REVUE
de
L'HYPNOTISME
et de la
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
DIX-SEPTIÈME ANNÉE
REVUE
de
L'HYPNOTISME
et db la
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
Paraissant tous les mois
PSYCHOLOGIE - PEDAGOGIE — MÉDECINE LÉGAI/ê7
MALADIES MENTALES ET NERVEUSES
Rédacteur en chef : Docteur Edgar BÉRILLON xJ¿4,at]
COLLABORATEURS FONDATEURS
CBARCOT; DUMONTPALLIER; LUYS; MESNET; Aug. VOISIN; AZAM; DELBŒUF {de Liego) ; HACKTUKE (de Londres); SEMAL "
(de Möns).
PRINCIPAUX COLLABORATEURS
??. loi D" BERNHEIM. p' à la Faculté de Nancy ; BABINSKI, méd. de la Pitié; BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRL'ISE (de Dublin); L. DACR1AC, prof, à la Faculté des lettres de Montpellier, GUIMBEAU; W. DEKHTEUEPP(de Sl-Péterabourg) ; Van EEDEN (d'Amsterdam) ; URASSET.prof.àlaPaculie de Montpellier; A. de JONG (La Haye); BINET-SANGLE;O.JENNINas,P.JOIRE,(deLille);JAGUARIBE(San-Paulo); LACABSAGNE.prof. à la Faculté de Lyon; LAOAHE (de Génève); LIBBEAL'LT(deNancylîLKQRAlN.méd.del'Astlede Vaucluse; Henry LEMESLE LLOYD-TUCKEY (deLondiesk; MANOTJVRIBR; prof, à l'Ecole d'Anthropologie; MASOIN, prof, à l'Université deLouvain; Milnr BRAMWELL (do Londres); ?????.?, méd. de l'Asile do Lafond; Paul MAGNIN, prof, à l'Ecole de psychologie; MORSELLI (doOcnes); DE PACKIEWICZ (de Riga); PITRES, prof.à la Faculté de Bordeaux; RAPFEGEAU (du Véslnet); Pélix REGNATJLT; Charles RI ? H ET. prof, à la Faculté de Paria; Van RENTERGHEM, (d'Amilerdam) ; Von SCHRENK-NOTZING ide Munich»; 3PERLING (de Berlin); ??? A KSKI,(de Moscou); J. VOISIN, méd. de la Salpétnere ; STEMBOldeVilnai; VLAVIANOS(d'Athène»}; WETTKRSTRAND (deStockholm); LIEGEOIS, prof, à l''Univ. deNancy; ??IRAC, recteur de l'Univ.de Grenoble; Pierre JANET, agrégé de l'Université; Max DESSOIR (de Berlin); TARDE; STUMPF, prof.àl'Univ.de Berlin ; Ch. JULLIOT; Max NORDAU ; A. DE ROCHAS.
Secrétaire de la Rédaction: D' Paul PAREZ.
LE NUMÉRO : 60 CENT.
Rédaction et Administration: 14, rue Taitbout, Paris (9e). ( Téléphone : 224-01) 1903
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
17e Annre. — N° 1.
Juillet 1902.
BULLETIN
L'Ecole de psychologie-et le mouvement psychologique.
Au commencement du mois de janvier, en inaugurant les cours de l'Ecole de psychologie, notre éminent maître, M. le Dr Albert Robin, définissait de la façon la plus claire le but de l'institution et des services qu'elle était appelée à rendre. Il s'exprimait dans les termes suivants :
« Votre Ecole de psychologie a franchi les difficultés du début; elle vit de sa vie personnelle ; elle est devenue un centre d'études justement appréciées. Elle est quelque chose de plus encore, cette Ecole ! Elle est un grand exemple de ce que peut créer une initiative individuelle qui s est dévouée à la recherche de ta vérité, avec une conviction assez solide pour que rien ne la rebute. Souhaitons que cet exemple soit suivi, que les hommes de science et de bonne volonté se réunissent, comme vous l'avez fait, libres, indépendants des coteries et même des attaches, plus attentifs aux faits qu'épris de synthèses, et que dans toutes les branches de la Biologie s'élève, au-dessus des systèmes assombris, la floraison nouvelle ! »
M. Albert Robin, qui est un de ceux dont la parole fait autorité dans renseignement de la thérapeutique, nous rendait en outre un service signalé. Il indiquait la place que la psychothérapie est destinée à occuper dans la thérapeutique, et nous ne pouvons mieux faire que de reproduire son opinion, dont la valeur est si considérable :
« Votre enseignement, disait-il, a pour but d'étendre la portée et l'exactitude des moyens de diagnostic dans le domaine psychique, de rechercher ce qu'il y a de fondé et de véridique dans les phénomènes encore mystérieux que revendique l'occultisme,
d'asseoir la psychologie sur les bases définies de l'observation rigoureuse et de l'expérimentation, puis d'utiliser les certitudes acquises en les appliquant au traitement des états morbides de ta volonté, de la conscience, de l'intelligence et de la pensée. Cet enseignement a donc pour sanction la thérapeutique.
« Vous savez combien celle-ci est négligée, combien sont peu croyants ceux-là même qui devraient l'enseigner et quelle place dérisoire elle tient dans les concours qui ouvrent la porte des emplois officiels de la médecine. Les successifs écroulements des théories et des doctrines pathogéniqùes d'où l'on tire les indications du traitement des maladies, l'incertitude apparente des actions médicamenteuses, la grandeur et la décadence si rapides des médications nouvelles qui uniformisent, comme une mode, la thérapeutique d'un moment, enfin et surtout l'héritage compact et pesant d'un organisme séculaire, sont les principaux motifs de cette désaffection des corps enseignants pour la partie la plus noble et la plus humaine de notre science. »
En terminant, M. Albert Robin indiquait ainsi la mission élevée à la réalisation de laquelle devaient concourir les efforts des professeurs de l'Ecole de Psychologie.
« Messieurs, en étudiant, comme vous le faites, les déviations des grandes fonctions nerveuses, en fixant les variations des échanges organiques qui sont les conditions ou les résultantes de ces déviations, en vous efforçant de les impressionner directement par les divers modes de la psychothérapie, ou indirectement par l'intermédiaire des agents qui modifient la nutrition nerveuse, en diminuant, par vos méthodes d'enseignement pédagogique, l'aptitude des centres aux troubles de leur fonctionnement, vous faites de la thérapeutique et de la prophylaxie fonctionnelles, et vous vous rangez ainsi parmi les défenseurs autorisés de ce néo-vitalisme physiologique encore flottant et indécis dans la médecine, quand, sous d'autres formes et avec d'autres noms, une évolution similaire dans la manière de percevoir, de comprendre et de sentir a rénové les arts comme la littérature et changé les assises de la sociologie et de la philosophie contemporaines. »
Depuis lors nous avons eu souvent l'occasion de méditer sur les paroles de M. Albert Robin. Elles nous ont servi de guide et nous ont affermi dans nos convictions scientifiques. Nous le remercions de nous avoir montré notre voie et nous sommes heureux de lui apprendre qu'il a été bon prophète. Le succès des cours de l'Ecole de psychologie a été considérable. Une
affluence nombreuse d'auditeurs : médecins, étudiants et psychologues dont l'esprit est ouvert à la curiosité scientifique, les a suivis jusqu'à la clôture. Nous les retrouverons au mois de janvier prochain à la réouverture de l'Ecole.
La Revue de l'Hypnotisme, organe de l'Ecole de psychologie, a déjà publié un certain nombre de leçons; elle en publiera le plus grand nombre.
Ainsi, chaque année, s'accentue le mouvement psychologique à laquelle la Revue de rHypnotisme a si puissamment collaboré depuis sa fondation, qui remonte à l'année 1886. C'est une constatation que nous sommes heureux de faire au moment où cette Revue entre dans sa dix-septième année, disposée plus que jamais, grâce au zèle et à l'activité de ses nombreux collaborateurs, que nous remercions de leur concours dévoué, à servir la cause de la psychothérapie et de la psychologie scientifique.
E. B.
L'hypnotisme et la méthode graphique. — Influence de la suggestion hypnotique sur la circulation.
Par M. le D' Bêrillon Professeur à l'Ecole de Psychologie,
L'hypnotisme, science de la vie psychique et de ses manifestations inter-mentales, est, de son essence, une science expérimentale.
Dans toutes ses applications, qu'elles soient psychologiques, pédagogiques, cliniques ou thérapeutiques, l'opération de l'hypnotisation sera le résultat de l'influence exercée artificiellement, ou plutôt expérimentalement, par un individu sur le système nerveux d'un autre individu.
Toute application de l'hypnotisme n'est en réalité qu'une expérience, assez compliquée, qui doit être soumise à toutes les règles de la méthode expérimentale.
Par analogie avec certaines expériences de physiologie ou de médecine expérimentale, le but de l'hypnotisme sera toujours ou de suspendre, ou d'augmenter l'activité de tel ou tel organe, soit pour en étudier le mécanisme physiologique, soit pour en améliorer le fonctionnement. La réalisation, chez un individu, de l'état d'hypnotisme et des modifications nerveuses ou men-
taies qui peuvent en résulter, ne sera obtenue que par l'application méthodique d'un rigoureux déterminisme expérimental. Les caractères fondamentaux de toute expérience d'hypnotisme seront nécessairement les suivants :
1° La production des phénomènes d'hypnotisme chez un sujet, c'est-à-dire la suspension ou l'augmentation de ses activités fonctionnelles, est provoquée expérimentalement et volontairement.
2° Le début de l'expérience est fixé par une entente résultant du consentement du sujet et de la volonté de l'expérimentateur.
3° L'action et l'étendue de l'expérience peuvent être limitées à des territoires nettement déterminés du système nerveux du sujet et à des fonctions influencées isolément.
4° La durée des phénomènes provoqués est fixée par la volonté de l'expérimentateur.
5° L'expérience terminée, les cellules nerveuses et les fonctions influencées sont replacées, au gré de l'expérimentateur, dans les mêmes conditions qu'avant le début de l'expérience.
Ce dernier caractère constitue un fait d'une importance exceptionnelle. Par lui, l'hypnotisme constitue un procédé expérimental supérieur à la vivisection et aux autres procédés d'investigation de la physiologie et de la médecine expérimentale. L'hypnotisme ne provoque aucune lésion, ni aucune destruction organique. L'opération de l'hypnotisation est donc un procédé physiologique dans l'acception la plus stricte du mot. Les conséquences de cette opération ne deviendront extra-physiologiques ou pathologiques que par le fait de fautes expérimentales.
La constatation des phénomènes expérimentaux de l'hypnotisme est des plus frappantes. Les phénomènes provoqués, dans la plupart des cas, apparaissent avec une évidence indiscutable. Les manifestations somatiques, telles que les contractures, les anesthésies, les paralysies, sont en effet des plus caractérisliques. II en est de même des modifications qui surviennent dans la respiration et la circulation des hypnotisés.
Mais la science ne doit pas se borner à constater des phénomènes. Elle doit tendre à les enregistrer et à les amplifier par tous les procédés capables d'en faciliter le contrôle et l'analyse. C'est pour cela que l'on doit, chaque fois que la chose est possible, soumettre les phénomènes de l'hypnotisme au contrôle de la méthode graphique.
Les premiers qui se sont ingéniés à appliquer les procédés
graphiques de la physiologie moderne à l'étude de l'hypnotisme, sont MM. Tamburini et Sépilli. Ils ont constaté des différences appréciables dans la respiration et la circulation des sujets hypnotisés, selon qu'ils étaient en léthargie ou en catalepsie.
M. Paul Richer a fait les mêmes constatations. Il a étendu ses recherches à l'étude des contractures musculaires et, en particulier, à celle du phénomène si curieux connu sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire.
M. Paul Magnin a soumis au premier Congrès de l'hypnotisme, en 1889, des tracés montrant les variations survenant dans la respiration costale et diaphragmatique des sujets plongés successivement dans des états différents du grand hypnotisme.
Enûn. MM. Beaunis et Burot ont réalisé des expériences qui démontrent nettement l'influence de la suggestion sur la circulation des sujets hypnotisés.
La plupart de nos expériences personnelles présentent un caractère différent. Elles résultent de l'association de la clinique avec l'hypnotisme et nous ont été inspirées par l'observation de troubles pathologiques qui nous ont permis d'obtenir un grossissement considérable des phénomènes à l'état normal, les modifications qui surviennent dans la circulation des sujets hypnotisés ne peuvent qu'être très limitées ; il n'en est pas de même dans certains états pathologiques qui offrent à l'influence de la suggestion hypnotique un champ beaucoup plus étendu.
Les expériences, faites à l'Institut psycho-physiologique, peuvent être divisées en deux groupes :
1° Action de l'hypnotisme et de la suggestion sur la circulation normale.
2° Aclion de l'hypnotisme et de la suggestion sur la circulation des sujets atteints de troubles cardiaques.
La comparaison des résultats obtenus démontre les services que la clinique peut rendre lorsqu'on l'associe à des recherches expérimentales.
1° Modifications expérimentales de la. circulation normale
Observation. — Mlle R..., âgée de 23 ans, est très craintive, sans présenter de troubles somatiques très accentués, elle peut être considérée comme hystérique. L'examen clinique de
son cœur démontre qu'il ne présente aucun trouble pathologique et fonctionne d'une façon normale. Elle est très hypnoti-sable, et, dans l'état d'hypnotisme, présente de l'automatisme et réalise des hallucinations suggérées. Nous jugeons son état favorable à des recherches expérimentales.
Pour ces recherches, nous confions la direction de l'appareil enregistreur à M. Ch. Verdin, nous bornant à déterminer les conditions de l'expérience. Cette division du travail est destinée à augmenter la rigueur du contrôle expérimental. Les tracés ont été pris à l'aide du tambour enregistreur de Marey, sans que l'appareil ait quitté le pouls.
Expérience. — Le pouls du sujet, pris à l'état de veille, marque 78 pulsations à la minute. Le dicrotisme est peu marqué; la tension artérielle est normale. (ler tracé.)
1" tracé. — Klal do veille. 78 pulsaiions.
Le sujet est endormi par la fixation des yeux. Le pouls conserve le même caractère et le même nombre de pulsations. Elle reçoit alors la suggestion que son pouls se ralentit. Une
2- tracé. — Hypnose. Suggestion de ralentissement. G6 pulsations.
minute après la suggestion, le pouls marque 66 pulsations. Les caractères du pouls sont modifiés. Le dicrotisme est peu marquéetla tension artérielles'estlégèrementélevée.fë'tracc.) On fait alors au sujet la suggestion qu'elle vient de courir.
3" tracé. — Hypnose. Suggestiou d'accélération. 102 pulsations.
qu'elle est essoufflée et que son pouls s'est accéléré. Deux minutes après, le pouls marque 102 pulsations. Le dicrotisme s'est accentué (3e tracé).
Au bout de quelques instants l'agitation se calme spontanément, le pouls redevient normal et marque 78 pulsations. (4e tracé.)
4. tracé. — Hypnose. Etat do calmo. 78 oulsations.
Alors on s'adresse au sujet et on lui suggère qu'un chien vient d'entrer dans la salle et on insinue qu'il a mauvaise tournure et qu'il est peut-être enragé. Immédiatement le pouls devient irrégulier, il s'accélère légèrement et il s'élève à 84 pulsations. (5° trace.)
5e tracé. — Hypnose. Suggestion d'effroi. 84 pulsations.
Quelques instants après la malade est réveillée. Le pouls présente 78 pulsations, c'est-à-dire marque exactement le nombre de pulsations qu'il avait au début de l'expérience.
6° tracé. — Après le réveil. 78 pulsations.
Conclusions. — Sous l'influence de la suggestion hypnotique, on a obtenu successivement un ralentissement, puis une accélération du pouls chez un sujet dont le cœur ne présentait aucun trouble. Cette expérience démontre que la suggestion peut déterminer des effets de ralentissement ou d'accélération
du cœur et provoquer secondairement des modifications dans la tension artérielle, dans l'état des vaso-moteurs et ainsi exercer une influence sur la nutrition générale.
2° Modifications expérimentales de la circulation chez des sujets atteints de troubles cardiaques.
Observation. — Mlle S... âgée de 17 ans, jusque-là bien portante, reçut au mois de juillet 1898 un choc moral des plus violents. Etant en compagnie d'un parent qu'elle ne savait pas atteint d'épilepsie, elle fut témoin d'une attaque soudaine dont la vue provoqua chez elle une frayeur intense. Le croyant mort, elle se mit à pousser des cris et ne voyant personne venir à son secours, elle perdit connaissance à son tour en proie à une attaque convulsive d'hystérie.
Quelques jours après une angine grave se déclarait, accompagnée de fièvre intense. Le pouls s'éleva à 160 pulsations. Sa vie fut plusieurs jours en danger. L'angine se guérit, mais le trouble circulatoire persista. Cinq mois après, lorsqu'elle se présenta à l'Institut psycho-physiologique de la part du Dr Lécuyer, de Chatou, son pouls présentait encore 160 pulsations.
La malade, après quelques difficultés, fut hypnotisée. Dans cet état, on lui suggéra le calme, le repos, le ralentissement du pouls. Sous l'influence de ces suggestions le pouls tomba progressivement, au bout de dix minutes, à 125 pulsations.
Jugeant le fait digne d'être enregistré, nous invitâmes notre collaborateur, le Dr 0. Jennings, très compétent en matière d'application de la méthode graphique, à nous servir d'aide. Le sphygmographe employé fut le sphygmographe de Dudjeon.
Expérience. — A l'état de veille, le pouls marque 132 pulsations par minute. Le dicrotisme n'est pas apparent. (i*r tracé.)
1er tracé. — Veille. 132 pulsations.
La malade esthypnotisée. L'examen du pouls indique 138 pulsations. Après le sommeil, la tension artérielle s'est élevée
d'une façon appréciable et le dicrotisme apparaît sous la seule influence du-sommeil provoqué. (2e tracé.)
2e tracé. — Hypnose. 138 pulsations.
La malade reçoit alors la suggestion qu'elle est calme, que le cœur se régularise et se ralentit. Cinq minutes après la suggestion, le pouls est descendu à 114 pulsations. (3e tracé.)
3e tracé.—Hypnose. 1re suggestion do ralentissement. 114 pulsations.
Il s'est modifié dans un sens très favorable. Les oscillations sont plus régulières, le dicrotisme est plus accentué.
La même suggestion est répétée. Le pouls repris après une attente de cinq minutes, donne 102 pulsations. (4e tracé.)
4e tracé. — 2e suggestion de ralentissement. 102 pulsations.
Nous insistons encore et nous lui suggérons que son cœur est devenu tout à fait normal, qu'il bat lentement et régulièrement. Le nombre des pulsations n'est plus que de 84 par minute. (5e tracé.)
5e tracé. — Hypnose. 3e suggestion de ralentissement.84 pulsations.
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Nous pensons qu'il est légitime de terminer l'expérience, la jugeant assez démonstrative. Aussi, après avoir laissé la malade reposer tranquillement pendant cinq minutes, nous la réveillons, et nous constatons que le pouls est remonté à 104. Il y est resté pendant plusieurs heures, puis la tachycardie a reparu. La même expérience a pu être faite à plusieurs reprises dans des conditions analogues. Actuellement la malade est guérie de sa tachycardie et les modifications que présente la circulation sous l'influence de la suggestion hypnotique sont très peu marquées.
Conclusions. — L'existence d'un état pathologique, une tachycardie très accentuée, nous a permis de constater expérimentalement l'influence exercée par la suggestion hypnotique sur le nombre des battements du cœur.
En résumé, la comparaison entre les expériences, la première faite chez un sujet dont le cœur est normal, l'autre chez un sujet atteint de troubles cardiaques accentués, montre que dans les deux cas la suggestion hypnotique a provoqué un ralentissement appréciable du pouls. Mais tandis que dans le premier cas le nombre des pulsations est tombé de 78 à 66 et a diminué de douze par minute, dans le second, il est tombé de 132 à 84. La diminution a été considérable puisqu'elle a été de 48 pulsations- Ces expériences indiquent clairement l'influence que la suggestion hypnotique exerce sur la circulation. Elles ont de plus au point de vue scientifique l'avantage d'être conformes à la méthode que Claude Bernard, dans son Introduction à l étude de la médecine expérimentale, formulait dans les termes suivants : « La première condition pour faire de la médecine expérimentale, c'est d'être d'abord médecin observateur; c'est de partir de l'observation pure et simple du malade, faite aussi complètement que possible. La science expérimentale arrive ensuite pour analyser chacun des symptômes en cherchant à les ramener à des explications et à des lois vitales qui comprennent tes rapports de l'état pathologique avec l'état normal ou physto logique.
De l'utilité des Rayons X en thérapeutique psychologique
Par M. le Dr BilhaUT Chirurgien de l'Hôpital international.
Quand le médecin a assumé la responsabilité d'un traitement, il doit être convaincu d'une chose fondamentale, c'est que les formules auxquelles il aura recours n auront aucun effet dans la plupart des cas si le médecin ne sait donner à sa prescription toute l'autorité désirable.
Or, pour qu'une thérapeutique soit absolument efficace, il ne faut pas que la prescription ait été faite d'un air distrait et indifférent; il faut que le médecin semble attacher une valeur quelconque à ce qu'il ordonne.
Le succès sera d'autant plus assuré que le médecin aura mis plus de poids, plus de résolution, en même temps plusd'aulo-rité à indiquer les formules nécessaires.
Pour qu'un médecin soit absolument pénétré de la valeur de sa thérapeutique, il faut qu'il soit lui-même en quelque sorte suggestionné; il est nécessaire non pas de paraître convaincu, mais de l'être réellement de l'efficacité du remède indiqué, et s'il s'agit d'une thérapeutique d'ordre chirurgical, i! est indispensable que le diagnostic soit aussi précis que possible.
C'est pourquoi l'utilisation des rayons X est particulièrement intéressante en ce qu'elle crée dans le cerveau du chirurgien une certitude qui était loin d'être acquise au moment où ce merveilleux procédé d'exploration n'était pas encore connu.
Dans cette communication, je désire faire allusion à deux ordres de faits bien différents. Je veux d'une part parler des malades qui, soumis déjà à un traitement, viennent demander à l'exploration par les rayons X la confirmation de l'utilité du dit traitement; je veux en outre dire un mot de l'état d'esprit du chirurgien qui, s'appuyant sur une observation certaine, est lui-même sûr de la route qu'il doit suivre et se trouve par là même dans d'excellentes conditions pour rassurer le malade n'ayant de son coté aucun doute possible.
Il m'arrive fréquemment de voir que des malades viennent à l'Hôpital international de Paris, nous demandant à être examinés à l'écran fluorescent, à être même radiographiés pour reconnaitre s'il existe ou non une tumeur, une modification
quelconque de l'organisme pouvant déterminer la nature de tel ou tel mal, et pour être mis à même de prendre une décision conforme au résultat de cet evamen.
J'ai vu de la sorte mon excellent ami, le D' Maurice Lenoir, devenir un agent de thérapeutique psychique, parce que l'examen du thorax, du cœur, lui avait permis de diagnostiquer lui-même que le poumon, le cœur n'étaient le siège d'aucune lésion, que l'aorte no présentait pas la dilatation que nous avons maintes fois constatée dans l'anévrisme de cet organe.
Les malades, doutant de l'affection pour laquelle on les soignait, suspectant des désordres viscéraux, la tuberculose, par exemple, une maladie du cœur, partaient réconfortés et d'autant mieux confirmés dans leur voie nouvelle que, pour nous, il n'y avait pas d'hésitation à dissiper leurs craintes.
Lorsqu'il s'agit d'affections d'ordre chirurgical, de lésions anciennes, par exemple, comme celles du rhumatisme chronique, de tuberculose articulaire, nous avons, avec les rayons X, non seulement un excellent moyen de diagnostic, mais un guide très précieux que nous nous garderons bien de négliger dans l'importante tâche que nous avons à remplir. Je citerai deux observations qui permettront de conclure à quel point la radiographie ou la radioscopie peuvent être utiles en ne les considérant qu'au point de vue de l'action psychique qu'elles peuvent exercer.
Il y a deux mois, un pauvre diable blessé en travaillant à la construction d'une voie de chemin de fer avait éprouvé, à la suite de cette commotion, des phénomènes de paralysie et d'anesthésie dans la main et l'avant-bras gauches.
Le médecin traitant avait fait une exploration aussi complète que possible, il avait bien constaté qu'à la suite de l'accident un point était resté manifestement douloureux au niveau de la région du carpe. Néanmoins, ce fait capital en lui-même n'avait pas été suffisamment interprété, et, pour notre confrère, les troubles de la mobilité et de la sensibilité devaient plutôt se rattacher à l'hystérie traumatique.
L'examen fut pratiqué sous mes yeux à l'écran fluorescent d'abord, puis une radiographie fut prise. Or, il nous fut facile de constater, au niveau de la deuxième rangée des os du carpe, que le grand os et l'os crochu avaient été fracturés. Au moment de notre examen, on commençait à voir disparaître les phénomènes nerveux qui avaient constamment préoccupé son entourage. Or, l'explication la plus simple et la plus juste, à
mon avis, est que le traumatisme a déterminé du côte des nerfs médian et cubita! une action irritante et que les phénomènes peuvent être rattachés non à l'hystérie traumatique, mais au traumatisme lui-même.
Le malade partit rassuré, il éprouva un grand soulagement de l'examen ci-dessus pratiqué et j'ai appris depuis que les phénomènes nerveux avaient totalement disparu à la suite du voyage qui avait été entrepris à Paris, dans le but de recourir à une exploration complète.
Admettons que l'hystérie traumatique ait bien été le point de départ des accidents qui ont été signalés du côté de l'avant-bras blessé des muscles de la main et particulièrement des émi-nences thénar et hypothénar. N'avions-nous pas intérêt à atténuer les troubles d'origine suggestive chez un malade de cette nature. Supposons légèrement inexact mon diagnostic : traumatisme des nerfs de lavant-bras par esquilles venant du grand os et de l'os crochu, il n'en est pas moins vrai que la présence d'une fracture sur ces deux os nous était nettement démontrée, que nous pouvions partir de ce fait absolument certain pour frapper l'esprit de notre malade et conclure à une guérison qui, d'ailleurs, s'est parfaitement produite.
Une malade âgée de 70 ans, éprouvait depuis longtemps de vives douleurs dans les deux pieds, le maximum d'intensité se trouvant au-dessous de chaque gros orteil et un peu au-dessous et en avant des calcaneums. Cette malade a été considérée comme rhumatisante, puis comme menacée de mal perforant plantaire. On a cru qu'elle était atteinte d'artério-sclérose et que les douleurs qu'elle ressentait dans les deux pieds augmentant après la marche devaient être considérées comme un fait de claudication intermittente. Tous ces diagnostics pouvaient être soutenus avec quelque apparence de raison.
Je crus devoir examiner cette malade aux rayons X et je trouvai que le squelette était atteint en certains points de raréfaction de la substance calcaire, phénomène décrit sous le nom d'ostéoporosc. Dans ces points, les os, à l'écran, se laissaient traverser facilement et dans les points voisins apparaissaient des taches nous donnant au contraire la sensation d'une exagération de substance calcaire. Ce qui fut particulièrement intéressant, on constata des saillies pyramidales d'ostéite et tout particulièrement deux pointes d'ostéite très acérées situées au-dessous de l'articulation mélatarso-phalangienne des gros orteils. On comprend parfaitement les douleurs que la
malade ressentait pendant la marche. Il y avait en effet un véritable traumatisme des parties molles au niveau des points où existaient ces douleurs aiguës. Je trouvai de même en avant du calcaneum une éminence aiguë qui m'expliqua parfaitement la talalgie dont se plaignait la malade. Il s'agissait ici de lésions de traumatisme déformant qui n'était justiciable que d'un seul traiiement: l'opération à la pince-gouge des éminences osseuses qui étaient la cause réelle des douleurs éprouvées par la malade. Ainsi donc, au lieu de conclure à une amélioration par les eaux thermales, les frictions calmantes, j'étais sûr en formulant une opération chirurgicale d'être réellement utile à ma malade qui partagea immédiatement ma conviction. La démonstration fut en effet tout à fait péremptoire quand elle put comparer la radio-graphie d'un pied sain avec celle de ses organes.
J'en conclus que nous pouvons être extrêmement utiles aux malades en déterminant dans leur esprit une conviction que nous partageons nous-mêmes. A ce titre, la radiographie et la radioscopie doivent être considérées comme des agents excellents de traitement et qu'il faut les employer non seulement pour éclairer notre diagnostic, mais pour agir sur l'esprit de nos malades le plus souvent prévenus contre nous. La radiographie et la radioscopie peuvent dans certains cas vaincre des résistances, faire accepter et même désirer l'application du traitement que nous savons parfaitement être non seulement utile mais nécessaire et partant coopérer dans une large part au résultat souhaité.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 Mai 1903. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. de Coynard présente son livre sur Une sorcière au XVIII* siècle ; Marie-Anne de la Ville (1680-1725).
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. le Dr Charles Haeberlin, de l'Ile de Fcehr (Hambourg), le Dr Damoglou (de Constantinople), le Cte Jaqueraet-Amat. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 50.
Le jubilé de Krafft-Ebing à Vienne
M. le Dr Bérillon, secrétaire général, fait part à la Société du jubilé du professeur Krafft-Ebing.
Le 11 mars, on a fêté à Vienne le 30e anniversaire de professorat du célèbre psychiatre Krafft-Ebing qui le môme jour a quitté la carrière professorale. *-
Son ouvrage la Psychopathie sexuelle est classique ; traduit dans toutes les langues, il en est à sa onzième édition allemande} Krafft-Ebing s'est en effet surtout adonné à l'étude des perversions sexuelles d'origine psychique,: il a jeté dans ce domaine autrefois obscur une vive lumière. Et là. comme partout, la science a fait œuvre de bonté: elle a brisé les chaînes dont on accablait les fous ; elle a délivré de l'opprobre les criminels irresponsables ; elle a fait justice des châtiments infligés autrefois aux syphilitiques; elle lève, grâce à Krafft-Ebing, l'opprobre qui pèse sur les pervertis sexuels, montrant en eux des malades. Moins de châtiments, plus de traitement et plus de pitié, telle est l'œuvre bienfaisante de la science médicale partout où elle passe.
Krafft-Ebing, est un clinicien et un orateur remarquables : son habileté à interroger les aliénés, la facilité avec laquelle, par la seule persuasion, il provoque les confidences de ceux qui jusqu'alors ont résisté à tous les interrogatoires, sont extraordinaires.
Il a formé nombre d'élèves éminents. Ceux qui l'ont entendu gardent de son enseignement un souvenir inoubliable. M. Krafft-Ebing a été, en Autriche, le vulgarisateur des études sur l'hypnotisme qu'il a appliqué avec succès au traitement des maladies nerveuses et des psychopathies. A ce titre, nous avions été heureux de le placer au nombre des membres du comité de patronage du 2e Congrès de l'hypnotisme. Nous nous joignons à ses élèves et à ses admirateurs pour lui exprimer les meilleurs vœux de la Société d'hypnologie et de psychologie.
Une sorcière au XVIIIe siècle,
par M. Ch. de Coynard.
Sous le titre de Une sorcière au XVIIIe siècle ; Marie-Anne de la Ville : 1680-1725 (1), le livre que j'ai l'honneur de présenter à la Société relate une jolie aventure qui survint vers la fin du règne de Louis XIV, au moment où « à la soif de la gloire, à la soif des grandeurs, succède la soif de l'or ».
La toute-puissance des sortilèges ne disparut pas avec l'Affaire des Poisons, mais leur application changea de route : on les utilisa surtout pour la recherche de la transmutation des métaux et le moyen de découvrir les trésors enfouis. Il fallait en effet que cette préoccupation fût
(1) Hachette, éditeur.
bien ardente et bien générale pour qu'il fût possible à une fillette de dix-huit ans, fraîchement débarquée de province, de grouper autour d'elle, à sa volonté, les personnages les plus divers et dont plusieurs étaient fort intelligents, pour aller à la recherche de trésors imaginaires en employant des moyens dont la naïveté aurait ouvert les yeux à quiconque aurait conservé le moindre bon sens.
Marie-Anne de la Ville naquit à Bordeaux en 1680 : son père était avocat ; sa mère mourut peu de temps après sa naissance ; elle eût une enfance mal surveillée. A neuf ans, elle s'empara d'un ouvrage d'Agrippa dans lequel on racontait les façons de commander aux démons ; puis d'un autre ouvrage contenant « la nomenclature de tous les bons anges avec les prières et les oraisons pour les appeler. » Ces lectures amenèrent des hallucinations qui modifièrent profondément son esprit prédisposé : son père l'envoya à Paris au couvent de la Visitation. Malheureusement, c'était là un lieu qui était sous l'influence directe de Mme Guyon, l'apôtre du quiétisme, qui battait alors son plein. Le temps que Marie-Anne y passa donna le coup de grâce à ce qui pouvait rester d'équilibre dans sa mentalité : nous la retrouvons en effet, un beau jour, à la tête d'une bande de naïfs et de besogneux accomplissant les exploits les plus invraisemblables pour ravir au prince des Ténèbres des trésors cachés.
Cette bande, le comte de Bréderodes la décrit assez bien à Iïenneville, qui nous en rapporte le récit dans son Histoire de la Bastille ; Bréde-rodes avait d'ailleurs été enfermé dans la forteresse à cause des accointances — pourtant fugitives — qu'on lui découvrit avec les évocateurs de démons, quand le comte d'Argenson s'occupa d'eux.
« Je traversais un jour la Grève, lorsqu'un prieur, qui est de Caen. qui s'appelle Pinel, que je connaissais depuis quelque temps, m'appela, d'un cabaret où il était à boire avec un Turc nommé Acmet. Après m'avoir prié de boire avec eux, il dit qu'il voulait faire ma fortune, et me demanda si je n'aurais pas peur du Diable. Je fus curieux de savoir ce qu'il me voulait dire et à quoi aboutiraient ses questions. Il me dit qu'ils devaient lever un trésor qui était dans une caverne, à Arcueil : que tout était préparer pour faire réussir la chose, et que dès le soir même je n'en douterais pas, si j'avais l'assurance d'en être le témoin ; et que je partagerais avec eux les sommes immenses qui composaient ce trésor. Je voulus tourner la chose en ridicule. Il y a longtemps, dis-je, que j'ai entendu dire qu'il y a un trésor dans la caverne d'Arcueil ; mais je ne puis comprendre comment ni pourquoi le Diable s'en met en possession ; et encore moins comment, après, s'en être rendu le maître, il est assez sot pour le livrer au commandement d'un prêtre ou d'un magicien. Abus que tout cela, et j'y ajoute si peu de foi que, loin d'avoir peur de ces prétendus exorcismes, je vous verrais faire toutes vos mômeries sans la moindre émotion. Car, croyez-vous, de bonne foi, que
la vertu d'une étole, d'un peu d'eau, d'un signe de croix ou de quelques grains de set, soit capable de forcer le Diable à vous enrichir à plaisir? Mon cher comte, reprit le prieur, venez avec nous seulement, soyez ferme et résolu, et vous ne douterez plus de votre bonheur et du nôtre. Quel est le magicien et le prêtre, dis-je, qui doivent faire la cérémonie? Le prêtre c'est moi, dit le prieur, et le magicien vous surprendra bien, quand vous le verrez ici, où il doit se rendre dans une heure. En effet, devant que l'heure fût écoulée, je vis arriver plusieurs personnes dont je connaissais déjà la plupart. L'un se nommait le Chevalier, c'était un bossu, breiteur de Paris déterminé; un autre nommé Divaux, sergent dans le régiment de La Châtre; un berger nommé Picot, du village de Vau-Girard, aux environs de Paris : c'était lui qui avait indiqué le Trésor et gagné le jardinier de Mme d'Arcueil, qui leur devait ouvrir La porte du jardin, et les introduire dans la caverne; Mme Daligny, femme d'un capitaine au régiment royal : c'était elle qui fournissait le Grimoire ou livre cérémoniel pour invoquer le Diable. Je voulus l'ouvrir, mais on ne me donna pas le temps d'y lire. C'était un vieux bouquin écrit en lettres gothiques, que Mme Daligny, toute tremblante, m'arracha des mains. Ils avaient encore avec eux une petite fille de seize à dix-sept ans ; c'était une brune, fort jolie et fort éveillée, qui s'appelait Marianne ; elle était de Bourdeaux ou des environs. »
Telle était la troupe, qui s'adjoignit d'autres acteurs selon les circonstances. Le chef incontesté en était la jeune Marie-Anne, qui seule passait aux yeux des autres pour avoir la puissance d'entrer en relation directe avec les démons. D'ailleurs tout concordait pour que cette réputation ne courût aucun risque : l'adresse de l'une et la crédulité des autres. Ce caractère de Marie-Anne est extrêmement curieux et vaudrait la peine d'une étude psychologique spéciale que nous n'avons pas le temps d'aborder aujourd'hui. Conduite par son tempérament, son éducation, ses lectures, elle était certainement sincère dans ses croyances aux démons détenteurs de trésors, mais elle fut obligée, pour garder sa troupe autour d'elle, et pour vivre de sa crédulité, d'imaginer les pires comédies, de se frapper jusqu'au sang et de se livrer à des exercices de ventriloquie qui devaient être peu compliqués et qui pourtant furent sa meilleure arme pour exploiter autrui.
Voici, à titre de curiosité, le passage du grimoire qu'il fallait lire ou réciter pour chasser les esprits gardiens des trésors, ce dont Marie-Anne s'acquittait en déployant la mise en scène la plus extravagante, la plus capable de frapper les assistants de terreur.
« Pour chasser les Esprits qui sont en possession des Trésors cachés, laquelle se fait à toutes heures soit de jour ou de nuit.
« Je vous conjure, Esprits et démons qui résidez en ces lieux et en quelque partie du monde que vous soyez et quelque puissance qui vous soit de Dieu donnée sur ce lieu mesme de la puissante principauté des abisme des enfers et de tous vos consorts tant en général que spécial et de quel ordre que vous soyez, d'orient, d'occident, midy, septentriont
ou canton de la terre par la puissance de Dieu le père f, par la sagesse de Dieu le fils f et par la vertu de Dieu le Saint-Esprit 7, par l'autorité qui m'est donnée de nosire Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu tout puissant 7 créateur qui nous a créées et à moy dernière à toutes les créatures qui a fait ce que vous n'avez pu faire et la puissance de garder, et d'habiter, m'y demeurer en ce lieu. C'est pourquoy je vous contraints et commande que bon gré malgré, sans nulle fallace n'y tromperies, que vous laissiez paisible jouissant de cette place, et te conjure par la vertu des saincts et adorables noms du grand Dieu vivant que tu ayes à déclarer ton nom et celuy de tes consorts, quelle légion et partie du monde tu habites. Je te conjure par la vertu et sagesse de l'adorable Jésus Dieu et homme tout ensemble, et qui a souffert mort et passion pour le salut de tous les pécheurs et pour t'exterminer toy et la puissance. Esprits rebels et superbes, je te conjure derechef d'abandonner ce lieu par la mesme autorité de la glorieuse Vierge-Marie sa très saincte mère, et par la puissance qu'elle a reçue du Grand-Dieu vivant de te briser la leste et à tous tes efforts, et tous les saints et sainctes du paradis je vous déchaîne tous les Esprits qui habitent dans ces lieux-cy pour retourner au plafond de l'abisme infernal. Partant allez tous, Esprits, au feu éternel qui vous est préparé, et à tous vos adhérents, et s'y vous m'estes rebelles et désobéissants, je vous conjure par la mesme autorité, exhorte et appelle, vous contraints et commande par la toute-puissance que tous vos supérieurs et démons ayent à vous laisser venir icy pour répondre positivement à ce que je vous demanderay au nom de Jésus-Christ, qui sy vous, ni eux, n'obéissez prompte-ment et sans délay, j'augmenteray en bref vos peines en enfer, je vous conjure derechef et vous contraints par la vertu et au nom du grand Dieu vivant, adonay-f- adonay 7 adonay -f-, trois fois saint, que vous ayez a aparoistre icy en belle et humaine forme au nom de Dieu, hel, laer, loyon 7 halar -f- Sabahot -J-, Elieboim 7 lodicha 777 adonay -J-Jehova y fa -j- Tehagramaton f Saday -f* onessias 7 agios f, otheos -f* Emanuel 7 Athanatos 7 agla 7 Jésus 7 qui est alpha 7 et oméga -J- le commencement et la fin que vous ayez à répondre pourquoi vous gardez ce Trésor que vous differez que tous vous suivent jusqu'au plus profond et plus bas les éléments pour vous établir afin de rechef vous n'ayez nulle puissance de résider ny habiter en ce lieu ains au contraire que paisiblement en paix vous me laissiez posséder ledit lieu et ma compagnie pour jouir paisiblement de ce Trésor sans péril. Légion ny Lo autrement Michel-Ange de Dieu tout-puissant vous foudroyra et reléguera au plus profond des enfers au nom du Père 7 et du Fils -J* et du Saint esprit f ainsi soit-il.
« Je vous conjure tous Esprits soit ignés, aériens, acquatiques, ou terrestres en quelque lieu que vous habitiez ou soyez que ma conjuration vienne jusqu'à vous et vous contraigne à venir devant moy sans aucun délay sous une forme belle et agréable pour accomplir mes désirs et volonté, pour l'honneur et louange et gloire de celuy qui est le très
puissant Dieu d'Israël et le mien, que vous ayez à abandonner et quitter le Trésor ou autres choses dont vous estes en possession en ce iieu par les saints, saints, saints et supresmes noms de nostre Seigneur Jésus-Christ -j- Tetragrum maton y Adonay y Sabahot -J- héloim y helvay Saday j Sother y agla y messias y Bmanuel y Agios f ischiros y oiheos y A'.hanatos y Samel y agla y Adonay f Jésus y Christus le principe et la fin, l'image et la Lumière y Agios sainct. très puissant et très miséricordieux et ainsy au nom de ce grand Dieu vivant que vous tous Esprits qui sont en garde de ce Trésor ayez à vous retirer dès maintenant en ce lieu pour allez à vos demeures qui vous ont esté données de la supresme divinité, par le très épouvantable jour du Jugement et par le grand Dieu vivant qui doit venir juger les vivants et les morts. Et tout par le feu et que tout ainsy que Jésus-Christ fut lié et garrotté de liens et de chaînes, lorsqu'il a esté battu et flagellé rudement pria pour nous autres pauvres pécheurs, par sa couronne et crucifiement que tu sois ainsy rudement et cruellement traitté, par l'augmentation de tes peines, sy tu n'exécutes tout présentement ma volonté cl l'effet de mes commandements.
« Par la rupture du voile du Temple, l'ouverture des pierres, par le tremblement de la terre, de mesme toy 6 Esprit qui règnes icy tremble et te musse tant pour répondre à ce que j'ay à te demander pour te retirer après qu'ainsy tu quittes et abandonnes et laisses ce dont tu es en possession en ce lieu ou vous n'aurez nul pouvoir , tremblez donc et soyez effrayés et vous retirez au lieu qui vous a esté destiné de toute Eternité sans nuire à aucunes créatures de ma compagnie ou autres. Je vous donne congé.
« Notez que l'Esprit qui vous porte ou vous aparoist bien souvent avant que vous ayez tout dit celle conjuration, ainsy aussitost qu'il vous parle, il faut traiter avec luy et ensuite vous le renvoyez »
* *
Le lieutenant de police, qui surveillait depuis un certain temps tout ce beau monde, le cueillit un jour dans un même coup de filet.
Les aveux furent complets chez tous et d'une naïveté qui aurait pu désarmer M. d'Argenson, « mais on était toujours sous le coup de l'alerte causée par la fameuse affaire des poisons, et tout ceux qui touchaient à la sorcellerie étaient voués d'avance à des peines sévères. La préoccupation des événements relatifs à Mme de Montespan n'était certainement pas une des moindres chez M. d'Argenson, car. dans ses interrogatoires, il s enquiert souvent de certaines conjurations qui auraient été faites pour Mme de Maintenon et pour le duc du Maine. »
Naturellement, car c'était l'absolue vérité, les inculpés se défendirent d'une telle chose : le jugement n'en fut pas moins sévère. Sauf Bréde-rodes et un autre, qui furent acquittés, tous les accusés furent condamnés. Mmes Daligny et Picot eurent deux ans de Bastille ; les officiers et soldats compromis durent servir le reste de leurs jours; les prêtres
eurent à subir deux années de séminaire à Saint-Lazare ; le prieur Pinel fut condamné à la prison perpétuelle dans les prisons de l'évêché de Bayeux ; Marie-Anne fut condamnée « à être enfermée le reste de ses jours entre quatre murailles, après avoir été rasée et revêtue d'une tunique grise pour tout habillement et réduite au pain et à l'eau pour toute nourriture. »
Elle fut conduite en 1703 à Bicètre, et transférée plus tard à l'Hôpital -Général. Elle finit, à force d'intrigues, par être remise en liberté, puis recommença une vie d'excentricités, si bien qu'on la réinlégra à l'Hôpi-tal-Général. Elle en sortit enfin définitivement en 1725, et termina sa vie on ne sait ni où ni comment.
Hyperacuité olfactive et visuelle et impassibilité à la douleur chez les nègres soudanais
Par m. le D' DamOGlou (de Constantinople).
C'est un fait courant en Nubie que les nègres trouvent leur piste au désert grâce aux odeurs qu'ils sentent, et des objets volés et les voleurs grâce aux traces des pas.
Les chameliers, égarés dans le désert dans la saison de grandes tempêtes, où toutes traces de pas sont effacées et où ils se trouvent au milieu montagnes de sables, peuvent découvrir un puits à deux et trois heures de distance en se guidant par leur sens olfactif seulement. Je fus témoin de ce fait en traversant le désert de Souakim à Berber. Par la tempête, toutes traces de pas avaient été effacées, on était égaré et on souffrait de la soif. Dans ce désespoir, les chameliers nous déclarèrent que dans deux ou troix heures on trouverait de l'eau, car ils sentaient l'odeur d'un troupeau qui, dans les déserts, reste toujours près d'un puits. On les suivit et à l'heure indiquée, on trouva le troupeau et le puits. Arrivé à Berber, je racontai ce fait curieux aux Grecs qui me dirent que c'était un fait connu de tout le monde.
Arrivons maintenant au sujet qui a trait à Thyperacuité visuelle.
Les nègres reconnaissent à l'empreinte du pied s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, si la personne est jeune ou vieille, si elle porto ou non un fardeau, si la femme est jeune fille ou mariée ayant des enfants. En effet il y a une différence et voilà pourquoi. Règle générale dans ces pays, à l'âge de trois ans, la petite fille subit une opération qui lui supprime les grandes lèvres et fait cicatriser ensemble les surfaces cruentées, l'orifice du vagin ne laisse passage qu'à un étroit conduit. La jeune fille grandit, se marie, reste dans cet état jusqu'au moment d'accoucher. Alors, on tranche la cicatrice pour la sortie du fœtus. Ainsi on comprend que la marche soit différente dans les deux cas.
Certains nègres font profession de découvrir les voleurs : ils y arrivent en suivant les traces des pas. J'ai vu, à Omdourman, retrouver ainsi des
objets volés la nuit ù l'insu des gardiens, le guide mena directement sans hésitation, à la maison du voleur où on retrouva les objets.
Ces faits peuvent donner l'explication de certains récits de personnes qui, dans nos pays mémo, sont arrivées à retrouver des voleurs ou des assassins. On a voulu expliquer ce fait par une vertu magnétique: il ne s'agit là, comme dans les cas précédents, que d'hyperacuité des sens aidée d'une grande habileté.
Arrivons au sujet de l'impassibilité à la douleur.
Les voleurs, du temps des Derviches, subissaient la peine de l'amputation de lavant-bras, par section au yatagan de la partie moyenne. En cas de récidive, on leurcoupait la jambe du même côté à la partie moyenne. J'ai vu à Omdourman un grand nombre de malheureux ainsi amputés. L'amputation se faisait sur la place publique avec un grand concours de peuple.
Il m'a été raconté par de nombreux Grecs et des missionnaires autrichiens, (entre autres le père Joseph Owarlder), qui étaient alors esclaves, que ces condamnés subissaient 1 opération sans proférer le moindre cri, sans faire le moindre mouvement, sans avoir la moindre contraction du visage, dans une impassibilité complète. Pourtant après la section on leur plongeait le membre mutilé dans l'huile bouillante pour arrêter l'hémor-rhagie.
Dans ma pratique médicale, j'ai eu plusieurs fois l'occasion, chez les nègres, d'ouvrir des abcès, de pratiquer des incisions et des sutures. Je n'ai jamais observé de leur part la moindre réaction douloureuse. On pourrait croire que les nègres sont moins sensibles que les blancs. Pourtant, je crois qu'il s'agit plutôt d'amour-propre.
Le courage, est, en effet, très estimé dans ces pays au point qu'un homme qui n'est pas courageux est indigne du mariage. Une cérémonie usitée consiste à donner cent coups de fouet au prétendant, s'il bronche, la jeune fille le refuse. Si le condamné montrait la moindre douleur, le public l'aurait hué et traité de lâche. Il s'agit donc là d'une auto-suggestion volontaire. Nous pouvons rapprocher de ce fait celui :
1°- Des stoïciens qui supportaient impassibles les plus graves opérations, disant : « Douleur, tu n'es qu'un mot. »
2° Des martyrs chrétiens qui semblaient ne pas sentir les plus atroces tortures, car leur attention était fixée ailleurs; ne pensant qu'à Dieu, il ne sentaient pas.
3° Des soldats qui ne sentent pas leurs blessures dans les batailles. On a rapporté des cas où, quand leur exaltation tombe, dès qu'ils voient le sang, alors ils s'évanouissent.
Dans tous ces cas, il ne s'agit point d'anesthésie hystérique, mais d'auto-suggestion.
Ces faits nous montrent avec quelle réserve il faut accepter l'affirmation des physiologistes qui admettent que certaines races, (jaune, rouge ou noire), ont la sensibilité plus émoussée que la race blanche. En effet, ils ne tiennent pas compte du facteur psychique.
DÉONTOLOGIE MEDICALE
La pétition des masseurs et des magnétiseurs à la Chambre des députés.
par M. le docteur Le Menant des Chesnais
On s'agite fort en ce moment dans le monde des masseurs et des magnétiseurs. Une pétition circule et, si l'on en croit les intéressés, elle porte déjà plusieurs milliers de signatures. Et pourquoi toute cette agitation?
Pour obtenir de la nouvelle Chambre que l'art. 16 de la loi de 1892, visant l'exercice illégal de la médecine soit modifié et que « les pratiques. du massage et du magnétisme soient permises à toutes les personnes aptes à le faire, dans le but de soulager ou de guérir leurs semblables. »
Mais les termes mêmes de la pétition en démontrent le peu de valeur.
Quel est le but de la loi sur l'exercice de la médecine? C'est justement d'exiger l'aptitude de ceux qui veulent pratiquer cet exercice dans le but de guérir leurs semblables.
Pourquoi défend-elle aux pharmaciens la vente d'un grand nombre de médicaments, sans ordonnances, bien qu'ils aient fait des études spéciales dont justifient leurs diplômes?
C'est parce que, tout en connaissant les propriétés de chacun de ces médicaments, ils n'ont pas fait d'études suffisantes pour leur bonne application.
Est-ce que la loi n'interdit pas aux sages-femmes, certaines interventions, au sujet desquelles la somme de connaissances qu'on leur demande pour la pratique ordinaire des accouchements, n'offre pas une suffisante garantie.
De môme on a créé des écoles dentaires, où l'on donne tout enseignement nécessaire à l'exercice de cet art, mais non à celui de la médecine.
Aussi la loi se montre aussi sévère pour eux que pour les pharmaciens et les sages-femmes.
Est-ce donc par suite d'une tendresse toute particulière pour les médecins que les législateurs ont agi ainsi, ou tout simplement parce qu'il est de leur devoir de protéger la santé publique ?
En ne permettant l'exercice de la médecine qu'à ceux qui, après un certain nombre d'années consacrées à l'étude de toutes les branches de cette science, ont justifié de leurs capacités pour l'obtention du diplôme de docteur en médecine, la loi remplit un devoir vis-à-vis de la société, dont on ne peut que reconnaître la sagesse et la nécessité.
Le traitement des maladies nerveuses, demande peut être plus que tout autre des connaissances approfondies d'anatomie, de physiologie cl de pathologie; or, il existe un mode de traitement qui, pour ne pas nuire, doit être appliqué avec un grand discernement dans chaque cas. 11
retentit, en effet, sur le système nerveux tout entier, et par lui sur chacune des nombreuses fonctions de l'organisme. Son action est si profonde que, dans bien des cas. aucune médication n'agit aussi énergiquement que lui jusque sur la vie psychique des individus. Les faits qui le prouvent sont innombrables aujourd'hui : Est-il, dès lors, admissible que la loi, qui sagement interdit aux pharmaciens, aux sages-femmes, aux dentistes, malgré leurs connaissances spéciales, l'exercice de la médecine, aille autoriser le premier venu à user vis-à-vis de ses semblables d'un traitement des plus énergiques.
La cour de Rennes a donc fait preuve d'un grand souci de la santé publique en condamnant les pratiques d'un empirique, s'inspirant du vœu émis au congrès de 1900 par un des membres les plus distingués de la Société d'Hypnologic de Paris, le Df Henry Lemesle, et conçu en ces termes :
« Le Congrès international de l'Hypnotismeémet le vœu que la pratique « de l'Hypnotisme thérapeutique, alors même qu'il est employé sous le « nom de magnétisme, soit soumis à la loi du 30 nov. 1802, sur l'exercice « de la médecine. »
Ce vœu de la Société d'Hypnologie, approuvé par les membres du congrès, sanctionné par la cour de Rennes, vient d'être l'objet d'un très intéressant rapport du Dr Salomon (de Savigné-Levéque), vice-président de l'Union des Syndicats Médicaux de France. Nous ne doutons pas que ses conclusions en réponse à la pétition des Masseurs et des Magnétiseurs ne soient aussi celles de la Chambre des députés.
COURS ET CONFÉRENCES
Bavardage nocturne chez une hystérique. (1)
Par M. le professeur Raymond.
Cette femme est âgée de 36 ans. Elle mange à peine, ne peut plus travailler et se sent très fatiguée, parce qu'elle ne dort pas; ou plutôt, toute la nuit, elle bavarde à haute voix des affaires de sa profession ou de ce qu'elle a fait pendant la journée, et, le matin, au réveil, elle est dans l'état d'une personne qui n'a pas dormi. Elle ne se rappelle pas du du tout qu'elle a rêvé.
Elle a une hérédité très chargée : son grand-père s'est suicidé; son père avait des phobies; sa mère est nerveuse; son frère est somnambule. Elle même, à l'âge de vingt ans, a présenté des accidents nerveux pour lesquels elle est venue consulter Charcot. Elle avait de l'œdème de tout le côté gauche, avec anesthésie et parésie du même côté. Elle a eu, en
(1) Présentation de malades faites a la Clinique des maladies du système nerveux à la Salpétrière.
outre plusieurs grandes crises et, une fois, elle est restée dix-huit à vingt mois sans presque manger. Cet hémi-œdème l'a reprise encore dans ces derniers temps.
Cette femme est une grande hystérique. Comme signes somatiques, elle présente, en ce moment surtout, de l'hypoesthésie à gauche et du rétrécissement du champ visuel.Parinstants elle offre à la face un phénomène qu'on peut considérer, soit comme un tic par contracture des muscles du côté droit, soit comme une paralysie faciale du côté gauche.
On a beaucoup discuté pour savoir si, dans le cours de l'hystérie, il est possible de rencontrer une paralysie faciale véritable, Or, la paralysie faciale hystérique n'est jamais tout à fait semblable à la paralysie faciale d'origine organique. Si, chez cette femme, on prend à pleine main les muscles de la commissure labiale, on trouve, au lieu d'un relâchement, une légère contracture. C'est donc bien de paralysie, ou si l'on veut, de parésie hystérique qu'il s'agit.
Cette femme était marquée par l'hérédité ; certaines circonstances, de pertes d'argent, des malheurs de famille ont fait éclore l'hystérie latente; enfin, une cause adjuvante spéciale a déterminé la variété symptomatique actuelle, à savoir le bavardage nocturne.
Son mari est très jaloux. S'étant aperçu que, de temps à autre, sa femme rêvait tout haut la nuit, il a essayé d'engager la conversation avec elle pendant qu'elle dormait et il y a aisément réussi. Alors, il lui a fait raconter tout ce qu'elle faisait dans la journée, l'endroit où elle cachait ses lettres, etc. En somme, cette femme s'est trouvée dans la situation de cette autre que je vous ai présentée, il y a quelques semaines, et qui avait été endormie par deux sous-officiers. Le bavardage nocturne s'est installé ici à la suite de l'intervention intempestive du mari.
Par l'hypnotisme et la suggestion on réduira cette manière d'être. Déjà, après un petit nombre de séances, notre malade bavarde beaucoup moins la nuit et, fait psychologique curieux, au réveil elle se rappelle qu'elle a rêvé. Il faudra en outre la tonifier. Mais, au fond, elle demeurera une nerveuse et elle sera toujours, dans une certaine mesure, à la merci des circonstances fâcheuses qui pourraient de nouveau faire appel à son hystérie.
Toux hystérique chez un jeune garçon (1).
par M. le D. VARIOT, médecin de l'Hôpital des Enfants-Malades
Voici un collégien âgé de 13 ans et demi, pale, anémique, que sa mère amena hier pour cette toux bizarre et incessante que vous entendez depuis son arrivée. La mère raconte que cette toux a débuté brusquement après la rentrée des vacances de la Toussaint. Tout d'abord les profes-
(1) Clinique du Dr Variot, Médecin de l'Hôpital des Enfants Malades.
seurs ne s'en inquiétèrent pas trop, en raison de l'état général excellent, mais l'affection persistant, on prévint les parents. L'enfant, ramené à la maison, se met à table, dîne de bon appétit, puis se met au lit, toujours toussant; à la fin il s'endort et pendant le sommeil la toux s'arrête complètement. Au réveil, hier matin, elle reprend avec les mêmes caractères que la veille et persiste toute la journée. 11 en est de même aujourd'hui.
Remarquez les caractères de cette toux, si particuliers que, les ayant observés une fois, vous n'hésiterez plus en présence d'un cas semblable. C'est une toux sèche, brusque, saccadée et surtout incessante ; auscultez la poitrine avec soin, vous ne trouverez pas un râle, pas un signe anormal ; les sommets sont intacts. Le larynx non plus n'est pas atteint, la voix est claire.
Quant à l'état général il est aussi satisfaisant que possible : il n'y a ni fièvre, ni la moindre trace d'abattement; ce garçon ne semble pas très incommodé de ces secousses de toux répétées, incessantes, qui sembleraient devoir fatiguer l'homme adulte le plus vigoureux. C'est là un caractère qui rapproche cette toux des phénomènes convulsifs hystériques.
Notre garçon est en effet un hystérique. Il est atteint d'une manifesla-tion bien connue, quoique relativement assez rare, de la grande névrose : la toux nerveuse ou hystérique. On entend de suite qu'il ne s'agit pas là d'une toux ordinaire, toux de bronchite ou de toute autre affection tho racique; et comme un examen plus approfondi, montrant l'intégrité absolue du larynx, des fonctions respiratoires et de l'état général, vient confirmer cette impression première, il est impossible de ne pas admettre que cet enfant est atteint d'une toux hystérique.
Ni le sexe ni l'âge ne doivent détourner de ce diagnostic, car les cas d'hystérie infantile et d'hystérie masculine sont bien connus. Il est vrai que les stigmates habituels manquent : nous n'avons trouvé ni hémia-nesthésie, ni abolition des réflexes pharyngiens ou palpébraux; il n'y a pas de rétrécissement notable du champ visuel et la pression des zones hystérogènes ordinaires ne provoque aucun symptôme anormal.
Pourtant nous ne nous étonnerons pas outre mesure de celle absence des stigmates hystériques et nous continuerons à affirmer l'origine hystérique de cette toux.
D'ailleurs les antécédents que nous avons recueillis confirment notre diagnostic : le père est vif, emporté, très probablement ôthylique; la mère a eu, pendant les sept années qui ont suivi la mort de son père, des crises convulsives avec accès de larmes. Elle a eu sept enfants et trois fausses couches qui suivirent la naissance de notre petit malade. Ce dernier a un frère jumeau très calme d'ailleurs et sans doute moins intelligent. Des frères et sœurs sont coléreux ou sujets à des migraines. Enfin il a une grand'mère maternelle sujette à des crises nerveuses convulsives, un grand-père paternel ayant des accès d'asthme, une grand'tantc épileptique.
Lui-même n'avait jamais eu de maladie jusqu'au mois de mai dernier
où il fut atteint d'une fièvre typhoïde grave qui le retint à la maison jusqu'à la rentrée des classes en octobre. Il est doux, affectueux, travailleur, mais a toujours été nerveux, facilement impressionnable.
Il n'a jamais eu de convulsions dans son enfance; mais souvent on a remarqué chez lui des grimaces, des sortes de tics dans la figure. Il y a deux ans. il aurait eu une première atteinte de toux nerveuse, assez semblable à celle-ci. qui débuta brusquement et guérit de même, après une durée d'environ un mois.
Pour cette seconde atteinte, aucun phénomène particulier ne semble avoir précédé l'apparition de là toux, sauf une grande contrariété que l'enfant éprouva à la suite de quelques légers reproches maternels.
Le pronostic de cette affection est tout à fait bénin. Néanmoins on ne peut fixer de date à une guérison que nous savons certaine. Je garde le souvenir d'une enfant du service de Cadet de Gassicourt. surnommée l'aboyeuse à cause de sa toux nerveuse qui depuis des années la retenait à l'hôpital.
Pour hâter la guérison, nous allons garder cet enfant, espérant que le changement de milieu aidera grandement le traitement antispasmodique habituel (bromure de potassium, valériane, douche froide quotidienne) que nous allons lui prescrire.
Enfin, dans des cas semblables, la psychothérapie est toute puissante et il y a lieu d'en faire l'essai.
Cet essai pratiqué par l'interne de service donna, le lendemain, en une seule séance, une guérison complète. La suggestion à l'état de veille n'ayant rien donné, on le plaça parles moyens habituels (pression des globes oculaires) dans un état de demi-sommeil particulièrement favorable pour la fixation de l'attention et la réceptivité des suggestions verbales. On persuada d'abord à l'enfant de faire, à la suite et sans s'interrompre pour tousser, trois grandes inspirations volontaires. Puis, en augmentant progressivement le nombre de ces grandes inspirations volontaires, on parvint à écarter de plus en plus les quintes de toux, L'enfant finit par s'endormir profondément avec une respiration calme et régulière. L'affirmation formelle et réitérée de la guérison définitive précéda le réveil de l'enfant. Depuis l'enfant n'a plus toussé.
REVUE DES LIVRES
Le deuxième Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique (1)
Comptes rendus publiés par MM. les Dr Brrillon et Paul Faiïez.
Les comptes rendus du 2e Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique viennent de paraître sous forme d'un
(1) Vigot, éditeur. Place de l'Ecole de Médecine. Et bureaux de la Revue de l'hyp-notisme, 14, rue Taitbout, Paris. Prix : 10 fr.
important volume orné de 55 figures. Cecongrès, tenu sousla présidence d'honneur du professeur Raymond et la présidence du D* Jules Voisin a été tout à fait remarquable par l'importance des travaux qui y ont été communiqués. L'hypnotisme y a été étudié à un grand nombre de points de vue. Parmi les rapports généraux nous devons citer :
1° L'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique, par les Drs O. Vogt (de Berlin), Paul Farez, et Félix Regnault.
2° L'hypnotisme au point de vue médico-légal, par MM. les Drs H. Lemesle, Schrenk-Notzing (de Munich). Paul Joire, et Ch. Julliot, docteur en droit.
3° L'hypnotisme dans ses rapports avec l'hystérie, par les Drs Paul Magnin et Crocq (de Bruxelles).
4° L'hypnotisme dans ses rapports avec la pédagogie et l'orthopédie mentale, par le Dr Bérillon.
• Nous devons encore mentionner d'importantes communications de M. le professeur Raymond, de MM. les Drs Jules Voisin, Van Renter-ghem (d'Amsterdam), de Jong (de la Haye). Durand de Gros, Lloyd Tuckey (de Londres). Tokarsky (de Moscou), Stadelmann (de Wurtz-bourg), Régis (de Bordeaux), Cullerre (de la Hochc-sur-Yon), Bianchi (de Parme], Jaguaribe (de Sao-Paulo), Bourdon de Méru, Raffegeau, Iîaraduc, Bilhaut, Terrien, Bonjour (de Lausanne), Aars (de Christiana), Binet-Sanglé, Bellemanière, etc., etc.
Le volume des comptes rendus du Congrès de l'hypnotisme doit trouver sa place dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent aux choses de l'hypnotisme.
L'occultisme et l'amour, par le Dr Emile Laurent et Paul Nagour, un vol. — Vigot, frères.
Ce petit volume, d'une grande érudition, constitue une étude des plus intéressantes sur certaines manifestations morbides de la sexualité. Le rôle de l'amour dans les religions, particulièrement dans les religions antiques, est tracé très complètement à l'aide de documents puisés aux sources les plus sûres. Les chapitres consacrés aux folies erotiques du sabbat et de la messe noire, contiennent des révélations inédites, connues jusqu'ici des seuls initiés. Les chapitres sur les envoûtements, sur la préparation des philtres et des sortilèges, sur le rôle de la musique et de la danse en amour, etc., ne sont pas moins intéressants. Tous les curieux, tous les érudits voudront lire ce livre, l'un des plus documentés sur la question.
VARIÉTÉS
LOURDES (1)
Deux heures. Les abords de la Grotte sont noirs de monde, et, sur la promenade qui longe le Gave et conduit à la miraculeuse piscine, la foule se hâte lentement, en chantant des cantiques sacrés. Des femmes de mise simple et dont le pays d'origine se reconnaît à la coiffure, grandes coiffes blanches des Bretonnes, petit foulard gracieusement enroulé et noué des Bordelaises, capel des Auvergnates, bonnet tuyauté des Limousines, entonnent d'une voix aiguë et inharmonieuse les couplets de l'Ave Maria. Des hommes des champs, endimanchés, les accompagnent, encadrés de prêtres. Au milieu de celte foule roulent de petites voiturettes, surmontées d'une capote qu'exige un soleil implacable, et tirées par des brancardiers ou des pèlerins eux-mêmes. De temps en temps passe un brancard.
Au fur et à mesure que se rapproche la Grotte, la foule devient plus dense: les voiturettes de malades se heurtent entre elles, les brancards ne peuvent plus avancer. Les chants sont plus nourris, les paroles se scandent, les prières semblent des ordres.
Devant la piscine, un prêtre à la voix stridente donne l'ordre des cantiques, qu'il coupe régulièrement par des invocations :
« Seigneur, ayez pitié de nous! Et la foule de répéter:
« Seigneur, ayez pitié de nous!
« Seigneur exaucez-nous !
« Seigneur exaucez-nous !
* Jésus, fils de David, guérissez nos malades.
« Jésus, fils de David, guérissez nos malades.
« Vous le pouvez, — vous le pouvez.
« Vous le voulez, — vous le voulez.
« Nous vous aimerons, — nous vous aimerons.
« Nous vous bénirons, — nous vous bénirons. »
— « Une dizaine de chapelet pour nos pauvres malades. Je vous salue Marie.... » — Les femmes, les bras en croix, les yeux fixés sur l'image de la Vierge, récitent avec ferveur: « Je vous salue Marie, pleine de grâces... *
(1) Nous empruntons à la Presse Médicale cet intéressant article sur Lourdes, dû à notre distingué confrère le Dr Jayle.
Et à travers cette foule en extase, adjurant le ciel de venir à son secours, roulent avec précaution les voiturettes des malades, passent les brancardiers demandant avec douceur un peu de place pour un cachectique ou un paralysé. Tous vont à la piscine dont l'entrée est gardée par une balustrade. Devant la porte, dans un espace réservé, s'accotent les voiturettes et se juxtaposent les brancards. Au fur et à mesure que les trois baignoires de la grotte deviennent libres, on transporte les malades pour les y plonger. C'est le tour d'une femme d'une trentaine d'années, la face amaigrie, les yeux étrangement ouverts, le front ceint d'un bandeau humide, les membres décharnés, incapable de faire un mouvement et que deux hommes soulèvent avec d'infinies précautions. Puis, c'est un enfant de douze ans, scrofuleux, pâle, blafard, atteint d'un mal de Pott, et qui aide de son mieux le brancardier qui l'emporte. Et c'est un vieillard de soixante ans, à la face osseuse, aux tempes excavées, aux joues creuses, portant un collier de barbe grisonnante et rare, les cheveux hirsutes, faciès de cancéreux, qui réclame son tour. Un à un, tous pénètrent derrière la toile rayée de bleu et de blanc qui ferme la porte et, un à un, tous sont plongés quelques instants dans les baignoires de marbre dont l'eau n'est changée que deux fois par jour. Puis ils ressor-tent, portés par les mêmes brancardiers, ou plus défaits ou plus contents suivant la réaction de leur système nerveux.
Et durant tout le temps, deux heures, trois heures, quatre heures, sans arrêt et comme sans fatigue, les pèlerins entassés derrière la balustrade n'ont cessé de prier, de chanter des Ave Maria, de réciter des litanies saintes, de dire des dizaines de chapelet, de répéter tous en chœur 1 et d'une voix qui vise le commandement: « Seigneur guérissez nos malades! Vous le pouvez, vous le voulez. Nous vous aimerons, nous vous bénirons .
Un peu plus loin, dans une chaire en plein air, un père exhorte les fidèles à la pénitence, et d'autres malades, toujours dans leurs voitures ou sur leurs brancards, écoutent avidement les exhortations de prêtre, protestant de leur foi et déplorant tous les péchés, pour mieux guérir.
Le long de la colline au pied de laquelle la grotte est creusée, dans un chemin en lacet s'étagent d'autres pèlerins avides de voir, et leur chaîne ininterrompue se continue jusqu'au terre-plein de la Basilique.
Dressée sur un des derniers contreforts de la chaîne pyrénéenne, la Basilique de style gothique, domine superbement le Gave de Pau. Au devant s'étend une large terrasse que deux grandes rampes en fer à cheval, soutenues par des arches monumentales, relient à une immense esplanade encadrée par une boucle du Gave. Cette terrasse n'est elle-même que le toit d'une seconde église, l'église du Rosaire, d'architecture byzantine, dont le porche est précédé d'un large perron à grandes
marches. Au bout de l'esplanade, se dresse une statue de la Vierge couronnée; derrière, se dessine un grand square, que domine au fond la Croix des Bretons.
D'en bas, de l'Esplanade, l'effet est imposant, de ces grandes arches de granit ceignant l'église du Rosaire, qui parait être un large soubassement destiné à supporter et à mieux élever encore le clocher élancé et la nef légère de la Basilique sacrée.
L'heure de la procession du Saint-Sacrement approche; trois heures viennent de sonner, et déjà, pour quatre heures et demie, les malades commencent à prendre place. Les voiturettes roulent maintenant de la grotte à l'esplanade, se hâtant pour choisir un meilleur endroit.
Passe une jeune fille de vingt ans, la peau cireuse, de grands yeux noirs éteints, affalée par la souffrance et aussi la chaleur, traînée par un prêtre dont la tète nue, ronde et rouge, est inondée de sueur. Derrière, une petite vieille, la face ratatinée, les mains recroquevillées parle rhumatisme, couchée en chien de fusil, regarde curieusement du brancard sur lequel elle est portée. Et puis ce sont deux sœurs Augustines attelées à une voiturette où se tient à grand'peine une autre Augustine cassée par l'âge et quelque néoplasme abdominal. Mais la foule s'écarte devant six hommes qui portent en cadence, à pas lents et comptés, une bière ouverte où est étendue, sans vie apparente, une femme de trente ans. Et c'est ensuite un vieux prêtre, coiffé de sa barette devenue trop grande, que traîne un brancardier de distinction, la croix rouge liserée de jaune sur la poitrine. Viennent encore des enfants rachitiques et encore des tètes de cancéreux. Sans discussions, posément, la ferveur dominant tout, ils viennent un à un se ranger le long de l'esplanade, à droite et à gauche, des marches de l'église du Rosaire à la statue de la Vierge. Les plus près des marches sont les grands malades : couchés à terre sur les matelas, ils sont côte à côte, aucun espace ne pouvant être perdu. Le soleil est brûlant, et il n'y a point d'ombre: aussi les parents s'efforcent-ils, au moyen de parasols, d'ombrelles, d'éventails, de leur rendre moins cruelle cette attente qui va durer deux heures. Et au delà des grands malades, s'échelonnent les voiturettes avec leurs patients qui étouffent sous les capotes baissées.
Dans l'enceinte et tout autour, se massent les vingt mille pèlerins qui n'ont pu trouver place ni sur les rampes montantes ni sur la terrasse de la basilique. La plupart d'entre eux sont groupés par pays, par paroisse même, sous la direction d'un prêtre. Et les prières recommencent, les cantiques succèdent aux cantiques, les Ave aux Ave. Deux heures durant, sans trêve d'une minute, un bon curé de village, tête nue, le chapeau d'une main et un livre de cantiques de l'autre, sous un ciel de feu, face à ses ouailles, avec une foi émotionnante et un dévouement
admirable, mène le train des prières, dirige les chapelets, rythme les invocations :
« Marie, nous vous aimons. « Marie, nous vous aimons. « Marie, conçue sans péché, priez pour nous. » Marie, conçue sans péché, priez pour nous, « Vierge puissante, sauvez nos malades. « Vierge puissante, sauvez nos malades. « Ils vous aimeront. — Ils vous aimeront. « Ils vous béniront. — Ils vous béniront ».
Lentement, quatre cents malades se sont rangés et, personne ne devant rester devant eux pendant la procession, on procède à l'évacuation de l'enceinte.
Les pèlerins sont ainsi progressivement refoulés et bientôt toute l'esplanade est nue, la théorie des malades échelonnés formant barrière. Il ne reste plus de libre qu'un étroit espace de trois mètres au fond, du côté de la statue de la Vierge. Arrivent encore des retardataires, un homme dont tout le bras gauche est oedématié par quelque compression axiltaire, une petite vieille traînée par un gamin, un pauvre jeune homme dont la tête boursouflée et les yeux ectropionnés sont un objet d'horreur, puis toute une collection de rachitiques sous la direction d'une sœur grise qui dit à un brancardier ami qu'elle n'a pas encore es une seule guérison.
[A suivre)
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Congrès annuel des médecins aliénistes et neurologistes
Session de Grenoble — Août 1902
Le prochain Congrès des aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française se tiendra, du 1" au 8 août prochain, à Grenoble, sous la présidence de M. le Dr E. Régis, professenr de Psychiatrie à l'Université de Bordeaux. Les questions qui feront l'objet de rapports sont les suivantes: 1° Pathologie nerveuse: Les tics en général.— Rapporteur: M. Noguès (de Toulouse) ;
2° Pathologie mentale: Des états anxieux dans les maladies mentales. — Rapporteur : M. Lalanne (de Bordeaux);
3° Médecine légale : Les auto accusateurs au pointde vue médico-légal, '— Rapporteur: M. Ernest Dupré (de Paris).
Les rapports seront adressés aux adhérents du Congrès pour le 1er juillet au plus tard. N
Le Secrétaire général du Congrès est de M. le Dr Bonnet, médecin en chef de l'Asile de Saint-Robert (Isère).
La Société d'hypnologie et de psychologie a délégué MM. les Drs Jules Voisin, président, et Bérillon, secrétaire général, pour la représenter au congrès des médecins aliénistes et neurologistes.
Banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie
Le banquet de la Société d'hypnologie qui a eu lieu après la séance annuelle du 17 juin a été très brillant. M. le Dr Jules Voisin, médecin à la Salpétrière, présidait. A ses côtés avaient pris place : MM. Lionel Dau riac, professeur honoraire de la Faculté des Lettres de Montpellier et le D' Paul Magnin. vice-présidents de la Société d'hypnologie. Parmi les nombreux convives, nous devons citer M. Georges Montorgueil, rédacteur à l'Eclair, Dr Bérillon, médecin-inspecteur des asiles publics d'aliénés, Dr de Groer, de Varsovie, Dr Damoglou, de Constantinople, D[ Linardakis, d'Athènes, Dr Paul Joire, de Lille, Dr Paul Farez. secrétaire général adjoint, Dr Pottier, Dr Raffegeau, du Vésinet, D' Gaube, du Gers, Dr de Bourgade de la Dardye, Dr Le Menant des Chesnais, Dr Bellemanière, professeur à l'Ecole de psychologie, M. Lépinay, médecin-vétérinaire, M. de Coynard, M. le comte Jacquemet-Amat, Dr Macris, d'Athènes.
S'étaient excusés : MM. le professeur Raymond, le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de médecine, le Dr Landrieux, médecin de Lari-boisière, le Dr de Jong, d'Amsterdam, le Dr Bianchi, de Parme, M. Mel-cot, avocat général à la Cour de cassation, le D' Félix Regnault, M. le Dr Henry Lemesle, professeurs à l'Ecole de psychologie, M. le Dr Bourdon de Méru, M. Boirac, recteur de l'académie de Grenoble, M. le Dr Leblond. médecin de St-Lazare.etc, etc. Au dessert. M. Jules Voisin a prononcé une allocution très applaudie dans laquelle il a constaté le succès toujours croissant de la Société d'hypnologie et de psychologie : des toasts ont été ensuite portés par MM. Bérillon, Paul Magnin, de Groer et Archambaud, directeur de la Revue médicale.
7e Année. — N° 2- Août 1902.
BULLETIN
Le musée des passions humaines et le musée de psychologie.
L'Exposition des arts et métiers féminins, qui se tient à Paris en ce moment aux serres de la Ville de Paris, comprend une section d'archéologie. C'est dans cette section que notre rédacteur en chef a exposé quelques pièces du musée de psychologie qu'il a créé depuis quelques années. Naturellement, les objets exposés sont ceux qui se rattachent par quelque côté à l'archéologie et à la psychologie féminines. Parmi ces objets, nous devons mentionner tout d'abord une Vénus ana-tomique en bois sculpté aux deux tiers de la grandeur naturelle. Cette pièce, dont la construction remonte à la fin du xviii' siècle, est un travail italien fort curieux. Les rapports des organes viscéraux dénotent une connaissance assez exacte de Fanatomie. Les diverses pièces qui constituent le cerveau sont plus rud i inentai res. Elles indiquent que l'étude de l'ana- ; tomie du cerveau était beaucoup moins avancée que celle des autres organes. Le musée de psychologie a également envoyé quelques pièces relatives au système de Gall. Ces pièces ont le mérite d'être des pièces originales et de provenir du créateur de la cranioscopie ou plutôt de la phrénologie.
Les croyances superstitieuses, nées sous l'influence de suggestions, et entretenues dans l'esprit par l'auto-suggestion, ont leur place réservée dans un musée psychologique; aussi les amulettes et les ex-voto y occupent naturellement une large place. Il y a là un chapitre de médecine d'imagination des plus intéressants.
Parmi les pièces qui méritent aussi de retenir l'attention, nous devons mentionner une collection de disciplines religieuses et de cilices utilisés dans les couvents de femmes. Une
collection de ceintures de chasteté anciennes témoignent des préoccupations qui, dans les siècles passés, s'imposaient à des esprits jaloux. Elles se traduisaient par des inventions ingénieuses dans lesquelles on constate une conception assez exacte des exigences anatomiques.
Dans l'ordre des perversions instinctives, des photographies fort démonstratives exposent des exemples de perversions sexuelles, d'effémination et de viraginité.
Il y aurait encore bien des curiosités à mentionner dans l'exposition du musée de psychologie. Nous nous bornerons à reproduire quelques extraits d'un compte rendu donné par M. Stiegler dans le Français :
« C'est le musée des passions humaines de Florence qui a donné au docteur Bérillon l'idée de former la très curieuse collection placée dans ses vitrines de l'Exposition des Arts féminins, collection dont j'ai déjà dit un mot l'autre jour. Seulement le docteur Bérillon a eu moins d'ambition que son confrère italien : il n'a pas cru devoir embrasser toutes les passions humaines et il s'est imposé des limites. Les fausses croupes, les souliers à la poulaine, les peignes démesurés, les drapeaux, lui ont paru devoir être proscrits comme vulgaires ou comme ayant leur place ailleurs. Il ne veut que des objets relativement rares et dignes de retenir l'attention.
«Sesex-voto sont nombreux. Il en a depuis le temps des vieux Romains jusqu'à nos jours, des ex-voto en terre cuite coloriée, en bronze, en argent. Ce sont des offrandes à la divinité, déposées presque toujours par des souffrants qui demandent la guérison d'une maladie, soit pour eux ou leur famille, soit pour leurs bestiaux. Afin que Dieu ne se trompe pas, l'intéressé a bien soin de lui spécifier le siège de la maladie, et il lui offre en conséquence l'image de la partie atteinte, un œil, une jambe, une main, à l'occasion un bœuf ou un cheval.
« La collection comprend aussi des amulettes, petits objets bénits, sortis des temples, touchés par les prêtres, et destinés à préserver des accidents.
« Les disciplines ne manquent pas non plus. Ce sont des lanières de fer réunies en faisceau et qui semblent destinées à faire plus de bruit que de besogne, car, s'il convient de mortifier la chair, il ne faut pas accabler le pêcheur.
« Je citerai enfin des objets qui n'ont pas une origine religieuse, mais qui étaient autorisés par l'Eglise ; je veux dire les ceintures de chasteté. II est moins facile de les décrire que
d'en comprendre l'usage lorsqu'on les regarde sous la vitrine.
« Ces différents objets ne tirent nullement leur importance d'un souvenir historique. Ils ont tous un intérêt d'actualité, puisque leur usage, plus ou moins fréquent, demeure chose permanente. Les ex-voto sont innombrables un peu partout en province, en Bretagne, à Paris même, notamment au Sacré-Cœur de Montmartre. En Espagne, on trouve, suspendus aux murs des églises, des membres de cire de grandeur naturelle, jambes ou bras, ce qui fait ressembler la maison de Dieu à un musée d'anatomie. Les amulettes n'ont jamais été plus en faveur, comme on sait, et il est difficile de rencontrer une personne qui n'ait une médaille dans le boîtier de sa montre ou un sca-pulaire sur la poitrine.
« Quant aux instruments de mortification, ils abondent, du moins dans certains milieux. Voici même à ce sujet un détail tout à fait actuel qui peint très bien l'état de nos mœurs à cet égard.
« Les religieuses se servent de petits outils destinés à faire des piqûres sur la peau. Ils sont en bois et ont extérieurement la forme et les dimensions d'un bouchon ; on les sépare en deux à la main sans effort, et ils apparaissent alors armés de trois pointes sur chacune de leurs moitiés. Introduits sous la robe de bure, ils grattent plus ou moins l'épiderme. La sainte mystique par excellence a servi à les nommer, et on les appelle bijoux de sainte Thérèse.
« Ces bijoux de sainte Thérèse ne sont pas dans le commerce, mais on peut s'en procurer ordinairement dans les couvents de carmélites.
« Quant aux ceintures de chasteté, leur usage, à la vérité moins fréquent, n'a pas disparu. Sans être un beau chevalier, et sans partir pour les croisades, on peut être jaloux de sa belle; une âme de fonctionnaire suffit à cela. Il y a trois ans, pas davantage, une malheureuse femme arriva chez le commissaire de police de Vanves et le supplia en pleurant de la faire délivrer d'une terrible ceinture de chasteté en fer forgé que son mari lui mettait chaque jour avant de partir au bureau : c'était un employé de chemin de fer. Crainte de scène ou de mauvais traitements, elle n'osait se libérer elle-même et venait se placer sous la protection de la loi. L'outil avait été fait par un ouvrier serrurier qui fut appelé et qui ouvrit lui-même son coffre-fort.
« Le musée des passions humaines du Dr Bérillon est donc
tout actuel et j'ai peur qu'il ne le soit- toujours, car, jusqu'au jour du jugement dernier, j usqu'à ce que les temps soient révolus, il y a des chances pour que l'univers sente indéfiniment frémir, hurler et pleurer la meute haletante des passions humaines. »
Le musée de psychologie est un complément indispensable de l'Ecole de psychologie. L'enseignement de la psychologie devant être rigoureusement scientifique et reposant sur des données positives, il est utile d'avoir sous la main tout ce qui peut donner plus de valeur aux démonstrations orales. Aussi l'organisation du Musée de psychologie comprend cinq sections :
1° Les documents relatifs à l'histoire du magnétisme, de l'hypnotisme et de la psychologie ;
2° Les appareils, les pièces anatomiques, les dessins relatifs à l'étude du système nerveux central ;
3° Les appareils imaginés pour faciliter les recherches psy chologiques ;
4° Les documents relatifs à la criminologie ;
5° Les documents ethnographiques dans lesquels se retrouve la manifestation d'une influence suggestive, ou ceux qui présentent un réel intérêt psychologique parce qu'ils portent la marque d'une anomalie, ou d'une exagération d'un sentiment humain.
En outre, le Dr Henry Lemesle a entrepris la constitution d'une section spéciale qui comprendra toutes les pièces et documents relatifs à la sorcellerie et à la démonomanie.
Le Musée de psychologie a déjà réalisé une partie considérable de son programme. Bien que limitée à la psychologie féminine, la place qu'il occupe actuellement a l'Exposition des arts et métiers féminins en fournit la démonstration.
H. L.
Le sommeil et les rêves
Par M. le Docteur Wijnaendts Franckel, de la Haye
Le terme d'hypnose est, à lui seul, indicatif du fait que les phénomènes hypnotiques se rapprochent sous beaucoup de rapports de ce qui se passe dans le sommeil et dans les rêves. De même que le somnambule, à son réveil, ne se souvient de rien ou de presque rien de ce qu'il a fait en dormant, ceux qui
ont été hypnotisés ne savent ensuite point ce qui s'est passé à leur égard, ou du moins n'en ont gardé qu'une impression très vague. Les procédés qui servent à provoquer l'hypnose ressemblent fort aux moyens employés pour appeler le sommeil, et l'on ne saurait méconnaître la conformité que présentent en maint point les traits physiologiques caractéristiques du sommeil et ceux de l'hypnose.
Il y a là un motif de ne pas passer à l'explication théorique des phénomènes hypnotiques sans être auparavant entré dans quelques considérations relatives au sommeil normal et aux rêves qui s'y produisent. Ce que nous appelons le sommeil constitue une période de repos pour celles de nos fonctions que nous accomplissons d'une manière consciente. Il parait que ces fonctions ne sauraient rester en activité d'une manière non interrompue ; l'organisme réclame évidemment des intervalles périodiques de repos, pendant lesquels la vitalité consommée se régénère et l'énergie dépensée se renouvelle. Mais si, dans le sommeil, l'initiative intellectuelle est entièrement suspendue, il n'en est pas de même des fonctions qui s'exercent automatiquement; l'intensité de leur activité peut diminuer, mais elle ne s'arrête pas pour les fonctions indispensables à la vie. En revanche l'action supérieure de l'esprit, l'observation et la réflexion conscientes s'interrompt à intervalles réguliers pour, à chaque fois, recommencer ensuite à agir avec une nouvelle énergie.
Le besoin de sommeil se fait ainsi sentir de période en période, sans qu'il faille pour cela que le temps de veille qui précède l'appel du sommeil ait été rempli par un grand travail physique ou intellectuel. Une expérience quotidienne nous a appris que nous éprouvons un grand malaise toutes les fois que le sommeil nous a été refusé en temps voulu, ou qu'il ne nous a pas été permis de le goûter pendant un temps suffisant. De même que c'est un fait bien connu que l'insomnie chronique est, dans la règle, accompagnée d'une très notable déperdition d'énergie psychique, laquelle se manifeste surtout par des symptômes d'amnésie ou d'aboulie.
D'où vient que le sommeil est si impérieusement nécessaire? A quoi faut-il attribuer le fait que le besoin en renaît continuellement? Sans doute, ce phénomène est des plus ordinaires, mais cela ne veut pas dire que l'on ait réussi à en trouver l'explication complète. Il est vrai que Ton a donné de nombreuses explications et formulé des hypothèses ; mais on n'a rien
avancé qui ne soulevât des objections dignes d'attention. Parmi les théories les plus récentes, nous citerons en premier lieu la théorie chimique. Plfüger a cru voir, dans une disette d'oxygène dans le cerveau la cause du besoin de sommeil mais Preyer la supposé que, durant la période de veille, il se formait dans l'organisme des corps hypnogènes, par exemple l'acide lactique, dont l'amas se décomposerait et se résoudrait pendant le sommeil. 'Il y a une grave objection à cette idée d'une lente accumulation d'« Ermüungsstoffe » (littéralement, corps de fatigue) ; c'est que cette conception ne s'accorde pas du tout avec le fait que l'on peut s'endormir avec une très grande rapidité à un moment donné et que l'on peut même, dans une mesure, régler la chose, ou aussi retarder, même pendant des heures, l'assoupissement; et, dans un ordre renversé, le fait que l'on peut être réveillé d'un profond sommeil d'une manière soudaine, s'accorde tout aussi mal avec l'hypothèse en question. Enfin, quand on a essayé d'injecter artificiellement de ces produits physiologico-chimiques, on n'est aucunement parvenu à provoquer ainsi le sommeil ; cette expérience a mis à néant l'hypothèse de Preyer.
Toute autre est l'explication de Mathias Duval ; c'est la théorie histologique.) Ici l'on cherche la cause du sommeil dans les conditions morphologiques des éléments constitutifs des tissus Cette théorie a pour point de départ la mobilité amoeboïde des neurones, se rattachant aux conclusions de Golgi et de Ramony Cajal, d'après lesquels les divers neurones se trouvent à l'égard les uns des autres dans un rapport, non pas de continuité, mais de contiguité, de sorte qu'il ne serait pas impossible que leur contact fût brisé, ce qui enrayerait le courant nerveux. Dans le sommeil, les routes d'association seraient supprimées par une rupture de contact entre les différents neurones, soit parce que les cellules ganglionaires rentreraient leurs ramifications comme le fait l'amœbe vivante, soit que la neuroglia interposée fit cesser pour quelque temps le courant nerveux.
La vraisemblance est cependant plus grande du côté de la théorie vasomotrice, qui explique le mieux le commencement rapide du sommeil. Le sommeil dépendrait d'une modification de l'afflux de sang au système nerveux central, lequel entrerait dans un état plus ou moins anémique. Les narcotiques, par exemple, auraient pour effet des réactions chimiques, dont le résultat serait d'empêcher un apport suffisant d'éléments
reconstructifs au cerveau, et celui-ci serait entravé dans son activité normale . Dans le sommeil normal, il se produirait une contraction des vaisseaux, laquelle diminuerait le flux du sang vers le cerveau (1), et réciproquement, tout ce qui excite le flux agirait contre l'assoupissement, Ce serait précisément pour cela que, pour dormir, on se garde autant que possible de tout ce qui excite les sens de façon à attirer les efforts de l'attention, ce qui, de même que tous les procédés psychiques, exerce une influence vasomotrice ; on ferme les yeux, on exclut la lumière de l'appartement où l'on veut dormir ; on prend une position aisée et l'on s'y tient immobile ; on se couvre de sorte à assurer une température et une excitation de la peau uniformes (2).
Ainsi. l'attention passive qu'excitent à l'état de veille les impressions reçues par l'intermédiaire des sens est suspendue, jusqu'à ce que les impressions rentrent dans la sphère du conscient et provoquent le réveil (3). En même temps, l'association active des impressions reçues s'arrête momentanément durant le sommeil. Ce ne sont pas seulement les excitations physiques qui font obstacle à l'assoupissement, mais aussi les émotions et les pensées qui arrêtent l'attention; et réciproquement on le favorise en détournant autant que possible l'attention de pensées déterminées, et en l'attirant, par exemple, sur telle ou telle série d'images monotones, sur des perceptions uniformes qui la fatiguent.
Le phénomène le plus remarquable qui accompagne le sommeil est certainement le rêve. Il démontre que, dans le sommeil, l'esprit n'est point condamné à une inactivité absolue; au contraire, il peut se remplir de séries complètes d'idées, mais sous une forme confuse et illogique. Certains savants considèrent les rêves comme un symptôme peu favorable, mais d'autres, par exemple Forel et Dollken, y voient un phénomène normal et permanent, qui, parfois, semble faire défaut uniquement parce que le souvenir s'en efface facilement dès l'instant du réveil. Quoi qu'il en soit, la présence des rêves prouve que
(1) D'après Pilez, il y aurait, dans le sommeil, une anémie relative des circonvolutions du cerveau et une pléthore de la moelle allongée.
(2) On connaît le cas mentionné par Strümpell de l'apprenti cordonnier anesthé-tique, borgne de l'œil gauche et sourd de l'oreille droite, qui s'endormait aussitôt si on lui bouchait l'œil droit et l'oreille gauche.
(3) La profondeur du sommeil, c'est-à-dire le degré d'absence de conscience, n'est pas égale à elle-même dorant la durée de l'assoupissement ; on connaît la courbe physiologique qu'elle décrit; elle atteint le maximum une et demie ou deux heures après le commencement du sommeil.
l'esprit n'est point inactif dans le sommeil, mais qu'il continue à associer les représentations. Aussi les rêves ne se produisent-ils pas dans la règle pendant la période du plus profond sommeil, mais peu temps avant le réveil, pendant le sommeil léger du matin, quand l'esprit se trouve dans la phase hypna-gogique de la demi-veille.
Les rêves sont occasionnés par des circonstances qui peuvent varier. On peut les ranger en deux classes principales, suivant que le rêve est engendré par une excitation périphérique ou cérébro-centrale (1). La différence entre les deux a quelque analogie avec celle qui distingue l'illusion de l'hallucination dans l'hypnose.
Les rêves du premier groupe se rattachent à des impressions reçues par les sens. La limite du moment de l'apparition de la conscience, le seuil de la conscience, comme on l'a appelé, est certainement déplacé dans la période du sommeil, mais ni l'excitabilité périphérique, ni la transmission nerveuse centripète ne sont supprimées. Quoique la perception de ce qui impressionne les sens ne soit pas clairement consciente, elle n'est pas pour cela complètement absente, ce que prouvent surabondamment les mouvements réflexes des dormeurs et les actes compliqués des somnambules. Lors donc que des excitations du dehors élicitent des rêves, il n'y a pas, entre les représentants dont ceux-ci sont formés et l'intensité des excitations, de rapport normal et rationnel. Ainsi, pour citer un exemple, si nos pieds touchent une bouillotte chaude, nous pouvons rêver qu'on nous les grille au feu, ou bien que nous dansons sur un parquet brûlant, que nous cherchons à traverser une rivière bouillante, que nous nous enfuyons hors d'une maison incendiée (2). Il faut remarquer que l'excitation peut provenir aussi de l'activité dans l'intérieur du corps de certains procès organiques, laquelle fait naître des sensations kinesthétiques d'un genre particulier.
Les rêves appartenant au second des deux groupes que nous avons mentionnés se produisent sans que l'action d'excitants spéciaux soit nécessaire. Ils dépendent d'une association de représentations spontanée et capricieuse et se distinguent par leur développement fantastique. Néanmoins, ces créations de
(1) Spitta appelait ces deux groupes rêves d'excitation nerveuse et rêves psychiques; Calkins les nommait rêves de présentation et de représentation.
(2) Maury, en particulier, s'est livré à de nombreuses expériences pour découvrir jusqu'à quel point il serait possible, au moyen d'excitations des sens, d'éliciter artlficiellement des rêves de nature déterminée.
l'imagination, quelque irréelles qu'elles soient dans leur ensemble, sont formées d'éléments tous empruntés aux représentations provenant de l'expérience. La manière dont ces éléments se combinent dans le rêve peut être complètement différente de ce qui se passe réellement sous les yeux de personnes réveillées, cela n'empêche pas qu'eux-mêmes ne soient que des vestiges d'observations et d'expériences antérieures. L'imagination, même la plus émancipée, ne saurait inventer quoi que ce soit qui ne soit pas composé de ce qui a été vu ou entendu, comme Groos l'a très justement et brièvement exprimé en disant : « Auch der wildeste Traum enthält seinen Stofflichen Bestandtheilen nach nie etwas, was der Träumer noch nicht sinnlich erfahren hat ». Les rêves, même les plus fantastiques, ne renferment jamais dans leurs éléments constitutifs, que des choses perçues par celui qui rêve par l'intermédiaire des sens).
Il est très remarquable, en outre, que la matière sur laquelle' roulent nos rêves ne soit point essentiellement empruntée aux choses qui, à l'état de veille, nous intéressent ou nous occupent le plus. Santé de Sanctis a constaté que les mouvements de l'âme d'intensité moyenne se reproduisent beaucoup plus dans les rêves que les fortes émotions. Griesinger et Lombroso ont signalé les rêves à émotions contrastées, dans lesquels le dormeur éprouve, dans les circonstances évoquées par son rêve, des émotions inverses de celles qui se fussent produites en lui si ces circonstances se fussent présentées dans son état de veille. Les souvenirs aussi, d'où découle la matière d'un rêve, sont tout autres que ceux qui prédominent à l'état de veille. Une foule de souvenirs, tellement enfouis que l'on n'en avait pas même conscience, redeviennent vivants dans le rêve, et mille accidents de notre vie, que nous nous figurions oubliés pour toujours, auxquels nous ne pensions jamais plus, viennent dans le rêve se dresser soudain devant notre esprit. Des souvenirs latents, qui demeuraient inaperçus, ensevelis sous les mille impressions qui se succédaient dans notre existence quotidienne, deviennent actifs dans le rêve et redeviennent conscients. On connaît le cas de cette servante qui, en état de narcose, se mit tout à coup à réciter en hébreu des passages de l'Ancien Testament ; on l'interrogea et l'on apprit qu'elle avait été au service d'un pasteur qui avait l'habitude de lire à haute voix, et dont le cabinet d'étude était contigü à la chambre à coucher de la servante. C'est ce qui a lieu aussi dans l'hypnose, qui, souvent, a le caractère d'un renforcement de la puis-
sance du souvenir. Par exemple, un officier anglais, hypnotisé par Hansen, se mit à parler une langue dont il n'avait plus l'habitude, maïs qu'il avait apprise dans son enfance. Dans les cas de ce genre, on a évidemment affaire à un souvenir sub-conscient. D'après Pilez, plus le sommeil est profond, plus les rêves s'éloignent de la réalité actuelle, parce qu'alors les vieux souvenirs surgissent plus aisément. C'est comme si les chemins d'association les plus actifs dans la veille cessaient de fonctionner et permettaient à ceux qui sont sub-conscients de se faire valoir avec plus d'intensité et d'énergie.
Nous mentionnerons un autre trait caractéristique de l'état de rêve, qui consiste en ce que nous y avons un sentiment très faible de ce qui constitue notre personnalité, telle qu'elle est apparente quand nous veillons. Notre conduite dans nos rêves n'est point du tout la même que celle que nous suivons dans la vie ordinaire, et il n'est point impossible que certains côtés de notre caractère, que nous avons l'habitude de soigneusement cacher, se manifestent alors sous leur vraie couleur (1). Quoi qu'il en soit, notre caractère se modifie complètement dans le rêve et d'ordinaire ce n'est pas à notre avantage ; nous agissons lâchement, voluptueusement, cruellement, ce qui a porté Maudsley à dire que, si nous étions responsables de tout ce que nous perpétrons en rêve, il n'y a personne d'entre nous qui n'eût mérité la potence.
Enfin, et ceci est sans doute le trait le plus caractéristique des rêves, nous paraissons avoir entièrement perdu la notion de la causalité. Nous ne sentons plus aucune différence entre les perceptions et les représentations; celles-ci, dans nos rêves, sont pour nous d'absolues réalités, elles nous font l'illusion complète d'être des perceptions. Il n'y a pas ombre de critique; les images se succèdent sans lien logique, associant chaoti-quement les choses les plus hétérogènes, sans rapport les unes avec les autres. La chaîne de nos représentations successives se forme sans guide et sans principe, leur liaison est sans but et incohérente, produite par les plus fugitives analogies. Il en résulte que l'essor de nos idées est absolument déréglé, c'est une sorte de délire, le rêve devient une série d'hallucinations ou, comme Wundt l'exprime, « une folie normale temporaire . Sans doute c'est cette absence de lien
(1) Beaunis dit aussi de la suggestion hypnotique qu'elle peut amener notre moi moral, qui dort au plus profond do notre être, dans toute sa nudité ù la surface, et révéler ce qui était inconnu au sujet lui-même.
logique entre les images au milieu desquelles nous nous sommes mus qui est cause de l'amnésie qui nous distingue à l'égard de nos rêves, c'est-à-dire de l'extrême rapidité avec laquelle nous les oublions. Il se peut sans doulc parfois qu'au réveil nous prenions un rêve, pour de la réalité, de sorte que, comme l'affirmait Aristote, certaines de nos actions soient motivées par les songes de nos nuits; ce n'en est pas moins une expérience générale qu'un rêve, quelque net qu'en soit le souvenir au moment même du réveil, s'efface très prompte-ment de notre mémoire lorsque le réveil est devenu complet. ,
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 Mai 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
Les rêves soi-disant prophétiques ou révélateurs
par M. le Dr Paul Farez, professeur à l'Ecole de Psychologie
J'ai été tout récemment amené à m'occuper des rêves dits prophétiques, dans les circonstances suivantes. Il y a quelques semaines, à l'Ecole de Psychologie, j'étudiais dans une série de leçons la Psychologie du sommeil naturel. Après avoir minutieusement analysé les éléments et la formation des rêves, j'en étais arrivé à exposer ce que deviennent les diverses facultés intellectuelles pendant le sommeil, et j'avais insisté sur la stupéfiante hypermnésie qui se manifeste parfois à la faveur du repos morphéique. Le lendemain et le surlendemain, je reçus de quelques très fidèles auditeurs des lettres fort intéressantes. On me demandait si, non content d'exhumer des souvenirs lointains et, en apparence oubliés, le rêve ne pouvait pas, dans certains cas, soute-ver quelque peu le voile qui nous cache l'avenir. En même temps, on me racontait certains rêves qui semblaient bien, au moins au premier abord, avoir réellement prédit des événements futurs. Quelques correspondants, il est vrai, répugnaient à admettre que les rêves dont ils me faisaient le récit eussent une valeur véritablement prophétique ; mais, ne parvenant point à les interpréter en dehors de toute hypothèse extra-scientifique, ils me demandaient de leur donner à ce sujet une sorte de consultation psychologique. Je fus donc amené à traiter dans son ensemble la question des rêves prophétiques, et je le fis dans une longue, une très longue leçon, qui dépassa même de beaucoup le temps réglementaire.
Il est incontestable que certains rêves, du moins tels qu'on les raconte, offrent une allure nettement prophétique.
De très nombreuses personnes se passionnent pour ce que, depuis l'antiquité la plus reculée, on appelle l'oniromancie ; elles amoncellent les récits sans ordre, sans contrôle, sans garantie d'authenticité, sans ombre d'esprit critique ; comme, le plus souvent, elles ignorent les lois du sommeil et du rêve, aussi bien qu'elles ignorent, d'ailleurs, les lois psychologiques les plus élémentaires, elles s'en laissent imposer par l'apparente divination que semblent comporter certains rêves, et elles versent tout naturellement dans le surnaturel ou le merveilleux.
Aussi, convient-il, en une semblable question, d'apporter un peu d'ordre et de lumière, de déblayer les nombreuses erreurs qui embrous-saillent quelques vérités, et de montrer les raisons psychologiques pour lesquelles tant de gens se leurrent.
A vrai dire, il existe une très grande variété de rêves dénommés prophétiques. On peut en distinguer plusieurs espèces.
Par exemple, on rêve qu'on éprouve des picotements dans la gorge et qu'on a une angine... Douze heures, vingt-quatre heures, quarante-huit heures après, l'angine se déclare.
Ou bien, on rêve qu'on est mordu à la jambe par un chien et, quelques jours après, on constate, à l'endroit même de la pseudo-morsure, un ulcère.
De même, on rêve qu'on est piqué par un serpent et, quelques jours après, il s'est développé un anthrax à l'endroit même de la pseudopiqûre.
Pareillement, on rêve que, dans un duel, on reçoit plusieurs balles au côté gauche du front, et, au réveil, on souffre d'une névralgie du nerf sus-orbitaire gauche.
Semblablement, Galien rêve qu'il a une jambe de pierre et, quelques jours après, cette même jambe se paralyse.
Ainsi, le rêve peut prédire un état pathologique plus ou moins prochain. 11 le prédit directement pour le premier cas, — c'est-à-dire celui de l'angine, — allègoriquement pour tous les autres.
Que faut-il penser de cette interprétation?
Tout d'abord, les diverses affections, à leur début, supposent un travail pathologique parfois très lent, très sourd, mais réel.
En second lieu, l'on sait que, pendant le sommeil, notre sensibilité interne devient plus subtile, plus ténue, plus fine, plus délicate. Une foule de sensations, inaperçues pendant la veille, alors que nous sommes absorbés par nos occupations journalières, dépassent le seuil de notre conscience, dès que, endormis, éloignés de toute distraction extérieure, nous restons seuls avec nous-mêmes.
Pendant que nous dormons, les modifications viscérales ou organiques, nous affectent, à l'égal de toutes les excitations périphériques quelconques : elles deviennent tout naturellement la matière d'un rêve,
soit telles quelles, comme on l'a vu pour le cas de l'angine, soit modifiées, déformées, suivant les lois de l'analogie, ainsi que cela s'est passé pour les cas de la seconde catégorie.
Mais, de toute manière, ces rêves ne prédisent rien, à proprement parler. Ils sont l'expression de symptômes précurseurs se rapportant à une affection pathologique qui ne s'est point encore ouvertement déclarée, mais qui évolue déjà... D'un seul mot, nous dirons que ces rêves
SOnt PRÉMONITOIRES.
D'autres fois, on rêve qu'on prend telle détermination, qu'on accomplit ou qu'on va, qu'on doit accomplir tel acte...,etl'événement confirme le rêve.
Par exemple, Sabacon, roi d'Egypte, rêve que le temps de son règne est fini ; et, en effet, le lendemain, il dépose sa couronne.
Galien pendant un rêve apprend de son père qu'il sera médecin ; et Galien s'adonne à l'étude de la médecine.
Peut-on sérieusement prétendre que, dans ces cas, l'avenir a été dévoilé?
Ces sortes de rêves constituent une véritable auto-suggestion; ils poussent le sujet, ils le déterminent; ils ne prédisent pas un acte, ils le causent, en créant une sorte d'impulsion plus ou moins irrésistible. Et, pour cela, nous les appellerons abréviativement : rêves impulsifs.
On prétend que des accidents névropathiques sont expressément prévus et prophétisés en rêve.
Par exemple, des convulsionnaires apprennent pendant leur sommeil le moment et la durée de leurs crises; tel autre rêve qu'il est muet, aveugle, paralysé, anorexique, et, au réveil, il ne peut plus parler, voir, marcher ou manger.
Qu'ils aient été pleinement conscients ou se soient déroulés dans la subconscience, qu'après le réveil leur souvenir reste vivace ou latent, ces rêves s'imposent aussi à l'état de suggestions: il commandent à l'organisme ; il en modifient les diverses fonctions. Ce n'estpas ici parce que l'état pathologique va se produire qu'on le voit en rêve; c'est parce qu'on l'a vu en rêve qu'il survient réellement. Le rêve est la cause déterminante, la cause génératrice de cet état; le rêve crée l'accident morbide; il est proprement pathogène.
De même que les rêves sont parfois pathogènes, ils peuvent, au même titre, devenir curatifs.
Les ouvrages spéciaux fourmillent de guérisons survenues à la suite de rêves. Ces rêves ne prédisent pas non plus le retour à la santé ; ils en sont la cause réelle; et il faut voir là une des plus éclatantes manifestations de !a faith healing, comme disait Charcot, de la foi qui guérit.
Ces rêves sont bien connus des psychopathologistes. De nos jours, ils sont entrés de plain pied dans la thérapeutique psychique; ils donnent lieu à l'une de ses branches les plus importantes, l'onirothérapie. Déjà, dans l'antiquité, les malades les appelaient de tous leurs vœux. Les prêtres du paganisme ont très habilement su les provoquer et les interpréter. Les herbes les plus anodines, les breuvages les plus étranges, bien que dépourvus par eux-mêmes de toute vertu curative, guérissaient réellement, parce que la divinité avait annoncé qu'il en serait
ainsi.
Ces divers rêves, prémonitoires, impulsifs, pathogènes, curatifs n'ont donc rien de prophétique.
Mais d'autres rêves paraissent révéler au dormeur des connaissances qu'il ne possédait point jusque-là, ou bien des faits qui ne dépendent pas de lui, qui, même, intéressent d'autres personnes que lui.
Que dire, en effet, des présages, des pressentiments, des avis, des annonces, des messages se rapportant à des événements prochains, tels que deuils, accidents, calamités, gains à la loterie, pertes d'argent, ou à des objets perdus que le rêve fait retrouver?
En ce qui concerne ces sortes de rêves, nous distinguerons leur forme et leur contenu.
D'ordinaire, les révélations oniriques ne sont pas impersonnelles; elles ne s'intercalent point telles quelles dans la trame d'un rêve : un personnage déterminé nous les formule expressément.
C'est, par exemple, un parent, un ami qui se meurt, et qui, pendant son agonie, nous implore, ou nous appelle, ou nous annonce la fatale nouvelle.
Comment avons-nous pu être prévenus de celte mort imminente, si ce n'est qu'à travers l'espace il s'est établi entre le moribond et le dormeur quelque lien mystérieux, quelque communication sympathique, une sorte de suggestion à distance ou de transmission de la pensée? De semblables faits ne semblent-ils point, nous dit-on, justifier la croyance à la télépathie?
Dans d'autres rêves, ce sont les dieux de l'Olympe ou les grands hommes divinisés qui apportent ces révélations, ainsi qu'on l'a cru pendant toute la floraison du paganisme. Puis, avec le christianisme naissant, c'est l'Archange saint Michel. De nos jours, si le rêve nous apprend l'endroit où se trouve un objet que nous avions cru perdu, la révélation nous vient d'un saint spécial, originaire de Padoue. à qui l'universelle renommée attribue le pouvoir d'opérer ces sortes de découvertes.
D'autres fois, ce sont des ancêtres, des morts, amis ou ennemis, qui, désincarnés, comme on dit, errent dans l' « au delà » et viennent, un beau jour, nous faire des révélations pendant notre sommeil. Ces visions ne sont pas des produits enfantés par notre imagination. Ces conseillers
nocturnes sont bien des personnages véritables: la preuve en est que, plus d'une fois, l'apparition est demeurée visible après le réveil du dormeur.
On voit donc que ces rêves soi-disant prophétiques servent de prétexte au développement du mysticisme, de la télépathie ou du spiritisme.
Or de semblables prétentions résistent-elles à la critique psychologique?
Pendant le rêve, nos pensées, nos souvenirs, nos arguments, nos instincts, nos passions, nos espoirs, nos craintes ne conservent point la forme subjective qu'ils revêtent pendant l'état de veille. Ils ont pour porte-parole des personnages qui dialoguent, par une sorte de dédoublement moral. Le rêve substantialise et personnifie : c'est une des lois qui régissent sa trame et sa contexture. Ces révélations soi-disant prophétiques subissent donc une des conditions inhérentes au rêve. Suivant les croyances ou la tournure d'esprit du dormeur, le personnage parlera de loin, en vertu d'un lien télépathique, ou bien ce sera un dieu, un esprit, etc. Le point commun dans tous ces cas, c'est le besoin de personnification.
Il est très vrai que quelques-unes de ces apparitions peuvent être encore vues après le réveil, alors qu'on a les yeux ouverts,... mais pendant quelques secondes seulement. Voici ce qui se passe.
Pendant le sommeil, on revoit par le souvenir un être très cher qu'on a perdu. On en éprouve une émotion intense, parfois une frayeur; on se réveille en sursaut et l'image mentale persiste encore subjectivement avec netteté pour quelques secondes, au même titre que, par exemple, l'impression lumineuse persiste sur la rétine pendant un temps très court. C'est ce qu'on appelle une hallucination hypnopornpique; les observateurs scientifiques l'admettent à titre de fait psychologique, mais il faut en réalité beaucoup d'aveuglement pour y voir la preuve qu'on a reçu la visite d'esprits « désincarnés ».
Donc, quant à la forme, on comprend psychologiquement que certains dormeurs rapportent leur rêve soi-disant prophétique à un être issu des régions du surnaturel ou du merveilleux. Leur illusion s'explique :
1° par l'ignorance du besoin de personnification pendant le rêve, 2° par une fausse interprétation des hallucinations hypnopompiques.
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Passons maintenant au contenu de celte sorte de rêves.
Un homme a, il y a quelques années, payé une forte somme qu'il devait. Quand il meurt, on la réclame de nouveau à son fils. Celui-ci sait que cette somme a été versée, mais il ne possède ni ne trouve dans les papiers de son père aucune pièce justificative du payement. Il va être condamné à verser ladite somme quand, dans un rêve, son père lui révèle que le reçu se trouve chez un certain M..., ancien avoué retiré
des affaires et habitant près d'Edimbourg. On va trouver M... qui, en effet, finit par retrouver le fameux papier.
* Le plaideur ne connaissait, nous assure-t-on, ni M..., ni le lieu de sa résidence, ni l'existence du reçu. Le rêve lui a donc révélé, prétend-on, des choses qu'il ne connaissait pas auparavant.
Des rêves de cette nature sont cités en très grand nombre par les auteurs. De même, il n'est pas rare qu'un rêve nous avertisse de l'endroit précis où se trouve un objet que nous avons en vain cherché et que nous croyons perdu.
Bon nombre d'impressions nettement conscientes laissent après elles ¦ des souvenirs qui ne tardent pas à s'atténuer, puis à tomber dans l'oubli; elles deviennent alors, pour nous, comme si elles n'avaient jamais existé. Mais l'oubli n'est que relatif : une certaine mémoire subsiste à l'état latent dans la sphère subconsciente.
D'autre part, à chaque instant, nos sens sont impressionnés par des excitations dont nous n'avons pas la moindre conscience; ces sensations subconscientes sont recueillies à notre insu, s'emmagasinent et s'amoncellent avec la somme énorme des états de conscience en apparence oubliés. Ce sont ces souvenirs qui réapparaissent dans le rêve et alors des réminiscences vivaces prennent l'aspect de véritables révélations.
En fait, ces rêves nous font connaître non pas des choses que nous ignorons absolument, mais des choses que nous avons oubliées; ils exaltent la mémoire; ce sont des rêves hypermnésiques.
En voici d'un autre genre.
Un assyriologue apprend en rêve le sens d'une inscription qu'il désespérait de pouvoir déchiffrer.
Un helléniste voit très nettement en rêve le sens d'un passage fort obscur qu'il s'acharnait en vain à traduire depuis quelques semaines.
Un mathématicien trouve en rêve la solution d'un problème des plus ardus auquel il avait déjà consacré des journées et des nuits de méditations et de recherches.
Il ne peut s'agir ici d'hypermnésie. Sommes-nous donc en présence d'une révélation étrangère?
Seuls pourront l'admettre ceux qui ignorent que, pendant le sommeil, une certaine activité intellectuelle subsiste. Au même titre que de brillantes inspirations artistiques bien connues, ces pseudo-révélations sont le résultat de l'activité spontanée de l'esprit continuant dans la subconscience les travaux entrepris avec pleine conscience pendant la veille.
Je sais bien qu'il nous reste encore à expliquer le rêve prophétique proprement dit, celui qui nous fait connaître, avant que l'événement se soit réalisé, par exemple, la mort imminente de l'un des nôtres, ou bien l'issue d'une bataille, d'un examen, d'une opération financière, etc.
On a dit : Toutes les nuits, des millions de personnes rêvent; il n'y a rien d'étonnant à ce que, par-ci, par-là, l'on observe quelques coincidences fortuites.
Or, il y a là un peu plus que le simple hasard.
A la veille d'une bataille, par exemple, le général en chef a plus ou moins reconnu les positions de l'ennemi ; il a comparé les effectifs des deux armées en présence ; il s'est livré à des études stratégiques préparatoires... Il pourra donc rêver avec vraisemblance ou qu'il sera battu ou qu'il sera victorieux. Il ne faut pas non plus crier au miracle parce qu'un soldat a vu en rêve qu'il sera blessé dans la bataille du lendemain, ou un candidat au baccalauréat qu'il sera refusé. Dans ces cas, il y a. pour le moins, une chance sur deux pour que l'événement rêvé se réalise.
Toutefois, allons plus avant dans notre analyse et revenons au rêve qui nous annonce un deuil prochain.
Quand, par exemple, un de nos parents est malade, nous sommes tourmentés, anxieux. Nos rêves se ressentent des inquiétudes de la journée ; ils nous représentent le cher malade, tantôt en voie de guéri-son, tantôt guéri, tantôt encore moribond. Avant qu'il ne meure réellement, nous avons rêvé de sa mort un très grand nombre de fois; comme l'événement ne s'est pas réalisé, nous n'avons pas attaché d'importance à ces rêves ; nous les avons oubliés. Nous nous sommes rappelé seulement celui qui a coincidé avec l'issue fatale.
Allons plus loin. Les psychologues tendent à admettre que la plupart des dormeurs rêvent pendant toute la durée de leur sommeil. Quelques personnes ne se rappellent, au réveil, aucun de leurs rêves. Celles pour lesquelles il n'y a pas amnésie complète au réveil ne se rappellent guère que leurs derniers rêves, ceux qui sont le plus proches du réveil ; tous les autres sont, pour eux, de l'inconnu.
Mais qu'un évènement important survienne, cet événement fait surgir dans notre conscience le souvenir plus ou moins net et précis d'un rêve dont nous ne nous doutions pas, et dont nous constatons le rapport manifeste avec l'événement dont il s'agit. Le rêve a précédé l'événement : il était donc prophétique ?
Notons que nous avons rêvé peut-être dix fois, vingt fois à cet événement. Si ce dernier ne se fût pas produit, tous ces rêves fussent restés dans l'oubli, puisque rien ne provoquait leur rappel. L'apparition de l'évènement a produit la remémoration ; çà été l'étincelle, la chiquenaude qui met en branle et qui suscite le souvenir.
Quand c'est l'événement lui-même qui ravive et nous découvre le rêve soi-disant prophétique, le souvenir de ce rêve se trouve d'ordinaire modifié, transformé, déformé, en fonction même de l'événement. De la meilleure foi du monde, celui qui a eu ce rêve prétendu prophétique arrange les détails après coup, relie les épisodes, grossit, dénature, construit, pour adapter exactement le contenu de son rêve aux diverses circonstances de l'événement survenu. D'ordinaire, il ne se rend pas
compte du travail psychologique qui s'opère en lui inconsciemment ; mais cette déformation n'en est pas moins flagrante.
Il y a plus. Dans certains cas, nous croyons faussement à l'existence d'un rêve antécédent. Par exemple, l'événement qui survient ne nous parait pas nouveau ; nous avons une vague intuition d'en avoir déjà eu connaissance, d'en avoir entendu parler ; de là à inférer que nous l'avons déjà vu en rêve, il n'y a qu'un pas, et ce pas, un certain nombre de personnes le franchissent. Ainsi, après l'apparition de l'événement, on rapporte un pseudo-rêve prophétique, lequel résulte de l'illusion de fausse reconnaissance, de ce qu'on appelle la paramnésie. C'est là un fait psychologique qu'on n'a bien mis en lumière que dans ces dernières années, mais dont l'existence est indéniable.
Revenons à ces rêves dont nous avons nettement conscience au réveil, mais que nous oublions bien vite dès que nous avons été repris par nos occupations journalières. Survient l'événement. Alors seulement nous constatons l'analogie entre cet événement et notre rêve. Et nous faisons un récit détaillé du rêve pour prouver qu'il a été réellement prophétique. Or, pour les raisons exposées plus haut, quand la relation d'un rêve a été faite après l'événement lui-même, on pourra toujours reprocher à cette relation d'avoir, inconsciemment, je le veux bien, frelaté le rêve et de l'avoir ajusté à l'événement.
Pour qu'une relation de rêve prophétique puisse avoir quelque valeur scientifique et mérite l'examen, il est tout à fait indispensable qu'elle ait été écrite avant l'événement auquel ce rêve se rapporte.
Et ce n'est pas tout. Si l'on rédige ces rêves seulement quelques heures après qu'ils ont eu lieu, il est déjà trop tard, car notre mémoire n'est plus fraîche, des détails nous échappent ; ce n'est qu'un à peu près que nous fixons sur le papier. Toute notation retardée est inexacte et incomplète.
C'est au réveil même, avant la reprise des occupations journalières, avant toute espèce de soin de toilette, que le rêve de la nuit doit être consigné par écrit. Encore pourra-t-on objecter à cette relation de ne pas être la reproduction exacte du rêve. Car, une fois que nous sommes réveillés, l'activité logique de l'esprit réapparaît; elle impose aux tableaux du rêve les lois de la pensée vigile ; .elle coordonne suivant les lois du temps et de la causalité, elle construit, elle organise ce qui n'était peut-être, dans le rêve, que juxtaposition, amoncellement, incohérence ; de toute manière, elle déforme et falsifie inévitablement le rêve; elle y mêle une large part d'invention.
Pour noter exactement un rêve, il ne faut pas qu'on ait besoin de se lever, de s'installer à une table, de prendre une plume, de l'encre, du papier, etc. Car alors on est trop réveillé ; on est trop dans les conditions de la pensée vigile.
Le mieux est d'avoir, à portée de sa main, par exemple sous son traversin, un papier un peu fort et un crayon. Pour écrire le récit du rêve qu'on vient de faire, il faut se réveiller juste assez pour tirer le papier
et le crayon, puis griffonner dans l'obscurité. Alors, les yeux bien clos, sans aucune distraction extérieure, on revit le rôve, on fait défiler à nouveau dans l'esprit les images oniriques et on les écrit au fur et à mesure qu'elles se succèdent. Dans ces conditions on a une reproduction aussi exacte que possible du rêve. Encore ces reproductions ne sont-elles pas irréprochables.
En effet, pour relater notre rêve, nous avons recours à notre vocabulaire. Or, les termes de notre langue ont une signification précise, nette, marquée, définie. Le rêve, lui, ne nous offre souvent que des éléments ternes, flous, vagues, indécis, confus. Quand nous les formulons par l'écriture, nous avons la notion que telle expression est quelque peu inexacte, ou insuffisante ou trop forte. Nous faisons dire au rêve plus et autre chose qu'il ne dit en réalité. Nous traduisons, nous déformons malgré nous, et il n'en peut être autrement.
II est donc bien difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir une reproduction adéquate du rêve, même si, par l'entraînement, on s'est habitué à l'observation minutieuse et précise de la vie psychique. Et l'on voit le peu de cas qu'il convient de faire de ces récits innombrables rapportés par de simples amateurs, dénués de toute compétence psychologique, incapables d'introspection, n'ayant pas le moindre soupçon des garanties d'authenticité que doit présenter un document qui prétend à une valeur scientifique.
Un certain nombre d'adeptes du merveilleux sont très fiers de passer pour des sujets privilégiés, doués d'une clairvoyance spéciale, capables d'éclairer leurs contemporains, en ce qui concerne l'avenir. Nous avons montré que dans l'Immense majorité des cas, les rêves ne sont prophétiques qu'en apparence ; et ils ne passent pour tels qu'en vertu d'illusions dont nous avons donné également les diverses raisons psychologiques.
J'avoue que certains rêves m'ont déconcerté, et que l'explication que j'en ai donnée ne m'a point satisfait pleinement. Mais d'abord ces récits encourent tous les reproches que j'ai énumérés plus haut. Dans un cas, par exemple, on me soumettait une relation écrite 42 ans après que le rêve fût survenu. Je dois suspecter non point, certes, la bonne foi du narrateur, mais les incertitudes de sa mémoire et les constructions de son imagination vigile.
Et, quand même nous ne pourrions pas expliquer, suivant les lois actuellement connues de la psychologie, des reves en apparence prophétiques, nous ne serions pas acculés à la nécessité de professer qu'ils sont réellement tels.
Nous n'avons pas la prétention de rendre raison de tout; il nous est loisible d'avouer notre impuissance, de suspendre notre jugement, de n'avoir point d'opinion, de savoir ne pas savoir, et de ne point affirmer quand les raisons d'affirmer nous manquent.
Reconnaître au rêve une valeur prophétique, c'est recourir à l'explication la plus étrange et la moins en accord avec la science. Ce n'est
qu'après l'élimination successive de toutes les autres explications possibles, qu'on pourrait être obligé de l'admettre. Or, quel esprit scientifique aurait l'outrecuidance de prétendre qu'il a embrassé toutes les causes possibles sans en oublier une seule?
Au demeurant, et comme conclusion de cette étude, je voudrais qu'il fût bien décidé que seules auront une valeur scientifique et mériteront d'être discutées sérieusement les relations de rêves écrites dans les conditions énoncées plus haut, alors que le dormeur est réveillé au minimum.
Peut-être, dans ces conditions, les soi-disant prédictions oniriques deviendront-elles moins nombreuses et moins impressionnantes. Ce sera, au moins arracher aux amateurs et aux ignorants qui l'obscurcissent et l'adultèrent un problème psychologique qui a son importance, quelle que soit la solution à laquelle les recherches ultérieures permettront d'aboutir.
Séance annuelle du 17 Juin 1902. — Présidence de M. Jutls Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 15.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général expose la situation morale et financière de la Société, puis donne lecture de la correspondance qui comprend, entre autres, des lettres par lesquelles s'excusent de ne pouvoir assister à la séance MM. le professeur Raymond, médecin de la Salpêtrière, membre de l'Académie de médecine, le Dr Albert Robin, professeur agrégé à la Faculté, médecin de la Pitié, membre de l'Académie de médecine, le Dr Landrieux, médecin de Lariboisière, le Dr Arie de Jong (d'Amsterdam), le Dr Bianchi (de Parme), Melcot, avocat général à la Cour de Cassation, Boirac, recteur de l'Académie de Grenoble, les Dr Félix Regnault et Henri Lemesle, professeurs à l'Ecole de Psychologie, le Dr Bourdon (de Méru), le Dr Leblond, médecin de Saint-Lazare, etc.
Les communications portées à l'ordre du jour sont faites dans l'ordre suivant :
1. M. Stembo (de Vilna). — Un cas de paralysie guéri par la suggestion.
2. M. Tesdorpf (de Munich). — Corrélation des troubles somatiques et psychiques de l'hystérie.
3. M. Délius (de Hanovre). — Note sur l'apparition des symptômes de l'hystérie.
4. M. Haeberlin (de Hambourg). — Action vasomotrice de la suggestion : guérison des verrues.
Discussion. — MM. Paul Farez, Bêrillon, Macris (d'Athènes), Lépinay et Paul Magnin.
5. M. Paul Joire (de Lille). — Considérations sur l'hystérie.
6. M. Bérillon. — Présentation d'un appareil vibrateur destiné à favoriser l'hypnose. Discussion. — M. Paul Magnin.
7- M. Félix Regnault. — Le caractère des monstres doubles.
8. M. Le Menant des Chesnais. — Un cas d'hystéro-épilepsie datant de trois ans, guéri en une seule séance.
9. M. Bérillon. — Recherches sur la tension artérielle chez les hypnotisés.
10. M. Paul Farez. — Un cas de pseudo-coxalgie suggérée par le milieu familial.
Comme l'heure est avancée, les autres communications inscrites à l'ordre du jour sont, d'un commun accord, reportées à la séance d'octobre.
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. les Drs Bonnet, Linardakis (d'Athènes), Macris (d'Athènes), Spassky, assistant à l'Université de Tomsk (Russie) et Stœnesco (de Bucarest). Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La Société délègue son président, M. le Dr Jules Voisin, et son secrétaire général, M. le Dr Bérillon, pour la représenter au prochain Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, qui se tiendra à Grenoble du 1er au 8 août, sous la présidence de M. le Dr E. Régis, professeur de psychiatrie à l'Université de Bordeaux.
La séance est levée à 6 h. 45.
Le caractère des monstres doubles
Par M. le Dr Félix Regnault, professeur à l'Ecole de PsychologieD'où provient notre caractère? C'est un problème de psychologie dont la solution est en pédagogie d'une extrême importance. Trois facteurs peuvent, en effet, contribuer à la formation du caractère : l'hérédité qui est la part contributive des parents, le milieu qui permet l'influence de l'éducation, le tempérament, enfin, qui subordonne le moral à la santé.
Sans doute, ces trois facteurs entrent en jeu, mais il est bien difficile de dire quelle est leur importance relative. Il est probable que cette importance varie suivant les qualités psychiques auxquelles on s'adresse.
Mais il est impossible de rien conclure de l'être normal. Comment, en effet, mesurer chez lui ces trois facteurs, hérédité, milieu, tempérament ?
L'étude des cas tératologiques nous fait, au contraire, entrevoir la solution de ce problème. Prenons les monstres doubles symétriques tels que les frères Siamois, Radica, Doodica, etc.
L'hérédité est chez eux la même, car ils proviennent de deux embryons procréés au même moment (on admet même que ces deux embryons aient pour origine un seul ovule à deux noyaux) ; l'influence
du milieu est identique puisqu'ils vivent côte à côte : si donc il existe des différences de caractère, elles seront dues uniquement au tempérament.
L'identité des influences héréditaires et de milieu donne aux deux monstres un caractère fort semblable. Tout d'abord, leurs actes doivent concorder: si l'un des sujets veut se déplacer, l'autre doit exécuter un mouvement exactement correspondant, et il le fait d'une façon automatique. Ainsi Rosa et Josepha, qui étaient unies par le bassin marchaient, valsaient, jouaient sans difficulté : si l'une d'elles faisait une pirouette pour attraper un ballon au vol, ou se baissait brusquement pour le ramasser, ses mouvements imprévus étaient suivis d'une façon parfaite par l'autre qui tournait en même temps, se penchait ou se laissait aller avec la plus grande précision.
La concordance de pensées est également très grande chez les frères Siamois; les mêmes idées, les mêmes désirs se faisaient jour en même temps ; une phrase commencée par l'un était souvent achevée parl'autre. Leurs pensées étaient tellement semblables, qu'ils ne causaient presque jamais ; quand ils le faisaient, ils ne se disaient que quelques mots en apparence sans suite et à peine intelligibles pour d'autres.
La concordance d'idées et de sentiments est également fréquente chez les jumeaux ; Th. Ribot en a rapporté des exemples frappants dans ses maladies de la personnalité. Elle s'explique chez eux, comme chez les monstres, par l'identité des influences héréditaires et du milieu.
L'identité de pensées chez les monstres a conduit quelques psychologues à penser qu'il ne s'agissait que d'une seule personnalité.
Fait improbable, si l'on songe qu'il existait deux cerveaux commandant chacun à son corps, car si leur respiration et leurs battements cardiaques concordent, cela n'est pas d'une façon constante, et à certains moments ils peuvent différer.
De plus, si d'ordinaire les monstres unis mangent et dorment ensemble, cela n'est pas forcé ; l'un peut manger et dormir sans l'autre. Même Ritta-Christiana, dont les troncs étaient soudés et qui possédaient deux cœurs entourés d'un seul péricarde, pouvaient dormir séparément; il est vrai qu'ici la fusion intime des systèmes circulatoires amenait un sang peu oxygéné dans le cerveau de celle qui était éveillée ; par suite, celle-ci était agitée après quelques instants, sa respiration devenant diffìcile, elle s'endormait à son tour.
Preuve absolue de la dualité, les deux monstres peuvent causer simultanément à deux interlocuteurs, même en deux langues différentes et même chanter deux morceaux distincts : ce dernier cas était celui de Millie-Christine surnommée le rossignol à deux têtes.
Aussi si les deux monstres ont les mêmes idées, les mêmes sentiments, ont-ils cependant quelque différence de caractère. Le plus souvent, l'un est plus émotif que l'autre, et quand l'émotion survient, le cœur bat plus vite. Chez les monstres xiphopages Leao-Toun-Tihen et
Leao-Sienne-Chen récemment étudiés par Vaschide et Pirou, le second était plus émotif, et par contre sa capacité d'attention était moindre, sa mémoire et ses autres facultés psychiques moins parfaites.
Chez Hélène-Judith, monstres soudées par le bassin, la première était plus intelligente et plus douce, la seconde d'un esprit plus lourd. Souvent un des monstres est plus colère que son congénère. L'un des frères Siamois était plus irascible et faillit maltraiter le Dr Harris qui leur proposait de les séparer.
De l'inégalité d'humeur peuvent résulter des dissentiments entre les deux monstres malgré qu'ils soient unis par une étroite affection. Ainsi, Hélène-Judith se querellaient et se frappaient même à coups de poings, parfois la plus forte soulevait l'autre sur ses épaules et l'emportait malgré elle. De même un monstre dont les historiens de l'Ecosse font tous mention, qui naquit vers le début du règne de Jacques IV. Il ressemblait à Ritta-Christiana, mais les deux tètes ne s'entendaient pas toujours, et parfois même, se querellaient violemment. Plus près de nous, Doodica tourmentait volontiers Radica, qui faisait preuve d'une grande douceur et d'une grande patience à l'égard de sa soeur.
Ces différences proviennent du tempérament : le plus souvent, les deux monstres ont une santé inégale; le mal-portant est grognon, irritable, le bien-portant, au contraire, est vif, gai, gentil. Ainsi, chez Hélène-Judith, cette dernière qui avait eu à six ans une attaque d'hémiplégie, était plus petite et plus faible, et aussi plus bornée. Chez Ritta-Christiana, dont les troncs étaient fusionnés, Christiana était robuste, gaie, avait bon appétit, Ritta faible, souffrante, triste, ne se nourrissait que fort peu.
Doodica était également moins robuste et moins grande que Radica.
Une faiblesse physique peut aussi rendre le sujet plus facile à suggestionner ou à persuader.
L'histoire qui arriva à Millie-Christine est des plus intéressantes à cet égard. Broca voulut, à titre de délégué de la Société anatomique, les convaincre de laisser examiner leurs organes génitaux. Il se mit en frais d'éloquence et obtint le consentement de Millie, mais Christine resta inébranlable, et il y eut une altercation assez vive entre les deux sœurs. Comment ces dissentiments passagers chez les deux monstres peuvent-ils s'expliquer, étant donnée la similitude de pensées qu'on relève constamment chez les monstres soudés ?
Cette dernière est due à l'identité des influences héréditaires et du milieu.
Mais une différence dans la santé des deux sujets amène une différence de tempérament : le plus faible est moins actif, plus émotif, plus triste, plus irritable. Si les sensations qu'ils possèdent provoquent des idées de même nature, elles les provoquent avec une intensité différente: les monstres ont le même caractère, mais ils le manifestent par des tempéraments différents.
Considérations sur l'Hystérie.
Par M. le Dr Paul JoiRE. Président de la Société d'Etudes psychiques de Lille.
On s'est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, des origines et de la cause de l'hystérie. Grâce à des observations microscopiques sur les neurones, on a échafaudé toute une théorie nouvelle de cette maladie. Tout cela a-t-il donné quelque résultat bien pratique, c'est-à-dire bien intéressant pour les malades, nous ne le pensons pas. En admettant que l'on ait pu constater l'usage des prolongements appendiculaires des neurones, en supposant encore que l'on ait pu observer des modifications spéciales de ces prolongements chez les hystériques, qui nous prouvera que le sujet est hystérique parce que ces modifications existent dans ses neurones, et non pas que ces modifications existent parce qu'il est hystérique ? Je dirai même que les probabilités seraient plus grandes en faveur de la seconde hypothèse, car l'hystérie n'a-t-elle pas pour un de ses principaux effets de produire des modifications motrices et sensitives sur tous les membres, paralysies, contractures, anesthé-sies, pourquoi ne produirait-elle pas ces mêmes troubles dans les appendices des neurones ?
Il est bien certain que nous verrions encore beaucoup d'autres choses, et que nous pourrions trouver une foule de modifications microscopiques inconnues du système nerveux ou d'autres tissus, si nous possédions des instruments encore plus puissants et plus parfaits. De même qu'avec des moyens nouveaux, nous pourrions trouver des modifications chimiques des tissus ou des liquides organiques. Mais, en réalité, nous ne pourrions jamais affirmer si ces modifications sont la cause ou la conséquence de l'hystérie.
Il est donc plus sage de laisser ces recherches purement spéculatives et sans issue, pour nous attacher à des faits cliniques, véritablement intéressants pour les malades, parce qu'ils produisent des résultats utiles.
Nous considérons ici l'hystérie comme un trouble dynamique du système nerveux. Et d'abord, il n'est pas du tout antiscientifique de supposer que l'organisme peut subir des modifications purement dynamiques. Nous avons trop l'habitude en médecine de nous laisser envahir par une anatomie pathologique qui veut toujours voir sous son microscope quelque lésion. On oublie trop qu'à côté de l'anatomie pathologique, il y a aussi la physiologie pathologique et même la psychologie pathologique. Mais s'il ne fallait admettre que ce que l'on voit sous le microscope, où serait l'hypnotisme et où serait la suggestion? Du reste, les exemples ne sont pas rares de forces qui existent à l'état de fonction de la matière, sans la modifier quant à son aspect et à ses qualités physiques ou chimiques.
Prenez deux barres de fer de même forme, de même poids, de même
volume, coulées de la même matière; soumettez ces deux barres de fer à l'analyse chimique et microscopique la plus rigoureuse, vous ne trouvez aucune différence entre elles. Et pourtant l'une d'elles, qui est aimantée, possède une force qui est capable de soulever un poids de dix, quinze kilos, tandis que l'autre est inerte. N'est-ce pas là l'exemple d'un dynamisme invisible.
Voyons maintenant ce qui en est de l'hystérie. L'hystérie passe pour être une maladie excessivement compliquée et difficile à décrire ; elle est complexe, il est vrai, et très variée dans ses manifestations extérieures, mais c'est peut-être une des maladies qu'il est le plus facile de ramener à un schéma très simple, qui nous permet tout à la fois de comprendre toutes ses diverses manifestations, et, chose plus importante encore, qui nous trace la méthode rationnelle pour la guérir.
Nous dirons d'abord que l'hystérie est une modification dans l'équilibre normal du système nerveux, telle que l'activité ou le potentiel du système nerveux se trouve diminué sur certains points et augmenté sur d'autres au détriment des premiers, sans qu'il y ait en réalité augmentation ni diminution absolue dans le total de l'activité nerveuse disponible.
C'est cette proposition que nous allons démontrer.
A l'étal normal, le potentiel du système nerveux est réparti régulièrement en vue du fonctionnement normal.
Nous allons d'abord diviser en trois groupes toutes les manifestations de l'hystérie et nous verrons que l'on peut y classer tous les symptômes observés.
1° Groupe des anomalies psychiques ;
2° Groupe des anomalies de la sensibilité;
3° Groupe des anomalies de la motricité ou de la force.
Dans le premier groupe, l'état normal existe lorsque les facultés psychiques supérieures, qui comprennent l'intelligence, la volonté, le raisonnement, et que nous désignerons par P, font équilibre aux facultés inférieures : impressions sensitives et affectives, sensations, impulsions automatiques, réflexes, dont nous désignerons l'ensemble par la lettre A. Dans le fonctionnement normal, la première catégorie doit dominer la seconde, condition essentielle de l'équilibre que nous exprimerons par la formule : P=A.
Dans l'hystérie, l'équilibre psychique est rompu, toujours dans le même sens, c'est-à-dire que le groupe inférieur des sensations, impressions, impulsions, domine le groupe inférieur : volonté et raisonnement, nous avons A. qui devient plus grand que P.
Mais ce trouble peut se produire de deux façons : ou bien P reste normal et il y a exagération du groupe A, ce qui donne la formule : P A+n.
Ou bien c'est le groupe A qui reste normal et P qui est amoindri, nous avons alors : P—n A.
Voyons maintenant ce qui se passe dans le groupe des phénomènes de la sensibilité. Et d'abord, qu'est-ce que la sensibilité?
On pourrait définir la sensibilité, la faculté qui nous fait percevoir une sensation quelconque lorqu'une impression vient exciter un nerf.
Cette définition très large comprend à la fois, la sensibilité sensorielle, quelle qu'elle soit, et la sensibilité tactile. Mais il est évident aussi que cette sensibilité comprend dans ses genres bien des degrés différents. La sensibilité normale devra être considérée comme la région moyenne, au-dessus et au-dessous de laquelle nous trouverons bien des degrés d'exagération ou de diminution de l'état normal, et nous allons voir que ces modifications de la sensibilité en plus ou en moins vont nous apparaître s'écartant d'une façon absolument symétrique de la normale.
Qu'est-ce en effet que le premier degré d'exagération de la sensibilité 1 C'est une sensibilité telle qu'une excitation qui ne produirait normalement qu'une sensation légère ou une sensation de contact, produit une sensation violente ou pénible, c'est ce qu'on appelle l'hyperesthésie.
Que trouverons-nous au contraire de l'autre côté de la normale, comme premier degré de la diminution de la sensibilité? C'est une sensibilité qui perçoit d'une façon trop faible les impressions, ou plutôt, qui a besoin, pour être impressionnée, d'une excitation plus violente ou plus prolongée. Nous pouvons appeler cet état hypoesthésie pour le mettre en regard de l'hyperesthésie, et nous y joindrons la sensibilité retardée.
Revenons à la sensibilité exagérée; que trouvons-nous au point extrême de cette exaltation de la sensibilité? C'est une sensibilité telle qu'une excitation imperceptible produit une impression d'une acuité extrême, ce qui n'est pas autre chose que le phénomène douleur. Douleur spontanée, dit-on bien souvent, pour exprimer la douleur névralgique, ce qui veut dire seulement que la cause en est sî minime qu'on ne peut la-découvrir, elle peut du reste être purement psychique.
L'exagération de la diminution de la sensibilité nous conduit à l'autre point extrême. C'est un état tel qu'une excitation quelle qu'elle soit, ne produit plus aucune impression, car la sensibilité pourra toujours être indéfiniment diminuée jusqu'à ce qu'elle ait totalement disparu. La disparition complète de la sensibilité c'est l'anesthésie.
Si nous récapitulons tout ce que nous venons de dire de la sensibilité, nous voyons que nous avons une progression complète, régulière et ininterrompue, dont les grandes étapes seront :
L'anesthésie.
L;hypoesthésie ou la sensibilité retardée. La sensibilité normale. L'hyperesthésie. La douleur.
Et si nous voulons exprimer cette progression et la simplifier par
une formule algérique en fonction de la sensibilité normale, nous pourrons dire.
La sensibilité normale sera exprimée par S ; l'hypoesthésie par S—n î l'hyperesthésie par S+n ; l'anesthésie par S—2ni 'a douleur par S+2n.
Passons maintenant au troisième groupe, les phénomènes de la motricité ou de la force.
La force normale se manifeste par une contraction musculaire, qui doit être sous la dépendance de la volonté ou d'un automatisme acquis. La force pour être normale doit être dirigée dans le sens d'un mouvement à effectuer et bien proportionnée au but à atteindre.
Pour les phénomènes de force comme pour les phénomènes de sensibilité, nous allons trouver des anomalies dans le sens de l'exagération et des anomalies dans le sens de la diminution.
Nousconstaterons une diminution anormale de la force, lorsque la volonté ne produira qu'une contraction musculaire insuffisante pour effectuer un mouvement donné, ne dépassant pas le taux de production d'un travail normal, c'est la parésie.
Celte diminution de la force, nous la constaterons au dynamomètre.
Nous observerons encore un autre genre de diminution de la force, lorsque la volonté n'agissant pas sur les groupes musculaires les plus favorables à un mouvement voulu, il y a aura déperdition de force dans le travail donné. C'est ce qui se rencontrera dans certains genres d'incoordination des mouvements.
Au contraire, il y aura anomalie par exagération de la force, ou production de force en excès, quand nous constaterons des contractions musculaires, indépendantes de la volonté et ne produisant aucun effet utile. C'est ce qui se produit dans les tremblements, dans les contractions convulsives.
La diminution de la force, portée à l'excès, aboutira à l'impossibilité absolue de contracter les muscles ; d'abord sous l'influence de la volonté, puis même sous l'influence d'une excitation réflexe; c'est la paralysie.
D'autre part, l'exagération de la force également portée à l'extrême, sera une contraction musculaire permanente, et telle que la volonté même sera devenue incapable de la modifier; elle prend alors le nom de contracture.
Nous trouvons donc pour les phénomènes de motricité ou de force une progression aussi complète et aussi régulière que pour les phénomènes de sensibilité. Celte progression sera :
La paralysie.
La parésie.
La force normale.
Le tremblement et les contractions convulsives. La contracture.
Progression que nous pouvons aussi exprimer et simplifier par une formule algébrique en fonction de la force normale, qui sera : Force normale exprimée par p; parésie par F—n; tremblement par F+n;
paralysie_par F—2n; contracture par F+2n,
Appliquons maintenant ces données à quelques types d'hystérie que nous allons résumer en quelques mots.
Une malade d'une émotivité exagérée, sentiments de joie et de douleur immodérés.
Se plaint de céphalalgie et de douleur ovarienne, on constate : anes-thésie pharyngienne et cornéenne , abolition des réflexes. Pas de modifications de la force. Sa formule sera :
P-n A S-2n = S+2n F
Une autre présentera de l'aboulie, de l'apathie. Diminution de la sensibilité par places rétrécissement du champ visuel. Tremblement d'un membre.
Nous lui donnerons comme formule :
P-n A
s-n = s
F = F+n
Prenons un cas de troubles plus accusés, à la fois de la sensibilité et de la force. Esprit brillant. Emotivité exagérée. Diminution du reflexe oculaire, hyperesthésie cutanée étendue. Parésie intestinale, troubles digestifs, constipation.
Sera représentée par :
P A+n
s + s-n S+n + S+n
F-n = F
On pourrait en formuler ainsi une foule d'autres; mais précisément le dernier numéro de la Revue de l'Hypnotisme nous citait une observation d'une malade de M. Jules Voisin, sous le titre de : Tremblement trépidatoire hystérique guéri par la suggestion hypnotique.
Nous résumons les symptômes principaux : Tremblement d'abord hémiplégique et en même temps anesthésie et analgésie limitée à un côte.
Plus tard, tremblement des quatre membres et en même temps l'anesthésie et l'analgésie s'étendant aux quatre membres.
Nous appliquerons doncàce tremblement deux formules successives :
La première F + F+n + F+n — Sn+ + S-n + S
La seconde formule, quand le tremblement et l'anesthésie sont généralisés sera :
( F+n + (F+n* F+n) = (S-n + S-n) + (S-n + S-n)
Les constatations faites chez la même malade nous indiquent : Points hystérogènes au niveau de l'ovaire droit, sous le sein gauche,
au niveau de l'épine dorsale, d'une part; et d'autre part anesthésie de la
lace et des oreilles, rétrécissement du champ visuel. Ce que nous pouvons inscrire ainsi :
S+n+ S+n + S+n = S-2n + S-n Cette malade est guérie par une suggestion qui fait disparaître à la fois le tremblement et l'anesthésie c'est-à-dire qui rétablit l'équilibre. Ce cas me semble très frappant.
Que devient maintenant ce désordre apparent de l'hystérie, cette complexité de symptômes qui ne pouvaient être ni prévus ni expliqués. L'hystérie, dont les manifestations à la fois si multiples et si variées semblent absolument capricieuses et irrégulières, quand on les observe successivement d'après la méthode appliquée aux autres maladies, ne parait-elle pas infiniment simplifiée par cette manière de voir.
En pratique, nous tirerons cette conclusion que le traitement des hystériques a pour but de rétablir un équilibre détruit. La suggestion ne devra donc négliger aucun des symptômes dévoilés par une minutieuse et méthodique exploration, et s'appliquera à la fois à faire disparaître les troubles sensitifs, moteurs et psychiques. Pénétré de l'idée de la dépendance et de la corrélation intime qui existe entre ces différents troubles, on obtiendra un résultat beaucoup plus rapide et plus sûr, en agissant à la fois sur les différents points antagonistes qui ont amené la perte de l'équilibre du système nerveux.
VARIÉTÉS
LOURDES (1}
(suite)
Mais les cloches sonnent à toute volée, les chants s'élèvent de plus en plus nourris, les prêtres pressent les invocations, le soleil torride inonde la place nue, l'atmosphère est en feu. Aux Ave de l'esplanade, répondent d'autres Ave partis de la grotte. Bientôt, à droite, apparaît une grande bannière blanche, suivie d'une autre tout en or, avec l'image de la Vierge en broderie, puis un drapeau, un autre drapeau et d'autre bannières. Lentement la procession s'avance, cachée encore par la foule. Elle s'arrête un instant devant la statue de la Vierge couronnée, puis, ayant franchi la muraille humaine, du côté du Nord, elle pénètre dans l'esplanade par un petit passage gardé libre. Derrière deux grands suisses et un porte-bannière, débouche une double colonne d'hommes portant des cierges allumés : les uns passent à gauche, les autres à
(1) Voir le numéro de Juillet.
droite, le long des malades, lentement, tous chantant. Les hommes succèdent aux hommes : des centaines s'écoulent. Et puis ce sont des prêtres en soutane dont le défilé est interminable. Paraissent ensuite des prêtres en surplis, tenant aussi des cierges, et continuant à se ranger sur les côtés. Puis débouche tout un groupe d'enfants de chœur, robe bleue, camail bleu, calotte bleue, jetant une note de gaieté et de fraîcheur, et derrière eux un essaim de jeunes filles en enfants de Marie : robe grise et voile blanc. Ils s'avancent au milieu de l'esplanade, suivis de groupes d'hommes portant les bannières et les drapeaux, pendant que s'écoule le long des malades le flot des prêtres en surplis. Le grand dais blanc parait au delà de la foule, et les chants atteignent une intensité de plus en plus haute.
Aux simples prêtres en surplis ont succédé des prêtres en aube avec l'étole, puis d'autres prêtres en chasubles et en dalmatiques. Dans cette atmosphère embrasée et sous ce soleil resplendissant, l'or de tous ces vêtements sacerdotaux éblouit et fascine.
Le grand dais blanc bordé d'or traverse la foule, précédé de diacres lançant dans l'air la fumée épaisse et enivrante de leurs encensoirs d'or. Les ombrelles se ferment, les chapeaux s'ôtent, les hommes avec leurs cierges, les prêtres en soutanes, les prêtres en surplis, les prêtres en chasubles et en dalmatiques, tous tombent à genoux, le soleil en feu dardant ses rayons sur les têtes nues.
Le dais parait, soutenu par quatre pèlerins, le Très Saint Sacrement, dans un grand ostensoir d'or, est porté par un évoque qu'accompagnent quatre autres évêques en habits sacerdotaux.
Et les invocations deviennent pressantes :
« Jésus, fils de David, guérissez nos malades; vous le pouvez, vous le voulez; nous vous aimerons, nous vous bénirons ».
Cependant le dais a gagné seul l'esplanade, l'ostensoir sacré devant être successivement présenté à chaque malade. L'évêque qui porte l'Os-tie Sainte commence par la droite; il est accompagné d'un groupe de pèlerins.
Chaque malade est l'objet d'un arrêt, ce qui rend la cérémonie longue et pénible.
Les cantiques n'ont pas cessé, mais ils se sont uniformisés.-Il n'y a plus qu'un seul chant poussé par 20.000 poitrines. Devant l'église du Rosaire, au milieu, est venu un Père à la voix puissante, dominant la masse des fidèles. Seul, il dirige les prières et les invocations : chacune de ses paroles est répétée par tous les pèlerins. Et quand la procession atteint les grands malades, la foi est â son comble : sur leurs matelas, les malheureux patients rassemblent leurs dernières forces pour essayer de se lever et de marcher; derrière eux. les pèlerins à genoux,les femmes les bras en croix, la tête baissée avec respect, crient de toutes leurs forces, répétant les paroles du Père à la voix surhumaine :
« Hosannah au fils de David. — Hosannah au fils de David,
« Vierge puissante, guérissez nos malades. —Vierge puissante, guérissez nos malades! »
Le ciel est en feu, le sol est blanc de lumière, l'air est immobile. Vingt mille pèlerins crient leurs prières. Quatre cents malades, pleins de foi, veulent ardemment la guérison, qu'ils sont venus chercher de centaines et de milliers de kilomètres. Tout vibre; l'émotion saisit à la gorge; les mains se crispent; le frisson prend l'être, et le secoue : « Hosannah au fils de David! »
*
Les pontifes sacrés sont rentrés dans l'Eglise, précédés des bannières, des drapeaux, des prêtres; les malades ont repris le chemin de l'hôpital, de la maison, de l'hôtel ; les pèlerins se répandent dans la ville à travers les rues dont toutes les boutiques sont consacrées à la vente des objets de piété. Chapelets, rosaires, images de la Vierge, statuettes, médailles, et, caractéristique de Lourdes, bidons et gobelets avec l'image sainte peinte en bleu, tout est offert à acheter, de pas en pas.
Des gamins courent en criant : « Demandez le journal catholique national L'Etoile de Lourdes, dix centimes, deux sous ». Et le numéro (1) contient les six premières guérisons du pèlerinage national de cette année. Les voici :
GUÉRISONS
M. Déminat, quarante-cinq ans, de Saint-Quentin, était atteint depuis plusieurs années d'une bronchite chronique qui faisait des progrès incessants. Le malade se livrait difficilement au travail, était constamment essoufflé, et son état empirait tous les jours. Mardi soir, après un bain de piscine, il ressentait une grande amélioration. Ce matin, la guérison s'est accentuée davantage et la maladie parait enrayée.
Marie C..., seize ans, atteinte de paralysie générale depuis déjà six ans, ne pouvait nullement marcher. Ce matin, après un bain de piscine, elle a pu marcher sans difficulté et a gravi, sans soutien, les escaliers du Rosaire.
Mlle Elise Flamant, de Paris, souffrait depuis longtemps de rhumatismes très douloureux. Les bras et les reins étaient comme ankylosés. La malade se mouvait très difficilement. Pendant la procession, Elise Flamant s'est levée, a pu marcher. Les douleurs ont disparu. Son état s'est beaucoup amélioré.
Mme Jeanne Turban, de Beauvais, était atteinte d'une maladie de poitrine assez avancée : anémie générale très prononcée et phtisie, tel était le bilan de la malade. Depuis longtemps Jeanne Turban mangeait et se remuait très difficilement: elle dépérissait à vue d'œil.
Elle aussi s'est levée à la procession *du T.-S. Sacrement. Et toutes traces de phtisie semblent avoir disparu.
(A suivre)
(1) L'Etoile de Lourdes, quatrième année, n° 43, mercredi 22 août 1901.
BIBLIOGRAPHIE
Le IIe Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique (1)
Comptes rendus publiés par MM. les Drs Bérillon et Paul Farez.
Les comptes rendus du 2* Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique viennent de paraître sous forme d un important volume orné de 58 figures. Ce congrès, ouvert sous la présidence du professeur Raymond et du Dr Jules Voisin, a été tout à fait remarquable par la valeur et la variété des travaux qui y ont été communiqués. L'hypnotisme y a été étudié à tous les points de vue.
Le volume commence par l'histoire de l'hypnotisme expérimental, par le Dr Bérillon.
Parmi les rapports généraux nous devons citer :
\° Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique, par les D" O. Vogt (de Berlin), Paul Farez et Félix Regnault.
2° L'hypnotisme au point de vue médico-légal, par MM. les D" H. Lemesle, von Schrenck-Notzing (de Munich), Paul Joire (de Lille), et Ch. Julliot, docteur en droit.
3° L'hypnotisme dans ses rapports avec l'hystérie, par les D" Paul Magnin et Crocq (de Bruxelles).
4° Les applications de l'hypnotísme à la pédagogie et à l'orthopédie mentale, par le Dr Bérillon.
Nous devons encore mentionner d'importantes communications sur les applications cliniques, thérapeutiques, pédagogiques et psychologiques de l'hypnotisme par M. le professeur Raymond, par MM. les D" Jules Voisin, Van Renterghem (d'Amsterdam), de Jong (de la Haye), Durand de Gros, Lloyd Tuckey (de Londres), Tokarsky (de Moscou), Stadelmann (de Wurtzbourg), Régis (de Bordeaux), Cullerre (de la Roche-sur-Yon), Bianchi (de Parme), Tamburini (de Reggio-Emilia), Hickmet (de Constantinople), Jaguaribe (de Sao-Paulo), Aars (de Christiania), Bonjour (de Lausanne], Bourdon (deMéru), Merlier (de Roubaix), Babinsky, Raffegeau, Baraduc, Bilhaut, Terrien, Binet-Sanglé, Belle-manière, Bérillon, Paul Farez, etc.
Le volume des comptes rendus du Congrès de l'hypnotisme auquel ont collaboré les hommes les plus compétents sur la question de l'hypnotisme sera lu avec fruit par tous ceux qui s'intéressent aux progrès de la psychologie scientifique.
(1) Vigot, éditeur, place de l'Ecole de Médecine, et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme, 14, rue Taltbout, Paris. — 10 francs.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON.
17e Année. — ? 3.
Septembre 1902.
L'hypnotisme et la psychologie au Congrès des aliénistes
et neurologistes
En se plaçant uniquement au point de vue psychologique, le Congrès annuel des aliénistes et des neurologistes qui vient de se tenir à Grenoble a présenté un grand intérêt.
A la séance de réception, le président du Congrès, M. le professeur Régis, de Bordeaux, a lu, aux applaudissements de tous, un travail plein d'érudition sur l'aliénation mentale au théâtre, que nous reproduirons dans un de nos prochains numéros. Ensuite, à la séance d'ouverture, le directeur de l'Ecole de médecine de Grenoble, M. le professeur Bordier, a démontré, d'une façon très éloquente le rôle que la psychologie tend à prendre de plus en plus dans les préoccupations des médecins et en particulier des aliénistes. En publiant ce discours nous mettons nos lecteurs à même d'en apprécier la grande valeur littéraire et la haute portée philosophique.
Les rapports soumis aux discussions du Congrès comportaient des considérations psychologiques. Nous pensions quelles seraient abordées avec plus d'ampleur. Mais les rapporteurs et les argumentateurs se sont maintenus sur le terrain clinique. Seul notre collaborateur, M. le professeur Grasset, de Montpellier, en établissant une heureuse distinction entre le psychique et le mental, a montré tout l'intérêt que gagneraient les études cliniques à s'appuyer sur des données psychologiques.
La question de l'hypnotisme a été incidemment abordée dans le cours de la discussion sur les tics en général. Le rapporteur, M. Noguès, de Toulouse, arrivant au traitement des tics, lit une allusion au traitement par la suggestion hypnotique.
Il s'est exprimé ainsi : a La suggestion hypnotique est rarement employée. Nous pensons qu'il vaut mieux ne pas y avoir recours, en raison de l'inconvénient qu'elle a de diminuer la volonté. En revanche, la suggestion à l'état de veille peut produire d'excellents résultats. » Il était impossible de mieux démontrer, en quelques mots, sa complète ignorance de la question. Les réponses ne se sont pas fait attendre. Tout d'abord, c'est le Dr Crocq, professeur agrégé à l'Université de Bruxelles, qui s'est étonné d'entendre exprimer une pareille hérésie. 11 l'a fait en ces termes : « Où le rapporteur a-t-il vu que la suggestion hypnotique exerce une influence nuisible sur la volonté? La suggestion hypnotique, bien faite, n'a jamais diminué la volonté, aucontraire, elle doit surtout servir à la renforcer, surtout chez les hystériques. »
M. Bérillon a également répondu au rapporteur. Voici, résumés, les principaux points de son argumentation : « i* L'hypnotisme doit être considéré avant tout comme un procédé de diagnostic. Il est extrêmement important de connaître le degré de suggestibilité du malade. Ce n'est que par les divers procédés d'hypnotisation que cette recherche peut être faite. Elle est aussi indispensable que l'examen des réflexes ou de la sensibilité. Les renseignements que donne l'hypnotisation sont extrêmement précieux. Ils éclairent le pronostic et facilitent le choix du traitement. Hypnotisable, dans bien des cas, peut dire curable;
« 2° L'hypnotisme n'est le plus souvent, en réalité, qu'un traitement d'appel. Les malades n'y ont recours qu'après avoir tenté tous les autres traitements. Ils le réclament malgré les conseils des médecins les plus autorisés et le succès leur donne le plus souvent raison ;
« 3° La pratique de l'hypnotisme comporte quelques difficultés. Elle nécessite de la part du médecin certaines aptitudes et un entraînement constant. Beaucoup de neurologistes parlent de l'hypnotisme comme s'ils en ignoraient les premiers éléments. Leur incompétence, leur défaut d'aptitudes et leur manque de patience sont la principale cause de leurs insuccès. Il est d'ailleurs intéressant de constater que ceux qui contestent systématiquement la valeur thérapeutique de l'hypnotisme sont généralement dépourvus de toutes les aptitudes nécessaires à l'application de ce traitement. Ils procèdent à l'égard de l'hypnotisme comme les chirurgiens maladroits qui s'insurgent contre les hardiesses chirurgicales. »
Il n'y a d'ailleurs qu'une réponse à faire à des allégations comme celles du Dr Noguès. C'est de répondre par le fait. Désormais quand un malade atteint de tic se présentera au dispensaire neurologique de Paris, la lecture du passage du rapport qui a trait au traitement des tics par la suggestion hypnotique sera donnée aux nombreux assistants, médecins et étudiants, qui se pressent aux consultations et immédiatement on leur démontrera, in anima vili, que de tous les traitements, le plus efficace, le plus rapide et le plus fidèle est la rééducation de la volonté, faite par suggestion dans l'état d'hypnotisme.
L'hypnotisme a également été l'objet d'une communication par le Dr Bérillon, sous ce titre : Traitement de l'aboulie des buveurs d'habitude par la suggestion hypnotique. — Cette communication a été suivie de quelques commentaires de M. Régis, qui en a appuyé les conclusions.
Nous devons aussi mentionner une instructive étude de M. le Dr Rouby, d'Alger, sur les apparitions de la Salette. Dans une étude inspirée par le meilleur esprit psychologique, notre savant confrère a révélé les dessous de cette grande mystification hiérologique.
Le Congrès de Grenoble a été remarquable à plus d'un titre. Indépendamment des nombreux attraits que présentaient les excursions organisées par le comité local, nous enregistrerons trois impressions qui seront comme la caractéristique de ce Congrès: 1° L'éloquence, la courtoisie et l'esprit d'à-propos dont le président, M. le Dr Régis, a fait preuve pendant toute la durée du Congrès; 2° le zèle et le dévouement du secrétaire général, M. le Dr Bonnet, médecin en chef de l'asile de Saint-Robert ; 3° le grand savoir et l'esprit philosophique que nous avons été particulièrement heureux d'apprécier chez deux hommes qui représentent avec autorité la psychologie dans la capitale du Dauphiné, M. le professeur Bordier, directeur de l'Ecole de médecine, et M. Boirac, recteur de l'Académie de Grenoble.
La mentalité médicale et la psychologie expérimentale (')
Par M. le professeur Bordier, directeur de l'Ecole de médecine de Grenoble.
Je suis heureux de saluer, au nom de l'Ecole de Médecine et de Pharmacie (j'ajoute au nom du corps médical de Grenoble), dans la personne de leur distingué Président, M. le professeur
(1) Discours de réception au Congrès des médecins aliénistes et neurologisles {1902).
Régis, les membres du XIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, qui ont choisi notre ville pour y tenir, cette année, leurs assises annuelles.
Je me sens fort honoré d'avoir à accueillir, dans cette Ecole, les confrères, les collègues et les maîtres éminents, qui vont jeter sur nous, pendant quelques jours, l'éclat de leur noms et de leurs travaux.
Vous serez. Messieurs, conduits dans notre pays par votre secrétaire général, mon ami le Dr Bonnet, dont vous avez déjà pu apprécier l'activité et dont vous goûterez le dévouement et l'originalité d'esprit, lorsque vous aurez parcouru, avec lui, l'asile de Saint-Robert, dont il est le distingué médecin en chef.
Il a su, en artiste qu'il est, marier, dans l'emploi de votre temps, les riants paysages avec l'austérité de vos discussions. Il a su mettre, autant que possible, de la variété dans vos occupations, car il sait que ce que vous aimez, avec raison, à rencontrer en parcourant les diverses régions de la France, c'est la diversité dans le type, dans le costume, dans le langage, dans le milieu tout entier, en un mot, le pittoresque et la couleur locale ; malheureusement vous avez dû constater plus d'une fois qu'il était temps de se hâter pour jouir de la couleur locale ; elle disparait chaque jour davantage sous l'action d'une centralisation excessive, qui tend à tout uniformiser.
Vous trouvez déjà partout le même hôtel, le même banquet, le même menu ; je voudrais bien pouvoir ajouter que vous trouvez aussi le même discours, car vous en entendez partout d'excellents, mais je crains que ce soit ici précisément que la diversité commence !
Partout, sauf sur ce dernier point, vous désirez du changement.
Il est cependant une chose, que vous voulez conserver immuable ; vous avez, en conséquence, la précaution de la maintenir partout autour de vous, comme une atmosphère indispensable, qui se déplace avec vous et au centre de laquelle vous vivez, circulez et vous sentez vivifiés. Cette atmosphère, ce milieu nécessaire, c'est la mentalité médicale.
Quel que soit, en effet, notre pays d'origine, quel que soit notre caractère, quelles que soient nos mœurs, nos habitudes personnelles, nous avons une certaine mentalité commune à nous tous, qui résulte de la nature de nos études et de la direction habituelle de notre esprit.
Le médecin est habitué à considérer la genèse et l'évolution des formes et des phénomènes, à reconnaître partout l'action des forces naturelles, soit au moment où elles donnent naissance aux organismes, soit, plus tard, lorsqu'elles les sollicitent à chaque instant, en les transformant; il est accoutumé à compter avec les lois de l'hérédité, comme avec les variabilités individuelles ; aussi contemple-t-il les hommes et les choses d'un œil équitable et tolérant.
Il est convaincu, par l'expérience, quo tout, dans la nature, est relatif et contingent ; et comme il a renoncé à la recherche chimérique de l'absolu des mathématiciens, il tient compte de toutes les ambiances, sachant bien que tout phénomène est toujours à la fois un effet et une cause.
Vacciné par ses études contre le subjectivisme de la pensée, il ramène tout à l'étude objective de la nature, parce qu'il sait que ses réalités tangibles et palpables sont les sources intarissables de tout art, comme de toute science et de toute philosophie.
J'ajoute que, nulle part, plus que dans une assemblée d'alié-nistes et de neurologistes, on ne rencontre cetle mentalité à un degré plus élevé.
L'appellation de neurologistes n'est-elle pas, à elle seule, tout un programme, ne marque-t-ellc pas, à elle seule, un progrès ?
Le psychiatre d'autrefois confinait volontiers à l'exorciseur, à moins que ce ne fût au sorcier. Tous les trois se croyaient, plus ou moins, les artisans du surnaturel, les manieurs de l'immatériel.
Depuis le sorcier-médecin qui, chez les primitifs, trépanait le crâne d'un épileptique, d'un hémiplégique ou d'un halluciné, jusqu'à l'inquisiteur et au psychiatre lui-même, tous croyaient, plus ou moins, avoir à lutter contre un esprit, dont les exploits fantaisistes ne prenaient fin qu'après son expulsion.
Pour la provoquer, la main s'arma d'abord d'un silex taillé, du feu plus tard, plus tard encore elle se borna à être imposée doucement, lentement sur le front du possédé, en même temps que des paroles magiques complétaient son action.
Il ne s'agissait point encore de malades ; il n'était question que de coupables.
Seul Jean de Wier nous apparaît, au xvr siècle, à la lueur des bûchers allumés par ses contemporains, tendant aux démoniaques, au risque de se perdre lui-même, une main médicale, c'est-à-dire secourable.
Mais son geste est isolé et il nous faut attendre le grand Pinel pour voir commencer l'évolution, qui doit transformer la prison en un asile hospitalier.
Vous-mêmes, Messieurs, malgré vos efforts, n'êtes pas encore arrivés à tracer la démarcation exacte entre le coupable et le malade, parce que la justice vous demande souvent des réponses trop précises sur ce qu'elle nomme encore, d'une manière trop absolue, la responsabilité et le libre arbitre.
Néanmoins tous, aujourd'hui, vous considérez les troubles de la moelle et ceux du cerveau, du même point de vue que ceux du cœur, du rein ou du foie : là, où vos prédécesseurs presque immédiats rêvaient encore esprit, démon, perturbation de la force nerveuse, vous prononcez les mots de sclérose, de thrombose, bien souvent d'autointoxication. Vous ramenez les troubles de la pensée, aussi bien que ceux de la sensibilité ou de la motilité, comme un effet à une cause, à des processus nutritifs ou à des intoxications chimiques.
Mais voici qu'un phénomène inattendu s'est produit :
II est arrivé ceci : qu'alors que vous borniez votre ambition à reconnaître les malades et à les guérir, la pathologie vous a, comme malgré vous, fait entrer dans le domaine de la physiologie.
Vous cherchiez à démêler l'écheveau des troubles mentaux, et ce sont les lois physiologiques de la pensée la plus précise que vous êtes en train de découvrir!
La psychologie est devenue, grâce à vous, un chapitre de la physiologie et vous apportez dans son étude votre méthode habituelle d'induction, qui rassemble les faits, les observations, pour en faire plus tard une vaste synthèse.
Aussi par cela seul que vous aviez fait de la psychologie une science biologique, vous avez commencé à apporter de Tordre dans le chaos de l'ancienne métaphysique.
Aussi bien n'est-ce pas la première fois que le médecin devient, par la force des choses, physiologiste.
Déjà l'observation des troubles moteurs de la maladie d'Adisson a mis sur la voie de la fonction des capsules surrénales; c'est le myxœdème et le crétinisme goitreux qui ont donné l'idée des fonctions du corps thyroïde ; n'est-ce pas la lésion de la troisième circonvolution frontale qui a fait de Broca un initiateur dans la découverte des localisations cérébrales?
Du jour où la psychologie est devenue biologique, elle est devenue expérimentale.
Le temps n'est plus, en effet, où ceux qu'attiraient les problèmes qui vous occupent, n'avaient d'autre procédé que de se prendre le front dans les deux mains, et, les yeux fermés, de 'pratiquer l'introspection de leur pensée.
Ils n'oubliaient qu'une chose, c'est que leur situation était un peu celle d'un homme qui tenterait de s'enlever lui-même; en prenant son propre corps, entre ses bras contractés dans un effort puissant.
Aujourd'hui, vous recueillez les documents les plus simples, les plus dédaignés jadis : Les premiers dessins d'un enfant, ses premiers mots, ses gestes, ses jeux, tout vous apporte un renseignement.
Par le calcul mental, par la chronométrie mécanique, vous mesurez la vitesse des sensations et des perceptions ; tous les sens sont interrogés.
La pensée est pesée, mesurée, analysée dans sa genèse et dans sa structure.
Signe des temps : on voit des Facultés de Lettres elles-mêmes laisser, pour un moment, les longues dissertations sur les facultés de l'âme et établir, chez elles, des laboratoires, avec le concours des mécaniciens, des physiciens et des chimistes.
Une fois lancé dans cette voie, on s'est souvenu des services que la connaissance de la physiologie animale avait déjà rendus à la physiologie de l'homme, et nous voyons maintenant le muséum d'histoire naturelle de Paris donner asile à un laboratoire de psychologie zoologique. Vocable assurément nouveau, mais établissement peut-être rêvé par Descartes, qui y serait sans doute venu, comme il l'écrivait au P. Mersenne, « anatomiser les têtes de divers animaux, pour expliquer en « quoi consistent l'imagination et la mémoire ».
Sur son frontispice, on pourrait graver cette phrase de Montaigne, que je prends plaisir à citer devant quelques-uns de ses compatriotes, qui m'entendent :
« La présomption est notre maladie naturelle et originelle... « c'est par vanité que l'homme s'attribue des conditions divines, « qu'il se trie soi-même et sépare de la presse des autres « créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et
« compagnons.............................
«......comment connaît-il les bransles internes et secrets
« des animaux? par quelle comparaison d'eux à nous conclut-il « à la bêtise qu'il leur attribue ? quand je me joue à ma chatte,
« qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je ne fais « d'elle?»
Pour la philosophie scientifique, la pensée est aujourd'hui encadrée dans l'ensemble des forces de la nature; elle ne diffère en apparence des autres forces que par la disposition des éléments anatomiques, qui l'en détachent un moment, en la spécialisant.
La force psychique est susceptible, comme toutes les forces, d'être mise en équation avec la chaleur, la lumière, le mouvement, l'électricité.
Elle est justiciable des instruments de recherche de la phy-syco-chimie et c'est attirés par cette idée que, du monde entier, des savants viennent à Paris s'inscrire pour faire des expériences psychologiques.
Où vous arréterez-vous, Messieurs?
A mesure qu'on étudie les forces biologiques, on voit s'étendre l'aire des forces naturelles.
Derrière celles que nous croyons connaître, il en apparaît de nouvelles, soupçonnées déjà par l'empirisme séculaire, célébrées dans les légendes, exploitées par quelques audacieux, rejetées jusqu'ici comme n'appartenant pas à la science orthodoxe, admises enfin aux honneurs de l'expérimentation, grâce à l'initiative courageuse de quelques esprits supérieurs exempts de préjugés, même scientifiques.
C'est bien à vous, Messieurs, que revient, en grande partie, le mérite d'avoir fait rentrer ce qu'on croyait l'exception dans la règle, le prétendu surnaturel dans la nature — et d'avoir fait pénétrer les clartés de la science dans ce qu'on nommait, hier encore, le domaine de 1 occulte.
Monsieur le Recteur, vous avez bien voulu honorer de votre présence une réunion de médecins, dont un grand nombre, il est vrai, sont l'honneur des Universités auxquelles ils appartiennent.
Si vous avez été conduit ici par votre sympathie pour l'Ecole de Médecine de l'Université de Grenoble, sympathie dont nous vous sommes très reconnaissants, n'avez-vous pas été attiré, en outre, peut-être inconsciemment, par cette mentalité médicale, dont je parlais tout à l'heure et que vous saviez trouver ici.
Si vous n'avez pas de diplôme professionnel, vous avez du moins étudié la médecine; vous l'avez fait en naturaliste et en philosophe, c'est-à-dire dans les deux dispositions d'esprit les plus nécessaires au médecin.
Vous appartenez d'ailleurs à cette Ecole de psychologie expérimentale, qui caractérise notre époque : aussi les membres de ce Congrès saluent-ils en vous, mieux qu'un confrère, un coreligionnaire, car vous avez, comme eux, le culte de la Science libératrice.
L'Université de Grenoble, qui est heureuse de vous avoir à ' sa tête, n'a-t-elle pas précisément pour devise :
Veritas liberabit.
Messieurs, je ne veux pas retarder plus longtemps vos travaux.
Vous allez tenir dans cette Ecole la plupart de vos séances. — Vous êtes ici chez vous ! — La maison n'est pas grande, mais elle vous appartient !
Je voudrais maintenant que, par un de ces prodiges auxquels la science nous habitue aujourd'hui, ces murs puissent conserver l'empreinte de vos paroles; je voudrais que tous ceux qui, en dehors de la science, s'intéressent, par profession, à la chose publique, à l'administration d'un pays, à l'art de gouverner les hommes, puissent prendre ici des leçons.
A l'heure où toutes les sciences se préoccupent de leur utilité sociale, la médecine, dont cela a toujours été la destination, la médecine mentale, plus que toute autre, a le droit d'être écoutée.
Les questions de l'alcoolisme, de l'hérédité, de l'éducation, de la dégénérescence des races, celles de la criminalité et de la responsabilité, celles mêmes des conditions du travail, qui les connaît mieux que vous et peut, mieux que vous, éclairer les pouvoirs publics sur les questions d'hygiène et de prophylaxie sociale?
C'est bien à la médecine, en particulier à la médecine mentale, à la neurologie et à la psychologie expérimentale, que peut s'appliquer ce jugement de Leibnitz, par lequel je veux terminer :
Le rôle des sciences est de bâtir des systèmes d'une con-« naissance solide, fondés sur des démonstrations et des expé-« riences et propres à avancer le bonheur de l'humanité.
L'hypnose chez les animaux
Par M. le Dr Wynaendts Francken, de la Haye.
Ce n'est pas chez l'homme seul que se manifestent les phénomènes de l'hypnose et de la suggestion. Chez les animaux aussi se manifestent parfois des états analogues, dont quelques-uns étaient déjà connus longtemps avant que l'on eût fait de l'hypnose chez l'homme, l'objet de recherches scientifiques. Quelques savants considèrent comme appartenant à ce cadre le phénomène bien connu de l'hivernation, auquel un grand nombre d'animaux sont sujets. Par exemple, le Protoptère, curieux poison africain, entre périodiquement avec la saison sèche dans un état de léthargie, dans lequel il se dessèche avec le limon dans lequel il s'est enfoui, pour revenir plus tard à la vie. De même les chauves-souris, les hérissons, beaucoup de rongeurs et d'autres animaux encore, entrent en hiver, sous l'influence du froid et du manque de pâture, dans une longue période non interrompue de sommeil, pendant laquelle les fonctions vitales ont beaucoup perdu de leur intensité. L'immobilité est presque complète, la respiration n'est plus qu'un souffle insensible, le pouls ne bat presque plus et la circula-lion du sang s'est grandement rallentie. Le travail de reconstruction des organes étant presque arrêté, la température du corps a considérablement baissé ; toutefois la perte de chaleur est atténuée par le fait que le sang se retire de la périphérie dans les vaisseaux situés à une plus grande profondeur.
D'autres phénomènes encore, fort intéressants déjà au point de vue physiologique, prennent une importance plus grande même s'il s'agit du problème de l'hypnose chez les animaux. Citons la célèbre expérience de la poule. Si l'on saisit subitement et avec force une poule et qu'on applique son bec sur une table, pour la lâcher après quelques instants lentement et doucement, elle restera pendant quelques minutes immobile, après quoi elle se redressera soudain. Un certain Daniel Schwenter publia, pas plus tard qu'en 1636, à Nuremberg, un petit livre, dans lequel il décrit une expérience pour « si bien dompter une poule entièrement sauvage que d'elle-même elle reste immobile et pleine de crainte ». On voit qu'il attribuait l'étrange conduite de l'animal à un sentiment de détresse angoissée, produit par la soudaineté avec laquelle on l'avait
saisi. Un peu plus tard le père Athanasius Kirchner fit paraître à Rome un écrit sur le même « experimentum mirabile Son titre, « de l'imagination de la poule », indique qu'il avait quelque idée de la suggestion qui joue ici un rôle. Pendant deux siècles on ne continua pas ces expériences. Elles furent reprises par Czermak (1873), Heubel (1876), Preyer (1878), Dauilewsky, Verworn et d'autres. Kirchner avait tracé une raie sur la table et y avait appliqué le bec de l'animal, et il pensait avoir ainsi fait naître chez sa poule l'idée qu'elle était attachée au moyen d'une ficelle et qu'il lui serait inutile d'essayer de se mouvoir : la notion de contrainte. Czermak démontra cependant que la raie à la craie, de même que la ligature des pattes, qui avait aussi été pratiquée, était superflue; l'expérience réussissait sans ces aides. Preyer à son tour fit un pas de plus en démontrant que la fixité du regard de la poule n'était pas indispensable, puisque l'expérience pouvait se faire dans l'obscurité ou avec des poules aveugles. L'on découvrit aussi que des pliéno-mènes-du même genre se produisaient chez un grand nombre d'autres animaux, le lapin, l'écureuil et le cochon d'Inde, le lézard, le cobra et la grenouille, même l'écrevisse, que l'on peut faire rester pendant un certain temps immobiles dans une position forcée (1).
Quelle est l'explication vraie de ce curieux phénomène? L'immobilité provient-elle entièrement de la crainte, ou bien l'hypnose joue-t-elle un rôle? Cette dernière opinion était celle de Czermak; quanta Heubel, de Kiew, il voyait là une forme du sommeil ordinaire, mais Preyer rejetait les deux manières de voir et parlait de kataplexie ou paralysie de terreur, état dans lequel certains centres d'enraiement seraient excités au point d'empêcher les mouvements réflexes qui, sans cela, auraient dû se produire. La cause s'en trouverait dans une forte émotion soudain provoquée, analogue à la fascination qui empêche un oiseau de s'envoler lorsqu'il est fixé par un serpent, ou à celle produite par le regard du dompteur arrêté sur les bêtes féroces ; de même il arrive à l'homme de se sentir paralysé par la crainte, au point de rester immobile, quoique cela aggrave le danger auquel il est exposé. Il semblerait que la simulation pourrait n'être pas étrangère à la chose; on sait, en effet, que certains animaux simulent à merveille la mort ou le sommeil et restent immobiles dans le danger ou quand ils épient une
(1) Ce n'est pas le cas du chat et du chien domestiques, qui se montrent absolument réfractaires à cette expérience.
proie; ici un certain calcul et une intention, donc un certain degré d'intelligence, sont indéniables. Il y a même des insectes, comme les coléoptères, qui font les morts si on les saisit ou les touche. Cependant ce phénomène est souvent accompagné d'une forte diminution de la sensibilité, l'insecte demeurant immobile si on le pique ou le brûle (ceci se présente chez l'araignée). Il n'est point impossible que, suivant l'idée de Romanes, cette anesthésie cataleptique se soit petit à petit développée par évolution, parce qu elle était, d'une manière ou d'une autre, favorable à la conservation de l'espèce.
Comme on l'a dit, Preyer ne voulait pas entendre parler d'une relation entre les faits en question et l'hypnose, et il énumère un certain nombre de différences qu'il dit exister entre la catalepsie et l'hypnose. Par exemple, il avance que l'hypno-tisation de l'homme devient plus facile si on la répète, tandis que si une cause d'effroi se présente à plusieurs reprises, l'effet de terreur se produira moins facilement (1). Il remarque aussi que l'hypnose est plus difficile à obtenir si le corps se trouve dans une position inusitée ou forcée, tandis que justement c'est favorable à la production de la catalepsie. De plus l'émotion et la surexcitation sont défavorables à l'hypnose et favorables à la catalepsie. La suggestibilité est caractéristique de l'état hypnotique et est absente dans l'état cataleptique.
Malgré ces nombreuses objections, Danilewski en vint plus tard à la conclusion que les phénomènes en question et l'hypnose offrent une grande parenté et que les différences qui ont été constatées ne reposent pas sur quelque chose d'essentiel, mais proviennent de la très grande complication du mécanisme psycho-physiologique chez l'homme. Il fit remarquer que l'élément de l'angoisse ou de la terreur faisait souvent entièrement défaut, et il attribua l'immobilité bien plutôt à la suggestion. Il n'est, naturellement, point ici question de suggestion par le moyen de la parole, mais elle est le résultat d'impressions spéciales, très sensibles, reçues par l'organe des sens, qui se produisent d'elles-mêmes quand l'animal est saisi rudement et que ses mouvements spontanés sont réprimés par la force. Il n'y a rien d'étonnant à ce que dans ces conditions l'attention de l'animal soit rivée sur un objet unique, que l'association des représentations se disloque et que l'activité de certains
(1) Toutefois Gley a observé qu'une grenouille restait d'autant plus longtemps immobile sur le dos que l'on avait répété plus souvent l'expérience sur elle. (Année psychologique, il, 1896, page 71.)
centres soit enrayée, comme on le voit chez ceux qui ont été hypnotisés. Cependant les expériences faites sur les animaux peuvent présenter une véritable utilité pour l'étude des phénomènes physiologiques de l'hypnose, sans pour cela apporter beaucoup de lumière relativement à l'explication psychologique proprement dite de l'hypnose et de la suggestion, parce que nous ne savons pour ainsi dire rien de l'état de conscience de l'animal et que nous connaissons moins encore la nature des modifications subtiles que cet état subit.
Un médecin vitaliste et psychologue : J.-B. van Helmont
- (1577-1644) (1)
Par M. le Dr Meunier, de Pontoise
I. — L'homme ;Neurasthénie et Hallucinations .
Jean-Baptiste Van Helmont, Seigneur de Royenborch, de Pellines, de Mérode, d'Oôrschot et autres lieux, naquit â Bruxelles en 1577 d'une famille noble. C'était le dernier et le plus chétif de ses frères et sœurs. Son père mourut en 1580, alors qu'il n'avait que trois ans. Il fit ses études à l'université de Louvain, vivant chez sa mère et à l'âge de 17 ans, en 1594, il finissait sa philosophie. C'était un caractère nerveux et inquiet: son esprit toujours en éveil se fixait difficilement. Au lieu de préparer son examen de fin d'études qui donnait le titre de maître des sept arts, il examina sa situation intellectuelle et morale: « s'il est vraiment philosophe », lui, jeune homme de 17 ans et il s'aperçut qu'il n'est que « gonflé de mots », qu'il a seulement appris à discuter avec plus ou moins d'artifice, qu'il ne sait rien ou tout au moins que ce qu'il sait ne lui sert à rien, qu'il est « nu comme Adam après le premier péché ».
Cependant à ce moment même il est chargé par ses maîtres Thomas Fyenus, Gérard de Villers et Stornius de faire des leçons de chirurgie au Collège des Médecins de Louvain.
« J'eus, dit-il, la présomption d'enseigner ce que je ne savais pas, adaptant tour à tour Houllîer, Tagaut, Guy de Chauliac, Vigo, Paul d'Egine et les Arabes. » Aussi donne-t-il sa démission et se met à étudier l'astronomie, la géométrie dans Cornélius Gemma, Euclide et Copernic. Mais quoiqu'il possède
(1) Communication faite à la Société de médecine de Gand.
à fond ces deux derniers auteurs il ne trouve là ni certitude, ni vérité, plutôt de « l'insanité ». Il refuse de prendre le titre de maitre-ès-arts, prétendant qu'il ne savait rien, mais surtout parce que très orgueilleux, il ne voulait pas servir de sujet de moquerie à ses maîtres, qui, parait-il, déjà à cette époque amusaient volontiers la galerie aux dépens du malheureux candidat. Il quitte alors l'école « à la recherche de la vérité et de la science et non de vaines apparences ».
On lui propose un canonicat de bon rapport, mais il ne l'accepte pas, parce que, comme saint Bernard, il ne veut pas « se nourrir des péchés du peuple ».
Très religieux, il prie Dieu de le guider dans ses études et dans sa vie.
A cette époque les Jésuites de Louvain commençaient à enseigner la philosophie, malgré le roi, la noblesse et l'université et comme cela leur avait été défendu par le pape Clément VIII, les professeurs se rejetèrent sur d'autres parties de l'Enseignement : les uns sur la pédagogie, les autres sur la géographie. L'un d'eux, Martin de Rio, ancien colonel de la cavalerie espagnole, sénateur du Brabant, s'était affilié à la Société et enseignait la Magie. Pendant un certain temps il s'adonna à l'étude de la Géographie et à l'étude de la Magie.
Mais son esprit n'est pas encore satisfait. Il lit Senèque le philosophe et Epictète, s'enflamme à leur lecture où il apprend ce que c'est que la vraie philosophie: mais sa santé précaire ne lui permet pas de mettre en pratique l'austérité du stoïcisme.
C'est alors qu'il prie Dieu, le Prince de la Vie, de lui donner des forces pour « contempler la Vérité toute nue » et son désir en est encore augmenté par des lectures mystiques : les œuvres de Thauler et l'Imitation de Jésus-Christ.
Tourmenté par la recherche de cet idéal qu'il ne peut trouver, pensant cependant arriver à la perfection chrétienne par le stoïcisme ; mais incapable de vouloir — au fond cet état pathologique est de l'aboulie — il a sa première crise nerveuse dont il nous donne la relation.
Il tombe dans le sommeil et il lui semble qu'il est devenu une bulle gonflée dont le diamètre allait de la terreau ciel. En haut il y avait un cercueil menaçant et en bas un abîme d'obscurité, « J'eus, dit-il, un moment d'horreur immense et en même temps je tombai et perdis la notion de toutes choses. »
Revenu à lui, il veut trouver un sens à cette vision et l'inter-
prête ainsi : la bulle vide c'était son esprit gonflé du vent stoïcisme placé entre la mort (le cercueil) et l'enfer (l'abime obscur). Il laisse les philosophes païens, s'enfonce de plus en plus dans la lecture des Livres Saints, considérant désormais le stoïcisme comme chose haïssable et odieuse. Mais son esprit n'a pas encore accompli le cycle des changements qu'il peut subir.
Pour se distraire il lit Dioscoride et Matthiole son commentateur. L'étude des plantes l'enthousiasme et comme Dioscoride a surtout traité des plantes médicinales il est tenté par l'étude de la Médecine et demande dans quels ouvrages il pourrait bien l'apprendre. On lui conseille ceux de Léonard Fuch et de Jean Fcrnel, qu'on lui dit être d'excellents épitomés de l'art médical. Il les lit. Ces ouvrages le font « sourire ».
C'est qu'il se fait lui, une autre idée de la Médecine. « Est-ce que la science de guérir peut se transmettre ainsi sans théorème, sans un docteur qui ait reçu d'un adepte le don de guérir? — Est-ce que toute l'histoire des propriélés naturelles est renfermée dans les qualités élémentaires ? »
Pour lui, en effet, plus tard il nous le dira au cours de son œuvre, on ne peut exercer la médecine que si on a reçu de Dieu le don de guérir. C'est l'explication à la première objection. Quant à la seconde, il l'expliquera en disant que les qualités élémentaires ne sont rien si elles n'ont pas avec elles et en elles et un directeur, l'archée, le principe vital et un agent : le ferment.
Néanmoins il continue l'étude de la médecine, lit deux fois les œuvres de Galien — une fois celles d'Hippocrate, dont il sait par cœur presque tous les Aphorismes. Il cite souvent le père de la Médecine dans ses ouvrages : c'est du reste le seul médecin de l'antiquité qui ait trouvé grâce devant lui. Il lit encore à ce moment l'œuvre entière d'Avicenne et affirme, tant grecs qu'arabes et modernes, avoir lu et annoté plus de six cents ouvrages de médecine.
Plus tard, il lira Paracelse, qu'il trouvera très obscur, mais qu'il admirera comme homme, dont il subira l'influence, tout en combattant ses théories, tout en démontrant les grossières erreurs dont les œuvres sont pleines.
Puis fatigué de toutes ces lectures, il se repent d'avoir perdu avec elles et sa peine et son temps. Du reste, ces auteurs « chantent tous la même chanson » (eamdem cantilenam canentes). Il n'y a que la science de la vérité ou la vérité de la science qui peut lui donner ce qu'il cherche.
Pour se reposer il retourne à l'étude des plantes, surtout des plantes de son pays.
Peut-être est-ce à cette époque qu'il faut placer sa promotion au titre de docteur (1599), car il se met à accompagner un praticien dans ses visites et remarque avec regret l'insuffisance, l'incertitude et l'état conjectural de la médecine. « Je savais, dit-il, discuter théoriquement sur n'importe quelle maladie et étais incapable de guérir un mal de dents ou la gale. » On ne sait pas guérir les lièvres ; elles guérissent seules ou aboutissent à des maladies incurables. L'art de la médecine est une invention pleine d'imposture. Les Romains ont vécu cinq cents ans sans médecins. Chez les Grecs l'art de guérir est trompeur : les remèdes donnés empiriquement guérissent souvent non moins bien que ceux donnés avec méthode ; la plupart des remèdes sont du reste infidèles. Pourquoi donc entrer dans la pratique de la médecine? pour avoir à subir la torture de l'impuissance de guérir ou pour faire des veuves et orphelins. Aussi perplexe et tourmenté, car au fond il estattiré par l'étude et la pratique de la médecine et n'en est détourné que par sa famille et ses hésitations pathologiques ; il tombe la face contre terre et demande aide à Dieu. Nouvelle crise nerveuse ; il s'endort et aperçoit dans son sommeil l'univers dans la contemplation de la vérité sous l'apparence d'un chaos informe et entend une voix qui lui dit : « Qu'il n'y a que Dieu qui sait tout, que lui ne sait rien, qu'il n'a qu'à s'occuper de son salut. »
Il en conclut qu'il doit être médecin et depuis lors il voit et soigne des malades tout en étudiant les minéraux et les végétaux et la « pyrotechnie » et arrive à la fin de sa carrière il reconnaît avec Salomon « qu'il a le plus souvent torturé en vain son esprit, que vaine est la science de tout ce qui est sous le soleil, que ce ne sont que vaines recherches de curiosités ».
Tout en traversant ces séries de crises il avait voyagé pendant une période de dix ans (1599-1609). II était d'abord parti avec l'intention de ne pas rentrer dans son pays, mais il s'y fixa définitivement en 1609, à Vilvorde. Et c'est là que pendant 17 ans il exerce la médecine à sa façon, soignant plutôt les pauvres que les riches, se faisant mal payer jusqu'au jour où son confesseur lui conseille de toucher ses honoraires, qu'il distribuera en aumônes.
Sa femme du reste — il s'était marié vers 1605 — par des héritages successifs — lui permet d'être généreux.
Malgré tout le désir qu'il avait de bien faire, de faire pour le mieux, il se créa des inimitiés parmi ces mêmes jésuites chez lesquels il avait appris la Géographie et la Magie. On voulut le faire disparaître ; de hautes influences, plus particulièrement celle de la Reine-Mère en France, firent qu'il ne fut pas inquiété. Il avait dans un commentaire sur un ouvrage de Goclin assez maltraité les critiques d'un certain Jésuite ; et il faut penser que pour se venger de cette indépendance d'esprit la société l'accusa faussement de Magie pensant ainsi le faire disparaître.
Il n'eut pas seulement les tourments de l'âme, il eut aussi ceux du corps. Il avait un mauvais estomac, estomac de névropathe avec contracture du pylore (clausura pylori). Quand il allait en voiture peu de temps après le repas il lui arrivait parfois d'être obligé de s'étendre et pendant les cahots de la route il entendait dans son estomac un bruit analogue à celui qui se produit dans une bouteille à moitié pleine. Parfois dans ce cas-là il lui arrivait de se coucher sans rien prendre et de se réveiller le lendemain matin, l'estomac dans le même état que la veille.
Une odeur désagréable — par exemple celle d'un charbon dans une chaufferette — le fait se trouver mal ; il se blesse à la tête et reste soumis au vertige pendant plusieurs jours. Il a du reste des vertiges fréquents, notamment quand il a fait une traversée en mer, non pendant le voyage, mais quelques jours après.
A 63 ans, peu d'années avant sa mort, il fait une pneumonie qu'il prend pour une pleurésie (V. Pleura furcus).
« Le troisième jour des Calendes de Janvier, je fus pris tout à coup d'un frisson assez violent pour me faire claquer des dents : une douleur pongitive partant du côté de la poitrine et se portant en avant vers le sternum m'empêchait de respirer. Bientôt je rendis des crachats sanguinolents puis du sang pur. Je pris (car j'en avais sous la main) une pincée de poudre de verge de cerf, ce qui me fit diminuer la douleur, puis après un drachme de sang de bouc. Le quatrième jour le crachement de sang cessa ; une petite toux rare persista cependant avec quelques expectorations. Mais la fièvre persistait, etc. » Il guérit et mourut quelques années plus tard d'une maladie qui débuta par une crise d'asthme et se termina par une lièvre continue qui dura sept semaines (1644).
Son fils François-Mercure Van Helmont fut chargé de publier
son grand ouvrage Ortus Medicinae, dont il avait de son vivant détaché pour les faire paraître (1643) les opuscules les plus importants au point de vue doctrinal : 1o Son traité des fièvres où il essaie de faire la pathogénie de la fièvre et où il établit la doctrine du vitalisme; — 2° Son traité de la lithiase où il fait ses premiers essais de chimie biologique et son traité de la peste où il fait jouer un si grand rôle aux ferments.
Il eut deux autres fils qui moururent de la peste et une fille atteinte de la lèpre (?) et qui en guérit par miracle.
Telle est très succincte et d'après l'auteur lui-même — car il aime beaucoup à se confesser comme tous les nerveux — la biographie de Van Helmont qui fut si diversement jugé et par ses contemporains et par la postérité.
De son temps, ses amis le considèrent comme un Dieu qui a su guérir des malades que d'autres médecins n'avaient même pas pu soulager; mais ses amis ne sont pas les plus nombreux: du reste ses doctrines sont absolument contraires à la science médicale orthodoxe au Galénisme.
En France, Gui Patin, esprit fermé à tout ce qui est nouveau, à tout ce qui n'est pas classique, « considère ce « méchant pendard de Flamand» comme un imposteur ». Astruc l'appelle un « Thaumaturge ».
En Allemagne (1723), Barchuien analysant avec beaucoup de soin ses théories conclut en lui donnant le nom d'« admirable faiseur de mots et de systèmes » (mirus rerum et verborum fictor).
Bordeu, plus tard très enthousiaste, prétend que sans Van Helmont la Médecine était perdue. Au commencement de ce siècle (1821), Coutanceau prétend que « le système de Van Helmont contient le germe de toute la physiologie moderne ».
Assurément ces jugements contradictoires prouvent que nous sommes en présence d'une personnalité de haute valeur que l'analyse de ses travaux nous permettra d'apprécier plus loin.
Pour le moment, revenons à l'homme, à son état nerveux, à ses crises, à ses hallucinations qu'il décrit avec complaisance, tout comme sainte Thérèse, et qui peuvent être regardées comme de vraies observations médicales.
Van Helmont fut poursuivi pendant longtemps par le désir ardent de voir son âme, son corps « cette guenille » il le connaît ; ce qu'il voudrait voir, c'est ce qui l'anime, le fait mouvoir, le fait penser, son esprit, son âme ayant « forme humaine » et chaque fois qu'il a une vision de cette âme, c'est une hallucination de
l'ouie, de la vue et de l'odorat qui le possède et de laquelle il sort énervé, désenchanté, meurtri.
La première de ses crises eut lieu en 1610, il avait 33 ans. « Après une longue lassitude de contemplation (extase) comme «i je cherchais à connaître mon âme, pensant que cette connais-« sance serait comme un complément de la sagesse elle-même, « je tombai dans le sommeil et fus enlevé hors des limites de la « conscience ; il me semble que j'étais dans une cour obscure. « A gauche était une table lisse sur laquelle se trouvait une « bouteille à demi-pleine d'une liqueur et la voix de la liqueur « me dit: veux-tu des honneurs et des richesses? Je fus rempli « de stupeur en entendant cette voix insolite. Je me promenai « autour de la table me demandant ce que cela voulait dire. Et « à droite pendant ce temps j'aperçus dans le mur une fente « par laquelle glissait une lumière d'un éclat incomparable qui « me frappa les yeux et me fît oublier et la liqueur et la voix « et sa proposition. Ce que je vis dépasse tout ce qu'on peut « penser et exprimer. Puis la fente et la lumière disparurent. « Et triste, je retournai à la bouteille et la pris. Je m'efforçai « de goûter la liqueur et pour cela â grand'peine je débouchai a la fiole et frappé d'horreur je me réveillai. »
Dans cette crise, on remarque d'abord l'extase, puis l'hallucination, qui débute par une hallucination de la vue à gauche et aussi une hallucination de l'ouïe qui se termine par une double hallucination de la vue et de l'ouïe à droite.
Cette première apparition ne l'a pas satisfait : il est toujours obsédé par le désir de connaître, de voir son âme : ce désir le poursuit pendant 55 ans, quand en 1633 — c'est lui qui nous donne les dates — il eut une nouvelle vision :
« C'était une lumière dont le tout homogène était très bril-« lant, substance spirituelle cristalline, éclatante de sa propre « splendeur. Elle évoluait dans un milieu nuageux et vague « comme dans une enveloppe qui ne me parut pas avoir grand « éclat, étant donné l'extraordinaire fulgurance de l'esprit cris-« tallin qui était contenu dedans. Le sceau du cristal était une « lumière ineffable et ainsi réfléchie qu'elle rendait le cristal « incompréhensible. Je vois alors que cette lumière était la « même que celle que j'avais vue vingt-trois ans auparavant « par la fente du mur. »
Et c'est alors, pauvre névropathe, qu'il comprit la vanité d'un long désir, car quelque belle que fût cette vision « son âme, 1 dit-il, n'en acquit pour cela aucune perfection. »
A ces hallucinations de la vue plus fréquente et aux hallucinations de l'ouïe s'ajoutent parfois des hallucinations de l'odorat.
C'est ainsi que dans une autre vision il aperçoit devant « lui un arbre magnifique qui couvrait tout l'horizon et dont la grandeur ou l'ampleur le stupéfiaient étrangement et cet arbre était rempli de fleurs innombrables et odorantes de couleurs très douces et cependant très brillantes dont chacune était pourvue — comme d'un fruit — d'une pierre précieuse. » J'en pris une parmi cette myriade et aussitôt odeur, couleur et grâce de la fleur disparurent.
Van Helmont est donc de la grande famille névropathique. Son pessimisme, son incertitude dans le choix de ses études et d'une carrière, ses enthousiasmes et ses désenchantements subits, sa difficulté de vouloir, d'agir en font un dégénéré, un neurasthénique. Quant à ses crises, elles semblent bien se rapporter à l'hystérie ; elles ont, du reste, une grande analogie avec celles de sainte Thérèse, qui vivait de son temps, qu'il a lue et dont les hallucinations ont été considérées par les neu-ropathologistes (et surtout par J. M. Charcot) comme de nature hystérique.
Nous allons maintenant examiner ce que l'œuvre de cet homme présente de plus saillant, ce qui l'a recommandé à la postérité, c'est-à-dire le vitalisme.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance de Juin 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
Action vasomotrice de la suggestion dans le traitement des verrues
par M. le Dr Ch. H.eberlin. de Wyk, Ile de Fœhr
En Allemagne toute éruption de la peau et, en particulier, les verrues sont fort redoutées Pour se débarrasser de ces dernières, soit parce qu'on craint des cautérisations ou des opérations, soit parce que les traitements recommandés par les médecins sont restés inefficaces, on a recours dans certaines régions à des procédés empiriques réputés infaillibles. Par exemple, on prend dans la main autant de petits pois qu'on a de verrues et, sans prononcer aucune parole, on jette pardessus son épaule, dans un four allumé, chacun de ces pois ; pendant cette opéra-lion, il est indispensable que personne ne parle au porteur de verrues.
Les médecins ont une tendance à se moquer de ces pratiques et à proclamer leur inutilité (1). J'ai eu cependant, il y a quelques années, l'occasion de constater chez une personne de ma connaissance, l'efficacité de ces procédés empiriques.
Mme M. E., âgée de 52 ans, femme d'un pasteur protestant, habitantla Poméranie, grande, robuste, jouissant d'une excellente santé générale, point nerveuse, n'ayant aucune anomalie cutanée, porte depuis vingt ans à l'index de la main gauche une grande verrue qui la géne beaucoup dans ses travaux de couture ; souvent il lui arrive de se piquer avec son aiguille et, alors, la verrue saigne abondamment. Mme M. E. recourt à tous les remèdes usuels puis consulte plusieurs médecins, sans aucun résultat. Ses amies lui conseillent d'essayer l'un des traitements empiriques qui réussissent si bien aux paysans; mais elle n'ose le faire, à cause du rang et des fonctions de son mari ; toutefois de plus en plus gênée par sa verrue, elle s'y décide à la fin. Suivant la prescription qui lui en est faite, trois nuits de suite, à l'heure de minuit, par une lune croissante, elle va dans son jardin ; là, elle touche sa verrue de l'index droit et, en regardant fixement la lune, trois fois de suite elle prononce la formule suivante : « Lune croissante, au fur et à mesure que tu crois, fais que ma verrue décroisse ! « J'ai vu la malade trois semaines après et la verrue avait complètement disparu.
En voici un autre cas publié récemment dans la Neue freie Presse. Un jeune homme, âgé de 16 ans, fils d'un officier supérieur, avait un grand
(1) Le traitement des verrues varie avec les auteurs. Les uns préconisent l'extîrpa-tion chirurgicale, les autres les caustiques. D'autres préconisent la magnésie d'écarbonate; Besnier et Doyon (Kaposi, Maladies de la peau, 1891) n'en ont jamais obtenu de résultats favorables ; les mêmes auteurs n'ont jamais remarqué non plus qu'en détruisant l'une des verrues on provoquait la disparition des autres. Certains recommandent l'arsenic à l'intérieur ; mais Hardy (Maladies de la peau 1S86, p. 93) s'exprime ainsi : « Je n'ai pas besoin d'ajouter que, dans le traitement des verrues, 11 ne doit Jamais être question d'aucun moyen interne, soit hygiénique, soit médicamenteux.... » D'après le Dr Lang, Rayer [Maladies d: la peau, Paris 1835 » signale le lait d'ânesse comme efficace.
Comme le remarquent Besnîer et Doyon (loc. citat.), peut-être arrîvera-t-on à comprendre la diversité de ces opinions si l'on veut bien remarquer que les verrues ne sont pas éternelles, qu'elles présentent très souvent des régressions rapides et qu'elles finissent toujours par disparaître.
Pour ce qui est de l'étiologie, Hyde, dans Diseases of the skin, 1897, écrit : The précis cause of the verrues is unknown. Pour Lereboullet (Dict. encyclop. d. se mèd. 1889) les verrues sont parfois congénitales; mais, plus souvent, elles apparaissent après la naissance, sous l'influence de conditions variées, presque toujours d'une prédisposition spéciale, surtout chez les enfants et chez les ouvriers à travaux manuels, tels les jardiniers ; on les a crues contagieuses. Pour Kaposi, {Maladies de la peau, 1891, trad. par Besnier et Doyon) les verrues peuvent être congénitales, mais elles apparaissent tantôt quelques mois après la naissance, tantôt à un âge plus avancé; leur étiologie est inconnue; «elles produisent d'une façon lente ou rapide et disparaissent spontanément; la croyance populaire à la contagiosité, ne repose sur aucun fondement. Mais, comme l'ajoutent les traducteurs, la non contagiosité n'est pas certaine ; elles comportent très probablement un agent microbien et l'irritation externe, banale ou microbienne amène la prolifération des cellules du stratum dentelé (Cf. Kühneman, Mon. fur prakt. Dermatol. T. VIII N. 8 et Jarisch, Maladies de la peau, 1901, Graz). La contagiosité des verrues est démontrée par les expériences de Jadassohn, Variot, Lanz. Mais le microbe n'est pas encore connu.
nombre de verrues au front et aux mains. Son médecin les lui traita par le couteau, les ciseaux, les caustiques. Comme toutes ces interventions n'amenaient aucun résultat le jeune homme cessa d'aller voir son médecin. Celui-ci, quatre semaines après, ayant rencontré son malade et ayant constaté la disparition des verrues se félicita de les avoir traitées avec succès. 11 fut bien déconcerté quand le jeune homme lui raconta ceci: « Découragé de voir toutes vos tentatives rester infructueuses, j'ai eu recours à un traitement empirique. Pendant la pleine lune, à minuit précis, j'ai touché chaque verrue avec un morceau de viande en disaut chaque fois le Pater noster; puis j'ai enterré ce morceau de viande sous la gouttière de la maison, je me suis couché et je n'ai quitté mon lit que lorsque la viande fut putréfiée. A ce moment-là, ainsi qu'on me l'avait prédit, toutes les verrues avaient disparu. »
Ce qui est fort intéressant, c'est que le contraire peut avoir lieu.
Mlle F. D. jolie jeune fille de 12 ans, très intelligente, jamais malade, quoique délicate, possédant une peau d'une pureté irréprochable, avait une amie dont elle admirait beaucoup les mains. Un beau jour en prenant la main gauche de son amie, elle aperçut à la face palmaire de cette main gauche un grand nombre de verrues qui jusque-là, avaient pu être soigneusement dissimulées. Mlle F. D. en fut tellement dégoûtée, qu'à partir de ce jour elle évita de toucher son amie. Et, chose étrange, quelques jours après, elle aperçut sur sa propre main, à la dernière phalange du quatrième doigt, celui-là même qui avait touché une des verrues de son amie, une petite verrue à trois faces, semblable à celles qui lui avaient tant fait horreur. Cette verrue resta ainsi pendant deux ans jusqu'au jour où, en partageant une pomme, M11e F. D. se coupa et la coupa. Il n'y eut pas de récidive.
Quelque temps après. Mme V. me raconte le fait suivant. Dix ans auparavant, alors qu'elle était âgée de 32 ans, elle va chercher du beurre au marché. La marchande lui en offre une pièce qu'elle tient à la main sur une feuille de chou; Mlle V. goûte ce beurre, et l'ayant trouvé bon, l'achète. Mais lorsque la feuille de chou est enlevée. Mme V. aperçoit sur la main de la marchande un certain nombre de grosses verrues. Profondément dégoûtée d'avoir mangé du beurre qui avait été touché par cette main, elle se trouve mal. Rentrée chez elle, elle ne peut se décider à manger la moindre parcelle de ce beurre... Trois jours après, elle avait elle-même deux verrues sur la paume de la main. Ces verrues furent cautérisées et disparurent au bout de 15 jours.
Il semble donc difficile de refuser qu'il y ait une certaine connexion étiologique entre ces vives impressions mentales et l'apparition ou la disparition des verrues. La science n'a aucune raison de nier que la genèse des verrues soit parfois vasomotrice ou neurotrophique (1). Et
(1) Rappelons que certaines tumeurs cutanées qui apparaissent sur le trajet des nerfs montrent leur connexion évidente avec eux. Dans l'excellent ouvrage de M M. Halle-peau et Leredde (Dermatologie 1900) se trouvent des faits fort intéressants, relatifs à l'origine nerveuse de certaines dermatoses dues a des troubles vaso-moteurs;
ces exemples sont une nouvelle preuve de l'action du moral sur le physique.
Discussion
M. Paul Farez. — La communication de notre collègue M. le Dr Hae-berlin m'amène à vous exposer un cas récent de guérison de verrue par action vaso-motrice du moral sur le physique.
Il s'agit dune jeune fille de 10 ans, Suzanne B. Je la soigne depuis quelque temps par la suggestion hypnotique pour cause d'incontinence nocturne d'urine.
Un beau jour, je m'aperçois qu'elle a une verrue au petit doigt de la main gauche. Je me rappelle alors toutes les recettes de bonnes femmes, tous ces remèdes populaires, étranges, extravagants, ridicules, mais qui cependant se montrent très efficaces non seulement en Allemagne mais dans diverses parties de la France. Dans tous ces cas, c'est la croyance, c'est la confiance qui est l'agent curateur; c'est la foi qui guérit en opérant les modifications vaso-motrices appropriées. S'il en est ainsi, la suggestion hypnotique doit, sans aucun attouchement, se montrer tout aussi efficace. Et alors, je résous de traiter cette verrue par l'hypnotisme. Je sais bien que des guérisons analogues ont déjà été rapportées par des auteurs compétents et dignes de foi ; mais il est toujours bon de contrôler par soi-même les observations d'autrui ; et puis, la science se fait par la lente accumulation de faits concordants : une observation de plus n'est pas à dédaigner. D'ailleurs, je me propose de noter par la photographie l'état de la verrue à chacune de nos séances de suggestion et par là de fixer pour les yeux les diverses phases que comporte la régression de cette verrue.
Il y a deux ans, Suzanne B. joue avec une amie qui a les mains couvertes de verrues. Quelques jours après, il lui en survient trois à la main gauche :
1° A la face dorsale du pouce, sur le côté interne de l'ongle, de la gros seur d'une lentille ;
2° A la face dorsale de la phalangette de l'index, moitié moins grande que la précédente ;
3° A la face dorsale de l'auriculaire, au niveau de l'articulation de la phalange et de la phalangette, de la grosseur d'une lentille.
Au bout d'un an, ces trois verrues sont traitées suivant un procédé populaire dont on assure l'infaillibilité.
il est vrai qu'un certain nombre sont rattachés par les auteurs à une lésion des centres et des filets nerveux trophiques distincts des nerfs vaso-moteurs. Comme caractère commun de ces affections, les mêmes auteurs signalent le début brusque, sous l'influence d'un choc moral, d'un traumatisme ou d'une simple pression. Besnier lloc. cîtat.) après avoir constaté l'étiologie microbienne des verrues, remarque que les microbes finissent par s'atténuer et s'éteindre dans les verrues anciennes, et il écrit: « Ainsi s'explique la disparition subite, ainsi que l'apparition et l'évolution ultérieure, autrefois si énigmatique. » Il ne semble pas, toutefois, que leur apparition et leur disparition soit tout à fait expliquée.
Il s'agit de prendre un morceau de rouelle de veau, gros comme une fève et cru, puis d'en frotter la verrue, jusqu'à ce que la viande devienne un peu noire, (je cite textuellement). Cela demande généralement quelques minutes, à ce qu'il parait.
Au bout de quinze jours à trois semaines, les deux premières verrues sont devenues tout à fait sèches, et il suffit de gratter très légèrement pour les faire tomber.
Mais la troisième verrue persiste. Bien plus, dès que les deux premières ont disparu, celle de l'auriculaire se met à grossir. Elle atteint très vite le volume d'un gros pois. Elle reste stationnaire pendant neuf mois; au bout de ce temps, on essaie encore un moyen populaire réputé très efficace.
On prend des feuilles de « petit louis » ; on les débarrasse de leur première pelure, (je cite toujours textuellement) ; on les écrase et on les met sur la verrue. Chaque soir, pendant un mois, on renouvelle le traitement ; mais, cette fois, sans aucun résultat.
Comme ce procédé n'a pas réussi, on en inaugure un autre. Tous les soirs, au dîner, la soupe est apportée bien chaude dans une soupière bien close. On enlève le couvercle, on le retourne vivement et l'on verse sur la verrue les gouttelettes provenant de la vapeur qui s'est déposée sur la face interne du dit couvercle. Cette fois encore le procédé est inefficace.
Agacée de ces insuccès, la jeune Suzanne B. écorche, morcelle, fendille, arrache avec les ongles des lambeaux de sa verrue. Elle gratte rageusement « jusqu'à l'os, me dit la maman, sans jamais parvenir à la déraciner. » La verrue repousse de plus belle.
Au moment où je me décide à l'attaquer par la suggestion hypnotique, elle se présente sous l'aspect suivant, ainsi qu'on peut s'en rendre compte d'après les épreuves que je vous fais passer. A ce sujet, je réclame votre indulgence, je suis un photographe encore inexpérimenté, il s'agit de poses dans un intérieur avec insuffisance d'éclairage ; mais, telles qu'elles sont les dites épreuves me paraissent suffisamment démonstratives.
Au centre, on voit une profonde excavation, sorte de cratère dont le fond est noir; les bords du cratère sont abrupts, escarpés, crénelés; le corps de la verrue est cinq ou six fois fendillé dans le sens radiculaire.
Je suggère, pendant le sommeil hypnotique, que très certainement la verrue disparaîtra prochainement, Suzanne B. n'y pensera plus du tout, elle l'oubliera, mais il se fera un travail lent qui, petit à petit amènera la guérison; petit à petit la verrue diminuera de volume, elle se flétrira, se fânera et finalement disparaîtra.
Suzanne B., retenue toute la semaine dans son pensionnat, ne peut venir me voir que chaque dimanche matin.
Au bout d'une semaine, avant même que ne commence notre deuxième séance, je constate que la verrue a considérablement diminué de volume; il subsiste encore une petite ombilication noire et un petit relief.
Le dimanche suivant, avant la troisième séance il n'y a plus ni relief, ni ombilication, mais la peau est encore fortement pigmentée sur toute la région occupée par la verrue.
Le dimanche suivant, avant la quatrième séance, il n'y a plus de pigmentation. A la place de l'ancienne verrue, on constate une peau glabre et décolorée.
Huit jours après, la peau est redevenue normale, sans qu'il y ait aucune différence de coloration.
On le voit, quatre séances faites chacune à une semaine d'intervalle ont suffi à supprimer celte verrue.
Cela se passait, il y a plusieurs mois. Depuis lors, il n'y a pas eu de récidive.
M. Bérillon. — Une femme de Lausanne a guéri un nombre considérable de verrues en les touchant avec la chemise d'une femme qui venait d'avoir ses règles. Bonjour (de Lausanne) les guérit couramment par un attouchement quelconque, après avoir bandé les yeux du sujet. Gilbert (du Havre) les guérissait par intimidation. Moi-même par l'hypnotisme, j'ai obtenu une dissociation curieuse : chez un individu porteurs de verrues aux deux mains j'ai, par suggestion limitée, supprimé seulement les verrues de la main gauche, tandis que les verrues de la main droite sont restées intactes. Elles ne disparurent de la main droite que par une suggestion portant cette fois sur les verrues de ce côté. M. Macris (d'Athènes). — En Grèce on obtient de semblables guéri-sons en récitant des prières consacrées; mais il est indispensable que cela se passe le soir de la pleine lune.
M; Lèpinay. — Les empiriques de nos campagnes guérissent les verrues non seulement chez les humains, mais aussi chez les animaux par des prières spéciales, des attouchements, des piqûres avec des épines spéciales.
M. Paul Magnin. — Les verrues qui guérissent le plus aisément par la suggestion, sont celles qui saignent très facilement, c'est-à-dire les plus vasculaires. Si l'on se rappelle que la suggestion produit tous les degrés de la rubéfaction jusques et y compris la vésication. on comprendra qu'elle réalise des actions vasomotrices suffisantes pour provoquer la disparition des verrues.
Un cas de paraplégie consécutive à une atrophie musculaire d'origine articulaire, traitée par divers moyens et finalement guérie par la suggestion.
Par M. le Dr Stembo, de Vilna.
A la fin du mois de mai 1897, j'ai été appelé auprès d'une jeune fille de 13 ans, Mlle E. 0... Elle a un frère plus âgé et une soeur plus jeune qui sont tous deux bien portants. Leur mère est aussi tout à fait en
bonne santé; leur père est à la période ataxique du tabès; il nie avoir eu la syphilis.
Jusqu'à l'âge de 11 ans, Mlle E. 0... est bien portante, sans avoir eu aucune des maladies de l'enfance. En janvier 1895, elle est atteinte d'une angine grave et deux jours après elle est prise de douleurs dans le pied gauche, ainsi que dans la main droite; elle ne peut plus remuer les parties malades.
Vers le milieu de février, elle contracte la rougeole. Il semble que celle-ci améliore un peu son état, car Mlle E. 0... peut, au commencement d'avril, se lever de son lit et marcher avec une canne. Mais elle ne peut pas encore écrire.
Vers le milieu de mai, les mains et les jambes sont en meilleur état; la malade peut monter et descendre un escalier, jouer au croquet, mais en s'aidant d'une canne.
Pendant l'été, elle prend des bains chauds et on lui fait huit injections de strychnine. En décembre, elle peut marcher seule et, à partir de janvier 1896, la jeune malade se sent tout à fait rétablie; elle s'adonne alors à la musique et reprend ses études.
Le 6 février 1896, à midi, la jeune fille commence à se plaindrede nouveau de douleurs dans les jambes ; le 8 février, la température monte à 38. On lui ordonne du salicylate de soude, qu'elle ne peut pas supporter. Elle a de violents accès d'oppression qui dimiDuent quand on cesse le médicament. Bientôt les douleurs apparaissent dans la main droite.
Le 9 février, plusieurs articulations deviennent douloureuses et, pendant la nuit, survient un nouvel accès d'oppression qui dure une heure et demie. On ordonne à la malade de l'iodure de potassium et, pour apaiser les douleurs, des injections sous-cutanées de morphine. Pendant ce temps, la malade reste sans connaissance et gémit durant plusieurs heures.
A la fin de mai, l'étal de la malade s'est assez amélioré pour qu'on décide de l'emmener faire une saison de bains salés à Druskeniki. Avant de partir, elle présente de la chorea minor; à la suite de cela, les articulations se gonflent et deviennent douloureuses.
Le professeur S. S. Korsakow que les parents de la malade vont, pendant leur voyage, consulter à Moscou, approuve la saison à Druskeniki. Là on la traite par les bains, le massage et l'électricité. L'état de la malade s'améliore à vue d'œïl. Les articulations se dégonflent, les douleurs diminuent et l'agitation choréique devient moindre.
A la fin d'août 1896, la famille 0... vient habiter Vilna. Au mois d'octobre de celte môme année, celte jeune fille présente à nouveau de très violentes douleurs dans les mêmes régions qu'auparavant. A la suite d'une consultation de plusieurs médecins, on décide de soumettre la jeune malade à un traitement électrique. Celui-ci est continué jusqu'à la fin de février 1897. Pendant ce temps outre l'électricité, on prescrit l'iodure de potassium et des frictions mercurielles. Une fois on fit vingt pointes de feu dans le bas du dos.
Malgré toutes ces interventions survient petit à petit une paralysie complète avec atrophie manifeste de tous les muscles des extrémités inférieures et pied bot varus équin paralytique. Pendant ce temps, les douleurs sont si vives que la malade pleure à haute voix toute la journée.
Lorsque je la vois pour la première fois, le 28 février 1897, l'état de la malade est le suivant:
Mlle E. O... est grande, pour son âge, et étonnamment bien bâtie, quant à son système osseux ; sa peau et ses muqueuses ne sont pas trop pâles ; la couche graisseuse sous-cutanée est suffisamment développée. La sensibilité de la peau est tout à fait normale. Les réflexes cutanés et tendineux sont très diminués. Le réflexe patellaire est aboli ainsi que le réflexe palmaire. Les muscles de la ceinture scapulaire gauche et du bras droit sont restés intacts. Ceux de l'avant-bras droit, de la main droite et des deux extrémités inférieures sont très atrophiés. La main droite peut encore exécuter quelques mouvements; mais la malade ne peut pas du tout remuer les jambes. Les divers sens sont normaux ; il n'y a ni parésie des muscles oculaires, ni rétrécissement du champ visuel, ni dyschromatopsie. A part un léger souffle systolique à la pointe du cœur, il n'y a rien de pathologique dans les organes thoraciques. Ceux de l'abdomen ne présentent non plus rien d'anormal. L'urine ne contient ni albumine ni sucre. Les articulations du genou et du pied sont gonflées et très douloureuses. Les muscles et les nerfs des extrémités inférieures ne sont pas douloureux à la pression. L'irritabilité mécanique des muscles atrophiés des deux jambes, même celle des extenseurs est restée normale. L'irritabilité électrique est très diminuée, mais il n'y a aucune trace de réaction de dégénérescence. Du côté de la miction et de la défécation, rien d'anormal.
Ce premier examen rapide me montre clairement qu'il s'agit ici d'une parésie des deux extrémités inférieures consécutive à une atrophie musculaire causée par l'inflammation articulaire. En un mot c'est un cas d'atrophie musculairo réflexe d'origine articulaire, comme les auteurs anglais, français, américains et allemands en ont rapporté de nombreux cas.
Je ne veux pas ici insister sur la littérature et la théorie de cette maladie. Le professeur Albert Hoffa les a récemment très bien expo-sées (1).
Je dois dire que lors d'un examen ultérieur de la malade je constatai que la paralysie des extrémités l'emportait sur l'atrophie musculaire. En d'autres termes, le gonflement articulaire et l'atrophie musculaire ne pouvaient pas dans ce cas être la seule cause de la paralysie des deux jambes. A la cause anatomique s'est ajoutée une influence psychique de bien plus grande importance. La vue du tabes du père a influé sur l'état psychique de la malade.
(1) Sammlung Klin. Vortraege, par Richard von Volkmann, Neue Folge, n 50. Zur Pathogenese der Àrthritischen Muskelatrophien.
Je ne puis penser à un traitement psychique, aussi longtemps que les muscles sont atrophiés et lesarliculations gonflées et douloureuses. J'ordonne du salol, l'enveloppement humide des articulations malades et des bains hydroélectriques. Dans le bain, des mouvements actifs et passifs des régions malades rendent les articulations plus mobiles. En môme temps, les muscles sont soumis l'un après l'autre aux courants galvano-faradiques. Comme, après deux mois de traitement, le gonflement et la douleur articulaire n'ont pas complètement disparu, j'envoie la jeune malade à Kemmern, où elle prend des bains d'eau minérale chaude.
A son retour, le traitement précédent est repris. Vers le milieu de décembre, toute douleur a quitté les articulations et les muscles sont à tel point modifiés que la malade peut exécuter toutes sortes de mouvements dans son lit. De même les extrémités inférieures ont repris toutes leurs fonctions ; elle peut, en outre, écrire, jouer du piano et coudre. Mais elle ne peut ni se lever, ni se tenir debout, sans secours étranger. 11 subsiste encore une astasie-abasie.
Deux ou trois fois, j'essaie, sans résultat, de la plonger dans l'état hypnotique. Alors j'ai recours à la suggestion pendant l'état de veille. Je dis à la malade qu'elle va être tout à fait guérie et qu'elle pourra se tenir debout. Elle devra attendre jusqu'au surlendemain à deux heures et dès qu'elle verra ma voiture s'arrêter devant sa maison, aussitôt, sans hésiter, elle se lèvera, ira jusqu'à l'antichambre et se tiendra sur le pas de la porte pour m'y attendre.
Au jour dit, tout cela se réalise ponctuellement.
Depuis, elle est bien portante et, bien qu'elle ait eu deux ou trois attaques de rhumatisme, ces troubles ne se sont pas reproduits. Quatre années se sont écoulées et l'astasie-abasie n'a pas reparu.
Discussion.
M. Bérillon. — Lorsqu'on tente d'hypnotiser un malade on ne sait pas toujours exactement quel est le résultat obtenu. Très souvent les malades déclarent qu'ils n'ont pas été endormis, alors on estime que l'hypnotisme n'a pas été obtenu. C'est là une erreur. L'état hypnotique a été réalisé dans une certaine mesure. Ce qui le prouve c'est que souvent les malades éprouvent le besoin de dormir quand ils sont rentrés à la maison. De plus, après ces tentatives d'hypnotisme, ils font preuve d'une suggestibilité beaucoup plus grande qu'à l'ordinaire.
En réalité, l'hypnotisme existe bien avant l'apparition du sommeil et lorsqu'on croit faire de la suggestion à l'état de veille on la fait dans un état hypnoide ou dans un des premiers degrés de l'hypnotisme.
VARIÉTÉS
LOURDES (1)
Marguerite Mouche, atteinte du mal de Pott, est une petite fille de cinq ans. Elle claudique encore mais son état général parait meilleur.
M11e G. Precz est encore une tuberculeuse. La maladie avait fait dans ces derniers temps de rapides progrès et l'on craignait pour la malade.
Depuis la procession du T.-S. Sacrement, elle court, se meut, mange sans difficulté. Son état s'est bien amélioré.
Plus loin, on trouve deux cas à longue échéance de « guérisons publiées par le bureau des constatations médicales ».
1° Marie Morel, de Boileux-Saint-Marc (Pas-de-Calais), est arrivée à Lourdes Vannée dernière, dans un état de prostration alarmant. Atteinte de neurasthénie, elle n'avait pas quitté son lit depuis plusieurs mois, et avait de plus un lupus érythémateux qui lui couvrait toute la figure et la défigurait complètement. Son aspect repoussant et l'odeur fétide qui se dégageait des plaies dont elle était couverte en faisaient un objet d'horreur. Les autres pèlerins s'écartaient sur son passage et il avait fallu l'isoler complètement pendant le voyage. Au second bain de piscine, elle s'était levée, avait marché et était venue au bureau des médecins, suivie d'une foule nombreuse qui constatait avec étonnement le merveilleux changement qui s'était opéré en elle. Toutes ses plaies s'étaient cicatrisées en quelques instants; les croûtes du visage s'étaient détachées ; c'était un changement à vue d'oeil qui s'opérait en elle.
La guérison du lupus était complète depuis l'année dernière, et le visage de Marie Morel ne conservait plus la moindre trace de cette maladie, mais l'état neurasthénique n'avait subi qu'une amélioration passagère, et la malade est revenue, cette année, aussi faible et aussi malade qu'au dernier pèlerinage, ayant passé tout son temps au lit, avec des palpitations, de la gastralgie, ne prenant presque pas de nourriture, dormant très peu. Elle ne pouvait pas se tenir debout, parlait difficilement et, dans la matinée du 10 août 1901, avait eu plusieurs syncopes ; il avait fallu lui faire plusieurs injections d'éther pour la ranimer.
Dans l'après-midi du même jour, à la procession du T.-S. Sacrement, Marie Morel s'est levée du matelas sur lequel elle était couchée, et a marché. Elle s'est rendue peu après au bureau médical, marchant sans difficulté ; son teint rose, très naturel, la facilité avec laquelle elle répondait aux questions qui lui furent adressées, lui donnaient un air de santé
(1) Voir les numéros de juillet et août.
qui frappèrent tous les assistants. La malade déclara avoir faim pour la première fois depuis trois ans.
En effet, dans la soirée, et le lendemain, 11 août, elle a mangé comme elle ne l'avait pas fait depuis bien des années. Au départ du pèlerinage, la guérison se maintient ; la jeune fille accuse seulement un peu de fatigue, occasionnée par les nombreuses visites auxquelles on n'a pu la soustraire.
2° Mme Kriegel, de Montigny-sur-Gohelle(Pas-de-Calais), était atteinte, d'après le certificat médical de tuberculose, caractérisée par des gommes tuberculeuses et des abcès froids. Le cou, des deux côtés, était criblé de cicatrices. La malade a été traitée par plusieurs médecins et a subi six opérations de curretage ; depuis quatre mois, la marche était impossible par suite d'un abcès situé au pli de l'aine.
Dès l'arrivée à Lourdes, l'état général s'est amélioré sensiblement : l'appétit et les forces sont revenus ; la malade marche et l'abcès de l'aine s'est ouvert spontanément.
»
• •
La nuit est tombée lentement, et le jour, de clarté puissante, a eu peine à s'éteindre. A l'horizon, du côté de Bayonne, moutonnent depuis quelques instants de gros nuages, mais sur Lourdes les étoiles scintillent. Le château qui domine la vieille ville vient de s'illuminer. Presque en même temps parait là-bas, sur te pic du Ger, à plus de 1000 mètres dans les airs, une grande croix lumineuse annonçant à trente kilomètres à la ronde, aux paysans étonnés et aux touristes surpris, que la Prière va s'élever des bords du Gave de Pau vers le Ciel.
La basilique s'éclaire à son tour dans le noir du firmament: des globes de verre de couleur en dessinent harmonieusement les lignes pendant que les initiales n.-de-Ii. se détachent en rouge et bleu sur la base du clocher. Une balustrade entoure cette base, et permet de dissimuler de puissantes lampes à arc voltaique dont la lumière vient se projeter de bas en haut sur la flèche qui émerge, toute éclatante de blancheur, de son soubassement richement illuminé.
Les pèlerins se rassemblent : ils sont dix mille, munis chacun d'un d'un cierge garni à sa partie supérieure d'un cornet de papier qui protège la flamme du vent, et le pèlerin des gouttes de cire. Ils vont du côté de de la Grotte, point de départ de la procession. Les cierges s'allument, les bannières se lèvent, les drapeaux se déploient et les chants commencent sur un ton criard qui va rester uniforme : ave, ave. ace Maria. Les pèlerins sur quatre rangs, suivent d'abord la route du bord du Gave, puis viennent aborder à droite la naissance de la grande rampe de granit. Lentement ils gagnent la terrasse de la Basilique, la traversent et redescendent par la rampe de gauche, longeant ensuite le flanc droit de l'Esplanade pour aller contourner là-bas la Croix des Bretons. Et, au fur et à mesure que les premiers avancent, d'autres surgissent lente-ment progressivement, régulièrement; plus le ruban de feu s'allonge, plus
il se fournit. Les cierges succèdent aux cierges sans jamais s'épuiser et bientôt on n'en attend plus la fin.
La tète du cortège a fait le tour de l'esplanade, elle est revenue vers l'église du Rosaire, et elle gravit à nouveau la haute rampe pour repasser sur la terrasse. Et bientôt de la Basilique à la Croix des Bretons, c'est un serpent de feu, sans queue ni tète, qui glisse lentement qui monte et qui descend, s'enroulant et se déroulant sans cesse. Et les Ave chantés sans mesure, sur des tons différents, continuent sans trêve, sans rémission, sans alternance, pendant une heure et demie.
Quand, du haut de la terrasse à la place du Rosaire et d'un bout de l'esplanade à l'autre, les cierges vacillants ont assez serpenté, la tête du cortège gagne définitivement le porche de l'église, mais en exécutant une série de mouvements tournants. L'immense trainée lumineuse vient se replier devant le Rosaire et s'y fondre en une tache de feu. Peu à peu le côté droit, puis le fond de l'esplanade s'éteignent; le côté gauche retombe à son tour dans la nuit, et tous les cierges des dix mille pèlerins tournoient maintenant, d'abord avec ordre, puis en désordre complet, sur la grande place. Les Ave ont cessé. Les bannières et les drapeaux se sont successivement rangés en haut des marches. Un Père ' entonne le Magnificat; la foule immense répète le chant sacré, et l'écho de sa voie géante s'en va frapper au loin les montagnes muettes dans la nuit.
La place du Rosaire est embrasée, la basilique est resplendissante, la croix du pic de Ger, brille immense, dans le ciel noir. Tout à coup le vent s'élève, violent; par dessus la foule, éclairé par la façade illuminée de la Basilique, tourbillonne un nuage de poussière, ajoutant à la grandeur du spectacle.
Des éclairs, d'abord rares, puis de plus en plus fréquents, blanchissent le ciel d'un bout de l'horizon à l'autre; le tonnerre gronde, menaçant, se répercutant cent fois par delà Argelès, dans les gorges profondes. Le vent souffle, puissant, et chasse vers la ville les curieux et les craintifs. Mais la place du Rosaire garde tous ses pèlerins insoucieux de l'état du ciel et de nouveau clamant à la Vierge, de toute ia force de leurs poitrines :
Ave, ave Maria, gratta plena, ave, ave Maria !
Et les éclairs fendaient la nue, nimbant d'une auréole blanche le pic du Ger dont la croix scintillante bravait de ses feux immobiles les immenses lueurs fugitives des cieux.F.
Jayle.
17e Année.—N° 4.
Octobre 1902.
BULLETIN
Le 79e anniversaire de Liébeault—Plaque commémorative
lE 16 septembre dernier, Auguste-Ambroise LIÉBEAULT entrait dans sa quatre-vingtième année. Affaibli par l'âge et surtout par la maladie, il vivait depuis plusieurs années, retiré du monde, dans une demi-solitude. Après un séjour à Sion, dans
liebeault
un site calme et réconfortant, il se disposait à se réinstaller détinitivement à Nancy ; mais auparavant, il voulut, à l'occasion de son soixante-dix-neuvième anniversaire, revoir encore une
fois le toit paternel et le petit village où il avait passé ses premières années. Arrivé devant la maison qui l'avait vu naître, il eut à la fois la surprise et la fierté d'y voir apposée une plaque en marbre blanc où il put lire l'inscription suivante:
Dans cette maison naquit le (6 septembre 1823 LIÉBEAULT, Ambroise, Auguste, docteur en médecine, médecin modeste et homme de bien, qui ouvrit une ère nouvelle aux sciences médicales en la datant de sa découverte : L'application méthodique de la suggestion et du sommeil provoqué au traitement des maladies.
Cette plaque commémorative fut apposée au nom de ses nombreux amis et disciples, tant français qu'étrangers par
Agathe HEMMERLE, d'Odessa;
Jules Voisin, Edgar BéRIllon, Paul MAGNIN, Paul Farez, représentants de
la Société d'hypnologie et de psychologie de Paris ; Oscar Vogt, Auguste Forel, représentants du « Zeitschrift für Hypnotismus ; Albert Baron von SchrencK-NoTzing, de Munich; Charles Lloyd-Tuckey, de Londres; • Otto Wetterstrand, de Stockholm;
Albert-Willem van Renterghem, Directeur de l'Institut psychothérapeutique « Llébeault d'Amsterdam.
Instruits du dessein qu'avait formé Liébeault de faire ce dernier et pieux pèlerinage à son pays natal, Mme Haemmerlé et le Dr Renterghem avaient eu la touchante pensée de faire apposer cette plaque ; ils s'en étaient ouverts à quelques-uns des amis et dévoués disciples du maître; les uns et les autres furent unanimes à approuver ce projet. Dorénavant les habitants de Favières, qui probablement l'ignoraient, pour la plupart, sauront qu'ils ont lieu de s'enorgueillir d'un éminent compatriote, déjà universellement honoré sur la fin de sa vie et dont la postérité consacrera la gloire.
La vie, le caractère et l'œuvre de Liébeault sont trop connus des lecteurs de cette Revue pour qu'il soit nécessaire d'y insis ter à nouveau. Liébeault est proprement le fondateur de la psychothérapie dont il a magistralement exposé à la fois la théorie et la pratique. Joignant l'exemple au précepte, il a pendant de longues années, chaque jour, de sept heures à midi, gratuitement soigné dans sa modeste clinique, avec un dévoue-
ment sans borne, des milliers de malades dont il était la providence; auprès de lui sont allés s'initier les psychothérapeutes de tous les pays ; c'est de lui qu'ils se réclament ; ce sont ses méthodes qu'ils appliquent.
Parmi eux, le Dr Van Renterghem, tout particulièrement; avoué au maître un culte reconnaissant; il a écrit sur Lié-beault une étude fort remarquable dont nous avons ici même donné J'analyse; il a fait construire récemment, à Amsterdam,
clinique du Dr Liebeault
un magnifique Institut psychothérapeutique dont le nom de Liébeault décore la façade et dont le volume du deuxième Congrès international de l'hypnotisme reproduit de nombreuses planches photographiques. Pour l'initiative qu'il vient de prendre, il mérite nos très vifs remerciements, ainsi que Mme Haemmerlé, qui fut la collaboratrice de Liébeault et, pour ainsi dire, son bras droit et qui, aux heures sombres de la maladie, lui prodigue encore son fidèle attachement et ses soins assidus.
Tous les collaborateurs de la Revue de l'Hypnotisme s'associent cordialement au pieux et si légitime hommage rendu au maître qu'ils vénèrent et auquel ils adressent l'expression de leur très profond attachement.
La Rédaction.
Le spiritisme est l'ennemi du spiritualisme et de la science (1)
Par M. Jules Bois
Charles Renouvier croit aux esprits, mais raille les spirites. — Le Fétichisme des spirites. — Les spirites ne sauraient être considérés comme des observateurs.— Le Médium est un aliéné au sens propre du mot, d'après la définition qu'en don- nent les spirites. — Les médiums devraient se contenter d'être des sujets.
Un subtil adversaire du spiritisme, c'est M. Lionel Dauriac. Son opinion est d'autant plus intéressante que théoricien et psychologue de carrière, il est membre de la Société d'hypno-logie et de psychologie et fréquente volontiers les réunions discrètes du spiritualisme moderne où les jolies femmes ne manquent pas. Ainsi le théoricien est devenu praticien. Je crois bien que M. Dauriac s'est donné la tâche de sauver par le raisonnement quelques-unes des plus originales et des plus intelligentes parmi les adeptes de cette superstition nouvelle. J'espère qu'il y réussira ; en tous cas sa consultation mérite d'être lue par tous, car elle n'émane pas, — comme c'est le cas de certains, — d'un cerveau de parti-pris, indifférent aux nouveautés de la psychologie. Je me rappelle qu'avec M. de Rochas et moi, il voulut bien s'attacher à découvrir quel service par exemple l'hypnotisme pourrait rendre à la musique et à l'art plastique. L'hypnotisme en effet permet d'enregistrer sur un organisme humain presque aussi fidèlement qu'avec un instrument de physique des vibrations verbales et des rythmes. Il peut devenir par le geste et l'expression le traducteur inconscient des émotions éternelles suscitées par la voix, le chant, un instrument ou un orchestre.
Voici, résumée aussi brièvement que possible, l'opinion de M. Lionel Dauriac sur les phénomènes « spirites » :
1° Y-a-t-il des esprits ? Les mondes et les intermondes sont-ils « peuplés de démons, » ainsi que le pensait le Milésien Thalès ? Ceux que nous avons perdus ne continuent-ils pas de vivre tout près de nous? Continuent-ils de s'apparaitre à eux-mêmes, de percevoir ce qui se passe sur notre planète, dans les lieux qu'ils fréquentèrent? Leur immortalité non seu-
(1) Nous extrayons du livre de M. Jules Bois sur l'Au-delà et les forces inconnues, l'opinion de notre collaborateur M. Lionel Dauriac, professeur honoraire à l'Université de Montpellier, sur le spiritisme.
lement psychique mais physique ne peut-elle se concevoir soumise à des conditions qui nous en rendent l'expérience directe impossible ? Telle est l'opinion soutenue par Ch. Renou-vier vers la fin de son Second essai de critique générale. Il n'est pas de plus ferme croyant en la vie future que ce penseur dont le nom comptera parmi les plus grands de la pensée contemporaine. Et pourtant si vous voulez exciter sa verve railleuse, parlez-lui d'occultisme et de spiritisme. Vous le trouverez, sur ce point, înébranlablement incrédule. Je ne suis pas, moi, ce qui s'appelle un incrédule, mais je reste sceptique.
2° Je reste sceptique en ce qui concerne l'existence des esprits tout en ne la déclarant pas impossible. J'estime qu'attribuer à des « esprits » les phénomènes extraordinaires dont leur intervention est censée être la seule cause, c'est, qu'on le veuille ou non, substituer à ce que l'on croit être une explication, une « inexplication véritable ». C'est, dirai-je avec Auguste Comte, se mettre dans un état d'esprit théologique ou fétichique pour trouver la raison d'un phénomène physique. On rit de l'enfant qui bat la chaise parce « qu'elle lui a fait mal ». On ne rit pas de l'homme adulte quand il parle de l'esprit qui fait tourner !a table. Ils sont pourtant, l'un et l'autre, logés à la même enseigne.
3° Je reste sceptique en ce qui concerne l'existence des phénomènes occultes, envisagés dans leur stricte « phénoména-lité ». — Je n'en ai donc jamais vu, de ces phénomènes ? — Au contraire. J'en ai vu, et de tout genre, et dans des conditions telles que tout soupçon de supercherieconsciente m'est défendu. Mais voir « ce qui s'appelle voir » est une chose ; savoir en est une autre, et qui implique le contrôle. Qui ne contrôle pas ne constate véritablement pas. Je puis comme pas mal de gens de ma connaissance, extraire de ma mémoire maint souvenir de faits aux allures extraordinaires ou même absurdes. Mais je ne me reconnais pas le droit de faire sortir ces faits de ce que je me permettrai d'appeler l'état anecdotique. Aussi n'en ai-je jamais tenu compte dans mes travaux ou dans mes recherches.
4° Sceptique sur les deux points que je viens de toucher, il en est un troisième en lequel mon scepticisme fait place au plus intraitable dogmatisme. Je refuse péremptoirement aux pratiquants du spiritisme le titre d'observateurs dont ils se prévalent et l'autorité qu'ils s'arrogent. Aussi bien ces soi-disant observateurs se contredisent, car en même temps qu'ils se prennent pour des gens de laboratoire ils s'appellent médiums.
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De plus ils reconnaissent que pour faire métier de médium il faut dépouiller la personnalité. Ainsi de leur propre aveu, tous les médiums sont des aliénés au sens propre du terme. Or ce n'est pas aux aliénés qu'on demande une pathologie de l'aliénation. On les interroge, on les écoute : on enregistre leurs réponses à titre de documents pathologiques, mais on se défend de les croire sur parole. Telle est l'attitude qui conviendrait à l'égard des médiums le jour où cessant de se prendre pour des opérateurs ils consentiraient au modeste rôle de « sujet ». Ce jour est encore lointain.
Un médecin vitaliste et psychologue : J.-B. van Helmont
(1577-1644) (1)
Par M. le Dr Meunier, de Pontoise . (suite et fin)
II. — L'œuvre. — Le vitalisme : essai de pathogénie de la fièvre. — Les ferments. — Premiers essais de chimie biologique.
Dans la préface de ses œuvres, Van Helmont se montre l'adversaire, l'ennemi déclaré des doctrines galéniques, et surtout de la doctrine humorale, qu'il traite de « niaiserie ». La phlé-botomie et les cautères sont des moyens pernicieux. La saignée diminue la longueur de la vie; quant aux cautères, ils n'ont jamais produit qu'un effet douteux et incertain. Il repousse la doctrine thérapeutique « contraria contrariis, » prétendant que la médication rationnelle doit être faite par des médicaments appropriés et actifs ; bref, il veut jeter par terre toute la physiologie des Anciens pour la remplacer par les documents des Ecoles des Physiciens. Aussi son livre est-il intitulé : Médecine nouvelle ou Principes nouveaux de Physique. Si nous allons jusqu'au fond de sa pensée, il veut faire table rase de tout ce qui a été écrit avant lui — sauf cependant — des œuvres de la collection hippocratique et établir à leur place sa doctrine à lui, pour mettre plus en vue sa personnalité.
Aussi ne veut-il pas se donner le titre de médecin qui ne figure qu'une ou deux fois dans le cours de son œuvre; ses différents ouvrages sont signés : Van Helmont, seigneur de Mérode, de Royenborch, etc., ou encore : Van Helmont « philo-sophusper ignem », c'est-à-dire chimiste.
(1) Voir la Revue de l'ypnotisme de septembre 1902.
Pourquoi n'a-t-il jamais voulu être simplement Van Helmont, docteur en médecine ? parce que le titre était pour lui de trop peu de valeur; il se considérait plus qu'un médecin et il voulait être considéré comme un être supérieur au praticien. De plus, il était noble et c'était déchoir pour un noble que de pratiquer la médecine. — « Indignatus mecum dolui, qui nobilis essem, quod invita matre et insciis agnatis pritnus in îiostra familia, Me-dicinae nuncuparem. » Aussi ne pratique-t-il la médecine qu'en grand seigneur, se faisant mal payer et donnant gratuitement des médicaments. Ajoutons qu'il se faisait de la médecine une idée extra-terrestre. Pour lui c'est Dieu qui crée le Médecin et non les Ecoles. Le médecin est l'intermédiaire entre Dieu et l'homme. Le médiateur entre le principe de la vie et la mort.
Pour lui, comme nous l'avons déjà dit plus haut, on ne peut exercer la Médecine que si on a reçu de Dieu lui-même le don de guérir. C'est avec l'exagération habituelle de son tempérament nerveux l'idée des auteurs de la collection hypocratique quand ils disent dans La Loi (Trad. Littré, I, 4) :
« Mais les choses sacrées ne se révèlent qu'aux hommes sacrés, et il est interdit de les communiquer aux profanes tant qu'ils n'ont pas été initiés aux mystères de la science. »
Aussi ne fut-il jamais un praticien, ni un professeur, mais un isolé, une sorte de génie mal équilibré qui sut cependant, grâce à ses idées générales, établir une doctrine qui, aujourd'hui, reste encore debout après bien des assauts, et qui même, depuis les découvertes contemporaines, semble briller d'un plus vif éclat.
Les œuvres complètes de Van Helmont, avons-nous dit plus haut, furent publiées après sa mort par son fils François Mercure Van Helmont; mais, de son vivant, il avait fait paraître quelques opuscules — c'est le terme qu'il emploie — très hardis au point de vue doctrinal. C'était comme une sorte de manifeste provocant contre les théories des Ecoles d'alors, contre le Galénisme, qui régnait encore, un peu contesté cependant par toute l'Europe. Le plus important de ces opuscules est le Traité des Fièvres, qui parut en 1643 avec une note contre les quatre humeurs. Il faut croire qu'il attachait une grande importance à ce Traité qui fut déchiré (laceratus) de son grand ouvrage : Ortus Medicinse.
Pour lui, depuis Hippocrate, la Médecine n'a pas fait de progrès. Il faut chercher s'il n'y a pas à dire sur la fièvre autre chose que ce qu'en dit Galien. Il ne veut pas s'en tenir aux
symptômes extérieurs, il veut aller au fond même des choses et donner une explication des causes de la fièvre, définir l'essence même de la fièvre — nous dirions aujourd'hui tenter une pathogénie de la fièvre.
Les Ecoles définissaient alors la fièvre : « Une chaleur contre nature qui s'allume dans le cœur et va ensuite malfaisante se répandre par tout le corps ; cette chaleur est causée le plus souvent par la putridité des humeurs dont la diversité différencie les espèces de fièvre. »
Van Helmont va s'élever contre ces deux assertions (chaleur et putridité des humeurs); va nous montrer que la chaleur, ni la putridité des humeurs ne sont la cause ni l'essence des fièvres ; qu'il n'y a qu'une fièvre en somme, qui est simplement l'expression de la lutte de l'archée, du principe vital, de la vie elle-même contre la matière fébrile peccante.
Vous, humoriste, vous prétendez que la fièvre n'est qu'une chaleur contre nature qui du cœur, va, malfaisante se répandre par tout le corps, mais alors pourquoi y a-t-il des fièvres qui n'ont pas de chaleur apparente ? pourquoi la plupart des fièvres commencent-elles par un frisson ?
Vous prétendez que la fièvre est causée par la putridité des humeurs et vous dites qu'elle commence par le cœur, organe où ne se fabrique pas d'humeurs. Comment se fait-il que votre fièvre s'allume précisément dans un organe où il n'y a pas de matière peccante '? (materia febrilis peccans).
Mais la racine, l'essence de la fièvre est la matière peccante elle-même et la chaleur est causée par la lutte de l'archée contre la matière peccante.
Un exemple : une épine froide est entrée dans l'extrémité d'un doigt et voilà que rapidement une chaleur contre nature se répand dans tout le doigt. Il s'y produit de l'inflammation, du gonflement avec dureté du pouls et de la douleur : tous ces phénomènes sont dus à l'effort que fait l'archée pour chasser l'épine qui est entrée dans le doigt.
Il en est de même pour la fièvre.
L'augmentation de chaleur contre nature peut être un signe de la fièvre, mais ce n'est pas la fièvre elle-même.
Quant à la putridité des humeurs et à leur diversité différenciant les fièvres, il ne l'admet pas comme cause de fièvre, parce que s'il en était ainsi, si la chaleur était fille de la putridité, la fièvre ne devrait pas commencer par un frisson.
Du reste, Van Helmont nie la putridité des humeurs qui,
selon lui, ne peuvent se putréfier dans un organisme vivant. II a distillé du sang, il peut l'affirmer. Et Galien se trompe étrangement quand il dit que lorsque le sang se putréfie, il devient de la bile.
Puisque la fièvre est causée par la lutte de l'archée contre la matière peccante, il ne paraît pas inutile de rechercher ce qu'il faut entendre par ce mot diversement interprété aux différentes époques de l'histoire de la Médecine. Le mot Archée (de ap/, principe, commencement, cause première) a été employé pour la première fois en Médecine par Paracelse, qui l'avait emprunté au moine Basile Valentin, alchimiste célèbre du xv" siècle. Pour lui, l'archée était l'agent universel, le feu central qu'il regardait comme le principe de vie de tous les végétaux. Paracelse s'empare de ce mot et t'applique aux phénomènes de la vie animale. Van Helmont le reprend pour lui donner plus de valeur, et en fait remonter l'origine à Hippo-crate. L'archée de Van Helmont, c'est l'esprit de vie d'Hip-pocrate (aura vitalis); c'est l'esprit vital qui est le conducteur de tout ce qui se fait en nous, quand il se met en mouvement
— c'est encore ce qu'il appelle -° ev^u^. T« eviûp(iov?a. C'est lui enfin qui donne l'initiative des mouvements locaux et de translation. C'est lui qui est mis en jeu quand la matière peccante a pris possession d'un point de l'organisme, c'est lui qui est cause du frisson, c'est lui qui frissonne s'efforçant par de petites secousses de chasser « l'excrément adhérent à la partie similaire » ; c'est lui qui est cause du retour des poussées fébriles quand dès le premier assaut il n'a pu vaincre le mal. Il fait alors de nouvelles charges (impetus) contre lui et ne se repose que quand il est vainqueur dans la lutte, ou vaincu.
La fièvre est donc une et ce qui en fait les variétés, c'est la cause occasionnelle, la matière peccante et son siège dans l'organisme.
Les Anciens avait déjà parlé d'un duel de cette nature, du duel de l'organisme avec la matière peccante, excrémentielle et il conclut en disant :
L'efficient interne de la fièvre — son entité formelle immédiate est la vie elle-même et sa matière immédiate est prise et chassée par le principe vital (aura vitalis) dans lequel est placée et siège la vie elle-même, et ce principe vital — son archée
— n'est autre chose que ce qu'Hyppocrate appelait l'esprit vital faisant assaut spiritus vitalis impetum faciens.
Tel est, en somme, le vitalisme de Van Helmont. L'idée pre-
mière en remonte à Hippocrate et aux philosophes de l'antiquité, passe par Basile Valentin et Paracelse pour arriver à Van Helmont qui la développe et lui donne une expansion telle qu'on peut le considérer comme le chef des vitalistes, comme le premier vitaliste.
Cette doctrine n'est pas une simple vue de l'esprit : les découvertes modernes l'ont vérifiée et en quelque sorte fortifiée.
« Nature médicatrice, effort curateur, tendance naturelle à la guérison, travail de réparation, évolution naturelle sous quelque nom qu'on la dissimule la réaction vitale est une réalité » (Ch. Bouchard, in Thérapeutique des Maladies infectieuses, 1889, p. 2).
Cette conception nouvelle de la fièvre demande un traitement nouveau conforme à sa notion pathogénique.
J. Fracastor rapportant les maladies infectieuses à des ger-' mes conseille de diriger les efforts de la médication contre les germes et d'employer contre eux ce qui peut les tuer ou les rendre inoffensifs.
Plus tard la notion de poison ayant pris corps dans la pathogénie des maladies à germes, les médecins conseilleront les antidotes, les médicaments qui agissent contre les poisons.
Van Helmont réduisant toute fièvre à la lutte, au duel de l'archée contre la matière peccante pense qu'il faut surtout donner à l'archée les forces nécessaires pour être rapidement vainqueur dans la lutte.
Aussi saigner, purger, même donner des clystères sont pour lui des moyens dangereux parce qu'ils peuvent enlever et enlèvent le plus souvent à l'archée l'énergie nécessaire à l'expulsion de la matière peccante.
Que faut-il faire ?
Il ne faut cependant pas trop nourrir le malade; suivant le précepte d'Hippocrate, il faut user de l'alimentation la plus légère.
Pour les fièvres quartanes, aucun traitement n'est nécessaire ; il faudra savoir en attendre patiemment le terme.
Pour les autres, il conseille de donner à boire aux malades : bières faibles, vins coupés d'eau, eau panée et insiste sur l'usage du vin qui pris modérément soutient le malade et rend la convalescence moins longue. Cet usage du vin dans les fièvres est la partie nouvelle de son traitement; les Galénistes ayant proscrit son usage dans les fièvres.
Cependant comme il y a certaines fièvres plus graves, dont
la matière occasionnelle est tenace et adhérente aux veines; pour l'en chasser il faudra user de diaphorétiques chauds qui dissolvent et abstergent. Pour cela il conseille encore le vin et plus particulièrement un remède de Paracelse, le diaphoré-tique par excellence qui coupe, diminue, résout, liquéfie et absterge la cause occasionnelle de la fièvre partout où elle se trouve. Le remède souverain c'est l'Altahest. L'Altahest ou encore Alkahest était un sel de mercure qu'on préparait avec la poudre de Vigo (précipité rouge) et du vitriol de Vénus (sulfate de cuivre). (Febrium inaudita doctrina. Edilio secunda. Cologne, 1644.)
Quant au « Tombeau de la Peste », qui est un traité sur la peste, c'est une charge également contre les doctrines galé-nistes ; il ne cite ni Fracastor, ni Mercuriali, parle seulement de Paracelse, se déclare franchement contagioniste et nous dit -que : « ce qui est caractéristique de la peste, c'est un poison qui dé-truit l'archée et l'organe de ce poison est un ferment. »
Pour lui du reste le ferment est l'agent universel des transformations dans la nature. « Le ferment est le père des transmutations. » C'est la chimie qui le lui a appris. Le premier il a signalé le ferment de l'estomac qui avec un acide transforme les aliments en chyle. Dans le foie, dans les autres organes existent d'autres ferment qui amènent d'autres transformations; nous verrons plus loin qu'il rapporte à l'action d'un ferment la production des calculs.
« C'est ainsi que tout vin est changé en vinaigre, tout vif argent en or, tout œuf en poule, tout sang en ultime aliment. »
C'est encore un ferment qui amène la production des gaz, un mot qu'il a forgé et qui est resté.
Il va dans son enthousiasme pour le ferment jusqu'à dire que tout dans la nature peut se faire avec de l'eau, la graine et le ferment.
Les Anciens ne connaissaient pas la fermentation, et assurément c'est Van Helmont qui le premier a appelé l'attention des savants sur cet acte important, qui joue un si grand rôle dans la vie à l'état normal et à l'état pathologique.
Etudiant ensuite la formation des graviers dans son traité « de Lithiasi », il combat les doctrines humorales sur leur production, qui prétendaient que les pierres peuvent se former dans la vessie par le durcissement — la chaleur aidant — d'un certain mucilage existant soit dans furine, soit dans les parois de la vessie — ou qui encore admettaient que l'estomac pouvait
engendrer un phlegme putréfiant qui amenait la formation d'un calcul. Les deux théories sont de « la même farine »; il va y substituer une théorie chimique. Pour lui le calcul n'a pas son origine dans la vessie, mais dans le rein, par de petits graviers qui se forment grâce au pouvoir coagulant de l'esprit de l'urine aidé d'un ferment spécial.
« Le ferment stercoraire du rein exalté agit sur le pouvoir coagulant de l'esprit de l'urine ainsi que sur la matière de la terre volatile et la dispose à se concréter en graines de calculs. »
Pour arriver à cette théorie, il étudie chimiquement l'urine dans laquelle il a trouvé beaucoup de choses, mais plus particulièrement des chlorures et des phosphates. Le chlorure de sodium est très bien décrit II n'a pas trouvé l'urée, ce qu'il appelle esprit de l'urine, parait bien être du carbonate d'ammoniaque.
Le premier aussi il appelle l'attention sur la densité de l'urine, qu'il pèse par rapport au poids d'un certain volume d'eau et trouve que l'urine des vieillards est moins dense que celle d'un adulte qui est moins dense que celle d'un jeune homme; que cette densité augmente quand on suspend l'usage de la boisson en mangeant, ou encore pendant l'état fébrile ; enfin il pèse l'urine d'une jeune fille qui avait des crises nerveuses, après une crise et il remarque que l'urine a la densité de l'eau de pluie qui lui a servi de point de comparaison.
Enfin, il distille le sang et y trouve un esprit volatil et salé analogue à celui de l'urine. Il conseille ce sel dans l'épilepsie.
II y a encore dans l'œuvre de Van Helmont plus d'un trait curieux à étudier et à analyser ; nous n'avons voulu que citer ici les plus intéressants et les plus en rapport avec nos idées modernes.
Citons encore sa théorie chimique de la goutte. Ce n'est pas une maladie du doigt, du pied ou de la main; c'est une maladie produite par un ferment acide ; la synovie qui est transparente à l'état normal devenant acide par te fait de la goutte, se forme en grumeaux, devient opaque et pourra plus tard se concréter en craie ou en chaux.
Mais ce qui fait la partie la plus intéressante de son œuvre, c'est assurément ce que nous avons essayé d'analyser : sa théorie de la lièvre d'où nait le vitalisme, le rôle important qu'il a su découvrir dans les ferments et les premiers essais sérieux et scientifiques qui aient été faits de chimie biologique.
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Séance de Juin 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
De l'origine psychique des troubles hystériques, en particulier de la toux et de l'aphonie
Par M. le Dr H. Delius (de Hanovre)
Les nombreux travaux que l'on a publiés dans ces derniers temps sur l'hystérie montrent l'importance du facteur psychologique dans l'étiologie de cette maladie, qu'il s'agisse des symptômes psychiques ou des symptômes somatiques, ainsi que le montre l'observation suivante.
Il s'agit d'une jeune dame, âgée de 24 ans, que j'avais déjà soignée auparavant pour des douleurs et des spasmes chorélformes de nature hystérique. Elle se plaignait, en outre, à ce moment-là, de catarrhe cervical, avec des alternatives de diarrhée douloureuse et de constipation, d'incontinence d'urine etc. Elle ne présentait rien d'organique. Toutes ces manifestations apparaissaient, s'aggravaient, disparaissaient sous l'influence d'émotions.
En mai 1899, cette malade vient me voir à nouveau, parce que, depuis six semaines, elle souffre d'une toux violente, sèche, aboyante, avec aphonie complète. A l'auscultation on n'entend rien d'anormal dans les poumons. L'examen des cordes vocales est naturellement difficile à cause de la toux. Quand celle-ci cesse, je constate qu'il s'agit d'aphonie hystérique.
Etant aphone, celte jeune fille ne peut naturellement ni chanter, ni rire; sa toux continuelle, sonore, éclatante, la tourmente jour et nuit et lui enlève le sommeil. Il n'y a aucun crachement. Les cordes vocales sont légèrement "rouges, conséquence naturelle de la toux persistante.
Lorsqu'il m'arrive de fixer l'attention de la malade, sa toux devient plus faible et même cesse pendant quelques minutes. La toux s'exaspère lorsque l'attention n'est plus captivée. Cette malade tousse dans la rue et dans mon salon d'attente; et elle tousse d'autant plus souvent et violemment qu'elle sent bien qu'elle incommode les autres personnes. De même, lors des premières fois, au début de chaque séance d'hypnotisme sa toux présente de véritables paroxysmes. Au début, je m'impatiente et je la gronde: je lui dis qu'elle devrait bien faire attention, se dominer un peu plus, etc., et elle tousse encore davantage. Elle est fort chagrinée de m'entendre dire qu'elle est faible de caractère et qu'elle pourrait moins tousser, si elle en avait l'énergie. — « Mais, docteur, si je le pouvais, je cesserais de tousser ; vous voyez, au contraire, que la toux revient par accès! » En réalité elle me tient tète
et tousse de plus en plus fort pour me montrer que j'ai tort de lui parler ainsi.
Jusqu'à maintenant, j'ai observé chez cette malade deux récidives de toux et d'aphonie. Ces troubles sont survenus pour la première fois en mai 1899, puis, de nouveau, en janvier et en août 1900; cette fois-ci les phénomènes sont plus accentués et plus rapprochés.
La première fois, c'est l'aphonie qui a commencé, puis est venue la toux. Cette jeune fille avait pris froid, et avait eu une angine. Alors elle était devenue enrouée, puis finalement aphone, Environ dix jours après, survint la toux.
Donc, la première fois, ¡1 y eut un refroidissement. Nous avons le droit de supposer que l'enrouement venait d'une laryngite a frigore. Mais, à cette occasion, chez notre malade, qui est une hystérique, l'enrouement s'est transformé en aphonie, en vertu d'un trouble fonctionnel inconscient ou subconscient. La dysphonie est devenue l'aphonie,, puisque cette malade ne pouvait pas corriger ses représentations et que l'influence indiscutable du refroidissement donnait corps à cette transformation. De môme l'aphonie ouvrait la voie à la toux. On sait que chuchoter est bien plus fatigant que parler à haute voix. La conscience de ne pas pouvoir émettre un son provoque dans le larynx des sensations désagréables, desquelles nait le besoin d'en affranchir le larynx en crachant ou en toussant, exactement comme il arrive pour un orateur quand, dans le feu du discours, la voix sort mal. Comme ici l'expectoration n'est pas possible, c'est une toux réflexe qui la remplace. Mais la toux n'est d'aucune utilité; au contraire, le sentiment de fatigue dans le larynx qui, en tant que sensation désagréable, fait appel a la toux, est encore accru par les efforts et les fatigues occasionnés par la toux. Ainsi la toux provoque de nouvelles sensations désagréables qui augmentaient l'irritation.
Lors de la première rechute en 1900, c'est la toux qui entre en scène-la première. Déjà, aux environs de Noël la malade sent un malaise général. Comme elle le dit elle-même, elle craint le retour de la toux. A ce moment, sa femme de chambre lui dit : « Pourvu que la toux ne revienne pas! » Et aussitôt la toux commence à réapparaître : elle était attendue! Quand elle tousse, son père lui dit à plusieurs reprises : « Cesse donc de tousser, sans quoi tu vas encore redevenir aphone! » Et en effet l'aphonie ne tarde pas à apparaître.
On voit clairement que la crainte fait apparaître les symptômes redoutés. Ce sentiment réveille le souvenir de la maladie passée; celui-ci constitue une représentation obsédante et les symptômes réapparaissent en vertu de cette influence suggestive.
SOCIÉTÉ D'HYPNQLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Cette fois, comme notre jeune dame habite près de Berlin, elle va trouver un laryngologiste de cette ville qui, après avoir examiné la malade, estime que cette affection pourra être guérie en une demi-heure. Il essaie, en effet, par des manoeuvres suggestives intra et extra-laryngées, à rétablir la phonation, mais sans aucun succès. Comme peu
à peu il s'impatiente et se met en colère, il ne réussit qu'à rendre la malade encore plus nerveuse; finalement, il demande qu'on la lui ramène dans dix jours. Dès lors, la malade s'auto-suggestionne tout naturellement que la guérison sera très malaisée. On voit donc qu'en présence d'un accident hystérique, il faut se montrer très circonspect en ce qui concerne le pronostic et le traitement.
Lors de la seconde rechute, en août 1900,. notre malade se trouve pour quelque temps auprès d'une tante assez âgée à qui elle fait très souvent la lecture. Elle sent que cela la fatigue, mais elle n'ose pas le dire et elle continue à faire la lecture chaque jour. Ce sentiment de fatigue réveille le souvenir de la toux: de temps en temps, elle tousse quelque peu en lisant, puis le sentiment de fatigue devient de plus en plus fort et, au bout de peu de jours, la toux de jadis apparaît; celle-ci continue même après que la lecture à haute voix a été supprimée. Bientôt apparaît aussi l'aphonie laquelle forme avec la toux une association tenace.
Le 10 novembre, j'apprends par une lettre de la malade qu'elle tousse à nouveau depuis qu'elle s'est assise dans le tramway à côté d'un monsieur qui toussait constamment.
Pendant mon traitement, j'ai souvent l'occasion de rattacher à une cause psychique l'aggravation passagère de l'état général aussi bien que de la toux ou de l'aphonie. On se rappelle que la toux augmentait au début de nos premières séances d'hypnotisation ou lorsque dans mon salon d'attente cette dame pensait qu'elle ne devait pas incommoder par sa toux les personnes qui s'y trouvaient avec elle. Dans les deux cas, le désir de ne pas tousser est très vif. Mais le fait de penser à la toux suffit pour provoquer l'apparition violente des phénomènes.
La grand'mère de cette malade exerce aussi sur elle une fâcheuse influence et provoque des accès de toux. Des rêves désagréables ont la même action. A la suite d'un rêve de cette nature, notre jeune dame se meta tousser une heure durant, bien que la toux ait totalement cessé depuis quatorze jours. Elle a rêvé qu'elle veut aller en ballon mais qu'une maladie l'en empêche. Cela la rend triste. Mais une amie se propose d'y aller à sa place et alors notre malade désire voir au moins le vêtement que son amie doit revêtir. Mais comme celle-ci ne veut pas le montrer, elle devient encore de plus mauvaise humeur. Elle se réveille baignée de larmes. La trame du rêve a vraisemblablement agi de la manière suivante. Le soir, notre malade se met à coudre pour la première fois depuis fort longtemps. Cela réveille la représentation du vêtement qu'elle a vu en rêve et par suite celle du ballon. Alors, par contraste elle se représente sa maladie actuelle et l'impossibilité où elle est de sortir. A ces représentations s'attache un sentiment de déplaisir et celui-ci fait appel à la toux.
De même, vers la fin du traitement, un sentiment général de malaise . réveille encore la représentation de la toux, sans toutefois que la toux survienne. Peu de jours avant que le traitement eut cessé, la malade
me disait encore : « Toutes les fois que je ne me sens pas bien, la représentation de la toux prend possession de mon esprit », ce qui prouve que cette association peut encore être très facilement évoquée.
Grâce à l'hypnotisme j'ai fait cesser à la fois la toux et l'aphonie.
Le premier jour, la voix revint pendant deux heures, puis pendant trois, cinq, sept heures, enfin pendant les vingt-quatre heures qui séparaient une séance de la suivante, pour finalement ne plus reparaître.
Tous les cas ne sont pas aussi tenaces que celui-ci. J'ai traité de nombreuses aphonies qui guérissaient au bout d'un petit nombre de séances.
Les cas d'astasie-abasie montrent également l'influence des facteurs psychiques. Il en est de même dans les cas de ptosis hystérique, de parésies, de paralysies, de crampes, d'anesthésies, de sommeil hystérique, de diarrhées soudaines, d'incontinence d'urine.
PSYCHOLOGIE HIÊROLOGIQUE
Marie Alacoque, par M. le Dr Rouby, d'Alger
Première partie. — Les miracles devant la Science. — La folie hystè~ rique de Marie Alacoque. — Je comparerais volontiers chaque religion à la statue d'une déesse antique, taillée par un Phidias, dans le marbre le plus pur: au début ce corps superbe que l'artiste fit chastement nu, fut adoré dans cet état par la foule des hommes. Alors chacun pouvait admirer la déesse dépouillée de tout voile. Mais, dans la suite des temps,* ceux qui étaient chargés de sa garde voulurent l'embellir: alors, peu à peu, la tête au profil si pur, la chevelure tordue sur la nuque, les membres aux contours gracieux, le torse admirablement ciselé, furentrecou-verts de vêtements tissés d'or et d'argent, de voiles en dentelles brodées de soie, de médaillons, de colliers, de bracelets et de couronnes où les pierres précieuses s'incrustent en trop grand nombre; chaque siècle vit une nouvelle couche d'ex-voto s'ajouter aux précédentes. Aujourd'hui la statue est tellement cachée sous les métaux superposés, qu'un passant ne peut plus deviner la beauté divine de la forme première. Si quelques-uns, pauvres ignorants, se pâment d'aise devant cet entassement de dorures, d'autres, les lettrés, sont remplis de tristesse, car ces lourdes bandelettes voilent à leurs yeux l'œuvre immortelle.
Alors, quelques-uns passent en haussant les épaules, sans même essayer de deviner la forme cachée: d'autres, indignés de .ces loques offertes à leur adoration, veulent renverser l'autel et briser la statue; quelques-uns enfin, de ceux qui recherchent patiemment la vérité essayent pièce par pièce de débarrasser la déesse de tous ces faux ornements et de la rendre dans sa nudité superbe à l'adoration des fidèles.
La religion telle que nous la donna soit Jésus-Christ, soit tel autre
prophète, c'est la déesse de marbre; celle qu'on nous présente aujourd'hui, avec ses faux miracles, avec ses légendes, avec ses vies de saints, c'est la statue emmaillotée. Aujourd'hui encore avec l'or et l'argent des miracles de Paray-le-Monial et de Lourdes on tisse de nouvelles bandelettes pour enserrer davantage la divinité et ne plus rien laisser voir de la forme primitive.
Ces voiles, il faut les détacher, les faire tomber aux pieds de la déesse, et rendre enfin au marbre avec sa nudité première, sa divine beauté. Nous aurons participé à cette grande œuvre, si dans ce travail, nous prouvons que Marie Alacoque était atteinte d'aliénation mentale et que le Sacré Cœur fut une hallucination.
Il s'est fait depuis plusieurs années un grand bruit autour de la chapelle de la Visitation de la petite ville du Charollais ; cette chapelle n'a pas été trouvée assez grande et voilà qu'on a élevé sur les hauteurs de Montmartre, au milieu de ce Paris qui renferme le Dôme de l'Institut, un autre Dôme plus colossal en l'honneur d'une folle.
Les Ministres du culte ont transformé les révélations de Marie Alacoque, en nouveaux articles de foi; Paray-le-Monial, en attendant Montmartre, est devenu un des centres religieux de notre siècle. Pour beaucoup de fidèles, ne pas croire aux révélations de la bienheureuse, c'est être rayé du nombre des vrais chrétiens. Les chefs du clergé, en acceptant comme vraies les hallucinations de la pauvre malade, n'ont pas tous agi avec mauvaise foi, mais s'ils ont cru, c'est qu'ils sont ignorants de faits scientifiques aujourd'hui démontrés. Autrefois aussi, prêtres et fidèles étaient certains que le soleil tournait autour de la terre; c'était un dogme ; la Bible inspiré par le Saint-Esprit avait dit que Josué avait arrêté le soleil dans son évolution ; il fallait croire ou être hérétique ; Galilée vint et montra l'erreur. Lorsqu'il fut bien prouvé que le soleil était le centre de notre monde, les pasteurs des peuples s'arrangèrent avec cette découverte, et la religion catholique continua à vivre sur cette terre qui n'était plus immobile. Il eût été sage, l'histoire du grand astronome de Florence le démontre, que ceux qui se sont chargés de veiller au dogme, au lieu de repousser toute critique, de défendre pied à pied une foule de superstitions qui naïves dans les siècles d'ignorance, sont grotesques dans le nôtre, il eût été sage, dis-je que l'Eglise acceptât comme vraies les découvertes faites dans les différentes branches des sciences; qu'au lieu de lutter contre les vérités mathématiques ou physiques, chimiques ou physiologiques, dont la découverte est l'honneur de notre siècle, elle eût été la première à les accepter sans craindre de rayer de ses annales les prétendus miracles contraires à ces vérités.
Dans les deux derniers siècles on était entré largement dans cette voie : non seulement les philosophes, mais les membres de l'épiscopat, plus éclairés que ceux d'aujourd'hui, condamnaient les miracles de leur temps et les écartaient de la religion : La préface de l'histoire ecclésiastique de l'abbé Fleury donne la note des préoccupations et des idées du clergé à ce sujet; en voici un passage : « La critique est nécessaire;
« sans douter de la toute-puissance de Dieu, on peut et on doit examiner « si les miracles sont bien prouvés, pour ne pas porter faux témoignage « contre lui en lui attribuant ce qu'il n'a pas fait. Ce n'est pas la simpli-« cité qui rend trop crédule, il y a des gens qui le sont par politique et « par mauvais raffinement. Ils croient le peuple incapable ou indigne « de connaître la vérité et regardent comme nécessaire de l'entretenir « dans toutes les opinions qu'il a reçues sous le nom de religion, crai-« gnant d'ébranler le solide, en attaquant le frivole. Une autre espèce de « gens trop crédules sont des chrétiens sincères mais faibles et scrupu-« leux, qui respectent jusqu'à l'ombre de la religion et craignent toujours « de ne pas croire assez. Quelques-uns manquent de lumière, d'autres se « bouchent les yeux et n'osent se servir de leur esprit; ils mettent une « partie de la piété à croire tout ce qu'à écrit le peuple le plus ignorant ».
Malheureusement pendant le XIXe siècle, l'esprit du clergé n'est plus le même ; toutes les superstitions, tous les faux miracles ont été admis par lui et imposés à la foi des fidèles. En sorte qu'on se trouve en présence de cette situation prodigieuse ; d'un côté, la religion veut ramener les peuples dans la nuit de l'ignorance par des pratiques et des croyances d'un autre âge ; d'un autre côté la science, tous flambeaux allumés, fait le jour partout, en cherchant et en découvrant les lois qui régissent le monde.
Nous ne sommes plus dans la caverne de Platon ; nous ne sommes plus rendus immobiles par de lourdes chaînes de fer, les yeux fixes regardant sur la muraille les ombres des objets qui passent derrière nous; nos chaînes sont tombées, nous sommes sortis de la caverne, nous gravissons la montagne; nous voyons les objets réels et non plus les ombres et nous saluons à l'horizon le soleil qui se lève et éclaire toutes choses.
De nos jours le physicien ne peut croire à un miracle contraire aux lois de la pesanteur, le chimiste à un miracle contraire aux lois de l'affinité, l'astronome, aux lois de Newton, parce que ces lois sont devenues pour eux des vérités premières, aussi précises que la vérité première du mathématicien, deux et deux font quatre; vous dites qu'en ne croyant pas aux miracles, on limite la puissance de Dieu? Est-ce que Dieu peut faire que "deux et deux fassent trois? Est-ce que Dieu peut faire que la ligne droite ne soit pas le plus court chemin d'un pointa un autre. Dieu ne peut changer les vérités premières ; les vérités premières sont les qualités de Dieu môme. Or un miracle est la négation d'une vérité première.
Un grand nombre de faits miraculeux sont du domaine de la médecine et plus spécialement du domaine de l'aliénation mentale: les révélations de Marie Alacoque et de plusieurs saints et saintes du XVIe siècle et du XVIIe ne sont autre chose que des cas de maladie.
Il sera facile de le prouver :
Mais avant d'aborder l'histoire de Paray-le-Monial-, je dois quelques
mois explicatifs à ceux qui n'ont pas étudié les hallucinations, dont nous allons tant parler dans ce mémoire (1).
1° En une impression faite par les objets extérieurs sur nos organes. -En une transmission opérée par le tube nerveux, du point impressionné à l'encéphale. — En une perception exercée par les masses cérébrales. Exemple : des vibrations de couleur blanche impressionnent la rétine, l'impression est transmise par le nerf optique à l'encéphale qui perçoit blanc. Dans le cas d'hallucination, c'est la perception qui sera troublée ; cette couleur impressionnée blanche, transmise blanche sera perçue rouge, comme si un verre de couleur pourpre était placé dans la masse cérébrale au point où finit le tube nerveux de transmission; c'est là une forme des hallucinations simples, portant seulement sur un changement de couleur.
Mais de même que la couleur, la forme de l'objet extérieur peut être perçue autrement qu'elle n'existe réellement: cet objet sera vu plus petit ou plus grand, plus long ou plus étroit, double ou multiple :
Ainsi, une malade se croit un farfadet, parce qu'elle voit les personnes et les choses tantôt trop petites et tantôt trop grandes: pour continuer mes comparaisons je dirai que, dans ce cas, la perception des objets extérieurs a lieu comme si, au niveau de l'extrémité céphalique des nerfs optiques, s'était trouvée une lentille tantôt biconvexe, tantôt biconcave, rendant les objets plus petits ou plus grands; comme si le cerveau avait regardé tantôt par le gros bout tantôt par le petit bout d'une lorgnette. A un degré de maladie de plus, nous arrivons à une hallucination beaucoup plus fréquente : dans celle-ci les deux premières phases disparaissent : nous n'avons ni impression d'un objet extérieur réel, ni transmission par les nerfs; la perception agit seule; comme dans le rêve, elle entre en activité spontanément. En continuant à prendre comme exemple les hallucinations de la vue et en me servant d'une comparaison pour être plus clair, je dirai que chez l'halluciné le cerveau est comme changé en une lanterne magique : le foyer de lumière, c'est la masse encéphalique qui perçoit; les hallucinations sont les verres peints représentant les sujets les plus variés. Le malade voit ces divers objets projetés dans l'espace, comme on voit sur l'écran de toile les peintures sur verre; le sujet des tableaux varie suivant le caractère et les préoccupations ordinaires de l'individu; une personne dont l'esprit est tourné vers les choses religieuses verra des Anges, la Vierge Marie ou Dieu lui-même. Si la terreur de l'enfer la préoccupe, elle verra des Démons effrayants. Un homme voluptueux verra des tableaux érotiques, par exemple des femmes nues se roulant dans les rideaux de son lit; un avare verra des voleurs; un criminel des têtes coupées; un savant (cité par Esquirol) poursuivi de la crainte de la mort,
(1) Définition de l'hallucination par Esquirol : un homme qui a la conviction entière d'une sensation actuellement perçue, alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n'est à la portée de ses sens, est dans un état d'hallucination.
un squelette l'accompagnant et se penchant sur son épaule lorsqu'il écrit assis devant sa table. Un malade veut, pour sauver le monde, mourir sur la croix comme Jésus-Christ, mais les portes et les fermetures de l'asile sont un obstacle à son projet; alors pendant la nuit, contre le mur de sa chambre, il voit une grande croix toute brillante et à côté une énorme serrure avec sa clef; son hallucination traduit sa pensée. " C'est ainsi que le montreur de lanterne magique varie sa représentation, suivant les spectateurs qui l'entourent : si, dans un couvent il montre des sujets religieux, dans une caserne il exhibe des sujets de bataille et dans un village des animaux et des contes de Perrault. Suivant l'habileté du peintre, les personnages reflétés par la lanterne peuvent se rapprocher plus ou moins de la réalité et nous faire plus ou moins illusion. De même aussi, les hallucinations vagues et flottantes dans certains cas, donnent dans d'autres cas, par leur netteté, l'apparence de la réalité. Les malades perçoivent l'image comme si elle était réelle; ils peuvent dire j'ai vu, ce qui s'appelle vu; » aucun raisonnement ne peut leur faire croire le contraire ; « ils ont vu », disent-ils.
Je cause avec l'un deux : « Pourquoi, me dit-il, laissez-vous entrer celte femme dans votre établissement » ? Quelle femme ? — « Cette femme qui est là à côté de moi ». — « Il n'y en a pas, je ne vois rien » ; — Parbleu, vous voulez rire, vous la voyez aussi bien que moi » ; — « Vous la connaissez » ? — C'est la cuisinière de ma mère ; elle vient chaque nuit dans ma chambre; veux-tu t'en aller, vilaine». — Ce malade, si vous le lui demandez, vous décrira des pieds à ta tète cette personne; elle est présente pour lui : elle a des cheveux noirs couverts d'un bonnet blanc tuyauté; sa figure est sillonnée de rides; ses yeux sont ronds, sa bouche édentée ; elle porte sur les épaules un fichu de couleur sur une robe brune, maintenant elle lui tend les bras: « veux-tu t'en aller vilaine », répète-t-il avec colère.
Telle est l'hallucination de la vue ; il en est de même pour les hallucinations de l'ouïe, du goût, de l'odorat et du toucher. Ce qu'on vient de dire des images, peut s'appliquer aux sons, aux odeurs, aux saveurs, aux sensations diverses du tact.
Parlons des hallucinations de l'ouïe qui jouent un grand rôle dans l'état de Marie Alacoque.
Le plus souvent ces hallucinations sont faibles au début, mais augmentent d'intensité à mesure que la maladie s'aggrave ; l'halluciné ne perçoit qu'un léger bruit semblable au murmure d'une source, au bourdonnement d'un insecte ; puis c'est une voix qui trop faible d'abord pour être distincte, devient peu à peu plus forte et plus nette ; ce sont des phrases ; la voix n'est plus seule ; deux, trois, dix, cent personnes se font entendre; ce ne sont plus des phrases, ce sont des cris, des injures, des vociférations ; enfin produisant l'état de manie aiguë, c'est le bruit d'une foule hurlante poussant des clameurs et des cris de mort; c'est un bruit comparable à celui de la fusillade et du canon. Il semble que lé poète Victor Hugo dans sa ballade des Djinns, ait voulu reproduire la
marche de l'hallucination de l'ouïe et l'intensité toujours plus grande des bruits ; l'haleine de la nuit, le galop d'un nain, une voix qui sonne comme un grelot, la cloche d'un couvent maudit, le bruit de foule qui tonne et qui roule, les ifs et les pins fracassés qui craquent sous l'incendie, les voix de l'enfer, vois qui hurlent et qui pleurent; puis l'hallucination arrivée à son apogée commence à décroître ; les bruits deviennent peu à peu moins forts confus, vagues, puis, l'espace efface le bruit. De même chez le malade, l'intensité des hallucinations décroît en même temps que l'état aigu fait place à l'état chronique ; si la guéri-son survient, les voix deviennent confuses, indistinctes, faibles, et s'éteignent comme le bruit de pas d'un voyageur qui s'en va et se perd dans le lointain.
Dans certains cas, le malade aura des conversations avec les voix qu'il entend, tantôt comme deux amis assis l'un près de l'autre et causant familièrement, tantôt comme deux ennemis furieux et se disputant ; les hallucinations de l'ouïe exprimeront les préoccupations ordinaires du malade, comme plus haut, les images étaient le reflet de ses pensées. C'est alors que les personnes dévotes auront des entretiens avec Dieu, la Sainte Vierge et les Saints ; c'est alors que certaines gens qui s'occupent de magnétisme, non contents de faire parler les tables causeront familièrement avec les grands personnages de l'antiquité ; c'est alors, comme nous le verrons plus loin, que Marie Alacoque aura des conversations fréquentes avec Jésus-Christ.
Etudions maintenant l'impression causée sur les malades par ces diverses sensations de l'ouïe ; ces bruits produisent des effets variés, suivant leur intensité et suivant le caractère de la personne qui les perçoit : ce malade qui n'entend qu'un murmure léger, des sons de cloches lointaines, une conversation à peine perceptible, pourra se rendre compte de la fausseté de la sensation ; il pourra vivre en liberté de la vie ordinaire sans qu'on se doute de sa maladie ; cet autre qui ne peut se débarrasser de l'obsession d'une voix lorsqu'il est dans l'intérieur de la maison, s'il est dans la rue, il ne l'entendra plus, ou n'y prêtera pas attention, les bruits réels couvrant ce murmure; mais rentré chez lui, le silence s'étant fait, il recommence à percevoir la voix ; c'est pour lui une importunité qui le rend malheureux, qui bientôt va le troubler et l'empêcher de vaquer à ses affaires. Les gens de son entourage s'aperçoivent déjà qu'il devient bizarre et aliéné, lorsque les étrangers le jugent encore sain d'esprit.
Le mal est plus fort ; le bruit de voix s'accentue et des paroles deviennent distinctes, l'halluciné ne se rend plus compte de l'erreur de sa perception; il ouvre les portes des chambres voisines pour chercher la personne qui parle ; il monte dans son grenier, il descend dans sa cave, persuadé que les bruits qu'il entend proviennent de personnes cachées. Une de ces malades entend la voix de son mari et de ses enfants qui se plaignent à elle et lui demandent secours ; après les avoir cherchés dans toute la maison, elle se persuade qu'ils sont dans des souterrains creu-
ses au dessous du bâtiment qu'elle habite; à partir de ce moment, son seul but est de trouver l'escalier qui y conduit; elle a un rire moqueur lorsque nous lui affirmons qu'il n'y a chez nous ni cave ni catacombe : « vous êtes assez lin, nous dit-elle, pour avoir bien caché l'entrée, « mais comme j'entends parfaitement la voix de mon mari et celle de « mes enfants, je sais à quoi m'en tenir ». Nous faisons venir sa famille; elle voit, elle touche, elle entend son mari et ses enfants, mais comme dans le même instant la voix arrive à ses oreilles, elle entre dans une grande agitation et nous accuse de diablerie; suivant que ses enfants sont tristes ou gais, cette personne est également heureuse ou malheureuse. Nous verrons tout à l'heure Marie Alacoque subir des impressions variées suivant ses hallucinations, ressentir toutes les joies de l'amour ou toutes les terreurs de l'enfer, suivant que Jésus-Christ ou le démon lui parlera.
Du reste ces hallucinations sont les mêmes chez des personnes d'une autre religion : un Israélite est atteint d'hallucinations de l'ouïe qui produisent le délire des persécutions et la manie homicide ; il entend la voix de Dieu ; il passe des journées et des nuits en prières, après n'avoir eu que des sentiments religieux très peu fervents, pendant la première partie de sa vie : Dieu lui dit que sa femme le trompe, que ses enfants ne sont pas les siens, alors entrant dans des accès d'excitation qui épouvantent sa famille, il menace de tuer tous ses proches; un jour, se croyant l'interprète des volontés de Dieu, il tire un coup de revolver dans la poitrine de sa femme.
Parfois aussi en même temps l'ouïe et la vue sont hallucinés ; alors, comme Jacob avec l'Ange, le malade se dispute et lutte avec un être imaginaire, qu'il frappe, de coups redoublés, croyant le voir dans le vide.
Il arrive qu'en dehors de ces moments d'hallucinations, quelques-unes de ces personnes ne paraissent pas folles aux yeux du public : ainsi dans le courant de la vie ordinaire, la malade dont j'ai parlé plus haut, travaille, s'occupe, lit, et cause avec beaucoup de bon sens et d'esprit; elle s'intéresse à tout et à tous : très serviable, elle se fait aimer de tout le monde; si on ne la met pas sur le chapitre du souterrain, personne ne s'aperçoit qu'elle est malade; elle écrit à sa famille des lettres pleines de raison et de bons sentiments; une personne bien portante ne pourrait faire mieux; comme Marie Alacoque elle pourrait rédiger ses mémoires et les faire imprimer.
Si la maladie s'aggrave, si les mots et les conservations sont remplacés par des cris et des injures, l'halluciné y répondra et l'on entendra sortir de sa bouche tout le vocabulaire des mots grossiers soit qu'il les adresse à des êtres imaginaires, soit qu'il les lance à la face des personnes présentes.
Enfin lorsque survient la manie aiguë; lorsque se produit le bruit d'une foule poussant des calmeurs, ou le fracas de deux armées se heurtant avec des bruits d'armes terribles, ou le chœur immense de démons et d'esprits infernaux criant; « il est perdu, il périra dans les
flammes de l'enfer !» alors les malades, frappés d'épouvante, poussent des cris affreux et montrent par leurs actes désordonnés à quel degré de terreur et de désespoir ils sont parvenus Nous verrons plus loin, en racontant la vie de Marie Alacoque, se dérouler ces divers degrés d'hallucinations de l'ouïe.
Je ne décrirai pas ici les hallucinations de l'odorat et du goût; il est facile après la description de celles de l'ouïe et de la vue de se rendre compte de leur production, de leur évolution et des actes dont elles sont la conséquence.
J'arrive aux hallucinations du toucher, et dans celles-ci je comprends celles qui sont localisées dans les organes de la reproduction ; c'est surtout de ces dernières dont nous parlerons. Chacun se rendra compte de ce qui se passe dans ce cas, en se souvenant de ce qui arrive dans le rêve : chez les aliénés le rêve a lieu sans le sommeil : le malade dont j'ai parlé, qui entend la voix de son ancienne cuisinière, sent cette dernière dans son lit, lorsqu'il est couché; quelquefois il la repousse, il l'injurie, lui jette à la tête ses coussins et ses oreillers ; c'est une vraie bataille, mais enfin il faut céder; la femme, nous dit-il, le prend dans ses bras, le serre contre elle, en lui donnant comme en réalité les plaisirs de l'amour; le lendemain on trouve les traces véritables de ce rapprochement imaginaire.
Une dame a un diable qui couche chaque nuit avec elle sous la forme d'un beau jeune homme; elle le préfère de beaucoup à son mari, nous dit-elle, parce qu'elle éprouve avec lui des sensations extraordinaires; pendant le jour ce diable est logé au fond de son corps, sous la forme d'un petit serpent; elle le sent très bien, il remue sans cesse. Lorsqu'elle est couchée, il sort de sa retraite et prend la forme humaine pour devenir son amant.
Une jeune fille est réveillée souvent pendant la nuit par un homme qui abuse de son corps; elle ne l'entend jamais venir, il se trouve tout à coup couché sur elle, sans qu'elle sache comment la chose s'est faite ; pressé sur sa poitrine, tout son être pénètre dans le sien ; les choses, nous dit-elle le lendemain, se sont passées de telle sorte qu'elle en souffre et nous accuse de permettre ce viol.
Une vieille dame, elle a 79 ans, présente chaque année pendant quelques semaines des accès de manie érotique : étendue sur son lit. ses cheveux blancs en désordre, la face vultueuse, les mains ouvrant l'organe génital, on la voit soupirer et se pâmer sous un homme qu'elle nous dit sentir; notre présence ne la trouble nullement; elle est toute entière à son hallucination.
Des jeunes filles aliénées, a dit le docteur Calmeil,qu'on n'a pas perdu un seul instant de vue, font quelquefois à leur famille les confidences les plus embarrassantes sur leurs amours secrètes; des demoiselles habituellement chastes et retenues ne répondent que par un débordement d'injures, en s'entendant désigner par le nom de mademoiselle/ Saint Bernard exorcisa publiquement dans la cathédrale de Nantes, en
présence d'un peuple nombreux et de plusieurs saints évéques, un esprit lascif qui imposait ses caresses à une jeune femme jusque dans le lit conjugal; ô naïf saint Bernard!
Il suffit de visiter un hôpital d'aliénés pour rencontrer des faits semblables : de nombreuses thèses ont été écrites sur ce sujet.
Comme on le voit, les hallucinations de Marie Alacoque ne sont pas une exception dans l'histoire des maladies mentales, ce sont des faits très communs, qu'il est loisible à tous ceux qui le désirent, de connaître par eux-mêmes, de toucher du doigt pour ainsi dire.
Au temps des hallucinés de Loudun et de Louviers, au temps du règne du diable sur les cerveaux terrifiés, au temps des incubes et des succubes, ces pauvres malades ont vu, entendu et subi les approches du Démon. Au XVIIe et XVIIIe siècle la religion se dépouille de ces idées de terreur; l'idée de l'amour de Dieu règne en maître ; la prière devient un anéantissement de l'être humain dans le sein du Sauveur ; on aime Dieu comme on aime un amant; on lui parle, on le prie avec la même langue dont se servent les vulgaires amoureux. Dans les livres de dévotion, les déclarations brûlantes, presque érotiques adressées à Dieu ou aux Saints semblent tirées d'une page enflammée des poésies ou des romans de l'époque ; plus tard viendront Fénelon et Madame Guyon et malgré les paroles sévères de Bossuet, les femmes pieuses continueront à se pâmer d'amour aux pieds du Christ. Marie Alacoque sera de son temps : comme d'une part ses hallucinations lui font sentir des approches charnelles, comme d'autre part ses idées sont tournées du côté de l'amour divin, elle attribuera à Jésus-Christ les caresses qu'elle ressent.
Dans un ouvrage intitulé : « Emblèmes d'amour divin et humain ensemble » renfermant des eaux-fortes par Messager avec explications des gravures par un Père Capucin, on voit Jésus-Christ adolescent et une jeune femme représentant l'âme humaine jouant ensemble tous les jeux de l'amour; les vers brûlants de passion du moine qui accompagnent chaque gravure, font de cet ouvrage, à moitié erotique, un des plus curieux du XVIIe siècle ; il explique l'état d'âme des religieux et des religieuses dans les couvents ; Marie Alacoque dans ses mémoires parle le même langage que le Père Capucin dans son livre : quelques-unes des scènes entre elle et Jésus qu'elle décrit sont analogues à celles reproduites dans la série des gravures « des Amours divin et humain ensemble ».
Chez Marie Alacoque les scènes d'amour avec Jésus persisteront tant que l'état d'âme sera imbibé pour ainsi dire de ces pensées mystiques ; mais un jour, on lui fera peur, on lui dira que c'est le démon qui prend la forme de Jésus-Christ pour vivre avec elle; on lui décrira sous une forme terrible l'enfer et ses tourments, alors suggestionnée elle aura des hallucinations terrifiantes du diable et des feux éternels produisant un état de manie aiguë, qu'elle nous décrira dans son mémoire.
(A suivre)
COURS ET CONFÉRENCES
Contracture et tic des jambes chez une psychasthénique,
par M. le professeur Raymond (1).
Cette malade est atteinte d'une affection dont le diagnostic parait facile mais est, en réalité, difficile. Il s'agit d'une couturière âgée de 29 ans. Sa mère était nerveuse. Elle-même est aussi très nerveuse, inquiète, impressionnable. Elle a eu jadis des terreurs nocturnes.
Il y a quelques années, elle se plaignait sans cesse de beaucoup souffrir surtout dans le ventre ; on lui aurait dit qu'elle avait un rein flottant ; si on le lui a dit, on s'est trompé.
Récemment, elle présente un mauvais état général et digère mal. Elle va à l'hôpital. Au bout de quelques jours, on l'enveloppe dans un drap mouillé ; aussitôt après elle tombe, ses membres inférieurs se raidissent et deviennent le siège de fourmillements douloureux. On la relève, on la porte dans son lit et, quelques minutes après, tout disparaît. Elle n'a pas perdu connaissance.
Il y a trois ans, elle avait fréquemment, sous forme de crises, des troubles analogues ; elle éprouvait dans les membres inférieurs des phénomènes de paresthésie ; tous les muscles de la jambe et de la cuisse se confracturaient en extension, les pieds se plaçaient en varus equin et elle restait ainsi, poussant des cris, comme si elle souffrait d'une crampe violente ; et cela durait cinq minutes. Une fois elle eut, de suite, quatorze crises de cette nature.
Aujourd'hui, si elle éprouve une émotion, si elle pense que ces phénomènes pourraient revenir, ils réapparaissent aussitôt.
A l'examen, elle ne présente aucun trouble sensitif, superficiel ou profond, subjectif ou objectif, ni aucun trouble visuel, ni aucun point hyperes-thésique du côté des seins ou des ovaires. En dehors de ces crises, elle est, en apparence, tout à fait bien portante.
Que sont ces accès de contracture, quelle en est la valeur séméiolo-gique?
Dans la diathèse de contracture, décrite par Charcot, il y a bien des raideurs bilatérales, mais elles durent plus de cinq minutes et ne s'accompagnent pas de sensations douloureuses dans les muscles contractures; et puis il existe d'autres phénomènes somatiques, soit des crises de nerfs avant ou après, soit des troubles de la sensibilité. Or, ici, on ne constate aucun des stigmates permanents de l'hystérie.
En fait, ce n'est pas d'hystérie qu'il s'agit, mais d'un trouble psychologique. Voici comment les choses se passent.
Toute jeune, la malade se trouve, par exemple, gênée dans son col et
(1) Présentation de malade faite à la clinique des maladies nerveuses de la Salpê-trière.
le cou se met à remuer pendant des mois, des années même. Puis, ce n'est plus son col, c'est son corset qui la gêne ; elle remue perpétuellement et cette agitation constitue un véritable tic du tronc. Survient une gêne du côté des jambes et il se crée de môme un tic des jambes. Elle ne sait pas se rendre maîtresse de ses sensations, elle les interprète mal et la perturbation de l'acte fonctionnel engendre le tic.
Cette femme avait un ami qu'elle affectionnait beaucoup. Il fait mine de l'abandonner : elle est désespérée. La jalousie la torture. Hantée par l'idée de tuer l'infidèle, elle se fait horreur. Pour se maintenir, elle se remue, va à droite et à gauche, se dépense dans une perpétuelle agitation physique et mentale. Mais jusqu'alors cette agitation n'est qu'en surface. Un beau jour, on l'enveloppe dans un drap mouillé : la veille elle avait eu l'idée de se tuer, coûte que coûte, et elle avait passé une nuit fort agitée. Comme elle revient du bain, cette idée la reprend et la contracture apparaît.
En somme, vous le voyez, l'agitation cérébrale engendre l'agitation musculaire : mon collègue le professeur Joffroy l'a récemment montré à nouveau dans une très intéressante leçon sur les myopsychoses. Cette agitation, chez les psychasthéniques, mène au tic. S'il s'agissait ici d'un simple accident hystérique, on appliquerait le traitement des contractures et le bromure ne serait nullement indiqué. Mais notre malade est une obsédée et présente un terrain spécial. Il faudra la tonifier, modifier sa psychasthénie, la raisonner, la suggestionner, lui bien expliquer les conditions spéciales qui ont amené son tic. Alors seulement le bromure pourra entrer en scène. De toute manière, vous voyez que ce cas méritait qu'on en fit l'analyse psychologique.
REVUE DES LIVRES
Une Sorcière au XVIIIe siècle : Marie-Anne de la Ville,
par Ch. de Coynart, 1 vol. Hachette.
Lorsqu'à la réunion de la Société d'hypnologie du 20 mai, M. de Coynart nous parla de son curieux ouvrage sur Mlle de la Ville, il termina son intéressante causerie à peu près en ces termes : « Vous le voyez, Messieurs, pour peu que l'on remue les cendres du passé, il s'en exhale d'utiles fumées dont les formes se précisent assez pour permettre d'amener les personnages d'autrefois à l'état de sujets de clinique ».
En fait, rien n'est plus vrai à l'égard de ce livre qui offre autant de plaisir au lecteur curieux que d'intérêt au médecin observateur et au psychologue. Marie-Anne de la Ville est véritablement un sujet de clinique rétrospective d'autant plus remarquable que grâce aux patientes recherches de l'auteur nous connaissons des états de cette femme que les révélations posthumes sont seules capables de dévoiler.
II faut suivre pas à pas au milieu de ses étonnantes aventures cette hystérique de bonne naissance devenue bohème, pour bien apprécier les évolutions de son esprit; et c'est par des nuances soigneusement accentuées d'ailleurs par M. de Coynart que l'on goûtera l'intérêt de cette reconstitution d'une vie accidentée et maladive.
La place nous manque pour analyser le livre dans ses détails et nous en tracerons seulement les grandes lignes, mais celles-ci suffiront à montrer l'originalité de l'ouvrage.
Mlle de la Ville naquit à Bordeaux vers la fin de l'année 1680, d'une mère qui mourut jeune et d'un père auquel ses occupations d'avocat besoîgneux laissèrent peu de temps pour surveiller l'éducation de l'enfant. Celle-ci livrée à elle-même, fouilla dans la bibliothèque sitôt qu'elle sut lire et s'empara d'un Agrippa dont elle se délecta, apprenant
trop tôt..... que les humains peuvent commander aux Esprits et aux
Eléments. Bientôt elle eut une apparition. Un ange, nommé Jassenim, se manifesta devant elle et lui parla. Sur ces entrefaites elle fut envoyée à Paris dans un couvent du faubourg Saint-Antoine où elle resta six ans et là, par une coïncidence pleine de malechance. elle fut en contact avec Mme Guyon. la fameuse apôtre du « Quiétisme ».
Dans une digression, utile d'ailleurs et copieuse en anecdotes inédites ou peu connues, l'auteur nous présente sous son véritable jour la doctrine singulière dans laquelle faillit sombrer l'intelligence de Fénelon. Le Quiétisme n'était pas autre chose qu'une suggestion capable de mener à la folie les meilleurs cerveaux, ainsi que le prouvent de nombreux exemples.
Les relations avec Mme Guyon achevèrent de détraquer Marie-Anne et on la retrouve à l'âge de dix-huit ans, libre, courant les cabarets et incorporée dans une bande de sorciers, « chercheurs de trésors, » dont elle devint la magicienne.
Le tableau de cette bande est une curieuse et pittoresque reconstitution des bas-fonds de la société de cette époque. Un prêtre y coudoie des femmes de vie équivoque, un officier y fraternise avec un berger, et c'est un archer, c'est-à-dire un homme de la police qui groupe tout ce monde.
Ici commence l'odyssée invraisemblable de ces individus qui s'imaginaient pouvoir arracher aux esprits des trésors gardés par eux dans les entrailles de la terre et qui, pour atteindre leur but, se livraient à des pratiques de sorcellerie dont le récit donne une idée exacte de l'état d'inhibition dans lequel devaient se mettre les malheureux amateurs de grimoires.
La suggestion, l'auto-suggestion, l'illusion, l'hallucination, tout y est. et Marie-Anne elle-même, suivant l'exemple des médiums modernes, n'hésite pas à simuler l'Esprit quand celui-ci résiste aux appels spéciaux. Or. comme il est constamment récalcitrant, elle poursuit sans arrêt, comme sans scrupules, ses duperies, qui l'amènent enfin à la Bastille devant le terrible M. d'Argenson, lieutenant de police.
L'autorité et l'habileté de celui-ci désarment immédiatement la jeune femme de toute sa rouerie. Comme la malade devant un médecin, elle ne cache plus rien et elle avoue ses comédies, ses procédés sataniques, ses escroqueries.
Ses complices arrêtés, au nombre de dix-sept, font de même. Seulement comme ils ont eu l'illusion d'avoir réellement conversé avec l'Esprit, ils font un récit qui correspond assez bien avec ce que le spectateur aperçoit sur la scène, tandis que les aveux de Marie-Anne nous révèlent ce qui a lieu dans les coulisses.
Le châtiment fut sévère, car on se remettait à peine de l'aventure de la Brinvilliers. Les complices de Marie-Anne s'entendirent appliquer des peines variant de un an de détention à la perpétuité, et la jolie sorcière fut condamnée à passer le restant de ses jours à l'hôpital.
Mais des mains puissantes, appartenant sans doute à des gens très crédules: parvinrent a lui donner subrepticement la clef des champs. Elle en profita pour reprendre ses « travaux ». Or l'élargissement de Mlle de la Ville s'était fait à l'insu de M. d'Argenson, et bientôt des lettres anonymes parvinrent au lieutenant de police qui s'informa.....Au premier froncement de ses sourcils de fidèles séides s'empressèrent de remettre la pauvre Marie-Anne en prison.
Ce fut seulement en 1725, après la mort de M. d'Argenson, que la sorcière assagie et repentante fut rendue à la liberté. Elle termina sa vie on ne sait, ni où, ni comment.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologrie et de psychologie
La société d'hypnoiogie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 21 octobre, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
Communications inscrites :
Dr Wynaendts Francken, de La Haye : Explication scientifique des phénomènes de l'hypnotisme.
Dr David (de Narbonne) : Névralgie ancienne du nerf radial, guérie par la suggestion hypnotique.
Dr Bérillon : La suggestibilité dans les états délirants d'origine infectieuse.
Dr Paul Magnin : Contractures et hyperexcitabilité neuro-musculaire
chez les hystériques. M. Caustier : Sur la méthode en psychologie zoologique. Dr Feldmann : Impressions maternelles sur le fœtus.
Les mystifications d'Eusapia Paladino
Il règne, écrit Le Temps, un grand émoi dans les cercles spirites italiens. M. Guastavino, directeur du Caffaro de Gènes, accuse Eusapia Paladino, la fameuse femme médium, de n'être qu'une mystificatrice. Les manifestations psychiques dont elle se dit l'instrument ne seraient que « trucs » et imposture.
Pour le prouver, il publie dans son journal le récit d'une séance de spiritisme à laquelle il assista, en février dernier, chez l'ingénieur Ramo-rino. A la suite des phénomènes ordinaires de matérialisation : apports de fleurs ou d'objets par des mains invisibles, instruments de musique résonnant sans être touchés par personne, tentures s'agilant ou s'enflant comme sous un souffle surnaturel, attouchements et pressions de mains, etc., etc., M. Guastavino dit avoir reconnu, lorsqu'un visage s'approcha du sien dans l'obscurité, comme pour lui donner un baiser, l'haleine un peu forte qu'il avait remarquée chez Eusapia Paladino, en conversant avec elle avant la séance.
Cette observation, ajoute-t-il, corroborait le récit qu'il tenait d'un ami de Gênes, devenu veuf, qui avait demandé à Eusapia d'évoquer l'esprit de sa défunte épouse. Celle-ci se manifesta par des baisers et des em-brassements qui permirent à son mari, de constater que l'esprit sentait terriblement le marsala. Or, Eusapia avait absorbé un verre de ce breuvage avant la séance.
Ce n'est pas tout : le directeur du Caffaro conte que l'ingénieur Ramo-rino avait demandé au médium d'obtenir une empreinte du visage de son défunt père sur un bloc de stuc déposé sur la table autour de laquelle se faisait l'expérience.
M. Guastavino, malgré l'obscurité, observa qu'Eusapia, en agitant les bras et les jambes comme sous l'influence du délire psychique, imprimait à la table un mouvement d'inclinaison vers elle. Lui-même en étendant la main sentit que le corps du médium était fortement penché en avant et lorsqu'il examina l'empreinte, il constata une vague ressemblance avec le profil d'Eusapia, qui ne lui laissa aucun doute que celle-ci ne fût à la fois le médium et l'esprit évoqué.
Les noueurs d'aiguillettes
Ils existent encore dans nos villages. Le Dr Valbombe nous conte une histoire qui s'en rapproche. Un amant évincé se mit à ricaner et à faire des signes au passage de sa belle avec un autre plus heureux. A peine couchée, la mariée se remue, s'agite, crie, puis se calme ; mais la crise lui reprend deux ou trois fois dans la nuit et elle déclare que c'est le tour qui s'accomplit. Depuis le mari et sa femme ne peuvent reposer en paix.
Il y a là un phénomène de suggestion qui n'a rien de bien surnaturel. Dans le mystère Kama, un fakir indien noue aussi l'aiguillette à une
mariée, sous la forme d'un accès de catalepsie quand le mari s'apprête à remplir le devoir conjugal.
La faillite du prophétisme
Devins, prophétesses et voyantes sont à la mode, et il ne se produit plus, à l'heure actuelle, d'événements importants sur lesquels ils n'aient vaticiné peu ou prou.
La vie du roi d'Angleterre a fourni, naturellement, une ample matière à leurs prédictions. Maintenant qu'Edouard VII a été solennellement couronné, i1 est piquant de rappeler ce qu'ils avaient annoncé à son sujet :
Il sera proclamé
Mais ne sera pas couronné.
Ainsi s'exprima jadis Mlle Couesdon, l'ex-voyante de la rue Paradis, porte-parole de l'ange Gabriel.
M. Evan Hugh, sur-nommé le Prophète de l'autre côté de la Manche, émit le même avis, au mois d'avril de l'année dernière, dans une revue de sciences occultes :
Dans mon opinion, écrivait-il, les indications astrologiques ne sont guère rassurantes, et Je prendrai sur moi de formuler cette prédiction : Edouard VII ne sera jamais couronné.
La même note fut donnée, ou à peu près, par Mme de Thèbes, quelque temps après la mort de la reine Victoria et la proclamation de l'avènement du prince de Galles au trône du Royaume-Uni :
J'ai grand'peur que le roi d'Angleterre ne monte Jamais sur le trône de ses pores. Il est placé sous un nombre néfaste, et je crains qu'un événement malheureux ne vienne, à la veille même du couronnement, attrister le peuple anglais.
Et Edouard VII n'est pourtant pas mort de mort subite ! Et il a pu ceindre le diadème !
Le grand événement dont l'Angleterre a été le théâtre marque la faillite du prophétisme.....
Le traitement de la rage au Maroc
Dans un article fort curieux, M. Raynaud nous fait connaître la façon dont on traite la rage au Maroc.
Le traitement de la rage varie d'une province à l'autre. Dans le nord, les poils de l'animal tué sont réduits en cendres et appliqués sur la plaie ; le mordu mange ensuite de l'ail cru pendant dix jours. Sur la frontière algérienne, et même à Relizane, on fait prendre des pilules de cantharides.
Dans le sud, le blessé est cautérisé au vertex, avec du soufre, puis
placé dans une chambre obscure ; on doit lui donner des douceurs, lui passer toutes ses fantaisies et ne pas l'exciter.
A Mogador, il existe une zaouîa qui a la spécialité de guérir les enflures et la rage. Les Maaehet qui l'occupent sont tous marabouts et possèdent le privilège de guérir : ils frottent les morsures avec un bloc de sel gemme, font prendre au blessé un bain de mer ou un bain de sel et l'obligent à demeurer enfermé dans l'obscurité pendant sept jours.
Chez les juifs, à Marrakesh, l'homme qui a été mordu doit, après avoir écrit sur la peau d'un serpent les mots « kanti, kanti, ktirus », se dépouiller de ses vêtements, les enfermer pendant douze mois dans un tombeau, puis les brûler et en disperser les cendres : mais durant ces douze mois, il faut qu'il boive dans un pot en or. Ces mots magiques et cette coutume sont tirés du Talmud.
11 est enfin un usage qui est répandu dans tout le Nord de l'Afrique. On donne à la personne mordue par un chien un medkal (1 gramme) du foie de ce chien dès qu'il a été tué. Legrain a signalé ce fait en Algérie. Il est curieux de constater que M. Frantzin a démontré que la bile des chiens enragés contenait une antitoxine capable, dans certaines conditions, de prévenir les manifestations de la rage.
Comment les Javanais obtiennent la narcose
M. Steiner a eu l'occasion d'observer, parmi les prisonniers détenus à l'hèpital de Surabaya (Java}, un guérisseur qui traitait ses patients en les plongeant dans une sorte de sommeil anesthésique obtenu au moyen de la compression des artères carotides. A cet effet, l'opérateur, assis sur le sol, derrière le malade, saisit la nuque de celui-ci à l'aide des deux mains, puis il pousse, de chaque côté, l'index et le médius jusqu'au voisinage de l'angle de la mâchoire inférieure où il enfonce ces deux doigts pour aller à la recherche d'un « vaisseau animé de battements », qu'il comprime ensuite sur la colonne vertébrale. Sous l'influence de ces manœuvres, on voit le patient devenir inquiet, en même temps que sa respiration s'accélère et devient plus profonde ; puis la tète ne tarde pas à retomber en arrière; on cesse alors de comprimer le cou, et le malade, après avoir gardé quelques instants la môme attitude immobile d'homme endormi, ouvre les yeux avec une impression d'étonnement, comme s'il venait d'être brusquement réveillé.
M. Steiner apprit bientôt que cette pratique est répandue dans l'est de Java, ainsi que dans les iles de Madura et de Banka, et qu'on l'associe souvent au massage général, lequel parait être très en vogue parmi les indigènes. La manœuvre est connue sous le nom de tarik urat tidor, c'est-à-dire « compression du vaisseau soporifique », et il nous semble intéressant de signaler ici, en passant, que l'artère carotide, désignée par quelques anatomistes anciens sous la dénomination d'Arteria sopo-rifera. porte encore à présent, en russe, le nom de sonnâïa arteria
(artère du sommeil). Au dire, des indigènes de l'archipel de la Malaisie, la pratique en question exercerait, une action favorable sur la fatigue, sur les maux de tête, l'insomnie, etc.
Ces faits lui ayant paru mériter d'être d'étudiés de plus près l'auteur a institué, à cet égard, une série de recherches sur 30 Javanais, dont 2 femmes. Il appliqua d'abord le procédé tel qu'il lui avait été enseigné par le guérisseur de Surabaya, mais dans la suite il fut amené à en modifier la technique, de façon à pouvoir mieux observer le sujet en expérience. Dans ce but, il s'asseoit en face du patient et saisit le cou de celui-ci, en plaçant la main droite sur le côté gauche du cou, et la main gauche sur le côté droit. Les bouts des doigts arrivés sur la nuque, il enfonce les deux pouces en arrière et un peu au-dessous des angles du maxilliaire inférieur; la plupart du temps, on perçoit alors nettement les pulsations de la carotide interne, et il ne reste plus qu'à appliquer le pouce le long du vaisseau, en exerçant une pression modérée vers la colonne vertébrale. Sur 30 sujets soumis à cette manœuvre, 5 seulement n'ont pas réagi; chez tous les autres on vit rapidement survenir, au milieu de convulsions cloniques plus ou moins prononcées, une perte complète de la sensibilité et de connaissance, de sorte que l'auteur a pu, chez un de ces individus, inciser un abcès inguinal sans que le malade s'en doutât. M. Steiner n'a jamais eu à enregistrer, au cours ou à la suite de ces expériences, le moindre accident; aucun patient n'a vomi, et on n'a pas, non plus, observé d'incontinence des urines ou des matières fécales. Il est bon, toutefois, de faire remarquer que les expériences ont porté sur des sujets exempts de toute affection du système vasculaire et que la durée de la compression a toujours été très courte.
Pour expliquer les phénomènes signalés ci-dessus, on ne saurait évidemment invoquer la suggestion, puisque les pressions exercées non pas directement sur la carotide, mais dans le voisinage de ce vaisseau, restent absolument sans effet. D'autre part, à en juger d'après les recherches instituées par l'auteur sur des cadavres, l'anémie cérébrale qu'on serait, à première vue, porté à incriminer dans la genèse de ces manifestations, ne serait pas seule en cause. La compression de la carotide interne ne saurait, en effet, avoir lieu sans entraîner une compression de la veine jugulaire, de sorte qu'à côté de l'anémie cérébrale par défaut d'afflux du sang artériel, il convient également de compter avec la congestion passive provoquée par la gêne de la circulation veineuse. Il se peut aussi que d'autres facteurs, tel que la compression du nerf pneumogastrique et des ganglions du sympathique cervical interviennent pour leur part dans les phénomènes dont il s'agit.
17eAnnée.—? 5.
Novembre 1902.
Le traitement, par la suggestion hypnotique, de l'aboulie des buveurs d'habitude (1)
Par le Dr BÉRILLON, médecin inspecteur des asiles d'aliénés.
Dans un certain nombre de communications antérieures (2), nous avons démontré que le traitement le plus efficace des habitudes d'alcoolisme consistait dans la rééducation de la volonté réalisée par un traitement psychologique. En 1896, au Congrès des aliénistes neurologistes de Nancy (3), nous nous exprimions ainsi : « Un certain nombre de buveurs d'habitude, après quelques tentatives d'abstinence, se déclarent impuissants à se soustraire à leurs habitudes alcooliques autant qu'à l'influence du milieu.
« Dans ces cas, il y a grand intérêt à recourir à l'intervention de la suggestion hypnotique. Ce traitement agit par la création d'un véritable centre d'arrêt psychique. Mis en présence de ses sollicitations habituelles à boire, le malade éprouve une sensation de résistance à ses tendances automatiques et il peut utiliser cette résistance pour corriger l'habitude. Chez le buveur animé du désir de se guérir, l'emploi de la suggestion hypnotique donne des résultats rapides et durables. Cette résistance lui permet de se ressaisir et il arrive à supprimer tous les excès alcooliques auxquels il se livrait d'une façon presque inconsciente. »
L'emploi de la suggestion hypnotique est d'autant plus légitime chez ces malades que, dans la plupart des cas, tous les traitements se sont montrés absolument impuissants. Lors-
(1) Communication faite au Congrès des aliénistes et neurologistes (Grenoble, 1902).
(2) Bérillon. — De la dipsomanle et de son traitement par la suggestion. — Revue de rhypnotisme. T. 5, 1891, p. 47 et 76.
(3) Bérillon. — Le traitement des buveurs par la suggestion hypnotique. Création d'un centre d'arrêt psvchique. — Congrès des aliénistes et neurologistes, Nancy, 1896.
qu'on a eu recours à l'isolement, l'abstinence imposée au malade prend fin immédiatement après sa sortie de l'asile. Dans ces conditions, il faudrait, pour que la guérison fut complète, soumettre l'alcoolique à un internement perpétuel.
Actuellement tout le monde est d'accord pour admettre que : « La suggestion est l'opération par laquelle, dans l'état d'hypnotisme, et même dans certains états de veille apparente (états hypnoïdes), on peut, à l'aide de certaines sensations et surtout à l'aide de la parole, provoquer chez un sujet un certain nombre de phénomènes automatiques et le faire parler, agir, penser, sentir au gré de l'expérimentateur. » C'est par cette opération qu'il convient de modifier les habitudes de celui qui cède irrésistiblement à l'impulsion de boire.
Si l'on se contente de suggérer au malade, pendant le sommeil hypnotique, de ne plus boire, il est possible qu'on obtienne déjà des résultats satisfaisants. Mais la méthode, pour être appliquée avec son maximum d'efficacité, comporte l'emploi de certains artifices sur lesquels nous avons été le premier à appeler l'attention. Ces artifices consistent essentiellement dans la création de centres d'arrêt par diverses actions psycho-mécaniques. Par exemple, après avoir hypnotisé le malade, il faut mettre dans la main du malade un verre rempli de liquide alcoolique. Vous l'invitez alors à porter le verre à la bouche, mais avant qu'il ait pu réaliser cet exercice, vous lui arrêtez le bras en le maintenant fortement. Son bras étant ainsi immobilisé, vous lui faites la suggestion suivante : « Chaque fois que vous tiendrez dans la main un verre rempli d'une boisson alcoolique, vous éprouverez au même niveau la résistance que vous éprouvez en ce moment. Votre bras sera absolument paralysé pour l'exécution du mouvement qui consiste à porter un verre à votre bouche et vous serez obligé de déposer le verre sans l'avoir bu. »
Vous répétez cet exercice à plusieurs reprises. En un mot, vous créez chez le malade une véritable paralysie psychique qui doit se reproduire par suggestion post-hypnotique, chaque fois qu'il voudra porter à la bouche un verre rempli de liquide alcoolique.
Les artifices par lesquels on arrive à créer des centres d'arrêt psychique sont très nombreux. Ils augmentent considérablement l'efficacité de la suggestion hypnotique. Depuis que nous y avons recours, nous avons vu la proportion de guéri-sons s'augmenter dans une proportion considérable.
En résumé, le traitement des buveurs d'habitude comporte, pour aboutir à un résultat favorable, l'application rigoureuse d'une méthode dont les principales opérations sont les suivantes :
1o Examen psychologique du sujet. — Cet examen, comme nous l'avons exposé dans une communication récente à la Société d'hypnologie et de psychologie (1), révèle un état d'aboulie nettement caractérisé. Ce syndrome aboulie est ordinairement caractéristique de l'état psychologique individuel du sujet. Il est un des fondements de sa personnalité. Dès l'enfance, on pouvait constater chez le sujet une tendance à l'apathie, à l'irrésolution, à la paresse, à la timidité, au défaut d'attention et surtout à l'hypersuggestibilité.
Ces dispositions d'esprit sont souvent traduites d'une façon pittoresque par les personnes de l'entourage. En parlant du malade, elles s'expriment ainsi ; « Il est mou, dans ce qu'il est.
— Il n'a jamais su ce que c'était que d'avoir une volonté à lui.
— Le premier venu en aurait fait tout ce qu'il voulait. — Pour parler, il n'est jamais en retard, mais pour agir, ce n'est pas la même chose. — Il lui aurait toujours fallu à côté de lui quelqu'un de sérieux. — Je fais de lui tout ce que je veux, mais malheureusement, je ne l'ai pas toujours avec moi. — Pour que tout aille bien, il ne lui faudrait pas de contrariétés, etc., etc.
Cette aboulie relative existe évidemment avant les habitudes d'intempérance. Mais il est utile de faire remarquer que chez ces prédisposés, l'aboulie s'est trouvée accentuée sous l'influence de diverses circonstances, parmi lesquelles il faut noter les maladies infectieuses, les chocs physiques et surtout les influences morales. Parmi ces influences il faut noter: 1° Les émotions dépressives résultant d'un amour contrarié,
d'un projet de mariage rompu. 2° Les chagrins domestiques et les malheurs conjugaux. — Les ennuis consécutifs à la trahison conjugale jouent assurément le rôle le plus important dans le développement des habitudes d'intempérance. 3° La perte d'un être aimé: La mort d'un conjoint ou d'un
enfant, par exemple. 4° La perte d'une situation, la ruine, les condamnations judiciaires, en un mot la diminution de la situation maté- rielle ou morale.
(1) BERILLON— l'aboulie des buveurs d'habitude. (Revue de l'Hypnotisme. 16e an-née, n° 12, p. 362, Juin 1902.)
Quand l'une de ces circonstances est survenue d'une façon inattendue, elle revêt l'allure d'un véritable choc moral. Il en résulte un trouble profond qui se manifeste essentiellement par l'apparition ou l'accentuation de l'état d'aboulie. L'individu semble, depuis ses ennuis ou son malheur, absolument dépourvu de volonté, Il le reconnaît et il met sur le compte de l'aboulie tous les désordres de sa conduite, se déclarant incapable de résister aux entraînements. De plus il avoue qu'il n'est heureux que lorsqu'il est sous l'influence de l'excitant alcoolique qui lui donne l'illusion du retour momentané de la volonté.
Dans quelques cas, l'abus des boissons alcooliques n'a d'autre cause qu'une grande timidité naturelle. Nous avons relevé un grand nombre de faits qui corroborent cette opinion. Je pourrais citer un certain nombre d'artistes lyriques et dramatiques qui ont recours à l'ingestion de liqueurs alcooliques pour se soustraire à la phobie professionnelle connue sous le nom de trac des acteurs.
En résumé, l'état mental du malade est essentiellement caractérisé par le syndrome aboulie. Ce syndrome, préexistant aux habitudes d'intempérance et en ayant favorisé le développement, s'est naturellement accentué sous l'influence de l'intoxication.
2° Préparation au traitement. — La préparation au traitement consiste à vaincre les résistances du malade et à le déterminer à accepter l'hypnotisation. Quand le consentement est obtenu, la partie la plus difficile du traitement est réalisée.
3° Hypnotisation du malade. — Le malade s'étant décidé à se soumettre à l'hypnotisation, il est utile de faire préalablement le diagnostic de la suggestibilité. Ce diagnostic peut être fait à l'aide de divers procédés que connaissent les raédeoins qui se livrent à la pratique de l'hypnothérapie. Ce diagnostic permet d'obtenir de précieux renseignements sur la durée de l'entraînement hypno-suggestif. Il ne faut rien négliger pour développer chez le malade l'aptitude à l'hypnotisation. Pendant la période d'entrainement hypno-suggestif, on commence par des exercices variés à obtenir la rééducation de la volonté. Les séances d'hypnotisation ne seront utilement faites que lorsque les malades ne seront pas en état d'ivresse, même légère. Dans l'état d'excitation alcoolique, les sujets les plus suggestibles cessent d'être hypnotisables.
4° Diminution graduelle des boissons alcooliques. — En procédant d'une façon graduelle à la diminution des boissons
alcooliques, on évite l'apparition des troubles mentaux qui accompagnent d'ordinaire la suppression.
5° Suppression complète des boissons alcooliques. — Après deux semaines de traitement, dans lesquelles les séances d'hypnotisation auront été répétées d'une façon quotidienne, le malade a recouvré assez de volonté pour être soumis à la suppression complète. Pour neutraliser les effets de la neurasthénie assez profonde qui se manifeste chez certains malades sous l'influence de la suppression de l'excitant, il est utile de recourir à l'usage des préparations de strychine.
6° Convalescence. — Pendant toute la durée de la convalescence, qui est assez longue (de deux mois à six mois}, le malade devra se soumettre périodiquement à des séances d'hypnotisation. Il est quelquefois utile de compléter la cure, lorsqu'il est possible, par une cure de plein air. Le convalescent s'adonnera utilement à des exercices physiques gradués.
Nous devons ajouter que les alcooliques, de même que la plupart des malades dont les troubles sont sous la dépendance d'une intoxication, sont extrêmement hypnotisables. Il n'est pas rare d'observer que la suggestibilité exagérée dont ils faisaient preuve lorsqu'ils étaient sous l'influence de l'intoxication est ramenée à des proportions normales lorsque la guérison est obtenue. A cet égard, l'hypersuggestibilité des alcooliques peut être comparée à l'hypersuggestibilité des hystériques.
Quand le traitement psychothérapique est poursuivi avec méthode et que la convalescence est l'objet d'une surveillance sérieuse, la guérison est obtenue dans la majorité des cas.
La folie dans l'art dramatique. Les tragiques grecs (1);
Par le dr e. Régis Chargé du cours des maladies mentales à l'Université de Bordeaux.
Les grands tragiques grecs ont tous les trois représenté l'insanité d'esprit : Eschyle dans sa Trilogie d'Oreste; Sophocle dans Ajax; Euripide dans les Bacchantes, Oreste, Iphigénie en Tauride et Hercule furieux.
Dans Agamemnon, la première pièce de l'Orestie, Eschyle nous montre Cassandrc prise de ce délire d'inspiration poétique si fréquent dans l'antiquité et dont on retrouve encore
(1) Extrait du discours prononcé le 1er août 1902, à Grenoble, à la séance solennelle d'ouverture du Congrès des aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, par le dr e. Régis, président.
aujourd'hui l'image chez certains mystiques délirants. Dans les deux pièces suivantes, les Choéphores et les Euménides, nous voyons Oreste meurtrier, sur l'ordre d'Apollon, de sa mère Clytemnestre et d'Egisthe, poursuivi par les furies vengeresses.
Mais le vieil Eschyle, profondément religieux, n'a pas conçu cette poursuite comme une maladie, au sens propre du mot; il en a fait un émouvant conflit entre deux puissances surnaturelles, ou plutôt un grand procès tragique où nous sont présentées tour à tour l'accusation et la défense d:un malheureux parricide, avec la sentence finale d'absolution, chacun de ces trois éléments de la justice idéale étant personnifié sur la scène par des divinités vivantes et agissantes : les Furies, Apollon, Minerve. Quanta Oreste, il n'est rien là qu'un hochet que se disputent les deux divinités rivales; on ne peut même pas dire qu'il soit fou, car nulle part, dans les Euménides, il ne déraisonne, tandis qu'il y soutient sa cause, au contraire, avec la plus entière lucidité d'esprit (1)•
Euripide, pour sa part, a peint deux fois la folie du fils d'Agamemnon : dans son Oreste et dans son Iphigénie en Tauride.
Le sujet d'Oreste est celui même des Euménides, c'est-à-dire la triste condition, après le meurtre de sa mère, du parricide poursuivi par les Furies, repoussé de partout et finalement absous, grâce à l'intervention de son protecteur Apollon. Mais ici les dieux ne sont plus que des comparses et des ressorts de théâtre ; tout s'est humanisé, particulièrement l'égarement d'esprit, qui a cessé d'être une sorte de mystère religieux pour devenir une maladie.
La folie d'Oreste est la conséquence et la suite immédiate de son crime. Il a tué sa mère par nécessité ; par nécessité aussi, il doit souffrir, expier, et c'est cette expiation qui va se faire
(1) Cette tendance mystique des dramaturges primitifs à figurer sous forme de personnages, agissant sur la scène, les passions et Jusqu'au délire même des humains, ceux-ci restant à l'arrière-plan, doit être innée et générale. M. Geyer la relève très judicieusement dans son tout récent article sur la psychiatrie dans le théâtre japonais (Nouvelle Iconographie de la Salpétrière). Il cite entre autres un nô ou tragédie, Aoi-no-Ouyé, dans laquelle Aoi, la femme poursuivie par des hallucinations terrifiantes et des idées de jalousie que font disparaître finalement les incantations d'un prêtre ou d'une prétresse shlnntoïstcs, ne parait même pas sur le théâtre, tandis que ses hallucinations d'abord, ses idés de jalousie ensuite s'y montrent personnifiées : les premières par le spectre lui-même, les secondes par un être à masque diabolique, le démon de la jalousie. Il cite également une comédie ou Kîyôghen, intitule : Kitzné-Tsouki, où il s'agit d'un délire de possession par le renard qui, chez les campagnards japonais, joue le rôle légendaire rempli chez nous par le diable ou le sorcier. Le rôle du renard, véritable incube, y est tenu par un acteur.
au moyen de la folie. Il n'y a pas à se tromper sur la pensée d'Euripide : Oreste est égaré par le remords, par l'agitation de sa conscience. C'est lui-même qui le dit lorsque à la question de Ménélas, son oncle : « Que ressens-tu ? Quel est le mal dont tu meurs ? » Il répond : « La conscience, la conscience qui me reproche mon forfait. » Au point de vue de la cause qui l'a troublé, l'Oreste d'Euripide appartient donc à la catégorie de ces criminels qui, obsédés par le remords, croient toujours voir devant eux l'image de la victime ou du justicier :
L'œil était dans la tombe et regardait Cain.
Voyons maintenant quel est le caractère de cette folie.
Au début de la pièce, Oreste dort, veillé par sa sœur. Six jours se sont écoulés depuis que, son crime commis, il est devenu insensé. Il gît là, le visage décomposé, les cheveux desséchés et en désordre, amaigri par l'inanition. Parfois, pris d'un accès soudain et sous l'empire d'hallucinations terrifiantes, il s'élance d'un bond hors de sa couche, et affolé, hors de lui, il cherche à se défendre contre ces horribles apparitions. Puis, la crise passée, il se recouche, et caché sous ses vêtements, quand son mal lui laisse quelque répit, il recouvre la raison et se met à pleurer.
Les accès hallucinatoires sont parfaitement rendus par le poète, ainsi qu'on en peut juger par la courte scène que voici :
Electre, qui épie sur le visage de son frère les signes du retour du mal tant redouté, s'écrie à un moment, le voyant changer :
« Hélas ! mon frère, ton œil se trouble ; voilà que tes fureurs te ressaisissent, toi naguère si calme. » Et. en effet, Oreste est repris. « O ma mère, dit-il, je t'en conjure, ne lance point contre moi ces filles aux yeux sanglants. Les voilà, les voilà qui s'élancent sur moi. »
Electre. — « Reste, infortuné, reste en repos sur ta couche, tu ne vois rien de ce que tu crois voir. »
Oreste. — « O Phébus, ces chiens dévorants, ces êtres hideux et farouches, ces prêtresses de mort, ces terribles déesses vont me tuer. »
Electre. — « Je ne te lâcherai pas, je veux l'entourer de mes bras et contenir ces élans furieux. »
Oreste. — « Loin de moi, Furie qui me tiens embrassé pour me précipiter au Tartare ! »
Electre. — « Malheureux, quel secours attendre quand les dieux sont contre nous ? »
Oreste. — « Donne-moi l'arc de corne, présent d'Apollon, celui qu'il
me remit pour repousser ces déesses si elles venaient m'épouvanter de leur rage insensée... »
Ce tableau, qu'on pourrait suivre et commenter détail par détail, est une peinture très exacte d'un paroxysme de délire hallucinatoire terrifiant. Rien n'y manque : ni l'hallucination visuelle, qui en forme la base, ni le caractère sinistre, zoop-sique même de cette hallucination, se traduisant par la vue d'êtres horribles, de serpents et de têtes de chiens ; ni l'élat d'épouvante engendré par les apparitions et les actes de défense violents qu'elles provoquent; ni enfin l'incorporation à son délire, par le malade, des réalités ambiantes, comme lorsqu'il prend Electre, l'enlaçant de ses bras, pour une Furie qui l'entraîne au Tartare, ou lorsque, l'entendant se plaindre de l'abandon des dieux, il songe tout à coup, par une association automatique d'idées justement relevée par Patin (1), à l'arc protecteur d'Apollon.
Sa crise apaisée, Oreste, dans un état de vague et de confusion où cependant il se rend tristement compte de son délire et de l'inanité de ses visions, demeure sans force, accablé et réclame son lit où Electre le replace, lui disant : « Le lit est cher au malade ; il est pénible d'y séjourner, mais cela est nécessaire, » simple phrase d'où l'on pourrait conclure, si l'on voulait, que notre méthode actuelle et tant vantée de l'alitement dans la cure des folies aiguës, à laquelle elle pourrait servir d'épigraphe, est, elle aussi, renouvelée des Grecs.
La folie d'Oreste n'est donc pas, comme a pu l'écrire je ne sais comment Gasquet, dans son étude pourtant très documentée sur « les fous du théâtre grec » (2), une manie aiguë, mais un délire hallucinatoire terrifiant ou, ce qui revient au même, un délire toxique, car, ainsi que la psychiatrie moderne tend à le démontrer, ce délire est caractéristique des intoxications.
Euripide a encore retracé l'égarement d'Oreste dans Iphi-gênie en Tauride, pièce imitée par tant d'auteurs, notamment par Gœthe et par Gluck dans son opéra. Mais, dans la tragédie grecque tout au moins, car dans la belle œuvre musicale du compositeur allemand nous voyons Oreste en proie à ses furies, cette folie nous est contée et non montrée. Le récit n'en est pas moins intéressant, car il s'agit encore d'un accès
(1) Patin. Etude sur tes tragiques grecs.
(2) J. R. Gasquet. The madmen of the Greck théâtre (The Journal of mental Science, april, july, october 1872; january, april, july 1873 ; january, april, 1874).
transitoire aigu de délire, avec illusions sensorielles et réactions violentes contre des animaux pris pour des ennemis, dans lequel seulement c'est le fidèle Pylade qui remplace Electre en son rôle d'appui consolateur. Oreste, et c'est là pour nous une particularité qui mérite d'être retenue, demeure donc, dans Euripide, partout identique à lui-même comme délirant. Voici le récit de cet accès :
« Cependant l'un des deux étrangers quitte la grotte, et, debout, secouant la tête avec violence, il gémissait, agitait des bras tremblants et dans les transports d'une folie terrifiante criait, comme un chasseur : « Pylade, vois-tu celle-ci? et cette autre ne la vois-tu pas? Il veut me tuer, ce monstre des enfers; il agite sur moi ses horribles serpents. En voici une autre qui respire la flamme et le sang; elle dirige son vol vers moi, portant ma mère entre ses bras; elle va m'écraser sur ces roches énormes. Ah ! elle veut me tuer. Où fuir ? On ne voyait aucune de ces apparitions dont il parlait, mais il prenait les mugissements de nos taureaux, les hurlements de nos chiens pour les cris que poussent, dit-on, les Furies. Pour nous, saisis d'effroi et serrés les uns contre les autres, nous n'osions ni parler ni bouger. Mais lui, tirant son épée, se précipite comme un lion au milieu de nos génisses ; il les frappe, les transperce, croyant ainsi se défendre contre les Furies ; une écume sanglante couvre les flots. Alors, chacun de nous, en voyant ses troupeaux dispersés, égorgés, saisit une arme et souffle dans sa conque pour appeler les habitants; car contre ces étrangers jeunes et vigoureux, nous pensions que de pauvres bouviers seraient trop faibles. Et déjà notre troupe grossissait lorsque la fureur de l'étranger se calme, il tombe l'écume aux lèvres. En le voyant ainsi, sans défense, chacun de nous en profite pour lui lancer des pierres, le frapper, pendant que son compagnon lui essuie la bouche, veille sur lui, le couvre de ses vêtements, détourne les coups qu'on lui porte, et lui prodigue tous les soins de l'amitié. »
Jetons un coup d'oeil maintenant sur Ajax et Hercule furieux, les deux tragédies grecques les plus importantes pour la psychiatrie avec les précédentes ; car les Bacchantes d'Euripide, où se trouve reproduite la légende de Penthée puni par le dieu Bacchus, outre que le texte nous en est parvenu incomplet, n'est qu'une peinture de la fureur bachique imitée sans doute des prédécesseurs et ne vaut surtout, me semble-t-il, que comme exemple, curieux pour l'époque, d'un crime de foule accompli par des femmes.
On connaît le sujet d'Ajax de Sophocle. A la mort d'Achille, les Grecs, toujours immobilisés devant Troie, se sont réunis pour décider à qui reviendraient ses armes, et leurs votes se sont portés sur Ulysse. Ajax, qui comptait l'emporter, est
rentré furieux sous sa tente, et la nuit suivante, dans un accès d'aveugle vengeance, il a fait une épouvantable hécatombe des troupeaux et de leurs gardiens, croyant frapper les chefs de l'armée.
Sophocle, pour ne point heurter la tradition et les croyances populaires, a bien mis cet accès sur le compte de Minerve, et c'est elle qui se flatte d'avoir répandu sur les yeux d'Ajax de folles visions, en détournant sa rage sur le butin des Grecs., Mais, bien que d'origine divine, ce n'en est pas moins là, contrairement à ce que nous avons vu dans Eschyle, de la folie-maladie,
La crise passée, Ajax revient progressivement à lui. Quand il voit sa demeure pleine de carnage, il se frappe la tête, crie et s'étend sur les restes des animaux qu'il a égorgés, en s'arra-chant désespérément les cheveux. Longtemps il reste plongé dans un morne silence ; puis il réclame la vérité sur tout ce qui s'est passé et qu'il ne sait plus. Lorsqu'il l'a apprise, il pousse des gémissements douloureux, refusant de manger et de boire, assis immobile au milieu de ses trophées sanglants, laissant voir à ses paroles, à ses plaintes qu'il médite quelque fatal projet.
C'est, comme dans Oreste, mais de façon plus marquée, l'abattement et le désespoir mélancoliques qui succèdent souvent à la phase d'agitation hallucinatoire aiguë. Caractérisée par de la prostration, du mutisme, du refus de nourriture, du dégoût de la vie, c'est-à-dire par la totalité des symptômes cliniques de la lypémanie, auxquels il ne manque même pas les idées pathognomoniques d'humilité et de culpabilité, Ajax se déclarant indigne désormais de l'assistance des dieux et des hommes, cette tristesse farouche va aboutir, comme c'est presque la règle on clinique, au suicide.
En effet, Ajax, déjouant la surveillance dont il est l'objet, fiche en terre l'épée qu'il reçut de son ennemi Hector et se tue en se jetant dessus.
Il y a donc dans Ajax deux états psychopathiques qui se succèdent, plus ou moins liés l'un à l'autre : une crise aiguë de délire hallucinatoire nocturne, un accès de dépression mélancolique. De ces deux états, le grand tragédien a tracé un tableau aussi exact que possible, attribuant à chacun d'eux les caractères, très différents et très spéciaux, qu'il doit réellement avoir: au délire hallucinatoire, l'explosion nocturne, brusque, aiguë, les hallucinations visuelles, terrifiantes, mélangées d'illu-
sions, les agressions furieuses et homicides, la brève durée, même l'amnésie consécutive; à la mélancolie, la prostration, le mutisme, les idées d'indignité, les gémissements, le refus de nourriture, enfin la tendance au suicide.
C'est donc là, au plus haut point, Une création médicalement vraie et fidèle.
Il existe même, dans cette pièce, un détail qui montre jusqu'à quel point Sophocle avait pénétré la réalité. Lorsque Teucer se trouve en présence du cadavre de son frère Ajax, il se lamente, et, songeant aux reproches qu'il aura à subir de leur père commun, il s'écrie : « Quelles invectives, quel outrage m'épargnera-t-il ? Fils illégitime d'une captive, je t'aurai abandonné, cher Ajax, par crainte, par lâcheté, ou même par perfidie, pour hériter de ton pouvoir et de ton palais. Voilà ce que dira cet homme irascible, ce vieillard morose q'un rien fait entrer en colère. »
Certes, il ne convient point de forcer l'interprétation des textes ; mais ne semble-t-il pas que Sophocle, en donnant à l'aliéné Ajax un père sombre, irritable, violent, ait voulu marquer que tout en respectant pour la forme l'idée courante de l'origine surnaturelle de la folie, il connaissait l'importante action de l'hérédité et qu'il ait voulu lui attribuer ici sa part ? Il est permis de le supposer.
Il ne nous reste plus maintenant qu'à dire un mot de l'Hercule furieux d'Euripide.
Nous nous trouvons encore là en présence d'un accès de délire provoqué par une divinité et qu'une autre divinité fait cesser. Mais, laissant de côté cette influence purement conventionnelle des puissances divines sur la folie, je n'hésite pas à déclarer que nulle part il n'existe une reproduction plus exacte de ce délire hallucinatoire passager qui ressemble à un rêve en action, à un rêve somnambulique et que j'ai nommé pour ce motif délire, onirique, que dans la crise en laquelle Hercule, égaré par ses illusions terrifiantes, renverse son palais et massacre sa femme et ses enfants, les prenant pour ses ennemis.
Voici le récit qu'en fait un témoin, car Euripide n'a pas voulu pousser l'horreur jusqu'à mettre sous les yeux des spectateurs l'épouvantable spectacle de cette boucherie humaine.
« Les victimes étaient devant l'autel de Jupiter. On allait purifier le palais hors duquel Hercule avait jeté le cadavre du tyran égorgé. En cercle se tenaient rangés le chœur gracieux de ses fils, et son père et
Magara; déjà on portait autour de l'autel la corbeille sacrée et nous faisions silence. Au moment où le fils d'Alemène allait prendre de sa main droite le tison sacré pour le plonger dans l'eau lustrale, il s'arrêta, gardant le silence ; et comme il tardait, ses fils tournèrent les yeux vers lui. Il ne semblait plus le même : il roulait des yeux égarés; ses prunelles sanglantes sortaient de leurs orbites et l'écume dégouttait sur sa barbe touffue. Tout à coup il s'écrie, riant comme un insensé : « Pourquoi, 0 mon père, songer à des purifications avant d'avoir tué Eurysthée? Pourquoi une double peine, quand je peux tout terminer en une seule fois? Quand j'aurai apporté ici la tête d'Eurysthée, alors je purifierai nies mains des deux meurtres commis. Répandez cette eau, jetez loin de vous ces corbeilles. Qu'on me donne mon arc! Où est la massue dont s'arme ¦mon bras? Je vais à Mycènes. Il faut prendre des leviers, des barres de fer, des pioches pour renverser les murs que les Cyclopes ont construits à l'aide de la règle rouge et du ciseau. » Puis il se mit en marche et, quoiqu'il n'eût pas de char, il semblait en avoir un et il y montait eu frappant les chevaux comme s'il eût eu un fouet à la main. Ses serviteurs troublés ne savaient s'ils devaient rire ou trembler; ils se regardaient entre eux et disaient : « Notre maître veut-il se jouer de nous ou a-t-il perdu la raison? » Pour lui, il parcourait sa demeure en tous sens. Se précipitant dans la chambre où les hommes prenaient leur repos, il dit qu'il est arrivé dans la ville de Nisus, bien qu'il soit dans sa propre maison. Alors, il s'étend par terre et fait mine de préparer son repas. Repartant après un moment de repos, il déclare qu'il est arrivé dans les bois épais de l'isthme. Il se dépouille de ses vêtements, combat contre un adversaire imaginaire et annonce sa victoire à des spectateurs qui n'existent pas. Ensuite il se dit à Mycènes et fait entendre des menaces furieuses contre Eurysthée. Son père alors, touchant sa robuste main, lui adresse ces paroles : « Mon fils, qu'as-tu donc? Quel est cet étrange voyage? Est-ce le meurtre de ceux que tu as tués qui te trouble l'esprit ? Mais lui, croyant que c'était le père tremblant d'Eurysthée qui touchait sa main pour le supplier, le repousse et s'arme de son arc et de ses flèches pour frapper ses propres enfants, qu'il croit être ceux d'Eurysthée. Ceux-ci s'enfuirent effrayés et cherchent un asile, l'un sous le voile de sa mère, l'autre derrière une colonne, et le troisième sous l'autel, comme un oiseau effarouché. Leur mère s'écrie : « Que fais-tu, malheureux père, tu veux donc tuer tes enfants? » Le vieillard criait aussi et aussi la foule des serviteurs. Pour lui, il poursuit un de ses enfants autour de la colonne, l'atteint, lui fait face et d'un trait lui perce le foie. L'enfant tombe à la renverse et, en expirant, il couvre le marbre de son sang. Hercule pousse un cri de joie, et d'une voix triomphante : « Voilà donc mort, s'écrie-t-il. un des fils d'Eurysthée; il a payé pour la haine que son père m'a toujours témoignée. » Il tend alors son arc contre un autre qui, tapi près de l'autel, se croyait à l'abri. Le malheureux se jette aux genoux de son père, élevant vers lui des mains suppliantes. « Père chéri, lui dit-il, ne me tue pas ; je suis ton fils, ton propre fils. Ce n'est pas le fils d'Eurysthée
que tu vas frapper. » Mais Hercule attachait sur lui le regard farouche d'une Gorgone, et comme l'enfant était trop près pour être percé par la flèche, il saisit sa massue, la lève au-dessus de la tête du malheureux et tel qu'un forgeron qui abaisse son marteau, il la fait retomber sur la tète blonde de l'enfant et lui brise le crâne. Après avoir tué ce second fils, il court à une troisième victime. Mais la malheureuse mère le prérient, elle entraîne son enfant dans l'intérieur de sa maison et s'y enferme. Il s'imagine alors qu'il assiège les murs des Cyclopes ; il sape les portes, les secoue, les fait sauter à l'aide d'un levier, et d'un seul trait il tue sa femme et son fils. Puis, comme il se hâtait pour aller immoler son vieux père, on vit une figure merveilleuse : Pallas apparut, brandissant une lance aiguë; elle lança contre la poitrine d'Hercule un rocher qui l'empêcha de continuer ce carnage et elle le plongea dans un profond sommeil. Il tombe sur le sol, heurtant de l'épaule le fût d'une colonne qui s'était rompue, lorsqu'il ébranlait les murs de son palais. Pour nous, délivrés du soin de le fuir, nous avons aidé le vieillard à le lier à la colonne, afin qu'à son réveil il ne puisse pas commettre d'autres meurtres. Il dort en ce moment, l'infortuné, d'un bien triste sommeil, après s'être souillé du sang de ses enfants et de sa femme. Je ne crois pas qu'il y ait un mortel plus malheureux que lui. »
Cette description de l'accès de folie d'Hercule est non seulement une belle page dramatique, admirée de tous, mais aussi, nous le répétons, un tableau clinique d'une saisissante vérité.
Ce qui achève la perfection de cette peinture, c'est que Hercule sort de sa crise absolument comme on sort d'un état de somnambulisme ou, ce qui revient au même, d'un délire de rêve, sans se souvenir et sans se rendre compte de rien. Il faut qu'on lui indique où il est, ce qu'il a fait, qu'on lui montre son palais renversé, les cadavres de sa femme et de ses enfants et qu'on lui affirme que c'est là son œuvre pour qu'il y croie. Et alors, désespéré, il réclame la mort.
Je ne sais où est née la légende de l'épilepsie d'Hercule, légende qui a fait donner à cette névrose, parmi tant d'autres surnoms, celui de mal herculéen. Mais si la crise décrite par Euripide est pour quelque chose dans cette croyance, il faut cesser d'y voir un semblant de preuve, même artistique ; car aujourd'hui un paroxysme onirique de cette sorte, fait d'impulsions inconscientes et amnésiques à la violence, n'est plus considéré comme appartenant exclusivement à l'épilepsie. Il indique seulement un état cérébral d'intoxication.
Telle est la pièce d'Hercule furieux et telle est, sommairement esquissée dans ses plus larges traits, l'histoire de la folie dans
l'art dramatique grec. Au moment où nous le quittons, quatre siècles avant l'ère du Christ, cet art est arrivé, pour ce qui est du sujet qui nous occupe, à un rare degré de perfection : et cela est d'autant plus remarquable que les doctrines hippocra-tiques, qui régnaient à ce moment, si elles contiennent, ainsi que l'a montré Semelaigne, des notions déjà intéressantes sur la folie, n'isolent pas, dans une description bien nette, cette forme de délire toxique si fréquemment et si fidèlement mise à la scène par les tragiques grecs.
La mentalité du collectionneur
Par M. Martial Vergnolle
On a beaucoup écrit sur les collections ; nous n'avons donc plus à décrire leur infinie variété qui s'applique aux pièces les plus artistiques comme aux objets les plus vulgaires. Nous ne parlerons pas davantage des maîtres dans l'art de constituer les musées. Nous écrirons seulement ici quelques lignes sur le type spécial qu'on appelle « le collectionneur » en nous efforçant de faire ressortir les côtes les plus saillants de sa mentalité.
Un bonhomme au physique et à la mise archaïques, jouissant d'une certaine fortune, érudit et original, telle est la description rapide du véritable collectionneur.
Il ne faut évidemment pas confondre celui-ci avec le collégien collant des timbres-postes sur un cahier qu'il appelle son album, ou réunissant dans un carton quelques plantes bientôt oubliées à sa sortie de l'école. Il ne faut pas l'assimiler davantage au coiffeur exposant à sa vitrine quelques monnaies ou à l'horticulteur dont Tunique but est la vente des raretés florales qu'il se procure. Ceux-là sont essentiellement commerçants et ne peuvent être élevés à la dignité de collectionneur.
Le vrai collectionneur est, le plus souvent, un « vieux garçon » qui ayant abandonné tout projet matrimonial se consacre à la recherche et à la conservation de divers objets de même ordre pour en former son idéal, sa collection, dont la mort seule le séparera. C'est un désœuvré ou un bureaucrate employé à des travaux d'où la routine a chasse depuis longtemps l'initiative et l'activité. C'est à coup sûr un attentif, un méticuleux.
II sort d'un milieu cultivé et jouit d'une certaine fortune qui lui est d'ailleurs nécessaire pour la satisfaction de sa « marotte ». Il a le sens artistique développé et possède, ?vec une grande faculté d'observation, un œil distinguant, dans le fatras d'un marchand de bric à brac, la perle inestimable qui enrichira sa collection. C'est un intellectuel.
Il ne se rencontre pas chez le peuple, absorbé par le labeur quotidien, vivant au milieu de la banalité et qui, nécessairement pratique, considère comme négligeable tout objet sans valeur intrinsèque. — Jamais rustre, dit Paul Parfait, priHl assez d'intérêt aux menus débris du passé pour les recueillir à grand'peine?
Sa collection l'obsède, il la contemple longuement, la caresse d'un regard heureux, en suppute le prix, dresse catalogue sur catalogue, classe et reclasse, étiquette et ne vit plus que pour celle qu'il rêve sans cesse d'augmenter et d'embellir.
Comme l'a dit très justement H. Berthoud, la monomanie du collectionneur ne connaît jamais le découragement. Rien ne saurait la vaincre ou la détourner du but qu'elle poursuit.
Ici c'est l'amateur de tableaux, de faïences, atteint du « choléra de la terre cuite » (porceleanae morbus) ; celui qui a un faible pour les émaux, les monnaies, les médailles, courant le monde en faisant de capitale en capitale le pèlerinage des musées. On le retrouve à Gizeh, émiettant à coups de marteaux le nez du Sphinx.
Là c'est encore lui qui, devenu botaniste ou entomologiste, se dépouille de sa prudence habituelle et gravit des roches abruptes ou s'aventure au bord d'un précipice à la recherche de la plante ou de l'insecte convoité.
Ailleurs, c'est le collectionneur d'autographes ou le philatéliste fouillant patiemment des charretées de vieux papiers, absorbant les poussières séculaires d'un grenier dans l'espoir d'y découvrir l'écriture de quelque célébrité ou la vignette devenue rarissime. C'est le bouquiniste gelant sur le quai, furetant parmi les étalages à la poursuite de l'incunable. On le trouve à l'Hôtel des Ventes attendant pendant des heures la mise aux enchères d'un bibelot qu'il a flairé, renchérissant constamment et tremblant dans la crainte qu'un « philistin » ne lui dispute sa proie.
II va ainsi, explorateur pacifique, à la découverte du Rare.
Il est vraiment curieux de voir le collectionneur, habituellement grave, correct, hautain même, se faire petit, humble,
caressant, devant le pauvre diable qui possède en sa masure une vieille armoire ou un plat antique, héritage de son grand-père, et dont il ne soupçonne pas la valeur. Il faut le voir chez le brocanteur affecter le dédain et offrir un prix infime de quelque vieillerie qu'il brûle d'envie d'acquérir et en laquelle il finit par mettre une somme considérable lorsque le détenteur, rusé compère, a découvert en lui un « amateur sérieux ».
Le collectionneur, sous des dehors calmes, dissimule la violence de sa passion.
*
Il nous faut parler ici de quelques psychoses avec conscience qui viennent parfois compliquer la passion du collectionneur et en constituent, pour ainsi dire, la forme pathologique. C'est ainsi que l'oniomanie ou manie des achats et surtout la kleptomanie, avec leurs caractères nettement impulsifs, ont été observées chez des collectionneurs acharnés dont le fameux Verres est resté le type. Ce sont les collectionnistes déjà observés par Lacassagne et étudiés spécialement par deux auteurs italiens, Mingazzini et Santé de Sanctis.
Mingazzini divise ces impulsifs en deux catégories. Dans Tune les polyklepto-collectionnistes, ceux qui dérobent au hasard, sans choix, les objets disparates. A notre avis ceux-ci ne sont ni collectionneurs ni collectionnistes, l'esprit de la collection est absolument étranger à leur acte, ce sont purement des kleptomanes.
Dans l'autre catégorie, la seule qui nous intéresse ici, l'auteur précité classe les monoklepto-collectionnistes qui volent des objets d'un ordre déterminé, toujours les mêmes. Les uns s'approprient des flacons de parfumerie, d'autres des étoffes, d'autres des jouets d'enfant, etc.
Presque toujours en pareil cas, on se trouve en présence de malades chez lesquels l'amour de la collection a évolué sur un terrain préparé par la dégénérescence pour se transformer finalement en obsession impulsive.
Le fait de dérober des objets toujours identiques a été souvent considéré comme l'indice habituel d'un état morbide. Mais, comme le dit fort bien M. Dubuisson, il n'y a point là un critérium absolu et on voit des individus, bibliophiles, philatélistes ou amateurs d'objets d'art passionnés, mais non malades,. se laisser aller à dérober, dans des circonstances
même graves, l'objet de leur ardent désir. Ces cas forment une véritable transition entre le délit consenti et l'impulsion. Que dire, par exemple, de l'insulaire qui, à Montélimar, subtilisa, il y a quelques mois, le parapluie du Président Loubet ? A part cette frasque c'était probablement un très brave homme.
En fait, le vrai collectionneur n'est pas « Monsieur tout le monde », c'est, nous l'avons dit, un être bizarre, original. La manie de la collection n'est pas le seul travers qui hante son cerveau et il appartient presque toujours à la grande famille névropathique.
Labruyère a finement décrit le fou d'estampes qui n'a souci que de leur rareté et le bibliomane qui ne lit jamais ses livres et n'en admire que le maroquin ou les dorures.
¦ *
A l'encontre de l'avare qui cache son or dans les profondeurs d'une cave loin de l'œil indiscret, le collectionneur expose complaisamment son trésor. Il souffre vraiment si un particulier, venu chez lui pour un motif quelconque, jette un regard indifférent sur sa collection. Il a un haussement d'épaules pour le profane ignorant qui, dans le but de lui être agréable, semble s'extasier devant un des objets les moins rares et, par contre, ne trouve pas un mot pour la pièce, parfois affreuse, qui est cependant la reine du musée.
Et quelle douloureuse pitié éprouve-t-il pour le vulgaire qui sourit devant un vieux pot ou une hideuse croûte, trônant dans un luxueux salon, et desquels il ne donnerait pas deux sous.
Mais voici qu'un « pur » contemple, en connaisseur celui-là, les objets exposés, discute leur valeur et reconnaît que telle pièce est unique au monde. C'est alors que le collectionneur est vraiment heureux, une joie intense lui monte au cœur et il se répète : « Oui, je suis bien seul à posséder cela ». C'est absolument l'orgueil de comparaison.
Voilà le portrait du « type » souvent ridiculisé et dont la douce manie a néanmoins contribué fréquemment au bien-être général. Il est incontestable que certaines collections ont puissamment aidé à l'avancement des connaissances humaines. C'est à elles qu'on doit en partie la reconstitution de l'histoire antique et on peut dire, avec M. Feuillet de Conches, que toutes les collections, quelles qu'elles soient, ont leur côté utile et que les moindres débris peuvent servir la science.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance de Juin 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
Relations entre les troubles somatiques et les troubles psychiques de l'hystérie.
par M. le dr Paul Tesdorpf (de Munich).
On distingue d'ordinaire deux groupes de phénomènes hystériques, les uns somatiques, les autres psychiques, de telle sorte que l'hystérie est considérée tantôt comme une maladie nerveuse, tantôt comme une maladie mentale. Il conviendrait de trouver un point de vue qui mit d'accord sur cette question les cliniciens et les psychiatres.
L'analyse et l'expérimentation psychologique ont été mises en honneur surtout par l'Ecole de Charcot. D'après les doctrines de,ce dernier, le rétrécissement du champ de la conscience, les troubles de la synthèse mentale, le dédoublement de la personnalité sont les causes principales de l'état mental des hystériques.
Au contraire, dans ces derniers temps, on considère que la plupart des troubles psychiques de l'hystérie dépendent non du cerveau, mais des diverses régions de l'organisme. Je soutiens celte manière de voir depuis une dizaine d'années, non seulement pour l'hystérie, mais aussi pour la neurasthénie et l'épilepsie. Toutes les fois que, dans ma recherche des causes, il m'est arrivé de pouvoir connaître la première apparition des phénomènes hystériques, il s'agissait d'une commotion, soit isolée, soit répétée, avec violent ébranlement psychique ou somatique et impossibilité, chez l'individu ainsi ébranlé, de dominer celte secousse psychique ou somatique, soit sur le champ, soit par la suite.
Des chutes, des chocs, des impressions psychiques violentes et inatten- dues font appel à l'hystérie ; il en résulte des troubles de dissociation à la fois qualitatifs et quantitatifs.
L'hystérie comporte des processus dissociation non pas seulement psychiques, sous l'influence du cerveau, mais aussi somatiques, mettant en jeu d'autres régions que le cerveau. Ce qui confirme encore celle conception, c'est la variété et la mobilité des symptômes hystériques, qu'il s'agisse de troubles de l'humeur, des représentations, de la volonté, du souvenir, des perceptions, du caractère ou de modifications somatiques comme les paralysies, les crampes, les aneslhésies, les hyperes-thésies, la diminution ou l'exagération maladive des sécrétions glandulaires.
(1) Cette communication a paru in-extenso dans la Münsch. Médicin, Wochensch.
Pseudo-coxalgie suggérée par le milieu familial.
par M. le Dr Paul Farez, Professeur à l'Ecole de Psychologie.
On me fait appeler, il y a quelques semaines, vers 9 heures du matin, auprès d'un enfant de quatre ans. Je suis déjà sorti et je ne puis aller faire qu'à midi la visite demandée.
Quand j'arrive, je trouve toute la famille consternée. Depuis 9 heures, le père du jeune bébé, retenu à son usine, a déjà téléphoné trois fois à sa femme pour savoir si j'ai vu l'enfant et ce que j'en pense. La maman est abattue et démoralisée. Les premiers mots qu'elle m'adresse, d'une voix entrecoupée de sanglots, sont : « Mon petit garçon a une coxalgie !»
L'enfant est couché dans son lit. Sa mine est à l'unisson de la consternation générale. Je relève les couvertures et je m'apprête à explorer la région malade. Je n'ai pas encore effleuré la peau que, déjà, il pousse des cris déchirants. J'ai beau procéder avec douceur ; il m'est impossible, non seulement de remuer, mais simplement de palper la cuisse, le genou, la jambe, même le pied, tellement l'enfant crie et parait souffrir horriblement.
Le petit malade est couché sur le dos, tout d'une pièce, les membres inférieurs en extension, accolés l'un contre l'autre.
Je demande depuis quand cet état dure et comment il a débuté. Voici les renseignements que je recueille :
La veille, l'enfant a fait avec son père une longue promenade à pied; sur le point de rentrer, il s'est trouvé un peu fatigué et traînait légèrement la jambe gauche. Le lendemain matin même, la douleur a présente l'intensité que je viens de dire.
Dans la circonstance, le membre inférieur gauche ne présente ni atrophie, ni hypertrophie, ni gonflement, ni rougeur, ni raccourcissement. De plus, l'invasion extraordinairement rapide met mon attention en éveil, d'autant plus que je connais quelques-uns des antécédents psychologiques de cet enfant.
Ainsi, quelques mois auparavant, j'ai déjà été appelé auprès de lui. La mère, très affolée, m'avait déjà reçu par ces mots : Mon fils est en danger, une affection grave se prépare ! » En effet, avant mon arrivée, la maman avait dit à son enfant, avec une angoisse poignante dans la voix: « As-tu mal à la tète? — Oui... Au ventre?—Oui... Dans les jambes ? — Oui... A la gorge? — Oui... Ici? — Oui... Là? — Oui. » D'où la désolation maternelle.
Je m'approche de l'enfant ; je me mets en devoir d'explorer et d'examiner toutes ces régions douloureuses. J'ai soin d'affirmer, sur un ton très calme mais persuasif, que là où je vais toucher, je ne provoquerai aucune souffrance. Et, en effet, je palpe, je percute, je triture ses muscles, des pieds à la tête : il ne se plaint aucunement.
Cet enfant avait la langue blanche, un peu de température et de diarrhée. Sa bonne l'avait laissé trop manger ou bien lui avait donné des fruits pas assez mûrs et il en était résulté un léger embarras gastrique.
Il avait suffi que la maman exprimât la crainte que telle ou telle région ne fût douloureuse pour que le petit bambin souffrit réellement. Il me suffit de lui persuader qu'il ne souffre plus du tout pour que toute douleur soit absente.
Quinze jours plus tard, on m'envoie chercher précipitamment au milieu de ma consultation. « L'enfant, qui s'était endormi après le déjeuner, vient de se réveiller en poussant un cri. Il souffre atrocement dans l'oreille : une bête a dû y pénétrer ! »
Je prends l'enfant sur mes genoux, je feins de ne pas m'occuper de son oreille, je le distrais, je le fais rire; et, pendant ce temps, sans en avoir l'air, je palpe le pavillon, je le tire pour éclairer le conduit auditif externe, je percute l'apophyse mastoïde, j'explore l'articulation temporo-maxillaire : il ne sent rien, ne s'aperçoit de rien et ne profère aucune plainte.
Je lui dis alors : « Tu le vois bien, tu n'as plus mal du tout; c'est fini: je t'ai complètement guéri.»
Nous continuons notre petite conversation et il me raconte qu'il a rêvé : une béte lui piquait l'oreille : il s'est réveillé en sursaut. L'impression onirique a été si forte que la douleur a persisté quelque temps après le réveil.
* •
Pour ce qui est de la prétendue coxalgie en présence de laquelle je me trouve cette fois, je crois pouvoir en expliquer la pathogénie ainsi qu'il suit. La veille au soir, le papa a dit à son enfant: « Mais tu es fatigué! .. Mais tu traînes la jambe gauche!... Mais lu boites !... » Rentré chez lui, il le raconte à sa femme devant l'enfant. En couchant ce dernier, tous deux examinent anxieusement sa jambe et formulent toutes sortes d'appréhensions, la nuit passe par là-dessus et, le lendemain matin, ils procèdent de même. Cet enfant qui est, ainsi qu'on l'a vu, très sugges-tionnable comprend que l'on craint pour lui une coxalgie et il réalise comme il peut, comme il sait, la symptomatologie de l'affection qu'on lui suggère indirectement. En réalité, ce qu'il présente comme symptômes, c'est l'immobilité absolue de la jambe gauche, l'inaptitude fonctionnelle et une hyperalgie cutanée extrêmement accentuée.
C'est probablement ainsi que les choses se sont passées. Telle est mon hypothèse explicative. Mais celle-ci ne sera justifiée que si je puis obtenir une guérison rapide et complète. Une fois encore sera confirmé le vieil adage : Naturam morborum curationes ostendunt.
Je feins d'oublier que je suis venu auprès de cet enfant en médecin. Je lui raconte une histoire, à laquelle il s'intéresse ; nous causons de
ses jeux... Pendant ce temps, j'arrive à palper tout son membre inférieur gauche. Son attention est pleinement occupée par mon récit ; il ne s'aperçoit même pas que mes mains accomplissent une exploration médicale. Je continue à le distraire: sans qu'il y prenne garde, je parviens à faire exécuter au pied, à la jambe et à la cuisse tous tes mouvements physiologiques de flexion, d'extension, d'abduction et d'adduction. Ma conviction est ferme : le membre est tout à fait sain ; l'hyperalgie n'était que cutanée ; elle avait pour cause la crainte môme de la douleur.
Alors, j'appelle l'attention de cet enfant sur sa jambe et je lui dis : « Tu le vois bien, je puis la plier facilement; tu ne souffres plus du tout. Maintenant que te voilà guéri, tu vas pouvoir te lever ! »
Je l'aide à mettre ses bas. Sans cesser de l'amuser, je le dépose à terre : il se tient très facilement debout sur ses pieds.
Il s'agit, maintenant, de le faire marcher. « Nous allons jouer, lui dis-je, à qui arrivera le plus vite à l'autre bout de la chambre ! » Il s'élance tout radieux, court de toutes ses forces et arrive au but avant moi !
Je demande à la maman de l'habiller. Pendant ce temps, je ne cesse de plaisanter et de le faire rire. Quand il est tout habillé, il m'accompagne dans un long couloir et vient me reconduire jusqu'à la porle de l'appartement. Sa pseudo-coxalgie est totalement guérie et il retourne partager les jeux de ses frères et sœurs, — au grand ébahissement de la maman.
•
Ce petit garçon était, j'en conviens, extraordinairement suggestionnable. Tous les enfants le sont à un certain degré ; aussi les parents doivent-ils se surveiller devant eux et ne pas leur communiquer les inquiétudes qu'ils éprouvent. Que de fois j'ai été appelé pour de petits enfants qui prenaient un air alangui et mal en train parce que leur maman craignait de les voir malades et les harcelait de questions inquiètes au sujet de leur santé. Quand j'avais complètement rassuré la maman, quand celle-ci était redevenue calme, l'enfant retrouvait complètement et tout naturellement son entrain habituel. Que de fois aussi on a constaté que, pour débarrasser certains enfants de leurs troubles nerveux, il était indispensable de guérir, au préalable, ou, tout au moins, d'enrayer la névropathie du père ou de la mère.
Que de fois encore, dans notre pratique médicale, nous nous heurtons aux mauvaises suggestions formulées inconsidérément par quelque membre de la famille. Ordonnons-nous un peu d'huile de ricin ? — « Mais, Docteur, s'écrie la maman, jamais mon enfant ne saura la prendre, il la vomira certainement. D'ailleurs, moi aussi je l'ai vomie toutes les fois qu'on m'en a ordonné ! » Cette maman ne s'aperçoit pas qu'elle a ainsi suggéré à son enfant un dégoût qu'il n'avait pas.
En ce qui concerne l'éducation, nous retrouvons souvent la même influence néfaste de la suggestion familiale. Une maman dit devant son
enfant des paroles comme celles-ci : « Il est impossible de le faire obéir..., il ne peut pas rester tranquille..., il n'y a pas moyen de rien en obtenir..., etc. » L'enfant s'habitue à l'idée qu'il est ainsi fait ; il persévère et ne songe nullement à se corriger, puisque, indirectement, on ne cesse de lui suggérer en quelque sorte que telle est sa nature.
De même un enfant court dans l'appartement; soit par maladresse, soit par suite de la fragilité de ses jambes, il tombe. Les parents consternés se précipitent vers lui et se lamentent : « Pourvu qu'il ne se soit point fracturé le crâne ! » Et l'enfant se met à pousser des cris qu'apaiseront à grand'peine des promesses nombreuses de bonbons ou de joujoux. Ainsi habitué, il deviendra grognon, capricieux, exigeant et ne saura rien supporter.
Je connais un enfant pour lequel les choses se passent différemment. Vient-il à tomber ? Tout le monde rit aux éclats. Comme, le plus souvent, il ne s'est fait aucun mal, il rit lui aussi de très bon cœur et reprend aussitôt gaiement ses jeux sans plus penser à sa chute. S'est-il réellement fait un peu de mal? Au lieu de pousser des cris déchirants, il va, en toute confiance, demander à son père d'embrasser l'endroit contus et instantanément la douleur disparait. Cette vis paterna, medi-catrix est toute suggestive ; elle est l'œuvre du milieu ; elle permet de couper court à des pleurs qui, sans elle, deviendraient presque interminables et rendraient l'enfant à la fois grincheux et désagréable.
On voit donc que la suggestion est une arme à deux tranchants; elle vaut pour le bien et pour le mal : le tout est de savoir en user. .
PSYCHOLOGIE HIÉROLOGIQUE
Marie Alacoque, sa folie hystérique, par M. le Dr Roudy, d'Alger
(Suite)
On l'éleva, dès sa première enfance, dans des pratiques de dévotion exagérée ; • j'entendais la messe », écrit-elle, « les genoux nus, quelque « froid qu'il fit; toute mon inclination était dès lors de m'aller cacher « dans quelque solitude, mais la crainte d'y trouver des hommes me « retenait. J'offrais à la Sainte Vierge la petite couronne du rosaire, les « genoux nus terre, ou bien en faisant autant de génuflexions qu'il y a « d'Ave Maria, et en baisant la terre autant de fois. » Elle fut placée dans un couvent à l'âge de huit ans ; elle y ressentit les premiers symptômes de son mal : « Lorsque je voulais prendre quelques-uns des petits « plaisirs et divertissements de mon âge, je sentais toujours intérieure-» ment quelque chose qui m'en retirait et qui m'appelait en quelque coin « à l'écart, sans me laisser de repos que je n'eusse suivi ce mouvement; « ensuite cet esprit me faisait mettre en prières presque toujours pros-» ternée ou les genoux nus ».
C'est ainsi que Marie Alacoque décrit une première hallucination verbale auditive, mais faible encore.
Pour donnera Dieu quelques gouttes de son sang elle se liait les doigts et s'y plantait des aiguilles ; elle prenait la discipline en carême tous les jours, tant qu'elle pouvait pour honorer la flagellation de Dieu. Les trois derniers jours du carnaval, elle aurait voulu se mettre en pièces pour réparer les outrages que les pécheurs faisaient à la Divine Majesté ; d'ordinaire elle jeûnait trois jours de la semaine au pain et à l'eau. Ces pratiques austères, elle les continua pendant toute sa vie et elles contribueront à la maintenir dans cet état de chloro-anémie si favorable à la production des symptômes nerveux.
Il est probable qu'une maladie toxique fut la cause de l'hystérie de Marie Alacoque ; car parmi les autres agents provocateurs nous n'avons trouvé ni l'hérédité, ni les émotions morales vives, ni le traumatisme, mais au moment de la menstruation, « je tombai malade, dit-elle, dune
« maladie qui me réduisit à un état si pitoyable que je fus quatre ans
« environ sans pouvoir marcher ; les os me perçaient la peau de tous « côtés ». On sait combien sont nombreux les exemples d'hystérie développée pendant la convalescence des maladies infectieuses, surtout chez des sujets jeunes et prédisposés.
Si c'eût été un médecin qui eût décrit l'affection de Marie Alacoque, nous aurions la description complète des stigmates soit d'ordre sensitif, soit d'ordre moral, soit d'ordre psychique, stigmates que l'on trouve toujours plus ou moins complets ; mais comme c'est la malade elle-même, ne l'oublions pas, qui raconte son mal non à un point de vue médical, mais à un point de vue surnaturel, ce n'est que, par hasard, dans des lambeaux de phrases que nous pourrons en noter quelques-uns. Il n'en est pas de même des accidents hystériques : bien que la malade leur donne une interprétation non scientifique, nous allons en raconter, chez elle, quelques-uns des principaux bien caractérisés, par exemple, les états d'extase, les attaques petites et grandes de convulsions, enfin la folie hystérique avec ses hallucinations de l'ouïe, de la vue et surtout des organes génitaux. Nous suivrons, pour noter ces divers symptômes la relation même que nous a laissée Marie Alacoque, sans décrire par chapitre séparé, les diverses formes d'hallucinations.
Un jour on veut marier Marie Alacoque ; cette idée lui cause une grande émotion et elle a des hallucinations de l'ouïe qui prennent ta tournure de cette idée : « Jésus-Christ me fît entendre qu'il était le plus
« beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et le plus « accompli de tous les amants ; il me reprochait que, lui étant promise « depuis tant d'années, je pensais cependant à rompre avec lui pour « prendre un autre époux : « Oh ! apprends que si tu me fais cette injure,
« je t'abandonne pour jamais: si. au contraire, tu m'es fidèle, je ne te « quitterai point et je te rendrai victorieuse de tous tes ennemis ». — « Ce divin époux de mon âme, comme s'il eût craint que je ne lui échap-« pât encore, me demanda de consentir qu'il se rendit maître de ma
« liberté, parce que j'étais faible. Je donnai de bon cceur ce consente-« ment et dès lors il s'empara si fortement de ma liberté, qu'il me sem-« bla n'en avoir plus en jouissance ».
Nous allons voir maintenant se produire les hallucinations du toucher et principalement celles des organes génitaux ; elles sont décrites d'une façon très explicite : « Ayant pris notre saint habit, mon divin maître me « me fit voir que c'était le temps de nos fiançailles. Après quoi, il me fît
comprendre qu'à la façon des amants passionnés il me ferait goûter « dans ces commencements, ce qu'il y avait de plus doux dans la suavité « de son amour. En effet ces divines caresses étaient si excessives, « qu'elles me mettaient souvent hors de moi-même, et me rendaient « incapable d'agir, ce qui me jetait dans une si grande confusion que je « n'osais paraître ». — C'était ce qu'elle appelait faire son oraison; on voulait la retirer de cette oraison extraordinaire, mais en vain; sitôt qu'elle était seule les hallucinations et l'extase revenaient.
« Ce fut après ces premiers sacrifices que toutes les grâces et faveurs « de mon souverain maître redoublèrent. Elles inondèrent tellement mon « âme, que j'étais contrainte de dire souvent : « suspendez, mon Dieu, a ce torrent où je suis abîmée, ou étendez ma capacité pour le recevoir.
« Le jour de ma profession, mon divin maître voulut bien m'agréer « pour son épouse, mais d'une manière que je me sens incapable d'expri-« mer :je dirai seulement qu'il me traitait comme une épouse du Thabor; « il me disait : Laisse-moi faire ; chaque chose a son temps ; je veux que « tu sois maintenant comme le jouet de mon amour et tu dois vivre ainsi « abandonnée à mes volontés sans résistance, me laissant contentera « tes dépens; mais tu n'y perdras rien; soit toujours disposée à me rece-« voir, car désormais je veux faire ma demeure en toi, converser et » m'entretenir avec toi ». :
Les hallucinations de la vue vont se joindre à ce moment à celles de l'ouïe et du toucher : « Il me gratifia de sa divine présence, mais d'une « manière que je n'avais pas encore expérimentée ; je le voyais et je le « sentais tout proche de moi; j'entendais sa voix ».
Les hallucinations du sens génital se produisaient surtout, lorsque Marie Alacoque était dans une position possible pour accomplir l'acte vénérien et ne se produisaient pas lorsque la position était gênante :
« La face contre terre ou à genoux, dit-elle, c'est la position que je « prenais toujours autant que mes occupations et ma faiblesse, me le « permettaient: ce grand Dieu ne me laissait point de repos dans une « situation moins respectueuse: de sorte que je n'osais m'asseoir lors-« que j'étais seule ».
A cette période de la maladie, Marie Alacoque avait des attaques d'extase ; ce sont celles-là qu'elle vient de décrire et dont elle parlera encore ; si c'eût été un autre témoin qui eût raconté la scène, il nous eût dit ceci : elle cesse tout à coup de parler et demeure immobile, les yeux fixes et mi-clos; elle n'entend rien des bruits extérieurs; elle ne sent pas qu'on la secoue et qu'on la pince ; le visage reste coloré ; la physionomie ex-
prime l'étonnement et l'admiration ou bien le bonheur etlâ satisfaction; parfois la malade semble serrer quelque chose entre ses bras ; parfois elle a des soubresauts du corps. Ces crises se prolongent environ un quart d'heure après quoi elle se réveille et sort lentement de son état; elle déclare dans un endroit du récit, que pendant cette période d'extase, ses compagnes faisaient de vains efforts pour la réveiller.
« Comme je ne cachais rien à ma Supérieure et à mes Maîtresses, « quoique souvent je ne comprisse pas même ce que je leur disais, on « m'avertit que c'étaient là des choses extraordinaires qui n'étaient pas « propres aux filles de Sainte Marie, qui ne voulaient rien d'extraordi-
« naire et que, si je ne me retirais de cet état, on ne me recevrait pas à
« la profession ». Marie Alacoque désolée, essaya de lutter, mais en vain : « Jésus rendit mes efforts inutiles : Combattons, ma fille, me disait-il, « nous verrons qui des deux remportera la victoire, mais celui qui sera
« vainqueur le sera pour toujours ». L'esprit qui me possédait avait déjà « pris un tel empire sur le mien, que je n'en pouvais plus jouer non « plus que de mes puissances intérieures que je sentais toutes absorbées « en lui.
« Un jour mon Divin Maître me demanda, après la sainte communion, « de lui réitérer le sacrifice que je lui avais déjà fait de ma liberté et de « tout mon être ; ce que je fis de tout mon cœur, pourvu, lui dis-je,
« que vous ne fassiez rien paraître d'extraordinaire en moi de ce qui « pourrait m'humilier devant des créatures et me détruire dans leur « estime: « Ne crains rien, ma fille, j'y mettrai bon ordre, répond Jésus-« Christ. »
« Un jour de l'octave du Saint Sacrement, je reçus de mon Dieu des « grâces excessives de son amour; me sentant touchée du désir de
« quelque retour et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « tu
« ne peux m'en rendre un plus grand qu'en faisant ce que je t'ai « demandé.»
Marie présenta un jour à Jésus-Christ le testament par écrit que celui-ci avait exigé ; il l'agréa et lui fit à l'heure même donation de son sacré cœur « qu'il me fit écrire avec mon sang et me dicta lui-même » ; je le signai ensuite sur mon cœur avec un canif dont je me servis pour graver son sacré nom de Jésus.
Un jour, Jésus lui demanda de jeûner au pain et à l'eau pendant cinquante jours; la Supérieure refusa ; alors Jésus force Marie à passer cinquante jours sans boire.
Une autre fois il me fut montré une grande croix dont je ne pouvais voir le bout, mais elle était toute couverte de fleurs : « Voilà le lit de mes « chastes épouses ; c'est là ou le fin de mon amour doit consommer son « sacrifice. » L'amour de mon Dieu ne me laissait point de repos ni le jour ni la nuit.
Marie Alacoque arrive à ce moment à un véritable état d'érotomanie et elle attribue à Jésus un véritable état de priapisme : on lui fait garder une ânesse et son ânon dans un coin du jardin; son amant divin est tou-
jours à ses côtés ; lorsqu'elle est obligée de courir derrière ses bétes, l'époux la suit dans tous ses mouvements : « il me tenait une si fidèle « compagnie que toutes les courses qu'il me fallait faire pour mes « ânes, ne me détournaient point de sa présence ; je ne pouvais mettre « d'empêchement a ces sensations où il n'y avait rien de ma partici-« pation. »
J'ouvre ici une parenthèse, pour faire une citation qui fera comprendre mieux encore ce genre d'hallucinations et sera la confirmation de noire manière de voir. En 1896, le docteur Séglas, médecin aliéniste des hôpitaux de Paris, fut chargé de faire un rapport sur une des questions à traiter devant le congrès des médecins aliénistes ; il s'agissait des hallucinations de l'ouïe. Dans ce rapport je trouve l'observation d'une malade ayant des symptômes identiques à ceux de Marie Alacoque pendant sa période d'amour ; je cite : « Pendant vingt minutes, raconte « cette malade, j'entends mes meubles craquer ; (hallucination auditive « élémentaire) un peu après je vois dans une grande clarté Satan avec
« ses cornes (hallucination visuelle) agissant et disant comme une vraie « voix (hallucination verbale auditive) : « je retournerai ton corps de telle
« manière que tu feras ce que tu ne veux pas faire ». « Je ne puis vous « dire ce que j'ai ressenti alors et que vous comprenez bien sans doute
« (hallucination génitale) ; puis j'ai senti comme une grosseur à l'entrée « de la matrice et de grandes secousses dans le ventre, »
Plus tard, chez Marie Alacoque, nous entrons dans une période plus grave de la maladie : c'est celle que je nommerai la période du feu : les sens de l'ouïe et du toucher sont toujours troublés, mais l'effort principal se porte sur la vue : le feu et les flammes dans toutes leurs manières de se produire, formeront les principales hallucinations de notre malade, ce seront des lumières brillantes, des flammes étincelantes, des feux brûlants. Comme de coutume, elle attribuera les troubles de sa vision aux préoccupations pieuses de la vie monacale ; les flammes appartiendront à Jésus qui lui montrera ses plaies avec des rayons, son cœur rouge dans une fournaise ; elles appartiendront au purgatoire avec les âmes entourées de feux, puis enfin à l'enfer plein de démons dans d'immenses flammes ; l'excitation deviendra alors si grande que nous aurons affaire à des crises cataleptiques et à un accès de manie aiguë.
Un vendredi, jour de jeûne, elle avait un accès d'extase avec hallucinations de la vue : elle voit un soleil brûlant qu'elle croit être le cœur de Jésus : « sa lumière est éclatante ; ses rayons tout ardents donnaient « à plomb sur mon cœur, lequel se sentait embrasé d'un feu si vif qu'il « semblait aller le réduire en cendres.
« Une autre fois, Jésus mon doux Maître, se présenta à moi tout « éclatant de gloire avec scs cinq plaies brillantes comme cinq soleils. « Dans cette sainte humanité sortaient des flammes de toutes" paris,
« mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait à une fournaise, « laquelle s'étant ouverte me découvrit un tout aimable cœur qui était
« la vive source de ces flammes. Il me fit connaître en môme temps les « merveilles inexplicables de son pur amour. Comme je lui remontrais c mon impuissance, il me répondit: Tiens voilà de quoi suppléer à
« tout ce qui te manque et en même temps ce divin cœur s'étant ouvert, « il en est sortit une flamme si ardente que je pensais en être consumée ; « j'en fus toute pénétrée et je ne la pouvais plus soutenir.
« Une autre fois à la chapelle, tout d'un coup, une personne toute en « feu, se présenta devant moi ; les flammes dont elle brûlait, me péné-« trèrent si fort, qu'il me semblait que je brûlais avec elle ; son état « pitoyable dans le purgatoire me fit verser des larmes abondantes ;
« c'était un religieux bénédictin qui avait entendu ma confession une « fois; il s'adressait à moi pour trouver quelque soulagement à ses « peines ; il me pria de lui appliquer tout ce que je pourrais faire et « souffrir pendant trois mois; je souffris beaucoup pendant cette période, « car cette âme ne me quitta point.
Marie Alacoquc raconte une autre vision et ajoute : « tout le temps que « dura cette vision, je ne me sentais plus, je ne savais plus où j'en étais. « Lorsqu'on vint me retirer du lieu où je priais et voyant que je ne pou-« vais répondre, ni même me soutenir qu'avec une grande peine, l'on « me mena à notre Mère ; j'étais toute tremblante et brûlante. La Supé-« ricure me croyait folle et traitait avec mépris tout ce que je lui avais « déclaré ».
On alla jusqu'à menacer de la prison la pauvre créature ; un Prince, de la terre vint visiter le couvent ; on lui montra Marie Alacoquc comme un jouet de moquerie, comme une visionnaire entêtée de ses illusions.
J'insiste sur ce point, c'est elle-même qui le raconte, la Supérieure et toutes les Sœurs regardaient Marie Alacoque comme une aliénée durant tout le temps de son séjour au couvent, c'est-à-dire jusqu'à sa mort.
Omettant à dessein une foule d'hallucinations de diverses natures dont le livre est rempli, j'arrive à la fameuse hallucination sur laquelle on a basé le culte du Sacré Cœur ; je ferai remarquer que les livres pieux qui citent les paroles entendues par la bienheureuse et que les plaques de marbre sur lesquelles on a gravé l'entretien, ne vont pas jusqu'au bout et omettent à dessein de parler de la saignée, conseillée par Jésus comme rafraîchissement aux vives flammes de l'ardeur de la bienheureuse ; cette idée de la saignée dans la bouche de Dieu est tellement saugrenue, qu'elle était suffisante, pour faire réfléchir ceux qui ont copié cette histoire et les arrêter dans leur projet de publier ces faits comme miraculeux : ils ont préféré n'en rien dire ; ils ont commis cette mauvaise action. La saignée était de mode alors et Jésus la recommande ; aujourd'hui qu'elle ne l'est plus, il conseillerait un autre remède : les douches par exemple, seraient mieux en situation ; de plus l'hystérie s'accompagnant le plus souvent de chloro-anémie, et la saignée étant par conséquent contre-indiquée, l'on ne comprend pas cette erreur médicale de la part d'un Dieu omniscient.
Voici l'hallucination telle qu'elle est écrite dans le journal de Marie Alacoque:
« Une fois, étant devant le Saint-Sacrement et me trouvant un peu « plus de loisir que d'ordinaire, je me sentis toute investie de la pré-« sence de Dieu, mais si fortement que je m'oubliais de moi-même et du « lieu où j'étais et je m'abandonnais à ce divin esprit, livrant mon cœur « à la force de son amour. Mon souverain Maître me fit reposer fort « longtemps sur sa divine poitrine où il me découvrit les merveilles de
« son amour et les secrets inexplicables de son Sacré Cœur qu'il m'avait « tenu cachés jusqu'alors.
« Il m'ouvrit pour la première fois ce divin cœur d'une manière si
« réelle et si sensible, qu'il ne me laissa aucun lieu de douter de la vérité « de cette grâce, malgré la crainte que j'ai toujours de me tromper en « tout ce que je dis sur ces matières. Voici comme il me sembla que la « chose se passa. Jésus me dit : « mon divin cœur est si rempli d'amour « pour les hommes et pour toi en particulier, que ne pouvant plus con-
« tenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les
« répande par ton moyen. Après ces paroles, il demanda mon cœur, je
« le suppliais de le prendre, ce qu'il fit et le mit dans le sien adorable où
« il me le fit voir comme un petit atome qui se consumait dans cette « ardente fournaise. Ensuite en le retirant comme une flamme ardente « en forme de cœur, il le remit dans le lieu où il l'avait pris en me di-
« sant: « Voilà, ma bien aimée, un précieux gage de mon amour;j'ai « renfermé dans ton côté une petite étincelle des plus vives flammes de « cet amour, pour te servir de cœur et pour te consumer jusqu'au der-« nier moment de ta vie ; son ardeur ne s'éteindra point, et tu ne pour-« ras y trouver de rafraîchissement que quelque peu dans la. saignée ». « Après une faveur si grande, laquelle dura un fort long temps, je « demeurai plusieurs jours comme toute enivrée et toute embrasée et « tellement hors de moi, que je ne pouvais en revenir pour dire une « parole. »
Marie Alacoque croyait que le cœur logé au fond de la poitrine peut être enlevé et changé de place à volonté comme une petite statue dans une niche ; elle croyait aussi, comme le vulgaire de son temps, que le foyer de l'amour et des sentiments affectifs était le cœur ; elle prenait à la lettre les phrases des romances et des cantiques, où l'on parle à chaque instant d'un cœur qui brûle d'amour tantôt pour son Dieu, tantôt pour son amant. Elle ne savait pas que le cerveau seul est le siège de nos sentiments, comme il est le siège de notre intelligence et de notre volonté ; que par conséquent ce n'est pas son cœur, mais quelques-unes des circonvolutions cérébrales que Jésus aurait dù extraire de la boite crânienne pour les faire brûler dans son encéphale divin. Elle ne savait pas que le cœur n'est que la pompe aspirante et foulante du sang dont les artères et les veines sont les tuyaux. O comique des choses ! entendre dire que cette pompe était placée dans un feu ardent! O tristesse
amère ! penser que des gens éclairés font croire aux foules de pareilles niaiseries.
Mais nous allons maintenant, avec les accès de manie aiguë, voir survenir une période plus grave ; le Démon et l'enfer vont entrer en scène et reléguer au second plan, les entretiens amoureux et les échanges de cœurs enflammés.
« Je ne tardai guère d'entendre les menaces de mon persécuteur, le « Démon ; car s'étant présenté à moi sous forme d'un More épouvantable, « les yeux étincelants comme deux charbons, grimaçant des dents contre « moi, il me dit: « Maudite que tu es, je t'attraperai et si je puis une « fois te tenir en ma présence, je te ferai sentir ce que je sais faire : je te « poursuivrai partout, » Il me semblait alors voir l'enfer ouvert pour « m'engloutir ; je me sentais brûler d'un feu dévorant jusqu'à la moelle « des os. Il me fit plusieurs fois semblables menaces. »
« Dieu seul connaît tout ce que j'eus à souffrir alors tant de la part de
« mon naturel prompt et sensible, que de la part des créatures et surtout
« du Démon, lequel me faisait souvent tomber et rompre tout ce que je « tenais entre les mains, et puis se moquait de moi, me riant quelquefois « au nez : Oh la lourde ! tu ne feras jamais rien qui vaille ; » un jour il « me poussa du haut d'un escalier comme je tenais une pleine terrasse « de feu : je ne me fis aucun mal, bien que ceux qui me virent tomber, « crussent que je m'étais cassé les jambes. Ce Démon plongeait mon « esprit dans une tristesse et un abattement si grand que je ne savais
« que faire et il m'ôtait le pouvoir de le découvrir à notre Mère.
« On crut que j'étais possédée ou obsédée du Démon ; l'on me jetait « dessus force eau bénite, avec des signes de croix et des prières pour « chasser le malin esprit. Mais celui dont j'étais possédée, bien loin de s'en-« fuir me serrait d'autant plus fortement contre lui, me disant: «j'aime
« l'eau bénite et je chéris la croix » ; Enfin, la Supérieure ne sachant « plus que faire de moi, me fit communier pour me remettre dans ma « première disposition, mais cela ne dura guère et l'on commença à me « dire que c'était le Diable qui était l'auteur de tout ce qui se passait « en moi, et qu'il me perdrait par ses illusions si je n'y prenais « garde. »
Le Démon l'attaquait parfois du côté du désespoir, lui faisait croire qu'elle serait privée de la possession de Dieu et de sa part de paradis ; d'autres fois l'attaquait de vaine gloire, puis de gourmandise; il lui faisait sentir des faims enragées ; il lui représentait tout ce qui est le plus capable de contenter le goût; cette faim durait jusqu'au seuil du réfectoire où elle était prise d'un dégoût si grand, qu'il lui fallait faire une grande violence pour prendre un peu de nourriture ; la faim recommençait dès qu'elle était sortie de table; ce sont symptômes de la maladie nerveuse.
(à suivre)
REVUE DES LIVRES
La psychologie criminelle, par le Dr Kovalewsky,
un volume in-8. Vigot, frères, Editeurs, 23, Place de l'École de Médecine,
Paris.......................6 francs.
Des dizaines de milliers de Juristes appartenant au monde instruit préviennent, suspendent consciencieusement les crimes et s'occupent également de la correction du criminel, tout en possédant une idée très vague de ce qu'est le criminel. Les sciences juridiques portent jusqu'à présent le cachet de la spéculation théorique et de la scolastique. Il est temps que les juristes sachent aussi ce qu'est l'homme, ce qu'est l'homme criminel et ce qu'est l'aliéné. Ce n'est qu'alors que la théorie du droit et de la justice deviendra vraiment scientifique, lorsque la connaissance de l'homme et des données scientifiques et naturelles seront placées à sa base ; jusque-là, toute jurisprudence continuera à porter le cachet scolastique et théorique.
A l'ancienne conception de la responsabilité pénale, il convient d'opposer les causes multiples de la criminalité. Le professeur Kovalewski étudie successivement le criminel-né, le criminel fou, le criminel alcoolique, etc.
La justice de l'avenir aura pour but de diagnostiquera quelle variété de criminel on a affaire, et d'appliquer la peine correspondante, comme le médecin fait son ordonnance après avoir reconnu le mal.
Pour y parvenir, on devra attacher à la justice des personnes ayant reçu une instruction biologique, telle que des médecins, des pédagogues et cela au même titre que ceux qui ont une instruction juridique spéciale.
De la sorte, le criminel sera mis hors d'état de nuire et s'il est possible, amendé. On ne verra plus les prisons et les établissements pénitenciers transformés en une véritable école du crime.
Tous ceux qui pensent que l'ancienne conception d'une justice d'origine divine instituée pour châtier, doit disparaître et faire place au simple droit qu'a la société de se préserver et au devoir qui lui incombe d'améliorer les criminels, voudront lire le livre du professeur Paul Kovalewsky, car ils y trouveront nettement formulées les solutions déjà acquises par la science sur cette question si importante.
On peut reprocher à l'auteur de ne pas connaître le rôle que la psychothérapie méthodique est capable de jouer dans l'éducation des enfants indisciplinés. Par ce fait, son livre perd la plus grande partie de son intérêt, car il manque de base pratique et vraiment psychologique.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
La société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 18 novembre, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites : Drs Raffegeau (du Vésinet), Jules Voisin, Bérillon, Paul Magnin, Paul Farez. Félix Rcgnault, etc.
PriiX LiEBEAULT.
Un prix fondé par le docteur Liébeault {de Nancy) sera décerné annuellement parla Société d'Hypnologie et de Psychologie à l'auteur de la meilleure thèse sur l'un des sujets suivants :
Hypnologie, Psychotérapie, Pédagogie Criminologie, Psychologie physiologique et pathologique.
Le prix Liébeault est de la valeur de deux cents francs.
Les thèses des Facultés des Lettres, des Sciences et de Droit sont admises à concourir au même titre que celle des Facultés de Médecine:
Les thèses devront être adressées avant le 31 décembre de chaque année à M. le secrétaire général de la Société d'Hypnologie et de Psychologie, 14, rue Taitbout, Paris.
NOUVELLES
Institut psycho-physiologique de Paris
Cours annexe, professé à Lille, par le Dr Paul Joire.
Le cours a lieu tous les mercredis, à 8 h. 1/2 du soir, à l'ancienne Faculté des Sciences, rue des Fleurs, Amphithéâtre du 2* étage
Programme des Cours de l'année 1902-1903 Première partie
19 Novembre. - - L'Hypnotisme et les états qui s'y rattachent. Sommeil. Rêves.
26 Novembre. — Etats hypnotiques superficiels. Suggestion dite à l'état
de veille. Auto-suggestion. 3 Décembre. — Etats hypnotiques profonds. Léthargie. Catalepsie.
Somnambulisme. Etats médianiques actif et passif. 10 Décembre. — Suggestion post-hypnotique. Etat de conscience des
sujets. Développement de la suggestion. 17 Décembre. — La mémoire et la volonté. Influence de la suggestion
sur ces facultés.
14 Janvier. — Des causes de l'affaiblissement de la volonté. Défauts de l'éducation.
21 Janvier. — Education de la volonté. Développement de l'activité volontaire. Pouvoir de l'auto-suggestion.
28 Janvier. — Utilisation personnelle de l'auto-suggestion.
4 Février. — Influence sociale de la suggestion. Suggestion pédagogique et moralisation.
11 Février. — Utilité de la suggestion dans l'étude des arts. Le trac. L'Expression dramatique.
18 Février. — Le traitement hypnotique et la suggestion dans diverses maladies.
4 Mars. — Les maladies psychiques guéries par la suggestion.
11 Mars. — Méthode pour apprendre l'hypnotisme.
18 Mars. — Méthode pour l'emploi thérapeutique de l'hypnotisme.
ECOLE DE PSYCHOLOGIE
49, Hue Saint-André-des - Arts, 49 COURS DE 1903
La Réouverture des cours de l'Ecole de Psychologie aura lieu le lundi
12 janvier à cinq heures. Une affiche fera connaître l'horaire des cours.
Hypnotisme thérapeutique .... M. le Dr Bérillon, professeur.
Hypnotisme expérimental.....M. le Dr Paul Magnin, professeur.
Hypnotisme sociologique.....M. le Dr Félix Regnault, prof.
Psychologienorrnaleetpathologique M. le Dr Paul Farez, professeur.
Psychologie de l'enfant......M. le Dr Bellemanièbe, professeur.
Psychologie du criminel. ..... M. le Dr Wateau, professeur.
Psychologie des foules et Folklore M. le Dr Henry Lemesle, profes. Anatomie et psychologie comparées M. Caustier, agrégé de l'Université, professeur.
Psychologie des animaux.....M. Lépinay, professeur.
Psychologie religieuse.......M. le Dr Binet-Sanglé, professeur.
Psychologie de la. vision...... M. le Dr Perrin, chargé de cours.
CONFÉRENCES DE 1903
La reprise des conférences hebdomadaires aura lieu le vendredi 16 janvier 1903. à 8 heures 1/2 du soir, et continuera les vendredis suivants à la même heure.
Leçons cliniques d'hypnotisme et depsychothérapie.— M, le Dr Béril-lon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés, commence une série de leçons cliniques, le jeudi 27 novembre 1902, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
17E ANNÉE. — n° 6.
Décembre 1902.
BULLETIN
L'hypnotisme et la psychothérapie devant l'Union des syndicats médicaux
A la dernière réunion de l'Union des syndicats, qui a eu lieu dans le courant du mois de novembre, M. le Dr Salomon, de Savigné-l'Evêque, a appelé l'attention de ses collègues sur les dangers que la médication psychothérapique, pratiquée par les magnétiseurs, pouvait faire courir à la santé publique. Il a justement montré les inconvénients considérables qui résultaient de l'exercice illégal de la médecine par les empiriques et nous nous associons pleinement à cette revendication en faveur de la légalité.
Dans son rapport, le Dr Salomon a fait bonne justice des prétentions des magnétiseurs qui, ne se bornant pas à affirmer qu'ils sont les détenteurs d'un fluide spécial dont les a doués la nature, plus généreuse à leur égard qu'elle ne l'est à l'égard des autres hommes et en particulier des médecins, vont encore plus loin car certains déclarent qu'ils ont le pouvoir «de guérir à distance » et de pratiquer « l'envoûtement. » Leurs affirmations tendraient tout simplement à nous ramener aux pratiques mystiques du moyen-âge et il faudrait nous attendre à voir bientôt ces modernes sorciers reconstituer les mystères du sabbat. Nous n'en sommes pas là, fort heureusement. « Certes, dit avec raison le Dr Salomon, nous savons que les magnétiseurs se vantent, et que tout leur pouvoir se réduit à faire ce que nous pouvons faire par « l'hypnotisme et la suggestion ». Ils ne sont pas mieux doués que les autres hommes, mais certains de leurs malades comme certains des nôtres ont
•
le « don qui leur permet d'être plus ou moins sensibles aux pratiques de l'hypnotisme et de la suggestion ». Comme eux nous pouvons faire disparaître certains troubles trophiques et certaines manifestations cutanées qui résultent d'affections nerveuses, supprimer l'impotence d'un membre condamné depuis longtemps à l'immobilité par une vieille arthrite ou une pseudo-tumeur blanche. Toutes ces cures merveilleuses, nous pouvons les produire comme eux, mais il faut que le malade soit dans des conditions particulières et nécessaires à la réussite des pratiques employées. Ils ne commandent qu'aux organismes naturellement disposés et préparés à leur obéir. Et c'est dans cette obéissance que réside tout le danger d'une pratique sans loi ni frein. »
Nous pensons que le principal remède serait dans l'application stricte de la loi qui régit l'exercice de la médecine.
Le Dr Salomon, lui, proposait d'introduire la pratique de l'hypnotisme dans les études médicales, par la création d'un enseignement officiel de ces questions. Nous lui répondrons que cet enseignement existe de la façon la plus complète. Chaque semaine, M. le professeur Raymond, à la Salpêtrière, dégage devant ses nombreux élèves, les indications de psychothérapie. Il leur révèle l'utilité et de l'importance en thérapeutique nerveuse de l'hypnotisme et de la médecine psychologique. De plus, l'enseignement libre offre aux étudiants tous les moyens d'étude qu'ils peuvent souhaiter. L'Ecole de psychologie et l'Institut psycho-physiologique, dont les cours et les conférences reprendront le 12 janvier, reçoivent chaque année une affluence toujours plus considérable d'auditeurs attentifs et zélés. A Paris, il faut le reconnaître, l'étudiant studieux ne manque d'aucun des moyens de compléter son éducation médicale. Malheureusement, tous les étudiants en médecine n'ont pas la véritable vocation qui fait seule les médecins utiles, à plus forte raison, ils ne sont pas des psychologues. Ce qu'il faut souhaiter avec le Dr Salomon, c'est que la médecine française revienne aux traditions philosophiques qui lui ont fait tant d'honneur dans le passé. Quand les médecins seront philosophes, ils comprendront la nécessité de s'initier aux progrès de la psychologie et aux études sur l'hypnotisme qui en sont la base essentielle.
Le sommeil chez les êtres monoplastidaires et les végétaux
Par le dr Charles Binet-Sanglé, Professeur à l'Ecole de psychologie de Paris.
La substance encore chimiquement indéfinie qu'on appelle protoplasma vivant ou bioprotéon, présente quatre sortes de mouvements : 1° Des mouvements circulatoires ; 2° Des mouvements assimilatoires et désassimilatoires ; 3° Des mouvements ontogénétiques ou de croissance ; 4° Des mouvements en masse (expansion, rétraction, vibrations ciliaires, mouvements de préhension, de locomotion, etc.).
Tous ces mouvements résultent eux-mêmes de mouvements physico-chimiques encore indéterminés.
J'appelle sommeil bioprotéique du premier degré l'arrêt momentané des mouvements du bioprotéon après rétraction préalable, et sommeil bioprotéique du second degré l'arrêt momentané de ces mouvements, sans rétraction préalable du bioprotéon.
Dans l'étude qui va suivre, les causes du sommeil seront rangées sous les chefs suivants : 1° Mouvements non classés (causes mécaniques) ;
1. Ondulations sonores.
2* Mouvements physiques (causes physiques)
2. Ondulations lumineuses.
3. Ondulations thermiques.
4. Ondulations électriques. 3a Mouvements chimiques (causes chimiques).
I
LE SOMMEIL CHEZ LES ÊTRES MONOPLASTIDAIRES - 0
I. — Mouvements non classés.
Sous l'influence d'un choc ou d'une pression suffisante, les mouvements circulatoires de la plasmodie d'Œthalium septicum s'arrêtent. Sous la même influence les Amibes rétractent leurs pseudopodes et se ramassent en boule. Le seul fait de
transporter ces organismes sur le porte-objet du microscope suffit à provoquer ce phénomène de choc.
II. — Mouvements physiques
1. Ondulations lumineuses. — Il existe pour les êtres mono-plastidaires un éclairage optimum de veille, en deçà et au delà duquel la somnolence commence pour aboutir au sommeil.
Downes et Blunt (1) ont vu crue les rayons chimiques du spectre solaire retardaient le développement des microbes de la putréfaction Leurs conclusions ont été confirmées par Tyn-dall (2) et Duclaux (3), celui-ci expérimentant sur un bacille du lait, Tyrothrix Scaber
D'après Arloing (4), la lumière solaire retarde le développement de Bacillus anihracis, et ce d'autant plus que l'exposition au soleil a duré plus longtemps. Après deux heures, le développement est suspendu. Les conclusions d'Arloing ont été confirmées par Momont (5).
Le développement de Bacillus typhosus est sensiblement retardé par une exposition de deux heures à la lumière solaire, et de trois heures à la lumière d'un arc électrique de 1.000 bougies.
Cette action hypnogène de la lumière et d'autant plus marquée que la lumière est plus intense. Dieudonné (6) a vu en effet que le développement de Bacillus prodigiosus et de Bacillus fluorescens putidus, retardé par une demi-heure d'exposition à la lumière solaire en mai, juillet et août, ne l'était qu'après une heure et demie en novembre.
D'après Kotliar (7) et Kruse (8) les rayons violets retardent
(1) Downes et Blunt- — Recherches sur les effets de la lumière sur les bactéries et autres organismes. — In Proceedings of the Royal Society of London 1877, t. XXVI
p. 488.
(2) Tyndall. — Note sur l'influence exercée par la lumière sur les infusions organiques. — In Proceedings of the Royal Society of London 1878, t. XXVIII, p. 211.
(3) Duclaux. — Influence de la lumière sur le développement des microbes. — Comptes rendus 1885, t. C, p. 119 et t. CI.
(4) Arloing. — Influence de la lumière sur la végétation et les propriétés pathogènes du Bacillus anthracts.— Comptes rendus 1885, t. C., p. 378 et t. CI, p. 501 et 535.
(5) Momont. — Action de la dessication, de l'air et de la lumière sur la bactéridie charbonneuse. — In Annales de l'Institut Pasteur, t. 6., 1891, p. 21.
(6) Dieudonné. —Importance de l'eau oxygénée dans le pouvoir bactéricide de la lumière. In Arb. a. d. k. Gesundh., t. 9., p. 357.
(7) Kotliar. — Influence de la lumière sur les bactéries. — In centrabl. f. Bact, p. 8, 1890.
(8) Kruse.— Sur l'importancc hygiénique de la lumière.— In Zeitschrif. f. Hyg. 19., 1895.
le développement de la plupart des microbes. La lumière diffuse agit peu sur ces êtres.
D'après Ehrenberg, Ray Lankester (1), Colin (2), et Zopf (3), les bactéries pourprées se multiplient moins bien à l'obscurité qu'à la lumière du jour.
Selon Dumas (4) la fermentation produite par Saccharomyces cerevisiae (levure de bière) est plus lente à l'obscurité qu'à la lumière.
La virulence des microbes pathogènes est rapidement atténuée par l'exposition à la lumière solaire, et ce d'autant plus que l'exposition a été plus longue. Cette atténuation ne se transmet pas par hérédité.
D'après d'Arsonval et Charrin (5), le pouvoir chromogénéti-que du bacille procyanogène est suspendu, si l'on expose ce bacille à la lumière solaire pendant un temps variant de trois à six heures. Il en est de même, quant â l'action produite, pour le bacille de Kiel. Ce sont les rayons les plus refrangibles qui agissent le mieux sur ce microbe (6).
Les mouvements de reptation et de natation des bactéries pourprées se ralentissent ou s'arrêtent dans l'obscurité, aussi bien d'ailleurs qu'à une lumière vive ou suffisamment maintenue.
Baclérium pholométricum exécute des mouvements très vifs à la lumière du jour. Il s'immobilise dans l'obscurité.
Pelomyxa palustris exécute dans l'ombre des mouvements pseudopodiques énergiques. Or, si l'on projette sur ce protozoaire un rayon lumineux suffisamment intense, il rétracte ses pseudopodes et se ramasse en boule. Si on le replonge dans l'obscurité, les mouvements pseudopodiques reparaissent au bout d'un certain temps. Cette hypnose ne se produit pas si on remplace progressivement l'obscurité par la lumière du jour.
On peut, par des changements d'éclairage, déterminer des sommeils locaux chez les êtres monoplastidaires. C'est ainsi que si l'on projette un fin rayon lumineux sur une plasmodie étaléed'Œthalium septicum, le bioprotéon se retire aussitôt du
(1) Ray Lankester. — On a peach-co'oured Bacterium. Quart. Journal of- Mic. Science-, t. 13, 1873 et t. 16., 1876. (2)Cohn. — In Beit. Biol, d. Pflanzen. t. I., 1875. (3) Zopf. — Zur Morphologie der SpaUpflazen. Leipzig, 18S3. (4) Dumas.— In. Ann. de chim. et de phys., 1871.
(5) D'Arsonval et Charrin. — Influence des agents atmosphériques sur le bacille pyocyanogène. — Comptes rendus, t. 118., 1894, p. 151. (6) Laurent. — Loc. cit.
point éclairé, et s'accumule dans la partie du réseau qui se trouve dans l'ombre (1).
2. Ondulations thermiques. — Il existe pour les êtres mono-plastidaires une température optima de veille, en deçà et au-delà de laquelle la somnolence commence pour aboutir au sommeil.
Les diverses espèces de microbes ne commencent à proliférer qu'à une température supérieure à celle qui est nécessaire à l'entretien de leur vie. La multiplication devient ensuite de plus en plus active, jusqu'à une certaine température qui est l'optima. Au dessus de celle-ci, la multiplication se ralentit. Elle s'arrête enfin à une température inférieure à celle qui est nécessaire à l'entretien de la vie (2).
La température optima est située entre 10° et 15° pour les quatorze bacilles isolés par Fischer(3) du sol et de l'eau de mer, et pour la bactérie qui rend phosphorescente, dans certaines conditions, la surface ou la chair des poissons de mer. Elle est de 36° à 37° pour Bacillus anthracis, de 37° pour Bacillus ramosus (4), de 38° pour Bacillus tuberculosust et située entre 67° et 70° pour le bacille découvert par Miguel dans l'eau d'é-goût et l'eau de Seine. Au-dessous de 8° le développement de Bacillus typhosus est suspendu. Aux températures inférieures à leur optima de veille, les mouvements circulatoires des plas-modies de Myxomycètes se ralentissent.
Si l'on maintient pendant quelque temps Saccharomyces cere-visiae à — 113°, cet organisme survit, mais sa puissance comme ferment est atténuée.
Sous l'influence du froid, les Amibes rétractent leurs pseudopodes et se ramassent en boule. Si la température s'abaisse suffisamment, il se produit (habituellement aux environs de 0°) la rigidité par le froid, c'est-à-dire une sorte de fixation du bio-protéon pendant laquelle ses mouvements sont suspendus, et qui persiste jusqu'à ce que la température remonte. Amœba diffluens peut vivre ainsi dans la glace, endormi d'un véritable sommeil hibernal.
Les spermatozoïdes des Vertébrés supérieurs, dont l'optima de veille est située entre 35° et 40°, s'immobilisent sous l'in(1) Stahl. — Zur Biologie der Myxomyceten. Botan. Zeitung. 1884.
(2) Duclaux- — Traité de microbiologie, I., p. 264.
(3) Fischer. — In Centralb, f. Bact. IV., p., 89.
(4) Marshall Ward. — On the biology of bacillus ramosus, Proceed. of the Royal Soc., t. LVIII.
fluence du froid. Ceux de la Chauve-Souris, projetés dans les cornés utérines en automne, ne fécondent l'ovule qu'au printemps.
Si l'on refroidit en une région déterminée une plasmodie de Myxomycète étalée en réseau, le bioprotéon se retire de cette région et se porte dans les régions voisines.
Il existe aussi, chez les êtres monoplastidaires, un sommeil par la chaleur et même un véritable coup de chaleur.
A 42° ou 43°, la sporulation de Bacillus anthracis est suspendue. Son bioprotéon subit une sorte de rétraction et revêt l'aspect d'un chapelet à petits grains. A 47°, la rétraction augmente et les grains deviennent plus gros. Si la température s'élève encore, la virulence du bacille diminue et finit par disparaître. L'effet produit est en raison directe du temps pendant lequel la température a agi. Si l'on inocule à un animal du sang charbonneux chauffé à 50° pendant 8 minutes, la mort s'ensuit presque à coup sûr. Tandis qu'après un chauffage de 18 minutes, l'animal survit et est vacciné, ce qui prouve d'ailleurs que les bacilles n'ont pas été tués, mais seulement engourdis par la chaleur. Entre 50° et 60% l'atténuation de la virulence est d'autant plus prononcée que la température est plus haute. On observe en outre un retard dans le développement de l'organisme. A 52°, ce retard est on raison directe du temps pendant lequel cette température a agi; après 15 minutes, le développement parait suspendu. Si l'on soumet du virus charbonneux à une température de 90° pendant six heures, ce virus devient vaccinal. Il perd sa virulence à 110°.
Le pouvoir chromogénétique du Bacille de Kiel disparait momentanément sous l'influence d'une température suffisante.
On a observé chez certaines spores soumises à une température suffisante, une sorte de coagulation qui n'est sans doute qu'une rétraction du bioprotéon, et qui d'ailleurs disparait quand la température baisse.
Sous l'influence d'un excès de température, les Amibes retractent leurs pseudopodes et se ramassent en boule (le phénomène se produit à 35° chez Amœba diffluens), et les spermatozoïdes s'immobilisent.
Enfin si la température s'élève suffisamment, il se produit, chez les êtres monoplastidaires, une rigidité par la chaleur analogue à la rigidité par le froid.
(l)DacIaux. — Traité de microbiologie, I., p. 264.
3° Ondulations électriques. — Si l'on place une plasmodie d'Œthalium septicum entre les électrodes d'un appareil inducteur, cette plasmodie se rétracte sous l'influence du courant à la manière d'une fibre musculaire.
De faibles chocs d'induction suspendent les mouvements circulatoires et pseudopodiques des Amibes. Si les chocs sont violents, les pseudopodes se rétractent et le corps cellulaire se ramasse en boule. — L'expérience peut se faire de la façon suivante. On dépose sur un porte-objet, entre deux électrodes impolarisables, la goutte d'eau contenant de ces organismes. Après la fermeture du circuit, on voit d'abord cesser les mouvements circulatoires de leur bioprotéon, puis celui-ci se rétracter et se retirer de l'anode pour se porter du côté de la cathode. Si l'on renverse le courant, le mouvement se fait en sens inverse.
III. — Mouvements chimiques
Les microbes s'endorment, et les réactions chimiques qu'ils provoquent cessent d'avoir lieu sous l'influence de la dessi-cation, du protoxyde d'azote, de l'acide carbonique, du chloroforme, de l'alcool éthylique, de l'éther, du chloral, etc..
Le développement de Saccharomyces cerevisiae se ralentit si on le prive d'oxygène. La fermentation qu'il provoque s'arrête sous l'influence du chloroforme.
La germination de Bacillus anthracis est retardée ou suspendue si on le laisse pendant un certain temps dans un bouillon de veau légèrement alcalin qui a été exposé pendant trois ou quatre heures à la lumière solaire. Le retard est d'autant plus marqué que les spores sont restées plus longtemps en contact avec ce bouillon (1).
Les mouvements du Vibrion butyrique et la fermentation qu'il provoque sont suspendus, si on le prive d'oxygène.
Les Amibes d'eau douce se ramassent en boule, si on les plonge dans une solution saline au 1/100'.
Les spermatozoïdes s'immobilisent, si on additionne d'une quantité suffisante de chlorure de sodium le milieu où ils se meuvent. Ceux des Echinodermes s'endorment également dans une solution de 0,50/100 d'hydrate de chloral dans l'eau de mer. Le sommeil ainsi provoqué est d'autant plus long que la substance
(1) Roux. — De Faction de la lumière et de l'air sur les spores de la bactéridie charbonneuse. Annales de l'Institut Pasteur, 1887, f. 1, p. 445.
a agi plus longtemps. Les mouvements des spermatozoïdes de la grenouille diminuent graduellement et finissent par disparaître si on les prive d'oxygène ou si la tension de ce gaz dans le milieu où ils se trouvent augmente à l'excès. Il existe ainsi pour ces êtres un optimum chimique de veille.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 21 octobre 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend, entre autres, des lettres par lesquelles MM. les Dr de Bourgade et Bourdon [de Méru) s'excusent de ne pouvoir assister à la séance.
M. le Président communique à la Société les trois nouvelles suivantes : M. Boirac, vice-président de la Société, recteur à Grenoble, a été nommé en la même qualité à Dijon. M. le Dr Richer, membre de l'Académie de médecine et de la Société d'hypnologie, s'est vu décerner par l'Académie des beaux-arts, le prix du baron de Jouest (2.000 fr.) pour son ouvrage intitulé : L'Art et la Médecine. Enfin, à M. Caustier, professeur agrégé au Lycée Hoche, membre de la Société, l'Académie française a décerné un prix Montyon pour son ouvrage : Les Entrailles de la terre, lequel intéresse tout particulièrement notre Société par certains chapitres, surtout ceux qui ont trait à la psychologie du cheval employé dans les mines et à la « baguette divinatoire » des anciens sourciers. M. le Président félicite chaleureusement nos trois collègues et formule l'espoir que, très rapproché de Paris, notre vice-président, M. Boirac, puisse assister régulièrement à nos séances mensuelles.
M. Jules Voisin résume les travaux du Congrès d'assistance aux aliénés tenu pendant les vacances à Anvers, où il présidait la section française et représentait la Société d'hypnologie-
M. Bérillon qui a représenté également la Société au Congrès des Aliénistes et Xeurologistes, tenu à Grenoble, expose qu'il a dû, avec notre collègue M. Crocq, professeur agrégé à Bruxelles, protester énergiquement contre certaines allégations erronées qu'avait formulées M. Noguès, rapporteur, au sujet de l'application de l'hypnotisme au traitement des tics.
Les communications portées à l'ordre du jour sont faites dans l'ordre suivant :
1° M. le Dr David, médecin de l'Hôtel-Dieu de Narbonne : Névralgie ancienne du nerf radial, guérie par la suggestion hypnotique.
2° M. le Dr Wijnaendts Francken (de la Haye) : Explication scientifique des phénomènes de l'hypnotisme.
3° M. le Dr Bérillon : Agoraphobie traitée avec succès par la psychothérapie chez un sujet hyper-hypnotisable, avec présentation du malade,
Prennent la parole : MM. Jules Voisin et Paul Magnin.
4° M. le Dr Lemesle : Suggestion musicale et psychothérapie.
M. le Président met aux voix les candidatures de M. le Dr de Bourgade (de Paris), de M. le Dr Bense (de la Haye) et de M. Swoboda. docteur en philosophie, à Vienne. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 45.
Agoraphobie traitée avec succès par la suggestion hypnotique, chez un sujet hyper-hypnotisable
par le Dr Bérillon Médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés.
Il est extrêmement fréquent, lorsqu'on se livre à la pratique de la psychothérapie, de rencontrer des malades dont l'état mental est carac-térisé par une prédisposition à l'hypnotisation véritablement excessive. Tel est le cas du malade que je présente à la Société.
Au point de vue clinique, l'observation courante des faits nous amène à classer naturellement dès notre premier examen, les malades dans l'une des trois catégories suivantes : Hypnotisables. — Hyper-hypnotisables. — Hypo-hypnotisables.
Il est évident que celte classification est trop sommaire et qu'elle comporte des subdivisions. C'est une question sur laquelle nous nous proposons de revenir prochainement dans une élude complète sur le diagnostic et sur les modalités de la sensibilité hypnotique. Pour le moment, nous voulons simplement vous montrer un sujet qui réalise au plus haut degré l'état d'hyper-hypnotisme. Chez lui, dès qu'il est hypnotisé, l'opération de la suggestion qui a pour effet de réaliser, à l'aide de la parole, un certain nombre de phénomènes automatiques est pour ainsi dire instantanée. L'idée est à peine exprimée qu'elle est déjà réalisée. Un mot, un geste, suffisent pour l'hypnotiser très profondément. Hypnotisé, il réalise automatiquement et instantanément les suggestions qui lui sont faites. Si je lui dis qu'il tremble, tout son corps se met à trembler; si je lui affirme qu'il va tomber, il se laisse choir; si je lui affirme qu'un de ses membres est paralysé, la paralysie se réalise de suite auec contracture. Le premier jour où je l'ai hypnotisé, lui ayant levé les bras en l'air, j'ai constaté que sans suggestion visant cet effet, ils s'étaient fortement contractures. Fait intéressant, le bras gauche était plus contracture que le bras droit.
Comment interpréter ces faits? Beaucoup vous diront que cet homme n'est aussi facilement hypnotisable que parce qu'il est très suggestible. J'avoue professer exactement l'opinion contraire. Je crois qu'il n'est aussi suggestible que parce qu'il est facilement hypnotisable. A l'état de veille, M. D... est capable d'exercer ses facultés de contrôle. Dans la vie ordinaire, il n'est pas plus suggestible qu'un autre, il sait résister aux suggestions d'autrui. En présence du médecin c'est tout différent. L'autorité du médecin le désarme, l'hypnotise en un mot et réalise secondairement cet état d'hyper-suggestibilité que vous constatez.
D'autres influences réalisent également chez lui un état hypnoïde, absolument analogue à l'état d'hypnose. L'émotion, la peur exercent une action inhibitrice de ses facultés de contrôle et exaltent sa suggestibilité naturelle. Il en est de même d'agents toxiques de la cellule nerveuse, tels que l'alcool, le tabac ou les narcotiques. Dès qu'il a bu un peu, il devient également hyper-suggestible. L'hypnotisme, l'inhibition mentale, dans l'apparition des phénomènes, précèdent l'intervention de la suggestion. Cette manière d'envisager la question est, je le reconnais, très différente des théories admises jusqu'à ce jour, mais je suis arrivé à cette opinion en me basant sur des faits très frappants.
L'examen attentif des antécédents du sujet et des circonstances dans lesquels nous avons été amené à l'observer présente un réel intérêt :
Observation. —M. D.., âgé de 35 ans, a présenté des troubles nerveux des la plus tendre enfance. Il se souvient que la moindre goutte de vin pur suffisait pour provoquer chez lui une très grande surexcitation... Il avait des impulsions à la colère et la dominante de son caractère était un esprit de contradiction très accentué. Ce fait nous indique que sa prédisposition à subir l'influence d'autrui était, dès ce moment, excessive et que l'esprit de contradiction apparaissait déjà comme une défense naturelle fréquente chez les sujets hypnotisables. Il se souvient qu'à l'âge de quinze ans le fait d'avoir de la terre séchée sur les mains créait chez lui le phénomène d'horripilalion, considéré par certains auteurscomme un symptôme de dégénérescence ; mais qui nous parait, étant donné sa variabilité et sa curabilité, être plutôt sous la dépendance d'un état d'irritabilité passagère du système nerveux.
La disposition aux états vertigineux s'est manifestée de bonne heure. Lejeude la balançoire, dans le mouvement de descente, provoquait chez lui de véritables vertiges. A quatorze ans, il eut, à la suite d'une diarrhée continue, une syncope. Il en fut fortement frappé et de cette époque date le début de ses peurs maladives. Elles se sont souvent manifestées dans diverses occasions, en particulier dans le cours de son service militaire. A plusieurs reprises, étant sur les rangs, il fut sur le point de défaillir et serait tombé s'il n'avait été soutenu par un camarade.
Actuellement ses états d'anxiété ont abouti à une véritable agoraphobie et il se trouve dans l'impossibilité d'entreprendre, à pied, une course à quelque distance de sa maison. Il n'éprouve pas de vertiges lorsqu'il est à bicyclette et il a recours à ce mode de locomotion pour pouvoir
circuler. Il doit être atteint d'hèméralopie, car il note que ses états d'anxiété augmentent à la chute du jour, au moment du crépuscule.
Des notre premier examen, nous avons constaté chez lui une telle sensibilité à l'hypnotisme que nous avons pensé qu'il ne s'agissait pas d'une agoraphobie d'origine neurasthénique, mais bien d'une agoraphobie hystérique. Celte constatation nous a permis de porter un pronostic beaucoup plus favorable.
Chacune des séances d'hypnotisme à laquelle il a été soumis a exercé son influence salutaire sur son état mental. Nous avons, par un entraînement progressif, traité son aboulie, ses états d'émotivité morbide, ses phobies. Nous compléterons notre traitement en renfermant dans de justes limites sa sensibilité à l'hypnotisme qui, lorsqu'elle atteint de telles proportions, constitue à elle seule un stigmate d'hystérie, exclusivement justiciable du traitement psychologique.
Suggestion musicale et Psychothérapie. '
par le Dr Henry Lemesle, professeur à l'Ecole de psychologie.
Parmi les nombreux travaux qui ont été faits sur la Suggestion mu-sicale aucun ne me semble avoir précisé la question de façon aussi heureuse et aussi satisfaisante que l'étude récente de mon ami Paul Petrucci, le violoncelliste bien connu, fils d'un aliéniste distingué de province qui dirige l'asile départemental de Saint-Gemmes-sur-Loire. Dans les fréquentes visites que j'ai été appelé à faire à Saint-Gemmes, j'ai constaté que la musique y est en honneur : depuis de longues années les concerts donnés aux aliénés ont été une des préoccupations de la direction, et la musicothérapie y a été judicieusement mise en pratique : c'est dire toute la valeur d'observation qui s'attache au-travail de Petrucci.
L'auteur y étudie la Suggestion musicale dans ses deux modes : suggestion rythmique et suggestion tonale. En substance et comme conclusion, il considère l'effet rythmique qui est le plus simple comme un moyen de suggérer la foule, de lui inspirer le mouvement, le courage et quelquefois la tristesse; la tonalité aurait un effet tout particulier et plus de puissance d'action sur l'individu isolé : et l'auteur énonce qu'en faisant entendre à une personne triste des tonalités progressivement gaies on peut lui suggérer la gaieté et qu'inversement on peut calmer l'incohérent en lui faisant entendre des tonalités progressivement graves.
Je désire aujourd'hui reprendre cette question de la musicothérapie à un point de vue nouveau, et qui n'a pas encore été présenté. Nous verrons quelle part de vérité comporte l'étude de Petrucci et si nous devons accepter sans réserve les déductions thérapeutiques qu'il nous propose.
Je veux demander un enseignement aux civilisations disparues : je veux rechercher, le plus brièvement possible, la leçon de chose que sur ce point nous devons tirer de ceux qui dans l'antiquité furent, à des degrés divers, des conducteurs et des suggestionneurs de peuples.
. »
A l'aurore de chaque civilisation les mêmes nécessités sociales donnèrent naissance aux mêmes moyens de suggestion. Deux notions furent avant toutes autres inculquées et suggérées à la foule : l° la crainte et le respect de la divinité qui avait comme corollaire le respect du chef de tribu, du roi ou de l'empereur; 2° la défense du sol de la tribu, du royaume ou de l'empire. Les Hymnes théogoniques et lès Chants guerriers se retrouvent toujours comme les premières manifestations de la suggestion.
Si nous nous transportons en Chine en remontant de trente-huit siècles l'histoire de l'humanité, nous voyons qu'en ce pays, sous la dynastie des Chang, les premiers empereurs, l'influence suggestive de la musique était parfaitement mise en œuvre.
Tous les ans, le Ministre préposé à la musique faisait un récolement des chansons afin de pouvoir éviter toute action nuisible de celles-ci ; les gouverneurs de provinces étaient blâmés ou félicités suivant que les chansons pouvaient relâcher ou améliorer les mœurs des sujets.
Au VIe siècle avant notre ère le grand législateur que fut Confucius, dans le but de contribuer à l'élévation de l'esprit et à la purification des mœurs de ses contemporains, réunit toutes les chansons connues dans le livre de Chi-King et il se servit de la musique comme puissant moyen de suggestionner les masses. /
Si, passant à l'Inde, nous examinons les chants des Aryas des Plateaux de Pamir et de Bolor, nous voyons qu'en raison de leur influence sociologique les chants nationaux, les Hymnes védiques étaient soumis à une rigoureuse censure rythmique ; il en était de même de certains autres chants officiels de l'Inde, les Rags, que les bayadères Brahmaniques faisaient entendre aux fêtes des Pagodes.
Il n'est pas jusqu'aux premières peuplades anthropophages des forêts néo-calédoniennes qui ne puissent nous donner une leçon de suggestion : les anthropologistes considèrent les Papous et les Canaques comme le premier chaînon de la bête et de l'homme ; leurs chefs guerriers furent des suggestionneurs par le rythme ; les chants de guerre de ces peuplades ne valent que peu par les pensées exprimées, mais un grand soin du rythme y est observé : le Chant de mort est hurlé à la cadence des casse-tête et des sagaies.
» »
prêtres du peuple hébreux nous montrent merveilleusement quelle peut être l'influence toute puissante de la musique sur le gouvernement d'un peuple. Ce peuple fut-empreint au plus haut degré de la gravité sacerdotale de ses prêtres ; là encore il s'agit avant tout de la suggestion rythmique et d'un rythme particulièrement monotone et apte à produire cet état psychique que nous appelons « l'ataraxie ».
Ils se montrèrent profonds psychologues, les prêtres qui réglèrent l'ordonnance de la Fête des Tentes et l'exécution à cette fête du Choral de David : 4.000 lévites étaient divisés en 24 chœurs échelonnés sur les pentes de l'Hébal et du Garizim ; d'un point à l'autre ils devaient se répondre en observant le rythme spécial et très strict qui était comme une sorte d'écho et que l'on appelait : le Parallélisme. La harpe, la musette et les cymbales venaient en outre soutenir et accentuer la cadence des chœurs.
Les Chrétiens ont d'ailleurs compris l'influence et l'utilité du Parallélisme qui réalise parfaitement les conditions de sensation monotone, continue, prolongée, favorables à l'hypolaxie; ce Parallélisme se retrouve dans les répons de culte catholique, dans le plain-chant et les litanies.
*
Chez les Egyptiens, aux cérémonies du culte d'Isis, la cadence était assurée par les sistres qui avaient une importance de premier rang et auxquels Apulée fait allusion :
a Ministre sacré je vous en conjure par les mystères de Memphis et les sistres de Pharos » (Apulée : l'Ane d'or, livre III).
Dans leurs déplacements, les Pharaons se faisaient accompagner de scribes qui étaient avant tout des poètes et des musiciens et qui étaient chargés d'inspirer par leurs chants la notion de la grandeur du souverain.
Nous trouvons dans Hérodote le récit de ces célèbres fêtes publiques et universelles qui étaient célébrées en l'honneur des dieux : la fête des Panègyries et la fête des Lampes.
A ces solennités on a vu, suivant Hérodote, plus de 700.000 hommes et femmes, sans compter les enfants ; on s'y rendait en foule par eau, hommes et femmes péle-mèle et chaque famille dans sa barque'. Là encore, la tonalité, comme mode suggestif n'est employée que secondairement et c'est toujours l'observance du rythme qui domine: des femmes font résonner des crotales, des hommes accompagnent de la flûte et le reste de la multitude chante et bat des mains.
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Les Rhapsodies de la Grèce antique consistaient en mesure de strophes, presque insignifiantes au fond, ne contenant en tous cas que des
idées simples qui étaient proposées et suggérées à la faveur du rythme et de l'harmonie du langage.
C'est au milieu des chants soigneusement rythmés des prêtres (hiérophantes) qu'avait lieu l'initiation aux mystères d'Eleusis. Les chants religieux ou guerriers de la Grèce antique se chantaient sur un mode mineur ;'art musical était réduit à la psalmodie et cette psalmodie ne servait en somme qu'à préciser le rythme. C'est le rythme mâle et guerrier des chants de l'ancien maître d'école Tyrtée qui suggestionna les Lacédémoniens et les mena à la victoire sur les Messéniens.
En Thrace et en.Argolide, ce fut grâce au rythme de leurs poésies, que les premiers législateurs purent établir leurs lois et règlements et fonder les premières sociétés civiles.
Devons-nous rappeler que le fils du roi Œgros etde la musc Calliope, Orphée, le chantre de Thrace, « par l'art divin de sa mère suspendait
« le cours rapide des fleuves, les vents impétueux et entraînait les « chênes mêmes, sensibles à la douce mélodie de ses accords » ?
Bien qu'il n'y ait là qu'une métaphore, il n'en est pas moins vrai qu'Orphée parvint par ses chants à réduire la férocité des tribus anthropophages sur lesquelles régnait son père et qu'il les rendit sensibles aux notions du bien et du juste.
Je ne sais si la scène suivante de l'expédition des Argonautes a été reproduite sur la toile ou dans le marbre, mais sa figuration ne serait point déplacée dans une clinique d'hypnotisme comme exemple de suggestion collective par le sens auditif et d'automatisme psychologique :
« Sur le bateau qui voguait vers la Colchide, Orphée avait fini de « chanter et chacun restait immobile. La tête avancée, l'oreille attentive, « on l'écoutait encore, tant était vive l'impression que ses chants avaient
« laissée dans les âmes ; tels que des jeunes gens qui, dansant au son « du luth autour de l'autel d'Apollon, soit à Delphes soit à Délos ou sur « les bords de l'Isménus, attentifs aux accords de l'instrument sacré, « frappent en cadence la terre d'un pied léger, tels les compagnons de
« Jason, aux sons de la lyre d'Orphée frappent tous ensemble les flots « de leurs longs avirons. » (1).
¦
Je terminerai cette excursion rapide à travers les premières civilisations des grandes races humaines, en signalant enfin qu'au sein des forêts profondes de la Gaule, le chant guerrier des tribus, le Chant du Glaive, servait de rythme à la Danse des Épées, dont la cadence était rigoureusement marquée par le choc de la framée sur les boucliers.
*
Nous avons borné cette élude à l'Antiquité, car dans les périodes ultérieures et plus rapprochées de nous, l'examen des chants qui appartien-
(l)(Expéd. des Argon., chap. 1. trad. Caussin).
nent à l'histoire de la littérature de la musique, comme de ceux qui ne'se réclament que du Folklore, ne nous ferait apparaître qu'un legs des civi-lisations antérieures, qu'un recommencement des mêmes procédés de suggestion musicale.
Il nous semble suffisamment établi : 1°Que dès les premiers âges de l'humanité, aussi loin du moins que nous permettent de remonter les traditions historiques, l'art musical a été employé pour suggérer les idées du beau, du bien, du courage guerrier, du respect de la divinité et du chef de tribu. Nier cette action suggestive de la musique serait nier les progrès mêmes de la civilisation.
2° Que la suggestion rythmique a été le mode de suggestion presque exclusif, employé do préférence à la suggestion tonale, pour inculquer aux peuplades et aux foules les idées de méthode, de précision, de décision, de discipline, pour en faire des collectivités agissantes et cultiver en elles la volonté et l'énergie.
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Et si nous arrivons maintenant aux applications thérapeutiques, dont le souci est la raison d'être et l'aboutissant de ces considérations, il nous apparait que la suggestion musicale par le rythme et par la tonalité peut en psychothérapie nous rendre les plus signalés services. Mais j'estime que la mise en œuvre de l'une ou de l'autre de ces qualités ne doit pas nous être indifférente.
Voulons-nous par exemple suggérer la gaieté à un mélancolique ?
Nous devons distinguer deux hypothèses :
a). Le sujet est hypnotisé. Il faudra faire entendre au sujet une tonalité mélancolique adéquate à son état mental et je partage absolument là-dessus l'opinion de Paul Petrucci. Le sujet devra d'abord être soumis à l'influence d'une tonalité en sot mineur, puis on passera au mode majeur et on fera entendre sol b majeur, tonalité sombre qui peut encore lui plaire. Ensuite, et successivement : le ré b majeur (grave) ; le la b maj. (noble) ; le mi b maj. (majestueux); si b maj. (fier); le fa maj. (vigoureux) ; l'ut maj. (décidé) ; le sol maj.(fgai).
Le malade, de degré en degré, épousant les tonalités à l'influence desquelles il sera soumis, passera de la mélancolie à la gaieté. Le seul point difficile à établir sera le temps de durée nécessaire pour chaque tonalité.
b). Le sujet est à l'état de veille. C'est à ce cas que nous aurons le plus souvent affaire en raison des difficultés d'obtenir l'hypnose chez les aliénés.
Dans ces conditions il me semble que l'on devra d'abord et surtout insister sur la suggestion par te rythme comme plus capable de faire pénétrer dans le cerveau l'idée essentielle de précision, de méthode, de mathématique à la faveur de laquelle la suggestion tonale produira plus tard ses effets thérapeutiques.
C'est cette influence du rythme qu'Helmholtz entrevoyait quand il
disait : « Je me suis toujours senti attiré par la mystérieuse union des « mathématiques et de la musique. »
Nous avons choisi l'exemple du mélancolique ; pour le maniaque et l'excité il faudra, en renversant la proposition, commencer par faire entendre au sujet, à l'état de veille, puisque l'état d'hypnose sera le plus souvent irréalisable, des tonalités en ré majeur, tonalités brillantes et de nature à plaire au malade, mais après l'avoir au préalable soumis à une éducation rythmique prolongée et suffisante pour coordonner, ne serait-ce que transitoirement, ses processus psychiques et, si l'on peut employer une expression aussi concrète en pareille matière, pour obliger ce cerveau boiteux à marcher au pas.
Enfin, en ce qui concerne la nombreuse catégorie des fatigués intellectuels, des abouliques à quelque titre et à quelque degré que ce soit, de ces malades qui présentent des dissociations de la personnalité et dont les états de conscience se rapprochent par là de ceux des Collectivités et de l'âme des foules, la suggestion rythmique sera employée comme un adjuvant thérapeutique de haute importance pour parvenir à réaliser cette discipline psychique, cette régularisation des réflexes cérébraux, sans laquelle un traitement moral est toujours difficile et souvent impossible.
Névralgie ancienne du nerf radial, guérie par la suggestion hypnotique
par M. le Dr David, médecin de l'Hôtel-Dieu de Narborme.
Les heureux résultats obtenus par le traitement psychothérapique sont si fréquents qu'il deviendrait fastidieux de les publier tous. Il est cependant certains cas particuliers qui présentent un enseignement remarquable et qu'il est de notre devoir de porter à la connaissance du public médical. C'est à la fois une leçon pour ceux, qui refusent à la thérapeutique suggestive l'importance qu'elle mérite et pour nous une ' satisfaction de signaler une victoire de plus à son actif. — L'observation suivante rentre dans cette dernière catégorie.
A la date du 20 juin de cette année, le père B....., bonnetier dans un
village des environs de notre ville, amène dans mon cabinet son fils âgé de 16 ans, atteint d'une affection particulière de l'avant-bras droit. C'est un beau garçon, taillé en hercule, fortement musclé, bien plus grand et plus développé qu'on ne l'est généralement à son âge, exerçant la profession de son père. La maladie remonte à trois ans. Depuis cette époque il ne peut se livrer à son travail, ni même écrire deux lignes sans ressentir une vive douleur dans les muscles de lavant-bras, à tel point qu'il a cessé complètement de travailler. Quand on lui demande ce qu'il éprouve au moment où il est obligé d'abandonner l'aiguille, s'il est en train de coudre, ou la plume, s'il écrit, le jeune homme répond qu'il aune sensation de striction dans l'avant-bras, ainsi que le besoin d'exer-
cer de fortes tractions sur la main pour faire disparaître cette sensation douloureuse et fort gênante.Le père, chargé des frictions, a remarqué que sur le côté malade, la peau restait pâle et comme morte, tandis que les mêmes frictions sur le côté sain déterminaient une rougeur très grande.
Le premier médecin appelé fut naturellement le médecin de la localité. Celui-ci diagnostique une affection de nature rhumatismale et conseille un traitement qui fut scrupuleusement suivi pendant de longs mois sans aucun résultat. On fit alors appel aux lumières d'un médecin de Narbonne, qui, après avoir soigneusement examiné le malade, s'exprime ainsi dans une lettre qu'il adresse à son confrère. Cette lettre porte la date du 25 janvier 1900. « La douleur siège au niveau de l'extré-« mité supérieure du radius, surtout au niveau du col ; l'articulation « radiale ne paraît pas prise, puisque la douleur n'est pas spontanée, « C'est évidemment du rhumatisme, l'enfant étant obèse et arthritique ».
Un traitement général et local est institué et suivi pendant quelques mois, toujours sans aucun résultat.
Au mois d'août de cette même année 1900, on conseille à ce jeune homme d'aller faire une cure à Rennes-les-Bains. Le malade reste là une vingtaine de jours et il revient chez lui avec la lettre suivante du docteur de l'établissement.
« Mon cher collègue, je vous renvoie le jeune B..... délivré, je crois,
de sa névralgie causée, si je ne me trompe, par un peu de myélite de la région dorsale. »
La légère amélioration obtenue à Rennes permit à ce jeune homme de reprendre ses occupations, mais cela ne dura pas longtemps. Vingt-cinq jours après, la douleur revenait aussi vive qu'auparavant. Le malade se plaignait en outre de nouvelles douleurs dans l'avant-bras gauche, aux épaules, et en certains points de la colonne vertébrale.
La famille s'adresse alors à un autre docteur, un de nos confrères très estimé de la ville. Son ordonnance, datée d'octobre 1900, est ainsi conçue :
Prendre en se levant, deux granules d'hyosciamine et une granule d'aconitine, autant après-midi, autant le soir en se couchant; frictions sur la colonne vertébrale, du cou aux reins, et sur les points où siège la " douleur.
Après le 8e jour, prendre trois granules d'hyosciamine au lieu de deux.
Ce traitement est fidèlement observé pendant un certain temps, mais ne donne aucun résultat appréciable.
La famille découragée ne sait plus à quel saint s'adresser. Je crois bien qu'en ce moment, on a fait appel à un rebouteur quelconque, mais je n'insiste pas, et j'arrive au dernier confrère qui a vu notre malade. Ce confrère inspire à la famille une grande confiance. Il est porteur de titres qui s'étalent en grand nombre sur une immense plaque en caractères étincelants.
L'ordonnance est datée du 10 avril 1901. La voici : Rhumatisme chronique articulaire et névritique localisé principalement aux membres supérieurs chez un arthritique obèse.
1° Exercices physiques très variés et allant jusqu'à la fatigue (marche, bicyclette).
2° Tous les matins, friction sèche au gant de crin sur tout le corps. Insister au niveau des bras.
3° Comme régime alimentaire, se priver, dans la mesure du possible, de féculents, de farineux, de matières grasses. Se nourrir de lait et de laitages, oeufs, légumes verts et fruits, viandes blanches et rouges. Aux repas, prendre une boisson aromatique chaude (thé léger, tilleul, verveine, oranger). Se priver de boire trop.
4° Alterner 10 jours par 10 jours, les deux traitements a et b :
a) Teinture d'iode à l'alcool de vin......... 5 gr.
vi à x gouttes à chaque repas
b) Salicylate de lithine............ 10 —
Eau.................. 300 —
Une cuillerée à soupe à chaque repas Après 20 jours de traitement, se reposer 10 jours, puis recommencer. 5° Cet été, aller faire une cure de 25 jours à Amélie ou à Rennes. Pendant le traitement, douches très chaudes et massage (pendant ou après la douche) combinés avec des bains généraux, très chauds également.
Ces multiples prescriptions ont été exécutées à la lettre pendant un certain temps; mais, loin d'y trouver le soulagement attendu, le malade, voyant son état s'aggraver davantage, fut obligé de tout abandonner et de reprendre son régime habituel.
Telle est l'histoire du jeune homme qui se présente à nous. Pendant que tous ces renseignements m'étaient fournis, j'avais eu le temps d'observer le malade et de noter certaines particularités propres aux personnes nerveuses. Ainsi, par exemple, au lieu de s'intéresser à ce que me racontait son père, il attachait ses regards sur les tableaux de mon cabinet, et quand je l'interrogeais, son père était souvent obligé de répondre pour lui.
Je voulus tout d'abord connaître sa force dynamométrique. A la première pression énergiquement donnée de la main droite, l'aiguille donne 35 kgr. Ce premier examen n'était pas de nature à me faire accepter le diagnostic de névrite rhumatismale. D'ailleurs, il n'y a pas d'atrophie musculaire; mais je constate de l'hypoesthésie de l'avant-bras et de la main du côté droit, tandis que du côté gauche, il y a au contraire, de l'hyperesthésie. Analgésie cutanée sous forme de larges ilôts au membre inférieur droit; rien de particulier du côté gauche. Hyperesthésie cutanée sur certains points de la région rachidienne. Réflexes pharyngiens normaux. Aucun liseré sur les gencives. Les grands appareils de la circulation, de la respiration et de la digestion, sont d'une intégrité complète. Pas de rétrécissement concentrique appréciable des champs visuels.
J'acquiers de plus en plus la conviction que mon malade est un névrosé et je rattache son affection à une sorte de crampe des écrivains. Les efforts prématurés, chez un enfant en plein développement, expliquent
fort bien la fatigue nerveuse et musculaire. Et là-dessus, les renseignements sont très précis : le père raconte avec un certain orgueil, les exploits de son fils soulevant des poids qu'un homme mûr aurait eu beaucoup de peine à remuer.
Je propose alors le traitement par la suggestion hypnotique, qui est accepté.
A peine assis, le malade, au grand étonnement de son père, tombe dans un sommeil profond, pendant lequel je suggère la disparition complète et définitive de la douleur et le retour à la santé avec la possibilité de reprendre le travail habituel.
A son réveil, le jeune homme est comme étonné. Il éprouve une sensation de bien-être indéfinissable, et se considère comme guéri.
La guérison, en effet, a été définitive et durable, puisque notre client a pu se livrer à ses .occupations habituelles, et qu'au, moment où nous écrivons ces lignes, nous savons que la douleur n'a pas reparu.
PSYCHOLOGIE HIÉROLOGIQUE
Marie Alacoque, sa folie hystérique, par M. le Dr ROUBY, d'Alger
(Suite)
Mais arrivons à ce que nous pourrions nommer un comble, le comble de la folie.
On sait que presque toujours les hystériques, ayant atteint les périodes graves de l'aliénation, commettent les actes les plus répugnants et les plus contraires à la nature: Marie Alacoque n'y manquera: un jour elle boira le vomissement d'une autre malade ; un autre jour c'est le mot de Cambronne qu'elle mettra dans sa bouche, non pas le mot seulement, mais.....la chose.
Je cite : « lorsque mon Souverain Maître voulait quelque chose de « moi, il me pressait si vivement qu'il me fallait céder ; mes résistances « ne servaient qu'à me faire souffrir; j'étais si délicate que la moindre « saleté me faisait bondir le cœur, il me reprit si fortement là dessus, « qu'une fois voulant nettoyer les vomissements d'une malade, je ne pus « me défendre de le faire avec ma langue. Il me fit trouver tant de « délices dans cette action que j'aurais voulu avoir occasion d'en faire » tous les jours de pareilles. Pour me récompenser la nuit suivante, si je « ne me trompe, il me tint bien deux ou trois heures la bouche collée « sur son sacré cœur. »
Après les vomissements voici le reste :
« Une fois que j'avais eu un soulèvement de cœur en servant une « malade qui avait la dysenterie; il me reprit fortement et je me vis « contrainte, pour réparer cette faute, de surmonter ma délicatesse, de
« la même manière que je l'ai dit ci-devant. Mon Seigneur se moqua « de moi, et me dit : « tu es bien bonne de faire cela, »
Ces deux actes sont assez fréquents, dans les asiles d'aliénés ; je les ai notés chez des jeunes filles du monde chez lesquelles cette dépravation du goût paraissait monstrueuse.
Pendant cette triste période, les mômes hallucinations poussent Marie Alacoque à faire en public quelque chose de honteux, nous dit-elle, qu'elle n'ose pas écrire : Il est facile de le deviner d'après l'analyse des sensations qu'elle éprouve et surtout par la connaissance de ce que font presque toutes les folles hystériques arrivées à ce degré de maladie : une force impulsive la poussait, je présume, à se montrer nue au milieu de la communauté.
Je trouve encore dans le journal de Marie Alacoque un cas très curieux pour que je ne le cite pas : « Un jour que la Supérieure m'avait « envoyé tenir la place d'un Prince devant le Saint Sacrement il m'arriva « d'y subir des peines épouvantables d'impureté ; je me sentis si forte-« ment attaquée d'abominables tentations qu'il me semblait être dans « l'enfer ; cela dura lontemps ; je m'en plaignis et depuis on me fit tenir « la place d'une bonne vieille religieuse de la Visitation ; les tentations « alors cessèrent. »
Ce fait montre bien la nature hystérique de la maladie si facile à la suggestion ; le Prince avait une très mauvaise réputation au point de vue des mœurs, Marie Alacoque, en tenant sa place, a des sensations erotiques ; on lui fait tenir la place d'une personne vertueuse et les sensations disparaissent.
Concluons :
Les citations précédentes auront suffi à convaincre non seulement les médecins aliénistes et ceux qui ont étudié les maladies nerveuses, mais encore le public qui lit et qui comprend. Ils diront avec moi, que Marie Alacoque était atteinte de folie hystérique sans qu'aucun doute puisse naître à ce sujet, sans qu'aucune contradiction basée sur des raisons admissibles puisse avoir lieu ; ceux qui garderont la foi au Sacré Cœur, ne pourront le faire qu'en fermant volontairement les yeux.
La déduction de ce travail est facile à tirer : le culte du Sacré Cœur créé par Marie Alacoque ou plutôt fondé sur ses hallucinations doit être aboli comme étant une aberration religieuse indigne de l'humanité.
Mais généralisons davantage et disons que toutes les religions doivent se débarrasser de leurs miracles et de leurs superstitions.
Ceux qui ont visité Venise et son admirable église Saint-Marc, se souviennent que son pavé de mosaïque présente un spectacle étonnant ; au lieu d'une surface plane, il forme des ondulations très marquées qui rendent, si on n'y prend garde, la marche périlleuse. L'église se tient
Nota. — On m'objecte des fausses sensations de la vue comme le daltonisme et des fausses sensations du toucher qui ue sont pas des hallucinations. Ce sont des fausses impressions, ce ne sont pas des fausses perceptions ; celles-ci seulement sont des hallucinations.
debout, éclatante de dorures et d'émaux ; elle paraît d'une solidité à toute épreuve, mais nous savons que ses puissants piliers de marbre et ses coupoles immenses, masse monumentale dont s'enorgueillit une ville superbe, nous savons dis-je, que cette cathédrale des doges est bâtie sur une forêt de sapins plantée dans les flots des lagunes. Pendant des siècles, ces poutres ont résisté et ont donné une assise solide au bâtiment, mais peu à peu le bois a pourri, des poutres vermoulues ont fléchi et le parvis du temple incomplètement soutenu, s'est abaissé par endroit, pendant que des lézardes menaçantes se produisaient dans les murailles. Maintenant pour que l'église Saint-Marc reste debout, il faut que de nouvelles poutres viennent remplacer les anciennes ; il faut qu'un pilier sans tares prenne la place du pilier vermoulu; il faut que tout ce qui est pourri, disparaisse ; il faut que de nouvelles fondations soient établies.
Il en est de même pour nos vieilles religions ; pendant des siècles les légendes et les miracles sur lesquels elles sont étagées ont résisté ; mais la critique est venue ; les sciences se sont développées ; on a regardé, on a examiné, on a scruté ces piliers, soutiens de cultes variés ; on a constaté qu'ils étaient pourris et prêts à s'effondrer ; il faut les remplacer aujourd'hui par de meilleures fondations, car tout va se détraquer et tomber.
C'est ma conviction qu'une religion est nécessaire, mais pour qu'elle soit acceptée, il faut qu'elle soit possible, c'est-à-dire qu'elle ne heurte en rien la raison et que reléguant parmi les légendes, soit les anciens soit les nouveaux testaments, elle soit d'accord avec toutes les découvertes passées, avec toutes les découvertes futures de la science.
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Troisième partie. — La Chemise miraculeuse de Marie Alacoque. — L'hystérie est une maladie qui n'est bien connue que depuis un certain nombre d'années, depuis vingt ans à peine; ce fut la gloire de Charcot et de ses élèves de l'étudier à fond et de la révéler, pour ainsi dire, avec ses symptômes nombreux et variés.
La caractéristique de ces symptômes, c'est qu'ils ne sont qu'apparents et simulent les symptômes vrais d'autres affections : ainsi, par exemple, une paralysie ordinaire se montre sous l'influence d'une lésion des centres nerveux, tandis qu'une paralysie de nature hystérique se produit sans lésion.
Un autre fait très important fut la découverte des rapports qui existent entre cette maladie et l'hypnotisme, rapports tels qu'on peut aujourd'hui établir cette loi : les symptômes d'hystérie peuvent apparaître ou disparaître sous l'influence de la suggestion.
Ces deux faits scientifiques vont expliquer des milliers de miracles et d'histoires merveilleuses qu'on mettait autrefois et que certains mettent encore aujourd'hui sur le compte de l'intervention de Dieu ou du Démon. Il suffit d'en lire les relations pour comprendre qu'on se trouve en présence de faits hystériques et de phénomènes de suggestion.
Les livres traitant de l'hypnotisme, je parle des livres sérieux, sont remplis d'observations de guérisons naturelles, qu'on aurait cru surnaturelles autrefois.
L'histoire de cette maladie se répète de siècle en siècle : c'est toujours le même : « Lève-toi et marche », prononcé depuis le commencement du monde, jusqu'à nos jours, par tous les thaumaturges connus ou inconnus, païens ou chrétiens, de l'ancien ou du nouveau testament, inspirés par le Ciel ou par l'Enfer. Ce sont toujours les mêmes paralysies, les mêmes contractures musculaires, les mêmes névralgies guéries avant-hier par la Salette, hier par Paray-le-Monial, aujourd'hui par Lourdes.
Maintenant, tous les médecins peuvent au moyen de la suggestion faire marcher ces malades ou leur enlever leur mal, sans qu'on soit obligé de crier au miracle, sans qu'on soit entraîné à dédier un temple ou une simple chapelle à ces guérisseurs purement humains.
C'est dans cet ordre d'idées qu'est écrit ce mémoire. Mais, avant de raconter l'histoire de la chemise de Marie Alacoque, je veux citer deux exemples de ces guérisons naturelles tirés de ma pratique, pour mieux expliquer ce qui arriva autrefois à Paray-le-Monial.
J'avais dans ma clientèle une jeune fille atteinte d'hystérie ; elle prenait chaque mois des crises convulsives qui remplissaient de terreur toute la maison ; on m'appelait en toute hâte : lorsque j'arrivais, le plus souvent la convulsion était finie et je trouvais la malade dans un état de catalepsie, étendue sur son lit, sans connaissance, ne pouvant faire aucun mouvement, insensible à la douleur, avec des membres inertes qui prenaient la position qu'on voulait leur donner. Je lui disais d'une voix forte : « Ouvrez les yeux », elle les ouvrait ; « Donnez-moi la main », avec un effort elle me la donnait; « Levez-vous », elle se levait ; « Marchez vite », elle se mettait à courir à travers l'appartement; « Couchez-vous et no soyez plus malade », elle était guérie. Si j'arrivais avant la fin de la période convulsive, je la faisais cesser de la même façon.
Les voisins qui remplissaient la chambre me regardaient avec une stupéfaction admirative: pour ces gens ignorants, je faisais un miracle; il m'aurait suffi de jouer une petite comédie pour être mis au rang des saints et des prophètes ; c'est ainsi que beaucoup le sont devenus autrefois, lorsqu'on ignorait que la suggestion est une méthode de traitement.
Pour terminer l'histoire de cette malade, je dirai que je lui fis des séances d'hypnotisme pendant quelques mois: je lui défendis d'avoir des convulsions, je lui suggérai, qu'elle n'en aurait plus et que même elle ne pourrait plus en être atteinte ; elle cessa d'en avoir et finit par guérir complètement; aujourd'hui elle est mariée et mère de plusieurs enfants.
Le second exemple est le suivant :
On m'amena un jour une jeune fille de 16 ans; comme la compagne de Marie Alacoque dont nous allons raconter l'histoire, elle avait depuis plusieurs mois une contracture de la main. Je lui fis subir une forte friction, avec des mouvements répétés d'extension et de flexion des doigts;
puis j'appliquai aux deux extrémités des muscles extenseurs de l'avant-bras, les pôles dune pile électrique ; pendant ce temps je ne cessais de dire à la malade que la guérison allait avoir lieu, que j'en étais certain, qu'elle devait en être persuadée, tant et si bien qu'elle eut confiance, qu'elle eut la foi: elle sentit alors que ses doigts pouvaient s'étendre; je pressais la suggestion; quelques minutes après, elle fut tellement persuadée, qu'elle allait être guérie que lorsque je lui dis : « c'est uni, vous êtes guérie, » elle le fut véritablement; inutile de dire que frictions, mouvements, application d'électricité, ont agi surtout par suggestion.
La personne qui accompagnait la malade fut fort étonnée; comme dans le cours de la conversation, j'avais parlé d'une façon irrévérencieuse de cas semblables guéris à Lourdes, comme d'autre part elle croyait naïvement aux miracles, je crains qu'elle n'ait supposé que j'avais certaines accointances avec le Diable, car elle me quitta plutôt froidement. Ignorant l'hystérie et ses symptômes variés et bizarres, ce qui nous parait naturel et simple, passait à ses yeux pour surnaturel et miraculeux.
Le docteur Crolas, professeur à la Faculté de médecine de Lyon prit comme sujet de thèse (1867) les Paralysies hystériques ; une des malades dont il relate l'observation, donna lieu précisément à un débat fort curieux : Une jeune fille hystérique était atteinte depuis fort longtemps d'une paralysie complète de la jambe droite. Le chirurgien en chef de l'hôpital, lui fit un bandage silicate autour du membre et la fit marcher par ce moyen ; puis il la renvoya pendant quinze jours dans sa famille en lui recommandant de se promener du matin au soir, et en lui persuadant qu'elle serait guérie dans quinze jours si elle suivait exactement ce traitement, Sous l'inspiration des Sceurs de l'hôpital, l'enfant et la mère firent une neuvainc à Notre-Dame de Fourvières, pour obtenir la la guérison. La Vierge de Fourvières est celle qui fait des miracles dans la région lyonnaise.
Lorsque l'enfant rentra à l'hôpital, on lui enleva son bandage et on constata la guérison. Les sœurs et la famille crièrent au miracle et exigèrent du chirurgien-major et de l'interne dé service, un certificat constatant l'intervention divine. Ils s'y refusèrent comme bien l'on pense ; alors il y eut un véritable tumulte à l'hôpital à ce sujet ; on traita le corps médical de suppôts de Satan et l'on proclama, malgré l'absence du cartificat, que Notre-Dame de Fourvières venait de faire un nouveau miracle; les journaux religieux relatèrent l'histoire en donnant tout le bénéfice de la guérison à l'intervention divine ; une belle jambe en cire fut pendue aux parois du temple de la Vierge et s'y trouve peut-être encore.
Ce sont des faits analogues qui se produisirent après la mort de Marie Alacoque; deux faux miracles firent la réputation de la bienheureuse et la classèrent comme tel.
¦ Ce sont ces deux miracles qui font l'objet principal de ce mémoire: ils eurent une grande importance et d'immenses conséquences puisqu'on
se basa sur eux, pour établir le culte du Sacré-Cœur, culte qui s'est étendu depuis sur le monde entier, culte qui vient de prendre possession de Paris en s'établissant dans l'immense basilique de Montmartre.
II suffira de lire la relation de ces faits miraculeux pour comprendre qu'on se trouve en présence de symptômes non douteux d'hystérie, guéris tous les deux par la suggestion (1).
Un archevêque, celui d'Arras, qui n'avait au sujet de cette maladie que les connaissances bornées ou nulles de l'époque, écrivit à ce sujet une lettre plus édifiante que savante, dans laquelle le miracle de la chemise est raconté de la manière suivante:
Une jeune religieuse du couvent de la Visitation avait la moitié du corps paralysée ; elle était agitée par des convulsions horribles; elle était réduite à une faiblesse si grande qu'on avait peine à la tirer de son lit, pour l'accommoder; l'on n'osait le faire que tous les huit jours. En moins d'une demi-heure, cette fille passa de cet étrange état à une santé parfaite ; elle se leva seule, s'habilla de même, marcha sans bâton et vint à l'église remercier Dieu.
Comment ce grand miracle avait-il eu lieu ? On avait persuadé à la malade, on dit persuadé, on devrait dire suggestionné, qu'elle guérirait si elle voulait mettre la chemise déposée sur le tombeau de Marie Ala-coque ; elle avait mis la chemise et avait été subitement guérie.
L'histoire ne dit pas si cette chemise avait appartenue à Marie Ala-coque ou si c'était une chemise quelconque qui avait acquis sa vertu par rapprochement avec le tombeau de la bienheureuse.
L'autre fait miraculeux, flous dit le même archevêque, arriva à sœur Claude: A la suite d'une violente colique qui dura deux jours, il lui vint une paralysie dans le côté droit ; elle était dans l'impossibilité de tirer aucun secours de son bras droit, ni même de le remuer, ni de s'appuyer sur sa jambe ; tout ce même côté était insensible; en sorte qu'ayant plusieurs fois été piquée ou pincée, pour y exciter quelques sentiments, elle n'en avait jamais rien ressenti. Elle ne pouvait non plus se tenir assise à cause des convulsions et tremblements qu'elle éprouvait dans la partie affligée. Huit jours après le début, les doigts de sa main se retirèrent, se comprimant les uns sur les autres et se repliant sur la paume, sans qu'on puisse de vive force les lui faire étendre dans leur situation naturelle. Les doigts du pied droit subirent les mêmes contractions, s'étant retirés du côté du talon. Voici comment advint sa guérison : pendant la nuit, elle eut un songe; elle rêva qu'elle mettait la chemise miraculeuse et qu'elle était guérie. Ce songe lui ayant donné la confiance qu'elle n'avait pas, au réveil, elle demanda avec empressement qu'on lui donnât la dite chemise ; l'ayant mise et
(1) Vie de Marie Alacoquo Imprimée en 1729 par Languet(in-4°) avec plusieurs lettres et opuscules. — C'est parmi ces lettres qu'on trouvera celle de l'archevêque d'Arras qui raconte l'histoire de la chemise miraculeuse
s'étant recouchée, elle sentit environ un quart d'heure après, comme un peu de froid dans les mains ; puis un peu après, une chaleur générale et douce, ce qui lui fit juger qu'elle allait mieux. Elle se lève et se met à genoux ; puis elle s'habille et se promène ; elle était guérie.
Dans ce cas, la guérison eut lieu par auto-suggestion.
Plus loin, comme si elle voulait mieux prouver encore son état hystérique et le rôle de la suggestion dans la guérison, elle continue son histoire ainsi: Pour remercier Marie Alacoque, elle avait demandé cinq messes à un curé de la ville. Celui-ci différa de les dire pendant quinze jours, durant lesquels la religieuse souffrit toujours la même faiblesse, mais comme l'ecclésiastique avait commencé à dire la première des cinq messes, elle se sentit soulagée; lorsque les cinq messes furent dites, elle était guérie et elle resta bien portante depuis ce moment.
N'est-ce pas là deux faits typiques de suggestion guérissant des symptômes d'hystérie? N''est-ce pas là ce que, nous, médecins avons à traiter chaque jour? Les symptômes si bien décrits par l'archevêque d'Arras ne semblent-ils pas tirés d'un livre de médecine traitant de l'hystérie? N'ai-je pas raison de dire qu'il n'y a rien de miraculeux, dans ces deux faits de guérison?
Le flambeau brillant tenu par Charcot et d'autres médecins, a éclairé ce coin obscur de la science et a montré d'une part, que les paralysies hystériques étaient de fausses paralysies, et d'autre part que, sans qu'une intervention surnaturelle ait rien à y voir, ces fausses paralysies peuvent être guéries par une suggestion quelconque. C'est parce qu'il savait la puissance de la suggestion que le docteur Charcot disait à un malade atteint de paralysie de nature hystérique, qui avait grande confiance dans la vertu curative des eaux de Lourdes; « si vous avez la foi, allez-y, vous en reviendrez guéri » . Il l'aurait envoyé même à Jérusalem, si au lieu d'être catholique, il eût été juif et eût cru que le mur des lamentations avait une vertu curative; il l'aurait envoyé à la Mecque, si mahométan, il eût cru à la puissance miraculeuse de la pierre noire; bouddhiste, i) l'eût envoyé jusque dans l'Inde, embrasser le pied d'un bouddha quelconque. En fait d'hystérie, tous les dieux font des miracles.
Mais terminons l'histoire de sœur Claude : Pour attester la vérité du miracle, outre le témoignage de deux religieuses, Monseigneur d'Arras cite la déposition de deux médecins et de deux chirurgiens qui avaient traité la malade et qui certainement étaient de bonne foi, en affirmant le fait; mais ils avaient de la répugnance à le croire et leur déclaration se ressent de cette disposition d'esprit; ils certifient les faits, sans conclure au miracle. A ce moment l'histoire complète de l'hystérie n'était pas faite; sauf la crise convulsive, les médecins eux-mêmes ignoraient les multiples formes que peut prendre ectto affection en troublant soit les nerfs moteurs et sensitifs du système nerveux, soit les nerfs insensibles du grand sympathique: ils ignoraient de même le pouvoir curatif de la suggestion.
Il n'en est plus de même aujourd'hui; nous ne sommes plus au XVIe siècle et les médecins du XXe ne regardent plus comme miraculeux les guérisons des malades hystériques.
C'est ainsi que deux hystériques furent la cause d'un nouveau culte. On peut donc graver en lettres d'or au-dessus de la porte de la nouvelle basilique de Montmartre ces trois mots qui résumeront l'origine du culte du Sacré-Cœur: « Hysteria me fecit ».
(A suivre)
COURS ET CONFÉRENCES
Amaurose hystérique et traumatisme (1)
par M. le professeur F. Raymond.
Voici une femme de 31 ans, ouvrière dans une fabrique d'apprêts. Son cas est l'objet d'un important litige en rapport avec la nouvelle loi sur les accidents du travail. Elle n'a jamais été malade.
Il y a deux ans, elle reçoit dans la figure un gros flot de liquide qui s'est échappé de la cuve près de laquelle elle travaillait. Elle tombe aussitôt sans connaissance. Revenue à elle, elle éprouve de vives douleurs dans les yeux, peut à peine les ouvrir et reste totalement aveugle pendant trois semaines. On fait des pansements locaux; au bout de ce temps, elle souffre beaucoup moins et la vision commence à revenir un peu. ,
Le jour de l'accident, celte malade avait ses règles; celles-ci ont été brusquement supprimées et depuis elles ne sont revenues que très irrégulièrement. Sa santé générale n'a pas été atteinte; mais elle a gardé l'état psychique particulier des traumatisés; elle est triste, concentrée, vit à l'écart, dort très mal et rêve perpétuellement de son état.
Aujourd'hui encore, tout lui paraît trouble, et elle voit beaucoup moins à droite qu'à gauche. Elle est très inquiète de ses yeux et, de plus, très tourmentée au sujet du procès toujours pendant. Elle a dans la tête des élancements et des douleurs, plus particulièrement dans les régions pariétale et frontale, avec un peu de vertige et d'étourdisse-ment.
Ne s'est-il point fait là un accident cérébral, quelque néoplasme pouvant amener ces modifications oculaires?
Il n'y a rien à la conjonctive ni à la cornée; la pupille est normale; les réflexes à la lumière et à l'accommodation sont conservés ; le fond de l'œil ne présente rien de pathologique ; quant à la musculature oculaire, elle est restée, elle aussi, normale. En outre, il n'y a aucune parésie des membres, ni de la face. Sans doute, quelquefois des néoplasmes des régions dites « muettes » ne s'accompagnent d'aucune parésie et donnent des cécités qui ressemblent à celle-ci, mais ici l'examen du fond de l'œil est négatif et, d'autre part, nous avons du rétrécissement du
(l) Leçons de la clinique des maladies nerveuses à la Salpétrière.
champ visuel et de l'achromatopsie. ce qui n'est pas en rapport avec une lésion intracrânienne.
Le champ visuel est tout petit ; la malade voit beaucoup moins dans la moitié externe droite que dans ta moitié externe gauche: c'est une hémianopsie homonyme droite. L'hémianopsie a longtemps, en neuropathologie, signifié lésion du cerveau ; or, il y a des cas indéniables d'hémianopsie hystérique.
Notons qu'il existe encore, dans tout le côté droit de la face, une anesthésie complète qui s'arrête suivant un trait vertical, dès qu'on arrive à la ligne médiane. Il y a de même une anesthésie totale de la narine droite et de la moitié droite de la langue.
L'évanouissement après l'accident, la suppression, instantanée des règles, la cessation de la cécité au bout de 21 jours, le caractère négatif de l'examen du fond de l'œil, l'amaurose, l'achromatopsie, la perte de la vision presque complète à droite, moins étendue à gauche, lanes-thésie faciale et l'état mental, tout cela nous montre qu'il s'agit non pas de lésion organique, mais d'un accident purement hystérique, à savoir d'amaurose hystérique.
On me demande, au sujet de cette femme, un rapport médico-légal. J'exposerai l'évolution, l'état actuel et mon diagnostic sera : perte de la vision d'origine hystérique. Quant au pronostic, il faut être très réservé. Cette affection dure déjà depuis deux ans ; elle peut durer encore des années, comme aussi guérir le lendemain du jour où la malade aura obtenu des dommages-intérêts. Nous essayons de la guérir; jusqu'à présent, il a été absolument impossible de l'hypnotiser. C'est qu'on se heurte à des résistances involontaires ; elle est très tourmentée et elle le restera tant que le procès durera.
BIBLIOGRAPHIE
Influence de l'estomac et du régime alimentaire sur l'état mental et les fonctions psychiques, par M. le Dr Lucien PRon. Paris, Jules Rousset, éditeur, 1901.
« Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es » (Cabanis). En effet, le caractère et l'état psychique des divers peuples et des individus varient avec leur genre d'alimentation. Inversement, le manque d'aliment (faim) produit chez l'homme sain certains troubles légers; chez certains dyspeptiques, dont la faim est exagérée, l'absence d'aliments rend le sujet incapable du moindre travail intellectuel et engendre de profondes modifications du caractère. Le jeûne, fait d'ordre à la fois local et général, détermine l'apparition d'hallucinations et de cauchemars, se rapportant à l'acte de manger. L'inanition fait d'ordre général, est capable de produire le délire et la folie. La dyspepsie engendre des
troubles psychiques sérieux, d'abord intermittents, puis continus : dans la sphère affective, la tristesse, la mélancolie hypocondriaque, l'irascibilité, l'émotivité, l'angoisse, la peur de mourir, différentes phobies, l'excitation ou la froideur génitale, le suicide; dans la sphère intellectuelle et conative, les cauchemars, les terreurs nocturnes, l'inattention, l'obnubilation intellectuelle, l'amnésie, l'aboulie, l'aphasie, le vertige, les hallucinations, les idées fixes, le délire aigu, la folie.
D'après M. Pron, la théorie de l'auto-intoxication, communément invoquée, est impuissante à expliquer la genèse de tous les troubles psychiques que l'estomac provoque. D'après lui, les symptômes dyspeptiques sont régis par le plexus solaire, « cerveau abdominal », comme l'appelait Bichat, carrefour auquel aboutissent les impressions des viscères de l'abdomen. Le traitement (qui comporte un régime alimentaire, un genre de vie et certains médicaments) a pour but de « permettre au plexus solaire de retrouver sa vitalité et son équilibre ».
il n'est pas bien sûr que la théorie réflexe explique tous les cas dont s'occupe M. Pron et qu'elle doive définitivement détrôner celle de l'auto-intoxication. A vrai dire, des phénomènes aussi divers ne sauraient s'expliquer par une cause unique; ils sont « polyétiques » et supposent qu'un complexus de nombreux facteurs concourt à leur production.
Au point de vue purement clinique, il est incontestable que, souvent, les troubles psychiques ont un point de départ purement stomacal; et, souvent aussi, à mesure que les phénomènes gastriques s'amendent, ils diminuent d'intensité et de fréquence, puis finissent par disparaître. Toutefois admettre qu'il en est toujours ainsi serait être trop exclusif; car il existe des cas où les troubles psychiques et le troubles stomacaux alternent et se remplacent par une sorte de loi de balancement. Nous modifierons donc l'adage antique et nous dirons : Gaster est sentina non omnium sed multorum malorum.
Au demeurant, le livre de M. Pron contient un historique très complet, de nombreuses observations, pour la plupart inédites, et une bibliographie très nourrie. A ce triple point de vue, son ouvrage est fort recom-mandable. Il rend en outre service aux praticiens et aux malades en claironnant cette vérité, trop souvent oubliée des neuropathologistes, que pour guérir des troubles nerveux, parfois intenses, il suffît bien souvent de rétablir l'intégrité du tube digestif.
_ P. P.
La métamérie du système nerveux et les maladies de la moelle,
par M. le Dr Georges Constensoux. Paris, J.-B. Baillière.
La zoologie, comme l'embryologie, montre que plusieurs classes d'animaux comme certains stades du développement, sont caractérisés par la division de tout le corps en segments transversaux de même valeur, constitués des mêmes organes semblablement disposés, en sorte
que la somme de ces anneaux résume l'être tout entier. Cette disposition, connue sous le nom de métamérie, représente un trait essentiel,
autant que constant..... Elle est nettement accusée au début de la vie
embryonnaire. La segmentation intéresse alors tous les systèmes organiques et en particulier le système nerveux dans ses deux appareils essentiels : l'axe encéphalo-médullaire et l'appareil ganglionnaire. Le cerveau montre, par la succession des vésicules qui le composent, qu'il a été lui aussi touché par le processus segmentaire. Quant à la moelle, elle présente chez certains animaux une apparence moniliforme très significative. Chez l'homme, elle peut être considérée, dit Debierre, comme formée d'une série de segments superposés ou métamériques, analogue aux chaînons de la chaîne ganglionnaire centrale bilatérale des annelés et des arthropodes. Chacun d'eux est un centre complet, se suffisant à lui-même.-. »
Les lecteurs de cette Revue sont familiers avec cette théorie qui, sous le nom de Polyzoisme, fut exposée, il y a un demi-siècle, à l'état non pas d'ébauche ou de rudiment, mais de synthèse puissante, par notre maître Durand de Gros. Or, M. Constensoux ne le cite même pas. Les auteurs récents qui émettent la prétention louable, — et justifiée d'ailleurs — de préciser ou de faire progresser le polyzoisme oublient ou négligent de rendre justice à leur grand devancier. Et ce n'est pas seulement à M. Constensoux qu'il convient d'en faire le reproche.
Ce point de détail mis à part, il reste que la thèse de M. Constensoux est un travail scientifique de premier ordre.
L'observation, base de toute recherche, n'est que la première étape de toute investigation ; bientôt l'intelligence cherche à comprendre les phénomènes, c'est-à-dire à saisir les rapports qui les unissent. Une théorie n'a de la valeur que si elle est tirée de rapprochements opérés entre des faits et si elle fait appel aux notions établies par d'autres sciences, telles que, pour le cas présent, l'anatomie comparée, l'embryologie, la tératologie.
Il est en clinique tels symptômes dont la distribution est demeurée jusqu'ici inexpliquée, en particulier certains troubles sensitifs et tro-phiques. Par leur nature, ils paraissent dépendre du système nerveux et cependant ils ne se rapportent pas à la distribution des nerfs périphériques. Ni les territoires vasculaires, ni les causes physiques ne les expliquent, et, néanmoins, certains caractères fixes font écarter l'idée d'une distribution de hasard. M. Constensoux se propose d'étudier la métamérie, particulièrement en ce qui concerne le système nerveux, et de rechercher jusqu'à quel point on est autorisé à en faire des applications à la clinique.
Dans un chapitre d'anatomie comparée, il montre ce qu'est la segmentation mélamérique en elle-même et par quels signes elle s'accuse. Nous ne pouvons le suivre dans ses développements sur les zoonites, les somites, les métamères et leurs éléments constituants : neurotomes, ganglions, myotomes, myomères, rhizomères, myélomères.
Les principales affections dont les symptômes éveillent le souvenir de la disposition segmentaire sont : le zona, la syringomyélie, les naevi et la sclérodermie. A propos de ces quatre affections, M. Constensoux fait une critique approfondie des opinions de Brissaud et de Henry Head; ¡1 arrive à la conclusion suivante : « La métamérie est un caractère important du développement ontogénique et phylogénique ; elle s'accuse à la fois dans l'évolution de la série animale, et à une certaine période de la vie embryonnaire des vertébrés; elle intéresse notamment leur système nerveux : on peut donc penser qu'elle ne disparait pas complètement dans la suite et que la pathologie vient parfois en révéler l'influence. Mais si cette opinion est défendable, on ne peut pas encore l'appuyer de preuves certaines; à plus forte raison est-il difficile de préciser quelles manifestations cliniques méritent qu'on leur attribue une valeur métamérique. »
Les thèses de doctorat en médecine sont le plus souvent dénuées de toute valeur. M. Constensoux a le très grand mérite d'en avoir écrit une excellente, que ne pourront pas se dispenser de lire et de discuter tous ceux qui aborderont, de près ou de loin, le problème de la métamérie. Souhaitons qu'il ait beaucoup d'imitateurs, à la fois pour l'avancement de la science et pour le bon renom de nos Facultés.
Psychiatrikê bai Neurologikè Epitheôrésis.
Athènes, Syntaxis kai Dleuthunsis.
Nous avons le plaisir d'annoncer l'apparition de ce périodique publié en grec par notre confrère le Dr Vlavianos. Cette revue sera spécialement consacrée à la neurologie, la psychiatrie, la psychologie physiologique, la psychothérapie,, l'hypnotisme, etc. La première livraison, datée de septembre 1902, comprend des articles de MM. Vlavianos, Spèlios, Anton, Raymond, Damberge, etc., sur le torticolis mental, la migraine ophtalmique, l'alcoolisme, l'anthropologie criminelle, etc. La livraison d'octobre comporte comme article de téte une étude sur le rôle de l'hypnotisme comme moyen de pédagogie et d'orthopédie mentale par M. Bérillon.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 16 décembre 1902, à k heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin delà Salpêtrière.
Communications inscrites : Dr Raffegeau (du Vésinet), Jules Voisin, Fiessinger, Lionel Dauriac, Bérillon, Paul Magnin, Paul Farez, Félix Regnault, Le Menant des Chesnais, etc.. etc.
Le traitement de la goutte
Comment guérir la goutte ? Voici la recette que le célèbre Georges-Frédéric Lichtembert, professeur-à Gœttingue, recommandait à un de ses amis, il y a un siècle et demi. ;
« Procure-toi le mouchoir d'une vierge de cinquante ans qui n'ait jamais pensé au mariage ; lave-le dans le bief du moulin d'une meunerie qui n'ait jamais plâtré sa farine; laisse-le sécher sur une haie qui entoure le jardin d'un juif sans enfants; marque-le avec de l'encre prise sur le bureau d'un avocat incapable de plaider une mauvaise cause; et confie-le à ton médecin ; que celui-ci t'en frotte le point goutteux qui te fait souffrir, et te voilà guéri... »
A la portée de tous, comme on voit !
ECOLE DE PSYCHOLOGIE
49, Rue Saint - André - des - Arts, 49
COURS DE 1903
La Réouverture des cours de l'Ecole de Psychologie aura lieu le lundi 12 janvier à cinq heures. Une affiche fera connaître l'horaire des cours.
Hypnotisme thérapeutique .... M. le Dr Bérillon, professeur.
Hypnotisme expérimental.....M. le Dr Paul Magnin, professeur.
Hypnotisme sociologique.....M. le Dr Félix Regnault, prof.
Psychologienormaleetpathologique M. le Dr Paul Farez, professeur.
Psychologie de l'enfant......M. le Dr Bellbmanière, professeur.
Psychologie du criminel...... M. le Dr Wateau, professeur.
Psychologie des foules et Folklore M. le Dr Henry Lemesle, profes. Anatomie et psychologie comparées M. Caustier, agrégé de l'Université, professeur.
Psychologie des animaux.....M. Lépinay, professeur.
Psychologie religieuse.......M. le Dr Biset-Sangle, professeur.
Psychologie de la vision...... M. le Dr Perrin, chargé de cours.
CONFÉRENCES DE 1903
La reprise des conférences hebdomadaires aura lieu le vendredi 16 janvier 1903. à 8 heures 1/2 du soir, et continuera les vendredis suivants à la même heure. Le programme des conférences paraîtra dans le numéro de janvier.
Leçons cliniques d'hypnotisme et de psychothérapie.— M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés, a commencé une série de leçons cliniques, le jeudi 27 novembre 1902, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André des-Arts.
17e Année. — N°7.
Janvier 1903.
BULLETIN
Les cours de l'Ecole de psychologie
La réouverture des cours de l'Ecole de psychologie aura lieu le lundi 12 janvier, à cinq heures du soir, sous la présidence de M. le professeur Giard, membre de l'Académie des Sciences, professeur à la Sorbonne.
La leçon d'inauguration sera faite par notre collègue M. Caus-tier, professeur agrégé de l'Université, sur un sujet tout d'actualité : La méthode en psychologie zoologique.
C'est dire que l'Ecole de psychologie reste fidèle à son programme scientifique. En demandant à M. le professeur Giard, de vouloir bien accepter la présidence de la huitième séance d'ouverture de notre Ecole, nous avons voulu à la fois, exprimer notre sympathique admiration à un savant dont les travaux font rejaillir tant d'honneur sur la science française, et recevoir d'un maître respecté d'utiles conseils sur la méthode qui doit présider aux recherches psychologiques.
Nous pensons, en effet, qu'il est temps d'étendre à la psychologie les méthodes rigoureuses qui ont tant contribué aux progrès des autres branches de la biologie. Nous pensons également que c'est desservir la science que de prêter l'oreille aux inspirations de quelques esprits assurément bien intentionnés, mais que leurs tendances non dissimulées vers le
mysticisme entraînent dans une voie semée d'embûches et d'erreurs.
Nous n'avons pas oublié les encouragements qui nous ont été prodigués, l'année dernière par M. Albert Robin, membre de l'Académie de médecine, et, il y a deux ans, par M. Tarde, professeur au Collège de France.
Nous avons eu à cœur de nous montrer dignes du crédit que nos éminènts maîtres avaient bien voulu nous accorder.
Actuellement, les progrès espérés ont été réalisés. Les professeurs de l'Ecole : MM.Bérillon, Paul Magnin, Félix Hegnault, Paul Farez, Watteau, Caustier, Henry Lemesle et Lépinay, consacreront cette année encore plus d'efforts à leur enseignement : leurs cours seront complétés, comme les années précédentes, par les conférences hebdomadaires du vendredi soir. Les sujets les plus variés, se rapportant à des questions de psychologie, y seront traités par MM. les Dr Jules Voisin, Fiessinger, Bérillon, de Bourgade de la Dardye, Paul Joire et par MM. Laisant, Lucien Le Foyer, Caustier, Villetard de Laguérie. Le programme des cours et des conférences est publié à la fin de ce numéro. L'enseignement de l'Ecole de psychologie s'adresse avant tout au public scientifique, aux médecins et aux étudiants de toutes les facultés. Il s'adresse également à tous ceux qui s'intéressent aux études sur la psychologie. Les lecteurs de la Revue de l'Hypnotisme sont personnellement invités aux cours et aux conférences.
Ce qui caractérise l'Ecole de psychologie, c'est qu'elle est une œuvre absolument désintéressée. Les professeurs et les conférenciers n'ont pas d'autre ambition que de contribuer à la vulgarisation scientifique. Ils prennent à leur charge tous les frais de l'enseignement et l'admission aux cours et aux conférences est gratuite.
Nos auditeurs trouveront cette année une salle de cours aggrandie ; ils constateront également qu'une part plus large sera faite à l'enseignement documentaire et aux démonstrations à l'aide d'appareils ou de projections. C'est avec plaisir que nous leur donnons rendez-vous pour le 12 janvier.
Le sommeil chez les êtres monoplastidaires et les végétaux
Par lo Dr Charles Bixet-Sanglé, (suite) (1)
II
LE SOMMEIL CHEZ LES VÉGÉTAUX
I. — LE SOMMEIL DES CELLULES VÉGÉTALES
Les êtres polyplastidaires descendent d'un ancêtre mono-plastidaire commun qui a son représentant actuel dans l'ovule. Dès lors on est en droit d'inférer que les cellules des êtres polyplastidaires ont des propriétés analogues à celles des plastides isolées. C'est ce qui a lieu quant au sommeil.
1. — Mouvements non classés
Si l'on vient à ébranler, à comprimer ou à couper une cellule d'une plante appartenant aux genres Chara, Nitella ou Tradescantia, les mouvements circulatoires se ralentissent ou s'arrêtent dans cette celjule. Le fait seul de déposer le couvre-objet sur la préparation suffit à provoquer ce phénomène de choc. De plus le bioprotéon subit une sorte de rétraction et ses filaments deviennent variqueux. Si le traumatisme est d'intensité suffisante, l'arrêt des mouvements circulatoires a lieu dans toutes les cellules de la plante. Toutefois le phénomène est plus marqué au voisinage de la cellule atteinte. Il se produit plus aisément dans les plantes jeunes.
Les cellules des pedicelles des tentacules de la feuille de Drosera rotundifolia sont remplies d'un bioprotéon pourpre homogène. Or la pression d'une parcelle de matière quelconque sur les glandes situées à l'extrémité des tentacules, l'attouchement de ces glandes répété trois ou quatre fois, ainsi que la section des tentacules déterminent la rétraction de ce bioprotéon. II se résout en granules qui apparaissent suspendus
(1) Voir la Revue de l'Hypnotisme, n°de Décembre 1902.
dans un liquide incolore ou presque incolore. Ces granules s'agrègent eux-mêmes en petites masses sphériques, ovales ou irrégulières, parfois réunies par des filaments perlés. Au bout d:un certain temps, elles disparaissent et la cellule se montre de nouveau pleine d'un liquide pourpre homogène. Mais si le traumatisme est violent, si par exemple on vient à écraser la glande du sommet du tentacule, le bioprotéon est frappé d'un sommeil au second degré, d'une sorte de coma, et la rétraction n'a pas lieu.
Chez Dionœa muscipula, les attouchements des filaments foliaires ou de la côte interlobaire déterminent de même la rétraction du bioprotéon des cellules des glandes de la feuille
II. — Mouvements physiques
I. — Ondulations thermiques.—Il existe pour les cellules végétales, comme pour les êtres monoplastidaires, une température optima de veille. Dans les cellules de Nitella flexilis les mouvements circulatoires cessent à 0°5 et un peu au-dessous de 37°; dans les cellules des poils des genres Tradescantia et Cucurbita à 10 ou 11°, et à 49°. Chez Chlamydococcus pluvialis, les mouvements ciliaircs cessent à 5° et à 43°.
Si on laisse Tradescantia virginica (éphémère de Virginie) pendant plusieurs heures à la température de —14°, les mouvements bioprotéiques s'arrêtent dans les cellules des poils staminaux de cette plante. De plus leur bioprotéon subit une rétraction. Il se sépare de la membrane cellulaire et son réseau se transforme en petites masses sphériques. Le même phénomène se produit, après une exposition de dix minutes à la température de — 8°. A 0°, le réseau se reforme en certains points. Il est alors constitué par des filaments ténus présentant par places des renflements pareils à des gouttelettes. Des gouttelettes analogues sont répandues dans le suc cellulaire et tournent sur elles-mêmes. Mais, au bout de quelques minutes, elles s'unissent entre elles, se soudent aux filaments, et le réseau bioprotéique normal réapparaît (Kühne).
Le bioprotéon du parenchyme des feuilles persistantes se rétracte de même et se résout en sphérules sous l'influence des premiers froids. C'est là un véritable sommeil hibernal.
Dans un poil d'Ecbalium Elaterium (cornichon sauvage),
(1) Charles Darwin. — Les plantes insectivores, 1877.
brusquement refroidi de 40° à 16°, les mouvements circulatoires s'arrêtent au bout d'une minute. Ils s'arrêtent au bout de six à huit minutes dans le même poil brusquement réchauffé de 16° à 40°. Le sommeil par la chaleur se produit aussi dans les cellules des poils des Mormodica.
Si l'on expose pendant vingt-cinq minutes dans l'air humide à 50° ou 51° des poils de Lycopersicum esculentum (tomate) ou des plantes du genre Cucurbita, le bioprotéon se rétracte et se résout en petites masses sphériques.
La température optima de rétraction du bioprotéon des cellules des tentacules foliaires de Drosera rotundifolia est située entre 45° à 51°. A 65°, la rétraction ne se produit plus.
On sait que les radicules des plantes ont la propriété de changer de direction au cours de leur développement, sous l'influence des traumatismes, de la gravitation, de la chaleur et de la lumière. Les courbures ainsi produites sont elles-mêmes le résultat d'un changement de direction des mouvements bioprotéiques de croissance. Or, si l'on soumet des radicules à une température suffisamment basse ou suffisamment élevée, les courbures ne se produisent plus. La germination est suspendue par une température trop basse ou trop élevée (1).
La température optima de germination et de fructification est de 35° pour Aspergillus niger.
Les graines de Cressonalenois germent difïicilement au-dessous de 19° et au-dessus de 29°. Leur germination est nettement ralentie à 32° et s'arrête à 34°5. Si on les soumet pendant une huitaine de jours à la température de 38° ou de 39°, et qu'on les ramène ensuite à la température optima, la germination reprend mais d'autant plus lentement que l'exposition à la haute température a été plus longue (Claude Bernard) (2).
Chez Pénicillium glaucum, la germination est plus lente entre 110° et 121°qu'à la température ordinaire (Pasteur).
On sait enfin que le développement de tous les végétaux est ralenti ou suspendu pendant l'hiver.
2° Ondulations lumineuses. — Chez Coprinus niveus, C. nycthe-merus et C. sphœrobolus, le mycélium reste stérile à l'obscurité. Il en est de même chez Pilobolus microsporus, dont
(1J Lendner. — Des influences combinées de la lumière et du substratum sur le développement des champignons. In Ann. sc nat. Bot. VIIIe S. t. 3.
(2) Elfving. — Studien über d. Einwirkung d. "Lichtes auf die Pilze Helsingfors. 1890.
les cellules s'endorment.aussi sous l'influence de la lumière jaune.
Le développement de Phycomyces nitens se fait moins bien à la lumière qu'à l'obscurité, et la quantité d'acide carbonique produite par ce mucoriné diminue. L'action hypnogène de la lumière provient de ses rayons les plus réfrangibles. Le même phénomène a été constaté chez les Pénicillium et les Briaroea.
Pringsheim a montré qu'une lumière intense déterminait dans les cellules végétales : 1° la rigidité du bioprotéon; 2° la formation de nodosités bioprotéiques dues certainement à la rétraction. C'est ainsi que si l'on fait agir pendant un certain temps une lumière intense sur les cellules cylindriques des plantes du genre Mesocarpus, le ruban chlorophyllien de ces cellules se ramasse en un corps vermiforme d'un vert foncé (Stahl.)
3° Ondulations électriques. — Il existe pour les cellules végétales, un optimum électrique de veille. Grandeau a vu que Nicotiana tabacum (tabac), l'espèce du genre Zea connue sous le nom de mais géant, et celle du genre Triticum connue sous le nom de blé Chiddam, soustraits à l'action de l'électricité atmosphérique, élaboraient 50 à 60 % de matières vivantes en moins qu'à l'état normal.
Mais aussi un certain nombre d'expérimentateurs ont provoqué le sommeil des cellules végétales par des excitations électriques.
Becquerel (1) a montré que les mouvements bioprotéiques des cellules des Chara s'arrêtaient sous l'influence d'un courant constant d'une certaine intensité. De son côté Jurgensen a vu, dans les cellules de Vallisneria spiralis (vallisnère), les mouvements se ralentir puis cesser sous l'influence d'un courant constant produit par deux ou quatre éléments Grove. Sous l'influence d'un courant plus intense, le bioprotéon se rétractait et se rassemblait contre la paroi cellulaire dans la région la plus rapprochée du pôle positif.
De son côté Heidenhain vit des courants électriques d'intensité suffisante amener, dans les cellules des poils staminaux de Tradescantia virginica, la rétraction des brides bioprotéiques qui devenaient variqueuses. Si le courant traversait le poil suivant son petit diamètre, une partie seulement du bioprotéon se
(1) Becquerel. — Comptes rendus, 1837, p. 784.
(2) Jurgensen. — Studien der physiolog. — Instituts zu Breslau, 1861. — Heft I, 93 et suiv.
rétractait. Brücke, Max Schultze, Kühne ont observé des faits analogues.
D'autre part, si l'on place ces poils staminaux entre des électrodes impolarisables et qu'on les soumette a de faibles chocs d'induction, les mouvements circulatoires du bioprotéon s'arrêtent subitement dans la partie du réseau traversée par le courant galvanique. Les filaments bioprotéiques se rétractent, et il se forme dans leur intérieur des petits amas irréguliers qui se détachent des points les plus minces du réseau et passent dans les filaments voisins. Il s'agit toujours bien entendu d'un arrêt et d'une rétraction momentanés (1).
Les excitations galvaniques suspendent aussi les mouvements bioprotéiques des poils staminaux des Chara.
4° Pression atmosphérique. — P. Regnard a constaté que des pressions de 600 à 1000 atmosphères suspendaient les mouvements cellulaires qui déterminent la germination des graines.
III. — Mouvements chimiques
La dessiccation produit le même effet, et cet arrêt peut durer des siècles. C'est ainsi qu'on a pu faire germer des grains de blé recueillis dans les sarcophages du premier empire mem-phite, et des graines de haricot, de tabac et de pavot datant de plus de cent ans. Ces graines vivaces sont des graines endormies. Leur vie latente, leur état de « vitalité dormante », comme disent les Anglais, n'est pas autre chose qu'un sommeil léthargique.
L'excès d'eau aurait la même influence, car on a pu faire germer des graines immergées dans l'eau depuis fort longtemps.
D'une façon générale les mouvements circulatoires des cellules végétales sont suspendus, lorsqu'on les dépose dans l'huile d'olive, ce qui empêche la pénétration de l'air, ou lorsqu'on remplace l'air atmosphérique par l'hydrogène ou l'anhydride carbonique. Dans ce dernier gaz, les mouvements cessent au bout de quarante-cinq minutes à une heure. Dans l'hydrogène, reffet est un peu plus long à se produire. Le phénomène a été observé par Kühne chez les cellules de Tradescantia vir-ginica.
Jean Demoor a vu de son côté, les mouvements bioprotéiques des cellules des poils staminaux de cette plante cesser dans le
(1) Oscar Hertwig. — La Cellule.
vide, dans l'hydrogène, dans l'acide carbonique, dans l'ammoniaque et dans le chloroforme.
Claude Bernard a constaté que la germination des graines de Cresson alénois était suspendue dans l'azote, dans l'acide carbonique, dans l'air trop ou trop peu oxygéné, dans l'air comprimé et dans un mélange d'un volume d'air et de deux volumes d'hydrogène. Il a pu retarder la germination de ces mêmes graines {pendant six jours) ainsi que de celles du Chou, de la Rave, du Lin et de l'Orge, en les soumettant à des vapeurs de chloroforme ou d'éther. Ces graines endormies continuent à respirer, à assimiler et à désassimiler. Elles absorbent de l'oxygène, exhalent de l'acide carbonique, et leur amidon se transforme en sucre sous l'influence de la diastase. Mais le même auteur a vu que la fonction chlorophyllienne des Potamogeton et des Spirogyra était suspendue par l'action du chloroforme.
Si l'on plonge des cellules de Vallisneria, d'Hydrocharis, etc., dans une solution sucrée ou saline (azotate de potassium ou de calcium) dont on augmente progressivement la concentration, le bioprotéon se rétracte peu à peu dans les cellules de ces plantes, et se présente sous l'aspect de petites masses sphé-riques où l'on constate encore des mouvements circulatoires. Mais si, dès le début, la solution est très concentrée, les mouvements circulatoires s'arrêtent dans les sphérules.
L'immersion prolongée dans l'eau distillée et l'action prolongée des corps suivants : chlorure de sodium, carbonate, acétate, oxalate, citrate, azotate et phosphate d'ammoniaque, acide iodique, sulfate de quinine, glycérine, camphre, sucre, cassonade, amidon et gomme en solution concentrée, nicotine, venin du cobra, viande en infusion, provoquent la rétraction du bioprotéon des cellules radiculaires de Drosera rotundifolia.
Les faibles solutions de carbonate d'ammoniaque ont la même action sur les cellules radiculaires de Dionœa muscipula, d'Eu-phorbia peplus, de Lemna.
Les corps organiques azotés humides, tels que l'albumine, la gélatine, les fragments d'insectes, la viande, déterminent aussi la rétraction du bioprotéon des glandes foliaires de Dionœa muscipula.
Le bioprotéon des cellules des glandes, des processus qua-drifides et des pointes foliaires d'Aldovrandia vesiculosa se rétracte en masses sphériques sous l'influence d'une infusion de viande crue. L'urée a la même action sur les processus quadrifides et les pointes.
Cette substance agit de même sur les cellules des processus bifides et quadrifides et des glandes de la vessie d'Utricularia neglecta et d'U. montana.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 21 octobre 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
(suite)
L'explication scientifique des phénomènes de l'hypnotisme,
par M. le Dr Wijnaends Francken, de La Haye
Parler d'une explication éventuelle des phénomènes de l'hypnotisme, signifie : ramener ces phénomènes à d'autres de même nature, qui nous sont connus par l'observation psychologique de la vie ordinaire. L'on ne saurait demander davantage, car les faits psychologiques ont échappé jusqu'ici à toutes les explications physico-chimiques et ce que nous savons du fonctionnement physiologique du système nerveux central est d'une très grande pauvreté.
Quelque obscurs que soient encore certains problèmes relatifs à l'hypnotisme, ceci pourtant est certain, à savoir, que nous ne nous trouvons pas ici en présence d'agents surnaturels ou même de forces nouvelles, extraordinaires, spéciales. En effet tous les phénomènes que présente l'hypnotisme ont leurs analogues dans la vie psychique normale ou dans les fonctions physiologiques normales. Aucun des faits manifestés par l'hypnotisme ne se trouve dans un conflit irréconciliable avec les conceptions psychologiques et physiologiques que de longues recherches scientifiques nous ont acquises. Même si l'on veut considérer l'hypnose comme un phénomène décidément maladif, notre remarque restera exacte, car on peut appliquer à tous les états pathologiques l'aphorisme « Krank-heit schafft nichts Neues » (la maladie ne crée rien de nouveau).
Partant de là, Bernheim a pu dire : « Rien ne se passe dans l'état hypnotique qui ne se passe à l'état de veille »; et, de leur côté, Moll et Leh-mann ont pu insister sur cette affirmation que la plupart des symptômes de l'hypnose se présentent dans la vie ordinaire et y sont même fréquents. Que cela ne surprenne pas trop. N'est-ce pas un fait que les phénomènes les plus usuels, que nous constatons journellement et avec lesquels nous nous trouvons incessamment en contact, comme le sommeil et les rêves, sont souvent les plus incompréhensibles? Ils nous semblent compréhensibles et ne nous surprennent nullement, mais c'est simplement parce que nous les avons observés dès le début de notre vie et que rien comme l'accoutumance ne supprime l'étonnement; en revanche, nous pouvons
nous sentir confondus de surprise en présence de choses parfaitement simples, mais auxquelles nous n'étions pas accoutumés.
Donc ramener les symptômes hypnotiques des phénomènes psychiques moins frappants, ne servira en rien à faciliter la connaissance de leur nature fondamentale ; le problème restera aussi compliqué qu'auparavant. En effet les fonctions de l'esprit sont d'une explication plus difficile, encore quand elles se présentent sous forme normale et saine, que lorsque c'est sous une forme pathologique. Au premier abord cela peut étonner, mais il n'en est pas moins vrai que les erreurs provenant d'associations déréglées sont en réalité plus aisées à comprendre que nos jugements justes, dans lesquels certaines associations seules agissent à l'exclusion des autres. Il faut ici se demander ce qui détermine cette sélection et fait éliminer les associations non admises. Ce n'est pas notre impression ordinaire, mais, comme il a été dit, cela vient de ce qu'une expérience journalière nous a habitués depuis notre enfance à ces faits psychiques, plus compliqués que les autres, et que pour cela, sans aucun étonnement, nous les acceptons comme choses qui vont sans dire.
L'hypnose, ainsi qu'il a été dit, ne provoque aucunement le recours aux agents surnaturels; mais, on le voit, cela ne fait point de son explication une chose simple. Même si nous découvrons maint point de comparaison entre elle et un état normal de l'esprit, cela ne signifie pas qu'elle ne constitue pas un état très particulier et spécial. Par exemple la catalepsie n'est pas un simple phénomène physiologique ; mais elle suppose un état très anormal de la conscience et des agents moteurs des idées. De même le somnambulisme est symptomatique d'amnésies spéciales, et celles-ci à leur tour sont indicatrices d'anesthésies sensitives et d'une dissociation du moi. L'hypnose recèle encore bien des choses inexpliquées, et cela est cause du très grand nombre de définitions que l'on en a donné en même temps que de la suggestion ; et il y en a beaucoup de si vagues qu'il est impossible de les envisager comme des définitions scientifiques. Il est clair, par exemple, que l'on n'a rien expliqué du tout quand on a ramené les phénomènes hypnotiques à de simples produits de l'imagination. Preyer certainement exagère quand il dit que l'on n'est pas plus avancé quanta l'explication de l'hypnose que du temps de Braid; mais on ne saurait nier qu'il y a encore bien des recherches à faire avant que nous possédions une solution scientifique du problème parfaitement satisfaisante.
Parmi les anciennes explications il faut citer la théorie du polypsy-chisme de .T.-P. Durand (de Gros). Notre psuché ne constituerait pas une unité indivisible et notre moi ne serait un qu'en apparence, composé en réalité d'une infinité d'individus partiels, chacun doué de la faculté de penser ; le moi serait une colonie de mois secondaires, plus on intimement reliés les uns aux autres, solidaires et subordonnés à une direction supérieure, mais néanmoins relativement autonome, chacun avec sa conscience à lui, Il existerait donc, d'après cette hypothèse, une sorte d'atomisme psychique, dans lequel le moi qui se manifeste au
dehors ne serait point toujours identique à lui-même, mais au contraire se modifierait continuellement en vertu des éléments qui le constitueraient à un moment donné.
L'opinion de Wundt était fort différente. D'après lui la suggestion était un cas de « Einengung des Bewuslseins » (littéralement: rétrécissement de la conscience). En outre, pour expliquer les symptômes physiologiques de l'hypnose, il fit appel au principe neurologique de la compensation des fonctions, qui veut que l'inhibition des fonctions dans un domaine donné entraine une activation de fonctions dans un domaine corrélatif. Déjà Bichat avait affirmé que la concentration de l'énergie nerveuse dans une direction en causait la diminution dans d'autres directions de sorte qu'il admettait une sorte d'équilibre des forces. Plus lard Goltz, Preyer, Verworne et d'autres ont préconisé des théories analogues. Quant à ce rétrécissement psychologique du domaine de la conscience, que nous venons de mentionner, par suite duquel le pouvoir d'aperception serait suspendu, Lipps déclare ne pas pouvoir l'admettre, non plus que la distinction tranchée entre l'attention active et l'attention passive. En tout cas cette notion d'un amoindrissement du domaine de la conscience est moins une explication qu'une description, puisque l'on ne sait absolument pas ce qui fait que telle action du cerveau est consciente et telle autre pas. Les idées de Wundt n'en sont aucunement pour cela dénuées de valeur et beaucoup de savants les ont adoptées.
Une chose semble acquise; c'est que dans l'hypnose il y a une forte inhibition, qui trouble les associations et suspend une partie des fonctions cérébrales. Dans cet ordre d'idées, Lloyd Tuckey et Brown-Séquard ont cherché la cause de l'hypnose dans des influences dynamiques inhibitrices, influençant la moëlle allongée des centres divers. Landmann s'exprime dans le même sens, attribuant l'hypnose complète à une » Functionsunfahigkeit der samtliehen subcorticalen Gun-glienund Hirnrindzetlen » (incapacité fonctionnelle de toutes les cellules sous-corticales des ganglions et du cerveau) provoquée artificiellement, incapacité de fonctionner dépendant elle-même de l'activité des fibres nerveuses conductrices. Heidenhain aussi a attribué l'hypnose à des modifications du système nerveux central, c'est-à-dire à la suspension de l'activité de la matière grise du cerveau, et il en cherche l'explication dans une inhibition de l'activité d'une partie des cellules ganglionnaires, comparable à celle qui se produit dans les paralysies réflexes à la suite d'excitations phériphériques particulières, dans lesquelles l'influence corrective de l'association des représentations fonctionnant normalement est interrompue ou détruite. En effet, la suppression des représentations agissant de façon à inhiber et l'affaiblissement de combinaisons de représentations qui réagissent et contrôlent, permettent à la suggestion d'être acceptée sans résistance. La suggestion hypnotique est ainsi en relation avec une ingérence dans
le fonctionnement des puissances associatives de l'âme, par laquelle ce qui était associé se dissocie et inversement (1).
Cette perturbation de l'activité associative explique aussi les symptômes d'amnésie complète ou partielle, à laquelle il faut ramener plusieurs perturbations des mouvements volontaires. En effet, si l'image d'actes antérieurs disparait de la mémoire, il devient impossible de reproduire ces actions. Ainsi Tooth rapporte que quelqu'un, à qui on avait suggéré de ne plus pouvoir écrire la lettre e, la supprima dans tous les mots où elle devait se trouver, sans que cela le gênât en écrivant ; c'est un état que l'on pourrait appeler la dysgraphie. L'effet produit par la suggestion est ici de même nature que ce que l'on a appelé la cécité et la surdité psychiques, observées par Munk et d'autres savants, après l'ablation ou la destruction de certaines parties de l'écorce du cerveau. Ici aussi de nombreuses associations qui, avant l'opération, venaient, vestiges d'impressions antérieures, se joindre à celle du moment, étaient supprimées, de sorte que les impressions actuelles ne se combinaient pas de la manière ordinaire et qu'il ne se produisait plus de réactions ou seulement des réactions anormales.
Il ressort de ce qui précède que le sommeil n'est aucunement le facteur principal dans les phénomènes hypnotiques; il constitue une circonstance accessoire, sans importance fondamentale et pourrait même faire entièrement défaut. Il faut attacher une importance beaucoup plus grande à l'attention concentrée avec une force anormale sur l'idée suggérée, par laquelle le fonctionnement de l'esprit ressemble de plus en plus à celui d'un instrument passif (2). L'impression et l'influence des excita-lions exercées sur les sens deviennent de plus en plus « eindeutig bestimmt » (unilatérales); l'esprit est incapable de les combiner et la réaction individuelle devient simplement réflexe, au lieu d'être le résultat d'une décision réfléchie. Tel savant, absorbé dans ses pensées, perd la conscience de ce qui l'entoure et ne réagit plus qu'automatiquement aux faits extérieurs; ce fait est du même ordre. On en connaît des exemples nombreux, Newton et Leibnitz, Archimède au siège de Syracuse; Stuart Mill méditant son système de logique en parcourant les rues de Londres ; Ampère écrivant des calculs sur la capote d'une voiture en marche, ou bien rentrant chez lui et rebroussant chemin, parce qu'il voilà la porte un écrite au annonçant qu'il n'est pas chez lui ; ce doc teur, qui tire son chapeau dans la rue à sa propre femme ou s'excuse auprès d'elle de ne pas la connaître.
II en est de même de quelqu'un qui a été hypnotisé. Ses sens perçoivent physiologiquement ce qui l'entoure ; il voit et entend ; mais l'observation et la signification de ce qu'il voit et entend ne pénètre pas jusqu'à sa conscience, ce qui est surtout visible dans les hallucinations négati-
(1) Comp. A. Forel, Der Hypnotismus, 3e édit., Stuggard 1895, p. 109.
(2) G. H. Schneider tout particulièrement insiste sur ce facteur dans son Die psychologische Ursache der hypnotischen Erscheinungen. Leipzig 1886.
ves. Son attention concentrée sur un objet unique le met dans ce que l'on pourrait appeler l'état de monoïdéisrne, de même que l'on pourrait peut-être considérer le sommeil ordinaire comme un état à'anidéisme, du moins pour ce qui concerne le sommeil sans rêves et sans activité subconsciente. Pierre Janet est celui qui surtout a signalé la chose (1) D'après lui l'hypnose débute toujours par un état d'inconscience complète, par l'absence de toute représentation quelle qu'elle soit. A cet état d'anidéisme succède celui de monoïdéisme; dans le vide de l'esprit vient se placer une idée unique, qu'aucune autre ne supplante ou ne combat; elle règne victorieuse sur l'esprit et le corps prend nécessairement les attitudes et exécute les mouvements qui correspondent à cette idée.
Les symptômes hypnotiques sont de nature spécialement psychologique. Delbœuf est même allé jusqu'à dire au congrès de Londres en 1892 : « II n'y a-pas d'hypnotisme, il n'y a que de la suggestion » (2). Bernheim pense de même, déclarant qu'hypnotiser quelqu'un, c'est simplement renforcer sa suggestibilité, de sorte que l'on ferait bien de ne plus employer le terme d'hypnotisme, d'autant plus que le sommeil n'est pas indispensable. Daos les cas, pense-t-il, où il y a sommeil hypnotique, ce sommeil n'est pas de nature différente des autres symptômes suggérés, puisque lui-même est le fruit de la suggestion. Bernheim attribue même le sommeil ordinaire aux effets de la suggestion.
Nous avons encore à mentionner un facteur psychologique très important quand il s'agit de rendre compte de l'exécution de suggestions hypnotiques. Il consiste en ceci, que toute représentation tend à se réaliser, c'est-à-dire à se transformer en un acte qui y répond et devenir ainsi réalité. Toute représentation du mouvement porte à exécuter le mouvement dont elle est l'image ; pour que cela n'ait pas lieu, il faut l'action inhibitrice d'autres représentations, lesquelles justement sont absentes dans l'hypnose (3). Ainsi il nous arrive souvent de nous mettre à rire de quelque chose d'amusant avant qu'on l'ait dit ou fait, mais parce que nous l'avions prévu ; en revanche nous sommes en état de réprimer cette inclination en évoquant une pensée sérieuse ou triste. Déjà Gratiolet a dit : « Il est impossible d'être saisi d'une idée vive sans que le corps se mette à l'unisson de cette idée ». Or la réflectabilité idéo-motrice de ceux qui sont hypnotisés est renforcée, et cela les rend très disposés à mettre en action les idées qu'on leur suggère ; les associations inhibitrices se trouvant absentes, le cerveau accueille sans aucune diffi-culté la représentation de l'action suggérée, et celle-ci se transforme
(1) p. Janet. L'automatisme psychologique, p. 44 et suiv.
(2) Le mol d'hypnotisme est ici, comme en bien ^'autres rencontres, abusivement employé; l'orateur aurait dû dire hypnose, puisqu'il entendait parler de Vital dans lequel celui qui est hypnotisé est entré, tandis que l'on devrait réserver le terme d'hypnotisme pour les procédés mis en usage afin de provoquer l'état d'hypnose et pour la science qui s'en occupe.
(3) lies bicyclistes peuvent fort bien être entraînés contre un obstacle que, justement, ils voudraient éviter, et il y en a qui ont été précipités d'une hauteur par peur que cela leur arrivât.
automatiquement en acte. Le monde extérieur n'existe pour nous qu'autant qu'il se reflète en notre âme, d'où il résulte que celui qui a été hypnotisé et dont la sphère où se meut sa conscience a été limitée très étroitement, n'a pas les moyens de distinguer clairement l'apparence de la réalité.
Il y a plus encore. La suggestion fait naître des prévisions, et c'est un fait que l'attente d'un effet physiologique ou psychologique tend à produire cet effet. On peut s'endormir, parce que l'on comptait le faire, voir ou entendre quelque chose, parce que l'on était convaincu qu'on le verrait ou l'entendrait (1). De là la puissance de l'imagination. Ainsi il arrive que dans une opération le patient commence à éprouver de la douleur avant que le bistouri ne l'ait touché, et il arrive à l'inverse qu'une opération est moins douloureuse pour avoir été pratiquée à l'improviste ou sans que le malade ait prévu la souffrance.
Par rapport aux actes suggérés, mais accomplis après que l'état d'hypnotisme s'est dissipé, il faut signaler le rôle important joué par le souvenir inconscient. Notre mémoire présente en général trois aspects: 1° les traces latentes du souvenir; 2° la faculté reproductive; 3° la faculté de reconnaître et de projeter dans le passé l'objet dont on se souvient. Dans la suggestion d'actes postérieurs à l'hypnose cette troisième faculté est supprimée et la seconde est limitée à un moment déterminé. En revanche les traces inconscientes du souvenir sont présentes dans toute leur force, même dans l'intervalle de temps qui sépare l'acte de suggérer et l'exécution de ce qui a été suggéré. C'est ce qui ressort clairement de quelques observations faites par Bernheioi et d'autres. Souvent une personne hypnotisée se souvient de ce qui s'est passé dans une hypnose antérieure, quoique elle ne s'en souvienne pas du tout à l'état de veille. C'est comme si son cerveau était organise-en vue d'une double mémoire, une pour l'hypnose et une pour l'état de veille. On voit que la suggestion qui a été faite au sujet de l'expérience est conservée quoique d'une manière latente et inconsciente, de façon à devenir consciente à un moment donné ; et il se peut fort bien que la personne qui exécute ce qui lui a été suggéré n'ait pas, en ce moment-là, conscience de la cause vraie de son action, mais que, ramenée plus tard à l'état d'hypnose et ainsi à ce que l'on pourrait appeler son étal mnémonique antérieur, elle indique la suggestion qui lui a été faite, si on l'interroge sur les motifs de sa conduite.
Donc les suggestions faites à quelqu'un pendant l'hypnose sont conservées par lui à l'état de souvenir latent, capable de se transformer plus tard en action, sans que lui-môme connaisse la vraie raison de ce qui l'y pousse. Au sortir de l'hypnose ce n'est qu'en apparence que se produit une amnésie complète de la suggestion, car celle-ci subsiste en
(1) Tel ce juge d'instruction, qui, dans un cas d'exhumation, à l'apparition de la bière, se sentit indisposé par l'odeur du cadavre; or, il n'y avait point de cadavre, la bière était vide !
réalité dans la sous-conscience du sujet, pour réapparaître à un moment donné dans le domaine du conscient, et cela d'une manière indépendante de la volonté. Il reste encore assez mystérieux que la réapparition ait lieu au moment déterminé à l'avance ; cependant on peut à ce propos signaler une analogie avec la vie ordinaire, car certaines personnes peuvent se réveiller à un moment arbitrairement fixé à l'avance par elles; elles semblent donc posséder une aptitude organique d'observation inconsciente de la durée du temps.
Action des agents physiques et en particulier de la vibration dans la production de l'hypnotisme.
par le Dr Bêrillon, Médecin Inspecteur des Asiles d'aliénés
Boudet de Paris est le premier qui se soit livré à des recherches scien-tifiques sur les applications des vibrations à lathérapeutique. Il avait construit à cet effet un appareil vibratoire constitué par un diapason mis en mouvement par une bobine électrique. Dans le cours de ses applications thérapeutiques il avait remarqué que lorsqu'on appliquait la tige de l'appareil vibratoire sur le front, le crâne vibrait et que les sujets ainsi traités éprouvaient un besoin très marqué de sommeil.
Charcot un peu plus tard, ayant observé que certains malades se trouvaient soulagés par un voyage prolongé en voiture ou en chemin de fer, eut l'idée d'appliquer la vibration au traitement des neurasthénies. Sur ses indications on construisit un fauteuil trépidant et un casque vibratoire. Charcot, comme Boudet de Paris, observa que la trépidation du casque vibratoire agissant directement sur le crâne déterminait, après une application de 10 à 20 minutes, une sensation d'engourdissement qui enveloppait tout le corps et portait presque invinciblement au sommeil. Nous avons utilisé cet ingénieux instrument pour la production du sommeil provoqué. Nous avons constaté que des sujets assez réfrac-laires à l'hypnose s'endormaient d'un sommeil très profond après un temps variable, sous l'influence des vibrations du casque vibratoire (1). Nous n'avons pas continué ces applications à cause de quelques difficultés d'application. Les appareils étant mus par un courant électrique assez intense, se détérioraient assez facilement, de plus la force motrice nous faisait fréquemment défaut.
L'appareil vibrateur que nous présentons aujourd'hui constitue un réel progrès, en ce sens qu'il fonctionne toujours et peut être mis en mouvement à l'aide d'une simple pédale. Il est possible aussi de communiquer les vibrations à un casque vibrant ou à divers instruments vibratoires de formes variées.
Cet appareil, inventé par M. le Dr Ziegelroth, de Berlin, est construit par M. Goltschalk, à Paris.
(1) Nous avons constaté les mêmes effets chez des sujets placés sur le tabouret de la machine statique et soumis à la douche statique.
L'application des instruments vibratoires sur le front ou sur d'autres parties du crâne du sujet a provoqué constamment au bout de quelques minutes Un engourdissement général et une prédisposition au sommeil que nous avons utilisée pour la production de l'hypnotisme.
Au point de vue thérapeutique, chez les sujets hypnotisés, les applications locales de la vibration faites à l'aide du même appareil nous ont donné des résultats très favorables et très rapides dans le traitement de migraines, de névralgies, de paralysies faciales, d'hémiplégie, et surtout dans le traitement de l'hémianesthésie des hystériques. Après quelques minutes de vibration locale, nous obtenions le retour de la sensibilité dans le côté hémianesthé-sique. Dans plusieurs cas ce retour de l'hémianes-thésie était obtenu par transfert de la sensibilité d'un côté à l'autre.
Après avoir étudié avec Burq les effets de la métallothérapie pour le traitement des anesthésies hystériques, notre maître Dumontpallier et son élève Paul Magnin avaient démontré l'influence considérable exercée sur les centres nerveux par les excitations périphériques faibles et continues.
L'appareil vibrateur que je vous présente réalise les conditions requises pour la production de ces excitations périphériques, car un dispositif spécial permet de graduer l'intensité de ces excitations. Nous pensons que cet appareil est appelé à rendre les plus grands services aux médecins hypnotiseurs soit pour favoriser la production du sommeil provoqué, soit pour localiser les excitations périphériques faibles ou fortes, destinées à stimuler, par l'intermédiaire des nerfs centripètes, les diverses régions correspondantes du système nerveux central. Nous continuons à penser que l'action de la suggestion est d'autant plus efficace qu'elle ne s'exerce pas isolément et qu'elle s'appuie sur la collaboration d'agents physiques destinés à en localiser et en amplifier les effets. En un mot, les effets de la suggestion sont d'autant plus efficaces et d'autant plus durables qu'on réalise mieux ce renforcement de son action que nous avons désigné sous le nom de suggestion armée.
Discussion
M. Magnin. — L'appareil que vient de vous montrer M. Bérillon me semble à bien des égards fort intéressant.
Il sera possible notamment, grâce à son fonctionnement très simple, d'étudier l'action des excitations mécaniques fortes ou faibles, rapides ou lentes sur les hystériques à l'état de veille et d'hypnotisme.
Or j'ai montré le premier, il y a environ vingt ans, qu'on pouvait
obtenir des effets oesthésiogènes très remarquables au moyen des excitations purement mécaniques faibles et répétées.
L'excitant pouvait d'ailleurs s'adresser soit à la sensibilité spéciale, soit à la sensibilité générale.
J'ai pu guérir de cette façon un grand nombre d'anesthésies hystériques et d'accidents divers de même nature. Nul doute que les résultats n'eussent été obtenus beaucoup plus facilement avec l'appareil que vous avez sous les yeux qu'avec les moyens élémentaires alors à notre disposition (piqûres faites à petits coups d'une façon intermittente mais prolongée, choc du battant d'une sonnerie électrique, etc). Je pense donc que son emploi donnera dans l'hystérie, des résultats très intéressants tant au point de vue expérimental que thérapeutique.
Séance du Mardi 18 Novembre 1902 — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire-Général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres de MM.Jaguaribe (de San-Paulo, Brésil), Damoglou (d'Omdurran, Egypte}, Eid (du Caire), Raffegeau (du Vésinet), Paul Joire (de Lille), Charles Bonnet et Lionel Dauriac.
La Société charge les Dr Damoglou et Eid de la représenter au Congrès médical qui doit s'ouvrir au Caire au mois de Décembre.
Les communications portées à l'ordre du jour sont faites dans l'ordre suivant :
1° Dr Félix Regnault : La psychologie du tuberculeux.
Prennent la parole : MM. Bérillon, Paul Magnin, Lionel Dauriac, Cazaux (des Eaux-Bonnes), Henry Lemesle, Jules Voisin et Lépinay.
2° Dr Jules Voisin : Hystérie traumatique guérie par la suggestion hypnotique.
3° Dr Paul Farez : Somnoforme et suggestion.
4° Dr Bérillon : Psychologie d'anormaux : les femmes à barbe.
M. le Président met aux voix la candidature de M. le Dr Berlioz, professeur à l'Université de Grenoble, qui fut secrétaire général du Congrès des hydrologistes. Cette candidature est adoptée à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 40.
Hystérie traumatique guérie par la suggestion hypnotique,
par M. le Dr Jules Voisin.
Le 2 août dernier, vint à ma consultation externe un grand jeune homme, fort, vigoureux, le nommé D..., âgé de 27 ans, se plaignant de ne pouvoir marcher par moments et d'éprouver des secousses dans les membres inférieurs, secousses qui se propageaient ensuite à tout le corps.
Cet état durait depuis plusieurs mois; et le malade ne pouvait travailler et était dans la misère. C'est à la suite d'une secousse électrique violente qu'il ressentit en voulant prendre un tramway électrique de l'Est Parisien que cet état se développa. La secousse fut si vive que cet homme tomba à terre et ne put se relever qu'à l'aide des passants. Il ne perdit pas connaissance, mais il éprouva de suite des secousses dans les membres inférieurs et ressentit une grande frayeur. II ne put marcher. Il sautillait, ne sentait pas le sol et éprouvait des étourdissements.
Voici ce que nous constatâmes à notre visite : Intelligence peu développée, — cet homme sait à peine lire et écrire. Il est manœuvre, il sert les maçons. Devant nous, il présente par moment des secousses des membres inférieurs qui le font sautiller et le forcent à s'asseoir. Insensibilité par plaques sur les membres — anesthésie plantaire. Sensation de boule et d'étranglement à la gorge, anesthésie pharyngienne. Pas de points hystériques proprement dits. Testicule gauche sensible. Etourdissements et frayeurs à la vue et à l'idée des tramways. Enfin, véritable ébauche de crise hystérique. Rien à noter du côté des autres organes.
Depuis le jour de l'accident, ce malade n'a jamais voulu reprendre un tramway.
Nous instituons comme traitement, des douches, du valérianate d'ammoniaque et de la suggestion hypnotique.
Nous l'endormîmes par la fixation du regard. Le malade tomba dans la résolution, mais son sommeil ne fut pas profond. Au début de l'hypnose, le malade était très anxieux, très perplexe, avait peur, il présenta des phénomènes de strangulation et d'étouffement et ébaucha une attaque d'hystérie. Il se calma bientôt et dormit légèrement.— Nous lui suggérâmes de ne plus penser à son accident, de ne plus avoir peur des tramways ; nous affirmâmes qu'il n'aurait plus de secousses et qu'il pourrait travailler. — Au bout de la deuxième hypnose, le malade put reprendre son travail.
Nous nous absentâmes cet été et je revis ce malade il y a 20 jours. 11 avait ressenti de nouveau des secousses et ne pouvait travailler. J'appris qu'il avait eu de grands ennuis avec sa maîtresse et que c'était depuis ce jour qu'il était retombé malade. — Je l'endormis de nouveau et lui fis suivre son traitement hydrothérapique ; le malade va de nouveau bien. Il a repris son travail et ne présente plus de secousses. En s'endormant, il ébauche encore une attaque d'hystérie.
La psychologie du tuberculeux pulmonaire
par le Dr Félix Regnault, Professeur à l'Ecole de psychologie de Paris.
A l'occasion du roman Les Embrasés de Michel Cordier, le Dr Cabanes à la Chronique médicale, a adressé de nombreuses interviews à nos plus grandes sommités. Les réponses les plus contradictoires (1) ont été faites.
(1) La Chronique médicale, novembre 1902, p. 677.
Cela n'a rien qui puisse nous étonner, car les médecins qui ont de nombreux malades à soigner, n'ont guère le temps de se préoccuper de leur état d'âme. Dans les hôpitaux, ils n'ont affaire qu'à des phtisiques avancés de la classe pauvre.
Seuls sont compétents les médecins qui s'occupent plus spécialement d'hypnotisme et ceux qui dirigent des sanatoriums.
A ce propos, je citerai l'excellente thèse du Dr Marius Béraud (1) faite au sanatorium d'Hauteville, qui a été trop peu citée à cette occasion ; aucune des variations qui se produisent dans la psychologie si complexe du tuberculeux n'a été oubliée ; au point de vue observation, il convient de s'y reporter.
L'étude que j'en ferai, se bornera donc à la classification et à la recherche des causes.
Un premier point d'importance capitale est de diviser les maladies qui modifient notre caractère en deux groupes.
: 1) Les unes le transforment totalement, donnent un type psychique invariable, toujours le même pour la même maladie, ainsi la lenteur d'esprit du myxœdémateux, la douceur de l'eunuque, la colère du goitre exophtalmique... ces caractères peuvent varier d'intensité, un dysthyroi-dien (privation partielle de la glande) aura des symptômes psychiques moins accentués qu'un athyroidien (privation totale), mais les symptômes seront de môme nature.
2) En opposition il faut ranger les maladies fort nombreuses qui modifient le caractère mais sans supprimer le fond naturel. Il y a un terrain psychique sur lequel a évolué le mat et dont il faut tenir compte.
De plus, les modifications varient suivant la marche, l'intensité et la forme de la maladie.
C'est le cas pour la tuberculose pulmonaire.
Examinons quelles sont ces variations de caractère et quelles en sont les causes?
La caractéristique la plus fréquemment observée dans la tuberculose pulmonaire est l'optimisme.
Cet optimisme est de l'illusion et de l'aveuglement si le malade ignore son diagnostic, illusion qui peut persister jusqu'au dernier moment.
Il est une indifférence, une insouciance, une résignation facile, chez ceux qui sont avertis.
L'optimisme serait dû, pour le Dr Marius Béraud. au manque de souffrance, et je partage entièrement son avis.
Les maladies les plus graves n'altèrent pas le caractère, si elles sont anesthésiques. Je citerai à ce propos l'exemple bien typique des lépreux : ils ont un stoïcisme calme qui étonne ceux qui les fréquentent. Ils semblent indifférents à leur mal, ils ont même de la gaieté et apportent à leur toilette un soin minutieux.
(1) Lyon, 1902.
Je n'ai jamais vu, dit Leloir, de lépreux demander la mort, et je ne connais pas d'exemple de suicide chez ces malades qui paraissent assister avec la plus grande résignation à la décomposition lente et progressive de leur corps.
Opposez l'insouciance du lépreux à l'humeur sombre des malades chroniques qui souffrent, comme les malades de l'estomac, du foie, etc. La douleur est l'avertissement de la nature, le seul qui s'impose au cerveau.
Le tuberculeux pulmonaire, sans être anesthésié comme le lépreux, ne souffre pas en général. Aussi, le plus souvent, est-il optimiste. Ce fait entraine plusieurs conséquences pratiques :
Il continue à vivre sa vie ordinaire, il ne se soigne pas, fait des imprudences.
Il n'y a aucun danger à l'avertir de son état; l'avertissement sauf de rares exceptions, ne le frappera pas.
Il faut l'avertir pour l'inciter à se soigner dans un sanatorium. Enfermé dans un sanatorium, le poitrinaire, forcé de se soigner, le fait sans mélancolie aucune. Les sanatoriums sont des endroits gais.
L'optimisme, bien que très général, n'est d'ailleurs pas constant. Certains sujets neurasthéniques, mélancoliques, pessimistes voient leur état d'esprit aggravé du fait de leur maladie.
D'autre part, certaines formes de tuberculose pulmonaire sont douloureuses, surtout lorsqu'il y a des points pleurétiques : On a alors ce que les anciens appelaient la « phtisis détestabilis ».
L'optimisme ne supprime pas toujours la minutie et l'attention dans les soins constants que doit prendre le poitrinaire. Certains malades au caractère volontaire, s'observent régulièrement et luttent pied à pied jusqu'au dernier jour.
Ces variations sont dues à la nature du terrain, d'autres tiennent à l'évolution du mal.
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On a beaucoup insisté sur un second caractère bien moins fréquent : Végoïsme du tuberculeux. Il est d'autant plus accentué, que la maladie est à une période plus avancée, ou qu'elle a enlevé plus rapidement les forces et provoqué une asthénie profonde.
Le poitrinaire est apathique, aboulique. Il devient profondément égoïste, comme on observe dans toutes les maladies déprimantes. L'altruisme ne peut exister sans un surcroit de forces à dépenser au dehors
Si au contraire la tuberculose ne déprime pas d'emblée et profondément, on assistera au début à une hyperexcitabilité très curieuse, et qui a de tous temps frappé les observateurs. Cette hyperexcitabilité porte :
Sur l'activité motrice : les poitrinaires vont et viennent, font de nombreux projets, se lancent dans de multiples entreprises, ou font la noce-
Sur l'intelligence : les qualités de mémoire, de jugement, de raison-
nement, de sens critique qui la constituent se mettent en branle parfois avec une ardeur incomparable (Dr Letulle).
Sur la sensibilité : le caractère devient aimable (phtisis amabilis), le beau l'impressionne davantage, il jouit intensément de la nature.
Sur la, sexualité : nombreux sont les phtisiques portés sur l'amour psychique aussi bien que physiologique.
Je connais un malade atteint de tuberculose héréditaire à forme torpide qui, depuis cinq ans qu'il est marié, pratique au moins un rapprochement chaque jour.
Ici il faut tenir compte de la possibilité de coexistence de tuberculose génitale : celle-ci explique les désirs sexuels de certains phtisiques qui persistent intenses jusqu'à leur mort.
Mais la cause la plus fréquente de l'hyperexcitabilité sexuelle chez les tuberculeux au premier degré a été donnée par le Dr Amrein (1), d'Am-rosa, en Suisse, qui a vu que ces malades étaient subfébriles (37.5 à 37.9 dans 68 observations). Au contraire, les tuberculeux apyrétiques, ou franchement fébriles, au-dessus de 38, n'ont aucune excitation géné-sique.
La même explication est valable pour tous les phénomènes d'hyperex-citation intellectuelle, sentimentale et notoire.
D'ailleurs à une première période d'hyperexcitabilité succède l'apathie lorsque la maladie s'aggrave et devient pyrétique.
Ces divers tableaux schématisés et même synoptiques que nous avons classés sont en petit nombre par rapport à la réalité. Mais ils correspondent aux types les plus fréquents ou tout au moins sur lesquels on a le plus souvent insisté.
A les passer ainsi en revue rapide, on a l'avantage d'en mieux saisir l'ensemble, et de comprendre comment la multiplicité des causes amène la diversité des phénomènes psychiques.
Discussion
M. Bérillon. — C'est déjà dans la période prodromique, au cours de la lente incubation, que le tuberculeux présente dos troubles nerveux et mentaux. Ce qui m'a le plus frappé à cette période où les médecins ne songent pas encore à la tuberculose pulmonaire, c'est que ces malades sont hypersuggestibles et abouliques. La constatation de cette hypersug-gestibililé fait espérer que l'influence psychothérapique sera très intense contre les troubles nerveux et les troubles fonctionnels qu'on observe; or, cette influence est de très courte durée et cela n'a rien d'étonnant, puisqu'elle est tenue en échec par une intoxication permanente. Chez le tuberculeux, la suggestion agit sur le psychique ; elle modifie le caractère, elle contribue à créer l'optimisme, elle n'agit sur les troubles somatiques que d'une façon faible et passagère, ainsi que le font les
(1) Chronique médicale, 1902, p. 700.
médicaments. Les tuberculeux, dès la période prodromique, sont des abouliques ; ils font toutes sortes de projets qu'ils ne réalisent pas ; ce sont des êtres diminués au point de. vue de l'action. A une période plus avancée, ils sont extrêmement égoistes. Un malade me traduisait son état mental par ces mots : « Je suis anarchiste de la santé des autres. Un autre, faisant son testament, partageait à dessein sa fortune entre des gens tous mal portants, pour jouer une niche à ceux de ses héritiers qui était bien portants et qui, pour cela seul, lui étaient odieux.
M. Paul Magnin. — Je suis tout à fait d'avis que la période prébacillaire s'accompagne de changements du caractère. A ce sujet, il faut distinguer le tuberculeux et le phtisique. Le tuberculeux présente, en effet, une psychologie particulière ; la psychologie des phtisiques, au contraire, est celle de tous les malades infectés et épuisés. J'estime qu'il ne faut pas cacher au tuberculeux son état, mais, au contraire, le lui révéler; en lui promettant formellement qu'il pourra se guérir s'il se soigne résolument, on obtient de lui une très grande docilité, tout en lui laissant son optimisme.
M. Lionel Dauriac. — Je suis très frappé de la conscience avec laquelle les médecins de nos jours se préoccupent de l'opportunité d'éclairer le malade sur son état. En révélant la vérité au tuberculeux, en lui apprenant qu'il est contagieux, on lui montre qu'un devoir lui est imposé parla nécessité de ne point attenter à la santé d'autrui; il est ainsi tenu, par la plus élémentaire obligation morale, de préserver ses semblables des microbes dont il est le véhicule ; et je me félicite que les progrès de la science exercent cette influence sur la moralité et la conscience des malades.
M. Cazaux (des Eaux-Bonnes). — En principe, je suis également d'avis qu'un tuberculeux doit être prévenu de son état; mais je pense qu'il y faut des formes et des ménagements: le médecin de famille peut préparer le malade et son entourage, et leur épargner un aveu brutal. Tout cela comporte des décisions d'espèce. Pour ce qui est de l'évolution de la maladie, j'ai constaté que les tuberculeux névropathes ou hystériques sont ceux qui guérissent le mieux.
M. Henry Lemesle. — La psychologie du tuberculeux varie suivant qu'il s'agit du tuberculeux oisif qui séjourne dans un sanatorium ou du tuberculeux actif qui continue à vivre de sa vie ordinaire ; cette différence du milieu influe sur les modifications mentales ou nerveuses.
M.Jules Voisin. — Dans mon service de la Salpétrière je ne perds guère, par an, plus de deux malades pour cause de tuberculose. C'est qu'ils ont d'ordinaire très bon appétit. sinon, on les gave. Quant .à l'état mental de ces malades, il faut distinguer ceux qui sont atteints de tuberculose pulmonaire et ceux qui, par exemple, ont la tuberculose gastro-intestinale ; ceux-ci sont rarement euphoriques.
M. Lépinay. — Il résulte de celte discussion, qu'avant les symptômes
cliniques de la tuberculose, on peut observer des perturbations psychiques d'ordre spécial et qui peuvent faire soupçonner, sinon diagnostiquer, l'affection. Les mêmes faits existent chez les animaux et notamment chez les vaches. Les perturbations psychiques ont surtout leur répercussion sur les organes sexuels et les organes digestifs. Les vétérinaires savent que les vaches taurélières (vaches qui paraissent changer de sexe), les vaches qui mangent des objets, tels que : les étoffes les morceaux de bois ou de fer, etc., sont, pour la plupart, des bêtes chez lesquelles la tuberculose commence à évoluer, sans cependant présenter des symptômes cliniques, évidemment moins faciles à observer que chez les humains. Je ne sache pas que pareille observation ait été faite pour les petits animaux. Toutefois, j'ai remarqué un certain nombre de petits chiens manifestement tuberculeux et chez lesquels le caractère se modifiait complètement. De doux, ils deviennent agressifs au point de mordre les personnes qu'ils affectionnent le plus. Ils paraissent aussi avoir des excitations anormales.
PSYCHOLOGIE HIÉROLOGIQUE
Marie Alacoque, sa folie hystérique, par M. le Dr Rouby, d'Alger
(fin) (1)
Quatrième partie (2). — Les prédécesseurs de Marie Alacoque: sœur Clément. — La folie hystérique se produit le plus souvent, comme nous l'avons dit autre part, sous forme d'hallucinations où trois sens prennent part, celui de l'ouïe, celui de la vue et celui du toucher avec localisation génitale..
Notons que la confusion d'idées qui se produit dans les cas de folie simple n'existe pas toujours dans le cas de folie hystérique ; une certaine dose de raisonnement persiste et permet aux malades, la crise passée; de raconter ou d'écrire leurs sensations comme choses vraies, cela parfois dans un style qui étonne, tellement sont bien traduits les symptômes éprouvés; c'est ce que l'on peut constater en lisant les mémoires de sœur Clément et ceux de Marie Alacoque.
Notons encore chez ces malades, la grande influence des idées ambiantes dont les hallucinations de l'ouïe sont l'écho, celles de la vue le reflet celles des organes génitaux l'expression. C'est sous l'empire de ces fausses sensations, soit pendant l'état de veille, soit pendant la période d'extase ou sommeil hypnotique que certaines femmes se trouvent avoir un commerce intime avec des amants qu'elles ont vus, qu'elles ont entendus, qu'elles ont sentis charnellement, disent-elles, lorsqu'en réalité rien de pareil ne s'est produit.
(1) Voir les numéros d'Octobre, Novembre, Décembre 1902. (2) Ce mémoire a été la à la Société de médecine d'Alger.
J'ouvre une parenthèse pour signaler ces faits comme ayant été autrefois la cause de nombreuses erreurs judiciaires; elles sont plus rares aujourd'hui, les juges des tribunaux tenant compte de l'hystérie, lorsqu'ils ont à instruire un procès criminel où cette maladie peut jouer un rôle.
Ces illusions des sens se sont imposées et s'imposent encore à un grand nombre de femmes jeunes ou vieilles, et aussi à un grand nombre d'hommes atteints de la même maladie. Ce que l'on raconte dans certains ouvrages du commerce secret des incubes avec des filles, des hommes, des chérubins avec des dévotes, des génies avec des prophétesses, etc., doit être attribué à cette forme d'aliénation.
Avant d'aborder le sujet principal de ce mémoire, je vais citer l'observation d'une malade dont les symptômes hallucinatoires rentrent dans cet ordre d'idées. Les médecins sont nombreux qui pourraient apporter des faits semblables.
M11e X..., âgée de 20 ans, ayant joui d'une santé parfaite jusqu'à ce jour, assiste au théâtre à une représentation : elle est entourée de son père, de sa mère et de ses sœurs qui ne s'aperçoivent à aucun moment des faits que la jeune fille va raconter ; ils déclarent que rien n'aurait pu se passer sans qu'immédiatement leur attention ne soit éveillée: à leur avis le récit de la jeune fille n'est ni vrai, ni même vraisemblable.
A l'orchestre, se trouve un jeune homme jouant du violon ; il est séparé de plus de vingt mètres de la place occupée par Mlle X.... Il neconnait pas celle-ci ; il ne lui a jamais parlé ; il ne fixe aucun regard sur elle ; il l'ignore. D'un autre côté, Mlle X..., déclare que c'est pour la première fois qu'elle se trouve en présence de cet artiste ou du moins la première fois qu'elle le remarque. Toute coup M1le X... voit le violoniste la regarder avec tendresse en se tournant vers elle; elle l'entend lui adresser la parole; une conversation s'engage entre eux par dessus la tête des spectateurs sans que ceux-ci s'en aperçoivent, le jeune homme lui dit les mots d'amour les plus passionnés ; elle lui répond de même. Il lui donne son cœur ; elle l'accepte et lui donne le sien.
La conversation, nous assure la jeune fille, n'a pas eu lieu en pensée seulement ou au moyen d'une mimique quelconque des yeux et du visage, non, elle a eu lieu en mots prononcés très distinctement, mots très bien entendus par elle ; il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet, ajoute-t-elle.
A un certain moment, les parents s'aperçoivent que la jeune fille manifeste des signes d'émotion extraordinaire ; ils sortent du théâtre avec elle et reviennent à la maison ; ils n'ont entendu aucun des mots prononcés soit par elle soit par l'artiste et écoutent avec stupéfaction le récit qu'elle leur fait de sa conversation.
Quelques semaines se passent pendant lesquelles MlleX... se plait à répéter aux membres de sa famille l'histoire du théâtre ; on constate que toutes ses pensées sont tournées de ce côté, tellement est forte l'impres-
sion de celle première hallucination; puis l'excitation augmentant, pendant une nuit, elle entend dans la rue son musicien qui l'appelle avec des mots d'amour et d'échanges de cœur, elle court à la fenêtre pour l'écouter et lui répondre ; un jour son amant tout à coup se trouve dans la chambre; collé contre elle, suivant son expression, elle ie reçoit dans son lit. Comme on lui objecte, que sa sœur aînée couche dans ce lit avec elle, que ses parents dorment dans la chambre voisine, portes ouvertes, que personne ne s'est aperçu de rien, M1le X... se fâche, élève la voix et ne rerient que lentement à un état de calme. Bien loin de cacher sa faute, elle la proclame avec satisfaction. D'autres hallucinations semblables surviennent pendant les nuits suivantes ; c'est le même artiste violoniste que toujours elle voit, entend et sent.
La maladie s'aggrave; Mlle X... est conduite dans une maison de santé ; peu à peu elle se calme et peut raconter avec lucidité ce quelle a éprouvé dans les plus petits détails. Comme un jour elle travaille dans le patio de la maison à une broderie quelconque, elle entend tout à coup le violoniste lui parler ; elle regarde et le voit sur la terrasse de la maison ; elle veut le rejoindre et pour cela, elle grimpe sur un oranger dont les hautes branches touchent les bords du toit ; on a peine à la ramener à terre, tant son désir est grand de rejoindre son amant.
Cette hallucination qui se répète toujours sous la même forme est typique: supposons cette jeune fille religieuse enfermée dans un couvent, l'artiste violoniste n'aurait pas paru; c'est Jésus qu'elle aurait vu, qu'elle aurait entendu, qu'elle aurait senti comme une personne vivante. — Tel autrefois Don Quichotte n'eut affaire qu'avec l'incomparable Dulcinée du Toboso.
Les idées si curieuses qui servirent de base aux hallucinations de Marie Alacoque concernant l'amour divin et humain mêlés ensemble, étaient déjà à la mode au milieu du XVIe siècle, c'est-à-dire cinquante ans avant la naissance de la bienheureuse de Paray-le-Monial.
Soit dans le public dévot, soit surtout dans les couvents, d'autres religieuses, devenues folles hystériques, basèrent leurs troubles mentaux sur la même manière de penser ; elles eurent avec Jésus des conversations, des visitations et des accointances qui furent pour elles des réalités ; non seulement elles crurent, mais elles firent partager leur foi à leurs compagnes et aux personnes de leur entourage, personnes trop peu éclairées pour distinguer dans cette circonstance le vrai du faux.
Ce fut le cas d'une religieuse de la Visitation, sœur Anne Marguerite Clément qui vivait vers 1630 ; c'est-à-dire quarante ans avant que Marie Alacoque ne prit le voile dans ce même ordre religieux.
Sœur Clément aussi nous a laissé la narration de sa maladie.
Nous ne voulons pas nous étendre trop longuement sur ce sujet, en reproduisant le mémoire en son entier ; ce serait raconter pour ainsi dire de nouveau la vie de Marie Alacoque; nous voulons seulement, en citant quelques-unes de ces hallucinations, démontrer qu'elles furent le parfait
modèle de celles du Sacré-Cœur, comme celles-ci étaient elles-mêmes le reflet des livres de dévotion de l'époque. Il est probable que Marie Alacoque avait lu la relation de sœur Clément conservée dans la bibliothèque du couvent : son imagination frappée par les faits regardés comme merveilleux par son pauvre esprit de nonne ignorante, reproduisit pendant les crises des scènes analogues d'amour divin.
Voici quelques-unes des hallucinations de sœur Clément: une nuit s'étant réveillée comme en sursaut elle se trouva pénétrée de la puissance de Dieu d'une manière extraordinaire ; Jésus se fit voir à elle comme assis au milieu de son cœur, voulant lui marquer par cette situation la possession qu'il venait de prendre d'elle « ton cœur esta moi et je suis à toi », dit-il.
Marie Alacoque racontera que Jésus la fit reposer fort longtemps sur sa poitrine, qu'il lui demanda son cœur, qu'il le prit et le mit à la place du sien, en le lui faisant voir comme un atome.
Le premier jour de l'an 1670, pendant l'oraison du matin, sœur Clément reçut cette, insigne faveur que Jésus-Christ grava lui-même cet adorable nom autour de son cœur et lui expliqua les admirables significations qui étaient enfermées dans les lettres; il l'assura que ce serait comme un cachet pour en faire son domaine et en fermer l'entrée à tout autre qu'à lui. Puis voulant donner la perfection à cet ouvrage de grâce, il lui dit: « j'applique mon cœur sur le tien » et l'effet suivant sa parole, elle sentit à l'instant son propre cœur s'unir au cœur de son divin époux d'une manière inexplicable.
Dans la vie de Marie Alacoque, Jésus lui demande son testament par écrit et en échange lui donne son cœur ; pour sceller cette donation elle grave avec un canif sar sa poitrine le nom du sauveur. Dans un autre moment son souverain maître la fait reposer fort longtemps sur sa divine poitrine et lui découvre son cœur.
Le jour de la saint Jean-Baptiste, Jésus lança à sœur Clément les flèches de son amour sacré dans son cœur qui en fut blessé si vivement, qu'elle s'écrie : « que vos flèches sont perçantes et qu'elles font de profondes blessures ». Elle raconte ensuite comment le Christ changea de cœur avec elle: il tira mon cœur hors de moi-même et il plaça le sien do façon qu'il me parait à présent que je n'ai point d'autre cœur, que le cœur même de Jésus, c'est un abime d'amour. Il a placé le mien si avant dans son sein adorable que je ne l'aperçois plus.
C'est déjà l'hallucination qui deviendra fameuse quelques années plus tard avec Marie Alacoque ; Jésus ouvrira la poitrine de celle-ci, lui prendra son cœur qu'il fera brûler dans son thorax où elle le verra comme un petit atome brûlant.
Une autre fois, Jésus-Christ imprima sur le cœur de sœur Clément ces trois noms : Christ, Dieu, Roi et il lui montra ensuite ses plaies comme autant de portes ouvertes où il l'invitait d'entrer pour pénétrer jusqu'à son cœur.
Un jour de carême, au moment où pendant un sermon elle entendit
cette parole : « Jésus-Christ », elle sentit que celui-ci lui imprimait ce nom sacré sur le cœur comme un cachet enflammé.
Etant, le jour de sainte Véronique, sur le point de communier elle entendit cette parole de Jésus-Christ: « donne-moi ton cœur et je te ferai la même faveur ». Elle le lui présente, et Jésus-Christ imprime sur ce cœur sa face divine couverte de sang et de plaies, comme on graverait un cachet sur la cire molle ; elle en fut si pénétrée de douleur et d'amour que le sentiment de cette impression lui demeura le reste de sa vie.
La nuit du 22 octobre, comme sœur Clément faisait le signe de la croix dans son lit, elle fut prise soudainement au cœur par la présence de Dieu qui l'embrasa de son amour « je veux t'exercer, dit Jésus, dans un genre nouveau de combat ; ce sera contre moi-même que tu combattras et avec mes propres armes. L'amour commencera le combat, l'amour le poursuivra, l'amour le finira dans ton cœur, je ne veux point d'autre but à mes coups que ton cœur, je veux le faire mourir ». Il lança en même temps trois flèches dans ce cœur, toutes brûlantes du feu de son amour ; elle se sentit blessée d'une si profonde plaie qu'elle en perdit la vie ; Jésus prenait plaisir à .sa douleur et à la voir languir.
C'est ainsi que Jésus dira à Marie Alacoque « combattons ma fille, nous verrons qui des deux remportera la victoire, mais celui qui sera vainqueur le sera pour toujours » ; puis plus loin Jésus lui lancera des rayons ardents donnant d'aplomb sur son cœur, lequel embrasé d'un feu si vif lui semblera être réduit en cendres.
Bien d'autres hallucinations de même nature, sont racontées dans cette vie de sœur Clément, que nous aurions pu rapprocher de même de celle de Marie Alacoque, mais nous avons démontré d'une façon suffisante ce que nous disions au début, que Marie Alacoque n'a rien inventé et que son cerveau malade n'a fait que reproduire en hallucinations ce qu'elle avait lu dans les livres de dévotion de son siècle et ce qu'elle avait appris des saintes conversations des religieuses ses prédécesseurs avec le divin Jésus.
Si nous comparons les deux observations, celle de M1le X... et celle de sœur Clément, nous voyons qu'elles sont de même nature; la personne qui fait le sujet du délire seule varie; c'est Jésus dans un cas ; c'est un musicien dans l'autre. Pour le reste, les symptômes sont identiques; ce sont des hallucinations de divers sens, c'est de l'aliénation mentale.
Et de même que sœur Clément est atteinte de folie hystérique, de même quelques années plus tard Marie Alacoque présentera les symptômes de la même maladie; elle aussi sera une folle hystérique.
On s'étonne que dans cette vie des couvents on n'ait pas compris combien c'était diminuer Jésus-Christ de l'occuper du matin au soir et du soir au matin à l'usage personnel de chaque moine et chaque religieuse; on s'étonne qu'on n'ait pas compris combien il était peu décent de rabaisser la majesté de Dieu à des petitesses semblables : car faire
asseoir Jésus sur !e cœur de sœur Clément, lui faire graver son nom sur ce cœur, y mettre un cachet, l'inviter à entrer dans son corps par les plaies rouvertes, s'appliquer sur elle pour unir les deux cœurs, imprimer sa figure sur ce cœur, combattre avec elle, sont des actes, quand on y pense, tellement extravagants qu'on doit regarder comme sacrilèges ceux qui ont publié de pareils faits comme choses saintes. Onne peut reprocher cette faute aux pauvres malades comme sœur Clément ou sœur Alacoque qui subissaient les symptômes de l'hystérie avec bonne foi en croyant à la réalité de leurs hallucinations, on doit le reprocher aux personnes plus éclairées qui ont donné et qui donnent encore comme aliments aux faibles d'esprit ces croyances grossières qui seront un jour la risée des peuples.
COURS ET CONFÉRENCES
Apoplexie et tremblement hystériques (1) par M. le professeur Raymond.
Cet homme est âgé de 38 ans. Son père était un alcoolique qui a présenté des accidents paralytiques. Lui, est un homme replet, avec un gros ventre; il a été refusé au service militaire pour insuffisance de taille. Il est coléreux et emporté ; cependant il a toujours été sobre. Notons qu'il a eu des convulsions pendant son enfance.
Il y a six ans, il est projeté par une courroie qu'il essaye de mettre en marche, il tombe comme une masse et perd connaissance pendant trois quarts d'heure. Revenu à lui, il se met à trembler et son tremblement dure sept mois.
Il y a deux ans, il voit une personne sur le point d'être tamponnée par une locomotive ; il se précipite pour empêcher la catastrophe ; il est tellement ému qu'il tombe par terre, perd de nouveau connaissance et, revenu à lui, se remet à trembler ; il n'est guéri qu'au bout de quatre mois.
II y a un mois, à propos d'affaires de famille, il se dispute avec sa sœur; fortement émotionné, il perd encore une fois connaissance. Quand il reprend ses sens il se met à pleurer ; il se rappelle très vaguement ce qui s'est passé avec sa sœur ; il craint de l'avoir battue. Le tremblement a, de nouveau, reparu.
Quand il est assis, le corps appuyé au dos de sa chaise, il ne tremble que de la main ; mais quand il est debout, il écarte sa base de sustenta-lion, se tient mal et tomberait si on le poussait. Il tremble aussi des membres inférieurs.
On pourrait ici penser à la sclérose en plaques et l'on aurait tort, car
(1) Présentation de malade faite à la clinique des maladies nerveuses à la Salpê-trière.
sa fausse trépidation spinale n'est que du tremblement ; de même, ce sont des mouvements de défense qui simulent l'extension des orteils.
Mais il y a une hémianesthésie droite, ainsi que de la dyschromatopsie ; et, d'autre part, tous les caractères du tremblement, surtout la brusquerie de son apparition, dénotent qu'il s'agit de tremblement hystérique.
Ces attaques sont des attaques d'apoplexie hystérique. Cet homme perd entièrement connaissance ; il est brutalement assommé sans aucun phénomène prémonitoire. Quand il revient à lui, il présente, outre son tremblement, une abondante polyurie.
11 n'y a ici aucune association organique, car les membres inférieurs ont conservé toute leur force musculaire et les réflexes sont normaux.
Pour guérir cet homme de son tremblement il faudra rééduquer sa motricité, lui bien expliquer la genèse et la nature de ses troubles, puis, s'il en est besoin, recourir à la suggestion hypnotique.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 20 janvier 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites :
1. Dr Fiessinger : La psychologie du cardiaque. Inscrits : Drs Félix Regnault, de Bourgade, Bérillon, Jules Voisin.
2. Dr Bérillon : Influence de la suggestion hypnotique sur la circulation des hystériques.
3. Dr Bérillon : Aboulie motrice systématisée.— Guérison par la suggestion hypnotique.
4. Dr Paul Magnin : Contractures et hyperexcitabilité neuro-musculaire chez les hystériques.
5. Dr Paul Farez : Psycho-névrose traumatique intermittente. — Influence des anniversaires de l'accident sur les récidives.
La Lutte contre l'alcoolisme
Une motion a été déposée au grand Conseil de Berne, par une trentaine de députés — la plupart Jurassiens — invitant le Conseil exécutif à voir s'il ne conviendrait pas de présenter une loi contre l'ivrognerie.
D'après cette loi, les individus qui, par suite d'ivrognerie, se nuisent à eux-mêmes ou nuisent à leur entourage et sont ainsi la cause de leur ruine matérielle et morale, pourraient être internés administrativement dans un asile de buveurs.
NOUVELLES
ECOLE DE PSYCHOLOGIE
CONFÉRENCES DE 1903 Au siège de l'Institut psycho-physiologique
49, rue Saint-André-des-Arts, 49 LES VENDREDIS A HUIT HEURES ET DEMIE DU SOIR
Vendredi 16 janvier, à 8 h. 1/2 L'hypnotisme et l'orthopédie morale par M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections).
Vendredi 23 janvier, à 8 h. 1/2 La psychologie de l'enfant arriéré et la lutte contre la dégénérescence mentale par M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrière (avec projections).
Vendredi 30 janvier, à 8 h. 1/2 Education scientifique et psychologie par M. Laisant, docteur ès-sciences, examinateur à l'Ecole polytechnique
Vendredi 6 février, à 8 h. 1/2 Le caractère dans les maladies : Le tuberculeux, le cardiaque, le dyspeptique par M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine
Vendredi 13 février, à 8 h. 1/2 L'émotivitê morbide : Le traitement psycho-thérapique de la timidité par le Dr Bérillon, médecin-inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections).
Vendredi 20 février, à 8 h. 1/2 La suggestion collective : La discussion et la propagande par M. L. Le Foyer, vice-président de l'Association de la paix par le droit
Vendredi 27 février, à 8 h. 1/2 La certitude médicale : Influence des Rayons X sur les progrès de la médecine par M. le Dr de Bourgade la DardyE, directeur du journal les Rayons X (avec démonstrations de radioscopie).
Vendredi 6 mars, à 8 h. 1/2 Le rôle psychologique de l'officier français par M. le capitaine Villetard de LaGuérie.
Vendredi 13 mars, à 8 h. 1/2 La psychologie de l'éléphant par M. Caustier, professeur au Lycée Hoche (avec projections).
Vendredi 20 mars, à 8 h. 1/2 Les causes d'affaiblissement de la volonté ; La thérapeutique des aboulies par M. le Dr Paul Joire (de Lille)
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE
49, rue Saint-André-des-Arts, 49 (Au siège de l'Institut psycho-physiologique)
COMITÉ DE PATRONAGE
MM. Berthelot, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Académie française; Boirac, recteur de l'Académie de Grenoble ; Lionel Dau-ruc, professeur honoraire de la Faculté de Montpellier ; Marcel Dubois, professeur s la Sorbonne ; Giard, professeur àla Sorbonne ; HUchard, membre de l'Académie de médecine ; Ribot, professeur honoraire au Collège de France, membre de l'Académie des sciences morales ; Albert Robin, membre de l'Académie de médecine ; Tarde, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences morales ; Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
COURS DE 1903
L'inauguration des cours aura lieu le lundi 12 janvier, à cinq heures, sous la présidence de M. le professeur Giard, membre de l'Académie des sciences, professeur à la Sorbonne.
La leçon d'ouverture ???? faite par M. CaustiEr, professeur au lycée Hoche sur: La méthode ?? psychologie zoologique.
Hypnotisme thérapeutique
M. le Dr Bérillon, professeur.
Objet du cours : 1° La thérapeutique des maladies de la personnalité. Les lundis à cinq heures, à partir du lundi 12 janvier, 2° Les applications de l'hypnotisme à la pédagogie. Les jeudis à cinq heures à partir du jeudi 15 janvier.
Hypnotisme experimental. M. le Dr Paul MaGnin, professeur.
Objet du cours : L'hypnotisme chez les hystériques : Les anesthésies Les lundis et les jeudis à cinq heures et demie, à partir du lundi 12 janvier.
Hypnotisme sociologique. M. le Dr Félix Regnault, professeur.
Objet du cours : L'hypnotisme dans les religions orientales : Le Coran Les vendredis à cinq heures, à partir du vendredi 10 janvier.
Psychologie normale et pathologique M. le Paul Farez, professeur.
Objet du cours : La pathologie du sommeil naturel : Les insomnies Les mardis et samedis à cinq heures, à partir du mardi 13 janvier.
Psychologie du criminel.
M. le Dr Wateau, professeur.
Objet du cours : La femme délinquante et criminelle. Les vendredis à cinq heures et demie à partir du vendredi 16 janvier.
Psychologie des foules et Folkore. M. le Dr Henry Lemesle, professeur.
Objet du cours : Superstitions locales : Les petits pèlerinages. Les mercredis, à cinq heures et demie, à partir du mercredi 14 janvier.
Ana tomie et Psychologie comparées.
M. E. Caustier, agrégé, professeur de l'Université.
Objet du cours : L'évolution des sentiments et des fonctions psychiques
dans la série animale.
Les samedis à cinq heures et demie, à partir du samedi 17 janvier.
Psychologie des animaux.
m. Lepinay, professeur.
Objet du cours : L'éducation et le dressage des animaux. Les mercredis, à cinq heures, à partir du mercredi 14 janvier.
HORAIRE DES COURS
17e Année -N°8
Février 1903.
L'ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE
Allocution de M. le Dr Bébillon. — La méthode en psychologie zoo-logique, par M. Cacstier, professeur agrégé de l'Université. — La psychologie et la biologie, par M. le professeur Giard, membre de l'Académie des Sciences.
La réouverture annuelle des cours de l'Ecole de psychologie a eu lieu le lundi 12 janvier, à cinq heures, au siège de l'Institut psycho-physiologique, sous la présidence de M. Giard, professeur à la Sorbonne, membre de l'Académie des Sciences.
Aux côtés de M. le professeur Giard avaient pris place deux membres du comité de patronage, M. le professeur Lionel Dauriac et M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière, ainsi que tous les professeurs de l'Ecole, MM. les DM Bérillon, Paul Magnin, Félix Regnault, Paul Farez, Henry Lemesle et MM. Caustier, professeur agrégé de l'Université, et Lépinay, médecin vétérinaire.
Une assistance extrêmement nombreuse emplissait les salles de l'Institut psycho-physiologique. Parmi les personnalités qui étaient venues donner à l'Ecole de psychologie une marque de leur sympathie, nous sommes heureux de citer M. Morel, inspecteur général de l'Université, M. le Dr Saint-Yves-Ménard, membre de l'Académie de médecine, M. Terrier, professeur à l'Ecole normale supérieure de Sèvres, M. Laisant, examinateur à l'Ecole polytechnique, M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine, M. le Dr Chervin, président de la Société des Conférences anthropologiques, M. Ba-guer, directeur de l'Institution départementale des sourds-muets, M, Hjalmar Hahl, professeur à l'Université d' Helsingfors,
M. Coutaud, président de la Société protectrice des animaux, M. Lemaire, professeur de philosophie au lycée d'Amiens, M. Valentino, chef de bureau au ministère de l'Instruction publique, M. Bouteiller, commissaire de police de la ville de Paris, M. Thierry, médecin vétérinaire, directeur de l'Ecole d'agriculture de Beaune. MM. les Drs Arthur Petit, Lux, Hamaide, Perdu, Bayvel, Metzger, Salomon, Bourg, Jules Magnin, Le Menant des Chesnais, Bourdon (de Méru), Perrin, Lebeau, etc., MM. Fayès, Alix, Grollet, médecins-vétérinaires, et un grand nombre de médecins, de magistrats, de professeurs de l'Université dont nous n'avons pu noter les noms.
Après avoir ouvert la séance, M. le professeur Giard donne la parole au Dr Bérillon.
L'Ecole de Psychologie,
allocution par le Dr Bérillon.
Messieurs,
La journée du 12 janvier 1903 marquera une date mémorable dans l'histoire de l'Ecole de psychologie. Nous devrons à la présidence de M. le professeur Giard, la plus haute consécration scientifique que noua ayons pu espérer. L'année dernière, lorsque je le remerciais de l'honneur qu'il nous avait fait en acceptant une place dans notre Comité de patronage, je m'exprimais ainsi :
«M. Giard est peut-être le seul de tous les naturalistes français qui mérite le nom de biologiste. Il n'a pas voulu localiser ses recherches dans une région étroite du domaine de la nature. La botanique, la zoologie, la chimie, la physiologie, la psychologie ne sont pas pour lui séparées par des cloisons étanches. Par ses conceptions, il est un des maîtres de la philosophie contemporaine. Ajoutons que, renouvelant les idées de Lamark et de Darwin, il les a complétées par des faits ingénieusement observés et par des théories basées sur une érudition impeccable. »
A cela, il faut ajouter que la grande préoccupation de M. Giard a toujours été de faire participer le plus grand nombre à la connaissance des" découvertes scientifiques. Lorsqu'il prit possession en 1888 de la chaire d'Evolution des êtres organisés, créée pour lui à la Sorbonne, il commença son cours en déclarant que c'était un devoir pour le naturaliste de ne point se borner à chercher le progrès dans les limites de sa spécialité, et de faire participer le grand public aux connaissances qu'il a pu acquérir. Il appuyait son opinion sur cette belle citation d'Hoeckel : a Le plus glorieux triomphe de l'espèce humaine c'est-à-dire la connaissance vraie des lois les plus générales de la nature,
ne saurait demeurer la propriété d'une caste privilégiée de savants : elle doit devenir le bien commun de l'humanité tout entière. »
Il élargissait encore la pensée d'Hœckel, en ajoutant : « C'est en répandant les idées si fécondes du transformisme et la conception purement mécanique de la nature dans les cerveaux des futurs éducateurs de la jeunesse, qu'on prépare de la façon la plus sûre et la plus solide une forte génération, débarrassée des superstitions du passé. »
C'est à cette haute conception du devoir scientifique, que nous devons la présence de M. le professeur Giard à la réouverture des cours de l'Ecole de psychologie.
Apprenant de nous qu'il pourrait par ses encouragements et par ses conseils contribuer au développement de cette Ecole et fortifier dans notre esprit le culte de la méthode scientifique, il s'est empressé de nous donner la marque de sympathie que nous attendions de lui. Nous lui en exprimons notre profonde reconnaissance. Nous la lui prouverons en nous conformant scrupuleusement à ses enseignements. Disciples fidèles de la doctrine du transformisme, nous nous efforcerons d'apporter notre contribution à l'étude des facteurs de l'évolution. Dans nos recherches sur l'hypnotisme et sur l'influence qu'exercent les hommes les uns sur les autres, nous sommes amenés à considérer l'hypnotisme et la suggestion comme de puissants modificateurs de l'existence psychique et morale des individus, et comme un facteur important de l'évolution des sociétés humaines. Nous constatons chaque jour l'influence du milieu sur l'idéation, et par là nos études se rattachent directement à celles qui sont dirigées, avec tant d'autorité, par M. le professeur Giard, dans ses laboratoires. En effet, M. Giard, dans ses leçons, après avoir conclu que les individus ont seuls une existence réelle dans la nature et que les espèces comme les variétés, les genres, les familles ne sont que des catégories de notre entendement, des êtres purement nominaux, pouvait annoncer que la doctrine du transformisme aboutit à la conception mécanique de l'univers, même dans les manifestations les plus complexes de la nature, la vie et la pensée. En professant que le déterminisme le plus rigoureux, le déterminisme des sciences mécaniques et physico-chimiques domine toute la vie psychique des organismes, M. le professeur Giard nous indique la véritable voie dans laquelle doit s'engager la psychologie scientifique. Avec lui nous pensons que la psychologie ne doit pas se limiter à l'étude des fonctions conscientes du système nerveux, et qu'elle doit être la science des propriétés psychiques de la matière vivante.
Nous ne nous dissimulons pas les difficultés sans nombre qui entourent l'étude des facteurs psychologiques de l'évolution. Mais, sousl'égide de maîtres comme M. Giard, nous sommes assurés de ne pas nous écarter de la méthode la plus rigoureusement scientifique. Nous lui demanderons donc de bien vouloir nous continuer les marques de sa haute bienveillance, et de considérer la réunion des professeurs de cette Ecole, comme un groupe d'élèves dévoués, unis à lui par les liens d'af-
fectueux respect que nous inspire l'appréciation du service considérable qu'il nous a rendu.
Si nous reportons nos regards en arrière, et si nous nous retournons pour regarder le chemin parcouru, nous ne pouvons faire autrement que de penser que notre Ecole de psychologie est née sous une heureuse étoile. Cela tient assurément au choix heureux qu'elle a su faire de ses parrains. Je me fais donc un devoir de rappeler les noms des hommes éminents qui, dès la première heure, ont donné leur patronage à notre œuvre. Ce furent MM. les Drs Dumontpallier, Mesnet, Luys, Albert Robin, membres de l'Académie de médecine.
Actuellement, notre Comité de patronage se compose de MM. Berthe-lot, Boirac, Lionel Dauriac, Marcel Dubois, Giard, Guimet, Huchard, Ribot, Albert Robin.Tarde, Jules Voisin. Tous ces maîtres éminents ont acquis, à des titres divers, des droits à notre affection et à notre reconnaissance. Nous leur devons, en outre, l'esprit scientifique qui a inspiré la création de l'Ecole de psychologie.
Il y a deux ans, lors de la transformation de l'enseignement de l'Ecole de psychologie, M. le professeur Tarde, qui présidait la séance d'ouverture, nous apporta un concours si précieux que nous pouvons lui attribuer le succès si rapide et si éclatant de notre Ecole. Aussi, nous nous empressons de saisir l'occasion d'adresser nos sentiments de reconnaissance au savant auteur des Lots de l'imitation et de la Logique sociale.
L'année dernière, M. le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de médecine, dans le discours qu'il prononça le jour de la réouverture des cours, a défini d'une façon très heureuse et très éloquente le caractère de notre école. Nous ne pouvons mieux faire que de citer les passages par lesquels il nous encourageait à poursuivre notre entreprise :
". A une époque, disait-il, où la centralisation pèse d'un si lourd poids sur l'évolution des sciences médicales, où toute science qui n'est pas officiellement reconnue et subventionnée végète le plus souvent dans l'indifférence, vous avez eu la généreuse audace des conquérants qui font de toute résistance, môme passive, un point d'appui pour marcher de l'avant, et dont l'effort se manifeste toujours plus dur que l'obstacle.
« Votre Ecole de Psychologie a franchi les difficultés du début ; elle vit de sa vie personnelle: elle est devenue un centre d'études justement appréciées. Elle est quelque chose de plus encore, cette Ecole! Elle est un grand exemple de ce que peut créer une initiative individuelle qui s'est dévouée à la recherche de la vérité, avec une conviction assez solide pour que rien ne la rebute. Souhaitons que cet exemple soit suivi, que les hommes de science et de bonne volonté se réunissent, comme vous l'avez fait, libres, indépendants des coteries et même des attaches, plus attentifs aux faits qu'épris de synthèses, et que dans toutes les branches de la Biologie s'élève, au-dessus des systèmes assombris, la floraison nouvelle! »
Avec de tels encouragements, comment ne pas se sentir animé du désir de venir à bout par le travail et par l'effort soutenu de toutes les difficultés. Aujourd'hui, nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos auditeurs une salle de cours agrandie, et de leur annoncer que le Musée psychologique, dont nous les avions entretenus les années précédentes, s'est notablement enrichi.
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Il me reste à remplir encore quelques devoirs agréables. Tout d'abord, à la liste des membres de notre comité de patronage, nous avons l'honneur d'ajouter cette année celui de M. Guimet, le célèbre fondateur du musée des religions. Vous connaissez tous le musée Guimet. Fondé à Lyon par M. Emile Guimet, au retour d'une mission scientifique en Extrême-Orient, il a été offert à l'Etat en 1888 et transféré à Paris. Il est depuis lors une institution nationale.
Par son objectif principal, qui a pour but de déterminer la genèse et l'évolution des religions au moyen des images, livres sacrés, objets de culte, idoles, représentations symboliques de toutes sortes, le musée des religions intéresse tous ceux qui s'adonnent aux études psychologiques, et en particulier à l'étude de l'hypnotisme. La suggestion sous toutes ses formes, ainsi que l'hypnotisme, jouent, vous le savez, un râle fondamental dans la propagation des idées religieuses.
Déjà en 1900, M. Guimet nous avait donné des marques de sa bienveillante sympathie, en organisant sous la direction de M. de Milloué, le savant conservateur du musée, une réception scientifique en l'honneur des membres du Congrès international de l'Hypnotisme. M. Guimet peut être assuré qu'il trouvera dans tous les professeurs de l'Ecole et dans leurs élèves des admirateurs sincères de l'œuvre grandiose à laquelle il a consacré sa vie. Sous sa direction, le musée Guimet est devenu une véritable école, à laquelle la nôtre se rattache par un but commun : celui d'éclairer les esprits, et de fortifier les opinions par des faits et des documents certains. Nous remercions donc vivement M. Guimet du grand honneur qu'il nous a fait, et nous lui demanderons de faciliter entre les deux écoles, les relations de bonne confraternité scientifique dont son adhésion à notre comité de patronage nous donne déjà le meilleur augure. *
Chaque année, nous élargissons le cadre de notre action. L'année dernière, je vous annonçais qu'un de nos collaborateurs, M. le Dr Jagua-ribe. avait fondé à Sao-Paulo (Brésil) un institut psycho-physiologique. Notre dévoué correspondant nous a donné les nouvelles les plus intéressantes sur son œuvre. Nous le remercions des marques de sympathie et de solidarité qu'il nous envoie du poste d'avant-garde qu'il a établi sur l'autre côté de l'océan.
Un de nos correspondants, M. le Dr Orlitzky, de Moscou, nous annonce la création à Moscou d'une importante société d'hypnologie, à l'organisation de laquelle il a beaucoup contribué. Nous remercions notre colla-
borateur de l'ardeur avec laquelle il s'applique à vulgariser au loin les doctrines de notre Ecole, à laquelle il a déjà donné tant de marques d'attachement.
Enfin, comme rien de ce qui intéresse les amis de cette école ne saurait nous laisser indifférents, nous saluons avec joie la promotion au grade d'Officier de la Légion d'honneur de M. le docteur Huchard, membre de notre Comité de patronage.
Pour terminer, je remplirai un acte de justice en reportant sur nos auditeurs, si empressés et si bienveillants, la plus grande partie du succès de cette Ecole. Je les prierai, au nom de tous les professeurs, de se considérer, dans cette maison, comme des amis et des collaborateurs. C'est dire que nous saisirons tous, avec le plus grand empressement, l'occasion de leur être utiles et de répondre aux explications qu'ils pourraient nous demander. Ils nous aideront ainsi à réaliser l'œuvre que nous avons entreprise, et dont le but principal est de transformer les études théoriques de la psychologie en applications utiles au perfectionnement moral de l'humanité.
La méthode en psychologie zoologique,
Leçon d'ouverture par M. E. Caustier, professeur au Lycée Hoche.
J'imagine volontiers que les professeurs de l'Ecole de psychologie ea me chargeant de cette leçon d'ouverture, ont voulu rendre hommage au maître éminent, au chef incontestable et incontesté de la Biologie française, qui fort généreusement nous apporte aujourd'hui le précieux encouragement de sa grande autorité. Sans doute je ne puis qu'être flatté du choix dont j'ai été l'objet, mais aussi j'en suis attristé pour l'auditoire. Il faudrait, en effet, pour parler comme il convient de la méthode en psychologie zoologique toute la science, toute l'érudition du savant qui préside. Or je ne suis qu'un modeste naturaliste égaré au milieu de psychologues et de biologistes, et j'ai pleinement conscience de la faiblesse de mes connaissances en la matière. Toutefois à défaut d'une science profonde, j'apporte au moins de la bonne volontés et je sais que pour justifier la confiance de mes collègues et pour gagner la vôtre, il me suffira de conserver à cette leçon le caractère de simplicité et de sincérité que doit posséder toute besogne vraiment scientifique.
D'ailleurs, la psychologie zoologique est une science bien modeste : c'est une science défaits, de phénomènes, analogue sur ce point aux autres sciences biologiques. Comme ces dernières,elle doit se bornera constater les faits, à les déerire, à les classer, à déterminer leurs relations constantes, c'est-à-dire leurs lois.
La psychologie zoologique pourrait se définir l'étude de l'esprit des animaux. C'est dire que son domaine est vaste, car il s'étend depuis
l'excitabilité grossière du Protozoairejusqu'au merveilleux épanouissement de la raison humaine.
Pourquoi donc ce domaine est-il encore si peu exploré?Pourquoi — et c'est un fait certain — la psychologie zoologique n'a-t-elle pas évolué et progressé comme les autres branches de la biologie? C'est sans doute parce que les naturalistes ont négligé pendant de longues années d'apporter dans les recherches psychologiques, les méthodes d'observation et d'expérimentation rigoureuses qu'ils appliquaient cependant avec tant de succès dans les études de biologie. Le naturaliste contemporain était trop occupé de ses coupes en séries pour consacrer, ne fut-ce que quelques courts instants, à des travaux de psychologie qu'il considérait volontiers comme des spéculations dangereuses, dont il était prudent, sinon habile, de s'écarter avec soin.
Pourtant, lorsqu'en 1888, M. le professeur Girard prit possession de la Chaire de l'évolution des êtres organisés qui venait d'être fondée à la Faculté des sciences de Paris, la philosophie biologique pénétra dans l'enseignement officiel. Et si j'osais faire appel à mes souvenirs person-sonnels, je dirais que cet enseignement nouveau fut pour les étudiants en sciences naturelles de cette époque une sorte de révélation. Aussi bien depuis ce temps, il s'est formé autour du Maître, et sous son influence, toute une génération de naturalistes qui n'hésitent plus cette fois à apporter à la philosophie leur précieuse collaboration, et qui, grâce à l'outillage scientifique moderne, grâce aussi à la précision des méthodes, ont réussi à enrichir la science d'une véritable moisson de faits nouveaux.
Mais, nous ne voulons pas l'oublier, les zoologistes ne sont pas seuls à s'intéresser à la psychologie animale. Ils sont nombreux tous les observateurs, tous les curieux de la nature » qui cherchent à mieux connaître l'intelligence des animaux, et qui peuvent, quelles que soient leurs opinions philosophiques, faire œuvre utile en apportant des faits précis et des travaux conduits d'après des méthodes rigoureusement scientifiques. C'est à ces collaborateurs en quelque sorte bénévoles, mais précieux, que je m'adresse aujourd'hui, cherchant avec eux les méthodes que l'on doit éviter, et celles que l'on doit suivre de préférence dans ces sortes de recherches.
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Parmi les premières, la plus dangereuse à coup sûr, est celle des théoriciens, des psychologues de cabinet, qui établissent avec complaisance des systèmes basés uniquement sur la rhétorique et la sentimentalité. Rien ne les arrête : ils n'hésitent pas à expliquer magistralement des événements qui ne sont jamais arrivés, à l'aide de facultés qui n'existent pas, mises en mouvement par des motifs qui n'existent pas davantage. Des mots, toujours des mots, mais rien que des mots : c'est la négation la plus parfaite que je sache de tout esprit scientifique. Or, la solution des problèmes philosophiques ne se trouve pas dans les formules
sourdes ni dans les grands mots comme le croyaient les philosophes du XVIIIe siècle; elle est toute entière, cette solution, dans le calme domaine de la méthode scientifique.
A côté de ces philosophes trop ingénieux, il nous faut placer ceux qui, de bonne foi d'ailleurs, recueillent et propagent une foule d'erreurs, et cela par amour du pittoresque et du merveilleux. Comme si le réel n'était pas suffisamment merveilleux! Certes, il y a bien assez de merveilleux dans la nature pour ne pas en ajouter. Je dirai même, qu'à mon avis, le plus grand tort des vulgarisateurs de la science est de ne s'attacher qu'aux faits merveilleux et trop exceptionnels. La science n'est réellement scientifique qu'en restant simple, et les phénomènes delà nature, même les plus vulgaires, sont toujours suffisamment intéressants, captivants, pour mériter l'attention d'un esprit curieux. Et c'est par cet amour du merveilleux que les erreurs se popularisent facilement, surtout quand elles sont répandues avec le talent d'un Toussenel. Pour vous convaincre, lisez plutôt le récit suivant qui a trait aux hirondelles, et que j'emprunte à cet écrivain.
« Les hirondelles, dit-il, donnèrent, en 1847, à l'occasion des obsèques du duc d'Orléans, une preuve remarquable d'intelligence et de respect pour les cérémonies du culte. Comme on avait tapissé de tentures noires tout l'extérieur du portail où elles nichent, elles passèrent entre les draperies et demeurèrent silencieuses entre la pierre et l'étoffe, gardant pendant toute la durée du service funèbre un silence religieux. »
Assurément le fait peut être exact, mais ce qui est absurde, c'est l'interprétation. A supposer que le bal le plus échevelé, se fût donné à l'intérieur de l'église, cela n'eût pas empêché le « respect pour les cérémonies du culte » et le « silence religieux » de se produire : les hirondelles se taisaient parce qu'elles étaient dans l'obscurité; et c'est tout.
Tout cela n'est pas de la science : c'est de la littérature. Aussi dans cet ordre d'idées nous pouvons être entraînés bien loin. C'est ainsi que le romancier anglais Rudyard Kipling dans son curieux Livre de la jungle nous fait presque regretter d'être homme par les beaux récits qu'il est allé chercher au cœur de l'animalité. Tantôt il traduit « la lente chanson que les mères phoques chantent à leurs babies », tantôt il raconte les romans d'une cavale dans les pampas, les rêveries des morses au clair de lune; et parfois même, dans sa hardiesse, il pénètre jusqu'aux troublantes profondeurs où la vie animale et la vie végétale se confondent. Pourquoi d'ailleurs s'est-il arrêté en aussi bon chemin? Pourquoi ne s'est-il pas fait le Balzac des Infusoires et le Bourget des Bactéries? L'œuvre peut être tentante pour une imagination fertile ; mais elle n'aura jamais qu'une portée littéraire. Toutefois, parmi les œuvres littéraires qui traitent de la psychologie animale, il nous semble juste de laire une exception pour le livre de Mœterlinck sur La vie des abeilles, dans lequel l'auteur, écrivain de grande valeur, nous donne en psychologue très fin et très avisé, les résultats de vingt années d'observations.
C'est surtout en Angleterre que la psychologie animale fut étudiée par des philosophes et des naturalistes, parmi lesquels nous voulons retenir deux noms : John Lubbock et Romanes.
John Lubbock nous a donné un chef-d'œuvre de patience et de conscience scientifique. Pendant plus de dix années, il a poursuivi ses recherches, s'efforçant surtout » de déterminer la condition mentale et la portée des facultés sensorielles » des insectes.
Quant à Romanes, esprit d'une portée plus haute, il a produit l'œuvre la plus complète, ou du moins la plus systématique qui ait paru pendant le XIXe siècle sur la psychologie comparée. Dans son premier livre sur l'Intelligence animale, il résume une enquête très approfondie sur les facultés mentales des animaux ; dans son second livre, il interprète ces faits, et nous donne une psychologie générale conçue sur la théorie de l'évolution.
Mais ces ouvrages, si remarquables qu'ils soient, contiennent trop d'anecdotes qu'il est impossible de contrôler, et qui proviennent pour la plupart de correspondants inconnus. Malgré toute sa science, Romanes est souvent victime de la méthode qui a dominé trop longtemps les sciences psychologiques.
Nous ne devons accepter, en effet, qu'avec la plus grande prudence les faits qui nous sont transmis de seconde main. De plus, les observations portant sur des animaux que l'on possède (chiens, chats, chevaux, oiseaux) sont de valeur à peu près nulle. D'abord parce que les bêtes domestiquées subissent comme une rétrogradation et deviennent en quelque sorte des bêtes artificielles, déformées, déprimées et qui, dans la plupart des cas, seraient hors d'état d'affronter la vie sauvage et libre avec tous ses périls. Et d'autre part, parce que les propriétaires de bêtes prennent plaisir à vanter l'intelligence de leurs animaux, ce qui les entraine presque toujours dans d'étranges divagations, ou tout au moins dans des développements littéraires surannés : c'est ce que nous appellerions volontiers de la psychologie de vieille fille, et la science en est déjà trop encombrée.
Tout ceci nous montre combien est difficile la recherche de la vérité, et combien nous devons nous montrer prudents et sceptiques dans cette besogne ardue. La crédulité humaine est si grande et l'esprit critique si rare, que les erreurs les plus grosses se créent et se propagent avec la plus grande facilité. A cet égard l'histoire du chat de M. Emile Yung, le professeur de zoologie de Genève, est bien instructive.
Cette histoire qui nous fut contée par la Revue scientifique avait couru par tous les journaux de la Suisse. Un chat avait été transporté dans une voiture fermée de Montilier, sur le bord du lac Moral, à Lau-
sanne ; puis il serait -revenu par des voies inconnues à son ancien domicile de Montilier, distant de plus de 50 kilomètres. Ceci n'a évidemment rien d'extraordinaire, et c'est un cas de a sens de l'orientation » qui ne sort point du commun. M. Yung cependant fît une enquête. Il alla à Montilier, où on lui déclara qu'en effet, « un chat noir âgé d'un an», avait été déménagé avec le mobilier de ses maitres, qu'il était arrivé à Lausanne le lendemain, et que. 17 heures après, il était revenu à Montilier gratter à la fenêtre de l'appartement auquel il était accoutumé. Les témoignages de plusieurs personnes étaient aussi positifs que concordants. Aucun doute ne semblait donc permis, lorsque M. Yung demanda à voir la bête et annonça son désir de répéter l'expérience. Aussitôt on lui répondit que le chat était devenu sauvage, et que, depuis son retour, il ne se laissait approcher par personne. Dans ces conditions, le chat n'avait dû être reconnu qu'à distance, et M. Yung pensa qu'on avait bien pu se tromper II se mît alors en rapport avec le maitre du chat, à Lausanne, et il eut vite la preuve que le chat transporté dans cette ville, ne l'avait jamais quittée, et que celui qui avait été vu par les nombreux témoins de Montilier était un autre chat de même taille et de même couleur.
Cette simple histoire qui résulte d'une erreur d'observation nous montre qu'on ne saurait être trop méfiant en matière de témoignage-Elle nous montre aussi la nécessité de l'observation personnelle. Les savants eux aussi, ont leurs flatteurs, et souvent ils doivent faire peu de cas des observations que leur apportent des amis. Je n'en veux pour preuve que l'exemple cité par M. Hachet-Souplet, dans son intéressant livre l'Examen psychologique des animaux.» Un astronome belge, observateur assidu des étoiles filantes, pria un jour deux personnes de faire chacune de leur côté dés observations et de compter le nombre des étoiles filantes qu'elles apercevraient dans l'espace d un mois. Il avait fait pressentir à l'une que, pour étayer certaines théories, il ne serait pas fâché que la liste fût longue; à l'autre, au contraire, qu'elle ne le fût pas. Qu'arriva-t-il ? C'est que le premier observateur prétendit avoir aperçu deux cents étoiles, tandis que le second n'en avait aperçu que... douze. »
* * *
Enfin, avec les naturalistes modernes, nous sortons du domaine du subjectif. Les faits vont être relevés avec précision par des observateurs ayant une éducation scientifique, qui sauront éviter le danger si fréquent de mélanger à un fait, qui est exact, une interprétation, qui peut être erronée. Aussi l'on connaît la valeur des observations consignées dans les Souvenirs entomologiques de Fabre, et dans les travaux plus récents de Forel, de Marchal, de Charles Janet, de Bouvier, de Giard. et de bien d'autres naturalistes pratiquants.
Sans doute les difficultés d'observations dans la psychologie zoologi-
que sont grandes, car il nous est bien difficile de savoir ce qui se passe dans la conscience animale. Et puis pour pénétrer la nature des animaux, nous cherchons leurs ressemblances avec l'homme, nous nous appliquons à découvrir chez eux une intelligence et un cœur. C'est exactement la voie contraire que nous devrions suivre : il faudrait surtout s'appliquer à chercher non pas ce qu'il y a d'humain dans l'animal, mais ce qui s'y trouve de spécifiquement animal; et c'est ainsi que l'on arriverait à mieux comprendre ce qu'il y a d'animal dans l'homme, bien mieux en tout cas que par l'étude exclusive des phénomènes psychiques humains.
« Nous essayons, dit J. Lubbock, de nous faire comprendre du chien, au lieu de chercher à le comprendre : c'est peut-être plus pratique au point de vue utilitaire; mais psychologiquement, c'est moins intéressant. »
II est incontestable que pour observer et comprendre les animaux, il faut vivre avec eux. Aussi les voyageurs, les éleveurs et les paysans, doués d'esprit critique, jugent mieux les animaux que ne le fait la spéculation métaphysique, qui s'exerce sur des types imaginés, ou que le psychologue de laboratoire qui observe des animaux captifs déviés de leur véritable nature.
Un fait bien observé est certainement plus puissant que les philoso-phies les plus parfaites ; et la plus belle page de philosophie ne vaudra jamais, à notre avis, un modeste coin de la nature bien observé.
Aussi nous sommes avec Condorcet quand, dans ses Eloges, il dit du géologue Guettard « que par ses minutieuses et laborieuses recherches, il avait fait avancer la véritable théorie de la terre bien plus que les philosophes qui torturent leur cerveau à deviser sur de brillantes hypothèses, fantômes d'un moment, que la lumière de la vérité rejette bientôt dans un éternel oubli. .
Nous devons donc faire grands cas des observations recueillies par les éleveurs, les chasseurs, les explorateurs qui tous ont à leur disposition un champ d'études très vaste et d'une richesse très grande dans lequel ils peuvent étudier les bètes dans l'action, seule manifestation appréciable de leur pensée et de leurs instincts. Ces observations seront surtout d'une grande valeur si elles sont les résultats de la longue expérience d'un praticien possédant en même temps le sens critique scientifique.
Nous ne saurions oublier que le premier qui transporta la question de l'intelligence des animaux sur le terrain scientifique, fut un inspecteur des forêts, administrateur des parcs de Versailles et de Marly, Georges Leroy, qui avait appris à connaître les bêtes parla pratique et qui fut dans ses belles Lettres sur les animaux, l'adversaire le plus décidé de la théorie cartésienne.
Ces lettres, qui furent publiées, de 1762 à 1781, sous le pseudonyme du Physicien de Nuremberg, étaient adressées à la comtesse d'Angiviller, l'une des femmes les plus eminentes de ce temps, et qui fit pour la
science, ce que la marquise du Châtelet avait fait pour la physique de Newton et pour la méiaphysique de Leibniz.
Il est certain que sa profession aida beaucoup Georges Leroy dans ses observations. Vivant journellement au milieu des animaux, et se trouvant, par ses occupations même, en coopération ou en rivalité continuelle avec eux. il fut plus apte à étudier leur vie réelle et à démêler leurs intentions dans leurs actes.
Dès sa première lettre, il montre que la psychologie animale est une science auxiliaire de la psychologie humaine. « De même, dit-il, qu'en observant la structure intérieure du corps des animaux, nous apercevons des rapports d'organes qui servent souvent à nous éclairer sur la structure et l'usage des parties de notre propre corps; de même, en observant les actions produites par la sensibilité qu'ils ont, ainsi que nous, on peut acquérir des lumières sur le délai! des opérations de notre âme, relativement aux mêmes sensations. » Il ajoute même un peu plus loin : « Dans ces conditions, on peut trouver tel renard, par exempte, dont la somme des connaissances et les idées sont de beaucoup supérieures à celles de certains hommes. » Ou bien encore : « J'ai vécu pendant longtemps avec les bêtes, j'en ai suivi plusieurs espèces avec beaucoup d'attention, et j'ai vu que la morale des loups pouvait éclairer sur celte des hommes, »
Par tous les faits qu'il observe avec tant de simplicité, Georges Leroy renverse un à un tous les arguments accumulés depuis Descartes, pour soutenir l'hypothèse de l'automatisme. Mais, ne l'oublions pas. c'est dans les bois que le Physicien de Nuremberg a fait son cours de philosophie, et la connaissance qu'il a des animaux est basée non pas sur des faits isolés, particuliers, souvent mal observés et suspects, mais sur l'observation de leur conduite journalière et de leurs actions modifiées par les circonstances.
« Je voudrais, dit Georges Leroy, pour que nous eussions l'histoire complète d'un animal, qu'après avoir rendu compte de son caractère essentiel, de ses appétits naturels, de sa manière de vivre, on cherchât à l'observer dans toutes les circonstances qui peuvent mettre des obstacles à la satisfaction de ses besoins: circonstances dont la variété rompt l'uni-formité ordinaire de sa marche, et le force à inventer de nouveaux moyens.
« Si c'est un animal carnassier dont on écrit l'histoire, ce n'est pas assez d indiquer quels animaux lui servent de proie, ni comment il s'en saisit; il faudrait voir par quels degrés l'expérience lui apprend à rendre sa chasse plus facile et plus sure, comment la disette éveille son industrie, etc. Il faudrait encore observer tout ce que l'activité des différentes passions auxquelles l'animal est sujet, comme la crainte, l'amour, apporte de modifications à ses démarches: combien la vivacité des besoins écarte les idées de la crainte, et jusqu'à quel point une défiance acquise par l'expérience balance en lui le sentiment du besoin. Ce n'est qu'en suivant ainsi l'animal dans ses différents âges et dans les événe-
ments de sa vie, qu'on peut parvenir à connaître le développement de son instinct et la mesure de son intelligence, a
Voilà des conseils judicieux que les observateurs modernes, désireux de faire progresser la science, ne devraient pas oublier.
* *
Si la sincérité est une qualité nécessaire de l'observation, il s'en faut qu'elle soit toujours suffisante. Souvent, en effet, l'observation est obligée de faire appel aux procédés d investigation de la science moderne. Prenons, pour nous faire mieux comprendre, un exemple qui est d'actualité, car il vient de donner lieu à de longues discussions dans la presse. Il s'agit de savoir si réellement les petits oiseaux enfermés dans une cage sont empoisonnés par leurs parents restés libres.
Il est certain qu'un doute subsiste sur la cause de ces morts souvent constatées. Voici d'ailleurs le problème tel qu'il est posé par M. Rabier, directeur de l'enseignement secondaire au Ministère de l'Instruction publique, dans une lettre adressée à M le sénateur Couteaux, qui, dans le journal Le Temps, publie d'intéressantes chroniques sur Les champs et les bêtes.
Dans le cas observé par M. Rabier il y a plus de quarante ans, il s'agit de moineaux. « Un jeune étant tombé du nid, voletait à peine. Je le ramassai, le mis en cage et exposai la cage à la fenêtre d'un grenier, dans le voisinage du nid, avec l'espoir que les parents viendraient apporter la subsistance à leur progéniture Cela ne manqua point, et presque aussitôt je vis, en effet. les père et mère —je suppose que c'étaient eux — donner la becquée à travers les barreaux.
Des camarades de collège, de jeunes campagnards probablement mieux au courant que moi des mœurs des oiseaux, m'avertirent que mon jeune moineau allait infailliblement être empoisonné. Je n'en voulus rien croire. Mais, un quart d'heure après, allant voir comment se portait mon prisonnier, je le trouvai bel et bien le ventre en 1 air, gonflé, rond comme une boule, déjà bleui, manifestement empoisonné.
« J'ai depuis souvent réfléchi à la mort iragique de ce pauvre moineau. Je n'ai pas réussi à me l'expliquer. S'il s'agissait seulement de l'abandon de l'enfant par les parents, on ne serait point embarrassé. Mais la mort apportée ainsi au cher petit! Ont-ils pensé qu'il valait mieux pour lui mourir que rester prisonnier? C'est une morale bien haute, ce semble pour une conscience de moineau. Ont-ils voulu se délivrer du souci de pourvoir à sa subsistance dans des conditions plus difficiles qu'à l'ordinaire? Mais, en ce cas, le soin de hâter sa mort par le poison et de lui épargner les longs tourments de la faim est encore un scrupule bien extraordinaire après un tel parti pris!
« A mon humble avis, il n'y a rien de plus étonnant dans tout ce que l'on rapporte de l'intelligence et du sens moral des animaux. »
Voilà donc un fait observé par un homme de haute valeur, mais qui n'en reste pas moins un problème troublant de psychologie animale. Et
il faut reconnaître que toutes les belles et savantes dissertations qui ont été faites sur ce sujet n'ont guère fait avancer la solution. Il est incontestable qu'un fait bien précis, et pouvant être soumis au contrôle de l'expérience ferait mieux notre affaire que la plus ingénieuse philosophie. Or, dans ce cas, je ne vois guère que l'analyse scientifique qui puisse intervenir et résoudre la question. Les petits oiseaux, en effet, ont pu être empoisonnés par une piqûre venimeuse, ou bien par un poison pris à l'intérieur et transportés par les parents nourriciers. Seule, l'autopsie des victimes pourra prouver l'innocence ou la culpabilité des parents ; mais c'est une opération scientifique qui ne pourra être faite qu'à la saison des nids et que ceux d'entre vous que la question intéresse pourraient tenter au printemps prochain.
* » •
Jusqu'ici les animaux qui ont attiré le plus l'attention des psychologues, à cause du développement de leurs facultés psychiques sont les Mammifères, les Oiseaux et les Insectes. Mais toutes les classes zoologiques, même les plus inférieures sont susceptibles d'être étudiées d'une façon analogue.. Elles constituent un champ d'étude qui mérite d'être exploré avec le même zèle que celui qui nous est offert par les animaux supérieurs. Souvent même les manifestations psychiques étant réduites à une plus grande simplicité, seront, par suite, d'une interprétation plus facile.
Les Mammifères devront être étudiés surtout par la domestication et le dressage ; nous le montrerons plus loin par quelques exemples.
Quant aux Oiseaux, des documents intéressants et précieux peuvent nous être fournis par l'étude des migrations et des causes qui les régissent, par la colombophilie, par la monographie d'une espèce sauvage ou d'une race domestique faite sur le plus grand nombre possible d'individus, ceux-ci étant étudiés aux différents âges et dans toutes les circonstances qui peuvent les affecter. Enfin d'excellents renseignements pourront être obtenus par l'étude des variations d'un instinct donné, tel que celui de la nidification ou de la sociabilité, suivant les conditions extérieures, suivant les climats et suivant les races.
Les Insectes n'exigent pas pour être étudiés un matériel bien compliqué : un coin de jardin, ou même un cabinet de travail, suffisent pour l'installation d'une fourmilière ou d'une ruche.
Toutes ces recherches devront être dirigées vers l'étude des facultés primordiales telles que la mémoire, et elles devront avoir pour but la dissociation expérimentale des instincts compliqués en phénomènes élémentaires.
* •
L'expérimentation est, en effet, nécessaire. Sans doute c'est l'observation qui fait découvrir les faits, alors que l'expérience ne découvre
rien; mais celle-ci est nécessaire, parce qu'elle vient, comme une preuve arithmétique, confirmer ou infirmer nos inductions.
C'est ce qu'ont bien compris M. Hachet-Souplet, en France, et M. E.-L. Thorndike, aux Etats-Unis. Ces chercheurs ont expérimenté sur les bétes par le dressage, le premier dans son cirque du Muséum d'histoire naturelle de Paris, le second dans son laboratoire de Colum-bia University. Le dressage rationnel permet, en effet, de mettre en jeu, au moins chez les animaux supérieurs, certaines facultés intellectuelles dont on peut alors saisir le mécanisme. Les expériences psychologiques de dressage faites sur des animaux pourraient être un moyen d'investigation correspondant,par exemple à ce qu'est l'analyse pour la chimie, « Le dressage, dit M. Hachet-Souplet, est la pierre de touche de la, psychologie animale. »
Parmi les expériences faites par ce dernier expérimentateur, en voici une, fort simple. Au milieu du cirque se trouve un garde-manger, fermé à loquet, et dans ce garde-manger un peu de viande. D'autre part, un chat qu'on lâche, qui s'élance vers le garde-manger et qui pour se mettre un morceau sous la dent, a appris la manœuvre du loquet qu'il abaisse d'un coup de patte. M. Hachet-Souplet fait subir la la même épreuve à différents animaux de même espèce sans qu'ils puissent s'observer mutuellement, afin d'éviter l'imitation — et il constate des différences très sensibles entre les aptitudes des différents individus. C'est ce que M. Hachet-Souplet appelle des expériences de stimulation.
Dans les expériences de M. Thorndike, les animaux ont à découvrir le moyen, non pas d'entrer dans un garde-manger, mais de sortir d'une boite fermée par des systèmes variés. On note pour chaque animal le temps au bout duquel il réussit à découvrir le moyen de sortir, et l'on peut même construire ainsi la courbe représentative des variations de ce temps. Par cette méthode, on exclut ainsi cette équation personnelle à laquelle la psychologie animale doit tant d'erreurs.
Voici comment les choses se passent dans ces expériences : le chat est introduit dans une caisse à claire-voie ; dehors est un morceau de viande. Le chat a faim et, pour saisir la viande, il passe ta patte à travers les barreaux, il ébranle ceux-ci, les mordille, les secoue, et finalement, par hasard, il pose la patte sur le levier : la porte s'ouvre, et le voilà devant la viande, qu'on lui abandonne comme récompense. Le lendemain, on recommence, et ainsi de suite pendant plusieurs jours. Invariablement, le temps mis par l'animal à découvrir le secret diminue. 11 vient un jour où, à peine entré dans la cage, il pose la patte sur le levier et sort, Cela ne veut pas dire que l'animal a compris le mécanisme. Il a remarqué que tel acte, tel geste lui procurait la satisfaction de la liberté et de la faim, il l'exécute alors le plus vite possible.
On peut construire des cages diverses avec des mécanismes de plus en plus compliqués, et quand un animal a appris à sortir de l'une, on l'éprouve avec une autre. On constate alors que ces épreuves exercent
une réelle influence sur l'intelligence de l'animal. A tel point qu'après avoir passé par une dizaine de mécanismes variés, le chat placé dans une cage nouvelle, ne s'attarde plus à essayer de passer à travers les barreaux. Il semble se douter qu'il y a un secret à trouver, et dès qu'il a mis la patte sur le secret, il le retient plus vite qu'au début des expériences.
On a répété ces exercices sur des animaux d'une autre espèce, sur des chiens, par exemple. Cette méthode a même été appliquée par M. Yerkes à la tortue. Il construit une sorte de labyrinthe, à un bout il place une tortue, dans un endroit ensoleillé qui ne plaît pas à cet animal; il note ensuite combien de temps la tortue mettra pour trouver un endroit qui lui convienne. A la première épreuve, la tortue mit 35 minutes pour arriver au bon endroit; à la seconde, un quart d'heure lui suffit: à la troisième, 5 minutes, et au bout de quelques jours, elle faisait le voyage en une minute. Un jour, elle inventa même un raccourci. Ayant, en effet, faite une chute le long d'un plan incliné, chute qui lui économisait de la route, l'animal, désormais, ne manqua pas de faire cette chute de propos délibéré. Pour cela, la tortue, après avoir rentré pattes et tète dans sa carapace, se laissait choir, pour rétablir ensuite son attitude et continuer sa route.
Il faut dire toutefois que le dressage, si utile qu'il soit dans l'étude de la psychologie zoologique, n'est pas le seul procédé expérimental que l'on puisse appliquer aux animaux. Prenons un exemple :
On sait que si une fourmi pénètre dans une colonie qui n'est pas la sienne, elle est presque aussitôt mise à mort. Les fourmis se reconnaissent donc entre elles. On a voulu savoir alors par quel mécanisme physiologique ou psychologique pouvait s'effectuer une reconnaissance aussi subtile, et l'on fit des expériences dont voici les plus probantes.
M. Cook montra qu'une fourmi qui avait touché à l'eau, était attaquée par ses sœurs, lors de son retour au logis. Ainsi le lavage fait "perdre aux fourmis la faculté de se reconnaître.
M. Forel confirma cette hypothèse en montrant qu'on pouvait mettre en présence des fourmis de nids différents, pourvu que l'on coupât au préalable les antennes qui sont des organes olfactifs.
Enfin, M. Bethé, apporte une nouvelle preuve : il écrase quelques fourmis et, avec le suc obtenu, il badigeonne une fourmi qu'il introduit ensuite dans une fourmilière étrangère. Si la fourmi a été parfumée avec le suc de fourmis provenant de cette fourmilière, elle est la bienvenue: sinon, elle est attaquée aussitôt. Ce naturaliste opère encore d'une autre façon : il lave une fourmi avec de l'alcool à 30°, puis la met dans son propre nid où elle est attaquée comme une étrangère. Au contraire, mise à l'écart pendant 24 heures, elle est bien accueillie, car elle a eu le temps de régénérer son odeur familiale.
Ces expériences diverses semblent montrer que dans ces phénomènes de reconnaissance, c'est l'odorat qui joue le principal rôle. L'expérimentation en psychologie zoologique, comme dans les autres sciences, est
donc d'une grande utilité. Et si jusqu'ici elle n'a pu porter que sur des faits élémentaires, il n'est pas douteux qu'elle pourra se perfectionner et s'attaquer à des questions plus ardues, à des problèmes plus difficiles.
•
* »
En résumé, si nous voulons faire progresser la science psychologique, il nous faut faire de bonnes observations suivant les méthodes que nous impose la science moderne, puis ensuite soumettre ces observations au contrôle sévère de l'expérience. C'est alors, mais alors seulement, que nous arriverons par l'étude de la psychologie zoologique aussi bien que par l'étude de la biologie « à la conception mécanique de l'univers, même dans les manifestations les plus compliquées de la nature, la vie et la pensée, »
La loi de l'évolution pourra alors se vérifier aussi exactement dans le domaine psychique que dans les autres domaines de la vie organique. Une idée générale se dégagera par suite de cette partie de la psychologie : c'est que l'animal n'est pas plus séparé de l'homme par son esprit que par son corps; c'est que la pensée humaine, comme l'a dit si justement Leibnitz, n'est pas isolée et qu'il existe au-dessous de cette pensée un nombre infini d'autres consciences présentant tous les degrés de perfection depuis la plus sourde sensibilité jusqu'aux intelligences voisines de la nôtre.
Donc, si jusqu'ici le rôle de la psychologie zoologique fut modeste, son but n'en est pas moins élevé, et mérite, au môme titre que celui des autres sciences, d'attirer l'attention et la bonne volonté des chercheurs.
A cette science, Messieurs, apportez d'abord ce qu'elle vous demande : des faits; et elle vous donnera ensuite ce que vous lui demandez: des idées.
La psychologie et la biologie
Discours de M. le professeur Alfred Giard.
Messieurs,
Il existait dans la tragédie grecque un personnage permanent, le Chœur, dont tout le rôle consistait à faire comprendre aux spectateurs les sentiments divers qui animaient les héros de la pièce, et à mettre ainsi le public plus à même de suivre, et, jusqu'à un certain point, de prévoir les péripéties de l'action. C'est cette fonction très modeste que j'ai entendu accepter en me rendant à la flatteuse invitation que m'a faite votre directeur, mon ami le Dr Bérillon, de venir présider aujourd'hui la réouverture des cours de l'Institut psycho-physiologique.
Vous n'avez que faire en effet des conseils ou des leçons d'un biologiste qui, à son grand regret, n'a pu consacrer qu'une trop faible partie de son labeur aux recherches si captivantes qui font l'objet de vos études.
Au surplus l'Ecole de Psychologie n'est pas une création nouvelle. Depuis nombre d'années, son fondateur et ses dévoués collaborateurs ont prouvé en marchant la possibilité du mouvement. C'est la meilleure démonstration. Sans bruit, sans réclame, sous une forme modeste, mais avec une vitalité qui s'affirme chaque jour plus puissante, l'Institut psycho-physiologique s'est développé, ne bénéficiant d'aucune attache officielle, n'attendant d'autre récompense que la conscience du bien accompli. On ne compte plus les services qu'il a déjà rendus, soit à l'enseignement d'une branche importante des sciences médicales, soit à la thérapeutique des maladies nerveuses, de toutes celles en particulier qui sont justiciables de la suggestion.
Partisan, comme je le suis, de la décentralisation scientifique pour laquelle j'ai naguère rompu bien des lances, acquis d'avance à toute œuvre de progrès et de libre initiative, il m'était impossible de ne pas apporter, à défaut de mieux, mon appui moral à une entreprise conduite avec la persistance et la vigueur de la méthode expérimentale, et qui répond utilement à une des nécessités les plus urgentes, dans l'état actuel des esprits.
Proclamer devant une assemblée telle que celle-ci, composée presque exclusivement de biologistes et de médecins, que l'étude de la Psychologie sous ses diverses modalités est inséparable désormais de celle de la physiologie et des sciences connexes: anatomie, histologie, c'est, il me semble, énoncer une vérité reconnue et admise par tous, presque une banalité. Qui oserait de nos jours, sans une connaissance approfondie des organismes sains et des organismes malades ou anormaux, enseigner la psychologie normale ou pathologique, la psychologie de l'enfant, la psychologie du criminel, la psychologie des foules et surtout celte science encore au berceau mais déjà si pleine de promesses, la psychologie comparée des animaux, dont votre savant conférencier vous entretenait, il y a quelques instants, avec une ardeur communicative et une critique pleine de bon sens?
En appliquant aux phénomènes psychiques les procédés d'observation, de mensuration, d'expérimentation qui ont donné des résultats si précieux dans toutes les sciences de la nature, nous voulons d'abord débarrasser le terrain d'une foule de notions vagues et erronées de vestiges d'un passé où la psychologie était la servante de la théologie, d'un fatras de données subjectives amassées sans discernement et de concepts métaphysiques aussi obscurs qu'encombrants.
Nous voulons aussi, par une étude objective et précise, donner aux fonctions sensorielles la part légitime qui leur revient dans la constitution du mot psychologique.
Nous n'entendons pas pour cela renoncer à la méthode d'observation interne, qui a fourni naguère à l'Ecole Ecossaise et depuis à maints psychologues plus récents, bien des faits importants, et qui elle aussi peut se prêter à des recherches expérimentales.
Mais alors que des trois cotés nous sentons la relativité de nos con-
naissances il nous parait impossible d'attribuer, comme on l'a voulu parfois, à cette méthode d'observation interne, et à son instrument, la conscience, une rigueur infaillible, sous prétexte qu'il n'y a nulle interpo-sition entre le sujet et l'objet.
Les objets sur lesquels travaille la conscience, c'est-à-dire les sensations et les idées qui en dérivent ne sont-elles pas modifiées de mille manières selon les étals variables physiologiques ou pathologiques où se trouvent les organes matériels profonds où siège le sens intime?
Que l'on dise avec Claude Bernard :
« La physiologie nous montre que, sauf la différence et la complexité plus grande des phénomènes, le cerveau est l'organe de l'intelligence au même titre que le cœur est l'organe de la circulation, que le larynx est l'organe de la voix. » (1).
Ou que Ton s'en tienne à l'opinion d'Hippocrate :
« C'est par le cerveau que nous pensons, comprenons, voyons, entendons, que nous connaissons le laid et le beau, le mal et le bien, et aussi que nous sommes fous, que nous délirons, quand cet organe n'est pas sain. » (2)
Que la pensée soit élaborée dans une cellule cérébrale, qu'on la considère comme le résultat d'un métabolisme protoplasmique dont elle serait une manifestation énergétique au même titre que la chaleur, la lumière, etc., ou qu'elle nous soit seulement transmise par l'élément nerveux, substratum ou simple conducteur, il est clair que toute altération de neurone intéressé aura pour conséquence de modifier l'acte conscient, et que par suite l'observation intense sera sujette à des causes d'erreur aussi multiples et aussi graves que celles auxquelles nos sens sont exposés dans la méthode d'observation externe.
Sans doute, on pourra prétendre avec Max Verworn et Ch. S. Minot que nous n'avons pas et n'avons jamais eu une preuve quelconque de l'existence de la matière ; que toutes nos sensations sont causées par la force et par la force seulement, de sorte que le biologiste peut dire que nos sens ne nous apportent aucune preuve de l'existence de la matière ; que le concept matière est un transfert illégitime au monde moléculaire de notions dérivées des informations des sens. On peutregarder comme souhaitable la disparition de l'hypothèse d'une matière distincte de la force.
Mais toute théorie doit être jugée en dernier ressort par l'utilité qu'elle peut avoir non seulement en coordonnant des faits connus mais en permettant de prévoir des faits nouveaux. Or, après avoir admis comme une construction logique acceptable l'idéalisme transcendental de Verworn et de Minot, ne serons-nous pas obligés dans nos laboratoires d'agir comme de purs matérialistes sous peine de renoncer à tout progrès de la science ? Rien n'est plus curieux à ce point de vue que l'opposition qui
(1) Cl. Bernard, La science expérimentale, 1878, p. 403.
(2) hippocrate, Traité de la maladie sacrée.
./
existe entre la Préface du traité de physiologie générale de Max Verworn et le contenu des chapitres de cet excellent livre.
Mais c'est surtout dans la psychologie comparée que l'étude de la biologie, sous ses formes les plus variées, s'impose comme une nécessité à l'investigateur.
On connaît la question indiscrète que posait Th. Morus à Descartes quand il lui demandait où était le moi, c'est-à-dire l'âme, chez les petits enfants.
« II y a une grande différence entre les enfants et les brutes, répondait l'illustre philosophe ; cependant e ne croirais pas que les enfants eussent une âme, si je ne voyais qu'ils sont de même nature que les adultes. •
Ainsi c'est le principe de la continuité organique de ce que nous appelons aujourd'hui, avec Weismann, la continuité du protoplasma qui seul permettait à Descartes d'affirmer la vie psychique chez l'enfant et chez 1 embryon, par suite chez l'œuf humain.
Et comme, depuis Lamarck et Darwin, nous savons que cette continuité protoplasmique s'étend bien au-delà des races humaines jusqu'aux espèces zoologiques ancestrales, jusqu'aux formes vivantes les plus simples, jusqu'aux origines même de la vie la plus rudim^nlaire et la plus obscure, nous sommes ainsi «menés graduellement et nécessairement à chercher les forces indissolublement unies à la matière dite inorganique, les éléments de toute manifestation psychique depuis les plus inférieurs jusqu'aux plus compliqués. Et par une conséquence singulière, nous som-mes conduits, en outre, soit: étendre à l'homme l'automatisme des bètes, soit à chercher dans les forces de la matière et dans la vie psychique des animaux les origines de la psychologie humaine. Les deux conclusions sont d'ailleurs également exactes pour ceux qui croient au déterminisme, sans lequel la science deviendrait chimérique, l'histoire du monde ne serait plus qu'une chronique indéfinie de faits miraculeux
Si je crois pouvoir affirmer que sur tous les points que je viens de toucher, les psychologues seront unanimes à reconnaître la nécessité de faire intervenir les lois biologiques, je suis bien loin de prétendre que tous seront d'accord avec moi sur la façon d'envisager les questions et sur les solutions à donner aux nombreux problèmes soulevés en passant.
Mais la discussion et la contradiction sont les facteurs essentiels de tout progrès scientifique. Elles sont utiles, indispensables, et nous ne devons pas hésiter à les provoquer.
Nous devons au contraire considérer comme nuisible tout effort tenté pour supprimer certains problèmes dont la solution préjugée, ou même la simple discussion nous apparaît troublante pour notre quiétude, fâcheuse pour nos tendances passionnelles.
De par les lois éternelles de l'honneur, disait il y a quelques années Lord Kelvin alors Sir William Thomson, la science est tenue de regarder en face et d'aborder sans crainte toute question nouvelle qui se dresse devant elle. »
Rien n'est plus juste, Messieurs, et j'ajoute que ces questions embar-
rassantes, la science doit les attaquer arec ses méthodes ordinaires, les plus sûres et les mieux éprouvées, sans faiblesse, sans hésitation, mais sans hâte, loin des préoccupations du forum ou du temple, et en écartant toute tentation de remplacer les inconnues par ce que Bacon eût appelé les idoles de la caverne (idola antri).
Il y a quelques années, à la suite de ses profondes recherches d'hydrodynamique appliquée aux cours d'eau et aux vagues de l'océan, mon savant collègue Boussinesq, frappé du déterminisme rigoureux que l'on constate dans les phénomènes les plus complexes de la mécanique naturelle, et désireux d'autre part de faire place au libre arbitre, et à ce qu'il appelait les principes directeurs, essaya de profiter de l'obscurité qui régnait dans l'application des solutions singulières de certaines questions différentielles pour y mettre comineen un asile intangible les idées métaphysiques qui lui étaient chères. Mais Joseph Bertrand et d'autres analystes, habitués aux escalades algébriques les plus hardies, ne tardèrent pas à venir les déloger de cet abri qui semblait de tout repos.
Tout récemment, mon ami le professeur A. Sabatier, l'éminent Doyen de la Faculté des Sciences de Montpellier, vient de tenter le même sauvetage d'une façon non moins originale, en s'emparant par droit de conquête métaphysique d'une autre terra incognita de la physique générale. On sait que le principe fondamental de la conservation de l'énergie et le second principe de la thermodynamique ou principe de Cornet, qui constate la non-reversibilité de certaines formes énergétiques fia chaleur par exemple, présentent entre eux une antinomie bien faite pour embarrasser les physiciens. En attendant qu'on puisse l expliquer, on a désigné sous le nom d'entropie la dissipation ou la dégradation d une partie de l'énergie, devenue en apparence inutilisable ou indisponible.
C'est dans l'entropie que Sabatier entend reléguer l'âme, la pensée, toutes les manifestations psychiques qui, débarrassées de leur enveloppe matérielle et entraînées par la voix du sang, retourneraient à la source suprême de toute énergie.
Comme un mathématicien hors pair, un esprit aussi pénétrant que M. H. Poincaré considère le concept de l'entropie comme prodigieusement abstrait, il y a quelque chance pour que cette fois, les précieuses entités que Sabatier désire mettre en lieu sûr demeurent quelque temps encore inexpugnables, dans une forteresse où d'ailleurs elles ne gêneront que bien peu d'hommes de science.
Mais, d'une façon générale, affirmer qu'une chose est parce que son existence n'est pas en contradiction évidente avec une parcelle quelconque du patrimoine scientifique actuel, remplacer l'inexpliqué par l'inexplicable dans les cas obscurs, c'est encore une manière d'écarter les questions gênantes moins brutale à coup sûr qu'une simple fin de non-recevoir mais tout aussi préjudiciable au progrès, car en donnant l illusion que le problème est résolu, nous supprimons tout effort pour le résoudre et par suite nous empêchons tout nouveau pas en avant.
Si des sciences aussi avancées que la mathématique et la physique ne
sont pas à l'abri de pareilles mésaventures, combien plus fréquentes seront-elles dans nos sciences biologiques et psychologiques dont la complexité est si grande, les méthodes encore si imparfaites, et dont les objets sont de nature à soulever tout en essaim de sentiments personnels, puisqu'elles traitent en somme de ce qui nous touche de plus près, la vie, la nature et la destinée de l'homme, ses origines et ses fins dernières.
Vous le savez. Messieurs, le fondateur de cette Ecole est en même temps le directeur de la Revue de l'hypnotisme. Depuis 16 ans, il s'est imposé la tâche ardue de jeter quelque lumière dans l'étude des phénomènes si passionnants et si extraordinaires de l'hypnose, de la suggestion, des modifications connues de la sensibilité, des troubles psychiques si variés de l'hystérie et des autres névroses. Par son importance théorique, comme par les nombreuses applications pratiques dont il est susceptible, l'examen de ces matières difficiles s'imposait au savant. Les enseigner aux jeunes praticiens devenait une nécessité. A ce double devoir, le Dr Bérillon n'a pas failli ; mais au prix de quelles difficultés !
Ce fut d'abord l'indifférence et la méfiance de la science officielle qui, après avoir laissé dans l'ombre des travaux de Durand de Gros et de quelques rares précurseurs, se résignait lentement à contrôler des faits si en dehors de toutes les connaissances reçues. Peut-être, après tout, cet accueil un peu sévère ne fut-il pas sans utilité en écartant, dès le début, de prétendus adeptes dont le zèle était mêlé de beaucoup de préoccupations extra-scientifiques.
Mais bientôt apparaissent pour les nouvelles doctrines d'autres dangers plus graves que cette sourde opposition du début.
En face de faits troublants, qui semblent défier la sagacité des savants et mettre en échec les théories les plus solidement établies, certains esprits sont pris d'affolement. Ils crient à la faillite de la science. Tels ces ingrats oublieux des services passés qui renient leur bienfaiteur parce qu'à tant de faveurs déjà accordées, il ne peut ajouter des faveurs nouvelles.
Parfois aussi, il faut le dire, cette attitude est inspirée par le secret désir de revenir à d'anciennes idoles d'un culte moins sévère et d'abandonner les luttes pénibles, les longs efforts, l'âpre conquête du vrai, toutes ses fatigues et ses désespérances, pour se laisser bercer doucement par ce que Henri Heine appelait les vieilles chansons.
D'autres, en plus grand nombre suivent les errements de Boussinesq et de Sabatier. Sans prétendre rien abandonner des conquêtes antérieures de la science, et tout en reconnaissant qu'on peut encore largement étendre son domaine, ils ne sont pas fâchés de constater l'existence de ces terres inconnues où nul voyageur n'a pu encore mettre les pieds, et c'est là qu'ils confinent toutes les chimères chères à leur cœur, tous les mystères de l'au-delà.
Ainsi faisait-on au temps pas encore bien éloigné de nous où l'on con-
naissait mal les déserts de l'Asie centrale ou les régions équatoriales du continent noir. C'est là qu'à la suite de Marco Polo un des vieux chroniqueurs, les naturalistes et les géographes se plaisaient à supposer tous les animaux ou les plantes bizarres qu'on ne retrouvait pas ailleurs, legs des anciennes mythologies ou souvenirs imparfaits d'observations incomplètes, dont on se résignait avec peine à nier l'existence, tant le merveilleux a toujours séduit le cœur de l'homme !
C'est par un semblable processus mental que le mysticisme aujourd'hui renaissant, plus dangereux cent fois que l'indifférence ou les négations d'antan, cherche à interpréter à son profit les faits qui nous embarrassent, et tente de supprimer, en leur donnant d'illusoires solutions, les questions ardues qui se posent à la curiosité du psychologue moderne.
Entraînés par un penchant irrésistible pour le surnaturel et le pas encore vu, trop d'esprits distingués semblent oublier qu'au lieu de subordonner le connu et le démontré à l'exceptionnel à peine constaté, il faut d'abord chercher à vérifier patiemment si ce qui nous parait hors des lois de la nature ne peut se rattacher à l'ensemble des notions solidement acquises, par des liens cachés difficiles à mettre en évidence.
C'est, Messieurs, le grand mérite de cette Ecole libre de psychologie et ce sera la gloire des maîtres qui l'ont fondée et qui la dirigent, d'avoir su écarter de vous ces périls de la science en vous les faisant toucher du doigt dans leur enseignement théorique comme dans leur enseignement pratique.
Ne rien nier à priori, accepter tous les faits expérimentalement vérifiés, les réunir en des théories qui ne dépassent pas les limites des données empiriques, et auxquelles on n'accorde qu'une valeur provisoire, modifiables d'ailleurs à mesure de la découverte des faits nouveaux et abandonnés comme inutiles le jour où elles cessent d'être suggestives; telle est la méthode en usage dans cette maison : et c'est la vraie méthode scientifique.
Pour le reste, chacun est libre de se payer de mots, mais on ne doit considérer comme réellement scientifique et ne faire intervenir dans les problèmes psychologiques que les notions ayant subi le sévère contrôle de l'expérience. Car en vous armant contre des dangers trop réels, cette doctrine n'a rien qui puisse entraver les nobles enthousiasmes de la jeunesse ou réfréner un légitime essor vers des vérités nouvelles.
Entre la désespérante devise de Dubois-Reymond : Semper ignora-bimus et le cri de ralliement de Haeckel : Impavidi progrediamur ! vous n'hésiterez pas. Toujours assez tôt vous trouverez sur votre chemin l'obstacle devant lequel se briseront vos forces. Agissez comme si vous ne deviez jamais le rencontrer. La foi scientifique peut exister sans Je mysticisme. Aussi laissez-moi vous redire en terminant les belles paroles qu'adressait récemment aux étudiants de Montpellier mon ami le professeur A. Sabatier, dont j'ai critiqué certaines tendances métaphysiques, mais dont le caractère m'inspire la plus sympathique admiration :
« Que votre attitude soit composée de mélancolie et de modestie en face
de l'immensité des terres inconnues, de fierté et de confiance en mesurant les territoires déjà conquis. Pour vous, comme pour toute l'humanité, comme pour le monde entier qui évolue, il ne doit y avoir ni résignation stérile, ni présomption coupable ; et rappelez-vous que l' effort est le grand et suprême moteur de l'évolution. Vous êtes, jeunes amis, à l'âge où l'effort est facile, où le labeur est aisé et profitable. Ne gaspillez pas ce trésor inestimable. C'est un vétéran qui vous le dit. » (1)
Le sommeil chez les êtres monoplastidaires et les végétaux
Par M. le Dr Charles Binet-Sanglé, Professeur à l'Ecole de Psychologie. [suite) (2)
II. — LE SOMMEIL DES ORGANES VÉGÉTAUX
Le sommeil des organes végétaux n'est que le résultat du sommeil des cellules végétales qui les composent, et dont quelques-unes, situées à la base des feuilles, des pétioles, des cotylédons, des sépales, des pétales et des étamines de certaines plantes, présentent 1'« irritabilité » c'est-à-dire larétrac-tilité spéciale et complexe de l'amibe. C'est la rétraction ou mieux la contraction du bioprotéon de ces cellules qui détermine, dans les organes végétaux, les mouvements de sommeil.
I. — SOMMEIL DES FEUILLES.
I. — Mécanisme du sommeil des feuilles.
Le sommeil des feuilles a été observé dans quatre-vingt-dix genres, dont la moitié environ appartient à la famille des Légumineuses.
Les mouvements que j'étudierai tout d'abord ne sont pas compris d'ordinaire dans les mouvements de sommeil. C'est à tort. II n'y a pas lieu de les en séparer.
La face supérieure de la feuille de Drosera rotundifoïia est garnie, sur toute sa surface, de tentacules qui portent une glande à leur extrémité supérieure. Nous avons vu que, sous diverses influences, le bioprotéon des cellules de ces tentacules se rétrac-
(1) A. Sabatier, l'Univers matériel est éternel ? Discours prononcé, le 4 nov. 1902,à la rentrée de l'Université de Montpellier.
(2) Voir la Revue de l'Hypnotisme, n° de Décembre 1902 et Janvier 1903.
tait. Cette rétraction se propage de cellule en cellule, après un court arrêt à la cloison qui les sépare. Or les causes qui la provoquent, déterminent aussi l'inflexion du tentacule vers le centre de la feuille. Cette inflexion, qui persiste plusieurs heures, résulte de la contraction des cellules situées à la face interne de la base du tentacule, « L'hypothèse qui. concorde le mieux avec les faits observés, dit en effet Charles Darwin, est que l'impulsion motrice est de sa nature alliée au phénomène d'agrégation ; qu'en outre ce phénomène fait rapprocher l'une de l'autre les molécules des parois des cellules, de la même façon que les molécules du protoplasma contenues dans les cellules; il en résulte que les parois des cellules se contractent. » (1)
Sous l'influence des causes que j'étudierai plus loin, le bord de la feuille de Pinguicula vulgaris se recourbe longitudinale-ment à l'intérieur « comme le pavillon d'une oreille humaine ». Ce mouvement s'effectue de 1 h. à 1 h. 30 après l'excitation. Le redressement se produit au bout de 10 à 48 heures. Ce mouvement n'a lieu que du côté excité. Mais si l'excitation est appliquée au milieu de la feuille, les deux bords se recourbent. Il en est de même chez Pinguicula grandiflora et P. lusitanien. De plus les tiges à fleurs de Pinguicula vulgaris s'inclinent en arrière si on les saisit un peu rudement.
Le mouvement de sommeil des feuilles bilobées d'Aldovrandia vesiculosa consiste dans le rapprochement des lobes, de telle sorte que ces feuilles s'endorment à la manière des Bivalves.
Dans la feuille décomposée pennée de Mimosa pudica, il existe aux angles que forment les folioles avec les pétiolules, à ceux que forment les pétiolules entre eux, et à celui que forme le pétiole commun avec la partie inférieure de la tige, des phytoblastes doués d'une contractilité extrême. A ce dernier angle, ils constituent la partie inférieure d'un renflement qu'on appelle le renflement moteur.
Cette partie, qui est la seule active, consiste dans un tissu parenchymateux mou, constitué par des cellules arrondies à enveloppe mince de cellulose pure, et dont le bioprotéon abondant contient des corpuscules chlorophylliens et une grosse goutte sphérïque composée, selon Pfeffer, d'une solution de tannin concentrée, entourée d'une mince enveloppe. Il existe entre ces cellules de vastes méats remplis d'eau ou d'air. Ce
(1) Charles Darwin. — Lts plantes insectivores.
parenchyme est revêtu d'un épidémie dépourvu de stomates et muni de poils raides et nombreux.
Sous diverses influences, que j'étudierai ultérieurement, le bioprotéon de ces phytoblastes se contracte, et, comme ils sont situés dans l'angle de deux articles, dont l'un au moins est mobile sur l'autre, ils déterminent leur rapprochement. Les folioles se couchent contre les pétiolules; les pétiolules se, ferment comme les branches d'un éventail ; le pétiole commun s'abaisse. La feuille est alors dans sa position de sommeil.
Duchartre a remarqué que le sommeil des plantes s'accompagnait d'une rigidité insurmontable, et que les feuilles ne pouvaient être détournées sans rupture de leur position de sommeil. Cette observation confirme la théorie que je viens d'émettre, et ruine complètement les autres, en particulier celles de Paul Bert et de Van Tieghem.
Paul Bert supposait que les mouvements de sommeil de la feuille de Mimosa pudica étaient dus à ce que l'eau attirée par le glucose, qui s'y forme sous l'action de la lumière solaire, et qui s'accumule dans le renflement moteur, emplissait les phy-tocystes de ce renflement, et en déterminait la turgescence. Cette turgescence serait, selon lui, la cause immédiate des mouvements en question.
La théorie de Van Tieghem ne diffère de la précédente qu'en ce que la turgescence du renflement moteur est attribuée au ralentissement que subit la transpiration foliaire après le coucher du soleil. Mais cette prétendue turgescence n'est pas la cause de ces mouvements, pour cette excellente raison qu'elle n'existe pas. En effet, le renflement moteur, bien loin d'être gonflé lorsque la feuille est endormie, se montre au contraire flasque et pauvre en eau. D'ailleurs Paul Bert lui-même a constaté que ces mouvements s'effectuaient dans l'eau aussi bien qu'à l'air libre.
Pfeffer a proposé une théorie inverse. Partant de cette donnée que chaque phytocyste contient dans les mailles de son bioprotéon une certaine quantité de liquide, il prétend qu'au moment où la feuille prend la position de sommeil, le réseau bioprotéique se rétracte, et exprime le liquide qui lui est entreposé, absolument comme, dans la théorie de Ranvier, le disque épais de la fibre musculaire striée exprime, lors de la contraction, le liquide qui! contient. Ce liquide phytocysti-que se répandrait alors dans les meats intercellulaires, dont l'air serait lui-même chassé en d'autres parties de la plante.
Il en résulterait que les renflements moteurs et les autres zones motrices, qui, grâce à leur turgescence, supportaient pétiole, pétiolules et folioles pendant la veille, deviendraient flasques lors du sommeil et laisseraient ces organes obéir à la pesanteur.
Cette théorie, qui fait intervenir la contraction du bioprotéon, mais seulement comme cause indirecte des mouvements nyctitropiques, pourrait à la rigueur s'appliquer aux feuilles qui, lorsqu'elles s'endorment, paraissent obéir à la pesanteur. Mais il n'en est plus, de même pour celles qui, à peu près horizontales dans la position de veille, se redressent contre la tige dans la position de sommeil, comme celles de Strephium floribundum. De plus, elle est en contradiction avec les observations de Duchartre. Enfin, ellea, comme celle de Bert,legrave défaut de n'être pas simple, ce qui en sciences naturelles est une présomption de fausseté. Je crois, quant à moi, que les mouvements de sommeil des feuilles ne sont que l'effet immédiat de la contraction du bioprotéon de leurs phytoblastes moteurs.
Les feuilles passent à leur position de sommeil par une série d'oscillations, dont l'amplitude et la durée vont en diminuant jusqu'au repos définitif. Ce mouvement consiste dans le reploiement des surfaces foliaires. Sa direction varie naturellement avec la situation des phytoblastes amiboïdes par rapport aux articles qu'ils font mouvoir l'un sur l'autre.
La plupart des savants qui l'ont étudié ont eu le tort de le décrire par rapport à l'horizon, ce qui rend les descriptions obscures. Par rapport à l'axe qui supporte la feuille, il se fait suivant trois modes :
Premier mode. — La feuille se rabat contre son support en dirigeant son sommet du même côté que le sommet de celui-ci. C'est le cas le plus fréquent. Ainsi dorment les feuilles de Nicotiana taba-cum (Tabac) d'Alsine média (Mouron des oiseaux), d'Œnothera biennis (Onagre), du Févier de la Chine, de Canthium edule (Tamarinier de l'Inde) et des plantes appartenant aux genres Maranta, Marsilea, Colocasia, Lotus, Mimosa, Acacia. Chez Lathyrus odo-ratus (Gesse odorante). Vicia faba (Fève des marais), ainsi que chez les Trifolium, Medicago et Colutea, les feuilles se redressent en se courbant légèrement en dedans, de façon à former une sorte de pavillon au dessus des fleurs.
Chez les Malva (Mauve du Pérou), Parthénium (Parthénie de Virginie] et Amarantus (Amarante sanguine), la feuille se dresse et s'enroule en forme de cornet ou d'entonnoir.
Deuxième mode. — La feuille se rabat contre son support en dirigeant son sommet du côté de la base de celui-ci. Ainsi s'endorment les feuilles de Tephrosia caribea (Téphrosie caraïbe), Lan-tana camara, et les Triumfetta, Hibiscus (Ketmie de Guinée) et Achyranthes (Cadelari argenté).
Troisième mode. — L'angle que forme la feuille avec le support ne varie pas sensiblement, mais la feuille décrit un segment de cercle ou de cône autour de cet axe, en se dirigeant, dans ce dernier cas, ordinairement de bas en haut.
Ainsi s'endorment les Robinia, Glycyrrhiza, Cassia, Glycine, Phaséolus, Oxalis, Averrhoa.
Le mouvement des folioles par rapport aux pétiolules peut être différent de celui des pétiolules par rapport au pétiole, et celui-ci différent du mouvement du pétiole par rapport à la tige. Par exemple, les folioles des genres Phaseolus et Cassia s'endorment selon le troisième mode, tandis que le pétiole s'endort selon le premier mode. De même les folioles et les pétiolules des Mimosas s'endorment selon le premier mode, tandis que le pétiole s'endort selon le deuxième mode.
Le sommeil que je viens de décrire, et qui s'accompagne comme l'a vu Duchartre, d'une sorte de contracture, est le sommeil des feuilles au premier degré. Elles peuvent entrer aussi dans le sommeil au second degré. Francis Darwin (1) fit l'expérience suivante. Il relia par un fil une feuille de Mimosa pudica à un métronome, de telle sorte que la feuille recevait un choc à chaque coup. Les premiers chocs provoquèrent le sommeil de la feuille au premier degré. Mais bientôt elle se ferma moins, puis elle ne se ferma plus. Le même phénomène fut observé par Desfontaines sur une sensitive secouée par les cahots d'une voiture. Enfin, pendant les grands vents, les feuilles de cette plante restent ouvertes et en résolution, plongées dans une sorte de coma.
L'amiboïsme des phytoblastes est d'autant plus prononcé qu'ils sont plus jeunes, c'est-à-dire plus voisins de l'amibe dans la série phylogénique.Les feuilles qui dorment le mieux, dont les mouvements de sommeil sont le plus étendus, sont en effet les jeunes feuilles, celles qui occupent le sommet des rameaux ou de la tige, comme on peut le constater dans l'Acacia de Sainte-Hélène. Claude Bernard a d'ailleurs remarqué que les folioles de Mimosa pudica prenaient la position de som-
(1) Francis Darwin, Rev. int. des sc, 1878, p. 709.
meil avant le pétiole commun. Voici d'autre part quelques chiffres que j'emprunte à Darwin :
Redressement
dans les mouvements de sommeil
Desmodium gyrans
jeune feuille feuille âgée
( redressement jusqu'à ( la verticale
Cassia floribunda
jeune feuille feuille âgée
redressement de 48°
redressement de 40°
redressement de 12°
redressement de 30 à 34°
Bacchinia
jeunes pétioles
( mouvement \ ( pétioles âgés ( à peine sensible
Chez Acacia indica (grand Acacia de l'Inde) un certain nombre de feuilles dorment pendant que les autres veillent, phénomène remarquable et qu'on retrouve dans la colonne neuronienne de l'homme.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du Mardi 18 Décembre 1902 — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance, qui comprend en particulier une lettre de M. le Dr Jourdan (de Marseille) et une autre de M. le Dr Huchard, membre de l'Académie de Médecine, médecin de l'hôpital Necker.
M. le Secrétaire général-adjoint donne lecture d'un travail adressé à la Société par M. le Dr Ch. Binet-Sanglé et intitulé : Les Hiérosyncro-tèmes familiaux. Prennent la parole : MM. Félix Regnault, de Bourgade, Pau de Saint-Martin et Louis Favre.
M. le Dr Raffegeau fait une communication intitulée : De la suggestion en pédagogie scolaire. Il s'ensuit une discussion très nourrie qui occupe le reste de la séance et à laquelle prennent part MM. Bérillon, Félix Regnault, Jules Voisin, Paul Farez, Paul Magnin, de Bourgade et Raffegeau.
La commission des candidatures propose d'admettre comme membres de la Société MM. les Drs Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de Médecine, Léon Leriche, directeur du Sanatorium de
Meung-sur-Loire, Egrot (d'Alger) et Lux, médecin-major de 1re classe. Ces candidatures, mises aux voix par M. le Président, sont adoptées à l'unanimité. La séance est levée à 6 h. 40.
Somnoforme et suggestion par M. le Dr Paul Farez, Professeur à l'Ecole de Psychologie.
La pratique de la suggestion thérapeutique comporte deux moments successifs. En effet, avant de formuler les suggestions spéciales qui répondent à chaque cas particulier, il convient d'avoir plongé son malade dans un état plus ou moins accentué d'hypotaxie.
Le sommeil provoqué est le plus précieux de tous les agents hypotaxi-ques. Aussi, dans notre pratique courante, multiplions-nous les artifices opératoires pour parvenir à endormir nos malades et à les suggestionner efficacement.
Mais, il est certains cas, — moins fréquents qu'on ne le dit, encore cependant assez nombreux, — dans lesquels, (pour des raisons qui dépendent surtout de la mentalité du sujet), le sommeil ne peut être obtenu. Et, par surcroit, ces malades sont, d'ordinaire, intimement persuadés que seule pourra les guérir la suggestion qu'on leur fera pendant qu'ils dormiront d'un sommeil profond, avec inconscience complète et, de plus, amnésie totale au réveil.
C'est pour les cas de ce genre qu'on a préconisé la chloroformisation. Or, celle-ci présente, à notre point de vue spécial, de multiples inconvénients, difficultés et complications sur lesquelles il est superflu d'insister; jusqu'à maintenant elle n'a guère été admise en psychothérapie qu'à titre tout à fait exceptionnel.
Or, depuis quelques mois, on utilise, principalement en chirurgie dentaire, un anesthésique, pour ainsi dire, idéal : le Somnoforme (1).
D'après ceux qui l'ont étudié et vulgarisé, le somnoforme n'est ni caustique, ni irritant pour les muqueuses ; il peut être administré, avant ou après les repas, chez tous les individus, jeunes ou vieux, bien portants ou malades, assis ou couchés, dégrafés ou complètement habillés; il procure une anesthésie immédiate et sûre ; au bout d'un temps variable, le réveil survient complet, instantané ; le sujet n'éprouve pas le moindre malaise, il recouvre d'emblée toute sa lucidité : le gaz inhalé s'élimine aussi rapidement qu'il a impressionné l'organisme d'une façon soudaine.
Ces considérations m'ont amené à employer le somnoforme dans un cas relativement rebelle où, jadis, on aurait eu recours, en dernier ressort, à la chloroformisation.
Il s'agit d'un publiciste de talent que de fortes émotions, des malheurs domestiques, des déboires, des vexations ont moralement ébranlé.
(1) Le produit spécialisé dans le commerce sous le nom de somnoforme serait un mélange de chlorure d'ethyle, 60 p.% de chlorure de mêthyle, 35 p. % et de bromure d'ethyle, 5 p. %
Ses facultés intellectuelles n'ont pas subi une-diminution notable. Néanmoins, il ne peut plus guère écrire aucun article et il en éprouve un grand découragement. Lorsque, de loin en loin, il a le bonheur de pouvoir se mettre à l'ouvrage, il parvient à terminer assez convenablement ce qu'il a commencé. Mais, d'ordinaire, il est persuadé qu'il est incapable de rien faire, il se défie de ses propres forces et reste indéfiniment devant sa table, sans pouvoir mettre une phrase sur pied. C'est entreprendre un travail qui lui paraît une difficulté insurmontable ; en somme, il s'agit d'une phobie de la mise en train. Il se désole de rester improductif, et cependant il refuse les demandes d'articles qu'on lui adresse : en définitive, il risque de compromettre très gravement sa situation.
Je le soumets aux procédés les plus courants de l'hypnotisation et je n'obtiens qu'une hypotaxie très relative. Finalement, l'amélioration est minime ; les résultats ne répondent ni au temps que je dépense ni à la peine que je me donne.
Pour faciliter la production du sommeil, je fais alors prendre à mon malade, quelques heures avant le moment de notre rendez-vous, tantôt du chloral, tantôt du sulfonal et tantôt du trional. Pas une fois il ne dort complètement; il conserve la conscience de ce qui se passe ; il sent nettement, me dit-il, que je ne le guérirai pas, tant que je n'aurai pas obtenu un sommeil véritable.
C'est alors que je pratique une première somnoformisation. Dès le lendemain, un mieux très appréciable se fait sentir, et s'accentue de plus en plus, après quelques nouvelles séances de somnoforme.
Mon malade a-t-il été amélioré parce que ma suggestion s'est imposée à lui avec plus de force, à la faveur du somnoforme, ou parce que, enfin complètement endormi selon son désir, il a cru à la puissance curative d'une suggestion faite dans ces conditions ?
Je ne suis pas encore assez documenté sur le degré de vie psychique compatible avec la narcose somnoformique pour donner une solution définitive qui emporte l'adhésion d'autrui.
Toutefois, certaines expériences que j'ai déjà poursuivies (et que je désire multiplier aussi bien que varier, avant de vous les soumettre), ont fait naitre en moi cette ferme opinion qui sera, je l'espère, la vérité de demain : La somnoformisation est un procédé rapide, sûr et inoffensif d'hypotaxie artificielle favorable à la suggestion curative ; à ce titre, elle pourra être utilisée en psychothèrapie avec autant d'efficacité que la chioroformisation. v
Avant même que cette question pût être bien mise au point, j'ai tenu à vous faire cette courte communication, afin de vous engager à expérimenter aussi de votre côté un anesthésique qui me parait susceptible de rendre de grands services à nos malades nerveux ou mentaux. Les observations que, les uns elles autres, vous voudrez bien apporter ici, serviront à notre instruction commune ; et peut-être qu'une fois encore l'accroissement de notre science amènera par contre-coup une notable augmentation de notre puissance thérapeutique.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 17 février 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Df .Iules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites :
1. Dr Bourgade : La psychologie du stomacal. Inscrits : D" Félix Regnault, Fiessinger, Bérillon, Jules Voisin,Paul Magnin,Baraduc,ctc.
2. Dr Bérillon : Aboulie motrice systématisée.— Guérison par la suggestion hypnotique.
3. Dr- Paul Farez : Psycho-névrose traumatique intermittente. — Influence des anniversaires de l'accident sur les récidives.
4. Dr Demonchy : Psychologie de l'étudiant en médecine américain.
5. Dr Henry Lemesle : Une stigmatisée contemporaine : Sœur Bour-guillion.
NOUVELLES
Ecole de Psychologie. — Conférences de 1903.
4g, rue Saint-André~des-Arts, 49
Vendredi 6 février, à 8 h. 1/2 Le caractère dans les maladies : Le tuberculeux, le cardiaque, le dyspeptique par M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine
Vendredi 13 février, à 8 h. 1/2 L'émotivité morbide: Le traitement psycho-thérapique de ta timidité par M. le Dr Berillon, médecin-inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections).
Vendredi 20 février, à 8 h. 1/2 La suggestion collective : La discussion et la propagande par M. L. Le Foyer, vice-président de l'Association de la paix par le droit
Vendredi 27 février, à 8 h. 1/2 La certitude, médicale : Influence des Rayons X sur les progrès de la médecine par M. le Dr de Bourgade la Dardye, directeur du journal les Rayons X (avec démonstrations de radioscopie).
Vendredi 6 mars, à 8 h. 1/2 Le rôle psychologique de l'officier français par M. le capitaine villetard de Laguérie.
Vendredi 13 mars, à8 h. 1/2 La psychologie de l'éléphant par M. Caustier, professeur au Lycée Hoche (avec projections}.
Vendredi 20 mars, à 8 h. 1/2 Les causes d'affaiblissement de la volonté : La thérapeutique des aboulies par M. le Dr Paul Joire (de Lille)
17e Année. — ? 9. Mars 1903.
L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION (1)
L'automatisme supérieur ou psychisme inférieur
par M. le Dr Grasset professeur de clinique médicale à l'Université de Montpellier
1. Automatisme et psychisme ; les centres du psychisme inférieur
(polygone cortical); les deux psychismes.
2. Les désagrégations suspolygonales : moyen d'étude de l'activité
psychique inférieure. Désagrégations physiologiques : distraction, habitude, instinct, passion.
3. Sommeil et rêves.
4. Désagrégations extraphysiologiques : tables tournantes, liseurs de
pensées, médiums...
1. Pour comprendre l'état de suggestibilité et par suite pour analyser, au point de vue psychophysiologique, l'hypnotisme et la suggestion, il est indispensable de bien connaître d'abord ce qu'on appelle l'automatisme supérieur ou psychisme inférieur.
C'est une fonction automatique qui n'est pas l'arc réflexe ordinaire, puisqu'elle aboutit à des actes coordonnés, intelligents, spontanés dans une certaine limite.
C'est une fonction psychique, dont les centres sont dans l'écorce grise cérébrale, et qui doit être cependant soigneusement distinguée de la fonction psychique supérieure, siège de l'intellectualité supérieure, de la personnalité pleine et vraie, de la conscience entière et morale, de la liberté et de la responsabilité.
De cette double caractéristique dérivent les deux expres-
(1) Nous empruntons cet article à un livre très instructif que publie M. le professeur Grasset (Bibliothèque de psychologie expérimentale), chez Doin, éditeur à Paris.
sions par lesquelles on désigne celte fonction : automatisme supérieur, psychisme inférieur.
L'analyse et l'étude en sont toutes récentes. C'est en partant des beaux travaux de Pierre Janet (1) et en les commentant que j'ai déjà exposé la question en 1896 (2).
e m k a v t
Fig. i. — Schéma général du centre psychique supérieur 0 et des centres psychiques inférieurs (automatiques supérieurs).
0 : centre psychique supérieur de la personnalité consciente, de la volonté libre et du moi responsable : écorce cérébrale du lobe préfrontal (?)
AVTEMK : polygone des centres psychiques inférieurs ou de l'automatisme psychologique.
A : Centre auditif : écorce des circonvolutions temporales.
V : Centre visuel : écorce de la région calcarinienne.
T : Centre tactile (sensibilité générale) : écorce de la région périrolan-dique.
K : Centre kinétique (mouvements généraux): écorce de la région périrolandique.
M : Centre de la parole : écorce du pied de la 3e frontale gauche. E : Centre de l'écriture : écorce du pied de la 2e frontale gauche. aA, uV, tT : voies centripètes de l'audition, de la vision, de la sensibilité générale...
Ee, Mm, Kk ; voies centrifuges de l'écriture, de la parole, des mouvements...
EA, EV, ET, MS, MK, MV, MA, MT, KV, KA.KT... : voies intrapo-lygonales.
(1) Pierre Janet. L'automatisme psychologique, 1889. — État mental des hystéri-ques; les stigmates mentaux; les accidents mentaux, 1893.
(2) De l'automatisme psychologique (psychisme inférieur; polygone cortical) à l'étal physiologique et pathologique. Leçons de Clinique médicale,t. III, 1898, p. 122.
D'une manière générale, un acte est dit automatique (1) quand il présente tous les caractères de la spontanéité et qu'en même temps il n'est pas voulu librement.
La spontanéité complète et vraie est un non-sens scientifique, tout mouvement étant une transformation d'un mouvement antérieur ; mais dans le mouvement automatique il y a apparence de spontanéité parce qu'il n'a pas besoin dune impulsion extérieure actuelle pour être réalisé. — C'est ce qui le distingue de Pacte réflexe simple comme le soulèvement de la jambe par le choc du tendon rotulien.
D'autre part un acte n'est automatique que quand il n'est pas voulu librement, quand il est fait involontairement, sans réflexion, machinalement ; il est, comme dit Janet, « soumis à un déterminisme rigoureux sans variations et sans caprices ». — C'est ce qui le distingue de l'acte psychique supérieur.
Les actes automatiques supérieurs ont donc des centres distincts, d'une part des centres psychiques supérieurs, de l'autre des centres réflexes.
Ces centres ne sont ni dans l'axe bulbo-médullaire (réflexes) ni même dans les centres basilaires et mésocéphaliques (réflexes supérieurs, automatisme inférieur). Ils sont dans l'écorce cérébrale, mais se distinguent des centres du psychisme supérieur, également situés dans cette écorce cérébrale.
Pour exprimer cela clairement et en faciliter l'exposition, je me sers habituellement, dans mon enseignement, du schéma ci-joint.
En 0 est le centre psychique supérieur formé, bien entendu, d'un grand nombre de neurones distincts : c'est le centre du moi personnel, conscient, libre et responsable.
Au-dessous est le polygone (AVTEMK) des centres automatiques supérieurs : d'un côté, les centres sensoriels, de réception, comme A (centre auditif), V (centre visuel), T (centre de sensibilité générale); de l'autre, les centres moteurs, de transmission, comme K (centre kinétique), M (centre de la parole articulée), E (centre de l'écriture).
Ces centres, tous situés dans la substance grise des circonvolutions cérébrales, sont reliés entre eux de toutes manières par des fibres transcorticales, intrapolygonales, reliés à la périphérie par des voies souspolygonales, centripètes, (aA, vV, tT et des voies centrifuges Ee, Mm, Tt) et reliés au centre
(1) Richet. article Automatisme in Dictionnaire de Physiologie.
supérieur 0 par des fibres suspolygonales : les unes centripètes (idéo-sensorielles), les autres centrifuges (idéo-motrices).
On peut avoir, ou non, conscience des actes automatiques, suivant que l'activité automatique est communiquée ou non au centre 0, qui est le centre de la conscience personnelle.
La conscience ou l'inconscience ne doit donc pas figurer dans les caractères essentiels des actes polygonaux ou automatiques supérieurs : ils ne deviennent conscients que par l'addition de l'activité de 0 à l'activité propre- du polygone.
Mais les actes polygonaux sont des actes psychiques, parce qu'il y a de la mémoire et de l'intellectualité dans leur fonctionnement.
Un exemple, emprunté à la physiologie du langage, rendra très claires ces notions, un peu arides dans leur forme synthétique.
Un sujet lit à haute voix. S'il fait attention à ce qu'il lit, y pense, continue volontairement sa lecture, l'interrompt par des réflexions personnelles, c'est que son centre 0 est compris dans le cercle vVOMm. Si au contraire il dicte ce qu'il lit ou s'il lit à une autre personne sans penser à ce qu'il lit, s'il lit automatiquement, le cercle rie comprend plus 0, il ne comprend que vVMm; c'est un acte purement polygonal et avec 0 il peut penser à autre chose.
Si on parle avec un sujet, ce sujet peut répondre consciemment et volontairement et alors 0 intervient; ou bien il répondra automatiquement sans se donner le temps d'y penser et d'y réfléchir et alors il parle avec son seul polygone sans intervention de 0.
2. A l'état normal et physiologique, tous ces centres interviennent en général tous ensemble, leurs actions s'intriquent et se superposent. De là, les difficultés qu'on a à bien étudier la fonction automatique supérieure. Pour l'analyser sérieusement il faut la dégager, il faut tâcher de réaliser le fonctionnement isolé du polygone.
Dans la vie courante, on ne peut discerner l'automatisme qui est aux ordres du psychisme supérieur. Il faut donc trouver des états physiologiques dans lesquels il y ait une certaine dissociation entre 0 et le polygone, une sorte de désagrégation mentale suspolygonale, qui permette d'étudier à part le fonctionnement du polygone, sans perturbation de 0.
Ces conditions se trouvent réalisées dans la distraction et le
sommeil, qui sont de bons états psychologiques pour étudier l'activité automatique.
Un homme est distrait quand, à un moment donné, il pense à une chose et en fait une autre. Le fait se produira, soit quand 0 sera faible, fatigué, mobile, abdiquera la direction qu'il doit exercer normalement sur les centres polygonaux, soit au contraire quand 0 sera fortement fixé, absorbé par une préoccupation ou par une idée. Dans les deux cas, 0 est dissocié du polygone; chacun d'eux bat sa marche; la collaboration habituelle est rompue; il y a désagrégation psychique entre les centres psychiques supérieurs et les centres psychiques inférieurs.
Quand Archimède sort dans la rue en costume de bain, il marche avec son polygone et crie Eurêka avec son 0. Xavier de Maistre a gracieusement dépeint les actes de son polygone qui le conduit chez Mme de Hautcastel quand 0 voudrait aller à la Cour, qui fait et prend le café, se brûle les doigts en faisant griller le pain et, sans M. Joannetti, mettrait ses bas à l'envers ou sortirait sans épée.
Les actes du distrait ne sont pas volontaires et libres, par conséquent ne dépendent pas de 0 ; ils sont coordonnés, intelligents et spontanés, par conséquent sont psychiques. Ces actes sont d'ailleurs des actes que nous avons l'habitude de faire; ils sont bien spontanés, mais ne sont pas nouveaux, les centres polygonaux ne se formant ou plutôt ne se meublant que par l'habitude.
Un débutant ne pourrait pas jouer du piano et chanter correctement à côté de son serin agonisant, et en suivant douloureusement toutes les phases de son agonie comme l'actrice dont parle Darwin.
Condillac distinguait en lui le Moi d'habitude et le Moi de réflexion : le premier est polygonal, le second en O.
Ces actes automatiques de distraction sont d'ailleurs conscients ou non, suivant le degré de fonctionnement des fibres suspolygonales : on peut reconnaître sa distraction à un moment donné et même alors 0 peut retrouver dans son polygone une impression qui s'y était déposée à son insu. De même, la volonté prendra, abandonnera ou reprendra, suivant les moments, la direction des actes polygonaux de distraction.
Les actes d'habitude, d'instinct, de passion sont de même, dans beaucoup de cas, des actes automatiques accomplis par le polygone, pendant que 0 est distrait.
C'est encore dans le même groupe que je placerai l'entraîne-ment grégaire, dont certains font de la suggestion à l'état de veille. Nous en reparlerons dans notre dernier chapitre des limites de l'hypnotisme.
La distraction est donc la première preuve de l'existence de l'automatisme supérieur à l'état physiologique et en même temps c'est le premier exemple de désagrégation mentale, de dissociation fonctionnelle entre les centres psychiques supérieurs et les centres psychiques inférieurs, chez un sujet absolument normal et sans maladie.
3. II en est de même du sommeil (1). Ce qui caractérise le sommeil, c'est que si une partie veille, si certaines fonctions psychiques se reposent, d'autres persistent : le psychisme n'est pas supprimé.
D'après Maury, le sommeil « ralentit ou suspend l'action de l'encéphale, en ce qui tient aux manifestations physiques placées sous la dépendance de l'attention et de la volonté ».
« Pour Preyer, il consiste dans la disparition périodique de l'activité cérébrale supérieure » et pour Gyel (2) (à qui nous empruntons cette citation), « le repos du cerveau (dans le « sommeil) est surtout caractérisé par l'obnubilation de la « volonté consciente normale, obnubilation qui n'empêche pas « les autres modes d;activité psychique de persister ou même « de s'accroitre, malgré le sommeil ».
En somme, c'est le centre O qui se repose; mais le psychisme polygonal persiste
La persistance de ce psychisme inférieur dans le sommeil est démontrée notamment par l'existence des rêves.
Les rêves sont des idées ou des images, en tout cas des actes psychiques; ils présentent un certain degré d'intelligence, de jugement; mais ils manquent absolument d'intellectualité supérieure et de volonté libre (4).
L'essence du rêve est d'être absurde, comme association et
(1) Alfred MAURY. Le sommeil et les rives, 4E édition, 1878. DecHambre, art. Sommeil, in Dict. encyclop. des Sciences médic.
(2) Gyel. L'être subconscient, 1899, p. 29.
(3) Bichat admettait des sommeils partiels (Voir BérilloN. Introduction à l'étude de l'hypnotisme, Revue de l'hypnotisme, t. XIV, 1899-1900, p. 39); le sommeil ordinaire est lui-même partiel.
(4) Wundt attribue le rêve à « l'Irritation automatique persistante »; Maudsley et Renouvier voient « dans la personne qui rêve un moi privé des fonctions volontaires ¦ (Cit. Doprat, L'instabilité mentale, p. 48). Pour Bergson (Bull, de l'ins-titut psychol internat., 1901, p. 119), « dans le reve, les mêmes facultés s'exercent
comme enchaînement des idées. La notion du temps, de durée, d'espace, tout ce qui intervient dans les jugements élevés disparait dans le rêve.
En même temps que l'intellectualité du rêve est inférieure, la » volonté du rêveur a un caractère fatal : c'est une impul-« sion » (Dechambre). Le sujet ne dirige pas volontairement « son rêve : « le rêveur n'est pas plus libre que l'aliéné ou « l'homme ivre » (Maury).
Comme les actes du distrait, les actes du rêveur ont des rapports variables avec 0.
Dans certains cas, les communications avec 0 sont complètement interrompues : le sujet n'a aucune conscience(1) du rêve que démontrent ses mouvements ou ses cris. D'autres fois, 0 assiste au rêve sans pouvoir le modifier; il peut même essayer vainement de lutter, il discute son rêve cherche à s'éveiller, c'est-à-dire à reprendre la direction... Voilà pour les communications suspolygonales.
Pour les communications souspolygonales, grandes variétés aussi : les uns ne sentent rien, sont entièrement séparés du monde extérieur; d'autres conservent certaines impressions sensorielles et certains ne conservent que des sensibilités partielles, systématisées, électives : un enfant endormi, agité par un rêve, reconnaîtra la voix de sa mère, lui obéira et n'entendra pas tout autre bruit plus intense; de même, pour une mère que n'éveille pas un train de chemin de fer ou une voiture et qu'éveille le moindre vagissement de son enfant. Quand l'impression sensorielle pénètre jusqu'au rêveur, si elle n'est pas assez intense pour l'éveiller, elle peut diriger, modifier le rêve.
Un bruit de cloche deviendra « un glas funèbre qui sera celui d'un être aimé ou le vôtre »; à un sujet on chatouille avec une plume les lèvres, puis l'extrémité du nez; il rêve qu'on le soumet à un horrible supplice; il a un masque de poix sur la figure, puis ce masque, arraché brusquement, lui déchire la peau des lèvres, du nez, du visage (Maury).
Les impressions viscérales peuvent aussi diriger les rêves. Les mauvaises digestions font rêver aux plaies intérieures;
que pendant la veille, mais elles sont à l'état de tension dans un cas, de relâchement dans l'autre. Le rêve, c'est la vie mentale tout entière, avec la tension, l'effort et le mouvement corporel en moins... Ce qui exige de l'effort, c'est la précision de l'ajustement... C'est cette force qui manque au rêveur... »
(1) ¦ Mme de. Manageïne définit le sommeil : le temps de repos de notre conscience » (Duprat, loc. cit., p. 51).
les vertigineux rêvent chutes, navigation ou escarpolettes; les dyspnéiques rêvent de bêtes, de monstres qui leur pèsent sur la poitrine.
Les rêves peuvent ainsi révéler un état somatique particulier. De là, dérivaient, pour les anciens, les interprétations divinatrices et, pour les modernes, les déductions séméio-logiques des rêves.
« Il y a réellement, dans le rêve, disent Vaschide et Pieron (1), une source précieuse, et même une source capitale de renseignements, non seulement sur notre état psychologique, mais même sur notre état physiologique le plus intime, qui se réfléchit en quelque sorte librement pendant le sommeil dans les domaines subconscients de notre esprit... En particulier, toutes les fois qu'une personne se réveille effrayée par un rêve dans lequel sont intervenus des éléments somatiques, soit accompagnant le rêve (angoisse, étouffe-ment), soit intégrés dans le rêve lui-même (gorge écrasée, coups d'épée ou de pistolet! et que cette personne a eu la sensation pénible du rêve s'imposant à elle, sans qu'elle puisse l'écarter, on doit se tenir sur ses gardes. Car il est tout à fait certain que ce rêve a un substratum physique, qu'il y a eu dans le sommeil un trouble pathologique... »
J'ai vu récemment un délirant qui se croyait sur un bateau, naviguant vers Ténériffe : c'était un vertigineux avec un état nauséeux.
Les sensations sont vraies dans leurs points de départ; elles arrivent au polygone. Mais O dort, n'intervient pas et le polygone fait son roman.
De là, dans le rêve, des déviations rapides, des associations et des successions fantastiques d'idées et d'images soûs les influences les plus superficielles : consonances de mots, similitudes de lettres, comme chez les enfants ou les aliénés. Cette analyse se fait, bien entendu, dans le sommeil peu profond et encore mieux dans le demi-sommeil que l'on observe au commencement et à la fin du sommeil complet (hallucinations hypnagogiques de Maury).
Pendant le sommeil de O, le polygone peut même exécuter des actes assez compliqués : conduire une voiture, continuer une route à cheval, marcher.
(1) Vaschide et Pieron. La psychologie du rive au point de vue médical. Actualités médicales, 1903, p. 96 et 39. On trouvera, dans ce livre, de nombreux et curieux faits, tant anciens que modernes, à l'appui de cette thèse.
Un côté curieux de la psychologie sommeil est l'état de la "mémoire.
-I1 y a des rêves qu'on se rappelle au réveil, avec plus ou moins de netteté; certains au point qu'on se demande s'ils n'ont pas été des réalités. D'autres rêves (démontrés au spectateur par des cris ou des mouvements) ne laissent aucun souvenir au sujet.
Mais ces rêves oubliés au réveil peuvent avoir laissé cependant leur trace dans la mémoire polygonale et alors le sujet les retrouve dans le cours d'un rêve subséquent : Maury cite de remarquables exemples de ce fait curieux (notamment aux pages 121 et 234 de son livre).
Le même auteur a décrit, de plus, ce fait encore plus curieux de sujet retrouvant dans le rêve des souvenirs déposés à l'état de veille dans le polygone, inconsciemment, à l'insu de 0, de telle sorte qu'on voit et qu'on reconnaît en rêve des gens qu'on croyait n'avoir jamais vus : on retrouve dans le sommeil .des souvenirs latents, déposés à notre insu dans le polygone; ce qui donne au rêve l'apparence d'une divination, alors qu'en réalité il s'agit seulement d'une résurrection des impressions inconsciemment reçues et emmagasinées.
Ceci établit bien qu'à l'état physiologique l'activité de 0 inhibe, en quelque sorte, la vie polygonale propre et que le sommeil est, comme la distraction, un bon moyen de supprimer momentanément, de détourner l'activité de 0, permettant ainsi à la vie automatique de se manifester avec ses souvenirs.
Cette suspension de l'activité de 0 dans le sommeil permet aussi au polygone de concevoir et de commettre, en imagination, dans le rêve, des actes reprehensibles, dont 0 n'aurait pas autorisé l'exécution à l'état de veille.
« J'ai mes défauts et mes penchants vicieux, dit Maury; à l'état de veille, je tâche de lutter contre eux, et il m'arrive assez souvent de n'y pas succomber. Mais, dans mes songes, j'y succombe toujours, ou, pour mieux dire, j'agis par leur impulsion, sans crainte et sans remords. Je me laisse aller aux accès les plus violents de la colère, aux désirs les plus effrénés, et, quand je m'éveille, j'ai presque honte de ces crimes imaginaires. »
Cette analyse psychologique du sommeil cadre bien avec ce que l'on a appelé la « théorie histologique du sommeil ».
Depuis les travaux de Ramon y Cajal, on admet que, dans le réseau des fibrilles entre-croisées (Gerlach, Golgi), il y a
simple contiguïté (1) entre les fibrilles terminales d'un neurone et celles d'un autre neurone voisin.
D'autre part, les observations de Widersheim (1890) ont révélé que les cellules nerveuses ne sont pas immobiles, mais présentent des mouvements amiboïdes. Dès lors, on conçoit que les connexions entre neurones peuvent varier, leur contiguïté présente une certaine adventicitê (le mot est de Dastre).
En 1894, Lépine (2) applique ces notions aux paralysés hystériques, imagine et propose l'hypothèse que « l'interruption du passage de l'influx nerveux résulterait du défaut de contiguïté parfaite entre les ramifications des cellules » et ajoute (3) : «il ne me parait pas irrationnel de supposer que le sommeil naturel puisse être causé par le retrait des prolongements des cellules (du senssorium) amenant ainsi l'isolement de celles-ci».
C'est l'idée que lance Mathias Duval (4), l'année suivante : « Chez l'homme qui dort, les ramifications cérébrales du neurone sensitif central sont rétractées, comme le sont les pseudopodes d'un leucocyte anesthésié, sous le microscope, par l'absence d'oxygène et l'excès d'acide carbonique. Les excitations faibles portées sur les nerfs sensibles provoquent, chez l'homme endormi, des réactions réflexes, mais ne passent pas dans les cellules de l'écorce cérébrale... »
Le même auteur (5) est plus récemment revenu sur la même idée et émet l'hypothèse de nervi nervorum : fibres centrifuges commandant l'activité amiboïde des éléments nerveux et agissant sur l'articulation de deux neurones sensitifs selon l'état d'attention commandé par le cerveau.
Pupin (6) a discuté et développé cette théorie histologique du sommeil, d'après laquelle « c'est seulement et surtout dans les articulations des neurones sensitifs périphériques avec les neurones sensitifs centraux que le passage est supprimé ou rendu plus difficile ».
(1) « Quelques auteurs pensent que les prolongements nerveux, au lieu de se terminer à distance, s'anastomosent de telle sorte qu'il y aurait entre eux continuité absolue. La question n'est pas résolue; toutefois on peut penser que, lors même qu'il y aurait entre les prolongements des contacts adhésifs (Renaut), cela n'impliquerait pas la continuité de substance, puisque la dégénérescence wallerienne montre l'indépendance des neurones. - (Vialleton, in Anat. clin, des centres nerv. Actuat. médic, 2e édit, p. 5).
(2) LEPINE-.. Sur un cas d'hyst. à forme particulière. Revue de Mèdec, 1894. p. 71?.
(3) LépiNe. Ibid., p. 728, en note.
(4) Mathias DUval. Soc. de Biol., ï février 1895.
55) Mathias Duval. Revue scientif., mars 1898 (Revue neurol.t 1899, p. 55). (6) Pupin. Thèse de Paris, 1896, n°222
Si cette théorie, encore hypothétique (1), est ultérieurement vérifiée, il faudrait placer plus haut la cassure, la désagrégation. Dans le sommeil, le psychisme supérieur seul se repose et est séparé du monde extérieur; le psychisme inférieur, polygonal, continue à fonctionner et se laisse influencer par les impressions extérieures. Donc, la diminution d'intensité dans la contiguïté ou la suppression de cette contiguïté, dans le sommeil, serait entre les neurones du polygone et les neurones de 0 (les uns et les autres corticaux).
Je n'insiste pas. Tout ceci suffit à faire prévoir combien cette étude du psychisme polygonal dans le sommeil physiologique nous servira ultérieurement pour l'étude psychologique du sommeil hypnotique.
4. Cette activité polygonale, que la distraction et le sommeil permettent déjà de bien analyser à l'état physiologique, chez des sujets bien portants, apparaît encore plus nette et bien plus intense chez des sujets qui, sans être malades, ont leur centre 0 plus faible, plus facile à désagréger qu'à l'état normal.
Ainsi le rêve peut, chez certains sujets, être porté à un très haut degré et devenir le cauchemar, le rêve actif ou parlé (2) . A ce même groupe appartiennent les mouvements automatiques, involontaires ou inconscients, qui font l'essence des tables tournantes.
En laissant de côté tous les faits (d'ailleurs nombreux) d'exa- gération et de simulation, il est certain qu'on peut faire tourner les tables, entre gens d'absolue bonne foi. Nous avons fait, à une époque, un certain nombre d'expériences très concluantes, entre.confrères, et je peux affirmer qu'aucun de nous ne poussait volontairement et consciemment Cependant nous poussions certainement; seulement il s'agissait de mouvements involontaires et inconscients. C'étaient des mouvements polygonaux.
(1) Divers auteurs (Cajal. KoLLiner...)ont formulé de sérieuses objections contre l'hypothèse histologique de Mathias Duval ». Voir Jules Sodry (Arch. de neurot. 1897, 2° série, t. III, p. 301 et Presse médicale, 1901, m 47), qui dit : o Contre cette doctrine d'erreur, nous n'avons, dés l'origine cessé de nous élever, d
(2) Lucien Lagriffe, ancien interne de Remond de Metz, a soutenu récemment (Du rêve au délire, Galette des hôpitaux, 190?, n' 16, p. 453) avec talent cette opinion qu'en somme, entre le rêve et le délire de rêve, entre le délire de rêve et le délire proprement dit, il n'y a que des différences de degré ». Certainement il n'y a que des différences de degré comme entre le réflexe dotulien et l'acte psychique. Mais il y a une différence complète entre le rêve et le délire en ce que les centres nerveux enjeu dans les deux cas sont différents. Le rêve est un acte psychique purement polygonal; pour qu'il devienne du délire, il faut que O intervienne. Le polygone rête, O seul délire.
¦
0 étant fortement absorbé par la pensée de la rotation et distrait des mains, une petite oscillation polygonale se produit, en provoque de semblables chez les voisins; le polygone est allumé dans ce sens par la pensée fixe de 0 et se met à partir : la table tourne.
Au même groupe appartiennent les mouvements involontaires et inconscients qui font mouvoir la baguette divinatoire des chercheurs de sources ou de trésors (de bonne foiyët le pendule explorateur (l'odomètre d'Herbert Mayo), qui dirigent les lisent s de pensées (1) (Cumberlandisme) et le crayon des médiums spirites (2)
Nous retrouverons ces dernières questions dans notre chapitre des Limites de l'hypnotisme. Pour le moment nous notons simplement ces faits comme des démonstrations et des applications de l'activité polygonale, chez des sujets qui, sans être dans un état absolument normal, ne sont pas encore des malades.
Ces faits montrent déjà que, dans toutes ces questions, il y a désagrégation mentale (séparation de 0 et du polygone) mais qu'il y a autre chose aussi. Tout le monde est distrait et dort : voilà la désagrégation suspolygonale simple. Certains font en plus du Cumberlandisme ou du spiritisme : ils n'ontpas seulement de la désagrégation suspolygonale, ils ont aussi un état spécial de leur polygone qu'il est indispensable d'étudier et de définir dans chaque cas.
C'est un point sur lequel on n'a souvent pas assez insisté et qu'on voit apparaître bien plus nettement dans l'étude de ' l'activité polygonale à l'état pathologique. (à suivre)
Le sommeil chez les êtres monoplastidaires et les végétaux
Par M. le Dr Charles BINET-Sanglé, professeur à l'Ecole de Psychologie. [Suite).
II. — Causes du sommeil des fouiUes
I. — Mouvements non classés
Les feuilles d'Aldrovandia vesiculosa s'endorment au moindre attouchement, celles de Pinguicula vulgaris, P. grandiflora
(1) En dehors des travaux de Pierre Janet et de mes leçons de 1896, voir, sur ce sujet : Revue de Ihypnotisme,t. VI, 1892, p. 65, 101, 135; t. VIII, 1894, p. 25?; t. IX, 1895. p. 320, 367; t. XVI, 1902, p. 240, 318.
(2) Voir mes leçons sur le Spiritisme devant la science Lec. de clin, médic. t, IV 1903, p. 374.
et P. lusitanica sous l'influence de la pression d'objets inertes. Les tiges à fleur de P. vulgaris s'inclinent en arrière si on les. saisit un peu rudement.
Divers Oxalis (0. acetosella, stricta, comiculata, purpurea, carnosa, Dippei), Robiniers [R. pseudacada, viscosa, hispida), Mimeuses (M. sensitiva, prostrata, casta, viva, asperata, quadri-valvis, dormiens, pernambuca, pigra, humilis, pellita), Œschyno-mènes (Œ. sensitiva, indica, pienula), Desmanthus (D. stolointes, tnquetrus, lacustus), Smithia sensitiva, etc.. prennent, sous l'influence des traumatismes, la position du sommeil. Une coupure, un choc, un souffle même suffisent à produire le sommeil de la feuille de Mimosa pudica.
Chez cette dernière plante, le mouvement de sommeil est surtout marqué, lorsque le traumatisme porte directement sur les phytoblastes amibokles, maïs il se produit aussi lorsqu'il atteint un point quelconque de la feuille. Si c'est une foliole, cette foliole, les folioles voisines, la feuille toute entière, les feuilles voisines, toutes les feuilles de la branche, et enfin toutes les feuilles de la plante prennent la position de sommeil.
Le mouvement se propage de la manière suivante :
1° Foliole touchée.
2° Celle qui lui fait face.
3° Celles qui sont situées au-dessous sur le même pétiolule.
4° Celles qui sont situées .sur le pétiolule voisin, en commençant par celle du bas.
5° Celles des autres pétiolules, qui prennent eux-mêmes la position de sommeil.
6° Le pétiole.
7° Les autres feuilles de la plante.
Il y a là une loi très analogue à loi des réflexes chez les animaux.
Dans la même feuille et sur le même rameau, le mouvement se propage toujours plus facilement de haut en bas que de bas en haut. Il saute certaines folioles en certaines feuilles, qui ne s'endorment que plus tard.
*
II. — Mouvements physiques
1° Ondulations thermiques.— II existe pour les végétaux, comme pour les êtres monoplastidaires, une température optima de veille, en deçà et au-delà de laquelle la somnolence commence pour aboutir au sommeil.
Les feuilles bilobées d' Aldrovandia vesiculosa, ordinairement
closes en Europe, s'ouvrent quand la température est suffisamment élevée.
Tout changement brusque de température provoque le sommeil de la feuille de Mimosa pudica. Ici l'action de la température peut s'ajouter à l'action des causes mécaniques. C'est ainsi que, par les fortes chaleurs, il suffit du galop d'un cheval sur une route ou du pas d'un homme passant près de la plante, pour en provoquer le sommeil.
Toute élévation de température détermine la somnolence ou le sommeil des Oxalis et des Phaseolus.
2° Ondulations lumineuses.— Il existe pour les végétaux, comme pour les êtres monoplastidaires, un éclairage optimum de veille en deçà et au-delà duquel la somnolence commence pour aboutir au sommeil.
Les feuilles d'Hedysarum gyrans (Sainfoin oscillant du Bengale) s'endorment, quand le ciel se couvre et quand le soleil devient plus ardent.
Les feuilles de Mimosa pudica, qui s'endorment chaque soir d'un profond sommeil, s'endorment aussi sous l'action d'une lumière vive. Ce sont les rayons rouges du spectre qui provoquent le plus aisément cette hypnose végétale. Les causes mécaniques peuvent d'ailleurs s'ajouter à l'action de l'éclairage, et, si l'on vient à heurter une feuille de Mimosa pudica endormie dans l'ombre, la contracture de cette feuille augmente.
Les feuilles de certaines Mimosees de l'Amérique du Sud, que les Espagnols appellent dormideras, s'endorment chaque soir un peu avant le coucher du soleil. Les feuilles de Smithia sensitiva, de Datura ceratocaula, des Oxalis, Robinia, Mimosa, Œschy nomenes, Desmanthus, qui s'endorment sous l'influence de causes mécaniques, s'endorment aussi à la tombée de la nuit.
L'obscurité peut même déterminer le sommeil de la feuille au second degré. C'est ainsi que si on laisse un certain temps dans l'obscurité Oxalis acelosella. Mimosa púdica ou une plante à mouvements nyctitropiques des genres Acacia et Phaseolus, ces mouvements continuent pendant un certaintemps(Du Hamel, Sachs}, puis cessent, les feuilles revenant à leur position diurne et restant en résolution. Si on transporte ensuite la plante à la lumière, les mouvements reparaissent, mais seulement au boutde plusieurs jours. Le même phénomène se produirait sous l'influence d'un éclairage constant (de Candolle).
3° Ondulations électriques. — De faibles étincelles d'induction provoquent le sommeil au premier degré de la feuille de Mimosa
pudica, surtoutsi elles traversent le pétiole (Pflüger et Schacht), et des chocs électriques puissants son sommeil au second degré. La plante ainsi électrocutée ne peut plus répondre aux excitations (Dreu et Van Marum). Ce phénomène a été aussi observé chez Hedysarum gyrans dont la feuille perd ainsi ses mouvements périodiques.
III. — Mouvements chimiques
Les feuilles de Pinguicula vulgaris recourbent leurs bords sous l'influence des infusions de viande crue et des solutions de carbonate d'ammoniaque. Le mouvement ne se produit pas lorsqu'on emploie des solutions concentrées, qui plongent la feuille dans le sommeil au second degré.
Les feuilles de Pinguicula lusilanica recourbent aussi leurs bords sous l'influence de l'albumine, des graines de chou mouillées, de morceaux de feuilles d'épinards et autres matières organiques humides.
Le chloroforme et l'éther les plongent dans le sommeil au second degré, et leur font perdre la propriété de se replier sous l'influence des excitations précédemment énumérées. Ce sommeil atteint les bourrelets des folioles avant le renflement du pétiole. Il se produit plus rapidement par les temps chauds que par les temps froids.
III. — Sommeil des cotylédons.
Le sommeil des cotylédons s'observe plus fréquemment encore que le sommeil des feuilles. Leurs phytoblastes ami-boïdes forment parfois un renflement moteur (Légumineuses, Oxalis). Leurs mouvements de sommeil se font le plus souvent selon le premier mode (26 genres sur 30). Le deuxième mode s'observe chez Oxalis valdiviana, Oxalis sensitiva, Géranium rotundifolium.
Les cotylédons peuvent présenter ces mouvements alors que les feuilles en sont dépourvues (Brassica géranium). Le phénomène inverse s'observe également (Nicotiana iabacum, Hedysarum gyrans). Enfin ces deux organes étant sommeillants dans une même plante, leurs mouvements peuvent n'être pas du même mode. C'est ce qui a lieu pour les Cassia et les Oxalis.
Il existe pour les cotylédons un éclairage optimum de
veille. La plupart s'endorment dans l'obscurité. Ceux de Cassia mimosoides s'endorment sous l'influence d'une lumière intense.
IV.— Sommeil des fleurs.
Le sommeil des fleurs a été observé chez Convolvulus sepium (Liseron des haies), Convolvulus tricolor (Belle-de-jour), Tragopogón porrifolium (Salsifis des jardins), Caléndula arvensis (Souci des champs), Mesembrianthemum glaciale (Glaciale), Ontithoga-lum umbellatum (Dame-d'onze-heures), Portulaca oleracea (Pour-piercommun), Mirabilis Jalapa (Belle-de-Nuit), Anemone nemorosa (Sylvie), Anemone pulsatilla (Pulsatille), Ranunculus ficaria (Ficaire), Githago segetum (Nielle des blés), Nuphar luteum (Nénuphar jaune), Cardamine pralensis (Cardamine des prés), Malva rotundifolia, Erophila verna, Potentilla anserina (Ilerbe-aux-oies) Potentilla verna, Oxalis acetosella, Rosa canina, Epilobium hirsu-tum, Chlora perfoliata, Erithrœa Centaurium (Petite centaurée), chez les Anagallis (Mouron rouge, Mouron Bleu), Ranunculus Cerastum, et toutes les Composées.
I. — SOMMEIL des sepales.
Les sépales présentent parfois des mouvements de sommeil. Ces mouvements sont dus à la rétraction de phytoblastes ami-boïdes situés à leur face interne, surtout à la partie inférieure. Les sépales dorment suivant le premier mode. Le calice de Mèsemby anthenum barbatum reste fermé de deux heures du soir à huit heures du matin; celui de Mirabilis jalapa de dix heures du matin à cinq heures du soir.
II.— Sommeil des pétales.
Le sommeil des pétales est dû, comme celui des sépales, à* la rétraction de phytoblastes amiboïdes situés à leur face interne, surtout à la partie inférieure. Les pétales, comme les sépales, dorment suivant le premier mode. Ceux du pissenlit et de la pomme de terre, tout en se relevant contre leur support, se plissent longitudinalement.
Causes du sommeil des pétales. I. — Mouvements physiques.
Io Ondulations thermiques. — Il existe pour les pétales une température optima de veille. Tout abaissement de température provoque le sommeil des
fleurs d'Ornithogalum umbellalum, Ficara ranunculoïdes. Anemone nemorosa, Tulipa gesneriana. Crocus vernis (Safran). Crocus vernis est sensible à une variation de température de 0°5. La fleur s'endort complètement à 8° et à 28°.
Si l'on plonge dans de l'eau à 60° des fleurs de Carlina vulgaris (Carline) ou d'Helichrysum orientale (Immortelle jaune), elles prennent aussitôt la position du sommeil.
2° Ondulations lumineuses. — Il existe aussi pour les pétales un éclairage optimum de veille. Les fleurs de longue durée s'épanouissent le matin et se ferment le soir. Ce sont les fleurs tropiques de Linné. Lorsque les jours s'allongent, elles reculent l'heure de leur sommeil.
Les fleurs de Tulipa gesneriana et de Crocus vernis somnolent quand la lumière baisse, et s'endorment dans l'obscurité.
La corolle du pissenlit, qui s'ouvre le matin lorsqu'il fait beau, reste endormie lorsque le ciel est couvert. La corolle de Portulaca oleracea s'endort à une heure de l'après-midi, celle de Mesembyanthenum barbatum dort de deux heures du soir à huit heures du matin, celle d'Ornithogalum umbellatum de la fin du jour à huit heures du matin. Linné a donné le nom de fleurs équinoxiales aux fleurs qui s'endorment à heures fixes. Il en est qui restent fermées tout le jour et ne s'ouvrent que la nuit. Ce sont proprement des fleurs nocturnes. D'ailleurs, dans tous les cas, il est probable que la température et l'état hygrométrique de l'air agissent concurremment avec l'éclairage. Comme les feuilles, les fleurs peuvent entrer sous l'influence de l'obscurité prolongée dans le sommeil au second degré. Leurs mouvements nyctitropiques disparaissent au bout d'environ vingt-quatre heures, la fleur restant ouverte et en résolution.
II. — Mouvements chimiques. — Il existe pour les fleurs un état hygrométrique optimum de veille.
La fleur de Sonchus sibériens se ferme quand le temps est au beau, celle de Porliera hygrometrica, Calendula pluvialis (Souci de pluie) et Carlina vulgaris quand le temps est à la pluie.
III. — Sommeil des étamines
Certaines étamines s'infléchissent vers le pistil par suite de la rétraction de phytoblastes amiboïdes situés sur leur face interne. Ce mouvement est analogue aux précédents. Son effet fréquent et d'ailleurs purement accidentel, la chute du pollen
sur le pistil, ne saurait l'en faire séparer que par des savants imbus du préjugé finaliste. Si donc l'on donne à ceux-là le nom de mouvements de sommeil, il faut le donner aussi à celui-ci. C'est d'ailleurs là pure affaire de convention. La nature ne fait pas de saut, et entre les mouvements de sommeil et les autres il n'y a pas de limite tranchée.
Les étamines de Berberis vulgaris (Epine-vinette) et d'autres Mahonia exécutent ce mouvement sous l'influence des causes mécaniques.
Chez les Sparmannia, dont le calice et la corolle s'endorment le soir, les étamines se rapprochent en même temps du pistil. Ce mouvement s'effectue avec lenteur et, comme chez les feuilles, par petites secousses rythmiques. Si les causes mécaniques s'ajoutent à l'obscurité, le mouvement devient brusque. Le sommeil produit sous l'influence d'un certain éclairage a été aussi constaté chez les étamines de Ruta graveolens et des plantes appartenant aux genres Helianthemum, Cistus, Opuntia, Portulaca, etc.
Chez les étamines de Ruta graveolens les mouvements alternatifs de veille et de sommeil continuent à se produire pendant un certain temps dans l'obscurité, mais alors, au lieu de s'effectuer en un nycthémère,ils ne s'effectuent qu'en trois jours. On a aussi observé chez les étamines le sommeil au second degré. Les mouvements de flexion de celles des Mahonia deviennent de moins en moins étendus, et finissent par cesser complètement, si les excitations sont trop fréquentes. Aussi entrent-elles en résolution par les grands vents, et lorsqu'elles sont surmenées par les insectes qui hantent la fleur.
Le même phénomène se produit sous l'influence de forts courants électriques. Cette électrocution végétale a été aussi observée chez les étamines de Berberís vulgaris par A. de Humboldt, chez des Centaurea et chez les gynostènes de Sty-lidium graminifolium et de S. adnatum.
Les étamines de Berberis vulgaris s'endorment aussi sous l'influence de l'éther.
Des faits qui précèdent il est permis de tirer les conclusions suivantes :
1° Les mouvements circulatoires, assimilatoires, désassimilatoires, ontogénétiques et en masse du bioprotêon des êtres monoplastidaires et des végétaux sont modifiés tous ensemble et dans le même sens par les mouvements du milieu ambiant. Leur diminution d'ampli-
lude et de vitesse s'accompagne souvent d'une contraction manifeste du bioprotéon.
2° Il existe, pour chaque cellule, à l'égard des différents modes du mouvement, un optimum de vitalité ou de veille, marqué à la fois par l'intensité maxima des mouvements bioprotéiques et par l'expansion máxima du bioprotéon.
En deçà et au delà de cet optimum, la somnolence commence pour aboutir, d'une part à la diminution ou à la cessation complète des mouvements bioprotéiques, d'autre part à la contraction ou à l'altération du bioprotéon, c'est-à-dire au sommeil ou à ta mort.
3° Il est probable que toute plastide est douée de contractilité, et que cette contractilité varie avec les plastides, imperceptible chez les unes, très prononcée chez les autres.
4° C'est à cette contractilité que sont dus les mouvements de sommeil des feuilles, des cotylédons, des sépales, des pétales et des étamines.
5° Dans le règne végétal, elle est plus marquée chez les cellules et les organes jeunes, lesquels présentent ainsi une propension au sommeil que nous retrouverons chez les cellules animales jeunes, chez le petit de l'animal et chez l'enfant.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 janvier 1902. — Présidence de M. le Dr Jules Voisin
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend, entre autres, une lettre de M. le Dr Gabriel Dromard. interne des Asiles d'aliénés.
M. Lionel Dauriac dit quelques mots sur le rôle des facteurs psychologiques dans les divergences médicales. Prennent la parole : MM. Paul Magnin, Bérillon et Jules Voisin.
M. le Dr Fiessinger traite de la Psychologie du Cardiaque. Prend la parole M. Bérillon.
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. les Dr Perrin (de Paris), Limboussaky (de Constantinople), Zosin et de M. J. de Briey. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 45.
De la suggestion en pédagogie
par M. le Dr Raffegeau, médecin de l'Etablissement hydrothérapique du Vésinet.
On sait combien les enfants sont faciles à suggestionner, même à l'état de veille, et, comme un grand nombre de médecins, je ne néglige pas ce moyen de traitement, lorsque l'occasion s'en présente. Il y a quelques années, par exemple, on m'amena une petite fille de cinq ans qui avait été renversée par un énorme molosse et tombait depuis lors dans des crises nerveuses, chaque fois qu'elle le rencontrait Je la pris sur mes genoux, lui expliquai que Porthos (c'était le nom du chien) avait voulu jouer avec elle et non pas lui faire du mal, et j'ajoutai : Désormais, lorsque tu le verras, tu n'auras plus peur de lui et au contraire, tu le caresseras. — A partir de ce moment, les crises cessèrent.
La même simplicité de moyens m'a souvent réussi avec d'autres enfants nerveux; mais, lorsqu'ils atteignent une dizaine d'années, j'emploie de préférence les procédés dus à M.Liébeault (de Nancy) et j'invite mes sujets à s'étendre sur une chaise longue et à fermer les yeux pendant quelques minutes avant de leur tenir le discours approprié.
C'est ainsi qu'il y a trois ans environ, j'arrivai en quelques séances à guérir d'une anorexie nerveuse un jeune garçon qui ne mangeait presque plus depuis un mois et dont l'état de faiblesse et d'amaigrissement avait alarmé sa famille. Il reprit vite l'embonpoint qu'il avait perdu et put retourner au collège au bout de six semaines.
Vers la même époque, la suggestion ainsi faite me donna d'excellents résultats chez une petite fille et un petit garçon atteints d'incontinence d'urine et chez un autre enfant adonné à l'onanisme. Mais c'est surtout pendant l'année qui va finir que j'ai eu à me louer de la méthode du Dr Liébeault. Elle m'a permis en effet de venir en aide aux parents et aux professeurs d'un certain nombre d'enfants plus ou moins dégénérés et aussi difficiles à diriger à la pension que dans leur famille.
Une de mes observations se rapporte à un jeune garçon de 11 ans, élève de septième dans un collège renommé. Pierre A., comme nous l'appellerons, me fut amené pendant les vacances dernières par sa mère qui, ne pouvant plus se faire obéir de lui, désirait lui voir suivre un traitement hydrothérapique.
Le jeune Pierre A. est très fort pour son âge et bien constitué; il est le fils unique de parents bien portants. Son maintien dans notre cabinet dénote un enfant nerveux, car il ne peut rester en place et l'examen de ses doigts qu'il porte fréquemment à sa bouche, démontre qu'il est onychophage.
La mère nous raconte que son fils s'arrête très longuement devant les étalages, brillants, ceux des coiffeurs en particulier et qu'il contemple avec ravissement les dames bien habillées et couvertes de bijoux
qu'il rencontre ; il fait ensuite des descriptions interminables etexagérées de ce qu'il a vu. A table, il se montre irrespectueux envers ses parents et les autres membres de sa famille. En récréation, il est brutal avec ses petits camarades. L'année scolaire a été à peu près perdue et fort heureusement son professeur a vu en lui un malade et l'a traité comme tel, au lieu de le punir.
Après avoir examiné cet enfant, je proposai à sa mère de me l'amener trois fois par semaine, afin de lui faire un peu de suggestion.
Mon offre fut agréée et je priai simplement le jeune Pierre A. de s'étendre sur une chaise longue et de fermer les yeux. Puis, au bout de quelques instants de silence, je m'attachai à lui montrer l'odieux de sa conduite envers sa mère qu'il rendait malheureuse et le bonheur qu'il éprouverait par contre à contenter ses parents ; enfin je lui affirmai qu'il aurait désormais de bonnes inspirations et qu'il n'aurait pas de peine, l'hydrothérapie aidant, à se bien conduire à l'avenir.
Le lendemain de cette première séance, la mère m'assurait que son fils avait été beaucoup plus raisonnable, mais l'amélioration ne fut pas de longue durée. Je revins à la charge, et, au bout d'une dizaine de séances, Pierre A. était tout-à-fait transformé. Il était obéissant envers ses parents, plus sociable avec ses petits amis et n'entrait plus dans de longues descriptions de belles choses qu'il avait remarquées et qu'il amplifiait jadis à plaisir. Enfin ses ongles repoussaient et on pouvait le faire un peu travailler.
La même tactique me réussit un peu auparavant vis-à-vis d'un jeune garçon de 8 ans, doué d'une intelligence très vive, mais dont les professeurs ne pouvaient rien obtenir et qui mettait le désordre dans sa classe.
Fils d'un père bien portant mais d'une mère et d'une grand'mère névropathes, le jeune C. se rongeait également les ongles et tenait quelquefois des propos bizarres. Passant près d'une rivière, par exemple, il disait tout-à-coup : Si je me jettais dans l'eau », et il l'eût peut-être fait, si on ne l'avait surveillé.
Fort heureusement la suggestion avait facilement prise sur son esprit et elle aida beaucoup l'action de l'hydrothérapie.
Les deux moyens combinés obtinrent encore un plus grand succès avec un jeune garçon de 12 ans auquel son nervosisme avait fait interrompre ses études et que son médecin m'avait adressé au Vésinet.
Lui aussi, comme beaucoup d'enfants, plus ou moins dégénérés, était onychophage, mais il présentait encore d'autres symptômes caractéristiques. Il avait peur de se salir en touchant certaines personnes, se lavait sans cesse les mains, tenait à mettre lui-même le couvert de la famille, et, pour lui faire plaisir, ses parents se privaient d'inviter ceux de leurs amis qui lui étaient antipathiques. Très passionné pour tout ce qui concernait les chevaux, il fréquentait de préférence les cochers du pays et passait une partie de ses journées à conduire une voiture à âne, se montrait brutal avec les animaux comme avec ses camarades.
J'eus une certaine difficulté, le premier jour, à décider le jeune C. à rester seul avec moi dans mon cabinet et à écouter mes discours les yeux fermés. Mais les autres séances furent au contraire désirées par lui, et sa mère m'annonça bientôt qu'un grand changement s'opérait chez son fils à qui elle avait cédé jusque là dans tous ses caprices. Il accepta d'abord de ne plus aller s'entretenir avec les cochers et ses propos devinrent moins grossiers ; puis, il montra moins de répulsion pour certaines personnes et traita plus doucement les animaux qui lui étaient confiés. Bientôt on put lui faire donner des leçons par un professeur (alors qu'il n'avait pas regardé ses livres depuis près d'un an) et il avait plaisir à m'apporter chaque matin son cahier de devoirs qui était du reste fort bien tenu. Au mois d'octobre, on le renvoya au collège, et malgré une grande tendance aux phobies, son état reste assez satisfaisant.
L'observation suivante est celle d'un enfant de 13 à 14 ans qui s'était attiré les quolibets de ses camarades de collège par son bégaiement et qui était un peu découragé. Cet enfant qui était très nerveux se trouva bien sans doute dé l'hydrothérapie, mais la. suggestion à l'état de veille, d'après la méthode Liébeault lui a été également très utile et je suis arrivé ainsi à lui faire réciter beaucoup mieux ses leçons et à l'exciter au travail.
Je terminerai enfin par le cas d'une enfant de 11 ans, onychophage depuis l'enfance, fille d'un père alcoolique et d'une mère nerveuse et qui était sujette, il y a un an à peine, à des crises d'hystéro-épilepsie.
Cette entant est d'un bon naturel, mais son ardeur au travail est médiocre et, pour le motif le plus futile, elle entre quelquefois dans des colères épouvantables, Or, quand j'ai pu lui parler dans ces moments difficiles et user de la suggestion, j'ai très rapidement obtenu la fin de la crise et je n"ai pas négligé non plus de lui persuader qu'elle travaillerait mieux à l'avenir ce qui est en effet arrivé.
Tels sont, Messieurs, les quelques faits que je désirais rapporter devant vous. Assurément, je n'ai rien innové; mais j'ai voulu montrer que la suggestion d'après la méthode Liébeault peut rendre de très grands services aux enfants difficiles. J'ai cru également qu'il était bon d'insister sur le rôle important que le médecin pourrait remplir dans l'école, point qui jusqu'à présent a été beaucoup trop négligé par l'autorité supérieure.
Le médecin inspecteur des écoles, à mon sens, devrait faire des visites beaucoup plus fréquentes et surtout beaucoup plus complètes (je veux dire que l'examen devrait avoir lieu au sortir du bain aussi bien qu'à l'étude) et signaler aux familles, les enfants dont les yeux, le nez, la bouche, la gorge, la colonne vertébrale laissent à désirer. La santé physique en effet doit être l'objet de la plus grande sollicitude; mais au point de vue du caractère et des études, combien les professeurs seraient aidés par le médecin psychologue, si celui-ci était consulté pour
les enfants paresseux ou névrosés et dont l'état n'a jamais été amendé par les retenues et les pensums !
Discussion
M. Bérillon. — Je considère comme très inexacte l'expression de suggestion n à l'étal de veille »; on devrait dire : suggestion « à l'état de veille apparente ». En effet, le prestige du médecin, son autorité naturelle, la mise en scène, etc., exercent sur l'enfant une sorte d'intimidation c'est-à-dire qu'ils produisent chez lui un état d'inhibition, un état passif analogue à l'état d'hypnose. Tel sujet qui n'est pas suggestionnable aujourd'hui pourra l'être demain à un haut degré ; et tel, réfractaire à l'influence d'un médecin subira au plus haut point la domination d'un autre. L'enfant auquel on croit faire une suggestion à l'état de veille n'est plus à l'état de veille proprement dite; il est déjà monoidéisé, inhibé; son pouvoir de contrôle est suspendu, la suggestionnabilité accrue; il subit l'ascendant de son suggestionneur. Dans bien des cas, quand il se trouve en présence d'un étranger l'enfant s'auto-hypnotise par la mise en jeu de l' « expectant attention », il tombe dans un véritable état d'hypnotisme fortuit. C'est à la faveur d'un « étal passif » (Liébeault) que la suggestion réussit. J'estime que lorsqu'un enfant présente des vices justiciables du traitement psychothérapique, il vaut mieux provoquer délibérément un état passif. Grâce à l'hypnotisme, la suggestion gagne considérablement en efficacité et les résultats thérapeutiques sont à la fois plus certains et plus stables.
C'est l'idée que j'ai exprimée en 1886 lorsque le premier j'ai formulé les applications de l'hypnotisme à la pédagogie et la pédiatrie. — La technique que j'ai exposée à cette époque est toujours celle qui a donné les meilleurs résultats.
M. Félix Regnault.—Dans l'emploi de la suggestion pédagogique, il faut distinguer entre les sujets. Les enfants sont vicieux, indisciplinés inattentifs, etc., tantôt parce qu'il y a surmenage intellectuel avec classes trop longues et insuffisance de récréations, tantôt parce qu'ils ont une très mauvaise hygiène alimentaire, tantôt parce qu'ils absorbent des excitants tels que vin, thé, café. Dans ces divers cas, il faut réformer l'hygiène intellectuelle et le régime alimentaire. D'autres fois, ces •troubles du caractère sont sous la dépendance d'un polype muqueux, de végétations adénoïdes, d'adhérences préputiales (Bérillon), etc. : en traitant la cause, on supprime l'effet, les causes écartées, nous avons les névropathes, les héréditaires, les tarés. L'hypnotisme est utile pour eux car il réalise des guérisons d'une certaine durée ; mais il faut suivre le malade ; au bout de quelques mois, les symptômes peuvent revenir ou d'autres analogues et il faut faire de nouveau appel à la suggestion ; car le fonds héréditaire n'a pas changé.
M. Jules Voisin.—Chez les héréditaires, chez les individus atteints
de folie morale, en particulier, les symptômes se succèdent ou se remplacent. Par exemple, le kleptomane devient dipsomane ou êrotomane etc., de plus, ils sont très diffcilement hypnotisables.
M. Félix Regnault.— Donc, si l'on parvient à les hypnotiser, on ne peut que supprimer un symptôme; mais, à cause du terrain prédisposé, le champ reste libre pour l'apparition et le développement d'autres symptômes morbides. C'est donc une amélioration que l'on peut obtenir et non une guérison.
M. Bérillon. — Sans doute, si l'enfant dépasse un certain degré de dégénérescence, il n'est ni hypnotisable, ni curable. Dans ces cas, l'hypnotisme devient un procédé de diagnostic et un moyen de pronostic. Cette réserve faite je maintiens en orthopédie morale l'exactitude d'une formule que je me plais à répéter, à savoir qu'hypnotisable veut dire curable : Etant donné un enfant atteint de vices, de troubles nerveux, si après plusieurs tentatives l'état d'hypnotisme n'est pas obtenu, c'est que l'attention de l'enfant est trop faible pour accepter et réaliser la suggestion curative. S'il est hypnotisable, l'entraînement psychothérapique devient possible et la guérison s'en suit. D'une façon générale on peut dire que l'hypnotisme est la base de l'orthopédie morale. Chez les vicieux auprès desquels les moyens habituels d'éducation ont échoués l'hypnotisme reste la suprême ressource.
Quand on obtient l'hypnotisme c'est que tout espoir n'est pas perdu. On nous dit : « Vous obtenez une amélioration d'une durée limitée et non une guérison. » C'est une erreur, nous, obtenons des guérisons complètes. Quand nous guérissons un onychophage, il est guéri de l'habitude de ronger ses ongles pour toute sa vie. Il est vrai qu'on n'obtient des guérisons que par l'emploi rigoureux de la méthode que j'ai préconisée. Par exemple vous ne guérirez un onychophage et un kleptomane que si vous associez à la suggestion hypnotique une gymnastique spéciale faite pendant l'hypnose. Ces exercices de psycho-mécanique sont indispensables. En résumé, si on ne cesse pas le traitement trop tôt, si l'on a soin de créer des « centres d'arrêt psychiques, » si l'on crée et développe suffisamment la volonté d'arrêt et le pouvoir modérateur, on obtient des guérisons au sens propre du mot. En effet, le petit vicieux est vraiment guéri, lorsqu'il est armé contre les tentations ultérieures par un pouvoir de résistance à ses impulsions que l'hypnotisme seul peut réaliser. Si, par la suite, sous l'influence d'une intoxication, d'une infection, d'un traumatisme, l'enfant succombe à nouveau à son vice, il va sans dire qu'on doit recourir de nouveau à la suggestion hypnotique pour reconstituer son pouvoir modérateur.
M. Raffegeau. — Je répondrai deux mots aux critiques que vient de formuler mon excellent ami le Dr Bérillon.
Je lui ferai d'abord observer que si j'ai employé le mot suggestion pour l'appliquer à la méthode Liébeault, c'est que je n'en ai pas trouve
de meilleur, et que les discours du médecin aidés par une mise en scène produisent en somme un effet suggestif.
En second lieu, je veux bien admettre que ce procédé n'est pas aussi efficace que l'hypnotisme, mais il y a encore beaucoup de familles qui se refusent à faire hypnotiser leurs enfants.
J'ajouterai enfin qu'à mon avis, les agents physiques doivent toujours jouer un très grand rôle dans le traitement des maladies nerveuses., les sujets étant souvent fort débilités. Or, la suggestion d'après la méthode Liébeault m'a souvent été d'un grand secours pour renforcer l'action de l'hydrothérapie ou des autres moyens thérapeutiques et je l'emploie chez les grandes personnes aussi bien que chez les enfants, lorsqu'il ne peut être question d'hypnotisme.
M. Paul Farez. — Lorsque, pour diverses raisons, il n'est possible de recourir ni à la suggestion hypnotique, ni à la suggestion somnique (pendant te sommeil naturel), ni à la suggestion pendant une narcose chimiquement provoquée, nous sommes réduits à la suggestion pendant l'état de veille. Or celle-ci est, d'ordinaire, fort peu efficace, à moins qu'on ne l'appuie sur le sommeil. D'une manière générale, et surtout en orthopédie morale, je m'applique à la formuler non pas dans la journée, mais le soir, au moment où le malade vient de se mettre au lit et va s'endormir. Ma suggestion est ainsi ce qui occupe en dernier lieu la conscience du malade : c'est sur elle qu'il s'endort; elle constitue une sorte de monoidéisme qui, à la faveur du sommeil naturel, acquiert une plus grande efficacité thérapeutique. Cette suggestion présomnique n'est nullement combattue et annihilée, comme l'est trop souvent la suggestion diurne, par toutes sortes de représentations variées qui assaillent et distraient la conscience; elle offre, une matière au développement de là cérébration subconsciente, elle constitue un moyen facile et commode de se rapprocher, autant que possible des conditions de la suggestion hypnotique.
M. de Bourgade. — Les enfants auxquels s'adresse cette orthopédie morale ne sont pas tous des dégénérés ou des névropathes. Souvent leur estomac et leur intestin sont malades et fabriquent des toxines; leur nutrition générale est en mauvais état. Pour les guérir il suffit de rétablir chez eux ce que j'appellerais l'orthonutrition. Un de mes malades avait l'idée fixe d'assassiner son père; il en fut complètement débarrassé par des prescriptions de thérapeutique générale.
M. Paul Magnin. — Ces observations sont très justes et il va sans dire que, nous autres psychothérapeutes, nous restons quand même et par dessus tout médecins. Nous ne négligeons chez nos malades aucune des indications de la thérapeutique générale; mais il est de nombreux cas où elle est loin de suffire. La plupart de nos malades, nerveux ou mentaux, sont, lorsqu'on y regarde de près, profondément abouliques et si l'hypnotisme les guérit, c'est précisément parce qu'il permet une restauration et un entraînement méthodiques de leur volonté. Et à ce
propos, je ne saurais trop m'élever contre l'erreur grave des nombreux auteurs qui écrivent encore aujourd'hui que l'hypnotisme détraque et supprime la volonté! Il faut réellement n'avoir aucune notion intelligente de la question pour soutenir pareille opinion. Les faits lui donnent tous les jours un démenti formel. Le psychothérapeute est, au contraire, et doit rester toujours et plus que qui que ce soit, un profes-seur.de volonté.
Les hiérosyncrotèmes familiaux.
par le Dr Charles Binet-Sanglé Professeur à l'Ecole 3e Psychologie.
J'ai appelé hiérosyncrotème (iipoç-sacré ; c^Y/.;lTr,^a-groupe) le groupe formé par des religieux ou des dévots suggestionnés l'un par l'autre, et j'ai distingué :
les hiérosyncrotèmes familiaux.
— — de maison.
— — de paroisse ou de quartier.
— — urbains.
— — provinciaux.
— — nationaux.
— — internationaux.
L'hiérosyncrotèmc familial type est formé de sujets ayant entre eux les rapports de parenté les plus étroits, c'est-à-dire pères ou mères, fils ou filles, frères ou sœurs, oncles ou tantes, neveux ou nièces les uns des autres.
L'hiérosyncrolème familial se définit à l'aide d'une formule et d'une fraction.
Soit par exemple l'hiérosynerotème familial suivant : Michelle de Vitry), vivante en 1386, morte le 12 juin 1456, « fut enterrée dans une chapelle de Notre-Dame de Paris, que les chanoines et chapitre de cette église lui avoient accordée pour elle et sa postérité par lettres du 14 juin 1443 » (1), « moyennant la moitié par indivis d'un moulin appelé les ChambreS'Maîlre-Hugues, près de. la rue de la Tannerie, assis sur la rivière de Seine (3) ».
De son mari, Jean Jouvenel, elle eut 9 garçons et 7 filles parmi lesquels :
Jean Jouvenel (23 nov. 1388-14 juillet 1473), éveque de Beauvais en 1432, de Laon en 1444. archevêque de Reims en 1449, lequel approuva en 1450 une confrérie dans l'église des Augustins de Reims, fut chargé
(1) Dictionnaire de Moréri.
(2) Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France. Paris, 1733. t. VI, p. 404.
en 1456, par le pape Alfonso Borgia, d'informeravecdeux autres prélats de la sentence prononcée par les Anglais contre Jeanne d'Arc, qu'ils « rétablirent dans sa bonne fame et renommée » (1), sacra Louis XI en 1461, présida un concile et fut enterré dans la cathédrale de Reims ;
Jacques Jouvenel (14 oct. 1410-12 mars 1456), archidiacre de Paris en 1443; chanoine, archidiacre, puis archevêque de Reims en 1444, lequel réussit à faire abdiquer Amédée de Savoye élu pape, en faveur de Thomas Parentucelli (Nicolas V), fut patriarche d'Antioche, administrateur de l'évêché de Poitiers en 1449, prieur de Saint-Martin-des-Champs, et fonda, moyennant cent écus d'or, son anniversaire dans l'église des Chartreux de Paris ;
Marie Jouvenel (27 août 1399-14 nov. 1479), sacristine, célerière puis prieure de Poissy;
Et Michel Jouvenel des Ursins(l5 janv. 1408-1470), qui épousa Yolande de Montberon.
Yolande de Montberon avait 4 frères et 6 sœurs parmi lesquels. Safari de Montberon, archidiacre de Champagne en l'église de Reims, abbé de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers et chanoine de Saint-Pierre-de-Saintes.
Michel Jouvenel des Ursins et Yolande de Montberon eurent 6 garçons et 4 filles, parmi lesquels :
Eustache Jouvenel des Ursins, chanoine de Reims, vivant on 1477, mort à Rome en 1483, et enterré dans l'église de Sainte-Marie-des-Miracles;
Raoul Jouvenel des Ursins, chanoine de Paris, vivant en 1482: Louis Jouvenel des Ursins, archidiacre de Champagne, vivant en 1493;
Guionne Jouvenel des Ursins, religieuse ;
Michelle Jouvenel des Ursins, religieuse ;
EtJean Jouvenel des Ursins, vivant en 1498.
Celui-ci eut 7 garçons et 6 filles, parmi lesquels :
Jean Jouvenel des Ursins, doyen de Paris en 1542, abbé de St-Denis de Nogent-le-Rotrou, en 1555, abbé de St-Meen, évêque de Tréguier en 1548, mort en 1566;
Jean-Baptiste Jouvenel des Ursins, abbé d'Aumale, prieur de Saint-Remy-l'Abbaye en 1539;
Charles Jouvenel des Ursins,abbé de Saint-Nicaise de Reims, aumônier du roi ;
Jacques Jouvenel des Ursins, prieur de Coincy ; .Varie Jouvenel des Ursins, religieuse de Poissy; Et Claude Jouvenel des Ursins, religieuse de Poissy. Cet hiérosyncroteme familial peut être représenté d'une part par la formule suivante:
(I) Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, Paris, 1733, t. VI, p. 404. ¦
Cette formule n'est, on le voit, qu'une sorte de tableau généalogique.
L'hiérosyncrotème Jouvenel peut aussi se traduire par la fraction 16/51, le dénominateur 51 représentant le nombre total des membres de la famille depuis le membre initial jusqu'au membre terminal de l'hiérosyncrotème, le numérateur 16 représentant le nombre des religieux ou des dévots du groupe familial ainsi défini.
Cette fraction 16/51 représente donc dans son ensemble la proportion des membres de ce groupe ayant subi avec succès les suggestions religieuses.
Plus cette fraction est petite, plus l'état mental du groupe familial se rapproche de la normale. Plus elle est grande, plus la dégénérescence mentale y est prononcée, et plus il faut s'attendre à en relever les autres signes chez ses membres.
En étudiant l'ascendance de deux religieuses de Port-Royal, Henriette-Marie d'Angennes de Fargis et Marie-Charlotte de Conflans d'Armen-tières, j'ai pu construire plus de 200 hiérosyncrotèmes familiaux.
Trois d'entre eux comptent respectivement 30, 38 et 43 membres.
L'étude de ces colonies religieuses offre le plus haut intérêt. Elle permet de mettre en lumière le réle que jouent d'une part l'hérédité, d'autre partie milieu, en l'espèce la suggestion mentale, dans la propagation des idées religieuses, et de suivre, pour ainsi dire pas à pas, ces idées dans leur transmission à travers les siècles.
Dans une communication ultérieure, j'établirai, à l'aide de ces hiérosyncrotèmes, que la dévotion est un signe de dégénérescence.
Discussion
Félix Regnault. — Il faut distinguer dans les familles qui fournissent beaucoup de membres ayant une vie religieuse ceux qui :
1° Sont curés, abbés avec de riches prébendes, mais ne manifestent pas autrement leur religiosité. C'est pour eux une profession, vers laquelle ils ont penché en voyant de nombreux parents y réussir. La carrière religieuse était très honorifique et très courue jusqu'à la révolution. Beaucoup de ceux qui la prenaient, loin d'être dévots, professaient môme quelque scepticisme.
2° Les convaincus qui font des moines, des missionnaires, et au besoin des martyrs. Ceux-là seuls sont des suggestionnés et souvent des nerveux.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 17 février 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpôtrière.
Communications inscrites :
1. Dr Paul Farez : Psycho-névrose traumatique intermittente. — Influence des anniversaires de l'accident sur les récidives.
2. Dr Henry Lemesle : Une stigmatisée contemporaine : Sœur Bour-guillion.
3. M. Podiapolski (de Saratow) : Hérédité influencée.
4. Dr Leprince (de Bourges) : La thérapeutique suggestive en ophtalmie.
5. M. Lépinay, médecin-vétérinaire : L'hypnotisme chez le cheval.
6. Dr Bêrillox : L'hypnotisme fortuit.
Les superstitions: Le chiffre 13-
L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux publie ces trois exemples de l'impression produile par le chiffre 13 :
1° Les directeurs de l'hôpital de Binghamphon, aux Etats-Unis, ont reconnu qu'il était nécessaire de supprimer la salle 13 dans cet établissement. Ils ont constaté que ce nombre fatidique avait un effet déplorable sur l'esprit d'un certain nombre de malades superstitieux. La peur du n° 13 augmentait d'une façon déplorable leurs infirmités mentales. 11 n'y a donc plus de salle 13 à l'hôpital de Binghamphon; du 12 on passe au 14, pour le plus grand soulagement des malades. C'est la première fois que les autorités d'un établissement public reconnaissent, d'une manière officielle, que le nombre 13 est un porte-malheur.
2° Ce qui m'a été assuré en Suisse et en Italie c'est que, dans la plupart des grands hôtels, il n'y a pas de chambre portant le n° 13, et cela par suite des craintes manifestées par de nombreux voyageurs.
3° Un fait tout aussi significatif s'est passé, l'année dernière, à Arlon : Le régiment des grenadiers, qui y avait fait des exercices de tir, devait quitter cette ville, le samedi 13 juillet, pour entrer à Bruxelles dans la nouvelle caserne qui lui a été construite, rue des Petits-Carmes. Les soldats manifestèrent une telle répulsion à l'idée de s'installer dans leur nouvelle caserne au 13 du mois, que l'autorité militaire crut ne pas devoir heurter de front ce sentiment et consentit à remettre le départ au surlendemain.
La Chronique Médicale du Dr Cabanes rapporte l'anecdote suivante relative à la superstition du chiffre 13.
« Théophile Gautier était superstitieux, et ne voulait pas se trouver treize à table. Cela arriva une fois à l'un de ses lundis. Théo parla immédiatement de se retirer. Sainte-Beuve, qui nepartageait pas sescrain-tes, se leva et alla s'asseoira une petite table; mais on était toujours treize à diner. Alors Sainte-Beuve fit inviter le petit Magny, — aujourd'hui l'un des hauts fonctionnaires du ministère de l'Instruction publique, officier de la Légion d'honneur, — et le fit asseoir en face de lui. On fut dès lors quatorze : cela rasséréna Théo.
Le lendemain, Sainte-Beuve me dit : « Si l'on savait cela, on se
moquerait de nous. » C'est ce qui arriva. II n'y avait mis que de la tolérance et des égards pour la personne de Théo. »
Les victimes de. l'hérédité.
On a pu produire à New-York, l'état social, de la descendance d'une certaine Mme A., tenancière de maison de prostitution, et qui montrait un amour particulièrement immodéré pour le petit verre et surtout pour le grand. Elle mourut en 1827, à l'âge de cinquante et un ans.
Sa descendance — très édifiante comme on peut le voir, — s'élève au chiffre coquet de 80Q. Sur ce nombre, 700 sont des criminels ayant été emprisonnés au moins une fois; 342 sont des alcooliques invétérés; 127 sont des femmes de mœurs plutôt relâchées; 37 fut meurtrières et le bourreau a mis fin à leur belle existence. Enfin, on a calculé que cette famille avait coûté pour ses délits à l'Etat, qui a eu l'honneur de la compter parmi ses citoyens, la modeste somme de 3.750.000 francs. Une bagatelle, comme l'on voit !
NOUVELLES
Ecole de Psychologie
49, rue Saint-André-des-Arts, 49
COMITÉ DE PATRONAGE
MM. Berthelot, secrétaire perpétue! de l'Académie des sciences; Boirac, recteur de l'Académie de Grenoble ; Lionel Dauriac, professeur honoraire de la Faculté de Montpellier : Marcel Dubois, professeur a la Sorbonne ; Giard, profes-*eur à la Sorbonne; Huchard, membre de l'Académie de médecine; Guimet, directeur du Musée des religions ; RibOt, professeur honoraire au Collège de France ; Albert Robin.\, membre de l'Académie de médecine ; Tarde, professeur au Collège de France ; Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
Cours de 1903
Hypnotisme thérapeutique. — M. le Dr Bérillon, professeur.
Objet du cours : 1° La thérapeutique des maladies de la personnalité. Les lundis à cinq heures. 2° Les applications de l'hypnotisme à la pédagogie. Les jeudis à cinq heures.
Hypnotisme expérimental. — M. le D' Paul MaGnin, professeur. Objet du cours : L'hypnotisme chez les hystériques : Les anesthésies. Les lundis et les jeudis à cinq heures et demie.
Hypnotisme sociologique. — M. le Dr Félix Regnault, professeur. Objet du cours : L'hypnotisme dans les religions orientales : Le Coran. Les vendredis à cinq heures.
Psychologie normale et pathologique. — M. le Dp Paul Farez, professeur. Objet du cours : La pathologie du sommeil naturel : Les insomnies. Les mardis et samedis à cinq heures.
Psychologie du criminel. — M. le D' Wateau, professeur. Objet du cours : La femme délinquante et criminelle. Les vendredis à cinq heures et demie.
Psychologie des foules et Folkore. — M. le Dr Henry Lemesle, professeur.
Objet du cours-: Superstitions locales: Les petits pèlerinages. Les mercredis, à cinq heures et demie.
Anatomie et Psychologie comparées. — M. E. Caustier, agrégé, professeur
de l'Université.
Objet du cours : L'évolution des sentiments et des fonctions psychiques
dans la série animale. Les samedis à cinq heures et demie.
Psychologie des animaux. — M. Lépinay, professeur. Objet du cours : L'éducation et le dressage des animaux. Les mercredis, à cinq heures.
Varia
Conférences anthropologiques. — Des conférences anthropologiques ont lieu les mercredis à 8 heures et demie, au siège de l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Salpétrière. — M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, fait, tous les jeudis à 10 heures, dans son service, des leçons cliniques sur les maladies nerveuses et mentales.
Ouvrages repus à la Revue
Grasset. — Leçons de chirurgie médicale. 4e Série, in-8, 755. Coulet,
éditeur, Montpellier, et Masson. Paris 1903. 12 fr. Richard Harte.—Hypnotism and the doctors from Mesmer to Charcot,
253 pages. Fowler, éditeur, London. 1903. Foveau de Courmelles. — L'année électrique, électrothérapique et
radiographique, Paris, Ch. Béranger, 1903. 3 fr. 50. Froument. — Recherches sur la mentalité humaine. 208 pages, Vigot,
édit. Paris.
Chervin. — Bégaiement et autres maladies fonctionneleis de la parole.
in-12, 545 pages. 3° édition, 1903. 10 fr. Portigliotti. —Psicoterapia, avec 22 figures, in-12, 317 pages. Ulrico
Hoepli, éditeur, Milan, 1903. (Manuels Hoepli). e. Moxin. — Les odeurs du corps humain. Causes et traitements, in-12,
337 pages. Doin, éditeur. Paris, 1903. 3 fr. 50. Santanelli. — The law of suggestion, including hypnotis. Burns et
Oates. London, in-8, 250 p., 1902.
17« Année. —N° 10. Avril 1903.
L'hypnotisme fortuit et l'auto-hypnotisation.
par le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés, professeur à l'Ecole de psychologie.
Dans la terminologie médicale, le mot hypnotisme sert à désigner l'état psychologique qui résulte d'une influence exercée artificiellement ou plutôt expérimentalement par un individu sur le système nerveux d'un autre individu. Cet état psychologique est caractérisé par l'apparition de phénomènes psychiques associés à des phénomènes somatiques dont la description se retrouve dans tous les traités classiques.
Nous nous bornerons à dire que les manifestations de l'état d'hypnose peuvent varier de la simple diminution du pouvoir de contrôle à l'inconscience complète et à l'automatisme le plus absolu.
Braid, qui s'était toujours préoccupé de fixer d'une façon précise la terminologie de la science de l'hypnotisme, proposait, à la fin de sa longue carrière, de réserver le mot hypnotisme à ta production du sommeil artificiel, quand il y a perte de la mémoire, de façon qu'au réveil le patient n'ait aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil, mais qu'il se souvienne cependant lorsqu'il est de nouveau plongé dans le même état.
Cette opinion de Braid a exercé au point de vue doctrinal une influence considérable, car pour un certain nombre d'auteurs l'oubli au réveil a été considéré comme le signe fondamental de l'état d'hypnotisme.
La définition de Braid avait cependant un très grand tort, c'est qu'elle excluait du domaine de l'hypnotisme un grand nombre de faits qui méritent cependant d'y être rattachés.
A notre avis, s'il est un phénomème qui marque d'une façon
plus précise la limite qui sépare l'état normal de l'état hypnotique, c'est celui qui a été désigné sous le nom de paralysie psychique motrice.
En effet, de tous les phénomènes de l'hypnotisme, le plus élémentaire, mais aussi le plus frappant, consiste dans le fait qu'un muscle ou un groupe de muscles peuvent être paralysés par une idée exprimée, c'est-à-dire par suggestion.
C'est par la production d'une paralysie psychique que Durand de Gros s'assurait que ses sujets étaient plongés dans l'état d'hypnose. Il les considérait commehypnotisés, lorsque, après certaines manœuvres qu'il décrit dans son Traité de Braidisme ou hypnotisme nerveux, il constatait qu'ils étaient dans l'impossibilité d'ouvrir les yeux.
Que la paralysie psychique porte sur les muscles des paupières ou sur ceux des membres, la production d'un tel phénomène ne peut s'expliquer que par l'inhibition soudainement provoquée de certains centres supérieurs et cette inhibition constitue essentiellement le premier degré de l'état d'hypnotisme.
La production de la paralysie psychique constitue donc une limite beaucoup plus naturelle de l'état d'hypnotisme que l'oubli au réveil.
Or l'apparition d'une paralysie psychique n'est pas toujours le résultat d'une intervention expérimentale. L'état d'hypnotisme, qui consisté primitivement dans l'inhibition, c'est-à-dire dans la suspension d'activité de quelques-unes des fonctions mentales, et en particulier de la volonté, peut survenir fortuite-ment. Lea causes qui sont susceptibles de produire l'hypnose peuvent s'exercer sur un individu sans qu'il y ail chez autrui aucune intention de provoquer cet état. En un mot, un homme peut s'auto-hj'pnotiser involontairement et spontanément. L'état d'esprit que l'on a désigné sous le nom d'expectant attention, certains états affectifs ou émotifs, la fatigue, peuvent favoriser l'auto-hypnotisation chez des individus prédisposés ou simplement ignorants. Les états psychiques que l'on désigne sous le nom de timidité ne sont le plus souvent que des états d'auto-hypnotisation incomplète. Les états hypnoïdes spontanés sont fréquemment le résultat de chocs physiques ou d'impressions morales vives s'exerçant sur des hystériques, des fatigués, des alcooliques ou des intoxiqués. L'imitation et les influences du milieu jouent aussi un rôle considérable dans la production des états hypnoïdes. De plus la suggestibilité des individus, loin d'être identique, varie sous l'influence des différentes dis-
positions organiques. L'ensemble des conditions qui concourent à la production de l'hypnotisme est fort complexe. Il en résulte que tel individu qui n'est pas hypnotisable aujourd'hui pourra l'être le lendemain au plus haut degré, et que tel sujet qui sera réfractaire à l'influence d'un individu subira au plus haut point la domination d'un autre.
Mais, de toutes les causes susceptibles de provoquer l'hypnose fortuite, la plus puissante est assurément l'intimidation exercée par des personnes douées d'une certaine autorité naturelle ou auxquelles on attribue quelque prestige. Certains hommes sont doués naturellement de ce pouvoir d'intimidation. Parmi les médecins dont l'influence intimidatrice s'est le plus souvent manifestée d'une façon efficace au point de vue thérapeutique, nous devons citer Charcot et Dumontpallier. Par simple affirmation nous avons vu ces maîtres provoquer chez des malades de leur clinique de véritables inhibitions psychiques, sans avoir eu recours préalablement à aucun procédé d'hypnotisation.
Dumontpallier, en particulier, excellait dans l'art de créer, chez une hystérique, une paralysie psychique, par simple suggestion impérative.
Que des paralysies psychiques soient obtenues chez un sujet préalablement hypnotisé, cela n*a rien de surprenant. Ce qui parait plus singulier, c'est qu'elles puissent être provoquées dans l'état de veille apparente aussi bien chez des sujets qui ont déjà été endormis auparavant que chez d'autres qui n'ont jamais été hypnotisés et même n'ont jamais entendu parler d'hypnotisme. Or, il est inadmissible de considérer comme étant en état de veille complète un être qui, tout à coup ne peut plus, par exemple, marcher ou se servir d'un membre, simplement parce qu'on lui en a fait la suggestion.
A cet égard le public prouve souvent qu'il a sur l'hypnotisme des notions plus claires que beaucoup de médecins. Dans le langage courant le mot hypnotisme est synonyme de monoï-déisme et l'on dit d'un individu qu'il parait hypnotisé lorsque son attention s'est absorbée dans une idée fixe et qu'il en résulte par lui une diminution de ses facultés de contrôle.
La possibilité de l'hypnotisme fortuit ou de l' auto-hypnotisme spontané explique l'action thérapeutique, en apparence si merveilleuse, de ce que Ton appelle à tort la suggestion à l'état de veille. En réalité, la puissance de la suggestion n'acquiert chez certains sujets une telle intensité que parce qu'ils se sont
spontanément et préalablement auto-hypnotisés par la mise en jeu de l'expectant attention.
Si l'on soumettait à une critique rigoureuse les observations dans lesquelles des médecins ont affimé qu'ils avaient obtenu un résultat thérapeutique par suggestion à l'état de veille on démontrerait d'une façon évidente que la production préalable de l'influence hypnotique a précédé la suggestion, ainsi que cela résulte de leurs propres descriptions. A cet égard l'observation suivante, qui fut publiée par le Dr Gibert, du Havre, est des plus instructives et c'est à dessein que nous la reproduisons in extenso en soulignant avec intention les passages les plus caractérisques.
Prolifération extraordinaire de verrues sur la face dorsale, des deux mains ; suggestion ; guérison.
« Il y a quatre ans, je soutenais à mon ami, M. P. Janet, que la suggestion à l'état de veille était capable de faire disparaître même des produits pathologiques organisés. Il m'en niait la possibilité.
« Je choisis un jeune garçon de treize ans qu'on m'avait conduit au dispensaire, parce qu'il avait été renvoyé de l'école primaire, et parce que, non seulement il ne pouvait plus écrire, mais encore il ne pouvait plus se servir de ses mains pour manger.
« En effet, la face dorsale des deux mains est occupée tout entière par une multitude de verrues qui se sont développées jusqu'aux ongles qu'elles entourent ; tous les doigts sont pris. Les verrues cessent au pli de la peau qui sépare la main du poignet. Rien à la face palmaire. En réalité, la peau des deux mains n'existe plus, pas un seul interstice de la peau saine entre les verrues ; de telle sorte que les doigts ne peuvent plus être fléchis, et qu'en réalité l'enfant est réduit à un état d'infirmité complet.
« Je réunis au dispensaire un certain nombre de médecins et M. P. Janet, pour qui la démonstration était préparée. Je leur demandai une seule chose : c'était d'être aussi sérieux et solennels que moi, et de ne pas rire.
« Le cercle formé, je pris l'enfant par les deux mains, que je regar- dai comme pour bien les étudier, puis, fixant les yeux du sujet, je lui demandai à haute et forte voix : « Veux-tu être guéri ? » — Comme il me répondait mollement, j'imprimai à plusieurs reprises la question dans son cerveau, en la répétant avec une certaine violence, jusqu'à ce qu'il me répondit avec un accent de conviction : « Oui, monsieur, je veux être guéri. — Alors, dis-je, prends garde ! je vais te laver avec de l'eau bleue, mais si dans huit jours tu n'es pas guéri, je te laverai avec de Veau jaune. Cécile, apportez-moi de l'eau bleue. » Puis je lui badigeonnai les mains avec une eau quelconque légèrement bleuie, et je l'essuyai avec soin.
« Huit jours après, les verrues avaient complètement disparu, sauf deux ou trois qui semblaient être restées comme témoins de l'état intérieur. Je pris le bonhomme comme la première fois, et je lui fis les plus vifs reproches de ce que toutes les verrues n'avaient pas disparu. Je le badigeonnai avec de l'eau jaune, qui lui procura une douleur imaginaire de forte brûlure.
« Quelques jours après, la peau était partout intacte, et l'enfant reprit sa vie ordinaire.
t C'est ainsi qu'un produit incurable, comme la verrue, peut disparaître par simple influence morale ou mentale. »
Ainsi, M. Gibert, médecin en chef d'un dispensaire, entouré d'un groupe important de médecins, auxquels il recommande de conserver une attitude solennelle, s'adressant à un enfant de treize ans, s'exprime dans les termes les plus propres à exercer sur lui une forte intimidation, et il prétend qu'il a fait de la suggestion à l'état de veille.
En réalité, cet enfant se trouvant en présence d'hommes très graves et très solennels a été d'abord profondément intimidé. Les paroles du Dr Gibert ont complété l'influence et il s'est trouvé placé dans un véritable état d'hypnose fortuite. Cela a été réalisé d'autant plus facilement qu'il était certainement hystérique. La constatation de verrues chez un individu constitue, à notre avis, une présomption d'hystérie. La guérison de verrues que nous avons souvent obtenue par suggestion hypnotique peut être envisagée comme une preuve de l'origine hystérique de cette affection. De plus on ne doit pas ignorer que les enfants, en général sont éminemment suggestlbles et sont extrêmement faciles à hypnotiser. .
Si le Dr Gibert n'avait pas fait précéder, sa suggestion d'une mise en scène destinée a provoquer chez l'enfant l'inhibition du pouvoir de contrôle, c'est-à-dire un véritable état d'hypnotisme, il n'aurait obtenu aucun résultat thérapeutique. - Nous pourrions multiplier les exemples analogues à celui que nous venons de citer (1). Il est certain que si les auteurs de ces observations avaient été plus familiarisés avec la connaissance des phénomènes de l'hypnotisme, ils n'auraient pas attribué leurs résultats thérapeutiques à la seule influence de la suggestion à l'état de veille.
Lorsqu'on parle d'hypnotisme, il importe donc de considérer
(1) Nous continuerons par la publication d'observations de résultats thérapeutiques obtenus par la suggestion à l'état de veille, la démonstration que les suggestions ont été faites lorsque les malades avaient été influencés par une mise en scène ou par des manœuvres capables de provoquer l'hypnotisme fortuit-
cet état sous deux aspects : 1° l'hypnotisme expérimental provoqué intentionnellement par un médecin compétent; 2° l'hypno-tisme fortuit ou spontané qui, dépendant de circonstances imprévues, se manifeste chez le sujet prédisposé. L'hypnotisme fortuit est d'une observation difficile. Régi par le hasard, cet état nerveux laisse celui qui le présente à la merci d'influences susceptibles de l'opprimer, car elles peuvent s'exercer sans contrôle et sans responsabilité.
L'hypnotisme expérimental ne présente aucun de ces inconvénients, car entre les mains d'un médecin compétent et exercé, toute application de l'hypnotisme devient une expérience qui doit être soumise à toutes les règles do la méthode expérimentale.
Par analogie avec certaines expériences de physiologie ou de médecine expérimentale, le but de l'hypnotisme sera toujours ou de suspendre, ou d'augmenter l'activité de tel ou tel organe, soit pour en étudier le mécanisme physiologique, soit pour en améliorer le fonctionnement. La réalisation, chez un individu, de l'état d'hypnotisme et des modifications nerveuses ou mentales qui peuvent en résulter, ne sera obtenue que par l'application méthodique d'un vigoureux déterminisme expérimental. Les caractères fondamentaux de toute expérience d'hypnotisme seront nécessairement les suivants:
1° La production des phénomènes d'hypnotisme chez un sujet, c'est-à-dire la suspension ou l'augmentation de ses activités fonctionnelles, est provoquée expérimentalement et volontairement.
2° Le début de l'expérience est fixé par une entente résultant du consentement du sujet et de la volonté de l'expérimentateur.
3° L'action et l'étendue de l'expérience peuvent être limitées à des territoires nettement déterminés du système nerveux du sujet et à des fonctions influencées isolément.
4° La durée des phénomènes provoques est fixée par la volonté de l'expérimentateur.
5° L'expérience terminée, les cellules nerveuses et les fonctions influencées sont remplacées, au gré de l'expérimentateur dans les mêmes conditions qu'avant le début de l'expérience.
Ce dernier caractère constitue un fait d'une importance exceptionnelle. Par lui, l'hypnotisme constitue un procédé expérimental supérieur à la vivisection et aux autres procédés d'investigation de la physiologie et de la médecine expérimentale. L'hypnotisme ne provoque aucune lésion, ni aucune des-
truction organique. L'opération de l'hypnotisation est donc un procédé physiologique dans l'acception la plus stricte du mot. Les conséquences de cette opération ne deviendront extraphysiologiques ou pathologiques que par le fait de fautes expérimentales, telles que la prolongation exagérée de l'expérience, ou l'oubli de réveiller le sujet.
L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION (1)
(suite)
II
L'hypnose ou état de suggestibilité
Par M. le Dr Grasset professeur de clinique médicale à l'Université de Montpellier
1. Analyse de l'hypnose : éléments qui ne peuvent pas servir à la carac-
tériser; seule caractéristique : état de suggestibilité.
2. Il ne faut pas confondre la suggestion avec toute insinuation d'acte
ou d'image et toute persuasion.
3. Analyse psychologique de l'état de suggestibilité : éléments consti-
tuants, caractéristiques et distinctifs.
4. Objections à cette conception de l'état de suggestibilité : exposé et
discussion.
5. La famille de l'hypnose. Etats analogues : caractères communs et
caractères différentiels. 13. Résumé et conclusions.
I. Nous allons appliquer à l'analyse de l'hypnose ou état de suggestibilité les quelques données de physiologie simple exposées dans le précédent chapitre.
Prenons un cas type, bien caractérisé et schématiquement complet et classique.
Par un des procédés que nous décrirons dans le chapitre suivant, par la fixation du regard par exemple ou de toute autre manière, je place un sujet, bien disposé, en hypnose complète.
En quoi consiste cet état, qu'est-ce qui le caractérise essentiellement?
Nous ne trouverons pas cette caractéristique dans l'état de la motilité du sujet endormi.
(1) Voir le n° de la Revue de l'Hypnotisme de mars 1903.
Charcot et son Ecole ont étudié de très près ces symptômes (que nous retrouverons dans un chapitre ultérieur) et ont voulu en faire le caractère essentiel des diverses formes de grand hypnotisme : l'hyperexcitabilité neuromusculaire dans la léthargie; la plasticité (flexibilitas cerea) des muscles dans la catalepsie ; la contracture ou le relâchement sans hyperexcitabilité neuromusculaire dans le somnambulisme.
Tout ce que Charcot a vu et décrit a été très bien vu et observé; mais il est impossible aujourd'hui d'accepter encore les généralisations qu'il a voulu en déduire.
Bernheim et bien d'autres ont nettement démontré que dans l'hypnose on peut indifféremment observer, suivant les cas, tous les états de la motilité, du relâchement, de l'atonie et de la paralysie jusqu'à la contracture, l'hypertonie tendineuse et le tétanos.
On ne peut plus dire, avec Paul Richer, Gilles de la Tou-rette (1) et Babinski (2) que l'hypnotisme avec caractères soma-tiques fixes (grand hypnotisme de la Salpêtrière avec symptômes moteurs constants) est le seul qui mérite « la qualification de scientifique ». Ces auteurs ne pensent plus probablement aujourd'hui comme en 1889 et tout le monde admet actuellement que l'état de la motilité ne peut pas donner la caractéristique de l'hypnose (3).
Il en est de même de l'état de la sensibilité. Beaucoup de sujets sont insensibles à toutes les excitations et ne perçoivent ni contact, ni douleur, ni variations de température, ni sensations d'attitude ou de mouvement; d'autres conservent totalité ou partie de ces sensibilités; nous décrirons chez certains de curieuses sensibilités électives ou des anesthésies systématisées....
Les sens exaltés chez un grand nombre peuvent être partiellement diminués ou abolis chez d'autres. Là encore il y a de curieux phénomènes d'électivité.
Donc, rien dans ce domaine ne peut être considéré comme la caractéristique essentielle de l'hypnose.
Si, de là, nous passons aux symptômes psychiques de l'hypnose, il est facile de voir encore que ni l'état de la mémoire, ni
(1) Paul Richer et Gilles de la Tourette. Art. Hypnotisme, in Dict. encyclop. des se. médic, 1889. (2) Babinski, Arch. de neurol-, janvier et mars 1889.
(3) Voir mes leçons sur le grand et petit hypnotisme rec. et publiées par Rauzier dans la Revue de rHypnotisme, mai et juin 1889 et Leçons de clin. médic.,t.I,p.261.
la profondeur du sommeil, ni l'état de la conscience ne nous fourniront la caractéristique cherchée.
« Braid considérait comme la caractéristique de l'hypnotisme la perte de la mémoire de façon qu'au réveil le patient n'ait aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil, mais qu'il se souvienne cependant lorsqu'il est plongé dans le même état. Et, de fait, l'oubli au réveil a été considéré par beaucoup d'auteurs comme le signe fondamental de l'état hypnotique (1)». Il n'en est rien. Car, s'il y a en effet des hypnoses dont le sujet ne garde aucun souvenir, il y a aussi des hypnoses que le sujet se rappelle plus ou moins complètement, des hypnoses dont on retrouve le souvenir dans le sommeil naturel...
De même, il y a des hypnoses d'intensité très diverse depuis la léthargie la plus profonde jusqu'à la fascination et à un sommeil si léger qu'on le confond avec l'état de veille. Et si la plupart des sujets n'ont pas conscience de leur hypnose, certains y assistent consciemment.
Il me parait inutile de poursuivre cette étude éliminatrice des symptômes qui ne sont pas communs à tous les cas d'hypnose et qui par suite ne peuvent pas être donnés comme caractéristiques vrais de l'hypnose.
Toute déduction faite des faits contingents, on arrive à cette conclusion que le seul caractère constant, spécifique de l'hypnose, c'est l'état de suggestibilitè : un sujet en hypnose est, par définition, un sujet à qui on peut faire des suggestions.
Ce principe, a été établi nettement par l'Ecole de Nancy, Liebeault et Bernheim notamment : il me parait devoir être considéré aujourd'hui comme indiscutable.
Le problème, posé en tête de ce chapitre, est ainsi reculé et la question se pose maintenant ainsi : qu'est-ce qu'une suggestion? qu'est-ce que l'état de suggestibilite?
2. Synthétiquement, dans l'état de suggestibilite et dans la suggestion, il y a bien, comme dit Claretie, captation d'un sujet par un autre. Mais la chose veut être psychologiquement analysée de plus près.
Si on prend, pour faire les choses bien clairement, un cas typique, bien caractérisé, on distinguera, ce me semble, facilement la suggestion au sens scientifique du mot et la suggestion au sens vulgaire, lâche et compréhensif, qui comprend le conseil et la persuasion comme la suggestion vraie.
(l) Paul Magnin. Les rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie. Revue de l'hypno-tome, juillet 1901, p. 8.
En somme, tout d'abord, la suggestion est un phénomène morbide ou extranormal et doit être distinguée de tous les processus psychiques normaux avec lesquels elle a déplus ou moins intimes analogies.
La règle est générale. Beaucoup de phénomènes morbides ont de plus ou moins grandes analogies avec des phénomènes physiologiques et cependant ils doivent être distingués les uns des autres. Ainsi l'hyperesthésie n'est que l'exagération de la sensibilité et la paralysie n'est que l'exagération de la faiblesse. Et cependant, l'hyperesthésie et la paralysie sont des phénomènes morbides, tandis que la sensibilité et la faiblesse ne sont ou peuvent n'être que des phénomènes physiologiques.
De même, la suggestion peut être très analogue à l'influence que, dans la vie courante, certaines personnes exercent sur d'autres; c'est néanmoins un phénomène extranormal. Ici, je suis tout à fait avec Janet contre Bernheim.
Entre la distraction et l'anesthésie hystérique, il y a des analogies, mais il n'en reste pas moins, entre les deux états, cette différence capitale, que la distraction est un phénomène physiologique, tandis que l'asthénie hystérique est un phénomène pathologique.
De même, ici, je ne puis accepter la définition de Bernheim quand il dit que la suggestion est « l'acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui. » Alors, l'enseignement, la lecture, la conversation, les spectacles... tout est suggestion. C'est une confusion de langage. Et, comme dit Janet, « on voit décrire sous le même nom la leçon d'un professeur à ses élèves et les . hallucinations provoquées chez une hystérique... Il n'est plus possible de distinguer la maladie mentale, qui est pourtant une triste réalité, de l'état psychologique normal ».
La distinction est si réelle que, même chez le sujet sugges-tible, tout n'est pas suggéré : on peut lui donner un conseil ou un ordre, qui n'est pas une suggestion.
Comme conséquence pratique, la grande distinction classique reparait : à l'état physiologique, nous avons la liberté et la responsabilité de nos actes; l'hypnotisé, le suggéré, n'a plus ni cette liberté, ni cette responsabilité. On voit jusqu'où on irait en forçant les analogies.
Donc, c'est là un premier point auquel je tiens, la suggestion est un phénomène pathologique ou tout au moins extraphysio-
logique. La meilleure des preuves en est que tout le monde n'est pas hypnotisable, ne peut pas être mis en état de suggestibi-lité.
Je dois insister un peu sur cette idée parce qu'elle est importante et que l'Ecole de Nancy l'a combattue avec beaucoup de talent.
Bernheim (1) définit la suggestion : toute idée acceptée par le cerveau. « Que cette idée vienne par l'oreille, exprimée par une autre personne, parles yeux, formulée par écrit ou consécutive à une expression visuelle, qu'elle naisse en apparence spontanément, réveillée par une expression interne, ou développée par les circonstances du monde extérieur, quelle que soit l'origine de cette idée, elle constitue une suggestion... toute idée est une suggestion. La suggestion est dans tout... la sugges-tibilité est une propriété physiologique du cerveau humain... Qu'est-ce que donc que l'hypnotisme? Il m'arrive souvent de dire : il n'y a pas d'hypnotisme. On croit que je veux être paradoxal, que je lance une boutade humoristique. Et cependant, c'est le fond de mon opinion. Il n'y a pas d'hypnotisme... Pour beaucoup de médecins, le sommeil hypnotique constitue un état anormal, antiphysiologique, si ce n'est pathologique... Cette conception est erronée... Ce qu'on appelle hypnotisme n'est autre chose que la mise en activité d'une propriété normale du cerveau, la suggestibilité. Il n'y a pas d'hypnotisme ; il n'y a pas d'état spécial méritant ce nom... »
Et ailleurs, parlant toujours des phénomènes hypnotiques :«les phénomènes que nous étudions... ne sont pas pathologiques... J'ai établi définitivement... que ce qu'on avait attribué au magnétisme, à l'hypnotisme, au sommeil suggéré n'est autre chose qu'une propriété normale du cerveau humain... la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude du cerveau à recevoir une idée et à la transformer en acte... Ainsi envisagée, la doctrine de la suggestion s'élargit singulièrement; elle comprend l'humanité tout entière; caria suggestion, c'est l'idée d'où qu'elle vienne, avec toutes ses conséquences qui s'impose au cerveau et devient acte; c'est le déterminisme qui nous fait agir... Elle est dans les idées courantes dont on se pénètre, dans l'imitation, dans les instincts qui imposent les opinions préconçues, dans l'éducation philosophique, religieuse, politique, sociale, dans la lecture,
(1) Voir toute l'œuvre de BERNHEIM. Les citations qui suivent sont extraites de son Rapport au Congrès de Moscou, 1897, et de son discours d'ouverture de la Ve section du IXe Congres international de psychologie, 1900.
dans les excitations de la presse, dans la réclame... La suggestion, c'est la dynamogénie et l'inhibition psychique. La suggestion, c'est l'action, c'est la lutte; c'est la vie; c'est l'homme et l'humanité tout entière... »
La suggestion, c'est tout; et par suite ce n'est plus rien. J'ai tenu à citer textuellement et longuement Bernheim pour bien montrer l'énergie et l'étendue de sa pensée.
Du reste, il a été suivi dans cette voie par d'autres excellents esprits.
Ainsi Crocq (1) déclare que la définition de la suggestion (citée plus haut) de Bernheim est « la meilleure qui ait été donnée jusqu'à présent » et il ajoute : « elle montre clairement l'étendue presque infinie du domaine de la suggestion; il y a suggestion chaque fois qu'une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui, que cette idée soit émise par un être humain ou qu'elle résulte d'une impression extérieure quelconque. L'enfant qui obéit à ses parents, l'élève qui récite sa leçon, l'ami qui suit un conseil, se laissent suggérer... Ainsi comprise, la suggestion fait partie de notre vie journalière, c'est elle qui donne lieu à la plupart de nos actes et de nos sensations ».
« On nous affirme énergiquementi dit Wundt (2), que tous les faits psychiques, depuis la simple perception jusqu'aux plus nobles créations artistiques et sociales, ne sont autre chose que des suggestions. »
« Jusqu'à présent, dit Félix Regnault (3), on a englobé : l'imutation, la suggestion, la persuasion, la conviction et la démonstration sous le terme général de suggestion. On peut continuer ainsi, à la condition qu'on semble distinguer à l'occasion ces diverses variétés.»
Pour ma part, je crois qu'il vaut mieux ne pas continuer clans cette voie qui conduit à la confusion. Comme le dit très bien Babinski (4), si on ne donnait pas au mot suggestion un sens spécial, « il serait synonyme de persuasion »; il serait même plus compréhensif que la persuasion, il comprendrait toutes les influences s'exerçant sur notre cerveau : autant vaut supprimer le mot.
(1) crocQ. L'hypnot. scientif., p. 205.
(2) Wundt. Hypnot. et - - • trad. Kellbb. Biblioth. de philos, contemp., 1893, p. 53.
(3) Félix Regnault. La définition de la suggestion. Revue de l'hypnotisme, mars 1903, p. 273.
(4) Babinski. Définition de l'hyst. Soc. de neurol. de Paris, 7 nov. 1901. Revue de l hypnotisme. Janvier 1902, p. 195.
Certes, quand on a étudié un phénomène comme l'ont fait Liébeault et Bernheim pour la suggestion on a bien le droit de définir comme on l'entend le mot qui exprime ce phénomène. Il semble donc bien outrecuidant de ne pas accepter, telle quelle, la définition de la suggestion, proposée par Liébeault, et par Bernheim, les créateurs mêmes de l'idée moderne et scien- tifique de la suggestion.
Nous sommes cependant obligés de le faire et de réfuter la définition de Bernheim en nous appuyant sur ses travaux mêmes.
Car nul n'a mieux établi que Be'rnheim que la suggestion est quelque chose à part, un phénomène scientifiquement défini et qui doit être soigneusement distingué de ce qui n'est pas lui. Avant Bernheim, on eût pu confondre dans le même bloc mal analysé la suggestion, la persuasion, l'influence. Depuis Bernheim, ce n'est plus permis. Ce sont les magnifiques travaux mêmes de Bernheim qui empêchent d'accepter sa définition de la suggestion.
Le grand argument de l'École de Nancy est l'énumération et l'étude des termes de transition qui permettent d'une manière insensible de passer du conseil le moins autoritaire à l'ordre hypnotique le plus absolu.
Mais il faut beaucoup se méfier de ce mode de raisonnement qui ferait confondre en définitive des choses fort disparates et qui, d'une manière générale, arriverait à supprimer la démarcation entre le physiologique et le pathologique.
Du rêve à l'hallucination et au délire on peut trouver tous les termes de transition insensibles et cependant n'est-il pas indispensable de laisser à ces mots rêve, hallucination, délire, leur sens spécial, propre?
Duprat (1) montre les analogies de l'hallucination et de la distraction et il cite Tomlinson qui est « allé jusqu'à prétendre que les hallucinations et les illusions ne sont pas un phénomène anormal en soi ».
Voilà en effet où on en arrive logiquement alors : les phénomènes les plus nettement pathologiques apparaissent comme n'ayant plus rien d'« anormal en soi. » Entre l'homme raisonnable, conscient et responsable et le fou, il n'y a plus de ligne de démarcation nette : le délire irresponsable n'a plus rien d'« anormal en soi. » La responsabilité n'existe plus ;
(1) Duprat, Luc. cit., p. 110.
les prisons devront être remplacées par des asiles. Et entre ces asiles et les maisons libres, il n'y aura pas de murailles, puisqu'entre les habitants des uns et des autres, il n'y a plus de lignes de démarcation.
Je force l'idée pour accentuer mes objections et il est bien évident que Bernheim n'a jamais soutenu ces idées jusque-là (1); mais elles me paraissent logiquement déduites du raisonnement qu'il fait pour établir le caractère physiologique de la suggestion.
Au fond, la divergence porte plus sur les mots que sur les idées.
Depuis Claude Bernard et avant lui, on admet que les phénomènes pathologiques s'ont de même nature que les phénomènes physiologiques : la maladie ne crée pas des phénomènes d'une espèce nouvelle ; les symptômes ne sont que les fonctions ordinaires, déviées, modifiées, altérées ou abolies. Personne ne songe à s'élever contre cette idée.
Donc, l'hallucination et le délire sont de même nature que le rêve, ont de grandes analogies avec le rêve, De même la suggestion et la persuasion et tous les autres modes d'influence ont de grandes analogies, sont de même nature, ne sont*pas des phénomènes d'espèce et d'essence différentes. Mais ce ne sont pas moins des phénomènes distincts, qui ont des caractères différents et qui doivent être étudiés séparément.
Wundt est très nettement de cet avis et combat la définition trop compréhensive de Bernheim.
De même, Duprat admet que les faits pathologiques appartiennent « à une synthèse d'un autre genre, évoluant d'une autre façon » que les faits physiologiques.
En fait et quoi qu'on en ait dit (nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant) tout le inonde n'est pas hypnotisable, tout le monde ne peut pas être mis en état de suggestibilité ; donc, l'hypnose et la suggestion ne sont pas des phénomènes physiologiques.
Je ne crains pas, sur ce point, de conserver ce que Crocq appelle (p. 218) « les vieilles théories de la Salpêtrière ».
Je conclurai donc ce paragraphe un peu long mais capital) en disant que l'hypnose est un état particulier, extraphysiolo-
(1) Bernheim considère en effet comme dérivant d'une « conception erronée de sa doctrine l'objection qui consiste à lui dire : avec vos idées tout est suggestion, déterminisme, libre arbitre douteux, responsabilité morale douteuse... C'est l'inertie musulmane érigée en dogme... »
gique, qui ne s'observe pas chez tout le monde; le mot hypnose et le mot suggestion doivent donc garder un sens scientifique précis qui empêche de les confondre avec d'autres phénomènes.
Ce sont ces caractères spéciaux et distinçtifs qu'il nous faut maintenant tâcher d'analyser et de préciser.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 Janvier 1902. — Présidence de M. le Dr Jules Voisin.
(suite)
La psychologie du cardiaque,-
par le Dr Ch. Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de Médecine.
La psychologie du phtisique vient d'être l'objet d'une étude fort intéressante de MM. F. Regnault et Bérillon. Je désirerais aujourd'hui vous soumettre quelques vues sur la psychologie du cardiaque.
Dans toutes lès affections chroniques où le psychisme n'est pas profondément altéré, un même élément apporte sa note dominante au caractère du malade: l'instinct de conservation se dresse et prend l'alarme. L'organisme se sent menacé; tous ses moyens de défense, il les ramasse, les concentre en vue d'un seul but : sauver la situation en péril. Résister à la mort est le mot d'ordre. Ce mot d'ordre appelle à sa suite un sentiment qui ne manque jamais: l'égoïsmc. L'égoïsme, un égoisme grossi, exubérant, énorme, entre scène, se carre, prend toute la place. Le malade ne voit que sa personne, n'a d'oreille pour d'autre récit que celui de son mal. Les distractions ne ne lui disent rien qui vaille. Elles le sortiraient de la méditation de ses souffrances. Il s'y complaît et entend y rester. S'il se tait, il y songe, s'il ouvre la bouche, c'est pour en parler. Sous l'empire de l'idée fixe, les sentiments altruistes se rétractent. Plus de famille, plus d'enfants. Plus d'affection d'aucune sorte sinon l'affection de soi. Le caractère devient irritable! toute impression du dehors qui tend à détourner le malade de la contemplation de sa misère, provoque de sa part des accès d'impatience et d'humeur chagrine qu'exagère encore l'irritabilité liée à l'excitation directe du mal.
Ces deux traits dominants: l'égoisme et l'irritabilité créent le fond
du tableau. Plus ou moins sombre, plus ou moins chargé, c'est sur le fond commun que s'épanouissent les tendances plus particulières de chaque maladie.
L'égoisme règle la direction des sentiments, l'irritabilité colore les manifestations de l'humeur. Seulement l'égoisme varie d'aspect et l'irritabilité est diverse. L'égoisme est féroce quand une souffrance continue exaspère le système nerveux. Peu importe que cette souffrance dénote un état grave ou non. Qui ne connaît l'égoisme du phtisique ou du neurasthénique ? Et cependant la gravité de leur mal est très inégale. L'un court un danger réel et l'autre ne meurt jamais. Les sentiments affectifs se sont éteints, les qualités généreuses sont rentrées dans l'ombre. Abnégation, dévouement, désintéressement, sacrifice de soi, autant de vertus qui trouvent un jour pénible. Le phtisique les ignore d'ordinaire ; de même le neurasthénique. Les passions abandonnent leur homme, plus d'amour, l'ambition met une sourdine à ses désirs, par incapacité du malade à mettre en jeu la vigueur et la persévérance de l'effort. On si l'amour brille encore parfois d'un éclat passager comme chez le phtisique, cette persistance est surtout un fait de l'égoïsme aidé à la fois de l'excitation morbide venant du mal et de l'optimisme (F. Re-gnault) propre aux malades. En propageant l'espèce, le phtisique se fiatte-t-il de se prolonger dans l'être qui naîtra? Un pareil sentiment serait d'un égoïsme presque louable s'il n'était certain qu'un sentiment de cet ordre est rarement éprouvé ; plus aisément le phtisique constate que ses fonctions de reproduction sont intactes : satisfaction égoïste encore et qui vient renforcer l'optimisme habituel du malade, cet optimisme se caressant à ces preuves de virilité conservée.
L'irritabilité varie au hasard des maladies. Quelques-unes lui permettent d'être bruyante. Elle est bruyante. D'autres lui commandent la modération dans ses éclats. Elle se fait grognonne, silencieuse, presque sage. Sagesse forcée soit, mais sagesse quand même. Le sentiment d'impuissance qui l'inspire ne mérite sans doute pas d'être loué outre mesure. Mais quelle est la vertu qui appelle la louange ?
On est sage pour plusieurs raisons : par calcul, par nécessité ou simplement pour obéir aux lois de sa nature. Dans une telle conduite, rien qui justifie un applaudissement quelconque. Ceci pour en venir maintenant aux cardiaques. Ils sont sages, car ils ne peuvent faire autrement.
Cette observation ne concerne pas les faux cardiaques qui ne sont guère que des hystériques, des neurasthéniques, des dyspeptiques. Les cardiaques vrais, au début de leur mal, échappent également aux applications de cette maxime. A l'origine, un cardiaque vrai n'est pas un sage par nécessité, mais un indifférent et qui apporte à son indifférence le tempérament de son humeur habituelle. II est possible, surtout dans le jeune âge, qu'il ne veuille rien entendre aux remontrances qui lui sont faites. Il ira danser, fera de la bicyclette et, emporté par la fougue de la jeunesse, se moquera des recommandations de son médecin. J'ai connu
deux garçons de 20 à 22 ans, l'un atteint d'insuffisance mitrale, l'autre, d'insuffisance aortique. Ils se sont tués l'un et l'autre par abus d'exercices physiques et de fatigues. A quoi bon se soigner? Ils ne souffrent pas, ne se sentent nullement incommodés. Bien sots seraient-ils de suivre à la lettre les ordonnances du médecin. Même insouciance, même indifférence conservée au début de certaines affections des plus graves, je veux parler de l'endocardite infectieuse. Là, il existe de la fièvre et de la dyspnée, mais le malade conserve sa gaîté et garde bon espoir. Les toxines microbiennes de l'endocardite infectieuse (staphylocoques, streptocoques) ne sont pas déprimantes du système nerveux et la maladie affectant une marche souvent rapide, n'a pas le temps de changer le caractère du sujet. Ces jours-ci, mourait dans le service de M. Widal, à l'hôpital Cochin, une jeune femme atteinte d'endocardite infectieuse, elle succomba dans la 4e semaine ; jusque peu de temps avant sa mort, elle conserva sa bonne humeur et sa gaité. ' Dans la seconde période de l'endocardite vulgaire, quand le cœur commence à fléchir, et que l'hypotension artérielle apparaît, c'est alors que la sagesse se montre. C'est maintenant bien fini de rire.— Le découragement, l'abattement, une douceur résignée s'étendent sur le malade. Vivra-t-il seulement dans quelques semaines? Le pauvre diable est bien affaissé et bien las ; ¡1 ignore les révoltes souvent bruyantes du phtisique. Le besoin de mouvement ne le tourmente pas; il n'éprouve nul besoin de voyager comme le tuberculeux. Il reste chez lui, à son coin de feu, tout à l'intimité du foyer familial. Emotif, anxieux, anhélant, il redoute à chaque instant d'aller plus mal. La souffrance qui l'accable éveille en lui la note affective, tendre, indulgente, et cette note, toute de bonté et de douceur vibre d'autant plus en lui qu'elle n'est pas étouffée par la distraction des mouvements, des promenades, des voyages. Le cardiaque -est un bon père; il aime ses enfants, ne peut se faire à l'idée de les quitter.
Cet amour reconnaît plusieurs causes : le cardiaque aime ses enfants; il recherche de la part des siens consolation et tendresse; il les aime encore, car il est contraint de demeurer auprès d'eux. Ajoutons que l'affection du cardiaque ne s'exerce pas seulement dans l'intérieur de son foyer familial, il s'attache également à son médecin. Le phtisique court de droite et de gauche, consulte les confrères à tort et à travers. Le cardiaque demeure d'ordinaire un client fidèle. Son médecin, ils le garde. Que de fois n'a-t-il pas été soulagé par lui? Le bien-être qu'il a déjà éprouvé à suivre ses conseils se reproduira certainement. C'est de cet espoir que sort le motif de sa fidélité. Et puis changer, cela fatigue. La vue d'une nouvelle figure nécessite un effort de paroles et de politesse. Le cardiaque répugne à l'effort. S'en tenir à son médecin habituel le dis- -pense de gestes cl de phrases qui laissent de la lassitude après eux. Cet état de dépression habituel s'accompagnant de sentiments plutôt sympathiques, marque d'une exception la loi formulée par Péré (Sensation et mouvement, 2e édit., p. 149). « La dépression, dit notre confrère, entraîne
d'ordinaire des sentiments de malveillance et de pessimisme ». Ici nous avons le pessimisme, mais sans la malveillance. -
Chez les femmes, le développement du sentiment affectif, uni au découragement et à la résignation, aboutit parfois à l'exaltation d'un sentiment complexe, j'entends le sentiment religieux. Dans le sentiment religieux, s'inscrivent côte à côte des éléments très divers, des idées égoïstes, des idées altruistes, un égoïsme fait de tremblement et de peur et des sentiments altruistes qu'inspirent des mouvements de bonté et de charité envers le prochain. Les cardiopathes féminins voient volontiers s'accroître leur foi mystique. J'ai connu une jeune fille qui s'est faite religieuse. Atteinte d'une insuffisance aortique, on lui avait annoncé qu'elle ne se marierait jamais. De ce jour, ses yeux se tournèrent vers le couvent. Quand elle fut admise dans la communauté, ce fut de sa part un rayonnement de joie. Elle était bien malade, mais restait douce et un faible sourire éclairait ses lèvres. Un matin, peu de mois après son entrée, elle mourut subitement. Depuis longtemps, elle avait préparé sa fin.
Il serait téméraire de conclure que pareille résignation est le lot de toutes les femmes. En même temps que cardiaques, celles qui sont hystériques ou neurasthéniques, impriment à leur mal le cachet de leur nervosisme. Elles peuvent fort bien se montrer irritables et impatientes, le découragement qu'elles éprouvent n'aboutissant à la résignation qu'à travers un calvaire semé de révoltes et de larmes.
L'intelligence des cardiaques reste vive tant que les troubles de la circulation cérébrale ne sont pas trop accentués. Condamnés à peu sortir, ils lisent, ne se renferment pas, comme le phtisique, dans la lecture exclusive d'ouvrages qui traitent de leur mal. Non qu'ils ne s'occupent de leur état morbide ; seulement, ils s'attachent encore à autre chose, ne circonscrivent pas leur curiosité dans le cadre des affections qui touchent à la leur. Ce qu'ils lisent, ils le jugent avec finesse. C'est une qualité qu'ils retirent de l'obligation où ils sont de peu se mouvoir et de garder le coin du feu. La perception aiguë et fine des choses ne s'acquiert pas dans le mouvement. C'est par la réflexion et dans la solitude. Les cardiaques sont condamnés à réfléchir parce qu'ils ne peuvent s'étourdir dans l'agitation de leurs muscles ; de plus, ne faisant pas de visites, ils en reçoivent peu et sont souvent seuls. Double condition de développement intérieur dans le sens d'une perception délicate et nuancée.)
De la finesse plutôt que de la profondeur ; car la finesse est une qualité rapide dont la promptitude évite la fatigue. Au rebours de 1 «profondeur qui veut une attention soutenue et un effort difficile à réaliser dans le cas présent. .Cette finesse n'est pas malveillante; elle est dépourvue d'âcreté. Une ironie légère la double qui effleure sans blesser. Les cardiaques ne sont pas mechants. Pour être mechant, il faut être pourvu d'un surcroit d'énergie. Ils en manquent. Ce ne sont pas eux qui souhaiteraient comme les phtisiques la mort du genre humain (Bérillon). Nombre d'entre eux sont artistes, musiciens. La tristesse de leur âme se com-
plaît aux langueurs du rêve et au vague des pensers que la musique éveille.
Chez le grand nombre, la volonté fléchit, les ressorts intérieurs se détendent. Ils s'inclinent devant le mal et cèdent à ses coups. Ce n'est pas le cas des natures supérieures, à caractère fermement trempé. Elles entendent lutter jusqu'au bout et ce n'est que la mort qui arrivera à réduire leur résistance.
Balzac s'obstinait à vivre. Il avait son œuvre à achever. Sur son lit de mort, l'angoisse l'étreignait. Il avait encore tant à faire. « Vivrai-je six mois, demanda-t-il au médecin qui était près de lui ? a Le médecin ne répondit pas. « Six semaines seulement, implora le moribond, il me les faut pour terminer? » Même silence, « Six jours alors, rien que six jours »? Cette fois, le médecin n'eut plus à répondre. La tète de Balzac s'affaissa sur l'oreiller. Il était mort. La nature exacte de la cardiopathie à laquelle il succomba reste douteuse. Etant donné l'âge (51 ans), et l'embonpoint marqué de l'homme, il semblait s'agir d'une cardiopathie artérielle.
M. Huchard soigna dans ses derniers moments, le porteur d'un des grands noms politiques de la troisième République. C'était un homme énergique et rude et qui après avoir réuni sur son nom les acclamations tapageuses de la foule, avait roulé dans un abîme d'impopularité et de haines.
Il venait à peine de se relever, ayant été élu à la présidence d'une de nos assemblées législatives, qu'il tomba gravement malade. Une angine de poitrine le terrassait, compliquée d'un œdème aigu du poumon. C'était un cardiopathe artériel de vieille date. M. Huchard fut appelé en toute hâte par le médecin traitant. M. Worms. Le malade anhélant, plongé dans une demi-inconscience, n'avait plus qu'un pouls filiforme. « Laissez-moi mourir en paix, » murmura-t-il à M. Huchard qui le voulait ausculter.
Sous l'effet du traitement, un mieux léger se produisit; la connais-sance revint meilleure, mais le pouls restait imperceptible. Le lendemain, MM. Huchard et Worms s'étaient retirés dans une salle voisine pour en délibérer.
Pendant qu'ils, discutaient, la porte s'ouvrit : « Venez vile, cria la femme du malade à M. Worms ». Celui-ci disparut et rentra une seconde plus tard, la figure bouleversée : « Je n'ai jamais rien vu de pareil, dit-il à M. Huchard ». Et tous deux entrèrent dans la chambre du malade.
Un spectacle terrifiant les attendait ; appuyé sur l'épaule de sa femme et de son valet de chambre, debout, le moribond les regardait et leur faisait signe. Il désirait aller dans son cabinet de travail : « Je veux mourir debout et au milieu de mes livres », avait-il déclaré. Tous les quatre se mirent à soutenir l'agonisant qui, haletant, avançait. Arrivé dans la pièce qui lui était chère, il se laissa choir dans son fauteuil; son œil devint fixe, enveloppa d'un dernier regardles rayons de sa bibliothèque, s'arrêta une seconde sur l'encrier du bureau, puis une expression d'horreur tragique telle qu'un frisson d'épouvante glaça le cercle des assistants. C'était la fin. l'homme d'Etat n'était plus.
La volonté, chez lui, avait survécu à l'effondrement de la force physique. C'est qu'il ne saurait être question dans cette élude que des modifications que la maladie imprime aux types moyens, à ceux qui dans le cours de la vie, se laissent emporter par le flot et pour résister à l'ouragan ont besoin d'être en nombre et de se sentir soutenus. Les caractères d'élite, eux, dominent la maladie, comme en santé ils dominaient les circonstances. Quand on parle des caractères dans les maladies, on ne saurait trop se rappeler cette loi primordiale.
Les cardiopathes artériels (Huchard) ont en général une volonté molle et chancelante ; ne sont-ils pas souvent d'anciens bons vivants, d'anciens goutteux? Quoi de plus faible qu'un goutteux et de moins résistant aux tentations ? On a beau lui dire qu'il se fait du mal par sa bonne chère, il continue. Au jour de sa crise, il se repentira, fera toutes les promesses, les oubliera aussitôt rétabli. Nombre de cardiopathes artériels héritent de cette mollesse de volonté particulière aux goutteux. Seulement cette mollesse de volonté se double chez eux d'un état anxieux liéaux premiers accidents de l'hypertension artérielle et de préoccupations particulières. Ils voudraient manger à leur faim, goûter aux plats qui leur sont chers: malheureusement ils ont peur. « — Voyons, docteur, toujours un régime aussi sévère ? » Toujours. Et les relations sexuelles ? La question des relations sexuelles les inquiète, ces pauvres diables ; ils demandent la permission, timidement, d'une voix craintive. Suis allaient être pris pendant l'acte d'un accès de suffocation ?,
Ce ne sont pas les cardiopathes valvulaires qui s'embarrassent de semblables vétilles. Ils ont bien d'autres soucis en tête. Infiltrés et sans souffle, ils ne songent qu'à respirer.
Le cardiopathe artériel lui, n'est oppressé que lorsqu'il marche: dans sa chambre, il se croit bien portant. Et pourtant dès qu'il bouge, voyez l'ennui, une dyspnée formidable l'arrête.
Le ton implorant avec lequel il formule sa prière est encore une autre distinction qui le sépare du phtisique; ce dernier a le verbe haut,' résiste aux conseils. Le cardiaque, lui, ne résiste pas; on lui dit : non, il s'incline. Le phtisique, lui. fait claquer la porte et envoie promener son médecin. Ce n'est pas lui qui nous informera de ses menus gestes. Les relations sexuelles, est-que cela nous regarde ? Il en fait à sa tête et n'entend pas qu'on lui dicte sa conduite.
Quand le cardiopathe artériel entre dans la phase d'intoxication alimentaire (dyspnée toxi-alimentaire de Huchard) ou urémique, les mêmes signes persistent. L'instinct sexuel s'éteint, mais la tristesse et la déso-
lation prennent le dessus, plus désespérés que jamais. Les cardio-scléreux hommes deviennent sensibles, pleurent comme des femmes Je voyais l'an dernier, un capitaine de douanes, nature dure et sèche. La néphro-cardio-sclérose l'avait transformé en sensitive. Un rien l'impressionnait, les larmes lui venaient aux yeux quand on lui parlait de sa retraite qu'il désespérait d'atteindre. On a beau rassurer les malades, ils écoutent, vous sont reconnaissants, mais la conviction est absente. Le
sourire de gratitude par quoi ils accueillent vos paroles laisse gravé le pli soucieux qui attriste leur front.
Nous n'insistons pas sur les modifications psychiques propres à la période ultime de certaines affections cardiaques. La stase dans les vaisseaux cérébraux peut amener des manifestations délirantes, des vésanies de divers ordre. Ce n'est plus seulement le caractère qui est touché, c'est un bouleversement complet des facultés mentales.
Rappelons, pour terminer, que la psychologie du cardiaque est toute différente de celle du phtisique, du dyspeptique aussi.
Le phtisique est un optimiste pour lui, un pessimiste vis-à-vis du genre humain qu'il déteste. Le cardiaque est un pessimiste pour lui, un optimiste plutôt vis-à-vis de ses semblables qu'il supporte et qu ïl aime. Le phtisique est aisément rageur et ressemble pour la mauvaise humeur habituelle aux roquets tuberculeux dont parle M. Lépinay. Le cardiaque est un obéissant et un doux. Le phtisique aime à voyager, le cardiaque reste chez lui ; le phtisique change de médecins, le cardiaque est un client sérieux.
La comparaison avec le dyspeptique dégage des traits non moins significatifs. Le dyspeptique est d'ordinaire uni ntoxiqué et un nerveux : l'humeur est bien plus inégale que celle du cardiaque, les alternatives d'excitation et de dépression plus accusées. Au surplus, le pessimisme du dyspeptique est fait d'un sentiment d'amertume qui ne supporte pas d'exception. C'est un misanthrope qui n'est pas comme le phtisique optimiste pour soi et comme le cardiaque bienveillant pour les autres. La misanthropie du dyspeptique s'étend à sa personne d'abord et atout le genre humain ensuite. Parfois il roule des idées de suicide, rêve volontiers l'anéantissement d'un monde aussi mal ordonné. Ajoutons que du fait de son nervosisme habituel et du régime alimentaire sévère auquel il s'astreint, l'intelligence du dyspeptique, peut-être plus encore que celle du phtisique et du cardiaque, gagne en qualité de promptitude, de finesse et de délicatesse.
En un mot, si le phtisique est optimiste et rageur, le dyspeptique misanthrope et délicat, le cardiaque, lui, se signale surtout par son indulgence, sa bienveillance et sa sagesse.
Discussion.
M. BéRilloN. — Le cœur est un réactif délicat et la moindre émotion se traduit par une modification cardiaque ou circulatoire. Les émotions sont très dangereuses chez les cardiopathes. Aussi conviendrait-il d'instituer pour eux, par la psychothérapie, une prophylaxie de l'émotion. En les habituant à ne pas se laisser démonter par une émotion, on empêcherait des aggravations et même des morts subites. Cette indication thérapeutique est d'autant plus légitime que l'influence de la suggestion se traduit par des modifications très manifestes dans le fonctionnement du cœur, de la circulation générale et de la tension arté-
rielle, ainsi que nous l'avons démontré à l'aide de nombreux tracés sphygmographiques pris chez des sujets hypnotisés.
La technique de cette psychothérapie préventive consisterait, après les avoir placés dans un état psychique particulier, dans un état de passivité mentale, à leur énumérer toutes les émotions soudaines qu'ils sont susceptibles d'éprouver et à leur suggérer que, le cas échéant, cette émotion les laisserait calmes et n'aurait sur eux aucun retentissement brutal ; ce serait en réalité l'utilisation pratique du proverbe qui affirme qu'un homme averti en vaut deux et qu'on pourrait transformer ainsi : Un homme bien suggéré en vaut deux.
Les anciens connaissaient déjà le rôle qu'exercent les divers viscères sur 1 es émotions et sur la psychologie des individus : cette opinion se retrouve dans l'adage suivant qui nous parait mériter d'être rappelé à l'occasion de l'instructive communication de M. Fiessinger:
Splene rident, Felle frascuntur, Jecore amant, Pulmone jactuntur, Corde sapiunt.
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L'influence des anniversaires sur les récidives d'une psychonévrose traumatique intermittente
par M. le docteur Paul Farez, professeur à l'Ecole de Psychologie.
Mme P., âgée de 33 ans, mariée, mère d'un petit garçon, présente annuellement, depuis cinq années, à époques fixes, au commencement de mars et à la fin de juillet, sous forme de crises momentanées, divers troubles somatiques, sensoriels et psychiques dont voici l'aspect général.
Incapable de se tenir debout, elle reste au lit toute la journée. Dégoûtée de toutes choses, elle ne veut prendre aucun aliment : par vingt-quatre heures, elle n'absorbe guère qu'un demi-litre de lait et elle ne souffre nullement de la faim. Elle a des vomissements très fréquents ; le liquide rejeté est incolore, inodore, légèrement salé. Elle présente de l'anurie presque complète et une constipation très opiniâtre. A chaque instant, elle se lamente et verse d'abondantes larmes. Quand elle ne pleure pas, elle cache sa figure avec ses mains, se tourne du côté du mur, fuit la lumière ; un bruit quelconque, même minime, l'exaspère. Elle n'écoute rien, ne s'intéresse à rien, ne veut voir personne et ne répond pas si on lui parle. La solitude, le silence et l'obscurité, voilà ce qu'elle réclame. La nuit, elle ne dort pas et présente le même état que pendant la journée. Au bout de quelques jours, la malade se lève, se remet à manger, reprend ses occupations et ne tarde pas à revenir à son état normal. C'est, du moins, ainsi que les choses se passent au début.
Au fur et à mesure que les crises se répèlent, elles deviennent plus longues et plus intenses. Bientôt, elles durent, non plus seulement trois
ou quatre, mais huit, dix, voire même quinze ou vingt jours. En outre, la malade sent venir son accès huit, dix ou quinze jours à l'avance ; elle est triste, indolente, incapable de rien faire; elle supprime toute espèce de sortie pour n'avoir pas à se brosser ; elle se lamente et répète : Cette fois, je ne vais pas encore échapper à ma crise ! » Enfin, celle-ci, loin de se terminer rapidement, comme au début, laisse après elle divers troubles, pendant au moins une quinzaine. La crise de mars 1902 ne s'est pas, à vrai dire, terminée ; au mois de juillet est venue la recrudescence coutumière ; depuis plus de six mois, notre malade souffre d'un état pathologique qui parait s'être installé d'une manière chronique avec de courtes rémissions et des exacerbations fréquentes.
Dans lés périodes de rémission, Mme F. vit à peu près comme tout le monde. Mais l'idée - fixe de la mort l'obsède perpétuellement. — « Si j'allais mourir, se dit-elle, que deviendrait mon enfant? » Ou bien, elle rabâche : « Pourvu que mon enfant ne tombe pas malade! Pourvu que je ne le perde pas!... » Notons que ces dernières craintes n'ont aucun fondement; l'enfant est superbe et jouit d'une santé florissante. La malade en convient, elle se sent ridicule et déraisonnable, mais ne peut s'affranchir des inquiétudes qui la harcèlent sans cesse. La nuit, réveillée par son obsession, elle se lève tous les quarts d'heure pour aller s'assurer que son enfant n'est pas malade.
Toutefois, depuis quelques semaines, elle est devenue complètement indolente et apathique; ses sentiments affectifs sont obnubilés; elle ne manifeste plus aucune tendresse à son enfant ; elle ne joue plus avec lui, ne lui parle plus et s'en désintéresse absolument.
Lors des exacerbations, surviennent, tous ces temps-ci, comme symptômes nouveaux, des agitations dans les bras et les jambes; ce sont tantôt des mouvements désordonnés, tantôt des alternatives continuelles de flexion et d'extension, tantôt des secousses si énergiques que les genoux frappent violemment l'un contre l'autre, et qu'il en résulte des bleus.
Quand la malade a trop pleuré et qu'elle n'a plus de larmes, elle grimace affreusement. Elle passe des nuits complètes sans dormir un seul instant. Sombre, taciturne, amaigrie, décharnée, elle se présente dans un état de prostration profonde.
Disons quelques mois de son passé.
Mariée à 21 ans, elle a, deux ans après, une première grossesse pendant laquelle elle vomit sans relâche, à ce qu'elle prétend ; l'enfant vient à terme et vit. Trois ans plus tard, elle est une seconde fois enceinte. Les vomissements recommencent ; ils deviennent même si impressionnants qu'on décide quelle ne pourra pas mener sa grossesse jusqu'à la Un ; et, dans l'intérêt de sa propre santé, on provoque d'office l'avorte-menl(1). .
(1) Déplorons qu'on laisse les vomissements gravidiques devenir à ce point incoer-
Aux environs de cette seconde grossesse, notre malade fait la connaissance d'un Monsieur qui devient son amant. Elle l'aime avec passion. Mais il meurt, il y a cinq ans, et elle en éprouve une désolation telle qu'elle songe à se suicider. Dès lors, chaque année, lorsque reviennent l'anniversaire de la première rencontre et celui de la mort, les troubles décrits plus haut reparaissent.
Rien ne vient chez elle faire dérivation à ce traumatisme psychique ; même diverses conditions achèvent de la désemparer et accroissent le déséquilibre de son état mental.
Impressionnable, exagérée, enthousiaste, romanesque, elle se montre dans son ménage autoritaire, querelleuse, violente.
Le mari ne partage pas ni ne comprend la sentimentalité de notre malade. Pour éviter les discussions et avoir la paix, il passe chez lui le moins de temps possible ; aux repas, il lit assidûment son journal pour n'avoir pas à causer ; le soir, il s'occupe dehors et ne rentre pas avant minuit, espérant bien qu'à cette heure-là il no trouvera pas sa femme éveillée. Celle-ci ne se dit pas que son mari déserte le toit conjugal parce qu'elle y est insupportable ; elle ne comprend pas que, par ses emportements et ses violences, elle l'éloigné de chez lui. Elle ne voit que le fait brutal. Sans doute son mari n'est pas méchant, elle en convient ; mais il ne fait aucune attention à elle, il la délaisse et elle se pose en victime. Elle souffre en silence, rumine ses griefs et se renferme de plus en plus. A sa désaffection pour son mari s'ajoutent bientôt de l'antipathie, de l'animosité, de la répulsion.
Il y a deux ans, son père meurt. Ce gros chagrin la démonte encore plus. Dès lors, son sommeil est agité et elle a des rêves terrifiants. Elle assiste à l'agonie de son père ; puis le cadavre se désagrège, il ne reste plus qu'un squelette !... Alors, affolée, elle se réveille en sursaut, et a beaucoup de peine à se rendormir.
Au bout de quelques mois, cependant, son sommeil est meilleur ; mais, depuis quelques semaines, il se termine ordinairement à minuit. A cette heure, en effet, le mari rentre ; elle entendia clef grincer dans la serrure et ce bruit insignifiant la réveille. A partir de ce moment, seule, dans l'obscurité et le silence de la nuit, elle se répète que son existence est manquée, que son mari n'est pas gentil pour elle, etc., etc. Elle a beau se tourner, se retourner, appeler le sommeil ; c'est en vain : ses préoccupations la tiennent éveillée pendant tout le reste de la nuit (1).
cibles, que le médecin se croie, en conscience, obligé de commettre un véritable fœticide, c'est-à-dire de supprimer une vie humaine. Déplorons-le, surtout, si nous nous rappelons que les vomissements, quand on a soin de les prendre au début cèdent très facilement â un traitement suggestif bien mené. — Voyez Revue de l'Hypnotisme, janvier 1902.
(1) Chaque individu présenle une électivité spéciale à l'égard des causes susceptibles de le réveiller; des bruits même très violents qui ne sont en rapport ni avec son intérêt, ni avec son affectivité peuvent ne troubler aucunement son sommeil ; mais qu'un enfant, par exemple.se retourne dans sa couche, le froissemeut des draps suffit pour réveiller la mère. Notre malade déteste son mari ; tout ce qui vient de lui l'exaspère ; les bruits de la rue, ceux des locataires qui logent au-dessus et au-
En dehors de sa mentalité spéciale, notre malade ne présente aucun des stigmates classiques de l'hystérie. A aucun moment ses règles n'ont été troublées.
Ses crises, ainsi que leurs suites, ont résisté à toutes les médications. De nombreux médecins, consultés à tour de rôle ou ensemble, ont déclaré que tous les organes sont sains. De guerre lasse, on finit par dire que tous ces troubles céderont probablement à la psychothérapie. C'est pour cela qu'on m'amène cette malade au mois de septembre dernier. .
Je dois dire que, pour la première fois, depuis qu'on s'acharne à la soigner, cette malade manifeste un vif désir de guérir: pour la première fois, aussi, elle a confiance en l'intervention du spécialiste qu'on lui a recommandé.
Cette malade ne dort pas. Non seulement elle ne répare pas ses forces, mais elle s'épuise encore davantage, chaque nuit, en ressassant toutes ses misères. L'insomnie entretient, exaspère, complique les troubles névropatiques. La restauration du sommeil amènera une sédation salutaire; c'est donc par le traitement de l'insomnie que je juge opportun de commencer.
J'hypnotise Mme F. Je crée chez elle une anesthésie auditive : elle n'entendra pas son mari rentrer; elle ne se réveillera pas à minuit: elle continuera à dormir d'un bon sommeil calme et réparateur, jusqu'au matin. En effet, les deux nuits suivantes, elle n'entend pas son mari ouvrir la porte et elle dort sans interruption le premier jour 8 heures, le second 9 heures.
Nos séances se repètent trois fois par semaine. Le sommeil redevient régulier. S'il arrive à la malade de se réveiller une fois ou deux, dans le cours d'une nuit, elle se rendort aussitôt, sans être aucunement troublée. Si, de loin en loin, elle entend son mari faire grincer sa clef dans la serrure, elle se réveille, juste assez pourse rendre pleinement compte de ce qui se passe et se rendormir immédiatement. Elle ne vomit plus ; elle supporte d'abord le lait, puis les œufs et s'achemine progressivement vers une alimentation normale. Les forces reviennent. Un jour, elle m'annonce triomphalement qu'elle a pu, toute seule, changer une grande armoire de place. En même temps sa mentalité se modifie, les idées tristes s'atténuent, les sentiments affectifs renaissent : clic cause avec son petit garçon, s'occupe de lui, le fait travailler, consent même à jouer avec lui... et à rire ! Autre symptôme important, elle prend soin de sa personne, s'occupe de sa toilette, devient même un peu coquette. Elle ne fuitplus le monde, consent à aller dincr en ville, à se mêler aux
dessous ne l'empêchent pas de dormir ; seul le grincement de la clef la réveille parce que ce bruit suscite par association un sentiment d'hostilité et, avec lui, tout le cortège des rancunes accumulées! — J'ai longuement insisté sur ces phénomènes d'électivité dans mon cours de cet hiver, à l'Ecole de Psychologie, sur ta Pathologie du sommeil naturel et, en particulier, tes insomnies.
conversations. En môme temps, son teint glabre et terreux, se colore; elle n'a plus la mine humble, résignée, affaissée d'autrefois.
Au cours de ce traitement, quelques petites rechutes passagères sont survenues. Par exemple, un jour, tout à côté de chez elle, un enfant tombe du cinquième étage et se tue ; le soir même une voisine perd sa petite fille; elle entend les deux malheureuses mères sangloter : leur désespoir l'affole. Elle ne tarde pas à présenter des vomissements répétés et une diarrhée profuse. Quelques séances de suggestion et des pilules de bleu de méthylène la remettent vite sur pied, si bien que, deux mois après le début du traitement, son poids s'est élevé de 40 à 48 kilos.
Avant de cesser nos séances d'hypnotisme, je suggère à cette malade de ne plus manifester à l'égard de son mari cette perpétuelle hostilité sourde et de se montrer, au contraire, douce, calme, prévenante ; son mari s'apercevra de ce changement, il se mettra à aimer de nouveau son intérieur; ainsi, se trouvera tout naturellement reconstituée la vie de famille et, en môme temps, un milieu psychique tout-à-fait favorable au maintien de la guérison.
Ai-je besoin d'ajouter que, concurremment à la suggestion, j'ai rempli toutes les indications de thérapeutique générale que comportaient les circonstances. Mais, en tout cas, avant même que fut instituée aucune médication, la seule suggestion avait suffi à rétablir le sommeil et à faire tolérer les aliments.
J'ai eu soin de suggérer à la malade qu'à l'avenir le début de mars et la fin de juillet ne seraient plus marqués d'aucune crise. Après avoir assuré la curation, l'hypnotisme a fait œuvre de prophylaxie. Nous sommes à la fin de mars 1903, un anniversaire vient de passer sans que j'aie eu à intervenir à l'occasion d'une récidive.
Discussion
M. Paul Magnin. — Je donne en ce moment mes soins à une malade dont l'observation confirme absolument les idées émises par M. Farez.
Il s'agit d'une vieille fille qui est atteinte depuis la mort de sa mère, survenue il y a sept ou huit ans, de paraplégie hystérique et de vomissements de même nature. Ces accidents ont résisté à tous les traitements.
Le chagrin causé par la mort de sa mère poursuit cette malade nuit et jour. Il y a là une véritable idée fixe.
C'est dans ces conditions qu'elle m'a été adressée par un confrère.
Le traitement par l'hypnotisme et la suggestion commençait à produire ses effets et la guérison semblait prochaine : malheureusement l'anniversaire de la mort de la mère est tombé cette année le jour même où la malade avait été frappée de cet immense chagrin. Quelques jours avant cette date fatale, la malade a vu ses troubles hystériques augmenter et lorsqu'elle est revenue du cimetière où elle avait tenu à se faire transporter, elle était plus paraplégique que jamais et vomissait tout ce qu'elle essayait de prendre.
Cela se comprend de soi : « J'ai revécu dans ces huit derniers jours. me disait la pauvre femme, toutes mes angoisses et tout mon chagrin. » Tout est là.
COURS ET CONFÉRENCES
_
f *
Écriture automatique non hystérique (1). Par M. le professeur Raymond.
Cet homme a 45 ans : il était, il y a quelques mois, gardien de cimetière. En faisant son service, il a souvent rencontré une certaine dame en gris et, trois fois du suite, il a dû la chasser pour infraction à la police des cimetières.
Peu de temps après, il perd sa place ; puis sa femme vient à mourir. Il en est bouleversé; il se demande ce qu'il va devenir et cherche à savoir de quelle maladie elle est morte. II se met alors à écrire involontairement et, dans les caractères que trace sa main, il reconnaît l'écriture de la défunte. Une fuis même, il lit: « Je suis ta femme qui t'aime !.... d Puis, un autre jour, sa main écrit : « Tu te remarieras avec M5" Marie M... qui demeure, 28, avenue P... » Il va trouver cette femme: c'est précisément celle qu'il a été obligé de chasser du cimetière !
Mme Marie M... est une tireuse de cartes ; elle découvre à cet homme une étonnante faculté pour interroger les esprits et elle lui demande de rester avec elle. Il devient donc médium et, à partir de ce moment-là, tout se transforme en lui : « il sent une incarnation nouvelle ; la tireuse de cartes est entrée en lui. »
Pendant son sommeil, des esprits tantôt bons, tantôt mauvais lui apparaissent ; il voit aussi des éléphants, des rats ; il se sent embrassé par des crocodiles, La Vierge Marie et l'Enfant Jésus sont aussi venus le voir plusieurs fois.
Les bons esprits, dit-il, sont en chair et en os, comme nous ; les mauvais ont la peau morte. Ceux-ci lui jouent de méchants tours : ils l'empêchent de travailler, lui enlèvent sa virilité et l'obligent à écrire. Quelquefois sa main ne trace que des hiéroglyphes, mais les bons esprits viennent lui en révéler le sens.
Est-ce la vraie écriture automatique hystérique avec dédoublement de la personnalité ?
Dans l'écriture automatique hystérique, l'écriture est subconsciente ; l'individu ignore ce qui se passe; l'anesthésie de la main droite est totale. Ici, la sensibilité est absolument intacte et il n'existe aucun signe somatique de l'hystérie. Notre homme a conscience de tous les mouve-
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux de la Salpétrière.
monts de sa main ; il sait qu'il écrit et ce qu'il écrit ; il pourrait l'exprimer par des images visuelles ou motrices.
C'est d'un état délirant qu'il s'agit : ce que les esprits lui dictent, il se sent poussé à l'écrire; c'est pour lui une manière d'exprimer son délire. ïl s'est senti amoindri et comme obsédé ; de là aux idées de persécution il n'y avait qu'un pas; il a cherché la cause de son état et il l'a trouvée dans l'intervention de la tireuse de cartes.
Sommes-nous en présence du vrai délire chronique de persécution, de la maladie de Lasègue, à très lente évolution, avec sa série de périodes bien marquées? Non, car, ici, le contenu du délire est constitué par des hallucinations ; le malade se sent embrasser par des crocodiles; il voit la Vierge... Or, à 22 ans, il a contracté la syphilis à qui il est redevable de la chute de son nez ; il est en outre alcoolique. Actionnées par l'alcool, les hallucinations se sont développées très rapidement.
Pourquoi dans son délire joue-t-il le rôle-de médium ? C'est qu'à l'âge de douze ou quinze ans, il s'est beaucoup intéressé aux esprits ; il se figurait être un médium ; il lisait les journaux et les livres se rapportant au spiritisme ; il prit une part active à des séances privées. Or, on délire toujours dans le sens de ses premières idées.
Ces troubles psychiques évoluent sur un terrain alcoolique. Cet homme guérira si on le place dans de bonnes conditions, si on le soustrait à l'alcool, si surtout on le place en dehors de la sphère d'influence de la tireuse de cartes.
REVUE DES LIVRES
Le II( Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique (1)
Comptes rendus publiés par MM. les Dr Bêrillox et Paul FAREz VIGOT, éditeur, place de l'École de Médecine, Paris
Les comptes rendus du 2e Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique viennent de paraître sous forme d'un important volume orné de 58 figures. Ce congrès, ouvert sous la présidence du professeur Raymond et du Dr Jules Voisin, a été tout à fait remarquable par la valeur et la variété des travaux qui y ont été communiqués. L'hypnotisme y a été étudié à tous les points de vue.
Parmi les rapports généraux nous devons citer:
1° Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psycholo-gique, par les Dr O. Vogt (de Berlin), Paul Farcz et Félix Regnault.
2° L'hypnotisme au point de vue médico-légat, par MM. les Dr
(1) Vigot, éditeur, place de l'Ecole de Médecine, et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme, 11, rue Taltbout, Paris. — Prix: 10 francs.
II. Lemesle, von Schrenk-Notzing (de Munich), Paul Joire (de Lille), et Ch. Julliot, docteur en droit.
3° L'hypnotisme dans ses rapports avec l'hystérie, par les D" Paul Magnin et Crocq (de Bruxelles).
4° Les applications de l'hypnotisme à la pédagogie et à l'orthopédie mentale, par le Dr Bérillon.
Nous devons encore mentionner d'importantes communications sur les applications cliniques, thérapeutiques, pédagogiques et psychologiques de l'hypnotisme par le professeur Raymond, par MM. les Dr Jules Voisin, Van Renterghcm (d'Amsterdam), de Jong (de la Haye], Durand de Gros, Lloyd Tuckey (de Londres), Tokarsky (de Moscou), Stadelmann (de Wurtzbourg), Régis (de Bordeaux), Cullerre (de la Roche-sur-Yon), Bianchi [de Parme), Tamburini (de Reggio-Emilia), Hickmet (de Constantinople), Jaguaribe (de Sao-Paulo), Aars (de Christiana), Bonjour (de Lausanne), Bourdon (de Méru), Merlier (de Roubaix,v, Babinsky, Raffe-geau, Baraduc, Bilhaut, Terrien, Binet-Sanglé, Bellemanière, Bérillon, Paul Farez, etc.
Le volume des comptes rendus du Congrès de l'hypnotisme auquel ont collaboré les hommes les plus compétents sur la question de l'hypnotisme sera lu avec fruit par tous ceux qui s'intéressent aux progrès de la psychologie scientifique.
Contribution a, l'étude du suicide chez les aliénés pendant leur internement, par M. le Dr Rinckenbach, Paris, Jules Rousset, 1902.
« La plupart des psychoses peuvent conduire au suicide... Il semble tout d'abord que les établissements consacrés au traitement de l'aliénation mentale doivent offrir toutes les garanties nécessaires pour protéger le malade contre lui-même; et, de fait, les suicides accomplis dans les asiles d'aliénés sont habituellement, toutes proportions gardées, moins fréquents que dans la vie ordinaire, autrement dit, moins nombreux chez les malades internés que chez les malades en liberté. Mais, par un phénomène d'imitation bien connu, on voit quelquefois le suicide, cas isolé, exceptionnel, déterminer le choc psychique qui produit chez tous ceux qui en ont eu la pensée ou qui sont susceptibles de l'avoir, l'énergie nécessaire pour accomplir leur dessein. » Une épidémie de suicides est survenue dans ces dernières années à l'Asile de Clermont et y a fait de trop nombreuses victimes. Interne de cet asile, M. Rinckenbach était mieux placé que quiconque pour en faire une étude documentée. « Comment et pourquoi le suicide se produit-il dans les Asiles, quels sont les moyens palliatifs ou curatifs à y apporter», telles sont les questions que traite fort judicieusement l'auteur.
D'ordinaire, dans les thèses de psychiatrie, au chapitre traitement, on observe un silence systématique à l'endroit de l'hypnotisme et de la suggestion. Si l'on en parle, c'est pour l'écarter d'emblée au nom de ces
vieux clichés surannés dont s'accommodent seules l'incompétence notoire ou la mauvaise foi. M. Rinckenbach est à la fois courageux et bien informé ; non seulement il réserve une large place à la psychothérapie, mais il en préconise les procédés les plus récents. «La suggestion qui consiste, par des raisonnements appropriés, à délivrer le malade de ses obsessions, n'a que peu de valeur à l'état de veille, étant donné que le cerveau de ce dernier, non seulement ne se trouve pas en état de réceptivité, mais en état de défense. Nous ne voulons pas dire que l'on doive rejeter absolument ce moyen, mais il ne faut lui attribuer qu'une très faible valeur curative... La suggestion à l'état de sommeil provoqué peut rendre et a rendu des services chez les aliénés ; les uns ont été notoirement améliorés, les autres guéris. Mais, dans la pratique, de nombreuses difficultés surgissent. Auguste Voisin, lui-même, estime que, sur cent aliénés, dix seulement ont pu être soumis au sommeil hypnotique. Souvent, en effet, l'aliéné n'est pas accessible à l'hypnose. II faudrait donc trouver un état tel « que la suggestion ait prise sur l'aliéné, qu'elle s'impose à lui avec force, en dehors de son consentement, à son insu, et pour ainsi dire malgré lui, dans un moment où il sera presque sans défense et n'essayera guère de résister. Or, cet état favorable existe, il est physiologique, il est normal : c'est le sommeil naturel (Farez .
Les lecteurs de celte Revue sont familiers avec ce mode de suggestion qui a été, ici même, plusieurs fois exposé et justifié, en même temps que confirmé par des succès notoires. M. Rinckenbach ajoute : « Avec M. le Dr Farez, nous estimons que la suggestion pendant le sommeil naturel, plus encore que pendant le sommeil provoqué, pourrait être employée chez les aliénés en général et chez les suicideurs en particulier.. .? On peut considérer qu'elle est applicable à la grande majorité des aliénés, alors qu'ils s'étaient montrés réfractaires à toute tentative d'hypnotisation Il va sans dire qu'il importe en outre de prendre, dans les Asiles,les mesures les plus énergiques pour mettre les malades dans la quasi-impossibilité d'attenter à leurs jours. On devra veiller au bon recrutement des gardiens, à l'installation de quartiers spéciaux et, par-dessus tout, on mettra largement à la disposition des aliénés tous les moyens de distraction compatibles avec l'état d'internement.
_ H. L.
Essai sur les causes morales des maladies, par M. le Georges Lemaître. J. B. Baillère, 1902.
Les maladies n'ont pas seulement des causes matérielles ; elles ont également des causes morales. L'action de ces causes morales est en rapport avec la manière dont sont organisés, chez l'individu, l'intelligence, la sensibilité et le caractère. Des causes morales extérieures à son propre esprit agissent également sur la santé de l'individu, par le moyen de la vie commune, de la famille, de l'exemple et de l'éducation. Des causes morales plus étendues influencent encore d'une façon très
puissante la santé de chacun ; elles tiennent à l'organisation et au fonctionnement général de la société. La lutte contre la maladie doit être poursuivie tout autant par une action morale sur l'esprit individuel et sur la société que par des moyens purement matériels.
Telles sont les conclusions de celte fort intéressante thèse qui porte en épigraphe cette parole de Platon empruntée au Charmide : « L'esprit est la source de tout bien et de tout mal. pour le corps et pour l'homme tout entier... ; c'est donc à l'esprit d'abord que sont dus nos soins les plus assidus, si nous voulons que le corps soit en bon état. »
h. l.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie tiendra sa prochaine séance mensuelle le mardi 19 mai 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites :
1. Dr Henry Lemesle : Une stigmatisée contemporaine : Sœur Bour-guillion.
2. M. Podiapolski (de Sara tow] : Hérédité influencée.
3. Dr Leprince (de Bourges) : La thérapeutique suggestive en ophtalmologie.
4. M. Lépinay, médecin-vétérinaire : L'hypnotisme chez le cheval.
5. Dr Paul Magnin et Berillon : Rôle de la suggestion dans la psy-, chologie de "sentiments affectifs.
6. Dr Binet-Sanglé : Relation de la religiosité avec les signes de dégénérescence.
Avis Important : La séance d'avril tombant pendant les vacances de Pâques et pendant la période des Congrès, sera reportée au mois suivant.
L'hypnotisme au Congrès de Madrid
Dans la séance du mois de mars, la Société d'hypnologie et de psychologie a délégué MM. les Drs Jules Voisin, Raffegeau et Bérillon pour la représenter au Congrès international.
L'hypnotisme et la psychothérapie seront l'objet de communications importantes. Notre eminent confrère, M. le professeur Abdon Sanchez Herrero a été chargé par le Comité d'organisation de présenter à la section de neurologie et de psychiatrie un rapport sur La Thérapeutique psychique. Le Dr Bérillon présentera un travail sur La ràéthode dans la pratique de l'hypnotisme.
M. le Dr Jules Voisin fera une communication sur un cas d'Hyper-algésie traité avec succès par ta suggestion hypnotique.
Nous tiendrons nos lecteurs au courant des discussions qui seront soulevées au Congrès de Madrid.
NOUVELLES
Cours d'hypnotisme a l'Ecole pratique de la Faculté de médecine de Paris. — Le Dr Bérillon commencera, le lundi 11 mai 1903. à cinq heures, à l'Ecole pratique de la faculté de médecine, amphithéâtre Cruveilhier, un cours libre sur le sujet suivant : Psychologie normale et pathologique. Les applications médicales de l'hypnotisme.
Il continuera ce cours les lundis et vendredis à cinq heures.
Leçons pratiques d'hypnologie et de psychothérapie. —MM. les Bérillon et Paul Farez se proposent de faire, dans le cours du mois de juin un cours pratique d'hypnologie et de psychothérapie. Ce cours sera complet en douze leçons. Il sera privé et ne comprendra qu'un nombre limité d'élèves.
On s'inscrit les jeudis, de 10 h. à midi, à l'Ecole de Psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Ouvrages reçus à la Revue
Bérillon et Paul Farez. —Comptes rendus du 2e Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique. In-8, 320 pages avec 58 figures. Vigot, éditeur, place de l'Ecole de Médecine, et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. 14, rue Taitbout, Paris. Prix 10 francs.
Grasset. — L'hypnotisme et la suggestion. In-12, 534 pages. Doin, éditeur, Paris 1903. 4 francs.
Grasset. — Leçons de clinique médicale. 4e Série, in-8, 755. Coulet. éditeur, Montpellier et Masson. Paris 1903.12 fr.
A. BAin. — De l'auto-représentation chez les hystériques. In-18. Vigot, Paris. 2 fr.
J. Philippe. — L'image mentale (évolution et dissolution). In-12,150 p-
Alcan. Paris, 1903. 2fr. 50. . . Castonnet des Fosses. — L'Inde française au XVIIIe siècle. In-12,
450 pages. Société de Géographie commerciale.
17e Année. — ? 11. Mai 1903.
La vie de Mahomet devant la science hypnotique (1)
par le Dr Félix Regnault, professeur à l'Ecole de psychologie.
La science des religions est des plus cultivées à l'Université de Paris. Elle possède une chaire au Collège de France, toute une école à la Sorbonne, un musée très riche fondé par Guimet, une Revue de l'histoire des religions, etc., etc.
Et pourtant, il nous semble qu'il lui manque quelque chose, elle reste une science qui manque du souffle de la vie, analogue aux sciences préhistorique, archéologique. Cela provient de ce que tout en cherchant les documents, discutant les interprétations, etc., on ne tient qu'un faible compte du mobile des actes religieux, de l'esprit humain, de l'âme humaine si vous voulez, en entendant par âme une force, sans entrer dans la vieille et démodée querelle des matérialistes et des spiritualistes.
Cette âme donne :
Ce besoin de croire, qui, au fond, n'est que le besoin de trouver une explication aux faits. L'animal peut éprouver de la curiosité et s'étonner au même degré que l'homme. Mais son étonnement ne dure pas, tandis qu'il persiste chez l'homme. Pour se satisfaire, celui-ci imagine une explication ; ces explications furent les premières superstitions et les premières idées religieuses ; elles constituèrent également la première science, dans leur stade fétichiste, comme l'appelle Auguste Comte.
Elle donne également la suggestion qui fait qu'un chacun
(1) Cours professé à l'Ecole de psychologie en 1903.
participe aux croyances ambiantes, la religion devient un principe de solidarité, elle est le ciment de l'édifice social.
Elle donne des phénomènes hypnotiques et hystériques, léthargie, anesthésic, convulsions... D'où les prophètes animés par la parole de Dieu, les martyrs volontaires (fakirs, aïssaouas) ou malgré eux (saints), les guérisons miraculeuses, etc., etc.
La religion produite par l'esprit humain réagit naturellement sur lui. D'où des conséquences multiples :
Les passions religieuses qui poussent à faire partager ses croyances aux autres ; le prosélytisme pacifique ou guerrier, les crimes et les grands dévouements, la croyance à l'aide de Dieu, etc.
Elle favorise la morale, bien qu'elle ne préside pas à sa naissance.
Elle amène le culte avec les temples, les pèlerinages.,, et forme un clergé qui constitue les premiers savants.
Elle aide en bien des sens au progrès dans le premier stade de la vie humanitaire, stade dont nous voyons à peine la fin, si nous la voyons.
La science religieuse est animée et vivante comme toutes les sciences sociales. Elle devrait être étudiée au même titre que ces dernières par nos législateurs si ceux-ci avaient conscience de leurs devoirs.
Introduire le facteur âme dans la science religieuse est la tâche que j'ai entreprise.
Dans un livre : Hypnotisme et religion, qui remonte à 1897, j'ai montré l'importance des phénomènes hystériques et hypnotiques dans toutes les religions, en réunissant en un tout mille faits jusqu'alors épars dans les publications, médicales d'une part, ethnographiques de l'autre.
Dans une première année de cours à l'Ecole de psychologie, en 1901, j'étudiai à ce même point de vue les miracles de Jésus et montrai qu'ils dénotaient chez ceux qui ont écrit les évangiles une parfaite connaissance de l'hypnotisme.
En seconde année j'ai examiné les phénomènes miraculeux : guérisons, anesthésies des martyrs, etc., et montré qu'ils s'expliquaient par l'influence du moral sur le physique ; le lien entre ces deux facteurs était les nerfs vaso-moteurs, lien
(1) Consulter Lamairesse et G. Dujarric, Vie de Mahomet, Paris, Maisonneuve, édit., 1897.
Sprenger, Vie de Mahomet, éditée on allemand. Jules la Beaume, Le Coran analysé, Paris, 1878.
qu'on connaissait, il est vrai, depuis longtemps, mais qu'on n'avait pas encore étudié d'une façon systématique dans cette branche de nos connaissances.
Pour continuer nos leçons, je veux examiner cette année avec vous, la vie de .Mahomet au même point de vue si spécial de l'hypnotisme : Aussi ne décrirons-nous pas en détail cette vie, renvoyant pour cela aux traités spéciaux (1). Nous nous contenterons d:y prendre et étudier les passages qui ont trait à l'hypnotisme.
Les premières années de la vie de Mahomet furent, d'après les historiens musulmans, marquées par divers prodiges : il fut, à l'âge de quatre ans, enlevé par des anges qui lui ouvrirent la poitrine et extirpèrent de son cœur l'écrit de Satan! Dans sa septième année, il procura la pluie par ses prières. Il portait entre les épaules une excroissance de chair couverte de poils, et de la grosseur d'un œuf de pigeon, un nœvus probablement, car elle s'effaça après sa mort : C'était le sceau de la prophétie. En effet, pour les peuples anciens, les malformations, les stigmates congénitaux, les contractures hystériques étaient des signes de la divinité.
Mahomet n'avait pas un système nerveux normal. Il était sujet à des attaques sur lesquelles nous reviendrons. Certains ont prétendu qu'il était épileptique, diagnostic bien difficile à faire rétrospectivement. On l'a d'ailleurs porté sur tous les grands hommes qui ont eu des convulsions, bien que celles-ci puissent avoir une autre origine. D'autant crue lorsqu'elles sont épileptiques elles amènent l'hébétude, la torpeur, la diminution de l'intelligence. Au contraire, les hystériques conservent celle-ci souvent très vive.
Sa vocation prophétique n'apparut que tardivement. Les pratiques religieuses qu'il suivit à partir de sa 38e année aidèrent au développement des crises : Il se retirait pour méditer dans une caverne du mont Hira, où il séjournait un ou deux jours, parfois un mois entier. C'est la vie des anachorètes et des prophètes que l'on retrouve à toutes les époques et dans tous les pays. Ainsi Moïse vécut 40 jours sur le mont Sinaï, Saint-Jean Baptiste habitait le désert, etc., etc.
La solitude, le jeûne et la contemplation favorisent le développement d'hallucinations de toutes sortes, telle est la si connue tentation de Saint Antoine. Chez certains esprits, ces hallucinations réveillent l'idée de prosélytisme, et la vie passive de contemplation fait place à une propagande active.
C'est ce qui arriva à Mahomet après trois ans de méditations. Il commença par avoir des hallucinations de la vue et de l'ouïe, entendit des voix, vit des lumières. -
Peut-être des fièvres qu'il avait contractées dans un voyage en Syrie eurent-elles quelque rôle dans la genèse de ces troubles nerveux : il traitait le retour de ces fièvres par des ablutions froides, et il est probable que ce fut une de ces attaques qui détermina sa mort.
Au commencement de la 41° année de sa vie, le 17 du mois du ramazan, il dormait dans sa grotte du mont Hira, Gjuand l'ange Gabriel lui apparut sous forme d'un homme et lui dit : « lis » ; mais il répondit : « Je ne sais pas lire ». Alors Gabriel l'étreignit si fort qu'il pensa mourir. Trois fois l'ange répéta son ordre, trois fois il lui fit la même réponse; Gabriel lui dit enfin : parle au nom du maître de la création qui a fait l'homme de sang condensé.
L'idée monothéiste apparaît déjà en ce songe. Il va substituer Allah, Dieu unique, aux croyances polythéistes de son époque; cette idée, Mahomet l'avait prise en ses voyages en Syrie.
Mahomet se crut atteint .de sorcellerie et voulut se suicider en se précipitant du sommet du mont Hira, il en fut empêché par l'ange qui lui cria qu'il était l'apôtre d'Allah.
Cette crainte d'être possédé des démons est conforme aux croyances de son temps. Les visions peuvent provenir de Dieu ou d'esprits malins. Ainsi, Jésus ne niait pas les miracles de ses concurrents, mais prétendait qu'ils les avaient accomplis en invoquant des esprits malins.
Rentré chez lui, Mahomet fut atteint d'un tremblement, comme il arrive souvent après des crises nerveuses. Il se fit envelopper la tête de linges humides jusqu'à ce que la crise fut passée.
Mahomet raconta ses visions à sa femme Khodaijab et à son cousin Waraqah. Ceux-ci devaient avoir pour lui une grande admiration, car ils lui affirmèrent sa mission et lui-même finit par y croire.
Par la suite, Mahomet tombait dans un état extatique toutes les fois qu'il récitait des versets du Coran. Tantôt il voyait l'ange Gabriel, tantôt il l'entendait simplement.
Parfois la révélation s'entendait comme un tintement de clochettes, parfois les traits du prophète s'altéraient subitement et il tombait à terre comme un homme ivre ou vaincu par le som-
meil. Même dans la saison froide, le front du prophète se couvrait de sueur.
A la fin de sa vie, Mahomet attribuait la blancheur de ses cheveux à l'effet produit sur lui par les sourates terribles.
Il n'aurait pas toujours été conséquent avec ses principes : d'après certains auteurs, il aurait recommandé de vénérer les sublimes Gharaniq (ch. 53, V. 19 à 27) qu'adoraient les Mecquois idolâtres. Puis, ayant reconnu son erreur, il l'attribua à un artifice de Satan.
L'extase se rencontre chez les hystériques : certains deviennent alors éloquents, leur geste, leur voix, leur mode de parler diffèrent de l'état normal; après l'excitation, ils tombent dans le sommeil et au réveil ne se rappellent plus de rien.
Cet état se retrouve chez les prophètes, et prouve pour le peuple leur qualité : car Dieu parle par leur bouche. Cette croyance est restée toujours la même depuis l'histoire des Hébreux jusqu'à celle des jansénistes du XVIIIe siècle et elle persiste encore de nos jours. •
Il convient de distinguer le prophète ou veli des Arabes qui, étant hystérique, est philomeiste, s'attaque aux religions établies, du prêtre chargé du culte, homme instruit et conservateur.
On le distinguera aussi du saint ami de Dieu qui mène une vie d'austérité et ne fait pas de propagande et de l'apôtre (recoul des Arabes} qui est un disciple, un être suggestion-nable, un agent transmetteur des paroles du prophète (1).
Mahomet était donc prophète, par suite, le Coran est un livre sacré, il n'est pas de Mahomet, mais d'Allah qui le lui a dicté.
Aussi les Arabes ont-ils une admiration sans bornes pour le Coran. Même les Arabes instruits qui vivent en France le déclarent le livre le plus poétique, le plus beau. Est-ce une suggestion religieuse, ou s'agit-il vraiment d'un chef-d'œuvre? Il nous est impossible de le dire, comme il est impossible à tout Européen qui n'a pas une âme orientale, d'en comprendre les beautés.
Comme tous les Arabes, Mahomet connaissait d'ailleurs la
(1) On donne aussi le nom de prophète à celui qui, a l'état d'extase, révèle l'avenir. S'il s'agit de révélations ayant trait a des personnes, il vaudrait mieux donner à ces inspirés le nom de devin qui les distinguerait non seulement des prophètes, mais encore des augures, astrologues, chiromanciens, etc., qui possèdent une science, ha caractéristique du prophète est de révéler la vérité religieuse. Les religions qu'ils fondent sont révélées et reposent sur des livres saints à l'opposé des religions naturelles qui adorent les objets ou les forces de la nature comme les religions antiques.
puissance de la parole. Voici ce qu'il dit (ch. XIV, 3. 29 à 31) :
« Ne savez-vous pas à quoi Dieu compare la bonne parole? C'est un bon arbre, ses racines tiennent fermement au sol et ses branches s'élèvent jusqu'au ciel.
« Il donne des fruits dans chaque saison. Le Seigneur parle aux hommes en paraboles, afin qu'ils réfléchissent.
« La parole mauvaise est comme un arbre mauvais; elle est à fleur de terre et n'a point de stabilité. » (XIV, 29 à 31).
Cette admiration sans bornes pour la beauté du Coran explique l'histoire d'Otbah. Ce docteur avait été envoyé par les Koreistes pour convaincre Mahomet de renoncer à sa mission, il entendit la sourate 41 du Coran. Revenu parmi les siens, il déclara : « Je n'ai jusqu'ici rien entendu de plus beau que le Coran. II ne s'y trouve ni magie, ni sorcellerie ».
La conversion d'Omar montre aussi cette puissance de la parole. Quand il arriva chez sa sœur et son beau-frère qui s'étaient secrètement convertis, il les trouva en train de lire des sourates du Coran; il les lut et la puissance de ces versets fut si grande qu'il se convertit.
A toute époque, le peuple pour croire au caractère prophétique des élus de Dieu exigea d'eux des miracles. Les Juifs en demandaient à Jésus, les Arabes en réclamèrent également à Mahomet. Le Coran l'indique à plusieurs reprises : A moins qu'un miracle ne descende vers lui, nous ne croirons pas (VI, 37).— Si au moins un miracle était accordé d'en haut, nous croirions (X. 21). — Ils ont juré devant Dieu par le serment le plus solennel que s'il leur fait voir un miracle, ils y croiront (VI, 109).
Mahomet dut faire des miracles. Mais les guérisons miraculeuses tiennent dans sa vie une place bien moindre que clans la vie de Jésus.
Pourtant un cas de guérison miraculeuse est relaté avec détail : Quand Mahomet s'enfuit de Ja Mecque où ses ennemis voulurent le tuer, il se cacha dans la grotte de Thor accompagné de son fidèle Abu-Becker. Celui-ci avec des lambeaux d'étoffe boucha les trous qui s'y trouvaient. Pendant cette opération, il fut mordu au pied par un serpent, mais le prophète le guérit immédiatement avec un peu de sa salivé. Ce remède était alors très usité, on le trouve d'un emploi courant dans le nouveau testament, Vespasien s'en servit à Alexandrie pour faire des miracles, il est encore aujourd'hui utilisé par les sorciers et particulièrement en Orient par les Aïssaouas. Il n'y a
donc rien d'étonnant à ce que nous en trouvions la mention dans le Coran.
Quant aux autres miracles accomplis par Mahomet, les uns peuvent recevoir une explication naturelle, les autres, au contraire, sont invraisemblables.
Parmi les premiers, nous rangeons celui qui illustra son séjour dans la grotte de Thor. A peine y était-il entré, que des ramiers vinrent faire leur nid et pondre à l'entrée, des araignées la fermèrent avec une toile. Aussi quand ses ennemis, guidés par Satan, arrivèrent à l'entrée de la grotte, la crurent-ils abandonnée depuis longtemps et se retirèrent sans la fouiller. Cette activité des pigeons et des araignées ne sort pas après tout du domaine du vraisemblable.
De même le fait suivant peut s'expliquer d'une façon très naturelle.
II fut décidé entre les chefs des principales familles de la Mecque que le groupe des Banon-Hachim, dont faisait partie Mahomet, serait tenu à l'écart et qu'on romprait toute relation de commerce et de mariage avec lui. Cet ostracisme dura de 616 à 619 environ. L'ange Gabriel vint enfin prévenir Mahomet que les vers avaient dévoré le pacte écrit enfermé à la kasba. Les chefs de la Mecque avertis vérifièrent l'exactitude du fait. On peut parfaitement admettre que Mahomet avait reçu un avis secret d'un des gardiens de la kasba.
Invraisemblable par contre est le miracle de la lune fendue. Pour convaincre les infidèles qui avaient demandé un signe à Mahomet, la lune fut séparée en deux, une partie disparut, l'autre resta. S'agit-il d'une hallucination collective, d'une éclipse de lune prévue et annoncée par Mahomet, et interprétée plus tard de la sorte, ou le récit est-il tout simplement apocryphe ? Je vous laisse le soin de choisir.
Non moins curieuse est l'ascension de Mahomet au ciel. En 621, Mahomet monté sur un hypogriffe que lui amena l'ange Gabriel, se rendit de nuit jusqu'en face de Dieu, lui parla directement, et conversa avec les anciens patriarches. L'explication est ici facile, il s'agit d'un rêve analogue à ceux que réalisent si souvent les aliénés et les hystériques quand ils se sentent brusquement transportés à. de grandes distances.
D'ailleurs, tandis que certains docteurs musulmans admettent la réalité de cette ascension, d'autres ne sont pas éloignés de l'explication hypnotique : car ils disent que Mahomet est allé au ciel spirituellement et non corporellement. D'autres
enfin disent qu'il s'agit d'une vision de Mahomet ou même d'une simple allégorie.
Les miracles opérés dans les combats et pour assurer la victoire sont par contre des plus nombreux dans le Coran. A l'opposé de la religion du Christ qui est toute de douceur et de paix, celle de Mahomet est une religion de guerre, et celle-ci assura ainsi dès le début sa prééminence.
On sait le rôle que joue le facteur moral dans la guerre : Mahomet se préoccupa de l'assurer chez ses compagnons en promettant à ceux qui tomberaient sur le champ de bataille toutes les joies du paradis. Cette suggestion si efficace persiste encore de nos jours et elle fait du musulman le meilleur soldat du monde : car loin de craindre la mort il la recherche.
Il s'appuyait aussi sur leur foi religieuse en leur promettant au nom d'Allah, la victoire et un abondant butin. Aux époques grecque et romaine, les aruspices déclaraient aussi la volonté des dieux et on ne combattait que si elle était favorable.
Dans leur exaltation, les premiers musulmans crurent souvent voir des anges combattre à leurs côtés. Leurs hauts faits sont relatés à la première victoire de Bedr et ils protégèrent miraculeusement le prophète à la défaite d'Ohod.
Le Coran affirme à diverses reprises cette intervention : « Lorsque vous implorâtes l'assistance du Très Haut, il vous exauça. Je vous appuierai, dit-il, de dix mille anges se succédant sans intervalle. Il vous fit cette promesse afin de porter dans vos cœurs la joie et la confiance. » (VIII, 9 et 10.) Ou encore : « puis Dieu fit descendre sa protection sur son apôtre et sur les fidèles; il fit descendre des armées invisibles pour vous, et il châtia ceux qui ne croyaient pas. » (IX, 26.)
Cette croyance à l'intervention divine est de tous les temps : nous la trouvons dans Homère, puis au triomphe du christianisme, plus près de nous dans la guerre des camisards, etc., etc. Aujourd'hui, si on ne croit plus que Dieu combat pour vous en chair et en os, on admet pourtant son intervention spirituelle et on n'omet pas d'affirmer : « il est avec nous ».
D'ailleurs, l'intervention miraculeuse des anges à la bataille de Bedr est différemment interprétée par les théologiens musulmans : les uns croient qu'ils prirent une part active au combat, les autres qu'ils ne se montrèrent que pour donner confiance aux musulmans et terrifier les ennemis : simple action de présence. Quand Mahomet fut vaincu à Ohod, il employa pour expliquer sa défaite les mêmes arguments que les prophètes
donnaient autrefois aux Hébreux : « Dieu vous a fait prendre la fuite devant vos ennemis pour vous éprouver (V. 146). Ceux -qui se retirèrent le jour de la rencontre furent séduits par Satan en punition de quelque faute qu'ils avaient commise (V, 149).
Tels sont les quelques faits justiciables de la science hypnotique que nous relevons dans l'histoire de Mahomet. Isolés, ils sont de peu d'importance; rapprochés d'autres faits analogues, ils permettent de comprendre les causes des actes humains.
L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION (l)
(suite)
II
L'hypnose ou état de suggestibilité
Par M. le Dr Grasset
professeur a l'Université de Montpellier
3. Qu'est-ce qui caractérise cette influence spéciale de l'hypnotiseur sur l'hypnotisé qu'on appelle suggestion et qu'est-ce qui la distingue des autres influences comme la persuasion, le conseil, l'ordre, la conversation, l'exemple, la discussion, la démonstration?...
Dans tous ces cas, j'admets que le sujet obéit à l'injonction, suit l'impulsion, parfois même très rapidement. Mais dans tous les cas qui ne sont pas la suggestion, le sujet accepte l'injonction, il consent à obéir; il réfléchit ou non, raisonne plus ou moins longtemps ; mais enfin il intervient, apprécie et juge. Sa spontanéité est plus ou moins influencée par l'influence extérieure ; mais elle existe toujours à un degré quelconque.
Dans la suggestion, au contraire, il n'en est plus de même : le sujet obéit sans critiquer, sans réfléchir, sans raisonner, sans juger ; il n'a ni à accepter ni à consentir : il agit comme on le lui suggère.
La différence n'est pas minime.
En appliquant à l'analyse de la question notre schéma de l'automatisme supérieur on voit que deux éléments sont nécessaires pour constituer l'état de suggestibilité.
C'est d'abord la désagrégation mentale ou la dissociation suspolygonale, prouvée par ce fait que le centre 0 du sujet n'a plus d'action sur son polygone, les communications centrifuges
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, numéros de mars et avril 1903.
étant interrompues entre 0 et le polygone. C'est la pensée que Charcot (1) a exprimée en disant : « l'idée ou le groupe d'idées suggérées se trouvent, dans leur isolement, à l'abri du contrôle de celte grande collection d'idées personnelles, depuis longtemps accumulées et organisées, qui constituent la conscience proprement dite, le moi », c'est-à-dire 0.
Mais ce n'est pas tout. Dans bien d'autres états il y a ainsi désagrégation suspolygonale et il peut ne pas y avoir d'état suggestible : ainsi chez beaucoup de cataleptiques et chez certains somnambules la suggestion est impossible et ces sujets ont bien cependant leur polygone soustrait à l'action de leur 0.
Il faut donc un second élément constitutif de l'état de sug-gestibilité.
Ce second élément nécessaire est l'état de malléabilité du polygone ; c'est l'obéissance immédiate du polygone au centre 0 du magnétiseur.
« Chez certains sujets, disait Charcot, il est possible de faire naître par voie de suggestion, d'intimation, un groupe cohérent d'idées associées qui s'installent dans l'esprit à la manière d'un parasite, restent isolées de tout le reste et peuvent se traduire à l'extérieur par des phénomènes moteurs correspondants. » Janet conserve cette métaphore saisissante : «les suggestions, avec leur développement automatique et indépendant, sont de véritables parasites de la pensée. »
Le centre 0 du magnétiseur donne des ordres moteurs et le polygone magnétisé exécute ces ordres (2) ; des ordres de sensations et le polygone éprouve ces sensations, les utilise pour ses actes et dans certains cas les transmet à son propre 0 ; des ordres de mémoire polygonale (enregistrement d'images ou dïdées dans le polygone] et le polygone obéit.
Nous verrons, que, dans l'hypnose, 0 de l'hypnotiseur prend possession du polygone du sujet, même dans des parties normalement soustraites à O du sujet (Myers).
L'hypnotisé est, à ce point de vue comme l'hystérique qui, « subconscient et anesthésique, peut faire contracter volontai-
(1) Charcot. Cit. Pierre Janet, Accid. mentaux, p. 45.
(2) C'est la doctrine de Myers • * Tantôt le moi subliminal : (polygone) se décide de lui-même (vie automatique); tantôt il obéit a un étranger (suggestion) ; tantôt a son compagnon, le mol supraliminal » (centre 0) (Marcel Mangin. Le mécanisme de la suggestion d'après les travaux de P..Myers, de Cambridge. Revue de l'hypnotisme, 1902, n" 10, p. 298). Seulement, pour des motifs que j'exposerai au chapitre des changements de personnalités, je n'emploie pas ce mot * Moi » pour le polygone, le réservant pour O.
rement ses muscles lisses, non soumis normalement à l'action de la volonté (1) ». Seulement chez l'hypnotisé c'est 0 de l'hypnotiseur qui acquiert cette puissance sur l'entier polygone, même dans ses parties normalement « réservées ».
Preuve nouvelle que l'état de suggestibilité et de suggestion n'est pas un état normal.
Le polygone garde d'ailleurs son activité propre habituelle, exagérée même, dans certains cas, par sa séparation de son propre 0 ; et ainsi il est capable non seulement d'actes, de mémoire; mais aussi d'associations psychiques, même compliquées. Seulement ce psychisme reste inférieur en ce sens qu'il ne correspond pas aux grandes conceptions synthétiques supérieures de 0; il reste polygonal.
Les communications suspolygonales centrifuges sont seules nécessairement supprimées dans l'état de suggestibilité : le centre 0 n'a plus aucune influence active, directe, sur son polygone. Mais les communications suspolygonales centripètes peuvent être conservées : de là, les variétés d'hypnose dans lesquelles le sujet a conscience de ses impressions et de ses actes polygonaux ; O assiste à l'activité polygonale qu'il ne dirige plus et qui est dirigée par 0 de l'hypnotiseur.
Voilà, je ne dis pas l'explication (le fond de tout cela reste très obscur], mais la conception psychologique la plus simple de l'état de suggestibilité C'est un polygone émancipé de son centre 0 qui obéit au centre 0 de l'hypnotiseur.
On voit immédiatement la différence de la suggestion ainsi comprise et des autres modes d'influence énumérés plus haut : dans l'imitation, la persuasion, la démonstration..., 0 du sujet n'est pas annihilé ; c'est lui qui est influencé par 0 de l'inter-locuteur : c'est une conversation de 0 à 0 tandis que la suggestion est un ordre donné par 0 de l'hypnotiseur au polygone de l'hypnotisé.
Et même quand, sans hypnose, on donne un ordre à un sujet et que ce sujet l'exécute, ce ne sera pas de la suggestion, au sens vrai et scientifique du mot, parce que c'est 0 du sujet qui reçoit l'ordre et qui l'exécute.
Il ne faut donc pas dire que la suggestion est un ordre accepté par le sujet. Au contraire, quand il y a acceptation, ce n'est plus une suggestion. Il n'y a suggestion que quand il y a obéissance sans acceptation ni consentement de 0 du sujet.
(1) Paul Sollier. Genèse et nature de l'hystérie, 1897, p. 474.
Je crois exprimer synthétiquement de cette manière l'opinion du plus grand nombre sur la nature psychique de la suggestion. Cependant ce n'est pas la manière de voir de tout le monde et il est bon de rapprocher cette conception de la suggestion de quelques autres qui ont été émises récemment et qui s'en écartent plus ou moins, en général plus en apparence qu'en réalité.
4. Babinski (1) cite d'abord et réfute la définition de Littré qui veut faire de la suggestion une « insinuation mauvaise » et ensuite il propose d'en faire une insinuation déraisonnable: « le mot suggestion doit impliquer que l'idée qu'on cherche à insinuer est déraisonnable » ; si on ne donnait pas au mot suggestion ce sens spécial, il serait synonyme de persuasion.
Je ne partage pas cette manière de voir de l'éminent neuro-logiste de la Pitié : on peut très bien persuader quelque chose de déraisonnable et on peut suggérer des choses parfaitement sensées.
La différence c'est que, dans la persuasion, 0 du sujet intervient, accepte la chose, même quand elle est déraisonnable; tandis que, dans là suggestion, 0 du sujet n'intervient pas du tout, il ne juge pas et son polygone agit, que la chose soit déraisonnable ou sensée, directement et uniquement influencé par 0 de l'hypnotiseur.
Pour Duprat (2), « recevoir une suggestion, c'est croire fermement à la valeur objective de la parole d'autrui, malgré les apparences contraires ».
Je ne suis pas de cet avis. Dans la suggestion on ne « croit » pas à la parole d'autrui, on ne l'accepte pas, on lui obéit. Si on la croyait, ce serait avec 0, tandis qu'on obéit avec le polygone.
Je me l'approche beaucoup plus de Duprat quand il dit : « c'est même ne pouvoir concevoir aucun doute à l'égard d'une affirmation; c'est, si l'on veut, manquer totalement d'esprit critique. » Oui, c'est dans 0 que réside l'esprit critique et dans l'état de suggestibilité 0 est réduit à l'impuissance; c'est 0 de l'hypnotiseur qui agit seul sur le polygone de l'hypnotisé.
D'ailleurs Duprat déclare (p. 257) « que les fonctions mentales du sujet normal ne sont pas, comme celles du sujet malade, affranchies du contrôle de la volonté raisonnable ou de l'inhibition que doivent exercer les tendances supérieures sur les
(1) Babinski. Revue de l'hypt., toc. cit., p. 195.
(2) Duprat. Loc. cit. p. 194.
tendances inférieures en vue de la systématisation totale des énergies du moi ».
C'est très juste. A l'état normal, 0 et le polygone collaborent et leurs activités sont inextricablement unies. Dans les états anormaux (l'état de suggestibilité notamment;, il y a au contraire désagrégation entre 0 et le polygone.
Et le même auteur conclut (p. 271) : a pour être suggestible, c'est-à-dire crédule à l'excès, prêt à admettre même l'absurde, si l'absurde est impérieusement affirmé, il faut être d'abord incapable de systématiser ses pensées, d'apercevoir les incohérences, les contradictions ; il faut ne pas pouvoir se gouverner soi-même, n'avoir plus ni volonté, ni moi indépendant, ni devenir normal. »
C'est à peu près la doctrine exposée plus haut, sauf l'assimilation au crédule que je n'admets pas. Le crédule est un normal ; son centre 0 est faible, mais fonctionne. On est crédule dans son 0; on est suggéré dans son polygone.
Binet (1) semble l'adversaire absolu de la doctrine exposée ci-dessus: M. Grasset, dit-il, a « montré récemment l'inconvénient que peut présenter la schématisation à outrance des phénomènes de suggestion. Cet auteur a supposé (suit un résumé de mon schéma)... Il n'y a point de séparation nette entre la vie psychique supérieure et la vie automatique, au moins à notre avis... » c'est l'objection déjà formulée par le même auteur dans l'Année psychologique et à laquelle je crois avoir répondu dans le précédent chapitre (p. 42).
I! semble donc que Binet est l'adversaire déclaré de cette désagrégation mentale suspolygonale, qui est pour nous la base de la conception de l'état de suggestibilité. Cependant, immédiatement après le passage que nous venons de citer, Binet ajoute textuellement (p. 12): « le premier caractère de la suggestion est donc de supposer une opération dissociatrice; le second caractère consiste dans un degré plus ou moins avancé d'inconscience ; cette activité, quand la suggestion l'a mise en branle, pense, combine dés idées, raisonne, sent et agit sans que le moi conscient et directeur puisse clairement se rendre compte du mécanisme par lequel tout cela se produit... Enfin, pour achever cette rapide définition de la suggestion, il faut tenir compte d'un élément particulier, assez mystérieux... : le sujet suggestionné n'est pas seulement une personne qui
(1) binet. La suggestibilité, Biblioth. de pédagogie et de psychol., 1900, p. 11 et 12.
est réduite temporairement à l'état d'automate, c'est en outre une personne qui subit une action spéciale émanée d'un autre individu... »
Je n'ai jamais voulu dire autre chose quand, avec mon schéma, j'ai dit : chez le suggestible il y a désagrégation sus-polygonale ; l'action annihilée de son 0 est remplacée par l'action de 0 de l'hypnotiseur.
C'est ce qu'Albert Prieur a eu l'amabilité de constater nettement dans une critique qu'il a faite du livre de Binet (1).
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 janvier 1902. — Présidence de M. le dr Jules Voisin
{suite)
Essai psychologique sur le rêve musical,
par M. Pierre Gillet.
Au cours de ses leçons, M. le Dr Bérillon a souvent appelé noire attention sur le fait important que très fréquemment les sujets atteints de psychoses, avaient des réves pendant la nuit, voire même des cauchemars et des hallucinations véritables, et il en tirait une conclusion très utile pour la psychologie expérimentale : c'est que le rêve peut être lui-même une sorte de psychose, d'un genre particulier, ou mieux, une sorte d'état pathologique spécial, plus fréquent chez les individus dégénérés, ou dont la mentalité est légèrement atteinte. On pourrait, d'autre part, dire, avec quelques auteurs, que le sommeil trop profond et l'absence de rêve constituent également un état morbide. Or, cela nous amènerait à étudier le rôve en général et ce n'est pas ce que nous nous proposons. Des travaux sérieux et nombreux ont paru sur celte matière; nous ne citerons que "ceux de : Alfred Maury, Max Simon, Bricrrc de Boismont, d'Hcrvcy de Saint-Denis..Baillarger, V.Egger, Azam, Burdach, etc.. Mais il y a une sorte de rêve qui a été jusqu'ici très peu soumise aux observations psychologiques, ce sont les rêves artistiques et en particulier le rêve musical.
On connaît les rêves célèbres de Benvenuto Cellini, de Bernard Palissy, de Bayard. de François I". de Napoléon et de bien d'autres grands hommes, en particulier de poètes comme Lamartine et de Vigny. Mais on ne connait qu'un exemple de rêve musical, (probablement parce
(I) « Où je ne suis plus d'accord avec M. Binet, dit-il (Mercure de France, 1901, p. 499), c'est quand II reproche a M. Grasset d'avoir schématisé à outrance les phénomènes de suggestion. Il dit lui-même que le premier caractère de la suggestion est de supposer une opération dissociatrice. Or, qu'a fait M. Grasset, si ce n'est clairement schématiser cette dissociation elle-même ? Après ces déclarations si nettes du professeur de Montpellier, on s'étonne de voir M. Binet écrire en parlant du centre O et du polygone... »
qu'on n'a jamais noté les autres). Nous voulons parler de celui de Tartini. Nous en dirons quelques mots car il est assez peu connu et il touche" directement à notre sujet :
Ce compositeur attendait vainement l'Inspiration pour terminer une
sonate qu'il était en train d'écrire..............
Il s'endort sur son travail, et voit tout à coup, en rêve, au milieu du désespoir où le plonge sa rebelle imagination, le diable qui lui apparait et lui propose, en échange de son âme, d'achever sa composition. . . . . . .Tartini accepte et entend alors, distinctement, jouer, sur le violon, cette sonate tant désirée avec un charme inexprimable d'exécution... Il se réveille, et « de mémoire » écrit exactement ce qu'il croit avoir rêvé. »
Comment de telles représentations auditives apparaissent-elles ? Quelles en sont les causes efficientes? Est-il possible d'étudier ces phénomènes ? Ces questions nous ont inspiré une telle curiosité que nous nous sommes efforcé d'en rechercher la solution.
Nous avons eu recours, pour arriver à cette fin, à la méthode psychologique. Nous avons recueilli toutes les observations possibles, prises directement sur nous-même ou sur les musiciens qu'il nous était loisible de connaître; nous avons essayé d'en faire une classification, puis nous avons tenté d'en dégager par l'expérimentation et l'induction, sinon les lois formelles qui régissent les phénomènes du Rêve Musical, du moins les conditions et les modalités dues aux différentes origines de ces hallucinations et auditions musicales hypnagogiques.
Nous croyons qu'il est possible d'admettre comme origines des rêves musicaux des causes évidemment variables avec chaque individu, mais dont on peut faire aussi la classification :
a) Tantôt le rêve musical peut avoir pour cause un état physiologique "particulier qui donne naissance à des illusions auditives musicales et dont l' Imagination » qui veille pendant le sommeil, s'empare pour les transformer en phrases musicales.
b) Tantôt le rêve musical" est la suite de préoccupations éprouvées à l'état de veille (tel est l'exemple de Tartini)
L'esprit fortement tendu à l'état de veille est occupé d'idées-sons ou d'images musicales données; pendant le sommeil et inconsciemment, il garde la même direction. Il semble alors qu'il y ait un mouvement imprimé à ces images harmoniques et à ces idées-sons et que c'est ce mouvement, non arrêté par le sommeil qui continue et se résoud automatiquement. C'est là d'ailleurs la théorie de la cérébration inconsciente. c) Enfin, il y a des rêves qui ont pour origine une excitation sensorielle de l'ouïe, (bruit des vagues, du* vent, de la pluie, du tonnerre, des feuilles, etc.. voire même musique faite près du dormeur). Ces excitations font surgir des idées-sons, immédiatement transformées et modifiées par l'incohérence du rêve.
d) Il y a. enfin, les rêves suggérés à des sujets en état d'hypnose, mais nous n'en étudierons pas aujourd'hui les causes, les modalités et les effets qui présentent des différences tout à fait caractéristiques.
Nous nous bornerons à considérer les origines du rêve musical chez un individu sain à l'état de sommeil ordinaire et laisserons aussi de côté l'étude de l'extase musicale à l'état de veille et des rêves chez les sujets malades.
Le cerveau sain peut seul, en effet, se rendre très nettement compte de la différence qui sépare l'audition-illusion sensorielle, de l'audition-sensation réelle.; et l'audition sensorielle de l'idée créatrice, d'une représentation purement psychique. A l'état normal, on ne peut pas confondre entre eux ces différents phénomènes, parce que les intensités d'actions et la modalité de chacun d'eux nous impressionnent de manières toutes différentes; mais chez l'individu dont la mentalité offre un état pathologique même peu accentué ou seulement dont le système nerveux est en désordre ou tellement hypéresthésié qu'on peut le considérer comme ébranlé, les impressions ne se manifestent pas de la même façon et l'on peut facilement les confondre.
Chez le sujet sain, voyons donc les différentes origines des rêves musicaux :
1°En psycho-physiologie, on pourrait attribuer les rêves musicaux dus à un état physiologique à différentes causes. Suivant Schrœder van der Kolk, physiologiste néerlandais (1), un des hémisphères cérébraux serait seul en action chez l'homme qui rêve, par suite de la différence de circulation résultant de la position de la tête appuyée pendant le sommeil, d'un seul côté ; le sang afflue dans les parties déclives, la circulation et, partant l'innervation, deviendraient plus actives du côté qui repose sur l'oreiller. Mais cette hypothèse n'a pas été justifiée jusqu'à présent, et ne saurait expliquer un rêve que l'on fait en dormant assis, la tète appuyée du côté de l'occiput, ou debout. Aussi, nous ne rappelons cette opinion de Schrœder van der Kolk que pour la livrer à l'étude, à nouveau, car il conviendrait, à notre avis, de rechercher une autre cause physiologique du rêve, que cet afflux du sang dans certaines parties du cerveau et des bourdonnements d'oreilles qui sont causes souvent d'hallucinations musicales hypnagogiques.
2° En psychologie pure, il est admis que le « désir habituellement satisfait devient besoin nécessaire », or, il nous est possible de tirer de cet axiome des conclusions logiques au point de vue des causes du rêve musical :
Le sujet qui, à l'état de veille, n'aura pas cessé de vouloir réaliser certaines harmonies, ou mieux dont l'esprit et l'oreille, par l' « habitude » qu'ils ont d'entendre des sons musicaux et d'associer entre elles des idées harmoniques, auront besoin de cette harmonie pour « nourrir » leur esprit ; ce même sujet, à l'état de rêve, pourra sentir cette appétition subsister et les fonctions psychologiques qui s'y rapportent acquérir, durant le sommeil un degré plus grand de sensibilité. La mémoire, l'association des idées, l'imagination et même la volonté pourront garder leur activité.
(1) Al. Maury : Le Sommeil et les Rêves, p. 27.
Il est vrai que les actions voulues ne sont généralement pas accomplies, mais l'inexécution n'empêche pas toujours l'exercice de la volition.
La mémoire joue, sinon le rôle le plus important, du moins le rôle primordial, c'est elle qui, en quelque sorte, est la cause efficiente du rêve musical, déterminée elle-même sous l'influence de circonstances particulières. C'est d'elle, en effet, que le rêve jaillira, ou mieux c'est dans ses souvenirs conscients et inconscients que le rêveur puisera les matériaux de ses songes.
L'association des idées est, évidemment, aussi mise en jeu par le rêve, mais il faut reconnaître l'importance capitale à nos facultés créatrices.
L'imagination est, en effet, le principal facteur du rêve. Chez le rêveur, elle se trouve même, dans bien des cas, pour ainsi dire, exacerbée; et l'on pourrait croire que toutes les activités intellectuelles de chacune des autres fonctions cérébrales qui paraissent être en état de repos, n'ont fait, en réalité, que se combiner entre elles et de reporter cette force psycho-motrice en entier sur le centre moteur de l'imagination. Autrement dit, en appliquant le parallélisme des forces; fa mémoire, la volonté, l'association des idées et toutes les fonctions psychologiques, étant en mouvement pendant la cérébration inconsciente ont pour résultante l'imagination d'où naissent tous les rêves.
Il est cependant très difficile, dans nos rêves musicaux (et cela, surtout parce que la mémoire n'est pas nette à notre réveil, quelqu'effort qu'on fasse pour se souvenir) de déterminer exactement ce qui est motif personnel et ce qui est réminiscence; car généralement, la faculté de localisation des idées-sons dans le passé, repose et ne fonctionne pas pendant le sommeil, et ne nous est d'aucune utilité pour déterminer au réveil ce qui n'est pas à nous.
Il y a d'ailleurs d'autres raisons, celles-là, du domaine psychologique pur : Si nous ne pouvons exactement définir une limite entre ce que nous imitons et les matériaux que nous puisons dans notre souvenir, c'est que c'est aborder là une question très complexe dont la solution n'est pas trouvée La distinction entre la « Perception » et la « Conception » n'est pas aussi facile qu'on te prétend, car ces deux opérations intellectuelles sont quelquefois entre elles, l'une par rapport à l'autre cause et effet. La Conception n'est fréquemment qu'une perception d'origine inconnue. Quelquefois, nous nous figurons avoir trouvé ce que nous avons déjà entendu et nous croyons avoir entendu des choses qui sont de notre propre invention.
Un auteur américain (1) Whiton Calkins (Mary) propose, cependant, une autre explication des causes du rêve. Alors que nous croyons que les rêves, le plus souvent, (quoique cependant non de façon formelle) prennent naissance dans les préoccupations de la veille immédiate ou dans les événements récents, Whiton Calkins affirme presque le contraire. Cet auteur admet, en fait, la règle posée par Delage (2) et soutient que
(1) American Journal of psychologuy, 1903, April-July.
(2) Revue philosophique, 1893, p. 670.
les idées qui ont obsédé l'esprit pendant la veille ne reviennent pas en reve, mais que. on ne rêve des événements importants de sa vie que lorsque on s'en est éloigné.
Whiton Calkins fonde ses assertions sur des observations qu'il publie, d'une part, chez un homme 170 rêves en 46 nuits et 265 chez une femme pour 55 nuits.
On pourrait tirer de cette thèse des conclusions très différentes des nôtres, mais, en ce qui nous occupe, il nous semble qu'elle ne fait que confirmer, en quelque sorte, celle que nous soutenons.
Puisque nous n'avons qu'une observation à notre disposition (et encore combien mal relatée), prenons-la. Le rêve fait par Tartini a pu avoir aussi bien pour cause des préoccupations antérieures lointaines; mais on ne peut nier qu'il n'ait obéi à une impulsion donnée par des préoccupations du moment.
Si l'on examine en effet la vie de Tartini on remarque combien elle fut agitée. Il reçoit d'abord des leçons de musique à Pirano et à Capo-d'Istria, mais il résiste énergiquement à ses parents qui veulent le faire moine. A ce moment déjà il est possible que les parents de Tartini lui aie'nt parlé du diable et avec Whiton Calkins on peut retrouver là des causes antérieures dû réve. Mais il est bien probable que cette idée du diable hantait perpétuellement Tartini qui tour à tour étudiant en droit, bretteur, amoureux et presque moine devait manifestement avoir un esprit essentiellement émotif. Les légendes sur Tartini sont nombreuses et variées ; toutes nous montrent le caractère impulsif du compositeur C'est à la suite d'une audition du célèbre violoniste Veracini et de sa retraite, au couvent des Franciscains d'Assise, avec l'organiste Czerno-horski qu'il découvrit les sons résultants. C'est à la suite, d'une cérébra-tion longue et inconsciente qu'il composa sa fameuse sonate du Trille du Diable. Mais celte apparition du Diable à ce moment précis n'est pour ainsi dire qu'un complément de circonstance dû à l'incohérence du rêve et à l'effort d'une imagination surexcitée.
En résumé, il est difficile de déterminer des lois précises du Rêve en général et plus encore des illusions psycho-auditives du Rêve musical, tout au plus peut-on faire remarquer que dans la plupart des cas ces rêves ne surviennent que chez des personnes exclusivement musiciennes soit par nature, soit par éducation, avec des causes différentes et suivant des circonstances particulières de temps, de durée et de dispositions spéciales à chaque individu.
Ce n'est d'ailleurs que par une observation constante et méthodique qu'on pourra peut-être un jour compléter cette étude trop superficielle pour être absolument exacte.
DISCUSSIONS & POLÉMIQUES
La folie hystérique de Marie Alacoque : M. le Dr Rouby et la critique historique, par A. Hamon, docteur ès-lettres.
J'ai lu avec le plus vif intérêt les articles publiés dans cette Revue par M. le D' Rouby, sur Marie Alacoque ; la discussion qui va suivre témoignera de l'attention que j'ai apportée à cette lecture. Je n'examinerai son travail que du seul point de vue historique et j'estime que cette étude suffira pour établir que la plupart de ses conclusions sont loin d'être aussi solidesqu'il le croit sincèrement. Il va sans dire que la personne de M. le Dr Rouby, que je n'ai pas l'honneur de connaître, reste en dehors du débat. Je n'attaque que ses idées.
Il écrit dans le numéro de décembre, p. 181 : « Les citations précédentes auront suffit à convaincre non seulement les médecins aliénistes et ceux qui ont étudié les maladies nerveuses, mais encore le public qui lit et comprend ». Or, ces citations sont plus ou moins inexactes, et plusieurs entièrement fausses.
Il a dessein de les prendre dans la vie de Marguerite-Marie Alacoque écrite par elle-même (n° de novembre, p. 151). De cette vie l'autographe existe encore, je l'ai vu de mes yeux au monastère de Paray-Ie-Monial ; il est donc facile de juger les citations en les comparant avec le texte lui-même : cet autographe d'ailleurs a été imprimé avec la plus scrupuleuse exactitude dans le tome II de Vie et Œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris, Poussielgue, 1876; tout le monde peut donc apprécier mes affirmations. Dans le manuscrit autographe aucun mot n'est souligné ; M. le Dr Rouby juge parfois à propos de mettre quelques expressions en italique, et c'est le droit de tout écrivain pourvu qu'il prévienne son lecteur ; je reproduirai donc ses citations comme il les imprime. Quand moi-même, pour mieux faire voir aux yeux les différences des textes, je me permettrai de souligner, j'emploierai de petites majuscules.
On lit dans le numéro de novembre, p. 151 : « Un jour on veut marier Marie Alacoque ; celte idée lui cause une grande émotion, et elle a des hallucinations de l'ouïe qui prennent la tournure de cette idée ». Voici le texte qui prouve cette affirmation ;
Texte de M. le Dr Rouby. Texte de Marouerite-Marie Alacoque.
Jésus-Christ me fit entendre qu'il était Une fois, après la communion, si je ne le plus beau, le plus riche, le plus puis- me trompe, IL me fit voir qu'il était le sunt, le plus parfait et le plus accompli plus beau, le plus riche, le plus puissant, de tous les amants. le plus parfait et accompli de tous les
amants.
(Vic et Œuvres.,., t. ii, p. 385).
Du texte authentique il résulte : 1° que s'il y a une hallucination, ce n'est pas une hallucination de l'ouïe ; 2° qu'il n'y a aucune espèce d'hallucination. Le mot voir signifie en effet non seulement voir avec les yeux
du corps, mais encore voir avec les yeux do l'esprit, c'est-à-dire comprendre; et, dans le texte cité, il est de toute évidence qu'il a ce dernier sens. Me permettra-t-on encore de faire observer qu'il n'était pas inutile de citer le si je ne me trompe » de la religieuse, celte restriction n est certes pas indifférente.
On lit à lu page 152 : Les hallucinations de la vue vont se joindre à ce moment à celles de l'ouie et du toucher »,
Texte de m. le Dr rouby. Il me gratifia de sa divine présence, mais d'une manière que je n'avais pas encore expérimentée ; je le voyais et je le sentais tout proche de moi, j entendais sa voix.
Texte de Marguerite-Marie Alacooue.
Il me gratifia de sa divine présence, mais d'une manière que je n'avais encore point expérimentée : car jamais je n'avais reçu une si grande grâce, pour les effets qu'elle a opérés toujours en moi depuis. Je le voyais, Je le sentais proche de moi, et l'entendais beaucoup mieux que si
c'eut été des sens corporels par lesquels j'aurais pu me distraire pour m'en detourner.
(Vie et OEvres)..., T. II, p. 371.)
Cette citation provoque deux remarques : Ie Un écrivain a toujours le droit de supprimer ce qui lui semble inutile dans les textes qu'il rapporte, mais il doit avertir son lecteur ; je regrette et pour la citation présente et pour beaucoup d'autres dont je n'ai pas le temps de m'oc-cuper, que M. le Dr Rouby ail cru devoir agir autrement; 2° Etait-il vraiment inutile de signaler comment la religieuse voit, sent et entend Jésus-Christ, c'est-à-dire autrement que par les sens corporels? Quelle que soit la manière dont on interprète ses paroles, il y a là un élément du problème à résoudre, et le supprimer, c'est s'exposer à ne pas donner une exacte solution.
A la même p. 152. je lis : « Les hallucinations du sens génital se produisaient surtout, lorsque Marie Alacoque était dans une position possible pour accomplir l'acte vénérien, et ne se produisaient pas lorsque la position était gênante ».
Texte de M. le D* Rouby.
La face contre terre ou à genoux, dit-elle, c'est la position que je prenais toujours autant que mes occupations me le permettaient ; ce grand Dieu ne me laissait point de repos dans une situation moins respectueuse ; de sorte que je n'osais m'asseoir lorsque j'étais seule.
Texte de Marguerite-Marie Alacoque. Cela (la présence de Dieu sentie) imprima en moi un si profond anéantissement, que je me sentis d'abord comme tombée et anéantie dans L'abime de mon néant d'ou je n'ai pu sortir depuis par respect et hommage a cette grandeur
infinie, devant laquelle j'aurais toujours voulu être la face prosternée contre terre ou bien à genoux: ce que j'ai fait depuis autant que les ouvrages et ma faiblesse l'ont pu permettre. Car II ne me laissait point de repos dans une posture moins respectueuse et je n'osais m'asseoir que lorsque j'étais en la présence de quelqu'un
pour LA vue de mon indignité.
(VIE et OEUVRES°.., T. II, p. 371-372.)
Dans les textes cités je ne vois pas : 1° Où l'on peut trouver apparence d'hallucination du sens génital ; mais : 2° Je vois très bien la raison du prosternement de Marguerite-Marie Alacoque ; c'est le respect de Dieu et la connaissance de son néant qui l'inclinent ainsi dans la poussière ; les paroles de la religieuse ne permettent pas de s'y tromper.
Page 153: Texte de M. le DR Rouby.
Un jour mon Divin Maître me demanda après la Sainte Communion de lut reitérer le sacrifice que je lui avais déjà fait de ma liberté et de tout mon être ; ce que Je fis de tout mon cœur, pourvu, lui dis-je, que vous ue fassiez jamais rien paraître d'extraordinaire en moi de ce qui pourrait m'humilier devant des créatures et me détruire dans leur estime.
Texte de MarGuerite-Marie Alacooce.
Il me demanda, après la Sainte Communion, de lut réitérer le sacrifice que je lui avais fait déjà de tout mon éire. Ce que je fis de tout mon cœur. « Pourvu, lui dis-je, ô mon Souverain Maître, que vous ne fassiez jamais rien pnraltre en mol d'extraordlnal re que ce qui me pourra le plus causer d'humiliation et d'abjection devant les créatures et me détruire dans leur estime*
(Vie et Oeuvres.... T. II. p. 374-375.)
Ici les deux textes sont évidemment contradictoires, et la religieuse demande à Notre-Seigneur précisément l'opposé de ce que lui fait demander la citation.
Toujours à la même page 153, M. le Dr Rouby écrit : « Marie Alacoque arrive à ce moment à un véritable état d'érotomanie, et elle attribue à à Jésus un véritable état de priapisme : on lui fait garder une ânesse et son ânon dans un coin du jardin ; son amant divin est toujours à ses côtés, lorsqu'elle est obligée de courir derrière ses bétes, l'époux la suit dans tous ses mouvements. »
Texte de M. le Dr Rouby.
Il me tenait une si fidèle compagnie que toutes les courses qu'il me fallait faire pour mes ânes, ne me détournaient point de sa présence : je ne pouvais mettre d'empêchement à ses sensations, où il n'y avait rien de ma participation.
Texte de Marguerite-Marie Alacoque.
Mon souverain m'y tenait une si fidèle compagnie, que toutes ces courses qu'il me fallait faire ne m'empêchaient (1) point, car ce fut là que je reçus de si grandes grâces que jamais je n'en avais expérimenté de semblables.
(Vie et OEuvres..., T. II, p. 376.)
Le membre de phrase souligné par M. le Dr Rouby n'existe pas dans le texte, et l'on voit assez pourtant qu'elle force démonstrative il a pour lui. Je ne veux pas insister, et l'honorable médecin d'Alger ne manquera pas de regretter avec moi les circonstances qui furent la cause de son involontaire erreur.
Je ne ferai plus que deux confrontations de textes, afin de ne pas abuser des lecteurs de la Revue.
Page 155: Texte de M. le Dr Rouby.
Tout le temps que dura cette vision, je ne me sentais plus, je ne savais plus où j'en étais. Lorsqu'on vint me retirer du
Texte de Marguerite-Marie Alacoque.
Et pendant tout ce. temps je ne me sentais pas, ni ne savais plus où j'en étais. Lorsqu'on vint me retirer de là, voyant que je ne pouvais répondre, ni
(1) Empêcher signifie ici gêner, entraver, sens fréquent encore au XVIIe siècle.
Texte de M. le b Rouby(suite)
lieu où le priais et voyant que je ne pouvais répondre ni même me soutenir qu'avec une grande peine, l'on me mena à notre Mère; j'étais toute tremblante et brûlante. La Supérieure me croyait folle; et traitait avec mépris tout ce que je lui avais déclaré.
Texte de Marguerite-Marie Alacoque
même me soutenir qu'avec peine, l'on me mena à notre Mère; laquelle me trouvant comme tout hors de moi-même, toute brûlante et tremblante, je me jetai par terre à genoux, où elle me mortifia et humilia de toutes ses forces ; ce qui me faisait un plaisir et me donnais une force incroyable.
[Vie et Oeuvres.... T. II, p. 383
Là encore les mots soulignés ne se trouvent pas dans le texte autographe, et, malheureusement pour sa thèse, M. le Dr Rouby leur donne une grande importance dans sa démonstration, il écrit p. 155 : « J'insiste sur ce point, c'est elle-même qui le raconte, la Supérieure et toutes les sœurs regardaient Marie-Alacoque comme une aliénée durant tout le temps de son séjour au couvent, c'est-à-dire jusqu'à sa mort. » Eh bien non, ce n'est pas elle-même qui le raconte, et dans l'intérêt de la vérité M. le Dr Rouby devrait bien nous indiquer l'ouvrage où il a pris sa citation et l'auteur qui a si indignement abusé de sa bonne foi.
Voici le dernier texte dont je m'occuperai, il se trouve à la p. 157.
Texte de M. le Dr Rouby.
Je ne tardai guère d'entendre les menaces de mon persécuteur, le Démon : car s'étant présenté 4 moi sous forme d'un More épouvantable, les yeux étin-celants comme deux charbons, grimaçant des dents contre moi, il me dit ; Maudite que tu es, je t'attraperai, et si je puis une fois te tenir en ma présence, Je te ferai sentir ce que je sais faire, je te poursuivrai partout, « Il me semblait alors voir l'enfer ouvert pour m'engloutir ; je me sentais brûler d'un feu dévorant jusqu'à la moelle des os. Il me 6t plusieurs fois semblables menaces.
Texte de Marguerite-Marie Alacoque.
Je ne tardai guère ensuite d'entendre les menaces de mon persécuteur. Car s'étant présenté à moi en forme d'un More épouvantable, les yeux étincelants comme deux charbons et me grinçant les dents contre, Il me dit : « Maudite que tu es, je t'attraperai, et si Je te peux une lois tenir en ma puissance, je te ferai bien sentir ce que je sais faire, je te nuirai partout. « Et quoiqu'ilme pit plusieurs
autres menaces, je n'appréhendais pourtant rien, tant je me sektais fortifiée au-dedans de moi-même. il me semblait même djCE JE .n'aurais pas craint toutes LES furbcrs de l'enfer, pour la grande force que je sentais ac-dedans DE moi-même.
(Vie et OEuvres..., T. II, p. 390-391)
On remarquera la différence essentielle qui apparaît d'abord entre les lignes qui terminent les deux citations; cette différence deviendra plus importante si les lecteurs de la Revue veulent bien se rappeler que le texte cité se trouve, et de beaucoup, le plus saillant de ceux par lesquels M. le Dr Rouby essaie de mettre en évidence les graves hallucinations, qui caractérisent les accès de manie aiguë'. On ne voit vraiment rien là qui rappelle sinon de très loin les symptômes décrits dans le n° d'octobre p. 118 « Enfin lorsque survient la manie aiguë; lorsque se produit le bruit d'une foule poussant des clameurs, ou le fracas de deux armées se heurtant avec des bruits d'armes terribles ou le chœur
immense de démons et d'esprits infernaux criant: « Il est perdu, il périra dans les flammes de l'enfer! » Alors, les malades frappés d'épouvante, poussent des cris affreux et montrent par leurs actes désordonnés à quel degré de terreur et de désespoir, ils sont parvenus. Nous verrons plus loin en racontant la vie de Marie Alacoque se dérouler ces divers degrés d'hallucinations de l'ouïe ». La religieuse au contraire nous apparaît calme, maîtresse d'elle-même, n'appréhendant aucunement toutes les puissances de l'enfer tant au fond de son âme elle éprouve de force confiante.
Et à propos de la gradation qu'il essaie d'établir dans les faits dont il s'occupe. M. le Dr Rouby voudra bien m'excuser de lui dire qu'il ne semble pas avoir assez étudié la chronologie de son sujet. Ce n'est pas un reproche, et j'avoue que la matière est très difficile à débrouiller Il y a pourtant des dates certaines; et elles suffisent pour détruire entièrement la théorie développée dans le numéro de novembre. Monsieur le Dr Rouby établit trois périodes successives et grandissantes d'hallucination : a A celte période de la maladie » (p. 152).... a Plus tard chez Marie-Alacoque nous entrons dans une période plus grave.... » (p. 154). « Mais nous allons maintenant avec les accès de manie aiguë, voir survenir une période plus grave...» (p. 157}. Plusieurs faits sont cités comme symptômes de ces périodes successives, faits qui d'après la théorie, doivent être aussi évidemment successifs. J'ai eu la curiosité de chercher les dates auxquelles ils avaient eu lieu. Voici le résultat que j'ai obtenu :
Première période : 1674, 1675, 1678, 1680, 1674, 1672.
Seconde période : 1673, 1674 ; il est impossible dans l'état actuel des recherches de fixer une date nu fait cité p. 155 (apparition du religieux bénédictin}.
Troisième période : 1673, 1673, 1677 (?)
Dès lors, période de la manie aiguë, c'est la troisième ; période du feu, " c'est la seconde ; période plus calme, c'est la première, sont contemporaines et non pas successives, puisque les manifestations qui témoignent de leur existence sont contemporaines; dès lors encore, si la théorie est exacte, et je l'admets bien volontiers elle ne s'applique pas au cas de Marguerite-Marie Alacoque, ou tout au moins les exemples cités ne le démontrent pas, et c'est tout ce que j'ai besoin de prouver pour avoir gain de cause.
M. le Dr Rouby fait remarquer (p. 155) que les livres pieux et les plaques de marbre « omettent à dessein de parler de la saignée, conseillée par Jésus comme rafraîchissement aux vives flammes de l'ardeur de la bienheureuse »• A dessein! voilà une bien grosse accusation. A quoi bon mettre en doute la bonne foi des gens. Cela est si facile, et cela prouve si peu à moins que la duplicité ne paraisse évidente. Voyons, sérieusement, les plaques de marbre doivent-elles sous peine d'être coupables reproduire intégralement un texte qui contient quarante-huit lignes bien comptées d'un volume in-8° ? Les livres de piété sont peut-
être moins excusables: pourtant il peut y avoir des circonstances atténuantes. L'important sans doute est que les historiens qui ont le devoir d'être complets n'omettent rien de capital; alors on aurait le droit de crier bien haut à la * mauvaise action ». Or je dois dire à M. le Dr Rouby que tous les historiens sérieux de Marguerite-Marie Alacoque, le P. Croiset, Mgr Languet, le P.de Galliffet au XVIIP siècle ; au XIX', Mgr Sougaud, le P. Daniel et Cucherat, ont parlé très longuement de la fameuse saignée. Je pourrais lui donner les références, mais il voudra bien me croire sur parole; enfin pour terminer ce petit procès, le récit dont nous parlons remplit les pages 379 et 380 du tome II de Vie et Œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque. Voilà qui suffira, j'espère.
Si j'avais entrepris de discuter à fond les articles de M. le Dr Rouby je devrais examiner sa méthode qui, à mon avis, laisse tant à désirer ; lui faire observer par exemple que pour donner à ses lecteurs une idée exacte de Marguerite-Marie Alacoque, il eût été aussi nécessaire que scientifique de ne pas choisir seulement les faits extraordinaires qui, après tout, ne constituent pas toute la trame de sa vie. Son autobiographie où sont prises toutes les citations ne présente, il ne faut pas l'oublier, qu'un recueil des grâces qu'elle croyait avoir reçues. C'est un simple compte de conscience rendu à son directeur. On y trouve bien le récit de sa vie surnaturelle mais non pas de sa vie au jourle jour. Or connaître l'une aide singulièrement à juger l'autre. Il ne semble pas indifférent, par exemple, de savoir qu'elle fut deux ans, maîtresse des novices, et quatre ans assistante de la communauté, c'est-à-dire la première après la supérieure celle qui la remplace dans son absence. Ces deux emplois nous disent assez qu'on ne la regarda pas « comme une aliénée durant tout le temps de son séjour au couvent, c'est-à-dire jusqu'à sa mort », (p. 155) : ils montrent au contraire et l'estime que ses sœurs faisaient d'elle, et le bon sens pratique qu'elles lui avaient reconnu. Mais pour exposer dans une pleine lumière tous les faits utiles à la parfaite connaissance du procès, ce ne sont pas quelques pages, c'est un volume qu'il faudrait écrire. La vérité est complexe comme la vie et pour en approcher, je ne dis pas pour l'atteindre, toujours il faut examiner toutes les faces d'un sujet, le disséquer comme un botaniste sa plante.
* * •
Je ne me suis occupé jusqu'ici que de l'article paru dans le numéro de novembre ; je termine par quelques remarques sur les numéros de décembre et de janvier. Dans le premier M. le Dr Rouby s'occupe longuement d'une guérison racontée par Mgr Languct, évêque de Soissons et non d'Arras) ; il intitule cette troisième partie de son travail : La chemise miraculeuse de Marie Alacoque (p. 182J. Il y a comme deux temps dans le miracle, deux guérisons successives, obtenues, selon M. le Dr Rouby, par suggestion: il faudrait trop de temps pour discuter complètement la première. Cela exigerait d'abord une reproduction
intégrale du texte de Mgr Languet. Car vraiment le résumé de M. le Dr Rouby ne peut en tenir lieu ; bien des circonstances y manquent qui aideraient le lecteur à se faire une idée exacte de l'état d'esprit de la malade. Je ne crois pas en outre qu'il donne une idée suffisante du témoignage des médecins quand il écrit : « Pour attester la vérité du miracle, outre le témoignage de deux religieuses, Mgr d'Arras (?) cite la déposition de deux médecins et de deux chirurgiens qui avaient traité la malade et qui certainement étaient de bonne foi en affirmant le fait; mais ils avaient de la répugnance à le croire, et leur déclaration se ressent de cette disposition d'esprit; ils certifient les faits sans conclure au miracle » (p. 186). Voici ce qu'a écrit Mgr Languet: « Ils réfléchirent, ils examinèrent, ils tàtèrent les membres perclus et guéris, ils questionnèrent, ils consultèrent entre eux; mais enfin cédant à l'évidence de la vérité, ils convinrent de ce qu'ils ne pouvaient croire et avouèrent que Dieu seul avait pu opérer une guérison si étonnante, si subite et si complète. Ils furent tous quatre du nombre des témoins qui déposèrent six mois après dans l'information.
Ils avaient eu le loisir de réfléchir sur ce prodige, et d'écouter tout ce que pouvait suggérer l'incrédulité naturelle à l'homme et ordinairement plus éclairée dans les gens de cette profession. Cependant ils ont avoué que le doigt de Dieu était visiblement dans celte guérison ; qu'elle n'avait rien d'humain ou de naturel. « Je ne doute nullement que ce ne soit un miracle », dit dans sa déposition le sieur Billet, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, « Je suis prêt de l'attester, quoique j'aie naturellement de la répugnance à en croire » (1).
On me permettra après cette citation de ne pas insister sur la première guérison. Voici le récit de la seconde : « Cependant la faiblesse et la raideur du genoux subsistaient encore, et ce reste d'infirmité était réservé pour contribuer à la gloire de la dévotion que la vénérable mère Marguerite avait prêché. Sœur Claude-Angélique s'adressa au Cœur de Jésus-Christ, et elle pria un ecclésiastique de la ville, de dire cinq messes à l'honneur du cœur de Notre-Seigneur et des cinq plaies que son amour pour nous lui a fait souffrir sur la croix. Le prêtre le promit, et puis il négligea plusieurs jours d'acquitter sa promesse. Ce ne fut qu'au bout d'une quinzaine qu'il se souvint de célébrer les demandes et il commença à les acquitter de suite. Sœur Claude-Angélique, qui ne savait rien de sa négligence, se trouva tout à coup délivrée de cette faiblesse. Elle s'informa alors si les messes qu'elle avait demandées avaient été dites. Elle apprit non sans étonnement, que c'était dès le jour que la première des cinq messes avait été célébrée qu'elle avait été soulagée... » (La Vie de la vénérable Mère Marguerite-Marie, p. 480.)
J'avoue ne pas voir dans ce récit le rôle de la suggestion.
(1)LaViede la Vénérable Mère Marguerite-Marie, par Mgr Jean-Joseph Languet. Paris, Poussielgue, p. 478, 479. Cette édition reproduit exactement l'édition princeps de 1729; elle est plus facile à trouver, voilà pourquoi je me permets d'y renvoyer le lecteur.
D'ailleurs le jour où M. le Dr Rouby aura scientifiquement démontré que dans les faits allégués il n'y a pas de miracle, ni la dévotion au Sacré-Cœur, ni la sainteté de Marguerite-Marie Alacoque ne seront atteintes, comme il a l'air de le croire. La dévotion au Sacré-Cœur, est établie sur le dogme catholique et non pas sur des miracles; la Sainteté de Marguerite-Marie Alacoque est établie à la fois sur sa vie et sur des miracles; mais voici les trois qui ont été examinés lors de sa béatification en 1864: 1° Guérison instantanée et parfaite d'un anévrisme au cœur ; 2° Guérison instantanée et parfaite d'un cancer interne à l'estomac; 3° Guérison instantanée et parfaite d'une phtisie pulmonaire tuberculeuse, incurable.
On le voit donc assez, ce n'est pas pour défendre une thèse, mais par simple respect de la vérité historique que je me suis permis de relever quelques-unes des inexactitudes qui se sont glissées dans la troisième partie de M. le Dr Rouby : La chemise miraculeuse de Marie Alacoque; quand il aura prouvé que la guérison de sœur Claude-Angélique, n'a rien que de très naturel, l'heure n'aura pas sonné de détruire la basilique de Montmartre.
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* a
Dans le numéro de janvier, M. le Dr Rouby affirme que les différentes manifestations du Sacré-Cœur, furent, au XVII* siècle, « le reflet des livres de dévotion de l'époque, » et que les hallucinations de la sœur Anne-Marguerite Clément « furent le parfait modèle de celle du Sacré Cœur » (p. 218). De la première affirmation il ne donne aucune preuve. Nous n'avons donc pas à nous en occuper. Voici comment il établit la seconde: « II est probable que Marie Alacoque avait lu la relation de sœur Clément conservée dans la Bibliothèque du couvent » (p. 218). Il y a deux parties dans cette affirmation : 1° La relation de sœur Clément était conservée dans la biliothèque de Paray ; 2° Il est probable que Marie Alacoque a pu la lire. Elle l'a lue en effet; les religieuses contemporaines l'affirment (Vie et Œuvres, t. I, p. 257); elle-même semble l'insinuer dans une lettre au P. Croiset qui est du 15 septembre 1689. Mais la vie de sœur Clément ne fut imprimée qu'en 1686 (1), or toutes les révélations importantes faites à Marguerite-Marie Alacoque touchant le culte du Sacré Cœur précèdent cette date; nous en avons des preuves évidentes. L'influence de la vie imprimée fut donc impossible. Reste l'influence possible d'une relation manuscrite qui aurait été conservée dans la bibliothèque du couvent. A Paray-le-Monial on n'en sait rien ; j'ai écrit à Annecy pour demander s'il existait encore quelque circulaire manuscrite ou imprimée antérieure à 1686, d'oùlon pût conclure que les révélations faites à la sœur Clément avaient pénétré dans les différents couvents de la Visitation, et spécialement à Paray avant 1673, date
(1) La Vie delà Vénérable Mère Anne-Marguerite Clément, première supérieure du monastère de la Visitation de Ste-Marie de Melun, à Paris, chez Jean-Baptiste Cognard, imprimeur et libraire ordinaire du Roy, rue St-Jacques, à la Bible d'Or, M. DC. LXXXVI. (B. N. L. 27/n 4397).
des premières apparitions. Quelques circulaires, me répond-on —je les connaissais déjà, les ayant trouvées à la Bibliothèque Nationale — qui font mention de la sœur Clément et de sa sainteté ; on y dit d'une façon générale qu'elle a eu des révélations, c'est tout. Des documents nouveaux peuvent être découverts, mais aujourd'hui sur ce point de détail on ne peut scientifiquement écrire que ceci : Il n'est pas probable qu'avant 1686 MargueriteMarie-Alacoque ait connu les révélationsde la sœur Clément.
M. le Dr Rouby, et je me plais à le reconnaître, n'établit pas sur cette seule probabilité l'influence de la sœur Clément sur la sœur Alacoque: il compare quelques-unes de leurs révélations, et de cette similitude qui, je dois le dire, est loin de me paraître évidente, il conclut que l'une a copié l'autre. Il me permettra de lui dire que la question est ici moins simple qu'il ne le suppose. Dans les révélations de Paray il y a probablement une part de souvenirs personnels. Mais qui pourra la détermi-ner d'une façon évidente? Cette question me préoccupe depuis longtemps, et si M. le Dr Rouby, par des renseignements précis, peut aider mes recherches, je lui en serai bien reconnaissant. Voici, à ce jour, quelles sont mes conclusions : « La part d'imitation chez Marguerite-Marie Alacoque est excessivement petite et négligeable». Sans doute on trouve avant elle et bien souvent dans la vie des Saints les flammes, les flèches, les blessures, l'échange des Cœur même, mais l'originalité des révélations de la voyante de Paray ne se trouve pas là. Ce qui la dislingue de toutes les autres, et dont à ma connaissance on ne rencontre pas de traces avant elle, peut se résumer ainsi : Notre Seigneur veutqu'on rende un culte à son cœur de chair; il veut qu'une fête soit établie en son honneur; il fait des promesses admirables à ses adorateurs. Voilà ce qui constitue l'essence de la mission de Marguerite-Marie Alacoque: ce qu'il ne faut jamais perdre de vue quand on recherche si elle a eu des prédécesseurs. Si à cette lumière on étudie ses différentes révélations, on n'osera pas écrire avec M. le Dr Rouby « que Marie Alacoque n'a rien inventé et que son cerveau malade n'a fait que reproduire en hallucination ce qu'elle avait lu dans les livres de dévotion de son siècle, et ce qu'elle avait appris des saintes conversations des religieuses ses prédécesseurs avec le divin Jésus » (1) (p. 219). Cela n'est pas exact.
On me permettra de me résumer ainsi :
1o Des citations de M. le Dr Rouby il serait téméraire de conclure quelque chose. On a pu se rendre compte de la valeur de celles que j'ai examinées. Bien que certaines parmi les autres soient à peu près exactes, pas une seule ne l'est entièrement, et plusieurs sont dénaturées pardes suppressions dans le texte ; elles ne peuvent donc convaincre ni « les médecins aliénistes, ni ceux qui ont étudié les maladies nerveuses, ni le public qui lit et comprend, > Sans mettre en cause sa bonne foi qui est hors d'atteinte ; il me sera pourtant permis de regretter
(1) Je ne voudrais pas paraître trop pointilleux, mais cependant sur quoi M. le Dr Rouby peut-il bien se fonder pour parler des choses apprises dans les « Conversation des religieuses ses prédécesseurs?
que M. le Dr Rouby n'ait pas apporté plus de soin à vérifier ses textes.
2° L'ordre chronologique des faits cités pour établir les trois séries ascendantes d'hallucinations n'est pas exact ; il ne prouve donc rien.
3° La dévotion au Sacré-Cœur n'est aucunement liée au récit intitulé : La chemise miraculeuse de Marie Alacoque. Ce récit d'ailleurs est fort incomplet, et le résumé fait par M. le D' Rouby ne saurait tenir lieu de la narration de Mgr Languet, qu'il dénature parfois complètement.
4° Sur les trois points essentiels de sa mission. Marguerite-Marie Alacoque n'a pas eu de prédécesseur. Il est certain que dans plusieurs de ses visions on rencontre des idées et des descriptions qui offrent des similitudes avec les visions antérieures de saints ou de saintes : mais dans le cas allégué par M. le Dr Rouby il faudrait dire, si l'on s'en tient aux données historiques, que Marguerite Marie-AIacoque n'a du connaître les visions de la sœur Clément qu'en 1686- C'est-à-dire treize ans après que le Sacré Cœur se fut manifesté à elle pour la première fois.
Un dernier mot. Je ne veux pas discuter les considérations philoso-phico-théologiques de M. le Dr Rouby ; non pas certes que je les admette, mais j'ai choisi le terrain indiscutable des faits et je m'y suis tenu.
Il me reste à remercier M. le Dr Bérillon de la bienveillante hospitalité qu'il m'a donnée dans sa Révue, et de la largeur d'esprit avec laquelle il a bien voulu m'autoriser à mettre sous les yeux de ses lecteurs quelques-unes des pièces du procès. Tout le monde a intérêt à ce que la vérité débarrassée de ses voiles apparaisse dans son limpide et rayonnant éclat.
(Nous publierons dans notre prochain numéro la réponse de M. le Dr Rouby.)
COURS ET CONFÉRENCES
Mutisme hystérique sans agraphie (1)
par M. le professeur Raymond.
Cet homme entend et comprend ce qu'on lui dit, mais il lui est impossible de prononcer les mots les plus simples ou môme d'articuler une seule syllabe ; il n'a ni surdité, ni cécité verbales ; il a perdu la faculté de s'exprimer ; il lui manque la parole. Il peut chanter ou plutôt fredonner un peu, par exemple la Marseillaise, mais seulement l'air et non pas les paroles. Il ne présente aucun trouble de l'écriture.
Il tire très bien la langue dans tous les sens ; quand il souffle ou siffle, la musculature de la moitié droite du visage laisse un peu à désirer : à droite, en effet, le sillon naso-labial est moins prononcé, la commissure labiale abaissée et le front offre des rides. A gauche tout est normal. Il y a donc un certain degré de parésie faciale droite. En outre, la langue
(1) Présentation de malade faite à"la clinique des maladies nerveuses à la Salpê-trière.
est grosse, augmentée en volume et en surface ; elle présente de plus quelques ulcérations.
Notre homme est malade depuis huit jours; le matin, après le petit déjeuner, brusquement, sans émotion, il a perdu la parole. La veille, il avait beaucoup dansé, beaucoup bu de Champagne et n'était rentré se coucher qu'à une heure fort matinale.
Comme la langue est grosse et présente des semblants d'ulcérations, on peut penser à la syphilis ; à la faveur de négligence dans le traitement, de surmenage et d'excès alcooliques, ilapu se faireune artérite syphilitique dans la troisième circonvolution frontale gauche; d'où la perte de la parole. Celte explication a l'airde se tenir; l'accepter serait une grosse erreur de diagnostic, car la syphilis n'est pour rien dans ce cas ; il ne s'agit ni d'hémorrhagie, ni de ramollissement, ni d'artérite, ni d'aucun accident organique.
II n'existe pas de trouble sensitif ou moteur, pas même d'hypoesthésie ou de rétrécissement du champ visuel ; le larynx n'offre rien de particulier ; tous les organes phonateurs sont en bon état. Quant à la parésie du facial inférieur, c'est une fausse parésie ; si l'on prend à pleine main les muscles de fa commissure labiale droite, on y constate de la contracture ; d'ailleurs celle-ci disparait dans les mouvements qu'il fait automatiquement.
C'est de mutisme hystérique sans agraphie qu'il s'agit ici. Notre homme a seulement perdu le souvenir des images motrices d'articulation ; s'il le faut on l'hypnotisera et on le guérira très facilement (1).
REVUE DES LIVRES
L'image mentale, par le Dr Jean Philippe (2).
Ce livre est une étude de nos images mentales considérées non comme des souvenirs ou des inventions, mais comme des représentations, des images au sens primitif du mot.
Le premier chapitre est consacré à l'analyse de la simple image représentative, des éléments qui la composent et du rapport entre eux de ces éléments; dans un second chapitre, le Dr Philippe étudie comment ces éléments, en tant que résidus des perceptions qui ont donné naissance à l'image, tendent à diminuer pour réduire le nombre de nos images mentales des objets de chaque groupe à mesure que l'expérience quotidienne augmente le nombre des représentations qui leur correspondent. Enfin le dernier chapitre est consacré à suivre l'évolution de quelques représentations qui se modifient et évoluent vers
(1) Ce malade a été guéri au bout do quinze jours par la rééducation de la parole.
(2) 1 vol. in-16 avec gravures, de la Bibliothèque de Philosophie contemporaine, 2 fr. 50. Félix Aie :., édteur
un type déterminé à mesure que se modifie leur ambiance mentale.— Chacun de ces chapitre est suivi de quelques-unes des observations sur lesquelles l'auteur s'est appuyé pour ses recherches documents donnés in extenso pour servir de référence constante au texte de l'ouvrage.
Cette étude dégage, par l'observation interne et l'expérience, un ensemble de faits suffisants pour bien mettre en lumière la mobilité vivante de nos images. Et comme elles sont, par cette mobilité même une des multiples expressions de la vie de l'esprit (l'une des plus faciles à étudier et à prendre sur le vif), on trouvera là un bon exemple de ce que le Dr Philippe appelle avec raison la véritable physiologie de l'esprit. On se borne trop, même aujourd'hui, à étudier nos fonctions mentales au repos : le philosophe, le médecin, l'éducateur, doivent s'efforcer de saisir l'esprit en pleine activité s'ils veulent en comprendre la vie, les fonctions et les maladies et surprendre les secrets de sa croissance et de ses énergies.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie tiendra sa prochaine séance mensuelle le mardi 19 mai 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites :
1. Dr Henry Lemesle : Une stigmatisée contemporaine : Sœur Bour-guillion.
2. M. PodiAPOlskI (de Sara tow) : Hérédité influencée.
3. Dr LeprincE (de Bourges) : La thérapeutique suggestive en ophtalmologie.
4. M. Lépinay, médecin-vétérinaire : L'hypnotisme chez le cheval.
5. Dr Paul MAGNin et Bérillon : Rôle de la suggestion dans la psychologie de sentiments affectifs.
6. Dr Binet-Sanglé : Relation de la religiosité avec les signes de dégénérescence.
7. M. Valentino : Le secret médical envisagé au point de vue psychologique.
Avis Important : La séance annuelle aura lieu le mardi 17 juin. Elle sera suivie d'un banquet. Envoyer les titres des communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout.
Un cas d'hypnotisme fortuit
A Reims, récemment, on jouait le Petit Chaperon-Rouge, pièce dans laquelle se trouvait un rôle d'hypnotiseur. Bien entendu la scène d'hypno-tisme était simulée et l'actrice chargée de jouer le rôle du sujet hypno-
tise n'avait d'hypnotisée que l'apparence. Soudain, on s'aperçut qu'une choriste, Mlle Marie Chàtel. âgé de 10 ans, était tombée spontanément dans un profond sommeil hypnotique. L'hypnotiseur avait opéré sans le vouloir. Le médecin de service chercha vainement pendant plusieurs heures à tirer la jeune fille du sommeil hypnotique; c'est à quatre heures du matin seulement qu'elle s'éveilla.
Ce cas d'hypnotisme fortuit démontre au plus haut point l'influence que l'imitation peut jouer dans la production des états hypnotiques. Il est probable que le médecin du théâtre était peu familiarisé avec l'hypnotisme. Cela expliquerait la difficulté qu'il a éprouvée à réveiller le sujet.
NOUVELLES
Cours d'hypnotisme a l'Ecole pratique de la Faculté de médecine de Paris. — Le Dr Bérillon commencera, le lundi 11 mai 1903, à cinq heures, à l'Ecole pratique de la faculté de médecine, amphithéâtre Cruveilhier, un cours libre sur le sujet suivant : Psychologie normale et pathologique. Les applications médicales de l'hypnotisme.
Il continuera ce cours les lundis et vendredis à cinq heures.
programme du cours
Psychologie clinique. — Hypnotisme thérapeutique.
Lundi 11 mai. — Introduction à l'étude de l'hypnotisme. — Le sommeil et les états analogues. — L'hypnose et le sommeil provoqué. — L'inhibition et la dynamogénie dans les états hypnotiques. — La théorie du neurone. — L'hypotaxie et l'idéoplastie de Durand de Gros. — Les états hypnoïdes.
Vendredi 15 mai. — La technique de l'hypnotisation. — Le diagnostic de la suggestibilité. — Proportion des hypnotisables. — Les procédés pour provoquer l'hypnose: L'action psychique et les agents physiques-.— Organisation et outillage d'une clinique de psychothérapie et d'hypnothérapie.
Lundi 18 mai. — Les principes de la psychothérapie. — Applications de la suggestion hypnotique à la thérapeutique générale. — L'auto-hypnolisation thérapeutique. — Névroses et psychoses suggérées. — Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué. — La méthode de Wetterstrand.
Vendredi 22 mai. — Les anesthésiques et les narcotiques envisagés comme adjuvants à l'hypnose. — Les artifices destinés à renforcer l'action thérapeutique : Le transfert ; les changements de personnalité ; les actions psycho-mécaniques, etc..
Lundi 25 mai. — Les névroses convulsives. — Rôle de l'éducation dansl'étiologie de l'hystérie.— Le traitement psychothérapique de l'hys-
térie. — L'hystérie mentale. — Action complémentaire de !a suggestion hypnotique dans le traitement de l'épilepsie.
Vendredi 29 mai. — Les névroses par épuisement nerveux. — La neurasthénie anxieuse. — Les obsessions et les phobies neurasthéniques. — Le traitement psychothérapique de la neurasthénie.
Lundi 1er juin. — Vacances de la Pentecôte.
Vendredi 5 juin.—Applications de la psychothérapie à la psychiatrie. — Les états hypocondriaques. — Les obsessions. — Les idées fixes. — Les aboulies. — Les impulsions irrésistibles. — Les paralysies psychiques. — Le traitement psychothérapique de la morphinomanie et de la dipsomanie.
Lundi 8 juin. — L'hypnotisme et l'orthopédie mentale. — Traitement de la kleptomanie, de l'onychophagie, des habitudes automatiques.— Applications de l'hypnotisme à la pédagogie. — La méthode médico-pédagogique (Seguin et Bourneville). — La méthode hypno-pédagogique (Bérillon).
Le cours sera complété par des démonstrations expérimentales, à l'Ecole de Psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts. Le programme en sera donné pendant les leçons.
Leçons pratiques d'hypnologie et de psychothérapie. —MM. les Drs Bérillon et Paul Farez se proposent de faire, dans le cours du mois de juin un cours pratique d'hypnologie et de psychothérapie. Ce cours sera complet en douze leçons. Il sera privé et ne comprendra qu'un nombre limité d'élèves.
On s'inscrit les jeudis, de 10 h. à midi, à l'Ecole de Psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Ouvrages reçus à la Revue
Bérillon et Paul Farez. —Comptes rendus du 2e Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique. In-8,320 pages avec 58 ligures. Vigot, éditeur, place de l'Ecole de Médecine, et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme, 14, rue Taitbout, Paris. Prix 10 francs.
Grasset. — L'hypnotisme et ta suggestion. In-12, 534 pages. Doin, éditeur, Paris 1903. 4 francs.
j. Philippe. — L'image mentale [évolution et dissolution}. In-12, 150 p. Alcan, Paris, 1903- 2fr. 50.
Frederic Myers.— Human personnality and is survival of bodily death. 2 vol. in-8. Longmans, green and C°, editors, 39, Paternoster Row. Londres, 1903.
Jules Bois. — Visions de l'Inde. Société d'édit. littéraires, 1903.3 fr. 50.
17e Année. — N° 12.
Juin 1903.
Le trac des chanteurs et son traitement paor la suggestion hypnotique (1),
par le Dr Berillon, professeur à l'Ecole de Psychologie.
Les préoccupations professionnelles jouent un rôle très frappant dans l'étiologie des manifestations psychiques de la neurasthénie. C'est un fait sur lequel nous avons maintes fois appelé l'attention, nous avons insisté, à plusieurs reprises, sur le caractère essentiellement professionnel que revêtent les états d'anxiété, les peurs morbides, désignés sous le nom générique de phobies. C'est surtout à l'occasion de l'accomplissement d'actes relatifs à l'exercice de leur profession que les malades voient apparaître les angoisses et les états d'anxiété dont l'intensité est telle qu'elle se traduit par une véritable paralysie fonctionnelle, s'accompagnant de troubles vaso-moteurs les plus variés.
Parmi les professions qui prédisposent à la neurasthénie, il faut citer en première ligne celles de musicien et d'artiste lyrique. Sans rechercher l'influence spéciale que peut exercer la pratique de l'art musical, nous nous bornerons aujourd'hui à constater que la plupart des musiciens sont atteints d'une irritabilité nerveuse qui les fait ranger dans la classe si nombreuse des névropathes.
Chez les artistes lyriques, la neurasthénie se complique fréquemment de l'anxiété survenant au moment d'entrer en scène. Tant que cette anxiété reste dans certaines limites et qu'elle ne détermine pas une véritable impotence fonctionnelle, elle constitue un ennui grave, mais ne peut être considérée comme
(l) Leçon faite a l'Ecole de Psychologie,
une névrose. Mais il arrive souvent que l'anxiété est telle qu'il en résulte une véritable paralysie motrice psychique. Les jambes chancellent, la peau se couvre de sueur, le visage blêmit, un tremblement général envahit l'organisme, et le chanteur perd la meilleure partie de ses moyens.
Le trac des acteurs atteint dans certaines circonstances de telles proportions que des artistes de grande valeur ont dû abandonner le théâtre, à cause des angoisses qu'ils éprouvaient régulièrement à la vue du public.
Plusieurs de ces artistes ont décrit de la façon la plus saisissante les souffrances morales auxquelles ils étaient astreints par le fait de leur trac. Pendant de longues années, la Falcon eut à lutter contre les angoisses les plus douloureuses et ne put se maintenir dans ses rôles que par des efforts considérables. Pour ne pas manquer son entrée en scène, elle devait s'y préparer pendant plusieurs heures à l'avance.
Chez le ténor Duprez, le trac atteignait de telles proportions, qu'il lui arrivait souvent d'uriner involontairement dans ses chausses. Le fait m'a été certifié par un de ses amis personnels.
La sensibilité d'Adolphe Nourrit, de l'Opéra, s'était tellement exaltée, que les moindres incidents de scène étaient interprétés par lui d'une façon presque délirante. Il vivait dans une inquiétude perpétuelle, se demandant toujours s'il aurait la force et le courage de chanter le soir. Il en était arrivé à un tel degré d'anxiété, que les applaudissements de toute une salle ne parvenaient pas à le rassurer. « On me trompe, disait-il ; je suis le jouet du public. » Son suicide, survenu à l'âge de trente-sept ans, fut la conséquence de cette émotivité professionnelle.
Nous avons entendu le ténor Sellier nous faire le récit impressionnant des souffrances que lui occasionnait le trac. Pendant vingt ans, il éprouva à l'idée de manquer son entrée en scène les anxiétés les plus douloureuses. « Cela ne m'est encore jamais arrivé, nous disait-il, mais je suis dans la situation d'un homme qui redoute toujours un accident. »
Nous pourrions multiplier les exemples analogues de trac professionnel chez les artistes lyriques. C'est surtout, il faut le reconnaître, chez les compositeurs, ainsi que chez les pianistes et les violonistes qu'il acquiert la plus grande intensité. Dans le Journal des Goncourt, on trouve une descrip* tion fort saisissante du trac que ressent le musicien Pugno. « il déclare avoir, à chaque concert qu'il donne, l'émotion anxieuse, maladive de son tout premier concert, avec la préoc
cupation d'empêchements apportés à son exécution — et jusqu'à la dernière note — par les palpitations de son cœur, les contractions nerveuses de ses avant-bras, la chaleur de la salle qui peut rendre les touches du piano humides, une raie du parquet, où peut glisser le pied de la chaise. Et après ces exécutions, la dépense d'émotion a été telle chez lui, qu'il est pris de crampes d'estomac atroces.
« Mais dans ses concerts de Londres, qui durent deux heures et où il est le seul exécutant, c'est surtout la préoccupation, à un moment, de la perte de la mémoire, et, comme il le dit, d'un trou tout noir, qui se fait dans le souvenir. »
Cette description correspond exactement aux sensations qui nous ont été révélées par deux pianistes célèbres, MM. D... et L..., que nous avons traités avec le plus grand succès par l'hypnotisme et la suggestion. Lorsque D..., en particulier, se trouvait dans une salle sur le point de jouer, il n'avait qu'une préoccupation, c'était de trouver une issue pour s'enfuir. Sa femme, qui connaissait ses intentions, se tenait en permanence devant la porte de sortie la plus proche afin d'empêcher son évasion.
A n'en pas douter, la phobie professionnelle des artistes, le trac, est une manifestation de neurasthénie psychique.
C'est une phobie et l'intensité de cette phobie est en rapport avec le degré de l'épuisement nerveux.
Chaque année, à l'approche des examens du Conservatoire, plusieurs élèves viennent nous demander le secours de la suggestion contre des phobies survenues inopinément sous l'influence d'un travail excessif.
Nous pouvons affirmer que plusieurs de nos artistes les plus connues n'ont dû leurs succès du Conservatoire qu'à l'intervention de l'hypnotisme. L'une d'elle s'était mise au lit, ayant pris la résolution de ne pas se rendre au concours. Sur les instances de sa famille, nous arrivâmes à la plonger dans l'état d'hypnotisme, et ce fut réellement sous l'influence d'une suggestion post-hypnotique qu'elle se leva automatiquement de son lit, et enleva son premier prix de chant, sans presque en avoir conscience.
Nous revendiquons l'honneur d'avoir le premier préconisé remploi d'un traitement méthodique pour le traitement du trac des acteurs. Dans notre communication, faite le 17 mai 1897 à la Société d'hypnologie et de psychologie, nous avons publié cinq observations qui démontraient nettement l'efficacité de
l'hypnotisme et de la suggestion dans le traitement de ces névroses professionnelles. Elles ont été publiées dans les journaux de médecine de l'époque (1), et nous les reproduisons à titre de document, car elles sont des plus caractéristiques.
Observation I
Trac des chanteurs.— Guérison complète par la suggestion hypnotique.
M. B..., âgé de 35 ans. baryton à l'Opéra-Comique, nous fut adressé par le Dr Saint-Hilaire. Il était atteint d'une forme particulière du trac des chanteurs. Il n'éprouvait l'angoisse qu'au moment où les rappels du public l'obligeaient à bisser le morceau qu'il venait de chanter. Il avait essentiellement, selon son expérience, le frac du bis. L'origine de sa phobie pouvait être attribuée aux recommandations d'un professeur de chant qui lui avait souvent signalé la difficulté d'exécuter avec la même maestria un morceau déjà applaudi par les auditeurs. Les anxiétés étaient telles qu'il s'était résolu à abandonner la carrière théâtrale. Quatre séances de suggestion faites dans l'état d'hypnotisme profond, l'ont complètement guéri de son anxiété. Il nous a écrit plusieurs lettres à des intervalles éloignés pour nous confirmer sa guérison.
Observation II
Trac des chanteurs. — Guérison par la suggestion dans les premiers
degrés de l'hypnose.
M1le X.., artiste de l'Opéra, âgée de 30ans, éprouvait depuis plusieurs mois, à la suite de fatigue et d'ennuis, des anxiétés extrêmement pénibles au moment d'entrer en scène. Elle fut sur le point de quitter le théâtre. Elle avait la plus grande peur de l'hypnotisme. Trois séances de suggestion dans un état d'hypnose très légère, ont amené la disparition de l'anxiété et lui ont permis de continuer l'exercice de son art.
Observation III
Trac des chanteurs. — Guérison par la suggestion dans l'hypnose légère.
Mme X..., de l'Opéra, éprouvait de l'anxiété paralysante seulementau début d'un des actes d'un opéra de Wagner dans lequel elle devait créer un rôle important. Elle craignait de ne pouvoir attaquer en mesure, et son anxiété augmentait à chaque répétition. La veille de la répétition générale, elle était dans un état de dépression des plus accentués et avait pris la résolution d'abandonner son rôle. Elle fut amenée malgré elle à mon cabinet de consultation, déclarant que rien n'était capable de modi-
(1) Médecine moderne et Revue médicale. Mai 1897.
fier son état. Une seule suggestion lui fut faite, clans l'hypnose légère. Le trac ne s'est plus reproduit dans cet opéra. Elle a conservé, lorsqu'elle chante, un état d'émotivité qui ne l'abandonne jamais, mais qu'elle distingue nettement de l'état du trac, qui paralyse ses moyens.
Ce qui l'avait le plus surprise, c'est que la guérison du trac avait pu être limitée, d'une façon très précise, pour le seul acte pour lequel elle l'avait demandée.
En effet, comme elle avait nettement exprimé le désir suivant : « Je ne souhaite que la guérison du trac que j'éprouve dans le troisième acte, pour les autres, cela m'est égal», nous avions limité notre suggestion à ce troisième acte.
Observation IV
Trac des chanteurs. — Guérison par la suggestion à l'état d'hypnose légère.
Mlle X..., élève du Conservatoire, à la veille du concours d'opéra, éprouvait des états d'anxiété qui s'accompagnaient de tics nerveux de la tête et du cou. Quelques séances de suggestion à l'état de veille lui permirent d'affronter les difficultés du concours dans des conditions très satisfaisantes. Elle put même conquérir une récompense que son état névropathique ne lui eût pas permis d'espérer.
Observation V
Trac chez un pianiste. — Guérison par la suggestion hypnotique.
M. X..., chanteur et pianiste, se plaint à la fois de trac et d'hyper-hydrose des mains survenant sous l'influence du trac. Il transpire tellement des mains qu'il mouille les touches du piano. Très hypnotisable, il a vu à la suite de quelques séances de suggestion dans l'état d'hypnose s'amender tous les troubles vaso-moteurs qui compliquaient ses états d'anxiété et les lui rendaient intolérables.
Nos études sur cette question, qui portent actuellement sur un nombre considérable d'observations, nous ont amené à la certitude que le seul traitement efficace du trac des acteurs c'est le traitement psychothérapique. Ce traitement consiste essentiellement dans l'application d'une méthode rigoureuse dont voici les temps principaux :
1° Provoquer l'état d'hypnotisme, c'est-à-dire un état physiologique caractérisé par la diminution des diverses activités de l'esprit, et par l'augmentation de l'automatisme psychologique.
2° Procéder par des suggestions d'ordre général à la rééducation de la volonté du malade et à la formation de son caractère.
3° Réaliser par des suggestions particulières la représentation mentale des conditions dans lesquelles se manifeste le trac.
4° Lorsque ces suggestions ont reproduit artificiellement l'état anxieux, neutraliser les images mentales génératrices de l'anxiété, et arriver à accoutumer l'esprit à les supporter sans émotion.
L'application systématique de ces procédés psychologiques, en y associant les médications indiquées par l'état général du sujet, amène des guérisons remarquables par leur durée.
L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION (1)
(suite)
II
L'hypnose ou état de suggestibilité
Par M. le Dr Grasset
professeur a l'Université de Montpellier
Tout à fait analogue à la nôtre est encore la conception de Mangin, d'après les travaux de Myers, quand il dit (1) : « l'hypnotisme est un nom pour un groupe de moyens empiriques, par lesquels nous pouvons arriver à prendre possession des facultés subliminales. »
De même, pour Magnin (2), « c'est l'état d'automatisme qui est caractéristique de l'hypnose ».
Crocq (3) cite une conception de Bernheim qui est bien encore dans le même ordre d'idées : « l'étage supérieur du cerveau, dit-il (j'appelle ainsi schématiquement la partie du cerveau dévolue aux facultés de contrôle), a une action modératrice sur l'étage inférieur (j'appelle ainsi la partie du cerveau dévolue aux facultés d'imagination, à l'automatisme cérébral)... Cette crédivité qui fait la suggestion, cet automatisme cérébral qui transforme l'idée en acte, sont modérés par les facultés supérieures du cerveau, l'attention, le jugement qui constituent le contrôle cérébral. » « La suggestibilité s'explique, d'après Bernheim, par l'exaltation de l'excitabilité réflexe idéomotrice, idéosensitive, idéosensorielle, qui fait instantanément la trans-
(1) Marcel Mangin. Le mécanisme de la suggestion d'après les travaux de M. F. Myers de Cambridge. Revue de l'hypnot., t. XVI, 1902, p. 261.
(2) Paul Magnin. Les rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie. Revue de l'hypnot., juillet 1901, p. 5.
(3) Crocq. Loc. cit., p. 92.
formation inconsciente, à l'insu de la volonté, de l'idée en mouvement, sensation ou image, par suite de l'inertie des centres modérateurs et du contrôle intellectuel. »
On remarquera d'abord que la suggestibilité, dans cette conception, n'est plus tout à fait de l'état normal, puisqu'il y a ici « inertie des centres modérateurs et du contrôle intellectuel », tandis qu'à l'état normal « l'étage supérieur du cerveau » c'est-à-dire notre O, a « une action modératrice sur l'étage inférieur », c'est-à-dire notre polygone.
Donc, trop compréhensive est la définition, combattue plus haut, de Bernheim : la suggestion est toute idée acceptée par le cerveau. Quand l'idée est acceptée par le cerveau avec persistance de l'activité « des centres modérateurs et du contrôle intellectuel », il n'y a pas suggestion; il y aura persuasion, enseignement, conseil, insinuation, ordre... mais il n'y aura pas suggestion, puisque, dans la suggestion, ilya« inertie» de ces mêmes « centres modérateurs et du contrôle intellectuel ».
Donc, et je m'en félicite, je n'étais pas si loin de m'entendre avec Bernheim, quand je combattais plus haut et voulais restreindre sa première définition trop compréhensive de la suggestion.
En second lieu, on voit que la conception analytique de la suggestion par Bernheim se rapproche sensiblement de la nôtre ; c'est bien l'automatisme cérébral (polygonal) émancipé de son O de contrôle et obéissant à O de l'hypnotiseur.
C'est la même idée que Crocq (1) exprime aussi quand il dit en son propre nom : « l'hypnose peut être considérée comme due à une annihilation plus ou moins accentuée du centre psychique supérieur volontaire et conscient... Nous croyons que le pouvoir de résistance aux suggestions appartient au centre psychique supérieur (2) et que, plus ce centre est paralysé, plus cette résistance est affaiblie. D'autre part, il semble logique d'admettre que l'impressionnabilité aux suggestions est avant tout une fonction des centres inférieurs, dont le centre psychique supérieur est chargé de modérer l'action... Tout tend à prouver que l'hypnose dépend d'une dissociation fonctionnelle des centres nerveux. »
Les objections les plus graves contre la conception de la
(1) Crocq. Loc. cit., p. 95.
(2) Pas exclusivement. Nous verrons qu'il peut y avoir aussi certaines résistances polygonales.
suggestion, telle que je l'ai adoptée, paraissent avoir été formulées par Wundt (1).
L'éminent psychophysiologiste expose la théorie de « la double conscience » qui, dit-il, « a été appliquée d:abord par H. Taine aux états hypnotiques et approfondie plus tard par Pierre Janet, Max Dessoir et d'autres... A. Moli, de son côté, l'a suivie jusqu'à un certain point, dans son travail estimé sur l'hypnotisme... L'hypnose ne serait que la reproduction expérimentale de cette double conscience normalement propre à l'âme humaine... »
D'abord, dit-il, cette théorie « est un exemple frappant de cette manière trompeuse d'expliquer les phénomènes, qui consiste à introduire un mot nouveau pour interpréter les choses et à considérer ensuite ces choses comme expliquées... Sans répondre, la théorie répond à tout, parce qu'elle ne consiste qu'à habiller les phénomènes de mots nouveaux... »
Le reproche est injuste. La théorie des deux étages des centres psychiques n'a pas la prétention d'expliquer le fond même des choses. Mais elle rapproche dans un même exposé un grand nombre de phénomènes importants. Elle diminue donc le nombre des problèmes obscurs et par là même elle constitue un progrès.
On m'a rudement reproché (2) de citer (3) « avec admiration » cette phrase de Barthez : « expliquer un phénomène se réduit toujours à faire voir que les faits qu'il présente se suivent dans un ordre analogue à l'ordre de succession d'autres faits qui sont plus familiers et qui, dès lors, semblent être plus connus. »
Je persiste à croire que c'est là un procédé courant et utile en science positive : rapprocher entre eux divers phénomènes jusque-là séparés et n'avoir plus qu'une explication à chercher au lieu de sept à huit.
Donc, sans donner l'explication définitive et complète, la théorie des doubles centres psychiques est utile, ce n'est pas une simple explication verbale, puisqu'elle s'applique au sommeil, à la distraction, à l'hystérie, à certaines lésions organiques comme à l'hypnotisme et qu'elle rapproche ainsi, dans un même chapitre, une série de questions, jusque-là éparses.
(1) Wundt. Hypnot. et suggestion, trad. Keller. Biblioth. de philos, contemp., 1893, p. 54 à 59.
(2) Le Dantec. Immatériel et inconnaissable. Revue blanche, mars 1902.
(3) Les Limites de la Biologie. Biblioth. de philos, contemp., 1902.
Encore moins justifiée me paraît l'accusation portée ensuite par Wundt que dans cette théorie on explique les choses « par un concept mystique inventé à cet effet. Car il est à peine besoin de dire que cette conception est mystique au même titre que ses congénères occultistes, la seconde vue et la lumière surnaturelle... » Je crois, au contraire, que non seulement il est nécessaire de le dire, mais qu'il serait même utile de le prouver.
« La superstition populaire, continue Wundt, des temps passés expliqua de même par les démons l'épilepsie, les maladies mentales et, à l'occasion, le rêve... » La théorie de la double conscience admet un « second moi » qui se révèle « sous la forme d'un mauvais démon ».
J'avoue que je ne comprends pas comment il y a du mysticisme à séparer les centres psychiques supérieurs et les centres psychiques inférieurs, comment la conception du polygone distinct de 0 nous ramène aux démons et à l'occultisme.
Il y a là certainement un malentendu de mots; car, un peu plus loin, Wundt (1) développe à son tour une théorie de la suggestion qui n'est pas tellement contradictoire à celle de la suggestion suspolygonale.
Dans l'hypnose, dit-il, il y a « arrêt de la volonté » et «arrêt de l'aperception », ou du moins, « compression de la vivacité normale de ces fonctions » : le libre arbitre et l'attention active ou libre. « Il me semble, ajoute-t-il, que ce qui nous fournirait l'explication la plus approchante, ce serait encore l'arrêt par innervation de cette région centrale qu'il nous est permis à titre d'hypothèse, de considérer comme le substratum des processus de l'aperception, c'est-à-dire du centre aperception-nel (Apperceptionscentrums)... De cette manière se développe cette vie psychique étroite et exclusive qui est le propre aussi bien du rêve normal que du rêve hypnotique... »
Je ne peux pas prolonger indéfiniment l'exposé critique de ces diverses opinions (2). Il me parait ressortir de cette discussion que notre conception de l'état de suggestibilité et de la suggestion ne m'est en rien personnelle. Non seulement c'est
(1) Wundt. Lqc. cit., p. 85, m et suiv.
(2) Comme Bernheim, PAULHAN (loc. cit., p. 30) entend par suggestion « tout ce qui. dans notre conduite, provient do l'influence d'autrui » Mais, cependant, un peu plus bas, il ajoute : « les rapports de la suggestion et de l'automatisme sont à peu près les mêmes que ceux de l'automatisme et de la volonté. Ceci se rapproche beaucoup de notre conception de la suggestion : la volonté de l'hypnotiseur se substituant a celle du sujet dans la direction de l'automatisme de ce dernier.
l'exposé et la synthèse, sur un schéma, des idées de Pierre Janet ; mais encore c'est la manière de voir, à peu près textuellement, de la plupart des auteurs contemporains sur la nature de l'hypnotisme.
Je résume, une dernière fois, cette théorie d'un seul mot : dans l'état de suggestibilité, le polygone est séparé de son centre 0, il garde son activité propre, mais il est très malléable et complètement à ta merci du centre 0 de l'hypnotiseur.
Appliquant cette notion, qui me parait bien établie, je vais essayer de montrer en quoi la suggestion se rapproche d'un certain nombre d'autres états, plus ou moins similaires, et ensuite en quoi elle se différencie de ces mêmes états ; en d'autres termes, je vais essayer de préciser, pour l'état de sug-gestibilité, les caractères de la famille et les caractères de l'espèce.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 17 février 1903. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Secrétaire Général donne lecture de la correspondance. Les communications inscrites à l'ordre du jour sont faites dans l'ordre suivant : M. Gillet : Le réve musical.
M. Bérillon : Aboulie motrice systématisée ; traitement par la suggestion hypnotique.
M. Demonchy : Psychologie de l'étudiant en médecine américain.
M. de Bourgade la Dardye: La psychologie du stomacal.— Discussion: M. Bérillon et Paul Magnin.
M. le Président met aux voix la candidature de M. le Dr Swoboda et de M. Gillet. Tous deux sont admis à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 40.
Psychologie de l'étudiant en médecine américain,
par M. le Dr L. Demonchy.
Les présentes notes ne sont pas des notes mortes; elles ne sont ni de seconde main, ni compulsées sur des documents. Prises au jour le jour; esquisses de la vie, des efforts et des espérances de l'étudiant, elles sont des notes vivantes.
Chacun pour soi et le dollar pour tous, dit aisément l'Américain; j'ajouterai: et l'effort en commun.
Oui. aux Etats-Unis, au point de vue social, comme au point de vue plus particulier de l'étudiant en médecine, l'effort est en commun. Communauté dans l'effort, jouissance individuelle du résultat, selon le mérite de chacun, voilà le socialisme de l'étudiant qui, instinctivement pratique, y trouve le maximum de confort pour le minimum de travail et d'argent.
Arrivé de la veille, il a déjà été entraîné au travail en commun. Il a passé quelque temps chez un docteur qualifié de précepteur, chez qui il s'est mis au courant de la carrière médicale. Peut-être n'a-t-il pas beaucoup travaillé? Il est plus vraisemblable qu'il n'a pas perdu son temps, car il a dû payer, et le Yankee n'est pas homme à donner son argent contre rien en échange.
Son premier essai, son premier effort est en commun, et il en sera toujours ainsi dans le cours de ses études.
L'Ecole l'aidera en lui indiquant les pensions de famille ou lés particuliers désireux de le loger ou de le nourrir. Lui-même, voulant vivre plus largement, choisira une grande et bonne chambre ;il la partagera avec un camarade d'Ecole, qui deviendra ainsi son compagnon de chambre et de lit. Il n'est pas rare en Amérique de demander, par voie d'annonce dans les journaux, un Room-mate, c'est-à-dire un compagnon de chambre et de lit. On ne se connaît pas; si on ne peut s'accorder on se quitte et tout est dit.
Déjà l'étudiant n'est plus seul, il travaille en commun, il lit ses notes de cours avec son compagnon; tous deux s'entr'aident mutuellement en s'interrogeant, en se prêtant leurs cahiers, les rectifiant, les complétant.
Voilà pour l'individu.
Pour les groupes, il en est de môme. Car à l'Ecole de Médecine les étudiants ne sont pas isolés, ils se réunissent par années et par groupes.
Ces groupes, ce sont les Sociétés d'étudiants : Associations de travail et d'intérêt commun, où l'on simplifie l'effort en le stimulant et en l'intéressant.
Ces Sociétés, dans lesquelles se répartissent les étudiants des différentes années d'étude, sont rivales entre elles et recherchent les meilleurs élèves.
La conséquence pratique saute aux yeux; les succès les plus nombreux aux examens attireront un plus grand nombre d'adhérents. Aussi, dès leur arrivée, les nouveaux venus sont sollicités par les anciens pour entrer dans leurs sociétés.
Ces sociétés ont des noms spéciaux tirés de l'alphabet grec : la Kappa, la Pi, la Rau, l'Alpha-Betha-Gamma, etc., etc.. Leurs insignes sont ces mêmes lettres portées à la boutonnière ou épinglées sur le gilet, sur la cravate, en or, ou même avec un diamant ; et c'est, dans ce dernier cas, un don de la Société à celui de ses membres qui a le plus brillé aux examens et aux concours.
L'organisation est sérieuse: Président, Trésorier, Secrétaire. Leur but est la préparation aux examens. Les membres doivent à tour de rôle répondre aux questions et poser des demandes sur des sujets médicaux tirés au sort. Chacun devient donc tour à tour professeur et élève. C'est un enseignement mutuel, c'est un bon exercice. En effet, celui qui a une question à traiter ne doit pas se laisser prendre en défaut ni se faire « coller » par ceux qu'il doit examiner, de même que ses camarades seraient honteux de ne pouvoir répondre aux questions posées. Le travail de l'année embrasse toutes les matières réclamées par l'examen de fin d'année. Les dernières réunions précédant les examens sont consacrées à une révision générale des questions d'examen.
Ces Sociétés, entièrement libres, ont accès auprès des autorités de l'Ecole, qui les reconnaissent, et les voient d'un œil bienveillant comme un trait d'union naturel entre les élèves et les professeurs. Elles sont même reconnues au point d'être le porte-parole des élèves. Les réclamations individuelles sont peu écoulées. Une plainte se produit-elle, le professeur passera outre, priant le plaignant de s'adresser à sa Société qui déléguera ses représentants pour examiner le cas avec les professeurs. L'élève est ainsi instruit à traiter des choses qui l'intéressent, avec ordre, avec fruit, et sans se départir d'une discipline rigoureuse qui le suivra plus tard dans la vie, surtout s'il aborde le terrain des revendications politiques. En un mot, pas de bruit, mais l'exercice d'un droit.
*
L'effort en commun ne s'arrête pas à l'individu et au groupe, il monte plus haut et atteint le professeur lui-même- Tous deux, professeur et élève, poursuivent le même but, le diplôme. L'élève veut arriver à l'obtenir, le professeur veut lui faciliter la tâche; un lien sérieux s'établit entre eux deux et s'affirme dans l'effort commun pour l'obtention du diplôme. Le collège médical, qui est une institution privée et libre, rayonnera au loin et attirera plus ou moins d'élèves selon qu'il formera plus ou moins de sujets capables.
Aussi les professeurs réunis en conseil d'administration chercheront-ils à rendre l'enseignement de la médecine essentiellement pratique. Ils y gagneront comme les élèves une double économie de temps et de travail.
Supprimer tout effort inutile, exiger tout l'effort nécessaire, rendre l'enseignement pratique et éviter le surmenage, tel est le desideratum du corps enseignant.
Les cours se succèdent d'heure en heure avec un intervalle de dix minutes de repos. Ils sont faits sans phrases, sans digressions inutiles; c'est Un enseignement net, solide; l'essentiel, mais tout l'essentiel.
Pas de cours sans tableau : la craie à la main le professeur démontre.
Pas de cours sans faire circuler dans la salle les éléments de démonstration des matières enseignées. Ainsi, pour l'anatomie, des mannequins tendus de toiles de diverses couleurs figurent les différents plans
des tissus, par exemple pour l'enseignement topographique des hernies.
Des foies, des poumons, des cerveaux, des reins étalés sur des plateaux passent de mains en mains, illustrant les maladies décrites parle professeur.
Pour les maladies nerveuses, les malades venus de leur hôpital sont amenés par groupes. Les élèves n'ont pas à se déplacer, pas de perte de temps.
Pour l'enseignement clinique, les malades, sans quitter leur lit, sont . voitures dans l'amphithéâtre. Les élèves appelés à tour de rôle, doivent faire le diagnostic et le défendre, car le professeur les interroge devant leurs camarades.
De même pour la thérapeutique; ils doivent alors indiquer le traitement et formuler; gare aux maladroits ou aux ignorants; ils sont la risée de tous.
Pour le diagnostic au lit du malade, les élèves sont emmenés par groupes dans les différents services par leur professeur qui choisit les malades selon les maladies qu'il traite dans son cours. Pas de cohue, pas de presse, pas de bousculade, pas d'immenses théories à la suite d'un maître connu, et d'autres services vides. Tout se passe en ordre et avec méthode. L'élève doit étudier, apprendre, savoir et démontrer son savoir.
Toute cette organisation n'est ni imposée, ni subie à regret, mais bien demandée par les élèves qui veulent en avoir pour la valeur de l'argent qu'ils donnent au collège. Ils exigent de leurs professeurs un enseignement qui leur facilite la besogne, les force à travailler et les fasse arriver. Les étudiants de dixième année sont inconnus. Qu'un candidat échoue à la fin de l'année, il doit recommencer l'année. Deux échecs successifs à l'examen final peuvent entraîner l'obligation de recommencer entièrement les études médicales. Pas de traînards. Pour l'honneur de l'Ecole, il n'en faut pas.
Tout professeur qui fait un cours doit examiner hebdomadairement les élèves sur le cours professé. Ces interrogations durent une heure, temps suffisant pour passer en revue la classe entière. Les questions sont nettes, brèves, souvent susceptibles d'un oui ou d'un non. Pas d'ambages, pas de circonlocutions, pas d'hésitations. Les demandes et les réponses se succèdent sans trêve, la mémoire est constamment en éveil et l'esprit tendu. Malheur à l'élève indécis; sur un signe du professeur la classe entière vocifère la réponse demandée. Des notes sont données; elles comptent aux examens. Chacun est connu, apprécié des professeurs, des camarades, en un mot coté. Peu de surprises aux examens qui sont à la fois écrits et oraux.
Les différents cours professés dans la semaine étant susceptibles d'être demandés sous forme d'interrogations, il s'ensuit que l'élève doit travailler, qu'il a peu de temps à lui et qu'il recherche les occasions d'être questionne afin de se remettre en mémoire ce qu'il a appris depuis longtemps. L'effort en commun est seul capable de donner des résultats
favorables. En fait, du moment où l'étudiant commence ses études médicales jusqu'au jour où il passe ses examens, il est soutenu, dirigé, conduit, en un mot il est entraîné: et les échecs sont rares.
L'Ecole de Médecine américaine forme donc un tout, une unité sociale, une sorte d'entraînement mutuel pour l'obtention du diplôme de docteur. Aussi le professeur Hermann Biggs de l'Ecole de Bellevue, disait-il à ses élèves, à l'ouverture de son cours : J'arrive d'Europe où j'ai visité les différentes Universités, et je puis vous affirmer que nulle part je n'ai rencontré d'aussi bonne organisation que celle dont vous jouissez ici !
Au point de vue américain, il avait sans doute raison. L'étudiant des Etats-Unis est en effet admirablement préparé pour un pareil entraînement. Autant que j'ai pu en juger, on s'adresse surtout à sa mémoire, plus qu'à son raisonnement. On ne procède pas par idées générales, on procède par faits, ce qui convient très bien au cerveau américain spécialement doué d'une très grande facilité à apprendre et à retenir. On donnera trente ou quarante pages de texte la veille, et le lendemain les jeunes gens répondront parfaitement.
Ils ont un cerveau neuf, nullement embarrassé de choses inutiles, meublé exclusivement de ce qui les intéresse, et rien ne les intéresse que leurs études ; le reste disparaît.
Mais cette fraîcheur, ce repos du cerveau, à quoi l'attribuer?
A plusieurs causes.
Beaucoup d'étudiants sont fils d'émigrants ou de fermiers.
L'émigrant et le fermier connaissent tous deux l'existence rude et laborieuse d'un travail acharné ; mais leur cerveau n'a pas l'occasion de se fatiguer. Peu de science, pas de recherches, pas de surmenage intellectuel, pas de diplômes à acquérir. En eux la race se repose, et les fils héritent d'un cerveau actif et vigoureux. *
L'école publique où souvent filles et garçons sont mélangés dans les classes leur offre dès le jeune âge l'émulation des sexes. Enfin, fidèle aux instincts de la race, l'enseignement donné est pratique : des faits ; on ne cherche pas à faire du cerveau de l'enfant un instrument d'induction et de déduction.
La mémoire est très entraînée et très développée.
Volonté. Il y a chez l'étudiant une très grande force de volonté, un désir ardent de parvenir. Ils ont choisi eux-mêmes leur carrière, librement, par goût et non pour se soustraire à certaines obligations. Aussi ils se soumettent sans hésitation et sans arrière-pensée au travail intensif qu'on exige d'eux. Leur volonté se souligne de bonne volonté.
Attention. L'étudiant américain est capable d'un grand effort d'attention, et d'un effort continu. Du reste les moyens d'entraînement employés sont très propres à encourager l'effort et à prévenir la fatigue.
L'émulation; et le désir de surpasser les camarades sont encore des aliments très puissants de la tension de l'effort.
Personnage. Leur personnalité est très marquée. Ils sont étudiants en médecine et ne veulent pas être autre chose. L'art, la littérature, ils ne s'en soucient guère, pour le moment du moins.
Caractère. Toutefois en quelques points, leur caractère est enfantin. Parfois, au milieu d'un cours, les élèves se mettent à suivre le rythme d'un orgue de Barbarie serinant dans la rue un refrain à la mode. Le professeur, bon enfant, s'arrête, puis après avoir souri un peu, ou même ajouté quelques mots plaisants, reprend son cours au milieu des applaudissements des élèves que cet instant de distraction a délassés.
Et il faut noter que les applaudissements se marquent par la cadence des pieds.
Mais pour celui qui ne se contente pas de son titre de docteur et qui veut devenir un savant réputé dans son art, le travail n'est pas terminé.
L'état psychique du stomacal.
par M. le Dr de Bourgade la Dardye.
Je n'ai pas l'intention de donner une description didactique des troubles qui torturent les malheureuses victimes des affections gastrointestinales.
Il me faudrait pour cela faire le tableau de presque toutes les hantises de l'humanité, le tube digestif régnant en maître sur les fonctions de nos autres organes.
« Il est comme la mer, a dit Hippocrate, il reçoit et il donne Et rien n'est plus vrai. Il reçoit les aliments avariés que notre civilisation lui fournit et il les rend aux autres organes imprégnés des multiples germes infectieux, d'où dérivent toutes les formes pathologiques.
Les vues générales de Broussais, de Beau, et de leur plus récent éditeur Bouchard, dominent en effet toute la médecine ; et, si nous exceptons pour une part restreinte les voies cutanées, pulmonaires et génitales et celle des organes des sens, le fleuve digestif reste, de toute évidence, le plus grand charrieur de germes de notre économie.
La description de l'état psychologique du stomacal reviendrait donc à faire défiler devant vous le tableau de presque tous les troubles psychiques de l'homme. Quelques-uns l'ont essayé, et les innombrables dissertations des traités qui ornent ou encombrent nos bibliothèques, suffisent amplement à vous édifier à cet égard. Pour ma part, je ne suis pas tenté par ces énumérations encyclopédiques qui ne soumettraient rien de nouveau, pas même de fa littérature, à notre attention. Je me bornerai à étudier quelques cas spéciaux, choisis parmi les trois mille observations de ma statistique. Ils me permettront, je l'espère, d'apporter quelques indications nouvelles dans le chaos des amplifications classiques.
Pour analyser avec quelque chance de succès les symptômes d'une
maladie, ¡1 est indispensable d'envisager un cas type à manifestations nettes, dans lequel la scène soit dominée par des caractères violemment tranchés.
Une fois que les grandes lignes du tableau sont tracées, les détails viennent facilement se grouper autour d'elles et il devient possible de les décrire méthodiquement.
Il nous faut donc, pour analyser la psychologie du stomacal, étudier autant que possible un de ces malades, à lésions digestives évidentes, et chez lequel les fonctions nerveuses aient subi un trouble si profond, que leur expression soit ou abolie ou fortement modifiée.
Un des malades auquel je donne en ce moment mes soins me semble répondre à tous ces desiderata.
Je le connais depuis plus de vingt ans. C'était un de mes camarades du quartier latin et bien que jusqu'au mois d'août dernier je ne fusse pas chargé de diriger sa santé, j'ai suivi on peut dire pas à pas toutes les phases de son évolution pathologique.
Arthritique depuis son enfance, il était le type si souvent décrit de l'eczémateux à crises d'asthme : chez lui les éruptions alternaient avec les suffocations et quand il n'étouffait pas il se grattait. Vigoureux, très intelligent, fort bien équilibré au point de vue mental, il occupa un poste apprécié dans une de nos grandes administrations et fut envoyé successivement au Tonkin en 1887 et plus tard en Algérie.
Au Tonkin, s'il eut le choléra, il ne gagna aucune tare spécifique. Marié à son retour, il eut une enfant bien constituée mais qui de son côté a des troubles gastro-intestinaux.
Il va sans dire que M. X. a depuis son enfance des. fermentations stomacales vicieuses. Il lui faut surveiller beaucoup ses aliments, ne pas prendre d'alcool, et, malgré les régimes variés auxquels l'ont successivement astreint ses médecins, il continue à mal digérer. — Ses éruptions et son asthme, les palpitations cardiaques qu'il présente, ses nombreuses manifestations arthritiques ne sont de toute évidence que la conséquence de son vice gastrique et de la mauvaise nutrition qui en résulte.
Les évacuations intestinales avaient toujours eu lieu régulièrement, lorsque brusquement, il y a vingt mois environ, la constipation se montra. Notez que jusqu'à ce moment aucun trouble nerveux n'avait fait son apparition, M. X. avait à ce moment 41 ans.
Un beau jour, deux mois après l'apparition de la constipation, M. X., qui était à la tête d'une importante industrie dans une ville de province, tomba tout à coup terrassé par une attaque épilepliforme violente, si violente que tous les sphincters s'étaient relâchés.
La première pensée des médecins qui furent appelés auprès de lui fut d'attribuer le mal à une syphilis ancienne. On institua le traitement et, loin d'être soulagé, M. X. vit ses crises se reproduire et peu à peu augmenter de fréquence. Venant d'abord tous les deux mois, elles apparurent mensuellement, et de février 1902 à juillet de la même année elles éclatèrent tous les quinze jours.
A ce moment, un des médecins qui le soignait, praticien distingué et professeur d'une de nos Ecoles de médecine, se décida à le mettre au régime lacté — avec du lait sain et à peu près stérile — Le résultat fut immédiat et la crise retardée d'un mois.
C'est à ce moment, en août dernier, que le malade vint me consulter.
Connaissant comme je les connaissais ses antécédents, j'examinai soigneusement son tube digestif et je constatai un encombrement intestinal important, un pylore gros et douloureux, une distension stomacale très forte avec gaz fluorescents au radioscope, un diaphragme immobilisé et une ptôse gastrique commençante. Le chimisme stomacal nous fit constater de l'hypochlorhydrie et je notai l'existence d'importantes fermentations vicieuses de la digestion.
Le diagnostic ne faisait plus aucun doute pour moi : nous avions affaire à des troubles nerveux d'origine toxique, et le traitement stomacal s'imposait.
Mais avant de l'instituer je désirai avoir le cœur net sur la question des lésions nerveuses possibles. Le malade fut méticuleusement examiné par Babinsky. Tous les réflexes étaient normaux; il ne fut relevé aucun trouble de la sensibilité, ni de la motilité. Nous recherchâmes soigneusement sans les trouver les traces d'une syphilis personnelle ou héréditaire et cet examen ne fit que confirmer pleinement mes prévisions.
Le lavage d'estomac fut pratiqué et le malade soumis au régime aseptique avec absorption de citron. L'amélioration fut immédiate et pendant quatre mois et demi aucune attaque épileptiforme ne se montra. Devant ce mieux évident. M. X. relâcha son régime; bien plus étant venu s'installer à Paris, il prit ses repas au restaurant pendant la période de son déménagement. Malgré mes objurgations il se mit a manger de tout et le résultat fut ce que je prévoyais. Le 12 janvier, dernier, deux jours après avoir absorbé un beefteck de fraîcheur douteuse, le malade eut une violente crise épileptique.
Par un hasard heureux, cette crise se produisit chez moi, pendant que nous étions en train de causer et je pus en suivre toutes les phases.
C'est là, Messieurs, que je vis se dérouler ce tableau dont je vous parlais tout à l'heure, tableau violent dont les lignes nettes et arrètées permettent de faire sortir de la masse confuse des détails, la succession des principaux troubles psychiques qui résultent d'une intoxication gastro-intestinale dûment confirmée.
Les particularités de l'attaque furent les suivantes :
Pas d'aura; pas de cri; convulsions toniques et ctoniques partielles atteignant tout le côté droit ; écume ; morsure de la langue ; perte absolue de connaissance. — Durée cinq minutes.
Réveil brusque. — Le malade qui avait glissé de son siège et était étendu sur le dos se relève et s'assied. Il regarde autour de lui ; mais au contraire de l'habitude de la grande épilepsie, la conscience ne lui revient pas. Il ne reconnait personne. Au bout de quelques secondes, il se lève en écartant brusquement les assistants et se met à marcher.
Je constate que tout le côté droit est très affaibli. Il plie ; le bras droit retombe le long du corps. Après avoir fait le tour de la pièce, le malade passe dans la chambre à côté, voit une table de nuit et s'y rend pour uriner. La conscience commence à revenir. — Après les mouvements automatiques de la marche, le besoin d'uriner est perçu et le malade exécute machinalement les gestes nécessaires pour le satisfaire. La miction s'exécute normalement et la promenade reprend malgré la faiblesse du côté droit qui persiste encore. Il aperçoit sa femme et la reconnaît. Il veut lui parler et bredouille. Enfin il parle :
— Je suis perdu, lui dit-il, puis, des mots sans suite.
I1 faut, bouteille, au Figaro, nous allons sortir avec les mains. II articule en regardant fixement sa femme. Il est évident qu'il veut exprimer une idée, mais qu'il ne peut: il a de l'aphasie d'abord par défaut de coordination des mouvements de la langue ; puis, lorsque celle-ci reprend sa motilité, par amnésie des mots.
Cela dure environ une minute. La promenade ne s'est pas interrompue et la marche s'est affermie. II donne des coups de poing sur les meubles et sur les murs, comme s'il voulait éprouver la liberté de ses muscles dont l'usage lui revient.
Maintenant il retrouve la mémoire des mots et parle librement. Mais l'amnésie des faits est totale.
— Où sommes-nous, dit-il?
— Chez le Docteur.
— Ah ! oui, le voilà.
— Mais pourquoi sommes-nous ici?
— Tu sais bien que nous sommes venus dîner chez lui.
— Ah ! vraiment ? Mais où cela ?
— A Enghien, chez lui.
— A Enghien ?...
— Oui ! à Enghien à côté de Paris.
— Que faisons-nous à Paris ?... Pourquoi ne sommes-nous pas chez nous à X....?
— Mais tu sais bien que nous avons quitté X...., que nous avons déménagé :
— Ah oui!... est-ce que nous sommes entrés dans le nouveau logement?
— Pas encore, nous sommes à l'hôtel, et tu vas rentrer dans l'administration.
— C'est vrai!.,, je n'y suis pas encore allé à l'administration?... Bref, c'est une rééducation qui se refait sous nos yeux, un retour de
la mémoire disparue, rapide, angoissant et peu à peu, avec l'éveil, le sentiment de la déchéance physique et morale qui torture.
Au bout de dix minutes, la crise était finie et le malade avait recouvré toutes ses facultés.
J'étais passionnément intéressé par la succession des phénomènes qui
venaient de se dérouler sous mes yeux et que je peux résumer de la façon suivante : par ordre chronologique.
Ictus; contractures, perte des mouvements et résolution générale; retour de la motilité avec hémiplégie droite (marche), retour de la sensibilité (miction) ; retour de la conscience ; aphasie par paralysie des muscles linguaux ; réveil des mouvements de la langue ; amnésie des mots; retour de la parole et persistance de l'amnésie des faits; récupération complète des facultés.
Quelles conclusions devons-nous tirer de ces faits?
La première, c'est que, dans le cas actuel, le territoire encéphalique atteint est celui qui se trouve en avant du sillon de Rolando dans l'hémisphère gauche.
Or, nous savons par les expériences de Vulpian (Académie des Sciences, 1885} qu'en congelant et en enlevant la substance grise corticale des régions du cerveau dites centres moteurs, on parvient à provoquer des attaques épileptiformes lorsqu'on faradise la substance blanche sous-jacente.
La concordance entre l'expérience et la clinique est donc parfaite.
Par quel mécanisme peut se produire l'excitation de cette zone cérébrale chez les stomacaux. On peut admettre qu'il est de deux ordres : 1° le passage dans le sang de certaines toxines do fermentation qui ont une action spéciale sur les neurones ; 2° une action réflexe d'origine sympathique. Brown-Séquard a, en effet, démontré qu'on provoquait l'épilepsie en sectionnant le sympathique abdominal. Cette section amène, au bout d'un certain temps, chez les animaux auxquels on la pratique, l'atrophie de la moitié correspondante de l'encéphale.
On sait quelle importance joue le grand sympathique dans l'innervation de l'estomac. Il se pourrait donc que, dans certains cas, la branche stomacale de ce nerf éprouve une excitation spéciale, sous l'influence des fermentations gastriques, et la transmette par action réflexe à la zone encéphalique indiquée.
La seconde conclusion à déduire du déroulement des symptômes de cette crise d'épilepsie gastrique est qu'après le réveil, on constate que la faculté la plus atteinte est la motilité. Le malade est dans un état de semi-hémiplégie.
Voilà un fait très instructif:
Le dyspeptique accuse toujours, en effet, une grande fatigue musculaire. Le matin, à son réveil, il est épuisé ; dans la journée, la moindre activité l'éreinte ; il est rebelle à la marche et la perspective de l'effort l'épouvante.
Nous pouvons maintenant nous expliquer la raison de cet état : Ses centres moteurs sont Atteints.
Avec ses caractères violents, et par cela môme analysables, cette observation peut nous servir de fil conducteur au milieu du fouillis inextricable des descriptions classiques. C'est ainsi qu'elle nous permet de tirer une troisième conclusion, et la plus importante :
Après la motiIité,la faculté la plus atteinte est la mémoire. Le sujet est en amnésie complète : amnésie des mots qui cède la première à cause de l'automatisme de la parole ; amnésie des faits qui ne se dissipe que peu à peu et par une sorte de rééducation.
Il arrive constamment que des stomacaux racontent que, brusquement réveillés pendant la nuit, ils ne savent plus où ils se trouvent et qu'il leur faut plusieurs minutes et un grand effort pour se reconnaître.
Bien des gens ont éprouvé ce phénomène bizarre simplement à la suite de cauchemars provoqués par une mauvaise digestion.
— Docteur! je perds la mémoire, nous confessent presque tous les stomacaux, je perds la mémoire et je n'ai plus d'énergie !
C'est le refrain perpétuel de ce genre de malades. Ils n'ont plus d'énergie, c'est-à-dire qu'ils n'ont plus de volonté. Ce sont des abouliques.
Et cet état se déduit le plus naturellement du monde de celui que nous venons d'analyser.
La volonté ne peut en effet se manifester qu'à la suite de l'exercice des comparaisons auxquelles la mémoire fournit les éléments.
Supprimez la mémoire, vous ne pouvez plus comparer, et par suite votre volonté n'a plus de point d'application.
Toute la psychologie des stomacaux est là. Ils sont abouliques.
Aussi nous avons souvent le plus grand ma! à obtenir d'eux qu'ils suivent un traitement continu. La régularité est presque impossible poureux. Ils se laissent influencer par le dernier qui leur parle et il faut parfois en arriver à les isoler pour les guérir.
Aussi, Messieurs, votre habileté de rééducateurs de la volonté peut-elle nous rendre les plus grands services dans le traitement des affections de l'estomac.
Et c'est par là que je veux finir : Les territoires pathologiques de la gastrologie et de la neurologie se touchent et se pénètrent. Les mêmes sujets nous appartiennent à tour de rôle ; il est bien rare qu'un nerveux ne fasse pas de digestions vicieuses et presque tous nos dyspeptiques ont les nerfs malades ou sont des candidats aux grandes névroses.
L'observation que je viens de vous communiquer en est une preuve frappante.
Dans ces conditions, on peut dire que nos moyens thérapeutiques se complètent. Dans beaucoup de cas, en rendant la volonté aux dyspeptiques vous nous permettrez de leur faire suivre un régime durable qui les guérira et nous, en faisant disparaître chez vos nerveux, la fabrications des toxines gastro-intestinales qui les infectent, nous vous aiderons, en en supprimant la source, à tarir les névroses.
DISCUSSIONS & POLÉMIQUES
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La folie hystérique de Marie Alacoque (1)
Réponse du Dr Rouby
Cher confrère et ami
La réponse à notre opuscule sur Marie Alacoque, par M. l'abbé Ha-mon, réponse que vous voulez bien nous communiquer, nous arrive dans un moment où tout notre temps est occupé à parfaire deux mémoires que nous devons lire au Congrès de Madrid, dans quelques jours par conséquent, mémoires concernant l'un, les miracles hystériques de Lourdes, l'autre l'Asclépieion d'Athènes, le Lourdes du temps de Péri-clès. Si nous en parlons d'avance, c'est dans le but de donner à M. Hamon le temps de tailler sa bonne plume pour nous réfuter.
Mais, comme dans notre travail sur la bienheureuse Marguerite-Marie, nous avons la prétention d'avoir recherché la vérité et de l'avoir toujours dite, bien que n'ayant pas aujourd'hui les documents pour une réponse complète, nous ne pouvons laisser vos lecteurs sous l'impression que nous avons voulu surprendre leur bonne foi.
Comment se fait-il que nos citations et celles de M. l'abbé Hamon ne concordent pas ? c'est que ne les ayant pas prises à la même source, les deux livres d'où elles émanent ne concordent pas eux-mêmes !
Mgr Languet avant d'être évêque de Soissons et archevêque d'Arras, avait été prêtre du diocèse d'Autun; il avait connu nous croyons, Marie Alacoque, et avait vécu au milieu des événements qu'il raconte; Il fit paraître, en 17*29, un ouvrage in 4» dans lequel est imprimé tout au long la copie exacte de l'autographe conservé au monastère de Paray-le-Mo-nial : c'est la vie de Marie Alacoque, avec plusieurs lettres et opuscules. Cet ouvrage est fort rare ; il n'existe pas à Alger, mais certainement on doit le trouver dans une des bibliothèques de Paris. C'est dans cet ouvrage que nous avons pris nos notes.
M. l'abbé Hamon a pris les siennes dans le livre intitulé : Vie et œu-vres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris, Poussielgue 1876, renfermant l'autographe imprimé également avec la plus scrupuleuse exactitude, nous dit-on.
Or ces deux scrupuleuses exactitudes ne concordent pas toujours, car si nous nous en referons aux notes prises dans la première édition et les textes tirés de la seconde, en beaucoup de points, si le sens est le même, ni les mots ni les phrases ne sont identiques. Nous aurions voulu
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, n° de janvier, février, mars, avril 1903
que M. l'abbé Hamon, puisque nous citions notre source, eût pris comme terme de comparaison l'œuvre de Mgr Languet; sa réfutation eût alors été inattaquable, et l'on ne pourrait accuser l'édition Poussielgue d'avoir imprimé une autobiographie, peut-être grattée et corrigée sur plus d'un point.
A la fin de cette année, paraîtra une seconde édition de notre travail sur Marie Alacoquc : ce sera un livre beaucoup plus complet que le petit opuscule paru; nous donnerons alors satisfaction aussi complète que possible à M. Hamon en citant largement les textes, des deux éditions, si la chose est nécessaire, bien qu'il nous semble qu'on doive s'attacher plutôt à l'esprit qu'à la lettre en ces matières.
On nous fait un reproche d'avoir souligné les phrases où est mis en relief l'état mental de Marie Alacoque ; nous sommes coupable de n'avoir pas averti le lecteur. Nous l'avouons, nous avons compté, à tort, parait-il, qu'il comprendrait seul sans explication, que ce n'était pas la Bienheureuse qui avait souligné elle-même les symptômes de sa folie.
Voyons d'autres reproches que nous fait M. l'Abbé : on nous accuse d'avoir écrit, « me fit entendre » lorsque dans le texte il est dit « me fit voir ». Il en résulte : 1° que s'il y a une hallucination, ce n:est pas une hallucination de l'ouïe ; 2° qu'il n'y a aucune espèce d'hallucination, le mot voir ayant le sens de comprendre. Or, il résultedu texte complet que M. l'Abbé se trompe ; qu'il y a hallucination et hallucination de l'ouïe, et qu'il suffisait de lire et de citer la phrase suivante pour en avoir la preuve : le mot voir, y est mis dans le sens d'entendre et non dans le sens de comprendre. Je cite : « Jésus-Christ me fit voir qu'il était le plus « beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et accompli de tous « les amants, il me reprochait que lui étant promise, depuis tant d'an-« nées, je pensais cependant à rompre avec lui pour prendre un autre « époux.»
C'est nous qui soulignons : Urne reprochait, ce n'est pas la Bienheureuse.
2° Page 152, après les mots : « j'entendais sa voix, nous avons omis la suite de la phrase : « beaucoup mieux que si c'eût été des sens corporels « par lesquels j'aurais pu me distraire pour m'en détourner. »
En effet, nous l'avons omise, et à dessein, cette phrase, mais non dans le but que suppose M. l'Abbé, celui de faire croire à une hallucination qui n'existait pas, mais pour ne pas donner des explications trop savantes sur certaines hallucinations dites psychiques, explications qui auraient compliqué un travail que nous voulions très simple. Depuis, dans la plaquette sur l'Hystérie de Sainte Thérèse parue dans les Archives de Neurologie (août-septembre, octobre 1902 et chez Alcan, boulevard St-Germain) nous traitons longuement de ces sortes d'hallucinations et nous allons reproduire ici le passage qui en traite, ce sera notre justification :
« Hallucinations psychiques de Ste Thérèse : « Avant de raconter les hallucinations véritables, nous devons donner quelques explications sur
les hallucinations incomplètes que la Sainte éprouva et sur ce qu'elle voulait dire par ces mots : a Voir avec les yeux de l'âme ».
« Comme j'étais un jour avec une personne d'un rang distingué, dont « j'avais fait depuis peu la connaissance, le Seigneur se présenta à moi a d'un air courroucé ; je ne l'aperçus que des yeux de l'âme, mais je le a vis plus clairement que je ne l'aurais fait des yeux du corps. »
Ce n'est pas, on le voit, une hallucination complète qu'éprouve Sainte Thérèse ; elle a bien soin de distinguer les yeux de l'âme de ceux du corps.
Que veut dire Thérèse, et quelle explication donner de ce fait ?
La première explication, c'est que, au début, les hallucinations étant très faibles, les malades se rendent compte de la non-réalité de leur sensation ; ils comprennent qu'ils ont entendu, qu'ils ont senti quelque chose d'irréel ; mais comme ils ont eu dans le cerveau une sensation, ils cherchent une expression pour dire ce qu'ils ont éprouvé et Thérèse appelle cela voir avec les yeux de l'âme, entendre avec les oreilles de l'âme ; nous pouvons ajouter sentir avec le tact de l'âme.
Peut-être pourrait-on donner une explication scientifique du fait.
Rappelons-nous le mécanisme d'une sensation, de la vision par exemple ; trois faits se produisent :
1° Impression sur la réline.
2° Transmission par le nerf optique.
3° Perception par l'encéphale.
On dit parfois qu'un fou est un homme ayant la tête à l'envers; on pourrait dire avec plus de raison qu'un fou est un homme ayant les sensations à l'envers.
Je m'explique :
Je suis, sain d'esprit, placé devant un tableau noir sur lequel un arbre est dessiné ; je le vois :
1° L'image de cet arbre se fait sur ma rétine.
2° Elle est transmise par le nerf optique à mon cerveau.
3° Mon cerveau la perçoit.-
Conséquence : Je vois un arbre dessiné sur le tableau.
Au contraire, je suis aliéné; sur le tableau noir, aucun dessin; tout à coup dans mon cerveau, par le fait de la maladie :
3° Se forme l'image d'un diable.
2° Cette image part du cerveau et suit le nerf optique.
1° Elle s'étale sur la rétine et je vois sur le tableau l'image non réelle du diable; Je suis halluciné. Dans ce cas, la vision a marché à l'envers de ce qu'elle fait normalement; le troisième temps s'est produit avant le deuxième et le deuxième avant le premier.
Or, pour expliquer le mot de Thérèse, voir avec les yeux de l'âme, disons que la vision formée dans le cerveau, l'image du diable, n'a pas continué sa marche à l'extérieur en traversant le nerf optique, en s'éta-lant sur la rétine et enfin en se projetant dans l'espace; non, cette image est restée dans les couches du cerveau où elle a pris naissance et le troi-
sième temps seul s'est produit ; pour Thérèse c'est voir avec les yeux de l'âme ; elle aurait pu aussi se servir de l'expression voir avec les yeux du cerveau.
De même qu'il y a des hallucinations de la vue incomplètes que les yeux de l'âme perçoivent, de même il y a des hallucinations incomplètes de l'ouïe, que les oreilles de l'âme perçoivent; le mécanisme de leur production est le même, le son remplaçant l'image, le nerf auditif le nerf optique, les couches auditives du cerveau les couches optiques.
Ce sont ces hallucinations que Baillarger décrit sous le nom d'hallucinations psychiques et le D' Séglas sous le nom de psycho-motrices; l'élément sensoriel, disent-ils, semble avoir disparu : ces malades entendent non la voix, mais la pensée, ils entendent des paroles dépourvues de son, il y a conversation d'âme à âme sans le secours de la parole ; nous décrirons tout à l'heure des hallucinations de cette nature entendues par Thérèse.
Enfin nous avons également, fait plus rare, l'hallucination incomplète du sens du tact, expliquée de la même façon, aussi conservons-nous pour ces sortes d'hallucinations la désignation de Baillarger, hallucinations psychiques, qui s'appliquent à toutes les hallucinations incomplètes. Cette désignation est meilleure que celle du D' Séglas qui ne peut s'appliquer qu'au sens de l'ouïe, sans tenir compte ni du sens de la vue, ni des autres sens. Ce serait mieux encore de les désigner sous le nom d'hallucinations cérébrales, qui désignerait nettement leur nature. »...
Hallucinations psychiques auditives de Ste Thérèse. Voici : « Un jour que j'étais restée longtemps en oraison, je fus surprise d'un ravissement si subit qu'il m'ôta presque la connaissance et j'entendis ces paroles: « Je ne veux plus que tu aies de conversations avec les hommes, tu n'en « auras plus qu'avec les anges ». Ces paroles sont fort distinctes; on ne les entend pas des oreilles du corps, mais on les distingue plus clairement que si elles lui venaient par l'entremise des sens « quand l'âme ne voudrait pas les entendre, elle ne pourrait s'y soustraire ; dans la société, quand on ne veut pas entendre ce qui s'y dit, on se bouche les oreilles ou on s'applique fortement à autre chose, mais pour ces sortes de paroles intérieures, bon gré, mal gré, Dieu, en vertu de son pouvoir suprême, se fait écouter... Si on voulait mentir à ce sujet on dirait qu'on les entend avec les oreilles du corps ; comme on croyait qu'on ne pouvait pas entendre autrement, j'ai éprouvé un grand chagrin de ce qui m'arrivait. »
Marie Alacoque, comme Ste Thérèse, avait des hallucinations psychiques auditives, c'est ce qu'elle exprime en disant qu'elle entendait. « beaucoup mieux que si c'eût été des sens corporels par lesquels j'aurais pu me distraire pour m'en détourner ».
Autre accusation : Le Dp Rouby dit. à tort, que Marie Alacoque avait des hallucinations du sens génital ; les textes ne le prouvent pas. Citons à notre tour les deux textes :
Edition de 1729
Cette divine présence imprima en moi un si profond anéantissement que je me sentis comme tombée dans l'abîme démon néant. Pénétrée de respect pour celte grandeur infinie, j'aurais toujours voulu demeurer prosternée devant elle la face contre terre ou à genoux, et c'est en effet la posture que je prenais toujours autant que mes occupations et ma faiblesse me le permettaient. Ce grand Dieu ne me laissait point de repos dans une situation moins respectueuse de sorte que je n'osais m'asseoir lorsque j'étais seule. Dieu, etc.
Edition POUSSIELGUE.
Cela imprima en moi un si profond anéantissement, que je me sentis d'abord comme tombée et anéantie dans l'abîme de mon néant d'où je n'ai pu sortir depuis par respect, et hommage à cette grandeur infinie devant laquelle j'aurais voulu toujours être la face prosternée Contre terre ou bien a genoux; ce que j'ai fait dépend autant que les ouvrages et ma faiblesse l'ont pu permettre car il ne me laissait point de repos dans une posture moins respectueuse et je n'osais m'asseoir que lorsque j'étais en la présence de quelqu'un pour la vue de mon indignité.
Pour nous et pour tous les médecins qui se sont occupés d'hystérie, ce texte veut dire que Marie Alacoque prenait une attaque avec perte de connaissance pendant laquelle elle avait une hallucination génitale. C'est un symptôme commun, je ne dis pas à tous les aliénés, je ne dis pas à tous les hystériques, mais à tous les aliénés-hystériques.
Sainte Thérèse ne se cache pas pour nous le dire :
« La joie est si grande, écrit-elle, qu'il semble parfois que l'âme est prête à sortir du corps. Ces grands transports d'amour durant lesquels Notre Seigneur s'unit à moi ne sont pas des actes de dévotion seulement, et les sens participent à cette union. Alors Notre Seigneur remplit les fonctions de jardinier sans laisser à faire aucun ouvrage, voulant seulement que le vrai jardinier se récrée à sentir les fleurs. »
Ailleurs ne nous dit-elle pas : « il me prenait des saillies si violentes « qu'il me semblait qu'on m'arrachait l'âme ; mais ces grands transports « d'amour ne sont pas de ces mouvements de dévotion qui prennent assez « souvent aux âmes pieuses, non, le tempérament peut se mêler à ces a mouvements et il est à craindre que les sens n'y aient une trop grande « part, »
Est-ce assez clair ? Si la grande Sainte Thérèse a eu de telles hallucinations génitales ; pourquoi la Bienheureuse Marguerite-Marie n'en aurait-elle pas été atteinte comme elle, avec la même maladie.
Lorsque Marie Alacoque écrit : « Ces divines caresses étaient si exces-« sives, qu'elles me mettaient souvent hors de moi-même, ce qui me « jetait dans une si grande confusion que je n'osais paraître » — et ailleurs : « Lorsque son souverain maitre redouble ses faveurs qu'elle est contrainte de lui demander de les suspendre ou d'étendre sa capacité pour les recevoir, d Lorsqu'elle raconte autre part, sinon à propos des ânes du moins, non loin de là : « qu'elle ne pouvait mettre d'empêchement à ces « sensations où il n'y avait rien de sa participation, » nous pouvons dire que Marie Alacoque avait de véritables hallucinations génitales.
Pourquoi repousser celles-ci du reste quand vous êtes forcé d'admettre ces repoussantes hallucinations du goût et de l'odorat où le texte irréfu-
table ne nous permet plus de discuter? Tristes hallucinations qui salissent tous les cultes du Sacré-Cœur ! Car vous n'oserez pas dire que ce fut par vertu que la pauvre Marguerite-Marie fit servir sa langue à l'usage que vous savez ? Quoi d'étonnant alors lorsque la Mère Supérieure et les Sœurs du couvent apprenaient cette façon de nettoyer les cuvettes et les vases, qu'elles se soient écriées en chœur : « Elle est folle, elle est tout à fait folle! » Vous-même, Monsieur l'Abbé, en lisant le passage, vous avez dit, « elle n'a pu le faire que dans un moment de folie ». Ayons pour la pauvre créature une pitié rétrospective profonde, si vous le voulez, mais, pour l'amour de Dieu, n'en faites pas un pilier de la Religion catholique !
Arrivons à un fait plus grave, dont vous avez bien eu tort de parler, M. Hamon, car il est accablant pour les membres du clergé qui s'en sont rendus coupables autrefois, et qui s'en rendent coupables tous les jours. — Il n'est pas loyal.
Il s'agit de la phrase sur la saignée que Jésus-Christ recommande comme rafraîchissement aux vives flammes de l'ardeur de Marie Ala-coque, phrase omise à dessein — nous le répétons — sur les plaques de marbre et dans les livres de dévotion.
M. l'Abbé nous dit : » Voyons, sérieusement, les plaques de marbre doivent-elles, sous peine d'être coupables, reproduire intégralement un texte qui contient quarante-huit lignes bien comptées d'un volume in-8°.
Nous répondons ; La phrase rafraîchissante termine le discours de l'apparition qui n'est pas complet sans cela; or les plaques de marbre qui reproduisent quarante-sept lignes, auraient pu en mettre une de plus, quarante-huit, sans agrandir beaucoup les dimensions du marbre. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait? Pourquoi ne le fait-on pas encore? C'est qu'un rire homérique éclaterait sous les voûtes des basiliques à la lecture de cette phrase grotesque mise dans la bouche de Dieu par la pauvre Marguerite-Marie. Cette phrase seule démolirait le culte du Sacré-Cœur, et aucun prêtre, aucun évêque, vous êtes de notre avis à ce sujet n'est-ce pas Monsieur l'Abbé, n'oserait jamais l'inscrire sur les murs de l'église de Montmartre.
J'admets que dans les sept livres cités par M. Hamon. on parle de la saignée rafraîchissante, mais on n'en parle pas dans les milliers de livres de piété vendus aux fidèles contenant la vie de Marie Alacoque : si bien qu'un grand nombre de prêtres mêmes n'ont connu la phrase extraordinaire qu'en lisant notre opuscule. Puisqu'il le faut, dans la prochaine édition, bien que la chose soit peu utile pour prouver les hallucinations de Marie Alacoque, nous décrirons la marche de la maladie hystérique en général, et chez notre sujet en particulier. — En ce moment le temps nous manque pour mener à bien ce chapitre. Il en sera de même pour l'influence du milieu.
Avant de terminer, je veux pourtant relever un point capital dans l'argumentation de M. l'abbé Hamon, celui-ci: Marie Alacoque a pu remplir les fonctions de maîtresse des novices pendant deux ans et être pendant, quatre ans, assistante de la communauté, c'est-à-dire la première après
la Supérieure, et pourtant erre réellement atteinte de folie hystérique. Chez Sainte Thérèse aussi, ses écrits, ses fondations, son administration n'apparaissent pas le fait d'une personne malade. Elle avait au contraire un esprit précis, pratique, épris de réalités nécessaires, m'écrit un de ses admirateurs. Tout cela est vrai ! C'est qu'en effet l'hystérie n'est pas une maladie ayant un commencement, un milieu, une fin, c'est une affection qui, lorsqu'elle s'est emparée d'un sujet, dure autant que le sujet lui-même, avec des intervalles d'accalmie qui durent des jours,.des semaines, des années ; pendant ces périodes qui ressemblent à la guérison, le malade jouit de toutes ses facultés sans atténuation d'aucune sorte ; en sorte qu'un hystérique devenu aliéné, au lieu de subir la déchéance morale des fous ordinaires, en se réveillant guéri, recouvre immédiatement toutes ses facultés intellectuelles les plus remarquables. C'est ainsi qu'il en advint pour Sainte Thérèse, et c'est ainsi qu'il en advint pour Marie Alacoque ; mais pour cette dernière il se trouve que c'est non dans sa période raisonnable qu'elle fonda le culte du Sacré-Cœur, ce culte d'un cœur de chair qui nous ramène tant soit peu à la barbarie des peuples inférieurs, mais précisément dans une période de folie hystérique pendant laquelle ses hallucinations jouèrent le premier rôle.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie.
La séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi, 16 juin 1903, à quatre heures, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Ordre du Jour :
1° Compte rendu de la situation morale et financière de la Société ;
2° Allocution de M. le D' Jules Voisin, président de la Société;
3° Eloge du professeur Tokarski, de Moscou, membre fondateur de la
Société, par M. le D' Bérillon, secrétaire général. 4° Communication et lecture — Présentation de malades; 5° Vote sur l'admission de nouveaux membres; 6° Elections complémentaires du bureau.
Après la séance annuelle, le banquet aura lieu à sept heures, comme les années précédentes, au restaurant du Palais des Sociétés savantes.
Communications déjà inscrites :
DrJules Voisin : Un cas' d'hémiplégie hystérique datant de cinq ans. Guérison par la suggestion hypnotique.
Dr Paul MaGnin : Interprétation d'états hypnotiques survenus spontanément chez des hystériques.
Dr Bérillon : Le traitement psychologique du bégaiement mental et de la timidité.
Dr Paul Farez : 1° Incontinence d'urine, guérie par la suggestion pendant le sommeil naturel chez un enfant de 26 mois.
2° Impuissance génitale, d'origine mentale, guérie par la suggestion somnoformique. Dr Fiessinger : Les émotions et le cœur. L'anginophobie. Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
Dr de Bourgade : Influence des fermentations digestives sur le caractère
et les états mentaux. D-Prosper van Velsen (de Bruxelles) : 1° De la suggestibilité considérée comme faculté.
2° Observations de psychothérapie.
Df Henry Lemesle : Organisation d'un hypnœum.
Dr Paul Joire (de Lille) : Le trac des artistes et son traitement hypnotique.
Dr Pau de Saint-Martin : Présentation d'un appareil pour l'hypnotisa-tion.
D" Doyen : L'état mental des opérés.
Dr Demonchy : Paralysie vésicale, de nature hystérique, traitée avec succès par une intervention suggestive.
Dr Podiapolski (de Saratow) : Hérédité influencée.
Dr Leprince (de Bourges) : La thérapeutique suggestive en ophtalmologie.
Dr Lèpinay, médecin-vétérinaire : L'hypnotisme chez le cheval.
Dr Bourdon {de Méru) : 1«, Prolapsus utérin guéri par la suggestion hypnotique.
2° Applications de l'hypnotisme à la pédagogie.
Après la Séance annuelle, le Banquet aura lieu à sept heures, comme les années précédentes, au restaurant du Palais des Sociétés savantes.
n.-b. — Le bureau de la Société adresse à tous nos Collègues et en particulier à ceux de l'étranger et de la province, l'invitation de contribuer par leur présence et par leurs communications à la solennité de la séance annuelle.
Les auteurs sont invités à adresser, dès à présent, les titres de leurs communications à M. le docteur Bériilon, secrétaire général, 14, rue Taitbout.
NOUVELLES
Leçons pratiques d'hypnologie et de psychothérapie. —MM. les Dr Bériilon et Paul Parez commenceront, le jeudi 11 juin, un cours pratique d'hypnologie et de psychothérapie. Ce cours sera complet en douze leçons. Il sera privé et ne comprendra qu'un nombre limité d'élèves. Le prix de ce cours est fixé à soixante francs.
On s'inscrit les jeudis, de 10 h. à midi, à l'Ecole de Psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Agoraphobie traitée avec succès par la suggestion hypnotique, par Bérillon, p. 170.
Aiguillettes (Les noueurs d'), p. 125.
Alacoque (Marie), par Rouby, p. 112,150, 180, 215, 373.
Alacoque (La folie hystérique de Marie), par Hamon, p. 339.
Alcoolisme (La lutte contre l'), p. 221.
Amaurose hystérique et traumatisme, par Raymond, p. 187.
Anthropologiques (Conférences), p. 288.
Anniversaires sur les récidives d'une psycho-névrose traumatique intermittente (Influence des), par Paul Farez, p. 310.
Apoplexie et tremblement hystériques, par Raymond, p. 220.
Banquet de la Société d'Hypnologie et de
Psychologie, p. 32. Bavardage nocturne chez une hystérique,
par Raymond, p. 23. Buveurs d'habitude (Le traitement par la
suggestion hypnotique de l'aboulie des),
par Bérillon, p. 129.
Cardiaque (Psychologie du), par Fies-singer, p. 303.
Chanteurs (Le tract des). Son traitement par la suggestion hypnotique, par Bérillon, p. 353.
Circulation (Influence de la suggestion hypnotique sur la), par Bérillon, p. 3.
Collectionneur (La mentalité du), par Vergnolle. p. 142.
Congrès international de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique (Le deuxième), par Bérillon et Farez, p. 26, 64, 316.
Congrès annuel des médecins aliénistes
et neurologistes, p. 31. Congrès de Madrid (L'Hypnotisme au),
p. 319.
Contracture et tic des jambes chez une psychasthénique, par Raymond, p. 121.
Cours du Dr Paul Joire, a Lille, p. 159. Cours d'Hypnotisme à l'Ecole pratique de
la Faculté de Médecine de Paris,
p. 320, 351. Coxalgie suggérée par le milieu familial.
(Pseudo-), par Paul Farez, p. 147. Criminelle (La psychologie), par Kova
lewsky, p. 153.
Ecole de Psychologie et le mouvement
psychologique (L')( p. 1. Ecole de Psychologie. 161, 192, 222, 223,
225, 256; 287. Ecole de Psychologie (Les cours de l'),
p. 193).
Ecriture automatique non hystérique, par Raymond, p. 315.
Etat psychique du stomacal (L'), par de Bourgade La Dardye, p. 367.
Estomac et du régime alimentaire sur l'état mental et les fonctions psychiques (Influence de l'), par Pron, p. 188.
Etudiant en médecine américain (Psychologie del').par L. Demonchy, p. 362.
Eusapia Paladino (Les mystifications d'), p. 125.
Explication scientifique des phénomènes de l'hypnotisme (L'|, par Wijnaendts Francken, p. 201..
Folie dans l'art dramatique. Les tragiques grecs (La), par Régis, p. 133.
Goutte (Le traitement de la), p. 192. Graphique (L'hypnotisme et la méhode),
par Bérillon, p 3. Helmont (Van), par Meunier, p. 77, 102. Hérédité (Les victimes de l'), p. 287. Hiérosyncrotèmes familiaux (Les), par
Binet-Sanglé, p. 282. Hypnotisme fortuit (Un cas d'), p. 350. Hypnose chez les animaux (L'), par
Wijnaendts Francken, p. 74. Hypnotisme et la psychologie au Congrès
des aliénistes et neurologistes (L'), p.65. Hypnotisme et la psychothérapie devant
l'Union des Syndicats médicaux (L'),
par Bérillon, p. 161.
Hypnotisme et la suggestion (L'), par
Grasset, p. 257,295, 329, 358. Hypnotisme fortuit et l'auto-hypnotisa-
tion (L'), par Bérillon, p. 289. Hystérie (Considérations sur l'), par
Paul Joire, p. 56. Hystérie (Relations entre les troubles
somatiques et les troubles psychiques
de l'), par Tesdorpf, p. 146. Hystérie traumatique guérie pur la suggestion hypnotique, par Jules Voisin,
p. 209.
Image mentale (L'), par Jean Philippe, p. 349.
Institut psycho-physiologique de Paris, p. 159.
Krafft-Ebing à Vienne (Le jubilé de), p. 15.
Leçons cliniques d'hypnotisme et de
psychothérapie, p. 160, 192. Leçons pratiques d'hypnologie et de
psychothérapie, p. 320, 352. Liébeault. Plaque commémorative (Le
79e anniversaire de), p. 97. Lourdes, par Jayle, p. 28, 61, 94.
Mahomet devant la science hypnotique
(La vie de), par Regnault, p. 321. Méthode en psychologie zoologique (La),
par Caustier, p. 230. Masseurs et Magnétiseurs à la Chambre
des députés (La pétition des), par Le
Menant des Chesnais, p. 22. Metamerie du système nerveux et les
maladies de la moelle, par Constensoux,
p. 189.
Milieu familial (Pseudo-coxalgie suggérée par le), par Paul Farez, p. 147.
Morales des maladies (Essai sur les causes), par Lemaître, p. 318.
Monstres doubles (Le caractère des), par Félix Regnault, p. 53.
Musée des passions humaines et le musée de psychologie (Le), par Henry Lemesle, p. 36.
Musicale et psychothérapie (Suggestion), par Lemesle, p. 172.
Mutisme hystérique sans agraphie, par Raymond, p. 348.
Narcose (Comment les Javanais obtiennent la), p. 127.
Nègres soudanais (Hyperacuité olfactive et visuelle et impassibilité à la douleur chez les), par Damoglou, p. 20.
Névralgie ancienne du nerf radial guérie par la suggestion hypnotique, par David, p. 177.
Occultisme et l'amour (L'), par Emile Laurent et Paul Nagour, p. 27.
Ouvrages reçus à la Revue, p. 288, 320, 352.
Paraplégie guérie par la suggestion (Un cas de), par Stembo, p. 90.
Pédagogie (De la suggestion en), par Raffegeau, p. 276.
Physiques et en particulier de la vibration dans la production de l'hypnotisme (Action des agents), par Bérillon, p. 207.
Prophétisme (La faillite du), p. 126.
Psychologie (Ecole de), p. 161, 192.
Psychologie expérimentale(La mentalité médicale et la), par Bordier, p. 67.
Psychologie et la biologie (La), par Giard, p. 241.
Psychologie de l'étudiant en médecine américain, par L. Demonchy, p. 364.
Psychlatrikê Kai Neurologikê Epitheô-résis, p. 191.
Rage au Maroc (Le traitement de la), p. 126.
Rayons X en thérapeutique psychologique (De l'utilité des), par Bilhaut, p. 11.
Rêve musical (Essai psychologique sur le), par Gillet, p. 334.
Rêves (Le sommeil et les), par Wij-naendts Francken, p. 36.
Rêves soi-disant prophétiques ou révélateurs (Les), par Paul Farez, p. 43.
Salpêtrière (Cours de M. Jules Voisin à la), p. 288.
Séance annuelle de la Société d'hypnologie, p. 379.
Société d'hypnologie et de psychologie, p. 14, 52, 124, 159, 169, 191, 209, 221, 253, 256, 275, 285, 319; 350, 362.
Sommeil et les rêves (Le), par Vij-
naendts Francken, p. 36. Sommeil chez les aires monoplastidaires
et les végétaux, par Binet-Sanglé,
p. 163, ,193, 248. 268. Sorcière au XVIIIe siècle (Une), par de
Coynard, p. 15,122. Spiritisme est l'ennemi du spiritualisme
et de la science (Le), par Jules Bois,
p. 100.
Somnoforme et suggestion, par Paul
Farez, p. 254. Stomacal (L'état psychique du), par de
Bourgade La Dardye, p. 367. Suggestion en pédagogie (De la), par
Raffegeau, p. 276.
Superstitions : Le chiffre 13 (Les), p. 286. Suicide chez les aliénés pendant leur
internement (Contribution à l'étude du),
par Rinckenbach, p. 317.
Toux hystérique chez un jeune garçon, par Variot, p. 24.
Toux et de l'aphonie (De l'origine psychique des troubles hystériques et en particulier de la), par Delius, p. 109.
Trac des chanteurs et son traitement par la suggestion hypnotique (Le), par Bé-rillon, p. 353.
Tuberculeux pulmonaire (La psychologie du), par Regnault, p. 210.
Verrues (Action vasomotrice de la suggestion dans le traitement des), par Hæberlin, p. 84.
Verrues, par Paul Farez, p. 8?.
FIGURES
Tracés sphygmoigraphiques, p. 6, 7, 9. Verrues (Paul Farez), p. 89. Liébeault (Portrait), p. 97. Clinique du Dr Liébeault, p. 99.
Schéma du centre psychique supérieur et des centres psychiques inférieurs, p. 258.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS
Bérillon, 1, 3, 26, 64, 90, 93, 129, 161, 170, 207, 213,225, 279, 280, 289,309, 316,353. Bilhaut, 11.
Binet-Sanglé (Ch), 163,195,248, 268, 282. Bois (Jules), 100. Bordier, 67.
Bourgade La Dardye (de), 281, 367.
Cazaux, 214. Caustier, 230. Constensoux, 189. Coynard (de), 15, 122.
Dauriac (Lionel), 214. Damoglou, 20. David. 177. Delius, 109. Demonchy, 362.
Farez (Paul), 26, 43, 64, 57, 147, 254, 281
310, 316, 318. Fiessinger, 303.
Giard, 241.
Gillet, 334.
Grasset, 257, 295, 329, 358.
Haberlin,84. Hamon, 339.
Jayle. 28, 61,94. Joire (Paul), 56, 159.
Kovalewsky,p. 158. Laurent (Emile), 27.
Lemaître, 318.
Le Menant des Chesnais, 22. Lemesle (Henry), 172, 214. Lépinay, 90, 214.
Macris, 90.
Magnin (Paul), 90, 214, 281, 314. Meunier, 77, 102.
Nagour (Paul), 27.
Philippe (Jean), p. 349. Pron, p. 188.
Raffegeau, p. 276, 280. Raymond, 23, 121, 187, 220, 315, 348. Raynaud, 126. Régis, 133.
Regnault (Félix), 53, 210 , 279, 280, 285, 321.
Rinckenbach,317.
Rouby, 112, 150, 180, 215, 373.
Steiner, 127. Stembo, 90.
Tesdorpf, 146.
Variot, 24.
Vergnolle, 142.
Voisin (Jules), 209, 214, 279.
Vijnaendts Francken, 36, 74, 201.