REVUE
DE
L'HYPNOTISME
ET DE LA
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
SEIZIÈME ANNÉE
REVUE
DE
L'HYPNOTISME
ET DE LA
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
Paraissant tous les mois
PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE
MALADIES MENTALES ET NERVEUSES
fiêlieltirei chef : Docteur Edgar BÉRILLON
COLLABORATEURS FONDATEURS
CHARCOT; DUM.ONTPALLIER ; LUYS; MESNET; Aug. VOISIN; AZABI; DELBOEUF (de Liège) ; HACKTUKK (de Londres); SEMAL(de Mons).
PRIHOIPAUX COLLABORATEURS
MM. les D" BERNHEIM, p' à la Faculté de Nancy ; BABINSKI, méd. de la Pitié; BREMATJD (de Brest) : BRIAND, méd. de i'.isile de Villejuif; CRCISE (do Dublin); L. DAUR1AC. pror. à la Faculté des lettres de Montpellier: GU1MBEAU; W. DEKHTEREFF (de St-Pélcrsbourg) ; VanEEDEN (d'Amsterdam); GRASSET.prof.àlaFacuité de Montpellier; A. de JONG (La Haye); BINET-S ANGLE; O.JENNINGS.P. JOÏRE, (deLiIle);JAGUARIBE(San-PauIo); LACASSAGNE, prof, à la Faculté do Lyon; LADAME (de Genève); LIÉBEAL'LT (de Nancy); LEGItAIN, méd. de l'Asile de Vaucluse; Henry LEMESLE LLOYD-TUCKEY |dcLond:es); MANOUVRIER; prof, à l'Ecoled'Antliropologie; M ASOIN.prof.à l'Université de Louvain ; Milke BRAMWELL (do Londres); MABILLE, môd. de l'Asile de Lafond; Paul MAGNIN, prof, à l'Ecole do psychologie; MORSELL1 (de Gènes); DE PACKIEWICZ (do Riga); PITRES, prof.à la Faculté de Bordeaux; RAFFEGEAU idu Vésinet); Pôlix REGNAULT; Charles RI C H ET, prof, à la Faculté de Paris; Van RENTERGHEM, (d'Amsterdam); Von SCHRENK-NOT2ING (de Mumchi; SPKRLING (de Berlin); TOKARSKI,(de Moscou); J. VOISIN.méd. de la Salpétrière; STEMBO(deVilna); VLAVIANO S (d'Athènes); WETTERSTRAND (de Stockholm); LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. dcNancy; BOIRAC, recteur deTUniv.de Grenoble; Pierre JANET, agrégé de l'Université; Max DESSOIR (de Berlin); TARDE ; STUMPF, prof, à l'Univ. do Berlin ; Ch. JULLIOT; Max NORDAU ; A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc. Secrétaire de la Rédaction : D' Paul FAREZ.
LE NUMÉRO : 60 CENT.
Rédaction et Administration : 14. rue Taitbout, Paris (9e). (Téléphone : 224-01) 1902
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ENTHÉRAPEUTIQUE
16e Année — ? 1.
Juillet 1901.
BULLETIN
La Revue de l'hypnotisme et le mouvement psychologique.
La Revue de rhypnotisme, fondée en 1886 sous les auspices de Charcot, Dumontpallier, Mesnet, Delbœuf, Liébeault et des maîtres de l'École de Nancy, entre dans sa seizième année. Depuis sa fondation, la Revue a enregistré impartialement tous les faits scientifiques se rattachant à l'étude de l'hypnotisme. Elle s'est ainsi conformée au programme publié dans son premier numéro.
Nos lecteurs nous rendront cette justice que nous n'avons jamais fait la moindre concession au néo-mysticisme qui s'est manifesté avec tant d'intensité au dernier Congrès de Psychologie, en août 1900.
Elle s'est toujours inspirée des règles de la méthode expérimentale enseignée par Claude Bernard et par les physiologistes contemporains. C'est à cet esprit scientilique qu'il faut attribuer le succès des œuvres dont elle a provoqué ou facilité l'organisation. Parmi ces œuvres, il convient de citer en première ligne le premier Congrès international do l'hypnotisme tenu en 1889, sous la présidence de Dumontpallier et le second Congrès réuni en août 1900, sous la présidence de M. Jules Voisin. Il faut aussi rappeler qu'elle a permis le groupement des fondateurs et la Société d'hypnologie et de psychologie. Cette Société, qui compte cent cinquante membres français et étrangers et comprend dans son sein les hommes les plus universellement estimés pour leurs recherches en hypnotisme et
en psychologie, est à la fois une des plus actives et des plus fréquentées de Paris. Elle va célébrer, le 10 juillet prochain, le dixième anniversaire de sa fondation et réunira à cette occasion dans un banquet un grand nombre de ses adhérents.
Rappelons aussi la création de l'Institut psycho-physiologique et celle de l'Ecole de psychologie, dont les cours, grâce à l'assiduité de nos lecteurs, ont obtenu un succès si considérable.
La constatation de ces succès devait provoquer des émulations. Elles se sont manifestées sous des formes différentes. Nous trouvons dans ces tentatives la meilleure approbation que nous puissions souhaiter pour nos efforts personnels. La Revue de l'hypnotisme peut revendiquer une part des plus importantes dans le mouvement psychologique qui s'accomplit. Les idées aujourd'hui acceptées par les médecins et par les psychologues en matière d'hypnotisme, de psychothérapie, de pédagogie clinique et de psychologie appliquée, sont celles qu'elle ne cesse de défendre et de vulgariser depuis quinze ans. Il est possible que les nouveaux venus dans ces études ne s'empressent pas de reconnaître le mérite qui revient à nos collaborateurs dans cette évolution scientifique. Quoi qu'ils fassent, l'histoire impartiale rendra à chacun la justice qui lui est due. D'ailleurs le moment n'est-il pas venu de répéter après Braid cette réflexion si judicieuse : « In the progrès of improvements, it is always agood sign of their appreciation, when attemps are made to rob the authors of the merit due to them ».— C'est toujours un -bon signe de la valeur des initiatives et des recherches scientifiques lorsque l'on constate que des efforts sont tentés pour dépouiller les auteurs du mérite qui leur revient. .. »
E. B.
Les rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie (') Par le Dr Paul Magnin. Vice-président de la Société d'hypuoiogic
Dans son livre intitulé Neurypnologr, James Braid définit l'hypnotisme « un état particulier du système nerveux délep-' miné par des manœuvres artificielles* f*).
(ii Hapports présentés au deuxième congres International de l'hypnotisme. (2) Jomos Braid : Neurypnologr. Or the ratlonalo of nervous sleep comidered in relation with animal magnetism. Illustrated by numerous cases of its succusful ap-
Cette définition, tout insuffisante qu'elle puisse être, a du moins l'avantage de ne rien préjuger sur la nature intime des phénomènes observés. Or, les recherches entreprises scientifiquement depuis Braid ont montré précisément combien la question était complexe et combien en dehors de toute interprétation la constatation rigoureuse des faits présentait par elle-même do difficultés.
A plus forte raison, cette interprétation a-t-elle donné lieu à des discussions très vives et, aujourd'hui encore, les auteurs sont loin de s'entendre à ce sujet.
Pour les uns, Charcot et ses élèves, « l'hypnotisme représente cliniquement un groupe naturel comprenant une série d'états nerveux différents les uns des autres» chacun d'eux s'accusant par une symptomatologie qui lui appartient en propre » (*).
L'hypnotisme est une névrose expérimentale. Les phénomènes d'hypnose dépendent toujours d'un trouble du fonctionnement régulier de l'organisme et l'hystérie joue ici le plus grand rôle (2).
Pour les autres, le sommeil nerveux n'a rien de pathologique. Pour Liébeault et ses élèves, c'est un phénomène presque normal, identique au sommeil naturel. On l'obtient plus ou moins facilement chez tous les sujets. Point n'est besoin d'une tare névropathique. Il n'existe aucun rapport entre l'hypnotisme et l'hystérie. Il n'y a pas de névrose hypnotique et l'hypnotisme tel qu'il a été compris à la Salpêtrière, n'existe past3).
Les arguments que les élèves de Charcot ont fait valoir pour défendre la doctrine du maître sont connus de tous. Ils ont été développés tout particulièrement par Pitres, Gilles de la Tourette et Babinski.
Les sujets hystériques sont seuls hypnotisables. Entre la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme hypnotique et les états de même nom appartenant à l'hystérie, il n'existe pour M. Gilles de la Tourette que cette différence, à savoir que les premiers états sont provoqués, les autres spontanés. Or, la différence est apparente et non récllepuisque dans certains cas,
pllcation in the relief and cure of diseaae. London aad Edinburgii, 1843, trad. française par le D' Jules Siuo.s, 1883. p. 19.
(t) J. M. Charcot: Note sur les divers états nerveux déterminés par Vhypnotisation sur les hystéro-éoilepiîques. G. R. do l'Ac. des Sciences, 13 février 188?. Progrès médical 188?, p. 121. — Expasé'det titres scientifiques deJ. M. Charcot, 1882, p. 172.
(2) P. Richer : Etudes cliniques sur la grande hystérie oit hystiro-épilepsie. 2* édition, 188ô, p. 1Ù5 ot suivantes.
(3) A. !. :.ii."A> : Le sommeil provoque et les étais analogues 1889. — Berhusih : De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, 2* édition, 1888.
les états dits hypnotiques peuvent apparaître spontanément et qu'il s'agit toujours d'hystériques dans la circonstance. Par cela même qu'un malade est sujet à des attaques de léthargie, de catalepsie, de somnambulisme, on peut en induire à coup sûr qu'il est hystérique (1).
Une seconde raison réside pour le professeur Pitres dans ce fait que tous les symptômes que l'on observe chez les sujets hypnotisés peuvent se rencontrer sur des hystériques à l'état de veille et font éventuellement partie du cortège des symptômes de l'hystérie. Les manœuvres hypnogéniques ont pour effet de déterminer, chez certains sujets, l'apparition de phénomènes musculaires sensitifs et psychiques dont la sériation régulière ou irrégulière constitue les formes typiques du grand hypnotisme ou les formes frustes ou incomplètes du petit hypnotisme.
Or, si, dit leprofesseur Pitres, chacun d'eux peut exister isolément chez des hystériques en dehors de l'état d'hypnose provoquée, n'est-on pas en droit de les considérer comme des accidents de nature hystérique, quand ils se montrent réunis à la suite de manœuvres expérimentales.
De même les zones hypnogènes et hystérogènes d'un même individu sont toutes de nature hystérique. De même enfin, pour MM. Gilles de la Tourelle et Cathelineau, les divers états hypnotiques se jugent par une formule clinique identique à celle découverte antérieurement par les mêmes auteurs pour l'attaque et les états de mal hystérique.
a Entre l'hypnose provoquée et l'hypnose spontanée, conclut le professeur Pitres, il n'y a aucune différence de nature. Hypnotiser un sujet, c'est lui donner artificiellement une attaque de sommeil ; le réveiller, c'est faire cesser cette attaque par des manœuvres expérimentales.
Or, nous avons vu précédemment que l'attaque de sommeil n'est qu'un fragment détaché ou tout au moins un équivalent clinique de la grande attaque complète et régulière de l'hystérie. Nous sommes donc amenés à conclure que l'hypnose artificielle a la même signification nosographique. Elle est une des manifestations deladiathèse névropathique, un des symptômes hystériques qui peuvent être provoqués ou arrêtés par des excitations expérimentales » (2).
(1) Gilles de la Tûurbtte : Traité clinique et thérapeutique dethystèrie, seconde partie, I, p. 29S.
(2; A. Prnizs : Leçons cliniques sur i'hyste'rie et l'hypnotisme, t II, p. 346 et suiv.
De même pour M. Babînski, les anesthésies, les paralysies flasques, les contractures, la catalepsie sont des manifestations communes à l'hystérie et à l'hypnotisme.
L'exaltation de la suggestibilité, caractère fondamental de l'hypnotisme, appartient aussi à l'hystérie. —Les somnambules hypnotiques sont parfois tout comme les somnambules hystériques plongés dans un état psychique second. — L'influence thérapeutique de l'hypnotisme s'exerce d'une façon prédominante sur les troubles qui relèvent de l'hystérie. — Il existe entre l'hypnotisme et les manifestations hystériques un balancement analogue à celui qu'on peut observer dans les divers accidents qui dépendent de l'hystérie, — Enfin une attaque hypnotique peut s'enchevêtrer parfois avec une attaque hystérique (1).
M. Tamburini pense au contraire que l'hypnotisme, dans le cas même de grande hystérie, ne constitue jamais une névrose, mais ne fait que mettre en évidence des phénomènes pathologiques de l'hystérie qui se réduisent tous à des manifestations d'excitabilité réllexe exagérée, phénomènes qui, ou préexistent (dans la veille même), ou sont chez le malade à l'état latent. L'hypnotisme ne représente ici qu'un réactif capable de mettre en évidence les stigmates les plus cachés de l'hystérie.
D'ailleurs les phénomènes hypnotiques peuvent varier à l'infini suivant les sujets, suivant qu'il s'agit d'hystériques, de névropathes ou d'individus sains. C'est même chez ces derniers qu'on aura les phénomènes vrais, simples, nets, naturels, du pur sommeil hypnotique.
Les caractères fondamentaux de l'hypnose doivent être réduits à deux, savoir : une certaine augmentation de l'excitabilité réflexe et une augmentation en général considérable de la suggestibilité. En somme, c'est l'état d'automatisme qui est caractéristique de l'hypnose.
Les formes innombrables que peut revêtir l'hypnotisme dans les divers cas ne sont produites (à l'exception des degrés possibles du sommeil) que par tout ce que les conditions pathologiques préexistantes spontanément ou la suggestion artificiellement peuvent y superposer (2).
Toute autre est l'opinion des observateurs de l'Ecole de
(1) J. Babinski: Hypnotisme et hystérie, leçon faite à la SalpC-trlûre, le 23 Juin 1891. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie. Juillet 1691.
(2) A. Tamburin ; Sur la nature des plier, omùaei somatiques dans l'hypnotisme. Hc-Tue do l'Hypnotisme, 6* année, 1sü2. p. 141 et suivantes.
Nancy; et parmi eux M. Delbœuf et M. Bernheim ont émis des idées radicalement opposées à celles de Charcot. Ils suppriment d'un seul coup l'hypnotisme; un seul phénomène, la sug-gestibilité remplace tout, explique tout, est leprimus moyens de tous les faits observés.
L'état hypnotique n'est pas un état spécial, anormal, artificiellement provoqué par le sommeil braidique ou suggestif. Ce sommeil n'est pas nécessaire pour obtenir les phénomènes dits hypnotiques ; ils existent à l'état de veille chez certains sujets. Tous les sujets, sans exception, qui les réalisent dans le sommeil vrai ou apparent provoqué, les réalisent aussi par affirmation simple ou entraînement suggestif à l'état de veille. La suggestion ne produit que rarement le vrai sommeil, mais chez la plupart et même chez les meilleurs somnambules seulement l'illusion suggérée du sommeil.
Ce qu'on appelle l'hypnotisme n'est autre chose que la mise en activité d'une propriété physiologique du cerveau, la sugges-tïbilité. Il n'y a pas d'état spécial méritant le nom d'hypnotisme, il n'y a que des sujets suggestibles plus ou moins auxquels peuvent être suggérés des idées, des actes, des hallucinations.
Braid remplaça l'ancien magnétisme par l'hypnotisme ; c'est la fixation d'un point hrillant et l'attention concentrée qui créent un sommeil artificiel dans lequel existent la sugges-tibilité, rhallucinabilité, etc., ducs à l'imagination seule du sujet.
Liébeault remplaça l'hypnotisme de Braid par le sommeil suggestif. C'est la suggestion seule qui fait le sommeil, qui développe la suggestibilité, qui fait la guérison.
M. le professeur Bernheim dégage la suggestion du sommeil provoqué artificiel suggestif ou braidique et pense que les phénomènes dits hypnotiques ne sont pas fonction d'un état particulier de l'organisme artificiellement créé, mais d'une propriété normale du cerveau, plus ou moins développée suivant les sujets : la suggestibilité (')•
Dansun travail très intéressant sur la suggestibilité, M. Crocq (de Bruxelles) a montré la progression de !a suggestibilité normale à la suggestibilité pathologique, la rapidité de cette progression dépendant du rapport existant entre les deux facteurs
(1) Behxheim: A propos de l'élude sur Jjmes Braid, par le Dr Milne-Bramwetl, etc., in-Itevue tfe l'Hypnotisme, 12* année, 1893, p. 143 et suivantes.
enjeu : d'une part l'impressionnabilité, de l'autre, la force de résistance du sujet.
Pour l'auteur, la suggestibiîité hypnotique varie d'ailleurs dans des proportions aussi grandes que les suggcstibilités normales et pathologiques à l'état de veille.
« Si, dit M. Crocq, l'hypnose n'est qu'une manifestationdela suggestibiîité, il faudrait croire que ceux seuls qui possèdent à l'état de veille une hypcrsuggestibilité très accentuée, sont susceptibles de présenter un somnambulisme profond, ce qui nous amènerait à croire avec Charcot que les névrosés sont plus hypnotisâmes que les normaux.
« En admettant l'existence de l'hypnotisme et en le considérant comme dû à la dissociation fonctionnelle desceñiros nerveux aboutissant à une annihilation plus ou moins forte du centre psychique supérieur et conscient, dissociation pouvant résulter de toutes les impressions capables de distraire le centre de son rôle de contrôle, de fixer l'attention, on conçoit qu'un individu intellectuellement normal puisse se transformer en automate et l'on comprend pourquoi les individus normaux sont en général plus hypnotisables que les névrosés dont l'attention ne peut être fixée » (').
Quant à nous, nous nous refusons absolument à partager l'opinion de M. le professeur Bernheim. Elle nous parait en contradiction formelle avec une observation rigoureuse des faits. Les nombreux sujets hystériques sur lesquels il nous a été possible de provoquer l'hypnose nous ont paru plongés dans un véritable sommeil et ne pas avoir seulement l'illusion suggérée de ce sommeil
D'ailleurs, dans un très grand nombre d'expériences, nous avons déterminé l'hypnotisme en dehors de toute espèce d'autosuggestion de la part du sujet, en dehors de toute espèce de suggestion de notre part.
Si nous nous plaisons à reconnaître que, dans un très grand nombre de cas, la suggestion est seule en cause, il nous semble juste cependant de ne pas exagérer son rôle. I! faut bien savoir qu'on peut agir aussi en dehors d'elle et que, même chez les hystériques qui lui sont pour la plupart si sensibles, on peut provoquer des phénomènes très nets sans son intervention.
Il est même certains d'entre eux que nous n'avons jamais réussi à produire par suggestion, entre autres l'hyperexcita-
(1) M- Crocq fils (de Bruxelles) : Revue â* psychologie clinique et thérapeutique. Juin cl Juillet. 1893.
bilité neuro-musculaire. Nous nous sommes adressé intentionnellement à des sujets hystériques très intelligents, nous leur avons fait de la façon laplus claire, la plus nette, la description des contractures localisées que nous voulions obtenir; les malades ont certes répondu à nos suggestions, mais toujours et seulement par à peu près. Aucune comparaison à établir entre les contractures diffuses obtenues de la sorte et les phénomènes que l'on a observés chez les sujets chez lesquels se montre l'hyperexcitabilité neuro-musculaire vraie.
Quoi qu'il en soit, depuis l'état de veille jusqu'à l'état hypnotique le plus complet, depuis l'hypnose la pluslégère jusqu'à la léthargie laplus profonde on peut observer tous les intermédiaires. C'est là un fait sur lequel nous avons été le premier à insister il y a longtemps déjà ('). Et à ce point de vue, ne suffirait-il pas de rappeler combien à un certain moment se sont trouvésmultipliés par les divers observateurs les états décrits dans la sommation provoquée.
Si nous avons quelquefois constaté sur des sujets en apparence sains une suggestibilité au-dessus de la normale, nous avons été loin de réussir à les endormir dans les proportions indiquées par beaucoup d'auteurs.
Dans les cas où il nous a semblé mettre les sujets en état apparent de sommeil nous avons conservé de très grands doutes sur la réalité du phénomène produit. Aucun caractère bien défini ne nous a permis d'en affirmer l'existence. Peut-être avons-nous fait simplement accepter à ces sujets l'idée suggérée du sommeil.
Dans le cas d'observations sur des sujets sains ou soi-disant tels, il est réellement souvent bien difficile de savoir où finit l'état de veille, où commence le sommeil.
Braid considérait comme la caractéristique de l'hynotisme la perte de la mémoire de façon qu'au réveil le patient n'ait aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil, mais qu'il se souvienne cependant lorsqu'il est plongé dans le même état. Et de fait, l'oubli au réveil a été considéré par beaucoup d'auteurs comme le signe fondamental de l'état hypnotique.
M. Bérillon a fait justement remarquer que cette définition trop étroite excluait du domaine de l'hypnose un grand nombre de faits qui s'y rattachent manifestement.
S'il est, dit-il, un phénomène qui marque d'une façon plus
(1) M. P. Magnin .Remarques générales sur l'hyjmotisme. G. R. Soc. Biologie, 15 décembre 1883. — Les états mixtes de l'hypnotisme. Revue scientifique, 12 juin 1886.
précise la limite qui sépare l'état normal de l'état hypnotique, c'est celui qui a été désigné sous le nom de paralysie psychique motrice (1).
Remarquons en passant que ces paralysies, lorsqu'elles se développent en dehors de toute expérimentation se montrent généralement sur des sujets hystériques et c'est encore sur les hystériques qu'il est possible de les reproduire expérimentalement avec la plus grande facilité.
Si le sommeil artificiel ne s'observe pas chez les seuls malades atteints de névrose confirmée, il n'en est pas moins vrai que la plupart des personnes chez lesquelles on le provoque avec quelque facilité sont à des degrés divers en puissance de nervosismo (2).
Les diverses formes du sommeil non naturel, spontané ou provoqué ne sont, comme l'a dit justement M. Barth, que les manifestations d'un seul et même état morbide, la diathèse nerveuse (3).
Si nous ignorons la nature de cette débilité fonctionnelle du système nerveux qui constitue l'état névropathique, nous ne la voyons pas moins, transmise par hérédité ou développée par accident, engendrer toutes les névroses. Or, cette même prédisposition commune à la plupart des maladies nerveuses se retrouve plus ou moins nettement dessinée dans l'étiologie de toutes les formes du sommeil pathologique. Ici encore, soit dans les antécédents personnels du sujet, soit dans ceux de sa famille, on découvre toujours la même tache originelle, l'état névropathique et c'est encore ce même état qui existe plus ou moins latent chez les sujets impressionnables aux manoeuvres de l'hypnotisme (Barth).
De toutes les causes prédisposantes, si l'on peut dire, au développement du sommeil hypnotique, la diathèse hystérique reste, à notre avis, la plus importante. En s'adressant aux hystériques les plus hystériques, on devra, comme l'a fait remarquer M. Richer, obtenir les phénomènes d'hypnotisme les plus marqués. C'est effectivement ce qui a lieu chez les hystéro-épileptiques. Et c'est ici qu'apparaissent dans toute leur évidence les liens étroits qui unissent l'hystérie et l'hypnotisme.
Que d'observations ont été publiées dans des ouvrages d'hyp-
(1) M. E. Bërillox : L'hypnotisme et íes paralysies psychiques motrices. Revue de l'hypnotisme, !5* année 1900, p. 12.
(2) Legraxh du Sable : Lus hystériques, 1883.
(3) II. Baiitk : Du sommeil non naturel. Ses diverses formes. Th. agrégation, 1886, p. 158 et suivantes.
(i) P. Magnin : Etude clinique et expérimentale sur Vhypnotisme. Th. de Paris, 1881.
notisme thérapeutique, pour lesquelles le diagnostic semble douteux et dans lesquelles celui qui les lit et les analyse attentivement croit pouvoir reconnaître l'hystérie. Et de fait, le diagnostic de la névrose n'est pas toujours exempt de difficulté ; mieux que tous autres, les travaux dé Charcot et de ses | élèves l'ont péremptoirement démontré.
Les excitations périphériques les plus diverses peuvent déterminer chez l'hystérique la production des phénomènes hypnotiques. Telleestle plus souvent la facilité avec laquelle la sommation s'établit qu'on doit en somme considérer la sensibilité hypnogénique comme un des symptômes de la grande hystérie.
Ces excitations périphériques s'adressent soit à la sensibilité générale soit i\ la sensibilité spéciale. Elles sont, suivant les circonstances, conscientes ou inconscientes. Elles peuvent agir par ou sans la suggestion. Elles produisent, suivant le déterminisme de l'expérience des effets sensitifs, moteurs ou psychiques (').
Et c'est précisément dans cette possibilité d'instituer des expériences sur les hystériques que réside pour nous l'intérêt principal des rapports étroits qui unissent l'étal d'hypnose à la névrose. On peut, en observant les règles du déterminisme scientifique le plus rigoureux, poursuivre des recherches aussi bien au point de vue physiologique que psychologique ou thérapeutique. L'irritabilité réflexe exagérée des sujets s'étend à la totalité de leur axe encéphalo-médullaire. Et d'ailleurs les différentes formes du sommeil provoqué avec les phénomènes qui les caractérisent dépendent précisément du rapport existant entre les fonctions obscurcies ou abolies et les fonctions persistantes ou excitées.
Les expériences d'hypnose hémicérébrale sont à cet égard on ne peut plus démonstratives. Particulièrement intéressantes 1 aussi sont les observations faites sur des sujets chez lesquels on produit simultanément deux des périodes de la somniation provoquée, les résultats étant alors en rapport, pour chaque côté du corps avec le degré d'activité de l'hémisphère cérébral qui commande à ce côté.
Là réside surtout l'intérêt de l'étude du grand hypnotisme chez la grande hystérique. Chez aucun autre sujet sain, ou soi-disant tel, ou même atteint d'une autre affection du système
nerveux et hypnotisable, le médecin ne pourra pousser plus loin l'investigation psychologique.
Plus que tous autres, les phénomènes observés dans l'hypnose démontrent qu'ainsi que l'a dit le professeur Brissaud, chacun des segments superposés dont l'ensemble constitue le névraxe, chaque métamère, bien qu'en connexion intime avec ses voisins, garde néanmoins vis-à-vis d'eux une indépendance relative ('). Ils prouvent que lesystème nerveux cérébro-spinal esttout comme la chaire ganglionnaire des articulés « une collection d'organismes, comme l'a écrit il y a longtemps Durand de Gros, donnant à cette conception le nom de polyzoïsme. C'est une collection de moi distincts et l'unité apparente est tout entière dans l'harmonie d'un ensemble hiérarchique dont les éléments rapprochés par une coordination et une subordination étroites portent néanmoins, chacun en soi, tous les attributs essentiels, tous les caractères primitifs de l'animal individuel » (2).
Or c'est précisément cette coordination qui fait défaut dans l'hypnose. Les phénomènes observés sont essentiellement des produits de l'automatisme cérébral. Ainsi que l'a si bien dit le professeur Raymond, on retrouve « pour rendre compte des phénomènes de l'hypnotisme la pathogénie invoquée pour rendre compte des autres manifestations de l'hystérie. Là, comme ici, nous avons affaire à des désordres psychiques qui relèvent d'un trouble de la personnalité, d'une obnubilation du moi » (3).
Bichat, ainsi que l'a fait remarquer M. Bérillon, pensait avec raison que chacun des organes de la vie de relation peut être en état de sommeil pendant que d'autres organes du même ordre restent en activité. Il est le premier qui ait attribué une grande importance à la possibilité du sommeil partiel ou local de certaines parties pendant que d'autres parties rcslentàl'état de veille, c'est-à-dire demeurent aptes à fonctionner. « Le sommeil général, dit-il, est l'ensemble des sommeils particuliers. »
Les états de conscience que l'on comprend sous le nom d'hypnotisme correspondent à ces sommeils particuliers dont parlait Bichat. Ils en sonE la reproduction expérimentale (4)¦
(1) E. BmsSAtii) : Leçvis sur les maladies du système nerveux, 1835, p. 225 et suiv.
(2) Durand de Gaoâ citrt par M. Du\al. An. Nerfs. DicL de raOd. et de enir.pratiques, p. 582.
{3) F. Raymond : Discours prononcé à V inaugural ion du monument élevé à la mi-moire de Charcot. Nouvelle iconographie de la Salpùtrière, I89S, p. 413.
(4) l.. KkmllOK : Introduction à l'Etude de l'hypnotisme, Revue de i hj; noti - .. 14* année, 1690-1900, p. 29 et suivantes.
D'ailleurs les recherches si remarquables de Brown-Séquard sur l'inhibition et la dynamogénie, les notions anatomîques nouvelles démontrant que les neurones n'ont probablement entre eux que des relations de contact ou de contiguïté ont donné naissance à des théories psychologiques du plus grand intérêt, conceptions nouvelles laissant entrevoir la certitude d'arriver, dans un avenirprochain, ù une interprétation rationnelle des phénomènes de l'hypnotisme.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du IC avril 1901. — Présidence de M. Jules Voisin
La séance est ouverte à A h. 35.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui corn* prend: 1° Une lettre par laquelle M. le Dr Henry Lcmeslc s'excuse de ne pouvoir assister à la séance ; 2° Une brochure dans laquelle notre collègue M. le Dr Stadelmann expose l'installation et les avantages d'une école qu'il vient de fonder pour les enfants nerveux à Wurtz-bourg.
Les communications portées à Tordre du jour sont faites par MM. Liégeard (de Bellême), Jules Voisin, Paul Parez, IJérillon et Paul Joire.
La séance est levée à 6 h. 30.
Etude anatomique et psychologique de quelques monstres
humains
Par MM. les Dr Bérillon et Félix Regkault. .
MM. Bérillon etFélix Regnault présentent un monstre humain caractérisé par l'absence de membres supérieurs et inférieurs et désigné à cause de cette particularité sous le nom de « l'homme tronc ». Us comparent ce sujet à d'autres privés eux aussi de bras et de jambes, en particulier Miss Hawtin, John Valérius (du Palatinat} et Mattliew lîurgra-vius, dit le petit homme de Nuremberg. Kobelkoffest le quinzième de. seize enfants : il s'est lui-même marié et a eu onze enfants dont six sont vivants et bien portants. Il est fort intelligent, et par l'utilisation d'un très court moignon conique qu'il possède à l'épaule droite et qu'il oppose a sa joue droite, il a acquis une dextérité surprenante. En s'ai-dant de son épaule, de son menton et de sa joue droite, il peut écrire,
manger, boire, dessiner, peindre. Son caractère présente aussi diverses particularités intéressantes ; il est doué de beaucoup d'énergie et fait preuve d'une très grande égalité d'humeur.
Mutisme, bégaiement et tremblement général guéris par la suggestion hypnotique
Par m. le Dr Jules Voisin
Le 12 janvier dernier, se présentait à ma consultation externe de la Salpctrière, une femme âgée de 36 ans, atteinte de neurasthénie et de quelques phénomènes d'hystérie (strangulation, envie de pleurer, émo-tivité très grande). Cet état durait depuis deux mois, époque h laquelle cette femme avait perdu une fillette. Je lui prescrivis des douches et un régime tonique.
Huit jours plus tard, cette femme revint à la consultation, mais avec des phénomènes nouveaux. Elle ne pouvait plus parler et était toute tremblante. Quand on lui faisait une question, son tremblement devenait plus intense et se généralisait. Il s'étendait aux membres supérieurs et inférieurs ; la malade avait de la peine à marcher et elle tenait difficilement un objet ù la main. Les lèvres étaient agitées de mouvements, ainsi que la mâchoire inférieure ; quand la malade voulait parler, elle se mettait à bégayer, au point qu'on ne pouvait comprendre le sens de ses paroles. L'écriture était impossible, caria malade ne pouvait parvenir à faire ses lettres. Son nom était illisible tant le tremblement était prononcé. Quelquefois la malade présentait une véritable confusion mentale. Elle ne comprenait pas la question qu'on lui posait et ses yeux étaient hagards.
Sa sensibilité à gauche était diminuée. II existait un point ovarien et sous-mammaire à gauche.
Ce tremblement général, ce bégaiement et ce mutisme complet ayant duré un jour entier, étaient survenus à la suite d'une contrariété que cette femme avait eue avec son mari. Il y avait eu une ébauche d'attaque d'hystérie avec strangulation, cris et grands mouvements des bras, sans chute, ni perte de connaissance le jour môme de la discussion.
Cette femme était très bien portante avant la mort de sa fillette. Elle avait présenté seulement à l'âge de 18 ans une attaque d'hystérie, mais depuis lors elle n'en avait plus eu. Ses parents étaient bien portants et je ne trouve aucune maladie nerveuse ou mentale à relever dans la famille.
Je conseillai ù cette malade de se laisser endormir. Aussitôt, elle fut prise d'un tremblement plus prononcé : par ses signes et ses cris inarticulés, elle montra qu'elle se refusait à ma proposition.
Je lui dis alors d'en parler à son mari et de venir me revoir le lendemain ou le surlendemain. Je lui donnai en même temps l'assurance qu'elle guérirait.
Le lendemain elle vint avec son mari. Elle présentait les mêmes symptômes.
Je fixai son regard et après quelques minutes d'oscillation pupillaire, elle s'endormit profondément. Elle était dans la résolution complète.
Je lui suggère alors qu'elle ne tremblera plus, qu'elle parlera très bien et je l'invite à répéter ces mots. Elle fait un effort et n'y parvient pas. J'affirme qu'elle peut le faire et aussitôt elle prononce correctement les suggestions faites.
Au bout d'un quart d'heure, jo la réveille et elle rentre chez elle guérie, ne tremblant plus et parlant bien.
Deux jours après, elle revient. A la suite d'une nouvelle petite contrariété avec son mari, elle avait été reprise, le matin, des mûmes phénomènes.
Je fais disparaitre de nouveau par le sommeil hypnotique le tremblement et le bégaiement, et je fais écrire la malade qui transcrit couramment son nom et son adresse.
Une autre fois, elle fut prise d'amnésie. Etant chez la fruitière, elle ne put se rappeler le nom des objets qu'elle voulait acheter, et elle dit : a Donnez-moi.....M. Voisin ».
Le lendemain elle vint me voir, et depuis cette époque elle n'a plus rien présente d'anormal; Elle est complètement guérie. Le iô février et le 1er mars, je revois la malade, la guérison persiste. La sensibilité est normale.
Importance de la constatation exacte des troubles de la sensibilité dans l'hystérie
Par le D' P. Joire (de Lille).
Quand nous avons un traitement hypnotique à entreprendre chez un malade ou plus généralement quand un nerveux se présente à notre examen, il est de la plus grande importance de bien faire le diagnostic de l'hystérie. Parmi les éléments du diagnostic, les troubles de la sensibilité sont des premiers à envisager, les réflexes oculaire et pharyngien sont de ceux que l'on interroge le plus fréquemment, et leur importance, du reste, est telle qu'un clinicien sérioux ne saurait les négliger. Je veux insister ici sur l'importance de cet examen bien fait, et sur la manière dont il faut le pratiquer pour cela, importance qui m'a été démontrée par un grand nombre d'observations qui viennent aussi confirmer les idées que je soutiens depuis longtemps sur les troubles de la sensibilité compensés chez les hystériques. On se bornait autrefois ù toucher la cornée avec un corps mousse et à chatouiller le pharynx avec un abaisse-langue, le manche d'une cuillère ou un instrument quelconque. Un examen aussi grossier ne peut plus être admis dans l'état actuel de nos connaissances cliniques, carccttc exploration super-
ficielle peut très bien provoquer des réflexes oculaires et pharyngiens, alors qu'il existe des troubles certains de la sensibili1..'- qui passeront ainsi inaperçus et induiront en erreur. J'ai constaté, en effet, relativement au réflexe oculaire, que dans un certain nombre de cas, le bord ciliaire de la paupière est le siège d'une hyperesthésie, de sorte que le moindre contact de l'instrument provoque un réflexe très violent, tandis que la cornée elle-même est insensible si on la touche isolément. Dans d'autres cas, j'ai constaté l'anesthésie do la cornée pour un seul œil. tandis que de l'autre côté la sensibilité était normale ou exagérée. EnGn chez d'autres sujets plus rares, on trouve sur la cornée du mémo œil une zone d'anesthésie et une autre zone de sensibilité normale ou d'hyperesthésie. Ces zones d'anesthésie sont essentiellement variables quant âleur situation, c'est tantôt la région interne, tantôt la région externe, tantôt la région supérieure ou la région inférieure, etc. Ces zones irrégulicres constatées sur un seul œil ne peuvent en aucune façon permettre de préjuger l'état de la sensibilité de l'autre œil, qui peut être normal ou aneslhésié, en totalité ou en partie. La présence de zones partielles d'anesthésie cornéenne a tout autant d'importance au point de vue du diagnostic qu'une anesthésic totale. Il est donc évident qu'un examen trop rapide ou superficiel, ou fait avec un instrument grossier est capable d'induire en erreur, soit, oarce qu'il se bornera à constater la sensibilité d'un point, soit parce qu'il portera tout à la fois l'excitation sur un point anesthésié et sur un point sensible qui provoquera le réflexe.
Pour ce qui concerne le réflexe pharyngien, je signalerai les diverses observations suivantes : Chez certains sujets j'ai constaté une anesthésié de toute une moitié latérale du voile du palais, avec hyperesthésie ou sensibilité normale de l'autre moitié. Chez d'autres, anesthésic de la partie supérieure du voile du palais et hyperesthésie du bord inférieur y compris la luette, ou l'inverse réciproquement. Dans d'autres cas, la muqueuse horizontale du palais estscnsîble et la muqueuse verticale du voile du palais est insensible. D'autres fois il y avait insensibilité du voile du palais mais une hyperesthésie très prononcée de la base de la langue, de sorte que si l'on touchait quelque peu la langue en explorant le voile du palais on provoquait un réflexe énergique. Enfin un phénomène encore plus délicat consiste en des plaques d'anesthésie qui siègent indifféremment sur un point quelconque du voile du palais. Ces plaques d'anesthésie pouvaient avoir la dimension d'une pièce de un ou de deux centimes et laissaient une sensibilité normale ou exagérée sur toutes les autres parties de la muqueuse.
Par conséquent, pour tous ces cas, comme pour ceux que je signalais tout à l'heure concernant le réflexe oculaire, une exploration peu attentive, ou faite avec un instrument trop volumineux, devait le plus souvent provoquer le mouvement réflexe, et empêchait de constater un trouble de la sensibilité existant en réalité.
Nous tirerons de ces différentes observations les conclusions suivantes :
1° Il est de la plus grande importance de bien faire le diagnostic de l'hystérie et en particulier de rechercher les troubles de la sensibilité.
2" L'exploration des réflexes oculaire et pharyngien a une très grande importance ; il importe donc que cette exploration soit bien faite.
3° Pour cela, il faut se servir d'un instrument très fin, permettant de porter l'excitation sur une partie très limitée de la muqueuse, à l'exclusion de toute autre.
4° Relativement au réflexe oculaire, il faut examiner les deux yeux et explorer successivement les différentes parties de la cornée.
5" Pour le réflexe pharyngien il faut examiner le palais, le voile du palais et la base de la langue isolément.
6° Il faut en particulier examiner les différents points du voile du palais, pour constater les zones d'anesthésie et d'hyperesthésie qu'il peut présenter.
Hémichorée récidivante, datant de trois mois, guérie en une séance de suggestion hypnotique
Par M. le Df Paul Fafiez ,
Une jeune fille, âgée de 19 ans, Mlle Y. G., m'est amenée dans le courant du mois de décembre 1900. Son bras droit et sa jambe droite sont animés de mouvements choréiques, involontaires, rapides, irréguliers, Dès qu'elle a saisi un objet avec sa main droite, elle le laisse infailliblement tomber, si bien qu'elle ne peut plus ni écrire, ni coudre, ni même manger seule ; et cela dure depuis trois mois. En outre, elle se plaint d'insomnies rebelles.
Il y a environ trois ans, Mlle Y. G. a déjà été atteinte d'une semblable hémichorée. Voici dans quelles circonstances. Un jour, à six heures du soir, on vient la chercher précipitamment à son pensionnat pour la mener au chevet de sa mère qui, dans la matinée, a été opérée d'un cancer et que l'on croit sur le point de mourir. Notre jeune liile en éprouve une émotion considérable et les mouvements choréiques apparaissent dans la jambe ainsi que dans le bras droit ; dès lors, elle laisse tomber tous les objels qu'elle tient de la main droite, tant celle-ci est devenue malhabile.
On ïa met dans une maison de santé où elle reste pendant six mois. En dépit des douches, du bromure, du chloral et du régime lacté, son état, loin de s'améliorer, se perpétue et même s'aggrave. Outre la fonction motrice, l'intcllectualité est touchée. M"' Y. G. se trouve dans un état spécial d'obnubilation ; son cervenu, dit-elle aujourd'hui, était comme endormi ; peut-ôtre s'est-il agi d'une espèce d'état second pendant lequel c elle avait tout à fait l'air d'une idiote », au dire d'une parente.
Au bout de six mois de séjour dans cette maison de santé, elle ne va guère mieux. Sa mère, qui n'est point morte et jouit d'une rémission, reprend sa fille auprès d'elle en février 1898, puis l'envoie, d'abord à la mer, ensuite à Vichy. Une amélioration se manifeste et, au bout de quelques mois, Mlle Y. G. parait guérie.
Mais, au mois de mai 1900, sa mère redevient malade: son cancer récidive et se généralise. Notre jeune fille la soigne avec un grand dévouement, devient une garde-malade modèle, passe les nuits, se fatigue, se surmène, et s'alimente insuffisamment. La malade meurt en septembre. Sa fille en éprouve une désolation profonde, mais ne peut pas verser une seule larme. Toutefois, en revenant du cimetière, elle est de nouveau prise d'hémichorêe, avec maladresse de la main. C'est pour cette récidive qui dure depuis trois mois que cette jeune fille m'est amenée en décembre dernier.
Ses insomnies sont dues à un même rêve qui la harcèle toutes les nuits. Elle voit sa maman à ses côtés ; prise de peur, elle veut crier ; elle se réveille alors en sursaut et ne peut plus se rendormir.
Déjà fixé par les détails qui viennent d'être rapportés, j'explore sa sensibilité et je découvre une hémianesthésie totale à droite. Le diagnostic n'est pas douteux : il s'agit donc d'une hémichorée hystérique. Je promets alors catégoriquement à ma malade une guérison complète et rapide ; puis, je lui donne rendez-vous pour le surlendemain. Elle est très convaincue que je tiendrai ma promesse et, déjà, elle m'en exprime toute sa reconnaissance. Quant à moi, je présume bien que ce délai de deux jours va encore accroitre sa confiance en moi- La malade, en effet, désire ardemment voir arriver l'heure de notre rendez-vous et, dès que je la revois, je la trouve tout à fait n à point » pour être traitée par la suggestion.
Je l'endors, séance tenante, avec la plus grande facilité. Puis, je lui affirme qu'à son réveil ses membres seront redevenus tout à fait dociles à sa volonté, qu'ils ne présenteront plus aucun mouvement irrésistible, qu'elle aura recouvré son adresse manuelle et se sentira tout à fait guérie.
Je la réveille et l'observe : les mouvements chorciques ont totalement disparu. Je lui présente un verre d'eau : elle le saisit ot le porte à sa bouche sans aucune difficulté. Je lui passe successivement un certain nombre d'objets usuels, tels que porte-plume, crayon, règle, cuiller, fourchette, couteau, ciseaux, etc. : elle les prend avec dextérité, les conserve dans s» main et s'en sert correctement. Je lui demande ensuite d'enfiler plusieurs aiguilles et enfin de faire un ourlet: elle s'en acquitte très convenablement.
A la faveur de l'empire que j'ai acquis sur elle en l'endormant du sommeil hypnotique, je continue, après son réveil, à lui faire des suggestions intenses ; je ne cesse de lui parler avec assurance et autorité ; j'annonce formellement ce qui va se passer ; j'exalte son attention et je stimule sa fonction perceptive. Quant à elle, enthousiasmée par le
succès de toutes ces expériences, elle ne doute pas de sa guérison
définitive.
Toutefois, ma tâche n'est point terminée. Je sais qu'il existe une hémianesthésie droite ; si je ne la fais point disparaître, je n'aurai peut-être qu'une amélioration passagère et ma malade restera exposée à une-rechute prochaine. J'ai donc recours à diverses pratiques œsthésiogéni-ques, telles que frictions, massage, pulvérisations de chlorure d'éthyle, douche statique, électricité faradique, etc. Bientôt, la sensibilité redevient normale dans tout le côté droit.
Mais j'insiste sur ce point : la suppression de l'hémichorée par suggestion verbale a précédé la restauration de l'eslhésie (1).
Pour rendre cette guérison durable, j'ai fait revenir encore trois ou quatre fois ma malade, mais surtout afin de lui faire des séances d'œsthésiogéhie.
J'ai dit plus haut que Mlle Y. G. se plaignait d'insomnie rebelle, laquelle était due à un rêve émotionnel. Lors de notre première séance même, pendant qu'elle dort, j'ai soin de dissocier ce rêve, d'en inhiber chacun des éléments, de prévenir leur retour et de suggérer un sommeil paisible pour les nuits suivantes. En effet, notre jeune fille s'endort le soir même à onze heures et dort d'un seul somme jusqu'au lendemain à dix heures et demie du matin. Dès lors notre jeune fille a retrouvé son sommeil normal.
A notre seconde séance, M110 Y. G. me raconte qu'elle a, par moments, mal dans le ventre et qu'elle ne peut se baisser sans y éprouver des douleurs intolérables. Il existe en effet une zone douloureuse dans la fosse iliaque droite, aux environs de l'ovaire ou de l'appendice. Me rappelant les cas d'a appendicite fantôme b déjà publiés, me souvenant aussi que l'hypnotisme est parfois un précieux instrumentde diagnostic, je me hasarde à suggérer d'emblée la disparition de cette douleur, et celte douleur disparait. Devant moi, la malade peut se baisser, se relever et faire des contorsions en tous sens, sans souffrir aucunement. Il s'agissait donc vraisemblablement d'une algie hystérique. Mais l'hypnotisme oiïre cet avantage bien appréciable que, non content de dévoiler la nature hystérique d'un point douloureux, ¡1 en est en même temps l'agent curateur.
Encouragé par ces succès, je vais plus loin. Notre jeune fille souffre de constipation opiniâtre. Je lui suggère que chaque matin, à son réveil, elle aura une garde-robe abondante et, cette fois encore, l'effet attendu se réalise.
On me dira que la suggestion s'est exercée ici sur un sujet éminemment propice : je n'en disconviendrai pas. Mais puisque, dans certains cas, elle est d'un maniement si sûr et si facile, c'est une raison de plus pour qu'on se décide à y avoir recours, toutes les fois que l'indication s'en présente.
(1) A. aucun moment la fonction menstruel n'a été notablement troublée.
société d'hypnologie et de psychologie
ts
II y a maintenant quatre mois que j'ai traité cette jeune fille ; elle jouit d'une santé excellente et, en deux mois, elle a augmenté de quinze livres.
Un curieux cas de léthargie.
Par m. le D' Liègeaud, de Belléme (Orne).
Mlle Emilie L... âgée de 35 ans, institutrice, à tempérament débile, lymphatico-nerveux, au front déprimé, sujette à des migraines et à des névralgies diverses, menstruée tardivement à 1C ans, fut prise d'une grande frayeur, à la suite de la chute de la foudre sur sa classe, dans l'après-midi du 13 juillet 1883. Relevée sans connaissance, elle fut transportée dans sa chambre et ramenée en voiture le lendemain chez ses parents « quelque distance de là.
Nous la vîmes pour la première fois, le 2 août 1883, et voici, de mémoire, quel était à peu près son état. Etat cataleptique très manifeste, raideur musculaire, nystagmus, abolition de la sensibilité au contact et à la douleur : on peut impunément lui enfoncer des aiguilles dans les masses musculaires sans la réveiller, promener une barbe de plume sur les cornées et la muqueuse nasale sans éveiller la moindre sensation ; abolition de la sensibilité réflexe de la moelle constatée par la titillation de la plante des pieds ; bruits du cœur faibles mais réguliers ; clignotement permanent des paupières, contraction des pupilles, contracture des mâchoires qui empêche l'alimentation de la malade ; absence de sensibilité olfactive.
Du 7 au 15 août, la malade est soumise à l'action des courants fara* diques; il se produit des contractions musculaires énergiques, mais rien ne peut la réveiller.
L'alimentation par la bouche étant rendue impossible par la contracture des mâchoires, nous avons recours aux lavements nutritifs, trois ou quatre fois par jour ; souvent ils ne sont pas gardés. Il y a aussi des urines involontaires en petite quantité. Cet état de vie végétative persiste jusqu'au '25 décembre, c'est-à-dire pendant près de cinq mois. — Dans les jours qui précèdent le réveil, on note des contractions fibril-laires dans les muscles du visage où le nystagmus est toujours le phénomène dominant.
Le jour de Noël la malade sort de son sommeil léthargique et demande à manger. Elle ne conserve aucun souvenir de ce qui s'est passé depuis le 13 juillet et parait fort étonnée de se trouver chez ses parents. La sensibilité au contact est rétablie, mais des zones d'anesthésie persistent sur différentes parties du corps, ce que nous constatons dans notre visite du 2G décembre; il existe une grande faiblesse, mais un amaigrissement peu apparent malgré les cinq mois d'abstinence. fc
Emilie L... se remet peu à peu au courant de la vie et songe à reprendre sa classe après les vacances de Pâques. Elle en est empêchée par l'état de ses forces et envoie sa démission pour raison de santé.
Je perds de vue la malade que je considère comme guérie, Iorsqu'en février 1885, c'est-à-dire 8 mois après la première attaque, elle est reprise, à la suite d'une dispute avec sa sœur, d'une attaque d'hystérie convulsive qui la fait retomber dans son état primitif avec aphasie, akinésie, état hypnotique, etc. Sur mes conseils, Emilie L....entre dans mes salles, à l'hospice de II., le 10 mars 1885. Cette fois l'état hypnotique cesse après 60 jours ; l'amaigrissement est plus sensible qu'après la première crise de cinq mois. La malade se lève, circule dans les salles, travaille au crochet, se nourrit copieusement. La religieuse qui la soigne remarque qu'elle devient mystique, elle se met à genoux plusieurs fois par jour dans la salle commune, fait des excentricités dans la chapelle de l'hospice dont il faut lui interdire bientôt l'accès ; elle refuse parfois toute nourriture, tombe peu à peu dans une grande dépression mentale touchant à la mélancolie. Une brusque hémorragie cérébrale termine la scène, le 17 novembre 1885, plus de deux ans après la terreur initiale.
COURS ET CONFÉRENCES
PÉDAGOGIE
L'Initiation à l'étude des sciences physiques (1). par M. C.-A. Laisant Docteur ès-sciences, Examinateur a i'Ecolo Pslyiashniqus.
Mesdames, Messieurs,
Il y a deux ans à peu près, dans cette même salle, je faisais une conférence ayant pour objet l'initiation mathématique (a). Le sujet dont je dois vous entretenir aujourd'hui, l'initiation à l'étude des sciences physiques, est du même ordre, et je me verrai conduit à replacer sous vos yeux les principes immuables de toute saine pédagogie, principes que l'on commence à proclamer, dont on n'ose plus désormais contester la justesse, mais dont, hélas ! dans la pratique, on se tient encore le plus souvent si éloigné.
Ma tâche est aujourd'hui plus facile, en ce que les faits dont nous avons à parler, étant directement observés dans la nature, comportent, pour un observateur superficiel, une moindre somme d'abstraction que ceux qui appartiennent à ce qu'on appelle si improprement encore les sciences exactes ou les sciences abstraites. I! ne faudrait pas cependant s'exagérer la différence, et se rendre dupes d'une apparence pure ; c'est
(1) Conférence faite le 15 février 1901 a l'Institut psycho-physiologique et publiée par la Revue scientifique, dirigée par M. Ch. Richet.
(2) Voir Revue Scientifique, 25 mare 1899.
une considération que je me contente d'indiquer, sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir, et qu'il me suffit de signaler au passage.
Le cerveau de l'enfant, disais-jc à propos de l'initiation mathématique est un merveilleux appareil enregisteur, mais d'une délicatesse extrême. Et j'ajoutais que c'est grande pitié quand on voit des mains maladroites ou brutales manier lourdement cette machine de précision, ne pas savoir en tirer ce qu'elle peut et ce qu'elle doit rendre et souvent fausser les ressorts d'une façon irrémédiable. Si de telles remarques sont incontestablement applicables à l'étude première des nombres et de l'espace, combien davantage encore elles s'appliquent à l'initiation aux phénomènes physiques !
Épris de curiosité, avide de faits, l'enfant, le petit enfant est admirablement doué pour voir et retenir les phénomènes, et par cela même pour s'y intéresser. S'ils offrent une apparence un peu paradoxale et incompréhensible tout d'abord, ils ne s'en implanteront que mieux dans le cerveau. Il suffit d'avoir observé quelquefois un auditoire enfantin assistant à une séance de prestidigitation, pour constater cette vérité. Les exclamations, les cris de joie, les rires de ces petits êtres montrent assez l'attention avec laquelle ils suivent le spectacle, auquel s'ajoute encore cette admiration du merveilleux, de l'incompréhensible, que l'homme actuel tient de ses ancêtres, héritage dont il faudra des siècles bien nombreux peut-être pour se débarrasser.
Cependant, mettre des faits sous les yeux d'un enfant ne suffit pas. Il faut tout d'abord apprendre à voir, et sans que l'apprentissage soit difficile, encore faut-il y penser et s'en préoccuper. Je dis que c'est chose facile, parce qu'on y amène l'enfant par une véritable suggestion, et qu'il est suggeslionnable au plus haut degré. Du reste, soit dit en passant, l'éducation tout entière est-elle autre chose qu'une suite ininterrompue de suggestion ? C'est une banalité que. de dire que l'élève doit avoir confiance en son maître, pour tirer des leçons qu'il reçoit tout le profit possible. Cette confiance présuppose évidemment une action psychologique, personnelle, une influence morale et cérébrale; si elle est mal placée, si le maître n'en sait pas tirer parti, l'influence sera nulle quelquefois funeste ; mais si la confiance ne s'est pas implantée, il n'y aura pas d'enseignement, pas d'éducation. Tout y contribue, l'intonation, le geste, 1 allure ; et l'on pourrait placer indéfiniment un petit être humain en présence d'un phonographe lui racontant les plus belles choses du monde dans la plus belle langue imperturbable, sans obtenir le moindre résultat éducatif.
Donc il faut apprendre à voir; c'est la première des conditions pour commencer à pénétrer dans ce domaine des sciences physiques. Quand j'emploie ce mot voir, j'entends voir par tous les sens, se rendre un compte précis des perceptions arrivant au cerveau par l'intermédiaire de l'oreille, de l'odorat, etc., aussi bien que de l'œil. Il faut en outre que ces perceptions ne soient pas éphémères, mais qu'au contraire elles s'enregistrent dans la mémoire d'une façon durable. On y arrivera, ici
comme partout, grâce à la répétition des mêmes impressions ou d'impressions analogues-Mais de quelle nature sont ces impressions, et comment les faire naître ? Il faut ici que j'arrive à un éclaircissement nécessaire. Je parle des sciences physiques ; à proprement dire, toutes les sciences sont physiques, toutes les sciences sont expérimentales. Cependant, au milieu de l'infinie variété des faits que nous présente la nature, il a fallu, pour s'y reconnaître, opérer une classification. Elle était indispensable pour permettre de se retrouver dans ce dédale ; mais elle n'est ni absolue ni parfaite, ni éternelle ; et elle est loin d'avoir l'importance qu'on lui attribue généralement. Toutes les sciences s'entr'aident et se pénétrent; aucune n'a des frontières bien nettement délimitées. Malgré cela, l'ensemble des phénomènes considérés dans l'étude de ce que nous appelons la Physique et la Chimie correspond suffisamment à l'objet que j'ai en vue, surtout lorsqu'il s'agit exclusivement de la première initiation, et non d'une étude approfondie. Je laisse donc systématiquement de côté le domaine des sciences naturelles, où la pure observation joue un rôle prépondérant, qui dépasse de beaucoup celui de l'expérience, et toutes les observations que j'aurai à vous présenter s'appliqueront aux deux sciences dont je viens de prononcer le nom.
Toutes deux sont d'une importance pratique dont l'évidence crève les yeux ; toutes deux ont fait d'immenses progrès au cours du xix* siècle, ont conduit à d'innombrables applications, qui ont transformé les conditions de la vie humaine; toutes deux étudient des phénomènes qui nous enveloppent, qui nous enserrent, qui pèsent sur notre organisme physique et moral à tous les instants de notre existence. Nous vivons dans un immense laboratoire, chacun de nous est un laboratoire ; et le plus vulgaire des faits naturels que nous pouvons contempler ou dont nous pouvons être affecté représente une collection pour ainsi dire infinie de phénomènes physiques ou chimiques superposés. C'est précisément cette superposition qui nous aveugle ; pour connaître ces phénomènes, pour en avoir la perception précise, il faut arriver à les isoler, au moins relativement, à créer un mode d'expérimentation qui fasse tellement prédominer le phénomène principal qu'on a en vue, que tous les autres passent inaperçus. C'est, dans le domaine de l'expérience, une opération un peu analogue à celle de l'abstraction mathématique, et qui doit s'inspirer des mômes principes.
Mais quand on aura isolé, ou à peu près, un fait spécial, quand on en aura fait pénétrer la perception dans le cerveau de celui à qui on le présente, on n'aura pas beaucoup avancé. Un fait isolé ne prouve rien ; il frappera d'étonnement peut-être, mais n'instruira pas ; d'autre part, deux faits physiques ne sont jamais identiques, pas plus que deux feuilles d'arbre ou deux grains de sable. Seulement, si deux phénomènes sont produits dans des conditions d'analogie très grandes, nous consi-
dèrons ces conditions comme identiques. C'est encore une abstraction. Puis si. dans ces conditions assimilables, les choses se passent la seconde fois d'une façon qui nous parait être la même que la première ; si, recommençant vingt fois, cent fois, mille fois, il en est de même, alors l'esprit est frappé de cette concordance, et il arrive à la notion de loi physique, toute loi pouvant s'exprimer ainsi : lorsqu'on se sera placé dans telles et telles conditions déterminées, tel fait se produira et pourra être constaté.
L'énoncé sous cette forme peut quelquefois devenir d'une complication et d'une obscurité extrêmes. D'autre part, les lois physiques ainsi comprises ne nous instruiraient que sur des faits isolés, ne relieraient pas ces faits entre eux, n'expliqueraient rien, ne donneraient pas de satisfaction à l'esprit et ne feraient guère avancer la science ; les progrès de celle-ci ont invariablement consisté à expliquer un plus grand nombre de faits particuliers par un fait plus général, qui leur sert de cause ; de cause immédiate, bien entendu, les causes premières étant inabordables et anti-scientifiques.
Nous n'en avons pas fini encore. Une pareille explication, un tel rattachement d'un ensemble de faits spéciaux à un fait général n'est possible qu'avec l'intervention de l'hypothèse. L'hypothèse dans les sciences physiques remplitun rôle à la fois très important et très délicat. Elle est indispensable; sans elle, pas de science possible ; et d'autre part, si on lui attribue la valeur d'une réalité effective, on peut tomber dans les plus grossières erreurs et l'on s'interdit tout progrès. Ce n'est en somme qu'une supposition de nature à expliquer les phénomènes observés et connus. Bonne et utile tant que des phénomènes nouveaux ne viennent pas la contredire, elle cesse d'être acceptable à partir du jour où des découvertes bien établies en démontrent l'insuffisance. Certaines hypothèses peuvent subsister pendant des siècles ; d'autres n'auront qu'une durée éphémère ; toutes auront eu leur utilité ; toutes deviendraient funestes si l'on s'y attachait comme à des articles de foi, puisqu'on serait conduit à les conserver encore, alors qu'elles auraient rempli leur tâche, et cessé d'expliquer les faits de la nature. Les exemples abondent; l'histoire de la science m'en fournirait à foison; mais je veux éviter d'allonger inutilement cet entretien, et je vous demande de rae faire crédit sur ce point et d'admettre de confiance une vérité banale, dont le contrôle peut du reste aisément se faire par chacun.
Vous voyez — et c'est le but que je voulais seulement atteindre en plaçant sous vos yeux ces observations — quelles précautions logiques, quelle complexité des opérations de l'esprit exige l'étude des sciences physiques. Vous voyez combien j'avais raison dès le début, et à rencontre d'un préjugé trop général, de vous mettre en garde contre le degré de difficulté psychologique qu'on a coutume d'attribuer aux sciences mathématiques par opposition aux sciences physiques. DanB ces dernières, l'abstraction, comme dans les premières, intervient d'une
façon impérieuse, et il y faut ajouter, vous venez de le voir, une foule d'autres éléments. Pour être complet, nous devons dire encore que l'élude approfondie de la Physique et de la Chimie exige absolument la notion de mesure, que la science des quantités est par conséquent indispensable dans ce nouveau domaine, et que même c'est la nécessité d'analyser les faits de la nature qui a vraiment provoqué la création de la science mathématique.
Telleest la vérité. Et cependant chacun de nous ne sent-il pas que l'étude dont nous parlons est devenue et devient chaque jour plus indispensable à chaque être humain d'instruction moyenne ? Sous peine de vivre en aveugledans un monde où se présentent en foule les applications industrielles des sciences physiques, il n'est pas permis d'en ignorer les éléments. Une certaine culture, sur ce point, nous est d'autant plus indispensable que les applications auxquelles je fais allusion se présentent jusque dans le fonctionnement normal de la vie quotidienne, de la vie domestique.
Rien n'est plus vrai, me répondra-t-on peut-être. Et la nécessité de l'étude des sciences physiques, au moins dans leur partie élémentaire, est tellement peu contestée que cette étude figure dans tous les programmes de l'enseignement secondaire, et qu'on l'exige pour les plus modestes diplômes. A merveille. Mais cette instruction, comment la donne-t-on? Comment serait-il raisonnable de la donner? Voilà ce que je voudrais maintenant examiner avec vous.
Je veux bien croire que les choses se sont un peu améliorées depuis les très longues années qui me séparent de l'époque où Ton m'enseigna les premières notions de Physique et de Chimie dans un lointain collège de province. Un vieux professeur à l'apparence bourrue nous diefait mot à mot son cours. Il fallait respecter jusqu'à la disposition calligraphique, mettre la ponctuation comme il l'indiquait, et représenter les cahiers à la leçon suivante. Les interrogatoires équivalaient, ou peu s'en faut, à une récitation. La moindre défaillance de mémoire, la plus légère inexactitude dans la tenue du cahier amenaient de sévères punitions. On allait en tremblant à la leçon de ce terrible homme. Ses dictées cependant étaient quelquefois interrompues par des expériences. Mais la salle était obscure, le nombre des élèves assez grand, et la discipline la plus sévère interdisait de quitter sa place pour tâcher de voir quelque chose. La vérité, c'est que nous n'avions d'autre ressource, pour essayer d'acquérir quelques notions, que l'étude dans un livre; si d'ailleurs un élève se fût permis de demauder un éclaircissement quelconque au professeur, il eût été considéré comme un mauvais esprit et traité de façon à lui faire passer toute velléité de récidive.
Je le répète, les choses ont assurément changé depuis lors, mais moins dans le fond que dans la forme. L'enfant n'est l'objet, en réalité, d'aucune initiation préalable. Dès le début de ses études dans le domaine des sciences physiques, on lui donne (et l'on ne peut guère
faire autrement) un enseignement doctrinal tout préparé, sans participation directe de son initiative d'esprit ; là, comme ailleurs, c'est la mémoire qui est surtout en jeu, ce sont des mots qui entrent dans son esprit; les hypothèses se transforment vite en articles de foi ; quant aux expériences, il les voit de loin, n'y parlîcipe guère, même en pensée ; et les manipulations, bien rares du reste, n'arrivent que plus tard.
D'un pareil système on ne doit raisonnablement faire reproche ni au corps enseignant, ni aux hommes chargés de l'administration des établissements universitaires. Les uns elles autres se débattent au milieu d'insurmontables difficultis! Ce qui est vicieux, c'est le plan général de l'organisation de l'enseignement scientifique, c'est la méconnaissance des facultés de l'enfant, l'obstination systématique à vouloir obtenir de lui ce qu'il ne peut pas donner, et à ne pas profiter de ses dispositions naturelles. Supposez en effet, au lieu du tableau que nous venons d'esquisser, un auditoire de jeunes gens, entraînés depuis leur enfance; depuis l'âge de cinq ou six ans par exemple, à l'observation des faits, supposez qu'en se jouant, lisaient eux-mêmes provoqué ces faits, c'est-à-dire pratiqué de nombreuses expériences. Les théories qu'on leur présentera, étant donnée cette préparation antérieure, n'auront plus pour objet que de coordonner des notions précédemment acquises, que de préciser l'idée de loi physique, entrevue le plus souvent d'instinct, et à laquelle il n'y a plus qu'à attribuer un caractère systématique. Quant aux expériences, elles intéresseront, parce qu'on y retrouvera des choses déjà vues, déjà faites, et maintenant mieux expliquées et plus complètement comprises. Pour tout dire d'un mot, il est nécessaire, là encore, de faire précéder l'enseignement rationnel d'une initiation expérimentale, instinctive, dépouillée de tout appareil pédagogique apparent, au cours de laquelle on cherche à amuser l'enfant, à profiter de sa curiosité naturelle, sans jamais lui demander un effort de mémoire.
Je vais maintenant au-devant de l'objection. Toute cette théorie éducative, me dira-t.on, est en effet charmante et séduisante, mais c'est une pure chimère. Elle est radicalement inapplicable. Avcz-vous les moyens matériels de la mettre en œuvre? Faudra-t-il que dans chaque famille, dans chaque école primaire ou maternelle, on installe un cabinet de Physique et un laboratoire de Chimie? Où trouver les ressources? Où trouver le personnel?
Eh! l'objection ainsi présentée est d'une réfutation faoile. La nature entière, je l'ai dit plus haut, est un vaste laboratoire; elle place sous nos regards d'incessants phénomènes, et il suffit d'ouvrir les yeux pour en retirer les plus précieux des enseignement. Mais cela ne suffit certainement pas, et il faut, à côté de l'observation, instituer l'expérience. Or, en «'inspirant des idées de Frccbel et de Pcstalozzi, des tentatives ont été faites, depuis un certain nombre d'années, qui fournissent la plus topique des réponses. Elles succédaient d'ailleurs à de très nombreuses publicationsantéricures qui, sous le nom de Récréations scien~
tifiques ou sous d'autres appellations analogues, méritaient de retenir l'attention. Il semble que les hommes chargés par leurs fonctions du développement intellectuel de la jeunesse auraient dû se précipiter avec avidité sur les nouveaux moyens qui leur étaient offerts, les analyser, les étudier, en tirer la quintessence, réformer de fond en comble l'enseignement, avec le secours de ces éléments inespérés. Tout au contraire, ils sont passés à côté de ces tentatives avec une suprême indifférence, accompagnée d'un dédain non dissimulé. Les auteurs de Récréations scientifiques à leurs yeux n'étaient que de vulgaires amuseurs. Songez donc! Apprendre quelque chose à l'enfance sans l'ennuyer: quolle folio! Lui mettre dans le cerveau une longue suite d'observations, de faits de résultats, et la préparer ainsi à recevoir plus tard des idées justes, à réfléchir, à raisonner; quelle entreprise révolutionnaire ! Le spectacle que nous donne l'administration pédagogique m'autorise à dire que nous ne sommes pas beaucoup plus avancés à ce point do vue qu'on ne l'était au moyen âge.
Voulant éviter de m'étendre indéfiniment, je me bornerai, parmi les innovateurs dont je viens do parler, à vous en signaler un très petit nombre.
C'est d'abord un volume de Gaston Tissandier: Les Récréations scientifiques ; la Physique sans appareils ; la Chimie sans laboratoire, dont j'ai entre les mains un exemplaire de la 6' édition, portant la date de 1893. L'Académie française, en 1883, avait donné à l'auteur l'un des prix Montyon destinés à récompenser les livres utiles. Puis, la Science amusante, en 3 volumes; l'auteur, qui signe Tom TU, est un ingénieur fort remarquable, et dont la grande instruction se révèle aisément aux yeux de qui cherche un peu à lire entre les lignes.
Dans l'un et l'autre de ces deux excellents ouvrages, le même esprit se révèle : on se propose, sans dépense appréciable, en se servant â peu près uniquement d'objets usuels se trouvant dans toutes les familles, d'instituer de petites expériences qui font apparaitre beaucoup de faits, et mettent en relief beaucoup de lois.
S'agit-il de la pesanteur, des propriétés du centre de gravité des corps solides, du pendule, de la chute des corps? Des pièces de 5 ou 10 centimes, des bâtons, de3 couteaux, des fourchettes, des verres, des bouteilles, des bouchons, des aiguilles permettront de mettre sous les yeux de l'enfant une quantité considérable de faits. Bien mieux, on l'exercera à préparer et à faire lui-même les expériences. L'habileté de la main se formera, en même temps que l'attention se portera sur le sujet, avec une bien autre intensité que sur une leçon qu'il faudrait apprendre par cœur pour la réciter ensuite. Avec un simple canif, tiré de sa poche, l'écolier fera tenir un crayon par la pointe sur le bout du doigt. Cela ne lui don-nera-t-il pas, sur Ja stabilité des corps pesants, une notion plus.précisc, le satisfaisant mieux, que des raisonnements puisés dans un livre? Les raisonnements viendront plus tard, en leur temps, lors de l'étude
rationnelle. N'oublions jamais que nous sommes dans la période d'initiation. Un bâton, auquel on suspendra par son extrémité un seau plein d'eau, fera saisir à la fois les propriétés du centre de gravite et celles du levier.
Nous arrivons à l'hydrostatique. L'équilibre des liquides superposés, le principe de Pascal, l'extension aux gaz de quelques-unes des propriétés des liquides exigeront comme matériel de l'eau, du vin rouge, de l'huile, quelques verres communs, des verres de lampes, parfois un bout d'étoffe légère. La pression atmosphérique sera mise en évidence à l'aide du même matériel.
Pour la capillarité, il faudra des aiguilles à coudre, des allumettes, un verre d'eau. Avec quelques pièces de monnaie, on fera ressortir l'importance des ménisques liquides, que même des personnes instruites ne soupçonnent guère, si elles n'y ont pas réfléchi en regardant de près les phénomènes.
Les propriétés générales des gaz, la chaleur, l'électricité, le magnétisme, l'acoustique, la lumière se prêtent aussi ù des expériences improvisées qu'il serait fastidieux d'énumérer ici. Dans beaucoup d'entre elles, les phénomènes chimiquesse produisent parallèlement, et peuvent aisément être remarqués de l'enfant, pourvu qu'on l'incite à y porter son attention.
C'est un véritable honneur pour l'Académie française que d'avoir accordé un prix important à l'émincnt directeur du journal là Nature pour son ouvrage si utile. Il est cependant, qu'on me permette cette petite remarque incidente, un peu bizarre peut-être que le soin de récompenser des œuvres scientifiques incombe à l'Académie française. Sans doute, en revanche, quelque jour, verrons-nous des œuvres littéraires jugées par l'Académie des Sciences. Ce sont là de ces paradoxes élégants, dont l'absurdité sans importance ne saurait choquer que des étrangers, ne comprenant rien à la légèreté et à la finesse de notre esprit français. Ce qui est plus grave que tous les prix académiques c'est le fond des choses. Aujourd'hui, malheureusement, M. Gaston Tissandier est mort. Mais si la prétendue organisation de l'enseignement public de l'enfance était chez nous autre chose qu'un vaste décor, ce grand éducateur aurait été appelé par les pouvoirs compétents, au lendemain mémo de la publication de ses Récréations scientifiques, et invité à organiser le premier enseignement des sciences expérimentales.
A l'heure actuelle, des administrateurs soucieux du développement intellectuel de l'enfance chercheraient à découvrir qui se cache modestement sous le pseudonyme de Tom Tit, et trouveraient là un inspecteur général de l'Instruction primaire, qui ferait certainement plus en quatre ou cinq ans, que tous les bureaux officiels n'ont pu faire en un demi-siècle.
Dans l'ordre d'idées où je me suis placé, jo voudrais vous signaler
encore une petite curiosité bibliographique que j'ai gardée précieusement depuis plus quarante années. C'est un modeste Almanach de fa Chimie pour 1856, publié à Rouen etsigné des simples initiales H. du M., dont je n'ai jamais découvert ( ni d'ailleurs essayé de découvrir) le mys-tèrc. J'y trouve, entre autres curiosités, une usine à gaz en miniature, obtenue au moyen d'une pipe de 5 centimes, d'un réchaud de cuisine et d'une poignée de terre glaise. J'y rencontre aussi, à propos delà conservation des viandes, un passage qui vous frappera certainement, lorsque vous vous souviendrez de l'époque à laquelle les lignes suivantes étaient écrites:
« M. Malaguti (professeur de chimie agricole à la Faculté de Rennes) a appelé l'attention de ses auditeurs sur une expérience faite récemment par MM. Schroder et Dush, qui pourrait, a-t-il dit, contenir le germe d'un moyen de conservation fort bizarre. Ces messieurs ont conservé pendant vingt-cinq jours du bouilli plongé dans son bouillon, en renouvelant l'air contenu dans le récipient; mais l'air qu'ils remplaçaient sans cesse était obligé, avant d'arriver au contact du bouillon, de parcourir un tube long de 60 centimètres et large de 5 centimètres, rempli d'ouate de coton.
o 11 est possible qu'un jour on parvienne à populariser ce moyen, qui semble prouver que si l'oxygène est indispensable pour provoquer la putréfaction, dans quelques cas il a besoin de l'intervention de certains principes qui l'accompagnent dans l'air et qui jusqu'à présent nous sont encore restés inconnus.
« Toutefois il nous semble que ces principes pourraient bien être des sporules de moisissures invisibles à l'œil, mais dont l'existence est démontrée par la production de la moisissure elle-même. »
Cela ne vous produit-il pas un peu l'impression d'une prophétie, qui ne porte du reste aucune atteinte à la gloire de Pasteur ?
De cette citation, qui pourrait paraître un hors-d'ecuvre, je tirerai seulement une conclusion; c'est que l'histoire de la science, surtout celles des sciences physiques, devrait tenir dans notre enseignement, à tous les degrés, une place plus importante. N'est-il pas plus intéressant pour l'esprit d'un enfant, de suivre les progrès d'une idée, d'être initié à la vie des savants, à leurs luttes, à leurs efforts, plutôt que d'enregistrer la série des massacres et des crimes de toutes sortes, et la chronologie sèche et vide qui composent assez généralement la substance de l'enseignement élémentaire de l'histoire?
Pour revenir plus directement à mon sujet, je dois accorder que les moyens si précieux sur lesquels j'ai appelé votre attention, et qui sont énumérés notamment dans les livres de Gaston Tissandîer et de Tom Tit, ne suffiraient peut-être pas à une initiation complète aux sciences physiques.
Pour l'électricité, notamment, une petite machine statique, un élément de pile sont des compléments, utiles, sinon indispensables, pour
produire plus aisément et d'une façon plus frappante certains phénomènes. En Chimie, un petit matériel spécial serait aussi précieux. Mais tout cela représente une dépense très légère, et beaucoup de familles pourraient aisément s'outiller de la sorte. En tous cas, les écoles publiques devraient partout, sans exception, jusque dans les moindres hameaux, être pourvus de ce petit matériel. Que de dépenses, au centuple, inutiles et parfois nuisibles, figurent dans les budgets municipaux
C'est une honte, que chaque école n'ait pas, sous une forme rudi-mentairc, sa collection et son outillage scientifique, son cabinet de Physique embryonnaire, son laboratoire lilliputien, ses modèles, son musée. Celui-ci se compléterait souvent, sans bourse délier, en y ajoutant quelques-uns de ces jouets que nous voyons apparaître au commencement de chaque année, productions éphémères oubliées et dédaignées bientôt, et qui cependant sont si souvent de véritables merveilles d'ingéniosité mécanique ou physique. Ces jouets pourraient et devraient corn-tribuer à l'instruction; on les abandonne après s'en être amusé; et, sans les examiner seulement, on les jette à la ferraille.
Avec un peu de bonne volonté, de suite dans les idées, d'observation consciencieuse des facultés cérébrales de l'enfance, on arriverait rapidement dans notre pays à former des générations conscientes d'elles-mêmes et du milieu qui les entoure, aptes à se rendre compte des progrès incessants qui s'accomplissent dans le domaine des sciences physiques et de leurs applications. Ces progrès sont tellement formidables que, tous ici, nous pouvons bien dire sans jeu de mots que nous avons vraiment vécu deux siècles, si nous comparons seulement l'état de choses actuel et celui qui remonte à une vingtaine d'années. Et cependant, dix-neuf sur vingt de nos contemporains, pour le moins, ne se rendent pas plus compte des merveilles qui les entourent qu'un Hot-tentot" transporté au musée du Louvre ne se rendrait compte de la beauté des œuvres d'art.
Voulons-nous que nos enfants, et les générations qui les suivront restent dans le même état mental? Trouvons-nous, au contraire, que celte organisation n'est pas parfaite, et qu'il y a quelque chose à changer? Au fond, c'est tout le problème de l'éducation populaire qui se pose, et il peut se résumer ainsi :
Le but de l'instruction publique est-il de former et de développer le cerveau de l'être humain, et de préparer celui-ci pour la vie? A-t-il pour objet de discipliner les esprits, de les maintenir dans une situation d'engourdissement et d'ignorance les mettant hors d'état de penser par eux-mêmes; et, sous prétexte d'instruction, doit-il fatiguer la mémoire, au point do tuer les facultés d'initiative?
Dans le deuxième cas, tout est bien; inclinons-nous, et ne modifions rien. Il serait toutefois plus franc, et plus économique, de ne pas apprendre mémo aux enfants la lecture ni l'écriture.
Dans le premier, reconnaissons hardiment qu'il y a une réforme profonde à faire, et préparons-la. C'est à cette tâche que je travaille dans a petite mesure de mes forces, et je vous demande d'y travailler aussi.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie
La dixième seance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 16 juillet 1901, a quatre heures précises au palais des Sociétés Savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpôtrière.
Les auteurs sont invités à adresser dès a présent les titres do leurs communication a M, le Dr Bérillon, secrétaire général, U, rue Tattbout.
ordre du jour :
1° Compte-rendu de la situation morale ot financière de la Société.
2° Communications et lectures.
3° Présentation de malades.
4° Vote sur l'admission de nouveaux membres.
5° Elections.
6° Rapport sur la souscription Dumontpallier.
Après la séance annuelle, un banquet aura Heu à sept heures comme les années précédentes, au restaurant du palais des Sociétés Savantes. Tenue de ville.
N. li. — Les membres de la Société sont invités à prendre bonne note que la date de la séance annuelle est fixée au mardi tÔ juillet à quatre heures précises.
Communications déjà inscrites
Dr Jules Voisin : Traitement des contractures spasmodlqucs par l'hypnotisme et la suggestion.
Dr Paul Magnin: Psychologie des sentiments affectifs : traitement psychothérapique dans un cas d'affectivité morbide.
Dr Bérillon : 1° Pathologie du sommeil : Les rêves prolongés;
2° Le traitement psycho-mécanique de la choree, des tics et des habitudes automatiques.
Df Paul Farez : Deux cas de vomissements Incoercibles guéris par suggestion.
D' Pau de Saint-Martin : Note sur un cas de catalepsie compliquée,
traitée et guérie par l'hypnotisme. D1 Bourdon (de Meruj : Applications de la méthode hypno-pédagogique au
traitement des habitudes vicieuses. D' Henry Lemesle : Fausses grossesses et grossesses nerveuses. 0- Félix Regnault : Le dédoublement de la personnalité. D' Le Menant de Chesnais : Suggestion curative dans le cours d'une atta-*
que d'éclampsio.
Dr Bellemaniéhe : Kleptomanie guérie par la suggestion hypnotique.
Dr Hîckmet (de Constantinople) : Rôle psychique des cautérisations Ignées
dans la thérapeutique des Arabes. Dr Aragon : Étude médico-légale sur le doute.
Dr PaulJoiiiE(do Lille): Emploi de la suggestion dans l'éducation artistique et dans l'étude de la musique.
Dr M. lêpinay: Les agonis provocateurs de l'hystérie chez quelques animaux.
Dr Manfrûxi (de Turin): Analgésie suggérée dans le sommeil normal. Dr Gino Maiorfi (de Sienne) : Deux cas de sitophobie obstinée chez des
aliénés.
Un cas de démence chez un chien.
A la dernière réunion des neurologislcs et psychiatres de l'Allemagne du Sud, le Dr Nissl (d'Heîdtrlberg) a communiqué l'observation d'un chien àgê de deux ans, indemne de toute tare héréditaire I », dont les allures se modifièrent subitement au cours d'une promenade : il prit et conserva un air stupide no s'intéressant plus aux personnes qui composaient son entourage habituel. Il ne reconnaissait plus son maître; sans cesse il tournait en cercle. Les fonctions de relations allèrent en déclinant. Il devint gâteux. Cependant, l'appétit et les fonctions digestives se maintinrent en bon état. Les pupilles étaient dilatées; elles réagissaient paresseusement.
On se décida à sacrifier l'animal, afin do pouvoir procéder à l'examen de son cerveau. Seule, l'écorce grise des hémisphères fut trouvée altérée. Les parois des vaisseaux étaient le siège d'une infiltration massive par des cellules arrondies; celles-ci distendainnt les gaines adventices. Les cellules et les fibres nerveuses, ainsi que lanévroglio, étalent dans un état d'intégrité relative. L'ensemble du processus rappelait assez bien ce qu'on observe chez les sujets de l'espèce humaine dans les cas d'encéphalite non suppuréc.
Un nouveau cas de léthargie.
Un cas nouveau de léthargie vient de se produire dans l'hôpital de Saint Spiridion en Roumanie. 11 s'agit d'une jeune fille qui s'endormit après avoir subi une opération sous l'Influence du chloroforme, et qui depuis ne donne signe de vie que pour quelques Instants, toutes les douze ou quinze heures, se rendormant aussitôt. Les médecins attribuent ce sommeil léthargique à l'effet du chloroforme sur le système nerveux de la jeune fille.
Suggestion olfactive
M. de Parville rapporte dans sa c Revue des sciences « un cas amusant de suggestion, d'après la Psychological Reviav. Lo fait a été raconté par M. Slosson et s'est passé à l'Université de Wyoming.
a J'avais préparé, dit M. Slosson, une bouteille remplie d'eau distillée, soigneusement enveloppée dans de la ouate et enfermée dans une boite. "Après quelques expériences faites dans une conférence, je déclarai que je désirais me rendre compte avoo quelle rapidité une odeur se diffuserait dans l'air de l'amphithéâtre. Ea conséquence, je demandais auxasslstantsde lever la main aussitôt qu'ils percevraient l'odeur.
« J'enlevai le coton do la bouteille avec précaution et je versai a la surface un peu du contenu du flacon, eu faisant mine de m'élolgner un peu. Jo pris une montre à secondes et j'attendis le résultat.
« J'expliquais à haute voix que j'étais absolument certain que personne dans l'auditoire n'avait jamais senti l'odeur du composé chimique quo jo
venais déverser et j'exprimai l'espoir que, si l'odeur devait sembler forte et caractéristique, du moins elle n'incommoderait personne. »
Au bout de 15 secondes, la plupart des auditeurs placés près du professeur levèrent la main. En 40 secondes 1' a odeur» se répandit jusqu'au fond, de l'amphithéâtre par ondes parallèles assez régulières. Les trois quarts environ de l'auditoire déclarèrent percevoir l'odeur.
Au bout d'une minute, M. Slosson était obligé d'interrompre l'expérience plusieurs des auditeurs du premier rang se trouvant gênés par 1' c odeur » au point de vouloir quitter la salle !
Le centre du sommeil. M. Soca a rapporté récemment l'observation d'une jeune fille qui fut atteinte d'un sommeil prolongé pendant sept mois, et chez laquelle on trouva à l'autopsie, une tumeur comprimant le plancher du troisième ventricule. Cette observation vient a l'appui des faits expérimentaux qui ont amené M. Raphaël Dubois (de Lyon), il y a déjà plusieurs années, à admettre l'existence, entre le bulbe et le cerveau, d'un centre jouant un rôle prépondérant dans le mécanisme du sommeil et aussi du réveil. Quand, par suite du travail, de la fatigue, etc., une quantité suffisante d'acide carbonique s'est accumulée dans les tissus et dans le sang, il en résulte une parésie de la région en question ; la température s'abaisse, les mouvements respiratoires diminuent de nombre et d'amplitude, et le sommeil se. produit. Pendant celui-ci, l'acide carbonique continue à s'accumuler dans le sang; lorsque sa proportion est suffisante, le centre en question, au lieu d'être engourdi, se trouve excité ; les mouvements respiratoires s'accélèrent et très rapidement, comme il arrive pour toute narcose produite par un gaz, le réveil arrive. En d'autres termes, c'est le même agent, l'acide carbonique qui produit le sommeil et le réveil.
Un cas de jeûne prolongé chez la vacne.
Les animaux à sang chaud peuvent digérer on quelque sorte, leurs différents organes. Les animaux hibernants ont cette heureuse faculté de ne pas être obligés de boire. Et M. Liberge, vétérinaire à Belléme (Orne}, vient d'apporter un1 nouveau document à l'étude du jeune. Il s'agit d'une vache normande, âgée do huit ans, appartenant aune cultivatrice du Haut-Cissey, commune du Gué-de-Ia-Ohaine, prés Belléme (Orne). Dans la nuit du 8 octobre dernier, la vache disparut de son herbage. Le 17 novembre, quarante jours après! on retrouva la pauvre bêle. Elle s'était, comme disent les témoins du fait, emmanchée entre trois meules de paille. On eut fort heureusement l'idée do démolir les meules pour faire du battage et l'on retrouva le corps de la vache encore vivante.
Enfoncée dans une dépression du sol, comprimée dans la paille, la vache était absolument emprisonnée. On constata qu'elle avait les lèvres collées, quo sa maigreur était extrême, et qu'elle présentait la silhouette générale d'uno levrette. Mais enfin elle vivait. On la rentra à l'étable, on la mit au régime lacté, on la purgea, et au bout d'une huitaine de jours celte vache se gonflait et engraissait. 11 y â là un cas d'autophagic très intéressant.
VAdministrateur-Gérant : Ed. BËRILLON
Paris. Imprimerie A. QULLQUEJEU, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
16e année — N° 2.
Août 1001.
Les Indications de l'hypnotisme et de la suggestion dans le traitement de l'alcoolisme (1)
Pendant 13 ans, j'ai fait plus de 700 observations sur l'application de l'hypnotisme chez des alcooliques et je présente au Congrès mes conclusions.
Les résultats obtenus ont été très favorables; je compte près de 80 0/0 de guérisons pour les malades qui se sont présentés chez moi de leur propre volonté, ce qui est la condition nécessaire sans laquelle je n'entreprends pas le traitement hypnotique. L'état des malades avant le traitement était très souvent déplorable. La plupart des alcooliques buvaient près d'un litre d'eau-de-vie russe (40 0/0 d'alcool pur) par jour, ou encore une plus grande quantité pendant plusieurs jours, avec des intervalles de sobriété variant de 15 jours à 6 ou 8 mois. Tous ne pouvaient pas résister par eux-mêmes à cette tendance vers l'alcool, et beaucoup d'entre eux s'étaient ruinés, devenus incapables de travail. Ces malades appartenaient à toutes les classes de la société : savants, professeurs, médecins, prêtres, marchands, commis, ouvriers, paysans. Je n'ai soigné qu'une vingtaine de femmes et je ne peux en dire rien de particulier. Les malades que je compte pour guéris sont ceux qui n'ont plus recommencé à boire après l'hypnotisalion pendant un an au moins.
(1) Rapport présenté nu 2* Congrès International de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique (août 1901).
Par le Dr ToKAitSKy (de Moscou)
Les personnes qui abusent de i'alcool peuvent être réparties en plusieurs catégories :
1° Des personnes bien portantes qui commencent ù boire sous l'influence du milieu, qui contribue à faire boire de i'alcool à chaque occasion même la plus minime : à propos d'une fête : de famille par exemple. Après des abus de celte sorte, courts -et sans conséquence, au bout de quelques années, certaines S personnes se sentent tellement entraînées vers l'alcool qu'elles ne peuvent plus résister à cette tendance, tantôt d'une manière t continue, tantôt par accès qui durent plusieurs jours, une. semaine environ. Ces personnes conservent quelquefois assez . longtemps l'aptitude au travail qui est interrompue de temps ài autre par des accès qui sont quelquefois suivis par des accès A de délire des alcooliques qui ne se développent pas complète- j ment dans la plupart des cas et se bornent aux hallucinations î pendant deux ou trois jours.
2° Les mêmes personnes héréditairement saines mais deve-g nues alcooliques par suite d'une mauvaise habitude peuvent | atteindre des degrés plus avancés d'empoisonnement et en devenant des alcooliques chroniques présentent des signes de l'activité psychique affaiblie, la faiblesse de la mémoire, l'abais-i sèment de l'énergie.une tendance vers la mélancolie, le sommeil J mauvais, quelques signes physiques comme le tremblement 1 général, la congestion du foie, quelquefois la névrite alcoolique. 3
3° Des personnes qui, avant de devenir alcooliques, présentaient des signes de dégénérescence psychique. 11 ne s'agit ici que de la dégénérescence très peu marquée qui ne se manifeste i que par le changement d'humeur, qui devient instable et passe de l'animation à la dépression, des idées gaies aux] idées tristes et désespérées. Ces états d'excitation cl de dépres-^ sion se développent d'ordinaire longtemps avant que les abus \ commencent. On observe souvent en pareil cas que les prefl niïères gorgées d'alcool bues dans un état de dépression | font disparaître cette dernière, chassent les idées; tristes et^ l'angoisse. Cette circonstance grave est la cause principale que les malades au lieu de fuir les boissons spi ri tueuses, les j recherchent consciemment comme un soulagement de leur état j dépressif, loin de penser qu'ils deviennent peu à peu des ; alcooliques chroniques. Les résultats de ce traitement sont évidents: le système nerveux affaibli par le vin, réagit par le j retour de l'angoisse dans un degré encore plus fort qu'avant : et le cercle vicieux se forme.
4e Des dégénérés plus avancés qui présentent l'instabilité des désirs, en général accompagnée de changements d'humeur, une irritabilité prononcée de leur système nerveux et l'impossibilité presque complète de se retenir. Ce sont des impulsifs qui pendant toute leur vie sont entraînés d'un désir à un autre, d'une passion à une autre. Ce sont tantôt des joueurs de cartes, tantôt des sportsmens passionnés, tantôt des amateurs de femmes, enclins à s'oublier à tout propos et à s'adonner à différents excès. Ces gens, une fois qu'ils commencent à boire, deviennent aussitôt des ivrognes passionnés qui avalent l'alcool sous n'importe qu'elle forme, même avec les saletés qu'on jette dedans pour les en dégoûter. C'est une espèce de fureur alcoolique qui saisit !e malade, et il ne peut pas s'en débarrasser, bien qu'il en conserve souvent une pleine connaissance. Les mêmes personnes dans d'autres circonstances deviennent opiophages, morphinistes, cocaï-nistes, etc. Pour la plupart des cas, ce sont des gens incapables de travailler par leur nature même.
5° Le groupe le plus rare des ivrognes est celui des ivrognes héréditaires. On aurait pu même douter de l'existence de ce groupe si quelques observations sur la tendance prononcée vers l'alcool chez des enfants nouveau-nés n'attiraient pas l'attention de ce côté.
6° Enfin, il faut toujours avoir en vue des aliénés qui abusent de l'alcool. On observe cela assez souvent chez des malades atteints de. la folie circulaire, en état maniaque. Quelquefois l'abus de l'alcool dissimule tellement la vraie maladie, qu'on traite les malades pendant des années comme de simples alcooliques. Dans ce groupe, on voit souvent des cas de fureur après l'abus des spiritueux, des cas d'enivrement pathologique.
Les trois premières catégories présentent les conditions les plus favorables pour l'intervention thérapeutique.
La plupart des ivrognes appartiennent justement à ces trois catégories.
Ainsi la possibilité de guérir des ivrognes n'appartenant qu'à ces trois catégories constitue déià un fait de très grande importance.
De tous les moyens qu'on emploie à l'heure actuelle, il faut mettre à la première place le traitement des ivrognes par la suggestion hypnotique.
L'action favorable de la suggestion hypnotique se manifeste
même dans l'état d'empoisonnement aigu par l'alcool où les narcotiques (opium et chloral) sont particulièrement indi- ; qu.és. En employant la suggestion hypnotique, on peut se con-1 tenter habituellement de doses beaucoup plus petites d'opium-, et se passer complètement du chloral hydraté, ce qui supprime les conséquences fâcheuses de grandes doses de narcotiques,': la lourdeur et les maux de tête.
Dans les cas où l'empoisonnement par l'alcool ne se mani- • festait que par l'insomnie, la mauvaise humeur, le mauvais appétit et le tremblement général, j'ai souvent été Trappe par l'aspect frais et réconforté des malades le lendemain de l'hypnotisation.
L'action principale de l'hypnotisation et de ia suggestion^ réside dans son influence calmante sur le système nerveux, surexcité par l'alcool, ce qui amène immédiatement un change-.»; ment d'humeur qui devient calme et forte.
Ce changement d'humeur est un signe très important pour le! pronostic. Dans tous les cas de guérison les malades perdent; leur tendance vers l'alcool après la première hypnotisation, • mais on ne peut regarder le traitement comme terminé qu'aprèsi la disparition complète de l'angoisse.
Le traitement est institué en général de la manière suivante a
On hypnotise le malade dans l'état où il se trouve. 11 est préférable cependant qu'il n'ait rien bu le jour de l'hypnoUsationJ II vaut mieux hypnotiser les ivrognes périodiques au milieu de leur période d;abstinenco, ou aussitôt après la lin de cette-période. Le moment le moins favorable est le temps qui précède la période de l'abus. Pendant la première hypnotisation un fait] déjà la suggestion de ne plus boire. Le jour suivant, l'hypnôjl tisation se répèle avec la même suggestion. L'état du malade-s'améliore habituellement après deux suggestions, tellement; qu'on peut ne l'hypnotiser qu'au bout de deux ou trois jours.l puis au bout d'une semaine, puis de deux semaines, puis d'un, i deux, trois, quatre mois. On peut considérer le malade comme ; guéri au bout d'un an de traitement qui comprend 15-20 sug-! gestions. Ce terme dépend de ce fait, qu'on ne peut pas se i rendre compte en moins d'un an des oscillations du système nerveux propres à chaque organisation individuelle.
Dans les cas favorables, les malades ne boivent pas une goutte i d'alcool dès le commencement du traitement ou, mais c'est une exception assez rare, ils boivent très peu le premier ou le deuxième jour.
Si le malade commence à boire après la troisième hypnoti-sation ou s'il recommence à boire pendant le traitement; au bout d'une semaine ou deux'après la première hypnotisatipn, — ne fut-ce que très peu, —il faut regarder le cas comme incurable.
La suggestion doit être formelle : ne buvez pas une seule goutte d'alcool.
La suggestibilité des ivrognes est habituellement très considérable, même beaucoup plus considérable que celle d'autres personnes et on pourrait même dire que c'est chez les alcooliques que l'hypnotisme est le plus facilement appliqué.
En ce qui concerne les autres modes de traitement il faut les associer tous à l'hypnotisme.
Au point de vue de la valeur, il faut mettre en tête la strychnine et l'opium.
Le traitement par la strychnine est habituellement le seul et -unique mode de traitement appliqué aux ivrognes par plusieurs médecins et une grande quantité des malades que j'ai soignés avaient déjà subi des injections de strychnine. Presque toujours on leur faisait des injections à 0.001 de strychnine pendent deux ou trois semaines. Quelquefois une certaine amélioration en résultait, quelquefois le traitement restait sans résultat. Dans les cas où il y avait amélioration elle ne durait que pendant quelques mois tout au plus.
Mais la strychnine jointe au traitement par l'hypnotisme agit comme auxiliaire puissant.
Il faut l'administrer à partir de 0.003 pro dosi 3 fois par jour et descendre en un mois à peu près à 0.001. Il faut continuer ce traitement pendant G-10 mois et le remplacer par l'arsenic, le fer, etc.
Dans des cas excessivement rares, les malades ne supportent pas la strychnine même à très petites doses, ce qu'il faut surveiller pour la remplacer à temps.
Avec la strychnine, il faut administrer encore l'opium à petites doses 0.015 par dose 3 fois par jour. Ce traitement doit être continué pendant un an. En le remplaçant par d'autres remèdes ou en cessant ce traitement brusquement, je n'ai jamais eu d'inconvénients.
Quelquefois, pendant les premiers jours du traitement on a besoin de doubler la dose de l'opium. Dans ces cas il faut hypnotiser plus souvent.
De la suggestion pendant le sommeil naturel
Par M. le Dr Paul Farez
La psychothérapie a, do nos jours, définitivement conquis son droit à l'existence ; elle s'est imposée au monde scientifique par la variété, la multiplicité et'la stabilité de ses effets eu rat ifs.
Ses principaux moyens d'action sont d'inégale valeur. La suggestion directe pendant l'état do veille et la suggestion
(I) Traduction d'un article publié dacs le premier numéro de The Journal of Menial Pathology, juin Now-York, 290, Broadway.
Enfin, l'hydrothérapie peut aussi venir en aide surtout dans les cas de neurasthénie d'origine alcoolique.
Mais tous les traitements doivent être regardés comme auxiliaires du traitement par l'hypnotisme, parce qu'il n'y a que la suggestion qui peut enlever d'une manière définitive la tendance même vers les boissons alcooliques.
Quant à ce qui regarde les dernières catégories, les malades qui échappent à l'influence favorable de l'hypnotisme doivent être mis d'abord dans des établissements spéciaux pour les alcooliques et plus tard, après la rechute, dans des asiles pour les alcooliques incurables.
Discussion.
M. Bérillon. — Je mo rallie entièrement aux conclusions do M. le Dr Tokarsky. Elles sont conformes à ce que j'ai observé dans ma pratique personnelle. J'ajouterai seulement que je considère comme fort important d'organiser la résistance du malade à l'impulsion déboire par l'emploi de procédés psycho-mécaniques divers. Par exemple, le sujet étant hypnotisé, je lui mets un verre dans la main et je lui suggère que son bras est paralysé et que celte paralysie réapparaîtra dès qu il aura dans la main un verre rempli d'une boisson alcoolique quelconque. Cette paralysie psychique se reproduit quand le malade a dans la main un verre rempli de vin ou d'alcool. Elle dure assez longtemps pour que la conscience ait le temps d'intervenir et que la résistance à l'impulsion se manifeste.
J'ai désigné celte manœuvre sous le nom de création de centres psychiques d'arrêt et je la considère comme constituant une manœuvre des plus efficaces pour favoriser la guérîson.
indirecte (par les médicaments, l'électricité; etc.) ont donné des succès indéniables. Mais, à coup sûr, la suggestion pendant le sommeil provoqué est le procédé de choix, le procédé héroïque ; c'est elle qui permet d'agir le plus efficacement sur le malade ; c'est elle qui réalise les guérisons les plus durables.
En effet, l'individu que l'on vient d'hypnotiser est plongé dans l'état àlypotaxie, selon l'expression de Durand de Gros ; il n'est nullement distrait ; il n'oppose aucune résistance; il se montre soumis et docile; il est rendu éminemment sugges-tionnable ; il offre une sorte de terrain fécond sur lequel Yidéo-plastie saura faire germer la suggestion active.
Aussi, l'une des principales préoccupations des psychothérapeutes, à l'heure actuelle, est-elle de parvenir à hypnotiser plus vite et plus facilement un plus grand nombre de sujets. C'est pour cela que de nombreux praticiens s'appliquent à perfectionner leur technique et proposent de nouveaux procédés, appareils ou instruments aussi ingénieux que variés (1).
Toutefois, en dépit de ces efforts très louables, bon nombre de malades dont le cas est justiciable de la suggestion ne parviennent pas à être hypnotisés ; d'autres refusent de se laisser endormir, manifestant à l'égard du sommeil provoqué des craintes et des préventions injustifiées mais irrésistibles. Or, ces deux catégories de malades ne doivent pas définitivement renoncer à être traités par la psychothérapie; ils pourront bénéficier de la suggestion curative si celle-ci consent à utiliser le sommeil normal.
***
Des observations authentiques, des expériences probantes, des guérisons avérées témoignent de l'efticacité de la suggestion faite à la faveur du sommeil naturel. On peut même dire qu'elle est le succédané ou le substitut de la.suggestion hypnotique et que son action peut s'appliquer à tous les cas qui relèvent de la psychothérapie.
La suggestion faite d'emblée à l'oreille d'un malade qui vient de s'endormir de son sommeil naturel s'est parfois montrée efficace ; mais, le plus souvent, elle échoue. La raison de cet
(I) Citons en particulier les appareils présentés linns ces derniers temps au 2- Congrès international do l'Hypnotisme (août 1090, Paris' et it la société d'Hypno-logie de Paris, par MM. Bclleinanière et Watcau, Bénl'vn, Honry Leraesle, Pau do Saint-Martin et Charles Verdin.
échec est double: ou bien le malade s'éveille dès que l'on formule la suggestion verbale, ou bien il continue à dormir très profondément et la suggestion ne l'impressionne pas. C'est qu'avant de faire œuvre de suggestion active, il est indispensable d'imposer au malade une sorte de préparation dont le double but est : 1° Qu'on puisse lui parler à l'oreille sans l'éveiller ; — 2° que la suggestion parvienne jusqu'à lui et s'ins- ' talle dans la pleine lumière de la conscience. Ce double but est rempli grâce à des procédés très simples, mais minutieux et délicats, qui exigent du psychothérapeute beaucoup de patience et de circonspection. Rappelons-nous cette vérité ; psychologique, à savoir que l'état d'hypotaxie est réalisé le plus aisément par le maintien d'une sensation simple, homo-* gène, uniforme, continue, exclusive. Dans le cas actuel, je fais intervenir plus volontiers la sensation auditive. Voici, dans sa teneur générale, la technique que je préconise avec d'autant plus de confiance que les lois psychologiques la légitiment pleinement et que les succès thérapeutiques l'ont amplement, justifiée. Plusieurs temps sont à distinguer.
Premier temps
Le soir, quand le malade est endormi, je pénètre sans bruit dans sa chambre. Je me tiens d'abord à quelques mètres du lit et, d'une voix très basse, à peine perceptible, sur un rythme lent, monotone, je commence à articuler les deux syllabes dor... mez..., dor... mèz,..t quejesuis prêt à répéter sans aucune impatience aussi longtemps que cela sera nécessaire. Petit à petit je m'approche du lit et j'arrive bientôt à quinze ou vingt centimètres de l'oreille du dormeur; je n'ai pas cessé un seul instant d'articuler mes deux syllabes sur le même rythme lent et monotone, d'une voix très basse, à peine audible.
Deuxième temps
Lorsque je suis près de l'oreille du dormeur, je continue à nettement articuler mes deux syllabes uniformément scandées; je maintiens le même rythme, mais, au bout de quelques minutes, je hausse le Ion ; ma voix augmente d'intensité, petit à petit, sans soubresaut, sans heurt, sans brusquerie.
Que se passc-t-il alors psychologiquement?
La sensation auditive, d'abord vague, à peine existante,
s'installe peu à peu, devient de plus en plus nette, atteint le seuil de la conscience, passe de la pénombre à la pleine lumière et bientôt atteint la vivacité des représentations imagi-natives du rêve, délirantes ou non. Or, l'excitation sensorielle produite par dor... mez..., dor... mez..., ne cesse d'être maintenue et progressivement accrue; la sensation auditive persiste donc comme un c état fort » ; de plus en plus vivace, elle devient prépondérante et, peu à peu, elle « réduit » les autres représentations qui auparavant occupaient toute l'aire de la conscience. Ces dernières deviennent de plus en plus faibles, s'atténuent, se dégradent, jusqu'à ce qu'elles tombent sous le seuil de la conscience et soient ainsi tout à fait écartées. A ce moment, il ne subsiste plus guère que la seule sensation
auditive causée par dor... mez..., dor... met..... Toutes les
autres représentations antagonistes ont été réduites et sont disparues.
Troisième temps
On sait que la conscience ne peut rester longtemps identique àelle-même; elle comporte, à certains égards, la o perception d'une différence a ; elle ne tardera pas à se voiler et à s'obscurcir si son contenu n'est pas successif et nettement dilTérencié.
Alors, persistons à répéter dor... mez..., dor... mez.,t avec une intensité non plus progressivement croissante, mais, cette fois, maintenue à dessein uniforme et constante. Dès lors, la quantité et la qualité du phénomène conscient ne variant plus, notre sensation simple et homogène, tout à l'heure pleinement consciente, va devenir de moins en moins consciente, puis subconsciente, c'est-à-dire, pratiquement inconsciente. A ce moment, la vie psychique est, pour ainsi dire, vide de tout contenu ; elle réalise un état très favorable de docilité, de malléabilité, de réceptivité ; notre sujet est devenu apte à être suggestionne : il pourra être influencé comme s'il était plongé dans le sommeil hypnotique. Cet « anidéisme » artificiel permet de réaliser par suggestion un « monoïdéisme » ou, pour être plus exact, un « oligoïdéisme » favorable à la cure des phénomènes morbides dont il s'agit dans chaque cas particulier.
Mais, est-on jamais certain d'avoir réalisé cet état de réceptivité ? A quel moment en est-on averti ? A quel caractère peut-on te reconnaître?
Afin d'articuler, suivant un rythme isochrone, chaque couple de syllabes dor... mez..., dor... mez..., je m'applique à les rendre synchrones aux mouvements respiratoires du sujet; en d'autres termes, chaque syllabe dor... est énoncée pendant chaque inspiration, chaque syllabe me\... pendant chaque expiration I }). Or, j'ai remarqué que si, au bout d'un temps certes variable, je modifiais légèrement le rythme de mes paroles, le rythme respiratoire du malade était modifié de même, accéléré ou retardé, suivant que mon rythme vocal était lui-même accéléré ou retardé (2).
Lorsqu'ainsi j'ai pu agir indirectement et comme à volonté sur les mouvements respiratoires du sujet, j'estime qu'il se trouve « à point » et que le moment est propice pour la suggestion : la période préparatoire est terminée, la phase véritablement active commence.
Quatrième temps
/
Le contenu des suggestions curatives varie, on le conçoit, avec les conditions psychologiques du malade et la nature de ses phénomènes morbides. Des suggestions spéciales s'imposent dans chaque cas particulier. N'y insistons pas ici, puisque nous n'exposons qu'une technique générale.
Rappelons toutefois le précepte formulé par Auguste Voisin, à propos de la suggestion hypnotique; il s'applique exactement à la suggestion pendant le sommeil naturel : « 11 ne faut pas faire trop de suggestions pendant une même séance, sans quoi l'on détermine un malaise évident qui se traduit par. des crispations de la face. » En outre, les suggestions seront exprimées avec netteté, conviction et autorité, en phrases brèves, concises, martelées, réduites au strict minimum. Chacune des syllabes de chaque mot sera nettement distincte des autres et articulée suivant le rythme des mouvements respiratoires. Grâce à cette règle du synchronisme, on ne se laissera pas entraîner à parler trop vite ; le malade aura plus de chances
(1) C'est en vue de raciiiter l'exécution do celte technique opératoire que mm. les Dr Bellemanière et Wotcao ont fait construire et présenté au 2- Congrus de l'Hypnotisme (Paris, août 1900), un minuscule et très ingénieux appareil à hypnotiser.
(2) Ce fait a été confirmé par plusieurs observateurs et, en particulier, par le D' Manfroni (de Turin), i w séance annuelle de la société d'Hypnologie et de Psychologie de Paris, 1C juillet 1901.
(3) Active, et non point passive, ainsi juc le comporte par erreur le texte anglais.
d'appréhender toutes nos paroles et il en résultera pour lui un utile entraînement de l'attention.
Cinquième temps
La fin de la séance n'est pas à négliger. Prescrivons au malade de ne s'éveiller qu'à telle heure déterminée ; ordonnons-lui de dormir toute la nuit d'un sommeil calme et, pendant toute la durée de son sommeil, de rêver uniquement à ce que nous lui avons suggéré. En outre, quand il se réveillera, il ne sera pas fatigué, il se sentira plein d'entrain, il aura l'esprit alerte et dispos. Nele quittons pas brusquement; éloignons-nous petit à petit, en répétant dor... mez,..t dor... mez.., avec une intensité progressivement décroissante.
Combien de temps doit durer une séance?
On ne peut sur ce point formuler aucune règle précise, car les conditions de l'intervention varient d'un sujet à l'autre. L'appréciation de cette durée sera donc laissée à l'initiative du psychothérapeute ; et celui-ci devra agir différemment, suivant que lui-même sera ou ne sera pas fatigué, que le malade demeurera placide ou paraîtra énervé, que les suggestions précédentes auront bien ou médiocrement réussi, qu'on sera au début ou à la fin du traitement (1). Toutefois, je puis bien dire qu'une séance comme je la conçois ne peut guère comporter moins d'une demi-heure.
Faut-il espacer les séances ou les faire à intervalles-très rapprochés ? Cela encore dépend des cas. Il ne me parait pas exagéré d'intervenir quotidiennement, au moins au début. Dans la suite, "on espacera plus ou moins les séances, suivant la gravité ou la complexité de la maladie, suivant aussi le degré de l'amélioration obtenue.
On est convenu d'appeler suggestion hypnotique la suggestion faite à la faveur du sommeil artificiel ou provoqué. Comment appeler d'un seul mot la suggestion faite à la faveur du sommeil normal? Je propose l'expression : suggestion somnique.Je sais bien que ce vocable n'est pas irréprochable ; toutefois, je l'emploie, faute de mieux ; les mots, d'ailleurs, ont le sens et la valeur qu'on est convenu de leur accorder.
(1) Pour plus do détails, voyez Paul Farez, De la suggestion pendant le sommeil naturel, Paris, Maloine, 1698.
D'autre part, je signale deux succédanés de la suggestion somnique: la suggestion présomnique et la suggestion inter-somnique. La première est faite au malade, dès qu'il s'est mis au lit, avant même qu'il ne s'endorme. La seconde s'adresse au malade que notre voix vient d'éveiller, soit délibérément, soit involontairement au cours do la suggestion somnique; elle a lieu entre deux sommes, à savoir celui que nous avons interrompu et celui qui va commencer après notre départ. Dans les deux cas, le contenu de nos suggestions risquera de devenir la matière d'un rêve. Dans les deux cas, aussi, il sera utile de clore les yeux du malade et de solliciter ainsi son activité psychique à se concentrer uniquement sur le sens auditif, par l'intermédiaire duquel s'insinue notre suggestion verbale (1).
Pour terminer, je voudrais dire quelques mots à l'adresse des aliénistes.
II est certaines formes d'aliénation, (non pas toutes, bien entendu), que l'on pressent avoir eu une cause principalement psychologique et qui paraissent susceptibles de s'amender ou même de guérir, par un traitement suggestif. Malheureusement, « les aliénés ne sont pas hypnotisables », répète-t-on communément. Or, dès 1880, Auguste Voisin a démontré que, prise absolument, cotte proposition était fausse. Au prix d'une patience, d'une persévérance, d'une ténacité, d'un dévouement et aussi d'un temps considérables, il est parvenu à plonger dans le sommeil hypnotique un certain nombre d'aliénés ; et, après les avoir hypnotisés, il les suggestionnait de telle sorte qu'il a obtenu non seulement des améliorations, mais des gué-risons durables ; il a eu ainsi la joie de préserver de la séquestration perpétuelle des malades réputés incurables. Dans une communication qui date de 1889, il rapporte le cas de quelques malades dont la guérison remontait à trois, quatre et même
(1) Le texte ta dans le journal cité plus haut contient Ici une autre
erreur; Il représenté la suggestion présoumique et la suggestion intersoumique comme les deux espèces d'un genre, comme les deux modes do lu suggestion somnique. La vérité est qu'il y a là trois sortes de suggestions :
1* la suggestion prêtomnique faite pendant la veille qui précède Immédiatement le sommeil;
2* la suggestion înlersomnique faite pendant lu courto veille qui vient s'intercaler cotre deux sommeils;
3' la suggestion somnique faite pendant le sommeil lui-même.
Pour plus de clarté, ectto dernière pourrait munie s'appeler suggestion iNTiusom-nique.
cinq ans: sur 22 aliénés traités parla suggestion hypnotique, 14 avaient été complètement guéris. En 1896, au Congrès de Munich, la statistique de ses guérisons comportait 42 cas (').
Toutefois, Auguste Voisin avouait qu'il n'avait guère pu hypnotiser plus de dix aliénés sur cent. Cette proportion est considérable si l'on songe qu'avant lui tous les aliénés étaient réputés réfractaires à l'hypnotisme ; elle est infime si l'on considère le grand nombre des malades que l'on pressent devoir être améliorés par la thérapeutique psychique et devant lesquels on enrage de demeurer presque impuissant, faute do pouvoir les suggestionner.
Or, si un aliéné, pris à l'état de veille, se montre ouvertement hostile à toute intervention thérapeutique et refuse avec entêtement de se laisser hypnotiser, si, d'autre part, sans manifester de résistance, il offre un esprit ou trop obsédé ou trop distrait, n'insistez pas outre mesure, ne perdez pas un temps précieux, ne risquez pas de vous énerver, de vous impatienter et de vous décourager. Attaquez-vous au malade pendant qu'il dort de son sommeil naturel ; consentez à appliquer une technique, sans doute, longue, minutieuse et délicate, mais, en somme, simple, commode et à la portée de tous. Votro suggestion pourra ainsi impressionner fortement votre aliéné en dehors de son consentement, à son insu, pour ainsi dire malgré lui, à un moment où il sera presque sans défense et n'essayera guère de résister; vous l'aurez devant vous calme, tranquille et passif; vous lui appliquerez en toute sécurité la thérapeutique morale, soit simplement palliative, soit véritablement curative.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 21 Mai l'JOI. — Présidence de M. Jules Voisix.
La séance est ouverte à 4 h. 30.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Secrétaire général annonce à la Société qu'un de ses membres, M. le Dr Déjerine, agrégé, médecin de la Salpétrière vient d'être nommé
(I) Marchant sur les lnices d'Auguste Voisin, de nombreux médecins ont obtenu de- succès en appliquant la thérapeutique psychique au traitement de l'aliénation, en particulier, MM. Burkliarut, Burol, Bcrïllon, Dufour, Van Eeden, Farez, Grasset, von Krafft-Ebinj,'. Ladame, Loinbroso, Van Rralerghera, Répond, Séglas, von Schrcnck-NoUiwr, Tokarsky, Jules Voisin, etc.
professeur d'histoire de la médecine et de la chirurgie à la Faculté de Médecine de Paris. La Société vote à l'unanimité desfélicitations à M. le Professeur Déjcrine et charge M. le Secrétaire Général de leslui transmettre.
MM. Henry Lemesle, Félix Regnault, Lionel Dauriae, Watteau et Bérîllon prennent successivement la parole pour faire les communications portées à l'ordre du jour.
La séance est levée à 6 h. 35.
Ce qu'il faut entendre par la suggestion
Par le D' Félix Hegnault
Il semble que la définition de la suggestion soit fort simple. Pour tout le monde, suggestionner signifie imposer sa volonté au moyen de simples ordres. Mais en psychologie la suggestion s'est étendue à nombre de faits qui sont pourtant bien différents.
Prenons des exemples.
Imitation. — Certains sujets en état de fascination ou de somnambulisme, imitent servilement tous les mouvements, les gestes et les paroles (écholaliej de l'opérateur. De même certains aphasiques conservent le pouvoir de répéter ce que Tondît. Si on commande à un sujet a marche » et que ce sujet répète a marche » sans bouger, cet acte d'i-milation est bien différent de celui de suggestion qui consiste à obéir et à marcher. On ne confondra pas ces deux faits en les définissant de même.
Automatisme. — Les pensées et les actes automatiques, nombreux chez le sujet normal, sont également fréquents à l'état hypnotique.
Les somnambules exécutent des actes, ont des pensées en apparence intelligents, mais en réalité automatiques qu'on ne peut confondre avec la suggestion.
Prenons une expérience d'automatisme bien connue. On met un mouchoir dans les mains d'un somnambule, il se mouche, puis plie son mouchoir, le met enfin dans sa poche.
Pour le suggestionner, il aurait fallu lui donner l'idée de se moucher ; le commandement interprété par le cerveau entraîne l'acte : il y a participation active du cerveau.
Au conlraire, la sensation passive du mouchoir dans la main amène mécaniquement une série d'actes : c'est de l'automatisme.
Les actes du médium sont automatiques et non point dus & la suggestion. L'expérience de Chevreul révèle bien cette origine : si on tient un pendule à la main et qu'on le fixe avec attention, on lui communiquera des mouvements oscillatoires dont on n'aura pas conscience.
Cette expérience qui nous révèle l'existence d'actes automatiques et inconscients, explique ceux plus accentués qui se produisent :
Dans l'expérience de Cumberland, recherche uVun objet en tenant par
la main celui qui Ta cache : on se guide sur les mouvements inconscients de la main, qui sont d'autant plus forts que l'on se rapproche de la cachette.
Chez les sourciers. Recherche des sources et des trésors : on se guide sur les mouvements de la baguette divinatoire tenue dans la main. Ces mouvements sont communiqués par le sourcier lui-môme bien qu'il n'en ait pas conscience.
Dans l'expérience des tables tournantes, ce sont les personnes attablées qui font elles-mêmes tourner les tables.
Chez les médiums. Ils répondent aux questions qui leur sont faites, ou encore écrivent ces réponses. Il s'agit encore d'automatisme inconscient et non de suggestion ; car il est évident que personne ne lui suggère ses réponses ; bien mieux, souvent ces dernières suggestionneront l'entourage. Le médium est dans un état hypnotique qui rappelle celui du somnambule. Chez lui comme chez le sujet soumis aux expériences de Chevreul et de Cumberland, comme chez le sourcier et l'amateur de tables tournantes, il y a un dédoublement de la personnalité, l'une, consciente, assiste avec étonnement aux actes automatiques et inconscients de l'autre.
Une curieuse expérience met en évidence l'automatisme de nos pensées. Si on demande à quelqu'un de penser à une carte, on évoquera les figures les plus simples, le roi, la reine, etc... Si on présente des cartes disposées en éventail, on prendra de préférence celles qui sont au milieu. Et on est persuadé avoir choisi. En réalité, la pensée esticï automatique, elle a agi suivant le mode le plus simple, le moins pénible. Et celui qui en profite pour deviner la carte pensée ou choisie est-il un suggestionneur ? Non, car ¡1 n'a rien suggéré, mais il a simplement tiré profit de sa connaissance de l'esprit humain : c'est un adroit psychologue.
Habitude. — Qu'il s'agisse de pensées ou d'actes, il convient de définir l'habitude, la tendance à ta répétition de toute excitation neurique. Quelle que soit la cause de la première excitation, automatisme, imitation, suggestion ou raisonnement, toute pensée ou tout acte une fois produits tendent à devenir habituels. Ainsi on redit à satiété le même refrain, le même calembour, le même mot d'esprit, etc., etc. 11 importe de ne pas confondre des pensées et des actes d'habitude avec la suggestion.
Prenons un exemple dans le livre de M. Binet sur la suggesti-bilité. Ce psychologue arrive par d'ingénieuses expériences à créer des habitudes de pensée (1). Il donne à examiner à des enfants une série de lignes de plus en plus grandes, puis il en montre deux ou trois égales. Certains enfants, accoutumés à la progression, peuvent les affirmer de plus en plus grandes. On les a trompés en leur créant des idées directrices ou mieux, des habitudes, mais on ne les a pas
(1) A. Biset : La suggcstibiïuè. Paris, Schleicher, éditeur.
suggestionnés. L'idée directrice, elle-nicme, est fondée sur un juge- ' ment juste : mais une fois l'habitude acquise, celle-ci s'est substituée à la raison. Pour qu'il y ait suggestion, il faudrait que l'expérimentateur affirmât à l'enfant que la ligne est plus grande alors qu'elle est égale. Ces faits devraient ôtre rangés au chapitre répétition des actes et habitude et non à celui suggestion.
Pour montrer combien l'analyse des faits psychiques est parfois complexe, prenons une expérience du même genre; le vulgaire jeu de pigeon vole. Il y a à la fois dans ce jeu : Io de la suggestion,car on affirme, par exemple, a cochon vole » pour faire lever les mains, 2°deriímíaíÍon, car on love la main pour que les autres fassent de môme, et 3° de l'habitude d'actes, car on fait lever plusieurs fois de suite les mains en énonçant des animaux qui volent réellement, puis on en dit un qui no vole pas, et les mains continúenla se lever. Ce jeu, en apparence si simple, est donc une expérience psychologique très complexe.
Nous avons examiné plus haut les mouvements automatiques; ceux-ci peuvent se répéter et devenir habituels. Prenons l'expérience suivante de M. Binet : l'enfant regarde à gauche un métronome et tient dans sa main droite qui doit être comme morte, une des deux extrémités d*un balancier. Va écran sépare ce dernier du métronome. L'expérimentateur dit à l'enfant de compter attentivement les battements du métronome et, saisissant l'extrémité du balancier, il accompagne ces battements de mouvements isochrones. Après avoir ainsi amorcé le mouvement, il abandonne le balancier. La main de l'enfant qui serre ce dernier, accoutumée au mouvement, peut continuer à le produire d'une façon inconsciente.
Ces mouvements varient chez le môme sujet suivant les expériences ; ils sont d'autant plus constants que le sujet est plus jeune.
Ces mouvements automatiques, répétés par habitude, sont bien différents de mouvements analogues qu'on obtendrait par suggestion : car ceux-ci auraient pour point dedéparl l'ordre donné au sujet de balancer son bras. II y aurait participation- active du cerveau qui interpréterait cet ordre.
On peut modifier l'expérience en mettant une plume dans la main d'un enfant et en la lui cachant par un écran. Cette main doit être molle, on la prend et on lui imprime quelques mouvements graphiques, puis on l'abandonne doucement à elle-même. La main peut alors continuer l'impulsion acquise et exécuter un gribouillis.
Si on répète l'expérience, elle se perfectionne et on peut arriver à l'écriture métliumique.
Ceci est encore de l'automatisme et non delà suggestion. Le gribouillis est formé de jambages tous semblables; il est produit par des mouvements de la main automatiques et se répétant par habitude. Quand ce gribouillis devient de l'écriture, le cerveau intervient; il fournit des pensées que la main exprime par des lettres et des mots variés.
Maïs ces pensées elles-mêmes sont automatiques ; aucun ordre ne les a suggérées.
La répétition des mouvements s'observe également à un certain degré d'hypnose. Pour les produire, on prend les bras du sujet et on les fait tourner en cercle l'un autour de l'autre: ce mouvement continue indéfiniment. C'est là un acte passif et automatique continué par habitude.
Au contraire, la suggestion consisterait à ordonner au sujet de tourner ses bras indéfiniment.
Les actes automatiques des somnambules sont aussi d'ordinaire habituels ; ce sont des actes répétés qui ont déjà été accomplis pendant la vie normale. Ils se produisent sans qu'on les ait suggérés.
Certains pourront trouver ces questions bien stériles. Il importe pourtant de les résoudre, ne fut-ce que pour éviter de vaines discussions qui ne reposent que sur un manque d'entente dans les définitions.
Mais de plus, l'analyse des faits, la comparaison, le classement sont d'importance capitale en psychologie. Le progrès dans cette science comme dans les sciences naturelles tient à une bonne classification (1).
Guérïson par la suggestion, hypnotique d'un rétrécissement spasmodique du canal de l'urèthre durant depuis trois mois.
par MM. les docteurs Beiullox et Wateau.
Un jeune étudiant en médecine, licencié en philosophie, âgé de 30 ans, souffrait depuis près de trois ans de spasmes nerveux du canal de l'urèthre. L'urine s'écoulait en un mince filet ou môme goutte à goutte, et la miction nécessitait de grands efforts, ù tel point qu'il lui fallait quelquefois exercer avec les mains une forte compression sur le ventre : quelquefois même, mais rarement, malgré tous ses efforts, il n'arrivait pas ù rejeter une seule goutte d'urine pendant trois heures consécutives, et, alors, il était en proie à de très vives souffrances. Des crises de cette dernière sorte s'étaient répétées quatre à cinq fois.
Néanmoins, dans ces crises, il n'osait consulter de médecin, de peur do sondages ou d'opérations, se sachant nerveux et attribuant ces phénomènes en grande partie à sa nervosité. D'autre part, une personne très autorisée lui avait dit qu'il ne fallait jamais se laisser sonder qu'en cas d'extrême nécessité. Son médecin habituel lui répétait qu'il n'y avait pas moyen de soigner un paquet de nerfs comme lui, qu'il n'avait qu'à se figurer ne plus cire malade et qu'il ne le serait plus en réalité. Mais l'auto suggestion pure et simple fut toujours impuissante : d'ail-
(1) Ce travail fait suite à celui publié dans la même Bévue, en decembro dernier, p. ICt : Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique.
leurs, psychologiquement parlant, il n'y avait pas grande confiance ; il lui fallait le sommeil provoqué et la suggestion directe.
Désirant, dès le commencement de sa médecine, se spécialiser dans la psychothérapie à laquelle le prédisposaient ses études précédentes, il vint nous trouver à la Cliniqnc dans de très bonnes conditions, ayant très grande confiance en nous et persuadé que si nous voulions, nous le guéririons radicalement même en une seule séance.
Le sommeil fut provoqué très facilement. Rappelons ici que, la veille, sa certitude d'être guéri par nous le lendemain, avait déjà, d'après son dire, à moitié opéré la guérison. Le succès de cette séance de sommeil fut complet : pour plus de sécurité, il revint encore le lendemain nous trouver avant de partir.
Depuis lors, au lieu d'opérer très péniblement la miction dix ou vingt fois par jour, le nombre est redescendu à cinq ou six miclions faciles. L'inhibition suggérée a donc été très bien suivie par l'organisme. Mais, en plus, et sans que nous y ayons été pour rien, notre suggestion a créé des phénomènes de dynamogénie psychique, en ce sens que ce jeune homme qui, par sa seule volonté, ne pouvait pas, auparavant, régler son besoin d'uriner, le peut maintenant, s'il se présente trop fréquent, de façon à ne pas dépasser le nombre fixé.
Cette simple suggestion psychothérapique l'a remis pour ainsi dire en possession de lui-même, lui a redonné son pouvoir d'inhibition personnelle et volontaire sur ses organes génito-urinaires qui, à la faveur de ce spasme simulant si bien un vieux rétrécissement, s'y étaient complètement soustraits pour revenir au pur automatisme fonctionnel.
La guérison dure depuis plusieurs mois : tout porte à croire qu'elle est définitive, malgré la brièveté du traitement. Si ce spasme nerveux revenait, quelques suggestions de plus le déracineraient complètement.
Il serait bon d'attirer l'attention sur le traitement psychothérapique de bon nombre de maladies des organes génito-urinaires pour lesquelles opérations et traitements divers ne peuvent qu'offrir des dangers, tandis que de simples suggestions les réduiraient si facilement. Chez bon nombre de sujets nerveux, il ne faudrait recourir à une autre médecine que quand la psychothérapie aurait bien et dûment, et par des mains compétentes, été reconnue incapable de guérir ces troubles qui peuvent affecter les formes les plus diverses. Le cas que nous venons de rapporter en est un exemple frappant.
Discussion
m. Félix Iïegnault. — La suggestion a une énorme influence sur la miction. Une preuve suffisante est l'expérience vulgaire des charretiers à leurs chevaux et des mères à leurs enfants. S'ils constatent que la miction tarde à se faire, ils la déterminent en disant : Psitt... psitt...
Le Dr Uikmct nous cite un remède populaire en Turquie contre l'incontinence d'urine chez les enfants. Il suffit de faire manger au patient
du rat rôti ; mais il faut que l'enfant sache ce qu'il mange, sinon la gué-rison ne se produirait pas. Le dégoût qu'il éprouve lui procure une secousse nerveuse salutaire. M. Bérillon en rapproche avec raison la pratique ancienne de nos paysans qui faisaient manger une taupe rôtie à l'enfant incontinent.
Je citerai un cas curieux d'incontinence par auto-suggestion chez un névropathe. La vue d'une vespasienne éveillait en lui chaque fois lo besoin d'uriner ; s'il causait avec quelqu'un, il le quittait posément et se dirigeait tranquillement vers l'édicule. Mais, arrivé à quelques pas, l'idée devenant plus intense, il pressait le pas et finissait par s'y précipiter. S'il ne trouvait pas de place, il bousculait les gens et s'attirait des ennuis. La suggestion améliora son état sans le guérir.
Le jeune violoniste Kun Arpad
Par M. !o Professeur Lionel Dauhiac.
Invité par M. le Dr Bérillon à examiner, de concert avec les professeurs de l'Ecole de Psychologie, le jeune violoniste Kun Arpad, je désire vous exposer brièvement mon opinion au sujet de cet enfant qualifié de « prodige ».
La science, comme on le sait, a pour fin de réduire le plus possible le nombre des soi-disant miracles. Elle ne nie pas le rare : elle nie l'extraordinaire. Les comètes sont rares. Leur apparition n'est pas un prodige. Il n'y aura donc point ù crier au miracle, s'il arrive à un jeune violoniste de sept ans, tel que le jeune hongrois Kun Arpad d'exécuter des variations de Paganini. D'abord il les a apprises. Il s'y est exercé. Ensuite il ne les joue pas comme les jouerait un Marsick ou un F. Thi-baud. 11 ne joue ni avec ampleur, ni avec une parfaite justesse. Mais cela tient précisément à ce qu'il est un enfant et que sa main ne présente ni le développement ni la force musculaire d'une main d'adulte. Il joue des morceaux qu'exécutent d'ordinaire des violonistes de vingt ou de trente ans : il imite ces derniers comme un enfant imite une grande personne ; il sait faire avec sa main des mouvements que les enfants de son âge sont d'ordinaire incapables d'accomplir; il se lire de la difficulté ; il reste enfant dans une partie de son jeu. En somme, il jouit d'une précocité remarquable ; il possède une extrême rapidité dans le doigté et une étonnante sûreté de mémoire; la nature l'a étonnamment doté ; mais il a encore de grands progrès à faire au point de vue de l'ampleur, de la justesse cl de la mesure.
En outre, cet enfant compose, mais, là encore, on retrouve l'enfant de son âge. Il compose on ce sens qu'il invente des thèmes. Mais ces thèmes sont courts. Ils sont calqués sur les thèmes que l'enfant est habitué à lire. Son invention est pénétrée d'imitation. Kun Arpad est un admirable précoce. Quand il-sera grand, si ces lignes lui tombent sou» les yeux, il ne s'offensera pas qu'il se soit trouvé quelqu'un à Paris pour
lui refuser le nom « d'enfant prodige n. La nature ne fait pas de prodiges. Elle ne les fait pas durables. Kun Arpad, lui, qui est très enfant quand il ne joue pas de violon, et qui môme, l'archet en main trahit son âge, peut si on sait lui épargner la fatigue, se promettre une longue et belle carrière d'artiste. 11 est en avance sur presque tous ses contemporains d'Europe, futurs violonistes. Pour êtresûr de garder toujours cette avance il demande à être surveillé, entretenu, mais non surmené-Discussion.
M. Félix Regnault. — Il convient, ce me semble, do distinguer : iaV enfant précoce, qui exécute ce que d'autres ne réalisent qu'à un âge plus avancé,
2° Venfant prodige qui fait ce que l'énorme majorité des humains ne peut réaliser.
En musique, l'enfant précoce sera virtuose, l'enfant prodige compositeur.
Il y ados enfants précoces, mais peut-il exister des enfants prodiges ? Les enfants peuvent-ils inventer, faire œuvre originale et géniale?
Les récits qui courent sur l'enfance de musiciens tels que Mozart et Saint-Sacns, de mathématiciens tels que Pascal et Ampère, sont-ils vrais ? Ou bien ne s'agit-il que de témoignages exagérés qu'il importe de soumettre à la ci itique ?
Les compositions d'enfance des grands musiciens ne sont peut-être que des réminiscences très nettes et sans originalité d'œuvres musicales qu'ils ont entendues. De môme on se demande si Pascal enfant découvrit réellement les théorèmes d'Euclide, ou s'il en a entendu parler, et s'ils lui sont revenus à la mémoire par une réminiscence inconsciente.
M. Lionel Dauriac. — Sans doute, l'enfant précoce est celui qui, très jeune, fait ce que d'autres ne font qu'à un âge beaucoup plus avancé. Par contre, l'enfant prodige est non seulement précoce, mais il accomplit ce que les autres ne pourront jamais accomplir à aucun moment de leur vie. Pour moi, je nierais volontiers les enfants prodiges ; j'estime qu'il n'y en a pas, au sens propre du mot. Que de grands musiciens aient composé, par exemple, des sonates dans leur enfance, cela ne me parait pas invraisemblable ; mais je pose on principe que leurs phrases ressemblent à celles des musiciens antérieurs ; elles sortent du sein môme des œuvres préexistantes. L'invention musicale est toujours dans une certaine mesure une imitation ; ou plutôt, le compositeur va toujours de l'imitation à l'invention ; les grandes œuvres ne sont pas toujours les dernières, mais à coup sûr elles ne sont jamais les premières. On a fait remarquer que Kun Arpad n'a aucun grand musicien dans son ascendance ; mais les aptitudes musicales peuvent se transmettre sans avoir été apparentes et sans s'ôtre dépensées au dehors. Je me rappelle à ce propos une boutade de Renan : dans un banquet qu'on
lut offrait à Quimper, il rendit un hommage public à ses ancêtres et il les remercia d'avoir pendant plusieurs générations laissé leur intelligence inculte pour permettre à leurs descendants de la dépenser en prodigues.
I'. S. — 11 m'a été donné récemment, d'entendre à une matinée d'enfants, une jeune fillette violoniste, d'un an à peine plus Agée que Kun Arpad. tille a joué une transcription de la Chanson du Printemps de Meudelssohn. Elle s'en est tirée, sans trop faire défausses notes, avec des tout petits sous. Mais elle s'en est tirée. Cette enfant n'est pas donnée comme un enfant prodige, en quoi l'on a raison. Mais en l'écoutant, si je mesurais la grande dislance qdi la sépare du jeune Kun Arpad, le chemin m'apparaissail long, rien de plus. Il ne me semblait nullement « Infranchissable » 018 C'est là le point.
L. D.
PSYCHOLOGIE COMPARÉE
Expérience pratiquée sur un lion, a la ménagerie du Muséum,
le 19 mai 1901.
11 nous a paru curieux de chercher à savoir si un grand carnassier comme le lion {sur les facultés psychiques duquel nous ne possédons que des renseignements bien indécis) serait assez « ingénieux » pour ouvrir une boîte au fond de laquelle on aurait placé un appât. Nous avons pensé que le résultat positif ou négatif d'une telle expérience pourrait être commenté d'une façon intéressante au point de vue de la psychologie comparée.
Le lion, poussé dans la cage où l'on avait placé la boite à pâture, manifesta d'abord un sentiment d'inquiétude ; on le lisait clairement dans ses attitudes, et, si j'ose dire, sur sa a physionomie ». Puis, il se rassura et, après quelques hésitations, s'approcha très doucement de la boite, la flaira, se convainquit de l'existence de son contenu et, dès lors, manifesta un vif désir de s'emparer de l'appât. Cependant il n'essaya nullement de briser les planches ; il examinait l'appareil avec beaucoup d'attention et, finalement, il prit délicatement entre ses dents le bord du couvercle et le souleva sans violence.
Il se trouvait alors devant la boite, du côté opposé aux charnières ; il fallait donc qu'il avançât le cou au-dessus de la boite, en tenant le couvercle, et qu'il n'abandonnât celui-ci qu'après l'avoir assez largement ouvert pour le faire retomber de l'autre côté, et il fallait qu'il le fit malgré la tentation offerte par la viande r.u moment où sa gueule passerait au-dessus de l'appât. Or, tous ces mouvements ont été exécutés par le lion, sans hâte, d'une façon relativement précise et, pour ainsi dire, raisonnablement.
L'épreuve a duré trois minutes.
Un procès-verbal de cette expérience à été établi, signé par tous les assistants et placé dans les archives de notre Institut.
p. Hachet-Socplet.
COURS ET CONFÉRENCES
TJn cas d'hystéro-traumatisme {')
Par m. le professeur Raymond
L'homme que je vous présente est un ouvrier terrassier, âgé de vingt-huit ans. Il y a cinq mois, victime d'un éboulement, ¡1 se trouve subitement enterré jusqu'au cou et perd complètement connaissance. On le dégage et on le transporte dans son lit. Il revient à lui trois heures après. Il sent alors une douleur dans le côté gauche, puis le lendemain dans le genou gauche. Tandis que la douleur du côté cède à une friction médicamenteuse, celle du genou augmente de jour en jour et empêche notre homme de se lever. Un médecin fait d,cs pointes de feu, sans qu'il en résulte aucune amélioration. Un autre médecin, appelé ensuite, craint un commencement d'ankylose ; il endort le malade au chloroforme, met la jambe en flexion sur la cuisse et maintient le tout par un bandage qu'il enlève au bout de vingt-quatre heures; il est obligé alors de faire des efforts considérables pour remettre le membre inférieur en extension. Celui-ci, depuis lors, est resté complètement raide. Ajoutons que notre malade dort très mal la nuit ; il ne cesse de rêver de médecins et il craint qu'on ne lui fasse du mal.
Cette jambe gauche présente un raccourcissement très net; elle est on état permanent de contracture et le malade marche tout déhanché-. L'impotence fonctionnelle réside surtout dans l'articulation du genou. Il y a, en outre, un amaigrissement en masse des régions voisines ; il s'agit donc de paresie avec contracture. Notons enfin que le pied est ballant.
Or, cette contracture qui n'affecte guère que les muscles périarticu-laircs du genou est vraiment singulière et aucune affection organique ne saurait la réaliser.
Si je plante une épingle dans la peau de la jambe gauche de cet homme, non seulement il n'éprouve aucune douleur, mais il ne sait mémo pas que je l'ai piqué. Il en est de même pour son bras gauche. Sans doute, si j'ausculte son cœur au moment où j'enfonce mon épingle, je m'aperçois que les battements sont accélérés : s'il s'agissait d'une anesthésie organique, ma piqûre n'exercerait aucune action sur les battements cardiaques. En outre la pupille de notre malade se dilate au moment de la piqûre et, si l'on mesure la pression sanguine dans la
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux, a la Salpetriùro.
carotide, on constate qu'elle est augmentée. Mais cette piqûre n'affecte point la conscience.
Notre malade est complètement anesthésique à gauche; non seulement il ne s'aperçoit pas qu'on le pique, mais il ne sent ni de la moitié gauche de la langue ni de la narine gauche ; il présente en outre un rétrécissement considérable du champ visuel agauche. Il s'agit donc de contracture hystérique et de rien d'autre.
Gomment les choses se sont-elles passées?
Le terrain était préparé et par l'éthylisme et par une certaine sommo d'hérédité. Survient l'accident : notre homme est enseveli jusqu'au cou et perd connaissance; au réveil, il se trouve endolori, ce qui lui parait tout naturel, en vertu des compressions causées par l'éboulement. Mais les douleurs persistent. Surviennent les pointes de feu qui sont très pénibles et n'amènent aucune amélioration. Le malade est obsédé par la persistance de son mal ; il y pense sans cesse le jour et en rêve la nuit : il crée lui-même sa maladie et entretient sa contracture. Lorsque le second médecin lui parle d'ankylosc, fait intervenir le chloroforme, immobilise le membre par un bandage, notre malade est pénétré de la gravité de son cas, lequel, dès lors, devient de plus en plus tenace. C'est un exemple très net d'hystéro-traumatisme.
Dans ces circonstances, souvent un procès s'engage et le médecin est consulté. Il est très difficile de se prononcer sur la gravité du cas. Affirmez que la vie n'est pas menacée, mais abstenez-vous de dire combien de temps durera l'affection, car vous n'en savez rien.
Que faut-il faire ?
Pratiquer l'isolement moral, enlever le malade à sa famille, à son milieu, aux conditions dans lesquelles l'idée s'est emparée de son esprit, confier ce malade à un médecin intelligent, instruit et honnête qui, par la suggestion verbale, instituera un traitement méthodique ; il faudra intervenir non pas une fois, mais peut-être cent fois et cela pourra durer des mois.
Des circonstances favorables peuvent hâter la guerison ou la réaliser brusquement. Je me rappelle un individu qui avait été atteint de mono-plégie à la suite d'un traumatisme. Il apprend que le tribunal vient de lui allouer quinze ou vingt mille francs de dommages-intérêts,... et, le soir même, il allait danser au Moulin-Rouge !
Un cas de folie morale (1)
Par M. le professeur Raymond
Voici une jeune fille de seize ans qui parait jouir de toute son intelligence et ne présenter aucun état délirant quelconque. D'autre part, sa sensibilité et ses réflexes n'offrent rien d'anormal.
(1} Présentation de malade faite a la clinique des maladies du système nerveux à la Salpêl . . .
Cette jeune fille dérobe de l'argent, toutes les fois qu'elle en trouve l'occasion ; elle vole pour voler et, depuis quelque temps, elle dérobe de fortes sommes.
En second lieu, elle ment avec une facilité stupéfiante et elle amplifie tant qu'elle peut.
En outre, elle raconte sur son père et sur sa mère des vilenies et des atrocités qu'elle invente de toutes pièces; elle accuse aussi son petit frère d'avoir des vices horribles.
De plus, on l'a mise en apprentissage chez une modiste, chez une couturière, etc. ; il est impossible qu'elle reste dans aucune maison et qu'elle se décide à travailler.
On se demande si c'est au médecin ou bien au moraliste que de tels sujets doivent être adressés.
Les cas de ce genre sont bien connus en médecine mentale ; ils ont été décrits sous le nom de folie morale et il existe sur cette question des travaux très nombreux.
Deux facteurs principaux entrent en jeu : l'hérédité, d!une part, et, de l'autre, l'éducation.
L'hérédité est le fait principal : elle préparc le terrain. Ici, elle se révèle clairement par des stigmates de dégénérescence, les uns soniati-ques, les autres psychiques. Cette jeune fille, incapable d'attention et de volonté, éminemment suggestionnable,a subi l'effet de mauvais conseils, de mauvais exemples, de mauvaises lectures et elle est devenue vicieuse.
Il ne s'agit pas d'une entité morbide, mais d'une manière dêtre, en ce qui concerne les sentiments moraux. Certains sont, comme on l'a dit, des aneslhésiques moraux, des amoraux; ils ne discernent pas ce qui est bien ou mal ; ils y sont complètement indifférents. D'autres ont la notion qu'ils font mal et ils désirent s'amender; mais ils sont impuissants à résister aux sollicitations mauvaises.
Notre jeune fille vit dans un rêve perpétuel; elle écrit, pour elle-même, le journal de ses faits et gestes ; elle se ment avec la plus grande facilité et est dans un état romanesque permanent.
Deviendra-t-ellc une hystérique, une épileptique, une scrupuleuse ? ' Sur ces terrains-là, tout peut germer. Actuellement, elle est entre l'imbécile et le déséquilibré.
Au point de vue thérapeutique, tantvaudra l'éducateur, tant vaudra la cure. On devra s'emparer de sa volonté puis, par la suggestion verbale, la façonner et lapôtrir. Le traitement doildonc être uniquement moral.
Un cas d'eedème hystérique (1)
par M. le professeur Rayuond.
Voici une affection qui a souvent donné lieu à de graves erreurs de diagnostic de la part des médecins et des chirurgiens ; une fois même,
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux, à la Sa!p£iriôrc.
à ma connaissance, une erreur de ce genre a coulé la vie à un malade.
La jeune fille que je vous présente est âgée de 16 ans. Elle a eu une évolution normale et a été réglée à 14 ans 1/2. Toujours un peu nerveuse, elle a même présente du somnambulisme nocturne. L'ogive de la voûte palatine et le prognathisme de la mûcheire supérieure sont, chez elle, la signature d'une hérédité manifeste.
Considérez son membre supérieur gauche. La face dorsale de la main et du poignet est considérablement augmentée de volume ; la peau est lisse, rouge, chaude ; le poignet est contracture ; les doigts sont infléchis au point qu'on a dû garnir d'ouate la paume de la main, pour empêcher les ongles de s'enfoncer dans cette dernière. L'œdème se continue à l'avant-bras, presque jusqu'au niveau du coude et se termine par une ligne circulaire, en partie sphacélée, semblable à une cicatrice de brûlure, avec de loin en loin, des sortes de croûtes prêtes à tomber. Le bras tremble tout le temps que je le soulève pour l'examiner devant vous.
Le pointde départ de tout cela est un panaris survenu sur lafacc dorsale de l'index gauche. Ce panaris est incisé par l'infirmière de la pension et notre jeune fille en éprouve une violente douleur qui se continue pendant plusieurs se niai ne s, avec de l'hyperesthésic de tout l'avant-bras, des élancements surtout la nuit, des insomnies, etc. Au bout d'un mois, le gonflement apparaît; il débute au dos du poignet, puis, petit à petit, gagne presque tout l'avant-bras ; et la douleur diminue au fur et à mesure que le gonflement augmente ; maintenant que celui-ci est à son apogée, la malade a cessé de souffrir ; mais elle a toujours ses rôves et ses cauchemars. Notons que ce premier panaris en a semé sur l'auriculaire un autre petit qui s'est ouvert tout seul.
A quoi pense tout de suite le médecin en pareil cas ? Le panaris a été la porte d'entrée d'éléments infectieux et a, vraisemblablement, donné lieu à un phlegmon.
Je me rappelle un malade analogue qui présentait un œdème limité au poignet ; on le reçut à l'hôpital Saint-Antoine dans un service de chirurgie ; on lui fit une incision... et il n'en sortit rien. Dans ces cas, en effet, il s'agit d'un œdème dur; le doigt détermine bien une petite dépression, mais celle-ci ne persiste pas. L'œdème est égal partout; il n'offre ni point douloureux, ni trace de fluctuation sous-jacenle. On ne doit donc pas faire le diagnostic de phlegmon, môme chronique, car celui-ci ne va pas sans toucher l'état général. Néanmoins ce faux diagnostic de phlegmon, a été fait plus d'une fois et cela peut devenir dangereux : jadis, à la Charité, dans le service de Trélat, on amena un homme atteint de paraplégie des membres inférieurs avec œdème rouge et chaud ; on fit une incision et il en résulta des accidents très graves.
Quelquefois, le médecin croit voir non pas un phlegmon, mais du rhumatisme et, chez un de mes malades, dont j'ai publié l'observation, j'avais fait jadis ce diagnostic parce que je n'avais pas pu réduire les contractures, même après chloroformisation ; chez lui, il y avait, du côté
malade, un abaissement de température qui atteignait neuf degrés. Dans le cas actuel, l'abaissement de la température est de quelques degrés; d'autre part la contracture est active et il n'y a ni pseudo-contracture, ni déformation.
On pourrait pensera la phlegm&tia. alba dolens, car celle-ci peut se développer en dehors de la puerpéralité. Mais, dans la phlcgmatia, le membre inférieur présente toujours à la fois une corde veineuse et un œdème bien différent de celui que nous trouvons ici.
Est-ce de la lèpre ? Mais celle-ci se caractérise soit par do petits nodules néoplasiques soit par des macules annulaires ou circulaires.
Quanta la syringomyélic, elle donne bien lieu à la main succulente comme chez celte jeune fille, mais elle comporte des dissociations et des troubles de la sensibilité qui n'existent point ici.
L'œdème auquel se rapporte celui que présente notre malade est unilatéral, débute par une extrémité et y prédomine ; il est dur, indolore; il se superpose à des contractures ou à des paralysies ; il va de pair avec des troubles de sensibilité.
Cette jeune fille, en effet, présente à gauche une anesthésie totale complète et du rétrécissement du champ visuel. Si l'on pince la peau, la pupille se dilate d'une manière réflexe, mais aucune douleur n'est perçue : cette hémianesthésie est d'origine fonctionnelle. En outre les réflexes sont normaux. Nous sommes donc en présence d'une hystérique qui a fait de l'œdème hystérique.
La genèse de cet œdème peut se ramener à ceci. Le panaris s'installe, une infirmière fait une incision accompagnée et suivie de douleur; celle-ci fait appel à l'hyperesthésie, laquelles'emmagasine, pour ainsi parler, dans l'esprit de cette femme qui est une névropathe héréditaire. Un beau jour survient l'œdème, plus accentué le jour que la nuit, avec, en outre, des bulles de pemphigus et des troubles trophiques qui simulent la gangrène de la peau.
Pour comprendre la pathogénie de cet œdème, il faut se reporter à ce qui se passe dans la lésion ortiée ou dans le dermographisme. Le milieu est blanc, le pourtour rose, puis il existe une zone nettement rouge. Les bouquets d'artérioles de la peau se paralysent; les veinules n'arrivent pas à débiter tout le sang et elles se distendent ; il y a alors diapédèse des globules blancs dans les parties du derme inextensible; là l'exsudat est sous pression : il provoque l'anémie et la coloration bleue.
La diapédèse porte quelquefois, non seulement sur les globules blancs, mais encore sur les globules rouges; alors quand l'œdème a disparu riiématoidinc peut subsister, colorer la peau en rouge et même donner naissance aux stigmates sanglants tel, le cas de Louise Lateau.
Comme la pression exercée par l'œdème provoque de l'anémie, il suffit que la peau subisse une pression même peu intense ou que le coude s'appuie d'une certaine façon pour que la gangrène apparaisse.
Quand l'exsudat parvient à franchir la barrière épidermique: ce sont les bulles de pemphigus qui entrent en scène.
L'œdème hystérique n'est pas une nouveauté. Sydenham l'a décrit comme étant unilatéral, extrêmement dur et associé à des contractures. Carré de Montgeron en a rapporté plusieurs cas, lesquels sont, d'après lui, tantôt rouges, tantôt bleus; on devrait plus justement les dénommer la variété chaude et la variété froide. Dans le premier cas, les chirurgiens ont la fâcheuse habitude d'inciser; dans le second, les médecins pensent à la syringomyëlie. Depuis la leçon de Charcot en 1889, l'œdème hystérique est entré dans la pratique courante et les médecins instruits savent le diagnostiquer.
Au point de vue de la physiologie pathologique, c'est, dans ces cas, l'appareil vaso-moteur qui est plus particulièrement touché. Les centres vaso-constricteurs et vaso-dilatateurs sont dissociés: il n'y a plus équilibre entre eux; ils ne sont plus retenus ni refrénés.
Quant à cette jeune fille, elle sera soumise à la suggestion hypnotique et clic guérira très rapidement. Une grande crise d'hystérie pourrait très bien amener ce résultat, mais il serait imprudent de provoquer délibérément cette crise et de faire appel aux phénomènes convulsifs Je compte vous présenter prochainement notre malade complètement guérie.
N.-B. — Quinze jours après, cette malade fut, en effet, présentée guérie; il ne subsistait plus qu'une simple ligue circulaire rappelant la localisation des lésions de sphacèle.
RECUEIL DE FAITS
Une nouvelle variété de rongeurs
Nous connaissions, écrit M. Talamon dans la Médecine Moderne, les rongeurs d'ongles, que M. Bérîllon a proposé de nommer les onychopha-ges, et les rongeurs de porte-plume qu'on n'a pas cru nécessaire de décorer d'un nom grec. Ces deux espèces de rongeurs s'observent surtout parmi les enfants des deux sexes. M. Bérillon en a montré l'extrême fréquence chez les écoliers de la ville de Paris. II estime à 25 pour 100 la proportion des petits Parisiens qui ont la mauvaise habitude de se ronger les ongles ou de ronger le bout de leur porte-plume. Ce sont ainsi deux espèces distinctes; il est rare que les rongeurs de porte-plume rongent en même temps leurs ongles.
Il y a aussi les rongeurs de poils, qu'on pourrait appeler les pilivores. La manie de ceux-ci peut avoir des conséquences plus fâcheuses que l'onycophagie. On a cite des cas de gastrotomie où l'on a trouvé dans l'estomac do ces rongeurs de poils de véritables tumeurs formées uniquement de débris ce poils et de cheveux agglomérés dans la cavité gastrique.
Un médecin australien, le docteur Saw, vient même de publier dans le British médical journal du 23 février un cas d'appendicite, observé
par lui chez un de ces « pilivorcs ». L'appendice contenait un calcul de la grosseur d'un pois, formé de couches concentriques, dont le centre était occupé par un poil, de 4 à 5 millimètres de long.
Ce poil correspondait exactement comme couleur et comme texture aux poils de la moustache du malade ; l'identité était absolue sous un verre grossissant.
Or, le malade, homme d'un tempérament très nerveux, avait l'habitude' de mâchonner et de mordiller ses mouslaches surtout quand il était un peu préoccupé. Nul doute, dit le D' Saw, qu'un bout de poil ainsi rongé et avalé n'ait été s'insinuer dans l'appendice, où il est devenu le point d'appel et le noyau du calcul formé.
A ces diverses variétés de rongeurs j'en ajouterai une nouvelle, celle des rongeurs de fils. Faut-il les appeler des a filivores » ou des « fili-phages »? Je viens d'observer le cas suivant chez une jeune fille de 1S ans dans mon service de Bichat.
Cette jeune fille, exerçant la profession de modiste, était dans le service depuis quelque temps pour une indisposition légère, quand la surveillante me fit remarquer que la malade passait son temps à ronger son fichu de laine. Ce fichu en tricot était en effet percé de deux larges trous déchiquetés, comme s'il avait servi aux ébats d'une bande de rats. Le lendemain, ces deux trous n'en faisaient plus qu'un dans lequel on pouvait passer la téte. Au bout de quatre à cinq jours, le tiers du fichu était dévoré. Du reste la malade nous raconta qu'en septembre dernier, étant en villégiature, elle avait ainsi, dans ses moments de loisir, mangé tout un fichu en moins d'un mois.
Ces habitudes de rongeur se sont développées vers l'âge de 17 ans. A râtelier, elle a constamment entre les dents des bouts de fils qu'elle ronge et qu'elle avale. Quand elle n'a pas de fil, elle ronge son mouchoir ou son fichu. Elle ne se ronge pas les ongles. Elle ne ronge pas non plus le bois ou le papier. II lui faut du fil ou une étoffe, peu importe qu'elle soit de colon ou de toile.
Son estomac parait s'accommoder assez bien de ce" genre d'aliments. Elle nous dit cependant qu'elle a parfois des vomissements et qu'elle rend alors une grande quantité de bouts de fil. Dans l'espérance de la guérir de sa manie je lui ai déclaré qu'on serait obligé do lui ouvrir l'estomac pour lui en retirer les pelotons de fil qu'elle y accumule, et je lui ai cité le cas que vient de publier le- Df Jacobson dans le Médical News, d'une jeune fille de 11 ans qui avait l'habitude de ronger le bout de ses cheveux et chez laquelle il fallut pratiquer la gastrotomic pour retirer de son estomac une énorme tumeur pileuse du poids de 500 gr., mesurant 13 pouces de long sur 2 pouces et demi de large et 2 pouces et quart d'épaisseur, et reproduisant exactement le moule de la cavité gastrique du cardia au pylore. Cette menace n'a pas paru émouvoir oulre mesure ma malade, l'ouverture du ventre étant une perspective que la femme s'est habituée sans doute de nos jours à envisager avec sérénité. A ce propos, M. Henri de Parville, dans la lïevue scientifique
des Débals, écrit: « Il eût fallu, je crois, recourir à la suggestion hypnotique pour la guérir de cette singulière manie, a
Ce cas semble correspondre à la catégorie de ceux que les anciens médecins désignaient sous le nom de pi'ca ou cia. Grisolle définit lapica, une dépravation du goût portant les malades à manger des objets qui ne contiennent rien d'assimilable, et la range parmi les névroses de l'estomac qu'on observe surtout chez les chlorotiques.
Je ne crois pas que l'estomac soit en cause chez cette mangeuse de fils ni qu'il y ait là la moindre dépravation du goût. Il s'agit bien plutôt d'un trouble psychique, d'une variété de manie obsédante. La malade noua disait que par moments l'envie de ronger du fil la prend comme une crise nerveuse, avec une sensation d'angoisse qui ne se calme que lorsqu'elle a pu se mettre un morceau de fil sous la dent. C'est bien là le caractère d'une obsession, et la manie de ronger du fil, comme celle des rongeurs de poils ou d'ongles, me parait constituer une tare, un stigmate névropathique, bien plutôt qu'un trouble chlorotique de l'estomac
• Priseurs de cocaïne
D'après l'Américan Druggist, la ville de Chattanooga est en proie à une véritable épidémie de cocaïne. Cet alcaloïde exerce des ravages inquiétants surtout parmi la population noire, mais les blancs n'y échappent pas.
La cocaïnomanïc a pris de telles proportions qu'il n'est pas de nuit où l'on ne ramasse par les rues de trois à quatre cents personnes en état d'ivresse cocaînique complète. Tous prisent avec fureur de la cocaïne. Le mal est devenu tel que le Conseil municipal a pris un arrêté interdisant la vente de la cocaïne sans ordonnance du médecin.
CHRONIQUE Eï CORRESPONDANCE
Banquet de la Société d'Hypnologie.
Après la séance annuelle de la société d'hypnologie et de psychologie les membres de la Société se sont rendus au Banquet.M. IeDr Jules Voisin, médecin delà Selpètriôrc présidait. Parmi les nombreux convives nous devons citer M. le professeur Lionel Dauriac, M. Melcot, avocat général à la Cour de cassation, M. leD'Lcblond, médecinde Saint-Lazare, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés. M. le Dr Paul Magnin, vice-président de la Société, M. le D* Paul Farez, secrétaire général adjoint, MM. le-Dr Castroman, de Montevideo, Virgilio de Re-zende, de San Paulo j Teixera Alvarez, de Ubérala (Brésil}; Campbell,
d'Edimbourg; MM. les D" Perrier,d'Epinay; Paul Joirc, de Lille; Bourdon, de Méru ; Le Menant des Chesnais, Baraduc, Le Fournier, Maurice Bloch, Pottier, M. Blech, docteur en droit; M. Brocard, avocat à la Cour d'appel, MM. Séghers et Jules Bois, hommes de lettres, M. Lépinay, médecin vétérinaire, M. le Dr Moiroud, dentiste des hôpitaux de Paris, M. Dumont. professeur à Tunis, etc., etc.
M. le Secrétaire général donne lecture de nombreuses lettres d'excuses parmi lesquelles, celles de M. le professeur Raymond, de M. le professeur Jolïroy, de M. le professeur Proust, do MM. les D" Paul Richer et Huchard, membres de l'Académie de Médecine, de M. Boirac, recteur de l'Académie de Grenoble, de M. le Dr Deny, médecin de la Salpétrière, de M. le professeur Bianchi,de l'Université de Parme, de MM. les 1)" Félix Rcgnault, Aragon, Wateau, Henry Lemcslc, de M. Marcel Dubois, professeur à la Sorbonne, de M. le professeur Beaunis, de M. le professeur Tarde, de M. Albert Colas, trésorier.
M. le Dr Paul Magnin, vice-président, en termes chaleureux porte la santé du président de la Société, M. Jules Voisin, et exprime les sentiments d'affection et de respect qui unissent tous les membresde la Société au président perpétuel.
M. Jules Voisin, président, porte un toast à la Société, dont il constate la croissante activité et la prospérité.
M. le D'Bérillon salue le présence des convives étrangers, MM. les docr leurs Costroman, de Rézende, Teixera Alvarez, Campbell, qui représentent au banquet des nations amies de la France, et il souhaite la bienvenue aux nouveaux membres de la Société.
M. le Dr Lcblond, médecin de Saint-Lazare, exprime sa satisfaction de prendre part à une réunion aussi cordiale et dont les éléments tout en étant très différents sont animés du môme esprit de philosophie scientifique.
Après le banquet, M. Jules Bois a soumis aux assistants un projet d'enquête sur l'état actuel des études psychologiques. A ce sujet une discussion scientifique s'est élevée au cours de laquelle MM. Séghers, Paul Magnin, liérillon, Melcot, Bourdon, Baraduc, ont exposé leurs opinions sur les diverses questions soulevées par M. Jules Bois.
Tous les assistants se sont retirés enchantés de constater les sentiments de cordialité et d'union qui unissent tous les membres do la Société d'hypnologic.
Le Congrès d'anthropologie criminelle d'Amsterdam
Le cinquième congrès d'anthropologie criminelle se tiendra à Amsterdam, du 9 au 14 septembre 1901 dans l'aula, de l'Université.
Parmi les questions mises à* l'ordre du jour, nous pouvons signaler : • i° Caractère anatomique et physiologique des criminels;
2° La psychologie et la psychopathologie criminelles;
3° L'anthropologie criminelle dans ses applications légales et administratives;
4* Sociologie criminelle : causes économiques du crime; criminalité et socialisme;
5" L'anthropologie criminelle et l'ethnologie comparée;
6° Questions diverses: l'alcoolisme; la criminalité juvénile, l'hypnotisme, la psychologie criminelle dans la littérature.
La Société d'hypnologie et de psychologie a désigné pour la représenter à ce congrès M. le 1)'Jules Voisin, président, M. le Dr Bérillon. secrétaire général, M. Melcot, avocat général à la Cour de cassation.
L'Institut de psychologie zoologique
L'Institutde psychologie zoologique qui vient d'être fondé parM. Hachet-Souplet,bien connu parscstravaux de psychologie comparée, a pour but l'étude expérimentale des Animaux du Muséum d'Histoire Naturelle.
Les Membres fondateurs de l'Institut de psychologie zoologique ont pensé qu'il serait intéressant d'appliquer le principe de l'expérience à l'étude des facultés psychiques des animaux.
En effet, si la simple observation des animaux sauvages vivant en liberté ou en captivité et des animaux domestiques, nous a fourni quelques informations psychologiques précieuses, il faut avouer qu'elles sont assez rares. En dehors des espèces de très petite taille — et surtout des insectes, dont on peut observer les mœurs générales dans un coin de jardi n — il est extrêmement diffìcile d'examiner les animaux à l'état de liberté et de les suivre dans leurs pérégrinations sans troubler leur quiétude. D'autre part, les animaux en cage ne peuvent faire preuve d'aucune initiative puisque aucun événement ne traverse leur existence. Quant aux animaux domestiques, ils donnent quelquefois le spectacle d'actes remarquables au point de vue psychologique, mais de tels actes ne se produisent qu'accidentellement, et ce ne sont pas toujours des psychologues ou des naturalistes qui ont la bonne fortune d'en être témoins. Les savants ont donc été forcés jusqu'ici (comme J. Romanes, par exemple] de se contenter presque toujours d'enregistrer les faits qui leur étaient rapportés par des correspondants plus ou moins compétents.
Or, pour combler la lacune qui existe dans la psychologie animale quelles expériences seiait-:l désirable de pratiquer?
Elles peuvent être de deux genres différents.
1° Les unes consisteront à faire naître des circonstances particulières dans la vie de l'animal pour pouvoir constater comment il se comporte en présence de ces circonstances inaccoutumées.
2° D'autres expériences se rapporteront à une espèce de dressage scientifique. II ne faut pas se méprendre à ce mol : certes, il ne s'agit pas ici du chercher à obtenir des exercices plus ou moins brillants! Il
s'agît seulement d'établir les conditions de l'obéissance de la bête. Les moyens dont l'expérimentateur doit se servir pour l'amener à obéir peuvent, en effet, être considérés comme des espèces de criteria de ses, facultés psychiques, Est-ce que le dresseur, doublé d'un observateur éclaire et consciencieux, ne se trouve pas vis-à-vis de ses élèves, dans la position d'un maître qui fait passer un examen ? Est-ce que, d'après les notes qu'il donne aux espèces, il ne lui est pas possible de leur assigner un rang en raison des facultés psychiques dontellesont fait preuve? Si, par exemple, un animal comprend la mimique et, dans une mesure, la voix humaine, s'il se laisse persuader d'obéir, s'il est, en un mot, possible de lui faire associor des idées, il est évident que la preuve' de son intelligence sera établie. La persuasion peut donc être prise comme le critérium de l'intelligence animale, . . . mais nous ne pouvons entrer ici dans la démonstration de la méthode adoptée par notre Institut et. nous n'avons cherche qu'à indiquer très sommairement la voie où nous voudrions entrer.
Il est évident que l'application d'une pareille méthode offrirait des: difficultés presque insurmontables s'il ne s'était pas trouvé un psychologue connaissant à fond les procédés pratiques mis en usage par les dresseurs professionnels pour instruire toutes espèces d'animaux. Nous voulons parler de M. P. Ilachel-Souplet, qui, le premier, a considéré les moyens efficaces d'éducation comme des criteria en psychologie animale et a exposé, daus plusieurs ouvrages, les résultats qu'il a déjà; obtenus en se plaçant à ce point de vue.
D'autre part, nous devons à la haute bienveillance de MM. Liard,-directeur de l'enseignement supérieur, et Ed. Perrier, directeur du Muséum, l'édification d'un vaste laboratoire de psychologie zoologique dans les annexes du Jardin des Plantes. Enfin de grandes facilités ont été données au directeur de notre Institut pur M. le professeur Oustalefr pour pratiquer certaines expériences à la ménagerie même.
Ces épreuves (est-il besoin de le dire) n'ont rien de cruel; il s'agit; d'éveiller les facultés psychiques des animaux et non d'abrutir nos frères; inférieurs avec des coups. Les travaux de l'Institut psycho-zoologique, doivent donc intéresser tous ceux qui aiment les bètes : les protectionnistes qui comprendront que démontrer l'existence de l'intelligence chez les animaux supérieurs c'est donner de nouvelles raisons de les! aimer; les sportsmen, les fanatiques du cheval de selle ou du chiendê chasse, qui voudront être renseignés sur maints procédés de dressage tenus secrets, et surtout, cela va de soi, les esprits philosophiques et tous ceux qu'intéressent les problèmes de la science.
VAdministrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie a. QUEL ) l l . rue Gcrljcrt, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPERIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
16e Année — N° 3. Septembre 1901
Des représentations mentales et des hallucinations visuelles et auditives post-hypnotiques conscientes chez les personnes ayant subi le traitement hypnothéra-pique (1).
Par le Dr Jules Voisin, Médecin de la Salpetrière.
Un certain nombre de neurasthéniques ayant des phobies et des idées fixes traitées par l'hypnotisme, évoquentdans lecours de leur traitement, quand leurs craintes ou leurs idées fixes reviennent, l'image et les paroles du docteur qui les soigne. Ces représentations mentales suffisent souvent pour faire disparaître leurs craintes. Je soigne en ce moment-ci une malade qui a la peur de ne pouvoir digérer ce qu'elle mange et qui a la crainte de mourir par le fait de l'absorption des aliments. Cette malade après chaque séance d'hypnotisme mange très bien et n'a aucune crainte de mourir pendant plusieurs jours, mais au bout de 8 à 10 jours, ses craintes reviennent. Alors cette personne s'installe dans son fauteuil chez elle, comme elle est installée chez moi lors de sa visite, et elle évoque ses souvenirs et elle me voit et entend les paroles que j'ai l'habitude de prononcer. Elle s'endort profondément et au bout d'une demi-heure se réveille tout à fait rassurée.
Une autre malade, une jeune fille de 19 ans, très intelligente, ayant subi plusieurs échecs à son examen par le fait de la peur, vint me trouver et me demanda la force, l'énergie nécessaire pour vaincre son émotion le jour de son examen. Je l'endors
(1) Note lue en Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique (août 1900).
et je lui fais la suggestion qu'elle passera très bien son examen, qu'elle ne sera pas émue, qu'elle répondra à toutes les questions et que sa volonté sera maîtresse.
Immédiatement avant de se rendre à l'Hôteldc-Ville, elle évoque mon souvenir, elle me voit, m'entend et s'endort pendant 15 minutes. A son réveil elle se trouve très bien et sent qu'elle affrontera sans crainte les examinateurs. Elle fut reçue avec la note très bien.
Par ces deux exemples très frappants, on peut juger de l'importance que joue, dans le traitement psychothérapique, la reviviscence suggérée des représentations mentales. Ce procédé est employé systématiquement par plusieurs auteurs. Bonjour, de Lausanne, l'utilise couramment dans sa pratique et Bérillon nous a signalé les bons résultats qu'il en a obtenus dans le traitement de troubles névropathiques divers (trac des chanteurs, mal de mer, agoraphobie, onanisme, timidité.etc...).
La représentation mentale des suggestions faites antérieurement dans le sommeil hypnotique suffit pour neutraliser les états d'anxiété, comme si le malade se trouvait en présence du médecin. Le procédé qui consiste à les évoquer dans les circonstances où cela est nécessaire constitue donc un adjuvant précieux à l'emploi de la suggestion hypnotique.
DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE.
Séance du 11 août 1900. — Présidence do M. le D' Jules Voisin. Présidents d'honneur : MM. les D'» von. Schuenk-Notzixo (de Munich} et Aiue »e Joxo (de La Haye).
L'Hypnotisme expérimental devant la loi du 30 novembre 1892. Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation.
Rapport lu par M. Ch. L. Julliot, Docteur eu droit, Secrétaire du Congrès.
Messieurs,
Il ne m'appartient de vous entretenir ici que de Y hypnotisme expérimental, et, par là, j'entends, par opposition à l'hypnotisme thérapeutique, toute pratique de l'hypnose employée dans un
but étranger au traitement des affections maladives, quel que soit ce but.
La question mise à Tordre du jour est celle de savoir s'il est opportun de solliciter des pouvoirs publics une réglementation spéciale de l'hypnotisme. Pour répondre à cette question, il me faut préalablement vous exposer l'état de la législation régissant actuellement l'hypnotisme en France.
I. — Etat de la Législation
L'hypnotisme n'a fait en France l'objet d'aucune réglementation particulière. II relève uniquement des principes du droit commun. Au point de vue expérimental, il est resté en dehors des prévisions du législateur de 1892. Je vais m'efforcer de le démontrer.
Je crois que les faits d'exercice illégal de la médecine peuvent se grouper en trois catégories :
1" Prescription d'un médicament, rédaction d'une ordonnance. — C'est là le principal attribut du médecin, consacré par l'art. 32 de la loi du 21 germinal do l'an XI. La science s'est complue quelquefois à comparer la production du sommeil hypnotique à l'administration d'un médicament relevant l'une et l'autre de certaines règles de posologie bien déterminées; mais ce n'est là qu'une comparaison. L'hypnose, même employée dans un but curatif, n'est pas un médicament.
2° Pratiques chirurgicales. — Nous n'avons pas à insister. L'hypnotisme ne rentre pas davantage dans la chirurgie.
3° Dans une troisième catégorie nous ferons rentrer un certain nombre d'actes qui, par eux-mêmes, examinés en soi, ne constituent pas, à proprement parler, des actes de médecine ou de chirurgie. Au premier plan, nous placerons l'hypnotisme. La provocation du sommeil n'est pas, en elle-même, un acte médical. De môme le magnétisme, (dont il ne nous appartient pas ici de juger la valeur scientifique), le massage, l'électricité, la prescription d'un régime alimentaire ou autre, les conseils d'hygiène, etc. Ce sont là des actes, qui, en eux-mêmes, ne sont pas du domaine exclusif de la médecine, mais qui peuvent revêtir un caractère médical, lorsqu'ils sont employés dans le but de traiter une affection maladive. Ces actes, lorsqu'ils ont été pratiqués par des gens non pourvus du diplôme requis, peuvent tomber sous le coup de l'art. 16 de la loi du 30 novembre 1892 et emprunter le caractère délictueux
aux circonstances dans lesquelles ils sont accomplis. Ces circonstances relèvent de deux facteurs:
a) But poursuivi : traitement des maladies.
b) Fréquence des faits : traitement habituel, direction suivie.
Je trouve cette manière de voir, qui, au surplus ne me parait pas contestable, consacrée dans un jugement du Tribunal de la Seine du 26 janvier i 893 (affaire du zouave Jacob) :
«.....Qu'en effet, il appert des travaux préparatoires de la loi
que, si le législateur n'a pas voulu réserver exclusivement aux médecins les expériences du magnétisme et de l'hypnotisme, c'est à la condition que les profanes resteraient dans le domaine des expériences purement scientifiques et n'entreraient pas dans celui de la médecine proprement dite, c'est-à-dire ne se serviraient pas du magnétisme et de l'hypnotisme pour exercer la profession de guérir. »
Les travaux préparatoires auxquels font allusion les considérants de ce jugement sont principalement le rapport de M. Chevandier.dans lequel nous lisons ces mots : « Le temps n'est pas loin où tout docteur en médecine, qui osait parler de magnétisme animal, était gourmande par ses confrères. Déconsidéré par les exhibitions publiques, il a failli succomber sous le mépris des savants. Aujourd'hui que, sous les noms de suggestion ou d'hypnotisme, la science accueille les faits, les contrôle, en recherche la loi, est-il justeet sage d'en tarir la source et d'en décerner le monopole à ceux-là mêmes, qui, obligés de se défendre, par une critique rigoureuse, contre les effrontés et les charlatans, se montrèrent hostiles aux manifestations physiologiques nouvelles, dans la crainte d'être dupes de faits mal observés ou falsifiés ? Nous ne l'avons pas pensé, laissant à chacun la liberté ou la responsabilité de ses actes..... Nous croyons que le moment n'est pas venu d'enlever ces expériences aux profanes, et de les confier exclusivement aux médecins. »
Et les considérants du jugement précité ajoutent : a Que le rejet par le Parlement de l'art. 12 du contre-projet de loi de M. David, qui avait pour but d'atteindre tout particulièrement les hypnotiseurs, ne peut intéresser ces derniers que comme savants à la recherche de phénomènes magnétiques nouveaux et jamais comme guérisseurs. »
Nous voyons, Messieurs, que l'hypnotisme expérimental est demeuré en dehors des prévisions de la loi de 1892. Ses méfaits
relèvent donc des principes du droit commun. Pnssons-les rapidement en revue.
Dans le domaine de la responsabilité civile, nous sommes armés des articles 1382 et 1383 du Code civil :
Art. 1382. — « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Art. 1383- — « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
Ces textes fondamentaux de notre droit civil permettront en mainte occurrence à l'hypnotisé de demander des dommages et intérêts à l'hypnotiseur. 11 en serait ainsi notamment dans le cas où les expériences auraient eu pour effet d'ébranler la santé du sujet. Je pense que ce droit lui appartiendrait alors même qu'il se serait prêté de bonne grâce aux expériences. En général il n'y aura consenti que sur l'assurance de l'expérimentateur que ses pratiques étaient inoffensives, ou tout au moins dans cette conviction, et l'opérateur se sera bien gardé de la lui enlever. J'irai même plus loin : j'estime qu'alors même que l'hypnotiseur aurait prévenu le sujet des troubles qui pourraient en résulter pour sa santé, il ne serait pas à l'abri d'une demande de dommages et intérêts, car le sujet aurait donné un consentement contraire à l'ordre public, et pourrait, à mon avis, se prévaloir, par analogie des dispositions de l'art. 1133 du Code civil : « La cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »
Une question plus délicate serait de nature à se poser : Un hypnotiseur endort un assistant et lui fait accomplir en public, soit séance tenante, soit ultérieurement, par une suggestion posthypnotique, des actes ridicules ou contraires à la morale ou aux bonnes mœurs. Le sujet serait-il fondé à demander des dommages et intérêts à l'hypnotiseur pour atteinte portée à sa considération ? Je crois qu'il y a surtout là une question de faits. Si le sujet a consenti par avance aux actes suggérés, je pense que l'hypnotiseur ne saurait être recherché, tout au moins au point de vue civil. Si, au contraire, l'expérimentateur avait abusé du pouvoir qu'il avait acquis sur le patient pour lui faire commettre des actes non prévus et non consentis par' avance, et susceptibles de nuire à la considération du sujet, il
me paraîtrait rationnel de décider qu'il pourrait être recherché de ce chef.
Dira-t-on, ce qui est contestable, que l'influence de l'hypnotiseur est telle que certains hommes peuvent être endormis contre leur volonté et malgré leur refus de se prêter à l'expérience, ou que, tout au moins certains hypnotiseurs disposent d'un tel pouvoir que des esprits faibles ne sauraient résister à la suggestion de se prêter à ces expériences, et que, par conséquent, nous ne saurions faire état du consentement donné par le sujet? Je répondrai que l'inégalité d'intelligence et de volonté des différents hommes est un fait en présence duquel le législateur se trouve désarmé et que, à moins de supposer qu'il y ait eu violence ou dol de la part de l'opérateur, auquel cas les articles 1111 et 1116 du Code civil pourraient trouver leur application, nous ne pouvons que constater l'ascendant de certains hommes sur leurs semblables.
Nous arrivons à une question des plus graves. N'est-il pas à craindre que des gens peu scrupuleux n'abusent du pouvoir dont ils disposent sur d'autres, grâce à la suggestion hypnotique, pour leur faire souscrire certains actes ou engagements pécuniaires, (testament, donation, reconnaissance, contrat synallagmatique avantageux pour l'hypnotiseur, décharge, quittance ou même simple déclaration) ? 11 est incontestable que ce danger existe et qu'il n'a pas été prévu par les auteurs du Code civil, qui ignoraient alors l'hypnotisme. Néanmoins j'estime que nous pouvons trouver dans le Code civil les éléments nécessaires à la protection dos hypnotisés.
Nous trouvons d'abord ce grand principe de droit commun qu'un acte ne peut exister que s'il y a eu consentement. L'acte d'un fou est non seulement nul, mais inexistant. Il devrait en être de même, à mon avis, de l'acte consenti par un hypnotisé, car l'hypnose est un état de folie momentanée. Malheureusement la théorie des actes inexistants, très en honneur dans la doctrine, ne pénètre que difficilement dans la jurisprudence, et, en attendant que les tribunaux lui aient accordé droit de cité, nous sommes obligés de nous contenter des actions en nullité et de faire des distinctions.
S'il s'agit spécialement d'un acte à titre gratuit, (donation ou testament), nous trouvons l'art. 901 du Code civil, qui décide que : « Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d'esprit. » — Or, il est incontestable qu'une personne hypnotisée n'est pas saine d'esprit, et que la nullité
du testament ou de la donation pourrait être demandée, s'il venait à être démontré que le donateur ou le testateur n'a disposé que sous l'influence de la suggestion.
La donation ne peut être faite que par acte authentique. Le testament peut également revêtir cette forme. L'intervention du notaire est certainement une garantie ; mais nous savons qu'il ne serait pas impossible d'obliger un sujet à se rendre chez un notaire, pour y dicter son testament ou y signer une donation, soit pendant le sommeil hypnotique, avec l'apparence de l'état de veille, soit par suggestion post-hypnotique, au réveil, soit enfin par simple suggestion à l'état de veille, et cela, sans que le sujet eût cessé de conserver l'apparence d'une personne saine d'esprit. Je crois donc que la nullité de ces actes pourrait être demandée même si la signature avait été donnée en présence d'un notaire, et même si le sujet avait agi à l'état de veille. Il suffirait à mon avis de démontrer que la cause déterminante de l'acte a été la suggestion hypnotique.
Je pense même que, dans le cas de testament authentique, il ne serait pas nécessaire de recourir à l'inscription de faux, car la constatation par le notaire de la sanité d'esprit du testateur est une constatation que celui-ci n'a pu faire que d'après des apparences, qui relève du domaine de la science médicale et que l'on peut discuter sans mettre en doute la véracité du notaire.
J'ajoute qu'en dehors de l'imputation d'insanité d'esprit, la demande en nullité pour cause de violence ou de dol, que nous étudierons tout à l'heure, serait également recevable en matière d'actes à titre gratuit.
Le raisonnement que nous venons de faire relativement aux libéralités entre vifs ou testamentaires peut s'appliquer aux actes à titre onéreux; mais le Code civil s'est montré beaucoup plus difficile pour reconnaitre la nullité du consentement en cette matière, car un acte à titre onéreux n'est jamais aussi grave, par définition dumoins, qu'un acte àtitre gratuit. Nous admettons facilement qu'une personne hypnotisée est momentanément aliénée*. Mais le législateur ne croit pas beaucoup à l'aliénation mentale des personnes non interdites et non séquestrées dans un asile d'aliénés. Il faut, pour le convaincre, être interdit ou interné, c'est-à-dire officiellement aliéné, ou à la veille de recevoir la consécration judiciaire de l'interdiction. Témoins les articles 503 et 504 du code civil (1) et l'article 30
(1) Art. 503. — a Les actes antérieurs a l'interdiction pourront être annules si la
de la loi du 30 juin 1838 (1), qui rendent presque impossible l'action en nullité lorsque la démence no résulte pas de l'acte même, et lorsque la personne n'est ni interdite ni internée. La démence ne résultera jamais de l'acte lui-même, car celui-ci sera l'œuvre de l'hypnotiseur, c'est-à-dire d'un homme essentiellement maître de ses facultés.
Nous croyons donc que lorsqu'il s'agira d'actes à titre onéreux, il deviendra à peu près impossible d'invoquer la démence de l'hypnotisé. Nous devrons, le cas échéant, demander protection à d'autres textes et je pense que ces textes ne sont autres que les art. 1111 et 1116 déjà cités :
Art. 111.— « La violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une causo de nullité, encore qu'elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »
Art. 1116. — «Le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il no se présume pas et doit être prouvé. »
La violence dont parle l'article 1111 n'est pas forcément une violence physique; le fait, pour une personne, d'imposer par l'hypnose sa volonté à autrui, en vue delui arracher une signature est assurément la pire des violences, puisque c'est une violence contre laquelle il est impossible de résister.
Quant au dol, on peut le définir : toute espèce de manœuvre dont on se sert pour tromper autrui et sans laquelle celui-ci n'aurait pas contracté.
Dans quel cas v aura-t-il violence ; dans quel cas y aura-t-il dol?
Je pense que c'est là une question de circonstances. Il y aura violence quand l'hypnotiseur aura endormi le sujet, soit malgré sa volonté, ce qui sera évidemment rare, soit avec son consentement et sous un prétexte quelconque, et aura profité de son influence pour lui' donner l'ordre de signer, soit pendant son sommeil, soit à son réveil.
cause de l'interdiction existait notoirement à l'époque où les actes ont été faits. »
???. 501. — « Après la mon d'un individu. les actes par lui faits ne pourront être attaqués pour cause de démence qu'autant que son interdiction mira été prononcée ou provoquée avant son décès; à moins que la preuve de la démence ne résulte de l'acte même qui est attaqué. »
(1) « Les actes faits par une personne placée dans un établissement d aliénés pendant le temps qu'elle y mura été retenue eans que son interdiction ait clé prononcée ou provoquée, pourront être attaques pour cause de démence.....»
IIy aura dol.au contraire, quand l'opérateur, sans agir violemment, sans suggestions impératives, aura procédé par persuasion et ne se sera servi, soit du sommeil hypnotique, soit de la simple suggestion à l'état de veille, que comme adjuvants de ses raisonnements.
La ligne de démarcation entre la violence et le dol sera souvent bien délicale, surtout quand l'opérateur aura provoqué le sommeil, car, dans cet état, les raisonnements équivalent en général a des ordres.
Quelle que soit l'étiquette employée, (violence ou dol), la conséquence sera la même, (nullité de l'engagement), avec cette seule différence que le dol n'est une cause de nullité qu'autant qu'il est pratiqué par l'autre partie contractante ou tout au moins avec sa complicité, tandis que la violence est toujours une cause de nullité, quelle que soit la personne de qui elle émane. Mais cette distinction elle-même n'a guère d'intérêt ici, car nous ne concevons pas un individu extorquant une signature s'il n'est lui-même le bénéficiaire ou le complice du bénéficiaire de cette signature.
Nous venons d'étudier les conséquences des actes accomplis au moyen de l'hypnose en restant sur le terrain des principes du droit commun en matière purement civile. Il nous reste à passer en revue les conséquences pénales de ces actes.
Plusieurs espèces peuvent être prévues. La première qui se présente à l'esprit est celle des crimes ou prétendus crimes qu'un hypnotiseur peut suggérer à un sujet de commettre.
La possibilité de semblables actes a été contestée.
L'école de Nancy prétend qu'un acte criminel peut être commis inconsciemment par une personne à laquelle il a été suggéré pendant le sommeil. L'Ecole de la Salpêtrière soutient, au contraire, que de semblables actes ne peuvent réussir que lorsqu'ils ont été suggérés à titre d'expériences de laboratoire et par simple simulacre, mais que les suggestions échoueraient s'ils'agissaitd'imposcr à un sujet l'exécution d'un crime véritable.
H ne m'appartient pas de trancher cette grave controverse. Des voix plus autorisées que la mienne ont soutenu les deux opinions opposées. Je cite notamment MM. Oelbceuf (') et LiébeaultC').
(I) De [.boeuf : Discours prononcé » l'Académie Royale du Belgique, le 12 décembre 1891. Revue de l'Hypnotisme, 9- année, p. 2?G cl 2G0. (?) LiéheaCLT : Revue de l'Hypnotisme, 9* année, p. 289.
Quoi qu'il en soit de cette discussion, et en supposant la possibilité des suggestions criminelles, qu'il nous suffise de constater que la loi pénale n'est pas désarmée.
Le sujet n'est, dans la perpétration du délit que l'instrument passif de la volonté d'autrui ; et j'estime que l'acte commis par lui ne saurait attirer sur sa tête aucun châtiment. L'art. 6'i du Code pénal est formel : « 11 n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a élé.contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »
« Mais si, dans l'exécution d'un ordre, l'hypnotisé est irresponsable, jouira-t-il de la même immunité, alors qu'il accomplit un acte criminel préconçu avant la suggestion, quand bien même cette dernière en serait la cause déterminante? Si la responsabilité implique le concours de l'intelligence et de la volonté libre, il est hors de doute que, dans un délit commis sous l'influence de la suggestion, les conditions obligatoires de la responsabilité font défaut. Si le sujet avait, au moment d'agir, possédé la plénitude de ses facultés intellectuelles, ne se serait-il pas abstenu d'accomplir son dessein, bien qu'il Tait prémédité?..
......« Si l'acte n'est pas en conformité parfaite avec l'état
moral qui est habituel au sujet, sa sanction pénale ne pourrait lui être appliquée. Mais, au contraire, la loi doit toujours intervenir, quand le délit est le reflet de la perversité pour ainsi dire idiosyncrasiquc de l'hypnotisé, quand, de propos délibéré, il a jugé opportun de recourir à l'hypnotisme, pour l'exécution d'un délit préconçu, et cela, soit pour échapper à la répression, soit pour accomplir son dessein plus sûrement et sans faiblesse, grâce à la suggestion. » (1)
Quant à la responsabilité qui incombe à l'hypnotiseur, il est incontestable que le véritable violateur de la loi est celui qui a suggéré l'acte coupable; c'est lui qui en est rigoureusement responsable. J'invoque sur ce point l'autorité de MM. Liégeois, Campili, Auguste Voisin (-), Garraud p) et tant d'autres. M. Garraud affirme que l'hypnotiseur doit être déclaré complice dans les termes de l'art. GU du Code pénal. Or, nous savons que l'art. 59 punit le complice de la même peine que l'auteur du crime ou du délit, c'est-à-dire de la même peine que celle prononcée par la ioi contre le crime ou le délit commis par l'auteur
(1) A. Nicot : Analyse île l'ouvrage de C&iapili : Le grand hypnotisme dans ses rapports avec le droit pénal el cû'îl. {lievue de l'Hypnotisme, 2* aimée, p. 55 cl 56.) (2) Revue de P Hypnotisme, 6e année, p. 93. (3) Précis de Droit criminel, p. 168.
principal, ce qui permet de condamner l'hypnotiseur tout en reconnaissant l'irresponsabilité de l'hypnotisé.
Nous pouvons supposer que l'hypnotiseur aura abusé de son influence pour se livrer sur son sujet à des actes attentatoires ou contraires aux bonnes mœurs. Les art. 331 et 332 du Code pénal, qui punissent le viol et les attentats à la pudeur s'appliqueront sans difficulté.
Enfin nous avons vu tout à l'heure que le Code civil permettait d'obtenir l'annulation des engagements, contrats ou actes à titre gratuit souscrits sous l'influence de la suggestion. Ce serait vraiment s'en tirer à bon compte que de s'exposer simplement à voir prononcer par les tribunaux la nullité de ces actes. Aussi sommes-nous heureux de constater que la loi pénale revendique également ses droits dans la circonstance : «Quiconque aura extorqué par force, violence ou contrainte la signature ou la remise d'un écrit, d'un acte, d'un titre, d'une pièce quelconque, contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge, sera puni de la peine des travaux forcés à temps. — Quiconque, à l'aide de la menace écrite ou verbale... aura extorqué ou tenté d'extorquer soit la remise de fonds ou valeurs, soit la signature ou remise des écrits énumérés ci-dessus, sera puni d'un emprisonnement d'un au à cinq ans et
d'une amende de cinquante à trois mille francs.....» Ainsi
s'exprime l'art. 400 du Code pénal. L'art. 405 peut également
trouver son application : « Quiconque..... en employant des
manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence do fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naitre l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique se sera fait remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions billets, promesses, quittances ou décharges, et aura par ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et d'une amende do 50 fr. au moins et de 3,000 fr. au plus. »
J'en ai fini avec l'exposé des principes do notre législation applicables aux responsabilités ou délits pouvant résulter de la pratique de l'hypnotisme.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 18 Juin 1001. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 35.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
MM. Bourdon (de Méru), Félix Regnautt, Jules Voisin, iiickmct et Bérillon prennent successivement la parole pour faire les communications portées à l'ordre du jour.
Les candidatures de MM. les Dr Lefournier et Voilier, mises aux voix, sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 35.
L'onanisme et son traitement par la suggestion hypnotique,
par le docteur Bérillon,
Médecin inspecteur îles asiles publics d'aliénés.
Les habitudes d'onanisme, lorsqu'elles revêtent un caractère d'irré-sistibilité, dénotent, chez les individus qui les présentent, des perturbations fonctionnelles profondes des centres cérébro-spinaux. Lors même que les sujets sont doués d'un certain développement intellectuel, on peut toujours constater qu'ils présentent une véritable aboulie par rapport à l'habitude automatique dont ils sont atteints. En effet, ces sujets, tout en ayant conscience des dangers que leur font courir les pratiques d'onanisme, se déclarent absolument impuissants à y résister.
On a imaginé un grand nombre d'appareils de contention et de ceintures dites de chasteté pour réprimer les habitudes d'onanisme chez les enfants. Aucun de ces appareils n'a jamais amené la guerison d'un seul malade. Au contraire, nous avons pu constater que l'usage prolongé des appareils de contention, ainsi que l'usage d'attacher les mains des enfants onanistes pendant la nuit, exerçait l'influence la plus mauvaise et avait pour effet de créer une disposition à l'incurabilité de l'habitude : nous affirmons même que l'emploi des appareils de contention et lu fait d'attacher les mains semblent créer ce que nous serions tenté d'appeler l'onanisme chronique.
Cela est tellement exact que, lorsque nous éprouvons quelque difficulté à obtenir la guérison, nous pouvons sans crainte de nous tromper, affirmer que l'enfant a été longtemps attaché pendant la nuit, ou qu'il a porté une ceinture de chasteté pendant plusieurs mois.
11 se passe quelque chose d'analogue à ce qu'on observe chez les aliénés longtemps soumis à la eontrainte de la camisole de force. Ces malades ne tardent pas â revêtir un aspect particulier et beaucoup d'aliénisles
considèrent que l'emploi de ces moyens de coercition augmente la disposition des troubles mentaux à passer à l'état chronique.
L'emploi de moyens de coercition dans le traitement de l'onanisme est non seulement sans efficacité, mais encore il augmente la gravité de l'habitude vicieuse. Cela tient à ce qu'il importe avant tout, non d'empêcher par des moyens mécaniques la réalisation de l'impulsion automatique, mais bien de procéder à la rééducation de la volonté et de créer chez ces malades de véritables centres psychiques d'arrêt.
Au contraire, on arrive assez rapidement à la guérison de l'onanisme par l'emploi de la suggestion hypnotique à laquelle il faut associer une gymnastique spéciale.
Voici notre procédé. L'enfant étant hypnotisé, nous lui levons les bras en l'air et nous lui suggérons l'apparition dans ses bras d'une véritable paralysie psychique. Nous lui affirmons que lorsque l'impulsion à céder à l'onanisme se manifestera, la paralysie dont il est l'objet se reproduira immédiatement et qu'il sera, par conséquent, dans l'impossibilité matérielle de céder à l'habitude. En même temps, nous nous appliquons, par des suggestions appropriées, à éveiller la conscience de l'acte répréhensîblc et à faire en sorte qu'ils ne puissent plus l'accomplir inconsciemment. En général, il est nécessaire d'appuyer les suggestions par des raisonnements et d'invoquer à leur appui les arguments les plus capables do leur imposer l'horreur de l'onanisme.
Après deux ou trois séances, les sujets ne tardent pas à reconnaître qu'ils sont capables de résister dans une certaine mesure à l'impulsion. Bientôt leur résistance s'organise et la guérison s'établit.
L'argumentation devra varier selon le degré de culture morale et les influences du milieu. C'est là affaire de tact.
Dans certains cas, l'impulsion à l'onanisme se trouve associée à de véritables altérations du sens moral. Il est évident, dans ces cas-là, que l'on devra utiliser l'état d'hypnotisme non seulement pour procéder à la rééducation de la volonté et à la création de centres psychiques d'arrêt, mais aussi à l'éducation de la sensibilité morale.
On ne saurait s'imaginer à quel point la provocation préalable de l'état d'hypnose augmente la puissance de la suggestion. Quand l'hypnotisme est obtenu, la guérison est la règle. Sans l'hypnotisme, la suggestion pratiquée à l'état de veille ne donne que des insuccès. C'est pourquoi nous pouvons déduire de notre pratique déjà longue que c'est l'hypnotisme qui joue le rôle prépondérant dans la guérison de l'onanisme et des états mentaux qui s'y rattachent.
La durée du traitement varie nécessairement selon l'ancienneté des habitudes et le terrain névropathique sur lequel elles se sont développées. Chez les onanistes dont le développement intellectuel est suffisant cl dont les stigmates de dégénérescence sont peu accentués, la guérison de l'onanisme par la suggestion est rapide et durable.
La Transverbération de Sainte Thérèse d'Avila
par le Dr Henry Lemesle
Ceux d'entre vous, Messieurs, qui ont visité l'église de Sancla Maria délia VUtoria à Rome, ont pu y admirer un groupe de marbre, chef-d'œuvre du chevalier Bc-rnin, dont la présence en un tel lieu cause avant tout un profond étonnement. Le sujet est cependant éminemment religieux, car il s'agit de l'Kxtasp, ou, pour parler plus précisément, de la Transverbération de sainte Thérèse. Dans l'espoir de réformer l'impression que m'avait produite l'œuvre du lïernîn, j'ai consulté les critiques autorisés qui l'ont appréciée, et j'ai étudié la vie de sainte Thérèse dans ses biographes et dans ses propres mémoires: mon opinion première n'en fut que confirmée.
Voici d'ailleurs, parmi d'autres analogues, au fond, l'appréciation de Taine [in Voyage en Italie, 1. I, p. ï98) :
« Elle est adorable : couchée, évanouie d'amour, les mains, les pieds « nus pendants, les yeux demi-clos, elle s'est laissé tomber de bonheur « et d'extase. Son visage est maigri mais combien noble ! C'est la vraie « grande dame qui a séché dans les feux, dans les larmes, en attendant « celui qu'elle nime. Jusqu'aux draperies tortillées, jusqu'à l'alanguise-« ment des mains défaillantes, il n'y a rien en elle ni autour d'elle qui
« n'exprime l'angoisse voluptueuse et le divin élancement de son Irans-« port. On ne peut rendre avec des mois une altitude si enivrée et si « louchante. Renversée sur le dos, clic pâme, tout son être se dissout: « le moment poignant arrive, elle gémit: c'est son dernier gémissement, « la sensation est trop forte. L'ange cependant, un jeune page de 14 ans, « en légère tunique, la poitrine découverte jusqu'au-dessous du sein, « arrive gracieux, aimable, c'est le plus joli page de grand seigueurqui
« vient faire le bonheur d'une vassale trop tondre. Un sourire demi-« complaisant, demi-malin creuse des fossettes dans ses fraîches joues « luisantes : sa flèche d'or à la main indique le tressaillement délicieux « cl terrible dont il va secouer tous les nerfs de ce corps charmant,, « ardent, qui s'étale devant sa main. On n'a jamais fait de roman sî « séduisant et $i tendre. » .
On pourrait objecter avec raison que le lïernin a mal interprété efe déformé Ick sensations intimes dont sainte Thérèse nous ci:! i-.voir été l'objet ; il importe donc de connaître la description de la scène fameuse de la Transvcrbêralhn que nous détachons des Mémoires de la sainte (édition Arnault d'Andilly) :
« A mon côté gauche, j'ai vu un ange dans une forme corporelle. H* » était petit, d'une merveilleuse beauté et son visage etineelait de tant
« de lumière, qu'il me paraissait un de ceux de- premier ordre qui sont « tout embrasés de l'amour do Dieu et que l'on nomme séraphins... Cet « ange avait à la main un dard qui était d'or, dont la pointe éiait fort « large et qui me paraissait avoir à l'extrémité un peu de feu; il me
« semble qu'il l'enfonça diverses fois dans mon cœur et que toutes les « fois qu'il l'en retirait, il m'arrachait les entrailles et me laissait toute « brûlante d'un si grand amour de Dieu, que la violence de ce leu me « Taisait jeter des cris, mais des cris mêlés d'une si extrême joie que je « ne pouvais désirer d'être délivrée d'une douleur si agréable ni trouver « de repos et de contentement qu'en Dieu seul. Cette douleur dont je « parle n'est pas corporelle mais toute spirituelle, quoique le corps ne « laisse pas d'y avoir beaucoup de part. »
C'est donc bien une réalité que le Bcrnin a fait exactement revivre dans le marbre. Mais alors quelle interprétation scientifique pourrez-vous donner de la scène de la Transverbêration? Cette extase doit être considérée, pourrions-nous dire, comme l'extase majeure qu'ait éprouvée sainte Thérèse, après un long entraînement ; la sainte avait à cette époque quarante-quatre ans, et son curriculxim v'ttx, jusqu'à cet âge, doit nous faire penser, que cette extase soit attribuable à la troisième
période dite des attitudes passionnelles de la grande attaque d'hystérie, ou plus probablement qu'elle se rattache au syndrome que Briquet a dénommé les attaques d'extases, que sainte Thérèse, était, à ce moment, travaillée par une ménopause tumultueuse.
La plupart des auteurs qui ont étudié sainte Thérèse au point de vue psychologique, ont bien dit qu'elle devait être considérée comme une grande hystérique, à manifestations hallucinatoires et extatiques, mais il me semble que c'est là une appréciation tout a priori, car ils ont négligé de rechercher au jour le jour dans la vie de la sainte ct.de mettre en lumière les signes diagnostiques qui permettent de reconnaître l'origine de l'extase et les symptômes que présentait le sujet dans l'intervalle des crises, ce qui est cependant rigoureusement nécessaire pour caractériser la nature de l'extase; c'est ce travail qu'il m'a paru utile d'accomplir.
C'est dans la vie de la sainte écrite par elle-même et dans son biographe, lïibera. que j'ai moissonné tout ce qui doit entraîner une conviction relativement à la nature hystérique des extases de sainte Thérèse.
Sainte Thérèse, nous allons le voir, fut une grande sainte parce qu'elle ne fut pas une grande courtisane : femme d'une grande beauté, d'une intellcctualité éminenle, elle était douée d'un tempérament passionné, de l'imagination la plus vive, de la suggeslibiHlé la plus parfaite. Un de ses critiques a dit : a Dans ses écrits, qui restent des modèles inimitables, il suffirait de changer le nom de Jèsits pour avoir des hymnes d'amour plus brûlants que les strophes de Saplio, et dans toutes les cir-conlances de sa vie s'imposera à notre attention l'expression alternative ou combinée de ses personnalités humainement ou divinement amoureuses.
***
Nous verrons ces deux personnalités, dans leur imprécision, se pénétrer l'une l'autre.
Par nécessité, elle fut amenée à discipliner ses sens, à ne pas laisser libre cours aux désirs ou aux sensations voluptueuses dont ils étaient le point de départ ; les moyens physiologiques et normaux d'apaisement des sens lui étaient interdits par les vœux qu'elle avait prononcés et dans l'observance desquels elle entendait se tenir, elle se fit des satisfactions de convention, afin de donner carrière aux expansions de son tempérament hystérique ; elle s'entraina et parvint à donner, par l'intensité de l'idéation provocatrice d'hallucinations, un substralum et un aliment à ses sensations voluptueuses, elle se créa un centre nerveux de dérivation, j'allais dire d'inversion sexuelle; elle nous fournit un exemple de ce que l'amour humain cl l'amour divin, si dissemblables qu'ils paraissent, en principe, en arrivent en définitive, poussés à leurs dernières conclusions, à mettre enjeu les mômes centres nerveux, provocateurs de mêmes sensations voluptueuses.
A sainte Thérèse, esprit supérieur et délicat, l'auto-suggestion, l'idéation seule suffît à peupler sa pensée d'images qui procurent l'extase; à des cerveaux intellectuellement inférieurs, tels que ceux des Ursulines de Loudun (introduisant un crucifix dans leur lit dans un but voluptueux], des nonnes d'Uverlet et de beaucoup d'autres victimes de l'hystéro-démonomanie des cloîtres au moyen âge, il faudra un sub-stratum matériel, instrument d'association et trait d'union tangible de l'amour mystique aux manifestations erotiques les plus cyniques.
Les extases de sainte Thérèse apparaissent au psychiatre comme relevant de la psychopathie sexuelle; il importe donc, se dégageant de toute idée confessionnelle, au risque même d'apporter une note discordante à ce que Jaurès qualifie de chanson à bercer la misère humaine, d établir au grand jour de la discussion scientifique, celte symptomato-logic morbide.
***
Dès son plus jeune âge, Thérèse recul les suggestions qui, presque infailliblement, font éclorc une vocation, elle fut dirigée vers les pratiques religieuses par son père, « fort affectionné, nous dit-elle, à la lecture des bons livres » ; elle avait un frère avec lequel elle se trouva en parfaite communion d'idées et avec lequel elle résolut, pour gagner le ciel, d'aller se faire couper la tète chez les Maures.
« Comme je voyais les martyres que, pour Dieu, souffraient les saints. « il me parut qu'ils achetaient à vil prix le bonheur de jouir de Dieu, et
« je désirai de mourir ainsi. C'est pourquoi je me mis à me concerter
« avec mon frère sur le moyen d*y arriver, et nous décidâmes d'aller « chez les Maures, en demandant l'aumône le longdu chemin, afin qu'ils
« nous coupassent la tête. Il me semblait que Dieu nous en donnerait le « courage à un âge si tendre, pourvu que nous trouvions quelque moyen...
« mais le plus grand embarras était notre famille... »
Aux portes même d'Avila les deux enfants trouvèrent malencontreusement leur oncle, qui leur fit, l'oreille busse, réintégrer le paternel logis.
« Des que nous vîmes qu'il nous était impossible d'aller nous faire « tuer pour l'amour de Dieu, nous résolûmes de nous faire ermites. Dans « un jardin qu'il y avait à la maison, nous construisions des grottes en « entassant des pierres qui aussitôt croulaient. Impossible de satisfaire « nos désirs ! »
Quand la fillette devint femme, cette transformation s'accompagna de symptômes nerveux et de tendances rien moins que religieuses. La puberté de sainte Thérèse produisit une certaine pciluibalion morale; elle devint une jeune fille lisant des romans, soucieuse de plaire, flirtant avec ses cousins, et elle laissa sans doute parler ses sens puisqu'elle nous dit :
« Quand je commençai à lire les confessions de ce grand saint (saint
« Augustin), je m'y vis, ce me semblait, comme dans un miroir qui me « représentait à moi-même telle que j'étais. »
Or, saint Augustin, on le sait, fut au point de vue de l'incontinence, un modèle du genre; nous voulons croire cependant que sainte Thérèse, par tournure naturelle de caractère sans doute, a transformé ses défauts en vices.
« Ce que je vais rapporter me fait quelquefois considérer combien « grande est la faute des pères et des mères qui ne prennent pas soin « d'empêcher leurs enfants de rien voir qui ne les puisse porter à la « vertu...
« Ma mère prenait plaisir à lire des romans et ce divertissement ne; « lui faisait pas tant de mal qu'à moi ; nous oubliions nos autres devoirs « pour ne penser qu'à cela seul. Mon père le trouvait si mauvais qu'il « fallait bien prendre garde qu'il ne s'en aperçût pas. .le m'appliquai « donc entièrement à une si dangereuse lecture, et cette faute que l'exem-« pie do ma mère me fit faire causa tant de refroidissement dans mes « bons désirs, qu'elle m'en fit commettre beaucoup d'autres.
« Je commençai de prendre plaisir à m'ajuster et à désirer de paraître « bien; j'avais un grand soin de mes mains et de ma coiffure; j'aimais « les parfums et toutes les autres vanités, et comme j'étais fort curieuse » je n'en manquais pas. Mon intention n'était pas mauvaise et je n'aurais « pas voulu être cause que quelqu'un offensât Dieu pour l'amour de « moi...
« Comme mon père était extrêmement prudent, il ne permettait « l'entrée de sa maison qu'à ses neveux, mes cousins-germains. Et plût « à Dieu qu'il la leur eût refusée aussi bien qu'aux autres!
« Ces parents dont je parle n'étaient qu'un peu plus âgés que moi; « nous étions toujours ensemble, ils m'aimaient extrêmement, mon « entretien leur était fort agréable; ils me parlait du succès de leurs « inclinations et de leurs folies et, qui pis est, j'y prenais plaisir, ce « qui fut lu cause de tout mon mal...
« Je reçus un grand préjudice d'une do mes parentes qui venait « souvent nous voir. Comme si ma mère qui connaissait la légèreté de. « son esprit eût prévu le dommage qu'elle devait causer, il n'y avait « rien qu'elle n'eût fait pour lui fermer l'entrée de la maison. Je m'afiec-« lionnai extrêmement à elle et no me lassais point de l'entretenir parce « qu'elle contribuait à mes divertissements...
« Ayant ensuite entièrement perdu la crainte de Dieu, il me resta
« seulement celle de manquer à ce qui regardait mon honneur, et elle
« me donnait des peines continuelles. Mais me flattant de la créance « que l'on n'avait point de connaissance de mes actions, je faisais plu-« sieurs choses contraire à l'honneur de Dieu et même à celui du monde « pour lequel j'avais tant de passion. »
Mais ici-bas tout passe et tout casse, le père do Thérèse, Antonio dô Cêpêdit, comprit, un peu lard peut-être, que sous les espèces et apparences de cousins, il avait introduit chez lui des renards à manger ses
poules, il s'aperçut que la compagnie qu'il avait donnée à sa fille n'avait point menée à bonne fin l'éducation de cette dernière, et qu'en définitive la jeune Thérèse allait mal tourner; il fut alors contraint de prendre ce que nos contemporains appelleraientirrévércncieusement une mesure de correction paternelle :
«... Trois mois s'étaient passés lorsqu'on me mit dans un monastère - de la ville. Cela se fit avec tant de secret qu'il n'y eut qu'un de mes « parents qui le sut. »
L'Eglise doit une.grande reconnaissance à Antonio de Cépéda, car sans la détermination qu'il prit, elle compterait certainement une grande sainte de moins.
Le nouveau genre de vie auquel fut astreinte sainte Thérèse ne tarda pas à faire se révéler tout un ensemble de troubles hystériques jusqu'alors latents.
Au premier rang, en intensité et en durée, se montrèrent les tJOTiiis-sements nerveux qui persistèrent pendant vingt ans, et les maux de cœur dont la sainte se plaindra à chaque page de son histoire; puis ce furent des syncopes répétées.
« Le changement de vie et de nourriture altéra ma santé quoique j'en
« fusse fort contente : mes défaillances augmentèrent et mes maux de « cœur étaient si grands que se trouvant joints à tant d'autres maux, on « ne pouvait les voir sans étonnement. Je passai ainsi la première année. « Le mal était si grand que je n'avais toujours que fort peu de connais-« sance et je la perdais quelquefois entièrement. »
Plus loin sainte Thérèse nous dit :
« J'ai durant' vingt ans été travaillée d'un r,omissomcnl qui ne me « permettait de manger qu'à midi et quelquefois encore plus tard. » Ailleurs encore :
« Je ne suis aussi presque jamais sans ressentir diverses douleurs, « et elles sont quelquefois bien grandes principalement des maux de « cœur, quoique je ne tombe pas souvent dans celte défaillance qui « m'était autrefois si ordinaire. »
Avec une très grande rigueur d'observation, sainte Thérèse nous fait part d'un symptôme dont la valeur diagnostique ne saurait échapper: l'exagération de la sensibilité morale:
« J'ai oublié de dire que durant l'année de mon noviciat, des choses « qui étaient de peu de conséquence en elles-mêmes rao causaient bcau-« coup de chagrin, a
Sainte Thérèse ne tarda pas à donner la mesure de sa suggcslibilité. Sous l'influence d'une autosuggestion elle détermina une exacerbât ion de ses maux de cœur:
« Il y avait alors une religieuse malade d'une effroyable maladie, qui lui causa bientôt la mort, (.''étaient des ulcères qui s'étaient faits en
« son ventre par lesquels elle rendait la nourriture qu'elle prenait. Ce « mal qui donnait de l'horreur à toutes les sceurs ne produisit d'autre
« effet en moi que de me faire admirer la patience de celte bonne reli-
« gicuse. Je disais à Dieu que s'il lui plaisait de m'en accorder un sem-
« blable il n'y avait rien que je ne fusse prête à souffrir : et il me semble
« que j'étais véritablement dans cette disposition, parce que j'avais un « si violent désir de jouir des biens éternels que j'étais résolue d'em-
« brasser tous les moyens qui me les pourraient procurer....
« Dieu exauça ma prière. Deux ans n'étaient pas encore accomplis,
« que je me trouvai en tel état, qu'encore que mes souffrances ne fus-« sent pas de la même nature que celles de cette bonne religieuse, je « crois qu'elle n'étaient pas moins grandes.... »
Sainte Thérèse avait si bien atteint son but et les maux de cœur augmentaient â tel point, qu'il fallut consulter les médecins d'Avila ; ces derniers furent impuissants :
« Et parce que les médecins ne réussissaient point â me traiter, mon « père me fit transporter dans un autre lieu où il y en avait que Ion « disait être fort habiles... Je demeurai presque un an dans le lieu où
« l'on me mena et la quantité de remèdes que l'on employa durant trois
« mois me fit tant souffrir que je ne sus comment je pus les supporter. » A cet endroit eut lieu une intrigue amoureuse, toute platonique d'ailleurs, avec un ecclésiastique, mais cette intrigue nous montre une fois de plus l'esprit romanesque et le tempérament nerveux de Thérèse.
« Il y avait là un ecclésiastique qui avait d'assez bonnes qualités; je « le pris pour confesseur. Lorsque je commençai de me confesser à ce « prêtre séculier il me prit en fort grande affection... cette affection « était si excessive quelle ne pouvait passer pour bonne. Je lui faisais « connaître que pour rien au monde je n'aurais voulu offenser Dieu en « des choses importantes et il m'assurait qu'il était dans la même dis-« position. Ainsi nous entrâmes en de grandes communications... Je « n'ai jamais cru que l'affection qu'il me portait fût mauvaise quoi-« qu'elle eût pu être plus pure, car il s'est rencontré des occasions où « j'aurais pu commettre de plus grandes fautes, si je n'avais toujours « appréhendé d'offenser Dieu, mais comme je l'ai déjà dit je n'aurais « jamais voulu faire ce que j'aurais cru être un péché mortel, et il me u semble que celte disposition dans laquelle cet ecclésiastique me « voyait augmentait Vaffeclion qu'il avait pour moi. »
Cependant aucune amélioration ne se produisit et les crises nerveuses s'installèrent avec leur mise en scène habituelle. Sainte Thérèse dut revenir au couvent d'Avila plus malade encore qu'en le quittant :
« J'eus durant frois mois de très grandes douleurs au lieu dont je « viens de parler... Les médecins qui me virent durant les deux pre-« miers mois me mirent presque à l'extrémité : et ce mal de cœur si « extraordinaire, pour lequel on me traitait, s'augmenta avec tant de « violence qu'il me semblait quelquefois qu'on me l'arrachait avec des « ongles de for : et il me mettait dans un tel état que l'on appréhendait « que l'excès d'une douleur si insupportable ne pass.'/ jusqu'à ta rage. « La fièvre ne me quittait point : les médecines que l'on m'avait « données sans discontinuation durant un mois m'avaient si extrême-
« ment abattue que j'étais réduite à ne pouvoir prendre que des bouil-« Ions : le feu qui dévorait mes entrailles fit que mes nerfs se retirèrent « avec des douleurs si excessives que je n'avais ni jour ni nuit un seul
« instant de repos, et tant de maux joints ensemble me mirent dans
« une profonde tristesse.
« Ce qui me donnait de la peine n'était pas de me voir condamnée par
« les médecins, c'étaient les douleurs que ce retirement de nerfs me
« faisait souffrir depuis ta tête jusqu'aux pieds.
« Je fus travaillée de la sorte que je viens de dire depuis le mois « d'avril jusqu'au 15 août, et alors la féte de l'Assomption de la Sainte « Vierge étant venue, je voulus me confesser. 11 me prit cette même
« nuit une défaillance qui dura près de quatre jours, sans qu'il me « restât aucun sentiment. La fosse pour m'cnterrer avait durant un « jour et demi été ouverte dans notre monastère, lorsqu'il plut à Dieu
« de me faire revenir comme des portes de la mort. Je me confessai « aussitôt et communiai en répandant une quantité de larmes : mais il « me semble que ces larmes ne provenaient pas du seul regret d'avoir « offensé Dieu...
« Ma langue était toute déchirée à force de l'avoir mordue, et mon « gosier en tel état, tant pour mon extrême faiblesse qu'à cause que je « n'avais rien pris durant ce temps, que l'eau même n'y pouvait passer, « j'étais comme étranglée. Il me semblait que mes os n'avaient plus de « liaison : j'avais un étourdissement de tête incroyable; j'étais toute « ramassée comme en un peloton; je ne pouvais souffrir que l'on me « touchât, pour peu que ce fût. Je demeurai ainsi jusqu'au dimanche « des Rameaux... mes douleurs cessaient assez souvent, jwurcu que « l'on ne me touchât pas. »
C'est au milieu de ces crises nerveuses, si complètes qu'à elles seules elles fourniraient la symptomatologie de la grande hystérie avec phénomènes épileptoîdes tels que : morsures de la langue, suffocation hystérique, ètèvement sur la pointe des pieds, retirements de nerfs de la tête aux pieds, lojperestésie cutanée, crises de larmes, etc.; c'est au milieu de ces crises que sainte Thérèse eut ses premières visions : Jésus à fa colonne; l Enfer; szint Pierre et saint Paul; la Vierge; sainte Catherine de Sienne ; sainte Calherinede Cardonc; sainte Claire; lui apparurent successivement.
Puis bientôt elle commença ce que j'appellerai Y entraînement d'extases.
Je voudrais citer dans leur intégralité ces pages d'une profondeur psychologique si grande, dans lesquelles sainte Thérèse observe et interprète le phénomène de fixation de Vattenlion, et j'ajoute sans crainte d'être contredit, que les Mémoires de sainte Thérèse, contiennent l'indication et l'application des lois sur la concentration de l'attention, l'hypotaxie et l'idéoplastie, dont Durand de Gros s'est fait le protagoniste parmi les psychothérapeutes.
Quatre degrés sont nécessaires pour parvenir à l'extase: 1°Oraison sim-pie; 2° Oraison de quiétude : « cela se fait en recueillant au-dedans de
soi toutes ses puissances, c'est-à-dire l'entendement, la mémoire et la volonté a ; 3* Oraison d'uniont qui est la phase idéoplastique prépara-tolre seulement de l'extase; 4" Oraison d'exmse ou d'é/èueme?i* et trans- '* port d'esprit, dont la description est intéressante et constitue une page ; très précise de pathologie nerveuse.
« Lorsque, dans cette quatrième manière d'oraison, une personne « cherche ainsi son Dieu, peu s'en faut qu'elle se sente entièrement dé-« faillir; elle est comme évanouie; à peine peut-elle respirer... les yeux « se ferment d'eux-mêmes et s'ils demeurent ouverts ils ne voient près-« que rien; si on parlait à cette personne, elle n'entendrait même pas « ce qu'on lui dirait. Il m'est arrivé quelquefois, dans cette sorte d'o-,1 « raison, de me trouver si hors de moi-même, qu'après qu'elle était « finie,jemetrouvaistoute6a/j/needeJa?-mes,sanssavoirquandni corn- ' « ment elles ont commencé à couler...
« En d'autre temps, je me sentais enlever l'âme et la tête, sans que je ] « pusse l'empêcher, et quelquefois tout mon corps, en sorte qu'il ne « touchait plus à terre. »
Puis, à propos de cette oraison d'extase, sainte Thérèse revient encore sur la suffocation hystérique qu'elle a déjà plusieurs fois signalée [ comme la tourmentant : « c'est comme une personne qui, ayant la corde « au cou, et étant prête d'être étranglée, s'efforce de respirer, »
Elle exprime encore à nouveau les sensations de lé'jèreté ot d'élive-ment sur la pointe des pieds, si fréquentes chez nos hystériques : « Il « me semblait souvent, lorsque ces ravissements m'arrivaient, que mou « corps ne pesait plus rien et quelquefois je le sentais si léger que mes ; « pieds ne paraissaient plus toucher à terre ».
Charcot a signalé, au nombre des troubles psychiques de la grande hystérie, l'hallucination se produisant dans un certain sens et toujours ] le même. Sainte Thérèse réalisa ce symptôme; pendant deux ans et demi i elle marcha, voyant Jésus toujours à sa droite.
Tout cet ensemble do crises nerveuses, d'hallucinations, d'extases, fut sévèrement jugé par certains des contemporains de Thérèse qui attri-huèrent ces phénomènes au démon et même à la folie, à la mélancolie, comme nous le dit sainte Thérèse.
C'est alors qu'intervint un saint personnage, le bienheureux Pierre ; d'Alcantara qui fut constitué comme souverain juge de la question de ; connaître si les pratiques de Thérèse d'Avila étaient condamnables ou : recommandables.
Après Antonio de Cépéda, c'est à Pierre d'Alcantara que l'Église catho-.3 lique est redevable de la grande figure do sainte Thérèse de Jésus.
Les renseignements que sainte Thérèse nous a donnés sur son confes- j seur Pierre d'Alcantara sont assez complets pour qu'il ne piano aucun doute sur la valeur des synthèses psychiques du cerveau de ce... bienheureux :
« Ce saint homme avait passé quarante ans sans dormir plus d'une « heure et demie pendant la nuit et le jour ; durant le peu de temps
« qu'il était assis pour dormir, il appuyait sa tête contre un morceau « de bois scellé dans le mur. II passa plusieurs années sans regarder « aucune femme et il me disait que s'il les voyait c'était comme s'il ne « les voyait pas. Il était quand je commençai à le connaître si atténué « et si décharné que sa peau ressemblait plutôt à une écorce d'arbre « desséché qu'à de la chair. —Il portait un cilice qu'il n'avait pas quitté « depuis 22 ans. — 11 criait à haute voix et de telle sorte que ceux qui « l'entendaient le prenaient pour un insensé. »
Pierre d'Alcantara était lui-même, on le voit, un numéro intéressant d'aberration psychique, proche parent de ces dégénérés que l'auteur de cette étude a dénommés algornanes et auto-destructeurs. Quoi qu'il en soit il laissa sainte Thérèse « fort contente et fort consolée par l'assurance a qu'il lui donna que tout ce qui se passait en elle venait de « Dieu ».
La sœur Thérèse fut dès lors entourée de la vénération universelle, elle s'abandonna à ses extases qui devinrent de plus en plus parfaites jusqu'à la grande crise de la Tra7wcer6éra/ï07i dont il me semble maintenant avoir amplement justifié mon appréciation dudébut de celte étude.
***
Des âpres cimes de la sierra d'Avila, planant sur les Caslilles, le Léon, l'Estramadure, sur l'Espagne des Ferdinand, des Charles-Quint, des « Gonzatve de Cordoue et des Christophe Colomb, devaient s'élever deux renommées qui s'imposèrent à la mémoire des hommes.
A l'immortel tortionnaire de Santa-Cruz, Thomas de Torquemada, les esprits dédaigneux des spéculations scientifiques, et qui peuvent laisser chanter en leur cœur la poésie de l'ignorance, ont la consolation d'opposer, en une cinglante antithèse, au nom de la môme croyance religieuse, se dressant en grandeur et en beauté, l'impérissable figure de sainte Thérèse de Jésus.
Deux cas d'incontinence nocturne d'urine guéris en une seule séance de suggestion pendant le sommeil naturel.
Par M. le D' Houiibox- (de Méru). 1
Jules P..., âgé de 9 ans, de tempérament lymphalico-nerveux, urinait au lit presque toutes les nuits, depuis l'âge où les enfants cessent ordinairement de le faire.
Différents moyens avaient été employés en vain, par différents médecins, pour le guérir de cette petite infirmité (ergotine ou ergot de seigle et fer, belladone, hydrothérapie, toniques, reconstituants, etc., sans excepter la fameuse souris grillée, et autres moyens plus ou moins empiriques).
Un soir que j'étais appelé pour sa mère malade, le trouvant endormi.
et ayant été déjà, à plusieurs reprises, prié de m'en occuper, j'eus l'idée d'essayer de le suggestionner pendant son sommeil naturel. Avec des précautions infinies pour ne pas le réveiller, mais sans espoir de succès,, je le confesse, je me mis à lui parler doucement, à voix basse, très basse d'abord, et en scandant les mots, en suivant le rythme de la respiration, comme le conseille le Dr Paul Farez. Elevant un peu le ton et en allant crescendo, je répétai plusieurs fois les suggestions :« Tu n'urines plus au lit, tu n'urines plus jamais au lit, tu prends l'habitude d'uriner tous les soirs, avant de te coucher, et tu ne veux plus jamais uriner au lit, etc. »
Avec des variantes, j'insistai beaucoup, sans qu'il se réveillât.
Faisant cette expérience pour la première fois, j'avoue que je n'avais qu'une demi-confiance et que je partis sans espoir de résultat favorable.
Or, quel ne fut pas mon étonnement, lorsque quelque temps après et alors que je l'avais presque oublié, n'ayant pas eu l'occasion de revoir sa mère, j'appris un jour par elle que l'expérience avait réussi au delà de toute espérance et c'était avec une grande joie, à laquelle se mêlait la mienne, qu'elle m'apprenait que son enfant n'urinait plus jamais au lit depuis que je lui avais parlé pendant son sommeil.
Une seule séance avait suffi et le résultat se maintient toujours. II y a de cela plus d'un an.
II
Julia H..., 11 ans, vive et nerveuse, urinaitaulit toutes les nuits depuis sa naissance, et tous les matins ses frères et sœurs prenaient un malin plaisir à aller constater que « la petite mare », comme ils disaient, existait toujours sous le petit lit en fer qu'une urine abondante avait traversé.
Comme elle me fuyait pour ne pas être endormie, sachant que tous les soirs clic s'endormait sur la table après le dîner, je résolus, pour tourner la difficulté, d'aller essayer de la suggestionner pendant son sommeil.
J'arrivai donc un jour entre 8 h. et 9 h. du soir et je la trouvai endormie sur la table, la tête sur les deux bras, au milieu de sa nombreuse famille et des ouvriers de son père.
Avec toutes les précautions nécessaires et comme j'avais fait pour le premier sujet, je commençai très doucement, très bas, à lui suggérer, toujours en scandant les syllabes et suivant le rythme respiratoire, qu'elle n'urinait plus jamais au lit, que, prenant l'habitude d'uriner toujours avant de se coucher, elle aurait la volonté de ne plus jamais uriner au lit.
Je répétai ces suggestions plusieurs fois en renforçant un peu la voix. J'y arrivai sans la réveiller. Sa mère s'en étonna beaucoup,' parce que, me dit-elle, elle avait le sommeil assez léger. -
On la réveilla ensuite sans qu'elle se doutât de rien, sans savoir ce qui s'était passé. Et cette seule séance suffit; plus jamais, au grand étonnementde tous, .Iulia R... n'urina au lit, ce qu'elle n'avait jamais manqué de faire un seul jour jusque-là, et le résultat s'est toujours maintenu.
Ces faits montrent la grande suggestionnabilité des enfants, aussi bien dans le sommeil normal que dans l'autre.
Discussion.
M. Paul Farez. — Le cas d'incontinence que j'ai récemment rapporté avait aussi été guéri en une séance. La rapidité et la persistance de ces guérisons est à signaler à ceux qui, systématiquement, déclarent la suggestion pendant le sommeil normal impraticable ou inefficace. Ce mode d'intervention sera souvent mieux accepté et même plus facilement applicable que la suggestion hypnotique proprement dite ; peut-être deviendra-t-il la méthode de choix contre l'incontinence d'urine.
M. Pau de Saint-Martin. — J'ai aussi traité une incontinence d'urine par suggestion pendant le sommeil naturel, en me conformant à la technique de M. Farcz. Il m'a, il est vrai, fallu plusieurs séances, mais laguérison a été complète et définitive.
M. Bérillon. — C'est la suggestion, sous toutes ses formes, qui modifie le plus sûrement l'incontinence; les nombreux médicaments prônes comme spécifiques, n'agissent que par suggestion.
Des suicides (1)
Par M. le Dp Félix RegnauXT.
Il faut distinguer parmi les suicides:
1° Le suicide volontaire, raisonné, accompli avec pleine conscience de l'acte que l'on commet ; c'est en réalité le vrai suicide. C'est celui de l'homme qui s'asphyxie avec un poêle et attend la mort.
2° Le suicide indirectement obtenu. Un être qui, par désespoir, se laisse mourir de faim, par exemple un chien, un oiseau ne commet pas un suicide actif, raisonné. Le chagrin seul l'empêche de manger, mais on aurait tort de penser qu'il ne mange pas avec l'intention bien arrêtée de mourir.
Cette mort par désespoir pourrait s'observer chez l'homme, en certains cas de nostalgie, de perte d'un être chéri, etc.
3° Je placerai ici le suicide inconscient. Un homme est pris de vertige dans les montagnes ou au sommet d'un édifice, il se laisse choir et se tue.
(1) A propos des rúcenles communications de M. Caustlcr et de M. Lépiaay.
La mort par vertige est aisée à expliquer en psychologie. Le cerveau est envahi par une idée unique et intense, l'idée de la chute. Or, nous savons que toute idée entraîne à la réalisation de l'acte; et l'être ainsi obsédé accomplit les mouvements nécessaires à la chiite (').
Ce n'est pas un suicide à proprement parler ; le sujet n'en avait aucunement l'intention.
4° Il y a enfin le suicide malgré soi. On l'observe chez les fous. J'ai soigné ainsi en 1887, à l'hôpital Saint-Antoine, un homme qui, malgré lui, avait envie de se couper la gorge avec un rasoir et avait huit fois cédé à cette tentation. Il en était d'ailleurs désespéré. Ayant, en l'interrogeant, appris qu'il avait eu la syphilis, je lui affirmais que son obsession tenait à cette maladie, que le cas était très connu, etc., et qu'elle cesserait entièrement par le traitement spécifique : ce qui arriva. Je le revis deux ans après, il n'avait plus eu la moindre obsession.
Il importe de distinguer ces divers modes de suicide, qu'on l'étudié chez les animaux ou chez l'homme : la psychogénic en est entièrement différente. Cette distinction est encore fort utile au point de vue pratique:' il importe à la famille de savoir, soit au point de vue religieux soit au point de vue héréditaire, si le suicide a été volontaire ou non.
Œdème bleu chez une hystérique guéri par l'application de l'aimant (suggestion armée)
Par M. le D' Jules Voisin
Vous savez, Messieurs, que l'œdème bleu des hystériquesalongtemps clé méconnu. C'est Charcot qui, dans ses leçons à la Salpëtrièrc, sut très bien le mettre en évidence. La non connaissance de ce fait lient à ce que ce phénomène d'œdème est quelquefois la première manifestation de I hystérie et ne s'accompagne pas d'autres symptômes évidents de cette névrose.
Au mois de février dernier, une jeune fille de 17 ans, de mon service, se plaint de ne pouvoir travailler. Depuis quelques jours elle a des engelures au 1" et 2* degré sur la face dorsale de la main droite et depuis ce matin-là seulement elle présente un gonflement considérable des doigts, de la main et du poignet jusqu'à 4 ou 5 centimètres au-dessus de celui-ci.
Ce gonflement n'est autre qu'un œdème dur et ayant l'aspect bleuâtre.
L'application du doigt provoque une légère dépression et fait disparaître l'aspect violacé de la peau à ce niveau.
(1) Le rétrécisse ment de la pensée qui aboutit a l'Idée unique s'observe dans: l'hystérie, l'hypnotisme. L'idée unique est celle qu'Impose l'expérimentateur et l'acte suit mécanique. Comme l'a dit ici mémo M. Frirez (Bulletins, 1901, p. 193). M. Renouvier avait étudié ce fait et l'avait défini, vertige mental.
Les doigls sont boudinés, très gros, la malade les plie difficilement.
La température de cette extrémité du membre est plus basse d'un degré que celle du côté opposé.
La sensibilité est très obtuse au tact et à la douleur sur toute l'étendue de l'œdème. Au-dessus de l'œdème, la température et la sensibilité sont normales.
Cette disposition anatomiquede l'œdème et de la sensibilité me font penser immédiatement à l'œdème bleu hystérique.
Je recherchai les autres stigmates de l'hystérie et je ne trouvai que l'insensibilité du pharynx et des conjonctives. Légère douleur à la pression au niveau de l'ovaire droit, mais pas de sensation de boule ni d'étoulTemcnt.
Jamais de manifestations convulsives ni d'hemianesthésic. La malade a présenté seulement de temps en temps des troubles dyspeptiques.
Intelligence peu développée. Cette jeune fille fut renvoyée de ses places comme étant nonchalante, paresseuse et n'a jamais été considérée comme étant malade.
Traitement. —J'affirmai à la malade qu'elle guérirait très bien avec le moyen énergique que j'allais employer. Je pris un gros aimant, je lui fis tenir le fer doux et lui montrai la puissance de ecl instrument.
J'appliquai cet aimant à côté de sa main sur une table et je lui recommandai de regarder attentivement sa main. Celle-ci se dégonflerait à vue d'œil.
Au bout de 20 minutes sous l'influence de cette c expectant attention » et de légers massages, la main était revenue à son état normal. La gué-rison persista le lendemain et les jours suivants.
Cette observation est importante à plusieurs points de vue.
D'abord, l'œdème a été la première manifestation de l'hystérie chez cette malade.
Deuxièmement la suggestion armée a parfaitement réussi.
Les engelures du début ont été le point de départ de cet œdème. La malade, en lavant, souffrant un peu de cette dermite et ne voulant plus travailler, concentra toute son attention sur sa main. Elle l'immobilisa avec précaution et vit l'œdème se produire en quelque sorte avec plaisir, parce que de cette façon on ne la forcerait plus à travailler. Cet œdème étant devenu très considérable au bout de deux jours, elle s'en inquiéta ensuite, et la malade fut heureuse du pronostic favorable que je portai.
Discussion
M. IIikmet (de Constantinople). — Je puis citer un cas analogue d'œdème hystérique, compliqué de quelques autres symptômes.
Madame X..., âgée de 11) ans, grasse, blonde, robuste, de grande taille, est née à Lausanne (Suisse). Sa mère est morte d'apoplexie ; elle-même est hystérique.
Chaque semaine, elle a des crises à grand fracas, perd connaissance
et offre le tableau classique des grandes attaques. Mais elle éprouve un symptôme très rare : chaque fois, une ou deux heures après son attaque, elle est prise d'hémoptysies, et, sans tousser, elle crache un sang rutilant et écumeux. Il n'y a aucun symptôme stomacal, mais ello éprouve, dans la suite, des douleurs de poitrine. Le sang expectoré est tantôt très abondant, tantôt en petite quantité. A l'auscultation on entend parfois quelques râles passagers, le plus souvent rien.
Pendant 13 ans, elle a eu ces hémoptysies sans altération aucune de la santé générale.
Dans ces dernières années, elle offrit un nouveau symptôme : brusquement après l'attaque ou en dehors de toute attaque, les pieds enflaient et devenaient bleuâtres. L'œdème n'avait pas de ligne de démarcation bien tranchée ; elle ne pouvait mettre ses souliers et accusait ceux-ci d'être trop étroits ; l'œdème persistait de un à trois jours.
Sur la face interne des cuisses apparaissaient des plaques ecchymo-' tiques sans rapport avec le trajet des veines.
Elle avait aussi de l'amnésie et, fait plus curieux, une perte de la mémoire des mouvements et de la sensibilité musculaire. Au Heu de poser le verre sur la table, elle le lâchait dans le vide ; au lieu de coudre son ouvrage, elle se perçait la peau ; en tirant son fil elle le cassait, car elle ne savait plus calculer ses mouvements, mais elle accusait le fil d'être mauvais.
M. Bérillon. — Dans les œdèmes qui surviennent chez les cardiaques, M. Huchard enseigne que les diurétiques n'agissent guère qu'après une mise en train. Celle-ci s'obtient, soit par le massage, soit par la suggestion. Je me rappelle le cas d'un individu qui, atteint d'anasarque, n'urinait pas depuis plusieurs jours, malgré de nombreux diurétiques. Je l'ai vu avec Mesnet ; en employant la suggestion, nous avons pu le dégonfler et provoquer une très abondante diurèse.
M. Félix Regnault. — Le point important dans l'observation du doc-, leur Jules Voisin comme dans celle récemment publiée par le professeur Raymond, est la rapidité et la facilité de la guérison par la suggestion psychique. Jusqu'à présent, on ne croyait par l'idée pouvoir guérir que des idées: contractures, paralysies, anesthésies, etc., dépendant d'un trouble d'idéation. En guérissant ce trouble, on supprimait l'état organique-Dans ces deux observations, comme dans celle que j'ai rapportée ('),' il va lésion matérielle: de la sérosité s'est répandue dans les tissus.
Pour que l'idée agisse, il faut invoquer l'influence vaso-motrice. Cette théorie ouvre un large champ à la suggestion curative.
Elle doit aussi être reprise pour expliquer les troubles hystériques qui, jusqu'à présent, ont été regardés comme purement idéaux. P. Janet a montré que l'ancsthésie hystérique était un trouble central d'idéation :
(1) Voir Société d'hypnologie, séance du 20 novembre 1900, dans Revue de l'Hypnotisme, février 1901, p. 23g.
ses ingénieuses expériences prouvent qu'il en est souvent ainsi. Mais en certains cas elle pourrait être due à des troubles périphériques vaso-moteurs Le membre anesthésié est exsangue et, quand la sensation revient, le sang reparait également.
M. Jules Voisin. — J'ai pu, de nombreuses fois, supprimer par suggestion une hydarthrose à répétition qui survenait au genou, chez une jeune fille de mon service, toutes les fois qu'elle avait envie de ne pas travailler et de rester couchée.
M. Bourdon (de Méru). — J'ai modifié également par la suggestion une petite tumeur d'apparence graisseuse qui siégeait dans la région axillo-mammaire.
M. Félix Regnault. — La fausse tumeur dont parle M. Bourdon (de Méru) a été décrite par Potain, sous le nom de pseudo-lipome rhumatismal : c'est un œdème dur localisé à la région claviculaire survenant chez des diathésiques. Rien d'étonnant que cet œdème puisse disparaître par suggestion.
Cette notion d'œdème dur et localisé pouvant apparaître chez les nerveux, est importante. Elle explique les faux cancers du sein qui ne sont que de l'œdème dur localisé à la glande mammaire et finissant, par s'ulcérer probablement sous l'influence d'onguents et de pommades prétendues résolutives et en réalité irritantes. Elle explique également la rapidité de résolution sous l'influence suggestive comme de nombreux cas en ont été rapportés (2).
Tous ces faits ont la même cause : œdème par trouble vaso-moteur. 11. n'est pas étonnant que le même traitement psychique leur soit applicable.
VARIÉTÉS
L'hypnotisme collectif en Tunisie
M. Laignel-Lavastinc vient de publier dans la Presse Médicale un intéressant article sur l'hypnotisme collectif en Tunisie, dont nous extrayons les passages suivants :
« L'an dernier, nous avons eu occasion de voir les disciples de la confrérie de Sidî-Aissa, de Téboursouk (Tunisie au sud de la Grande-Krou-mirie), se livrer à leur séance mensuelle d'hypnotisme. II nous a paru intéressant de rapprocher des principes de technique du médecin anglaises moyens mis en œuvre par les religieux arabes. Au cours de leurs exercices, les Aissahouas sont dirigés par les Marabouts avec les procédés usités actuellement dans les services de maladies nerveuses. Aussi
(1) Voir observation, Société d'hypnolopie, séance du 17 juillet 1895.
(2) Voir Revue de l'Hypnotisme, 1901, p. 248.
le Tait suivant peut être classé comme une observation d'hypnotisme collectif (I).
« A notre arrivée. la mosquée éclairée et murmurante était déjà pleine d'Arabes en burnous. Les voûtes cintrées étaient supportées par deux rangs de piliers. Du plafond pendaient au bout de fils de fer de petites lampes brillantes, aux verres blancs, verts, jaunes et rouges. Les hommes étaient couchés en rang sur des nattes, pieds nus et leurs balouches à la main. Ils faisaient face au mur garni d'une grille de fer qui protégeait des pas indiscrets de la foule l'endroit le plus sacré de la mosquée.
« Entre ce mur et la première rangée de colonnes, se tenaient les anciens, les premiers hommes de la tribu par la sainteté ou la richesse, et les vieux Aissahouas mélangés aux chanteurs et joueurs de tambourin.
« La séance commença par du plain-chanl, scandé de coups de tambourins d'un rythme lent ; le chœur était interrompu toutes les deux ou trois minutes, et dans le silence s'élevait une mélopée plaintive à notes très aiguës, chantée par une voix nasillarde.
« Cependant, des hommes en burnous se levaient un à un de tous les coins de la salle, entraient dans la sacristie, enlevaient leur turban, leur burnous, leur haîk (a), et, seulement vôtus d'un séroual /3), d'un gilet et d'une gandoura (''), tète et pieds nus, ils s'alignaient, le dos contre la muraille grillée. Ils étaient 22, placés par rang d'âge; le plus jeune, âgé de sept ans, le fils du Caïd, était à une extrémité; le plus âgé n'avait pas plus de cinquante ans.
« D'abord, ils oscillaient la tête et le thorax, très légèrement en avant et en arrière, et lentement; ce mouvement alternait avec un mouvement latéral; bientôt, les deux se conjuguèrent; la musique durait toujours; aux bruits des tambourins frappés par intervalle, les hommes se prosternaient; de temps en temps, un Arabe, placé au milieu de la rangée, frappait trois fois dans ses mains et modifiait par ce signal la forme et le rythme des oscillations. La musique se faisait très douce, en sourdine. Le pied droit marquait la mesure par un double coup claqué; au deuxième coup, les 22, tendant le torse, poussaient un hurlement expiratoirc rauque, inarticulé; déjà beaucoup fermaient les yeux. La musique reprit plus fort et plus vive, les mouvements de flexion et d'extension des jambes commencèrent et devinrent de plus en plus rapides. A un coup de tambour tous les mouvements cessèrent, tandis que le premier chanteur égratignait sa mélopée. Les mouvements reprirent avec toujours des intermittences et des variations de rythme, et cela, jusqu'à la fin. Tout à coup, le cinquième Aissahoua sortit du rang, hurla, roula fréné-
(1) Cf. Gustave Le lîos. — t Psychologie des foules. » Alain, 1SKC.
(2) Pièce d'étoffe dans laquelle les Araoes se drapent. (3} Culotte courte ù plia, serrée à la taille.
(4) Sorte de blouse analogue à celle des uaysans normands.
tiquement sa tête sur les épaules, enleva son turban, ses vêtements jusqu'à la ceinture ; l'un des trois marabouts chargés de manier les Ais-sahouas lui donna une longue aiguille de 50 centimètres terminée par une boule de fer de la grosseur d'un œuf d'autruche. Il la prit, marcha d'un bout à l'autre de la mosquée la pointe de l'aiguille posée sur son ventre, puis s'arrêta, les bras en croix.
a Alors, le marabout lui enfonça la pointe de l'aiguille dans la peau du ventre; prit ensuite de plus petites aiguilles, lui transperça les lèvres supérieures et inférieures de part en part, lui enfonça d'autres aiguilles dans le front, deux dans le cou et deux dans la poitrine. Pendant cinq minutes, le marabout promena l'homme ainsi lardé, puis lui enleva les aiguilles; l'homme aussitôt s'échappa, et se jeta parterre tout de son long. Après quelques convulsions, il se releva sain d'esprit. Tout à coup, un spectateur, soldat tirailleur, se précipita dans l'enceinte en hurlant et gesticulant.'Sa crise fut longue: le marabout le calma par l'imposition des mains sur les côtés de la poitrine et du ventre; l'homme tomba comme mort; au bout de deux minutes, il était revenu à lui. Les possédés se succédaient et se multipliaient; leurs forces semblaient augmentées, car, en se précipitant sur les marabouts, ils les faisaient tournoyer. Ceux-ci calmaient leur délire en leur donnant ce qu'ils leur avaient suggestionné de vouloir. A l'un, renversant la tête, le corps penché en avant, ils donnaient des morceaux de verre qu'il croquait avec délices en se prosternant. A l'autre, le cou tendu en arrière, ils laissaient tomber dans la bouche, la pointe en l'air, de longs clous rouilles. Quelques Ais-sahouas étaient insatiables. J'en ai vu un avaler cinq clous de b' à 10 centimètres de long chacun; j'en ai vu un autre si difficile à rassasier de verre, que le marabout lui bourrait la bouche des derniers débris que contenait le mouchoir qui servait à envelopper les éclats.
« Le délire gagnait ; un vieux, parmi les spectateurs, se leva, se mit le torse nu, et s'élança dans la campagne ; il revint cinq minutes après, comme on l'avait déjà oublié, le dos tout chargé de feuilles de cactus ; il les mit par terre, se coucha dessus ; le marabout monta sur son dos ; ensuite il se roula sur les feuilles, et s'en frappa le dos à coups redoublés. Son voisin, en burnous, se jeta sur une des feuilles, la croqua, la brouta ; il en prenait déjà d'autres : on lui enleva les cactus pour l'empêcher de manger tout ; il rumina alors, marcha à genoux, se roula, fit le chameau ; d'autres l'imitèrent ; ils tournaient à dix en même temps. C'était un désordre général : hurlements, mouvements désordonnés ; scène de cabanon de furieux.
« La musique se fit moins forte et moins rapide ; des mélodies de plain-chant, rappelant tout à fait les vêpres catholiques, s'élevèrent ; cela devint de plus en plus doux ; le tambourin avait cessé ; les marabouts passaient la main sur les yeux des Aissahouas, leur souillaient sur le visage et leur pressaient les fosses iliaques. Chacun reprit peu à peu ses sens ; la séance était finie.
***
« Ainsi, les sujets des marabouts, comme les malades de Braid, de Cliarcot, de Bernheim, de Raymond, de Janet, etc., sont hypnotisés par des moyens analogues où prédominent la fixation du regard et la monotonie des bruits. Les sujets des marabouts, comme les sujets de Char-cot, ont de l'anesthésie avec vaso-constriction périphérique (leurs plaies ne saignent pas', de l'état cataleptique, des convulsions. Les marabouts savent agir sur le sommeil, comme le savent les médecins, en pressant les globes oculaires, ou en souillant sur les yeux.
i Enfin, comme les médecins, ils savent faire avorter les crises con-vulsives par la compression des fosses iliaques (').
« Laignel-Lavastine.
RECUEIL DE FAITS
L'Hystérie en Chine
Le Dr Matignon, médecin de la légation de France en Chine, vient d'adresser à l'Académie de médecine un important mémoire intitulé : Hystérie et Boxeurs en Chine.
Trois choses, écrit M. Matignon, frappent tout d'abord celui qui fréquente et observe les Chinois : leur naïveté, leur crédulité et leur sug-gestibilité. On peut y ajouter l'impulsivité qui les rend susceptibles, sous des influences diverses, de colères d'une rare violence les conduisant aux actes les plus invraisemblables et fréquemment au suicide.
Tous les caractères de l'hystérie et surtout l'insensibilité des muqueuses, les zones d aneslhésie, etc., se retrouvent chez la plupart des Chinois.
Les scènes destinées à exciter le fanatisme et à démontrer le pouvoir surnaturel des Boxeurs rappellent de tout point celles que nous avons vues fréquemment chez les Aissaouas.
Ces malheureux que la suggestion avait ainsi fanatisés se précipitaient inconscients dans la mêlée, entraînant avec eux des femmes et des enfants.
Tout cela tend à expliquer la rapidité avec laquelle s'est développé le mouvement boxeur dans le Nord de la Chine.
(1) Une question qui se présente naturellement a l'esprit, est celle de savoir si la singulière nourriture des Aissahouas produit des lésions mécaniques de leur tube digestif. Il est assez, diflicile de répondre, le contrôle médical n'existant pas. Mais il est probable que le kousskous extrêmement épais qu'ils mangent avant leurs exercices, enrobe en quelquo sorte les corps étrangers qu'ils avalent
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REVUE DE^SIYPNOTISME
EXPERIMENTAI ET jftÉRAPEÜTIQUE
16e Année — N° 4.
Octobre 1901.
BULLETIN
L'hypnotisme au congrès d'anthropologie criminelle
d'Amsterdam
La Société d'hypnologie et de psychologie, fidèle à son programme qui embrasse toutes les questions relatives à Vaction-intennentale et à l'influence exercée par l'homme sur son semblable, avait chargé une délégation, composée de MM. les Dr Jules Voisin, président, et Bérillon, secrétaire général, de ta représenter au Congrès d'anthropologie criminelle.
Les délégués ont eu le plaisir de se rencontrer à Amsterdam avec un grand nombre de membres de la Société parmi lesquels nous devons citer : MM. les D" van Rentcrghem, d'Amsterdam; Arie de Jong et Wijnaendts Franckel, de la Haye ; Crocq, de Bruxelles; Dektereff, de Saint-Pétersbourg, etc.
La première partie du congres a été consacrée à la discussion des théories Lombrosiennes, qui ont trouvé d'éloquents et d'ardents défenseurs dans MM. Lombroso, Enrico Ferri, Sighèle, Carrara, et dans les professeurs Iiénédick, devienne, et Tschisch, de Dorpat.
- La contre-partie a été soutenue avec beaucoup d'autorité et de talent par .MM.les D" Paul Garnier,de Paris; E. Alariin et Mayet, de Lyon; par M. Lejeune, ancien ministre de l'intérieur en Belgique; par M. Gauckler, professeur à la Faculté de droit de Nancy.
Nous reviendrons sur ces intéressants débats dont la conclusion générale est qu'il devient nécessaire de conformer la procédure judiciaire aux progrès scientifiques; « Le criminel ne devant plus être toujours considéré comme un vicieux qu'il faut punir, mais souvent comme un malade qu'il faut interner ou guérir ».
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Do toutes les séances, la plus importante, à notre avis, fut celle clans laquelle furent abordées les questions relatives à l'enfance coupable et àla« délinquance juvénile ». Tout d'abord, dans un rapport 1res documenté, M. le Dr Paul Garnier, médecin en chef de l'Infirmerie spéciale à la préfecture de police, a exposé avec une grande clarté les causes de la criminalité juvénile. Il a démontré que l'énorme progression de celte criminalité était directement en rapport de causalité avec les progrès parallèles à l'alcoolisme et insisté sur le rôle de l'éducation envisagée comme agent de redressement moral. Ensuite M. le Dr Jules Voisin, médecin de l'asile d'aliénés et de l'école de réforme de la Salpétrière, a donné les résultats de celte école de réforme. De son remarquable rapport, il résulte que les enfants confiés â ses soins ne méritent par la dénomination de vicieux, mais bien celle de malades. La presque totalité présente en effet des troubles psychopalhiqucs, très caractérisés se rattachant à l'épilepsie, â l'aliénation moniale, à l'hystérie ou à la dégénérescence. Les guérisons obtenues à l'école de réforme sont nombreuses. Elles le deviendront encore d'avantage lorsque les traitements les plus efficaces, et en particulier la suggestion hypnotique, y seront l'objet d'applications suivies.
Enfin le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés de la Seine, a fait ressortir les avantages que présentent les applications de l'hypnotisme à l'éducation des enfants vicieux ou dégénérés. Il a surtout insisté sur le traitement des vices les plus graves tels que la kleptomanie, l'onanisme, l'onychopha-gie et ta perversité morale et démontré que seul l'hypnotisme était capable d'amener la guérison durable de ces impressions morbides. Du rapport de M. Bérillon se dégage en outre ce fait important c'est que l'hypnotisme peut servir à distinguer les incorrigibles de ceux qui ne le sont pas. Dès â présent il se croit fondé à formuler cet axiome : « Tout sujet hypnolisable est curable. »
Les rapports présentes par ces trois représentants de l'école de Paris ont été très applaudis. La préoccupation de la science française do se maintenir sur le terrain des faits positifs a été très remarquée et lui a valu un succès marqué.
L'hypnotisme a aussi été étudié au point de vue sociologique dans deux remarquables rapports de M. le Dr Jelgersma sur la psychologie des foules et de M. le Dr Scipio Sighele, de Home, sur le crime collectif. Nous publierons la partie essentielle de ces rapports.
Il convient également d'adresser de vifs remerciements aux organisateurs du Congres. MM. les professeurs Van Hamel, président, Winkler, vice-président, Wertheim Salomonscn, secrétaire général, et M. le Dr Van Deventer, médecin en clief de l'asile d'aliénés de Meercnberg, méritent tous les éloges pour la façon si courtoise avec laquelle ils ont reçu leurs hôtes. Au banquet de clôture, M. le Dr Bérillon s'est fait l'interprète de ces sentiments au nom de la Société d'hypnologie et de psychologie.
Enfin pour terminer, nous devons mentionner la visite faite par MM. Voisin et Bérillon à l'Institut Liébeautt fondé à Amsterdam par M. Van Reulerghem, et à la Polyclinique d'hypnothérapie dirigée à la Haye par le Dr Arie de Jong. L'accueil si cordial et si sympathique fait par MM. Van Ren-terghem, de Jong et Wijnaendts Franckel â leurs collègues de Paris, est un nouveau témoignage de l'esprit de solidarité qui unit tous les membres de la Société d'hypnologie et de psychologie.
Note sur le traitement de l'incontinence d'urine par la suggestion (1),
parle Docteur A. Culleiuie,
Direclcur-Médecin de l'Asilo d'alivacs do La Kochc-sur-Yon
Dans un mémoire publié en 1896 dans les Archives de Neurologie (2) je donnais une première statistique tle 24 cas d'incontinence essentielle d'urine traités par la suggestion et m'ayant fourni 20 guérisons, 2 améliorations et 2 insuccès.
Depuis cette époque, j'ai traité 44 nouveaux sujets dans les mêmes conditions ; 4 de ces malades ne s'étantprésentés à ma consultation qu'une ou deux fois et n'ayant plus donné de leurs nouvelles, je no puis les l'aire figurer dans ma seconde statistique qui se trouve ainsi réduite à -10 cas, m'ayant fourni 30 guérisons, S améliorations et 2 insuccès.
En combinant ces deux statistiques, on obtient sur 64 sujets (37 garçons, 27 tilles) iio guérisons, 10 améliorations, i insuccès, soit les proportions suivantes :
Guérisons . . 78 pour 100 Améliorations 15,6 — Insuccès . . '. 6,4 —
(1) Communication faite au Congrès international do l'Hypnotisme.
(2) A. CuLLBnnE : l'Incontinence d'urine et son traitement far U suggestion (Archives de Neurologie, 16%, n* 7}.
Ces chiffres portent sur une pratique de huit années ; on ne saurait donc les considérer comme le résultat d'une série heureuse. Leur nombre, d'autre part, est assez considérable pour écarter l'idée que j'ai pu avoir affaire à des cas exceptionnels. Je puis donc soutenir de nouveau, avec le petit nombre de médecins compétents qui se sont occupés de la question, que la suggestion est le traitement de choix à appliquer à l'incontinence essentielle d'urine.
Et si l'incontinence d'urine cède à la suggestion c'est que l'élément psychique joue dans sa genèse, un rôle prépondérant, sinon exclusif. J'ai développé cette idée au congrès des alié-nistes et neurologistes de Toulouse, en 1897 (1), qu'il existe une affinité étroite entre l'incontinence essentielle d'urine et l'hystérie. La mentalité des jeunes incontinents se rapproche en effet extrêmement de celle des hystériques et sans reprendre les arguments déjà développés dans le travail précédent, citons quelques particularités psychologiques observées dans ma seconde série de sujets etde nature à confirmer mon hypothèse.
Chez 17,5 pour 100 de mes jeunes malades, il existait, au moment du premier examen, de lapolydipsie et de lapolyurie, phénomène d'auto-suggestion qui est d'ailleurs le premier influencé par le traitement.
Une enfant de 9 ans, incontinente nocturne, depuis sa naissance, est mise à l'école. En peu de temps elle devient incontinente diurne, par l'appréhension qu'elle a de ne pouvoir garder ses urines pendant la classe. Deux ou trois séances de suggestion suffisent à la rendre continente aussi bien la nuit que le jour.
Un garçon de vingt ans, incontinent depuis son enfance, est rapidement guéri par la suggestion. Toutefois, au bout de six mois il a une rechute pendant laquelle l'incontinence nocturne se limite exactement à la nuit du lundi au mardi de chaque semaine. Je n'ai pu avoir la clef de cette bizarre auto-sugges-tioh, mais quelle meilleure preuve peut-on avoir de la nature psychique de l'incontinence que cette périodicité mathématique dans le retour éloigné de l'accident ?
Une jeune fille de 18 ans vient me confier qu'elle doit se marier dans six mois, mais qu'elle est atteinte d'incontinence d'urine, ce qu'ignore naturellement son fiancé, et me demande de la débarrasser de celte infirmité.
(1) A. Cullerre: De l'incontinence d'urine dans ses rapports avec Phystérie infantile (Congrès des.alienistes et neurologistes. Toulouse, 8" session, 1897).
Le traitement est institué et bientôt suivi de succès. Quelques mois après, je vois reparaître dans mon cabinet la jeune personne éplorée : la nuit même de ses noces, l'incontinence avait reparu ! Je ne crois pas me tromper en pensant que, l'esprit hanté par la peur du retour de son infirmité, elle avait précisément provoqué ce retour en se suggestionnant elle-même.
Une femme, mère de deux enfants, l'un de 11 ans, l'autre de 8 ans, atteints d'incontinence nocturne, vient s'entendre avec moi sur le jour où elle devra m'amener ses petits malades. Elle rentre chez elle et leur annonce alors qu'elle les conduira le dimanche suivant au médecin des aliénés pour les faire soigner. A partir de ce moment les deux enfants ont été radicalement guéris de leur infirmité. (Inutile de dire que ces deux cas ne figurent pas dans ma statistique.)
Comme parmi les malades de ma première série, je relève dans la seconde, un certain nombre de sujets manifestement en puissance d'hystérie : stigmates permanents, crises convul-- -sives, rêves somnambuliques. Chez plusieurs, ainsi que je l'ai signalé précédemment, la miction involontaire est la conclusion d'une période d'agitation onirique intense, sorte de crise hystérique en miniature. Sur les 64 sujets traités je trouve 7 hystériques à crises : 4 filles et 3 garçons.
Chose à noter, sur les insuccès, tous fournis par les garçons, on trouve 1 cas d'hystéro-épilepsie, 1 cas de psychose émotive, I' cas de folie morale et 1 cas d'excitation maniaque légère avec tics : c'est-à-dire quatre enfants profondément atteints ^dans leur système nerveux.
Ma nouvelle série d'observations confirme les idées que j'ai précédemment émises sur la valeur de l'incontinence comme stigmate de l'hérédité nerveuse. Dans les familles auxquelles appartiennent ces malades, j'ai noté surtout les convulsions, les paralysies infantiles, la méningite, l'hystérie et Pépilepsie chez les frères et sœurs, et, chez les parents, la migraine, la névropathie, les névralgies, l'hystérie et l'instabilité mentale.
Enfin, ces nouveaux faits contribuent à établir l'opinion que j'ai soutenue en 1896, à savoir que le nombre des incontinents appartenant à la même parenté esttel, que cette infirmité revêt dans certains cas les caractères d'une véritable maladie familiale. Parmi la nouvelle série de malades traités se trouvent 2 fois les deux frères, 1 fois les deux sœurs. Dans la parenté des autres je relève 14 cas d'incontinence.
Dans une famille, je trouve le père, sa sœur et deux de ses enfants atteints de celte infirmité : dans une autre, le père et les deux fils; dans une troisième, le père et la fille.
DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'HYPNOTISME
expérimental et therapeutique.
Séance du 11 août 1900. — Présidence de M. le IV Jules Voisin. Présidents d'honneur : MM. les D1* von SciiitEXK-NOTziso (de Munich) et Ahie de Joxo (de La Haye).
L'Hypnotisme expérimental devant la loi du 30 novembre 1892. Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation.
Rapport lu par M. Ch. Julliot, Docteur eu droit, Secrétaire du Congrès.
(suite et JJn)
J'aborde la seconde partie de ce rapport.
11.— Convlendrait-i1 de solliciter des pouvoirs publics une réglementation de l'hypnotisme expérimental ?
Je m'empresse de déclarer ici que je suis à priori partisan de la plus grande liberté laissée aux citoyens, et qu'à moins qu'il ne résulte des débats que pourront soulever les considérations qui vont suivre, j'estime qu'une loi d'exception ne pourrait être réclamée qu'en présence de dangers très graves.
Ce n'est cependant pas ce qu'ont pensé nos voisins de Belgique qui, depuis le 30 mai 1892, jouissent des bienfaits d'une loi réglementant l'hypnotisme. Permettez-moi de vous citer à titre de document le texte de cette loi :
Art. 1er. — Quiconque aura donné en spectacle une personne hypnotisée par lui-même ou par autrui sera puni d'un emprisonnement de 15 jours à 6 mois etd'une amende de 26 à 1,000 fr.
Art. 2. — Sera puni d'un emprisonnement de 15 jours à 1 an et d'une amende de 26 à 1,000 francs quiconque aura hypnotisé une personne n'ayant pas atteint l'âge de 21 ans accomplis ou n'étant pas saine d'esprit, s'il n'est docteur en médecine ou muni d'une autorisatian du gouvernement. L'autorisation ne sera valable que pour une année. Elle sera révocable et pourra être suspendue.
En cas de concours avec les infractions punies par les dispositions légales concernant Part de guérir, la peine prononcée par le présent article sera seule appliquée.
Art. 3.— Sera puni de la réclusion quiconque aura avec une une intention frauduleuse ou à dessein de nuire fait écrire ou signer par une personne hypnotisée un acte ou une pièce énonçant une convention, des dispositions, un engagement, une déeharge ou une déclaration. La même peine sera appliquée à celui qui aura fait usage de l'acte ou de la pièce.
Art. 4. — Les dispositions duchap. VII du livre 1er et de l'art. 85 du Code pénal sont applicables aux infractions prévues par la présente loi.
Le vote de cette loi avait été provoqué par un vœu émis par l'Académie royale de médecine dans sa séance du 25 novembre 1888: « L'Académie royale de Belgique, considérant les inconvénients et les dangers de la pratique vulgarisée de l'hypnotisme, estime qu'il y a lieu de solliciter de la législation des dispositions tendant à : 1° Interdire les représentations publiques d'hypnotisme; 2° Prévenir et réprimer les abus qui peuvent résulter de la pratique de l'hypnotisme. »
Il estcurieuxde rapprocher l'esprit de cette loi de celui qui a présidé en France au vote de la loi du 30 novembre 1892, sa contemporaine. Nous verrons que les considérations qui ont influencé nos voisins n'ont pas paru décisives au Parlement français. M. le Dr Chevandier, dans son rapport déjà cité, s'exprimait ainsi : « Quant aux conséquences physiques ou morales de l'hypnotisme, on les a beaucoup exagérées. Sans doute, il serait désirable que nul ne se livrât à ces procédés que dans l'intérêt de la science ou de la santé du sujet. Mais où commencera le délit ? Frappera-t-on ceux qui, souvent, par le seul sentiment de la curiosité, essaient sur le premier venu, dans une maison particulière, une pratique dont ils ont constaté les effets ? Se retouenera-t-on contre les exhibitions publiques ? Pour constater les premières, il faudrait se départir du respect du domicile; les secondes peuvent si souvent être doublées de supercherie qu'on s'exposerait à frapper l'expérimentateur convaincu, alors que le saltimbanque ne pourrait être atteint par la loi. » Et le rapporteur conclut au rejet, qui, effectivement, fut prononcé, de l'amendement déjà cité de M. David.
Si maintenant nous comparons le texte de la loi belge avec l'économie des règles de droit commun applicables en France à la pratique de l'hypnotisme expérimental, nous voyons que la
loi belge ne diffère de la législation française, au point de vue des principes que sur deux points :
1° Interdiction des représentations publiques ou privées d'hypnotisme.
2° Interdiction aux individus non médecins ou non munis d'une autorisation spéciale, d'hypnotiser des mineurs ou des personnes qui ne seraient pas saines d'esprit.
Les autres points prévus par ladite loi trouvent, ainsi que nous l'avons vu, une sanction suffisante dans la législation française.
Nous aurons l'occasion de reparler de cette loi belge. Revenons à notre question. Convient-il de solliciter des pouvoirs publics une réglementation de l'hypnotisme expérimental? Je crois qu'il y a lieu d'envisager successivement l'hypnotisme employé par un particulier dans un domicile privé et les représentations publiques d'hypnotisme données par un professionnel.
1° Pratiques hypnotiques employées par un particulier en un lieu privé. — Si nous mettons de côté les manœuvres tendant à un but criminel ou délictueux, nous pouvons supposer qu'un particulier se livre aux pratiques hypnotiques dans un but, soit de recherche scientifique, soit de simple curiosité, soit enfin de pédagogie, d'éducation ou d'orthopédie mentale. Il appartenait au législateur de prévoir les conséquences civiles et pénales de ces actes, et nous avons vu que, s'il n'avait pas prévu spécialement les manœuvres hypnotiques, tout au moins nos textes étaient suffisamment armés pour en assurer la réparation civile et la répression pénale. J'estime que nous ne pouvons demander davantage aux pouvoirs publics. L'intérêt de la science et les principes de liberté et de respect du domicile commandent cette solution, ainsi que le faisait remarquer M. le Dr Chevandier à la Chambre des députés. M. Masoin, dans son rapport à l'Académie royale de médecine, s'exprimait
dans le même sens : «.....Les séances privées semblent devoir
échapper à l'action des lois, absolument comme l'ivresse qui se cache à domicile ; c'est une chose bien délicate et bien grave que d'ouvrir la maison du citoyen aux visites de la police pour y faire prévaloir en cette matière les dispositions légales», et M. Masoin, qui cependant réclamait une réglementation étroite de l'hypnotisme, admet « volontiers qu'un homme de science, qu'un naturaliste, qu'un philosophe institue des expériences prudentes et convenables ». La loi belge elle-même
reconnaît le droit á l'expérimentation dès lors que le sujet est majeur et sain d'esprit. Mais elle se montre intraitable lorsqu'il s'agit de donner en spectacle un individu hypnotisé, ce spectacle fût-il donné dans un salon ou dans tout autre lieu privé. « Du moment où des expériences d'hypnotisme seront faites, même dans une séance privée, pour satisfaire la simple curiosité des spectateurs, il y aura infraction punissable. — La loi -va même plus loin; un professeur de clinique ne pourra plus, sans se mettre en contravention, faire des expériences auxquelles assisteraient des profanes appelés par lui ou attirés par le désir de voir des choses intéressantes. Il ne pourra faire ses démonstrations devant d'autres spectateurs que les élèves admis à suivre ses leçons. » (1)
Encore une fois, je n'ai pas à faire la critique de la loi belge; mais, de l'assentiment de savants belges eux-mêmes, il me semble que nos voisins ont eu la main un peu lourde, tout au moins en ce qui concerne les séances privées d'hypnotisme. Ce n'est pas que je veuille dire que ce genre de divertissement soit absolument sans inconvénients. Je pense même, comme j'aurai l'occasion de vous le dire tout à l'heure, que les expériences privées d'hypnotisme pourraient être de nature à présenter des dangers plus sérieux que les exhibitions publiques. Je veux simplement dire que ces inconvénients ne sont pas à mon sens assez graves pour autoriser les pouvoirs publics à s'immiscer dans la vie privée des citoyens et permettre les violations de domicile. Le remède serait pire que le mal ;
2° Représentations publiques d'hypnotisme. — J'arrive ici, Messieurs, au point capital de la question mise à l'ordre du jour du Congrès: y a-t-il lieu de solliciter des pouvoirs publics l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme?
II n'existe aucune loi en France qui prohibe ce genre de spectacle, mais il rentre dans les attributions de police des autorités locales d'interdire ou d'autoriser ce genre d'exhibitions.
Je constate qu'en France, la plus grande liberté est en général laissée aux hypnotiseurs de tréteaux. A Paris, néanmoins, les autorisations sont généralement refusées. Je trouve de semblables interdictions à Bordeaux, à Marseille, à Poitiers, motivées par les représentations du célèbre Donato. Le recteur de l'Académie de Poitiers, vers 1889, interdisait également toute repré-
(1) Revue de l'Hypnotisme, 6e année, p. 194, sous la signature du Dr L. Merveille.
sentation de cette nature dans les écoles de son ressort.
A l'étranger, au contraire, je constate une tendance très marquée à l'interdiction de ces spectacles.
En Danemark, à la suite d'un rapport du Conseil de santé de Copenhague, du 30 décembre 1886, le ministre de la justice adressa une circulaire aux commissaires de police du royaume interdisant toutes séances publiques d'hypnotisme.
Nous connaissons déjà la mesure radicale prise en Belgique.
Nous relevons de semblables interdictions en Autriche, en Italie, en Portugal, en Allemagne, en Russie et en Hollande, dans un grand nombre de cantons suisses (Bâle, Neufchâtel, Vaud, Genève, Berne, etc.), enfin dans certaines contrées do l'Amérique notamment au Cincinnati.
Si nous consultons maintenant les différentes sociétés savantes qui ont eu à s'occuper de la question, nous constatons une réprobation presque unanime contre les représentations publiques d'hypnotisme. Au mois d'avril 1888, la section d'hygiène et de médecine publique de l'Association française pour l'avancement des Sciences, dans sa session d'Oran, émettait à l'unanimité, sur la proposition de M. le Dr Bérillon, un vœu tendant à ce que les séances publiques de magnétisme et d'hypnotisme fussent interdites sur toute l'étendue du territoire français.
Je vous ai déjà cité, Messieurs, la motion formulée dans le même sens par l'Académie de médecine de Belgique, le 25 novembre 1888- J'y ajouterai des vœux identiques émanant de la Société de biologie de Paris, de la Société de médecine légale de Paris, (sur la proposition de MM. Brouardel et Gilles de la Tourette), et de la British médical association.
Enfin, je dois vous rappeler que notre premier Congrès de 1889 a formulé la proposition suivante: « Les séances publiques d'hypnotisme doivent être interdites au nom de l'hygiène publique et de la police sanitaire. »
Sans doute, nous ne sommes pas liés par cette proposition émanant de notre premier Congrès. Néanmoins, et malgré tout le libéralisme dontje voudrais faire preuve, je me sens mal à l'aise pour vous demander de vous déjuger après le remarquable réquisitoire tormulé alors par M. le Dr Ladame, et qui a motivé la proposition que je viens de vous citer. J'ajoute que, étranger à la médecine, je n'ai pas la compétence nécessaire pour prendre position sur la question de savoir si l'hypnotisme
employé par des professionnels non médecins offre, au point de vue de l'hygiène publique et de la santé des spectateurs ou sujets, des dangers suffisants pour entraîner l'interdiction des séances publiques.
Réservant donc la question purement médicale, je me contenterai devons exposer brièvement les arguments qui ont été formulés pour et contre la liberté de ce genre d'exhibitions et en me plaçant uniquement au point de vue moral et au point de vue social.
Les principaux défenseurs des représentations publiques d'hypnotisme sont : M. Delbceuf, professeur à l'Université de Liège, M. le professeur Morselli, de Turin, MM. Ruel et Kuborn, de l'Académie de médecine de lielgique.
Le principal argument qu'ils invoquent et qui ne manque pas de grandeur, c'est que toute atteinte portée à la liberté des citoyens ne doit être autorisée qu'en présence de dangers manifestes, et ces dangers, précisément ils les considèrent comme imaginaires ou tout au moins comme singulièrement exagérés. — Je ne serais pas éloigné de partager leur sentiment en comparant l'hypnotisme de représentation publique à ce que j'appellerai l'hypnotisme domestique, l'hypnotisme occulte.
D'un coté nous assistons à des jeux innocents qui se font sous la direction de professionnels généralement fort habiles, capables par conséquent de mesurer les conséquences de leurs actes et d'approprier leurs expériences au tempéramentdu sujet sans s'exposer à occasionner chez lui des troubles pathologiques. Les expériences se font au grand jour, sous le contrôle de la police, en présence d'une assistance nombreuse, qui ne manquerait pas de protester, si le spectacle devenait indécent ou si l'opérateur profitait de l'empire acquis sur le sujet pour lui imposer des suggestions contraires à son intérêt, à la morale, ou à l'ordre public.
De l'autre côté, nous voyons, au contraire, des gens souvent inexpérimentés, dangereux par conséquent en raison même de leur imprévoyance et de leur manque d'habitude, se livrant presque toujours sur le même sujet, à des expériences non plus isolées et accidentelles, comme cela a lieu dans une réunion publique, mais à des expériences souvent journalières et qui, par leur fréquence et leur durée, sont susceptibles d'entrainer des désordres qu'un fait isolé aurait dû ne pas faire naitre : — Et puis, ces manœuvres sont pratiquées en petit comité, à
huis clos et souvent même sans témoins, en dehors de toute espèce de contrôle moral ou administratif. Le sujet est à la discrétion de l'opérateur et les pires suggestions peuvent lui être faites. Voilà où se trouve le véritable danger. 11 n'est pas sur la scène des théâtres. lit cependant nous avons reconnu l'impossibilité d'une réglementation de l'hypnotisme domestique. A fortiori ne devrait-on pas laisser toute liberté aux professionnels publics?
On a ajouté d'autres arguments. Les représentations publiques, loin d'être nuisibles, seraient très utiles; elles permettraient aux sujets prédisposés à la suggestibilité de s'éclairer sur les dangers de l'hypnotisme et de se prémunir contre ces dangers.
Enfin je n'insisterai pas sur ce dernier argument dont l'exactitude matérielle me parait contestable. On prétend que l'interdiction des exhibitions publiques amènerait une recrudescence des expériences privées.
M. Delbœuf ajoute que c'est aux magnétiseurs et hypnotiseurs de théâtres que les médecins doivent ce qu'ils savent en matière d'hypnotisme. J'ignorejusqu'àquel pointcctte assertion est fondée. Elle me rappelle simplement un souvenir personnel. Il m'est arrivé de recueillir de la bouche d'un médecin-hypnotiseur, que je ne nommerai pas, cet aveu : « Ce sont les hypnotiseurs de foires qui m'ont véritablement appris à me servir de l'hypnotisme. »
Je n'insiste pas et j'arrive à l'opinion opposée, celle qui réclame l'interdiction des exhibitions publiques. Je ne puis rien ajouter au rapport de M. Ladame. Lui aussi se réclamait des principes de liberté, mais son client n'est plus le même que celui des adversaires. Ceux-ci plaidaient la liberté des hypnotiseurs. M. Ladame prend en mains la cause de l'hypnotisé « l'homme-lige obscur du brillant magnétiseur ». « —Au nom de la liberté, dit-il, nous demandons l'interdiction des spectacles publics, du servage le plus absolu auquel un homme
puisse être réduit par son semblable.....L'hypnotisé, livré en
spectacle à la foule vibrante d'émotions malsaines, tourné publiquement en ridicule, fasciné brutalement, halluciné jusqu'à la folie furieuse, mis aux abois par les suggestions grotesques ou criminelles que le magnétiseur lui ordonne d'accomplir, au risque de compromettre sa santé mentale ou physique, l'hypnotisé des représentations publiques est bien une victime. »
Permettez-moi, Messieurs, d'ajouter une citation que j'emprunte au rapport de M. Masoin à l'Académie de médecine de Belgique : « Il est imprudent de montrer aux foules par quels moyens simples on arrive à produire des phénomènes aussi graves. Il n'est pas convenable de donner ainsi l'homme en spectacle, le découronnant vis-à-vis de tous et le transformant
en voleur, en assassin, en faussaire..... Il n'est pas prudent
d'exhiber cette névrose expérimentale devant le peuple déjà trop impressionnable de notre époque.....; les séances publiques appellent et provoquent les autres. Des magnétiseurs habiles et puissants excitent le sentiment des foules; ils mettent l'hypnotisme à la vue et à la portée de tous; ils laissent
derrière eux..... toute une série d'adeptes qui peuvent faire
indéfiniment des recrues; la révélation est faite et possède des apôtres souvent moins réservés et moins honnêtes que les maîtres eux-mêmes. »
M. Crocq exprime la même idée : « Par les séances publiques on donne un funeste exemple à de mauvais drôles, à des chenapans ; on leur donne des leçons dont ils tireront profit ; on leur indique les procédés qu'ils peuvent mettre un jour en usage pour arriver à leurs fins. »
Voici, impartialement exposés, les arguments que l'on a fait valoir dans les deux sens.
Je soumets à la haute appréciation du Congrès la question de savoir s'il y a lieu de renouveler le vœu du premier Congrès de 1889.
Et pour conclure, indépendamment de cette question des représentations publiques, je sollicite au nom de la science et de la liberté la plus grande latitude en faveur de l'expérimentateur, savant ou psychologue, ou même du simple particulier qui se sert de l'hypnose dans un but de bienfaisance^ d'utilité pratique, de moralisation ou même de simple curiosité. Laissons à chacun la responsabilité de ses actes puisque, nos lois sont suffisamment armées pour défendre la société contre les méfaits des gens mal intentionnés. Le sentiment de cette responsabilité fait la force des peuples libres. Nous n'avons donc aucune réglementation particulière à solliciter et aucune intervention à réclamer des pouvoirs publics.
J'ose espérer que vous voudrez bien me faire l'honneur de vous rallier aux conclusions de ce rapport.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle.
Le lundi 16 Juillet 1901. —Présidence de M. Jules Voisix.
La correspondance comprend des excuses de MM. les professeurs Joffroy,Raymond, Ch. Richet. de la Faculté de médecine, de M. le professeur Beaunis, de M. le professeur Tarde, du Collège de France ; de MM. les D" Paul Richet et Iluchard, membres' de l'Académie de Médecine; de M. Boirac, vice-président, recteur de l'Académie de Grenoble : Muteau, dépulé de la Côte-d'Or, etc... et une lettre de M. le D'Lc Fo uriner, remerciant la Société de son élection.
La Société charge le Secrétaire général d'exprimer ses condoléances à M. le professeur Raymond, membre de la Société, à l'occasion de la mort de son gendre. M. leDf Delpeuch, médecin des hôpitaux.
M. le Secrétaire général donne lecture du compte-rendu moral et financier de l'année Î900-I90I. Les recettes se sontélcvées à 1.535 francs; les dépenses à 1.210 francs. — L'avoir de la Société se compose de 1.365 fr. 90. — La Société remercie M. Albert Colas, trésorier, de sa gestion et lui vote des félicitations.
Candidatures:
M. le professeur Beaunis est élu, à l'unanimité, membre d'honneurde la Société.
M. Brocard, avocat à la Cour d'Appel ; M. le D' Leblond, médecin de Saint-Lazare; M. teDr Salomon, de Savigné-l'Evêque (Sarthe) : M. le docteur Teixeira Alvarez, de Ubérala (Brésil), sont élus membres titulaires à l'unanimité.
La séance a été suivie par un banquet dor/t le compte-rendu a été publié dans le numéro d'août 1901.
La Société décide que la séance annuelle aura lieu désormais au mois de juin. _
De remploi de la suggestion dans l'éducation artistique et en
particulier pour l'étude de la musique
Par le Dr Paul Joire.
Professeur à i'institut Psycho-physiologique de Paris, Président
do la Société d'Eludes Psychiques.
Nous ne nous occuperons dans cette étude que de l'interprétation des œuvres musicales ; laissant pour le moment de côté tout ce qui a irait à la composition et au travail de l'auteur.
L'interprétation d'une œuvre musicale se compose de deux actes successifs, qui sont nécessairement exigés de l'artiste :
1° Comprendre la pensée de l'auteur.
2° L'exprimer.
Il y a une partie, d'un mécanisme général, préliminaire, qui est commun à l'interprétation de toute œuvre musicale, que cette interprétation soit faite au moyen de la voix ou au moyen d'un instrument, c'est la lecture musicale. La lecture de la musique écrite est le moyen par lequel l'auteur communique à ses interprètes les idées et les sentiments qu'il a voulu exprimer.
La lecture musicale exige que le musicien reconnaisse simultanément : Io Le mouvement, c'est-â dire la mesure et la cadence propres au morceau et à chacune de ses parties; 2° La tonalité générale du morceau, et successivement les changements de tonalité qui peuvent y être introduits; 3' Le nom et la hauteur des notes ; 4° Les signes accidentels qui sont destinés à élever ou à abaisser momentanément la hauteur d'une note; 5° Les signes d'expression qui s'appliquent à l'ensemble du morceau, à ses différentes parties, à des phrases, à des mesures, ou seulement à des notes.
Comme on le voit par ces quelques détails, la lecture musicale est infiniment plus complexe que la lecture de la parole écrite. De plus, ici les difficultés varient avec les différents auteurs et d'un morceau à un autre. Ces difficultés, pouvant s'appliquer à chacune des parties que nous venons d'énumérer, peuvent être, pour ainsi dire, multipliées à l'infini : changements de mesure et changements de tonalité fréquents dans le cours d'un morceau ; intervalles irréguliers et plus difficiles entre différentes notessuccessives ; signes accidentels inattendus etmultipliés, etc. tout cela peut compliquer considérablement la lecture musicale. D'autre part, un artiste qui veut être capable d'interpréter une composition doit être préparé à surmonter toutes ces difficultés. Aussi, dans les cours et les examens de solfège a-t-on l'habitude de les multiplier le plus possible, pour que l'élève soit apte à toute interprétation. La difficulté est donc grande pour les élèves, qui ont en plus à compter avec leur inexpérience, le manque d'habitude et de confiance en eux-mêmes, la timidité, etc..
La suggestion peut considérablement leur venir en aide, tout à la fois pour les mettre en possession de tous leurs moyens naturels, pour affermir les connaissances déjà acquises et leur permettre de les utiliser.
L'expérience confirme ces données ; j'en citerai une observation.
Mlle A.., élève du Conservatoire, vient me trouver,eIle craint beaucoup les difficultés de son examen. D'autres occupations dont elle ne peut s'affranchir, ne lui permettent pas de consacrer à ses études musicales autant de temps que ses camarades, et la mettent dans un état d'infériorité évidente pour le concours.
Deux mois environ avant son examen, je lui fais des séances de suggestion deux fois par semaine, pendantlesquelles je l'accoutume successivement à vaincre toutes les difficultés que j'ai énumërées tout à l'heure, en insistant particulièrement sur celles qu'elle me signale et qu'elle a le plus de peine à surmonter. Dès les premières séances, elle
remarque une plus grande facilite pour ses études, néanmoins c'est toujours avec beaucoup de crainte qu'elle voit approcher la date de l'examen.
Résultat final: Mlle A... passe son concours sans difficulté et obtient le second prix.
Quand l'artiste a compris la pensée de l'auteur, il doit alors la traduire pour les auditeurs, faire passer les impressions et les sentiments dans l'âme du public.
C'est ici que commence le second acte qu'il doit romplir : exprimer les idées de l'auteur.
Il faut distinguer au point dé vue de notre étude deux manières d'exprimer la pensée musicale : on peut l'exprimer au moyen d'instruments; on peut l'exprimer par la voix.
L'instrument, quel qu'il soit, présente pour l'exécution d'une œuvre musicale un certain nombre de difficultés, qui peuvent être classées dans deux catégories :
Difficultés de mécanisme.
Difficultés d'expression.
Les difficultés de mécanisme varient suivant le genre d'instrument ; elles peuvent toutefois, d'une manière générale se subdiviser encore en deux groupes : 1° L'agilité des mouvements des doigts ; 2° La combinaison de mouvements différents de l'une et de l'autre main.
A cela vient s ajouter, pour les instruments à vent, les mouvements des lèvres et de la langue ; pour l'orgue en particulier les mouvements des pieds, qui peuvent être chargés d'un jeu spécial.
Quant à l'expression donnée au moyen des instruments, elle est surtout le résultat de la souplesse des mouvements ; elle peut concerner les deux mains, comme dans le piano, orgue, harpe, etc., ou simplement la main droite, comme dans les instruments à cordes et spécialement à archet ; ou enfin, le mouvement des lèvres et de la langue, comme dans les instruments à vent.
Il est bien évident que nous ne pouvons ici entrer dans le détail des difficultés de mécanisme de tous les instruments ; celte étude doit être faite pour chaque cas particulier. Nous avons seulement indiqué ici les grandes lignes qui sont communes à l'instrumentation en général, mais nous voyons déjà l'importance que peut y avoir la suggestion.
On sait quelle part considérable revient à l'automatisme, dans les mouvements exécutés pour le jeu des divers instruments. Le pianiste, le violoniste, ne peuvent arriver à l'agilité surprenante de mouvements qui leur est nécessaire, que par une habitude acquise par de longs exercices, et grâce à laquelle ces mouvements s'exécutent sans que la volonté consciente ait à intervenir. Or, les mouvements automatiques sont essentiellement ceux sur lesquels la suggestion a le plus de prise.
Le résumé de quelques observations le démontreront.
J'avais en traitement un M. B..., qui avait été autrefois pianiste d'une force remarquable ; jouant à première vue les œuvres les plus difficiles des compositeurs les plus célèbres. Mais, depuis plusieurs années, les troubles des mouvements, résultat de la maladie pour laquelle il était en traitement, l'avaient forcé, à son grand regret, à abandonner la musique. Lorsque la guérison fut suffisante pour lui permettre de reprendre son instrument, il se plaignit vivement de ne plus exécuter, avec la perfection qu'il exigeait de lui-même, les morceaux qu'il voulait jouer. C'est alors qu'il me vint à l'idée de faire avec lui l'expérience-suivante, à laquelle il se prêta volontiers.
Je lui dis de choisir un des morceaux les plus difficiles qu'il avait joués autrefois, mais qu'il n'avait pas revu depuis sa maladie, c'est-à-dire depuis plusieurs années, puis de jouer une seule fois ce morce.au.
Il le déchiffra en effet, mais l'exécution était bien loin de ce qu'il faisait autrefois ; les traits lui paraissaient difficiles, les doigts lourds, certains passages laissaient particulièrement à désirer; il était découragé.
Je lui prescrivis alors de ne plus regarder une seule fois ce morceau pendant dix jours, il ne devait non plus faire aucun exercice sur le clavier, qui aurait pu faciliter l'exécution du morceau; mais chaque jour je lui faisais, au moyen d'une suggestion, répéter mentalement son morceau, une seule fois, .d'un bout à l'autre, insistant particulièrement sur les difficultés qui pouvaient se présenter. Bien entendu, pendant cette suggestion, je veillais à ce qu'il n'y eut aucun mouvement, même involontaire, des doigts.
Le dixième jour, M. B... se met au piano et exécute le morceau, d'un bout à l'autre, sans hésitation, sans la moindre faute. Stupéfait lui-même du résultat, il avoua qu'il n'avait jamais joué ce morceau avec plus de perfection lorsqu'il l'avait autrefois.étudié pour le posséder à fond.
Par des suggestions analogues, après avoir guéri ce malade des troubles moteurs qui faisaient le fond de sa maladie, je l'aidai à faire rapidement sa rééducation musicale. Il s'est maintenant complètement remis à la musique et a pu en faire sa profession.
J'ai fait la même expérience, non plus chez un malade, mais chez un violoniste qui, par suite de circonstances particulières, avait dû complètement abandonner son instrument pendant très longtemps. Au moment où il se préparait à reprendre la musique, craignant de ne plus retrouver la facilité d'autrefois, il se soumit à l'expérience. Pendant plusieurs jours, sans lui permettre de toucher son instrument, je lui fis des suggestions qui lui rappelaient les exercices abandonnés depuis longtemps, et je lui lis repasser mentalement divers morceaux qu'il avait joués. Au jour fixé, ces morceaux furent exécutés aussi bien et avec autant d'aisance que s'il n'avait jamais abandonné la pratique de son instrument.
Je citerai encore l'observation d'une élève du cours de piano du Conservatoire. A l'approche d'un examen elle éprouvait une grande appréhension, surtout à cause des difficultés de mécanisme qu'elle avait beaucoup de peine à surmonter; à la vue des passages compliques qui se présentaient dans un morceau, elle hésitait, son jeu devenait incertain et souvent incorrect. Je l'endormis quatre ou cinq fois et lui lis des suggestions dans le sommeil hypnotique, enfin après la dernière séance, je lui fis jouer devant moi les morceaux qu'elle redoutait le plus. Résultat : son examen fut passé sans la moindre difficulté et elle pratique maintenant son art avec succès.
Nous devons, dans cette étude, séparer la musique vocale de la musique instrumentale bien que la voix puisse être considérée comme un instrument; mais la musique vocale présente certaines difficultés particulières, et de plus, ici, nous exerçons une influence directe sur l'instrument lui-même.
L'auteur, dans toute œuvre musicale traduit des sentiments qu'il ressent lui-môme, ou ceux que le personnage qu'il met en scène est censé éprouver.
Dans toute musique qui n'est pas la musique dramatique, ce sont presque toujours des idées générales qui sont exprimées; mais il faut remarquer que l'auteur personnifie, même les idées les plus abstraites, en leur donnant la forme qui s'adapte le mieux à ses propres sentiments.
La même idée pourra donc, surtout en musique, être exprimée de plusieurs façons différentes par des auteurs différents. L'artiste qui traduit cette pensée doit pouvoir la rendre aussi sous les différents aspects sous lesquels elle peut être présentée. Il est nécessaire pour cela, qu'il se place d'abord dans la situation d'esprit de l'auteur; puis que, par un effet d'imagination, il se représente l'idée telle que l'auteur se l'est représentée lui-même, ou qu'il éprouve le sentiment de la même façon et avec la même intensité.
Plus que toute autre, la musique vocale, et surtout la musique dramatique, doit transmettre à l'auditeur les sentiments vrais de l'auteur, et elle atteint sa perfection quand elle les lui fait éprouver à lui-même.
Dans la musique dramatique, où il s'agit de traduire les sentiments d'un personnage figuré, le travail de l'artiste est très complexe. En effet, la situation relative du personnage, et son état d'âme, résultant des circonstances qui l'entourent et de ses impressions, entrent en cause pour modifier l'expression de ses sentiments.
Analysons sommairement le travail psychologique qui doit être fait par l'artiste.
Il doit s'assimiler la personnalité, successivement d'une foule de personnages différents. Tantôt prince, tantôt simple ouvrier, soldat ou paysan, poète ou homme du monde, il faut qu'il représente les qualités et les défauts, les vertus et les vices de tous ces types différents. Puis, pour chaque personnage particulier, il doit savoir se placer dans toutes les conditions de la vie, et, en général, plus particulièrement dans les situa-
lions les plus difficiles ; en proie à des sentiments auxquels il faut donner une intensité violente pour leur permettre d'atteindre le public de le toucher et de lui donner l'illusion de la réalité à travers le mirage et les atténuations qui résultent d'un entourage de convention.
Si les sentiments sont au fond identiques dans leur essence chez tous les personnages différents, il faut observer qu'ils varient à l'infini pour ce qui est de leur expression et de leur manifestation extérieures.
Les sentiments d'amour, d'orgueil ou de colère se manifesteront d'une manière différente chez des personnages appartenant aux populations délicates et raffinées d'Europe et chez dos individus de race asiatique vivant au milieu des mœurs et de la-grossîcre civilisation orientales.
L'impression de l'amour sera, chez un prince tempéré, d'une part, par le sentiment de sa dignité, l'orgueil de son rang ; mais, d'autre part, l'usage de la souveraine puissance, l'habitude du commandement, se feront sentir dans l'exigence du caprice, et la hauteur de la volonté.
Tout autre sera la manifestation de ce même sentiment chez le poète, chez l'artiste délicat, qui sauront naturellement l'élever par l'habitude de la contemplation de l'idéal.
Nous pourrions prendre ainsi successivement la femme du monde, élégante et raffinée, et l'ouvrière habituée aux rudes travaux et aux privations ; le savant et l'homme des champs, la princesse et la petite bourgeoise.
Chez tous, nous verrions les influences de race, d'éducation, de milieu, modifier l'impression produite par les sensations reçues et la manifestation des sentiments.
Après cela viennent seulement les différences individuelles de toute personnalité, résultat de dispositions physiologiques et psychologiques, du fonctionnement plus ou moins parfait de diverses facultés, de la délicatesse des organes des sens, qui font que chacun des individus d'une même catégorie possède des caractères propres tels qu'il ne ressemble à aucun autre.
L'artiste qui veut rendre le sentiment traduit par l'auteur dans une œuvre artistique doit comprendre tout cela, se placer dans telle ou telle situation d'esprit, enfin s'assimiler l'individualité de tous les personnages dont il doit traduire l'état d'âme.
Il faut pour cela arriver à s'oublier soi-même ; il faut faire abstraction de ses idées propres, de ses préjugés, s'affranchir de toutes les influences reçues par l'éducation, par l'entourage, faire table rase des habitudes acquises et des idées préconçues. Tout cela doit, pourainsidire,faire le vide dans le cerveau de l'artiste pour qu'il ne lui reste plus rien de lui-même.
Ce premier travail étant fait, il faut le sensibiliser de nouveau, et, après avoir substitué la personnalité nouvelle-à la personnalité ancienne, le rendre apte à recevoir les impressions de l'auteur.
Ces quelques considérations nous montrent les difficultés qui se présentent à l'artiste pour s'assimiler la pensée de l'auteur: mais déjà nous
voyons aussi que, pour les vaincre, la suggestion peut lui venir puissamment en aide.
Il suffit de nous observer nous-mêmes quelques instants, et d'observer les personnes qui nous entourent pour nous rendre compte combien il est difficile de s'oublier soi-même. Dans les circonstances où l'on s'observe le plus, ne voit-on pas à chaque instant les préjugés, les idées préconçues, les habitudes reprendre le dessus. Pour dominer toutes ces influences que nous sentons en nous, pour réprimer toutes ces impulsions, il faut déployer une grande énergie de volonté. Chez un grand nombre de personnes cette volonté se fatigue et faiblit; de plus, quand elle s'applique ainsi à dompter ce qui est au dedans de nous-mêmes, l'attention est moins apte à recevoir des impressions nouvelles, la faculté d'assimilation pour d'autres idées est moins développée.
Au contraire, que se passe-t-il sous l'influence de la suggestion? Les idées se modifient sans effort, sans même que le sujet aitbesoin d'y songer; certaines idées s'effacent, d'autres sont atténuées, les habitudes disparaissent. La sensibilité et la faculté de recevoir des impressions se développent, des idées nouvelles surgissent sans effort et l'esprit se les assimile parfaitement.
Je citerai à ce sujet une observation bien caractéristique. On ne se fait guère l'idée du travail énorme exigé des artistes dans les théâtres de province. Les principaux artistes jouent trois ou quatre fois par semaine: toutes les autres soirées sont consacrées aux répétitions. Une œuvre goûtée du publie est jouée au plus trois ou quatre fois, mais en général une même pièce n'est pas jouée plus de deux fois dans une saison. C'est dans ces conditions de surmenage que Mme P. vint me trouver, devant créer un rôle dans une œuvre nouvelle. Elle se trouvait dans un état de surexcitation nerveuse développée par le travail, la mémoire affaiblie, la voix fatiguée, il lui semblait impossible de réussir. Je connaissais sa sensibilité hypnotique, l'ayant déjà endormie, et je m'efforçai d'abord de la rassurer. Chaque séance, pendant laquelle je l'endormais durant environ un quart d'heure lui procurait un repos complet, elle y trouvait des forces et un calme qui combattaient le surmenage. En même temps j'en profitais pour lui faire étudier son rôle, la pénétrer de tous les sentiments qu'elle aurait à y développer, lui en faire sentir toutes les nuances. La suggestion augmentait aussi la puissance de sa mémoire et remédiait à la fatigue de sa voix. Le résultat fut tout ce qu'elle désirait : un succès complet maintenu pendant toute la saison et complété par un nouvel engagement.
La musique voeale présente encore cette particuliarité qu'elle doit être accompagnée de l'expression de la physionomie et du geste. Cette mimique n'est que la manifestation extérieure de l'impression produite par le sentiment.
Nous avons déjà vu ailleurs l'importance de la suggestion pour donner l'expression juste du sentiment et le geste vrai qui convient à la situation. Mais pour que l'impression soit ressentie vivement par l'artiste et
que le sentiment se développe avec toute l'intensité de la réalité, il faut que rien ne vienne le distraire, qu'aucune idée étrangère ne puisse l'influencer, et ce sentiment étant développé, il faut que rien ne vienne entraver sa manifestation extérieure.
Pour bien rendre son rôle l'acteur doit être maître de lui-même. Tout le monde sait que rien n'est plus nuisible à un artiste que ce doute de soi-même, cette phobie du public vulgairement appelée le trac; rien cependant n'est plus fréquent.
De nombreuses observations nous montrent la puissance de la suggestion pour vaincre cette influence qui paralyse tous les moyens.
Une jeune artiste vint un jour me trouver au moment des débuts de la troupe lyrique. Elle était vivement impressionnée de cette épreuve devant un public qu'elle ne connaissait pas ; elle redoutait le jugement, souvent fantaisiste et peu'éclairé il est vrai, d'une commission des débuts, qui pouvait en quelques instants briser son avenir. D'un tempérament très nerveux, très impressionnable, elle était devenue absolument incapable de faim valoir les qualités sérieuses qu'elle possédait. Cette crainte avait augmenté de jour en jour à tel point qu'elle avait perdu toute confiance en elle-même, elle n'était plus sûre de sa voix ni de sa mémoire. Son état était tel qu'il y avait sérieusement à craindre pour clic un échec, et la circonstance la plus grave était qu'elle venait seulement me trouver dans l'après-midi du jour où devaient avoir lieu ses débuts. Je la rassurai de mon mieux; mais, ne l'ayant pas encore eue.entre les mains, j'ignorais moi-même jusqu'à quel point je pourrais obtenir un effet aussi rapide. Néanmoins je lui proposai d'employer la suggestion hypnotique, ce qui fut accepté aussitôt. Heureusement j'avais à faire à un sujet d'une grande sensibilité hypnotique; je pus d'emblée l'endormir profondément et la placer dans un état de somnambulisme du second degré, c'est-à-dire bien suffisant pour rendre efficaces toutes les suggestions thérapeutiques. Le résultat fut très satisfaisant, les débuts lui furent tout à fait favorables. Le trac ne s'est plus représenté chez elle, elle est maintenant un des bons sujets de I'Opéra-Comique.
Nous avons encore signalé, dans la musique vocale, l'influence que la suggestion peut avoir sur l'instrument lui-même. En effet, il ne suffit pas que l'artiste soit bien identifié au personnage qu'il doit représenter, qu'il soit sûr de sa mémoire et de son geste, qu'il n'ait plus aucune appréhension de se présenter devant le public. Tout cela ne peut lui servir qu'à condition qu'il possède un organe qui soit apte au rôle qu'il doit remplir.
Or, dans l'organe de la voix nous reconnaissons quatre qualités dépendant de l'instrument lui-même et nécessaires à son bon fonctionnement. Ces quatre qualités sont : L'étendue, la souplesse, le timbre et la justesse. Ces qualités peuvent toutes, jusqu'à un certain point, être modifiées par le travail et l'exercice ; mais la suggestion hypnotique produit des effets bien plus rapides et plus puissants, et permet d'obte-
nir des modifications de l'organe auxquelles on ne pourrait arriver par aucun autre moyen.
L'étendue est cette qualité de la voix qui lui permet d'atteindre les notes les plus élevées et les notes les plus basses. On indique généralement une étendue moyenne de la voix dans les différents registres, mais cette étendue varie suivant les individus.
La suggestion hypnotique peut faire accroître, chez certains sujets, l'étendue de la voix d'un ton ou d'un demi-ton, dans les notes élevées ou dans les notes basses. Des observations qu'il serait trop long de citer ici le prouvent.
La souplesse est cette qualité qui fait que le chanteur peut donner successivement des notes séparées par des intervalles variés plus ou moins considérables. Les différentes notes doivent pouvoir être données avec une grande rapidité, avec aisance et avec toutes les qualités de nuance et d'expression requises pour le son. La souplesse s'acquiert et se développe par l'exercice ; mais la suggestion rend plus facile l'émission des sons, les régularise, enlève la difficulté de certains intervalles, de sorte que la voix est donnée sans secousse et sans effort.
Le timbre de la voix a souvent été confondu à tort avec le registre. Quand une note quelconque est donnée par un instrument ou par la voix, le son fondamental n'est pas le seul qui se fasse entendre; il est toujours accompagné d'un certain nombre de sons harmoniques qui varient en nombre et en intensité; ce composé rend le son plus agréable à l'oreille, plus harmonieux. Le timbre de la voix dépend du nombre de notes harmoniques qui accompagnent le son fondamental et de leurs intensités relatives.
Les harmoniques contenus dans le son de la voix sont renforcés inégalement par les différentes cavités qui lui servent de résonateurs, de là vient le timbre de la voix.
Il résulte de là que, puisqu'une partie des cavités du résonneur de la voix échappe à l'influence de la volonté, le timbre de la voix ne se laisse pas modifier par l'exercice. Mais ces cavités sont sous l'influence des contractions musculaires et de la circulation, celle-ci agissant surtout par l'intermédiaire de l'hyperhémie ou de l'anémie des muqueuses. ,Or, nous savons que tous les muscles, même ceux qui ne sont pas soumis à l'action de ln volonté, de même que la circulation sont influencés par la suggestion. 11 en résulte que la suggestion hypnotique bien dirigée peut aussi exercer une influence utile sur le timbre de la voix.
La justesse de la voix dépend en partie aussi de la production des sons secondaires. Si les notes secondaires ne sont pas dans un rapport simple de vibrations avec la note fondamentale on aie faux absolu; c'est la voix fausse, c'est l'instrument qui résonne faux. Mais dans le chant on a plus souvent affaire » la justesse relative qui dépend de la hauteur du son principal émis. Cette note fondamentale doit donner un nombre de vibrations correspondant aux notes données par les instruments qui accompagnent la voix, ou par l'ensemble des autres notes déjà émises par
la même voix. Ici le chanteur peut, involontairement mais consciemment, émettre une note à côté de celle qu'il devrait donner. Cela arrive ordinairement parce que, soit par défaut d'exercice, ou par manque de souplesse, ou bien à cause de la difficulté des intervalles, il ne sait pas conduire sa voix comme il le voudrait.
Nous ne pouvons traiter ici la question du faux absolu et du faux relatif, question très peu connue même des musiciens, elle nous entraînerait trop loin de notre sujet, nous la réserverons pour l'approfondir dans une autre circonstance.
Ce qu'il importe de constater ici c'est l'action puissante de la suggestion .
Sans m'étendre d'avantage, je citerai un artiste, fatigué par une longue maladie, auquel la suggestion rendit toute l'étendue et la souplesse de la voix et permit d'aborder de nouveau le théâtre. -
Un autre chanteur d'un nervosisme excessif augmenté par le surmenage, trouvait sa voix tellement compromise qu'il était sur le point de résilier son engagement. Une première séance de suggestion lui donna un tel succès qu'il continua le traitement et n'eut plus la pensée de se retirer.
Une jeune artiste, après une maladie aiguë de la gorge, était encore presque aphone; elle devait, à une date fixée depuis longtemps, chanter un rôle auquel elle tenait beaucoup. Quelques suggestions lui rendirent la voix et, au bout de peu de jours, à la grande satisfaction de son directeur, elle était en état déjouer et le faisait d'une façon très brillante.
La suggestion agit donc sur les quatre qualités fondamentales de la voix.
Elle peut rendre à la voix son étendue diminuée par la fatigue, par la maladie, ou par des circonstances particulières ; elle peut même augmenter son étendue normale.
Elle développe sa' souplesse d'une manière considérable, et quand elle vient s'ajouter à l'exercice et au travail, elle permet au chanteur d'aborder avec aisance les plus grandes difficultés.
Le résultat s'obtient avec une rapidité que l'on ne trouverait jamais par le travail seul.
Le timbre est amélioré par un mécanisme qui appartient en propre à la suggestion et ne peut appartenir qu'à elle seule, puisqu'il s'agit d'une action sur la fonction de circulation et sur des muscles qui ne sont pas soumis à l'empire de la volonté.
La suggestion donne encore à l'artiste la possibilité de conduire sa voix sans hésitation et sans défaillance ; elle lui donne la sûreté dans l'attaque de chaque note et le sentiment absolu des distances, par conséquent la justesse.
Son action sur les organes secondaires qui produisent le timbre, et son action sur la concordance des sons, lui donnent donc, jusqu'à un certain point, une influence non seulement sur la justesse relative, mais aussi sur la justesse absolue de la voix.
L'étude que nous venons de faire est moins un raisonnement théorique que la conclusion naturelle d'un grand nombre d'observations appartenant à une catégorie spéciale et dont nous avons signalé les plus importantes.
Ces faits démontrent suffisamment l'utilité de l'emploi de la suggestion hypnotique dans l'éducation musicale.
Suggestion curative dans le cours d'une attaque d'éclampsie. * par M. leDr Le Menant des Chesnais
J'aurais été heureux de pouvoir signalera la Société la guérison par suggestion d'accès complets d'éclampsie puerpérale.
Je n'en ai pas lu d'exemples dans nos revues, mais nous savons tous que les accidents nerveux, même dus à une intoxication, sont susceptibles d'amélioration par la méthode suggestive.
Néanmoins le résultat que j'ai obtenu chez la malade qui fait l'objet de celte communication m'a paru assez intéressant pour vous être rapporté.
Il s'agit d'une femme de 30 ans dont la constitution grêle est due pour beaucoup aux conditions misérables dans lesquelles sestfaite sa crois-sance.
Elle avait vingt ans quand je lui donnai mes premiers soins, et souffrait d'une grande anémie; mais ne présentait aucune lésion organique.
Au moral elle est d'un caractère très doux et la parfaite correction de son maintien aussi bien chez elle que dans la rue, s'harmonisait avec la délicatesse de ses sentiments et de ses goûts et la distinguait des autres filles de son rang. Elle était domestique.
Quand elle se maria un an ou deux plus tard, elle se portait bien. Elle tomba malheureusement sur un individu alcoolique, appartenant à un milieu des plus vulgaires, et de nouveau elle eut à lutter contre la misère et des tribulations de toutes sortes.
J'avais constaté, quand elle était fille, combien il m'était facilede l'hypnotiser. Il me suffisait de lui commander de dormir, ou qu'elle devinât à mon regard'que je voulais qu'elle, s'endormit, pour qu'elle entrât immédiatement dans un sommeil des plus profonds, devenant complètement automatique, insensible et étrangère au monde extérieur, avec amnésie totale au réveil. Tous ceux qui pratiquent l'hypnotisme savent combien chez de pareils sujets l'influence suggestive est profonde. Si l'hypnose n'est pas indispensable à la suggestion efficace, du moins, peut-on affirmer que dans l'hypnose, l'efficacité de la suggestion est en raison directe de l'intensité du sommeil.
Aussi ai-je pu en maintes circonstances employer utilement chez elle la méthode suggestive contre des troubles fonctionnels et surtout contre les tendances au découragement, et lui rendre ainsi l'énergie et la résignation nécessaires pour supporter ses tribulations de chaque jour. Par
contre il est remarquable de constater que chez cette femme si sugges-tible le milieu dans lequel elle vit n'a jamais eu d'influence sur son fond moral. Elle est restée aussi douce, honnête et aussi réservée dans son maintien et ses paroles qu'étant jeune fille.
Il y a un an, elle accouchait de son troisième enfant. Les deux premiers accouchements s'étaient passés sans incident particulier. La sage-femme vint me prévenir un matin qu'après un accouchement assez rapide la veille au soir, elle avait été prise de crises nerveuses, avec perte de connaissance. Depuis elle paraissait dans une sorte de coma, les crises revenaient de temps en temps, ne s'accompagnant pas de véritables, convulsions, mais les mouvements des orbites quand elle entr'ouvrait les paupières donnaient à son visage un aspect très impressionnant.
La sage-femme n'avait pas eu l'occasion d'analyser les urines n'ayant pas vu la jeune femme pendant son dernier mois de grossesse.
Je me rendis près de la malade que l'on avait, par bien des petits moyens, cherché à faire reprendre connaissance.
Elle était calme à mon arrivée, et inerte sans contracture. Je la pinçai elle était insensible. Je soulevais les paupières, les sclérotiques seules se voyaient.
Confiant dans mon influence sur elle je lui dis : Marie-Louise, réveillez-vous complètement, j'ai à vous parler.
Lentement elle revint à elle, me regarda et prononça mon nom.
Je lui dis alors de m'écouter attentivement et je la prévins qu'elle allait se rendormir d'un sommeil tout à fait calme, pendant lequel on lui donnerait ce que j'aurais prescrit, mais sans qu'elle se réveillât. J'insistai sur ce fait qu'elle dormirait ainsi, dans un calme profond sans aucune crise nerveuse, jusqu'au lendemain matin et qu'elle se réveillerait alors se sentant tout à fait bien, et surtout la tête complètement dégagée.
Et par prudence, je prescrivis du chloral à donner par la bouche et en lavements si les crises reparaissaient.
Cette prescription fut inutile, car le sommeil resta calme comme je l'avais dit, et je retrouvai le lendemain matin, ma malade bien éveillée se sentant seulement très faible.
La convalescence fut régulière.
On peut évidemment dans le cas présent se demander si les crises avaient été réellement de l'éclampsie.
Les éléments de contrôle ordinaire nous ont ici fait défaut, mais les circonstances dans lesquelles apparurent les crises nerveuses signalées par la sage-femme et l'entourage de la malade, avec persistance de la perte de connaissance jusqu'à mon arrivée permettent tout au moins l'hypothèse sinon l'affirmation d'un état éclamptique.
Aussi me suis-je cru autorisé à vous présenter ce cas avec cette épi-thète, ne serait-ce que pour encourager nos confrères à joindre la méthode suggestive, même dans les cas d'éclampsie confirmée, aux autres traitements plus classiques du chloroforme, du chloral et de la saignée.
RECUEIL DE FAITS
Aphonie hystérique ; guérison par suggestion (1),
par M. Chespin, externe des hôpitaux de Lille.
Nous venons d'avoir l'occasion d'observer, dans le service de M. le professeur Combemale, une hystérique qui y est entrée pour un accident dépendant de sa névrose, accident assez fréquent d'ailleurs et bien connu. Notre intention n'est donc que d'en rapporter brièvement l'observation à titre documentaire, d'autant plus que la malade a guéri par un traitement suggestif et que par là même, le diagnostic est certain.
Observation. — Le 21 février 1901, entrait à l'hôpital de la Charité, dans le service de M. le professeur Combemale, la nommée Dh.....Octavie, dévideuse, âgée de 26 ans (salle Saintc-Clotijde, n° 7). La malade se plaint d'avoir la voix éteinte. Réglée à 12 ans, elle l'a été régulièrement jusqu'à" 18. A cet âge, grossesse normale ; depuis cette date, époques menstruelles irrégulières ; parfois très abondantes. Deux pertes, l'une à trois mois, l'autre à cinq mois. La malade est mariée depuis deux ans.
Rien comme antécédents héréditaires : père et mère bien portants : un frère et une sœur morts de variole en bas âge.
Lamalade a toujours été fort impressionnable, riant et pleurant pour les choses les plus futiles. Crises nerveuses qui ont débuté à 19 ans et qui surviennent à la suite d'émotions, de contrariétés, etc., très fréquemment. Un soir, huit jours avant son entrée à l'hôpital, à la suite d'une discussion d'ordre matrimonial, crise très violente avec perte de connaissance. Le lendemain matin, notre malade se réveille sans voix, complètement aphone.
A l'examen fait le jour de son entrée, on constate une impossibilité absolue de parler à voix haute. Elle n'a conservé que le chuchotement 11 n'existe aucune trace d'aphasie, tous les mots sont correctement prononcés.-Cette aphonie des plus nettes est très caractéristique et domine l'hystérie de cette malade : c'est d'ailleurs la première fois que pareil phénomène se produit chez elle.
Pas de zones hystérogènes : les réflexes cornéens et pharyngé conservés.
En revanche, champ visuel très rétréci, comme on peut s'en rendre compte d'après les chiffres suivants. Œil droit : en haut: 10.
» en bas : 15.
» en dedans : 20.
» en dehors : 10.
(1) Echo médical du Nord.
Œil gauche : en haut : 15. a en bas : 20.
n en dedans : 15.
» en dehors : 20.
De plus, à l'auscultation du cœur, on perçoit un souffle au premier temps, à la pointe, sans retentissement à l'aisselle : on l'entend aussi, mieux même, au niveau des vaisseaux du cou. La malade accuse de la dypsnéc au moindre effort, dans la vie ordinaire.
En présence des symptômes cités plus haut et surtout du début de l'aphonie, l'idée d'hystérie s'impose naturellement et on a recours à la suggestion au moyen de badigeonnages à l'élher picriqué. L'effet thérapeutique ne tarde pas à se produire: la voix revient progressivement à tel point que le 1er mars la malade sort tout à fait guérie ».
Les troubles du langage qu'on peut observer chez les hystériques affectent différentes formes. On constate soit le mutisme, soit le bégaiement, soit l'aphonie motrice (ce qui est plus rare), soit enfin l'aphonie, comme dans le présent cas.
L'aphonie hystérique est caractérisée par la perte de la parole à voix haute : c'est là sa définition. Lcdébutcncst toujours brusque, à la suite dune émotion vive, d'une attaque, d'une laryngite, d'une angine, d'un traumatisme local, etc. ou de toute autre cause. Boulsy cite le cas d'une jeune fille, à nombreux stigmates hystériques concomitants, qui devenait aphone à chaque époque menstruelle (1).
La toux et ses caractères habituels : le chant à haute voix est conservé, ainsi que le rôve parlé (3). L'aphonie n'est donc que partielle ; les contractions volontaires des muscles vocaux sont seules troublées: ces troubles sont liés à l'existence de paralysies, d'ordinaire bilatérales, susceptibles de varier d'intensité et de localisation d'un jour à l'autre, frappant tantôt les constricteurs, tantôt le transverse, tantôt le thyroary-lénidien (Lermoyez et Boulay).
L'aphonie hystérique s'accompagne souvent d'anesthésie de la muqueuse du larynx. L'excitabilité électrique des muscles est conservée. L'aphonie peut être observée à l'exclusion de tout autre accident hystérique. La respiration est normale.
La durée peut en être fort longue; parfois des années (Dejerine). Jonquières a publié dans le « Correspondent Blatt » 1882, un cas d'aphonie hystérique singulier. Une fillette de 17 ans devenue subitement aphone à la suite d'une angine — durée : 13 mois — guérison subite — 3 mois après : rechute. La compression des hypochondres avec le poing ramenait immédiatement la voix.
L'aphonie hystérique peut guérir subitement comme elle est venue ou disparaître progressivement, il en est qui récidivent d'une façon
(1) Boulay. — Diagnostic et traitement de l'aphonie hystérique. — Galette hebdomadaire, 1er mai 1806. (!) Gerhard. — Deutsche médic, Wochenschrift.
décourageante. On en a vu enfin des rebelles à tout traitement; pour celles-là on a émis l'hypothèse de la contracture des muscles antagonistes des adducteurs. L'aphonie peut précéder le mutisme hystérique (1).
Le traitement n'agit évidemment qu'à titre suggestif. On a préconisé l'introduction d'une sonde dans le larynx, ayant en vue l'effet psychique bien entendu; puis, après l'avoir retirée, on fait épeler le malade à haute voix, on le fait compter lentement, et enfin articuler les mots, progressivement, en commencement par les plus faciles et les plus usuels. Hiceda emploie cette méthode pendant le sommeil hypnotique (Afonia. isteria). On a vanté l'électrisation extérieure ou intérieure du larynx, le massage du larynx (Seifert), l'examen rhino-pharyngien ('-). Mais encore une fois, ces modes de traitement n'agissent que par suggestion: ce qui explique leur nombre et leur diversité.
Chez notre malade, un badigeonnage simple de la région a suffi pour amener la guérison complète.
COURS ET CONFÉRENCES
Un cas intéressant de fugue mixte (3)
Par M. le professeur Raymond
Au point de vue clinique, on distingue trois sortes de fugues, celles des épileptiques, celles des hystériques et celles des psychasthé-niques-
La première débute d'ordinaire par une aura. L'épileptique présente quelques petits phénomènes çonvulsifs, puis il marche d'une manière tout à fait inconsciente ; tous les actes qu'il accomplit sont, eux aussi, inconscients ; après la fugue il éprouve un irrésistible besoin de dormir.
La fugue hystérique est celle qui dure le plus longtemps, parfois des jours, des semaines et môme des mois. L'hystérique se comporte alors comme s'il était dans son état normal ; personne ne se doute qu'il fait une fugue ; ses actes sont adaptés à ses besoins ; en outre, le souvenir de tout ce qui s'est passé pendant la fugue peut être retrouvé dans le sommeil hypnotique, ce qui n'a pas lieu pour l'épilepsie.
La fugue du psychasthénique, autrement dit, du dégénéré, n'est pas inconsciente. En proie à une idée obsédante, le psychasthénique est obligé d'y obéir. Pitres a rapporté l'histoire d'un grand négociant de
(1) Ernodl. — Le mutisme hystérique, thèse de Paris, 1897. — Thaon, Congrès laryng. de Milan, sept- ISSU. — Scheitegrell, Médical News, 16 septembre 1893.
(2) Michelsen. — Soc. néerlandaise laryng., Amsterdam 1894.
(3) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux à la Salpetrière.
Bordeaux qui, de temps à autre, est obligé de marcher pendant trois ou quatre jours de suite, jusqu'à ce qu'il tombe exténué ; pour accomplir ses fugues, il a fait construire une piste autour de son hôtel. Je connais, pour ma part, un courtier de commerce qui, le jour, se conduit comme tout le monde. Le soir, il se couche vers 9 h. 1/2 ou 10 heures. A minuit, minuit et quart, il se lève, regarde par la fenêtre, attend que le dernier tramway soit passé et que le marchand de vins d'en face ait éteint ses lumières. Alors, persuadé que personne ne le verra sortir, il s'en va marcher autour des Halles. Pendant toute la durée de sa fugue, il est parfaitement conscient de ses actes ; mais ces marches n'ont pas tardé à fercer son cœur et il est maintenant albuminurique.
Or, parfois la nature rentre difficilement dans les cadres que nous traçons ; il est des fugues qui ne correspondent point uniquement et complètement à l'une de nos trois grandes variétés cliniques ; témoin le cas de cet homme.
Il a 37 ans. Jadis marchand de vins, il est maintenant valet de chambre. Depuis quelques mois, il a un sommeil agité, entrecoupé de fréquents cauchemars. Il revoit sa mère et son frère dont la mort l'a beaucoup frappé et il se réveille en sursaut. Alors, il se sent obligé de se lever, marche dans sa chambre une heure ou deux et se recouche. Dans ces derniers temps, il est même sorti de chez lui. Après avoir marché quelque temps dehors, il rentre se coucher: mais, parfois, il ne peut s'empêcher de sortir à nouveau trois ou qualre fois dans la même nuit. Notez qu'il n'y a pas d'amnésie consécutive. Cet homme sait et raconte très bien tout ce qui lui arrive. Il s'agit d'une fugue consciente, par conséquent psychasthénîque.
Cependant, cette fugue est à début brusque ; elle commence par de petites contractions musculaires ; notre homme sent des coups dans la nuque, voit des ombres devant les yeux ; sa face est grimaçante et il subit une certaine obnubilatioo ; dès qu'il rentre chez lui, il dort d'un sommeil de brute. Par tous ces côtés, cette fugue, on le voit, se rattache à l'épilepsie.
Ce n'est pas tout. Cet homme est hypnotisable, au moins dans une certaine mesure, et, pendant son sommeil hypnotique, il retrouve la mémoire de certains faits dont il n'a pas conscience à l'état normal. Il se rappelle, par exemple, qu'un jour il est allé à la Cascade du Bois de Boulogne, qu'il a joué à !a manille avec des cochers, qu'il a reçu une blessure à la main, qu'il a failli être écrasé par une voiture, etc. Par conséquent, au cours de ces fugues, certains actes sont conscients ; d'autres paraissent oubliés, mais peuvent être remémorés grâce au sommeil hypnotique. Par ce côté la fugue serait donc hystérique.
En fait, elle est complexe et participe de chacune de nos trois variétés Ce malade a été frappé par l'hérédité : sa mère était une hystérique à grandes crises et son frère est mort dans un asile. Lui-même, tout jeune, était très impressionnable eta même présenté du somnambulisme nocturne; aujourd'hui, il a de l'hypoesthésie dans le côté gauche du
corps, voilà pour l'hystérie. 11 a été marchand de vins et, l'alcool aidant, sa prédisposition héréditaire s'est accentuée ; notons en outre que, coup sur coup, il a perdu sa mère et son frère ; cette double émotion n'a fait qu'accroitre sa psychasthénie. Est-il en même temps épileptique? C'est très possible : Charcot et Magnan ont bien montré que plusieurs psychoses ou névroses peuvent coexister chez le même individu. En devenant alcoolique, il a pu exciter ses centres moteurs et faire appel au malcomitial. D'ailleurs il a eu conscience que son métier de marchand de vins était pernicieux ; il s'est fait valet de chambre et est devenu sobre. Il est donc dans une bonne voie et la suggestion achèvera de le guérir.
Maladie des tics avec eoprolalie (1)
Par m. le professeur Raymond
Voici une jeune fille de 13 ans et demi. Vous l'entendez prononcer-des mots orduriers, mais malgré elle, d'une manière involontaire et inconsciente. Elle présente, en outre, à gauche, dans le bras, la jambe et la face, des mouvements qui ont débuté par le bras, il y a quatre ans.
Née à terme, elle a été nourrie au sein et élevée dans de bonnes conditions. Elle a eu la rougeole, la scarlatine, du rhumatisme, et, à la suite de ce dernier, une arthrite infectieuse du genou gauche.
Son affection actuelle a été diagnostiquée danse de Saint-Guy, mais on a fait en cela preuve de grande ignorance. Dans la chorée, en effet, les mouvements sont incohérents, absurdes, illogiques, tandis qu'ici ils sont rythmés ; en outre, ils semblent reproduire un acte et se rapporter à un but. C'est une maladie des tics, laquelle est non pas une maladio à part, mais une partie détachée de l'histoire des myoclonies.
Priedreich avait décrit sous le nom de Paramyoclonus des contractions rapides, brusques, instantanées de groupes musculaires déterminés, mais respectant toujours la face. Avec trois ou quatre observations seulement, il avait voulu constituer un type. Or, le type est beaucoup plus complexe qu'il ne l'a dit. Le paramyoclonus n'occupe pas seulement le tronc et les membres, il peut être généralisé. La chorée électrique des adolescents, celle d'Hénoch-Bergeron est aussi un cas particulier de la myoclonie. Il en est de même de la chorée fibrillaire de Morvan.
Cette maladie des tics comporte, outre les contractions musculaires, un terrain de dégénérescence tel que le tiqueur n'est plus maître ni de sa parole, ni de sa pensée. 11 faut donc modifier le terrain par un traitement général comportant l'hydrothérapie, des médicaments toniques, l'huile de foie de morue, etc., puis, par une sorte de suggestion faire
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux a la Salpétriere.
l'éducation des mouvements, surtout en apprenant au malade à faire les mouvements inverses de ceux qui lui sont habituels.
Si la maladie des tics est abandonnée à elle-même, elle ne lait que croître. Je connais des femmes qu'on n'a pas soignées et qui, mariées, mères de famille, ne peuvent s'empêcher, dans les dîners, dans les soirées, de donner libre cours à leur besoin de dire à jet continu des mots orduriers.
Ici, comme dans tout traitement analogue, tant vaudra le médecin, tant vaudront les résultats.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpetrière.
Les prochaines séances de la Société auront lieu le mardi 15 octobre elle mardi 19 novembre 1901.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Un guérisseur de paralysie au XVIIIe siècle.
Dans les Nouvelles, petite gazette qui se publiait à Amsterdam, à la date du 21 avril 1724, nous trouvons relatée l'histoire d'un inconnu à Paris qui guérit des paralytiques.
« On voit ici (à Paris) le détail des trolscures extraordinaires de paralysie faites par un particulier demeurant rue Tiquetonne, dans la maison de M. de la Heaume, maitre des comptes.
« Au mois de mars 1723, il guérit la fille du S. Dupuis, marchand de vins dans la rue St-Xicaise, affligée depuis 3 ans et 7 mois d'une si cruelle paralysie qu'on était obligé de la porter, parce qu'elle ne pouvait, en aucune façon, se tenir sur les piez ayant la jambe et les genoux sans mouvement et soudez avec les cuisses, les nerfs de derrière les jambes, nommés les fléchisseurs, raccoursis de trois doigts, ce qui avait retiré et courbé les muscles et la plante des piez avec des roideurs si extraordinaires qu'il n'était pas possible de les faire mouvoir ; elle était enfin déclarée incurable par plusieurs médecins de la Faculté de Paris qui l'avaient vue, et néanmoins ce même particulier l'a fait marcher et elle marche présentement comme si elle n'avait jamais été paralytique.
« Le marquis de Briqueville, mestre de camp d'infanterie,fils aîné du marquis de Luzerne, demeurant rue de l'Université, paralytique depuis 4 ans des deux jambes, avait les nerfs fléchisseurs retirez sous les genoux d'environ 3 doigts, les muscles de la plante et les doigts des piez courbés en dessous, roides et sans mouvement, beaucoup d'humeurs pétrifiées et durcies aux deux piez, en sorte qu'il ne les pouvait mettre à terre ni marcher; ayant fait quantité de remèdes, pris les eaux de Bourbon et Barège, l'espace de 3 ans consécutifs, sans soulagement, M. Maréchal, premier chirurgien du roi, informé de la cure, ce dernier lui a conseillé de se mettre entre les mains du môme particulier, lequel l'a si bien fait marcher qu'il a été l'automne dernier à la chasse et pendant plusieurs mois.
« Au mois de juillet 1723, le sieur Chevanee, avocat, demeurant rue de la Monnaye, paralytique depuis 8 ans des deux jambes, sans pouvoir marcher, même avec des béquilles, marche à présent seul avec deux cannes.
« Ces trois faits m'ont été affirmés par une attestation de deux notaires de Paris. »
[Interméd. des Cherch. et des Curieux, 30 août).
Le géant Hugo
Hugo, le géant de l'Exposition de 1900, est né à Saint-Martin (Alpes-Maritimes). Ce colosse est âgé de 22 ans, mesure la taille de 2 m. 29.11 pèse 201 kilos. Dans sa bague passe librement une pièce de 10 centimes. Il couvre facilement une pièce de cinq francs avec son pouce. Avec sa main, il atteint une hauteur de 3 mètres. Les bras étendus, il développe la largeur de 2 m. 47. Ses souliers ont la pointure 59; son tour de taille et de poitrine est de 1 m. 96. Il se couche dans un lit de 3 mètres de long et 1 m. 50 de large.
Le géant Hugo a toujours été dans des proportions extraordinaires; il pesait, en venant au monde, 15 livres : à l'âge de 6 ans, il mesurait déjà 1 m. 25 ; à 10 ans, i m. 70 ; à 15 ans, 2 m. ; à 20 ans, 2 m. 25, et aujourd'hui, mesurant 2 m. 29, il s'est encore aperçu qu'il avait grandi de 2 centimètres l'année dernière.
Il est bien le colossal Gargantua du Vieux Paris, à l'Exposition de 1900. C'est, du reste, pour cela qu'il a été jugé seul capable de remplir ce rôle. Hugo détient le record des géants et jette un défi à tous les champions du monde entier. Les parents de Hugo sont de petite taille; le père mesure 1 m. 64 et la mère 1 m. 68; son frère cadet fut exempté du service militaire faute de taille.
L'Adrninistra.teur-Gèra.nt : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie A. QUELQUE JEU, rue Gerbert, 10.
REVUE D^lffiPNOTISME
expérimental èt^hérapeutiqtje
16'Année — K» 5. Novembre 1901.
Physio-psychologie des religieuses
Par le Dr Charles Binet-Sanglé
Les religieuses de Port-Royal
(Troisième série de cinq observations)
Observation I. - Heniuette-Maiue d'ANGENNES DU FARGIS
hérédité. — Henriette-Marie d'Angennes du Fargis était fille de Charles d'Angennes du Fargis et de Magdelène de Silli. Le Dictionnaire de Morêri (1759) contient quelques renseignements d'ordre biologique sur les familles d'Angennes et de Silli, dont plusieurs membres subirent avec succès les suggestions religieuses. Les noms de ces derniers sont écrits ci-dessous en italique.
I. — Famille paternelle. — La famille d'Angennes, originaire du Perche, tira son nom de noblesse d'une terre située dans cette province. Elle a laissé des traces dans l'histoire à partir du xiv° siècle. Le premier ancêtre connu s'appelait Robert.
Jacques Ier dit d'Angennes, qui mourut en 1562, eut I2enfants, parmi lesquels 5 sont à signaler : Charles Ier, Nicolas, Claude, Louis et Philippe.
Charles I" d'Angennes naquit le 30 octobre 1530, et mourut le 23 mars 1587, à 56 ans, 4 mois et 24 jours.
Il fut sacré évêquedu Mans le 12 octobre 1559 (29 ans), assista à la conclusion du concile de Trente en 1563 (33 ans), fut nommé ambassadeur auprès du pape Michèle Ghislieri (Pie V), qui le fit cardinal en 1570 (40 ans), prit part en 1572 (42 ans) au conclave qui élut le pape Ugo Buoncompagni (Grégoire XIII), auprès duquel il reste comme ambassadeur; assista et souscrivit en 1583 (53 ans) à un concile de la province de Tours, et enfin fit partie en 1585 (55 ans) du conclave qui élut le pape Felice Pereti (Sixte V).
Nicolas d'Angennes eut parmi ses petits-enfants les trois religieuses dont les noms suivent :
1° Clarice-Diane d'Angennes, morte le 9 mars 1670, abbesse d'Hières.
2° Isabelle-Louise d'Angennes, morte en 1707, dans un âge avancé. Abbesse de Saint-Etienne, elle avait été bénite le 9 septembre 1657.
3° Charlotte-Catherine d'Angennes, née en 1623, morte le 21 mai 1691, dans sa 69° année. Elle avait fait profession en 1638 (16 ans), et était devenue abbesse d'Hiéres après la mort de sa sœur Clarice-Diane. \
Claude d'Angennes naquit le 26 août 1538, et mourut le lo mai 1601, à 62 ans, 8 mois et 20 jours.
Envoyé à Rome auprès du pape Michèle Ghislieri, il fut nommé, peu après 4577 (39 ans), évoque de Noyon, assista en 1583^ (45 ans) à un concile tenu à Reims, et, en 1585 (47 ans), à l'assemblée générale du clergé de France tenue à Paris. Il défendit, dans cette dernière assemblée, les libertés de l'Eglise gallicane, et publia, la même année, une Remontrance du clergé de France. Après la mort de son frère Charles, il fut transféré à l'évêché du Mans, où il fît son entrée le 3 avril 1588 (50 ans). Il alla ensuite annoncer au pape Felice Peretti, de la part du roi Henri III, qui les avait fait assassiner les 23 et 24 décembre 1588, la mort de Henri I" de Lorraine, duc de Guise, et do Louis II de Lorraine, cardinal de Guise. En 1589 (51 ans), il publia deux ouvrages intitulés, l'un : Lettre de l'évêque du Mans avec la réponse faite par un docteur en théologie, en laquelle il est répondu à ces deux doutes : Si on peut suivre en sûreté de conscience le parti du roi de Navarre et si l'acte de frère Jacques Clément doit être approuvé en conscience, et s'il est louable ou non; l'autre. Avis de Rome tirés des lettres de l'évêque du Mans à Henri de Valois. Enfin, en 1593 (55 ans), il alla à Rome rendre, au nom du roi Henri IV, obédience au Saint-Siège. — Il établit aUyMans un séminaire de prêtres de la congrégation de l'Oratoire.
Louis d'Angennes eut parmi ses six enfants :
Jacques III d'Angennes, né en 1577, mort le 14 mai 1647, à 70 ans. Il fut sacré évêque de Bayeux en 1607 (30 ans), assista à l'assemblée du clergé de France tenue à Paris en 1625 (48 ans), et bénit, le 18 mars de la même année, l'église des Carmélites de Caen. Il mourut dans son prieuré de Monstiers.
Philippe d'Angennes, seigneur du Fargis, grand-père
paternel du sujet qui fait l'objet de cette observation, épousa Jeanne de Halhvin.
La famille de Halhvin, originaire de Flandre, tira son nom de noblesse d'une ville située dans ce pays. Elle a laissé des traces dans l'histoire à partir du xii° siècle. Le premier ancêtre connu s'appelait Vautier.
Josse dit de Halhvin, qui vivait au xv° siècle, eut parmi ses huit enfants :
Pierre de Halhvin, évoque d'Alet. Marie de Halhvin, religieuse. Isabeau de Halhvin, religieuse. Louis de Halhvin.
Celui-ci eut six enfants parmi lesquels : François de Halhvin, évoque d'Amiens, mort en 1537. Philippe de Halhvin, qui mourut avant son père et qui eut
pour fils unique : Antoine de Halhvin. Des sept enfants de ce dernier, trois sont à signaler: Jean de Hallwin, abbé de Gard et de Saint-Pierre de Châlon.
Charlotte de Halhvin, abbesse de Bartaucourt, près Amiens. Charles de Halhvin, dont l'un des neuf enfants fut Jeanne de Halhvin, qui épousa Philippe d'Angennes du Fargis : De ce mariage naquit Charles d'Angennes du Fargis. Ce dernier, conseiller d'Etat, maréchal des camps et armées du roi, puis ambassadeur en Espagne, fit le traité de Monçon avec cette nation, et fut désavoué pour n'avoir pas voulu suivre, en cette occasion, les instructions du capucin François Leclerc du Tremblay (le père Joseph), confident du cardinal de Richelieu. Il fut le père d'Henriette-Marie d'Angennes du Fargis.
II. Famille maternelle.
La famille de Silli, originaire de Normandie, tira son nom de noblesse d'une terre située dans cette province. Elle a laissé des traces dans l'histoire à partir du xiir* siècle.
Le premier ancêtre connu, Gautier dit de Silli, qui vivait en 1289, eût trois enfants, parmi lesquels : Jacques de Silli, prieur de Sausseuse
et Éertin de Silli, qui eût trois enfants. L'un mourut jeune, un autre sans alliance et avant son père. Le troisième était Charles de Silli.
Des quatre enfants de ce dernier, l'un mourut sans postérité. Le deuxième était Louis de Siili.
Il eut trois enfants, dont le troisième, Antoinette Siili,épousa Marie de Lannoi, dont je n'ai pu retrouver le nom dans l'article du Dictionnaire de Moréri consacré à la famille de Lannoi.
De ce mariage naquirent deux filles :
1° Françoise-Marguerite de Siili, une dévote, mère de Jean-François-Paul Philipp! (dit de Gondi), cardinal de Iietz ;
2° Magdelène de Siili, dame d'atours d'Anne d'Autriche, qui épousa Charles I" d'Angennes du Fargis.
De ce mariage naquirent successivement :
1° Charles II d'Angennes du Fargis, né le 9 novembre 1613, tué le 2 août 1640 ;
2° Marie d'Angennes du Fargis, morte jeune;
3° Henriette-Marie d'Angennes du Fargis, qui fait l'objet de cette observation.
Cette dernière était donc la cousine germaine du cardinal de Retz. Elle comptait encore parmi ses parents éloignés une dévote, amie de Port-Royal, Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville.
état géxéral. — Henriette-Marie d'Angennes du Fargis naquit en décembre 1618. Elle avait une propension à l'extase. En effet, lorsqu'elle priait, elle entrait « dans un tel recueillement qu'elle paraissait comme immobile » (') Elle eut deux de ces rêves intensifs qui sont si fréquents chez les prophètes, les saints et les hystériques. Au cours du premier, qui eut lieu lors de la signature du formulaire imposée à Port-Royal (1661-43 ans), c'est-à-dire en pleine exaltation religieuse, elle vit Corneille Jansen, évêque d'Ypres, le fondateur du Jansénisme, qui lui dit : « Vous êtes obligée de demeurer ferme jusqu'à la mort, sans que jamais le mauvais exemple vous ébranle en rien. » Le second rêve survint dans la nuit du 4 au 5 septembre d'on ne sait quelle année.
Henriette-Marie fut d'ailleurs « tellement ébranlée par la violence de la peine » (2) que lui causa l'affaire du formulaire, qu'elle tomba malade et faillit mourir.
(1) Vies intéressantes et édifiantes des religieuses de Port-Royal et de plusieurs personnes qui leur étaient attachées. Aux dépens de la compagine, mdccli. T. II, p. 118 et s. (2)Jbid.L
« Ses maladies continuelles la portèrent â se démettre de sa dignité d'abbesse » (').
Enfin elle « fut éprouvée les quatre dernières années de sa vie par une fâcheuse maladie » Cette maladie commença le 23 mai 1687(68 ans).
En 1690 (72 ans), elle souffrit de « grandes infirmités » (3), et, tout l'hiver, elle tomba d'un mal dans l'autre. Le 3juin, elle écrivait: « J'ai commencé depuis un mois à perdre la vue corporelle » (*). Elle'devinten effet aveugle
Le.23 mai 1091, « il lui vint un érésypèle qui rentra bientôt à cause de sa lièvre » (•'¦), et, le 3 juin, sur les sept heures du matin, elle entra en agonie. Elle expira dans l'après-midi, à l'âge de 72 ans et 7 mois, * ayant souffert ces derniers jours tout ce que Ton pouvait souffrir et dans toutes les parties de son corps » (*').
émotivité. — Comme on a pu en juger par la maladie qu'elle fit lors de l'affaire du formulaire, son émotivité était de beaucoup supérieure à la normale.
soggestibilité. — ii en était de même de sa suggestibilité.
Elle avait été élevée, jusqu'à l'âge de 7 ans, par une dévote, Françoise-Marguerite de Silli, sa tante maternelle.
« Cette première éducation contribua beaucoup à lui inspirer l'esprit de piété» (7).
A 7 ans (avril 1626), on la mit au couvent de Port-Royal, où « la Mère Angélique (Jacqueline Arnauld) prit un soin tout particulier de la former à la vertu et de lui inspirer le mépris du monde et d'elle-même » (s). Ces exhortations firent une profonde impression sur la petite pensionnaire. On lit dans une de ses lettres: « Je me souviens... d'une parole de la Mère Angélique, qu'elle m'a dite plusieurs fois : « Ma fille, tout ce qui n'est pas éternel ne me fait point peur » (9).
Le résultat de ces suggestions ne se fit pas attendre : « Lorsqu'elle fut en âge de faire choix d'un état de vie, elle forma la résolution d'être Religieuse » (l0).
(1) Vies intéressantes, etc., t. il, p. 109 et s.
(?) Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité des xvu* et xvur siècles, mdcclx. {3} à (7) Vies intéressantes, etc., t. ii, p. 118 et s.
(8) Ibid. ii, 107. — (9) Ibid.
(9) Vies intéressantes, etc., ii, 118.
(10) Ibid. ii, 107.
Elle prit l'habit le 24 février 1635 (16 ans).
Le 2 août 1640 (21 ans), son frère Charles fut tué. Sa sœur Marie était déjà morte, et son père, n'ayant plus qu'elle d'enfant, voulut la reprendre. Mais la pauvre fille, « ayant consulté M du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (directeur spirituel des religieuses), ses avis l'affermirent de telle sorte dans sa vocation, que M. son Père ne put rien gagner sur elle, quoiqu'il redoublât ses prières et ses caresses » (l). Il alla jusqu'à se mettre « à genoux devant elle, la conjurant avec larmes de se rendre à la volonté d'un Père qui se voyait sans enfant, et de prendre parti dans le monde afin de ne pas laisser périr sa maison. Mais tout cela ne fit aucune impression sur le cœur de la jeune novice » (2). Elle fit profession- le i 1 novembre 1640, à 21 ans et M mois.
Au reste, « jamais on ne vit une obéissance plus ponctuelle que la sienne l'a été dans tous les moments de sa vie. Sa soumission et sa docilité envers ses supérieures et les personnes qui la conduisirent, ont été en elle des dons singuliers. C'est ce qui paraissait surtout par la manière humble avec laquelle elle recevait les corrections et les pénitences » (3). « On ne vit personne plus.soumise et plus humble qu'elle, et qui choisit plus volontiers les travaux les plus bas » (4).
Elle était d'une « ferveur extraordinaire » (5). « Toujours assidue au chœur, tant de nuit que dejour, outre Foffice canonial, elle donnait beaucoup de tems à la prière, qu'elle faisait toujours à genoux » (6). « Elle était presque toujours dans un profond silence, seulement occupée à la prière » (~). On lit encore dans son épitaphe qu'«elle avait un grand amour du silence », parce qu'elle était « appliquée à la mortification » (8).
Elle était très charitable, mais surtout de cette charité chrétienne dont le prosélytisme est le principal élément. Elle fut deux fois abbesse de Port-Royal.
(A suivre).
(1) Ibid. II, 108.
(2) Ibtd.
(3) Ibid. n, 109.
(4) Nëcrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité.
(5) Fies int., ii, 109. (6)/¿14. ii, 118 et s.
(7) Nécrologe de l'abbaie de Notre-Dame de Port roiat des Champs,ordre de Citeaux, institut du Saint-Sacrement. A Amsterdam, chez Xicolas Potgieter, libraire vis-à-vis de la Bourse, 1723.
(8) ViesinU,ll, 118-
Les petits vagabonds de Cagliari
Par M. le D' Mario Caruaha Professeur de médecine légale à l'Université de Cagliari.
La criminalité enfantine de Cagliari offre un intéressant champ de recherches. En l'absence d'industries capables d'employer ces faibles forces sociales, un grand nombre de jeunes garçons de 10 à 14 ans restent inoccupés et oisifs," envahissent et infestent les rues de la ville, dont ils constituent ainsi un pitoyable élément. L'oisiveté, la misère, l'abandon de la famille, l'exemple des camarades constituent autant d'excitations au crime. Bien que ces réunions de jeunes garçons ne constituent pas de véritables associations de malfaiteurs telles que les conçoivent les polices de tous les pays, il est avéré que I'-habitude quotidienne, la communauté d'intérêts et de plaisirs, l'âge et l'égalité des conditions forment entre eux ou au moins entre certains groupes des liens plus étroits que les liens d'une simple amitié, souvent renforcés par d'abominables rapports sexuels.
Nous avons étudié, le Dr Murgia et moi, une cinquantaine de ces garçons en recueillant les données, non seulement anthropologiques, anatomiques, fonctionnelles et psychiques, mais encore les faits anamnésiques.
Les mensurations purement anatomiques concernent le crâne, le visage, les membres inférieurs, la taille, et elles s'étendent à tout le corps, pour ce qui concerne des anomalies pathologiques ou dégériératives ; naturellement elles ne se prêtent pas à être examinées et exposées synthétiquement. Nous avons pourtant'cru devoir donner à ces mensurations, faites sur les mineurs criminels, une plus grande signification en recueillant d'autres mensurations aussi, faites sur des garçons fréquentant les écoles communales, qu'on présume être normaux.
Plus démonstratives encore que les simples mensurations sont les anomalies retrouvées chez ces enfants et qui résultent mieux que d'une description analytique de l'examen des photographies.
Notre examen a donné pour résultat que parmi eux le véritable type criminel est très rare. Non que dans chacune de ces physionomies ne puissent se trouver des anomalies dégéné-ratives, mais elles ne se trouvent pas cumulées chez le même individu, de façon à constituer selon M. Lombroso, le type criminel. Seulement nous n'avons pu les reconnaître dans la pro-
(1) Communication au Congrès d'anthropologie criminelle, 1901.
portion de 10 %, c'est-à-dire dans un rapport très inférieur à celui qui constitue le type criminel, mais encore, très inférieur au nombre qui, selon les calculs de MM. LombrosoetFerri, se trouve chez la masse de tous les criminels (40 %)¦
Le jeune âge de nos sujets ne peut pas diminuer la valeur de cette conclusion pour ainsi dire statistique. Le type criminel justement par le fait qu'il révèle une anomalie profonde et congénitale de toute l'organisation individuelle, apparaît déjà dans les premières années, c'est-à-dire dans un âge inférieur à celui qu'avaient mes sujets.
Cette conclusion signifie donc que sous le rapport anatomi-que, on ne rencontre pas chez ces mineurs de véritables grands criminels ; l'examen psychologique, particulièrement l'examen anamnésique, a confirmé chez tous mes jeunes sujets l'examen somatique.
Ils ne descendent pas, au moins pour la plupart, de familles profondément criminelles, à peine le 5 % d'eux ont des parents dans les prisons ou dans les asiles. Et encore il faut remarquer que nous avons inclus dans ce 5 % les emprisonnements pour rixe, pour contraventions, ou pour rébellion contre les agents: faits qui ne révèlent évidemment pas une criminalité bien grave.
Il est vrai que certains ont été en prison même plusieurs fois, jusqu'à 15 ou 20 fois. Mais, comme je le disais, ils ne représentent pas pour cela, selon nous, une forme de criminalité très grave ; non seulement pas à cause de la nature des crimes commis, mais aussi à cause de la présence de beaucoup de facteurs économiques, familiaux, sociaux que notre enquête a mis en lumière et qui diminuent évidemment le rôle que le facteur anthropologique individuel joue dans Pétiologie de cette sorte de criminalité.
Le milieu familial, en effet, bien qu'il ne soit pas un milieu vraiment criminel, est pourtant dans la plupart des cas, un milieu abominable. La misère tarit vraiment la source des affections familiales les plus instinctives, et chaque enfant ne représente vraiment autre chose dans une famille qu'une bouche à nourrir. Etant enfants, ils furent envoyés pendant une ou deux années à l'école où ils n'apprirent rien, et après, étant trop grands pour aller à l'école, ils furent placés auprès d'un patron pour apprendre un métier. Ici, intervient alors le facteur individuel, qui naturellement n'est pas normal ; car au lieu de poursuivre le travail entrepris et de s'en faire une profession
plus ou moins productive, il se révèle chez eux un phénomène qui se produit régulièrement dans le sens criminel : ils ne trouvent jamais, comme on dît, « l'arbre bon pour se pendre » soit qu'ils trouvent le salaire trop bas, soit que les patrons leur donnent des coups, ou soit qu'ils ne réussisent pas dans leur travail. Pour le moindre prétexte, ils passent indifféremment d'une profession â une autre, puis, la délaissant tout de suite après l'avoir embrassée ; ce qui montre que la faute n'est pas imputable à la nature du travail, mais à la nature de ses enfants et à leur insurmontable paresse.
Il faut pourtant reconnaître, et nous avons pu le constater, que nul encouragement affectueux ne les soutient, ni les guide ¦ dans ces premiers pas de la vie professionnelle. Aux premières difficultés, aux premières révoltes contre la dure discipline du travail, la famille les met dans Pater-native de donner tout l'argent qu'ils peuvent gagner, ou d'être renvoyés de la maison. La plupart adoptent volontiers la seconde alternative, et quittent la maison, dressant leur tente dans la rue, où, grâce au climat de Cagliari, ils passent toute leur vie, le jour et la nuit. Alors commence véritablement pour eux la vie vagabonde sous l'apparence d'une profession très rudimentaire et très répandue à Cagliari de « Pkciocchî des crobi » « garçons à corbeille ». Grands et petits, déguenillés d'une façon incroyable, munis de leur corbeille traditionnelle, ils offrent leurs services de commissionnaire au bourgeois cagliaritain. Quelquefois ils cumulent cet emploi avec un autre qui n'est pas beaucoup plus lucratif, celui de vendre des allumettes, et tâchent de gagner de cette façon les sous nécessaires pour acheter un peu de soupe, ou de figues pour se nourrir. Dans cette vie d'oisiveté et de compagnonnage, le crime, sous forme de vol, devient l'habitude quotidienne; « nous volons »,nous confessait ingénument Pun d'eux, « car nous n'avons rien â faire. » Ce sont en effet des larcins de comestibles, d'objets presque sans valeur, qu'ils trouvent sous leurs mains, charbons, bois, œufs, peignes, paniers. La misère de ces larcins correspond vraiment à la misère du pays qu'ils habitent, et à l'étroitesse de leur champ intellectuel. Le produit du vol ou l'argent qu'ils retirent de cette vente, est d'ordinaire joyeusement mangé en compagnie ; quelques-uns pourtant portent l'argent ainsi gagné à la maison, se vantant de l'avoir gagné en travaillant..
Mais bien qu'aggravée par une énorme récidive leur criminalité ne va pas plus loin. Bien rarement les crimes de sang
mettent leurs tâches rouges dans leur vie. Leurs altercations finissent ordinairement à coups de poing, rarement à coups de pierre. Ils n'ont jamais dans leur poche — étrange exception chez le peuple italien — ni couteau, ni autre arme offensive.
Une autre forme de criminalité, si on peut la considérer comme telle, qui s'adjoint à celle-ci, est la criminalité sexuelle. Bien que cette partie de nos recherches ait été difficile et délicate et peu sûre,- nous avons pourtant pu vérifier, et par les déclarations de quelques-uns d'eux et par la présence des maladies vénériennes, la précocité des rapports, soit hétérosexuels, soit homosexuels favorisés par la promiscuité dan3 laquelle ces garçons passent la nuit dans le fond des barques, dans les cavernes, sous les portiques. Un d'eux, âgé de 14 ans, accompagnait sa sœur à peu près du même âge, sur les navires et partageait avec elle les gains infâmes. Presque tous sont religieux et accomplissent les pratiques religieuses. Tous sont illettrés, même ceux qui vendent les journaux, les reconnaissant au format, et cela malgré la loi sur l'instruction obligatoire, qui existe* depuis 25 ans en Italie.
Ils comprennent instinctivement eux-mêmes le rôle que joue l'influence des amis et des camarades à les pousser aux délits — ce que le véritable criminel n'admet jamais. Au contraire ils rejettent volontiers sur les amis la cause de leur criminalité non seulement pour s'excuser, mais vraiment par la conscience. qu'ils ont de mal faire; et plus d'un exprimait le désir (d'autant plus remarquable que l'émigration ne correspond aucunement aux tendances des Sardes) de s'embarquer sur un navire et d'aller travailler en Tunisie ou en Sicile. Et même volontairement un d'eux se fit envoyer dans une maison de correction de Naples, pour rompre définitivement avec les anciennes relations, le plus grand stimulant au crime.
En prison presque tous déclarent qu'ils se trouvent mal, pas tant par l'alimentation que par l'isolement.
Ils ne sont donc pas pour ce qui ressort de nos recherches, des criminels nés, mais plutôt des criminels d'habitude, ou d'occasion, des criminaloïdes (Lomiîroso). Et ce qui confirme cette conclusion, c'est le fait qu'en devenant adultes, ils perdent presque tous leurs tendances criminelles. Quand avec l'âge les rapports d'amitié, de compagnie, de complicité sont rompus; ils finissent pour la plupart par trouver une occupation fixe et par en vivre bien misérablement, mais sans avoir recours au crime.
De sorte que, tandis que cette grande armée enfantine paraîtrait menacer Cagliari d'une véritable armée de criminels adultes, en réalité, au contraire, la criminalité de cette ville en rapport avec le nombre de ses habitants, ses conditions économiques et son degré de civilisation, n'est ni très grave ni très abondante. Ce qui, tout en étant consolant, nous fait regretter, qu'il n'existe pas encore des institutions aptes à améliorer la condition sociale de ces enfants et à atténuer dans la plus grande mesure possible leurs tendances à l'oisiveté, à la paresse et au vagabondage par une bonne prophylaxie enfantine.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET OE PSYCHOLOGIE
Le-lundi 16 Juillet 1901. — Présidence de M. Jules Voisix.
Orthopédie mentale et morale.
La suggestion pédagogique dans le sommeil hypnotique et à son défaut, dans
le sommeil naturel.
par m. le docteur Bourdon (de Méru).
Au milieu du mouvement psychologique qui s'accomplit et auquel la Société d'Hypnologie et de Psychologie prend une si grande part, on ne saurait trop faire ressortir, parmi les nombreuses applications de la psychothéraphie, celle, si importante, delà suggestion hypnotique comme moyen pédagogique à des sujets mauvais, vicieux ou malades.
Avec l'intuition d'un génie précurseur, Durand (de Gros) avait bien dit, dès 1860 : « L'éducation et la médecine de l'âme trouvent dans le braidisme, [c'est-à-dire l'hypnotisme) des moyens d'action d'une puissance inouïe, qui, à eux seuls, portent la découverte de Braid au rang des plus glorieuses conquêtes de l'esprit humain... » Et encore : s Le braidisme nous fournit la base d'une orthopédie intellectuelle et morale qui, certainement, sera inaugurée un jour dans les maisons d'éducation et dans les établissements pénitentiaires... » Puis encore : « Le rachitisme de l'intelligence, les déviations du caractère trouveront en lui [l'hypnotisme) leur orthopédie. »
C'était beaucoup, certes, que cette conception, que cette prévision d'une haute portée, il y avait le mérite incontestable de l'initiateur, la valeur de l'idée par rapport au fait, mais cela ne suffisait pas pour ranger, dans le domaine des faits positifs, les applications pédagogiques de la suggestion hypnotique, il fallait en un mot la réalisation.
Le mérite en revient surtout au Dr Bérillon qui, le premier, a systématiquement soigné par l'hypnotisme des enfants vicieux ou malades
et apporta des observations de kleptomanie, de mensonge, de troubles du caractère, d'onanisme irrésistible, d'onychophagie, de pusillanimité, de terreurs nocturnes, d'impulsion à la débauche, etc., guéris par la suggestion.
i Le but de cette pédagogie suggestive, disait-il, est d'arriver, soit à la correction des impulsions instinclives et des habitudes automatiques chez les enfants, soit au développement des aptitudes normales arrêtées dans leur évolution. Ce but est atteint, selon le cas, par deux procédés différents : 1° La création de centres d'arrêts psychiques et la culture du pouvoir d'inhibition volontaire. 2» L'exercice et l'excitation automatique de l'énergie psychique et de la fonction excito-motricc. »
D'où l'application de plusieurs principes fondamentaux qui découlent de l'observation des faits; a l'opération psychologique de l'hypnotisme pédagogique, qui apparaît au début comme un asservissement de la conscience, se traduit finalement, par un développement de la personnalité consciente. »
La méthode d'application ne pouvait se dégager que de l'observation de faits nombreux. Les expériences de pédagogie clinique poursuivies sans relâche par le Dr Bérillon ont fait passer la pédagogie suggestive dans le domaine de la pratique et l'orthopédie mentale et morale est ainsi devenue une science positive dont nous lui sommes redevables et dont les médecins, parmi lesquels je m'honore de figurer, ainsi que bon nombre de pédagogues, ont ensuite appliqué les principes avec le même succès.
Ce qu'il importe également de faire ressortir, c'est que la suggestion hypnotique, quand elle ne peut être employée, pour une raison quelconque, a un précieux succédané, qui est la suggestion dans le sommeil naturel, mise en honneur par le Dr Paul Farez. Elle est très efficace et on ne l'utilise pas assez comme agent moralisateur ctéducatcur, Onn'utilise pas assez ces deux modes de suggestion comme moyen thérapeutique ou orthopédique contre les lésions d'ordre moral, congénitales ou acquises, comme aussi pour la stimulation et le développement des facultés ou aptitudes naturelles. Et cependant toutes ces choses et toutes les cures d'orthopédie mentale et morale sont de celles qui font le plus d'honneur à l'hypnotisme et à la suggestion, dont elles constituent une application relativement récente.
« Si l'on y avait recours comme moyen curatif, a-t-on dit avec raison, dans beaucoup de cas on pourrait se dispenser d'enfermer dans des maisons de correction des enfants sur lesquels tous les moyens habituels dont dispose la pédagogie ont échoué. »
i
Troubles du caractère, mouvements impulsifs. — La suggestion pédagogique dans le sommeil hypnotique. — Aptitudes normales stimulées et développées.
Gaston C-, âgé de 9 ans, dont le père est garçon boulanger et la mère
lessiveuse, était un enfant docile et obéissant, d'intelligence moyenne, assidu à l'école et sans mauvais instincts. Mais depuis que, à l'époque du jour de l'an, il est allé à Paris, chez une tante, plus fortunée que ses parents et qu'il y a bien vécu, bien mangé et môme bu du Champagne, en un mot depuis qu'il a goûté des jouissances à lui jusque-là inconnues, un changement profond est survenu dans son caractère, il a été dévoyé, et a eu des goûts nouveaux, non en rapport avec sa modeste condition. Il s'est mis d'abord à faire l'école buissonnière et, se levant le matin de très bonne heure, au lieu d'accomplir, comme auparavant, certaines petites choses du ménage pour aider sa mère, il se faisait du chocolat, prenait les clefs des meubles faisait son paquet clandestinement, allait, au premier train trouver le commissionnaire qui, tous les jours, va à Paris, et lui demandait de le conduire chez sa tante.
Bien qu'une première tentative n'eût pas réussi, il était revenu à la charge plusieurs fois et persistait opiniâtrement dans cette voie. On ne le voyait plus jamais à l'école, et il échappait facilement à la surveillance de ses parents qui travaillaient au dehors. Il ne voulait plus rien faire, il aspirait à bien vivre et était devenu très gourmand. Il ne songeait qu'à retourner à Paris chez sa tante, où l'on était mieux que chez ses parents et ces disposions se maintenaient quand même, au point de faire le désespoir de sa mère.
Comme hérédité, rien à noter que l'alcoolisme du père.
C'est dans ces conditions que sa mère me l'amena, « pour le guérir, s'il était possible, de ses mauvais penchants. »
La suggestion hypnotique, seule, pouvait atteindre ce but. Seulement comme il résistait, qu'il ne voulait pas être guéri, qu'il avait quelque crainte de ce que l'on voulait lui faire, il ne devait pas être aussi facilement hypnotisé. Je parvins toutefois à l'hypnotiser, du moins, je crus l'avoir fait dans une première séance, après laquelle je lui donnai même, pour l'encourager, des sous et des friandises.
Mais, malgré les apparences, le sommeil n'avait pas été profond, il y avait eu plutôt é/a( passif, qu'hypnose vraie. Outre les suggestions nécessaires et dans le but de créer un centre d'arrêt psychique, contre ces mouvements impulsifs et pour le redressement de ce caractère, j'avais, en même temps, cherché à développer ou à stimuler ses facultés d'attention, de mémoire et d'intelligence.
Il y eut peu de résultat et sa mère crut remarquer qu'il avait fait semblant de dormir: elle le lui lit même presque avouer. D'ailleurs la sugges-tibilité devait être d'autant moins grande chez lui que son intelligence était moins développée, ce qui augmente quelquefois la difficulté chez les enfants. On revint donc à la charge avec plus de bonne volonté apparente de sa part et, dans une deuxième séance, je lui dis qu'il ne devait pas fermer les yeux tout de suite pour me faire plaisir, comme il avait fait la première fois. Et, cette fois, ne cédant qu'à l'influence du regard prolongé, aidé de la parole, il s'endormit véritablement d'un sommeil assez profond, sinon somnambulique, avec anesthésie, résolution des
membres, etc. Je lut dis : « Tu ne veux plus faire ton paquet, tes effets, sont là, tu ne peux pas les prendre, » et il faisait de vains efforts poury arriver. « Tu ne penses plus à retourner à Paris, tu n'aimes plusla bonne chair ni le Champagne. Tiens, en voilà. » «Non, dit-il, je n'en veux pas, ce n'est pas bon. » « Tu ne veux plus faire l'école buissonnière. » A son réveil, il ne se souvenait de rien.
Toujours est-il qu'il y eut, cette fois, un vrai commencement de résultat, puisqu'il cessa de faire l'école buissonnière, ne songea plus à faire son paquet en même lemps que son chocolat pour aller à Paris, et qu'il commença à redevenir plus attentif, plus docile et plus obéissant.
Dans une troisième séance, il s'endormit plus facilement et plus profondément encore et, outre les suggestions précédentes, inhibitrices, concernant les mouvements impulsifs et les troubles du caractère, je lui répétai, au point de vue dynamogénique et de l'énergie psychique, qu'il serait très studieux et appliqué à l'école, qu'il apprendrait et comprendrait mieux, qu'il aurait plus de mémoire, etc.
Dans une quatrième, puis une cinquième et enfin une sixième séance, à deux ou trois jours d'intervalle, je répétai ces suggestions et le résultat fut définitif au double point de vue du redressement, de l'orthopédie morale et mentale et du développement des aptitudes. Non seulement il ne songe plus à fuir l'école, à se sauver à Paris, etc., mais il est docile et attentif, il prend du goût au travail, son intelligence s'éveille, sa mémoire augmente; il devient un bon élève et fait des progrès assez marqués, qui étonnent son maître. II y a de cela plusieurs mois, et le résultat se confirme et s'accentue. En outre, il cherche les occasions de me manifester son affection et sa reconnaissance.
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Fillette de dou%e ans très vicieuse, menteuse, voleuse, etc., guérie par suggestion dans le sommeil naturel.
Marie S... âgée de 12 ans, brune et vive, est, au point de vue de l'hérédité, la fille d'une alcoolique, aux mœurs assez dissolues, comme le sont, d'ailleurs, plus ou moins, d'autres membres de la famille. Cette enfant est effrontée et pleine de vices, mais surtout menteuse ; elle forge à plaisir des histoires incroyables ; elle est aussi voleuse et quelque peu impudique, de mauvaise compagnie, enfin, pour ses camarades dont les parents l'éloignent autant que possible.
Un soir qu'une de ses parentes me racontait tout cela, je lui dis qu'il faudrait tâcher de modifier ces dispositions en l'endormant du sommeil hypnotique. Bien que je n'eusse pas l'intention d'agir tout de suite dans ce sens, tout en parlant à cette fillette et en la regardant, je m'aperçois qu'elle a une tendance à s'endormir et alors, malgré moi, je suis porte à en profiter: par conséquent j'insiste, je la fixe davantage et la voilà tout-à-fait endormie.
Je lui suggère qu'elle ne veut plus, qu'elle ne peut plus mentir que lorsqu'elle sera pour le faire, sa langue ne pourra pas tourner : je répète qu'elle a horreur du mensonge, qu'elle ne peut plus jamais prendre ce qui ne lui appartient pas, que tout cela lui répugne que lorsqu'elle sera sur le point de prendre de l'argent ou toute autre chose qui ne lui appartient pas, sa main ne pourra se mettre en mouvement et je lui mets sur la table une pièce de monnaie en lui disant de la prendre sans qu'on la voie ; elle esquisse un mouvement pour le faire, à plusieurs reprises, mais elle ne peut l'achever et finit par dire qu'elle ne veut pas, que ce n'est pas bien. .
Je lui suggère en outre qu'elle est convenable, réservée et même un peu timide, comme il convient à une jeune fille, etc.
Je la réveille de son sommeil quasi-somnambulique et je constate l'amnésie au réveil ; elle ne se souvient de rien. Je suis heureux d'avoir à faire à un sujet favorable. Le surlendemain, j'ai l'occasion de revoir sa tante et sa grand'mère en son absence et j'apprends qu'il y a déjà eu un commencement d'effet pour leur fillette, puisque, me disent-elles, étant sur le point de mentir comme d'habitude, tout-à-coup elle s'était arrêtée .en disant: « Non, il ne faut pasque je mente, M. Bourdon ne veut pas, et puis ce n'est pas bien... » Et encore ayant été sur le point de garder des sous sur l'argent donné pour une commission, comme elle avait l'habitude de le faire, subitement prise de remords, elle dit : a J'ai encore deux sous, j'allais les garder, mais il ne faut pas, M. Bourdon ne veut pas, ce n'est pas bien. »
Heureux de ce premier résultat, naturellement encouragé par ce début, mais pensant bien que cela ne suffirait pas, je veux continuer mon œuvre par une deuxième séance, mais quel n'est pas mon étonne-ment de voir le jeune sujet s'enfuir à mon approche, en criant qu'elle ne veut pas, et se cacher sans qu'on puisse l'atteindre.
Comment expliquer cela ? La première fois, elle a été surprise sans doute et ensuite la prédominance des mauvais instincts l'emporte ou bien elle a honte qu'on connaisse tous ses défauts ou tous ses vices, - dont l'habitude est pour elle une seconde nature ? Aussi avait-elle recommencé à mentir.
Toujours est-il qu'elle est devenue inabordable et que j'en suis réduit à tenter la suggestion à l'état de veille qui devient illusoire et d'ailleurs aussi impossible que l'autre, quand elle peut s'échapper. Je suis donc obligé d'en venir à la suggestion dans le sommeil naturel, qui présenta aussi des difficultés, la rusée coquine sé doutant de quelque chose et ne s'endormant que très tard.
Un jour, néanmoins je puis commencer à 10 heures du soir, après qu'elle se fût enfuie dans la journée en m'apercevant.
Depuis une heure elle est endormie profondément. Avec mille précautions, j'approche d'elle le plus possible, tout en évitant de trop m'ap-procherde l'oreille pour ne pas chatouiller la figure avec l'air expiré à chaque émission de voix, d'un rythme lent et monotone, d'une voix
d'abord très basse puis s'élevant peu à peu suivant une progression régulière, en scandant les syllabes et en observant le synchronisme de l'articulation verbale et des mouvements respiratoires, selon la technique indiquée par le Dr Paul Parez, je répète longtemps, à plusieurs reprises, les suggestions que je lui avais faites la première fois dans le sommeil hypnotique, tout cela se fait sans qu'elle se réveille.
Le lendemain je répète la même chose. Le surlendemain et les jours suivants, elle n'a ni menti ni cherché à voler. On a été étonné de son changement, de sa réserve, de sa docilité et de son obéissance. Tous les deux ou trois jours, plusieurs séances ont été répétées pendant plus de vingt jours et toujours de la môme façon. •
Le résultat est des plus satisfaisants. Il se maintient après plus d'un mois écoulé ; c'est à faire croire qu'il est acquis définitivement. Toutefois, je me propose de continuer encore pour consolider la guérison.
Comme on le voit, si la suggestion dans le sommeil normal réclame certaines précautions, présente certaines difficultés, elle offre aussi des avantages, puisqu'elle peut se passer du concours du sujet; elle est, d'autre part, aussi efficace que la suggestion dans le sommeil hypnotique et pourrait être souvent utilisée.
III
Pour mémoire et brièvement, je rappellerai le cas d'une fillette de 10 ans qui, à la suite d'une grande peur, était devenue comme idiote, à moitié folle, et paraissait avoir perdu toutes ses facultés.
Lucie B..., d'un bon tempérament et exempte de tare héréditaire, était malade depuis près d'un an ; elle riait continuellement sans motif, avait perdu l'intelligence et la mémoire, lesquelles étaient très développées chez elle. Ne comprenant plus rien et ne pouvant plus apprendre, elle avait quitté l'école où elle était une des premières. Le physique allait de pair avec le moral et l'intellect ; l'appétit était perdu, la nutrition s'en ressentait, il y avait dépérissement et la santé générale périclitait.
Elle fut facilement hypnotisable et très suggestible en raison même de son intelligence native.
Trois séances de suggestion hypnotique suffirent à la guérir, à lui faire recouvrer, avec l'appétit et les forces, toutes ses facultés de compréhension, d'intelligence et de mémoire : le résultat fut durable et définitif.
IV
Spleen, dégoût de la vie, alcoolisme, etc., à la suite de chagrins. — Guérison par la suggestion hypnotique.
Victor B., 26 ans, de tempérament un peu nerveux et sans tare héréditaire appréciable, est malade, dit-il, depuis deux ans, de cette maladie mentale caractérisée par l'ennui, le spleen des Anglais; depuis deux ans, il est en proie à un dégoût profond de la vie, à la suite de chagrins
d'amour, qu'il n'a pu surmonter; il y pense toujours ; rien ne lui sourit, dit-il, rien ne le distrait, il se décourage facilement; d'où cet esprit faible a été amené, comme on dit, à noyer son chagrin dans le vin, à boire et aussi à fumer toutes les fois qu'il en trouve l'occasion (relativement rare parce qu'il est employé et n'a que de rares sorties), ce qu'il ne faisait pas auparavant, étant très sobre. Il le regrette beaucoup, il sent sa faiblesse dans l'adversité et il en est désolé, d'autant plus qu'il est plus intelligent et sans mauvais instincts. Il est très sensible, très impressionnable, a une grande mobilité de caractère; il parait toujours triste et préoccupé, un peu timide, a été quelquefois traversé par des idées de suicide. Il a parfois des tendances aux syncopes.
Il était autrefois somnambule et l'est encore un peu, il a parfois des rêves, dans lesquels il marche, agit et parle sans s'éveiller.
Il désire beaucoup guérir et il l'espère depuis qu'il a entendu parler des bienfaits de l'hypnotisme et j'ai constaté qu'il était hypnotisable et suggestible. Ce sont là, en effet, de bonnes conditions pour la restauration d'une volonté malade.
Vient enfin la première séance, attendue par lui avec impatience et dans laquelle il est endormi assez facilement par le regard et la parole, en état de somnambulisme (anesthésie. etc.) Je lui suggère qu'il ne pense plus aux causes de ses chagrins d'autrefois, qu'il ne veut plus, qu'il ne peut plus y penser, que ses chagrins d'ailleurs, n'existent plus et que l'ennui, le dégoût de la vie, qui en ont été la conséquence, ont disparu avec eux et que, par suite, l'idée, le besoin de boire et de fumer pour oublier, ont disparu en même temps. Il ne peut plus boire ni fumer; n'en ayant plus besoin : il ne le veut plus; sa volonté redevient ce qu'elle était autrefois : il retrouva sa sobriété. Il n'a plus de faiblesses, plus de tristesse, plus d'ennui, ni de dégoût de la vie, plus d'idées de suicide, il rentre en possession de sa force de caractère, de sa gaieté naturelle. Il n'a plus non plus jamais de tendance aux syncopes. Il dort bien touteb les nuits, tranquillement, sans rêver, ni marcher, ni parler.
Ayant répété plusieurs fois ces suggestions, avec force et conviction, je le laisse dormir près d'une heure, pendant laquelle il n'entend que ma parole et est insensible à toute excitation étrangère. A son réveil, je puis constater une amnésie complète. Il se sent très bien, semble heureux et moins disposé à la tristesse.
A la deuxième séance, qui a lieu trois jours après, le résultat est déjà sensible. Il avoue n'avoir plus ressenti l'ennui et le dégoût de tout autant qu'auparavant. II a eu l'occasion de boire et l'a évitée, ¡1 se sent moins faible de volonté, il espère beaucoup et a confiance dans la gué-rison finale. Il a hôte d'être endormi et le sommeil vient en quelques minutes, profond et somnambulique. Les suggestions sont répétées plusieurs fois avec patience. Je lui dis de prendre un verre de vin et une cigarette qui sont sur la table à sa portée; il fait des tentatives légères pour obéir à la suggestion, mais j'ajoute qu'il ne peut pas les prendre et il finit par dire qu'il n'en veut pas, qu'il ne veut plus boire ni fumer. II
dort encore pendant une heure, le sommeil prolongé aidant à la guéri-son. Au réveil, il se trouve encore très bien et de moins en moins enclin à la tristesse et à l'ennui, avec une volonté plus forte.
A la troisième séance, il m'annonce qu'il y a encore du mieux en lui et l'on peut constater en effet que la restauration do la volonté et du caractère s'accentue de plus en plus. Il s'endort très vite et profondément comme aux séances précédentes, les suggestions sont répétées à plusieurs reprises ainsi que l'expérience du verre et de la cigarette dont il ne veut pas davantage; il n'en a plus besoin, dit-il, puisqu'il n'a plus d'ennui et ne pense plus à ses chagrins d'antan et qu'il veut redevenir un homme, etc. A son réveil, il parait de plus en plus heureux.
Tous les deux ou trois jours, ces séances sont répétées pendant près de six semaines, après lesquelles Victor B., débarrassé de son spleen, de son dégoût de la vie, etc., ne boit plus, ne.fume plus, n'est plus le jouet des moindres impressions ; il parait tout-à-fait guéri et avoir recouvré sa gaieté, son caractère et sa volonté. Il n'y a de cela encore que quelques semaines, mais il y a tout lieu d'espérer que le résultat sera durable ; je vais l'observer encore et, si besoin est. je me propose de revenir à la charge pour assurer et consolider la guérison. Il est évident que c'était là un sujet favorable, qu'on ne rencontre pas tous les jours, mais le résultat n'en est pas moins intéressant à signaler.
Voilà donc des faits remarquables, après beaucoup d'autres. Quels moyens autres que la psychotérapie auraient pu'fournir de semblables résultats? devrait-on se demander. Quand nous disons que cette branche si importante de la thérapeutique n'est malheureusement pas assez dans la pratique courante et qu'il .est regrettable pour la science et la société, que les médecins entrés dans cette voie soient encore une infime minorité, nous croyons être dans le vrai et ne cesserons de le répéter, étant donné le bien énorme qui pourrait résulter d'un état de chose différent.
Nous ajouterons que les médecins devraient aussi combattre un peu. plus le préjugé, (entretenu par certaines gens), qui consiste à avoir peur de l'hypnotisme dont il faudrait au contraire travailler à faire comprendre les bienfaits au lieu de laisser croire à ses dangers illusoires.
Les agents provocateurs de l'hystérie chez quelques animaux
par M. Lépinay, médecin-vétérinaire
Cette communication aurait dû être précédée d'une étude de la mentalité des animaux, de leur degré d'intelligence et de suggestibilité. J'ai l'honneur de m'adresser à un milieu connaissant la question et bien évidemment d'avis que l'animal ne possède pas que de l'instinct,, mais aussi de l'intelligence, une intelligence moins développée que la nôtre, mais susceptible d'éducation, et de développement.
Il en résulte que leur nervosité est comparable à la nôtre, et que nous retrouvons chez eux des états pathologiques analogues, aux nôtres, tout aussi bien pour le corps que pour le cerveau.
En somme l'hystérie existe chez les animaux; Eleti, Olver et notre grand maître Charcot l'ont remarqué nombre de fois et nous ont transmis leurs observations.
11 suffira à mes confrères et à ceux qui s'occupent de nos frères inférieurs (?) de réfléchir et d'observer pour compléter ces travaux et rendre à l'hystérie ce qui lui appartient. Dans les nombreuses maladies nerveuses que nous sommes appelés à constater, le plus souvent l'animal atteint de troubles aussi graves que ceux provoqués par un état hystérique, est inutilisable et rapidement sacrifié, l'examen en est incomplet et puis la question est si neuve que peu de vétérinaires oseraient poser le diagnostic hystérie : on parle d'épilepsie et surtout de rage.
En effet, tout ce qui est trouble nerveux, particulièrement chez le chien et le chat, est mis à l'actif de la rage ; les médecins-vétérinaires eux-mêmes voient de la rage, partout, ne cherchent plus à faire un diagnostic différentiel, à tel point que, comme l'écrit humoristiquement un publiciste distingué, Paul Degouy * jamais on n'a tant pris de mesures contre les enragés, jamais on n'en a tant abattu, jamais on n'a vacciné autant de gens, jamais le public n'a été autant prévenu, et, malgré tout, à en croire les statistiques, le nombre des cas de rage augmente chaque jour, dans des proportions si considérables, que l'Institut Pasteur, le seul à bénéficier de la panique, va devenir trop petit, et qu'il y a lieu de se demander si les assureurs ne seraient pas les incendiaires.
Je me garderai bien d'être aussi sévère pour une certaine classe de savants, mais il n'en est pas moins vrai que les cas de rage sont bien moins nombreux qu'on ne le dit et que, bien des fois, on se trouve simplement en présence de crises hystériques.
Je reviendrai sur cette question et la traiterai quelque jour à fond, aujourd'hui je me contenterai de parler des agents provocateurs.
Je prendrai comme guide, dans cette étude, un remarquable ouvrage de M. Georges Guinon, ancien chef de clinique du professeur Charcot, Les agents provocateurs de l'hystérie.
Les agents provocateurs sont chez les animaux presque aussi nombreux que chez l'homme. Nous allons les passer rapidement en revue.
Emotions morales vives. — Les émotions morales ne sont pas généralement très vives chez les animaux, dont la compréhension est bien un peu obtuse, à part chez quelques sujets spéciaux, éduqués, raffinés; malgré cela, elles peuvent être ressenties suffisamment pour produire un choc nerveux et provoquer des phénomènes hystériques.
La peur, et je citerai notamment la peur qu'ont les chevaux des machines à vapeur, des automobiles, a fait naître, chez quelques-uns, des tremblements, des boiteries, des pseudo-paralysies, dont la véritable origine est passée inaperçue. La peur de la correction chez les petits animaux, la joie de revoir le maitre bien aimé ont donné naissance à
des crises plus ou moins persistantes mises au compte de l'épilcpsie. Une chienne de mes clientes, est mise chaque année en pension au moment des vacances; au retour, il faut avoir bien soin de ne pas remettre en contact maîtresse et chienne, sans cela celle-ci présente une crise qui se répète pendant quelques mois.
Voici un cas de troubles hystériques provoqués par la peur et relatés par le Dr Hygyer de Varsovie.
Le serin du Df Hygyer fut le héros de l'histoire. La frayeur fut l'agent provocateur de la crise. Le serin exécutait dans sa cage ses trilles les plus variés, quand un chat entra brusquement dans la chambre et se précipitant sur la cage, la jeta à terre. Le Docteur accourut à temps pour mettre en fuite l'animal avant que l'oiseau eût été blessé ou même touché, mais la secousse avait été telle que le canari gisait sans voix et sans mouvement, sur le plancher de la cage. On ne put le rappeler à la vie qu'en l'aspergeant d'eau froide. 11 reprit alors ses sens et, au bout d'un instant, il se mit à sautiller et voleter comme d'habitude. Mais il était devenu subitement muet. L'aphonie totale persista pendant six semaines; aussi soudainement qu'il l'avait perdue, il recouvra la voix et se trouva en pleine possession de tous ses moyens musicaux.
Influence du traumatisme. — Le choc traumatique est tout différent du choc nerveux, celui-ci est la conséquence d'une émotion vive, celui-là d'un accident.
Bien souvent un cheval victime d'un accident a présenté une boiterie, une paralysie sans qu'aucun symptôme apparent pût expliquer d'une manière plausible des manifestations aussi graves; et lorsqu'on sacrifiait le malade, l'autopsie ne décelait aucune lésion pouvant justifier la maladie.
Les compagnies d'assurance pourraient nous fournir un grand nombre d'observations de ce genre.
Le Dr Hygyer nous cite un autre cas de paralysie hystéro-traumatique.
Un chat, âgé de neuf mois, fut mordu par un chien qui le poursuivait. Le chat s'affaissa aussitôt comme paralysé, et, de fait, à dater de ce moment, il ne marcha plus qu'en traînant l'arrière-train.
Le tiers postérieur du tronc et les extrémités postérieures étaient complètement anesthésiés aussi bien que la queue qui avait perdu tout mouvement. On n'observa pas l'atrophie des muscles et les sphincters restèrent intacts.
Deux mois environ après l'accident, une servante voulant se rendre compte si les chats paralysés retombaient toujours sur leurs pattes, comme les chats bien portants, jeta la pauvre bête par la fenêtre du premier étage. Le chat tomba en effet sur ses pattes et. résultat merveilleux, au bout d'un instant, détala à toutes jambes. Du coup cette nouvelle émotion l'avait complètement guéri de sa paralysie sensitivo-motrice.
Je me souviens de plusieurs cas de chiens devenus aphones à la suite d'un accident, d'une bataille avec un congénère, etc.
La foudre tombant sur une écurie a souvent produit des blessures ou des brûlures insignifiantes suivies d'accidents hystériques graves, le plus souvent une paralysie ou une contracture.
Les accidents arrivés depuis quelque temps sur les plots électriques ont été tout spécialement étudiés par le vétérinaire lluet et dans ses relations, on y relève des troubles hystériques indéniables.
Influence des maladies générales et infectieuses. — La gourme, la fièvre typhoïde chez le cheval laissent des paraplégies, des embarras de la locomotion, des abolitions du hennissement, des affections laryngiennes avec cornage, des tics, des troubles cérébraux, qui font naitre le vice rédbibitoirc immobilité, le tout sans lésions, et qui, mieux étudié, pourrait certainement, en partie tout au moins, être attribué à réclusion hystérique.
La maladie des jeunes chiens est suivie d'accidents nerveux épilepti-formes, choréiques, dans lesquels l'hystérie a sa part.
L'hyper excitabilité génésique ; 7a continence : la castration. — Il ne faudrait pas oublier d'étudier de près les accidents nerveux des juments soumises constamment à ia reproduction, les animaux et surtout chiens et chiennes, chats et chattes, auxquels les maîtres imposent la continence la plus absolue, malgré la vie continuelle en commun. Xe sont-ce pas des crises hystériques, ces fureurs de chiennes inassouvies, accompagnés de paralysies, d'anesthésies partielles et que à tort on qualifie sans preuves d'accès de rage? Ne peut-on en dire autant de crises intermittentes de méchanceté, de fureur, présentées par certaines juments chez lesquelles la castration même ne donne aucun résultat. La castration du cheval a quelquefois déterminé des accidents insuffisamment étudiés et qui probablement, auraient pu être interprétés par le phénomène hystérique. M. Aruch de l'Ecole-Vétérinaire de Milan a relaté les observations suivantes, qui viennent elles aussi à l'appui de ma communication.
Il s'agit de chiens ayant présenté sous l'impression de causes d'ordre moral des troubles nerveux très accentués.
Un de ces animaux, qui avait déjà dans ses antécédents une maladie survenue à l'occasion d'un départ de son maître tomba malade en voyant pour la première fois sa maîtresse tenant dans ses bras le nourrisson auquel elle venait de donner le jour. C'était une jeune chienne de deux ans et demi très intelligente et très caressante. Les troubles qu'elle présenta furent d'abord, de la dysphagie, de la toux, de la polyurie, une altération de la voix et une humeur capricieuse; puis une parésie progressive des membres s'établit, et la bète devint aphone. Il y avait une notable diminution de la sensibilité cutanée, sans atrophie musculaire. L'administration de noix vomique détermina des convulsions cloniques. L'animal ayant été sacrifié, on ne constata, à l'autopsie, aucune lésion des centres nerveux.
Dans le second cas, il s'agit d'un chien de onze ans très casanier obèse, affectueux et intelligent, qui fut atteint, pour la première fois
d'une attaque convulsive, sans perte de connaissance, à l'occasion d'une vigoureuse réprimande de son maître. Depuis ce jour, cet animal était repris de semblables accès chaque fois que son maître rentrait à la maison. Les accès de convulsion avaient remplacé les accès de joie habituels.
La troisième observation se rapporte à un jeune terrier de deux ans ayant présenté autrefois une paraplégie dont il était guéri depuis un an. Sa maîtresse lui ayant donné pour compagne une petite chienne il perdit aussitôt sa gaieté et son appétit habituels. Son instinct sexuel, jusqu'alors endormi, ne se réveilla que très incomplètement, et des troubles paralytiques multiples se manifestèrent : dysphagie, altération de la voix, paraplégie progressive avec conservation des fonctions du rectum et de la vessie. L'administration de noix vomique provoqua également des convulsions cloniques chez cet animal, qui guérit très rapidement dès qu'il fut séparé de sa compagne.
M. Aruch, se fondant sur la nature de ces troubles sur leur marche et sur l'absence de lésions visibles des centres nerveux, capables de les expliquer, propose de les assimiler aux troubles hystériques observés dans l'espèce humain. Ce sont dans tous les cas, des troubles d'origine manifestement psychique.
J'ai parlé trop brièvement de l'hystérie, j'ai passé rapidement en revue tout au moins les principaux agents provocateurs de ces troubles psychiques chez les animaux; je n'ai point entendu épuiser la question; elle est trop neuve, comme je le disais au début, pour être traitée utilement en quelques minutes; j'ai simplement voulu la mettre à l'ordre du jour et attacher le grelot; j'y reviendrai personnellement, mais je voudrais voir ceux qui s'occupent de psychologie comparée, je voudrais voir mes confrères les médecins vétérinaires, s'intéresser à cette étude si alléchante des phénomènes psychiques chez les animaux et venir prendre part aux travaux de cette société qui ne cesse de faire des études comparées; ils y trouveraient le même accueil que j'y ai rencontré et que je n'oublierai pas; ils y puiseraient des connaissances bien utiles et apporteraient à nos éminents collègues les médecins de l'homme, des aperçus qui, j'ensuis convaincu, aideraient la solution des problèmes complexes touchant la mentalité des êtres que nous sommes, appelés à soigner. •
C'est d'ailleurs uneunion queje demande depuisbtenlongtemps. union que je souhaite pour la science en général, mais qui surtout a sa raison d'être ici.
Deux cas de sitophobie obstinée chez des aliénés
par M. le Docteur Gixo Maiorfi (de Sienne).
Quiconque fréquente les asiles d'aliénés observe facilement des cas de sitophobie. Les causes de cette grave complication de l'aliénation
mentale sont multiples; mais le plus souvent c'est d'un état pathologique de l'appareil digestif (estomac, intestin) que relèvent la plupart des cas de ce genre. Cependant quelquefois le refus de nourriture est sous la dépendance d'une fausse sensation, d'une fausse conception, d'une idée morbide, insensée, éclosc dans le cerveau détraqué de ces malheureux et qui. d'emblée, ou petità petit, s'estincrustée dansleurpensée, au point de se transformer en une idée fixe. Ordinairement la sitopho-bie est passagère et, après une période plus ou moins longue, les soins, la médication opportune, le passage de la sonde œsophagienne, triomphent de ce grave symptôme. Mais, quelquefois, spécialement dans les cas d'origine psychique, la sitophobie devient tenace et dure fort longtemps.
Dans ma longue pratique à l'asile de Saint-Nicolas de Sienne, j'ai pu observer deux cas de ce genre, qui m'ont paru assez intéressants, et dont je donne ici la courte observation.
Le premier cas est celui de Peloni L., âgé de 34 ans, tailleur, de condition médiocre, marié, admis dans l'asile le 6 août 1834.
Doublement héréditaire du côté des collatéraux, (aliénation mentale et crime), atteint de délire hypocondriaque et d'impulsions au suicide, il s'est fait avec un couteau sept blessures au côté gauche du thorax, mais sans succomber. Il présentait des hallucinations vives et multiples de la vue et de l'ouic, ainsi que des idées de persécution. Le diagnostic fait lors de son entrée à l'asile est le suivant :
« Lypémanie simple avec idées délirantes de persécution, hallucinations de plusieurs sens, impulsions délirantes au suicide. »
La maladie mentale évolua, chez le nommé Peloni, avec des améliorations et des aggravations. Habituellement taciturne, triste, en proie à une insomnie persistante, refusant obstinément de se soigner, il présenta à plusieurs reprises des périodes d'anxiété évidemment produites par les hallucinations de l'ouïe qui le tourmentaient sans cesse. C'est pendant l'une de ces périodes que, pour la première fois, il refusa toute nourriture. D'abord il se montra sitophobe pendant un jour ou deux, puis pour trois ou quatre jours, puis pour une semaine ou deux, enfin pour des mois entiers, et la sitophobie était toujours accompagnée de fort accès autoimpulsifs, pendant lesquels il tâchait de se nuire, soit en se frappant la tète contre la muraille ou le pavé, soit en cherchant à se couper la gorge en l'appuyant sur le tranchant du rasoir, lorsqu'on lui faisait la barbe.
Ces alternatives continuèrentjusqu'aux premiers jours du mois de janvier 1885. A partir de ce moment, son état s'aggrava. La sitophobie devint presque continue, avec de rares et courtes interruptions; il refusait obstinément de manger, et lorsqu'on le questionnait II répondait qu'on lui interdisait de se nourrir, de répondre, etc., etc. Ces ordres venaient des voix qu'il entendait résonner à ses oreilles. La dénutrition et la chloroanémie consécutives à l'alimentation artificielle pratiquée deux fois par jour s'aggravèrent alors, et le malade, devenu gâteux,
était tombé dans le marasme; il contracta une pleurésie exsudative purulente dont il ne voulut pas se soigner, et il mourut le 25 juillet 1889.
La sitophobie dura dans ce cas plus de quatre ans, et, sans la maladie qui survint, elle aurait pu durer encore pendant des mois.
Le second cas est celui de Massarri L., âgée de 42 ans, mariée, femme de ménage, admise à l'asile le 21 juin 1896.
Sa sœur est hystérique, son père alcoolique. Sa fonction menstruelle a toujours été anormale et, au moment de l'admission, les règles sont suspendues depuis deux mois. Cette femme a toujours souffert de troubles hystériques qui se sont aggravés à propos de son mariage. Elle accuse en effet son mari de l'avoir contagionnée et elle devint très jalouse. Ses troubles principaux étaient : idée de suicide, délire vague, refus de toute nourriture, spasmes cloniques et toniques des membres et du tronc, paralysie de la vessie et attaques classiques de grande hystérie. Le début de la maladie remonte au mois de mai de la même année.
Le diagnostic porté au moment de son entrée à l'asile est le suivant : « Phrénose hystérique à forme maniaque. »
Elle est inquiète et agitée; son attention est prompte, sa faculté de perception est facile, mais son idéation est obscure et confuse. Elle a des idées délirantes relatives à l'appareil sexuel. Elle dit qu'elle est remplie, qu'elle a le corps bondé, qu'elle n'est plus pourvue de ses orifices naturels; elle croit qu'elle ne peut plus évacuer son ventre, ni uriner, et, en conséquence, elle crie, s'agite, parfois même se jette' par terre. Elle prétend qu'elle ne peut plus parler, parce qu'elle a dans sa bouche « deux parlements » dont l'un prime l'autre, etc'estprécisément celui-là qui l'empêche de parler. En effet elle parle en hachant ses mois, en prononçant seulement la première syllabe de chaque mot; par exemple elle dit : « Oh dî ! » au lieu de ¦ Oh dio ! •> « non po » au lieu de « non posso » « m&ngià. » au lieu de « rn&ngiare ».
On note 'aussi de profondes altérations de la sensibilité viscérale; il n'y a pas d'hallucinations visuelles ou auditives, ni d'impulsions aggres-sives ou impulsions au suicide, mais refus complet d'aliment, délire vague et insomnie.
Son état est resté pendant quatre années et demie à peu près station-naire ; seulement elle ne parle plus du tout, car le « parlement du silence » a pris le dessus dans sa bouche, depuis deux ans. Habituellement tranquille, elle éprouve de temps en temps des secousses aux extrémités et dans tout le corps, mais ordinairement elle reste dans son Ht, couchée, dans la même position de décubitus dorsal, une main de chaque côté appuyée sur l'oreiller, la paume tournée en haut.
Elle accepte avec résignation l'introduction de la sonde œsophagienne, deux fois par jour; puis elle se tourne sur le côté et crache hors du lit un peu de mucus, puis reprend sa position ordinaire, qu'elle ne quitte plus que pour descendre de son lit, lorsqu'elle doit aller à la garde-robe ou uriner ; elle en descend et y remonte toute seule. Elle n'a
jamais eu de vomissement, et au physique elle n'est qu'un peu amaigrie et anémiée.
Dansée cas donc la sitophobie dure déjà depuis plus de quatre ans et demi et promet de durer encore, sans apporter une grave atleinle à la constitution de la malade.
¦ *
Ces deux cas de sitophobie longue et obstinée sont intéressants à plus d'un titre et je les ai rapprochés avec intention.
Tous les deux ont présenté une longue durée, le premier est, il est vrai, quelque peu intermittent dans son évolution, mais le second présente une continuité étonnante et menace de durer encore longtemps.
Dans les deux cas, la sitophobie ne dérive pas d'un état morbide de l'appareil digestif, car alors la dénutrition eut été rapide et la mort n'eut pas tardé à survenir. Il s'agit donc de sitophobes obsédés par des conceptions morbides, fausses, idées délirantes primitives fixes ou maintenues par des hallucinations. Cela explique qu'elles durent si longtemps et qu'elles résistent au traitement. Dans un petit nombre de cas, où se manifeste une chloroanémie précoce, la reconstitution organique peut quelquefois amener sinon la guérison totale, au moins une amélioration notable de l'état mental. Mais lorsque la maladie dure depuis quelque temps, l'état général de l'organisme peut s'améliorer sans qu'il en résulte aucune modification de l'état psychique.
Dans le premier cas, la mort a été causée, au bout de quatre ans et demi par une pleurésie purulente. Mais dans le second, le sujet continue à vivre depuis quatre ans et demi, presque cinq ans et probablement restera encore longtemps dans cet état. Cette différence de réaction dé l'organisme à la même cause morbide, tient à diverses causes. D'abord, si la malade est un peu anémiée, un peu amaigrie, elle est loin de présenter !a profonde désassimilation dont avait été atteint le nommé P.... Puis elle reste toujours dans son lit, dans la même position, sans se mouvoir, elle ne fait aucune dépense de force organique. En outre, elle n'a jamais souffert d'aucune maladie intercurrente. En dernier lieu il ne faut pas oublier que la femme M... est une hystérique et on sait que ces malades supportent très aisément les privations de nourriture, aussi rigoureuses qu'elles soient, pendant un long laps de temps. J'ai actuellement dans mon service une autre hystérique phrénaslhénique, extravagante et bizarre, qui, d'ordinaire, ne mange par semaine qu'un peu de pain et une grosse assiette de vermicelle. » Elle ne se porte pas précisément très bien; elle est très maigre, mais elle vit ni plus ni moins mal que beaucoup d'autres malades qui mangent à belles dents.
La cautérisation en Turquie
Par M. le Dr Hikmet (de Constantinople)
J'ai été envoyé en mission scientifique, en 1885, par Sa Majesté le Sultan, et pendant quatre ans j'ai parcouru la Tripolitaine, l'Egypte,
l'Arabie, rAsie-Mineure, le Kurdistan, la Perse, les Indes, et ai pu étudier dans ces divers pays la pratique de la cautérisation.
Dans tout l'empire, la cautérisation est pratiquée, mais surtout dans le Hedjaz et la Tripolitainc. Elle est faite par des spécialistes qui se transmettent la profession de père en fils.
Les cautérisateurs les plus en renom se trouvent âGrian, petite ville à quatre jours de marche de Tripol¡-de-Barbarie.
Pendant quelques mois je me suis mis élève dans l'officine d'un cau-térisateur célèbre de cet endroit, « Kâlife ». Elle est tenue par deux frères juifs, à barbe longue et aux manières très suggestives.
Les instruments à cautériser sont en fer, mais non spéciaux à cet emploi ; on se sert de pincettes pour le feu, de bâtons en fer, de clous, et même d'un fer à cheval. Le « Kâlife » avait aussi quelques cautères spéciaux avec manche en bois, tels qu'ils étaient usités dans la médecine ancienne.
Pour l'application il n'y a pas de lieu d'élection ; ainsi on peut parfaitement brûler la jambe pour une maladie des yeux : ce qui prouve l'action suggestive de ce remède.
Le cautérisateur affirme d'ailleurs qu'un nerf va de la jambe à l'oeil ' malade.
Les Arabes sont peu sensibles à la douleur, et on les opère sans qu'il soit nécessaire de les tenir. Il n'en est pas de même des Européens qui sont maintenus par dès aides ou même liés. On fait d'ailleurs d'énormes et profondes brûlures avec le cautère chauffé au rouge cerise : après la brûlure, on panse aux baumes (mélange de suif ou de cire avec du styrax ou du mastic}.
La cautérisation doit être considérée à quatre points de vue différents :
Io C'est un acte brutal que rien ne justifie et sans efficacité. En bien des cas elle doit être ainsi jugée ;
2° Elle a une action suggestive et calme les douleurs ;
3° Elle est parfois utilisée d'une façon médicale : j'ai vu pour la scia-tique mettre le cautère aux points de Valleix. Elle agit alors par réflexe comme décongestionnant ;
4° Elle peut constituer le seul moyen de guérison. J'ai vu guérir ainsi une sciatique rebelle à tous les autres traitements.
Elle est d'ailleurs employée pour toutes les maladies : tuberculose pulmonaire, cancer, gastralgie, toutes les névralgies, ophtalmies, etc., etc.
Un médecin en chef des hôpitaux de Constantinople, Ahmed Pacha s'en sert systématiquement pour tous les malades quel que soit le diagnostic, et il récite en même temps des prières : il réussit souvent et aune grande réputation.
Le cautérisateur se distingue du barbier. La spécialité de ce dernier se limite à saigner et à extraire les dents. La saignée est très populaire en Turquie, en Perse, surtout en Arabie ; il n'est pas de bains où on
ne pratique cette opération; les femmes y recourent pour le moindre trouble utérin.
Le cautérisateur, bien que sans diplôme et même illettré, fait le médecin. Il donne des médicaments, panse, pratique des opérations spéciales, parfois très délicates et notamment la taille.
J'ai vu à Tripoli le Kâlifc accepter, après plusieurs journées de marchandage, de faire une taille pour trois francs.
Le patient fut étendu dans la rue, sur un fumier, maintenu par quelques personnes de bonne volonté. L'opérateur prit dans sa poche un canif rouillé, l'aiguisa sur la semelle de son soulier, et fit une incision périnéale antéro-postérieure. Comme la plaie saignait, il posait la main sur le fumier, puis l'appliquait à plat sur la plaie en guise d'hémostatique. Il arriva ainsi à la vessie, y mit les doigts et en retira une pierre grosse comme un petit œuf de poule. Il fit ensuite une couture avec une grosse aiguille, trempant de temps à autre sa main dans le fumier et demandant aux assistants de tirer le fil. La plaie une fofs cousue, il y versa de l'eau de neige : celte eau provenant de neige des montagnes, dissoute est fort réputée ; il en arrosa aussi un torchon sale qu'il appliqua sur la plaie. Il fit porter l'opéré dans une écurie et vint le voir tous les jours. La fièvre survînt et trois jours après la plaie suppurait, il la pansa au baume ; la cicatrisation se fit et le malade guérit.
Extraction dentaire sans douleur sous l'Influence de ïa suggestion hypnotique chez un jeune homme de 17 ans
Par M. le D' Moiroud, dentiste des hôpitaux
Le 30 avril 1900, M. D., un de mes clients, m'amenait son fils et me priait de l'examiner au point de vue de son appareil dentaire et de lui donner les soins spéciaux que je jugerais utiles.
L'inspection des dents me fit découvrir une légère carie des deux incisives supérieures gauches et une carie très avancée avec symptômes de périoslite alvéolaire de la première grosse molaire supérieure gauche.
Pour des raisons qu'il est inutile de développer ici, je crois devoir conseiller l'extraction de cette dent de préférence au traitement conservateur.
J'entrepris de suite le traitement des incisives qui furent obturées dans une séance ultérieure.
Quant à la dent dont l'extraction s'imposait, aucune décision ne fut prise immédiatement.
Quelques jours plus tard, il fut convenu avec M. D. père, que l'opération aurait lieu sous l'influence de la suggestion hypnotique, son fils, très effrayé de l'intervention que j'avais proposée, étant bien résolu à ne pas la laisser pratiquer dans les conditions ordinaires.
Analgésie suggérée pendant le sommeil normal,
par M. le D' Ange Manfroni (de Turin)
Un garçon de pharmacie, âgé de 15 ans. souffre beaucoup d'un cor au pied droit qui l'empêche, depuis un mois, d'accomplir sa besogne, de monter à bicyclette, de se chausser et même de mettre le pied par terre. C'est qu'il a irrité ce cor par toutes sortes d'interventions inopportunes ; l'infection est survenue avec une zone inflammatoire sur le pourtour et, à distance, des trainées de lymphangite.
Un beau jour, je trouve notre jeune homme en train de dormir sur une chaise. Il me vient aussitôt l'idée de profiter de son sommeil pour l'hypnotiser ; j'aurai d'ailleurs là une occasion de contrôler la méthode préconisée par M. Farez. Notons que ce jeune hommeavait déjà assisté deux fois à des séances d'hypnotisation et, bien qu'il en eût pu constater les résultats manifestes, il proclamait que jamais personne ne pourrait l'endormir.
Pour obtenir cet état particulier chez son fils, M. D. le conduisit chez notre confrère le Dr Bérillon. « Tel jour (23 mai 1900), dit notre confrère ace jeune homme, vous irez chez le Dr Moiroud ; celui-ci pratiquera une injection de cocaine et vous enlèvera votre dent sans douleur aucune n. M. D. père vint me prévenir du résultat de sa visite chez le Dr Bérillon et me demander de le recevoir le mercredi 23 mai.
Le jour convenu, je vis arriver chez moi M. D. fils accompagné de son père; sans mot dire et comme mû par une force invisible, il se plaça sur le fauteuil d'opération dans la position la plus favorable.
Je fis deux piqûres et non deux injections de cocaine comme à mon habitude, car je dois à la vérité de dire que je fis le simulacre de l'injection.
Après quelques minutes d'attente, pour donner à la cocaïne le temps de produire son effet, je plaçai mon davier, et j'enlevai, non sans être . obligé de déployer une force très grande, une molaire solidement implantée avec ses trois racines très écartées. Mon jeune client à aucun moment ne témoigna de la moindre sensibilité et garda jusqu'au bout une immobilité absolue.
L'opération terminée, il descendit spontanément du fauteuil d'opération. Alors seulement il me parut se réveiller et revenir à son état normal.
Cette observation est intéressante à deux points de vue : 1° La suggestion a donné une anesthésie absolue ; 2° Mais en outre elle a permis une opération à laquelle le jeune homme était bien décidé à ne pas se soumettre.
C'est donc une ressource dans bien des cas chez des sujets pusillanimes, pour leur faire accepter les explorations ou les interventions nécessaires.
M'approehant donc de lui dans les conditions que je viens de rapporter, je m'aperçois qu'il dort paisiblement et même qu'il ronfle. Sans le toucher, j'applique à la lettre la technique que M. Farez m'a enseignée pendant mon séjour à Paris.
Je ne tarde pas à constater que mon dormeur fait des grimaces comme s'il voulait se moquer de moi ou me résister. J'insiste et bientôt j'observe le clignotement des paupières ainsi que le mouvement des globes oculaires. Je suis convaincu que le malade entre alors dans le sommeil hypnotique. En effet, ses membres sont flexibles, malléables, flasques etn'offrent aucune résistance. J'enfonce assez profondément une épingle dans la peau du visage : je provoque une légère contraction des muscles superficiels, mais sans réveiller le patient. Je lui fais alors la suggestion que sa douleur du pied est disparue et qu'à son réveil il pourra marcher sans difficulté. J'invite enfin le malade à se réveiller; l'hypnotisation a duré un quart d'heure. Le malade à son réveil ne se souvient de rien et s'étonne de ne plus éprouver aucune douleur. Je lui raconte alors tout ce qui s'est passé et je lui répète que la cessation de la douleur va persister. Je n'ai pas voulu touchera son cor ni y appliquer un pansement quelconque, désireux de savoir combien de temps durerait l'analgésie provoquée par suggestion.
Depuis deux jours entiers, il n'avait pas souffert et avait même pu faire plusieurs courses à bicyclette ; une personne lui marche accidentellement sur le pied : cela suffit pour ramener la douleur qui toutefois est moindre.
N'ayant pas alors de temps à ma disposition, je n'ai pas tenté d'autre expérience sur ce sujet.
Je tiens à noter, pour terminer, un pointde détail déjà signalé par m. Farez : au cours de ma séance de suggestion j'ai pu à volonté modifier le rythme respiratoire de mon dormeur et le rendre synchrone à mon rythme vocal.
COURS ET CONFÉRENCES
Hystérie et ménopause [*). Par M. le P' Raymond.
Cette femme a 52 ans. Sa mère était une triste et avait de grandes crises; son père était nerveux, colère, irritable. Elle a été réglée à 12 ans. A cette époque, elle commence à présenter des ébauches de crise, avec perte d'appétit, bouffées de chaleur, etc. Plus tard apparaissent les crises convulsives proprement dites, sans perte de connaissance, au moins au début. Elle a la sensation classique de boule qui
remonte, puis du vertige, une tendance à se trouver mal..., elle se débat et tout se termine par une explosion de larmes. Vers '¿0 ans, tous les soirs à 9 heures, elle a des hallucinations visuelles : un ami qu'elle a jadis beaucoup affectionné lui apparaît et elle cause avec lui. Dans la journée elle a de grandes et de petites crises. Alors, sur le conseil de Charcot, elle entre dans une maison d'hydrothérapie et elle se trouve bien portante pendant 20 ans.
Chez cette héréditaire, l'apparition des règles a donc fait appel à l'hystérie : leur disparition va provoquer le retour des phénomènes hystériques. En effet, avec la ménopause, survenue il y a deux ans, les crises convulsives ont reparu.
Aujourd'hui, cette femme présente une analgésie totale absolue. Les diverses sensibilités, tactile, thermique, musculaire, articulaire, ainsi •que la perception stéréognostique sont conservées ; mais on peut piquer avec une aiguille et transpercer une région quelconque de la surface cutanée : cette malade ne sent absolument rien et regarde impassible les piqûres qu'on lui fait. Dans d'autres cas, c'est le sens stéréognostique seul qui a disparu alors que les autres sensibilités restent intactes. L'hystérie est capable, à elle seule, de réaliser ces dissociations de la sensibilité, tout aussi bien que les injections sous-arachnoidiennes de cocaïne ou que la syringomyélie, le tabès, la syphilis cérébro-spinale, etc. Il ne faut donc pas se fier uniquement aux troubles de la sensibilité pour faire des diagnostics différentiels.
Actuellement, cette femme présente encore un autre phénomène curieux. La nuit, elle dort profondément et se trouve comme a enfouie dans son sommeil » ; mais, à 4 heures du matin, elle s'areboute sur les mains, d'une part, sur les talons, de l'autre, puis se soulève et retombe tout d'une pièce. Cela se répète régulièremeni toutes les cinq minutes pendant deux ou trois heures. La malade possède alors toute sa lucidité d'esprit; elle est très consciente de ce qui se passe. Si elle se lève, elle sort complètement de son sommeil et ces phénomènes cessent; si elle se recouche, ils se reproduisent. Il y a là une sorte de tic rythmé très fréquent dans l'hystérie. Ce tic se passe dans le champ de l'automatisme ; il s'accomplit en dehors de la'volonté, malgré elle, et répond à un rêve oublié.
Enfin, quand cette malade a eu dans la journée une violente émotion ou une forte crise, elle présente un piqueté hémorrhagique au pourtour des yeux et des seins. On a prétendu à tort que ce piqueté, semblable à des piqûres de puces était spécial au mal comitial ; chez cette femme il s'agit seulement d'un accident hystérique.
Le traitement de cette malade peut se formuler ainsi : la remonter au physique et au moral, la rassurer, la calmer, attirer souvent son attention sur ses troubles de sensibilité, en somme la tonifier et la suggestionner.
CONGRÈS
Sur la théorie de l'obsession (*)
Par M. le D' F.-L. Arnaud {de Vanves}
On a appliqué à l'obsession l'une et l'autre des deux théories principales de l'émotion, la théorie intellectuelle et la théorie physiologique. Ces deux théories paraissent également insuffisantes pour expliquer cet état morbide.
ha théorie intellectuelle néglige presque absolument les symptômes organiques, elle admet que tout vient d'en haut, c'est-à-dire de l'idée dont les autres symptômes sont de simples réactions. On lui objecte que l'idée ne devient obsédante que grâce à l'existence d'un trouble préalable ; les obsédés sont des malades avantd'avoir des obsessions précises. En outre, dans certaines obsessions. les symptômes émotifs précèdent et annoncent l'apparition de l'idée, I)'un autre côté, la marche de l'obsession par accès, le défaut de rapports constants entre la nature de l'idée obsédante et l'intensité de rangoisse; la variabilité de l'idée (dans les cas de panophobie. par exemple) comparée à l'identité des symptômes émotionnels, etc., tout cela s'accorde mal avec l'hypothèse qui attribue à l'idée un rôle toujours prépondérant dans l'obsession.
Inversement, la théorie physiologique ou émotive (Lange, W. James, Ribot, etc.) exagère l'influence des troubles vaso-moteurs et de l'expression émotive, au détriment des centres cérébraux supérieurs. Il n'est pas du tout prouvé que, toujours, nous soyons tristes parce que nous pleurons ou effrayés parce que nous tremblons ; il s'en faut qu'il y ait toujours parallélisme entre l'intensité de l'émotion et son expression. Dans bien des cas, il parait évident que l'émotion naît de l'idée ; à plus forte raison pour l'obsession, dans laquelle l'élément intellectuel est plus important que dans l'émotion simple.
Xous pensons que le rôle essentiel, dans la genèse de l'obsession, appartient aux troubles de la volonté. Si l'on étudie l'état des obsédés, en dehors de leurs crises angoissantes, on reconnaît que ces malades sont tous des abouliques, qu'il s'agisse des mouvements ou des idées. L"¿tude des mouvements volontaires est, à cet égard, très instructive chez les obsédés. On retrouve ces troubles moteurs dans la folie du doute, type des obsessions dites intellectuelles, aussi bien que dans les diverses phobies. C'est la perte ou l'amoindrissement considérable du contrôle de la volonté qui permet la formation de systèmes psychologiques, produits de l'automatisme, qui s'imposent à la conscience et qui l'obsèdent.
En résumé, l'obsession morbide est un phénomène très complexe, dont la condition fondamentale est un trouble primitif et généralisé, affectant les éléments moteurs communs à la volonté et à l'intelligence;
(1) Congrès des aliéaistes et neurologistes, 1901.
ce trouble est une aboulie permanente qui préexiste aux obsessions et les prépare. L'influence des idées et des émotions se fait sentir dans le développement, dans l'orientation et dans l'intensité de l'obsession, ainsi que dans l'apparition et le rappel des accès. Mais l'obsession est, avant tout, une maladie de la. volonté.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Les prochaines séances de la Société auront lieu le mardi 19 novembre et le mardi 17 décembre 1901.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invites à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, (, place Jussleu.
Un hypnotiseur de serpents.
Il existe à Delhi, dans l'Inde anglaise, un spécialiste, nommé Kullan, qui, pour capturer le serpent, procède par hypnotisme. Quand il a dépisté un reptile, il le force à quitter son trou en fourrageant dans celui-ci avec une longue baguette; la bète apparaissant, Kullan se dandine rythmiquement devant elle en la regardant fixement. Le serpent dresse sa tète et la balance selon la mesure indiquée par l'homme; dès que le reptile commence à s'engourdir, l'hypnotiseur lui fait devant les yeux des passes lentes et méthodiques, puis il le saisit doucement par le cou et l'enfourne dans son sac.
En rentrant de cette chasse qui lui fournh\en moyenne une douzaine de cobras par jour, il retire un à un ses reptiles du sac et les étrangle à moitié pour les forcer à ouvrir la gueule ti'ute grande dans laquelle il jette alors une petite boule de verre creuse et dont la paroi est percée d'un trou. Le reptile, une fois libre de nouveau, se met en fureur, bave tout son venin sur la boule et une partie du terrible liquide pénètre dans celle-ci comme en une fiole. Ce venin, Kullan le cède moyennant une guinée par mois, au Df Calmette, pour la production du sérum contre la morsure des serpents.
VAdministrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
REVUE DE FHtiNOTISME
EXPÉRIMENTAI; JST THERAPEUTIQUE
16« Année — n« 6. Décembre 1901.
Physio-psychologie des religieuses
Par le D' Charles Binet-Sanglé
Les religieuses de Port-Royal (suite) {') (Troisième série de cinq observations)
Observation II. — Mafigueiiite d'ANGENNES
hérédité. — Je n'ai pas retrouvé le nom de Marguerite d'Angenncs dans l'article du Dictionnaire de Moréri consacré à cette famille, et j'ignore les liens de parenté qui pouvaient l'unir à Henriette-Marie d'Angennes du Fargia.
etat général.
Tuberculose pulmonaire. — Autant et plus que beaucoup de maladies, la tuberculose pulmonaire modifie l'étal mental. Aussi, chez Marguerite d'Angennes, qui, à ce qu'il semble, fut tuberculeuse dès Page le plus tendre, ce sera la tuberculose que j'étudierai d'abord.
Marguerite d'Angennes naquit en 1643. En nourrice, « il lui vint un mal dont elle ne fut pas bien pensée (sic) ; de quoi elle eût une jambe plus courte que l'autre et fut boiteuse toute sa vie* (*). Il s'agissait vraisemblablement, si l'on en juge parce qui va suivre, d'une tuberculose osseuse ou articulaire, peut-être d'une coxalgie.
A 16 ans (24 janvier 1659), elle entra au monastère du Port-Royal des Champs, et « dans ce commencement elle ne se porta pas bien » p). « Au bout de neuf mois qu'elle eût passés dans le noviciat, s'acquittant de toute sa Règle avec une exactitude
(1) V. Revue de l'Hypnotisme. Numéro précédent, tî) Vie, intéressantes, etc., t. III, p. Î10 ? Ihid. III, 215.
extraordinaire, elle tomba dans une maladie qui l'a conduite lentement à la mort » ('). La relation de cause à effet entre l'hygiène déplorable des religieuses et le développement du bacille tuberculeux est ici presque soulignée.
Celte « maladie qui servit à la purifier... fut une toux accompagnée d'un crachement de sang » En effet, le 23 octobre 1659 (16 ans), « U lui prit, dit sa biographe, Angélique Arnauld d'Andilly, une fort grande toux, et en même tems un crachement de sang dont celles qui étoient avec elle s'apperçurent avant qu'elle le dit. Cela fut si violent qu'elle jeta dix à douze palettes de sang pendant qu'on étoit venu nous avertir » (3). Cette hémoptysie « qui faisoit horreur,., dura près d'une demi-heure avec très peu d'intervalle, et lui reprit encore un quart d'heure après. Je commençai pour lors à douter de sa vie, tant le sang l'étouffoit, dont elle jetta pour le moins vingt palettes (*) cette première fois »>. Elle eut une syncope, « on la saigna (s), et on lui donna d'autres petits remèdes » (°). « Ce crachement de sang lui reprit plusieurs fois pendant deux ou trois jours, mais avec moins de violence » ('). Elle était dès lors « dans un tel état, que son père eût eu assez de peine à trouver un couvent (autre que Port-Royal) qui voulut s'en charger » (8). Il avait en effet songé à la retirer de Port-Royal.
« Vers la mi-carême (même année 1659), elle recommença à cracher le sang, et quoique cela ne dura guère, elle en demeura beaucoup plus mal que l'autre fois, son poumon paraissant tout à fait affecté, et sa toux accompagnée d'une fièvre lente se rendant fréquente et violente. Depuis cela elle a toujours empiré et diminué peu à peu » (9). La fièvre redoublait « toutes ' les après-dinées avec un grand frisson » (,0).
(1) Vies int. III, 225-6.
(i) Nécrol. des plus célèbres dé/, de la venté
(3) Vies int., m, 22:.
(4) La pâlotte était un petit récipient destine à recueillir le sang, et qui en contenait d'ordinaire l?ô gr. ¦L'hémoptysie aurait donc été de 2 litres et demi. Mats il est probable qu'on vidait la palette avant qu'elle fût complètement pleine. Bien que la quantité de sang expectorée dans l'hémoptysie tuberculeuse ne dépasse guères un litre, elle peut être beaucoup plus considérable. LaCanec parle d'un jeune homme qui perdit ainsi 5 kilogr. de sang en 21 heures.
(5) C'était la saignée dérivative, employée jadis contre l'hémoptysie, et qui réussissait parfois, en déterminant un spasme réflexe des vaisseaux du poumon. D'ailleurs, on abusait de la saignée au xvn« siècle, et cet abus doit être rangé parmi les causes de l'hystérie a cette époque. Si l'on songe que les religieuses de Port-
, Royal s'entresalgnaient a toute occasion, souvent même pour des accidents hystériques, on conçoit à quel degré de gravité pouvait atteindre cette maladie.
(6) et (7) Vies vit. III, 227-8. (8) et (9) Ibid. 225-6. (lO)ifcirf. III, 260.
Elle resta huit ou neuf mois à l'infirmerie du noviciat, sans toutefois garder le lit. Il y eut, pendant cette période, une rémission de deux mois. Elle « s'aflaiblissûit... beaucoup, et elle devint vers le mois de juin (10GO, 17 ans) en état qu'elle... ne pouvoit plus descendre pour communier. '» Ses nuits se passaient « à tousser sans dormir avec des sueurs fort grandes qui l'affaiblissoient beaucoup, sans parler d'un dévoiement continuel. » f1).
Trois mois environ avant sa mort, c'est-à-dire vers le 30 juillet 1660, le mal s'aggrava. « Elle n'avait plus de repos les nuits », qu'elle « passait souvent avec une toux violente et presque continuelle « Onfutd'avisqu'ellepritdespetitsgrainst3) pour la faire dormir. Le premier qu'elle prit ne produisit pas cet effet; mais il charma son mal et sa toux, et la laissa dans un fort grand calme d'esprit qui est un effet assez ordinaire de ce remède ».
Pendant les deux derniers mois de sa vie (août et septembre 1660), on nous signale chez elle un symptôme intéressant, « une faim qui la dévoroit, et qui lui prenoit régulièrement avec le redoublement de la fièvre : cette faim était si violente qu'elle ne pouvait penser à autre chose. » (4) C'est la boulimie hystérique, l'hystérie, c'est-à-dire la dégénérescence des neurones, ayant été probablement déterminée chez elle par le poison tuberculeux.
Elle était devenue très maigre.
« Quinze jours avant sa mort... l'affaiblissement extrême de son corps la rendait incapable de toutes sortes d'occupations, et d'appliquer son esprit à quoique ce fut »
Elle mourut à la chute des feuilles.
En effet, le 29 septembre 16b'0, « elle passa tout le jour... dans une fort grande agitation de sa toux et de son oppression qui étaient fort grandes »(6j. A cinq heures du soir, elle fut très mal, mais « au bout d'une heure et demie, son oppression et sa toux diminuèrent » (). Néanmoins « elle fut toute la nuit dans une situation bien fâcheuse » (8). Le 30 septembre, l'oppression
(I) Vies LU, 246. (!) Ibid. III, 233.
(3} Probablement des grains d'extrait d'opium.
(4) Vies III, 243.
S)/*M. 111,231.
(6) Ibid. III, 260.
0) Ibid. III, 260.
18) Ibid. III, 261.
augmenta peu à peu, et, à deux heures après midi, l'agonie commença, accompagnée de sueur. La mort survint à trois heures et demie. L'affection datait de onze mois.
Un fait trouve ici sa place. Le 30 septembre, Angélique Ar-nauld d'Andilly amena auprès de la moribonde « la petite demoiselle Dalbert. » « Je lui dis, dit Angélique, que j'avais désiré qu'elle la vît en l'état où elle était, parce qu'il est utile aux enfants d'avoir quelque impression dans les sens de ce que c'est que la mort » (*). Tant il est vrai que les religieux ne négligent aucun moyen de suggestion.
imagination et intelligence. — La tuberculose pulmonaire détermina chez Marguerite d'Angennes un affaiblissement de l'imagination et de l'intelligence. « La défaillance universelle de son corps... affaiblissoit la vigueur de son esprit » ('). Elle ne pouvait plus « s'appliquer à Dieu par l'esprit et par la pensée. » (2) Elle se plaignait de « sa stupidité pour s'appliquer aux choses spirituelles, et des distractions où elle se trouvoit pour des choses basses qui ne regardoient que son corps » (3).
Joie et tristesse. — Au moment où elle entra à Port-Royal, elle était d'un caractère enjoué, et « il y avoit... plusieurs petites choses comme lescoulpesqui se disent aux assemblées, d'avoir perdu, rompu, cassé quelque chose qui lui donnoient envie de rire » (;). Mais ensuite on ne nous parle plus que de sa tristesse, soit qu'il se fût produit chez elle une conversion de l'émotivité, parallèle à la conversion religieuse et due au régime du couvent, soit que cette altération eût été la conséquence du progrès de la tuberculose pulmonaire. « J'ai eu bien souvent de la peine, dit Angélique Arnauld d'Andilly, à modérer ses larmes et à consoler son esprit de la douleur que lui causoient ses moindres manquemens et la vue de ses infidélités envers Dieu et de son peu d'amour pour lui, dont elle s'ac-cusoit toujours. » (5) « Je l'ai vue pleurer.deux ou trois fois avec beaucoup de douleur, dit-elle encore, d'une petite antipathie naturelle qu'elle ressentoit pour une personne. ».{6).
colère. — Aussi bien elle présentait une certaine inclination à la haine et à la colère. Un. jour, dit encore sa biographe,
(!) Vies, iii, 252.
(2) /bid. m, 233.
(3) Ibid. iii, 255.
(4) Ibid. iii, 215.
(5) Ibid. 111, 223.
(6) Ibid. iii, 230.
«elle vint, pour ainsi dire, me faire sa confession générale avec une douleur aussi grande que si elle eût fait des meurtres, de toutes les impatiences et les colères auxquelles elle avoit été sujette par son naturel pendant qu'elle étoit dans le monde» ('). Lors de l'hémoptysie du 23 octobre IG59, « elle dit que depuis quelques jours elle avoit senti des mouvements d'impatience et de promptitude, qui auroient éié de la colère comme autrefois, si elle en eût eu l'occasion » p). Il semble ici que l'intoxication tuberculeuse ait joué un rôle.
crainte. — a Elle avoit une appréhension naturelle à être saignée » (3).
Le crachement de sang dont il est question plus haut détermina chez elle une « appréhension de mourir », parce que, disait-elle, « elle n'étoit pas encore convertie » (4), et, « toutes les fois qu'elle le sentoit venir, son appréhension de mourir redoubloit » (5).
Mais plus tard, et alors que la phtbisie était en pleine évolution, elle désirait la mort, et « avoit de la compassion pour celles qui paroissoient la craindre » (fi). Elle parlait même de ce désir aux autres « avec tant d'ardeur et de piété qu'en effet elle en persuada quelques-unes » p). • Toutefois «Dieu l'éprouva les six dernières semaines par un état intérieur tout-à-fait pénible » (s). En effet, « elle fit bien voir à la fin de sa maladie que les nuits lui étoient devenues si fâcheuses que, quoiqu'elle ne se plaignit point des autres maux, elle m'exprima la peine qu'elle souffroit de cette effroyable inquiétude et cet anéantissement où elle croyoit tomber dès qu'elle pensoit un peu fermer les yeux » (9). Et la veille du dénouement, bien qu'elle montrât « une douceur d'esprit et une égalité admirable », néanmoins « la pensée de la mort lui donnoit de tems en tems des inquiétudes » (10).
suggestibilïté. — « Destinée par M. son père, cadet de sa maison, à être Religieuse » ("), elle subit les suggestions de
(l)VÍM int. iii, 224. 11) Ibid. 111,228. [3)Ibid. 111,220. (4) et (o)Ibid. iii, 228. (G)elÇl)lbid. iii, 217. (8) Ibid. ffl, 252. (0) Ibid. 111,257.
(10) Ibid. III, 260.
(11) Nier, des plus célèbres déf. de la vérité.
Mme de Fontaineriant, sa tante, ainsi que celles de de Séez, docteur en théologie et prédicateur; et elle s'imprégna si bien de la Fréquente communion d'Antoine Arnauld, qu' « elle ne pouvoit souffrir de personne aucune contradiction sur cette matière » (*).
Elle avait paru entrer dans le dessein de son père, à, la condition toutefois qu'elle se retirerait à Port-Royal-des-Champs. Elle y prit en effet l'habit de postulante le 24 janvier 1659 (16 ans).
« Entrée au cloître à 16 ans, sans aucun dessein d'y demeurer, elle fut bientôt après si puissamment touchée de Dieu, qu'elle embrassa avec ferveur tous les exercices réguliers, et devint eh peu de temps l'exemple de tout le noviciat par une parfaite docilité et son exactitude à toutes les observances » (*). Cet état d'esprit coïncidait avec les premières manifestations de la tuberculose pulmonaire.
Sur ces entrefaits, « M. son père, prévenu par les faux bruits répandus contre cette sainte maison » (8), voulut s'opposer à ce qu'elle y fit profession, et écrivit dans ce sens des lettres à Port-Royal. « Elle devint pâle comme la mort dès qu'elle les vit » « Néanmoins, les Religieuses voyant l'extrême désir qu'elle en avoit la reçurent » (5).
Aussi bien sa suggestibilité était des plus grandes. « Il a toujours paru en elle de l'exactitude à l'obéissance et de l'application à se conformer à tout ce que faisoient les autres » (6), « sa vertu n'ayant été que le fruit d'une parfaite docilité d'esprit qui la rendit comme une bonne terre capable de recevoir toutes sortes de semences, à mesure qu'on les répàndoit dans son cœur par les instructions qu'on lui donnoit » (7). « Je ne me souviens point, dit Angélique Arnauld d'Andilly, qu'elle ait jamais témoigné aucune difficulté à tout ce qu'on a exigé d'elle, saine ou malade, excepté à être saignée » (8). « Cette docilité lui a donné tant de facilité à entrer dans tout ce qu'on lui faisait voir que Dieu demandoit d'elle, qu'il sembloit que les pensées des autres fussent devenues les siennes, quand on
(1) Vies int. LTI, 211.
(2) Nécrologe de Port-Royal.
(3)Nécr. des plus célèbres déf. de la vérité, (i) Vies vtt. III, 225.
(5) Ibid. III.
(6) Ibid. III, 215. 7}/*W. 111,218-(8) Ibid. III, 220.
l'avoit persuadée qu'elle devoit avoir d'autres sentiments que ceux qu'elle avoit eus auparavant par elle-même, quoique le motif lui eût paru bon » (*). Phrases remarquables et qui montrent bien que les religions, aussi bien que les morales sentimentales, ne sont que le fruit de la suggestion.
Cette « docilité extraordinaire de son esprit » (2) ainsi que cette « obéissance sans réplique pour tout ce qu'on lui ordon-noit » (3), la livraient naturellement à toutes les mortifications du monastère.
« Elle avoit un attrait singulier pour le travail et le silence » (*), qu'elle observait « avec une exactitude extraordinaire. » (5) En effet « elle aima si fort l'usage des signes, quoique d'abord c'eût été de ces choses dont elle se moquoit, qu'elle s'en servoit continuellement et ne parloit point du tout, jusque-là que quelquefois les sœurs qui étoient avec elle en avoient un peu de peine, parce qu'elles ne pouvoient comprendre les signes qu'elle composoit quelquefois, ne les comprenant pas tous assez bien » (c). Par une sorte d'instinct salutaire, elle devint plus silencieuse encore, lors de ses premières hémoptysies. « Une soeur de la communauté, qui étoit Iïéfectorière, et qui l'avoit été avec elle deux ou trois mois, disoit en ce tems-là à la Conférence qu'elle ne savoit encore comment elle avoit la voix ét de quel ton elle parloit, parce qu'elle ne l'avoit jamais entendue parler depuis qu'elles étoient ensemble. Toutes celles qui ont été à l'Infirmerie du Noviciat pendant huit ou neuf mois qu'elle n'en a bougé sans être néanmoins alitée, pourroientdire la même chose; car, excepté l'heure qu'on donne aux malades pour s'entretenir, elle étoit dans un silence si exact, qu'elle doutoit même si ce n'étoit pas faire une faute que de dire aux personnes qui venoient chercher quelqu'un ou qui étoient en peine de quelque chose ce qu'elle en savoit pour les empêcher de perdre davantage de tems. » (7)
« Son humilité n'avoit pas de bornes, aussi bien que sa pénitence. » (8) C'est ainsi qu' « elle buvoit dans le dernier mois de sa maladie dans une certaine petite écuelle assez usée et
(1) Vies. III, 218.
(2) Ibid. III, 238.
(3) Ibid. III, 242.
(i) S'écr. des plus célèbres dé/, de la vérité.
(5) PimIII. 216.
(6) Ibid. III, 220. (7> Ibid. III. 230.
(8) Nier, des plus célèbres dé/, de la vérité.
dégoûtante qui étoit toujours auprès d'elle, et quelquefois bien poudreuse ou qui le paroissoitdu moins par sa couleur. » (*)
Voici encore un exemple de cet amour de la mortification d'origine suggestive. Le lendemain du jour où elle prit son premier grain de narcotique, « après s'être plaint de l'impuissance où elle commençoit à se trouver bien souvent de s'appliquera Dieu à cause des inquiétudes et des affaiblissemens où elle étoit la plupart du tems, elle me dit (c'est encore Angélique Arnauld d'Andilly qui parle) que Dieu l'avoit néanmoins un peu consolée cette nuit, et que, n'ayant pas toussé comme les autres, elle s'étoit trouvée pendant deux heures dans une si grande liberté d'esprit, si occupée de Dieu et remplie de consolation, qu'elle croyoit être en Paradis. Je lui dis en riant qu'elle ne se trompoit pas et qu'elle était au Paradis terrestre, parce que c'étoit l'ordinaire des petits grains d'y mener les personnes qui en font usage, en leur donnant le calme d'esprit qui leur ôte le sentiment de toutes sortes de peine. Elle fut presque fâchée d'apprendre que cet effet étoit naturel. » (*)
Cette anecdote ouvre des horizons sur le rôle considérable nu'ont joué les substances enivrantes dans la genèse et le développement des religions. L'Asie, qui est leur pays d'origine, est aussi le pays des vins généreux, de l'opium, du has-chich et du bétel. D'après M. Jules Bois, qui a voyagé aux Indes, tous les religieux hindous contemporains font usage de narcotiques.
(A suivre).
La vie de Jésus devant la science hypnotique (*)
par le Dr Félix IÎegnault
Nous ne nous proposons pas de discuter la valeur des Evangiles, ni de rechercher lequel est le premier en date et le plus authentique (*); mais prenant les textes tels qu'ils sont parvenus jusqu'à nous, nous nous proposons de les étudier avec les ressources toutes nouvelles et encore peu connues que nous fournit la science hypnotique. Examinons seulement tous les miracles accomplis par Jésus, et nous verrons que,
(1) Vies III, 243.
(2) Ibid. IU, 233.
(3) Leçons professées à l'Ecole de psychologie, 1901.
(4) Ceux qui veulent être au courant de ces recherches n'ont qu'àlire l'article fort bien fait sur l'Evangile, par M. Vernhes, dans le dictionnaire la Grande Encyclopédie, Paris, Ladmirault, éditeur.
quoi qu'on ait dit, ils sont parfaitement explicables et n'ont rien d'invraisemblable.
» «
Les attaques de nerfs sont certainement une des manifestations nerveuses les plus connues. De tous temps on lésa regardées comme dues à des démons, et les malheureux qui les subissaient étaient des possédés. Ces accès étaient fréquents chez les Hébreux. Marc les décrit fort bien (IX, 18-^2} : a L'esprit l'agite par des convulsions partout où il le saisit; il écume, grince des dents et devient tout raide ; l'esprit l'a souvent jeté dans le feu et dans l'eau pour le faire périr, » ils connaissaient aussi la dernière phase de résolution (IX, 26], a l'esprit sortit en jetant un grand cri et en l'agitant avec violence, et l'enfant devint comme mort » (').
Nous diagnostiquerions aujourd'hui épilepsie ou hystéro-épilepsie. Pour les Hébreux comme au Moyen-Age et même pour beaucoup d'esprils de nos jours, ces attaques étaient l'oeuvre de démons, parfois nombreux chez le même individu : Telle Marie qu'on appelait Magdelcine, de laquelle étaient sortis sept démons(Luc VIII, 2). Même guéries, ces attaques pouvaient revenir : ¦¦ lorsqu'un esprit immonde est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant le repos et il n'en trouve point. Alors il dit : je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti; et étant revenu, il la trouve vide, balayée, et ornée.... (Matt. XII, 27, id. Luc XI, 24.) Pour éviter ces rechutes, Jésus commande aux démons non seulement de sortir du corps du possédé, mais de n'y plus rentrer (Marc IX, 25); ou mieux encore il les envoie habiter des pourceaux (Mat. VIII, 31), ceux-ci entrant en crise se précipitent dans le lac et s'y noient (Luc VIII, 33).
Jésus admettait que d'autres chassaient les démons, mais ses concurrents le faisaient au nom du diable, tandis que lui agissait au nom de Dieu (Mat. XII, 27 et Luc XI, 19). Au contraire les pharisiens l'accusaient de recourir au prince des démons (Mat. IX, 32 et XI, 22). Les exorcismes étaient alors fréquents: Josèphe (C&ntiq. VIII, 2-5) rapporte avoir vu de ses yeux un exorciste juif qui tirait les démons du nez des possédés au moyen d'un anneau et de formules magiques empruntées à Salomon; en sortant, le démon renversait sur son ordre un vase plein d'eau disposé à cet effet.
Plus tard les apôtres guérirent les possédés comme l'avait fait Jésus [ActesV, 16; VIII, 7; XVI, 16-20).
Jésus guérissait aussi la surdité et la cécité (amaurose) hystériques. Dans certains cas il n'y a pas de doute sur ce dernier diagnostic puisque les évangiles spécifient que le sujet muet était possédé par un démon (Mat. IX, 32 et Luc XI, 14) et que le démoniaque était soit aveu-Ci) Déjà au xvui* siècle on commença à s'élever contre la prétendue possession. Plusieurs écrivains montrèrent qu'il s'agissait tout simplement de maladies nerveuses. Voir A. Maury, la Magie et l'Astrologie, Paris, Didier et Cie, éditeurs, 1860, page 337.
gle, soit muet {Mat. XII, 22). Dans d'autres la nature démoniaque de l'affection n'est pas spécifiée (Mat. XX, 30; Luc XVIII, 35...)
Il convient de rapprocher le miracle rapporté dans les Actes XXII, 6). Paul fut rendu aveugle par une grande lumière venant du ciel en même temps qu'il entendait une voix lui dire « Paul, Paul, pourquoi me persécutes-tu. » Cette cécité par suggestion fut guérie par un nommé Ananias. Le même Paul rendit aveugle par suggestion un magicien {Actes XIII, H).
Jésus guérit une cyphose, (Luc, XIII, 11), il s'agissait d'une manifestation hystérique car la femme était possédée d'un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans ; elle était courbée et ne pouvait absolument pas se redresser.
Il guérit une maladie qui était fort commune autrefois, la lycanthro-pie : les sujets se croient transformés en animaux sauvages. Ceux de l'évangile habitaient des tombeaux comme des hyènes (Mat-, VIII, 28) ; ils ne portaient pas de vêtements (Luc, VIII, 27}, semblables aux mendiants sabouleux du Moyen-Age ou aux mendiants chinois que nous a décrits Matignon, nus comme ver pendant les plus grands froids. C'étaient d'ailleurs comme eux des névropathes, car l'évangile nous dit qu'ils étaient possédés du démon (').
La paralysie est une des manifestations hystériques les plus curables. Témoin l'innombrable quantité de béquilles pendues en cx-votos dans les lieux de pèlerinages. Jésus guérit des paralytiques pour accomplir la prophétie d'Isaie : alors le boiteux bondira comme un cerf. L'un d'eux attendait près d'une source thermale intermittente le mouvement de l'eau : car un ange descendait à un certain moment et troublait l'eau ; le premier qui entrait après que l'eau avait été troublée, était guéri (Jean, V, 3). Il n'avait personne pour le jeter dans l'eau, Jésus le guérit par la simple parole. Ses apôtres firent de même [Actes, III, 1-10 ; VIII, 7; IX, 31, etc.).
Il guérit aussi un hydropique, l'hydropisie peut être nerveuse, mais là-dessus nous n'avons point de ^détails (Luc, XIV, 2).
Il guérit des fièvres assez graves pour tenir les malades au lit [Mat., VIII, 14 ; Luc, IV, 38 ; Marc, I, 30). Quelle en était la nature, nous l'ignorons. Nous sommes plus heureux pour l'apôtre Paul qui guérit un malade atteint de fièvre et de dysenterie {Actes, XXVIII, 7). Nous dirons simplement qu il existe des fièvres nerveuses d'une extrême violence, et que la suggestion peut même couper des fièvres symptomatiques comme celles intermittentes.
II guérit une femme malade d'une perte de sang depuis douze ans (Mat , IX, 20 : Luc, VIII, 43 ; Marc, V, 25). Or, la suggestion possède une action vaso-motrice efficace.
Peut-être faut-il prendre simplement comme un arrêt de l'hémor-
(1) Saint Chrysostome parle aussi de démoniaques qui malgré les menaces, malgré les chaînes dont on les charge, se refusent à sortir des cimetières. — Alfred Maury, p. 306.
ragie, le miracle de l'oreille du sacrificateur qu'un coup d'épée enleva, et que Jésus guérit par simple attouchement [Luc, XXII, 51).
Jésus a ressuscité trois morts : Lazare, la fille de Jaire et le fils de la veuve de Nain.
Au .\v::r- siècle, Schlciermachcr ('} admettait déjà qu'il s'agissait de simples léthargies, Salverte émet plus tard la même opinion (3J. Jésus lui-même eut la même pensée, puisqu'il dit : la jeune fille n'est pas morte mais elle dort (Mat-, IX, 24 ; Marc, V, 39). Il est vrai que Marthe dit de Lazare : Seigneur, il sent déjà, car il est là depuis quatre jours. Mais ces dernières paroles prouvent que c'était une conviction plus qu'une idée motivée par l'odorat; car les juifs croyaient que, pendant trois jours l'âme voletait autour du cadavre et le quatrième elle lp quittait et l'abandonnait à la pourriture. Strauss (3) objecte que la parole ne peut avoir de prise sur des léthargiques. Cela est vrai en général, mais non d'une façon absolue.
Des miracles semblables sont d'ailleurs fréquents dans l'antiquité. Le plus célèbre est celui de l'Ancien Testament {Rois, II, IV, 8-37). Elisée pour ressusciter l'enfant de la femme de Sunein employa des procédés médicaux et fit la respiration artificielle : Elisée entra donc dans la maison ; et voici, l'enfant était mort et couché sur son lit. Et étant entré, il ferma la porte sur eux deux, et pria l'Eternel. Puis il monta et se coucha sur l'enfant, et mit sa bouche sur la bouche de l'enfant, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et s'étendit sur lui; et la chair de l'enfant fut réchauffée. Puis il se retirait et allait par la maison et remontait et s'étendait encore sur lui ; enfin, l'enfant éternua sept fois et ouvrit les yeux. »
Les apôtres Pierre (Actes, IX, 4ûj et Paul ressuscitèrent des morts. Mais, Paul reconnut également qu'il s'agissait d'une simple léthargie en disant; « Ne vous troublez point, car son âme est en lui « [Actes, XX, 10]. Ils pouvaient aussi amener la mort ou plutôt la léthargie par suggestion. Pierre fait périr Ananias et sa femme pour les punir de ne pas avoir donné tous leurs biens à la communauté. (Actes, V, !.)
A cette époque, les païens même ressuscitaient les morts. Les Héca-mins, prêtres égyptiens, prétendaient pouvoir ressusciter les morts ; chez les Grecs, Hercule, Chiron, Empédocle, Esculape savaient ressusciter les morts.
Apollonius de Tyane réveilla ainsi une jeune fille qu'on portait au bûcher ; mais son biographe avoue que la pluie qui tomba sur son visage avait pu commencer à éveiller ses sens.
Une cure semblable, opérée par Rhazès, mérite d'être rapprochée de celle du Christ :
« Léon l'Africain dit que Rhazès, passant un jour dans les rues de Cor-doue, vit le peuple assemblé, demanda la raison de ce concours, et apprit
(!) Dans Strauss, trad. Littré : Vie de Jésus, 1839, vol. I, p. 22-28.
(2j Salverte : Des sciences occultes. Paris, J.-B. Baillière, 1850, 3' édlt, p. 338.
(3) Strauss, ibid., 1.1, p. 22.
qu'un citoyen qui se promenait était tombé mort. Il s'approcha, et après avoir examiné cet homme, il se fit promptcmant apporter des baguettes qu'il distribua à ceux qui l'environnaient, en garda une pour lui, et exhorta les assistants à l'imiter. Alors il se mit à frapper le corps immobile du citoyen sur toutes les parties et spécialement sur la plante des pieds; les autres en firent autant. Le reste de l'assemblée les regardait comme des fous, mais au bout d'un quart d'heure l'homme que l'on croyait mort commença a se remuer, il revint ensuite parfaitement à lui, au milieu des acclamations du peuple, qui criait au miracle. Almansar n'eut pas plutôt appris cet événement, qu'il fit venir Rhazès, et lui dit en le complimentant: « Je vous connaissais pour un excellent médecin, mais je ne vous croyais « pas homme à ressusciter les morts. — J'avoue que j'entends la médecine, « répondit Rhazès, mais je ne sais pas rendre la vie aux morts, c'est l'ou-« vrage de Dieu. Quant à ce que je pratiquais dernièrement avec tant de « succès, je ne l'ai trouvé dans aucun livre de médecine, ni ne le tiens « d'aucun maitre; mais II m'arriva de faire en compagnie le voyage de « Bagdad en Egypte. En entrant dans les déserts quelques Arabes, gens de » qualité, se joignirent à nous. En chemin faisant, un d'entre eux se laissa « tomber de son cheval, comme s'il eût été mort. Un vieillard de notre o troupe mit pied à terre sur le champ, et coupant une poignée do verges, « Il nous en distribua à tous, et nous commençâmes k nous exercer sur le « prétendu mort, comme nous fîmes, il y a quelques jours sur le citoyen de « cette ville et avec le même succès. Tout le mérite de la cure se réduit o donc à avoir remarqué que le cas du citoyen était le même que celui de a l'Arabe; quant à l'événement c'est un pur hasard... » Ce récit plut à Almansar, qui dit avec admiration à Rhazès que le pays qu'il habitait pouvait se vanter de posséder en lui un Galien ; à quoi Rhazès répliqua modestement : L'expérience vaut mieux que le médecin, mot profond, qu'un homme de vrai mérite et dédaigneux des suffrages de la foule, seul peut trouver. (Eloy, Dict. historique de la médecine, t. IX, p. 6) {1).
Jésus guérit des lépreux, mais il est difficile de savoir à quelle maladie on donnait le nom de lèpre. Dans l'antiquité, ce mot qui vient de htr.ic, écaille, servait à désigner toute maladie squameuse. Dans le Lêvitique (XIII 1-28), on diagnostique lèpre toute tumeur ulcérée, toute cicatrice blanc rougeâtre, toute plaie tendant à l'envahissement, si cicatrice et plaie sont déprimées sur la surface de la peau, et si le poil qui pousse sur les parties malades a blanchi. Le sacrificateur auquel se présentent les malades doit déclarer ces derniers souillés : il proclamera pur au contraire celui dont la lèpre couvre toute la peau de façon à rendre le malade tout blanc et sans chair vive (probablement le psoriasis). (a)
(t) Reproduit dans Bouchut, Histoire de la médecine, 1.1, p. 2i5. (2) De même au Maroc on dislingue deux sortes de lèpre.
L'expression Djdem est usitée pour définir la lèpre affection qui, d'après les tobibs et les gens un peu instruits, fait tomber les sourcils, laissent intacts les cheveux, sauf aux endroits où il y eu des plaies, détermine des mutilations des doigts et des orteils qui se recroquevillent, etc.
A côté du Djdem, ou lèpre vraie, il y a le Baras qui n'est autre chose que les taches blanches, vitiligo, fréquent chez les gens à peau bronzée, cicatrices des
C'est ce dernier genre de lèpre qui est décrit dans les miracles de VExode (c. IV, 6} :
L'Eternel dit encore à Moïse : mets ta main dans ton sein. Et il mit sa main dans son sein; puis il la'retira, et voici, sa main était blanche de lèpre comme la nefge. Puis Dieu dit : remets ta main dans ton sein; et il remit sa main dans son sein; puis il la retira de son sein, et voici qu'elle était redevenue comme son autre chair.
ou encore, Nombres IXT, XII, XIII) :
Ainsi la colère de l'Eternel s'embrasa contre eux; et il s'en alla, et la nuée se retira de dessus le tabernacle. Et voici, Marie était frappée de lèpre, et blanche comme la neige; Aaron se tourna vers Marie, et voici, elle était lépreuse. {Exode, IV, 6.)
ou encore dans les Rois (II-VI) :
Or,- Naaman, chef de l'armée du roi de Syrie, était un homme puissant auprès de son seigneur et fort honoré, parce que l'Eternel avait délivré les Syriens par son moyen; mais cet homme fort et vaillant était lépreux. Et quelques troupes étaient sorties de Syrie et avaient emmené prisonnière une petite fille du pays d'Israël, et elle servait la femme de Naaman. Et elle dit à sa maîtresse : Oh! si mon seigneur était devant le prophète qui est à Samarle, 11 le guérirait aussitôt de sa lèpre! Naaman vint donc le rapporter à son seigneur, et lui dit : la jeune fille du pays d'Israël a dit telle et telle chose. Et le roi de Syrie dit : pars, va, et j'enverrai une lettre au roi d'Israël-Et il partit.
Lorsque le roi d'Israël eut lu la lettre, il déchira ses vêtements et déclara qu'il n'avait point le pouvoir divin pour guérir la lèpre. Mais le prophète Elisée demanda qu'on lui envoya Naaman.
Naaman vint donc avec ses chevaux et son char, et s'arrêta à la porte de la maison d'Elisée. Et Elisée lui envoya un messager pour lui dire : va, lave-tol sept fois au Jourdain, et ta chair te reviendra et tu seras pur. Mais Naaman se mit fort en colère, et s'en alla en disant : Voici, je me disais : il sortira certainement vers moi; 11 se tiendra là; 11 invoquera le nom de l'Eternel, son Dieu: il étendra sa main sur la plaie et guérira le lépreux. L'Abana et le Porpor, les fleuves de Damas, ne valent-ils pas mieux que toutes les eaux d'Israël? Ne pourrais-je m'y laver et devenir pur? Ainsi il s'en retournait et s'en allait tout en colère. Mais ses serviteurs s'approchèrent et lui dirent : mon père, si le prophète t'eût dit quelque chose de difficile, ne le ferais-tu pas? Combien plus lorsqu'il te dit : lave-toi et tu seras pur? Alors, il descendit et se plongea dans le Jourdain sept fois, selon la parole de l'homme de Dieu; et sa chair lui revint semblable à la chair d'un petit enfant et il fut pur.
Naaman, plein de reconnaissance, voulut récompenser Elisée, mais celui-ci refusa de rien accepter. Guéhazl, serviteur du prophète, poursuivit Naaman sur la route et lui demanda faussement de la part de son maître des
lésions tuberculeuses ou syphilitiques, morphéo, etc. Au contraire le mot Barns, en Algérie et dans d'autres pays musulmans signifie la lèpre, l'éléphantiasis des Grecs dans toutes ses manifestations; au Maroc, il a une définition plus spéciale.
présents pour deux jeunes fils de prophètes. Naaman lui remit deux talents et deux robes.
A son retour, le serviteur, Interrogé par Elisée, nia sa vilaine action.
Mais Elisée lui dit : mon esprit n'est-il pas allé là où cet homme a quitté son char pour venir à ta rencontre? Est-ce le temps de prendre do l'argent, de prendre des vêtements, puis des oliviers et des vignes, des brsbis et des* bœufs, des serviteurs et des servantes? C'est pourquoi la lèpre de Naaman s'attachera à toi et à ta postérité à jamais! Et il sortit de devant Elisée, blanc de lèpre comme la neige.
II semble que ce sont plutôt des cas de psoriasis.
Les lépreux du Nouveau Testament sont décrits d'une manière moins explicite. C'est un homme tout couvert de lèpre, qui veut être rendu net (Luc, V, 12) et Jésus déclare : « Sois net ». Après quoi, suivant la loi hébraïque, les lépreux guéris vont se montrer aux sacrificateurs.
Nous sommes encore moins renseignés sur la. maladie de la main sèche {Mat., XII, 10 ; Luc, VI, 0 ; Marc, III, 1). Peut-être s'agissait-il de contracture et atrophie hystériques.
La transfiguration du Christ a pu être due à une hallucination des apôtres. Elle n'est d'ailleurs qu'une imitation de l'enlèvement d'Elie (Rois, II, ch. II, 1-12). La marc/te sur les eaux s'explique de même. .
L'apaisement de la tcmpi'te et du vent a pu n'être qu'une coïncidence, et la pêche miraculeuse, une bonne pêche qui a été exagérée.
La transmutation del'eau en vin (Jean, II, 2) est une suggestion collective ; les disciples ont bu de l'eau en croyant que c'était du vin. Cette expérience hypnotique est d'une réalisation facile. Des croyances semblables se retrouvent ailleurs :
a Saint Epiphane dit qu'à Cybire, ville de Carie, il existe une fontaine dont l'eau, à certaines heures, se change en vin. II déclare sur parole avoir bu de ce vin miraculeux, et soutient que ce prodige arrive à plusieurs endroits » (').
La multiplication des pains et des poissons peut recevoir la même explication. Elle rappelle singulièrement la multiplication de l'huile de la veuve (Rois, II, IV, 1-17).
La résurrection du Christ a été expliquée de deux façons différentes :
I" Elle est l'effet d'hallucinations collectives des apôtres ctdes saintes femmes. Plusieurs fois déjà les disciples avaient été effrayés par des apparitions ;
2° Elle est réelle, Jésus étant simplement tombé en léthargie (P. de Régla) (2).
Jésus n'était, en effet, resté que trois heures sur la croix, alors qu'ordinairement la mort est très lente. Le coup de lance qu'on lui aurait donné n'aurait pu faire sortir du sang s'il avait été réellement mort.
III A. Debay : Histoire des sciences occultes, Paris, E. Dentu, édit., 1860, p. 217. (2) Paul de Régla : Jésus de Najareth. Carré, édit., 1801, 3- édit., p. 329.
•Hérodote et Josèphe citent des exemples de crucifiés qui revinrent à eux.
Il est encore certains faits delà vie de Jésus sur lesquels les nouvelles sciences peuvent nous éclairer.
. Jésus fut un enfant précoco : à l'ige do douze ans, il discutait avec les docteurs dans le temple (Luc, II, 43). On peut rapprocher ce fait d'autres cas nombreux de précocité d'hommes de génie.
Pendant un jeûne de 40 jours, il fut tenté par le diable (Luc, IV, i). Cela n'a rien d'étonnant pour qui connaît les hallucinations provoquées par le jeune. Les sorciers do tous temps et tous lieux se soumettaient au jeûne pour obtenir des crises hystériques et des hallucinations.
Jésus et ses disciples vivaient en vagabond ; et ils ne craignaient pas de manger les épis qu'ils trouvaient sur leur chemin (Luc, VI, I ; Marc, VII, 23). Cette conduite, répréhenslble à notre point de vue, est encore parfaitement justifiée de nos jours en Orient. Tout voyageur a droit de prendre sur les récoltes de quoi satisfaire sa faim, mais ils ne doit rien emporter. On comprend combien une pareille licence favorise l'existence des vagabonds et des saints...
Jésus reconnut que Judas allait le trahir (Jean, XII, 21). Le fait n'a rien d'impossible, car certains esprits perspicaces peuvent lire sur la physionomie les pensées de leur voisin. Le fait a été plusieurs fois observé.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 16 juillet 1901. — Présidence de M. le d* Jules Voisin,
Le traitement psycho-mécanique de la ehorée, des tics et des habitudes automatiques
Par le Dr BÉniLLOK, Médecin-Inspecteur des asiles d'aliénés de la Seine.
En 1890, au Congrès international de Berlin, dans un travail ayant pour but de fixer les indications de la suggestion hypnotique en neuropathologie et en psychiatrie, nous avons démontré les services que ce traitement peut rendre dans le traitement des différentes formes de chorée ('). Après avoir exposé les résultats de notre pratique, nous insistions sur l'utilité de faire exécuter au malade, pendant l'état d'hypnose, des exercices de gymnastique réguliers. Depuis lors nous n'avons cessé d'insistersur les avantages de cette méthode mixte,constituée parTasso-ciaiion de l'hypnotisme et des actions mécaniques, actives ou passives, et nous l'avons désignée sous le nom de traitement psycho-mécanique.
(1) Bérillon. — Les indications formelles de la suggestion hypnotique en psychiatrie et en neuro-pathologie, Revue de Wypnotisme, 5* année, 1890, p. 103.
Le traitement psycho-mécanique est applicable au traitement de toutes les affections caractérisées par l'apparition de mouvements involontaires et en particulier de la chorée, des tics, des habitudes automatiques. On peut en généraliser l'emploi au traitement des tremblements et de la maladie de Parkinson.
Nous croyons devoir y revenir encore aujourd'hui pour exposer certains détails de technique destinés à en faciliter l'application. Comme toutes les applications de la psychothérapie, le traitement psycho-mécanique constitue une opération à plusieurs temps que l'on peut décomposer ainsi :
I" Temps. — Production de Vêtat d'hypnose. — Il ne faut rien négliger pour obtenir l'hypnose à un degré aussi profond que possible. Pour arriver à ce résultat, si le sujet se montre réfractaire aux procédés suggestifs habituels, il ne faudra pas hési.ter à recourir à l'intervention des agents physiques (fatigue des yeux par la fixation d'un objet brillant, .bruit monotone, etc.) ou par l'emploi d'un narcotique anodin {hypnal, chloral), destiné à faciliter la production du sommeil. En un mot, il faut obtenir l'apparition d'un état d'automatisme accentué dont l'utilisation sera faite dans les temps suivants.
2" Temps. — Suggestions destinées à modifier Vétat psychique. — Dans la plupart des cas, les sujets atteints de chorée, de tics, d'habitudes automatiques présentent une véritable aboulie qui existait le plus souvent avant l'apparition des troubles moteurs, mais qui s'est accentuée avec leur développement. L'insuffisance de la volonté d'arrêt est manifeste et les malades n'hésitent pas à reconnaître qu'ils sont très mal doués au point de vue du pouvoir modérateur. En effet, ils sont enclins à la colère, aux troubles du caractère et à toutes les impulsions. Leur manque d'attention et leur défaut d'application se sont surtout révélés à l'école, où leurs progrès étaient lents. Les suggestions devront donc tendre tout d'abord à cultiver leur volonté, à développer leur attention et à leur demander de participer à leur guérison par une intervention volontaire. De plus, et qu'on nous permette d'insister sur ce point, la suggestion devra être utilisée également pour combattre les troubles de la sensibilité morale, de l'intelligence et de la volonté, si fréquemment observés chez ces malades; pour diminuer leur instabilité mentale et favoriser leur sommeil nocturne.
3e Temps. — Intervention d'actions mécaniques dans Vétat d'hypnotisme. — Depuis longtemps nous insistons sur l'intérêt que présente en psycho-thérapie l'emploi des artifices destinés à renforcer la suggestion. De tous ces artifices, les plus efficaces sont les actions mécaniques destinées à réaliser la création de centres psychiques d'arrêt [*). Un fait très remarquable, c'est que les mêmes actions qui se montrent impuissantes Iorsquelles sont exercées à l'état de veille, deviennent d'une
(1) Bérillon.— Action psycho-mécanique associée à la suggestion.— Création d'un centre d'arrêt. Revue de PHypnotisme, 9' année, 1895, p. 306.
efficacité remarquable, lorsqu'elles le sont chez le malade plongé dans l'état d'hypnotisme.
Le monoidéisme qui caractérise l'état psychique de l'hypnotisé pourrait suffire à donner une explication de ce phénomène. Pour le moment nous nous bornerons à constater le fait et à l'utiliser ïhérapeuti-quement.
Le sujet atteint de choréc ou de tics étant dans l'état d'hypnotisme, l'action mécanique consistera essentiellement à neutraliser ou à contrarier les mouvements involontaires. On arrivera à ce but, soit en imposant l'immobilité, soit en faisant exécuter passivement des mouvements antagonistes.
L'immobilité d'abord difficile à obtenir du sujet lui-même, lui sera imposée par l'opérateur qui s'appliquera h fixer avec les mains les muscles atteints de mouvements involontaires. Après quelques séances on diminuera la contrainte et l'on demandera au sujet de seconder -volontairement les efforts de l'opérateur. Enfin, on l'invitera à assurer l'immobilité sans aucun concours extérieur.
Pour la production de mouvements passifs, l'opérateur saisira fortement le membre du malade et lui imprimera, au commandement, des mouvements réguliers bien rythmés. L'état de passivité du sujet, développé par la production de l'hypnose, facilitera celte manœuvre.
Mais, à notre avis, l'intervention la plus efficace sera celle qui tendra à obtenir la création de centres psychiques d'arrêt et à utiliser ce que le professeur Renault, de Lyon, désigne d'une façon si heureuse sous le nom de la mémoire du neurone. Pour arriver à ce résultat, on invite le sujet à exécuter volontairement le mouvement musculaire anormal qu'il présente habituellement d'une façon involontaire et inconsciente, et on s'applique par la force à neutraliser l'exécution du mouvement. En môme temps, par une suggestion appropriée on accentue la notion de la sensation d'arrêt qu'il ressent, associant ainsi à la représentation psychique d'arrêt le souvenir d'un arrêt physique réel toujours supérieur à une simple représentation virtuelle.
Il en résulte l'apparition d'un nouvel état de conscience en rapport avec le besoin du sujet et l'utilisation de cette nouvelle aptitude, de cette nouvelle acquisition, de cette nouvelle adaptation, ne tarde pas à se faire. Lorsque les exercices tendant à créer et à développer des centres d'arrêt auront été faits à plusieurs reprises dans l'état d'hypnose, ils pourront être exécutés alternativement dans l'état d'hypnose et à l'état de veille.
Ensuite, ils ne le seront plus qu'à l'état de veille. C'est ainsi que l'automatisme du début fait progressivement place à l'état conscient.
Dans certains cas les résultats du traitement psycho-mécanique sont immédiats. Ainsi, chez un enfant de H ans, que les mouvements incessants d'une chorée généralisée, mettaient depuis trois mois dans l'impossibilité absolue de tenir une plume et par conséquent d'écrire, fut guéri
en une seule séance, après l'exécution de mouvements passifs dans l'état d'hypnose (').
Le but de cette. communication est surtout de fixer un point de l'histoire de la psychothérapie et de rappeler la part qui nous revient légitimement dans l'idée d'appliquer le traitement psycho-mécanique dans la thérapeutique des chorées, des tics et des habitudes automatiques.
Fausses grossesses et grossesses nerveuses
Par M, le docteur Henry Leuesle.
La Cour de Serbie a été le théâtre et la reine Draga a été l'héroïne de récents événements qui ont eu en Europe un assez grand retentissement. Pour l'explication de phénomènes qui ne sont cependant pas nouveaux, et dont la science a enregistré d'assez fréquents exemples, les interprétations les plus fantaisistes ont été données, les suppositions les plus diverses ont été mises en circulation.
La fausse grossesse de la reine de Serbie ayant donné un regain d'actualité à cette page de la pathologie nerveuse, il m'a semblé que notre Société était mieux qualifiée qu'aucune autre pour discuter la question dont il s'agit et pour la mettre au point.
En vous présentant cette communication, mon but a été de résumer la question et de provoquer ainsi un échange d'observations qu'elle ne saurait manquer de vous suggérer.
Les fausses grossesses sont le plus souvent d'origine nerveuse directe ou indirecte, mais il convient de ne pas oublier que la suggestion qui explique la plupart des fausses grossesses, semble cependant ne pas les comprendre toutes. Il parait exister des observations dans lesquelles le facteur psychique doit être vraisemblablement écarté; il est certain que des femmes indifférentes à l'idée de grossesse ont pu à tort se croire enceintes; mais n'y a-t-il pas lieu de se demander si, dans ces cas, la suggestion n'agirait pas encore par suite d'une crainte ou d'un désir de grossesse évoluant dans la sphère du subconscient ? Je pose la question sans la résoudre.
D'autre part, nous devons mentionner que, dans la série animale, des fausses grossesses ont été observées qui h, priori ne semblent pas dériver d'une cause psychique. Des observations d'une authenticité certaine ont été produites; le docteur Haugton a signalé dans le Journal de médecine de Dublin, le fait de fausses grossesses chez un zèbre femelle ; Girard de Lyon a noté des faits identiques chez des chattes et chez des vaches;
(1) Les mouvements passifs dans l'état d'hypnose peuvent porter mieux sur les muscles de la langue. Chez plusieurs enfants chorolques qui ne pouvaient parler et se mordaient la langue, nous avons, en une ou plusieurs séances, obtenu la gué-rîson de ces états pénibles en exécutant tes tractions rythmées de la langue, d'après la méthode du Dr Laborde.
Boyer, chez des chiennes, et Harvey a fait la même observation sur des lapines et des femelles de daims.
Il semble difficile, je ne dis pas impossible, d'invoquer une raison psychiquo dans les cas des botes ayant l'apparence d'être pleines et prenant leurs dispositions pour mettre bas.
Pour en revenir aux fausses grossesses dans l'espèce humaine, il est presque toujours possible d'en faire remonter l'ëtiologie à un facteur psychique. Il convient toutefois de distinguer nettement :
1° Les grossesses nerveuses à substratum organique; .
2° Les grossesses nerveuses essentielles.
1° Grossesses nerveuses a substratum organique
Une lésion organique de l'utérus ou des annexes peut être le prétexte et le point de départ de la fausse grossesse : l'idée de grossesse s'installe à la faveur de cette lésion.
Le cortège symptomatique de l'hystérie avec les afcerra/îons du goût, les vomissements sans lésions de l'estomac, les (roubles salivaires, l'irrégularité des fonctions menstruelles, les rêves ou hallucinations laissant le sujet persuadé de l'authenticité des faits rêvés, en impose souvent pour des troubles de retentissement de l'utérus gravide.
La métrite chronique, l'ascite utérine (cas de Guillcmeau et de Scanzoni), la diaihèse adipeuse (grossesse adipeuse de Depaul), les kystes ovariques, peuvent être une cause de fausses grossesses.
Mais les cas bien véritablement dignes de retenir notre attention sont ceux dans lesquels le facteur psychique intervient seul et où l'on se trouve en présence d'une grossesse nerveuse d'origine purement suggestive.
2° Grossesses nerveuses essentielles Il faut envisager :
a) La grossesse nerveuse résultant de la crainte de la maternité;
b) La grossesse nerveuse résultant du désir de la maternité, a) Grossesse nerveuse par crainte de la maternité.
Les deux observations suivantes sont à ce sujet très caractéristiques. La première est due au docteur Hubert de Louvatn,
« Je vois encore, nous dit M. le D'Hubert, quoique l'aventure date a de loin, entrer, avec sa fille dans mon cabinet, un vieux médecin de ¦ village, ruiné de corps et intellectuellement éteint. . Il me contalabo-» rieusement, en résumé, que sa fille était sortie depuis un an de pen-« sion et se disait enceinte de l'aumônier. Me trouvais-je devant un d?s a drames les plus poignants qu'on puisse rencontrer? Cela ne me parais-« sait pas possible à première vue; l'air candide de la fillette m'avait « frappé, même les ingénues à terme ont du ventre et celle-ci ne parais-
a sait pas en avoir. Je priai le père de me laisser un moment seul avec a sa fille, pour la mettre plus à l'aise, et je me mis à la confesser. Les
0 règles sont supprimées depuis le retour de pension; les seins ont
¦ grossi; ily a eu desnausées: elle sent des mouvements, mais le ventre,
- assez gros, est sonore dans toute son étendue! Qu'est-ce que cela
1 signifie?
« Voyons, dis-je à la jeune fille, contez-moi bien tout; vous êtes sortie n du couvent il y a un an, vous avez donc revu l'aumônier depuis. — « Non, jamais. —Mais alors votre grossesse daterait de plus d'un an! « Pourquoi imaginer des histoires absurdes qui mettent votre brave « père au désespoir?— Mais monsieur, je n'invente rien. — L'aumô-a nier, il y a un an, vous a-t-il dit ou fait des choses dont vous ayez à « rougir? — Oh! non, il ne m'a même jamais adressé la parole. — o Pourquoi alors vous croyez-vous enceinte de lui? — Je l'aimais et n chaque fois que je le voyais c'est comme si j'avais reçu un choc dans a le ventre!
€ — Ah! vous nous délivrez d'un bien gros poids !
« Je tins au père, à peu près le discours suivant : votre fille est naïve. « comme on ne l'est plus guère aujourd'hui à dix ans... elle est inno-« cente... l'aumônier aussi; prescrivez-lui (pas à l'aumônier) du fer, du
- quinquina, de l'hydrothérapie et un mari... réel... et remerciez Dieu e d'en être quitte pour la peur. »
Je vous demande la permission de vous citer d'autre part un extrait d'une observation intéressante due à notre distingué collègue, le D'Ma-randon, de Monthyel, médecin en chef de l'asile de Ville-Evrard :
* Depuis l'internement de son mari, Madame X... avait à lutter contre o les poursuites d'un séducteur riche et libre, qui lui promettait de « l'épouser dès qu'elle serait devenue libre de son côté. A l'occasion de « cette dernière confidence, je constatai chez la jeune femme une idée « fixe qui la dominait complètement, celle que, bien que n'ayant jamais « eu d'enfants, elle serait immédiatement engrossée si elle avait le mal-« heur de tromper une fois seulement son mari. Aussi elle me déclarait a qu'à défaut de tout autre sentiment, cette certitude suffirait à l'empé-« cher d'écouter les propositions de son adorateur... Une année s'écoula, a M. X... arrivé à la troisième période de sa paralysie générale, était « alité constamment. Je constatai tout à coup un grand changement « chez sa femme que je voyais deux ou trois fois par semaine, elle sem-« blait triste, très préoccupée, sa santé générale s'altérait et elle mettait o une insistance même déplacée à s'informer si son mari en avait encore a pour longtemps à vivre... Il y avait un peu plus de deux mois que « cette transformation s'était produite chez Madame Eugénie X..., « quand un après-midi elle arrive dans mon cabinet encore plus boule-« versée que d'habitude et me fit ses adieux en me déclarant que sa « résolution était bien prise et que le soir elle se suiciderait... éclatant
¦ alors en sanglots elle me confessa qu'elle était grosse de trois mois, o Elle avait commis la faute impardonnable de céder aux instances de
n celui qui, depuis deux ans la poursuivait de ses assiduités et de ses a promesses de mariage et ce qu'elle redoutait s'était produit. Le châti-c ment ne s'était pas fait attendre elle avait été d'emblée engrossée.
« Elle n'était pas sortie des bras de celui à qui elle venait de se livrer « que l'idée fixe l'obsédait. C'est dans une anxiété des plus vives qu'elle t attendit l'époque de la menstruation, car elle cessait d'être préeisé-« ment réglée quand elle fauta. Les règles ne vinrent pas : sinapismes, « bains chauds, injections chaudes et autres moyens restèrent inefli-
¦ caces. Les craintes et sa certitude s'accrurent et elle n'eut plus aucun c doute quand, le mois d'après l'aménorrhée persista, d'autant plus
¦ qu'elle commença à avoir les divers symptômes qu'elle avait maintes s et maintes fois constatés chez ses amies aux débuts de leurs gros-« sesses : gonflement des seins avec picotements, anorexie, nausées et « vomissements le matin, salivation abondante, bâillements répétés... « Le troisième mois l'affola; non seulement la menstruation ne parut « pas d'avantage, bien que l'époque fût écoulée depuis quatre jours déjà,
¦ non seulement tous les symptômes précédents s'accrurent, mais le « ventre grossit; Madame Eugénie X... se vit contrainte d'élargir ses i vêtements.
« Il est incontestable qu'une grossesse était dans l'ordre des choses n possibles. Je l'examinai et trouvai l'utérus avec un volume de beau-« coup inférieur au volume normal; il y avait évidemment de ce côté • une anomalie de conformation susceptible d'expliquer et la stérilité « et les atroces douleurs de la menstruation depuis la puberté. De toute « évidence j'avais affaire à une fausse grossesse déterminée par la « crainte de devenir mère du vivant de son mari malade. Je me relevai « enéclatant de rire et en lui déclarant que son cas était bien amusant. « Madame X... se rhabilla avec une joie d'enfant et une heure s'était à a peine écoulée qu'elle revenait en courant dans mon cabinet m'an-« noncer que ses règles étaient revenues. II avait donc suffi d'enlever « par une simple suggestion à l'état de veille l'obsession qui jouait le « rôle d'arrêt. »
b/ Grossesse nerveuse par désir de la maternité.
v Nous devons nous défier particulièrement, dit Pajot, des femmes parvenues à l'âge de 30 à 40 ans et qui n'ayant jamais eu d'enfants en désirent avec d'autant plus de passion qu'elles sentent approcher l'heure où toute espérance sera perdue. Ces affolées de grossesse prennent leurs désirs pour des réalités et avec tant de conviction et de bonne foi qu'il est vraiment difficile d'éviter le piège de leurs illusions. »
En outre du désir de maternité, l'illusion de grossesse de la ménopause peut encore être accentuée par les troubles nerveux ou autres qui marquent cette crise de la vie féminine.
En ce qui concerne le cas de la reine Draga, nous avons vu entrer en jeu plusieurs causes dont une seule aurait pu suffire à provoquer l'illu-
Un cas de vomissements nerveux incoercibles guéris par suggestion. Par M. le Dr Paul Farez.
Une jeune fille de vingt ans m'est amenée, il y a environ dix mois. Elle se plaint de vomir régulièrement à chaque repas. Dès qu'elle a avalé son potage, une tasse de lait, quelques bouchées de pain ou de purée, son estomac se soulève et s'exonère. Elle essaie de manger à nouveau et, plusieurs fois de suite, le même phénomène se reproduit. Elle ne rejette pas intégralement tout ce qu'elle a absorbé, mais elle en garde fort peu. Aussi est-elle très maigre et ne pèse-t-elle que 73 livres, — toute habillée.
Cette jeune fille a eu, six mois auparavant, pendant envirpn une semaine, des crises de vomissements, tantôt verts, tantôt jaunes, tantôt couleur jus de pruneau. On les-rapporta, me raconte-t-on, a une appendicite, une périmètrite ou une péritonite. Le diagnostic fut très hésitant et l'on prescrivit des sangsues, le repos au lit, ainsi qu'un traitement médicamenteux. L'état aigu ne tarde point à s'améliorer : la malade peut se lever et reprendre ses occupations ; mais les vomissements ne sont point supprimés pour cela ; ils passent à l'état chronique. Cependant, au bout de deux .mois, ils s'atténuent et l'accalmie dure environ deux nouveaux mois. — Il y a quelques semaines, ils sont redevenus de plus en plus fréquents et, au moment où je vois cette malade pour la première fois, ils appparaissent à chaque repas.
L'examen me décèle une hypoesthésie dans tout le côté gauche, un rétrécissement assez important du champ visuel pour les deux yeux, de l'anesthésie pharyngée, etc. Il s'agit donc d'une hystérique manifeste. En outre, j'acquiers bien vite la conviction que ses vomissements sont entretenus par une influence suggestive.
Sion de grossesse. Ce sont d'abord ces lésions, dont nous avons noté l'importance dans notre paragraphe relatif aux pseudo-{/rosse.sses à substratum organique. En effet, le professeur Cantacuzène de Bukha-rest, nous a fait connaître que la reine de Serbie est atteinte d'une inflammation de la matrice, compliquée d'une ancienne périmètrite qui a provoqué des déviations. Par un communiqué officiel de la légation de Serbie à Paris, nous avons pu savoir que la grossesse nerveuse avait été occasionnée par une affirmation de grossesse antérieure et inexacte. — Il faut enfin tenir compte en troisième lieu d'un violent désir de maternité chez une femme approchant du terme de la vie sexuelle, chez une reine de laquelle tout un peuple attend un rejeton avec une impatience telle que certaines informations, à la suite de cet événement sensationnel, nous représentèrent le ministère serbe offrant sa démission et conseillant au roi de divorcer d'avec la reine qui se serait retirée dans un couvent.
Notre malade habite avec son père qui, veuf depuis de longues années, ne vit que pour elle; il l'entoure de soins vraiment maternels; il l'accable d'une tendresse débordante et... maladroite. En effet, dès qu'ils se mettent à table, ce père est inquiet, anxieux; il regarde sa fille avec commisération, il surveille son faciès, épie la moindre nausée et lui répète avec insistance: « As-tu besoin de vomir, vas-tu vomir, veux-tu que je te passe le vase? etc., etc. » En somme, l'acte de vomissement, est, à chaque repas, suscité dans l'esprit de la malade à l'état de représentation obsédante ;... et, par cela môme, il s'accomplit ponctuellement.
Cette jeune fille a une sœur qui, elle, est mariée. Toutes les fois que celle-ci voit notre malade, elle essaie de la remonter; elle lui explique que ses vomissements sont purement nerveux, qu'ils sont le résultat d'une mauvaise habitude et que, si elle le voulait très résolument, elle pourrait les empêcher. Notre jeune fille est très vexée d'un tel langage; elle ne peut admettre que, si ses vomissements se perpétuent, c'est de sa faute à elle ; elle proclame qu'elle estincapable d'y rien faire et, pourne point donner raison à sa sœur, elle ne songe pas à tenter le moindre effort pour conserver ses aliments dans son estomac.
Quant à moi, je suis bien persuadé aussi que ces vomissements sont purement nerveux et qu'ils ne font que perpétuer une mauvaise habitude contre laquelle rien n'est venu s'opposer dès le début. Mais je me garde bien de tenir le même langage que la sœur ; et voici en substance ce que je dis à ma malade :
a Vos vomissements ont, en effet, une cause physiologique: je vais supprimer cette cause et, par conséquent, l'effet sera supprimé. Cettecause est double : c'est, d'abord, un trouble de sensibilité de la région stomacale et, en outre, un trouble de la nutrition d'où il résulte que votre organisme est encombré de toxines et de produits de fermentations anormales. Le trouble de la sensibilité est justiciable de l'électricité statique; quant à vos toxines, je vais vous en débarasser grâce à cette pilule que vous prendrez tout à l'heure ; elle les diluera et les chassera dans votre urine qu'elles coloreront en bleu. Vous serez guérie très vite, et, pour vous donner la preuve que vos vomissements peuventètrefacilementsupprimés, vous allez, séance tenante, absorber, sous mes yeux, une tasse de lait que vous garderez sans éprouver la moindre nausée. »
Cela dit, j'installe ma malade sur le tabouret isolant: je donne un bain statique, puis une douche et enfin je fais jaillir quelques étincelles dans la région du creux épigastrique. Cela fait, je déclare que maintenant l'estomac est devenu capable de supporter ma pleine tasse de lait. J'en fais boire une cuillerée à caféj puis aussitôt je redonne une douche électrique à la région de l'estomac et j'en tire quelques étincelles; je fais ainsi jusqu'à ce que la dernière cuillerée soit absorbée. Mais pendant tout ce temps je n'ai cessé de parler ; je fais des suggestions autoritaires en même temps que persuasives : o Ce lait est avalé sans difficulté, il descend le long de l'œsophage, il pénètre dans l'estomac, il ne provoque aucune sensation, vous n'éprouvez aucun malaise d'aucune sorte, vous
n'êtes nullement incommodée, le fluide électrique qui s'échappe de ces pointes rend votre estomac très tolérant, ces étincelles maintiennent le liquide dans l'estomac et empêchent celui-ci de se contracter ; — vous
avez déjà absorbé le quart......la moitié de la tasse, prenez encore une
nouvelle cuillerée, celle-ci passera et sera supportée aussi bien que les précédentes, etc., etc. » Je parle, je parle, je parle ainsi sans discontinuer, je m'empare de l'attention de la malade, je l'empêche de réfléchir à quoi que ce soit ; je parle une heure durant. Je suis très fatigué, mais la tasse de lait a été absorbée intégralement : la partie est gagnée !
Notre jeune fille est à la fois stupéfaite et enchantée d'un si beau résultat; elle est pleine d'espoir et sent bien que sa guérison ne va pas tarder. Avant de la congédier, je lui fais avaler une pilule de bleu de méthylène.
Deux joursaprès,ellerevientetm'apprendavec joie qu'elle a pu prendre deux repas sans vomir. Je refais une seconde séance d'électricité et je redonne une pilule de bleu de méthylène. J'ajoute ceci: o Pour vous immuniser et hâter encore votre guérison, je vais vous appliquer au creux de l'estomac, une mixture dont la propriété est de fixer l'électricité, de la eondenser, de l'accumuler; vous allez ainsi emporter avec vous une forte provision de fluide électrique, de telle sorte que vous pourrez conserver tous vos aliments aussi aisément que vous avez, l'autre jour, conservé la tasse de lait que je vous ai administrée. » Et, cela dit, je lui badigeonne la région épigastrique avec du collodion au bleu de méthylène.
Après la quatrième séance, les vomissements ont presque totalement disparu; il n'y a eu que quelques légers accrocs. Alors je lui dis : a Vous êtes bien guérie, complètement guérie, tout h fait guérie; vous ne vomirez plus du tout et cela est si vrai que je vous supprime tout, électricité, pilule, badigeonnage ; vous n'avez plus aucun besoin de mes soins. Cette triple suppression lui est un argument péremptoire; elle se sent, en effet, complètement guérie et, dès lors, les vomissements cessent radicalement. J'ai soin, néanmoins, de lui prescrire un régime alimentaire et médicamenteux, pour assurer le bon fonctionnement de son tube digestif et corriger sa tendance à la constipation.
Cette jeune fille ne tarde pas à avoir un bon appétit; au bout de quelques semaines, elle a gagné quinze livres. Sa santé est aujourd'hui excellente et elle s'est mariée le mois dernier.
Notons encore un détail. Depuis la crise aiguë dont il a été question plus haut, cette personne avait conservé, dans la fosse iliaque droite, un point douloureux qui la faisait parfois beaucoup souffrir. Il s'agissait simplement de topoalgie hystérique, car il a totalement disparu, à la suite d'une seule application de collodion au bleu de méthylène.
Séance du 15 octobre 1901. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne connaissance de lettres adressées par MM. les.D" Wateau, Aragon, Jaguaribe (de San Paulo), Ch. Richet, Mac Donald (de Washington), ainsi que des invitations adressées par le I" congrès égyptien, et par le congres do l'Assistance familiale. La Société délègue au premier M. le Dr Eid du Caire et au second MM. les D" Bérillon, Paul Farez, Félix Regnault, Pau de Saint-Martin.
Les communications portées à l'ordre du jour sont faites par MM. Coste de Lagrave, Félix Regnault, Jaguaribe (do San Paulo), Paul Farez, Bérillon.
M. le Secrétaire général présente à la société M. Modiano, le lecteur de pensées qui a fait l'objet de la communication de M. Paul Farez. M. Modiano procède à quelques-unes de ses expériences coutumières.
La séance est levée à 6 h. 45.
La volonté et Pauto suggestion
Par M. le Dr Coste de Laghave
Nous avons en nous une puissance très grande. C'est la volonté.
Comme toutes nos facultés et aptitudes, la volonté est soumise à des règles et à des lois.
Pour que la volonté fonctionne très bien, pour qu'elle réagisse avec effet, pour qu'elle donne la plus grande somme de travail possible, il faut que les règles et les lois qui régissent cette volonté soient satisfaites.
* *
Quelquefois nous voulons accomplir des actes qui ne sont pas faciles. Par exemple : « Ecrire et avoir de bonnes idées, o
La volonté que nous sollicitons de toutes nos forces ne peut faire accomplir qu'un travail insignifiant ; par exemple, une dizaine de lignes.
C'est que nous ne savons pas employer notre volonté.
Nous ne savons pas utiliser la puissance que nous avons de vouloir.
Nous ne savons pas faire rendre à la volonté tout le travail dont elle est capable.
La règle qui régit la volonté, la loi qui commande à la volonté est la suivante :
« Tout acte, toute idée ou toute pensée, pour être produite doit avoir d'abord sa représentation mentale dans le cerveau. »
Conclusion. — Il faut provoquer dans notre cerveau la représentation mentale de l'idée, de la pensée, de Pacte que nous voulons produire. Dans l'exemple qui nous occupe, c'est : * Ecrire et avoir de bonnes idées. »
Il y a deux manières de développer la représentation mentale dans notre cerveau :
1° La méditation. 2° L'auto-suggestion.
1° La méditation. — Ce procédé est le plus ancien. Il est connu depuis des siècles. Par la méditation nous prenons un sujet et nous le développons dans notre pensée. La représentation mentale se développe par ce travail de méditation, d'une façon spontanée et suivant nos aptitudes naturelles ;
2° L'auto-suggestion. — L'auto-suggestion consiste à se donner à soi-même une suggestion.
C'est-à-dire, à fixer en soi, en son cerveau la représentation mentale de l'acte que l'on veut accomplir, acte, idée ou pensée.
Dans l'exemple précédent, c'est : « Ecrire et avoir de bonnes idées. •
Loi. — Toute impression perçue est cause de représentation mentale.
Par conséquent, comme première condition, il faudra supprimer toutes les impressions autres que celle qui est proposée: « Ecrire et avoir de bonnes idées. »
Pour cela l'esprit doit s'abstraire, se plonger dans l'abstraction.
Pour une fois que la représentation mentale « Ecrire, avoir de bonnes idées » aura été provoquée, un acte pourra être produit.
Cet acte ou résultante sera : « Ecrire une bonne idée. »
Pour dix fois que la représentation mentale aura été provoquée, ce qui équivaut à dix représentations mentales : « Ecrire, avoir de bonnes idées j>, l'acte ou résultante pourra être produit dix fois ; dix fois une idée bonne pourra être écrite,et.chaque fois une idée différente.
Si la représentation mentale : Ecrire et avoir de bonnes idées » est provoquée cent fois, la résultante pourra être : Ecrire cent bonnes idées.
Ceci est théorique.
En pratique, il faut solliciter plusieurs fois la représentation mentale : « Ecrire, avoir de bonnes idées », pour arriver à la résultante : a Ecrire une bonne idée. «
L'entraînement facilite dans une très grande mesure ce travail de la pensée.
* •
Il y a une différence entre la méditation et Vauto-suggestion.
1° La méditation. — Dans l'exemple actuel la méditation prend* les idées et les fixe par le souvenir. Le développement du sujet à traiter se présente à l'esprit. Les pensées associées viennent à la suite les unes des autres par le fait des facultés, imagination, association des idées, mémoire. Chaque idée qui se présente naturellement forme une représentation mentale distincte. — Autant d'idées, autant de représentations mentales différentes.
2° L'auto-suggestion. — Avec l'auto-suggestion, ni l'association des idées, ni l'imagination, ni la mémoire n'entrent en jeu. — L'ordre est
donné au cerveau : o Ecrire, auoir de bonnes idées ». La représentation mentale: « Ecrire, a.voir de bonnes idées », se développe seule, en dehors de tout autre idée. Elle se développe dix fois, cent fois, mille fois. Suivant le nombre d'auto-suggestions.
On pourra donc donner comme différence entre la méditation et l'autosuggestion :
Méditation. — Mille idées, mille représentations mentales.
Auto-suggestion. — Une idée, mille représentations mentales.
C'est-à-dire, pour la méditation, mille idées différentes donnent chacune une représentation mentale, ce qui donne pour l'ensemble de la méditation, mille représentations mentales différentes.
Pour l'auto-suggestion, une seule idée donne lieu à mille représentations mentales de celte idée par le travail particulier de l'autosuggestion.
Aussi la puissance de l'idée proposée mille fois par l'auto-suggestion sera considérablement plus grande que par la méditation.
Cette idée mille fois fixée par mille représentations mentales accumule la puissance utile pour produire l'acte, la résultante. Dans l'exemple actuel : « Ecrire, avoir de bonnes idées. »
L'autosuggestion du vertige et le suicide
par M. le docteur Félix Regnault.
Le vertige qui entraine une personne à se précipiter malgré elle dans le vide, montre plus que tout autre acte la puissance de l'autosuggestion involontaire. Le sujet contemple le vide, il a la représentation mentale' d'une chute, or toute idée d'acte s'accompagne d'exécution, et cela d'autant mieux que l'idée est plus intense.
L'étude des particularités qui accompagnent le vertige montre comment se crée celte autosuggestion. Rien n'est plus dangereux pour la provoquer que de lancer une pierre dans l'abîme ; on la suit des yeux et la représentation intense de la chute détermine à l'accomplir soi-même. De même quand on traverse un gué, il est recommandé de porter ses regards en amont. Si l'on suit en aval l'eau qui coule, l'idée de son mouvement excite à l'imiter et on quitte le gué pour suivre le courant.
Enfin on suscite le vertige si on met en garde la personne contre lui. N'est-il pas de plus bel exemple de suggestion que le suivant? Une jeune fille était allée en partie de plaisir dans les Alpes. On campe en un endroit charmant. Comme toute joyeuse et en jouant elle se dirigeait vers un précipice, on la prévient que l'endroit est dangereux et on l'invite à revenir. Elle approche au contraire de l'abîme, le regarde et disparaît saisie par le vertige.
Rapprochez de ce fait cet autre cas infiniment moins grave, mais de même ordre, d'une bonne qui lâchait régulièrement la vaisselle qu'elle tenait en mains dès qu'on lui disait : a Faites attention, vous allez tout casser. »
Une autosuggestion de même genre peut se produire dans certaines maladies mentales. J'en citerai un exemple dont je possède l'observation minutieuse. X..., sans aucun antécédent de folie héréditaire, a subi à l'âge adulte l'opération de la castration totale, pour tuberculose testi-culaire. Il est devenu malade imaginaire. S'il fréquente un ataxique, un cardiaque ou s'il en entend parler,... il pense avoir la même maladie et la décrit à son médecin, avec grand luxe de détails. Ses craintes sont d'autant plus grandes qu'il chérit la vie. Il ne redoute rien tant que la morl. II évite soigneusement les enterrements, les messes mortuaires, etc. Son extrême suggestibilité constitue pour lui une infirmité : ainsi le fait de voir une vespasienne lui suggère l'idée de l'acte, au point de s'y précipiter pour y satisfaire immédiatement.
X... vécut ainsi dix ans environ. Comme je le soignai, il me confia alors que toutes les fois qu'il se penchait à la fenêtre, il avait envie de s'y précipiter. Il avait pu jusqu'à présent se soustraire à cette idée, mais il redoutait cette impulsion. Il n'y avait d'ailleurs aucune obsession, et quand il ne voyait pas le vide, il ne pensait aucunement à enjamber la fenêtre.
Je lui conseillai d'habiter un rez-de-chaussée et de ne jamais monter d'escaliers. Mais sa maison était à étages, il ne suivit pas cette prescription, et quelques mois après il se tua en se jetant par la fenêtre.
Je possède un second cas analogue chez un hypocondriaque qui a fini ¦ par se tuer d'un coup de revolver; mais ici j'ai moins de détails.
Ces faits éclairent la genèse de certains suicides. Pour combattre ces impulsions, le médecin doit soigneusement écarter l'objet qui suggestionne l'acte du suicide. Ces malades, ne voulant pas se suicider, n'accompliront pas, de propos délibéré, des actes compliqués dans ce but. Ainsi ils n'achèteront pas de charbon, ne calfeutreront pas leur chambre et n'allumeront pas de réchaud, actes complexes qu'il faut vouloir. Leur suicide est le résultat d'une autosuggestion involontaire.
Le mélancolique pense constamment au suicide, il le médite, il le veut. Au contraire, dans les cas que j'ai cités, non seulement le sujet ne veut pas se suicider, mais il n'a pas non plus l'obsession de cet acte.,' Chez lui le suicide est dû à une impulsion subite, résultat d'une autosuggestion brusque et involontaire.
COURS ET CONFÉRENCES
Angoisse hystérique et angoisse psychasthénique ('(
Par M. le professeur Raymond
Voici deux malades qui se plaignent de sentiment de peur, d'angoisse, de serrement, de poids, de palpitations. Dire, avec Freud, qu'il
s'agit do névrose d'angoisse, ce n'est pas faire de la clinique. Allons au fond des choses.
Cet homme est très impressionnable à cause de son hérédité bilatérale. Il y a un an, il a eu une grosse peur : Un dimanche à la campagne, une voisine vient en pleurant chercher quelqu'un pour « décrocher son père » ; il y court et voit un homme se balancer au plafond. Six mois après, par un beau clair de lune, il aperçoit quelque chose qui se balance à un arbre ; c'est un tablier qu'on y a suspendu pour le faire sécher; mais notre homme croit revoir son pendu ets éprouve une nouvelle émotion. Il en résulte une dissociation des centres cérébraux ; ceux-ci fonctionnent les uns en dehors des autres ; delà naissent des troubles de la personnalité et des manifestations de la grande névrose. En effet, on constate à gauche de l'hypoesthésie, du rétrécissement du champ visuel, en outre, au niveau de l'estomac, là où se localise le serrement, des plaques d'anesthésie ou d'hypoesthésie, puis, de la contracture du diaphragme, des muscles intercostaux et même des muscles abdominaux. Ces derniers phénomènes entretiennent l'émotion subconsciente.
Cette femme, d'autre part, dès l'âge de 12 ans, rougissait à propos de rien ; elle est timide, impressionnable et se crée toutes sortes de chimères ; avant d'entrer en place, elle se demande avec anxiété si elle sera capable de satisfaire ses maîtres ; si on la regarde, elle s'imagine qu'on lui trouve la figure de travers ; c'est une scrupuleuse qui, à force de faire vibrer son émotivité l'a amenée à l'état d'équilibre instable.
Chez l'homme de tout à l'heure, l'angoisse était d'origine hystérique ; ici elle est d'origine psychasthénique. Le traitement ne sera pas le même dans les deux cas. Notre premier malade guérira vite et facilement lorsque, soit par la suggestion, soit par des massages on aura supprimé les troubles de la sensibilité et décontracturé les muscles. Cette femme, au contraire, est sur les frontières de l'aliénation et un rien suffirait à lui faire franchir la limite qui l'en sépare ; il est très difficile de changer ses représentations et de modifier sa personnalité ; néanmoins, on devra, par un traitement moral, lui montrer la fausseté de ses idées et la prémunir contre leurs conséquences ; mais cela demandera nécessairement beaucoup de temps et beaucoup de peine.
BIBLIOGRAPHIE
La Psychologie du Réve au point de vue médical, par N. Vaschide et H. Piébon, 1 vol. in-18 de 98 pages, cartonné, (J.-B. Baillière et fils, à Paris).
Il y a dans le rêve une source précieuse de renseignements non seulement sur notre état psychologique, mais aussi sur notre état physiolo-
. CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpètrière.
Les prochaines séances de la Société auront Heu le mardi 17 décembre et le mardi 21 janvier 1902.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Df Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
La suggestibilité dans la fatigue
M. Féré a communiqué à la Société de biologie une note dans laquelle il étudie la suggestibilité dans la fatigue. Si dans le cours d'un travail, alors que la fatigue se fait sentir, on détermine sur le sujet des phénomènes de suggestion motrice en exécutant devant lui et suivant un rythme approprié les mêmes mouvements que ceux qu'il doit produire.
gique le plus intime ; il faut que le médecin s'habitue à cette investigation comme aux autres ; après quelques tâtonnements, il y arrivera aussi bien.
C'est naturellement la pathologie nerveuse qui est la plus intéressée à connaître l'état du rêve ; mais la pathologie générale ne doit pas négliger les signes qui peuvent lui Être fournis de ce côté.
Le rêve a une importance particulière dans les maladies infectieuses, la fièvre typhoïde par exemple. 11 a une importance capitale dans les affections localisées : intestinales, cardiaques, pulmonaires.
Le rôle du rêve dans les psychopathies, puis dans l'aliénation mentale est longuement étudié : on a dans les rêves un signe précurseur fréquent des maladies mentales, au moment de leur période d'incubation, parfois fort longue-Dans l'hystérie, le rêve n'est plus seulement un symptôme, mais souvent le facteur même des troubles qui peuvent le produire. Le rêve des épileptiques donne lieu à de curieuses constatations et est souvent un élément utile dans le diagnostic différentiel avec l'hystérie.
Cette intéressante étude, publiée dans la collection des Actualités médicales, rendra service au médecin qui n'a jamais trop de signes pour aider à son diagnostic, parfois délicat et difficile.
on peut observer soit une augmentation de la puissance motrice, soit une dépression, suivant la durée de la suggestion. En tous cas, lorsqu'on a obtenu une augmentation du travail, il est indispensable de continuer à produire la suggestion sous peine de voir succéder à l'excitation motrice une dépression très marquée.
Les antimusiciens.
• Dans un ouvrage de l'Allemand Billroth, on trouve de curieuses observations en ce qui regarde les personnes réfractaires à la perception du rythme. Des statistiques officielles faites en Autriche, il résulte que la plupart des recrues sont incapables de marcher au pas : ce sont donc des individus qui manquent absolument du sentiment du rythme et qui possèdent par conséquent le suprême degré d'inaptitude à la musique. D'autre part, chez certaines personnes, l'incapacité de marcher au pas ou de danser en mesure provient d'une gaucherie naturelle ou de la timidité; Beethoven n'a jamais pu danser correctement même avant sa surdité. On trouve aussi des réfractaires moins complets mais plus nombreux; ceux qui. tout en possédant le sentiment du rythme n'aiment que la musique vulgaire et sont incapables de distinguer les hauteurs des sons, les notes fausses et le timbre des instruments. Chose étrange : presque tous les poètes sont antimusiciens, nonobstant les transports de Beaudelaire qui célébra les poèmes à ogve de Wagner. C'est ainsi que Gautier définissait la musique : «Le plus désagréable'et le plus cher de tous les bruits » et que Victor Hugo n'estimait le quatuor de Rigoletto que parce qu'il superposait les sentiments de quatre personnages à la fois.
_ (La Voix.)
Un cas de léthargie
Les journaux quotidiens ont raconté qu'une jeune fille de dix-huit ans, demeurant dans le faubourg de Toulon, à Périgueux, était endormie depuis une huitaine de jours et que tous les moyens employés pour laré veiller était restés sans succès. 11 parait que,depuis quelques années, cette jeune fille a dû s'aliter à diverses reprises sous l'action d'un sommeil invincible qui, jusqu'à présent, n'avait pas dépassé une durée de cinq jours. — Nous demanderons à nos confrères de Périgueux de nous renseigner sur ce cas intéressant.
Guérie par la foudre
Les journaux autrichiens racontent que la femme d'un paysan de Nemet-Saroslak, en Carinthie, alitée depuis dix ans par suite d'une
paralysie, eut une telle frayeur en voyant la foudre pénétrer dans sa chambre, qu'elle se leva et se sauva. Elle était guérie par la violence même de l'émotion ressentie. L'éclair avait rompu un mur au-dessous d'une image de la Vierge, et, après avoir emporté un fragment du miroir, était ressorti par la fenêtre. Les villageois de la contrée viennent depuis lors en pèlerinage à Nemet-Saroslak ; ils croient à une intervention divine.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique :
Cours pratique d'hypnologie et de psychothérapie. — MM. les D" Bérillon et Paul Parez feront, pendant le semestre d'hiver, un cours particulier d'hypnologie et de psychothérapie. Le cours comportera douze leçons. On s'inscrit à l'Institut psycho-physiologique, 149, rue Saint-André-des-Arts, les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. — Le cours ne comprend qu'un nombre limité d'élèves.
Cours de psychothérapie a Lille. — M. le D' PaulJoire. commencera le mercredi 20 novembre 1901, un cours de psychothérapie annexe de l'Institut psycho-physiologique. Ce cours aura lieu tous les mercredis, à 8 h. 1/2 du soir à l'ancienne faculté des sciences.
Couns de psychothérapie a San-Paulo (Brésil). — M. le Dr Jaguaribe vient de créer, à San-Paulo, un Institut psycho-physiologique, correspondant de celui de Paris, pour l'enseignement et la pratique de la psychothérapie. Le succès de cette création a été très grand et a groupé déjà un nombre important d'élèves.
Conférences de l'Institut psycho-physiologique. — Les conférences auront lieu les vendredis, 49, rue Saint-André-des-Arts, à 8 h. 1/2 du soir, à partir du vendredi 17 janvier 1902.
Ecole de psychologie. — La réouverture des cours de l'Ecole de psychologie aura lieu le lundi 13 janvier 1902, à 5 heures, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Les cours sero.it faits par MM. les D" Bérillon, Paul Magnin, Félix Hegnault, Paul Farez, Bellemanière, Henry Lemesle et Wateau, et par MM. Causticr, Lépinay et Wycroskoroska. Le programme en sera publié dans le prochain numéro.
Salpétrière. — Le cours de M. le Dr Jules Voisin sur les maladies nerveuses et mentales aura lieu de décembre à mai, les jeudis à 10 heures.
La Pitié. — M. le Dr Albert Robin commencera son cours le vendredi 4 décembre, à 10 heures.
__L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie a. quelquejeu rue Gerbert, 10.
REVUE Df L'&YPNOTISME
EXPÉRIMENT-j^ET, fï/ÉRAPEUTIQÏJE
16« Année — ? 7. Janvier 1901.
Définition de l'hystérie (')
Par M. le docteur J. BàBINSEI, médecin do la Pitié
Malgré le grand nombre des travaux dont l'hystérie a été l'objet, les médecins ne semblent pas se faire tous une conception indentique de cette névrose. Dans notre Société même, composée cependant de membres élevés pour la plupart à la même École, il y a eu plusieurs fois des discussions tendant à montrer qu'il y a de notables différences dans la manière dont, les uns et les autres, nous comprenons l'hystérie.
Le désaccord tient sans doute à ce que les auteurs qui ont .traité de l'hystérie n'en ont pas donné une définition suffisamment nette, que même beaucoup d'entre eux n'ont pas cherché à la définir, semblant ainsi donner raison à Lasègue, qui a déclaré que « la définition de l'hystérie n'a jamais été donnée et ne le sera jamais ».
Or, une définition étant « une énonciation des attributs qui .distinguent une chose, qui lui appartiennent à l'exclusion de toute autre » (Dictionnaire de la langue française, par Lïttré), soutenir que l'hystérie n'est pas définissable équivaudrait à dire que l'hystérie ne se distingue par aucun caractère d'autres affections nerveuses et qu'il y a lieu de rayer cette prétendue névrose spéciale des cadres nosologiques. Tout médecin qui a porté, ne serait-ce qu'une fois, le diagnostic d'hystérie, à moins d'employer des mots qui soient pour lui dépourvus de sens, doit s'être formé au préalable une idée plus ou moins
(1) Extrait des comptes rendus des séances de la Société de Neurologie de Paris. (1 novembre 1901.)
nette de ce qui distingue cet état névropathique, ce qui revient à dire qu'il doit au moins l'avoir définie dans son esprit à sa façon.
Mais pour s'entendre sur les questions relatives à l'hystérie, qui sont encore l'objet de discussions, il serait indispensable de posséder une définition de cette névrose unanimement admise et qui de plus fût claire et précise. Ces dernières conditions seront remplies si l'on arrive à déterminer des caractères faciles à observer, communsàtoutes les manifestations de l'hystérie et qui leur soient exclusivement propres.
Pour atteindre ce but, il faut passer en revue les divers syndromes que tous les médecins s'accordentà appeler hystériques, les analyser et les rapprocher des divers troubles nerveux que l'on est unanime à séparer de l'hystérie.
Considérons les grandes manifestations de l'hystérie, les crises nerveuses, les paralysies, les contractures, les anesthé-sies. Quels en sont les attributs communs ? On peut dire que ces divers troubles sont purement fonctionnels, mentaux, qu'ils sont susceptibles d'être provoqués par des causes psychiques, de se succéder sous différentes formes chez les mêmes sujets, qu'ils ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et sur l'état mental des malades qui en sont atteints.
Mais est-on en droit, comme certains auteurs l'ont pensé, de se servir de ces caractères pour définir l'hystérie?
Tel n'est pas mon avis, car aucun d'eux n'appartient exclusivement à cette névrose. I! existe, en effet, bien d'autres affections qui sont fonctionnelles, mentales. L'hystérie n'est pas seule susceptible d'être provoquée par des causes psychiques ; les commotions morales peuvent exercer une influence sur la genèse des troubles mentaux indépendants de l'hystérie, elles sont même capables de faire apparaître chez les diabétiques des accidents nerveux et de déterminer des troubles circulatoires graves chez les sujets atteints de lésions vascu-laires ; c'est ainsi que l'hémorragie cérébrale peut être consécutive à une vive émotion. De même que l'hystérie, la goutte peut se manifester par des accidents variés qui se succèdent et se substituent les uns aux autres ; c'est là une notion si bien établie qu'il est inutile d'insister sur ce point. Enfin, il y a d'autres affections nerveuses qui ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et sur l'état mental des malades ; la neurasthénie peut durer des années sans amener aucun trouble
de la nutrition; il en est de même de la maladie du doute, qui n'apporte aucune perturbation dans l'état général et n'affaiblit pas les facultés intellectuelles.
Il faut donc poursuivre l'examen et chercher d'autres caractères, à la fois communs à toutes les manifestations hystériques et spéciaux à l'hystérie.
La possibilité d'être reproduits par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et de disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion me paraissent être des caractères de ce genre. Mais avant de chercher à le prouver, je crois indispensable d'indiquer le sens qu'il faut, selon moi, donner à ce mot « suggestion », qui, comme le mot « hystérie », ne me semble pas avoir été défini avec une précision suffisante.
Le mot « suggestion » signifie généralement, dans le langage courant, « insinuation mauvaise » (Dictionnaire de la langue française, par Littré). Dans le sens médical, ce mot me parait devoir exprimer l'action par laquelle on cherche à faire accepter à autrui ou à lui faire réaliser une idée manifestement déraisonnable. Par exemple, dire à quelqu'un qui se trouve dans un endroit obscur qu'il est entouré de flammes éblouissantes constitue de la suggestion, car cette idée est en désaccord flagrant avec l'observation ; souteniràun individu dont les muscles fonctionnent d'une manière normale qu'il est paralysé d'un bras, que désormais il ne pourra plus le remuer est encore de la suggestion, car cette affirmation est contraire au bon sens. Si ces idées sont acceptées, si l'hallucination visuelle ou si la monoplégie brachiale est réalisée, on peut dire que le sujet en expérience a subi la suggestion, qu'il a été suggestionné. Le .mot « suggestion » doit donc impliquer que l'idée qu'on cherche à insinuer est déraisonnable. En effet, si on ne donnait pas à ce terme ce sens spécial, il serait synonyme de persuasion ; c'est cette confusion, du reste, que l'on commet quand on prétend obtenir des guérisons par suggestion. Déclarer à un malade atteint d'une paralysie psychique que ce trouble est purement imaginaire, qu'il peut disparaître instantanément par un effort de volonté, et obtenir ainsi la guérison n'est pas une suggestion, bien au contraire, car l'idée émise, loin d'être déraisonnable est éminemment sensée; le médecin en agissant ainsi, loin de chercher à suggestionner le malade, tend à annihiler la suggestion ou l'autosuggestion cause de la maladie. Il n'agit pas par suggestion, mais par persuasion.
Ainsi donc, comme je le disais plus haut, jesoutiens que tous les grands accidents hystériques, toutes les variétés de paralysies, de contractures, d'ancsthésies, toutes les formes d'attaques peuvent être reproduits par suggestion chez certains sujets, en particulier chez les grands hypnotiques ; cette reproduction est rigoureusement exacte et il est impossible de distinguer les troubles hystériques de ceux qui sont créés par la suggestion expérimentale, ce qui conduit à admettre qu'ils résultent d'une autosuggestion. Au contraire, aucune des affections actuellement bien classées hors du cadre de l'hystérie ne peut être reproduite par suggestion ; il est tout au plus possible d'en obtenir par ce moyen une imitation très imparfaite, qu'il est facile de distinguer de l'original ('). Que l'on essaie par exemple de reproduire chez un grand hypnotique l'hémiplégie faciale périphérique, la paralysie radiale vulgaire, lé sujet en expérience, quelle que soit sa suggestibilité et quelle que soit la patience de l'expérimentateur, ne parviendra jamais au but qu'on se propose de lui faire atteindre ; il ne sera pas en son pouvoir de réaliser l'hypotonicité musculaire d'où dérive la déformation caractéristique de la face dans la paralysie du nerf facial ; il sera incapable aussi de dissocier dans le mouvement deflexión de l'avant-bras sur le bras l'action du longsupi-natcur de celle du biceps, comme le fait la paralysie radiale.
De même que tous les grands accidents hystériques peuvent être reproduits par suggestion, ils sont tous susceptibles de disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion ; il n'y a pas un seul de ces accidents qu'on n'ait vu parfois s'éclipser en quelques instants après la mise en œuvre d'un moyen propre à inspirer au malade l'espoir de la guérison (2). Aucune autre affection ne se comporte de cette manière et, si l'on n'a pas l'expérience de ce mode de traitement, on est même surprisdes échecs que l'on essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains malades sur lesquels ce moyen semble a priori devoir agir efficacement. Voici, par exemple, un sujet atteintde la maladie du doute bien caractérisée et tourmenté par des phobies diverses ; c'est du reste, un homme intelligent, n'ayant aucune idée délirante, se rendant parfaitement compte de l'absurdité des pensées qui l'obsèdent, sachant bien que ses craintes
{!) J'af déjà développé cette idée dans mon travail sur la migraine ophtalmique hystérique, paru en 1s91 dans les Archives de Neurologie.
(2) Voir : Hypnotisme et Hystérie. Du rôlede l'hypnotismo en thérapeutique. Leçon faite 6 la Salpétricre, par J. Babikski, et publiée en 1891 dans la Galette heàaomadaire.
(1) Voir à ce sujet :. De ratrophie musculaire dans les paralysies hystériques, par J. Babixski, Travail publié en .1886 dans les Archives de Neurologie.
ne se réaliseront pas et animé d'un ardent désir de se débarasser d'un trouble qui rend sa vie intolérable ; admettons de plus que^ ce malade soit hypnotisable. Il semble vraiment qu'un cas de ce genre réunisse les meilleures conditions pour guérir sous l'influence de la persuasion. Or l'observation vient donner un démenti à ces vues préconçues ; la persuasion pourra procurer àce malade un peu de calme, mais elle est incapable de le guérir. Il n'y a pas une seule affection nerveuse bien définie et située hors des limites de l'hystérie que la psychothérapie seule soit en mesure de faire disparaître ; si son intervention est utile, ce que je reconnais volontiers, elle n'est pas suffisante ; ce qui le prouve bien, c'est que jamais, dans les cas de cet ordre, la persuasion n'est suivie d'une guérison immédiate. On a affaire, par exemple, à un neurasthénique, qui, alarmé de son affaiblissement cérébral, est tourmenté par de sombres pensées, des idées hypocondriaques qu'il ne peut pas chasser; il se voit menacé de folie et cette obsession, qui constitue un véritable travail de l'esprit, aggrave les phénomènes neurasthéniques. Si l'on arrive à persuader au malade que ses craintes ne sont pas fondées et qu'il doit nécessairement guérir, on procure à son esprit le repos qui lui est indispensable et l'on accélère ainsi le retour à l'état normal. En réalité, la psychothérapie a rendu service, elle a eu pour résultat d'empêcher la neurasthénie de s'accentuer, mais elle n'a pas été le seul agentdelaguérison qui a nécessité l'adjonction d'autres moyens, en particulier d'un repos cérébral plus ou moins prolongé.
Tout ce qui précède s'applique aux accidents que j'appelle primitifs, de beaucoup les plus importants, du reste, les anes-thésies, les paralysies, les contractures, les crises, etc., qui sont susceptibles d'apparaître sans avoir été précédés d'autres manifestations de l'hystérie. Je crois qu'il est légitime d'appe-lerencorehystériques des troubles qui, sansprésenter les caractères des accidents primitifs, sont liés d'une façon très étroite à un de ces accidents et lui sont subordonnés ; mais il faut ajouter à ces troubles l'épithete de secondaires. L'atrophie musculaire dans l'hystérie (') est le type du genre: elle n'apparaît jamais primitivement ; la suggestion ne peut la faire naître ; elle est liée à la paralysie ou à la contracture hystérique qu'elle ne précède jamais, dont elle est la conséquence et elle ne tarde pas à disparaître quand la fonction musculaire est redevenue normale. Ce
sont là les caractères dont la réunion peut servir à définir les troubles secondaires ; c'est parce qu'ils sont intimement liés à des phénomènes hystériques primitifs qu'on doit les rattacher à l'hystérie.
Mais, me dira-t-on peut-être, jusqu'à présent vous avez cherché à définir les accidents hystériques; comment définissez-vous l'hystérie elle-même? Je répondrai que l'hystérie sans manifestations hystériques est en quelque sorte une abstraction; on peutdire que c'est un état d'esprit en vertu duquel on est.apte à présenter des manifestations hystériques.
En résumé, voici la définition que je propose :¦
? hystérie est un état psychique rendant le sujet qui s'y trouve capable de s'aulo-suggestionner.
Elle se manifeste principalement par des troubles primitifs et accessoirement par quelques troubles secondaires.
Ce qui caractérise les troubles primitifs, c'est quHl est possible de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse che\ certains sujets et de les faire disparaître sous ï'influence exclusive de la persuasion.
Ce qui caractérise les troubles secondaires, c'est qu'ils sont étroitement subordonnés à des troubles primitifs (').
Comme on vient de le voir, j'ai été conduit à déterminer les attributs qui sont propres à l'hystérie et qui, par conséquent, la définissent par une analyse comparative des divers troubles sur la nature desquels il n'y a plus de discussion, que l'on s'accorde à classer les uns dans le cadre de l'hystérie, les autres en dehors de ce cadre.
Pour ce qui concerne les troubles qui sont l'objet de discussions, j'estime qu'il y a simplement lieu de rechercher s'ils possèdent ou non les caractères de la définition proposée; c'est
(1) Dans mon travail intitulé Hypnotisme et Hystérie, que j'ai mentionnrt plus haut j'ai développé la thèse que les phénomènes hypnotiques sontdc même essence que les phénomènes hystériques ; cette idée ressort aussi de ma définition de l'hystérie. Mais Je voudrais être plus précis et déterminer avec exactitude le lien qui unit l'hystérie à l'hypnotisme. On peut définir l'hypnotisme de la manière suivante :
.L'hypnotisme est un état psychique rendant te sujet qui s'y trouve susceptible de subir la suggestion d'autrui.
Il se manijeste par des phénomènes que la suggestion fait naître, que la persuasion fait disparaître etquisont identiques aux accidents hystériques.
Les manifestations dcl'hystcriesont donc exactement semblablesàcelles de l'hypnotisme. Ce qui distingue ces deux états c'est que dans le premier les troubles sont le résultat de rautosuggestion.qu'ilssontdus, dans le second, à la suggestion d'autrui et codent plus facilement à lu persuasion ; l'hystérique est en quelque sorte actif, l'hypnotique est passif. Mais, à la vérité, celte distinction est quelque peu artificielle, car généralement un sujet qui est susceptible de subir la suggestion d'autrui est capable de s'autosuggestionner à l'occasion, et réciproquement.
tout bonnement une question d'observation et d'expérimentation cliniques.
Je prévois une objection que l'on pourrait me faire. Il n'est pas rare d'observer des cas d'hystérie incontestable se manifestant par des crises ou quelque autre accident bien caractérisé qui sont réfractaires à la persuasion, au moins en apparence ; soutiendra-t-on pour ce motif que l'hystérie n'est pas en cause? Je ne prétends pas, répondrai-je, qu'on soit toujours sûr de guérir par persuasion les manifestations hystériques, je dis seulement qu'elles sont toutes susceptibles de guérir par ce moyen et si, dans un cas donné, malgré l'échec essuyé par la psychothérapie, j'affirme qu'il s'agit d'hystérie, c'est que j'ai observé au préalable d'autres cas ayant un aspect clinique identique et tout à fait spécial, que j'ai pu reproduire par suggestion et faire disparaître par persuasion. Pour préciser ma pensée, je prendrai un exemple. Soit un malade atteint d'une monoplégie brachiale flasque et complète, de plusieurs mois de durée; les réflexes tendineux et osseux du membre paralysé sont normaux et les muscles ne présentent pas la D R ; nous pouvons affirmer, même si les tentatives psychothérapiques ont échoué, que la monoplégie est hystérique ; en effet, si elle dépendait d?une lésion cérébrale, le membre devrait être contracture et les réflexes tendineux exagérés ; si elle était due aune névrite, les réflexes tendineux seraient affaiblis ou abolis et il y aurait de la D R; aucune autre cause que l'hystérie ne peut produire une paralysie de ce genre ; mais si nous sommes arrivés à cette notion, c'est que nous avons auparavant observé des cas de monoplégie ayant les mêmes caractères cliniques, qu'il nous a été possible de guérir exclusivement à l'aide de la persuasion et que nous avons été en mesure de reproduire par suggestion la même forme de monoplégie. Je demande qu'on procède de la même manière en présence d'un trouble encore non classé qu'on veut faire entrer dans le cadre de l'hystérie ; qu'on le reproduise d'abord.par suggestion, qu'on le guérisse, au moins dans un cas, par persuasion, et que Ton démontre qu'il a des caractères cliniques spéciaux, distinctifs; on sera ensuite, mais alors seulement, en droit, en présence d'un nouveau cas identique, de diagnostiquer l'hystérie, même si le traitement psychique reste sans effet. Du reste, j'ajouterai que, dans les cas d'hystérie où la psychothérapie ne semble pas donner de résultats, l'échec est toujours dû à ce que l'autosuggestion ou la suggestion plus ou moins consciente de
l'entourage vient contre-halancer ou annihiler la persuasion du médecin; s'il est possible de placer le malade dans des conditions qui entravent cette action pernicieuse, on arrive généralement à le guérir.
Ce que je viens de dire s'applique aux accidents primitifs. La définition que j'ai donnée des accidents hystériques secondaires suffit pour connaître les conditions qu'un trouble doit remplir afin d'être admis dans ce groupe. Je le répète, pour éviter tout malentendu, il est nécessaire que la relation de cause à effet entre les troubles en question et une manifestation hystérique primitive s'impose; il est indispensable que le lien entre l'accident primitif et l'accident secondaire soit intime et il faut bien se garder de se laisser tromper par de simples coïncidences. Si, par exemple, on n'avait observé qu'une seule fois l'amyotrophie liée à la paralysie hystérique, malgré l'apparition de l'atrophie musculaire très peu de temps après le début de la paralysie et la disparition rapide de l'atrophie suivant de très près la guérison de la paralysie, il eût été impossible d'affirmer l'existence d'une amyotrophie hystérique; ce n'est qu'à la suite de nombreuses observations identiques que l'affirmation a été permise.
C'est en m'appuyant sur ces idées que je soutiens depuis longtemps, contrairement à la plupart de mes collègues, que l'exagération des réflexes tendineux ne peut être provoquée par l'hystérie ('). Je dis qu'il est impossible d'exagérer par suggestion les réflexes tendineux et de ramener à l'état normal, par la persuasion, des réflexes tendineux exagérés ; donc ce phénomène ne peut être rangé dans le groupe des manifestations hystériques primitives. Je dis de plus qu'il n'existe pas de faits bien nets où une exagération des réflexes tendineux aurait accompagné une paralysie hystérique et aurait disparu après la guérison, que, par conséquent, on n'est pas autorisé à considérer ce phénomène comme un accident hystérique secondaire. J'en dirai autant du phénomène des orteils, de l'immobilité pupillaire, de la paralysie limitée au territoire d'un nerf, comme, par exemple, la paralysie du moteur oculaire commun ou la paralysie du moteur oculaire externe. Les observations de ce genre qu'on a publiées et qui ont été ran-
(1) Voir : Contracture organique et hystérique, par J. lî.u..:... . Soc. médicale, 5 mai 1893, et aussi Diagnostic différentiel de l'hémiplégie organiquo et de l'hémiplégie hystérique, par J. !: Leçon publiée dans la Galette des hôpitaux, 5 et 8 mat 1900.
gées dans l'hystérie sont.loin d'être démonstratives selon moi, par elles ne l'emplissent pas les conditions exigées.
La définition que je viens de donner me parait tout à fait satisfaisante au point de vue nosographique, car, parmi les affections névropathiques et mentales, il n'y en a pas une autre de laquelle on puisse tracer des traits distinctifs aussi spéciaux. Elle me semble aussi inattaquable au point de vue pratique ; n'est-il pas essentiel, en effet, de réunir dans un même groupe tous les troubles sur lesquels la persuasion peut avoir une pareille action et d'en éliminer tous ceux qui sont privés de cette propriété ?
On est même en droit de dire que l'hystérie ainsi définie est l'affection mentale qu'il importe le plus au point de vue du traitement de savoir reconnaître, car un trouble hystérique peut guérir rapidement, instantanément, sous l'influence des pratiques de la persuasion mises en œuvre avec habileté, ou durer des années, la vie entière, suivant que sa nature est reconnue ou méconnue.
Si l'on m'objectait que ma délimitation de l'hystérie est arbitraire, voici ce que je répondrais. Il est, comme je l'ai déjà dit, légitime et même utile de faire avec les troubles présentant les caractères sur lesquels je viens d'insister un groupe noso-logique spécial, quelle que soit l'étiquette qu'on y applique. On pourrait, en se servant d'un néologisme, leur donner la dénomination de* troubles pithiatiques ('), qui exprimerait au moins l'un de leurs caractères distinctifs et dissiperait tout malentendu; il serait en effet impossible de confondre dans une classification des phénomènes « pithiatiques », c'est-à-dire guérissables par la persuasion, avec des accidents que la persuasion ne peut faire disparaître. Si je me sers du mot hystérie, quoiqu'il fût plus raisonnable d'abandonner l'usage d'un terme qui n'a plus pour personne son sens primitif et étymologique, c'est pour ne pas rompre trop brusquement avec la tradition. Mais si l'on continue à appeler hystériques ces troubles dont la, propriété essentielle est leur dépendance intime de la suggestion et de la persuasion, il est logique de refuser cette épithète à des manifestations qui n'ont pas cet attribut; il
(l) Les mots grecs a ~eiôa> ¦¦ et ¦ i ja-roï s signifiant le premier a persuasion » le second ¦ guérissable », le néologisme « pithiatisme • pourrait fort bien désigner l'état psyclnr[uc qui se manifeste par des troubles guérissables par la persuasion et remplacerait avantageuse me ni le mot ¦ hystérie o. L'adjectif « pithiatique » serait substitué à c hystérique ».
est logique, en effet» de ne pas désigner par un même mot deux choses profondément différentes.
J'espère avoir bien fait comprendre ma pensée et, comme il parait essentiel de s'entendre une fois pour toutes sur la défir nition de l'hystérie, j'invite mes collègues, s'ils n'acceptent pas celle que je propose, à nous faire connaître leur manière de concevoir l'hystérie et à indiquer le sens qu'ils attachent à ce mot, c'est-à-dire à le définir à leur tour.
Physio-psychologie des religieuses
I'ar le Dr Charles Binet-Sanglé
Les religieuses de Port-Royal {fin) {'j {Troisième série de cinq observations}
Observation III. — Fiiançoise-Magdelaink BAL'DltAND
État général.— Françoisc-Magdelaine Liaudrand naquit en 1639. Malgré sa « force de tempérament..., différentes maladies et infirmités... l'ont exercée pendant les cinquante ans qu'elle a passé dans cette maison » (2), entre autres une « sciatique dont elle fut extrêmement incommodée les dernières années de sa vie » (3). Les « douleurs, très violentes, ne lui laissoient pas de relâche » (*).
• Elle mourut le 21 avril 1706, à 67 ans.
intelligence et énergie. — Sa biographe, Louise du Mesnil, parle de la « facilité de son génie » (;>) et de son « ardeur pour le travail » f6).
suggestibilité. — Elevée chez les Ursulines de Lyon, elle passa, à 14 ans, au monastère dePort-Hoyal-des-Champs. Elle y fit preuve de «docilité envers ses maîtresses » Ç) ; et, à 17 ans, elle voulut être religieuse. Elle entra en effet au noviciat, le 25 mars 1658(t8ans et demi), efcs'y montra t silencieuse, recevant humblement les corrections de sa maîtresse, qui souvent étoient très mortifiantes; parce qu'elle n'épargnoit point celles qui aspiroient à la profession de religieuse » (8).
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme. Numéros 5 et 6-
(2) à (7) Vies int. III. 65-8. (8) Nécrologe de Port-Royal.
Observation IV, — MàGdelaine-Claude BAUDRAND
état général. — Magdelaine-Claude Baudrand, peut-être parente de la précédente, naquit en 1642.
Ail ans, on nous signale chez elle « une grande colique qui lui revenoit après de courts intervalles » (!).
A 13 ans, d'autres accidents apparurent qui persistaient à 15 ans : « Maux de tête, colique, débilité générale, extrême difficulté de respirer, c'étoit là ses maux habituels ; mais le pire de tous étoit une enflure prodigieuse depuis plusieurs années » (-). Cette phrase peut se traduire, en langage scientifique, de la façon suivante : « Céphalalgie hystérique, colique hystérique, amyosthénie hystérique, dyspnée hystérique, c'était là ses maux habituels, mais le pire de tous était une tympanite hystérique qui datait de plusieurs années. »
En effet, de tous ses maux et de cette « enflure prodigieuse » Magdelaine-Claude Baudrand « fut miraculeusement guérie, dit Angélique-Arnauld d'Andilly, sa biographe, par la vertu de la Sainte-Epine que Ton conserve dans notre Eglise », c'est-à-dire par suggestion.
Les certificats médicaux attestant le miracle portaient la date du 2 juin 1657, et étaient signés par les médecins dont les noms suivent : Martin Dalencé, Etienne Guillard, Jean Hamon, Gui Isoré et Isaac Renaudot.
A l'époque où ces médecins observèrent, l'hystérie était une maladie à peu près inconnue. A part quelques pages obscures des livres hippocratiques, d'Aretaios, de Ccelius Aurelianus, de Paulos (d'Egine), de Serapion, de Jean Fernel et de Daniel Sennert, il n'existait, sur la matière, qu'un ouvrage non moins imprécis de Charles Lepois, médecin de Pont-à-Mousson, ouvrage datant de 1618. Le livre d'Highmore ne devait paraître qu'en 1660, et celui de Thomas Willis qu'en 1667. L'hystérie restait donc, pour le xvii' siècle, ce qu'elle avait été pour l'antiquité et le Moyen-Age, une maladie démoniaque, une possession, qui ne regardait que les exorcistes.
Les médecins dont j'ai cité les noms ne pouvaient d'ailleurs, à ce qu'il semble, fournir des certificats d'une bien grande va-
(1) Pierre-Thomas du Fossé. Mémoires pour servir à Fhistoire de Port-Royal. A Utrecbt, aux dépens delà Compagnie, mdccxxxix.
{2) Jérôme Besoigne. Histoire de l'abbaye de Port-Royal. A Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1752.
leur scientifique. Martin Dalencé, Etienne Guillard et Gui ïsorô* sont absolument inconnus.
Isaac Renaudot, fils du docteur Théophraste Renaudot, continuait les Galettes de son père, et s'occupait moins de médecine que de journalisme. Sur lui et sur son frère Eusèbe, médecin comme lui. Gui Patin, professeur de médecine au Collège de France, est catégorique : « Ils ne valurent jamais rien, et même l'ainé des deux est le médecin ordinaire de Port-Royal de Paris ».
D'une autre lettre de Gui Patin, en date du 2 juin 1657, et par conséquent postérieure à la mort de Théophraste Renaudot (1653), j'extrais le passage suivant relatif probablement à Isaac Renaudot:
* Il est mort ici un honnête homme de votre ville de Lyon (J), nommé Monsieur du Gué de Bagnols, jadis maître des Requêtes. Il étoit un chef du parti janséniste ; homme fort sage, fort dévot et fort réglé. Il a tant jeûné et tant fait d'austérités qu'il en est mort ; et de peur qu'il n'en échappât, Guenaut et Y un des ga\etier$ lui ont donné du vin émétique, dont il est mort dans l'opération. Qu'elle {sic) sottise, de prendre ce poison dans une inflammation du poumon, et de jeûner si rudement qu'il en faille mourir. C'est une espèce de folie de se traiter si cruellement pour mourir jeune. Tantum Religio potuit suadere malùrum, dit Lucrèce. » (2).
Toutefois, je dois rappeler que Gui Patin n'était pas lui-même à l'abri de tout reproche au point de vue scientifique, (il niait la circulation du sang), qu'il était enclin à la médisance, et qu'enfin il avait été en procès avec Théophraste Renaudot.
Quant à Jean Hamon, solitaire de Port-Royal et médecin « ordinaire et domestique de cette abbaye, ideoquc remsandus tanquam suspectas », dit Gui Patin, sa véritable place eût été aux Petites Maisons. Par mortification, ce psychopathe jeûnait jusqu'au soir, ne mangeait que le pain des chiens, prenait ses repas debout, couchait sur une planche, se levait à deux heures du matin, traversait Paris, vêtu des habits les plus grossiers et les plus sales, ne se chauffait presque jamais, passait ses journées à prier, à composer des livres de piété ou à labourer la terre, employait ses loisirs à tricoter, et, entre temps, son-
(1) Cotte lettre est adressée à M. C. S. C. M. D. B. Les trois dernières lettres sont probablement les initiales des trois mots : Médecin da roi. C'était là un titre purement honorifique et qui s'obtenait assez aisément.
t2) Guy Patin. Lettres choisies, 1725.
naît les cloches du couvent à toute volée. Quant à sa façon d'envisager la maladie et les malades, nous avons le témoignage de Nicolas Fontaine : « M. Hamon ne regardoit que Dieu dans la nature et que les maladies des âmes dans celles du corps » (!).
De ces praticiens, choisis tous évidemment parmi les amis de Port-Royal, le premier et les deux derniers étaient de véritables médicastres de sacristie. Déjà, l'année précédente, ils avaient fourni une attestation de miracle pour la guérison de Marguerite Périer, nièce de Biaise Pascal, guérison dont j'ai parlé ailleurs(a); et, à cette occasion, Dalencé (ou d'AIençay) avait fait preuve d'une ignorance absolue quant à l'évolution de la dacryocystite chronique.
Nous voilà dès lors fixés sur les qualités de ces cinq témoins, et l'erreur de diagnostic qu'ils commirent n'aura plus lieu de nous surprendre.
« Ils attestent, dit la Sentence du miracle : savoir, le dit Hamon avoir traité et médicamenté depuis quatre ans environ (11 ans), la dite Claude Baudrand, pensionnaire au Port-Royal des Champs, d'une colique dont elle étoit travaillée, et depuis deux ans ou environ {13 ans), d'une tumeur dans le bas du ventre, qui l'occupoit entièrement et étoit comme une loupe intérieure, laquelle se remplissoit des impuretés de tout le corps, (c'est là une hypothèse de Jean Hamon, une pure spéculation), et, par un long amas de matière, étoit venue à une grosseur extraordinaire et lui causoit beaucoup de douleur, sans que, par tous les remèdes qu'il lui avoit prescrits, la dite tumeur fut diminuée, au contraire s'étoit toujours augmentée depuis cinq ou six mois qu'elle étoit demeurée en la même consistance; et que, depuis le jour du jeudi saint dernier, la dite Baudrand avoit perdu la voix (aphonie hystérique) ; ayant un grand mal de tête et oppression de poitrine (céphalalgie et dyspnée hystérique): tous lesquels maux lui avoient continué jusqu'au jour de la Sainte-Trinité dernière » (*).
Cette tumeur, lit-on d'autre part dans les Mémoires de Pierre Thomas du Fossé, « s'augmentoit peu à peu, principalement depuis deux ans, et devint si monstrueuse qu'elle avoit le
(1) Nicolas Fontaine. Mémoires pour servir à l'histoire de Port-Royal. A Cologne. Aux dépens de la Compagnie, wdgcxxxvtiï
(2) Charles Binet-Sanglé. Histoire des suggestions religieuses dans la jamille Pascal (in Revue de l'hypnotisme et de la psychol. physiol., 1898-99-1900.)
(3) Vies, III, 268.
ventre plus gros que la plus grosse femme toute prête d'accoucher » (*)'.
On envoya la malade à Paris consulter les médecins amis de la maison. Ils déclarèrent à leur tour avoir trouvé « une grande tumeur et dureté dans toute l'étendue du bas-ventre, accompagnée d'enflure, laquelle enflure et dureté était causée par un corps étranger qui paroissoit avoir son siège dans le mésentère, contenant une matière fluide enfermée dans un sac et enveloppe particulière, avec inondation et fluctuation manifeste, la dite tumeur paraissant comme d'une hydropique, et que lorsqu'ils touchoient la partie malade, la dite Baudrand se plaignoit disant qu'elle souffroit beaucoup de douleur {*}, et parloitsi bas qu'à peine la pouvoit-on entendre » (3).
La sensation de corps étranger et de fluctuation n'étoit pas illusoire, et elle est facile à comprendre. Il existe en effet, dans ces cas, des contractures circulaires et localisées de l'intestin, délimitant une poche dans laquelle sont emprisonnés les solides, les liquides et les gaz. Cette « tumeur fantôme » peut se déplacer, et c'est ce qui fit croire à Hippocratès et à Jean Fernel que la matrice se mouvait comme un animal. D'ailleurs il peut exister en même temps des contractures des muscles de la paroi abdominale ou du diaphragme. Cette dernière serait, d'après Taima, la cause principale de la saillie du ventre, et elle pourrait expliquer la dyspnée et l'aphonie de Magdelaine-Claude Baudrand, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir ici les paralysies et les contractures des muscles du larynx, qui ont été constatées dans l'aphonie hystérique.
Les médecins a résolurent d'ouvrir le mal le lendemain » (*). Ce fut le commencement de la guérison. La « pauvre fille inquiette au dernier point d'une telle résolution, alla adorer la Sainte Epine avec beaucoup de dévotion et de foi »
Cette épine, débris supposé de la couronne dont, au témoignage des quatre évangélistes, les soldats du procurateur Pontius Pilatus affublèrent le nabi Ioshua (de Nazareth) (Jésus-Christ) après son arrestation, était une de ces innombrables reliques que répandirent dans la chrétienté la naïveté et la mauvaise foi (6). Elle se trouvait, en 1656, entre les-
(1) J'a! observé pour ma part une femme atteinte de tympanite hystérique qu'on eût dit au termo de la grossesse.
(2) C'est l'entéralgie de la tympanite hystérique. (3J Vies.m, 268.
(4) et(5) Pierre-Thomas du Fossé, Mémoires. (6) Aujourd'hui encore on montre:
Io Le prépuce de Jésus-Christ dans huit églises différentes, savoir : à Rome, à
physio-psychologie des religieuses
mains d'un certain de la Potteric, ecclésiastique, qui l'avait confiée pour quelque temps aux religieuses de Port-Royal ; et, depuis deux jours, Madeleine-Claude Baudrand, avait commencé une neuvaine en son honneur.
Après la consultation des médecins, elle resta une demi-heure en prières devant la relique, et l'exaltation religieuse compléta l'effet de la terreur.
« S'étant retirée dans sa chambre pour s'aller coucher, elle fut bien surprise en se déshabillant de ne pas voir ni sentir cette horrible grosseur dont j'ai parlé, et de se trouver tout à fait guérie » (').
En effet, le lendemain, les médecins « auroient trouvé icelle Baudrancl parfaitement guérie de tous les maux ci-dessus sans qu'il parut aucune marque ni vestige de ladite tumeur, enflure et dureté, son ventre étant rétabli en son état naturel »
De plus elle « avoit la voix fort claire et intelligible » (3). Elle était enfin « rétablie en une parfaite santé, sans qu'on lui eût fait aucun remède ni qu'elle eût eu aucune évacuation » (*).
Deux grandes émotions successives avaient ébranlé les neurones de l'hystérique, déplacé leurs molécules, fait se relâcher leurs prolongements rétractés, rétabli les circuits interrompus, rendu l'équilibre à la machine nerveuse, et, comme par l'effet d'une commutation électrique, fait disparaître instantanément contractures et paralysies. L'émotion ou mieux la cause émotionnelle n'agit pas autrement que le coup de pouce qui, déplaçant la limaille du cohéreur d'Oliver Lodje, change les conditions de transmission du système. Rien là de plus merveilleux que la télégraphie avec ou sans fil, et, à coup sûr, rien là de surnaturel.
¦Conques (Aveyron), à Puy-en-Velay 'Haute-Loire), à Poitiers, à Colombs {Eure-et-Loir), à Metz, à Anvers et à ïïoldesheim (Saxe).
2" Une do ses larmes {sic), à Vendôme, à Allouagne (Pas-de-Calais) et a Liège.
3° Sa tunique, 11 Rome, dans les églises de Saint-Jcan-de-Latran et de Saintc-Marlinelle. à Argenteuil (Seine-ct-Oise), a Trêves et a Moscou.
Enfin, s'il fout en croire la Revue religieuse de Rodej et de Mende, du 7 juin 1876, le monastère do Sainte-Poi, a Conques, posséderait, ouircle prépuce do Jésus-Christ, de ses cheveux, do son sang, un morceau de sa robe, le linge avec lequel 11 essuya les pieds des apôtres, du pain do la Cène, un morceau de la colonne à laquelle il fut attaché, et des aliments qu'il distribua à ses disciples après sa résurrection.
Quant aux épines de la couronne, il en existait une a l'abbaye de Fllnes (Nord) et une dans une église d'Aire (Pas-de-Calais). Voir Malvert, Science et Religion, Soc. d'édit. scient. 1899.
(1) Pierre-Thomas du Fossé. Mémoires.
(2) (3) (4) Vies inter. et édif. III, 269-70.
Dans son Etude clinique du dynamisme psychique, Henri Aimé rapporte un cas de tympanite hystérique, observé par le professeur Haushalter, et qui présente une analogie frappante avec le précédent :
« C... est une fillette de 12 ans. Elle n'est jamais sortie de son village, détail à souligner. Père cultivateur, nerveux; mère journalière, obtuse.
« Il y a quelques mois, l'enfant qui, d'après sa mère, avait déjà un ventre assez gros, aurait vu ce ventre augmenter tellement, qu'on aurait cru à une grossesse. Elle ne pouvait supporter aucune ceinture; on était obligé d'accrocher la robe en haut du corset. Après les repas, elle était forcée de se desserrer ; elle ne pouvait plus monter d'escaliers ni sauter de fossés.
« Un médecin diagnostiqua une tumeur abdominale et conseilla de la conduire à l'hôpital.
« Â la consultation elle donna, à un examen sommaire, l'impression d'une péritonite tuberculeuse. Le ventre était énorme, tendu, dur comme celui d'une grossesse assez avancée. Par places, il y avait comme de la submatité. L'état général est du reste excellent. Dans la journée, la fillette entre au service. Elle n'est revue que le lendemain matin à la visite. A ce moment, au grand étonnement de tous les assistants, à la stupéfaction de la mère qui, en pleurant, était venue voir ce que sa fille avait, le ventre est redevenu normal, souple. L'enfant est restée dix jours à l'hôpital, ne présentant plus aucun trouble nerveux, aucun symptôme du côté de l'abdomen » (').
La guérison était due à l'émotion de l'entrée à l'hôpital et probablement à la crainte d'une opération.
Les médecins de Magdelaine-Claude Baudrand « s'écrièrent que c'étoit le plus grand miracle qui se fût fait .par la Sainte-Epine, et qu'ils l'estimoient autant que la résurrection d'un mort » (*).
Cette religieuse mourut le 24 juin 1662, à 20 ans, d'une maladie inconnue.
suggestibilité. — La guérison précédente montre assez quelle était la suggestibilité de cette fille, v Elle « fut mise à Port-Royal à l'âge de neuf ans, ety futélevée dans la piété » (3).
(1) Henri Aimé. Etude clinique du dynamisme psychique. Paris, 1897, p. 93.
(2) Du Fossé. Mémoires,
(3) Vits inu ÏU, 266.
Immédiatement après sa guérison, elle fit vceu de se faire ' religieuse, et elle avait déjà pris l'habit, lorsqu'un ordre du roi fit sortir de Port-Royal les pensionnaires et les novices.
Elle mourut « dans une maison séculière où elle avoit vécu comme dans un monastère » (').
Observation V. — Marie-Antoinette Le BLOND
Marie-Antoinette Le Blond mourut le 6 janvier 1654, d'une maladie qui datait de six mois.
suggestibilité. — Entrée à Port-Royal au plus tard en 1627, elle « se rendit recommendable pour son humilité, son obéissance et un vrai mépris de soi-même... employant tous le tems qu'elle pouvoit à la prière, où elle auroit passé une partie des nuits, si l'obéissance ne l'eût retenue... Elle ne cherchoit pour soi-même que d'être méprisée des créatures » (s).
Résumé
Je relève :
1° L'hérédité religieuse chez une des cinq religieuses que je viens d'étudier (Henriette-Marie d'Angennes duFargis); 2° La maladiveté chez une (la même) ;
3° La tuberculose {pulmonaire et probablement osseuse) chez une (Marguerite d'Angennes);
4° Une névralgie sciatique chronique chez une (Françoise-Magdelaine Baudrand) ;
5° La cécité, suite de maladie, chez une (Henriette-Marie d'Angennes du Fargis) ;
6° Des symptômes d'hystérie chez trois (Henriette-Marie d'Angennes du Fargis —immobilité extatique, rêves intensifs; Marguerite d'Angennes —boulimie; Magdelaine-Claude Baudrand — céphalalgie, colique, amyosthénie, dyspnée, aphonie, tympanite (guéris par suggestion);
7° La surémotivité chez deux (Henriette-Marie d'Angennes du Fargis et Magdelaine-CIaude Baudrand);
8° Une prédisposition à la colère et à la crainte chez une (Marguerite d'Angennes) ;
9° L'hypersuggestibilité chez toutes ;
10° Deux.dontnous connaissons le genre de mort, moururent,
(1) Viesint. III, 267.
(2) Nécrologe de Port-Royal.
l'une de tuberculose pulmonaire, l'autre à la suite d'un érysi-pèle;
11° Quatre, dont nous connaissons l'âge de la mort, moururent : la premièreà 17 ans (Marguerite d\Angennes) ; la seconde à 20 ans (Magdelaine-Claude Baudrand) ; la troisième à 67 ans (Françoise-Magdelaine Baudrand) ; la quatrième à 72 ans et 7 mois (Henriette-Marie d'Angennes du Fargis). La moyenne de la durée de la vie de ces quatre religieuses est de 46 ans.
La vie de Jésus devant la science hypnotique par le D' Félix Regnault [suite)
Après avoir examiné les miracles, il faut étudier lesprocédés hypnotiques du Christ
Tantôt il agit par simple commandement, il dit au démon : Tais-toi et sors de lui (Marc, I, 25), au lépreux: Je le veux, sois nettoyé (Marc, I, 40 ; Mat., VIII, 3 ; Luc, V, 12, i 3), ou encore : Lazare, sors de là (Jean XI). Une fois il emploie une parole magique pour guérir un sourd qui parlait difficilement a Ephphatah », mot magiquearaméen qui veut dire o ouvre-toi »• Parfois il annonce au delà de ce qu'on lui demande pour faire admettre sa toute-puissance, comme lorsqu'il dit au paralytique : * Lève-toi, prends ton lit et marche a. L'impotent ne peut qu'ajouter foi à un guérisseur qui lui annonce, non seulement qu'il pourra marcher, mais qu'il emportera son lit.
Pour certains sujets, il est préférable de ne pas donner d'ordre direct de peur d'éveiller l'esprit de contradiction qui s'oppose à la suggestion. Jésus usait sduvent du procédé indirect. Il dit au paralytique : « Mon enfant, tes péchés sontpardonnës », et puis : « Lequel est le plus aisé de dire au paralytique tes péchés sont pardonnes ou de dire lève-toi, prends ton grabat, et marche » (Marc, II, 7}, ou encore il fait dévier la question en demandant s'il est permis de guérir le jour du sabbat (Marc, 111,4).
Il connaît assez l'esprit de contradiction pour en tirer profit. Il défend aux gens de dire le miracle à qui que ce soit, et il obtient le résultat inverse : « plus il le leur défendait, plus ils le publiaient (Mat.. VII, 36). Il est vraique lorsqu'il avait affaire à des esprits dociles, il leur ordonnait au contraire de raconter ce qu'il avait fait (Luc, VIII, 39).
Il pratiquait aussi l'imposition des mains, si usitée par tous les thérapeutes. Tltouchaitla partie malade, les yeux des aveugles (Mat,, XX, 34,) l'oreille des sourds (Marc, VI, 1)... Il suffisait parfois que le malade touchât une frange de ses vêtements (Mat., XIV, 36 ; Marc, VI, 56).
Plus tard, au temps des apôtres, la foi était plus vive, des procédés plus simples encore pouvaient réussir.
L'ombre de Pierre suffisait à guérir, on apportait des malades dans les rues de Jérusalem, on les mettait sur des lits et sur des couchettes afin que, quand Pierre viendrait à passer son ombre du moins en couvrit quelques-uns (Actes, V, 10) ou encore on portait sur les malades les /nouchoirs et les linges qui avaient touché son corps ; et ils étaient guéris de leurs maladies et les malins esprits sortaient (Actes, XIX, 12}.
Mais Jésus avait souvent affaire à des cas difficiles. Il employait alors des procédés complexes pour frapper l'imagination. II imbibait son doigt de sa salive et le mettait sur les yeuxde l'aveugle (Marc VIII, 23), et dans les oreilles du sourd (Marc VII, 33). La salive possédait alors, et a encore de nos jours, dans le peuple, une grande réputation. Ainsi Vespasien, promu favori des Dieux devant la plèbe alexandrine, cracha dans les yeux d'un aveugle qui, nécessairement, recouvra la vue. De même l'empereur Adrien et Pyrrhus (Tacite, hist. IV, 81 et Suétone). Plus tard Mahomet fit de même.
Jésus faisait encore un mélange de salive et de terre, puis avec cette boue il oignait les yeux de l'aveugle (Jean IX, 7). Ce dernier, alla se laver au réservoir de Siloé et revint voyant clair. Ce procédé était habituel à cette époque, car le miraculé répond aux questions qu'on lui fait: cet homme qu'on appelle Jésus a fait de taboue, il en a oint mes yeux... Jean IX, 11} et plus loin : a or, c'était un jour de sabbat que Jésus a fait de la boue » (Jean IX, 14), sans spécifier qu'il a fait un mélange de salive et de terre, comme il l'eût indiqué nécessairement, si le mélange avait été inusité.
Pour guérir le malade, il fallait qu'il eût la foi. Traduisez, si vous le voulez, qu'il ait confiance absolue en son médecin, et vous admettrez que cette condition est encore nécessaire quand on consulte un hypnotiseur. Jésus connaissait admirablement la toute-puissance de la foi. Il attendait que le malade lui demandât la guérison, comme ce lépreux qui lui dit : « Seigneur, si tu veux, tu peux me rendre net (Mat. VIII, 2; Luc V, 13) ou cet autre paralytique qui faisait percer le toit de la chaumière où se trouvait Jésus, pour arriver à lui (Marc II, 4). Souvent il attendait qu'on l'ait suivi quoique temps pour opérer ses cures : « plusieurs le suivirent et il les guérit tous » (Mat. XII, 15), ou encore s de grandes multitudes l'y suivirent et il guérit là leurs malades d (Mat. XIX, 2). On ne pouvait l'approcher facilement : telle la femme cananéenne qui importune les disciples. Ceux-ci disent au Christ : « renvoie-la, car elle crie après nous » (Mat. XV, 21), mais Jésus lui permit alors d'approcher. Une seule fois Jésus guérit quelqu'un qui ne lui demanda rien. C'est le paralytique qui attendait sa guérison d'une source intermittente, dans laquelle on devait le plonger (Jean V, 7); le seul fait de se trouver là indiquait sa confiance.
Il opéra quelques guérisons à distance, le malade étant loin de lui; mais alors il s'assurait auparavant que le parent qui implorait la guérison avait une foi profonde, or, rien n'étant plus communicatif dans une famille unie, le malade devait donc aussi l'avoir. Telle la foi du cen-
turion de laquelle Jésus dit : « En vérité je n'ai trouvé une aussi grande foi chez nul homme en Israël » (Mat. VIII, 8].
Jésus avouait d'ailleurs parfaitement que le miracle ne dépendait pas seulement de lui mais de la personne qui l'implorait. Ainsi il dit : « Ta foi Va sauvé (Marc X, 52; Luc XVII, 19). Il tenait également compte de la foi de l'entourage qui exerce une si grande influence. Quand l'aveugle demande la guérison (Marc X, 47), l'entourage augmente sa foi par ces mots : « Prends courage, lève-toi, il t'appelle. » Si l'entourage n'a pas la foi, il soustrait le malade a il emmène l'aveugle de Béthsaïda hors du bourg (Marc VIII, 23), ou encore il tire de la foule à part un muet qui parlait difficilement (Marc VII, 33).
Il ne pouvait guérir ceux qui ne croyaient pas en lui. En effet il ne put faire de miracles en son pays, on n'avait point confiance en celui qu'on avait connu enfant. Jésus en reconnu la cause «dans leur incrédulité dont il s'étonne » (Marc VI, 3-6 ; Mat. XIH, 57-58).
Il lui était nécessaire d'attendre pour opérer le miracle que celui qui l'implorait ait la foi. tin homme avait amené son fils possédé d'un esprit muet et demanda : « Si tu peux quelque chose, aide-nous et ai compassion de nous ». Jésus lui répondit : « tu me dis, si tu peux, toutes choses sont possibles à celui qui croit. » Aussitôt le père de l'enfant s'écria : Je crois ! viens en aide à mon incrédulité ! (Marc IX, 23).
Il refusait de faire des miracles à ceux qui n'avaient pas la foi « cette race est méchante, elle demande un miracle et il ne lui en sera pas donné... » (Luc XI, 29; Marc VIII, 12).
Ces restrictions de la part de Jésus font dire à Renan que Jésus ne fut thaumaturge et exorciste que malgré lui, puisqu'il défend d'en rien dire à personne et qu'il refuse les miracles à ses ennemis ('). Ces restrictions prouvent qu'au contraire il était excellent hypnotiseur.
La foi ne devait pas appartenir seulement au miraculé mais au mira-, culeur. Ceci est connu; l'hypnotiseur, pour réussir, doit avoir lui-même confiance, il aura ainsi une voix et des gestes qui convainquent. Cette foi, Jésus l'avait au plus haut degré, mais ses disciples réussissaient moins bien, à cause de leur peu de foi (Mat. VII, 19). Enfin Jésus reconnaît parfois la nécessité d'adjuvants pour rendre l'esprit favorable à la suggestion a certains démons ne sortaient que par la prière et par le jeûne » ( Mat. id. Marc XXIX, 9).
Jésus admettait la toute-puissance de la foi « Si vous aviez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous diriez à ce sycomore : Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous obéirait » (Luc XVII, 5), ou encore « la foi qui soulève les montagnes u (Marc XI, 23). Ces suggestions peuvent môme aujourd'hui se réaliser facilement avec certains sujets prédisposés. Elles font comprendre la possibilité de miracles tels que la métamorphose de l'eau en vin et la multiplication des pains dans un milieu aussi favorable,
(1) Renan ; Vie de Jésus, 15- édition, 1876, 8-, page 256.
Jésus expliquait les miracles autrement que par sa toute»pulssancû divine. Il croyait à une force. Ainsi il dit : a Quelqu'un m'a touché; car j'ai senti une force sortir de moi. » (Luc VIII, 46). Cette croyance était partagée : « Et toute la multitude tâchait de le toucher parce qu'il sortait de lui une force qui les guérisait tous n (Luc VI, 19).
Jésus transmit sa force à ses apôtres (Luc IX, 1). Notez que cette explication métaphysique des guérisons miraculeuses estencore acceptée aujourd'hui par beaucoup d'esprits.
La force mystérieuse n'était, en réalité, que lu suggestion ou, pour employer un autre terme, la foi. Cette foi communicalive; Jésus l'avait au plus haut degré. Il ne parlait pas comme un rhéteur qui cherche à vous convaincre par de faux raisonnements, ni comme un rabbin qui invoque toujours la loi. Mais, suivant la tradition des poètes orientaux, il parlait par sentences et maximes, employant le mot qui frappe. C'était la parabole ou enseignement exprimé par l'image : telle par exemple la parabole du semeur [Mat. XIII, 1). Aussi Justin Martyr dit : « Ses discours étaient courts et topiques, car il n'était pas un sophiste, mais sa .parole était la force de Dieu » [Apologie 1,14].
II s'adressait à un peuple éminemment suggestionnable et qui attendait le Messie. On donne la naissance du christianisme comme le plus grand des miracles, mais en réalité le terrain était merveilleusement préparé. Comme en toute société, il y avait des rétrogrades, les pharisiens qui s'en tenaient à la coutume et aux pratiques extérieures, et des novateurs, les Sadducécns qui rejetaient toute croyance qui n'était pas dans le texte écrit de la loi. Ils niaient la résurrection, l'existence d'anges, d'esprits, etc. Il y avait enfin les exaltés, les Esséniens, qui vantaient la pauvreté et le célibat, pratiquaient des agapes, ne faisaient point de sacrifices aux Dieux. Havet nous les décrit ainsi (1) :
« A l'époque où nous sommes, la Judée présentait le spectacle d'une eom-munautéde plusde 4.000 hommes, célèbre sous le nom d'Essées ou d'Essènes, établie à quelque distance du rivage occidental de la Mer Morte. Us étaient distribués en divers groupes de cénobites, vivant du travail de la terre. Il n'y avait pas de femmes parmi eus ; il n'y avait pas non plus d'esclaves : ils se servaient les uns les autres. Tout appartenait également à tous, et nul n'était reçu sans s'être dépouillé d'abord de son bien. Ils s'abstenaient de se frotter d'huile ; ils étaient toujours vêtus de blanc; ils s'interdisaient toute volupté ; ils donnaient une partie de leur temps à la prière et àlaméditation ; ils faisaient des œuvres de charité. Ils croyaient et ils enseignaient l'immortalité des âmes, et cet appât, dit Josèpbe, agissait fortement sur ceux qui avaient une fois goûté à leur sagesse. C'était une communauté de saints administrée par des prêtres. L'étonnemeut qu'Us causaient était tout-à-fait semblable à celui que donna plus tard au monde la vie monastique. ¦
C'est dans ce milieu que Jésus devait surtout trouver ses disciples. Il avait eu des précurseurs : Josèphe parle d'un Juda de Garnala (rive orientale du lac Tibériade) qui se révolta en niant la légitimité de l'im-
• (!) Havet : Le Christianisme et ses origines, ÎS71-1S84, 8', tome 1, page 4*3.
pôt. Pour Renan c'était le chef d'une secte galiléenne. La sédition fut écrasée, mais l'école subsista. On la retrouve fort active dans les dernières luttes des Juifs contre les Romains.
D'autres protestaient en menant la vie d'ermites : tel saint Jean-Baptiste qui paya de sa tête ses attaques aux puissants.
Il existait donc un milieu propice de gens nerveux, excitables, prêts à se grouper autour d'un chef.
Cela explique l'étincelle première qu'alluma Jésus en Palestine. Mais comment l'étincelle devint-elle un feu qui gagna le monde entier?
Ceci est l'œuvre de la paix romaine. Forçant les nations ennemies à vivre en bonne intelligence, elle modifia profondément les idées. Chaque peuple avait autrefois des Dieux locaux, particularistes. Sous le joug de Rome, on commença à comprendre que les hommes étaient frères, ils devaient donc avoir le même Dieu. Le monde civilisé était prêt à adopter une religion uniforme et meilleure. Sous l'influence de la paix, les sentiments s'étaient adoucis, on cherchait une divinité de miséricorde et de pitié. Telle cette Isis charitable dont le culte vint d'Egypte et lit un moment de grands progrès. Le christianisme affirmait l'égalité des hommes, il prêchait l'amour et le communisme, ce n'était pas une religion de nation, mais une religion d'humanité (*). En dehors de ces principes fondamentaux, Jésus n'avait introduit ni un dogme, ni une pratique nouvelle. Mais ses paroles d'amour vinrent à l'heure propice où le monde pacifié était prêt à les recevoir. Comme le dit Renan : « Le judaisme fournit le levain qui provoqua la fermentation, mais la fermentation se fit hors de lui. »
Pour que ce triomphe fût possible, il était de toute nécessité que Jésus fît des miracles. Car les Juifs exigeaient des signes de l'homme en qui ils devaient avoir foi (Paul, épître aux Corinthiens, I, 22). Pour être prophète il faut accomplir des miracles. « Quel miracle nous montres-tu pour entreprendre de faire de telles choses (Jean II, 18J, demandaient les principaux sacrificateurs et les anciens à Jésus. *
Les docteurs de la loi et les pharisiens l'abordent en lui demandant de leur faire voir un signe (Mat. XXII, 23). Une autre fois ils précisent et exigent un signe du ciel (Mat. XVI : Marc VIII, il).
Car les anciens prophètes ont fait des miracles et Isaie a proclamé qu'à la venue du Messie « les yeux des aveugles s'ouvrent et tes oreilles des sourds se débouchent; alors le boiteux bondit comme un cerf, et la langue du muet fait entendre des cris d'allégresse b (paroles d'Isaie, XXXV, 5) c'est parce que Jésus a fait des miracles que Pierre après la descente du Christ (Actes II, 22) l'appelle « un homme accrédité auprès des Juifs, parles eflets de puissance, les signes et les miracles que Dieu a faits en lui. »
(A suivre).
(i) Havet, M. page 71-
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 10 novembre 1S01. — Présidence de M. Jules Voisin
La séance est ouverte à 4 h. 35.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
La parole est donnée successivement à MM. les D'* Maurice Bloch, Henry Lemesle et Bérillon, pour les communications inscrites à l'ordre du jour.
M. le D' Paul Farez présente à la Société l'ouvrage posthume de Durand de Gros : Questions de philosophie morale et sociale.
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. de Framond, avocat à la Cour d'appel, etGrolIet, médecin-vétérinaire. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 40.
Onanisme et onanomanie
Par M. le docteur Maurice Bloch
Mlle M. .est âgée de 27 ans : ses antécédents héréditaires sont assez chargés : la mère aurait eu pendant sa grossesse plusieurs attaques de nerfs, suivies de perte de connaissance.
Les crises de masturbation, qui se sont révélées de très bonne heure, semblent se régler dès l'âge de treize ans ; à partir de cette époque, en effet, elles se montrent trois fois par an durant une période de 15 à 20 jours.
Plus tard, elles n'ont plus lieu qu'une fois par an, sauf dans les deux dernières années où elles ont éclaté à trois reprises différentes.
Comme toujours, en pareil cas, elles sont suivies de fatigue intellectuelle et de prostration générale.
Quelques jours avant la crise, M"e M... est agitée et cherche querelle à tous ceux qui l'entourent ; à cette agitation succède ordinairement une accalmie de 24 heures, au bout de laquelle elle éprouve le besoin de se masturber.
Elle résiste d'abord assez facilement pendant deux ou trois jours ; mais l'excitation devenant plus intense, elle entre bientôt en crise et se livre à la masturbation pendant quinze jours consécutifs, en se servant non de ses doigts, mais de ses cuisses qu'elle rapproche sans cesse à l'aide de petits mouvements d'adduction. Dans l'intervalle de ses crises, la malade est très malheureuse et a horreur d'elle-même.
Je me suis demandé au sujet de cette observation, s'il ne serait pas logique de dédoubler la masturbation en périodique et apériodique ou mieux encore en onanisme et onanomanie, et à ce propos je serais tenté
d'établir une comparaison entre le cas que je yiçpg (Je écrire et la dip. spmanie.
En effet, quels sont les caractères qui ontfait distinguer la dîpsomanie de l'ivrognerie ? Ce sont :
1° Le retour de l'accès, plus ou moins périodique, une, deux, trois fois par an ;
2° La répugnance du malade pour ses accès auxquels il ne peut se soustraire et dont il a parfaitement conscience ;
3° Le changement de caractère, tristesse, dégoût, irritabilité avant l'accès ;
4° L'incurabilité de ces accès comparativement à l'ivrognerie qui peut se modifier.
Or, tous ces caractères se retrouvent chez ma malade : c'est une mas-turbatrice à périodes presque fixes et dont l'accès dure chaque fois le même laps de temps : elle a horreur de son vice ; ses accès sont régulièrement précédés de phénomènes généraux ; c'est une incurable et une dégénérée.
Je ne pense pas que ces signes se retrouvent avec la même netteté chez les masturbatrices ordinaires.
J'ignore si des faits analogues ont déjà été rapportés et je serais heureux que la Société voulût bien m'éclairer à ce sujet.
Discussion
M. Jules Voisin- — L'onanisme se rencontre fréquemment à l'état périodique chez les idiots et les imbéciles. Le cas que nous rapporte M. Bloch, est celui d'une vraie maladie mentale s'accompagnant pendant quelques jours de symptômes prodromiques (changement de caractère, diposition mélancolique} et arrivant chez une personne intelligente. Le rapprochement qu'il fait entre l'état mental de la malade et celui d'une dipsomane est exact. C'est une forme de folie héréditaire essentiellement intermittente et paroxystique. La malade a conscience de son état, mais elle ne peut faire autrement. Elle se sent poussée d'une manière -invincible à cet acte et sa volonté succombe devant l'obsession qui la domine.
M. Bewllox. — M. Bloch considère ces accès d'onanomanie comme incurables. Le mot incurable ne peut être prononcé tant que tous les modes de traitement n'ont point été employés ; or, par l'hypnotisme, j'ai obtenu des guérisons dans des cas analogues et même, certaines fois, en une seule séance. Chez ces malades, l'onanisme est, dît-on, irrésistible ; or, précisément, l'hypnotisme permet d'organiser la résistance à cette impulsion.
M. Pau de Saint-Martin. — J'ai observé jadis, en Afrique, un sous-officier qui, tous les mois, avait pendant trois jours une crise d'onanisme, toujours consécutive à un rêve sanglant. Il n'y avait chez lui ni dégoût de lui-même, ni essai de résistance, c'était pre sque l'équivalent d'une période menstruelle.
Vomissements gravidiques incoercibles et ptyalisme guéris par suggestion
Par m. le Docteur Paul FaRSZ.
Umr P... est mariée et mère de deux enfants, dont l'aîné a huit ans et l'autre six. Elle a eu ses règles pour la dernière fois le 23 mars. Comme elle ne les voit point revenir en avril, elle craint d'être enceinte et se lamente à la pensée qu'un nouvel enfant pourrait lui survenir. Elle recourt alors à tous les emménagogues dont elle o entendu parler dans son entourage, bains de pied sinapisés, café très fort avec beaucoup d'alcool, absinthe pure, armoise, apiol, injections très chaudes, etc., et les règles n'apparaissent pas. .
Dès les premiers jours du mois de mai, elle est prise de vomissements qui reviennent à intervalles de plus en plus rapprochés; bientôt elle vomit ses aliments à chaque repas, mais elle supporte encore le lait.
Enfin, quand elle vient me voir, au commencement du mois de juin, elle ne tolère môme plus le lait; depuis quatre ou cinq jours, elle est inévitablement prise de vomissements toutes les fois qu'elle tente d'ingurgiter quoi que ce soit.
En outre, elle est atteinte d'un ptyalisme extrêmement abondant; elle ne cesse pour ainsi dire pas de cracher, si ce n'est pendant la nuit. Le jour où elle vient me voir pour la première fois, ayant constaté que plusieurs personnes doivent passer avant elle, elle n'Ose rester et attendre son tour, de peur d'être obligée d'inonder mon parquet de salive ; elle sort donc et va avec son mari dans un café voisin attendre la fin de ma consultation. Dans ce café elle a tellement craché qu'elle a fait autour d'elle une mare dont elle a honte,mais qu'il lui a été impossible, dit-elle, de ne pas faire Un fait, toutefois, est à noter : pendant qu'elle me parle et m'expose son état, son ptyalisme est comme suspendu ; elle a craché seulement deux fois (et cela dans son mouchoir} pendant les trois quarts d'heure qu'a duré notre entrelien.
Sans méconnaître le très mauvais état de son tube digestif, je ne puis tout de même pas songer à prescrire des médicaments, car il est bien certain qu'elle les vomira. Le plus pressé est de lui supprimer ses vomissements et je n'hésite pas à le tenter en faisant appel aux seules Ressources de la suggestion.
Je fais donc à cette femme une bonne séance d'électricité statique ; je lui explique qu'à la suite de* cela ses vomissements vont devenir moins fréquents et qu'après plusieurs séances semblables ils auront tout à fait disparu ('}. Je lui donne alors rendez-vous pour le surlendemain. . Au jour dit, on me fait savoir que la malade est incapable de venir me voir et l'on me demande de me rendre auprès d'elle. Je la trouve au lit, exténuée, épuisée. Prés d'elle, un bol de taille, respectable est rem-
(l)Co cas est à rapprocher de celui que j'ai publié dans le n- de décembre 1901. La technique a été sensiblement la même.
pli de ce liquide mousseux qui, presque sans cesse, s'échappe de ses lèvres. Depuis l'avant-veille, elle a encore vomi pss mal de fois, mais elle a pu supporter la boisson que je lui avais prescrite, à savoir un œuf bien battu à neige et délayé dans du lait froid.
N'ayant plus de machine statique à ma disposition, je modifie mon traitement suggestif. Je délimite soigneusement au phonendoscope les contours de l'estomac et, dans la région comprise à l'intérieur de la ligne courbe tracée au crayon dermographique, j'étends une abondante couche de collodion au bleu de méthylène. Au bout de deux jours, je renouvelle cette application : après ce deuxième badigeonnage, les vomissements ont complètement disparu.
Encouragé par ce succès, j'essaye d'arrêter aussi le ptyalisme. J'explique à la malade que tout ce liquide qu'elle crache lui vient des glandes salivaires et que, si j'agis sur ces dernières avec la même mixture, je diminuerai de plus en plus leur sécrétion, laquelle ne tardera pas à redevenir normale.
Je badigeonne donc avec mon collodion au bleu de méthylène les régions cutanées qui répondent aux glandes parotides et sous-maxillaires. J'annonce que ce large collier bleu va exercer son action curative pendant la soirée et toute la nuit suivantes, puis que, le lendemain matin, la malade constatera avec bonheur une très notable atténuation de son ptyalisme. Celui-ci, en effet, dès le lendemain même, a beaucoup diminué et il est devenu tout à fait insignifiant après la troisième application.
H va sans dire qu'une fois les vomissements supprimés et la tolérance stomacale rétablie, je me suis attaché à traiter les troubles gastro-intestinaux (antifermentescibles, antiputrides, antiseptiques, absorbants, laxatifs, lavements, etc.) L'état du tube digestif n'est redevenu normal qu'après plusieurs semaines, alors que les vomissements et le ptyalisme avaient été en quelques jours jugulés par la suggestion.
Le collodion au bleu de méthylène joue, on le voit, un grand rOle en thérapeutique psychique. La coloration intense qui dure plusieurs jours frappe le malade qui croit à la persistance constante d'une action médicamenteuse. Quant au collodion, il provoque par sa rétraction une gène et, parfois môme, une petite douleur qui ramène à chaque instant la pensée du malade sur la suggestion qui lui a été faite. J'ai eu aussi des succès avec le collodion coloré en jaune par l'acide picrique.
»
* *
Post-Scripium. — Lorsque j'ai vu cette malade pour la première fois, je n'ai fait aucun examen obstétrical et je mo suis bien gardé d'affirmer la réalité d'une grossesse. Je pouvais, en efiet, me trouver simplement eh présence d'un de ces nombreux cas de pseudo-grossesse, avec aménorrhée, par crainte de la maternité. Ultérieurement, les bruitadu cœur du fœtus ont été nettement perçus ; il s'agissait donc bien, dans le cas actuel, de vomissements gravidiques.
Paroxysmes d'angoisses, ëpllepsie et hystérie (')
par m. le Professeur Raymond
i
Notre premier malade est âgé de 52 ans; il exerce la profession de mécanicien. Depuis huit ans, il a des crises qui se sont aggravées, il y quelques semaines. Il se trouve mal à l'aise, il tremble de tout le corps et voit les objets s'éloigner, puis, brusquement, instantanément, il éprouve un choc du côté du cœur, des palpitations surviennent et, souvent, il perd tout à coup connaissance. Après cela il ressent un impérieux besoin de dormir et son sommeil dure pendant 7 ou 8 heures. Au réveil, il se sent très fatigué. Il n'a pas uriné sous lui et ne s'est pas mordu la langue. D'autres fois, ce sont seulement de petites crises : les mains tremblent, les objets s'éloignent ou se rapprochent et notre homme est pris d'une faim vorace, bien que, d'ordinaire, il mange très peu. Parfois cet impérieux besoin de manger constitue toute la crise.
Il s'agit ici de mal comitia] tardif, lequel débute à vingt, trente, quarante, soixante ans; ...je l'ai même vu débuter à quatre-vingts ans passés. Cette épilepsie a une signification assez grave; elle est liée à l'artériosclérose et on Ta vue causer la mort sur la voie publique'.
Notre malade est fils d'une mère hypocondriaque, morte à la Salpé-trière: un de ses cousins-germains présente des crises convulsives. Il a été très bien portant jusqu'à douze ans. A cet âge, il fait une fièvre typhoide grave qui dure trois mois et s'accompagne de délire : ic', comme ailleurs, le délire est en raison de l'hérédité.
Parvenu à l'âge d'homme, il se tourmente de tout et s'exagère ses sensations; de plus, il croit qu'on lui en veut : fils de triste, il reste triste toute sa vie. Comme il est instruit et intelligent, il s'abandonne aux spéculations métaphysiques ; depuis huit ou dix ans, il se torture à résoudre le problème des causes finales; perpétuellement il se demande ce que c'est que l'homme, pourquoi il est venu sur la terre; ce qu'il deviendra, etc. En proie à ses idées obsédantes, à ses scrupules, à ses doutes, à ses craintes, il s'angoisse toutseul, il a des battements de cœur; puis, un beau jour, il perd connaissance.
On se demande si l'angoisse sur un terrain d'hérédité et d'artériosclérose n'a pas pour aboutissant le mal comitial ou même si le paroxysme d'angoisse n'est pas déjà de l'épilepsie. Les accidents d'épilepsie tardive sont peut-être ainsi la résultante des progrès de l'âge sur un terrain prédisposé. »
Le traitement de l'épilepsie, on le sait, consiste à donner du bromure.
COURS ET CONFÉRENCES
Toutefois, quand un individu comme celui-ci présente à la fois des obsessions et des paroxysmes d'angoisses, il faut non seulement le bromurer mais le raisonner, le rassurer et combattre les troubles psychopathi-ques par un traitement moral.
II
Ce jeune garçon de 13 ans a, lui aussi, des crises convulsivcs, mais le diagnostic en est différent.
Il va à l'école depuis l'âge de 5 ans. Or, il y a six mois, il a été enfermé dans les cabinets par un de ses camarades; il est aussitôt pris de la peur de ne pouvoir en sortir et une violente émotion le gagne. Au bout de quelques minutes, on le délivre et il rentre chez lui. Le soir, il se sent étourdi et vcit tout tourner; la nuit il dort mal et rêve beaucoup. Depuis lors il présente, à peu pris tous les jours, une crise qui débute par une sorte d'aura. Ce sont des battements aux tempes, des sifflements dans les oreilles, des sensations de tournoiement et de serrement; le cœur bat fortement, puis notre malade tombe brusquement à terre où il se raidit et se débat. Au début, il ne perdait pas connaissance; aujourd'hui la perte de connaissance est la règle. La crise dure environ deux minutes; il se relève très fatigué, pleure abondamment mais n'éprouve pas le besoin de dormir. Notons que, jusqu'à cette peur, il n'avait présenté rien de semblable.
Quelle est la nature de ces crises?
-C'est toujours un problème très difficile de séparer l'hystérie de l'épi-lepsie. L'aura, qu'elle soit somatique ou psychique, ne peut servir à les départager. Certains individus sont, non pas hystéro-épilcptiques, comme on Ta dit, mais à la fois hystériques et épileptiques. Ils présentent des attaques séparées. Ce sont des hystériques qui ont des crises d'epilepsic ou des épileptiques qui ont des crises d'hystérie.
Notre malade a-t-il uriné sous lui? Une fois seulement. D'ailleurs, cela se rencontre aussi dans l'hystérie. Quelquefois il s'est mordu la langue et ce fait est un signe de probabilité en faveur de l'épilepsie. Par contre, il est plus faible du côté gauche, mais ce n'est pas un argument suffisant en faveur de l'hystérie, car on a vu subsister, après les crises, épileptoides, des paralysies transitoires, hémiplégies ou monoplégies. Les réflexes tendineux et osseux sont normaux. Mais il existe des troubles de la sensibilité. A gauche, on constate une anesthésic absolue distribuée géographiquement, localisée dans le tiers supérieur du bras et limitée par une ligne circulaire ; immédiatement au delà de cette dernière on constate de l'hyperesthésie. L'hyporeslhésie et l'anesthésie portent sur tous les modes de la sensibilité.
Si nous n'avions pas eu d'anesthésie, nous aurions été très embarrassés pour faire un diagnostic différentiel. Toutefois, pour s'éclairer, il faut toujours rechercher comment les malades sortent de leurs crises. Notre épîleptique de tout à l'Heure reste dans le stertor et a envie de dormir; ce jeune homme, au contraire, termine sa crise par une envie
de pleurer, puis il se reprend et se trouve très gai. C'est donc d'hystérie qu'il s'agit ici.
Le traitement sera suggestif; on s'appliquera à exalter l'attention, à dûtruire l'ancslhésic, à rétablir la sensibilité. S'il le faut, on utilisera le sommeil hypnotique pour détruire le souvenir de l'émotion qui a servi de point de départ à ces phénomènes morbides.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpêlrière.
La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 21 janvier 1902.
Communications Inscrites : 1» D' LeMesnant des Chesnais : un cas de grossesse nerveuse; 2» Dr Bérillon : Traitement des habitudes alcooliques par la suggestion hypnotique ;
3° Dr Bianchi : Phonendoscopie cérébrale : Applications à l'étude de l'hypnotisme ;
4° Dr Bellemanière : Les diverses formes de l'attention selon les âges ; Inscrits : MM. Bérillon, Paul Magnin, Paul Parez, Lionel Dauriac.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à k heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
• Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Les sensations d'un professeur électrocuté
Au lendemain de l'électroculion de Czolgofz, après que l'on a déjà beaucoup parlé de ce genre d'exécution, il nous parait intéressant de rapporter, d'après un journal, les sensations éprouvées par M. André Broca, le distingué professeur agrégé de physique qui, expérimentant un jour une bobine de Rhumkorff, fut soumis à l'action d'un courant d'une puissance considérable.
» Je tenais fortement dans les mains deux larges électrodes : ce qui empêcha les brûlures, dit M. Broca. Je fus violemment jeté, à terre, et, songeant à une expérience de physique, je me dis très nettement : * Mon cœur va s'arrêter, je suis perdu ». J'essayai d'appeler alors mon préparateur pour lui faire couper le circuit, mais je ne pus pousser qu'un cri informe. Je n'eus plus alors la sensation de l'existence de mes mains et de mes bras, étant étendu à terre, et les murs de la salle me
NOUVELLES
COURS & CONFERENCES DE 1902 à l'Institut psycho-physiologique
49, rue Saint-André-des-Arts, 4g
les vendredis, a 8 heures et demie ou soi r conférences
Vendredi 17 Janvier, à huit heures et demie, M. le Dr Bérlllon médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, fera une conférence sur : L'hypnotisme et les variations de la personnalité. — (Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydriquo.)
Vendredi 24 Janvier, à huit heures etdemle, M. le Dr Jules Voisin, médecin à la Salpêtrière, fera une conférence* sur : La psychologie de l'enfant anormal. L'organisation et les résultats de l'Ecole de Reforme de la Salpêtrière.
Vendiiedi 31 Janvier, à huit heures et demie, M. Lionel Dauriac, professeur honoraire à la Faculté des lettres de Montpellier, fera une conférence sur : L'imagination musicale.
Vendredi 7 Février, à huit heures et demie, M. le Dr Paul Joire, de Lille, fora une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie musicale.
parurent s'incliner vers la droite et se colorer en vert; puis je perdis connaissance. Mon préparateur ayant coupé le circuit, me releva et je revins à moi. Je marchai un peu, mais seulement avec la curieuse sensation que ma tête et mes jambes existaient seules. J'essayai de remuer les bras. Ils étaient paralysés. On me pinça violemment ; je ne sentis rien ; au contraire, une hyperestnésie, c'est-à-dire une grande sensibilité du tissu sensitif, fut constatée au doigt. Je touchai une règle métallique qui me parut très froide et retirai brusquement ma main. Environ un quart d'heure après, je pus remuer les doigts et avec beaucoup de peine j'écrivis une ligne. J'essayai de marcher ; je fus tout de suite essoufflé. En rentrant chez moi, je pus lentement monter mes cinq étages. Quelques heures après, j'éprouvai une violente affection cardiaque. Mais, au bout de deux jours, il ne restait plus trace de rien. »
De cette expérience forcée, M. Broca a donc recueilli quelques impressions pittoresques. Une constatation est intéressante : c'est queM. Broca, quelques instants après la décharge, a conservé sa lucidité, puisqu'il a eu la sensation très nette qu'il était perdu. On peut alors facilement imaginer les angoisses que doivent éprouver les condamnés américains; si le même phénomène se produit pendant ce laps de temps si court et pourtant terriblement long ! (Gazette médicale de Paris.)
Vendredi 14FÉvniEit, à huit heures et demie, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : Psychologie de la prestidigitation. — Cette conférence sera suivie de démonstrations expérimentales faites par M. Jacobs, du théâtre Robert-IIoudin.
Vendredi21 Février,;*huit heureset demie, M. le D'Henry Lemesle, Hcenoié en droit, fera une conférence sur : Les visions et les extases de saint François d'Assise. — (Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)
Vendredi 28 Février, ù huit heures et demie, M. le capitaine Villetard de Laguèric fera une conférence sur : Psychologie comparée: Les asiatiques jaunes: Chinois, Coréen, Japonais.
Vendredi 1 Mars, à huit heures et demie, M. le Dr Paul Joire, de Lille, fera une conférence sur : Les états tnédiumniques de l'hypnose.—Etats hypnotiques profonds.
Vendredi 11 Mars, à huit heures et demie, M. de Gàtines fera une conférence sur : Les lois de Véquitationet la psychologie du dressage.— (Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE
4Q, rue Saint-Andrê-des-Arts, 4g (Au siège de l'Institut psycho-physiologique)
COMITÉ DE PATRONAGE
MM. Iîerthelot, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Académie française; Boirac. recteur de l'Académie de Grenoble; Lionel Dau-niAC,professeur honoraire de la Faculté de Montpellier; Marcel Dubois,professeur & la Sorbonne ; Giard, professeur à la Sorbonne ; Huchard, membre de l'Académie de médecine; Kibot, professeur honoraire au Collège de France, membre de l'Académie des sciences morales; Albert Robin, membre de l'Académie de médecine; Tarde, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences morales; Jules Soury, sous-directeur à l'Ecole des Hautes-Etudes; Jules Voisin, médecin delà Salpétriere.
COURS DE 1902
L'inauguration des cours aura lieu le lundi 13 janvier, à cinq heures, sous la présidence de M. le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de médecine.
Hypnotisme thérapeutique
M le D' Bérillon, professeur. Objet du cours : l-a thérapeutique des maladies de la volonté. Les lundis et jeudis à cinq heures, à partir du lundi i3 janvier.
Hypnotisme expérimental. M. le D' Paul kUfflflN, professeur. Objet du'cours : L'hypnotisme et la suggestion cher les hystériques. Les lundis c cinq heures et demie, à partir du lundi ¡3 janvier.
Hypnotisme sociologique.
M. le Dr Félix Ui-gnault, professeur. Objet du cours : Action organique et vaso-motrice de l'hypnotisme;
Les guérisons miraculeuses. Les vendredis à cinq heures et demie, à partir du vendredi 17 janvier.
Psychologie normale et pathologique. M. le Dr Paul Farez, professeur. Objet du cours : La psychologie du sommeil naturel. Les mardis et samedis à cinq heures, à partir du mardi 14 janvier.
Psychologie de reniant.
M. le Dr Belleuanièhe, professeur. Objet du cours : Du rèlo de la suggestion dans l'éducation. Les jeudis à cinq heures et demie, à partir du jeudi 16 janvier.
Psychologie du criminel. M. le Dr Wateau, professeur. Objet du cours : L'enfance délinquante et criminelle. Les vendredis à cinq heures, à partir du vendredi /7 janvier.
Psychologie des foules et Folklore. M. le Dr Henry Lemesle, professeur. Objet.du cours : La foule religieuse. Pèlerinages et sanctuaires. Les mercredis, à cinq heures et demie, à partir du mercredi /5 janvier.
Anatomie et Psychologie comparées. '
M. e. Caustier, agrégé, professeur de l'Université. Objet du cours : Les fonctions psychiques dans la série animale.. Les samedis à cinq heures et demie, à partir du samedi 18 janvier.
Psychologie des animaux. M. le D* Lépinay, professeur. Objet du cours : Névroses et psychoses chez les animaux. Les mercredis, à cinq heures, à partir du mercredi /5 janvier.
Psychologie des sensations et Psychométrie. MD° le Dr Wycroskorosde, chargée de conférences. Objet du cours : Sensations et perceptions. — Instruments et appareils employés en psychométrie. Les mardis, à cinq heures et demie, à partir du mardi 14 janvier.
HORAIRE DES COURS
iircrfs lundis mardis ui:ncRF.nis jeudis vendredis samedis
5 h. mod Paru LÒIE:; binila Wilta Pirei
5h.i/2 PllI m : ;-!. lecitile btlltuùitre félii rtfbinlt gioilier
VAdministrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie A. QUELQUE JEU rue Gcrbcrt. 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTA^ ET^ THERAPEUTIQUE
16« Année — ? 8. \. ¦ ±f. Février 1901
L'Ecole d^Psychologie
La réouverture des cours de l'Ecole de psychologie a eu lieu le lundi 13 janvier, à cinq heures, au siège de l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts, sous la présidence de M; le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de Médecine. Aux côtés de M. Albert Robin, avaient pris place M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière, membre du Comité de patronage, et tous les professeurs de l'Ecole, MM. les Drt Bérillon, Paul Magnin, Félix Regnault, Paul Farez, Belle-manière, Wateau, Henry Lemesle, M. Caustier, professeur agrégé de l'Université, et M. Lépinay, secrétaire général de la Société de pathologie comparée.
Les salles de l'Institut psycho-physiologique ne pouvaient suffire à contenir l'assistance extrêmement nombreuse qui avait répondu à l'invitation de l'Ecole. Elle était composée de médecins, de magistrats, de professeurs de l'Université, de publicistes et d'étudiants de toutes les Facultés.
Au début de la séance, M. le Dr Bérillon donne lecture de lettres par lesquelles MM. les Dr* Iluchard et Lucas-Champion-nière, membres de l'Académie de Médecine, M. le Dr Godon, directeur de l'Ecole dentaire de Paris, M. Edmond Lepel-Ietier, conseiller municipal de Paris, etc., s'excusent de ne pouvoir assister à la séance.
Ensuite, M. le Dr Bérillon prononce l'allocution suivante :
Allocution do M. le D' Bérillon
Messieurs,
Mon premier devoir, au nom des Professeurs de l'École de Psychologie, est d'exprimer toute noire reconnaissance à notre éminent maitre.
M." le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de Médecine, pour l'honneur qu'il nous fait en présidant la séance de réouverture de nos cours.
M. Albert Robin n'avait pas attendu la réunion d'aujourd'hui pour nous donner des encouragements auxquels nous attachons le plus grand prix; dès la création de l'Institut Psycho-Physiologique, il avait accepté de faire partie du Comité de Patronage et son nom se trouvait associé à celui de ses collègues des hôpitaux de Paris et de l'Académie de Médecine : Dumontpallier, Luys et Mesnet.
En 1896, à la Pitié, dans une de ses leçons intitulée le Nouveau vita-lisme, le professeur Albert Robin disait excellemment : « à l'organisme « anatomique, il faut opposer l'organisme fonctionnel. II faut savoir a que nombre de maladies débutent par un trouble fonctionnel quel-« quefois général, souvent localisé ; que ces maladies restent fonction-n, nclles pendant un temps plus ou moins long ; que ce vice de fonction, « primitif ou commandé par des actes, nerveux morbides, peut être n enrayé ou modifié par une thérapeutique dont la précision laisse loin a derrière elle les méthodes traditionnelles.
« Cette thérapeutique n'est pas hasardeuse. Son but est de modifier » le trouble fonctionnel en agissant directement ou indirectement sur a la cellule vivante aux fonctions déréglées, dont, suivant les cas, elle »- exalte, modère ou modifie les aptitudes réactionnelles : le nom qui o- lui convient le mieux est celui de thérapeutique des réactions cellu-K'd&ires, et comme les réactions cellulaires sont une des manifestations « de la vie, je l'appelle thérapeutique vitale ».
En proclamant ainsi l'origine fonctionnelle d'un grand nombre de maladies et en démontrant ainsi la nécessité d'orienter la thérapeutique vers le traitement des fonctions, notre maître nous guidait vers la voie dans laquelle nous sommes aujourd'hui définitivement engagés. La psychothérapie, qui est à la psychologie ce que la science appliquée est à La science pure, est essentiellement une thérapeutique des réactions cellulaires ; et lorsque nous nous efforçons de calmer l'irritabilité des cellules nerveuses, d'équilibrer les fonctions mentales, d'utiliser ou d'économiser l'énergie potentielle et surtout de la transformer en énergie actuelle, nous ne faisons que nous conformer aux doctrines de notre maître, Albert Robin. Sa présence au milieu de nous marque un fait considérable. Elle détermine la place importante que doit jouer la psychothérapie, envisagée comme un précieux agent de thérapeutique générale.
Mais puisque M. Albert Robin nous a permis de compter sur sa bienveillance, nous lui rappellerons bientôt sa promesse d'exposer ici les idées qu'il professe sur la thérapeutique vitale et sur la valeur de la psychothérapie.
Dans chacune de nos réunions solennelles, vous ne serez pas surpris de nous entendre évoquer le souvenir de maîtres qui nous sont chers à divers titres, en particulier ceux de Dumontpallier, de Charcot et de
Luys.Nous n'oublieronsjamais que, soità la Pitié, soità l'Ilôtel-Dieu où il nous initia à la pratique de l'hypnotisme, soit à la Société d'Hypno-logie et de Psychologie, dont il fut le président perpétuel et où il nous associa à ses travaux, soit dans cette Ecole où il continua son enseignement lorsqu'il fut médecin honoraire d'hôpitaux, Dumontpallier ne cessa d'être notre meilleur inspirateur. Charcot, lors de la fondation de la « Revue de l'Hypnotisme », lui accorda à la fois son patronage et sa collaboration ; parce fait, il en assura le succès. Le don que Luys nous a fait de son matériel d'enseignement, a été le point de départ de notre musée psychologique.
Après cet hommage aux précurseurs, nous devons adresser nos remerciements à tous les membres de notre Comité de Patronage. L'année dernière, vous avez applaudi aux encouragements que nous donnait M. le professeur Tarde, lors de notre séance d'inauguration. Nous lui en gardons une très vive reconnaissance.
11 ne me reste plus qu'à vous donner quelques renseignements sur les progrès réalisés par l'Ecole de Psychologie, dans le cours du dernier exercice.
Tout d'abord, notre Comité de Patronage s'est complété par trois adhésions des plus précieuses : MM. les professeurs Berthelot, du Collège de France, G-iard et Marcel Dubois, de la Sorbonne, en acceptant de faire partie de ce Comité, nous ont rendu un service moral dont nous apprécions tout le prix. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant les titres de ces maîtres à notre admiration.
Berthelot, après avoir conçu la synthèse organique, créé la thermo-chimie, base de la chimie moderne et de la thermogenèse animale, étudié avec une science profonde les origines de l'alchimie, couronne son œuvre générale par un enseignement philosophique de la plus haute élévation. 11 nous démontre que .la science est le seul fondement inébranlable de la moralité des peuples et même des individus.
Giard est peut-être le seul de tous les naturalistes français qui mérite le nom de biologiste. Il n'a pas voulu localiser ses recherches dans une région étroite du domaine de la nature. La botanique, la zoologie, la chimie, la physiologie, la psychologie ne sont pas pour lui séparées par des cloisons étanches. Par ses conceptions, il est un des maîtres de la philosophie contemporaine. Ajoutons que renouvelant, les idées de Lamark et de Darwin, il les a complétées par des faits ingénieusement observés et pardes théories basées sur une érudition impeccable.
Marcel Dubois est, à notre avis, le philosophe de la géographie.. Dans son enseignement, empreint d'un caractère si nouveau et si personnel, il nous apprend que la géographie n'est pas que de la géologie, mais qu'elle doit être surtout de la sociologie.
Dans Tannée qui vient de s'écouler, notre maître Jules Soury a publié l'œuvre la plus considérable qui ait jamais été tentée pour l'étude du cerveau et du système nerveux central. Comme nous ne pourrons jamais vous parler des fonctions du cerveau de l'homme sans nous ins-'
pirer des enseignements de ce savant maître, je m'empresse de saisir l'occasion qui m'est offerte par la publication de son livre pour lui adresser l'expression de notre vive admiration.
Les professeurs de l'Ecole de psychologie, poursuivant leurs études personnelles, les ont présentées pour la plupartàla Société d'hypnologie et de psychologie. Dans plusieurs circonstances, ils ont été appelés à se réunir pour l'étude de phénomènes anormaux ou de faits exceptionnels concernant la psychologie.
Tout d'abord, ils ont eu l'occasion d'étudier un jeune violoniste prodige, âgé de 7 ans, Kun Arpad. Les conclusions de cette étude ont été présentées à laSociété d'hypnologie par le professeur Lionel Dauriac et par le Dr Félix Regnault. Un peu plus tard, un liseur de pensées, m. Modiano est venu, de Salonique, se soumettre à l'examen des professeurs de l'Ecole de psychologie. Nous avons pu constater selon l'heureuse expression de William James, qu'il s'agissait non d'un liseur de pensées, maïs d'un liseur de muscles. L'analyse approfondie de ces phénomènes a été soumise aux discussions de la Société d'hypnologie par le Dr Paul Farez, et paraîtra dans la Revue de l'Hypnotisme.
Notre enseignement s'est élargi et s'est complété par l'adjonction de nouveaux cours. La chaire nouvelle de Psychologie des animaux a été confiée à M. Lépinay, secrétaire général de la Société de pathogie comparée. La chaire d'Hiérologie psychologique sera occupée par M. le Dr Binet-Sanglé dont vous connaissez les remarquables études sur la famille de Biaise Pascal et sur diverses questions de psychologie sociologique et religieuse. En outre, Mme Wyczolkowska, docteur en philosophie, a été chargée de faire une série de leçons sur la Psychologie des sensations et la Psychométrie.
Les membres de notre Comité de patronage nous donnent souvent un concours des plus actifs. Celte année nous aurons la satisfaction d'entendre une conférence de M.le D'JulesVoisin, médecin de la Salpètrière, sur la Psychologie des enfants anormaux, et un autre de M. Lionel Dauriac, sur l'Imagination musicale.
Partisans d'une large décentralisation, nous acceptons hors de Paris, les collaborateurs qui s'inspirent de nos doctrines et acceptent de propager nos enseignements psychologiques. Depuis plusieurs années déjà notre collègue, le D>- Paul Joire, fait chaque année à Lille, dans un cours annexe de notre Ecole, des leçons très suivies sur l'Hypnotisme et la Psychothérapie.
Un de nos collaborateurs, M. le D' Jaguaribe, vient de créer à Sao-Paulo (Brésil), un Institut psychologique, en relations très suivies avec le nôtre. Nous tenons à remercier notre ami M. le Dr Jaguaribe, des marques d'effective sympathie qu'il ne cesse de nous prodiguer, en dépit de la distance qui nous sépare de lui.
Comme vous le voyez, notre œuvre est en voie de progrès manifeste. Je suis heureux de reconnaître qu'elle ne doit pas seulement ses succès à l'autorité de notre Comité de patronage, au zèle et au dévouement de
nos professeurs, mais surtout à l'excellent et au bienveillant concours de nos fidèles auditeurs, auxquels je suis heureux de souhaiter la bienvenue et d'exprimer nos sympathies. Je cède la parole à notre président, M. le D'Albert Robin.
Discoure do m. le dr Albert Robin, président. Messieurs,
En me demandant de présider à l'inauguration des cours de l'Ecole de Psychologie, vous m'avez fait un très grand honneur dont j'apprécie hautement le prix, et dont je veux d'abord vous remercier, parce que je tiens en grande estime l'œuvre que vous avez eu le courage d'entreprendre et l'énergie de poursuivre.
A une époque où la centralisation pèse d'un si lourd poids sur l'évolution des sciences médicales, où toute science qui n'est pas officiellement reconnue et subventionnée végète le plus souvent dans l'indifférence, vous avez eu la généreuse audace des conquérants qui font de toute résistance, même passive, un point d'appui pour marcher de l'avant et dont l'effort se manifeste toujours plus dur que l'obstacle.
Votre Ecole de Psychologie a franchi les difficultés du début; elle vit de sa vie personnelle; elle est devenue un centre d'études justement appréciées. Elle est quelque chose de plus encore, cette Ecole ! Elle est un grand exemple de ce que peut créer une initiative individuelle qui s'est dévouée à la recherche de la vérité, avec une conviction assez solide pour que rien ne la rebute. Souhaitons que cet exemple soit suivi, que les hommes de science et de bonne volonté se réunissent, comme vous l'avez fait, libres, indépendants des coteries et même des attaches, plus attentifs aux faits qu'épris de synthèses, et que dans toutes les branches de la Biologie s'élève, au-dessus des systèmes assombris, la 0oraison nouvelle !
Cette Ecole a encore le mérite d'intéresser à sa cause, c'est-à-dire à son succès, M. Berthelot, l'homme de génie qui, reculant la limite des puissances terrestres, a fait jaillir de son front l'étincelle créatrice et réalisé le rêve de Prométhée, à qui la France et le monde universel de la Science décernaient récemment, en une inoubliable fête, les honneurs du triomphe, et qui est monté jusqu'à cette gloire de planer vivant sur son immortalité ! Les noms qui figurent à côté du sien, dans votre Comité de Patronage, témoignent aussi de tout l'intérêt que votre œuvre inspire. MM. Boirac, L. Dauriac, Marcel Dubois; M. Tarde qui présida, l'an dernier, cette séance d'ouverture et sut avec de si encourageantes paroles louer votre méthode de travail ; M.H. Huchard, le grand maître et le rénovateur de la pathologie du cœur; MM. Giard, Jules Voisin, J. Soury, Ribot, dont les ouvrages sont aujourd'hui classiques, tous suivent les progrès de cette Ecole et applaudissent à son développement.
Votre enseignement, Messieurs, a pour but d'étendre la portée et
l'exactitude des moyens de diagnostic dans le domaine psychique, de rechercher ce qu'il y a de fondé et de véridique dans les phénomènes encore mystérieux que revendique l'occultisme, d'asseoir la psychologie sur les bases définies de l'observation rigoureuse et de l'expérimentation, puis d'utiliser les certitudes acquises en les appliquant au traitement des états morbides de la volonté, de la conscience, de l'intelligence et de la pensée. Cet enseignement a donc pour sanction la thérapeutique.
Vous savez combien celle-ci est négligée, combien sont peu croyants ceux-là même qui devraient l'enseigner et quelle place dérisoire elle tient dans les concours qui ouvrent la porte des emplois officiels de la médecine. Les successifs écroulements des théories et des doctrines pathogéniques d'où l'on tire les indications du traitement des maladies, l'incertitude apparente des actions médicamenteuses, la grandeur et la décadence si rapides des médications nouvelles qui uniformisent, comme une mode, la thérapeutique d'un moment, enfin et surtout l'héritage compact et pesant d'un orgameisme séculaire, sont les principaux motifs de cette désaffection des corps enseignants pour la partie la plus noble et la plus humaine de notre science.
L'organicisme a mis la maladie tout entière dans la lésion matérielle des organes. Il a fait de la symptomatologie l'expression extériorisée des troubles que la lésion apportait dans les organes ; la thérapeutique qu'il commandait ne pouvait avoir pour moyen que l'attaque directe de cette lésion par d'illusoires médications. On conçoit que ses insuccès aient dérouté ceux qui étaient aux prises avec la pratique et engendré le scepticisme actuel.
Mais, voici que la vieille tradition vitaliste, qui part du naturisme d'Hippocrale, traverse l'antiquité et le rfloyen-âge pour s'obscurcir avec les archées de Van-Helmont et l'âme médicale de Gaspard Hoffmann, reparait avec le principe vital de Bapthez, les forces vitales de Bichat, de Chaussier et de Frédéric Hoffmann, l'excitabilité de Brown, l'irritabilité de Haller et de Broussais, le duodynamisme de Lortat, etc., voici, dis-je, que cette tradition latente renaît sous le vocable de nëo-vitalisme physiologique. Cette renaissance qui ne répudie rien des admirables conquêtes de l'organicisme, jette comme un pont entre les doctrines jadis adverses et devient le point de départ d'une thérapeutique nouvelle.
S'inspirant, pour les choses de la pathologie, de la célèbre formule physiologique de Darwin, « c'est la fonction qui crée l'organe », le néo-vitalisme observe des faits qui lui montrent que la maladie est antérieure à la lésion, qu'elle est fonctionnelle avant d'être matérielle, que la lésion n'est qu'une étape, un incident ou un résidu de la maladie, ou encore qu'elle est l'expression d'un effort réactionnel de l'organisme à rencontre de la cause morbigène.
Il oppose ainsi ce que l'on pourrait appeler l'organicisme fonctionnel à l'organicisme anatomique ; il introduit dans la séméiologie l'étude des
échanges organiques qui permet de reconnaître l'existence de troubles encore latents de la fonction, de diagnostiquer la maladie à une période où elle échappe aux anciens moyens d'investigation, et de pénétrer le secret des prédispositions morbides qu'on désignait, sans les définir, des termes vagues de terrain ou d'idiosyncrasic. Par la patiente étude des faits et l'observation plus éclairée et plus profonde des maladies aidée de l'expérimentation, suivant la méthode de Claude Bernard, il comprend que l'état de maladie n'est qu'une déviation de l'état physiologique, et il inscrit au fronton de son édifice cette loi pleine d'espérance: « C'est le trouble de la fonction qui crée la lésion de l'organe. »
Cette loi est, en effet, pleine d'espérance ! puisqu'elle oppose la thérapeutique des réactions cellulaires, et, disons hardiment le mot, la thérapeutique vitale qui peut, suivant le sens du trouble fonctionnel, l'exalter, le modérer ou le régulariser et obvie au déséquilibre organique précurseur de la lésion; qui tente d'atteindre celle-ci quand elle est constituée, en influençant la vitalité générale ou les fonctions des éléments anato^ miques lésés ; puisqu'elle oppose, dis-je, cette thérapeutique vraiment physiologique aux médications décevantes issues de l'organicisme anato-mique et dont les incertitudes ont légitimé tant de découragements !
Messieurs, en étudiant, comme vous le faites, les déviations des grandes fonctions nerveuses, en fixant les variations des échanges organiques qui sont les conditions ou les résultantes de ces déviations, en vous efforçant de les impressionner directement par les divers modes de la psychothérapie, ou indirectement par l'intermédiaire des agents qui modifient la nutrition nerveuse, en diminuant, par vos méthodes d'enseignement pédagogique l'aptitude des centres aux troubles de leur fonctionnement, vous faites de la thérapeutique et de la prophylaxie fonctionnelles, et vous vous rangez ainsi parmi les défenseurs autorisés de ce néo-vitalisme physiologique encore flottant et indécis dans la médecine, quand, sous d'autres formes et avec d'autres noms, une évolution similaire dans la manière de percevoir, de comprendre et de sentir a rénové les arts comme la littérature et changé les1 assises de là sociologie et de la philosophie contemporaines.
Les noms et les travaux des hommes éminents qui assurent, avec mon ami M. Bérillon, l'avenir de l'Ecole de Psychologie, la rigueur et la probité scientifique avec laquelle ils étudient les problèmes obscurs qu'ils ont pris à tâche d'élucider, les résultats acquis qu'enregistre, depuis quinze années, votre excellente Revue, sont les sûrs garants d'un succès croissant dont se réjouiront, avec ceux qui aiment l'initiative, le courage et la science, les malades de l'imagination et de la pensée dont vous aurez bercé l'angoisse ou guéri les souffrances.
L'hypnotisme et la suggestion chez les hystériques (')
l'ar le D' Paul Magnin, professeur à l'Ecole de psychologie
Le cours de cette année a pour objet: L'hypnotisme et la suggestion chez les hystériques.
Voyons donc tout d'abord ce qu'il faut entendre par ce terme d'hypnotisme.
Dans l'état actuel de nos connaissances sur ce sujet, la définition la moins mauvaise nous semble être celle de Braid légèrement modifiée par M. Richer
L'hypnotisme est l'ensemble des états particuliers du système nerveux déterminé par des manœuvres artificielles.
Tout insuffisante qu'elle puisse être, cette définition a du moins l'avantage de ne rien préjuger sur la nature intime des phénomènes observés. Or, il faut bien l'avouer, ni les écrits des philosophes et des psychologues, ni les recherches des physiologistes, ni les travaux des cliniciens n'ont réussi à nous éclairer sur ce point.
Conservons-la donc en attendant mieux.
Dans son bel ouvrage sur la grande hystérie, ouvrage que devraient commencer par connaître à fond tous ceux qui veulent s'occuper d'hystérie et d'hypnotisme, M. Richer a tracé de main de maître les règles de la méthode à suivre dans ce genre d'études.
Elles peuvent, ainsi qu'il l'a démontré, se résumer dans les propositions suivantes :
i° Choisir comme matière d'expérimentation des sujets dont les conditions physiologiques et pathologiques parfaitement connues et facilement appréciables soient les mêmes.
Or, de toutes les causes prédisposantes au développement des phénomènes delà sommation provoquée la diathèse hystérique est certainement la plus importante. En s'adressant aux hystériques les plus hystériques on devra comme Ta fait très justement remarquer M. Richer, obtenir les phénomènes d'hypnotisme les plus marqués. C'esteffectivement ce qui a lieu chez les hystéro-épileptiques. Et c'est ici qu'apparaissent dans toute leur évidence, ainsi que je l'ai dit ailleurs, les liens étroits qui unissent l'hystérie et l'hypnotisme. C'est précisément dans
(1) Cours professé à l'Ecole de psychologie.
la possibilité d'instituer des expériences sur les hystériques que réside l'intérêt principal des rapports qui unissent l'hypnose à la névrose. Au point de vue expérimental, les hystéro-épileptiques resteront toujours les sujets sur lesquels il sera possible d'entreprendre les recherches physiologiques et psychologiques les plus variées, d'obtenir les résultats les plus précis.
2° Soumettre les diverses conditions expérimentales à un déterminisme rigoureux.
Il faut, en effet, procéder en matière d'hypnotisme comme dans toutes les recherches scientifiques bien conduites, quel que soit d'ailleurs leur objet. A ce point de vue, contrairement à ce qu'on pensait autrefois, l'étude du sommeil provoqué m fait pas exception à la règle.
Une fois le sommeil produit, il faut savoir bien distinguer, ainsi que l'a fait observer M. Richer, les symptômes qui se développent de par le fait même de l'hypnose de ceux que l'on peut provoquer à l'aide de manœuvres artificielles sans modifier l'état général primitivement obtenu.
Tout spécialement, il faudra se garder de voir la suggestion partout et encore plus de l'introduire toujours et constamment partout.
D'ailleurs, la suggestion elle-même est loin de pouvoir être provoquée dans toutes les phases de la somniation chez les hystériques et les conditions de sa production sont, d'autre part, ainsi que nous le verrons plus tard, parfaitement déterminées.
3° Procéder du simple au composé, du connu à l'inconnu.
Il est de toute évidence qu'il faudra considérer d'abord les cas les plus simples et, une fois ceux-ci bien connus, se risquer alors seulement dans l'étude des cas plus complexes. Il faudra aussi se garder des explications hâtives et savoir accumuler un grand nombre de documents avant d'essayer d'en tirer la moindre conclusion.
4° Se mettre en garde contre la simulation.
Cette règle ne peut être citée que pour mémoire, car aujourd'hui l'observateur, le médecin véritablement instruit doit savoir se mettre à l'abri de toute intervention active de la part du sujet, en un mot, de toute simulation.
Et cependant n'avons-nous pas vu récemment encore des maîtres éminents, dont la valeur et l'esprit scientifiques sont connus de tous, considérer comme démontrés les résultats
d'expériences dont le déterminisme ne nous a jamais semblé, quant à nous, très rigoureusement établi?
5° S'attacher surtout aux cas simples, c'est-à-dire, ceux dans lesquels les différents phénomènes se montrent avec le plus de netteté et le plus isolés les uns des autres.
Ce sont là des cas analytiques dont l'étude est tout particulièrement intéressante et utile. Leur observation facilite la compréhension des faits incomplets ou complexes en présence desquels l'expérimentateur se trouve le plus souvent.
Qu'ils ne correspondent pas au plus grand nombre, que leur description soit par rapport à l'observation de tous les jours un peu schématique, cela est possible; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils sont les plus simples, les plus éclairés, les plus frappants.
6° Rechercher suivant la méthode des nosographes à classer les divers phénomènes en séries naturelles.
La principale difficulté dans l'étude des phénomènes du sommeil provoque réside, comme l'a fort bien dit le professeur Pitres, dans l'inconstance et la mobilité des phénomènes provoqués par l'expérimentation clinique.
Lorsqu'on soumet un grand nombre de sujets aux manœuvres hypnogéniques, on sait que, même chez les hystériques, on obtient des résultats en apparence contradictoires. L'aspect du malade endormi varie suivant le sujet, suivant aussi le procédé employé pour l'endormir.
De plus, sous l'influence de la cause la plus minime, sans raison apparente même, les états obtenus peuvent se modifier subitement et se transformer rapidement les uns dans les autres, si bien que les phénomènes présentent une grande apparence de complexité.
Dès le début de ses recherches à la Salpêtrière, Charcot avait immédiatement compris la nécessité de différencier nettement les uns des autres ces divers états et il n'est que juste de dire que sa classification des phénomènes de l'hypnotisme a été le point de départ de toutes les recherches véritablement scientifiques entreprises sur ce sujet.
Les phénomènes si nombreux et si variés qui s'observent sur les sujets hypnotisés ne répondent pas, dit Charcot, à un seul et même état nerveux.
L'hypnotisme représente cliniquement un groupe naturel comprenant une série d'états nerveux, différents les uns des
autres, chacun d'eux s'accusant par une symptomatologie qui lui appartient en propre.
Ces différents états, dont l'ensemble représente toute la symptomatologie de l'hypnotisme, peuvent se ramener à trois types fondamentaux :
i° L'état cataleptique;
2° L'état léthargique ;
3° L'état somnambulique.
Chacun de ces états jouit d'une autonomie réelle en ce sens qu'ils peuvent tous, dans certaines conditions, se présenter primitivement et persister isolément, mais comme ils peuvent aussi tous les trois, dans le cours d'une même observation être produits successivement dans tel ou tel ordre au gré de l'observateur, on pourrait les considérer comme représentant les phases ou périodes d'une seule affection.
Rappelons très sommairement les caractères de ces divers états :
ift Etat cataleptique. — Le sujet cataleptique est immobile, comme fasciné. Les yeux sont ouverte, le regard fixe, sans clignement des paupières. — Les membres et toutes les parties du corps peuvent garder, souvent pendant un temps fort long, les attitudes qu'on leur a communiquées. Ils n'offrent aucune résistance aux déplacements qu'on leur imprime et paraissent d'une grande légèreté quand on les soulève. — Les réflexes tendineux sont abolis. Il y a analgésie complète, mais persistance partielle de l'activité sensorielle. De là la possibilité, ainsi que nous le verrons plus tard, de provoquer, au moyen de certaines excitations, des impulsions automatiques et des hallucinations variées.
2° Etat léthargique. — L'hystérique en léthargie est en état de résolution générale de tous ses muscles. Les membres sont flasques, pendants et, soulevés, ils retombent lourdement quand on les abandonne à eux-mêmes.— L'analgésie de la peau et des muqueuses accessibles à l'exploration est également complète. — Les réflexes tendineux sont exagérés. L'hyper-excitabilité neuro-musculaire est plus ou moins dévoloppée mais ne fait jamais défauts
3° Etat somnambulique. — Ici l'hyperexcitabilité neuro-musculaire de l'état léthargique n'existe plus, mais il est possible d'observer des contractures diffuses sous l'influence d'excitations légères de la peau. Il y a analgésie cutanée, mais en
même temps hyperacuité de certains sens spéciaux. La sugges-tibilité des sujets est des plus manifestes.
Telle est dans ses grandes lignes la classification de Charcot.
(A suivre.)
La vie de Jésus devant la science hypnotique (')
par le Dr Félix Regnault, professeur à l'Ecole de psychologie
ON
Plusieurs auteurs ont admis que les évangélistes avaient attribué tous ces miracles à Jésus, pour qu'on admit son rôle de Messie. Nous ne discuterons pas le degré d'authenticité des évangiles, cela sort des limites que nous nous sommes tracées. Mais il est évident, par l'étude qui a précédé, que les quatre évangélistes étaient fort au courant de la pratique des miracles qui étaient probablement Iréquents à leur époque ; et qu'ils croyaient aux miracles qu ils ont décrits : le luxe de détails vrais, alors qu'ils paraissaient faux avant que la science hypnotique fût fondée et dont nous n'avons pu par suite comprendre la portée que tout récemment, nous impose cette conclusion.
Tout autres eussent été leurs descriptions de miracles s'ils les avaient inventés ou écrits sans y croire. Nous aurions alors un récit analogue à celui que fit le biographe d'Apollonius de Tyanef3) : Ce thaumaturge qui naquit sous le règne de Néron et mourut à Ephèse en 97, exécuta de nombreux miracles que les philosophes du xvme siècle opposèrent à ceux de Jésus. Il suffit de lire ces prodiges pour noter la différence qui existe entre Philostrate, le latin homme de lettres fin et sceptique qui les a écrits, et les évangélistes animés par la foi.
Ainsi quand il chasse les démons (>) :
« Comme il dissertait sur les libations, il vint dans son auditoire un jeune homme d'une tenue si noble et si efféminée, qu'il était devenu le héros de quelques chansons de table. 11 avait pour patrie Corcyre, et il se disait descendu d'AJcinous le Phéaclen, l'hôte d'Ulysse.
«Apollonius parlait donc des libations, et disait qu'il ne fallait pas boire soi-même, mais conserver le breuvage pur et intact pour le Dieu. II ajouta que le vase devait avoir des anses, et qu'il fallait verser la libation du côté de l'anse, parce que l'homme ne boit jamais de ce côté : à ce moment le jeune Corcyréon fit entendre un éclat de rlro bruyant et plein d'insolence. Apollonius tourna les yeux vers lui et lui dit : « Ce n'est pas vous
(1) Cours professé à l'Ecole de psychologie.
(2) Le Merveilleux dans l'antiquité, Apollonius de Tyane. Traduct. Cbassang, 1862,8-.
(3) ld. page 157.
(1) P. 392.
qui êtes coupable, c'est le démon qui vous pousse sans que vous le sachiez. » En effet, ce jeune homme ne savait pas qu'il était possédé : aussi lui arrivait-il de rire de ce qui ne faisait rire personne, puis tout à coup de se mettre à pleurer sans cause, ou bien de se parler à lui-môme et de chanter. On croyait généralement que c'était la fougue de la jeunesse qui le rendait si peu maitre de lui, mais il ne faisait que suivre les impulsions d'un démon ; et, comme il venait de se conduire en homme ivre, les assistants le croyaient ivre. Mais, Apollonius continuant à fixer sur lui ses regards, le démon poussait des cris de peur et de rage, comme un malheureux qu'on aurait brûlé ou torturé; i! jurait de quitter ce jeune homme et de ne plus entrer chez personne. Mais Apollonius l'apostropha avec colère, comme eut fait un maitre envers un esclave rusé, menteur et impudent; il lui commandait de partir et de donner quelque signe de son départ, o Je renverserai telle statue », cria le démon, et il montra une des statues du portique royal, près duquel se passait cette scène. La statue chancela et tomba. Le bruit qui s'éleva, l'admiration et les applaudissements qui éclatèrent alors, je renonce à les décrire. Lcjeune homme parut sortir d'un profond sommeil : Il se frotta les yeux, les tourna vers le soleil, et fut confus de voir tous les regards fixés sur lui; Il n'y avait plus rien en lui d'immodeste, son regard n'était plus égaré, 11 était rentré en possession de lui-même absolument comme s'il venait de prendre quelque remède. Bientôt il quitta son manteau, les étoffes délicates dont il était couvert, et tout l'attirail de la mollesse. II s'éprit de l'extérieur négligé et du grossier manteau d'Apollonius, et embrassa tout son genre de vie.»
Lisez encore la réapparition d'Apollonius à un disciple et opposez-la à la résurrection du Christ (') :
« Il était venu à Tyane un jeune homme, hardi dans la controverse, et qui se rendait difficilement à la vérité. Apollonius n'était plus au nombre des vivants, on admirait son changement d'existence, et pas un homme n'osait prétendre qu'il ne fut pas immortel. Comme 11 y avait alors a Tyane un certain nombre déjeunes gens épris de philosophie, la plupart de leurs discussions roulaient sur l'âme. Notre jeune homme ne pouvait admettre qu'elle fût immortelle.
a Voici dix mois, dit-il à ceux qui l'entouraient, que je prie Apollonius de me révéler la vérité sur l'immortalité de l'âme ; mais il est si bien mort que mes prières sont vaines, et qu'il ne m'est apparu, pas même pour me prouver qu'il fût Immortel. »
« Ainsi parlait ce jeune téméraire. Cinqjoursapres.il reparla du môme sujet avec ses compagnons, puis s'endormit dans le lieu même où avait eu lieu la discussion : des autres jeunes gens, les uns étaient occupés & lire, les autres traçaient sur le sol des ligures géométriques. Tout d'un coup, le jeune disputeur bondit comme en proie à un accès de démence : il était à moitié endormi, et couvert de sueur. « Je te crois ! » s'écria-t-Il. Ses camarades lui demandèrent ce qu'il avait. « Ne voyez-vous pas, leur répondit-il, le sage Apollonius ? II est au milieu de nous, écoute notre discussion, et * récite sur l'âme des chants merveilleux ». — Où est-U ? dirent les autres.
Car nous ne le voyons pas, et c'est un bonheur que nous préférerions à
tous les biens de la terre. — Il parait qu'il est venu pour moi seul : il veut m'instruire de ce que je refusais de croire. Ecoutez donc, écoutez les chants ' divins qu'il me fait entendre :
« L'âme est immortelle ; elle n'est pas à vous, elle est à la Providence. Quand le corps est épuisé, semblable à un coursier rapide qui franchit la barrière, l'âme s'élance et se précipite au milieu des espaces éthérés, pleine de mépris pour le triste et rude esclavage qu'elle a souffert. Mais que vous Importent ces choses? Vous les connaîtrez quand vous ne serez plus. Tant que vous êtes parmi les vivants, pourquoi chercher à percer ces mystères?
Ce sont là des phrases de rhéteur philosophe qui se soucie avant tout ' du style.
La foi profonde des évangélistes, leur parfaite connaissance des conditions nécessaires à la production des miracles, nous feront écarter également l'interprétation des gnostiques : pour eux les miracles étaient de pures allégories (').
Pour Origène, cette explication seule nous révèle la portée profonde de la Bible. Ainsi, dans la résurrection de Lazare, le miracle n'est que l'accessoire, l'essentiel est ailleurs, il est dans le a ego sum resurrectio et vita. » dont ce miracle n'est que le symbole (Herder, Strauss).
De, même la transmutation de l'eau en vin (Jean II, 2) a aussi reçu une explication symbolique, car Jésus compare son enseignement à du vin et à du vin nouveau qu'il ne faut pas mettre dans de vieilles outres (Mat. IX, 17).
Si les évangélistes avaient eu l'idée, en rappelant les miracles, de n'écrire que des allégories, ils n'auraient pu donner ce luxe de détails vrais que nous avons reTevés.
Notre étude des miracles permet aussi de repousser au moins pour beaucoup d'entre eux, l'explication naturelle qu'ont voulu donner certains auteurs des xvnr et xixe siècles. Ainsi pour Paulus (1828), si Jésus a marché au-dessus de la mer, cela signifie qu'il a marché sur un rivage plus élevé que le niveau de la mer. Pareille explication est enfantine, il ne faut voir dans ce miracle qu'une simple hallucination de disciples exaltés.
Plusieurs critiques ont soutenu que les évangélistes avaient sciemment altéré la vérité. Ainsi Havet affirme (a) :
Des paralytiques et des lépreux Instantanément guéris; des sourds, de muets, des aveugles-nés qui recouvrent tout à coup l'ouie, la parole ou la vue par un attouchement ou par un mot de Jésus, 11 est clair qu'il n'y a là aucune réalité. Non seulement Jésus n'a jamais rien fait de pareil, mais j'ajoute hardiment qu'on n'a pas pu dire, qu'on n'a pas pu croire cela de son
(1) Max Muller et son école ont prétendu, à l'exemple des gnostiques, expliquer toute la mythologie par de simples allégories. Cela peut être vrai en quelques cas, mais on est aujourd'hui revenu sur ces théories dans ce qu'elles ont de trop absolu.
(2) Havet : Christianisme : les origines, 1884, t. IV, p. 10.
vivant. Ce n'est qu'à distance et longtemps après qu'on a imaginé de pareilles choses.
Quand la critique refuse de croire à des récits de miracles, elle n'a pas besoin d'apporter des preuves à l'appui de sa négation : ce qu'on raconte est faux simplement parce que ce qu'on raconte n'a pas pu être. Mais fl reste à la critique une obligation, celle de rechercher comment on en est venu à croire à ces miracles. C'est ce qui n'est pas très difficile à dire dans le cas présent. On a cru que Jésus avait fait des miracles parce qu'on a cru que Jésus était le Christ, et qu'on croyait que le Christ devait faire des miracles, r
j
C'est là l'interprétation messianique des miracles, ceux-ci ayant été inventés uniquement pour donner raison aux prophéties bibliques. D'autres admettent la possibilité de certains miracles et nient les autres au nom du bon sens, sans s'expliquer d'ailleurs comment l'imagination humaine a pu les créer et y croire. Ainsi Strauss dit :
Ce qui eût été étrange c'est que sur tant de personnes, l'imagination surexcitée et la force de l'impression n'en eussent guéri ou soulagé un certain nombre, effets qu'on ne pouvait manquer d'attribuer à la vertu miracu-» leuse de Jésus.
Mais il est des « impossibilités extrêmes » : pour lesquelles * toute explication naturelle devient chimérique : multiplication des aliments; marche sur les eaux sans y enfoncer. »
Il n'a pu faire ¦ passer pour une résurrection ce qui n'aurait été que la simple découverte d'une léthargie ». Il n'a pu davantage guérir par parole ou par attouchement des aveugles, des sourds ou des lépreux.
De même Renan est bref sur ce sujet: « il est impossible desavoir si les circonstances choquantes d'efforts, de frémissements, et autres traits sentant la jonglerie, sont bien historiques ('). »
Les explications que ne pouvaient concevoir les anciens critiques, une science nouvelle nous les donne, l'hypnotisme. Elle explique et renouvelle l'étude de la vie de Jésus-Christ telle que nous l'ont transmise les Evangiles.
¦
¦ *
Il convient d'opposer les miracles de Jésus à ceux des autres religions. Là encore l'avantage est au christianisme, car ses miracles ont été accomplis et rapportés avec sincérité. Jésus et plus tardles apôtres, les saints guérissaient parce qu'ils croyaient à leur vertu miraculeuse. Tout autres étaient les miracles des prêtres païens. Ceux-ci étalent gens experts dans les sciences physiques et chimiques de leur époque ; ils usaient de l'acoustique, de l'hydrostatique, etc., pour illusionner les fidèles (2). Aussi les chrétiens eurent-ils beau jeu pour critiquer ces faux miracles, dûs à de simples trucs, tandis que les leurs provenaient de la seule Toi.
Les miracles Boudhiques diffèrent plus encore de ceux de Jésus, (t) Renan, id, p. 259.
(?} Voir pour plus de détails Revue de Hypnotisme 1890, p. 366.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Un soi-disant liseur de pensée
Par M. le Dr Paul Fabez, professeur à l'École de Psychologie
Il y a quelques jours, M. le Dr Bérillon avait convoque les Professeurs de l'École de Psychologie à une séance de lecture de pensée que
(1) Annales du Musée Guimet, t. XVIII, p. 25, 28 , 31, 31, 39, 45, etc.
(2) Annales du Musée Guimet Visite des Boudhas dans l'île do Lanka.
Le récit de ces prodiges fait dans FAvadana-Cataka, réunion de légendes boudhiques, montre que nous avons affaire à un peuple qui n'a aucun souci du vraisemblable et se complaîtdans la fantasmagorie. On doit les rapprocher des légendes des peuples mais elles diffèrent des miracles chrétiens.
Ainsi, les fleurs ¡1- r en l'honneur de Boudha, se tiennent au-dessus de lui on formant comme un pavillon de fleurs, une maison à étages en pierres précieuses, un parasol en pierres précieuses, un pavillon en pierres précieuses (•).
Boudha envoie des rayons lumineux de la couleur de l'or ayant une puissance supérieure à celle de mille soleils, en sorte que la maison en fût éclairée.
Il s'éleva dans l'air à l'endroit où était la fumée et il se tint au-dessus d'elle comme le sommet d'un grand nuage.
Boudha guérit un enfant malade. Que Çakra, le roi des Dieux, dit-il, apporte de la montagne de Gandka Madana une herbe laiteuse. Au moment même où cette pensée fut produite, Çakra, le roi des Dieux, apporta de la montagne une herbe laiteuse et la remit à Boudha, Boudha la prenant de ses mains, la passa à Vadrika en disant : « Voici qui calmera les souffrances cuisantes de ton corps (*) ». v ,
& Telle encore la lutte d'un boudhiste et d'un adhérent de Purana à Tràvastl, L'adhérent des Tirthikas (BoudhaJ «fit le premier l'offrande démonstrative de la vérité : « S'il est vrai., dit-il, que Purana et les autres docteurs soient supérieurs dans le monde, si cela est vrai, que ces fleurs, cet encens, cette eau se dirigent vers eux ». A peine ces paroles eurent-elles été prononcées que les fleurs tombèrent à terre, le feu (de l'encens) s'éteignit, l'eau s'en alla dans la terre, se perdit totalement.
Alors, l'auditeur de Bhagavat : o S'il est vrai que Bhagavatsoit le premier de tous les ûtres, si cela est vrai, que ces fleurs, cet encens, cette eau se dirigent vers Bhagavat ». Ces paroles n'eurent pas été plutôt prononcées que les fleurs se mirent enmouvement... la fumée de l'encens comme unamas de nuage, l'eau comme des paillettes de Iapls-lazuli.
..... Puis les fleurs se fixèrent au-dessus de Bhagavat ainsi que la fumée
et l'eau au sommet.
Ces récits font saisir toute la différence qui existe entre les miracles des boudhistes et ceux des chrétiens.
devait donner un jeune homme venu de Salonique à Paris pour faire apprécier son talent.
A l'annonce de pareils phénomènes, nous nous laissons, d'ordinairei facilement envahir par une certaine pointe de scepticisme et même de défiance. Nous tous, en effet, qui pratiquons l'hypnotisme, nous avons été, de ci, de là, dans le monde ou ailleurs, maintes fois sollicités d'aller observer des phénomènes stupéfiants, surnaturels, merveilleux, dont l'authenticité nous apparaîtrait, affirmait-on, avec une aveuglante clarté. Parfois, les fameux phénomènes prorais s'obstinent à ne point se montrer et la séance que l'on nous avait représentée comme devant être pleinement démonstrative n'aboutit qu'à un échec lamentable. D'autres fois, de véritables phénomènes se produisent; mais bientôt on se rend compte qu'ils n'ont rien d'extraordinaire et que la science les explique simplement, ou bien on ne tarde pas à découvrir que le médium est un illusioniste expert, un habile prestidigitateur, dont l'audace n'a d'égale que la crédulité des spectateurs. Le plus souvent, ces séances ne laissent voir que des enfantillages ou des puérilités, et, en ce qui me concerne, j'ai plus d'une fois très sincèrement regretté le temps qu'on m'avait fait perdre pour de simples billevesées.
Cette fois, cependant, il ne s'agit plus d'un sujet venu dans le but de faire pâmer d'admiration béate toute une assemblée crédule, au sens critique obnubilé. Ce jeune homme s'offre loyalement à l'examen libre et désintéressé de médecins et de psychologues, experts en ces questions, habitués à observer autrement qu'avec les yeux de la foi, assez indépendants pour proclamer l'authenticité d'un fait qui, même officiellement répudié, leur apparaîtrait comme réel, mais très résolus aussi à démasquer les trucs et à dépister les supercheries.
Cette crânerie nous rend ce jeune homme sympathique et nous décide à l'aller voir. D'ailleurs, nous autres, ennemis du surnaturel, nous sommes journellement accusés de fermer les yeux à la lumière et de ne point croire parce que nous ne voulons point voir. Il est bien évident que si les phénomènes qu'on nous annonce sont réels, nous serons impardonnables de leur avoir tourné le dos et d'avoir retardé, ne fût-ce que de quelques heures ou de quelques jours, l'éclosion d'une nouvelle parcelle de vérité. Et puis, dans cette réunion, nous aurons notre franc parler; il nous sera loisible d'interpréter et de juger: peut-être serons-nous amenés à signaler des fautes contre les règles de l'expérimentation rigoureuse, à remettre au point une question qui aura dévié, à rectifier une interprétation erronée. Or, redresser une erreur, c'est encore, d'une certaine manière, servir la cause de la vérité scientifique.
Donc, au jour dit, nous nous rendons rue Saint-André-des-Arts. Le corps enseignant de l'Ecole de Psychologie n'avait point voulu que cette épreuve eût lieu en secret; au contraire, il avait admis des membres de la Société d'Hypnologie, des médecins, des psychologues, des journalistes, quelques gens du monde qui se passionnent pour ces ques-
lions et plusieurs invités de marque. Le sujet est entouré de quelques parents et amis ; un journaliste de Salonique, celui-lù même qui l'a décidé avenir à Paris, nous le présente et expose en quoi consistent les expériences auxquelles nous sommes conviés.
Il s'agit, nous dit-on, de faire accomplir au sujet un acte quelconque qui lui aura été ordonné mentalement. Ce sera, par exemple, prendre le lorgnon de M. X. et le mettre sur le nez de M. Z. — déboutonner la redingote d'un tel, prendre son portefeuille dans telle poche et le porter à tel assistant, — enlever la bague de telle personne et la mettre à tel doigt de telle autre personne, etc., etc. L'ordre mental ne doit pas être collectif. Un assistant, désigné à cet effet, servira de conducteur. Ce dernier pensera fortement à l'acte convenu, il le voudra énergiquement. il le commandera avec ténacité, il en détaillera successivement toutes les phases dans son esprit : sans qu'il ait prononcé une seule parole, sa pensée, nous dit-on, sera lue par le sujet et l'ordre mental sera effectué fidèlement.
En dehors de la présence du sujet, on convient de faire exécuter à celui-ci un acte analogue à ceux énoncés plus haut. Le sujet entre. Il prend une des mains de son « conducteur », l'applique à l'une do ses tempes et l'y maintient pendant toute la durée de l'expérience. Celle-ci se réalise ponctuellement. D'autres sont proposées et réussissent de-même. D'où, enthousiasme de quelques spectateurs et stupéfaction de quelques autres; le sujet et son entourage .manifestent une très légitime satisfaction ; quelques adeptes résolus de la suggestion mentale triomphent ouvertement.
Quant à nous, bien résolus à ne subir aveuglément aucune contagion morale, nous nous gardons de tout enthousiasme irréfléchi et nous conservons pleinement notre sang-froid. Il nous importe peu que le sujet obtienne des succès personnels ou qu'il subisse une déconvenue ; nous sommes, en quelque sorte., indifférents à sa réussite ou à son insuccès: nous n'avons aucune préférence, aucune opinion personnelle à faire prévaloir. Nous sommes uniquement préoccupés de nous rendre compte et de trouver une explicalion rationnelle, si faire se peut. Aussi, pendant que se déroulent ces expériences, nous y appliquons toute notre attention ; nous les analysons en nous-mêmes et nous les critiquons, au sens psychologique du mot, bien entendu, c'est-à-dire que nous les jugeons.
*
Tout d'abord, nous disons-nous, la suggestion mentale proprement dite, si elle existe, implique l'absence de tout intermédiaire physiologique entre le liseur de pensée et celui dont ce dernier Ht la pensée.
Or, dans la circonstance, il y a contact permanent du conducteur et du sujet.
S'il s'agissait véritablement de suggestion mentale, l'expérience, pour être concluante, devrait, entre beaucoup d'autres conditions, satisfaire
au moins à la suivante, à savoir l'absence de tout contact. Comme dans les expériences dont nous sommes témoins ce contact est permanent, " c'est qu'il est de quelque utilité, à moins qu'il ne soit la condition sine qua non de la réussite. Et, tout de suite, nous reviennent à l'esprit les célèbres expériences de Cumberland, le pendule de Chevreul et l'explication très simple que la science donne do ce genre de faits.
L'homme est un complexus de phénomènes plus ou moins indissolublement liés les uns aux autres ; en lui, les phénomènes physiologiques, d'une part, et les phénomènes psychologiques, d'autre part, forment un couple qu'il est très difficile de séparer. Pour ce qui concerne la vie ordinaire d'un chacun, on peut formuler cette loi qu'à tout état psychologique (c'est-à-dire intellectuel, mental, moral) est associé un éta physiologique (secrétoire, circulatoire, musculaire, etc.), — et inversement. Toute idée a une tendance naturelle à passer à l'acte; la représentation d'un mouvement, pour peu qu'elle soit intense et que rien ne vienne la contrarier, entraine l'exécution ou, tout au moins, l'ébauche de ce mouvement.
Revenons à l'expérience de Chevreul. Soit un corps pesant quelconque attaché à un fil. Prenons ce fil entre le pouce et l'index et abandonnons ce pendule à lui-môme. Supposons que nous voulions diriger ses oscillations dans la direction Xord — Sud..,, Est — Ou«t...,Xord-Est—Sud-Ouest..., etc. Pensons-y fortement, appliquons-nous à le vouloir avec persistance, représentons-nous mentalement avec intensité la direction désirée... et nous verrons le pendule venir, en fin de compte, osciller exactement dans cette même direction.
Qu'est-ce à dire ? Ce n'est pas que notre pendule a docilement obéi à un ordre mental pur; nos muscles digitaux ont présenté des contractions librillaires, aussi minimes qu'on voudra, inaperçues pour nous-mêmes, mais en rapport avec la pensée dont nous étions pleinement occupés ; ce sont ces contractions musculaires, pour ainsi dire imperceptibles, qui ont, peu à peu, amené, puis maintenu le pendule dans la direction que nous avions choisie.
N'en est-il pas de même dans les expériences auxquelles nous venons d'assister ?
Le conducteur doit, selon les exigences requises pour l'expérience, penser fortement : a Vien3 par ici. va à droite, va à gauche, avance, recule, arréte-toi, etc. ». Si toute sa pensée se concentre sur les ordres mentaux qu'il formule en lui-même, si son attention est entièrement concentrée sur la représentation des mouvements qu'il veut faire accomplir, il ignore si ses muscles n'accompagnent point ses ordres mentaux de tressaillements correspondants ; il ne s'en préoccupe pas ; il n'a pas à les réfréner. Dès lors, il est persuadé, de la meilleure foi du monde, qu'il ne donne qu'un ordre mental, alors qu'en réalité il donne aussi et surtout une espèce d'ordre musculaire. Ces mouvements fibrillaires s'accomplissent le plus naturellement du monde en vertu de la loi bien connue rappelée plus haut: ils se produisent aussi faib/ement qu'on
voudra, mais d'une manière cependant appréciable, pour que le sujet en soit impressionné et leur obéisse.
Or, le sujet est ici quelque chose de plus que le pendule inerte de Chevreul. Ce pendule ne fait que subir l'impulsion digitale. Notre sujet a une faculté perceptive très affinée : il est fort intelligent ; non seulement il enregistre les mouvements musculaires," mais il les interprète ; avec de l'entraînement et une certaine habitude, il arrivera même à les provoquer et à les susciter d'une manière plus ou moins inconsciente. Mais de toute manière il est un liseur de muscle et non un liseur de pensée.
Or, comment de simples contractions fïbrillaires peuvent-elles exprimer un ordre précis et faire connaître toutes les phases successives d'un acte relativement compliqué ?
Le sujet ne va pas droit à la personne désignée, il n'accomplit pas d'emblée, sans hésitation, l'ordre mental, et il serait tout naturel qu'il le fit, s'il lisait véritablement la pensée. î! tâtonne, cherche, hésite, s'y reprend à plusieurs fois avant de se décider. C'est que les tressaillements musculaires du conducteur, ne peuvent guère signifier que oui ou que non. C'est donc au sujet à varier et à multiplier ses sortes d'interrogations.
S'agit-il de trouver d'abord la personne désignée? 11 s'essaie dans divers sens.Aux mouvements fïbrillaires ùu conducteuril comprend qu'il va dans une mauvaise direction... Enfin les muscles ont acquiescé: il suit la bonne piste. Mais il marche prudemment, s'arrête quelques secondes devant chacun des assistants etsi, en interrogeant les muscles de son conducteur, il en reçoit une réponse négative, il passe au suivant ; en face de la personne que vise l'expérience, ces mêmes muscles donnent enfin une réponse affirmative ; le sujet la perçoit et la première partie de l'expérience se trouve réussie.
Reste l'acte à accomplir ou l'objet à saisir.
Ici encore le sujet va tâtonner. Il touche successivement les cheveux, puis toutes les parties du visage, passe au cou, au tronc, aux membres supérieurs, aux membres inférieurs. C'est, semblc-t-il, après une série d'éliminations successives qu'il se décide enfin à s'arrêter à l'objet demandé ou à la région visée. Qu'est-ce à dire, sinon qu'ici encore les muscles du conducteur ont répondu par non et par oui à toutes les questions que n'a cessé de leur poser le sujet? Celui-ci opérera de même pour la suite de l'expérience. Or, ce qu'il faut bien savoir, c'est que le conducteur conduit peu ; il ne suggère pas un acte ou un autre ; il se contente de refuser ou d'accorder son adhésion aux nombreux essais que multiplie l'esprit inventif du sujet. Celui-ci, en effet, au risque d'échouer, doit savoir passer successivement en revue toute la série des possibles. Qu'il en oublie un seul et que ce soit précisément celui-là qu'on attende de lui, l'expérience sera manquée. Cela, d'ailleurs, s'est produit devant nous. Il s'agissait d'enlever une épingle située au revers de la redingote d'un assistant et de la porter sous le buvard sur lequel
écrivait M. le Df Bérillon. Le sujet trouve facilement la personne, enlève l'épingle, se dirige vers M. Bérillon, dépose l'épingle à gauche du buvard, attend quelques secondes, puis la reprend : il la dépose — à droite, attend — puis la reprend encore ; il la dépose sur le buvard, puis la reprend de nouveau ; il la dépose en divers endroits de la table pour la reprendre un nombre considérable de fois. Il semble bien qu'à toutes ces nombreuses tentatives, le conducteur répondait non, si le sujet avait pensé k soulever le buvard, le conducteur se fût empressé de répondre oui. Mais le sujet n'y a pas pensé et le conducteur n'a pas pu lui suggérer mentalement cet acte formel, parce que, dans l'espèce, il ne s'agit pas plus de suggestion mentale que de lecture de pensée.
C'est ainsi que notre conviction se forme peu à peu au cours des expériences. Mais il ne suffît pas que notre explication soit simple, plausible, vraisemblable ; beaucoup d'hypothèses possèdent ces caractères et restent indéfiniment à l'état d'hypothèses, à moins qu'elles ne soient, un jour, contredites par les faits. L'occasion se présente de confirmer notre interprétation et, par des contre-expériences, de montrer à l'auditoire qu'elle est tout à fait fondée.
Le conducteur ordinaire de notre sujet propose une expérience à laquelle celui-ci a été entraîné et que, d'habitude, il mène à bien. On appelle cela « la scène de l'assassinat ». On suppose que M°* X. a frappé M. Y à tel endroit du corps, avec telle arme, parce que M. Y. a volé à Mm* Z. tel objet. Le sujet devra désigner Mw X. (l'assassin présumé), M. Y., (la victime), l'endroit de la blessure (plante du pied), l'arme employée (l'épingle à chapeau de M"' A.), MM* Z., qui a été volée, et l'objet dérobé (sa broche}.
Cette expérience impressionne, par sa complexité ; celle-ci n'est qu'apparente. En somme, il s'agît d'une suite de recherches successives, lesquelles, prises séparément, ne sont nî plus faciles, ni plus difficiles que toutes celles qui viennent d'être effectuées.
J'accepte très volontiers d'être, cette fois, le conducteur.
Je ne propose pas de suggestionner mentalement le sujet, sans qu'il me touche en aucune manière: je suis trop convaincu de l'échec qui l'attend et aussi du refus qu'il m'opposera. D'ailleurs, notre rôle est, dans la circonstance, de nous soumettre docilement au modusoperandi exigé par le sujet, libre à nous d'en faire la critique.
ii s'obstine à maintenir ma main contre sa tempe; jem'y prête. Mais j'ai soin de rendre ma main et mon bras aussi flasques, aussi inertes, aussi passifs .qu'il m'est possible ; j'avance, si le sujet m'entraîne ;je recule, s'il me fait reculer; je ne fais aucun mouvement spontané ; je supprime consciemment toute espèce de contraction musculaire, de tressaillement ou d'acquiescement ; je le prive de tout ce qu'il a trouvé jusqu'alors chez ses conducteurs habituels, — sauf de la suggestion mentale. Je veux mentalement, de toute la force de mon vouloir, l'acte qu'il doit
accomplir. Mais le sujet tâtonne, peine, presse nerveusement, ma main, apparemment pour provoquer ou pour arracher une indication, un aveu, une direction; mais ma main reste inerte... De guerre lasse, il se déclare très fatigué et avoue qu'il ne peut rien trouver.
Loin de triompher insolemment, j'explique à l'auditoire que si le sujet a échoué, c'est que j'ai systématiquement supprimé en moi tous ces mouvements minuscules qui accompagnent d'ordinaire la représentation intense d'un acte ou d'un geste. Uniquement réduit à lire ma pensée, Il ne l'a point lue, comme il fallait s'y attendre. Mais on peut faire varier les conditions de l'expérience. « Je vais, ajoulé-je, ne plus exercer aucune espèce de contrôle sur les contractions musculaires de mes doigts ; je ne m'appliquerai qu'à vouloir mentalement. Dans ces nouvelles conditions, l'expérience réussira tout aussi bien qu'au début de la séance. Le résultat annoncé ne se fait pas attendre.
Ainsi, plusieurs fois de suite, suivant que je pratiquais l'inhibition de mes mouvements tibrillaires ou que je leur laissais leur libre développement, j'annonçais à l'auditoire que le sujet serait incapable de réussir ou qu'il allait réussir sans peine. Pas une fois, mes prévisions n'ont été démenties.
¦ *
* 4 ¦
Les sujets qui pratiquent ces sortes d'expériences ne sont pas tous dans le même état psychologique. Au début, ils exercent, pour ainsi dire, automatiquement et machinalement cette faculté qui les étonne eux-mêmes ; leur subconscient interprète le subconscient du conducteur ; ils ressemblent au pendule de Chevreul ; ils subissent, sans la soupçonner, la direction que leur imprime la dynamique musculaire de la personne dont ils tiennent la main : tout se passe à l'insu de leur pleine et claire conscience. Mais, au fur et à mesure qu'il multipliera ses expériences, ce sujet comprendra que tout ce qu'il peut apprendre du conducteur, il l'apprend par le toucher et par le sens musculaire; aiguillonné par le besoin et l'habitude du succès, il concentrera toute son attention sur ses sensations digitales ou palmaires: il sera à raffut du moindre tressaillement et il l'interprétera avec la pleine conscience de ce qu'il fait. Puis, comme certains conducteurs sont à la fois sans défense et sans méûance, ce sujet sera tenté, non plus seulement d'enregistrer leurs contractions musculaires inconscientes, mais, il les appellera, les suscitera, les provoquera ; par certaines pressions brusques et saccadées, en utilisant la fatigue et l'énervement du conducteur, il saura soutirer de celui-ci toutes les indications utiles. Arrivé à cette étape, le sujet n'est plus guère qu'un habile prestidigitateur.
Quant au jeune homme à l'occasion duquel sont écrits tous ces commentaires, je ne le crois pas encore aiTivé à la dernière étape ; mais il me
parait aussi n'en être déjà plus à la première.
•
• *
On peut distinguer aussi plusieurs sortes de conducteurs. Les uns ont une volonté molle, leur représentation mentale du mouvement est
faible ; ils n'ordonnent pas avec tout leur être ; ils ne « rendent » pas, comme on dit vulgairement; ils sont d'un médiocre secours et, avec eux, l'expérience échoue le plus souvent. Quant à ceux qui se mettent sur la défensive, s'observent, inhibent toute espèce de mouvement, ils sont aussi de mauvais conducteurs : je l'ai fait un certain nombre de fois au cours de la séance dont il s'agit ici, mais dans un but uniquement expérimental, afin de démontrer qu'on devait dissocier et distinguer deux facteurs à savoir la suggestion mentale pure, d'une part, les mouvements musculaires de l'autre. Les conducteurs véritablement bons se donnent sincèrement; ils n'ont aucun désir de critique; ils n'essaient même pas de comprendre le mécanisme du rôle qu'ils jouent ; ils se contentent de vouloir pleinement, avec toute l'énergie dont ils sont capables, tel acte déterminé et, aux interrogations tactiles du sujet, ils ne manquent pas de répondre musculairemcnt par oui ou par non. Il y a plus. Quand le conducteur est un convaincu qui désire ardemment le succès de l'expérience, il la favorise de toutes ses forces, mais, inconsciemment, je l'accorde, par des mouvements musculaires plus intenses, par des oui et des non beaucoup plus catégoriques. Si enfin le conducteur est un parent ou un ami du sujet, s'il est une sorte de barnum, si l'on se trouve dans une salle de spectacle, si des questions d'amour-propre, de réputation et surtout d'intérêts pécuniaires sont en jeu, — ce conducteur échappera difficilement au soupçon de jouer simplement le rôle de compère. 11 est si facile en effet que, par suite d'une convention établie entre le conducteur et le sujet, tel tressaillement musculaire signifie oui et tel autre non ! Or nous avons vu que, pour un sujet intelligent, doué d'un esprit inventif, ces simples réponses affirmatives ou négatives, suffisent pleinement à la réussite des expériences en apparence les plus difficiles.
¦ »
Si, au lieu de venir très sincèrement se soumettre à notre examen, le sujet avait envoyé de Salonique des relations de ses nombreuses expériences ou s'il les avait publiées dans un copieux article de Revue, beaucoup de personnes, bien intentionnées et très sincères, je le reconnais, mais facilement crédules, n'auraient pas manqué de proclamer triomphalement: « Voilà de nouvelles preuves indiscutables de lecture de pensée ! » Au contraire, il a eu, les uns diront la candeur, nous, nous dirons la loyauté de venir en personne nous demander notre appréciation. Xous devons à la fois l'en féliciter et l'en remercier. Il nous a fourni l'occasion de remettre une fois de plus les choses au point et de séparer l'ivraie du bon grain ; nous avons montré que là où tant de gens persistent à voir des faits nouveaux et étranges, il s'agit de phénomènes, réels sans doute, mais pas le moins du monde surnaturels et, en tous cas, très facilement explicables; dans une certaine mesure, nous avons rempli le rôle sanitaire d'une sorte de Conseil d'hygiène intellectuelle ; nous avons participé à l'œuvre que Durand de Gros appelait la Scientificâtion du merveilleux. D'autre part, nous avons rendu service
La lecture de pensée chez les animaux.
par M. Lépinay, professeur à l'Ecole de Psychologie.
M. le Dr Farez vient de nous exposer avec beaucoup de clarté et de précision l'examen qu'il a fait d'un jeune homme liseur de pensée. 11 nous a démontré que ce prodige n'avait rien de surnaturel, mais qu'il usait en somme d'un subterfuge : que la main du conducteur qu'il prenai t et s'appliquait à la tempe, constituait un récepteur merveilleux et involontaire, lui transmettant les moindres mouvements, les moindres impressions, mouvements etimpressions qui lui permettaient de deviner. Et bien, si, parmi les bipèdes,la lecture de pensée, est l'exception, parmi les quadrupèdes c'est la règle.
Nos chiens et chats, pour ne citer que ces deux espèces, nous en donnent de merveilleuses preuves tous les jours.
Ils agissent à la manière des escrimeurs, ils nous fixent et arrivent rapidement à deviner nos projets, nos ordres, nos intentions.
Il est bien évident qu'ils ne devinent pas plus que le bipède, niais ils interprètent notre regard ; ils comprennent rapidement si c'est la colère, ou la bienveillance, si nous allons frapper ou caresser, dans le premier cas ils fuient, dans le second ils s'approchent. Il est probable que o le célèbre chien de Jean de Nivelle, qui fuit quand on l'appelle, » était un liseur de pensée recevant moult corrections.
Les animaux interprètent nos gestes, aussi petits soient-ils, et comprennent si nous allons sortir, leur donner à manger, etc., etc.
On a exposé nombre d'animaux liseurs de pensée et toujours les observateurs ont constaté qu'en réalité ils interprétaient un geste, un clignement d'yeux de leur barnum.
Cependant on vient de montrer dans des cercles des plus fréquentés de Berlin, un chien basset qui parait être un véritable liseur de pensée.
Le chien a été mis plus de 20 fois, par des personnes différentes, son maître présent ou absent, devant un jeu de cartes ou un certain nombre d'objets divers, à chaque fois et, sans la moindre hésitation, après avoir fixé les yeux de celui-qui pensera à l'une des cartes ou à l'un des objets, il a pris et apporté Tune ou l'autre.
Ce chien est doué du don d'interprétation au plus haut degré, mais, bien entendu, il n'a pas une double vue.
au sujet lui-même ; car, en l'éclairant sur la valeur exacte de ce qu'il considérait comme une extraordinaire faculté, en lui montrant qu'il n'y a là rien qui soit inédit ou qui doive révolutionner les esprits, nous lui avons peut-être évité des déconvenues et des déboires ultérieurs. Par surcroit, noire démonstration a eu la bonne fortune de ramener â la saine interprétation des faits, plusieurs assistants qui, jusqu'alor3, avaient été des zélateurs ardents des explications extra scientifiques. Décidément, nous n'avons pas, ce soir-là, perdu notre temps...
Séance du mardi 17 décembre 1901. — Présidence de M. Jules Voisis.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
La parole est donnée successivement à MM. Maurice Bloch, Bérillon et Paul Farez pour les communications inscrites à l'ordre du jour.
M. le secrétaire général prononce l'éloge du I)' Tokarsky (de Moscou) qui fut un des présidents d'honneur du 2° congrès de l'hypnotisme et l'un des représentants les plus autorisés de la psychothérapie en Russie.
La séance est levée à 6 h. 45.
L'auto-microsthësle et l'incoordination motrice
par M. le D' Maurice Bloch.
A la suite d'un auteur allemand qui a décrit sous le nom de micros-thésie une maladie du toucher, caractérisée par l'altération des sensations de poids et de volume, je vous ai demandé de désigner avec moi sous l'appellation d'auto-microsthésie, le même symptôme lorsque le malade au lieu de rapporter ses sensations à des objets ou à des personnes étrangères les rapporte à lui-même.
Je vous ai rapporté à ce sujet l'observation d'une dame qui se plaignait de trouver à la palpation son thorax rétréci, sa tête diminuée, en un mot de maigrir, alors qu'il n'en était rien.
Je désire aujourd'hui signaler à votre attention l'histoire d'un tabé-tique. M. P... estâgéde 45 ans.; c'est un ancien syphilitique. Il présente les signes essentiels du tabès : douleurs fulgurantes, abolition des réflexes, symptôme d'Arghyll-Robertson, incontinence d'urine, etc. Grâce à une rééducation soignée, il est parvenu à corriger son incoordination, mais pendant trois mois il n'a pu marcher que très difficilement en raison disait-il de l'étroitesse et de Vexiguitê de ses pieds.
Le malade avait parfaitement conscience de son erreur, mais, pour guérir, il a eu besoin des secours de la suggestion.
J'ai pensé que ce nouveau cas d'auto-microsthésie pourrait peut-être éclairer le problème de la basophobie, c'est pourquoi j'ai cru utile de vous le signaler.
Psychopathie religieuse. — Le Martyre de Robert d'Arbrissel
Par M. le Dr Henry Lemesle, professeur à l'Ecole de Psychologie
Afin de conserver leur vertu, les premiers Pères de l'Eglise, fuyant la femme, se sauvèrent au désert. Le xr* siècle à son déclin vit s'élever un esprit plus solidement trempé qui réprouva cette manière de capi-
tuler et envisagea de façon toute opposée les moyens à employer pour résoudre ce brûlant problème.
Robert d'Arbrissel, abbé fondateur de l'abbaye d'hommes et de femmes de Fontevrault, entrait courageusement dans le lit de ses religieuses, « afin, disait-il, qu'en s'exposant à la tentation de les posséder, a en aiguisant ses sens contre un corps de femme, il remportât plus a haute victoire sur eux par le refus qu'il leur faisait de les satis-« faire n.
Jean de la Mainferme, abbé de Fontevrault, qui s'est fait l'historien et le défenseur de Robert d'Arbrissel, nous dit que ce dernier, après de nombreuses et retentissantes prédications a résolut de se reposer et de c fixer ses tabernacles à la forêt de Frontevaux. Il ne faut pas oublier « qu'il y eut en même temps deux autres célèbres prédicateurs qui a convinrent avec lui de partager les deux sexes et de lui laisser le « choix des femmes pendant qu'ils se chargeraient des hommes.
« On eut beau représenter à notre Robert le péril où il s'exposait par a ce grand attachement à la direction du sexe, il rejeta cet avis comme « des ruses de Satan et se fortifia de l'exemple de saint Jérôme. Cui a insulsi obloquebantur Aristarchi. quod scriberet ad mulieres, eas-a que viris anteponeret, quorum cavillationes venustissima et copie-« sissimaretundit devotisexvscelebratione sacris exlilteri$deducta*['}.
Nous trouvons dans les Manuscrits de l'Abbaye des Vaux de Cernay, la façon dont d'Arbrissel opérait ses conversions et dont il recrutait les religieuses de Fontevrault :
a Et il fallait bien, puisque la direction du sexe lui était échue, qu'il c cherchât principalement les brebis galeuses. Il allait nuds pieds par a les rues et par les places afin d'exhorter à la pénitence les filles de a mauvaise vie et il entrait même dans le bordel afin de leur faire des « exhortations. Il y entra un jour dans Rouen et s'alla mettre auprès o du feu afin de chauffer ses pieds. Il se vit bientôt entouré de femmes a persuadées qu'il n'était venu que pour goûter les plaisirs vénériens ; a mais il leur parla de toute autre chose : il leur annonça les paroles a de vie et la miséricorde du fils de Dieu.. La principale d'entre elles € surprise de ee langage lui dit que depuis 25 ans qu'elle hantait cette « maison, elle n'avait vu entrer personne qui parlât de Dieu ou qui a leur fit espérer grâce ; mais que si elle pouvait prendre confiance en « ce qu'il disait, elle ne manquerait point de changer sa vie, et sur la a réitération des promesses de miséricorde, elle et ses compagnes se « jetèrent aux pieds de Robert et s'engagèrent à se repentir. Il pro-« fita de ce bon mouvement et, les faisant sortir de la ville, les amena a toutes dans son désert »
Sous la règle de d'Arbrissel, le moutier de Fontevrault devait être pour certains et pour certaines un lieu de pénitence assez recherché.
(t) Joan. de la Mainferme Clypéi T. I, p. 118.
(2) Manuscrits de l'Abbaye des Vaux de Cernay, 1210.
Mais les vagissements de nouveau-ne's apprenaient trop souvent et de façon trop indiscrète les dangers de ces recrutements en masse pratiqués dans le monde où l'on s'amuse. Sous la menace des événements du neuvième mois, certaines nonnes rompaient leur clôture, tandis que d'autres accouchaient dans leurs cellules. Le Clypeus nascentis Ordinis Fontebruldensis, t. I, p. 69, nous renseigne sur ce point : o Hujus igx-o tur facti temeritalem miserabilis exitus probat. Aliœ enim,fractis o ergastulis elapsie sunt, aliœ in ipsis ergastulis peperunt ».
Ces faits de religieuses prolifiques étaient d'ailleurs assez ordinaires dans les couvents d'autrefois pour que le pape Léon X ait cru devoir s'occuper de taxer la Fornication des nonnes. Au Livre des Taxes à la cour de Rome, paru à Rome en 1511, sous le titre Régulai, constitutio-nes, reservationes, cancellaria: S. Domini nostri Leonispapte decimi, noviter editte et publicatai, nous lisons (traduction Du Pinet, 1564) :
* Une nonnain ayant paillarde plusieurs fois dedans ou dehors le pour-pris de son monastère, sera absoute et réhabilitée à pouvoir tenir toutes dignités de son ordre, voire la dignité abbatiale, moyennant 36 tournois et 9 ducats. »
Le monastère de Fontevrault n'avait donc rien de ce chef qui le distinguât de la plupart des autres, et il ne doit sa célébrité qu'à la règle originale édictée par son fondateur qui, prêchant d'exemple, s'imposa le martyre qu'il avait imaginé.
Le fait a été contesté, mais des documents d'une authenticité indiscutable l'établissent formellement.
Ce sont d'abord les lettres de Geoffroy, abbé de Vendôme, qui, contemporain de d'Arbrissel, lui écrivailpour l'avertir du fâcheux bruit qui courait, touchant sa conduite et des inconvénients de cette conduite. Ces lettres ont été publiées en 1610 par le Père Sirmond, d'après le Manuscrit de l'Abbaye de ta Couture qui fut ensuite transporté à la bibliothèque des Cordeliers à Santa-Croce de Florence. Nous en détachons le passage suivant : « Il y a quelques femmes avec lesquelles c vous êtes toujours de bonne humeur, prompt, actif, alerte, si com-o plaisant que vous n'épargnez rien de tout ce qui leur peut marquer o votre honnêteté ; mais quant aux autres, si quelquefois vous daignez o leur adresser la parole c'est pour leur dire des duretés : vous les « traitez en censeur rigide et vous les laissez exposées à la faim, à la ¦ soif et au froid ».
Le Clypeus nascentis Ord. Fontebraldensis (T. i, Dissert 1, p. 38), reproduit également les lettres de Geoffroy de Vendôme : « Pemina-« rum quasdam, ut dic'tur, nimis familariter tecum habitare permittis, « et cum ipsis etiam et inter ipsas noctu fréquenter cubare non erubes-« cis. Hoc si modo agis, vel aliquando egisti, novum et inauditum sed
« infructuosum martyrii genus invenisti.....Mulierum quibusdam, sicut
• fama sparsit et nos ante diximus sœpe privatim loqueris, et earum - accubitu novo martyrii génère cruciaris ».
Un autre contemporain de Robert d'Arbrissel, Marbodus, évéque de
Rennes, lui adressait des avertissements analogues : « Mulierum coha-« bitationem diceris plus amare. lias ergo non solum communi mensa i per diem, sed et communi accubitu per noctem dignaris, ut refe-a runt j>. (Clypeus p. 41).
Enfin Pierre de S&umur, moine de Saint-Florent, avait écrit à Robert une lettre dans le même sens que celle de Geoffroy de Vendôme. Cette lettre que posséda le P. Viguier de l'Oratoire, fut détruite par ce dernier à la prière de Jeanne Baptiste de Bourbon, abbesse de Fonte-vrault.
¦
Le cas de Robert d'Arbrissel n'est d'ailleurs pas isolé dans l'Histoire ecclésiastique et nous pouvons croire que l'abbé de Fontevrault en édic-tant cette règle, s'était inspiré de l'exemple de saint Adhelme. On peut lire en effet in Beauval (Hîst. des Ouvrages des Savants, avril 1689, p. 164 et 165) :
« Saint Adhelme fut un moine anglais dans le vin" siècle, que son
¦ savoir et sa piété élevèrent à l'épiscopat. Le plus grand éclat de sa « sainteté étoit une chasteté à toute épreuve et elle étoit d'autant plus a admirable qu'elle lui avoit coûté de furieux combats : car l'auteur de « sa vie raconte qu'il se plongeoit dans l'eau ou dans la neige pour a éteindre les flammes de la concupiscence. Il fallait que le mal fut « pressant pour recourir à un remède si violent. Cependant, il dompta « tellement cette chair rebelle que la présence des plus belles filles « n'alarmoit plus sa conscience. Il poussa môme sa victoire plus loin
0 en couchant avec une jeune fille afin de triompher des tentations les n plus dangereuses et où les plus grands saints seraient peut-être a embarrassés. Tout autre aurait eu bien des distractions dans une
1 situation si délicate. Pour lui, il récita par ordre tout le psautier et
¦ son cœur ne sentit des émotions que pour le Ciel. Il dit que le démon « frémit de rage en le voyant braver le péril et affermir sa vertu dans « une occasion où elle succombe d'ordinaire a.
Dans le même ordre d'idées, nous voyons qu'en 1537, la duchesse de Guastala, sur les conseils que lui en donna un jacobin, Baptiste de Crème, fonda la Confrérie de la Victoire sur soi-même et sur la chair. Les organisateurs de cette confrérie faisaient coucher dans le même lit un jeune homme et une jeune fille : un crucifix placé entre eux devait suffire à les préserver de toute tentation.
*
Trois solutions se présentent à nous pour interpréter le cas de l'abbé de Fontevrault :
1" Robert d'Arbrissel n'était a pas de bois » au lit de ses religieuses et tout se passait normalement. Cette hypothèse très facile ne doit pas satisfaire exclusivement le psychologue.
2° Robert d'Arbrissel était un inverti ou un diminué sexuel. Le seul contact des bondissantes poitrines de ses blanches nonnains était peut-
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont Heu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpélrière.
La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 18 février 1902.
Communications inscrites : 1" Dr Bérillon : La pyschologic du buveur d'habitude. 2° Df Bianchi : Phonendoscopie cérébrale : Applications à l'étude de l'hypnotisme ;
3° Dr Bellemanière : Les diverses formes de l'attention selon les âges ; Inscrits : MM. Bérillon, Paul Magnin, Paul Farez, Lionel Dauriac, Félix Regnault.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
être assez efficace pour déterminer en lui des réactions aboutissant au même résultat que dans la première hypothèse. Peut-être encore, notre Robert se contentait-il des avant-goûts, agissant ainsi que ces maris dont parle Sencque (Controverses II, livre I) : Novimus istam maritorum abstinentiam qui etiamsi primam virginibus timidis remisere noctem vicinis tamen locis ludunt.
3° Une dernière hypothèse est celle de la suppression de l'appétit sexuel, abolition spontanée ou acquise. Pour une fois que la critique scientifique ne nous oblige pas à déboulonner la statue d'un bienheureux, apportons avec empressement à la tradition religieuse l'appoint de notreopinion. Il nous semble très possible que d'Arbrissel ait pu effectuer ceque nous, psychologues et psychothérapeutes, effectuonspar lasugges-tion : la suppression d'une fonction, qu'il ait pu créer en lui par autosuggestion et entraînement méthodique des centres d'inhibition, des crans d'arrêt suffisants pour faire face au danger. Nous laissons d'autre part aux théologiens le soin de trouver l'acte méritoire là où il n'existe plus de privation.
Nous pouvons donc admettre que l'abbé de Fontevrault n'ait pas connu charnellement les religieuses dont il partageait le Ut. Il serait réconfortant de songer que la même continence pût être observée par tous les moines qui se soumirent à cette règle. Mais alors, qui nous dirait jamais les états d'âme des infortunées créatures devenues les sujets d'expériences de ces chercheurs d'occasions chaudes, qui nous dirait les tortures de ces malheureuses sacrifiées pour lesquelles nous ne saurions avoir une pitié assez profonde s'il est exact de répéter avec Gresset :
Désir de fille est un feu qui dévoré. Désir de nonne est cent fois pis encore.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussleu.
Alimentation artificielle des aliénés
Les Archives de Neurologie indiquent le procédé employé par le Dr Xewt, procédé qu'il pratique avec succès depuis trente ans, et qu'il décrit dans le Journal of médical sciences. On place le malade dans la position couchée ou à demi couchée et l'opérateur fixe la tète, soit avec le bras gauche, soit en la prenant entre ses genoux ; un drap est enroulé autour des jambes du malade, et un aide, agenouillé à côté des jambes, saisit les poignets et les abaisse, en évitant toute pression sur le corps ou sur les membres. Alors l'opérateur introduit l'index de la main gauche dans la joue que l'on distend le plus possible : on empêche ainsi toute contraction de l'orbiculaire des lèvres et du buccinateur et le malade est dans l'impossibilité de cracher les aliments. On verse dans la poche formée par la joue distendue environ deux cuillerées à soupe d'un aliment liquide qui descend graduellement dans le tube digestif. Il n'est pas nécessaire d'écarter les dents, car même si l'on ne peut pas profiter du vide que laisse fréquemment une dent manquante, le liquide a largement la place de passer derrière la dernière molaire pour arriver jusqu'au pharynx. Si cependant le malade s'obstinait à refuser d'avaler, il suffirait de pincer légèrement le nez pour mettre obstacle à la respiration nasale et forcer le malade à respirer par la bouche : le succès esj certain, puisque, pour respirer, il faut qu'il avale. Quand le malade a été alimenté de cette façon pendant quelques jours et quand il s'est aperçu qu'il était absolument sans défense, il se fatigue ordinairement d'une résistance inutile et recommence à s'alimenter volontairement. L'auteur espère que ceux qui prendront la peine d'essayer ce petit moyen ne tarderont pas à abandonner pour toujours la sonde œsophagienne.
Un établissement pour le suicide
Le D* Charles Jacobs, spécialiste des maladies nerveuses à Chicago, a demandé l'autorisation d'établir dans cette ville un « établissement pour le suicide » où, moyennant une somme modique, les gens qui veulent mettre fin à leurs jours pourraient accomplir leur dessein avec le plus grand confort possible. Il avait envoyé précédemment , des prospectus aux vingt-trois clubs de suicide qui existent aux Etats-Unis.
Le maire de Chicago, M. Harrison, a déclaré à cesingulierspécialiste que, pour le moment, il ne pouvait accorder l'autorisation demandée.
NOUVELLES
Conférences de l'Ecole de psychologie
les vendredis, A 8 heures et demie du soir
CONFÉRENCES
(suite)
Vendredi U Février, à huit heures et demie, M. le Dr BérIHon fera une conférence sur : Psychologie de la prestidigitation. — Cette conférence sera suivie de démonstrations expérimentales faites par M. Jacobs, du théâtre Robert-Houdin.
Vendredi 21 Février, à huit heures et demie, M. le D'Henry Lemesle, licenofé endroit, fera une conférence sur: Les visions et les extases de saint François d'Assise. — {Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)
Vendredi 28 Février, à huit heures et demie, M. le capitaine Villetard de Laguèrie fera une conférence sur : Psychologie comparée : Les asiatiques jaunes : Chinois, Coréen, Japonais.
Vendredi 7 Mars, à huit heures et demie, M. le Dr Paul Joire, de Lille, fera une conférence sur : Les états médiumniques de Vhypnose. —Etats hypnotiques profonds.
Vendredi M Mars, à huit heures et demie, M. de Gàtines fera une conférence sur : Les lois de I'equitation et la psychologie du dressage.— (Cette confé-. rence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
ÉCOLE DE PSYCHOLOGIE
4g, rue Saint-André-des-Arts, 49 (Au siège de l'Institut psycho-physiologique)
cours de 1902
HORAIRE DES COURS
heures lundis mardis mercredis jeudis vendredis samedis
5h. BérilUn Pua Lépiaij Bérilloa ffileia fitti
5h.i/2 Pal Tftultmb Until* BdUauiM* Félix RtfMDlt Cnulitr .
nécrologie
M. Eugène BÉRILLON
Notre rédacteur en chef vient d'être cruellement éprouvé par la mort de son père, M. Eugène lîérillon, décédé subitement à l'âge de 75 ans.
M. Eugène Bérillon était l'auteur de nombreux travaux historiques et sociologiques. Un de ses livres, la Bonne ménagère agricole, a eu un succès considérable et n'a pas été tiré à moins de 60.000 exemplaires.
Ses obsèques ont eu lieu à Guerchy (Yonne) au milieu d'une affluence considérable. L'Ecole de psychologie s'était fait représenter par une délégation composée de MM. les docteurs Paul Magnin, Henry Lemesle et Lépinay, professeurs. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Surugue, maire d'Auxerre, Besnard, maire de Joigny, le capitaine Echard, le Dr Lesueur, conseillers généraux, et M. Lenoir, conseiller d'arrondissement.
Au cimetière, des discours furent prononcés par MM. Perreau, maire de Guerchy, Besnard, maire de Joigny, le capitaine Lenoir qui rappelèrent les services rendus à l'enseignement par M. Eugène Bérillon et sa conduite héroïque, comme capitaine, pendant la guerre de 1870. Après avoir déposé une couronne au nom de l'Ecole de psychologie. M. le Dr Henry Lemesle a prononcé le discours suivant :
« Au nom de l'Ecole de Psychologie de Paris, nous venons respectueusement nous incliner devant cette tombe si brusquement et si brutalement ouverte. M. Bérillon depuis longtemps s'intéressait à nos études dont il fut pendant le Congrès de 1000, le collaborateur plus immédiat.
« 11 était d'ailleurs des nôtres par le caractère de ses travaux pédagogiques ou historiques, qui tous portent la marque d'un esprit scientifique éclairé et d'un esprit philosophique des plus élevés.
« Unis par de communes aspirations, nous poursuivions la recherche d'un même idéal. Champion de nos idées psychologiques, ouvrier comme nous de la pensée libre et de la raison indépendante il y avait entre nous une parenté philosophique qui s'augmentait, de notre part, d'un affectueux respect.
« La vie de celui que nous pleurons sera pour nous un enseignement et comme une resplendissante manifestation de ce que peuvent produire les qualités du cœur unies aux qualités de l'intelligence et servies par une volonté qui ne faillit pas.
« Ces qualités ont été par lui transmises, avec un éclat qui ne s'est pas atténué à chacun des membres de cette famille si unie et particulièrement ànotre maître, notre collègue et notre ami le D' Bérillon.
« C'est pourquoi nous conserverons pieusement la mémoire de celui qui vient de disparaître et c'est pourquoi aussi ce deuil inattendu a été par nous tous si douloureusement ressenti. »
P. F.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
REVUE DE/ffff PNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET^rHÊRAPEUTIQUE
16« Année — n» 9. Mars 1902.
BULLETIN
Enquête sur l'occultisme. Une lettre du Dr Liébeault.
Un écrivain qui peut passer pour un des plus érudits sur les questions de psychologie, M. Jules Bois, a ouvert dans le Matin une enquête sur l'occultisme et les forces inconnues. Il a voulu connaître l'opinion que professent sur ces questions les hommes les plus autorisés par leur compétence ou leurs recherches personnelles. S'étant adressé à M. leD'Liébeault de Nancy ; il a reçu de notre éminent maître la lettre que nous reproduisons ci-dessous, encadrée de commentaires qu'elle avait inspirés à Jules Bois. Nos lecteurs trouverons dans cette lettre du D'Liébeault la marque de. la puissance d'esprit et de la rigueur scientifique qui l'on fait considérer ajuste titre comme un des maîtres les plus puissants de l'hypnotisme et de la psychologie contemporaine.
« Qu'est-ce que le médium ? — Le plus souvent un sujet hypnotique, victime de ses propres suggestions et de la suggestion ambiante, consciente ou non, des assistants, pendant les séances. La plupart des « esprits » ne sont que des suggestions reçues par le médium ; les réponses des tables, même les plus sincères, sont d'ordinaire suggérées. La télépathie elle-même peut être assimilée à une suggestion à distance.
Tout le monde est suggestible à des degrés différents, même et quelquefois surtout les intelligents. L'éloquence, l'éducation, le journalisme sont de puissants moyens de suggestion, qui n'ont pas attendu, pour agir, les médecins hypnotiseurs.
Ainsi tous pouvons-nous par nous-mêmes nous forger une idée rudi-mentaire de ce que sont les médiums: ils poussent à l'excès, jusqu'à
l'illusion du rêve éveillé, cette puissance de suggestibilité que l'homme équilibré possède à la dose normale.
Si nous devons l'hypnotisme à Charcot principalement, la théorie et la pratique rituelle de la suggestion nous viennent d'un homme de génie, peut-être aussi grand, en tout cas plus modeste et plus humanitaire, le docteur Liébeault.
C'est lui le chef de cette fameuse Ecole de Nancy, dont les renseignements et les prodiges bataillèrent contre les renseignements et les prodiges de la Salpëtrière.
Charcot ne voyait qu'un phénomène corporel « somalique », dans "le sommeil provoqué; le docteur Liébeault y voit un phénomène psychique, l'influence de l'idée sur l'organe, et, pour parler plus clairement, la puissance de l'âme sur le corps. Ainsi par la volonté seule peut-on guérir bien des maux physiques...
»
• a
Aujourd'hui le docteur Liébeault est un vieillard complètement retiré de la lutte, parce qu'il a triomphé. L'école nouvelle a adopté ses enseignements. Ses disciples les plus directs, Bernheîm, Liégeois, Beaunis, Bérillon appliquent sa méthode d'une manière éclatante. Il a conquis même le camp adverse. Le professeur Raymond, successeur de Charcot à la Salpëtrière, et son collaborateur Pierre Janet se filient au moins autant au docteur Liébeault qu'au maître de la Salpëtrière. Nous avons recueilli par écrit, comme pour le docteur Cesare Lombroso, l'opinion du docteur Liébeault. Elle était indispensable à cette enquête, et elle dissipera peut-être maintes inquiétudes dans le public par sa lucidité et son bon sens.
Cher monsieur,
Ce n'est pas sans un certain charme que je réponds à la lettre que vous venez de m'écrlre à propos du mysticisme, du spiritualisme, etc. II est grand temps déporter la lumière dans ces productions ténébreuses de l'esprit humain.
Ceci dit, je viens aux questions que vous me posez.
1° Y a-t-il. dans la recrudescence du mysticisme de notre époque, un signe de dégénérescence dans la marche de l'esprit humain? Non. Il y a seulement une tendance de beaucoup d'esprits désillusionnés de leurs anciennes croyances par la lumière que la science porto dans leur esprit; il y a une tendance vers l'adoption de connaissances nouvelles plus en harmonie avec leur besoin de croire ot leur amour du merveilleux ; mais il n'y a pas déviation fausse dans la marche de l'esprit humain. Cependant, je ne pense pas que les clartés lumineuses que répand la science, toujours en voie de progrès, feront jamais disparaître entièrement ces tendances vers les explications mystérieuses, parce qu'en même temps il y aura toujours parallèlement pour la science qui les fait disparaître des limites dans l'inconnu qu'elle pourra reculer, mais franchir jamais.
2a Ma conviction est qu'il y a dans le mysticisme spiritc des formations de phénomènes psychiques réels, mais ces phénomènes sont mal interprétés et n'ont presque jamais été rapportés à leur véritable cause. Cette cause n'est pas hors de l'homme, elle est en lui, dans son cerveau, elle prend ses racines vraies surtout dans les états passifs dont le sommeil et les rêves sont le terrain de formation.
S* Les recherches expérimentales de MM. Crookes, Lombroso, etc., qui sont
encore pour moi à être vérifiées, n'ont pas exercé sur mon esprit une Influence convaincante. Je voudrais, dans des cas pareils, surveiller, voir, palper, etc., les phénomènes produits en présence de ces savants. Pourquoi les faits qu'ils rapportent sont-ils environnés de conditions si ditliciles a réaliser, et pourquoi ne se manifestent-ils que sur des sujets privilégiés, sinon introuvables?
4* Quant à la télépathie et à la communication de pensée (Je me lais sur le dédoublement des personnes et sur les matérialisations, que je ne saurais envisager sérieusement) dont on n'a pas encore trouvé les conditions ni les lois, et dont, par conséquent, on n'a pas encore pu renouveler les phénomènes à volonté, je suis loin de les rejeter comme absurdes et je ne doute pas qu'on en trouvera le germe explicatif dans les propriétés actives du cerveau pensant et tel qu'il fonctionne normalement.
5° Comme les hommes sont insatiables de bonheur — ils en ont si peu! —ils se forgent un monde meilleur au delà de leur vie terrestre. Ce qui les entretient surtout dans ces aspirations, ce sont les rêveries qu'Us font naître dans leur esprit, rêveries dont ils ne peuvent plus se déprendre et qu'ils transportent dans le monde de l'Inconnu.
Les croyances religieuses, nées dans les états passifs de la vie, me paraissent devoir se transformer, s'épurer fatalement, et même s'absorber les unes dans les autres ; et la science, grâce à l'esprit d'examen, tout en les disséquant et les réduisant à leurs éléments simples, en diminuera sans doute l'importance; mais elle ne les pourra jamais détruire, parce qu'il y aura toujours pour les hommes des Inconnues à chercher ei de l'inconnai&sable, c'est-à-dire un terrain sans limite et largement ouvert aux croyances mystiques invérifiables de ceux qui ont plus de sentiment et de sensibilité que de raison, et ils sont et seront toujours nombreux.
a. i.::.:;:-:.'.:.'!.!.
Je ne saurais trop appeler l'attention des lecteurs les plus sérieux sur - l'idée principale du docteur Liebeault, qui est que le phénomène psychique, quels que soient ses aspects extérieurs, mêmeles plus bruyants, les plus grossiers, a, sans doute, sa source unique dans notre cerveau. Une analyse attentive nuit à l'hypothèse des spirites qui veulent voir partout, comme les fétichistes, des intelligences extérieures dans ï l'univers, tandis qu'ils sont dupes, le plus souvent je pense sinon toujours, des seuls reflets de leur propre esprit. Il n'y a pas de manifestation psychique sans médium. C'est le cerveau humain qui est le créateur (au second degré du moins) de tous ces prodiges qu'il admire ensuite et attribue à d'autres qu'à lui par ignorance. — Jules Bois.
Le Mécanisme de la suggestion (')
d'après les travaux de M. F. Myers {de Cambridge) par M. Marcel Mangin.
On sait que sous le nom de « Conscience subliminale * M. Myers englobe un grand nombre de phénomènes en apparence disparates mais d'origine commune, ou, si l'on veut,
(1)11 nous a paru intéressant de-présenter aux lecteurs de la Revue le résumé
ayant ce caractère commun de ne pas faire partie de l'enchaînement ordinaire d'états de conscience que nous identifions avec notre moi.
Depuis le rêve jusqu'à l'écriture automatique, depuis l'hallucination jusqu'à l'état de trance, le champ est vaste.
Personne ne l'a plus exploré dans tous les sens que M. Myers. Et, comme il arrive en pareil cas, cette absorption intense et unique dans un seul sujet Ta amené à donner à ce sujet une importance exagérée. Toute sa métaphysique sera construite sur cette base et bien prématurément, car à mon avis, si Ton peut avec raison dire que tous les hommes — et même les animaux —ont une conscience subliminale tout jusqu'à présent nous fait supposer qu'elle n'a une grande extension que chez ¦ des sujets exceptionnels. Ce n'est pas ainsi que l'entend M. Myers. Semblable en cela aux anciens philosophes pour qui toute âme humaine, même celle du Papou ou du gâteux était faite sur un même modèle, celui de l'âme abstraite du manuel du baccalauréat. M. Myers généralise et ne fait pas de distinction entre l'âme des médiums fameux, M"* Piper ou Eusapia Paladino, par exemple, et celle de M. X., homme d'une cinquantaine d'années ayant assez d'instruction et de bon sens pour avoir toujours fort bien pu s'observer et n'avoir jamais dé- . couverten soi lapluspetiieparcelle de médiumnitéd'aucun genre.
Mais peu importe pour le point qui va nous occuper. Il va s'agir de suggestion. Laissons de côté la question de savoir si nous sommes tous ou quelques-uns seulement ce qu'on appelle des sujets. Je n'ai pas du reste à faire ici de critique. J'ai seulement à exposer comment M. Myers comprend « Le mécanisme de la suggestion ».
Voyons d'abord sa métaphore du spectre. Il compare notre champ de conscience habituel au spectre de l'optique dont la physique et la chimie nous ont appris l'extension au delà des limites visibles. D'un côté, par exemple, correspondant aux rayons ultra-rouges, il y aurait dans la conscience les phénomènes infraphysiologiques « ces fonctions complexes appartenant à la nutrition et au bien-être du corps ; fonctions que nos ancêtres éloignés étaient peut-être capables de modifier à volonté, mais qui, à nous, semblent si entièrement èn dehors
suivant d'un chapitre du travail considérable sur : a La conscience subliminale » qu'avait entrepris M. Myers, l'emincnt psychologue anglais, le membre le plus actif do la a Society for Psychical Rescarches ¦ dont la mort prématurée a douloureusement ému tous ceux qui s'occupent de ces passionnantes recherches.
de notre sphère de volition que si nous voulons les modifier nous ne le taisons pour ainsi dire, que de l'intérieur et par des médicaments et exactement de la même manière qu'il s'agisse de notre corps ou de celui de notre voisin.
De même de l'autre côté, « en dessous de la limitepsycho-logique, se trouvent ces « inspirations de génie » que la raison ne peut ni expliquer, ni renouveler et tout ce royaume inconnu de la télépathie et de la clairvoyance que nous nous efforçons d'explorer spécialement. »
Enfin, correspondant aux lignes noires du spectre de l'optique, il y aurait les lacunes, les interruptions venant d'arrêts de développements de nos sens actuels, comme l'odorat qui a même dégénéré ou d'absence complètede certains sens comme le sens magnétique (').
M. Myers propose pour plus de clarté trois divisions grossièrement faites parmi ces faits nouveaux qui se découvrent encore chaque année, presque chaque mois et paraissent dépendre d'une façon si inexplicable de qualités personnelles à la fois de l'opérateur et du sujet.
Nous examinerons donc: Io les faits qui sont plutôt de dissociation (inhibition delasouffrance) ; 2° ceux d'association, de synthèse (production et contrôle de fonctions organiques que l'homme ordinaire est incapable d'exercer ou d'influencer le moins du monde, et 3° les opérations intellectuelles ou morales de l'hypno-tisme.opérationsbaséessansdoutesurdeschangements physiologiques ressemblant aux changements compris dans les deux premières classes, « mais qui cependant ont nécessairement pour nous une signification plus profonde et suggèrent des problèmes encore plus profonds.
I
La suppression de la douleur par la suggestion est due à une dissociation de sensations considérées jusqu'à présent comme inséparables. La réalité du fait avait bien été constaté de tous temps et dans tous les pays, particulièrement chez les
(1) La découverte des rayons Rœtgen et celle de la télégraphie sans fil empêchent aujourd'hui de repousser comme ridicule l'hypothèse que ce sens magnétique ou plutôt un certain sixième sens que nous ne pouvons encore pas définir existerait chez les sujets Incides. II se passerait là ce qui s'est toujours passé dans le cours de l'évolution, dans l'histoire des races : les nouvelles facultés ont d'abord été le privilège de quelques individus et comme elles se trouvaient les favoriser dans la lutte pour l'existence, les descendants de ces individus se sont multipliés davantage et la faculté a fini par devenir générale.
sorcières au moyen âge, chez maintes peuplades sauvages, chez les Aïssaouas, etc.; mais ce qui est nouveau c'est l'emploi méthodique de cette nouvelle médication par le médecin.
Ce qu'il nous faut surtout remarquer c'est l'intelligence qui se manifeste dans cette suppression. Il y a sélection des sensations désagréables. Ce n'est pas la pure insensibilisation de certaines portions du corps ou d'un groupe particulier d'extrémités nerveuses (comme en produit par exemple la cocaïne) mais c'est aussi la suppression de beaucoup de sentiments con-comittants, comme la nausée, l'épuisement, l'anxiété qui ne dépendent pas toujours directement de la souffrance principale mais qui ont besoin d'être reconnus subjectivement comme désagréables avant d'être choisis pour Vinhibition.
L'affranchissement de la souffrance est obtenu sans engourdir ou disloquer le système nerveux général. L'état de trance n'est même plus nécessaire. Soit qu'on se serve de la suggestion à l'état de veille, soit qu'on se serve de la suggestion posthypnotique.
II y a utilisation d'une faculté de dissociation et M. Myers fait ici un rapprochement très frappant avec cette autre dissociation si surprenante que peut produire aussi la suggestion hypnotique : a l'hallucination négative » ou « anesthésie systématisée ». Là aussi il y a des séparations de groupes particuliers d'impressions sensorielles qui passent du moi supralimi-nal dans le moi hypnotique. Les images, les sons, les contacts qui restent inaperçus par la conscience supraliminale du sujet sont perçus par sa conscience subliminale. Il doit d'une façon ou d'une autre entendre et reconnaître la voix de M. A. pour savoir qu'il ne l'entend pas. Bien loin d'être absorbée sur un point unique : l'hypnotiseur, comme on le disait d'abord, la conscience subliminale du sujet s'applique à une surveillance spéciale qui s'ajouteà sa surveillance ordinaire.
II
On pourra direavec raison que si dans tout cela il y a dissociation, il y a également association puisqu'il y a formation d'un groupede sensation,groupe complexeetsi j'osaisdire, bien serré. Aussi la division qu'établit M. Myers est-elle plutôt un procédé d'exposition de son sujet qu'une division existant bien réellement et nous n'avons aucun saut à faire pour arriver aux cas suivants. Ils se distinguent seulement des précédents en ce
que'les groupes de sensation que suscite la suggestion vont être formés pour être aperçus et non plus inaperçus.
Avant de les examiner, M. Myers croit utile de rappeler que les différents phénomènes vitaux de notre organisme sur lesquels s'étend graduellement notre pouvoir, passent par trois périodes. Ils sont d'abord spontanés, ensuite produits empiriquement, et enfin, produits scientifiquement. Ceux que nous allons décrire entrent précisément dans la période empirique, c'est la période pendant laquelle nous pouvons quelquefois mettre la machine en train sans savoir comment elle marche. Il est donc important de faire l'inventaire de toute la série des phénomènes spontanés correspondant à ceux que nous essayons de reproduire. Nous pouvons mieux ainsi ne pas nous écarter de la ligne qui conduit au progrès.
Considérons donc les exemples d'influence de l'esprit sur le corps qui étaient connus avant qu'il fut question de suggestion hypnotique. Nous établirons parmi eux trois divisions:
1° Les petites extensions du pouvoir ordinaire que certaines personnes peuvent exercer à l'état de veille;
2° Les effets non spécialisés de l'émotion sur l'organisme ;
3° Les effets spécialisés de la suggestion externe non intentionnelle ou de l'auto-suggestion involontaire, produisant non plus des résultats vagues et diffus, mais un résultat intelligent qui répond exactement à la nature du choc.
1° Nous n'ayons ici encore que très peu d'exemples. On connaît quelques cas de contrôle s'exerçant sur le système digestif, ou de « rumination volontaire » et d'accélération des mouvements péristaltiques. On connaît l'histoire du colonel Townsend, qui pouvait accélérer ou ralentir les battements de son cœur. Il y a des gens qui peuvent, dit-on, contracter ou dilater leurs pupilles à volonté...
2° Par résultats non spécialisés de rémotion, j'entends les effets déterminés dans une direction ou dans une autre, plutôt par les conditions antérieures de l'organisme que par le caractère spécifique de l'émotion même. Celle-ci peut être réconfortant ou déprimante. Des impressions mentales réconfortantes ont amélioré la santé générale de bien des manières. Des chocs déprimants ont affecté presque tous les organes du corps. La nausée, la purgation, la transpiration, le frisson, la sécrétion du lait arrêté, la décoloration des cheveux sont des résultats connus. Nous connaissons aussi des cas de surdité, de cécité, d'aphasie, d'asthme spasmodique, de jaunisse ainsi produits.
La chorée, l'épilepsie, la rupture de vaisseaux pulmonaires, les convulsions tétanoïdes, l'hémiplégie, l'idiotie, peuvent aussi survenir et la syncope, l'apoplexie peuvent tuer du coup.
3° Notre troisième classe consistera en résultats spécialisés, non par les conditions antérieures de l'organisme, mais par la nature même de la cause excitante. Ce sont des suggestions venant en partie de l'extérieur, en partie de l'imagination du sujet — d'un genre spontané mais morbide et arbitraire. Les plus importantes, si elles étaient bien prouvées, seraient les influences agissant sur l'embryon par l'intermédiaire de l'organisme de la mère ('). Il y a aussi des maux ou des marques dûs à la sympathie qui viennent quelquefois de la vue d'une souffrance ou d'un accident.
Tels sont encore les cas d'imitation involontaire ou morbide, depuis le bâillement suggéré jusqu'au spasme ou à la paralysie imitatifs (croup, épilepsie, paraplégie, etc.). Quelquefois le stimulus externe peut être très faible et l'auto-suggestion très forte (cas d'une dame en proie à un violent catarrhe et une forte émission de larmes par suite de la présence d'une rose dans la chambre).
Dans l'hystérie, de nouvelles auto-suggestions peuvent se former chaque jour, toute l'activité semble dominée par cette auto-suggestibilité déréglée, véritable maladie du moi hypnotique.
Naturellement les auto-suggestions spontanées peuvent aussi être avantageuses (variété des effets de la pilule de pain, anes-thésie par la bouteille de chloroforme vide).
Ceci nous conduit à la médecine suggestive moderne, car Vhypnolisme est un nom pour un groupe de moyens empiriques, par lesquels nous poupons arriver à prendre possession des facultés .subliminales.
MM. Beaunis, Krafft-Ebing et Bérillon ont ralenti les pulsations du cœur par suggestion. MM. Dumontpallier, Focachon et d'autres, ont obtenu de la rougeur, des ampoules. Les D" Ma-bille, Ramadier, Bourru, Burot ont produit de la congestion localisée, des saignements de nez, de l'ecchymose. Le Dr Fo-rel et d'autres ont rétabli des sécrétions arrêtées aune heure fixée.
M. Krafft-Ebing a élevé la température (par exemple de 37°
(1) Los médecins pourraient suggérer aux femmes enceintes des marques d'an genre bien défini, mais sans inconvénient, pour avoir des preuves expérimentales directes ; on utiliserait ensuite cette influence pour le bien de l'enfant.
à38°,5)àun moment fixé par lui. Burot l'a abaissée de 10° pour une main. Rien de plus frappant que l'isoiabiiitê de ce phénomène qui ordinairement indique si exactement l'état de l'organisme entier.
Ici, M. Myers reproduit le cas publié dans la Revue de ^Hypnotisme en juin 1890, p. 353, l'expérience de Charcot pour reproduire une anormalité hystérique excessivement rare, l'enflure avec cyanose locale et abaissement de température superficielle. Puis il cite les cas de vésication suggérée obtenue parleDrJ. Rybalkin (Revue de juin 1890, p. 361) et de marques en forme de croix obtenues trois fois par le Dr Biggs de Lima, sur des sujets différents. Dans le second de ces derniers il y aurait même eu l'apparition d'une partie d'S, première lettre de deux mots suggérés Sancta crucis. La croix parut nettement tous les vendredis pendant quatre mois, époques fixées. Dans le troisième cas, elle parut par suggestion mentale à l'insu de la conscience supraliminale du sujet.
Il est à mon avis extrêmement important de noter que dans les trois cas, la peau du sujet reçut l'impression d'une croix au moment de la suggestion. La première fois, le Dr Biggs appuya avec son index, la deuxième et la troisième, il appliqua une petite croix en cristal qu'il avait dans sa poche. Est-ce que l'explication la plus simple n'est pas de supposer une mémoire des parties impressionnées. Notre cerveau sait situer ses impressions. Chez le sujet hypnotique, cette faculté acquiert une extrême précision. Pour M. Myers, le phénomène est encore et doit rester (?) mystérieux. « Il semble douteux, dit-il, qu'on puisse s'imaginer une douleur en forme de croix ou du moins occupant une petite portion de la surface du corps (*). »
Le caractère intellectuel du phénomène organique provoqué se montre d'une manière frappante et complexe, dans le cas suivant dû aux D" Jendrassik et von Krafft-Ebing et observé à Gratz (Styrie). en 1888. Le sujet M"' lima S... avait des ampoules par suggestion avec une extrême facilité. Elle était anesthésique d'une façon permanente du côté droit. Un K fut appuyé par le Dr Jendrassik, sur l'épaule gauche. Après quelques heures, une ampoule en forme de K très nette parut
(1) Quand les phénomènes du soi-disant spiritisme seront admis, comme, suivant moi, il devront l'être un jour, 11 faudra bien attribuer aux cerveaux de certains sujets un pouvoir idéo-plastique agissant marne à distance dont les faits en question en ce moment ne paraîtront que les effets les moins merveilleux.
M. M.
à l'endroit correspondant du cote droit. Mais ce K ne fut pas du tout une reproduction exacte de l'original. Ce fut bien un K capital, mais d'une autre écriture et d'une grandeur un peu différente. Il y avait confirmation du fait le plus curieux dont nous avons parlé plus haut : l'apparition tardive d'une partie d'un S comme résultat d'une suggestion qui n'avait pas été aidée par le contact physique d'un objet en forme d'S et l'exactitude de la position de ce fragment en dessous de la croix suggérée.
(à suivre).
L'hypnotisme et la suggestion chez les hystériques (')
Par le Dp Paul Magnin, professeur à l'Ecole de psychologie
(Suite)
On a fait à cette manière de voir de nombreuses objections. Elles ont été présentées surtout par les observateurs qui ont étudié l'hypnotisme sur des sujets sains ou soi-disant tels.
L'hystérie de la Salpêtrière, a-t-on dit, est une hystérie de culture. La description des trois états est une création purement artificielle, résultant de suggestions inconscientes.
Il est possible qu'à la Clinique des maladies nerveuses, on rencontre actuellement moins de grandes hystériques, moins de grandes hypnotisables que du temps de Charcot. Le type classique complet s'observe peut-être moins fréquemment.
Cela se comprend parfaitement d'ailleurs. L'influence personnelle du maître, celle du milieu, l'esprit d'imitation, l'auto-suggestion de la part de l'observateur, tels étaient les principaux facteurs de l'action desquels il lau't tenir grand compte.
A coup sûr, il y avait là une sorte d'entraînement. Il est certain, en effet, qu'en matière d'hypnotisme, la susceptibilité du sujet s'accroît en raison directe du nombre des expériences. Ce fait est la conséquence d'une loi physiologique générale bien connue : la loi de répétition.
Au reste, la justesse des critiques adressées aux idées de Charcot, est loin d'être démontrée.
Et tout d'abord, de part et d'autre, les sujets soumis à l'ob-
(1) Cours professé à l'Ecole de psychologie. — Voir le numéro de février-
servation étaient différents. Partant, le déterminisme expérimental n'était plus le même et a priori les résultats ne devaient pas être comparables.
Rappelons de plus que les phénomènes provoqués expérimentalement à la Salpétrière peuvent se montrer spontanément chez les hystéro-épileptiques.
Cette considération a d'ailleurs conduit certains auteurs, M. Tamburini, entr'autres, à admettre que l'hypnotisme, dans le cas même de grande hystérie, ne constitue jamais une névrose, mais ne fait que mettre en lumière des phénomènes pathologiques de l'hystérie qui, ou préexistent (dans la veille même) ou sont chez le malade à l'état latent. L'hypnotisme ne représenterait donc qu'un réactif capable de mettre en évidence les stigmates les plus cachés de l'hystérie.
Quoi qu'il en soit, reste toujours la valeur de la première expérience. Dans celle-là, le sujet ne pouvait savoir ce que l'observateur attendait de lui pas plus d'ailleurs que celui-ci ne pouvait prévoir la nature des phénomènes qu'allait provoquer son expérimentation.
A la Salpétrière, tout comme ultérieurement à la Pitié, on a très bien su, quoiqu'on en ait pu dire, se mettre à l'abri de toute suggestion inconsciente. On a même eu une supériorité, celle précisément de ne pas vouloir voir quand même la suggestion partout et de ne pas l'introduire systématiquement partout.
Et du reste, si la suggestion était constamment la seule cause des résultats observés, tous les phénomènes qui caractérisent l'hypnose devraient, de par ce fait, pouvoir être reproduits par suggestion. Or nous savons fort bien qu'il n'en est pas ainsi. Pour n'en citer qu'un exemple, personne n'a jamais pu provoquer par suggestion le développement de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire.
Pourrait-on même obtenir tous ces phénomènes par suggestion que cela ne prouverait encore pas qu'ils ne puissent se manifester en dehors d'elle.
J'ai montré, il y a bien longtemps déjà, ce que pouvait avoir d'un peu absolu la description des trois états envisagés isolément et je me suis efforcé de mettre en relief lés rapports intimes qui existent entre les différents degrés de l'hypnose.
Chez les hystériques, l'hypnotisme peut être évidemment regardé comme une névrose expérimentale à plusieurs degrés; les différentes formes ou mieux les différents degrés du sont-
meil provoqué dépendent du rapport existant entre les fonctions obscurcies ou abolies et les fonctions persistantes ou excitées.
D'ailleurs, outre les états qu'on a appelés francs (somnambulisme, catalepsie, léthargie) on en observe d'autres, non moins intéressants à étudier et que par'opposition nous avons désigné, Dumontpallicr et moi, sous le nom de mixtes. ,
Ils sont à première vue complexes, mais cette complexité est plus apparente que rôelle.
En y regardant de plus près, il est facile de se convaincre qu'il y a simplement mélange des phénomènes qui caractérisent les divers degrés de la sommation.
Ces états mixtes ne sont que des phases intermédiaires, des traits d'union entre les périodes franches et, en somme, tous, les états différents décrits dans l'hypnose ne "sont que des degrés d'une même affection, degrés entre lesquels il ne saurait y avoir de transition brusque.
L'hypnotisme doit être envisagé comme un processus essentiellement progressif et depuis l'état de veille jusqu'à la léthargie qui nous semble être le degré le plus profond du sommeil provoqué, on observe tous les intermédiaires, soit du moins au plus et sans parler des périodes mixtes, le somnambulisme et la catalepsie.
Cela est si vrai qu'on peut, au moyen d'une même excitation suffisamment prolongée, faire passer le sujet de l'état de -veille à l'état somnambulique, puis insensiblement à l'état cataleptique et enfin à l'état léthargique.
Dans une série de communications faites à la Société de biologie en 1883, M. Brémaud (de Brest), attira l'attention sur un état spécial, l'état de fascination qui, pour lui, représentait pour ainsi dire l'hypnotisme à son minimum d'intensité.
Or, ces expériences, M. Brémaud les a faites sur des sujets hommes et, en apparence au moins, parfaitement sains. Il n'a jamais pu les reproduire sur les femmes hystéro épileptiques sur lesquelles il a eu loccasion d'expérimenter, comme ai la susceptibilité trop grande des sujets les avait fait tomber de suite dans un état plus profond du sommeil provoqué.
Et même chez les sujets masculins, les expériences étant multipliées, l'impressionnabilité du sujet croissant, l'état de fascination disparaissait ; l'état établi d'emblée était la catalepsie.
Chez les sujets hystéro-épileptiques même, la sensibilité aux
diverses manœuvres hypnogéniques est variable et les résultats différents que l'on observe sur les diverses malades soumises à l'hypnotisation dépendent soit do l'état du sujet avant l'expérience, soit des moyens employés pour l'endormir.
Telle excitation périphérique qui, chez Tune ne produira que le somnambulisme ou la catalepsie plongera l'autre d'emblée dans la léthargie la plus profonde.
Si d'ailleurs le fait que nous énonçons n'est pas évident au premier abord et ne semble pas avoir été vu par les observateurs qui se sont occupés de la question avant nous, c'est que l'établissement d'une période donnée de l'hypnotisme s'effectue souvent avec une rapidité telle que l'observation devient, dans ce cas, fort difficile.
Je n'en veux pour preuve que l'exemple suivant: Voulant un jour produire la léthargie d'emblée chez une malade, je lui appuyais sur le vertex. Quelqu'un étant venu me parler, je cessai la pression et laissai là ma malade. Lorsque je revins auprès d'elle, je constatai qu'elle était endormie, mais en somnambulisme. Or, sur les nombreuses malades que nous avions eu l'occasion d'hypnotiser, nous avions Dumontpallier et moi, fait, à diverses reprises, la remarque suivante : Lorsque nous voulions les placer d'emblée (par un procédé classique) dans Ja période léthargique du sommeil provoqué, il nous arrivait souvent de les faire passer par la phase cataleptique et cela surtout lorsqu'il s'agissait de sujets présentant quelque résistance aux manœuvres hypnogéniques. Même observation avait du reste été faite par d'autres expérimentateurs.
Tenant compte de cette remarque, je me demandai si le résultat que j'observais ne tenait pas simplement à l'insuffisance de durée de l'action hypnogénique et je constatai alors que, par une pression du vertex suffisamment prolongée, je pouvais faire passer mon sujet de l'état de veille à l'état som-nambulique, puis du somnambulisme en catalepsie et de la catalepsie en léthargie.
Pendant des mois, j'ai placé la malade d'emblée en léthargie par pression du vertex et comme d'une part, ce sujet était très sensible et que, d'autre part, la pression était suffisante et, par habitude, peut être toujours à peu près la même, je n'avais pas vu que, dans chaque expérience, ma malade devenait somnambule, puis cataleptique et alors seulement léthargique.
J'avais donc, chez ce sujet, au moyen d'une même excitation
produit successivement les diverses phases du sommeil-provoqué. Mêmes sensations sur d'autres malades et quelque fut d'ailleur le moyen employé pour les endormir, même résultat.
On prévoit de suite combien les divisions des périodes de Thypnose pourraient être multipliée pour ainsi dire à l'infini.
Dans ses leçons cliniques sur l'hystérie, le professeur Pitres ne distingue pas moins de douze états dérivés du somnambulisme, de la catalepsie et de la léthargie, et nous savons combien sont multiples les degrés du sommeil admis par les observateurs de Nancy.
Le fait de cette multiplication possible des états de l'hypnose est particulièrement évident, précisément lorsqu'on cherche à déterminer les différentes phases de la somniation provoquée en se servant d'une même excitation prolongée pendant un temps suffisant.
Pour ne reprendre que le même exemple, une faible pression sur le vertex suffit-elle à rendre une malade somnambule, qu'on l'exerce plus énergique ou mieux, que, sans en augmenter l'intensité, on continue l'excitation pendant un temps plus long, le sujet deviendra cataleptique. Mais ce passage du premier état dans le second ne se fera pas brusquement et tout d'un coup. Il s'opérera au contraire graduellement et dès lors ce n'est que progressivement et lentement que les phéno-' mènes du somnambulisme ieront place aux caractère de la catalepsie. On observera tous les intermédiaires entre ces deux phases et il est facile de comprendre que si subitement on vient à supprimer l'action hypnogénique, on pourra laisser le sujet dans un état, arrêter le malade pour ainsi dire à un degré qui ne sera déjà plus le somnambulisme franc, qui ne sera pas encore la catalepsie vraie, mais bien un état mixte qui présentera mélangés et réunis les phénomènes que l'on regarde comme principes du somnambulisme et de la catalepsie.
De même on pourra observer tous les intermédiaires entre la catalepsie et la léthargie.
Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse, au moyen d'excitations brusques et intenses, produire tous les phénomènes qui ont été observés dans la somniation provoquée, mais les excitations faibles et prolongées permettent bien mieux que tous les moyens violents de saisir les relations qui unissent entre eux les diffé-
rents symptômes de l'hypnose et de déterminer leur ordre de succession naturel.
On pourrait volontiers comparer l'hypnotisme à un escalier dont le nombre des marches pourrait être multiple à l'infini au gré de l'expérimentateur. En haut serait l'état de veille, en bas la léthargie ; aux principaux étages le somnambulisme et la catalepsie, chaque marche représentant pour ainsi dire un degré dans les états intermédiaires. Certains sujets, rares il est vrai, en état parfait d'équilibre physique et psychique, ne s'y engageront que s'ils le veulent bien. C'est effectivement pour moi le cas des sujets sains. Quelques autres descendront un peu plus bas mais resteront encore cantonnés dans les degrés supérieurs (états de fascination, de somnambulisme léger, etc.) Les autres et c'est le plus grand nombre, descendront plus ou moins vite suivant leur plus ou moins grande impression-nabilité, leur moindre degré de résistance à la suggestion, leur état de névrosisme plus ou moins prononcé. Et dans cette foule nombreuse, les grandes hystériques tiendront le premier rang.
Cette façon d'envisager la sériation des phénomènes hypnotiques a du reste été adoptée depuis par un certain nombre d'auteurs, entre autres par Luys.
Elle est conforme aux idées émises au sujet du somnambulisme spontané par Bail et Chambard et j'ai eu le plaisir de la voir confirmer en 1889, au Congrès de l'Hypnotisme par M. Drzewiecki (de Saint-Pétersbourg). Cet observateur a fait très justement remarquer que l'envahissement progressif de l'hypnose paralyse successivement les facultés psychiques dans l'ordre exactement inverse de celui dans lequel elles se sont superposées par l'éducation et le développement du sujet. Les facultés les plus fraîchement acquises et par conséquent les moins solidement assises cèdent les premières; ce sont les facultés critiques ou de contrôle, ceci se constate par la crédi-vité des sujets captés, ou se trouvant sous la forme la plus légère, c'est-à-dire dans la phase ante du post-hypnotique. Pans la phase plus profonde, celle du somnambulisme, le sujet a perdu outre les facultés critiques son initiative psychique propre; il a conservé une certaine causalité, mais le point de départ de ses déductions doit lui être suggéré. Dans la phase suivante, celle de la catalepsie, le fonctionnement psychique est borné aux réflexes seulement, le sujet cataleptisé est un automate qui ne répond réflectivement qu'aux signes extérieurs.
A un degré plus profond encore du sommeil hypnotique, le sujet a perdu jusqu'à ses réflexes et n'a conservé de la vie que les fonctions végétatives. En comparant ce tableau, ditM.Drze-wiecki à celui que nous présente le développement psychique d'un individu depuis sa naissance jusqu'àson complet développement, nous voyons que c'est dans l'ordre précisément inverse que se sont formées, développées, et pour ainsi dire stratifiées, par couches successives, les facultés psychiques. L'enfant à la naissance ne possède que les fonctions végétatives accumulées par hérédité, puis ses premières impressions provoquent des manifestations qui deviennent réflexes par leur répétition, ensuite les liens de cause à effet relient la chaîne de ses impressions psychiques et enfin les facultés critiques acquises en dernier lieu, permettent à l'individu de contrôler ses perceptions.
On voit donc l'intérêt qu'il y a à étudier les phénomènes de l'hypnose dans leur ordre de succession normal et l'on comprend ce qu'ont d'un peu artificiel toutes les coupes pratiquées dans leur situation naturelle.
Néanmoins et malgré les quelques reproches qu'on peut lui faire, la description de Charcot reste l'expression exacte du fait observé dans l'hypnose des hystériques.
Cette description peut ne contenir qu'une part de la vérité, c'est possible ; mais il n'en est pas moins vrai qu'elle a été le point de départ de toutes les études réellement scientifiques publiées depuis sur la question.
Il ne faut pas oublier qu'à l'époque où elle a été faite il s'agissait ainsi que l'ont fait remarquer trèsjustement Féré et Binet, d'établir la réalité d'un certain nombre de phénomènes hypnotiques et de démontrer leur existence par des caractères saisissants.
Or, les travaux de la Salpêtrière ont prouvé précisément que les phénomènes de l'hypnotisme pouvaient être étudiés « suivant les procédés les plus perfectionnés de la clinique et de la physiologie expérimentales et que c'est exclusivement avec les caractères fournis par ces procédés d'étude que la science peut se faire ».
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 14 Janvier 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
MM. Le Menant des Chesnais, Paul Farez, Félix Regnault, Henry Le-mcslc, Bérillon et Paul Magnin font les communications inscrites à l'ordre du jour. Prennent la parole dans les discussions, outre les auteurs des communications, MM. Aragon, Lépinay, Jules Voisin et Lionel Dauriac.
M. Henry Lemesle prend la parole au sujet de la pétition adressée au Parlement par les magnétiseurs ; il propose de mettre aux voix la motion suivante, qui est adoptée à l'unanimité des membres présents :
En conformité des conclusions formulées par le Congrès de l'Hypnotisme de 1900, l& Société d'Hypnologie et de Psychologie émet le vœu que l'hypnotisme thérapeutique, alors même qu'il est employé sous le nom de « magnétisme », soit soumis à ta loi du 30 mars 1892.
La séance est levée à 6 h. 45.
La définition de la suggestion
Par M. le D' Félix RegnaULT.
Dans la communication de M. Babinski sur la définition de la suggestion, cet auteur rappelle celle qui se trouve dans le dictionnaire de Littré : « insinuation mauvaise ». Cette définition est défectueuse et abandonnée depuis longtemps ; en effet, la qualité de mauvaise est très relative; ce qui est mauvais pour l'un est bon pour l'autre. D'ailleurs, depuis longtemps on parle de suggestion thérapeutique, c'est-à-dire de suggestion éminemment utile.
Pour conserver au terme suggestion la définition du dictionnaire, M. Babinski propose d'employer le mot persuasion pour suggestion utile. C'est détourner ce mot de son acception habituelle. Persuader, indique qu'on emploie comme arguments des sentiments. 11 existe plusieurs mots qui ont été fort bien employés par le public, et que les psychologues ont à tort détournés de leur acception. Examinons-les en prenant un exemple. Un officier veut entraîner ses soldats à l'assaut :
11 se précipite tout simplement en avant, ses soldats le suivent machinalement, c'est de l'imitation. L'imitation pure se rapproche d'un réflexe cérébral.
Il crie: « en avant! « Le soldat avance machinalement, c'est de la suggestion. Le cri a éveillé l'idée de l'acte qui est accompli.
II leur tient un discours pour éveiller leurs sentiments : Vous ne laisserez pas en péril l'honneur du régiment, la Patrie a les yeux sur vous, etc., il les persuade.
Il emploie des arguments: Le premier qui refuse d'avancer,je lui brûle la cervelle, ou : celui qui recule sera exécuté par les gendarmes qui surveillent les fuyards ; il convainc ses soldats.
Il peut enfin employer un raisonnement serré : Vous aurez plus de chance de mourir en reculant, frappés à la fols par les balles des ennemis et celles des gendarmes, qu'en avançant. Donc il vaut mieux avancer : ceci est une démonstration.
Jusqu'à présent on a englobé : l'imitation, la suggestion, la persuasion, la conviction et la démonstration sous le terme général de suggestion. On peut continuer ainsi, à la condition qu'on veuille distinguer à l'occasion ces diverses variétés ; cela est d'autant plus important que, suivant le caractère du sujet hystérique ou'hypnotisé,un de ces moyens réussira de préférence aux autres (2).
Traitement hypnotique d'un cas de névrose trémulante chez une femme de 76 ans
Par M. le Dr Paul Farez
M1" V... est âgée de 76 ans; elle a deux enfants bien portants, dont l'un est âgé de 53, l'autre de 50 ans ; elle est veuve depuis l'âge de 62 ans ; elle a été ménopausée à 51 ans. Jusqu'à il y a deux ans, elle a toujours joui d'une bonne santé.
Quand je la vois pour la première fois, elle présente un tremblement de la tête et des membres supérieurs. Ce tremblement, d'un rythme régulier, est moyen comme amplitude et rapidité ; il s'effectue dans le sens horizontal, disparait pendant le sommeil et s'exaspère dans les mouvements volontaires ; il affecte aussi la langue et les lèvres, car la parole est trémulante ; il est devenu assez intense pour empêcher cette femme de vaquer aux soins de son ménage et surtout de gagner sa vie comme par le passé en faisant des travaux de couture.
Les caractères de ce tremblement et l'âge de M"" V... donnent, de prime abord, l'impression qu'il s'agit d'un tremblement sénile. Toutefois ce diagnostic comporte certaines réserves.
En effet, il y a deux ans, Mm* V... est un beau jour prise de frissons ; elle se met à grelotter et à trembler; il s'est agi, parait-il, d'une congestion pulmonaire qui mit sa vie en danger et qui la retint au lit pendant six semaines. La convalescence dura longtemps ; cette femme resta pendant quelques mois débilitée.
Six mois après cette maladie, comme elle vient de faire chez elle un
(1) Voir lïabinski, Soc. neurologie de Paris, 7 novembre 1901.
(2) Voir pour plus de détails Revue de rHypnotisme 1900, p. 164, et 1896, décembre.
nettoyage à grande eau, elle ressent un frisson très intense et se remet à trembler ; elle croit à l'imminence d'une nouvelle congestion pulmonaire. Cette affection ne se déclare pas, mais le tremblement persiste pendant quinze jours.
Un an après, elle est prise de diarrhée cholériforme qui dure huit jours et l'affaiblit au point de nécessiter le repos absolu au lit : ce tremblement réapparaît ; petit à petit M'"" V... devient de plus en plus incapable de se servir de ses mains, comme aussi de gagner sa vie en coulissant de grands rideaux, ainsi qu'elle l'avait fait jusqu'alors.
Il y avait plusieurs mois qu'elle était dans cet état, lorsqu'elle vit notre collègue le Dp Manfroni, venu de Turin à Paris pour compléter son instruction médicale et s'initier à la pratique de l'hypnotisme.
Le Dr Manfroni hypnotisa plusieurs fois M"' V... et, grâce à la suggestion, l'améliora beaucoup. Au moment de quitter Paris, pour aller fonder à Coni sa clinique infantile, il me demanda de m'occuper de M™* V..., ce que j'acceptai avec empressement. Mais la malade laissa passer quelques semaines avant de venir me voir et elle ne s'y décida qu'après avoir perdu en grande partie le bénéfice de l'amélioration réalisée par le Dr Manfroni.
Je note que Mmo V... est très impressionnable : une émotion, une contrariété, une attente prolongée, la moindre préoccupation, exaspèrent son tremblement. Jadis, lorsque son mari mourut, elle se trouva désemparée ; elle crut même qu'elle ne pourrait pas toute seule « supporter le fardeau de l'existence » et elle désira vivement mourir aussi. Toute sa vie elle a été une inquiète. Aujourd'hui, elle a des insomnies rebelles pendant lesquelles elle se lamente sur son état et entretient son émoti-vité. Elle n'ose môme plus lire un journal, car le récit du moindre accident la bouleverse au plus haut point.
Son tremblement offre la symptomatologie du tremblement sénile ; il n'est point polymorphe, comme l'est souvent le tremblement hystérique ; et, d'autre part, Mm* V... ne présente point de stigmates manifestes d'hystérie. Cependant nous savons que les maladies inflammatoires, fébriles, infectieuses, les intoxications, aussi bien que le surmenage, la débilité, les privations, etc., peuvent faire appel à une hystérie latente. Aussi étant donné ce qu'a présenté cette femme depuis deux ans, son état mental et son hyperesthésie psychique actuelle, je ne suis pas éloigné du tout de considérer son tremblement comme étant de nature hystérique. A la faveur d'une affection inflammatoire et de la débilité, l'hystérie se serait installée et développée ; elle aurait de la sorte conditionné et entretenu le tremblement.
Quoi qu'il en fût, je me suis mis en devoir d'hypnotiser Mme V... J'y suis parvenu avec autant de facilité que chez bon nombre de nos malades beaucoup plus jeunes; et très rapidement l'action bienfaisante de la suggestion s'est manifestée. Bientôt MmB V... dort la nuit d'un bon sommeil pendant six ou sept heures consécutives ; son impressionnabilité diminue et le calme renaît dans son esprit. Pendant la journée elle reste
quelquefois une heure entière sans trembler du tout ; quand le tremblement revient, elle se trouve de plus en plus capable, de l'arrêter ou de le suspendre. Au bout de quelques séances, elle peut, sans en répandre une seule goutte, monter un plein bol de lait de chez la crémière à son logement situé au quatrième étage. Finalement elle reprend son aiguille et se remet à gagner son salaire quotidien.
Cette courte observation m'amène à insister sur les points suivants et à les mettre en vedette :
I. — Tout d'abord, l'hystérie peut apparaître très tard. Dans une de ses dernières cliniques, le professeur Raymond rappelait qu'il l'avait vue débuter non seulement à 30, 40, 60 ans, mais même après S0 ans.
II. — En second lieu, on doit toujours penser à l'hystérie, même chez les vieillards, toutes les fois que l'on aura constaté quelqu'une de ses causes provocatrices habituelles, à savoir maladie inflammatoire, ou infectieuse, intoxication, surmenage, débilité, misère physiologique, etc.
III. — En outre, certains tremblements sont, chez les vieillards, abandonnés à eux-mêmes sous prétexte qu'on les a étiquetés séniles et qu'on les attribue à l'affaiblissement ou au grand âge. Dans certains de ces cas, ils peuvent être de nature hystérique et comme tels justiciables de la suggestion que l'on devrait bien employer au moins dans les cas douteux.
IV. — Bien plus, on tend aujourd'hui à englober dans un genre unique que l'on dénomme Névrose tréraulante les trois espèces de tremblements héréditaire, hystérique, sénile. Le tremblement sénile proprement dit est donc à l'heure actuelle considéré comme une névrose. L'avenir nous dira si la suggestion ne peut pas améliorer cette névrose sénile même lorsqu'aucun signe ne peut faire penser à l'hystérie franche. Pour n'être qu'hypothétique cet espoir n'est point illégitime, puisque la suggestion s'est déjà montrée cffîcace dans certains autres cas de névrose trémulante non sénile et non hystérique, ainsi que j'en ai par exemple rapporté une observation il y a quelques années.
V. — Enfin, par un de ses côtés, le cas que je viens de rapporter, réfute une opinion erronée d'après laquelle certains enfants et une minorité d'adultes pourraient seuls être hypnotisés. Le grand âge ne confère pas aux vieillards une immunité à l'égard de l'hypnotisme. Outre M»* V... qui avait, on s'en souvient, 76 ans lorsque je l'ai soignée, je pourrais signaler le cas d'une autre femme, âgée de 70 ans, et dont j'ai eu à m'occuper, il y a deux ans, pour une obsession passionnelle avec mélancolie, dégoût de la vie et idées de suicide. A la stupéfaction d'un confrère de province qui m'avait appelé en consultation auprès de cette malade, je l'ai endormie très facilement dès la première séance. A son réveil elle éprouva un tel bien-être qu'elle s'écria toute extasiée: a On dirait que je suis dans le Paradis ! » J'accorde que celte dernière malade avait l'allure d'une hystérique. J'y insiste même pour contribuer
à montrer qu'en dehors des enfants, des jeunes filles, des femmes adultes, et même des hommes faits, l'hystérie peut encore, en dépit de l'opinion courante, se manifester chez les personnes d'un âge très avancé.
Fausses grossesses nerveuses Par M. le D' Le Menant des Chesnais
L'expression courante de grossesse nerveuse est incomplète au point de vue scientifique puisqu'elle caractérise un état où la grossesse n'existe pas. Il en est de même de l'expression : fausse grossesse, sans autre qualificatif, puisqu'il y a une autre fausse grossesse : celle où par une dégénérescence de l'ovule ou de ses enveloppes il se forme simplement dans l'utérus une prolifération vésicutaire connue sous le nom de môle.
Appelons donc fausse grossesse nerveuse l'ensemble de ces phénomènes dont j'apporte deux observations avec le désir de provoquer parmi nous une discussion au point de vue psycho-physiologique. Notre Société, en effet, est une sorte'd'avant-garde scientifique composée de pionniers dont le but, quelles que soient les opinions philosophiques de chacun de nous, est de rechercher en toute occasion, les rapports qui existent entre la vie psychique et la vie organique, afin de préciser par des faits l'influence que le moral peut avoir sur l'harmonie fonctionnelle de notre organisme, et dans la pathologie des affections nerveuses.
Voici tout d'abord mes deux observations :
Une dame de 40 ans a eu d'un premier mariage une fille aujourd'hui âgée de 18 ans. Remariée il y a 7 ans, elle regrette vivement de n'avoir pas d'enfants de ce second mariage.
Elle me consulta un jour sur un retard de ses règles. Comme sa santé générale est bonne, j'émets l'opinion de la possibilité d'une grossesse, et je remarque la grande joie qu'elle en éprouve. Les mois suivants, les règles continuent à ne pas paraitre, et ma cliente ne doute plus de sa grossesse.
Cependant au sixième mois, comme je lui fais remarquer que son ventre parait, à travers ses vêtements, peu développé, elle s'empresse de me répondre qu'elle est bien sûre d'être enceinte, puisqu'elle sent de temps en temps" les mouvements de l'enfant. En même temps, elle ne manifeste aucun désir d'un contrôle qui aurait pu trancher la question.
Enfin au neuvième mois, un soir, elle me fait appeler. Depuis quelques jours, il lui semble que son ventre a baissé, elle se souvient qu'il en fut de même lors de sa première grossesse. Depuis le matin, elle ressent des petites douleurs dans les reins, et une pesanteur dans le bas-ventre.
Pendant qu'elle me parle, les douleurs reparaissent. Je la prie de s'étendre sur son lit pour l'examiner, et au toucher vaginal je ne rencontre aucune partie fœtale. J'ai sans doute affaire à une présentation du tronc, je fais la malade se déshabiller afin de me Tendre un compte exact de la position de l'enfant. Grand est alors mon étonnement. Dès que je mets la main sur le ventre je ne sens aucune masse dure. Le tympanisme intestinal est partout exagéré, et l'examen intus et extra avec les deux mains, me permet d'affirmer à la fausse parturiente qu'elle n'est pas enceinte.
Et de fait, le tympanisme intestinal disparut peu à peu les semaines suivantes. Quant aux règles, elles ne revinrent pas, Mme X. était tout simplement au début de sa ménopause.
Le second cas a trait à une femme plus jeune, 33 ans, également remariée et sans enfant après cinq ans de ménage, et bien qu'elle en ait eu un il y a 12 ans, de son premier mariage, et qui mourut peu après sa naissance.
Elle me consultait pour une entérite catarrhale à forme intermittente, datant déjà de plusieurs mois et au cours de laquelle elle avait beaucoup maigri.
A l'une de mes visites, elle me raconta son profond chagrin de n'avoir pas d'enfants et comme elle insistait pour en savoir la cause, je lui proposai de l'examiner.
Ses menstrues étaient régulières mais douloureuses. Àu toucher vaginal je constatai un col très en arrière et dur avec utérus un peu fléchi en avant, mais bien mobile. Au spéculum le col paraissait sain mais en introduisant l'hystéromètre, je sentis à la partie supérieure du col, une résistance qui me parut plus difficile à vaincre qu'elle n'est d'ordinaire. L'utérus a une profondeur normale de 7 centimètres.
A la suite de cet examen, je dis à Mme X. que le rétrécissement que je venais de constater pouvait être à la fois la cause de ses règles douloureuses et l'obstacle à une grossesse. Peut-être une dilatation du col donnerait des chances de succès.
Cette espérance fut acceptée avec joie par la malade. En quelques jours, par l'application à demeure de tiges de laminaria, j'obtins une dilatation d'un demi-centimètre environ.
Je prévins à ce moment le ménage qu'il pouvait tenter l'expérience.
Le résultat fut très curieux.
Une transformation complète se produisit chez ma cliente, sa diarrhée disparut, les digestions se régularisèrent et quand je la revis, un mois après, elle avait une toute autre mine. Elle était sensiblement engraissée et sentait chaque jour revenir ses forces.
Ses seins lui paraissaient avoir particulièrement augmenté de volume. Cependant ses règles avaient encore reparu, mais moins abondantes, disait-elle, et non douloureuses. Néanmoins elle était convaincue d'être enceinte.
L'amélioration générale se continua les mois suivants. Je la revis au
sixième mois; c'était une toute autre femme. Ses forces d'autrefois étaient revenues avec l'embonpoint. Quant à ses règles, elles persistaient chaque mois.
Me souvenant que notre maître Pajot ne croyait guère à la persistance des règles pendant la grossesse, j'émis de nouveau des doutes sur l'existence de celle-ci, malgré le développement de la poitrine et du ventre. La seule hypothèse admissible était celle d'une insertion vicieuse du placenta sur le col, causant de petites hémorrhagies. Je demandai à Mme X. de l'examiner. Elle y consentit, mais comme à regret.
L'auscultation, le toucher vaginal, le palper à travers un abdomen devenu très adipeux me confirmèrent dans mes craintes.
M1»0 X... les rejeta énergiquement; elle aussi, croyait avoir senti son enfant remuer, et quoique troublée elle s'entêta dans l'idée de l'existence d'une grossesse.
J'attendis donc qu'elle me fit appeler de nouveau, et je la revis vers la fin du huitième mois. Elle me dit: a Mes règles ont reparu chaque mois, mais je sais que bien des femmes continuent à voir pendant tout le cours de leur grossesse. » En se contentant des apparences extérieures qu'elle présentait à ce moment, le doute, en effet, ne paraissait plus possible.
Je proposai un nouvel examen. C'est inutile, me dit-elle, puisque dans quelques semaines nous serons fixés.
A la fin du neuvième mois, le mari vint me voir. Un de ses amis, médecin, mais qu'il ne me nomme pas, après examen de sa femme, lui aurait affirmé la grossesse. Puis il m'ajouta : d'après ce que ressentait ma femme la nuit dernière, il est bien probable que vous serez réveillé par nous la nuit prochaine. Attendez-vous y.
Mais on ne me réveilla ni cette nuit-là, ni les suivantes. Mm* X... dût se résigner à un nouvel examen, qui confirma le premier sans la convaincre encore complètement.
Sur ces entrefaites, notre regretté maître Dumontpallier étant venu voir une autre de mes malades, je lui recontai l'histoire de Mm* X..., et il me proposa d'aller la voir.
J'entends encore Dumontpallier. après l'avoir examinée, lui dire avec son ton si paternel: « Mon enfant, votre cas m'en rappelle un autre à peu près semblable, survenu dans la région même que1 vous habitez. Votre grand désir d'avoir un enfant s'est greffé sur l'espérance que vous a donnée mon confrère, et a produit chez vous ce que l'on appelle une grossesse nerveuse. Vous n'êtes pas enceinte. »
Malgré la peine profonde, ressentie par M^'X... sa santé resta bonne ; je la revis quelques mois plus tard, elle avait diminué de volume mais conservait un suffisant embonpoint. La forme du ventre à travers les vêtements paraissait d'autant plus modifiée, que vexée d'avoir été déçue dans une espérance qu'elle avait si ostensiblement promenée,
M»0 X... s'efforçait de dissimuler à l'aide de son corset le développement adipeux de cette région.
Ces deux observations nous montrent encore une fois l'influence que l'imagination peut exercer sur l'activité de nos fonctions, et la variété des phénomènes auxquels cette influence peut donner naissance, suivant les circonstances et les individus.
L'imagination, disait Balzac, est la folle du logis, et il avait vraiment raison. Tant que cette faculté reste dans son rôle secondaire, elle donne simplement à nos souvenirs et à nos sensations la note gaie ou triste, sans troubler notre jugement, mais elle fausse ce dernier, dès qu'elle se substitue à la raison et veut diriger notre entendement.
Or, il faut souvent bien peu de chose pour que notre imagination s'empare ainsi de la direction de notre vie psychique.
Une circonstance quelconque fait naître en nous une idée, qui s'accorde avec un vif sentiment de désir ou de crainte ; et cela souvent suffit pour que notre imagination entre en jeu avec une intensité telle qu'elle paralyse la raison, et jette le trouble non seulement dans notre vie psychique, mais jusque dans notre vie purement végétative.
Chez mes deux clientes, il existait un très vif désir de redevenir enceintes.
L'opinion émise par moi d'une probabilité de grossesse chez la première, d'une possibilité chez la seconde, après mon intervention, a fait naître chez ces deux femmes une espérance qu'au début la raison n'avait aucun motif de combattre. Alors l'imagination s'en est emparée et a transformé cette espérance en une conviction.
Les souvenirs des précédentes grossesses se sont réveillés, et les diverses sensations éprouvées autrefois ont repris vie. Sous l'influence de l'imagination, elles croient même sentir leurs enfants remuer, et chez la première, au neuvième mois, des douleurs apparaissent simulant celles d'un prochain accouchement, comme si l'organisme tout entier se prêtait passivement à cette illusion.
La raison ne peut plus se faire entendre, même quand des motifs de doutes se présentent à leur attention, comme ma remarque à la première sur le peu de développement de son ventre au sixième mois, et mes réflexions à la seconde sur la persistance de ses règles, et les signes négatifs de mon examen.
Cependant, il est à remarquer que chez ces deux femmes une sorte de mauvaise foi existe..Elles sont convaincues d'être enceintes, mais en face de mes doutes, elles ne recherchent pas un nouvel examen. Au contraire, elles l'évitent, comme si dans le cas d'une fausse grossesse, elles préfèrent se tromper elles-mêmes, et savourer ainsi leur illusion le plus longtemps possible. En réalité, leur conviction ne devait pas être absolue.
Sur l'organisme, l'action de l'imagination est également intéressante à analyser.
Dans les deux cas, le ventre a présenté les apparences d'une gros*
sesse ; chez l'une par un relâchement des fibres striées de l'intestin, et des muscles abdominaux, entretenant ainsi du météorisme, seule manière chez cette femme plutôt maigre, de donner à son ventre la forme voulue ; chez l'autre, c'est par un développement considérable du tissu cellulaire sous-cutané que le même résultat a été obtenu. Chez l'une et l'autre, après le neuvième mois, tout est revenu peu à peu à l'état normal.
L'imagination a donc eu chez ces deux femmes une réelle influence jusque sur la participation de la vie végétative à la forme de leurs ventres, et l'apparition ainsi que la disparition des phénomènes anormaux ont bien correspondu à deux états psychiques opposés, celui de l'illusion et celui de la désillusion.
Néanmoins, quand on y réfléchit, cette influence n'a pas été aussi considérable qu'on pourrait le croire tout d'abord. En effet, pendant la période pseudo-gravidique, mes deux clientes devaient s'efforcer de donner à leur corps l'attitude la plus favorable aux apparences d'une grossesse. Au contraire, après leur déception, elles ont dû agir en sens inverse afin d'en faire disparaître toutes traces.
* Nous devons rapprocher de ces deux cas, ceux qu'il y a quelques années, le Dr Marandon de Monthyel signala à la Société, dans une très intéressante communication.
Il s'agissait également de deux grossesses nerveuses, mais à l'envers des cas ordinaires, elles avaient été produites par crainte de la maternité. Dans ces deux cas, sous la violence de ce sentiment de crainte, l'imagination avait provoqué un arrêt dans le retour des règles, de .trois mois dans le premier cas, de deux dans le second.
Une habile suggestion à l'état de veille, fit presqu'aussitôt reparaître les règles chez ces deux femmes.
Les fausses grossesses nerveuses ne sont pas très rares, et peuvent quelquefois se présenter avec des symptômes encore plus marqués que dans mes observations.
Au cours de leur carrière médicale, plus d'un parmi nous ont dû rencontrer de ces cas curieux ; il serait intéressant de les connaître, et qu'une discussion appuyée sur le plus grand nombre possible de faits, nous permit de constater jusqu'à quel point, dans ces cas, l'imagination peut influencer les diverses fonctions de notre organisme.
Discussion
M. Lépinay. — La grossesse nerveuse existe dans les espèces animales, moins cependant le développement du ventre, que les manifestations qui accompagnent la parturition. Ainsi, beaucoup de chiennes présentent, 62 ou 63 jours après les chaleurs, une inquiétude ressemblant exactement à l'inquiétude des chiennes qui vont mettre bas. De plus, le lait descend dans les mamelles, et il n'est pas rare de voir des chiennes faire quelques efforts. Le plus souvent, quand elles s'aperçoivent qu'elles
n'ont pas de petits, elles adoptent, dans leur couchette des morceaux de laine ou d'étoffe, et les couvent, en quelque sorte, comme elles le feraient de leurs propres petits. Ces manifestations sont tellement ressemblantes à celles existantes chez les animaux qui ont réellement mis bas que, le plus souvent, les propriétaires s'y méprennent et vous amènent leur béte, en vous déclarant que, sans doute, elle a mangé ses petits, mais en spécifiant bien, toutefois, qu'ils ne savent comment la béte a été couverte et qu'ils ne s'en sont pas aperçus.
Peut-il, en pareil cas, y avoir, comme chez la femme qui désire un enfant, un phénomène suggestif? C'est douteux.
En somme, chez ces animaux, l'utérus et les organes de la reproduction sont mis en action au moment des chaleurs et cette action se continue absolument comme si la béte avait été fécondée.
Je profite de ce que j'ai la parole pour déposer sur le bureau de la Société, à seule fin d'être mis au Musée de Psychologie, un collier, composé d'une série de morceaux de liège, et que j'ai enlevé du cou d'une parturiente. Cette bête était une chienne ne pouvant pas faire ses petits et, au dire delà propriétaire, ce collier lui avait été mis, non seulement pour faciliter l'accouchement, mais aussi pour faire passer le lait', attendu que sa présence ne paraissait plus avoir sa raison d'être, puisque les petits étaient morts. Cette propriétaire m'a dit qu'elle n'avait fait qu'imiter ce qui se fait dans son pays, pour les femmes en situation analogue.
Hypnotisme de degré différend pour chaque côté du corps par les D" Bérillon et Paul Magnin.
11 arrive très fréquemment que des auteurs, commettant une erreur de terminologie, se servent indifféremment des mots de suggestion et d'hypnotisme pour caractériser les phénomènes de l'hypnotisme. Nous avons eu à maintes reprises à nous élever contre cette confusion dont notre maître M. le Df Liebeault avait déjà signalé les inconvénients.
Dans une lettre qu'il nous écrivait à ce sujet, M. Liebeault disait excellemment :
« Dire avec le paradoxal Delbceuf qu'il n'y a pas d'hypnotisme, c'est-à-dire de science du sommeil, c'est en nier les phénomènes, ce qui est absurde ; dire qu'il n'y a que de la suggestion, c'est en plus affirmer qu'on ne reconnaît que le mécanisme psychique, que la suggestion, ce qui est encore plus absurde. Ces deux choses du sommeil sont parties inséparables : l'une d'elle est cause et Vautre effet.
A chaque instant, des faits viennent démontrer la réalité de cette affirmation. Tel est le cas de la malade que nous présentons à la société.
Mlle X..., âgée de 13 ans, a été bien portante jusqu'à il'a trois mois. Elle éprouva subitement une peur profonde qui parut tout d'abord n'avoir exercé qu'une influence légère sur sa santé. Cependant deux jours
après, elle était prise, à une heure du matin, d'accès de somnambulisme dans lesquels elle mimait la scène qui avait provoqué la peur.
Ces accès se sont continués toutes les nuits jusqu'au jour où elle nous fut amenée. Noti'e examen nous révéla l'existence de divers stigmates d'hystérie, en particulier d'une analgésie à la figure, généralisée, mais plus marquée du côté droit. La malade sentait les piqûres, mais n'en éprouvait aucune douleur.
Dès la première visite, nous la plongeons dans l'état d'hypnose par fixation des yeux et suggestion du sommeil. Bile tombe presque immédiatement dans un sommeil profond. Dès qu'elle est hypnotisée, nous constatons : d'abord qu'elle est devenue complètement anesthésique, ensuite, levant en l'air les bras de la malade, nous sommes surpris de constater que le bras gauche soulevé reste en catalepsie, et que le bras droit soulevé retombe lourdement en étal de léthargie. La même constatation est faite pour les membres inférieurs. Le membre inférieur gauche soulevé reste encatalepsie. Le membre droit retombe lourdement en état de léthargie. Après le réveil, qui n'est obtenu que par l'association de la suggestion et de l'acte de souffler avec insistance sur les yeux, la malade revient à l'état antérieur.
Ainsi la même cause, (fixation des yeux et suggestion) a provoqué un état d'hypnotisme différent pour chaque côté du corps, catalepsie à gauche et léthargie à droite.
La constatation de ce fait démontre, avec évidence, la distinction qu'il convient d'établir entre la suggestion cause et l'hypnotisme effet, la même cause pouvant d'une façon simultanée, sans aucune intention de l'expérimentateur, provoquer l'apparition d'un état d'hypnotisme "de degré différent, pour chaque côté corps. La même cause produit en effet de la catalepsie à gauche et de la léthargie à droite.
JURISPRUDENCE MÉDICALE
Exercice illégal de la médecine par les magnétiseurs
MÉDECINE. — EXERCICE ILLÉGAL. — MAGNÉTISME. — MAGNÉTISEUR. — DIPLOME (ABSENCE DE). — PASSES MAGNÉTIQUES. -— LOI DU 30 NOVEMBRE 1892.
Le magnétiseur étant un véritable agent thérapeutique, if s'ensuit que l'individu qui emploie des passes magnétiques pour atténuer ou guérir des maladies se livre à un véritable traitement et commet le délit prévu et puni par l'article 16 de la loi du 30 novembre f 893, s'il est dépourvu de tout titre l'autorisant à exercer la médecine.
(Cour d'appel de Rennes, 6 mars 1901).
La Cour de Rennes était saisie de la question, comme Cour de renvoi, à la suite d'un arrêt de la Cour de cassation, du 29 décembre 1900, cas-
sant un arrêt de la Cour d'Angers du 23 Juillet 1897 (Voir le Droit du 19 janvier 1901).
Après plaidoiries de M" Chesneau (du barreau d'Angers) et Comby (du barreau de Paris), sur les réquisitions de M. Denier, avocat général, la Cour de renvoi a consacré l'opinion qui avait prévalu devant la Cour suprême, dans les termes suivants :
« La Cour,
a Considérant qu'il résulte de la procédure, des débats et des aveux du prévenu Mouroux, qu'il a, dans l'arrondissement d'Angers, au cours des années 1895 et 1896, c'est-à-dire depuis moins de trois ans avant le commencement des poursuites, reçu chez lui ou visité chez eux un 1res grand nombre de malades, et que, sans leur prescrire aucun médicament, il a pratiqué sur leurs personnes, par-dessus leurs vêtements, des passes magnétiques en leur faisant espérer la guérison ou le soulagement de leurs maux ;
« Qu'en agissant ainsi et en répétant, pendant des semaines et quelquefois des mois, sur le même malade, ses passes magnétiques, il avait nécessairement pour but, à moins d'être un vulgaire charlatan ou un véritable escroc; d'atténuer ou de guérir les maladies dont ils souffraient;
a Considérant que le treizième Congrès international de médecine légale a déclaré que le magnétisme est un véritable agent thérapeutique :
a Qu'il suit de là qu'en l'employant comme il vient d'être dit l'inculpé Mouroux, dépourvu de tout titre l'autorisant à exercer la médecine, s'est livré au traitement des maladies ;
« Considérant que la Cour n'a pas à rechercher quelle peut être la valeur du moyen curatif employé ;
« Qu'elle doit se borner à constater qu'il en a été fait habituellement usage ;
COURS ET CONFÉRENCES
Deux cas d'hystéro-traumatisme W
par le M. Professeur Raymond
I
Le cas de cette femme est très intéressant parce qu'il soulève une double question de diagnostic et de responsabilité.
II s'agit d'une femme de chambre âgée de 32 ans. Le 12 décembre 1900, elle est heurtée par une voiture de maitre; elle reçoit le timon dans la poitrine, est renversée et pirouette sur elle-même; une roue lui passe, paraît-il, sur le thorax et sur la jambe gauche. Sur le coup, elle ne perd
fl) Présentations faites a la clinique des maladies du système nerveux à la Sal-pêtrière.
pas connaissance et on la porte chez le pharmacien. Pendant le trajet commence ce que Charcot appelait la période de méditation : cette femme envisage le danger qu'elle a couru,... et elle s'évanouit. Dès qu'elle revient à elle, on la transporte à l'hôpital dans un service de chirurgie. Sa peau, raconte-t-elle, était noire partout où la roue avait passé. Y a-t-il eu fracture de côte ? Ce que nous pouvons savoir, c'est qu'on lui a laissé autour du thorax un appareil inamovible pendant 26 jours. A la suite de son accident, elle a eu des hémoptysies, peut-être traumatiques, mais, peut-être aussi nerveuses. En tous cas, actuellement, l'examen minutieux du cœur et des poumons ne révèle rien d'anormal. Vous voyez qu'elle présente en ce moment un tremblement à oscillations étendues et rapides: mais elle est impressionnable et vibre à propos de rien.
Je la fais marcher devant vous. Vous constatez qu'à gauche elle ne pose à terre que la pointe du pied; la jambe est en extension, le bassin incliné à droite. Il est très difficile d'obtenir la flexion de la jambe, car celle-ci présente au niveau du genou une contracture, qui s'étend jusqu'à la hanche, laquelle se trouve inerte et immobilisée comme le genou. En outre la cuisse gauche est un peu amaigrie : sa circonférence mesure quatre centimètres de moins qu'à droite ; la peau de cette région est. en outre, rouge et froide. S'agit-il d'arthrite ou simplement d'ar-thralgie?
Notez qu'il existe, dans le membre inférieur gauche, et pour tous les modes de sensibilité, une anesthésie totale qui occupe, en forme de botte, la moitié inférieure de la jambe. Toute la moitié gauche du corps, y compris la face, présente del'hypoesthésïe; il existe, en outre, toujours à gauche, un rétrécissement du champ visuel, puis aux faces interne et externe du genou, des points d'hyperesthésie.
Il ne faut donc pas s'en laisser imposer par les troubles trophiques et l'atrophie musc.ulaire. Ce n'est ici que de l'hystérie. Il semble que le genou et la hanche soient très pris; en réalité, il n'y a qu'une contracture des muscles fonctionnels. Cette contracture est causée par la douleur périphérique ou dermalgie.
Quand cette malade guérira-t-elle? Je n'en sais rien. Si l'on mè demande un certificat, je décrirai avec beaucoup de soin les phénomènes qui fondent mon diagnostic d'hystéro-traumatisme. Mais je me garderai bien de rien prédire, quant à la durée de cette affection. Parfois, elle guérit spontanément; mais, d'ordinaire, elle persiste, au moins pendant tout le temps que l'action judiciaire reste pendante: la malade est en effet, sous le coup de cette préoccupation constante : « Obtiendrai-je ou n'obtiendrai-je pas une indemnité ? »
Retenez que des cas de ce genre ont donné lieu à de monstrueuses erreurs de diagnostic: des chirurgiens ont même été jusqu'à pratiquer l'arthrotomie et la désarticulation de la hanche, alors que le traitement doit être, pardessus tout, moral et suggestif.
Cet homme est charretier. II y a 20 mois, il était sur le bord de la Seine, occupé à décharger son tombereau, lorsque son cheval recule, le jette dans une péniche et tombe sur lui. On le porte à un poste de secours. Pendant le trajet, il réfléchit qu'il aurait pu être tué,... et il perd connaissance. Il est anemé ensuite à l'hôpital dans un service de chirurgie où on lui panse la région de la hanche pendant treize jours ; il n'y avait donc vraisemblablement qu'une plaie très superficielle. Mais il ne peut marcher et reste chez lui pendant trois mois, toujours impotent. Un médecin consulté ordonne le massage et l'électricité, sans succès d'ailleurs. On s'avise de faire la radiographie de la région contuse et l'opérateur diagnostique une fracture du bassin. On décide alors de le mettre pendant quarante jours dans un appareil; mais celui-ci est tellement douloureux qu'on doit le retirer tout les quatre ou cinq jours. Sur ces entrefaites, le médecin de l'assurance affirme l'hystérie et considère notre homme comme un simulateur.
Vous le voyez, il a un tremblement généralisé qui date de l'époque du traumatisme et qui s'accroît à la moindre émotion. A droite, l'articulation de la hanche est comme soudée; il existe un creux dans la région rétrotrochantérienne et le pli fessier est descendu. Si j'effleure la peau de ces régions, je constate de l'hyperesthésie ; si, au contraire, j'appuie brusquement et profondément, j'arrive à vaincre la douleur. Donc la douleur a son point de départ dans la peau et non dans les parties sous-jacentes : c'est de la dermalgie. En outre, à cette plaque d'hy-peresthésie au toucher, se superpose une plaque d'hypoesthésie à la piqûre. Cette hypoesthésie s'étend à toute la jambe droite dont les muscles sont même un peu atrophiés.
Chez cet homme il y a immobilisation de la hanche par contracture des muscles fonctionnels. Le bassin, en effet, a été radiographié dans le service : il est absolument intact et ne présente aucun signe de fracture récente ou ancienne; il n'y a pas non plus d'arthrite.
Dans des cas analogues, un triple problème se pose : s'agit-il d'une affection organique, ou d'une affection purement nerveuse, ou de l'association des deux? Pour faire le diagnostic différentiel, nous avons deux moyens : le chloroforme et l'hypnotisme. Si nous chloroformons à fond un malade comme celui-ci, nous parvenons à vaincre les contractures, et, lorsque l'action du chloroforme s'éteint, la douleur revient non parles muscles ou les articulations, mais par la peau, là où la dermalgie avait déjà été constatée. L'hypnotisme de son côté; fournit aussi un excellent moyen de diagnostic, en même temps qu'un agent de curation.
Dans un rapport médico-légal, ne dites pas : « Ce n'est rien, c'est purement hystérique! > Ces malades sont parfois dans l'impossibilité absolue de travailler; ils peuvent rester impotents pendant des années, comme aussi guérir subitement. Mais, jusqu'à ce qu'ils soient guéris, les dommages-intérêts leur sont dûs.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpètrière.
La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 19 mars 1902.
Les séances publiques ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois à 4 heures et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Cours de M. le D' Huchard à Necker. — La méditation sur la vie. — Discours de M. Albert Robin. -- Les réformes de l'enseignement secondaire.
Le 14 février, M. Huchard ouvrait son cours, consacré comme toujours à la thérapeutique. Deux cents personnes au moins, parmi lesquelles un grand nombre de médecins des hôpitaux qui avaient tenu à apporter au maître l'affirmation de leur sympathie, et des médecins de la ville, qui sont toujours assidus aux leçons si pratiques du professeur de l'hôpital Necker.
M. Huchard a traité de la thérapeutique générale et développé le programme des leçons qui vont suivre. Par des exemples bien choisis, il a montré que le médecin pouvait beaucoup de bien ou beaucoup de mal dans le traitement des maladies ; il a surtout insisté sur l'utilité et la nécessité qu'ilyade réagir contre la tendance funeste de l'enseignement officiel au cours des quinze ou vingt dernières années, lequel, comme on l'a dit, faisait de la médecine une longue et navrante méditation sur la mort. M. Huchard, avec un rare bonheur d'expression, a dit que désormais, pour être fécond, l'enseignement devait devenir une méditation sur la vie.
Rendant justice aux idées exposées lors de l'ouverture des Cours de l'Ecole de psychologie par M. Albert Robin, l'orateur a montré qu'il s'attache, lui aussi, à appuyer la thérapeutique sur la physiologie et sur la pathogénie, seul moyen de faire une thérapeutique logique et sérieusement utile.
Après cette remarquable leçon, M. Albert Robin, qui était présent, a fait, dans une improvisation très chaleureuse, ressortir tout ce que la tentative de M. Huchard, de créer un enseignement nouveau dans les hôpitaux, agrandissement de l'idée première de Dujardin-Beaumetz, avait de profondément avantageux pour les élèves, et il a accepté d'apporter sa collaboration au programme de M. Huchard. Celui-ci, en effet, a l'habitude de prier des conférenciers nombreux d'apporter dans son amphithéâtre et pour le plus grand bénéfice de ses audi-
teurs, le fruit de leurs travaux personnels. Cette innovation est certainement excellente, aussi a-t-elle été fort bien accueillie par les auditeurs.
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• ¦»
Nous donnons ici les quelques paroles prononcées par M. Albert Robin :
Mon cher II uchard, Messieurs,
Permettez au collègue qui tient votre œuvre scientifique en légitime admiration, au médecin qui a eu l'occasion d'apprécier à tant de reprises votre haute valeur professionnelle, à l'ami qui vous a voué depuis si longtemps une inaltérable affection que les années, les longues années.dissolvanles, n'ont fait que grandir, permettez, dis-je, de vous exprimer tout l'intérêt avec lequel j'ai écouté — et je suis sûr de n'être démenti par aucun de vos auditeurs, en disant, nous avons écouté — votre magnifique leçon. Voilà de la vraie pratique, voilà de la vraie médecine!
Vous m'avez fait le très grand honneur de citer mon nom parmi ceux des ouvriers de la renaissance thérapeutique qui marquera, je l'espère, l'aurore du siècle actuel : je vous en remercie. Comme vous l'avez dit en une de ces formules lapidaires que vous savez si bien trouver et exprimer: à la méditation sur la mort, qui forme le fond de l'enseignement officiel, il faut substituer la méditation sur la vie ; ne pas faire de la lésion le substratum de la maladie, mais bien la considérer comme une étape, un incident ou un résidu de celle-ci et, par conséquent, ne pas l'attaquer directement, mais traiter le trouble fonctionnel dont elle n'est fréquemment que la conséquence.
Vous ne définissez pas la médecine comme les classiques modernes qui l'appellent l'art de connaître les maladies ; je suis sûr que vous dites: la médecine est l'art de connaître les maladies dans le but deles guérir, rendant ainsi à la thérapeutique, la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Cette thérapeutique, jouet des doctrines, qui n'est plus enseignée à l'Ecole, exclue des concours, même du concours des hôpitaux, qui est à ce point dédaignée que les chirurgiens s'emparent aujourd'hui d'une partie de notre incontestable domaine. Vous continuez à la tenir comme le but suprême de la médecine.
Vous renouez la tradition interrompue des maîtres disparus à qui nous devons le meilleur de notre initiation, de Germain Sée, de Gubler, pour ne citer que les derniers, et c'est pour cela que je m'associe de toutes mes forces aux applaudissements de vos auditeurs. Vous serez applaudi encore par tous ceux qui aiment la médecine, qui demeurent croyants en thérapeutique et qui gardent inscrite dans leur pensée en ineffaçables caractères cette sublime parole du père de la médecine : « C'est une œuvre divine que de guérir les malades, de savoir calmer la souffrance humaine et de garder son cœur ouvert à la pitié. »
_VAdmini&trateur-Gér&nt : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie A. QUELQCKJEU rue Gèrbert, 10.
REVUE DE 4^î!|PN0TISME
EXPÉRIMENTA .EÏfijTIraRAPEUTIQUE
16* Année — ? 10.
Avril 1902.
BULLETIN
l'hypnotisme et la psychologie au Collège de France
M. le professeur Pierre JANET
La chaire de Psychologie expérimentale au Collège de France, vacante par suite de la retraite volontaire de M. le prolcsseur Uibot, vient d'échoir à M. le DT Pierre Janet. Celui-ci avait déjà, pendant plusieurs semestres, suppléé M. Ribot; sa carrière scientifique et ses travaux spéciaux le désignaient plus que tout autre pour cette succession ; aussi sa nomination est-elle universellement approuvée dans le monde philosophique et médical.
Le nouveau professeur du Collège de France n'a que quarante-cinq ans. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, brillant agrégé de philosophie, il va d'abord professer au lycée du Havre. Dans cette ville, il se livre, en compagnie du regretté Dr Gibert, à l'étude des maladies nerveuses, en particulier de l'hystérie et de l'hypnotisme. En 1889, il soutient devant la très libérale Faculté des Lettres de Paris une thèse de doctorat qui fait époque ; l'Automatisme psychologique, en effet, est une œuvre considérable d'érudition, de line analyse et d'expérimentation vraiment scientifique.
Nommé professeur de philosophie dans les lycées de Paris, m. Pierre Janet termine ses études médicales, devient un assidu du service de Charcot et dans sa thèse de doctorat en médecine expose magistralement Y Etat mental des hystériques.
Directeur du Laboratoire de psychologie de la Clinique des maladies nerveuses à la Salpêtrière, il publie, en 1898, en collaboration avec M. le professeur Raymond, Névroses et idées fixes, deux gros volumes bourrés de faits c Uniques, d'observa-
IQ
tions psychologiques, de mesures graphiques et d'applications thérapeutiques de l'hypnotisme.
Nous n'avons pas oublié que M. le professeur Pierre Janet fut un des membres fondateurs de la Société d'hypnologie et l'un des premiers collaborateurs de la Revue de VHypnotisme; il fut, en outre, membre du comité d'organisation du premier Congrès international de l'hypnotisme de 18811. En 1900, les adhérents de notre deuxième Congrès n'eurent qu'à se louer de la bienveillance et de l'affabilité avec lesquelles il leur fit visiter le Laboratoire de psychologie de la Salpêtrière, ainsi que le musée Charcot et leur présenta quelques malades des plus intéressants. Aussi est-ce, pour tous les rédacteurs de cette Revue, un très agréable devoir d'adresser au nouveau professeur du Collège de France les félicitations les plus vives et les plus sincères.
La psychothérapie et la suggestion vigile
Par M. le dr Spehl, professeur à l'Université de Bruxelles
Dans l'enseignement Universitaire on a aussi semblé ignorer jusqu'ici les résultats de la psychothérapie; et pourtant, qu'on le veuille ou non, elle pénètre chaque jour davantage dans la pratique médicale et, dès maintenant, elle y tient une place assurément plus importante que ces innombrables médicaments qui, à côté de quelques moyens et remèdes vraiment sérieux, encombrent de plus en plus la thérapeutique moderne, et dont l'effet curatif est si problématique et le mode d'action plus obscur encore !
Ceci nous remet en mémoire cette boutade d'un vieux professeur, très savant et très distingué, de l'Université de Heidelberg: « qu'un médecin ne devenait réellement fort que lorsqu'il pou-. « vait inscrire sur l'ongle de son pouce tous les médicaments « dont il se servait 1 »
Le thérapeute ne doit pas se borner à nier des faits nettement établis, par ce seul motif qu'ils paraissent extraordinaires, et qu'ils détruisent certaines légendes admises depuis toujours et passées à l'état d'axiomes qu'on ne discute et ne vérifie plus ; l'entêtement et la routine sont absolument contraires au véritable esprit scientifique, et n'empêchent heureusement pas la science de progresser quand même; et, en ce qui concerne
la difficulté d'expliquer certains faits, que l'on veuille bien ne pas oublier que « la plupart des phénomènes naturels sont « plus ou moins inexplicables, et cependant la science ne les nie pas (') ».
Le vrai rôle et le devoir du clinicien consistent, à notre avis, à s'incliner devant les faits bien observés, quels qu'ils soient, mais à chercher en môme temps à les comprendre et à les interpréter le plus logiquement possible, afin de pouvoir les utiliser lui-même pour le plus grand bien des malades ; c'est la tâche que nous nous sommes imposée, sans aucune prétention d'ailleurs, et c'est le résultat de nos observations qui fait l'objet de ce cours. Charcot a dit avec infiniment de raison : « le miracle thérapeutique a son déterminisme, et les « lois qui président à sa genèse et à son évolution commencent « à être suffisamment connues, pour que l'ensemble des « faits qu'on englobe sous ce vocable n'échappent plus à notre « appréciation (*) ».
•
• «
Quant à la méthode que nous avons adoptée dans nos recherches, elle diffère essentiellement de celle qui a été suivie par la plupart de nos devanciers. Ceux-ci ont surtout étudié les phénomènes de la suggestion sur des objets choisis, facilement hypnotisables, bien entraînés, parfois même dressés, peut-on dire, dans un but de démonstration ; puis ils ont trop souvent voulu généraliser ce qui, en définitive, n'avait été constaté que chez quelques malades, très intéressants sans doute, mais absolument exceptionnels. C'est ce que Ton peut appeler l'hypnotisme de laboratoire et certainement il a rendu d'immenses services, car il a été le point de départ de tous les travaux actuels, mais c'est l'opposé de la psychothérapie.
Nous ne nous sommes pas confiné dans l'étude systématique de l'hypnotisme ; nous nous sommes efforcé de faire de la thérapeutique psychique, et nous avons utilisé la suggestion dans le seul but et avec Tunique intention de guérir. Nous, qui sommes le partisan le plus sincère et le plus convaincu de la méthode expérimentale, nous n'avons pourtant soumis aucun de nos patients à une expérience proprement dite, et cela pour plusieurs raisons : d'abord, le médecin ne dispose
(1) L. Büchner. — A l'aurore du siècle..
(2) J. Charcot. — Faith-healing.
pas, à notre avis, du droit d'appliquer la suggestion expérimentale à *ses malades, même avec leur consentement, soit à l'hôpital, soit dans sa clinique, soit dans sa clientèle privée. Ensuite nous pensons qu'en matière de psychologie, il faut être très circonspect" dans l'interprétation de certains phénomènes provoqués de nature essentiellement subjective, et qui n'offrent pas toujours toutes les garanties nécessaires pour .inspirer une conviction complète. Nous citerons comme exemples, les expériences sur la suggestibilité, sur l'hypnoti-sation à distance, sur la suggestion posthypnotique, sur l'extériorisation de la sensibilité, sur le dédoublement de la personnalité, etc.
Dans cet ordre d'idées, et sans vouloir remettre en doute ce qui est définitivement acquis et surabondamment démontré, nous sommes cependant d'avis qu'en général, l'observation d'un fait d'ordre psychique non provoqué expérimentalement, mais surpris pour ainsi dire, et nettement constaté, chez une personne quelconque ne remplissant pas le rôle de « sujet », est plus probante que les résultats artificiellement obtenus, sous le sommeil hypnotique, dans des conditions où l'élément subjectif intervient d'une manière exclusive et échappe à toute vérification comme à tout contrôle.
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Nous avons donc scrupuleusement observé et noté les phénomènes que nous avons eu l'occasion de constater, soit chez des personnes considérées comme normales, soit chez les malades dont le traitement nous a été confié à l'hôpital, ou qui ont réclamé nos soins dans notre pratique privée ; nous les avons ensuite classés et comparés, et de cet examen se sont dégagées un certain nombre de conclusions positives concernant, les unes, la psychologie générale, les autres la psychothérapie proprement dite. Parmi ces dernières, nous en signalerons immédiatement quelques-unes :
1. La suggestion agit très activement dans toutes les maladies quelles qu'elles soient, organiques ou fonctionnelles (maladies infectieuses; affections cardiaques; maladies plus ou moins graves du tube digestif, comme l'ulcère de l'estomac par exemple ; troublés de la nutrition générale, comme la chloro-anémie, le diabète; tuberculose pulmonaire au début; certaines maladies de la peau ; maladies organiques consécutives à une dépression morale; maladies nerveuses centrales ou périphériques, etc.)
2. Le traitement psychique est tl^une efficacité tout à fait remarquable, et donne même souvent des guérisons instantanées et définitives, dans de nombreux cas ayant résisté à tous les autres modes de traitement pendant des mois, parfois pendant des années ; nous citerons parmi les plus fréquents :
a) Troubles de la moiilité; paralysies des membres, paralysies oculaires, mutisme, aphonie nerveuse, bégaiement, parésies, atrophies musculaires fonctionnelles, marche titubante, attaques convulsives hystéro-épileptiques généralisées, convulsions cloniques localisées, tremblements, chorée, tics convulsifs, contractures permanentes, crampes, vomissements incoercibles, hoquet, toux convulsive, rire convulsif, spasmes, etc. ;
b) Troubles de la sensibilité ; névralgies (faciale, stomacale, utérine, ovarienne, vésicale, scrotale, sciatique, intercostale), douleurs fulguran tes eten ceinture du tabès, points douloureux, hyperesthésies, anesthésies, paresthésies, céphalalgies diverses, douleur rétrosternale, sensation de boule et constriction à la gorge, etc. ;
c)Troubles secrétaires; ptyalisme, sécheresse de la bouche et de la gorge, hyperhidrose, anhidrose, crises de larmes, aménorrhée fonctionnelle, ténesme. vesical, incontinence nocturne de l'urine, diabète insipide, diarrhée émotionnelle habituelle, constipations, etc. ;
d) Troubles psychiques ; insomnie persistante, affaiblissement de la volonté, hyperexcitabilité nerveuse, nervosisme, impuissance génitale d'origine psychique, « trac » des artistes, neurasthénie, idées fixes, certaines impulsions, nombreuses obsessions, perte de mémoire, innombrables peurs ou phobies, modifications du caractère, hypochondrie, hallucinations de la sensibilité générale, hallucinations visuelles ou auditives, etc. ;
.e) Autres troubles ; inappétence, boulimie, tendances synco-pales, onychophagie, onanisme, morphinomanic, dipsomanie, certains troubles trophiques de la peau, etc. (').
3. Beaucoup de guérisons attribuées à l'action des médica-
(1) Nous prévoyons que beaucoup de ces. symptômes seront « simplement » attribués à ce que l'on est convenu d'appeler en médecine l'Hystérie ; mais l'étiquette nous importe peu ; le point capital, à noire avis, est de les guérir. Or, tous les médecins savent que les symptômes de l'Hystérie sont souvent plus difficiles à guérir qu'une maladie organique, comme une bronchite ou une fièvre muqueuse, par exemple.
ments ou à d'autres interventions, sont dues en réalité à l'autosuggestion.
4. La suggestion constitue le fond de toute la pédagogie ainsi que de l'orthopédie mentale.
5. Contrairement à l'opinion courante, les individus les moins intelligents sont les moins susceptibles du traitement psychique : de là son peu d'influence sur les idiots, les aliénés proprement dits et les enfants en bas-âge. Inversement, ce sont les sujets les plus intelligents ou les plus compréhensifs qui, toutes choses égales d'ailleurs, offrent le plus de ressources pour le traitement suggestif.
6. Enfin une dernière observation résultant de notre expérience personnelle, et à laquelle nous attachons la plus grande importance, c'est que, contrairement aussi aux idées reçues, le sommeil n'est nullement nécessaire pour obtenir un effet curalif, bien au contraire, c'est la suggestion vigile qui est la plus efficace.
Dans nos premières années de pratique psychothérapique, nous nous sommes conlormé aux principes généralement admis en n'appliquant la suggestion qu'après hypnose préalable; mais bientôt nous avons, pour différents motifs, complètement abandonné celte méthode, et nous sommes revenu à notre point de départ primitif, en n'employant plus que la suggestion à l'état de veille, ou plus exactement à l'état de conscience parfaite. Ce procédé présente un avantage énorme à nos yeux : contrairement à ce qui se passe pour la suggestion hypnotique, le malade a la certitude de ne pas aliéner sa personnalité et, de plus, il sait exactement tout ce qui lui a été suggéré ; or, ceci est toujours une garantie très grande pour lui et aussi pour le médecin.
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A l'appui de notre théorie sur l'influence -de la suggestion à l'état de veille, il nous parait intéressant de reproduire ici ce que pense à ce sujet l'illustre médecin et philosophe allemand Louis Biiehner, auteur de Y Homme selon la science, de Force et Matière, etc., et dont l'opinion, en l'occurence, a une importance toute spéciale. Voici ce qu'il dit dans son dernier travail, paru récemment et intitulé : A l'aurore du siècle:
... « Mais l'adulte lui-même est soumis à la puissance de la « suggestion. Personne n'est mieux pénétré de cette vérité que « les médecins, qui doivent peut-être la moitié de leurs succès
« à la seule suggestion. La seule présence du médecin auprès « du malade opère souvent des miracles. Chacun sait qu'en « prescrivant de l'eau distillée ou des pilules de mie de pain on « peut obtenir tous les effets des médicaments les plus actifs. « Dans ce cas, la suggestion agit même sur les organes de la « vie végétative.
... « Enfin, c'est également par la suggestion que s'expliquent « les guérisons soi-disant miraculeuses obtenues aux lieux de « pèlerinage, et personne ne niera que la suggestion du milieu a ait une grande influence sur les succès remportés dans les « établissements thermaux et autres.
« La puissance de l'imagination peut être assez forte pour « empêcher de ressentir la douleur. C'est ce que montre « l'exemple des martyrs et des fanatiques de toutes les religions « qui supportent des supplices affreux sans marquer la moindre « souffrance.
« Si Ton étudie la suggestion à un point de vue général, « on s'aperçoit que son domaine est illimité et qu'il n'y c a pas un seul de nos actes qui ne lui soit plus ou moins « soumis. »
En ce qui concerne Vinterprétation de ces phénomènes, nous l'avons cherchée uniquement dans la structure anatomique et dans les lois de la physiologie, telles qu'elles sont admises actuellement, car nous estimons avec M. Ernest Solvay, que « les phénomènes de la vie peuvent et doivent s'expli-cc quer par le jeu des seules forces physiques qui régissent « l'univers. »
S'il existe encore des points obscurs, nous pensons qu'ils ne resteront pas éternellement inexpliqués ; tout permet d'espérer, au contraire, que la lumière se fera de plus en plus complète dans le domaine des sciences psychiques, aussi bien que dans tous les autres domaines.
Le mécanisme de la suggestion (')
d'après tes travaux de F. Myers {de Cambridge) par M. Marcel Mangin (Suite et fin)
Quelle peut être l'origine de ces pouvoirs mystérieux ?.....
Quand nous constatons une faculté chez l'homme ou chez les animaux, nous nous demandons ordinairement de quels ancê-
(1) Voir le numéro de mars.
très il a hérité cette faculté, pour répondre à quelle nécessité extérieure elle a été maintenue et développée; pourrions-nous donc trouver dans notre ascendance quelque chose nous rappelant ces pouvoirs intimes modifiant la circulation, accélérant la prolifération des cellules, altérant les phénomènes de formation d'une manière inconnue?
.... C'est un fait général que dans l'homme et les animaux supérieurs, l'accroissement dans le pouvoir de modifier l'action de l'organisme dans son ensemble a toujours paru compensé par une diminution du pouvoir de modifier ses parties internes ou ses éléments constituants. Le pouvoir que l'amibe a de se -transformer elle-même, celui que le ver ou le crabe a de refaire ses organes, s'efface graduellement devant les progrès de la fixité des organismes des mammifères supérieurs.
Mais il serait possible que cette fixité fût plus apparente que réelle. Nous pouvons regarder l'organisme humain comme une agrégation d'organismes primitifs unicellulaires qui ont divisé leurs fonctions et sont devenus plus nombreux pour répondre aux exigences du milieu et ont suivi la marche d'évolution indiquée par leur origine. Il se peut aussi que tous ces processus qui commencent aux mouvements amiboïdes de la cellule primitive, aient été accompagnés par une capacité de retenir les excitations antérieures, une mémoire rudimentaire qui, à l'origine, constituait toute la conscience de nos ancêtres inférieurs. Plus tard, dans le cours de l'évolution, qui tend toujours vers lacom-plexité, les processus primitifs de transformations cellulaires se stéréotypaient par suite d'une longue hérédité, la mémoire de ces changements primitifs devenait subliminale, échappait à l'effort volontaire, disparaissait du champ de la conscience supraliminale.
Mais comment savons-nous si une acquisition psychique est pour toujours perdue? ou même si un souvenir a perdu de sa force parce qu'il n'est plus sous le contrôle de la volonté (') ? Il pourraity avoir des artifices spéciaux pour revivifier les souvenirs primitifs et pour mettre en activité des procédés physiologiques qui peuvent à une certaine époque de notre histoire ancestrale avoir été employés avec intention quoiqu'en aveugle.
(1) Lorsque nous cherchons un nom oublié, aprôï avoir fait des efforts volontaires inutiles, nous savons tous que le mi«ux est de ne plus chercher. Laissons faire la conscience subliminale et tout d'un coup le souvenir ressuscitera. Un des résultais des éludes du soi-disant spiritisme sera la constatation de la richesse inouïe de la mémoire subliminale et de la résurrection possible de souvenirs dont nous n'avons aucune conscience. M.M.
Mais cette hypothèse est-elle assez vaste pour embrasser tous les faits ? Tous les effets de la suggestion hypnotique peuvent-ils s'expliquer par la plus complète résurrection des souvenirs ancestraux, ou bien y a-t-il un point au delà duquel ces analogies ne pourront plus nous servir. Nous avons déjà fait allusion aux changements moraux et psychologiques que la suggestion peut produire. Ils doivent reposer sur une base physiologique, mais cette base implique un cerveau bien développé, un cerveau humain. L'intelligence des centres corticaux qui doit exister quelque part pour rendre possibles ces changements, ne peut vraiment guère avoir été héritée d'ancêtres pré-humains. (C'est ici le point faible de la théorie de M. Myers, comme j'essaierai de le montrer un peu plus loin.) Rien n'est d'un plus .profond intérêt que de voir poindre la possibilité de dégager du labyrinthe cérébral qui représente les goûts et le caractère d'un homme, les processus spéciaux qui arrêtent une tentation, par exemple ceux qui déterminent la réaction de l'organisme contre l'alcool, la morphine, etc.
Des effets moraux se rattachent à ces effets de réaction. (Guérison de l'ivrognerie accompagnée par celle de la kleptomanie. Voir Revue, sept. 1890, Bérillon. Rétablissement des convictions religieuses et de l'habitude de la prière chez une dipsomane. Dr Voisin).
Les victoires remportées par le flr Bérillon et par d'autres sur des défauts d'enfants qu'on aurait pu croire dépendant de conditions trop diffuses et intangibles pour pouvoir être facilement isolées et écartées ont une immense portée philosophique.
J'insiste, continue M. Myers, sur la nécessité d'attribuer de l'intelligence à la faculté qui nous permet d'obtenir de pareils résultats. Les explications qu'on a proposées de ce pouvoir auquel ne semble échapper aucun ox-gane, aucune pensée, sont de trois sortes : 1* l'hypothèse de Mesmer, du fluide passant de l'opérateur au sujet est abandonnée, bien qu'il y ait des preuves importantes d'une influence échappant à nos sens ordinaires, mais elles ne s'appliqueront qu'à certains cas.
2° lleidenham attribuait l'état hypnotique à une inhibition de l'action des cellules ganglionnaires de l'écorce cérébrale produite par une faible excitation continue d'autres nerfs. Dans les cas de fascination, d'imitation, de rigidité, cette théorie
d'un raccourci que prendrait le mouvement nerveux expliquerait comment une action est exécutée en réponse à une suggestion sans que la conscience en ait aucune connaissance ; mais c'est tout, et il s'agit ici, au contraire, d'expliquer le contrôle croissant et profond du cerveau sur l'organisme.
3° Le mot de suggestion est utile pour réunir les faits. Les actions sont exécutées parce qu'elles sont suggérées. La doctrine de Nancy a été nécessaire et efficace comme protestation contre des théories incomplètes, rien de plus.
•C'est donc dans un champ presque débarrassé d'hypothèses que je vous propose la mienne : à savoir qu'un courant de conscience passe au fond de nous en dessous du niveau de la vie ordinaire éveillée et que cette conscience comprend des pouvoirs inconnus dont les phénomènes hypnotiques nous donnent le premier exemple, les indications eparses; pouvoirs exercés quelquefois spontanément ou en exécution de quelque volonté supérieure, mais quelquefois aussi obéissant à une sommation envoyée par le Moi supraliminal. Donc tantôt le Moi subliminal se décide de lui-même; tantôt il obéit à un étranger, tantôt à son compagnon le Moi supraliminal.
[Dans les trois cas il est le pouvoir exécutif. Et si dans des cas morbides et exceptionnels il peut être comme une véritable machine, il n'en est pas moins infiniment probable que d'une manière générale il obéit en connaissance de cause. M. M. En un mot, l'auto-suggestion doit être le type central, et la suggestion extérieure une aide à la croyance du sujet.
On sait qu'un malade qu'on a eu toutes les peines du monde à hypnotiser parce qu'il s'auto-suggérait qu'il ne serait pas guéri, peut devenir capable de s'endormir lui-même sans l'aide du docteur. L'auto-suggestion est et sera de plus en plus enseignée au sujet.
Il ne nous faut donc plus regarder les phénomènes hypnotiques comme quelque chose d'isolé ou d'exceptionnel ; ils rentrent ainsi naturellement dans des lois plus larges dont nous commençons à entrevoir la portée. Ils indiquent une communication entre notre conscience supraliminale et une conscience subliminale douée de pouvoirs encore inconnus. Ils forment un département dans un vaste royaume de communications entre état et état, entre conscience et conscience, entre personnalité et personnalité dans le même individu. Ils ne sont qu'un chapitre dans l'ensemble de notre étude (')• (1) La conscience subliminale.
Avant de terminer, M. Myers essaye d'écarter tout de suite une objection à sa théorie très mystique de l'origine de ces pouvoirs inconnus subliminaux. C'est pourtant seulement au chapitre suivant (le mécanisme du génie) qu'il l'exposera vraiment, cette théorie d'une origine pré-terres/re. Mais il est naturel que dès maintenant il soit gêné par l'objection redoutable tirée de l'obéissance canine—c'est son expression —de ce moi à facultés ultra-humaines. Commentée moi, en qui habite un Dieu, essaye-t-il de se jouer des tours à lui-même quand on le lui dit? La réponse est bien simple, je l'ai indiquée, au commencement de cette étude. M. Myers veut trop généraliser, une théorie générale de la nature humaine n'est pas possible. I! y a entre les individus beaucoup trop de différence pour cela. J'admets avec Myers l'existence d'une conscience subliminale chez tous les hommes, même chez les animaux (du moins ceux qui rêvent), mais, c'est tout. Mais combien y a-t-il de faits psychologiques, qui n'existent que chez certains individus ! Actuellement chez l'individu normal les deux consciences ne sont presque pas dissociables à l'état de veille et souvent le sommeil artificiel hypnotique ne peut s'obtenir même avec la meilleure volontédu monde de la part du sujet. Mais chez celui qu'on appelle d'un mot fort malheureusement emprunté aux spirites, le médium, la dissociation peut aller jusqu'à cetteextré-mité du tour, du très mauvais tour joué à soi-même. Jusqu'au crimepar suggestion? Peut être?Mais ce ne sont pas les crimes de laboratoire qui le prouvent. Car je suis persuadé qu'en ce cas le moi subliminal a conscience qu'il exécute une expérience, et ce qui le prouverait c'est la peine beaucoup plus grande qu'éprouve l'opérateur à faire exécuter au sujet une simple inconvenance, comme d'ôter ses souliers en public. Du reste, ces expériences absolument dangereuses et immorales doivent être abandonnées. On se rappelle l'histoire de ce jeune homme devenu voleur et condamné à la prison malgré toutes les instances du docteur, son hypnotiseur.
Quant à la théorie de l'évolution, indiscutée maintenant, et que M. Myers accepte malgré son mysticisme, c'est la forcer au point de la fausser, que de dire comme il le fait: « Tous nos progrès ont été un lent développement des capacités d'un premier germe. » Non! mille fois non ! le premier germe ne contient pas du tout les capacités de l'être qui lui succédera après des milliards de siècles. Aucun des mollusques de l'âge des mollusques ne contenait le germe du génie de Beethoven,
ni même celui du génie d'Inaudi. « Chaque sens qui s'est développé, continue M. Myers, chaque faculté qui a été acquise, n'a été qu'une entrée en puissance de tout ce qui s'était déjà accumulé dans cette trésorerie préhistorique. » C'est là, je le répète, fausser la théorie de l'Evolution, c'est oublier l'importance énorme de l'influence du milieu, et celle de la sélection naturelle. La nature, dans l'être vivant, a des poussées dans toutes sortes de directions, fait des essais de tous genres qui avortentou qui réussissentsuivant les influences ambiantes. Il y a des organes rudimentaires qui ne servent à rien, sinon à montrer une unité du plan.
Et maintenant pourquoi donc l'évolution serait-elle arrêtée? Ce qui résume le mieux la marche des phénomènes, l'évolution, c'est, comme l'a montré Spencer, le passage de l'homogène à l'hétérogène, du simple au compliqué, c'est la multiplication croissante des rapports des choses et ensuite des êtres vivants entre eux. Chacune de nos inventions nouvelles est un pas en ce sens comme l'a été chacun des progrès faits dans la formation des organismes vivants.
Si ce sont les sens et les facultés que nous considérons particulièrement, nous en comprendrons le développement de la même manière et nous n'irons pas leur chercher une origine pré-terrestre. Là aussi nous trouverons que le progrès consiste dans une multiplication croissante des actions réciproques et des intercommunications. A coté des cinq sens connus nous en verrons poindre un nouveau, celui des somnambules lucides, la vue à distance, à côté des facultés connues nous commençons â en voir de nouvelles qui, comme la télesthésie, la télékinésie rendront le successeur de l'homme aussi supérieur à l'homme que celui-ci l'est aux animaux.
.....Mais laissons là ces rêves de grandeur et pour le
moment reproduisons simplement les quelques lignes par lesquelles termine M. Myers et qui nous paraissent, cette fois, la vérité même « Et ces expériences hypnotiques avec toute leur étrangeté et leurs côtés grotesques, conduisent au même but : elles nous enseignent l'existence d'une puissance cachée; elles nous apprennent qu'en se respectant soi-même, en se connaissant, en se contrôlant, l'homme peut devenir le maître de son propre esprit et l'artisan de sa destinée. »
Séance du mardi U Janvier 1902. — Présidence de M. Juies Voisix.
Sensibilité et hypnotisme chez les hystéro-épileptiques
. par le Dr Paul Magnin, professeur à l'Ecole de Psychologie.
Dans l'avant-dernicre séance, M. Bérillon vous a présenté une petite malade atteinte de grande hystérie, à propos de laquelle j'avais fait quelques remarques qui, pour des raisons matérielles, n'ont pu paraître au compte rendu. Je vous demande la permission de les reprendre sous forme de communication.
Vous avez vu sur cette malade deux états de l'hypnose, différents pour chaque côté du corps, produits simultanément sous l'influence d'une même cause : fixation des yeux et suggestion.
Le côté droit de la malade était en léthargie, le côté gauche en catalepsie.
Or, un examen antérieur à l'hypnotisation avait permis de constater une analgésie généralisée, mais toutefois beaucoup plus marquée du côté droit.
Ge cas est une confirmation de plus des faits que nous avons si souvent constatés à la Pitié, Dumontpallier, Bérillon et moi.
Les excitations périphériques les plus diverses peuvent, chezl'hystéro-épileptiquc en état d'opportunité, déterminer la production des phénomènes hypnotiques. Telle est le plus souvent la facilité avec laquelle la sommation s'établit qu'on doit en somme considérer la sensibilité hypno-gënique comme un des symptômes de la grande hystérie.
Toutefois, certaines conditions ont une influence marquée sur la production plus ou moins rapide des diverses périodes du sommeil provoqué, sur le développement plus ou moins complet des phénomènes qui les caractérisent.
Il nous semble tout particulièrement légitime]d'admettro que, dans l'hystéro-épilepsic, les troubles sensitifs suivent une marche parallèle à celle de la névrose elle-même. Leur intensité, leur étendue sont en rapport avec le degré de l'affection qu'ils accompagnent pas à pas dans toutes ses phases, en rapport avec l'état des centres encéphaliques.
Aussi l'examen de la sensibilité du sujet avant l'expérience présente-t—il un intérêt tout particulier.
Soit un malade totalement hémianesthésique, dont la sensibilité (générale et spéciale) est, sur un côté du corps, complètement éteinte dans tous ses modes : les divers proc'édés hypnogéniques n'auront d'action qu'à la condition de porter sur les organes ou les régions de la peau sensibles ; ces mêmes procédés seront sans effet s'ils portent sur les organes ou les régions de la peau anesthésiques. Les phénomènes pro-
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duits n'intcressentdansce cas que le côté primitivementsensible;lec6té anesthésique reste, au contraire, en l'état. Il y a hypnose unilatérale.
Remarquons cependant qu'on peut réussir quelquefois (au bout d'un temps très variable) à endormir le sujet en s'adressant à son côté anes-thésique. Cela tient à ce fait que j'ai montré, il y a bien longtemps déjà, à savoir qu'on peut obtenir des effets œsthésiogènes en se servant d'excitations mécaniques faibles et répétées. En y regardant de près, on s'aperçoit que le sommeil ne survient qu'après réapparition de la sensibilité.
Dans le cas où la sensibilitépcut être, par un procédé quelconque, transférée d'un côté à l'autre du corps, les phénomènes hypnotiques sont eux-mêmes transférés du côté devenu sensible, tandis qu'ils cessent d'exister du côté devenu insensible.
Les expériences sont démonstratives encore lorsqu'on ramène expérimentalement et d'une façon passagère seulement la sensibilité tant générale que spéciale des deux côtés du corps. Dans ces conditions, les états somnambulique, cataleptique, léthargique peuvent être produits des deux côtés. Toutefois, les phénomènes qui caractérisent les phases du sommeil provoqué se montrent à un degré moins accusé que dans les expériences d'hypnose hémilatérale. Or. dans les conditions que nous venons de dire, la sensibilité ramenée momentanément des deux côtés du corps est affaiblie ou plutôt moindre qu'elle n'était lorsqu'elle n'occupait qu'une des moitiés du sujet.
Dans le cas où l'état de la sensibilité est différent pour chaque côté du corps, les phénomènes de l'hypnose offrent, pour chacun de ces côtés, un développement en rapport avec l'état de la sensibilité. II se produit alors, le plus généralement, deux états différents et simultanés sous l'influence de la môme excitation périphérique. L'une des moitiés du corps, celle dont la sensibilité est la plus marquée avant l'expérience, se trouve placée dans un état plus profond, plus complet, dans un degré plus avancé du sommeil provoqué. C'est précisément ce que vous avez constaté chez notre petite malade. ,
En résumé, la facilité de production des différentes périodes de l'hypnotisme, l'intensité des phénomènes qui les caractérisent dépendent de' l'état de la sensibilité (générale et spéciale). Elles lui sont en quelque sorte proportionnelles.
Mais l'état de la sensibilité ne fait que traduire au dehors l'état de fonctionnement des hémisphères cérébraux. On peut donc dire, en somme, que les résultats obtenus sont en rapport, pour chaque côté du corps, avec le degré d'activité de l'hémisphère cérébral qui commande à ce côté.
Et cela est si viai que, sans avoir examiné la sensibilité du sujet avant l'expérience, on peut, presqu'à coup sûr, juger de son état d'après le degré et l'intensité des phénomènes obtenus.
Chez les hystéro-épileptiques et, d'une façon plus générale, chezles hystériques, on constate toujours, en y regardant de près, une asynergie
plus ou moins grande de fonctionnement des hémisphères cérébraux, asynergie si marquée qu'elle nous semble être la caractéristique psychique principale de la maladie.
Tous les faits que nous avons observés, Bcrillon et moi, depuis plus de vingt ans n'ont fait que nous confirmer dans cette façon de voir.
Quoi qu'il en soit, chez les nombreuses malades que nous avons eu l'occasion d'examiner, nous n'avonsjamais réussi à provoquer l'hypnose qu'autant que leur sensibilité (générale et spéciale) n'était pas intacte dans tous ses modes. Nos tentatives ont toujours échoué lorsque les troubles dont il s'agit avaient disparu d'une façon complète et durable sous l'influence d'un traitement approprié.
Il suit de là que les modificateurs périphériques susceptibles de ramener la sensibilité seront, de ce fait, capables de déterminer le réveil et partant d'empêcher tout phénomène hypnotique.
Nous avons, il y a près de vingt ans, insisté à diverses reprises sur l'intérêt majeur que présente l'étude de la sensibilité dans l'hystérie et l'hypnotisme. Dans son enseignement, à la Pitié, Dumontpallierne manquait jamais de proclamer que le critérium de la guérison de l'hystérie résidait dans le retour complet et durable de la sensibilité (générale et spéciale) dans tous pes modes.
L'idée d'ailleurs n'était pas neuve et un homme qui connaissait à fond toutes les questions se rattachant à l'hystérie et dont je m'honore d'avoir été l'élève, Burq, l'avait parfaitement développée, il y a bien longtemps.
c II n'y a peut-être pas, dans toute la pathologie, écrit-il, un autre
symptôme qui ait autant de valeur que l'aneslhésie et l'amyosthénie.....
Elles n'existent jamais impunément, suivent la névrose dans toutes ses phases, augmentent ou diminuent avec elle dans la môme proportion, disparaissent seulement avec son dernier signe et ne restent absentes que tout le temps que dure la guérison. Il y a, sous ce rapport, aussi bien que sous celui des renseignements et des indications de toute sorte dont il est la source, tant de ressemblance entre ce symptôme et le pouls dans l'inflammation, que nous n'hésitons pas à le regarder métaphoriquement comme le véritable pouls de l'hystérie, qu'un médecin doit tout aussi souvent tâter que l'autre. Les renseignements qu'il fournit sur la névrose sont d'une grande exactitude et autrement précieux que ceux qui résultent des réponses des malades.
Ainsi, l'anesthésie et l'amyosthénie ont-elles augmenté, qu'on s'attende
à une explosion- plus forte des accidents.....Tout moyen, qu'il soit tiré
de la thérapeutique proprement dite, de l'hygiène ou d'ailleurs, doit, pour guérir la névrose, avoir une action certaine sur la sensibilité et la
motilité.....Tout le traitement consiste donc à trouver un agent ou un
moyen, quel qu'il soit, qui soit capable de ramener ces deux fonctions à l'état normal. »
Tout métaphorique que soit parfois le langage de lîurq, il nous parait être, aujourd'hui encore, l'expression exacte de la vérité.
Constipation opiniâtre et suggestion hypnotique
Par M. le Dr Paul Farez, professeur à l'Ecole de Psychologie.
Je désire vous dire quelques mots d'un tout petit incident survenu, il y a quelques semaines, dans ma clientèle; il me parait intéressant parce qu'il apporte une contribution à la question si débattue de la résistance aux suggestions.
Il s'agit d'une femme âgée de 35 ans. C'est une hystérique qui a eu, jadis, de nombreuses crises convulsives et la plupart des troubles de la grande névrose. Les crises convulsives ont tout à fait disparu depuis plusieurs années; la malade ne perd plus jamais connaissance, mais elle présente, de loin en loin, des troubles cutanés périphériques, à la fois sensitifs et vaso-moteurs, avec modification de l'état mental. Toutes les fois que, pour une cause ou pour une autre, ces accidents réapparaissent, elle m'appelle auprès d'elle ou vient me voir et, après quelques séances de suggestion hypnotique, tout rentre dans l'ordre pour un certain nombre de mois.
Tout dernièrement, clic vient me voir de nouveau. Je constate, de ci, de là, des plaques d'anesthésie, d'autres d'hyperesthésie, des lopoal-gies, de l'œdème nerveux et quelques idées fixes. Je recours, celte fois encore, à la suggestion hypnotique et un mieux appréciable se fait sentir dès la première séance. Comme elle se plaint de constipation opiniâtre, je lui recommande de se soumettre à ce traitement qui donne de si remarquables et de si durables effets, à savoir la douche rectale froide, prise quotidiennement à une très faible pression, dans la position horizontale avec une grande canule de caoutchouc rouge et le bock à injection.
Quand elle me revient, quelques jours après, cette malade me raconte qu'il lui est impossible de faire entrer la canule ; si celle-ci parvient à pénétrer de deux ou trois centimètres, c'est l'eau qui ne peut pas trouver domicile dans l'intestin et reste stalionnaire dans le bock. J'apprends alors, ce qu'on ne m'avait pas encore révélé, que, depuis plusieurs semaines, les rares matières qui sortent du rectum affectent la forme rubanée, comme si elles passaient à travers un laminoir. Il s'agit donc, non pas de la constipation ordinaire, chronique, par atonie intestinale et parésie de la fibre musculaire lisse de l'intestin, mais d'une névrose intestinale, consistant en une sorte de spasme du sphincter de l'anus, peut-être avec contracture plus ou moins marquée du rectum.
Comme cette malade s'endort très facilement et réalise, à la lettre, toutes les suggestions qu'on lui fait pendant son sommeil hypnotique, je songe à régulariser ses évacuations alvines à l'aide de la suggestion. En effet, après l'avoir hypnotisée, je lui parle en cesjermes :
* Tout à l'heure, dès que je vous aurai réveillée, vous éprouverez un très violent besoin d'aller à la garde-robe. Vous me demanderez de vous faire conduire aux cabinets et vous y ferez une selle très abon-
dante. Il n'y aura plus aucun spasme, aucune contraction ; les parois intestinales seront bien lubrifiées; les matières passeront sans peine, elles seront copieuses et bien moulées... »
Ce n'est pas tout. Je suis fort désireux de pouvoir contrôler si ma suggestion s'est réalisée jusqu'au bout. Aussi, comme rien de ce qui est médical n'est vil pour le médecin, j'ajoute ceci : « Je veux m'assurer que vous avez bien exécuté ma suggestion ; je veux voir par moi-même si vos matières sont bien moulées et non plus laminées, si elles sont en outre satisfaisantes comme quantité, comme couleur, comme consistance, etc. Vous aurez donc soin, après avoir terminé, de ne point faire manœuvrer le système du tout à l'égout. »
Cela fait, je réveille ma malade. Celle-ci remet son chapeau en toute hâte et, avec une précipitation qui ne lui est point coutumière : « Vite, vite, dit-elle à son mari, allons-nous-en ! »
Je les reconduis tous deux jusqu'à la porte, tout en disant à la malade : « Qu'avez-vous donc ? Vous ne paraissez pas dans votre état normal !
— Mais, je n'ai rien, rien du tout... Allons-nous-en vite, répète-elle à son mari ! »
Comme elle est tout chose et qu'elle a l'air de trépigner, j'insiste. Ne" sachant pas exactement ce qui se passe en elle, j'essaie, comme on dit, de lui tendre la perche :
— N'auriez-vous pas, par hasard, besoin d'aller aux cabinets?... Ne vous gênez pas du tout ; venez, je vais vous y faire conduire...
— Non, non, pas du tout, réplique-t-elle. Sur ce, elle entraîne vivement son mari et descend l'escalier en courant.
Je suis un peu interloqué. Ma suggestion a-t-elle donc complètement échoué ? Mais alors, pourquoi ce souci de me quitter si précipitamment? . Après tout, me dis-je, j'en aurai le cœur net à mon prochain jour de consultation.
Le surlendemaïn^elle ne parait point, — pas plus qu'aux deux consultations suivantes. Enfin je la revois avec sOn mari qui me dit : « Elle ne voulait plus revenir et j'ai eu beaucoup de mal à l'amener. »
— Pourquoi donc n'étes-vous pas venue comme ¡1 avait été décidé? Je la vois un peu troublée et pas du tout confiante, ni docile comme
à l'habitude.
— Allons, parlez-moi franchement. Vous avez quelque chose sur le cœur ? N'hésitez pas et dites-le carrément !
— Eh bien, voilà, reprend-elle. En sortant de chez vous, l'autre jour, j'ai été prise d'une telle envie d'aller à la garde-robe, que j'ai dû vous quitter en toute hâte. J'ai été ridicule et cela m'a vexée. Or j'avais peur, si je revenais vous voir, de me retrouver dans le même état et surtout d'être obligée de vous demander les cabinets.
— A ce propos, que devient votre constipation?
— Oh ! pour ça, je su,is enchantée ^je ne sais pas comment s'est opéré ce changement, mais mes matières sont moulées, la canule entre sans
difficulté, l'eau du lavement pénètre bien, j'ai maintenant tous les matins une belle garde-robe facile et abondante.
— Ce pressant besoin d'aller aux cabinets, c'est moi qui vous l'avais suggéré pendant votre sommeil hypnotique. Cette suggestion a puissamment agi sur vous et nous devons nous en féliciter puisque maintenant votre constipation est vaincue et l'exonération quotidienne rétablie.
Nous faisons alors la paix. Maintenant qu'elle a compris, non seulement elle n'a plus d'appréhension, mais elle me remercie vivement.
Il me reste toutefois à éclaircir quelques points que je ne me suis pas encore expliqués. Je compte le faire pendant Je sommeil hypnotique.
Une fois endormie, ma malade retrouve facilement, sur ma sollicitation expresse', le souvenir de ce qui s'est passé pendant son précédent sommeil hypnotique. Je poursuis alors mes investigations :
— Vous rappelez-vous la suggestion que je vous ai faite?
— Mais certainement et elle a joliment réussi, car, une fois réveillée, j'ai été prise d'une envie extrêmement violente...
— Pourquoi, alors, n'étes-vous pas allée aux cabinets avant de sortir?
— C'est que ça m'aurait ennuyé de vous le demander. Toute ma vie, -j'ai eu horreur de parler de ces choses-là, surtout à un homme, comme
- aussi d'aller aux cabinets ailleurs que chez moi. Dans votre suggestion, ce qui surtout m'a révoltée, c'est que vous m'avez enjoint de ne pas faire fonctionner le tout à l'égout.
— Cependant, je vous avais prescrit formellement de me demander, une fois éveillée, de vous faire conduire...
— C'est vrai ; mais, au moment où vous me donniez cet ordre, je me suis dit en moi-même : « Non, non, je n'obéirai pas ! »
— Bien. Alors racontez-moi ce qui s'est passé quand vous m'avez quitté si précipitamment.
— Voilà. Le violent besoin que j'éprouvais m'avait mise en sueur. J'ai descendu votre escalier quatre à quatre. Une fois dans la rue, j'ai cherché si je voyais un café. J'y suis entrée, j'ai demandé les cabinets et je m'y suis installée. Or, cet endroit était si malpropre, si mal tenu, que j'en ai été dégoûtée, et je suis sortie sans m'ôtre exonérée. J'ai pu regagner mon domicile sans être trop tourmentée ; mais, deux fois le soir même, trois fois le lendemain, j'ai eu d'abondantes débâcles. J'étais stupéfaite, car je ne me serais jamais figurée qu'une aussi grande quantité de matières pouvait s'accumuler dans mon intestin.
Depuis lors, cette dame va à la selle quotidiennement et supporte très bien sa douche rectale.
¦
J'ai rapporté fidèlement ce fait, non point pour prouver que la suggestion hypnotique peut influencer une fonction de la vie végétative, comme, par exemple, la défécation ; cela est bien connu et n'a plus besoin d'être démontré. Mais, tel qu'il s'est passé, ce fait équivaut à une véritable expérience et me parait provoquer plusieurs réflexions.
Lorsqu'une suggestion se heurte à une idée préconçue, à un senti-
ment tenace, à une crainte, une appréhension, une répugnance, etc., le sujet peut trouver en lui assez de force de résistance pour ne point subir ladite suggestion.
Dans la circonstance, j'estime que j'aurais obtenu un résultat complet sî, au lieu de faire une suggestion à échéance, c'est-à-dire réalisable au moment du réveil, j'avais envoyé cette malade aux cabinets pendant son sommeil hypnotique.
hia suggestion se serait surtout réalisée, à ce qu'il me semble, si, pendant que cette malade dormait, je lui avais commenté mes exigences, si j'avais fait une sorte de plaidoyer, si j'avais gagné son adhésion et obtenu son consentement formel. En général, il ne suffit pas d'intimer un ordre ; cet ordre doit être appuyé de raisons. Pour le cas actuel, j'avais omis ce point parce que cette malade m'avait habitué à une obéissance parfaite.
D'autre part, l'amnésie au réveil est quelquefois regrettable. Le sujet ne connaît point la cause de l'état spécial dans lequel l'a mis la suggestion ; il se torture pour se l'expliquer et il trouve des explications baroques ou fantaisistes. Ici, il eût été bon de suspendre l'amnésie au moins pour ce qui concernait mes exigences expresses.
Enfin, au point de vue psychologique, ce fait apporte une preuve nouvelle de l'influence du moral sur le physique, puisqu'un sentiment de dégoût a pu inhiber ou, tout au moins, retarder un besoin fonctionnel très impérieux.
ÉTUDES PSYCHIQUES
L'antévision, par M. Martial VerGnollb
Au nombre des manifestations cérébrales dont l'étude passionne aujourd'hui de nombreux chercheurs et qui constitue, pour ainsi dire, une science nouvelle, il en est une, observée sur des sujets à l'étal de' veille, et qui doit peut-être à sa banalité de n'avoir pas attiré plutôt l'attention des psychologues.
Décrivons-la tout d'abord à l'aide d'un exemple :
Vous êtes dans une rue.
Tout a coup vous apercevez, à distance, quelqu'un dont l'allure, la démarche, les traits même vous paraissent familiers et vous dites : ¦> Tiens, voilà M. X... »
Vous vous approchez, ce n'est pas lui....
Vous continuez à marcher et, à quelques minutes do là vous voyez, vous rencontre^, à ne pas vous y tromper cette fois, le personnage que vous avîej cru voir au début.
Cette description se rapporte à la forme typique de cette manifestation qui peut aussi se présenter avec quelques variantes ne modifiant d'ailleurs pas sa nature.
Ainsi la sensation peut se présenter brusquement à l'esprit sans avoir pour objet un passant. Dans ce cas elle reste purement intellectuelle et ne se matérialise pas.
Ou encore, la personne que vous allez rencontrer vous est plus ou moins connue ; mais vous la connaissez au moins de visu. Par contre vous pouvez lui être complètement étranger.
Enfin il convient évidemment d'écarter de la question le cas où la rencontre serait préparée et où elle aurait quelque raison de se produire. Pour le phénomène qui nous occupe, elle est toujours fortuite.
Bien que le nombre des sujets qui ont éprouvé cette manifestation soit considérable, elle n'a pas été étudiée, croyons-nous, d'une façon spéciale.
Camille Flammarion, dans son très intéressant ouvrage : l'Ineonnuet les problèmes psychiques, au chapitre : L'action psychique d'un esprit sur un autre, en relate quelques observations. C'est même à l'une d'elles que nous empruntons textuellement l'exemple reproduit plus haut. Mais ces observations se trouvent mélangées à des faits, dont il importe de les distinguer et toutes les manifestations décrites dans ce chapitre sont considérées à un point de vue unique.
Selon nous, voici leurs traits dîstinctifs :
Lorsqu'il s'agit d'avertissements, de perceptions subjectives, de divination accidentelle et isolée de pensée ('), de pressentiment, de sensations diverses, les sujets intéressés se trouvent, au moment où le phénomène. se produit, en rapport conscient. Il y a entre eux échange d'impression. Ils sont, en un mot, tous les deux actifs. Alors que, dans la manifesta-lion que nous étudions spécialement ici, on peut toujours distinguer un sujet actif et l'autre passif, absolument inconscient de la sensation qu'il provoque.
La fréquence même de cette manifestation et la constance de sa forme viennent encore le différencier des diverses télépathies auxquelles on l'a assimilée.
Pour distinguer ce phénomène, que Flammarion appelle vue à distance, nous proposons le mot antévision, qui, croyons-nous, le détinit plus exactement.
Recherchons maintenant à quelle cause il peut être attribué.
L'auteur précité émet l'hypothèse suivante pour expliquer les « communications à distance entre vivants » :
Tout être vivant est un foyer dynamique. La pensée elle-même est un acte dynamique. Il n'y a aucune pensée sans vibration corrélative du cerveau. Qu'y a-t-il d'extraordinaire à ce que ce mouvement se transmette à une certaine distance, comme dans le cas du téléphone ou même encore du photophone et de la télégraphie sans fils ?
(1) C'est à dessein que nous soulignons : accidentelle et isolée car les prétendus liseurs de pensées qui opèrent en public ne sont autres que des sensilifs guidés par les contractions fibnllaires du « penseur a. Il faut aussi remarquer que ce dernier doit être en coniact permanent avec l'opérateur. Les observations que M. le docteur Paul Parez, professeur à l'école de psychologie, vient de présenter à la Société d'hyp-nologle, ne laissent aucun doute sur la façon dont s'exerce celte prétendue faculté.
Des opinions conformes à cette hypothèse avaient déjà été exprimées :
La plupart des somnambules, dit Deleuze (Histoire du magnétisme animal, 1813) voient un fluide lumineux et brillant environner leur magnétiseur et sortir avec plus de force de sa tête et de ses mains...
Plus tard, les docteurs Despinc et Charpignon pensèrent, à la suite de quelques expériences, que quelques somnambules percevaient les radiations électriques et même les effluves qui s'échappent de quelques corps.
Vers la même époque, le baron de Reichembach affirma que l'état somnambulique n'était pas nécessaire pour déterminer la perception des sensations lumineuses et qu'elle se produisait, chez certaines personnes après un séjour prolongé dans l'obscurité complète.
Plus près de nous, les expériences du colonel de Rochas l'ont porté à admettre que le corps humain émet un fluide et que ce fluide, dont la nature nous est inconnue, se projette à distance, s'extériorise.
Pour nous, l'hypothèse de Flammarion explique parfaitement la plupart des manifestations dont il a recueilli des observations aussi nombreuses que variées.
Mais cette hypothèse parait inapplicable à l'antévision, voici pourquoi :
Nous avons dit plus haut que, des deux sujets intéressés par le phénomène, un seul était actif : celui qui possédait le don de voir à distance. Xous l'appellerons Vantèvoyant. L'autre, Y&ntêvu, n'a jamais conscience de la sensation qu'il provoque et, déplus, l'antévoyant peut lui être complètement inconnu. On ne peut admettre alors que la pensée de l'antévu rayonne vers l'antévoyant pour déterminer chez celui-ci une sensation visuelle subjective. On ne peut admettre davantage qu'au moment de la vision les vibrations cérébrales de l'antévoyant et celles de l'antévu soient synchroniques, parce qu'alors l'antévu serait, lui aussi antévoyant, et la sensation deviendrait réciproque, alors que les observations recueillies établissent qu'un seul des deux sujets l'aperçoit.
Ajoutons que l'hypothèse de Flammarion pourrait cependant s'appliquer à ce cas d'antévision réciproque, évidemment possible, quoique inobservé. Les deux sujets se trouveraient alors respectivement dans le même état psychique et éprouveraient simultanémentla même sensation.
Cherchons la cause de l'antévision dans d'autres états cérébraux définis.
Est-ce purement un effet de l'imagination ? On pourrait le supposer apriori ; mais comment expliquer que la vue d'une personne évoque l'image d'une autre qui, le plus souvent, ne lui ressemble nullement?
Taine et avant lui Gratiolet ont établi, à l'aide de nombreuses observations, que la simultanéité entre la sensation d'un objet présent, clairement et distinctement aperçu, et le renouvellement spontané d'une sensation antécédente estd'autant moins possible que ces deux images, matérielle et intellectuelle, sont plus différentes.
Serait-ce une illusion visuelle en considérant, comme dans le cas précédent, la matérialisation de l'image ?
Non, ce n'est pas une illusion proprement dite puisque l'appréciation erronée subsiste à peine quelques secondes et que la rectification se produit presque aussitôt.
On ne peut admettre davantage, l'hallucination qui, en dehors des psychoses confirmées ou de certaines intoxications ne se produit que dans quelques élats cérébraux transitoires qu'il est aisé de mettre en lumière. Or, la plupart des antévoyants, que nous connaissons n'ont jamais rien présenté d'anormal au point de vue cérébral ou nerveux. '
Enfin ce qui distingue essentiellement l'antévision de ces divers états, c'est que l'image réelle suit toujours, à courte échéance, la vision subjective.
Si, d'autre part, nous considérons le cas où l'image de l'antévu reste purement intellectuelle et ne se matérialise pas sur un personnage quel* conque, on ne peut alléguer que le fait de passer à un endroit ou de se trouver en un lieu où vous avez rencontré telle personne suffise pour évoquer son souvenir lorsque vous êtes certain de n'avoir jamais vu cette personne en pareil lieu et qu'enfin ce souvenir, existât-il, ne pourrait amener la présence réelle.
On ne peut raisonnablement avancer que l'antévoyant voit à travers les obstacles, attendu que cette faculté, encore fortement contestée, n'aurait été observée que chez certains sujets en état d'hypnose. D'ailleurs, dans l'antévision, le phénomène est toujours limité à une seule personne alors que, si l'antévoyant était doué d'hyperopie, il percevrait en même temps tout ce qui se trouverait dans son champ visuel. En admettant l'hyperopie comme cause unique, le phénomène serait inexplicable au moyen de la théorie actuelle de la vision.
A quoi donc attribuer l'antévision ?
Nous hasarderons, à défaut d'autre explication, la suivante qui exige deux conditions :
Le rayonnement émispar l'antévu irait impressionner le cerveau de l'antévoyant, qui se trouverait a ce moment dans un état favorable, et y réveillerait une image déjk reçue.
Ce rayonnement provoquerait, en somme la réminiscence d'une physionomie connue.
Il faut admettre en premier lieu cette réceptivité accidentellement favorable du cerveau de l'antévoyant pour expliquer que celui-ci n'anté-voie pas toutes les personnes qui lui sont connues et qu'il rencontre. La cause de réceptivité nous échappe comme, du reste, celle de la plupart des états psychiques anormaux et transitoires dont la constatation s'impose néanmoins.
Comme deuxième condition, il faut que l'antévoyant connaisse au moins « visuellement » l'antévu. Il est indispensable qu'à un moment ses centres nerveux aient reçu l'impression de cette image qu'ils ten-
dront dès lors ù reproduire et qui ne s'effacera qu'après un temps plus ou moins long.
A défaut de cette condition, et en ne retenant que la première, l'an té-voyant pourrait voir subjectivement toute personne qui se distinguerait par quelque particularité mais qui lui serait inconnue. Des faits d'anté-vision qui n'auraient pas réuni ces deux conditions n'ont d'ailleurs jamais été observés.
Mais ce n'est là qu'une hypothèse assurëmentimparfaite, hâtons-nous de le reconnaître. Dans celte courte étude nous avons moins cherché à expliquer l'antévision qu'à en définir les caractères propres et à l'isoler d'autres manifestations cérébrales avec lesquelles elle n'a que peu d'analogie.
Espérons que l'étude des phénomènes télépathiques viendra bientôt éclairer ces faits étranges en découvrant le procédé qui, plus satisfaisant que toutes les théories, permettra leur reproduction expérimentale.
COURS ET CONFÉRENCES
Amnésie rétro-an térograde et intoxication par l'oxyde
de carbone (')
Par M. le professeur Raymond
Voici un malade au sujet duquel on pourrait faire une grosse erreur •de diagnostic, si l'on n'y prenait pas garde. z . C'est un homme âgé de 35 ans ; jusqu'à il y a quelques mois, mécanicien de chemin de fer, il s'est acquitté de son travail à la satisfaction générale; il s'est marié et a eu une excellente conduite ; il ne présente pas d'hérédité pathologique, à proprement parler ; il buvait un peu de cognac et d'amer Picon, mais sans excès; il a toujours été un peu triste et emporté.
II y a deux ans, à la suite d'un accident, il a l'arcade zygomatique gauche fracturée ; il en guérit assez vite, reprend son métier et ne présente aucun trouble notable apparent. II y a quelques mois, il rentre chez lui vers six heures du soir, dine, puis se met à écrire;sa femme vient regarder au-dessus de son épaule -et lit: « Ma chère Jeanne, tu m'abandonnes .... » Mais alors, il a donc une liaison en ville !
Notre homme sort, va mettre sa lettre à la poste, revient chez lui et dit à sa lemme : o Je ne veux pas que tu couches avec moi ; va te coucher avec ta mère ! a Mais la femme partage néanmoins le lit de son mari et, fatiguée, elle finit par s'endormir.
Vers deux ou trois heures du matin, elle se réveille à demi-asphyxiée : elle gagne le couloir et y tombe la face contre terre ; son mari est dans
un état comateux. La grille de la cheminée, que l'on remplit chaque soir, avait été amenée au milieu de la chambre.
La femme revient rapidement à elle. Le mari reste pendant quatre jours dans un état semi-comateux. Au bout de quatre jours, il commence à reprendre conscience de lui-même, mais non pas de la situation; il conserve son état d'hébétude et de torpeur intellectuelle; sa mémoire demeure obstinément fermée toutes les fois qu'on lui parle de sa lettre à Jeanne et de sa tentative de suicide ; il les'nie même et parait de très bonne foi. Il y a donc amnésie rétro-antérograde pour une période de cinq à six jours.
Notre homme se remet à manger, à dormir, à vivre comme par le passé ; mais sa torpeur intellectuelle subsiste. Il reprend son métier de mécanicien et lui, jadis si actif, si avisé, devient indifférent à tout; il travaille sans goût, fait mal sa besogne et reçoit des reproches auxquels il ne comprend rien. Enfin ses chefs impatientés le mettent en congé. Il n'en demande même pas les raisons ; cela lui est égal. Dans la journée, il dort, ou bien lit sans aucun goût n'importe quel livre qui lui tombe sous la main ; aux repas, il mange gloutonnement.
Je ne crois pas du tout que ce soit un simulateur; ses actes sont marqués au coin d'une autre personnalité; ils sont la manifestation d'un état second. Notre homme, jusque-là intelligentetactif, est victime d'un accident de chemin de fer et subit un traumatisme violent. Le terrain fist préparé ; l'intoxication par l'oxyde de carbone a fait le reste. Aujourd'hui il présente, outre son amnésie rétro-antérograde }_ un certain degré d'hémianeslhésie à gauche ; il ne déraisonne pas, mais a seulement de la torpeur intellectuelle ; son état ressemble à ceux que-produit le choc cérébal.
C'est précisément cet état de torpeur intellectuelle qui en a imposé aux médecins qui l'ont soigné jusqu'à présent. Ils se sont crus en présence d'« une paralysie générale progressive au début ». Après avoir fait devant vous l'examen de ce malade, ai-je besoin de vous faire remarquer que rien ne justifie, ni de près, ni de loin, ce diagnostic. Il n'existe ni signe somatique se rapportant à cette affection (incoordination généralisée, perte du réflexe lumineux, tremblement de la langue, etc., etc.), ni signe psychique [affaiblissementglobal des facultés intellectuelles,etc.) Un semblable diagnostic estfautif à tous égards. Il s'agit bien, en l'espèce, simplement, de troubles relevant de la grande névrose, c'est-à-dire de l'hystérie.
Jusqu'à présent, on a essayé une seule fois de l'hypnotiser ; on n'y a pas réussi, mais on reviendra à la charge ; on aura la clef de ce mystère et on guérira le malade.
Les quatre cinquièmes des empoisonnements son\ dus à l'oxyde de carbone ; les trois cinquièmes résultent de tentatives de suicide. Je vous rappelle le cas d'une couturière, âgée de 40 ans, que je vous ai présentée il y a six mois environ ; elle faisait de mauvaises affaires et devint mélancolique avec idées de suicide ; bientôt elle allume dans sa chambre
un réchaud de charbon. Quand on force sa porte, on trouve cette femme dans le coma, en train de râler. On constate quelle a une paralysie radi-culaire supérieure du bras gauche : en tombant, elle avait provoqué l'élongation des racines du plexus brachial. Mais, en outre, elle présente une aphasie amnésique : elle ne parle que si on lui donne le commencement d'un mot ; elle est aphasique parce qu'elle est amnésique et cette amnésie ne porte que sur certains mots; il n'y a ni surdité, ni cécité verbales, ni aphasie motrice.
Les aphasies motrices, les surdités verbales, etc., peuvent être causées par l'oxyde de carbone, aussi bien que les hémiplégies, les paralysies, l'astasie-abasie, etc. Et ce ne sont pas là les seuls méfaits de ce poison : il a causé des délires aigus, des hallucinations qui ont duré huit à dix jours, quelquefois même un délire chronique, non pas le délire de persécution proprement dit, mais un état délirant avec accès de mélancolie, chez des sujets prédisposés par l'hérédité.
Le phénomène sur lequel je veux surtout attirer votre attention aujourd'hui est l'amnésie. Celle-ci n'est pas toujours faite de la même façon. Tantôt elle est continue ; les souvenirs nouveaux ne peuvent pas s'adapter aux anciens. Tantôt elle est antéro-rétrograde ; elle part d'un événement capital et s'étend jusqu'au jour où le malade revient à lui. On cite le cas d'un jeune médecin qui, intoxiqué par son poêle pendant dix-huit mois, en était arrivé à oublier le nom de sa rue. D'autre part, un homme et une femme décident de se suicider par l'oxyde de carbone; la femme meurt; le mari survit, mais on l'accuse d'avoir voulu donner la mort à sa femme ; il se défend mal, on l'incarcère, il va passer aux assises. Au bout de quelques mois seulement, la mémoire lui revient : il peut alors s'expliquer et se disculper.
Dans un cas de Raffegeau et Boucherot, il s'agit d'un homme qui avait toujours été très actif et très propre. Après une intoxication par l'oxyde de carbone, il devient sale, présente des pertes de mémoire, du tremblement, des troubles du côté des yeux, des hémorrhagies rétiniennes. On incline à porter le diagnostic de paralysie générale ; or cet homme a très bien guéri.
Il est important de dire quelques mots de pathogénie pour justifier des conclusions thérapeutiques. L'oxyde de carbone se fixe sur les globules rouges ; il sort des vaisseaux par dialyse, comme les autres gaz, et il va imprégner directement les muscles, mais aussi le tissu nerveux pour lequel il a une affinité spéciale. A l'autopsie, on trouve une dilatation vasculaire énorme, consécutive à la violente constriction survenue au moment de l'empoisonnement.
Les malades intoxiqués par l'oxyde de carbone peuvent donc être pris pour des paralytiques généraux ; ils présentent des troubles de l'automatisme cérébral; ils peuvent dédoubler leur personnalité. Leur guérison exige une grande persévérance ; ou essayera l'hypnotisme, on tonifiera le système nerveux, on exaltera la fonction respiratoire par
des bains d'oxygène comprimé. Mais pour débarrasser complètement un malade de son oxyde de carbone, il faut quelquefois des années ; si on ne le soigne pas, il deviendra vite un dément.
MÉDECINE PROFESSIONNELLE
A propos de la pétition des masseurs et magnétiseurs.
parle docteur L. Salomon (de Savigné-l'Evèque)
Il est urgent d'examiner quelle attitude le corps médical doit prendre en face des prétentions des magnétiseurs, qui veulent faire réformer l'article 16 du 30 novembre 1393, réglant l'exercice de la médecine. Cet article, en effet, est devenu menaçant pour eux, depuis qu'un récent arrêt a condamné l'exercice de leur art.
C'est au Syndicat-de la Sarthe que revient le mérite d'avoir posé nettement devant les tribunaux, la question des magnétiseurs, en faisant poursuivre la femme Blin, et c'est-au Syndicat d'Angers que revient l'honneur d'avoir fixé la jurisprudence, en poursuivant Mouroux jusqu'en Cour de cassation, et en le faisant condamner par la Cour de Rennes. -
C'est à cet arrêt de la Cour de Rennes, que l'on doit attribuer l'émoi des magnétiseurs, qui, se voyant désormais traqués, et sous le coup de poursuites pour exercice illégal de la médecine, ont eu l'idée de faire circuler une pétition, qui est aujourd'hui couverte de signatures, non seulement de magnétiseurs et de masseurs, mais d'individus appartenant à tous les mondes. D'après l'Eclair, qui en donne le texte, cette pétition a été déposée le mois dernier sur le Bureau de la Chambre, par un député-médecin, qui se propose de la défendre. Elle est accompagnée d'un rapport, se terminant par une proposition de loi, modifiant l'article 16,.de façon à permettre à tout le monde de soigner tous les malades, par n'importe quel procédé (magnétisme, massage, électricité, hydrothérapiei etc., etc.), à la seule condition de ne pas administrer de médicaments. C'est la porte ouverte à deux battants aux charlatans et aux rebouteurs de toutes sortes ; rien ne saurait échapper à cette tolérance, non seulement médicale mais chirurgicale (car, avec l'entorse, les fractures, la luxation et les contusions de toute nature rentreront bien vite dans le domaine des masseurs).
L'Éclair fait suivre les protestations des magnétiseurs, de quelques considérants qui enlèvent le dernier doute que nous pourrions avoir sur les intentions des pétitionnaires:
« Cette pétition, qui reçoit de nombreuses signatures, sera suivie d'un « projet de loi portant modification à l'article 16, lequel projet émanant «¦ d'un député-médecin sera déposé à la fin du mois.
« Les organisateurs de ce pétitionnement font valoir que les facultés» « le don, le pouvoir de guérir les malades, n'appartiennent qu'à un « petit nombre d'individus. »
Bien entendu, en dehors de toute connaissance spéciale, ce qui veut dire en bon français, que n'importe qui, le plus illettré comme le plus savant, peut guérir mieux que le médecin préparé par des études sérieuses à son art.
VÉclair ajoute :
o Les médecins ne peuvent pas toujours avoir le pouvoir de guérir « qui exige des dispositions physiques et morales particulières. »
C'est en cela que consiste la plus grave erreur assez généralement répandue, que tous les individus n'ont pas d'aptitudes suffisantes aux exercices du magnétisme. Avec l'éducation et la pratique, tous, nous pouvons répéter ces expériences des professionnels, qui nous surprennent ; c'est notre indifférence coupable pour cette branche importante de la thérapeutique, l'hypnotisme, qui fait le triomphe des charlatans qui l'exploitent; pour faire comme eux, nous n'avons qu'à nous en donner la peine, et nous aurons ce don physique que V Éclair attribue à certains hommes, à l'exclusion des autres. Quant au don moral qui nous est refusé, cette affirmation est peu flatteuse pour nous, surtout lorsque nous nous apercevons que cette comparaison, peu avantageuse pour le médecin, est faite avec des aventuriers, d'une moralité aussi douteuse que celle de Donato et autres charlatans. Et alors, l'auteur de l'article s'apitoie sur le sort des magnétiseurs, « qui pouvaient jusqu'ici exercer a sans crainte leur action bienfaisante, et qui ont vu cette tolérance dispa-« raître depuis l'arrêt de la Cour do cassation ». Et pourtant, toujours suivant l'Éclair, * quoi de plus juste, que celte tolérance. Le même « praticien ne peut embrasser toutes les branches de l'art de guérir; ne « pourrait-on pas diviser le travail entre deux ordres de praticiens : les « médecins qui continueront à traiter les affections qui exigent une u thérapeutique médicamenteuse et compliquée, et des praticiens moins « instruits : magnétiseurs, masseurs, et qui appliqueraient les ressources « de leur art au traitement des affections qu'ils sont plus aptes à guérir.
a D'après le D'Chevandier, le rapporteur de la loi, l'article 1G ne vise « pas les magnétiseurs ni les masseurs, ainsi qu'il a eu soin de l'écrire « au comte de Constantin, le Président du Congrès du magnétisme de « 1897. Eh bien, malgré cette opinion d'un homme si bien placé pour « interpréter la loi, Mouroux a été condamné ».
C'est la lecture d'un tel article qui a déterminé le DrLcdrain à demander la convocation du bureau du Syndicat des Médecins de la Sarthe. La pétition qui est l'objet de l'article semble menacer de très près notre monopole, d'autant plus que les masseurs et magnétiseurs ont eu soin de comprendre parmi les personnes devant profiter du même privilège tous les guérisseurs.
Cependant, les magnétiseurs sont mal inspirés, lorsqu'ils invoquent la tolérance qui leur était accordée : cette tolérance, en effet, est toute nouvelle, elle date à peine de 1885. Avant celte époque et dans tous les temps, leur pratique a été regardée comme dangereuse et considérée
comme exercice illégal de la médecine, et cela, non seulement en France, mais dans tous les pays civilisés.
Mesmer, lui-même, que sa qualité de médecin aurait dû mettre à l'abri, a été l'objet d'une enquête, sa pratique ayant déterminé en se vulgarisant des crimes de toutes sortes, et en particulier des attentats aux mœurs et à la morale publique.
Le 9 mars 1784, c'est le lieutenant-général de police, qui, chargé de faire un rapport à ce sujet, déclare que pour faire cesser tous ces scandales, il esturgent de promulguer une loi réprimant l'exercice du magnétisme.
Le 11 octobre 1825, l'Académie de médecine demande la répression de la pratique des magnétiseurs, rappelant que, dans les pays du Nord, où elle est très répandue, elle est prohibée ou réglementée. En effet, en 1825, en Russie, l'empereur Alexandre rendit un ukase défendant l'emploi du magnétisme par d'autres que par le médecin.
En 1887, le roi de Danemarck admet le magnétisme dans la pratique médicale seulement. La même année, le roi de Prusse n'autorise que les médecins à pratiquer le magnétisme.
En 1855, l'Autriche réserve aux médecins seuls le droit de faire du magnétisme.
Pendant ce temps, en France, les magnétiseurs sont considérés comme exerçant illégalement la médecine.
Le 19 mars 1874, la cour d'Aix établit, par un jugement, qu'il y a exercice illégal de la médecine de la part de l'individu qui traite par le magnétisme, alors même que ce traitement serait gratuit.
En 1852, la cour de Douai condamne à 25 francs d'amende un amateur qui a déterminé par le magnétisme, chez un jeune garçon, des accidents qui durent plus d'une année.
En 1850, les époux Mongruel et leur complice, le D' Grubouski, sont condamnés pour exercice illégal de ta médecine, à la suite de pratiques de magnétisme. La Cour de Bordeaux les condamne à un an de prison.
Le magnétisme a donc eu les honneurs de l'audience jusqu'en 1885, et à chaque fois il y a eu condamnation. Ce n'est qu'à partir de cette époque, assez rapprochée de nous, que les magnétiseurs semblent trouver grâce devant les juges.
Le comte de Constantin n'est pas le seul membre de la noblesse qui ait défendu la cause des magnétiseurs ; nous pouvons placer à coté de lui de grand noms : de Puységur, du Pottet, et enfin nous trouvons,-s'étalant dans l'ouvrage de Gilles de IaTourette, un certificat du duc de La Rochefoucauld-Doudeauvillc et une lettre du comte d'Hédouvillc. Tous semblent inspirés par une conviction profonde.
En effet, ce qui a fait la fortune des magnétiseurs, c'est qu'ils ont guéri un grand nombre de malades abandonnés par les médecins. Le Dr Ledrain raconte qu'au procès de la femme Blin, il a vu défiler un grand nombre de témoins, qui tous affirmaient avoir été guéris d'affec-
tions que leur médecin n'avait pu même soulager. 11 ne peut admettre que tous ces témoins aient été de mauvaise foi. Nous ne devons donc pas nier les effets curatifs de l'hypnotisme et de la suggestion, qui constituent ce que Ton entend par magnétisme. Toute une méthode thérapeutique, reposant sur l'hypnotisme, existe et donne d'excellents résultats; si les médecins l'abandonnent aux charlatans, c'est parce qu'ils ne veulent pas l'employer. Ils regardent cette méthode thérapeutique comme dangereuse pour eux et capable de leur nuire dans la clientèle. Ce n'est pas, il est vrai, un moyen certain, il réserve quelquefois des déceptions capables de discréditer le médecin, mais il procure aussi des guérisons inespérées ; et pour s'en servir, il faut agir scientifiquement et avec conscience.
Entre des mains autres que celles du médecin, il devient un instrument immoral et dangereux. On n'en est plus à compter les victimes des charlatans qui l'emploient, qui, manquant de l'habileté ou de l'honnêteté nécessaire, ont déterminé des accidents terribles, tant au pointde vue physique qu'au pointde vue moral. II est donc nécessaire que ces pratiques dangereuses soient réglementées et tombent complètement dans le domaine médical. Pour cela, il faut d'abord qu'il ne soit plus-possible de nous adresser le reproche d'être incapables d'employer l'hypnotisme au traitement de nos malades. Il faut que nous nous emparions par la pratique d'une méthode qui a fait ses preuves, et s'il est vrai, comme le disent les magnétiseurs, quele praticien ne peut pas tout faire, eh bien, l'hypnotisme pourra devenir pour quelques-uns d'entre nous une spécialité, comme l'électricité.
Dans tous les cas, nous devons défendre le client contre le magnétiseur et autres charlatans, et bien démontrer aux pouvoirs publics qu'il est en effet urgent de modifier la loi, mais pour la rendre plus rigoureuse, contre des individus qui compromettent la santé publique.
L'hypnotisme, le massage, l'électricité, l'hydrothérapie, sont des méthodes thérapeutiques très utiles, mais elles deviennent nuisibles lorsqu'elles échappent à la direction médicale. Il est grand temps de les rendre au médecin, si l'on désire voir disparaître les accidents qu'elles occasionnent entre les mains des ignorants. Alors on ne verra plus d'accidents nerveux touchant l'aliénation mentale, après des pratiques d'hypnotisme mal dirigées ; le massage ne" déterminera plus la mort subite, par son application intempestive à la phlébite ; l'électricité ne mettra plus en état de contracture les membres de certains paraplégiques, traités par les courants interrompus. Enfin, l'on ne verra plus d'albuminuriques victimes de l'hydrothérapie employée mal à propos. Sur la proposition qui en est faite, le bureau du Syndicat des Médecins de la Sarthe décide qu'il sera demandé à l'Union des Syndicats de faire le nécessaire auprès des confrères députés, afin d'empêcher la pétition des magnétiseurs d'être accueillie favorablement par le Parlement et d'avoir la suite qu'ils espèrent.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à a heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le DrJu!e9 Voisin, médecin de la Salpélrière.
La prochaine séance de la Société aura lîcu le mardi 15 avril 1902.
Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Avis important. — M. le Dr Paul Farez, secrétaire-général-adjoint, 93, rue de Courcelles, Paris, a accepté de remplir les fonctions de trésorier. Pour faciliter les recouvrements, les Membres de la Société sont invités à lui adresser le montant de leurs cotisations.
Liseur de pensée, liseur de muscles, et sensibilité tactile.
Nous avons reçu de M. Giard, professeur à la Sorbonne, une très flatteuse et très intéressante lettre de laquelle nous détachons le passage suivant :
* Dans une récente communication de M. Bloch à la Société de Biologie, je relève un passage qui me parait avoir quelque intérêt et appuyer d'une façon singulière l'explication si ingénieuse donnée par le Dr Farez des procédés des liseurs de pensée (liseurs de muscles) ('). Ce n'est pas sans raison que la main du conducteur est placée sur la tempe ! n
La communication dont il s'agit est intitulée le Sens de VAuto-Topographie. M. A.-M Bloch y étudie le degré de précision et d'exactitude avec lequel nous localisons sur les différentes parties du corps le point
sur lequel nous exerçons un contact..... « L'inspection de la figure
montre les degrés de la sensibilité qui, faible au front, augmente à mesure qu'on descend vers le nez, les joues, le menton ; enfin, -elle met en relief un fait inattendu, à savoir, Vaugmentation de la précision sensorielle vers les côtés de la face, TEMPES et joues, par rapport a la partie antérieure. »
Il n'est donc pas étonnant que le soi-disant liseur de pensée applique systématiquement la main conductrice à sa tempe, puisque cette région est précisément celle où se percevront avec le plus de netteté les mouvements musculaires desquelsdépendrala réussite des expériences.
(1) Revue de THypnotismc, février 1902, p. 240.
La Psychologie est la science de la volonté
Dans un récent article publié dans la Revue Thomiste, sous le titre : Les limites de la biologie, M. le professeur Grasset, de Montpellier, s'applique à démontrer l'autonomie de la psychologie en tant que science particulière. D'après lui vouloir concilier les sciences morales et les sciences naturelles, autant chercher à rétablir la paix dans un ménage divisé par l'incompatibilité d'humeur. Mieux vaut reconnaître que la Biologie n'est pas apte à tout expliquer et, quelque étendu que soit son domaine, qu'il y a quelque chose qui lui échappe. Ce « quelque chose » doit être l'objet de la Psychologie.
« On a fait de grands efforts dans ces derniers temps, écrit le profes-n seur Grasset, pour supprimer l'individualité de la Psychologie et la
¦ noyer dans la physiologie, et par suite dans la Biologie. C'estavec les « appareils enregistreurs, dans les laboratoires de physiologie et à la « Salpétrière, que Ton étudie la Psychologie aujourd'hui. Il est certain « que, les diverses parties de notre humanité étant étroitement soli-
¦ daircs, il y a des chapitres-frontières que le psychologue ne peut a étudier qu'en connaissant la physiologie notamment du système • nerveux'. c'est là l'objet d'une science récente qui n'a pas dit son « dernîermot, la psycho-physiologie. Mais on ne peut pas plus supprimer « la psychologie qu'on ne peut supprimer la physiologie elle-même, en a la remplaçant par la psycho-physiologie. La psychologie est une « science à part qui a ses modes et procédés d'étude et son objet, spé-a ciaux et distincts de ceux de la Biologie. Son mode spécial de connais-« sance est ce que l'onappelaitautrefois la conscience: c'est l'observation t intérieure, l'auto-observation. »
o Selon la définition de Fouillée, la psychologie serait, en dernière « analyse, la science de la volonté, de même que la physiologie est la « science de la vie. »
Coprophages
Une secte bien étrange, qui s'intitule « les mangeurs d'immondices, o vient de se fonder à Saint-Louis. .
Le fondateur et chef de la nouvelle communauté, m. William Winsor prétend que son système est basé sur des études scientifiques. Il invoque l'exemple des bêtes qui ont un goût naturel pour la coprophagie.
a Elles ne souffrent, dit-il, jamais de maux d'estomac tandis que les hommes sont atteints de toutes sortes de dyspepsies. »
Les disciples de M. Winsor, prennent chaque jour une cuillerée « d'im-mondice » qui n'est autre chose que de la vase du Mississipi. . Il faut dire que M. Winsor, qui collectionne cette matière, la stérilise
et la vend ensuite par petits paquets du prix d'un franc vingt-cinq centimes.
A quand l'exploitation de l'eau de Seine par des « coprophages » parisiens? Elle est riche, l'eau de Seine.
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Cours du docteur Bérillon. a l'école pratique de la faculté de médecine
M. le docteur Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera, le lundi 21 avril, à cinq heures du soir, à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine, amphithéâtre Cruveilhier, un cours libre sur les Applications psycho-. logiques, cliniques et thérapeutiques de l'hypnotisme.
Il le continuera les Lundis et Jeudis suivants à cinq heures.
programme
Lundi 2i Avril. . L'hypnotisme. — Phénomènes généraux et définitions de l'hypnotisme. — Rôle de l'hypnotisme en psychologie et en médecine.
Jeudi 24 Avril. . La technique de l'hypnotisme. —Les procédés
pour provoquer les états profonds de l'hypnose.
Lundi 28 Avril, . La suggestibilité et l'hypnotisme. — Mécanisme
de la suggestion.
Jeudi i" Mai . . Phénomènes somatiques de l'hypnotisme. — Les
rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie.
Lundi 5 Mai. . . Phénomènes psychiques de l'hypnotisme : illusions ; hallucinations ; variations de la personnalité, etc.
Jeudi 8 Mai.' . . Fête de l'Ascension.
Lundi i2 Mai . . Psychologie des fonctions de la vie organique. —
L'hypnotisme et les phénomènes vaso-moteurs. Méthode graphique.
Jeudi 45 Mai . . Applications psychologiques, cliniques, thérapeutiques et pédagogiques de l'hypnotisme. — La méthode hypno-pédagogique.
Le cours sera complété par des démonstrations expérimentales, à l'Ecole de Psychologie, 49, rue St-André-des-Arts (le Jeudi à 10 h. 1/2).
L'Administrateur-Gérant: Ed. BÉRILLON
REVUE DE P'Htf NOTISME
EXPERIMENT^ ET'TTÎÉfîAPEUTIQUE
1G« ANNEE — ? M. Mai 1902.
La sociologie criminelle (')
Par M. le professeur Nicbforo, de Lauzanne
On croitgénéralement que lorsqu'on sait par cœur les quatre ou cinq cents articles qui composent un code pénal, et lorsqu'on a fait l'analyse logique et grammaticale de ces articles, — on a épuisé le domaine de la science criminelle.
La plupart croient que la science qui s'occupe de l'homme criminel n'est que l'étude de la pénalité qui attend le criminel et l'analyse de la façon dont cette pénalité doit être mesurée pour chaque criminel. — En effet, le droit pénal d'aujourd'hui se limite à peser, d'un côté la quantité du crime, et cherche à mettre, sur l'autre côté de la balance, une dose de pénalité qui rétablisse le prétendu équilibre moral.
On oublie complètement, ainsi, une autre partie de la science du crime, une partie fondamentale : la partie qui étudie les causes de la criminalité et le criminel lui-même.
Je pense que, pour la science comme pour la société, il ne suffît pas d'affirmer que le crime est une infraction à la loi pénale, infraction que le code punit avec une certaine quantité, plus ou moins lourde, de prison. II faut savoir pourquoi l'homme devient criminel, pourquoi on commet des crimes. En un mot, il faut savoir quelles sont les causes générales et spéciales de la criminalité. C'est uniquement en connaissant les causes d'un phénomène dangereux, que vous pouvez agir sur ce phénomène en cherchant à couper ses racines; — c'est-à-dire en agissant sur ses causes.
Jusqu'à présent la science qui étudie le crime s'était bornée — à étendre la liste sèche et aride des crimes, et à décréter,
(1) Leçon faite à l'Université de Lausanne.
pour ces crimes, des peines, qui se rapprochaient plus de la vengeance de la société offensée que de la défense de la société assaillie. Les savants employaient tout le phosphore de leurs cerveaux pour peser la grandeur du crime d"un coté et pour appliquer de l'autre un poids égal de pénalité. II est évident, au contraire, que la science du crime doit élre plus large, plus moderne, et plus scientifique. — Il ne suflit pas de faire un catéchisme criminel dans lequel sont numérotés les crimes et leurs peines. Il faut d'abord étudier les causes de la criminalité et chercher, après, des mesures qui, d'un côté préviennent les crimes en diminuant leurs causes, et qui, de l'autre côté, répriment les crimes qu'on n'a pas pu empêcher.
Comme vous voyez, le droit pénal d'aujourd'hui ne comprend qu'une seule branche de cette science nouvelle, c'est-à-dire la branche qui s'occupe de réprimer directement les crimes. Le droit pénal d'aujourd'hui, considère le crime comme un phénomène qui naît du néant. Il ne cherche pas, —il neveutpas chercher pourquoi le crime est né. Il lui suffit d'avoir le crime.
L'expérience a démontré qu'on ne peut pas lutter contre ls crime avec les codes modernes. La lutte rationnelle contre le crime exige que la société, avant de perdre son temps à réprimer des faits dont les causes continuent à survivre, doit cherchera couper jusqu'aux racines, ces causes, — et seulement après on pourra et on devra penser à la répression.
Il s'agit donc de substituer au droit pénal, qui, — comme nous le verrons dans la suite, —est non seulement une doctrine qui n'a pas une véritable valeur scientifique, mais aussi une doctrine sans valeur pratique, car elle n'a pas diminué la marche du crime, — il s'agit donc, dis-je, de substituer au droit pénal, une science plus large qui étudie les causes de la criminalité et qui, en s'appuyant sur les résultats de cette étude, cherche à lutter contre l'augmentation ou la stagnation de la criminalité.
J'appelle cette nouvelle science la sociologie criminelle, et c'est justement de la Sociologie Criminelle que nous parlerons aujourd'hui et dans les leçons suivantes.
Je vous ai dit que la sociologie criminelle étudie, d'abord, les causes de la criminalité.
Le droit pénal, dans cette partie, se lire d'affaire d'une façon aussi erronée que simple. La cause du crime, selon lui, est le libre arbitre du criminel. Le crime n'aurait ses racines que dans la libre volonté du criminel.
Les sciences naturelles ont démontré que tout phénomène du monde organique et inorganique est le résultat, non seulement des causes intérieures, mais aussi des causes extérieures. Le crime n'échappe pas à cette loi. Le crime n'est pas seulement le résultat du cerveau humain. Il est aussi le résultat du milieu dans lequel le cerveau vit, pense et agit, et ce milieu est, — soit le milieu social, c'est-à-dire la société, soit le milieu physique, c'est-à-dire le climat, l'altitude, la latitude, etc., etc., — le milieu géographique, en un mot.
Les causes de la criminalité sont donc triples :
1° La constitution organique et psychologique de l'individu;
2° Le milieu social ;
3° Le milieu géographique.
On peut très bien comprendre les règles qui gouvernent les causes de la criminalité en se souvenant des règles qui, en mécanique, gouvernent le parallélogramme de forces. Vous savez qu'un corps quelconque, mis sous la pression de forces diverses qui le poussent en directions différentes, n'obéit à aucune de ces forces, mais suit une direction qui est la diagonale des parallélogrammes qui peuvent se construire sur les lignes de ces forces. Cette diagonale est la résultante des différentes forces qui agissent sur le corps.
L'homme est toujours comparable à ce corps sous la pression de mille forces différentes qui cherchent à le pousser dans différentes directions. Il obéit, comme le corps, à la résultante. C'est ainsi que l'homme est poussé au crime ou éloigné de lui par plusieurs forces. Il obéit à la résultante.
Le droit pénal moderne croit que le crime n'est qu'une force unique, dépendant surtout du libre arbitre de l'individu, tandis qu'il est, au contraire, la résultante d'un ensemble de cent et cent forces, comme la rivière est la résultante de cent et cent affluents.
Nous étudierons toutes ces causes (causes individuelles, causes sociales et causes physiques) que le droit pénal n'étudie pas. Il est bien étrange, en effet, qu'une science qui étudie le crime et sa répression, mette dans une espèce de quarantaine scientifique les causes du crime. Il n'y a pas une science qui, en se donnant pour but l'étude d'un phénomène quelconque, ne commence par l'étude des causes qui produisent ce phénomène.
Pourquoi donc, la science du crime devrait-elle être une exception? Cela constitue, justement, une des nombreuses
lacunes que nous trouverons dans le droit pénal conçu comme doctrine scientifique et que la Sociologie Criminelle tâche de combler.
Comme vous le voyez, la profonde différence initiale entre le droit pénal et la sociologie criminelle, qui est l'amplification, la modernisation et la vivification du droit pénal, consiste surtout dans ceci : le droit pénal étudie le crime sur le code pénal ; la sociologie criminelle étudie le crime sur les faits vrais et palpitants de la vie criminelle. Le droit pénal étudie le crime comme un phénomène abstrait et oublie complètement, soit l'étude du criminel, soit l'étude des causes qui ont formé le criminel ; — la sociologie criminelle, au contraire, étudie le crime comme la résultante de causes individuelles, sociales, et physiques, et loin d'oublier le criminel elle commence par l'étudier.
La sociologie criminelle donc, a introduit dans le droit pénal le courant scientifique qui s'appelle positivisme et qui dit : je veux que les doctrines et les théories s'appuient non sur d'autres théories, mais sur des faits, sur des observations, et sur des études expérimentales. Car il n'y a pas de science durable qui ne s'appuie sur des faits et des observations.
Les faits sont de la monnaie en or, tandis que les théories abstraites ne sont que des billets d'une banque sans valeur.
Il est facile après tout cela, de voir que le courant scientifique qui a créé la sociologie criminelle est un courant tout à fait opposé à celui qui a créé les codes pénals modernes et qui s'appelle courant de Y école classique.
Ces deux courants, en effet, sont la manifestation extérieure des deux courants philosophiques que vous verrez pousser partout où pousse la grande sève de la pensée humaine.
Partout vous trouverez que l'homme a cherché la vérité avec deux systèmes, deux armes, deux guides : ou la métaphysique ou le positivisme.
La métaphysique part d'un principe déterminé que personne n'a jamais démontré et que personne ne démontrera jamais, — et sur ce principe elle bâtit ses théories et ses affirmations. Le positivisme, au contraire, qui est le plus récent, ne part que des faits et des observations, et par ces faits et ces observations il cherche la vérité. La métaphysique n'est jamais une démonstration : elle est toujours une foi, — et bien souvent une foi aveugle. Le positivisme, au contraire, n'est jamais une foi — ; il est toujours une démonstration.
On pourrait comparer la métaphysique et le positivisme à deux pyramides dont l'une — la métaphysique — s'appuie sur sa pointe et l'autre, le positivisme, sur sa base.
Et cela parce que la métaphysique part d'un seul principe a priori, pour expliquer l'univers entier — tandis que le positivisme part d'une multitude de faits et d'observations pour remonter au sommet de la vérité. (Spencer).
Il n'y a pas à douter que la pyramide qui repose sur la base est bien plus sûre, dans son équilibre, que celle qui repose sur la pointe, et que les théories qui reposent sur des faits, sont bien plus proches de la vérité que celles qui reposent sur un unique principe a priori qui n'a jamais été démontré.
Ces deux méthodes de recherches scientifiques partagent en deuxcamps opposés et ennemis toute manifestation de la pensée humaine.
Il suffit de regarder autour de nous pour nous en apercevoir. Dans les sciences naturelles, l'évolutionnisme de Lamarck et de Darwin est le résultat logique du positivisme, qui a étudié les faits de la vie animale et humaine. Mais ceux qui se font conduire par la métaphysique nient l'évolutionnisme, c'est-à-dire l'observation, et ferment les yeux plutôt que de reconnaître les faits qui, par milliers, nous démontrent que l'homme n'est que le résultat le plus brillant et le plus récent de l'évolution animale.
Dans les sciences qui étudient les sentiments et la pensée de l'homme, c'est-à-dire dans les sciences psychologiques, vous trouverez le même dualisme. Ceux qui font de la psychologie en se refusant à étudier dans la chair palpitante le système nerveux de l'animal et de l'homme, ceux qui ont la prétention d'étudier la pensée de l'homme sans avoir étudié d'abord l'homme lui-même, — ceux-là, dis-je, affirment que la pensée, la volonté, etc., etc., ne sont que des choses abstraites soufflées par je ne sais qui dans le cerveau humain. Mais ceux qui se défient de la métaphysique et qui préfèrent étudier les faits, — ont commencé par l'étude anatomique et physiologique du cerveau et du système nerveux et ils ont trouvé par milliers les faits qui démontrent que les sentiments et la pensée ne sont que des fonctions organiques de la matière, comme la sécrétion est une fonction de la glande, — la bile une sécrétion du foie.
Même dans la géologie, qui, en étudiant les mystérieuses transformations de la matière qui forme notre globe, semble
devoir se tenir éloignée de cette question, — même dans la géologie, il y a ceux qui bâtissent leurs systèmes sur des idées métaphysiques et ceux qui ne consultent que les faits. Les uns vous diront que la terre et les animaux fossiles ne sont que le résultat des créations séparées, successives et complètes, issues du néant ; — les autres vous démontreront qu'il ne s'agit pas de créations successives, mais de transformations lentes et continues de la même matière. Ils vous diront, après avoir recueilli les faits, que la terre s'étant développée de la nébuleuse solaire, a transformé, moyennant des lois tout à fait naturelles, la vie organique et a formé toute l'échelle zoologique, — depuis les formes primitives et inférieures jusqu'à l'homme.
Il faut bien reconnaître que le positivisme a gagné presque partout, dans le monde des sciences naturelles, et aussi dans la psychologie (car la psychologie aussi est une science naturelle), la bataille qu'il a livrée avec tant d'ardeur à la métaphysique. Un des exemples les plus évidents de la lente, mais sûre et complète victoire du positivisme sur la métaphysique, est la façon dont on concevait et dont on conçoit maintenant les maladies mentales et nerveuses. Dans les ténèbres du moyen âge, éclairées seulement par les flammes des bûchers allumés par l'Eglise de Rome, la métaphysique, qui a toujours été la sœur jumelle de la superstition religieuse, expliquait les maladies nerveuses et mentales par l'influence diabolique, et soignait les fous en les brûlant, comme des hérétiques. Après} quand la force de l'Eglise fut diminuée et que la mode des bûchers passa, on mit les fous dans les chaînes et on les traita comme aujourd'hui nous traitons nos criminels. C'était toujours la science métaphysique qui, en se refusant d'étudier les fous, expliquait toujours la folie par les influences diaboliques. Mais quand, moyennant les recherches scientifiques, on commença à s'occuper directement des fous et de la folie, c'est-à-dire quand le positivisme scientifique commença à être appliqué aux sciences médicales, les médecins trouvèrent que la folie était une maladie organique. Alors les chaînes tombèrent comme étaient déjà tombés les bûchers — et les maisons d'aliénés surgirent.
Mais quand on a essayé, il n'y a pas longtemps, de transplanter la méthode positive, qui avait si bien vivifié les sciences naturelles et médicales dans le champ fermé des sciences sociales et juridiques, les métaphysiciens, qui étaient les rois
de ces doctrines, ont opposé une résistance d'autant plus acharnée qu'aveugle.
Tandis que la méthode positiviste devenait la règle dans les sciences naturelles, — elle n'était que l'exception dans les sciences sociales. C'est justement à ces deux courants tout à fait opposés, le courant métaphysique d'un côté et le courant positiviste de l'autre, — que se rattachent les deux écoles criminelles dont nous parlions tout à l'heure : l'école classique et l'école positiviste. L'école classique a créé les codes pénals modernes ; — elle s'est limitée à bâtir des théories abstraites sur le crime. — L'école positiviste a créé la sociologie criminelle ; — elle a cherché à étudier les criminels, les milieux criminels, les prisons, et, surtout, elle a cherché les moyens pratiques pour empêcher l'augmentation du crime.
Ce qui a donné une grande force à la sociologie criminelle, c'est qu'elle s'est développée en prenant pour base les conquêtes récentes des sciences naturelles et médicales. L'école classique, au contraire, qui a commencé avant les découvertes, tout à fait récentes, des sciences naturelles, surtout de la psychologie expérimentale et de la psychiatrie (cette science merveilleuse qui étudie toutes les gammes de la folie et des maladies nerveuses), l'école classique, dis-je, a continué à se développer en dehors des découvertes de ces sciences. Elle a continué sa route, ignorant et voulant ignorer qu'il existât des sciences qui avaient grandi et qui avaient donné une base nouvelle à la conception de la vie humaine .
La sociologie criminelle, au contraire, a pris comme point de départ, soit la méthode qui avait révolutionné les sciences naturelles, soit les découvertes indéniables de la psychologie expérimentale et de la psychiatrie. En effet, il aurait été bien étrange qu'une science qui, comme la science criminelle, avait pour but l'étude de l'homme criminel, eût ferméles yeux devant les découvertes de deux sciences qui, comme la psychologie et la psychiatrie, donnaient des bases nouvelles à l'étude de X'homme. Le droit pénal classique a ignoré ces découvertes, la sociologie criminelle, par contre, en a absorbé les résultats, et voilà la raison de sa naissance.
(A suivre), i
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 18 Février 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. La parole est à M. le Secrétaire Général pour la lecture de la correspondance.
MM. les D" Bérillon et Corinin traitent des Phénomènes rèactionnels marquant la transition de Vétat de veille à l'état d'hypnose. Prennent part à la discussion : MM. Paul Magnin, Lépinay et Jules Voisin.
M. le Df Coste de Lagrave fait l'exposé d'une Méthode d'auto-suggestion. Prennent part à la discussion: MM. Paul Magnin, LionelDauriac, Bérillon et Félix Regnault.
M. le Dr Paul Farez interprète un Cas de résistance partielle kla suggestion hypnotique.
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. les D"Orlitzky (de Moscou) et Corinin (de Paris). Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
La séance est levée à 6 h. 45.
Petite méthode d'auto-suggestion.
par M. le Dr Coste de Lagrave.
I. — Définition.
L'auto-suggestion a pour but de se donner à soi-même une suggestion.
L'auto-suggestion, pour donner de bons résultats, doit être pratiquée avec méthode.
¦
» »
Le terme auto-suggestion s'emploie dans trois sens différents:
1° h'auto-suggestion est l'ensemble de la pratique qui consiste à se donner une suggestion.
2° L'auto -suggestion est la suggestion ou l'idée que la personne se donne à elle même.
3° L'auto-suggestion est l'acte exécuté à la suite de la pratique de l'auto-suggestion.
Pour différencier ces trois sens, on peut leur ajouter les termes suivants :
1° Auto-suggeslion mise en pratique,'ou pratique de l'auto-suggestion;
2° Auto-suggestion idée, ou pensée, ou ordre; • 3° Auto-suggestion résultante ou acte.
Bien souvent, en sous-entendant auto-suggestion, on dit : l'idée proposée, la pensée proposée (par l'auto-suggestion).
On dit également l'acte résultant en sous-entendant de l'auto-suggestion.
II. — do meilleur moment de l'auto-suggestion.
II est des conditions nécessaires à la pratique de l'auto-suggestion.
Le meilleur état pour pratiquer l'auto-suggestion est la somnolence qui précède ou accompagne le sommeil.
Dans cette somnolence toutes les facultés sont au repos. L'abstraction de l'individu peut être complète. Par abstraction on entend cette puissance de l'individu à se séparer du monde extérieur pour ne penser qu'à un seul objet. Certains savants, mathématiciens ou philosophes, sont arrivés à la puissance d'abstraction par un travail continu et par un entraînement obtenu dans la période de veille. Cette abstraction a lieu bien plus facilement dans la somnolence qui accompagne le sommeil.
Plusieurs causes s'opposent à la pratique de l'auto-suggestion. Exemples : Bruits du dehors, mauvaise musique, bavardages entendus, coups de fusils, pour l'ouïe. — Froid aux pieds ou aux mains, chaleur exagérée pour les sensations de tact. — Douleurs, migraines, coliques, rhumatismes, névralgies dentaires ou autres, etc.
Par conséquent il faut d'abord favoriser la pratique del'auto-sugges-tion et l'abstraction qui est nécessaire en assurant l'absence de distractions et en supprimant les impressions qui s'opposent à cette pratique.
La solitude, l'isolement sont très favorables.
Si l'isolement ne peut être obtenu dans une grande ville ou même un village, on peut pratiquer l'auto-suggestion la nuit de 1 heure à 3 heures du matin, au moment où tout le monde dort. C'est en effet le meilleur moment pour pratiquer l'auto-suggestion, car la somnolence que l'on obtient à ce moment est la plus parfaite pour l'abstraction et pour la pratique proposée.
Il est d'autres moments pendant lesquels on peut pratiquer l'autosuggestion.
Le soir, étant couché, avant de s'endormir.
Le matin, étant couché, avant de se lever.
Ces deux moments de pratiquer l'auto-suggestion : 1° avant de s'endormir; 2° après le sommeil delà nuit, ont chacun leurs avantages.
1° Avant de s'endormir. Le sommeil ou la somnolence est favorisé par la fatigue de la journée et l'auto-suggestion se fait très facilement. Mais chez les débutants, il y a cet écucit, que le sommeil arrive dès les premiers moments de l'auto-suggestion. L'auto-suggestion est trop courte, le sommeil naturel qui succède involontairement y mettant fin.
Le grand avantage de l'auto-suggestion pratiquée le soir avant de s'endormir, c'est que, après la pratique bien faite de l'auto-suggestion,
vient succéder le sommeil naturel de la nuit. Or le sommeil naturel de la nuit succédant à l'auto-suggestion, lui donne une puissance bien plus grande, deux ou trois fois plus grande ; l'auto-suggestion est bien plus parfaite et plus facile à exécuter.
2* La pratique de l'auto-suggestion peut avoir lieu au réveil du matin chez le débutant; c'est le meilleur moment car il ne s'endormira pas de nouveau, et s'il s'endort il se réveillera facilement. A ce moment, l'individu est plus maître de son sommeil et de sa somnolence. L'inconvénient est qu'il faut se lever pour les travaux de la journée et que le temps nécessaire ne peut être consacré à la pratique de l'auto-suggestion.
Les meilleurs moments de pratiquer l'auto-suggestion, pour une personne expérimentée, sont, le soir avant de s'endormir ou la nuit en se réveillant.
Pour le débutant, le meilleur moment est le matin.
III. Comment pratiquer l'auto-suggestion
L'auto-suggestion se pratique en se donnant mentalement une idée, une impression, un ordre, dans la somnolence la mieux appropriée.
Le sujet, pour se donner le mieux possible cette idée, cette pensée, ou cet ordre, doit se les répéter mentalement plusieurs fois de suite.
Le mieux serait de se répéter mentalement une seule pensée, indéfiniment. Mais il faut des moments de repos carie travail d'auto-suggestion s'accompagne d'une certaine fatigue.
Soit l'auto-suggestion avoir de bonnes idées, que le sujet veut se proposer. Le sujet se met d'abord dans la somnolence favorable. Puis il se répète mentalement cette idée, cette pensée, cet ordre : avoir de bonnes idées.
L'avantage immense de l'auto-suggestion c'est que les bonnes idées viendront. Toutefois elles viendront dans la mesure de l'intelligence et du développement cérébral du sujet. Il n'y a pas d'autre moyen connu pour faire produire de bonnes idées à un individu qui n'en a pas l'habitude. Ce résultat est obtenu par la suggestion et par l'autosuggestion. Le sujet agissant lui-même et sur lui-même.
IV. — Premier exercice d'auto-suggestion.
Le premier exercice d'auto-suggestion est de se réveiller et de s'endormir à volonté.
i° Se réveiller à volonté. — C'est le premier exercice à efiectuer parce qu'il est nécessaire aux exercices suivants. On peut penser le soir en s'endormant : a Se réveiller au milieu de la. nuit. » On répète mentalement cette pensée pendant vingt minutes environ en se reposant de temps en temps. Puis on s'endort en favorisant le sommeil.
Il arrive le plus souvent que le réveil dans la nuit a lieu lors du premier exercice. On en profite pour faire l'auto-suggestion de s'endormir
et se réveiller de nouveau, pour fixer l'état de somnolence le plus voisin du sommeil.
2° S'endormir à volonté.— Cet exercice se fait le soir, lorsque ayant terminé les exercices d'auto-suggestion, on veut dormir. Le sujet répète mentalement : « Dormir ».
Le matin, si l'on s'éveille de bonne heure, on peut faire l'exercice d'auto-suggestion pour s'endormir très peu de temps. Il arrive, quand l'exercice est bien fait, que l'on s'endort pendant un quart d'heure ou vingt minutes. Quelquefois le sommeil dure seulement cinq minutes.
Quand on est suffisamment expert, quand on a vérifié que l'on se réveille la nuit à volonté, et plusieurs fois par nuit, on pratique l'autosuggestion pour les besoins du moment, pour les nécessités du lendemain, pour les devoirs à accomplir dans le temps à venir.
V. — DU NOMBRE DES AUTO-SUGGESTIONS.
Pour que l'auto-suggestion soit la mieux faite possible, il ne faut qu'une pensée.
S'il n'y a qu'une pensée proposée en auto-suggestion, c'est la pensée unique, c'est en quelque sorte l'analogue de l'idée fixe, préméditée, expérimentale. Cette pensée unique proposée en auto-suggestion, accapare toute la puissance de l'individu dans un seul but.
Toutefois quand une seule idée est proposée en auto-suggestion, la fatigue arrive rapidement. Ce sont les mêmes cellules cérébrales qui sont sollicitées et constamment en activité. Au bout de quelques minutes, la fatigue survient et elles ont besoin de repos.
Pour obvier à cette fatigue provenant de l'auto-suggestion unique, le sujet peut pratiquer plusieurs auto-suggestions. Il pourra prendre trois ou quatre pensées et se les proposer l'une après l'autre.
Mais quand on pratique plusieurs auto-suggestions, c'est aux dépens de la perfection de chacune d'elles. La force dont l'individu est capable étant répartie sur quatre auto-suggestions différentes, chaque auto-suggestion est exécutée avec moins de puissance et moins de perfection.
Chaque pensée proposée en auto-suggestion devra être répétée mentalement un nombre de fois assez grand ; de dix à cinquante fois de suite. Et ce même travail sera exécuté successivement pour les autres auto-suggestions.
Soit les auto-suggestions : 1° Avoir de bonnes idées. — 2* Ecrire. — 3° Avoir de VOrdre.
Le sujet qui voudra se les proposer se mettra d'abord dans la som. nolence favorable.
Puis, 1° il répétera mentalement de dix à cinquante fois, avoir de bonnes idées, et il se reposera deux minutes.
Puis, 2° il répétera mentalement de dix à cinquante fois, Ecrire, et se reposera deux minutes.
Puis, 3° il se répétera mentalement de dix à cinquante fois, avoir de l'ordre et se reposera deux minutes.
Voilà comment il devra s'y prendre théoriquement.
Le sujet répétera un ordre de dix à cinquante fois. Le nombre peut être variable. C'est la fatigue éprouvée qui doit le fixer. Quand la phrase est longue comme avoir de bonnes idées la fatigue arrive au bout de peu de fois, dix, vingt ou trente fois. Quand la phrase est courte, comme Ecrire, la fatigue arrive beaucoup moins vite. Au bout de quarante ou de cinquante fois seulement. C'est la fatigue qui doit régler le nombre de fois que l'idée est proposée mentalement.
Le sujet choisit et reprend chaque idée un peu suivant son inspiration et suivant le désir qu'il a d'accomplir l'acte. Par exemple, s'il tient davantage à l'auto-suggestion auoir de bonnes idées, c'est à celle-là qu'il reviendra le plus souvent ; les deux autres, écrire, avoir de l'ordre, étant proposées moins souvent. Mais chaque fois que le sujet reviendra â une idée proposée, il devra se la répéter mentalement au moins dix fois de suite pour bien la fixer dans son esprit.
Le nombre d'auto-suggestions qui peuvent être proposées facilement en une séance est de trois. A ce nombre, les auto-suggestions sont bien pratiquées et donnent des résultats certains. On peut aller jusqu'à quatre auto-suggestions différentes dans la même séance et avoir des résultats satisfaisants. Mais plus on augmente et moins les auto-suggestions sont bien exécutées. Si le nombre d'auto-suggestions proposées dans une séance est trop grand, le résultat est nul, négatif. Souvent plus de cinq auto-suggestions proposées en une séance ne donnent aucun résultat.
Cependant on peut tourner la difficulté. Le sujet pourra se proposer dans une séanca deux auto-suggestions les plus vigoureusement désirées, il leur consacrera la plus grande partie du temps employé à cette séance. Ce sont les auto-suggestions principales. Puis un temps relativement très court sera consacré aux auto-suggestions secondaires. De la sorte le sujet pourra se proposer plus de cinq auto-suggestions.
Exemple : Les auto-suggestions principales seront : Io Ecrire: 2°/4uoir de bonnes idées. Ces auto-suggestions seront répétées aussi longtemps que le sujet le pourra, le temps sera limité par la fatigue seule.
Les auto-suggestions secondaires seront : Io Avoir de l'ordre ; 2° Etre sage ; 3° Réussir; 4° Plaire \ ô" Causer. C'est un exemple de cinq autosuggestions secondairos qui pourront être exécutées comme repos, comme variété de travail intellectuel, lorsque les auto-suggestions principales auront amené la fatigue. De la sorte, ces auto-suggestions secondaires seront salutaires. Leur résultat sera petit, modeste, en comparaison des auto-suggestions principales, mais ce ne sont pas elles qui sont recherchées le plus, elles ne sont pas difficiles à exécuter.
Et le résultat final, recherché, écrire et avoir de bonnes idées, sera obtenu.
II faut ajouter que lorsque le sujet est bien entrainé à la pratique de l'autosuggestion, il n'est jamais fatigué.
VI. — De la méditation*.
La méditation est un travail cérébral qui vient compléter l'autosuggestion et s'y associer très heureusement. Mais la méditation a un pouvoir bien différent de l'auto-suggestion. L'auto-suggestion crée les idées.
La méditation groupe les idées, elle s'exerce grâce à une faculté différente.
L'auto-suggestion crée les idées. Cette pratique de l'auto-suggestion appelle l'activité de l'individu sur certains centres nerveux. Elle développe certaines facultés et ce développement, à cause de la facilité des cellules nerveuses à se reproduire en raison du travail qui leur est demandé, ce développement est l'occasion d'une création ou d'une augmentation de certains centres nerveux.
Considérons le centre nerveux dans l'exemple d'auto-suggestion, auoir de bonnes idées. Le centre nerveux qui préside à ce travail peut donner dans une journée un nombre d'idées assez restreint, par exemple dix bonnes idées. Quand l'auto-suggestion auotr de bonnes idées aura été pratiquée, le centre nerveux qui préside à ce travail aura été sollicité, son activité aura été stimulée, et il produira un travail dix fois plus grand, soit cent bonnes idées dans une journée.
Si ce même centre nerveux est sollicité tous les jours, si son activité est stimulée tous les jours par une auto-suggestion bien pratiquée, en vertu de la loi d'entraînement, le centre nerveux grandira, grossira, s'augmentera; les cellules nerveuses se multiplieront. Et là où il n'y avait qu'une cellule nerveuse, il y aura dix ou cent cellules nerveuses, effectuant un travail dix ou cent fois plus grand. Il existera un véritable centre nerveux, nous assistons à la création d'un centre nerveux.
Ce sont en effet les cellules nerveuses qui produisent tout travail, musculaire ou intellectuel. Une idée produite ou un mouvement produit sont des résultantes qui ont pour origine l'activité de centres nerveux. Le muscle qui se contracte se contracte parce que l'impulsion vient du centre nerveux qui lui est spécial. L'idée émise est émise parce que l'impulsion vient du centre nerveux qui lui est spécial.
VII. — Exercice d'auto-suggestion*.
Pour enseigner la pratique de l'auto-suggestion, nous allons prendre un autre exemple, soit l'idée proposée. — Plaire. — Causer. — à développer par l'auto-suggestion.
Plaire. — Causer. — Ce sont deux idées qui seront associées.
On commence par se mettre dans la somnolence favorable à l'abstraction.
Puis on pense de dix à cinquante fois pfaire, plaire, plaire, plaire,
plaire, plaire, plaire, etc. On n'a pas besoin de compter sur les doigts pour savoir combien de fois on répète mentalement l'auto-suggestion plaire. On s'arrête quand la fatigue se fait sentir. Elle se fait sentir au bout de vingt ou trente fois. Pour arriver à penser mentalement une auto-suggestion plus de cinquante fois de suite, il faut être entraîné depuis longtemps.
Quand on a pratiqué l'auto-suggestion, ptaire vingt ou trente fois de suite, on se repose une minute, puis on passe à l'auto-suggestion suivante, causer.
On agit pour cette seconde auto-suggestion, causer, comme pour la première, plaire. On répète dix à cinquante fois de suite, causer, causer, causer, causer, causer, causer, causer, etc.
Quand la fatigue arrive, au bout de vingt à trente fois, on se repose une minute.
Puis on reprend la première auto-suggestion ptatre ; on la renouvelle comme il a été dit précédemment.
On peut prendre successivement l'auto-suggestion u* 1 plaire, et l'auto-suggestion n° 2 causer.
11 est plusieurs procédés que l'on peut employer et qu'il faut connaître :
1° On peut aussi prendre plusieurs fois de suite, avec intervalles de repos, l'une ou l'autre des auto-suggestions.
Par exemple, on prendra l'auto-suggestion plaire, on la répétera vingt fois environ.
Puis on se reposera une minute.
On reprendra cette même auto-suggestion plaire, on la répétera vingt fois.
Puis on se reposera-
On pourra renouveler plusieurs fois cette pratique, et de la sorte l'auto-suggestion n° 1 plaire aura été répétée cent ou deux cents fois de suite, mentalement avec des intervalles de repos.
Puis on fera de même pour l'auto-suggestion n° 2 causer.
On la pensera mentalement par groupes de vingt ou trente fois avec des intervalles de repos, et en fin de compte on aura pensé mentalement cent ou deux cents fois l'auto-suggestion causer.
2° On peut varier les procédés.
Une méthode consiste à prendre ces deux autosuggestions plaire. — causer. — et à les répéter l'une après l'autre de la sorte : plaire, causer. — plaire, causer. — plaire, causer. — plaire, causer. — plaire, causer. — etc.
Cette méthode repose des méthodes précédentes.
Au bout de quelque temps, le repos devient nécessaire ; on intercale des périodes de repos succédant à la pratique simultanée de ces deux auto-suggestions.
3° Une méthode mixte, et c'est la plus facile, consiste à penser cinq ou six fois l'auto-suggestion n° 1 pfaire, puis cinq ou six fois l'auto-sug-
gestion n° 2 causer; on revient tantôt à l'une, tantôt à l'autre, de la sorte :
Plaire, plaire, plaire, plaire, plaire, plaire. Causer, causer, causer, causer, causer, causer, plaire plaire pJaire pfaire plaire, causer, causer, causer, causer, causer, plaire, plaire, etc.
On se repose quand on est fatigué, puis on reprend.
On peut associer les méthodes précédentes et on aura la façon de procéder suivante :
Premier groupement :
1° PJaire, plaire, plaire, plaire.....20 ou 30 fois de suite. — Repos.
2° Causer, causer, causer, causer.....20 ou 30 fois de suite.— Repos.
Le premier groupe sera renouvelé un certain nombre de fois. Avec l'exercice répété, la fatigue survenant, on passe à la deuxième méthode. Deuxième groupement :
t° Plaire, plaire, plaire, plaire.....5 ou 6 fois. — Repos.
2° Causer, causer, causer, causer.....5 ou 6 fois. — Repos.
On renouvelle cette pratique un certain nombre de fois, dix ou vingt fois, puis on passe à la troisième méthode. Troisième groupement :
Plaire, causer, plaire, causer, plaire, causer, plaire causer..... 20 ou 30 fois. — Repos. Puis on recommence.
On passe ainsi une demi-heure environ à pratiquer cette auto-suggestion. Alors il est bon de prendre un repos un peu plus long, de cinq à dix minutes.
Si Ton est débutant, il est bon de terminer à ce moment l'exercice d'auto-suggestion.
VIH. — Combien de temps doit-on consacrer a l'auto-su g gestion ?
Pour que l'auto-suggestion donne un résultat certain, il faut lui consacrer un minimum de vingt minutes. C'est l'expérience qui a donné celte mesure. Quelquefois on pourra y consacrer moins de temps, mais le travail effectué sera minime.
Quand on veut avoir un résultat parfait, complet, net, précis, évident; quand on pratique l'auto-suggestion couramment, tous les jours ou toutes les nuits ; quand on est entrainé, on peut y consacrer deux ou trois heures. C'est la bonne mesure. Elle comporte les moments de repos.
Il est bon de couper ces deux ou trois heures consacrées à l'auto-suggestion. Par exemple, on pratiquera l'auto-suggestion pendant une heure ou une heure et demie le soir avant de s'endormir ; puis on pratiquera Tauto-suggeslion une heure ou deux heures dans la nuit ; puis on pratiquera l'auto-suggestion une demi-heure ou une heure le matin.
On peut aller jusqu'à cinq heures d'auto-suggestion par jour; c'est un maximum que l'on peut atteindre facilement quand on est entraîné.
Mais, quand on pratique l'auto-suggestion trop longtemps, elle est l'occasion d'une fatigue très grande, fatigue qui empêche la perfection des résultats, fatigue qui empêche le travail attendu de s'effectuer, fatigue qui ne laisse plus de forces pour produire un travail, une résultante louable et belle.
IX. — Note
Cette petite méthode est le résumé de plus de vingt années de méditations et de recherches. Elle expose la question de l'auto-suggestion dans ses grandes lignes. Mais chaque point devrait être l'origine de développements nombreux et intéressants. Les méthodes courtes sont les meilleures, et on ne doit pas traiter les parties avec trop de détails.
Je veux ajouter cependant un avertissement pour ceux qui seraient tentés de mettre cette méthode en pratique:
1* Il faut être intelligent;
2* Ih faut avoir peur des détraquements, car ils surviennent facilement chez certains prédisposés ou chez ceux qui manquent de prudence Tout entraînement est soumis à des lois auxquelles il faut obéir.
Les détraquements sont tous ces symptômes nerveux décrits par les traités, en nombre si considérable et en formes si variées. Beaucoup de ces détraquements sont dus à une auto-suggestion spontanée, faite en violation des lois de l'organisme.
Des Commentaires feront suite à cette petite méthode.
Discussion.
M. Félix Regnault. — On peut, en s'endormant, s'auto-suggestionner de se réveiller de bonne heure. Supposez, par exemple, qu'ayant l'habitude de s'éveiller à sept heures, on veuille se lever à cinq heures. On y pensera en s'endormant. Très généralement on se trompe et le sommeil cesse à trois heures, puis à quatre heures, enfin à cinq et on a passé une mauvaise nuit.
Dans les couvents, on conseille aux fillettes qui veulent se lever de bonne heure, de demander en se couchant aux âmes du Purgatoire de les réveiller à telle heure, leur promettant des prières si elles font bien leur office.
11 faut distinguer diverses auto-suggestions comme il existe diverses hétéro-suggestions.
L'auto-suggestion dont nous parle M. Coste de Lagrave consiste à répéter machinalement en s'endormant ce qu'on veut se suggestionner.
Je rapprocherai l'auto-suggestion que je fis avec succès à un hypocondriaque, lui conseillant d'écrire chaque soir sur le mur avec de la poudre phosphorée, ces mots: « Je suis gai d et de s'endormir en les contemplant.
Ici, l'auto-suggestion est mécanique, machinale ; elle se rapproche beaucoup de l'hétéro-suggestion. .Comme dans celle-ci, paroles pro-
noncées ou lettres écrites pénètrent par les oreilles ou les yeux pour agir sur le cerveau : elle ne fatigue pas ce dernier.
L'auto-suggestion voulue, méditative, qui se force à penser d'une manière continue à l'acte que l'on veut exécuter, est au contraire pénible et fatigante. Elle ne peut être réalisée que par les gens très volontaires, et à ce titre il ne conviendrait pas de la recommander à ceux qui veulent par la suggestion suppléer à un manque de volonté.
Je ne conseillerai à personne d'en faire un emploi courant, à moins que ce ne soit dans un but de recherches scientifiques. On peut alors arriver à des résultats extraordinaires.
Je citerai le cas d'un européen que j'ai connu il y a dix ans dans un voyage que je fis aux Indes. Ayant vu les exercices des fakirs, il voulut les imiter, et s'aperçut qu'il suffisait de le vouloir fortement pour rester vingt minutes à une demi-heure les bras étendus en croix à l'égal des hystériques. De même, il pouvait, sans souffrir aucunement, s'enfoncer de longues aiguilles dans les joues et dans les mains ; les plaies restaient exsangues. Lorsqu'il négligeait de vouloir au contraire, il souffrait et la plaie saignait.
Un prodige exhibé chez Barnum, Tomasso, l'homme pelote d'épingles, montre des phénomènes de même ordre : ¡1 s'enfonce des épingles sans éprouver aucune douleur, et les piqûres ne saignent pas mais il affirme que l'anesthésie n'apparaît que lorsqu'il le veut. Sinon, il éprouve une douleur et les piqûres saignent. Tomasso commande non seulement à ses vaso-moteurs mais encore à son cœur; il peut activer ou ralentir à son gré la circulation de son sang.
II y a d'ailleurs longtemps que les physiologistes ont étudié des sujets qui pouvaient à volonté arrêter leur cœur.
M. Bébillon. — La méthode de M. Coste de Lagrave, qui lui est absolument personnelle, car on n'en trouve d'indication dans aucun auteur, présente un grand intérêt. Elle permettrait de réaliser dans certains cas une auto-suggestion thérapeutique d'une grande efficacité. Il m'est souvent arrivé d'en enseigner l'emploi à des malades intelligents, après les avoir adaptés à son usage par un entraînement hypnotique préalable. J'ai remarqué que les guérisons obtenues chez ces malades étaient beaucoup plus marquées et qu'on obtenait par l'association de la suggestion hypnotique et de l'auto-suggestion méthodique des transformations durables dans le caractère et la volonté
Les phénomènes réactionnels du début de l'état d'hypnose.
Par le Dr Bébillon.
Chez un assez grand nombre de personnes, le passage de l'état de veille à l'état de sommeil normal, de même que le retour à l'état de veille après le sommeil, s'accompagne de phénomènes objectifs assez
marqués. Les uns ne s'endorment qu'après avoir eu plusieurs spasmes, tels que bâillements, mouvements de déglutition, clignottement des paupières ; d'autres exécutent divers mouvements, se tournent et se retournent dans leur lit. L'apparition de ces phénomènes marque une limite entre les deux états si différents de veille et du sommeil.
Quand il s'agit de l'apparition du sommeil normal, leur constatation présente peu d'intérêt. 11 n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de la production du sommeil provoqué. Il est très intéressant de connaître les signes précurseurs du sommeil et leur constatation peut servir à l'hypnotiseur pour la direction de l'opération.
Par la connaissance de ces signes, on peut déterminer souvent d'une façon précise la limite qui sépare les deux états et connaître le moment où s'effectue le passage de l'état de veille à l'état de sommeil.
M. le Dr Liébeault, auquel on doit tant d'observations ingénieuses, avait souvent conclu que l'entrée dans le sommeil artificiel s'accompagne assez fréquemment de phénomènes insoiites. Les plus importants sont les phénomènes objectifs, car l'expérimentateur peut en apprécier l'importance. Les plus faciles à constater, car ils se passent sous les yeux de l'observateur, sont :
1. Des mouvements alternatifs de resserrement et de dilatation de fa
pupille, ou son relâchement complet.
2. La convulsion des globes oculaires en haut.
3. Le clignotement répété et de plus en plus précipité des paupières. A. Des mouvements de déglutition.
5. Des mouvements spasmodiques des muscles de la face et en parti-
culier des muscles frontaux, qui se contractent et se relâchent alternativement dans leur ensemble, ainsi que les orbiculaires des paupières.
6. Du tremblement, des secousses dans les membres, des contractures
et des mouvements automatiques, qui peuvent gagner tout le corps.
7. L'apparition très fréquente d'un accès d'hilarité sans motif, qui cesse
subitement au moment de l'entrée dans le sommeil. Plus rarement, on constate du larmoiement, également passager.
D'autres signes objectifs sont d'une constatation plus difficile. Parmi eux, nous indiquerons en première ligne des phénomènes cardiaques assez accentués et, en particulier, une élévation de la tension artérielle. Nous avons souvent constaté cette élévation de la tension artérielle à l'aide du sphygmomètre de Verdin. On observe aussi des changements dans le rythme respiratoire qui semble d'abord se ralentir et qui parfois se modifie au point que la respiration devient ensuite haletante.
A ces phénomènes s'en joignent d'autres, mais leur caractère purement subjectif diminue leur intérêt. Pour les connaître, il faudrait interroger le sujet, et cette interrogation interromprait forcément la production du sommeil. Les phénomènes subjectifs les plus habituels sont de la lourdeur de tête, des sensations d'engourdissement, de four-
millement dans les membres, de la constriction e'pigastrique, de Top-pression, de l'énervement.
Tous ces phénomènes précèdent l'apparition du sommeil. Ils en sont les signes avant-coureurs et leur cessation brusque marque l'apparition de l'état de résolution.
M. Liébeault donnait de ces faits une explication basée sur un dépfa-cernenl de Vattention, qu'il envisageait dans ses manifestations comme un influx nerveux.
Nous serions plus disposés à les considérer comme sous la dépendance d'un état émotif et liés à l'existence d'un état d'hystérie plus ou moins accentué. Ce qui me confirme dans cette opinion, c'est que ces phénomènes sont d'autant plus accentués que l'hystérie est elle-même plus développée. Les hystériques, même lorsqu'elles sont calmes, n'exercent sur les fonctions de relation qu'une apparence de contrôle. L'apparition du sommeil provoqué diminue encore leur pouvoir de contrôle, déjà atténué, et cette abolition du pouvoir de contrôle donne libre cours aux troubles fonctionnels en imminence.
En un mot, ces phénomènes réactionnels seraient l'équivalence de la période d'excitation du sommeil chloroformique.
La connaissance de ces faits est extrêmement utile pour l'hypnotiseur. Par la suggestion ou la persuasion, il peut à son gré les modérer, les calmer. L'appréciation de ces phénomènes réactionnels lui donne de précieuses indications sur la suggestibilité du sujet, sur son émoli-vité, sur ses dispositions aux troubles hystériques. Leur apparition lui indique l'entrée dans'les premiers degrés du sommeil hypnotique et lui permet de pronostiquer que le sujet ne tardera pas à être plongé dans un état profond de l'hypnose.
Discussion.
M. Paul Magnin. — Mes observations confirment pleinement celles de M. Bérillon ; j'ai constaté très souvent de semblables phénomènes, aussi bien dans ma clientèle que dans le service de Dumontpallier à la Pitié. L'expérience nous avait appris qu'il ne fallait pas s'en émouvoir et que le sang-froid de l'opérateur, ainsi que son autorité sur le sujet, était le meilleur moyen d'en limiter les effets et de les utiliser pour arriver à la production du sommeil provoqué.
M. Voisin. — Tous ces phénomènes sont des ébauches de crises d'hystérie; il faut que les médecins en soient instruits, qu'ils ne soient point déroutés par leur apparition et qu'ils puissent faire avorter ces crises commençantes. Cela prouve une fois de plus que l'hypnotisme ne devrait jamais être pratiqué que par un médecin et encore par un médecin compétent en la matière. D'ailleurs, comme l'hystérie est un des états qui sont le plus justiciables du traitement de l'hypnotisme, sa constatation ne fait que constituer une indication de plus pour le traitement psychothérapique.
M. Lépinay. — M. le Dr Bérillon vient de nous montrer chez sa malade des excitations au début du sommeil hypnotique. Il a rappelé auparavant que le chloroforme donnait quelquefois des excitations semblables. C'est juste, et j'ai pu l'observer chez un certain nombre de personnes chloroformées. Je l'ai observé aussi sur des petits animaux soumis à l'influence du chloroforme, et, tout récemment, nous avons pu étudier ces excitations avec un chirurgien de Paris, M. le Dr Aubeau, sur une petite chienne que nous anesthésions pour une opération de hernie. Elle eut des clignotements des paupières, des tremblements des lèvres, des mouvements choréiques de différentes parties du corps, et notamment des pattes de devant; enfin, pendant un certain temps, elle poussa des petits cris qui paraissaient n'être que des tremblements de la partie pharyngienne.
Ces faits donneraient raison à M. le Dr Bérillon, qui pense qu'il y a là. de la part des sujets endormis, une opposition à l'influence exercée sur eux.
J'ai l'occasion actuellement d'employer l'acide carbonique pour l'abattage, à la fourrière, des animaux qui doivent être mis à mort, et j'examine à quel degré ces animaux sont anesthésiés par l'acide carbonique avant d'être tués. Je verrai si, au début de l'anesthésie par l'acide carbonique, on constate ces mouvements réflexes.
Réflexes généraux pendant l'état d'hypnose Par M. le docteur Corisin
La malade dont nous voulons vous parler ne présente pas un grand intérêt au point de vue de l'histoire de sa maladie, ou de sa guérison par la suggestion hypnotique. Des cas analogues vous ont été communiqués maintes fois.
Mais si nous avons tenu, M. le D* Bérillon et moi, à vous parler d'elle, c'est parce que nous avons pu observer très distinctement chez cette malade certains phénomènes réactionnels qui marquent la transition de l'état de veille à l'état d'hypnose et qui, en règle générale, ne se produisent pas avec une intensité si nette.
Voici d'abord en quelques mots son histoire. La malade, une jeune fille robuste de 19 ans, jouissait toujours d'une parfaite santé; son examen ne nous révéla qu'une hypoesthésie du côté droit. 11 y a trois ans, la voiture dans laquelle elle se trouvait a été heurtée violemment. La jeune fille eut peur de tomber de la voiture etfut pressée par la roue; elle perdit connaissance et on la transporta à son domicile, où elle resta alitée pendant plus d'un mois. Cet accident produisit chez elle de fortes contusions au niveau des côtes et dans la région épigastrique. Pendant plusieurs nuits de suite, la malade eut des cauchemars : elle rêvait de son accident et se réveillait en jetant des cris d'effroi. Depuis lors, elle eut toujours le sommeil agité et troublé par des cauchemars, quoiqu'elle eut cessé de rêver de son accident.
Trois mois après l'accident, la jeune fille commence à avoir des crises qui se répètent tous les mois d'abord, tous les quinze jours ensuite et depuis un an, régulièrement tous les huit jours. Ces crises s'annonçaient ordinairement par une sensatien à l'épigastre de pesanteur et d'une boule remontant jusqu'au cardia et de fortes douleurs suivies d'étouffe-ments, de crises de larmes et de convulsions. La malade perdait parfois connaissance. Sa crise durait une, deux et même trois heures. Cette jeune fille vint à la clinique il y a trois semaines et depuis elle n'a eu qu'une seule crise le lendemain de la première séance de traitement par la suggestion hypnotique ; c'était le huitième jour, précisément le jour où la crise devait se produire. Les deux autres crises, qu'elle devait avoir ne se sont pas produites. La malade dort mieux et son sommeil est calme. La sensibilité est devenue égale de deux côtés.
Mais je vous ai dit au commencement que ce n'est pas sa maladie, ni sa guérison qui présentent pour nous en ce moment un réel intérêt et j'ai hâte d'aborder ces phénomènes réactionnels et émotionnels marquant la transition de l'état de veille à l'état d'hypnose que nous avons pu observer chez elle mieux que chez les autres et dont je dois vous parler. Je serai bref et je me bornerai à vous indiquer les réactions qui se manifestaient chez cette jeune fille. Le DT Bérillon vous a indiqué les différents phénomènes réactionnels qu'on peut observer plus ou moins nettement chez certaines personnes. Chez notre malade nous les avons nettement constatés.
Dès que nous fixions ses yeux et lui touchions le front, la malade se contracturait, le sang affluait à ses joues et sa figure exprimait de l'anxiété, la respiration devenait accélérée et saccadée, quelques sanglots s'échappaient de sa poitrine. Ces phénomènes ne duraient pas longtemps, la malade s'endormait vite d'un sommeil profond avec de l'amnésie au réveil et se calmait presque immédiatement sous l'influence de nos paroles. Ses réactions émotionnelles diminuaient d'intensité à chaque séance et actuellement le passage de la veille au sommeil se fait par une transition calme et sans aucun trouble.
Mais cette personne a présenté, pendant les premières séances d'hypnotisme, quelques phénomènes particuliers d'un ordre un peu différent. Quand elle dormait, si on s'approchait d'elle et si on lui touchait la main, on voyait survenir de légères secousses dans tout le corps, ses yeux se remplissaient de larmes et elle pleurait pendant quelques instants. Puis elle se calmait et reprenait le cours de son sommeil à peine interrompu. Ces phénomènes réflexes survenant dans le cours du sommeil par l'influence du moindre contact indiquaient une susceptibilité et une irritabilité particulière de l'organisme. Ils pouvaient être considérés comme une défense automatique de l'organisme persistant pendant le sommeil. Ils ont disparu progressivement et actuellement le contact pendant le sommeil ne les provoque plus.
Séance du mardi 18 mars 1902. — Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le D' Jules Voisin rapporte l'observation d'un cas de tremblement hystérique guéri par la suggestion hypnotique.
M. le D' Orlitzky rapporte un fait de suggestion collective et de cynan-thropie survenu en Russie, pendant un repas de noces, par crainte du prétendu pouvoir démoniaque d'une sorcière.
M. le D' Paul Magnin fait une étude d'ensemble des rapports de la sensibilité et de l'hypnotisme chez les hystéro-épileptîques ; il met au point les problèmes que soulève l'œsthésiogénie, laquelle a eu pour initiateur Burq et remonte déjà à un demi-siècle.
M. le D' Bérillon expose les points principaux de la psychologie du buveur d'habitude ; il montre que l'aboulie est le facteur essentiel et que l'hypnotisme, supprimant cette aboulie, apparaît comme le procédé de traitement te plus efficace.
M. le Dr Bérillon présente en outre un jeune garçon de dix ans, atteint depuis neuf ans, d'un balancement céphalique, lequel survient, sous forme de tic, aussitôt que l'enfant s'endort; quelques séances d'hypnotisme ont déjà amené une amélioration considérable.
M. le Dr Félix Regnault discute l'Apollon saurochtone du Louvre. Il y voit une application de l'hypnotisme chez les animaux et propose de substituer au qualificatif saurochtone celui de fascinateur.
M. le D' Paul Farez signale un récent travail de M. Bloch, sur Tauto-topographie, lequel contient un argument en faveur de l'explication récemment donnée de la lecture de pensée : le prétendu liseur de pensée maintient à sa tempe la main de son conducteur parce que les tempes sont la partie du corps humain où la sensibilité tactile est le plus affinée.
M. le Président annonce à la Société que MM. les docteurs Bérillon et Voilier, ainsi que M. Dyvrande, procureur delà République à Dieppe, ont été nommés officiers de l'Instruction publique ; il adresse aux nouveaux promus les félicitations unanimes de leurs collègues de la Société.
M. le Président met aux voix les candidatures de :
Ie M. le Dr Edwin Schutz (de New-York), présenté par MM. lesD" Bérillon et Paul Farez.
2* M. le Dr Poussard (de Rueil), présenté par MM. les D" Hamaide et Bérillon.
3 M. Guenon, vétérinaire en premier au 25e d'artillerie à Chàlons-sur-Marne, présenté par M. Lépinay et M. le Dr Bérillon. La séance est levée à b* h. 50.
Un cas de suggestion collective et de cynanthropie.
Par M. le D' Oscar Orlitzky ide Moscou).
Il existe encore en Russie de nombreuses régions où l'influence des sorciers est considérable, témoin le fait suivant,
Dans une province centrale de la Russie, un mariage devait avoir lieu. Les deux fiancés sortaient de deux familles aisées ; c'était un mariage d'inclination et tout le monde approuvait cette union. En un mot il semblait que tout dût réussir à ce jeune couple. Après la cérémonie religieuse, tout le monde se réunit chez la jeune fille pour prendre part au festin. Tout à coup les parents du nouveau marié s'aperçoivent qu'on a omis de convier une vieille femme, laquelle passait pour sorcière dans le village. Craignant la susceptibilité de cette personne et redoutant sa vengeance, on s'empresse d'aller la chercher, afin qu'elle vienne assister à la noce. Cette femme ne tarde pas à se rendre au repas; maislabonne humeur de tous les convives s'en trouve tarie; la vaisselle, dans laquelle on apporte les mets, se brise, et tous y voient un mauvais présage, une sorte d'anathème, lancé par la vieille sur le jeune couple. Tout le monde se sent bouleversé ; le jeune marié tout particulièrement. Alors l'idée de détruire la sorcière s'empare de tous les cerveaux. On se jette sur la malheureuse et on la frappe avec tout ce qu'on trouve sous la main. Sur le point d'expirer, la victime a encore le temps de prononcer ces mots : a Misérables chiens ! »
Au même instant le jeune marié, qui observait cette scène avec attention, se met tout à coup à aboyer très distinctement; il s'enfuit de la salle en continuant à hurler dans la cour. La noce se termine par l'arrestation de tous lesinvités. A l'audience, personne ne nie sa culpabilité ; chacun affirme qu'il était nécessaire de tuer cette femme, laquelle devait avoir des relations avec de mauvais esprits et attirer le malheur sur le toit des jeunes gens. Quand le marié fait le récit de l'aventure, et qu'il en arrive au moment où la vieille a lancé son imprécation, il recommence de nouveau à aboyer devant les juges.
COURS ET CONFÉRENCES
Hëmisomnambulisme hystérique. - Douleurs oculaires résultant d'un trouble mental pur (M.
Par M. le Professeur Raymond.
»
La malade dont je veux vous entretenir et dont le cas est extrêmement intéressant a été placée dans une position telle que le symptôme saillant de sa maladie soit évident pour vous. Elle est assise devant une
glace fixée au fond du couvercle d'une boite et parle rapidement, sans s'arrêter. Je ferme cette boite; la malade continue à parler, jusqu'à ce que, m'entendant causer, elle cesse enfin de parler.
Je soulève le couvercle de la boite ; immédiatement, la glace attire son regard et, après quelques éclats de rire involontaires, elle se met de nouveau à causer sans répit. Elle parle de sa vie passée et de sa vie présente. Elle a perdu son mari, elle a perdu son fils qui est mort de la diphtérie ; elle raconte, — sans faire attention à l'assistance, sans s'adresser à elle, — que sa belle-mère lui reproche d'avoir tué son mari, qu'on la gronde parce que la chambre est sale et qu'on se plaint de ce que les poules ne sont pas nourries... et elle continue, elle continue ainsi sans arrêt.
Je ne l'ai pas interrogée, je ne lui ai pas adressé la parole ; c'est la vue de la glace qui lui a donné son hallucination ; elle parle même quand elle ne voit plus la glace ; elle parle tout le temps, comme si elle tenait conversation à quelqu'un, mais pas à nous. Je l'arrête en la pinçant. Elle se tait également quand je cause depuis un moment, car elle est entraînée à m'écouter et son hallucination est détruite ; mais, je n'ai qu'à ouvrir la boite et à lui mettre la glace sous les yeux pour qu'immédiatement renaisse l'hallucination et que le bavardage recommence. Les mots se précipitent, les phrases se suivent avec rapidité, la malade parle sur tout sujet, elle cause à un être imaginaire, sans savoir ce qu'elle dit; elle n'a pas le contrôle de ses sens.
En résumé, cette personne est de celles chez qui, étant donnée une certaine manière d'être, une certaine susceptibilité qui leur est propre, on peut créer une hallucination. Les phénomènes qu'elle nous présente sont ceux de Vhémisomnarnbulisme hystérique.
Les signes de son hystérie sont très nets; elle a un fort rétrécissement du champ visuel de l'œil droit et une hémianesthésie droite totale. Elle me cause raisonnablement, répondant bien aux renseignements que je lui demande pour que vous connaissiez ses antécédents ; en conversant ainsi avec elle, je relève la glace et aussitôt elle rit et commence à parler comme une automate; cette parole automatique est de tous points comparable à l'écriture automatique d'autres hystériques.
C'est à 20 ans que la maladie a commencé chez cette personne qui, aujourd'hui, en a 28. Les périodes d'hémisomnambulisme qu'elle a traversées ont été plus ou moins longues ; elle est restée quatre mois et plus à bavarder sans arrêt ; elle a été guérie à plusieurs reprises et elle est retombée depuis deux mois.
Les conditions dans lesquelles son état s'est constitué sont intéressantes. Son père était un homme nerveux qui avait de la tendance à parler seul, comme ces gens qui, lorsqu'ils sont préoccupés, remuent les lèvres sans parler ou parlent haut. Une de ses tantes était une hystérique à grandes crises, qui avait un automatisme semblable au sien, et est restée des années à bavarder. Elle a vu sa tante, elle Ta entendue et la forme de l'hystérie de la tante a déterminé celle de l'hystérie de la
nièce. Réglée à 15 ans, mariée à 16, notre jeune femme est veuve à 17 ans et, peu après, elle perd son enfant. Elle rentre dans sa famille et ne peut plus s'entendre avec sa mère ; elle n'est pas d'accord non plus avec sa belle-mère. Elle se plaint, elle se plaint à haute voix et, en pensée, prend sa tante, absente, pour confidente et lui raconte ses peines.
Dès les premières manifestations de cet état, à 20 ans, elle est soignée à Bordeaux par m. Pitres, qui voit là un cas d'hémisomnambulisme hystérique et d'automatisme de la parole. En deux séances d'hypnoti-sation, il guérit la malade: quinze jours après, elle a une rechute et, de nouveau, elle est rapidement guérie. On l'endort très aisément. Nous l'endormirons, nous la guérirons, mais la guérison, je le crains, ne sera que passagère, car la suggestion n'est pas seule maîtresse, des phénomènes morbides que nous l'employons à combattre.
Dans notre cas. en effet, et dans tous les cas analogues, la suggestion joue un rôle capital, essentiel, et ici, la tante a été l'agent provocateur de la forme sous laquelle l'hystérie se manifeste. Mais, la suggestion n'est pas tout dans l'hystérie; jusqu'à 16 ans, pourquoi notre malade n'a-t-elle pas été suggestionnée, alors que toutes les conditions héréditaires étaient réuniea en elle? Il a fallu qu'elle se mariât et qu'elle perdit son mari, son enfant, et qu'elle eût encore, après ces malheurs, des peines morales; il a fallu qu'elle acquit un état spécial de sugges-tibilité.
Il y a des distraits qui ne sont pas suggestionnables. Pour qu'une série d'idées s'empare de toute la conscience, il faut une diminution du champ de la conscience, il faut un rétrécissement de la mentalité. Pour qu'un sujet arrive à un état tel que celui de cette jeune femme, il faut que la suggestibitité existe avant la suggestion et notre malade est arrivée à cette suggestibilité parce qu'elle était dans des conditions héréditaires favorables et parce que d'autres événements sont venus diminuer sa mentalité.
*
Cette femme a 26 ans. Elle porte un bandeau sur les yeux. Et pourquoi ce bandeau? Parce qu'elle a des douleurs épouvantables dans les globes oculaires; à l'entendre, « Jésus, dans sa passion, n'a pas souffert autant qu'elle ° ; et elle supplie qu'on la soigne et qu'on la guérisse.
On est donc tout porté à la croire ; elle se plaint, elle a un bandeau sur les yeux, donc elle souffre. — Mais, quand on enlève ce bandeau et qu'on examine la malade, on remarque qu'elle n'a pas de strabisme, ni de ptosis, ni de nystagmus ; elle n'a pas de conjonctivite ; les mouvements des globes oculaires se font régulièrement. Quand on veut lui faire préciser la nature des douleurs qu'elle éprouve, elle dit qu'elle ressent les mêmes douleurs que si certaines étoffes couvraient ses yeux. Si on lui demande de lire, elle voit les lettres, mais les lettres dansent devant elle...
En somme, et malgré tout cet appareil dramatique qu'elle déploie, elle voit clair et tous les oculistes qui l'ont vue lui ont dit qu'elle n'avait rien aux yeux. Un seul a prononcé le mot d'asthénopie nerveuse, et c'est déjà trop dire : elle n'a que des sensations purement subjectives.
A l'âge de 20 ans, elle a été endormie par un hypnotiseur célèbre. Avant cette époque, elle était nerveuse, impressionnable, mais pas d'un nervosisme morbide. A 22 ans, elle perd son enfant, son caractère change, elle souffre de partout, elle ressent des douleurs très vives dans l'utérus; elle traduit sa souffrance dans un langage imagé ; un chirurgien lui enlève l'utérus, et je crois bien que le diagnostic qu'il aurait fallu porter pour ces douleurs utérines est le même que celui qui convient aux douleurs oculaires.
Pendant la convalescence de cette opération, étendue sur un brancard, elle lisait les journaux, les romans, sans que sa lecture fixât sérieusement son attention ; elle regardait les lettres sans les voir, elle les voyait s'allonger, danser, se mêler: elle enarriva à ne plus les coordonner. Cela l'effraya et elle rapporta ces phénomènes anormaux à un mauvais état de ses yeux, comme jadis elle avait été amenée à se plaindre de son utérus. Elle fut convaincue que ses yeux étaient gravement lésés et de là à dire qu'elle souffrait, il n'y avait pas loin ; elle le dit et souffrit effectivement, et, dans le langage qu'elle avait à sa disposition, elle rendit compte d'une façon dramatique de ce qu'elle ressentait. Si elle avait été physiologiste, elle se serait rendue compte que son attention, sa volonté étaient malades et non ses yeux.
On lui mit des collyres à l'ésérine, au sulfate de zinc, et plus le collyre la piquait, plus elle se disait souffrante : une commère lui conseilla l'eau sédative et cette application augmenta sa douleur; elle s'écria qu'on avait percé a la membrane de l'œil, qui est si délicate o et affolée, elle est accourue vers nous.
Elle ne présente aucun stigmate d'hystérie ; elle n'a pas l'état mental de l'hystérie ; on l'a endormie jadis, mais l'hystérie n'est pas la cause des accidents actuels. C'est ud cas d'aboulie sur un terrain nerveux, c'est de la psychaslhénie, un pur trouble mental; c'est une question de transformation de la personnalité. Cette femme a fait de l'algie des yeux, avec crainte de cécité. L'algie est réelle et elle est centrale. La malade ne comprend pas son cas et ne l'explique pas bien ; sa souffrance est réelle, mais elle dramatise la situation à ce point que, jadis, on lui a enlevé son utérus ; j'ai connu un homme de 30 ans, avec état mental semblable au sien et à qui on u coupé successivement les doigts, le bras et les nerfs à leur racine.
Je crois que notre malade est hypnolisable. Mais, d'autre part, elle est intelligente, on lui expliquera quel est exactement son état et comment lui sont venues ses douleurs et elle guérira très bien.
De pareils cas sont importants à connaître; il est bon d'en avoir vu, ne serait-ce que pour empêcher des interventions chirurgicales désastreuses et non justifiées.
Suggestion hypnotique comme moyen thérapeutique
Par !e Dr Lebailly de Pont-d'Ouilly
Je n'ai pas la prétention, en publiant ces observations, de présenter des choses nouvelles. Mais le monde médical se désintéresse de ces questions pourtant très sérieuses. Bien des troubles maladifs imputables à certaines modifications du système nerveux, guérissent parfaitement par l'hypnotisme et la suggestion. 11 m'a paru intéressant de rapporter certains faits de ma pratique, très concluants à ce point de vue.
L'hypnotisme, ù mon sens, est une science qui s'applique à l'étude d'un état particulier des êtres vivants, dont le système nerveux présente un manque d'équilibre résultant de troubles de l'organisme (menstruation, intoxications). Dans cet état, la volonté, le moi est atténué ou même supprimé, et peut obéir à la volonté d'un tiers. Par contrc> certaines facultés acquièrent une puissance remarquable, encore inexplicable dans l'état actuel d«Ja science.
Ceci dit, voici huit de mes principales observations.
Observation I. — Mme X..., cabaretière, 40ans. —Constitution excellente. Est devenue nerveuse, irritable depuis quelques années à la suite de l'abandon de son mari. Un jour, dans une rixe entre charretiers avinés, elle reçoit un coup de pied dans le flanc droit. A la suite de cet accident, souffrances très vives et crises nerveuses fréquentes. Je suis amené à provoquer le sommeil hypnotique pour calmer les douleurs. Au bout de quelques mois, on constate une tumeur arrondie venant bomber dans le cul de sac vaginal droit. Le pus se vide par le vagin. Je la fis alors examiner par un chirurgien ; l'examen était particulièrement difficile à cause de l'indocilité de la malade. Je provoquai l'hypnose, et elle supporta sans le moindre mouvement un examen qui dura près de trois quarts d'heure.
Observation H. — X..., 45 ans, maréchal-ferrant. — Alcoolique invétéré. Est pris un jour de délirium tremens. Appelé le lendemain auprès du malade que deux ou trois hommes maintiennent difficilement depuis la veille, j'administre un lavement de choral et des injections de morphine. Au moment où le malade se calme u*n peu, je fais la pression des yeux et du creux de l'estomac et, en deux minutes, j'obtiens le sommeil hypnotique. Je procède alors à une conservation avec mon alcoolique qui réclame à boire à grands cris. Je lui donne de l'eau qu'il boit avidement, croyant prendre du champagne et du vin blanc. Je lui suggère alors de dormir six heures, et j'ai obtenu un très bon sommeil.
Observation III. — Mlle X..., seize ans, bonne santé antérieure. Présente depuis un an des troubles du début menstruel; n'a pas vu
RECUEIL DE FAITS
depuis plusieurs mois. Elle vient me consulter à mon cabinet à deux ou trois reprises, puis je suis appelé chez elle, car elle ne peut marcher; elle présente de la contracture permanente des pieds en dedans. Je l'hypnotise, et aussitôt les pieds reprennent la position normale. Je suggestionne, espérant la suppression de la contracture. Mais elle se reproduit quelques instants après mon départ. Je revois la jeune fille deux fois. Malgré une longue suggestion et des exercices de marche, la contracture se reproduit, avec maux de tète atroces. Je suis remercié. Entre parenthèses, ma pratique me fit beaucoup de tort dans l'esprit des gens du pays. J'appris quelques semaines après que l'on avait consulté un autre confrère qui soumit la malade à la médication broinurée intensive. Depuis, la jeune fille est morte tuberculeuse. La tuberculose, s'élant greffée sur de l'hystérie, était sans doute une des causes de la permanence de la contracture.
Car, dans l'observation suivante, j'ai obtenu une guérison qui date de deux ans et demi.
, Observation IV. — Mlle X..., fillette de quatorze ans et demi, de constitution ehétive. — Les parents sont meuniers et la tare éthylique est probable, car la fillette a eu des convulsions dans son enfance et est très nerveuse. Depuis une dizaine de mois, le caractère a changé, chaleurs dans le ventre, seins ayant grossi, douloureux, en imminence de formation, a eu une très vive secousse (peur ?) cinq à six jours avant ma visite. Depuis cette secousse, elle présente une agitation avec des mouvements à faire croire à la danse de Saint-Guy. Insomnie complète. Dans le pays, on croit à un sort jeté. Elle est ensorcelée. Pression des points sensibles, ovaires et des yeux ; sommeil hypnotique, après deux minutes au plus.
Suggestion, pression, massage des bras, des jambes, traitement tonique pour aider à la formation.
Je revois la fillette deux fois en consultation, puis après une éclipse de trois mois environ, une voiture s'arrête à ma barrière, et les parents m'apportent dans leurs bras la fillette ne pouvant se tenir debout, les pieds contractures. Je l'endors très facilement et, après un exercice de marche d'un quart d'heure, je lui ordonne de remonter seule dans la charrette, dont le marche-pied offre une certaine difficulté d'ascension, comme le savent les médecins de campagne.
Je suis la fillette prêt à la recevoir, et aussi pour la maintenir sous l'influence de ma volonté. On arrive ainsi près du cheval qui, retournant la tête, souffle largement dans le visage de l'endormie. Réveil subit. Recontracture des pieds. Je soutiens d'un bras la fillette et de l'autre main presse les yeux, et lâ fillette monte tranquillement dans la voiture. Je la laisse endormie, et recommande à son oncle, demeurant à 4 kilomètres, de la faire descendre endormie, puis de la réveiller en lui soufflant dans la figure. L'oncle remplit mon rôle à plusieurs reprises. Guérison. Les règles s'établissent quelque temps après. L'oncle m'a dit dernièrement que la fillette allait très bien.
Observation V. — Mw X..., âgée de 38 ans, embonpoint excessif, rien à signaler dans son enfance. Réglée tardivement. Domestique de ferme jusqu'à l'époque de son mariage datant de 8 ans. Deux ans avant, c'est-à-dire il y a 10 ans, elle éprouve une secousse nerveuse violente. Au moment de ses règles, seule avec sa maîtresse, elle avait dû séparer et rattacher deux chevaux entiers qui se battaient dans l'écurie. Depuis cette époque, les règles sont dangereuses, difficiles, après une interruption assez longue, elle éprouve souvent des étouflements, la sensation de boule, etc.
Les rapports conjugaux sont très rares et souvent impossibles. L'anneau vulvaire, contracté et douloureux, ne permet pas le coït. Depuis près d'un an, l'ennui, des idées lugubres, l'anéantissent. Elle dort à peine, ne mange pas, et est incapable de tout travail. Jugeant ma visite nécessaire, je vois cette malade, le 16 février 1900, dans son lit.
Je procède à un examen minutieux de la malade. Aucun organe lésé. Le toucher ne révèle rien. Ovaires très sensibles. J'endors la malade par la pression ovarienne et oculaire. Je suggestionne longuement cette nerveuse, et j'insiste sur les rapport conjugaux. Comme traitement médicamenteux : eau chloroformée contre les spasmes de l'estomac et phosphate de soude, tonique nerveux. Je lui impose de revenir à ma consultation, huit jours après, puis de quinze jours en quinze jours. La suggestion a réussi, et obéissant, elle revint tous les quinze jours d'abord, puis tous les mois, ensuite tous les deux mois. La malade, contre vent et tempête, prend le chemin de mon cabinet, obéissant à une impulsion inconsciente. Je revois cette personne il y a trois mois environ. Sa santé est transformée. Elle se trouve bien, elle a repris courage et travaille. Elle s'endormait à la parole, autrefois. Cette fois-ci, elle résiste. Je n'insiste pas, d'autant plus que la présence d'une tierce personne, derrière la porte, et dont elle est consciente, l'a fait résister. Mais son état de santé actuel rendrait l'hypnotisme plus difficile. En dehors du bon résultat obtenu par la suggestion, je noterai l'économie du traitement. Depuis son mariage, tout l'argent économisé et disponible s'était évanoui, gaspillé en inutiles consultations et en achat de médicaments variés et très onéreux.
Observation VI. — M°' X..., âgée de quarante-deux ans. Embonpoint très marqué. Bonne santé habituelle. Rien à signaler dans son enfance. Vient me consulter à deux reprises en avril 1900. Cette femme a perdu il y a quatorze mois un fils unique âgé de sept ans. Le chagrin a entraîné des troubles profonds. Depuis six mois, suppression menstruelle. Insomnie, picotement de toute la peau. Zones d'hypereslhésie et d'insensibilité. Inertie presque complète. Inutilité des bromures prescrits lors de deux consultations. Le 9 mai, je me rends près de la malade. Aucune lésion d'organe. Creux de l'estomac très sensible (pointe du sternum). La pression de ce point et des yeux produit presque instantanément le sommeil. Suggestion.
Je maintiens cette nerveuse pendant plusieurs mois sous l'influence
de mes conseils, en suivant la même méthode que dans l'observation précédente. Retour à la santé. Je rencontre fréquemment celte personne, lorsque je me rends à Condé. Sa santé est bonne et elle est consolée dans la mesure du possible.
Remarque. — Sous l'influence des troubles nerveux, alors que les ovaires sont troublés dans leurs fonctions, il peut se présenter un embonpoint excessif, comme chez les êtres mâles ou femelles châtrés (observations I, V, VI).
Observation VII. — M"* X..., dix-huit ans, ouvrière de filature. Ses parents me font appeler fin novembre 1892.
Cette jeune fille présente de la fièvre vive avec un ensemble de symptômes simulant la fièvre muqueuse ou fièvre typhoïde légère. Rien à signaler dans ses antécédents. Sur cet ensemble se greffent des accidents nerveux (boule). Tous ces troubles ont été causés par chagrins d'amour, rupture de mariage. Points ovariens sensibles, mais point sternal (pointe) très sensible produisant rétouffemenl. Pression de ce point et pression oculaire, sommeil hypnotique très rapide, suggestion. Deuxième visite le 2 décembre, mieux sensible. Nouveau sommeil. Je fais lever la malade, les yeux bandés. Elle transporte un objet d'un endroit à un autre selon ma volonté.
Troisième visite le 6 décembre. Désirant me rendre compte si la conscience persistait dans cet état, et après avoir averti la mère, j'impose à mon hypnotisée de s'habiller, de faire un petit paquet de ces affaires, puis d'embrasser sa mère qu'elle doit quitter pour toujours et pour être à mes ordres en tout et pour tout.
La jeune fille résiste, obéit, mais arrivée à la porte, elle éclate en sanglots, se cramponne à la porte. Je la réveille en soufflant dans la figure pour mettre fin à cette scène pénible.
Observation VIII. — M"0 X..., dix-sept ans, grosse fille robuste et de bonne santé, prend le lit, atteinte d'une fièvre très vive, mal de tète, envie de vomir, langue sale, étouffements : un ensemble de symptômes pouvant faire croire à un début de fièvre typhoïde. Le début brusque éloigne cette idée. J'apprends que les règles ont été arrêtées brusquement il y a cinq à six jours, cette domestique ayant éprouvé une grande frayeur en voyant son patron se colleter avec un de ses voisins.
Sommeil. Suggestion. Guérison.
Les observations VII et VIII ont pour point de départ l'arrêt des règles. Par le sang menstruel, en dehors de la ponte des œufs, la femme, surtout la jeune fille, se débarrasse de toxines, question dont on s'occupe beaucoup en ce moment. Ces toxines ont sans doute produit cet ensemble simulant un état typhoïde.
L'utilité de l'hypnotisme et de la suggestion dans ces sortes d'affections est indéniable.
(L'Année médicale de Caen.)
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième mardi de chaque mois, à ï heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
La prochaine séance de la Société aura lieu le mardi 20 mai 1902.
Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Avis important. — M. le Dr Paul Farez, secrétaire-général-adjoint, 93, rue de Courcelles, Paris, a accepté de remplir les fonctions de trésorier. Pour faciliter les recouvrements, les Membres de la Société sont invités à lui adresser le montant de leurs cotisations.
Séance annuelle de la Société d'hypnologie
La séance annuelle aura lieu le mardi 17 juin 1902. L'année dernière il a été décidé que la séance annuelle serait avancée d'un mois. Comme les années précédentes, la séance annuelle sera suivie d'un banquet. Nous comptons cette année sur la présence d'un grand nombre de nos collègues de la province et de l'étranger.
La guerre du Transvaal et la folie en Angleterre.
On remarque, en Angleterre, que beaucoup de gens revenus de l'Afrique du Sud sont en proie à une surexcitation nerveuse manifeste. D'autre part, il y a un accroissement du nombre des vésanique dont la cause serait, d'après M. Claye Shaw, la guerre du Transvaal. En tous cas, le rapport de la Commission des asiles de Londres, constate qu'en 1901 le nombre des aliénés s'est élevé de 16. 358 à 21.369.
NOUVELLES
L'enseignement médical de la Pitié
Quatre médecins de l'hôpital de la Pitié se sont réunis pour instituer, dans cet hôpital, un enseignement tel que, chaque matin, les étudiants puissent entendre une ou deux leçons faites sur une branche spéciale de la pathologie. Cet enseignement n'est pas seulement didactique, une large part est réservée à la pratique aussi bien dans les salles de malades que dans la salledesconsultations spéciales, en ce qui concerne les maladies de la nutrition, tes affections du système nerveux, la dermatologie,
la gynécologie médicale. Les élèves seront mis à même de suivre les examens cliniques, les soins donnés dans les divers cas, en même temps que les leçons théoriques.
Maladies du système nerveux
M. Babinski commencera ses conférences cliniques sur les maladies du système nerveux le samedi 3 mai à 10 h. 1/2 et continuera tous les samedis suivants.
Dermatologie
M. Darrier.
Samedi, k9h. ijk. — Amphithéâtre — Leçons cliniques et théoriques sur les maladies de la peau.
Jeudi, à 10 h. — Laboratoire Piorry — Conférences avec démonstrations microscopiques sur l'histologie des maladies de la peau.
Lundi et vendredi, k9h. — Salle des consultations spéciales—Consultations dermatologiques.
Mardi, à 10 h. — Salle Piorry — Opérations dermatologiques.
Gynécologie médicale
M. Paul Dalchê commencera ses leçons de gynécologie médicale, le lundi 21 avril à 10 h. 1/4 et continuera les lundis suivants.
Objet du cours : la Puberté Mardi, à 9 h. — Salle Cruveilher — Maladies des femmes. Mercredi, à 9 h. — Salle des consultations spéciales — Même sujet. Vendredi, à 9 h. — Salle Monneret — Clinique générale.
Maladies de la nutrition
M. Albert Robin reprendra ses leçons de clinique thérapeutique, le mercredi 16 avril, à 10 h., et continuera les mercredis suivants.
Objet du cours : Thérapeutique des maladies de la nutrition. Jeudi, à 9 h. — Salle des consultations spéciales — Diagnostic des
maladies de la nutrition : M. Michel assistant. Samedi, à 9 h. — Salles Serres et Valleix — Présentation de malades
avec discussion du traitement.
Ecole de psychologie. — Le cours de M. le Dr Bérillon à l'Ecole pratique de la faculté de médecine sera complété par une conférence, avec projections lumineuses, faite à YEcole de psychologie, 49, rue Saint-Andrê-des-Arts, le jeudi 22 mai, à cinq heures. Sujet de la conférence : Le grand hypnotisme d'après les travaux de Charcot et de Dumontpallier. — Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
LAdministrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON
Paris. Imprimerie A. quelquejeu rue Gerbert. 10.
REVUE DM^YPNOTISME
EXPÉRIMBSTALtÉT^ÎHËRAPEUTIQUE
10- Année — ? 12. ^ÇjwgSr Juin Ï902.
La sociologie criminelle
Par m. le professeur Niceforo, de Lauzanoe
(suite et fin)
Celui qui croit qu'une science quelconque peut se développer en dehors des autres sciences commet une faute qui condamne à mort cette science. Toutes les sciences, dans l'univers scientifique, se tiennent, — et les découvertes qu'une d'elles accomplit, se répercutent dans les autres comme les vibrations d'un écho sans fin. •
C'est, justement, en raison de cette loi admirable d'harmonie scientifique, qu'une science, surtout une science qui étudie une des nombreuses activités humaines, ne peut pas se passer des autres sciences qui étudient, d'après nature, l'homme même.
Tout acte de présomption scientifique commis dans ce sens porte avec lui la condamnation à mort de cette science orgueilleuse.
Je vous disais que c'est surtout aux médecins et aux alié-nistes que nous devons les premières tentatives d'application — à la science du crime — soit de la méthode expérimentale, qui avait donné des résultats si merveilleux dans les autres sciences, soit des découvertes des sciences naturelles et médicales. Les juristes, en effet, surtout les juristes classiques, n'auraient jamais fait cela.
ïl y avait, d'abord, une question d'incompétence.
Des juristes, enfermés dans leurs théories abstraites, ne connaissant que l'homme réel et vivant rien de positif, ne pouvaient pas s'apercevoir de l'importance qu'apportaient les nouvelles découvertes des sciences naturelles et médicales. Ils se trouvaient, en face de ces découvertes, un peu comme les in-
digènes d'Amérique lorsque, pour la première fois, ils virent les bateaux et les hommes de Christophe Colomb.
Il s'agissait, en effet, de découvertes que j'appellerais techniques et qui se reliaient à la psychologie, l'anthropologie, l'histologie, l'anatomie humaine et comparée, l'cmbriologie, etc. On ne s'étonnera donc pas si le droit pénal classique a continué, vis-à-vis de l'arabe incompréhensible pour lui de ces découvertes, à battre son chemin et à rester toujours semblable à lui-même sans même comprendre la grande révolution qui s'accomplissait autour de lui.
Mais les innovateurs ne se déclarèrent pas vaincus devant cette indifférence du droit pénal classique. Au contraire, ils redoublèrent leurs efforts, et quand surgirent d'autres hommes qui, avant de se dédier au droit pénal, jugèrent nécessaire de passer à travers le creuset des sciences médicales et naturelles, la Sociologie criminelle était fondée.
Il ne faut pas croire, pourtant, que la sociologie criminelle soit le résultat d'un heureux mariage entre la médecine et le droit pénal.
La sociologie criminelle prend seulement, comme point de départ, les résultats de la psychologie, de la psychiatrie et d'autres sciences naturelles, et elle étudie l'homme criminel avec la méthode expérimentale, en se servant de la lumière qui a jailli des découvertes des sciences médicales et naturelles. Ces découvertes, en un mot, tout en étant le point d'arrivée de certaines sciences naturelles, ne sont que le point de départ de la sociologie criminelle. Voilà la différence.
Quelles sont donc ces découvertes qui ont révolutionné le champ du droit pénal ?
On pourrait condenser en deux larges catégories les résultats de la psychologie et de la psychiatrie qui, — (à part l'application de la méthode expérimentale dans la science du crime), — ont déterminé la naissance de la sociologie criminelle.
Voilà la première catégorie, — due plus à la psychologie expérimentale qu'à la psychiatrie.
Tout acte de l'homme, soit intérieur, soit exténeur, n'est que le résultat nécessaire de la constitution organique de l'homme et du milieu, soit social, soit physique, qui agit sur lui.
Voilà, maintenant, la seconde catégorie due plus à la psychiatrie qu'à la psychologie :
Le criminel est, dans sa conformation organique et psychologique,
tout à fait différent des autres hommes. Toutes ces différences constituent des phénomènes de pathologie oui s'appellent dégénérescences.
Vous comprenez de suite quelle révolution apportent ces deux théorèmes scienlifiques dans l'étude du crime et de l'homme criminel. En disant que tout acledc l'homme n'est que le résultat nécessaire de la constitution organique de l'individu et du milieu (soit social, soit physique) qui agit sur lui, — on dit que ce n'est pas la libre volonté de l'homme qui guide ses actions, mais la constitution organique individuelle en concurrence avec les pressions que le milieu exerce sur lui. En disant que la constitution organique du criminel est différente de la constitution organique de l'homme normal, on dit qu'on devient criminel parce qu'on a dans sa constitution organique des stigmates de dégénérescence que l'homme normal n'a pas.
Le crime n'est donc pas le fils du libre arbitre, ou de la volonté du criminel;— il n'est que le résultat de la constitution organique et psychique, et du milieu dans lequel le criminel a vécu.
L'école classique, qui s'est refusée à étudier l'homme, sa psychologie, son cerveau, sa constitution organique, etc., etc., au lieu de partir de ces deux théorèmes scienlifiques, partait pour bâtir son catéchisme des crimes et des peines, d'un principe tout à fait opposé.
Elle a dit : L'homme criminel commet son crime parce que son libre arbitre l'a poussé au crime. Il faut cependant reconnaître — (c'est toujours le droit pénal classique qui parle) — il faut cependant reconnaître que dans ccrlaines circonstances ce libre arbitre diminue (comme dans la passion, l'âge avancé, la force irrésistible) — ou disparait complètement comme dans la démence.
Et alors —(c'est toujours le droit pénal classique qui parle) et alors, — pour punir le criminel je mesure la quantité de son libre arbitre. Si son libre arbitre est complet, l'homme criminel est responsable complètement ; si l'homme criminel ne jouit que d'un libre arbitre moins complet, je diminue sa responsabilité; — si l'homme criminel, enfin, n'est pas libre du tout, je ne le rends responsable de rien.
J'ai dit que ce principe est erroné. C'est la psychologie et la psychiatrie qui se sont chargées de prouver sa fausseté, en démontrant que, tout acte de l'homme ne dépend pas de son libre arbitre, mais qu'il est le résultat soit de la constitution
organique, soit du milieu physique et social dans lequel l'homme vit.
Je dis, aussi, que ce principe est illogique. En effet, du moment qu'il admet des causes qui diminuent ou détruisent la liberté humaine, de quel droit ou avec quel critérium osera-t-il affirmer que ces causes sont seulement la démence, la folie morale, la minorité, la force irrésistible, etc. ? Et pourquoi n'osera-t-il pas donner d'autres causes dont tout le monde reconnaît l'existence et l'importance sur les actions humaines, c'est-à-dire, le degré d'instruction du criminel, la misère économique, l'influence nerveuse d'une journée orageuse et chargée d'électricité, la chaleur, le froid, le degré de la civilisation dans lequel le criminel se développe, son tempérament qui peut être sanguin ou nerveux, lymphatique ou bilieux, — sa race, qui peut être irritable ou tranquille, dégénérée ou saine ?
Voilà donc la contradiction. On est forcé, — (je ne sais avec quel critérium) à établir que quatre ou cinq causes seulement influent sur les actions criminelles — tandis qu'il y en a, non seulement quatre ou cinq, — mais cent mille. J'ai dit que ce principe était faux et illogique. Je dirai, aussi, qu'il est d'une application pratique impossible. En effet, le droit pénal classique prétend mesurer la liberté humaine de chaque criminel afin de lui appliquer une dose tout à fait égale de responsabilité, et, en conséquence, de pénalité. Mais, comment peut-on faire, je demande, pour mesurer exactement la quantité de liberté humaine? Non seulement; mais aussi, comment peut-on faire pour appliquer une pénalité qui soit exactement correspondante, comme poids et comme mesure, à la liberté humaine qu'on a cru mesurer?
Il faut ajouter, aussi, que le principe de la liberté humaine est non seulement combattu par la psychologie expérimentale, laquelle a démontré que tout acte de l'homme est le résultat de la constitution organique et de la pression du milieu dans lequel l'homme vit, — mais qu'il est aussi combattu par une multitude respectable de philosophes qui sont arrivés à cette vérité par un autre chemin que celui de la psychologie expérimentale. Et alors, je demande, comment peut-on baser tout l'édifice de ce système répressif, qui forme une partie si grande et si puissante de la fonction sociale du pouvoir, sur une doctrine qui non seulement est fausse d'après la science, qui non seulement est illogique par elle-même, qui non seulement est d'une applica-
lion pratique impossible, —mais qui est aussi disputée dans tout le domaine de la pensée humaine soit scientifique, soit philosophique?
Nous étudierons plus tard où il faut placer la base de la responsabilité du criminel ; mais, avant d'établir des théorèmes et faire des définitions, — étudions les faits. Suivons le criminel dans sa vie, — pénétrons dans son cœur, fouillons dans son âme comme les botanistes fouillent dans la terre pour chercher les racines des plantes, suivons le criminel dans les prisons, — cherchons les causes qui l'ont poussé au crime — et seulement après ces observations, nous pourrons parler du droit répressif.
Parce que seulement cette méthode d'observation porte, dans toutes les manifestations de la vie, à la découverte de la vérité ; c'est seulement cette méthode qui vivifie et immortalise toute recherche scientifique; c'est seulement cette méthode, enfin, qui élève un système de recherches et d'applications pratiques à la dignité de science. Et nous verrons plus tard que, grâce à cette méthode, la sociologie criminelle n'est pas — comme le droit pénal d'aujourd'hui, un catéchisme sec et égoïste de vengeance sociale, mais une véritable science, une science qui prend sa racine dans la vérité et dans la justice et qui cherche à faire de cette société humaine pour laquelle nous tous travaillons, non pas une aveugle vengeresse, mais une juste protectrice du Droit.
Résumons donc le domaine de la sociologie criminelle.
La sociologie criminelle est composée de trois parties. La première partie étudie d'abord les causes du crime, — et comme ces causes sont des causes physiques, des causes individuelles et des causes sociales, elle commence par étudier le milieu physique, dans lequel le criminel se développe, le milieu social, qui le pousse au crime, et sa constitution organique. Pour l'étude du milieu physique, la sociologie criminelle puise à la Socio-géographie, qui a été aujourd'hui admirablement développée par Iïatzel et qui étudie l'influence du milieu géographique en général (tel le climat, la latitude, l'altitude, etc.) sur l'homme. Pour l'étude des causes individuelles du crime, c'est-à-dire pour l'étude de la constitution organique du criminel, la sociologie criminelle puise à l'Anthropologie criminelle qui étudie la constitution physique du criminel, et à la Psychologie criminelle qui étudie les sentiments et l'intelligence du criminel.
Pour l'étude des causes sociales du crime, c'est-à-dire pour
l'étude du milieu social qui forme le criminel, la sociologie criminelle puise à cette source intarissable qui est la Statistique. Les statistiques économiques, morales et criminelles, lui fournissent une véritable mine où elle cherche et trouve le filon d'or brillant de la vérité.
La deuxième partie de la sociologie criminelle étudie le critérium et les moyens de répression du crime, en s'appuyant sur les résultats de la première partie, c'est-à-dire sur des études positives du criminel. Cette deuxième partie correspond, à peu près, à ce qu'on appelle aujourd'hui le droit pénal, avec cette différence cependant que — lorsque le droit pénal décrète la responsabilité du criminel et les mesures répressives, il ne connaît ni le criminel, ni le milieu qui a forme le criminel : cette partie de la sociologie criminelle, au contraire, bâtit son système répressif sur les résultats que l'étude minutieuse du criminel et du milieu criminel lui fournit. Le « critérium » de la répression étudie le problème de la responsabilité du criminel, la notion du crime et le procédé de l'action pénale-Les « moyens de répression » étudient les différente systèmes de répression imposés aux différentes catégories de criminels par la loi.
La troisième partie de la sociologie criminelle s'occupe de prévenir les crimes en agissant sur les causes sociales, physiques et individuelles, qui les produisent, et que la première partie de la sociologie a étudiées et éclairées. J'aimerais appeler cette partie politique criminelle, parce qu'elle étudie les façons avec lesquelles les gouvernements peuvent substituer à un état de choses producteur de criminalité, un autre état qui ne Je soit pas. Je rattache aussi à cette partie l'étude scientifique du traitement du criminel dans les pénitenciers, dans les colonies agricoles, et, enfin, dans les établissements où le droit répressif envoie les criminels pour les corriger ou pour les isoler de la société.
Parce qu'il ne suffit pas que la loi répressive envoie, par exemple, — le criminel dans une colonie agricole et l'oblige au travail; — non, il faut aussi suivre jour par jour la vie du criminel dans le nouveau milieu qu'on lui donne, pour établir, d'après les observations psychologiques, le degré de perversion ou les progrès de son amélioration morale.
La politique criminelle — a donc deux parties : — une, la première, préventive, qui cherche à couper les causes sociales, physiques et individuelles des crimes ; — et l'autre, répressive, qui
surveille le traitement des criminels dans les différents établissements où la loi répressive les envoie.
J'ai résumé dans le tableau suivant le champ d'investigation île la sociologie criminelle.
SOCIOLOGIE CRIMINELLE 1- Les causes du crime.
Causes physiques. —(Soc¿0géographie : rapports entre le climat, la latitude, l'altitude, le milieu telluriqueet l'homme criminel);
Causes individuelles. — {Anthropologie criminelle : étude du crâne, du squelette, des viscères, delà physionomie des criminels);
b) (Psycho'ogie criminelle: étude des sentiments, de l'intelligence et de la psychologie physiologique du criminel) ;
Causes sociales. — (Statistique criminelle: étude des rapports entre le milieu social et le criminel, — moyennant la méthode statique) ;
2- Le « Critérium » et les moyens de répression.
a) « Critérium * de la répression — étude de la responsabilité, de la
notion du crime, et de l'action pénale.
b) Moyen de répression — étude des différents systèmes de répression
(élimination et correction) imposés par la .loi aux criminels.
3° Politique criminelle.
a) Politique criminelle préventive — recherche des moyens qui pré-
viennent le crime.
b) Politique criminelle répressive — étude du traitement des criminels
dans les différents établissements où la loi répressive les envoie.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 15 Avril 1902.— Présidence de M. Jules Voisin.
La séance est ouverte à 5 h. 45.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. La parole est à M. le Secrétaire général pour lu lecture de la correspondance. La séance est levée à 6 h. 30.
Tremblement trépidatoire hystérique guéri par la suggestion hypnotique
par M. le Dr Jules Voisin*, médecin de la Salpêtricre.
Je vous présente l'observation d'une jeune fiIle de 17 ans, qui, messieurs, sous l'influence d'une vive émotion, a été prise d'un tremblement trépidatoire. de tout le côté gauched'abord. puis trois jours après des deux côtés, et qui fut guérie par la suggestion hypnotique. Celte malade fut apportée à ma consultation externe de la Salpélrière (elle était dans l'impossibilité absolue de marcher), et s'en retourna à pied complètement guérie (*).
Voici l'histoire de cette malade :
Son père est sommelier et éthylique ; sa mère est morte à la suite de couches. Réglée pour la lre fois il y a 9 mois sans accidents, celte jeune Ûlle eut dans son enfance plusieurs maladies, rougeole, scarlatine, bronchite et amygdalite ; mais à partir de 9 ans clic se porta bien et se développa normalement. Placée dans une crémerie, elle travaille beaucoup et est chargée d'aller porter le matin de bonne heure le lait chez lesclicnts. Il y a trois semaines, en revenant de livrer du lait à 6 h. du matin, sur le quai Morland. elle fut interpellée et suivie par un individu qui lui occasionna une grande frayeur. Elle se dépécha de rentrer chez son patron où clic arriva très pâle et très émotionnéc. Elle n'en continua pas moins son travail. Mais celle scène du jeune homme lui revenait souvent à l'esprit et l'angoissait. Ce ne fut cependant que quinze jours après celte rencontre qu'elle présenta les symptômes pour lesquels elle vint nous consulter. Le tremblement débuta le matin, en se levant, par le pied droit, puis le lendemain le tremblemement s'étendit au membre supérieur du même côté. Enfin trois jours après les quatre membres furent pris et il fut impossible à cette jeune fille de marcher sans soutien. Le tremblement est très bien rhythmé, les oscillations ont lieu d'avant en arrière et sont constitués par des mouvements d'extension et de flexion, de petite étendue et de vibrations encore moins étendues. Ce tremblement qui a été hémiplégique le premier jour, est maintenant étendu aux quatre membres. Il produit ce petit tapottement des pieds que nous entendons d'une manière régulière. Ces oscillations qui sont au nombre de deux à trois par secondes et d'une très petite étendue, augmentent d'étendue et diminuent de nombre quand la malade fait des mouvements intentionnels. Nous voyons alors de véritables secousses qui rappellent celles de la chorée ou de l'ataxie. Pas de mouvements du côté de lu langue et des lèvres. Dans la position horizontale, c'est-à-dire quand la malade est couchée ces mouvements diminuent cl même cessent, tout à fait quand
(1) Cette malade a été l'objet d'une leçon à mon cours à la Salpétrière le 30 janvier 1902.
on ne parle pas à la malade. En même temps que ce tremblement, nous constatons de Panesthésie et de l'analgésie qui d'abord limitée au côté droit s'étendit au côté gauche le jour ou le tremblement apparut de ce côté. Points hystérogènes au niveau de l'ovaire droit, sous le sein gauche et au niveau de l'épine dorsale sur la ligne médiane à la 12e vertèbre' Anesthésie de la face et des oreilles, excepté au nez. Le cuir chevelu est sensible.
L'ouïe, l'odorat, le goût sont normaux, mais la muqueuse extérieure des lèvres et des yeux est insensible.
Le champ visuel est très rétréci des deux côtés, mais surtout ù droite. Pas d'achromatopsie.
La compression de l'ovaire produit la sensation de boule. Elle remonte jusqu'à la gorge et produit la toux et une sensation d'étouffement. Pas d'attaques convulsives.
Le sens musculaire est modifié. Au dynamomètre, l'aiguille à droite s'arrête à 10 et à gauche à 60 quand le tremblement et l'anesthésie n'existaient pas de ce côté, mais du jour où les deux côtés furent anesthésiés et animés de trépidation, le dynamomètre varia entre lOet 15. Sion met le bras en l'air la malade ne reconnaît pas du premier coup la position de ses bras ; elle ne le reconnaît qu'au bout de 5 à 6 secondes mais après un mouvement intentionnel. Le sens musculaire et articulaire sont donc un peu modifiés.
Le sens stéorognostique ou sens de relief est intact.
L'intelligence est intacte et les appareils pulmonaire et circulatoire ne présentent rien de particulier. Rien de particulier non plus du côté de l'appareil gastro-intestinal. Les digestions se font bien. Règles régulières.
Diagnostic.— En présence de ce tremblement trépidatoire très bien rhythmé, de cette anesthésie généralisée, de cette abolition du sens musculaire et articulaire, de ces points hystérogènes, le diagnostic était facile. Il fallait penser à l'hystérie quoique la malade n'eut jamais de convul-tions. La maladie de Parkinson, la chorée, l'ataxie locomotrice qui présentent quelque analogie avec ce tremblement rhythmé accompagné de secousses sont facilement éliminés par l'étiologiede la maladie, l'ensemble des symptômes et l'âge de la malade. Le traitement par l'hypnose et la guérison immédiate après une séance d'hypnotisme est encore une preuve de la nature hystérique de toutes ces manifestations.
Traitement. — J'endormis la malade par la fixation du regard : je lui suggérai de n'avoir plus de tremblement et d'anesthésic et d'être très bien portante. Au bout d'un quart d'heure je la réveillai et la malade était très bien portante. Il n'y avait plus de tremblement et d'anesthésie. Je prescrivis en outre des douches brisées et du valérianate d'ammoniaque.
L'aboulie chez les buveurs d'habitude.
par le docteur Iïémllon.
Un fait qui nous a souvent frappé lorsque nous avons étudié l'état mental des buveurs d'habitude, c'est que dans la grande majorité des cas l'habitude de boire avec intempérance remonte à une date déterminée qui correspond toujours avec un événement ayant joué un rôle important dans l'existence de l'individu.
Il peut arriver que l'événement se soit présenté sous forme d'un accident assez grave, ayant entraîné des blessures ou n'ayant provoqué qu'une commotion nerveuse tel qu'on l'observe dans le ralway Drain ou le râlw&y spine. Tel était le cas d'un officier de cavalerie, très sobre jusqu'au moment où il fit une chute de cheval. Il se relève n'ayant pas d'autres blessures que des contusions qui l'obligèrent à garder le lit pendant plusieurs jours. A partir de ce moment, on constate de notables modifications dans son caractère. Autrefois actif, audacieux et même téméraire, il parut transformé en un homme hésitant, timoré et presque dépourvu d'initiative et de volonté. Peu après il se mit à boire et devint - absolument intempérant, à tel point qu'il présente des accès de délirium Ircmcns.
Les événements liés à des causes morales sont de beaucoup les plus fréquentes. Parmi ceux qui jouent un rôle considérable dans la vie de l'individu et déterminent l'apparition d'un véritable état d'aboulie, il faut noter :
1° Les émotions dépressives résultant d'un amour contrarié, d'un projet de mariage rompu. -2° Les chagrins domestiques et les malheurs conjugaux. — Les ennuis consécutifs;) la trahison conjugale jouent assurément le rôle le plus important dans le développement des habitudes d'intempérance. - 3° La perte d'un être aimé : La mort d'un conjoint ou d'un enfant, par exemple.
4° La perte d'une situation, la ruine, les condamnations judiciaires, en un mot la diminution de la situation matérielle ou morale.
Quand l'une de ces circonstances est survenue d'une façon inattendue, elle revêt l'allure d^un véritable choc moral. Il en résulte un trouble profond qui se manifeste essentiellement par l'apparition ou l'accentuation de l'état d'aboulie. L'individu semble, depuis ses ennuis ou son malheur, absolument dépourvu de volonté. Il le reconnaît et il met sur le compte de l'aboulie tous les désordres de sa conduite, se déclarant incapable de résister aux entraînements. De plus il avoue qu'il n'est heureux que lorsqu'il est sous l'influence de l'excitant alcoolique qui lui donne l'illusion du retour momentané de la volonté.
Dans quelques cas, l'abus des boissons alcooliques n'a d'autre cause qu'une grande timidité naturelle. Nous avons relevé un grand nombre
de faits qui corroborent cette opinion. Xous nous bornerons à en citer un seul exemple, très frappant :
M. D..., sous-officierd'administrationàVincennes,âgé de 22ans, vient nous trouver pour nous demander de le guérir de ses habitudes d'alcoolisme.
II n'a commencé à boire que depuis quelques mois. Etant très timide, il a commis quelques bévues dans son service, de ce fait il a subi quelques réprimandes d'un de ses supérieurs. Depuis lors; la présence de ce supérieur provoque chez lui de véritables états d'anxiété : quand il est interrogé par lui, il se trouble, il tremble, il balbutie. Il s'est aperçu que le seul remède à cet état était l'absorption d'une certaine quantité d'alcool. Après avoir pris quelques petits verres, il recouvrait toute son assurance. Il n'a pas tardé à contracter l'habitude de boire.
En résumé, chez tous les buveurs d'habitude que nous avons observés, nous avons constaté l'existence d'un état d'a&oufie très manifeste. II est vrai que cette aboulie existait fréquemment d'une façon relative avant l'apparition des habitudes d'intempérance, mais toujours sous l'influence d'un choc moral, d'un événement ayant mis en jeu l'émotion d'une façon anormale, celte aboulie s'est aggravée et accentuée et c'est de ce jour que l'individu est devenu un buveur d'habitude.
La conclusion est que le traitement rationnel doit consister dans la rééducation de la volonté, réalisée avec l'aide ,dc la méthode hypno-s u gg es live.
PSYCHOLOGIE ANIMALE
L'intelligence des ours blancs.
M. le docteur Oscar Orlitzky, de Moscou, nous adresse la relation suivante :
« Pendant un voyage que je fis sur l'Océan glacial arctique, il m'est arrivé de visiter la « Nouvelle Zemblc ». Cette triste ile, couverte de collines pierreuses, parait être oubliée du reste du monde.
« Les ours blancs, les phoques, les morses, les otaries sont presque les seuls habitants de ces espaces immenses. Toutefois, il y a quelques années, le gouvernement russe y a envoyé une colonie composée de soixante Samoyèdes environ, qui y chassent et y pèchent.
« Pendant près de neuf mois, entourés de glaces, de neiges et de ténèbres, ils ne communiquent pas avec la terre ; en été, au commencement et à la fin de la navigation, on leur envoie un bateau à vapeur avec des comestibles, et tout ce qui leur est indispensable pour vivre ; en échange les Samoyèdes livrent tout leur butin, composé de poissons, d'ours blancs, de morses, de phoques et d'otaries, capturés pendant l'hiver.
« Ayant passé quelque temps au milieu de ce peuple primitif et
presque sauvage, j'ai pu remarquer en lui une grande finesse d'observation, qui le rend prudent, circonspect et habile. Très souvent inquiétés par les ours blancs qui rôdent autour de leurs habitations et qui montent pendant la nuit jusque sur les cabanes, les Samoyédes sont devenus de bons tireurs. J'ai connu un jeune Samoyède de onze ans, qui, bien que borgne, tuait son ours à chaque coup.
« En outre, les Samoyédes connaissent en détail la vie des ours blanca. Ils en savent mieux, que tous les naturalistes, les habitudes et les ruses. Comme l'ours blanc aime à s'en aller par les glaçons dans la mer, les Samoyédes, qui connaissent son manège, suivent ses traces ; mais l'ours blanc, devinant à une grande distance la poursuite des chasseurs, casse la glace avec sa patte, plonge dans la mer et nage sous le glaçon à la rencontre des chasseurs ; quand il a rejoint et dépassé ces derniers, il casse de nouveau le glaçon et fuit rapidement le danger qui le menaçait. Tandis que les chasseurs, ne soupçonnant pas la manœuvre de l'animal, continuent à suivro ses traces ; ils arrivent alors au trou fait par l'animal dans la glace et ils comprennent que l'ours les a joués.
« Pendant la chasse aux phoques, les ours blancs ont recours à une autre ruse.
« Les phoques remarquent de loin l'ours blanc rien qu'à son museau, dont le bout est foncé, mais ils ne peuvent pas apercevoir son corps, lequel, étant blanc, se confond avec la neige. L'ours blanc, ayant pour ainsi dire conscience de cette particularité, cherche un morceau de glace, en masque le bout de son museau et, de cette manière, se glisse vers les phoques, alors il se débarrasse du glaçon etsaisit sa proie, avant que celle-ci ait soupçonné l'approche de son ennemi.
« Je ne sache pas que, jusqu'à présent, aucun naturaliste ait fait ou publié cette curieuse observation. »
COURS ET CONFÉRENCES
Tic d'épilation et fausse pelade. —Méfaits d'hypnotiseurs amateurs {'),
par M. le professeur Raymond.
La jeune fille que voici n'a pas les cheveux très longs, mais, au moins, ce sont les siens. 11 y a quelques mois, quand elle est venue pour la première fois, elle avait une magnifique chevelure blonde, — mais qui n'était pas à elle. Lorsqu'elle enlevait cette fausse perruque, elle découvrait un crâne lisse sur presque toute sa surface; d'immenses plaques étaient totalement dépourvues de cheveux: de loin en loin émergeaient de petites touffes de cheveux en brosse.
On a soigné celle malade à St-Louis pour la pelade; pendant quatre ans de suite, elle a accepté docilement toutes les frictions et tous les médicaments qu'on lui a prescrits. Sa santé générale est restée bonne. Or ce n'est pas de pelade qu'il s'agit.
Un beau jour, on découvre la vérité : cette jeune fille s'épile! C'est un véritable tic qui apparaît par accès: elle éprouve, d'abord, des agitations dans les bras et dans les jambes, puis une grande angoisse; alors survient l'idée obsédante de s'arracher les cheveux; elle n'a pas la volonté de s'opposer à cet acte, elle l'accomplit et aussitôt après elle sent un grand soulagement.
A l'âge de cinq ou six ans, cette jeune fille avait déjà manifesté le besoin de se tirer le nez, les oreilles, les ongles, les cheveux, puis de déchirer ses mouchoirs et ses robes; enfin toutes ces manies se sont concentrées dans celles de l'épilalion.
Unepremière fois, nous l'avons remontée et rééduquée : elle est restée trois mois sans s'arracher les cheveux. Depuis quelques semaines, elle a recommencé; elle se les éclaircit, comme elle dit. Pour la guérir à nouveau, nous donnerons à sa volonté ce qui lui manque pour vaincre l'obsession.
Dans un cas comme celui-ci, le développement de l'enfant s'effectue en apparence normalement ; mais les fonctions supérieures du système nerveux, l'attention et la volonté surtout, font défaut. S'agit-il d'accomplir un travail, l'enfant n'en a ni la volonté ni le pouvoir; il ne présente que de l'agitation stérile, sans but déterminé; la rumination mentale et l'angoisse font appel au trouble moteur automatique.
Les tics qui apparaissent dès les premières années sont un signe de psychasthénïc : l'enfant est marqué au sceau de la dégénérescence. Si on le gâte, si on l'élève mal, si l'on satisfait tous ses caprices, il aura non plus seulement des tics et des manies, mais des idées fixes et des obsessions; il versera dans la folie morale. Si, au contraire, on l'éduquc bien, si on lui applique une bonne pédagogie, si l'on tonifie son système nerveux, si l'on remonte sa volonté, on fera qu'il soit le moins psychas-thénique possible,
¦ ¦
Voici une jeune femme de 22 ans qui, depuis sept mois, présente de grandes crises : elle en a eu plusieurs, tout à l'heure, quand elle est entrée dans la salle de consultation.
Ces crises comportent quatre périodes. C'est d'abord une aura prémonitoire: la malade est énervée et voudrait bien casser quelque chose. Puis, elle jette un cri, tombe à terre, décrit un grand arc de cercle, avec une série de salutations. Ensuite vient une courte période de calme. Enfin se déroule un délire émotif: elle voitdes animaux, surtout des rats, des chiens, des serpents qui la poursuivent et la mordent violemment ; elle conserve, par la suite, le souvenir de ces morsures.
Cette zoopsie fait penser à l'éthylisme. Or cette femme est très sobre.
D'ailleurs l'examen détaillé de la malade, les caractères de la crise et la genèse des accidents montrent qu'il s'agit d'autre chose : ce délire reproduit un état émotionnel dans lequel elle s'est trouvée placée.
Elle présente une sorte d'analgésie généralisée, peu prononcée, il est vrai, puis de l'hypoesthésie à gauche et du rétrécissement du champ visuel, également à gauche. En outre, elle a déjà eu des crises analogues, il y a deux ans.
Elle est (illc d'un père à la fois épilcptiquc et alcoolique. Toute jeune-elle s'est montrée nerveuse et a eu des peurs morbides. Réglée à 13 ans, mais très irrégulièrement depuis, elle a eu quelques troubles digestifs et de l'anorexie.
A 19 ans, elle devient enceinte. Son enfant meurt à l'âge de huit mois ; pendant quelque temps elle a des crises de nerfs, puis elle revient à peu près à l'état normal.
Il y a un an, elle fait la connaissance d'un sous-officier. Celui-ci est très jaloux et veut savoir ce que fait sa maîtresse. Comme elle parle, la nuit, en dormant, il en profite pour lui faire raconter tout ce qu'elle fait pendant la journée ; elle ne dévoile d'ailleurs rien que de très régulier et, au réveil, ne conserve aucun souvenir de ces interrogatoires.
Ce sous-officier est bavard et fanfaron ; à la caserne, il raconte ses bonnes fortunes. Un autre sous-officier se dit alors : « Puisqu'elle est hypnotisable. je vais tâcher d'en profiter. * Il l'hypnotise en effet et devient son amant.
Voilà donc cette femme prise entre ces deux hommes, chacun d'eux lui faisant la suggestion de ne plus revoir l'autre, si bien qu'ils arrivent à la détraquer. Cette personne, qui avait une petite teinte d'hystérie, est ainsi devenue la victime de ses hypnotiseurs d'occasion.
Or, si l'hypnotisme, manié par des médecins consciencieux et habiles, est un merveilleux agent de thérapeutique, il peut devenir dangereux lorsqu'il est employé par des amateurs qui manquent d'expérience qui ne savent pas où ils vont et sont incapables de limiter leur action.
Ainsi ballottée de l'un à l'autre, cette femme a eu des idées de persécution; tout le monde lui veut du mal. Elle a fait de la folie hystérique.
Cette jeune femme est entrée dans nos salles; l'action néfaste de ses deux sous-officiers s'est ainsi trouvée supprimée. Les premiers jours, elle a eu des crises très nombreuses avec cris perçants : au bout de quatre ou cinq jours, elle s'est trouvée rassurée et calmée.
Malheureusement l'un et l'autre lui ont écrit et lui ont fait ainsi de la -suggestion par lettre: elle est, dans une certaine mesure, retombée sous leur influence et elle nous a quittés au bout de très peu de temps.
Elle va rentrer dans le service. On calmera son système nerveux; on lui fera de l'hypnotisme, mais du bon, de l'hypnotisme thérapeutique.
Pour terminer j'insiste sur ce point : le délire de cette femme ne doit pas être mis sur le compte d'une psychose quelconque : c'est un accident hystérique causé par les méfaits de ses deux hypnotiseurs rivaux.
BIBLIOGRAPHIE
par M. 1g Docteur Paul Fabez.
Questions de philosophie morale et sociale, par J. P. Durand (de Gros), ' avec une introduction de D. Parodt, Félix Alcan, 190t.
11 y a exactement un an ('), au sein môme de cette Société, nous déplorions la perte d'un homme éminentdont la disparition mettait en deuil la science tout entière, mais plus particulièrement encore le monde des hypnologistes et des psychologues. Pendant les dernières semaines de sa longue et laborieuse vie, Durand [de Gros) avait fait un dernier effort de production pour écrire un livre dont les feuillets épars, écrits souvent d'un premier jet, sans môme parfois avoir été relus par leur auteur, viennent d'ôtre pieusement recueillis et publiés par M. Parodi sous le titre de Questions de philosophie morale et sociale. L'occasion s'offre à nous de célébrer l'anniversaire de la' mort de notre très regretté maître, non point par des cérémonies rituolles, mais en donnant une dernière fois la parole à cette voix d'outre-tombe. Aussi bien pour cet esprit passionné de vérité la plus grande joie et la plus solide récompense ont toujours été de voir ses opinions et ses idées étudiées, propagées, discutées.
Plusieurs fois déjà, Ici môme ou ailleurs, on a eu l'occasion de dire que Durand (de Gros) était de la lignée de ces grands penseurs qui furent indissolublement à la fois savants et philosophes, sans que jamais l'un de ces caractères fit tort à l'autre. Ainsi que l'avaient fait Aristote, Descartes Leibnitzettant d'autres, Durand (de Gros), aprèss'ètre adonné auxseiences et les avoir fait étonnamment progresser sur plus d'un point (a), après avoir d'autre part affronté les problèmes les plus ardus de l'ontologie, se tourna vers le domaine delà morale et delà vie pratique. Le nouveau livre que j'ai l'honneur de vous présenter est la suite, le complément et pour ainsi dire la conclusion de ses deux derniers ouvrages : Nouvelles recherches d'Esthétique et de Morale et Variétés philosophiques. Nous y retrouvons l'ancien révolutionnaire de 1848, l'ancien proscrit du Deux Décembre, le démocrate militant qu'il a été toute sa vie. Avec une ardeur de conviction toute juvénile, il vient, sur des questions pratiques d'un intérêt palpitant, apporter les conseils et les solutions dictés à la fois par son expérience consommée, sa logique intrépide, sa passion désinté-
(1) Cette présentation d'ouvrage, faite à la séance de novembre 1901 delà Société d'hypnologie et de psychologie, n'a pu pour diverses raisons être insérée plus tôt.
(2) J'ai, à diverses reprises, exposé en détail les conquêtes scientifiques que nous devons à Durand (de Gros), notamment dans une conférence faite à l'Institut psychophysiologique, en janvier 1900 et dans les leçons que j'ai faites à l'Ecole de psychologie pendant le semestre d'hiver de 1901. P, F.
ressée du vrai et du bien. Il ne se perd point en considérations plus ou moins spéculatives et arides; il s'installe d'emblée dans le domaine des faits. Mais, au cours de ses développements, de son argumentation et de ses déductions, le logicien de la Taxinomie veille! II pose nettement les problèmes et les réduit aux termes essentiels ; il énonce des définitions précises, il distingue, il disjoint, il met de l'ordre dans les touts composites, disparates et hybrides ; il fait bonne justice des malentendus, des équivoques, des quiproquos et des fausses antinomies qui entravent et paralysent la pensée, qui embroussaillent les controverses, en font des combats de nuit, mettent aux prises des adversaires qui n'en sont pas et qui n'ont, en réalité, rien à démêler entre eux. Résumons à grands traits.
» *
Jadis, la morale traditionnelle et la religion, sa puissante suzeraine, avaient deux grands ennemis, le matérialisme et l'athéisme; de nos jours, la simple morale du devoir, la morale laique trouve comme antagonistes des doctrines scientifiques comme le déterminisme, l'évolution* nisme ou transformisme et le « struggelforlifisme ». Ces doctrines se donnent volontiers comme « moral: • », mais elles ne paraissent telles que par suite d'une fausse et trop peu exacte interprétation des faits. A les mieux considérer, on constate que, non seulement elles ne suppriment pas, mais qu'elles résolvent à la fois la question morale et la question sociale.
Durand (de Gros) est trop imbu du véritable esprit scientifique pour n'être pas, du point de vue de la science, un déterministe convaincu. Mais, tout de même, il montre que, dans la pratique, le déterminisme le plus rigoureux n'implique point l'inertie et n'a rien de contradictoire avec l'action la plus énergique, le vouloir le plus résolu : l'homme doit donc s'appliquer à raisonner, délibérer, vouloir, agir dans le sens qui lui parait le meilleur.
On proclame, au nom du déterminisme, que les criminels sont des malades, que leur seul tort est d'être les descendants de leurs ascendants, que leurs actions résultent inévitablement de leur mentalité native et des circonstances qui les entourent, en un mot qu'ils sont irrespon-ponsables. Or, il est pratiquement dangereux de répéter ces opinions, carl'absence du sentiment de la responsabilité porte une sérieuse atteinte à la santé morale de la société, tandis que ce sentiment de la responsabilité personnelle, lorsqu'il existe, est, pour ainsi dire, le frein de lalocomo-tive sociale. Tout malfaiteur, en effet, porte en lui un germe d'amendement moral, à l'état plus ou moins potentiel et latent ; c'est comme une étincelle cachée sous la cendre et d'où peut renaître la flamme. On travaille à éteindre cette étincelle, on pousse au crime, quand on dit au criminel : vous n'avez ni plus ni moins de mérite que les héros de la bonté; chacun de vous est ce que le sort l'a fait. Parler ainsi au malfaiteur, c'est le fermer à double tour de clef dans son enfer de perversité,
en traçant sur la porte l'inscription du Dante : Lasci&te ogni speranza ! Un langage opposé eût peut-être été capable de le retenir au bord du précipice et, d'autre part, absoudre à l'avance un criminel sous prétexte qu'il est malade est aussi injuste et immoral que de dire à un malade : « Tu es incurable, ton état est sans espoir, il est inutile de rien tenter pour te guérir ou pour adoucir tes maux; prends et fais ce qui te fera plaisir, tu es perdu ! »
Il n'est guère possible de traiter la question de la responsabilité criminelle sans dire un mot de l'œuvre de Lombroso. « On doit à celui-ci d'avoir soulevé un grand et salutaire remue-ménage d'idées, qu'il reste toutefois à mettre en bon ordre ».,.. « L'école italienne a eu le grand tort de vouloir faire de son uorno delinquente un type fixe, d'ériger en une entité une et homogène ce qui est en réalité une confusion de choses très distinctes et quelquefois disparates. Etre frappé d'une condamnation à mort, au bagne ou à la prison, semble, pour Lombroso, désigner suffisamment ce qu'il entend par le criminel. Mais que n'a-t-il fait cette réflexion qu'à pareil compte Socrate, Jésus, Vanini, Servet, Jeanne d'Arc, en un mot tous les martyrs de la foi religieuse, de la foi philosophique, de la foi patriotique et de la foi politique, se trouvent confondus sous la même étiquette avec les plus atroces meurtriers, avec les plus vils malfaiteurs ? » La pierre de touche est illusoire ; le « criminel-né » n'apporte en lui rien de fixe, ni d'absolu ; les signes diagnostics de la criminalité native, tels que les définit Lombroso, sont une chimère.
A vrai dire, au moral comme au physique, il existe des anomalies, c'est-à-dire des malformations, des difformités et des maladies, soit acquises par le sujet, soit héritées de ses ancêtres. Mais est-il logique de crier si fort que le vice est une maladie, que le crime, la faute, le péché sont des actes morbides, et en même temps de se préoccuper si peu de créer la pathologie et la thérapeutique de ces anomalies qui sont les unes, sans doute, absolues, mais les autres, relatives ou larvées? Par l'emploi de moyens moraux, par une action dirigée sur les esprits, par une impression faite sur les sentiments, il serait possible d'appliquer à ces malformés,infirmes, malades, vicieux ou criminels une hygiène, une thérapeutique et une prophylaxie sociales. Nous retrouvons ici le prosélytisme de cet initiateur de génie qui, il y a un demi-siècle, avait déjà prévu et énuméré toutes les diverses applications de l'orthopédie mentale.
• »
La doctrine transformiste se compose de deux thèses tout à fait distinctes, l'une fondamentale, celle de Lamarck, l'autre complémentaire, celle de Darwin. Pour Lamarck, «toutes les espèces dérivent d'un premier rudiment commun par des séries de variations successives et graduelles dues à des variations correspondantes dans les conditions d'existence ou les milieux ». Darwin, lui, se demande uniquement quel est le procédé suivant lequel les espèces anciennes sont éliminées par les nouvelles et celles-ci par quelques-unes de leurs congénères contemporaines
privilégiées. A une telle question, Darwin a trouvé cette réponse : (a sélection naturelle résultant de la lutte pour la vie ou struggle for life.
La conception darwinienne tellequ'on la comprend presque universellement aujourd'hui implique que tous les frères de la grande famille biologique sont * autant d'ennemis mortels les uns pour les autres, acharnés à s'entre-détruire, c'est-à-dire autant de féroces concurrents à la vie, se disputant des subsistances insuffisantes dans une lutte implacable, qui, naturellement, doit aboutir à la victoire des forts et à l'écrasement des faibles. Cette vision du drame de la nature vivante peut se traduire par le Vœ victis des anciens. »
L'esprit antireligieux a fait adopter ce Darwinisme comme un allié providentiel par le parti de l'égalité et de la fraternité humaines; or pour être Darwiniste conséquent, il faudrait abjurer l'égalité et l'humanité!
A vrai dire, les conséquences morales et sociales que comporte rigoureusement le darwinisme ne sont pas tout a fait celles que les apparences semblent tout d'abord mettre à sa charge. L'expression anglaise de Darwin, struggle for life est imparfaitement traduite par lutte pour là vie. Le mot struggle ne comporte pas nécessairement l'idée de lutte, c'est-à-dire d'un corps-à-corps avec un adversaire, mais seulement d'un effort plus ou moins violent déployé en vue de la conservation personnelle ; to struggle\eut dire se débattre, se démener, faire tous ses efforts pour conserver la vie, pour se tirer d'affaire et ce n'est qu'exceptionnel-lementqu'il signifie lutte.
Sans doute, dans le règle animal, les individus d'espèces différentes sont tous en conflit naturel ; ils tendent à se contrarier à se nuire, et ù se supprimer réciproquement. Au contraire, chacun des organismes animaux offre un ensemble de parties composantes qui ne sont point incohérentes et éparses, qui ne se rencontrent pas pour se heurter et se combattre, qui sont réunies en un tout systématique, qui participent toutes à un travail commun ; chacune de ces parties a son emploi propre qui complète celui de toutes les autres et reçoit, pour prix de sa coopération, sa juste part d'entretien. « Bref, l'individualisme incohérent, divergent, antisynergique et antagonique, le struggle for life en un mot. est le caractère propre et l'essence des agglomérations confuses, des assemblées non organisées; c'est un mal inhérent au manque d'organisation ; c'est la manifestation du Désordre. Le collectivisme harmonique, c'est-à-dire le groupement systématique des parties et leur synergie concordante dans l'œuvre d'utilité commune, c'est-à-dire l'antithèse du struggle for life, voilà le caractère distinctif des ensembles organisés, soit naturels, soit artificiels, c'est l'expression de l'Ordre. »
Comme l'animalité, l'humanité a été jusqu'ici une arène de lutte sauvage, de subversion, de dévastation et de massacre ; mais elle marche dans une voie d'organisation progressive vers sa constitution en un organisme complet dont tous les organes seront solidaires, concordant et harmoniquement unis. Le struggle for life interhumain qui a dû natu-
rellement régner sur une humanité embryonnaire et ignorante devient de moins en moins individuel, de plus en plus collectif; les antagonismes s'établissent entre groupes de plus en plus étendus; et ce n'est plus la force brutale qui l'emporte, c'est la supériorité intellectuelle et morale qui tend à devenir propondérante ; à l'avenir, auront le dessus dans la lutte, les meilleurs, « aristoi », les meilleurs en intelligence, les meilleurs en moralité, ceux qui posséderont au plus haut degré l'énergie, la volonté, la persévérance, l'amour du travail, puis, couronnant le tout, l'esprit d'association et le zèle des intérêts collectifs, enfin les sentiments vraiment humains, l'équité et la bonté.
A un autre point de vue, les lois d'airain et de fer décrétées par le darwinisme sur l'inviolable fixité de la race et la souveraineté absolue de l'atavisme méconnaissent l'influence des circonstances, des milieux et de toutes les autres causes modificatrices, « C'est une dangereuse erreur de croire que l'on est lié par une infirmité de race, alors qu'on serait puissant si l'on se savait capable d'agir... Il est pernicieux de proscrire toute culture humaine et toute éducation comme inutile, chacun de nous n'ayant, ce semble, rien à attendre, en qualité comme en défaut, que de son héritage ancestral. » Or le principe proclamé par Lamarck est essentiellement égalitairc; il autorise et encourage toutes les espérances d'amélioration, de perfectionnement et de relèvement. L'homme a le pouvoir et le devoir de s'élever par sa volonté plus haut que l'échelon où la nature l'a déposé; la victoire sera moins à ceux qui luttent contre les autres qu'à ceux qui luttent contre eux-mêmes.
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L'idéal socialiste a une valeur théorique et morale. Briser la chaîne du salariat, émanciper les prolétaires, tenter une œuvre de rénovation sociale qui diminue l'égoïsme et l'iniquité, tout cela est rationnel, légitime et louable. Mais, si le but est louable, les moyens proposés le sont-ils pareillement?
a Emparons-nous des pouvoirs publics, et tout le reste nous sera donné par surcroît. » Tel est le premier et le dernier mot, l'alpha et l'oméga de la grande politique socialiste.
Les uns prétendent, par un coup de force, par un cataclysme, parune révolution, mettre en pièces brusquement et brutalement l'organisme social existanf. Or les moyens violents sont à la fois aléatoires et périlleux. « Si de tels chefs peuvent conduire à une victoire révolutionnaire, ce sera pour le plus grand malheur du prolétariat; car ils ne seront que des destructeurs parfaitement incapables de rien reconstruire... Rien n'est prêt pour l'inauguration de la société future.....
II ne suffit pas de supprimer par décret la vieille société pour que celle-ci disparaisse et que la société nouvelle s'improvise, constituée de toutes pièces, munie de tous ses agrès et prenne immédiatement sa place sans une heure d'interrègne... Avant que le travail pût être réorganisé sur des bases toutes nouvelles, il serait arrêté, arrêté dans
toutes ses branches, et partout serait arrêtée aussi ralimentalion publique... Le programme du collectivisme révolutionnaire devrait être prêt et applicable sur le champ, hic et nunc, et dans son entier. Sinon, gare la casse ! Et entre temps ce serait le chômage universel. Mais l'homme ne supporte pas longtemps le jeûne : affamées et désillusionnées, les foules seraient les premières à implorer le secours d'un « Sauveur » et se remettraient d'elles-mêmes sous un joug plus lourd que jamais. A cet égard le passé répond pour l'avenir. » C'estdonc folie de faire la révolution avant d'être en état de l'utiliser ; c'est courir au devant d'un désastre.
Ce sont de faux apôtres du socialisme ces arrivistes, ces charlatans politiciens qui chauffent à blanc les colères populaires, qui essaient de galvaniser les masses avec des hâbleries, des formules générales et vagues, des théories qui n'ont rien de précis, rien de mûri, rien de pratique. Arriver au pouvoir, voilà leur rêve, leur préoccupation dominante, le but constant de leurs efforts. Mais, devenus maîtres des pouvoirs publics à la suite d'une victoire électorale, ils ne pourraient exercer ce pouvoir tant convoité, car, hors d'étatde réaliser l'ombre des espérances qu'ils ont fait naître, et résolus néanmoins à ne pas se démettre, ils ne manqueraient pas, conformément à la tradition, de tourner la force armée contre ce même peuple qui les aurait, la veille, élevés sur le pavois. Tant que l'idéal de la société future n'aura pas été précisé dans ses moindres détails et rendu complètement applicable, les socialistes doivent se garder du pouvoir; leur rôle est dans l'opposition, a Que le socialisme soit représenté dans les parlements, c'est bien ; mais qu'il se contente prudemment d'y figurer en minorité, une minorité autant que possible respectable, avec laquelle il faudra compter, et dont le rôle sera de désagréger petit à petit le vieil édilice social et de préluder à la construction future par une série de réformes préparatoires. »
Le plus grand obstacle à l'émancipation des prolétaires, c'est l'état lamentable de leur mentalité, leurs désordres, leur intempérance, leur imprévoyance. « Que leur sert-il, aujourd'hui, d'arracher au patronat une réduction des heures de travail et une augmentation de salaire, si le loisir gagné est consacré au cabaret, à l'alcool, et si le supplément de paye prend le même chemin ? »
Ce qu'il faut avant tout, c'est les arracher à l'ivrognerie, à la débauche, à la passion du jeu, à la cruauté, les rendre sobres, rangés, économes, maîtres d'eux-mêmes, puis les régénérer, les éduquer, hausser leur niveau moral, éclairer les intelligences, former les caractères, les arracher à la fois à la misère et au vice en leur prêchant les saines vérités. « C'est une chimère que la révolution sociale, tant qu'on n'aura pas à mettre à sa disposition d'autres hommes que ceux que nous sommes. Il faut nous réformer, il faut faire peau neuve..., il faut faire des hommes, non des hommes à l'image de la présente société, antagonique, inique et méchante, mais des hommes faits pour vivre dans un milieu de paix,
de bonté, de concorde...; il faut créer le levain de la future pâte humaine. »
Pour tirer le corps social actuel de sa phase embryonnaire, pour l'amener de l'état larvaire à l'état d'organisme achevé, il ne faudra peut-être pas moins d'un siècle ou deux de patientes recherches, de tâtonnements laborieux, d'essais divers, de perfectionnements successifs et variés ; il faudra mettre à l'étude tout un ensemble de règles de détail précises, toute une technique où les difficultés soient prévues et trouvent leur solution ; en tous cas il faut substituer à la Révolution la méthode d'évolution.
Le salut et la rénovation sont dans le tout-puissant principe de l'association volontaire et libre. L'humanité actuelle devra faire l'apprentissage du régime de l'association intégrale en fondant dès à présent toutes les associations économiques partielles que comportent les ressources du parti et la tolérance des lois existantes, c'est-à-dire, en plus des syndicats de protection et de défense des travailleurs, à côté des syndicats de combat, instituer des syndicats d'achat, des coopératives de consommation, des coopératives de production, sous la direction d'organisateurs et d'administrateurs capables et probes, habiles et prudents, doués de l'esprit d'initiative et de progrès, par dessus tout dévoués à leur œuvre absolument et sans arrière-pensée. Ainsi un lien de fraternité réalisera l'union des espérances, la convergence des efforts dans un sentiment cordial de mutualité et de solidarité.
Dès lors, le socialisme seradevenu l'associationnisme, ou, si l'on veut, le collectivisme, au sens large et purement étymologique, non au sens sectaire. Cet organisme où la complication et la spécialisation iront sans cesse croissant, grandira graduellement l'individu en grandissant le rôle de celui-ci ; et en môme temps il supprimera les frottements et les entrechoquements douloureux. Chaque zoonite formateur ne sera plus un salarié, mais un associé. Dans le milieu sociétaire, toutes les supériorités et toutes les originalités natives pourront se faire jour et prendre leur plein essor.
Ainsi le polyzoUme de Durand (de Gros}, si fécond en zoologie, atteint une haute portée sociale, car il devient le principe, la loi, l'idéal d'« une ère sociale nouvelle, radicalement différente de ce qui l'aura précédée, puisqu'elle doit faire succéder la paix à la guerre, l'union à l'antagonisme, la solidarité des intérêts à la lutte des intérêts, le groupement sociétaire au morcellement individualiste, l'amour passionné du travail productif au génie de la destruction, et enfin l'indivisible unité sociale à la hiérarchie factice des classes. »
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Ce livre est précédé d'une très remarquable introduction de M.Parodi, professeur agrégé de philosophie au lycée de Bordeaux. m. Parodi y étudie l'homme et le philosophe ; il rend à ce ferme et puissant esprit le seul hommage qui lui convienne, le seul qu'eût accepté son indôpen-
dance intellectuelle, celui qui consiste en o un effort de pensée pour le comprendre, et de liberté, pour le juger. »
Alors qu'il était professeur au lycée de Rodez, M. Parodi eut la bonne fortune de connaître Durand (de Gros) et, pendant quatre ans, de vivre presque dans son intimité, e Si quelqu'un jamais pratiqua sa doctrine et mérita les beaux noms de philosophe et de sage, au sens où l'antiquité les entendait, où ils impliquent l'intime conformité des actes et des spéculations, ce fut bien celui-ci »... o Jamais, ajoute M. Parodi, je n'oublierai nos conversations interminables, dans ce milieu unique, loin de toute ville, sur la hauteur d'Arsac, dans le complet isolement où il vivait, seul avec quelques domestiques... Son œil brillant, fixé droit devant lui, semblait aigu et perçant comme une pointe ; sa parole à la fois ardente et lente, laissait de longs intervalles d'un mot à l'autre, pénible comme l'effort même de cette pensée toujours tendue pour s'éclaircir ou trouver son expression définitive ; et, par moments, comme des soubresauts de conviction, et un éclat de voix, et la main frappant la table, attestaient qu'il avait vu, et que c'était là des faits ; ou bien que
telle théorie était démontrée, et que la raison ne pouvait avoir tort.....
Souvent, ces tète-à-tête, commencés avec le plein soleil de midi ne se terminaient qu'au jour baissant ou à la nuit proche, et c'était comme le décor de quelque conte d'Hoffenbach. Mais le décor seul était fantastique : car, même dans les récits les plus extraordinaires, même lorsqu'il s'agissait d'expériences personnelles, la pensée restait maîtresse de soi, ferme et sûre dans sa méthode, prudente dans ses démarches, éprise de logique rigoureuse et d'entière certitude. -
« Telle resta, jusque sur le lit de mort, cette claire et forte intelligence. 11 vit venir sa fin de très loin ; il n'en éprouva d'autre émotion que la hâte de terminer à temps le livre qu'il écrivait. Les rancunes ou les colères de ses luttes scientifiques s'étaient éteintes, et dans le grand apaissement de la dernière heure, il trouvait la force de ne pas être
injuste pour ceux mêmes qui l'avaient été envers lui.....Il resta ferme
dans toutes ses croyances philosophiques et scientifiques, aussi éloigné que jamais de toute religion révélée, aussi sûr que jamais de la puissance de la raison. Et il mourut en évoquant les grandes images de ceux qui surent partir avec sérénité, sans regrets aux faux biens d'ici-bas, et seulement épris des choses éternelles, ses derniers mots nommèrent Socrate, Jésus, le Bouddha..... n
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie
La séance annuelle de la Société d'hypnologic et de psychologie aura lieu le mardi 17 juin à quatre heures précises, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin à la Salpètrièrc, au palais des Sociétés Savantes, 8, rue Danton.
ordre do jour :
1° Distribution du volume des comptes rendus du 2° Congrès international de l'Hypnotisme. 2° Compte rendu de la situation morale et financière de la Société. 3° Communications cl lectures. — Présentation de malades. 4° Candidatures.
5" Banquet. Après la séance le Banquet annuel aura lieu à sept heures au palais des Sociétés savantes. Tenue de ville.
Communications déjà inscrites
D'.Iules Voisin : Incontinence d'urine et hystérie.
Dr Bérillon : Présentation d'un appareil vibra te ut destiné à favoriser l'hypnose.
Dr Paul Magnin : Conlracluresethyperexcitabilité neuro-musculaire chez
les hyslériqucs hypnolisablcs. Dr Paul Farez : Un cas de pseudo-coxalgie suggérée par le milieu familial.
D' Aragon : Une théorie pathogénique du doute.
Dr Féliy Regnault : Les caractères chez les monstres doubles.
Dr Paul Joire (de Lille) : Considérations sur l'hystérie.
Df Damoglou (de Omduran. Egypte) : Hyperacuité visuelle et audition
chez les nègres soudanais. Dr Ch. Haeberun (de Hambourg): Action vaso-motrice de la suggcslion. Dr Stembo (de Vilna) : Un cas de paraplégie guéri par la suggestion. D' Bellemanière : Diverses formes de l'attention chez l'enfant. Dr Paul TESDOnPF [de Munich) : Corrélation des troubles somatiques et
psychiques de l'hystérie. M. Lépigay : L'hypnotisme chez le cheval.
Dr Délius (de Hanovre) :Note sur l'apparition des symptômes de l'hystérie.
M. Caustier. Sur la méthode en psychologie zoologiquc.
AVIS : Les auteurs sont invités à adresser le titre de leurs communications au Secrétaire général, 14, rue Tailbout, ainsi que leur adhésion au banquet. _
Le réformatoire d'Elmira
Les malfaiteui'S no sont-ils que de simples malades? La question est, depuis longtemps, partout controversée. Mais, seuls, les Américains paraissent y avoir répondu dans le sens de l'affirmative. J'en ai la preuve, dit le Dr Auguste Luling dans le journal Le Temps, au cours de mon dernier voyage dans l'Étal de New-York où j'ai pu visiter un des plus vastes établissements pénitentiaires qui soient au monde et dans lequel le régime appliqué aux condamnés s'inspire uniquement de cette idée que l'homme qui fait le mal est un malade le plus souvent guérissable. En ma qualité de médecin l'expérience tentée aux États-Unis m'inléres-sait particulièrement. Aussi ai-je accepté avec empressement l'autorisation que me donnait le président du conseil d'administration des prisons
de l'État de New-York de visiter le pénitencier où les détenus sont* soignés et guéris » et auquel on a donné le nom symbolique de o réforma-toire ». Vous allez voir, en effet, que c'est une œuvre de « réformation » qu'a entreprise l'État de New-York.
Elmira, où a été érigé ce réformatoire, est séparé de New-York par onze heures de rapide. Un train me débarquait à huit heures du matin au pied de la colline sur laquelle se trouve le vaste et luxueux établissement. Si je n'avais pas vu sur les murs d'enceinte un cordon de sentinelles armées de carabines, j'aurais cru entrer dans un château plutôt que dans une prison. Un concierge géant me conduisit auprès du directeur qui me fit introduire dans son cabinet après avoir pris connaissance d'une lettre de recommandation qui m'avait été remise pour lui à New-York.
Je me trouvai en face d'un homme jeune, paraissant à peine trente ans, d'une physionomie intelligente, douce et empreinte de bonté. Il est docteur en médecine et se voue avec la plus ardente conviction à l'accomplissement de sa mission. Il croit que les malfaiteurs sont des malades et qu'il y a plus de profit pour la société à les guérir qu'à les punir. J'ai employé cinq heures à visiter dans sa compagnie et dans celle du médecin en chef de rétablissement les diverses parties du réformatoire. J'en suis sorti en sentant s'augmenter en moi l'admiration que m'ont toujours inspirée les Américains pour la tranquille audace avec laquelle ils abordent les questions les plus paradoxales en apparence et les solutions pratiques et ingénieuses qu'ils réussissent souvent à leur donner.
Tout d'abord le mot « prison » n'est jamais prononcé là-bas, pas plus que le mot « prisonnier ». C'est le a réformatoire » avec ses o habitants ». Seuls, les hommes y sont admis au nombre de 1.500 environ. Ils ne peuvent y entrer que de seize à trente ans, à condition qu'ils n'aient pas été l'objet d'une condamnation supérieure à vingt ans de détention. Lejuge. en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, peut ordonner l'envoi d'un condamné à Elmira.
Si vous le voulez bien, nous suivrons un homme arrivant au « réformatoire » avec une peine de vingt ans à purger. Après avoir été nettoyé et désinfecté, il prend l'uniforme de la maison dit « teinte neutre ». Cet uniforme est noir. Le nouvel « habitant » est conduit à la visite médicale. Si le sujet est jeune et si le médecin considère que ses muscles ne sont pas suffisamment exercés pour fournir un travail continu, il commence à l'envoyer pour une période plus ou moins longue — le médecin seul en est juge — au gymnase.
La salle de gymnastique, qui a environ 150 mètres de longueur, est chauffée suffisamment pendant la mauvaise saison, pour que les « habitants » puissent}- travailler légèrement vêtus. Elle est munie des appareils les plus perfectionnés et combinés de façon que l'arrivant y exerce tous ses muscles. Tous les jours il prend une leçon de natation dans une piscine d'eau tiède et est soumis à un massage. Lorsque l'arrivant, au lieu d'être simplement faible, musculairement parlant, est envahi par la graisse, il va régulièrement à l'étuve pour tâcher d'éliminer ce qu'il a
en excès. En un mol, on en fait d'abord un homme résistant. Quand le médecin juge qu'il est en état de travailler, le'directeur le fait venir et lui demande s'il a une préférence marquée pour un métier quelconque.
Notre homme désire-t-il. par exemple, être maçon : il sera envoyé dans l'équipe de ces ouvriers et il apprendra àseservirdelatruelle, duniveau, du fil à plomb, à construire des voûtes, des murs, à élever des constructions qui seront démolies aussitôt terminées. Le « réformatoire » a pour principe de ne pas faire concurrence à l'industrie privée, et cette règle est scrupuleusement observée pour tous les objets produits par les professionnels de la maison. Ce sont toujours les mêmes briques qui servent, et. au lieu de chaux, on emploie une terre suffisamment cohésive avec les autres matériaux pour que la bâtisse ne s'effondre pas.
Lorsqu'il aura terminé son apprentissage de'maçon, 1' « habitant » passera successivement dans l'équipe des charpentiers, ou des menuisiers, ou des tourneurs sur bois ou sur mélaux, des fondeurs de cuivre ou de fer, des peintres en bâtiment, des peintres-décorateurs, des ébénistes, des ferblantiers, des étameurs, des rempailleurs ou remboureurs de meubles.
Si ses aptitudes et ses goûts lui permettent de se livrer à des travaux plus difficiles ou plus délicats, il lui sera loisible d'apprendre la sténographie, la composition typographique, le maniement de la machine à écrire, la reliure, etc. En un mot, on met à sa disposition, au réformatoire d'Elmira, le moyen de devenir un homme utilisable et régénéré. Il convient de dire que, presque tous les habitants, à leur sortie du réformatoire (de 80 à 90 0/0 environ) trouvent facilement à s'occuper.
Voilà pour le côté professionnel de la « réforniation • des condamnés. Voyons ce que les Américains ont imaginé pour l'amélioration de leur état moral.
Notre homme, je l'ai dit, a été. dès son arrivée, revêtu d'un uniforme noir. On le conduit à la comptabilité, où il lui est ouvert sur le grand livre de l'établissement un compte particulier. Son travail est évalué à 2 fr. 50 par jour et, chaque mois, il lui est remis un extrait de son compte courant. S'il se conduit bien, on lui donne, après avoir été vêtu de noir pendant six mois, des vêtements bleus. Le bleu est la teinte privilégiée. Elle lui confère le droit de se nourrir au restaurant de la maison, décommander un jour ce qu'il désire manger le lendemain, d'y être assis à une table couverte d'une nappe et à pouvoir, pendant les repas causer avec ses voisins.
Naturellement, ces repas servis au restaurant sont payants et il faut que 1'« habitant «s'arrange de façon à ne pas dépasser son budget; mais, même en cas de déficit, on ne lui coupe pas immédiatement les vivres. Le directeur le fait appeler, lui fait observer qu'il a tort de contracter des dettes, que chaque demi-dollar (2 fr. £0) dù par lui représente une journée de plus à passer au réformatoire. et il arrive presque toujours, m'assure-t-on à lui donner des goûts d'économie. Il n'est pas rare de voir un condamné économe sortir de là avec un pécule de 1.200 ou 1.500
francs. De toute façon, la maison ne le laissera pas partir sans lui remettre 50 dollars, soit 250 francs, qui devront lui assurer du pain jusqu'à ce qu'il ait trouvé de l'ouvrage.
Si l'état moral du condamné ne s'améliore pas, si au lieu de se bien conduire et d'arriver au bout de six mois à posséder le vêtement bleu, il se montre indiscipliné, injurie le personnel, casse le mobilier, cherche querelle à ses codétenus, on commence par lui infliger des amendes ; j'ai vu. sur le grand livre, le compte d'un de ces révoltés qui était arrivé à avoir ainsi un déficit de près d'un millier de francs. Quand les amendes ne suffisent pas on lui donne la tenue rouge qu'il est obliger de garder six mois avant de reprendre la teinte neutre, c'est-à-dire l'uniforme noir qu'il devra garder encore pendant le même laps de temps avant d'être vêtu de bleu. Il va sans dire qu'à la teinte rouge correspond un régime sévère. Plus de restaurant, le silence imposé parlout. la surveillance rendue plus étroite, etc. Néanmoins, dans le dessein de ne pas décourager complètement certains « habitants » de la catégorie a rouge », le directeur a la faculté, le 4 juillet, jour de la fête nationale des Etats-Unis, de faire une remise partielle ou complète des peines.
— Et, me disait le jeune directeur du rêformatoire d'Elmira, j'en use largement.
L'administration et la surveillance générale du rêformatoire sontassu-rés par les budgets de l'Etat de New-York. Les surveillants ordinaires appointés par l'État sont aidés, en ce qui concerne notamment les exercices militaires auxquels les « habitants » sont astreints, par un colonel, des capitaines, des lieutenants et des sous-officiers recrutés parmi les condamnés. Tous manœuvrent fort bien aux sons de leur excellente musique militaire. Mais, et c'est là une contradiction dans les vues des Américains, à la sortie des condamnés. l'État refuse formellement de les incorporer dans l'armée américaine. J'en ai fait la remarque au directeur et j'ai cru deviner à son geste, que j'avais touché en lui un point sensible.
Le service médical m'a paru fort bien organisé. Tous les tuberculeux sont isolés. Leur linge qui a une teinte spéciale, est lavé séparément et les cellules qu'ils habitent sont désinfectées régulièrement toutes les semaines.
Les cellules des « habitants » occupent un bâtiment d'une hauteur de trente mètres environ. Il y a six rangées de cellules superposées avec des galeries en fer pour assurer la circulation. Au réveil les hommes se lèvent, se lavent et viennent se poster devant la porte de leurs cellules qui sont ouvertes par des porte-clefs spéciaux pour se rendre en file indienne à leurs travaux.
En dehors des ablutions journalières, les hommes prennent tous les huit jours une douche. En entendant l'expression de mon admiration pour cette installation de douches tièdes, le directeur me disait :
— Comment voulez-vous qu'un homme recherche la propreté si cela lui est désagréable?
J'ajoute qu'il n'entre pas dans l'idée du directeur de séparer complè-
lement ses pensionnaires de la vie du dehors. Cerlains « habitants » sont chargés de lire les journaux et les revues et, chaque semaine, il paraît un journal imprimé dans le réformatoire même qui rend compte des faits politiques, scientifiques ou autres, de tout, en un mot, ce qui peut intéresser des hommes. On n'expurge que tout ce qui a trait aux crimes ou aux vols.
Résultats : le réformatoire restitue à la société de 75 à 80 0/0 de ses « malades » radicalement guéris et utilisables. 20 à 25 0/0 des malfaiteurs qui y entrent sont des incurables, des inguérissables. C'est, du moins, ce qui m'a été formellement affirmé.
Le prophète de l'Avenue des Gobelins.
Phtisiques, écoutez!... Un homme extraordinaire habite avenue des Gobelins. Un jour, il entendit, nous rapporte le Journal des Débats, une voix du ciel, qui lui dit que la prière était le remède à tous les maux. Sachant que la Providence se sert volontiers des causes secondes pour donner à la terre des marques de bienveillance, il chercha comment la prière opérait sur une maladie donnée, et par exemple sur la phtisie. Il en vint à conclure que son action se manifeste de quatre façons.
1° « Pendant la prière, disent ses prospectus, le poumon prend un mouvement lent et vibratoire, qui, comme tout genre de gymnastique, augmente la résistance et la comprcssibilité du poumon par rapport à tous les efforts destructifs.
2° « Pendant la prière l'absorption de l'air et par conséquent l'absorption de l'oxygène augmente et en sachant prier Dieu cette absorption peut grandir de trente à quarante fois par comparaison à celle des personnes qui ne prient pas Dieu. Avec l'air rentrent dans notre poumon l'oxygène et la chaleur; une grande quantité d'oxygène, qui pénètre durant la prière, renouvelle les cellules vieilles et malades, aussi bien celles du poumon comme celles du corps entier, les transformant en cellules nouvelles grâce au sang qui afflue. Outre cela, l'oxygène facilite la formation delà chaleur, qui, comprise avec la chaleur fournie grâce à l'air, augmente la somme totale de la chaleur de l'organisme; cette dernière, c'est-à-dire la chaleur, est le remède général à toutes les maladies et par suite de la phtisie.
3° « Pendant la prière, grâce au mouvement lent et vibratoire, aussi bien que dans la toux, grâce aux secouements rapides, la glaire se détache du poumon et se présente dehors, mais avec cette différence/pie, pendant la toux, cela se fait vite, mais le poumon se déchire quelquefois, d'où il s'ensuit l'émoptysie ; pendant la prière, cela se produit dans période prolongée de temps, mais n'est pas accompagné par la déchirure du poumon et par l'hémoptysie, car pendant la prière le poumon ne ressent pas d'aussi fortes tensions comme pendant la toux.
4° « Le quatrième effet de la prière est le surnaturel. »
Gc traitement n'est point particulier à la phtisie. Comme l'inspiré des Gobclins pense que le principal remède en ce monde est la chaleur, en partant de cette maxime que (a prière développe de la clialeur, il conclut que la prière produit la guérison universelle. Le malade fera bien, d'ailleurs, de lapratiquer à la campagne ou dans le désert. Ainsi ont fait les patriarches de l'Ancien Testament, qui gardèrent une belle verdeur dans l'extrême vieillesse : Abraham, Isaac, Jacob, etc. .
Le prophète de l'Avenue des Gobclins a reçu encore d'autres communications de l'au-delà. Il a eu des lumières sur l'art de guérir ces maladies, et enfin des conseils politiques de lu plus grande sagesse. La Voix l'a engagé à remplacer les armées nationales par une seule armée universelle, montée par actions, qu'on appellerait où besoin serait. Ainsi seraient supprimées les batailles : elles supposent deux armées, et il n'y en aurait qu'une.
A quand l'internement de cet étrange prophète dans un asile d'aliénés.
A propos de la voyante de Boulleret. . On lit dans la Semaine religieuse du Puy :
« Mgr l'évéque du Puy apprend avec étonnement et regret qu'il circule dans le diocèse un bulletin d'un abbé Olive, de Cette (Hérault), relatif aux prétendues révélations d'une voyante de Boulleret (Cher). Ce bulletin a pour titre : « Lettre aux membres de la pieuse et dévote association du Cœur de Jésus et de Notre-Dame des Sept-Douleurs. » Contrairement aux règles de l'Eglise, il parait sans l'imprimatur de Mgr l'évèque de Montpellier, dans le diocèse duquel il est publié. Aussi Mgr l'évèque se fait-il un devoir d'en interdire la lecture dans son diocèse, lecture qu'il juge propre à fausser la piété des fidèles et à jeter le ridicule sur notre sainte religion.
n A ce propos, nous mettons de nouveau en garde contre ces publications de plus en plus nombreuses qui, sous couleur de dévotions nouvelles, n'ont le plus souvent d'autre but que d'exploiter la naïveté de leurs trop crédules lecteurs. Plusieurs de ces annales ou revues ne sont pas autre chose que des organes d'agences financières : les articles de piété n'y sont qu'une étiquette dissimulant d'habiles réclames d'argent. Œuvres de messes, constructions d'églises, entreliens d'œuvres, tout est imaginé pour recueillir des souscriptions ; et le développement de cette industrie malhonnête ne prouve que trop combien de dupes elle fait.
« D'autres publications, si elles n'ont pas ce but intéressé, sont dirigées par des personnes sans théologie ni piété éclairée. Les niaiseries n'y sont pas rares; les faits merveilleux y fourmillent, et les lecteurs, gavés de sornettes, perdent le goût de la spiritualité solide et vraie. Au point où elle en est, celte littérature pseudo-pieuse devient un péril pour les âmes et fournit des armes contre le catholicisme..... »
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Aboulie chez les buveurs d'habitude, par Bérillon, p. 362.
Alcoolisme (Les indications de l'Hypo-tisme et de la suggestion dans le traitement de 1°), par Tokarsky (de Moscou}, p. 33.
Alimentation artificielle des Aliénés, p.554.
Amnésie rétro-anterograde et intoxication par l'oxyde de carbone, par Raymond, p. 311.
Analgésie suggérée pendant le sommeil normal, par Ange Manfroni,p.lS6. Antévision (L'), par Martial Vergnolle p. 307.
Angoisse hystérique etangoissepsychasthenic, par Raymond, p. 188.
Angoisse, épilepsie et hystérie (Paroxysmes d'), par Raymond, p. 219.
Antimusiciens (Les), p. 191.
Aphonie hystérique, guérison par suggestion, par Crespin, p. 122.
Auto-microsthésie et l'incoordination motrice (L'), par Bloch, p. 249.
Auto-suggestion (Petite méthode d'), par Coste de Lagrave, p. 328.
Bérillon (Eugène), nécrologie, p. 256. Bérillon (Edgar), discours, p. 227.
Cautérisation en Turquie (La), par
Hikraet, p. 153. Chorée, tics et habitudes automatiques
(Traitement psycho-mécanique) par
Bérillon, p. 175. Collège de France (L'hypnotisme et la
psychologie au), p. 289. Cocaïne (Priseurs de), p. 61. Coprophages, p. 319. Conférences de l'Institut psycho-ohyslo.
logique, p. 192, 222. Congrès d'anthropologie criminelle
d'Amsterdam, p. 62. Constipation opiniâtre et suggestion
hypnotiqae, par Paul Farez, p. 304. Cours pratique d'hypnoîogic et de psychothérapie, p. 192. Cours de psychothérapie à Lille, p. 192.
Cours de psychothérapie à San l'aulo
(Brésil), p. 192. Cours du Dr Jules Voisin à la Salpe-
trière, p. 192. Cours du Dr Albert Robin à la Pitié,
p. 192.
Cours du Dr Bérillon à l'École pratique de la Faculté de médecine, p. 320.
Démence chez un chien (Un cas de), p. 31.
Douleurs oculaires résultant d'un trouble mental pur, par Raymond, p. 343.
Eclampsie (Suggestion curatlve dans le cours d'une attaque (d'), par Le Menant des Chesaais, p. 120.
Ecole de psychologie, p. 192, 223, 225, 255, 352.
Electrocuté (Les sensations d'un professeur), p. 221.
Enseignement médical de la Pitié (L"), p. 351.
Expérience pratiquée sur un lion, à la ménagerie du muséum, par Hachet-Souplet, p. 53.
Extraction dentaire sans douleur sous l'influence de la suggestien hypnotique chez un jeune homme de 17 ans, par Moiroud, p. 155.
Folie en Angleterre (La guerre au Trans-
vaal et la), p. 351. F.olie morale (Un cas de), par Raymond, p. 55.
Foudre (Guérie par la), p. 191. Fugue mixte (Un cas intéressant de), par Raymond, p. 124.
Géant Hugo (Le), p. 128.
Grossesses nerveuses et fausses grossesses, par Henry Lemesle, p. 178.
Grossesses nerveuses (fausses), par Le Menant de Chesnais, p. 277.
Guérisseur de paralysie au XVIIIe siècle (Un), p. 127.
La guerre du Transvaal et la folie, p. 351.
Janet (M. le Professeur Pierre), p. 289. Jesus devant la science hypnotique (La vie de), par Félix Regnault, p. 10?,210.
236.
Jeûne prolongé chez la vache (Un cas de}, p. 32.
Léthargie (Un cas de), p. 191. Léthargie (Un curieux cas de), par Lié-
geard (de Belléme), p. 19. Léthargie (Un nouveau cas de), p. 31. Lecture de pensée chez les animaux (La),
par Lépinay, p. 218. Liseur de pensée (Un soi-disant), par
Paul Farez, p. 240. Liseur de pensée, liseur de muscles et
sensibilité tactile, p. 318. Liebeault (Une lettre du Dr), p. 257.
Magnétiseurs (Exercice illégal de la médecine par les), p. 283.
Masseurs et magnétiseurs (A propos de la pétition des), par Salomon, p. 314.
Méfaits d'hypnotiseurs amateurs, par Raymond p. 365.
Monstres humains (Etude anatomique et psychologique do quelques), par Bé-ritlon et Félix Regnault, p. 12.
Musique (De l'emploi de la suggestion dans l'éducation artistique et en particulier pour l'étude de la), par Paul Joirc, p. 110.
Mutisme, bégaiement et tremblement général guéris par la suggestion, par Jules Voisin, p. 13.
Névrose trémulante chez une femme de ÎG ans (Traitement hypnotique d'un cas de), par Paul Farez, p. 274.
Obsession (Sur la théorie de l'), par Arnaud, (do Vanves), p. 159.
Occultisme (Enquête sur), par Jules Bois, p. 257.
Œdème hystérique (Un cas d'), par Ray-mond, p. 56.
Œdème bleu chez une hystérique, guéri par l'application de l'aimant(Suggestlon armée), par Jules Voisin, p. 90.
Onanisme et son traitement par la suggestion hypnotique (L'), par Bérillon, p. 76.
Onanisme et onanomanîe, par Bloch, p. 215.
Hémichorée récidivante, datant de trois mois, guérie en une séance de suggestion hypnotique par, Paul Farez, p. 2G.
Hémisomnambulisme hystérique, par Raymond, p. 343.
Huchard (Discours de) p. 287.
Hypnose (Les phénomènes réactionnels du début de l'état d'), par Bérillon, p. 337.
Hypnose (Réflexes généraux pendant
l'état d'), par Corinin, p. 310. Hypnotiseur de serpents, p. 160. Hypnotiseurs amateurs (méfaits d'), par
Raymond, p. 365. Hypnotisme au Congrès d'anthropologie
criminelle d'Amsterdam, p. 97. Hypnotisme collectif en Tunisie (L'), par
Laignel-Lavastine, p. 93. Hypnotisme expérimental devant la loi
du 30 novembre 1892 (L'), par Julliot,
p. 66, 102.
Hypnotisme et la suggestion chez les hystériques (L'), par Paul Magnin, p. 232, 266.
Hypnotisme de degré différent pour chaque côté du corps, par Bérillon et Magnin, p. 282.
Hystéro-épileptiques (Sensibilité et hypnotisme chez les), par Paul Magnin. p. 301.
Hystérie (Définition de l') par Babinski, p. 193.
nystérie et ménopause, par Raymond, p. 157.
Hystérie on Chine (L'), p. 96. Hystérie chez quelques animaux (Les
agents provocateurs de l'), par Lépinay,
p. 146.
Hystéro-traumatisme (Un cas d'), par
Raymond, p. M. Hystéro-traumatisme (Deux cas d'}, par
Raymond, p. 284.
Incontinence nocturne d'urine guérie en une soule séance de suggestion, pendant le sommeil naturel (Deux cas d') par tiourdon (de Méru), p. 87.
Incontinence d'urine par la suggestion (Note sur le traitement de l'), par Cullerre, p. 99.
Initiation à l'étude des sciences physiques, par Laisant, p. 20.
Institut de psychologie zoologique (L'), p. 63.
Intelligence des ours blancs, par Orlitzky, p. 363.
Pédagogique dans le sommeil hypnotique et à son défaut dans le sommeil naturel (La suggestion), par Bourdon (de Méru), p. 139.
Philosophie morale et sociale (Questions de), par Durand de Gros, p. 367-
Port-Royal (Les religieuses de), par Ch. Binet-Sanglé, p. 129, 161. 202.
Prophète de l'avenue des Gobolins (Le), p. 379.
Psychologie est la science de la volonté (La), par Grasset, p. 3t9.
Psychothérapie et suggestion vigile, par Spehl, p. 290.
Questions de Philosophie morale et sociale, par Durand (de Gros), p. 367.
Rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie (Les), par Paul Magnin, p. 2.
Réformatoire d'Elmira (Le),p. 375.
Revue de l'hypnotisme et le mouvement psychologique (La), par E. B. p. 1.
Rétrécissement spasmodique du canal de l'urèthre durant depuis trois mois (Guérison par la suggestion hypnotique d'un), par Bérillon et Watteau. p. 49.
Représentations mentale et des hallucinations visuelles et auditives post-hypnotiques conscientes chez les personnes ayant subi le traitement hypno-thérapique (Des), par Jules Voisin, p. 66.
Réformatoire d'Elmira (Le), p. 375. Réve (La psychologie du), par Vaschide
et Piéron, p. 1S9. Robin (Discours d'Albert), p. 229, 288. Robert d'Arbrissel (Le martyre de), par
Henry Lemesle, p. 249. Rongeurs (Une nouvelle variété), p. 59.
Séance annuelle de la Société d'Hypno-
logie, p. 351-Seusibilité dans l'hystérie (Importance
de la constatation exacte des troubles
de), par Paul Joire, p. 14. Sitophobio obstinée chez des aliénés
(Deux cas de), par Gino Maiorfi, p. 150. Sociologie criminelle (La), par Niceforo,
p. 321, 353.
Société d'hynologie et de Psychologie, p. 12, 30, 45, 61, 76, 110, 127, 160. 185. 190, 215, 22t, 249, 253, 273, 287,318, 328, 312 , 351, 359, 374.
Sommeil (Le çenix^-iitffc~p722.
Sommeil-nrrrureT(De la suggestion pendant le), par Paul Farez, p. 38.
Suggestion .(La définition de la) par Félix Regnault, p. 273.
Suggestion (Le mécanisme de la), par Marcel Mangin, p. 259, 295.
Suggestion olfactive, p. 31.
Suggestion (Ce qu'il faut entendre parla), par Félix Regnault, p. 46.
Suggestibilité dans la fatigue, par Féré, p. 190.
Suggestion collective et cynanthropie (Un cas de), par Orlitzky, p. 343.
Suggestion hypnotique comme moyen thérapeutique, par Lebailly, p. 317.
Suicide(Unétablissementpourlc), p. 251.
Suicides (des), par Félix Regnault.p. 89,
Tic d'épllation et fausse pelade, par
Raymond, p. 364. Tics avec coprolalie (Maladies des), par
Itaymond, p. 126. Transvorbératlon do Sainte Thérèse
d'Avila, par Henry Lemesle. p. 78 Tremblement trépidatoirc hystérique
guéri par la suggestion hypnotique,
par Jules Voisim, p. 360.
Vagabonds de Cagliari (Les petits), par
Mario Carrara, p. 135. Vertige el le suicide (L'autosuggestion
du), par Félix Regnault, p. 187. Violoniste Kun Arpad (Le jeune) par
Lionel Dauriac, p. 5t. Volonté et l'auto-suggestion (La), par
Coste de Lagrave, p. 185. Vomissements nerveux incoercibles guéris par suggestion (Un cas de), par
Paul Farez, p. 182. Vomissements gravidiques incoercibles
et ptyalisme guéris par suggestion, par
Paul Farez, p. 217. Voyante de Boulleret (à propos de la),
p. 380.
FIGURES La transverbération de Ste Thérèse d'Avila, p. 78.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS
Arnaud, p. 159. Babinski, 193.
Bêrillon, 1,12,49,76, 89,9?, 175,216,225
282, 337, 362. Binei-Sanglé, 129, 161, 202. Bloch,215, 249. Bourdon, 87, 93, 139. Bois (Jules), 257.
Carrara, 135. Crespin, 122. Cullerre. 99
Coste de Lagrave, 185, 328. Corintn, 310.
Dauriac (Lionel), 51, 52. Durand de Gros, 367.
Farez (Paul), 16, 38, 89,182, 217, 240,274,
304, 367. Féré, 190.
Grasset, 319.
Hachet-Souplot, 54, Hikmet, 91,153.
Joire (Paul), 14, 110. Julliot, 66, 102.
Laignel-Lavastine, 93. Laisant, 20. Liégeard, 19. Lebailly, 347
Lemesle (Henry), 78, 178, 249.
Le Menant des Chesnais, 120, 217. Lépinay, 146, 248, 281, 337, 310. Luling (Auguste), 375.
Magnin, 2, 232, 266, 282 , 301, 337, 339.
MaiorB, 150,
Manfroni, 156.
Moiroud, 155.
Mangln, (Marcel), 259, 295.
Myers (P.), 259.
Niceforo, 321,323, 353. Nissi, p. 31.
Orlitzky, 343. 363.
Pau de St-Martin, 89, 216 Parodi, 367. Piéron, 189.
Regnault (Félix), 12, 46, 52, 89, 92, 93,
168, 187, 210, 236, 273, 328. Raymond, 54, 55 , 56, 124, 126, 157, 1S8,
219, 284,311,343, 364. Robin (Albert), 229.
Spehl, 290. Salomon, 314.
Tokarsky, 33.
Vaschide, 189. Vergnolle, 307.
Voisin (Jules), 13, 65,90,93,216,337,339, 360.
Watteau, 49.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BERILLON
Paris. Imprimerie A. QUELQIJEJEU rue Gerbert. 10.