'abstenir d'aliments excitants se retrouve dans les religions anciennes. Le code de Manou est rempli de prescriptions de jeûne et d'abstinence. Les Egyptiens, les païens, les juifs, les chrétiens et les musulmans ont rivalisé de rigueur dans l'établissement de règles relatives aux jeûnes ritualiques. En réalité, ces périodes d'abstinence ont toujours eu pour but de rendre les esprits pins accessibles à la pénétration des prédications religieuses. La suggestibiUte est, en effet, inconciliable avec l'énervement qui résulte de l'usage des excitants. Une des conditions indispensables à la production de l'état d'hypnotisme et par suite à l'utilisation de la suggestion, c'est que le sujet se soumette à l'expérience étant rigoureusement à jeun de tout excitant. C'est un des points essentiels de la doctrine que je professe en matière d'hypnotisme (1).
L'état d'abstinence prolongé, joint à l'immobilité dans la station horizontale a certainement pour résultat, en en diminuant l'activité intellectuelle, de rapprocher le sujet de l'état hypnoïde et d'augmenter sa suggestibilité. C'est ainsi que, en imposant à leurs malades le séjour
(1) Bériillon : Les conditions fondamentales de l'hypnotisme : Le consentement mental et le consentement organique. {Reçue de lHypnotisme, 23* année, 1909, n° 1).
prolonge au lit. dans des conditions d'inertie intellectuelle et d'abstinence de tous aliments excitants, certains médecins les amènent d'une façon détournée, mais absolument sure, aux états d'hypnose les plus favorables aux succès de leurs suggestions. C'est ce que, dans leur ignorance des états hypnoïdes. ils désignent, selon les cas, sons le nom de psychothérapie par « la persuasion » ou par la « suggestion à l'état de veille. »
(A suivre.)
Observations sur le « transfert » dans les fonctions
motrices
par 31. le Dr Louis Cesari, ancien interne de la R. Clinique Psychiatrique de Rome.
La sensibilité générale est indiscutablement influencée par l'intervention de certains agents physiques (applications de métaux, d'aimants, de courants électriques, de révulsifs, etc.), auxquels on donne pour cette raison le nom de estliésiogènes.
L'action modificatrice produite sur la sensibilité par ces estliésiogènes a été admise, depuis longtemps, par les neurologistes et les physiologistes, mais ils sont loin d'être d'accord sur l'interprétation des phénomènes métalloscopiques et surtout sur le mécanisme du transfert
Je crois utile de rappeler les théories principales qui ont été émises sur cette question.
C'est le 1M Regnard qui le premier, en 1877. sur l'indication du professeur Charcot. a soumis à une étude approfondie la découverte du DrBurg qui avait déjà été exposée trente années plus tôt II arriva à la conclusion que les effets des applications cutanées des plaques métalliques devaient leur propriété extésiogène à des courants électriques qui se forment au contact de la peau par l'action chimique de la sécrétion cutanée sur le métal.
M. Onimus admit qu'uu phénomène d'induction électrique provenant des courants électriques organiques donnait lieu au retour de la sensibilité. M. Vigouroux ne se rallia ni à l'avis de M. Regnard ni à celui de M. Onimus, car il constata que le contact d'un courant électrique n'était pas nécessaire et que l'électricité statique pouvait provoquer les mêmes effets esthesiogeniques.il se rallia an contraire à la théorie du contact de deux métaux : la peau et le métal agissant comme deux métaux, ou comme un métal et un liquide, c'est-à-dire qu'ils se polariseraient. La force électromotrice ainsi développée varie selon la nature des corps en contact et si on a plusieurs de ces corps disposés en série, la distribution de l'électricité est réglée par la loi des tensions.
31. Adamkievicz propose la théorie des fonctions bilatérales pour expliquer les phénomènes du • transfert » de la sensibilité.
31. Millier fut également un des premiers qui basaient sur la théorie des fonctions bilatérales l'explication du « transfert ».
M. Rumpf fait dépendre le « transfert » d'une modification vasculaire. consistant en liyperhéinie d'un cêtéeten anémie de lauti'e.modification due à l'influence dn système nerveux. Il admet encore que l'aimant n'agît que par l'action thermique qu'il exerce lorsqu'il est au contact de la peau. M. Rumpf appuie son hypothèse sur des expériences.
M. Schif fa soutenu une opinion contraire à la théorie de MM.Regnard. Onimus, Vigouroux ; il a exposé, en 1880, une théorie qui est, peut-être, la plus acceptable. Il admet que les vibrations moléculaires qui animent les corps agissent sur la sensibilité animale, lorsque leur rythme a une affinité avec les mouvements moléculaires de l'action nerveuse.
Dès 1S7S MM. Maragliano et Seppilli avaient déjà formulé une hypothèse analogue à celle de M. Schiff, c'est-à-dire qu'ils observèrent que le courant développé par l'aimant, par les plaques métalliques en se diffusant dans les nerfs et dans les centres nerveux, favorise l'activité des molécules nerveuses.
MM. Tuke, Bennett. Carpenter. Donkin, Croker admettent l'hypothèse de l'expectante attention, que les phénomènes métalloscopiques dépendent de la persistance de l'attention portée sur une partie du corps, l'action de l'attention pouvant suffire à en modifier la circulation et l'innervation. La théorie de cette école a provoqué l'opposition la plus vive de MM. Millier, Charcot. Regnard, Galezowski.Landolt. Abadie, Dujardin-Beaumctz. et aussi même de M. Schiff
MM. Yulpian, Dumontpallier et Millier se rallièrent à la théorie de M. Schiff.
MM. Tamburiui et Seppilli firent en 1881 une longue série d'expériences sur les modifications plus importantes produites par l'aimant sur la motilité : et ils vérifièrent que dans l'état hypnotique, l'application de l'aimant sur un muscle ou sur un groupe musculaire, même à une petite distance, produit des effets analogues à ceux de l'excitation mécanique directe, c'est-à-dire la contraction musculaireetausslla contracture.
MM. Tamburini et Righi de leurs expériences sur un sujet bytérïque hypnotisé, purent déduire qu'il fallait se rallier à l'une ou à l'autre des opinions suivantes : ou l'aimant agit sur l'organisme sur lequel il fait ressentir son influence en y provoquant une polarité magnétique pareille à celle qu'il produit sur le fer doux, c'est-à-dire il agit comme aimant proprement dit. ou bien agît en développant sur l'organisme des cou-jants électriques induits.
En effet on ne peut concevoir autrement une interprétation de l'action de l'aimant De leurs recherches ils conclurent que « les mêmes manifes-« tations qui accentuent l'excitabilité neuro-musculaire et qu'on obtient « dans l'état d'hypnose avec l'aimant, se réalisent également en appro-« chant un métal ou un autre corps s'il a une température suffisamment « différente de celle dn corps humain. »
Les expériences étant toujours poursuivies sur des hystériques plongés dans l'état d'hypnotisme, cette conclusion exclurait l'idée que l'aimant soit doué d'une action spécifique.
Beaucoup d'observations cliniques contribuèrent à appuyer cette théorie. Elles ont été rapportées par MM. Maggiorana Babinski, etc. M. Lombroso, dans son dernier travail, a émis diverses hypothèses qui se rattacheraient plutôt à des interprétations occultistes qu'à des données physiologiques. Enfin, il faut dire que beaucoup d'auteurs tendent actuellement à expliquer tous les phénomènes observés par la théorie de la suggestion, ce qui ne nous donne, en somme, qu'une explication théorique.
* *
Il n'est pas douteux que l'intervention de l'expérimentateur, indiquant au sujet hypnotisé le but qu'il vise, ne contribue à influencer fortement le résultat de l'expérience. Un sujet qui ne sera pas dirigé par l'intention arrêtée et exprimée par l'expérimentateur, pourrait rester indifférent et passif. A ce point de vue, la suggestion peut jouer un rôle décisif dans le mise en train de l'expérience, sans qu'on puisse cependant lui attribuer la cause de tous les phénomènes observés.
C'est ce que pense il. Visani Scozzi qui a repris, en collaboration avec M. Deltorto, des expériences de transfert- de l'aimant. Il ne croit pas a la possibilité d'agir sur l'organisme si l'opérateur, en le dirigeant, ne sollicite pas la manifestation de la susceptibilité nerveuse du sujet là où l'action esthésiogène doit se réaliser. Si l'opérateur laisse le sujet livré à lui-même, il restera dans son état léthargique sans qu'aucun phénomène ne se réalise. Tel est l'avis de M. Visani Scozzi.
Tout en admirant ses belles expériences, je crois que mes observations personnelles pourraient aboutir à une conclusion différente.
On doit admettre que dans certaines conditions la suggestion ne peut être invoquée si les expérimentateurs s'appliquent a éviter tonte manifestation de leurs intentions. Il y a, en effet, des précautions qui permettent de se mettre à l'abri de toute influence suggestive.
M. Alberto De Xicola, de Rome, hypnotiseur amateur, doué d'une très grande habileté dans l'art de provoquer l'hypnose, qui se montre extrêmement scrupuleux dans ses expérimentations, m'a fait connaître un de ses sujets, M. Guglielmo Fedele Fedeli, âgé de vingt ans, sur lequel, depuis longtemps, il fait des expériences de transfert avec l'aimant. Anssi, après lui avoir fait une suggestion hypnotique d'épreuve de l'impossibilité d'ouvrir la paupière de l'œil droit : lorsque ce fait s'est produit, il appuie l'aimant sur la région temporale gauche, on volt alors s'abaisser la paupière gauche à mesure que la droite s'ouvre, tandis que les muscles orbiculaires de gauche tombaient dans une contraction presque spas-modique. J'ai eu l'idée de voir si le phénomène se réalisait même sans la présence de l'hpynotisenr. Je priais, pour cette raison, l'opérateur de s'éloigner et je restais seul avec le sujet sur lequel je n'avais aucune influence hypnotique ni de suggestion. Je mis l'aimant sur la région temporale gauche du sujet en lui disant en même temps qu'il était très douteux que le transfert se produisit, et en exer-
çant ainsi sur lui une suggestion négative. Après quelques minutes d'application fixée, l'œil se ferma rapidement et il survint une contracture au muscle orbiculaire qui obligea l'œil à rester hermétiquement clos. Ayant vu survenu" uu treniblemeut accentué des muscles et le sujet ayant accusé une douleur dans le globe oculaire, je cessais immédiatement l'application en portant l'aimant sur la région temporale droite. Avec la même rapidité se vérifia le phénomène du transfert et l'ouverture de l'œil gauche et la contraction spasmodique de la paupière droite. TJn léger souffle de mes lèvres interrompit la contracture spasmodique et replaça le sujet à l'état normal.
Dans cette expérience, ce qui est frappant c'est que l'aimant a provoqué le phénomène de transfert malgré la suggestion contraire qui en avait été faite, mais nous nous trouvons aussi en présence du fait que. exclus toute suggestion euduite par l'opérateur et même sans sa présence, on vérifie également le phénomène du « transfert » avec le seul aimant.
Dans une autre série d'expériences j'ai essayé ce qui avait déjà essayé et obtenu M. le professeur Tamburini sur un sujet à l'état hypnotique : je pris comme sujet le même M. Guglielmo F. Fedeli pour essayer le « transfert > de la contracture : phénomène déjà constaté aussi par MM. Charcot et Richer.
Le sujet ayant déjà le membre supérieur gauche contracture par la suggestion, j'ai appliqué l'aimant à quelques distance du bras droit, et j'ai obtenu tout de suite la disparition de la contracture à gauche et tandis que ce membre se relâchait le membre droit entrait peu à peu dans une complète contracture, qui commençait par le groupe musculaire correspondant avec l'aimant Le même phénomène se vérifia pour les membres inférieurs. Mais craignant que par intuition le sujet pouvait comprendre le phénomène qui devait ou pouvait survenir, j'ai eu l'idée de faire l'application de l'aimant sur un muscle dont la fonction fut inconnue du sujet Je m'adressai donc au muscle sternocleïdo-mastoïdien. Toici quel fut le résultat :
1° Le sujet étant à l'état de veille, présente une sensibilité cutanée normale, plus accentuée à droite; j'applique un aimant du poids de kg. 2.500 à peu de distance du sternocleïdo-mastoïdien et j'obtiens : anesthésie complète de toute la région cervicale, mais pas de contracture ; je transporte l'aimant dans la région gauche et j'obtiens immédiatement le « transfert » de l'anesthésie. mais aucune contracture ne se manifeste.
2° Je prie M. De Nicola, l'hypnotiseur, d'hypnotiser le sujet d'uuo façon plus accentuée qu'il le fait d'ordinaire. J'applique tout de suite l'aimant sur le sternocleïdo-mastoïdien droit et j'obtiens une légère déviation de la tête à droite, avec une anesthésie complète. J'applique l'aimant du côté opposé et j'obtiens le « transfert » de l'anesthésie,"mais pas de la contracture initiale.
3° Le sujet étant plongé dans l'hypnose complète par la suggestion
verbale. En suite d'une suggestion verbale le sterno-cleïdo-uiastoïdien droit est complètement contracture. Je fais l'application de l'aimant à gauche, après quelques secondes les deux muscles sterno-cleïdo-mastoïdiens sont contractures et la position de la tête se renverse en arrière dans l'attitude caractéristique. Après, tenant l'aimant à quelque distance à gauche j'obtiens disparition graduelle de la contracture à droite Bf j'obtiens la complète contracture à gauche.
4° Enfin, dans les mêmes conditions, je répète l'expérimentation suites muscles de l'épaule droite (l'épaule est abaissée, le bras est fixé au thorax) ; la contracture étant obtenu, j'appuye l'aimant que je montre au sujet, mais sans qu'il le sache je le mets renversé, c'est-à-dire avec la courbe sur l'épaule de gauche, courbe qui n'est pas aimantée et qui est gainée par un rouleau de soie, le phénomène se répète avec la même progression que dans les expériences précédentes.
Toujours pendant nos expériences l'hypnotisateur se tient éloigné de la pièce.
Je crois qu'il n'est pas nécessaire de commenter ces phénomènes, essayés et ressayés toujours avec le même succès.
Ils n'ont d'autre importance que de confirmer l'action de l'aimant suites muscles ou mieux sur l'excitabilité neuro-musculaire ; mais ils s'opposent à l'affirmation que cette excitabilité ne puisse se manifester que par l'intervention d'un acte volontaire ou par une direction de l'opérateur sur un sujet en léthargie hypnotique ou simplement hypnotisé.
On doit donc admettre que le « transfert » s'effectue, soit par l'action de la suggestion directement faite par l'hypnotiseur, soit par l'action propre de l'aimant, ou comme la plupart des expérimentateurs, nous devons admettre jusqu'ici, pour l'action consécutive de la suggestion soit même faite déjà auparavant.
* *
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Le miracle et les critiques scientifiques
par M. Saint-Yves (Saite et fin)
La Société royale de Londres refusa de publier comme « peu scientifique >, le mémoire de Joule qui contenait la détermination de l'Equivalent mécanique de la Chaleur. Xous le savons par l'illustre savant Pleyfair qui l'a raconté à la mort de Joule.
La Revue FEdimbourg somma le public de mettre Thomas Gray dans une camisole de force parce qu'il soutenait la praticabilité des chemins de fer. Lorsque Stephenson proposa d'employer des locomotives sur la voie ferrée de Liverpool a Manchester, des hommes instruits se firent fort de prouver qu'il était impossible que ces machines pussent donner mémo douze milles à l'heure. Thiers monta à la tribune de la Chambre pour
démontrer, rapports de physiciens et d'ingénieurs h l'appui, que l'idée de chemin de fer impliquait une impossibilité.
Une célébrité scientifique déclara non moins possible pour* les steamers de jamais traverser l'Atlantique.
A l'Académie des Sciences, plusieurs des honorables les plus illustres crurent devoir tourner en dérision le phonographe.
Avant quiconque, Xadar avait posé le principe du vol dirigé en affirmant que les appareils à voler devaient être plus lourds que L'air, on s'est assez moqué de lui. Aujourd'hui, les Wright sont presque des demi-dieux.
Le Galvanisme, comme on disait jadis, fut mal accueilli par les savants, et Volta dut subir mille railleries à propos de ses grenouilles dansantes.
Les phénomènes électriques furent, à un moment donné, des faits extraordinaires, et certains d'entre eux furent tenus pour tout à fait invraisemblables. Lorsque Franklin présenta à la Société royale de Londres son mémoire sur les paratonnerres, personne ne le prit au sérieux^ on le considéra comme un rêveur, et son travail ne fut pas inséré dans les Philosophical Transactions. Arago amusa beaucoup l'Académie des Sciences lorsqu'il discuta devant elle la possibilité de la télégraphie électrique. Bouillaud ne voyait dans la téléphone que ventriloquie.
Des appareils auologues au télégraphe et au téléphone pourront bientôt transmettre à distance un dessin ou une photographie avec autant de facilité que l'on transmet aujourd'hui une dépêche ou une conversation. Les phénomènes électriques n'ont plus rien de nouveau, ils sont devenus classiques, même pour les ignorants ; ce sont des faits habituels grâce aux multiples appareils électriques qui remplissent nos maisons, nos usines et nos rues.
L'Histoire de l'électricité de Priestley devrait suffire à convaincre les savants qu'on ne saurait rejeter des phénomènes nouveaux ou insolites parce que non « scientifiques ». C'est aux savants de les rendre tels en les rendant observables et expérimenta Mes a volonté (1).
L'Académie de Saint Petersbourg crut devoir repousser le chimiste Mendeleieff en raison du caractère insuffisamment scientifique de sa loi, dite loi de périodicité des corps simples, loi aujourd'hui universellement admise.
Les physiologistes et les naturalistes n'ont pas été plus réservés ni plus sages que les astronomes, les physiciens et les chimistes.
Quand Harvey annonça sa découverte de la circulation du sang, il fut traité d'insensé et d'imposteur par ses pairs (2).
En 16-12, nous voyons la Faculté de Médecine de Paris déclarer que le sang ne circule pas (3),et trente ans après soutenir que cette circulation est impossible (4).
(1| Cf. e. Boirac. La Psychologie Inconnue. P., 1908, in-S", p. 339.
(2) Cf. jean' biolan (prof, à la faculté de médecine, doyen du Collège de France), Opitscuta Anatomiea, P., 1652, in-4°, p. 357.
(3) Ergo motus sanguinis non circulans, 1642 (candidatus : Simon Bon/lot, Prreses : Hugo Lharlesj.
(4) Ergo sanguinis motus circularis impossibilis, 1672 (eandidatus : Francisas Bazin, Prarses, Philîppus Harduin de Saint-Jacques).
Castellet ayant cru devoir informer Réaumur qu'il avait élevé des vers à soie parfaits issus d'œuf6 pondus par un papillon vierge, la réponse fut : Ex m'Iiilo ni lui fit, et le fait ne fut point cru. Il était contraire à une des lois naturelles les plus larges et les mieux établies ; non seulement, il est aujourd'hui admis universellementpour vrai, mais un naturaliste français, M. Yves Delage, a réalisé la fécondation artificielle des oursins.
SOCIÉTÉ O'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 1(1 novembre 1900. — Présidence de M. le D' J. Voisin.
Quelques notes sur les phénomènes demi - spontanés observés par M. Abrutz chez les hystériques pendant l'hypnose.
Par M. le docteur Pbki*a (de Bukarest).
Dans la Revue Zeitschrift fur Psychologie, dirigée par 31. Schumann de Leipzig, M. Sydney Abrutz, docent de Psychologie à Upsala, publie un travail de 40 pages, où il démontre l'existence de certains phénomènes non suggérés qui accompagnent les phénomènes suggérés, chez les sujets hystériques, pendant l'hypnose, phénomènes qui, à cause de leur spontanéité, sont dénommés par l'auteur « demi-spontanés ».
D'abord, l'auteur croyait être le premier a avoir remarqué ces symptômes, mais plus tard passant en revue la littérature moderne, il trouva que de pareils symptômes avaient été aussi observés par Schôffer, Dôl-wen. Charcot. Binet et Vogt.
Il publie quatre observations, en les accompagnant d'une discussion de laquelle il tire une théorie sur l'hystérie.
L'intérêt théorique et pratique qui résulte de ces cas. me fait apporter dans la discussion de notre société les résultats et les conclusions de l'auteur sur l'hystérie et sur l'hypnose.
Je ne veux pas insister davantage sur les observations des sujets au nombre de quatre, dont trois hystériques confirmés. Ces sujets ont été préalablement attentivement examinés par l'auteur en ce qui concerne la sensibilité, la motilité, les réflexes, les contractions, l'appareil visuel et les autres troubles psychiques; mais l'auteur n'indique pas sa manière d'interroger, bien que, d'après les dernières théories modernes sur l'hystérie, elle joue un grand rôle dans la production des stigmates.
L'auteur remarque que, par exemple, suggérant pendant l'hypnose à un de ses sujets, un changement de fonction du domaine de la sensibilité d'un côté du corps, il trouve certains phénomènes de motilité ou de réflectivité qui se greffent sur ces modifications fonctionnelles, et qui n'ont pas été suggérés.
Pour être mieux compris, je prends par exemple le premier cas, où il
s'agit d'un sujet hystérique qui, pendant l'état de veille, présentait du coté droit une hypersensibilité et une exagération des réflexes spécialement de l'articulation du genou ; ce réflexe était si fort, qu'un faible coup ne donnait pas seulement des contractions du genou, mais des contractions dans tout le reste du côté droit du corps.
Du coté gauche, la sensibilité était normale et le réflexe patellaire normal ou subnormal.
Pendant l'hypnose on lui a suggéré, pour une durée d'une heure après son réveil, une égalité de sensibilité des deux cotés et, en vérité, examinant le sujet, l'auteur trouve que non seulement la sensibilité est égale, mais encore que les réflexes patellaires sont égaux des deux côtés L'idée d'autosuggestion doit être écartée, bien entendu, parce que le sujet ne connaissait pas la physiologie et ne pouvait se figurer qu'un changement dans la sensibilité pourrait avoir comme effet un changement dans les réflexes.
L'auteur répète, dans les mêmes conditions, différentes modifications fonctionnelles (réflexes, dissociation de sensibilité, etc ) chez ses quatre sujets, a trois ou quatre jours d'intervalle ; U trouve que ces symptômes se produisent d'une façon spontanée et peuvent provenir :
1° D'une connexion entre la motilité et la sensibilité :
2° D'une connexion entre l'analgésie et les contractions des vaisseaux ;
3° D'une connexion entre un sens et un autre sens du même côté ; 4° D'une connexion entre la motilité. la sensibilité et les réflexes tendineux.
Passant à la discussion de ces cas, l'auteur cherche a donner une explication pour chacun des points sus-indiqués.
D'une manière générale, son explication est purement physiologique ; il reconnaît que l'engourdissement (ou la diminution fonctionnelle) d'un centre suggestionné, par exemple de la motilité, comprend en soi, non seulement la diminution psycho-motrice et l'impulsion de la volonté, mais une modification des sentiments, des sensations, des représentations des images de mouvements du centre suggéré ; puis cette diminution du "centre moteur amène une diminution de tous les centres de l'écorce intimement liés avec lui, et enfin la suggestion produisant une hypo-fonction des centres moteurs et sensitifs de l'écorce, produit, en même temps, une byperfonction des centres antagonistes de la base, fait qui d'ailleurs donne l'explication des points 2, 3 et 4.
L'auteur, naturellement, ne peut donner une explication complète de ce fait qu'un centre sensitif ou moteur appartenant à une hémisphère peut s'éteindre et que seuls les centres du même côté s'effacent. Mais il soutient que la suggestion n'est pas nécessaire pour obtenir ces phénomènes, que l'hypnose profonde peut les produire par l'inhibition de quelques-uns des centres et la dynamogénie des autres, que ces phénomènes peuvent s'observer, quoique rarement, chez des sujets non hystériques et qu'enfin la relation qui existe entre l'hypnotisme et l'hystérie
lui permet d'expliquer la plupart des stigmates hystériques par les symptômes demi-spontanés,
A la vérité, l'auteur soutient que l'hystérie favorise l'association des centres psychomoteurs, sensitifs et sensoriels, pour entrer dans une action déterminée ; qu'une perle d'énergie nerveuse d'un côté ne frappe pas seulement les fonctions étudiées, mais aussi d'autres fonctions viscérales, sécrétoires, etc., qu'une hémianesthésie hystérique complète (sen-sitive et sensorielle) ne peut pas s'expliquer seulement par les troubles psychiques, mais d'après des données physiologiques, c'est-à-dire par les changements dans les autres fonctions non suggérées, qui donnent ces symptômes demi-spontanés.
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Les idées de l'auteur bien appuyées sur les observations publiées, ne sont pas tout à fait nouvelles ; lui-même cite le cas de Binet et Féré (où une suggestion faite sur un bras paralysé à une personne dans l'état de somnambulisme, entraîne à l'état de veille une aphasie); Cbarcot et d'autres auteurs ont observé des cas analogues.
Mais l'auteur semble ignorer les débats du Congrès de l'Hypnotisme de 1900, lesquels montrent les phénomènes intimes de la suggestion et les rapports qui existent entre l'hypnotisme et l'hystérie, — ainsi que leB conclusions de deux séances de la Société de Xeurologie du 9 avril 1908, lesquels montrent l'hystérie sous un nouveau jour.
Au Congrès d'Hypnologie de 1900, la valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique, a été bien traitée par MM. Vogt, Paul Farez et Félix Regnault. Celui-ci, par ses schémas, explique fort bien les actes réflexes, les actes habituels et instinctifs, les actes imités, la suggestion, l'exagération, l'opposition et la volonté; il démontre aussi que les sujets réagissent parfois par des mouvements exagérés ou opposés à ceux qu'on voulait leur faire exécuter.
Pour ce qui concerne les rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie, notre vice-président, M. Paul Magnin, reconnaissait aussi au même congrès que la diathèse hystérique reste la plus importante pour le développement du sommeil hypnotique, et, dans lé même ordre d'idées, M. Crocq, au même congrès, disait qu'un rapport direct de cause à effet n'existe pas entre l'hypnose et l'hystérie ; qu'il existe cependant un rapport d'analogie : tous deux se caractérisent par une hypersuggestibi-lité plus ou moins accentuée, répondant à des formules psychiques semblables.
Ces auteurs ont donc démontré le phénomène intime entre l'état d'hypnose et l'hystérie (faits expliqués d'ailleurs par M. Abrutzi.
M. Bérillon, dans ses travaux, et, en particulier, dans Psychothérapie et les méthodes de rééducation, démontre que l'hypnotisme consiste dans la production expérimentale d'une inégalité fonctionnelle dans les centres de l'écorce cérébrale et que la production d'inhibition dans telle ou telle fonction ou région de l'organisme est corrélative de l'apparition des
phénomènes de dynamogénie dans d'autres fonctions ou d'autres régions. Il donne donc une explication de l'état d'hypofonction des centres de l'écorce et de Thyperfonction des antagonistes de la base, décrits par M. Abrutz.
Après ce court exposé des opinions de certains psychologues qui ont cherché à expliquer, même en 1910, les phénomènes intimes de l'Hypnotisme et de la Suggestion, ainsi que les rapports qui existent entre l'Hypnotisme et l'Hystérie, permettez-moi de revenir à la discussion de la Société de Neurologie du 9 avril 1908, et sans insister davantage sur les sept questions importantes discutées et connues partout, je dirai simplement que la discussion est loin d'avoir été stérile, bien que, les membres de la Société ne parvenant pas à s'entendre, les débats aient dû être remis à une date ultérieure.
La majorité de ces membres était disposée à accepter les idées de M. Babinski pour qui : ce qu'on appelait autrefois les stigmates hystériques (hémianesthésie sensitivo-sensorielle. rétrécissement du champ visuel, polyopie monoculaire, dyschromatopsie. abolition du réflexe pharyngé, zones hystérogènes. etc.) ne sont que des produite de la suggestion médicale et n'ont pas d'existence propre ; de même, selon lui, la suggestion et la persuasion n'ont pas d'effet sur les réflexes tendineux, cutanés, pupillaires. sur les fonctions circulatoires et tropbiques,surles fonctions sécrétoires, sur la température ; et les troubles de ces fonctions sont dus, soit à une cause organique, soit à la simulation.
Bailleurs, cette discussion a eu un grand retentissement tant en France qu'à l'étranger et de nombreux auteurs signalent des cas d'hystérie à l'appui de l'une ou l'autre de ces théories.
Je ne veux pas abuser de votre attention en citant les travaux récents de Egger. Bartholdi, Cruchet (Bordeaux), Lewi, Boger, Terrien qui combattent avec beaucoup d'arguments la théorie de M Babinski, ni les travaux de ses partisans parmi lesquels il faut mentionner Klippel et Lafforgue, etc. Tout ce que je peux dire c'est que les avis sont presque également partagés et, à côté de Gilbert - Ballet. Brissaud. Jen-draesik. Klippel, Cestan. de Fleury, Laignel-Lavastine, Gossuc, Gowers. MUls, Lafforgue, etc, qui admettent la théorie de M. Babinski, nous avons Février, Both, Brums, Guiliain. Déjerine, Oppenheim, Steiner, "Westphal, Marinesco, Achiotti, Raymond, Van Gehuchten.Von Slonakow, Ramberg. Crocq, Lémoïne, Teissier, Roux, Binswanger, Povkes. Weber, Grasset, qui admettent l'existence des stigmates propres à l'hys-térie.
Si je vous rappelle tous ces travaux et si je vous cite tous ces auteurs, c'est pour bien démontrer que la question d'hystérie n'est pas tout à fait résolue, ni même complètement élucidée, que les phénomènes importants observés par M. Abrutz et décrits dans son intéressant article « Symptômes demispontanés en hypnose » ont été antérieurement observés et expliqués par plusieurs auteurs d'une manière différente ; que même l'expression de spontanéité a été employée par SI. Max Egger. dans « Les anesthésies spontanées » (Séance de Neurologie 7 mai 1908)
qu'enfin la manière d'expliquer les stigmates hystériques par ces phénomènes de demispontanéité. qui viennent se greffer, en quelque sorte, sur certains phénomènes suggérés, est une manière logique propre à l'auteur (lequel se base sur la théorie des centres associatifs de Janet) et qui peut prendre place parmi les réponses faites à la 3raP question posée à la Société de Neurologie du 9 Avril 190s.
Influence du réveil spontané sur l'apparition des troubles
gastriques
par le Dr L. Phox (d'Alger)
Il est de notion plus que banale que le sommeil des dyspeptiques est le plus souvent mauvais ; les uns se plaignent de dormir lourdement et de n'être pas reposés le matin, les autres ont des cauchemars pénibles, d'autres sont réveillés h heure fixe, en général entre minuit et deux heures, soit par une douleur, soit par un malaise mal défini, qu'ils qualifient d'oppression, de pesanteur ou de gêne angoissante.
A coté de cette classe très connue de malades, en existe une autre, à la vérité bien moins nombreuse, où le phénomène inverse se produit Le sujet, nerveux comme tons les membres de la gent gastrique, a un sommeil fragile ; il se réveille, chaque nuit, une ou plusieurs fois : mais, il n'éprouve à- ce moment aucune sensation à l'estomac ; cet organe est absolument muet et n'attire en rien l'attention ; il y a même souvent un état de bien-être, comme en éprouvent les personnes en bonne santé, qui viennent de dormir quelques heures et dont le sommeil est troublé accidentellement. L'esprit, aussi lucide qu'à l'état de veille, entre en activité, reprend le fil de la vie mentale du jour précédent ou vagabonde de ci de là.
Puis, au bout d'un temps variable, une demi-heure à une heure en moyenne, des troubles gastriques apparaissent, répétition de ceux dont souffre habituellement le malade et qu'il est inutile de décrire, puisqu'ils varient avec chacun.
A leur tour, ces troubles, témoignant du réveil de la sensibilité morbide de l'estomac, entrent en jeu pour renforcer et prolonger l'insomnie et ce n'est qu'après la prise de quelque nourriture liquide ou l'ingestion d'un médicament antidyspeptique que le sommeil peut être retrouvé.
Cequ'ilyad'intéressant, c'est qu'àcôté de malades se réveillant une fois chaque nuit à la même heure et souffrant de l'estomac au bout de quelque temps, il en est d'autres, qui ont plusieurs réveils habituels et ne souffrent qu'au second ou au troisième, sans doute parce qu'il est plus prolongé. C'est ainsi qu'un de mes malades, âgé de 70 ans environ et obligé d'uriner trois fois par nuit depuis des années, vraisemblablement à cause d'une hypertrophie prostatique, ne ressent rien à l'estomac à son réveil de minuit, ni à celui de 3 heures, mais se plaint après celui de 5 heures. Est-ce la suite des réveils, qui accumulent leurs effets ou plutôt est-ce parce qu'à cette dernière heure le repos a été suffisant?
ISFLCRNCB DU RE Y £ IL SPONTANÉ 3CR L'APPARITION" DM TROUBLES GASTRIQUES 215
Tel est le fait peu important en réalité, mais intéressant, que je tenais à signaler et qui montre l'avantage qu'il y a à obtenir des dyspeptiques un sommeil aussi prolongé que possible et exempt de périodes prolongées de réveil.
Ce fait, banal en lui-même, est un exemple dé plus de l'action du cerveau sur l'estomac, le réveil général et l'activité psychique amenant le réveil de toutes les fonctions somatlques normales et en même temps faisant apparaître au point faible les sensations pathologiques de l'état de veille.
Discussion
M. Paul Parez. — Une autre interprétation peut être invoquée. Les mêmes sensations viscérales qui passent souvent inaperçues, au milieu des occupations et des distractions de la veille, sont capables d'affecter la cœnesthésie pendant le calme et le silence de la nuit. Au fur et à mesure que, pendant le sommeil, après la digestion du repas du soir, s'installe le processus d'hypersécrétion, d'hyperacidité et de fermentations anormales, il en résulte des impressions stomacales, de faible intensité, non encore douloureuses ; celles-ci affectent la sensibilité viscérale, dont le sommeil a affiné l'impressionnabilité, et sont capables de provoquer un premier réveil, sans accompagnement de douleur ; bientôt un impérieux besoin de sommeil reprend le dessus et le sujet se rendort. Un deuxième réveil survient, dans les mêmes conditions, suivi d'un nouveau sommeil. Si le troisième réveil s'accompagne de la donleur ' habituelle, c'est, selon toute vraisemblance, que le processus stomacal pathologique a fait des progrès et touche a son paroxysme. Si les phénomènes observés par M. Pron, et que j'ai observés aussi, étaient conditionnés par une reprise excessive de l'activité cérébrale, on ne verrait pas les malades si facilement soulagés et si vite rendormis après l'ingestion d'une boisson appropriée, soit chaude, soit alcaline. Ces réveils successifs, en somme, me paraissent se rattacher h l'hypersthénie gastrique et dépendre d'un trouble principalement chimique. J'en donne pour preuve qu«* si, dès le premier réveil, avant l'apparition de la douleur, on ingurgite une boisson chaude ou alcaline, on évite d'ordiuaire, pour tout le reste de la nuit, non seulement toute douleur, mais tout réveil.
L'éparpillement mental, forme inférieure de l'activité intellectuelle. — Son traitement par l'hypnotisme
par le Dr Bêrillos.
L'éparpillement mental est une disposition habituelle de l'esprit caractérisée par un défaut de continuité dans l'exercice de l'attention volontaire. Une curiosité mal coordonnée dispersant sans cesse l'attention sur de nouveaux objets, elle n'arrive pas à se fixer. Cette mobilité intellectuelle s'explique chez les jeunes enfants par l'extrême variabilitéde leurs états affectifs, aussi l'éparpillement mental est-il l'état normal de la première enfance. On ne peut lui attribuer un caractère pathologique
que lorsqu'il se continue dons l'adolescence et surtout lorsqu'il persiste à l'âge adulte.
L'éparpillement mental ne doit pas être confondu avec deux autres états mentaux chez lesquels on observe également de la difficulté a obtenir la continuité de l'attention : l'instabilité mentale et le « moral insanity ».
Le nom d'instabilité mentale, dans le langage médico-pédagogique est habituellement réservé aux formes d'arriération intellectuelle dans lesquelles les facultés d'imagination font défaut ou sont peu développées. Les instables d'école peuvent acquérir des notions élémentaires, mais ils sont d'une infériorité évidente dans les exercices de composition ou de style. Ce sont donc de véritables arriérés.
Quant aux sujets atteints de « folie morale » leur attention volontaire ne parait s'exercer avec quelque continuité que lorsqu'elle est dirigée vers des buts immoraux ou anti-sociaux. Ils sont de ceux dont on peut dire avec raison qu'ils ne se servent de leur intelligence que pour concevoir le mal.
Tandis que l'instabilité mentale et la folie morale sont manifestement sous la dépendance de la dégénérescence héréditaire, il n'en est pas de même de l'éparpillé ment mental. Dans les cas nombreux que j'ai l'occasion d'observer, la mobilité exagérée de l'attention, loin d'être lerésultat d'un défaut d'imagination, apparaît plutôt comme celui d'une imagination déréglée. Ils ont cette sorte d'imagination que l'observation populaire considère avec raison, de même qu'elle fait pour certaines mémoires exagérément cultivées, comme l'ennemie du jugement. Chez l'éparpillé, l'absence de fixité dans l'application ne dépend ni de lésions organiques, ni de troubles fonctionnels. Elle s'explique par une éducation défectueuse qui n'a su ni discipliner, ni utiliser des dispositions mentales primitivement favorables. La surcharge croissante des programmes scolaires, en dispersant les efforts des enfants sur un nombre de plus en plus considérable de matières, est une des causes principales de l'éparpillement mental. Aujourd'hui.tous les esprits sérieux sont d'accord pour reconnaître que la science livresque absorbe des heures qui seraient mieux utilisées par l'observation du monde extérieur et par l'exercice des facultés de compréhension et à la réflexion. Cependant on ne fait rien pour enrayer le mal qui menace d'éteindre, dans notre race, les qualités fondamentales du caractère.
La stérile érudition dont on emplit les cerveaux de nos lycéens ne peut aboutir qu'à formerdesespritssuperficiels. égoïstes, dépourvus de volonté, de courage, et d'initiative. On conçoit également que la multiplicité des images mentales et leur superposition indéfinie soient contraires à l'accomplissement des opérations cérébrales d'où résulte le jugement. Si l'on n'y prend garde, notre université est en train de devenir une vaste fabrique d'éparpillés mentaux, c'est-à-dire d'iudividusdestinésàdemeurer, au point de vue de l'adaptation sociale en état permanent d'infériorité.
En effet, toujours portés à s'intéressera de nouveaux projets, ces sujets n'arrivent à en réaliser pratiquement aucun. Leur état mental se rap-
proche des primitifs, des nomades, des purs contemplatifs auxquels répugne l'application soutenue et qui se soumettent sans résistance à la loi du moindre effort.
Les erreurs de l'éducation scolaire ne sont pas les seules causes de l'éparpillement mental. Pour être juste, il convient de mentionner le luxe dont sont prématurément entourés beaucoup de jeunes gens, l'existence rendue trop facile par la sollicitude imprévoyante des familles, la sentimentalité démoralisante de plus en plus répandue dans les milieux intellectuels et enfin le dédain du travail musculaire* Tout cela contribue à former des générations pour lesquelles une application mentale de quelque durée apparaît comme une souffrance qu'il faut éviter.
En réalité l'impossibilité dans laquelle les éparpillés se trouvent de donner satisfaction aux exigences de notre milieu social, tient à leur défaut d'esprit de suite On peut donc considérer ces Imaginatifs comme des êtres inutilisables et envisager leur avenir comme irrémédiablement compromis, si un traitement méthodique ne parvient pas à transformer leur mentalité.
À ce point de vne, l'hypnotisme par lequel se trouvent réalisés les états de conscience diamétralement opposés à l'éparpillement. c'est à dire le « monoldéisme et la concentration de l'attention », constitue un traitement dechoix. Parlui, il devient possible d'augmenter.dans les centres nerveux, l'action des pouvoirs d'arrêt et de réaliser une véritable discipline de l'imagination. Chaque jour, notre pratique confirme l'efficacité de l'hypnotisme envisagé comme créateur du pouvoir d'arrêt chez les sujets à tendances mentales incoordonnées ou impulsives.
PSYCHOLOGIE SOCIALE
Le rôle de la psychologie dans la politique (1)
L'an passé, deux étudiants d'Oxford qui se destinaient à la politique, demandèrent à leurs professeurs s'il y aurait pour eux quelque avantage à étudier la psychologie. — « Aucun, répondirent les doctes maîtres, la psychologie ne vous serait d'aucune utilité dans votre future carrière ». M. Graham Walftfl à qui l'histotre fut contée, est d'un a.vis différent. Il vient de publier, un gros livre de 310 pages pour montrer que l'étude de la nature humaine scientifiquement abordée acheminerait peu à peu les politiciens et les électeurs vers la réalisation des espérances que le parlementarisme et le suffrage universel ont fait en vain partout concevoir.
Si jusqu'à présent la psychologie n'a guère été pour les hommes politiques qu'un bagage inutile, la faute doit en être reportée aux philo sophes. Ils ont tous, de Platon à Bentham et à Mill, basé leurs concep-
(1) Human nature in polities par Graliam WIllaS. Londres, Arehibald Constable el C. Londres 1908.
tions politiques sur l'idée qu'ils se faisaient de la nature humaine ; mais leur psychologie était trop sommaire et trop générale j;our que des représentants du peuple s'appuyassent efficacement sur elle. Qui donc, par exemple, songerait aujourd'hui à expliquer tontes nos actions par l'influence des deux pouvoirs souverains sous la domination desquels, d'après Bentham. nous sommes placés : le plaisir et la douleur ? Quel ministre, quel chef d'état pourrait régler sa conduite politique sur la proposition de Nassau Senior! «Tout homme désire augmenter sa richesse avec aussi peu de sacrifices que possible '? » Les hommes se ressemblent, mais ils ne sont pas tous identiques. La psychologie d'hier n'a pas assez tenu compte de leur diversité, et la plupart des principes généraux qu'elle a énoncés ont été depuis longtemps contredits par les faits.
L'homme est un animal raisonnable, mais bien souvent il est moins guidé par sa raison que par ses instincts. Instincts obscurs dont personne ne peut dire avec précision l'origine ; instinct social en vertu duquel nous éprouvons de la sympathie pour tout semblable qui vient se placer en pleine lumière devant nous, dont nous avons aperçu fréquemment la photographie ou que nous avons vu dans des réunions politiques sourire à l'assemblée comme une vieille connaissance ; crainte instinctive qui nons saisit en présence d'un personnage important ou que nous croyons tel, et qui nous empêche d'examiner ses paroles et ses actes avec autant de lucidité d'esprit que ceux du simple citoyen que nous coudoyons tous les jours ; — instinctive horreur de l'effort qui nous pousse à nous abandonner aux impressions extérieures, h raisonner par association d'idées plutôt que par syllogismes ou par inductions, a choisir notre parti politique pour des raisons que la raison ne connaît pas. à admettre aveuglément que le candidat qui se présente sous l'étiquette de notre parti est le meilleur représentant que nous puissions élire ; — instincts qui nous portent à prendre des décisions dont nous ne distinguons clairement ni la cause ni les conséquences; — instincts qui transforment la plupart de nos actes en opérations machinales souvent à peine conscientes et presque jamais délibérément voulues. Ils se retrouvent chez tous les humains et leur nature ne change guère d'un homme a l'autre. Ce qui change, ce sont les objets extérieurs qui mettent nos instincts en jeu et les dirigent ; c'est le milieu, les impressions premières, l'éducation, la culture intellectuelle, les lectures, les relations quotidiennes... Les instincts demeurent, mais ils ne se développent pas chez tous avec la même intensité, et leurs manifestations ne sont les mêmes ni dans tous les pays, ni dans toutes les classes de la société. La vue d'un être qui souffre excite généralement la compassion ; les images de Chinois que l'on afficha dans Londres en 1905 et 190C pour protester contre les duras conditions imposées aux Célestes qui émigraient au Transvaal n'excitèrent chez un grand nombre d'électeurs que la haine de la race jaune. En dépit des apparences, les hommes sont des êtres merveilleusement divers.
Le politicien qui veut se préparer dûment a sa tâche doit étudier leurs divergences avec autant de soin que les caractères généraux et perma-
nents de l'espèce. Les faits qu'il aura recueillis se grouperont d'eux-mêmes en trois chapitres principaux : le premier contiendra la description du type humain ; le second, les variations de ce type, quantitativement analysées, qui auront été observées chez les individus ou les groupes d'individus ; le troisième, à la fois quantitatif et descriptif renfermera les faits qui se rapportent an milieu où sont nés les hommes étudiés et à l'influence de ce milieu sur leurs impulsions et actions politiques. La connaissance précise de tous ces faits et de toutes leurs causes, et surtout l'exacte appréciation de leur importance respective permettra aux nouveaux députés ou aux jeunes hommes d'état de prévoir et par conséquent de gouverner, et aidera les citoyens de chaque pays et leurs mandataires à mettre leurs institutions politiques en harmonie avec leur vraie nature et leurs véritables besoins.
Les arrivistes abuseront, au début, de leur science psychologique. Connaissant l'art d'agir sur les masses irréfléchies, ils exploiteront habilement les éléments irrationnels de la nature humaine, et le candidat le plus digne ne sera pas toujours celui qui réunira le plus grand nombre de voix. Mais cela ne durera que le temps de faire pénétrer dans le peuple les résultats de l'étude de l'homme, poursuivie d'année en année par des centaines de psychologues sans cesse en rapport les uns avec les autres. Avertis de la facilité avec laquelle d'adroits ambitieux peuvent les influencer et de la présence dans leur esprit d'une foule de déductions et de jugements auxquels leur raison n'a pris aucune part, les électeurs se défieront de leurs premières impressions, les examineront, les critiqueront et finalement ne pencheront que du côté où seront les arguments les plus solides. La raison du meilleur sera toujours la plus forte dans les élections futures.
En même temps que se modifiera la constitution intérieure des Etats, 6e modifieront aussi les rapports de race à race et de peuple à peuple. Ils ont déjà beaucoup changé depuis quarante ou cinquante ans. La théorie des frontières naturelles qu'avait adoptée Mazzini a, depuis longtemps, reculé devant l'étude minutieuse des faits ; la conception chère à Bismarck d'une Allemagne homogène créée par le fer et le sang parait maintenant surannée, même en Prusse ; et l'anglicisation de l'Irlande et du pays de Galles a été abandonnée par tous les partis anglais. La croyance à une race dominante reste encore debout, quoique fortement ébranlée par les succès des Japonais : mais durerait-elle encore longtemps qu'elle ne causerait sans doute aucun grand conflit international. Les hommes s'accoutument an fait que leurs voisins ne leur ressemblent pas ; la biologie leur apprend que les unions méthodiquement réglées des individus et des races serviront mieux qne des luttes sanglantes le progrès de l'humanité ; un jour viendra où le désarmement général ne sera plus une utopie.
Si le gouvernement démocratique repose essentiellement sur le consentement périodiquement exprimé de la majorité des citoyens, ne convient-il pas que ce consentement soit donné en toute connaissance de
cause et en toute indépendance d'esprit ? Notre mode de votation laisse-t—il bien à l'électeur toute sa liberté ? Les élections d'aujourd'hui donnent-elles au citoyen toute facilité d'éclairer son jugement? Les grandes consnltations nationales on locales ne devraient-elles pas être comme de grands procès où les électeurs apprendraient tout ce qu'ils ont besoin de savoir pour rendre de justes verdicts '? Et seraient-ils dans ce cas renseignés par les gouvernements ou par les fonctionnaires ? Comment les fonctionnaires eux-mêmes pon iraient-il s être recrutés et nommés ? Jusqu'à quel point seraient-ils indépendants dn peuple et de ses mandataires ? Que faudrait-il enfin exiger d'eux ? . . Poser toutes ces questions n'est certes pas les résoudre, mais c'est déjà se diriger vers une solution.
Est-ce l'étude de la psychologie qui finira par conduire les politiciens et avec eux le monde qu'ils mènent à la paix universelle ? Est-ce l'application des .procédés de l'analyse quantitative à tous les sujets dont un homme d'Etat peut se préoccuper? Seraient-ce les deux choses à la fois? C'estcequeM. GrahainAYallas s'efforce d'élucider. Au début de son livre, un assez long résumé projette sa lueur sur l'ensemble de l'ouvrage ;aa commencement de chaque chapitre, deux ou trois phrases, tels des poteaux indicateurs, rappellent le chemin parcouru et montrent la voie que l'on va suivre. Mais la question abordée par lui est si neuve que les lecteurs ont peine à le suivre, encore mal initiés à l'étude de ces problèmes.
Le livre n'en est pas moins fort curieux, et sa lecture récompensera amplement de leur labeur ceux qui l'auront étudié jusqu'au bout. Plus d'un lecteur se refusera pourtant peut-être à faire remonter la crainte qui nous fige en présence d'un roi à l'instinct qui jadis cloua sur place quelqu'un de nos ancêtres aventuré trop près d'un puissant carnassier ; plusieurs surtout, songeant au peu d'influence qu'ont sur notre vie les plus fines analyses psychologiques des prédicateurs et des romanciers hésiteront à croire que la connaissance de la nature humaine amènera seule la réforme des mœurs et des procédés électoraux. Mais il y a dans le livre de M. Graham "Wallas autre chose que des prévisions optimistes et des interprétations hasardées. L'auteur a été directement mêlé aux luttes électorales. Plusieurs fois candidat, il a minutieusement observé ce qui se passait en lui-même et autour de lui. S'il n'a pas été le premier à analyser nos instincts, il a, sans doute, été le premier en Angleterre à étudier le rôle qu'ils jouent dans nos jugements et nos décisions politiques. Il a suivi pas à pas les progrès réalisés depuis un quart de siècle dans le gouvernement de son pays, il en cite quelques-uns dans son livre : il énumère ce qui reste encore à améliorer et indique de quelle manière les réformes pourraient être étudiées et préparées. On peut douter de la valeur des moyens qu'il préconise, mais il est difficile, même à des étrangers, de l'écouter d une oreille indifférente ; et l'on s ex, lique sans peine, après avoir lu son ouvrage, l'enthousiasme de ces étudiants américains qui l'ont invité à venir exposer chez eux, pendant un semestre, le sujet qu'il a si longuement approfondi.
COURS ET CONFÉRENCES
Le rôle de la médecine : Le médecin philosophe et psychologue
par le professeur' Debove.
Le professeur Debove dont tous les médecins connaissent à la fois la hante érudition, l'esprit si alerte et si français, et le sens psychologique si exercé, a fait le mois dernier au Collège des Hautes études sociales une conférence dont nous détachons les passages suivants, qui concerne le rôle philosophique et psychologique des médecins.
« Aujourd'hui, la médecine étant devenue une science n'impose pas de dogmes, elle enseigne des faits soumis h la critique de tous, qu'il n'est permis à personne d'ignorer même h ceux qui limitent leurs études aux phénomènes psychiques.
« Pour étudier la philosophie, il ne suffit pas d'étudier sur soi-même les phénomènes de la pensée. Cette étude serait aussi vaine que celle d'un homme qui après un repas s'analyserait avec le projet d'écrire un traité de la digestion ; aussi les philosophes contemporains fréquentent nos amphithéâtres, étudient l'anatomie et la physiologie du corps humain et n'ignorent pas la pathologie mentale. Ils savent que les facultés attribuées à l'âme sont esclaves du corps, qu'elles sont modifiées par une petite lésion cérébrale, par un léger trouble de la circulation encéphalique, que l'organisme est composé de parties dont l'accord est nécessaire à la régularité de leurs fonctions. Le cerveau n'étant pas seul en cause, le philosophe doit connaître la physiologie des divers organes. La mentalité d'un homme n'est pas celle d'une femme, personne n'ignore qu'un eunuque a perdu sa virilité physique et morale, une lésion des capsules surrénales entraîne un affaiblissement extrême de l'énergie, une lésion du corps thyroïde transforme l'Individu en un goitreux ou un myxœdé-mateux qui a l'intelligence que comporte sa lésion.
« Il serait facile de multiplier les exemples. Il suffit de savoir que tous les organes réagissent les uns sur les autres et que les variations dt leur fonctionnement se traduisent par divers états d'âme.
« Ces connaissances modifient nos idées sur la responsabilité humaine, question posée journellement devant les tribunaux. Ce n'est pas le philosophe de l'ancienne école ayant passé sa vie dans l'étude des facultés de l'âme qui sera désigné comme expert, c'est le médecin connaissant la physiologie des organes et les troubles mentaux qui peuvent résulter de leur état pathologique.
« Si le psychologue doit connaître la médecine, le médecin ne peut ignorer la psychologie même quand il n'étudie pas spécialement les maladies mentales ; en effet, tous les jours, à l'hôpital, dans la pratique de la ville, nous avons le spectacle de la misère humaine, et quelles affreuses plaies nous sont révélées ! On ne vient pas avec l'idée de nous les confier mais en présence de désordres nerveux, nous supposons qu'ils sont imputables au chagrin, nous posons dans ce sens quelques discrètes
questions, il nous est fait une réponse d'abord réservée puis une véritable confession ; aussi sommes-nous liés par un secret professionnel. Nous relevons le moral de nos malades, il en résulte pour eux un réconfort et pour nous une immense sympathie pour la malheureuse race des hommes en proie à tant de misères et dont les peines physiques ne sont pas toujours les plus atroces. Aussi connalt-on mieux l'Ame humaine en pratiquant la médecine qu'en péripatétisant dans les jardins de l'Académie.
« Le médecin arrive nécessairement à être moraliste et a. considérer la morale comme étant en grande partie de son domaine. En effet, un traité de morale pourrait comprendre trois chapitres : le premier traiterait de la morale relative à la conservation de l'individu ; le second delà morale relative à la conservation de l'espèce ; le troisième ne serait pas de notre compétence, mais il semble qu'il serait plus court que les deux autres. La morale relative a la conservation de l'espèce n'est habituellement pas enseignée. On est retenu par la pudeur, elle joue le rôle de la pierre qui permet à l'autruche de ne pas voirie danger. Il y a des moralistes si chastes qu'ils ont constamment une feuille de vigne sur les yeux. Et cependant à quels dangers l'inobservance de la morale sexuelle n*expose-t-elle pas l'individu et la race.
« La nature veut qu'on se multiplie ; elle y invite par la volupté et par des sentiments si vifs que peu y résistent. Beaucoup cherchent un remède à leur passion dans les bras des professionnelles de l'amour. Quels désastres sont alors imminents ! on risque sa santé qui peut être à jamais compromise, on peut expier à un Age avancé des imprudences de jeunesse, on peut contaminer ultérieurement une compagnie légitime choisie pour reproduire son espèce, et devenir le père d'enfants qui supporteront la conséquence de fautes dont ils sont innocents. Pour eux le péché originel ne sera pas une théorie.
* Yous trouverez les médecins bien prosaïques d'appeler instinct de la reproduction de l'espèce ce que les autres désignent par ce joli nom d'amour. Ils ne comprennent d'ailleurs pas qu'on l'ait placé dans le cœur. Cette localisation est probablement l'œuvre d'ironistes sachant qu'il y a un cœur droit et un cœur gauche, et qu'ainsi on peut y loger tous les amours. La médecine ne se nourrit pas de sentinent et de poésie, mais de faits, elle n'est arrêtée par aucune pudeur quand il s'agit de signaler les dangers qui compromettent la santé de l'individu et de la race.
L'historien n'écrit pas seulement l'histoire des guerres, il écrit celle des peuples et une pathologie doit lui être familière, celle àes agglomérations humaines qui se sont, à ; certains moments, emballées — excusez la . vulgarité de l'expression — pour des idées ou des hommes qui étaient censés les représenter. Il s'agit de phénomènes pathologiques. Il y a une psychologie et une pathologie des foules. Ainsi seulement pourra t ou concevoir certains vents de folie qui ont soufflé sur des villes ou des
nations entières, les ont bouleversées, portées aux pires excès, aux plus affreuses cruautés, les ont fait se ruer sur des groupes ou des peuples, pour les égorger et les piller, sous prétexte qu'ils ne reconnaissaient pas le môme Dieu, ou ne l'adoraient de la même manière, ou que leurs idées politiques ou religieuses n'étaient pas semblables.
L'historien des religions devra être pénétré d'idées médicales. Il faut qu'il connaisse l'influence de la suggestion,c'est-à-dire l'influence exercée par des affirmations catégoriques, et aussi la pathologie des miracles.Ce sont, pour la plupart, des guérisons de malades parmi lesquels les boiteux et les paralytiques comptent pour un grand nombre, alors que les Dieux ne s'intéressent pas aux amputés. Aussi voyait-on dans les temples d'Esculape, suspendus en signe de reconnaissance, une foule de béquilles et pas une seule jambe de bois.
Dans l'histoire des religions, il faut tenir compte d'un trouble mental dont sont affectées certaines sectes religieuses : Valgomame, — la manie de la souffrance. Les sujets atteints de cette névrose croient qu'ils seront agréables à la divinité en se soumettant volontairement à des peines physiques Tels sont les faquirs de l'Inde, qui s'abstiennent de tout soin de propreté, ou jeûnent jusqu'à la consomption, ou se tiennent des mois entiers dans des postures gênantes. Tels sont les flagellants, dont la manie a sévi à diverses reprises d'une façon épidémique. Aujourd'hui encore, à la fête persane des lamentations, célébrée en l'honneur d'Iloussein fils d'Ali, les vrais croyants se réunissent en bande et, au bruit des prières des derviches, se frappent réciproquement avec des courroies, des chaînes, des glaives, jusqu'à ce qu'ils tombent ensanglantés et soient emportés mourants.
Des algomanes, bien pins nombreux, particulièrement malins, ont trouvé un moyen pratique d'être agréables à la divinité sans qu'il leur en coûte rien. Au lieu d'offrir leur propre souffrance, ils offrent celle des autres. De là les bûchers et les scènes de torture si fréquentes dans l'histoire des religions.
Algomanes et d'une espèce bien méprisable sont ceux qui se font un spectacle de l'exécution des criminels. Des scènes scandaleuses qui se produisenten pareille circonstance affirment le trouble mental des assistants.
Ds est bien entendu que nous ne taxons pas de folie ceux qui souffrent dans l'intérêt de leurs semblables. Nous éprouvons la plus vive admiration, non pour les hommes qui chantent les premiers vers de la Marseillaise, mais pour les héros qui, les considérant comme une vérité, exposent ou sacrifie leur vie pour la patrie.
Pour nous, médecins, la douleur est toujours un mal, lorsque nous ne pouvons guérir, nous cherchons à soulager. Aussi comptons-nous parmi nos plus belles découvertes celles des anesthésiques. c'est-à-dire des agents qui suppriment ou atténuent la souffrance.
CHRNIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lien le mardi 15 février à 4 heures et demie, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de lu Salpétriere.
Les séances ont lieu le troisième mnrdt de chaque mois. Elles sont publiques. Les médecins, les étudiants et les membres de l'enseignement sont invitas a y assister.
Adresser les titres et communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire-général. 4, rue de Castellnne et les cotisations a M. le Dr Paul Farez. trésorier, 154, boulevard Haussmann.
Communications déjà portées h l'ordre du jour : 1° Dr Bérillon : 1° La rééducation olfactive, son Importance dans le traitement des psychonévroses : 2° Dr Paul Farez : L'onirothérapie suggérée.
3° D' A. Pevnisky (d'Odessa) ; Les phobies apparentes envisagées comme des représentations d'appréhensions subconscientes. 4° Dr O. Jennings (du Véslnet) : Singularités de la concaïnomanie.
Crucifîment d'une hystérique
Le 8 janvier on trouva a Turin nne domestique nommée Olympia Jeannos étendue sans connaissance sur son lit. Elle avait voulu s'Infliger le supplice du crucifiment: ses mains et ses pieds étalent transpercés par des clous énormes ; sur la tete et sur la poitrine apparaissaient de nombreuses pluies provenant do coups. La jeune fille, qui était originaire de la vallée d'Aoste, s'était soumise a ce martyre pour une cause fntilc. Elle avait reçu la veille la visite de sa sœur qui lui avait reproché d'avoir dénigré son dernier patron. L'Infortunée hystérique, très affectée par ces reproches résolut de mourir en subissant les tortures du Christ. a la faible lueur d'un cierge, elle accomplit l'œuvre dans sa chambrette. Elle poussa d'abord avec beaucoup de peine deux elons rouilles, longs de quinze centimètres à travers les pieds, puis deux autres h travers les mains. Ce martyre stolque fut fait avec une précision surprenante. Les pieds et les mains sont traversés juste au milieu par les cloug ; les plaies n'ont provoqué ancnn épanchement de sang et la cicatrisation s'est effectuée sans que la rouille ait été la cause d'accidents. Lorsque la jeune fille se réveilla le matin en constatant que la mort n'était pas survenue elle prit un canif et se laboura la tête et la poitrine. L'anesthésie était totale, mais elle perdit beaucoup de sang et s'évanouit. La maîtresse de la maison la trouva dans cet état et fil conduire la martyre hystérique a l'hôpital. D» Witry (de Trèves-sur-Moselle).
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme
Ecole de psychologie 149 rue Saint-André-des-Arts). —Pendant les mois de janvier, février et mars, les cours et conférences de l'Ecole de psychologie dont nous avons publié les programmes dans nos deux précédents numéros auront lien d'une façon très régulière. Ces cours sont publiés.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie
Les conférences cliniques sur tes applications de l'hypnotisme à la psychothérapie et à la pédagogie, reprendront le jeudi 15 janvier à 10 h. du matin. Elles seront dirigées par les Drs Bérillon, Magnin, Paul Parez, Bévalot et de la Pouchardière. On s'inscrit les jeudi à l'Institut psychophysiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Faculté de médecine
Psychothérapie. —M. le professeur Déjerine fera pendant les moisde janvier et de février un cours en 10 leçons sur les psycho-névroses, leurs manifestations fonctionnelles et leur traitement par le psychothérapie.
Le cours commencera le samedi 15 janvier 1910, à 6 heures (Petit amphithéâtre de la Faculté) et aura lieu les mardis et samedis suivants, â la même heure.
Clisiqce des maladies nerveuses. Salpêtrière : Les leçons de M. le professeur Raymond ont lien les mardis et les vendredis à dix heures.
L'administrateur J. BÉRILLON. Le Gérant : Constant LAURENT. Privas
Privas, Imp. C. Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e -année — n° 8. Février 1910.
Dixième réouverture des cours de l'Ecole de psychologie
sous ln présidence de M. Cruppi, député, ancien ministre.
Io L'Ecole de psychologie, par le Dr Bérillon. professeur -r •>° Réception du buste du professeur Liégeois, de Xaxcy. ; 3° Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire, par M. Gui-Ihermet, avocat a la cour, professeur ; 4° Allocution de M. Cruppi.
La dixième réouverture des cours de l'Ecole de psychologie a eu lieu le lundi 10 janvier, a cinq heures, 49, rue St-André-des-Arts. Cette réunion revêtait un caractère particulier de solennité par l'hommage que" l'Ecole de psychologie se proposait de rendre à la mémoire de M. le professeur Liégeois un des premiers membres de son comité de patronnage.
La séance était présidée par M. Cruppi, député, ancien ministre. A ses côtés avaient pris place M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière. président de la Société d'hypnologie et de psychologie, M. Gaston Liégeois, juge d'instruction à Epinal. M. le D1"Bérillon et M. Guilhermet, avocat à la cour de Paris et tous les professeurs de l'Ecole, MM. les D** Paul Magniu, Paul Farez, Demonchy, Broda, Félix Regnault, M. Louis Favre. M. Scié-Ton-Fa, M. Lépinay et M. Grollet.
Parmi les personnalités dont nous avons pu connaître la présence se trouvaient M. Brunot, professeur à la Sorbonne, M Le Poittevin, juge au tribunal de la Seine, M. Berton, conseiller de préfecture de la Seine. M. Riboulet, maître des requêtes au Conseil d'Etat, M. Desbleumortiers. administrateur judiciaire a Paris, M.Chenevier,sous-chef de l'assistance publique, M. Dyvrande, procureur de la République à Saint-Quentin. M. le Dr de la Tour Saint-Ygest, M. Henri Sauvard, avocat à la cour ; M. Henri Bouillon, statuaire, M. Albert Chevalier, avocat à la cour ; M. le Dr Bévalot. M. le Dr de la Fouchardière, M. le Dr Louis Pamard, M. le Dr Preda (de Bukarest), M. le Dr Huttinger (de Genève), M. le Dp Baracoff (de Sofia), M. le Dr Barbier. M. Bartien-Lepage ; M. le Dr Marinesco (de Bukarest), M. Schamschine (de Moscou:. M. Taleb Abdes-selem (d'Orléansville), M. Polako, président de la Société de la morale de la nature. M. le Dr Raphaël Xadal (de Mexico), M. le Dr Carlos Leiva (de Salvator). M. E. Combes, secrétaire général de l'Alliance scientifique universelle, M. Julliot, docteur en droit, M le DpGermiquet (de Romont), M. Tsé-Keun {de Pékin), M. le Dr Sava-Goin (de Jassy). M. le Dc Lux, médecin principal, M. Papiliano (de Bukarest), M Alde-mida (de Porto), M. Marcel Thiry (de Juinett, M. Brasberg (de Chris-tianiai. M. Borg ide Stockholm), M. le Dr Ducournau. M. Lucien Lévy.
chef d'escadron d'artillerie, 31. le Dr Tchibissof (de Praskovec). 31. le Dr Hnguct, 31. Paul Beuggli (de Bieune,. 31"° Dyvrandc. avocat à la Cour d'Appel. 3Xaxime Leroy, magistrat â Paris. 3I"*1 L. Bérillon. professeur au lycée Molière, etc.
Par suite d'irrégularités dans le service de la poste, beaucoup d'invitations sont parvenues après la séance. Un certain nombre de personnes ont vivement regretté que ce contre-temps les ait privées du plaisir d'y assister. Parmi les lettres d'excuses qui nous sont parvenues, nous devons mentionner celles de 31 Laurent, secrétaire général de la préfecture de police, de 31. le Dr Albert Robin, professeur a la faculté de 3fédecine. de M. Ballot-Beaupré, premier président à la Cour de cassation, de M. Diehl. professeur a la Sorbonne. de 31. Ribot. de l'Académie Française, ancien président du Conseil des ministres, de 31. Vallé. ancien garde des Sceaux, de 31. Lyon-Caen, doyen de la Faculté de droit, de 31. Mounier. procureur de la République à Paris, de M. Chavegrin. professeur à la Faculté de droit, de M. Lionel Dauriac, professeur honoraire de l'Université de 3Iontpellier. de M. Soùchon, professeur à la Faculté de droit, de 31 La Borde, conseiller à la Cour de cassation, de M. Plantean, conseiller à la Cour de Paris et de notabilités de l'Institut, de la magistrature, du barreau, de diverses facultés et de l'Université.
L'Ecole de psychologie
pur M. le Dr (:::.:]:¦¦. professeur A l'Ecole de psychologie.
Dès le début de la séance. M le Dr Bérillon. se conformant à un usage traditionnel a rappelé les événements qui, dans le cours de l'année écoulée, ont particulièrement intéressé l'Ecole de psychologie.
Il s'est exprimé ainsi :
Messie urs,
Il y a quelques semaines, la mort d'un membre de notre comité de patronage est venue nous impressionner douloureusement. 31. le professeur Brissaud qui nous avait donné des gages si éclatants de sa sympathie a été emporté par une maladie soudaine. Il y a deux ans. quelques mois avant la Révolution qui a rendu au peuple Ottoman le bonheur d'une liberté longtemps désirée, M. le professeur Brissaud était venu présider la leçon de réouverture des cours faite par un savant musulman, exilé de sa patrie Dans son éloquente conférence, le profcsseur Ubeyd-Oullah, actuellement député de Smyrne au parlement Ottoman, demandait à l'Ecole de psychologie de formuler le programme d'action le plus capable d'aboutir à la libération de son pays. Le professeur Brissaud, par des paroles qui témoignaient k la fois de l'élévation de son caractère et de la pénétration de son esprit, indiqua la solution de ce problème délicat. Quelques mois après l'éclosion de la révolution turque témoignait de la justesse de ses prévisions. Les regrets que nous a inspirés la perte du professeur Brissaud sont d'autant plus profonds que nous attachions plus de prix à la faveur dont il nous avait honoré par son entrée dans notre comité de patronage.
Dans le cours de Tannée, il. le Dr René Pamarl, qui occupait avec la plus grande distinction la chaire de psychologie musicale, a succombé a une affection contre laquelle il luttait depuis plusieurs mois. M. le D1' Paul Farez, dans ces circonstances douloureuses, lui a rendu nu nom de l'Ecole de psychologie, des hommages mérités.
* s
Une des nouvelles les plus heureuses pour le succès et l'extension de l'Ecole de psychologie est celle de l'entrée, dans notre comité de patronage, de il. le professeur Edmond Perrier, membre*de l'Institut, directeur du Muséum. Ce maître, dont les sympathies pour les fondateurs de l'Ecole se sont manifestées dans tant de circonstances, nous donne aujourd'hui un nouveau témoignage de sa bienveillance. C'est pour nous un des plus grands honneurs auxquels nous puissions prétendre que de recevoir un tel concours. Les vues si personnelles émises par M. le professeur Edmond Perrier, dans son livre sur les Colonies animales et et la formation des organismes, ont jeté de vives lumières sur l'enchaînement qui relie tous les êtres organisés. Par ses nombreux écrits, M. Edmond Perrier, nous a appris que chez lui le psychologue ne le cédait en rien au biologiste. Le savant qui occupe actuellement la chaire de Lamarclc a accompli une œuvre d'un intérêt capital en groupant dans son livre VAnaiomie et physiologie animales tous les faits acquis qui servent actuellement de base à la philosophie zoologique. Dans son ouvrage sur la Philosophie zoologique avant Darwin, en exposant l'histoire des transformations successives qu'ont subies les idées générales en zoologie, il s'est montré également un penseur d'une haute élévation.
Chaque année, M. Edmond Perrier autorisait nos collègues MM. Lé-pinay et Grollet, qui traitent à notre Ecole les questions de psychologie comparée, à compléter leur enseignement par des excursions à la ménagerie du Muséum. Nous avons saisi avec empressement l'occasion qui se présentait à nous de lui exprimer notre vive reconnaissance.
• *
11 me reste encore un devoir agréable a remplir, celui de remercier vivement M. Cruppi, député, ancien avocat général à la Cour de cassation, ancien ministre, de l'honneur qu'il a fait a l'Ecole de psychologie en acceptant de présider la dixième réouverture de ses cours.
Nul n'était mieux qualifié que M. Cruppi, pour présider à la leçon de notre collègue il. Guilhermet sur les Causes psychologiques de l'erreur judiciaire. X'est-ce pas à lui que l'on doit le premier projet déposé au Parlement sur l'organisation de l'expertise contradictoire ? Son livre sur la Cour d'assises de la Seine n'est-il pas le véritable code dont doivent s'inspirer les magistrats soucieux de rester fidèles au culte de l'équité ?
En M. Cruppi, je salue non seulement l'homme d'Etat éminent dont le passage a laissé au pouvoir une impression si favorable, mais l'éminent magistrat toujours si préoccupé de maintenir l'intégrité des grands principes de notre droit. C'est avec un sentiment de respectueuse sympathie
que nous le prions d'agréer nos remerciements. Il peut être assuré que nous inspirant de son exemple, nous ne manquerons aucune occasion de propager les idées de justice et les vues si élevées qui se dégagent de ses écrits, de ses études de jurisprudence et de son action parlementaire.
Réception du buste du professeur Liégeois, de Nancy
par M. le Dr Bêbillox.
Messieurs,
La mort inopinée du professeur Liégeois, due à un de ces accidents qui résultent trop fréquemment de l'imprudence des conducteurs d'automobile, causa dans le monde entier des psychologues, où il comptait tant d'amis personnels, une grande impression de regrets.
Portrait de M. le professeur Liégeois.
Immédiatement, un comité international, présidé par M. le Dr Van Eenterghem (d'Amsterdam), s'organisa pour élever un monument à la mémoire du maître regretté.
L'inauguration en fut faite au mois d'août dernier, à Bains-les-Bains, sur le lieu de l'accident. Deux mois après, avait lieu à Damvillers une cérémonie d'un caractère éminemment patriotique ayant pour but de perpétuer le souvenir du professeur Liégeois dans son pays natal, par l'érection d'un buste.
Dans ces deux circonstances solennelles, les savants les plus autorisés de l'Université de Nancy et les amis scientifiques du maître rappelèrent ses hautes qualités morales et civiques. Ils exposèrent l'importance sociologique, psychologique et juridique de son œuvre.
L'Ecole de psychologie avait tenu à y être représentée et, malgré
l'éloignement, MM. Bérillon. Guilhermet et Crispulo Diaa (de Porto-Rico répondirent, en son nom. à l'appel du comité. Il- apportèrent leur tribut de reconnaissance à celui qui. dès 1888. avait accepté de faire partie du comité de patronage de l'Institut psycho-physiologique et n'avait cessé, depuis lors, de lui accorder, avec l'appui de son autorité, sa précieuse collaboration et ses encouragements. Je ne retracerai pas. aujourd'hui, la carrière du professeur Liégeois.
Buste du professeur Liégeois.
Elle est connue de tous. Je me bornerai a proclamer, une fois de plus-qu'il a été un véritable initiateur. Il est. en effet, le premier qui ait abordé l'étude des rapports de l'hypnotisme avec le droit et la jurisprudence. Ses études furent poussées si loin dans cotte voie que son nom domine toute l'étude médico-légale de l'hypnotisme. C'est à ce titre qu'il avait été appelé au premier congrès international de l'hypnotisme, en 1889. par ses fonctions de vice-président, à représenter les jurisconsultes.
Au second congres, en 1900. il partagea cet honneur avec M. Melcot, avocat général ît la cour de cassation.
Son nom restera, dans l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie, indissolublement lié a celui de Liébeault dont il fut le collaborateur fidèle et auquel il apporta, jusqu'à la fin. le réconfort de son amitié.
Dès la fondation de cette Ecole de psychologie nous nous étions proposé de réunir, en un musée psychologique, les instruments de travail et les souvenirs se rattachant aux maîtres auxquels nous devons tant d'impérissables travaux.Nous avons pu recueillir ainsi un assez grand nombre de précieux documents. Nous possédions déjà les bustes de Durand de Gros et celui de Liébeault, dont l'inauguration fut l'occasion d'une si imposante manifestation. Rien ne pouvait nous toucher davantage que l'offre qui nous fut faite, par le comité international, d'un exemplaire du buste de Liégeois. En le plaçant à coté de celui de Liébeault. nous aurons la satisfaction de rapprocher dans notre mémoire deux savants qui furent si glorieusement unis dans leur œuvre.
Il n'est pas donné à beaucoup de savants de se survivre pour ainsi dire à eux-mêmes, par des disciples fidèlement attachés à leurs doctrines.
Cela n'arrivera pas au professeur Liégeois. Il aura ici des continuateurs. Je n'en veux pour preuve que l'enseignement de notre collègue Guilhermet sur la psychologie du criminel et sur les questions de psychologie qui se rattachent à la jurisprudence.
Mais en plus, le fils du professeur Liégeois, dont je salue la présence, ne nous rappelle pas seulement par les traits physiques la physionomie si expressive de son père ; il nous donne aussi l'impression des mêmes dons du cœur et de l'intelligence. Assurés de retrouver en lui la vaillance, l'énergie, la générosité, la fermeté dans des opinions mûrement réfléchies, la constance dans ses amitiés, qualités qui nous avaient inspiré tant de sympathie pour son père, nous lui demanderons d'être son continuateur dans nos réunions scientifiques. Il pourra ainsi, par ce contact journalier, se convaincre que le temps n'atténuera pas l'admiration de l'Ecole de psychologie pour le caractère et pour l'œuvre du professeur Liégeois.
Les causes psychologiques de l'erreur judiciaire
par M. G. Guilhermet
avocat à 1» Cour d'appel, professeur a l'Ecole de psychologie.
En France, un homme condamné par une Cour d'Assises ou par un Tribunal Correctionnel est un homme déshonoré. Il est marqué au front, pour ses contemporains, d'un signe aussi indélébile que les lettres de feu imprimées jadis sur l'épaule des forçats. Ayant été coupable, peu importe qu'il cherche par une vie d'honneur et de travail à racheter la faute passée, les actions héroïques même qu'il pourrait accomplir n'auraient point l'efficacité suffisante pour laver sa réputation salie. Chose surprenante ! Quand on cherche à discerner les raisons de cet ostracisme, on constate à regret que la foule voit bien plus dans la condamnation que
dans le délit ou le crime lui-même, la cause de l'irréparable déchéance. Le poète avait tort ; c'est l'échafaud qui fait la honte et non pas le crime. Le monde a pour des hommes aux mœurs inavouables, pour d'autres vivant presque uniquement de soustractions frauduleuses, d'escroqueries ou d'abus de confiance, une indulgence inexplicable. Il semble même que la chance ou la faveur qui protège ces délinquants contre un malheur judiciaire, les grandisse aux yeux de leurs contemporains. L'euphémisme employé pour exprimer cette indulgence est le suivant : on ferme les yeux Comme les statues des psaumes, les hommes ont des yeux ¡»mine pas voir, des oreilles pour* ne pas entendre. Mais quelle revanche on va prendre si des procédés irréguliers mettent l'action publique en mouvement et si les auteurs de ces procédés commettent ce crime contre les convenances de s'asseoir au banc des accusés pour s'entendre condamner Les hommes rattaperont alors le temps perdu ; d'indulgents ils deviendront féroces... Ceux-là surtout qui firent autant ou pire que le condamné se montreront impitoyables. A leur indignation se mêlera du mépris pour qui s'est laissé (rendre, n'a pas su sauvegarder sou honneur apparent, s'est rayé pour toujours de la liste sur laquelle on choisit les bénéficiaires des dignités, des honneurs et des décorations. Aux yeux du monde, on ne se réhabilite jamais.
Et pourtant la loi s'est préoccupée de refaire une virginité judiciaire à celui qui l'avait perdue. Les articles 619. 620, 621 et 622 du code d'instruction criminelle permettent aux condamnés de solliciter, soit au bout de cinq ans. soit au bout de trois ans selon les cas, une réhabilitation qui sera prononcée par une décision de justice.
Par la loi du 26 mars 1891, dite loi Bérenger. par celle du 5 avril 1899 sur le casier judiciaire, le législateur a permis que la réhabilitation s'effectuât d'elle-même, de manière automatique, après cinq, dix. quinze ou vingt ans. Ce mécanisme est certainement le meilleur; la flétrissure s'efface sans brnît, par la lente action du temps, ce grand destructeur de souvenirs.
Souhaitons pourtant que la condamnation prononcée avec le bénéfice du sursis no figure plus au casier judiciaire pendant les cinq années d'épreuve.
Le jugement ou l'arrêt prononçant la réhabilitation possède le triste inconvénient, malgré les précautions prises, de rappeler la faute passée et d'interrompre fâcheusement la prescription de l'oubli.
Cette sévérité des hommes, pour ceux qui eurent des démêlés avec la justice est affreuse quand elle se manifeste à l'égard d'un malheureux qu'une faute unique, résultant de circonstances douloureuses ou atténuantes, née peut-être d'un moment d'oubli, a précipités hors de « l'ile escarpée et sans bords ».
Mais nous nous réjouissons presque si cette sévérité peut contraindre l'homme franchement criminel à une vertu fille de la prudence. Si le mépris des hommes pour le condamné peut nous sauver la vie, nous conserver notre fortune, ne nous plaignons pas !
Mais, hélas ! parmi les condamnés, il n'y a pas que des coupables, et. pour l'innocent, la mésestime définitive de ses contemporains ne doit pas être la moindre des tortures.
Evidemment si la liste des erreurs judiciaires est émouvante et longue, celles-ci ne représentent somme toute, étant donné le nombre considérable des condamnations justes, qu'un élément exceptionnel.
Mais les destinées exceptionnellement malheureuses n'en sont que plus atroces; l'homme qui serait seul à inourir partirait inconsolable.
Qui peut se flatter de ne jamais devenir la victime d'une erreur judiciaire '? Demain, à votre réveil, les gendarmes viendront peut-être vous arrêter. Un concours de circonstances inouï; prodigieux, vous aura compromis dans une affaire criminelle : les charges les plus graves se seront, à votre insu, accumulées sur votre tête.
Et vous prendrez le chemin de la prison, fort de votre innocence, persuadé de pouvoir démontrer tout de suite l'absence de culpabilité.
Avec effroi vous constaterez bientôt quelles forces écrasantes sont déchaînées contre l'inculpé. Les journaux ont raconté les détails de l'arrestation ; leur récit malveillant dénonce comme de grands crimes les petites faiblesses cachées de votre vie. Les menus faits de l'existence intime sont donnés en pâture à des lecteurs dénués de bienveillance. Il faudra pour démontrer votre innocence que vous trouviez réunis sur votre route ces êtres exceptionnels : un juge d'instruction non prévenu, des témoins sincères et exacts, des journalistes discrets et inaccessibles au désir de flatter la foule, des experts tout à fait impartiaux.
A l'audience, l'équité du président, son souci de ne pas faire sienne la thèse de l'accusation, la probité du procureur méprisant les artifices de l'éloquence pour les nécessités de la preuve, le talent de l'avocat, l'habileté des réponses, la sympathie dégagée des jurés homogènes et exempts de tous préjugés dangereux, enfin cet élément mystérieux et tout puissant que l'on appelle la chance, achèveront d'assurer votre salut. Que la force inconnue qui crée le sort des hommes écarte de votre procès la femme hystérique, l'enfant menteur, le témoin dont l'esprit est malade et ces êtres singuliers dominant par la puissance de la suggestion a l'état de veille ou pendant le sommeil, la volonté d'autres hommes !
Pendant toutes les péripéties du drame, dont vous serez le triste héros, vous constaterez de façon saisissante et cruelle tous les vices de notre organisation judiciaire.
Votre situation sociale vous mettait peut-être a même, en temps normal, de vous intéresser aux grands problèmes de la psychologie criminelle, vous regretterez trop tard de ne pas l'avoir fait.
Il serait inhumain et quelque peu insensé de souhaiter à tous les membres du corps législatif de devenir en bloc les victimes d'une gigantesque erreur judiciaire. Mais si l'innocence de nos législateurs était reconnue à temps avant les exécutions irréparables, nul doute qu'ils voteraient a main levée en une seule séance les réformes indispensables.
L'homme d'Etat et le grand avocat qui a bien voulu présider cette
conférence nous pardonnera sans nul doute cette boutade, car au cours âe nos études nous rencontrerons le nom de Cruppi lié aux projets de loi rationnels et aux réformes généreuses.
L'inculpé bénéficie-t-îl d'une ordonnance de non-lieu, ou même est-il acquitté à l'audience, il sortira de ces épreuves avec une réputation endommagée.
En le mettant en état d'arrestation préventive, le juge d'instruction aura fait comme ce prince oriental, qui rencontrant dans la rue un soldat accusé par une femme d'avoir dérobé une cruche de lait et de l'avoir bue. ouvrit d'un coup de yatagan le ventre do l'homme et pût constater ainsi qu'il en sortait du sang mêlé de lait. Pour aboutir à un non-lieu ou à un acquittement le juge aura fait inutilement à l'honneur de l'inculpé une blessure irréparable. Que les circonstances heureuses ne se produisent pas an moment opportun, qu'un des multiples facteurs de l'erreur prenne de l'importance au cours du procès : voila notre innocent condamné !
La condamnation d'un homme qui n'est pas coupable contient tout ce que l'imagination peut inventer de tortures et d'angoisses. Sans doute un revirement se produira, l'âme complexe des foules s'attendrira peut-être et trop tard sur le sort d'un homme dont la culpabilité lui parait moins certaine, depuis qu'il est condamné. Les protestations d'innocence seront reproduites par les journaux, l'opinion publiqne se passionnera quelques jours en faveur du condamné, d'antres drames, d'autres événements détourneront rapidement l'attention et les protestations d'innocence ne trouveront bientôt plus d'échos que ceux de la prison.
Il vaut mieux qu'il en soit ainsi, soutiennent certains philosophes. Pour eux la révision d'un procès porte une atteinte grave à la dignité de la justice Goethe soutenait que l'injustice est préférable au désordre : il oubliait que si l'ordre est basé sur la force, celle-ci n'est légitime que lorsqu'elle est mise au service du droit.
L'iniquité peut créer un calme apparent, mais dans l'organisme social elle est comme une maladie cachée qui couve longtemps en un corps apparemment sain, puis éclate soudainement et lui porte un coup mortel. Joseph de Maistre faisait consister la force du gouvernement et de la justice dans l'impossibilité pour le citoyen ou le plaideur de résistersous prétexte d'erreur ou d'injustice.
« C'est en effet absolument la même chose dans la pratique, disait-il. de n'être pas sujet à l'erreur ou de ne pouvoir en être accusé. » Pour l'auteur du livre « du Pape » tout jugement dont on ne peut appeler est et doit être tenu pour juste dans toute association humaine.
Ferons-nous donc œuvre révolutionnaire en soutenant qu'une décision de justice ne devient définitive que quand elle est parvenue au maximum de certitude et d'équité ?
La mentalité de Joseph de Maistre, ambassadeur de sa Majesté, diffère sensiblement, sans doute, de la mentalité d'un homme de condition modeste, injustement condamné à ramer sur les galères du Roi. Nous
avons bien le droit de penser que. si par un coup brusque de la destinée, AI. de Maistre avait quitté l'ambassade pour les galères, il eut regretté son aristocratique conception de la justice humaine.
D faut assurément qu'en matière civile, où les droits en litige sont le plus souvent douteux, le cycle des revendications soit vite fermé ; en s'éternisant ces projets auraient comme conséquence certaine la ruine des plaideurs. Mais en matière criminelle et correctionnelle un fait domine tous les autres devant lequel l'intérêt de ta société, celni du gouvernement, celui du juge, doivent s'effacer.
C'est la culpabilité on l'innocence de l'accusé. Lorsque l'innocent est condamné la société se rend à son égard coupable d'un crime en ne mettant pas à sa disposition des moyens faciles ou pour le moins possibles de démontrer l'erreur commise.
L'ordonnance de 1670, le décret de 1792, celui du 18 mai 1793. les articles 443 et 447 du Code d'instruction criminelle modifiés par les lois des 29 juin 1867, 8juin 1895, l" mars 1899 fournirent, comme à regret et en l'entourant de difficultés, le moyen pour le condamné de faire réviser son procès.
En l'état actuel les lois de 1895 et 1899 autorisent la révision dans les quatre cas suivants :
Io Lorsque, après une condamnation pour homicide, les pièces ont été représentées propres à faire naître de suffisants indices sur l'existence de la prétendue victime de l'homicide :
2° Lorsque, pour un même fait, deux accusés ou prévenus ont été condamnés par deux arrêts ou jugements différents et inconciliables ;
3° Lorsqu'un témoin entendu a été postérieurement à la condamnation poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu.
4° Lorsqu'après une condamnation un fait vient se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces inconnues lors des débats sont représentées, de nature à établir l'innocence du condamné.
Le ministre de la justice, le condamné et si celui-ci est décédé, ses héritiers ou ayant-droit, ont qualité pour solliciter la révision.
La Cour de cassation a fait preuve d'une certaine mauvaise volonté dans l'application de ces lois. Elle s'efforce de les interpréter dans un sens restrictif et s'attache à considérer comme faits nouveaux ceux-là seulement que les premiers juges ont absolument ignorés. On croirait vraiment que des magistrats n'ont pas le courage d'avouer et de reconnaître que d'autres magistrats se sont trompés.
« Il n'est pas besoin de faits nouveaux, dit Henri Coulou, pour être innocent. On a été mal défenda ; c'est un fait ancien plus intéressant qu'un fait nouveau ; des témoins n'ont pas été entendus, c'est un fait ancien qui vaut un fait nouveau. Un fait ancien a été mal interprété lors des débats, n'est-ce pas un fait nouveau ? »
Et Henri Coulon de demander courageusement qu'on révise la loi sur la révision.
Ainsi donc, le maîheureuxque nous avons laissé dans sa prison, criant son innocence, éprouvera une dernière déception, la plus cruelle de toutes. S'il est parvenu à intéresser à son sort quelques esprits généreux, une législation étroite va paralyser les efforts Qui le croirait ? Qui donc en dehors de ceux que le spectacle quotidien des injustices, des erreurs, du formalisme judiciaire, a, sinon endurcis, tout au moins renseignés, qui donc hésiterait a- penser que toutes les forces vont se coaliser pour réhabiliter la victime d'une erreur judiciaire 'ï
Que les procédures du pourvoi en cassation, de la requête civile, de la tierce-opposition, permettant de solliciter la révision d'un jugement civil, soient hérissées de difficultés, on le comprend sans peine, mais que le juge ne se fasse pas un point d'honneur de réparer bien vite l'erreur qu'il a commise, quand cette erreur entraîne la flétrissure et la condamnation d'un homme, cela ne se conçoit pas.
Si une énergie prodigieuse et une houreuse fortune permettent au condamné d'obtenir la révision de son procès, et si même une décision de justice le déclare victime d'une erreur, le fait d'avoir été condamné l'a diminué malgré tout pour toujours. Il restera l'homme qui a été en prison, qui a été aux travaux forcés ; il représente une victime de la fatalité et si les hommes sont attirés par le succès et la chance comme certains papillons par la lumière, ils s'écartent des vaincus.
Celui qui fut un condamné inspirera toujours, pour avoir connu les rigueurs des juges, lo même effroi qne Lazare en qui les Hébreux durent voir au cours de sa seconde vie, comme le suppose Léon Dierx. dans son beau poème, l'homme que la mort avait frappé, à qui elle avait fait connaître le mystère effrayant de l'au-delà. Chez Thémis comme chez Esculape, mieux vaut prévenir que guérir, préparer que réparer; nous sommes tous intéressés à ce que l'erreur ne soit point commise. En étudiant les causes psychologiques de l'erreur judiciaire, nous sommes certains de ne pas déplaire au magistrat. Nous avons pour lui le plus profond respect, mais c'est parce qu'avec des moyens humains, il remplit une tâche divine que nous désirons lui voir acquérir la plus grande certitude.
En lui signalant sa tendance, ses préjugés, les fautes même, nul doute qu'il ne fasse un effort pour se rapprocher de cette perfection à laquelle il aspire. A tous ceux qui participent à la condamnation d'un homme nous devons montrer quelle grave mission leur incombe. Peut-être qu'en signalant tous les mobiles du faux témoignage nous aurons plus de témoins sincères, en faisant constater au témoin sincère qu'il est capable de commettre involontairement l'erreur, peut-être apportera-t-il plus d'attention, plus de prudence dans sa déposition.
Les femmes hystériques, les enfants, les experts, l'hypnotisme et toutes les altérations de la volonté, la foule et la presse, cette force moderne si puissante, bref, tous les éléments de l'organisation judiciaire et de son fonctionnement vont retenir notre attention. De même que dans une excursion dangereuse on trouve à chaque détour une croix funèbre
attestant le décès accidentel d'un promeneur, ainsi dans notre voyage à travers les éléments de l'erreur, nous rencontrerons de tristes monuments commémorant la condamnation des innocents.
Pour que notre marche soit sûre, il nous faut un guide : pas de critique sans une définition préalable. De vrai la définition philosophique de l'erreur, n'importe pasplus à la victime d'un jugement inique qu'au malade l'exacte définition de la douleur. Nous ne sommes heureusement pas des condamnés et nous devons nous demander tout d'abord en quoi consiste l'erreur et la vérité.
Platon, dans sa théorie philosophique soutient qu'il n'y a d'erreur que dans le jugement. Celle-ci ne consisterait pas dans les choses mêmes, mais dans le lien qui les unit. Pour S inoza la certitude et l'essence objective ne font qu'un. Se tromper n'est pas penser ce qui n'existe pas, c'est l'absence même de pensées si l'on donne à ce mot sa signification la plus haute.
Avec Spinoza et contre Platon. Descartes « estime que l'erreur par rapport a la pensée est une simple négation et ne diffère pas de l'ignorance ».
Mais Descartes se rapproche ensuite de Platon, et contrairement a Spinoza, il attribue à la volonté et non à l'intelligonce le rôle actif dans l'erreur. Sans discuter a fond les systèmes transcendants des grands philosophes, on peut faire consister l'erreur dans la non conformité d'une idée à son objet.
Les sens, la conscience, la volonté, l'imagination, le raisonnement, la faculté d'abstraction et celle de généralisation peuvent causer l'erreur. Ce sont là les causes générales philosophiques qui s'accroissent dans la pratique judiciaire de toutes les causes spéciales que nous étudierons.
Tenter une définition spéciale de l'erreur judiciaire n'est pas chose aisée ; pourtant on pourrait dire que l'erreur judiciaire existe, toutes les fois qu'il y a condamnation d'un innocent ou d'un irresponsable et chaque fois que le juge s'appuie sur des faits inexacts pour appliquer les principes relatifs édictés - ar la loi civile et la jurisprudence.
Mais lorsqu'il acquitte un coupable le juge commet-il une erreur judiciaire "? Puisque la vérité éprouve une atteinte, une telle décision entre bien dans la définition générale de l'erreur : elle exprime une idée non conforme à l'objet. Ce n'est pourtant pas une erreur judiciaire au sens où nous l'entendons. Le principe dominant dans la théorie de la preuve est que celui qui manifeste une prétention doit la prouver.
Le parquet qui entame une poursuite doit établir sou accusation : si la preuve est incomplète, insuffisante, le doute profite à l'accusé Tant que le forfait n'est pas démontré l'inculpé bénéficie d'une présomption d'innocence Mieux vaut acquitter un coupable que de condamner un innocent Après tout, le doute peut provenir de ce que les preuves ne se sont pas révélées ou bien parce que ces preuves ne pouvaient pas exister. Le coupable acquitté constitue un élément de trouble social, il peut recommencer et causer des dommages à la propriété on à la personne.
Mais ce trouble est somme toute moins inquiétant que celui qu'engendre la condamnation d'un innocent.
C'est à la police organisée qu'il appartient de prévoir les attentats et bien plus que l'acquittement d'un coupable, la non-découverte des délinquants et des criminels constitue un encouragement à mal faire et un péril social.
Chaque jour la Seine restitue un cadavre qu'elle avait gardé quelque temps dans son lit, cadavre d'un être inconnu précipité dans le fleuve, après avoir été tué et dont on ne retrouve jamais le meurtrier; ailleurs, c'est un crime retentissant qui reste impuni parce qu'on ne put en découvrir les auteurs. L'acquittement d'un coupable ne déterminera jamais l'homme franchement honnête à renier son passé ; c'est dans un milieu spécial que cet acquittement peut exercer des influences néfastes, moins néfastes pourtant que la condamnation d'un innocent. L'auteur du crime, ceux qui l'entourent se riront de la justice ; ils pourront vivre tranquilles, sachant l'entêtement du juge à considérer comme coupable celui qu'il a définitivement condamné Le vrai coupable peut avoir autant de sécurité si un innocent occupe sa place à la prison ou au bagne, qu'un héritier jouissant en paix du patrimoine d'un mort.
Ainsi toutes les objections seraient vaines qui tendraient à détourner le critique d'une étude nécessaire. Il s'agit de défendre notre personne pendant la si courte durée de la vie contre une des formes les plus terribles de la douleur et de l'adversité. Si le philosophe ne plaçait pas l'altruisme au-dessus des autres vertus, il souhaiterait une condamnation imméritée à ceux qu'un esprit de conservation mal comprise pousse à sacrifier un innocent, pour sauvegarder des principes soi-disant supérieurs. Leur désespoir serait sans doute affreux ; s'armeraient-ils vraiment de cette résignation qu'ils conseillaient aux autres. Xe s'écrieraient-ils pas alors avec Labruyère : « Un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens !
Allocution de M. Cruppi
En parcourant la liste de ceux qui m'ont précédé à cette présidence, il m'était impossible de ne pas arrêter ma pensée sur les noms de trois d'entre eux. Gabriel Tarde, Berthelot et le docteur Brissaud, auxquels j'ai été uni par les liens d'une profonde amitié.
Ces noms pourraient d'ailleurs servir à caractériser le but et les tendances de votre Ecole de psychologie.
Tarde, juge d'instruction à Sarlat, avait trouvé, dans le champ si restreint soumis à ses observations, le moyen de se révéler comme un criminólo giste de premier ordre. Je suis heureux d'avoir favorisé le complet épanouissement de son génie si français, en contribuant à le faire nommer directeur de la Statistique au ministère de la Justice. Les idées de Tarde, d'un caractère très personnel, témoignent de la puissance
de son intuition psychologique et je ne suis pas étonné qu'il ait été un des premiers à encourager la création de l'Ecole de psychologie.
Quant à Berthelot. ce n'est pas sans un vif intérêt que je relisais les paroles, empreintes d'une si haute portée philosophique, qu'il prononça à la séance de réouverture de vos cours en 1905. Elles me rappelaient une conversation que j'avais avec lui, peu de temps avant sa mort. Le voyant, malgré tant de travaux absorbants, toujours plein de sérénité, je lui demandai s'il avait foi dans l'avenir de l'humanité. Il me répondit qu'il ne fallait pas se préoccuper de solutions trop éloignées. 11 ajouta que l'action étant la manifestation et le but de la vie, il convenait de la diriger vers des fins utiles. Il pensait que de l'effort humain devait résulter toujours quelque bien. Son optimisme était donc tempéré de sagesse. La rigueur scientifique à laquelle il avait, de bonne heure, habitué son esprit, l'a conduit dans toutes ses études à des conclusions définitives. Dans vos recherches psychologiques, en vous inspirant de son exemple, vous ne pourrez qu'en augmenter sûrement la valeur et leur assurerez une portée de plus en plus considérable.
Dans les manifestations extérieures de sa vie, Brissaud paraissait également être un optimiste. On eût dit qu'il était plutôt porté il voir dans les événements et dans les choses le côté pittoresque ou agréable. Il est certain qu'il apportait dans sa façon de penser un ton d'esprit artistique. C'est à cela qu'il dût d'être un incomparable professeur.
La bonne humeur de Brissaud n'était qu'une manifestation de sa courtoisie et de sa bienveillance. Son constant souci de présenter les questions les plus ardues sous un jour aimable prouve bien que, chez lui, le grand médecin était doublé d'un véritable psychologue et je comprends les regrets que sa perte vous a inspirés.
*
Après cet hommage rendu à la mémoire de trois nobles esprits, il me reste à vous exposer quelques-unes des impressions que la belle leçon de mon jeune ami et collègue du barreau de Paris, M* Guilhermet, ont fait naître dans ma pensée.
En lui entendant parler d'erreurs judiciaires, je me demandais, si en matière de justice, aussi bien d'ailleurs qu'en matière sociale, il pouvait y avoir autre chose que des erreurs.
Les causes par lesquelles les jugements humains peuvent être faussés sont si nombreuses et si variées, qu'on a peine à comprendre qu'il soit possible d'éviter tant d'écueils semés sur la route.
Comment concilier d'ailleurs le peu de valeur accordé par les psychologues à la valeur des témoignages avec le fait que ces témoignages soient encore la base de toute notre justice criminelle ?
Mais, une cause encore plus grande d'erreur réside dans les débats oratoires qui s'établissent au sujet de la culpabilité d'un accusé ou de sa non-culpabilité.
Là où on devrait baser une opinion sur des faits, on laisse abusivement intervenir tous les artifices de la parole. Il n'est plus question
d'observations réfléchies, ni de documents positifs : tout l'intérêt de l'affaire est absorbé par des assauts d'éloquence. Les adversaires se combattent ù coups de formules creuses, de lieux communs, d'insinuations, de suppositions, d'appels au sentiment, de surprfses de l'émotion. La parole devient alors ce qu"il y a de plus contraire à l'épanouissement de la vérité. Le sort d'un accusé dépend d'un discours. Quel psychologue tentera jamais de retracer les innombrables méfaits de la parole. Je livre ce sujet aux méditations des professeurs de l'Ecoie de psychologie.
Si nous restons sur le terrain de l'erreur judiciaire en matière criminelle, que de questions soulevées '? que de difficultés pour les résoudre ? Pour le public, le juge apparaît comme le principal auteur des erreurs judiciaires. Mais il n'est pas le seul. Comme McGùilhermet l'a si bien exposé, dans certains cas, tout le milieu social est complice.
Mais parmi ceux auxquels l'erreur peut être souvent imputée, il faut placer les experts auxquel le juge tend, avec trop de facilité, à déléguer une partie de ses attributions.
En réalité, il n'y a rien de plus délicat à établir que le point de con-àamnabilité, c'est-à-dire d'arriver à concréter l'ensemble des raisons qui, permettent d'aboutir à une solution.
Prenez un juge d'instruction de valeur moyenne, mettez-le devant une affaire dans laquelle il va se heurter aux mensonges ou aux réticences d'une femme hystérique, aux affirmations d'un individu violent ou grossier, aux témoignages toujours suspects d'un enfant ou d'un adolescent, comment voulez-vous qu'il s'en tire t
Rien dans son éducation préalable ne l'a prémuni contre les pièges tendus sous ses pas. Ce qui manque, c'est une école pratique où il puisse recevoir les enseignements psychologiques qui lui permettent d'apprécier la valeur exacte des données qui lui sont fournies.
Xous vivons sous le régime du code abominable de 1810 qui, sous prétexte de proportionner le châtiment au crime, réduit le magistrat à n'être qu'un appareil d'enregistrement. H n'est appelé à jouer aucun rôle dans l'amendement du coupable.
Le criminel, qu'il soit considéré comme un pei-vers, un dévoyé, un incomplet, un dégénéré, est un anormal ou même si l'on veut un malade. Or ce malade est curable ou il ne l'est pas. S'il est curable, le traitement devrait se poursuivre sous la bienveillance du juge qui le condamne et qui ne devrait pas le perdre de vue. S'il n'est pas curable, il est nécessaire de le mettre définitivement hors d'état de nuire. Pour la solution de ce problème, l'administration pénitenciaire et la magistrature devraient faire œuvre commune et réaliser l'unité là où il y a actuellement antagonisme .
Depuis trente ans, aucun des progrès espérés n'a été réalisé. Je crains même qu'à ce point de vue spécial, nous n'ayons perdu du terrain.
La question de la responsabilité pénale intervient également comme cause d'erreur. Il arrive fréquemment que l'irresponsabilité est invoquée, moins parce qu'elle correspond à une réalité, que parce qu'elle
pourrait soustraire un coupable aux conséquences de ses actes. Il en est quitte pour un séjour de peu de durée dans un asile confortable, et les mêmes médecins qui l'auront jugé irresponsable proposeront peut-être sa sortie en se basant sur la disparition des troubles qui avaient justifié leur première appréciation.
J'ai suivi les discussions soulevées par la thèse émise par le professeur Gilbert Ballet, au sujet de la responsabilité pénale. J'ai constaté avec plaisir que les médecins psychologues s'étaient empressés de prendre part au débat et d'apporter la contribution de leur expérience.
En général, on est porté a n'envisager comme erreur judiciaire, que la condamnation d'un innocent. L'acquittement d'un coupable ne constitue pas un détriment moins appréciable pour la société. 11 en est de même de certaines indulgences aboutissant à l'application de peines de trop courte durée Dans ces cas-là, une bête fauve se trouve lâchée dans la société. Quand la récidive de ses crimes imposera la nécessité de s'en emparer de nouveau, il faudra exposer l'existence de quelques agents de police On en sera quitte pour donner à ceux qui survivent à leurs blessures des médailles d'or dont la remise s'accompagne toujours d'une manifestation émouvante. L'opinion en est satisfaite parce que l'humanité, considérée dans son ensemble, est simpliste. Elle ne se rend pas compte qu'il serait préférable d'éviter le retour périodique de pareils événements, en réalisant une transformation radicale de notre législation pénale.
En exposant ces vues générales, je n'ai pas eu d'autre but que de vous témoigner mon grand intérêt pour les études que vous abordez.
La psychologie, telle que vous la comprenez, devient la collaboratrice des sciences juridiques, politiques et sociales. Il m'est agréable de féliciter les professeurs de l'Ecole de psychologie de l'esprit scientifique qui préside à l'inspiration de leur programme. Le succès de leur enseignement démontre que. quoi qu'on en ait dit, il y a toujours place dans notre pays pour des efforts généreux et de libres initiatives.
TRAVAUX ORIGINAUX
Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille »
par M. le Dr Bérillox. professeur à l'Ecole de psychologie II. — Les états hypnoïdes (1) (Suite)
Les états hypnoïdes se rangent naturellement en deux groupes distincts :
1° Les états hypnoïdes dans lesquels on ne retrouve aucun caractère nettement pathologique.
(1) V. les de Juillet, août. septembre, octobre et Janvier.
2e Les états hypnoïdes qui sont manifestement, au contraire, sous la dépendance d'affections névropathiques ou psycliopathiques,
1° États hypnoïdes non pathologiques. — Ces états résultent de dispositions habituelles de l'esprit, de l'influence de l'imitation et de l'éducation et surtout de la tendance, si fréquente chez beaucoup d'hommes, a se complaire dans l'inaction.
C'est dans ce premier groupe que se rencontrent ces états si divers, mais analogues par le trait commun d'être intermédiaires entre la veille et le sommeil, que l'on désigne sous les noms de rêverie, de rêvasserie de somnolence, df distraction, d'extase auditive ou musicale, de contemplation religieuse. Jean-Jacques Rousseau a admirablement défini le mécanisme automatique par lequel s'effectuent les opérations de l'esprit dans ces états hypnoïdes : « Dans la rêverie, écrit-il, on n'est point actif; les images se tracent dans le cerveau, s'y combinent comme dans le sommet/, sans le concours de la volonté »
Ce sont également à ces états hypnoïdes que correspondent, dans d'autres langues, les mots de Traumzustand. Dämmerzustand. Träumerei, Partieller schlatzustand, stato-stagnante, morbidezza, far-niente, fantas-tischeria, numbness, musing, modorra. etc.
Dans l'ancien langage français on retrouve un mot assez usité, c'est celui de dormeceille. (1) D'après les glossaires il s'applique à l'assoupissement, c'est-à-dire à l'état où l'on est à moitié éveillé et à moitié endormi.
« Faire la dormeveille », signifiait se donner l'apparence de l'homme plongé dans un demi-sommeil.
C'est ainsi qu'au quatorzième siècle, le poète et chansonnier Guillaume
de Machau écrivait dans une de ses chansons :
Kn «n lit ou pas ne dormoie Ainsois. faisais la doi ue]veilte Comme ellz qui dort et encor veille.
Le verbe dormiller signifiait dormir à moitié. C'est ce qui se trouve exprimé dans ces deux vers :
En dormiltant li respondi Et maintenant se r'endormi,
L'action de sommeiller et de se complaire dans le demi-sommeil se traduisait par le mot significatif de sommeil/on.
Dans la chanson de geste ou Huon de Villeneuve célèbre les hauts faits de Renaud de Montauban, nous trouvons l'application suivante : Et tenant un cell clos et l'autre contremont Autres! se contient comme fust en snmmeillan.
Les qualificatifs pittoresques n'étaient pas ménagés à ceux qui témoignaient quelque tendance à s'attarder dans les délices du sommeil ; on les traitait couramment de dormards, de somniculeux, de sommeillars, de sommillous, de somilleux.
îCe soit ni négligent ni somilteux
Long repos nonrrlt pechté.
(l)Et par déformation dorveille, dorvelle, dorvoillee.
Ecrivait en 1478, le moraliste J. Lepaut, dans sou Livre de bonnes mœurs.
Ces termes si expressifs ont disparu de notre langage. Faut-il en tirer la conclusion que nous avons moins d'aptitude a bien dormirqu'on l'avait autrefois? La chose n'aurait rien d'étonnant.
Nos ancêtres connaissaient aussi fort bien les états de somnolence dans laquelle l'audition de mélodies monotones peut nous plonger. Au Moyen âge le chantre d'église s'appelait le dormentaire. Aujourd'hui, on dirait plutôt l'éndortueur (1).
Ces deux qualificatifs seraient également applicables à nombre de professeurs émérites, de conférenciers en vogue et de prédicateurs admirés.
La prédisposition aux états hypnoïdes se rencontre aussi fréquemment chez les esprits lettrés que chez les individus dont la culture intellectuelle est restée rudimentaire. Mais tandis que chez les premiers l'imagination s'abandonne volontiers à des rêveries sans fin. on constate plutôt chez les seconds la tendance à s'enliser dans une incurable torpeur.
La gradation de cet anéantissement des fonctions intellectuelles a été très spirituellement exposée par Voltaire lorsque, parlant des Brahmes de l'Inde, il écrivait : « La plupart d'entre eux vivent dans une molle apathie : Leur grande maxime, tirée de leurs anciens livres, est qu'il vaut mieux s'asseoir que de marcher, se coucher que de s'asseoir, dormir que de veiller et mourir que de vivre. (2)
Tel serait, selon Cabanis, le sort inévitablement réservé à ceux qui contractent l'habitude de prolonger leur sommeil : * Quand le sommeil, dit-il, est habituellement trop long, il engourdit le système nerveux, et il peut même finir par hébéter entièrement les fonctions du cerveau. On verra sans peine que cela doit être ainsi si l'on veut faire attention que le sommeil suspend une partie des opérations de la sensibilité, notamment celles qui paraissent plus particulièrement destinées à les exciter toutes, puisque c'est d'elles que viennent les plus importantes impressions, et que, par l'effet de ces impressions mêmes, elles dirigent, étendent et fortifient le plus grand nombre des fonctions sensitives et réagissent sympathiquement sur les autres. » (3)
L'opinion de Cabanis est parfaitement justifiée à l'égard des esprits illettrés ou peu cultivés. « On ne rêve point, dit avec raison Buffon, lorsque le sommeil est très profond ; tout est alors assoupi ; on dort en dehors oa en dedans. » 14)
Il n'en est pas de même chez ceux dont l'imagination est vive et dont l'intelligence a été convenablement meublée. L'exercice de la rêverie peut constituer, à leur profit, un véritable entraînement cérébral. Ils y trouvent même un sûr moyen, là où d'autres tendent à s'appauvrir,
(1) Et par déformation dorveille, dorvelle. dorvoille.
(2) Voltaire : Fragments sur l'Inde. Art. VU. Des Brahmes.
(3) Cabanis : Rapports du physique et de mental de l'homme. Influence du régime sur les habitudes morales.
(4) Buffon : Histoire naturelle : Des rêves.
d'augmenter leur richesse intellectuelle. Je dois ajouter qu'il convient pour cela de détourner systématiquement sa pensée des soucis qui s'alimentent de préoccupations personnelles. L'état hypnoïde de la rêverie ne saurait comporter d'effet utile qu'à la condition de s'orienter vers la création d'œuvres d'un ordre élevé.
Les délices de l'interminable rêvasserie ont trop souvent été célébrées par les littérateurs ou par les poètes, pour'que je tente de les suivre sur ce terrain. Il est certain que les états intermédiaires entre la veille et le sommeil s'accompagnent très souvent, chez les individus bien portants, d'un charme des plus réels. La pensée dégagée de toute entrave matérielle peut, en toute indépendance, s'abandonner au plus délicieux des vagabondages. Sans direction et sans guide, elle se laisse aller, au gré de sa fantaisie, dans le domaine indéfini des rêveries et des chimères et il en est résulté souvent des chefs-d'œuvre.
Mais, à défaut d'ambitions d'un ordre si élevé, la nonchalance corporelle et la notion de la détente musculaire complète, par la seule impression agréable qui s'en dégage, mériteraient d'être recherchées. Il semble que l'esprit en ait plus de liberté pour se reprendre, pour s'analyser et aussi pour rétablir l'ordre et l'équilibre dans l'ensemble des fonctions mentales. C'est assurément parce qu'il avait reconnu l'utilité, et peut-être aussi l'agrément de ces états de conscience dans lesquels la sensation du sommeil se mélange si singulièrement à celle de la veille, que le délicat auteur du Voyage autour de ma chambre, Xavier de Maistre. avait imaginé de se faire réveiller tous les matins une heure à l'avance. Son but, comme il le déclare, était « de se sentir dormir. »
Dans les états hypnoïdes non pathologiques, stades de stationnement entre la veille et le sommeil, les caractères principaux du sommeil naturel s'associent avec ceux du sommeil provoqué :
Ce qu'ils ont de commun avec le sommeil normal, c'est l'occlusion et l'immobilité des paupières, l'isolement du monde extérieur, la résolution musculaire, la diminution de la sensibilité générale et des sensibilités spéciales. Ils se rattachent à l'hypnotisme par le monodéïsme qui entraîne l'esprit à la poursuite d'une idée prédominante, par l'antomatisme psychologique, par la diminution du pouvoir de contrôle, par la tendance aux illusions et par l'exaltation de la suggestibilité.
Chez un certain nombre de personnes, à la longue, la rêverie, la rêvasserie, les états d'extase et de contemplation deviennent,.par l'habitude et la continuité, des modalités d'esprit fort gênantes. Elles finissent par occuper dans l'existence une durée si grande qu'elles nuisent à l'accomplissement du travail professionnel et sont susceptibles d'entraver une carrière. J'ai eu, à maintes reprises, l'occasion d'être consulté par des personnes qui se plaignaient d'être, pendant trop de temps, sous l'influence de rêveries. Elles se déclaraient impuissantes à s'arracher, de leur propre initiative, à ces états de conscience qui n'ont rien de désagréable, mais dont le principal inconvénient est de constituer un obstacle à la régularité du travail. Tel était le cas d'un jeune officier qui
consacrait, chaque jour, de longues heures à d'interminables rêveries. Il avait la sensation de vivre comme dans un rêve et ne sortait de cet état que lorsqu'il était dans l'obligation d'accomplir des actes de son service. Comme il recevait des reproches au sujet de sa distraction, il avait eu l'idée de recourir au traitement psychothérapique.
Quand les états hypnoïdes atteignent cette intensité ils se rapprochent évidemment de l'état pathologique ; tant il est vrai qu'il n'est pas de trouble mental qui ne se rattache par un lien aux fonctions de la vie psychique normale.
Mais ce qui tendrait à prouver que la rêverie habituelle, de même que les autres états hypnoïdes analogues, ne doit pas être rangée dans le cadre des fa.ts réellement pathologiques, c'est la facilité avec laquelle elle cède à une courte rééducation psychologique et en particulier à l'intervention de quelques séances de suggestion faites dans l'état d'hypnotisme.
ii. — Etats hypnoïdes pathologiques.
En dehors des états de rêverie, de rêvasserie, de somnolence prolongée, intermédiaires entre la veille et le sommeil, dans lesquels l'homme se complalt parce qu'ils ne sont pas dépourvus de sensations agréables, on en observe d'autres qu'il subit, et dans lesquels l'intervention de sa complaisance n'a pins aucune part Ce sont les états hypnoïdes pathologiques.
Quelle que soit la cause qui leur a donné naissance, quel que soit le degré de confusion auquel arrivent les perceptions, ces états se rattachent à l'hypnotisme par un caractère commun : Xhypersuggestibilitè.
Il est donc facile de reconnaître si on se trouve en présence d'un état hypnoïde, par la seule constatation de la docilité avec laquelle le sujet réalise, automatiquement et sans contrôle, comme s'il était profondément hypnotisé, les suggestions qui lui sont faites.
Dès que l'hgpersuggeslibililê fait défaut, il ne saurait plus être question d'état ligpnoïde.
Les états hypnoïdes pathologiques sont d'une extrême fréquence. On les rencontre associés à un grand nombre d'affections névropathiques, psychopathiques ou autres. S'ils n'ont pas mieux été étudiés jusqu'à ce jour, c'est que l'attention des cliniciens et des médecins aliénistes n'a pas été assez dirigée sur la psycho-pathologie du sommeil.
Il est cependant facile de constater les analogies étroites qui permettent de rapprocher certains états nerveux et mentaux dans les diverses modalités qu'on observe dans le sommeil normal et dans le sommeil provoqué.
Le caractère fondamental des états hypnoïdes étant Thypersuggesti-bilité. c'est dans la recherche de ce syndrome psychique qu'on pourra trouver les éléments d'une classification naturelle de ces états.
C'est par ce moyen que j'ai été conduit à considérer les états hypnoïdes pathologiques dans leurs rapports avec les affections suivantes :
1. — L'hystérie (stigmates, accidents mentaux, accès de sommeil hystérique).
2. — Les états seconds, les somnambulismes et les noctambulismes.
3. — Les névroses traumatiques.
4. — Les états de médiumnité.
5. — Les hallucinations hypnagogiques.
6. — Les psychopathies toxi-infectieuses (folie puerpérale, psychoses post-grippaales, folies post-opératoires, délires oniriques, etc.
7. — Les états mentaux spéciaux (état mental des mourants, des paludéens, de l'inanition, névrose obsidionale, névrose révolutionnaire, folie communiquée par imitation, etc.)
Il n'est pas douteux que dans la grande majorité des cas. les états hypnoïdes pathologiques relèvent de l'hystérie. A mon avis, Y hystérie ne serait qu'un état hypnoTde caractérisé par une inégalité fonctionnelle des hémisphères cérébraux (1). L'hystérie consisterait donc dans ce fait essentiel que d'une façon habituelle, un des hémisphères cérébraux du sujet serait moins actif, c'est-à-dire moins éveillé que l'autre. Cette opinion qui m'est commune avec le Dr Paul Magnin a souvent été exprimée par nous dans notre enseignement, et chaque jour de nouvelles observations viennent lui apporter des confirmations.
L'hystérique étant constamment placé dans un état d'hypnotisme partiel, on comprend dès lors que l'hypersuggestibilité soit la manifestation la plus apparente de son état psychologique. On conçoit également, puisqu'il est en quelque sorte hypnotisé, qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à des manœuvres préalables pour le disposer à recevoir et à réaliser des suggestions.
C'est la méconnaissance de cet état d'hypnotisme permanent qui a donné, chez certains auteurs, naissance à l'illusion qu'ils avaient obtenu des résultats par « suggestion à l'état de veille », alors qu'ils s'adressaient, en réalité, aux plus hypnotisés des sujets.
Charcot est le premier qui ait bien observé ces dispositions des hystériques à vivre dans un état permanent d'auto-hypnotisation spontanée. U l'a exposé dans plusieurs de ses leçons : mais dans aucun cas il ne la démontré d'une façon plus expressive que dans le passage suivant : (2)
c U est des sujets, et peut-être sont-ils plus nombreux qu'on ne le pense, chez qui la plupart des manifestations tant psychiques que somatiques de Fhgpnotisme peuvent se rencontrer à l'état de veille, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir tes pratiques d'hypnotisafion. Il semble que l'état d'hypnotisme qui, pour d'autres, est un état artificiel, soit pour ces singulières créatures l'état ordinaire, l'état normal, si tant est qu'en pareille circonstance, il puisse être question d'état normal. Ces gens-là, passez-moi le mot, dorment,
(1) Bérillox : La dualité cérébrale et l'inégalité fonctionnelle des hémisphères cérébraux. Paris 18*1.
(2) Ciiabcot : Leçons sur les maladies du système nerveux. T. iii. p. 337.
alors même qu'ils semblent parfaitement éveillés : ils procèdent, en tout cas, dans la vie commune ainsi que dans un songe, plaçant sur le même plan la réalité objective et le rêve qu'on leur impose, ou, tout au moins, entre les deux, ils ne font guère de différence. J'ai fait placer sous vos yeux un sujet de ce genre. Hab.., hystéro-épileptique, est atteinte depuis de longues années d'anestbésie généralisée, complète, permanente, et chez elle les attaques répondent de tous points au type classique. Voos voyez qu'ici, bien qu'on n'ait employé aucune manœuvre d'hypnotisation, par conséquent à l'état de veille, nous pouvons obtenir à la fois et la contracture par la pression exercée sur les masses musculaires, les tendons, ou les troncs nerveux (contracture des léthargiques), et l'immobilité cataleptique des membres placés dans les attitudes les plus diverses, et aussi à l'aide de légers frôlements, ou de mouvements h distance, la contracture somnambulique. Tous ces phénomènes somatiques se trouvent donc chez ce sujet en quelque sorte mélangés, coexistant au même moment sans distinction de périodes, contrairement à ce qui a lieu dans le grand hypnotisme. »
Les meilleurs élèves de Charcot, MM. les Dr Paul Richer et Pitres ont exposé dans leurs œuvres, des constatations analogues.
Une grande partie du livre si documenté que M. Paul Richer a publié sous le titre Etudes cliniques sur la grande hystérie est consacré à l'étude des immixtions spontanées des grandes manifestations de l'hypnotisme aux troubles de la grande attaque d'hystérie.
M. Pitres a également insisté sur ce fait, que les accès d'hystérie se continuaient par des états analogues à l'hypnotisme qu'il désigne sous le nom de période d'hgstèrie post-convntsive. Nous croyons utile de reproduire les considérations par lesquelles il établit que ces états relèvent bien de l'hypnotisme (1).
« Le fait capital dit-il,est de savoir si pendant la durée de cette période la malade est en état de sommeil hypnotique. Or, je crois qu'il ne saurait y avoir de doute à ce sujet La meilleure preuve que je vous en puisse four nir, c'est que les suggestions sont acceptées avec la plus grande facilité, aussi bien les suggestions à réalisation immédiate que ce/tes à échéance lointaine. Mais cet état hypnotique diffère notablement de celui qu'on provoque, chez notre malade, par la fixation du regard ou par les autres procédés hypnogènes connus ».
« Quand le sommeil artificiel est provoqué par ces procédés, il n'y a ni mouvements cadencés des membres inférieurs, ni délire musical. Bien plus ! si pendant que la malade est en pleine période post-convulsive on relève doucement les paupières, le chant et les mouvements des membres inférieurs s'arrêtent aussitôt et l'on n'observe plus que la série des phénomènes vulgaires de l'hypnose provoquée dans le stade somnambu-lique les yeux ouverts ».
(1) Pitres : Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme.
(2) Paul Maokis : Les rapports de l'hystérie avec l'hypnotisme. (Comptes rendus du 2e Congrès de l'hypnotisme. Paris 1902, p. 144).
M. le professeur Pitres, avec une instance qui témoigne de l'importance qu'il attribuait à l'analogie entre les attaques de sommeil hystérique et l'hypnotisme est revenu à maintes reprises sur la même question. En 1885. dans un travail intitulé : Des zones hystérogènes et hypnogènes et des attaques de sommeil, il déclarait qu'il se considérerait fondé » affirmer « que le sommeil pathologique spontané est de même nature que le sommeil artificiellement provoqué par l'application des procédés hypnogènes connus ». Je saisis avec empressement cette occasion pour reconnaître qu'aucun autre n'a poussé plus loin que M. Pitres l'analyse des phénomènes de l'hystérie et de l'hypnotisme et malgré certaines théories qui ont été récemment exposées, je considère que les conclusions auxquelles il est arrivé dans ses livres n'ont en aucune façon été infirmées par les affirmations contraires.
A notre époque, la constatation des troubles de la grande hystérie est devenue moins fréquente; on n'en observe que des cas isolés. Ils permettent cependant de s'assurer qu'aucune des observations faites par Charcot. par Paul Bicher, et par Pitres, pas plus que celles qui avaient été faites sur le même sujet par Dumontpallier, et par ses élèves Paul Magnin et moi, n'ont perdu de leur valeur.
Les rapports que de sagaces observateurs ont établi sur le grand hypnotisme et la grande hystérie sont demeurés exactement les mêmes qu'ils étaient autrefois. J'ai personnellement l'occasion de le vérifier k chaque instant. Hais ce qu'il faut reconnaître, c'est que l'intervention de la psychothérapie, en agissant par la rééducation de la volonté, a depuis quelques années, modifié l'apparence sous laquelle se présentait la névrose hystérique. Actuellement, mieux dirigés, traités d'une façon plus méthodique, les malades ne présentent plus aussi fréquemment les accidents de la grande attaque. L'intervention médicale les neutralise dès leur apparition dans l'enfance ou dans l'adolescence. L'hystérie, avec ses caractères mentaux, n'en existe pas moins. S'il n'y a rarement de grandes crises, il y a toujours la disposition à l'état hypnoïde et l'hypersuggestibilité. Aussi, est-ce le plus fréquemment par la méconnaissance de l'état hypnoïde des hystériques que certains observateurs de l'époque actuelle prétendent exercer sur ces malades une influence par « suggestion k l'état de veille ». [A suivre).
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
fiance du mardi 21 décembre 1909. — Présidence de M. Jules Voisin
La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès-verbal à la précédente séance est lu et adopté.
La correspondance comprend des lettres de MM. Crispulo Diaz (de Porto Rico) ; Douglas Bryan de Leicester) ; Dr Clyde Mac Cartney (de Montevideo) : Gaston Liégeois (d'Epinali ; Poulallion. Demonchy. Swan, de South-Yarra (Australie.
La Société désigne M. le Dr Clyde Mac Cartney de Montevideo, pour
représenter la Société an Congrès international de médecine de New-York.
Les communications inscrites a l'ordre du jour ont lieu dans l'ordre suivant :
1° Dr Pron, d'Alger. Note relative à l'influence du réveil spontané sur la réapparition des troubles gastriques.
2° Dr Pychlau (de Pskoff). Incontinence d'urine traitée par la psychothérapie.
3° Dr Bérillon : Application du signe de la détente musculaire dans la production de l'hypnotisme.
4° La communication de M. Moret sur le dressage des animaux au point de vue psychologique, maintenue à l'ordre du jour, donne lieu à une discussion à laquelle prennent part MM. Bérillon, Lionel Dauriac. Grollet, Bridou. Moret. Paul Magnin. Blech. Louis Favreet M. le professeur Beauvisage (de Lyon).
M. le Président met aux voix les candidatures suivantes qui sont adoptées h l'unanimité :
M. le Dr Duuème, de Paris ; M. le Dr Pewnizky (d'Odessa) : M. Orkhan bey, secrétaire de l'ambassade ottomane à Berlin.
La séance est levée à 6 heures et demie.
Note au sujet de ma communication intitulée •• Influence du réveil spontané sur la réapparition des troubles gastriques " (Séance de novembre).
par le Dr L. Pros (d'Alger).
L'argumentation de M. Farez ayant porté uniquement sur les cas où se montrent plusieurs réveils, je désirerais répondre en quelques lignes à mon honorable confrère.
En ce qui concerne le sommeil des dyspeptiques, j'ai fait deux classes des malades : 1" ceux qui sont réveillés par leurs malaises ou souffrances gastriques ; 2° ceux qui se réveillent chaque nuit, à la même heure, sans cause apparente et sans ressentir aucun symptôme stomacal, au moment où le réveil se produit.
De ces derniers malades, les uns ont plusieurs réveils et ne souffrent de l'estomac qu'au dernier ; c'est la catégorie la plus pauvre — les autres ont un réveil unique et souffrent de l'estomac au bout d'une demi-heure à une heure ; c'est la catégorie la plus fournie et celle que j'avais surtout en vue dans ma note.
En ce qui touche aux cas à réveils multiples, M. Farez invoque les fermentations et l'hypersécrétion et suppose que le processus stomacal pathologique, passé inaperçu lors d'un premier et d'un second réveil, arrive à son paroxyme. après avoir fait peu h peu des progrès. Je ne suis pas de sou avis ; car dans un cas, il s'agissait d'un malade ayant 3 réveils et se plaignant de son estomac seulement à celui de ô heures du matin ; or. les manifestations hyperchlorhydriques nocturnes se montrent aux
environs de minuit et jamais si tard et ce malade, qui avait un réveil à 11 h. du soir et un autre à 2 h. du matin aurait souffert a ces moments là. J'ajoute que. si certains sujets éprouvent, un certain temps après leur réveil, des manifestations à allures hyperchlorliydriques, beaucoup d'autres ressentent un malaise mal défini, qu'ils ne peuvent caractériser et qui consiste plutôt en un état d'irritation gastrique.
Et, en admettant même que toujours il s'agisse d'hyperelilorhydrie, chacun ne sait-il pas que chez les vieux dyspeptiques, à centres cérébraux et sympathiques toujours prêts à montrer la facilité de leur pouvoir réflexe, il suffit d'une cause souvent minime portant sur le cerveau, pour déterminer une sécrétion chlorhydrique anormale.
Quant au fait que les malades sont facilement soulagés et qu'ils se rendorment peu de temps après l'ingestion de liquide chaud — tait commun aux cas à réveil unique où à réveils multiples — 11 ne constitue en rien un argument contre ma thèse. Toute modification apportée à la manière de sentir de la muqueuse gastrique, soit à l'aide d'une demi-tasse de lait ou d'une pincée de poudre alcalino-terreuse ou même d'un peu d'eau ou d'une application chaude sur l'épigastre, application non suscept.ble de modifier le cbimisme gastrique du moment, toute modification gastrique est transmise au cerveau. Les deux centres étant ainsi calmés, il n'y a plus aucun empêchement au sommeil.
Le chimisme gastrique anormal envisagé d'une façon générale, s'il peut souvent amener une perturbation dans le système nerveux, a le plus fréquemment comme origine primitive un mauvais fonctionnement du système nerveux. La majeure partie des auteurs qui s'occupent spécialement des voies digestives. relèguent au second ou au troisième plan les modifications chimiques, pour mettre au premier rang l'état de sensitivité gastrique ; c'est cette sensitivité extrêmement affinée, qui est mise en jeu par le réveil spontané et si, comme conséquence, il se produit des troubles chimiques, on ne peut leur attribuer une signification qu'ils n'ont pas. Les malades ne manquent pas. qui. ayant une acidité de 4 pour mille, ne souffrent pas de l'estomac, alors que d'autres ont des douleurs avec une acidité moitié moindre. Si l'hyperchlorhydrie entrait en jeu chez un malade se réveillant par exemple à 1 h. du matin, il n'attendrait pas une demi-heure ou davantage pour souffrir ; il y a une période de préparation de l'estomac à souffrir, préparation de nature dynamique et d'origine cérébrale, dans les cas dont il s'agit.
Incontinence d'urine, datant de dix ans, guérie par la suggestion hypnotique
par M. le Docteur Pychlau. (de Pskoff, Russie)
U y a six ans, le lieutenant F ., âgé de 28 ans. vint me consulter à propos d'une incontinence d'urine, qu'il croyait résulter du traitement brutal d'une gonorrhée chronique par des bougies métalliques de très gros calibre. L'incontinence durait depuis dix ans. non seulement la
nuit, mais encore le jour. Le malade avait consulté les meilleurs spécialistes de St-Pétersbourg et de Varsovie, qui tentèrent tout ce qu'il est permis d'imaginer, mais rien n'y fit. Désespéré, le pauvre malade se croyait tout à fait incurable : de plus il fuyait toute société. Son linge et ses vêtements répandaient une forte odeur d'urine et a chaque instant il était angoissé par la peur de voir son secret découvert. En dépit des efforts les plus énergiques, il ne peut s'empêcher d'uriner toutes les 10 ou 15 minutes. Ayant appris que je m'occupais de psychothérapie, il voulut recourir a ce dernier moyen, omis jusque-là. et hors duquel, il ne lui restait, disait-il. que le suicide.
M. F. descend d'une famille très nerveuse. De taille moyenne, il est frêle, maigre et très pâle. Ses mouvements sont très vifs, sa mine inquiète et abattue. Pendant son enfance, il n'a eu aucune maladie grave. Après qu'il eut terminé son récit, je me misa l'endormir, tout en lui expliquant que sa maladie présentait des chances sérieuses de guérison et j'y parvins assez facilement. Afin de mieux assurer le succès, et prévoyant un traitement prolongé, je me décidai à prescrire les intervalles qui devaient séparer deux mitions successives et j'espaçai progressivement ces intervalles qui furent d'abord d'une demi heure, puis d'une heure, d'une heure et demie : de deux heures, de deux heures et demie, de trois heures, de trois heures et demie, de quatre heures et de quatre heures et demie, cet intervalle obtenu, j'arrêtai le traitement. L'incontinence nocturne avait cessé dès la fin du premier mois.
Quelques mois après, le jeune homme me fit part de ses fiançailles. Je viens d'apprendre tout récemment que sa guérison s'était pleinement maintenue.
PSYCHO-PÉDAGOGIE
Les enfants de Madrid
par M. Bvfixo Biasco Président de la Section d'études pédagogiques de l'Association nationale de l'enseignement primaire
Tous les enfants, par le seul fait qu'ils sont des enfants, méritent l'étude la plus attentive et rien ne doit intéresser autant les éducateurs modernes que leur étude psychologique Mais si tous les enfants, pour être bien dirigés, méritent d'être étudiés individuellement, l'enfant de Madrid offre dans son ensemble un type particulier qui fait qu'il se détache vigoureusement des autres enfants espagnols et même des autres enfants du monde.
L'enfant de Madrid est, entre tous, le plus foncièrement urbain, citadin, je veux dire par là qu'il est le plus attaché à la ville.
Il y a des enfants à Madrid qui ne sont jamais sortis de : - tir quartier, et dans-les écoles communales on compte par milliers ceux qui n'ont jamais vu la campagne. Quelques joueurs sont seuls entraînés par la nécessité à des exercices champêtres.
L'enfant de Madrid, pour des raisons d'hérédité et de milieu, est faible de corps, nerveux et inquiet, intelligent, franc, sympathique, voire même docile ; mais pour le bien connaître il ne faut pas se borner à un examen superficiel.
Ceux qui n'ont pas vu de près les petits madrilènes, les déclarent espiègles, effrontés et indociles parce qu'ils sont hardis, vifs et précoces.
La précocité des enfants de Madrid s'explique par la prédominance du développement intellectuel sur le développemant physique. Il s'explique aussi par le grand nombre d'objets qui sollicitent l'attention de ces enfants depuis leur bas-age.
Les enfants de Madrid présentent un arrêt de développement vers la crise de puberté.
Ces enfants qui perdent vite leur candeur parce qu'ils apprennent beaucoup de choses avant qu'il soit nécessaire qu'ils les connaissent, ne savent rien de la vie de la campagne ou de celle de la mer.
Les devantures des magasins, les tramways électriques, les courses de taureaux, les cabarets, les journaux avec ou sans illustrations retiennent l'attention de l'enfant de la capitale de l'Espagne.
L'eau et l'air pur lui manquent. C'est pour cela que tant d'enfants meurent à Madrid
Madrid, a-t-on dit, suffirait pour peupler le ciel d'auges. Il y a des jours où au cimetière de l'Est on enterre plus de 30 enfants et il n'y en a pas moins de 8000 qui périssent chaque année dans les faubourgs
J'appelle particulièrement l'attention du lecteur sur les données suivantes, qui sont le résumé de près de 6000 observations faites patiemment dans le cabinet d'anthropométrie qne j'ai l'honneur de dirigera-l'Ecole normale de professeurs.
Ces données nous font connaître l'enfant type, l'enfant normal, la moyenne physiologique des enfants madrilènes de 6 à 13 ans.
L'enfant normal de Madrid
V IL 2 "5 & o II S! fi" ~ ** *> s s * o — — —» n — II I £ g s ï s * t s S .lu m des 0 * 8 *> _ V S §1 I S = _
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"W- m. m. cal. cm. cm. cm . ¦ ¦¦a. cm. cm- cm. cm.
17 1.04 57 57 53 13 17 59 21 24 21 103
7 20 1.12 60 60 56 13 17 60 24 25 24 105
8 21 1.19 62 62 57 13,05 18 62 25 28 25 96
'.1 22 1,21 62 62 57 13.05 18 65 26 28 26 97
10 24 1.24 64 64 58.05 14 19 66 27 30 27 97
11 26 i;28 66 66 59 14.50 19 69 28 32 27 94
12 29 1,33 66 66 6i 15 19 71 28,05 35 28 88
13 30 1.35 68 68 62 15 19 72 29 35.05 28 83
Je ne crois pas que l'enfant de Madrid représente le type physiolo-
gique idéal. Le tableau précédent ne présente qu'un résumé de faits qui peuvent servir pour que maîtres et parents se rendent compte de faits qui les intéressent.
Si l'on compare entre elles les données du tableau précédent on peut remarquer comment grandissent les enfants de Madrid. J'y ajoute les considérations personnelles suivantes :
Il n'y a pas deux enfants qui croissent d'une même manière.
Un même enfant ne grandit pas également pendant une même durée de temps. Les forces du corps d'un enfant ne croissent pas dans la même proportion pendant un même temps.
Vn enfant n'est pas anatomiquement semblable deux jours de suite.
Les observations sur l'état de leurs sens sont aussi curieuses et intéressantes.
L'examen de la vue des enfants de Madrid offre des résultats peu satisfaisants, car 27 0/0 des enfants observés ont une vue inférieure a la normale et 14 0/0 ont des défauts en ce qui concerne la perception des couleurs.
Le nombre des enfants durs d'oreille, en revanche, n'est pas alarmant, car il atteint seulement 0,70 0/0 et, pour ce qui touche à l'ouïe musicale, le résultat est encore meilleur, puisque 37 0/0 des enfants observés ont une bonne .oreille.
Le nombre des enfants qui ont des défauts permanents de prononciation n'arrive pas à 3 0/0.
La voix des enfants qui chantent, a les limites d'une octave dont la note la plus grave est le sol qui touche au la normal.
La sensibilité du toucher recherchée avec l'ethésiomètre est. en moyenne, de 30 millimètres.
Les données précédentes n'ont qu'une valeur relative, mais il n'y en a pas de meilleures : ce sont les seules qu'on puisse recueillir dans un but pédagogique à Madrid.
(Traduction de Mlle Paule Blanchard, professeur.)
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie Conférences hebdomadaires de l'Ecole de psychologie
fies lundis, h cinq heures)
l.t N.'i 28 Feyxikh, — Les troubles psych-dogiques du langage, par le LV Chkkvik, directeur de l'Institut des bègues. — Sons la présidence de M. le D' Paul Magnin, professeur à l'Ecole de psychologie.
LrxT>t 7 Mars. — Lu psychologie du bonheur : sa réalisation par l'éducation du caractère, par Mlle Lucie Bérillon, professenr au lvcée Molière. — Sous la présidence de M. Gustave Bhloi, professeur de philosophie au lycée Louis le Grand.
Lcndi 11 Maes. — Considérations sur la psychologie des populations musulmane», par M. Isniatl Hàmet. interprète principal de l'armée. Sous la présidence de M. Socbht Bfy. docteur en droit.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie
Les conférences cliniques sur les application* île l'hypnotisme à la psychotltérapie et a la pédagogie, le Jeudi 5 janvier à 10 11. du matin. Elles sont dirigées par les D" Bérillon. Magnin. Paul Farez. Bévalot et de la Fourchardièe. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psyeho-physiologie. 49, rue Salnt-André-des-Arts.
VARIETES
L'Ecole de psychologie pendant 1 inondation
Pendant plus de huit jours, la rue Saint-André-des-Arts a été transformée en un véritable lac. L'accès de l'Ecole de psychologie, du Dispensaire pédagogique et du Dispensaire anti-alcoolique en était devenu impossible autrement qu'en bateau.
L'eau s'est élevée à un mètre environ au-dessus du niveau de la rue, le 29 janvier 1910.
Dès que le retrait des eaux a permis de reprendre les cours, les auditeurs en ont retrouvé le chemin avec empressement et en somme, l'enseignement de l'Ecole, pour avoir été momentanément interrompu, n'en a nullement souffert.
La figure ci-contre donne l'image exacte de l'aspect de l'entrée au moment où les eaux ont atteint la hauteur maxima.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi l-ï mars a 4 heures et demie, sons la présidence de M. le 1>' Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Les séances ont lieu le troisième mardi de chaque mois. Elles sont publiques. Les médecins, les étudiants et les membres de renseignement sont invités à y assister.
Adresser les titres et communications à M. le X)r Bérillon, secrétaire-général, 4, rue de Castellane et les cotisations ik 5t. le D' Parez, 154, boulevard Haussmann. '. '>'.i "i " 'i.i utiois déjà portées à l'ordre da jour :
1» Dr Békixlok : 1' La rééducation olfactive, son importance dans le traitement des psychonév roses :
2° IV O. JnonxM (dn Vésinet; : Singularités de la cocafnomanie.
8° D Jaguaribe (de Sao-Pauloj : Le traitement psychothérapique de l'alcoolisme.
4» Dr Tabrics (d'Epinay-sui'-Seine) : >'ote un cas de eiphllomanie.
Les meilleurs remèdes contre l'insomnie et les divers troubles du sommeil.
Sous cette rubrique nous faisons appel il la collaboration de nos lecteurs pour qu'ils veuillent bien nous Indiquer les remèdes ou les procédés originaux qu'ils considèrent de réelle efficacité dans le traitement de l'insomnie et des troubles du sommeil.
2Coas commençons aujourd'hui par signaler un procédé récemment décrit par XI. Paul du Closeau. dans la Recae des Xouceavtés médicales et dont 11 a constaté sur lui-même les effets utiles.
« Tout le monde, écrit-il. sait ce que c'est qu'un cheval • froid de l'épaule >_ C'est uu coursier maniaque qui peut joindre toutes les vertus a la parfaite beauté des formes, mais qui gâte absolument ses qualités par l'entêtement imbécile qu'il met de temps a autre à ne pas vouloir partir une fois qu'il est attelé.
« Prières, encouragements, excitations, coups de fouet avec la mèche, puis avec le manche, rien n'y fait, vous l'assommeriez sur place, qu'il ne bougerait non plus qu'un terme ! On en a vu même résister a l'appel flambant d'une botte de paille allumée sons le ventre ! Cependant, il y a une façon toute simple, et qui réussit neuf fois sur dix, de vaincre, séance tenante, cette incompréhensible inertie. Quand le cheval n'a pas voulu partir au premier signal, et que sa quinte le tient, on le dételle, on le ramène h sa mangeoire, puis on le harnache à nouveau, on le remet à la voiture et on a la satisfaction de le voir revenir a la raison et filer comme un brave cheval qui a conscience de ses devoirs.
* Que s'est-il passé dans sa cervelle ou dans ses nerfs? Personne ne le saura jamais, et à quoi bon le savoir d'ailleurs ! H démarre, c'est l'essentiel !
« Eh bien ! mon remède ressemble à quelque chose comme cela. Lorsque vous vous éveillez, et que vous voyez que « ca y est ». que vous ne voulez pas vous rendormir, levez-vous, faites vos ablutions, votre toilette complète, habillez-vous soigneusement, prenez môme votre chapeau, puis déshabillez-vous et recouchez-vous sans haie, tranquillement : Il y a cent h parier contre un que vous vous endormirez vite, et pour toute la nuit.
Maintenant la parole est a nos lecteurs et a nos collaborateurs et nous souhaitons qu'ils nousa aident à résoudre le problème si important du traitement inoffensif de l'Insomnie et des autres troubles du sommeil. Nous leur demandons également de noua signaler les remèdes populaires en usage dans les divers pays.
L'âme du chirurgien
A lu séuiice mutuelle de la Société de Chirurgie, le Dr Roehard. secrétaire général, ayant à retracer l'éloge du professeur Berger, le fait eu ternie» d'une haute élévation. Xous extrayons de son discours les lignes suivantes dans lesquelles il analyse les divers états d'Ame des chirurgiens :
« On a beaucoup écrit sur l'àme du chirurgien. Elle se présente chez chacun de nous avec des modalités bien diverses. Xoiis ne réagissons pas tous de la même façon en présence du même malade. On pourrait mémo dire que, comme le médecin, il y a aussi le chirurgien tant pis et le chirurgien tant mieux. Ce dernier n'est pas préoccupé la veille d'une opération grave et celle-ci terminée, ayant ln conscience dn devoir accompli, il ne pense pins a son malade que lorsqu'un incident on l'heure de la visite quotidienne le rappellent prés de lui, c'est le type accrédité dans le public. L'autre dort peu la nuit qui précède une intervention que sou examen lui a montré devoir être sérieuse et, l'acte opératoire achevé, il songe h toutes les complications qui pourraient survenir. SI la température monte, 11 est inquiet, l'idée de son malade le poursuit. On pourra penser qu'un pareil homme n'a pas les qualités requises pour faire un bon chirurgien, qu'on se détrompe ! Son couteau est aussi sur et ses soins n'en sont que plus vigilants. Si quelqu'un souffre de cet état d'âme, c'est lui seul. Il semble même que le malade se rende compte de cette sensibilité qni ne fait qu'accroître l'intérêt qu'on lui porte et paie de retour son chirurgien en lui m au if estant une affection plus grande.
Berger appartenait bien ? cette classe de praticiens qui ont le plus grand souci do lenrs malades. 11 lui arrivait de voir ses opérés jnsqu'à trois et quatre fois dans la même journée et c'est peut-être là une des nombreuses causes qni lui ont donné cette clientèle d'élite dont il était adoré. On pouvait avoir pins de clients que lui, nul n'en avait de plus choisis. »
Les saints guérisseurs vénérés en Touraine
Xous empruntons à ln France Médicale quelques détnils curieux sur les pratiques superstitieuses qui président aux pèlerinages locaux dans cette partie de la France. Ce sont lit des vestiges d'antiques traditions qui sont encore plus vivnces en Bretagne qu 'ailleurs-
Le plus souvent, le pèlerinage est décidé, à l'insu du médecin, lorsque le traitement prescrit par celui-ci ne satisfait pas la famille. Mais souvent, aussi, il est vrai, on procède tout antrement. surtout pour les enfants. Pour savoir d'abord de quel mal souffre le petit malade, les parente consultent, de vive voix on par correspondance, une sorcière qni indique quel est le saint compétent dans la matière. Voiei^ par exemple, un cas que nous devons a l'obligeance du !.»* Louis Dubreuil-Chnni-bardel : Une jeune femme de Vouvray ayant un bébé flgé de trois mois, souffrant, alla trouver une sage-femme : celle-ci écrivit h une sorcière de Monnaie pour lui demander son avis. La commère répondit denx jours après qne le petit était atteint de trois maladies : « Le mal de saint Ollle, le mal de saint Mamert et celui de saint Christophe. • L'enfant fit successivement les trois voyages.
Enumérons rapidement ici les localités où l'on invoque les saints guérisseurs régionaux avec le nom de ces saiuts et leurs attributions thérapeutiques.
Ballon : sainte Bose de Lima. — J/?/ de sainte Rose (impétigo chez les enfants^ ophtalmies).
Chemtllé-snr-Androits : saint Boch. — Enfants débiles, convulsion*. Beaumont : Village de >\-IÏ.-dn-Chêne. — Enfants qui ne marchent pas. Algues-Vives : saint Gilles. — Rage, convulsions.
Vaujours (chapelle de la forêt) : saint Gerlnchon. — Pour avoir des enfants frisés Izeures : sainte Anne. — Pour obtenir un bon résultat de l'allaitement maternel {porter un ruban bleu pendant neuf jours).
St-Christophe : saint Christophe. — Allaitement au bilteron. Varennes: saint Clair. — Mal ??? yeux.
(Premier dimanche de septembre. Très en renom auprès des habitants de Loches.) St-Cyr-siir-Loîre : saint Cyr. — Pour entanquer le* enfants. [Pour faire prendre le sein.)
Tours «chapelle de l'Hôpitai-Général; : Saint Fait s te. — Donne la force au* enfants débile*.
Les tiqueurs : leur appréciation au point de vue du service militaire
La nature des tics, leur traitement, étant actuellement bien classés eu clinique nerveuse et mentale, le D' Chavlgny cherche à dégager de ces notions bien établies des conclusions médico-légales indispensables.
L'instruction sur l'aptitude an service ne demandant la réforme que « dans les cac «le îles convulsif6 assez importants pour entraver des fonctions dont l'intégrité est iudispousnble pour la vie militaire >, l'auteur constate que le plus grand nombre des tiqnenrs est incorporé sans hésitation.
11 signale l'omission de l'instruction ministérielle qui «'occupant dn cit convulsif, ne mentionne pas le fie tonique ; il rappelle qne les malades atteints de l'une ou l'autre forme sont avant tout des mentaux. D'accord avec Meige et Felndel il montre que tous les liqueurs ont un état mental inf«utile, et que chez eux c'est surtout d'un déséquilibre de la volonté que dépend le déséquilibre des fonctions motrices : chez tous on retrouve un affaiblissement de la volonté.
Cbavigny donne l'observation Intéressant d'un militaire, atteint d'un tic convulsif de la face produisant une contraction de toute la moitié gauche du visage (reproduction d'un tic dont sa mère est atteinte) ; caractère exalté. Irritable. Instable, grossier, impulsif : sentiments affectifs nuls. Le malade est soumis h une cure gymnastique de son tic, cure d'immobilisation et cure de mouvement ; alors, fait remarquable, l'état mental s'améliore en même temps que le tic : la discipline imposée k son esprit dans un but thérapeutlqne, lui profite aussi au moral et au physique, l'ordre règne là où était le désordre. Malheureusement le malade en quittant l'hôpital va purger une peine de quelques mois de prison due a sa conduite antérieure : le tle réapparaît bleniot, l'état mental redevient ce qu'il était avant le traitement.
L'auteur conclut que l'on doit, avant d'Incorporer les tiqueurs, s'inspirer des notions acquises par l'étude de leur mentalité.
Les tiqueurs étant des déséquilibrés de la volonté, candidats a la prison et souvent nui compagnies de discipline, ne doivent pas être admis a contracter un engagement volotaire.
a l'incorporation on les acceptera, mats à titre d'essai seulement : le médecin prévenu sur leur cas pourra faire régler leur situation militaire avant qu'elle ne devienne trop difficile. , (Le Caducée.)
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Dr L. Pros : Entéro-colite : estomac et système nerveux, in-12, 132 pages. Paris, J, Roussel. 1910.
Max Kordax : Le sens de l'histoire. in-8°, 429 pages. Alcan, Paris, 1910. 7 fr 50.
Oscar Jeksisgs : The morphia habit aud its voluutary renunciation, in-12 relié. 492 pages. Baillière, Londres, et Brentano. Paris.
Conférences faites au Musée Guimet, in-12, 260 pages. Leroux, Paris, 1909.
L'administrateur BÉRILLON. Le Gérant: Constant LAURENT. Privas.
Privas, Imp. C Laurent. avenue du Vanel.
REVUE DE I'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e Année - N° 9. Mars 1910.
BULLETIN
La cure de psychothérapie. — Un manifeste contre le concours de l'agrégation. — Un enseignement de psychothérapie à la faculté de médecine de Paris.
Chaque année, M. le professeur Albert Bobin demande à quelques médecins d'exposer dans l'amphithéâtre de la clinique thérapeutique a l'hôpital Beaujon, les recherches dans lesquelles ils se sont spécialisés. C'est ainsi, que dans le cours du semestre qui vient de s'écouler, les élevés de la clinique ont entendu des conférences de il. le I)' Calot, de Berck, sur le traitement des maladies du système osseux, de M. le D' Huchard sur la thérapeutique des affections cardiaques. Le troisième conférencier, M. le Dr Bérlllou avait pris comme sujet : La cure de psychothérapie : ses modes d'action et ses indications.
SI. le Dr Bérillon s'est appliqué à démontrer que le mot de psychothérapie n'a de valeur qn'autant qu'il se rapporte à des interventions méthodiques basées sur des règles précises et susceptibles d'une posologie qui permette d'en graduer les effets selon les Indications très variables auxquelles il s'adresse. A ce titre, l'action qne prétendent exercer certains médecins qui se bornent à tenir des conversations arec les malades ne saurait mériter le nom de psychothérapie. Ces exhortations bienveillantes n'ont en elles-mêmes rien de particulièrement médical. Elles pourraient tronver leur place dans la bonchc d'antres personnes aussi bien qualifiées que le médecin pour remonter le moral des personnes inquiètes on émotives.
Les malades se montrent d'ailleurs assez rebelles h ces prédications dont lenrs oreilles ont été tant de fols rebattaes.
Cette psychothérapie persuasive n'est, en fait, qu'une Illusion. Les armes qu'elle tire de la dialectique se heurtent dans l'esprit des malades a des boucliers provenant de lu même fabrique. En fin de compte, Il n'est pas prouvé que, dans les discussions oratoires, le médecin ait beaucoup de chances d'avoir toujours le dernier mot.
La seule psychothérapie vraiment digne de ce nom est celle qui repose sur l'emploi de procédés positifs capables de laisser des empreintes durables dans la mentalité des malades. Le D' Bérillon ramène ces procédés à quatre interventions dont il fait la base de sa technique personnelle et par lesquelles il arrive à réaliser lontes les rééducations nécessaires.
1° La rééducation psycho-motrice par les exercices de détente mnscnlaire.
2"La rééducation de l'attention volontaire par la psychothérapie graphique.
8° Les rééducations sensorielles et les rééducations viscérales par les agents physiques associés a la suggestion hypnotique.
4° La rééducation du caractère et de la volonté d'arrêt par l'emploi de l'hypnotisme,
L'utilisation simultanée de ces quatre moyens d'action permet de pourvoir anx principales indications de la cure de psychothérapie. Elle offre en outre l'Inestimable avantage de ne pas éloigner le médecin de la véritable clinique. En terminant, le Dr Bérillon a prévu le jour où la thérapeutique hospitalière serait complétée par une thérapeutique psychologique ayant pour but de rendre an malade, avant qu'il quitte l'hôpital, l'intégrité complète de sa valeur intellectuelle et de ses aptitudes professionnelles.
*
Un Comité d'action s'est formé, issu des groupements professionnels suivants : Union des Syndicats médicaux de Franee, Société de l'internat des Hôpitaux de Paris, Comité de vigilance du Congrès des Praticiens, Syndicat des médecins de la Seine, Syndicat médical de Paris. Association corporative des étudiants en médecine de Paris, qui ont, lors du concours de l'agrégation de 190S, porté aux pouvoirs publics un mémoire résumant les revendications du Corps médical, mémoire demandé par le Ministre et resté sans réponse.
Devant le défi porté par l'arrêté ministériel qui prétend, sous prétexte de • provisoire », maintenir indéfini meut un concours condamné pur les Praticiens, et à la veille d'un nouveau concours, ce Comité fait appel a l'opinion médicale et publie un manifeste dans lequel sont exposés les principaux griefs des praticiens contre l'agrégation.
• Le moindre défaut de l'ugrégatiou est certainement l'immoralité de sou concours. Que le favoritisme soit a ln base du système, nul ne le nie, parce que cela n'est pas niable. Que l'on modifie ou non la composition du Jury, la faveur est une tare que nulle réforme ne peut abolir.
• L'injustice d'ailleurs ne réside-t-elle pas davantage dans le .fait de Juger un homme sur une composition, d'après l'étude d'une heure ou d'une journée de sa vie?
¦ Au point de vue enseignement, l'agrégation, c'est la consécration de la suprématie de l'enseignement théorique sur renseignement pratique ; car le concours est basé snr des épreuves théoriques, car l'agrégation donne a l'agrégé, non pas un service d'hôpital, non pas des matériaux d'enseignement, mais simplement le droit de faire un enseignement théorique... devant des banquettes, et un titre.
« Au point de vae scientifique, l'agrégation est non seulement inutile, mais contraire à la science ; inutile parce que sa préparation est purement livresque ; contraire a la science, parce que la nécessité de la préparation livresque éloigne des recherches scientifiques, et ce qui est pis encore, depuis l'épreuve des titres, elle entraine aux communications de hasard, hâtives et non mûries, qui peuveut fausser et retarder le travail patient et méthodique de l'exploration scientifique.
c Au point de vue professionnel, l'agrégation conduit forcément à la division du Corps médical ; elle met entre les mains d'une caste fermée toutes les fonctions d'enseignement, elle s'oppose a la liberté de production parce qu'en'fait, officiellement, son enseignement, même débile, seul compte.
Au point de vue social, elle est un danger permanent, parce qu'elle ne suscite pas l'effort efficace et contribue an contraire à tarir les sources où tons pourraient utilement puiser >.
A la suite de ce manifeste, un mouvement s'est manifesté dans le monde des praticiens et dans celui des étudiants et il est probable que des incidents tumultueux vont porter le dernier coup a l'Institution surannée que nous avons été un des premiers a combattre en 1894. dans une brochure Intitulée : te Concours île l agrégation., nêcet'ité de son remplacement par l'institution des prical-doeentes.
¦
M. le D* Hamaldc de Plombières, qui a suivi avec assiduité le cours du professeur Déjerlnc, vient de faire dans le Journal de Médecine de Paris un résumé de cet enseignement auquel nous empruntons les passages suivants :
• Les leçons que le professeur Déjerlne vient de consacrer aux psychonévroses et a leur traitement, se sont terminées par une profession de foi spiritualiste. qui a soulevé, de la partdes nombreux auditeurs, dans le Grand Amphithéâtre de l'Ecole pratique, une tempête d'applaudissements.
« L'Ecole anatomo-pathologique n'a jamais cru, enseigne M. le professeur Déjerlne. que des troubles moraux pouvaient retentir sur l'organisme au point d'y déterminer des troubles fonctionnels, sans lésion, dans l'ignorance où elle était des
souffrances de l'aine, et dans sa seule préoccupation à ne faire état que des souffrances physiques. Mais depuis la faillite de nos connaissances sur l'inertie do la matière, depuis les récentes découvertes de la radiation qui en émane et de l'énergie qui s'y trouve emmagasinée, tout un monde d'Idées nouvelles se lève: et qne de surprises il nous prépare !
« Matérialiste qu'elle était dans ses conceptions, la science élargit son domaine, et tend de plus en pins a devenir spiritualiste. A côté de l'Ecole de Médecine traditionnelle, qui ne croit pouvoir guérir qu'avec tout un arsenal de médicaments, voici que suigit une Ecole nouvelle, qui place l'esprit au premier rang et le corps au second: qui professe que l'Idée est tout et que le physique est secondaire : qui, enseignant les maladies de l'âme et leur retentissement sur le corps n'a, pour les guérir, d'autre remède qu'un traitement purement moral, lu persuasion.
« Tel est, dans ses principes, l'enseignement du professeur Déjerine.
« Cette Ecole nouvelle, ou la Psychothérapie, n'a de nouveau que le nom. car elle vêt vieille comme le monde. Elle est née dans les temples d'Isls on d'Esculape, ainsi que dans les sanctuaires avec les reliques, les miracles. l'Imposition des mains : c'est la psychothérapie par le merveilleux.
« La méthode, que M. Déjerine croit être la seule vraie, est lu persuasion ; elle s'adresse directement aux facultés supérieures du cerveau, aux facultés de contrôle : l'attention, le jugement, la raison, l'intelligence, la volonté, le sentiment. Toutes les philosophie*, toutes les religions ont recours ù cette méthode de persuasion. Les Bossuet, les Fénelon, les Pascal, les Lancelot, les Arnaud, les gens de Port-Royal la connaissent. Bernardin de Saint-Pierre, dans son livre sur les Harmonies de la nature, y consacre un chapitre des plus curieux. »
Après l'exposé d'Indications auxquelles convient cette psychothérapie, la persuasion, renseignement dn professeur Déjerine s'est terminé par des considérations d'un ordre élevé auxquelles, saos aucune hésitation, nous sommes heureux de nons rallier.
* A tous ces malades qui ont fléchi dans la lutte pour l'existence, le médecin doit persnader qu'il n'y a pas de vie possible sans une base morale solide, sans an point d'appui sérlenx, qne cette base on ce point d'appui sérieux soit la religion on la philosophie ; et encore, que tout homme est tenu d'offrir constamment a ses facultés supérieures un idéal qui lui permette de trouver en Ini-mfime le soutien dont il a besoin pour les épreuves de chaque jonr.
¦ C'est pourquoi il rappellera à ses malades les notions dn beau, du juste, du noble, et il insistera tout particulièrement sur la satisfaction que laisse après lni l'accomplissement dn devoir.
• Ce rôle d'éducateur moral no va pas sans nn rôle social : le médecin s'efforcera donc de développer les notions de solidarité et de charité, et pendant tonte sa carrière, il ne devra pas oublier que le cerveau doit toujours se laisser guider par le cœnr. »
La seule critique que l'exposé si justement élogleux dn D[ Hamalde pourrait suggérer réside dans des indications de la psychothérapie telle qne la conçoit le professeur Déjerine. II a surtout insisté sur les magnifiques résultats qu'elle donne chez les sujets qu'il désigne sous les noms caractéristiques de faux gastro-pathes, de faux entêropathes, de faux cardiaques, de faux urinaires, de faux génitaux, de faux pulmonaires, de faux cérébraux, de faux médullaires.
La psychothérapie par persuasion ne serait donc applicable qu'a de faux malades. Dans ces conditions, rien d'étonnnnt à ce qne la proportion des guérisons puisse s'élever, si nous en croyons le Dr Hamaide, & 100 pour 100.
Le terrain d'entente entre les deux écoles nous paraît désormais facile a trouver. Tandis que la psychothérapie spiritualiste devra suffire pour traiter les sujets qui ne sont atteints d'aucune affection réelle, la psychothérapie par l'hypnotisme, d'une efficacité plus marquée, sera réservée pour les vrais malades.
TRAVAUX ORIGINAUX
Dépendance organique de la psychologie et de la biologie
générale
par le Dr Y. Bridoc
i
Parmi les hypothèses modernes où s'appuyent les sciences de la vie. la plus compréhensive est celle qui nous autorise à penser que le courant foncier de l'ontogenèse et de la phylogénèse représente dans le temps et dans l'espace un phénomène indivisible. En dépit des hauts et des bas qu'offre à tous ses degrés le rythme oscillatoire du mouvement créateur, la tendance à classer les éléments, les organes et les êtres suivant un ordre relatif et progressiste s'impose à l'organisation logique de notre esprit comme une fonction du mécanisme universel, et cette vue synthétique justifie l'espérance native qui nous invite à croire que de nouveaux progrès sont assurés à notre race. Elle éclaire l'effort journalier que nous opérons pour expliquer la nature d'un perfectionnement dont la notion globale est réfractaire aux procédés antithétiques et dissociés où se complaît encore notre psychologie verbale. Car il faut l'avouer hnmblement, bien que les mots séparés que nous employons pour figurer par à peu près le devenir individuel fournissent des jalons très précieux à nos schémas, il ne suffisent pas à représenter la continuité du phénomène. Le déterminisme absolu qui attribue aux termes statiques du langage le pouvoir d'exprimer la dynamique vitale n'est qu'une chimère de philosophe littérateur. Mais le déterminisme relatif qui tient les chiffres et les mots pour des jalons grossiers et provisoires s'impose à la recherche du psychologue comme a toutes les parties de la science.
Les symboles arrêtés, qui nous rappellent approximativement les reliefs principaux du devenir individuel, n'offrent un sens que par rapport aux termes congénères ; et l'ensemble des expressions particulières ne satisfait aux besoins de la synthèse mentale que dans la mesure où les relations partielles qu'elles représentent se réfèrent logiquement à l'ordonnance hypothétique des trois principaux règnes de la nature. C'est toujours à cette classification originelle que nous rapportons les jugements formés sur la valeur proportionnelle de nos actions. Lorsque nous classons nos mouvements dans l'une des trois catégories de l'automatisme, de l'instinct ou de l'intelligence, nous évoquons sans y songer les trois étapes les plus saillantes de la morphologie universelle, et nous admettons que le rythme oscillatoire de notre vie comporte autant d'alternatives que le mouvement de la création. Mais les trois divisions ainsi tracées sur le schéma du mécanisme créateur sont arbitraires. Car dans l'hypothèse du déterminisme littéral, l'automatisme soit disant pur que l'on attribue d'habitude aux formes premières du mouvement exclut
la graduelle éclosion des formes supérieures, et nul rapport n'est plus guère aperçu entre les modes oscillatoires de l'émotion qui font prédominer chez nous & tour de rôle la forme mécanique, végétative ou animale de la motilité biologique. Or l'hypothèse fondamentale du Transformisme rend ces rapports intelligibles. Par le fait même qu'elle fait de la tendance au progrès un mobile permanent et général, elle remet l'espérance, intuitive du sens commun en concordance avec la méthodologie scientifique et les besoins de la classification psychologique en accord avec l'expérience. 11 est vrai que les observations qui servent de base à la belle conception de Lamark offrent encore bien des lacunes ; mais l'opinion qui admet que la nature n'ait jamais procédé par sauts est véru fiée plus lucidement de jour en jour; et comme l'écrit judicieusement M. Delage, la méthode évolutîonniste nous permet de tirer de l'idée de causalité toutes les conséquences qu'elle comporte : « Bien ne peut se produire sans cause, rien ne disparaît sans laisser de traces ; tout provient de ce qui précède et engendre ce qui suit (1) ».
La psychologie universitaire ne peut tarder à pratiquer cette méthode générale sans se placer a l'état de schisme vis-à-vis des sciences naturelles et du rationalisme universel. — Au dernier Congrès international de Genève, on a beaucoup parlé des réformes à faire dans le langage psychologique. Pour accomplir cette amélioration, une vue d'ensemble est nécessaire. Or l'hypothèse qui détermine la dépendance hiérarchique et progressive de toutes les fonctions naturelles est la seule qui fournisse une base logique et générale à la réforme proposée. Et comme ce beau problème de méthodologie offre un intérêt supérieur, nous essayerons de niir quelques exemples à l'appui d'une opinion que nous avons constamment soutenue depuis dix ans.
n
Dans un article précédent, nous avons essayé de démontrer que les mots appétit, désir et espérance, symbolisent psychologiquement les trois étapes les plus saillantes de la tendance héréditaire qui nous oblige à graviter chaque jour vers le mieux-être. Tour a tour instinctif, intuitif et réfléchi, l'effort vers le progrès représente le mobile constant des actes expressifs qui symbolisent nos émotions et qui forment les éléments journaliers de nos relations sociales et de notre éducation individuelle. Le rythme oscillatoire et compliqué du phénomène en rend l'explication très laborieuse ; mais quand on considère les faits dans leur ensemble, on reconnaît que la production de chaque acte spécifique est dominée par la tendance de l'organisme individuel à faire, comme disent les bonnes gens, pour le mieux dans les conditions objectives et subjectives de l'expérience. Cette tendance progressiste a toujours pour objet de nous relever de nos chagrins, de nous orienter dans nos doutes et de donner à nos plaisirs une allure plus harmonieuse et plus durable, afin de contri-
(1) Yves Delage M. Gousmith. Les Théories de l'Ecolalion, Introduction, pp. 1 et 2.
buer en somme à l'amélioration des destinées individuelles et génériques. — Or l'effort qne nous opérons pour satisfaire à cette tendance primordiale présente rationnellement deux aspects secondaires. En tant que nos mouvements expriment la tendance de notre personne à concouru' au progrès de l'organisation mondiale, ils symbolisent fonctionnelle-ment Vadaptation. En tant qu'ils manifestent notre tendance intuitive ou réfléchie à contribuerai! même progrès en opérant à chaque moment de la durée le choix le mieux approprié aux circonstances, il représente ta sélection.
. Comme le dit il. Eené Worms. dans un Mémoire qui vient de paraître et qui confirme de tous points la méthodologie que nous exposons, l'adaptation représente en biologie une fonction plus élevée que la sélection (1). Car l'aptitude adaptatrice est exercée à tout moment et par tontes les espèces en vue du progrès général, tandis que l'aptitude élective sacrifie par moments à ce progrès l'organe particulier, l'individu ou le groupe social. Après avoir obtenu le premier rang dans la hiérarchie des formes spécifiques, chaque modalité fonctionnelle passe à un rang subordonné, tandis que naît la faculté nouvelle qui occupera passagèrement le sommet de l'échelle organique, tout en restant elle-même subordonnée au progrès futur de I ensemble. Car dans le mécanisme du pro grès, toutes les parties et tous les temps sont solidaires. Sans le concours des fonctions animales, végétatives et minérales qui ont organisé l'échelle des êtres et qui continuent leur assistance, la faculté mal-tresse de l'homme, c'est-A-dire sa tendance indéfinie vers le mieux-être, ne.peut subsister un instant dans son intégrité normale. 11 suffit qu'un peu d'oxyde de carbone modifie l'atmosphère où il respire pour jeter le désarroi dans ses projets. On voit alors l'effort de sa respiration, c'est-à-dire la tendance de ses organes a s'adapter aux modifications de l'ambiance minérale accaparer son attention et la majeure partie de ses énergies Le centre mécanique de l'émotion s'abaisse au détriment des réactions plus qualifiées qu'on appelle sociales et morales ; et pour peu que ces conditions anormales se prolongent, l'attitude et l'allure individuelles prennent un caractère animal et rétrograde. L'homme essoufflé n'est plus un homme.
Pour le fait même que la tendance normale des êtres à s'adapter aux alternatives du progrès universel oblige l'individu à modifier à chaque instant ses choix particuliers, l'aptitude élective parait généralement subordonnée à l'aptitude adaptatrice, qui reste elle-même subordonnée à l'aptitude plus générale qui nous invite à graviter comme la nature vers le mieux être indéfini. Si la notion d'une certaine liberté subsiste en nous, avec l'espoir d'améliorer nos destinées individuelles et génériques, c'est en vertu de la tendance illimitée vers le perfectionnement qui. dans l'état actuel des sciences, représente la raison suprême de tous les
(1) René Worms, Les Principes Biologiques de l'Evolution Sociale, page 20 et chapitre suivant.
pbénomènes cosmiques. Bornés dans leurs adaptations et dans leurs choix actuels, notre espérance et notre effort ne voient pas de borne à leur pouvoir à venir, puisque le mobile commun qui les dirige est identique a la cause indéterminée d'où procède le progrès sans fin de la création. Ce n'est donc pas seulement a la biologie générale que lu psychologie doit se référer pour organiser sa méthode, c'est à la cosmogonie tout entière. Car la psychologie n'est foncièrement qu'une méthodologie de la connaissance et des alternatives qui en affectent le développement à toutes les périodes d'un devenir indivisible. Aussi ne la mettrons nous en état de remplir sa tache éducative qu'en tenant compte de tous les éléments dont se compose le problème objectif et subjectif qu'elle syncrétise. Malgré les antithèses verbales qui divisent encore les théoriciens étroits du Néo-Darwinisme et du Néo-Lamarckisme, la théorie du progrès relatif est la seule vue d'ensemble qui nous permette d'adapter toutes les sciences particulières à la tendance prépondérante de la synthèse psychologique.
Cne deuxième critique servira d'appui à la thèse que nous défendons. Les naturalistes ont pris l'habitude d'opposer les caractères acquis aux apports de l'hérédité, ou ce qu'ils nomment Vépigénèse à la genèse automatique. Nous ne contestons pas que cette distinction soit très commode à l'analyse ; mais la signification des deux termes ne vaut qu'à titre relatif, et la méthode psychologique réclame la solution d'une antithèse qui n'est pas en complet accord avec les faits. Pour qui observe le devenir universel des Gtres. tous les caractères sont acquis, on peut même dire originaux, puisqu'aucun d'eux ne peut être affirmé comme éternel, et qu'il n'est pas deux éléments qui continuent à occuper dans l'espace et la durée, un rôle absolument pareil. D'autre part tous les caractères nouveaux sont susceptibles, en une certaine mesure, de devenir héréditaires, puisqu'il n'en est pas un dont on puisse dire qu'il ne se reproduira jamais parmi les alternances de régression que comporte à tous ses moments l'effort du progrès créateur. C'est en vain que M. Le Dantec réserve le nom de caractères acquis aux modifications qu'il nomme définitives. Bien n'est absolument définitif dans la génération des êtres ; et parmi les modalités oscillatoires qui affectent la création héréditaire, il n'en est pas une seule qu'on n'ait vue s'accentuer, s'effacer partiellement, et reparaître bien des fois, avant l'époque où nous l'apercevons aux derniers rangs. A cet égard, quoi qu'en dise M. Le Dantec ¡1). c'est bien un caractère acquis d'être « manchot >. Inscrit à l'état permanent dans le patrimoine héréditaire de certains vertèbres, par exemple chez les serpents, ce caractère se reproduit transitoire ment chez l'homme, en tant que phénomène de régression pathologique. Tantôt l'atrophie est déterminée par une diathèse qui provient des générateurs immédiats. Tantôt la privation du bras relève des crimes et des désastres passionnels
(I) Le Dantos, Vanité dans l'être vivant, p. 57-64. Citations empruntées à M. Yves Delage.
que produit encore l'ignorance des rythmes normaux du progrès. On l'observe très fréquemment pendant la guerre, quand les nations reviennent aux gestes convulsits et destructeurs dont se glorifiaient nos ancêtres, et que bientôt nous n'accepterons plus qu'à titre de pis-aller rétrogrades.
En cette matière comme en tout autre cas,c'est relativement à l'échelle indivisible des temps, des formes et des espèces que nous pouvons déterminer la signification psychologique d'un caractère. Pour qui méconnaît la tendance prédominante du mécanisme universel à faire éclore sans cesse des facultés nouvelles au sommet d'une morphologie qui n'admet ni sauts ni lacunes, rien n'est nouveau sous le soleil, tout est héréditaire et déjà vu. Mais pour nous qui mettons l'effort illimité vers le progrès au-dessus des meilleures habitudes, et la tendance inexprimable, que le langage du sens commun nomme Espérance, au-dessus des formules traditionnelles qui désagrègent la science et la conscience, il apparaît que la subordination graduelle des termes spécifiques à l'hypothèse majeure du transformisme représente actuellement la condition primordiale de la psychologie rationaliste.
La peur des idées générales « qui caractérise les érudits et surtout l'érudition germanique ¦ (1) a trop longtemps contagionné notre mentalité française. Il faut le proclamer enfin : si l'idée géniale du grand Lamarck est en train de conquérir le monde, c'est parce qu'elle nous encourage à rattacher les vieux termes statiques et les distinctions byzantines à un même ordre dynamique. Les fractionnements analytiques et les antithèses littéraires peuvent contenter les spécialistes ; mais leurs formules intransigeantes ne satisfont pas au besoin de synthèse hiérarchique et progressive qui fait l'honneur et le tourment de notre pensée. Lorsque, dans ses analyses botanniques, M. de Vriès oppose les variations brnsqnes aux variations lentes, il obéit à la routine verbale qui s'acharne à creuser de nouveaux fossés sur la voie synergique de la nature. Autant dire que la glace et l'eau n'obéissent pas aux alternatives rationnelles du transformisme, puisque nous ignorons comment s'effectue le brusque passage de chacune de ces formes à la deuxième. S'il faut attendre qu'on sache tout pour établir la méthode approximative qu'exige tout enseignement bien ordonné, on peut y renoncer à jamais, et se résigner à la stérilité des ironistes.
III
Ces considérations nous font prévoir un événement prochain dont l'intérêt semble majeur. S'il est vrai, comme nous l'estimons, que la méthode générale du transformisme, telle qu'elle est pratiquée au Muséum, soit destinée à corriger les graves défauts de la psychologie contemporaine, nous espérons la réciproque, c'est-à-dire que l'introduction plus franche du transformisme dans l'enseignement psychologi-
(1) André Bellessort : • Voyage en Suède », Révue des Deux-Mondes du 15 janvier 1910, page 324.
que perfectionnera ladite méthode, et en rehaussera la valeur explicative aux yeux des naturalistes eux-mêmes. Car en matière de méthodologie, c'est à la science du psychologue que revient normalement le premier rôle, a savoir la tâche de résoudre les antithèses conventionnelles et littérales qui contrarient les autres sciences dans leur effort normal vers la synthèse.
Nous disions tout à l'heure que les deux mots adaptation et sélection ou bien encore les termes qui opposent la nouveauté des caractères acqnis aux soit-disant monotonies de Vhérédité nous représentent les modes les plus saillants du rythme oscillatoire qui affecte toutes les élapes de notre évolution mondiale. En proposant cette interprétation psychologique, nous ne faisons qu'adopter la théorie dont M. Bibot lui-même semble entrevoir le succès très prochain quand il essaye de nous exposer le fonctionnement indivisible de l'excitabilité et de la motilité biologiques « dans la langue à'une psychologie qui n'existe pas encore, à. moins, dit-il, que l'on admette le paspsychisme. » (1) Le terme panpsychisme nous semble parfaitement approprié a la méthode universelle dont nous préconisons l'emploi, et dont M. Ribot nous cite lui-même deux précurseurs : • Cope, nous dit-il, admet l'existence d'une sensibilité primordiale et contemporaine de la vie, » et « Jenkins a soutenu quV/ existe une façon d'agir, primitive et fondamentale, de tous les organismes, depuis l'amibe jusqu'à l'homme ». (2) Schopenhauer a exprimé la même pensée lorsqu'il a formulé sa fameuse hypothèse : « Le monde est volonté ». Et cette façon de rallier l'universalité des phénomènes à une même propension génératice révèle encore un des nombreux initiateurs du panpsychisme.
En démontrant la généralité du rythme oscillatoire qui affecte à tous les moments de l'espace et de la durée la tendance naturelle de tous les êtres â graviter dans un même sens, nous espérons contribuer pour uue petite part à expliquer la relation qui enchaîne les mouvements physiologiques de régression au mouvement général de progression d'où relève la genèse universelle. C'est en étudiant le mécanisme organique des émotions que nous avons reconnu la nécessité d'introduire ce genre d'aperçu dans la méthode. Dans le devenir continu des phénomènes bio-psychologiques, tout s'enchaîne, tout se féconde et tout se lie. Bien n'est borné par une frontière séparatiste ; et c'est en vain que la statique désagrégée des mots s'efforce d'arrêter le courant synergique des phénomènes en lui opposant ses cloisons artificielles. Grâce au rythme onduleux dont les hauts et les bas solidarisent tous les mouvements de l'organisation cosmogonique. il n'est pas de formation locale qui ne soit affectée par la tendance prédominante de l'évolution générale et qui n'y participe à sa manière. Bien n'est passif dans l'univers ; tout est adaptation relative, sélection transitoire et création. L'affinité Chi-
(1) Th. Ribot, Problèmes de psycholohie affective, page 19. (2)Th Ribot, ibidem, p. 6.
mique et la polarité physique des éléments s'accordent pour déterminer temporairement le sens des réactions motrices qui font éclore à chaque instant de nouvelles formes rationnelles. Les éléments primaires de nos tissus participent aux alternatives de ce développement ; et pas une des cellules de vos viscères et de notre appareil nerveux n'échappe un seul instant aux variations affectives dont la résultante constamment renouvelée produit subjectivement les oscillations solidaires de nos consciences.
Car un fait général et permanent domine les réactions particulières, c'est leur tendance inexprimable à. persister dynamiquement dans la durée, ù innover spécifiquement dans l'étendue, et à faire converger les deux fonctions du temps et de l'espace au profit du perfectionnement que nous appelons qualitatif, sans nous dissimuler combien ces expressions sont pauvres en comparaison du phénomène prodigieux qu'elles représentent. Mais il faut en convenir enfin, pour qui ne s'efforce pas de subordonner mentalement tous les symboles déterministes à cette valeur inexprimable, la science ne représente plus guère qu'un amas de recettes incohérentes, et, faute d'une méthode synoptique, la psychologie demeure enlisée dans les dissentiments de l'intransigeance et de l'absolutisme littéraires. En tant que la connaissance humaine veut s'adapter à l'organisation globale du mécanisme créateur, elle est obligée de faire un choix parmi les données innombrables qu'entassent l'observation et l'expérience, et de subordonner les descriptions incohérentes qui s'accumulent dans nos bibliothèques au phénomène universel et permanent que leurs formules ne peuvent contenir. Ce phénomène ordonnateur, les religions et les philosophies anciennes ont prétendu l'exprimer stati-quement avec des mots ; mais la tendance indéfinie du sens commun vers le progrès a débordé la terminologie que les pédants croyaient définitive. Raillée à son début parla science officielle, l'idée géniale de Lamiirck peut toujours être contestée littéralement parce qu'elle est trop large et trop plastique pour s'arrêter et s'enfermer dans une formule ; mais elle offre satisfaction à la Belle Espérance que Platon lui-même admirait sans en saisir la haute valeur, et qu'ont exprimé les efforts — physiques, esthétiques et moraux — de toutes les civilisations dont se sont honorés les hommes.
Quelques défaillances humaines. — Leur étude par la graphologie. (1)
l>ar M. le D' Bêm-Ba«i»>:
Mesdames, Messieurs. Il m'est arrivé souvent de prendre la parole dans un grand nombre de sociétés savantes et même dans des assemblées délibérantes où les fonctions publiques dont j'étais passagèrement investi me fournissaient
(1) Conférence faiie a l'Ecole de graphologie à l'avenue de Villiers. dirigée par M— de Salberg.
l'occasion de prononcer de fréquents discours. Eh bien, je dois vous avouer que je n'ai jamais eu le plaisir de faire une conférence mondaine Vous voyez donc devant vous un novice, ou pour employer un terme plus moderne, un vieux débutant que M11,0 R. de Salberg a gracieusement chargé de vous exposer les notions médicales que doivent connaître les graphologues pour procéder avec exactitude à une sérieuse analvse de certaines affections nerveuses.
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Je suis très flatté de cet aimable choix ; mais je ne puis cacher l'embarras que j'éprouve en me voyant subitement contraint à parler de graphologie à des auditeurs iiui presque tous possèdent mieux que moi les idées fondamentales de cet enseignement spécial. Ils comprendront aisément les difficultés que je vais être obligé de vaincre pour me montrer digne d'eux ; mais j'espère qu'ils voudront bien faciliter ma tache en m'accordant une généreuse indulgence.
N'attendez pas de moi une étude technique de graphologie. Cette tentative me ferait courir le risque d'étaler à vos yeux des preuves trop édifiantes de mon insuffisance et de ma témérité. Aussi, m'a-t-il paru plus prudent et plus sage de me borner simplement à vous indiquer les liens qui unissent la graphologie aux principales données d'une science avec laquelle j'ai toujours eu de constantes familiarités.
Je désire dans cette conférence vous entretenir des ressources que la graphologie offre aux médecins qui ont l'intéressante mission de dépister et de guérir la plupart de ces infirmités morales qu'on appelle des défaillances humaines.
Ces défaillances sont très nombreuses: elles obéissent à des influences causales extrêmement complexes, affectent dans leur développement un mode de succession difficile à préciser et se traduisent par des phénomènes qui révèlent une décevante faiblesse.
Rassurez-vous : je ne les décrirai pas toutes. Je puis me contenter de vous signaler les moins désagréables. Ce sont précisément celles qui. par une coïncidence fortuite favorable à ma thèse ont avec la graphologie des relations intimes et mystérieuses. Ou les rencontre à peu près toutes dans les maladies auxquelles j'ai attribué le nom de pseudopsychose. Pour motiver le choix de ce néologisme, permettez-moi de faire une courte digression que je vais essayer de rendre suffisamment claire.
Vous devez savoir qu'on entend par psychose un ensemble plus ou moins complet des symptômes qui constituent l'aliénation mentale. La véritable psychose, qu'elle soit d'origine organique ou purement constitutionnelle, fait son évolution dans un cercle, et pour me servir d'un vocable plus approprié, dans un cycle nettement tracé où l'on ne rencontre que des fous.
Tout à côté d'elle il convient de placer un état morbide constitué par les diverses perturbations dont sont affectés ces intéressants malades que le professeur Grasset considère comme des demi-fous. Le grand romancier P. Bourget qui est un moraliste impeccable doublé d'un cli-
nicien consommé désigne cet état morbide par le mot de demi-psychose .
Les malades du premier groupe sont complètement fous ; ceux du second ne sont fous qu'à moitié. A ces deux groupes j'en dois ajouter un troisième dans lequel figurent beaucoup de névropathes qui, sans franchir les frontières de la folie, offrent les signes non équivoques d'un grand déraillement du système nerveux. On peut donner à la maladie de ces déséquilibrés qui sont presque des fous le nom de pseudo-psychose lorsque les défaillances dont ils sont victimes n'affligent que leur mentalité. On les déclare atteints de psycho-névrose quand les troubles de l'esprit sont intimement associés aux nombreux désordres corporels qui forment l'escorte habituelle de la plupart des névroses. Toutefois, laissez-moi vous dire, pour unifier ma description, que je donne volontiers à toutes ces manifestations pathologiques, jugées avec raison comme de véritables défaillances, le nom de pseudo-psychose.
Après vous avoir imposé cet aperçu que j'aurais souhaité rendre moins aride, je me hâte de vous indiquer en quoi consistent ces défaillances. Elles se traduisent, en général, par des perturbations physiques et morales qui dérèglent l'activité du cerveau, amoindrissent ou exaltent le système sensitif. compromettent la force musculaire et jettent un grand désarroi dans toutes les fonctions de l'organisme.
Ces défaillances ont le triste privilège d'altérer la franchise de nos sensations et de nos émotions en les modifiant dans leur parcours ou en les détournant de leur but. Elles obscurcissent les perceptions de notre entendement et, par ce fait, entravent la formation et l'association de nos idées, la sincérité de nos images, le classement de nos souvenirs.
Sous leur fâcheuse influence, le champ dit la conscience perd sa limpidité et semble se rétrécir, la mémoire commet des infidélités regrettables, l'attention éprouve de pénibles faiblesses, le jugement gauchit et fait de nombreux faux pas, la raison, tout en conservant sa lucidité, a des moments d'égarement, les facultés instinctives obéissent sans résistance à des inspirations incorrectes, le sens moral devient le jouet d'une perversion insolite qui facilite l'avènement d'actes inexplicables ou reprehensibles. On constate, en outre, que la volonté et ce qu'on appelle le libre arbitre subissent des assauts répétés qui, en atténuant leur maîtrise, font dévier les actions réflexes de leur voie normale et imposent au trajet qu'elles doivent parcourir une suspension momentanée et parfois un arrêt qui fait éclore dans l'esprit du patient le germe du doute, de la timidité et de l'hésitation.
Tous ces défaillants sont tantôt inertes tantôt extravagants, paraissent rebelles à tout acte de délibération et ressemblent à des automates. Us manquent de tenue, affectent souvent un air de vanité ou de fausse grandeur et trahissent presque inconsciemment des tendances fâcheuses qui les disposent à la simulation, à la dissimulation et au mutisme prémédité. Ds se plaisent volontiers à protester, par leurs paroles, leurs gestes ou leurs écrits, contre uos institutions sociales, politiques ou reli-
gieuses. contre nos mœurs familiales et aussi contre nos préjugés les plus respectés. Au milieu de toutes ces perturbations dont ils sont les premières victimes, on voit poindre les signes d'une monomanie momentanée qui frise la mythomanie, la déambulation maladive, la kleptomanie, etc., etc.
Ces malades sont toujours désorientés et n'ont sur les gens qui les entourent comme sur les choses placées dans leur ambiance que des notions incorrectes ou incertaines. Ils trouvent même dans leur propre personnalité des particularités qui les étonnent. Certains d'entr'eux croient que. dans quelques circonstances, cette personnalité se dédouble et semble se composer d'un wo/*dont ils ont conscience associé a un autre moi différent du premier, sorte de non moi subconscient auquel on donne aujourd'hui le nom de subliminal.
Chez tous les déshérités dont je viens de vous parler l'intelligence conserve ordinairement une activité convenable. Elle peut néanmoins engendrer des idées qui portent l'empreinte d'une étrange bizarrerie ou d'une fixité déconcertante, provoquer des illusions et même des hallucinations. Ces dernières semblent liées à des rêves nocturnes qui se renouvellent à l'état de veille; on leur donne le surnom d'oniriques. Quelquefois elles sont de nature autoscopique et déterminent alors des visions extraordinaires durant lesquelles le patient croit apercevoir un personnage entièrement semblable à lui. A. de Musset les a très poétiquement décrites dans ses Nuits d'octobre :
Dans un bois sur une fougère Auprès de moi je ris s'asseoir
Un jeune homme vôtu de noir
Qni me ressemblait comme un frère.
Lorsque chez ces malades les troubles de l'intelligence sont associés à ceux de la sensibilité, on voit se développer, sous l'influence de cette double aggression. des obsessions pénibles, des impulsions impérieuses et, dans quelques circonstances, des visées mystiques traversées, tantôt par les tourments du doute, par des scrupules, par des craintes chimériques ou hypocondriaques, tantôt par des angoisses plus ou moins accentuées et par des tristesses anxieuses de nature mélancolique.
Tel est l'ensemble des défaillances humaines que je devais inventorier devant vous avant de vous dire comment la graphologie pouvait servir à dévoiler leur existence. Quelques unes d'entr'elles n'accusent que des troables exclusivement psychiques ; je vous les ai déjà décrites. D'autres sont associées aux symptômes de la plupart des affections nerveuses qu'on désigne sous le nom de psycho-névroses et que je rallie à la tribu des pseudo-psychoses.
Parmi ces dernières on peut ranger le nervosisme, la neurasthénie, l'hystérie, la psychasthénie. le goïtre exophthalmique qu'on appelle parfois la maladie de Graves ou de Basedoxv, les tics mentaux, les tremblements fonctionnels, certains spasmes plus ou moins durables ressemblant à ceux qu'on observe dans la crampe des écrivains, des pianistes
et des artistes qui sont obligés d'imposer à leurs mains des manœuvres difficiles. On peut aussi placer l'hypocondrie purement nerveuse, la mélancolie de nature bénigne et enfin ces divers états nerveux mal définis, caractérisés par des stigmates spéciaux que les auteurs mo dernes considèrent comme les attributs fondamentaux de certaines formes de la dégénérescence.
Chacune de ces affections se révèle par des signes que les neurologistes savent bien distinguer et mettre aisément dans le cadre qui leur convient. Néanmoins il existe des cas dont l'expression symptomatique est très nuageuse et présente une confusion assez difficile à dissiper. Dans ces circonstances le médecin devra compléter ses investigations en faisant intervenir la graphologie. Cet appel, après avoir procuré une réelle satisfaction & sa curiosité scientifique, l'aidera à formuler son diagnostic, à bien saisir le développement d'une maladie dont il soupçonne l'invasion et lui permettra même de trouver un fil conducteur capable de laisser entrevoir à. travers les diverses phases de son apogée les heureuses oscillations de son déclin.
Après cette dissertation, un peu trop longue peut-être, mais absolument nécessaire, je puis vous entretenir des défaillances humaines qui sont incorporées dans les affections nerveuses dont je viens de faire l'énu-mération et dans l'étude desquelles la graphologie joue un rôle presque glorieux.
Je vais tout d'abord vous signaler ce qu'on appelle le nervosisme. Cet état nerveux a des caractères imprécis qui, dans cette conférence, ne méritent qu'une simple mention. Il constitue, en effet, un fonds commun, on si vous aimez mieux, un porte-greffe sur lequel se développent toutes les pseudo-psychoses et dont les traits ont des modalités si variables que les investigateurs les plus avisés peuvent à peine les dessiner.
J'aborde ensuite la neurasthénie. Au début de cette maladie on voit presque toujours apparaître des phénomènes qui révèlent une excitation pins ou moins accentuée des facultés de l'esprit et de l'activité organique. Cette exaltation maladive a la durée d'un simple feu de paille et ne tarde pas h être remplacée par l'épuisement progressif ou subit du système nerveux. Pour vous faire bien saisir cette double évolution qui intéresse à la fois le nenrologiste et le graphologue, je vais vous parler de deux malades atteints l'un et l'autre de cette neurasthénie fugitive que j'appelle une neurasthénie professionnelle. Ce choix va me fournir l'occasion d'esquisser devant vous la silhouette d'un artiste justement célèbre et celle d'un prédicateur très renommé.
L'artiste auquel je fais allusion est un virtuose hors de pair ; il a le don suprême d'enthousiasmer, par le charme et la puissance de son talent, le public d'élite qui accourt vers lui toujours avide de l'entendre et de l'admirer. H se livre corps et âme ù ses auditeurs et produit sur eux une impression intense qui parfois se transforme en une véritable frénésie. Pour obtenir des effets aussi puissants, cet artiste prodigieux est obligé de donner à ses nerfs une vibration excessive qu'on peut légiti-
mentent considérer coiuuie une image exacte de la période excitante de La neurasthénie. Naturellement surmené par cette exaltation nerveuse exagérée, il ne tarde pas a éprouver une grande lassitude et rentre chez lui accablé de fatigue, absolument meurtri par l'écho prolongé des applaudissements qu'il a provoqués. C'est alors que commence pour lui la seconde période de la neurasthénie, celle de l'épuisement.
Laissez-moi vous dire dès à présent que je possède, dans ma collection d'autographes, des lettres de cet artiste incomparable pour lequel j'ai une profonde affection. Elles sont toutes très édifiantes pour un graphologue. Les unes m'ont été adressées avant que l'agitation ait terminé ses ravages ; d'autres me sont parvenues pendant la durée de sa pénible prostration. Toutes ces lettres offrent, dans leurs transcriptions, des traits particuliers qui révèlent son état d'ftme au moment même où il les a écrites et expriment, par conséquent, les caractères de l'excitation ou de l'épuisement que je vous indiquerai tout à l'heure.
La seconde silhouette que je désire vous montrer est tout aussi intéressante que la précédente. Des raisons de convenance exigent que mou esquisse soit exécutée avec une grande réserve. Le malade que j'ai choisi pour modèle appartient a une famille respectable dans laquelle il a eu la malechance de trouver les germes d'un nervosisme qui a infligé a son existence de douloureuses épreuves. Il a fait ses études dans un collège de province où tous ses maîtres se plaisaient à admirer l'élégante limpidité de son style et la magnificence de son langage. Lorsqu'il les quitta quelques-uns d'entr'eux lui prédirent qu'il serait un écrivain séduisant et un orateur remarquable. Cette prophétie s'est complètement réalisée.
Désirant utiliser les qualités personnelles dont sa nature était douée il se détermina à exercer la profession d'avocat. Dès les débuts il eut de grands succès dont l'éclat fut interrompu par une pénible aventure qui jeta une perturbation profonde dans son esprit et dans son cœur. Bouleversé par cette seconsse inattendue, il prit courageusement le parti de rompre ses relations mondaines, d'abandonner sa carrière si brillamment commencée et se réfugia dans un cloître. Là il étudia avec passion tous les ouvrages sacrés, concentrant ses méditations sur la Bible, les saints évangiles, sur la Somme de saint Thomas d'Aquin. les confessions de saint Augustin et sur les admirables oraisons de Bossuet.
Soutenu à la fois par sa grande culture intellectuelle et par de nombreuses recherches savamment coordonnées, il devint en quelques années un remarquable prédicateur.
L'évêque de son diocèse qui avait souvent apprécié son éloquence et qui lui témoignait une affectueuse sympathie le chargea de prêcher plusieurs missions de l'Avent dans une de ses principales églises.
II fut, a tous égards, digne de ce choix et parvint bientôt à conquérir une glorieuse réputation. Ses sermons eurent un grand retentissement, et, l'on vit se grouper autour de sa chaire une foule immense littéralement subjuguée par les magnifiques élans de sa brillante parole. Parmi les auditeurs les plus assidus on pouvait distinguer des gens du monde
de tout rang, des personnages illustres, des orateurs de liaut renom dont l'un d'eux n'hésita pas à déclarer que ce moine était le véritable émule du père Laeordaire.
Eh bien, je puis vous affirmer que cet admirable prédicateur ne parvenait à séduire son auditoire qu'en imprimant a son cerveau une excitation extraordinaire exactement analogue a celle qui constitue la première scène de la neurasthénie. Cette excitation violente ne tardait pas à être remplacée, lorsqu'il rentrait dans sa cellule, par un épuisement nerveux qui représentait fidèlement la seconde phase de la neurasthénie.
Les efforts surhumains qu'il était obligé de faire pour justifier le rayonnement de sa célébrité, troublèrent l'équilibre de son système nerveux, affaiblirent sa volonté, compromirent sa sécurité morale et finalement préparèrent l'éclosion de nombreux accidents neurasthéniques.
C'est alors que je le vis pour la première fois. Il m'adressait souvent de longues lettres toutes imprégnées d'une grande tristesse a travers laquelle il était aisé de surprendre les accents d'un sombre pressentiment. En les relisant, j'ai pu, grâce à l'intervention de graphologues autorisés, constater dans son écriture les indices de quelques défaillances escortées tour à tour d'une grande agitation ou d'un profond épuisement.
Son évêque, croyant être la cause indirecte de cette détresse, se rendit auprès du malade pour lui apportor ses consolations. Il l'engagea, afin de favoriser la reconstitution de sa santé sérieusement atteinte et l'apaisement de ses nerfs irrités,à, observer dès cejour,une rigoureuse retraite. Il ajouta, en donnant a ses paroles nn ton sévère, que cet éloignement provisoire aurait certainement le pouvoir d'éteindre dans son finie des tendances qui lui semblaient contraires à l'orthodoxie catholique et dont la persistance aurait le funeste effet de développer en lui la blâmable habitude de parler en chaire comme un laïque. Cette étrange consultation impressionna vivement le frère prêcheur, et. son esprit accablé par des remontrances inattendues, se laissa aussitôt envahir par les tourments d'une désespérante inquiétude
Une nuit, il eut un rêve extraordinaire dans lequel lui apparût un ange consolateur venant affectueusement l'inviter à quitter sa demeure monacale pour vivre désormais dans un asile moins austère. Séduit par cette vision qu'il crût d'origine céleste il se décida à choisir uu monastère soumis à une bienveillante discipline. Ce fut pour lui une sorte de tour d'ivoire où. a l'abri de tout souci, il lui fut possible de contempler librement les splendeurs de la nature et de glorifier la majesté de son Dieu.
Cette translation soudaine dissipa ses afflictions passées ; ses nerfs se calmèrent, sa santé s'améliora ; et. après une longue accalmie, il pût reprendre le cours de ses prédications accidentellement interrompues.
Je l'ai vu souvent durant ses tristes épreuves, et, il ma été facile, en lisant les nombreuses lettres qu'il m'a écrites dans les diverses phases de son mal. de constater les signes graphologiques qui peuvent, selon Mlle de Salberg. être justement attribués a la neurasthénie.
C'est le moment de vous indiquer quelques-uns de ces signes.
Quand le malade se trouve dans la phase de l'excitation son écriture paraît toujours incorrecte. Les lignes sont vivement accentuées et exécutent ordinairement une ascension qui. sans ressemblera celle qu'on observe chez les ambitieux, dénote que sa pensée obéit à un souffle intérieur. Les lettres sont inégales, tantôt dextrogyres, tantôt sînistro-gyres et tour à tour invisibles ou démesurées. Les barres se montrent indociles à toutes les règles connues et se trouvent placées sans raison en dehors des lettres auxquelles elles doivent être rivées. Ce défaut est assez saillant dans les noms propres et dans la signature du scripteur.
Quand le malade est dans la période de dépression il a une tendance à laisser baver sa plume sur le papier. Son écriture est grêle, inconsistante et parfois lourde ou empâtée ; les mots sont mal formés, les lettres offrent un lamentable aspect de débilité. Les barres, les déliés, les jambages, surtout dans les majuscules, sont maladroitement dessinés. Les lignes n'ont jamais de précision dans leur parcours et opèrent parfois une descente très rapide. Peu de ponctuation, peu de liens entre les lettres et les mots, des taches inexplicables, une accentuation désordonnée.
Vous trouverez dans l'excellent livre de M1"* de Salberg beaucoup d'autres signes qui. si vous savez lire, comme elle, sur les lignes et entre les lignes, vous permettront de découvrir les traces d'excitation et d'épuisement du système nerveux imprimées sur l'écriture des neurasthéniques affligés de défaillances.
(A suivre.)
Le sophisme de la « suggestion à l'état de veille »
par M. le Dr Bêrillox, professeur k l'Ecole de psychologie
II. — Les états hypxoïdes pathologiques
{Suite)
Dans tous les temps on a observé, sous le nom d'états seconds, d'altérations de la personnalité, des cas dans lesquels des individus donnaient l'impression de changements périodiques si marqués dans leur mentalité qu'on peut les considérer comme ayant présenté dans leur vie deux ou plusieurs existences psychologiques différentes.
Plusieurs de ces cas sont demeurés célèbres. Ils ont fait l'objet de monographies dont l'analyse complète ne peut trouver place dans l'étude que je poursuis aujourd'hui.
Je me bornerai à dire que les observations d'Azani, de Macnisch, de Camuset, de Jules Voisin, de Bourru et Burot. de Dnfay. etc.. portaient sur des sujets qui présentaient spontanément, et au plus haut degré des dispositions à réaliser des états hypnoïdes très nettement caractérisés.
Je n'entreprendrai pas non plus de refaire ici l'histoire des somnam -bulismes et des noctambulismes. Dans ces états, de même que dans les
états seconds, le sommeil partiel d'une partie des activités cérébrales se compense par un développement de certaines facultés. Mais contrairement ace qui se passe dans le rêve, le sujet a conservé le pouvoir de passer a la réalisation active de ses intentions et de ses idées. Il demeure capable d'agir et ce n'est pas un spectacle dépourvu d'intérêt que de voir un individu endormi accomplir avec dextérité des actions difficiles ou périlleuses, pour l'exécution desquelles un sujet éveillé se montrerait fort embarrassé.
Les actes réalisés par les somnambules et tes noctambules se rattachent h des impressions internes ou externes d'où résulte l'accomplissement de leurs impulsions en quelque sorte irrésistibles. Ils se comportent donc comme de véritables hypnotisés et des faits frappants, sur lesquels je me propose de revenir, démontrent bien que les somnambulismes naturels et les noctambulismes sont des états hypnoïdes. car l'hypersuggestibilité en reste, avec l'automatisme, un des caractères principaux.
* •
Le plus grand nombre des auteur:- qui ont abordé l'étude des névroses traumatiques ont abouti à la conclusion que chez les traumatisés les troubles psychiques observés ne sort nullement en rapport avec l'intensité et la gravité du choc.
Charcot. considérait l'émotion morale comme le principal agent provocateur des névroses traumatiques. Son élève Berbez a traduit sa pensée en disant : » Les émotions morales ont dans l'espèce une importance capitale. Toujours, ou presque toujours, le choc traumatique a été précédé d'une phase d'émotion plus ou moins violente, d'une durée plus ou moins longue (1) ». Or, ce qui n'a été signalé par aucun auteur, c'est la conséquence immédiate de l'émotion qui a été d'inhiber à un tel point les fonctions mentales supérieures qu'il en est résulté l'apparition d'un véritable état hypnoïde. Devenu de ce fait hypersuggestible. le traumatisé devient la victime des influences ambiantes, toujours portées à le pousser dans le sens de l'inactivité, de la veulerie et de la dépression.
Aussi bien dans le milieu social que dans le milieu familial, les tendances générales se traduisent par de la sensiblerie, du pessimisme et au découragement. Pour une exhortation de réconfort faite par un esprit bienveillant et énergique, le sujet en reçoit vingt qui, malgré d'excellentes intentions apparentes, n'aboutissent qu'à accentuer son manque de confiance en lui-même et son défaut de réaction personnelle.
La loi sur les accidents du travail a eu, entre autres effets inattendus, celui d'aboutir à la démoralisation d'un certain nombre de traumatisés. La sinistrose que le professeur Brissaud a défini : « une idée fixe que tout accident survenu au cours du travail constitue un dommage comportant réparation » est bien l'expression d'un état mental fréquent chez les traumatisés. Il est certain que le législateur ne pouvait prévoir que, par
(1) Berrez : Hystérie et traumatisme : Thèse de Paris 1887.
le seul fait du choc résultant d'un accident, des sujets prédisposés pouvaient se trouver placés dans un état hynoïde les livrant sans contrôle à l'influence des suggestions pernicieuses d'un entourage mal renseigné ou mal intentionné.
*
Dans certains milieux spéciaux on désigne sous le nom de médiums, les sujets dont l'intervention est nécessaire pour l'apparition des phénomènes dits psychiques.
C'est par l'intermédiaire de ces médiums qu'il deviendrait possible de réaliser ces faits surprenants que l'on désigne sous les noms divers de lévitation, d'évocation des esprits, d'apparition de fantômes, de mouvements d'objets sans contact, de transmission de pensées, d'hallucinations télépatbiques. de maisons hantées, etc...
Pour chacun de ces ordres de faits, il est nécessaire de recourir à des médiums spécialistes. A .Main Kardec, le grand apôtre du spiritisme, s'est étendu dans un de ses livres.sur les nombreuses variétés d'aptitudes que peuvent présenter les médiums (1 ). Il y expose également les procédés par lesquels non seulement on arrive à révéler ces aptitudes, mais k les développer. Il est vrai que les bons médiums, de mémo que les fort ténors sont plutôt rares. La médiumnité est, parait-il, un don naturel et c'est en vain qu'on voudrait en provoquer l'apparition che2 un individu qui n'aurait pas, pour cet emploi, des dispositions innées.
« Si malgré toutes les tentatives, écrit Allain Kardec. la médiumnité ne se révélait d'aucune façon, il faudrait y renoncer, comme on renonce à chanter quand on n'a pas de voix ». Il ajoute qu'une fois la faculté de médiumnité révélée, il est essentiel de n'en pas faire abus. Les moindres des inconvénients dont ils pourraient être victimes seraient d'après Allain Kardec d'être soumis k Yobsession. à la fascination, et k la subjuga-tion. Dans ces trois cas le médium se trouve placé sous la domination des mauvais esprits qui le soumettent aux vexations les plus pénibles. Dans l'état de subjugation l'influence pernicieuse des mauvais esprits peut aller jusqu'à provoquer, chez les médiums, la complète aberration des facultés.
Les craintes d'Allain Kardec concernant les abus de la médiumnité sont justifiées, car déjà de nombreux cas d'aliénation mentale consécutifs à des séances de spiritisme ont été publiées (2). Deux des observations les plus remarquables de ces cas de folie survenue après des pratiques de spiritisme ont été recueillis par 31. Gilbert-Ballet :
La médiumnité se rattache à l'état pathologique par de nombreux caractères et il est facile de retrouver chez les médiums entraînés toutes les particularités des formes mentales de l'hystérie. Les médiums, de
(1) Allais Kardec : Le Livre des Médiums, p. 195.
12) GiILBERT-Ballet et DHEUR : Sur un cas de délire de médiumnité. Annales médîco-psycholgiques, 1903. T. XVIII, p. 264.
Gilbert-Ballet et MosiEtc Vicaht : Délire hallucinatoire avec idées de persécution, consécutifs a des phénomènes de médiumnité. (Revue Nenroloqique, 1904 ; p. 304 et 447
même que les hystériques, présentent les plus grandes aptitudes & l'hypnotisât ion. Il n'est pas rare d'en rencontrer qui dans le cours des séances tombent spontanément dans des états de sommeil provoqué. Dans son livre sur VOccultisme d'hier et aujourd'hui, le professeur Grasset raconte le fait suivant : (1)
« Un médium évoque l'Ame de Napoléon, écrit des messages sous sa dictée. Tout d'un coup, le médium qui parlait librement pendant que sa main écrivait, s'arrête brusquement; la figure pale, les yeux fixes, il se redresse, croise les mains sur sa poitrine, prend une expression hautaine et méditative et se promène autour de la salle dans l'attitude traditionnelle que la légende prête à l'empereur >. Puis il tombe dans un sommeil profond. Le médium était devenu Napoléon, c'est-à-dire était passé de son état de médium à un de ces états de somnambulisme avec transformation de la personnalité qu'on connaît et décrit si bien, depuis Charles Richet, dans le somnambulisme provoqué.
Pierre Janet a très nettement exposé les analogies qui rapprochent la ¦ trance » des médiums, des crises.de somnambulisme spontané. (2)
Quand des spirites se rangent autour d'nne table, ils ne se doutent pas qu'ils se disposent à réaliser une véritable expérience d'hypnotisme collectif. En effet, sous l'influence de l'immobilité, de l'expectant attention et surtout de l'entraînement exercé par le médium, sujet prédisposé, chacun d'eux glisse plus on moins, selon sa disposition naturelle, sur la pente de l'hypnose. Tandis que les uns arriveront à des états d'automatisme et d'inconscience très accentués, les autres ne franchiront pas l'état intermédiaire entre la veille et le sommeil qui constitue l'état hypnoïde. Par ce fait, ils présenteront tous, bien qu'à des degrés différents, de l'hypersuggestibilité qui les livrera sans résistance à l'influence du milieu ambiant
Dans la pratique, ces séances de spiritisme au cours desquelles les états d'hypnose apparaissent fortuitement, ne présenteraient que de minimes inconvénients si les spirites se rendaient un compte exact du rêle joué par l'hypnotisme dans leurs expériences. A la fin de chaque séance, il suffirait qu'un des expérimentateurs eot la mission de deshypnotiser les autres assistants et les médiums. Ce résultat serait facilement obtenu par la projection d'un peu d'air frais sur le visage. Par cette simple action, ceux qui s'adonnent à la pratique du spiritisme seraient moins exposés à demeurer dans des états hypnoïdes dont la persistance ne peut qu'exercer une action défavorable pour l'équilibre des facultés intellectuelles. C'est assurément à l'omission de précautions de cet ordre qu'il faut attribuer la plupart des troubles névropathiques qu'on observe si fréquemment chez les médiums. Charcot, dans ses leçons sur les maladies du système nerveux, a consacré un chapitre à l'influence du spiritisme sur l'apparition de l'hystérie. Il y relate en particulier le cas
(1) Grasset ; L'occultisme hier et aujourd'hui, p. 178.
(2) Pierre Janet : L'automatisme psychologique, Paris, 1389, p. 494.
-de trois adolescents, excellents médiums, chez lesquels des accidents nerveux très graves avaient eu leur origine dans les émotions inséparables de l'évocation des esprits. (1)
Pour le professeur Grasset les rapports entre la médiumnité et les accidents nerveux sont incontestables. • On peut dire, écrit-il, que les médiums appartiennent à la famille nécropathiqae et, pour mieux préciser, que la transe du médium et de l'automatisme verbal, graphique ou gesticulant, comme le somnambulisme, est de l'automatisme ambulatoire. »
Cela revient à dire que les états de médiumnité offrent la plus grande analogie avec les états d'hypnotisme, avec la différence essentielle que. tandis que l'hypnotisme provoqué par les médecins dans un but thérapeutique est un phénomène dirigé, avec sagacité, vers un but utile, l'hypnotisme survenant au cours des séances d'occultisme a tous les inconvénients d'un événement fortuit, résultat d'actions aveuglément mises en œuvre.
* *
Dans son livre classique du Sommeil et des Rêves Alfred Mauhy, sous le titre : Des hallucinations hgpnagogiques, consacre un chapitre à l'étude de certains phénomènes hallucinatoires qui, chez certains sujets, accompagnent soit l'entrée dans le sommeil, soit le moment du réveil. »
« Ces images, ces sensations fantastiques se produisent, dit-il, au moment où le sommeil nous gagne, ou quand nous ne sommes encore qu'imparfaitement éveillés. lis constituent un genre à part d'hallucination auquel convient l'épithète d'hypnagogiques. dérivée des deux mots grecs u-voi sommeil, et tci^v^ qui amène, conducteur, dont la réunion indique le moment où l'hallucination se manifeste d'ordinaire. >
Alfred Maury ne fait aucune difficulté à reconnaître que ces visions hypnagogiques se rattachent à des troubles pathologiques. Il a pu constater que toutes les personnes qui les ont éprouvés comme lui, sont fort sujettes au maux de tète, tandis qu'on ne les observe jamais chez les personnes douées d'une bonne santé habituelle. L'interprétation qu'il donne de ces phénomènes mérite d'être reproduite. Elle peut aidera comprendre le mécanisme par lequel se trouvent réalisés certains états hypnoïdes.
« L'hallucination hypnagogique est un indice que, durant le sommeil qui se prépare, l'activité sensorielle et cérébrale ne sera que légèrement affaiblie. En effet, quand ces hallucinations débutent, l'esprit a cessé d'être attentif ; il ne poursuit plus l'ordre logique et volontaire de ses pensées, de ses réflexions ; il abandonne à elle-même son imagination, et devient le témoin passif des créations que celle-ci fait naître et disparaître incessamment. Cette condition de non-attention, de non-tension intellectuelle, est dans le principe nécessaire pour la production du phé-
(1) Charcot : I-econs sur les maladies dn système nerveux. T. in, p. 226. (2) Grasset : L'occultisme hier et aujourd'hui, p. 177.
no mène ; et elle explique, à notre avis, comment celui-ci est un prodrome du sommeil. Car, pour que nous puissions nous y livrer, il faut que l'intelligence se retire en quelque sorte, qu'elle détende ses ressorts et se place dans un demi-état de torpeur. Or, le commencement de cet état est précisément celui qui est nécessaire pour l'apparition des hallucination-. Le retrait de l'attention peut être l'effet soit de la fatigue des organes de la pensée, de leur défaut d'habitude d'agir et de fonctionner longtemps, soit de la fatigue des sens qui s'émoussent momentanément, n'apportent plus les sensations au cerveau, et dès lors, ne fournissent plus à l'esprit d'éléments, de sujets d'activité. C'est de la première de ces causes que résulte le sommeil auquel nous a conduit la rêvasserie qui l'a précédé. L'esprit, en cessant d'être attentif, a graduellement amené le sommeil. Telle est la raison pour laquelle certaines personnes d'un esprit peu fait à la méditation ou à l'attention purement mentale, s'endorment sitôt qu'elles veulent méditer ou seulement lire.
Voilà pourquoi un discours, un livre ennuyeux provoquent à dormir. L'attention n'étant plus suffisamment excitée par l'orateur ou l'intérêt du livre, elle se retire, et le sommeil ne tarde pas à s'emparer de nous. ».....•.................-
« Bans cet état de non-attention, les sens ne sont point encore assoupis: l'oreille entend, les membres sentent ce qui est en contact avec eux, l'odorat perçoit les odeurs ; mais cependant leur aptitude à transmettre la sensation n'est plus aussi vive, aussi nette que dans l'état de veille. Quant à l'esprit, il cesse d'avoir une conscience claire du moi, il est en quelque sorte passif, il est tout entier dans les objets qui le frappent ; il perçoit, voit, entend. Il y a là nn machinisme mental d'une nature fort particulière, et en tout semblable à celui de la rêvasserie. Mais, dès que l'esprit revient à lui, dès que l'attention se rétablit, la conscience reprend ses droits. On peut donc dire avec raison que, dans l'état intermédiaire entre la veille et le sommeil, l'esprit est le jouet des images évoquées par l'imagination, que celles-ci le remplissent tout entier le mènent où elles vont, le ravissent comme au dehors de lui, sans lui permettre dans le moment de réfléchir sur ce qu'il fait, quoique ensuite, rappelé à soi, il puisse parfaitement se souvenir de ce qu'il a éprouvé, qu'il soit en état de le décrire. »
De la description même qu'Alfred Maury nous donne des hallucinations hypnagogiques résulte la démonstration qu'elles ne se réalisent qu'autant que le sujet présente une certaine disposition à demeurer plus longtemps que cela n'arrive d'ordinaire, dans l'état intermédiaire entre la veille et le sommeil. Celui qui les présente se comporte, en somme, comme nn sujet hypnotisé. Mais, tandis que dans l'expérience d'hypnotisme les réactions que présente le sujet ont leur point de départ dans des suggestions de l'expérimentateur, dans les hallucinations hypnagogiques elles dépendent uniquement des flutuactions de son imagination,, de ses souvenirs les plus récents ou de ses sensations.
UN CAS DE MORPHINOMANIE DATANT DE SIX ANS ET COMPLIQUÉ D'ALBUMINURIE 279
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance «la mardi 18 Janvier 1910. — Présidence de M. le D' Marcellln Cazaux
La séance est ouverte à cinq heures.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
La correspondance comprend des lettres de MSI. Jutes Voisin. Paul Magnin, Moret. Demonchy.
Les communications portées à> l'ordre du jour sont faites dans l'ordre suivant :
Io D' Jennings : Cne observation de morphinisation d'habitude : Discussion Dr Bérillon. M. Lionel Dauriac . Dr Raffegean.
2°Dr Douglas Bbyan (de Leicester) : Rôle de la suggestion dans la vie sexuelle des femmes.
3° Dr Pewnizky : Les phobies apparentes envisagées comme des représentations d'appréhensions subconscientes.
4° Dr Bérillon : La fascination auditive : Emploi des diapasons dans la production de l'hypnotisme.
31. le Président met aux voix les candidatures de M. le D' Marcel Thiry (de Jumet), M. Taleb Abdesselem. avocat. d'Orléansville.
La séance est levée à six heures et demie.
Uncasdemorphinomaniedatantdesixans et compliqué d'albuminurie guéri en douze jours sans contrainte ni souffrance.
Par M. le docteur Oscar Jesntngs (du Vesinet).
Je suis inscrit à l'ordre du jour de votre Société depuis plusieurs mois, pour une communication à vous faire sur le traitement psycho-physiologique des morphinisés d'habitude.
Je me proposais de vous développer ma manière de voir sur ce traitement dans lequel l'efficacité de l'ensemble des moyens employés dépend entièrement, selon moi. de l'état mental du malade, ce qui à son tour dépend de l'atmosphère psychique, de l'état d'esprit du milieu, ou, si l'on veut, du désir de guérir.
Ce désir chez les morphinisés. peut être inspiré, non par une croyance aveugle qui peut servir dans d'autres cas, mais par la conviction raison-née du malade qu'il peut et doit guérir. A cette fin. il est bon de le mettre en relation, avant de commencer le sevrage, avec d'anciens morphinomanes qui ont guéri et dont les exemples lui inspireront confiance en lui prouvant qu'il n'est pas nécessaire d'endurer les tortures physiques et morales, infligées par les partisans de la soi-disant méthode rapide. Cette démonstration lui donnera la certitude du succès éventuel.
Au point de vue psychologique, la méthode que je préconise pour les morphinisés d'habitude peut être considérée comme de la psychothérapie par persuasion ; mais chez les vrais morphinomanes, qui opposent des résistances de névropathie ou d'irritabilités, l'hypnotisme classique, avec ses procédés ordinaires, devient un adjuvant précieux. Il me semble
évident que plus on s'appliquera à rééduquer la volonté défaillante et plus on fera collaborer le malade à sa propre rééducation, mieux cela vaudra pour l'avenir.
J'ai cru préférable de vous apporter un véritable document, un fait vécu qui démontre que le soi-disant morphinomane peut ôtre guidé at mené par la sympathie et la douceur, là où il ne consentirait pas h se laisser contraindre ; et que lorsque le médecin est en rapport psychique avec son malade, il obtiendra des résultats supérieurs à ceux qu'on obtient avec la méthode de contrainte.
De malade dont je rapporte succintement l'observation, est connu du Dr Bérillon. qui l'a vu avec moi au moment où il commença le traitement De Dr "Warden, médecin de l'hôpital Anglais, Ta vu également avant et après son sevrage ; et les docteurs Raffegeau et Mignon l'ont suivi, et ont collaboré au traitement, en administrant des douches et bains de lumière. Ces derniers ont été du reste tellement frappés des résultats si satisfaisants obtenus par cette méthode, qu'ils se proposent de l'appliquer dorénavant dans leur établissement.
Cette méthode, toute graduelle qu'elle puisse être, est néanmoins plus expéditive que celle dite rapide, puique le malade (qui en cette circonstance a été sevré en douze jours), en sort définitivement guéri et n'a pas à craindre les rechutes éliminatoires si souvent constatées dans l'autre méthode, et qui, de l'aveu même de ceux qui l'appliquent, exposent a une récidive certaine, si le malade n'est pas soumis à une surveillance constante.
Observation. — Le Dr S. (car nos malades sont toujours des médecins) Age de 33 ans. prenait de la morphine d'une façon continue depuis six ans. Tout d'abord pour une névralgie dentaire, ensuite pendant la convalescence d'une fièvre maligne. Directeur du Service Sanitaire d'une colonie Africaine Anglaise, il avait trouvé dans la morphine, comme bien d'autres, la clef des paradis artificiels. Dans un poste où la vie était d'une monotonie désespérante, la morphine disait-il le rendait si heureux. Il y a trois ans. premier essai de renonciation a l'aide de la cocaine, mais des hallucinations visuelles auditives et de la sensibilité générale survinrent. Il entendit les voix des personnes qui semblaient le guetter, et il y avait de la zoopsie. Se rendant compte qu'il tombait de Charybde en Scylla, que ses subordonnés et ses supérieurs commençaient à le soupçonner, il parvint à se ressaisir.
Au moment où il vint me consulter, la dose journalière n'était pas très élevée. Elle était de vingt centigrammes, mais ceci est un détail, car ranciennetédel'habitudeabienplusd'importance que la dose du toxique. Le point noir était la présence de trois ou quatre grammes d'albumine par litre d'urine, avec bouffissure caractéristique de la face, enflure des jambes et des pieds, et pituite tous les matins.
Le malade était un amateur forcené de la cigarette, et sans être alcoolique, ne se privait ni de bière ni de whisky. Je lui fis comprendre que le résultat dépendait entièrement de sa docilité à se laisser diriger
et de son obéissance absolue à toutes mes prescriptions. Avant de consentir à m'en occuper, je lui exposai le régime qu'il aurait à suivre, et il s'engagea à. m'obéir ponctuellement.
J'ai si souvent exposé ma manière de traiter ces malados, qu'il est inutile d'y revenir longuement ici. La méthode a été décrite du reste, dans des articles que j'ai publiés au mois de septembre dans le « Journal des Practictcns ». et plus récemment dans la « Médecine Moderne ». Dès le premier jour, le tabac a été supprimé entièrement, de même que les boissons alcoolisées. Le malade a été soumis au régime végétarien avec œufs et laitage ; comme boisson eau de Vichy (Célestins) et eau de Saint-Xectaire. Dès le lendemain la pituit avait cessé, l'enflure des jambes et de la face disparut au bout de quelques jours, et l'albumine descendait à moins d'un gramme. Le malade reconnaissait qu'il n'avait jamais mieux dormi que pendant le cours du sevrage. La morphine réduite journellement, a toujours été donnée dans un volume constant de véhicule, ce qui est très important Comme médicaments surtout des toniques du cœur, spartéine, digalène. strychnine, coca. Le haschich et l'hyoscine essayés expérimentalement, comme hypnotique vers la fin du sevrage ont été remplacés ensuite par le trionalqu'il prenait en se couchant. Le malade sor-tait chaque jour, faisant de longues promenades soit à pied soit à cheval ou en bicyclette. Dans la maison, il passait son temps à chanter, à jouer au bridge ou au billard. Contrairement à ce qni se passe généralemeut, le malade ne tenait pas à se droguer. Il se contentait an contraire du minimum nécessaire des différents médicaments qu'il avait à prendre. Quand il avait des inquiétudes il préférait une sortie en bicyclette a. toute autre moyen de soulagement. J'ajouterai qu'il n'a jamais eu de malaises qui ne fussent pas entièrement soulagés par les douches ou les bains de lumière administrés h l'établissement du Dr Raffegeau, et après un de ces bains, il se demandait même si les sensations dont il s'était plaint n'étaient pas dues, en grande partie, à l'imagination. Cette reflexion prouve combien peu ces malaises l'importunaient. Le Dr X. se levait tous les matins à sept heures, prenait part à nos repas de famille, et sauf deux fois, lorsqu'il se trouva fatigué par une trop longue promenade, il se •couchait aux heures normales.
Le dernier jour du sevrage, lorsque je luidonnai sa ration finale, il me dit très sérieusement, que ce n'était pas la peine de la prendre, et ce ne fut que sur mes instances, qu'il finit par s'en servir.
Après le sevrage, mon ex-malade est resté volontairement un mois en observation, et sauf la persistance d'une qnantité moindre d'albumine, il était revenu à un parfait état de santé. Après une visite en Angleterre il est revenu et est resté mon hôte pendant une dizaine de jours, se prêtant néanmoins, de la meilleure volonté, à toutes mes investigations. LeDr.X. est parti pour rejoindre son poste, il y a trois mois environ. Les nouvelles que j'ai reçu depuis ont toujours été des plus satisfaisantes.
On pourrait objecter que le malade dont il s'agit n'était pas un vrai morphinomane et qu'il s'agissait dans ce cas d'un tributaire de la mor-
phine. Mais c'est là précisément le point sur lequel j'ai voulu attirer l'attention de la société. Les morphinomanes sont presque tous persuadés que leur cas est d'une gravité exceptionelle : ils sont persuadés que la guérison est impossible. Mais dès qu'on leur a fait comprendre le véritable état de choses, leur mentalité se modifie entièrement. Ces malades qui étaient entièrement obsédés par l'idée fixe de l'incurabilité, sont désormais convaincus que la libération est non seulement possible mais proche.
A partir de ce moment, ils se trouvent dans le cas du malade dont je viens de vous relater le traitement et la gnérison.
Discussion.
Dr Bébillos. — De tons les médecins qui se sont livrés à l'étude de la i11 -11 phinomanie, le Dr Jennings est assurément celui dont le6 travaux ont le plus d'autorité. Je ne crois pas qu'il puisse venir à quelqu'un l'idée de discuter sa compétence hors de pair sur une des questions qui se rattachent aux intoxications par les narcotiques.
Collaborateur du Dr Bail à l'asile de Ste-Anne il y a de cela plus de vingt-cinq aus, il a le premier apporté à ses recherches le contrôle de la méthode graphique. Ses observations ont mis en lumière les réactions présentées par le cœur dans le cours des suppressions de la morphine.
Son expérience basée sur l'étude des cas les plu6 variés et les plus compliqués l'a amené, non seulement à formuler les préceptes les plus judicieux, mais aussi h réaliser les conditions d'une méthode de dénior-phinisation exempte de souffrances.
Ce que je sais de la question de la morphinomanie. je le dois à son enseignement si précis. Le Dr Jennings, à rencontre de tant d'autres qui ne parlent jamais des procédés auxquels ils ont recours sans les entourer d'un certain mystère, expose ses méthodes sans réticence. Mais malgré leur facilité apparente, elles n'en restent pas moins d'une application délicate, et je ne crois pas qu'au point de vue technique, personne ait jamais égalé son tact et sa dextérité.
Si je préconise l'emploi de l'hypnotisme dans le traitement de la morphinomanie, c'est simplement par ce que je me place au point de vue de la rééducation du caractère et de la volonté. Il n'est pas de morphinomane qui ne soit devenu un aboulique. L'hypnotisme constitue un des meilleurs moyens de reconstituer promptement le self contrôle et les pouvoirs d'arrêt. A ce titre, son intervention est légitime avant la suppression : elle l'est encore plus dans la période de convalescence.
Dr Raffegeac. — Je suis heureux de pouvoir également apporter mon témoignage en faveur de la méthode du Dr Jennings. Ce qui détourne beaucoup de morphinomanes de l'idée de se soustraire au dangereux poison dont ils sont devenus les esclaves, c'est la crainte des souffrances qu'ils croient inhérentes à toute tentative de sevrage, et dont on leur a fait un récit plus ou inoins impressionnant. Ces souffrances du reste ne sont que trop réelles ; et c'est pour les atténuer qne nous avions adopté jusqu'ici au Vesinet, à la place de la méthode rapide, la méthode gra-
duelle, qui nous permettait d'arriver à la suppression totale en huit ou dix jours : mats nous étions obligés de cacher au patient la dose quotidiennement employée, et par conséquent de faire abstraction de sa volonté.
Or, bien supérieur nous parait aujourd'hui le procédé du Dr Jennings, dont nous avons été à même, le Dr Mignon et moi, d'apprécier les bienfaits déjà plusieurs fois. En effet, lorsqu'un morphinomane s'adresse à notre confrère, il lui tient à peu près ce langage : « nous allons commencer votre traitement, mais ne vous tourmentez pas au sujet des doses de morphine que je vais vous injecter, je vous en donnerai autant que vous voudrez. Voici les moyens que nous allons employer pour vous aider à supporter la diminution du médicament. Ils sont par eux mêmes très efficaces, mais je compte surtout sur votre bonne volonté ». Et le traitement commence. Le malade nullement inquiet au sujet des malaises qu'entraîne la privation de morphine continue à peu près à mener sa vie habituelle. Au lieu d'être enfermé dans un appartement, sous la surveillance étroite d'un infirmier, il sort et se promène à son gré, à pied, à bicyclette ou en voiture. Au Heu de manger seul, il prend ses repas en commun, fait ensuite une partie de cartes ou de billard, et se distrait en un mot comme à son ordinaire. Peu à peu les doses diminuent avec son consentement ; s'il survient quelque dépression, la douche chande précédée quelquefois d'un bain de lumière est là pour le remonter, et en huit ou dix jours, deux semaines au plus, le sevrage est terminé, sans qu'il y ait jamais eu la moindre souffrance.
Je ne puis donc que répéter ce que je disais tout-à-l'heure, c'est que le procédé du Dr Jennings l'emporte de beaucoup sur tous les autres. J'ai suivi le confrère Anglais, dont vous venez d'entendre l'observation pendant tout le cours de son traitement, et j'ai été frappé de sa bonne humeur constante. La santé physique loin d'être atteinte par le sevrage n'a fait qne s'améliorer et il a quitté Le Vésinet tout-à-fait dispos. Le fait d'être démorphinisé sans souffrance est déjà un graud point, mais ce n'est pas le seul profit de la méthode Jeunlugs. Ici la suppression ne se fait pas à l'insu du malade. Le médciu, au contraire, lui demande d'associer continuellement ses efforts aux siens, et par là même il rééduque sa volonté et le rend d'autant plus capable de résister dans l'avenir, à l'envie de recourir de nouveau à la morphine. Le Dr Jennings fait donc ensemble de la psychothérapie, et sa communication trouvait ainsi sa place, dans les travaux de notre société.
Rôle de la suggestion dans la vie sexuelle des femmes
par M, le Dr Douglas Bbyas (de Leicester)
Le traités classiques qui abordent les anomalies des sensations sexuelles ne parlent que de celles du sexe mâle. C'est à peine s'ils font une brève allusion à celles du sexe féminin ; or cela tient non pas à la rareté des faits, mais à la difficulté de la documentation, à canse de la pudeur
naturelle de lu femme qui lui fait taire toute allusion à ces sortes de sensations.
Chez l'homme, l'acte sexuel est considéré surtout an point de vue de la satisfaction égoïste et animale et il peut s'accomplir avec différentes partenaires.
Chez la femme, au contraire, cequidomfnehabituellement, c'est l'amour pour un seul homme. Dans l'acte sexuel accompli avec cet homme, elle atteint le point culminant de l'amour. Aussi l'on comprend le soin jaloux avec lequel la femme cachera toute anomalie sexuelle ; car l'avouer ce serait compromettre son amour. Elle gardera donc ses souffrances et les supportera eu silence plutôt que de s'aliéner l'affection de son mari.
Il est un antre fait qui explique notre insuffisante documentation : C'est l'ignorance du corps médical en ces matières.
Si quelque pauvre femme, rassemblant son courage, fait l'aveu de ses peines à un médecin, elle est renvoyée avec une formule de tonique pour les nerfs et on n'atache aucune importance à son dire.
Elle sent bien que le docteur ne sait pratiquement rien de son mal et qu'il ne peut, par conséquent, la soulager. Elle se replie alors de plus en plus, sur elle-même ou elle tombe entre les mains de charlatans sans vergogne et va rapidement de mal en pis.
Il est utile que les hommes de science prennent avec soin l'observation des cas d'anomalies sexuelles chez la femme et qu'ils eu donnent communication. Par là seulement le médecin pourra étudier ces troubles et et les traiter d'une façon satisfaisante.
Le cas suivant se rapporte aux observations que je viens de faire :
Une femme, âgée de 3S ans, mère de deux enfants, âgés respectivement de 4 et 7 ans, me confie dans le courant de la conversation, qu'elle a des sensations de nausée et de dégoût pour l'acte sexuel. Ces sensations, éprouvées depuis son mariage ont augmenté d'intensité depuis deux ans. Elles sont deven ues si intolérables que la pauvre femme évite les relations conjugales sous toutes sortes de prétextes. Bien qu'heureusement mariée, elle convient que son attitude peut détruire le bonheur domestique en faisant croire au mari qu'elle a moins d'affection pour lui. se refusant à faire à son mari l'aveu de ses sensations et sachant que j'étudiais la question sexuelle, elle vint me demander mon avis.
Je dois mentionner que. peu de temps avant, je l'avais guérie d'une constipation opiniâtre et d'une grave dïsménorrhée par la suggestion hypnotique.
En la questionnant, j'appris qu'il n'y avait pas et qu'il n'y avait jamais eu de dyspai'émle (incompatibilité physiquerelative). Elle n'avait aucune tendance névropathique et sa santé générale était bonne.
Elle me dit que l'acte sexuel était horrible pour elle, qu'il lui provoquait des sensations de nausée et de dégoût.
Le cas me parut assez rare, car il n'y avait aucun symptôme faisant penser à «l'homosexualité » ou à quelque chose d'analogue.
Mais une remarque, quelle fitduraut la consultation, éclaira la situation.
Elle me dit que, toujours, après l'acte sexuel elle avait une déception comme si quelque chose manquait.
Je lui demandai alors si elle avait éprouvé l'orgasme vénérien. Elle me répondit qne cela s'était produit seulement deux fois, dans la huitième année de sa vie conjugale. Dans ces deux occasions les nausées et le dégoût avaient disparu, pour revenir, malheureusement, dans les rapports suivants.
J'entrevis alors le moyen d'accomplir une cure : J' hypnotisai cette malade et lui suggérai le développement rapide du désir et de la satisfaction, chaque fois qu'elle aurait des rapports conjugaux.
Deux séances suffirent h la guérison, dès la première le rapprochement fût normal. La vie sexuelle de cette femme fut régularisée et la confiance revint à son foyer.
Ce défaut de réalisation de l'orgasme est, je crois, extrêmement fréquent chez la femme. (J'ai observé au moins une demi-douzaine de ces cas en quelques mois.) L'absence de sensations sexuelles joue un rôle très important dans la vie psychique de la femme. En effet, qu'il s'agisse de l'homme ou de la femme, l'effort constant pour réaliser un désir impossible à atteindre compromet, tôt ou tard, l'équilibre moral.
Quand il y a trouble sexuel chez l'homme, des symptômes mentaux et psychiques très nets sont bientôt observés. Chez la femme au contraire, il est beaucoup plus malaisé de faire un diagnostic. D'abord parce qu'elle cachera ses douleurs si elle en reconnaît l'origine. Ensuite sa modestie naturelle la porte à exclure toute allusion à ce sujet, même si le médecin pense que les troubles ont leur origine dans quelque désordre sexuel.
Il n'y a évidemment pas de signes définis, ni de symptômes nets de cette erreur sexuelle ; mais elle donne naissance à des symptômes subjectifs vagues ; et pour arriver h les dépister il y faut du tact, du jugement, un interrogatoire judicieux en même temps qu'une confiance absolue du malade en son docteur.
Parmi les causes secondaires de ces troubles, il faut distinguer celles qui viennent de la femme et celles qui viennent de l'homme.
Du côté féminin, ce qui joue un rôle important c'est qu'on les laisse dans l'ignorance totale de ce qu'elles expérimenteront sexuellement lors de leur mariage.
Les jeunes filles ne savent pratiquement rien de ces choses, sauf ce qu'elles peuvent glaner dans la fréquentation de compagnes mal élevées. Ce qu'elles apprennentalorsest extrêmement pernicieux. Leur instructeur devrait être leur mère ou quelque autre personne également bien qualifiée pour leur donner les informations nécessaires en des termes judicieux.
Le développement de l'orgasme durant le rapprochement est ordinairement plus tardif chez la femme que chez l'homme ; par conséquent il n'est pas ordinairement atteint chez la femme. Ce fait méconnu est un facteur puissant de trouble sexuel.
Pour ce qui concerne le jeune homme, son instructeur devrait être son père. Bien entendu, les père et mère ignorant en général ces conditions
sont bien incapables de donner des avis sur ce sujet. La solution de cette difficulté ne peut être trouvée que par une meilleure éducation du public. Il faut en finir avec cette hypocrisie concernant les questions sexuelles. Il serait aussi désirable que les médecins étudiassent ces questions plus profondément, en sorte que par leur sympathie et leur savoir, ils mettent le malade en confiance. Celui-ci exposera alors sans crainte ses troubles, ses difficultés et il obtiendra du médecin l'avis consciencieux et satisfaisant qu'il sollicite.
Par ces moyens seulement, la question sexuelle, qui sert à présent de stimulant à des appétits malsains, rentrera dans le domaine scientifique ; et les vues fausses qui la concernent deviendront une erreur du passé.
JURISPRUDENCE MÉDICALE
Le magnétiseur qui prend part habituellement et d'une façon suivie au traitement des maladies commet le délit d'exercice illégal de la médecine
La Chambre criminelle de la Cour de Cassation a rendu le 25 juin 1909 un arrêté analogue à celui qu'elle avait déjà rendu le 23 décembre 1900 et concernant les pratiques des magnétiseurs appliquées à la cure des maladies. Le texte en est intéressant. Le demandeur prétendait avoir été condamné en violation de la loi du 30 novembre 1892 et n'avoir pris part à aucun traitement médical. La Cour n'a pas admis sa prétention :
« Attendu qu'aux termes de l'article 16, paragraphe lar, de la loi du 30 novembre 1S92, l'exercice illégal de la médecine consiste dans le fait pur une personne non munie d'un diplôme de prendre part habituellement ou par une direction suivie au traitement des maladies ou des affections chirurgicales, ainsi qu'à la pratique de l'art dentaire et des accouchements, sauf les cas d'urgence avérée;
« Attendu qu'il résulte des constations du jugement dont les motifs sont adoptés par l'arrêt attaqué et dudit arrêt, que X. ., ancien boucher, dépourvu de tout titre l'autorisant à exercer la médecine et seulement muni d'nn diplôme délivré par une société américaine s'est installé à St-Xazaire en qualité de magnétiseur, guérissant toutes les maladies; qu'au cours des années 1907 et 1908, il a reçu chez lui et visité chez eux un grand nombre de malades et pratiqué sur leurs personnes des passes magnétiques qu'il a répétées sur certains d'entre eux pendant des semaines et quelquefois des mois, en leur faisant espérer la guérison ou le soulagement de leurs maux : qu'il les invitait à lui apporter de l'eau ou de l'huile qu'il magnétisait; qu'il leur ordonnait de revenir ou de le mander à nouveau jusqu'à la guérison ; qu'il engageait ses clients à ne pas continuer les traitements de leurs médecins, et enfin qu'il a prescrit, à quelques-uns d'entre eux, de prendre du bouillon de veau ou d'éviter de manger des viandes noires ;
« Attendu que de l'ensemble de ces circonstances il résulte que X. . a
donné une direction à des malades et qu'il a pris part habituellement et d'une façon suivie au traitement de leurs maladies :
« D'où il suit que l'arrêt attaqué a décidé a bon droit que X... avait commis le délit d'exercice illégal de la médecine, visé par l'article 16 de la loi de 1892 et réprimé par l'article 18 de la même loi. »
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 19 avril, a 4 heures et demie, sons la présidence do M. lo D' Jules Voisin, médecin de la Salpetrlère.
Les séances ont lien le troisième mardi de chaque mois. Elles sont publiques. Les médecins. lés étudiants et les membres de l'enseignement sont Invités à y assister.
Adresser les titres et communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire-général, 4, rue de Castcllane, et les cotisations à M. le Dr Farez, 154, boulevard Haussmann. Comunicaliona déjà portee* à l'ordre du jour :
l' Dr B&muox : L'obsession cardiaque : son étiologie et son traitement.
'2° D1 Jagcahibe |de Sao-Panloi : Le traitement psychothérapique de l'alcoolisme.
3° D' Jci.es Tocsin: L'éducatlou par l'intermédiaire du sens musculaire.
4P D* Paul Joue (de Lille) : A propos de la psychologie d'un assassin. — La psychologie peut-elle être utile h la justice ?
Les mémoires extraordinaires
C'est surtout parmi les gens d'Eglise que l'on rencontre des hommes doués de mémoires extraordinaires. Clément VI, qui fut d'abord bénédictin, puis évêque d'Arras, étonna ses contemporains par sa mémoire prodigieuse. H avait appris el retenu tout ce qu'il était possible d'apprendre de sou temps, et Pétrarque a fait l'éloge de sa mémoire. s
Un autre érudit dout la mémoire fit l'étonnement de ses contemporains, fut le bénédictin Mabillon. La mémoire de ce religieux s'exerça surtout dans le domaine de la bibliographie, et il était capable de donner des renseignements précis et immédiats sur toutes les questions se rattachant a l'histoire religieuse.
D'ordinaire la mémoire des gens d'Eglise est plutôt une mémoire de mots qu'une mémoire d'érudition. Cela tient à ce que, dans les séminaires, ils sont exercés ¡1 réciter par cœur des sermons écrits soit en latin, soit dans leur langue maternelle.
Ces exercices développent au plus haut degré l'habitude de retenir les mots sans s'occuper de leur sens.
Cornelio Musso. cordeller puis évéqne de Bllonto, qui assista au concile de Trente, après avoir entendu nn sermon, le récitait tout entier, et même si couramment qu'on eût dit qu'il en était l'auteur. Il dut a cette facnlté la réputation d'un prédicateur dont lu réputation s'étendit à tonte l'Italie.
Le père Menestrier, conservateur du collège de la Trinité de Lyon, jésuite, poussait encore plus loin la même faculté. La reine de Suède, Christine, passant a Lyon, voulut inl faire sublir une forte épreuve. Elle fit écrire et prononcer trois cents mots les pins bizarres et les plus extraordinaires qu'on pût Imaginer; Il les répéta tons, d'abord dans l'ordre qu'ils avalent été écrits, et ensuite dans tel ordre et tel arrangement qu'on voulut lui proposer.
De nombreux exemples analogues pourraient vous être signalés. On peut se demander si le développement de la mémoire des mots, poussé a un tel point, est de quelque utilité pour cenx qnl en sont donés.
Un très Lecteur.
A propos de mémoires extraordinaires, mon excellent ami le D' Charpentier, ancien médecin de Bicêtre et de la Salpélrlére. ne m'en voudra pas de rappeler que moins de cinq Jours après la prtee de possession d'un nouveau service, 11 connaissait les noms et les prénoms de tous ses malades. Ce qui est intéressant à signalerr c'est moins la possibilité de ce résultat que la rapidité surprenante a laquelle il y arrivait. 11 serait utile de connaître par quel moyen mnémotechfque notre confrère arrivait a retenir si facilement plusieurs centaines de noms. On m'a cité des officiers qui arrivaient également très vite à connaître tous les noms et prénoms des soldats placés sons leur commandement. Je serai heureux de recevoir de nos lecteurs les exemples de mémoires extraordinaires qui pourraient parvenir à leur eoiinaiasMuce. Dr Bérillon.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie
M. le Dr Bérlllox, professeur à l'Ecole de psychologie, médecin-inspecteur des Asiles d'aliénés, commencera le jeudi 12 mai. à cinq heures, 49, rue SaintrAndré-des-Arls, un cours de psychologie médicale (à l'Ecole de psychologie). Sujet du cours : Les enfants anormaux; l'hgpnotisme et l'orthopédie mentale.
— M. le docteur Paul Fabbz reprendra, à la Faculté de Médecine (Amphithéâtre Cruveilhier, 15, rue de l'Ecole de Médecine), le jeudi 14 avril, a, quatre heures, son cours libre de Psychopathologie du tube digestif ; il le continuera le jeudi de chaque semaine, à la même heure. Il traitera, cette année : La rééducation alimentaire.
OUVRAGES REÇUS A_U REVUE
Aug. Leu ait re : La vie mentale de l'adolescent et ses anomalies, iu-12, 238 pages. Foyer solidariste. Saint-Biaise, 1910.
Alhaiza : Synthèse dualiste universelle, in-8°, 438 pages Dara-gou, Paris, 1910.
Dr i. Bonnet : Précis d'auto-suggestion volontaire, in-12, 300 pages. J. J. Roussel. Paris, 1910, 3 fr. 50.
Catjstxbb et Mno Moreau-Berillon : Hygiène. Vuibert et Nony, in-12, 310 Lages. Paris, 1910, 2 fr. 50.
Traité international de psychologie pathologique. Directeur : M. le docteur A. Marie (de Villejuif). Comité de rédaction : MM. les professeurs Betcherew (de Saint-Pétersbourg), Clodstos (d'Edimbourg). Grasset (de Montpellier), Lcgaro (de Modène), MM. les docteurs Ma. gnax (de Paris) et Pilcz (de Vienne), MM. les professeurs Raïmond (de Paris) et Ziehen (de Berlin). T. Ier : Psycho-pathologie générale, i fort vol. gr. in-8° de XII-1028 pages, avec 353 gravures dans le texte.— Prix : 25 francs. — Paris F. Alcan.
L'administrateur j. Bérillon Le Gerant : Constant LACHENT. Privas.
Privai, Imp. c. Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24e ANNÉE — N°10
Avril 1910.
La psychothérapie dans l'enseignement du professeur Albert Robin
M. le 1 > ? :¦ ¦ : -1 : i r.-1 - - qui, unns lu Chronique médicale, donne des silhouettes médicales dessinées avec beaucoup d'art, signale dans les termes suivants les heureuses Incursions que le professeur Albert Robin, sait, a l'occasion, faire dnns le domaine de la psychothérapie.
« Je tiens cependant, écrit—il, a mentionner une leçon qui m'a particulièrement Intéressé, leçon dans laquelle le P* Albert Robin a voulu accentuer les relations on le3 alliances de certaines maladies du tube digestif avec quelques défaillances mentales souvent aggravées par des perturbations sérieuses de l'activité cérébrale.
«11 nous ii parlé de plusieurs malades dont les uns avaient des gustropathies bien systématisées et les autres, une affection des intestins ou du foie. Puis il nous h appris que ces patients, presque tous névropathes de naissance, se trouvaient importunés par des troubles psychiques, semblables a ceux que l'on constate dans les pseudo-psychoses ou dans certaines psycho-névroses.Mais il a complété ces renseignements en sigualani l'apparition de ces manifestations "¿saniqu.es désastreuses qui escortent les véritables psychoses et qui autorisent le médecin a considérer ces malades comme des fous ou des demi-fous.
« Profitant de cette occasion, assez rare dans les services de clinique médicale proprement dite, il a fait, h travers ces divers groupes de psychoses, une envolée lumineuse que peuvent lui euvier les ueurologistes modernes et les professeurs de psychiatrie. Il a appelé notre attention sur des cas présentant des phénomènes d'hallucinations sur lesquels venaient se greffer les traits d'une obsession déconcertante ou d'une impulsion irrésistible. Il en a signalé d'autres où l'on pouvait constater tantôt l'existence d'une mélancolie assombrie, presque toujours, par des idées de désespoir ou par des conceptions délirantes, tantôt celle d'une simple hystéro-neurasthénie souvent associée à une hypocondrie de nature bénigne.
« Apres avoir projeté sur ces considérations un reflet digne de leur valeur, 11 a formulé, en ne prenant d'autre guide que lu remarquable diversité de ses aptitudes, le traitement qu'il convient d'employer pour combattre ces troubles psychiques si variés. Ce traitement spécial qui porte le nom dè Psychothérapie a pour but de faire rentrer dans sa route l'ûme qui s'en est écartée et de dissiper les ténèbres qui l'enveloppent. H impose au médecin une mission délicate, qu'il ne peut accomplir avec sûreté qu'en faisant un appel incessant aux ressources de son esprit et aux inspirations de son cœur.
« Telle est la croyance de Pr Albert Robin ; mais, pour en faire valoir toute la portée, il se hâte d'ajouter que. dans l'agrégat humain, tons les organes étant solidaires les uns des autres, peuvent être, a tour de rôle, le point de départ où le hasard n déposé le germe de la maladie.
« En conséquence,il cherche à établir,conformément aux idées développées autre-fols jwir IvRSègue, que les troubles de l'esprit sont souvent dus a nne foxi-infeetion on plus simplement à des affections somaiiqnes, qui exigent l'intervention d'une médecine corporelle, sans laquelle le traitement est condamné a flotter entre l'incertitude et l'irrésolution et A courir le risque d'être Inefficace.
« Fidèle a ces principes, il » soumis les malades visés dans sa leçon a une cure psychotéruphique rationnellement conçue, et qu'il a eu le soin d'associer à un trai-
tement spécialement dirigé contre les perturbations primitives de leur appareil digestit.
Ce syndicat thérapeutique légitimement autorisé a produit des résultats très bienfaisants : il a débarrassé les malades de leur désordres gastro-Intestinaux et rétabli la sérénité dans leurs facultés psychiques accidentellement compromises.
« Il me semble Inutile de prolonger la série des Impressions que j'ai recueillies h l'hôpital Beaujon. Mai je tiens il remercier le Pr Albert Robin à qui je les dois, et a lui dire, en toute conscience, qu'il est un de ces rares professeurs qui savent allier le respect de la tradition à l'amour des nouveautés. On ne peut se figurer l'art infini qu'il déploie pour démontrer la nécessité de cette alliance. »
TRAVAUX ORIGINAUX
Quelques défaillances humaines. — Leur étude par la graphologie. (1(
par M. le Dr Béni-Barde
[Fin)-
Passons maintenant à l'hystérie. Les défaillances qui accompagnent cette pseudo-psychose ne sont jamais nettement déterminées ; elles se traduisent par des manifestations très confuses que les médecins et les graphologues ne parviennent pas toujours à bien analyser. On sait que le neurasthénique a pour celui qui veut le débarrasser de son mal une touchante docilité et lui accorde une confiance parfaite. L'hystérique, au contraire, est toujours réservé, méfiant et rebelle. Pour masquer ses tares héréditaires ou acquises, il a souvent recours au mensonge, à la supercherie, au mutisme, à la simulation et devient parfois un mythomane, — c'est-à-dire, un faiseur de fausses images.
Quand il consent à écrire, il se garde bien d'exprimer clairement sa pensée : mais il ne peut pas empêcher les lignes qu'il trace de révéler ses défaillances qui sont très curieuses à étudier. Elles portent, tantôt les marques de l'excitation, tantôt celles de l'épuisement : mais les unes et les autres laissent entrevoir* les griffes de la perversion. Les signes graphologiques contenus dans l'écriture des hystériques ressemblent à ceux qu'on observe dans celle des neurasthéniques et de la plupart des névropathes ; mais ils offrent presque toujours certaines particularités dignes d'être signalées. Les Lignes renferment souvent des mots inachevés se rapprochant ou s'écartant les uns des autres. Cette difformité peut être attribuée à un trouble visuel qui provoque chez beaucoup d'hystériques un rétrécissement de la vue analogue à celui que les perturbations psychiques infligent à leur conscience. Ces lignes ont des traits plus on moins effacés auprès desquels on en rencontre d'autres assez accentués qui ne semblent pas être faits par la même main. Cette sorte de désagré-gration forme un tracé assez disparate qui, d'après certains auteurs, exprime un dédoublement de la personnalité du scripteur.
Ce graphisme original concorde avec l'explosion de certaines idées
(1) Conférence faite a l'Ecole de graphologie a l'avenue de YUliers, dirigée par M"' de Sàlberg.
fixes, obsédantes ou impulsives et avec une faiblesse constitutionnelle qui prédispose les hystériques à subir sans résistance les manœuvres de l'hypnotisme et de la suggestion. Ces manœuvres ont. vous le savez, le pouvoir de provoquer l'apparition des principaux symptômes de leur maladie ; mais le médecin parvient souvent à les faire disparaître en plaçant le sujet sous le charme d'une affectueuse persuasion.
Tous ces signes attestent que les facultés de l'esprit éprouvent des défaillances qui portent l'empreinte de la perversion hystérique. Ces signes sont difficiles à découvrir et à interpréter ; néanmoins, je crois que la graphologie est capable de nous en faire comprendre la portée. Grâce à elle nous sommes en mesure d'expliquer l'apparition brusque de la plupart des mots ou des lettres qui figurent dans certaines lignes bizarrement confectionnées. Les traits manquent de propreté et offrent ?ne épaisseur* souvent exagérée par de nombreuses taches ; les lettres sont parfois illisibles et à peine esquissées ; les lignes descendent vivement et ont un aspect disgracieux ; les mots sont soulignés et précédés ou suivis par des points d'exclamation. Cette écriture présente des sinuosités inconcevables, des traits qui cachent des pensées aggressives, des barres, tantôt droites comme des flèches rigides, tantôt tortueuses comme des crochets. L'assemblage de toutes ces défectuosités forme une sorte de flore graphique dans laquelle les fleurs sont remplacées par des mots mal accouplés qui manquent de tenue, d'élégance et d'harmonie -Voilà les signes graphologiques à l'aide desquels vous pourrez reconnaître les principales défaillances qui se rattachent aux diverses manifestations de l'hystérie.
Je vais, maintenant, vous dire quelques mots de cette nouvelle pseudopsychose à laquelle on a donné le nom peu euphonique de psychasthé-nie et que les professeurs Janet et Raymond considèrent, peut-être incorrectement, comme une maladie autonome, c'est-à-dire, ayant des symptômes qui n'appartiennent qu'à elle.
La psychasthénie, selon les auteurs que je viens de citer, se traduit par une grande détresse dn système nerveux sur laquelle se greffent des sursauts de sensibilité promptement remplacés par des obsessions, des angoisses et par des craintes ou des phobies le plus souvent mal fondées. Les malades atteints de cette affection ont, en général, le jugement faussé, la raison vacillante et l'esprit importuné par des idées bizarres qui frisent parfois les conceptions délirantes. Ces défaillances psychiques que la graphologie peut révéler, vous les connaissez déjà. Vous les avez vues former le cortège symptomatique de la neurasthénie et de l'hystérie quand les troubles cérébraux prédominent dans ces deux pseudo-psychoses. Je vous les montrerai tont à l'heure figurant au milieu des stigmates qu'on observe chez les hypocondriaques, les mélancoliques et les dégénérés. Il n'est donc par légitime de les considérer comme formant l'apanage exclusif des psychasténiques qui sont tout à
la fois des neurasthéniques, des hystériques, des hypocondriaques et des dégénérés"
A l'appui de cette opinion je vais vous citer un exemple dans lequel la graphologie a permis de saisir les courbes morbides d'une maladie que quelques neurologîstes ont signalée comme une psychasthénie et qui était, en définitive, un ensemble pathologique du à l'influence de plusieurs pseudo-psycboses accumulées sur la même personne.
Je prends cet exemple dans une histoire qui est déjà ancienne et dont l'héroïne, à l'époque où je la vis pour la première fois, avait environ trente ans. Elle était mariée avec un très galant homme qu'elle aimait beaucoup et dont elle avait eu deux enfants bien portants. A peine entrée dans mon cabinet, elle me dépeignit d'une façon très précise les désordres nerveux qu'elle éprouvait et me dévoila les secrets de sa sensibilité avec le calme d'une Ame saine et la loyauté d'une conscience tranquille. Elle m'apprit, en donnant à son aveu l'accent d'une réelle tristesse, que depuis quelques mois la voix de son mari qui l'avait toujours charmée, provoquait sur elle des impressions désagréables faisant parfois naitre dans son esprit des scrupules inavouables, des obsessions ridicules et même des impulsions irrésistibles. Je puis ajouter, à titre de détails complémentaires, que cette voix qui inspira à son cœur de jeune fille les sentiments les plus tendres, avait perdu son beau timbre et sa pureté à la suite d'une malencontreuse chasse au marais.
Les lettres qu'elle m'adressa, avant de se soumettre à mes soins, contenaient un graphisme étrange qui aida mes investigations médicales à découvrir les défaillances nerveuses dont elle était la victime. Dès la première visite je ne fus pas disposé à les considérer comme le résultat d'une simple psychasthénie. J'eus plutôt l'idée de les attribuer à une irritabilité spéciale ayant eu pour point de départ le sens de l'ouïe et constituant une pseudo-psychose dont les symptômes appartenaient à une intervention simultanée de la neurasthénie cérébrale, de l'hystérie mentale et de l'hypocondrie matinée d'une légère dégénérescence.
Elle fut soumise à un traitement qui, bien que suivi pendant plus de trois mois avec une louable ponctualité, ne produisit pas des effets bien satisfaisants. Dans une consultation à laquelle assista le professeur Brown-Séquard il fut convenu qu'on ajouterait à la cure précédente une éducation spéciale ayant pour but de faire quotidiennement entendre à la malade des sons agréables à ses nerfs. Dans cet ordre d'idées les médecins consultés supposèrent que les nouvelles impressions auditives artificiellement provoquées étoufferaient celles de l'heure présente et parviendraient peut-être à donner aux cellules nerveuses chargées de les recueillir une accoutumance favorable à la réussite de la thérapeutique proposée.
J'essayai de me rendre compte de l'influence que pouvaient exercer sur ma névropathe les lectures à haute voix, le chant, la musique sym-pbonique. les représentations théâtrales, les discours politiques de toutes nuances, les mélodies religieuses. La malade m'apprit qu'elle n'avait
éprouvé de sensations vraiment agréables qu'en entendant les chants pieux et les orateurs dont les idées lui paraissaient conformes à ses croyances.
Guidé par cette appréciation personnelle, je lui conseillai de suivre une mission qui. à ce moment, était préchée dans une église de Paris par un prédicateur éloquent doit»- d'un remarquable talent dé parole servi par une voix très harmonieuse.
Cet orateur chrétien eut sur mon intéressante malade une influence très bienfaisante; l'équilibre de son système nerveux retrouva peu a peu sa stabilité depuis longtemps disparue et son appareil auditif éprouva des modifications surprenantes qui lui permirent d'entendre les sons les plus discordants sans ressentir la moindre offense.
Quelque temps après cet heureux événement elle rentra dans son château, enchantée de reprendre sans lassitude la vie familiale et mondaine des premières années de son mariage.
A cette époque je voyais souvent à Auteuil Alexandre Dumas fils qui consentait volontiers à avoir avec moi de longs entretiens sur les maladies nerveuses. Je lui racontai cette histoire qu'il écouta avec une grande attention. Quaud j'eus terminé mon récit, il lança sur moi ce regard pénétrant dont j'avais tant de fois admiré la limpidité et me dit : — J'ai été le premier a mentionner l'action puissante que la voix humaine exerce sur les nerfs de la femme. Lisez, pour vous en convaincre, une nouvelle publiée par moi il y a dix ans environ et intitulée : La Maison da Vent. — Il m'apporta le livre dans lequel elle se trouvait (1), et je constatai, en effet, le droit de priorité qu'invoquait légitimement mon illustre ami Mais je fus obligé de reconnaître que son histoire ne ressemblait pas à la mienne. Elle présentait des partienlarités romanesques sur lesquelles je n'ai pas besoin d'insister et qui. m'affirma-t-il. lui furent dévoilées par la graphologie.
Il m'engagea à étudier le graphisme de ma malade. Je suivis ce conseil et m'empressai de relire les lettres qu'elle m'avait adressées. L'examen de son écriture, me révélant les signes caractéristiques de l'exaltation, visiblement associés h ceux d'une grande détresse légèrement teintée de perversion, m'édifia sur la nature de ses défaillances. Je fis connaître a Dumas le résultat de mes fructueuses recherches. Il me répondit en m'annonçant une visite prochaine dans laquelle il aurait le plaisir de développer devant moi une thèse repoussée par la plupart des médecins. Il voulait, disait-il. me démontrer que la graphologie, malgré ses ingénieux artifices, et que la maladie, malgré les faiblesses humaines qu'elle occasionne, donnent un fil conducteur moins précieux que l'amour à celui qui veut aprofondir les défaillances d'un cœur féminin.
Hélas! Il est mort sans avoir pu tenir sa promesse. Et puisque j'ai aujourd'hui la bonne fortune de faire une conférence dans ce coin de Paris qu'il a presque toujours habité, permettez-moi d'envoyer à ce puissant esprit l'écho de mes souvenirs.
(1) Thérèse.
Je ne vous dirai que quelques mots des signes graphiques qu'on peut découvrir dans l'écriture des malades atteints de ces tremblements qui expriment plutôt un trouble fonctionnel qu'une lésion organique du système nerveux.de cette trémulation inconsciente qui est souvent associée au nervosismo ou au goïtre exophthalmique, et. de ces mouvements' impulsifs presqu'irrésistibles qui accompagnent toujours les tics mentaux, la plupart des maladies spasmodiqucs, les crampes accidentelles ou professionnelles et particulièrement la chorée.
Les principaux symptômes de ces pseudo-psychoses portent les marques visibles d'un véritable déclanchement de la force motrice qui est presque toujours dominé ou créé par un état mental auquel se rattachent des défaillances psychiques que les neurologistes connaissent bien et dont les graphologues avisés parviennent à dépister la nature.
Pour rester dans le domaine de ces derniers investigateurs, je dois vous dire que le graphisme des malades atteints de ces pseudo-psychoses porte toujours les marques de l'excitation et de l'épuisement; mais il a, en outre, un aspect qui lui est propre. Si vous examinez attentivement l'écriture de ces névropathes, vous devinerez sans effort qu'elle est facturée par une main tremblante. Les lignes ne sont jamais droites ; elles ont des courbes montantes et descendantes le plus souvent interrompues par des sursauts extraordinaires; les mots et les lettres présentent un tracé presque difforme. Ce désordre scriptural est surtout manifeste chez les choréiques dont la maladie se traduit par une sarabande musculaire rappelant celle des Derviches ou des Fakirs et ressemblant à celle qu'exécutaient les victimes de ces épidémies de danse de Saint-Guy si fréquentes dans le cours des derniers siècles de notre histoire. On a aussi ¦observé cette sorte de danse extravagante chez les fameuses convulsion-naires de Saint Médard qui. après avoir surmené leurs forces, se prosternaient avec .obstination sur le tombeau du diacre Paris pour solliciter la vue d'un miracle.
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Pour continuer ma pérégrination à travers les défaillances humaines, je vais vous indiquer celles que l'on constate dans l'hypocondrie et dans la mélancolie — quand ces deux pseudo-psychoses n'évoluent pas sur le terrain de la véritable folie — et vous mentionner les signes graphologiques qui permettent de soupçonner leur existence.
L'hypocondriaque, vous le savez comme moi, vit au milieu de préoccupations incessantes qui le font osciller sans cesse entre le doute et le remords. Dominé par un affligeant égoïsme, il dirige toujours son attention sur les pensées qui l'obsèdent et condamne sa rétine à se mirer avec prédilection dans le fonctionnement de ses organes. Il se croit souvent atteint d'une maladie qu'il n'a pas ou donne à celle qu'il a une importance et une gravité démesurées. Il a peur de tout et n'ose jamais prendre une détermination. C'est nn craintif et un timide II importune tout le monde par ses plaintes et ses récriminations. Il écrit toujours de longues lettres pour raconter ses souffrances. En les lisant avec atten-
-tion on reconnaît aisément des signes qui expriment, comme chez tous les névrosés, tantôt l'excitation, tantôt l'épuisement du système nerveux Tous remarquerez surtout qu'il n'a pas la force de tracer ses mots, que les majuscules manquent d'ampleur et de rectitude, et que son épitre porte de nombreuses ratures qui semblent être un témoignage certain de la défaillance et de l'hésitation de son esprit.
Dans la mélancolie purement nerveuse qu'il ne faut pas confondre, bien entendu, avec celle qui figure dans le groupe des psychoses, on remarquera que la physionomie du patient porte invariablement les empreintes d'un immense chagrin. Les traits de son visage sont, pour ainsi dire, immobilisés dans l'expression de la tristesse et trahissent parfois une anxiété excessive. Son regard obscur ne se fixe jamais sur les personnes placées à sa portée ; ses lèvres crispées sont peu disposées à sourire et ne laissent échapper que des paroles désespérées. Accablé de remords, à peu près tous enfantés par son imagination maladive, il s'accuse amèrement d'avoir troublé son existence et compromis la sécurité de ses plus chers amis. Il reste souvent plongé dans une sorte d'extase -ombrée de mysticisme, vit au milieu de curieuses illusions et se laisse •envahir par des hallucinations qui ont, en général, peu de gravité et qui ¦sont toujours parfaitement conscientes.
Quand les perturbations nerveuses que je viens d'indiquer se manifestent chez des personnes privilégiées, il n'est pas rare de trouver dans les actes et dans les écrits de ces personnes des traits significatifs qui •dénotent une volonté bien établie, une mentalité élevée, une intelligence vive et même un grand amour du sacrifice. Je vous ai dit que l'hypocondriaque possède tous les défauts d'un égoïste. Le mélancolique, au eontraire, est — cassez-moi ce vocable bizarre — un altruiste souvent disposé à se dévouer pour les autres. Je veux vous offrir les preuves de •cette affirmation, en les prenant dans l'histoire de Jeanne d'Arc et de sainte Thérèse.-Cette évocation, j'en suis certain d'avance, n'est pas faite pour vous déplaire.
On a accusé Jeanne d'Arc d'être une vulgaire hallucinée et sainte Thérèse une simple hystérique. Cette double accusation est absolument fausse ; elle a pour base des données scientifiques dont l'exactitude n'a jamais été sérieusement contrôlée. L'une et l'autre éprouvèrent incontestablement des perturbations nerveuses qui firent naître dans leur âme les phénomènes d'extase et les tendances anx sacrifices qu'on ne trouve guère que chez les personnes atteintes de mélancolie. D me semble, d'ailleurs, possible de les attribuer à leur tempérament, à des prédispositions natives évidentes et à l'émouvant spectacle des tristes événements dont elles furent les témoins les plus impressionnés.
Jeanne d'Arc fut, dans le cours de sa jeunesse, sujette à de nombreuses hallucinations qui prirent une allure spéciale quand elle reconnut l'étendue des malheurs causés par l'invasion de la France et par la déchéance de son roi. Fascinée par cette vision surnaturelle qui lui sembla d'origine divine, elle conçut la magnanime entreprise de remet-
tre Charles VII sur son trône et d'expulser l'étranger de notre territoire. Elle remplit vaillamment cette double mission et mourut, en laissant après elle la juste renommée d'une grande héroïne.
Cet exemple, choisi dans les annales de notre histoire nationale, vous montre une mélancolique de haute envergure parvenant à dompter les défaillances nerveuses de ses premières années et ne conserver de son mal que ces idées mystiques qui. ainsi que je vous l'ai dit, peuvent souvent engendrer des actions généreuses et puissantes. Je regrette que l'écriture de Jeanne S'Arc n'ait pas été soumise à l'examen des graphologues. Elle leur aurait probablement fait constater les signes d'une réelle exaltation associés à des indices révélateurs d'une organisation supérieure.
Sainte Thérèse, elle aussi, ressentit au commencement de son existence des agitations nerveuses qu'elle a pris la peine de décrire et dont les manifestations morbides ressemblent plutôt à celles des mélancoliques qu'à celles des hystériques. Elle eut plusieurs accès d'extase durant lesquels elle priait Dieu de lui donner la force d'édifier les incrédules sur les véritables dogmes de la religion chrétienne C'est, dit-on. dans une de ces extases que lui vint l'idée d'organiser de pieuses associations destinées à combattre les hérétiques et à défendre la doctrine prêchée par le Christ et par ses apôtres.
Pour remplir cette tâche presque surhumaine, elle créa le Carmel oh vinrent se grouper des femmes d'élite toutes résolues k accomplir les plus grands sacrifices. Celles qui, par une rare exception, n'obéissaient pas à ses ordres, recevaient de sévères réprimandes et étaient condamnées à des travaux matériels extrêmement pénibles. Tontes ces initiées s'acclimatèrent aux rigueurs de cette discipline monacale et devinrent d'infatigables missionnaires que la grande Abbesse consacra à la propagation de sa foi.
Telle fut l'œuvre de sainte Thérèse. En l'examinant au point de vue exclusif que j'ai voulu développer dans cette conférence, j'y rencontre de nouvelles preuves attestant que chez certains mélancoliques bien doués les perturbai ions primitives du système nerveux peuvent être remplacées par des conceptions intellectuelles remarquables et par de grands actes de dévouement. La femme célèbre qu'on a appelée la vierge et la sainte d'Avila a subi cette transformation salutaire. Grâce aux efforts d'une volonté toujours en éveil, elle est parvenue â vaincre les défaillances de sa mélancolie juvénile et à imposer à ses facultés cérébrales une étonnante pondération.
On a recueilli dans quelques archives espagnoles, à Barcelone notamment, de nombreuses lettres d'elle dans lesquelles certains graphologues, an nombre desquels je puis citer Mu,e de Salberg, ont découvert des signes révélant simultanément la vive excitation de son esprit et la fermeté de son caractère.
Il me reste enfin, pour compléter l'inventaire des défaillances engendrées par les pseudo-psychoses, à vous dire quelques mots de ces états
pathologiques mal définis qui représentent certaines formes de la dégénérescence.
C'est Morel qui, le premier a attiré l'attention des savants sur ce vaste problème de la dégénérescence humaine.
Inspiré par une conception théologique puisée dans les livres saints, il h formellement déclaré que la dégénérescence de notre espèce pouvait être considérée comme le résultat d'une déviation maladive du type primitif qui. selon lui, devait être un type parfait. En transportant ces croyances dans le domaine médical il parvint k reconnaître-que nous devons notre dégénérescence aux faiblesses de nos ancêtres et aux irrégularités de notre vie.
Magnan et quelques aliénistes furent subjugués, par l'œuvre de Morel. Ils l'adoptèrent très ouvertement ; mais ils s'empressèrent de substituer k sa forme théologique une allure plus moderne. En s'affranchissant de toute question de doctrine, ils essayèrent de présenter a leur façon un ensemble de toutes les déformations qui peuvent atteindre notre esprit et notre corps. Malheureusement le tableau qu'ils ont dessiné renferme un si grand nombre de stigmates que chacun de nous, en l'examinant, u peur d'y découvrir le sien. Il peut même craindre, s'il le compare a ceux qui l'entourent, d'être considéré comme le dégénéré de quelqu'un. Ces auteurs un peu déconcertants ont eu cependant l'amabilité de nous faire savoir que les dégénérés forment deux séries bien distinctes : les uns de race inférieure, presque toujours incurables, les autres de race supérieure, susceptibles d'être sérieusement améliorés.
Je ne veux m'occuper ici que de ces derniers, parmi lesquels figurent des hommes illustres et vous dire tout de suite que la graphologie peut aider la médecine à découvrir quelques unes de leurs défaillances.
Presque tous ces malades ont un système nerveux mal équilibré. Leurs facultés psychiques sont tantôt assaillies par uue exaltation extraordinaire, tantôt par un engourdissement très accentué. Ils ont une volonté défaillante, une mémoire accidentellement fragile, des compromissions de conscience qui peuvent rendre leur conduite incorrecte et oblitérer même leur sens moral. On constate chez eux des illusions para-doxales, des hallucinations étranges et des idées fixes presque toujours suivies d'obsessions désastreuses ou des impulsions difriles k maîtriser. Quelques uns de ces infortunés se condamnent à un mutisme intéressé pour ne pas dévoiler les défectuosités de leur personnalité morale. Parfois ils parlent sans discernement et se plaisent à dévoiler des perversions spéciales qu'ils croient localisées dans les organes des sens ou ailleurs. On les voit constamment examiner leur peau pour savoir si elle n'a pas une teinte désagréable ou si elle n'est pas le réceptacle de microbes dangereux. Ils n'osent pas toucher certaines étoffes et ont peur de se mettre en contact avec des objets contaminés. Pour détruire l'action malfaisante des agents infectieux dont ils redoutent la nocivité, ils pratiquent constamment des ablutions sur tout le corps, font chaque jour des injections nasales ou pharyngiennes et s'enferment dans un lavatory
personnel comme dans un sanctuaire où ils espèrent se débarrasser de toutes leurs souillures.
Telles sont les principales défaillances des dégénérés supérieurs. Elles ressemblent, par certains côtés, h celles des hypocondriaques ; mais elles en diffèrent essentiellement par la gravité de leurs manifestations, par une brusque apparition de conceptions intellectuelles ou morales qui, tout en ayant parfois une allure presque géniale, restent à peu près toujours confinées dans la zone d'un insalubre abrutissement.
Les investigations graphologiques aident a distinguer dans l'écriture de ces déshérités, comme du reste dans celle de la plupart des névropathes, les signes de l'excitation, de l'épuisement et de la perversion du système nerveux. Mais chez eux les tracés graphiques ont une expression très accentuée qui dévoile ou fait soupçonner l'existence d'une situation périlleuse.
Avant de terminer il me paraît indispensable, pour vous faire bien comprendre le rôle que joue la graphologie dans la révélation de certaines maladies du cerveau, de vous donner rapidement quelques notions sur la topographie de cet organe.
Le cerveau est l'aboutissant des principales sensations qui naissent à la périphérie de notre corps et dans les divers milieux où nous sommes placés. H est, en même temps, le point de départ de tous nos mouvements, de nos gestes, du langage parlé, du langage écrit, etc., etc. Pour vous rendre compte de ce double fonctionnement il faut que vous sachiez que le cerveau possède des organes appelés centres nerveux, neurones et cellules où sont recueillies nos sensations physiques et morales. Par l'intervention de procédés mystérieux, toutes ces sensations sont converties en mouvements bien déterminés, à moins qu'elles ne soient entravées dans leur parcours par des actions réflexes auxquelles Brown-Séquard a donné le nom d'inhibitoires et qui ont le pouvoir de suspendre ou d'arrêter cette transformation.
Ces organes sont disséminés dans la voûte crânienne comme les étoiles dans le ciel. On attribue à chacun d'eux une fonction spéciale ; les uns sont préposés à la vision ou à l'audition, au tact, au goût, à l'odorat ; d'autres sont chargés de gouverner nos mouvements, notre langage parlé ou écrit, etc.
Quelques écrivains soupçonnent qu'Homère a eu l'intuition de ces phénomènes biologiques. U l'a, affirment-Us. explicitement manifestée dans son œuvre immortelle, en déclarant que la valeur cérébrale d'un homme se révèle par les mouvements de son corps et particulièrement par ceux qu'il exécute avec les mains. Cette curieuse observation autorise presque à croire que le grand poète a été un des précurseurs de la graphologie.
Tous n'ignorez pas que l'écriture est. comme la parole, une des manifestations les plus expressives de nos sentiments, de nos idées et de ce qu'on appelle aujourd'hui, d'après Bergson, l'activité cérébrale. Il est donc naturel d'imaginer que chacune de ces manifestations ait son
centre nerveux dans l'encéphale. Je dois compléter cette distribution en vous disant que ces divers districts cérébraux dont la résidence n'est pas encore précisément limitée ont avec leurs voisins des relations intimes surveillées et dirigées par le fameux Semorium Commune des anciens que le D1' Grasset a remplacé par une sorte de schéma composé de deux polygones auxquels il attribue des propriétés distinctes. L'un d'eux est le polygone supérieur où, d'après l'éminent professeur de Montpellier, s'élaborent les pensées les plus nobles, les plus élevées ; l'autre est le polygone inférieur dans lequel s'accomplissent les actes purement automatiques.
Je ne veux pas insister sur ces localités cérébrales dans lesquelles on fixe, avec plus ou moins de raison, une place spéciale a chaque neurone du système nerveux. Mais je vous prie de retenir que ces divers centres sont enchaînés par des liens de solidarité qui expliquent pourquoi une lésion localisée dans un centre peut se répercuter sur tous les autres centres qui ont avec lui des correspondances bien établies. C'est ainsi que les désordres provoqués dans les cellules qui président aux mouvements ou au langage articulé ont la faculté de troubler, directement ou par action réflexe, le fonctionnement des cellules destinées .à- préparer les manifestations du langage écrit Voilà pourquoi je me permets de dire aux graphologues : Ayez toujours dans votre esprit la loi de solidarité qui unit les divers centres nerveux, et, gardez-vous, par une conclusion trop hâtive, d'attribuer exclusivement à l'un d'eux des troubles graphologiques qui peuvent dépendre d'un autre.
* •
Après vous avoir fait connaître l'intervention de la graphologie dans la découverte des défaillances humaines, je dois logiquement vous indiquer les ressources qu'elle peut offrir aux médecins chargés de les combattre. Dans mon dernier livre consacré à la neurasthénie j'ai rendu hommage à l'utilité du concours qu'elle peut prêter au traitement de cette pseudo-psychose. Quelques confrères, peu nombreux du reste, ont remarqué que cette louange paraissait plutôt inspirée par des devins ou des visionnaires que par de véritables savants. A cette critique légèrement ironique j'ai répondu, qu'en écrivant les pages incriminées, j'avais voulu faire appel à tous les enseignements qui me semblaient capables de m'aider à déchiffrer les énigmes accumulées dans l'esprit de l'homme, cet être complexe que Carlyle considère comme le plus étonnant des miracles. Et, j'ai ajouté, que le choix de cette procédure m'avait été uniquement imposé par le désir de rechercher la vérité.
On dit que la vérité sort toute nue du puits qu'elle habite. Cette maxime amène toujours quelques déceptions. Le pins souvent la vérité ne se montre qu'enveloppée dans un voile difficile à soulever et ses allures sont parfois assez capricieuses. Elle n'aime pas qu'on l'importune. On ne la voit réellement apparaître dans tout son éclat que lorsqu'elle est sollicitée par des provocations qui lui plaisent. A cet égard, je pense ne pas vous être désagréable eu vous disant que la graphologie semble
avoir le privilège d'être «ne de ses favorites, puisqu'elh- lui accorde volontiers la faveur de sonder quelques-uns de ses mystères.
Cette supposition m'autorise à croire que le médecin peut, en toute conscience, recourir à la graphologie. Elle l'aidera â compléter l'ordonnancement du traitement moral qui. sous le nom de Psychothérapie, est souvent employé contre la plupart des pseudo-psychoses.
La Psychothérapie sur laquelle on a nouvellement greffé le pithia-tisme,— méthode de traitement qui met en œuvre les bons effets qu'une persuasion bien dirigée peut déterminer sur l'esprit de certains névrosés. — exerce une heureuse influence sur la marche de ces maladies. Mais je m'empresse d'ajouter que sa valeur a une pins grande puissance quand on associe son intervention à celle de l'hypnotisme, sagement appliqué et à celle de quelques procédés physiques et principalement à l'hydrothérapie L'alliance judicieuse de ces divers agents curatifs constitue un concordat thérapeutique qui donne au praticien, habitué h analyser les facnltés de notre entendement, les moyens de réparer les désastres d'un esprit troublé ou d'une sensibilité pervertie. Pour obtenir ce résultat qui est l'œuvre d'une rééducation persévérante, le médecin doit être h la fois un clinicien un philosophe et un moraliste. J'ose même avancer qu'il lui serait parfois utile de devenu- un collectionneur. Nanti de cette dernière qualité il pourrait, on imitant le botaniste qui a le soin de placer dans son herbier les plantes rares trouvées sur son chemin, il pourrait dis-je, emmagasiner des pièces importantes, les lettres de ses malades, par exemple, dont la lecture serait pour lui une source de fructueuses inspirations. Je crois que la graphologie me parait capable de l'aider h faire ce bon placement et à perfectionner son herborisation.
L'homme qui porte dans son organisme les stigmates de la faiblesse corporelle et de la pauvreté mentale est presque toujours victime d'un héritage défectueux ou d'une conduite déréglée.
Les perturbations produites par des abus ou des vices personnels sont ordinairement passagères et le plus souvent curables. Celles qui se développent sous l'influence de prédispositions constitutionnelles sont plus difficiles à déraciner : quelques médecins n'hésitent pas û affirmer qu'il est inutile de les attaquer. Erreur fatale que blâment ceux d'entre nous qui aiment les batailles thérapeutiques et qui croient à la possibilité d'atténuer et mêmes d'effacer les tares ancestrales. Ils sont soutenus dans cette campagne Immunitaire par beaucoup de philosophes ennemis du pessimisme et par quelques écrivains de haut renom parmi lesquels figurent honorablement M. Paul Bourget et M. Brieux.
Ce dernier, dans sa pièce Intitulée Y Evasion fait, il est vrai, déclarer par un de ses personnages, que l'hérédité est une forteresse imprenable dont on ne peut s'évader et qui nous condamne ù une réclusion perpétuelle. Il aggrave même cette implacable apostrophe en nous apprenant que nous restons toujours les prisonniers de nos morts.
Mais heureusement, pour protester contre cette désolante doctrine, l'auteur se hâte de faire dire au protoganistc de sa remarquable comédie
que nous avons tous eu nous des énergies suffisantes pour combattre les tares héréditaires et que nul ne naît condamné par avance à tous les désespoirs. En entendant ces paroles rassurantes, la jeune femme chargée d'interpréter le plus intéressant rôle de cette œuvre dramatique s'écrie aussitôt : Répétez ce que vous venez de dire pour que je sache désormais que nous ne sommes pas dominés par la tyrannie des morts. »
Xobles paroles qui nous invitent à lutter énergiquenient contre les fautes de nos ascendants et à corriger, comme le dit pittoresque nient il. Brieux. un péché originel dont nous sommes châtiés sans l'avoir "commis.
Xous voilà sérieusement armés pour réparer les défaillances humaines que les recherches combinées de la clinique, de la psychologie et de la graphologie nous ont appris à connaître. Avec tous ces éléments, un praticien attentif peut espérer guérir son malade, parvenir à améliorer sa santé et finalement apporter à son esprit inquiet les consolations dont il a besoin. C'est la maxime bienfaisante que propageait avec une séduisante maîtrise le célèbre professeur Trousseau.
Si le médecin est appelé à secourir un malade, encore jeune, il lui sera facile d'atténuer ses défaillances et d'amortir leurs malencontreux effets.
S'il se trouve en présence d'un homme avancé en âge, sa mission devient plus délicate ; néanmoins elle peut être couronnée de succès. Il devra d'abord restaurer ses foi-ces physiques qui sont presque toujours en détresse et ensuite se préoccuper de soustraire ses facultés intellectuelles et morales à la déprimante influence des agitations mondaines. Cette sage retraite le disposera à consentir sans regrets à un renoncement désiré par des successeurs envieux et acclimatera son âme à une bienfaisante sérénité qui lui permettra de s'en vieillir doucement au milieu des siens. U sera pour eux un vieillard estimé qui. selon l'harmonieuse expression de Chateaubriand, passe comme une ombre errante dans un jour clair et que les passant saluent avec respect.
Ce salutaire isolement sera pour lui une source de douces consolations, s'il a conservé dans sa mémoire un agréable souvenir de ses années disparues. Xous savons tous, en effet, que l'homme peut réellement recommencer sa vie. alors même qu'il ne fréquente plus que des souvenirs. Si, en outre, il a eu la bonne fortune de cueillir une abondante moisson d'autographes, et, si pour comble de bonheur, son esprit s'est familiarisé avec la graphologie, il pourra, en parcourant des lettres intentionnellement soustraites à l'oubli, ranimer des figures lointaines dont les traits vont être bientôt fanés. L'analyse de tous ces accents graphiques lui procurera le plaisir de faire revivre un passé tout prêt à s'éteindre et dont l'évocation lui rappelera l'esprit et le cœur de ceux qu'il a aimé.
C'est avec une préméditation bien réfléchie que je place à la fin de ma conférence unenote presque sentimentale. Je la préfère à la note peut-être un peu trop triste qu'aurait donnée un résumé même succinct des défaillances humaines dont j'ai été chargé de vous exposer les principaux caractères.
Il ne me reste plus qu'à témoigner ma gratitude à l'aimable M** R. de Salberg qui m'a procuré l'inestimable plaisir de prendre la parole devant un auditoire choisi selon son goût et selon le mien.
Psychisme périodique ou cyciopsychisme
par le Dr Pailhas (d'Alto)
Afin de justifier le titre de cette étude, et pour bien délimiter le cadre des observations sur lesquelles je voudrais attirer l'attention, je citerai d'abord, dans sa simple réalité, le fait suivant qui m'est personnel.
Le 11 janvier 1910, un événement de famille concentrait toute mon activité et déterminait les émotions et préoccupations inhérentes k la circonstance. Le lendemain, la notion des faits de la veille avait perdu de sa précision ; sauf dans les moments ou la réflexion et les causeries venaient la raviver ; elle apparaissait comme la suite d'un rêve à demi-oublié. Ainsi se passèrent, à cet égard, les jours et les nuits suivants jusqu'au matin de la nuit du 14 au 15 janvier, — quatre jours après l'événement initial — où je me surprenais associé, en rêve, aux circonstances du 11. Au bout de quatre autres jours, dans la matinée du 18 au-19 janvier, se reproduisait semblable réminiscence onirique ; mais, cette fois, le rêve était plus agité ou, pour mieux dire, plus activement vécu et amplifié : Peu après l'heure du lever, il en résultait une impression de vague tristesse, d'inquiétude, de demi-angoisse. Et cet état ne s'amendait qu'aux approches du repas du soir. La nuit du 22 au 23 janvier me fournissait de nouveau l'occasion d'observer, sous une forme réduite, pareil rêve se rapportant au même événement. Et de sorte que, de 4 en 4 jours, celui-ci venait encore, pour la troisième fois, se répercuter dans les domaines, soit de l'inconscience somnique, soit même de la conscience de l'état de veille, et y reproduire, surtout à la seconde échéance (septénaire) une série de phénomènes automatiques, depuis le rêve jusqu'aux manifestations insolites d'une émotivité sans objet présent et accompagné de fatigue.
A ce fait, si complètement typique et démonstratif a l'endroit des phénomènes de périodicité psychique, que l'on me concédera, je t'espère du moins, comme relevant de l'état normal, et qui, pour être recueilli, réclamait quelque habitude de l'auto-analyse, je peux, sans sortir appré-ciablement du domaine physiologique, ajouter l'observation suivante :
P..., ûgé de 28 ans, intelligent et instruit, était occupé à surveiller, dans son habitation rurale, des travaux de charpente, lorsque, tout à coup, la rupture d'un cable l'impressionna vivement. U lui parut, à ce moment, que les ouvriers couraient risque d'accident grave. Cela se passait le 28 mai 1907. L'émotion fut momentanément des plus fortes, mais, en l'absence de toutes suites fâcheuses, elle lui parut très rapidement dissipée. U n'y paraissait plus rien le soir même et les jours qui suivirent ; sauf que le samedi, 8 juin 1907, onze jours après l'accident, P... qni s'était levé vers 4 heures et demie du matin, éprouve un certain malaise : « Il me semblait ressentir, écrivait-il, comme un poids sur l'estomac, des renvois continuels, une respiration gênée, un tremblement des jambes qui se refusaient à me porter, ses sensations de piqûres et de tiraillements dans tout le corps et un état de trouble général que je ne
savais à quoi rapporter. Cela me dura la moitié de la journée, environ jusqu'à 3 heures de l'après-midi. Le 22 juin, vers 5 heures du soir comme je venais de faite un chargement à Gail..., je fus repris comme la première fois. Je dus m'aliteret le malaise fut vite passé. Je dois dire que dans l'intervalle des crises mes nuits ont été quelquefois accompagnées de rêves pénibles, etc. »
Plus pies de l'état pathologique est cette autre observation, déjà mentionnée ailleurs (1) :
B..., infirmier de l'asile d'Albi, âgé de 18 ans, issu d'une mère nerveuse et fort impressionnable lui-même. Le 23 avril 1902, vers 8 h. du soir, comme il cherchait, en compagnie de l'un de ses collègues, à maîtriser un aliéné dangereux, il fut tout à coup pris d'une frayeur intense qui le poussait à rejoindre précipitamment le groupe des infirmiers installés au réfectoire. Mais, avant d'arriver, il tombait à terre, se débattait convulsivement et son état nécessitait son transport au lit. A 8 heures et demie, appelé auprès du malade, je le trouvais absolument inconscient et en proie à une série d'attaques subintrantes de 20 à 30 secondes de durée, lesquelles commençaient par des secousses clowniques d'intensité progressive et se terminaient par de grands mouvements clowniques et une mimique d'effroi avec gestes de défense contre un ennemi imaginaire. Cet état d'agitation convulsive persista toute la nuit. Le lendemain, 24 avril, même état d'inconscience et mêmes crises séparées par des intervalles de dépression. Le 25, absence d'attaques con-vulsives, mais inconscience et dépression continues. Le 26, retour de la conscience avec amnésie antéro rétrograde ; le malade questionnait sur les motifs de son alitement. Le 27, amélioration croissante. Le 28, reprise du travail. Or, le soir de ce même jour, vers 8 heures et demie, tandis que B... était seul dans sa chambre et déjà couché, il se trouvait subitement assailli par l'idée de n'avoir pas fermé sa porte. Alors, se levant et saisi de frayeur, il lui semblait voir devant lui un de ses camarades le menaçant. Cette hallucination persistait une demi heure pour faire place à un sommeil agité, rempli de cauchemars et durant lesquels il allait jusqu'à mordre et déchirer les draps de son lit. Le 29, B... n'accusait aucune souffrance, mais conservait en partie le souvenir de ses hallucinations et rêveries de la nuit précédente. Ne sachant à quoi attribuer de pareils troubles, et non renseigné sur les incidents provocateurs de la crise initiale, il n'acceptait qu'à regrets le congé imposé par la Direction.
Participant d'une pathogénie analogue, mais spécialement remarquable par la continuité des retours périodiques est le cas de la fille de l'un de nos aliénés de l'asile d'Albi. alcoolique très dangereux pour les siens et dont les agissements avaient grandement retenti sur le tempérament naturellement craintif de l'enfant. Depuis l'internement de son père, remontant à deux ans, cette jeune fille, aujourd'hui âgée de 15 ans, n'aurait pas manqué de présenter, trois jours par semaine — les mêmes, — aux approches de la nuit, de véritables crises de frayeur.
(1) Périodicité et alternance psychiques. Journal de Neurologie. Bruxelles, 1907.
Je pourrais ajouter à ces observâtious. si leur nombre était nécessaire pour montrer, notamment, à coté du rôle si nettement affirmé de Vémotion sur les manifestations psychiques, l'intervention si spéciale et si intéressante des rythmes périodiques, avec leurs intervalles et leurs crises.
Ne voit-on pas là. en particulier, toute l'explication de ce stade de « méditation » qui. bien que peut-être improprement (Il désigné, n'en répond pas moins u une exacte observation et mérite d'être décrite comme la phase de transition rattachant, silencieusement ou sans phéno; ménalogie appréciable, des accidents d'hystérie, de neurasthénie ou autres a des traumas psychiques ou même physiques.
Non sans raison, certaines manifestations hystériques ont paru n'être que l'inconsciente évocation dans le présent d'un acte psychique de la vie passée. Et l'on sait combien l'hystérie s'accommode aisément des rythmes périodiques.
Prennd. scrutant la pathogénie de maints états névrosiques et plus spécialement des obsessions et phobies, leur attribue, par delà des périodes de latence — otade de méditation — une origine émotive se rapportant à des faits d'ordre sexuel.
Appelé, à son tour, à rechercher par lui-même, la nature et le point de départ de semblables répercussions à distance, ainsi observées dans les domaines psychophysiologiques ou psychopathologiques, Swoboda en fait son étude de prédilection, et, tout en confirmant la théorie de Freund. il en montre l'exclusivisme injustifié : Pour lui. non seulement les excitations sexuelles, mais bien tous les modes de l'activité psychique sont appelés à se projeter de la sorte sur nos lendemains, en vertu de processus régulièrement rythmés, et habituellement sous forme de réminiscences oniriques,
Il faut lire les travaux de cet auteur pour saisir avec quelle variété d'amplitudes et quelle harmonieuse compénétration lui paraissent se succéder, ainsi que des ondes, toute la série des rythmes qu'il observe dans la vie psychique : Périodes masculines, périodes féminines comportant les unes et les autres, des types prédominants, grands et petits, des multiples et des sous-multiples, le tout s'emparant des divers produits de l'activité psychique, les précipitant dans un circulus inconscient et effacé — auquel correspond le stade dit de méditation — ; puis, aux jours d'échéance périodique, les faisant émerger à l'état de phénomènes capables de s'imposer à la conscience, en des formes qui, par rapport aux circonstances et faits initiaux qu'elles tendent à reproduire seront, selon les cas, homologues, inverses, déformées, parfois simplement équi-valentaires. De là les réminiscences nocturnes survenant en manière de rêve, les souvenirs brusques, intuitifs, et plus ott moins obsédants, en temps de veille : et aussi ces états de conscience insolites, dont nos
(1) Improprement, parco que rien ne prouve. tant s'en faut, que ce soil durant cette période que s'élaborent les manifestations destinées it se reproduire, que ee soient des auto-suggestions, suggestions, simples représentations obsédantes ou non. ete...
observations sont des exemples, qui. par une sorte d'intrusion au sein de la personnalité du moment, paraissent imposer une personnalité déjà vécue et devenue plus ou moins étrangère.
Mais Swoboda ne limite pas aux seuls rythmes psychiques l'action de la périodicité : « De mes recherches, dit-il. telles que je les ai communiquées jusqu'ici, et de ce qui va suivre, il ressort que tout, sans exception, revient ou du moins peut revenir, que la vie corporelle et spirituelle accomplit une période de 28 ou de 23 jours (1), minute par minute.... La vie de l'homme se meut comme dans une spirale. Si nous menons ten-gentiellement à cette spirale ane ligne droite parallèle à son axe, chaque homme peut être, à chaque point de cette ligne ce qu'il était déjà précédemment à tout autre point de cette même ligne. Et de sorte qu'une journée bonne peut ainsi se répéter régulièrement au bout d'un espace de temps jusqu'à ce qne tout à coup un événement fâcheux vienne occuper la place et faire obstacle au retour. Pour cela, les gens qui mènent une vie calme arrivent plus commodément à constater une périodicité dans leur état de santé (2i ». Et ailleurs : « A tout moment de la vie d'un homme il est des souvenirs qui renaissent : L'homme est une incessante reproduction de ce qu'il a déjà été. Mais jusqu'à quel point en a-t-il conscience *? Cela dépend de son état présent. Le présent et le passé sont continuellement en lutte. Chaque instant de la vie d'un homme est caractérisé par le rapport entre le vieux qui revient et le nouveau qui arrive.... »
De même que MM. Yaschide et Vurpas ont, à la suite de recherches expérimentales, fort judicieusement exposé que plus la vie semblait soustraite à l'action des centres supérieurs qui constituent l'état de conscience, plus elle se manifestait snivant des rythmes périodiques, Swoboda n'oublie point de signaler que l'inertie fonctionnelle de ces mêmes centres supérieurs état somnique. hypnotique, rêverie, distraction, etc.) est des plus propres à assurer, avec la libre manifestation des lois présidant à la vie spontanée de l'âme, les retours périodiquement successifs des réminiscences. A cet égard, nous même avons écrit ailleurs (H) : « Dans le domaine nerveux, si apte à mettre en évidence la périodicité, les fonctions ou opérations les plus automatiques se montrent les plus aptes à subir et à révéler l'intervention du rythme périodique. Et quant à ce qui concerne plus spécialement la sphère mentale, les manifestations de la périodicité et de l'alternance s'y mesurent aux degrés même de l'automatisme prrticipant : a) manifestations plus ou moins nettes et régulières dans le psychisme inférieur (états inconscients, subconscients, rêves, etc.), plus ou moins effacées et irrégulières à mesure qu'avec plus
(1) Swoboda admet, comme périodes prédominantes : a) celles de 28 et de 23 jours, qui sont les grandes ; b) celles de 18 et 23 heures qui sont les petites périodes. Des doux premières, celle de 25 jonrs est la féminine, l'autre, de 23 Jours, étant la masculine.
(2) Hermnnn Swoboda. Die Perioden des menschliche» Organismus. (Tienne, 1004).
(3) Pailuas. Périodicité et alternances périodiques.
de conscience normale et de raison (psychisme supérieur) tend à se restreindre l'influence de l'automatisme. »
En résumé et en déduction de ce qui précède, j'ajouterai :
1° Si l'on peut dire que la périodicité est l'expression d'une loi régissant la plupart des phénomènes cosmiques, qu'elle est. pour les organismes vivants, une condition d'activité biologique, c'est aussi avec toutes les apparences d'une vérité scientifique que Swoboda montre la vie psychique assujetie aux retours périodiques.
2° Ces retours se font automatiquement et à des périodes prédéterminées (1), projetant alors des fragments du passé sur le présent.
3° Grâce à l'automatisme qui y préside, les états de sommeil et d'inconscience sont les plus aptes a favoriser ces projections rythmées, dont l'une des modalités les plus pures et les plus communes est la réminiscence en cours de rêve.
4° Par contre, les états de conscience et de veille tendent à s'opposer à. ces sortes d'ectopies psychiques qui, cependant, parviennent à se réaliser en maintes occasions et à des degrés divers, sous les formes, soit d'un brusque et spontané rappel de souvenir, soit des aspects les plus nuancés d'une émotivité sans rapports avec les circonstances du moment, soit d'étranges tendances, d'états plus ou moins obsédants, de dispositions ou d'aptitudes à tel ou tel travail, etc., le tout parfois associé à des processus alternants — tel dans la cyclothymie, etc. — et toujours marqué au coin, de l'intermittence et de l'instabilité.
Mysticisme et érotisme
par le dr "Witry (Trèves-a/-Moselle)
Tout psychologue qui s'est livré à l'étude des maladies du sentiment religieux n'a pas tardé à se rendre compte que l'érotisme se révèle toujours, sous une forme ou une autre, dans les manifestations extérieures, dans les préoccupations intimes et dans les élucubrations des mystiques et des extatiques. Leurs hallucinations se rapportent toujours à des objets erotiques. C'est ce qui apparaît clairement dans les révélations d'Agnès Blannbekin, que nous reproduisons ici en partie. Elles nous montrent qu'elles se rattachent a des hallucinations de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût, du toucher.
Le livre des Révélations d'Agnès Blannbekin est (Potthart : Biblio-theca histórica) extrêmement rare. Il a été publié en 1730 à Vienne par le bibliothécaire Bernard Pez de l'abbaye de Moelk en Autriche soua le titre : Venerab. Âgnetis Blannbekin, quœ sub. Rudolpho Eabspargko et Alberto I. Aaslriacis Impp. Vfiennœ flornit, Vita et revelationes, etc.. (avec approbation abbatiale). Par ordonnance impériale le livre fut confisqué immédiatement après sa publication, à, cause de son contenu obscène et
(l) Les périodes de 23 et 28 jours sont, avons-nous dit, celles que Swoboda assigne do préférence à ces retours. Pour notre part, il doos a paro que In période de sept jours (le septénaire) devait être présenté comme le type prépondérant des rythmes-périodiques.
mystique. M. de Suttner écrit dans les G-arelli : « L'exemplaire qui se trouve dans la bibliothèque impériale de Vienne est probablement le seul qui existe encore. En 1780 ce livre comptait déjà parmi les plus grandes curiosités littéraires. »
Or, j'ai eu le bonheur de retrouver un autre exemplaire jnmeau de cette curiosité médico-religieuse à la bibliothèque de Bamberg (Bavière) où il est parvenu en 1790 par l'intermédiaire des Bénédictins du couvent de Banz. Je traduis les passages les plus intéressants de ces effusions de la vénérable Agnès Blannbekin :
Nous lisons dans la préface : La dite Agnès vécut vers la fin du treizième siècle à Vienne..... Dieu a révélé à Agnès que le prépuce de Notre Seigneur a ressuscité avec lui le jour de sa résurrection. Cette révélation émotionnera en tous cas tous ceux qui en feront la comparaison avec la révélation de Sainte Brigitte. (Lib. VI. Chap. 112.) La bienheureuse Vierge Marie y parle du ¦ prépuce de son Fils dans les termes suivants : « Lors de la circoncision de mon fils, je gardais moi-même cette membrane en lui rendant les plus grands honneurs. Je la portais avec moi, partout où j'allais. Comment l'aurai-je rendn à la terre, elle qui était née de mon sein sans péché ! Comme mon heure de départ de cette terre approchait, j'ai confié à mon protecteur Saint Jean la membrane et le sang béni recueilli des plaies de mon fils, quand nous l'avons été de la croix. Quand Saint Jean et ses successeurs quittèrent ce monde et que la malice et la perfidie augmentèrent de plus en plus, les fidèles possesseurs de la membrane la cachèrent dans un lieu très pur sous le sol et là elle resta longtemps inconnue, jusqu'à ce que l'ange du Seigneur la révéla à des amis de Dieu. O Home ! O Rome I Si tu savais, tu serais transportée de joie ! Et si tu savais pleurer, tu pleurerais sans relâche, puisque tu possèdes un trésor merveillenx et que tu ne l'honores pas assez ! » Cette révélation de Sainte Brigitte concernant le Saint Prépuce semble s'éloigner assez grandement de celle faite par le ciel à notre Agnès.
En y regardant d'assez près nous verrons que ces deux versions sur le prépuce de Jésus contradictoires en apparence, se peuvent concilier si l'on admet que. ce que la voix intérieure annonce à Saint-Agnès quant à la résurrection du prépuce, n'a trait qu'à nne partie du prépuce : alors la Sainte-Vierge, en parlant de la conservation du prépuce sous le sol, ne se rapporte qu'à la plus grande partie du prépuce. Tout de même François Suarez S. J. regarde comme probable (Bollandistes Tom. I. Act. S. S. pag. 4) que la partie coupée par la circoncision est restée enterrée, mais le corps ressuscité de Jésus avait un prépuce formé d'une autre partie de matière qui faisait jadis partie du corps de Jésus Christ et avait été dissoute par une nutrition continue. 11 serait pourtant plus facile d'admettre que cette matière fut prise d'une partie du prépuce enterré. Par la volonté divine cette partie aurait été tendue et formée d'une façon à correspondre à l'intégrité du corps glorieux, c'est-à-dire qu'elle aurait correspondu par ses dimensions avec l'âge du Seigneur crucifié,
c'est-à-dire avec la stature d'un homme d'environ trente quatre ans. Cette opinion émise aussi selon la tradition par Jérôme se trouve chez Augustin Calmet de l'ordre des Bénédictins. [S. Vitoni Tom. VUE. Comment. Littéral, m Divtnas Scrîpturas, page 440). Les Bollandistes s'étendent encore plus sur ce sujet.
CHAPITRE XXVIII
des medicaments de la pharmacie
Dans la seconde station il y avait une pharmacie contenant des médicaments, fabriqués par lui-même (Jésus Christ) et qui étaient de deux genres. Quelques-uns, au nombre de trois, aident la santé spirituelle. Car il donne à quelques-uns une potion qui amène le sommeil, ce qui signifie la grâce du Saint-Esprit : en l'absorbant l'homme dort, étranger au monde qu'il méprise, ne s'occupe plus des choses de ce monde, car le dormeur ne sent rien par les sens pendant le sommeil.
Il a en second lien un stomachique réconfortant qui signifie le soutien de la bonne volonté et l'exécution des bonnes œuvres, que Dieu administre.
H a troisièmement et donne une certaine poudre douce et agréable qui peut être prise à toute heure et partout et qui signifie la dégustation de la dévotion, par laquelle Dieu peut être dégusté en tout temps.
Il y avait là beaucoup d'infirmes avec toutes sortes de maladies qui réclamaient chacun le médicament spécial pour leur infirmité. Je ne citerai que trois sortes de malades : les lépreux, les hydropiques et quelques aveugles. Et on peut reconnaître que les lépreux signifient les luxurieux, les hydropiques les avares, les aveugles les fiers. Il donnait contre la lèpre une eau extraite par la force du feu de diverses sortes d'herbes, de roses, de violettes et de semblables fleurs ; cela signifiait les confusions variées dans lesquelles tombent les luxurieux, par lesquelles ils sont corrigés de la lèpre de la luxure.
Contre l'hydropisie, c'est-à-dire l'avarice il donne on stomachique laxatif ; et cela signifie le mépris des choses et l'oubli et la perte et le malheur des biens temporaires, ce qui guérit souvent les avares.
Il donnait contre la cécité, id est, la fierté un électuaire desséchant, ce qui signifie l'oppression des infirmités et des adversités, ce qui guérit souvent les fiers.
CHAPITRE XXXVH
du prépuce de notee seigneur
Cette personne (Agnès) avait coutume, dès sa jeunesse, de pleurer amèrement le jour de la circoncision par grande compassion à cause du sang que Jésus Christ avait dû perdre dans sa plus tendre jeunesse. Elle fit de même quand elle eut la révélation déjà relatée dans la préface, en communiant le jour de la Circoncision.
Alors aussi elle était triste et pleurait et se mit à songer où pourrait bien être le prépuce du Seigneur. Et écoutez ! Bientôt elle sentit sur sa
langue une petite pellicule comme la pellicule d'un œuf, qui était d'une douceur plus que grande et elle avala cette pellicule. Après lavoir avalée elle ressentit de nouveau cette extrêmement douce pellicule sur la langue comme auparavant et elle la ravala. Et cela lui arriva bien cent fois. Et, comme elle la sentit si souvent, elle fut tentée de la toucher du doigt. Comme elle s'y mettait, la pellicule descendit d'elle-même dans le gosier. Et il lui fut dît que le prépuce avait ressuscité avec le Seigneur le jour de la Résurrection. La douceur produite par la dégustation de cette pellicule fut si grande qu'elle sentit une douce transformation (immutalionein dans tous ses membres et dans toutes ses articulations. Elle fut, pendant cette révélation, intérieurement pleine de lumière, de sorte qu'elle put se contempler elle-même entièrement. Cette personne fit ces révélations diversesè moi, son indigne confesseur.
CHAPITRE XXXIX
Lorsque Agnès avait onze ans, elle était enflammée par une grande dévotion pour le corps du Seigneur. Lorsqu'elle le reçut dans la Sainte Communion, elle ressentit corporellement (corporaliter) dans sa bouche une douceur inénarrable ; elle raconte, que toute douceur créée, est en comparaison avec celle-là comme le vinaigre comparé au miel.
CHAPITRE XL
Il y a un autre fait miraculeux. Cette jeune fille avait coutume par dévotion d'aller toucher des lèvres les autels, où l'on avait célébré le même jour la messe. Elle sentait alors un parfum semblable à un doux encens, mais incomparablement plus fin et plus capiteux. Et elle raconta qu'un soir elle couvrait l'autel de nouveau de baisers pour ressentir le même suprême parfum. Elle ressentît en effet un parfum, mais ce n'était pas le même que dans la matinée directement après la messe. Et ce qu'il y a de plus miraculeux ; elle reconnut à l'odeur quel était le frère qui y avait dit la messe.
CHAPITRE LIV
Le jour de la convex-sion de saint Paul, Agnès communia. Lorsqu'elle eut avalé la sainte communion, il lui parut qu'elle fut transformée et renouvelée de corps et d'esprit. Lorsqu'elle eut regagné sa place, la main du Seigneur s'étendit sur elle. Dans une lumière splendide lui apparut une petite jeune fille, très belle, âgée d'environ treize ans Et elle vit que dans son utérus, du sang qui existait autour du cœur [in utero ejus ex sanguine arca cor existente) fut formé en un clin d'œil un enfant masculin très bien bâti. Ensuite elle vit naître l'enfant de la Vierge et bientôt sucer les seins de sa mère dans les bras de laquelle il était enveloppé de son voile de tête. Les yeux de l'enfant étincelaient comme des étoiles fulminantes.
CHAPITRE L.XXVIII
La saignée de cette fille
Un jour que Agnès fut saignée, son sang bouillait de chaleur, de sorte que même le saigneur (m in ut or) s'étonnait et la jeune fille avec lui, vu qu'elle menait une vie simple et jeûnait tous les jours Dans son éton-nement elle entendit une voix intérieure qui lui disait : Cette chaleur n'est pas naturelle mais due à la grâce. Dieu enflamme l'ame d'une chaleur divine et réchauffe cette ame ébouillantée, de sorte que le sang en est si chaud. Agnès elle-même, pendant les visitations de Dieu, fut remplie d'une telle incandescence dans ses seins que celle-là se répandit à travers tout son corps et qu'elle en brûlait, non pas en souffrant, mais d'une façon bien douce.
CHAPITRE C.XXIII De l'Etat des hommes divers
Elle vit.....les mauvais prêtres étaient tout nus, et toute noire était la
couleur de leur peau. Ils avaient un diadème rond autour de leur tête comme signe de leur dignité et autorité sacerdotales. Car tous les prêtres portaient des diadèmes ronds, comme sur les peintures qui représentent les saints, mais ces diadèmes sont distincts selon les mérites de leurs porteurs. Les diadèmes des mauvais prêtres étaient noirs comme la poix, leurs cheveux étaient épars, leurs visages noircis, leurs yeux ardents et leurs dents étaient horribles Leur poitrine était souillée de matières fécales humaines pour symboliser la concupiscence infecte de leur cœur. Leurs mains étaient tachées de sang et le sang en dégouttait.
CHAPITRE C.XXXIT Des moïses ses
Un jour après la messe du matin la main de Dieu s'étendit sur elle ; dans une vision lui apparurent des hommes complètement nus qui étaient des religieux. Elle comprit que c'étaient là les Religieux qui, au lieu de donner le bon exemple à leurs prochains, avaient péché par leurs mœurs légères. Et elle comprit de plus que ces moines n'étaient pas des criminels mais qu'ils étaient si légers dans leurs farces et leurs bons mots, que par là ils ne commettaient point un péché mortel ; ces divertissements étant tout de même incompatibles avec la dignité de religieux.
CHAPITRE CL.IV
Un jour elle vit un agneau de taille moyenne qui allait d'autel en autel, partout où l'on célébrait la messe, et touchait de ses lèvres toutes les chasubles des prêtres avec une profonde joie. Agnès en fut remplie d'une admiration profonde. Tout à coup l'agneau se dirigeait vers elle et touchait des lèvres ses genoux, et de ce contact elle fut enflammée doucement aussi dans tout son corps.
CHAPITRE C.L.XVII
Un peu plus tard après cette messe elle vit en esprit une main droite perforée d'une plaie oblongue ; elle sentit que le Seigneur était proche •d'elle, mais elle ne vit que sa main. Et le Seigneur parcourait avec la paume de la main sa bouche et sa figure /elle ressentit de ce contact des impressions admirables de parfum et un incendie d'amour et de dévotion dans son cœur ; et elle fut saisie d'une telle ardeur de désir qu'elle sut à peine se soutenir. Et elle ressentit dans la chair de son visage l'empreinte ardente et brûlante de la main perforée.
CHAPITRE C.X.C.III et C.X.C.IV Comment naquit le Christ de la Vierge
La bienheureuse Vierge apparut à Agnès dans la même lumière dans laquelle elle avait été conçue et elle mit au monde le divin enfant à la même heure La Vierge avait la figure très dévote et pleine de grâce : et comme elle était luisante et sereine avant l'accouchement, elle rayonnait encore plus pendant l'accouchement. Elle était seule pendant cet acte à l'exception d'une foule innombrable d'anges qui entouraient la Vierge et l'enfant. Et quoique tous les anges rayonnassent de lumière il y en avait pourtant parmi eux qui resplendissaient d'une telle clarté que les ténèbres de la nuit disparaissaient. Pendant le moment de l'accouchement Agnès fut remplie d'une douceur inouïe telle qu'elle ne sut plus supporter ses membrée. Et Dieu a voulu que l'enfant naquit comme ses égaux.
Le post-scriptum du livre est le suivant: Celui qui a écrit ces pages, s'appelait Ermenric.
Cette vierge, Agnès Blannbekin, fille de paysans, qui demeurait à Vienne et était pénitente du Frère Mineur susdit, mourut en M.CCCXYHI. Le manuscrit d'Ermenric se trouvait dans le couvent autrichien Xeresheim, fut soumis à l'éditeur, le bibliothécaire Pez, Bénédictin et copié par lui-même. C'est en tous cas un document très curieux pour l'étude des relations étroites qui existent entre le mysticisme et la sexualité, relations qui, comme je l'ai exposé dans diverses études, sont aujourd'hui encore aussi vivaces que du temps d'Agnès Blannbekin.
Les phobies apparentes envisagées comme l'expression d'appréhensions cachées
Par le Dr Pévnizky, d'Odessa
D'après les savantes recherches de toute une série d'auteurs allemands (Freud, Bleuler, Jung, Steckel, Muthmann, Abraham et d'autres), il semble établi que chez la plupart des névrosés, les plaintes, les phobies et les appréhensions, si absurdes qu'elles paraissent, ne sont pas toujours dénuées de fondement. Que le médecin réussisse, soit par hasard, soit par méthode, à bien connaître l'état d'Ame de son malade, il voit que toutes
ces manifestations bizarres ont une base psychologique profonde, qu'elles; découlent logiquement du passé du malade, que souvent même elles ont des déterminations multiples ; bref, que les phobies, dans leurs manifestations apparentes, ne sont que l'image symbolique du véritable état d'âme du malade. Ce dernier en souffre, mais ne peut s'en débarrasser, car elles représentent pour lui la seule manière d'extérioriser ses doutes secrets. Si nous arrivons à pénétrer ce secret, si nous pouvons appeler les choses par leur vrai nom, le malade n'éprouve plus le besoin d'user d'un langage symbolique et ses phobies disparaissent d'elles-mêmes. Ainsi, un homme qui parle mal une langue étrangère, cesse d'en user aussitôt qu'il rencontre un compatriote.
La méthode qui consiste à rechercher ce qui dans certaines névroses se cache derrière les manifestations apparentes, telles que les phobies, s'appelle la méthode psycho-analytique. Créée par le professeur Freud, cette méthode consiste dans l'analyse des plaintes du malade et de sa manière de les exprimer ; le médecin cherche a élucider par des questions précises et directes tout ce que les paroles du malade contiennent de vague on de confus, ses réticences, ses réserves. Si l'interrogatoire ne donne pas le résultat voulu, on étudie par quelles associations le* malade réagit à certains mots (méthode de Jung), ou bien on analyse les rêves, qne, malgré toute leur absurdité apparente-, le malade garde en sa mémoire et trouve intéressants sans qu'on sache pourquoi. {Traumdentreng). Le professeur Freud dit que le rêve est le reflet de ce que l'on désire ; et l'analyse du rêve fait souvent et rapidement découvrir ce qui tourmente le malade et ce qu'il désire.
Je m'occupe depuis trois ans de ces mêmes recherches. A la réunion des médecins de la clinique académique de Bechtereff, en mars 1908, j'ai fait un rapport but le succès de la méthode, et ce rapport (1) provoqua des débats animés.
En novembre de cette année au « Yortblldungs-kursus » dans la clinique du professeur Krœpelin (Munich), lors d'une séance organisée par les auditeurs des cours en présence des psychothérapeutes de Munich. DT Lowenfeld et Seif, j'ai communiqué une série d'observations sur la même question
Aujourd'hui, devant la haute compétence de cette assemblée, je voudrais exposer mon point de vue sur cette nouvelle méthode. Je citerai, par exemple, le cas suivant :
TJne malade, âgée de 39 ans, veuve, vient se plaindre à moi que. depuis deux mois, elle dort mal, se sent déprimée,et est toujours poursuivie par le pressentiment d'une catastrophe imminente. Le traitement habituel n'a pas donné de snecès. Elle a même subi plusieurs opérations gynécologiques, parce qu'on avait ern que ses souffrances étaient en rapport avec une maladie utérine. L'hérédité nulle. L'examen objectif, eu dehors d'un certain état de dé-Ci) Pevnizky. Troubles obsédants traités par la méthode psycho-analytique de. Breuer Freud. ; Revue de psychologie russe 1809, n° 4.)
nutrition, ne révèle rien de particulier. Point de symptômes somatiques. ni psychiques, pouvant indiquer l'hystérie.
La malade nous donne un point précis — c'est la date du début de sa maladie — 2 mois. Chez les névrosés, on réussit souvent à établir que la-maladie a été précédée par un événement qui a fortement impressionné le sujet. Dans notre cas, rien. En second lieu il existe ici un lien incompréhensible entre la crainte d'une catastrophe et une maladie utérine. En interrogeant dans ce sens ma malade avec prudence et bienveillance, je reste longtemps sans rien obtenir ; mais les réponses imprécises, les réticences, la forme bizarre de ces réponses qui semblent vouloir interroger — me donnent la conviction que la malade a un chagrin et qu'il lui est pénible de le dévoiler.
La malade, en effet, qui auparavant m'avait assuré que. veuve, elle ne vivait avec personne et que personne ne lui faisait la cour, finit plus tard par laisser échapper qu'un jeune homme la poursuivait de ses assiduités ; seulement, comme il ne pouvait l'épouser, elle le tenait à l'écart. Plus tard encore,elle m'avoue qu'elle aime ce jeune homme qui la désire ardemment, mais qu'elle ne lui a pas cédé et qu'ils n'ont jamais dépassé les bornes du flirt. Je surprends la malade sur une contradiction avec elle-même, et elle confesse qu'elle a des relations avec ce jeune homme. Ses parents ont été très froissés de celte liaison, et elle a été obligée de rompre avec eux. Je m'étonne qu'elle ait eu tant de difficulté â m'en parler, et, d'après la réponse qui s'ensuit, je vois que tout n'est pas encore dit. J'apprends, en effet, plus tard, que depuis deux mois, le jeune homme ne vient plus aux rendez-vous. Pourquoi ? Il est impuissant et cette liaison les a rendus malheureux tous les deux. Etant donné que les impuissants sont abandonnés par les femmes plutôt qu'ils ne les abandonnent eux-mêmes, je pousse mon interrogatoire plus loin et je demande en quoi se manifeste cette impuissance sexuelle, si elle est d'ordre psychique, organique, où il s'agit simplement de « terminaison » précoce. A mon étonnement, j'apprends que, de la part du jeune homme, toutes choses se passent complètement et très normalement. Je m'étonne de plus en plus ! Alors avec beaucoup de difficulté la malade me dit qu'elle considère son ami comme * impuissant », parce qu'il n'arrive pas à lui procurer la satisfaction désirée. Elle n'atteint jamais à l'orgasme et elle en accuse son ami.
U serait trop long d'indiquer toutes les étapes successives de l'interrogatoire, qui a demandé plusieurs visites. La malade n'avouait qu'avec difficulté, mais, h la fin. je parvins à savoir que cette dame avait été très malheureuse en ménage, que la vie sexuelle n'avait alors pour elle aucun attrait et qu'au commencement de son veuvage elle était encore tout a fait indifférente vis-à-vis des hommes. La malade souffrait d'une endométrite chronique et elle prit, sur le conseil d'une amie, un médicament pour combattre une métrorrhagie abondante. La métrorrhagie cessa rapidement, mais la malade eut des accès d'excitation génitale qu'elle apprit par hasard à satisfaire en manœuvrant la canule à injec-
lion. Elle n'y voyait aucun mal. TJn jour il lui tombe dans les mains un livre sur l'onanisme et elle y trouve qu'une femme qui se livre a des pratiques pareilles devient inapte à la vie conjugale dans le mariage. Ceci l'affecte profondément. Elle en parle à ses amis, sans vouloir trahir ses appréhensions, lit des livres populaires qui traitent de la vie sexuelle et ne trouve nulle part un démenti a l'idée qui la tortore. Auparavant la malade était très calme au point de vue sexuel, traitait ses soupirants avec indifférence ; à présent, chacun d'eux lui apparaît comme un sujet avec qui elle pourrait vérifier le bien-fondé de ses appréhensions. Elle commence a s'intéresser aux hommes, et, sans s'arrêter devant le scandale, se lie avec le jeune homme en question. Et quel est son trouble son épouvante, quand elle s'aperçoit que l'acte se passe chez elle d'une façon anormale ! Après le rapprochement elle est obligée de quitter son ami et de passer dans le cabinet de toilette pour terminer avec la canule. Mais elle n'accepte pas que cela soit sa faute. Elle s'en prend à son ami. s'imaginant qu'il est impuissant et elle l'accable de reproches. L'autre lui riposte que. probablement, c'est elle qui est malade et que lui, n'est nullement en cause. Elle consulte alors des gynécologues sans leur dévoiler le sujet de ses inquiétudes. On constate,en effet, chez elle, certaines altérations lesquelles, d'après les recherches du professeur Walthard,(i\ peuvent avoir une origine purement psychique et on lui proposa des opérations « radicales ». Son désir de guérir était ¦ si fort qu'elle consentit à tout : curetage, amputation partielle du coL mais bien entendu, sans succès. Les relations avec le jeune homme se gâtèrent. Ils étaient toujours à se reprocher mutuellement leur incapacité à la vie sexuelle, sans avoir d'idée bien nette sur celle-ci. Enfin, il y a deux mois, le jeune homme la quitta. Alors cette femme honnête, intelligente, ayant beaucoup souffert, perd tout espoir de guérir, de pouvoir jamais vivre de la vie sexuelle normale. Il lui sera absolument impossible de chercher une autre union, de tenter encore le bonheur, puisqu'elle aime ce jeune homme et qu'elle a chèrement payé cette liaison aux yeux de la société. Elle était donc de nouveau menacée de compromettre par des manœuvres solitaires une santé qui lui apparaissait déjà comme irrémédiablement perdue.
Au point où nous en sommes, grâce a l'analyse psychologique, le pressentiment obsédant de la malade ne nous parait plus absurde. Loin d'être absurde, il est bien déterminé psychologiquement, et nous comprenons parfaitement les craintes d'un danger imminent, exprimées par la malade. Celle-ci redoute qu'en perdant l'homme aimé, sa santé se trouve irrémédiablement détruite par le besoin qu'elle ressent de recourir à l'onanisme.
Cette analyse fait clairement ressortir pour moi et mieux encore pour la malade que toute sa maladie découlo de l'idée que l'onanisme entraine
(1) Prof. Walthari», Etiologie psychogéule et thérapeutique psychique du vagi-nisnie d* lu clinique gynécologique de l'hôpital de Fruukfurt à M. Munchencr, médecin. Wochensehriit 1909. n" 39.
l'incapacité à la vie sexuelle normale. Cette idée, la malade très réservée, l'a adoptée de confiance, et l'autosuggestion a agi d'une façon décisive. Ayant compris son erreur, la malade est, par cela même guérie. Elle est tranquillisée, ne croit plus à ses appréhensions. Elle renoue avec son ami et a des rapports tout à fait normaux. Et cela suffit pour la guérir puisqu'elle connait la cause de son mal. Toute la série de ses raisonnements était juste, mais leur point de départ était faux. L'analyse psychologique a démêlé le nœud de ses tourments qui paraissent absurdes, nous a donné la possibilité de parler à la malade son langage symbolique, de dissiper ses appréhensions erronées et de la guérir.
Qu'auraient pu donner ici la suggestion, l'hypnotisme ? Rien qu'une amélioration passagère probablement. Le sentiment de terreur aurait pu disparaître, mais les phobies, dont la source n'eut pas été détruite, se seraient traduites sous un antre symbole. A quoi auraient pu servir chez cette malade le changement de milieu, les voyages ? Comme le dit plusieurs fois Freud dans ses travaux, il aurait pu arriver que dans un autre milieu cette femme rencontrât un autre homme et eût par hasard avec lui des rapports normaux. A part cette expérience, bien chanceuse et difficile a réaliser pour udo femme honnête, le changement de milieu n'aurait pu être d'aucune utilité appréciable. Nous voyons de cette façon que l'analyse psychologique, en nous permettant de découvrir les causes véritables qui se cachent derrière les plaintes et les phobies apparentes des malades, nous donne la possibilité d'une psychothérapie rationnelle. Cette thérapeutique n'a plus lieu à l'aveugle, comme dans la suggestion, elle n'escompte pas l'action possible de circonstances qui nous sont inconnues (comme dans le changement de milieu), mais elle s'appuie sur des indications logiquement déterminées, dont le bien-fondé est également convaincant pour le malade. D'antre part, nous voyons que les plaintes stupides des névropathes ne sont pas si stupides qu'elles le paraissent et l'expérience nous apprend & déceler la cause des plaintes en nous basant sur leur nature
Si le malade nous accable d'une foule de plaintes qu'il pourrait exposer une journée entière sans interrompre, cela nous amène à penser qu'il sent bien qu'il ne dit pas les choses essentielles, primordiales pour lui et qu'instinctivement il passe sous silence les questions qui le tourmentent le plus. Et ces dernières ne sont souvent que senties par le malade, et ne sont pas nettement formulées dans sa conscience. Posez-lui une question qui le touche'à son point sensible, et il se taira aussitôt, ou passera à un autre sujet ; vous n'obtiendrez pas de réponse directe sans une insistance particulière.
Si la malade est torturée par une jalousie absurde envers son mari, l'expérience nous montre que c'est sa propre imagination qui est dévergondée, qu'elle même trompe son mari mentalement, se considère comme hypocrite, indigne de confiance ; elle doute de l'honnêteté de tont le monde et en particulier de celle de son mari; elle cesse d'avoir confiance en lui et l'accable de ces soupçons.
S'agit-il de la crainte du regard d'autrni ? L'examen nous montre que le malade a des pensées inconvenantes, il craint que son visage ne soit le miroir de son âme et que l'œil d'autrui ne saisisse les pensées qu'il cherche à dissimuler. L'hypnotisme est inutile dans le traitement de ces phobies. Mais on peut rendre inoffensif l'état moral d'un pareil malade, on peut régulariser sa vie sexuelle, détruire les causes qui s'opposent à sa satisfaction sexuelle. Alors disparaîtront ses idées mauvaises, et il n'aura pas à. redouter le regard d'autrui.
U est vrai qu'en pratique ce n'est pas toujours si simple et si facile. Chaque phobie peut avoir des causes multiples. C'est dans l'âme du malade que s'élabore le syndrome morbide ; et le malade peut trouver des raisons nenvelles pour légitimer ses appréhensions. Pour les tendre inoffensives, force est donc de les découvrir, de les étudier, de les juger. Cette méthode devient de la véritable orthopédie psychique.
Des amours singulières, des inclinations bizarres, l'agoraphobie, la peur de mourir, de tomber, sont les images symboliques de tourments moraux déterminés, et on peut, au moyen de la méthode psycho-analytique, les étudier, les expliquer, malheureusement pas toujours très vite, mais parfois très facilement. Une fois parvenus à connaître l'Ame-véritable du malade, on peut le traiter rationnellement.
(A suivre).
Discussion :
Dr Beb.ii.los:. — Les idées du Dr Pewnizky sont conformes à. celles qui ont été, à diverses reprises, déjà exprimées dans notre Société. Dans la séance d'octobre 1900, dans une communication intitulée : Reviviscence du souvenir dans les étals hypnotiques, je faisais ressortir les avantages que l'on peut tirer de l'hypnotisme pour rechercher les idées subconscientes qui entretiennent les anxiétés et les phobies chez les malades Je ne puis d'ailleurs mieux faire que de rappeler le texte exact de ma communication :
« Il arrive assez fréquemment que des suggestions dirigées contre certains symptômes manifestes restent inefficaces, parce quelles n'atteignent pas la cause du trouble fonctionnel.
« Ce trouble fonctionnel peut être entretenu par des rêves ou par des souvenirs subconscients qui entretiennent le malade dans un état émo • tionnel. Un artifice assez ingénieux consiste à évoquer dans l'état hypnotique les souvenirs qui. à l;état de veille, demeurent dans le domaine du subconscient. Après un certain nombre de sollicitations s'adressant à la mémoire et .ayant pour but de provoquer le souvenir de la cause initiale du trouble nerveux, il est rare qu'on n'obtienne pas de renseignements très précieux. On apprend ainsi que les troubles hystériques ont eu pour cause un choc, une émotion, une peur dont le malade a apparemment perdu le souvenir, mais qui a laissé une trace dans son subconscient. Il convient alors de lui suggérer l'onbli complet et définitif de cette cause et de supprimer ainsi toute cause capable d'entretenir la cellule nerveuse dans un état anormal d'Irritabilité. II est surpre-
nani alors de constater combien la thérapeutique suggestive devient efficace lorsque Ton a ainsi remonté à la cause du mal. »
On voit par ce qui précède combien les idées de M. le Dr Pewnizky se rapprochent des miennes. Le point sur lequel nous différons, c'est lorsqu'il renonce à l'emploi de l'hypnotisme. J'en suis d'autant plus surpris que s'il est une opinion partagée par un grand nombre d'auteurs, c'est celle qui considère l'hypnotisme comme un moyen d'entrer en rapport avec le subconscient. Je persisterai donc à recourir à l'hypnotisme non seulement pour provoquer la reviviscence des impressions effacées, mais aussi pour accentuer l'efficacité de mon intervention. Dans des cas où nos moyens d'action psychothérapiques se heurtent à tant de difficultés, n'est-il pas toujours préférable d'adopter l'adage ancien, mais toujours vrai : « Qui peut le plus, peut aussi le moins. »
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
séance dc mardi 15 février 1910
Présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière. La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
II. le Secrétaire Général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres de MM. les D1* Poulalion, Marcel Thiry (de Jumay, Belgique; van Benterghem (d'Amsterdam) et Douglas Bryan (de Leicester).
Les communications inscrites à l'ordre du jour sont faites ainsi qu'il suit :
1. Dr Bébillon. La fascination auditive. L'emploi des diapasons dans la production de l'hypnotisme.
2. Dr Pevsizky (d'Odessa). Les phobies apparentes envisagées comme l'expression d'appréhensions cachées (2e Communication).
Discussion : Dra Bérillon, Preda, Paul Farez et Baffegean.
3. Dr Bevalot. Un cas d'idées délirantes, avec symptômes mélancoliques, gnéri par la suggestion narcotique.
4. M. Ismael ?????. Du dressage des animaux et, en particulier, du cheval monté.
Discussion : MM. Moret, Bérillon, Paul Farez, Lépinay, Demonchy.
M. le Président met aux voix les candidatures suivantes qui sont adoptées à l'unanimité : Dr Lci&i Cesari (de Borne). Dr Spocrgitis, M. Georges ?????.
La séance est levée h 7 heures.
Note sur un cas d'idées délirantes avec symptômes mélancoliques guéri par la suggestion narcotique
par M. le Dr Bévalot
L'observation que je présente à la Société d'hypnologie démontre le
service que serait susceptible de rendre la suggestion narcotique dans
le traitement de certaines psychoses contre lesquelles les moyens thérapeutiques habituellement employés ont peu d'efficacité. Je pense que de nombreux malades enfermés dans des asiles ou des maisons de santé pourraient être justiciables de ce procédé, si simple en somme, et qui, manié avec prudence, ne présente pas de sérieux inconvénients.
Monsieur X... cultivateur, figé de 56 ans, est un homme de forte constitution, dont les antécédents héréditaires sont assez lourdement chargés : ils nous révèlent en effet le suicide du père qui se jette sous un train à l'âge de 55 ans, et le suicide de la mère qui s'asphyxie par le charbon à l'âge de 53 ans.
Ses antécédents personnels ne présentent pas grande particularité puisqu'il n'a jamais -été malade et qu'il a toujours mené une vie assez régulière.
Dès son adolescence cependant il ne fit montre que d'une énergie toute relative : comme il le dit lui-même, il fallait que tout marchât mécaniquement ; et, dès que le mauvais temps venait gêner ses travaux champêtres, c'était un homme perdu.
En 1900, sans raisons apparentes, il fit un premier accès de psychose atténuée dans lequel dominaient les idées de ruine et de culpabilité caractéristiques de la mélancolie. Il devint plus impressionnable, s'affectait de tout et voyait tout en noir. A son point de vue, et malgré une situation très aisée, il se voyait ruiné et réduit à la plus noire misère ainsi que sa famille. Incapable de commander à son personnel parce qu'il ne se sentait pas sur de lui, il s'accablait de reproches de se voir si impuissant. Pendant deux mois on ne pût le faire sortir de chez lui : il restait constamment plongé dans un état de tristesse invincible aussi déprimé physiquement que moralement. Les nuits se passaient dans l'insomnie la plus complète, et ce n'est que par force que l'on réussissait à lui faire accepter quelque nourriture. La tête lui paraissait comme serrée dans un casque et il s'enfermait le plus souvent dans un mutisme absolu dont il ne sortait que pour se plaindre de la fatalité qui s'acharnait contre lui.
Quelques mois d'un traitement calmant et reconstituant mirent fin tant bien que mal à cette première crise ; mais, depuis lors, chaque année vers le mois de février, il fut repris de cet état de dépression qui s'établissait peu à peu pour arriver bientôt à la période aigUe dont la durée était généralement de quatre à six mois.
U avait alors peur de tout et ne voyait d'autre issue à ses malheurs que le suicide. Il se croyait obligé de suivre l'exemple de ses parents et cette idée de suicide le hantait d'autant plus qu'il était arrivé à l'âge qu'il considérait comme fatal pour lui.
Pendant les périodes de crise M. X... présentait une analgésie presque complète des deux bras, et se plaignait toujours d'avoir ou trop chaud ou trop froid, ce qui l'obligeait à changer de vêtements quatre et cinq fois par jour.
Dans l'intervalle des crises, l'état général laissait beaucoup à désirer,
et. si l'appétit redevenait normal, l'insomnie restait la règle avec toutes ses conséquences. L'estomac fonctionnait de façon passable, mais l'intestin était le siège de besoins aussi fréquents qu'impérieux, et, la moindre petite évacuation semblait procurer un soulagement réel mais peu durable
Lorsque je fus appelé à donner mes soins à M. X... à la fin de l'été dernier, l'état de crise persistait depuis près d'un an malgré les divers traitements employés jusques la, et ne présentait nulle tendance à l'amélioration, au contraire.
Ma première pensée, dans ces conditions, fut de recourir à l'hypnose : je me préoccupais avant tont de réaliser chez mon malade l'état sédatif.
Les premières séances faites avec les moyens ordinaires amenèrent bien une légère amélioration, mais c'était loin d'être la guérison et je n'avais pu couper court au flot envahissant des idées fausses dont se trouvait farcie la tête de mon sujet. M'étant rendu compte que la faiblesse du résultat ne tenait qu'à l'insuffisance de la dose du sommeil, je n'hésitai pas à recourir à la narcose et j'employai pour cela un mélange à parties égales de chloroforme et d'iodure d'éthyle que j'avais sous la main. Pendant toute la durée de la période anesthésique je tins conversation & mon malade pour maintenir son attention en éveil, et je ne fis mes suggestions qu'après obtention de l'anesthésie complète marquée par l'abolition du réflexe cornien. A partir de ce jour l'état de M. X.. changea du tout au tout comme par enchantement : il redevint gai. sûr de lui, travailleur acharné et content de vivre. Depuis plus de trois mois la guérison ne 6'est pas démentie un seul instant et l'on peut dire que ce n'est plus le même homme tant au physique qu'au moral : ses compatriotes qui le considéraient comme fou sont frappés du changement survenu dans son état. Ce n'est plus cette fois une atténuation de symptômes qui caractérisaient les crises ou les périodes intercalaires, c'est leur disparition complète grâce à l'emploi de la suggestion narcotique.
Discussion'
Dr Bêrillox. — Depuis longtemps il m'arrive, me conformant en cela à la pratique d'Auguste Voisin, de recourir à l'emploi de narcotiques pour favoriser la suggestion. Auguste Voisin donnait la préférence au chloroforme. Dans ces derniers temps, à la clinique de la rue St-André-des-Arts. nous avons recours à un mélange, par parties égales, de chloroforme et d'iodure d'étyle. Les malades qui s'y soumettent volontiers déclarent en retirer des avantages très manifestes. Nous n'appliquons ce procédé que dans les cas d'obsessions graves, de mélancolie.
Dr Farkz. — U me parait préférable de recourir à l'emploi du som-noforme dont j'ai exposé le mode d'administration et les avantages. Le fait de plonger les malades dans un état d'inhibition qui les rend plus accessibles aux suggestions, étend l'action de la psychothérapie à des cas où, sans cela, elle ne serait pas applicable.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie aura lieu le mardi 17 mal à 4 heures el demie, sous lu présidence de II. le D[ Jules Voisin, médecin de lu Salpotrlère.
Les séances ont lieu le troisième mardi do chaque mois. Elles sont publiques. Le* médecins, les étudiants et les membres de renseignement sont invités a y assister.
Adresser les titres et communications à M. le D' Bérillou, secrétaire-général, 4, rue de Castellane et les cotisations a M. le Dr Faroz, 1SJ, boulevard Haussmann.
Quelques cas de mémoires extraordinaires
C'est avec raison que votre correspondant fait remarquer que c'est surtout ches les prêtres et les religieux que l'on a rencontré des sujets doués de mémoires très développées. Aux noms qu'il a cités, il aurait pu joindre celui du Cardinal Joseph Mezzofnnti, qui fut, à une époque rapprochée de nous, considéré comme un phénomène pour la prodigieuse mémoire dont il était doué. Né a Bologne en 1771 et mort à Rome en ISIS, le Cnrdinal Mczzofanti ne connaissait pas moins de 78 langues, sans compter les dialectes. Xon seulement il connaissait parfaitement Mutes ces langues, mais il avait étudié leurs dialectes, a tel point qn'il reconnaissait dès les premiers mots, la province a laquelle appartenait son Interlocuteur.
Lo Czar Jileólas s'étant entretenu avoc lui, déclara qu'aucun de ses sujets ne parlait mieux le russe dans son empire. A coté des langues répandues, il avait appris à fond des langues peu courantes telles que l'albanais, le catalan, le chaldéen, le copte, le curacien, l'éthiopien, le géorgien, l'illyrien, le kurde, le maltais, le péguau, te samaritain, le cingalais et même la langue des tsiganes.
Malgré son érudition, il ne passa Jamais pour un homme de grande valeur. Son exemple aurait pu contribuer & démontrer que le polyglottisme n'est pas favorable au développement des plus hautes facultés de l'esprit. J. B.
' à
La mémoire qui permet aux officiers de retenir tris rapidement le nom de leurs soldats est un fait tres fréquemment observé. On en cite même des exemples classiques. Miüiridnte, roi du Pont dont l'empiro comprenait vingt-deux nations différentes, pouvait parler, dans leur langue, il tous les sujets. Il connaissait les noms de tons ses soldats.
Il faut croire que cotte aptitude b. retenir les noms a été particulière à un assez grand nombre de capitaines puisqu'on l'attribue Cyrns, roi de Perse, à Tbémiatocle, a Scipion l'Asiatique, à l'empereur Adrien, à l'empereur Othon et a un certain nombre d'autres. Il est probable qu'il notre époque, on rencontrerait peu de généraux capables d'en faire autant. M.
Guérison des verrues par la suggestion
31. le Dr Bonjour de Lausanne, dans une récente communication a la Société médicale de la Suisse Romande a de nouveau nppelé l'attention sur la guérison des verrues par la suggestion. Il a présenté un jeune garçon qui était venu le voir le24 septembre dernier. Il était couvert de verrues placées sur le coté droit do la face et il avait un semis de verrues sur le front et à l'angle buccal gauche. Ses mains en étaient couvertes ainsi que son mollet droit. Il porte de larges cicatrices des brûlures faites pour les guérir. M. Bonjour lui a suggéré la disparition des verrues le 27 septembre, 8 Jours plus tard, les verrues apparaissaient toutes flétries et séenées. au bout de 15 jours, elles avalent disparu.
Jusqu'à présent, M. Bonjour prétend avoir guéri tons les cas de verrue de cette façon. La guérison a lien souvent au bout de quelques jours. Il faut rarement pour cela trois ou quatre mois avec nnc séance par mois.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie
Cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie.
Les cours du Dr Bérillon et Paul Farez, annoncés dans le précédant numéro, seront complétés dans le courant du mois de juin par un cours de psychothérapie pratique et d'hypnologie en 12 leçons. Le droit d'inscription est fixé à 50 francs. On s'inscrit à l'Ecole de psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts.
L'adralBlSlraiHr J. BÈRILLON. \£ GeraDl : Constant LAURENT. Privas.
Prlrai, Imp. C. Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÈRAPEUTIQUE
24e Année — N°11.
Mai 1910.
BULLETIN
1/hypnotisme dans l'œnvre de Bjœrnstjerne-Bjœrnson. — Un hommage au professeur Kaymond
Le gi-and dramaturge norvégien Bjœrnstjeme-Bjœrnsou, dont la renommée égalait presque celle de son grand compatriote Ibsen, vient de mourir à l'Age de TS.aus. Son cenvre a de particulier qu'elle est essentiellement psychologique. Nul n'a plus contribné que lui, par la voie du théâtre, a inspirer !i ses compatriotes le goût de la psychologie.
Son œuvre principale, Au-delà des forces humaines, u'est eu fait,qu'une discussion philosophique sur la réalité du miracle et sur les causes par lesquelles nous arrivons a l'Illusion de son existence. Au premier rang de ces causes est l'hypnotisme dont les effets thérapeutiques revêtent parfois l'allure d'une intervention quasi miraculeuse.
Bjo-rnsljerne-BJœrnson que les travaux de Charcot et de ses élèves sur l'hypnotisme avalent vivement intéressé, .s'en est Inspiré dans la confection de son drame. La figure principale de sa pièce est celle du pasteur Sang, dont le type do croyant et d'apotre rayonne d'une si surhumaine pureté, qu'on lui prête, dans son milieu, le don des miracles. Des qu'il a prié près d'un malade, une telle amélioration se manifeste dans son état que le peuple s'imagine qu'il émane de lui une sorte de pouvoir mystérieux capable de guérir les maladies et de conjurer tous les maux. Aussi on en abuse, et par tous tes temps, même par les froids les pins rigoureux le pasteur Sang est appelé hors de sa demeure à des distances souvent très eonsidé-rables. C'est là un sujet de récriminations Incessantes de sa femme Klara, qui lui reproche de ne pas remplir ses devoirs de famille et de négliger l'éducation de ses enfants. Elle se plaint snrtont que lui, qui guérit tant de malades, ne puisse, a elle-même, lui apporter le moindre soulagement. Klara, paralysée dans son lit, souffre de mille douleurs, sans sommeil et sans repos. La description que l'auteur nons donne de son état en fait une malade atteinte de grande hystérie.
Piqué au vif, le pasteur Sang prend la résolution de rendre a sa femme le service qu'il apporte si souvent a d'autres malades. Pour arriver à ce but, il y mettra toute la force de sa prière et de sa foi. Malheureusement sa femme n'est pas aussi hypnotisable et aussi suggestiblc que les braves gens au milieu desquels il exerce son ministère.
Le jour fixé pour la tentation du miracle, 11 se rend à l'église, s'agenouille et se met en prière. Tout le temps qu'il prie, la cloche sonne. Un premier effet merveil-lenx se produit soudain, la malade s'endort. Le bruit de la cloche et l'cxpectant attention l'ont hypnotisée. Une foule anxieuse entoure l'église, attend le miracle espéré, c'est-à-dire la guérison définitive de la malade. Un ami de Sang, le pastenr Bratt mêle la fol a- celle des antres assistants : « Si le miracle indubitable se produisait, dit-il, le grand miracle, tel qne tons ceux qui le verraient le croiraient, alors viendraient de toutes parts à l'appel de Dieu, la grande race des souffrants et des déshérités. •
Tout a coup, un mouvement se produit : la paralytique, l'œil flxe comme cela d'un extatique, a snrgi de son lit. Elle s'est levée et marche. Elle se dirige d'un pas somnambulique vers l'église où son mari ne doute pas du succès de sa prière.
Le peuple frémit d'une joie intense. Klara, la mourante ressussitée, est guérie ; de sa bouche s'exale un chant d'extase et de fol. Mais brusquement, elle cesse d'avancer. Ses jambes fléchissent et elle tombe raide morte. Le miracle tant espéré
ne s'est pas effectué. Il n'était pas possible que cela fut, car le miracle était au-dessus des Jorces humaines. La limite du pouvoir de l'homme se trouve dans Vhypnotisme. Il ne saurait aller au-delà. Vouloir davantage, c'est demander l'impossible.
Quand, au commencement de 1897, le théâtre de l'œuvre, représenta la pièce de Bjœmstjeme-Bjœrnson, son directeur, M. LugnéPoc deniandanuD'Bériilou défaire pour la pièce une introduction qui fut distribuée à tous les spectateurs, avant le lever du rideau. Dans cette étude, notre rédacteur en chef exposait le mécanisme par lequel le pasteur Sang arrive à exercer une si profonde influence sur les esprits simplistes des marins et des paysaus norwégieus au milieu desquels il vit. Leur mentalité, très normalement organisée, obéit sans discussion, aux suggestions, de celui auxquels ils reconnaissent une supériorité morale. ) 1 n'en saurait être de même pour sa femme Klara, hystérique raisonneuse, au fonctionnement nerveux déséquilibré et dont l'état mental a été compliqué par le doute et le raisonnement. Chez elle les prières d'un pasteur protestant, si convaincu qu'il soit, ne sauraient suffire et réaliser un effet thérapeutique. L'intervention d'un médecin spécialiste très rompu à la pratique de l'hypnotisme et aux difficultés de la psychothérapie serait de beaucoup préférable.
La préface du DE lïérillon, publiée dans le numéro de la Revue de l'JIypnolitme
de février 1897 valut a, son auteur les plus flatteuses félicitations. Ceux de nos
lecteurs qu'elle intéresserait pourraient s'y reporter avec fruit.
* * *
Les ami3 ot les élèves du professeur Raymond ont eu l'excellente Idée de commémorer sa nomination au grade de Commandeur de la Légion d'honneur par nne plaquette exécutée par le sculpteur.
Les adhésions sont reçues chez M. Doin, éditeur, S, place de l'Odéon. Les souscripteurs de 20 francs recevront un exemplaire de la plaquette. La cérémonie de la remise de la plaquette aura lieu dans le courant du mois de mai. La rédaction de la Revue de l'Hypnotisme sera heureuse de s'associer à cette affectueuse manifestation. SI tous les élèves du professeur Raymond et tons ceux qui ont eu à se louer de sa bonté se trouvaient cette réunion on aurait rarement vu une affluence aussi nombreuse.
SOCIÉTÉ D'HYPNQLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 15 février 1010. — Présidence de M. le D* Jules Vom*.
(Suite)
TRAVAUX ORIGINAUX
La fascination auditive. — Emploi des diapasons dans la production de l'hypnotisme
par le Dr Bêrillox, professeur h l'Ecole de psychologie
Chez l'homme, aussi bien que chez les animaux, l'audition sans cesse en éveil, s'intéresse momentanément an moindre bruit, pour peu que l'oreille n'y soit pas accoutumée. Mais certains sons ont le privilège de retenir et de 'captiver l'attention auditive et cela peut être poussé si loin qu'il en résulte une véritable fascination. Il n'est pas rare de voir, sous l'influence de sons harmonieux ou agréables, des personnes tomber dans un véritable état d'extase. Le même phénomène s'observe chez les oiseaux. Dans certaines espèces, pendant la saison des amours, le chant des maies exerce sur les femelles une attraction véritablement irrésistible.
Celte capta t¡ on de l'attention auditive est encore accentuée lorsque les sonorités sont régies par un rhytme régulier. Il semblerait que les répétitions des mêmes impressions sonores ait pour effet d'augmenter l'agrément des perceptions ressenties. C'est ce qui fait que l'audition des tirades poétiques absorbe plus complètement notre attention que celle des morceaux de prose ; avec les rbytmes musicaux la prise de possession est encore plus forte et le charme qui s'en dégage est tel, qu'il peut plonger les auditeurs dans une véritable euphoiie sensorielle. On peut s'en rendre compte en constatant l'irritabilité témoignée par ceux qu'un dérangement inopportun vient troubler lorsqu'ils sont dans cet état.
Les bruits de la nature s'imposent à notre attention d'une façon aussi intense : « Quand nous écoutons le bruit des vagues qui buttent une falaise, écrit M. Jules Souriau, nous ne nous contentons pas d'entendre chaque choc à mesure qu'il se produit ; nous anticipons sur l'impression prochaine ; après chaque secousse sonore, nous attendons la suivante, avec un besoin de la recevoir qui va croissant à mesure qu'elle devient plus imminente : aussi le retour périodique de ce bruit toujours attendu accapare-t-il toute notre attention.
Un peu plus loin, il dit encore :
« Les sons doux, lents et monotones, quand nous nous oublions trop longtemps à les écouter, ont la propriété de nous plonger dans une sorte de léthargie cérébrale qui peut aboutir à l'hypnose.
« Par cela même qu'ils absorbent notre attention, ils abaissent déjà notre activité intellectuelle au-dessous de son niveau normal. Que peuvent dire à notre esprit ces bruits dont nous avons signalé la vertu fascínente, le ruissellement d'un jet d'eau, le roulement du train qui nous emporte, le ronflement d'un poêle ?
« Insignifiants par eux-mêmes, ils nous retiennent pourtant par l'attente instinctive d'un achèvement qui n'arrive jamais, par leur incessante et monotone variation. Nous les écoutons sans savoir pourquoi, sans penser à rien, et notre intelligence s'engourdit dans cette contemplation oisive. Notre état de conscience se réduit à une suite de sensations sonores. Qu'arriverait-il alors si peu à peu les sons que nous écoutons se ralentissaient encore, si leur sonorité allait décroissant par degrés continus jusqu'à s'abaisser au-dessous du minimum perceptible ? Ce qui arrive à l'enfant irrité ou souffrant que l'on calme par une chanson : d'abord il oublie son mal pour écouter cette voix qui le charme ; aux sensations pénibles qu'il éprouvait, on a substitué de simples sensations sonores qui peu à peu iront elles-mêmes en s'affai-blissant ; on ralentit le chant, on baisse la voix, et le petit être s'endort.
* Mais il n'est pas nécessaire, pour que cet effet se produise, que les sons qui ont absorbé notre attention aillent réellement en s'affaiblissant : il suffit que peu à peu notre attention s'en retire. C'est une loi générale de notre sensibilité, que toutes les impressions, auxquelles notre pensée ne s'applique pas d'une manière active, tendent à devenir inconscientes.
« Cela est plus vrai encore de l'ouïe que de tout autre sens. Dès qu'un
bruit cesse de nous inquiéter quand nous ne l'écoutons plus que d'une-oreille distraite, l'impression sonore devient de moins en moins consciente, et bientôt nous cessons d'entendre C'est ainsi que les sons-monotones, après avoir d'abord absorbé notre attention, finissent par l'engourdir ; les sensations sonores auxquelles notre conscience se trouvait réduite décroissent, disparaissent : et nous voilà dans le vide.
« Le bruit le plus net, le plus distinct, peut avoir la même influence hypnotique quand il revient périodiquement, comme le tic-tac d'un métronome. Ces sons régulièrement rythmés s'imposent d'abord à nôtre-oreille par leur caractère insolite ; nous les suivons pour en saisir la loi;, puis, quand ils n'ont plus rien à nous apprendre, notre attention se porte ailleurs ; cette perception, dans laquelle nous étions absorbés, devient inconsciente : nous sommes en léthargie. »
Cette action fascinalrîce des sons harmonieux, rhytmés et prolongés a été connue dès la plus haute antiquité. Elle a donné naissance a des légendes dont la plus fameuse est celle d'Orphée. Le mythe qui nous-apprend, qu'aux accents de sa lyre, les hommes farouches et les bêtes sauvages elles-mêmes s'attendrissaient n'est que l'expression symbolique des enchantements provoqués par la musique sur les peuplades les plus barbares.
Une autre légende non moins expressive est celle de la fascination exercées par les Sirènes, dont les chants enchanteurs entraînaient les navigateurs dans les parages les plus dangereux. Dans l'Odyssée, Homère nous apprend comment Ulysse, sur les conseils de Circé, après avoir bouché les oreilles de ses compagnons avec de la cire, se fit attacher solidement au mat de son navire, afin de pouvoir écouter, sans danger' ces voix délicieuses.
La légende des Sirènes avait pour utilité de rappeler aux navigateurs qu'il est des parages volcaniques ou il n'est pas sans danger de se laisser-hypnotiser par le doux murmure des flots. En effet, à toutes les époques,, les bruits cadencés de la mer ont exercé sur les hommes une influence captivante. Le bercement du navire et le bruissement des vagues engourdissent l'esprit et le plongent dans une torpeur dont il a peine à se tirer.
Les barcarolles italiennes et les chansons des gondeliers de Venise,, dont le rhytme s'adapte si bien au balancement de la nacelle, accentuent, cette tendance à la somnolence. C'est cette sensation d'abandon à un sommeil irrésistible que Lamartine, après beaucoup d'autres, à traduite, si poétiquement dans les deux vers suivants :
Córame un enfant bercé par un chaut monotone Mon âme s'assoupit au murmure des Dots.
Le récit biblique de l'action calmante exercée par la harpe de David sur les nerfs irrités du roi Saul témoigne également que les Hébreux connaissaient les effets sédatifs des sons musicaux.
L'aptitude de l'ouie à subir la fascination a donné à divers observateurs l'idée de recourir aux vibrations sonores et aux bruits rhytmés. pour réaliser la production de l'hypnose.
Diverses expériences furent instituées à ce point de vue par Charcot et par son collaborateur M. le Dr Paul Ricber. Etudes cliniques sur la grande hystérie (1), 31. Paul Richer consacre plusieurs pages aux actions hypnogéniques s'adressant au sens de l'ouie.
« La lumière dit-il n'est pas le seul agent qui puisse plonger les hy6téro-épileptïques dans les états de catalepsie et de léthargie ; les mêmes expériences ont été reproduites sous l'influence des vibrations sonores. Les malades Gl... etB... sont assises sur la boite de renforcement d'un fort diapason ; ce diapason, en métal de cloche, vibre soixante-quatre fois à la seconde (2). Il est mis en vibration au moyen d'une tige ¦de bois, qui en écarte violemment les branches ou d'un archet qui frotte son extrémité ouverte. Au bout de peu d'instants, les malades entrent en catalepsie, les yeux restent ouverts, elles paraissent absorbées, elles
Tig- 1. — Etat cataleptique provoqué par la vibration d'un diapason (Charcol).
Fi -. 2. — Etat lêU »1 -. ¡11" provoqué par la vibration d'un diapason (Charcol).
n'ont pins conscience de ce qui se passe autour d'elles, et leurs membres conservent les diverses attitudes qu'on leur imprime. Si l'on arrête brusquement les vibrations du diapason, immédiatement se fait entendre le bruit laryngien, les membres tombent dans la résolution, et les malades sont plongées dans la léthargie. Ici la léthargie possède tons les caractères décrits précédemment. Au milieu de l'état léthargique, de nouvelles vibrations du diapason ramènent la catalepsie ».
D'autres auteurs avaient reconnu d'autre part l'influence d'excitations auditives faibles et prolongées sur la production de l'hypnotisme. Weinhold et Heidenhain ont eu l'occasion d'hypnotiser plusieurs sujets en leur faisant entendre le tic-tac d'une montre
(1| Paul Riohkr : Etudes cliniques sur la grande hystérie. 1885. p. 524. (2) Les ligures I et 2 proviennent de clichés exécutés par M. le professeur Paul Bernard ci que je dois a su libéralité.
Le professeur Pitres a également en recours à ce procédé d'hypnotisa-tion. U en décrit les effets qu'il en a obtenus snr un de ses sujets dans les termes suivants :
c Jeanne étant assise sur une chaise, je place ma montre au voisinage de son oreille, en la priant d'en écouter attentivement le tic tac. Dix secondes après, vous la voyez faire, comme tout à l'heure une large inspiration. Elle est endormie, car ses membres soulevés conservent les-attitudes qu'on leur donne, mais ses yeux sont encore largement ouverts. Attendons encore quelques secondes : voilà que ses paupières s'abaissent, les membres restant toujours dans les positions que nous leur avons données. Ne retirons pas encore la montre, et regardez bien ce qui va se passer. Tout à coup, les membres se relâchent, la malade s'affaisse sur elle-même, glisse de sa chaise et s'étend sur le plancher, comme une masse inerte.
« La même influence a donc produit par le fait seul de sa prolongation, trois formes différentes de l'état hypnotique. Dans la première, qu'on appelle l'état cataleptoïde les geux ouverts, la malade ressemblait à une personne éveillée puisqu'elle pouvait se tenir assise et qu'elle avait les-paupières largement ouvertes ; dans la seconde, qu'on appelle Vétat cataleptoïde les yeux fermés, elle ressemblait à une personne endormie ; dans la troisième qu'on désigne sous le nom d'état léthargique, elle estdevenue inerte comme un cadavre ».
M. Pitiés a observé que le diapason, employé pour provoquer l'hypnose chez les hystériques, agit plus activement que la montre. Maintenu à une petite distance de l'oreille ou appliqué sur le crâne, il provoque rapidement l'état cataleptoïde les yeux ouverts, puis l'état cataleptoïde les yeux fermés, puis l'état I éthargoïde.
« Dans le cas, ajoute-t-iL où le diapason est appliqué sur le crâne, il importe, pour que l'expérience réussisse qu'il soit plus rapproché d'une-oreille que de l'autre » (S).
Dans le service de DumontpalHer à la Pitié, le Dr Paul Jlagnin a éga lement étudié l'action des excitations périphériques et en particulier des-vibrations sonores sur la sensibilité certaine des hystériques hypnotisées. Il a noté que les vibrations sonores, de même que les vibrations lumineuses, étaient susceptibles chez certains sujets, de provoquer l'apparition de contractures (2).
« L'intensité du son peut-être très minime Les résultats sont tout-particulièrement nets en employant le tic-tac d'une montre. L'expérience se réalise très facilement an moyen d:un tube de caoutchouc long de 8 à 10 mètres, et dont l'un des bouts est muni d'un porte-voix. La malade une fois endormie, l'extrémité libre du tube est placée à quelques centimètres du tégument, en face de telle ou telle région du corps. Les choses étant afnsi disposées, la montre est approchée du porte-voix. La contrac-
(1) PiTBts : Leçons cliniques snr l'hystérie et l'hypnotisme 1891. T. TJ. p. 87.
l2) Panl Magnix : Etnde clinique et experimentóle snr l'hypnotisme. 1.88*. p. 26-
(3) Pitres. T. II. p. *92.
tare apparaît alors dans les muscles ou le muscle sous-jacent à la zone cutanée excitée. Cette contracture se produit par mouvements saccadés isochrones au tic- tac de la montre ; les contractions fibrillaires du muscle se montrent synchrones a ce bruit. »
31. le Dr Xatier, auquel on doit do très belles recherches sur la rééducation de l'ouïe dans la surdité par l'emploi des diapasons, signalait récemment dans la Chronique Médicale, plusieurs faits importants qui se rattachent h l'hypnotisation auditive.
« Il arrive communément, écrit-il, au cours d'exercices acoustiques avec les diapasons, de voir, après quelques minutes, une douce somnolence envahir les malades Ils luttent manifestement pour se maintenir éveillés ; néanmoins, si l'expérience était poursuivie, il est vraisemblable qu'avant peu ils finiraient par succomber au sommeil. Maintes fois, alors que mon préparateur opérait, et que j'assistais aux exercices en simple spectateur, j'ai moi-même dû céder a l'agréable sollicitation des ondes sonores et témoigner, en m'assoupissant, de leur vertu dormitive et de mon impuissance à y résister. De même, des patients non prévenus et entièrement ignorants de ce qui pouvait advenir, ont déclaré, à la fin de la séance, être tout à fait débarrassés d'un mal de tête souvent intense et dont la ténacité les avait auparavant obsédés durant plusieurs heures. Un de mes aides en a plusieurs fois fait sur lui-même la remarque. Quant à la sensation d' « allégement du cerveau ». dans les mêmes conditions, c'est & peine si, maintenant, elle peut faire l'ombre d'un doute. Cette influence favorable des vibrations avait suggéré à un de mes malades, aussi particulièrement sensible a leur action, la possibilité d'une application pratique non dépourvue d'originalité En effet, étant vétérinaire, il avait songé, le cas échéant, à les utiliser pour engourdir la sensibilité des chevaux, et ainsi procéder en toute aisance soit a, leur ferrage par exemple, soit à d'autres petites opérations courantes.
« La mnlptilicité des faits par moi observés à l'heure actuelle prouve qu'il s'agit, dans l'espèce, non pas de coïncidences pnrement fortuites, mais de modifications physiologiques régulières et indéniables Celles-ci, selon toute vraisemblance, portent par l'intermédiaire du système nerveux sur le système circulatoire.
« Il ne faudrait pas croire qu'il soit indifférent de recourir h l'emploi de n'importe quels sons pour atteindre ce but précis. En effet, des vibrations trop aiguës déterminent vite une excitation pénible, et les notes tout a fait basses occasionnent de la fatigue, par suite de la tension nécessitée pour leur perception. Ce sont les diapasons des gammes 2 et 3. avec ou sans le concours des résonnateurs, qui procurent, & peu près exclusivement, les résultats auxquels je viens de faire allusion.
« En résumé, les vibrations régulières — amplifiées ou non par des résonnateurs — fournies par des diapasons des gammes 2 et 3, amènent très fréquemment la sédation et mieux la disparition totale des lourdeurs de tête, et parfois même de migraines véritables. Elles sont encore de nature, si la séance est suffisamment prolongée à déterminer une
agréable somnolence, susceptible d'être transformée en un sommeil complet. >
Les indications du Dr Natier m'ont encouragé à reprendre les expériences instituées autrefois à la Salpétrière, dans le service de Chnrcot. sur l'emploi des diapasons pour faciliter la production de l'hypnose. Pour arriver a ce résultat, j'ai ou recours a la bienveillante collaboration de M. Lancelot, constructeur d'appareils d'acoustique. A l'aide d« diapasons qu'il a bien voulu mettre à ma disposition, j'ai constaté que, par l'emploi des diapasons, on arrivait à désarmer rapidement certaines résistances à l'hypnose et à faciliter l'apparition du sommeil provoqué.
Dans l'emploi des diapasons plusieurs dispositifs différents peuvent être utilisés. Le plus souvent le diapason, placé devant une des oreilles du sujet est mis en action un certain nombre de fois, à intervalles réguliers, à l'aide d'un maillet spécial. L'effort d'accomodation imposé à l'oreille pour suivre la sonorité décroissante de l'instrument ne tarde pas à amener un état de fatigue favorable a la réalisation de l'hypnose.
Une expérience de Gellé met hors de doute la réalisation de la fatigue par ce procédé :
« Un diapason, dit-il, vibre avec force en face de l'oreille droite jusqu'à ce que le son reste inaperçu à droite ; à ce moment, on passe vivement le diapason à gauche près du méat et le son est entendu là ; on pent conclure que cette oreille n'est pas fatiguée et a gardé toute sa vivacité d'impression. Parfois un repos suffit pour que le même diapason mal entendu tout d'abord s'entende plus distinctement ensuite. »
Dore avait déjà noté qu'au cours d'un examen d'audition la portée, pour la montre par exemple, s'abaisse à chaque épreuve renouvelée.
Un second mode d'emploi consiste, le sujet étant étendu dans le décubitus dorsal, les yeux fermés, à lui faire entendre la sonorité continue d'un diapason dont le mouvement est entretenu par une bobine électrique. Les sujets ne tardent pas à tomber dans un engourdissement marqué. Ils déclarent que l'audition continue de la souorité,interrompant le cours de leurs pensées, a provoqué une tendance irrésistible à s'endormir.
Un troisième procédé, non moins efficace que les deux premiers, consiste à actionner successivement des diapasons de ton différent, afin d'accentuer et de varier les efforts d'accomodation.
La fonction auditive se fatigue donc- assez rapidement et la continuité des efforts d'accomodation peut aller jusqu'à l'épuisement de l'audition. On comprend l'intérêt de cette observation lorsqu'on sait avec quelle difficulté on arrive à obtenir le sommeil de l'ouïe. Elle est, en effet, de tous nos sens, celui qui résiste le plus longtemps. Alors que les paupières sont closes et que tous les autres sens sont engourdis, l'oreille qui n'a pas, comme l'œil, de membrane qui l'a ferme aux excitations du dehors, demeure toujours béante.
C'est très justement qu'on considère l'ouïe comme l'organe de la protection chez les animaux et qu'on l'a appelée le sens de la vigilance. Son
activité se suspend à peine pendant le sommeil confirmé et le moindre bruit inusité suffit pour réveiller un grand nombre de personnes. Braid et Beaunis ont observé que, dans les premiers moments du sommeil hypnotique l'acuité de l'ouïe, loin d'être diminuée, était plutôt exaltée. C'est ce qui explique pourquoi on entend si souvent dire par des sujets très sensibles h l'inhibition hypnotique et dont l'obéissance automatique aux suggestions est indéniable :* Mais, je n'ai pas dormi, j'ai entendu tout ce que vous disiez ». Cela signifie que le sommeil de l'ouïe n'était pas suffisamment obtenu.
L'emploi des diapasons atténue cette sensibilité persistante de l'ouïe et c'est surtout parce que leur intervention permet d'obtenir, dans une certaine mesure, l'inhibition auriculaire, qu'il convient de les utiliser dans la technique de l'hypnotisatiou. C'est d'ailleurs par l'association des divers agents physiques que les états profonds de l'hypnose indispensables au traitement des psychoses et des névroses graves, peuvent être obtenus. C'est également par la réalisation de ces états que les études sur l'hypnotisme retrouveront l'intérêt et l'éclat qu'elles ont présenté sous l'impulsion des Chareot, des Dumontpallier et des grands expérimentateurs du siècle passé.
Les phobies apparentes envisagées comme l'expression d'appréhensions cachées
par le Dr Pevsitzky (d'Odessa)
[•>m* communication (1}]
Plus on étudie la méthode psycho-analytique, plus on l'apprécie ; je pourrais multiplier les cas qui confirment ce que je viens de dire. Mais je me bornerai à vous exposer brièvement une seule observation, qui montre combien souvent des états très connus, pouvant être rapportés tantôt à la neurasthénie, tantôt à la cyclothymie, sont en réalité de nature purement psychique, et peuvent être traités selon leur étiologie, ce qui permet un pronostic très favorable. Ces cas ne font que confirmer la justesse des observations de Muthmann (2), à ce point de vue classiques.
En juillet 1906, je fus appelé en consultation avec plusieurs confrères.
En juillet 1306, je fus appelé en consultation avec plusieurs confrères. Je fus frappé du peu de rapport entre la solennité de cette consultation (puisqu'elle réunissait plusieurs médecins), et l'insignifiance des plaintes du malade Ce dernier faisait remonter le début de ses troubles à deux ans auparavant. D'après ses dires, il ressentait parfois des élancements désagréables dans la région cardiaque et il était sujet à des accès de tristesse.
Les accès surviennent brusquement, se dissipent lentement et sont quelquefois d'une intensité telle, que le malade parle de se suicider en cas d'un nouvel accès Le malade est âgé de 24 ans ; il est très bien développé au physique ; aucune hérédité, aucune modification somatique,
(1) 1"communication, n° d'avril 1910, p. SU.
(2) Arthur Jlt'THMAss. Zur psychologie u. Thérapie neuraliseher symptôme, 1907.
ni psychique C'est un homme très intelligent, travailleur, un véritable self-made, en train de faire son chemin et de le faire opiniâtrement. Il venait de réaliser un assez gros gain et se disposait à prendre du repos, k s'installer tranquillement pour se préparer aux études universitaires. Sur ces entrefaites, voilàqu'il est saisi de cette tristesse angoissante. Il ne boit pas. C'est le 3m* ou le 4mo accès, et il n'en saisit pas la cause. L'accès dure environ un mois, disparaît lentement, en laissant un souvenir très pénible.
C'est moi qui fus chargé du traitement. Les phénomènes du cOté du cœur disparurent, rapidement par un traitement électrique banal. Le malade continua k venir me voir. Il me parlait de ses angoisses, de sa crainte d'un nouvel accès ; mais ses discours .étaient bizarres, comme inachevés ; ou sentait qu'il y manquait quelque chose. Un jour je dis au malade en le regardant : « vous avez un secret et vous désirez me le confesser ». Il ne me démentit pas, mais il se passa encore longtemps avant que je connusse la vérité. J'appris peu k peu des fragments du secret, jusqu'à ce qu'un beau jour le jeune homme, ému jusqu'aux larmes, me raconta qu'à l'âge de 7 à 8 ans il avait été plusieurs fois pris, la nuit, par sa grand'mère en état d'ivresse, celle-ci lui faisait avoir avec elle des relations. L'enfant s'en défendait mal, car il en éprouvait une sensation agréable, et c'est cela que le malade ne peut se pardonner. A chaque fois qu'il s'éprend d'une jeune fille et fait des rêves de bonheur, le souvenir honteux reparaît à sa mémoire. Il se croit corrompu, honni, indigne de l'amour d'une jeune fille pure, et il est convaincu qu'il ne pourrait épouser' qu'une prostituée. « attendu qu'une certaine sympathie le porte vers ces femmes, qu'il considère, elles aussi, comme des malheureuses, et que l'attachement qu'il peut éprouver pour elles ne provoque pas chez lui d'accès de tristesse ». L'examen montre que tous ses accès de tristesse apparaissent au moment où il fait la connaissance d'une jeune fille innocente, et où il commence à s'en éprendre ; mais la tristesse surgit si rapidement et avec une intensité telle, que le rapport causal ne lui a jamais apparu clairement : il n'a fait que le sentir vaguement.
En possession de ces renseignements, j'ai rejeté le diagnostic de cyclo-thymie ; j'ai compris pourquoi le jeune homme est devenu la proie de la tristesse, au moment même, où il a acquis une certaine fortune. Je n'avais plus qu'à démontrer au malade que les reproches qu'il se faisait n'étaient pas du tout fondés, que toute sa vie et sa conduite envers les femmes prouvaient au contraire une grande honnêteté ainsi que la pureté de son âme.
Ceci avait lieu en 1906. Depuis cette époque, le isalade n'eut qu'une seule et légère récidive. C'était pendant un séjour dans une ville d'eau : une jeune fille inconnue entra en son absence dans sa chambre et, en manière de plaisanterie, jeta partout des fleurs. Il la vit en passant ; elle lui parut belle et pure, et aussitôt il se mit à s'ennuyer. Mais, en comparaison avec les précédents, cet accès fut très léger ; notre jeune
homme n'eut pas d'idées de suicide et il ne m'en parla dans une lettre qu'un an après, au jour de l'anniversaire de la visite de l'inconnue dans sa chambre. Actuellement le malade est plein d'espoir et de forces ; il ne rêve plus au mariage avec une prostituée, et pense épouser une jeune fille honnête à laquelle il fait la cour.
Toutes les péripéties de sa maladie me sont claires ; je puis le traiter non pas en augure qui prédit un meilleur avenir, mais en ami éclairé. La suggestion, le changement de milieu (rappelez-vous l'incident de la ville d'eaux), l'hypnotisme, n'auraient jamais pu ici donner des résultats comparables à ceux de l'analyse psychologique.
Cette méthode est également applicable au traitement de l'hystérie ; mais comme l'état d'Ame de l'hystérique est très compliqué, cette méthode, si elle permet au médecin d'arriver à y voir clair, a l'inconvénient d'être longue et de demander plusieurs mois d'observation. Aussi trouve-t-elle mieux sa place dans les sanatoriums que dans la clientèle. Mais elle a toujours l'avantage de donner le traitement rationnel de l'affection.
Cette méthode est également applicable au traitement des obsessions ; mais, dans ces cas, il est encore plus difficile d'arriver à connaître l'origine des phénomènes pathologiques. Ici la méthode ne réussira que dans les mains très expérimentées (Yung, Loewenfeld, Seif).
L'un des avantages de cette méthode est d'obliger le médecin à parler an malade sur le thème de la vie sexuelle. Les individus atteints de phobies, sont d'ordinaire de nature timide et ne cherchent pas à se renseigner pour corriger leurs erreurs, comme ils pourraient le faire dans nne conversation franche avec leurs amis. Les entretiens avec le médecin éclairent alors les questions qui les torturent et sur offrent un excellent dérivatif (Aussprachefcur, talking cure) ; les voua enfin soulagés ! Les états psychiques, tels que ceux que je viens de décrire, sont très fréquents, et leur traitement est possible grâce à l'analyse psychologique, laquelle agit aussi d'une façon prophylactique, sur l'apparition des nouvelles phobies ; au lieu de prendre ses connaissaucs aans une littérature douteuse, le malade les puise dans l'expérience du médecin, et, aussitôt qu'un doute l'effleure, il trouve en ce dernier un guide et un critique.
En résumé, lorsque le médecin se trouve en présence d'un malade qui se plaint de troubles neurasthéniques, il ne doit pas se contenter d'enregistrer ces phénomènes bizarres, et d'affirmer à son client que ses plaintes ne sont pas fondées ; le malade le sait lui-même. Que le médecin se garde de la phrase banale : « ce n'est rien, n'y faites pas attention >. Quand ces plaintes, qui lui paraissent absurdes par leur contenu ou leur forme, sont persistantes, le médecin doit savoir qu'en réalité elles ne sont pas absurdes, mais paraissent telles jusqu'au moment où l'analyse psychologique vient à découvrir la réalité de ces symboles et leurs véritables dessous. Alors nous avons en mains les moyens" de la véritable orthopédie psychique ; dès ce moment seulement nous comprenons notre
malade, et nos paroles peuvent répondre à ses pensées secrètes qui sont la base de ses phobies.
J'ai visité les écoles médicales les plus émineutes d'Europe, et j'ai pu me rendre compte que partout actuellement on a en psychiatrie et eu thérapeutique neurologique une telle tendance a étudier les signes objectifs de la maladie, a faire des mensurations précises, que l'âme du malade, qui aurait pu être accessible au médecin, désireux simplement d'en connaître le contenu, lui échappe comme une bête traquée. Cependant le moral du malade ] eut-être étudié, sans qu'on ait besoin des procédés compliqués du laboratoire ; il suffit simplement que le médecin soit bon observateur et armé de patience, peut-être encore, comme le veut Tung, qu'il ait à sa disposition un chronographe. Ces simples procédés d'examen donuent de bons résultats. Déjà ils sont appréciés à leur valeur par des médecins non psychiatres. Nous le voyons dans les travaux du gynécalogue, le prof. TTalthard (1. c.) qui a ouvert dans sa clinique une section de thérapeutique psychique, et dans les travaux de l'oculiste, le Dr Salser, qui trouve aussi que dans sa spécialité la thérapeutique psychique a sa place. N'est-ce pas un signe des temps que ces savants soient en cette matière plus royalistes que le roi 'i
Discussion :
Dr Béhtli.os. — Les malades soumis à des interrogatoires minutieux et prolongés tombent, par suite de l'application imposée à leur attention et de la fatigue qui en résulte pour leurs centres nerveux supérieurs, dans une sorte de se mi-hypnotisme ou d'état hypnoïde dont l'interrogatoire ne se rend pas assez compte. Leur suggestibilité s'en est exaltée ; ils répondent aux questions et subissent les suggestions curatives tout comme s'ils étaient véritablement hypnotisés. Les agents provocateurs de ces états hypnoïdes sont le plus souvent : la monotonie d'un interrogatoire prolongé, l'intimidation et le réveil, par les questions posées de grandes émotions dont les plus profondes sont celles qui ont une origine sexuelle.
Dr Prkda. — Le rôle de l'émotion dans la production des obsessions et des phobies est à l'ordre du jour Cette notion de l'émotion n'est pas assez précise pour systématiser et individualiser un état niorbrde.
Dr BEHLLLoy. — En effet l'émotion peut n'avoir aucun retentissement morbide dans la sphère nerveuse ou psychique ; mais il y a des circonstances ou elle est inhibitrice ou productrice de trouble psychonévrotique et d'état hypnoïde, suivant qu'elle agit sur des gens fragiles, peu aguerris, hystériques L'émotion.lorsqu'elle est cause d'obsession ou de phobie, n'explique pas l'hystérie : elle l'implique comme une condition préexistante.
Dr Paul Parez. — Souvent la cause de certaines obsessions ou phobies ne peut être révélée par l'interrogatoire psycho-analytique même le mieux conduit ; c'est que cette cause est oubliée pendant l'état de veille.
(1) D' Salser (Munchen) 'Ceber Erwartungsneurajon auf okularem Pebiet (psy-chisebe Arthénopie). Munch. mcd. Wochenschr. 1909, n- 33.
Elle reste cachée dans le subconcient et, pour l'en tirer, il faut plonger le malade dans un état hypnotique profond, grâce auquel les souvenirs sont exaltés, et le subconcient redevient conscient. Je rappellerai à titre d'exemples, les cas que j'ai rapportés au Congrès de psychologie de 1900 et celui de fausse angine de poitrine consécutive à un rêve subconscient (Congrès des aliénistes et neurologistes. Marseille, IS99).
Dr Raffegeau. — Les sujets à l'état hypnoïde doivent pouvoir être mis facilement dans un sommeil hypnotique plus profond.
Dr Bêbillos. — Cela est tout à fait exact. Dans l'état hypnoïde, ils sont en quelque sorte à moitié chemin de l'hypnose ; il ne reste à leur faire parcourir que la moitié du trajet Etre sur la pente de l'hypnose c'est indiquer que l'on a peu de chose à faire pour y aboutir. Ce qui les intéresse les psychothérapeutes c'est que. dans l'état hypnoïde, les sujets se conduisent exactement comme s'ils étaient endormis, tout en donnant les apparences de la veille. C'est ce que Charcot a si justement observé dans sa leçon sur le viliganbulisme. C'est également ce qu'en décrit Liébeault sous le nom d'état de charme et le professeur Beaunis sous celui de veille som/iambaliqae. Les sujets, avec toutes les apparences de la veille obéissent aux suggestions comme s'ils étaient hypnotisés.
Du dressage des animaux et. en particulier, du cheval monté
par M. Ismael Hamet
Le cheval envisagé comme monture est un être passif qui n'obéit qu'à-la douleur (mors, éperons, fouet, cravache, etc. Dominé par son cavalier, il réagit automatiquement sans l'intervention du raisonnement.
Son intelligence est très rudimentaire. Tenu à l'attache par des liens dont il pourrait facilement se dégager, il reste cependant prisonnier. Quand il s'est échappé, on le rattrape par des moyens enfantins. ? suffit qu'il se trouve en présence d'une corde tendue pour s'arrêter comme s'iL était devant un obstacle impossible à franchir.
Le cheval africain que j'ai surtout pratiqué, passe pour plus intelligent. A la vérité, il vit plus près de l'homme et souvent presque dans son intimité et il semble que ce régime ait la plus heureuse influence sur son caractère. ? est moins brutal. L'influence de la quasi liberté dans laquelle il se trouve adoucit' ses mœurs ; en Afrique, on voit rarement des chevaux tiqueurs, vicieux, mordeurs. Aucun n'a subi la castration ; tous, au printemps, font la saillie ; ils vivent donc plus près de l'état normal. Mais, même dans ces conditions, le cheval africain reste un être passif qui obéit sans raisonnement.
Ce qu'il faut lui reconnaître c'est une mémoire prodigieuse des impressions reçues. Les chemins parcourus, même pendant la nuit, sont reconnus par lui dans la suite, avec une grande sûreté. Il se souvient des endroits où il a stationné déjà et s'efforce d'y ramener son cavalier. Son odorat est très développé ; il perçoit à une grande distance l'existence de l'eau. Dans le désert, il vaut mieux se fier a son instinct pour retrouver un puits, que de le diriger. Il sent également de très loin la présence
d'un cadavre on d'un autre animal. Son ouïe, est très fine et son oreille très mobile, est très bien adaptée à la fonction de l'audition. Sa vue est extrêmement perçante. A la chasse il distingue souvent le gibier, avant que l'homme l'ait aperçu.
Malgré les qualités de ses sens, il ne semble pas capable d'assurer les idées et les éloges que Buffon lui a décernés, m'ont toujours paru quelque peu exagérés.
M. Moret. — Ce qui vient d'être dit confirme pleinement ce que j'ai soutenu précédemment, à savoir que le cheval est inintelligent ; tout chez lui se ramène à des sensations et à des réflexes. Le cheval dressé est un cheval suggestionné ; il réagit automatiquement d'après des sensations qu'il ne peut oublier.
M. Béhillox. — La mémoire, la snggestibilité et l'association des idées sont des facultés intellectuelles : le cheval en est abondamment pourvu ; il est donc excessif de le prétendre inintelligent. Le fait d'être sensible aux bons procédés et de conserver la rancune des brutalités témoigne d'une certaine logique. Beaucoup d'éleveurs ont rapporté des actes d'initiative exécutés par des chevaux. M. Gustave Le Bon le considère comme plus intelligent qu'on le croit généralement et le déclare susceptible de ruses ingénieuses. S'il est vrai que les chevaux fassent de grands efforts pour comprendre les ordres et les intentions de leurs cavaliers, ils se montrent donc capables de réflexion et d'application. Quand on constate combien ces facultés sont peu développées chez l'homme, je trouve qu'il ne faut pas se montrer trop sévère pour le cheval.
M. Paul Parez. — On pourrait dire qu'il possède des facultés d'acquisition, mais non d'élaboration.
M. Lepïxay. — Les travaux de M. Guenon sur « l'Ame du cheval et sur le mulet intime >• contredisent l'opinion de M. Moret. Si les chevaux ne nous montrent pas plus d'intelligence, c'est peut-être parce que nous faisons mal leur éducation et que nous ne savons pas les manier. Je me propose d'apporter de nouvelles contributions à la question mise à l'ordre du jour par notre société.
Société d'hypnologie et de psychologie
Présidence de M. le Dr Jules Voisin médecin de la Salpètrière
Séance du mardi 15 mars 1910
La séance est ouverte à 4 h. 45, le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend eu particulier, dee lettres de MM. Moret, DrPoulalion. Dr Luigi Cesari (de Borne), Dr Witry (de Metz), Dr Monténuis (de Xice).
Les communications inscrites a l'ordre du jour sont faites, ainsi qu'il suit :
1° MM. Beausillon et Lépinay. Psychologie du patinage sportif. Discussion M. Bérillon
.
2° M. Preda — Influence de l'hypnotisme sur l'appareil eardio-vascu-laire et sur les éléments du sang.
Discussion MM. Bérillon, Preda. Paul Magnin, Blech et Tarrius.
3° M. Tarrius. — Délire mélancolique systématisé à forme aiguë ; excitation, angoisse, syphilophobie.
Discussion : MM. Bérillon, Paul Parez, Jules Voisin, Paul Magnlu.
M. le Président met aux voix les candidatures de M. le Dr Gallus Bauer (de Bad Nauheimj qui est admis à l'unanimité.
La séance est levée a 7 h.
L'automatisme psychologique dans le patinage sportif
par MM. Beausii-lox et Léplnay.
Je vais vous entretenir brièvement du patinage à roulettes, sport né français, mais tombé en désuétude, jusqu'au jour où l'Amérique, nous le présentant sous un nom anglais, nous le ramène, réhabilité'.
Aujourd'hui il est en pleine vogue ; la grande mode est d'aller * rinker » — faire du « roller -skating » comme disent d'aucuns et tout le monde y court avec engouement.
On y va une fois et l'on y retourne une deuxième : la passion est née, la folie vous gagne, c'est la « roller-skatingonianie ».
La première question que l'on pose est « Savez-vous rinker ? » Les conversations en dénoncent l'obsession : « telle piste n'est pas très glissante, — celle-ci l'est davantage ; on la passe au savon, — je parviens à faire des dehors — ah ! ce skating ; on en rêve ! on n'en mange plus I » Et l'on quitte, insatiable, le vertige des chaussures roulantes pour désirer plus fort y revenir et en revivre les impressions.
Revivre les impressions ? Le terme est inexact. D'abord, on n'a pas d'impressions ; puis on ne vit pas, quand on a les pieds attachés à ces charriots en miniature ; on se laisse vivre, c'est déjà une passivité.
L'effort du débutant n'est même plus à faire ; c'est machinalement, sans penser, avec des gestes automatiques que l'on roule ; on tourne, dans le même sens, avec cette différence avec les chevaux de nos anciens manèges que l'on n'a pas les yeux bandés, et avec cette analogie que l'on ne sait pas plus pourquoi.
On tourne ? — Parce que c'est la mode !
Et faut-il s'en étonner, après les courses d'autos où le raffinement pervers est assez accusé pour que Ton puisse contempler avec la volupté 'du péril — symptôme de décadence — ces projections de machines.
Là dedans on voit — incrustés — des hommes. On leur sait produire une dépense nerveuse extraordinaire, une tension d'esprit énorme, crispés à leur volant, visant au but. argent ou gloire — avec assez d'imprudence pour en perdre même l'instinct de conservation.
On avouera bien qu'il y a plus d'horreur encore, froide et raisonnée, dans ces concours de vitesse effrénée dont le cinéma est prêt à enregistrer les accidents aux endroits dangereux, dont les candidats sont préparés
par le jeûne à supporter le chloroforme en cas d'intervention chirurgicale, — qu'il n'y en avait sous Néron dans les courses de quadriges et les combats de gladiateurs quand les esprits et les corps étaient mieux faits pour supporter la douleur.
Après avoir partagé ou admis avec semblable désinvolture cette mentalité bien spéciale d'individus qui se complaisent dans de pareils spectacles, d'autant plus effrayants encore que la possibilité de « rescaper.» constitue une émulation plus forte et un prétexte à leur exhibition ; quand on a pu contempler d'un œil froid et satisfait, en comptant flegmatlque-ment les coups, deux hommes — ordinairement un blanc et un noir -, qui s'envoient, marché conclu, des coups de poing dans la figure, on est mûr pour le rinkage et nous n'assistons guère la qu'au progrès d'une évolntion toute naturelle.
*
* *
Après les grands chapeaux, les petites toques ! Après les chansons spirituelles, les chansons nulles ! Après le match de boxe en 3 rounds dans un ring, l'american roller skattng dans des halls ! C'est le progrès !
Hier, c'était l'impression forte d'un i knock-out » vigoureux asséné en pleines mâchoires et le transport d'un boxeur évanoui par le choc ; sans critiquer la mode d'hier, on la change ou mieux elle se change ; car l'apogée appelle la réaction, et, aujourd'hui, on va rinker.
Nous avions .'a glace pour y pratiquer le patinage. On tourne la Nature et l'on remplace le patin à lames par le patin à roues, comme les végétariens ont remplacé la viande animale proscrite par une viande végétale.
Avant, on glissait, sur de la glace ; maintenant, on roule, sur du bois !...
La réclame est vigoureuse, l'annonce est monumentale. C'est si américain qu'on aurait pu se dispenser de le faire proclamer par ces gigantesques lettres lumineuses plaquées à la façade. Ticket d'entrée ! Ticket pour le vestiaire (on doit patiner tête nue ! ) Ticket pour louer des patins ! Puis pour se les faire attacher aux pieds et pourboire final.
TJn air anglais, où les cuivres dominent, masque un peu l'énervant et monotone roulement sur le parquet sonore. La poussière est assez dense pour que les projecteurs y taillent nettement leurs cônes lumineux, saccadés et indécis, changeant de place comme de couleur.
Des globes à profusion, un peu bas, après quelques à-coups d'hésitation éclatent et déversent leur lumière jaunâtre sur le tourbillon qui passe : ne va-t-on pas être de ceux-là qui tournent ? Ne va-t-on pas entrer aussi là-dedans ?
Et l'on s'y retrouve. Une volonté au milieu de cette foule s'éteint bien vite ; ce n'est plus guère qu'un troupeau dont on devient une unité. La direction lui enjoint de tourner de droite à gauche, docile, 11 tourne de droite à gauche et le français, d'esprit frondeur, ne songe pas à récriminer. Une vague torpeur, qu'augmente la chaleur ambiante s'empare du rin-keur. On roule .. et on roulerait ainsi indéfiniment.
La direction a si bien compris cet état de quasi-hypnotisme par mono-tomie du geste qu'elle se fait un devoir, à intervalles répétés, de tirer
son cliont de cet état d'engourdissement par la mise en branle de sonneries fortes et criardes. C'est du reste à ces moments que surviennent les ohntes, par brusque cessation de cet état d'apathie favorable à un bon équilibre.
Il est curieux, de voir l'homme rechercher avec frénésie tout ce qui est susceptible de l'endormir, et de lui faire oublier.
Ne retrouve-t-on pas, chez les amateurs du skating, ce que l'on constate chez ceux des manèges de chevaux de bois : l'excitation d'abord puis une période de résolution, un certain abandon, un état de béatitude et d'hébétement.
C'est du reste la même clientèle que l'on retrouve, tels, joints au même automatisme, la même lumière aveuglante et la même musique tapageuse — tous deux excellents facteurs d'hypnose.
Mais revenons à notre rinkage !
Dans la salle, quelques mots sur calicot semblent la traduction littérale, maladroite comme une version de collégien, d'une de ces réclames anglaises qui, avec leur prétention d'être spirituelles veulent attirer l'attention.
La phrase * évacuez la piste » apparaît après tâtonnements à. la face d'une roue assez semblable à celles que l'on utilise dans les grandes loteries pour tirer et faire connaître les numéros gagnants.
L'obéissance est parfaite... à moins que par la force de l'habitude ou la vitesse de projection, l'on ne sache se ranger assez vite, auquel cas les « professeurs » savent employer l'adresse, voire la force pour vous y contraindre.
Ensuite, un tour réservé aux dames, un intermède par le personnel de la maison puis à nouveau l'annonce sur calicot : * Tout le monde patine >.
On le voit, les diversions ne sont pas nombreuses, c'est déjà un joli résultat d'en avoir bu trouver. Mais cette mesure d'ordre moral, prise pour le bien des patineurs, est acceptée par eux sans reconnaissance et aussi sans regrets ; elle n'est pas appréciée, on ne se plaindrait nullement de Sa suppression ; car on désire se griser de rouler, on vent s'enivrer de tourner.
Et comme c'est en vogue, tout le monde y court...
Ici. Messieurs, vous avez discouru sur la « folie de la vitesse » ; vous vous arrêterez un peu sur la « Biuko-manie », parce qu'il y a chez ceux qui en sont atteints, non pas idée de sport ; mais, quand il n'y a pas snobisme,la recherche du besoin de griserie; il y a là de l'hypnotisme que vous savez si bien diagnostiquer ; il y a tout au moins chez les « rinkers » une psychologie spéciale à étudier et à classer.
Discussion :
Dr Bérillon. — L'abus du patinage sportif crée un état mental particulier, comme dans la plupart des sports. Notre collègue le Dr Jennings a insisté il y a déjà assez longtemps, sur l'euphorie du bicycliste. Quelques-uns en éprouvent un véritable besoin de pédaler, tout comme l'éprouvent les morphinomanes et autres intoxiqués. Chez ceux qui
s'adonnent à la griserie des patins à roulettes, les évolutions tournoyantes et le brait monotone provoquent une sorte d'état hypnoïde, avec abandon, béatitude, suspension des fonctions supérieures de l'esprit. En résumé, l'euphorie me parait résulter de la suspension de l'effort intellectuel dont la mise en jeu est comparativement beaucoup plus pénible que celle de l'effort purement machinal et musculaire.
Influence de l'hypnotisme sur l'appareil cardio-vasculaire et sur les éléments du sang.
par M. le Docteur Preda. (de Bukharest).
En 1885 Dumontpallier, à la Société de Biologie, parle déjà de l'action vasomotrice de la suggestion chez les hystériques hypnotisables. Depuis ce temps, divers auteurs, et spécialement M. le Dr Bérillon dans une communication sur « l'Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué, basée sur l'examen de la tension artérielle » {Reçue de l'Hypnotisme Î898), 1) et dans une brochure l'Hypnotisme et la Méthode graphique » (2), décrit l'influence exercée par l'hypnose sur le système circulatoire. Mais tous ces auteurs se bornent à signaler les cas, avec les phénomènes objectifs obtenus pendant l'hypnose.
En raison de l'intérêt d'actualité qui se rattache en ce moment, à l'influence des troubles motifs sur l'étiologie des divers phénomènes psychiques et des névroses. — considérant, d'une part, la relation qui existe entre ces troubles émotifs et les phénomènes cardio-vasculaires et, d'autre part, nous basant sur les travaux de Winogi adow (contribution à l'étude de l'influence des modifications de la pression sanguine artérielle sur la morphologie du sang) : de Decastelle et Czinner (Ueber den Einflnss von Yeranderunger des gefasstumens und des Blùtdrùckes aùf die Leukocytengaffle) ; de Camus et Pagn:er (relations entre les variations de la pressionartérielle et la teneur du sang en leucocytes et en hématies); de V. Ellermann et A. Erlandsen. (Les conditions psychiques comme cause des variations du nombre des Leucocytes) : nous avons été amené à entreprendre une série d'expériences sur 5 sujets très hypnotisables de la clinique psycho-pédagogique de M. le Dr Bérillon, et cela dans un triple but :
1° Confirmer l'apparition, pendant l'hypnose des phénomènes objectifs, limités à l'appareil cardio-vasculaire et remarqués d'ailleurs par les auteurs qui s'occupent d'hypnotisme.
2° Examiner la composition du sang.
3° Signaler les troubles fonctionnels et les modifications des éléments du sang après une émotion suggérée. Voilà la façon dont nous avons procédé.
1° Nous avons laissé le sujet à l'état de veille, en repos sur sa chaise,
(1) Bérillox : Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué basé sur l'examen de la tension artérielle {Revue de l'Hypnotisme}, 12" année n° 1, Juillet 1897, p. 20. ^(2^ Bkkillos : Influence de ln suggestion hypnotique sur la circulation. Brochure 1903.
-toujours dans la même altitude, pendant un délai assez prolongé, pour l'habituer à la température de la chambre.
2° Sur le sujet à l'état de veille, nous avons observé et consigné tous les phénomènes physiologiques limités a l'appareil cardio-vascnlaire, c'est-à-dire : le nombre des battements du cœur, du pouls, de la respiration (sachant que la respiration agit de diverses façons sur la pression artérielle) et de la pression artérielle qui a été enregistrée avec le sphyg-mosignal de Vaquez.
3° L'extraction du sang par M. le Dr Parvu qui avec son habileté -connue, m'a renseigné sur le nombre des globules rouges et blancs.
Cela fait, nous avons endormi le sujet, (qui a gardé continuellement la même attitude), nous abstenant rigoureusement, de toute intervention expérimentale, susceptible de mettre enjeu son activité psycho-motrice.
Le sommeil a été prolongé de 25'-30\ après quoi nous avons procédé de nouveau, aux mêmes observations qu'à l'état de veille.
Enfin nous avons suggéré, une émotion quelconque, à la fin de laquelle nous avons procédé une dernière fois, à de semblables observations.
Tous les résultats ont été constants et sont consignés dans les tableaux (A. B. C. D. E.) suivants :
Tableau A. — Mme S..., 45 ans. Tic, tremblement.
Avant Pendant Après un choc émotif
Cœur et pouls 92 80 94
Respiration 19 17 22
Pression artérielle 13 14 —
Globules rouges 4.000.000 4.800.000 5.600.000
Globules blancs 8.400 4.800 10.800
Tableau B. — Mathieu M... 22 ans. Alcoolique.
Avant Pendant Après une émotion
Cœur et pouls 107 96 108
Bespi ration 18 16 18
Pression artérielle 12 13-14 —
Globules rouges -1.400.000 5.100 000 4.600.000
Globules blancs 16.800 14.000 15.000
Tableau C. — Th., 14 ans Crises nerveuses, très anémique.
Avant Pendant Après une émotion
Cœur et pouls 86 78 90
Bespiration 17 16 18
Pression artérielle 9 9 —
Globules rouges 2.750.000 4.600.000 5.600.000
Globules blancs 7.400 8 400 9.600
Tableau D. — M1'0 Lucienne, 13 ans. Onycophagie.
Avant Pendant
Cœur et pouls 84 80
Bespiration 16 16
Pression artérielle 11-12 13
Globules rouges 4.130.000 ' 4.450.000
Globules blancs 6.000 6.000
Tableau E. — Mm0 V.... 38 ans. Neurasthénie.
Avant Pendant Après une émotion
Coeurs et pouls KO 72 88
Respiration 17 17 20
Pression artérielle 14 15 —
Globules rouges 4.300.000 5.000.000 5.350.000
Globules blancs 5.800 4.900 7.800
De ces tableaux il résulte que :
1° Les battements du cœur et du pouls sont toujours plus réguliers et* plus amples, le dicrotisme plus prononcé, mais leur nombre est diminué, dans la proportion de 4 à 12 pendant l'hypnose Après une émotion ces battements du cœur s'accélèrent et le pouls augmente dans la proportion
2 à 8.
2° La respiration est plus calme, plus régulière et un peu diminuée pondant l'hypnose de 0 à 2 ; après un choc émotif elle devient plus forte, plus oppressée et plus nombreuse dans la proportion de 0 à 3.
3° La pression artérielle se trouve légèrement augmentée dans la proportion de 0 h 3 pendant l'hypnose.
4° Le nombre des globules rouges — de la région locale périphérique-— est toujours augmenté pendant l'hypnose, dans la proportion de 320.000 à 1.850.000 et. après un choc émotif, encore plus, dans la proportion de 500.000 à 1.600.000.
5° Le nombre des globules blancs reste le même, on se trouve diminué pendant l'hypnose de 0 à 3 600 ; après un choc émotif leur nombre croit de 0 à 2.400,
Enfin il faut ajouter que le sujet présente généralement, après un sommeil de 25' à 30', une coloration rosée du visage et des extrémités (plus prononcée chez les anémiques dont le nombre des globules rouges se double presque pendant l'hypnose) ; de même la température périphérique semble augmenter aussi.
Les résultats auxquels nous sommes arrivés, ne nous permettent pas de tirer les conclusions formelles, mais un fait est certain, c'est que : pendant le sommeil provoqué, envisagé dans ses manifestations les plus-élémentaires, (et nous pensons qu'il en est de même pendant le sommeil normal), il se produit des modifications, dans la circulation sanguine et-consécutiyement dans la composition du sang.
Avec beaucoup de réserve, nous mettons ces modifications de la circulation — toujours périphérique — sur le compte des centres vaso-moteurs fonctionnels sous la dépendance directe desquels se produisent :
1° Une régulation de la pression.
2° Une régulation de l'afflux sanguin. Cette régulation est automatique, et s'établit par voie réflexe, grace aux connexions, des nerfs vaso-moteurs avec les nerfs sensitifs des organes ou des vaisseaux eux-mêmes.. Enfin par l'intermédiaire des vaso-moteurs il s'établit : 3° Un système de compensation, tel qu'une dilatation un peu consï-
dérable, dans une région du corps, s'accompagne généralement d'une constriction dans d'autres régions. (Faits d'ailleurs constatés par Dastre et Morat). Pour les cas particuliers qui nous occupent, la dilatation périphérique était probablement accompagnée d'une vaso-constriction centrale.
Tant qu'on regarde le mécanisme intime de cette influence, exercée par l'hypnose sur les centres vaso-moteurs fonctionnels, avec le siège soit dans la bulbe, soit dans la moelle ou les ganglions sympathiques nous pensons (conformément à une opinion déjà exprimée dans un travail antérieur) (l)que le sommeil hypnotique.exerce un pouvoir inhibitoire sur .les centres vaso-constricteurs et la dynamogénie des vaso-dilatateurs, permettent simplement le relâchement des parois vasculaires surtout marqués à la périphérie (et d'ici retentissement sur la pression générale).
D'ailleurs les expériences sur les animaux chiens, lapins, etc., et spécialement celles entreprises par Camus et Pagniez démontrent, à l'évidence, que l'excitation du pneumogastrique apporte, non seulement un abaissement de la pression artérielle, mais une chute brusque du nombre des leucocytes, et bien que les auteurs disent, que les modifications ne sont pas si appréciables tant qu'on regarde les globules rouges, mais dans leurs tableaux, on observe presque toujours, que le taux hématique est augmenté, pendant que le taux leucocytaire baisse
En résumé ne pouvant pas penser à une nouvelle formation des éléments du sang parles organes hématopoïetiques (Moelle osseuse, rate.etc.,) dans un délai si court 25' à 30' ; nous cherchons à donner l'explication de l'influence exercée par l'hypnose sur le taux hématique et leucocytaire, par l'intermédiaire des modifications de la pression artérielle et cette modalité spéciale de la réaction qui nous occupe ici peut être probablement attribuable. à l'aptitude des hématies (comme le fait d'ailleurs a été prouvé pour les leucocytes) de se détacher du sérum des capillaires sanguins, quand le courant sanguin se trouve plus ou moins rapide, par l'augmentation de la tension et la dilatation des vaisseaux périphériques dues aux centres vasomoteurs.
Les conditions psychiques et en particulier l'Emotion comme cause des variations des éléments du sang étant démontrée par Erlandsen et Ellermann. nous rapportons l'influence de l'émotion, à la même théorie, admettant que le choc émotif peut influencer les centres vasomoteurs par le même mécanisme.
De tous ces faits il résulte :
1° Que la différence de réaction entre les éléments du sang, (leucocytes, hématies) nous montre une fois de plus, combien ces. éléments sont soumis à des influences multiples et variées de l'état psychique.
2° Que le sommeil hypnotique débarrassant le sujet de tout choc •émotif, moral, enfin de tout travail psychique,régularise l'afflux sanguin par les centres vasomoteurs, et congestionnant la périphérie, déconges-
l) L'Influence de ln suggestion hypnotique dans un cas de maladie de Basedow. Revue de l'Hypnotisme 1909).
tionne les organes des centres (d'après les travaux de Mosso) et spécia— lement le cerveau, dont le repos ne peut que favoriser le bon fonctionnement de l'organisme entier.
Discussion :
Dr Bérillos. Mes observations sur l'action exercée par le sommeil provoqué, sans intervention d'aucune suggestion, sur la circulation des hypnotisés remontent à l'année 1897. A ce moment, j'avais été frappé de ce fait, que la pâleur du visage et des muqueuses chez les sujets anémiques, peu d'instants après avoir été hypnotisés, présentait une modification très appréciable. Une couleur rose apparaissait dans les tissus auparavant décolorés. J'en avais conclu que l'hypnose favorisait la circulation générale. L'examen de la tension artérielle est venue confirmer-cette opinion. Chez les sujets en état d'hypotension, s'hypnotisme relève la tension artérielle. Il abaisse, par contre, la tension chez les hypertendus. On pourrait conclure de ce fait que les prétendus effets de la haute fréquence doivent être ramenés à une action psychique. C'est probablement ce qui arrive. Dans tous les cas, l'action de l'hypnotisme sur la tension artérielle et sur la circulation permet de l'envisager comme un-précieux agentde thérapeutique générale.
Délire mélancolique systématisé favorablement modifié par la psychothérapie
Excitation, angoisse, syphylophobie, . par le Dc Tarrics, Directeur de la Maison de Santé d'Epinay (SeineJ
Dans la classe des appréhensions morbides parvenues à l'état d'obsessions pathologiques, il en est une, assez fréquente, caractérisée par la peur des maladies, connues sous le nom de pathophobie ou nosophobie.
Les personnes atteintes de cette affection sont obsédées par la crainte d'être en proie à telle ou telle affection dont 1 idée fixe finit par créer chez elles un état particulièrement angoissant, et même, chez quelques unes, un état de délire permanent, systématisé, qui ne laisse chez le malade ni repos, ni tranquilité d'esprit. Toutes les affections pathologiques, depuis la crainte des objets jusqu'à la crainte du virus rabique,. du cancer etc... entrent dans le cadre des obsessions maladives. Tel eBt l'observation d'un malade, que nous a envoyé le Dr Gillard (de Suresne) et qui a été soigné par le Dr Ponlalion. médecin directeur adjoint, ainsi que par moi-même. Le Dr Bérillon l'a également examiné à plusieurs reprises ; il pourra donner son appréciation sur l'état mental de ce malade, sur l'esprit duquel, par un traitement psychotérapique patient, il avait acquis une influence morale considérable.
Au mois de décembre dernier, entrait à la Maison de Santé d'Epinay (Seine) un homme âgé de 36 ans, atteint de mélancolie anxieuse, avec-l'idée fixe qu'il était atteint de syphilis. Cette idée fixe avait pris naissance, disait-il, à la suite d'nne liaison passagère extra-conjugale. Cette obsession s'était renforcée par la lecture de livres de médecine traitant
de cette maladie et l'obsession avait rendu le malade tellement impressionnable et craintif qu'il s'était imaginé qu'il avait contaminé sa femme II raconte que, depuis plusieurs mois, il a vu beaucoup de médecins. Le traitement que l'un deux lui fit suivre contre une autre maladie ¦ blennorrhagie ?) le confirma dans la crainte qu'il avait d'être atteint de syphilis et, depuis cette visite, il interprète tout ce qui se dit ou se fait, dans le sens de son délire syphiliphobique. Les dénégations des médecins consultés depuis, l'analyse même du sang faite par un médecin réputé ne changent en rien son idée fixe. Ces craintes nosopho-biques ont affecté son caractère, devenu sombre, mélancolique. Le malade est constamment tourmenté et son but est de persuader son entourage de la réalité de son idée délirante. Pas d'alcoolisme, pas de symptômes de paralysie générale. Sous l'influpnee de cette idée fixe, à laquelle il rapporte tous les actes de sa vie et à cause de laquelle il néglige son commerce, ses relations, il a eu des accès de désespoir qui l'ont poussé, à plusieurs reprises, à fuir, à déserter le foyer conjugal, comme déshonoré, indigne, malfaisant, car il a la crainte, non seulement d'avoir contaminé sa femme, mais aussi d'avoir, en les embrassant, communiqué la maladie à ses enfants. Il veut se soigner, il veut obliger sa femme à suivre son traitement, il veut aussi que ses enfants se soumettent à la volonté qu'il a de les guérir. Et comme il n'est pas écouté, dans la crainte de contaminer d'autres personnes par le simple contact de la main, il s'enfuit, il erre à l'aventure, en province, à Paris, sans donner signe de vie. Mais toujours il consulte des médecins qui tous essayent de lui faire entendre qu'il n'est pas atteint de cette maladie dont il ne porte aucune trace sur le corps. Plus que jamais convaincu, il traite les médecins d'incapables, fait peu de cas de leurs conseils et de leurs ordonnances et consécutivement il est prie d'idées de suicide. C'est le seul moyen, dit-il, pour ne plus contaminer personne.
A son entrée,'il présente les manifestations delà mélancolie'anxieuse. Il raconte froidement ses préoccupations hypo-condriaques, ses craintes, son obsession. Il dit comment il est devenu syphilitique, les causes de ses diverses fuites, le désir de se cacher ; il étale son indignité II a cru, eu venant à la maison de santé, qu'il venait encore à une consultation ; du moins on le lui a laissé croire, et, lorsqu'il comprit qu'il était privé de sa liberté, son attitude changea complètement. U devint moins communicatif, réticent même. Par la suite, dès le lendemain, il proteste contre son internement : il n'est pas * fou » ; si on le maintient enfermé, il se tuera, se laissera mourir de faim *. Bans le désir même de recouvrer sa liberté, il me répond dans un accès de colère : ¦ Eh ! bien, « puisque vous le voulez, je n'ai plus rien, je suis guéri, je confesse ¦ même que je n'ai rien eu, faites moi sortir. > Depuis lors, il garde le mutisme le plus complet au sujet de son idée délirante, cause de son internement' Mais, il est facile de voir, à son attitude méfiante, qu'il dissimule sa véritable pensée et que son obsession n'a pas varié. A sa femme, dans les visites qu'elle lui fait, à des confrères envoyés par la
famille pour rendre compte de son état, il se départ de son mutisme : il manifeste le môme délire. Ce n'est qu'envers nous qu'il est réticent et muet si nous insistons. Il reproche à sa femme son internement : elle sera la cause de sa mort et des malheurs qui tomberont sur la famille.
Le malade ne fit qu'un séjour très court (un mois et demi dans notre établissement.
Lui qui voulait tant partir, pour aller consulter des médecins a l'hôpital St-Louis, consentit à rester encore une quinzaine, sous l'influence du Dr Bérillon. Il partit très amélioré presque sans anxiété.
Cette obsession permanente, uniforme, est un des caractères de l'hypocondrie vésanique. Le délire conserve le caractère d'un délire partiel, avec l'intelligence intacte des délirants systématiques par auto-accusation. Chez les neurasthéniques simples, la maladie, procède par accès plus ou moins fréquents. One fois l'accès terminé, l'obsession disparait, le calme revient avec l'état normal, jusqu'au prochain accès. Dans le cas présent, il s'agit d'un cas d'aliénation mentale, d'une psychose, et non d'un cas de neurasthénie simple, caractérisé par un accès éclatant subitement sous forme d'obsession avec conscience, angoisse et paroxysme.
Discussion :
DT Voisin. — Ces sortes de malades sont des dégénérés ; ils présentent la peur du contact, la folie du doute et des phobies diverses, à des périodes de dépression, pouvant aller jusqu'aux idées de suicide, succèdent des périodes d'agitation. Celles-ci sont d'autant plus intenses que le malade ne dort pas ; le faire dormir, l'hypnotiser, c'est déjà considérablement atténuer son état.
Dr Bérillon. — Et pour obtenir le sommeil si l'hypnotisation ordinaire est difficile, il serait indiqué de recourir au somnoforme, comme le fait notre collègue Farez. Chez le malade, notre intervention psychothérapique n'a pas été sans efficacité. Au cours des deux séances de psychothérapie auxquels il s'est soumis avec bonne volonté, il a fait preuve d'une certaine passivité*. Le malade se rongeait les ongles d'une façon très irrésistible. Il était indiqué, en passant, de le traiter de cette mauvaise habitude. Les nouvelles, qui m'en ont été données, depuis sa sortie de l'établissement, ne l'ont représenté comme très calme, exempt de troubles mentaux caractérisés.
Dr Paul Farez — La somnoformisation ou narcose éthyl-méthylique peut même être très utile dans les cas de manie aiguè". Chez une jeuno fille maniaque et qu'on avait dù camisoler, la seule somnoformisation quotidienne, sans aucune espèce de suggestion, a assuré une bonne nuit, avec sommeil calme, plusieurs jours de suite. L'agitation extrême et l'insomnie complète reparaissaient les nuits où, à titre d'expérience confirmative, la narcose éthyl-méthylique avait été systématiquement omise.
ACTUALITÉS PSYCHOLOGIQUES(1)
La psychologie de la Tarnowska. — Le droit de vote reconnu aux idiots.
L'assassinat du comte Komarowski. tué à Venise par un certain Xau-moff. a donné lieu devant la cour d'assises de cette ville à des débats d'une longueur inusitée. L'assassin ayant agi sous l'influence de la violente passion qu'il éprouvait pour la comtesse Tarnowska. dont il était l'amant, il fallait s'attendre à ce que son défenseur s'efforçât de l'escuser en le représentant comme ayant agi sous l'influence d'une suggestion. La question si controversée des suggestions criminelles est donc, de nouveau, remise une fois de plus sur le tapis.
Les médecins-experts chargés d'examiner Naumoff, viennent de nous donner leur opinion sur ce point. Pour le professeur Cappellati, la question n'est pas douteuse. Xaumoff se trouvait, par le fait de son amour pour la comtesse, dans un état de suggestibilité maladive qui l'a placé sous la domination de cette femme. Il est devenu son esclave, et celle-ci, abusant de son ascendant, lui a insufflé l'idée d'un crime irrésistiblement accompli
Le professeur Bianchi, adoptant la thèse de la suggestion hypnotique, s'est également rallié à l'opinion que Naumoff avait exécuté son crime sons l'influence d'une suggestion.
Mais, les conclusions du professeur Morselli, de Gênes, qui fut chargé spécialement de l'examen mental de la Tarnowska, ne tendent nullement à confirmer ce qu'affirment ses confrères.
Il déclare qu'il n'a pas reconnu chez la comtesse Tarnowska les signes de la femme dominatrice. D'après lui, elle ne serait même pas intelligente; tout ce qu'elle a de culture, elle l'a puisé dans des romans français et dans des conversations de salon. Elle est vaniteuse, frivole et névropathe, mais elle a des sentiments honnêtes, religieux et même pudiques, car elle a rougi au procès an moment d'exposer certains détails délicats.
Le professeur Morselli déelare que la séduction exercée par la comtesse est tout h fait inconsciente.
« On ne peut pas, dit-il, lui reprocher d'aimer le luxe et de se faire faire la cour, ce qui est commun à trop de femmes.
« Prétendre que la Tarnowska est une femme fatale, c'est créer autour 'd'elle une légende et c'est à tort qu'on a pu la représenter comme douée du pouvoir de la Circé de la Fable qui, d'un coup de sa baguette magique, transformait ses adorateurs en pourceaux.
« Loin d'être une femme impérieuse, c'est plutôt elle qui a été dominée par la manie chevaleresque de ses amants qui voulaient la délivrer
r
(1) Sons cette rubrique, plusieurs de nos collaborateurs exposeront les impressions psychologiques qne feront nattre dans leur esprit les faits d'actualité.
de ses entraves. Contre leurs insistances, elle s'est mal défendue, donnant ainsi la preuve d'être une aboulique de l'hystérie. >
Le professeur Morselli s'est également étendu sur les symptômes d'hystérie présentés par la Tarnowska, notamment le vagabondage qui est, dit-il, une caractéristique des hystériques russes.
Il exprime l'opinion que le crime n'est pas sorti de l'esprit de la comtesse Tarnowska, de Naumoff ou de Prillukoff, mais qu'il a été imaginé inconsciemment par tous les trois.
« La femme hystérique, dit en concluant le docteur Morselli, est une éternelle enfant, et le code devrait avoir un article spécial à son intention. »
En résumé, la comtesse étant une hystérique, il est d'avis qu'elle devrait bénéficier de l'article du Code atténuant sa responsabilité, parce qu'elle se trouve dans un état mental qui diminue beaucoup sa force de caractère et sa liberté d'action.
Nous serions assez disposé à nous rallier à l'opinion du professeur Morselli. En effet, ce qui caractérise l'hystérique, c'est moins l'aptitude à suggérer les autres qu'à, subir l'influence des suggestions d'autrui.
Cette hypersuggestibilité de l'hystérique est un fait reconnu par tous les observateurs. On ne conçoit donc pas une hystérique douée d'une volonté assez forte pour dominer une autre personne de son entourage. Dans ce cas. il faudrait admettre qu'elle a eu affaire à quelqu'un d'encore plus hystériquo qu'elle l'est elle-même.
L'idée de domination exercée par une hystérique serait donc, en principe, aussi paradoxale que pourrait l'être celle d'un gendarme emmené à la prison par le voleur qu'il avait mission d'arrêter ou d'un cheval qui conduirait son cavalier au gré de sa fantaisie.
Jusqu'ici il était admis que l'hystérique était le sujet que l'on hypnotise. Avec la Tarnowska, si l'on en croit les professeurs Cappellati et Biunchi, le rôle aurait été renversé et c'est l'hystérique qui aurait hypnotisé les autres.
Je serais personnellement disposé à considérer que la suggestion hypnotique n'a rien à voir avec le crime de "Venise. Il ne s'agit là, en somme, que d'une affaire passionnelle des plus banales. Le groupe de criminels jugé par la conr d'assises de Venise se compose d'individus tarés n'ayant pas trouvé dans l'éducation reçue les moyens de résister à leurs impulsions instinctives.
Le monde est plein de gens dont l'apparence est celle de gens civilisés et qui ne sont cependant que des demi-sauvages. Ils réalisent un type que l'on rencontre fréquemment chez les Slaves dont l'adaptation à la civilisation est trop récente pour que leur sens moral ait pu complètement être organisé.
Jouisseurs, enclins au jeu, h la dissipation et a> la débauche, ils ne vivent que pour la satisfaction de leurs caprices. Le travail soutenu et l'exercice d'une profession régulière sont peu compatibles avec leur dis-
position k la vie nomade. La difficulté de subvenir normalement à leurs besoins les entraîne fatalement à une existence faite d'expédients.
Si l'on en croit les avocats, la constatation de cette infériorité morale peut être invoquée comme uue excuse. Beaucoup d'excellents esprits sont d'avis, au contraire, qu'une répression sévère constitue le meilleur moyen de réaliser, chez les hystériques eninstance d'impulsions, la suggestion qui peut contrarier leurs mauvaises tendances criminelles.
• * *
Un juge de paix d'une ville de la Savoie avait, par jugement motivé, supprimé le droit de voter à un idiot. C'est ce jugement que la Cour vient de casser, en déclarant que « la faiblesse d'esprit (voire l'idiotisme » constaté par le juge), lorsqu elle n'a pas motivé l'interdiction, n'est pas incompatible avec la jouissance du droit électoral, tel que le réglemente le décret du 2 février 1852 »
Le jugement de la cour de cassation consacre, en fait, le droit de vote pour les idiots. En y réfléchissant on se demande comment la conr aurait pu en décider autrement. Il lui eût fallu de toute nécessité, pour dénier k l'idiot le droit de voter, commencer par donner une définition acceptable de l'idiotie Assurément, devant la difficulté de cette tâche, la Cour a reculé. On ne voit pas non plus très bien comment opérerait la commission chargée du triage des idiots dans le corps électoral. On pourrait craindre que.dans certains endroits, cette commission n'abusât de son pouvoir, pour éliminer arbitrairement du droit de suffrage, des personnalités légèrement faibles d'esprit.
D'ailleurs, nne fois dans cette voie, ne serait-on pas tenté d'étendre l'exclusion aux épileptiques, puis aux morphinomanes et aux alcooliques, enfin â certaines catégories de malades frappés dans leurs centres nerveux Les hystériques, les névropathes et les simples originaux seraient tôt ou tard placés sur la sellette. Les illettrés, a leur tour, ne seraient-ils pas menacés ? Il arriverait même un jour où le fait de professer certaines croyances, d'admettre certains dogmes, d'accepter certaines superstitions, serait considéré par beaucoup comme la marque d'une faiblesse d'esprit devant entraîner l'incapacité de voter
Le principe du suffrage universel, une fois entamé, la capacité de chacun des électeurs devrait être soumise à la discussion, et à plus forte raison celle de chacun des candidats. Il est de ces derniers pour lesquels le diagnostic serait facile La rédaction de leurs professions de foi témoigne, en effet, d'un dérangement d'esprit évident.
Mais, dans la pratique, ces candidats ne sont pas les plus k craindre, il en est d'autres dont les opinions, présentées sous l'apparence de la logique sont infiniment plus dangereuses.
La décision de la Cour n'est pas aussi absurde qu'on pourrait le supposer. Le nombre des idiots complets est à peu près équivalent à celui des hommes dont le génie est incontesté. Dans l'urne électorale leurs suffrages se font compensation.
La résultante des opinions contradictoires exprimées par les électeurs
aboutit fatalement à une opinion moyenne. Les suffrages de quelques idiote, pas plus que ceux de quelques hommes de génie ne sont capables d'influencer cette moyenne.
Les agitations des partis n'ont point d'action sur cet immense troupeau humain que l'on désigne communément sous le nom de masse électorale et dont l'intelligence et la volonté, de môme que les aspirations, sont nécessairement moyennes. Ceux qui s'imaginent conduire cette masse se bercent d'une douce illusion. Elle n'accorde ses suffrages qu'à ceux qui pensent comme elle et savent opportunément se mettre à sa remorque.
Il n'y a donc pas lieu de s'émouvoir do droit de vote reconnu à l'idiot •d'autant moins que le suffrage déposé dans l'urne par le simple d'esprit lui est toujours remis par un électeur..... intelligent
Dr Bérillon.
PSYCHOLOGIE SOCIOLOGIQUE
L'Islam et la psychologie musulmane (1)
par M Ismael Hamet, interprète principal de l'armée.
Les sources religieuses où s'alimente l'âme musulmane sont : 1° le ¦Coran. 2° la loi traditionnelle qui rapporte les paroles et les actes de Mahomet, élucide de nombreuses questions sur lesquelles le Livre ne s'est pas exprimé directement, et en est, par suite, le commentaire le plus autorisé. Avec ces sources, il faut mentionner les coutumes générales et les coutumes locales que les docteurs s'efforcent avec plus ou moins de sagacité de mettre en accord avec les principes fondamentaux du Coran.
Il apparaît clairement à l'observateur que le monde de l'Islam, s'il présente par ailleurs quelques divergences, communie moralement daus ces mêmes principes fondamentaux. Les musulmans rejettent avec raison les distinctions en islam chinois, islam persan ou islam africain, ils affirment que la loi du Coran ne saurait varier avec les races et les latitudes et qu'elle est immuable ; ils ne se préoccupent que de la pureté islamique et s'en tiennent à cette considération que le monde est composé de bons et de mauvais musulmans.
Si l'on pénètre chez les populations musulmanes les plus éloignées les unes des autres, on constate que les institutions sociales qu'elles se sont données sont, en principe, conformes aux enseignements du Coron, c'est-à-dire qu'elles sont démocratiques et semi-patriarcales : la société fondée sur la puissance des liens du sang, a pour base la famille. Celle-ci est, pour cela, même fortement constituée ; elle vit le plus longtemps possible dans l'indivision sous la direction du chef de famille, et tous ses membres sont étroitement solidaires les uns des autres. Des familles agglomérées forment des villages fixes ou des tribus nomades qui se groupent pour former de petites républiques autonomes. Mais elles pratiquent la fédération sous la pression des circonstances, et ainsi se formèrent les
Conférence faite a l'Ecole de psychologie.
principautés anciennes et modernes. Celles d'entre elles qui atteignirent une certaine puissance ne furent que de vastes confédérations par familles agrégées, dont l'organisation intérieure rappelait en tous points celle de la tribu. C'est-à-dire que le pouvoir politique, administratif et judiciaire y est détenu par l'assemblée générale des citoyens ou l'assemblée restreinte de leurs délégués, qui se donne un chef choisi dans son sein ; et ce chef administre avec des auxiliaires qui sont les représentants des familles.
Le chef de famille est puissant et obéi ; il a une grande autorité, mais aussi une grosse responsabilité. Vis-à-vis des siens, il est le dépositaire des intérêts communs et il doit concilier la sauvegarde de ces intérêts avec ceux de la communauté. Il en découle la déférence des enfants à son égard : ils ne l'appellent que Monsieur, ne mangent pas avec lui, ne chantent, ne prennent de tabac ni ne plaisantent en sa présence. Ils en agissent de même avec les oncles, les aînés, les proches parents les plus âgés et les femmes de la famille. En principe le fils aîné remplace le père absent ou manquant, bien que le droit d'aînesse n'existe pas. Mais Vintelligence, la pondération et le jugement étant les qualités maîtresses du chef de famille, il arrive qu'un cadet les possédant à l'exclusion de l'aîné, prenne, avec l'assentiment de tous, la direction des intérêts communs. Qu'il s'agisse du chef de la famille ou du chef élu par la communauté, on attache la plus grande importance à ses qualités de Jugement et d'entregent, les qualités extérieures n'étant qu'accessoires.
Quand une population a pu mettre à sa tête l'un des siens particulièrement doué pour !a direction des affaires et que son administration a fait avantageusement connaître dans nn rayon étendu, elle a consenti à laisser l'hérédité du pouvoir dans la famille de ce chef. Mais celui qui abuse de ses prérogatives ou manque des qualités requises, peut-être-déposé et remplacé par ses concitoyens. En effet le chef ne fait rien, quelle que soit sa puissance, sans consulter le peuple ou ses délégués 'T l'équilibre se maintient tant que l'état, petit ou grand, demeure une simple amplification de la commune, mais il se rompt quand le chef s'érige en maître absolu. Les préoccupations du peuple n'ont plus, dès lors, d'autre objet que de s'affranchir de ce pouvoir et de revenir au régime démocratique ; et il en appelle au besoin à une alliance étrangère. Les princes qui fondèrent des dynasties sont ceux qui gouvernèrent avec le peuple ; beaucoup de ceux qui gouvernèrent sans lui perdirent la vie-et furent poursuivis jusque dans leurs enfants.
En résumé le monde musulman est, par les enseignements de ses textes et par des pratiques millénaires, essentiellement adapté et foncièrement attaché à la vie parlementaire ; chaque fois qu'il a subi un autre régime, c'est qu'il a été impuissant à s'y soustraire.
L'ensemble des familles musulmanes vit dans une certaine mesure sous la direction morale des lettrés. Ces lettrés qui appartiennent souvent à des familles religieuses, ont un rôle qui leur donne un grand ascendant sur les populations, et le plus souvent ils constituent une classe diri-
géante. Quand ils sont réellement éclairés et libéraux, ils s'inspirent des vrais principes dn Coran pour donner une impulsion heureuse et appropriée aux cil-constances. Mais la culture intellectuelle étant en rapport direct avec la richesse publique, il est arrivé, chez la grande masse des populations rurales en particulier, que la médiocrité générale a abaissé le niveau de l'instruction et que le vice capital de cette société a été surtout l'ignorance. Il faut ajouter que leur particularisme, leur isolement, leur manque de communications extérieures, ont été, pour ces populations, un sérieux obstacle au développement des idées de progrès.
La majorité des individus étant généralement composée d'illettrés, ils s'en rapportent pour toutes les décisions relevant du droit divin ou du droit civil, à ceux des leurs qui sont le mieux qualifiés à cet égard, ne se réservant de discuter que la coutume locale. Pour eux, ils ont la foi islamique et y tiennent avec force ; ils sont dans la vérité, quel que soit le degré de zèle qu'ils déploient ; on ne fait chez eux aucun prosélytisme, même parmi les plus détachés des pratiques.
Il ne s'en suit pas que le monde musulman soit composé de gens confits en dévotion, de bigots ou de fanatiques aspirant à communier avec la divinité par les macérations et l'ascétisme Le salut dans l'Islam ne réclame pas un renoncement complet et, si la vie d'ici-bas y est considérée comme un lieu de passage, il est bon que le croyant y prenne sa part de toutes les joies reconnues licites ; aussi n'y exa!te-t-on ni le célibat ni la vie monacale. Si le musulman est jaloux de sa foi et s'irrite assez facilement de la voir critiquer, c'est une question d'amour-propre très différente du fanatisme proprement dit.
D'une manière générale, le musulman qui est très attaché à sa foi, se prodigue assez peu en pratiques extérieures et il arrive qu'il y devienne indifférent la où la police religieuse manque. Chez les populations rurales et surtont celles où les familles religieuses sont fortement représentées, cette police fait partie de la discipline ; on ne saurait se soustraire aux pratiques essentielles, sans manquer aux usages. Il est à remarquer que dans les milieux où le régime favorise l'individualisme, comme dans les grandes villes, cette police religieuse s'exerce moins facilement et que le zèle varie jusqu'à l'indifférence. Les progressistes musulmans s'en rendent parfaitement compte : cela ressort de leurs livres, revues et journaux, par lesquels ils veulent créer une opinion publique et orienter les masses populaires vers une rénovation parla culture intellectuelle et un régime politique inspiré du Coran et calqué sur les institutions européennes. Ils se préoccupent alors de diriger ce mouvement dans un sens préservateur des mœurs de l'Islam et conservateur des vertus qu'il enseigne. Il serait téméraire de préjuger à cet égard ; il est à présumer cependant que les doctrines philosophiques qui se partagèrent les Musulmans aux siècles de haute culture arabe, seront reprises avec la renaissance des lettres et le seront peut-être dans des limites plus étendues, en raison de la plus grande liberté de penser, de parler et d'écrire.
Dans la famille musulmane et principalement dans la grande famille indivise des campagnes, la femme : mère, épouse, fille, sœur, cousine est, par la faiblesse de sou sexe, un être sacré placé sous la protection des lois et celle de ses proches. Il n'est pas juste de la considérer comme un être opprimé, inférieur et sans influence, si on tient compte de ce fait qu'elle suit naturellement le sort de la classe sociale à laquelle elle appartient. Mais ici, comme en tous lieux, la femme a une action prépondérante sur l'homme, par le prestige de la beauté, la finesse de l'esprit, la constance et aussi l'ardeur des passions qui agitent l'humanité, y compris les plus hautes, auxquelles le cœur féminin n'est jamais indifférent.
11 n'est pas admis par les mœurs musulmanes que l'influence de la femme se manifeste publiquement et il serait de mauvais goût d'y faire allusion. Mais cette influence, pour quasi-occulte qu'elle soit, n'en est pas moins très réelle et peu d'hommes y échappent. Plus la famille est indivise, plus l'influence de la femme que sa valeur élève au rang d'Egérie s'étend à un grand nombre d'individus, tant de la famille où l'a fait entrer le mariage, que de la sienne propre.
Mais il faut bien dire que la femme, par sa vie confinée du gynécée, en dehors de toute culture intellectuelle, demeure trop souvent un être ignorant et imbu de préjugés, passionnément conservateur par conséquent ; qne son influence sur les enfants dont elle fait l'éducation première, a une tendance à l'immobilisme. L'homme, plus à même d'acquérir à l'extérieur des aptitudes nouvelles, lui fait contre-poids. Mais ce contre-poids est insuffisant à une société qui lutte contre l'ignorance et veut progresser.
(A suivre)
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie
La dix-neuvième séance annuelle de la Société d'hypnologie aura lieu le mardi M Jnin, a 4 heures, an Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton. Elle sera suivie du banquet annuel. Les membres de la société sont Invités a envoyer an secrétaire général le titre de leurs communications.
Les collègues de la province et de l'étranger sont Invités à. assister a cette importante réunion.
Question générale mise à l'ordre du jour :
La prophylaxie des nécroses, des psychopathies, de l'alcoolisme des toxicomanies
et des affections fonctionnelles Sont déjà inscrits pour traiter cette question les D™ Jules Voisin, Paul Hagnln, Bérlllon. Paul Jolre (de Lille), O. Jennings (du Véslnet), Yitry de Metz), Paul Farez, Montéuis (de 2sice), Preda (de Bukarest).
L'homosexualité et le Conseil d'Etat
« n y a dix-hnit mois, la facnlté de médecine recevait nn don d'une vingtaine de mille francs à l'effet de récompenser ceitalns travaux snr l'homosexualité. Les mémoires devaient démontrer qne cet instinct dévié constitue une maladie et fait cruellement souffrir ceux qui en sont affligés. La Faculté acceptait le legs et les clauses.
• Le Conseil d'Etat vient de décider qne le legs ne pouvait être accepté. >
Le Temps auqnel nous devons cette nouvelle, ne nous dit pas sur quels considérants s'est basé le Conseil d'Etat. C'est justement là ce qui aurait été intéressnat a connaître. Le Conseil a-t-il considéré qne l'homosexualité ne pouvait être envisagée comme une maladie et qu'il s'agissait la d'une simple perversion, d'ordre purement moral. Si le legs avait été accepté, la question aurait peut-être été élucidée. Elle reste encore légalement en srspens.
11 n'en est pas de même an point de vue médical. Le I)r Bérillon a prouvé que l'homosexualité est toujours liée a des troubles physiologiques et en particulier a-des altérations de l'olfaction. Chez les nombreux homosexuels qu'il a eu l'occasion d'observer et de traiter l'abolition de la diminution do l'odorat se retrouve toujours a, l'origine de la perversion sexuelle. Le traitement des troubles de l'olfaction doit donc faire partie des procédés psychothérapiques mis en œuvre pour arriver a la guérlson de l'homosexualité.
Il est probable que si le Conseil d'Etat avait eu connaissance de ces faits, il aurait probablement modifié sa décision.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie.
Ecole de psychologie. — M. le Dr Bérxllox, professeur & l'Ecole de psychologie, médecin-inspecteur des Asiles d'aliénés, commencera le Jeudi 12 mai, à cinq heures, 49, rue Saint-André-des-Arts, un cours de psychologie médicale. Sujet du cours : les enfants anormanx ; l'orthopédie mentale.
Jeudi 12 mai : Le traitement médico-pédagogique des inutiles et des inadaptés.
Jeudi 19 mai : L'éducation de l'attention ; les arriérés et les instables (démonstrations pratiques par M. Qcixqce, directeur de l'Etablissement médico-pédagogique de Créteil).
Jeudi 26 mai : L'éducation de l'intelligence ; les paresseux et les surmenés .
Jeudi 2 juin : L'éducation de la volonté ; les impulsifs et les indolents. Jeudi 9 juin : L'éducation du caractère ; les pusillanimes et les timides.
Jeudi 16 juin : L'éducation de la droiture ; les menteurs et les kleptomanes.
Jeudi23juin: L'édncation de la sociabilité; les indisciplinés et les pervers.
Dimanche 26 juin, à deux heures et demie : Visite de l'Etablissement médico-pédagogique de Créteil (Seine).
Jeudi 30 juin : Rôle de l'hypnotisme dans l'orthopédie mentale (avec démonstrations expérimentales).
Les consultations du Dispensaire pédagogique et du Dispensaire antialcoolique ont lieu les Mardis, Jeudis. Samedis, de dix heures à midi, 49, rue Saint-And ré-des-Arts. (Les médecins, les étudiants et les membres de l'enseignement sont invités à assister aux conférences du jeudi.)
L'administrateur j- bérillon. Lb Céraol : Constant-laurent. Privas.
Privas, Imp. C. Laurent, avenue du Vanel.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
24° Année — N°12. Juin 1910.
BULLETIN
L'éloge de la psychothérapie par le Dr Ben i-Barde. — Une lecture du D* van Beuterghem, d'Amsterdam, a la psycho-médical society de Londres. — L'esprit de clinique moderne.
M. le Dr Boni-Barde auquel sa compétence dans le traitement des affections nerveuses par l'hydrothérapie a valu une réputation universelle, s'était aussi révélé dans sa pratique et dans ses travani comme un des plus habiles analystes dn cœur humain. H consacre actuellement ses loisirs à des études de psychologie médicale dont sa longue pratique lui rend la solution facile. B aime surtout à suivre les enseignements des maîtres et il se plaît a en dégager la haute portée sociale et philosophique.
C'est ainsi que dans la Chronique Médicale il a successivement exposé les impressions qno lni avalent lnsplreos do magistrales leçons de MAI. les professeurs Dien-lafoy, Albert Bobin et Huchard. Aujourd'hui il vient consacrer & notre rédacteur «n chef une page que nons nous faisons un plaisir de reproduire. Nos lecteurs pourront constater que la bienveillance de M. Bent-Barde n'a d'égale que son art admirable d'exposer les questions.
« Quelque temps après, écrit-Il, le professeur A. Bobin priait le D' Bérillon d'exposer a ses élèves le rôle quo peut jouer l'hypnotisme dans le traitement de certaines maladies. Ce choix nons parut très motivé ; car personne n'ignore que le Dr Bérillon a consacré sa vie à l'étude de l'hypnotisme, dont 11 connaît toutes les phases et toutes les applications. Dans sa pratique de l'hypnose, ce distingué confrère procède toujours avec autant do sagacité que do sagesse.
« C'est un homme d'apparence encore jeune, doué d'une agréable et modeste allure. Son front largement découvert est celui d'un penseur. Ceux qui ont avec notre confrère des relations suivies reconnaissent qu'il a un caractère pondéré, une volonté énergique, 1© plus souvent adoucie par des sentiments pleins de bienveillance. Il parle facilement ; sa voix est Insinuante et son langage correct est parfois traversé par des pensées ingénieuses, qni révèlent l'éducation de son esprit.
« Ce médecin a toute la tenue d'un psychologue. En L'invitant a expliquer les services quo l'hypnotisme peut rendre a la thérapeutlqno et spécialement à la psychothérapie, le professeur Albert Bobin savait d'avance que son substitut d'un jour ferait une intéressante leçon. Cette attente n'a pas été déçue.
« Le Dr Bérillon ne pouvait, en une heure, exposer les données fondamentales de l'hypnotisme et raconter les rivalités qui, à propos de cette question psychologique, ont existé entre les écoles de la Salpétrière, de Nancy et de la Pitié. Cette lutte presqne épique, après avoir intéressé l'opinion publique et même les tribunaux aujourd'hui presqne oubliée.
• Voulant limiter sa tache et la mettre dans un vrai relief, il s'est, contenté de dire qu'il plaçait l'hypnose entre l'état de veille ot le sommeil.
« Tout en rendant un juste hommage à la psychothérapie telle qu'elle est enseignée par le professeur Grasset, par Dubois, do Berne, etc., et on accordant des louanges au pithiatisme de Babinski, il cherche a démontrer que ces deux méthodes sont souvent insuffisantes pour faire disparaître un grand nombre de troubles norveux.
€ La persuasion, quand elle est exercée avec habileté et dévouement, peut, sans
aucun doute, amender certaines défaillances humaines ; mais ses triomphes sont assez limités : on pourrait, en effet, citer nombre de malades qui semblent rebelles A son intervention. D'après M. Bérlllon, cette résistance provient de ce que le sujet qu'on cherche A Influencer est laissé en état de veille. SI on le place dans cet état relativement passif que provoque l'hypnose, on est étonné de voir les heureux résultats qu'engendre cette tentative. Nous avons vn des malades endormis par lui recevoir, durant ce sommeil factice, des impressions qui, sons l'influence de la patiente ténacité de l'opérateur, dissipaient les désordres éprouvés par ces déséquilibrée et faisaient naître dans leur esprit des idées parfaitement raisonnables. Comparant ces faits, naturellement très simples, à ceux qu'il a observés dans sa longue pratique. M. le Dr Bérillon ¡1 déclaré que l'hypnose sagement pratiquée peut aider & corriger les défauta d'un mauvais caractère, a modifier des instincts vicieux, a raffermir une volonté défaillante et a réparer les écarre d'nne émotivitê déréglée.
« Pour opérer ces difficiles transformations, il n'est pas nécessaire de plonger le snjet dans un sommeil profond, il suffit de l'engourdir. Dans cet état presque inconscient, il perd 6a résistance et se laisse dominer par le médecin, qui peut alors inspirer a l'esprit de son patient des pensées salutaires, débarrasser son système nerveux des obsessions qui entravent son fonctionnement et délivrer son libre arbitre des crans d'arrêt nui l'empêchent de résister aux Impulsions dont il est la triste victime. A son réveil, le malade constato avec Joie qno ses facultés intellectuelles ont bénéficié d'une rééducation bienfaisante et que ses instinctsont retrouvé la force de se soustraire à la contrainte et a la tyrannie qu'exercent sur eux l'inconscience et l'automatisme.
€ Pour accomplir pareille tache, il faut que le médecin possède une volonté bien affermie, une grande patience et une extrême bonté. Il doit être tont a la fols on psychologue et un moraliste.
« A la fin do cette curieuse conférence, nos vives félicitations ont prouvé A l'orateur que nous avions bien apprécié son mérite et son talent. En quittant l'amphithéâtre, le Dr Bérlllon noue a remercié de notre sympathique manifestation en nous disant, avec autant de finesse que de bonne grâce, que notre témoignage laudatif lui prouvait que nous avions été librement convaincus, Sans avoir besoin d'être suggestionnés. »
• ••
Notre éminent collaborateur le Dr Van Eenterghem, d'Amsterdam, appelé a faire une lecture devant la Psycho-Médical Society de Londres, avait choisi comme matière de son discours lo sujet suivant : L'autorité du médecin reconquise par une réforme dans l'enseignement médical. Après avoir exposé les causes qui rendent l'exercice de la médecine de pins en pins pénible, notre collègue s'est appliqué à exposer les moyens qui lui semblent le plus efficaces pour étendre le rôle dn médecin et lui faire retrouver tout sou prestige ancien. Pour lui, il est indispensable d'initier l'étudiant, dans les écoles de médecine, A la pratique de la psychothérapie. Les différents modes de la psychothérapie, telle qne la conçoit le Dr Tan Renter-ghelm, sont :
1» La médecine morale ;
9' La médecine éducative :
8* La médecine suggestive ;
5» La médecine psycho-analytique ou cathnrtlque.
Chacun de ces modes correspond A des indications différentes sur lesquelles s'est étendu le D* Van Benterghem. Comme beaucoup d'antres il constate que dans l'éducation du médecin de nos jours, on vise pins à l'érudition qu'A l'esprit pratique du futur docteur. On omet, en particulier, de lui apprendre pue toute maladie a sa répereution dans l'organe psychique. L'homme est vulnérable de deux côtés et le côté psychique est toujours atteint. Le praticien sortant de l'école étant mis au
conrant de la psychologie médicale, se trouverait heureux d'être armé contre les difficultés de sa profession.
3ous partageons les sentiments du D' Van Renterghem sur la nécessité de l'enseignement de la psychologie médicale, mais nous ne croyons pas à la possibilité de l'organiser d'une façon effective dans les facultés de médecine. Nous croyons que( pendant longtemps encore, cet enseignement ne pourra être donné que par des spécialistes très exercés a cet art. A Puris. la lucune signalée par !e D' Van Renterghem s'est trouvée comblée parla création de l'Ecole de psychologie. Le nombre croissant des étudiants et médecins qui en suivent les enseignements psychologiques indique que les idées dn DrVan Renterghem concordent avec le sentiment du corps médical, tout au moins dans notre pays.
• *.
M. le D' Rénon vient, à l'hôpital Necker, d'exposer dans nne très remarquable leçon l'esprit de la cliniqne moderne.
La clinique moderne veut savoir davantage quo la clinique ancienne. Grâce aux nouveaux moyens d'explorations elle vont non seulement en surface, mais en profondenr. La clinique moderne doit avoir l'esprit d'empirisme scientifique ; le vrai clinicien doit être \m artiste scientifique. Elle doit avoir aussi l'esprit de clarté, l'esprit de critique et l'esprit de croyance. Le dernier terme signifie quelle doit croire à la perfectibilité.
« Persuadée de la grandeur de sa mission, dit on terminant le 1> Rénon, la cliniqne moderne doit avoir horreur de l'esprit de scepticisme. Elle pratiquera le doute scientifique, tout différent dn scepticisme, « dénigrante! stérile », si justement flétri par Pasteur, a Le sceptique, dit Claude Bernard est celai qui ne croit pas a la science et qui croit a lui-même ; il croit assez eu loi pour oser nier la science et affirmer qu'elle n'est pas soumise a des lois fixes et déterminées. Le douteur est le vrai savant ; Il ne doute qne de lui-même et de ses interprétations ; mais il croit à la science ». La clinique moderne pent être fi ère de se réclamer d'un homme qui a compris la médecine sous son vrai jour, en a excusé les faiblesses et a fait tous ses efforts pour en dissiper les obscurités. La clinique moderne doit lutter pour la vérité. « La lutte, dit Pasteur, c'est l'effort ; la lntte, c'est la vie, quand la lutte a le progrès pour but. >
Ainsi comprise, animée de l'esprit d'emplrlsmftsolntlfigiift, dfl L'esprit de clarté, de l'esprit de critique el de l'esprit de croyance, la clinique moderne est une des branches les pluB élevées de la médecine. Aussi ne comprend-on pas le dédain de quelques hommes de science, de faux savants peut-être, pour les cliniciens. Etre clinicien, pour eux, c'est déchoir. Je ne saurais trop protester contre un pareil état d'esprit.
La science, impersonnelle, est possible a tout le monde. La clinique, art très personnel, n'est possible qu'a ' quelques-uns. Comme me récrivait récemment M. Huchard, « tout le monde peut être savant, c'est-a-dlre peut savoir. Mais tout le monde n'est pas clinicien, parce que la clinique est l'art de la médecine et que tout le monde n'est pas artiste. Or la médecine française doit rester cliniqne avant tout. >
Le clinicien moderne incarne le passé, le présent et l'avenir. Il incarne le passé avec les solides assises d'observation qu'il nous a léguées ; n'avons-nous pas vu, lors du récent désastre parisien, les lieux ponts et les vieux quais de la vieille cité résister le mieux au fléau? Il incarne le présent avec tous les moyens d'investigation que la science met sans cesse à notre disposition. Il incarne enfla l'avenir avec l'espoir des perfectionnements l'espoir du mieux, l'espérance prochaine d'approcher plus près de la vérité.
La clinique moderne est la chaîne qui relie le passé au présent et à l'avenir. C'est l'action. C'est la vie.
TRAVAUX ORIGINAUX
La Psychologie du Progrès
A propos de l'ouvrage que M. Piéron vient de publier sur l'Evolution
de ta Mémoire par M. le Dr Brldou
i
Dans nos articles précédents, nous soutenions que la tendance au progrès indéfini, qui constitue l'hypothèse implicite du Transformisme et de la Biologie moderne, doit occuper expressément la même fonction dans la recherche et l'enseignement psychologiques.
Le bel ouvrage que M. Piéron vient de publier sur Y Evolution de la Mémoire prfite un heureux appni à notre thèse ; et les quelques passages où nous restons en désaccord avec les analyses partielles de M. Piéron n'offrent plus aucune importance en comparaison des vues générales qu'annoncent les premières pages de son étude et que résument nettement ses conclusions. Si l'hypothèse de la progression indéfinie ne s'y trouve pas inscrite à la place naturelle que lui attribue la logique, c'est-à -dire au ;tout premier rang, elle est franchement avouée aux dernières lignes. L'auteur y professe « une certaine confiance> dans l'avenir du progrès individuel et collectif ; et le mot confiance, dont il se sert pour exprimer son optimisme relatif, prête à ses conclusions une allure plus affirmative encore que le mot espérance dont nons nous sommes servinous-mêmes pour désigner l'inexprimable propension de l'individu et de la race à graviter vers un mieux être illimité. On pourrait même soutenir que si la notion du progrès ne joue pas chez M. Piéron le rôle modeste à1 hypothèse, c'est parce qu'elle y occupe le rôle plus ferme d'une croyance. Mais ce serait ergoter sans grand profit : car toute croyance relève nécessairement d'une hypothèse qui paraît assez évidente, c'est-à-dire assez vérifiée par l'expérience, pour qu'on en fasse la boussole directrice de sa conduite. Or. on ne peut guère le contester, tont homme qui travaille au progrès de la connaissance affirme par cet acte même sa confiance relative audit progrès, et le fait qu'il n'a pas exprimé verbalement cette hypothèse fondamentale à la première page de son livre n'empêche pas qu'elle nous apparaisse entre les lignes, et qu'elle y occupe virtuellement la fonction rationnelle d'un postulat. Car nons l'y voyons exprimée d'nne manière plus utile et plus réelle par la conduite générale de l'auteur que par telle ou telle phrase particulière de son ouvrage.
M. Piéron tend donc visiblement à professer que l'hypothèse du progrès indéfini s'impose à la Psychologie rationaliste, comme à la Méthode générale des sciences. Et d'ailleurs s'il est vrai, comme il appert, que l'espoir de faire progresser la connaissance domine toutes les recherches des savants, il y aurait, qu'on nous passe l'expression, une manière de snobisme, à ne pas avouer le rûle initiateur et directeur qui appartient à cette tendance inévitable dans la psychologie des faits. Oui,
la chose est fâcheuse en soi, mais nous oserons récrire, le snobisme classique nous interdit d'avouer notre optimisme relatif ; car, depuis l'histoire de Candide, même sous la forme hypothétique, l'optimisme est un ridicule ; et le scepticisme ironique des lettrés qui nous ont instruit nous a tellement accoutumé à ses façons, que tout en poursuivant comme eux l'espoir d'améliorer nos destinées, tout en opérant dans cette vue les efforts inégaux que nous conseillent les circonstances, nous ne pouvons, sans exciter le dédain ou la raillerie, proposer qu'on réforme sur ce point les méthodes routinières de la psychologie et de la pédagogie traditionnelle Les formes et les mots sont contre nous ; leurs symboles immobiles et dissociés sont incapables d'exprimer la propension mobile et synergique du devenir individuel et collectif. Nous voyons tous les hommes se conformer à cette tendance, et d'après la formule vulgaire ; nous disons volontiers * que c'est l'espérance qui nous fait vivre » mais cette formule ne suffit pas à la démonstration psychologique ; et pour dire toute notre pensée, la tendance de l'être au progrès dépasse tellement la faculté limitative des mots qu'elle demeure indéfinissable et proprement inexprimable. C'est cette impuissance relative des formules dont nous nous servons qui prête une apparence de force aux objections de nos contradicteurs. A l'exemple de la nature, la pensée tend dynamiquement et sans arrêt vers la progression continue, vers l'organisation hiérarchique et la synthèse ; or la statique verbale ne peut représenter les phénomènes que sous une forme analytique, intransigeante et arrêtée. Pour vaincre cette difficulté, la raison virtuelle nous conseille de subordonner constamment les données maladroites et dissociées dn langage à l'observation synoptique du monde réel. Les fossés arbitraires qne les mots ont creusés sur le tableau de la genèse universelle, la méthode rationnelle du Transformisme s'efforce de les combler progressivement ; et c'est par là qu'elle incline à donner satisfaction à la tendance incontestée de notre pensée vers un progrès qu'elle ne peut définir avec les mots.
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Deux exemples typiques vont nous servir à démontrer la supériorité de l'observation réaliste, qui s'efforce d'harmoniser la connaissance, sur les procédés morateurs qui tendent à soumettre les faits ar/x distinctions artificielles que représentent les chiffres ou les mots. A peu près vers la même époque, deux hommes d'un génie presque égal, Lamarck en France et Hegel en Allemagne, travaillaient à perfectionner la méthodologie des sciences. Bien qu'il fut épris des méthodes verbales qui tiennent encore le premier rang dans les écoles, Hegel entrevoyait la dépendance foncière des éléments qui concourent au progrès de l'auto-genèse et de la phylogénèse universelles. Rejetant les antithèses verbales de Kant et du manichéisme antique, il disait que la logique humaine est identique à la raison qui détermine et qui régit l'évolution physique de la matière. Mais au lieu de considérer cette vue d'ensemble comme une hypothèse, plus compréhensive que celle du Kantisme, mais plus rebelle
au formalisme littéraire, il s'obstina dans les vieux procédés de la scolastique. C'est à l'aide des termes verbaux qu'il s'efforça de prouver la valeur de son système, bien plus que par l'application qu'on en peut faire à la patiente explication du monde réel. « Aux yeux de Hegel, l'ensemble des choses est une dialectique vivante (1) » et cette expression même nous fait saisir le défaut capital de sa méthode. Car d'une part la dialectique est l'art de raisonner avec des mots ; d'autre part les mots ne suffisent pas à exprimer le mouvement sympathique et progressif de la vie personnelle et collective ; ils ne peuvent en représenter le devenir et les fonctions que sous une forme analytique et fragmentaire. Or tous les psychiatres ont observé que les processus qui dissocient le fonctionnement du devenir psychologique tendent à produire une régression de la connaissance. L'histoire d'Hegel et de sa doctrine nous offre un exemple typique à l'appui de cette observation. Au lieu de quitter sa bibliothèque et de poursuivre à travers le monde l'enquête relativiste et progressiste que Lamarck avait commencée et dont Gœthe approuvait la clairvoyance, au lieu de demander à la cosmogonie et aux vestiges des civilisations humaines les éléments chaque jour mieux ordonnés qui nous servent à perfectionner sa théorie, Hegel employa le système Platonicien qui place le verbe au-dessus du fait et qui attache plusd'impor-tance aux pédanteries du formalisme littéraire qu'au devenir inexprimé du monde réel. Le déterminisme absolu, antithétique et littéral, reprend dans la psychologie de Hegel le rang suprême qu'il occupait dans le manichéisme religieux. Ce n'est plus le rapport des faits connus qu'il s'efforce de perfectionner, c'est l'antithèse de l'infini et du fini, la détermination des origines et du terme absolu des phénomènes ; et quand il recourt an mot Dieu pour limiter l'effort de la pensée humaine, il détruit son propre système, et il le voue au même genre d'insuccès que toutes les méthodes antérieures Car aucune expression verbale n'est adéquate au pouvoir expressif du monde réel. Hegel avait aperçu mentalement que la genèse des parties et du tout est solidaire ; mais il sépara verbalement ce qu'il avait conçu comme étant psychologiquement inséparable. Par le fait même qu'il négligeait de subordonner les formules dissociées du symbolisme littéral h l'observation synoptique des phénomènes, sa noble conception demeurait embourbée dans le chaos des vieilles philosophies textuelles.
A cet égard, l'exemple de Lamarck offre un enseignement supérieur. Travaillant à toute heure au milieu des êtres vivants et des débris réels de leurs ancêtres. Lamark fit un graduel effort pour subordonner constamment la représentation verbale, qui désagrège le devenir des temps et des espèces, à la conception synoptique de la tendance qui les oblige a évoluer dans un même sens. Condamné par le pedantismo littéraire et par l'absolutisme religieux, il s'obstina dans l'espérance de faire triompher une méthode qui concordait avec les prévisions lointaines
(1) Francisque Bouuxieb, Histoire de la philosophie, p. 225. Ch. Delagravc, Paris, 1882.
d'Anaximènes et de Thaïes, aussi bien qu'avec les intuitions mal assurées de Schelling, de Gœthe et de Hegel. Et comme l'effort patient du réalisme devait logiquement l'emporter sur les outrances et l6s chimères du verbalisme, les belles expériences de Darwin confirmèrent les vues générales de Lamark ; et, dans tous les ordres d'idées, chaque jour affermit la solidité de leur hypothèse directrice et nous invite à généraliser leurs inductions. Comme l'a écrit M. Fouillée, la méthodologie nouvelle ne doit plus avoir pour objet que « Vunification de tous les points de vue sur le réel » ce qui revient h dire que la psychologie relativiste et progressiste doit occuper la première place dans la recherche et l'enseignement scientifiques. L'observation globale du monde et l'aperception du rapport qui unit le progrès du temps à la formation des espèces occupe logiquement le premier rang dans cette méthode ; la description analytique des formes locales et temporaires n'a rationnellement droit qu'au second rang. En subordonnant la connaissance des parties au progrès tendantiel du tout, nous nous conformons à la loi commune de la physiologie, de l'esthétique et du bon sens.
Dans son Evolution de la Mémoire, M. Piéron se rallie virtuellement à cette méthode. Parmi les applications très heureuses qu'il en a faites, nous croyons pouvoir mettre en première ligne sa façon de voir au sujet des deux phénomènes qu'il désigne par les termes généraux de Rgthme et d'Anticipation. Pour qui admet le rôle prédominant de la tendance au perfectionnement, le mot rgthme indique les continuelles alternatives de progression et de régression que présente à tous ses degrés l'évolution des phénomènes, étant d'ailleurs sous cntendn que. dans la genèse des trois règnes, la tendance progressiste incline toujours à l'emporter sur les phases relatives de régression. Eu disant que le cours des phénomènes n 'est jamais complètement réversible, les physiciens confirment, sans y' songer, cette opinion que l'action cosmogonique tend à persister dans un sens, et que cette orientation prédominante constitue psychologiquement le sens commun de la création. Le fait que la vie tend généralement dans notre monde à l'emporter sur la stérilité, et qu'en dépit des regrets passagers, l'espoir d'une destinée meilleure tend constamment chez l'homme à triompher du pessimisme et de la peur, confirme l'hypothèse implicite qui oriente aujourd'hui les physiciens dans leur étude des fonctions minérales. Mais nous réservons actuellement l'observation psychologique du rythme ; car le problème de l'anticipation, tel que l'a posé M. Piéron dans son ouvrage, se rattache plus directement à l'hypothèse fondamentale du Transformisme.
Une remarque s'impose à nous de prime abord, c'est que, tout en reconnaissant l'importance capitale de ce problème, M. Piéron a renoncé pour le moment à. dire toute sa pensée sur ce sujet ; car les premiers essais qu'il a tentés dans cette voie novatrice ont provoqué dans ses entours une résistance décourageante. Il s'en ouvre à nous dans une note à la quatrième page de son volume : « J'en en, dit-il, la triste surprise de me voir attaqué snr ce mot anticipation avec acharnement.
Et cependant qu'on m'empruntait ce critérium, on raillait le terme> employé, comme s'il désignait le libre arbitre... pour le moins. Et mes travaux sont sans valeur parce que j'emploie le terme d'anticipation pour désigner des phénomènes adaptatifs rencontrés très tôt chez les animaux, phénomènes h partir desquels se différencie l'intelligence. » — Que M. Piéron ne s'émeuve pas des ironies que la routine dn verbalisme oppose encore aux tentatives dont elle ne saisit pas la haute portée. Mais qu'il veuille bien reconnaître la faute qu'il renouvelle & l'instant même en sacrifiant à cette routine. Puisqu'il pratique aujourd'hui la psychologie relativiste, pourquoi nous parle-t-il des phénomènes * à partir desquels se différencie l'intelligence ?» Ne nous l'a-t-il pas. dit lui même, (1) pour qui admet l'hypothèse de Lamarck, la frontière absolue que le déterminisme littéraire a établie entre les opérations solidaires qu'il appelle mécaniques, inslinctives et intelligentes n'existe pas dans la nature ; et le rhéteur qui prétend séparer avec des mots les alternatives rationnelles du dynamisme créateur est la victime du procédé artificiel qui a vicié toutes les philosophies et toutes les dévotions antiques. Nous ne pouvons renoncer à nous servir des mots pour exprimer notre pensée ; mais quand nous prétendons forcer la continuité indéfinie à s'enclaver dans nos définitions séparatives, nous revenons à la méthode absolutiste et illusoire que les classiques tiennent de Platon et de Pythagore. Car, nous ne saurions trop le répéter, ni la brutale monotomie des nombres, ni les termes différentiels du dictionnaire ne suffisent a représenter le progrès esthétique et solidaire des inventions que réalise le mécanisme créateur. Le terme à'anticipation dont se sert M. Piéron pour désigner la propension des phénomènes à s'orienter vers le mieux être à venir est aussi imparfait que les termes affinité ou appétit, besoin, désir ou espérance dont nous nous sommes servi pour exprimer la même tendance. Nous comprenons très bien en quoi notre commun effort pour expliquer avec des mots l'action fertilisante et causative qu'exercent les formations passées sur les germinations futures choque les prétentions absolues des mathématiciens et des lettrés ; mais si imparfaite que demeure nécessairement l'indication verbale dn phénomène, nous estimons que la psychologie ne peut plus en faire abstraction sans manquer à sa tâche explicative. Et M. Piéron nous soutiendra probablement si nous disons que, dans l'état actuel des sciences, la psychologie du progrès forme la base conditionnelle du progrès de l'enseignement public.
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Parmi les schémas littéraux qui symbolisent approximativement le progrès général du monde, le vieux classement hiérarchique des trois grands règnes de la nature demeure encore l'un des moins incertains.
U n'est pas un savant qui ne s'y réfère par habitude et sans songer aux améliorations dont il est normalement capable. Or il est évident pour
(1) H. Piébos « Les problèmes actuels do l'Instinct. » Revue Philosophique, année 1908.
nous qu'une extinction de ce schéma verbal serait fort utile au progrès de la méthode explicative. Si l'on s'en réfère aux démonstrations nouvelles de la physique, au dessous du règne minéral, un monde inférieur apparaît d'où les minéraux sont issus : c'est le règne de l'éther quasi-impondérable et relativement chaotique. De cette phase primitive des éléments, les formes nous sont peu connues, mais elles nous sont en partie révélées par les multiples transitions qui rattachent les mouvements de l'éther aux modalités qu'ils affectent en traversant les gaz ou en s'adaptant aux autres étapes de la matière. Autant que l'induction nous permet d'affirmer quelque chose au sujet de ce rapport génétique, c'est du règne de l'éther qu'a procédé la création des nébuleuses, des astres minéraux et des planètes. Et par la même raison que le règne végétal continue son évolution aux dépens du règne minéral, il est psychologique d'admettre que les atmosphères de la terre et du soleil continuent à s'alimenter et à s'améliorer chaque jour grâce au concours des éléments éthérés qui représentent leur milieu parental. Car on ne peut pas étudier la dépendance hiérarchique et fonctionnelle des minéraux, des plantes et du groupe animal sans admettre qu'un rapport homologue subsiste entre le devenir des minéraux et l'évolution moins connue de la masse éthèrée qui en est physiquement inséparable. Et de même qu'il nous semble rationnel de ne plus borner par en bas l'antique schéma des trois règnes transitoires de la nature, H nous semble également logique d'en élargir les termes supérieurs en admettant an dessus des formes animales un cinquième règne où s'ordonneront les formes scientifiques et les fonctions qui sont en train de naître sous nos yeux et dont le terme d'animalité ne suffit plus à exprimer la haute valeur. Au dessus des âges de la brutalité, au dessus des rythmes fonctionnels de l'impatience et de la routine, de la colère et de la peur, de la jouissance et de la douleur imprévoyantes, Voici qu'un règne nouveau surgit où ces rythmes alternatifs paraissent trop lentement progressifs à notre gré. C'est le règne de l'effort lucide et prévoyant, de l'émotion contenue et mesurée, de l'optimisme génial et de la patience. Ce règne incomplètement formé, chacun de nous l'anticipe en quelques points dans ses efforts, et nous concevons qu'il soit réalisable avec un peu d'entente et de volonté : mais il convient de subordonner le dilettantisme verbal, qui nous égare et nous divise, à la science des réalités qui nous enseigne la sympathie, la prévoyance et la persévérance indéfinie.
D'ailleurs malgré l'insuffisance des mots que nous sommes contraints d'employer pour conserver le souvenir approché des choses et pour adapter nos efforts à ceux d'autrui, nous ne sommes pas capables de renoncer à l'espoir de perfectionner notre psychologie de la connaissance. Il est vrai que l'obsession du mot, et son impuissance relative à-exprimer le devenir du monde réel, retarde les élans normaux de notre pensée vers la clarté. Mais les fautes même que l'on observe à ce propos sont instructives. Etudiez le psychasténique le plus banal et remarquez à quel degré son bavardage plaintif ressemble au lyrisme assombri d'un
Baudelaire, d'un Lecomte de liste ou d'un Vigny. Pareil à ces maigres penseurs, votre malade accuse la bonne nature d'être muette et sourde à ses appels : or c'est pour avoir méconnu ses lois élémentaires que la vie du malade et de l'ignorant recule à l'étape animale dont la rage et la peur sont l'expression brutale et monstrueuse. On ne leur a pas assez appris que les mots, dont s'autorise leur pessimisme, n'ont jamais la valeur des choses, et que les alternances réelles de la satifaction et du besoin tendent normalement au cours des âges à prendre une forme plus intelligible, plus esthétique et plus heureuse C'est au mépris de cette loi naturelle qu'est due l'allure désordonnée que nous observons dans les grandiloquences du romantisme et du lyrisme poétique, aussi bien que dans les vantardises de l'hystérie. Contre la loi du mal universel, disait Vigny, le juste n'a qu'une arme, un désespoir terrible : Senl le silence est grand, tout le reste est faiblesse.
Or dans sa poésie, cette belle profession du silence est exprimée très bruyamment avec des mots hyperboliques. Et voici ce qu'enseignent à cet égard nos bons classiques : Vigny, nous dit Sainte Beuve, a tiré de sa philosophie Kantiste les plus beaux vers de notre langue, les plus larges et les plus profonds « des vers presque égaux eux-mêmes à l'immensité. » *) — Paire plus de cas des grands mots que des faits réels, c'est le vice capital de la pédagogie et de la psychologie scolaires.
Quand on dit des psychasténlques que ce sont des malades imaginaires, on prête une étiquette superficielle à un trouble organique dont le sens profond mérite un examen plus réaliste. Dans la psychologie que nous pratiquons, le vocable imagination exprime la tendance naturelle des êtres à anticiper mentalement les réalisations du temps à venir. H est d'ailleurs bien évident que cette aptitude mentale est elle-même une fonction réelle, une fonction dont l'axe nerveux est l'organe matériel et nécessaire. Or suivant l'action réciproque de tous les éléments du transformisme, si l'on peut dire que cette fonction fait son organe, en ce sens qu'elle en favorise l'évolution, on ne peut contester que l'organe à son tour modifie l'acte fonctionnel dans la mesure où il est modifié lui-même par ses rapports hiérarchiques avec les autres appareils dont il dépend. Grisez vous du parfum des fleurs ou de musique verbale, buvez du vin ou du café, de la morphine ou du cognac : votre imagination devient plus vagabonde, et les alternatives s'en exagèrent ; tantôt vous vous plaisez avec Vigny ô des rêvasseries silencieuses, et tantôt vous vous répandez comme lui en considérations grandiloquentes. Et comme toute régression mentale fait prédominer l'égoïsme sur les propensions supérieures de l'altruisme, vous faites des châteaux en Espagne et vous reprochez à l'organisation sociale de ne pas satisfaire tous vos désirs. Mieux vaudrait observer les lois réelles de la genèse individuelle et collective sans les séparer verbalement des lois de l'anticipation psycho-
(I) Cité par M. Charles Le Gofpie dans sa Littérature Française au XIX* siècle, p. 35. Bibliothèque Larousse, Paris 1910.
logique. Car tout se tient dans le fonctionnement du mécanisme naturel ; et, quoi qu'en dise Auguste Comte, les inductions que l'on appelle métaphysique sont des produits physiologiques et novateurs de l'organisme ; mais ces produits sont plus ou moins conformes aux rythmes normaux du progrès suivant que le cerveau qui les engendre est lui-même relativement sain ou déséquilibré par l'influence indivisible d'une éducation vicieuse.
Un dernier exemple appuyera ces considérations un peu sommaires. Dans l'enseignement classique, la conservation de l'énergie nous est donnée littéralement comme l'une des lois formelles de la nature. Or l'observation nous apprend qu'aucun mouvement ne se poursuit dans la durée sane être modifié parmi l'espace, et que le devenir de ces mouvements n'est jamais complètement reversible. D'où il suit, comme nous l'avons dit plus haut, que tous les rythmes naturels offrent au sens prédominant que la psychologie vulgaire nomme sens commun et qui marche toujours de pair avec la tendance au mieux être. Que la propension du sens commun à conserver s'accorde généralement avec l'espoir d'améliorer, c'est ce dont ' témoigne l'effort des avares et des conservateurs les plus aveugles. Le phénomène de la conservation nous semble donc à tous égards subordonné au phénomène de l'amélioration, et l'un n'apparaît pas sans l'autre. C'est donc à tort qu'on isole verbalement la propension conservatrice de la propension novatrice.
Envisagée séparément, la conservation de l'énergie suppose l'immua-bilité des rythmes fonctionnels ; or cette façon de comprendre et d'enseigner la dynamique n'est pas compatible avec l'observation du devenir physique esthétique et mental.
Dans son évolution de la mémoire, M. Piéron subordonne franchement les aptitudes conservatrices, de la mémoire ? la tendance critique et novatrice de la synthèse intellectuelle. Déplorant les abus de l'esprit conservateur qui s'attache aux vieux textes littéraires et qui met les langues mortes au premier plan, il souhaite qu'une révision méthodique et serrée du matériel scolaire permette a l'enseignement verbal de s'adapter aux besoins de la pensée contemporaine. Nous ne saurions assez dire à quel point nous approuvons les vues de 31. Piéron. Si un souverain se construisait à notre époque un tombeau qui reproduisit la monstruosité des pyramides Pharaoniennes, chacun dirait : « C'est un cerveau malade. • Car l'observation nous apprend que les normes du passé ne peuvent se pratiquer intégralement chez les modernes sans prendre un caractère pathologique. L'acte présent n'est réellement normal et sain que s'il traduit une propension a corriger les habitudes acquises en vue des améliorations futures.
Nous conclurons en répétant que l'hypothèse foncière du transformisme, si malaisée quelle soit ? exprimer littéralement, s'impose à la Psychologie personnelle et sociale comme à tous les travaux scientifiques. Malgré quelques hésitations et quelques divergences partielles,
M. Bergson. W M. René Worms'3'et M. Pierre Janet lui-même, aux dernières pages de son dernier volume sur les ftévroses, se sont déjà ralliés à cette méthode. Et nous ne saurions assez vivement féliciter M. Piéron de l'avoir pratiquée aussi franchement dans sa précieuse étude de ta mémoire.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière
Séance du 15 murs 1910
La séance est ouverte à 4 h. 45, le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le secrétaire-général donne lecture de la correspondance qui comprend en particulier des lettres de SIM. Moret, Dr Poulalion et Dp Luigi Cesari de (Rome).
Les communications inscrites à Tordre du jour sont faites, ainsi qu'il suit :
1* MM. Beausillon et Lépinay. — Psychologie de patinage sportif. Discussion : M. Bérillon.
2° SI. Preda. Influence de l'hypnotisme sur l'appareil cardio-vascu-laire et sur les éléments du sang.
Discussion : MM. Bérillon, Preda, Paul Magnin, Blech et Tarrius.
3° M. Tarrius. — Délire mélancolique systématisé à forme aiguë ; excitation, angoisse et syphilophobie.
Discussion : SIM. Bérillon, Paul Farez, Jules Voisin, Paul Slagnin.
M. le Président met aux voix la candidature de M. le Dr Gallus Baner (de Bad Nauhein) qui est admise à l'unanimité.
La séance est levée à 7 h.
Séance du mardi 19 avril 1910. — Présidence de M. le Br J. Voisin. La séance est ouverte à cinq heures. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Le secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres de SIM. les D" Luigi Cesari, de Rome ; Pernigky (d'Odessa) ; Vitry (de Metz) ; Poulalion. Les communications sont faites ensuite dans l'ordre suivant : M. le Dp Paul Joibe (de Lille). La graphologie envisagée au point de vue judiciaire. Discussion : Dr Bérillon, M. Louis Favbe, Dr P. Mag>ts.
M. le Dr Jules Voisrs. Utilisation du sens musculaire dans la rééducation des anormaux. Discussion : Dc Demoxchy, Dr P. SIagxd., Dr Dérillon, SI. Blech, SI. Lionel Dadbiac.
M. Asastat, (de Marseille). La suggestion par la phonographie. Discussion : Dr Bérillon.
Dr Bêrillos. Le rhytme dans la constitution de la personnalité. La
(1) H. Bergëos, VEcolution Créatrice, Alcan. Paris 1907.
Resé Worms Les Principes Biologiques de l'Evolution Sociale. Girard, Paris 1910.
rééducation des arythmées de la locomotion. Discussion: 11. Blech, Dr P. Maquis, SI. ?????, M. Ismael Hamet, Dr Demoschy.
La Société délègue pour la représenter au Congrès des aliénistes et neurologistes de Bruxelles, le 2 août 1910 MM. les Dre Jules Voisin. Bérillon et Terrien.
La séance est levée à sept heures.
La psychologie d'un assassin. — La graphologie peut-elle être utile à la justice ?
par M. le Dr P. Jotas, (de Lille)
Le lundi 31 janvier dernier, un garçon de recette de la Banque de France à Lille disparaissait au cours de sa tournée d'encaissement, La justice arrivait rapidement à cette conclusion, qu'il y avait eu crime et que le malheureux garçon de recettes devait avoir été attiré dans un gnet-apens et assassiné.
Des perquisitions furent faites par la police dans toutes les maisons où devait se présenter le garçon de recettes. Une de ces maisons, dont le locataire était absent, fut laissée pour la fin, et le samedi suivant, le locataire, n'étant pas encore rentré la police se décida à y perquisitionner et y découvrit le cadavre du garçon de recettes assassiné, caché dans le grenier.
H ne pouvait guère y avoir de doutes sur la culpabilité du locataire de cette maison qni était en fuite.
Le soir du jour où cette découverte avait été faite, le rédacteur d'un journal de Lille m'apportait une lettre de F., l'assassin présumé, et me demandait de faire l'étude psychologique de cet homme par la graphologie,
H est à noter d'abord que je ne connaissais en aucune façon l'individu en question, je n'avais jamais entendu parler de lui. Mais depuis le matin, heure de la découverte du cadavre chez lui, tous les journaux avaient mis F. à l'ordre du jour ; dans leurs différentes éditions qui s'étaient succédées dans la journée il n'était question que de lui, de sa famille, de tous ceux qui étaient liés à lni d'une façon quelconque.
Or en ce qui le concerne, voici ce que disaient les journaux de ce jour. Je transcris exactement les notes ayant trait à son caractère dans les divers journaux qui parurent ce jour-là.
« F. était un garçon instruit, intelligent, très calme, très doux. Il menait une vie régulière et sortait fort peu. »
Des personnes qni connaissent F. doutent encore de sa culpabilité et disent : « De ce que le cadavre a été trouvé dans le grenier de la maison de F. il ne s'ensuit pas qu'il soit le meurtrier I... Lui, si calme, si doux, c'est impossible 1 »
Puis encore : « F. est sorti un des premiers de l'Ecole de commerce de Lille. C'est un garçon intelligent et travailleur, très doux, très calme. »
Un de ses patrons déclare : * J'étais avec F. à Cambrai pour affaires.
il y a un mois à peine. Nous dînâmes dans le même hôtel. Nous partageâmes une chambre à deux lits que l'hôtelier nous indiqua. Ce jour-là, j'avais en ma possession une forte somme. Eh bien ! j'ai dormi avec confiance. Jamais je n'aurais osé supposer que mon compagnon était capable d'assassiner quelqu'un pour le voler. »
Un de ses anciens condisciples déclare : « P. a été mon camarade de boite. Nous avons fait nos études ensemble au lycée de Douai. C'était un charmant garçon, petit et frêle, mais nerveux. C'était un timide, un doux, une fille. H acheva ses études ensuite à l'Ecole de commerce de Lille, et c'est en chemin de fer, pendant ses voyages à Lille, que commença son idylle avec Mlle B., qui suivait alors les cours du conservatoire de Lille et qui est devenue sa femme. »
Voilà donc tout ce que je savais sur P. et tout ce qui, à ma connaissance avait été dit sur lui. Je résume : F., d'après ce que l'on disait, doit être un homme instruit, intelligent, travailleur, très calme et très doux (tout le monde s'accordait à lui reconnaître ce caractère doux) ; tout le monde avait confiance en lui, il menait une vie régulière, était sentimental, aimait son intérieur.
Le voilà donc tel que je pouvais me le représenter lorsque le samedi soir M. V. m'apporta une lettre écrite par F., me demandant d'analyser son écriture d'après la graphologie scientifique.
Je veux citer ici textuellement l'article du journal qui indique la forme sous laquelle la question m'était posée et ma réponse .exacte :
LE caractere de F. D'aPRÈS sos écriture' — UNE interview dd Dr JorBE. — F. est dissimulé, hexteub. faible et jouisseur.
c Nous avons reçu, il y a environ un mois, une lettre dans laquelle P. nous demandait d'annoncer qu'une des maisons qu'il représentait et qui venait d'être en partie détruite par un incendie, possédait cependant des stocks lui permettant d'alimenter quand même sa clientèle. Nous avons retrouvé cette lettre dans nos archives et nous l'avons soumise à M. le docteur Joire, un spécialiste psychologue éminent, auteur d'un traité de « Graphologie scientifique » très estimé.
« Pouves-vous, luiavons-nous demandé, d'après l'examen de cette écriture donner les caractères dominants du tempérament de et nous dire si ses instincts naturels le portaient à commettre son crime ?
« Voici la réponse de ce savant :
LE portrait graphologique de F. — Je vous dirai d'abord que l'écriture ne peut révéler si un homme a commis nn crime, s'il est un assassin ou non. On ne naît pas assassin, on n'est pas fatalement condamné à le devenir, quelles que soient les dispositions naturelles ou ataviques que peut présenter l'organisme. Toutes ces prédispositions, en effet, si elles existent, sont fort heureusement modifiées par l'éducation, par le développement de l'intelligence, par l'éducation de la volonté, enfin par l'ambiance et les exemples que l'on a sous les yeux.
c L'étude graphologique est basée sur ce principe que toute émotion intérieure physique détermine un mouvement extérieur musculaire ; et
sur cette observation physiologique que toute pensée se traduit au dehors par des mouvements.
« Les mouvements incessants que nécessite l'écriture sont donc modifiés par les pensées, les impressions, les sentiments ; et, inversement, en constatant, par le tracé des lignes et des lettres, les mouvements qui dominent dans l'écriture, nous pouvons en déduire les pensées, les impressions et les sentiments qui dominent habituellement chez le sujet que nous étudions.
Tout trait de l'écriture doit donc être ramené à un mouvement physiologique. Vous le voyez, la graphologie ne peut nous dévoiler un fait, comme un crime, un vol, nn assassinat. L'homme dont nous avons l'écriture sous les yeux, s'il est vraiment coupable, n'était pas un assassin à 3 heures, il pouvait l'être à 4 heures ; son écriture, qui est antérieure du reste à cette date, n'a pas changé par ce fait' Néanmoins cette étude pourrait être d'une grande utilité en nous permettant de reconstituer l'être intellectuel et moral d'nn individu qne nous ne connaissons pas et personne je pense, ne pourrait nier l'importance d'une telle constatation, qui pourrait tout au moins modifier bien des appréciations.
Ce que nous allons donc trouver dans son écriture, ce sont les défauts de caractères, ce sont les dispositions naturelles ou acquises, les tendances intellectuelles et morales, les sentiments qui dominent le plus habituellement ses actes. De là, par une série de déduotions, nous pourrons arrivera connaître ce que cet homme a pu faire dans le cours de son existence, et même, jusqu'à un certain point, s'il était capable d'un crime.
Tout d'abord, ce qui nous frappe dans cette écriture, c'est qu'elle est, ce que nous appelons en graphologie, inharmonique. Cela veut dire qu'elle vient d'une personne n'ayant qu'une intelligence de second ordre, plutôt même inférieure.
Un second caractère, qui saute aux yeux encore, dès l'abord, c'est la sinuosité des lignes. Elle n'est peut-être pas apparente partout, pour un œil non exercé ; mais elle est manifeste, comme vous pouvez le voir dans l'adresse, et principalement dans les 4«, 5e. 6e, 7®, 8e et 9® lignes du texte de la lettre.
Ce caractère graphologique est un indice de finesse, de souplesse d'esprit, d'habileté* à feindre et à dissimuler.
11 est évident que cela ne peut pas toujours être pris en mauvaise part. Chez un homme supérieur et honnête, par exemple, cette habileté se manifeste par de la capacité commerciale, une diplomatie loyale ; mais si nous avons à appliquer cela à un homme d'une imagination désordonnée, faible de volonté et esclave de ses passions, nons devons conclure au mensonge effronté, à la fourberie, à un homme dangereux.
Nous devons donc chercher d'autres indices pour compléter celui-ci.
Or, nous constatons, dans tout l'ensemble de l'écriture, une tendance très manifeste à ce mouvement physiologique qui consiste a ramener la main vers la gauche pour fermer d'une double boucle les lettres arron-
dies. II est important de remarquer que ce mouvement ne se produit pas au trait final des mots, pour la plupart du moins, mais dans la formation des lettres. Ce point a pour nous une grande importance. Tel que nous le constatons, ce signe indique une tendance à la dissimulation, au mensonge. Nous avons donc affaire évidemment à un homme qui manque de franchise, à un caractère concentré en lui-même, caché et, nous pourrions dire, habitué au mensonge.
Nous constatons encore ici des traces d'orgueil, mais un orgueil plutôt fait de prétention, car nous voyons par l'exemple de l'écriture qu'il s'allie à un esprit faible et étroit.
Que présente maintenant, avec ces tendances, l'état physiologique de notre sujet. C'est hélas, un homme plutôt faible, nerveux et impressionnable. Il est émotif, changeant, mais surtout exagéré en toute chose. Comme tous les individus mal équilibrés et mobiles il se laissera parfois émouvoir à l'excès par la moindre chose, une contrariété, une impression superficielle ; d'autres fois il sera froid et insensible pour des choses plus graves. De même vous le trouverez d'un caractère changeant, parfois sombre et triste à l'excès.
li'impressionnabilité jointe à une imagination assez vive et même déréglée lui donne de l'imprécision, c'est-à-dire le manque de direction fixe dans sa conduite. Je serais donc bien surpris s'il n'avait pas, par exemple, essayé diverses professions avant d'en embrasser une.
Il est agité, mobile, indécis ; je ne dirais pas qu'il a une passion particulière qui le domine, mais il se passionne facilement, parce qu'il est un exagéré.
Sa volonté est inconstante, il ne sait pas dominer les circonstances. Parfois nous le trouverons violent, autoritaire, entêté même ; et, dans d'autres circonstances, il se laissera dominer et montrera une faiblesse extrême, se laissant conduire sans résistance. J'entends dire partout qu'il était doux, mais je serais étonné si cet homme doux n'avait pas parfois de violents accès de colère.
Voyez ces traits bizares, dans son écriture, ces lignes jetées d'une lettre à l'autre, puis ces interruptions brusques, ces irrégularités dans tous les traits de l'écriture. Cela nous montre un esprit désordonné : il ne manque pas parfois d'un certain esprit de critique, d'une certaine habileté, maie il n'a pas de direction, il n'a pas de persévérance, il manque de force. Sans force, il se laisse aller à toutes ses impressions, il est entraîné par tous les événements et par toutes les impulsions ; il manque de calme ; il n'a pas été habitué à se dominer.
Ce n'est pas ce qu'on peut appeler un homme foncièrement méchant et profondément égoïste ; mais il est faible et jouisseur. Esprit léger et sceptique, il n'a aucune croyance idéale, aucune conviction sérieuse, rien ne vient contenir sa faiblesse, aucun frein ne l'arrête.
Voilà ce que nous dit son écriture.
Dans ces conditions ajoutai-je, ne vous étonnez pas si. coupable ou non, F. vient de lui même se livrer aux mains de la justice.
Or, après avoir erré quelques jours à Paris, P. se rendit à Nancy où ses traces furent retrouvées par la police. Sa retraite était découverte, mais, loin de chercher à s'enfuir, ou d'opposer la moindre résistance, ou même à dissimuler son identité, F. appelle lui-même les policiers et leur dit : c C'est bien moi que vous cherchez, arrêtez-moi ! » Puis, il écrit une longue lettre au juge d'instruction, dans laquelle il avoue sa culpabilité et décrit longuement son crime. Alors on recherche tous ces antécédents, et l'on trouve que cet homme, qui avait été dépeint comme si doux et si calme, était un violent, sujet k de terribles accès de colère.
On rappelle qu'étant au collège, ayant eu une discussion au réfectoire avec un de ses camarades, il voulut lui lancer son assiette à la tête. Cette scène est rappelée dans son interrogatoire, comme le prouve la citation suivante d'un journal.
Ce point établi, F. fut ensuite appelé a donner des renseignements snr sa jeunesse. Il est probable qne ses mauvais antécédents, entre autres son exclusion du lycée de Douai, à la suite d'une scène de violences au cours de laquelle il voulut frapper d'un couteau l'un de ses camarades, furent évoqués.
Pins tard on lui découvre des aventures galantes et cet homme sentimental, homme d'instinct, trompait sa femme, était un jouisseur comme nous l'avions vu.
Quelle conclusion tirerons-nous de tout cela. Les faits parlent d'eux-mêmes ; l'étude psychologique d'un homme, par la graphologie scientifique, nous a permis, sans le connaître, de décrire son caractère réel, qui se trouvait être contraire à l'opinion générale que l'on avait de lui et par conséquent à l'idée que nous ponvions nous en faire.
Les constatations, faites par une enquête judiciaire, ont prouvé que tout ce qne nous avions dit de lui était rigoureusement vrai.
Dya dans ce fait d'une constatation publique et authentique faite par la voie judiciaire, une démonstration, comme on en a rarement, de l'exactitude a laquelle peut arriver l'étude psychologique d'un individu, parla graphologie scientifique.
J'ajouterai encore autre chose : pendant toute une semaine, la police a perquisitionné dans un nombre considérable de maisons (101 si je ne me trompe) et chez les commerçants les plus honnêtes ; et, par une suite de circonstances assez étranges, la seule maison du coupable est restée indemme de toute perquisition, pendant une semaine, lui laissant ainsi tout le temps de se mettre à l'abri de la justice, s'il avait été plus intelligent et d'un caractère plus énergique.
Ne pensera-t-on pas que si, on nous avait demandé cette étude psychologique, dès le début de l'instruction, en voyant que l'un des derniers individus, visités par le garçon de recettes disparu, était un homme fourbe, dissimulé, menteur, dolent, sans frein, certes, ce n'était pas nn motif suffisant pour l'accuser d'un assassinat, mais, sachant que cet nomme, disparu, habitait dans cette maison restée hermétiquement fermée, il y avait des motifs suffisants pour dire à la justice : cherchez
là, là d'abord, puis, si vous ne trouvez pas là, vous chercherez partout ailleurs, mais là d'abord, et cette perquisition aurait amené la découverte immédiate du crime.
Discussion
M. Bértllos. — L'examen d'une écriture peut assurément donner des renseignements sur le degré de culture intellectuelle de son auteur, et même sur sa situation socIale.Par comparaison avec l'écriture antérieure on peut en tirer des déductions relatives aux changements survenus dans son état mental, mais on ne saurait y trouver de sérieuses indications sur sa valeur morale. A ce point de vue la lecture du texte serait plus instructive que l'examen deB caractères de l'écriture. C'est en se plaçant sur ce terrain moral qne la graphologie s'expose aux intrigues les plus fondées, la morale étant conventionnelle et variable, chez le même individu, selon les circonstances et les nécessités sociales.
M. Louis Pa.vhb. — Le plus grand désaccord règne encore entre les graphologistes pour l'appréciation des mêmes signes de récriture. La graphologie n'est donc pas encore arrivée à une période assez positive. Mais les étndes sur cette discnssion doivent être poursuivies. Elles gagneront à l'être par des hommes de sciences.
M. PATri, MjlGsin. — Les aliénistes apprécient l'importance des changements survenus dans l'écriture des malades. Ils en éclairent leur diagnostic et leur pronostic. Les psychothérapeutes devraient entrer dans la même voie. Les exercices de psychothérapie graphique préconisés par le Dr Bérillon démontrent-que si les troubles psychopathiques apportent des altérations dans l'écriture, par contre la rééducation de l'écriture favorise considérablement la disparition des troubles de la mentalité chez les nerveux.
Utilisation du sens musculaire dans la rééducation
d'anormaux
par M. le Dr Joies Voisin, médecin honoraire de la Salpêtrlère
Je vous ai déjà entretenu du rêle important du sens tactile et musculaire dans l'éducation de l'enfance. Je viens encore aujourd'hui vous entretenir de ce sujet et vous montrer un des instruments dont se sert M11* Mulot, pour l'éducation de ses enfants aveugles et qui peut être employé aussi pour les enfants normaux, Cet instrument est une sphère en relief formée de 12 fuseaux séparés, qui peuvent s'appliquer les uns à côté des autres et par leur réunion former la sphère.
Ce travail de montage et de démontage est facile et l'enfant le fait avec beaucoup de plaisir. Le montage et le démontage de ces fuseaux est un véritable jeu pour lui. Les mers et les fleuves sont formés par des reliefs, tandis que la terre est plate. C'est le contraire de ce que l'on voit généralement dans les classes où les montagnes sont toujours représentées par des reliefs.
Au premier abord cette distinction surprend, mais il ne faut pas
oublier que cette sphère a été faite primitivement pour des aveugles et comme d'un autre côté nous savons qu'un cours d'eau ne peut avoir lieu que dans une vallée et que cette vallée éveille tout de suite l'idée de montagnes parallèles, on ne pouvait mieux faire pour donner à un aveugle l'idée de la conformation du globe terrestre que de se servir de ce moyen.
Sur cette sphère on sent encore d'autres reliefs qui sont ou perpendiculaires ou horizontaux c'est-à-dire bien différents des reliefs sinueux qui représentent les fleuves. Ces reliefs perpendiculaires et horizontaux sont les degrés de longitude et de latitude et l'Equateur. Ces degrés servent de points de repère à l'enfant. Les lignes courbes pointillées représentent le trajet des bateaux à travers les mers.
Enfin les mers et les fleuves sont colorés en bleu ; tandis que tout ce qui représente la terre est de la couleur du papier avec lequel on a fait la sphère. Cette sobriété dans les couleurs est voulue. De cette manière l'enfant a des notions plus précises, une vue d'ensemble plus nette. Quand il veut dénommer un pays il est guidé par les degrés de longitude ou de latitude et non par les couleurs comme cela a lien pour les cartes de géographie dont on se sert dans les écoles communales.
Cette sphère reste dans la possession de l'enfant jusqu'à la fin de ses études et tous les jours l'enfant s'applique à monter et à démonter sa sphère et à reconnaître les parties du monde qui la composent. Quand l'enfant connaît bien sa sphère on lui donne à chercher les continents puis tons les pays les uns après les autres. On prend pour cela un ou plusieurs fuseaux de la sphère c'est-à-dire ayant toujours les mêmes reliefs. On note les degrés de longitude et de latitude et bientôt le pays contenu entre ces degrés est connu de l'enfant et on dit le pays situé entre tel et tel degré s'appelle ou France ou Allemagne ou encore Amérique ou Afrique, etc.
Les aveugles ne se servent que du toucher et de leur sens musculaire pour apprendre cette géographie et ce n'est que lorsqu'ils l'ont bien dans la main pour ainsi dire, qu'on leur donne de vive voix tous les détails que comporte cette sphère. Les voyants ont tous leurs sens à leur disposition pour apprendre la géographie, mais l'emploi de leur toucher et de leur sens musculaire pour suivre tous les détails de cette sphère, force l'enfant à l'attention et à la réflexion. D ne doit pas dans les lignes horizontales de la mer dépasser les limites avec son crayon bleu et il voit apparaître sous son instrument un dessin. Les côtes de la terre sont plus ou moins sinueuses et des promontoires, des presqu'îles apparaissent. Ce sont, dit le jeune enfant, des prolongements de la terre dans la mer. Ces prolongements reçoivent les noms qu'il leur convient quand la curiosité de l'enfant est éveillée c'est-à-dire plus tard au bout au moins de dix-huit mois. C'est ainsi que sans s'en douter l'enfant apprend des notions générales de géographie ; qu'il connaît les lies c'est-à-dire ces terres entourées d'eau de tout côté, des presqu'îles, les embouchures des fleuves et plus tard encore des notions générales sur le temps, sur
l'espace, snr l'orientation, sur l'étendue, sur la forme et sur le système métrique et l'histoire quand on l'initiera à la valeur des degrés de longitude et de latitude et du méridien, sur les points cardinaux et sur l'étendue et la conquête de la terre.
Toutes ces notions générales relatives à plusieurs sciences sont acquises en jouant pour ainsi dire et sans fatigue aucune. Les impressions fournies par le sens tactile et musculaire 'sont en effet très vives, très durables et très exactes.
Quand en effet on se sert des tests pour apprécier le degré d'intelligence de chaque enfant on s'aperçoit qu'il rend parfaitement compte paisa description ou par son dessin de l'objet qu'il a touché, palpé en tous sens. Aucun détail ne manquera, tandis que l'objet qu'il aura seulement vu ne sera pas détaillé aussi complètement et aussi exactement que dans le premier cas. Cela tient comme je l'ai dit plus haut à ce que les sens tactile et musculaire éveillent l'attention et provoquent la réflexion et appellent à leur aide tous les autres sens. C'est pour cette raison aussi que nous voyons des aveugles tracer correctement et très exactement sur le tableau noir la carte de la France par exemple avec tous ses contours et ses fleuves. Si un aveugle peut faire cela à plus forte raison un voyant qui a tous ses sens à sa disposition et qui tous participent au développement intellectuel peut arriver à un résultat encore plus beau si dès son jeune ftge U a été habitué à modérer ses mouvements, k les coordonner et & les rendre utiles et efficaces.
Si au contraire ce voyant n'a pas été habitué à diriger ses mouvements, à les contrôler, si en un mot il ne s'est pas habitué h faire des choses utiles,cet enfant quoique intelligent,restera étourdi.versatile; son raisonnement et son jugement seront fréquemment en défaut.
L'enfant bien portant a besoin de mouvements, il s'agite, crie, court, frappe, casse, etc. C'est une façon de se développer physiquement et c'est pour lui une grande jonissance. Mais ces mouvements ont besoin d'être guidés, coordonnés et utilisés. C'est pour cela qu'on donne des leçons de gymnastique raisonnée et que ces leçons ont été préconisées depuis les temps les plus reculés ; mais ces leçons de gymnastique pour être efficaces doivent elles-mêmes être bien données, ne pas être trop prolongées et fastidieuses. Elles doivent être agrémentées par la musique et le chant et être en un mot agréables et recherchées. Elles ne doivent pas être une contrainte, nn ennui pour l'enfant. Dans ce cas elles seraient cause d'un ralentissement dans l'épanouissement intellectuel. Si au contraire cette gymnastique est bien raisonnée et agréable elle rend l'enfant docile discipliné, réfléchi et lui fait aimer l'ordre et l'autorité en même temps qu'elle assouplit ses mouvements et lui donne une attitude gracieuse.
Avec cette gymnastique raisonnée qui a pour but d'assouplir les mouvements et de bien les coordonner, on donne à l'enfant des leçons de choses. Par le jardin de l'enfant, on lui apprend le pliage, le découpage, le crochet, etc., et ou le fait travailler au jardinage. C'est ce qui consti-
tue la méthode Frœbel. Cette méthode est excellente parce que cette méthode, comme la méthode Mulot, s'appuie sur le développement du sens tactile et du sens musculaire. Au numéro 185, rue de Charonne, à V Union familiale, vous pouvez voir cette méthode appliquée par M11*' G-abery avec beaucoup de succès. Le dessin y est très en faveur.
A cette école est annexé nn enseignement ménager et professionnel.
Le fait de tracer des lignes horizontales et verticales sur la sphère par la méthode Mulot, de ne "pas dépasser ces lignes, produit, comme je l'ai dit plus haut, de l'attention de la part de l'enfant et fait disparaître souvent des tics qui sont si fréquents chez les aveugles en particulier. C'est grâce à cette méthode de faire des lignes horizontales et verticales et non des points comme dans le système Braille que nous voyons si peu de ticqueurs dans l'Ecole des aveugles d'Angers.
L'aveugle a plus de peine à percevoir par le toucher la ligne horizontale que le point. Cette difficulté nécessite un effort volontaire ; mais cet effort volontaire est bienfaisant. Il force l'enfant à réfléchir et à maîtriser ses mouvements, à les coordonner en les adaptant à un but utile. Et c'est ce but utile que l'on doit avoir constamment en vue, dans l'éducation. Une fois le but atteint, l'enfant éprouve un plaisir et quand un plaisir est fréquemment renouvelé, une habitude est prise et bientôt l'amour de la science, des recherches est développé et comme ces recherches s'appuient sur des notions générales immuables, le raisonnement est toujours bon et ne se laisse pas influencer par des sensations d'un seul sens, puisque nous avons donné à l'enfant ' l'habitude de contrôler tontes ses sensations par tons les sens et en particulier par le sens tactile musculaire.
C'est ce contrôle des sens les uns par les autres qui doit être la base de tout enseignement et c'est ce contrôle qui. lorsqu'il est mis en pratique, nous évitera beaucoup d'ennuis dans la vie. Le sens musculaire et le toucher nous habitueront a ce contrôle, car les sensations provoquées par eux ont besoin d'être vérifiées par les autres sens, pour que nous éprouvions pleine satisfaction.
Cet enchaînement dans les sensations, les perceptions et les déterminations est encore une preuve de l'efficacité de l'éducation du sens musculaire et tactile, dans le développement de l'intelligence et nous démontre aussi la supériorité de la méthode de l'enseignement Mulot et Frœbel sur les autres méthodes.
Ces méthodes sont de vrais systèmes pédagogiques puisque, comme le dit Frœbel, le professeur fait en toute chose œuvre de raison avec l'enfant en employant ces méthodes, et je suis convaincu que ces moyens d'éducation bien appliqués seront le point de départ d'une régénération sociale, aussi je ne saurais trop les recommander.
Cette étnde de la sphère fait suite à l'étude de l'écriture et de la lecture dans l'enseignement Mulot. L'écriture est semblable à celle que, nous voyants, nous pratiquons chaque jour. Elle permet a, ces pauvres emmurés, comme les appelle M. Descaves, de se mettre en communica-
tion avec les voyants et elle permet aux voyants de communiquer avec les aveugles.
L'année dernière, j'ai déjà attiré votre attention sur cette amélioration dans le sort des aveugles. Je ne vous en parlerai pas aujourd'hui, mais je vous ferai observer que ce système d'écriture repose aussi sur la connaissance des lignes horizontales et verticales et sur l'éducation du sens tactile et musculaire.
Il en est de même pour la lecture. L'enfant apprend ses lettres à l'aide d'un pantin articulé. Ce pantin, mis dans telle ou telle position, forme des lettres, et pour bien retenir le nom des lettres, une petite phrase chantée indique les mouvements que l'on exécute avec chaque membre pour former la lettre indiquée. L'exécution des mouvements de ce pantin nécessite toujours de la part de l'enfant un certain degré d'attention. Le résultat obtenn étant l'image d'une lettre de l'alphabet, l'enfant exprime de la joie en prononçant cette lettre et ne demande qu'à recommencer ce petit exercice instructif, qui est surtout pour lui un exercice amusant, non fatigant. Cet ensemble de procédés constitue un tout qui est basé sur un même principe : l'éducation du sens musculaire et tactile et dont le résultat est le développement de l'intelligence, de l'extension de l'instruction.
Discussion
M. Demoscht. — Un des procédés les plus capables de fixer dans la mémoire les détails anatomiques c'est de faire le modelage des pièces anatomiques en particulier des os. L'intervention du toucher accentue la persistance du souvenir.
M. Bérillon. — Le toucher et la sensibilité ne sont l'objet d'aucune éducation. Ce sont cependant des sens susceptibles d'un grand perfectionnement. A ce point de vue, les exercices du travail manuel devraient trouver place dans les programmes universitaires. Il ne pourrait en résulter qu'un avantage considérable pour l'éducation de l'adresse et de la dextérité.
M. Paul Migsis. — Tous les sens devraient être chez l'enfant l'objet d'nne éducation minutieuse. On ne verrait pas dans les rues tant de gens absolument déconcertés par les bruits qu'ils entendent et exposés par là aux accidents les plus graves.
La suggestion par le phonographe
par M. B. Aïïastay, de Marseille
Dans le cours de recherches spéciales sur l'hypnose pratique, nous avons été amené, à deux reprises, à songer aux services qne pourrait nous rendre l'instrument qui a fait la gloire d'Edison, et qui ne parait guère jusqu'ici, en dehors de son rôle d'amuseur (rôle de premier ordre, il est vrai), avoir rempli les destinées brillantes qu'on avait rêvées pour lui.
Ce n'est pas pour viser uue réhabilitation de ce genre que nous avons
entrepris ces essais., mais parce que nous ne pouvions guère faire autrement. C'est le résultat de ces deux tentatives que nous allons exposer ici. malgré l'échec de la première, et le demi-échec de la seconde : car elles auront, à notre avis, leur intérêt, ne serait-ce que pour faire éviter de longs et infructueux tâtonnements à ceux qui pourraient être tentés de nous imiter.
Dans la première occasion, il s'agissait de traiter sur nous nne neurasthénie rebelle, pour la guérison de laquelle nous avions mis notre espoir dans la psychothérapie, par la bonne raisoh que tons les autres moyens avaient échoué. Seulement nous avions constaté, à la suite d'essais qui ont duré un mois, pendant plusieurs heures par jour, avec l'aide d'un « magnétiseur », que nous étions réfractaire à l'hypnose franche. Nous ne pouvions donc compter que sur des suggestions renouvelées, faites à l'état de veille, ou tout au plus de somnolence un peu accusée.
Nos ressources et notre commodité ne nous permettant pas de nous offrir un suggestionneur à heure fixe, nous pensâmes, à l'instar de Taucanson, à en fabriqner un de toutes pièces, avec cet admirable outil qu'est le phonographe, vraiment digne d'un meilleur sort que celui qui lui a été réservé jusqu'ici ; mais nous n'eûmes pas besoin du génie d'un "Vaucanson pour réaliser le dispositif qui nous était nécessaire, tellement simple que nous n'aurons pas besoin d'une seule figure pour la faire comprendre :
A un vulgaire tourne-broche, nous adaptions une tige terminée par une rondelle en bois, de 4 à 5 cent, de diamètre. Cette rondelle, garnie d'une lisière de drap à son pourtour (comme une roue caoutchoutée de bicyclette) était échancrée sur un sixième de sa circonférence environ. Mobile verticalement dans un montant à coulisses, elle reposait, aidée d'un léger poids supplémentaire, sur la petite roue pleine qui accompagnait le régulateur de notre phonographe, d'un modèle très ordinaire. (Il s'agissait d'un ancien modèle à rouleaux). Notre rondelle tournait lentement (comme un poulet à la broche), et, en appuyant sur la petite roue du régulateur du phonographe, d'ailleurs tout monté et prêt à marcher, elle le rendait muet : dès que l'échancrure se présentait, la rondelle cessait d'appuyer ; la roue était libre ; le phonographe se mettait à marcher, et à parler... jusqu'à la rencontre du rebord opposé •de l'échancrure qui, en immobilisant la roue du régulateur, rendait de nouveau l'instrument muet.
Les suggestions pouvaient donc revenir d'une façon intermittente, •comme les feux d'un phare à éclipse, et comme les aurait faites un suggestionneur en chair et en os, avec l'intonation que leur avait donné l'inscripteur. Four cette inscription, nulle difficulté, si ce n'est celles qui sont habituelles pour nne bonne reproduction de la voix humaine par le phonographe.
Une fois l'appareil monté pour trois quarts d'heure environ et en marche, le patient n'avait qu'à s'installer commodément dans son
voisinage, et à écouter i*eligieusement. On pouvait, en remontant l'appareil, renouveler les séances autant qu'on le désirait et quand on le voulait.
Mais le succès aurait été trop beau !
Au début, les paroles étaient écoutées avec quelque curiosité, parce que c'était nouveau ; on pouvait même croire que les suggestions avaient porté ; mais il fallut bientôt en rabattre : l'attention, d'ailleurs instable, des neurasthéniques, se lasse bientôt et se porte ailleurs : La vois du phonographe est. de moins en moins, écoutée, et elle finit par devenir un bruit quelconque qui se perd dans la foule des autres.
La cause de cette « faillite » du phonographe en cette occasion (qui pouvait, il est vrai, être prévue jusqu'à un certain point) peut se résumer en un seul mot : il manque d'autorité.
t Nous passons à notre seconde tentative, un peu plus heureuse :
Nous inspirant de la méthode du Dr Paul Parez pour transformer le sommeil normal en sommeil hypnotique, et toujours pour la même cause de pénurie ou d'absence de suggestion ne ur (surtout aux heures si incommodes de la nuit), nous eûmes encore recours à notre instrument, pour tâcher de remplacer ce suggestionneur manquant.
Les difficultés étaient un peu plus grandes que dans le cas précédent ; mais elles n'étaient pas insurmontables ; elles nous procurèrent même l'occasion d'introduire plus de rigueur et de précision dans la méthode proposée.
Un réveil ordinaire, A la petite aiguille duquel nous avions attaché un bout de fil relié ù un petit liteau de bois, chargé d'un pois à son extrémité et pouvant faire bascule quand il était tiré par le fil, était chargé de faire partir le phonographe tout prêt, et ft une heure fixée, par la chute de ce bout de bois monté sur une charnière et qui tirait, en tombant, le levier de départ, mis au minimum, de notre phonographe.
Nous ne tardâmes pas à reconnaître à cette méthode les mômes inconvénients que ceux que nous avions reconnus à celle du Dr Parez : c'est—à-dire que tantôt le patient, énervé inconsciemment par l'attente de ce qui allait se produire, s'éveillait au moindre bruit, ou même ne pouvait pas dormir du tout : tantôt n'était pas réveillé.
N,ous pensâmes alors tourner la difficulté, en profitant de ces faits: 1° Le premier sommeil est le plus ¦ dense ¦¦ : partant le plus utilisable ; 2° si ce premier sommeil est interrompu accidentellement, il est, en général, d'une reprise facile (comme tout le monde a pu s'en assurer — surtout chez les enfants — sur des dormeurs éveillés même le matin et paressant au lit — le sommeil entraîne le sommeil).
Notre plan d'action consistait en ceci :
Nous réveiller avec une sonnerie ordinaire de réveil, une ou deux: heures après le coucher, d'une façon aussi douce que possible. Nous rendormir, après avoir mis en marche un phonographe disposé de la façon suivante (beaucoup plus compliquée en apparence qu'en réalité).
Une échelle tracée sur du papier blanc était collée devant la tige
inférieure qui sert de guide au chariot porte-diaphragme, avec 7 ou 8 divisions numérotées à l'encre noire. Le rouleau de cire était impressionné par l'ordre réitéré de dormir, jusqu'au bout où il était terminé par l'ordre répété trois ou quatre fois de se réveiller. De plus, le réveil, mis ù la sonnerie dont le bouton était muni d'un appendice en fil de fer, était placé de telle sorte que le chariot porte-diaphragme, arrivé au bout de sa course* pressait sur cet appendice en déclanchant, ainsi, automatiquement la sonnerie de ce réveil.
Avec ces dispositions, il est facile de se rendre compte de la ruse avec laquelle nous enfermions le dormeur dans un véritable cercle de Pompilius, d'où il ne pouvait sortir, à notre idée, que vaincu par la déesse hypnose.
De suite après le réveil produit par la sonnerie du réveil, nous prenions nos dispositions pour nous endormir de nouveau, après avoir monté et laissé partir notre phonographe réglé à la première division de l'échelle.*
Si le sommeil n'était pas obtenu lorsque se produisait bientôt l'ordre du réveil, non& recommencions l'essai en partant de ta seconde division (c'est-à-dire en allongeant un peu la période de suggestion dormitive).
Si le sommeil n'était pas obtenu encore, nous recommencions en partant de la troisième, etc. (en augmentant par conséquent chaque fois d'une division pour rendre le temps plus long.)
Si, au contraire, au cours de l'essai, le sommeil nous surprenait et devenait trop profond pour que la suggestion du réveil pût porter, le chariot, en arrivant à la fin de sa course, déclanchait la sonnerie du réveil qui nous réveillait, de sorte que nous étions prêt... à recommencer le coup raté.
Dans notre pensée, par suite de ces tâtonnements, méthodiquement et régulièrement conduits qu'on l'observe bien, il devait arriver fatalement un moment où la suggestion porterait sur un instant favorable, c'est-à-dire sur un état pas assez léger pour arriver à la fin sans sommeil, et pas assez lourd pour avoir laissé passer la suggestion sans crier gare, c'est-à-dire sans se réveiller an moment où elle était faite.
L'usage a justifié en grande partie nos prévisions, et à la suite des manœuvres précédemment décrites, nous sommes arrivé à réaliser notre principal desideratum qui était de créer, chez un réfractaire, un état « de rapport » indéniable pour une suggestion, quelque rudimentaire que fût ce rapport, et quitte à le perfectionner par l'entraînement, en partant de ce point de départ jugé indispensable par nous.
H serait peut-être abusif de raconter les essais par lesquels il nous a fallu passer : nous les résumerons par les propositions suivantes :
1° La facilité avec laquelle le résultat était obtenu subissait de grandes variations d'un jour à l'autre : il y avait des jours où « il n'y avait rien à faire » ; d'autres où cela marchait « comme sur des roulettes ». Il nous est arrivé, dans quelques occasions assez rares (nous n'avons jamais su pourquoi) de voir le système marcher si bien que nous passions
la nuit, ravi, en renouvelant les succès gai cessaient entièrement le lendemain.
2° La sédation produite par diverses drogues, et en première ligne, par le bromure de potassium, à la dose de deux à trois grammes le soir en se couchant, nous a paru nécessaire pour amener une continuité de succès à peu près assurée.
3° La suggestion n'a pas pu, malgré des essais continués pendant des mois, aller plus loin que le modeste succès que nous venons de relater.
4° Le résultat thérapeutique (le plus important à considérer) a été assez satisfaisant, en ce sens que le matin, par exemple, nous avons pu nous rendormir, lorsque nous étions réveillé spontanément, effet qui ne nous arrivait jamais auparavant. En un mot, le sommeil très irrégulier jusqu'alors, a paru se discipliner dans une certaine mesure.
5° Ce dernier résultat s'est maintenu, malgré une assez longue interruption, et même après la suppression du moyen employé.
Discassion
AI. Paul Fabez. — Ce demi-échec n'a rien d'étonnant ; il est intéressant en lui-même et surtout par l'enseignement qu'il comporte. La suggestion thérapeutique, pour réussir, a besoin d'être imposée du dehors — par une personnalité pleinement vigile, pleinement consciente et jouissant pleinement de sa volonté directrice — à un sujet mis en état de détente, de résolution, de quiétude, d'indifférence, de repos, d'hypotaxie allant même jusqu'au sommeil. On ne peut, en même temps, diriger et subir la suggestion. En voulant être à la fois actif et passif, on n'est véritablement ni l'un ni l'autre. La suggestion pendantle sommeil naturel ne mérite pas les reproches de M. Ânastay. Le psychothérapeute est juge et maître du jour, de l'heure, de l'opportunité, du mode et de la durée de son intervention, sans que le dormeur ait besoin d'être prévenu à l'avance ; de la sorte, il n'est pas énervé par l'attente de ce qui va se passer. Toutefois l'idée de M. Anastay est très bonne ; une suggestion bien mûrie à l'avance, formulée à tête reposée et confiée au phonographe, rendra des services si elle est appliquée au malade par un médecin expérimenté ; cependant elle ne vaudra jamais la suggestion parlée, parce que celle-ci peut, selon les cas, se diversifier et s'adapter aux multiples conditions imprévues que peuvent faire surgir, à chaque instant, des circonstances secondaires et sur lesquelles doit se régler immédiatement le médecin au cours delà suggestion sommique.
PSYCHOLOGIE SOCIOLOGIQUE
L'Islam et la psychologie musulmane
par iL Ismael Haîiet. interprète principal de l'armée
(Suite)
La femme est, d'ordre divin, placée sous la sauvegarde des lois que le Juge est chargé d'appliquer et qui se substitue anx tuteurs naturels absents. Elle personnifie, d'autre part, l'honneur de la famille, et ceux
qui l'entourent, parents à quelque titre que ce soit, sont des défenseurs naturels dont les plus proches ne doivent pas hésiter à exposer leur vie pour elle. Dans les conflits passionnels, neuf fois sur dix, c'est le séducteur Beul que la vengeance poursuit de coups mortels ; la femme séduite étant, en principe, considérée comme à. demi irresponsable en raison de sa faiblesse naturelle, ou ménagée à cause d'enfants dont l'âge réclame ses soins. L'institution du divorce, en tous cas, et le régime de la séparation de biens, permettent vis-à-vis d'elle, une solution excluant les violences.
La femme est d'autant plus honorée qu'elle est féconde ; celle qui est stérile, dans cette société où la famille tend à rester indivise pour mieux se défendre, ne trouve aucune considération ; elle est regardée comme impaissante et tombe sous le coup de la loi du divorce.
Le mariage précoce est en grande faveur ; l'apport d'une dot n'étant imposé, par la loi et les usages reçus, qu'à l'homme seul, celui qui vit exclusivement du travail de la femme est à peu près inconnu.
Les enfants vivent sous la dépendance des femmes soit, pour les garçons jusqu'à la circoncision, entre sept et dix ans. Dès qu'ils ont atteint cet âge, ils s'initient à tous les actes de la vie extérieure, on les prépare au rôle qu'ils doivent remplir plus tard ; les uns fréquentent les écoles pendant quelques années, d'autres s'adonnent aux travaux d'industries locales, mais dans les campagnes presque tous apprennent en môme temps à exploiter le sol et à commercer de ses produits.
Les gens sans relations extérieures se ressemblent sensiblement de génération en génération et varient très lentement ; les individualités ne s'accusent, ne progressent qu'à la faveur de communications suivies avec l'étranger. De cette cause purement matérielle résulte, pour certaines populations retirées, l'immobilisme inexactement attribué à la loi du Coran seule. Chez elles, les traits communs se perpétuent, de là des distinctions entre groupes de familles ; dans les uns certaines vertus persistent tant que dure l'autonomie et dans d'autres se perpétuent certains vices. On connaît ainsi des agglomérations de villages ou de tribus nomades plus hospitalières que d'autres ou de mœurs plus douces ; celles-ci se montrent plus sauvages ou de foi douteuse, celles-là sont enclines au vol, au brigandage, Il en est enfin qui sont de mœurs relâchées, d'autres qui se mêlent à toutes les intrigues, vendent leurs services à tous les partis, etc.
Le caractère qui s'affirme le plus nettement, aussi bien par l'autorité des textes que par l'organisation elle-même de la société musulmane, c'est le régime semi-patriarcal avec la. forte et intransigeante discipline de la famille ; mais, en balance avec les vertus qu'il conserve, il faut mettre l'individualisme qu'il exclut. Comme correctif, un système de gouvernement d'essence \ purement démocratique dont le principe est excellent, mais qui devrait être aussi sacré que les sources d'où il est tiré.
La doctrine du talion admettant la compensation pécuniaire pour la dette de sang occasionnée par le meurtre d'autrui, constitue un frein
salutaire aux entraînements homicides ; c'est à elle, en tous cas, que le monde musulman doit de ne pas connaître le duel et les combats singuliers, ce qui est un bienfait sans égal pour des populations essentiellement guerrières et familiarisées avec l'usage des armes.
La protection de l'étranger est exercée à l'intérieur par la communauté et a l'extérieur par les familles ; celle des familles religieuses est très respectée et c'est grâce à elle que nombre d'explorateurs circulèrent librement et purent ensuite publier leurs travaux: scientifiques.
Le même que la protection, l'assistance aux malheureux est publique ou privée ; la charité est faite en nature aux heures des repas et les orphelins privés de proches parents, sont assistés par des gens aisés, jusqu'à leur majorité,
L'assistance mutuelle est très étroite entre concitoyens et s'exerce dans la plupart des actes de la vie ordinaire. Cette habitude fait qu'en cas d'incendie, d'inondation, de maladie épidémique. d'accidents de toutes sortes, les musulmans, isolément ou sous la conduite de leurs chefs, apportent spontanément, sur les lieux du sinistre, un concours désintéressé.
L'hospitalité dont le principe est inscrit dans le Coran est rigoureusement pratiquée ; un manquement à ce principe déshonore son auteur, et rien de ce qui a été rapporté sur le caractère de véritable grandeur de l'hospitalité arabe, caractère que l'Islam a étendu à tous les peuples musulmans, ne peut-être taxé d'exagération.
Le code des abblutions qui précèdent obligatoirement les prières journalières ou autres, est un véritable code d'hygiène pratique appropriée a tous les climats. La pratique des abblutions a introduit chez les musulmans une conception de la propreté corporelle que l'usage des bains de vapeur a portée au plus haut point. Si on observe cette nécessité que la propreté parfaite est un luxe onéreux, on peut affirmer que chez les musulmans non seulement elle n'est jamais inférieure a la condition matérielle des individus,mais qu'elle lui est presque toujours supérieure.
(A suivre).
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie
BANQUET DE LA société
La séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lien le mardi 21 juin, à quatre heures, sous la présidence du D Huchard, membre de l'académie de médecine.
Le bureau de la Société adresse a tous nos collègues et en particulier a ceux de l'étranger et do province, l'invitation de contribuer a la solennité de la séance annuelle. Après la séance, le banquet annuel aura lien â sept heures et demie, an restaurant an Palais des Sociétés savante, 8, rue Danton. Prix 8 fr. : tenue de ville.
avis très important
Les membres de la Société sont invités à prendre bonne note que la date de la séance annuelle est fixée au mardi il juin, à quatre heures très précises.
Nos collègues sont invités à adresser, dès à présent, les tilres de leurs communications et leur adhésion au banquet au D' Bérillon, secrétaire général, 4 rue Castellane.
TABLE DES MATIÈRES
Algomanie, par Lemesle, p. 49, 81,
Anthropologie bolivienne, par Chervin, p. 59.
Anesthésie hypnotique en art dentaire, par Bouchard, p. 29.
Anormaux à Bordeaux, par Régis, p. 93.
Anorexie mentale, par Tarrius, p. 43.
Anorexie des adolescents, par Bé-
rillon, p. 46. Arriérés du jugement, par Bérillon,
p. 57.
Assassin (psychologie d'un), par Paul Joire, p. 365.
Association française pour l'avancement des sciences, p. 2, 56.
Autosuggestion graphique, par Hurtrel, p. 38.
Banquet de la société d'hypnologie et de psychologie, p. 1.
Beaunis (Discours de M. le professeur) p. 69.
Bérillon (Discours dn Dr), P- 97.
Bonjean (Discours de M.), p. 99.
Brissaud (Le professeur), p 193.
Chirurgien (L'âme du), par Ro-
chard. p. 255. Contractions cloniques, par
Kausch, p. 128. Crucifiment d'une hystérique, p.
224.
Cruppi (Allocution de M.), p. 237.
Danseurs de la Pentecôte (Le congrès des), par Witry, p. 15.
Délire mélancolique systématisé, par Tarrius, p. 342.
Dépendance organique de la psychologie et de la biologie générale, par Bridou, p. 260.
Distinctions honorifiques, p. 33.
Dressage des animaux, par Moret, p. 188.
Dressage des animaux, par Ismaël Hamet. p. 333.
Ecole de psychologie, p. 156, 161,
191, 225, 226. Ecole de psychologie pendant
l'inondation, p. 253. Enfants difficiles, p. 33. Enfants de Madrid (Les), par
Bianco. p. 250. Enseignement de l'hypnotisme et
de la psychologie, p. 160, 224,
252, 288, 320, 352. Eparpillement mental, par Bérillon,
p. 215.
Erreur judiciaire (Les causes psychologiques de l'), par Guilher-met, p. 230.
Esculape (L'), p. 61.
Fascination auditive, par Bérillon, p. 322.
Floquet (Discours de M. le professeur), p. 65.
Giard (Monument en l'honneur du professeur), p. 61.
Graphologie et quelques défaillances humaines, par Béni-Barde, p. 266, 290.
Graphologie utile à la justice, p. 365,
Homosexualité et le Conseil d'Etat
(L'), p. 351. Hypnotisme (Les merveilles de l').
par Geraud-Bonnet, p. 64.
Hypnotisme dans l'œuvre de
Bjœrnetjerne-Bjiernson, p. 322. Hypnotisme sur l'appareil cardio-
vasculaire et sur les éléments du
sang (Influence de l'), par Preda,
p. 338.
Huchard (Un hommage du Dr), p. 195.
Idées délirantes avec symptômes mélancoliques guéries par la suggestion narcotique, par Béva-lot. p. 317.
Imbécillité, par Sommer, p. 126.
Incontinence, d'urine datant de dix ans, par Pyohlau, p. 249.
Incontinence d'urine (A propos de quelques récentes publications sur l'), par Paul Parez, p. 5.
Influence psychothérapique directe, par Bryan, p. 154.
Intoxication cocaïnique. par Tar-rius, p. 14.
Islam et la psychologie musulmane (L') par Ismael Hamet, p. 348, 378.
Liégeois (Eloge de), par Guilher-met, p. 18.
Liégeois (Inauguration du monument du professeur), p. 65, 97, 130, 228.
Libre arbitre (A propos du), par Binet-Sanglé, p. 134.
Manifeste contre le concours de l'agrégation, p. 258.
Médecin psychologue et philosophe, par Debove. p. 221.
Magnétiseur et exercice illégal de la médecine, p. 286,
Mémoire chez Xapoléon, Cuvier et
de Candolle, p. 32. Mémoires extraordinaires, p. 1911
287, 320.
Méthodes pour l'emploi de l'hypnotisme, par Joire, p. 23
Miracle et la critique scientifique (Le), par Saint-Yves, p. 77, 140, 169, 208.
Monal (Discours de M. ) p. 70.
Monoplégie du membre supérieur, par Lupianez, p. 155.
Monument à la mémoire du professeur Liégeois, p. 1.
Morphinomanie (Le traitement de la), par Jennings, p. 41.
Morphinomanie guérie en douze jours sans contrainte ni souffrance, par Jennings, p. 279.
Mysticisme et érotisme, par Witry, p. 306.
Onirothérapie spontanée (Un cas
d'), par Paul Farez, p. 173. Ophtalmo - céphalée essentielle
pseudo-hystérique, par Grand
Clément, p. 58 Optimisme universel, par Bridou,
p. 105.
Ouvrages reçus à la Revue, p. 63, 160, 192, 256, 288.
Pamart (Le docteur René), p. 61.
Paresse (Le traitement diététique de la), par Laumonier, p. 143.
Patinage sportif (L'automatisme psychologique dans le), par Lépi-nay et Beausillon, p. 335
Phénomènes demi-spontanés (de M. Abrutz), par Preda, p. 210.
Phobies apparentes, envisagées comme l'expression d'appréhensions cachées, par Pevnitzky, p. 311, 329.
Psychisme périodique ou cyclopsychisme, par Pailhas, p. 302.
Psychologue dans l'éducation (Le rôle du), par Ley, p. 126
Psychologie dans la politique (Le rôle de la), p. 217.
Psychologie de la Tarnowska, par Bérillon, p. 345.
Psychologie du progrès (la), par Bridou, p. 356.
Psychothérapie (La cure de), par Bérillon, p. 257.
Psychothérapie et les méthodes de rééducation (La), par Bérillon, p. 2, 34, 71, 102, 162, 195, 240, 273.
Psychothérapie partie intégrante de tout traitement, par Le Cave-lier, p. 127, 130.
Psychothérapie à la Faculté de Médecine, p. 161, 258.
Psychothérapie dans l'enseignement du professeur Albert Bobin, p. 289.
Baymond (Un hommage au professeur), p. 322.
Rééducation des fonctions digesti-ves, par Paul Farez, p. 146.
Rééducation professionnelle après les traumatismes, par Bérillon, p. 123.
Remèdes contre l'insomnie, p. 254. Renterghem (Discours de M. le Dr
van), p. 67. Responsabilité (Encore la question
de la), par Paul Farez, p. 115. Réplique du Dr Farez, p. 138. Réveil spontané sur l'apparition
des troubles gastriques(Influence
du), par Pron, p. 214, 248.
Saints guérisseurs vénérés en Tou-raine. p. 255.
Sens musculaire et rééducation des anormaux, par J. Voisin, p. 370.
Société d'Hypnologie et de Psychologie, p. 16, 96, 148, 155, 177, 191. 224, 247, 254, 279, 287, 317, 320, 351, 380.
Spiritisme et délire de persécution »
p. 125. Suicides d'écoliers, p. 96. Suggestion dans la vie sexuelle des
femmes, par Bryan, p. 283. Suggestion hypnotique et maladie
de Basedow, par Preda, p. 150. Suggestion à l'état de veille (Le
sophisme de la), par Bérillon,
p. 162, 195, 240, 273.
Teissier (Le jubilé du professeur), p. 195.
Tendances criminelles chez les enfante, par Tramonti, p. 127.
Tension artrérielle, par Amblard, p. 60.
Timidité dans l'étiologie de l'alcoolisme (Rôle de la), par Bérillon, p. 171.
Tiqueurs, p. 25b.
« Transfert » dans les fonctions motrices, par Cesari, p. 203.
Vasomoteurs par suggestion-hypno-tique (Des troubles), par Podia-polsky, p. 178.
Vasomotrices produites par la suggestion hypnotique (Modifications), par Smiruoff, p. 185.
Vaudoux (Le culte du), par Diaz, p. 60.
Verrues par la suggestion (Guérison des), par Bonjour, p. 320.
Vote reconnu aux idiots (Le droit de), par Bérillon, p. 341.
TABLE DES GRAVURES
Le professeur Brissaud, p. 193. Portrait de M. le professeur
Liégeois, p. 228. Buste du professeur Liégeois, 229.
Etat cataleptique provoqué par la vibration d'un diapason, p. 325.
Etat léthargique provoqué par la vibration d'un diapason, p. 325
TABLE DES AUTEURS
Anastay, p. 374.
Amblard, p. 60.
Beaunis, p. 69.
Beausillon. p. 335.
Béni-Barde, p. 266, 289, 290, 353.
Bérillon, p. 2, 34, 46, 57, 71, 97, 102, 123, 130, 145, 162, 171, 173, 177, 195, 215, 226, 228, 240, 257, 316, 322, 334. 337. 342. 344, 345, 347, 370, 374.
Bévallot, p. 317.
Bianco, p. 250.
Binet-Sanglé, p. 134.
Bonjean, p. 99.
Bonjour, p. 320.
Bridou, p. 105, 260, 356.
Bryan. p. 154, 283.
Bouchard, p. 29.
Cavelier (Le), p. 127.
Cesari, p. 203.
Chervin, p. 59.
Cruppi, p. 237.
Dauriac, p. 173.
Demonchy, p. 374.
Debove, p. 221.
Diaz, p. 60.
Farez (Paul), p. 5, 61, 115. 138, 146.
173, 177, 215, 334, 344, 378. Favre (Louis), p. 370. Fiessinger, p. 145. Floquet, p. 65. Grand Clément, p. 58.
Guilhermet, p. 18, 230.
Hamet, p. 333, 848, 378.
Hurtrel, p. 88.
Jennings. p. 41. 279.
Joire, p. 23, 365.
Kausch, p. 128
Laumonier, p. 143.
Lemesle, p. 49, 81.
Lépinay, p. 334, 335.
Ley, p. 126.
Luphuioz, p. 155.
Monal, p. 70.
Moret, p. 188, 334.
Magnin, p. 173, 177, 370, 374.
Pailhas, p. 302.
Podiapolsky, p. 178.
Pevnitzky, p. 311, 329.
Preda, p. 150, 210, 338.
Pron, p. 214, 248.
Pychlau, p. 154.
Raymond, p, 125.
Régis, p. 93.
Rochard, p. 255.
Van Renterghem. p. 67, 354.
Rénon, p. 355.
Smirnoff, p. 185.
Saint-Yves, p. 77, 140, 169, 208.
Sommer, p. 126.
Tarrius, p. 14, 43, 342.
Tramonti, p. 127.
Voisin (Jules), p. 344, 370.
Witry, p. 15, 306.
L'administrateur J. BÉRILLON. Le Gérant : Constant LAURENT. Privas.
Privas. — Imprimerie Centrale de l'Ardèche.