L'HYPNOTISME
et de la
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
Paraissant tous les mois
PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES
Rèditleur en tief : Docteur Edgar BÉRILLON
PRINCIPAUX COLLABORATEURS
MM. les Docteurs AZAM. prof. à la Faculté de Bordeaux ; R. ARTHUR 'de Sydney); AUBRY(deSt-Brieuc); BARETY (de Nice); DE BEAU VAIS. mCd.de Mazaa; BËRNHEIM. prof, à la Faculté de Nancy; J. BOUYER (d'Angouléme) ; P. BONNIER; BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof.à la Faculté de Paris, membre de l'Institut
CHILTOFF, prof, à l'Université de Kharkoff; COLLINEAU ; W. DEKHTEREFF (de Saint-Pétersbourg); A. FOREL (de Zuricli); Eugène DUPUY; DUMONTPALLIER. médecin de l'Hôtel-Dieu; Van EEDEN (d'Amsterdam); GRASSET, professeur à la Faculté de Montpellier; LAGELOUZE; KINGSBURY (de Blackpool). W. IRELAXD (d'Edimbourg); LACASSAGNE, prof, à la Faculté de Lyon ; LAD AME (de Genève); LIÉBEAULT (de Nancy); LEGRAIN. médecin de l'Asile de Vauelus*; LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. do Nancy; LLOYD-TUCKEY(de Londres); O.JENNINGS: LIiTOURNEAU, prof, à l'Ecole d'Anthropologie ; MASOIN. prof, à 1 Univ. de Louvain MANOUVRIER. prof.à l'Ecole d'Anthropologie; M ESN ET, méd. de l'Hôtel-Dicu; MABILLE, méd. de l'Asile de Lafond; Paul MAGN1N: MOLL tde Berlin!; MORSELLI, professeur à l'Université de Gènes; RAFFEGEAU (du Vésinet); Félix REGNAULT; Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING (de Berlin) SEMAL (de Mons); Aug. VOISIN, médecin de la Salpôtrièrc, etc.; STEMBO (de Vilna); P. VALENTIN; O. WETTERSTRAND de Stockholm); MM. A. LA LANDE, agrégé de l'Univ.; LIÉGEOIS, prof. à la Fac. de Droit de Nancy BOIRAC. agrégé de l'Univ.; DELBŒUF. prof, à l'Univ. de Liège; Pierre JANET. agrégé de l'Université; Max DESSOIR (de Berlin); A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc.
LE NUMÉRO : 75 CENT.
Rédaction : 14, rue Taitbout
Administhation : 170, rue Saint-Antoine
REVUE
de
HYPNOTISME, SOMMEIL PROVOQUÉ, SOMNAMBULISME, SUGGESTION NEVROSES, MALADIES MENTALES ET NERVEUSES, MÉDECINE LÉGALE, PÉDAGOGIE CRIMINOLOGIE, PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE, FOLKLORE
LIVRAISON DE JUILLET 1896
t. — BIOGRAPHIE : 1° Les maîtres de l'hypnotisme : M. le
Dr Dumontpallier, p. 1.
II. — TRAVAUX ORIGINAUX : 1° Les mystères de la suggestion,
par M. le Dr Durand de Gros, p. 6.
2° Essais sur la volonté (arec 2 figures), par M. le Dr Félix Regnault, p. 17.
3° Du sommeil provoqué à l'insu du malade, dans un cas ; à l'insu du médecin, dans un autre, par M. le Dr Le
Menant des Chesnais, p. 23.
4° Perversions psychiques de l'instinct de reproduction chez les oiseaux, par M. E. Caustier. professeur agrégé de l'Université, p. 25.
III. — CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE. — Société d'hypno-logie et de psychologie, p. 27.— Banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie, p. 27.—Les homicides en Italie, p. 28. — Médecine rétrospective, p. 29. — Idée fixe et obsession, p. 29.
IV. — NOUVELLES. — Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, p. 29. — Varia, p. 31.
La REVUE DE L'HYPNOTISME est l'organe officiel de la Société d'hypnologie et de psychologie, qui y publie ses mémoires et les comptes rendus de ses séances. — Un exemplaire de la Revue est servi par la Société à chacun de ses Membres titulaires.
Chaque ouvrage dont il sera envoyé deux exemplaires à la Rédaction sera annoncé et analysé, s'il y a lieu. — L'échange sera fait avec toutes les publica~ tions périodiques, françaises et étrangères, adressées à la Rédaction.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11e année. — n° 1. Juillet 1896.
LES MAITRES DE L'HYPNOTISME ET DE LA MÉDECINE
Le Docteur Dumontpallier
Le Dr Dumontpallier est un des doyens les plus estimés du corps médical.
Interne de 1853 à 185G, lauréat des hôpitaux, il était reçu, en 1857, docteur en médecine, avec une thèse sur L'infection purulente et l'in-
fection putride à la. suite de l'accouchement. La même année il obtenait le prix Montyon pour un mémoire sur le même sujet. Nommé chef de clinique à la Faculté. Il collaborait aux deux éditions de la clinique médicale de l'Hôtel-Dicu de Paris du professeur Trousseau, et faisait à
l'École pratique un cours de pathologie interne ; en 186G il était nomme médecin des hôpitaux.
En 1875, il obtenait un prix à l'Académie de médecine pour un mémoire sur l'étude Des anomalies de l'éruption vaccinale. De 1876à 1886, il faisait à l'hôpital de la Pitié des conférences de clinique médicale sur Les applications de l'hypnotisme à t'a thérapeutique.
En 1882, il présentait ù l'Académie des sciences des mémoires sur L'hypnotisme et l'hystérie, et à l'Académie de médecine sur Les anes-thésiques.
De 1886 à 1892, il faisait à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu, où il était passe comme médecin, des conférences très suivies sur la gynécologie. En 1892, il donnait ù l'Académie de médecine de savantes communications sur le traitement local des endométrites et des hémorrhagies utérines par les crayons de chlorure de zinc, et il était élu la même année membre de cette Académie dans la section de thérapeutique et d'histoire naturelle.
11 est, depuis 1884, officier de la Légion d'honneur, secrétaire général de la Société de biologie depuis 1889.
Après avoir énuméré rapidement les étapes de la vie médicale de M. Dumontpallier, il nous reste à dire quelle fut la part prise par lui dans les études sur l'hypnotisme. En 1877, nommé par la Société de Biologie, avec ses collègues Charcot et Luys, membre de la Commission chargée de contrôler les expériences de Burq sur la métallothé-rapie, il se met à l'œuvre avec ardeur. Rapporteur de la Commission, il travaille pendant deux années consécutives dans le service de M. Charcot. à la Salpêtrière, et, après une étude minutieuse, il affirme l'exactitude des faits avancés. C'est dans le cours de ces éludes qu'il comprend toute l'importance physiologique du phénomène du transfert de la sensibilité. Depuis lors, il n'a pas cessé de poursuivre, à la Pitié et à l'Hôtel-Dieu, ses recherches sur l'hypnotisme chez les hystériques. Devenu chef d'une véritable école d'hypnologie, célèbre sous le nom d'Ecole de la Pitié, il était secondé dans ses recherches sur l'action des agents physiques chez les hystériques, par deux élèves dévoués, MM. Paul Magnin et Bérillon,
Le titre de ses principales communications suffira pour en indiquer l'importance :
Des zones réflexogènes psychiques et motrices du cuir chevelu, motrices de la peau de la région vertébrale pendant la période cataleptique de l'hypnotisme. (Expériences faites devant la Société de Biologie, séances des 14 et 21 janvier 1882, et il février 1882.)
Notes sur les conditions qui mettent en évidence le phénomène désigné sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire dans les différentes périodes de l'hypnotisme, avec M. Magnin. (Société do Biologie, 4 février 1882).
De l'indépendance fonctionnelle de chaque hémisphère cérébral. (Société de Biologie, 3 juin 1882).
De l'indépendance fonctionnelle de chaque hémisphère cérébral et de l'influence
du degré des excitations périphériques sur le degré des manifestations fonctionnelles de chaque hémisphère cérébral chez l'hystérique hypnotisable. (Société de Biologie, 8 juillet 1882).
De nombreuses expériences, M. Dumontpallier pouvait déduire les conclusions que, chez l'hystérique hémi-ancsthcsique, qui a recouvré en grande partie la sensibilité et ta force musculaire de chaque cété du corps, on peut :
1° En agissant isolément sur un seul hémisphère cérébral, rendre manifeste celte indépendance fonctionnelle de chaque moitié du cerveau ;
2° En agissant simultanément sur les deux hémisphères, on peut déterminer des manifestations fonctionnelles simultanées dont le degré, pour chaque côté du corps, est en rapport avec le degré d'exci-ation de chaque hémisphère cérébral.
Etude expérimentale sur la métalloscopie, l'hypnotisme et l'action de divers agents physiques dans l'hystérie. (Deux mémoires présentés à l'Académie des Sciences avec M. Magnin, 9 et 23 janvier 1882.)
Sur les règles à suivre dans l'hypnotisation des hystériques. (Note présentée à l'Académie des Sciences avec M. Magnin, 8 mars 1882).
Dans cette note, M. Dumontpallier posait un principe dont il a eu souvent l'occasion de démontrer la valeur, à savoir que, dans les expériences d'hypnotisme, la cause qui fait défait. En d'autres termes, cela revient à dire qu'il faut toujours employer, pour faire disparaître un état produit, l'agent même qui a servi à le déterminer, quelle que soit d'ailleurs la nature de cet agent.
Action thérapeutique du vent d'un soufflet ordinaire dirigé sur les muscles ou sur les tendons des muscles contractures chez les hystériques. — Même résultat lorsque l'on fait agir le vent du soufflet sur les extrémités des membres contracturés. (Société de Biologie, 7 janvier 1882).
De la lypémanie hystérique modifiée par la léthargie provoquée. (Société de Biologie, 7 janvier 1882).
Aphonie hystérique modifiée par l'application de plaques métalliques pendant la période somnambulique de l'hypnotisme provoqué. (Société de Biologie).
Des hallucinations bilatérales, avec M. Magnin. (Union médicale, 15 et 19 mai 1896).
Indépendance fonctionnelle des deux hémisphères cérébraux.— Hallucinations bilatérales simultanées dans l'hypnotisme. — Persistance à l'état de veille, avec M. Bérillon. (Société de Biologie, 1884, p. 405.
Après avoir mis en évidence par divers procédés, dans l'élat d'hypnotisme, l'activité psychique sensitive et motrice des centres nerveux, et cela d'un seul côté ou simultanément des deux côtés du corps, M. Dumontpallier avait le droit d'affirmer qu'il avait démontré de la façon la plus absolue et la plus indiscutable, l'indépendance fonctionnelle des deux hémisphères cérébraux. L'ensemble de ces expériences a été réuni par M. Bérillon, élève de M. Dumontpallier, sous ce litre :
La dualité cérébrale et Vindépendance fonctionnelle des hémisphères cérébraux (1).
De l'action vasomotrice de la suggestion chez les hystériques hypnotisables. (Académie des Sciences, 25 juillet 1885.)
De l'exposé de ces faits observés, il résultait que, dans des circonstances déterminées, la suggestion peut produire une modification vasomotrice caractérisée par une élévation de température de plusieurs degrés centigrades, et cela pour des régions limitées à volonté.
Le fait de l'élévation locale de la température, déterminée par la suggestion, ouvrait la voie à une série d'expériences nouvelles de même ordre et permettait une interprétation physiologique de phénomènes sur la réalité desquels planait toujours le doute scientifique. Aussi, on peut se demander, avec M. Dumontpallier, s'il n'y a pas, entre l'élévation locale de la température et la production de phlyetènes, d'ecchymoses, d'hémorrhagies, que des degrés d'action de la suggestion.
Depuis lors, M. Dumontpallier apublié des travaux divers sur l'anes-thésie dans le travail de l'accouchement (Société de Biologie, 28 février 1887); sur les contractures hystériques, sur le traitement de la chorée par la suggestion (Société d'hypnologie¡, sur le traitement psychothérapique de la neurasthénie (Société d'hypnologie), etc. D'ailleurs, M. Dumontpallier ne cesse de se consacrer tout entier à ses études favorites, et la série de ses communications est loin d'être close.
Récemment, le Dr Laveyssière, retraçant le rôle joué par lui dans l'évolution de l'hypnotisme, s'exprimait ainsi à son sujet dans le Correspondant médical. Après avoir rappelé que M. Dumontpallier avait été l'élève favori de Claude Bernard en même temps que Malassez, d'Ar-sonval et toute la brillante pléiade, il écrivait :
« Dans ces conditions, expérimentant les phénomènes hypnotiques avec toute la prudence et la réserve scientifiques qu'on était en droit d'attendre de son passé, il fut convaincu, et, loin de reculer devant le scepticisme universel, il s'efforça de faire partager ses convictions.
« Quand la vérité est contraire aux idées reçues, il faut un grand courage et une grande fermeté de caractère pour l'affirmer. Dumontpallier eut ce courage dans plusieurs mémoires à l'Académie des Sciences, il l'eut dans son service qui devint un centre de recherches et d'enseignement hypnologiques.
« Si Dumontpallier se fût tu à cette époque, son nom serait resté à l'égal de celui de beaucoup de médecins aux travaux estimables, voilà tout. Il parla et se trouva placé hors pair ; il devint un maître.
« Quand l'hypnotisme devint officiel entre les mains du professeur Charcot, il ne se plia pas aux idées reçues, mais lutta avec l'école de Nancy contre la théorie des trois états de l'hypnotisme : catalepsie, léthargie, somnambulisme. L'avenir lui donna raison : s'il existe une part de vrai dans cette division, encore Charcot l'avait-il établie trop rigoureuse sans tenir compte de l'infinie variété des sujets. Et quand de
(1) Paris : Bataille, éditeur.
jeunes enthousiastes se groupèrent pour fonder une société d'hypnolo-gie, M. Dumontpallier se trouva désigné comme président.
« Nul ne sait s'acquitter de ses fonctions avec un tact plus bienveillant. Son calme contraste avec l'activité fiévreuse de son secrétaire et élève, M. Bérillon. Le visage empreint d'une gravité sereine, magnifiquement encadré d'une épaisse barbe blanche, le regard franc et limpide, un fin sourire sur les lèvres, il sait distribuer à chacun la part d'éloges qui lui revient, et envelopper la juste critique d'expressions bienveillantes qui la font accepter. Et, comme en science hypnotique les hypothèses téméraires abondent, nul ne connaît mieux l'art de terminer par un point d'interrogation une communication, sans néanmoins décourager l'auteur.
« Présider la Société d'hypnologie, remplir les fonctions de secrétaire général de la Société de Biologie, prodiguer ses soins aux jeunes lycéens de Louis-le-Grand, puisqu'il n'est plus que médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu, tel est l'automne d'une vie bien remplie. »
Dans cette Revue, fondée sous ses auspices, l'influence scientifique de notre maitre n'a cessé d'être prépondérante. Xous pouvons dire que sa direction éclairée a puissamment contribué à notre succès. Le nom de M. Dumontpallier a d'ailleurs été mêlé à tous les principaux événements qui ont marqué en France la renaissance des études psychologiques. En voici les dates principales. En 1877, il publiait le rapport sur la metallothérapie, qui marque l'entrée de l'hypnotisme à la Salpètrière. En 18s9, il était spontanément désigné par tous pour présider le premier Congres International de l'Hypnotisme. Tous ceux qui ont pris part aux travaux de ce congrès se rappellent l'autorité et l'impartialité avec lesquelles il a dirigé les discussions et les travaux de ces assises mémorables. Le 25 mai 1891, il présidait la manifestation organisée en l'honneur du Dr Liébeault. Nul n'était mieux qualifié pour interpréter les sentiments de reconnaissance et d'affection qui avaient inspiré les admirateurs du vénéré Dr Liébeault.
Il appartenait à l'homme intègre qui, dans des circonstances difficiles, eut le courage de rendre une entière justice à Burq, l'inventeur de la metallothérapie, de consacrer les mérites du modeste médecin de campagne dont les patientes recherches ont doté la médecine d'une thérapeutique nouvelle : la suggestion.
Enfin, le 20 juillet 1891, M. Dumontpallier consolidait l'œuvre générale en présidant à la création de la Société d'hypnologie et de psychologie dans laquelle viennent se grouper tous ceux que passionne l'étude des rapports du moral avec le physique. La Société d'hypnologie et de psychologie, imitant en cela ce que la Société de biologie avait fait pour Reyer. son précédent fondateur, l'a nommé son président perpétuel. Elle a vu là un gage de prospérité et de succès.
Souhaitons pour la Science et la Philosophie que la Société d'hypnologie et de psychologie garde longtemps à sa tète le maitre dont la loyauté et l'autorité sont la plus sûre sauvegarde de sa destinée.
LES MYSTÈRES DE LA SUGGESTION
A propos de la cure merveilleuse du Prof* Dorobetz.
A MM. Ics D" Ermacora et Finzi, directeurs de la Rivista di Studi psichici.
Messieurs et très honorés Confrères,
Dans votre examen critique du cas de M. le Prof' Dorobetz, de Moscou (numéro de la ïiiwsta de mars dernier), se lit cette phrase : « Già da molto tempo il Dott. Durand (de Gros) com-« battè l'errore, molto diffuso anche fra gl'ipnotisti, che la sug-« gestionhe prenda il suo punto d'appoggio sulla convizione « ch'essa induce nella coscienza normale del soggetto (*). »
En vous remerciant cordialement pour cette mention bienveillante, je vous prie de me permettre d'entrer dans quelques explications pour bien préciser ma manière de voir sur la question débattue.
* * *
Tout d'abord, afin de provenir une confusion fâcheuse et malheureusement très fréquente chez les hypnotïstes, je commence par faire remarquer qu'il s'agit ici de la suggestion qui s'adresse à l'intelligence du sujet sous forme de symboles ou signes représentatifs d'idées que celui-ci doit interpréter. C'est ce que j'ai appelé la Suggestion idéoplastique, et qu'on désigne communément sous le nom de Suggestion parlée.
Le genre de suggestion que les auteurs qualifient de mentale, et qu'il serait plus juste de nommer occulte, tacite et biomagnétique, est une action d'un tout autre ordre quant au processus, lequel est, dans le premier cas, de nature intellectuelle et morale, et est, dans celui-ci, en quelque sorte mécanique, et implique l'intervention nécessaire d'un véhicule matériel, bien qu'invisible et impondérable, agent physique sui generis que toutes les apparences semblent autoriser à
Traduction du passage en italien : ¦ Depuis longtemps, le D'Durand (de Gros) a combattu l'erreur, très répandue parmi les hypnotïstes, de croire que la suggestion prend son point d'appui sur la conviction qu'elle fait naltro dans la conscience ?ormale du sujet. »
rapprocher de l'électricité et du magnétisme proprement dit.
Aussi quand, dans les lignes ci-après, je parlerai de la suggestion sans épithète, il sera entendu que c'est de la suggestion par signes (signes parlés, écrits, visuels, auditifs, tactiles, etc.) qu'il est question.
*
Opérant sur un individu que j'ai soumis préalablement à cette simple et en apparence bien inoffensive et bien insignifiante préparation, qui consiste pour lui à regarder fixement un petit objet brillant l'espace de quinze ou vingt minutes, et le sujet ayant subi par ce moyen une modification spéciale des plus singulières et des plus profondes — mon « état hypota-nique », — qu'aucun signe extérieur ne trahit toutefois, et continuant d'offrir toutes les marques visibles de l'état de veille le plus complet, je lui dis sur un ton affirmatif : « Votre bras est paralysé. » Ou bien : « Vous allez courir au galop, et vous ne pourrez pas vous arrêter sans ma permission. » Et ce que je viens de lui déclarer ainsi se trouve réalisé aussitôt.
Très évidemment, l'obtention d'un pareil résultat implique comme condition première une participation de la conscience et de l'intelligence du sujet ; et ce qui met ce point hors de doute, c'est que mon affirmation ne produira son effet magique qu'autant qu'elle aura été comprise par lui. Si je m'adresse . à lui dans une langue qu'il ne connaît pas, le résultat de ma tentative de suggestion se trouvera absolument nul.
Ne faut-il pas en outre, pour que l'expérience réussisse, que l'hypnotiséy apporte un certain concours moral? Autrement dit, ne faut-il pas, pour que se réalisent les modifications consécutives plus ou moins profondes et plus ou moins extraordinaires que ma parole va déterminer en lui, ne faut-il pas qu'il accorde une certaine foi, qu'il croie, dans une certaine mesure, aux assurances incroyables que je lui fais entendre?
Oui, tout l'indique, car l'affirmation n'est efficace qu'autant . qu'elle est articulée sous une forme péremptoire, et par un opérateur dont la voix, le visage, le maintien et l'entière personne respirent conviction et persuasion. J'ai formé jadis des centaines d'élèves dans mes cours d'hypnotisme ; la plupart arrivaient à réussir plus ou moins bien leurs suggestions, mais j'ai toujours constaté que ceux qui manquaient d'assu-
rance, ceux qui portaient un scepticisme moqueur dans leur physionomie, et ceux enfin qui, par suite d'une imperfection de leur physique, d'un manque de tenue, ou pour toute autre cause, semblaient ridicules ou peu sérieux, étaient parfaitement mauvais comme suggestionneurs. C'est un fait d'universelle expérience que l'ascendant personnel de l'hypnotiseur le seconde puissamment. Enoncez votre affirmation ou votre injonction suggestionnelles du ton et de l'air d'un homme qui ne pense pas un mot de ce qu'il dit et qui en rit sous cape, et votre suggestion tombera à plat.
Un état comparatif des différentes catégories de personnes considérées sous le rapport de leur suggestionnabilité relative donnerait, j'en suis persuadé, des résulats fort instructifs. En attendant qu'on dresse cette intéressante statistique, je croirais presque pouvoir avancer, en me fondant sur un certain nombre d'observations, que la caserne et le séminaire, ces deux écoles de l'obéissance passive et de l'acquiescement pour ainsi dire automatique aux ordres du chef ou aux enseignements du maitre, préparent proportionnellement beaucoup plus de suggestionnables que ne le font par exemple la magistrature, le barreau et toute la chicane, où l'esprit et le caractère se forment essentiellement au soupçon, à la méfiance et au scepticisme moral.
Pour aucun vieux praticien la chose ne peut faire doute, la disposition à subir la suggestion est en raison, toutes choses égales d'ailleurs, du développement de la « créditivité » et de l1 « obéditivité » individuelles.
Donc, pour que la suggestion opère et s'effectue, il est indispensable que son énoncé, ou les divers signes qui peuvent en tenir lieu, soient compris du sujet, et, secondement, qu'elle obtienne une certaine adhésion de sa part.
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* *
Cette conclusion, qui semble pleinement autorisée par certains faits, se heurte à d'autres qui paraissent l'infirmer non moins certainement. Nous avons indiqué les premiers, considérons maintenant les seconds.
Quand je fais la suggestion du mouvement incoercible ou de l'impuissance à se mouvoir, mon sujet conçoit une idée relativement claire et adéquate du résultat annoncé ainsi que de la façon dont il s'effectue ; car, à l'état normal, ses membres
obéissent à sa volonté, et les contraindre au mouvement ou au repos sont deux actes qui lui sont familiers. Mais que peut bien comprendre son esprit, que peut-il saisir, que peut-il pénétrer du mécanisme physiologique si obscur au moyen duquel opère par exemple la suggestion de M. Delbœuf faisant disparaître en un clin d'œil une vieille et énorme verrue rebelle à tout traitement médical (voir la Revue de l'Hypnotisme de février 1S96), ou la suggestion classique de M. Focachon, produisant la vésication sans vésicatoire ? Quelle part est-il raisonnable d'attribuer à l'intelligence du suggestionné dans la production de tels effets ? Et pour ce qui est maintenant du concours de sa créditivité et de son obéditivité, qu'en reste-t-il donc, où s'aperçoit-il, ce concours, quand nous voyons certains sujets, à l'annonce d'une suggestion extravagante, se livrer à des transports d'incrédulité, et, l'effet une fois réalisé, lutter avec fureur pour surmonter l'obsession qui les domine ?
Nous sommes, de la sorte, en présence de deux vérités contradictoires ; c'est une véritable antinomie. La résoudre, découvrir la formule synthétique de conciliation où s'unissent les deux thèses opposées, est l'un des plus grands desiderata de notre psychologie physiologique, l'un de ses problèmes cardinaux.
II y a quarante et quelques années que je me trouvai pour la première fois en présence de cette étrange énigme. Je fis alors tout mon possible pour en avoir le mot, et j'y ai peut-être réussi en partie. Je vais résumer ci-après mes tentatives de solution.
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Prenant la vie végétative pour objectif de mes suggestions perturbatrices, je dis au sujet, en lui faisant avaler un verre d'eau claire ou une boulette de mie de pain : « Vous venez de prendre une forte purge, elle va vous faire aller grand train » ; et l'événement ne manque pas de suivre l'annonce. Si cette même suggestion eût été adressée en grec à un illettré, le trait eût passé par-dessus sa tête et il n'aurait point été touché.
Il est donc indispensable, pour que le sujet éprouve l'action de la suggestion purgative, que les mots purge et purgation évoquent dans son esprit l'idée familière que chacun y attache.
Mais que cette simple idée est donc superficielle et sommaire au regard du nombre, de la variété et de la complexité des opérations qui s'accomplissent successivement ou simultanément dans le profond mystère du laboratoire vital, à partir de l'ingestion d'un drastique jusqu'à l'acte final des évacuations !
L'intelligence et la conscience d'un vulgaire suggestionné restent absolument étrangères aux détails et à la coordination de tout ce travail physiologique ; donc la suggestion sait se passer de l'une et de l'autre quand, se substituant au purgatif matériel, elle réussit à produire de toutes pièces une exacte contre-façon de l'œuvre de ce dernier. Et pourtant, c:est bien dans la conduite d'une aussi difficile entreprise que le savoir et le discernement auraient leur place marquée ; car il ne s'agit de rien de moins que de réussir cet incomparable lourde force : faire subir à l'économie cette mystification inimaginable qui consiste à lui faire prendre des mots, des signes, des riens, pour ses excitateurs naturels et matériels, et de faire produire à ces vains simulacres le plein actionnement de tels ou tels rouages de la machine physiologique, et tel ou tel résultat fonctionnel déterminé.
Evidemment, ce n'est pas ce que le suggestionné appelle son intelligence qui peut s'attribuer un coup d'adresse de cette force, puisque son esprit n'a pas la moindre idée des moyens employés pour en arriver là et reste tout à fait étranger et à la combinaison et à l'exécution du plan.
Si maintenant nous considérons ce qui s'observe dans la « suggestion à terme », nous y trouvons également la preuve de Pentière abstention intellectuelle du sujet, soit dans la composition, soit dans le jeu de ce drame souterrain qui se prépare et se déroule dans une obscurité noire. Vous dites à votre sujet : « Dans 365 jours, 6 heures et il minutes, toute affaire cessante, tu mettras le feu à ta maison » ; après quoi vous lui suggérez l'oubli radical de tout ce qu'il vient d'entendre. Le voilà donc suggestionné sans le savoir. Durant de longs mois, il vaque à ses affaires ou à ses plaisirs comme de coutume et comme si de rien n'était; pas le moins du monde il ne se doute de la présence en lui de ce démon suggestionnel dont il est le possédé, et cette terrible prophétie qui doit se réaliser par ses propres mains, il l'ignore. Cependant quelque chose est en lui qui tient note exacte, jour par jour, du temps écoulé, et qui, le jour fatal venu, regarde sa montre pour compter les heures et puis les minutes restant à courir
jusqu'au dénouement proscrit ! car la- suggestion se réalisera avec une ponctualité mathématique.
Maintenant, pour ce qui est de l'aide morale, comment le sujet contribuerait-il de sa foi, de sa créditivité et de sa complaisance à ce travail suggestionnel interne et sourd dont il ne soit rien ?
Ce n'est pas tout : quand on expérimente sur des hypnotisés éveillés (pardonnez le paradoxe de cette expression), on en rencontre, comme je l'ai déjà dit, qui se mettent en posture de défi en face du suggestionneur, et qui, vaincus et humiliés, s'irritent, s'emportent et déploient tous leurs efforts pour échapper à la mystérieuse et toute-puissante influence qui les subjugue. L'auto-observation de Désiré Laverdant, publiée d'abord dans mon Cours de Braidisme (1860), reproduite ou mentionnée depuis par tous les auteurs spéciaux, et que j'ai commentée longuement dans mon dernier écrit sur l'hypnotisme, Le Merveilleux scientifique (1894), est une démonstration saisissante de la surprenante vérité dont il s'agit. Laverdant était un esprit très cultivé et d'une grande distinction ; dans sa relation, il examine avec la minutieuse curiosité et la discrimination d'un psychologue professionnel, les divers états de son âme par lesquels il a passé dans le cours de son épreuve hypnotique, dont chacune des péripéties était un coup étourdissant porté à son rationalisme. Ce qu'il prend surtout un soin particulier de noter, c'est que, l'esprit constamment lucide, sa raison se révoltait à l'annonce, manifestement et outrageusement absurde à ses yeux, qu'il allait perdre l'usage de ses jambes ou de ses bras d'Hercule (il était très fort), qu'il allait bégayer, qu'il allait perdre entièrement la notion d'une des lettres de l'alphabet, qu'il allait oublier son nom, etc. ; et il raconte que, confondu et atterré par l'évidence du fait accompli, il faisait alors un effort suprême, bien qu'inutile, pour se ressaisir, pour rassembler toutes les énergies de sa volonté et rompre la chaîne qui le retenait en une posture si humiliante et si ridicule.
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En pareilles circonstances, il existe évidemment, dans le sujet, une volonté et une intelligence cachées qui agissent dans le sens de la suggestion et s'en montrent les fidèles ministres, pendant que la volonté et l'intelligence du sujet.
celles de son « moi » propre, font effort dans le sens opposé.
Ce dualisme et cet antagonisme psychiques, si étranges, sont mis pour ainsi dire à nu par une expérience décrite et discutée dans ma lettre au Dr Liébeault sur les Suggestions criminelles (Revue de l'Hypnotisme de juillet 1895). Vous faites joindre les mains à un hypnotisé vigil,.et vous lui donnez la suggestion qu'il ne peut pas les séparer. Il veut et désire fortement vous infliger un démenti, et il est visible qu'il ne néglige rien pour y parvenir. Mais que constate-t-on alors si on examine de près ? On constate qu'une fraction du système musculaire, les fléchisseurs des doigts, se contracte fortement pour empêcher la séparation des mains, pendant qu'un autre groupe musculaire, les abducteurs des bras, — lesquels n'ont pas été visés par la suggestion, — se contracte à son tour avec énergie pour déterminer cette même séparation. Maintenant, qu'un secours étranger arrive à ce dernier sous forme de tractions exercées sur les bras, de dedans en dehors, par une personne présente ou par le suggestionneur lui-même, et, alors, que voyons-nous ? Les mains, menacées, font appel à toute leur vigueur et se serrent l'une contre l'autre convulsivement, désespérément.
Ce « struggle » ardent, à la fois passionné et raisonné, entre deux fractions d'un même système musculaire de la vie animale, constitue un paradoxe physio-psychologique singulièrement troublant pour tout observateur qui pense. Que pourra-t-il conclure d'un tel phénomène, si ce n'est qu'il existe en nous au moins deux volontés musculo-motrices distinctes, autonomes, indépendantes dans une certaine mesure l'une de l'autre, et non pas seulement aptes.à agir isolément, mais capables de se contrecarrer et d'engager entre elles une lutte qui, de part et d'autre, est dirigée et soutenue par une pensée et une intelligence propres ?
Il est une objection à prévoir, celle qui consiste à prétendre que ce queje prends pour une volonté et une intelligence, ou plus simplement une conscience distincte de la conscience proprement dite du sujet, n'est qu'une apparence" produite par le jeu d'un mécanisme aveugle, mais prodigieusement ingénieux et savant, simulant d'une manière admirable l'action volontaire et intelligente de l'homme, tel, par exemple, que pourrait le faire l'automate de Vaucanson perfectionné. Oui, cette thèse est soutenable, mais ni plus ni moins et avec les mêmes arguments que le fameux dogme de l'automatisme des
bêtes, qui, un temps assez long, a régné sans partage dans la philosophie (Descartes, Port-Royal) et dans l'histoire naturelle (Buffon).
Oui, encore une fois, cette thèse pourrait se soutenir, mais comme peut également se soutenir celle du « solipsisme », doctrine qui se base sur ce que JE n'ai conscience que de MA conscience, pour dénier pareille conscience à tout ce qui n'est pas MOI, c'est-à-dire non pas seulement aux bêtes, mais aussi aux autres hommes, et à ne voir dans ceux-ci que de pures machines tout aussi dénuées de sensibilité, d'intellectualité et de volonté, c'est-à-dire de conscience, que l'est un moulin ou une horloge. Cependant l'analogie me fait envisager, sinon comme absolument prouvé, du moins comme infiniment probable, et, partant, me détermine à croire que, les autres hommes étant organisés entièrement comme je le suis dans tout ce qui est objectivement observable, et ayant notamment comme moi un cerveau, je suis, dis-je, invinciblement entraîné à croire, à conclure par voie d'induction, que ce cerveau des . autres est, de même qu'est le mien, le siège et l'organe d'un moi, d'une conscience, d'un quelque chose qui sent, qui juge, qui décide. Et, ce premier pas franchi, je me vois poussé parla même logique, en constatant que, à côté des actes que j'accomplis consciemment, avec volonté et réflexion, mon organisme en produit d'autres extérieurement en tout semblables et par le moyen d'organes semblables, et notamment d'un organe nerveux qui est l'analogue de mon cerveau, mais auxquels, en même temps, mon moi reste étranger, — j'en tire cette conséquence que ce mien organisme porte en lui, dis-je, non pas un seul, mais plusieurs sièges de conscience, plusieurs centres de subjectivité, plusieurs moi distinctifs et en nombre égal à celui des centres nerveux.
Il y a quarante et un ans, un homme affirmait, dans un gros livre, que l'organisme des Vertébrés est, de même que celui des Annelés, une véritable ruche d'animaux élémentaires dont chacun reste pourvu — quels que soient son rang hiérarchique et sa fonction dans l'organisation collective — de tous les éléments essentiels de la vie animale, et principalement d'un centre cérébral ou quasi-cérébral, et d'un centre psychique ou moi propre dans ce cerveau ou manière de cerveau.
Cette affirmation de la constitution pohyzoïque, et, partant, polypsychique des Vertébrés, sans en excepter l'Homme, bien que produite et reproduite à satiété dans nombre de livres, de brochures et de mémoires, et bien qu'appuyée d'une démonstration des plus serrées et des plus richement documentées, resta sans écho chez les savants. L'Académie de Médecine de Paris daigna, à la vérité, consacrer une de ses séances tout entière (celle du 19 mai 1868} à cette théorie aussi bizarre que nouvelle, mais ce fut pour entendre la lecture d'un volumineux rapport qui s'attachait uniquement à déverser la dérisi'on sur un système poussant l'extravagance de son originalité jusqu'à poser en fait l'existence dans le corps de toute une hiérarchie d'âmes, « âme céphalique », « âmes spinales », « âmes ganglionnaires » !
Cependant, peu de temps après, Claude Bernard avait la fantaisie de s'approprier cette conception et de l'ajouter à ses autres titres de gloire scientifique. Mais il ne sut pas se l'assimiler. Dans son discours de réception à l'Académie française (treize ans après l'apparition de mon Electrodynamisme Vital), il . exposait, à la grande surprise de tous ceux qui avaient suivi ses travaux, cette doctrine tout à fait inouïe jusque-là dans son enseignement, que les centres nerveux de l'axe rachidien sont autant de cerveaux secondaires ayant sensibilité, intelligence et volonté. Mais il défigurait horriblement mon idée et se montrait plagiaire aussi maladroit que sans vergogne, en ajoutant, en psychologue ignorant et barbare, que cette sensibilité, cette intelligence, cette volonté raisonnante et les idées même qui les accompagnent sont inconscientes ! ce qui n'est qu'une autre façon de dire qu'une conscience peut être inconsciente.
Il y a quinze ans, le Dr Charcot se faisant accroire à lui-même qu'il avait inventé l'hypnotisme, et l'école d'hypno-psy-chologues qui s'était formée autour de cet illustre pseudoinventeur ayant partagé cette naïve conviction du maitre, et avec celle-ci naturellement tout le public moutonnier, on n'eut garde de consulter les travaux des vieux spécialistes, qui, depuis tant et tant d'années, avaient frayé, parcouru et rebattu tous ces sentiers, ignorés de la science qui se respecte, où les nouveaux arrivants s'imaginaient avoir eu l'heureuse fortune d'être les premiers à mettre le pied. On ne connaissait pas ou on ne voulait pas connaître ces ancêtres scientifiques, et si on leur fit des emprunts, on oublia de leur en donner reçu....
Du reste, en voulant s'attribuer la chose d'autrui, la jeune école ne réussit en général qu'à produire des contrefaçons défectueuses, fort en arrière du modèle. Ainsi, à mon polypsy-chisme nettement défini et solidement bâti sur des données positives de physiologie, d'anatomie humaine, d'anatomie comparative et de zoologie générale, se superposaient des conceptions nébuleuses et sans rattachement scientifique aucun, telles que l' « Inconscient » de M. de Hartmann, la « Subconscience » de M. Pierre Janet, et la « Conscience subliminaire » de M. Fr. Mvers.
Un événement académique, arrivé l'an dernier, a marqué la victoire finale de la vérité pour laquelle je n'avais pas cessé de rompre des lances depuis bientôt un demi-siècle. Dans sa séance du 4 mars 1895, l'Académie des Sciences a entendu l'un de ses membres les plus autorisés, M. Edmond Perrier, professeur de Zoologie au Muséum, rendre publiquement hommage à la doctrine du polyzoïsme chez les Vertébrés et à son premier promoteur, « lequel, a-t-il flatteusement dit, aura assez vécu pour voir le triomphe d'idées qu'il défendit avec opiniâtreté contre les maîtres de la science les plus éminents, et qui, a-t-il ajouté encore, donnent ce qu'on ne trouve ni dans la doctrine de Darwin, ni dans celle de Haeckel, une explication absolument scientifique, puisqu'elle s'appuie uniquement sur un long enchaînement de faits, [du processus de composition graduelle qui a présidé à l'évolution des organismes et les a conduits à la puissance physiologique qu'ils possèdent actuellement. »
Donc, on peut maintenant tenir pour acquis et scientifiquement démontré que l'organisme humain n'est pas l'hermitage d'une âme solitaire, mais le phalanstère d'une nombreuse association d'âmes.
Refusera-t-on actuellement d'admettre que, pour parvenir à démêler tant soit peu les complications et enchevêtrements désespérants de la mécanique psychologique, le psychologue doit commencer par se dire qu'il a affaire, dans les manifestations de l'esprit, non pas à un esprit unique, mais à une multitude d'individualités pensantes, et que ce qu'il avait pris jusqu'ici pour le solo de ce que chacun de nous appelle son « moi » est en réalité le concert plus ou moins harmonieux, et trop souvent charivarique, de tout un orchestre? et que notre moi-même, qui, là, fait fonction de chef de musique, a grandement
tort, par cela seul qu'il tient la baguette, de s'arroger tout le mérite de l'exécution, alors qu'il est à peine exécutant ?
Dans mon Electrodjynamisme Vital (sous le pseudonyme de Philips) j'ai longuement insisté sur ce point, avec force exemples à l'appui, que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes, ou peut-être bien les neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf dix millièmes de notre stock de connaissances, dont nous attribuons d'instinct la propriété personnelle, intrinsèque et intégrale, à -notre seul moi-même, appartiennent en réalité à une armée de secrétaires, inaperçus, dissimulés dans les coulisses ou dans la boite du souffleur de notre théâtre intellectuel, qui sont constamment à épier les besoins et les désirs de ce moi privilégié, le moi en scène, pour le munir instantanément des renseignements, des documents dont il a à faire usage, et qu'il a l'illusion de s'imaginer ne devoir qu'à lui-même.
C'est ainsi que mon moi se figure posséder en propre et par soi l'art de l'écriture, l'orthographe, le calcul, le dessin, la musique, etc. ; et l'expérience, s'il peut l'écouter avec attention et discernement, lui découvre que ces connaissances sont empreintes de ce qu'on nomme l'automatisme psychique, ce qui veut dire qu'elles résident hors de sa conscience, hors de lui-même. Et une simple épreuve comme celle-ci suffit pour rendre cette vérité saisissante : Je suis embarrassé sur la manière dont un mot doit s'écrire, et après d'inutiles efforts de mémoire, je me déclare incapable de m'en sortir. Mais je détourne mon attention d'un tel sujet, je jette à ma plume la bride sur le cou, et la laisse courir sur le papier sans plus m'occuper d'elle ; et voilà que le mot s'écrit pour ainsi dire tout seul, et tel qu'il doit l'être ! Dirai-je que c'est ma main qui m'en remontre pour l'orthographe? autant vaudrait le dire de mon porte-plume !
Ce qui a levé ma difficulté, ce qui est venu au secours de ma mémoire défaillante, c'est une pensée qui a dirigé ma main; et comme cette pensée dirigeante n'est pas de moi, puisque je n'en ai aucune conscience, elle émane donc d'un autre moi que le mien, d'un autre esprit que mon esprit, et je la rapporte à l'un de ces centres psychiques secondaires dont les cerveaux respectifs sont échelonnés tout le long de l'axe cérébro-spinal.
Aujourd'hui la science de l'homme ne peut plus hésiter à ' mettre à son ordre du jour l'étude physio-psychologique de ces moi ou âmes subordonnées, qui font cortège au moi capital, et lui fournissent une collaboration aussi puissante. L'art hypnotique, en tant que suggestion surtout, devient pour ainsi dire
le microscope du psychologue, le mettant en, mesure de distinguer, de discerner les unités psychiques diverses, n'offrant jusqu'ici qu'un tout confus à l'œil nu, qui concourent à constituer ce que nous nommons, avec une présomption extrême, nos déterminations, nos actions, nos connaissances, nos sentiments, nos opinions, nos talents, nos affections, nos aversions, nos vertus, notre caractère, etc.
(a suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 17 Février 1896. — Présidence de m. Dumontpallier
La séance est ouverte à 4 h. 40. M. Valentin, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la précédente séance. Il est adopté.
La correspondance écrite comprend une lettre de M. Albert Coulaud, s'excusant de ne pouvoir assister à la séance.
La correspondance imprimée comprend trois livres de M. le Dr Crocq fils, ayant pour titre: Les altérations du système nerveux dans les paralysies diphtêritiques ; Les névroses traurnatiques ; et L'hypnotisme scientifique. M. Boirac, vice-président de la Société, veut bien se charger de faire pour la Revue de l'Hypnotisme une analyse de ce dernier ouvrage.
M. le Président met aux voix la candidature de M. le Dr Paul Hartenberg (de Nancy), au litre de membre de la Société. L'admission est votée à l'unanimité.
ESSAI SUR LA VOLONTÉ
Par M. le Dr Félix Regnault
_ »
Une science progresse lorsqu'on parvient à grouper les faits qui s'y rapportent dans une classification rationnelle : ainsi l'histoire naturelle au siècle dernier. L'observation et l'expérimentation ont grandement enrichi la philosophie en ces dernières années, aussi le besoin d'une classification s'y fait vivement sentir.
Elle ne fournit pas la cause des faits, mais y aide par la comparaison, car alors on arrive à mieux saisir leurs rapports et leurs différences. Nous avons cherché à réaliser cette classification au moyen de schémas.
Pour montrer les phénomènes psychiques, on a eu de bonne heure recours aux schémas. Un des premiers, et qui a le mieux satisfait l'esprit, est le schéma des réflexes que nous donnons ici (fig. 1). Une sensation D, perçue par le nerf tactile d, fait vibrer la cellule médullaire S de la corne postérieure ou sensitive qui transmet la perception aux cellules M M, à la corne antérieure préposée au mouvement. Celles-ci transmettent aux nerfs moteurs ou centrifuges qui déterminent une contraction musculaire : ainsi une sensation peut déterminer un mouvement chez un animal décapité. Toutes les lois de Pflüger sur les réflexes de la moëlle peuvent se traduire d'une façon satisfaisante par ce schéma.
Mais il devenait impossible, quand on s'adressait aux phénomènes
D, terminaisons tactiles. — d d', nerf tactile. — S, cellule de la corne postérieure de la moelle. — M M', cellules de la corne antérieure du mouvement. — m, muscles.
psychiques. La complexité des faits ne pouvait, en effet, s'accommoder de schémas rigides non modifiables.
On peut, aujourd'hui, concevoir des schémas s'adaptant à toutes les diversités grâce aux découvertes de Cajal qui ont amené la théorie du neurone. La cellule nerveuse ne se continue pas avec les nerfs, mais est en contact avec leurs extrémités. De môme il n'y a que simple contact entre les prolongements des cellules nerveuses.
Cette nouvelle conception permet de comprendre l'infinie variété des phénomènes psychiques si on admet que les contacts entre les cellules peuvent varier d'un individu à l'autre et chez le même individu, suivant les époques.
La théorie des neurones nous permet ainsi d'instituer de nouveaux
schémas des phénomènes psychiques les groupant en un ensemble qui paraît rationnel.
Reportez-vous au schéma de l'acte réflexe. Au lieu qu'il y ait continuité entre d et S, entre S et M il n'y a que contact. De plus, suivant la démonstration de Ramon y Cajal (voir son livre sur les nouvelles idées sur la structure du système nerveux, p. 25), le filet nerveux d se divise en deux rameaux : un d', en contact avec la cellule S ; l'autre d" qui donne des collatérales prenant contact avec d'autres cellules
D, terminaisons tactiles du d d' nerf tactile. — S. cellule de la corne postérieure de la moëlle. — M. cellule de la corne antérieure. — m. muscles. — d". collatérale tactile allant prendre contact avec B. cellule bulbaire. — A, A', A", A'", cellules intellectuelles de l'écorcc cérébrale. — a. cylindraxe de A. prenant contact par ses collatérales a', a", a"' avec A', A", A'". — d", cyllodraxe de A"', prenant contact avec M.
médullaires et aboutit à la cellule bulbaire B, centre de nouveaux réflexes.
Le cylindraxe de B se met en rapport avec la cellule A de l'écorce cérébrale intellectuelle. A, par son cylindraxe ramifié a', deviendra un centre de vibration pour de nombreuses cellules nerveuses A' A" A"'.
L'une d'elles, A"',_devient point de départ du courant centrifuge d"' qui viendra en M pour aboutir au mouvement musculaire (1). . Le mouvement volontaire a été reconnu plus long à se produire que l'acte réflexe. On voit que le courant sensitif, au lieu de passer de S en M, accomplit un trajet B A à A'" d'" pour arriver en M, nécessairement plus long.
En second lieu, la volonté réside dans la possibilité de se déterminer à un acte de préférence à plusieurs autres. L'acte voulu est meilleur ou jugé tel. Il réside donc dans l'éveil des idées provoqué par la sensation D. Le courant A allant en a' a" excite d'autres cellules A' A" qui pourraient devenir point de départ de mouvements centrifuges, mais le courant a"' est plus intense, et c'est la cellule A'" qui est déterminante du mouvement centrifuge.
Prenons un exemple : la vue d'un pauvre. Elle éveille des idées multiples : la faim, la pitié, le dégoût, le désir d'être généreux, etc.... Suivant les personnes, une de ces idées plus intenses l'emportera déterminant l'acte.
Prenez plusieurs personnes excitées par la même sensation et répondant par le même acte : donner à un pauvre, par exemple. De la similitude du point de départ et d'arrivée, il n'en faut pas conclure à la similitude du trajet. La vue du pauvre aura excité chez l'un la pitié, chez l'autre le devoir religieux, chez un troisième l'ostentation et l'orgueil. C'est ce qui rend l'analyse psychologique des caractères si difficile.
Nous pouvons comprendre ainsi les deux modes de volonté : l'une active, que nous venons d'étudier; l'autre négative d'arrêt. La vue d'un être hai, par exemple, pousse à le tuer. La cellule A'", excitée, envoie l'impulsion homicide par son cylindraxe à la cellule motrice M. Mais une collatérale a' du cylindraxe a vient exciter la cellule A' qui éveille en nous l'idée de châtiment et vient combattre l'impulsion en faisant agir les muscles antagonistes. La perception visuelle fait donc vibrer des cellules cérébrales rappelant des douleurs et des haines ; celles-ci déterminent un mouvement d'attaque, aussitôt réprimé par la mise en action d'autres cellules qui se représentent le châtiment et amènent la contraction des muscles antagonistes.
Cette simple analyse de la volonté nous permet d'examiner ses variations.
Opposons l'acte volontaire à l'involontaire. En dehors du réflexe dont le courant est médullaire ou bulbaire, nous pouvons avoir des actes involontaires d'origine cérébrale.
Si un,e sensation ne provoque pas d'associations d'idées et provoque de suite le réflexe centrifuge, l'acte est involontaire. Tel est l'acte instinctif, l'acte produit par l'habitude; tel enfin celui causé par l'imitation.
Dans tous ces cas, le courant passe directement de A en A'" sans
(1)Nous avons placé M dans une moitié de la moelle" différente de S. pour éviter la confusion,
faire vibrer les cellules A' A". Il n'y a donc pas prédominance d'une idée plus forte, puisqu'il n'en existe qu'une.
Dans l'acte instinctif, les contacts sont solidement établis dès la naissance, d'où la possibilité d'actes compliqués dont l'animal ne peut pourtant saisir l'utilité.
L'acte habitue] amène la disparition des courants dérivés A' A" ; l'excitation de la cellule A amène encore, de suite, celle de la cellule A'".
De même dans l'imitation. Ici, l'acte qui impressionne est reproduit directement et machinalement : tel le bâillement. Les animaux (moutons de Panurge) et l'enfant sont très portés à .l'imitation de l'acte, le associations d'idées étant encore peu développées.
On a de môme expliqué par l'imitation les actes des foules. Chez l'adulte, la suggestion, l'hypnotisme révèlent la puissance de l'imitation. Chez l'hystérique, l'ordre donné est exécuté sans provoquer d'associations d'idées capables d'amener une restriction. Notons pourtant que, lorsque des courants associatifs sont au préalable fortement établis, il est difficile et même parfois imposssible de faire obéir l'hystérique, ou, en d'autres termes, quand une idée est bien ancrée dans le cerveau, la suggestion reste impuissante.
Il faut, ici, distinguer l'imitation d'actes perçus et la suggestion ou reproduction d'actes dont l'idée a été éveillée dans le cerveau par la parole ou l'écriture, en d'autres termes par des représentations symboliques.
J'ai observé ces deux modes, imitation et suggestion, très dissociés chez les individus. La même personne imitait facilement l'acte accompli devant elle, qui résistait absolument aux conseils dits ou écrits: ceux-ci développaient même en elle l'esprit de contradiction.
Ce dernier est bien connu et très développé chez certains. Paroles, écrits suscitent en eux l'idée opposée à celle conseillée, et l'acte inverse se produit.
Si la sensation provoque des associations d'idées, la volonté apparaît suivant la nature de ces associations. On comprend les variations de la volonté.
Moins les courants dérivés seront nombreux, moins nombreuses s'éveilleront les idées, plus rapide tendra à se produire le courant centrifuge, le mouvement. Tels les sauvages, les enfants, certains esprits peu cultivés ; cette promptitude à se décider provient d'une pauvreté d'associations d'idées, de raisonnement. Chez le passionné, certaines cellules cérébrales correspondantes à sa passion, dès qu'elles sont excitées, amènent de suite le mouvement centrifuge. La volonté est rapide, et les actes, obéissant toujours à une même passion, sont coordonnés, ont une logique. On dit qu'il existe chez bien des femmes, en certaines circonstances, un caractère plus décidé que chez les hommes, c'est qu'elles obéissent plus facilement à leurs passions et sont moins raisonnables.
Il y a, dans notre cerveau, certaines cellules déterminantes fortement empreintes par hérédité ou éducation. Une fois mises en branle par la sensation centripète, elles amènent de suite le mouvement centrifuge. Ces motifs aux actes sont des sentiments, des passions, des idées morales. Si ces cellules déterminantes n'existent pas, nous pouvons avoir le type du capricieux dont les sensations déterminent des actes divers, incoordonnés, sans but, et prennent l'aspect déréglé. Non seulement la sensation ne provoque pas d'associations d'idées et amène de suite l'acte ; mais l'unique cellule excitée ne l'est que momentanément, elle rentre de suite au repos et ne vient pas contrecarrer l'action d'autres sensations consécutives. La durée et la persistance de l'excitation cellulaire sous l'influence d'une sensation constituent l'attention.
Les courants dérivés peuvent se multiplier, s'épuiser sans amener de courant centrifuge, de mouvement correspondant à la sensation. L'esprit qui offre trop de courants dérivés est irrésolu.
Les caractères irrésolus peuvent être imaginatifs ou logiques.
Chez l'imaginatif, la sensation éveille une foule d'images et s'y épuise. Coleridge a décrit, de main de maître, ce caractère qui était le sien.
Chez le logique, la sensation détermine de nombreuses idées. Les unes poussent à l'acte ; les autres déterminent une action d'arrêt. Si aucune n'est assez forte pour l'emporter, l'acte ne s'accomplit point.
La volonté peut être malade ; classons ses maladies d'après la même méthode.
Dans Vaboulie, le courant centrifuge est nul. Le contact de d"' avec M ne se fait plus. Le sujet veut, n'hésite pas, mais il ne peut. La raison est intacte, le choix est fait; mais il est impossible de l'exécuter. Cette aboulie existe dans certains états morbides et maladies mentales. L'opium le donne, et Quincey l'a fort bien décrit.
Toute autre est l'aboulie avec obsession ou phobie. Chez l'agora-phobe. la vue de l'espace amène une impossibilité d'aller de l'avant. Le courant se dépense à exciter intensément* un groupe cellulaire qui provoque une action d'arrêt. Ou, en d'autres termes, la représentation de l'espace produit des mouvements antagonistes de la marche et s'oppose à celle-ci.
Ajoutons que la volonté peut parfois vaincre l'obsession. Dans cette lutte entre le mouvement direct positif et l'action d'arrêt, on observé toutes les gradations.
Quand il y a aboulie avec folie du doute, le processus est autre. Ici, le courant centripète se dépense en dérivés multiples. La sensation amène des pensées dubitatives ; l'acte ne se produit pas.
A l'opposé de l'aboulie, les impulsions. Le sujet ne peut lutter contre le courant centrifuge qui passe directement de A en A'" d"', et l'acte s'accomplit fatal. Tantôt il est répété, habituel (tics nerveux, écolalie,
manie). Si le sujet s'efforce de les arrêter, l'action d'arrêt persiste un instant, puis est vaincue. D'autres fois, il est moins fréquent, môme anormal (impulsion homicide). La sensation excite vivement la cellule A"' d'où part immédiat le courant centrifuge. En d'autres termes, la cellule conçoit une représentation trop intense de l'acte qui ne peut être évité. Les associations d'idées A' A" amenant l'arrêt peuvent se produire, mais elles sont insuffisantes et aboutissent à l'angoisse.
Parfois l'action d'arrêt consiste à opérer un mouvement centrifuge permettant la décharge et analogue à celui désiré, mais moins grave. Tel ce sujet qui, pris d'envie de mordre la femme, la faisait passer en se mordant lui-même.
Tandis que dans l'aboulie le courant est dérivé hors de la voie centrifuge d"\ dans l'impulsion il passe énergiquement dans cette voie centrifuge.
Du sommeil provoqué à l'insu du malade, dans un cas ; à l'insu du médecin, dans un autre
Par M. le docteur Le Menant des Chesnais.
Notre Société ayant pour mission et pour coutume d'envisager la question de l'hypnotisme à tous ses points de vue, il m'a paru utile de vous rapporter les deux faits suivants :
M. X..., ingénieur, 55 ans, grand, bien constitué, jouit d'une excellente santé. Plusieurs fois, j'ai eu l'occasion d'endormir une jeune femme de sa famille ; il en a été témoin, mais il reste absolument convaincu que jamais personne ne pourrait l'endormir.
J'arrive un jour d'hiver chez lui, dans l'après-midi, et je le trouve assis devant son feu entre cette parente et sa femme. Dans la conversation, la question de l'hypnotisme ayant été de nouveau abordée, ces dames me supplient d'essayer d'endormir M. X.— J'y consens, malgré les craintes d'insuccès que m'inspire le scepticisme de M. X...
« Je doute fort que vous réussissiez, me dit en riant ce dernier, mais enfin je suis à votre disposition. Que dois-je faire ? » — « Rien de difficile ; si vous voulez bien fixer mes yeux, vous allez presqu'aussitôt vous endormir. »
Moins d'une minute après, il dormait. La jeune femme était ravie, et Mme X... étonnée. Sur ces entrefaites, comme le jour commençait à baisser, la bonne apporta la lampe allumée et la déposa sur la cheminée.
« Je voudrais bien poser une question au dormeur, me dit la jeune parente. » Craignant quelque indiscrétion de sa part, je lui répondis que cela lui serait encore plus commode au réveil, et je réveillai mon sujet.
« Eh bien ! êtes-vous convaincu ? lui dis-je. » — « Convaincu de
quoi ? » — « D'avoir dormi. » — « Moi, mais je n'ai pas dormi. » — « Quand vous aviez les yeux fermés, vous ne dormiez pas ? » — « Mais, je n'ai pas fermé les yeux ; vous m'avez dit de vous regarder, et je n'ai cessé de le faire. »
Mme X... : « Comment, tu n'as pas dormi ? Nous sommes témoins que tu dormais, les yeux fermés, et si bien, que tu n'as pas vu la bonne apporter la lampe. » — c Tiens, c'est vrai, la lampe est là ; je n'ai pas remarqué qui l'a apportée, mais je suis certain de n'avoir pas dormi. »
« Vous avez si bien dormi, lui dis-je, que vous allez encore vous rendormir, et à l'instant même. »
De nouveau, M. X... s'endort. J'ajoutai : « Et vous dormirez jusqu'à ce que je vous dise de vous réveiller. » Il fallait, cette fois, lui donner une preuve de son sommeil.
Je le fis se lever et le conduisis à l'angle de la pièce, la face tournée au mur ; on apporta son fauteuil derrière lui, je le fis s'y asseoir et le réveillai.
« Cette fois, mon cher monsieur, direz-vous que vous n'avez pas dormi?» Il allait peut-être nier encore, quand il se rendit compte de l'endroit où il était et de la façon dont lui et son fauteuil étaient placés.
II dut se rendre à l'évidence : « Mais alors, reprit-il, l'hypnotisme est une chose terrible, effrayante, puisque l'on peut être endormi sans qu'il vous en reste le moindre souvenir au réveil. »
Je me faisais la même réflexion. C'était complétement à son insu qu'il avait dormi, et cela sans aucune suggestion, de ma part, d'amnésie au réveil. Il est inutile d'insister sur les graves conséquences d'une pareille susceptibilité psychique.
L'autre fait que je veux vous rapporter ici est celui, au contraire, d'une malade dormant à mon insu :
C'était une jeune anémique que j'avais endormie déjà plusieurs fois pour donner à mes prescriptions médicales une plus grande activité.. Un jour, comme elle fixait mes yeux pour s'endormir suivant l'habitude, elle me dit en détournant la tête : « Docteur, vous ne m'endormirez pas aujourd'hui, je le sens, c'est inutile d'essayer plus longtemps. »
Je ne crus pas devoir insister davantage, et, la laissant assise, j'allais m'asseoir moi-même à ma table en lui disant : « Eh bien, n'insistons pas aujourd'hui. Je vais simplement vous faire une ordonnance. »
Et je me mis à écrire. Ayant relevé la tête, je fus étonné de voir qu'elle dormait. Je lui fis alors les suggestions que nécessitait son état, et je la réveillai.
o Vous avez dormi quand même ? lui dis-je. » Comme elle paraissait ne pas comprendre ma phrase, j'ajoutai : « Qu'est-ce qui vous faisait penser que vous ne dormiriez pas aujourd'hui ? » — « Mais rien ne me faisait penser cela, » — « Tout à l'heure, cependant, vous m'avez dit qu'aujourd'hui je ne pourrais pas vous endormir. » — « Je ne me rappelle pas avoir dit cela. » J'insistai, mais elle ne se souvenait pas.
Elle dormait donc déjà à ce moment, et je me demande dans quel état je l'aurais laissée, si, me fiant à sa parole, je l'avais renvoyée chez elle.
Ce fait méritait de vous être signalé, car il montre combien les médecins doivent être prudents pour ne pas s'exposer à troubler le cerveau de leurs malades, comme si fréquemment les hypnotiseurs publics ou inexpérimentés troublent celui de leurs sujets.
Perversions psychiques de l'instinct de reproduction chez les oiseaux.
Par M. E. Caustier, professeur agrégé de l'Université.
Parmi les légendes qui abondent en psychologie comparée, il en est une qui, depuis des siècles, captive l'attention des naturalistes, et sur laquelle ont été émises les hypothèses les plus diverses et les plus erronées : c'est celle qui a rapport à l'instinct de la reproduction chez un oiseau aux mœurs étranges, chez le coucou (cuculus canorus).
Pour détruire celte légende et établir la vérité, il a fallu les nombreuses observations et les ingénieuses expériences d'un de nos zoologistes les plus consciencieux. C'est donc au récent travail de M. Xavier Raspail que j'emprunte les faits qui font l'objet de cette communication.
Aristote, déjà, savait que le coucou pondait son œuf dans le nid d'un autre oiseau, que cet œuf était couvé par l'oiseau étranger, généralement un passereau, et qu'enfin le jeune coucou était nourri par ce passereau.
On admettait donc que la femelle du coucou, se désintéressant de sa progéniture, devait être dépourvue de l'instinct maternel, toujours si développé chez les oiseaux. Epouse volage et mère dénaturée ; telle était la réputation de la femelle du coucou.
On alla plus loin : après avoir refusé au coucou femelle le sentiment maternel, on a fait du jeune coucou un meurtrier, un monstre qui tue ses frères d'adoption pour accaparer tous les soins des passereaux qui l'ont couvé et qui vont le nourrir.
Les observations de M. Raspail montrent la fausseté de ces deux points :
1° Lorsque la femelle du coucou dépose son ceuf dans le nid d'un passereau, elle enlève un œuf du passereau et met le sien à la place ; elle ne choisit pas forcément, comme on le croyait, un nid où les œufs ressemblent au sien. Donc, ce n'est pas pour tromper le passereau qu'elle enlève un œuf, mais plutôt pour assurer la réussite de l'incubation qui serait compromise si le passereau avait trop d'œufs à couver, car l'embryon a besoin, pour se développer, d'une certaine quantité de chaleur.
Ici, se pose une question : Comment le passereau accepte-t-il cet
œuf étranger qui va devenir la cause de la perte de ses propres petits ?
On avait d'abord cru que les oiseaux couvaienttout œuf qui leur était confié, et même « une pierre ronde ou une bille d'enfant » ; mais cela n'est vrai que pour les oiseaux tels que la poule, le serin, chez lesquels la domestication a émoussé l'instinct. Au contraire, et c'est ce qu'il y a de remarquable dans les dernières expériences de M. Raspail, lorsqu'on met à la place d'un œuf de passereau un œuf ayant le même aspect que celui du coucou, un œuf de coucou même, toujours cet œuf étranger est rejeté par le passereau. Il y a donc incontestablement une influence personnelle exercée par le coucou sur l'oiseau. M. Raspail ajoute même que le passereau ne peut se soustraire à cette influence suggestive, bien que l'acceptation de l'intrus soit la perte certaine de sa propre couvée. Je dois dire que, dans la pensée de M. Raspail, cette influence n'a rien de commun avec l'hypnotisme, qui, dit-il, ne peut avoir d'action effective que chez des sujets atteints d'une nervosité morbide exaltée. A mon avis, M. Raspail nie peut-être trop facilement le rôle de l'hypnotisme ; d'autant qu'il dit lui-même : « Du moment que les passereaux n'acceptent que du coucou seul un œuf étranger, il faut attribuer cette acceptation à l'influence 'personnelle de la femelle du coucou, qui impose son ceuf à la mère qu'elle a choisie, laquelle ne peut plus se soustraire à l'obligation de couver cet ceuf. »
Ce sont là, nettement décrits, les effets de l'intimidation ou de la suggestion, des deux même, car tout le monde sait que l'autorité, qui n'est qu'une forme de l'intimidation, est une puissante alliée de la suggestion.
Il serait intéressant de connaitre le procédé employé par le coucou pour imposer sa volonté, pour provoquer l'hypnose. Nous ne savons sur ce point que ce que M. Raspail veut bien nous dire : c'est que, pendant toute la durée de l'incubation, le coucou reste dans le voisinage du nid du passereau.
2° Pour expliquer comment le jeune coucou reste seul dans le nid, oh a admis jusqu'ici que c'était lui-même qui expulsait ses frères de couvée, et cela à l'aide de manœuvres habiles. « Il se glisse, dit Jenner, sous l'un des oiseaux ; il lâche de le placer sur son dos où il le retient à l'aide de ses ailes, puis il se traîne à reculons jusqu'au bord du nid, par-dessus lequel il jette la charge. Il suit le même procédé pour les autres petits. » Le Dr J. Franklin va même jusqu'à prétendre que la nature, dans sa prévoyante sollicitude, a placé un creux entre les épaules du jeune coucou, ce qui lui facilite son fratricide ; ce creux disparaîtrait avec l'âge.
Inutile de dire que tout ceci est de pure imagination. La réalité, vue par M. Raspail, c'est que toujours les œufs de passereau sont enlevés au moment de l'éclosion de l'œuf du coucou; qu'à cette époque, le coucou peut à peine se mouvoir, et qu'il est par conséquent trop faible pour devenir un criminel.
Ce n'est pas non plus la femelle du passereau qui fait disparaître ses propres enfants. C'est le coucou mère qui, au moment de l'éclosion de son œuf, brise d'un coup de bec meurtrier les ceufs du passereau. De cette façon, le jeune coucou profite, sans partage, de la nourriture qui lui est apportée par les parents adoptifs.
On voit que si l'influence du coucou a fait du passereau une mère adoptive, elle ne l'a pas poussée du moins jusqu'à l'infanticide.
En résumé, contrairement à ce qui était admis jusqu'ici, le coucou n'est pas dépourvu de l'instinct maternel : par son influence personnelle, il impose au passereau l'incubation de son œuf, et, par une influence suggestive, le passereau accomplit passivement l'élevage et l'éducation du jeune coucou.
Ce fait d'une influence suggestive mise au service de la conservation de l'espèce, m'a paru suffisamment curieux pour mériter d'être signalé à la Société d'Hypnologie.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie
Après la séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie, les membres de la Société se sont rendus au banquet annuel. M. le docteur Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine, présidait. Parmi les nombreux convives, nous devons citer SI. le Dr Eid, du Caire, M. le Dr Auguste Voisin, médecin de la Salpétrière, M. Boirac, professeur au lycée Condorcet, M. le Dr Apostoli, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, M. le D' Archambaud, directeur de la Revue médicale, MM. les Drs Valentin, Lagelouze, M. Caustier, professeur agrégé de l'Université, MM. les Drs Bilhaut, Colte, Maurice Bloch, Duval, Gorodichze, Gélineau, Desjardins de Régla, Bonnot, Le Menant des Chesnais, Wolf, M. Camille Martinet, M. Albert Colas, m. Philippe, avocat à la Cour d'appel, M. Charles Verdin, etc. M. le secrétaire général donne lecture de nombreuses lettres d'ex-
Les homicides en Italie.
Dans une conférence faite à Rome, le baron Garolafo, un des émi-nents criminologistes italiens, estime, d'après les statistiques, à 4,000 le chiffre annuel des homicides en Italie, ce qui donne, dit le conférencier, un meurtre toutes les 2 heures.
Cette proportion est la plus élevée des pays civilisés ; en France, elle atteint à peine le dixième, et en Danemark le trente-cinquième du chiffre noté en Italie.
D'après le baron Garolafo, celte tendance à l'homicide doit être attri-
cuscs, parmi lesquelles celles de M. le professeur Pitres, de M. Alfred Robin, médecin de la Pitié, de MM. lesDrs Baraduc, Paul Joire de Lille, Bourdon de Méru, etc.
M. le D'Auguste Voisin, dans un toast élogieux, porte la santé de M, Dumontpallier, le vaillant président de la Société, toujours disposé à encourager de sa bienveillante autorité les efforts des chercheurs. Il rappelle les services rendus à la cause de l'hypnotisme et de la psychothérapie par M. Dumontpallier.
M. le président porte un toast à la Société, dont il retrace le chemin parcouru depuis sa fondation, malgré les résistances et les hésitations de la médecine officielle, toujours la dernière à entrer dans la voie du progrès scientifique. Il fait appel à l'union des diverses doctrines dans un but unique, celui de doter la médecine d'une conquête destinée à constituer une des branches les plus importantes de la thérapeutique : la psychothérapie.
M. le docteur Bérillon, saluant la présence d'un de nos confrères étrangers, M. le Dr Eid, du Caire, souhaite la bienvenue aux nouveaux membres de la Société présents au banquet. Il les félicite d'avoir compris qu'il y a un lien entre la psychothérapie et toutes les autres thérapeutiques. Elle n'exclut aucune des ressources fournies par la physique et la mécanique. Ainsi, on conçoit très bien que par Apostoli l'électricité s'allie à la psychothérapie ; que par Archambaud !e massage devienne souvent de la psycho-mécanique, et que Bilhaut complète l'orthopédie morale par l'orthopédie physique. La psychothérapie exerce sur toute la médecine une influence salutaire. En développant chez les médecins l'esprit philosophique, elle augmente leur champ d'action en même temps qu'elle élève leur caractère. Il faut donc boire à la psychologie, trait d'union entre tous les esprits scientifiques.
MM. Boirac, Archambaud, Eid, Bilhaut, Gorodichze, Desjardins de Régla ont continué la série des toasts par des allocutions pleines d'à-propos et fort applaudies.
Le banquet de 1896 a encore dépassé en cordialité les banquets des années précédentes.
buée d'abord à l'existence de la vendetta, puis à la pratique du duel, et enfin à cerlains défauts d'éducation. On pourrait ajouter surtout une influence de milieu dont l'origine remonte aux temps les. plus reculés. L'Italie a toujours été le pays où l'on a eu le moins de respect pour la vie humaine, et les mauvaises traditions ne se perdent passi facilement. Il faut, dans tous les cas, féliciter M. Garofalo d'avoir eu le courage de signalerun mal.
Médecine rétrospective.
La commission des manuscrits historiques de la Grande-Bretagne vient de publier les manuscrits de l'abbaye de Welbeck, résidence des ducs de Portland, desquels on peut extraire les deux prescriptions médicales suivantes, faites par un certain D' Wildey, qui exerçait à Rotterdam et jouissait en Europe d'une grande autorité à la fin du xviie siècle.
Le duc d'York ayant été atteint de la variole et les médecins anglais ne tirant pas assez promptement d'affaire leur malade, la famille royale consulta le Dr Wildey, qui répondit par la consultation suivante :
« Prenez 3 œufs frais et faites-les frire dans un quart de livre de beurre. Jetez ces œufs après cuisson et versez le beurre dans une tasse de porcelaine où vous le ferez refroidir en le couvrant d'eau glacée. Quand il sera refroidi complètement, ajoutez-y de l'essence de rose et battez ferme jusqu'à ce que le mélange soit parfait. Le tout formera un onguent dont le malade prendra de 3 en 3 heures la valeur d'une noisette. La guérison surviendra en moins de 4 jours, »
Le D' Wildey ajoutait en même temps l'ordonnance suivante contre l'insomnie qui tourmentait le prince :
« Prenez un pigeon vivant, coupez-le en deux et appliquez chaque moitié de l'oiseau sous l'un des pieds du malade. Avec l'aide de Dieu, il retrouvera le sommeil au bout de 24 heures. »
Idée fixe et obsession
Une idée fixe est une conception délirante inconsciente qui domine toute la personnalité psychique de l'aliéné, tandis qu'une obsession est une idée inutile ou nuisible, mais consciente, et qui occupe l'esprit du malade contre sa volonté.
Quelle que soit l'origine de l'idée fixe (jugement défectueux, idée préconçue, souvenir erroné), ce qui la caractérise essentiellement, c'est l'inconscience totale de l'individu par rapport à sa valeur pathologique. Elle a pour lui la force d'une vérité absolue, et aucune démonstration au monde ne pourra la lui faire abandonner.
L'obsession est tout autre chose. Quelle soit constituée par une idée
absurde ou une sensation erronée, le malade reconnaît sa fausseté, son inutilité, son danger, mais il ne peut s'en défaire.
Elle crée chez le malade un état d'angoisse résultant de la contradiction qui es ste entre les aspirations personnelles et l'acte commandé par l'idée. Cette angoisse ne se manifeste pas seulement par le récit de l'obsédé. Des signes physiques, tels que rougeur ou pâleur du visage, palpitations, tremblements, sueurs froides, dérobement des jambes, menaces de syncope, viennent traduire au dehors l'extrême anxiété du malheureux au moment du paroxysme.
L'auteur est d'un avis différent de celui d'Hitzig, qui croit que le mécanisme intellectuel des obsédés est excellent et que leur personnalité psychique est intégrale. D'après lui, au contraire, l'appareil mental est en mauvais état aussi bien chez l'obsédé que chez le malade aidée fixe ; seulement chez ce dernier, c'est la faculté du jugement, de l'association des idées qui est profondément lésée, tandis que chez le premier il existe un trouble fondamental de la sphère émotive et de la volonté.
La séquestration est le meilleur traitement des malades à idée fixe ; chez les obsédés elle n'est pas nécessaire, excepté quand les obsessions sont accompagnées d'impulsions dangereuses, et le traitement moral (conseils affectueux, raisonnements, etc.), peut beaucoup.
Dans le Bulletin médical, M. Roubinowitch vient d'établir la distinction entre l'idée fixe et l'obsession.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pra-
tique par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.
Pendant le semestre d'hiver 1896-1897, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Dans ces derniers temps, le musée s'est enrichi de dons importants qui lui ont été faits par M. Luys (cerveaux, photographies du cerveau, miroirs, etc.... schémas); par M. Tramond (moulages de cerveaux et de pièces anatomiques); par M. Talrich (modèles de cerveaux et de pièces anatomiques) ; par M. Ch. Verdicr (Instruments de précision); par M. Liébert (photographies); par M. Pirou (photographies).
La valeur pratique des instruments et des appareils applicables à la psycho-physiologie, ne peut être mise en lumière que par des démonstrations faites par des hommes habitués à les utiliser. C'est pour cela que l'Institut psycho-physiologique a fréquemment fait appel aux concours des créateurs et des constructeurs d'appareils. Parmi ceux qui ont prêté leur précieuse collaboration, nous devons citer : M. G. Trouvé, ingénieur électricien, qui a démontré les applications pratiques de plusieurs de ses appareils d'électricité.
M. Ch. Verdin, constructeur, à plusieurs reprises, a démontré le fonctionnement de divers appareils enregistreurs employés en physiologie. (M. Verdin a complété ces présentations par des visites collectives au musée de physiologie qu'il a créé à la Faculté de médeine.)
M. le Dr Philadelphien a fait, en présence d'élèves, des applications du sphymométrographe.
Au mois de juillet 1896, M. le Dc Bianchi, privat-docent à l'Université de Parme, a fait des démonstrations de la Phonendoscopie, méthode d'exploration des viscères et des organes internes dont il est l'inventeur. M. le Dr Bianchi a fait, à l'Institut psycho-physiologique, une série de conférences. Parmi les médecins qui ont suivi les conférences et ont été initiés par lui à l'emploi du phonendoscope, nous devons citer : MM. Dumontpallier, Eid, Apostoli, Bilhaut, Jouin, Geoffroy, Cornet, Archambaud, Maurice Bloch, Délineau, Lagelouze, Boisleux, Pauvert, Allard, Wolf, Berrut, Hamaide, Eon du Val, Héligson, Tison, Valentin, Dollinger, Lux, etc, et un nombre considérable d'étudiants.
M. le D' Bianchi a fait également des démonstrations pratiques de son procédé d'étude des empreintes plantaires et des variations physiologiques et pathologiques que présentent ces empreintes.
Mission médicale. — M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, vient d'être chargé par le M. le Ministre de l'Intérieur, d'une mission médicale en Allemagne et en Suisse, à l'effet d'étudier l'organisation des asiles d'aliénés et des asiles spécialement consacrés au traitement des alcooliques.
L'alcoolisme en Autriche. — Dans plusieurs provinces de l'Autriche (Galicie, Ladomerie, Bukovinaï, il existe, des lois très sévères contre l'ivresse. Toute personne trouvée en état d'ivresse, dans un lieu public ou dans la rue, est passible d'un emprisonnement d'un mois ; après trois condamnations dans le cours de la même année, on perd le droit d'entrer dans les établissements de débit ; enfin, les dettes pour boissons ne sont pas reconnues, et les débitants ne peuvent faire crédit qu'à leur-risques et périls, sans recours, comme pour les dettes de jeu. II existe de plus des asiles spéciaux pour recevoir et traiter les alcooliques qui présentent des accidents cérébraux.
Musée de psychologie et de chiminologie. — L'organisation du musée de psychologie a été inspirée à la fois par l'idée qui a présidé à la création du musée psychologique du professeur Mantegazza, à Florence, et à celle du musée de psychiatrie criminologique du professeur Lombroso, à Turin.
Ce musée, dont nous annoncions la création au mois de février 1894, est destiné, en principe, à recueillir tous les documents relatifs à l'histoire du magnétisme, de l'hypnotisme et de la psychologie. Parmi les objets qu'il possède actuellement, nous pouvons citer :
1° Un assez grand nombre de portraits (Charcot, Dumontpallier, Charles Richet, Mesnet, Liebeault, Wundt, Moll, Krafft-Ebing, Forel, Lloyd-Tuckey, Hack Tuke, Myers, etc. ;
2° Un certain nombre de gravures (Mesmer : documents relatits au magnétisme) ;
3° Des médailles, médaillons, bustes, instruments divers, dessins, etc.
Une place considérable sera réservée à la psychologie expérimentale et aux initiatives qui se sont manifestées dans la création d'appareils enregistreurs et autres.
Les documents ethnographiques ne sont recueillis qu'autant qu'ils offrent un intérêt psychologique et portent la marque d'une exagération ou d'une anomalie d'un sentiment humain.
Les documents relatifs à la criminologie ont surtout pour but de faciliter l'étude des caractères physiques et moraux, présentés par les délinquants et les criminels.
L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT # 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11e année. — ? 2.
Août 1896.
MORT DE M. DELBŒUF
C'est avec un sentiment de vif regret que nous apprenons la mort de M. Delbœuf, professeur ordinaire à l'Université de Liège. L'œuvre scientifique et philosophique de M. Delbœuf est trop considérable pour que nous tentions de l'analyser aujourd'hui. Nous nous bornerons à exprimer les regrets que nous inspire la mort d'un de nos collaborateurs de la première heure. Depuis la fondation de la Revus de l'Hypnotisme, M. Delbœuf n'a cessé de nous apporter sa collaboration assidue. Chaque année, nous avons reçu de lui des mémoires originaux ayant trait à toutes les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychothérapie. L'hypnotisme perd en lui un défenseur précieux, car personne n'avait mieux étudié que lui les mystères de cette science nouvelle. Dans les discussions, M. Delbœuf était un redoutable adversaire. Il apportait à défendre ses idées une ardeur et une fougue qui ont pu surprendre ses contradicteurs. -Mais il ne faut pas oublier que M. Delbœuf n'était guidé dans la défense de ses opinions que par des sentiments absolument désintéressés et par un ardent amour de la vérité. Toute sa vie, il a combattu pour la liberté de l'esprit humain. II était en réalité, sous des abords un peu rudes, l'homme le plus serviable et le plus dévoué à ses amis. La droiture de son caractère, la netteté de ses convictions, la largeur de vues avec laquelle il abordait toutes les questions, lui avaient créé, même parmi ses adversaires scientifiques, de solides et de sincères amitiés. Nous souhaitons que ceux qui furent ses amis intimes, et furent les
confidents de ses impressions, nous retracent les péripéties, les luttes et les succès d'une carrière scientifique si bien remplie.
Dans notre prochain numéro, nous donnerons la biographie de M. Delbœuf. Aujourd'hui, au nom de tous nos collaborateurs, nous adressons à ses enfants, dont nous partageons la douleur, l'expression de nos vives sympathies.
Les hommes vigoureusement trempés comme M. Delbœuf sont rares, et c'est avec un sentiment de profond respect que nous adressons le dernier adieu à la puissante et vaillante personnalité qui vient de disparaître.
Dr Edgar BÉRILLON.
LE CONGRÈS DE PSYCHOLOGIE DE MUNICH
Le troisième Congrès de psychologie qui s'est tenu à Munich, du 4 au 10 août, a réuni un grand nombre de psychologues. Le total des adhérents s'est élevé à cinq cents environ, et le nombre des communications inscrites a dépassé cent cinquante. Ces chiffres suffisent à indiquer combien le mouvement qui entraine les esprits vers les études psychologiques s'est accentué, depuis le premier congrès de psychologie tenu à Paris en 1889.
Les questions de psychologie les plus diverses ont été abordées. Malheureusement, le nombre des adhérents a nécessité l'organisation de cinq sections travaillant en même temps. Par ce fait, beaucoup de travaux ayant un caractère très original, sont passés presque inaperçus et n'ont été l'objet d'aucune discussion. Cette méthode de travail, imposée par le trop grand nombre des assistants, a certainement nui beaucoup à l'intérêt du Congrès, car beaucoup de communications n'ont été présentées que d'une façon très résumée. Les écoles les plus diverses de la psychologie française avaient envoyé des délégués au Congrès. La Faculté de Médecine de Paris étaient représentée par M. le professeur Richet ; la Sorbonne par MM. Philippe, Courtier et Marillier ; l'Université par MM. Pierre Janet, Basch, Bourdon ; la Société d'hypnologie et de psychologie, par MM. Auguste Voisin, Bérillon, Baraduc et Boissier.
L'hypnotisme et la psychothérapie avaient retrouvé au Congrès de Munich leurs défenseurs habituels. Pour le démontrer, il nous suffira de donner les noms de MM. Lloyd-Tuckey, Milne Bramweld, van Renterghem, Tokarsky, Dech-tereff, Crocq, Schrenk-Notzing, Auguste Voisin, Bérillon, pour ne citer que ceux qui appartiennent à la Société d'hypno-logie et de psychologie de Paris.
Parmi les discussions soulevées par des questions d'hypnotisme, nous citerons celle à laquelle a donné lieu la communication de M. Wetterstrand, de Schokholm, sur le Sommeil artificiel prolongé, en particulier dans le traitement de l'hystérie. Nous reviendrons sur cette communication qui a eu le don de passionner quelques esprits au cours d'une brillante discussion à laquelle avaient pris part MM. Grossmann, de Berlin, Bonjour, de Lausanne, et Vogt, d'Alexanderbaden.
On peut regretter que les questions d'hypnotisme et de psychothérapie n'aient pu être traitées et discutées au congrès de psychologie avec toute l'ampleur qu'elles méritent. Ce qui s'est passé à ce sujet à Munich, justifie la décision prise dans la séance du mois de Juillet par la société d'HypnoIogie et de Psychologie, d'organiser également pendant l'exposition de 1900, à Paris un second congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, dans lequel seront mises à Tordre du jour les études psychologiques qui résultent de l'action exercée directement sur l'homme par l'homme et par le milieu.
Les questions d'hypnotisme et de psychothérapie et de psychologie morbide sont forcément relégués au second plan dans un congrès de psychologie pure. Il n'en sera pas de même du congrès de l'hypnotisme, qui a déjà, à l'heure actuelle, groupé un nombre considérable d'adhésions.
Le succès du congrès de Munich a été considérable. Cela tient tout d'abord, il faut le reconnaître, au zèle déployé par le secrétaire général du congrès, M. le Dr Schrenk-Notzing, de Munich, qui depuis trois ans n'a rien négligé pour réaliser ce succès. Mais il faut également l'attribuer au courant qui, en Allemagne, entraine les esprits vers les questions philosophiques. Les professeurs Lipps et Stümpf, de Berlin, Eb-binghaus, de Breslau, ont exprimé ces tendances générales dans d'éloquents discours. Enfin, M. le professeur Charles Richet, toujours bien inspiré, a synthétisé d'une façon très heureuse, dans sa communication sur la, douleur et dans ses
discours, le but essentiellement moralisateur qui se dégage des études psychologiques. Les délégués français se sentaient heureux d'être si dignement représentés par un maître dont le caractère fait de courage scientifique, de sentiments altruistes et d'amour de la vérité, ne connaît aucun des sentiments étroits qui abaissent la dignité humaine. Les sentiments exprimés par M. le professeur Charles Richet (1), ont dignement clôturé les assises psychologiques de Munich, et la façon dont elles ont été acclamées sont un gage que l'invitation faites aux psychologues de tous les pays de se réunir à Paris en 1900, sera accueillie avec le plus grand empressement.
P. V.
LES MYSTÈRES DE LA SUGGESTION
A propos de la cure merveilleuse du Profr Dorobetz.
(suite et fin)
Messieurs les Rédacteurs, revenons maintenant à votre article — que cette longue digression ne m'a pas fait perdre de vue un seul instant. Dans le passage où vous m'avez mis si obligeamment en cause, je m'arrête d'abord sur cette expression : « Conscience normale », dont vous paraissez m'attribuer l'idée. Permettez-moi de réclamer à ce sujet.
Une « conscience normale » implique naturellement, comme contre-partie, une « conscience anormale ». Or cette caractéri-sation et cette opposition ne correspondent point — vous avez pu déjà en juger — à ma manière de concevoir le dualisme psychique dont nous devons à l'hypnotisme une démonstration expérimentale des plus concluantes, et sur la nature duquel je viens de m'expliquer, un peu trop longuement peut-être.
Ce que vous désignez par conscience normale, c'est, suivant mes vues, la Conscience ou Moi principal, le moiprimus interpares, le moi officiel, en quelque sorte, le moi en qui se concentre la personne collective de l'homme, de même que la personne collective de l'Etat se concentre politiquement dans son chef, roi,
(1) Nous publierons dans noire prochain numero, te portrait cl la biographie de M. le professeur Charles Richet.
empereur, président de république. Ce qui, par contraste avec cette conscience normale, serait la conscience anormale, c'est ce que je signale comme les multiples Moi secondaires de l'organisme humain, dont MM. Pierre Janet et Fr. Meyers no font qu'un seul bloc sous l'appellation de « subconscience » ou celle de « conscience subliminaire », qui peuvent d'ailleurs être employées dans certains cas sans inconvénient pour la brièveté du discours. Or ces consciences subordonnées ne sont nécessairement ni normales ni anormales en soi, et d'un autre côté la conscience suprême n'est pas moins sujette que celles-ci à s'exercer anormalement.
Cette explication donnée, je passe à une autre.
M'attribuer l'opinion que la suggestion ne prend pas son appui sur une conviction imprimée à la conscience proprement dite du sujet, à sa « superconscience » ou « conscience su-praliminaire »,— pour compléter la nomenclature de MM. P. Janet et Fr. Meyers — c'est me faire tomber dans un exclusivisme dont je m'étais spigneusement préservé. Comme je l'ai exposé dans ce qui précède, l'expérimentation suggestionnelle nous met en présence de deux constatations contradictoires, ou du moins apparemment telles. Premièrement, pas de résultat si la superconscience ne prête pas au début son attention à la suggestion, et en outre un concours intellectuel et moral plus ou moins considérable. Secondement, dans le cours des opérations, la suggestion peut agir avec pleine efficacité à Pinsu de la superconscience,c'est-à-dire sans aucune aide de sa part, et, qui plus est, en rencontrant chez elle une opposition et une résistance bien caractérisées, bien que d'ailleurs impuissantes.
J'ai présenté cette apparente contradiction comme une antinomie psychologique ; celle-ci est heureusement moins irréductible que certaines autres — par exemple les antinomies mathématiques où l'infini se met de la partie — et une observation scrutative permet, je crois, de trouver le joint de la difficulté. Ce joint, d'après moi, le voici :
La mise en train de l'action suggestionnelle se fait par la superconscience. Une fois ainsi amorcées, les consciences inférieures opèrent par elles-mêmes, opèrent seules.
*
* *
Pour en revenir au cas de M. le professeur Dorobetz, le problème posé est de savoir s'il y a eu véritablement suggestion exercée sur lui par la bonne femme dont la recette merveilleuse
l'a guéri, ou si l'action curative a été autre. Le point est des plus intéressants, mais je dois me contenter ici d'en faire un examen rapide et sommaire.
Que la suggestion morale qui atteintles centres psychiques, les sous-Moi de l'économie végétative par le canal du Moi proprement dit, ait la vertu de guérir par leur ministère, et quelquefois instantanément, une maladie alésions organiques avec infection microbienne, telle que la sycose, l'eczéma, etc., les annales thérapeutiques de l'hypnotisme nous offrent trop d'exemples authentiques de guérisons semblables pour que le doute à cet égard puisse subsister. Mais dans le « miracle » de Moscou y a-t-il eu véritablement suggestion dans le sens spécifique et circonscrit que nous sommes convenus de donner à ce mot ? Autrement dit, a-t-il été fait sur l'esprit du malade une impression par voie intellectuelle, une impression s'adros-sant à son entendement, de même nature que celle de l'hypnotiseur sur sur ces sujets? C'est ici le nœud et le point délicat de la question.
Allant au-devant de nos interrogations, M. Dorobetz a pris soin, dans une lettre adressée à la Gazette de Moscou et reproduite dans le Journal of the Society for Psychical research (Numéro de février 1896) et dans la Rivista di Studi Psichici (Numéro de mars 1896) » de nous donner là-dessus son témoignage personnel. Si c'est celui d'un hypnotisé, il est par cela même sujet à caution; cependant il a en tout cas une valeur relative considérable, venant d'un homme qui doit être intelligent et instruit. Or, le sujet de la suggestion supposée nous affirme n'avoir ressenti à aucun moment, durant ses rapports avec sa guérisseuse, aucune impression extraordinaire de la part de cette personne, avoir constamment joui de son calme habituel, conservé l'entière possession de son esprit, et n'avoir éprouvé à aucun degré quelconque ce qu'il appelle l'état d'extase.
Acceptons provisoirement cette déposition comme exacte, c'est-à-dire admettons que le miraculé n'ait eu conscience d'aucune impression modificatrice faite sur lui ; une telle impression, qui s'est traduite par la disparition complète et pres-qu'instantanée d'un mal déclaré incurable partous les médecins, n'en est pas moins certaine. Et cette impression, si puissamment médicatrice, d'où qu'elle soit venue, a été atteindre, très probablement, les centres psychiques de la vie végétative pour en faire les instruments prochains de la guérison. Mais est-elle passée par le canal du centre psychique capital, du Moi propre-
ment dit, de la « superconscience » ? Rien n'oblige à croire qu'il en soit ainsi ; et, d'après le récit du patient, on doit incliner à admettre le contraire. Mais alors comment les centres végétatifs auraient-ils été directement touchés ? Serait-ce par le moyen d'une suggestion idéoplastique immédiatement perçue par ces subconsciences ? Je ne le pense pas ; d'abord parce que dans le cas en question nous supposons que l'amorçage par la superconscience a fait défaut ; puis parce que les manœuvres si anodines de la thaumaturge, se réduisant à la lecture à voix basse d'une courte prière dont quelques mots seulement ont été perçus par le malade, n'avait rien, ce semble, de nature à frapper la créditivité, superconsciente ou subconsciente, de ce dernier.
Et d'ailleurs, s'il y avait eu ici suggestion idéoplastique,suggestion par l'idée, par l'imagination, enfin action du moral sur le physique, comment s'expliquer que le prestige scientifique des grands médecins consultés par le professeur Dorobetz, et dans le savoir desquels il devait avoir une confiance proportionnée à leur haute réputation, ne lui ait rien suggéré du tout, ni à son moi propre ni à ses moi secondaires, et qu'une ignorante femme de la campagne, dont les prétentions surnaturelles devaient faire sourire cet homme éclairé, et aux pratiques superstitieuses de laquelle il n'a dû se prêter qu'en désespoir de cause et en rougissant de sa faiblesse de malade désespéré, comment s'expliquer, comment est-il possible que cette humble campagnarde, sans recourir à aucun des moyens de la technique hypnotique, et par un inconcevable ascendant exercé à l'insu du sujet lui-même, ait pesé sur sa subconscience d'un poids aussi irrésistible, aussi prodigieux ? Je ne dis pas que le fait soit absolument impossible, car en pareille matière, que peut-on savoir de positif ? Mais je dis qu'il y a improbabilité.
Ce n'est pas que je nie que la subconscience puisse communiquer directement avec le dehors par la porte des organes des sens, c'est-à-dire voir et entendre sans que la superconscience voie et entende ; dans mes livres j'ai au contraire particulièrement insisté sur la démonstration de ce pouvoir, et j'en ai cité quelques curieux exemples (Voir notamment dans mon Merveilleux scientifique, pp. 219 et 244, ce qui a trait à une aventure de Stuart Mill, et à celle d'un étudiant en médecine de Paris racontée par M. Binet). Mais dans le cas de Moscou je cherche vainement le stimulus suggestif qui a pu affecter l'intellectuel et le moral du Moi qu'on suppose suggestionné. Cependant, la cure
merveilleuse s'est opérée par des voies et moyens détermi-nables. Quels sont ces voies et moyens, si ce n'est pas la suggestion proprement dite ? Je vais jeter un coup d'œil sur ce nouveau côté de la question.
» -
Mes excellents amis de l'École de Nancy sont convaincus que tout le merveilleux gît dans la suggestion; que tout, dans cet extraordinaire ordre de faits, est suggestion, rien que suggestion. Mon avis est qu'en ce cas mes savants amis se trompent — en-are humanum est ; je le leur ai déjà déclaré (voir le Merveilleux scientifique, pp. 249 et suiv.), et j'y reviens.
Que la suggestion, une indiscutable suggestion, la suggestion pure, puisse réaliser des guérisons tout aussi surprenantes que celle du professeur Dorobetz, c'est certain ; on n'a qu'à parcourir les œuvres des maîtres, celles du DrLiébeault principalement, ou la collection de la Revue de l'Hypnotisme, pour être pleinement édifié là-dessus. S'ensuit-il nécessairement de là que la guérison du professeur Dorobetz soit suggestionnelle? Pas le moins du monde, et cela par la raison, à mes yeux pé-remploire, que de semblables prodiges s'accomplissent à l'aide de pratiques de même acabit, non pas seulement sur des adultes humains, mais aussi sur des enfants à la mamelle (voir ma discussion avec le Dr Liébeault sur ce sujet dans le Merveilleux scientifique, pp. 249 et suiv.) ; non pas seulement sur des jeunes enfants, mais sur des animaux, et, qui plus est, sur des végétaux. Qui oserait prétendre que la suggestion intellectuelle a quelque chose à voir dans de pareils cas ? Est-ce par suggestion morale, est-ce en agissant sur la « créditivité » de sa proie par un signe affirmatif que le serpent attire de loin, et sans bouger, le petit oiseau et la grenouille, et les oblige à venir d'eux-mêmes se précipiter dans sa gueule (lire dans la Revue de l'Hypnotisme, ? de décembre 1895, p. 189, de fort intéressantes observations sur le pouvoir fascinateur de la couleuvre) ? Peut-on porter au compte de la suggestion les faits dits de télépathie et leurs analogues, que plusieurs recueils d'un caractère scientifique plutôt exagéré, la Rivista di Studi psichici, les Annales des Sciences psychiques, le Journal et les Proceedings de la Société des études psychiques de Londres, et d'autres encore en Allemagne, en Italie, en Angleterre, aux Etats-Unis, s'emploient à rassembler en les soumettant à toutes les épreuves du contrôle le plus rigoureux ?
Ne nous obstinons pas à fermer les yeux à l'évidence par esprit de système. L'influence du moral sur le physique, autrement dit la suggestion, est sans doute l'un des plus puissants leviers de la thaumaturgie ; mais avec elle rivalise l'action biomagnétique occulte de la volonté, ou mieux de la pensée, s'exer-çant par l'intermédiaire d'un impondérable, un congénère probable de l'électricité, dont la nécessité s'impose à la raison, et par le moyen duquel l'esprit agit matériellement à distance, et perçoit également à distance, sans le secours d'aucun organe corporel visible et tangible. Cet agent, que Mesmer a appelé, après Athanase Kircher, magnétisme animal, et sur l'hypothèse duquel il a bâti sa doctrine et son art, peut seul nous permettre de concevoir le modus operandi de ce qui a produit tout une catégorie d'effets thaumaturgiques qu'il faut renoncer à expliquer par la suggestion.
Le « miracle » de Moscou me parait appartenir à cette catégorie particulière, et s'être accompli par l'intention de la thaumaturge, au sens mystique du mot, c'est-à-dire par une tension forte de sa pensée, de son désir vers le but à atteindre, et une pleine confiance dans le résultat. Cet état de l'âme détermine une effluence biomagnétique, ou, si l'on veut, télépathique, qui devient son instrument dans l'œuvre magique. Et qu'est-ce qui suscite dans l'âme du magicien cette sorte d'organisme ? C'est une suggestion dont il est lui-même l'agent et le patient. ïl se suggestionne à l'idée de la toute-puissance du moyen surnaturel dont il se croit en possession, et dans lequel il a une foi d'autant plus vive et entière qu'il est plus ignorant. Cette exaltation de foi produit à son tour un dégagement puissant de force biomagnétique où le prodige puise ses éléments formateurs-
Et ce soi-disant moyen surnaturel, qui peut inspirer une telle confiance, qu'est-il ? C'est un fétiche, c'est un talisman, c'est une amulette, ce sont des signes bizarres dits cabalistiques, ce sont des ABRACADABRA ou lettres écrites disposées dans un certain ordre, et, enfin, moins que tout cela et plus que tout cela, ce sont purement et simplement des paroles, mais des paroles d'incantation. Que M. le professeur Dorobetz en prenne son parti, c'est à cette dernière arme de l'arsenal magique qu'il doit sa délivrance de la sycose.
L'incantation se fait souvent sous la forme d'une invocation à la divinité. Mais veuillez noter cette distinction curieuse : ce en quoi le magicien espère, ce en quoi il a foi, au fond ce n'est
pas la bonté et la puissance divines, ni la ferveur de son oraison ; non, mais c'est dans la formule même de l'invocation que gita ses yeux le merveilleux pouvoir de son instrument ; et cette croyance est d'ailleurs conforme à la théurgie des néoplatoniciens, qui prétendaient contraindre les dieux, leur forcer la main, par des rites symboliques.
Et maintenant, pour en revenir à notre grand événement thérapeutique, je recommande à toute votre attention les particularités suivantes consignées dans un Rapport sur le cas de M. Dorobetz fait à la Société de Neurologie et de Psychiatrie de Moscou par l'éminent Dr Kogevnikoff, professeurde psychiatrie à l'école de médecine de cette ville. Ce rapport, qui supplée au laconisme de la relation propre du malade, sans être en désaccord avec elle, a paru dans le journal russe Medicdicinkoie Oboz-renié, et deux analyses nous en ont été données, l'une par la Revue de V Hypnotisme de janvier 1896, l'autre par le British médical Journal du 16 novembre 1895, reproduit en partie dans le Journal of the S. P. R. de décembre de la même année.
La Revue de l'Hypnotisme nous fournit la citation suivante :
« Sur le conseil de sa blanchisseuse, dit M. Kogevnikoff, le malade s'adressa à une femme qui, ayant examiné l'éruption, déclara qu'elle ne pouvait être guérie que par des prières. »
« Je prierai le bon Dieu, et la maladie disparaîtra. » Le malade consentit à se soumettre à ce traitement par la prière, et arriva le lendemain au rendez-vous au Temple de Saint-Sauveur.
« Que dois-je faire ? » demándele malade, une fois à l'intérieur de l'église. « Rien, restez ici, moi je prierai. » La prière à voix basse dura 3 ou 4 minutes. « Maintenant, Monsieur, retournez chez vous, mais revenez ici ce soir, je ferai de nouveau la prière, la maladie disparaîtra avec l'aide de Dieu. »
Ainsi le rôle du malade dans l'œuvre de sa guérison miraculeuse a été neutre, il n'a eu rien à faire, pas même s'unir d'intention à la prière de la guérisseuse. Et quant aux dévotions de celte dernière, elles ont été réduites à la plus simple expression, expédiées en trois ou quatre minutes, et exemptes, semble-t-il, de toute exaltation religieuse. La lettre de M. Dorobetz à la Gazelle de Moscou est à consulter sur ce point. On la trouvera, traduite en anglais, dans le Journal of the S. P. U. n° de février 1896, et en italien dans la Rivista di Studi psychici de mars 1896. En voici un passage :
« Je revins à Moscou, raconte M. Dorobetz, le mercredi soir
de la semaine de Pâques, et fus mis en rapport par ma domestique avec une simple paysanne, d'après le conseil de laquelle je me rendis le lendemain matin au Temple du Christ-Sauveur. Elle lut prés de moi une courte prière, dont les premiers mots étaient une invocation à la Très-Sainte Vierge. Je me bornerai à dire une chose :à ce moment, j'étais entièrement libre de toute extase, et ne me sentis sous aucune influence provenant de cette femme. Le même jour toutes mes plaies étaient guéries, toutes mes enflures avaient disparu, et je sortis de la maison sans porter les linges de pansement que je n'avais pas quittés depuis neuf mois. Les gens me revirent tel que j'étais avant ma maladie, etc. »
La prière à la Vierge était-elle une « oraison jaculatoire », c'est-à-dire une improvisation de l'âme dans un élan d'ardente piété ? Non, pas le moins du monde, c'était une prière écrite, et c'est de la formule, c'est-à-dire de la qualité des mots qui la composaient et de leur arrangement matériel, quelle tirait toute sa vertu. Voici à cet égard un renseignement fort instructif relevé par le British médical Journal dans le Rapport du professeur Kogevnikoff, qui cherche à démontrer que la cure merveilleuse est due au pouvoir de l'imagination. Il s'exprime ainsi :
« L'entourage impressionnant au milieu duquel la « cure » a été effectuée, et la mystérieuse prière cabalistique — que la femme refusa de divulguer, par crainte qu'elle opérât avec la personne à qui elle serait communiquée, et qu'elle cessât d'opérer avec elle-même — sont aussi des facteurs à rapprocher du caractère nerveux et impressionnable du malade. »
Cette « prière cabalistique », dont on refuse de révéler la teneur, et cela pour le motif tout bourgeois que l'heureuse propriétaire du précieux secret en perdrait le bénéfice en le livrant, cette prière n'est donc vraiment qu'une recette de sorcière, une incantation sous couleur de religion, qui n'a rien de commun avec le sentiment religieux.
Le livre que nous a laissé Tarchiatre Marcellus Empiricus, De medicamentis physicis et rationalibus, fait connaître de nombreuses formules d'incantation contre diverses maladies. Am-broise Paré, tout grand chirurgien qu'il fût, eut en même temps le bon sens d'admettre la réalité de la magie, qu'il avait été à même de voir à l'œuvre. Parlant des sorciers médecins de son temps, il en dit ceci : « Les uns invoquent et adjurent je ne sçay quels esprits, par murmures, exorcismes, imprécations, enchantements et
sorcelleries.....J'ay veu quelqu'un qui arrestoit le sang de
quelque partie du corps que ce fust, bourdonnant je ne sçay quelles paroles ; il y en a qui disent ces mots: De latere ejus exicit sanguis et aqua. Combien y a-t-il de telles manières de guéri ries fièvres ? Les uns tenansla main du fébricitant, disent: Æque facilis tibi febris hœ csit atque Mariœ Viryini Christipartus.Lcs autres disent en secret ce beau psaume : Exaltabo te, Deus meus rex ».
L'Eglise, dont la liturgie d'ailleurs est toute empreinte de magie, ne réprouve pas l'incantation thérapeutique pardes formules spécifiques de prières. Un prêtre catholique vient de publier dernièrement un ouvrage curieux sous ce titre : Prières merveilleuses p sur la guèrison de toutes les maladies physiques et morales, pur l'abbé Julio. 1 vol. in-18, librairie Chamuel, Paris. Voici à titre d'échantillon la prescription pour guérir « les ulcères » : « Dire trois fois par jour sur la plaie les paroles suivantes : « Le Christ est né, le Christ est mort, le Christ est ressuscité. » Pour calmer les rages de dents les plus violentes, un hymne à Sainte Appoline, etc.
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Le temps est passé où le médecin et le philosophe pouvaient écarter le gênant problème du Merveilleux par ce verdict sans appel : Imposture et sottise. Aujourd'hui les faits s'imposent à l'examen sérieux de la science ; il ne reste plus qu'à les étudier et à s'efforcer de s'en rendre compte.
La Suggestion occupe sans doute une grande étendue de ce sombre domaine ; mais en outre qu'elle reste encore elle-même à l'état de sphynx et de protée, eussions-nous deviné son énigme, et l'eussions-nous saisie corps à corps en dépitde ses mille formes fuyantes et prestigieuses, que tout ne serait pas dit : toute une autre région de mystères resterait à explorer.
Les phénomènes du Merveilleux sont ce que j'appellerai polyœtvjues (t.'jXv a'irti) ; on y constate différentes causes très distinctes de nature, et ce qui déroute l'analyste, c'est que non seulement le même principe d'action peut s'accuser par une grande variété d'effets, mais qu'en outre il en est un certain nombre parmi ces derniers qui sont indifféremment le produit de tel ou tel de ces différents agents. Définir ces agents, les classer rationnellement, et trouver la loi de leur modus agendi respectif, tel me parait être le grand objectif de nosrecherches.,
J. P. Durand (de Gros)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 16 mars 1S96. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu par M. Valêntin, secrétaire, et est adopté. M. le Président signale la présence de M. le Dr G.-C. Ferrari, de la Rivista sperimentale di Freniatria, qui assiste à la séance.
M. le Dr H. Lemesle, avocat à la Cour de Paris, lit une intéressante communication sur la nécessité de faire précéder l'instruction judiciaire par l'examen psycho-moral des inculpés. Le juge étant, par définition, incompétent pour faire le triage des accusés au point de vue de l'intégrité apparente ou réelle de leurs facultés mentales, il semble urgent, si l'on veut éviter à l'avenir des erreurs regrettables, de confier à des médecins légistes, spécialement désignés à cet effet, le soin d'examiner, avant la clôture de leur dossier, tous les inculpés sans exception.
M. A. Voisin fait remarquer qu'en Belgique il a vu cet examen pratiqué depuis plus de dix ans, d'une façon systématique, par les médecins de prison, dès l'arrivée des détenus.
M. Bérillon pense qu'il vaut mieux ne pas attendre, pour transférer le malade dans un asile, qu'il ait été mis en cellule ; car, dans bien des cas, les symptômes sont trop légers pour éveiller l'attention des gardiens, et il ne faut pas oublier que les condamnés n'ont que trois mois pour interjeter appel. L'appel est un moyen qui a été utilement employé pour obtenir la libération de condamnés reconnus aliénés avant l'expiration du délai d'appel.
Sur la proposition de M. le Président, la Société donne son adhésion pleine et entière au vœu formulé par M. le Dr H. Lemesle. La séance est levée à 6 heures.
Application de pédagogie suggestive : somnambulisme diurne, troubles du caractère, etc.
Par M. le Docteur bourdon, de Méru.
La suggestion hypnotique, â laquelle, bien certainement, on n'a pas assez souvent recours pour le traitement des maux qui affectent le moral comme le physique de l'homme, trouvera dans l'avenir, espé-
rons-le, de plus en plus son application, et ceux qui, avec Liébeaull, Bernheim, Dumontpallier, Aug. Voisin, Bérillon (pour ne citer que ceux-là), y auront contribué, n'auront pas perdu leur temps et auront, à coup sûr, rendu service à la science et à l'humanité.
On ne saurait trop accumuler les faits qui viennent à l'appui de cette proposition, qu'il s'agisse de ceux où la suggestion hypnotique intervient comme agent moralisateur et éducateur, comme moyen d'orthopédie morale, ou de ceux dans lesquels elle intervient comme agent curateur des maladies physiques, ils ne sont pas moins intéressants les uns que les autres ; ils le sont aussi et surtout lorsque le physique et le moral y trouvent à la fois leur compte, comme dans le cas suivant :
Antoinette B..., 13 ans, a toujours été anémique et nerveuse; dès l'âge de 2 ans, elle ne dormait pas et était toujours agitée la nuit. Elle est fille d'une mère arthritique au suprême degré et graveleuse, et d'un père alcoolique. A l'âge de 7 ans. elle a eu du rhumatisme articu-laire et viscéral, qui semble avoir laissé des traces du côté du cœur où il existe un léger souffle à la pointe, qui n'est pas de nature anémique ou chloro-anémiquc. Un peu plus tard, elle éprouve une grande peur : son père, en état d'ivresse, ayant mis en joue avec un fusil, son beau-père, c'est-à-dire son grand-père à elle, obligé de reprendre sa ferme mal gérée par son gendre. Quelques jours après, elle a des étourdîsse-ments. des syncopes, puis de grandes crises nerveuses, convulsives, des battements de cœur à la moindre impression, au moindre mouvement, des peurs continuelles avec étourdissements et perte de connaissance, en jouant ou sans jouer.
Son caractère changea ; elle devint méchante et colère, surtout à l'approche des crises. Elle ne mangeait presque pas et n'allait jamais à la selle.
Elle avait de fréquents saignements de nez, qui augmentaient son anémie et son oppression.
Plus lard, à l'âge de 12 ans 1/2, elle était prise de crises de sommeil, s'endormait en jouant ou en travaillant, pleurait en dormant, avait de violentes crises de nerfs, toujours annoncées par une plus grande impatience et une plus grande méchanceté ; elle avait enfin du somnambulisme hystérique!
Ces crises de sommeil, de somnambulisme diurne, l'ayant prise à Beaumont-sur-Oise, chez sa grand'mère paternelle, qui avait l'intention de la garder toujours avec elle, on appela un des médecins de la localité qui se déclara impuissant à la guérir et parla de la nécessité de l'hypnotisme. C'est alors que, au lieu d'être conduite dans une maison spéciale, ainsi que le voulait sa grand'mère, elle me fut amenée sur le conseil du médecin.
Elle avait des dehors rudes, peu aimables, un caractère détestable ; elle était méchante, irritable, colère, indocile, paresseuse, assez sale, quoique un peu coquette, se peignait à chaque instant, se rongeait les
ongles, courait après les garçons ; je n'ai pu savoir s'il y avait de l'onanisme. Elle avait en outre des saignements de nez abondants et la menstruation difficile ; les règles, qui sont venues à l'âge de 13 ans, une seule fois, ne reviennent plus, etc.
La première séance a lieu en août 1895 ; l'hypnotisation est difficile, le sommeil est incomplet, peu profond, mais il augmente un peu â chaque nouvelle séance. Je me sers du regard et de la parole pour l'endormir, et aussi de la main. Je lui dis, en insistant beaucoup, qu'elle ne peut plus s'endormir pendant le jour, mais seulement la nuit, comme tout le monde; qu'elle n'a plus peur, pas plus le soir ou la nuit que dans la journée ; je lui suggère l'amabilité, la bonté, la douceur, le calme, la prévenance, l'affection pour les siens, la reconnaissance pour ceux qui lui font du bien, l'obéissance, la docilité, la propreté sans coquetterie, les soins de la chevelure seulement le matin, l'amour du travail et le désir de bien faire, l'horreur de ce qui est mal, le dégoût des ongles, l'indifférence pour les garçons ; puis, qu'elle n'a .plus de saignements de nez, que le sang prend son cours naturel, qu'au lieu de venir par en haut, il vient par en bas, naturellement, comme il doit venir, que l'appétit revient, augmente, que la digestion se fait bien, qu'elle va à la selle tous les jours, matin et soir, qu'elle n'a plus de battements de cœur, etc., enfin tout ce que réclame la situation, tant au point de vue moral qu'au point de vue physique, et je répète les suggestions plusieurs fois, doucement et avec insistance, de façon à les faire pénétrer dans le cerveau, et cela en prolongeant le sommeil pendant plusieurs heures chaque jour. Chacun sait que 4e sommeil prolongé aide aussi à la guérison.
Ces séances sont répétées quotidiennement pendant dix jours, puis elles sont hebdomadaires, puis bi-mensuelles, puis à des intervalles plus ou moins éloignés. Chaque fois il y a un progrès d'accompli, du terrain de gagné. Les crises sont de moins en moins fréquentes, de moins en moins fortes.
Enfin ma ténacité, ma persévérance et la sienne sont de plus en plus récompensées par un résultat de jour en jour plus visible et plus accentué, et, comme la jeune malade parait y prendre goût et venir avec empressement et bonheur se faire endormir, dans la crainte qu'elle n'en prenne l'habitude, qu'elle n'en contracte le besoin, j'ai le' soin de lui suggérer qu'allant de mieux en mieux, qu'étant de plus en plus guérie, elle n'éprouve plus le besoin de dormir aussi souvent.
Le tout est accompagné d'une médication tonique, reconstituante, calmante, etc. (ferrugineuse, iodurée, bromurée, etc.), de frictions sur le corps, etc.
Je dois dire aussi qu'ayant cru devoir, au commencement, appliquer un vésicatoire à la région du cœur, dans l'espoir de détruire ou de diminuer, de concert avec la médication, les exsudats valvulaires laissés par le rhumatisme, plusieurs fois, par la seule suggestion, j'ai fait couler et recouler la plaie desséchée dudit vésicatoire, -aussi
souvent qu'il m'a paru nécessaire et à l'avenant de tout le reste ; le cœur va de mieux en mieux, et, que l'action de ces deux moyens (vési-catoire, exutoire et médicaments), soit illusoire ou non, toujours est-il qu'il n'y a presque plus jamais de battements ni presque plus de souffle à la pointe.
Le sommeil hypnotique était chaque fois plus facile et meilleur, mais il n'a jamais été profond, ce qui ne nous a pas empêché d'obtenir un résultat non seulement satisfaisant, mais inespéré. Cette fillette est, aujourd'hui 10 juillet, à peu près complètement guérie, pour ne pas dire tout à fait ; elle est, on peut dire, transformée physiquement et moralement. Toutes les suggestions se sont réalisées. Il y a eu en tout environ quarante-deux séances jusqu'ici.
Ayant été malade moi-même, puis convalescent, depuis deux mois que je ne l'avais vue, elle n'a eu qu'une fois un peu d'étourdissement et de perte de connaissance, à peine ; plus jamais de crise de sommeil, ni d'épistaxis. Elle est à l'époque des règles, qui, maintenant, viennent régulièrement. Le caractère est absolument transformé ; elle est réservée, calme, docile, aimable, bonne, reconnaissante, affectueuse ; elle aime le travail, la propreté, et ne ronge plus jamais ses ongles, etc., etc. Comme elle s'endort plus profondément, je me propose d'en profiter encore quelquefois pour maintenir et consolider ce résultat magnifique.
Donc, « si l'on doit craindre, avec Bernheim, que la suggestion ne puisse créer les qualités de l'âme chez ceux qui en sont dépourvus, qu'elle ne puisse faire naître le sens moral là où il n'existe pas, pas plus que l'éducation physique ne peut faire pousser un membre qui a fait défaut d. on ne peut non plus s'empêcher de croire, avec lui, que a la suggestion hypnotique est un adjuvant salutaire de l'éducation morale. » On peut même dire aujourd'hui, avec MM. Bérillon et F. Hément, qu'elle est plus que cela, qu'elle est « un puissant moyen d'orthopédie morale. »
Si l'expérimentation n'a pas encore fourni des observations assez nombreuses et longtemps continuées pour résoudre la question aux yeux des sceptiques, elle a déjà montré « jusqu'à quel point l'influence obtenue est persistante, jusqu'à quel point les passions, les instincts, les goûts, les facultés psychiques peuvent être définitivement modifiés par une suggestion hypnotique habilement conduite, fréquemment répétée », et l'on ne peut s'empêcher de sourire en songeant aux protestations aussi éloquentes qu'incompétentes de M. Desjardins i contre l'attentat porté aux droits de l'humanité par les pratiques de l'hypnotisme. »
On peut dire que la thérapeutique suggestive fait des guérisons, que ce qui est ridicule ce n'est pas de transformer l'hypnotisme en procédé de pédagogie, puisque grâce à lui on y obtient des résultats merveil-leux, et que la suggestion thérapeutique constitue bien, comme on l'a dit, « une des plus belles conquêtes de la médecine moderne. »
La guérison des obsessions par la suggestion
Par M. Milne Bramwell (Traduit de l'anglais par M. Wolff.)
Sous le titre « Imperative ideas », ou Obsessions, le Dr Hack Tuke, quelque temps avant sa mort, publiait un article- intéressant dans le journal anglais Brain, dans lequel il citait nombre de cas de personnes qui, saines jusqu'à une certaine époque, furent plus ou moins sous la domination d'idées dont elles ne pouvaient pas se débarrasser et qui les forçaient d'exécuter des actes contraires à leur volonté. Les cas suivants ont tous été observés par moi-même :
1° M. A..., âgé de 21 ans, vint me trouver au mois de mai 1889. Quelques mois avant, il souffrait de glandes dans la nuque et à la figure. Guéri de ces affections, il allait se reposer aux bords de la mer Méditerranée, lorsqu'il tomba et se fit une blessure au périnée. 11 se forma un abcès qui s'ouvrit et dont le pus entra dans l'urèthre. Lorsqu'il vint me consulter, je vis une blessure de très mauvais aspect par laquelle l'urine s'échappait. Je lui ordonnai de cathétériser régulièrement, et l'état de la blessure s'améliora.
Un jour, il lui arriva d'uriner sans pouvoir introduire le cathéter préalablement, de sorte que l'urine sortit par la blessure. Cela devenait plus fréquent, et, à la fin, il suffisait qu'il eût l'idée d'uriner pour laisser échapper l'eau n'importe où il se trouvait. 1! se réveillait souvent la nuit, pensait tout de suite à sa vessie et urinait immédiatement.
Je l'hypnotisai par la méthode de « Braid », qui réussit dès la première séance. Une fois endormi, je lui suggérai de ne plus penser à sa vessie, de retenir son urine pendant huit heures et de la faire sortir par le cathéter. Dès cette séance, le malade fut absolument débarrassé de son obsession et la blessure guérit complètement en un an, sans opération aucune.
2* M. B..., un jeune homme d'une constitution athlétique, qui se livrait à tous les sports, comme bicyclette, foot-ball, etc., perdait sa mère emportée par un cancer de la poitrine. La peur le saisit d'être atteint de la même maladie, et il arriva à croire qu'il avait un cancer au sein gauche.
Il ne quittait presque plus sa chambre, et, quand il sortait, il mettait un pardessus, de peur que le froid n'aggravât la prétendue maladie. Un beau jour, il crut sentir des douleurs dans le bras et le porta désormais en écharpe. A l'examen, je ne trouvai aucune trace d'un cancer, mais les muscles du bras furent atrophiés par suite de l'immobilité du membre. Etant facile à hypnotiser, il fut très vite guéri.
3° M. C..., toujours bien portant, fut effrayé par sa sœur, une maniaque qui entra une nuit dans sa chambre à coucher. L'émotion fit
naître en lui la peur de devenir fou comme sa sœur. Le malade fut guéri, mais mourait un an après de l'influenza.
4* M. D..., âgé de 42 ans, a souffert dès l'enfance d'une obsession qui lui a rendu la vie intolérable. Il se figurait que tout le monde faisait attention à lui et le critiquait. Le regard d'une personne, même celui de ses enfants, le faisait rougir. L'idée que quelqu'un pouvait peut-être le regarder lé faisait également rougir. Cette obsession le forçait d'abandonner ses affaires, et des idées de suicide le hantèrent.
Le malade est absolument guéri aujourd'hui, après un traitement d'assez longue durée, car, étant réfractaire au sommeil, je ne parvins à l'endormir qu'à la quinzième séance seulement. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de rechute.
5° Un cas analogue est le suivant : Il s'agit d'un négociant qui s'imaginait commettre des erreurs à son désavantage dans les affaires qu'il entreprenait. Dès qu'il causait d'affaires, il se sentait embarrassé et croyait que tout le monde devait s'en apercevoir. Cette dernière idée l'obsédait également lorsqu'il allait dans le monde. Il fut complètement guéri dans dix séances.
L'espace ne me permet pas de citer encore un grand nombre de mes expériences, dont la plus grande partie fut couronnée de succès.
Les malades que je n'ai pas guéris de leurs obsessions furent tous réfractaires à l'hypnotisme.
Dans ces cas, je ne réussissais pas à provoquer le sommeil, puisque l'esprit du malade, étant entièrement occupé par ses obsessions, ne lui permettait pas d'écouter mes paroles.
L'Anglais a des préjugés considérables contre l'hypnotismo, et il se décide seulement à se faire traiter par lui s'il voit que toutes les autres médications n'ont pas eu d'influence sur lui. Presque tous mes malades ont eu une violente émotion. Chez l'un, c'était la mort d'une personne de sa famille qui faisait naître l'obsession que sa femme pourrait mourir également. Chez l'autre, c'était l'émotion causée par l'aspect d'un ivrogne en chemin de fer qui causait l'idée de ne plus pouvoir prendre le train.
J'ai également très souvent observé le fait, sur lequel M. Bérillon insiste, que ces phobies s'associent généralement aux occupations journalières du malade et présentent un caractère professionnel très prononce.
La plupart des autorités disent qu'une obsession se distingue d'une maladie mentale par ce point que l'obsédé considère son obsession comme indépendante de son être. Mais cette loi présente des exceptions, à ce qu'il parait. Un de mes malades devient superstitieux. Peu à peu, il arrive à attribuer ses mauvaises affaires aux mauvais jours. (Aujourd'hui, il y a beaucoup de nations superstitieuses sans présenter d'autres symptômes de maladies ou de dégénérescence). La non-
assimilation d'une idée obsédante constitue quelquefois l'élément morbide, et celle-ci, à ce qu'il parait, dépend plutét de l'individu et des circonstances particulières que de l'obsession elle-même.
D'après Ribot, les obsessions consistent en une hypertrophie chronique de l'attention. L'idée elle-même est normale, mais elle ne l'est pas dans sa quantité, son intensité et son degré. Tout le monde ne peut pas avoir des obsessions, comme par exemple les idiots, qui possèdent peu d'attention volontaire. J'ai eu beaucoup de malades très intelligents qui ne furent nullement empêchés, par leurs obsessions, d'accomplir des travaux valables. La plupart étaient des émotifs, en effet, mais s'ensuit-il que le cerveau émotif soit un cerveau dégénéré et que les accidents auxquels il est exposé soient la conséquence de sa constitution plus fine que celle du cerveau ordinaire ? Un étalon est plus nerveux qu'un cheval de charretier, 'et il n'est pas nécessaire de parler, dans ce cas, d'une dégénérescence héréditaire. Le mot dégénéré est employé si volontiers par quelques auteurs modernes, qu'on ne peut pas s'empêcher de conclure qu'ils considèrent comme dégénérés tous ceux qui ne sont pas conformes au type primitif du sauvage, qui possède un système nerveux imparfaitement développé.
RECUEIL DE FAITS
Quelques observations sur les phobies essentielles
Par M. le Dr Gélineau.
J'ai publié en 1894, à la Société des Editions scientifiques, un livre sur les Peurs maladives ou phobies. Le sujet était sinon nouveau, du moins très peu connu, car il n'était venu à personne l'idée de les classer, de les grouper ou de les cataloguer. Or, il est résulté de ma publication, ce qui advient souvent quand un sillon est creusé, une grotte ancienne découverte, un nouveau filon mis à jour. Bien des observateurs qui avaient passé à côté des phobies et les avaient coudoyées à chaque instant dans la vie, sans y prendre garde, sans les remarquer, en les accusant tout au plus de bizarrerie, se sont rappelés que des personnes de leur connaissance avaient des peurs bien singulières. Aussi ai-je reçu bon nombre d'observations dont je ferai plus tard mon profit pour une seconde édition de mon livre, si le besoin s'en fait sentir après, l'épuisement de la première — chose douteuse cependant; le bon public ne gâte guère de ses faveurs les pauvres médecins, qui. se recueillant à la fin de leur carrière, font appel à leurs notes
et à leurs souvenirs et les confient à l'imprimeur pour les empêcher de subir un jour le sort des feuilles détachées de l'arbre... Ludibria ventis ! Ah ! s'il s'agissait d'un roman émaillé d'une demi-douzaine de vols, de coups de poignard ou d'empoisonnements, ce serait une autre affaire... une affaire d'or peut-être, tandis que nous nous contentons d'un succès d'estime qui allégit notre bourse si plate d'habitude.
Je vais résumer quelques observations de phobies qui m'ont été communiquées par des confrères et venant à, l'appui de ma théorie, à savoir : que si un grand nombre de phobies se révèlent chez des dégénères et des déséquilibrés; que si plusieurs d'entre elles sont d'origine diatkésique et le produit de croisements maladifs; que si beaucoup, enfin, sont une floraison hétérogène de l'arbre neurasthénique, U existe à coup sûr des phobies essentielles, c'est-à-dire constituant à elles seules toute la maladie, chez des sujets qui ne présentent aucune espèce de tare. Ces phobies durent à peine quelques secondes, quelques minutes, pendant lesquelles une peur angoissante envahit l'être et ie rend débile, inerte, aveugle. La crainte terrifiante disparait-elle, le raisonnement et la réflexion, un moment éclipsés, reprennent tous leurs droits, en sorte qu'à la place du roseau tremblant, courbé, frissonnant de tout à l'heure, on retrouve l'initiative envolée, la volonté évanouie, en un mot l'être pensant, agissant comme tout le monde et dont les facultés physiques aussi bien que les fonctions organiques sont absolument saines et normales.
Observation I. — Astrophobie essentielle. — Beard a donné ce nom à la peur des astres en général et de la foudre en particulier. C'était la maladie d'Auguste et de Caligula, qui, lorsqu'il tonnait, tantôt se cachait angoissant sous le lit, tantôt, surexcité, menaçait le ciel du poing et jetait des pierres en l'air en criant à Jupiter : « Tue-moi, ou je te tue. »
Voici, sur ce genre de phobies, l'observation d'un de mes amis : « En 1869, j'étais étudiant à Paris et me trouvais rue de la Sorbonne, dans un café tenu par Gibelin, professeur de billard, dans une salle du fond attenant à une cour où donnait le derrière d'une maison habitée par Rhumkorf, le physicien en renom. Souvent nous entendions chez lui des détonations formidables produites par ses puissantes machines et qui ressemblaient à des décharges d'artillerie. Or, je connaissais dans ce café un vieux brave homme appelé La Pommeraye ; c'était le frère du conférencier du boulevard des Capucines. Jamais, en entendant les détonations de Rhumkorf, il n'avait manifesté de terreur, tandis que le roulement du tonnerre l'angoissait et le mettait hors de lui.
« Une après-midi, nous jouions ensemble au billard, c'était sa passion et aussi la mienne ; un éclat violent d'orage, répercuté dans la cour, se fit entendre juste au moment où il allait frapper une bille qu'il visait avec la plus grande attention. Brusquement il pose sa queue sur le billard et s'éclipse en me disant qu'il allait revenir. J'attends cinq, dix, quinze minutes ; bref, j'envoie le garçon aux cabinets.... personne.... J'arrête les frais et jo pars.
« A quinze jours de là, je ne pensais plus à cet incident, lorsque je suis accosté par le bon vieux qui me fait d'interminables excuses et finit par me dire que, très impressionné, d'habitude par l'orage, il avait, ce soir-là, senti à cette détonation inattendue, ses entrailles se brouiller et un besoin pressant de se débarrasser d'un locataire trop gênant. Arrivé pâle, hors de lui, devant les deux seules cabines de l'établissement, il les trouva occupées, et comme juste en ce moment un second éclat de la foudre éclata, le pauvre homme, terrifié, paralysé, emplit ses culottes de ce que vous savez bien.
« M. La Pommeraye n'avait, malgré ses soixante-dix ans, aucune infirmité ; ce n'était ni un alcoolique, ni un déséquilibré ; il jouissait de toutes ses facultés, mais il était tout simplement atteint d'astérophie essentielle.
Obs. II. — Mon père avait une vieille tante, sans autres infirmités que celles de l'âge et parfaitement équilibrée ; seulement le tonnerre produisait chez elle une terreur mortelle, de l'affaiblissement et les mêmes effets désastreux. Ayant entendu dire que le verre et la soie la garantiraient de la foudre, aussitôt que le tonnerre grondait, elle passait un jupon de soie et s'asseyait sur un vase à large ouverture, placé lui-même sur un tabouret à pieds de verre; elle ouvrait ensuite sur sa tête un large parapluie de soie et attendait, accroupie dans cette posture, la fin de l'orage. Et à chaque éclat un peu violent, répondait un écho tonitruant, résonnant dans le côlon, en même temps que s'épandaient dans la chambre des vapeurs sentant plus l'hydrogène sulfuré que la rose.
Voilà pourtant où conduit l'astérophobie !
Obs. III. — Claustrophobie essentielle. — Un autre confrère m'a fait la communication suivante :
« J'ai connu, à Paris, une jeune personne fort intelligente, ayant passé avec éclat ses examens du premier et second degré, excellente musicienne, aimable, gaie, en un mot femme du monde accomplie ; elle était folle des chevaux et des parties de campagne. Mais, si le temps incertain ne permettait pas à la société de prendre une voiture découverte, elle trouvait toujours un prétexte pour se retirer, et. malgré nos prières, ne consentait pas à partir, a moins qu'on ne la laissât se tenir debout dans la voiture fermée.
« Trouvant extraordinaires ces fantaisies, ces parties brusquement interrompues, nous obtînmes, après de nombreuses questions, cet aveu qu'elle éprouvait, dans une voilure fermée; une peur angoissante qui la mettait hors d'elle-même et faisait naître en elle le besoin de s'en échapper. Cette personne, très capable, bien équilibrée, n'éprouvait que dans les voitures fermées la claustrophobie, bien essentielle encore celle-là. »
Je ne fais qu'effleurer, on le voit, quelques points de l'histoire des phobies qui mériteraient de plus longs détails, mais laissez-moi cependant vous soumettre une dernière observation de phobie, bien essentielle, celle-là, qui m'aidera à prouver à ceux qui ne veulent pas en convenir encore qu'il existe des phobies de ce genre, quoique moins nombreuses que tes phobies neurasthéniques et diathésiques.
Obs. IV. — Hippophobie essentielle. — II s'agit d'un cas d'hippophobie, c'est-à-dire de la peur du cheval, signalée déjà par notre confrère Bérillon. et qui est une branche (pas une vieille, une nouvelle) de la classe si nombreuse des zoophobies.
Cette observation d'hippophobie m'a été communiquée par un de mes compatriotes, et le sujet qui en a été l'objet, ou pour mieux dire la victime, a vécu dans ma ville natale. Je l'ai connu, bien que je fusse, à celle époque, un jeune collégien ; aussi, je puis affirmer l'authenticité du fait.
Il s'agit d'un capitaine d'artillerie, M. Pivot. Je puis préciser en disant son nom, car, depuis longues années, il est mort célibataire et sans héritiers.
M. Pivot était fils de ses œuvres. Enfant de troupe, il avait débuté par être simple artilleur; mais, pourvu d'une mémoire heureuse, travailleur, bon soldat, il franchit un à un les bas grades et reçut l'épaulette après de brillants examens. Il ne put jamais, cependant, quoi qu'il fît (mais il n'est pas bien sur qu'il s'y efforça beaucoup), se débarrasser d'une certaine liberté d'allures et d'expressions qui auraient fait mal accueillir ce troupier fini dans un salon ou auprès des dames du grand monde. La caque sent toujours le hareng, dit-on, et M. Pivot ne visait guère aux belles manières. Célibataire endurci, il rappelait au superlatif son collègue, le capitaine du 101° régiment, de Noriac, qui, invité à diner chez son colonel et trouvant sous ses dents du plomb dans la cuisse d'une perdrix, s'écriait tout haut en montrant le plomb homicide : « En voilà une qui n'est pas morte de la pleurésie! »
Et cependant il avait été une fois dans sa vie (une fois n'est pas coutume, disait-il) en contact avec....----devinez un peu.... des comtesses ?
des baronnes ?....----Ah ! bien oui, mieux que cela en vérité !... Avec
une Altesse Royale, du temps où il en existait encore en France, oui, avec Son Altesse Royale le duc d'Orléans. C'était au siège d'Anvers, et voici à quelle occasion, que n'avait certainement point recherchée ou fait naître M. Pivot, alors sous-lieutenant. Lors de ce siège glorieux
pour nos annales militaires, si, comme dit le soldat, ça chauffait dur, si les boulets et les obus faisaient rage des deux côtés, l'hiver était très rigoureux et on gelait dans les tranchées. Les artilleurs n'y faisaient pas un long séjour, et après deux heures de faction bien employées, ils se repliaient pour aller se réchauffer un peu auprès de grands brasiers allumés en arrière des lignes.
Or, un jour que la pluie et le vent n'avaient pas cessé un seul instant de faire rage, notre officier arriva trempé comme une soupe, grelottant et sacrant suivant sa coutume, auprès d'un de ces feux autour duquel se réchauffaient des officiers enveloppés dans leurs manteaux. I! fonça sur eux comme un taureau sur une troupe de picadors, jouant des coudes et écartant brusquement l'un à droite et l'autre à gauche, tout en disant : « Qui m'a f... un las de mufles comme ça, qui empêchent les camarades gelés d'approcher. « Et le voilà tendant à son tour ses mains et ses bottes à la chaleur bienfaisante du feu ; mais, en jetant les yeux autour de lui, il s'aperçoit que chacun reste froid et gêné, et regardant un de ses voisins qu'il a si brusquement bousculés, il reconnaît 8. A. R. le duc d'Orléans !
Jugez de la confusion du pauvre sous-lieutenant ! Il aurait voulu que la terre l'engloutisse ; balbutiant des excuses où, par extraordinaire, ne se glissèrent point quelques jurons sonores, il maudit, pour la première fois, son sans-gène extrême. Mais le duc ne fit que rire de l'aventure ; une note gaie au milieu des ennuis et des longueurs d'un siège, tout comme pendant la durée d'un congrès de gens très sérieux, est parfois la bienvenue, et non seulement Son Altesse pardonna à son bousculeur, mais elle apprécia fort, par la suite, les solides qualités de ce soldat bourru, mais brave comme son sabre ; si bien que le duc lui répéta souvent à la fin du siège : « Si jamais vous avez besoin de moi, lieutenant Pivot, frappez à ma porte sans hésiter, je serai toujours heureux de vous être agréable. » — Je remercie beaucoup Son Altesse, répondit-il. mais elle est déjà trop embêtée {je ne dis peut-être pas le vrai mot) par un tas d'importuns ; je ne serai jamais de ceux-là ! ...
A quoi tenait cette rude franchise contrastant si fort avec cette soif d'avancement habituelle aux militaires de ce temps-là et de notre époque ? D'abord, à l'absence d'éducation première de ces habitudes de politesse ou de bienséance puisées au foyer de la famille, mais peut-être bien aussi à une influence atavique. Pivot était issu d'une famille d'artisans hantés jusqu'aux moelles par l'esprit démocratique de 93. Si bien qu'ils lui avaient donné en le déclarant à la mairie les prénoms de Marat dit l'ami du peuple ! Et ils ne furent pas les seuls à baptiser ainsi leur enfant. Une foule de pauvres gens égarés, que la guillotine ne menaçait point, parce que leurs tètes ne montaient pas assez haut, donnèrent à leurs fils les mêmes prénoms qui les ont suivis et ennuyés pendant toute leur vie. De là découlait peut-être l'austérité sauvage, la rondeur plébéienne et l'amour des jurons qui caractérisaient le capitaine.
Certes, quand il affirmait au duc d'Orléans que jamais il ne îui demanderait une faveur, il était de bonne foi, le brave artilleur ; et cependant le moment vint où il fut obligé de frapper à cette porte heurtée par une nuée de solliciteurs. Voici à quelle occasion il commit cette grave dérogation à son serment.
Quoique l'armée fût un peu moins sujette qu'aujourd'hui à des bouleversements ennuyeux et aux capricieuses désorganisations de ministres de la guerre éphémères, les capitaines d'artillerie, sous l'influence de chefs amis de la parade, reçurent l'ordre de se monter. Ce fut un coup de foudre pour Pivot devenu capitaine. De sa vie, il n'avait voulu monter à cheval et ne pouvait pas même supporter cet animal en peinture. Il détournait les yeux en voyant un cavalier perché sur sa bête et des frissons parcouraient tout son corps. Il chercha tout d'abord à éluder le règlement, lui si strict, si à cheval dessus d'ordinaire, en se procurant une bête convenable, sur laquelle, grâce à certains prétextes, il ne monterait jamais. Il la fit donc acheter, puis visiter par le vétérinaire du régiment, mais il ne voulut point la voir, chargea son brosseur do s'en occuper et de la bien soigner, à la condition de ne lui en parler jamais. « Si tu ouvres la bouche pour me dire un seul mot sur mon cheval, je te fous à la salle de police. »
Gomment expliquer cette horreur pour un animal ? — L'aversion de Pivot pour le cheval est partagée par d'autres personnes, et beaucoup de soldats de l'armée ressentent cette répulsion. Ils subissent toutes les réprimandes, les apostrophes, les punitions, pourvu qu'on les dispense de l'équitation ; et si, malgré leur répugnance, on les y grimpe de force, ils blêmissent, pâlissent, sont couverts de sueurs froides, se trouvent mai, ont des vertiges et tombent syncopés du haut de leur monture. Cela est bien connu des vétérinaires de l'armée, et on n'a pas d'autres ressources que de faire des pousse-cailloux de ces mauvais cavaliers. Devenus fantassins, il recouvrent, sur le plancher des vaches, une assurance, un entrain et une ardeur qui leur faisaient complètement défaut quand ils étaient haut perchés sur leur bête.
Après quelque temps de lutte pour se soustraire à cette maudite équitation, le capitaine Pivot, las de demander des exemptions pour des vertiges, ou pour des furoncles et des hémorrhoides imaginaires assiégeant la partie de son individu reposant sur la selle, notre homme se résolut à aller à Paris, parler de son affaire au duc d'Orléans.
A force de ruminer, il avait trouvé le moyen d'échapper aux règlements sans perdre sa position.
Qui fut bien étonné de cette visite, ce fut son Altesse ! « Comment, c'est vous, capitaine Pivot !... serais-je assez heureux pour que vous me demandiez quelque chose ?
— Hélas, oui, Altesse, et le plus étonné de nous deux, je vous fous.... pardon, je vous en fiche mon billet, c'est moi !
— En effet, je me rappelle que vous m'aviez dit que jamais vous n'auriez quelque chose à me demander.
— Eh ! ce n'est pas ma faute, mais c'est celle de ces s.... règlements nouveaux.... pardon.... sur l'artillerie, qui ont bouleversé toute mon existence.
— Et comment cela ?
— On exige à présent que les capitaines soient montés !...
— Eh bien ?
— Eh bien, j'ai honte de le dire à Votre Altesse, mais j'ai une peur invincible de monter à cheval.
— Vous, peur ?... vous, capitaine Pivot, que j'ai vu tant de fois affronter le feu sans sourciller ? N'ètes-vous donc plus l'homme d'Anvers (1) ?
— Si fait bien, et tant que mes bottes touchent la terre, je ne crains rien ; mais, quand elles reposent sur un étrier, ça me met à l'envers ; je suis mou comme une guenille et je tomberais comme un sac. Je ne puis plus me raisonner.... j'ai le vertige.... c'est plus fort que moi ? C'est étrange, n'est-ce pas, mais c'est ainsi !
— Etrange en effet, mais c'est la vérité, puisque vous le dites. Et que puis-je faire pour vous en cette occasion ? dit le duc.
— Il n'y a qu'un remède, .Monseigneur. .. me faire entrer, aveu le même grade, dans le service des places.
— Triste carrière pour un homme de votre valeur, capitaine,... pas d'avancement pour ainsi dire ! une inaction pesante. Y avez-vous bien réfléchi ?...
— Oui, Altesse, et je vous prie de me l'accorder.
— Soit, capitaine, vous avez ma parole et mes regrets. »
Et c'est ainsi que M. Pivot fut envoyé pour commander l'artillerie de la forteresse de Blaye.— Son personnel n'était pas innombrable; vingt artilleurs vétérans à commander, amis fidèles de la dive bouteille et rentrant invariablement, le soir, à la retraite, tous pochards, un litre d'excellent vin coûtant en ce temps-lâ 15 à 20 centimes.
Tenir en état deux pièces de canon ne se faisant entendre qu'une fois par an pour célébrer la fête du roi Louis-Philippe, trois ou quatre mille fusils ancien modèle, à faire graisser une fois l'an, voilà les devoirs professionnels qui'furent désormais l'apanage du pauvre- capitaine... une recette merveilleuse, on le voit, pour abrutir l'homme Je mieux trempé.
Mais, en échange, il n'avait plus le spectre de son cheval pour le tourmenter.
Et cependant, n'est-ce pas étrange de voir un soldat si vaillant, devenir plus poltron qu'une femme des qu'il s'agit d'enfourcher un des-
(t) Le capitaine Pivot avait été rois plusieurs fois à l'ordre du jour à ce siège — mais un acte de bravoure que j'appellerai inutile fut le suivant : Etant do service de tranchée dans la 3° parallèle, et tourmenté par un besoin pressant. Pivot ne voulant ni quitter son poste, ni-empoisonner ses hommes, grimpa sur la revers du fossé et montra en signe do mépris aux Hollandais, la partie la plus étoffée de son individu. On pense si les ennemis, d'abord stupéfaits, saluèrent d'une fusillade "nourrie cette cible blanche d'un aspect tout nouveau. — Mais Pivot redescendit tranquillement et sans blessure du talus.— Cette forfanterie bien française avait beaucoup diverti l'armée.
trier et briser, dominé par cette peur invincible, la belle carrière qui s'ouvrait devant lui ?
On a prétendu qu'en général tous les Phobiques étaient des dégénérés ou des héréditaires, des neurasthéniques, des maladifs, des languissants, que sais-je ? J'ai démontré le contraire dans mon livre. Beaucoup de phobiques n'ont aucune tare physiologique, sont vaillants, d'un raisonnement très sain, très droit et ne pêchent que sur un point : leur sujet de peur, très variable du reste, chacun ayant la sienne.
L'exemple que je viens de citer est une nouvelle preuve de la vérité de mon opinion. Il y a des Phobies essentielles et que rien, aucune dégénérescence, aucune hérédité maladive, aucune déséquilibration n'expliquent, cela est certain. Mon observation du capitaine Pivot en est une nouvelle preuve sous sa forme humoristique. Il a vécu parfaitement équilibré, jamais malade, à Blaye, jusqu'à sa mise à la retraite, et s'il avait commis la moindre étrangeté, on s'en serait bien vite aperçu, car dans une petite ville où tout le monde se connaît et se coudoie, rien ne passe inaperçu.
Tout au plus avait-il contracté quelques-unes de ces habitudes que la solitude d'un célibataire autorise. Ainsi, tous les matins, il se faisait apporter un grand baquet d'eau froide et il y prenait un bain de pieds ; après quoi il chaussait ses bottes à nu ; il avait l'antipathie des bas et n'en portait jamais — c'était autant d'économisé.
Puis, il faisait, quelque temps qu'il fit, à heure fixe, l'après-midi, à trois kilomètres de la ville, une promenade jusqu'à un coude de la route qu'il ne dépassait jamais et s'en revenait au café, où sur une table il trouvait un apéritif et une pipe neuve d'un sou. Il s'asseyait, buvait l'un et fumait l'autre.
Et cela toujours à la même heure, si bien que les bonnes femmes
disaient, le voyant passer.....: « Il est cinq heures, voilà le capitaine
Pivot. » — Mais tout cela, c'était la fantaisie d'un célibataire, et rien de plus.
Et avec cela, bon autant que bourru, ne négligeant aucune occasion de faire du bien. — Cependant, un beau jour, il se départit de sa bonhomie habituelle.
Des sœurs étaient montées à la citadelle pour solliciter sa bienveillance. II ne connaissait pas leur ordre et ce n'était pas la cornette blanche des sœurs de Saint-Vincent de Paul si chères aux militaires.
— Pour quelle œuvre, mes sœurs, venez-vous me mettre à contribution ?
— Nous venons, Monsieur le capitaine, quêter pour l'éducation des enfants que leur père et mère ont abandonnés. Nous implorons votre générosité pour ces pauvres orphelins.
— Ah ! c'est très bien ; mais quelle est l'aumône que vous désirez recevoir de moi ?
— Ce que vous voudrez, Monsieur, nous laissons cela à votre générosité.
— Mes sœurs, je ne suis pas un Mossieu ; appelez-moi capitaine. Combien désirez-vous ?
— Ce que votre bon cœur voudra, répondirent en chœur les bonnes sœurs avec une voix mielleuse qui acheva d'indisposer le brave M. Pivot.
— Eh bien, puisque je ne peux pas. tonnerre de Brest, connaître le fond de votre pensée, s'écria Pivot en bondissant vers son secrétaire qu'il ouvrit violemment, tenez, prenez ce billet de 100 francs ; mais, sacré mille bernibes, que ce soit une fois pour toutes, entendez-vous bien, et n'y revenez plus ! C'est à ceux qui fabriquent des enfants de les nourrir, et non pas au capitaine Pivot, qui n'en a jamais fait. »
Et les sœurs dégringolèrent l'escalier un peu vite ; mais je suis bien sûr que le contact soyeux du billet bleu leur fit oublier la furia du donateur et qu'elles ont prié plus d'une fois pour le pauvre capitaine Pivot, plus charitable qu'habile en hippiâtrie.
Je conclus en disant qu'il existe assez de phobies essentielles pour qu'on sépare les peurs maladives de la neurasthhénie et qu'on leur accorde une place à part dans la classe des névroses secondaires.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine. La prochaine réunion de la Société aura lieu le 19 octobre 1896.
Adresser les communications à M. le Df Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Banquet en l'honneur du D Bianchi.
Mercredi a eu lieu, chez Marguery, le banquet offert à M. le docteur Bianchi, privat-docent de l'Université de Parme, l'inventeur de la méthode connue sous le nom de phonendoscopie, par la Société clinique des praticiens et par le Syndicat général des médecins de Paris et de la Seine.
A la table d'honneur avait pris place M. le Dr Bianchi, ayant à sa droite M. le Dr Chéron, médecin de Saint-Lazare, à sa gauche M. le Dr Julien, chirurgien de Saint-Lazare. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, présidait, entouré de MM. les Drs Lumbanoff, de Moscou, Eïd, du Caire, Zeligzon, de Cleveland (Ohio). Parmi les convives français, nous avons reconnu MM. les Drs Boisleux,
secrétaire général de la Société clinique des praticiens, Cornet, secrétaire général du Syndicat général des médecins de Paris et de la Seine. Jouin, ancien président de la Société clinique, Bilhaut, chirurgien de l'hôpital international, Tison, médecin de l'hôpital Saint-Joseph, Archambaud, Apostoli, Gaube du (Gers), Batuaud, Maurice Bloch, Degoix. Lagelouze, Lorain, Guelpa, Duval, Delineau, Valentin, Allard, Wolf, etc., etc. '
Dans un banquet organisé à la hâte comme celui-ci, il faillait évidemment redouter les impossibilités matérielles, les engagements antérieurs. Parmi les lettres d'excuses, il nous faut citer celles de MM. Marey, membre de l'Académie des Sciences, s'exprimant en termes particulièrement élogieux pour l'inventeur du phonendoscope, Maurice de Fleury, Gellé, Levassort, Fournier, Combe, etc.
Au dessert M. le Dr Bérillon a présenté les convives à M. Bianchi, dans les termes suivants :
« Mon cher maître, vous n'avez pas autour de vous des professeurs, selon la formule employée pour désigner ceux qui sont chargés d'enseigner officiellement les sciences médicales ; cela n'empêche pas que quelques-uns d'entre eux ne soient des maîtres. Si l'on s'en tient à la définition du professeur moderne, donnée récemment par M. le professeur Lépinc, de Lyon, et qui est la suivante : « Professeur veut dire chercheur ; faire des découvertes est la meilleure manière d'enseigner, » ces confrères sont de véritables professeurs. Tous, en effet, ont attaché leur nom à une découverte scientifiqne importante ou à l'application d'une méthode nouvelle. Les noms de Chéron, de Jullien, d'Apostoli, de Gaube (du Gers), pour ne citer que ceux-là, sont connus des médecins de l'univers entier. Tous ceux qui sont ici marchent sur les traces de ces maîtres et ont tous publié des travaux originaux ayant un caractère très personnel. Je suis donc heureux de vous dire que vous êtes ce soir l'hôte d'une élite de travailleurs et d'hommes guidés avant tout par les préoccupations du progrès scientifique. »
« D'ailleurs, Bianchi ne mérite pas seulement notre admiration pour ses éludes sur la phonendoscopie. 11 a abordé avec succès beaucoup d'autres études, et avant de connaître le phonendoscope, je connaissais Bianchi par ses intéressants travaux sur la suggestion. Le toast que je vous propose de porter en son honneur est un témoignage d'admiration pour un homme dont tous les instants sont consacrés à la libre recherche de la vérité scientifique, »
M. le professeur Chéron, dans le service duquel les premières applications de la phonendoscopie ont été faites à Paris, a fort heureusement exposé la portée et les services de la méthode nouvelle.
Le docteur Jullien, viel ami du docteur Bianchi, rappelle ensuite que, il y a onze ans déjà, des expériences d'auscultation stéthoscopique étaient présentées par l'inventeur au Congrès de Pérouse auquel il avait communiqué également des travaux nombreux et remarquables. Ledocteur Bianchi est un chercheur infatigable.
En terminant, le docteur Jullien porte un toast à madame Bianchi à laquelle il propose d'envoyer un télégramme de félicitations.
Le Dr Geoffroy, à litre de président des deux sociétés qui avaient pris l'initiative du banquet, a expliqué le but de ces sociétés. Apres avoir rendu un juste hommage à la belle découverte du Dr Bianchi, il a exprimé le vœu que Paris possédât bientôt un centre de réunion où les médecins de province et de l'étranger, désireux d'entrer en communication avec leurs confrères parisiens, puissent être assurés de trouver un accueil cordial et surtout les renseignements dont ils ont besoin. Le Bureau des cliniques, à l'organisation duquel travaille depuis un an environ le Syndicat général des médecins de Paris, remplirait à merveille ce but, et sa création s'impose. M. Geoffroy a terminé en buvant à « la solidarité internationale des médecins-praticiens. »
M. Bilhaul voit dans les découvertes du genre de celle de M. Bianchi. qui permettent à la science de marcher d'un pas plus sûr et qui suppriment les différences d'appréciation, un moyen d'arriver à la pacification si désirable entre savants qui devraient toujours s'entendre.
Le docteur Archambaud fait observer que la présente manifestation est la meilleure réponse qu'on puisse faire aux attaques souvent formulées contre les médecins.
Pour faire connaître sa méthode, le Dr Bianchi a pris la meilleure voie en la présentant ailleurs qu'en Italie, car on n'est jamais prophète dans son pays. II boit ensuite à l'internationalisme médical en la personne du savant confrère italien.
Le Dr Bianchi, en quelques paroles éloquentes, remercie tous les confrères qui lui ont fait, dit-il, « le grand honneur de l'invitera ce banquet, dont, le souvenir restera ineffaçable dans son cœur. »
Les impressions d'un, cocaïnomane.
Le Dr Springthorpe rapporte un cas de cocainisme chez un médecin d'une grande intelligence qui s'était habitué à l'usage de la cocaïne pendant qu'il servait dans l'armée allemande.
Après un intervalle de 4 ans, pendant lesquels il réussit à se soustraire à cette funesle habitude, il eut l'occasion de prescrire la cocaine à un de ses confrères, et cela lui donna la tentation d'en reprendre l'usage pour lui-même.
En un mois, il arriva à en prendre de 4 à 6 grammes par jour. La plus forte dose qu'il en prit en une fois fut de 1 gramme. Il tomba aussitôt sans connaissance et resta plusieurs heures dans un état cataleptique.
Il décrit ainsi les sensations du cocaïnomane :
D'abord c'est une excitation indescriptible avec l'idée de faire quelque chose de grand ; l'acuité auditive augmente au point de devenir douloureuse : puis ce sont des sensations et même des visions de bêtes ou de serpents courant sur la peau et sur les vêtements ; enfin se pro-
duisent des hallucinations terrifiantes toujours avec idées de persécution.
Toute appétence pour une alimentation solide disparait, mais le cocaïnomane aime les douceurs. La diarrhée est habituelle, et une évacuation immédiate suit souvent une injection un peu forte. La cocaïne est un puissant stimulant du système musculaire. Elle accroît le nombre des respirations et des battements du cœur, la quantité des urines et la transpiration cutanée. Elle stimule l'appétit sexuel, et les pupilles se dilatent après chaque injection.
Il semble que l'activité cérébrale soit excitée et le cerveau travaille sans et même malgré la volonté. Les hallucinations et les illusions sont des troubles précoces. Le sens du bien et du mal n:est pas aboli, mais le sens moral est annihilé et le cocaïnomane peut devenir au bout de quelque temps un coquin et même un criminel.
Un cas de dilatation volontaire de la pupille.
II s'agit d'une femme de 37 ans, névropathe, sujette aux palpitations, à des douleurs dans l'œil droit, qui avait un polype implanté dans la fosse nasale droite. M. Bechterew, qui relate le fait, a pu se rendre compte que la femme en question dilatait sa pupille droite à volonté. En outre, la my-driase de l'œil droit devenait permanente pendant les trois jours qui précédaient l'apparition des règles ; elle atteignait sa valeur maxima le premier jour de chaque époque menstruelle. Il suffisait à cette femme de cligner la paupière droite, pour que sa pupille de ce côté se dilatât. Elle reprenait ensuite son diamètre normal, après quelques battements de la paupière.
Il s'agissait évidemment d'une excitabilité exagérée du grand sympathique, en rapport avec la présence d'un polype dans la fosse nasale droite (Deutsche Zeitschrift für Nervenheilkunde, T. VII.)
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations
gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.
Pendant le semestre d'hiver 1896-1897, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulicr, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Congrès des médecins aliénistes et neurologistes. — Dans la séance du 3 août, les membres du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes ont décidé qu'au Congrès qui se tiendra à Toulouse en 1897, seront traitées les questions suivantes :
1° Diagnostic différentiel de la paralysie générale ;
2° Hystérie infantile ;
3° Organisation du service médical dans les asiles d'aliénés.
M. Ritti sera président et M. Parant secrétaire général.
Congrès de psychologie. — Le quatrième Congrès aura lieu en 1900, à Paris, sous la présidence du professeur Ribot. M. Ch. Hichet remplira les fonctions de vice-président, et M. P. Janet celles de secrétaire général.
Congrès d'anthropologie criminelle. — Le prochain Congrès d'anthropologie criminelle aura lieu à La Haye en 1901. Le président du comité d'organisation sera M. Van Hamel. Les membres du congrès ont pensé qu'un grand nombre de congrès ayant lieu à Paris en 1900, il valait mieux retarder d'un an la réunion du prochain congrès.
Le congrès français de médecine, à Nancy, a clos sa session le 10 août. Il a été décidé que le prochain congrès aurait lieu à Montpellier en 1898, pendant la semaine qui précède Pâques.
Ce rejet à 1898 du prochain congrès de médecine a été inspiré par le désir de ne point empêcher les médecins français de prendre part au congrès de Moscou.
Notre éminent collaborateur, M. le professeur Bernheim, a été acclamé comme président. MM. Grasset et Mairet ont été nommés vice-présidents. Le secrétaire général est M. Carrieu.
Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique. —
Dans sa séance de juillet 1896, la Société d'hypnologie et de psychologie
Nécrologie. — M. le Dr Desprès, chirurgien de la Charité, vient de mourir. Desprès était doué de beaucoup d'esprit et d'une vive intelligence. Mais ces dons furent gâtés par un esprit de contradiction très développé qui lui fit prendre le contre-pied de toutes les idées de progrès. C est ainsi qu'il combattit l'introduction de l'antisepsie dans la pratique chirurgicale.
L'hypnotisme devait l'avoir pour détracteur. Dans les dernières années de sa vie, il lui arriva à maintes reprises de parler de l'hypnotisme avec le même dédain dont il parlait de l'antisepsie. Inutile de dire qu'il ne connaissait pas le premier mot de la question. Nous ne pouvons que regretter d'avoir vu un esprit aussi brillant donner un tel exemple de légèreté scientifique. Reconnaissons d'ailleurs qu'il a été la première victime de ses tendances réactionnaires et qu'il n'a jamais occupé ni en chirurgie ni en médecine la place à laquelle il aurait pu prétendre.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Max Nordau- — Paradoxes psychologiques. ! vol. in-8, 178 pages. — Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1896.
Dr Ladtps. — Le fonctionnement cérébral pondant le rêve el pendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris, 1895.
Astère Denis. Dr Vande Lanoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri-son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapaurue, Ver-viers, 1895.
Astère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Nicolet. Verviers, 1895-
Fouillée (Alfred). — Tempérament et caractère selon les individus-les sexes et les races. 1 vol. în-4° de 378 pages. Alcan. Paris, 1895.
Crocq fils (Dr J.) — Recherches expérimentales sur les altérations du système nerveux dans les paralysies diphlériques. 1 vol. in-4° de 79 pages. Paris, (896.
L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT # 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
a discuté la proposition qui lui était soumise de fusionner le Congrès de l'hypnotisme avec le Congrès de psychologie. Sur la proposition du bureau et de M. Dumontpallier, président, la Société a décidé, à l'unanimité, qu'il y avait lieu d'organiser, en 1900, à Paris, un second congrès international de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique, clans lequel seront mises à l'ordre du jour les études psychologiques qui résultent de l'action suggestive exercée sur l'homme par l'homme et par le milieu.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11° ANNEE. — ? 3.
Septembre 1896.
LES MAITRES DE L'HYPNOTISME ET DE LA PSYCHOLOGIE
Le professeur Charles Richet
M. Charles Richet est né à Paris, le 26 Août i85o. Fils du professeur de clinique chirurgicale A. Richet, bien connu de la génération actuelle, il fut nommé interne des hôpitaux en 1872,
docteur en médecine en 1879, docteur ès sciences en 1878, agrégé de la Faculté de médecine au concours de la même année, et succéda à Béclard, dans la chaire de physiologie, en 1887. M. Charles Richet
s'est adonné de bonne heure à l'étude de la physiologie, et ses travaux sont considérables. Ils peuvent être résumés .ainsi :
Après de nombreuses et intéressantes recherches, entreprises à l'instigation de M. Berthelot et dans le laboratoire de ce savant, M. Ch. Richet a démontré que l'acidité du suc gastrique est due a l'acide chlorhydrique, et de plus, que ce dernier acide se trouve dans le suc gastrique, sous deux formes différentes : d'abord à l'état de liberté, puis à l'état de combinaison. Ces démonstrations sont indiquées dans ses Recherches sur l'acidité du suc gastrique de l'homme (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1877-1878), et dans son travail sur les Propriétés chimiques et physiologiques du suc gastrique chez l'homme et chez les animaux, publié dans le Journal de l'anatomie et de la physiologie en 1878, travail couronné par l'Académie des sciences (prix de physiologie expérimentale).
Ses travaux sur la contraction musculaire des invertébrés, consignés dans son ouvrage : Physiologie des muscles et des nerfs (1879), ont mis en lumière des faits nouveaux de physiologie générale.
Ceux sur les modifications de température des animaux l'ont conduit à la découverte du mécanisme de la régularisation thermique et dans divers mémoires sur la respiration, te travail musculaire, l'influence de l'alimentation, l'influence de la volonté sur les échanges, mémoires d'un très grand intérêt publiés de 18S6 à 1891, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences et dans les Archives de physiologie, l'auteur a démontré : « que la quantité d'oxygène consommé est, pour les animaux de même espèce, absolument proportionnelle à leur surface tégumentaire, et que c'est le système nerveux qui adapte les combustions respiratoires à l'étendue de cette surface. »
Enfin, a la suite d'expériences fécondes en résultats, M. Charles Richet a, le premier, en 18S8, déduit le principe de pathologie générale, sur lequel est fondée la serumthérapie, qu'il appelait alors l'hémato-thérapie. On trouvera ses travaux spéciaux publics, dès l'année 1888, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences et de la Société de biologie. Les premières injections de sérum ont été faites par lui.
M. Charles Richet est encore l'auteur de plusieurs mémoires importants : sur les effets physiologiques et psychiques du chlora-lose, sur l'action physiologique des sels alcalins, sur la toxicité comparée des différents métaux, sur la chaleur animale, la psychologie physiologique. Ses dernières leçons ont paru sous le titre : La défense de l'organisme (Cours de physiologie de la faculté (1893-1894). Directeur de la Revue scientifique depuis 1878, il est
à coup sûr l'un des professeurs les plus distingués de la Faculté de Paris.
Apres l'exposé des titres scientifiques du physiologiste, il nous reste à établir la pan prépondérante prise par M. Charles Richet dans le mouvement psychologique contemporain. Il peut à juste titre être considéré comme un des principaux initiateurs du réveil des études psychologiques. Dès 1870, il publiait dans le Journal de l'anotomîe de Charles Robin, un remarquable article sur le somnambulisme provoqué. En 1869,1e hasard l'ayant rendu témoin d'une séance de magnétisme, il s'était promis de vérifier, à la première occasion, la valeur des expériences auxquelles il avait assisté. Cette occasion ne se présenta qu'en 1S73, alors qu'il était interne de Le Fort, à l'hôpital Beaujon. Dans son mémoire, M. Richet formulait déjà les propositions suivantes :
« 1° On ne peut admettre que les phénomènes sommambuliques, magnétiques ou hypnotiques soient dus à la simulation : l'existence du somnambulisme provoque est un fait aussi certain et aussi indiscutable que l'existence de l'épilepsie ou de la fièvre typhoïde ;
« 2° Les passes magnétiques, les excitations faibles de toute nature, agissent aussi bien, et même mieux, que la fixation d'un objet brillant, pour déterminer le somnambulisme ;
« 3° Les phénomènes que l'on observe se montrent aussi dans les diverses intoxications ou perversions du système nerveux central. Elles consistent principalement en deux phénomènes : l'hallucination et l'automatisme. »
Par ce travail, la première en date des publications de l'Ecole de Paris sur l'hypnotisme, M. Richet plaçait la question sur un terrain rigoureusement scientifique. En i8S3, il complétait les recherches précédentes dans un volume paru sous ce titre : L'homme et l'intelligence (1). Là, insistant sur la possibilité de provoquer chez les sujets plongés dans l'état de somnambulisme des variations de la personnalité, il donnait â ces changements de personnalité le nom d'abjectivation de types.
Depuis lors, M. Charles Richet a été considéré, à juste titre, comme un des représentants les plus autorisés de la psychologie française. En 1885, il eut ridée de grouper, sous l'égide du professeur Charcot, tous les savants français qui poursuivaient des études psychologiques, et il créa la Société de psychologique physiologique. Secrétaire général de cette société, il était tout désigné pour organiser à Paris, en 1889, le premier Congrès de psychologie physiologique. En sa qualité de secrétaire général, il dut
(i) Ch. Richet, L'Homme et l'Intelligence. 1881. Félix Alcan, Paris.
exposer le but de ce Congrès, et il en fit ressortir l'esprit avec un talent et une sagacité qui lui valurent les applaudissements de tous. Nous ne pouvons résister au désir de citer quelques passages de ce remarquable rapport :
« Nous serons sans doute unanimes ici. disait-il, dans notre médiocre souci de l'opinion publique. Il nous importe assez peu d'être classiques, servilcs observateurs des doctrines universellement admises ; le progrès consiste le plus souvent en le renversement de quelques idées anciennes ou rétablissement de quelques vérités nouvelles, axiome tellement banal qu'il serait inutile de le formuler si les vérités anciennes ne se défendaient avec tant d'énergie contre les vérités nouvelles. »
Dans son rapport, il attribuait une place considérable à l'hypnotisme, et il demandait qu'on fixât la terminologie de cette science. Il exprimait également le désir que le congrès de psychologie physiologique ne s'occupât de l'hypnotisme qu'au point de vue expérimental et laissât de côté ses applications à la pratique médicale. L'hypnotisme envisagé dans ses rapports avec la thérapeutique, la pédagogie et la médecine légale devait d'ailleurs faire l'objet d'un autre congrès, et la division du travail ne pouvait que favoriser le progrès de cette science.
C'est ainsi que par une compréhension très nette des besoins de la médecine psychologique et de la psychothérapie pratique, M. Charles Richet cfiaçait toute idée d'antagonisme entre les deux assemblées. Au congrès de psychologie, l'hypnotisme devait être étudié au point de vue de ses rapports avec la psychologie expérimentale, sans s'occuper du traitement des maladies ni des applications pratiques. Par contre, au congrès de l'hypnotisme, on donnerait la plus grande place,dans les rapports et dans les discussions, aux questions d'hypnotisme relatives à la pratique journalière de la médecine. Les organisateurs du congrès de l'hypnotisme avaient donc bienauguré du libéralisme de M. Charles Richet en le mettant au nombre de leurs présidents d'honneur;
Le rapport de M. Richet se terminait par ces considérations générales sur l'hypnotisme :
« En fait d'hypnotisme, il y a bien des questions déjà résolues. Personne n'ose plus parler de simulation. L'influence de la suggestion est a peu près universellement admise. Mais que de points encore absolument obscurs ! ne fut-ce que cette influence des métaux et de l'aimant qui parait avoir jusqu'à présent découragé tous les expérimentateurs, ou bien cette lucidité, dont on recueille par-ci par-là. des observations Isolées, sans pouvoir en déterminer les conditions, sans pouvoir même en donner une. démonstration irréprochable......
« L'hypnotisme est un admirable appareil de vivisection psychologique.
Grâce aux travaux des médecins et des physiologistes qui ont étudié l'hypnotisme, nous connaissons l'inconscient, nous savons que cet inconscient accomplit silencieusement des opérations Intellectuelles merveilleuses, et il est évident que l'étude approfondie de l'écriture automatique amènera à connaître cet Inconscient surprenant qui est en nous, et qu'on avait jusqu'ici a peine soupçonné.....
Quelque temps après, M. Richet publiait dans la Repue scientifique un remarquable article sur l'Avenir de la psychologie. Il y démontrait que le premier problème de la psychologie était la physiologie de la cellule nerveuse ; mais il entrevoyait aussi pour la psychologie de plus vastes horizons. Il envisageait la multiplicité de ses applications pratiques, la voyant enfin appliquée à la justice, à l'éducation et à la morale, c'est-à-dire instituée à la base même de la vie sociale. En un mot, selon M. Richet, dont nous partageons absolument i'opinion, c'est la psychologie qui doit fixer la morale.
Parmi les productions les plus récentes de M. Richet, il nous faut signaler son livre intitulé Essai de psychologie générale, rempli d'aperçus nouveaux, et sa communication au dernier Congrès de Psychologie de Munich sur Y Étude biologique de la douleur. Pour être complet, nous devrions dire que ce penseur, non content d'avoir acquis par ses travaux la réputation d'un des premiers savants de notre temps, a fait souvent aussi œuvre de littérateur. Il a publié, sous un pseudonyme, des romans, et une pièce de théâtre dans laquelle l'hypnotisme tenait une grande place; il s'est en outre révélé comme un poète délicat.
M. Charles Richet a été désigné comme un des présidents du Congrès de Psychologie qui se tiendra à Paris en 1900. Ce choix est une garantie de succès, étant données les sympathies universelles qu'ont valu à M. Richet la loyauté et le libéralisme de son caractère. On en a eu encore une preuve au récent Congrès de Munich lorsque M. Richet, invité à prendre la parole au banquet, se montra si heureusement inspiré dans son improvisation. Il termina par un toast à la liberté philosophique et au courage scientifique.
Ces paroles étaient bien placées dans la bouche de M. Richet; car ce qui le caractérise lui-même, c'est le courage scientifique. Toujours préoccupé de la recherche de la vérité, il n'a jamais ménagé ses encouragements aux libres initiatives. Sa doctrine scientifique peut se.résumer dans la formule suivante qu'il a souvent exprimée devant ses disciples : « Soyez aussi hardis que vous le voudrez dans les hypothèses, mais montrez-vous d'une extrême rigueur lorsqu'il s'agit de la démonstration scientifique. » E. B.
LES SUGGESTIONS CRIMINELLES (1)
envisagées au point de vue des faux témoignages suggérés
Par M. le Dr Edgar Bébillox . Médecin inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, licencié en droit.
Tous ceux qui se sont livrés scientifiquement à l'étude de T'hypnotisme ont constaté que les phénomènes observés chez les sujets consistent surtout dans la possibilité de provoquer chez eux, par simple suggestion, des illusions sensorielles,des hallucinations, des croyances erronées, des transformations de la personnalité, de l'amnésie et aussi l'accomplissement irré- 1 sistible d'actes commandés.
Les actes qui peuvent être exécutés non seulement pendant l'hypnose, mais aussi dans Pétat post-hypnotique, sont aussi variés que Von peut le concevoir. Ils ont été si souvent reproduits par un grand nombre d'expérimentateurs que l'intérêt qu'ils présentent au point de vue purement psychologique serait peut-être épuisé, si les travaux de l'Ecole de Nancy n'avait démontré que les mêmes phénomènes peuvent être provoqués à l'état de veille, chez un certain nombre de personnes. En effet chez beaucoup de sujets, en particulier chez les enfants et chez les adolescents, la suggestibilité est normalement si développée que l'accomplissement d'un acte suggéré, quel qu'il soit, s'impose à leur esprit avec un caractère d'irrésistibilité absolue. Dans le rapport sur les Suggestions criminelles et la responsabilité pénale, que nous avons présenté au congrès d'anthropologie criminelle de Bruxelles, en 1892, nous avons montré que beaucoup de circonstances venaient heureusement limiter le danger des suggestions criminelles. En effet modifier l'identité d'un sujet, transformer sa personnalité à un degré tel qu'il exécute inconsciemment un acte que sa conscience réprouverait s'il était libre, est assurément une des choses les plus ditïi-ciles non seulement à concevoir, mais surtout à réaliser. Ce que l'on peut redouter, ce n'est pas de voir des individus malhonnêtes abuser de la suggestibilité excessive de certains sujets pour les pousser à l'accomplissement d'actes criminels, mais bien d'utiliser celte suggestibilité pour réaliser quelques
(1) Rapport lu au Congrès d'Anthropologie criminelle de Genève.
formes de l'escroquerie, pour obtenir la signature de billets, pour arriver à la caplation d'un testament ou surtout pour provoquer des faux témoignages.
Tout le monde sait que, chez un sujet hypnotisable, il est extrêmement facile de provoquer des hallucinations rétroactives, c'est-à-dire de lui suggérer le souvenir de scènes et d'événements auxquels il croira avoir assisté et qui n'ont jamais existé en réalité. La constatation de cet état psychologique était de nature à préoccuper les magistrats, mais la pratique de l'hypnotisme étant, en somme, réservée aux seuls médecins, il n'y avait pas lieu de s'émouvoir. Il n'en était plus de même après la démonstration faite par M. le professeur Bernheim, que certains sujets suggestibles peuvent, sans être hypnotisés, par simple affirmation à l'état de veille, subir des hallucinations rétroactives. Si l'on pense que de ces hallucinations de la mémoire peuvent résulter de faux témoignages, on ne comprendrait plus l'indifférence des juristes en présence d'une telle constatation, étant donné que les faux témoignages constituent en quelque sorte la base de notre instruction judiciaire.
En déclarant se souvenir de scènes qu'ils racontent comme s'ils en avaient été les témoins, ces sujets agissent comme les aliénés qui, se figurant'avoir commmis un acte ou été victimes d'un attentat, racontent le fait avec des détails extrêmement précis. Il y a quelques jours, à l'asile d'aliénés de Burgholzli (Zurich), M. le professeur Forel, nous faisait assister à une scène d'hallucination rétroactive intervenant dans le cours d'autres troubles mentaux, chez un malade de son service. Le malade racontait qu'il avait été à l'asile même victime d'actes de violence de la part d'une personne qui réside à une certaine distance, et il le déclarait avec une véhémence et un accent de sincérité qui pourraient donner à un magistrat instructeur quelque illusion sur la réalité du fait.
En 1891, dans un travail communiqué à la Société d'hypno-logie et de psychologie de Paris, sous le titre les Faux témoignages suggérés chez les enfants nous relations des expériences que nous avions instituées chez des enfants de 6 à 15 ans, d'apparence normale, dans le but d'étudier la mesure dans laquelle il était possible d'arriver chez eux, par suggestion à l'état de veille, à la réalisation d'un faux témoignage. Nous étions arrivé à la conclusion qu'il était nécessaire pour les magistrats, de tenir compte, dans leurs interrogatoires, de l'extrême suggestibilité des enfants et de se mettre en garde
contre la possibilité d'influencer ces témoins. Ces considéra-lions avaient leur raison d'être, car bien que l'article 79 du code d'instruction criminelle stipule que les enfants de l'un et de l'autre sexe, au-dessous de l'âge de quinze ans, pourront être simplement par forme de déclaration, et sans prestation de serment, les témoignages des enfants ont souvent été invoqués en justice comme ayant une valeur égale à celle des autres témoins. De nombreuses condamnations et surtout des condamnations pour le délit d'attentat à la pudeur ont été prononcées sur des témoignages d'enfants. La question présentait donc un grand intérêt, car notre communication apportait la confirmation expérimentale des faits dont M. Mottet avait observé la manifestation spontanée chez des enfants enclins au mensonge. La communication de M. Mottet, publiée en 1887, sous le titre les faux témoignages des enfants devant la justice eut un grand retentissement et depuis lors la valeur des témoignages des enfants a été soumise à une plus juste appréciation.
La question des faux témoignages suggérés chez les adultes restait à élucider. A cet effet, nous avons institué chez des sujets âgés de plus de quinze ans, c'est-à-dire ayant la capacité d'âge exigée pour assumer la responsabilité légale d'un faux témoignage, des expériences analogues à celles que nous avions faites en 1891 chez des enfants-
Connaissant les objections que l'on invoque habituellement lorsqu'il s'agit d'expériences d'hypnotisme et qui ont trait soit à la complaisance, soit à la simulation des sujets, nous nous sommes appliqués à nous mettre dans des conditions expérimentales qui excluent ces causes d'erreur. C'est ainsi que nos expériences étaient faites sur des sujets que nous voyons pour la première fois, qui n'avaient jamais assisté à des faits semblables, n'avaient jamais été mis dans l'état de sommeil hypnotique et ne se doutaient pas de la nature des phénomènes que nous avions l'intention de provoquer. Il n'est pas admissible qu'un grand nombre de sujets (environ 20 pour 100) s'abandonnent sans résistance et sans discussion à la direction qui leur est imprimée, par pure complaisance, alors qu'aucune relation antérieure n'est venue légitimer la confiance sans bornes qu'ils placeraient dans l'expérimentateur. Quant à la simulation, nous nous sommes assuré qu'elle n'avait aucune influence sur le résultat de l'expérience, en faisant apparaître chez les sujets des phénomènes somatiques
(contractures, anesthésies, paralysies partielles), capables de prouver la réalité de leur automatisme psychologique.
Dans nos expériences, nous avons procédé méthodiquement en allant du simple au composé et en provoquant successivement :
1° Des amnésies, c'est-à-dire l'oubli de faits ou de scènes dont les sujets avaient été réellement témoins.
2° Des déformations de la mémoire, c'est-à-dire des souvenirs faussés, représentant d'une façon inexacte les événements qui s'étaient passés réellement (exagérant ou diminuant leur importance, attribuant les actes à d'autres auteurs, etc.).
3° Des illusions de la mémoire, portant sur l'appréciation de la durée, et altérant la date d'événements réellement passés.
4° Des hallucinations négatives, rendant le sujet inconscient d'actes exécutés sous ses yeux.
5° Des hallucinations rétroactives, constituées par des souvenirs suggérés de scènes ou d'événements auxquels les sujels croient fermement avoir assisté, bien que ces événements n'aient jamais existé.
Nous avons constaté que les déclarations aboutissant à la constitution d'un faux témoignage pouvaient être expérimentalement obtenues chez plus de vingt sujets sur cent.
De nos expériences sont résultées diverses constatations qui nous paraissent mériter quelque attention. La première et la plus importante, c'est que la résistance aux suggestions n'est nullement en rapport avec le développement intellectuel des sujets. Au contraire, il nous a paru que les sujets doués d'une suggestibilité excessive étaient sensiblement mieux doués au point de vue intellectuel que les autres sujets capables d'offrir une résistance plus grande aux suggestions, en un mot, d'après nos expériences, la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude à réaliser irrésistiblement la suggestion-d'un acte quelconque, faite à l'état de veille, est en rapport direct avec le développement intellectuel du sujet. Ce ne sont donc pas les sujets peu intelligents ou atteints de débilité mentale qui présenteraient le plus d'aptitude à réaliser des suggestions criminelles ou autres.
Une autre considération est la suivante :
Le degré de résistance aux diverses suggestions varie, chez le même sujet, selon que son intérêt personnel est plus ou moins en jeu. Ainsi tel sujet hésite ou résiste lorsqu'on lui a fait la suggestion de s'accuser d'être l'auteur d'un crime ou
d'un délit ; par contre, il réalise immédiatement la suggestion qui lui est faite d'attribuer l'acte criminel à un autre.
La résistance aux suggestions varie aussi selon la valeur des motifs donnés au sujet comme commentaires à la suggestion. Par exemple, je fais simplement à un sujet la suggestion de déclarer qu'il a vu telle personne accomplir un acte criminel. La suggestion ne se réalise pas. Je renouvelle alors l'expérience en ajoutant que la personne visée a dit du mal de lui, en maintes circonstances. La résistance à la suggestion disparait de suite et il réalise sans hésitation le faux témoignage suggéré.
L'aptitude à faire des déclarations fausses, est-elle l'expression d'une tendance développée sur l'influence du milieu? L'adage si connu, cmnis komo mendax, est-il l'expression d'une impulsion existant dans beaucoup de cerveaux à l'état latent? 11 faut croire que le législateur l'a pensé, car il s'est appliqué à entourer le témoignage do garanties capables d'en augmenter la sincérité. C'est ainsi qu'il a imposé aux témoins l'obligation d'un serment solennel, qu'il a défendu d'entendre une catégorie de personnes que leurs liens de parenté avec l'accusé peuvent rendre suspects de partialité et qu'elle punit le faux témoignage de pénalités très sévères. En effet, les articles 361 à 365 du code pénal français considèrent le faux témoignage comme crime s'il se produit dans une affaire criminelle et comme délit dans les autres cas. La peine du faux témoin est au moins égale à celle que le faux témoignage a fait ou aurait fait infligera l'accusé ; elle est plus élevée lorsque le faux témoin à reçu de l'argent. En somme la loi semble n'avoir prévu que le faux témoignage conscient, fait avec l'intention de nuire ou de servir. Mais, en réalité la loi accorde au sens du faux témoignage une acception moins étendue que celle qu'il comporte en réalité. Pour tout le monde, commettre un faux témoignage : c'est donner sur un incident dont on a été témoin des renseignements contraires à la vérité. Au point de vue légal, trois caractères sont nécessaires pour constituer le crime ou le délit de taux témoignage, c'est-à-dire que pour que le faux témoignage entraine une pénalité, il faut: 1° une déposition mensongère faite sous la foi du serment ; 2° que cette déposition ait été faite dans les débats ; 3° enfin que le faux témoignage ait été fait, soit contre le prévenu, soit en sa faveur.
En fait, le faux témoignage, crime ou délit extrêmement fréquent, est très peu réprimé. Les condamnations prononcées de
ce chef sont très rares. C'est peut-être pour cela qu'aucune idée morale ne s'est développée, sous l'influence de la loi, et ne vient s'opposer aux suggestions de faux témoignages ou aux suggestions de mensonge, la résistance considérable que les sujets offrent souvent à des suggestions beaucoup moins graves au point de vue social.
Des faits observés et provoqués expérimentalement par nous, nous croyons pouvoir déduire les conclusions suivantes:
1° Un assez grand nombre d'individus présentent normalement, à l'état de veille, et sans manœuvres préalables d'hyp-notisation, une telle suggestibilité qu'il serait possible de leur faire commettre, sous l'influence d'une suggestion verbale, sans qu'ils en aient conscience et sans qu'ils puissent résister, des faux témoignages délictueux ou criminels.
2* Dans le cas où il serait démontré par un examen psychologique ressortissant d'une expertise médico-légale, que le faux témoin a accompli le faux témoignage sous l'influence d'une suggestion, il devra être appelé à bénéficier de l'article 64 du Code pénal français qui dégage la responsabilité de ceux qui auront agi sans liberté.
3° Il appartiendra aux magistrats de tenir compte, dans leur interrogatoire, de l'extrême suggestibilité d'un grand nombre d'individus, suggestibilité encore augmentée sous l'influence de l'intimidation et de se mettre en garde contre la possibilité de suggérer à ces témoins les réponses qu'ils auront à faire. Le magistrat devra interroger le témoin sans lui faire pressentir sa propre opinion, sans exercer aucune pression sur son esprit.
4° Les défenseurs auront le droit de tenir compte des faits où la suggestion joue un rôle, de surveiller avec soin les influences qui ont pu agir sur tel ou tel témoin et d'appeler sur ces questions l'attention des jurés et des magistrats.
5° La possibilité de provoquer les phénomènes d'altération de la mémoire aboutissant à la constitution d'un faux témoignage existant aussi bien à l'état de veille qu'à l'état d'hypnotisme, ces faits rentrent dans le domaine des faits psychologiques normaux. Il n'y a donc pas lieu de songer à les soumettre à une réglementation légale.
6° L'article 365 du Code pénal français a prévu le délit de subornation des témoins et un arrêt de la Cour de cassation de Paris, du 7 décembre 1883, a précisé le caractère du délit dans
les termes suivants : « La subornation des témoins est un fait délictueux, sui generis, qui existe indépendamment des circonstances constitutives de la complicité ordinaire spécifiée dans l'article 60 du Code pénal, par cela seul qu'il y a eu emploi de suggestions ou excitations dolosives adressées à des personnes appelées à déposer sous la foi du serment et de nature à les amener à faire des déclarations contraires à la vérité. »
Ces dispositions pénales constituent, à notre avis, un moyen de répression suffisant contre l'auteur de suggestions faites systématiquement dans le but de provoquer un faux témoignage.
7° Enfin une dernière conclusion s'impose. Nous jugeons aujourd'hui avec une grande sévérité les mandataires de la justice qui, pour arracher les aveux des accusés ou influencer les déclarations des témoins, n'hésitaient pas, dans les siècles passés, à recourir aux ordalies, aux tortures, aux questions ordinaire et extraordinaire. La connaissance des états psychologiques analogues à l'hypnotisme nous a appris que la contrainte psychique pouvait, non moins que la contrainte physique, provoquer l'accomplissement d'actes exécutés irrésistiblement, avec toutes les apparences de la liberté. Il n'est pas plus légitime pour un magistrat d'exercer une contrainte psychique qu'il ne le serait d'exercer une contrainte physique. C'est pourquoi nous pensons que le congrès d'anthropologie criminelle pourrait contribuer à la réalisation d'un véritable progrès en émettant le vœu suivant :
« Le congrès d'anthropologie criminelle de Genève, pour éviter les abus maintes fois signalés, et en particulier les faux témoignages suggérés, qui peuvent résulter de pressions morales exercées, dans le cours des instructions judiciaires, sur des personnes douées d'une grande suggestibilité, émet le vecu que l'instruction secrète soit remplacée dans toutes les législations, par une instruction contradictoire. »
LES VOLS A L'ÉTALAGE ET DANS LES GRANDS MAGASINS (1)
Par le D' a. Lacassaqxe, professeur à l'Université de Lyon.
Les vols dans les grands magasins ont pris à notre époque une réelle importance par leur nombre croissant, la valeur et la variété des objets dérobés, la qualité des personnes auteurs de ces vols.
(1) Rapport lu au Congrès d'Anthropologie criminelle de Genève. '
C'est un phénomène social qui s'observe partout, dans les conditions semblables, et dont la généralisation peut inquiéter les moralistes, préoccuper les magistrats et les médecins. La création dans une ville importante d'un de ces grands magasins fait éclore aussitôt ce vol spécial commis par les mêmes personnes.
Sans doute, les conditions de notre époque permettent d'observer partout ce genre de vol, mais cependant il n'avait pas échappé à la description des aliénistes de la première moitié du siècle. Marc cite de nombreux faits caractéristiques. Comme à présent, on voyait des gens du monde, appartenant à une classe sociale qui aurait dû se trouver à l'abri de pareilles tentations, dérober dans des magasins des objets presque sans valeur et dont le nombre ou l'inutilité témoignent comme un état maladif particulier chez les auteurs de semblables larcins. Cette impulsion au vol sans motif fut appelée ia kleptomanie.
Encore de nos jours elle est, pour quelques aliénistes, une des manifestations de la dégénérescence : un syndrome épi-sodique. On semble croire que les kleptomanes sont des individus qui volent absolument pour voler. Tel n'est pas notre avis. La kleptomanie n'est pas pour nous une entité spéciale, c'est une manifestation morbide qui peut se montrer dans un certain nombre de névroses ou de folies, mais c'est aussi, et dans toutes ses formes, une manifestation des natures vicieuses, faibles.
Les kleptomanes volent, mais tous les voleurs ne sont pas des kleptomanes. La kleptomanie, l'impulsion inexplicable et irrésistible au vol, est théorique. Chez le susdit kleptomane, on doit trouver des mobiles psychologiques déterminants. Les vols même les plus absurdes s'expliquent et ont une cause secrète, plus ou moins avouable.
Ce sont des criminels d'occasion qui méritent le bénéfice des circonstances atténuantes, car souvent il n'y a pas préméditation, mais absence de lutte contre le désir, ce qui n'est pas une impulsion morbide.
Cela ne veut pas dire, d'ailleurs, qu'ils soient pour cela toujours et également irresponsables.
Il est à remarquer que la plupart de ces kleptomanes ne sont pris que dans les grands magasins. Ils volent seulement là et pas ailleurs.
Ces étalages provocateurs sont donc un des facteurs du vol.
Ils sont faits pour exciter l'envie. C'est la mise en œuvre d'un trompe-l'œil. Il faut fasciner le client, l'éblouir, provoquer le désir et cela par une troublante exhibition. Voilà des excitants d'ordre social et qui pourraient être appelés des appèritfs du crime.
L'effet est tel que les femmes les plus sûres d'elles-mêmes, les femmes fortes, les ménagères connues par l'ordre et l'économie, avouent qu'elles ont succombé à la tentation et dépassé, dans un entraînement imprévu et irrésistible, le taux des dépenses qu'elles s'étaient fixé d'avance. Que doit-il être pour des malades ou des femmes grosses, des hystériques, des neurasthéniques, des morphinomanes, des alcooliques : toutes les causes qui affaiblissent chez elles l'intelligence et le caractère, en général si peu développés dans le milieu social où elles vivent.
Ces voleuses de grands magasins ne désirent pas plus que les autres, mais elles résistent moins à la tentation. Brouardel cite une femme de magistrat qui, pendant sa grossesse, vola une oie rôtie à l'étalage d'un fruitier. Legrand du Saule en a observé une qui avait volé 300 cravates d'homme. J'ai eu à examiner une bonne bourgeoise qui avait pris par douzaines des porte-monnaie, des couteaux, des ciseaux, etc., elle en avait rempli une armoire au grenier.
Ce mal sévit partout dans la plupart des grandes villes. A Londres, la police et les grands négociants ont dressé des listes de kleptomanes. Celle des grands négociants comporte environ 800 noms de personnes aisées, et très peu de noms d'hommes, une dizaine. Quand un marchand constate la disparition d'un objet, il cherche à se rappeler les noms des clientes kleptomanes qui sont venues et prévient aussitôt les parents par une sorte de circulaire dans laquelle il demande de rapporter l'objet ou d'en faire parvenir le prix. Parfois, la kleptomane n'a rien volé, mais elle ne peut se le rappeler avec certitude. Elle n'oserait affirmer son innocence. Les parents payent pour en finir, et ainsi une dizaine de familles répondent à la réclamation du marchand. On voit que celui-ci n'y perd pas, au contraire, et pour un vol il fait dix bénéfices.
Voici comment on procède dans les grands magasins de Paris :
La personne n'est pas arrêtée dans le magasin, car il lui serait trop facile de laisser habilement tomber l'objet à terre
ou dire qu'elle allait à une caisse payer l'objet choisi. Un inspecteur, correctement habillé, la suit jusqu'à ce qu'elle ait parcouru dans la rue une vingtaine de pas ou qu'elle s'installe dans une voiture, et alors, avec des formes très douces, mais sur le ton le plus ferme, il l'invite sans bruit à l'accompagner chez un commissaire de police, ou bien la dame est priée de rentrer au magasin où elle est fouillée dans un salon spécial.
Le directeur du grand Bazar de Lyon nous disait : il y a plus de kleptomanes que de vrais voleurs. Quand un individu est surpris en flagrant délit, on se contente souvent de faire restituer les objets volés.
Sur plus de quatre millions d'affaires par an, la maison n'éprouve que quelques milliers de francs de pertes. Quand un individu est arrêté, on fait une visite domiciliaire qui permet souvent de rentrer en possession du produit des vols antérieurs. Ainsi s'établit une sorte de compensation.
Les vrais voleurs auraient vendu les objets volés. Le kleptomane entasse et conserve. Chez l'un, d'eux on a trouvé ainsi i40 porte-monnaie. Ces kleptomanes sont connus; parfois ils viennent à des heures fixes. Quelques-uns sont très habiles et, malgré une surveillance attentive, on n'arrive pas toujours à les pincer, car ils sont d'une adresse incroyable. Ainsi l'un d'eux qui volait des bronzes d'art ne put être arrêté que bien longtemps après et quoique le rayon spécial fut particulièrement surveillé. La capture de cet individu ne fut due qu'à une indiscrétion par laquelle on avait appris qu'il avait des statues de bronze sur la bordure du toit de sa maison de campagne.
Il est possible d'établir des catégories parmi ces voleuses de grands magasins. Nous les rangerons dans trois classes : les collectionneuses, les déséquilibrées, les malades.
1°Les collectionneuses. Elles se rapprochent assez des voleuses ordinaires. Nous avons eu cependant à examiner un certain nombre d'hommes. Les uns et les autres, parfois dans une position aisée ou même riches, volent sans besoin et on trouve à leur domicile les objets volés, presque toujours les mêmes. Comme les collectionneurs, ils aiment à avoir le plaisir de posséder.
Les bibliomanes, les amateurs de vieilles assiettes ou de meubles ne peuvent entrer dans une librairie ou une salle
de ventes sans acheter. Eux, se produisent la même satisfaction, mais en volant
On peut rencontrer dans ce groupe des déments et des faibles d'esprit. Si l'expertise médicale le constate, les magistrats seront bienveillants, lis appliqueront aux autres les sévérités de la loi. Car ceux-ci peuvent être modifiés par le châtiment et la punition subie sera à l'avenir une terreur salutaire.
2* Les déséquilibrées. — Nous rangerons dans cette division où il serait facile de faire des sous-classes des voleuses chez lesquelles la tentation de prendre s'impose vite et sans lutte-La plupart sont riches ou très aisées. Elles s'affolent rapidement dans ce milieu séducteur, se laissent aller à un motif plus ou moins bizarre, mais déterminant, tel qu'un moment de vanité ou de coquetterie, même un bon sentiment; d'autres fois elles se sentent prises comme de vertige et grisées par le bruit, l'agitation du milieu ; tout à coup elles éprouvent une impulsion. Le Dr Paul Dubuisson qui en a observé un certain nombre nous disait : « Dans ce brouhaha du Louvre ou du Bon Marché, elles perdent la tête. Des désirs effrayants s'emparent d'elles. « Il me semblait que tout était à moi » est une expression qu'on rencontre souvent dans leur langage. Certaines emportent tout ce que leurs deux bras peuvent tenir. Ce sont là des cas indéniables, difficiles, très fréquents, forts suspects aux magistrats. » Il y en a qui, après avoir succombé plusieurs fois à la tentation, deviennent des voleuses décidées, elles ne sont plus maîtresses de leur impulsion, et systématiquement, quotidiennement même, elles reviennent voler pour éprouver les mêmes frayeurs, les mêmes angoisses. Le désir dévient irrésistible et parfois elles s'analysent, se font horreur à elles-mêmes, éprouvent le besoin de se confier à une amie, et, malgré les précautions les plus bizarres pour porter obstacle à leur penchant, elles succombent à la tentation. D'autrefois les idées de suicide surviennent et il y en a qui se sont trouvées apaisées par les poursuites judiciaires. Si tout cela est bien démontré, on peut les acquitter ou les punir avec le bénéfice de la loi Bérenger, mais s'il y a récidive, la question d'internement doit se poser.
Pour les autres, moins atteintes, mais aussi faciles à la tentation, on peut être indulgent à la première faute. Si ces malheureuses reconnaissent être incapables de résistance dans ces grands magasins, elles n'ont qu'à ne pas y aller. A
la seconde faute, on sera plus sévère, à la troisième, il n'y a pas d'excuse. Voici des exemples caractéristiques :
Le Df Paul Dubuisson nous parlait d'une femme qui achète au Bon Marché pour 200 francs d'objets et y vole le même jour une éponge de 60 centimes. Nous avons vu de même une dame dans une situation au-dessus de la moyenne qui, après avoir acheté pour 60 francs d'objets divers, déroba un porte-monnaie de 15 sous qu'elle destinait à sa cuisinière. «J'ai volé, disait-elle, parce qu'ayant fait de nombreux achats au comptant, il me semblait que ce supplément m'était dû. »
Un cocher d'une maison bourgeoise que nous eûmes à examiner pour vol au grand Bazar, nous disait : « Je suis à Lyon depuis trois mois, j'allais souvent par distraction au grand Bazar ; j'éprouvais une satisfaction étrange, j'étais là comme au paradis, ce que je voyais m'éblouissait. Un jour, il m'a semblé que tout cela m'appartenait et alors je me suis servi. » Il avait volé des pipes, et cependant il ne fumait pas, mais il se proposait de faire des cadeaux au retour dans son village.
Terminons par le cas de cette « voleuse décidée », une dame qui, tous les soirs, presque à la même heure, se trouvait à elle-même un prétexte pour aller au grand Bazar. Elle achetait ce dont elle avait besoin, mais elle ne manquait pas de voler en même temps un autre objet.
38 les malades. — Dans cette classe, l'irresponsabilité est certaine. Ce sont des maniaques, des imbéciles, des déments, des paralytiques qui volent sans savoir ce qu'ils font. Leurs vols ont d'ailleurs un caractère évident de naïveté, de puérilité ou de morbidité.
Nous avons cherché à expliquer ces faits qui ont tant surpris. Ils ne nous paraissent pas aussi incompréhensibles qu'on Ta dit. Dans tous les cas, en les comprenant mieux, on voit qu'il y a des distinctions à faire et que tous les kleptomanes ne doivent pas être traités d'égale façon par les tribunaux.
Il nous reste à dire quelques mots de prophylaxie, c'est-à-dire de nous expliquer sur les mesures à appliquer aux grands magasins, véritables provocateurs de ces vols spéciaux.
Ces grands magasins sont toujours «le Bonheur des dames» et constituent un réel danger pour les personnes faibles ou
maladives. Beaucoup de femmes qui n'ont jamais rien pris et qui ne voleraient pas ailleurs, se trouvent là ensorcelées, saisies et excitées à prendre. C'est une tentation véritablement diabolique. Au milieu d'une foule bruyante, dans cette atmosphère odorante et surchauffée, la femme aux vêtements amples parvient facilement à dissimuler l'objet dérobé. Il est évident qu'à certaines heures, il y a trop peu d'employés pour servir une clientèle exagérée qui attend son tour, en touchant et en prenant en main les objets étalés et dont le nombre et la variété papillotent. On devrait exiger un service d'inspecteurs surveillants qui au lieu d'être cachés, anonymes comme des agents de la sûreté, devraient avoir un uniforme bien évident. Si l'on pouvait placer un gendarme à chaque comptoir, il n'y aurait plus de vol. La crainte et la vue du tricorne sontle commencement de la prudence et de l'honnêteté. Il est certain que la plupart des femmes volent parce qu'elles se croient assurées de l'impunité.
La surveillance actuelle a plutôt pour but de surprendre les voleuses que de prévenir les vols. Quand un inspecteur voit une femme sortir sans payer, il devrait la rappeler à l'ordre et lui montrer le chemin de la caisse au lieu de la conduire au commissariat de police. Beaucoup de femmes seraient fort heureuses d'en être quittes avec cette sévère leçon et hésiteraient à recommencer.
S'il y avait récidive on prendrait un autre parti. C'-est alors que le commissaire de police devrait pouvoir terminer la plupart de ces affaires et rester juge de l'opportunité d'une poursuite judiciaire. Les femmes qui ne sont vraiment pas réfrac-taires à toute honnêteté et peuvent être relevées se trouveraient suffisamment punies par cette comparution devant ce magistrat. On pourrait d'ailleurs à quelques-unes interdire l'accès de ces magasins. Ce serait la tâche des inspecteurs qui feraient plus utile besogne en prévenant les vols que de les laisser se commettre sous leurs yeux.
Il faudrait enfin conseiller à certaines femmes de ne jamais aller dans ces endroits dangereux. Des mesures de police devraient empêcher l'entrée des grands magasins aux enfants des deux sexes au-dessous de dix-huit ans, non accompagnés.
Les grands magasins réalisent de beaux bénéfices. Les affaires, c'est l'argent des autres, a-t-on dit. Il ne faudrait pas cependant que la prospérité de ces colossales entreprises se fit en même temps aux dépens de la moralité du public.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 avril 1896. — Présidence de M. Dumoxtpallieii.
La séance est ouverte à 4 h. 35.
M. Valentin, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la précédente séance. II est adopté.
M. le Dr l'\ Regnault expose, en quelques pages très documentées, une nouvelle classification des perversions du sens génital fondée sur l'élude critique de leurs facteurs physiologiques et psychologiques. L'hérédité lui semble jouer un rôle beaucoup moins important que ne le croit l'Ecole allemande contemporaine : c'est à l'influence du milieu, et surtout à l'exemple, qu'il accorde la plus grande part dans l'étiologie des aberrations sexuelles (sera publié).
M. le Dr P. Valentin présente la thèse inaugurale de M le Dr 1*. Hartenberg, de Nancy, ayant pour titre : a De l'élément psychique dans les maladies. »
M. le président met aux voix la candidature de M. le Dr Henry Aimé, de Nancy. Cette candidature est adoptée à l'unanimité. ' La'séance est levée à 5 h. 50.
De l'interprétation de certains phénomènes psychiques par les états médianiques de l'hypnose.
Par le D' P. Joibe, de Lille.
' Certains phénomènes étranges, qui se produisent de temps en temps, ont, par leur apparence mystérieuse, le pouvoir de frapper vivement l'imagination des foules. Le milieu dans lequel ils se produisent et la manière dont ils sont présentés contribuent aussi souvent, pour une bonne part, à accroître leur importance et à les transformer dune façon singulière. Les journaux s'emparent avec une grande avidité de ces faits sensationnels et les racontent avec un luxe de détails, plus où-moins authentiques, mais toujours disposés avec art, pour ajouter encore à l'effet que l'on veut produire.
Parmi les personnes qui approchent de plus près le théâtre, de ces faits, ou qui y ont pris une part plus ou moins active, il s'en trouve toujours un certain nombre qui ajoutent très volontiers à la mise en scène, soit dans un but d'intérêt bien déterminé, soit entraînés malgré eux à côte de la vérité parles mirages produits par leur imagination. Les faits, en eux-mêmes, sont quelquefois très simples, soit qu'ils rentrent dans la catégorie de ceux que nous observons spontanément chez les malades, soit dans l'ordre des phénomènes hypnotiques provoqués. Ce sont, par
exemple, quelquefois des phénomènes de léthargie, de catalepsie ; d'autres fois, des hallucinations, qui peuvent déjà devenir plus compliquées par le fait d'hallucinations collectives ou répétées. Mais déjà ces faits n'étonnent plus qu'un petit nombre de personnes, qui ignorent absolument les découvertes scientifiques modernes ; ce ne sont pas ceux dont nous voulons parler. Il y a parfois des phénomènes plus étranges encore, d'une explication et d'un contrôle plus difficile, où, par conséquent, l'exagération et la supercherie ont beau jeu. Soit qu'il s'agisse de phénomènes visuels, qui ne rentrent pas dans l'ordre des hallucinations dont nous avons parlé plus haut, soit de phénomènes, en apparence purement psychiques, comme la connaissance d'un événement qui se passe au loin ou même qui n'est pas encore accompli, la vue et la description d'objets situés à distance, ou la connaissance de la pensée d'une autre personne.
On comprend la méfiance avec laquelle les esprits sérieux accueillent ces récits étranges, et les réserves qu'ils font, avec juste raison, en voyant ces faits exploités et dénaturés par un certain nombrt- de personnages, pour des motifs plus ou moins avouables. II faut encore ajouter à cela que, lorsqu'un homme intelligent et de bonne foi veut aller au fond des choses, et se livre à une enquête sérieuse et menée sans parti pris, bien souvent il arrive tout simplement à découvrir de la supercherie; tout le merveilleux s'évanouit et il ne reste qu'un fait très simple en lui-même. Il arrive même quelquefois que, quand on cherche des preuves authentiques du fait, il se trouve réduit à néant et n'avoir jamais existé que dans l'imagination de quelque farceur ou d'un reporter à court de nouvelles.
Il résulte de tout ceci que de pareils faits en arrivent à ne plus intéresser, d'une part que les naïfs qui aiment le merveilleux et les croient tels, d'autre part le petit nombre do ceux qui en profitent pour les exploiter. Quant aux savants ou simplement aux esprits sérieux, fatigués de se trouver à chaque instant devant des faits mal observés, d'une authenticité très contestable, ils les repoussent avec dédain et icfusent même de s'en occuper. D'autres, après les avoir entendus raconter, arrivent à nier en bloc tous ces faits, à dire qu'il n'y a rien de vrai, puisqu'on ne peut les expliquer d'après les théories de la science officielle et qu'on ne peut, en suivant les voies habituelles des sciences connues, en obtenir une démonstration tant soit peu satisfaisante.
Cette négation de parti pris n'est pas du tout scientifique. Il y a des faits bien avérés, absolument authentiques et que pourtant nous ne comprenons pas, que nous ne savons pas expliquer dans l'état actuel de nos connaissances. Est-ce une raison pour les nier? L'expérience nous montre que nous expliquerons demain ce qui est encore aujourd'hui un mystère. II y a vingt-cinq ans, la science ne connaissait rien de l'hypnotisme et se refusait obstinément à l'étudier. Beaucoup niaient en bloc tous ces phénomènes étranges dont le public parlait tout bas ; et quand
parfois un fait était entouré de témoignages irrécusables, on le rejetait sur le compte de la supercherie.
On ne doit scientifiquement déclarer impossible que ce qui est absurde, c'est-à-dire,ce qui est contraire à une vérité mathématique ou géométrique, les seules qui soient immuables. L'opposition même à une loi physique, ne suffit pas pour permettre de nier un fait. Les lois physiques, en effet, peuvent être momentanément suspendues ou avoir leur effet détruit par une autre loi, soit que nous connaissions, soit que nous ne connaissions pas cette dernièro loi. Dans le premier cas, nous pouvons, jusqu'à un certain point, expliquer le fait, c'est-à-dire le rattacher à une loi et prévoir les circonstances dans lesquelles il se reproduira. Dans le second cas, nous observons le phénomène et ses différentes circonstances, sans quelquefois pouvoir en apprécier l'importance, en tous cas sans l'expliquer.
Quoi qu'il en soit, les phénomènes qui se présentent en opposition apparente avec une loi physique ne détruisent pas pour cela la loi en elle-même. Il faut reconnaître seulement que le fait dont il s'agit ne rentre pas dans le domaine de cette loi,mais qu'il est régi par une autre loi d'une puissance supérieure, les deux lois restent vraies dans leur ensemble et dans les conditions normales de leur application.
Prenons un exemple : la loi de la pesanteur,en vertu de laquelle tous les corps, abandonnés à eux-mêmes, tombent, c'est-à-dire se dirigent vers le centre de la terre, est indiscutable. Et pourtant, nous voyons tous les jours un aérostat, abandonné à lui-même, s'élever dans les airs, c'est-à-dire s'éloigner directement du centre de la terre : n'y a-t-il pas là une opposition apparente ? C'est que l'aérostat est soumis à une double loi ; la loi de la pesanteur d'abord, qui tendrait à le faire tomber sur le sol ; mais aussi la loi d'Archimède qui, lui faisant perdre de son poids un poids égal à celui du volume d'air qu'il déplace, le fait s'élancer vers les couches supérieures de l'atmosphère. Deux forces se trouvant en opposition, la plus considérable domine l'autre.
La même loi de la pesanteur veut qu'un morceau de fer tombe à la surface du sol ;si pourtant vous le disposez convenablement au-dessous d'un aimant, vous pourrez le maintenir en l'air. La loi de la pesanteur sera-t-elle détruite pour cela ; ou bien serez vous autorisé à nier la réalité du phénomène ? Evidemment non.
Ce que nous venons de dire des lois physiques est également vrai des lois physiologiques ; il ne faut donc nier que ce qui est absurde.
Ce n'est pas une raison pour accepter trop facilement comme réels les phénomènes qui sortent des lois connues, mais il faut s'entourer d'une grande circonspection et exiger des preuves indiscutables d'authenticité de ces faits. Quand les faits sont bien reconnus, il faut les classer par analogie et les grouper en aussi grand nombre que possible ; puis il s'agit d'examiner si Ton ne peut les rapprocher d'autres faits analogues et mieux étudiés.
Le contrôle pour les phénomènes psychiques est excessivement dif-
Tîcile, mais il n'est pas impossible. Un certain nombre d'esprits sérieux et même de savants de premier ordre se sont déjà attachés à les réunir et à les étudier.
C'est d'abord en Angleterre que l'on commença à s'occuper de l'étude de ces phénomènes dits psychiques. Dès 1867, la Société Dialectique de Londres nomma, pour les étudier et les expérimenter, une commission de trente-trois membres. Plus tard, de 1871 à 1874, le célèbre professeur William Crookes en fit un certain nombre d'expériences de laboratoirei qu'il soumit à un contrôle scientifique rigoureux au moyen d'appareils enregistreurs.
Il y a une quinzaine d'années, se fonda aussi à Londres la Society for Psychical Research (Société des recherches psychiques), dans laquelle on trouve les personnalités scientifiques les plus considérables.
Enfin, il y a cinq ans, en France, le Dr Dariex fondait les annales des sciences psychiques, destinées à recueillir les observations et les expériences capables de présenter des garanties d'authenticité sérieuses et scientifiques.
Si nous avons signalé ces différentes manifestations scientifiques, c'est uniquement pour rappeler que les phénomènes dont nous parlons n'ont pas été complètement dédaignés par les esprits sérieux, et uniquement abandonnés à l'imagination populaire.
Nous ne voulons du reste ici relever qu'un certain ordre de phénomènes, ce sont ceux qui se rapportent à la transmission de la pensée, et nous pourrons facilement démontrer qu'on doit y rattacher la prévision de certains événements ou la découverte d'objets éloignés. Ces manifestations s'accompagnent presque toujours, ou plutôt sont entremêlées de phénomènes hypnotiques variés, soit de catalepsie, de somnambulisme, ou d'hallucinations ; mais dans tous les cas elles ont lieu dans un des états médianiques que nous avons fait connaître il y a un an.
Et d'abord, pour qu'il n'y ait aucune discussion sur des faits qui peuvent encore passionner, nous ne parlerons pas de ceux qui se sont passés depuis un an et qui ont fait le tour de la presse française ; chacun pourra appliquer aux uns ce qui sera démontré pour les autres.
Tout d'abord, nous nous demanderons si, parmi les cas de connaissance d'événements qui se passent à distance ou qui n'ont pas encore eu lieu, ou bien de vision et de description d'objets éloignés, il y a des faits suffisamment authentiques pour entraîner notre conviction scientifique.
Pour répondre à cette question, nous trouvons d'abord des documents très importants dans les travaux de la société anglaise for Psychical Research. Le journal publié par cette Société est un recueil remarquable, aussi bien par l'énorme quantité de faits curieux qui y sont signalés, que par la précision minutieuse avec laquelle ils sont décrits et analysés, les plus petits détails étant corroborés autant que possible par des témoignages irréprochables.
Outre les faits puisés à cette source, nous en avons d'autres, entourés des témoignages les plus sérieux ; soit que des témoins nombreux et
dignes de foi aient été présents au moment où le phénomène s'est manifesté, soit que le phénomène ait été consigné dans un écrit qui reçoit un caractère d'authenticité indiscutable par son dépôt entre les mains d'une personne indépendante ou par la date des cachets de la poste.
Dans tous ces faits que nous étudions, les circonstances peuvent varier à l'infini, se compliquer d'une foule de petits détails, souvent absolument indépendants du phénomène, mais qui frappent l'imagination du public. Quant au fond, le schéma reste toujours le même et peut se décomposer ainsi : Deux sujets concourent à l'accomplissement du phénomène, l'un que nous appellerons le sujet actif, l'autre le sujet passif. Je me hâte de dire que si ces deux sujets peuvent se trouver réunis ou à une très petite distance l'un de l'autre, en présence des mômes témoins, ils peuvent aussi se trouver considérablement éloignés l'un de l'autre, sans que l'on puisse connaître de limites à la distance qui les sépare.
Les faits maintenant peuvent se présenter de différentes façon : A- Dans un certain ordre de cas, les deux sujets étant éloignés l'un de l'autre, et de façon que l'un d'eux ne peut par aucun moyen matériel de communication être averti de ce qui se passe auprès de l'autre ; le sujet actif éprouve un phénomène ouest soumis à une influence qui lui fait ressentir une impression violente. Quelquefois c'est un accident, une blessure, quelquefois c'est une crise 'morbide, dans certains cas l'impression est volontaire. Le sujet passif éprouve au même moment un phénomène qui peut être analogue à celui qui est ressenti par le sujet actif, ou, quoique différent, lui laisse une impression profonde qui l'avertit de ce qui s'est passé pour l'autre sujet ; souvent c'est une hallucination dans laquelle le sujet passif voit !c sujet actif, quelquefois avec des détails très nets sur ce qu'il a éprouvé.
B. Dans un second ordre de faits, les deux sujets sont en présence ou à proximité l'un de l'autre. Le sujet passif décrit des objets ou des faits qui ne sont connus que du sujet actif. Les cas de cet ordre se subdivisent en deux catégories ; 1° Le sujet actif a conscience de connaître les faits ou les objets racontés ou décrits par le sujet passif ; 2° le sujet actif connaît les faits ou les objets en question, parce qu'il les a appris ou les a vus d'une façon quelconque plus ou moins fugitive, a une époque qui peut être très éloignée ; mais il n'a plus actuellement conscience de les connaître.
C. Dans un troisième ordre de cas, le sujet passif annonce à l'avance un fait qui sera accompli par le sujet actif, ou du moins dans lequel celui-ci aura une part importante. Dans cet ordre, les deux sujets peuvent se trouver à une grande distance l'un de l'autre ; mais en tous cas l'acte annoncé a déjà reçu un commencement d'exécution, ou bien quelque action préalable se rapportant à l'acte principal a été accomplie, ou tout au moins le projet de cet acte se trouve dans la pensée du sujet actif.
Je tiens ici à bien faire remarquer que je ne veux en aucune façon émet-
tre une théorie sur la cause qui provoque ces phénomènes et la manière dont ils se produisent; je veux seulement les rapprocher de ce que j'ai dit l'année dernière des états médianîques de l'hypnose, et vous montrer qu'on peut très bien les expliquer par la coexistence, chez deux sujets différents, de l'état médianique actif et de l'état médianique passif.
Je vais pour cela vous rappeler quelques-uns des caractères spéciaux des nouveaux états hypnotiques que j'ai décrits il y a un an, et auxquels j'ai donné les noms d'état médianique actif et d'état médianique passif.
Dans l'état médianique passif, le sujet est apte à recevoir des impulsions d'un caractère tout spécial, qu'il perçoit de la façon la plus nette et qui peuvent lui cire données à distance.
J'ai aussi démontré que dans l'état de médianisme passif on observe la transmission de la pensée et la suggestion mentale.
L'état de médianisme actif se caractérise en ce que :
1° Sur les êtres animés, le sujet peut faire sentir son impulsion, ou, si l'on veut, l'impression du fluide qu'il émet, sous forme de mouvements d'attraction ou de répulsion, ou encore de sensation de contact à distance.
2' Sur les objets inanimés qui l'entourent, le sujet peut faire manifester l'influence de ses impulsions, à distance plus ou moins considérable, sous forme de mouvements d'attraction ou de répulsion, ou encore de soulèvement des objets.
3° Le sujet peut encore agir sur les personnes qui l'entourent et qui sont en contact avec lui, en provoquant chez celles-ci des suggestions mentales, qui peuvent, dans certains cas, provoquer de véritables hallucinations. La cause de ces hallucinations étant unique et s'exer-çant sur plusieurs personnes, les hallucinations sont souvent collectives et plus ou moins intenses, suivant la disposition particulière des personnes qui en sont l'objet.
Les faits de la première catégorie que nous avons décrits tout à l'heure ne sont autre chose en réalité que de véritables hallucinations. Deux sujets concourent à ce phénomène; l'un, que nous avons appelé sujet actif, est sous le coup d'une impression vive, de quelque nature que ce soit; il n'en faut pas plus pour le placer en état de médianisme actif; l'autre sujet perçoit l'hallucination, et le rapprochement des faits démontre une relation entre le phénomène éprouvé par le sujet actif et l'hallucination observée par le sujet passif. II y a bien là une analogie frappante avec ce qui se passe dans les états médianiques, où nous avons vu un des sujets capable de provoquer une hallucination, et l'autre apte à la recevoir. Mais je dirai plus, l'examen des observations les plus authentiques semble encore donner raison à notre pensée que le sujet qui reçoit l'hallucination est en état médianique passif. En effet, dans la plupart des observations, ces hallucinations arrivent, pendant la nuit, ou dans un état de demi-sommeil du sujet; dans quelques cas, le sujet est en état de veille, mais il est formellement mentionné qu'au moment où il a perçu l'hallucination, il se trouvait devant une glace ou
devant un objet brillant (à table ou devant une lampe), quelquefois plongé dans une méditation profonde. Nous avons déjà démontré que certains sujets passent avec la plus grande facilité du sommeil normal aux différentes phases du sommeil hypnotique, et pour les états média-niques en particulier, nous savons combien ils sont facilement provoqués par la fixation du regard sur un objet brillant ou une tension constante de l'esprit.
Les faits de la deuxième catégorie sont encore plus faciles à expliquer par les états médianiques, car ils se rapportent uniquement à des phénomènes de transmission de la pensée qui sont très fréquents, ainsi que nous l'avons vu, dans les états médianiques.
Quant à la seconde subdivision des phénomènes de cet ordre, qui se complique de cette circonstance que le sujet n'a pas conscience des faits qui sont gravés dans sa mémoire, ils ne doivent pas non plus nous arrêter longtemps. Dans une étude que nous avons faite ailleurs de là mémoire, nous avons vu autrefois que nous possédons dans la mémoire une foule de choses dont nous n'avons pas conscience ; ces images latentes, mais pourtant d'une exactitude parfaite, peuvent se réveiller sous des influences diverses et donner lieu à des actes sans môme que nous ayons conscience du réveil de la mémoire.
Les faits de la troisième catégorie ne sont encore que des phénomènes de transmission de la pensée. Quant à la prédiction des actes qui vont s'accomplir, il ne faut y voir que la simple déduction logique des faits déjà accomplis et qui servent de préparation à cet acte. La connaissance actuelle, par le fait de la transmission de la pensée des actes préparatoire déjà accomplis, suffit pour autoriser cette déduction. J'ajouterai, de plus, que dans tous les états hypnotiques et surtout les états média-ni[ues, l'isolement dans lequel se trouve le sujet de toute influence extérieure autre que celle à laquelle il est soumis, la concentration de l'idée vers un point unique donne au sujet un raisonnement beaucoup plus sur, une logique plus irréprochable qui fait que ses prévisions sont presque toujours confirmées par les événements. - J'ai dit que tous les faits ainsi prédits à l'avance ont déjà reçu un commencement d'exécution au moment où ils sont annoncés par le sujet en état médianique. En effet, de toutes les observations de phénomènes de ce genre reconnues comme authentiques, aucune ne s'écarte de cette règle; de sorte que l'on est fondé à affirmer que, si l'on veut chercher sérieusement, on retrouvera toujours cetle condition dans tous les cas du même genre.
. A plus forte raison, je n'ai pas besoin d'insister pour démontrer que si un acte est projeté dans l'esprit du sujet en état de médianisme passiF, il s'agit là d'une simple transmission de la pensée.
Je rappellerai enfin que les sujets peuvent passer de l'état normal à l'état médianique actif ou passif et revenir ensuite à l'état normal sans en avoir conscience, et sans même que les personnes de leur entourage
qui n'en recherchent pas les signes caractéristiques et qui n'y sont pas exercés puissent s'en apercevoir.
Enfin, la superposition de l'état médianique actif et de l'état média-nique passif, qui s'observe quand le sujet en état de médianisme actif influence un sujet en état de médianisme passif, multiplie pour ainsi dire à l'infini l'intensité des phénomènes que Ton peut observer et ne permet pas d'en prévoir les limites.
Séance du 19 mai 1896. — Présidence de M. A.Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
M, Valentin, secrétaire, donne lecture du procès verbal de la précédente séance. 11 est adopté.
La correspondance imprimée comprend le tome II de YAnnèe Psycho logique, offert par M. Albert Colas à la bibliothèque de la Société.
La correspondance écrite comprend :
1° Une lettre d'excuses de M. Boirac, vice-président, qui ne peut assister à la séance.
2* Une communication de M. le P' J. Delbœuf, de Liège, intitulée: « Suggestion de résistance au sommeil chez un sujet trop hypnotisable. o
3° Une communication de M. le Dr David, de Narbonne, ayant pour titre : « Contracture spasmodique du psoas iliaque gauche datant de quatre ans et guérie par une seule séance de suggestion, b
La séance est levée à 5 h. 50.
Cri hystérique datant de trois mois guéri en une seule séance par
la suggestion.
Par M. le D' BÈniLLox.
M"0 X., âgée de 20 ans, fut atteinte le 22 décembre 1895 d'une laryngite aiguë. Cette laryngite provoqua l'apparition d'une toux à caractère spasmodique ne cessant ni jour ni nuit. La laryngite cause de ce symptôme paraissait avoir pour point de départ une attaque de grippe.
Au bout de deux jours la toux se transforma en un double cri spasmodique réapparaissant d'une façon rhytmique, régulière, toutes les trois secondes. Il y en avait donc à peu près exactement vingt par minute. Co double cri, d'un timbre élevé, très intense et qui pouvait être entendu à plus de cent mètres de distance, coïncidait avec le début d'une inspiration pulmonaire. Chaque cri était accompagné de plusieurs mouvements qui s'accomplissaient avec ensemble. Simultanément la bouche s'ouvre, la langue s'allonge, les épaules se soulèvent, le diaphragme se contracte et l'apparence de l'ensemble des mouvements
donne l'idée d'un appel d'air et d'une forte inspiration à laquelle prennent part tous les muscles du thorax et des épaules.
Ce cri durait toute la journée, n'étant interrompu chaque nuit par le sommeil que pendant deux heures environ. La malade impressionnée par la maladie avait complètement perdu l'appétit et ne prenait qu'un œuf chaque jour.
Le traitement fut commencé le 14 mars ; dès la première séance, après trois quarts d'heure d'efforts, elle fut plongée dans un sommeil très profond, avec ancsthésie complète et oubli au réveil ; le cri fut interrompu par le sommeil ; elle reçut la suggestion qu'après son réveil, elle respirait normalement sans pousser un seul cri. Le cri n'a pas reparu ; bien plus, actuellement il est impossible de le faire réapparaître par suggestion. La guérison peut être considérée comme définitive, la malade ayant repris son appétit et sa gaieté.
Lypêmanie héréditaire. Idées et tentatives de suicide. Hallucinations de l'ouïe. Céphalée. Hémianesthésie sensitivo-senso-rielle. Hystérie. Troubles vaso-moteurs. — Influence curative de la suggestion hypnotique.
Observation recueillie par M. Berxiieim, interne du service de M.le D'Auguste Voisin, hospice de la Salpetrièrc.
La nemmée G...., âgée de 17 ans, est entrée dans le service de M. A-Voisin, à la Salpêtrière, le 16 novembre 1805, dans un état de lypêmanie avec idées de suicide et céphalée.
Antécédents héréditaires : Père rhumatisant, mort d'une affection cardiaque; mère morte tuberculeuse ; grand'mèrc paternelle avait des idées de persécution, morte aliénée à St-Dizîer. Un oncle paternel très exalté. Un cousin germain (côté paternel) s'est noyé. Un autre menace constamment de se tuer.
Antécédents personnels : Fièvre typhoïde à 6 ans. Erysipèle périodique à 15 ans. Phlegmon cervical à 16 ans. Rhumatisme polyarticu-lairc à 17 ans; elle souffre de la tête depuis ce moment.
La malade mangeait des cendres étant jeune.
Elle prend parfois des poses théâtrales.
On l'avait mise en pension chez les Sœurs de Picpus, mais on a dû la renvoyer, car elle mentait continuellement. Une des enfants était morte depuis cinq ans, elle disait qu'elle venait de mourir, qu'on allait faire une fête et manger des gâteaux pour l'enterrer.
D'après une lettre de la supérieure, elle aurait dit à ses compagnes : « Ma tante a dit que quand j'aurais lo ans, elle m'emmènerait à Paris et me marierait. »
D'après salante, elle avait dès l'enfance des habitudes d'onanisme.
Nous apprenons aussi que le père était très menteur; qu'étant malade à l'Hôtel-Dieu, il disait avoir travaillé à la Tour Eiffel dans des termes tels qu'on pouvait supposer que c'était lui qui l'avait inventée.
La malade n'a pas de suite dans les idées lorsqu'elle veut faire un ouvrage.
Elle a eu, quinze jours avant son entrée à la Salpétrière, une attaque de nerfs dont nous n'avons pas eu les détails.
A son entrée, nous constatons qu'elle est tranquille ; le visage es pâle, les joues couperosées.
Le front est haut, bien fait.
Les pupilles égales, moyennes.
La narine gauche est plus étroite que la droite et la pointe du nez est légèrement portée à droite.
La voûte palatine est normale. Sur les incisives supérieures, on note des dépressions suivant une ligne horizontale.
Les oreilles sont bien faites.
Pas de pléiade ganglionnaire cervicale.
Corps thyroïde légèrement hypertrophié.
Rien au cœur.
Douleur sus et sous-mammaire gauche.
La sensibilité de tout le côté gauche du corps et de la moitié droite du cou est abolie dans ses divers modes.
La malade ne peut fixer un crayon sans que sa vue devienne trouble.
Rétrécissement du champs visuel, pour l'œil gauche dans le segment inférieur et externe ; pour l'œil droit dans le segment inférieur.
Pas de diplopie.
Vision des couleurs normale à droite ; à gauche dyschromatopsie. La malade prend le jaune pour le bleu ; le jaune pour le rouge ; le violet pour le noir ; le vert pour le bleu ; le rouge pour le noir.
L'œil gauche est légèrement astigmate.
Elle dit qu'elle entend des voix qui la grondent parce qu'elle ne travaille pas et n'obéit pas.
Elle dit aussi qu'on n'a pas pu la garder dans sa pension parce qu'elle avait des attaques : elle en a eu trois. A la suite de ces attaques, elle resle anéantie et ne peut rien faire. Les attaques débutent par un mal de cœur, des étoufîements. Elle ne se débat pas.
A la pension, elle est tombée de son lit la nuit.
Traitement. — Contre la douleur frontale, disque en pointes de l'appareil à électricité statique.
2 décembre. — Aucun résultat. Premier essai d'hypnose par fixation de la boule brillante, avec suggestion. Insuccès.
3 décembre. — Sommeil hypnotique obtenu, avec résolution musculaire. Anesthésie totale. Suggestion de ne plus avoir de douleur.
k décembre. — La douleur est moins vive. Nouvelle suggestion. La malade dormait mal parce qu'elle cessait d'entendre dès qu'elle entrait dans l'état hypnotique.
7 décembre- — Dès l'occlusion des paupières, on dit à la malade :. « Vous entendrez ce que je vous dirai pendant votre sommeil. » Sug-
gestion de ne plus avoir de douleur frontale et d'avoir la physionomie gaie.
9 décembre. — La malade n'a pas eu mal à la tète et a la physionomie souriante.
Il est à noter que, pendant son sommeil, les muscles sont un peu raides. On lui a suggéré de les avoir moins raides et ils sont devenus plus souples. Elle avait aussi des secousses dans les membres supérieurs.
10 décembre. — Elle a eu un peu de céphalée hier et a le front rouge ce matin (elle avait eu des contrariétés et avait pleuré). Hypnose contre sa douleur frontale et contre la rougeur.
18 décembre.— Le sommeil a été obtenu avec conservation de l'audition. Elle n'a plus eu de douleurs du front, mais elle a encore une douleur de la région occipitale et une sensibilité très vive du cuir chevelu dès qu'on la peigne.
Séances d'hypnose tous les deux jours.
3t décembre. — La malade n'a plus eu de douleur frontale ; sa physionomie devient gaie.
0 janvier 1896. — Se plaint du mal de tète. Hypnose. Suggestion de n'avoir plus de douleurs de tète et d'avoir le visage souriant, de ne plus avoir de rougeur de la face.
Le 8. — Le visage est souriant et'elle n'a pas eu de céphalée. Hypnose.
Le 23.— Plus de douleurs, ni de rougeur. L'hypnose n'est plus accompagnée de secousses dans les membres ; il n'y a plus que quelques contractions dans les muscles de la face pendant quelques secondes seulement. Pendant l'hypnose, l'ouie reste intacte et la raideur des membres ne se produit plus.
18 février. — Œdème au niveau du bord interne des deux omoplates, surtout du côté gauche ; elle a encore sur le front des phénomènes vaso-moteurs caractérisés par une teinte brunâtre de la partie médiane qui est légèrement œdématisée. Deux jours après, cette partie de peau a été le siège d'une desquamation qui s'est étendue au cuir chevelu.
25 mars.— Hémianesthésie des téguments et des muqueuses à gauche. Régions sous-mammaires et ovariennes douloureuses à la pression.L'œil gauche ne voit que dans la portion la plus interne du champ visuel.
Vision de l'œil gauche trouble pour les objets rapprochés.
Acuité auditive très diminuée à gauche.
Sensibilités olfactive et gustatïve abolies à gauche.
Réflexe pharyngien diminué.
Les règles sont en retard.
Hier, la malade entendait des voix qui lui disaient de se couper le cou et les cheveux ; elle était concentrée en elle-même, ne répondait pas aux questions qu'on lui adressait.
- 19 mai. — On suggestionne à la malade de ne plus avoir d'hallucination de Touie, le retour des sensibilités sensorielles, et dès son réveil,
après une seule séance d'hypnose, la malade a recouvre absolument ses diff ér ents ens.
9 juin. — Hypnose, pendant laquelle on suggère à la malade le retour de la sensibilité générale dans tout le côté gauche et dans la moitié droite du cou. Au réveil. la malade a retrouvé toute sa sensibilité. Elle a ses règles depuis ce matin. Elle est dans un état de prostration intense : pas d'appétit; envies de vomir.
Hypnose avec suggestion de ne plus avoir de malaise général et d'avoir la physionomie souriante.
10 juin. — Tout malaise a disparu; la malade a le sourire sur les lèvres, elle travaille et elle mange bien.
15 juillet 1896. — La guérison s'est maintenue sans nouvelles suggestions.
En résumé, cotte jeune fille, atteinte depuis plusieurs mois de lypé-manie avec idées de suicide liée à une céphalée très forte et d'hémia-nesthesie sensitivo-sensorielle, a guéri par des suggestions hypnotiques.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallicr, membre de l'Académie de médecine.
La reprise des travaux de la Société aura lieu le lundi 19 Octobre, à 4 heures et demie.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Anesthésie cutanée chez les Mauresques.
M. Rey a fait connaître à la Société des Sciences médicales de Lyon (juin 1896) une curieuse variété de brûlures que se font les prostituées mauresque sur les membres supérieurs avec des cigarettes allumées appliquées, coup sur coup, pendant un quart d'heure ou une demi-heure. Ces brûlures sont situées de préférence à la partie antérieure de l'avant-bras : elles sont larges, profondes, circulaires, nombreuses ; quelquefois on en compte jusqu'à vingt faites successivement. Leur profondeur est considérable ; le tissu sous-cutané est lésé, et il se forme des ulcérations saignantes, arrondies en cupules, à bords verticaux, comme ont peut le voir sur les tableaux qu'il a joints à son travail.
La guérison s'effectue en deux ou trois septénaires, laissant des cicatrices indélébiles comparables à des cicatrices de chancres mous. Ce
qui est à noter, c'est l'indifférence absolue que témoignent les indigènes pour les douleurs provoquées par les brûlures.
Pour quel molif ces femmes se font-elles souffrir ainsi ? C'est généralement en élat d'ivresse, à la suite d'un chagrin quelconque, d'une foute, ou même d'une simple discussion. M. Rey rapporte pour confirmer ces faits dix observations.
M. Stourme a recueilli depuis un cas analogue. Ces brûlures sont souvent l'origine d'infections diverses, en particulier de chancres mous.
Congrès de Moscou
Voici les questions proposées par les alienistes et neuropathologistes de Moscou, pour être étudiées au XIIr Congrès de Moscou. Maladies mentales :
1° Palhogénie des hallucinations et pseudo- hallucinations :
2° Symptômes du passage des maladies mentales du stade où elles sont guérissables au stade inguérissable, en rapport avec la question des guérisons tardives et de la démence précoce ;
3°Les auto-intoxications dans les maladies mentales ;
4° Délimitation de la paralysie générale progressive d'avec les formes voisines des troubles mentaux ;
5° Transformation des asiles d'aliénés, en rapport avec la question du traitement parle repos au lit et l'installation des salles de surveillance; influence du travail et du repos dans le traitement des maladies mentales ;
G0 L'hypnotisme et la suggestion dans les maladies mentales et en médecine légale. Maladies nerveuses : 1° Pathologie de la cellule nerveuse ; 2° Pathogénie de la syringomyélie ; 3° Chirurgie du système nerveux central ; 4°Paralysies spasmodiques de l'enfance; 5° Traitement de la maladie de Graves ; G' Pathogénic du tabès dorsalis.
Ce programme n'est pas encore définitif, car il sera ainsi présenté aux savants étrangers et russes qui auront à choisir, parmi ces questions, 6 des plus intéressantes (3 pour les maladies mentales et 3 pour les maladies nerveuses) ; on pourra également en proposer d'autres si l'on en trouve de plus intéressantes.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypno-
tismc, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Df Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.
Pendant le semestre d'hiver 1896-1897, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les DM Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulier.Valentin, Henri Lcmesle, etc., sur les diverses branches do la psychologie physiologique et pathologique. M. le Df Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Les vols dans les grands magasins.— Après la lecture du rapport de M. le professeur Laccassagne que nous publions plus haut sur les vols à Vétalage et dans les grands magasins, le Congrès a adopté le vœu suivant déposé par M. le Dr Bérillon :'
« Le Congrès d'anthropologie criminelle, considérant que le vol dans les « grands magasins et dans les grands bazars, est un délit nouveau d'un «' caractère particulier, sui generis, résultant d'un ensemble de circonstances «. artificiellement constituées, parmi lesquelles on peut citer 'es moyens mis « en œuvre pour provoquer la tentation du public, la facilité qui lui est « donnée de tenir longtemps en mains les objets mis en vente et surtout
« l'absence d'une protection et d'une surveillance efficaces, émet le vœusui-
« vant : « Les grands magasins et les maisons de commerce dans lesquels le-« public est admis à une libre circulation devront être l'objet d'une régle-« mentation spéciale de police, tendant à diminuer la possibilité des délits a de vols. »
U Administrateur-Gérant.- Emile BOURIOT 0 170, rue Saint-Antoine.
Paris, lin p. A. Qoblouejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11° ANNÉE. — ? A.
Octobre 1896.
THÉRAPEUTIQE PSYCHIQUE
M. le Dr Fiessinger, d'Oyonnax, à propos de la thérapeutique psychique, vient de publier, dans la Médecine Moderne, un article dans lequel il ne craint pas de rééditer une foule de lieux communs, tellement usés à force d'avoir servi, qu'ils devraient être, depuis longtemps, retirés de la circulation.
Nous savions, en effet, que les guérisons de la grotte de Lourdes sont dues, lorsqu'elles se produisent, à l'influence d'une imagination exaltée; à ce sujet, M. le Dr Fiessinger ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà.
II y aurait quelque cruauté à lui reprocher de se complaire dans la répétition de vérités élémentaires, de truismes, pour nous servir de l'appréciation consacrée, si, dans ses variations sur les guérisons par action psychique, ne se glissaient, à Tégard de la suggestion hypnotique, des appréciations qui témoignent d'une réelle incompétence en la matière. Nous savons bien qu'on ne peut demander à un membre correspondant de l'Académie de médecine de retourner sur les bancs de l'école, ou mieux de suivre les leçons des médecins spécialistes qui s'adonnent couramment à l'étude de l'hypnotisme et à la pratique de la psychothérapie. Nous n'avons pas non plus la prétention de guérir les médecins affligés du travers de disser. ter, dans le silence du cabinet, sur toutes les questions dont d'autres ont fait l'objet d'études approfondies. Il faut porter là un pronostic d'incurabilité. Mais ce que nous avons le droit de demander à M. Fiessinger, c'est de se défier lui-mêmede cette insidieuse imagination dont il décrit si prolixement les effets. Jugez-en plutôt par l'extrait suivant que nous empruntons textuellement à son article si peu documenté :
« Dans l'action psychique du médecin sur le malade, nous
n'avons pas parlé de la mise en scène ; non pas qu'elle représente un facteur émotif négligeable; seulement elle comporte une dose de cabotinage qui répugne. « Oharcot ne pensait pas ainsi.
« Théâtral à la Salpêtrière, il Pétait encore chez lui. Les clients qui venaient le consulter n'étaient pas, à la sortie du salon d'attente, immédiatement introduits dans le cabinet. On ne pénètre pas avec cette facilité dans un sanctuaire. Il faut l'initiation préalable. Celle-ci s'opérait dans un petit réduit noir, meublé de bibelots élégants, éclairé faiblement.
« On passait là au moins un quart d'heure, 20 minutes, le temps de se faire à l'obscurité. Tout à coup une gerbe de lumière éclatait, une large porte venait de s'ouvrir; debml sur le seuil, baigne d'une nappe de clarté éblouissante, Chanel, le Dieu, vous attendait. »
Tous ceux (jui ont eu l'honneur d'être les élèves de Charcot penseront que la valeur de son enseignement et la hauteur de sa situation scientifique devraient suffire à mettre sa grande mémoire à l'abri de telles insinuations. Quand l'imagination excessive d'un médecin l'entrainc à de tels écarts de plume, on peut admettre que celle des malades suffise à produire des guérisons miraculeuses. E. B.
INFLUENCE DE LA PRESSE SUR LA CRIMINALITÉ (')
Quelle est ^influence de la presse sur la genèse de la criminalité?
Incidemment cette question a été posée aux précédents congrès d'Anthropologie criminelle, mais jamais encore elle n'avait été examinée à fond et discutée ; on n'en avait pas fait l'objet d'un rapport.
Pour l'avenir de cette question, il est heureux qu'elle se discute pour la première fois dans la libre Suisse, pays de toutes les libertés. Cette seule coïncidence serait un areument à opposer aux esprits timorés qui verraient dans nos conclusions un attentat à la liberté de la presse.
Nous nous proposons de faire voir dans ce rapport quelle est l'influence de la presse sur la criminalité. Pour être plus
(1) Rapport présenté au Congrès d'anthropologie criminelle de Genève.
bref, nous ne reproduirons pas ici les exemples déjà cités tant de fois par plusieurs auteurs et par nous-même. Nous nous contentons d'y renvoyer le lecteur1.
Nous n'aurons à faire ici aucune distinction fondamentale entre le criminel franchement aliéné et le criminel absolument sain d'esprit : que m'importe en effet d'être assassiné ou volé par un responsable ou un irresponsable. Dans les deux cas le dommage sera le même pour moi ou les miens.
Il ne s'agit pas en effet de punir, de réprimer, d'amender, il s'agit de prévenir, il s'agit d'établir la prophylaxie. Je dois toutefois reconnaître que l'influence de la presse sera bien plus manifeste chez des irresponsables ou des semi-responsables que chez des individus jouissant de leur pleine raison. Cependant— et c'est en quelque sorte une question de dose individuelle — s'il suffit d'un seul appel au crime pour le suggérer à certains aliénés, il faudra pour la personne saine une suggestion plus intense, plus continuelle, qui devra durer parfois des mois et des années avant de produire son effet.
Si la presse occasionne certains crimes, il ne faut pas en conclure qu'il n'y a pas de crime sans la presse : aucun journal ne peut être accusé d'avoir poussé Caïn à tuer Abel. Si je cite cet exemple au moins étrange, c'est qu'il m'a été objecté par un esprit sérieux. Non seulement la presse n'est pas le seul facteur du crime, mais même les crimes que l'on peut mettre à son seul actif ne sont pas très nombreux. Il n'en est plus ainsi si on ne la considère plus que comme facteur adjuvant. Je crois d'ailleurs qu'une cause unique, quelle qu'elle soit, mais absolument dégagée de toute autre, ne produira jamais un seul crime.
Dans la genèse d'un crime interviendront toujours des causes multiples, individuelles et sociales. Va-t-on tirer cette conclusion erronée que, la presse, seule, causant peu de crimes et n'intervenant le plus souvent que comme facteur adjuvant, il est inutile de s'occuper de cette étiologie et de chercher à la combattre? Ce serait à tous égards une grave faute, pour deux raisons : la première, c'est qu'on ne doit en prophylaxie rien négliger, et ce qui semble peu important au premier _ abord acquiert souvent à un examen plus approfondi une importance de premier ordre. Dans ce cas spécial n'arriverait-on chaque année qu'à sauver une ou deux vies humaines, que
(1)V. entre autres lesdifíérentsouvragesd'Esquirol, Morel.Prosper Lucas,Barbaste, Ladame, Lauvergne, Cazauviclb, Ghpolianski, Despine, Falret, Maudsloy, H. Joly, Proal, Moreau de Tours J-, Moreau de Tours P.¿ Legrand du Saullc, Aubry, etc.
le résultat serait loin d'être une quantité négligeable, d'autant plus que la vie de la victime a presque toujours une valeur sociale bien supérieure à celle de l'assassin.
La seconde raison est la suivante : il est bien plus facile de s'attaquer à cette cause et de réussir, qu'à toute autre, à l'alcool par exemple.
Je crois avoir démontré, après bien d'autres, dans mes écrits, que la presse a une influence effective directe sur la genèse du crime lorsqu'elle s'adresse aux prédisposés. Mais dans la prédisposition, comme en tout, il y a une infinité de degrés. Il y a, au sommet de l'échelle, le prédisposé qui doit fatalement sombrer, pour lequel il suffira d'une cause occasionnelle très légère. A l'autre extrémité il y a, au contraire, celui chez lequel la prédisposition est minime, infinitésimale en quelque sorte. Chez le premier le récit d'un crime lu dans un journal amènera la crise que tout autre incident eût fatalement amenée. Chez le second, au contraire, il ne suffira pas du récit d'un seul crime à sensation, il faudra une série de lectures, qui peu à peu augmenteront la prédisposition et l'amèneront en quelque sorte à maturité. J'irai même plus loin et je dirai que la lecture continue de certains auteurs, la lecture journalière des crimes peut à elle seule — avec le temps — préparer le terrain et amener la prédisposition.
Il est un autre côté de la question que je ne puis passer sous silence.. Voici un individu, prédisposé ou non, qui a été poussé à s'enrôler dans l'armée du crime par tel mobile que l'on voudra. Au point de vue de son perfectionnement dans le crime, la presse a pour lui la plus grande utilité. En général, le criminel est peu attentif, iladeuxou trois ruses, trois ou quatre procédés dont il ne s'écarte pas. Mais il ne demande pas mieux que d'augmenter ses connaissances, que d'acquérir de nouveaux trucs, que de profiter, pour son propre compte, de la maladresse ou de l'expérience des autres et pour amender sa manière et pour déjouer les recherches de la police.
Le journal est là qui répond à souhait à tous ces desiderata. Il peut même, le cas échéant, faire une éducation complète : apprendre tout à qui ne sait rien, vol ou meurtre, peu importe. Toutes les feuilles en effet racontent avec un luxe inouï de détails les différents procédés pour voler, pour tuer, — et cela avec le moins de risques possibles pour le malfaiteur. Si le procédé est inusité, nouveau, original, elles s'y appesantiront davantage. L'instruction des crimes y est Ion-
guement exposée ; les intéressés peuvent voir que le magistrat n'est arrivé à la vérité que grâce à telle maladresse, à tel oubli du criminel. Le journal indique à merveille aux habiles comment ils peuvent parvenir à marcher, sans chute, sur les marges du Code, comment on peut éviter ou contourner tel article dangereux.
Il est hors de tout conteste que les intéressés ne se font pas faute d'étudier les documents que le journalisme met à leur disposition chaque jour si libéralement et à si bon marché.
Bref, si on a appelé ajuste titre la prison l'école normale du crime, le journal n'en est-il pas l'école primaire ou plutôt l'école mutuelle?
Il est un autre point que je veux simplement signaler, mais sans m'y appesantir aucunement. Il s'agit des crimes anarchistes, des soulèvements populaires, dans lesquels une certaine presse a consciemment une part active et prédominante, car elle pousse directement au meurtre, à l'assassinat, à l'incendie, au vol. D'une façon générale on ne peut reconnaître à la presse dans la genèse du crime qu'un rôle accessoire, qu'un rôle secondaire, mais dans le crime, dit crime politique (qui n'est autre chose qu'un crime de droit commun) il n'en est pas ainsi, elle passe au premier plan et devient la principale coupable. Son rôle est trop évident : je m'en voudrais d'insister.
Comment peut-on expliquer qu'un individu, après avoir lu des récits de crimes détaillés, ait lui-même à son tour l'idée de commettre un crime? C'est là le point délicat de la discussion, etje suis aise ici de pouvoir marcher derrière des maîtres autorisés, qui, frappés de ces faits, ont cherché à en expliquer la genèse, la pathogénie en quelque sorte.
. Maudsley1 se contente de constater la transmission : « Il est hors de doute que l'acte de violence, quel qu'il soit, est souvent suggéré par les récits pathétiques d'actes semblables, lus dans les journaux. L'exemple est contagieux : l'idée s'empare de l'esprit faible ou abattu et devient une sorte de fatum contre lequel toute lutte est impossible. » « Le récit détaillé d'un crime, comme le fait observer un rédacteur anonyme de la Bévue scientifigue, produit chez les prédisposés un choc moral qui les fait tomber du côté où ils penchaient2. »
1 Le crime et la folie, p. 152.
2 Rev. scientifique, 1893, 2e sem„ p. 7Î9.
C'est la goutte qui fait déborder le vase, c'est le traumatisme qui réveille la diathèse. Féré1 définit excellement la prédisposition : « c'est la maladie qui sommeille. »
Legrand du Saulle expose ainsi la question : « C'est d'abord avec une répulsion profonde que l'homme accueille les relations de ces drames journaliers. Las de se révolter en pure perte, il proteste ensuite timidement, et comme rien n'est plus tyrannique que l'habitude, il arrive à une indifférence complote. Peu à peu ses yeux se reposent avec complaisance sur cette clinique de l'assassinat, et il va s'assimilant tacitement toutes les particularités insolites de l'acte commis. De là à la propagation sympathique, il n'y a qu'un pas. Plus un crime est entouré de mystères et de circonstances extraordinaires, plus il s'est accompagné de ruse, de raffinement ou de barbarie, plus les causes en ont été impénétrables, plus les récits de la presse en ont été rendus pittoresques et émouvants, et plus lo pouvoir exercé sur l'imagination humaine et sur l'influence imitatrice est fécond en dangereux enseignements. Un jour viendra peut-être où les passions, ensevelies dans les replis les plus cachés du cœur, demanderont impérieusement à être assouvies; les moyens d'exécution font-ils défaut? on interroge ses souvenirs, on recourt au texte, et, muni de ces instructions, le bras frappe en calquant ses coups sur ceux dont le journal lui a dévoilé les justesses2. »
Paul Moreau de Tours nous présente ainsi la solution de la question :
« Quelle est la cause déterminante la plus générale et en même temps celle, pour ainsi dire, dont le mode d'action est le moins mystérieux ? Pour répondre à cette question, qu'il nous suffise de rappeler ce qui se passe dans les grandes réunions d'aliénés, où, au moindre bruit, vrai ou faux, qu'une tentative de suicide a eu lieu, on voit tout à coup cette idée surgir dans des têtes où elle ne s'était pas encore montrée, et nécessiter un redoublement de surveillance pour qu'un malheur ne soit pas suivi de plusieurs autres. Que Ton ne nous objecte pas que de ce qui se passe dans un asile d'aliénés on ne saurait conclure à ce qui arriverait dans une réunion d'individus sains d'esprit ou dans la société en général. A cela nous répondrions que les aliénés, sauf exceptions, ne sont pas
1. La famille névropathique, p. 165.
2. 2* édit. Contagion du meurtre et congres de Lausanne.
moins attachés à la vie que les gens bien portants, tout aussi amoureux de leur bien-être, tout aussi antipathiques aux souffrances physiques ou morales. Ici la population ne diffère de l'autre, celle qui n'est pas renfermée, que par une prédisposition plus évidente... »
Le docteur Prosper Lucas attribue à la presse l'influence la plus contagieuse dans les épidémies des différentes formes de monomanies « par les détails circonstanciés qu'elle retrace de tous les actes du crime et de folie. Le spectacle du fait a une grande force sympathique sans doute, mais qui s'exerce dans un cercle étroit et qui a des limites d'action de temps et de lieu : la presse n'en reconnaît aucune. Ce n'est pas seulement le tableau physique du fait qu'elle représente et que l'imagination reproduit d'après elle avec une vigueur de coloris et d'impression supérieure souvent à celle de la vie même ; mais c'est le tableau moral, c'est l'histoire intellectuelle du crime. Elle met en jeu les mêmes dispositions organiques, les mêmes dispositions acquises. »
Enfin, au Congrès de Bruxelles, le docteur Paul Garnier,dans une très fine analyse psychologique, a expliqué la genèse du crime par le récit :
« Lorsqu'un crime analogue à ceux dont nous nous occupons a été commis, lorsque la presse, avec la précision et la brutalité des détails qui sont comme un des indispensables besoins de l'information moderne, en a propagé partout la saisissante nouvelle, tous les esprits sont plus ou moins frappés, et, au premier moment, c'est avec une sorte de stupeur qu'on accueille l'annonce d'un tel forfait.
« Cette émotion se calme cependant, et, après y avoir acordé quelque attention, notre pensée est reprise par le mouvement des affaires humaines. Pour quelques-uns — pour un très petit nombre heureusement — tout n'est pas aussi vite fini. Ceux-ci vont retenir cette émotion ou être retenus par elle, comme on voudra. Le fait relaté les a impressionnés fortement; leur esprit s'y arrête, s'y appesantit. Il tente d'inutiles efforts pour en chasser l'importun souvenir.
« Si leur tranquillité est ainsi troublée, c'est qu'à l'idée du crime commis par X... s'adjoint déjà une crainte qui, très vague d'abord, peu à peu se précise et se formule : « Ainsi, c'est vrai, on peut tuer les êtres qui vous sont chers, tout en restant lucide, conscient de ce qu'on a fait...! Mais alors cette force supérieure à la volonté, qui vous entraine à un crime
abominable, pourrait s'exercer sur moi qui suis lucide. Je peux devenir un meurtrier. Qui sait..?
« Cet émoi, cette crainte, cette appréhension, ce doute de soi-même, sont comme les amorces de l'obsession. Mais j'ai hâte de le dire, ce n'est pas le premier individu venu qui peut le ressentir, surtout à ce degré de perturbation morale ; pour cela, une prédisposition est indispensable, à savoir l'état de réceptivité émotive, pathologique, que réalise seule la dégénérescence mentale héréditaire.
« Dans l'espèce qui nous occupe, au lieu de cette provocation objective, il y a le choc moral, ressenti à la lecture des émouvants détails du crime. Le choc moral a été comme le coup de plantoir qui enfonce la graine et la fait germer. La crainte que l'on représente d'ordinaire comme le commencement de la sagesse est ici le commencement de la folie, toute part étant faite à la prédisposition. »
« La société, dit Proal (') peut rendre les crimes moins fréquents en faisant cesser les provocations qui portent ateinte. «à la liberté morale des enfants, des jeunes gens, des femmes et des ouvriers, les provocations de la presse, les excitations dans les journaux et les réunions publiques, au meurtre, au pillage, à la guerre civile. »
Mais comment s'y prendra la société pour arriver à ce but?
Avant de répondre à cette question, examinons un peu la législation de la presse dans les différents pays.
D'une façon générale la liberté de la presse est illimitée, et les journalistes peuvent dire à peu près tout ce qu'ils veulent. Ici et là quelques lois restrictives, mais qui, à l'instar de beaucoup de lois existantes, ne sont pas appliquées et ne servent qu'à grossir les Codes.
En Allemagne, un projet de loi « assimile aux œuvres immorales le compte rendu des débats judiciaires, ou la publication d'actes judiciaires relatifs à des délits pour le jugement desquels le huis clos a été prononcé (2). » Il est assez surprenant que jusqu'ici l'Allemagne ait autorisé la publication d'affaires jugées à huis clos. Il y avait là une anomalie que l'on projette de faire cesser. Mais c'est là une amélioration insuffisante qui existe depuis fort longtemps dans notre Code. L'un des Etats-Unis d'Amérique est plus radical que le Code allemand ou français : « les lois du Massachussetts répriment la
(1) Proal. Le crime et la peine, p. 525 et 526.
(2) Congrès de Lausanne, p. 193.
vente ou le prêt, la distribution ou le don à des enfants, de journaux relatant des nouvelles criminelles, sans distinction entre délits contre les mœurs et les autres crimes (')¦ »
En Belgique la situation est assez étrange. Au Congrès de Bruxelles je demandai de faire étudier les moyens prophylactiques d'empêcher la presse de donner in extenso le récit des crimes ou des débats qui ont lieu en cours d'assises (3). Il me fut répondu par notre éminent et très sympathique président que j'obtiendrais difficilement satisfaction, surtout dans un pays comme la Belgique, qui a inscrit la liberté de la presse dans son pacte fondamental. Quelle ne fut pas ma stupéfaction en lisant, dans le volume des Actes du Congrès de Lausanne (*), que le ministre des chemins de fer et des postes interdisait aux chemins de fer le transport de tout journal faisant commerce de pornographie. — Une liste nominative a été annexée au décret. — L'honorable rapporteur fait observer avec raison que cette mesure frise l'illégalité et qu'elle fait une immense réclame aux journaux prohibés, qui pénètrent aussi bien en Belgique qu'auparavant, mais sur le dos des colporteurs.
. En Autriche, la question a fait un pas de plus. Al'instigation de M. Lammasch, professeur de droit pénal à l'Université de Vienne, le Dr Pattai, député, discutant le projet du gouvernement sur l'introduction d'un Code pénal, propose un article 129 ainsi conçu : Celui qui imprimera (ou fera paraître) dans un périodique un portrait d'un criminel ou d'un accusé de crime, ou bien une vue illustrant un crime, celui enfin qui répandra de pareils périodiques sera puni de prison jusqu'à trois mois. » (Extrait du Protocole de la Chambre Austro-Hongroise, 29 oct. 1894.) Il n'a pas été donné de suite effective à cette proposition. Cependant il est très important que cette question ait été posée aussi nettement devant une chambre européenne et nous devons remercier les deux hommes considérables qui ont eu le courage de défendre cet amendement à la tribune d'un parlement.
Pouvons-nous espérer que les différents pays civilisés édic-teront des lois interdisant aux journaux le compte rendu détaillé des Cours d'assises et les obligeant à se soumettre à un communiqué officiel très bref, annonçant le crime, la con-
(1) Congrès de Lausanne, p. 136. (3) Congrès de Bruxelles, p. 213. (4) Du Chasiain, p. 38, ot passim.
damnation et l'exécution s'il y a lieu ? Je ne le crois pas, quoique, depuis quelques années, il y ait évidemment un mouvement dans ce sens. Dans un avenir prochain, en France du moins, l'instruction cessera sans doute d'être secrète, et le défenseur aura le droit d'en suivre de près les différentes phases. Mais aujourd'hui l'instruction est secrète et cependant lesjournalistes, dans certaines Cours, sont souvent au courant, grâce aux révélations — j'allais dire à la complicité — de certains juges d'instruction, qui tous les jours en sortant de leurs cabinets donnent aux reporters qui encombrent les antichambres des « tuyaux » sur telle affaire en vue. Loin de moi la pensée d'incriminer l'honnêteté la plus scrupuleuse de ces magistrats : ils ne disent que ce qu'ils veulent dire et que ce qui ne leur semble pas contraire à la bonne marche de leur intruction. Vais il y a là un abus qu'il serait facile, en haut lieu, de réprimer. Les renseignements devenants moins faciles à recueillir, le luxe des détails s'en ressentirait forcément.
Mais, à part ce petit palliatif, qui dépend du garde des sceaux, je ne crois pas que ce soit là le remède. Au commencement de ce rapport j'ai dit combien je m'estimais heureux d'exposer dans la libre Suisse ces idées qui peuvent paraître attentatoires à la liberté, à ceux qui oublient que la liberté individuelle ne doit apporter aucune entrave à la liberté du voisin. Or, le crime sous toutes ses formes n'est-il pas un attentat continuel à toutes les libertés? D'autre part,, il ne faut pas s'illusionner et croire qu'une société jouisse de beaucoup de libertés, il suffit de parcourir les codes, les règlements sanitaires, les règlements de police, pour voir combien sont multiples les entraves apportées à tous nos actes. Ajoutons-y certaines restrictions que nous apportons de notre plein gré à notre liberté dans les différentes classes sociales auxquelles nous appartenons et dans les diverses associations dont nous faisons partie. Serions-nous beaucoup moins libres s'il nous était interdit d'avoir dans nos journaux le compte rendu détaillé des affaires criminelles? Je ne le crois pas. Comment arriver à ce but, puisque l'action gouvernementale semble impossible et qu'elle n'aurait d'ailleurs d'effet que dans une région limitée, l'Autriche ou la France par exemple ?
En 1833, M. Radcliffe fit fermer complètement les colonnes du Morning Herald aux récits de crime et de folie. Je n'ose espérer que ce journal ait persisté longtemps dans cette bonne voie. Mais ici même les journalistes suisses ne se sont-ils pas
entendus pour ne donner qu'un compte rendu sommaire des affaires criminelles ? (Rostand, Congrès des Soc. savantes, Marseille 1889.) Voilà, selon moi, la véritable solution, et ce sera un grand honneur pour les journalistes suisses d'être les premiers entrés dans cette voie. Qu'ils aillent plus loin, qu'ils prennent l'initiative d'un congrès international de la presse et qu'ils posent cette question. Je ne doute pas un seul moment que la masse des journalistes ne consente à faire le sacrifice de sa Gazette des Tribunaux, renouvelant ainsi le noble sacrifice de la nuit du 4 Août. Et si tous no s'engagent pas dans cette voie, on comprendra bien vite que ceux qui continuent à exploiter le scandale et à en vivre, seraient parfaitement capables à leur tour d'en faire pour leur propre compte.
Mais, dira-t-on, comment feront lescriminalistes? Lescrimi-nalistes, d'abord, ne puisent que peu de documents dans les journaux, et ce ne sont pas les meilleurs qu'ils vont chercher là. Ensuite des journaux spéciaux continueront à exister pour fournir aux criminalistes, aux légistes, auxmédecins, aux sociologues tous les renseignements dont ils ont besoin. Le style en sera simple, on exposera les faits sans y chercher autre chose que la précision, on bannira avec soin tous les enjolivements dans lesquels se complaisent les journaux politiques. Il suffit de comparer le compte-rendu du même fait dans un journal de droit et dans une feuille populaire pour voir l'énorme différence. Il est bien évident que le premier ne sera pas acheté par la masse du public et qu'il ne peut par conséquent pas nuire à ses lecteurs.
Nous voilà loin avec cette conclusion des idées que me prétait un critique, qui considère cependant la vérité comme sa meilleure amie : il ne sagit de détruire aucun livre, aucun journal, aucun musée, il s'agit bien plus simplement d'empêcher le contact entre certaines idées et certains individus, car de ce contact jaillit le crime dont souffre la société.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 15 Juin 1896. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu par M. Valentin, secrétaire. Il est adopté. La correspondance imprimée comprend :
1° Un numéro du Brain contenant une étude sur J. Braid, chirurgien
et hypnotiseur, par notre collègue, M. le D'Milne Bramwell, de Londres. . 2° Trois volumes des œuvres de M. Durand (de Gros) : .Essais de Psycholohie physiologique, — Cours de Braidisme. — Le Merveilleux scientifique.
La correspondance écrite comprend une lettre de M. P. Regnault qui s'excuse de ne pouvoir assister à la séance.
M. le président met aux voix les candidatures de M. le Dr Rousseau-Saint-Philippe, médecin des hôpitaux de Bordeaux, de M. le Dr Victor Levèque, de M. Davoise, professeur au collège de Pont-à-Mousson, de M. le Dr Henry Aimé, de Nancy. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
Après les lectures publiées ci-dessous, la séance est levée à 6 h. 1/2.
De la nécessité de pratiquer l'examen psycho-moral de tous les inculpés-(par M. le Docteur Henri Lkmesle, Avocat à la Cour d'appel)
Si, d'abord négligée, ignorée plutôt et actuellement encore pratiquée d'une façon insuffisante, l'expertise médicale n'occupe pas, dans l'instruction des affaires criminelles et correctionnelles, la place prépondérante qui doit être la sienne, il faut en chercher la cause dans ce fait, que le rôle du médecin expert a été mal compris, et qu'il a été rempli par des magistrats incapables de mener à bien une tâche qui, après tout, n'est pas de leur compétence.
. Pour montrer d'où vient actuellement le malentendu, nous ne saurions mieux faire que d'établir et de délimiter les fonctions du magistrat et celles du médecin-légiste.
Ces deux rôles différents ont été de main de maître mis en lumière par Lasègue quand il disait :
« L'assimilation de l'expert médecin avec le juge est, en fait d'aliénation, une erreur et par conséquent un danger. Leurs devoirs n'ont aucune parité: ils doivent, pour se maintenir dans la sphère de leur action légitime, suivre des voies toutes différentes. Au magistrat il appartient de se prononcer sur le fait, sans scruter les aptitudes morales de celui qui l'a commis : tout au plus peut-il en apprécier les intentions en mesurant la préméditation qui n'est elle-même que la préparation à l'acte. Obligé par la leltre du code, ¡1 cherche jusqu'à quel point l'action incriminée répond à la définition, mais l'homme échappe à son jugement. . .
Le médecin appelé à connaître de l'aliénation suit la marche inverse: s'il prétendait juger la valeur absolue de l'acte, il serait entraîné aux plus compromettantes déceptions : sa mission est d'examiner le prévenu et de donncrla caractéristique scientifique de l'homme indépendamment du délit qui lui est imputé : à rencontre de la justico humaine, il scrute les replis cachés de l'intelligence et déclare que l'individu a été
capable ou non d'obéir à la loi du sens moral; non seulement il apprécie les dispositions probables, mais il mesure les dispositions possibles, et il affirme que l'accusé n'a pas pu comprendre la portée de ses impulsions et leur opposer une résistance efficace. Les faits sont hors de cause, »
Quand, dans son Traité des donations entre-vifs et des testaments, parlant de l'intervention du médecin dans les cas d'aliénation mentale,-Troplong écrivait : « Je pense que la médecine légale, malgré ses prétentions, n'a ajouté aucun progrès sérieux aux doctrines reçues dans la jurisprudence et qu'elle ne doit en rien les modilier », il montrait bien par là qu'il ne comprenait pas le rôle du médecin expert, et son erreur s'affirme lorsqu'il ajoute : « Leur jugement (des médecins) ne saurait toujours être le jugement du magistrat: nos points de vue sont bien différents pour conduire au même but ». — A la vérité, les points de vue sont différents, nous le savons, mais les jugements ne le sont pas moins : le magistrat est juge du fait, mais le médecin est juge du degré de sens-moral dont est capable l'agent, et avant toute autre question, celle de la responsabilité doit se poser, à moins de faire avec la loi mosaïque non le procès du sujet, mais le procès du fait quel qu'en ait été l'auteur, un homme sain d'esprit, un aliéné, voire un animal.
En quoi diffère, selon Troplong, le but du médecin de celui du magistrat : le premier doit traiter un malade et s'efforcer de le guérir, au lieu que le second doit sauvegarder la société ; mais dans l'expertise médicale la question n'est pas posée sur ce terrain. Avant toute procédure une question préalable doit être résolue : un tel jouit-il oui ou non de ses facultés mentales ? Et qui pourra répondre dans une aussi grave alternative. — Des magistrats au cœur léger, à la suite d'un des leurs, Elias Régnault, ont prétendu que le bon sens pouvait suffire à résoudre la question. Vraiment, de tels magistrats nous font un peu l'effet des Titans dans leur lutte folle contre le Ciel ; tout à l'heure ils méconnaissaient le rôle de l'expertise médicale, maintenant ils en ignorent la gravité.
Et après cette assertion que le bon sens est suffisant pour établir un jugement aussi important, nous sommes un peu étonné d'entendre M. lo professeur Brouardel, dont la voix autorisée domine cependant en pareille matière : « Il faut surtout remarquer, dit-il, que s'il peut a « priori paraitre facile de reconnaître un aliéné, cette constatation est « en réalité extrêmement malaisée dans un très grand nombre de cas: « maintes fois il m'est arrivé d'hésiter et de demander l'adjonction d'un « de nos confrères plus compétents, et plus fréquemment en contact « avec les aliénés, avant de me prononcer. C'est que, pour bien connaî-« tre les aliénés, il faut en avoir fait une étude spéciale, qui ne s'acquiert « qu'après plusieurs années de contact, de vie commune en quelque « sorte...»
De son côté, Lasègue, dont l'avis, il nous semble, a bien aussi quelque valeur, dit :
« La période prodromique de la folie a déjà le caractère d'un trouble « pathologique. Les déviations intellectuelles dépassent les limites des « divergences permises ; mais, pour être des anomalies, elles n'ont pas « encore de signes et se refusent aux classifications accoutumées de la « nosologie. Cette phase préparatoire est certainement la plus difficile à « t apprécier et celle qui réclame davantage du médecin la sagacité que « donne seule une longue expérience... La tâche est alors si grave de « responsabilité que j'en appelle à la conscience de tous ceux qui ont eu « à se poser et à résoudre le problème, bien assuré que pas un n'a oublié les irrésolutious si perplexes qu'il a successivement traversées. » Et le même auteur ajoute : « Il n'est pas besoin de l'intermédiaire d'un médecin pour déclarer qu'un homme qui se prétend l'empereur de Chine a pu, sans être responsable, injurier de simples agents de police. Le paralytique qui du fond de son indigence se déclare centfois millionnaire, n'attend pas, pour être deviné, quand il a commis une escroquerie, une enquête scientifique.
Les indécisions que la médecine a pour mission de résoudre sont autrement délicates, et les aliénés que nous avons à sauver d'une pénalité qui ne leur incombe pas sont ceux dont le trouble intellectuel encore imparfait, inégal, intermittent, ne frappe pas les yeux et n'éveille pas Tétonnement : or l'aliénation procède à la manière des affections cérébrales par un progrès insensible.
Je sais combien il est aisé de passer outre à ces antécédents nuageux et confus, et je sais qu'on gagne en les négligeant une flatteuse apparence d'exactitude, mais je n'ignore pas davantage qu'on ne supprime pas les obstacles parce qu'on ferme les yeux pour ne pas les voir.
Et quand les maîtres que nous venons de citer suspendent ainsi leur jugement, qu'elle ne doit pas être l'hésitation du magistrat, lui qui n'est pas même familiarisé avec les rudiments de la pathologie mentale ?com-ment pourrait-il formuler un diagnostic que le médecin parfois n'établit qu'avec peine? Or, nous le repétons, avant toute procédure il faut résoudre la question primordiale : Un tel est-il responsable ? Et si cette question est posée au magistrat, pourra-t-il en donner une solution certaine ? Evidemment non... ;
« Je parlais à l'instant, dit M. Garnier, des paralytiques généraux figurant en si grand nombre parmi les victimes des erreurs judiciaires. Que dit par exemple à l'oreille du juge, l'hésitation si spéciale de l'articulation verbale chez ces malades ? Qu'est-ce qui l'amènera à rechercher l'inégalité pupillaire concomitante ? Et cependant voilà un dément dont l'irresponsabilité est indiscutable, et parce qu'il répond encore à peu près à des questions simples et qu'il avoue son délit avec une ingénuité qui ne désarme point la justice, il ira s'asseoir tout à l'heure sur le banc des accusés, y balbutiera quelques explications confuses où l'on retient surtout son aveu, et, avec une assez parfaite indifférence, se verra comdamner plus ou moins sévèrement. Une visite médicale eût pourtant, en quelques minutes, mis les choses à leur place et désigné
pour l'asile cet inconscient dont les actes sont d'ailleurs le plus souvent pathognornoniques, tellement ils sont marqués au coin de la plus complète imprévoyance. »
Une autre considération a fait échec aux progrès de l'expertise médicale et à son extension. Les médecins, a-t-on dit, voient des fous partout, et la sécurité sociale serait compromise par les criminels, prétendus aliénés ; les délinquants voyant diminuer la répression, la criminalité augmentera. Cette peur, pour exagérée, n'en est pas moins légitime, car elle se réclame de la préservation sociale ? Ceux qui formulent cette crainte ne manquent pas d'ajouter qu'il est facile de feindre la folie, et que le médecin sera la dupe des inculpés.— A cela nous répondrons que, mieux que personne, connaissant la folie et ses manifestations, le médecin pourra déjouer la simulation, et nous formerons dans l'espèce une demande reconventionnelle pour ainsi parler : oui, dirons-nous, la préservation sociale est immédiatement intéressée au diagnostic exact de la folie ; en effet, un aliéné que l'on condamne effectue sa peine, puis il est rendu à la société où il constitue alors un élément dangereux ; mais "si l'expertise médicale avait été pratiquée, le malade envoyé dans un asile n'aurait été rendu à la vie civile que guéri ou amélioré, hors d'état de nuire, le plus souvent.
Et si nous demandons l'expertise médicale, ce n'est pas seulement pour éviter la condamnation des irresponsables, nous y voulons voir encore un but immédiat de défense sociale.
Enfin certains juges, en présence d'aliénés dangereux, trouvant avec raison que l'asile ne donnait pas une garantie suffisante, ont préféré la prison. II est de toute évidence que la loi du 28 juin 183b* sur les aliénés doit être au plus tôt remaniée afin de donner à la justice plus de sécurité au sujet des irresponsables qu'elle acquitte. —M. le Dr Aug. Voisin a particulièrement attiré notre attention sur ce point en nous citant de nombreux exemples d'aliénés dangereux qui, sortis de l'asile où les avait fait entrer un acquittement, n'ont pas tardé à commettre de nouveaux crimes ou délits. Dans son intéressante communication, M. Monod nous dit d'autre part :
« Il peut arriver qu'un magistrat fasse condamner un malade, parce qu'il apparaît à ce magistrat que c'est le seul moyen de défendre la société et même de faire soigner le malade. Un individu poursuivi, en 1886, pour coups donnés à sa mère, est reconnu irresponsable ; il bénéficie d'une ordonnance de non-lieu ; mais l'autorité administrative qui eût dû être avisée, le laisse en liberté. L'année suivante, il est poursuivi pour vol ; nouvelle ordonnance de non-lieu ; nouvelle inaction de l'autorité. La troisième fois, en 1889, comme il était poursuivi pour coups et blessures, le ministère public demande au tribunal de lui appliquer une peine assez forte pour qu'il doive la faire au chef-lieu du département. Là, dit-il, il sera encore visité, et si le diagnostic d'aliénation est confirmé, il sera transféré daus un asile. C'est ce qui est
arrive. La défense sociale est le premier devoir, elle restera la première préoccupation des magistrats. »
Les citations que nous venons de faire montrent que la question que nous avons abordée a déjà fait un grand pas, et il ne nous parait pas prématuré de soumettre à l'approbation de la société les conclusions suivantes :
I. — Après avoir été méconnu pendant de longs siècles, ce principe a enfin été accepté que la pénalité doit être en rapport avec le degré de responsabilité de l'agent. — La médecine mentale et l'anthropologie criminelle sont venues indiquer à la fois, les difficultés d'appréciation en pareille matière, et la nécessité pour chaque inculpé d'un examen psycho-moral.
II. — L'intervention médico-mentale réalise les garanties les meilleures pour cet examen psycho-moral. — Le magistrat et le médecin légiste ont des rôles trop dissemblables et des attributions trop tranchées pour que le premier puisse dans ce cas particulier remplacer le second. — Lo bon sens et même la perspicacité ne suffisent pas pour diagnostiquer la folie.
III. — Pour avoir rejeté cette notion, la magistrature a commis de nombreuses erreurs en condamnant des irresponsables.
IV. — Une inspection médicale de tous les inculpés doit précéder toute procédure ; dans cette inspection, le médecin retiendra les cas qui lui sembleront devoir nécessiter une expertise. — Quelques crimi*-nologistes ont dit et beaucoup après eux ont répété de confiance, que cette inspection médicale n'est pas réalisable, en raison de difficultés matérielles : ces difficultés, nous l'avons vu, sont très surmontables. — En attendant cette organisation qui s'impose, 11 faut, par mesure provisoire, instituer une inspection médicale des condamnés, analogue à celle qui fonctionne en Belgique, afin de réparer au plus tôt les erreurs judiciaires que les statistiques nous laissent entrevoir.— Pour faciliter cette couvre de justice, le prévenu doit être, pendant la durée de la prévention, l'objet d'une observation médico-mentale. — Il est de toute évidence, enfin, qu'il faut exiger des médecins des prisons les garanties d'une compétence particulière en pathologie mentale.
Réunion annuelle de la Société d'Hypnologie et de Psychologie
tenue à Paris, le 25 Juillet 1896. Présidence de M. Dumoxtpallier.
- Le procès-verbal de la précédente séance a été lu par M. Valentïn secrétaire, et adopté.
La correspondance comprend des lettres d'excuses de MM. les professeurs Raymond, Charles Richer, Jules Soury; de MM. les docteurs Albert Robin, Baraduc, Ferrand, Bourdon (de Méru), Paul Joire (de Lille), Collincau, Max Nordau, Crocq fils (de Bruxelles), Luys, Henry Lemesle, Schmcltz (de Nice), de MM. Marrel, Onfroy, Varinard,
Delattre, Julliot, etc., qui s'excusent de ne pouvoir assister à la séance.
La correspondance imprimée comprend divers périodiques et une brochure de M. Flournoy, de Genève, ayant pour titre : Observations sur quelques types de réaction simple.
M. le secrétaire général fait un exposé de la situation morale de la Société. L'état de la Société est des plus prospère. L'activité de nos séances n'a cessé de s'accroître. De nombreuses adhésions sont venues augmenter le nombre de nos membres titulaires qui s'élève à plus de cent. Le nombre des membres honoraires est de douze.
M. Albert Colas, trésorier, fait un exposé de la situation financière de la Société. L'exercice clos de 1895 laisse à l'avoir de la Société 309 fr. 50. Les recettes se sont élevées à 1485 fr. 50 (88 cotisations). Les dépenses se sont élevées à 1176 fr. L'exercice de 1896 est en cours. 70 cotisations ont déjà été recouvrées, un assez grand nombre restent à recouvrer.
M. le président met aux voix l'approbation des comptes de l'année 1894-1895. Cette approbation est votée à l'unanimité. Il propose d'y joindre des félicitations au trésorier dont le zèle contribue à la prospérité croissante de la Société. Cette motion est adoptée.
M. le président donne lecture des lettres de candidatures qui seront soumises à l'élection dans la séance de rentrée.
Le Bureau pour l'année 1896-1897 est ainsi constitué ; président : M- Dumontpallier ; vice-présidents : MM. Auguste Voisin et Boirac ; secrétaire-général : M. Bérillon; trésorier: M. Albert Colas: secrétaires des séances : MM. Valentin, Henry Lemesle, Félix Regnault et Julliot; comité de publication : MM. Babinski, Gilbert Ballet et Déjerine; commission des candidatures : MM. Gélineau, Jules Voisin et Raffegeau.
Après la lecture des communications publiées ci-dessous, la séance est levée à 7 heures.
A 1 heures, le banquet annuel a réuni les membres de la Société, sous la présidence de M. Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine.
Rôle thérapeutique de la suggestion et de L'anto-suggestion
par m. le D. Dumoxtpallier, membre de l'académie de médecine*.
Une dame, du meilleur monde, âgée de 37 ans, née de parents arthritiques, a été, à la suite d'un accouchement très pénible et d'une fièvre puerpérale consécutive, affectée de troubles oculaires qui, sur l'avis d'ophthalmologistes très autorisés, ont été considérés comme étant la conséquence d'un état nerveux. Ces troubles oculaires ont duré plusieurs mois et étaient caractérisés par une fatigue de la vision telle, que la malade ne pouvait lire pendant quelques instants sans être prise d'une fatigue extrême de la vue avec impossibilité de continuer la lecture.
A la suite d'un second accouchement normal, la même dame a été sujette à des crises d'asthme qui ont duré plusieurs mois, asthme nerveux, sans qu'il fût possible de constater aucune lésion pulmonaire ni cardiaque. De plus, après les repas, pendant le travail de la digestion stomacale, elle était souvent prise de palpitations cardiaques et d'une angoisse très pénible. Une insomnie persistant pendant plusieurs mois l'avait conduite à un affaiblissement extrême, avec diminution notable de son embonpoint normal.
Plus tard les troubles nerveux se portèrent principalement sur l'estomac et bientôt un affaiblissement extrême des membres inférieurs avait eu pour conséquence de condamner la malade à garder le lit ou à passer ses journées sur sa chaise longue.
C'est dans ces conditions d'impotence des membres inférieurs avec troubles de l'estomac et une constipation opiniâtre que Mme X... se décida à venir à Paris pour s'y faire soigner. La menstruation était irrégulière, mais il n'existait aucune lésion utérine pouvant rendre compte de l'impotence des membres inférieurs et des troubles gastro-intestinaux.
Depuis cinq mois, Mme X... avait été soumise à un traitement qui, s'adressant à l'estomac, n'avait amené aucun résultat satisfaisant, et l'impotence des membres inférieurs restait la même, d'autant plus que son médecin ordinaire l'avait engagée à garder un repos absolu.
C'est dans ces conditions que je fus appelé près de la malade,-qui, après m'avoir exposé toutes ses misères, me fit la confidence qu'une de ses amies avait été guérie par mes conseils d'une paraplégie qui durait depuis plusieurs années. Mme X..., qui ne présentait aucun des stigmates de l'hystérie, accusaitaucontraire plusieurs des stigmates de la neurasthénie : douleur de la nuque et des régions sourcilières, douleurs rachialgiqucs interscapulaires. Paresse de l'estomac, constipation absolue, anxiété extrême, palpitations cardiaques avec angoisse et insomnie qui n'avait cédé à aucun des hypnotiques ordinaires.
Dans le récit de ses misères, Mme X..., me dit, en passant, qu'il lui arrivait souvent, lorsqu'elle fixait un objet brillant, d'éprouver dans le jour une grande tendance à s'endormir. Ce fait fut pour moi un éclair qui confirmait le diagnostic de la neurasthénie chez une personne nervoso-arthritique et dont la neurasthénie avait eu pour cause déterminante un traumatisme obstétrical, une fièvre puerpérale et un surmenage intellectuel. Je n'hésitai pas à affirmer à la malade qu'elle était tributaire de la suggestion et que la suggestion hypnotique la guérirait de tous ses maux, comme avait été guérie son amie paraplégique. Je l'engageai à se rendre chez moi le lendemain de celte première visite. Elle me répondit: « Mais, docteur, je ne puis marcher, Je ne puis descendre mon escalier, comment voulez-vous que je me rende chez vous? » J'insistai et lui dis : c Madame, vous pourrez descendre votre escalier, vous viendrez chez moi en voilure et vous pourrez monter mes trois étages.» Cette affirmation suggestive, à l'état de veille.
produisit l'effet prévu par moi, et le lendemain Mme X... était dans mon cabinet.
Alors je l'engageai à fixer un objet brillant qui se trouvait à quelque distance du fauteuil sur lequel elle était assise et je lui dis qu'elle allait s'endormir pendant 10 minutes et qu'à son réveil elle pourrait marcher avec assurance, que ses maux d'estomac, ses palpitations, ses angoisses, ne se produiraient plus, que la nuit prochaine elle dormirait 9 heures sans rêves ni cauchemars et que le lendemain elle se réveillerait se sentant plus forte et très vaillante pour lutter contre tous ses malaises qui allaient disparaître rapidement. Je lui suggérai de plus qu'elle se présenterait régulièrement chaque matin à la garde-robe et avec succès. J'ajoutai que désormais elle serait réglée tous les 28 jours et qu'au moment de ses règles elle n'éprouverait aucun malaise.
Le lendemain Mme X... se présentait de nouveau chez moi; ce n'était plus la même personne; elle était confiante en ses forces, elle avait pu marcher, manger et digérer, Elle n'avait pas eu d'angoissecar-diaque, elle avait dormi 9 heures, elle avait été à la garde-robe et elle déclarait spontanément qu'elle n'était plus la même, et qu'elle sentait qu'elle allait guérir.
Elle voulait, disait-elle, venir chez moi pour dormir, parce qu'elle sentait que ce sommeil provoqué lui rendait des forces. Aussitôt, et avant de l'endormir, je lui dis qu'elle pourrait elle-même se donner ce sommeil réparateur chez elle, si elle sentait quelque défaillance. Ce qui fut fait avec succès.
A la troisième visite chez moi et aux visites suivantes, Mme X... n'avait plus besoin de fixer un objet brillant pour s'endormir ; aussitôt qu'elle était assise dans le fauteuil, elle s'endormait et cela pour le temps dit : 10 minutes, 1/4 d'heure, et, chose digne de remarque, comme je l'ai du reste remarqué chez d'autres malades, Mme X.., pendant le sommeil provoqué, avait une notion parfaite de la marche du temps, aussi se réveillait-elle exactement à l'heure indiquée.
On pourrait croire que la notion de la marche du temps est en rapport avec le degré de la suggeslibilité. Si bien que, dans les cas où je constate cette faculté de la mesure du temps chez certaines malades, je mo crois autorisé à affirmer que la guérison par la suggestion sera possible et rapide.
Mme X... est venue chez moi régulièrement pendant 3 semaines, et après chaque visite elle constatait un mieux qui allait progressant. Je considère Mme X... comme étant guérie pour le présent et pour Vave-nir: pour le présent parce qu'elle ne présente plus les stigmates de sa neurasthénie ; pour l'avenir parce qu'elle porte en elle le moyen d'enrayer tout malaise et cela par l'auto-suggestion. En effet, pour guérir ces troubles nerveux d'ordre psychique, il suffit de suggérer aux malades la volonté et l'attention qui doivent rompre l'habitude morbide.
En effet, que se passe-t-il chez beaucoup de neurasthéniques? Après une émotion morale plus ou moins vive, passagère ou continue, après un
surmenage intellectuel plus ou moins prolongé, après un traumatisme quelconque, accident de chemin de fer ou autre, il se produit immédiatement où à courte échéance un trouble nerveux dont le siège primitif est dans l'axe cérébro-spinal ou dans le grand sympathique ; lequel trouble s'accuse par de la douleur dans la région encéphalique ou médullaire, avec affaiblissement des membres, un besoin absolu de repos. Bientôt les troubles envahissent les organes dont les fonctions relèvent du nerf phrénique, du pneumogastrique, du grand sympathique, du plexus lombo-sacré, et les malades se plaignent alors de spasme du diaphragme, de palpitations cardiaques avec angoisse, de paresse intestinale et de troubles fonctionnels des organes génito-urinaires. Leur anxiété estîextrême, ils se croient gravement atteints et l'habitude morbide entretient chez ces malades l'existence des stigmates de la neurasthénie.
Ces malades désespèrent de guérir, parce que les différentes médications, qui ont été adressées seulement aux symptômes, sont restées sans succès. Les hypnotiques vulgaires, les bromures, le chloral, n'ont eu que des avantages passagers, et les malades se résignent passivement à souffrir. Ils n'ont plus la confiance et la volonté nécessaires pour triompher d'un mal qui le plus souvent est de nature psychique. Ils ignorent le plus souvent la nature psychique qui entretient leurs souffrances, et c'est en désespérant de guérir par les médicaments ordinaires qu'ils se décident à demander à la méthode suggestive un soulagement à leurs souffrances.
Du traitement des neurasthénies graves par la psychothérapie
Par M. le docteur P. Vàlextiï.
Tous les auteurs ont montré l'importance du traitement moral chez les neurasthéniques. Ils regardent comme indipensable que le médecin prenne autorité sur son malade et lui persuade qu'il n'est atteint d'aucune lésion organique, que rien ne s'oppose dès lors à une guérison radicale. « Pareille persuasion, ajoute l"un d'entre eux, n'est point difficile à obtenir; car le neurasthénique ne demande qu'à être rassuré {'). a La difficulté commence lorsqu'il s'agit de maintenir cette influence : le meilleur moyen pour y arriver, est d'isoler le malade. Mais, en réalité, la plupart des neurasthéniques, ceux surtout qui sont le plus gravement atteints, se refusent â l'isolement.
Comment faire alors, dans les cas rebelles, pour entrer en possession du malade, le tenir bien en main et lui imposer la direction qui lui est si nécessaire et qu'il est si loin, en général, d'accepter d'emblée? Ici, conseils et exhortations ne suffisent plus. Les neurasthéniques ne courraient pas de médecin en médecin, s'ils étaient accessibles à l'in-
: .(1) Hauzier. — Leçons sur les maiadirs nerveuses. Montpellier. 1892.
fluence suggestive vulgaire qui se dégage de toute prescription médicale ; et il en est qu'aucun maître éminent n'arrivera à convaincre, malgré l'autorité que lui donnent le nom et la fortune. : Or, les cas rebelles sont nombreux, et il importe de s'en préoccuper sérieusement, si l'on veut arracher les malades à l'hypochondrie qui les guellte et qui les conduira fatalement à chercher dans une mort librement acceptée ou voulue, un terme aux maux dont ils souffrent depuis si longtemps.
- C'est dans des cas de ce genre, que la psychothérapie, appliquée méthodiquement et en connaissance de cause, sous la forme qui convient le mieux au sujet, m'a semblé donner, contrairement à l'opinion reçue, des résultats rapides et indéniables. Je considère ici, selon l'enseignement de l'école nancéenne, l'habitude psychique morbide comme l'élément pathogénique essentiel. C'est contre sa résistance que viennent se briser les médications les plus savantes et les mieux conduites ; c'est elle qui entretient, multiplie et exagère le mal, par une représentation mentale obsédante, pouvant aboutir un jour à l'idée fixe, à la paranoia confirmée ; c'est elle qu'il faut détruire à tout prix, et, tant qu'on ne s'en sera pas rendu maître, on devra renoncer à faire naître dans l'esprit du malade l'idée de la guérison.
Ainsi entendue, la psychothérapie est le traitement de choix des accidents neurasthéniques anciens et tenaces. Elle comporte, comme on le verra par les observations qui suivent, toutes les formes de la suggestion dans son acception la plus large, depuis l'entraînement psychique à l'état de veille jusqu'au sommeil hypnotique profond.
Observation 1. — Neurasthénie postgrippale ancienne, — Dyspepsie ato-nique grave, névralgies, céphalée, phobies, dépression nerveuse intense.
Mme B..., couturière, 43 ans, mariée, nullipare, n'offre rien de saillant au point de vue des antécédents héréditaires. Intelligente et relativement cultivée, elle a été très affectéo dans ces dernières années par des deuils nombreux et inattendus. Xévrosisme vague dès l'enfance. Fièvres intermittentes à sept ans. Chlorose et dyspepsie douloureuse de seize à vingt ans. L'analyse d'urines faite l'an dernier n'a Hen décelé d'anormal.
En 1392, Mme B. est restée deux mois au lit pour une entérite, probablement compliquée de typhlite ; il subsiste depuis une constipation opiniâtre et une certaine sensibilité de l'intestin à la pression.
En 1894, attaque d'influenza, après laquelle survient une névralgie du plexus brachial avec impotence fonctionnelle du bras pendant trois mois.
Depuis, céphalée continuelle, en casque, avec instabilité très notable de la mémoire et de la volonté ; sensation horriblement pénible de vide intra-cérébral, surtout prononcée à jeun, et s'aocompagnant quel, quefois de vertiges et d'éblouissements ; émotivité exagérée, pleurs
sans motifs, phobie de la nuittombante et de la solitude ; peur anxieuse de la mort, que la malade croit très prochaine ; nuits agitées, coupées de réveils brusques avec cauchemars ; asthénie générale profonde.
Du côté du tube digestif, langue saburrale, anorexie complète, goût perverti (la malade dit que tout ce qu'elle mange lui fait l'effet d'être en bois) ; la digestion est lente, incomplète, donne Heu à des borbo-rygmes et à des renvois acides incessants; quelquefois les aliments sont vomis au bout de plusieurs heures. Je trouve l'estomac très dilaté; le creux épigastrique est le siège de douleurs vives et presque continues. Ne s'alimentant plus depuis longtemps, Mme B... en est arrivée à un degré de maigreur extrême qui achève de la confirmer dans l'idée qu'elle ne tardera pas à mourir.
Rien aux poumons. Le cœur offre un léger souffle présystolique. Crises fréquentes d'arythmie douloureuse avec oppression et menaces de syncope.
Menstruation irrégulière. Ovaralgie adroite. Col utérin hypertrophié. Vaginisme. Flueurs blanches habituelles.
Mme B... a vu un grand nombre de médecins qui lui ont tous dit qu'elle n'avait aucune maladie grave et se sont bornés à lui donner des médicaments toniques el calmants variés. Peu à peu, cependant, elle a senti ses forces diminuer ; et quand je suis appelé en mai 1895, je me trouve en face du tableau complet de la neurasthénie féminine.
La malade m'a fait venir pour me demander mon avis sur les injections du sérum artificiel, dont une amie lui a vanté les heureux effets. Comme elle est très anémique, je n'hésite pas à lui en faire, et je joins à chaque injection une forte suggestion à l'état de veille. Après un mois de traitement hypodermique, Mme B... va déjà mieux: les forces reviennent, la digestion et le sommeil s'améliorent: mais l'état mental est à peine modifié, les idées mélancoliques ramènent à choque instant la pensée de la mort, et la malade m'avoue qu'elle commence à songer parfois au suicide (16 juin 1895).
J'impose alors, sans difficulté, le traitement hypnotique. Au début, la malade n'a qu'une confiance très limitée dans la valeur de la méthode. Néanmoins, je viens à bout de ses résistances, et à la quatrième séance, elle s'endort d'un sommeil très profond avec catalepsie, automatisme et amnésie au réveil (ce dernier signe n'a pas toujours été constant). En douze séances de suggestion hypnotique, elle est complètement guérie ; le 25 juillet 1895, il n'y a plus trace de douleurs, d'insomnie et de dépression nerveuse; l'appétit, sans être régulier, est satisfaisant, les digestions sont presque normales; il n'y a plus de constipation: la malade engraisse à vue d'œil. Mais ce qui la frappe surtout, c'est qu'elle n'a plus la moindre envie de mourir. Elle a l'esprit calme, l'intelligence lucide, et elle reprend avec joie son travail longtemps interrompu.
Une légère rechute, en septembre, survenue après des chaleurs
caniculaires très prolongées, cède à trois nouvelles séances dé suggestion avec hypnose.
Six mois après, la malade se porte toujours bien ; elle est restée une fervente adepte de l'hypnotisme, et se promet, le cas échéant, de redemander au sommeil provoque la guérison de ses maux.
Observation II Neurasthénie de la ménopause — arytmie angoissante paroxystique—byperesthésic généralisée: algies diverses et tenaces; troubles du caractère.
Mlle Sh..., quarante-neuf ans, sans antécédents héréditaires fâcheux, déclare avoir été nerveuse dès son jeune âge. Les troubles neurasthéniques actuels remontent à six ans. La malade leur donne pour cause première un surmenage prolongé dans une maison de commerce où elle a passé la plus grande partie de sa vie ; mais elle reconnaît qu'ils ne se sont nettement dessinés qu'en 18S9 a la suite d'une attaque sérieuse d'influenza à forme cardio-pulmonaire. Apres avoir consulté un grand nombre de médecins, elle a fini par se mettre entre les mains d'un empirique qui la soulagea un certain temps en lui appliquant sur les points douloureux des petits carrés de papier gommé. Enfin, elle m'est adressée de province par une de ses amies, qui a déjà bénéficie du traitement psychothérapique, et elle vient avec l'intention presque arrêtée de se faire endormir.
A l'examen : dyspepsie flatulente légère sans constipation. Palpitations au moindre effort: crises de tachycardie douloureuse avec anxiété respiratoire et bouffées de chaleur fréquentes. Névralgies nombreuses à paroxysmes variables : points rachidïens, cruraux intercostaux, coccygien, etc. Hyperesthésie de la surface cutanée, telle que le moindre déplacement de l'air ambiant suffit à mettre la malade dans un état d'agitation considérable. Mobilité d'humeur extrême ; émotivité exagérée ; pleurs sans motifs. Asthénie générale très marquée.
Mais le symptôme psychique le plus pénible pour Mlle Sh... est la sensation de vide cérébral qui suit tout effort de pensée ou d'attention, ainsi que tout exercice un peu long des centres sensoriels, notamment la vue. De là un besoin insatiable de repos et de sommeil, contrastant avec l'impossibilité de le satisfaire. De là aussi un découragement profond, qui a conduit la malade à l'idée qu'elle était incurable et l'a souvent fait penser à la mort.
Depuis quelques mois, les menstrues sont moins régulières. 11 y a toujours, au moment des époques, une recrudescence notable des symptômes neurasthéniques.
Aucun stigmate d'hystérie. Les réflexes sont normaux. La sensibilité au contact et à la douleur est exaltée sur toute la surface du corps.
Le traitement psychothérapique commence le 25 septembre 1895; les séances de suggestion sont répétées trois fois par semaine. J'ajoute au début quelques cachets toniques et eupeptiques, et plus tard, la
malade désirant se faire électriser, je t'adresse à un de nos plus distingués confrères chez qui elle prend, dans l'intervalle des séances de suggestion, une quinzaine de bains statiques.
Dès les premières tentatives d'hypnose, un sommeil léger est obtenu. Bien qu'elle ne soit pas encore bien convaincue de ses effets, la malade déclare déjà ce sommeil agréable, et sort chaque fois de mon cabinet pius rassurée et mieux portante. A partir du cinquième jour, elle dort d'un sommeil profond, avec catalepsie suggestive et automatisme rota-toire : amnésie inconstante au réveil. Dès ce moment, chaque séance est suivie d'un progrès réel. J'assiste à la disparition successive, en séances, de l'insomnie, des palpitations de la dyspepsie, des topalgies, des crises de larmes, de l'asthénie intellectuelle et physique.
Une bronchite intercurrente avec toux spasmodique rebelle ramène les douleurs rachidiennes et intercostales. J'use alors, pendant le sommeil toujours profond de la malade, d'une nouvelle forme de suggestion dont elle m'a fourni l'idée en me faisant paît de l'explication qu'elle se donne à elle-même du mécanisme de l'influence hypnotique. Le 25 octobre (seizième séance), je pose la main étendue ssr tous les points douloureux, et j'affirme rétablir par des passes magnétiques le fonctionnement normal du système nerveux. Le succès dépasse mes espérances : le surlendemain, les points névralgiques visés n'ont pas reparu ; il ne reste plus qu'une hypereslhésie légère de la région cervicale. Trois séances sont encore consacrées à soulager de la même façon la malade des crises d'oppression et de la toux quinteusc qui subsistent. Le 5 novembre, après un ensemble de vingt séances de suggestion, la guérison est complète. Mlle Sh... ne souffre plus; elle jouit enfin de la plénitude de ses forces physiques et intellectuelles.
Le 10 novembre, les règles surviennent : nouveaux accès de mélancolie et de névralgies lombaires. Pointes de feu et suggestion. En une séance, tout rentre dans l'ordre, et la malade, décidément enchantée, regarde comme impossible le retour de sa neurasthénie.
C'est .en excellent état qu'elle quitte Paris, le 28 février 1896. Le 15 juin, j'apprends qu'elle se porte à merveille et qu'elle songe avec cton-nement au temps déjà lointain où elle se croyait au moment d'en finir avec la vie.
Observation III. — Neurasthénie viscérale liée à des signes de dégénérescence mentale. — Gastro-entéroptose douloureuse ; glossodynie ; œsophagisme. — Obsession hypochondriaque rebelle.
X..., marchand de comestibles, a toujours été aux petits soins pour sa personne : tout ce qui touche à sa santé le préoccupe au plus haut point. II n'a pas été possible de relever dans ses antécédents héréditaire des tares névropathiques sérieuses. Sa mère était très impressionnable. Un de ses frères est mort fou, loin de sa famille, après une fugue de plusieurs mois. Quant à lui-même, sobre et range, il n'a jamais eu de maladie grave. Depuis quelques années seulement, il se plaignait de
douleur vagues disséminées dans le thorax et dans les membres, et ducs selon lui à un séjour prolongé dans un vieil appartement humide et froid. 11 a deux filles dont l'une a été soignée pour une coxalgie tuberculeuse.
En 1890. X... éprouve une légère atteinte d'influenza à forme gastro-intestinale. Sa famille remarque dès lors qu'il devient de jour en jour plus triste et moins attentif aux intérêts de son commerce. Bientôt il se met à concevoir des doutes sur sa santé future, à analyser longuement les plus petits symptômes de fatigue qu'il peut ressentir, à s'exagérer comme à plaisir les conséquences de ses moindres malaises.
Quand je le vois pour la première fois, en mai 1895, le malade a quarante-sept ans. Il a le faciès concentré, l'œil morne, l'accent navré des hypochondriaques. Il verse des larmes en me faisant le récit de ses maux, récit interminable, où les détails les plus futiles prennent à ses yeux des proportions extravagantes. Il est accablé: ses jambes se refusent à le porter. Quand il a travaillé quelques minutes, il sent des tiraillements douloureux dans les muscles du dos et de l'abdomen, qui l'obligent à se reposer. Il accuse des picotements insupportables de la langue et une grande difficulté à avaler tout ce qui n'est pas absolument liquide. Comme il crachotle sans cesse, il se demande s'il ne s'en ira pas de la poitrine. Mais c'est l'estomac qui le préoccupe le plus ; il a eu la malencontreuse idée d'ouvrir un livre de médecine populaire et le voilà persuadé qu'il a tous les prodromes du cancer stomacal.
Aussi ne suis-je point étonné d'apprendre de son entourage qu'à peine éveillé, il se tâte, se percute, examine sa langue, se juge trop malade pour se lever, et reste au lit le plus tard possible en proie aux appréhensions les plus sombres. Toute la journée se passe en récriminations incessantes contre les siens, qui s'obstinent à ne pas tenir compte de ses lamentations et qui restent insensibles aux métaphores aussi pittoresques que variées dont il se sert pour exprimer ses souffrances.
Contrastant avec tout ce luxe de symptômes subjectifs, je note un embonpoint raisonnable, un sommeil excellent, un appétit assez régulier, une digestion à peu près normale, des selles quotidiennes, un état général assez satisfaisant, en somme, pour écarter à première vue toute idée de tumeur maligne ou de tuberculose.
A l'examen clinique, je constate un degré moyen de dilatation avec ptôse des viscères abdominaux légèrement sensibles à la pression, de la glossodynie un catarrhe faible du naso-pbarynx, de la myalgie lombaire et abdominale, c'est-à-dire aucune maladie organique réelle, mais une obsession morbide entée sur des troubles fonctionnels anciens chez un dégénéré mental.
J'essaye d'abord, en fournissant au malade les longues explications qu'il souhaite, de gagner sa confiance et de lui persuader qu'un séjour de quelques semaines à la campagne avec une médication appropriée le guérira bien plus vite qu'il ne croit et d'une manière définitive. Au bout de quelques jours, soit à mon insu, soit avec mon assentiment,
X... commence à courir les médecins spécialistes de la capitale qui examinent, l'un ses urines, l'autre son sang, un troisième son suc gastrique, le palpant et le retournant sous toutes ses faces sans arriver à un autre diagnostic que celui de neurasthénie. Sur le conseil de l'un d'entre eux, le malade achète une ceinture de Glénard et s'en trouve bien pendant une semaine. Puis son découragement reprend le dessus. Un article de journal lui donne l'idée de se faire électriser : il me prie de l'adresser à un confrère pour ce mode de traitement, je le fais très volontiers. Peine inutile ! Nouveau retour offensif des idées morbides : le malade commence à perdre le sommeil et l'appétit, à maigrir, ù songer à la mort prochaine. Le péril est grave, cette fois.
Profitant du reste d'influence que j'ai sur X..., je le décide cependant à m'accompagner chez mon excellent roaitre et ami le D' Iîériilon. Chemin faisant, je m'ingénie à lui faire entrevoir dans la psychothérapie son véritable moyen de salut. Après un examen complet de tous les organes, le D' Bérillon obtient, non sans peine, son consentement à se laisser endormir. Mais tous les efforts de notre éminent confrère restent vains. Le malade, renfermé dans le cercle infranchissable de ses idées fixes,se montre rebelle à toute tentative de suggestion hypnotique. Il me revient, après cinq séances, plus geignard que jamais et décidé à mourir sans le secours des hommes de l'art.
Nous sommes au 2 août 1895. Que faire ? La famille désolée, qui craint que le malade ne devienne tout à fait fou comme son frère et n'attente à ses jours, me supplie d'intervenir encore une dernière fois pour l'arrêter sur la pente fatale. X... a toujours refusé de se soumettre à l'isolement. Il ne reste donc plus qu'à employer la suggestion à l'état de veille, en la masquant, pour la faire accepter, sous des formes nouvelles de traitement capables d'impressionner le malade et de le distraire, si peu que ce soit, de son obsession.
Je me résous donc à m'enfermer tous les matins seul à seul avec X... pendant trente ou quarante minutes. Utilisant tour à tour les injections hypodermiques de sérum et le massage lombo-abdominal, je lui prouve que son mal ne peut résister aux puissantes modifications que j'imprime à son sang et à son système nerveux ; je lui démontre, les viscères en main, qu'il n'y a aucune tumeur; je l'oblige à se rendre compte, par la vue et par le toucher, de la parfaite souplesse de ses organes abdominaux ; je continue en lui annonçant chaque fois un nouveau progrès pour le lendemain; je détruis, pour tout dire, pièce à pièce, avec preuves à l'appui, le pronostic erroné longuement écha-faudé par le malade et si bien consolidé par deux mois d'obsession, qu'au cinquantième jour seulement de cette plaidoirie d'un nouveau genre, j'assistai — enfin — au réveil de l'espoir do guérir.
Peu à peu, devant l'évidence des faits et l'éternelle audition des mêmes arguments, quand l'époque présumée do la mort fut passée, l'idée fixe se désagrégea, la suggestion acquit une influence décisive, et je pus espacer graduellement mes visites. J'aidai le malade pendant
quelques semaines encore a reprendre la conscience pleine et entière de la bonne santé, dont il avait conservé presque jusqu'au bout toutes les apparences. Le 10 octobre, il était tout â fait tranquillisé. Le traitement par l'entrai ne ment suggestif à l'état de veille avait duré près de trois mois.
Tout en comprenant qu'il a involontairement exagéré de beaucoup son état, X... est reste persuadé qu'il a couru un grand danger. Mais il n'a jamais été repris depuis ce temps de ses idées hypochondriaques. II est maintenant retiré des affaires, et, dans sa famille, on le tient pour parfaitement guéri.
Si je me suis étendu plus longuement sur cette dernière observation, c'est qu'elle m'a paru particulièrement instructive. Il s'agit en effet ici d'une des formes de neurasthénie les plus rares, les plus fatales dans leur marche et les plus rebelles au traitement. Il manque deux stigmates classiques : la céphalée et l'insomnie. Ce qui domine la scène, c'est l'idée obsédante qui semble n'avoir attendu pour se développer dans ce cerveau prédisposé, que l'occasion de troubles quelconques, fournie, dans l'espèce, par l'arthritisme héréditaire du sujet, et, accessoirement, par une légère dyspepsie d'origine grippale.
Le grand obstacle à la guérison était, chez X..., une réaction psychique congénitalement disproportionnée avec les influences morbides; et c'est pourquoi tous les traitements qui ne se sont pas directement attaqués à l'idée obsédante née du désiquilibre mental ont successivement échoué. La suggestion hypnotique, non acceptée par le malade, devait ne pas réussir. Seule, la psychothérapie à l'état de veille a été couronnée de succès, parce qu'elle a pu être longtemps étayée de moyens thérapeutiques capables d'occuper l'esprit anxieux du malade et de lui dissimuler le traitement suggestif, qui ne pouvait le guérir qu'à son insu.
Et maintenant, que conclure de tous ces faits ? Il semble bien qu'ils vérifient la proposition émise plus haut, à savoir: que la suggestion constitue la véritable thérapeutique pathogénique des neurasthénies graves et rebelles, celle qui réussit là ou toutes les autres ont échoué, celle enfin qui assure les sésultats les plus rapides et les plus durables.
Quel meilleur moyen, en effet, d'imposer une direction au malade, de lui tracer une voie sure vers la guérison, de mesurer et daccroitre progressivement sa part de responsabilité, de le forcer, en un mot, à se distraire, à s'occuper et à vouloir? A mesure que diminuent la désagrégation et la dépression mentales, on voit le pouvoir de contrôle s'accroitre, l'activité psycho-sensorielle et psycho-motrice augmenter, l'équilibre fonctionnel des organes se rétablir. Est-ce à dire qu'il faille s'interdire les adjuvants physiologiques ou pharmaceutiques? Non, sans doute, et j'ai montré qu'ils doublent d'autant plus heureusement, les effets de la suggestion, qu'ils sont administres sous une forme plus rare et plus apte à frapper l'imagination des malades.
En tous cas, il me paraît impossible d'accepicr sans réserve l'opinion encore classique « qu'il n'est pas sans inconvénient d'essayer sur les neurasthéniques l'influence de l'hypnotisation. » Le sommeil hypnotique ne serait-il pas plutôt un moyen commode et inoffensif d'isoler les malades pendant les instants nécessaires à la suggestion ? Tous ceux que j'ai traités par cette méthode ont, de leur propre aveu, trouvé dans l'hypnose prolongée le meilleur des sédatifs nerveux.
Enfin, les faits m'obligent à constater que, loin de provoquer le moindre « détraquement cérébral », la suggestion hypnotique, lorsqu'elle réussit, constitue le moyen le plus sûr et le plus rationnel de fortifier les réactions psychiques des malades, et de leur rendre par là tout ce que leur constitution mentale comporle d'attention, de jugement et de volonté.
Le mal de mer et le moyen de le prévenir par la suggestion
hypnotique.
Par le docteur Gorodichze.
« Le mal de mer est dû au vertige que la mobilité des objets détermine ». a dit Darwin. On a objecté à tort au grand naturaliste que les aveugles n'en sont pas exempts. La notion de la mobilité des objets environnants peut parfaitement se passer de l'intégrité du sens visuel; les autres sens, l'ouïe, le tact, le sens musculaire, se chargent de nous l'apporter avec une non moins grande précision.
Incontestablement, le mal de mer débute toujours par une sensation vertigineuse: pâleur, céphalalgie frontale, anxiété respiratoire, sueurs froides, avant d'aboutir aux nausées et vomissements. Ces mêmes symptômes naupathiques peuvent du reste se produire sur terre. La trépidation du wagon de chemin de fer, la démarche cahoteuse du chameau ou du dromadaire, les provoquent également chez un grand nombre de personnes. M. de Varigny (14 ans aux Iles Sandwich, Paris, 1874) raconte avoir éprouvé le mal de mer le plus violent pendant les secousses du tremblement de terre qui eut lieu sur ces îles, le 2 avril 1868.
Le vertige, qui est la porte d'entrée de la naupathie, parait résulter de la sensation de la perte de l'équilibre. Observez, en effet, l'homme amariné; il fait corps avec le navire, comme un cavalier avec sa monture, pour n'en recevoir aucune répercussion violente. Le corps du marin se plie, s'adapte aux mouvements les plus désordonnés du bateau: quand l'un des côtés du navire s'élève, il fléchit la jambe du même côté et tend l'autre; si la poupe ou la proue s'enfonce, il fléchît insensiblement le tronc en avant ou en arrière. Tous ces mouvements finissent par s'opérer chez lui instinctivement, par le seul effet de l'habitude, de l'éducation.
Mais on n'acquiert le pied marin qu'au bout de quelque temps ou après plusieurs navigations.
La susceptibilité individuelle est ici 1res variable. Les uns ne s'ama-rinent jamais. D'autres acquièrent par contre rapidement l'immunité. Tel qui brave la mer démontée, succombe au clapotis des attérages. Tel qui reste insensible aux mouvements saccadés d'un canot, est très fortement incommode par les lentes oscillations d'un vaisseau ; tel qui a joué d'une longue immunité sur certains bâtiments, est malade sur des bâtiments d'une autre espèce. Cependant on peut dire, en thèse générale, qu'on est plus indisposé sur un vapeur à hélice que sur un à roues. Le tangage est plus difficilement supporté que le roulis. Les femmes sont plus sujettes à la naupathie que les hommes, et les enfants en bas âge beaucoup moins que les hommes.
La chaleur, le manque d'air, l'encombrement, les émanations de la cale du navire et celles de la machine, n'interviennent dans la production qu'en tant que causes occasionnelles. Le mal de mer finalement n'est autre chose qu'un acte réflexe, dont le point de départ est une série d'excitations anormales, dues à l'instabilité du bateau en mouvement et portant sur les nerfs sensilifs des téguments et des viscères, sur les organes des sens et sur le sens musculaire. Cette façon d'envisager la pathogénie m'a conduit à l'idée d'essayer de créer par la suggestion hypnotique un centre inhibitoire du réflexe naupathique.
J'y ai pleinement réussi.
Je vous parlerai de quatre personnes, deux hommes et deux femmes, tous les quatre extrêmement sensibles au mal de mer avant le traitement, et qui après quelques séances de suggestion hypnotique y sont devenus absolument rebelles.
Observation 1. — Madame de D..., 36 ans, légèrement nerveuse, d'une bonne santé habituelle, habite l'été avec son mari le bord de la mer. Dans plus de cent promenades qu'ils firent ensemble, môme par le temps le plus calme, elle a toujours été malade. Après quelques séances hypnotiques, elle resta à bord d'une petite embarcation a voile pendant sept heures avec une mer fortement clapoteuse sans éprouver le moindre malaise.
Observation II. — M. B..., 40 ans, neurasthénique avec phobies. Sur une dizaine de voyages à Londres, n'en a pas eu un seul de bon, et après l'avoir armé de suggestions inhibitrices, il a traversé la Manche par une mer littéralement en furie. Il fut le seul passager à bord qui échappa au mal de mer.
Observation III. — Le cas de M. M..., 46 ans. névropathe, est moins frappant. Par une mer relativement calme, il lui arrivait quelquefois de ne pas être indisposé. Cependant les dix dernières traversées eurent lieu par de très gros temps : conserve un appétit excellent. Sensation do bien-être qu'il attribue au traitement.
Observation IV. — Madame M..., 37 ans, névralgique et migraineuse. Avait fait, avant le traitement, par deux fois le voyage de Tunis et fut malade les deux fois. Depuis, ne fut jamais incommodée dans de très nombreuses sorties en mer, par des temps les plus variables.
*
J'ai choisi dans mes notes les quatre cas les plus démonstratifs, puisque les traversées faites antérieurement à cette vaccination psychique avaient surabondamment prouvé leur malheureuse susceptibilité. Le résultat obtenu, comme vous voyez, est très encourageant. Tout, jusqu'à présent, peut-on dire, a échoué contre le mal de mer, en dehors du moyen infaillible donné par Panurge, qui serait de suivre la doctrine des bons philosophes, qui « disent soi pourmener près la mer et naviguer près la terre estre chose la plus seure et délectable, n Et, cependant, tout a été essayé : depuis le sachet de safran sur le creux de l'estomac et l'ingestion, avant d'embarquer, d'un petit poisson bien rôti qu'on trouve dans le ventre d'un autre poisson, — conseil donné par le R. P. de Rhodez dans ses Voyages et Missions, — jusqu'à tous les alcaloïdes de la thérapeutique moderne, en passant par la faradisa-tion de l'épigastre, la position horizontale, un sachet de glace sur la colonne vertébrale, ceinture abdominale, etc. etc..
Le syndrome naupathique n'est évidemment pas une maladie grave par elle-même, mais le médecin ne doit pas ignorer cependant que les efforts de vomissements, violents et prolonges, peuvent amener des accidents très sérieux et quelquefois mortels dans des cas de cardiopathies, d'ancorysmes de l'aorte, d'artério-sclérose et chez les femmes enceintes, dont les fréquentes contractions abdominales et diaphragma-tiques finiraient par provoquer l'avortement ou l'accouchement prématuré.
Le traitement préventif du mal de mer évite ainsi à une catégorie de malades des accidents peut-être mortels. ??? personnes bien portantes, il évite un malaise très pénible pouvant aller jusqu'à la perte de l'instinct de conservation, du sentiment de la décence et de celui des devoirs sociaux.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société ct'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 16 novembre et 21 décembre, à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladiesnerveuses [dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc... Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterslrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférences surles applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. II est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 189G-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Xordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dc Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hyp-nologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie
M. le Df Bérillon commencera le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.
Ii se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT
170, rue Saint-Antoine,
Paris, Imp. A. Quelouejeu, rue Gerbert, 10.
Jeudi 26 Novembre, à cinq heures, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des Asiles publics d'aliénés, fera une conférence sur : Les applications de l'hypnotisme à la thérapeutique générale.
Jeudi 3 Décemrre, à cinq heures, M. le D' P. Valentin fera une conférence sur : Le râle du sommeil dans les cures psychothérapiques : Les états passifs.
Jeudi 10 Décembre, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les phobies acoustiques.
Jeudi (7 Décembre, à cinq heures, M. le Dr Gaube (du Gers), fera une conférence sur : La minéralisation du cerveau.
Jeudi 7 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie de la douleur.
Jeudi 14 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine, fera une conférence sur : La conversion d'un clinicien à la thérapeutique suggestive.
Jeudi 21 Janvier, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le râle du sommeil dans les cures psychothérapiques : La reconstitution synthétique de la personnalité.
Jeudi 28 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Armand Pauller, ancien Interne des hôpitaux, fera une conférence sur : L'anatomie des régions centrales du cerveau. (Préparations et dissections. — Pièces de démonstrations en pâte molle d'après un procédé nouveau).
Jeudi 4 Février, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les psychoses de la ménopause.
Jeudi II Février, à cinq heures, M. Eugène Caustier, professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : L'évolution de l'amour maternel dans la série animale. [Psychologie comparée).
Jeudi 18 Février, à cinq heures, M. le Dp Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie expérimentale. Applications de la me-thode graphique à l'étude de l'hypnotisme.
Jeudi 25 Février, à cinq heures, M. le Dr Collincau fera une conférence sur : Le précurseur de l'homme.
Jeudi 4 Mars, à cinq heures, M. Maurice Dupont, de l'Ecole du Louvre, fera une conférence sur : L'influence de la suggestion dans l'évolution de l'art.
Jeudi 11 Mars, à cinq heures, M. le DT Max Nordau fera une conférence sur : Les signes précoces et les formes frustes de la paralysie générale.
Jeudi 18 Mars, à cinq heures, M. le Dr Henry Lemesle, avocat à la cour d'appel, fera une conférence sur : L'homme criminel et les doctrines nouvelles de l'Ecole de Lombroso.
Jeudi i" Avril, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le libre arbitre des névropathes.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE
11e ANNÉE. — N° 5.
Novembre 1896.
DU SOMNAMBULISME ALCOOLIQUE
considéré surtout au point de vue médico-légal
Par le Professeur Xavier Francotte, de Liège.
Sous le nom de Somnambulisme {Somnus, le sommeil, ambulo, je me promène), on entend l'état d'un individu qui agit d'une façon en apparence normale, qui pose des actes relativement complexes, mais n'a pas conscience de ce qu'il fait, ou du moins, n'en garde pas le souvenir.
Comme chacun sait, cet état se rencontre, ou bien, à titre d'accident en quelque sorte idiopathique : Somyiambulisme naturel; ou bien, sous l'influence de l'hypnose : Somnambulisme hypnotique; ou bien, enfin, dans certaines névroses, Somnambulisme èpUeptique, Somnambulisme hystérique. A ces formes bien connues, y a-t-il lieu d'en ajouter une nouvelle, le somnambulisme alcoolique ?
Cette question présente évidemment un haut intérêt au point de vue médico-légal ; car, si, d'une part, l'inconscience, l'amnésie des actes posés dans l'état somnambulique constitue un motif d'exonération, d'irresponsabilité pénale, d'autre part, l'apparence normale de ces actes rendra fort délicate l'appréciation de leur nature pathologique.
Que l'alcool, à une certaine dose, puisse produire une amnésie tout au moins passagère, une éclipse de la mémoire, c'est un fait que l'expérience journalière permet de constater. Qui n'a, maintes fois, entendu raconter — s'il ne l'a pas éprouvé par lui-même — que, pris d'ivresse, on est rentré chez soi, on a ouvert la porte, on s'est mis au lit, tout cela sans en avoir
I. Rapport fait au Congrès international d'Anthropologie de Genève.
la moindre conscience, sans en garder le plus léger souvenir?
Cette même amnésie se produit également dans le délire alcoolique proprement dit. Dans son remarquable rapport sur la responsabilité des alcooliques, présenté au Congrès international de médecine mentale, tenu à Paris en 1889 1, M. Motet fait sienne l'opinion de M. Vetault suivant laquelle le phénomène de l'amnésie est beaucoup plus commun qu'on ne le pense. « Nous avons recueilli, dit M. Vetault, un assez grand nombre de faits pour qu'il nous soit permis de dire qu'il est la règle sous l'influence d'une intoxication alcoolique profonde. Lorsqu'un délire violent, un accès de fureur alcoolique éclatent, lorsque des impulsions homicides d'une irrésistible brutalité surgissent, il n'y a pas, au réveil, de souvenir des actes.
o L'oubli est aussi complet que celui qui suit l'accès de fureur épileptique avec lequel, d'ailleurs, l'accès de fureur alcoolique a de nombreux points de ressemblance. »
J'ai eu moi-même à examiner plusieurs accusés ayant agi sous l'empire d'un délire alcoolique et affirmant avoir perdu tout souvenir de l'acte incriminé : leur récit, les circonstances du fait tendaient à démontrer leur sincérité.
Dans les cas dont il s'agit, les phénomènes de l'ivresse, les symptômes du délire alcoolique sont comme la preuve, ou du moins, comme la manifestation extérieure du trouble psychique qui a donné lieu à l'amnésie.
Cependant, l'amnésie se rencontre dans l'alcoolisme, en l'absence même de ces manifestations habituelles. J'en ai observé un cas où la sincérité ne peut être suspectée, attendu qu'il n'y avait aucune prévention en jeu.
Observation I (personnelle).
R. Jean-Pierre, né le 5 octobre 1864. est amené à l'asile des aliénés de Liège, le mercredi 23 novembre 1892, dans l'après-midi.
La police l'a trouvé le mardi 22, dans la matinée, sur une place publique de notre ville, a Il s'amusait, depuis quelque temps déjà, dit le procès-verbal, à jouer sur le seuil d'une des maisons de la place de Bronckart, avec sa montre, quelques pièces de monnaie et d'autre petits objets. Malgré tout ce que nous avons pu faire pour le déterminer à parler, il n'a jamais répondu à nos questions. 11 paraissait avoir complètement perdu l'usage de la parole et de l'ouïe : il a l'apparence d'un idiot. »
Le médecin appelé à délivrer un certificat de collocation déclare 1. Comptes-rendus, par le Dr A. RiUi. Paris 1890, p. 437.
« que le sujet parait ne pas entendre ce qu'on lui dit; impossible d'en tirer une parole ; la sensibilité générale semble abolie. »
Ni la police, ni le médecin, ne pensèrent avoir affaire à un cas d'ivresse : la démarche notamment n'avait rien de caractéristique.
Il est amené à l'asile, le mercredi 23 novembre après-midi.
A son entrée, le frère gardien ne soupçonne pas non plus l'alcoolisme. Le malade ne parlait pas, ne voyait pas. On a cru qu'il était aveugle parce que ses paupières ne bougaient pas lorsqu'on agitait un mouchoir devant ses yeux ; le regard était fixe ; la physionomie inerte.
On lui a offert à manger : il a d'abord refusé, sans parler d'ailleurs et sans rien exprimer. Quand il se fut décidé à avaler une tasse de café et un peu de pain, il sembla sortir d'un réve, demandant où il se trouvait.
Nous le voyons le lendemain, jeudi 24 novembre. 11 est parfaitement présent à lui. Il nous raconte que le lundi 21 novembre, ayant déjà absorbé beaucoup d'alcool, à la soirée, il est rentré dans un café de la rue d'Amercœur qui est située à l'extrémité de la ville opposée à celle où se trouve la place de Bronckart: il y a trouvé une connaissance avec laquelle il a encore bu quelques verres. Il est sorti du café sans savoir comment, et depuis ce moment, tout souvenir lui fait défaut.
Il ne sait pas qu'on l'a trouvé place de Bronckart, qu'on l'a conduit à la Permanence.
La conscience n'est revenue que mercredi après midi : il se souvient des faits qui se sont passés depuis lors, ainsi que des faits antérieurs à lundi soir.
C'est en vain que nous cherchons à réveiller quelque souvenir : la mémoire n'a pas conservé le moindre vestige des événements survenus du lundi soir au mercredi après-midi. Le sujet avoue qu'il se livre depuis longtemps à des excès alcooliques. Au début surtout, il a eu, à diverses reprises, de la « fièvre de boissons » : H s'est bien saoulé 200 fois, dit-il ; mais jamais il ne lui est rien arrivé de pareil ; aussi persiste-t-il à croire que son compagnon lui a mis a quelque chose de contraire » dans sa boisson. Il n'a jamais fait aucune maladie sérieuse et n'accuse aucun trouble. Son teint est anémique : léger tremblement de la langue et des mains. II présente divers signes de dégénérescence: crâne mal formé, oreilles asymétriques, incomplètement ourlées, etc.
Actuellement, on ne constate point d'anomalie notable dans son état mental.
Une de ses sœurs a été internée à l'asile de St-Trond où elle est morte : elle était folle et avait des attaques de nerfs.
Voilà donc un état d'inconscience, d'amnésie, provoqué par l'alcool et persistant durant près de 48 heures.
Sans doute, ce cas n'appartient pas au somnambulisme : l'apparence du sujet était loin d'être normale ; il était dans une sorte de stupeur. Mais, d'autre part, il ne présentait pas
l'allure d'un homme ivre, alcoolisé, et il avait conservé une certaine activité motrice.
Je ne possède pas d'observation personnelle qui puisse être donnée comme exemple de somnambulisme alcoolique, mais on en trouve dans les auteurs.
Il suffira d'en résumer quelques-unes.
Je citerai en premier lieu celle que le Dr Bulard a publiée dans les Annales mèdico-psychologiques7.
Observation II (du Dr Bulard, résumée).
Il s'agit d'un certain V., qui était accusé d'escroqueries commises dans les conditions suivantes : à plusieurs reprises et dans diverses localités, il entrait dans une auberge, dans un café, se faisait servir à boire et a manger, puis il s'en allait sans payer, ou bien il refusait de solder son compte quand on le lui réclamait.
Son père avait des habitudes d'ivrognerie. A l'âge de quinze ans, V. se met à boire et se livre aux plaisirs de l'amour avec une grande ardeur, sinon avec excès. Dès le début, par suite de ses écarts, le malade avait, dit-il lui-même, les idées troublées : « Je le sentais bien, mais je ne chamboulais pas (tituber et divaguer) et Ton ne s'en apercevait pas. »
Plus tard, il présente des troubles intellectuels si prononcés qu'il est question de le placer à Maréville. Il lui est tout à fait impossible de se rappeler ce qu'il a fait pendant plus de quinze jours à cette époque.
Il se souvient seulement qu'à cette période de son existence, il avait déjà des idées de richesse, de .trésors qu'il aurait découverts. Vers décembre 1863, après des excès plus considérables encore — c'est toujours lui qui raconte — il était tourmenté, inquiet, préoccupé ; il lui semblait qu'il y avait des gens qui le poursuivaient, qui lui en voulaient.
Enfin, un beau jour, le soir ou le matin, il ne peut se le rappeler, il partit pour Nancy, où il a dû coucher ; puis, toujours obsédé par l'idée de gens qui le poursuivaient, il a pris à la gare un billet pour la première station venue, Epinal.
Il n'y est pas resté et est parti pour Neufchâteau ; puis, dans le pays de son père, où il s'est livré à outrance aux excès de boissons. Il ne taurait dire combien de temps il y est resté. Il était là chez une tante paternelle qui boit aussi : c'est, du reste, une habitude héréditaire dans la famille de son père.
Il ne peut plus se rappeler comment il est parti de chez elle, et, à dater de ce moment, la mémoire lui fait complètement défaut. Il ne peut plus se rappeler ce qui s'est passé, et, de quelque façon qu'on l'ait
1, Alcoolisme, escroqueries. Ordonnance de non-lieu. Rapport médico-légal, par le D' Bclard. Annales médico-psychologiques. 5e Série,T. V1H", 30' année, 18*12, p. 2?0
poussé, interrogé, retourne dans tous les sens, il n'a pas varié. Il se souvient vaguement d'avoir été à Choloy.d'y avoir couché, d'y avoir bu de l'eau-de-vie, la nuit. A-t-il payé ? Oui ou non ? Il n'en sait rien.
Quant aux autres endroits où on l'accuse d'avoir été et d'être parti sans payer ce qu'il a dépensé, je le répète, de quelque façon que je m'y sois pris avec lui, il a toujours et invariablement affirmé qu'il n'en avait aucune souvenance. « Je ne nie pas, dit-il, puisque la justice le dit, mais je ne me souviens pas du tout. »
11 en est de même pour la façon dont il a été à Strasbourg où on l'a arrêté le 18 janvier 1869.
Il lui est impossible de se rappeler comme il y est arrivé. Il s'est trouvé en prison et, à partir de ce moment, sa mémoire le sert un peu mieux. Il raconte assez bien sa vie antérieure. Les personnes qui l'ont vu pendant la période où ont eu lieu les actes incriminés, n'ont remarqué aucun signe de trouble mental.
Pendant son séjour à l'asile, on a constaté des hallucinations spéciales de nature terrifiante, des idées de grandeur, de richesses.
Sous le nom de vertige alcoolique, le Dr Crothers1 a décrit un état qui mérite, à juste titre, la désignation de somnambulisme.
« Les vertiges alcooliques se produisent, dit-il, à la suite de grands excès de boissons. On les observe chez des individus qui font continuellement usage des alcools. Ces individus agissent et parlent d'une manière saine en apparence : ils semblent bien se rendre compte de tous leurs actes, mais, cependant, ils donnent des signes de dérangement cérébral. A certains- moments, on dirait qu'ils sortent d'une espèce de sommeil et ils n'ont absolument aucun souvenir des faits et gestes qu'ils viennent d'accomplir : ils les nient complètement.
Je reproduis, dans leurs traits essentiels, les trois exemples relatés par M. Crothers.
Observation III (de M. Crothers, résumée).
Le sieur A., loueur de chevaux. Père faible d'esprit, mort phtisique. Mère folle pendant plusieurs années, morte dans un asile.
Dès l'âge de 16 ans, le sujet s'est livré à la boisson. De temps à autre, il faisait de grands excès d'intempérance pendant lesquels il continuait à se livrer à ses affaires, agissant d'une façon raisonnable et paraissant avoir conscience de ce qu'il faisait. Néanmoins, il lui arrivait souvent de dire qu'il ne pouvait se souvenir de ce qui s'était passé pendant qu'il était sous l'influence de la boisson.
1. Le vertige alcoolique dans ses rapports avec la responsabilité des actes. Comptes-rendus du Congres international de médecine mental tenu à Paris, en 1889, p. 465.
A partir de l'âge de 34 ans, plusieurs fois, étant sous l'influence de l'alcool, il s'empara de chevaux qu'il rencontrait, s'abstenant parfois de commettre le vol lorsque le propriétaire était présent, mais ne prenant aucun soin pour se cacher. Que le propriétaire vint à se montrer et à réclamer son bien, il le rendait et s'excusait en homme qui no sait pas trop ce qu'il dit.
Le lendemain, tout cela laissait dans sa mémoire une lacune profonde et il ne pouvait se souvenir de rien.
Il exprimait alors les plus vifs regrets et cherchait à réparer le dommage causé. Son système de défense était regardé comme ridicule par la Cour et le Jury et chaque fois, l'inculpé était frappé de condamnation dont la sévérité allait en croissant. Finalement, il mourut en prison.
Observation IV (de M. Crothers, résumée).
Le sieur B. se livre à la boisson, depuis dix ans, à la suite d'une insolation.
On ne dit rien de ses antécédents héréditaires. Il buvait par périodes de huit, dix jours pendant lesquels il était très excitable, très défiant, très irritable, très violent. Il paraissait rester sain d'esprit et avoir pleine conscience de ce qu'il faisait et de ce qui se passait autour de lui.
Quand il était à jeun, il était bon, généreux, plein d'abandon, doux : il rie se souvenait aucunement de ce qu'il faisait pendant ses périodes d'excitation.
Il menait_ses affaires avec son habileté habituelle, mais il ne pouvait tenir les promesses verbales qu'il faisait, disant qu'il n'en avait gardé aucun souvenir. Aussi, quand on traitait avec lui pendant ces périodes, on avait soin d'écrire tous les contrats.
Dans un accès, il frappa sa femme à coups de chaises et la tua.
Tout en déclarant qu'il n'avait aucun souvenir de son crime, il supporta avec résignation la peine de mort prononcé contre lui.
Observation V (de M. Crothers, résumée.) Pére et mère névropathes.
II commettait dès sa jeunesse des abus de boisson. Il se plaignait de perdre la mémoire pendant ses accès et ensuite, il avait besoin qu'on le mit au courant des affaires et marchés qu'il avait conclus à ce moment.
Il lui arriva de faire des achats absurdes sans se les rappeler, de renvoyer de bons ouvriers qu'il reprenait ensuite quand il devenait sobre, sans pouvoir indiquer pourquoi il les avait renvoyés.
Un jour, il contrefit un billet à ordre pour une grosse somme, présenta hardiment le billet contrefait sans prendre la moindre précaution pour cacher sa présence et le lieu où il se rendait.
Pour sa défense, il soutint qu'il n'avait ni souvenir, ni conscience de son acte qu'il avait commis à la suite d'excès alcooliques : il ne réussit pas à convaincre ses juges et fut condamné.
Sans spécifier formellement, M. Lentz dans son excellente monographie' sur l'alcoolisme, admet également l'existence d'états somnambuliques.
« La science, dit-il, n'est pas sans avoir montré des épilep-tiques, après de violents accès, c'est-à-dire à une époque où l'inconscience est la mieux caractérisée, parlant d'une manière raisonnable en apparence, se conduisant et agissant avec tous les dehors de la raison, et cependant, il n'existait à ce moment absolument aucune conscience intime. La conduite n'est qu'une suite d'actes tout à fait automatiques, auxquels la conscience ne participe aucunement, mais qui, comme dans le somnambulisme, conservent cependant les caractères d'un certain enchaînement et semblent, au premier abord, le résultat de combinaisons intellectuelles déterminées. Des états analogues peuvent se^présenter chez les ébrieux, surtout chez ceux dont l'ivresse s'écarte le plus des intoxications ordinaires, comme chez les névropathes et les épileptiques. »
A l'appui de sa manière de voir, M. Lentz reproduit deux rapports, l'un de Maschka, l'autre de Bouchet. Je résumerai ce dernier, me réservant de dire un mot de celui-là.
Observation VI (de M. Bouchet z, résumée).
. Victor Henry, âgé de 23 ans.
Père presque habituellement ivre et brutal, mère irritable et violente.
Avec un compagnon il passe toute la nuit à aller de café en café. Le lendemain, ils vont à la campagne. Ils rencontrent une dame assise sur le bord du chemin. Henry tire un couteau-poignard qui lui avait servi jusqu'à lors à débourrer sa pipe : « Toi, la dame, cna-t-ii, je veux t'assassiner ; sauve toi, la dame, où je t'assassine.» La femme se sauve, mais au môme moment, trois ouvriers paraissent au détour du chemin ; Henry se précipite sur eux et les frappe successivement avec la plus grande rapidité. Après ce meurtre, Henry était calme. Il marchait tranquillement et, se tournant vers son camarade, il lui dit : « Viens-tu? » Mais, aux cris de meurtre et d'assassin, il jette son couteau-poignard, court sans pouvoir être atteint par ses poursuivants, tombe un instant devant un obstacle, se relève, rentre en ville,
(1) De l'alcoolisme et de ses diverses manifestations. Bruxelles, 1884, p. 184.
(2) Meurtre commis dans un état d'ivresse ou accès de monomanie. Condamnation. Annales psychologiques. Tome III, 1844, p. 231.
arrive à son domicile, monte ses deux étages et là, dans le plus grand désordre, se déshabille et se met au lit.
Réveillé du sommeil dans lequel il est plongé, il répond par de vives protestations et un violent désespoir.
Ce ne fut que le lendemain que Henry fut arrêté. Il manifesta encore le plus grand étonnement et un oubli complet de tous les faits passés depuis sa sortie du dernier cabaret.
Il fut condamné ù 10 ans de simple réclusion aux assises de deux Cours différentes.
Dans toutes les observations citées, on relève la présence des éléments constitutifs du somnambulisme : inconscience, amnésie ; activité relativement complexe, coordonnée et d'apparence normale.
Mais, c'est bien ici le cas de répéter que les apparences sont trompeuses. Si l'on examine de près les observations, on y constate l'indication de certaines anomalies de la conduite, du caractère, etc., ayant existé pendant l'état somnambulique. Sans doute, le sujet aurait révélé des désordres plus marquants encore s'il avait pu être examiné, de près, par un homme compétent.
Le simple somnambule lui-même ne ressemble d'ailleurs que très imparfaitement à l'individu éveillé, sain d'esprit : ce qui le caractérise surtout, c'est, comme le constate M. von Krafft-Ebing l'inertie de sa physionomie, son œil fixe, hagard, comme amaurotique.
Des particularités semblables se retrouvent chez le somnambule hypnotisé et probablement dans toutes les formes du somnambulisme. Ceux qui ont eu l'occasion d'observer" des sujets en état de somnambulisme hypnotique auront été frappés de la transformation que subissent la physionomie, l'allure générale, au moment du passage de l'état hypnotique à l'état de veille.
Il n'en reste pas moins vrai que les apparences du somnambule sont celles de l'homme éveillé et conscient. Or, en médecine légale, l'expert n'étant pas convoqué au moment du crime, doit bien se contenter des dires des témoins ordinairement peu familiarisés avec des observations délicates.
Il faut qu'on le sache, ces allures normales n'excluent aucune-ment l'inconscience, l'amnésie et par suite l'irresponsabilité. Un homme qui agit d'une façon raisonnable n'agit pas néces-
(1) Handbuch der gerichtlichen Médian, de Maschka. Tome IV, Tubingen, 1882, p. 549.
sairement d'une façon raisonnée, d'une façon vraiment consciente : il peut être en état de somnambulisme,
Cette vérité semble parfois méconnue par des médecins eux-mêmes.
J'en trouve la preuve dans le rapport de Maschka auquel je faisais allusion tout à l'heure.
Maschka1 reconnaît que «l'on a tort de dire que l'effet de l'ivresse soit toujours un et le même sur le corps et l'esprit ; que l'homme qui se tient debout, marche et commet certaines actions avec l'apparence de la raison, ne puisse pas être essentiellement troublé dans sa conscience et dans son libre arbitre et doive être regardé comme responsable de tous ses actes. »
Et cependant, de ce fait que l'accusé qui fait l'objet de son rapport, immédiatement après avoir commis le crime dont il ne conservait aucun souvenir, était revenu auprès de ses amis en disant : « Ne parlez à personne de ce qui s'est passé », Maschka conclut qu'il savait avoir fait quelque chose de reprehensible et que sa responsabilité ne saurait être complètement dégagée. J'estime avec M. Lentz que le fait dont il s'agit n'a pas été parfaitement et exactement apprécié par l'auteur du rapport médico-légal.
Je ne voudrais pas prétendre que l'amnésie implique nécessairement l'inconscience absolue. L'observation des faits du sommeil tend à démontrer le contraire. On a la conscience d'avoir rêvé et comme une idée vague du sujet du rêve. Si Ton fixe son attention, si Ion recueille immédiatement ses souvenirs, on arrivera souvent à reconstituer tout au moins des fragments de rêve. Par contre, si au sortir du sommeil on se livre de suite à ses occupations, les traces légères laissées dans la mémoire par l'activité subconsciente du sommeil sont irrémédiablement effacées par les actes pleinement conscients de la veille.
Mais, au point de vue pratique, la question est en somme oiseuse : car, si chez le somnambule alcoolique comme chez le rêveur, la conscience persiste, ce n'est qu a un degré tellement faible, tellement obscur, que toute délibération et tout consentement sont impossibles, et que, dès lors, l'irresponsabilité doit être complète.
Le somnambulisme alcoolique doit être considéré comme une forme anormale, atypique, se présentant, ainsi que le
(1) Cité par M. Lentz, op. citai., p. 181.
montrent les observations citées, chez des individus à prédispositions psychopathiques.
L'existence de pareilles prédispositions rendra donc plus vraisemblable, dans un cas donné, l'amnésie alléguée par le prévenu.
Eventuellement, on aura à tenir compte d'attaques antérieures de somnambulisme.
On établira soigneusement toutes les circonstances du fait incriminé.
Enfin, en interrogeant les témoins, on recherchera les signes, même les plus légers, de perturbation mentale, tels que l'expression de la physionomie, le regard, l'attitude, etc.
Conclusions.
1° Il existe un somnambulisme alcoolique, c'est-à-dire un état provoqué par l'alcool, dans lequel le sujet agit dune façon apparemment normale, mais sans en avoir conscience, ou du moins, sans en garder le souvenir.
2° En réalité, dans l'état somnambulique, la conduite, la. manière d'être présentent certaines anomalies; seulement, ces anomalies échappent facilement à une observation superficielle.
3* Cet état parait ne se présenter que chez des dégénérés'ou, du moins, chez des individus à antécédents psychopathiques héréditaires.
4° Les actes commis dans l'état de somnambulisme alcoolique doivent bénéficier de l'irresponsabilité, à moins, naturellement, qu'il ne s'agisse d'une ivresse voulue, préméditée.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 25 Juillet 1896. — Présidence de m. Dumohtpallier.
Applications de la méthode graphique à l'étude de l'Hypnotisme
Par M. le D' Edgar Bérillos
Après une chute dans un escalier, M110 T..., qufa servi de sujet à nos recherches expérimentales, a été atteinte de névrose traumatique. Les troubles nerveux qu'elle présentait étaient surtout caractérisés par une dyspnée très intense, par des palpitations, de l'irrégularité très marquée du pouls et un tremblement incessant limité aux membres du côté gauche.
Le traitement par la suggestion hypnotique était indiqué. Les premières tentatives pour plonger la malade dans le sommeil provoqué ne furent pas suivies d'un succès immédiat. Elle opposait à nos suggestions une résistance inspirée par diverses inquiétudes mal justifiées. A la quatrième séance, l'ayant complètement rassurée sur les conséquences du traitement psychothérapique, nous la voyons tomber brusquement dans un état de sommeil profond, et nous sommes surpris de constater
Respiration : V (veille) 8 (sommeil)
que la seule apparition du sommeil, provoqué par la suggestion de dormir, suffît pour régulariser les fonctions troublées. Ce résultat est d'ailleurs en rapport avec ce qui se passe chez la malade pendant la nuit lorsque, succombant à la fatigue, elle tombe pendant quelques heures dans le sommeil normal.
Pouls : V (veille) S (sommeil)
En effet, dès qu'elle est hypnotisée, nous constatons que le pouls se régularise, que le choc et les vibrations cardiaques s'atténuent et que la respiration cessant d'être pénible, reprend son rythme normal. En
même temps le tremblement s'arrête instantanément dès l'apparition de l'état d'hypnose.
Après avoir constaté par un examen clinique les modifications survenues sous la seule influence du sommeil provoqué, nous avons voulu les enregistrer par la méthode graphique.
Pour cela, nous avons fait appel à la collaboration de M. Ch. Verdis, qui, comme toujours, s'est empressé de nous donner le concours de sa compétence et a mis à notre disposition ses appareils enregistreurs.
Les tracés 1 et 2, pris successivement dans l'état de veille et de sommeil, montrent les modifications survenues dans le rythme respiratoire sous la seule influence du sommeil provoqué.
Les tracés suivants indiquent d'une façon très nette la régularisation survenue dans le pouls dès l'apparition du sommeil. A l'état de veille
Cœur : V (veille) S (sommeil)
(trace" 3), le pouls est absolument irrégulier, le dicrotisme à peine sensible. Dans l'état d'hypnose, le dicrotisme s'est accentué. On a pu, en même temps, constater une augmentation dans le nombre des pulsations. De plus, la tension artérielle prise avec le sphygmomètre de Verdin, qui, à l'état de veille, était de 500 grammes (11 centimètres de mercure, table du Dr Chéron), est montée, dès l'hypnose, à 650 grammes (14 centimètres de mercure).
Le tremblement étant limité au côté gauche, il fut nécessaire de prendre le pouls à l'artère radicale droite.
Les tracés 5 et 6 montrent une régularisation analogue survenue dans les mouvements cardiaques. Fait à noter, la suggestion de dormir plus profondément ayant été faite dans le cours de l'expérience, les tracés ont enregistré une régularisation encore plus marquée. Dès le réveil, l'irrégularité du pouls et des mouvements cardiaques réapparaissaient sur les tracés; par contre, la suggestion du sommeil ramenait instantanément la régularité.
Les tracés 7 et 8, enregistrant le tremblement de la main gauche,
indiquent, d'une façon manifeste, l'influence du sommeil sur le trouble fonctionnel de la motilité.
Cette application de la méthode graphique, fournie par l'association de la clinique et de l'intervention hypnotique, permet de déduire les conclusions générales suivantes :
1° La régularisation des mouvements respiratoires, du pouls et des
Tremblement : V (veille) S_(sommeil)
mouvements cardiaques, survenant sous l'influence du sommeil provoqué, à l'exclusion de toute suggestion directe sur les fonctions troublées, établit une analogie de plus entre le sommeil provoqué et le sommeil naturel.
2° Cette régularisation constitue une démonstration frappante de la valeur thérapeutique du sommeil provoqué, indépendamment de toute suggestion. _
Psychopathies urinaires réflexes
Par M. le Dr Ed. Laoelouze.
La fréquence des troubles nerveux tenus sous la dépendance de lésions acquises ou d'anomalies des organes génito-urinaires est aujourd'hui établie ; et il n'y a aucune exagération à affirmer que les psychopalhies existent chez le plus grand nombre des urinaires.
La diversité de ces troubles est grande, elle va de la simple instabilité mentale à l'aliénation proprement dite. En constituant une difficulté de plus pour le diagnostic, elle impose l'obligation absolue de faire l'examen méthodique des organes génitaux chez tous les nerveux.
Ces notions ne sont pas moins indispensables au chirurgien qu'au neurologiste et au psycho-thérapeute, puisque c'est au chirurgien que s'adressent tout d'abord les malades, de même que c'est h lui qu'appartiendra le dernier mot du traitement.
Il importe donc que le chirurgien ne les repousse pas comme étant de faux urinaires, d'une part; et que, d'autre part, il étudie le moyen de faire disparaître les malformations qu'ils présentent en évitant autant qu'il est en lui la production de cicatrices permanentes.
Ces faux urinaires sont le plus souvent de véritables urinaires neurasthéniques : c'est la neurasthénie qu'il est le plus fréquent de rencontrer chez les sujets porteurs d'affections des voies génitales en général, et de rétrécissement de l'urèthre en particulier.
Et c'est le traitement de ces rétrécissements qu'il importe d'étudier pour éviter la production de cicatrices semblables à celles que laisse derrière elle Yuréthrotornie interne.
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Les liens qui unissent aux centres nerveux les organes de la fonction urinaire sont bien connus. On sait (Bûdge) que les centres préposés aux fonctions urinaires et sexuelles siègent dans la moelle au niveau des vertèbres sacrées, et l'on sait aussi quelles conditions peuvent produire l'excitation de ce centre et par conséquent l'accomplissement de la fonction qui en dépend.
Chez l'homme en état d'équilibre parfait, le centre spinal peut entrer en jeu par une excitation venue soit de l'écorce cérébrale — antérieure ou postérieure : réflexe descendant — soit de la périphérie : réflexe ascendant.
Les excitations venues du cerveau antérieur sont les processus psychiques, idées, sentiments, évocation d'images erotiques ou sexuelles, souvenirs voluptueux, etc.. Les excitations venues du cerveau postérieur sont celles qui résultent des organes, des sens, appétits, instincts, etc (').
Le réflexe descendant aboutit à la moelle qui produit à son tour, par la voie des nerfs sacrés et du plexus hypogastrique (a), l'érection et l'éjaculation.
Le réflexe ascendant venu de la périphérie de l'extrémité radiculaire des nerfs produit l'excitation du centre spinal, lequel provoque à son tour l'idëation, l'évocation d'images psychiques qui sont ici le dernier terme de l'acte réflexe au lieu d'en être le premier élément, comme dans le cas précédent ('}.
C'est ainsi, pour citer un exemple, que l'état de répéltion de la vessie provoque le réflexe génito-spinal, l'érection matinale accompagnée
(1) On a constaté la frigidité chez des chiens dont l'odorat avait été aboli expérimentalement.
(2) Nerf érecteur
(3) Le réflexe peut se compliquer davantage et porter sur le cœur. On a constaté des syncopes et des.accès d'asthme causés par la sonde-
d'images et d'idées voluptueuses. L'élut de plénitude des vésicules pro-duit le même phénomène.
La puissance irrésistible de l'amour parfait (Herbert-Spencer) serait produite par le consensus des centres corticaux et spinaux à l'état physiologique.
Mais que l'un de ces éléments fondamentaux vienne à être troublé, et aussitôt des désordres graves apparaissent dans les zones qui en dépendent et l'état pathologique est constitué.
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Pour ne point empiéter sur la compétence des psycho-thérapeutes, je ne veux retenir que les faits de désordres apportés par des malformations ou lésions radiculaires des voies urinaires, et non point ceux qui sont imputables à un départ psychologique. Les premiers seuls intéressent le chirurgien urologiste.
Ces troubles sont de deux ordres ; dans un premier groupe se classent des phénomènes d'excitations, telsquele satyriasis causé par des lésions de l'urèthre, les habitudes vicieuses chez les enfants affectés d'adhérences préputiales, les inversions sexuelles chez les sujets porteurs d'anomalies préputiales ou clitoridiennes. Ici l'excitation permanente du centre médullaire par une lésion permanente entraine la quasi permanence de la fonction. A ce même ordre d'idées appartiennent les troubles névropathiques des femmes atteintes de lésions de l'utérus ou des annexes, qui le plus souvent guérissent à la suite d'une intervention ainsi que la neurasthénie génitale de la ménopause. Mais dans ce cas l'impression, après avoir intéressé le centre spinal, se réfléchit vers les zones de l'idêation de la substance grise cérébrale et la symptomatologie montre des irrégularités de caractère et des troubles mentaux. Les mêmes observations seraient applicables aux sujets atteints de monor-chidie, criptorchidie, aux eunuques, aux femmes ovariotomiséesC), aux malades porteurs de rétrécissements ou de cicatrices résultant d'uré-throtomie ancienne de calculs, ou enfin d'affections de la prostate.
Mais au lieu d'une excitation des centres, l'irritation radiculaire peut en produire l'inhibition. Comme exemple de ce second groupe, on peut citer les cas d'impuissance causés par un calcul des voies urinaires supérieures. Tout le monde connaît ces faits dans lesquels, en l'absence de toute douleur, une crise prochaine a pu être annoncée par l'arrêt de la fonction sexuelle chez des sujets en pleine activité génitale. Quelque fois aussi l'impuissance est causée par la persistance d'une blennorrhagie et disparait avec elle ; il peut en être de même d'un rétrécissement de l'urèthre.
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Il est un point d'une importance capitale et qu'il n'est pas ici le lieu de traiter a fond, mais qui ne saurait cependant être passé entièrement
(1) Peut-être un cenaîn nombre de troubles mentaux consécutifs aux ovariotomics peut-il être attribué aux cicatrices consécutives à cette opération.
sous silence. Des expérimentateurs tels que : Homen, Singer, Tooth, Lissaucr, ont constaté que la présence des lisions radiculaires anciennes peut entraîner des dégénérescences de la substance même de la moelle aux points préposés aux fonctions des organes lésés.
Il y a plus : des observateurs ('Jauraient vu le même phénomène se produire chez l'homme.
Ainsi le fait seul de l'existence d'une lésion originelle ou acquise des organes génitaux entraînerait par une irritation radiculaire ascendante, la destruction même du centre préposé aux fonctions de cet organe ; et l'existence d'un rétrécissement, par exemple, suffirait à compromettre l'intégrité même du centre spinal préposé aux fonctions génitales etpar voisinage le centre des fonctions urinaires.
On devine quelles données nouvelles une telle notion peut apportera la pathologie générale et à la pathologie spéciale.
Peut-être cela nous permettra-t-il d'expliquer mieux qu'il n'a été fait jusqu'à ce jour les troubles d'innervations de la vessie causés par des obstacles mécaniques apportés à l'émission de l'urine : l'hypertrophie prostatique, par exemple.
Une autre considération non moins grave et qui augmente encore s'il est possible la nécessité de l'examen des organes génitaux est tirée de la connaissance relativement récente des réirécissements larges.
On sait que depuis quelques années, à la suite des recherches de M. Otis de New-York, et malgré la vive opposition de l'école de Paris, tout le monde admet l'existence de rétrécissements de l'urèthre, connus sous le nom de « rétrécissements larges ».
Le rétrécissement large peut n'entraîner aucun trouble fonctionnel; il a le plus souvent besoin d'être recherché avec d'autant plus de soin que les malades n'en sont nullement incommodés au point de vue uri-naire proprement dit. Leur diagnostic même serait assez délicat puisque l'on doit considérer comme rétrécis certains canaux qui permettent cependant le passage à un explorateur n° 20 « sans trahir l'irrégularité du calibre ».
On voit l'importance capitale de ces deux notions : possibilité de lésions permanentes de la moelle dans le rétrécissement, qui lui-même peut exister en dehors de tout trouble fonctionnel.
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Ces réflexions se sont présentées à mon esprit à l'occasion de l'observation d'un malade qui me fut envoyé par le docteur Bérillon. Il s'agissait d'un neurasthénique atteint de céphalée persistante et d'une phobie hyper-acoustique particulière qui ne lui permettait pas de supporter les bruits normaux venus de son voisinage immédiat, tandis que les bruits extérieurs lui étaient à peu près indifférents. En l'absence de toute cause appréciable, et le commémoratif indiquant l'existence dans le passé d'une
Gombault, Kahler, Schultse, Sottas.
blennorrhagie, le docteur Bérîllon me l'adressait pour être examiné au point de vue de l'existence d'un rétrécissement ; l'interrogatoire portant sur la fonction urinaire, faisait connaitre que cette fonction était à peine troublée. Malgré le grand souci que ce malade a de sa santé en générale il n'a jamais porté son attention de ce côté.
A l'examen méthodique pratiqué à l'aide de l'explorateur, je rencontrai dans la région pénienne un premier rétrécissement ne permettant le passage qu'à une boule n° 15, et dans la région bulbaire un deuxième rétrécissement qui ne permet l'introduction que de l'explorateur n° 13.
En dehors de toute autre cause, il était légitime de supposer que ces deux strictures assez prononcées tenaient sous leur dépendance l'état de déséquilibrement de ce malade, et l'indication s'imposait de le débarrasser de ces rétrécissements.
Les procédés classiques pour la guérison du rétrécissement sont l'uré-throtomie interne et la dilatation.
11 ne fallait évidemment songer à l'uréthrotomie interne, qui aurait laissé après elle une cicatrice.
Si le diagnostic étiologique était exact, — et l'événement a montré combien il était fondé, — il fallait craindre que cette stricture. minime par sa nature, mais considérable par son retentissement, ne soit, à la suite de l'uréthrotomie interne, remplacée par un tissu cicatriciel qui reproduirait plus tard le trouble radicutaire ascendant. La scarification de l'urèthre par la lame tranchante n'est jamais indifférente, mais combien plus n'est-elle pas redoutable lorsque la formation d'une cicatrice fera récidiver avec une quasi certitude les accidents cérébro-spinaux que le chirurgien se propose de faire disparaître.
Chez un sujet à ce point prédisposé, une simple cicatrice peut reproduire la névropathie par excitation permanente,de même que Ton constate souvent des accès d'épilepsie jaksonienne qui n'ont d'autre cause qu'une irritation des nerfs périphériques ou viscéraux par des cicatrices, corps étrangers, etc., et que l'on voit chez les enfants des accès con-vulsifs développés à la suite de brûlures, piqûres, calculs rénaux, etc.
La dilatation avec ses séances multipliées pendant des semaines, avec l'incertitude du résultat, ne plaisait pas plus à notre malade qu'à la majorité de ceux qui viennent nous consulter. Je la considère, quant à moi, comme une méthode surannée qui ne saurait convenir à nos habitudes de chirurgie rapide et aux besoins modernes, et qui ne se maintient que grâce à la grande puissance de suggestion de quelques maitres encore hostiles à l'électrolyse, pour les raisons que tout le monde connaît et apprécie.
Pour cette raison et pour bien d'autres d'ordre chirurgical qu'il n'y a pas lieu de discuter ici, je me décidai à employer l'électrolyse. On sait que l'action électrolytique du pôle négatif agit par un processus de régénération moléculaire de l'épithélium qui a aujourd'hui largement fait ses preuves dans la chirurgie urinaire, etaussi entre les mains des
dermatologistes qui peuvent modifier à leur gré les cicatrices apparentes de la peau.
Comme toujours, l'opération fut faite en quelques secondes, après les précautions antiseptiques d'usage, par l'application d'un courant de 15 milliampères. Il fut facile d'introduire, aussitôt après, une bougie n* 24 de la filière Charrière, et le malade rentra chez lui à pied. Il n'y eut ni fièvre ni suppuration, ni accident d'aucune sorte.
Huit jours après il revint et raconta qu'il ne s'est plus levé la nuit et que le jour il urine plus rarement. L'état général est excellent, l'appétit très bon et les troubles neurasthéniques ont complètement disparu, ainsi qu'a pu s'en convaincre le docteur Bérillon, qui a revu son client et constaté la métamorphose opérée par l'intervention faite il y a six mois environ.
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* *
Ce cas est un exemple type de neurasthénie grave causée par une lésion objective de l'urôthre, et l'on en rencontre souvent de semblables qui n'échappent qu'à un examen insuffisant.
Il faut donc explorer tous les nerveux en ayant toujours présente à l'esprit la possibilité d'un rétrécissement large.
Cet examen s'impose chez les malades qui ont eu un passé uréthral, mais il doit être pratiqué aussi chez ceux qui, dans leur interrogatoire, ne laissent soupçonner aucune maladie antérieure, car l'axiome « Pas de passé urétral, pas de rétrécissement », ne saurait en aucune façon être accepté aujourd'hui.
Le rétrécissement constaté, il faut intervenir de bonne heure en se rappelant que les causes d'irritations des centres nerveux peuvent amener des lésions dégénératives irrémédiables de ces centres.
Enfin, c'est à l'électrolyse qu'il faut avoir recours, et repousser absolument l'uréthromie interne, moyen suranné qui oblige les malades â porter une sonde à demeure pendant plusieurs jours et donne naissance à une cicatrice qui expose à la récidive et continue à impressionner le centre génito-spinal.
L'obstacle détruit grâce à l'électrolyse, qui est le procédé de choix, il pourra arriver que le malade ne soit pas entièrement débarrassé de ces troubles nerveux, par celte habitude qu'il est si fréquent de constater chez ces malades, c'est alors que le traitement psycho-thérapique interviendra avec le plus grand succès, ainsi qu'en témoignent les nombreuses observations publiées par la Reçue de l'hypnotisme et dans lesquelles la suggestion fit disparaître non seulement la douleur causée par des injections, mais même la rétention, ainsi qu'il en a été relaté un cas par M. le professeur Richet à la Société de Biologie en 1887.
Note sur le sommeil provoqué à distance.
Par M. E. Boibac, professeur de philosophie au Lycée Condorcet.
Comment se produit l'hypnose? Est-elle toujours, comme le prétend l'école de Nancy, un simple effet de la suggestion, c'est-à-dire de l'attente et de la conviction conscientes du sujet? Ou le mécanisme en est-il plus compliqué et plus obscur qu'il ne le parait d'après les théories de cette école,et faut-il faire une part, au moins dans certains cas, à une influence personnelle de l'opérateur, tout à fait distincte de la suggestion ? La question, à notre avis, doit rester ouverte : ceux-là se trompent qui, se hâtant de la fermer, déclarent, avec le professeur Bernheim, que la suggestion est la clef de tous les phénomènes de l'hypnose. Ils se condamnent ainsi à passer sans les voir, ou même en les niant de parti-pris, à côté de phénomènes très réels et très significatifs, comme ceux que nous nous proposons de faire connaitre ici.
J'ai rencontré pour la première fois le jeune Gustave P., ouvrier électricien, en 1892 : il était alors âgé de 17 ans ; il a donc aujourd'hui 21 ans et vient de partir au régiment pour son service militaire. Il parait normalement constitué, n'a jamais eu de maladie grave, sauf une hernie inguinale pour laquelle il a été opéré à l'hôpital Saint-Louis en janvier 1896- Les seuls accidents nerveux qu'il ait présentés sont deux crises de nerfs survenues, il y a déjà assez longtemps, à la suite de fortes contrariétés. Il est d'une intelligence moyenne et passe dans son entourage pour rêveur et faible de caractère. J'ai déjà indiqué ailleurs (Nouvelle Revue, l'r octobre 1895} les particularités que présentent chez lui les différents états du sommeil.
J'ai fait avec lui plusieurs séries d'expériences, principalement pendant la première moitié de l'année 1894. Au cours d'une de ces séances, je me disposais à éveiller le sujet à ma façon ordinaire, c'est-à-dire par la suggestion verbale et en agitant l'air devant son visage, lorsqu'avant que j'eusse dit une parole et fait un geste, il s'éveilla spontanément. Je me demandai si ce réveil n'était pas l'effet d'une sorte de communication de pensée, et je me proposais de vérifier cette hypothèse par de nouvelles expériences spécialement instituées à cet effet ; mais, par malheur, Gustave dut quitter Paris pour s'embaucher en province et je le perdis de vue pendant plus de sept mois. Je repris mes séances avec lui en février 1895. Elles se continuèrent à partir de ce moment — sans grandes interruptions — jusqu'en juillet 1896 ; et j'eus ainsi occasion de constater, aussi souvent que je le voulus et dans les conditions les plus diverses, le phénomène du sommeil et du réveil provoqués à distance par une simple action mentale. Ce phénomène devint pour moi aussi familier, et presque aussi facile à produire que le sommeil provoqué par la suggestion, le regard ou les passes ; il me serait donc impossible de relater ici tous les cas où je l'ai produit. Je me contenterai d'en donner quelques exemples choisis parmi les plus caractéristiques.
La difficulté particulière de cette sorte d'expériences, c'est qu'il faut que le sujet ne puisse soupçonner à aucun signe l'intention de l'expérimentateur : il doit être endormi absolument à son insu, dans les moments où il ne peut s'y attendre en aucune façon. Aussi n'est-il guère possible de combiner l'expérience à l'avance : elle doit le plus souvent être improvisée à l'instant précis où le hasard fait naître une occasion favorable, et sa force probante lui vient presque toujours des circonstances extrêmement particulières au milieu desquelles elle s'est produite. Qu'on excuse donc le caractère forcément anecdotique de la plupart des expériences dont nous allons faire le récit.
Le 27 février 1895, Gustave P. venait d'être endormi et, au cours de ce sommeil, j'avais expérimenté les phénomènes d'attraction et de picotement produits dans les différentes parties du corps par la présentation de la main, dont j'ai rendu compte dans mon article de la Nouvelle Reçue. — Comme ce genre d'expériences énervait très rapidement le sujet, je le réveillai et le laissai reposer, tout en causant avec lui de choses indifférentes. A ce moment, je m'aperçus que le feu s'éteignait dans la cheminée près de laquelle nous étions assis, et je sonnai pour que la domestique vint le rallumer. Tandis qu'elle vaquait à cette opération, nous restions silencieux, Gustave et moi. J'eus alors l'idée de saisir cette occasion pour essayer de l'endormir par le seul effet de la volonté. Sans le regarder, mes yeux fixés dans la direction du foyer, je lui ordonnai mentalement de dormir, avec toute la force de volonté dont j'étais capable ; et en moins d'une minute, avant que le feu fut rallumé, ayant levé les yeux vers lui, je m'aperçus qu'il dormait. Dès que nous fûmes seuls, je lui demandai pourquoi il s'était ainsi endormi sans ma permission ; il me dit qu'il avait senti tout à coup dans sa tète la même chaleur et le même trouble qui précédaient toujours chez lui le sommeil quand je l'endormais; et c'est toute la réponse que je pus en tirer et qu'il reproduisit d'ailleurs invariablement chaque fois que je lui posais cette question dans la suite. Après un quart d'heure environ de sommeil employé à la reprise de nos premières expériences, le voyant de nouveau énervé, je lui dis qu'il allait dormir tranquillement dix minutes et que je le réveillerais ensuite, quand il serait tout à fait reposé. Puis j'allai à la fenêtre, et, lui tournant le dos, regardant au dehors, je lui ordonnai mentalement de se réveiller. L'ordre mental fut plus fort que la suggestion verbale, car une minute ne s'était pas écoulée que le sujet poussait un profond soupir et s'éveillait. Quelques instants après, je l'endormais de nouveau par un acte intérieur de ma volonté.
A partir de ce jour, il ne se passa pas de séance où je n'expérimentai le phénomène, souvent plusieurs fois dans la même séance, à chaque occasion qui m'était offerte. Je remarquai, surtout dans les premiers temps, que j'éprouvais le lendemain une très grande lassitude, une sensation d'épuisement et de vacuité qui se localisait surtout dans l'occi-
put, et, coïncidence assez singulière, le lendemain de la séance que je viens de raconter. le sujet se plaignit à moi spontanément d'avoir éprouvé cette même sensation au même point. Du reste, l'action mentale nécessaire pour provoquer ainsi le sommeil s'accompagne toujours d'une extrême tension cérébrale ; il ne suffit pas de penser une seule fois qu'on veut endormir le sujet, il faut se concentrer, se fixer dans cette pensée ou plutôt dans cette volonté pendant une ou deux minutes, trente secondes au minimum ; et, à mesure que cette tension se prolonge, la fatigue nerveuse s'accroît rapidement et devient bientôt presque intolérable. Cependant, l'habitude, ici comme ailleurs, diminue graduellement l'effort, et dans ces derniers temps, j'arrivais à endormir mentalement mon sujet sans en éprouver une trop grande fatigue.
J'ai rendu un assez grand nombre de personnes témoins de ces expériences, entre autres M. W., interne de la clinique du docteur Bérillon. M. \V. était venu chez moi, un soir, accompagné d'un de ses amis qu'il endormait. Après avoir présenté un certain nombre d'expériences avec Gustave P., je le réveillai définitivement, et, m'adressant à M. W. et à son compagnon, je les priai de vouloir bien expérimenter à leur tour. Le sujet de M. W. fut immédiatement endormi par suggestion, et Gustave, qui le regardait avec une très vive curiosité, nous fit part de l'intérêt qu'il prenait à ce spectacle. Pendant que son attention et celle de tous les assistanis était tournée sur M. W. et sur son sujet, j'ordonnai mentalement à mon sujet de dormir. Comme je l'ai observé dans tous les cas analogues, c'est-à-dire quand son attention était fortement excitée par quelque objet ou quelque événement intéressant, il m'opposa inconsciemment une assez longue résistance, et il me fallut près de deux minutes pour provoquer le sommeil. Quand je le vis endormi, je le montrai du geste aux assistants. Ceux-ci, qui n'avaient pas été prévenus de mon action, crurent qu'il s'était endormi par imitation, par sympathie, en regardant le sommeil du sujet de M. W. Je leur fis comprendre par signes que j'étais la cause de ce sommeil, mais je vis bien qu'ils n'en étaient pas convaincus. Aussi, quelques instants après, je leur fis passer un papier sur lequel j'avais écrit : « Je vais l'éveiller mentalement » ; puis, tandis que M. W. continuait à expérimenter avec son sujet, j'ordonnai mentalement à Gustave P de se réveiller. Cette nouvelle action fut à peu près aussi lente que la première ; mais enfin, après deux minutes environ de lension cérébrale, j'eus la satisfaction de voir Gustave P. ouvrir les yeux et sortir de son immobilité de statue. Aux paroles qu'il prononça ensuite, nous comprimes qu'il n'avait aucun soupçon de ce sommeil intercalé. Je désirais convaincre entièrement les assistants de la réalité du phénomène: aussi je guettais l'occasion de le produire une seconde fois devant eux. Voici comment elle se présenta. Le sujet de M. W. ne dormait que d'un demi-sommeil. M.W. lui suggéra, à haute voix, que lorsque la pendule sonnerait dix heures, il s'endormirait profondément. L'aiguille marquait à ce moment dix
heures moins dix. Redoublement de curiosité chez Gustave P., dont les yeux vont alternativement du sujet à la pendule. Je préviens les assistants de mon intention par un mot manuscrit. (Gustave est accoutumé à voir ainsi circuler des notes, attendu que dans les expériences que je fais avec lui devant des assistants, je tiens à ce qu'on parle le moins possible.) La pendule marquait dix heures moins cinq, et Gustave dormait déjà. Je le laisse dormir jusqu'à dix heures et quart, et après avoir prévenu les assistants, toujours par écrit, je le réveille sans un mot, sans un geste, par l'effort de ma volonté. Il renoue immédiatement le fil de sa conscience au point où je l'avais interrompu et, comme il s'attend à ce que le sujet de M. W. s'endorme profondément à dix heures, il est stupéfait de voir que la pendule marque dix heures passées, et nous l'entendons déclarer qu'il n'y comprend plus absolument rien.
Jusqu'ici je n'avais produit le sommeil par action mentale qu'au cours d'une séance déjà commencée, après avoir déjà endormi le sujet par d'autres procédés (le plus souvent par la présentation de la main devant le front ou par des passes) ; pouvais-jc l'endormir ainsi d'emblée, dès le début de la séance, après un intervalle de 8 à 10 jours où j'avais cessé de le voir ? J'expérimentai dans ce sens, et l'expérimentation, donna une réponse affirmative. Le docteur H., bibliothécaire de l'Ecole de médecine, et un de ses amis ëtantvenus chez moi, commencèrent par interroger mon sujet sur ses antécédents, sur ses impressions, etc. Tandis que Gustave causait avec eux, j'étais dans un autre groupe et lui tournais le dos. Je lui ordonnai mentalement de s'endormir, et tout à coup, au milieu d'une phrase, ses yeux se fermèrent, et il resta muet. Comme cela lui arrivait toujours quand il entrait en somnambulisme, il n'était plus en rapport avec personne qu'avec moi. — Je refis une autre fois la même expérience dans des conditions un peu différentes. J'avais longuement expérimenté avec P. devant une assez nombreuse société, chez des amis : la séance était terminée, et l'on était passé au salon boire le thé. Mon sujet, fort entouré, causait dans un groupe ; j'étais à l'autre extrémité du salon dans un autre groupe, séparé de lui par plusieurs rangées de personnes. Tout en ayant l'air d'être fort attentif à ce que disait l'un de mes interlocuteurs, j'envoyai à mon sujet l'ordre mental de s'endormir; et j'entendis bientôt les exclamations de surprise et presque d'effroi que poussaient ceux qui l'entouraient en le voyant tout à coup immobile, les yeux fermés, la parole en quelque sorte coupée aux lèvres.
On a remarqué que dans toutes les expériences qui précèdent, j'étais dans le même appartement que le sujet, à une courte distance, sans obstacle matériel qui me séparât complètement de lui. Le phénomène pouvait-il se produire, si nous étions dans deux pièces différentes, avec une ou plusieurs portes closes entre lui et moi ? Voici comment je réussis à résoudre le problème. Après une assez longue séance à laquelle, si je ne me trompe, assistait M. W. dont j'ai déjà parle, Gustave me
demanda l'autorisation de rentrer chez lui (il demeurait à Montmartre). Lorsqu'il eut pris congé des personnes présentes, je l'accompagnai dans l'antichambre, mais au moment de sortir, nous entendîmes un bruit de cataractes : c'étaient la pluie qui tombait à torrents. Malgré l'heure assez avancée, il ne pouvait songer à se mettre en route par un temps pareil ; je l'engageai donc à rentrer au salon jusqu'à ce que la pluie eût cessé. Peu soucieux sans doute de voir recommencer les expériences, il me pria de le laisser plutôt dans l'antichambre attendre le moment de sortir. J'y consentis très volontiers et rentrai au salon rejoindre mes amis, fermant derrière moi la porte qui séparait le salon de l'antichambre. Je saisis alors cette occasion inopinée d'expérimenter le phénomène dans des conditions qui me paraissaient absolument satisfaisantes. Au bout d'une minute de mon action, on entrouvrit la porte, et on vit Gustave endormi dans l'antichambre sur la chaise où il s'était assis. La porte refermée, j'envoyai l'ordre mental du réveil : et une minute après, on voyait Gustave, réveillé, se disposer à fumer une cigarette, n'ayant évidemment aucune conscience de ce court moment de sommeil.
Dans une autre séance, plusieurs de mes amis, parmi lesquels le docteur B-, s'étant réunis dans une pièce voisine pour expérimenter entre eux, j'interrompis mes expériences; et mon sujet et moi nous finies désormais le rôle de spectateurs. Comme l'assemblée était assez nombreuse, je pus quitter un moment la pièce sans que personne (sauf celui que j'avais prévenu de mon intention} s'aperçût de mon départ. Gustave, au moment où je m'en allais, était tout yeux et tout oreilles à ce qui se passait devant lui. Je m'en allai à l'autre extrémité de l'appartement : une antichambre, un long corridor, deux portes closes me séparaient de mon sujet. Je lui ordonnai mentalement de s'endormir. Une minute ne s'était pas écoulée que mon confident venait me dire : «il dort»; je le renvoyai à son poste et ordonnai mentalement le réveil. Encore une minute, et Ton venait me dire : « il est réveillé. »
Il eût été évidemment intéressant d'expérimenter le phénomène à de plus grandes distances, par exemple de ma maison (dans le quartier de l'Europe) à Montmartre où il habitait. Je n'ai jamais osé le faire; et cela pour plusieurs raisons. D'abord, en supposant que l'expérience eût réussi, je n'aurais eu aucun moyen de le savoir; car je ne pouvais pas mettre ou envoyer auprès de lui des contrôleurs qui seraient venus m'informer du résultat. La présence même de ces contrôleurs aurait pu d'ailleurs éveiller ses soupçons et lui faire deviner mes intentions: d'où l'objection toujours à craindre : il s'est endormi non parce que vous avez voulu, mais parce qu'il s'est douté que vous vouliez l'endormir. D'autre part, toujours dans l'hypothèse d'un succès, j'ignorais dans quelle situation il serait surpris par le sommeil : il pouvait en résulter pour lui de graves dangers. Même dans le cas le plus favorable, s'il s'était endormi chez lui, parmi les siens, on n'aurait certainement pas
attribué cet effet à une action exercée à distance; les gens de son entourage en auraient conclu qu'il avait contracté, par suite de mes expériences, la fâcheuse maladie de s'endormir spontanément (ce qui ne lui est jamais arrivé) ; cl je ne me souciais nullement d'encourir une telle responsabilité- Mais on sait que M. Pierre Janet, qui se trouvait à cet égard dans des conditions plus favorables, a pleinement réussi au Havre ces mûmes expériences que nous n'avons pu ni voulu essayer.
On objectera peut-être que le phénomène se rattache d'une manière indirecte à la suggestion, en ce sens que lesujet, venant chez l'operateur pour être expérimenté, s'il ne sait pas quand et comment il doit être endormi, s'attend cependant à être endormi d'une manière ou d'une autre, et que cette attente générale, indéterminée du sommeil est sans doute la condition préalable du succès de cette sorte d'expérience.
Je ne m'attarderai pas à démontrer que cette condition, même en la supposant nécessaire, ne supprimerait nullement la nécessité d'une action personnelle de l'opérateur pour provoquer le sommeil à tel moment précis, dans telles circonstances particulières. Mais cette condition n'est nullement nécessaire, comme le prouve le fait suivant dont je prie encore une fois d'excuser le caractère anecdotique. Gustave n'était pas seulement ouvrier électricien ; il donnait aussi à ses moments perdus des leçons de bicyclette. Justement il apprenait à monter à une personne de ma famille ; et nous allions souvent tous trois par le chemin de fer de ceinture jusqu'à la station de l'avenue du Bois de Boulogne, près de laquelle il donnait ses leçons. Pendant le trajet, soit à l'aller, soit au retour, il m'est souvent arrivé de l'endormir, par ma volonté, d'un bout du compartiment à l'autre, tandis qu'il regardait par la portière du wagon. Je ne l'éveillais parfois, toujours de la même manière, qu'après que le train avait parcouru deux ou trois stations ; et comme il n'avait aucunement conscience d'avoir été endormi, il ne parvenait pas à s'expliquer comment il avait traversé, sans les voir, ces stations intermédiaires. On n'est donc pas autorisé à prétendre qu'il fallait que le sujet fût sous l'influence de cette idée préalable, qu'il allaitélre expérimenté, pour provoquer en lui le somnambulisme par une action mentale exercée à son insu et à distance.
J'ai eu l'honneur de présenter, à la Société d'Ilypnologie, mon sujet, Gustave P. dans la séance annuelle de juillet dernier. J'ai pu me rendre compte à cette occasion de l'extrême difficulté que présentent les expériences de cette sorte quand il s'agit de les présenter à un nombreux public. Ce n'est évidemment qu'à la condition de les voir reproduire un très grand nombre de fois, et chaque fois devant un nombre relativement restreint de personnes, qu'on peut arriver à se faire une conviction définitive à leur endroit. Là est sans doute une des raisons pour lesquelles les faits de cet ordre n'ont jamais réussi à faire accepter leur réalité par les grandes assemblées savantes d'aucun pays. J'avais donné rendez-vous chez moi à Gustave vers trois heures. Introduit
dans mon cabinet, au bout de quelques instants il me pria de lui faire donner à boire. Je sortis de la pièce pour donner l'ordre qu'on allât chercher de la bière, et, à travers la porte, je lui commandai mentalement de s'endormir. Quand j'ouvris la porte, je le trouvai endormi. Je le réveillai mentalement, et nous reprimes notre conversation comme si rien ne's'était passé. Un quart d'heure après, sur l'impériale de l'omnibus qui nous conduisait à l'Hôtel des Sociétés Savantes, j'essayai de l'endormir de nouveau, mais cette fois sans succès. Nous étions probablement trop distraits, lui et moi, pour que la communication se fit entre nos deux cerveaux. On l'introduisit dans la salle de nos séances où il s'assit dans les rangs du public, pendant que je prenais place au bureau. Son attention paraissait entièrement accaparée par les lectures qu'il écoutait avec un visible intérêt. Je le désignai par écrit à notre président qui me demanda, toujours par écrit, quand je voulais expérimenter, et à qui je répondis de même : « Immédiatement, si vous le désirez. » Sur son acquiescement, je me concentrai dans la volonté de provoquer le sommeil ; et. en moins d'une minute, mon sujet était endormi. Xotre président m'objecta qu'il avait peut-être deviné mon Intention dans quelque changement de ma physionomie ou de mon attitude, et il fut convenu que j'irais dans la salle voisine et que, de là, j'essaierais d'endormir mon sujet à un moment fixé d'avance. Mais alors se produisirent dans le phénomène des perturbations singulières dont nous aurions sans doute l'explication, si nous en connaissions le mécanisme intime.
Tout d'abord, tandis que nous faisions ces arrangements, le sujet se réveilla spontanément, sans que je lui en eusse donné l'ordre (ce qui ne lui était jamais encore arrivé) ; et, dès que je fus rendu dans la salle voisine, avant que j'eusse commencé à exercer mon aciion (car le moment convenu n'était pas encore arrivé.) il se rendormit de nouveau, sans, doute aussi spontanément. Je me contentai donc de lui envoyer l'ordre du réveil, et il se réveilla en effet ; mais à partir de ce moment, on eût dit qu'il était entièrement soustrait à mon influence. J'essayai à plusieurs reprises de l'endormir de la salle voisine ; mais, mes efforts n'avaient d'autre résultat apparent que de produire en moi une extrême fatigue nerveuse. Lorsque le moment fut venu de présenter Gustave au public, je l'endormis par la présentation de la main et montrai les particularités de ses divers états de sommeil, après avoir exposé la plus grande partie des expériences dont je viens de faire le récit; puis, voulant donner au moins un exemple matériel d'action à distance, j'écrivis sur un tableau : « Je vais le réveiller à distance » ; et le sujet que j'avais laissé seul sur sa chaise, endormi, à l'autre bout de la salle, se réveilla en efîet en moins d'une minute.
Tels sont les faits sur lesquels je me borne aujourd'hui à appeler l'attention de notre Société : peut-être dirai-je plus tard comment je les comprends et essaierai-je d'en donner une interprétation.
RECUEIL DE FAITS
Sur un cas de somnambulisme
Parle Professeur R. Lépine, de Lyon.
J'ai pu de nouveau cette année observer un somnambule atteint de maladie de Bright, dont j'ai rapporté en partie l'histoire dans la Revue de médecine, 1894, pp. 713 et suivantes. Ce jeune homme avait présenté il y a deux ans, pendant plusieurs semaines consécutives, et à plusieurs reprises pendant quelques jours, un état fort remarquable à divers points de vue.
En effet, il n'entendait que les bruits qu'il écoutait. Des centaines de personnes ont pu constater, de manière à ce qu'il ne subsistât aucun doute dans leur esprit, qu'il n'entendait ni les paroles prononcées par les personnes sur lesquelles son attention n'était pas fixée, ni le bruit assourdissant d'une cloche quand il ne voyait pas cette cloche ou n'était pas prévenu de son existence, tandis qu'il percevait parfaitement les bruits, môme les plus faibles, sur l'existence desquels son attention était attirée : par exemple, le tic-tac d'une montre à quatre mètres de distance. Toute erreur de notre part à cet égard est inadmissible ; la montre était placée latéralement et un peu en arrière de l'oreille, de manière qu'il ne put la voir; de temps en temps on interposait un écran sans qu'il le sût ; or, en l'absence de l'écran, il disait entendre la montre qu'on l'invitait à écouter; il affirmait ne plus l'entendre quand l'écran était interposé. Cette expérience a été maintes fois répétée ; aucune supercherie n'était possible.
Pour la vision, on observait quelque chose de semblable. Le malade avait les yeux presque clos et ne voyait presque qu'à travers ses cils; néanmoins, sa vue, d'une manière générale, était fort bonne, puisqu'il copiait une gravure dans une demi-obscurité; mais il voyait imparfaitement les objets sur la nature desquels son attention n'était pas attirée ; il ne voyait même pas du tout certaines personnes qui étaient devant lui, à moins qu'on lui signalât leur existence. Dans ce cas, il les reconnaissait aussitôt et sans jamais se tromper. En somme, eu égard à ces deux sens, il était dans la condition d'un homme plongé dans une méditation profonde et par conséquent distrait au plus haut degré.
Les effets d'un attouchement même fort léger mais inattendu confirment entièrement cette façon de concevoir son état. En effet, s'il n'était pas prévenu par le sens de la vue ou par un avertissement qu'on allait le toucher, tout attouchement amenait chez lui une attaque épileptique, de même que chez une personne fortement absorbée par une méditation profonde un attouchement provoque, faute d'un arrêt du réflexe de défense, un soubresaut général. Chez notre malade
l'intensité de la crise épileptique était en quelque sorte proportionnelle à l'intensité de l'excitation culanée : si elle était légère, il n'y avait qu'une très légère perte de connaissance avec quelques convulsions cloniques très faibles des membres supérieurs seuls ; si l'excitation cutanée était plus intense, il y avait une grande attaque épileptique complète (sauf l'absence de cri initial).
Le malade, en juillet 1894, avait quitté notre service, en état de somnambulisme (si l'on peut désigner ainsi un état qui n'est pas identique avec l'état de somnambulisme classique), il y est rentré cette année au commencement de mars. D'après son récit, il serait revenu à la vie ordinaire peu de temps après sa sortie de l'hôpital, et dans l'espace de vingt mois aurait eu de nombreuses alternatives d'état somnambulique et d'état normal. Lors de sa rentrée, il était en état normal, et pendant les quelques semaines de son séjour, il est tombé plusieurs fois spontanément en état somnambulique. Une fois, M. le DT Tournier, en lui faisant fixer un objet brillant, reproduit assez exactement l'état où nous l'avions vu il y a deux ans. Pour l'ouïe notamment, il n'y avait aucune, différence, ainsi que nous l'a prouvé l'expérience delà cloche. Pour la vue, on peut dire qu'elle se rapprochait davantage de l'état normal. Il y avait aussi, quant aux paupières, une différence essentielle.
En effet, lors de son séjour dans le service il y a deux ans, on ne pouvait écarter notablement les paupières, tant elles étaient contractées. Le malade paraissait éprouver une photophobie intense et il eût fallu engager une véritable lutte pour tenter de voir la pupille. Aussi n'avions-nous aucune indication sur elle. Cette fois, sans difficulté, nous avons pu à différentes reprises soulever les paupières supérieures et les écarter des inférieures : le globe oculaire était immobile, la pupille dirigée en avant et moyennement contractée au moment où on l'exposait à la lumière. Mais, fait étrange, elle se dilatait après quelques secondes d'exposition au grand jour et restait largement ouverte. En même temps, le malade qui, comme je l'ai dit, voyait très bien entre ses cils, devenait incapable de distinguer les objets et les personnes. Tout, disait-il, paraissait enveloppé d'un brouillard, et il avait de véritables hallucinations de la vue. Ainsi, il disait voir des gens jouant anx boules. Il comprenait d'ailleurs toute l'absurdité de cette vision. Il est vraisemblable que sous l'action de la lumière il se produisait un trouble considérable de l'accommodation. La dilatation de la pupille, au même moment, rend cette supposition très vraisemblable. Malheureusement il ne nous a pas été possible d'étudier, avec des verres, la vision dans ces conditions, car le jour suivant, au moment où nous nous disposions à le faire, il y eut une aggravation subite de l'état général du malade qui, très rapidement a succombé à des accidents urémiques.
A l'autopsie, on a trouvé, comme on le prévoyait, des reins très contractés, extrêmement granuleux, pesant ensemble 90 grammes, un
cœur de Traube, du poids de 510 grammes, et des lésions inattendues dans le cerveau.
En effet, dans l'un et l'autre hémisphère, symétriquement, à la partio tout à fait externe du pufamen ou dans Y avant-mur existaient une fente à gauche, un véritable kyste à droite, à parois ocrouses, reliquats évidents d'hémorrhagie. La fente du côté gauche, verticale et antcro-postérieure, n'avait guère que 2 centimètres dans sa plus grande étendue ; les deux parois latérales étant accolées, la cavité était virtuelle. A droite, au contraire, les dimensions étaient beaucoup plus considérables, et la cavité, qui dépassait le volume d'une noix, un peu aplatie dans le sens transversal, renfermait un liquide incolore très clair, faiblement albumineux. L'insuia était naturellement très saillant de ce côté.
La présence de ces lésions soulève des questions très délicates. Leur siège était tel, qu'on conçoit, surtout pourThémorrhagie du côté gauche, qu'elle n'ait pas produit une hémiplégie. Toutes deux se sont produites évidemment sous l'influence de la forte tension qui a dû exister à un certain moment, en raison de l'atrophie rénale et de l'hypertrophie cardiaque. Quant à leur relation avec l'état de somnambulisme, je me propose de la discuter ultérieurement. Je me contenterai de dire ici que cette relation ne me parait pas très probable. (Lyon Médical)
PSYCHOLOGIE DES FOULES
Les visions des foules.
En ces temps d'apparitions et de prophéties, on nous permettra de transcrire un exemple schématique du mode de création de fausse perception d'une foule.
La foudre incendie une pyramide qui surmonte une église. Quatre cents personnes, leur mentalité aidant, voient et décrivent dans les flammes un démon tantôt vert, tantôt bleu, tantôt jaune.
LA VISION
publique d'vn
horrible & très espouvantable Démon, sur l'Eglise cathedralle de Quinpercorentin en Bretagne. Le premier iour de ce mois de Feurier 1620.
Lequel Démon consumma une pyramide par feu & y survint vn grand tonnerre & foudre du ciel.
A PARIS
Chez Abraham-Saugrin, en l'Isle du Palais, Iouxte la copie imprimée à Rennes, par Jean Durant, Imprimeur et Libraire, rue S. Thomas près les Carmes. 1620.
Samedy premier iour de Feurier mil six ces vingt aduintvn grand malheur et desastre en la ville de Quimpercorentin, c'est qu'vne belle
et haute Pyramide couuerte de plomb estant sur la nef de la grande Eglise et sur la croisée de ladite nef fut toute brûlée par la foudre et feu du ciel, depuis le haut iusques à ladite nef, sans pouuoir y apporter aucun remède. Et pour scauoir le commencement et la fin, c'est que ledit iour sur les sept heures et demie tendant à huit du matin se fit vu coup de tonnerres et éclair terrible entre autres : et à l'instant fut visiblement veu vn Démon horrible et espouuantable en faueur d'vnc grande onde de gresle se saisir de ladite Pyramide par le haut et au dessous de la Croix, estant ledit Démon de couleur verte, ayant vne longue queue de pareille couleur. Aucun feu ni fumée n'apparut sur ladite Pyramide qu'il ne fust près d'une heure apres-midy, que la fumée commença à sortir du haut d'icelle et dura fumant vn quart d'heure : et du mesme endroict commença le feu à paroistre peu à peu en augmentant tousiours, ainsi qu'il deualoit du haut en bas, tellement qu'il se fit si grand et si espouuantable que l'on craignoit que toute l'Eglise fust brûlée, et non seulement l'Eglise mais aussi toute la ville. Tous les trésors de ladite Eglise furent lirez hors ; ses voisines d'icelle faisoient transporter leurs biens le plus loing qu'ils pouuoient de peur du feu.
Il y avoit plus de quatre cens hommes pour deuoir tuer le feu, et n'y pouuoient rien faire. Les processions allèrent à l'entour de l'Eglise, et aux autres Eglises chacun en prières. En fin ce feu alloit tousiours en augmentant, ainsi qu'il trouuoit plus de bois. Finalement pour toute resolution on eut recours à faire mettre des Reliques sainctes sur la nef de ladite Eglise, pres et au deuant du feu. Messieurs du Chapitre fen l'asence de Monseigneur l'Euesque) commencèrent à coniurer ce meschant démon, que chacun voyoit aperteraent dans le feu, tantost vert, jaulne et bleu, iettant des Agnus Dei, dans iceluy, et plus de cent cinquante barriques d'eau, quarante ou cinquante chartées de fumier, et néantmoins le feu continuoit. Et pour dernière resolution l'on Gst ietter un pain de seigle de quatre sols, dans lequel on y mit une Hostie consacrée, puis on print de l'eau benistc avec du laict d'une femme nourrice de bonne vie et tout cela ietté dans le feu : aussi tost le Démon fut contraint de quitter le feu : et avant que de sortir il fit un si grand remu-mesnage, que l'on sembloit estre tous bruslcz et qu'il deuoit emporter l'Eglise et tout avec lui. Et en sifilant il sortit à six heures et demie du soir dudict iour sans faire autre mal (Dieu mercy) que la totale ruyne de ladite Pyramide, qui est de conséquence de douze mille escus au moins.
Ce meschant estant hors, on eut la raison du feu. Et peu de temps après ledit pain de seigle se trouva encore en essence, sans estre aucunement endommagé, hors que la crouste estoit un peu noire.
Et sur les huicton neuf heures et demie après que tout le feu fut esteint, la cloche sonna pour amasser le peuple, affiu de rendre grâces à Dieu.
Messieurs du Chapitre avec choristes et musiciens chantèrent le Te
Deum et un Stabat maler dans Ja chappelle de la Trinité, à neuf heures du soir.
Grâces à Dieu, il n'est mort personne, fors trois ou quatre blessez. II n'est pas possible de veoir chose plus horrible et espouuantable qu'cstoit ledit feu.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 21 décembre 1896, 18 Janvier, 15 Février, 15 Mars 1897, à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Société Néerlandaise de Psychiatrie et de Neurologie
(Nederlandsche Vereeniging vaar Psychiatrie in Neurologie.)
Avec grande solennité a été fôtée à Utrecht, le 17 et le 18 Novembre dernier, le vingt-cinquième anniversaire de la fondation de la Société susdite, sous la présidence du Docteur C. Winkler, professeur de psychiatrie et de neurologie à l'Université d'Amsterdam.
Un certain nombre de savants hollandais et étrangers ont été élus membres d'honneur de la Société, à cette occasion. Nous relevons, entre autres, les noms suivants :
Dr A. Liébeault, de Nancy ; — P' Dr A. Marie, de Paris ; — Pr D' Zichem, de Jessa; — Pr Dr Kraepelin, de Heidelberg; — Pr D' Anton, de Gratis ; — Dr Lombroso, de Turin ; — P'Dr Dallemagne, de Bruxelles; — Pr D' Gowers, de Londres ; — Pr D« Bechteref, de St-Pétersbourg; — P' D' A. Forel, de Zurich.
( Communication du D' van Reaterghem.)
NOUVELLES
Enseignementde l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypno-
tisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsómanos, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiquesde l'hypnotismcll est secondé danssesdémonstrations cliniques par MM.Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdín et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1890-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D** Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentín, Henri Lemesle. Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le D* Paul Joire,' correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie
M. le Dr Bérillon, médecin-inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, commencera le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, à sa clinique. 49, rue Saint-André-des-Arts, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.
Il se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.
conférences
Jeudi 26 Novembre, a cinq heures, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, fera une conférence sur : Les applications de l'hypnotisme à la thérapeutique générale.
Jeudi 3 Décemrre, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une confé-
rence .sur : Le role du sommeil dans les cures psychothérapiques : Les états passifs.
Jeudi 10 Décembre, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les phobies acoustiques.
Jeudi 17 Décembre, à cinq heures, M. Jo Dp Gaube (du Gers), fera une conférence sur : La minéralisation du cerveau.
Jeudi 7 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie de la douleur.
Jeudi 14 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Dumontpallicr, membre de l'Académie de médecine, fera une conférence sur : La conversion d'un clinicien à la thérapeutique suggestive.
Jeudi 21 Janvier, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le rôle du sommeil dans les cures psychothérapiques : La reconstitution synthétique de la personnalité.
Jeudi 28 Janvier, à cinq heures, M. le Dp Armand Paullcr, ancien interne des hôpitaux, fera une conférence sur ; L'anatomie des régions centrales du cerveau. (Préparations et dissections. — Pièces de démonstrations en pâte molle d'après un procédé nouveau).
Jeudi 4 Février, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les psychoses de la ménopause.
Jeudi 11 Février, à cinq heures, M. Eugène Caustier, professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : L'évolution de l'amour maternel dans la série animale. [Psychologie comparée).
Jeudi 18 Février, & cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie expérimentale. Applications de la mé. thode graphique à l'étude de l'hypnotisme.
Jeudi 25 Février, à cinq heures, M. le Dr Collineau fera une conférence sur : Le précurseur de l'homme.
Jeudi 4 Mars, à cinq heures, M. Maurice Dupont, de l'Ecole du Louvre, fera une conference sur : L'influence de la suggestion dans l'évolution de l'art.
Jeudi 11 Mars, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les signes précoces et les formes frustes de la paralysie générale.
Jeudi 18 Mars, à cinq heures, M. le Dr Henry Lemcsle, avocat à la cour d'appel, fera une conférence sur : L'Iamme criminel et les doctrines nouvelles de l'Ecole de Lombroso.
Jeudi lor Avril, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le libre arbitre des névropathes.
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
Psvchologie expérimentale et comparée. — M. Pierre Janet traitera des Conditions psychologiques de la volonté, les lundis à 3 heures et les vendredis à 3 h. 1/4, salle 5.
Clinique nationale des Quinze-Vingts. — Le concours pour une place de chef de clinique s'est terminé par la nomination de M. le Dr Dariex, réminent directeur ^Annales psychiques.
VAdministrateur-Gérant : Emile BOURIOT y 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Qdelquejec, rue Gerbcrt, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11e ANNEE. — ? 6.
Décembre 1896.
UNE VIE DE SAVANT : DELBŒUF
Professeur à l'Université de Liège,
Par M. J. Liégeois, professeur & l'Université de Nancy.
Le 13 août 1896, s'est éteint, à Bonn, des suites d'une douloureuse maladie, M. Delbceuf, professeur à l'Université de Liège, à qui des travaux nombreux, sur les sujets les plus divers, avaient valu une notoriété chaque jour grandissante. La ville de Liège, sa grande et puissante Université, la Belgique tout entière ont perdu, ce jour-là, un homme qui leur faisait le plus grand honneur, par le talent, aussi bien que par le caractère. Nous voudrions, en ce moment, payer un tribut de regrets à un ami qui nous fut bien cher; ce n'est pas en ces quelques pages que l'on pourrait caractériser nettement la vie si remplie, les œuvres si nombreuses, si grandes et si fortes de celui qui n'est plus. On excusera, j'espère, l'insuffisance de ces simples notes, en faveur du pieux sentiment qui les a dictées.
1
Delbceuf (Joseph-Remi-Léopold,) est né à Liège le 30 septembre 1831. Après de brillantes études à l'Université, il se lit recevoir successivement docteur en Philosophie et Lettres et docteur ès Sciences Physiques et Mathématiques, 11 fut ensuite chargé du Cours de Grec à l'Ecole Normale des Humanités, à Liège (1860), puis du Cours de Philosophie à l'Université de Gand (I8fi3)et d'un autre Cours à l'Ecole Normale des Sciences de cette ville. Trois ans plus tard, il était nommé professeur ordinaire à l'Université de Liège, chargé du Cours de Latin et de Grec à la Faculté de Philosophie. Elu, le
14 décembre 1877, correspondant de l'cadimie royale de Belgique, il en devint ensuite membre titulaire, pour la Classe des Sciences. Enfin, en 1895, l'Université d'Edimbourg le nommait docteur en droit, honoris causa, honneur qu'elle ne confère qu'à des savants du plus haut mérite et qu'elle avait antérieurement décerné à Pasteur.
Les grades universitaires qu'il avait su conquérir dans des branches d'études que Ton voit rarement réunies, les cours si divers qu'il avait professés avec un succès toujours croissant, peuvent déjà donner une idée de la puissance intellectuelle de Delbceuf. Mais combien s'accroît l'admiration, pour les dons si rares que la nature lui avait prodigués, quand on jette un coup d'oeil, même rapide et incomplet, sur les travaux qui ont rempli sa vie !
Philosophie, Mathématiques, Biologie, Histoire naturelle, Psycho-Physique, Psycho-Physiologie, Humanités, Hypnotisme, Suggestion, etc., ont attiré tour à tour et retenu l'insatiable curiosité d'un esprit avide de vérité et de lumière, plein de vues souvent profondes, originales, ingénieuses, prompt à tout concevoir, à tout expliquer; ne jurant jamais sur la parole d'aucun maître, libre de préjugés scientifiques, qu'aucune contradiction n'effrayait, qui aimait la lutte (parfois trop peut-être) et qui trouvait que toute vérité est bonne à dire et à propager.
Comme humaniste et philologue, Delbceuf a publié d'abord, indépendamment de quelques ouvrages destinés à l'enseignement du français et du latin un grand nombre de mémoires qui ont paru pour la plupart dans la Revue de V Instruction publique (de Belgique). Je citerai, parmi ceux que j'ai sous les yeux : Essai sur quelques questions de grammaire raisonnèe : i" série, langue grecque ( i 877). — de la placerespectice de l'article et du qualificatif. — A propos d'un subjonctif : Tacite et l'Agrisola. — Lecture faite à la Société pour le progrès des Eludes Philologiques et-Historiques, le 1" novembre 1879. — De quelques définitions grammaticales. — L'hexamètre et l'alexandrin. — Le parfait grec, sa signification et son emploi (1886). — Doit-on dire: Participe ou adjectif en dus ? (1893). — Des préprsitùns en grec (1893) ; — Réflexions à propos des « Glanures grammaticales», dcfiasan(i894).
(1) Chrestomathie latine ; 1" partie, Mons, Monceaux, 1889, quatrième édition, revue et augmentée. — Liège, Desoer, 1894. —Idem, 2* partie, 1896. — Eléments de grammaire fraçaiseifitk collaboration avec M. L. Itoersch : Liège, Desoer, 1895.
— Les premiers vers du premier discours de Médée, dans Euripide, (1894)
On peut rapprocher de ces travaux, comme s'en écartant moins que ceux dont nous aurons à parler plus loin, un volume publié en 1882, ayant pour titre : Conférences faites à la Société Franklin, de 1868 à 1873. Ces conférences ont pour titre : Comment on devient riche. — Les Sorciers. — Les Pyramides d'Egypte, — Une excursion chez les sauvages. — Une comédie du théâtre ancien des Grecs.— Je viens de les relire avec beaucoup d'attention et de plaisir. Elles sont fort intéressantes et ont dû l'être plus encore à l'audition. S'adressant plus particulièrement à des ouvriers, elles ont, à la fois, une familiarité aisée, une clarté très grande, de Vhumour, et, en outre, on y reconnaît un esprit bien doué, qui, resté un peu étranger aux spéculations économiques, n'en a pas moins eu presque toujours une intuition très juste des vérités que l'Économie politique a mises en lumière depuis un siècle.
II
Delbœuf a beaucoup écrit sur les Sciences physiques et mathématiques. ïci, plus encore peut-être que pour plusieurs des sciences auxquelles se rapportent ses autres ouvrages, nous n'avons nulle compétence; il serait d'ailleurs, en ce peu de pages, si difficile d'exposer seulement les principales questions soulevées, que nous devons nous borner aune simple énumération. La voici : on la trouvera peut-être encore, même dans sa sécheresse, très significative :
Prolégomènes philosophiques de la géométrie; solution des postulats; in-8", xxi-308 p. Liège, 18(i0.— Essai de logique scientifique : Prolégomènes .suivis d'une Etude sur la question du mouvement, considérée dans ses rapports avec le principe de contradiction ; in-H°, xux-286 p. Liège, 1865. — Logique algorithmique : Essai d'un système de signes appliqué à la logique ; in-8", 99 p. Liège, 1876. — Etude psycho-physique : Recherches théoriques et expérimentales sur la mesure des sensations et spécialement des sensations de lumière et de fatigue ; in-8°, 115 p. Bruxelles 1873. — Théorie générale de la sensibilité, in-8°, 107 p. Bruxelles 1876. —
(1} En outre, nombreux anieles et comptes-rendus dans ïesAnnates de V Enseigne-mnnt public (belge), (1857-1858) ; la Belgique contemporaine (1861-1862) ; VAthenxum belge (1879-:883) ; les Bulletins de la Société liégeoise de littérature Wallonne ; le Journal de Liège ; la Galette de Liège, l'Echo du Parlement, la Flandre libérale, le Journal Franklin, VAlmanach Franklin, etc.
Examen critique de la loi psycho-physique (Héring contre Fechner; Fechner contre ses adversaires : in-12, 192 p. Paris, 1883. — Détermination rationnelle des nombres de la gamme chromatique : extrait des Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 2e série, tome xxi, n° 5. — Mégamicros, ou les effets sensibles d'une réduction proportionnelle des dimensions de l'Univers; ibidem, 3* série, t. XXV n*6; Paris, 1893. — L'ancienne et les nouvelles gèomètries : Bévue philosophique; 1893, t. XXVI, 449; 1894, t. XXVII, 353, XXVIII, 113; 1895, t. XXIX, 345.
Parlant de l'ensemble de ses travaux sur les mathématiques et sur ce qu'on pourrait appeler la philosophie de ces sciences, Delbœuf disait en 1893, dans la Revue philosophique (I, p. 449): « Je reprends aujourd'hui, après quarante ans d'intervalle, des études qui m'ont été singulièrement chères et que je n'ai abandonnées qu'à regret. Celles que j'ai abordées ensuite m'ont moins attaché, mais m'ont procuré plus de satisfaction. Elles ont été discutées, combattues, approuvées ; en elles et par elles j'ai vécu ; tandis que, dans les années qui ont précédé et suivi la publication, en 1860, de mes Prolégomènes philosophiques de la géométrie, je n'ai connu d'autres luttes que celles que je soutenais contre moi-même. J'avais prévu d'ailleurs, en quelque sorte, ma déconvenue ; et déjà, dans la préface de mon ouvrage, je manifestais la crainte d'être jugé « trop métaphysicien pour les savants, trop mathématicien pour les philosophes * ».
(1) Dans ce dernier article, Delbœuf rappelle, en 1895, non sans mélancolie, que l'exposition de ses vues sur le fondement de la géométrie a trente-cinq ans de date. Ses opinions, dit-il, n'ont pas fait leur chemin. 11 est venu trop tôt. Des philosophes auxquels s'adressait spécialement son livre, il en était peu que leurs connaissances géométriques eussent «fait admettre dans l'école de Platon > ; et les mathématiciens d'alors avaient trop en mépris la philosophie pour daigne le suivre dans le dédale de ses critiques et de ses hypothèses.... Pourtant, il eut l'honneur d'élrc annalysé en Allemagne et eu Angleterre; et il a vu plus tard, avec un assez vif plaisir, des géomètres adopter, en le citant, telle de ses définitions ou telle partie de son plan et de ses théorèmes. En France, son ouvrage semble s'exhumer de l'oubli, et des savants comme MM- Calinon, Lechalas, Léon Couturat, etc. le citent avec éloge et font usage de sa terminologie (p. 348) (a).
(a) En note, sur ce passage, Delbœuf reproduit la citation suivante : « Dans cet ouvrage, antérieur a la publication du#Mémoire de Hicmann et aux travaux de Helmoltz et de Boltrami, M. Delbœuf. n'ayant qu'une connaissance incomplète de la géométrie de Lobalscheffsky {op.cit. p 77), a défini l'espace euclidien, ainsi que la droite et le plan, par l'idée d'homogénéité et réduit les postulais fondamentaux de la géométrie à des principes rationnels. Les recherches ultérieures des mathématiciens n'ont fait que confirmer cette théorie ingénieuse et profonde qui était, pour l'époque où elle a paru, une véritable divination (L. Couturat, Revue de métaphysique et de morale, mai 1893, p. 303).
(2) En note, l'auteur ajoutait ce qui suit :
«Cette critique anticipée a fait fortune. Je l'ai vue reparaître, signée de noms
Les études qu'à différentes reprises, le savant professeur de Liège a consacrées à d'importantes questions de biologie, sont, croyons-nous, de celles qui lui ont fait le plus d'honneur. Nous indiquerons ici les plus considérables.
En 1878, Delbceuf publie, en collaboration avec son collègue et ami M. W. Spring, un travail important sur le Daltonisme, recherches expérimentales et théoriques1. Ces recherches étaient présentées, par les auteurs, comme devant faire l'objet d'une communication à VAcadémie royale de Belgique, et elles ont été résumées dans une note préliminaire, insérée dans les Bulletins de ce corps savant2.
En 1883, parait, dans la Revue scientifique, un article sur Un nouveau centre de vision dans Vœil humain, résumé de recherches faites de concert avec M. Léon Frédéricq, professeur de physiologie à l'Université de Liège.
Les auteurs ont été amenés à conclure ainsi qu'il suit, quant à la genèse de la différenciation de fonction qu'ils ont constatée entre la tache jaune de l'oeil et la périphérie de la rétine : « A mesure que les yeux de nos ancêtres les plus reculés quittaient la position latérale, pour se rapprocher du milieu de la face et se placer sur un même plan, et prenaient ainsi progressivement une position nouvelle, qui favorisait de plus en plus la vision distincte, la sensibilité pour les différences d'éclat restait, pour ainsi dire, au même endroit par rapport au corps et se déplaçait sur la rétine, en gagnant surtout la partie interne et supérieure 3.
Plus importante encore que les précédentes, est l'étude publiée, en 1877, sous ce titre : Une loi mathématique applicable à la théorie du transformisme4. L'auteur cherche à prouver par
respectables, mémo à propos d'autres do mes ouvrages. Voici comment ma Logique algorithmique est appréciée, dans un document officiel, par un de mes collègues : • L'auteur cherche a appliquer à la logique un système de notation qui fasse de cette science une sœur de l'arithmétique et de l'algèbre. A.-1-il atteint son but ? Nous ne le pensons pas. Le mathématicien trouvera que sa critique philosophique est parfois captieuso (suit un exemple). D'autre part, la partie mathématique de l'ouvrage (ou, par parenthèse, il n'y a pas de partie mathématique) rebutera le philosophe (sic) ; par l'aridité des formules dont elle est hérissée.»
(1) Revue scientifique, 23 mars 1878, p. 889.
(2) Bulletins de l'Académie royale de Belgique, t. XLV, n- I.
(3) Revue scientifique, 11 août 1883. p. 170.
(4) Ibidem, 13 janvier 1877, p. 668.
les mathématiquest une proposition qui, dit-il lui-même, semble, au premier abord, paradoxale, et qui serait de nature à modifier gravement le système de Darwin. « Une cause constante de variation (dans une espèce animale) si faible qu'elle soit, transforme peu à peu l'uniformité et la diversifie à l'infini. De l'homogène livré à lui-même ne peut sortir que l'homogène ; mais, si nous supposons dans l'homogène un léger ferment, l'homogénéité sera entamée en un point ; ia différenciation va se propager partout, s'infiltrer dans toute la substance, et après un temps — infini, il est vrai — elle l'aura envahie tout entière 1 ».
Quelques jours plus tard, dans le même recueil2 M. Giard, professeur à la Faculté des Sciences de Lille, illustrait la loi énoncée par Delbœuf d'exemples pris dans tous les ordres du règne animal. Il revint sur le même sujet dans la leçon par laquelle il ouvrit, en 18893, son cours sur l'Evolution des êtres organisés, et à laquelle Delbœuf lui-même fera quelques emprunts, dans son travail intitulé : Pourquoi mourons-nous? dont nous aurons à parler plus loin. En Angleterre, un peu après lui, M. Jos. John Murphy, dans la seconde édition de son livre (Habit and intelligence, a séries of essays on the Latcs of Live and Slind), London, Macmillan, I879, p.241), citait et commentait cette loi et concluait par le paragraphe suivant : Loi de Darwin et loi de Delbœuf : « Je pense qu'il est probable que la loi de Delbœuf» sur la tendance qu'ont les variations à s'établir, se montrera avoir la même importance que la loi darwinienne de la sélection naturelle par la survivance du plus apte. Il faut observer que ces deux lois s'appliquent à des cas différents. La loi de Darwin dit, en résumé, qu'une variation qui procure un avantage aux individus variés tendra à rendre cette variété prédominante. La loi de Delbœuf dit qu'une variation qui n'est ni avantageuse ni désavantageuse, tendra à se répandre jusqu'à ce que le nombre des individus variés égale approximativement (M. Murphy aurait dû ajouter : et dépasse) le nombre des individus variés4. »
Arrivons maintenant au très curieux et très important
(1) Revue scientifique loc. cit. p. 677, col. î, in fine.
(2) Ibidem, p. 771.
(3) Ibidem, 23 novembre 1889.
(4) Nous empruntons cette noie à Delbœuf lui-même : Pourquoi moûrôni'-noùs ? Revue philosophique, 1891, I, 243.
mémoire sur cette question : Pourquoi mourons-nous ?x II est le complément des études de Delbceuf sur l'origine de la mort5 dont il avait Tait, en 1887, un livre sur: La matière brute et la matière vivante. Il lui a été inspiré par un travail « haulemèhj intéressant» de M. Maupas, sous-bibliothécaire à Alger.; Recherches expérimentales sur la multiplication des infusoires ciliés. qui a paru, en 1888, dans les Archives de Zoologie expérimentale et générale de Lacaze-Duthiers. Delbceuf trouvait,comme M. Maupas, que les belles et nombreuses expériences de ce dernier devaient contribuer puissamment et rapidement aux progrès de la physiologie et de la biologie générales. La facilité et l'économie avec lesquelles on peut se procurer des infusoires, l'énergie de leur activité physiologique et la rapidité d'évolution de leurs phénomènes de développement, en font d'admirables sujets d'observation etd'expérience. Nombre de questions inabordables avec les autres êtres, à cause des exigences de temps et des dépenses qu'ils nécessiteraient, pourront être fructueusement mises à l'étude sur les infusoires dans les laboratoires pourvus des plus modestes installations. »
M. Maupas, après cette constatation, résume l'étude qu'il à faite de vingt espèces d'infusoires. Voici comme spécimen l'his toire abrégée des générations d'une de ces espèces,la Stylonichia pustulata : « Cet infusoire se multiplie, comme tous les ciliés, par bipartition ; quand la température est de 24° à 28a, il peut Se fissiparer jusqu'à cinq fois en vingt-quatre heures. Si, d'après les calculs de Delbceuf, toutes ces générations pouvaient trouver leur nourriture, le total des individus, à la cent cinquantième génération, c'est-à-dire au bout de trenle jours, donnerait un nombre commençant par 1 suivi de 44 zéros, et tous ces individus, réunis en une masse unique, représenteraient une sphère un million de fois plus volumineuse que le soleil 3.
Le travail du professeur de Liège, que je viens de relire, la plume à la main, estdu plus haut intérêt; mais il n'est pas,on
(1) Revue philosophique, 1891, I, 225.
(2) Les articles publiés par Delbceuf, sur l'origine de la vie et de la mort, ont paru dans la Revue philosophique, numéros d'octobre 1883,juin, juillet, septembre et octobre 1884. Ils ont été ensuite réunis en un volume de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, sous ce titre : La matière brute et la matière vivante, (I vol. in-18, 177 p., ¡887. Paris, Alcan, éditeur). D'autre pan, M. Daurlac a apprécié dans le numéro d'avril 1889 de la Revue philosophique : La doctrine biologique de M. Delbceuf.
(3) Delbceuf. Pourquoi mourons-nous ? Revue philosophique. 1891, I, ?36. Cf J. Soury. La psychologie physiologique des protozoaires, ibidem, p. 1.
le conçoit, de nature à être analysé dans les quelques lignes qui peuvent lui être ici consacrées. Le lecteur me permettra de l'y renvoyer : j'ose lui promettre qu'il n'y perdra pas son temps.
a De tous les problèmes qui agitent l'esprit de l'homme, disait Delbœuf, en 1882, à l'Académie royale de Belgique, celui de la liberté est incontestablement l'un des plus redoutables. Il s'impose non seulement au philosophe, mais au législateur et au prêtre. »
A quelles luttes n'a pas déjà donné lieu l'opposition de la liberté et du déterminisme. Les partisans du libre arbitre se fondent sur le sens intime et la conscience, qui nous assurent que nous sommes libres. Les déterministes se placent sur un autre terrain : ils récusent le témoignage de la conscience, qui peut n'être qu'une illusion ; ils lui opposent les lois inéluctables de la matière, le principe de causalité, la découverte du principe de la conservation de l'énergie et de la transformation de la force. A cela, les défenseurs du libre arbitre répondent que les affirmations de la conscience ont une certitude supérieure à celles que peut donner une théorie scientifique des phénomènes de l'univers, si bien établie qu'elle puisse paraître. La science d'ailleurs, elle non plus, n'a pas encore résolu ce que M. Dubois-Reymond a appelé les sept énigmes du mondel.
Delbœuf croit qu'il est possible de découvrir « des joints qui concilient des principes en apparence inconciliables », comme le déterminisme et la liberté. C'est une tentative de ce genre qu'il afaitedans son mémoire sur La liberté et ses effets mécaniques, communiqué Tannée précédente k Y Académie royale de Belgique2. C'est le même et vaste sujet qu'il traitera encore dans trois
(1) Voir, dans ta Revue philosophique, 1882. I. 180, l'analyse du discours prononcé devant VAcadimic de Berlin, le 8 Juillet 1880 par M. Dubois-Reymond, lors de la séance annuelle en l'honneur de Leibnili, son fondateur. La première des Sept énigmes a que la science n'a pas encore résolues et ne résoudra peut-être jamais, est l'impossibilité de comprendre la nature intime de la matière et de la force. C'est une borne immuable de notre savoir.
La deuxième, c'est Yorigine du mouvement ; la troisième, l'origine de la vie! l'apparente finalité dans la nature constitue la quatrième. La cinquième, l'origine de la sensation, est absolument transcendante ; elle marque, avec le problème de la matière, la limite infranchissable des sciences naturelles. La sixième difficulté, l'origine ae la pensée réfléchie et du langage, ne semble pas a M. Dubois-Reymond absolument insoluble; nous voyons les fonctions intellectuelles se développer dans la série animale et dans l'individu, etc. Enfin, le septième et dernier problème, le problème capital, à la solution duquel est intéressé tout l'organisme social aussi bien que la destinée des individus, c'est celui du libre arbitre.
(2) Bulletins de l'Académie, 3* série, L 1-, p. 463, 1882.— Déterminisme et liberté'. Ibidem, t. III, no 2, 1882.
remarquables articles de la Revue philosophiquet, sous ce titre : Déterminisme et liberté. La liberté démontrée par la mécanique.
Dans le premier de ces articles, notre auteur rappelle que, en 1877, M. Boussinesq, alors professeur à la Faculté des Sciences de Lille, annonça qu'il avait enfin trouvé la vraie solution du problème du libre arbitre. Il publia dans les Comptes-rendus de l'Académie2, dans la Revue scientifique3, dans la Revue philosophique4 des notes à l'appui d'un gros mémoire, « tout hérissé de formules savantes et de réflexions métaphysiques ingénieuses »....
A l'Académie des Sciences, un autre mathématicien, M. de Saint-Venant, se fit en quelque sorte le parrain de l'invention. Puis M. Paul Janet crut pouvoir, tout en déclinant sa compétence, donner, à l'Académie des Sciences morales et politiques, « dans un « rapport lumineux comme lui seul sait en faire, son approbation à un travail qu'on lui présentait comme sauvant la liberté. »
Ce rapport fut publié en tête du volume de M. Boussinesq5.
La philosophie mathématique du savant professeur de Lille ne passa pas sans protestations. En septembre 1878, parut, dans le Journal des Savants, un article de M. Bertrand, qui la combattait fortements. Et, un peu plus tard — tant cette question de la liberté sollicite les penseurs, — M. Dubois-Reymond revint à la charge et attaqua de nouveau M. Boussinesq.
Delbœuf entre en lice à son tour. « La solution nouvelle repose sur certains cas d'indétermination que peuvent présenter les équations différentielles du mouvement, dont l'intégration conduit à des solutions singulières. »
Suit une discussion que nous ne pouvons analyser, et qui d'ailleurs ne serait point ici à sa place.
Après avoir repoussé le système de M. Boussinesq, Delbœuf développe les preuves (qu'il prétend tirer de la mécanique), de l'existence de la liberté (2e article). Il emprunte d'abord à Dubois-Reymond l'exposé du mécanisme de l'univers : « On ne saurait admettre que deux événements ni deux pensées soient
(1) Revue philosophique, 1882, I, 453, 608; II, 156.
(2) Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, 1877, p. 362 et 944.
(3) Revue scientifique, 14 avril 1877.
(4) Revue philosophique, janvier 1879.
(5) Conciliation du véritable déterminisme mécanique avec l'existence de la vie et de la liberté morale ; extrait des Mémoires de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, année 1878, t. VI, 4e série.
(6) M. Boussinesq a répondu à M. Bertrand dans Les Mondes, les 13 et 28 novembre 1878.
également possibles dans un temps donné ; les molécules cérébrales ne peuvent se disposer que d'une seule manière, comme les dés ne peuvent tomber que d'une manière dès qu'ils sont sortis du cornet. Une molécule quittant sa place ou sortant de sa route sans raison suffisante, serait un aussi grand miracle que si Jupiter, sortant de sa voie elliptique, jetait la perturbation dans le système planétaire »
Dans un autre discours, resté célèbre2 le même savant exprimait en ces termes les conséquences des principes qui viennent d'être rappelés.
« On peut concevoir une connaissance de la nature telle que tous les phénomènes de l'univers y seraient représentés par une formule mathématique, par un immense système d'équations différentielles simultanées, qui donneraient, pour chaque instant, le lieu, la direction et la vitesse de chaque atome de l'univers. »
La liberté trouve-t-elle place dans un pareil système ? Evidemment non.
« Du moment, fait remarquer Delbceuf, que la force ne peut ni se créer, ni se détruire, et qu'il résulterait de ce principe que l'avenir, avec toutes ses déterminations, est contenu intégralement dans le passé, il n'y a qu;une puissance extra-naturelle qui puisse empêcher d'être ce qui doit être, et l'homme n'a pas la prétention d'être cette puissance. II est cependant d'un intérêt majeur de sauver la liberté 3.....
C'est donc à sauver la liberté, en acceptant d'ailleurs tout ce qu'il y a d'incontestable dans les lois scientifiques de l'univers, qu'il va consacrer ses recherches et sa discussion.
Il croit à la liberté, et non pas seulement à la liberté de l'homme, mais à la liberté de tous les êtres sensibles 4. Sensibilité lui semble impliquer intelligence et liberté, car on ne comprend pas que la faculté du plaisir et de la douleur ne soit pas alliée à la faculté de poursuivre l'un et de fuir l'autre ; et cette poursuite et cette fuite ne sont possibles que si l'être sensible
(1) Dubois-Reymond, discours cité plus haut.
(2) Veber die Grenue» die Naturerkennens. Conférence tenue à Leipzig, le 14 août 187?. Voir la Revue scientifique du 10 octobre 1874.
Au moment où nous corrigeons les épreuves du présent article, nous apprenons la mon de M. Dubois-Reymond.
(3) Revue philosophique, 1882, 1, 611.
(4) M. G. Lechalas. dout on trouvera plus loin l'appréciation sur la haute valeur des travaux scientifiques de Dclbœuf, cite de lui celte belle parole : « J'aimerais « mieux sacrifier la science entière que de renoncer à la liberté. »
peut démêler où se trouvent les causes de la jouissance et do la peine.
Toutefois, Delbceuf n'admet pas que la liberté qu'il appelle sensuelle {il faudrait, ce me semble, dire sensorielle) et qu'il distingue de la liberté morale, pour laisser celle-ci en dehors de son sujet — résulte de forces libres. Une force libre, une force individuelle, qui peut faire varier elle-même son intensité et sa direction, « est un véritable non-sens ».... Quand on veut considérer les êtres libres comme des magasins de forces, dont ils disposeraient à leur gré et qu'ils porteraient à droite ou à gauche, suivant leur fantaisie, on ne fait que déguiser, sous un masque scientifique, une absurdité qui en devient plus choquante ».., « Il n'y a donc pas, il ne peut pas y avoir de forces libres, dans le sens rigoureux que certains psychologues voudraient attachera ces mots »....
Un peu plus loin, noire auteur donne ce qu'il appelle la vraie et seule définition de la liberté : « La liberté est une faculté ou une puissance, peu importe le mot, qui engendre des mouvements qui ne sont pas renfermés dans les mouvements immédiatement précédents et qui, par conséquent, ne peuvent se prévoir 1.
Ailleurs2, il rappelle et résume dans ses lignes essentielles l'idée qu'il a déjà exposée dans un travail antérieur : Le sommeil et les rêves, considérés principalement dans leurs rapports avec les théories de la certitude et de la mémoire3. Il s'y est longuement occupé du principe de la conservation de la force et il a fait voir qu'il était nécessaire d'y adjoindre un autre principe supérieur, celui de la fixation de la force.... C'est devenu presque une banalité de dire que rien ne se perd dans la nature, ni la matière ni la force. Et cependant, entendu comme tout le monde l'entend, cet axiome est faux, radicalement faux. On l'interprète d'habitude en ce sens que « tout changement engendre un changement capable de le reproduire sans gain ni perte 4. Ni au point de vue logique, ni au point de vue de la théorie, le mouvement ne peut être indestructible. D'abord, s'il en élait ainsi, il y aurait des effets sans cause. Supposons que, après une série de changements, l'univers dût revêtir un des
(1) Bulletins de l'Académie royale de Belgique. 3* série, t. III, n° 2, 1882.
(2) Revue philosophique, 1882, I, 613.
(3} Un vol. in-18, 210 p. Paris, Alcan.éditeur, 1885. Cet ouvrage avait d'abord été publié en grande partie dans la Revue philosophique. 1880, 1, 137 et 614. (4) Taine. De l'Intelligence, préface de la 2« édition.
états par lesquels il a passé, tout ce qui serait arrivé, entre ces deux états semblables, aurait été tiré de rien....
Sans doute, depuis les travaux de Clausius précédés déjà, en 1824, de ceux de Carnot, on sait que le mouvement peut se transformer en chaleur et que la chaleur peut produire du mouvement. Mais ces deux transformations ne sont pas le complément l'une de l'autre. Le mouvement, lui, peut se convertir tout entier en chaleur, mais si l'on voulait, avec la chaleur produite, recréer le mouvement qui lui adonné naissance, il faudrait la faire passer sur un corps au zéro absolu de température et capable de se maintenir au zéro absolu bien qu'on lui fit absorber de la chaleur. Or, c'est là une chose radicalement impossible. Il n'y a pas de milieu au zéro absolu, et, s'il y en avait un, il ne resterait tel que pendant un temps infiniment court.
« Une partie seulement de la chaleur peut donc se transformer en mouvement ; cette partie est fonction de la différence qu'il y a entre la température de cette chaleur et celle du corps auquel on peut la transmettre. Or, à mesure que le milieu s'échauffe, les inégalités s'amoindrissent : et, si le temps arrive où la chaleur sera uniformément répandue dans l'espace, l'univers sera frappé d'immobilité et de mort.... à moins que la puissance — s'il y en a une — qui lui a donné naissance, ne le ranime de son souffllel. »
Nous avons tenu à résumer, ou à citer d'après lui-même, les principales idées dont s'inspire le travail de Delbceuf sur te Déterminisme et la Liberté. Nous serons heureux si nous avons pu inspirer au lecteur le désir d'étudier avec attention l'œuvre entière. Elle en est digne à tous égards 2.
(à suivre) J. Liégeois.
(1) Delbœuf. Revue philosophique, loc. cit.
(2) Nous oe pouvons parler ici d'un autre ouvrage philosophique du même auteur, que nous n'avons pu nous procurer.lls'agitde: La Psychologie, comme science naturelle ; son présent et son avenir. Application de la méthode expérimentale aux phénomènes de rame, Bruxelles, Mucquardt ; Paris, Germer-Bailliérc, 1376, in-S', lit p. (Extrait de la Revue de Belgique, 1874-1875). On en trouvera un compte-rendu dans la Revue scientifique, 1877, il, 725.
On nous saura peut-être gré de mentionner ici, comme renseignement bibliographique, les travaux dont nous n'avons pu parler dans le texte. Revue scientifique :
1° 3 janvier t886 : Sur la psychologie et l'intelligence des animaux ;
2° 19 septembre 1886 : Lettre sur les caractères de divisibilité des nombres ;
3° 26 décembre 1888 : Un problème de logique à propos de la démonstration élémentaire du théorème de d'Alembert sur le nombre des racines d'une équation algébrique ;
4° 16 février 1889: Démonstration élémentaire du théorème de Pythagore: 5° 3 mars 1889 : Réponse aux objections, à propos de la démonstration du théorème de d'AIembert ; 6° 14 février et 30ctobre 1891 et 22 Avril : La psychologie des lézards.
QUELQUES PHÉNOMÈNES HYSTÉRIQUES OCULAIRES
traités par la suggestion thérapeutique
Par Ë. M. le Dr Valude Médecin de la Clinique nationale des Quinze-Vingts.
Cet article est destiné à montrer par quelques exemples cliniques le parti qu'on peut tirer de la suggestion thérapeutique la plus simple pour faire disparaitre des accidents d'ordre hystérique et assez rebelles à tout autre traitement. La simplicité du mode de suggestion employé en fait un acte très inoffensif, qui pourra rendre de bons services dans des faits du genre de ceux que nous avons observés, aussi bien que dans toute circonstance où l'hystérie est en jeu.
Notre premier cas a trait à une jeune paysanne d'une vingtaine d'années, domestique, qui avait reçu au mois de septembre dernier, de l'enfant de ses maitres, un coup de fouet dans son œil droit grand ouvert. La vision de ce côté aurait été, dit-elle, aussitôt abolie.
Deux jours après, elle se fait examiner par le médecin de la localité qui constate un épanchement du sang dans la chambre antérieure, masquant les deux tiers de l'ouverture pupillaïre. v=o; la blessée ne distingue aucune lumière.
On prescrit des sangsues, un purgatif, des instillations d'atropine, des onctions mercurielles péri-orbitaires et enfin du . sulfate de quinine à l'intérieur. Les phénomènes réactionnels visibles disparaissent, mais la vision demeure abolie de cet œil.
Cependant, à la nuit absolue a succédé une amblyopie, presque totale, mais qui permet de distinguer le jour de la nuit. Quand la malade se présente à notre examen, à la clinique nationale des Quinze-Vingts, elle reconnaît une vive lumière, mais ne peut percevoir aucun objet. Vision seulement quantitative. La pupille estdilatée et peu sensible à la lumière.
En contradiction avec cette amblyopie presque absolue, le fond de l'œil apparaît normal, et nous ne découvrons aucune lésion dans les diverses parties de l'œil: nerf optique, macula, rétine, cristallin ; la cornée à sa pleine transparence.
Comme il s'agit, en l'espèce, d'une indemnité à recevoir de la part des parents de l'enfant qui a été la cause de l'accident, nous supposons une amblyopie simulée, ou à son défaut une
amblyopie hystérique survenue à l'occasion du traumatisme, et la malade étant de bonne foi. Nous inclinons d'ailleurs d'autant plus vers cette seconde hypothèse que la mydriase existant chez cette malade est un argument en faveur de la non-simulation.
Dans le but d'élucider ce point, nous soumettons la malade, une jeune campagnarde, à l'épreuve du prisme et des lettres colorées. Ces deux épreuves donnent un résultat positif; la malade accuse de la diplopie et distingue les lettres des deux couleurs, bien qu'un verre rouge soit appliqué sur l'œil gauche resté sain.
Il n'y a donc pas à en douter, l'œil droit est un œil voyant, malgré qu'il ne puisse distinguer aucun objet, si l'on ferme l'œil gauche.
Dans la pensée — et dans l'espérance pour la bonne foi de la patiente — qu'il s'agissait d'une amblyopie hystéro-trau-matique, nous n'avons pas voulu dévoiler le résultat de notre examen et démontrer à la malade la supercherie, apparente ou réelle, que nous constatons d'une façon si péremptoire ; nous avons préféré, comme étant susceptible d'un résultat plus sûr au point de vue du retour de la faculté visuelle, recourir à la suggestion thérapeutique, toujours licite quand le but à atteindre est la guérison d'une maladie. Nous avons donc annoncé à la jeune fille que son cas nécessitait une opération qui lui serait faite le lendemain.
Le lendemain, l'œil étant toujours aussi amblyope, nous demandons à haute voix le fer rouge et nous appliquons une légère pointe de feu sur le bord palpébral, après un ou deux attouchements de la conjonctive ; un pansement occlusif est appliqué ensuite et laissé deux jours en place.
A la levée du premier pansement la malade déclare y voir et déjà elle peut lire les gros caractères d'un journal. Second pansement laissé deux jours en place.
A ce moment l'acuité visuelle = 1/3, mais il existe toujours de la mydriase et une certaine paralysie de l'accommodation. Avec un verre convexe de + 1.75 l'acuité visuelle devient 1/2.
Deux jours après l'acuité visuelle remonte à la normale avec un verre convexe de 1.50. La malade lit tous les caractères, mais la pupille reste toujours un peu dilatée, quoique l'étant de moins en moins.
La parésie accommodative disparait peu à peu et l'amblyopie n'existe plus au moment où la malade quitte notre service.
Ainsi voici un cas où le médecin traitant a si bien cru à des désordres matériels du fond de l'œil, qu'il nous avait envoyé la malade pour que nous lui en dressions un certificat. Une opération simulée nous a permis, une fois le diagnostic établi, de faire disparaître comme par enchantement une amblyopie qui aurait certainement résisté à la seule persuasion ou au raisonnement. Nous n'en voulons pour preuve que l'histoire suivante très caractéristique : une enfant de treize à quatorze ans nous est amenée par ses parents pour une amaurose absolue de l'œil droit. L'amaurose remontait à plusieurs mois, ayant débuté à l'occasion d'un traumatisme, d'ailleurs léger : un cahier d'école avait été lancé au visage de l'enfant et le coin du cahier lui avait un peu heurté l'oeil, mais sans causer aucun dégât sérieux. Pas la moindre perception lumineuse, mydriase absolue résistant à toutes les excitations ; avec cela un œil absolument sain en apparence, dans ses milieux et dans ses membranes. L'épreuve des prismes démontre l'existence de la diplopie et d'une acuité visuelle en réalité égale à la normale, de cet œil. Comme les parents affirmaient que l'enfant était douée d'une grande raison et d'une force de volonté très au-dessus de son âge, nous essayâmes de la convaincre que son amblyopie n'était pas réelle, en lui expliquant que l'épreuve par les prismes ne pouvait laisser subsister aucun doute à cet égard. Tout raisonnement fut inutile et tout ce que nous gagnâmes fut que les autres recherches de la simulation restèrent sans effet, son attention étant éveillée et toute entière appliquée à perpétuer sa supercherie, peut-être jusque-là inconsciente. Toutefois elle laissait persister le phénomène de diplopie avec les prismes, ne voulant pas sans doute se déjuger, et se jugeant par là même.
Pour nous, nous fûmes convaincus que chez cette enfant l'amblyopie, d'abord histérique, s'était doublée ultérieurement de simulation quand nous lui avons eu démontré que sa perte de vision était apparente et non réelle. Ainsi, chez cette jeune fille, la persuation avait été une mauvaise manœuvre thérapeutique et il eût bien mieux valu user d'une opération simulée; la fin de l'observation en est la démonstration.
En effet j'usai, en quelques semaines, de toute mon éloquence, mais en vain, pour convaincre la jeune fille, puis je ne la revis plus. Elle fut conduite alors chez un confrère qui, en lui ouvrant l'œil et en lui retournant la paupière, découvrit un assez volumineux rouleau de papier roulé dans le cul-de-
sac supérieur de la conjonctive. Aussitôt le papier enlevé l'enfant déclara que la vue revenait, ajoutant que la présence du papier n'était pas surprenante, puisqu'elle avait été blessée par le coin d'un cahier de papier. Le lendemain la vision était revenue normale de cet œil.
Comme j'avais examiné les culs-de-sac, et non senloment moi, mais aussi le médecin qui avait soigné l'enfant au début, au moment de l'accident, il est clair que le papier n'a été introduit qu'à la lin, et pour les besoins de la cause, par l'enfant qui trouvait probablement que la comédie avait assez duré, car chez elle à la simulation s'ajoutait un fort degré de my-driase, évidemment de nature hystérique. L'histoire de l'enlèvement du morceau de papier est, en tout cas, à retenir comme simulacre d'opération à tenter toutes les fois qu'une hystérique accusera un traumatisme comme origine de ses accidents ; on pourra feindre de retrouver un corps étranger et attribuer à sa présanee tous les phénomènes morbides.
Une autre de nos malades, une jeune fille encore, offrait des accidents d'un autre genre, d'ordre paralytique ; il s'agissait d'une ptosis hystérique, fait assez rare. Voici l'observation.
Le 27 juillet 1896, une jeune fille de seize ans est amenée à notre consultation des Quinze-Vingts pour ptosis double très accentuée. Cette jeune fille raconte que, sans douleur aucune, sans cause morale ou autre, ses yeux se sont fermés brusquement. La gêne de cette situation est telle que ses travaux ont dû être interrompus.
L'attitude de la tête est absolument typique : elle est fortement renversée en arrière et les plis du front sont très accentués.
Quand on relève mécaniquement les paupières on ne ressent aucune résistance de la part de l'orbiculaire et les paupières s'entr'ouvrent facilement, sans photophobie. Il ne s'agit donc pas de spasme clonique des paupières. Il ne s'agit pas non plus d'une paralysie ordinaire des releveurs, car lorsqu'on surveille attentivement la malade, ou mieux, quand on insiste pour qu'elle ouvre les yeux, très rapidement on peut voir les paupières se relever mais pour retomber immédiatement. La vision est d'ailleurs normale, et l'état des yeux eux-mêmes ne comporte rien de particulier.
Les antécédents héréditaires sont nuls ; les commémoratifs personnels ne fournissent aucun renseignement de nature à jeter un jour sur l'accident actuel. La malade, qui est de belle santé apparente, serait seulement un peu excitable.
Malgré l'absence de stigmates caractérisés de l'hystérie, nous penchâmes vers le diagnostic de ptosis hystérique et le résulat du traitement ne tarda pas à le confirmer. Ce traitement a été tellement bénin en l'espèce, qu'en tout état de cause il ne peut être préjudiciable de l'essayer tout d'abord en des cas de ce genre.
En effet, après avoir assuré la malade d'une prompte guéri-son si elle se soumettait à la gêne d'un pansement spécial, nous avons instillé dans les yeux quelques gouttes d'eau distillée et nous avons appliqué sur les deux yeux un pansement occlusif. Au bout de trois jours, à la levée du pansement, le résultat prévu et promis était obtenu pleinement; la ptosis avait disparu.
Il esta noter que, depuis trois semaines que s'était produite la chute des paupières, les parents et la patiente elle-même étaient dans une très grande anxiété, avec la terreur de voir la cécité survenir ou persister une pareille infirmité. L'opinion du médecin traitant qui nous l'avait adressée aux Quinze-Vingts n'avait d'ailleurs pas été de nature à rassurer leurs esprits, et cette inquiétude explicable est à mettre en regard du moyen très simple qui a permis de la dissiper.
Le dernier cas que nous voulons citer en cette courte revue est d'un ordre différent des précédents, mais non pas le moins singulier. C'était une jeune fille de dix-huit ans, domestique, qui était entrée dans notre service afin d'y être traitée pour un double symblépharon partiel. Ce symblépharon provenait d'opérations qui lui avaient été faites par un confrère pour des tumeurs dont la nature nous est restée inconnue ; en résumé, il s'agissait de pratiquer à cette jeune fille des opérations pour des brides cicatricielles conjonctivales.
La malade était depuis quelques jours dans nos salles attendant l'opération quand, un jour, la sœur du service me dit que, le matin, elle s'était plainte d'avoir, pendant la nuit, rendu du sang par les yeux.
J'examinai l'œil, la cavité conjonctivale dans tous les recoins, les brides cicatricielles surtout, et je ne trouvai aucune solution de continuité, aucune érosion pouvant expliquer une telle hémorragie; l'oreiller avait été rempli de sang.
La journée se passa sans phénomène d'aucune sorte, la conjonctive était même assez pâle ; la nuit, le même phénomène se reproduisit : un flux de sang assez abondant pour couvrir largement l'oreiller.
Averti du fait le lendemain et ne découvrant, pas plus que la veille, rien d'organique qui pût expliquer cette hémorragie, j'admis que je me trouvais en présence des stigmates hystériques bien connus, des pleurs ou larmes de sang. Damalix, dans un article écrit en 1882 dans les Archives d'ophtalmologie, a rassemblé tous les cas de ce genre, et ils sont peu nombreux, se rapportant presque tous à des femmes hystériques vraies ou à des nerveuses atteintes de troubles menstruels. Chez notre malade, la menstruation était normale et les hémorragies conjonctivales dont elle était atteinte ne pouvaient passer pour un phénomène de compensation.
Il fallait savoir cependant si le sang accusé par la malade ne provenait pas de quelque supercherie, et pour m'en rendre compte je lui appliquai (après lui avoir dévoilé mes intentions) un pansement maintenu par une bande dextrinée et qui, par conséquent, ne pouvait être enlevée que par nous-mêmes. Le lendemain je trouvai le pansement entièrement traversé par du sang ; la bande extérieure, la rondelle de gaze appliquée sur les paupières, étaient également tachées ; il n'y avait pas de doute à conserver sur la réalité du phénomène.
Je résolus alors de la traiter par une suggestion opératoire et, pour que l'illusion fût plus forte, la malade étant très fine, je pratiquai l'anesthésie chloroformique et lui appliquai simplement un pansement occlusif. La nuit suivante l'hémorragie ne reparut pas. Je changeai le pansement en annonçant que l'état des yeux était très satisfaisant, et je remis un nouveau bandeau occlusif, en déclarant que la guérison me semblait assurée. Depuis lors les pleurs de sang ne se produisirent plus, au moins tant que la malade demeura dans mon service.
On voit par ces quelques exemples, d'ordre différent, qu'une suggestion thérapeutique ordinairement très simple peut suffire à faire disparaitre des accidents hystériques même prononcés, même de nature organique en apparence, comme les larmes de sang. Il n'y a pas de raison pour que les mêmes moyens ne soient capables de réussir dans tous les cas où des accidents hystériques se produisent dans l'appareil de la vision. Et ceux-ci sont nombreux et variés, depuis l'amblyopie et l'amaurose jusqu'aux spasmes musculaires, aux paralysies multiples des muscles extrinsèques de l'œil, à la mydriase spasmodique ou paralytique, au nystagmus, etc. Il n'entre pas dans le cadre de ce court article de décrire ou même d'énumé-rer les accidents oculaires qui relèvent de l'hystérie ; nous
aurons réussi dans notre argumentation si nous avons persuadé à ceux qui se trouveront en présence de ces cas toujours embarrassants et difficiles à soigner, qu'il n'est pas nécessairement besoin d'hypnose ni de pratiques spéciales par ce fait qu'il s'agit d'hystériques, et qu'il peut suffire de pratiquer la suggestion thérapeutique la plus simple au moyen d'une pseudo-opération insignifiante ou d'un traitement fictif. On pourra du moins toujours l'essayer.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 25 Juillet 1896. — Présidence de M. Dumontpallier.
(suite)
Les causes des actes (1)
Par le Docteur Félix Regnault.
Un acte étant donné, quelle en est la cause ? Cette question, simple en apparence, peut recevoir un grand nombre de solutions ; les causes d'un acte peuvent être très diverses. On conçoit notre système nerveux comme composé d'un double appareil récepteur et émissif. Si on met en contact les fils de ces deux appareils, tout courant d'arrivée détermine un courant de sortie ; une sensation centripète détermine un courant centrifuge.
Mais si nous tenons les deux extrémités de la chaîne : la sensation causale et le mouvement qu'elle détermine, nous ignorons les nombreux chaînons qui relient ces deux extrémités.
Prenons le cas où ces chaînons sont les plus simples. La sensation détermine immédiatement le mouvement : il s'agit du réflexe. Le courant sensilif apporte la sensation â une cellule de la corne médullaire postérieure ; celle-ci est en contact avec une cellule de la corne antérieure qui transmet un mouvement. Ou bien, d'après Cajal, il peut y avoir contact direct du cylindraxe sensilif ec de la cellule motrice. Suivant rintensité du courant centripète ou sensitif, le courant centrifuge variera. Le courant centripète agit d'abord sur les muscles du côté excité, puis il se manifeste aussi sur ceux du cété opposé qui offrent toujours des mouvements moins intenses que le premier. Enfin le courant centripète peut s'irradier aux quatre membres et à tout le corps.
Donc le courant sensitif passe â la cellule de la corne antérieure de la moitié symétrique de la moelle; d'où mouvement. Si le courant n'est
(1) Ce travail fait suite a un précédent : Essai sur la volonté, publié dans la Revue en juillet 1896.
pas épuisé, il passe de cette cellule de la corne antérieure à une autre cellule moirice actionnant les muscles symétriques de l'autre moitié du corps, d'où mouvement correspondant dans l'autre moitié du corps. S'il n'est pas épuisé, il s'irradie aux autres cellules nerveuses.
Les réflexes simples : dilatation de l'iris, contraction de l'anus, etc., etc., se comprennent immédiatement, mais il n'en va plus de même dans les réflexes complexes et coordonnés qui prennent l'allure de mouvements volontaires.
Ainsi une grenouille décapitée porte sa patte au point de la peau que brûle une goutte d'acide nitrique. Elle varie ses mouvements suivant l'endroit touché, comme si elle raisonnait. Il en est de même des animaux à sang chaud, si on a la précaution de leur lier les carotides et de pratiquer la respiration artificielle. Taine (1) rappelle même le fait d'un homme décapité qui portait la main à l'endroit où on provoquait une douleur. Ici la chaîne est plus complexe. Le courant centripète excite de nombreuses cellules centrifuges pour amener cette complexité de mouvements. Comme ces mouvements sont consécutifs, il faut admettre que le courant excite successivement une cellule de la corne antérieure A qui détermine, le premier mouvement, puis une cellule B de la même corne antérieure qui détermine un second mouvement, puis une cellule C d'où troisième mouvement. Cette série en cascade explique bien le mouvement complexe consécutif à une sensation unique.
Le cerveau peut exécuter des actes semblables aux actes réflexes médullaires : ce sont les actes automatiques habituels.
Une sensation a provoqué un acte. Le fait seul que le courant a passé entre la cellule sensitive et la motrice, facilite le contact pour l'avenir. La liaison entre la sensation et l'acte est plus intime ; le contact d'autant plus facile qu'il a été plus souvent répété. D'ailleurs, l'acte réflexe médullaire, au début, peut de même être hésitant et s'affirmer par la suite. L'acte automatique ou habituel peut être très complexe : ainsi l'acte exécuté dans le somnambulisme.
Le fait que les cellules prennent contact par leurs prolongements explique la facilite de l'éducation dans le jeune âge, les contacts étant plus faciles à établir : ainsi les animaux et les enfants. Les aveugles-nés ne sont éducables que pris jeunes. Suivant la race, l'éducabilité persiste plus ou moins tard. Ainsi, chez l'homme, le jeune Taitien apprend aussi bien que le jeune blanc, mais, vers douze ans, on ne peut plus rien lui apprendre.
La sensation qui détermine l'acte habituel peut provoquer l'acte du côté excité, et de plus, si la sensation est intense, du côté opposé. On peut ainsi expliquer les mouvements sincinésiquus dans les hémiplégies, le courant centripète passant de la cellule sensitive à la cellule moirice de l'hémisphère correspondant, d'où acte ; puis, si le courant
(1) Taine : De l'intelligence. 2 vol. in-8° 1888, Hachette, édit.
n'est pas épuisé, à la cellule motrice de l'hémisphère opposé, d'où acte semblable dans l'autre moitié du corps.
Le courant nerveux semble tendre toujours à prendre le trajet le plus court. Ainsi la marche est d'abord un acte cérébral voulu, appris ; puis quand l'habitude est venue, le courant centripète, qui a d'abord passé par le cerveau, s'arrête à la moelle pour déterminer les mouvements compliqués qui composent cet acte.
Si, pour un molif inconnu, le contact se perd entre cellules sensitive et motrice, l'être ne sait plus exécuter les mouvements automatiques. Ainsi l'abasique ne sait plus marcher. Chez l'ataxiquc, il y a destruction des cellules. Il peut toutefois se servir d'autres cellules, et une nouvelle et pénible éducation peut lui réapprendre la marche.
Un mouvement automatique donné peut être causé par divers courants centripètes. Ainsi l'ataxique ne sent plus le sol, aussi le courant centripète faisant défaut.il titube dans l'obscurité. Mais fait-il clair, ses yeux suppléeront ; la sensation visuelle du sol déterminera un courant centripète dont le centrifuge sera la marche. Jusqu'à ce que cette voie elle-même soit atteinte par la maladie qui détruit conducteurs et cellules nerveuses.
De même Lasègue a montré que l'hystérique est incapable d'exécuter un mouvement dans le membre anesthésié, sans le secours de la vue.
Examinons l'acte Instinctif. Son caractère propre est l'innéité. Le contact entre la cellule sensible et la motrice existe donc de naissance. L'acte instinctif peut être médullaire ou cérébral. Ce dernier peut être très compliqué ; une sensation donnant lieu à une série d'actes complexes, toujours suivant le même mécanisme : passage du courant centripète à une première cellule A ; celle-ci provoque un mouvement et transmet le courant à une seconde cellule B qui fournit un second mouvement et transmet le courant à une troisième, ainsi de suite.
La preuve de la justesse de cette théorie nous est fournie par la remarque suivante : Les actes détaillés successifs qui composent l'acte instinctif, se suivent mécaniquement. Lorsque l'un est accompli, celui qui suit est accompli nécessairement de suite après, sans tenir compte d'aucune circonstance (l).
Le courant qui provoque l'acte instinctif se transmettant par contact de cylindraxe à protoplasma, le contact peut être plus ou moins intime dès la naissance. Un contact peu intime crée une simple prédisposition ; une éducation préalable est nécessaire pour l'affermir. S'il est intime
(1) Exemple : Le sphex à ailes jaunes alimente ses nids de grillons qu'il paralyse au préalable. Arrivé au nid, il dépose d'abord son grillon à l'entrée, visite le nid, puis revient porter le grillon dans le nid.
Si ou enlevé 1c grillon et qu'on le porte à quelque distance, le sphex le cherche, le retrouve, mais il le reporte près du nid et recommence sa visite avant de l'introduire. Cela autant de fois qu'il plaît à l'observateur.
Enlevez le grillon, le sphex le cherche, ne le trouve pas, mais il bouche Pouver-ture sans en chercher d'autres. Sa progéniture est ainsi condamnée â périr affamée.
dès la naissance, l'acte instinctif s'exécute de suite mécaniquement. Comme l'acte instinctif ne se produit qu'en vertu d'un contact, l'expérience, l'habitude, l'imitation, l'intelligence enfin peuvent modifier l'acte instinctif; celui-ci n'est donc pas immuable (*).
Jusqu'à présent, nous avons envisagé le courant qui détermine l'acte (courant centripète, cellule sensitive, cellule motrice, courant centrifuge), comme simple du côté de la cellule sensitive, et seulement complexe du côté moteur où plusieurs cellules peuvent être actionnées en cascade.
Le côté centripète ou sensitif peut être aussi complexe et plusieurs cellules sensitives successivement actionnées. Ainsi on frappe un chien qui fuit ; le chien voit le bâton, sent le coup, puis s'enfuit. Par la suite, la vue seule du bâton suffit à le faire fuir. Ici il y a :1° vue du bâton ; 2° rappel du souvenir du coup qui amène la fuite. Le courant passe donc par les cellules visuelles, puis par les cellules de mémoire tactile avant de devenir centrifuge. C'est ce qu'on appelle une association de sensations. Cet acte, en apparence réfléchi, est en réalité fatal, inéluctable ; il n'offre pas le déterminisme du mouvement réfléchi. La plupart des actes des animaux seraient le résultat d'associations de sensations. Auguste Comte prétend même que nombre d'esprits humains, surtout parmi les peu cultivés, n'agissent qu'en vertu d'associations de sensations. Les actes n'ont que l'apparence d'actes réfléchis. Ainsi le chien qui voit prendre au maître son chapeau, pense qu'il va sortir et exécute une série d'actes qui indiquent sa pensée : il gambade, regarde le fusil si on chasse, etc. Tout ceci parait raisonné. En réalité, ta vue du chapeau est associée à l'idée de sortir, et cette idée détermine une série d'actes habituels.
Le rôle de l'encéphale parait être plus actif dans l'acte d'Initiation.
Un acte étant commis par un individu, est vu, oui ou senti par un autre. Ce dernier de suite commet ce même acte. Une représentation cérébrale de l'acte est nécessaire pour déterminer une série de mouvements destinés à reproduire l'acte. Ainsi le bâillement et le rire sont contagieux; le perroquet, l'idiot, l'enfant en bas âge répètent les paroles (2).
La représentation cérébrale, au lieu d'être provoquée par l'acte même, peut l'être par un symbole conventionnel : le langage ou l'écriture. Dans ces deux cas, il y a la suggestion celle-ci joue un rôle énorme et n'est comprise que depuis peu d'années par les psychologues.
Cette différence entre la suggestion ; par l'acte et celle par les symboles est importante. Les faibles d'esprit, les enfants surtout sont peu influencés par les symboles et beaucoup par l'acte même.
(1) Pour plus de détails, voir dans le naturaliste du 1er juillet 1896 : Essais sur l'instinct, par le D' Félix Regnault.
(2) Il convient de rapprocher, sans toutefois vouloir pousser trop loin la ressemblance, les faits de mimétisme chez les animaux des actes d'imitation. Par action nerveuse, l'animal adapte sa couleur à celle du milieu (caméléon...)
L'hypnotisme provoque l'imitation, surtout au moyen de symboles (langage presque exclusivement). Citons entre mille, comme exemple le plus connu de suggestion, le vol dit à l'américaine. Le dupé croit les assertions les plus invraisemblables des voleurs, parce qu'elles sont prononcées avec autorité.
L'imitation simple de l'acte perçu fait intervenir au minimum la participation cérébrale. Celle-ci augmente quand l'acte perçu est reproduit avec exagération. Le sujet renchérit sur ce qu'il a perçu.
Les actes d'exagération sont des plus fréquents chez l'homme. Nous avons, ailleurs, montré le rôle de l'exagération en esthétique (1), par exemple, dans la mode. L'exagération n'est pas moins fréquente en bien d'autres faits. Certains caractères sont disposés à l'exagération. Le seul fait d'être réunis, de former une foule prédispose à exagérer, comme l'a montré Tarde.
A l'opposé de l'esprit d'exagération, celui d'opposition. Ici, au lieu d'imiter ou d'exagérer l'acte perçu, on accomplit un acte opposé, inverse, et ce, sans raison aucune. Cet esprit d'opposition est souvent noté dans le vulgaire, mais je ne sache pas que, malgré son intérêt, il ait jamais fait l'objet d'aucune étude scientifique.
Nous arrivons enfin à l'acte volontaire. Nous l'avons étudié ici-même (V. Rev. Hypnot., Juillet 96). Nous avons montré que le déterminisme de l'acte volontaire consiste en ce que le courant venant de la cellule sensitive actionne plusieurs cellules intellectuelles. Celles-ci sont actionnées simultanément par le même cylindraxe sensitif ; une de plus forte, l'emporte, qui provoque le courant centrifuge. Le déterminisme est amené par cette excitation simultanée de plusieurs cellules ces cellules, intellectuelles, d'où la perception de plusieurs motifs qui pourraient causer différents actes. La cellule dominante qui l'emporte peut représenter un sentiment, une raison, une idée, etc., etc.
Supposez les cellules intellectuelles associées en cascade ou en série, au lieu de l'être, comme précédemment, en batterie (comme en électricité les bouteilles de Leyde peuvent s'accoupler en série ou en batterie). Comme nous l'avons vu pour l'acte complexe réflexe ou automatique, la cellule intellectuelle A provoquera un mouvement, puis actionnera la cellule B qui provoquera un second mouvement et actionnera la cellule C, et ainsi de suite.
On peut, en certains cas de paralysie générale, noter ce mécanisme typique.
Questionnez le malade, il déroulera ses réponses en série mathématique ; si on lui demande chez qui il a travaillé, il répondra par le nom de la personne, puis la rue, puis le numéro, puis la profession... Ses associations -d'idées se déroulent mathématiquement, il ne peut en distraire ce qui est inutile. De même ses mouvements ont quelque chose d'inéluctable, comme un automate.
(1) Voir Dr Félix Reonault : De l'exagération en esthétique (Revue scientifique).
On voit, par cette grande variété des causes de nos actes, combien nous avons peu d'actes vraiment volontaires. Au début de l'hypnotisme, les actes suggestifs étonnaient. Par une élude plus approfondie, on voit combien en réalité sont fréquents les actes où notre volonté n'entre pour rien.
Maladie des tics associée à l'hystérie
par M. le Dr Rueda.
J'ai observé récemment dans le service de M. Dabinski un cas de maladie des tics associée à l'hystérie.
On sait que les tics qui dépendent de l'hystérie ont un début brusque et se déclarent après une attaque ou une violente émotion. Chez notre malade, au contraire, le début a été lent et a précédé de longtemps la première attaque d'hystérie. L'évolution est également différente dans les deux cas : dans l'hystérie, les manifestations épisodiques comme les mouvements involontaires sont presque toujours curables, tandis que la maladie des tics est tenace ; or, chez le sujet en question, par différents moyens de traitement, en particulier par la suggestion hypnotique, on est arrivé à faire disparaître les troubles de la sensibilité et de la moti-lité, à l'exception des tics. Notre malade prononce quatre ou cinq fois de suite un son articulé, le mot « oui », et cela malgré soi, quelque effort qu'il fasse pour ne pas le prononcer ; le tic hystérique ne s'accompagne habituellement que d'un son inarticulé.
I! n'est pas toujours facile de faire, comme dans le présent cas, la dissociation des deux maladies, et pourtant elle est d'un grand intérêt, car le pronostic est tout différent suivant le cas. Si les mouvements involontaires sont de nature hystérique, on peut espérer les faire disparaître, tandis que s'il s'agit d'une manifestation de la maladie des tics, elle est incurable.
La suggestion religieuse réciproque dans la famille Pascal.
Par M. le Dr Charles BiXR (d'Angers)
La famille de Biaise Pascal a présenté un cas fort intéressant de suggestion religieuse réciproque.
On sait quelles furent la précocité et la grandeur de l'esprit de Pascal. A douze ans, et n'ayant pas étudié les mathématiques, il découvre les trente-deux premières propositions d'Euclide. A seize ans, il compose un Traité des coniques, qui étonne tous les mathématiciens du temps. A dix-huit ans, il invente la machine à compter.
Sa santé avait été délicate au cours de l'adolescence. Sous l'influence, semble-t-il, des excès intellectuels, elle devient mauvaise à dix-huit ans. Il souffre de douleurs continuelles qui, à 24 ans, prennent la forme de la céphalalgie hystérique. Il présente, au même âge, un ceso-phagisme qui l'oblige à n'avaler les liquides que chauds et goutte
à goutte, ainsi qu'une « chaleur d'entrailles », pour laquelle il se purge tous les deux jours.
Il avait perdu sa mère, à 3 ans. Son père, qui l'avait instruit et éduqué, lui répétait souvent que « tout ce qui est l'objet de la foi ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins y être soumis. » Cette maxime s'était gravée dans l'esprit de Pascal.
Or, comme les symptômes de l'hystérie s'accusaient chez lui, une occasion, sur laquelle sa sœur Gilberle, qui fut sabiographe, ne s'étend pas, l'oblige à lire des œuvres de piété. Dès lors sa personnalité se transforme, et bientôt, entre le nouveau Pascal et le premier une différence existe, presqu'aussi grande qu'entre les deux personnes de la Fétida d'Azam. II abandonne les sciences exactes pour la religion, et son esprit, jusque là rigoureux, s'égare en des divagations théologiques extraordinaires'. II ira jusqu'à dénoncer à l'autorité ecclésiastique un philosophe, dont !c système blessait son orthodoxie. Il portera le cilice et s'interdira tout plaisir, comme un péché. La Vie de Biaise Pascal par sa sœur Gilberle, est, à proprement dire, une consciencieuse observation de folie mystique.
On sait combien est intense, chez certains esprits religieux, le désir de convertir. Pascal commença par sermonner son père, qui, tout en ayant un très grand respect de la religion, ne pratiquait pas, comme il l'eût désiré ; et l'on conçoit quelle influence pouvait avoir sur sa famille, dont il était vraiment le chef, un homme de la réputation de Pascal. Il suggestionna ensuite sa sœur cadette, Jacqueline, jeune fille de vingt-deux ans et d'un esprit qui, ayant été précoce, restait peu commun. Son père refusa à Jacqueline l'autorisation d'entrer en religion ; du moins elle fuit la société et se livra aux macérations. Quatre ans après, elle renouvela son désir à Pascal, qui voulut alors la détourner de son dessein, pour la garder près do lui. Mais il était trop tard. La suggestion première avait fructifié. Jacqueline entra à Port-Royal des Champs, sous le prétexte d'une retraite, et prit l'habit. La voilà devenue Sœur Euphémie, maîtresse de novices, et édifiant la maison par sa piété. Pascal fallait voir souvent. A son tour, elle persuade à son frère de fuir le monde, bien qu'elle n'ignorât point que les médecins lui conseillaient de le fréquenter, pour se distraire, et qu'il y allât de sa santé. Pascal se laisse convaincre, s'isole, pousse sa dévotion jusqu'à l'ascétisme.
11 est probable que Pascal agit aussi sur Gilberle, sa sœur aînée. Elle écrit elle-même que, sous l'influence de son frère, « l'amour de la perfection chrétienne ... se répandait dans toute la maison. » Il n'en est pas moins vrai qu'à 26 ans, elle se sépare à l'amiable de son mari, et quitte le monde, pour se livrer à une plus étroite dévotion. Sa fille, Marguerite Périer, qu'elle avait mis en pension à Port-Royal, et qui y était sous la direction de Jacqueline, embrassa plus tard la vie cénobi-
I. Voir eu particulier sa letttre du 17 Octobre 1651.
lique. Elle avait été atteinte d'une fistule lacrymale, dont on attribua la guérison à l'attouchement de la Sainte Epine, conservée à Port-Royal. Pascal, quant à lui, ne douta point que cette guérison ne fût l'effet d'une grâce particulière que Dieu lui faisait, et une sorte d'invocation manuscrite, qu'on trouve sur lui après sa mort, révéla à quel point était arrivé son détraquement mental.
Les cas de Pascal et de la famille Pascal ne sont point rares. Certains mythes en contradiction absolue avec la science, sont acceptés par des Savants remarquables sous le couvert de la foi, qui est une des formes de la suggestibilité, et d'autre part, on ne peut s'étonner de la persistance des croyances puériles, si l'on songe que, dans les familles, la suggestion peut être réciproque, comme il est arrivé pour la famille Pascal.
DISCUSSION ET POLÉMlQUE
Charcot jugé par le Dr Fiessinger, d'Oyonuax
Dans notre numéro d'octobre, nous reproduisions les lignes suivantes extraites d'un article de M. le Dr Fiessinger, d'Oyonnax, paru dans la Médecine Moderne, sous le titre : Thérapeutique psychique.
* Dans l'action psychique du médecin sur le malade, nous n'avons pas parlé de la mise en scène ; non pas qu'elle représente un facteur émotif négligeable ; seulement elle comporte une dose de cabotinage qui répugne.
« Charcot ne pensait pas ainsi.
« Théâtral à la Salpetriôre, il l'était encore chez lui. Les clients qui venaient le consulter n'étaient pas, à la sortie du salon d'attente. Immédiatement introduits dans le cabinet. On ne pénètre pas avec cette facilité dans un sanctuaire. II faut l'initiation préalable. Ceile-ci s'opérait dans un petit réduit noir, meublé de bibelots élégants, éclairé faiblement.
« On passait là au moins un quart d'heure, 20. minutes, le temps de se faire à l'obscurité. Tout a coup une gerbe de lumière éclatait, une large porte venait de s'ouvrir ; debout sur te seuil, baigné d'une nappe de clarté éblouissante, Charcot, te Dieu, vous attendait. »
Après avoir fait cette citation, nous ajoutions :
« Tous ceux qui ont eu l'honneur d'être les élèves de Charcot penseront que la valeur de son enseignement et la hauteur de sa situation scientifique devraient suffire à mettre sa grande mémoire à l'abri de telles insinuations. Quand l'imagination excessive d'un médecin l'entraine à de tels écarts de plume, on peut admettre que celle des malades suffise à produire des guéri-sons miraculeuses. »
A ce sujet nous avons reçu la lettre ci-jointe du Dr Fiessinger:
« Monsieur le Directeur,
« Dans le numéro d'octobre de la Revue de l'Hypnotisme, M. le Dr Bérillon veut bien s'occuper de ma personne, ce dont je lui suis fort reconnaissant.
Pour me dire des choses qu'il estime devoir m'être désagréables, il prend texte d'un article sur la Thérapeutique psychique paru il y a quelque temps dans la Médecine Moderne.
« Tout cela ne serait pas pour me déplaire si M. Bérillon n'attribuait à mon Imagination le récit de la mise en scène qui impressionnait les personnes reçues par Charcot. — J'ai vu la chose ; je maintiens la véracité très exacte de mon dire.
« M. Bérillon sait aussi bien que mol, que, pour être grand homme, on n'en à pas moins ses petites faiblesses. — Charcot n'échappait pas à la loi. — De montrer qu'il rentrait dans la régie commune ne diminue pas la valeur de son œuvre, et je m'étonne que M. Bérillon ne l'ait pas compris.
« La théorie du bloc ne convient guère aux intelligences. Dans un grand homme, Il ne faut pas forcément tout admirer.
« Alors quoi ? L'indignation de M, Bérillon éclate un peu à côté, et cette constatation est curieuse à relever chez un esprit qui se pique de psychologie.
« Dr Ch. FIESSINGER, « Membre correspondant de l'Académie de Médecine. »
Nous soumettons ce qui précède aux. élèves intimes du professeur Charcot. Nous serions heureux d'apprendre ce qu'ils pensent de la gerbe de lumière, de la nappe de clarté éblouissante, etc., eux qui savent au contraire que l'entrée de la salle où Charcot donnait ses consultations était dans une sorte de pénombre, et que l'on ne passait pas brusquement de la partie sombre à la pleine lumière. D'ailleurs, le petit réduit auquel le dr Fiessinger fait allusion était réservé aux intimes ou aux confrères, pour lesquels, le maitre, interrompant la consultation, accordait un tour de faveur.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie.
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rué Serpenté ; sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 18 Janvier, l5 Février, 15 Mars 1897 à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Divers journaux ont r.iconté que dans l'Évasion, que joue en ce moment la Comédie-Française, l'un des interprètes avait eu le mauvais goût de se faire la tête du regrette professeur Charcot.
Ajoutons, pour être complets sur cet incident, que lors de la première
représentation de l'Évasion à laquelle n'assistait aucun membre de la famille du Dr Charcot, son fils le Dr Jean Charcot était absent de Paris. Mis au courant de la question dès son retour, il s'est empressé de se rendre auprès de M. Jules Claretie, accompagné de son beau-frère, M. Edwards.
Comme il n'y avait pas à rechercher dans le Dr Bertry, le fantoche mis en scène par M. Brieux. l'ombre d'un rapprochement, fût-il caricatural, avec le grand savant qui fut une de nos gloires nationales, MM. Jean Charcot et Edwards se sont bornés à demander à l'éminent directeur de la Comédie-Française de faire modifier radicalement la tête du Dr Bertry.
Très galamment, M. Claretie s'est empressé de leur donner satisfaction, et les nombreux et respectueux admirateurs de Charcot qui iraient voir l'Évasion ne seront pas choqués, désormais, par la lugubre évocation physique d'un grand mort.
Un aliéné professeur.
Un malade de M. Kraft Ebing, lequel occupe, comme on sait, à Vienne la chaire de médecine mentale, a fait dernièrement une leçon
d'une heure devant les élèves du professeur.
Le malace, qui est atteint de crises périodiques de manie, introduit dans l'amphithéâtre, est monté avec gravité dans sa chaire. Quand le professeur lui demanda le sujet de la leçon, il répondit qu'il voulait traiter « de l'état mental des maniaques pendant les attaques périodiques de folie. »
La leçon fut interrompue à plusieurs reprises par les applaudissements de l'auditoire, et l'orateur parut flatté de ces marques d'approbation.
La leçon terminée, il quitta la chaire d'un air plein de dignité et réintégra sans difficulté sa salle.
Exemple de sangfroid.
M. Glénard. dans les intéressantes Leçons de pathologie appliquée que vient de publier M. Charrin, raconte le fait suivant qui est un nou-velet bien spécial exemple de l'inaltérable sang-froid de l'Anglais.
« J'ai soigné cet été, dit M. Glénard, dans une chambre d'hôtel de Vichy, un touriste anglais qui arrivait de Tanger où il avait coutracté la fièyre typhoïde ; il était au cinquième jour de la maladie lorsque j'institnai le traitement (par la méthode de Brand) ; notre Anglais ne voulut pas d'infirmier.
« Sur la table, placée entre son lit et sa baignoire, étaient un réveille-matin, un thermomètre, un cahier de papier blanc, un crayon ; il prenait sa température rectale, entrait dans Tenu à l'heure prescrite ; il en ressortait 15 minutes après, exécutant ponctuellement notre ordon-
uance, piquée sur le mur au-dessur de la table ; à ma visite, je trouvais tout noté.
« L'évolution si caractéristique de la fièvre baignée méthodiquement était le garant que toute erreur avait été évitée ; ce malade fut guéri après 56 bains. »
La parole en miroir.
Chacun sait qu'en pathologie nerveuse on appelle l'écriture en miroir, écriture que les gauchers, ayant eu pendant un certain temps l'habitude d'écrire de la main gauche, exécutent très facilement, ainsi que je pourrais le démontrer par un exemple personnel, étant moi-même gaucher de naissance, et ayant appris à mes débuts, à l'école primaire, à écrire de la main gauche.
Mais il ne me semble pas que jusqu'à présent on ait signalé un trouble absolument identique pour la parole, trouble que par analogie on me permettra d'appeler : La Parole en Miroir, quoique ces deux mots jurent assez de se voir accolés.
Pour la première fois, ce symptôme très bizarre parait avoir été observé par mon ami, M. le D' Doyen, qui m'a fait part de sa remarque il y a déjà quelques mois ; son observation si curieuse vient en tout cas d:être publiée dans l'excellente thèse de l'un de ses élèves, M. le Dr Marcotte [l) et mérite vraiment qu'on attire l'attention sur elle.
Il s'agissait d'une petite Aille de 12 ans, paraissant atteinte d'abcès cérébral consécutif à une otite, et qui fut trépanée in extremis. On crut, après l'opération, à de la syphilis. En tout cas, une amélioration notable se produisit ; mais l'aphasie persista, et c'est alors que l'enfant se mit à prononcer des phrases incompréhensibles. Par exemple, celle-ci : « Te-tan-ma ; Yen-do sieur-mon, chant-mé ; Le-quil-tran-ser-lais-me-vous-lez-vou. »
La malade manifestait alors une colère très vive, voyant qu'on ne la comprenait pas ; elle répétait constamment des phrases analogues, avec une volubité croissante.
C'est alors qu'on eût l'idée d'écrire ce qu'elle disait et qu'on s'aperçut que ces paroles avaient parfaitement un sens. L'enfant débitait tout simplement les mots en inversant les syllabes de la dernière à la première, cela pour des phrases de 8, 10, 15 mots même, et sans la moindre erreur. Ainsi, les phrases citées plus haut voulaient dire: Ma tante ; Monsieur Doyen, méchant ; Voulez-vous me laisser tranquille. »
Ce trouble du langage a persisté cinq semaines chez cette fillette, qui est aujourd'hui une grande jeune fille, d'une santé tout à fait florissante.
Nous laissons aux spécialistes le soin d'étudier à fond ce nouveau trouble du langage. Pour nous, nous avons cru de notre devoir de jour-
(1) Marcotte. — De l'hèmicramectomîe temporaire. — Institut de Bibl., 1896.
natiste de ne pas laisser celte curieuse observation perdue au milieu d'interventions chirurgicales, et c'est pour cette raison que nous avons tenu à la mettre en vedette. Certainement les neurologistes n'auraient pas été la chercher au milieu de récits de trépanation, et c'eût été dommage (1).
Un cas de Somnambulisme chez un élève de l'École normale supérieure.
M. D. Ordinaire, député, qui vient de mourir, avait, par un privilège très spécial, passé quatre années à l'École normale supérieure. Au cours de sa seconde année, il avait en effet été victime d'un accident singulier, qui Pavait tenu six mois au lit ; il avait obtenu de redoubler cette année perdue. Il était né très nerveux et sujet à des accès de somnambulisme, dont s'amusaient ses camarades. Un jour, il était sorti de son lit, il avait enjambé, toujours dormant, la balustrade de la fenêtre, et, en descendant avec l'agilité d'un singe, il avait posé son pied nu sur le fer de lance d'une grille. Il s'était empalé la jambe et, s'éveillant, il ayait jeté un cri terrible. On voulait lui couper la jambe. Il déclara qu'il aimait mieux s'en aller dans l'autre monde avec ses deux jambes que de rester avec une seule dans celui-ci. Il eut raison, car il guérit. Il est vrai qu'il a longtemps marché... avec des béquilles. Cet accident n'altéra en rien sa bonne humeur.
Un nouveau journal médical
Nous recevons le premier numéro de l'Opinion médicale, qui paraîtra deux fois par mois sous la direction de notre sympathique confrère, le Dr Lagelouze. Nous extrayons les lignes suivantes du programme de notre nouveau confrère :
« Devant le devoir, l'abnégation et le dévouement professionnels, tous les
« médecins sont égaux. Cependant, des notions dérivées d'un esprit de « hiérarchie absolument contraire aux idées modernes les divisent en caté-
« gories plus nombreuses que les castes de l'Inde. Le corps médical ne « saurait être plus longtemps assimilé a une armée dans laquelle tous les « grades, depuis le plus infime jusqu'au plus élevé, seraient représentés.
« Ces distinctions, bonnes tout au plus à stimuler l'émulation des étu-« diants, perdent leur raison d'être dans la pratique médicale. Le meilleur « médecin n'est pas celui qui a conquis, par la faveur ou par des exercices « de mémoire, le plus de titres ou de galons, mais celui qui rend au malade « les services les mieux appropriés à son état. Pénétrés de l'idée que la bonne
confraternité ne peut être que la fille de l'égalité, nous prêcherons sans « nous lasser le dogme de l'égalité médicale.
Nous souhaitons bonne chance et grand succès à l'Opinion médicale.
(1) Sur l'écriture en miroir, consultez: Buschwal. — Berl. Klin. Wochenschri/t, n° 1, p. 6, 7 janv. 1878; — ISrlenmever.— Die Schrift, Grundzüge ihrer Physiologie und Pathologie; — Cari Vogt. — Revue scientifique. 1880, n* 52; — bkworizoff. — De la eécité et de la surdite des mots dans l'apnasie, th. Paris, 18S1 ; — Durand (Maniai). — De récriture en miroir, ietude sur l'écriture de la main gauche dans ses rapports avec l'aphasie), etc.— L article très intéressant de M. Durand a paru dans le Journal de Médecine de Bordeaux, déc. 1881 et a paru au tirage à paria la librairie Delahaye en 1882 (avec planches). B-
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fpndé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wettersirand.
Tous les jeudis, à lû heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Xordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie
M. le Dr Bérillon, médecin-inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, a commencé le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, à
sa clinique, 49, rue Saint-André-des-Arts, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie. Il se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.
COURS ET CONFÉRENCES DU SEMESTRE D'HIVER 1896-97 à l'Institut psycho-physiologique
49, rue Saint-André-des-Arts, 49 conférences
Jeudi 7 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie de la douleur.
Jeudi 14 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine, fera une conférence sur : La conversion d'un clinicien à la thérapeutique suggestive.
Jeudi 21 Janvier, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le rôle du sommeil dans les cures psychothérapiques ;La reconstitution synthétique de la personnalité.
Jeudi 28 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Armand Paulier, ancien interne des hôpitaux, fera une conférence sur : L'anatomie des régions centrales du cerveau. (Préparations et dissections. — Pièces de démonstrations en pâte molle d'après un procédé nouveau).
Jeudi 4 FÉVRIER, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les psychoses de la ménopause.
Jeudi 11 Février, à cinq heures, M. Eugène Caustier, professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : L'évolution de l'amour maternel dans la série animale. (Psychologie comparée).
Jeudi 18 Février, à cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie expérimentale. Applications de la méthode graphique à l'étude de l'hypnotisme.
Jeudi 25 Février, à cinq heures, M. le Dr Collineau fera une conférence sur : Le précurseur de l'homme.
Jeudi 4 Mars, à cinq heures, M. Maurice Dupont, de l'Ecole du Louvre, fera une conférence sur : L'influence de la suggestion dans l'évolution de l'art.
Jeudi 11 Mars, à cinq heures. M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les signes précoces et les /ormes frustes de la paralysie générale.
Jeudi 18 Mars, à cinq heures, M. le Dr Henry Lemesle, avocat à la cour d'appel, fera une conférence sur : L'homme criminel et les doctrines nouvelles de l'Ecole de Lombroso.
Jeudi 1er Avril, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le libre arbitre des névropailies.
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.
Paris. Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE
11e année — N° 7.
Janvier 1897.
UNE VIE DE SAVANT :
DELBŒUF
Professeur à l'Université de Liège,
Par M. J. Liégeois, professeur à l'Université de Nancy. (suite et fin)
IV
En 1850, Delbœuf venait d'entrer à l'Université de Liège, lorsqu'il lui tomba sous la main un petit livre, traitant du Magnétisme animal. Intéressé par cette lecture, il se procura les deux seuls ouvrages que possédât alors, sur cette question, la bibliothèque de sa ville natale : le Traité du somnambulisme d'Alexandre Bertrand (1823) et l'Histoire académique du magnétisme animal, du Dr Dubois (d'Amiens ; 1841).
Depuis ce moment, il s'était tenu au courant des publications concernant le magnétisme. C'est ce qui l'avait enhardi, dès le 22 décembre 1869, à expliquer par un phénomène d'auto-suggestion les états physiologique et psychologique si curieux présentés par la fameuse stigmatisée Louise Lateau 1.
A la fin de décembre 1885, il se rendit à Paris, voulant juger par lui-même de la rigueur et de l'exactitude des expériences, alors si étranges en apparence, faites sur les hystériques par Charcot et ses élèves, et dont l'une surtout excitait son incrédulité : celle du transfert par l'aimant, de MM. Féré et Binet.
Delbœuf a fait, en 1886, pour la Revue de Belgique un résumé de ses observations sous ce titre : Une visite à la Salpêtrière2. « Là,
1. Voy. un article de Delbœuf dans le Journal de Liège du 22 décembre 1869, reproduit dans le Magnétisme animal, du môme auteur, dont nous parlons plus loin
2. Une br. gr. in-8°. de 49 p. Bruxelles, Librairie Maquardt.
dit-il, je fus témoin des fameux trois états, léthargie, catalepsie, somnambulisme ; là, je vis les états dimidiés et les stupéfiants états composés ; là, on me montra en action l'hyperesthésie neuro-musculaire ; là enfin, on me fit assister aux expériences sur le transfert. Mais, quand je vis comment on faisait ces dernières expériences, quand je vis qu'on négligeait des précautions élémentaires, par exemple de ne pas parler devant les sujets, qu'on annonçait tout haut ce qui allait se produire, qu'au lieu d'opérer avec un électro-aimant, actionné à l'insu du sujet et de l'expérimentateur, celui-ci se contentait de tirer de sa poche un lourd fer à cheval ; quand je vis qu'il n'y avait pas même de machine électrique dans le laboratoire, je fus assailli de défiances, qui, insensiblement, minèrent ma foi dans tout le reste (p. 7). »
Ne retenons de ces déclarations que ce qui concerne l'imprudence avec laquelle — j'en ai été moi-même témoin, dans un autre des grands hôpitaux de Paris — on annonçait tout haut, devant les sujets soumis aux expériences, tout ce qui allait se produire. C'était là une faute capitale, car, contrairement à ce que l'on croyait alors à Paris, le sujet endormi, qui semble ne pas entendre, entend. Nous l'avons montré cent fois, à Nancy, MM. Liébeault, Bernheim, Beaunis et moi.
Rentré à Liège, Delbceuf fit lui-même des expériences de suggestion ; il produisit alors les phénomènes que nous avions si souvent produits, à Nancy. « Les résultats obtenus à la Salpêtrière, conclut-il, étaient dus à l'entrainement et à la suggestion. L'opérateur aura regardé comme essentiels des caractères individuels, sinon purement accidentels, présentés par son premier sujet. Usant inconsciemment de la suggestion, il les aura transformés en signes habituels ; il se sera attaché, toujours sans te savoir, à les obtenir des autres sujets, qui les auront reproduits par imitation, et ainsi, le maître et les élèves, s'influençant réciproquement, n'auront pas cessé d'alimenter leur erreur1. » Cette erreur est aujourd'hui reconnue par tous les hommes compétents, qui n'ont pas de parti pris. C'est aussi l'avis émis, il y a quelques années, dans la Médecine moderne, par M. le professeur Déjerine, de la Faculté de Paris2.
1. Les passages soulignés, l'ont été par nous, (J. L.). 2. M. Déjerine s'exprime ainsi : « Ce qui vient à l'appui de cette opinion, c'est que, lorsque le grand hypnotisme fut décrit, on 1832, à la Salpêtrière, ou ne songeait nullement au rôle immense que pouvait jouer la suggestion dans la production des phénomènes observés, rôle que l'Ecole de Nancy et M. Ch. Richet ont si bien mis en évidence, au cours de ces dernières années. » (La Médecine Moderne, janvier 1891, p. 73 et 80.)
En 1888, mon collègue de Liège publia : L'hypnotisme et la liberté des représentations publiques, lettres à M. le professeur Thiriar, membre de la Chambre des Députés, qui avait demandé des mesures de répression. Ces lettres ont paru d'abord dans le Journal de Liège et ont été ensuite réunies en brochure,.
L'auteur prend nettement position en faveur de la liberté, aussi bien des représentations publiques d'hypnotisme que des recherches scientifiques que peuvent faire des personnes étrangères à la profession médicale. Après une enquête personnelle faite avec le plus grand soin, il réduit à néant les histoires invraisemblables sur lesquelles M. Lombroso s'était appuyé pour demander l'interdiction des séances publiques. 1er Histoire : « A la suite d'une représentation où il fut hypnotisé, un officier d'artillerie italien est devenu fou. » — 2° Histoire : « Un ancien hystérique et un ancien somnambule sont redevenus malades, après deux séances d'hypnotisme. » — 3e Histoire : « Deux étudiants en mathématiques s'hypnotisèrent spontanément en regardant leur compas ; il leur devint impossible de dessiner. » — 4e Histoire : « Un employé de chemins dé fer fut pris de convulsions et de folie furieuse, et n'est pas encore guéri. »
Tous ces racontars sont réduits à néant. M. Lombroso n'a jamais, que je sache, relevé le défi que lui portait Delbœuf de réfuter sa réfutation.
Celui-ci reviendra, en 1892, sur le même sujet dans : L'Hyp-nolisme devant les Chambres législatives belges2. Entre temps, la question avait été résolue, contrairement à ses vues, par le Congrès international d'hypnotisme tenu à Paris, en août 1889, où j'avais été seul (M. Delbœuf n'assistant pas à la séance) à voter contre les conclusions d'un rapport présenté par M. le Dr Ladame, tendant à interdire les représentations publiques d'hypnotisme3. « Il m'a paru, ai-je dit ailleurs4, singulier et contradictoire, quand on reconnaît que les phénomènes hypnotiques peuvent être la cause de certains dangers, de mettre la lumière sous le boisseau, de chercher à faire le silence autour de faits que des milliers de personnes connaissent aujourd'hui ; enfin, de réserver le monopole d'une science
1. Br. in-s-, 111 p. — Liège, Desoer, imprimeur-libraire, 1888.
2. Br. gr. in-8\ 81 p., Paris, Alcan ; Liège, Desoer, 1892.
3. Premier Congrès international de l'hypnotisme, tenu à Paris en 1889. — Rapport de M. le Dr Ladame. p. 28. Paris, O. Doin, éditeur.
4. Revue philosophique, mars 1893, p. 301.
nouvelle au corps médical qui, pendant un siècle, en avait nié l'existence. Je suis de ceux qui pensent que, quand des récifs se trouvent à l'entrée ou aux abords d'un port, il vaut mieux les éclairer et les signaler aux navigateurs que de les laisser dans l'obscurité. »
Mes honorables amis, MM. Liébeault, Bernheim et Beaunis, partagent entièrement cette opinion.
Dans la polémique par lui soutenue, en Belgique, sur la question des représentations publiques d'hypnotisme, Delbœuf avait eu l'occasion de s'appuyer des opinions professées par l'Ecole de Nancy, contrairement aux doctrines qui avaient cours à la Salpêtrière. Il voulut voir par ses yeux, comme il avait fait pour Paris, et, un beau jour, il vint nous visiter. C'est le récit de ce voyage et des impressions qu'il en rapporta qui fait l'objet de sa brochure : Le magnétisme animal, à propos d'une visite à l'Ecole de Nancy1.
J'ai dit déjà, en rendant compte de ce travail 2 : « M. Delbœuf nous laisse le meilleur souvenir. Ceux qui l'ont approché n'ont pu qu'admirer l'étendue et la profondeur de son savoir, l'étonnante activité de son esprit, !a bonne humeur et la gaieté communicative de sa parole, enfin la qualité très rare, qu'il possède d'ailleurs au suprême degré, de brûler ce qu'il avait adoré la veille, et, quand il croit avoir reconnu l'erreur d'une théorie scientifique, de s'en faire aussitôt l'adversaire le plus redoutable...
Le dernier chapitre de sa brochure a pour titre : M. Liégeois et les suggestions criminelles. Comme Delbœuf est revenu plusieurs fois sur ce sujet, qui nous a toujours profondément séparés, — scientifiquement parlant, — nous remettrons à en parler à la fin de cette élude.
Je dirai peu de chose de Magnétiseurs et médecins 3, qui a paru en 1890. C'est surtout une œuvre dé polémique, dirigée, en très grande partie, contre M. le D' Ladame, de Genève. M. Ladame avait, en 18S9, au Congrès de l'hypnotisme tenu à Paris, présenté un rapport contre les représentations publiques des magnétiseurs, — celui-là même contre les conclusions duquel j'avais voté, comme je l'ai dit ci-dessus. M. Delbœuf
1. Paris. Félix Alcan. 1889, gr. in-8°. 128 p.
2. Revue philosophique, 1889.
3. Paris, Alcan, 1890, 116 p.
avait été blessé de la façon dont M. Ladame l'avait attaqué dans ce document ; il lui avait répondu, et sa réponse parut ensuite dans les Comptes rendus du Congrès. Cela eût dû suffire. Et je dois à la vérité de déclarer que, dans Magnétiseurs et Médecins, Delbœuf, avec sa fougue habituelle, a parfois dépassé les limites que la courtoisie doit toujours imposer aux discussions scientifiques.
Je préfère de beaucoup, à Magnétiseurs et Médecins, deux travaux publiés l'un en 1887, l'autre en 1890, et qui ont entre eux une intime connexion. Ce sont : 1° De l'origine des effets curatifs de l'hypnotisme1 ; 2° De l'étendue de l'action curative de l'hypnotisme ; l'hypnotisme appliqué aux altérations de l'organe visuel, en collaboration avec MM. Nuel, professeur à l'Université de Liège, et le D' Leplat, ancien assistant du cours d'ophthalmo-logie à la même Université2.
Le premier de ces Mémoires contient le récit d'expériences faites par Delbœuf, en vue de rechercher pourquoi et comment la suggestion hypnotique peut produire des effets curatifs que souvent les remèdes ont été impuissants à procurer. Un jour, pour satisfaire à la curiosité de quelques-uns de ses collègues, il obtint qu'une de ses somnambules, J..., se prêtât à des épreuves qui, normalement, eussent été très douloureuses. L'un des assistants, non content de lui avoir enfoncé à différentes reprises des aiguilles dans les bras, manifesta le désir de faire à J... des piqûres à la langue. « Alors, à J... éveillée, on demanda d'avancer la langue et on la lui perça plusieurs fois, avec une aiguille à bas qu'on fit aller et venir, sans que la jeune fille donnât le moindre signe de douleur ou fit mine de la retirer. »
Notre auteur était triomphant ; mais son contentement fit bientôt place à certaines appréhensions, lorsqu'il entendit une discussion s'engager entre les quatre docteurs, sur les dangers de cette épreuve. Ils parlaient d'infection possible, d'abcès, etc. Aussi, ce jour-là et le lendemain, il ne cessa de s'informer avec anxiété, près de J..., si elle ne ressentait rien. Elle ne ressentait absolument rien.
Tout à coup, un « trait de lumière » traversa l'esprit de l'expérimentateur. Cette expérience élait l'inverse de la brûlure par
1. Paris, Alcan, br. in-8°, 142 p. Extraits des Bulletins de l'Académie royale de Belgique. 8° série. I. XIII. n° fi.
2. Paris, Alcan, br. in-8°, 32 p. Extrait des mêmes Bulletins, 3- série, t. XIX, n° 4.
suggestion1. Là, l'idée de la souffrance avait produit le mal ici, l'absence de souffrance l'empêchait de se produire.
Delbœuf détermina J..., qui était à son service (et qui, dans de douloureuses circonstances de famille, lui avait montré un dévouement admirable), à se prêter à d'autres et plus douloureuses expériences, pour vérifier et contrôler les vues théoriques de son maître. Cette fille, mue par un sentiment très noble et très élevé d'humanité, y consentit. En conséquence, on lui fit des brûlures aux deux bras, avec un fer rouge ; pour l'une de ces brûlures, on lui suggéra l'absence totale de douleur ; pour l'autre, on laissa agir la nature. Les résultats furent contrôlés par d'éminents physiologistes de l'Université dé Liège ; ils furent tels qu'on les avait prédits. La blessure non suggestionnée, si l'on peut ainsi parler, devint très douloureuse, la plaie dura un certain temps ; pour l'autre, la cicatrisation fut extraordinaire ment rapide.
Cette expérience, et d'autres encore, dont le mémoire cité donne les détails, ont conduit l'auteur à cette conclusion : que la douleur causée par une lésion, un traumatisme, etc., forme une sorte de suggestion ; en appelant l'attention de la personne souffrante sur le point blessé, elle y augmente le désordre organique dont la douleur est le signe; l'idée du mal y entretient et y développe le mal. Au contraire, supprimez la douleur, et vous supprimez ou atténuez, en grande partie, ces causes d'aggravation. Si le sujet blessé oublie sa blessure, le mal s'arrête et disparait peu à peu.
Cette conclusion et les considérations dont elle est appuyée me semblent fort justes. Mais ont-elles toutes la nouveauté que l'auteur leur attribue ? Ne sont-elles pas la conséquence nécessaire et facile à tirer des faits mis en lumière par l'Ecole de Nancy et, en particulier, par M. Liébeault ? Ce dernier a-t-il jamais fait autre chose, dans des cas analogues à ceux que l'on a constatés à Liège, que de faire oublier leur mal aux malades ? N'a-t-il pas ainsi, nombre de fois, guéri des plaies, des ulcérations ? N'avons-nous pas, avec M. Focachon, en 1885, produit une vésication fictive par suggestion, et annulé, par suggestion également, l'effet d'un vésicatoire réel, ce qui se rapproche singulièrement de la brûlure atténuée ? N'ai-je pas moi-même,
1. On sait qu'on peut, par simple suggestion, produire, chez un bon somnambule, une brûlure ou une vésication. Nous avons nous-même, eu 1883, par suggestion verbale et par le contact du doigt, produit, sur la main de Mme D..., de Nancy, très bonne et très intelligente somnambule, une rougeur qui a duré cinq jours.
en 1884, par un simple ordre verbal donné à l'état de veille, envoyé Mlle II... chez le dentiste, qui lui arracha, le lendemain, sans douleur, deux mauvaises racines, en lui enlevant même un petit morceau de gencive ? N'était-ce pas là exactement ce que Delbœuf a fait, le 29 décembre 1886, avec Mlle S... à qui le Dr de Rasquinet lacéra « une pulpe dentaire mise à nu, ce qui « est une opération des plus douloureuses1? »
Tout ceci dit, non pour diminuer la valeur du travail infiniment curieux et suggestif, dont nous venons de parler, mais seulement pour rendre hommage à la vérité, que mon savant ami de Liège aimait par dessus tout.
Le second des deux travaux sur l'action curative de l'hypnotisme, rapporte, avec détails et preuves à l'appui, deux expériences très intéressantes, dans lesquelles Delbœuf, assisté de MM. le professeur Nuel et le Dr Leplat, a entrepris d'améliorer, par suggestion, l'état de la vision, chez deux sujets devenus presque aveugles. Le résultat du traitement suivi, lequel était purement psychique, semble avoir été vraiment très favorable. C'est là une contribution d'une réelle importance à l'action — bienfaisante dans beaucoup de cas — de la suggestion hypnotique sur la guérison d'un grand nombre de maladies.
L'hypnose et les suggestions criminelles, tel est le titre d'un discours prononcé par Delbœuf le 15 décembre 1894, à Bruxelles, dans la séance publique de la classe des sciences de l'Académie royale de Belgique2. J'ai déjà dit ci-dessus que c'était le sujet qui nous avait toujours le plus profondément divisés, mon savant ami et moi. Comme ce sont les idées que j'ai émises, à plusieurs reprises, depuis 1884, qui ont fait les frais do cette lecture en séance solennelle, il me sera sans doute permis d'en parler à mon tour. Je serai bref.
En 1884, j'avais été admis à lire, à Paris, devant l'Académie des sciences morales et politiques, un Mémoire sur la Suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel ». J'ai ensuite repris et développé ce sujet dans un ouvrage plus
1. Mémoire cité, p. 36.
2. Extrait des Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 3e série, t. XXVIII, n° 12, pp. 521-553, 1894.
3. Séances et Travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 1884, i. CXXII, p. 155: Mémoires de l'Académie de Stanislas, de Nancy, 1884, 5e série t. 11, p. 249.
considérable, qui a paru à la fin de 18881. Enfin, au commencement de 1892, j'ai exposé dans la Revue philosophique2 la question des suggestions criminelles, la plus grave assurément que soulève le rapprochement des états hypnotiques avec le droit civil et criminel. J'ai été, parmi les jurisconsultes, le premier à appeler l'attention des savants, des législateurs et du grand public sur les dangers dont la suggestion hypnotique peut être la cause, dans certains cas qui, pour exceptionnels qu'ils soient, n'en présentent pas moins une haute gravité.
Les doctrines de l'Ecole de Nancy, que je n'avais fait qu'appliquer au droit, ont soulevé, depuis treize ans, des controverses ardentes, passionnées, qui ne sont pas près de prendre fin. Récemment encore, les organisateurs du 3e Congrès de psychologie expérimentale m'avaient demandé de faire, devant l'Assemblée qui devait se réunir à Munich, un Rapport sur l'Etat actuel de la question des suggestions criminelles. La même demande avait été adressée à Delbœuf. Lui et moi avions accepté. Nous avons tous deux été empêchés de tenir notre promesse, moi par des circonstances toutes spéciales, lui par la douloureuse maladie qui devait l'emporter, quelques jours à peine après la clôture du Congrès de Munich.
Ce que je n'ai pu faire à Munich, je le ferai, je pense, un jour ou l'autre. Mais les développements dans lesquels il faudrait entrer ne peuvent trouver leur place à la fin de cette Etude, que le lecteur trouve sans doute déjà trop longue. Je ne dirai ici que quelques mots, pour expliquer en quoi la doctrine du professeur de Liège diffère de celle de l'Ecole de Nancy.
La thèse que j'avais formulée en 1884, en m'appuyant sur des expériences personnelles, est la suivante : Toute personne mise en état de somnambulisme profond devient, entre les mains de l'expérimentateur, un automate, tant sous le rapport moral que sous le rapport physique. Elle ne voit que ce que celui-ci veut qu'elle voie, ne sent que ce qu'il lui dit de sentir, ne croit que ce qu'il veut lui faire croire, ne fait que ce qu'il lui dit de faire.
Cet automatisme sommambulique constitue, pour tous ceux qui en sont susceptibles — et par conséquent pour la société
1. De la suggestion et du somnambulisme, dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale. 1 vol. in-18, de vii-758 p. O. Doin, éditeur. Paris, 1880.
2. Hypnotisme et criminalité. Revue philosophique, 1892, t. I, pp. 233-272.
tout entière — un danger très sérieux. Ils peuvent être rendus auteurs inconscients d'actes délictueux ou criminels, qui leur auraient été suggérés. En pareil cas, l'auteur du fait matériel doit être considéré comme irresponsable, et son acquittement s'impose à la conscience des juges ou des jurés. Seul, l'auteur de la suggestion doit être recherché et puni.
A cette doctrine s'oppose celle de l'Ecole de la Salpêtrière, dont le professeur Charcot était naguère encore le chef incontesté. Et M. Brouardel, doyen de la Faculté de médecine de Paris, professe, à son Cours de Médecine légale, que les somnambules ne réalisent que « les suggestions agréables ou indifférentes « que leur offre un individu agréable1 »
Delboeuf, dans son discours prononcé à Bruxelles, en 1894, se propose de montrer que nous nous trompons, à Nancy, sur le danger des crimes qu'on pourrait faire commettre par suggestion; que nos expériences ne prouvent rien, que les « crimes de laboratoire », comme on les a appelés, n'ont pas la portée que nous leur attribuons, et qu'ils ne se produiraient jamais dans la vie réelle.
Avec une désinvolture charmante, il déclare même qu'il est d'autant plus à l'aise pour juger en toute liberté d'esprit qu'il a été amené à passer en quelque sorte d'un camp dans l'autre2.
Si l'on tient à bien comprendre le discours de Bruxelles, il faut se reporter à la brochure intitulée : Le magnétisme animal, dont l'orateur ne fait que reprendre et développer les considérations. Déjà, en 1889, il prenait, pour ainsi dire, une à une, mes expériences de 1884, et essayait de montrer, ou qu'elles péchaient par quelque point, ou qu'elles ne comportaient pas les conclusions que j'en voulais tirer. Je ne puis entrer ici dans tous ces détails. Je crois fermement que Delboeuf, de la meilleure foi du monde, cela va sans dire, a mal interprété les faits expérimentaux sur lesquels j'appuyais mon système, et je le montrerai, j'espère, dans un travail ultérieur.
Comme preuve de cette entière bonne foi, je rappellerai seulement que, au cours du Mémoire ci-dessus rappelé, il reconnaît pourtant, « dans une certaine mesure, » la valeur des arguments que je lui opposais:
« M. Liégeois en contestera la portée (de ses expériences,
1. Cadette des Hôpitaux, 1887.
2. Bulletins de l'Accadèmie royale de Belgique, p. 526; Extrait, p. 6. Ce discours a été reproduit dans la Revue de l'Hypnotisme, t. IX, pp. 225 et 260, sous ce titre : L'hypnose et les suggestions criminelles.
contraires aux miennes). II dira : 1° que des expériences négatives ne peuvent rien : cela est incontestable... 2° qu'il y a somnambules et somnambules, c'est juste ; mais à la Salpêtrière on dit la même chose (qu'est-ce que cela fait ?) 3° que mes somnambules sont dressés à se souvenir—je ne vois pas la portée de l'argument; 4° que j'aurais dû m'y prendre autrement ; — c'est possible, mais j'ai fait de mon mieux (cette raison est faible) 1
Dans un autre passage, il me « concède sans peine que « MM. Brouardel et Gilles de la Tourette lui paraissent aller « beaucoup trop loin, quand ils nient même la possibilité du viol. Ici, ajoute-t-il, je suis tout à fait de son avis (du mien) bien qu'il juge nécessaire de me combattre, comme si je l'avais niée (p. 97).
« Mais, où Delbœuf ne peut me suivre, « c'est quand je tire « argument des actes des somnambules naturels. Qu'un père « croyant tuer une bête fauve qui veut le dévorer, tue son fils, « qu'une mère qui rêve d'un incendie jette par la fenêtre le ber-« ceau où dort son enfant, cela s'est vu et se verra malheureuse-« ment encore. Mais ce sont là des cas pathologiques très rares. « Qu'il y ait des sujets prédisposés qui, plongés dans le som-« nambulisme artificiel, puissent en arriver là, il serait aventu-« reux de le nier catégoriquement ; pour ma part, je ne voudrais « pas le faire. Mais une chose me parait certaine : ils doivent « être également très rares1 »
Mais d'abord, pourrions-nous répondre, nous n'avons jamais, quoi qu'on ait pu dire, affirmé, à Nancy, que ces cas fussent communs. M. Liébeault évalue à quatre pour cent de la population totale les somnambules à qui l'on peut faire commettre des crimes par suggestion. Cela est donc assez « rare ». Et cependant, pour Paris seulement, cela représenterait au delà de cent mille personnes !!
En 1894, Delbœuf semble même regretter les concessions qu'il me faisait, cinq ans plus tôt, et vouloir les retirer. Il a demandé à nombre de personnes, à des magistrats entre autres, si elles avaient déjà rêvé qu'elles commettaient des vols ou des meurtres ; jusqu'à présent toutes lui ont répondu non. Eh bien ! cette enquête a été incomplète et l'on généralise trop, en concluant trop vite du particulier au général. M. Liébeault, que je viens de consulter, me dit avoir rêvé plu-
1. Le Magnétisme animal, p. 9-
sieurs fois qu'il commettait un meurtre ; une autre fois, il fit, en rêve, un repas composé de chair humaine. Et, pourqui connaît mon savant et illustre ami, ce serait peut-être beaucoup s'avancer que de dire qu'il ne rêvait que de choses qu'il eût été plus ou moins prédisposé à exécuter de sangfroid !
Au paragraphe VII de son discours, Delbœuf dit enfin ne pouvoir mieux rendre sa pensée que par la formule suivante : « On ne fera exécuter au sujet que les actes qu'il lui arriverait « d'exécuter en rêve (p. 28). »
Or, l'auteur d'une excellente étude sur Le Sommeil et les Rêves, nous a appris ce qui suit, au début de son Introduction:
« Chaque jour, nous sommes, pour ainsi dire, ravisa nous-mêmes par un génie fantasque, bizarre et capricieux, qui se fait un malin plaisir de confondre les contraires, le bien et le mal, le vice et la vertu. A certaines heures de la journée le plus juste des hommes commettra sans remords les plus abominables forfaits : il deviendra voleur, assassin, incestueux, parjure; la jeune et chaste épouse se livrera aux actes les plus indécents ; la nonne pudibonde laissera tomber de ses lèvres d'immondes paroles ; emporté par la passion ou la fantaisie, le pieux lévite ne reculera devant aucun sacrilège 1. »
Et qui a dit cela? Delbœuf2!...
Nous ne pousserons plus loin, en ce moment, cette discussion; nous y reviendrons, à notre heure. Disons seulement que la thèse que Delbœuf soutenait contre nous, en matière de sug-
1. Delbœuf. Le sommeil et les rêves, p. w Paris, Alcan, 1885.
2. En outre des travaux importants relatifs à la suggestion, que nous venons d'analyser, Delbœuf a publié, dans la Revue de l'Hypnotisme, de nombreux articles sur les questions les plus diverses. En voici le relevé:
1° Les suggestions à échéance. Revue, t. I, 1886-1887, p. 166 ; 2° Cas curieux d'hipnotisation volontaire, p. 339; 3° Note sur l'hypnoscope et les aimants, p. 370 ; 4° De l'analogie entre l'état hynotique et l'état normal, 11, 289 ; 5° De l'origine des effets curatifs instantanés de l'hypnotisme sur les maladies chroniques, III, 66; 6° Des hallucinations négatives suggérées, IV, 202 ; 7° Opinion de M. Delbœuf sur l'affaire Couffé, V, 116 ;
8° A propos du livre récent du Dr Bernheim, intitulé Hypnotisme, suggestion, etc., 218. 9° Lettre relative à l'affaire des guérisseurs de Braine-le-Château, 281, et VI, 40. 10° Accouchement dans l'hypnotisme, V, 289. 11° Comme quoi il n'y a pas d'hypnotisme, VI, 129 ; 12° Autographisme, nouvelle observation, 257 ; 13° De l'appréciation du temps par les somnambules. Vif, 87; 14° Quelques considérations sur la psychologie de l'hypnotisme, à propos d'un cas de manie homicide, guéri par suggestion, 200 ; 15° La mémoire che% les hypnotisés. VII, 29;
16° Deux cas de diagnostic chirurgical, posé au moyen de l'hypnose, 35 ; 17° A propos d'une suggestion originale, 182;
18° A propos dune cure merveilleuse de sycosis, IX, 225, février 1896. '
gestions criminelles, a été, peu après son discours à l'Académie royale de Belgique, réfutée successivement par deux savants dont l'autorité est universellement reconnue : MM. les Drs Liébeault et Durand (de Gros)1. L'appui qu'ils nous ont apporté, en cette circonstance, nous a été très précieux : notre conviction en eût été encore raffermie, si elle avait eu besoin de l'être.
V
Me défiant, comme je l'ai dit plus haut, de ma compétence en plusieurs des branches d'études qui ont tenté l'activité exubérante de Delboeuf, j'avais demandé à un philosophe émi-nent ce qu'il pensait des travaux philosophiques de l'ami que nous venions de perdre. Je crois ne manquer à aucune convenance, en donnant ici textuellement l'appréciation qu'il m'a transmise, et dont je le remercie :
Paris, 1er Octobre 1896.
« Mon cher ami, « ... Vous me demandez ce que je pense de ses travaux philosophiques. Je les crois tous marqués au coin d'une verve véritablement créatrice et géniale, d'une personnalité endiablée. Il n'a rien touché, dans son éparpillement continuel, sans le perforer. Son œuvre n'a été — mais c'est quelque chose — qu'une série de puits de mine, de sondages d'ingénieur, pratiqués çà et là dans tous les terrains philosophiques, depuis l'hypnotisme et les suggestions criminelles, jusqu'à la métagéométrie ; depuis la psycho-physique jusqu'à la mécanique rationnelle, en passant par le darwinisme et les plus épineux problèmes de biologie, sans compter les questions grammaticales et philologiques. Partout, il a enfoncé et laissé son aiguillon... »
Signé : G. Tarde.
Ce jugement me semble aussi juste que pittoresque, et j'y souscris entièrement.
Sans doute, dans le grand nombre des questions traitées par Delbœuf, il n'a pu se croire assuré — il ne l'a jamais dit d'ailleurs — de rencontrer toujours la vérité. Un homme de
1. Liédeault — Suggestions criminelles hypnotiques — Revue de l'hypnotisme, avril et mai 1895, p. 236 et 330 — Durand de Gros, Suggestions hypnotiques criminelles (extrait de la Revue de l'hypnotisme (juillet 1895, p. 8).
génie même pourrait-il en avoir la pensée, surtout quand il s'agit de ces grands problèmes qui troublent les esprits les mieux doués : l'origine de la vie, la constitution de l'univers, le déterminisme, la liberté, les fondements de la certitude, la conservation de la force, le transformisme, les causes de la mort, etc., etc. Mais, dans vingt directions différentes, il a porté une intelligence puissante, armée des ressources de la science moderne, une passion inassouvissable de vérité, de précision, de lumière, une force incroyable de dialectique, de discussion, de contradiction. Rien ne l'arrêtait, quand il voulait dire ce qu'il croyait vrai ; aucune autorité, aucune déférence, aucune amitié ne pouvait, je ne dirai pas influencer, mais tempérer même ses jugements. Et c'est là une grande force ! et si j'osais dire toute ma pensée, j'ajouterais que c'est souvent un grand devoir, malgré les froissements parfois légitimes que l'on peut provoquer de côté ou d'autre.
Delbœuf a été un grand remueur d'idées. Comme le font les mineurs dans l'ordre physique, il a, dans l'ordre intellectuel, creusé de tous côtés ces « puits de mine » dont on nous parlait tout à l'heure, poussé des galeries, abattu le roc, exploré le filon, soumis le minerai à des essais répétés pour en extraire le métal pur et brillant1.
Il a vécu l'esprit hanté des plus hauts problèmes, le cœur rempli des plus généreux sentiments. Savant comme peu d'hommes le peuvent être, il était tenace, indomptable, mais point orgueilleux : et, même dans les plus chaudes et les plus ardentes discussions, sa gaieté — une gaieté d'enfant — lui
1. M- Georges Lechalas, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, à Rouen, a consacré à Delbœuf une notice qui vient de paraître dans les Annales de Philosophie Chrétienne, et dont il a bien voulu nous communiquer le manuscrit. Avec la haute compétence que tout le monde lui reconnaît, il y rend pleine justice aux travaux de Delbœuf sur la philosophie des mathématiques, devenus, dit-il, célèbres, après ce long oubli dont le savant belge s'était montré affecté ; il qualifie de géniales quelques-unes de ses idées, mêlées à des aperçus contestables. Antérieurement, il avait déjà dit de lui qu'il était un penseur d'une profondeur exceptionnelle.
Ce jugement se trouve formulé dans une importante Etude sur l'espace et le temps, publiée en 1896, par M. G. Lechalas. Reprenant et développant les discussions et les polémiques qu'il avait entretenues avec notre ami, et qui lui avaient fait concevoir pour lui une si haute estime, l'auteur traite à fond la difficile question de philosophie naturelle qu'il a abordée. Voici la liste des principaux passages où les opinions du professeur de Liège sont discutées, combattues ou approuvées : pages 5-7, 14-18,31, note 1 ; pp. 36-38, 40-42, 50-52, 62, 67, 84-86, 106-120;
Je ne puis que renvoyer le lecteur a la Notice de M. Lechalas, qui porte surtout sur les matières dont je n'ai pu m'occuper ici. Ajouté aux pages qui précèdent, l'article des Annales de Philosophie Chrétienne complétera on ne peut mieux celui qu'on vient de lire.
Nous adressons tous nos remerciements a M. Lechalas pour son obligeante communication.
ramenait souvent ceux que sa combativité aurait pu, un moment, écarter de lui ou blesser.
Il eût sans doute dit, comme un grand philosophe : « Si Dieu « me donnait le choix entre la possession de la vérité complète « et la recherche de cette vérité, je choisirais la Recherche. »
De tels hommes sont l'honneur de leur cité, de leur patrie, de l'humanité tout entière. C'est par eux que progresse la haute culture, la science, qui scrute non seulement les secrets de la nature, mais encore ces « énignes du monde », comme les appelait M. Duboys-Reymond ; ce sont eux qui, en travaillant à découvrir les lois de la matière et de l'esprit, font avancer la civilisation
Jules Liégeois.
Professeur à l'Université de Nancy.
1.. Au moment où nous achevons de corriger les épreuves de cette étude, nous recevons, de M. le professeur Forel, de l'Université de Zurich, la Notice qu'il a publiée sous ce titre : Professor Delbceuf aus Lûtiich, dans la Zcitschrift fur hypno-tismus, etc., de Leipzig. Nous prions M. Fore] de recevoir nos très vifs remerciements pour l'hommage qu'il a voulu rendre à notre illustre ami, et dont sa haut« compétence double encore le prix.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 19 Octobre 1896. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès verbal de la précédente séance est lu par M. Valentin, secrétaire ; il est adopté.
La correspondance imprimée comprend un volume de M. Desjardins de Régla, intitulé : Les Mystères de Constantinople. La correspondance manuscrite comprend une lettre de M. Bertillon, directeur de la Statistique Municipale.
M. le Secrétaire général donne le compte-rendu des faits importants du Congrès de Psychologie (de Munich) et du Congrès d'Anthropologie criminelle (de Genève).
Il prononce ensuite l'éloge de M. le professeur Delbceuf (de Liège), récemment décédé.
Il signale la présence de M. Bianchi (de Parme), inventeur de la Pho-nendoscopie, qui fut un des promoteurs de la méthode hypnotique en Italie.
Le bureau met aux voix la candidature, au titre de membres de la Société, de MM. les docteurs Grossmann (de Berlin), Clarke, Cotté,
P. Archambaud, Maurice Bloch, Duval, Bonnot (d'Epinay), Apostoli, A. Moraga (de Santiagode Chili), de M. Ch. Verdin, de MM. les Drs Eîd (du Caire), et Bianchi (de Parme). Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.
Traitement de Palcoolisrue chronique par l'hypnotismo
par M. le docteur Lloyd-Tuckey, de Londres.
Il me semble qu'en traitant un sujet encore nouveau tel que l'hypnotisme, la première condition à remplir pour sa compréhension scientifique est une classification exacte des faits observés. J'espère avoir atteint ce but en publiant le tableau ci-joint. Il est de peu d'utilité d'affirmer qu'un remède est curatif dans telle ou telle affection à moins d'avoir des données suffisantes, et il est souvent plus qu'inutile de rapporter des cuves brillantes si l'on ne donne pas en même temps un compte-rendu des insuccès.
A mes débuts, j'avoue que. saisi de l'enthousiasme de mon cher et vénéré maître le Dr Liébeault, j'avais espéré pouvoir guérir presque tous les cas d'ivrognerie par la suggestion. L'expérience m'a fait rabattre de mes espérances et, quoique j'aie toujours une grande confiance dans la valeur de l'hypnotisme comme moyen curatif, j'ai uni par me convaincre qu'avec l'alcoolisme nous avons affaire à un état complexe, et que, tandis que quelques malades sont facilement guéris, il en est d'autres qui ne le sont qu'avec difficulté; et un assez grand nombre reste incurable par n'importe quelle méthode connue.
La prétention qu'ont quelques charlatans de guérir de 90 à 95 pour cent de malades montre une grande malhonnêteté de leur part, et ignorance et crédulité de la part du public. J'ai fait l'expérience de quelques-uns de ces remèdes si vantés et je puis certifier de leur peu de succès. La plupart des malades n'en ont retiré qu'un profit passager; où le succès a été réel, il a été dû. je crois, à la suggestion, qui est largement utilisée, quoique indirectement, dans toutes ces guérisons.
Dans les cas cités plus bas, je n'ai employé presque exclusivement que l'hypnotisme. Je n'ai pas d'établissement où je pourrais envoyer mes malades; mais il m'a été possible d'assurer à la plupart d'entre eux la surveillance d'un ami ou d'un aide pendant deux ou trois semaines. Je refuse maintenant de traiter un dipsómano à moins qu'il ne soit soumis à une telle surveillance. Dans beaucoup de cas aussi, et parmi ceux qui eurent le plus de succès, le malade put aller et venir librement sitôt que son penchant pour l'alcool eût commencé à diminuer.
Je vais brièvement examiner les principales causes de l'alcoolisme chronique. Elles sont multiples; parmi les principales on peut citer :
1° Une mauvaise santé, principalement quand elle est accompagnée d'insomnie et de neurasthénie : ....
2° Surmenage, quand lo malade prend de l'alcool pour stimuler ses forces épuisées ;
3° Anxiétés et soucis, quand le malade a recours à l'alcool pour oublier momentanément;
4° Influence du milieu et mauvais exemple ;
5° Prédisposition héréditaire qui constitue souvent un réel état de dipsomanie.
Pour assurer le succès, il est nécessaire de découvrir la cause et de la combattre. L'attention donnée à la santé en général, l'éloignement de tout souci, le changement de compagnie sont quelquefois suffisants à eux seuls pour amener une guérison, mais souvent aussi quelque chose de plus est requis comme tonique mental et moral ; et ceci, je crois, ne peut être réalisé que par la suggestion hypnotique.
D'après mon expérience, la meilleure catégorie de malades pour ce traitement sont ceux dont la santé n'est pas encore altérée trop profondément, dont le milieu est favorable, et quand le malade n'est pas devenu paresseux, insouciant et endurci, mais conserve le respect de soi-même et continue de vaquer à ses occupations.
Dans les cas de dipsomanie héréditaire, je crois que l'hypnotisme est le seul remède qui ait une chance de succès. Les cas suivants expliqueront ma pensée :
Cas n° 1. Etait depuis trois ans un ivrogne notoire et avait bu avec excès depuis 10 ans au moins. Il fut soumis à mon traitement pendant un mois et est resté depuis parfaitement sobre.
Cas 31. Avait contracté l'habitude de boire étant commis-voyageur. C'était un ivrogne notoire dans la ville où il demeurait, et son frère et plusieurs de ses parents ne valaient pas mieux. Il avait l'habitude de boire avec excès pendant des jours entiers et passait ensuite une semaine dans un établissement hydrothérapique pour se remettre. Les attaques devenaient plus fréquentes, il eut de l'albuminerie et quelquefois des attaques de nature épileptique. C'était un bon sujet qui désirait ardemment guérir. Il fut soumis à mon traitement pendant un mois et je l'ai vu par intervalles depuis. Il n'a pas eu de rechute, quoiqu'il ait perdu sa charmante femme et ait eu beaucoup de soucis d'affaires.
Cas 46. Ressemble beaucoup au précédent. C'est un cas de réelle dipsomanie. II n'a pas eu de rechute. — Il peut arriver qu'un médecin rencontre trois cas comme les précédents au début de ses expériences hypnotiques. Il serait alors presque excusable s'il en concluait qu'il a eu dans la suggestion hypnotique un remède d'une puissance presque miraculeuse pour le traitement des pires formes de l'ivrognerie.
D'un autre côté, il aurait pu avoir affaire à une série de cas tels que les suivants, ce qui auraient pu le décourager et l'amener à conclure injustement à l'inutilité de l'hypnotisme.
Cas 7. Était une dame de bonne position. Ses enfants déjà grands et son mari ne se souciaient plus d'elle : c'était une femme sans ressources et d'éducation médiocre. Aussi longtemps qu'elle fut sous la garde d'une aide, tout alla bien ; ensuite elle fit un voyage à l'Étranger avec son mari et resta sobre ; mais, dès son retour à la maison, elle reprit ses mêmes habitudes et eut une rechute. Je la traitai de nouveau, mais sans obtenir de résultat permanent.
Cas 39. Ce fut un cas très singulier. La malade était mariée à un homme qu'elle n'aimait pas. C'était une femme sans éducation, sans aspiration et d'un caractère bas. Elle fut profondément hypnotisée et je lui suggérai que l'alcool lui donnerait de violentes nausées. Une aide la surveillait, mais à la première occasion elle but de l'eau-de-vie. Elle en fut tellement malade qu'elle n'osa plus renouveler l'expérience. Mais elle se procura de l'opium et en absorba; quand elle ne put plus s'en procurer, elle se mit à manger du tabac à priser. Elle en fut malade, mais cela produisait une ivresse narcotique et c'est ce qu'elle désirait. Elle était vraiment folle, et je crois qu'on l'a mise depuis dans un asile d'aliénés.
Cas 45. Était le fils d'un lord. Je l'hypnotisai à la demande instante de sa famille. Il m'assura qu'il n'avait pas l'intention de renoncer à l'alcool, qui était la chose qu'il appréciait le plus au monde. La suggestion n'eut pas le moindre effet sur lui. On essaya ensuite un autre remède déclaré infaillible qui n'eut pas plus de résultat.
Il y a bon nombre de cas où l'on obtient une amélioration durable. Par exemple, le cas 6t :
C'était un riche propriétaire de la campagne qui avait pris l'habitude de boire par accès tous les deux ou trois mois. Ces accès étaient suivis de gastro-entérite. Maintenant il reste six ou sept mois sans boire. Il vient souvent me voir, de sorte que je puis arrêter l'accès dès le début.
J'ai guéri, comme on pourra le voir, plusieurs femmes, et j'ai bon espoir qu'on pourrait guérir de tels cas si on les prenait à temps.
Outre les 65 personnes traitées par l'hypnotisme et citées dans le tableau ci-joint, j'ai traité pendant la même période 19 autres dipsomanes que je ne pouvais hypnotiser par principe. Pas un de ces derniers, je regrette de le dire, n'a été guéri d'une façon durable, quoique j'aie employé les injections de strychnine, les bains turcs, et autres remèdes très vantés.
Le résultat de mes expériences, qu'on pourrait appeler expériences de contrôle « control expcriments », me permettent donc de soutenir l'assertion que l'hypnotisme est un agent curatif de valeur dans le traitement de l'alcoolisme chronique.
La suggestion en sociologie
Par M. le Dr Félix Regnadlt.
Nous avons établi, dans une précédente étude, que les actes suggestifs étaient très nombreux, et depuis plusieurs années, les psychologistes, Tarde entre autres, ont montré le rôle capital de la suggestion dans la vie sociale. La suggestion est utile à la société en unissant les aspirations et les efforts.
Mais, en quelques cas, elle peut lui être nuisible. La société doit-elle alors laisser la suggestion s'exercer en bien comme en mal, profitant du bon et remettant au temps ef à la marche des choses le soin d'annihiler le mauvais ? Ou doit-elle empêcher la suggestion de s'exercer dans le mal ou ce qu'elle considère comme tel ?
La première théorie est celle du a laisser faire, laisser passer ». Elle a été brillamment soutenue par Herbert Spencer. La seconde est celle de l'intervention de l'Etat.
Spencer, pour appuyer sa théorie, se basait uniquement sur le transformisme et la doctrine d'évolution. Tout acte nuisible à l'association provoque, de la part de cette association, une réaction qui finit par l'empêcher. Spencer réduisait par suite le rôle de l'Etat à eelui de gendarme, se bornant à protéger la vie et les biens des citoyens.
Sans doute, en bien des cas, cette théorie est avantageuse. L'Etat ne doit pas substituer son action à l'initiative individuelle sous peine de la détruire. 11 permettra au contraire, dans la plus large mesure possible, la liberté et le travail d'un chacun.
Mais doit-il toujours s'effacer et ne doit-il pas, en certains cas, prévenir un mal qui menace son existence même ?
La connaissance de la suggestion nous apporte, dans la discussion de ce problème, un nouveau facteur que l'école spencérienne n'avait pas encore envisagé. Prenons des exemples :
La passion dit jeu est nuisible à la société. Elle amène des ruines, des catastrophes. Le perdant compromet sa position, celle des autres, parfois se suicide ; la misère suit dans les familles. Le gagnant dissipe follement une fortune qui ne lui a rien coûté. Tout un monde louche de filous, croupiers, prêteurs d'argent, filles, vit sur le jeu et parfois fait fortune. Avec l'importance sociale que procure l'argent, ces parvenus donnent au public un fâcheux exemple.
« Laissez faire, laissez passer », disent les spencériens, le remède viendra du mal lui-même.
Croient-ils que, par sélection, la race des joueurs disparaitra ? Mais on est joueur de par les circonstances qui agissent sur une propriété cérébrale, la suggestion. Cette propriété ne disparaîtra point de sitôt, sa disparition même serait nuisible à la société. Ce sont donc sur les circonstances qu'il faut agir.
La passion du jeu est bien manifestement suggestive, et une étude
du joueur à ce point de vue serait des plus intéressantes. On entre dans la salle de jeu par désœuvrement. On voit jouer. On voit gagner. On entend parler de séries qui sortent, de côté qui gagne toujours. On joue par imitation, pour gagner comme son voisin, et quand une fois on a joué, la répétition de l'acte est bien souvent plus forte que la volonté.
Il faut voir ces figures autour de la table de jeu pour en saisir la psychologie sur le vif. Comme dans l'acte hypnotique, le sujet hésite, puis se décide brusquement sans autre raison que l'attrait du tapis, la contagion de l'acte. L'intelligence n'a plus aucune part dans l'acte du joueur. Tel esprit, d'ordinaire fort censé, développe les idées les plus extravagantes : certaine personne, certain objet portent chance, cet autre la guigne. Le joueur croit sentir qu'il va gagner; il court alors: aucune autre préoccupation, aucun obstacle ne l'arrête; il est éminemment suggestionnable. Rien de plus facile que de persuader un joueur en flattant sa manie; dites-lui, au café, que tel tableau gagne tout le temps: on le voit s'agiter inquiet; puis, au bout de deux ou trois minutes, prendre brusquement congé de vous. Il parle de combinaisons, de séries, tient le langage le plus fantastique. Un tel être n'est plus dans son bon sens, il est sous l'empire de la suggestion.
La liberté des maisons de jeu provoquerait infailliblement une réaction, disent les Spencériens. Des associations se formeraient contre le jeu. Sans doute, mais en dernière analyse, il leur faudrait bien recourir à l'intervention des pouvoirs constitués pour amener leur fermeture.
Certes, on ne peut empêcher de jouer. Maïs si on joue en des cercles fermés, l'attraction, la suggestion ne s'exercent plus. Peu importe à l'Etat que de riches oisifs se dépouillent entre eux. Mais il doit surveiller ces soi-disant cercles fermés de nos villes d'eaux (sans parler de ceux de Belgique et de Monte-Carlo) dont l'entrée est des plus accessibles et où des distractions variées attirent les flâneurs.
Mais pourquoi chercher si loin. Les courses de chevaux ont dégénéré en simples jeux que l'Etat protège et dont il bénéficie. Les primes données par les villes, les terrains des promenades publiques gratuitement cédés sous couleur d'améliorer la race cheyaline, favorisent une exploitation éhontée dont profite un monde de maquignons, bookmakers, coureurs. On vole le parieur honnête en s'entendant sur le cheval qui doit gagner. On fait perdre le cheval plusieurs fois de suite, et, quand tous le croient mauvais, il devient gagnant. Les fortunes s'édifient de la sorte ; les filous deviennent riches, par suite considérés, parfois même députes, mais restent canailles. Quel exemple donné au peuple !
Là encore, on joue par entraînement, par suggestion ; on ne peut se faire idée, sans les avoir vues, des figures éreintées et malheureuses des habitués des courses : filles, jeunes gens, vieillards, enfants encore, tous pâles, les traits tirés, les yeux bouffis. Encore des victimes de l'idée obsédante, de l'illusion du gain facile, suggestionnées par le
premier venu, qui leur affirme, avec autorité, le nom du gagnant et leur dévoile « un tuyau ». Jolies se font dépouiller avec une candeur qui rappelle celle des volés « à l'américaine », ces autres suggestionnés qu'à leur arrivée en gare, les voleurs diagnostiquent rien qu'à la mine.
Si on ne doit pas empêcher les courses, encore tout législateur qui se rendra compte de ces désastres, ne les favorisera-t-il pas outre mesure par des primes, des prix très élevés, des concessions gratuites de terrain. Les courses sont maintenant bien plus multipliées que ne l'exige l'amélioration chevaline. Il n'y a plus qu'une nécessité : en diminuer la fréquence.
L'attraction à 7a débauche n'est pas moins suggestive et non moins néfaste à la société. En dépit de l'école anglaise, l'incitation dans la rue, de femmes qui prennent par le bras et prononcent les offres cyniques, agit sur bien des gens — les prostituées en savent d'ailleurs l'efficacité puisqu'elIes l'emploient ; — outre qu'elle constitue un mauvais exemple donné aux jeunes filles et aux femmes honnêtes et qu'elle violente la liberté que possède un chacun à passer librement par les rues. Le soir venu, les rues de Londres les mieux habitées deviennent impossibles à franchir. Les femmes s'y offrent cyniques, accostent, vous retiennent malgré vous, s'accrochent à vos habits. Vous n'y pouvez rien, la loi les protège. Les Anglais appellent cela la liberté : pour elles, c'est possible, mais non pour vous.
M. Lacassagne a recherché (Lyon méd., 6 Décembre 1896), la prophylaxie des vols à t'étalage et dans les grands magasins.
« Ces grands magasins, dit-il, constituent un réel danger pour les personnes faibles ou maladives. Beaucoup de femmes qui n'ont jamais rien pris et qui ne voleraient pas ailleurs, se trouvent là ensorcelées, saisies et excitées à prendre. C'est une tentation véritablement diabolique. Il est évident qu'à certaines heures, il y a trop peu d'employés pour servir une clientèle exagérée qui attend son tour en touchant et en prenant en main les objets étalés et dont le nombre et la variété papillotent. On devrait exiger un service d'inspecteurs surveillants qui, au lieu d'être cachés, anonymes comme des agents de la sûreté, devraient avoir un uniforme bien évident. Si l'on pouvait placer un" gendarme à chaque comptoir, il n'y aurait plus de vol. La crainte et la vue du tricorne sont le commencement de la prudence et de l'honnêteté, »
L'Etat met en jeu tout l'appareil de la justice pour punir ces pauvres suggestionnées. Il ferait bien mieux d'exiger des grands magasins les précautions que recommande M. Lacassagne. Dans le même ordre d'idées, le changeur ne doit-il pas interposer un grillage entre le public et l'or qu'il expose ?
L'alcoolisme offre encore un exemple de contagion suggestive. On boit d'autant plus qu'il y a plus de gens intéressés à faire boire, d'autant plus, par conséquent, qu'il y a plus de débits de liqueurs ouverts. Une des grandes fautes du gouvernement actuel a été de
permettre, sous prétexte de liberté et en réalité dans un intérêt électoral ardent, l'ouverture de nombreux débits de vin. L'accroissement de la consommation d'alcool a immédiatement suivi et nous sommes actuellement la nation qui consomme le plus de ce poison (1).
La suggestion est évidente : Viens boire, dit un ami, et on se laisse aller par condescendance, par paresse à résister. Les occasions sont multiples. Le restaurateur est débitant de vin ; il offre une tournée à ses clients, on réciproque par politesse. D'autres donnent gratis une consommation, à quiconque en paie deux. La loi contre l'ivresse publique, affichée dans un coin du cabaret, honteuse, reste lettre morte.
Sans doute, l'excès du mal provoque déjà une réaction. Des associations se fondent contre l'alcoolisme, mais un de leurs moyens les plus puissants, ne sera-t-il pas justement de rappeler les législateurs à leurs devoirs.
Prenons enfin la liberté de la presse. Faut-il laisser absolument libre cette source si puissante de suggestion ? Oui, sans doute, en ce qui concerne les opinions politiques, économiques. C'est permettre aux idées de se faire jour et de mûrir, c'est faciliter l'évolution pacifique.
Mais on ne peut imaginer le mal que font les feuilles pornographiques, qu'achètent ouvrières et lycéens, et, avant que la buraliste les ait décrochées pour la vente, combien se sont arrêtés pour voir la figure explicative : femmes déshabillées, hommes audacieux, légendes plus audacieuses encore. Le cerveau encore jeune s'imprègne d'images graveleuses, chemises au vent, cuisses nues, attitudes faunesques. Visions qui ne demandent qu'à devenir des réalités.
Et la reproduction intégrale des débats criminels retentissants, des suicides et drames d'amour. Le journal suggestionne une foule de gens déjà prédisposés, mais qui auraient résisté sans cette lecture. D'où vient que non seulement les crimes, mais les procédés criminels vont par séries : femmes coupées en morceaux, victimes mises en colis.....
Un exemple plus récent nous est fourni par l'anarchie. Il a fallu l'assassinat d'un président de la République, pour amener des mesures coercitives contre la presse. Or, depuis que les cerveaux suggestionnâmes ne peuvent plus lire de déclamations anarchistes et d'appels à la violence, il n'y a plus de crimes anarchistes. Cet exemple ne prouve-t-il pas surabondamment l'influence suggestive de la presse ?
Sans doute il est difficile, en science sociale, de tenir le juste milieu entre la pleine liberté qui permet à l'initiative individuelle de se développer, et les mesures préventives qui empêchent les individus d'être victimes de la suggestion. Suivant les tendances autoritaires ou libérales d'un peuple et de ses gouvernants, on versera infailliblement dans un excès ou dans l'autre. Je ne nie point que les autoritaires verront, dans l'argument suggestif, un moyen de justifier les actes les plus arbitraires.
1. La statistique est là, irrévocable. En vain certains s'efforcent de l'interpréter.
Mais quiconque se livre à l'étude, doit repousser toute exagération. Et la crainte de ces excès mémo, ne l'empêchera pas de révéler une des fautes les plus importantes du fonctionnement social.
Hypéresthésie généralisée, photophobie, hypochondrie légère, traitées par la suggestion à l'état de veille.
Par M. Renoux, élève de la Faculté de Médecine de Nancy.
C'est un malade âgé do 39 ans et bien constitué. Pupilles égales, de dilatation moyenne. Pas de zones hystériques. Caractère calme et tranquille. Education et intelligence moyennes. Fièvre typhoïde à 12 ans.
Le malade présente quelques antécédents héréditaires au point de vue mental.
La maladie débuta, il y a 15 ans, par un rhume de cerveau avec fièvre, sensation d'engourdissement de la tête accompagnée de douleurs se propageant jusque dans la colonne vertébrale. Ces douleurs deviennent de plus en plus fortes, s'étendent, se généralisent; l'ouïe et la vue sont impressionnables au dernier degré ; le malade ne peut supporter la lumière du soleil ni celle d'une lampe ; il se claquemure dans une chambre noire.
L'emploi du bromure de potassium, l'électrisation ne lui font absolument rien. L'application d'un cautère à la nuque lui produit un effet tel que toutes ses douleurs lancinantes, que sa faiblesse en sont augmentées et qu'il garde le lit pendant quatre ans consécutifs. A ce moment-là tout est arrivé à son maximum ; la pression de la tête en un point quelconque est intolérable ; la percussion de la colonne vertébrale arrache des cris au malade ; la pression d'un point quelconque du corps est aussitôt la source de douleurs fulgurantes, longues à se calmer.
Fatigué d'une médication absolument impuissante, découragé par l'inefficacité des moyens médicaux, le malade va alors trouver un photographe faisant c à temps perdu » (!) du magnétisme. Les soins d'un empirique ont au bout de cinq à six jours plus de résultat que le.bromure de potassium administré par le médecin traitant.
Le malade est soulagé mais retombe dans son état primitif au bout de peu de jours. A ce momenl-là il vient me voir atteint en résumé de photophobie intense, d'hypéresthésie généralisée, de faiblesse très grande et présentant des accès d'hypochondrie fréquents.
14 août. — Première séance de suggestion faite à l'état de veille. Soulagement immédiat : l'hypércsthésie et la photophobie ont disparu en partie.
20 août. — Nouvelle séance ; la photophobie disparait complètement, mais le malade, malgré une suggestion forte, tend à retomber dans son
état psychique antérieur ; il s'Observe, se scrute, est toujours à la recherche de nouvelles douleurs.
27 août. — Une dernière séance lui enlève complètement ces tendances à une auto-suggestion funeste au traitement. Le malade est définitivement et complètement guéri.
Cet homme qui, avant le traitement psychique, ne pouvait soulever le fardeau le plus léger, remue, depuis, des charges très lourdes ; ce malade incapable de lire n'a pas peur maintenant d'appliquer son attention à la lecture des caractères d'imprimerie les plus fins.
Il ressort de cette observation un fait d'une utilité pratique incontestable, c'est le traitement de la neurasthénie par la suggestion. Mais ce serait une grave erreur de se figurer une guérison toujours aussi facile que dans ce cas particulier, qui, à mon avis, représente une exception. On peut, chez les neurasthéniques, arriver à provoquer la guérison par la suggestion à l'état de veille, mais il est bien plus fréquent d'être obligé d'employer la suggestion hypnotique ; suggestion hypnotique répétée un certain nombre de fois, parfois même longtemps si l'on veut obtenir un résultat appréciable. Du reste, le traitement psychique ne donne pas toujours la guérison, continue même pendant des mois : le malade est alors trop fortement impressionné par ses « idées noires on n'a plus à soigner alors un neurasthénique, mais un hypochondriaque.
La suggestion doit donc être toujours employée dans le traitement de la neurasthénie ; comme toute les médications elle ne donnera pas toujours des résultats positifs ; mais, où elle échouera, elle sera encore utile en servant de moyen de diagnostic de l'hypochondrie.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 15 Février, 15 Mars 1897, à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Tailbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Les conférences de l'Institut psycho-physiologique.
Les conférences du semestre d'hiver de l'Institut psycho-physiologique ont attiré, comme les années précédentes, une affluence considérable d'auditeurs. Parmi les notabilités dont nous avons noté la présence aux conférences, nous pouvons citer MM. les Drs Dumontpallier, A. Voisin, Chambige, Max Kordau, Delbot, Richard, Arthur Petit, Bouheben, Lagclouze, Broussin. Jarry, Henriquez, O. Jennings, Armand Paulier, Vrain, H. Lemesle, Hartenberg, le professeur Boirac, M. Boutroue, etc.; MM. les Drs Toutain Branly, P. Farez, Delarue, Pau de Saint-Martin, Lajoie, Le Cave! 1er, Pokrychkine, Pigeaud, et un grand nombre de médecins étrangers. Toutes les branches de la psychologie seront successivement l'objet de conférences faites par les hommes les plus compétents. Les médecins et les étudiants trouvent dans ces conférences sur la psychologie normale et pathologique un enseignement complémentaire de la Faculté. Leur empressement à les suivre est la meilleure démonstration de l'intérêt pratique que présente cet enseignement.
Dans la première conférence, M. le Dr Bérillon avait pris pour sujet les applications de l'hypnotisme â la thérapeutique générale. Le conférencier a démontré que les indications de l'hypnotisme n'étaient pas limitées au traitement des maladies nerveuses, mais que beaucoup de processus communs pouvaient être modifiés par l'action de la suggestion. L'insomnie, le délire fébrile, la fièvre, la douleur, les réactions inflammatoires, les troubles trophiques les plus variés, les anesthésies, les "sécrétions gastro-intestinales, les réflexes, la fonction urinaire, la fonction menstruelle, la tension artérielle, sont influencés par l'intervention psychique.
Mais l'action psychique ne doit pas être empiriquement mise en œuvre. II y a une posologie à déterminer dans l'application du sommeil provoqué et de la suggestion hypnotique. C'est le dosage de cette médication qui nécessite la création de cliniques de psychothérapie dans lesquelles les médecins et les étudiants pourront s'initier à la pratique de cette nouvelle thérapeutique.
La seconde conférence, faite par M. le D' Valentin, avait pour titre : Le rôle du sommeil dans tes cures psychothérapiques. Voici les considérations par lesquelles le conférencier a terminé sa démonstration :
Si l'on étudie, en les comparant au double point de vue de leur mécanisme et de leurs effets, les formes normales et pathologiques du sommeil et le dynanisme mental des névropathes, on est conduit aux conclusions suivantes :
1° Spontané ou provoqué, le sommeil se présente toujours comme identique dans son mode d'évolution psychologique. Il est, de plus, toujours naturel, c'est-à-dire conforme à la nature du sujet qui dort. On ne lire jamais du sommeil que les résultats expérimentaux ou thérapeutiques qui y sont virtuellement contenus.
2° Le rôle fondamental de l'hypnose est d'applanir la route à l'in-
fluence suggestive, en calmant l'hyperactivité morbide des centres nerveux, en isolant le cerveau des causes d'excitation inutiles ou nuisibles, en exaltant par là son aptitude naturelle à accepter une idée ou à la réaliser. Sédatif nerveux par excellence, le sommeil provoqué rend plus facile la psychothérapie et en abrège les préliminaires.
3° Quand l'idéoplastie suggestive est infructueuse, l'hypnose devient souvent un besoin qu'il faut savoir respecter. C'est alors un devoir de charité pour un médecin, qui a charge d'âmes, de rester le directeur de conscience de ces malades qui viennent lui demander le soulagement de leur misère psychologique et l'illusion suprême d'une personnalité d'emprunt.
4° En hypnothérapie, comme dans toute méthode de traitement délicate et difficile à manier, il n'y a de dangereux que l'erreur, et de condamnable que l'abus.
Attentat d'un aliéné contre le Dr Charpentier, médecin de Bicêtre.
Il y a quelques jours, à Bicctre, un individu de petite taille, mais vigoureux et bien constitué, se présentait à la consultation que le Dr Charpentier donne depuis une quinzaine d'années dans cet établissement. Lorsque son tour vint d'être interrogé par le médecin, il s'approcha et, s'adressant à celui-ci : — Vous me reconnaissez? lui demanda-t-il. — Le Dr Charpentier le regarda et n'eut en effet aucune peine à reconnaître cet individu pour un nommé Reck, qui, atteint du délire de la persécution, avait été, il y a sept ans, soigné déjà à Bicêtre. Aussitôt, et avant que le Dr Charpentier eût pu se rendre compte des intentions de Reck, celui-ci sortait de sa poche un revolver et faisait feu sur son interlocuteur. Atteint en pleine poitrine, le Dr Charpentier tombait sur le sol, tandis que Reck était immédiatement désarmé et emmené. Fort heureusement, le Dr Charpentier n'avait éprouvé qu'une forte commotion. La balle a été arrêtée par le sternum et elle n'a produit qu'une insignifiante.- écorchure. Reck est âgé d'environ quarante-quatre ans. Il a déclaré être journalier.
Nous adressons au docteur Charpentier l'assurance de nos vives sympathies à l'occasion de l'attentat dont il vient d'être l'objet. Médecin consciencieux, dévoué aux malades, le Dr Charpentier a été blessé au champ d'honneur. Nous souhaitons que bientôt le ruban de la Légion d'honneur récompense son dévouement sans bornes à l'humanité et â la science. Le danger qu'il vient de courir nous parait être une occasion toute trouvée pour honorer un mérite aussi modeste qu'il est grand.
Le testament d'un aphasique.
L'aphasique peut-il faire un testament valable ? Alexandre Dumas père a déjà résolu, il y a longtemps, la question au point de vue pratique dans son roman de Monte-Cristo, où l'on voit un
vieillard hémiplégique et atteint d'aphasie absolue réussir à signifier nettement ses volontés dernières au moyen d'un dictionnaire et d'un clignement de paupières.
M. Mantle, de Halifax, vient de publier une observation qui semble la reproduction de la scène imaginée par Dumas.
Son malade aphasique traçait avec le doigt la forme des lettres sur ses draps. Son notaire et sa femme savaient qu'un serrement de main voulait dire oui et qu'un coup sur la main voulait dire non. Il réussit de cette façon à exprimer ses volontés et un testament qu'il signa de la main gauche.
Mais en cette matière la difficulté n'est pas seulement l'expression des idées, la question médico-légale est de décider si l'état mental du sujet est suffisant pour rendre valable le testament.
Le calendrier du suicide.
La statistique fournit parfois des documents curieux. Ce serait parfait si, après nous avoir montré le mal, elle nous indiquait le moyen de lutter contre le fléau. En colligeant les nombreux matériaux qu'il a entre les mains, le Dr Bertillon a pu dresser une sorte de calendrier du suicide. Comme les délits, les suicides sont plus nombreux en été qu'en hiver. En France, sur 1.000 suicides, 286 ont lieu au printemps, 300 en été, 213 en automne, 201 en hiver. Si on divise l'année par tiers, on trouve que 402 suicides ont lieu pendant les mois les plus chauds, 332 durant les mois tempérés, 266 pendant les mois les plus froids. Ces chiffres se retrouvent également dans d'autres pays. Si on considère les mois on trouve, toujours sur 1.000 suicides : janvier 69, février 70, mars 84, avril 97, mai 96, juin 110, juillet 108, août 88; septembre 76, octobre 71, novembre 65, décembre 63. Les jours de la semaine donnent pour 100 suicides : lundi 15,5 : mardi 15,7 ; mercredi 14,9 ; jeudi 15,7 ; vendredi 13,7 ; samedi 11,2 ; dimanche 13,6. Enfin, pour vingt-quatre heures, les suicides se répartissent : 36 au jour levant, 160 avant midi, 71 vers midi, 160 après diner, 61 le soir, 219 la nuit.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
Hypnotisme, Religion, par le Dr Felix Regnault. — Préface de Camille Saint-Saens, membre de l'Institut. Dessins de A. Collombar.— Un volume in-12 de x-317 pages avec 53 figures dans le texte.
Le livre écrit par le Dr Félix Regnault touche aux questions les plus importantes de la vie sociale, et il a recours pour les expliquer à un nouveau facteur psychique absolument ignoré des anciens philosophes, l'hypnotisme.
Par l'hypnotisme les fanatiques anesthésiés s'imposent des tortures, l'extase hypnotique produit les hallucinations et les apparitions mira-
L'Epilepsie, par le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, médecin du Dépôt près la Préfecture. (1 vol. in-8° de 420 pages, 6 fr. — Félix Alcan, éditeur.)
Ce livre se compose de leçons professées cette année par M. le Dr Jules Voisin, à la Salpétrière. L'auteur y étudie les différentes phases cliniques de l'épilepsie, et rapporte les expériences qu'il a faites dans son service sur l'albuminurie post-paroxystique, la toxicité uri-naire et l'état du sang, expériences dont il a déduit une conception pathogénique, tout à fait personnelle, de l'épilepsie générale. L'ouvrage est d'ailleurs un traité complet de l'Epilepsie, et M. J. Voisin, après avoir dépeint l'épileptique sous toutes ses modalités physiques et intellectuelles, expose les traitements qu'on doit lui appliquer, l'assistance à laquelle il a droit et les moyens que l'on doit employer pour le protéger dans la société, et protéger celle-ci contre lui.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une
culeuses. L'hypnotisme explique les sorciers du moyen âge, les lycan-thropes, les incubes, les épidémies de convulsionnaires, la léthargie, le Juif errant, les guerisons miraculeuses... Fait plus important encore, l'hypnotisme est constamment présent dans nos guerres : celui qui a la foi, que rien n'abat, qui croit toujours au succès, finit par 1 "obtenir. Toutes les raisons que cherchent nos historiens sont de peu de poids vis-à-vis de la suggestion.
Il faut aller plus loin. Qu'y-a-t-il de vrai dans le magnétisme, dans ces phénomènes troublants des médiums, devincurs de pensée, tourneurs de table, télépathes, lévitants ? Nombre de ces faits reçoivent de la psychologie contemporaine une explication très naturelle. D'autres restent douteux, et alors l'auteur ne craint pas de le dire.
En dernière analyse, la religion existe dans les sociétés parce qu'elle est indispensable à leur existence. Pourront-elles jamais s'en passer ? M. Camille Saint-Saens, qui a écrità ce livre une éloquente préface, croit que oui. L'auteur pense que non, et il appuie son dire sur de sérieuses raisons biologiques.
Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Dr) Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie
M. le Dr Bérillon, médecin-inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, a commencé le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, à sa clinique, 49, rue Saint-André-des-Arts, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.
Il se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.
COURS ET CONFÉRENCES BU SEMESTRE D'HIVER 1896-97 à l'Institut psycho-physiologique
40. rue Saint-André-des-Arts, 49
Jeudi 4 Février, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les psychoses de la ménopause. Jeudi 11 Février, à cinq heures, M. Eugène Caustier, professeur agrégé
de l'Université, fera une conférence sur : L'évolution de l'amour maternel dans la série animale. [Psychologie comparée).
Jeudi 18 Février, à cinq heures, M. le Dr Bérillon fera une conférence sur : L'hypnotisme et la psychologie expérimentale. Applications de la méthode graphique à l'étude de l'hypnotisme.
Jeudi 25 Février, à cinq heures, M. le Dr Colllneau fera une conférence sur : Le précurseur de l'homme.
Jeudi 4 Mars, à cinq heures, M. Maurice Dupont, de l'Ecole du Louvre, fera une conférence sur : L'influence de la suggestion dans l'évolution de l'art.
Jeudi H Mars, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les signes précoces et les formes frustes de la paralysie générale.
Jeudi 18 Mars, à cinq heures, M. le Dr Henry Lemesle, avocat à la cour d'appel, fera une conférence sur : L'homme criminel et les doctrines nouvelles de l'Ecole de Lombroso.
Jeudi 1« Avril, à cinq heures, M. le Dr P. Valentin fera une conférence sur : Le libre arbitre des névropathes.
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations olinlques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Max Nordau. — Paradoxes psychologiques. 1 vol. in-8,178 pages.— Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1896.
Dr Lautps. — Le fonctionnement cérébral pendant te rêve el pendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris, 1895.
Astère Denis. Dr Vande Laxoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri-son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapaurue, Ver-viers, 1895.
Astère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Ni-colet. Verviers, 1895.
Fouillée (Alfred). — Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races. 1 vol. in-4° de 378 pages. Alcan. Paris, 1895.
Crocq fils (Dr J.) — Recherches expérimentales sur les altérations du système nerveux dans les paralysies diphtériques, i vol. în-4° de 79 pages. Paris, 1896.
Crocq fils (Dr J.) — Les névroses traumatiques. 1 vol. in-4B de 178 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois, Paris, 1896.
Déjerine (Dr). — Cahier de feuilles d'autopsies pour Vétude des lésions du névraxe. 1 vol. in-folio de 25 feuilles. Rouff et Cie, 106, boulevard Saint-Germain, Paris, 1895.
L' Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
experimental et thérapeutique
11e année. — N° 8.
Février 1897.
L'AUTO-SUGGESTION comme moyen thérapeutique, physique et moral
Par m. A. J. Blech.
Il y a un certain temps déjà, des articles, traitant des gué-risons physiques et morales, par l'auto-suggestion, paraissaient en Amérique dans l'Arena, en Angleterre dans le Bor-derland, revue de sciences psychiques. Ce fut un événement. De toutes parts, les lettres affluèrent, lettres de savants, d'abonnés, donnant leur avis, apportant des renseignements, demandant des conseils.
En France, croyons-nous, ces articles ne furent pas remarqués. Il faut bien se l'avouer, la France, cependant toujours à l'affût des idées nouvelles, ne se hasarde que timidement sur ce terrain si fertile des recherches psychiques. Elle s'y intéresse peu. Le mouvement en faveur de ces sciences est de date récente, et bien superficiel encore. Et on peut les compter, les savants qui ont bravement jeté le défi à l'opinion publique.
Nous voudrions entretenir nos lecteurs, aujourd'hui, de la puissance immense et mystérieuse de la volonté sur le corps humain. Cette puissance nous la connaissons déjà en partie par l'hypnotisme. Mais il ne s'agit plus, cette fois-ci, de suggestion d'individu à individu. C'est notre propre volonté qui devient notre médecin, nous guérissant de beaucoup de maux pénibles, provenant pour la plupart de notre moral.
Nous ne parlons point seulement d'affections morbides nerveuses. Un collaborateur du Relèvement Social, esprit certainement plus analytique et scientifique qu'imaginatif, nous assura s'être guéri, par auto-suggestion, de crampes au pied très fréquentes et douleureuses. Nous n'allons pas jusqu'à dire : l'auto-suggestion réduira une fracture... Mais enfin,
Napoléon Ier ne disait-il pas qu'il faut rayer le mot impossible du dictionnaire français... ; mettons de l'humanité.
De même que notre volonté inconsciente règle nos mouvements, notre marche, de même un effort de notre volonté consciente peut abolir une sensation, en provoquer une autre.
Mais c'est surtout des cures d'âmes dont nous voulons nous occuper ici. La suggestion hypnotique en fait aussi, corrigeant des défauts, des habitudes ; un médecin anglais a obtenu ainsi de belles guérisons d'alcooliques.
La manière de procéder est simple. Nous nous souvenons avoir lu, il y a bien un an, dans la Revue de l'Hypnotisme que M. Bérillon, recevant la visite d'un jeune homme ayant la manie de se ronger les ongles, lui dit, en lui posant lourdement la main sur le bras : — « Essayez de porter la main à votre bouche. Vous ne le pouvez pas. Eh bien ! je crée un cran d'arrêt dans votre cerveau. Chaque fois que vous voudrez vous ronger les ongles, vous aurez l'impression d'un poids sur votre bras, et cela vous donnera le temps de vous resaisir. » Inutile d'ajouter, n'est-ce pas, que le jeune homme fut corrigé de cette habitude.
L'auto-suggestion nous dispense d'avoir recours au sommeil hypnotique qui répugne à la plupart d'entre nous (encore un préjugé, avouons-le ! Ce cran d'arrêt, dont nous parle M. Bérillon, nous pouvons nous le créer nous-même. Et point n'est besoin pour cela d'une volonté puissante : le secret est de savoir la concentrer sur un point. C'est une gymnastique mentale à renouveler tous les jours par un effort systématique. Ceux qui n'ont pas, pour les soulever au-dessus des misères humaines, le levier admirable de la prière, trouverons dans l'auto-sug-gestion une force bénie. Pour les croyants elle sera une alliée, non un obstacle, à la prière. Car il ne suffit pas de prier pour nous améliorer, Dieu exige un effort constant de notre part.
C'est par la pensée et sur la pensée que l'auto-suggestion doit agir. Et quoi de plus naturel ? nous devenons tels que nous wons mentalement. Ce sont nos pensées, encore plus que nos actions, qui modèlent notre âme à leur image, qui la dégradent ou la spiritualisent. « Dis-moi ce que tu penses et je te dirai qui tu es ». L'auto-suggestion sera donc le salut des imaginations vives.
« Dans nos chambres mentales, lisons-nous, il existe non seulement de ces émotions communément appelées coupables, mais encore toute une quantité de craintes indéfi-
nissables, de visions, d'impressions morbides que nous appellerons les fantômes des endroits cachés. Ils varient plus ou moins, mais nul n'en est indemne. Nous ne nous complaisons certes pas en la présence de ces intrus, mais nous ne parvenons pas à nous en défaire. Et tout ce monde interlope travaille si consciencieusement à la destruction de notre organisme. Comment nous sauver de nous-mêmes?» Ici intervient l'auto-suggestion :
« Réservez-vous dans la journée, voire même dans la nuit, une heure de tranquillité absolue. Ecartez !c monde extérieur avec ses pensées et ses inquiétude ; réfugiez-vous dans le sanctuaire intime do voire âme, rendez-vous de l'humain et du divin ; exercez votre pensée à chercher dos conceptions élevées, et quand vous serez fatigué, restez passif, laissant le bien.
Ceci est la préparation. Vous prononcez ensuite mentalement, ou à. haute voix ce qui vaut mieux encore, les paroles que vous voulez graver dans votre cerveau. Vous parlez au présent, ne disant pas : « Je veux être maître de moi. » Je veux implique une action encore à faire, par conséquent douteuse. C'est l'expression d'un désir; ce n'est plus l'auto-suggestion. Or, il faut vous persuader à vous-même que vous êtes guéri; que le mal ne peut plus entrer en vous; que vous êtes votre propre vainqueur. Il faut vous qn pénétrer en disant par exemple les phrases suivantes conseillées par l'auteur : « Je suis fort, je suis heureux, je suis maître de mon imagination, de mes sens, j'ouvre mon âme tout entière au bien, je vis avec Dieu. »
« Répétez ces idées et d'autres semblables, même mécaniquement, et elles changeront graduellement votre être pensant et agissant. Les états positifs tels que la santé, la joie, l'harmonie, la force, la spiritualité s'installeront dans voire âme ; les états négatifs tels que la faiblesse, le désordre, la peur seront déplacés et finiront peu à peu par disparaître. Souvenez-vous seulement qu'une éternelle vigilance est le prix de la liberté. Astreignez-vous chaque jour au même effort mental. Par la concentration, les vérités fortifiantes et élevées se graveront dans votre mémoire à un degré beaucoup plus profond que sur la surface pensante habituelle. Vous finirez par ne plus les penser, mais, par cous donner à elles.
t Six mois de ce traitement (lisons-nous encore pour
terminer), seront une révélation pour celui qui l'entreprendra : la plus délicieuse des expériences que l'on puisse faire en cette vie. »
Evidemment, les cures d'âmes sembleront, ainsi comprises, d'une étrangeté américaine à beaucoup d'entre nous. Ce sont là des moyens bien pratiques pour atteindre un but aussi élevé. Mais n'en soyons pas dédaigneux. Pascal, cet esprit tourmenté d'aspirations mystiques, ne nous enseigne-t-il pas à être pratiques, dans son pari pour l'immortalité de l'âme : « Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. » Non, nous ne perdrons rien en employant l'autosuggestion, car un essai patient et persévérant ne peut que nous êtres bienfaisant. Notre volonté ressemble à un instrument fragile dont les cordes s'atrophient ou se faussent si l'on n'en prend pas soin. L'exercer, c'est l'empêcher de s'atrophier; et l'exercer en la dirigeant vers le bien, vers ces hautes régions où, malheureusement, elle ne peut se soutenir longtemps, c'est lui donner une vigueur nouvelle et des armes plus résistantes pour le combat de chaque jour.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 16 Novembre 1896. — Présidence de m. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 45.
M. Valentin, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance précédente. 11 est adopté.
La séance entière est consacrée à l'étude de l'importante question mise à l'ordre du jour : De la capacité civile des morphinomanes.
Après une longue discussion, à laquelle ont pris part, MM. A. Voisin, O. Jennings, H. Lemesle, Julliot, F. Regnault, P. Valentin, Dumont-pallier, M. le président met aux voix les conclusions suivantes, présentées par M. le secrétaire général :
« Le fait seul d'absorber d'une façon quotidienne des doses variables de morphine, par la voie hypodermique ou par la voie stomacale, n'implique pas nécessairement, pour celui qui est adonné à cette habitude, le diagnostic de trouble mental entraînant l'incapacité de tester. »
Ces conclusions sont adoptées à l'unanimité.
M. le Président met ensuite aux voix la candidature de M. Thiéry, licencié en droit, au titre de membre de la société. M. Thiéry est élu. La séance est levée à 6 h. 10.
Présentation d'ouvrage
Par M. le Dr P. Desjardix dk Régla.
M. le Dr Desjardin de Régla présente son nouveau livre : Les mystères de Constantinople.
« Cet ouvrage, dit-il, qui n'a du roman que la forme, intéressera nos confrères par les révélations qu'il contient sur l'hypnotisme et la suggestion des Khôdjas ou savants musulmans. C'est à ce titre que je crois devoir en faire hommage à la Société d'hypnologie de Paris.
« Si les mots de magnétisme et d'hypnotisme n'existent pas dans la langue arabe, la chose y est, en revanche très connue et très pratiquée.
« Quant à la suggestion proprement dite, elle a donné naissance à deux mots : Lahham qui désigne la bonne suggestion, celle qui est pratiquée en vue du bien : guérison des maladies, des passions, etc. ; et Rhéurr qui signifie l'influence mauvaise, en vue du mal que l'on désire attirer sur une personne, sur un animal ou sur une chose dont l'usage peut devenir dangereuse.
« Dans le chapitre dont je parle, on verra avec quelle habileté les Khôdjas savent manier la suggestion, le magnétisme et les substances végétales aptes à déterminer le sommeil hypnotique sur des sujets à eux inconnus. Ce chapitre intéressera, je crois, beaucoup les personnes désireuses d'être initiées aux choses de l'occultisme oriental : Elles verront que, sur bien des points, nous avons encore beaucoup à apprendre de ces savants musulmans, que l'on peut à juste titre considérer comme les héritiers directs de cette grande Ecole arabe, à laquelle nos savants de la Renaissance ont tant emprunté !
« Je signalerai également à nos confrères le chapitre où il est tout particulièrement question du haschiche et de ses effets hypnotiques. « Il y a là tout un monde psychique et physiologique dont je suis heureux de leur ouvrir la porte.
« On comprendra mieux, après avoir lu ce chapitre et celui que j'ai consacré au même sujet dans mes Bas-fonds de Constantinople, ouvrage édité par la maison Stock, la grande influence que le Vieux de la Montagne exerçait sur ses sectaires.
« Le haschiche, en effet, est un véhicule puissant de la suggestion à courte ou longue échéance. Je le considère comme un puissant agent cérébral, et je n'hésite pas à faire de lui le modificateur le plus actif des sensations productrices de la plupart de nos actions. Et je suis convaincu qu'habilement manié, le haschiche peut nous rendre les plus grands services dans le traitement des affections mentales. Je ne connais pas. en effet, d'êtres bien portants ou déséquilibrés, capables de résister aux suggestions faites sous l'influence hypnotique du haschiche. C'est là une puissance que je n'hésiterai pas à déclarer de premier ordre dans le bien comme dans le mal.
« C'est dans cette pensée que j'ai l'honneur de déposer ces deux volumes sur le bureau de notre Société.
Dans le volume qui paraîtra sous peu, suite à ce travail historique, sous le titre de : Los secrète d'Yildiz, nos confrères trouveront un chapitre où il est assez longuement question de l'état hypnotique provoqué par lu musique.
La capacité civile des morphinomanes. — La morphinomanie entraîne-t-elle l'incapacité de tester ?
Par M. le D' Edgar BERILLON, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés.
Jusqu'à ce jour, les tribunaux n'ont pas encoro été appelés à décider si un morphinomane pouvait être considéré, par le seul fait de son habitude, comme incapable de tester. Beaucoup de morphinomanes ont fait des testaments et jamais aucun arrêt n'est venu déclarer que l'état de morphinomanie pouvait-être invoque comme un état d'esprit entraînant l'incapacité de tester. C'est dire que l'on n'a pas pensé que la morphinomanie fût inconciliable avec la santé d'esprit nécessaire pour rédiger ou dicter son testament. L'article 901 du code civil est ainsi conçu; « Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut élre sain d'esprit. »
Or. le testament d'un de mes malades, atteint de morphinomanie pendant les trois dernières années de sa vie, vient d'être attaqué pour le motif qu'étant morphinomane, il ne pouvait être considéré suffisamment sance mentis pour faire untestament. Ce jeuno malade, cumulant la double situation de fonctionnaire dans un ministère et d'homme de lettres, comme cela se présente assez fréquemment, avait eu l'idée, en compagnie de littérateurs amis, pour stimuler son imagination et augmenter l'originalité de ses productions littéraires, de recourir de temps en temps à l'usage de la morphine. De l'usage à (l'abus il n'y a qu'un pas. L'abus vint, accompagné des troubles classiques de la moiphino-manie. A un moment donne, il voulut se guérir et, sur Je conseil d'un médecin des hôpitaux, tenta la guérison par la substitution des injections de cocaïne à celles de la morphine. Ce traitement ne fit qu'aggraver son état. Des abcès multiples en furent la conséquence. Sur mon conseil, il accepta la proposition qui lui était faite d'entrer pendant un mois à l'asile national des convalescents de Vincennes. Là, avec le concours de l'interne, il arriva à diminuer considérablement les doses de morphine et la guérison fut presque complètement obtenue. Mais le malade eut des ennuis de famille et, malgré sa bonne volonté, le traitement fut interrompu. Depuis il me consulta fréquemment à ma clinique. J'appris un jour, par les journaux, qu'il venait de succomber subitement dans la rue. Sa mort subite ne me surprit pas. Après des privations de toutes sortes, j'avais constaté l'apparition de symptômes de tuberculose pulmonaire, et j'avais jugé que ces symptômes constituaient une contre-indication ù la suppression radicale de la morphine.
Un testament, et même.plusieurs, furent trouvés dans ses papiers. Ils étaient tous caractérisés par cette disposition que sa famille, dont l'ava-
rice avait été pour lui la cause d'ennuis très réels, était déshéritée. Un parent attaqua la validité du testament, s'appuyant sur ce fait que le testateur était morphinomane. Il argue que la morphinomanie constitue un état incompatible avec la santé d'osprit requise pour faire un testament.
J'ajouterai qu'à aucun moment le muiade ne m'avait paru présenter le moindre trouble de la raison. Il était très spirituel ; ses œuvres littéraires témoignent d'un sentiment artistique très délicat. II avait gardé, jusqu'à la mort, le désir de se guérir de son habitude et il avait assez de volonté pour réaliser son dessein si, d'une part, la tuberculose pulmonaire dont il était atteint et si, d'autre part, la situation très précaire dans laquelle il était laissé par sa famille n'avaient constitué pour le succès du traitement de sérieux obstacles.
C'est le débat actuellement pendant devant les Tribunaux qui m'amène à soumettre à la Société la question suivante : « Un morphinomane doit-il être considéré, par le seul fait de son habitude morbide, comme incapable de faire un testament? »
discussion :
M. H. Lemesle. — Le morphinisme chronique comporte des phases et des degrés, variables selon la résistance des sujets et selon les doses employées, qui permettent do classer les morphinisés dans des catégories très diverses au point de vue de leur état mental. Il y a des périodes où Ils sont absolument irresponsables, d'autres où ils sont absolument sains d'esprit.
M. O. Jennings. — Tout individu qui prend de la morphine n'est pas un morphinomane. Pour que le malade commence à avoir des troubles, pour qu'on puisse retrouver la morphine dans les urines, il faut que le malade ingère 10 centigrammes par jour. Au-dessous de cette dose, le malade est un morphiniste ; la morphine est pour lui un véritable aliment, comme l'alcool est un aliment pour d'autres malades,
ha morphine est même utile chez certaines gens qui doivent a ee médicament un état montai capable de leur permettre de vaquer à leurs affaires.
On pout se morphiniser longtemps, pour combattre, par exemple, des névralgies intolérables, sans être pour cela morphinomane : Le tout est de savoir à quel moment la dose physiologique de morphine, nécessaire pour calmer la douleur, est dépassée et crée l'intoxication avec tous les dangers qu'on lui connaît.
Le morphinomane n'est pas jugé incapable lorsqu'il s'agit pour lui de contracter des obligations diverses. Un contrat signé par lui sera jugé parfaitement valable. Il en doit être de même pour son testament. Ceux qui voudront attaquer ce testament auront à faire la preuve de son « incapacité » par des faits, des lettres, etc.....
M. Julliot. — Les morphinomanes ne présentent habituellement des troubles de l'intelligence que lorsqu'ils sont privés de morphine, lorsqu'ils sont dans l'état d'abstinence. Dans ce cas, Lis perdent toute initiative, toute aptitude à agir et à penser ; il est donc peu probablo que ce soit pendant ces périodes de dépression qu'ils aient l'idée de rédiger leur testament.
m. Auguste Voisin. — Il en est de la morphine comme de la quinine et de la strychnine. Les malades chez lesquels elle est indiquée en supportent des doses élevées sans aucun risque. Le morphinisme n'arrive qu'avec l'abus ou l'usage Irraisonné du médicament. On doit surtout proscrire l'usage de la morphine employée sans indication thérapeutique, pour se procurer une euphorie intellectuelle spéciale.
Il est vrai cependant que certaines personnes savent user de la morphine pendant très longtemps sans tomber dans l'abus. Dans un cas il s'agissait d'un membre de l'Académie française, auteur de travaux considérables, qui a pris de la morphine pendant vingt-cinq ans, par doses régulières, sans avoir jamais présenté des troubles d'intoxication, ni interrompu un seul jour son labeur acharné. Il a toujours été considéré par tous comme sain d'esprit. Ses œuvres en sont d'ailleurs la meilleure preuve. Je ne sais s'il a fait un testament, dans ce cas il eût été difficile de l'attaquer. Un autre personnage éminent que j'ai suivi, a également pris de la morphine pendant une vingtaine d'années, sans présenter le moindre dérangement d'esprit.
m. Dumontpallier. — Pour contester la capacité civile d'un morphinomane, il faut que le sujet ait présenté dans le cours de sa vie des troubles mentaux bien déterminés et incontestables. Parce qu'on prend de la morphine on n'a pas des troubles somatïques ou des troubles psychiques. Je demanderai à M. Auguste Voisin si, dans le nombre considérable d'aliénés qu'il a soignés, il a vu beaucoup d'aliénés morphinomanes.
m. Auguste Voisin. — J'ai antérieurement vu, dans les asiles, un assez grand nombre d'aliénés qui étaient des morphinomanes, mais il y a lieu d'établir une distinction : 11 est des aliénés ou des candidats à l'aliénation qui sont morphinomanes et, à côté de ceux-là, il est des aliénés qui doivent leur aliénation à la morphine. Je n'ai vu que des malades chez qui l'aliénation était concomitante et non consécutive à l'intoxication : chez ceux-là, j'ai noté en particulier des hallucinations de l'ouie et de la vue. Un morphinomane qui ne présente pas d'hallucinations de l'ouïe et de la vue, chez lequel ne se manifeste pas un délire d'actes et de paroles, ne peut être considéré comme un aliéné. Il en est d'un morphinomane comme d'un buveur. Tant qu'il reste dans les limites où l'intoxication ne provoque pas d'actes délirants, on peut le regarder comme un intempérant. Pour être déclaré aliéné, il faut quelque chose de plus" : l'apparition de symptômes nettement déterminés, tels que : hallucinations, agitation, délire, impulsions irrésistibles, actes dangereux ou délictueux.
m. Dumontpallier. — Il y aurait un grand intérêt à s'entendre sur les mots et à définir le morphinisme, la morphinomanfe, termes que certains membres de la Société semblent avoir employé ou indifféremment, ou avec des acceptions inverses: pour les uns, le morphinisme réside dans le simple fait de l'intoxication par la morphine, et la morphinomanie réside dans une intoxication accompagnée de phénomènes cliniques ; pour les autres, morphinomanie ou morphinisme ont un sens précisément inverse : le morphinisme est, comme l'alcoolisme, l'Intoxication révélée par des symptômes physiques, généraux et fonctionnels.
m. Bérillox. — Je crois que les deux termes peuvent être Indifféremment employés pour désigner le môme état. La distinction entre l'alcoolisme et la dipsomanie se conçoit. L'alcoolique boit tous les jours et entretient son
intoxication. Le dipsomane boit à intervalles plus ou moins éloignés. Il procède par Impulsion et, dans l'intervalle des crises, il reste souvent parfaitement sobre. L'habitude de la morphine est continue et l'état de besoin revient avec périodicité constante. Si j'ai souleva cette question, c'est parce que nous savons tous que beaucoup d'hommes, doués d'une belle intelligence, sont adonnés à l'habitude de la morphine. Parmi eux, nous pourrions citer plusieurs professeurs à lu Faculté de Médecine de Paris, des membres de l'Institut, des littérateurs connus, des magistrats, des hommes politiques, des artistes et, il faut le reconnaître, un très grand nombre de médecins. H me semblerait excessif de déclarer que tous ces hommes qui continuent à travailler, à remplir leur fonction sociale, sont devenus, par le fait de leur habitude de la morphine, incapables de tester.
M. P. Valextix. — On peut rapprocher la dipsoroanie morphinique de la dipsomanie alcoolique. Dans les deux cas, c'est l'idiosyncrasic du sujet qui crée le péril. Ne devient pas morphinomane qui veut. Il faut être prédisposé.
M. Félix Regnault. — L'usage de l'opium est extrêmement fréquent dans nos colonies d'Extrême-Orient. Beaucoup de nos fonctionnaires s'adonnent à l'opiophagie en Indo-Chine. Ils n'en conservent pas moins l'aptitude à remplir leurs fonctions et ils se débarrassent de l'habitude dès qu'ils reviennent en France. Je proposerai donc la conclusion suivante : » Le fait de faire Usage ou abus de la morphine n'implique pas forcément que le malade qui absorbe de la morphine par voie digestive ou par voie sous-cutanée soit sujet a un trouble mental qui entraîne son incapacité au point de vue légal.
« II faut à tout prix examiner chaque cas en particulier pour savoir si tel malade qui teste ou contracte des obligations peut' être vraiment déclaré « sain d'esprit » et « capable devant la loi ».
M. Dumoxtpallier. — Une chose me parait nécessaire pour contester la capacité civile d'un morphinomane ou de tout autre individu, c'est d'appuyer ses affirmations par un certificat d'aliénation mentale, délivré par un médecin. Or, rien ne démontre que la folie soit plus fréquente chez les morphi-niques que chez les autres névropathes atteints d'habitudes morbides dû même genre. En tous cas, il n'y a nullement Identité entre folie et morphi-nomanie.
m. Bérillon. — La question que j'ai soulevée avait sa raison d'être, puisqu'elle a donné lieu à des débats si intéressants. Bien que la discussion soit loin d'être épuisée, je me rallierai à l'opinion formulée par M. Félix Regnault et je soumettrai à la Société la conclusion suivante : « Le fait d'absorber d'une façon quotidienne des doses variables de morphine, par la voie hypodermique ou par la voie stomacale, n'implique pas nécessairement, pour celui qui est adonné à cette habitude, le diagnostic de trouble mental entraînant l'incapacité de tester. »
Hystérie mâle infantile — Onanisme invétéré Circoncision pendant le sûmmeil hypnotique.
Par M. le Dr P. Valbktix.
L'observation dont je vais donner lecture à la Société me parait être de celles qui comportent en elles-mêmes un précieux enseignement. Elle montre une fois de plus les nombreux avantages de la thérapeu-
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tique suggestive en pédiatrie, au double point de vue des psychonévroses dont elle reste l'agent curatif par excellence, et des affections ou malformations organiques qui les accompagnent et en aggravent le promostic.
Il s'agit dans le cas présent d'un enfant de huit ans, Louis Oh.., né à Paris d'un père alcoolique, brutal, sujet à des accès de dêlirium tremens et mort fou de bonne heure. La mère, très nerveuse, ne pouvait qu'avoir, dans un tel milieu familial, des émotions perpétuelles, La grossesse fut des plus accidentée, et l'accouchement se produisit plus tût qu'on ne l'attendait, après de violentes scènes de ménage.
Louis Ch... fut allaité artificiellement, commença à parler vers sept mois, eut sa première dent à quatorze mois et ne marcha pas avant le début de sa troisième année. II eut successivement toutes les maladies de l'enfance: bronchites à répétition, coqueluche, rougeole, varicelle, helminthiase. Des céphalées fréquentes se montrèrent à cinq ans. Puis vinrent des terreurs nocturnes, et de l'incontinence d'urine.
Enfin, l'enfant fut mis à l'école communale. II s'y fit remarquer par des inégalités de caractère, des peurs sans motifs, une tendance irrésistible à mentir et à manquer la classe, une difficulté très grande à fixer son attention. A huit ans, il ne sait pas encore lire correctement. C'est là, au contact de camarades vicieux, qu'il prit l'habitude de l'onanisme. Cette habitude dure depuis trois ans, et l'enfant avoue s'y être souvent livré plusieurs fois dans la journée.
A l'examen clinique, je note de la bronchite chronique légère, avec sommets suspects, des ganglions sous-maxillaires et inguinaux, un état sabrinal de la langue, de la dilatation gastro-intestinale, une maigreur générale rendant très visible la saillie des omoplates et la déformation de l'articulation fémoro-tibiale hypertrophiée et faiblement déviée en dehors.
Le facies est hébété, l'œil atone et l'attitude sournoise. Le crâne énorme domine un visage asymétrique et d'une pâleur de cire. Le nez est gros, épaté. L'oreille est plate et n'a pas de lobule. Les appareils sensoriels n'offrent rien de particulier à signaler. Mais toute la moitié gauche du corps est le siège d'une anesthésie complète, au contact, aux excitations thermiques et à la douleur.
Du côté des organes génitaux, je constate un phimosis énorme avec pénis infantile et testicules très petits.
II n'y avait pas à hésiter sur le traitement à conseiller. Je propose à la mère : 1° de combattre par la suggestion l'onanisme et les troubles psychiques do l'enfant ; 2° de le faire circoncire au plus tôt en utilisant le sommeil hypnotique pour produire l'anesthésie.
La mère, fort intelligente, souscrit très volontiers à ce programme, et je commence immédiatement les séances de psychothéraphie. Nous sommes au 20 juin 1896. Docilement, l'enfant se laisse influencer, dort légèrement le premier jour, mais tombe, à partir de la première séance,
dans un sommeil très profond, avec amnésie, catalepsie et hallucina-bilité intra post-hypnotique.
En quatre séances séparées l'une de l'autre par un espace de deux jours, je crée un centre d'arrêt très réel pour l'habitude automatique qu'une surveillance attentive ne décèle plus, et j'assiste au réveil des idées de soumission, de travail et de bonne conduite. De l'aveu de ses parents et de ses maîtres, l'enfant est déjà bien changé : il désire ardemment mériter les éloges qu'on lui promet s'il persiste dans ses excellentes dispositions. D'ailleurs, les fonctions digestives sont meilleures, le sommeil de la nuit n'est plus troublé d'aucune manière, et le teint plus frais, le visage plus ouvert, trahissent aux yeux les moins clairvoyants l'étonnante transformation accomplie en une semaine dans l'organisme et dans l'esprit du jeune sujet.
La circoncision fut faite le mardi 30 juin, par mon excellent confrère et ami M. le Dr Alfred Jean, ancien chef de clinique Je la Faculté, en présence de M. le Dr Eid, du Caire, et d'un étudiant. Je précède ces Messieurs de quelques minutes dans la chambre du petit malade et je l'endors en quelques secondes, après l'avoir rassuré d'avance sur les suites de l'opération que j'avais pris soin de lui présenter sous le jour le plus favorable.
L'enfant endormi, je le place dans la position nécessaire et lui suggère l'impossibilité absolue d'en changer jusqu'à nouvel ordre. J'ajoute que le traitement qu'on va lui faire subir ne comporte aucune douleur. Puis l'opération commence.
A ma grande surprise, dès le début de l'intervention chirurgicale, l'enfant, qui dort d'un sommeil profond et qui reste en catalepsie complète, se plaint à moi de ce que j'ai voulu le tromper et me dit qu'il sait bien qu'il va souffrir, « puisqu'on l'a dit la veille, » J'ai vérifié le jour même l'exactitude de ce fait. Malgré mes recommandations expresses, un parent avait exprimé en présence de l'enfant la crainte que l'opération ne fût très douloureuse. Le malade, prévenu, s'était endormi avec l'idée de souffrir ; et, en effet, tout le temps de l'opération, il ne cessa de se plaindre plus ou moins fort, en demandant à chaque instant « si ce serait bientôt fini. » Au bout de vingt minutes environ, quand on plaça les serres-fines, l'enfant poussa quelques cris et versa de grosses larmes. Mais, son initiative étant abolie, et comme il n'avait pas songé à la possibilité de résister avant de s'endormir, bras et jambes conservèrent jusqu'à la fin de l'opération, malgré les souffrances, leur position initiale. Bien plus, tous les ordres que je donnai aux centres psycho-moteurs s'exécutèrent à la lettre : ainsi, pour le pansement, je suggérai au malade de se soulever, de se retourner sur le côté gauche, etc., et tous ces mouvements s'effectuèrent avec précision et docilité.
Par contre, l'idée préexistante de la souffrance attendue tint en éveil, du commencement de l'opération jusqu'à la fin, la sphère psycho-senso-
rielle. Mes suggestions calmantes furent impuissantes à neutraliser la douleur. Elles ne réussirent qu'à l'atténuer dans une faible mesure.
Quoi qu'il en soit, l'opération, grâce à l'immobilité cataleptique du sujet, fut vite et bien fuite. Quand l'enfant fut remis dans son lit, je lui persuadai sans peine qu'il venait de faire un mauvais rêve, qu'on ne lui avait en réalité fait aucun mal, qu'il aurait tout oublié au réveil, et qu'il sortirait de son sommeil en souriant, enchanté d'avoir si bien dormi.
J'ajoutai quelques recommandations indispensables pour la régularité et la facilité des pansements, ordonnant le séjour au lit dans le calme le plus parfait et tâchant de hâter ainsi, par tous les moyens possibles, le processus normal de la guérison.
Puis, j'éveillai l'enfant. Tout se passa comme je l'avais prévu. Une heure après, le petit malade déjeunait avec sa famille d'un fort hou appétit. Il n'y eut ni* lièvre ni réaction d'aucune sorte. Le traitement psycho-thérapique et opératoire avait, en tout, duré un peu plus d'un mois.
Deux séances de suggestion furent consacrées encore à développer les bons instincts de l'enfant, à le rendre assidu au travail et d'une chasteté exemplaire Le 22 juillet, tous ceux, parents ou amis, qui portent intérêt au malade, le félicitent de l'heureux changement survenu dans ses actes et dans sa manière d'être Je termine par une séance de suggestion destinée à mettre le sujet à l'abri du sommeil provoqué.
Trois mois après, la mère, toujours enchantée des résultats obtenus, part avec son fils pour l'étranger. Les nouvelles que j'ai eues depuis, n'ont cessé d'être très bonnes.
Enseignement musical et hypnotisme.
Par M. le Dr e. Lagelouze.
La musique, comme la danse, doit être considérée comme une des formes du langage, comme un moyen d'exprimer des pensées et des sentiments.
Dans tous les temps, et dès la plus haute antiquité, la musique a été envisagée comme une langue : la langue des Dieux ; mais de nos jours cette expression doit être prise dans son acception propre, et non plus dans son sens figuré. La musique est une langue véritable, le musicien est polyglotte.
L'étude de toute langue débute par l'alphabet, ensemble de signes et de caractères avec lesquels elle s'écrit. Ici, l'alphabet c'est le « solfège » dont la connaissance constitue le premier temps, le premier stade de l'enseignement de la musique. Ensuite, les progrès réalisés permettront la lecture plus ou moins habile des mots et des phrases. Plus tard, l'élève composera, reproduira en cette langue nouvelle les idées, les sentiments des auteurs.
Enfin, bien plus tard, peut-être arrivera-t-il à exprimer ses sentiments propres et môme à s'élever jusqu'à la poésie, jusqu'à l'éloquence : pures conceptions de l'art.
Connaître des caractères, les assembler, lire des mots et des phrases, cela constitue des actes psychiques. Parler ces mots, les prononcer à haute voix, cela constiue un ensemble d'actes moteurs. Ce ne sont plus dès lors les seules zones psychiques, ce sont aussi les zones motrices qui vont entrer en fonctions, et leur fonctionnement même s'accompagnera des plus grandes difficultés.
Tant qu'il s'agit pour l'homme de produire les mouvements nécessaires à l'expression de sa langue maternelle, ses organes — larynx et cavité buccale, — historiquement adaptés à ce besoin, ne lui opposent aucun empêchement sérieux. Mais pour parler une lange étrangère, les organes doivent se plier aux exigences de l'émission, de l'articulation, de la prononciation de mots nouveaux ; les obstacles surgissent, les organes doivent se soumettre à des mouvements nouveaux.
La difficulté est plus grande encore lorsque cette langue étrangère est la musique. La langue musicale parlée avec le larynx et la cavité buccale, c'est le chant, qui se rapproche beaucoup du langage ordinaire. Mais la musique a ceci de particulier qu'elle peut aussi être parlée avec des instruments autres que le larynx et la cavité buccale, avec des instruments qui ne font pas partie intégrante de l'individu. La volonté, — au lieu d'exercer son action sur un instrument que nous portons en nous sur les cordes vocales du larynx, pour leur permettre de vibrer au contact de l'air expiré, — la volonté fait vibrer les cordes d'un instrument placé en dehors de nous, un piano par exemple, et le fait vibrer au moyen des doigts. Au piano, il faut donc parler avec les doigts, et ce n'est point là chose facile, au début tout au moins, car les doigts et les mains ne sont pas accommodés à cet exercice nouveau. Il leur faut s'adapter par un long entraînement, étendre le jeu normalement restreint de leurs articulations, développer par le travail des muscles rudimentaires et produire enfin l'automatisme psycho-moteur « la mécanique ».
Une seconde difficulté, très légère celle-ci, et sur laquelle je n'insisterai pas parce qu'elle n'intéresse que les débutants, provient de la nécessité d'apercevoir simultanément les signes écrits sur les deux portées et de les lire en même temps.
Mais le principal obstacle à l'expression du langage musical vient de la nécessité de dissocier pour cet exercice le fonctionnement des deux hémisphères cérébraux.
On sait que les centres qui commandent aux mouvements de la main droite sont placés dans la moitié gauche du cerveau, et que les mouvements de la main gauche sont produits par les centres d'action placés dans l'hémisphère droit.
A l'état habituel, les deux hémisphères fonctionnent ensemble ; le mouvement de chacune des mains est coordonné avec le mouvement de la main opposée et la dissociation n'a pas à se produire ; — mais au
-piano, les deux hémisphères cérébraux doivent fonctionner en toute indépendance de l'un vis-à-vis de l'autre, parce que la main droite et la main gauche ont à accomplir chacune des mouvements distincts. —
La dissociation des fonctions des deux hémisphères cérébraux n'est pas seulement montrée par le jeu distinct de chacune des mains, elle est aussi indiquée par des phénomènes analogues qui se produisent dans le sens de l'ouïe ; chaque oreille en effet doit se livrer à un acte d'audition, tandis que l'autre oreille doit se livrer à un acte d'audition différent.
A l'état habituel, les deux oreilles concourent au même but, accomplissent une action synergique, et ce n'est que par un artifice imposé â l'organisme que l'une des oreilles fait entendre un son, pendant que l'autre oreille entend un son différent.
Il faut donc que les exécutants, tout en développant les possibilités de leurs articulations des mains et des doigts, développent aussi la dualité cérébrale, qui existe chez tous à l'état latent ; il faut qu'ils habituent leur cerveau à rompre l'harmonie qui unit entre eux les centres moteurs ainsi que les contres auditifs, de telle façon que chacun d'eux fonctionne en toute indépendance : il faut qu'ils s'entrainent.
L'observation qui a servi do point de départ à cette étude est instructive en ce qu'elle prouve que les difficultés de l'entrainement peuvent -être vaincues par la suggestion hypnotique.
Nous avons vu que l'éducation musicale comporte l'adaptation des organes et la dissociation fonctionnelle des hémisphères cérébraux.
L'adaptation des organes est créée dans le sommeil hypnotique par l'excitation des centres moteurs correspondants, les autres parties de la substance cérébrale étant plongées en hypotaxte, et dépourvues d'attention. Ces notions sont généralement admises de nos jours, et M. Boirac, un des maîtres de la psychologie moderne, a fait connaître des faits d'entraînement analogue.
Le dédoublement fonctionnel des hémisphères cérébraux est aussi bien connue des médecins psychotérapeutes. Etudié par le Dr Bérillon, il est précisément un de ces phénomènes psychologiques que l'hypnotisme a mis en évidence. A peu près inconnue avant les recherches des hypnotiseurs, l'indépendance des deux hémisphères peut être produite presque à volonté pendant l'hypnose.
La démonstration expérimentale de ce fait est fournie par les nombreuses photographias conservées à l'Institut psycho-physiologique, sur lesquelles on peut voir des sujets dont la moitié de la face exprime un sentiment, tandis que l'autre moitié exprime un sentiment différent ou .opposé. Nous sommes donc autorisés à conclure que l'hypnotisme peut abréger considérablement les études élémentaires de la musique et permettre d'acquérir en quelques instants la mécanique qu'ils ne pourraient obtenir que par de longues années d'exercices fastidieux et inutiles, s'ils n'ont point pour corollaire l'étude supérieure de l'art.
DISCUSSION ET POLÉMIQUE
La liberté des expériences d'hypnotisme.
A la suite d'une communication de M. Boirac à la Société d'hypno-logie et de psychologie, M. Francisque Sarcey avait publié les lignes suivantes :
« Je me contente de feuilleter, pour me tenir au courant, la Revue de l'Hypnotisme, du Dr Berillon. qui est fort intéressante, surtout quand il passe la plume à des gens qui sont plus philosophes que médecins. Je viens d'y lire, signée de M. Boirac, professeur de philosophie au lycée Condorcet, une note sur le sommeil provoqué à distance.
Je ne veux pas vous entretenir des faits racontés par M. Boirac ; ils sont des plus curieux ; mais ils échappent à ma compétence. Je ne voudrais proposer à l'estimable professeur de philosophie qu'une réflexion philosophique qui affecte, comme vous allez le voir, la forme d'un cas de conscience.
M. Boirac opérait sur un sujet, en qui il avait trouvé des dispositions remarquables au sommeil magnétique. Il le soumettait sans cesse à toutes sortes d'expériences, ne s'arrétant que lorsqu'il le voyait, c'est son expression, trop énervé.
« A partir de ce jour, écrit-Il, Il ne se passa pas de séance où je n'expérimentai le phénomène, souvent plusieurs fois dans la même séance, à chaque occasion qui m'était offerte. Je remarquai que j'éprouvais le lendemain une très grande lassitude, une sensation d'épuisement et de vacuité qui se localisait dans l'occiput, et, coïncidence singulière, le lendemain de ces séances, le sujet se plaignait à mol spontanément d'avoir éprouvé cette même sensation au même point. Du reste, l'action mentale, nécessaire pour provoquer ainsi le sommeil, s'accompagne toujours d'une extrême tension cérébrale, et, à mesure que cette tension se prolonge, la fatigue nerveuse s'accroît rapidement et devient bientôt presque Intolérable, »
Cette sensation d'épuisement et de vacuité, se localisant à l'occiput, tous les hommes la connaissent, les uns quand ils travaillent trop, les autres quand ils s'amusent avec excès. Il est assez naturel qu'un magnétiseur qui tend violemment sa pensée, l'éprouve et en souffre.
Libre à lui, sans doute, de s'infliger cette souffrance. Mais — et c'est là que je voulais en venir — lui est-il en conscience permis de l'imposer à un brave garçon, qui est déjà un névrosé, cela va de soi, et dont ces expé-riences repétées peuvent déséquilibrer encore davantage la machine, désagréger les forces, ébranler la raison ?
Le professeur tirera, lui, de ses expériences, un profit de gloire, s'il arrive à grouper en loi les faits observés, ou tout au moins de curiosité satisfaite. Et puis il sait, après tout, à quoi il s'expose ; et c'est son affaire, s'il aime mieux s'y exposer.
Mais le sujet, lui, que lui reviendra-t-il des épreuves auxquelles on le soumet ? Est-il édifié sur les conséquences qu'elles peuvent avoir sur sa santé physique et sur son équilibre moral ?
Il est déjà contestable qu'on ait le droit de vivisecter un chien. Je ne
l'admets qu'avec répugnance, parce que la nécessité m'y oblige. Mais est-il permis d'opérer sur une créature humaine ? M. Boirac est professeur de philosophie. Qu'il réponde ! »
Sganarelle.
Ainsi mis en demeure, M. Boirac s'est empressé d'adresser au rédacteur du Temps la lettre suivante :
« Monsieur,
« Je savais bien que Sganarelle avait été médecin : j'ignorais qu'il fût devenu juge. Est-ce bien juge que je dois dire ? Quand je l'entends m'in-terpeller de sa plus grosse voix et m'adjurer solennellement de lui répondre, je me demande avec inquiétude s'il ne s'est pas plutôt transformé en grand Inquisiteur. Il y a fagots et fagots, disait-il autrefois dans Molière. Ceux qu'il fabrique aujourd'hui seraient-ils du bois dont on brûle les mécréants ?
Mais non; j'ai tort sans doute de m'alarmer si vite. Sganarelle s'est simplement souvenu qu'il était aussi philosophe, et c'est comme confrère en Aristotc qu'il me demande une consultation sur un point très controversé parmi les doctes.
Qu'il me permette donc de lui dire que ce problème de déontologie scientifique n'a pas attendu mon modeste article de la Repue de l'Hypnotisme pour se poser dans la conscience des philosophes et des savants. Il divisait déjà les anciens magnétiseurs; les uns, avec Aubin-Gauthier, disant qu'on ne doit user du magnétisme que pour le traitement des maladies; 'es autres, avec La Fontaine, qu'il était aussi permis de l'appliquer à des expériences scientifiques. Mais depuis que l'hypnotisme est devenu l'un des plus puissants procédés d'investigation de la psychologie expérimentale, c'est-à-dire depuis une quinzaine d'années, la question est en permanence à l'ordre du jour. Feuilletez, mon cher Sganarelle, le tome 23 de la collection de la Revue Philosophique, vous y verrez de fort belles choses, je veux dire une très éloquente et très subtile discussion entre mon collègue et ami M, Dariu et le professeur Delbœuf : l'un, champion de la science, l'autre, de la morale. Il me souvient encore que, lorsqu'un de mes très distingués confrères, qui professe en ce moment avec le plus grand éclat la psychologie expérimentale au Collège de France, soutint devant-la Sorbonne une thèse à peu près entièrement édifiée sur des expériences d'hypnotisme et de suggestion, l'un de ses juges lui fit aussi un cas de conscience d'expérimenter sur des êtres humains.
Interdire absolument cette sorte d'expériences, c'est murer à jamais la porte sur tout un ordre de vérités qui, j'en ai la conviction profonde, sont parmi les. plus importantes et les plus utiles à connaître pour l'humanité. D'autre part, on ne saurait évidemment les autoriser sans-condition. C'est donc surtout, à mon sens, une question de circonstances et de mesure.
Or, Sganarelle, sans le vouloir, j'en suis sûr, vous avez présenté mes expériences de telle façon que vos lecteurs ont dû me prendre pour un bourreau. Mon sujet avait, croyez-le bien, autre chose à faire qu'à me servir de souffre-douleurs, et moi-même j'avais d'autres occupations que « de le soumettre sans cesse, comme vous le dites, à toutes sortes d'expériences ». Si vous m'aviez lu avec plus d'attention, vous auriez vu que nos séances étaient toujours séparées par des intervalles de huit à dix jours : et
les convenances personnelles du sujet ou les miennes ont plus d'une fois prolongé ces intervalles. Il y a aussi la sensation d'épuisement et de vacuité à l'occiput que vous me reprochez de ne pas garder pour moi seul et d'imposer régulièrement à mon sujet chaque fois que je l'éprouve moi-même. Votre cœur, Sganarelle. est meilleur que vos yeux. Ils ont lu un pluriel où j'avais mis un singulier. Mon article disait. « le lendemain de la séance que je viens de raconter » ; le vôtre répète : le lendemain de ces séances. L'écho pourrait être plus scrupuleusement fidèle.
Mais en vérité, ce n'est pas de moi qu'il s'agit dans ce procès : il s'agit du droit à exister de toute une science nouvelle qui compte, parmi ses plus illustres adeptes, des savants tels que Braid, Durand de Gros, Charcot, Liébeault, Dumontpalier, Bernheim, et bien d'autres encore. La question est trop complète et trop haute pour qu'on puisse la trancher en deux mots dans un article de journal. »
E. BOIRAC, Vice-Président de la Société d'Hypnologie.
La discussion, placée sur ce terrain, aurait pu durer quelque temps, mais M. Sarcey, n'ayant pas le droit de garder longtemps l'attention do ses lecteurs sur le même sujet, a clos le débat par un appel à la conciliation :
« M. Bofrac me permettra de lui dire que ce problème de déontologie, puisque déontologie il y a, ne m'est pas plus nouveau qu'à lui, que je l'ai discuté plus d'une fois et très sérieusement dans les journaux où j'écris, et que, selon ma constante habitude, qui est celle des vrais journalistes, au lieu de me répandre en considérations philosophiques, comme je ferais à la Revue des Deux Mondes, je me contente de prendre un fait, un de ces petits faits probants qu'aimait Stendhal, et d'en tirer la conclusion, à moins que par un procédé d'une innocente malice, permis à Sganarelle, je n'invite le public et mon contradicteur lui-même à ta tirer à ma place.
C'est un truc, un simple truc, et il faut être bien peu familier avec le journalisme pour ne pas s'en être aperçu.
M. Boirac avoue qu'à la suite de ses expériences d'hypnotisme lui et son sujet sont très fatigués et qu'ils ont à l'occiput une sensation d'épuisement.
Je l'arrête et lui dis :
— Vous, cher maitre, vous avez le droit de vous épuiser, si bon vous semble ! Vous reconnaissez-vous le droit d'épuiser votre sujet ?
El j'ajoute :
— Qu'en pensez-vous ?
Là- dessus M. Boirac monte sur ces grands chevaux et me traite de grand inquisiteur.
Eh ! la, là ! cher maitre, songez que vous êtes universitaire et qu'à ce titre Vous êtes tenu de ne point manquer d'esprit. Répondez avec bonne grâce à une question posée sans amertume.
Vous dites au cours- de.votre lettre-que vous mettez un long intervalle entre* chacune de vos séances. Ëh bien, o'est tout ce que je vous demandais pour ce qui vous regarde, où-plutôt, je ne vous le demandais pas à vous personnellement. -Car j'étais par avance persuadé qu'un professeur de philo-
sophie ne se laisserait point emporter, même par amour de la science, à violer la liberté humaine.
Mais il sait bien que tous ses confrères en hypnologie ne gardent pas la même mesure.
Il en est de l'hypnotisme comme de la vivisection ; l'interdire serait absurde, il est nécessaire d'en régler l'usage.
C'est mon avis ; c'est le vôtre également. Eh bien, alors ?...
Vous rappelez-vous le Gavaud, Minard, de Gondlnet ? Gavaud et Minard étaient tout le temps à se disputer.
— Gavaud ! s'écriait Minard tout hérissé.
— Minard ! répondait Gavaud furieux.
Et l'Instant d'après Ils s'apercevaient, qu'ils pensaient de même et se serraient la main. »
Sganarellb.
RECUEIL DE FAITS
Note sur un cas de coliques intestinales guéries par la suggestion à l'état de veille (imposition des mains)
Par MM. Mongour, médecin des hôpitaux de Bordeaux, et Rexault, élève du Service de Santé de la Marine.
Jeanne S..., trente-huit ans, ménagère, entre à l'hôpital Saint-André, salle 5, lit 11. dans le courant du mois d'août 1896.
Pas de tare névropathique dans les antécédents héréditaires.
Antécédents personnels. — Deux crises de rhumatisme à quatorze et à trente-deux ans. Réglée à treize ans ; mariée à dix-huit. A eu dix enfants et deux fausses couches, la dernière au mois de mars 1896 et probablement consécutive à un traumatisme abdominal léger. Six enfants vivent encore ; deux sont morts quelques heures après leur naissance.
S.... est une femme grande, maigre, à l'aspect souffreteux, à la mine pâle. Très éprouvée après chacune de ses couches, elle se livrait, même en étant nourrice, à des travaux de ménage pénibles, en dehors des occupations que nécessitait l'entretien de sa maison. Très impressionnable et très coléreuse, elle n'a jamais présenté de crises de nerfs.
Histoire de la maladie. — Le début de l'affection qui a conduit cette malade à l'hôpital remonte à sa dernière fausse couche, c'est1 à-dire en mars 1896. La cause de cette fausse couche est enveloppée d'un certain mystère ; le traumatisme invoqué paraît bien douteux ; si nous insistons sur ce sujet, c'est que Jeanne S... a paru fortement impressionnée par certains bruits dénués de tout fondement, dit-elle ; et dans l'ignorance où nous nous trouvons de la cause immédiate qui a pu déterminer la fausse couche, nous ne pouvons mettre en doute les affirmations de cette très honnête femme.
Quoi qu'il en soit, ces méchants propos ont certainement aidé à l'éclosion des accidents que nous allons décrire.
Aussitôt après cette fausse couche qui fut précédée et suivie d'une hémorrhagie abondante, la malade ressentit de violentes douleurs abdominales. Elle demeura au lit pendant quinze jours, fut visitée plusieurs fois par son médecin ; il semblerait qu'elle ait présenté quelques accidents infectieux, mais nous ne pouvons affirmer le fait d'une manière certaine. Quand elle voulut se lever, elle éprouva une faiblesse extrême, bien plus considérable qu'après l'une quelconque de ses couches précédentes. Mais surtout, elle constata la persistance desdouleurs abdominales qui l'empêchaient, elle femme très courageuse, de se livrer aux occupations de son ménage. Ces douleurs, qui partaient de la région lombaire, s'irradiaient dans toute la région abdominale ; elles étaient profondes, lancinantes et ne laissaient guère de répit. L'appétit était nul et les forces décroissaient rapidement.
Je fus appelé pour la première fois auprès d'elle le 15 juillet, et je constatai les phénomènes précédemment décrits. Etant donnés les antécédents de la malade, mon attention fut attirée tout d'abord vers les organes génitaux ; à part une légère rétroflexion de l'utérus, ils étaient sains; les annexes ne présentaient pas davantage traces d'altérations capables d'expliquer le symptôme douleur. L'intestin et plus particulièremenr l'appendice ne paraissant pas pouvoir être mis en cause, je conclus à l'existence possible de coliques néphrétiques, d'autant mieux que la douleur s'irradiait parfois dans les grandes lèvres et s'accompagnait d'envies d'uriner. J'instituai donc un traitement en conséquence. Ce traitement produisit pendant quelques jours une évidente amélioration. Puis les crises reparurent plus fréquentes, plus longues et plus intenses ; la morphine les calmait pour deux ou trois heures au plus. C'est alors que .je conseillai à la malade de venir à l'hôpital où nous pourrions plus à notre aise l'étudier, j'avais abandonné le diagnostic de coliques néphrétiques, et à certains symptômes que nous décrirons plus loin, je me croyais en présence de crises de coliques dues à l'entérite muco-membraneuse.
État actuel (25 août 1896). — Comme nous l'avons dit, les douleurs partent des lombes pour s'irradier profondément dans l'abdomen. Elles surviennent par crises plus ou moins espacées; tantôt ces crises sont en quelque sorte subintrantes, tantôt elles laissent vingt-quatre heure.» de repos et plus. Ces douleurs, qui vont mourir parfois dans les grandes lèvres ou dans la racine de la cuisse, sont accompagnées, mais d'une manière inconstante, d'envies d'uriner; elles arrachent des cris à la malade et sont peu ou pas calmées par les injections de morphine ; l'eau, substituée à la morphine, n'a produit ni plus ni moins d'effets. Une seule cause connue peut en déterminer l'apparition d'ordinaire spontanée ; c'est la pression en un point quelconque de la paroi abdominale. On constate alors que cette paroi est soulevée par des mouvements d'ondulation qui la déforment, qui se passent en tous sens
mais qui présentent leur maximum d'intensité au niveau de la région ombilicale.
Cette configuration momentanée de la paroi abdominale est due très évidemment aux mouvements péristaltiques et antipéristal-tiques de l'intestin ; il est facile de s'en assurer en remarquant que les muscles grands droits ne présentent aucune trace de contractions. Ce péristaltisme, extrêmement douloureux, ne s'accompagne d'aucun bruit hydro-aérique ; il n'est précédé ni suivi de pyrosis ou d'émission de gaz par le rectum.
L'examen de la paroi abdominale permet d'observer les signes suivants : cette paroi est extrêmement mince, très lâche ; sur la ligne médiane et dans toute sa hauteur existe entre les grands droits un écartement mesurant près de deux centimètres ; dans l'interstice ainsi formé, les doigts ne sont plus séparés de l'intestin que par la partie la plus superficielle de la peau. Les selles sont assez régulières. Quelques jours avant d'entrer à l'hôpital, la malade a présenté, outre des alternatives de constipation et de débâcles, des selles nettement muco-membraneuses ; peut-être même a-t-elle émis du sable intestinal ; le fait est affirmé par son mari, mais nous n'avons pu le contrôler.
En tous cas, la crise d'entérite n'a pas duré plus de huit jours, et l'examen ultérieur de la malade nous permet d'affirmer que cette entérite n'était pas la cause des douleurs intestinales.
Langue saburrale. Perte complète de l'appétit. Cette femme est extrêmement nerveuse ; dès le début de sa maladie, elle a senti, dit-elle, que son humeur devenait acariâtre. Elle rêve beaucoup. Ses rêves prennent le plus souvent un caractère professionnel ; elle se voit occupée à nettoyer, à mettre en ordre ses appartements, à laver son parquet, etc. Souvent aussi, elle a des cauchemars: ses enfants se noient ou vont se tuer en tombant d'une grande hauteur. Elle ne voit ni rats, ni serpents, ni squelettes, ni cercueils, mais quelquefois de grands trous noirs. En dehors de ces rêves, dont la nature ne permet pas de dépister l'hystérie, elle a fréquemment des crises d'hallucinations hypnogogiques ; il lui suffit de fermer les yeux pendant quelques instants pour voir des tours, des châteaux, parfois aussi, mais rarement des objets colorés.
La sensibilité à la piqûre, au contact, à la chaleur est normale dans tous les points du corps.
L'acuité visuelle est excellente ; mais la malade dit que de temps a autre il lui passe devant les yeux un nuage qui peut persister une demi-journée et qui donne à tous les objets une teinte « flou ». Pas de rétrécissements du champ visuel.
Pas d'hallucinations de l'ouïe, de l'odorat, ni du goût.
Examen des réflexes. — Réflexes pupillaires à l'accommodation, à la lumière, à la douleur : conservés.
Réflexe pharyngien : conservé.
Réflexes abdominaux supérieur et inférieur : abolis des deux côtés. Réflexe fessier : aboli des deux côtés. Réflexe patellaire : faible et lent. Réflexe plantaire : conservé.
Pas de tremblement épileptoïde du pied et de la rotule. Pas de sensation de boule hystérique. Pas d'hypercsthésie au niveau des vertèbres.
Du côté des autres organes, rien d'intéressant à signaler. Les urines ne contiennent pas traces d'albumine.
Le 25 août. — Après l'échec successif de toutes les médications calmantes, on fait un essai d'hypnotisme par fixation du regard pendant dix minutes, par pression des globes oculaires et imposition des mains sur le front pendant cinq autres minutes. Résultat nul.
La malade n'est pas sensible à la traction en arrière par le procédé Moulin. On essaie cependant les passes et l'imposition de la main droite sur l'abdomen, La malade est tres impressionnée par cette séance ; elle demande avec inssistance si elle pourra se lever, manger dans la journée, et déclare que ses douleurs ont disparu. Ce calme dure une heure environ, pendant laquelle la malade a pu dormir. A la contre-visite du soir, les douleurs sont revenues, mais moins vives que la veille. Nouvelle imposition des mains pendant quelques minutes; disparition complète des douleurs. Pour la première fois depuis un mois, la malade éprouve la sensation de faim.
Le 26. — Mieux sensible, malgré que la nuit ait encore été troublée par quelques douleurs abdominales. Imposition des mains. Dans la soirée, les douleurs avaient complètement disparu ; deux crises de courte durée dans la nuit.
Le 27. — Malgré une nouvelle séance d'imposition, la malade a souffert un peu plus. Pendant cette séance, nous avons constaté l'apparition d'une plaque d'érythème, large environ comme une pièce de 5 francs (il est nécessaire de faire observer que les mains de l'opérateur ne sont pas en contact avec la paroi abdominale). Cet érythème, de coloration rouge cerise, dure autant que la séance ; nous avons constaté son apparition à trois reprises différentes. Pas de prurit à son niveau.
Nous essayons de donner à notre malade, avec les précautions d'usage, des pilules de bleu de méthylène.
Le 28. — Pas de coloration des urines ; la malade a donc été déçue dans son attente; aussi, les douleurs ont reparu plus intenses et presque continues. Nuit mauvaise.
Le 29. — On reprend l'imposition des mains en attendant d'avoir un bleu de méthylène capable de colorer les urines. L'effet produit a été instantané.
Le 3o. — Nuit bonne. Pas de douleurs dans la matinée ; mais craignant une nouvelle crise, la malade réclame l'imposition qui a été Site suivant son désir.
Le 1r septembre — Disparition complète des douleurs. Nouvel essai avec le bleu de méthylène.
Le 2. — Enfin, la coloration tant désirée de la malade est apparue. Journée excellente ; nuit des plus calmes.
A partir de ce jour, nous laissons à la disposition de notre ma-
lade des cachets de bleu de méthylène dont elle se servira en cas de crise ; du reste, elle n'en abuse pas, car ces cachets l'affaiblissent beaucoup. L'appétit est revenu ; les selles sont régulières; on ne constate plus de constractions intestinales. Afin de soutenir la paroi abdominale, on remet à cette malade une ceinture dont elle consent difficilement à se servir.
Elle quitte l'hôpital vers le 20 septembre complètement guérie.
Nous l'avons revue le 30 octobre. La gudrison s'est maintenue. Elle n'a pas eu besoin de prendre à nouveau du bleu de méthylène ; mais elle en a toujours â sa disposition.
En résumé, nous nous sommes trouvés en présence d'une malade ne présentant d'autre stigmate hystérique que des hallucinations hypnogogiques et qui, consécutivement à une fausse couche précédée et suivie de mètrorrhagies abondantes et de chagrins violents, a été prise d'accidents intestinaux.
Ces accidents, caractérisés essentiellement par des contractions douloureuses de l'intestin, ont été entrecoupés par une crise d'entérite muco-membraneusc de courte durée (8 jours), et dont le rôle pathogénique a été nul. Ils ont persisté pendant près de cinq mois avec de légères rémissions, ont résisté à toute médication rationnelle, à tout traitement par les analgésiques. Seule, la suggestion à l'état de veille (notre malade n'étant pas hypnotisable), obtenue simplement par l'imposition des mains au-dessus de la paroi abdominale, puis par l'absonion de bleu de méthylène, a eu raison de ces accidents graves, car l'état général de cette femme, qui ne s'alimentait plus, était à un moment donné singulièrement compromis.
Cette observation présente donc un véritable intérêt ; par la difficulté de diagnostiquer au début des accidents purement fonctionnels, par le soulagement instantané que la simple imposition des mains apporta à plusieurs reprises, alors que la morphine elle-même en Injections avait échoué ; par des troubies vaso-moteurs que cette imposition déterminait sur la paroi avec laquelle les mains ne se trouvaient même pas en contact; enfin, parla guérison qui termina heureusement la maladie.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 10 Mars et 26 Avril 1897, à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu. _
Au-delà des forces humaines.
Le Théâtre de l'QEuvrc, qui vient de jouer avec tant de succès le puissant drame de BJœrnstiere-Bjoernson, Au-delà des forces humaines, a fait distribuer, avant la représentation, la préface suivante, demandée à notre rédacteur en chef :
« Le jour est proche où les médecins se reprocheront d'avoir si longtemps méconnu l'utilisation de forces aussi puissantes que le sont les actions psychiques, qu'on les désigne sous les noms de suggestion, de psychotérapie, d'hypnotisme, ou qu'on les considère comme des phénomènes miraculeux.
Il y a plus d'un siècle, une école médicale fameuse, celle de Stahl, avait formulé les principes d'une médecine morale. Pour Stahl, lorsque le régime de l'économie est troublé, c'est que l'idée elle-même est troublée, c'est que l'âme est malade. Dans ces conditions, il faut donc nécessairement soigner l'âme pour guérir le corps. Un des disciples de Stahl, Heinroih, outrepassant les doctrines du maître, ramène toute la thérapeutique au traitement direct de l'âme, seule puis, sance digne de la lutte que le médecin doit soutenir. Toute la médecine résidant dans ces deux termes : a la foi et la volonté », le médecin est donc par soi et en soi le véritable agent curatif. Heinroth va jusqu'à dire le seul : « car la volonté gouverne et domine par sa seule présence et une âme saine est aussi bien capable de guérir au contact une âme pervertie qu'un esprit dépravé est susceptible d'en gâter une autre. » Mais pour réaliser de tels effets, le médecin ne doit pas être doué d'un esprit vulgaire ; il doit résumer en lui le prêtre, le philosophe et l'éducateur. Les médecins jugèrent sans doute que ce qu'on exigeait d'eux était au-delà des forces humaines, car si les doctrines de l'Ecole psychique allemande brillèrent pendant quelques années d'un très vif éclat, elles recrutèrent peu d'adhérents fidèles. Bientôt les médecins, cessant d'être des philosophes, retombèrent dans un matérialisme grossier. Ils redevinrent des organiciens, se résignant à n'être que les horlogers d'un organisme dont ils connaissent mal les rouages et dont ils ignoraient le fonctionnement intime. Encore de nos jours, la plupart semblent surtout tenir à justifier l'opinion de Voltaire qui s'exprimait ainsi : « Les médecins sont des gens qui passent leur temps à mettre des drogues qu'ils ne connaissent pas dans des corps qu'ils connaissent moins encore, » En effet, bien peu sont au courant des recherches de l'Ecole psychique française sur la suggestion, sur l'hypnotisme et sur l'emploi thérapeutique des actions psychiques. Tous ces travaux démontrent cependant l'énorme pouvoir de notre activité psychique dans le traitement de, tous les troubles du système nerveux.
L'auteur d'au-delà des forces a eu l'intuilion de celle force curative lorsqu'il donne au principal héros de la pièce, le pasteur Sang, lu pouvoir de guérir ceux qui l'entourent par sa seule présence. 11 est vrai que pour que la guérison miraculeuse soit obtenue, il faut que le malade soit dans un état particulier, il faut que son esprit soit dans l'état de crédulité, de suggestibilité qui, seul, peut inspirer une confiance profonde en celui qui doit produire le miracle. En effet, c'est dans la confiance que se trouve la clef du phénomène. Celui qui pur su bonté, son désintéressement, son abnégation, sa loyauté a su nous inspirer la confiance, comme cela se présente dans le eus du pasteur Sang, celui-là. par sa seule présence, détermine en notre] esprit un état d'engourdissement, de somnolence. Nous subissons le charme. Notre cerveau, las d'être toujours sur la défensive, ouvre ses portes et met bas les armes. Non seulement il n'offre plus la résistance qu'il oppose d'ordinaire aux excitations dont il est l'objet, mais il se livre et s'abandonne, heureux d'être conquis, désireux d'être gouverné et de subir une influence dont il prévoit les bienfaits. Si l'esprit du suggestionneur est vigoureux, s'il est libre, s'il est dégagé des mesquines considérations humaines, s'il est doué d'un optimisme de bon aloi, s'il veut le bien du malade, alors il peut réaliser des miracles. Par une action inductive, analogue à l'induction électrique, il transmet au cerveau du suggestionné toutes les forces dont il est lui-même animé. Mais ce serait une grande erreur de croire que la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude à subir l'influence d'autrui, est l'indice d'une certaine débilité d'esprit. Bien au contraire, cette aptitude suppose un état plutôt normal. Les individus les plus normaux sont aussi les plus aptes à être suggestionnés. Ce sont aussi les plus intelligents qui se montrent les plus disposés à recevoir la suggestion. Si le pasteur Sang exerce une telle influence sur ceux au milieu desquels se passe son existence, c'est qu'il a affaire à des marins ou des paysans norwégiens, robustes et bien portants, au fonctionnement mental régulier, dont les rouages cérébraux n'ont pas été faussés par les influences délétères d'une civilisation trop raffinée. Son action curative, si puissante, cesse de s'exercer dès qu'il veut l'appliquer à sa femme Clara. C'est parce qu'il se trouve en présence d'une névrosée, d'une véritable hystérique dont l'instabilité mentale se prête mal à l'influence suggestive. L'état de grande hystérie de cette malade est nettement indiqué par le fait qu'elle présente de l'hyperes-thésie du sens de l'olfaction et qu'elle est seule à percevoir les parfums de fleurs qui se trouvent à une distance très éloignée. L'hystérie est aussi révélée par l'existence de contractures permanentes des membres inférieurs, contractures contre lesquelles l'action curative du pasteur Sang ne se manifeste que d'une façon passagère.
Les paroles que l'auteur met dans la bouche de Clara dénotent aussi une tendance à l'esprit de contradiction, à la manie raisonnante, à l'irrésolution qui constituent le fond de l'état mental des hystériques. Dans
ces conditions, rien d'étonnant à ce que son influence suggestive s'émousse.
L'action de la suggestion réciproque tend d'ailleurs à s'atténuer par le contact de la vie en commun et il est rare que dans l'état de mariage l'un des conjoints puisse se vanter d'exercer sur l'autre une réelle action suggestive.
Suggérer tous les habitants d'un village, voir même d'un canton, cela est du domaine des choses possibles ; tenter de suggérer sa propre femme, même pour un pasteur protestant, même pour un véritable saint, voilà ce qui est peut-être au-delà des forces humaines.
Ce qu'il importe de faire ressortir, c'est que l'auteur, en mettant sur la scène un type d'homme doué du pouvoir d'accomplir des guérisons miraculeuses, par la seule intervention de sa volonté, n'a pas emprunté ce fait aux conceptions de son imagination. L'histoire de l'humanité fourmille de situations analogues. Il s'est même trouvé des cas où ce rôle de guérisseur, bien exceptionnellement il est vrai, était tenu par un médecin.
En réalité, la foi qui guérit, la faith healing et le fait qui en dérive «le miracle » procèdent de phénomènes naturels dont les guérisons par l'hypnotisme et la suggestion nous donnent une explication satisfaisante. Que !e malade soit guéri à Lourdes, qu'il soit délivré de son mal en Norwège par un pasteur inspiré, ou que, plus moderne, il se soumette dans une clinique de psychothérapie à l'action scientifique et rationnelle d'un médecin exercé à la pratique de l'hypnotisme, le mécanisme de la guérison est le même. II s'agit d'une idée qui, après avoir été acceptée par le cerveau, s'est transformée en acte. Quand cet acte tend à substituer le mouvement à l'immobilité, comme dans un cas de paralysie, c'est la guérison qui commence. Malheureusement, dans l'application de cette médecine de l'esprit, il arrive souvent que ce sont ceux qui auraient le plus besoin de recourir aux bienfaits de la suggestion qui se montrent les moins suggestibles. Ainsi se trouve démontrée une fois de plus la réalité de la parole de l'Evangile : « A ceux qui ont, il leur sera donné encore davantage, et ceux qui n'ont rien seront privés même du peu qu'ils ont. » Dr Edgar Bérillon.
Les Conférences de l'Institut psycho-physiogique
Conférences de M. le dr Max Nordau.
Les Conférences de l'Institut psycho-physiologique continuent avec le plus grand succès. Celles de M. le Dr Max Nordau avaient attiré un auditoire aussi nombreux que choisi. Nous sommes heureux d'en donner l'analyse.
Dans sa conférence sur les Phobies acoustiques, M. Nordau s'appliquait à prouver qu'on cherche à tort la cause de ces troubles dans la partie terminale ou dans les voies conductrices de l'appareil de l'ouïe.
Les affections diverses de l'oreille externe ou moyenne, du tympan, du labyrinthe, de l'organe de Corti peuvent donner des douleurs, des vertiges, des bruits subjectifs, de l'hyperesthésie sensorielle : l'hyperes-thésie spéciale peut rendre la perception de tous les bruits pénibles, voire intolérable ; les bruits subjectifs peuvent, chez les prédisposés, devenir la cause immédiate d'illusions et d'hallucinations de l'ouie et même de folie systématisée qui, dans ce cas, n'est que l'interprétation maladive d'impressions sensorielles subjectives réelles ; mois jamais ces états pathologiques de l'appareil récepteur et du nerf acoustique ne donnent lieu à des phobies. La phobie acoustique, en effet, n'est pas un état périphérique, elle est un état central, comme du reste toutes les autres phobies. Elle a son siège dans les centres de l'idéation. La; preuve, c'est que ce n'est jamais un bruit quelconque qui est l'objet de la phobie acoustique, mais ce sont les circonstances dans lesquelles ce bruit se produit, c'est-à-dire les idées que le phobique associe avec le bruit abhorré. Ainsi, une des phobies acoustiques les plus répandues est celle du sifflement, la Syrigmophobie, pour lui donner un nom grec, selon la mode établie en psychiatrie. Le sifflement aigu d'un gamin de la rue produit chez le syrigmophobique de l'agitation, de l'angoisse, des palpitations, quelquefois une violente colère. Mais le même sifflement, lorsqu'il a pour but d'appeler un chien, lorsqu'il est produit par le sifflet d'un conducteur d'omnibus donnant le signal d'arrêt à son cocher, n'impressionne pas du tout le syrigmophobique, parce qu'il en comprend la nécessité. Ce qui met hors de lui le phobique, ce n'est donc pas le bruit, c'est l'idée qu'il y attache, idée de mauvaise éducation, de manque d'égard, de polissonnerie, de tapage sans but et sans utilité. Excitabilité générale, inhibition affaiblie, manque d'adaptabilité, hypertrophie maladive du moi, voilà les éléments qui, chez un neurasthénique ou héréditaire au type psychologique acoustique, donnent les phobies acoustiques, comme chez le visuel ils donnent des phobies optiques.
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Dans sa conférence sur « les Psychoses do la ménopause », M. Nordau traçait le tableau clinique connu des troubles mentaux accompagnant souvent l'âge climatérique do la femme et qui appartiennent presque tous à la famille nosologîquc des états de dépression psychique : mélancolie, idées de persécution, folie mystique ou religieuse, avec quelques formes mixtes comme la folie circulaire et la folie erotique, et de rares cas d'états d'excitation, manie subaiguë ou aiguë avec impulsions homicides. La profonde dépression de la vie psychique de la femme au retour d'âge a une double source ; elle est l'effet, d'un côté d'une autosuggestion, d'autre côte d'un trouble organique inconscient. La cessation des règles suggère à la femme des idées de vieillesse commençante ou confirmée, de déchéance organique ; lu femme doit se dire que l'heure de la retraite a sonné pour elle, elle croit que désormais elle a perdu toute attraction pour l'autre sexe, même pour son mari, si elle est
mariée, qu'elle devient laide et désagréable, peut-être un objet de répugnance pour les hommes ; ces idées agissent sur elle comme un choc moral, comme un gros chagrin cl produisent une profonde tristesse 1res explicable. Mais à coté de ce travail d'idées conscientes se passe un autre phénomène, inconscient celui-ci. Les centres sexuels de l'écorce cérébrale, de la moelle allongée et de la moelle lombaire cessent de fonctionner ; ils meurent en réalité, ils se désorganisent sans doute et sont détruits par la phagocytose intime qui est le moyen par lequel l'organisme vivant élimine ses parties devenues incapables de se maintenir dons la constante lutte pour l'existence entre tous les organes et tissus de l'organisme. C'est donc une véritable mort partielle que subit le système nerveux central de la femme et dont les autres centres que ceux frappés par ce processus s'aperçoivent et souffrent. Celte nécrobiose n'amène des troubles mentaux que chez les prédisposées.
L'attitude dans le sommeil
Les petits chais et les petits chiens dorment enroulés sur eux-mêmes et prennent dans le sommeil la position qu'ils ont avant de naître.
Les bébés, quand on veut bien leur laisser prendre une position natu-, relie, quand ils ne sont pus emmaillotés ou entourés de couvertures, dorment aussi enroulés sur eux-mêmes. Neuf fois sur dix, d'après le Médical Record, les jeunes enfants à qui on laisse le libre mouvement de leurs membres, fléchissent leurs membres inférieurs et penchent leur tête entre les bras.
Au-dessus de 4 à 5 ans, la position change. Les enfants se couchent alors sur le côté, les jambes fléchies, et se servent de leurs bras comme d'un oreiller. C'est aussi la position prise pur les singes supérieurs dans le sommeil. Ce n'est qu'à un âge plus avancé que les enfants étendent leurs membres dans toute leur longueur pour dormir.
Il y a une attitude qui est propre à l'espèce humaine dans le sommeil. C'est.le decubitus sur le dos. Aucun animal ne prend de lui-même celte position pour dormir. Nous connaissons tous les conséquences désagréables de cette attitude, rêves pénibles, cauchemars, etc.
Le decubitus latéral est la meilleure position ; les uns préfèrent le côté droit, les autres le côté gauche ; affaire de goût et aussi d'estomac.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de pans, V.), rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques dé l'hypno-
tisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pé-dagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc... Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pra-jique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D™ Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube [du Gers), etc., sur les diverses bran-ches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le D' Paul Joirc, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR LIBRE
COURS A L'ÉCOLE PRATIQUE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE Semestre d'été 1896-1897
M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera le mardi 9 Mars, à cinq heures, à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine
(amphithéâtre Cruveilhier), un cours libre sur les applications psychologiques de l'hypnotisme. Il le continuera les samedis et les mardis suivants, à cinq heures.
PROGRAMME DU COURS
psychologie physiologique et pathologique — hypnotisme expérimental
Mardi 9 Mars. — L'hypnotisme et la psychologie expérimentale. — Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'Investigation psychologique. — Les laboratoires de psychologie et les cliniques de psychothérapie. — Interprétation des phénomènes généraux de l'hypnotisme.
Samedi 13 Mars. — La technique de l'hypnotisme expérimental. — Les états profonds de l'hypnose. — Les anesthésiques et les narcotiques envisagés comme adjuvants à la production de l'hypnose. — Choix des sujets réactifs.
Mardi 16 Mars. — Etude psychologique de l'hypnotisme. — Modalités de la suggestibilité : le type moteur, le type visuel, le type auditif. — Division du travail mental dans les états hypnotiques ; dissociation des phénomènes psycho-moteurs ; hypnotisme uni-latéral ; indépendance fonctionnelle des hémisphères cérébraux.
Samedi 20 Mars. — Phénomènes psychiques de l'hypnotisme : illusions, hallucinations, variations de la personnalité. — La mémoire dans les états hypnotiques : amnésies, hypermnésies. — Appréciation du temps par les somnambules.
Mardi 23 Mars. — Psychologie des émotions. — Les lois générales de la suggestion et de l'imitation. — L'induction psychique. — La joie et la tristesse suggérées.
Samedi 27 Mars. — Psychologie des sensations; — Les anesthésies. — Les hyperesthésies.— La sensibilité inconsciente. — Transfert de la sensibilité. — Temps de la réaction chez les hypnotisés. — Psychométrle.
Mardi 30 Mars. — Psychologie des mouvements. — Modifications de la motllité dans les états hypnotiques. — Les mouvements inconscients. — L'écriture automatique. — Applications de la méthode graphique.
Samedi 3 Avril. — Psychologie des fonctions de la vie organique. — La respiration et la circulation dans les états hypnotiques. — Action de la suggestion sur les phénomènes vaso-moteurs. — Applications de la méthode graphique.
Mardi 6 Avril. — Psychologie de la volonté. — L'éducation psychophysiologique de la volonté. — Création expérimentale de centres d'arrêt psychiques. — Le pouvoir excito-moteur et l'Impulsion. — Le pouvoir modérateur et l'inhibition.
Samedi 10 Avril. — La pédagogie psychologique et clinique. — Le traitement psycho-mécanique des habitudes automatiques et des impulsions Instinctives. — Hérédité et suggestion.
n. b. — Le cours sera accompagné de présentations d'appareils avec la collaboration de M. Charles Verdin, constructeur. II sera complété par des démonstrations cliniques à l'institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts (le jeudi à 10 h. 1/2).
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie
M. le Dr Bérillon, médecin-inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, a commencé le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, à sa clinique, 49, vue Saint-André-des-Arts, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.
Il se continue les jeudis suivants, à dix heures et demie.
COURS ET CONFÉRENCES DU SEMESTRE D'HIVER 1896-97 à l'Institut psycho - physiologique
40, rue Saint-André-des-Arts, 49
Jeudi 4 Mars, à cinq heures, M. Maurice Dupont, de l'Ecole du Louvre, fera une conférence sur : L'influence de la suggestion dans l'évolution de l'art. • Jeudi il Mars, a cinq heures. M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : Les signes précoces et les /ormes frustes de la paralysie générale.
Jeudi 18 Mars, à cinq heures, M. le Dr Henry Lemesle, avocat à la cour d'appel, fera une conférence sur : L'homme criminel et les doctrines nouvelles de l'Ecole de Lombroso.
Jeudi 1er Avril, à cinq heures, M. le Dr P. Valontin fera une conférence sur : Le libre arbitre des névropathes.
La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.
Psychologie expérimentale comparée. — A la réunion annuelle de l'American Psychological Association, M. A. L. Lewis a lu un travail intéressant sur la comparaison du temps de la réaction chez différentes personnes. II a opéré sur des blancs, des nègres et des Indiens. La vitesse de réaction ou son a été notablement plus rapide chez l'Indien et le blanc du sexe masculin ; les nègres et les femmes blanches réagissent plus lentement. Là où l'Indien réagit en 100 millièmes de seconde le blanc réagit en 110 millièmes,le nègre en 150 cl la femme blanche en 160 millièmes. Il y a donc un avantage marqué pour l'Indien; le nègre et la femme blanche sont au contraire déshérités. La réaction aux excitations visuelles a été un peu plus rapide chez le blanc que chez l'Indien.
Un Congrès de jurisprudence médicale se tiendra à Bruxelles au mois d'août prochain. Parmi les questions mises à l'ordre du jour, citons : L'hypnotisme et ses rapports avec les actes criminels ; Le secret professionnel et la loi ;
Les fonctions et les devoirs des médecins experts dans les expertises médico-légales
M. le IV Babinski, médecin de l'hôpiial de la Pitié, a repris ses conférences cliniques sur les maladies du système nerveux, samedi 20 février 1897. à 10 heures du matin, et les continuera les samedis suivants, à la même heure. Les conférences auront lieu dans la salle des consultations, annexe de la salle Grisolle.
Hospice de la Salpétriêre. — Maladies mentales. — M. le Dr Jules Voisin, le jeudi, à 10 heures du matin.
La Faculté de Médecine de Paris au Conseil de l'Université. — Cours libres. — Après avoir proposé le maintien de la chaire de pathologie expérimentale et comparée, vacante à la Faculté de Médecine par le décès de M. Straus, le Conseil de l'Université a autorisé l'ouverture des cours libres ci-après désignés à la Faculté de médecine. — M. le Dr Petit : anesthésie et antiseptiques; étude chimique et physiologique, M. Foveau : les radiations nouvelles, les rayons X, radioscopie et radiographie, applications thérapeutiques; M. Fournel: gynécologie; M. Gaube : minéralogie biologique, ferments et fermentations dans leurs rapports avec la matiez minérale; M. Bérillon: Psychologie physiologique, applications cliniques de l'hypnotisme.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Df Baraduc (Hipp.). — L'iconographie en anses, de la force vitale cosmique et la respiration fluidique de l'âme humaine, son atmosphère fluidique. Un vol. in-4°, 89 p. Carré et C. Nanx, 3, rue Racine. Paris. 1896.
J. Bouvéry. — Le spiriiime et l'anarchie devant la science et la philosophie. Un vol. in-4«, 464 p. Paris 1897.
J.-P. Durand (de Gros). — L'idée et le fait en biologie. Broch, in-4% 88 p. Félix Alcan, Paris 1896.
Dr Collongues. — Recherches sur l'unité du Vilaliame avec l'ensemble des courants nerveux. Broch, in-8, 29 p. Cusset, 1895.
Juan Enrique Lagarrigue. — Lettre à Mgr Ireland. Broch, in-8, 35 p Santiago du Chili, 1896.
Dr Laupts. — Perversions et perversités sexuelles. Un vol. in-4o, 372 p. Carré, 3, rue Racine. Paris, 1896.
Df Luys. — Collection de cerveaux momifiés (Catalogue d'une). Broch. in-40, 52 p. Clermont, 1895-
Dr J.-M. Charcot. — La foi qui guérit. Broch. 38 p. Paris, 1897.
A. Chipaclt. — Travaux de neurologie chirurgicale. Un vol. broche 352 p. Vigot frères. Paris, 1896.
Dr Gerard-Excausse. — Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses. Un vol. in-8, 205 p. Paris, 1897.
Dr Paul Farèz. — De la dyskidrose. Un vol. broc, 196 p. Paris 1897-
Dr Max Nordau. — Les mensonges conventionnels de notre civilisation. Un vol. in-4° broc, 354 p. Paris 1897.
Paul de Régla. — Les mystères de Constantinople. Un vol. broc, 300 p. Paris 1897.
J. Voisin. — L'épilepsie. Un vol. in-4° broc, 420 p. Paris 1897.
dr Félix Rf.gnault. — Hypnotisme et Religion. Un vol. in-8 broché, 317 p. Paris 1897.
Dr L. Montin. — Le diagnostic de la suggestibilité. Un vol. in-4° br., 110 p. Paris 1896.
R. de Seignedx. — De la présentation de la tête et du mécanisme de son engagement. Dissertation présentée à la Faculté de Médecine de Genève, pour obtenir le titre de Privat-Docent, par R. de Seignieux, Genève 1896.
Dr Ch. P. Noble. — Movable Kidney, by Ch. P. Noble, médecin-docteur, chirurgien en chef du Kensington hospital for Women, Philadelphie.
Prel (Dr Carl du). — Die macht der phantasie. Broch, in-8 de 13 pages. Munich 1895.
Crocq fils (Dr J.) — L'Hypnotisme scientifique, i vol. in-4. de 450 pages. Paris 1896.
Max Nordau. — Paradoxes psychologiques, 1 vol. in-8,178 pages. — Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris 1896.
D'Lautps. — Le fonctionnement cérébral pendant le rêve elpendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris 1895.
Astère Denis. Dr Vande Lanoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri-son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapaurue. Vervi ers 1895.
Astère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Nicolet. Verviers 1895.
Fouillée (Alfred). — Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races, i vol. in-4° de 378 pages. Alcan. Paris 1895.
Crocq fils (Dr J.) — Recherches expérimentales sur les altérations du système nerveux dans les paralysies diphtériques. 1 vol. in-4° de 79 pages. Paris 1896.
Crocq fils (Dr J.) — Les névroses traumatiques. 1 vol. in-4° de 178 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois, Paris 1896.
Déjerine (Dr). — Cahier de feuilles d'autopsies pour l'étude des lésions du nêvraxe. 1 vol. in-folio de 25 feuilles. Rouff et Cie, 106, boulevard Saint-Germain, Paris 1895.
L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT # 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE
11e année. — N° 9.
Mars 1897.
DU SOMMEIL ARTIFICIEL PROLONGÉ
En particulier dans le traitement de l'hystérie.
Par M. le Dr Otto G. Wetiebstrand (Stockholm).
Dans le traitement de l'hystérie et de beaucoup d'autres maladies, on a donné trop d'importance à la suggestion et trop peu au sommeil.
Notre opinion, basée sur un grand nombre de faits, est que, plus le sommeil est profond, plus son action curative est considérable, même lorsqu'on ne croit pas devoir le compléter par des suggestions verbales.
C'est à tort que Pitres a soutenu l'opinion contraire. Le traitement par le sommeil profond et prolongé répond à des indications très précises.
Le sommeil léger ne doit cependant pas être considéré comme un obstacle à l'application de la thérapeutique suggestive.
Dans le.s formes de l'hystérie, caractérisées surtout par des troubles psychiques, le sommeil profond est extrêmement bienfaisant, et plus sa durée pourra être prolongée d'une facon ininterrompue, pendant des jours, même pendant des semaines, plus le malade bénéficiera de son efficacité. Il n'est pas nécessaire de le réveiller pour l'alimenter et pour pourvoir à ses divers besoins. Tous ces actes sont automatiquement accomplis pendant le sommeil.
Le sommeil le plus prolongé que nous ayions appliqué à nos malades a été d'une durée d'un peu plus de six semaines.
Il n'est nullement nécessaire de provoquer l'apparition de l'état de somnambulisme, bien que la constatation de cet état constitue une circonstance particulièrement favorable.
Le dormeur ne doit jamais être laissé seul, mais toujours
être en rapport avec une personne qui lui soit sympathique et qui ait l'habitude de soigner les malades. Il ne ressent aucun malaise pendant son sommeil, mais au contraire, il a la sensation d'un repos bienfaisant, et il est facile de constater par son aspect et par l'expression de ses traits, qu'il se rétablit et rentre progressivement dans l'état de santé.
Après le réveil, il éprouve parfois une légère sensation d'engourdissement facile à dissiper par quelques exhortations et qui d'ailleurs disparaît d'elle-même, après quelques heures.
Seules, les formes graves de l'hystérie fournissent l'indication de cette méthode de traitement. Telles sont les grandes attaques convulsives accompagnées d'accès maniaques et de délires hallucinatoires.
Parmi les autres formes d'hystérie dans lesquelles le sommeil prolongé est aussi particulièrement indiqué, il faut noter les cas d'hystérie compliqués de morphinisme.
Dans le traitement de la morphinomanie, comme nous l'avons démontré dans un travail précédent, le sommeil constitue un moyen très efficace pour supprimer ou tout au moins pour atténuer, d'une façon très appréciable, les douleurs qui accompagnent la suppression définitive de la morphine.
Dans un cas de vomissements incoercibles qui allait sans cesse en s'aggravant et dont le début remontait à plusieurs années, ce traitement a donné un résultat très remarquable.
Depuis dix-huit mois le malade était traité par la morphine et par l'hypnotisme, sans aucun succès.
Au mois d'octobre 1889, nous lui proposons de recourir au sommeil prolongé. Ce sommeil fut continué trois semaines consécutives. Au réveil, le malade était guéri, et la guérison s'est maintenue. Depuis, sept années se sont écoulées, aucun nouveau symptôme hystérique ne s'est manifesté, et le désir d'user de la morphine ne lui est plus jamais revenu.
On a donné des interprétations diverses de l'action du sommeil prolongé. Nous pensons voir qu'il n'agit pas seulement comme traitement symptomatique, mais qu'il constitue un traitement fondamental de l'hystérie.
Pour arriver à la guérison complète de la névrose, il est nécessaire que le sommeil soit maintenue d'une façon continue et qu'il soit le plus profond possible. On arrive à ce résultat par un entraînement progressif.
Nous avons appliqué cette méthode sur huit malades ; de ces huit malades six ont été complètement guéris. Parmi eux
il y avait une paraplégie datant de vingt-cinq ans; depuis la guérison, 7 années se sont écoulées, aucune récidive n'a eu lieu. Les résultats si intéressants que nous avons obtenus nous font un devoir d'engager tous ceux qui se trouvent en présence de cas d'hystérie grave, rebelles à tous traitements, à essayer de cette méthode dont le moindre mérite est d'être absolument inoffensive.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 21 Décembre 1896. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 50.
M. Valentin, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance précédente. Il est adopté. La correspondance imprimée comprend :
1° Un volume de M. le Dr H. Regnault intitulé : Hypnotisme et Religion ;
2° Un article de M. le Dr Collineau, sur Broca.
M. le Président met aux voix la candidature de M. le D' Paul Farez, licencié en philosophie, au titre de membre de la Société. Cette admission est ratifiée à l'unanimité.
M. le Dr Bérillon communique à la Société ses idées personnelles sur la nécessité du détatouage chez les jeunes détenus, « Le tatouage, signe matériel du lien qui unit le condamné à un milieu immoral et infamant, n'a plus de valeur au point de vue de l'identité personnelle depuis la création du service anthropométrique. Aussi serait-il à désirer que l'administration mette au plus tôt à la disposition des criminels les procédés de détatouage préconisés déjà par MM. Jullien et Variot. Un grand nombre de détenus verraient volontiers disparaître les marques dun passé qu'il ont hâte d'avoir oublié. » (Sera publié).
M. le Dr Dumontpallier communique ensuite l'observation d'une malade atteinte de troubles neurasthéniques nombreux et tenaces, qui, après de longs mois de traitement inutile par les méthodes ordinaires, cédèrent à quelques séances de suggestion avec sommeil léger jointes à l'isolement dans une maison de santé.
Deux cas de blépharospasme tonique bilatéral douloureux d'origine hystérique, guéris par la suggestion hypnotique
Par M. DE Bourgon, Ancien chef de clinique aux Quinze-Vingts. Chirurgien-chef du service d'ophthalmologie de l'hôpital Saint-Joseph.
Comme il n'y a de réel et d'immuable que les faits bien observés, avant d'aborder des considérations théoriques, des hypothèses physiologiques, voici, sans plus long préambule, l'observation clinique de
deux cas de blépharospasme tonique bilatéral douloureux d'origine hystérique guéris par l'emploi de la suggestion hypnotique.
Observation I. — Eugénie B... d'Argentan (Orne), âgée de 18 ans et demi, servante, se présente le 12 juillet 1893 à la consultation des Quinze-Vingts (service du Dr Valude).
Admise par correspondance, je l'hospitalisai immédiatement. Cette malade se plaignait d'avoir les paupières fermées depuis quinze jours, cette occlusion étant totale et permanente. Jadis, il y a six mois, elle avait eu l'œil droit fermé plusieurs heures par jour, pendant trois semaines environ. Puis l'œil gauche s'était clos aussi, mais par intermittentes alternant avec l'occlusion de l'œil droit.
En écartant les paupières, avec beaucoup de peine, on constate une rougeur marquée de la conjonctive, un larmoiement intense et des ulcérations cornéennes plus marquées à droite qu'à gauche.
De quoi s'agissait-il ? Etait-ce une kérato-conjonctivite, entraînant un blépharospasme consécutif, ainsi qu'on a l'habitude de le voir chez les enfants strumeux, ou bien était-ce un blépharospasme primitif avec lésions secondaires ?
L'examen attentif seul de la malade pouvait donner la réponse à ce diagnostic différentiel très délicat.
Comme antécédents héréditaires, Eugénie B... avait une mère âgée de 43 ans, atteinte d'épilepsie ; quant à son père, il était mort à 45 ans, à la suite d'une hémiplégie droite.
Les antécédents personnels étaient très intéressants. Agée de 13 ans, elle avait vu une petite fille tomber du haut mal ; immédiatement, elle fut prise d'une attaque qui se renouvela tous les deux jours ou quotidiennement. Ce n'est qu'après trois mois de soins (douches et bromures) que la sédation s'opéra. Les attaques disparurent pour reparaître en 1892. Elles se précipitèrent alors, 2 à 7 par jour, et, par l'effet d'un traitement énergique bromure, disparurent pour faire place aux troubles oculaires.
A ce moment, les praticiens qui l'avaient si bien soignée auparavant errèrent complètement. Reconnaissant, à l'inspection, des lésions oculaires, ils crurent à un épisode inflammatoire survenu dans l'histoire nerveuse de cette malade. On mit alors en œuvre lotions, collyres aussi variés qu'inutiles (sulfate de zinc, sels d'atropine, d'ésérine même), frictions mercurielles à la tempe, etc. Plusieurs oculistes régionaux furent consultés sans résultats appréciables ; de guerre lasse, les autorités municipales firent les démarches nécessaires pour l'hospitalisation aux Quinze-Vingts.
Examinée le 13 juillet au matin, je constate un blépharospasme bilatéral, plus marqué à droite qu'à gauche. Du côté droit, le sourcil était plus abaissé qu'à gauche. Ce signe objectif est à noter, il permet de distinguer le spasme de la paralysie (Charcot). La contraction était très énergique, la peau des paupières plissée fortement. L'écartement des
paupières ne pouvait se produire qu'avec l'emploi du releveur de Desmarres et était accompagné de phénomènes douloureux intenses. Un flot de larmes s'écoulait sur la joue, et la malade se plaignait de souffrir horriblement de la présence de la lumière. Cet épiphora et cette photophobie étaient bilatéraux.
La conjonctive était injectée, il existait un cercle pérîkératique et de la kératite superficielle. Enfin, du côté droit, à noter des douleurs périorbitafres. La sensibilité de la conjonctive et de la cornée explorée avec un tortillon de papier de soie montrait qu'elle était accrue. En outre, la malade accusait une vive douleur par un simple frôlement de la paupière et de la région périorbitaire droite dans une étendue d'environ un centimètre en dehors de l'orbite.
Ces différents symptômes oculaires bien constatés me permettaient, en dehors des antécédents et de l'examen général ultérieur, de conclure à un blèpharospasme tonique bilatéral douloureux d'origine hystérique en empruntant la terminologie de M. Parinaud et en attachant une très grande importance au signe de Gilles de la Tourette (superposition du spasme et des troubles de la sensibilité).
Examinée au point de vue général, Eugénie B... présentait des zones d'aneslhésie caractéristiques, un état mental propre aux hystériques, et je n'insisterai pas sur cette étude clinique, me contentant de dire que j'eus la bonne fortune d'assister à une attaque complète d'hystéro-épi-lepsie que je ne pouvais méconnaître, ayant été l'élève de M. Dumonl-pallier pendant plus de trois années.
L'après-midi, je présentai cette malade à M. Valude qui admit mon diagnostic et me la confia.
J'essayai d'abord du procédé de Gayet 'de Lyon), la dilatation forcée des paupières après emploi préalable de la cocaïne appliquée localement. J'échouai, la malade luttait, se plaignait de souffrir atrocement, c'est là sa propre expression. Je résolus, inspiré des observations antérieures de van Eeden et par de longues et attachantes conversations quej'avais eues avec lui au Congrès de l'Hypnotisme (1889) dont j'avais été un des secrétaires, d'essayer la suggestion chez cette malade.
Imbu et ajuste raison, je crois, des idées et des procédés de l'Ecole de Nancy, opérant d'après la méthode du Prof. Bernheim, je mécontentai de dire à la malade : « Mon enfant, jusqu'ici, on a mal soigné tes yeux, si tu veux croire en moi, je te promets de te guérir complètement, mais pour cela il faut dormir, tu m'entends bien, dormir, et dans ce sommeil, tu auras conscience de m'obéir, tu répondras à mes questions et tu guériras : allons, dors, dors. » Et variant la forme de mes injonctions, mais terminant toutes mes phrases par l'impératif dors, j'obtins en moins de dix minutes, sans pression des paupières, ni miroirs, jets de lumière, sons de gongs, que sais-je ? un sommeil somnambulique vrai. Je lui déclarai alors qu'à son réveil l'œil droit s'ouvrirait un peu et que vers six heures du soir les paupières seraient tout à fait écartées. « Alors, ajoutai-je, tu seras complètement convaincue, je t'endormirai
demain et je guérirai Ion autre œil. » Toutes ces précautions oratoires peuvent sembler du verbiage aux praticiens qui n'emploient pas la méthode suggestive, mais elles sont absolument nécessaires pour éviter la redoutable auto-suggestion qui occasionne tant d'insuccès que l'on attribue à tort à la suggestion elle-même, sans reconnaître que, pour employer avec succès un moyen thérapeutique, il faut le connaître à fond, pratiquement et théoriquement.
Puis je réveillai la malade, par le souffle sur les paupières. Je lui donnai des lunettes fumées pour éviter la vive sensation lumineuse et priai la sœur de service de noter l'heure exacte où la malade aurait l'œil droit ouvert. A six heures précises, Eugénie B... s'écriait: « Ma sœur, quel bonheur ! je vois, mon œil est complètement ouvert. »
Le lendemain de mon arrivée, je lui dis : « Eh bien, ton œil droit est ouvert, je vais te guérir l'autre aussi, je te l'ai promis hier, lu t'en souviens! » jalonnement de la malade, elle ne se rappelle rien. Ces1 encore là un fait caractéristique de la suggestion à l'état d'hypnose» l'amnésie complète au réveil.
Je recommençai à l'endormir. En deux minutes, elle était en somnambulisme. Je lui fis une suggestion identique à celle de la veille, pour l'œi gauche, cette fois. Pour consolider la guérison, je l'endormis plusieurs jours de suite. Sous l'influence de la non-occlusion, les lésions oculaires très faibles, guérirent rapidement, grâce à l'emploi d'une antisepsie faible et en moins d'une semaine la malade partait guérie pour Argentan, à la grande^stupéfactîon des habitants de la région dont quelques-uns m'écrivirent même pour me féliciter de cette cure tenant du miracle, ajoutait sa patronne.
J'ai eu des nouvelles de cette jeune malade, la guérison du blépharo-spasme s'est maintenue. Quant à son état général, sous l'influence do l'hydrothérapie et des bromures, il est satisfaisant, quoiqu'elle ait des attaques de temps en temps, environ une tous les quinze jours.
Observation II.— J'ai décrit trop en détail le cas clinique d'Eugénie B... pour ne pas tracer en]quelques mots l'observation de Mlle Marie D..., âgée de-30 ans, sans profession.
Grande hystérique, elle aussi, présentant tous les signes de cette redoutable névrose, elle vint me consulter le 29 mars 1896, pour une occlusion permanente de l'œil gauche accompagnée de larmoiement avec sensations douloureuses à la lumière. L'œil droit était clos de même, quand elle se présenta à moi guidée par une parente, mais il parait qu'elle l'ouvrait encore quelques heures par jour. L'analyse des symptômes, très analogues d'ailleurs à ceux de l'observation précédente, me permit de porter le diagnostic de : Blèpharospasme tonique bilatéral douloureux, permanent à gauche, transitoire à droite, lié a l'hystérie.
Fort de mon succès antérieur, je conseillai à la malade le traitement par la suggestion hypnotique. Après quelques hésitations, vaincue ar la-confiance absolue avec laquelle je lui promettais une guérison
rapide, elle consentit. En trois séances, elle fut radicalement guérie Les lésions conjonctivales et cornéennes, existant chez elle comme chez Eugénie B..., disparurent complètement. Depuis cette époque, la gué-rison locale s'est maintenue.
Considérations théoriques. — Ces deux observations cliniques sont intéressantes, ce me semble, à plusieurs points de vue.
En premier lieu, dans les deux cas, la cause occasionnelle nous échappe. Ils se sont produits, et j'y insiste maintenant, en dehors de toute attaque. D'autre part, les lésions conjonctivales et cornéennes n'ayant pas été primitives, n'ont pu engendrer le blépharospasme, comme dans le cas de Laséguc (Arch. gén. de médecine, juin 1878). C'est en vain que j'ai cherché des zones hystérogènes dont la pression fortuite pouvait engendrer le blépharospasme, et pourtant « l'action des zones hyper, esthésiques sur la production du blépharospasme est indéniable. » (Cas de A. von Graefe, de Zehender, Seeligmüller ; voir, en outre, à ce sujet les travaux de Borel sur les affections hystériques des muscles oculaires.) Dans les deux cas précédents, la naissance du blépharospasme a été spontanée.
Si l'épiphora et la photophobie sont constants dans le blépharospasme tonique douloureux, il n'en est pas de même des lésions conjonctivales. Quant aux lésions cornéennes. elles sont excessivement rares, sinon inconnues, et c'est justement cette présence exceptionnelle qui a été la cause des erreurs thérapeutiques signalées dans l'observation d'Eugénie B....
II faut insister sur leur production d'origine mécanique et attirer l'attention des praticiens sur la possibilité des conjonctivites et surtout des kératites consécutives à un spasme hystérique de l'orbiculaire pour éviter que, dans ces cas, on emploie des lotions, pommade et collyres variés sans s'adresser à la vraie cause.
La contraction de l'orbiculaire était isolée et ne s'accompagnait ni de contracture, ni de paralysie des membres, comme c'est la règle, en quelque sorte ; d'où une plus grande difficulté encore pour établir le diagnostic.
Sauf les lésions mécaniques consécutives, les yeux fonctionnaient normalement, et l'étude de la réfraction, de l'amplitude d'accommodation, des mouvements oculaires (champ du regard), de la perception rétinienne (acuité visuelle, champ visuel), questions trop spéciales pour y insister outre mesure, me convainquirent de l'état absolument normal des yeux de mes deux malades. Et pourtant, généralement, le blépharospasme hystérique s'accompagne de contracture des muscles du globe (cas de da Fonseca A. von Graefe, Landesbert. Guignet, etc.). Parfois même on a noté le myosis (Saint-Ange) ou la mydriase (Hailan). Une fois a été signalée la présence du scotome central (Harlan).
Laissant ces points d'oculistique pure, je ne saurais trop insister sur la
thérapeutique suivie qui a permis de guérir le blépharospasme et partant des lésions conjonctivales et cornéennes.
La suggestion hypnotique a, en effet, suffi seufe dans ces deux cas, et l'on peut affirmer que tout autre moyen aurait été inefficace ou dangereux.
Pour guérir ces cas, il faut toujours employer directement ou indirectement la suggestion et non disséquer tout le muscle orbiculaire, ainsi que l'ont fait des chirurgiens américains, réséquer les nerfs sus-orbiculaires, etc.
N'est-ce pas, en effet, une suggestion indirecte que mettent en usage Hodges, Pflùger et Seeligmiiller lorsqu'ils traitent le blépharospasme par les courants continus, Meyer en se servant de la cocainc, Harlan des aimants, P. Richer de la pression d'une zone frénatrice, Strawbriilge de l'élévation forcée des paupières au moyen des bandes de sparadrap ? Dans ce dernier cas, lorsque le pansement s'était décollé à l'insu du malade, l'œil restait ouvert, mais si le chirurgien pratiquait l'ablation du sparadrap de la paupière du malade conscient, le spasme se rétablissait immédiatement. La guérison eut lieu pourtant. C'est là une démonstration palpable de la suggestion indirecte.
N'est-ce pas encore la suggestion dont se servait Silver en guérissant un blépharospasme de l'œil gauche par le procédé suivant : Il affirma à son malade que si l'œil droit se fermait, immédiatement l'œil gauche s'ouvrirait ; après avoir renouvelé avec énergie cette affirmation, il abaissa la paupière droite, immédiatement la paupière gauche s'éleva. On appliqua un pansement sur l'œil droit dont la paupière fut fixée à la joue, l'œil gauche resta ouvert, la guérison se maintint.
Certes, tous ces procédés sont ingénieux, mais ils ne doivent être employés que lorsqu'on_redoute de dire au malade comment on le guérira.
Puisqu'il faut rendre à César ce qui est à César, pourquoi ne pas attribuer à la suggestion hypnotique ce qui lui appartient en propre et ne peut être remplacée que dans des cas exceptionnels et chez des sujets hystériques par la suggestion thérapeutique.
Concluons donc, avec Borel et Gilles de la Tourette, que l'agent le plus efficaces pour la cure de ces affections est la suggestion hypnotique et puisque, pour combattre le bon combat, le praticien possède cette arme puissante, qu'il n'hésite pas à s'en servir dans l'intérêt d'un malade souvent incurable autrement, malgré l'opposition du sujet, de la famille parfois, de l'entourage souvent. Qu'il soit tenace, persévérant, qu'il montre l'inocuité de ce procédé comparé à sa puissance, et le succès le plus éclaiant récompensera son opiniâtreté raisonnée.
BIBLIOGRAPHIE
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Voir en outre : Archives de Neurologie ipassim. Revue de l'Hypnotisme : passim.
Epilepsie Jacksonnienne, — Traitement par la suggestion
indirecte. — Guérison (1). Par M. le professeur Spehl, médecin de i'hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles.
Le nommé Leopold L.., âgé de 20 ans, exerçant la profession de brunisseur, est sujet, depuis cinq ans, à des attaques d'épilepsie, diurnes et nocturnes, qui le rendent inapte à tout travail.
Les renseignements concernant la marche de son mal ne peuvent être obtenus qu'avec la plus extrême difficulté, vu l'état de dépression de ses facultés intellectuelles.
 l'âge de 15 ans, étant assis dans la cour de son habitation, occupé à cirer ses souliers, le malade reçut sur la partie postérieure de la téte, un pot de fleurs tombé du second étage.
Cet accident détermina une contusion qui ne persista que peu de jours, mais entraina à sa suite une céphalée à localisation frontale ; deux mois après, survint la première attaque convulsive.
(1) Observation recueillie par M. René Vandam, interne du service.
Dès lors, la céphalée augmente, en même temps que le nombre et l'intensité des accès convulsifs.
A 18 ans (c'est-à-dire 3 ans après le début de l'affection), le malade a en moyenne 12 accès par jour.
A partir de l'âge de 19 ans, leur fréquence diminue, et la céphalée est un peu amendée.
Au moment où le malade entre à l'hôpital [24 Novembre 1896), le nombre des accès est de trois environ pro die.
(Il est utile de dire tout de suite que, pendant cinq années, le malade n'a jamais cessé de prendre du bromure).
Avant l'attaque, L... accuse une sensation de constriction dans la partie droite du cou ; cette sensation est bientôt suivie d'une surdité bilatérale ; puis survient la perte de connaissance.
Objectivement, l'accès auquel nous avons assisté, affecte la marche suivante :
Au début, le patient semble pris de peur et se précipite en avant, la tète tournée à droite et en arrière.
Après deux pas, il tombe, et l'attaque commence. Le cri initial fait défaut.
Les yeux se convulsent en haut et à droite. La bouche est tirée à droite ," on n'y remarque pas d'écume.
Le bras droit, et la jambo droite sont en état de contracture complète.
Le pouce et l'index de la main droite se trouvent en extension forcée, et les trois autres doigts dans l'attitude de la demi-flexion. L'accès s'sccompagne d'Une cyanose intense.
Pendant les six premiers jours de ce traitement (du 24 au 30 novembre) il n'y eut aucune amélioration ; L... continuait à avoir trois ou quatre accès par jour, comme avant son entrée à l'hôpital.
C'est alors que M. Spehl commença la suggestion indirecte, interrogeant tous les jours le malade, au moment de la visite, sur le nombre de ses accès, et lui affirmant qu'ils cesseraient bientôt, et que la céphalée disparaîtrait en même temps.
Immédiatement, le nombre et l'intensité des attaques diminua, ainsi que les maux de tète, et, à partir du troisième jour, on ne constata plus qu'un très léger accès tous les deux jours.
A ce moment, M. Spehl employa la suggestion sous une forme plus Impérative, et dit au malade, avec une certaine sévérité, « qu'il n'était pas à l'hôpital pour avoir des accès, mais bien pour guérir ; que s'il voulait continuer à avoir des attaques, il n'avait qu'à retourner chez lui ».
Depuis cette époque (9 décembre 1896) le malade n'a plus eu un seul accès et il n'a plus souffert de la tète.
Parallèlement, M. le professeur Spehl fit observer que l'état intellectuel de Léopold L... s'améliorait d'une façon remarquable : il répondait rapidement et nettement aux questions posées, et son facies n'exprimait
plus l'hébétude comme jadis, résultat dû, selon toute probabilité, à l'abstinence des bromures ; car, si ces médicaments jugulent les réflexes tant normaux que pathologiques, ils exercent également une action restrictives sur les manifestations intellectuelles, qui sont, en somme, elles aussi, des réflexes.
On a objecté au professeur Spehl que le succès de son traitement pouvait être aussi bien le fait du séjour à l'hôpital, dans des conditions de calme et de repos, que celui de la suggestion.
La présente observation répond directement à cet argument.
En effet, le malade a, depuis cinq ans que dure son mal, fait de nombreux et longs séjours dans divers hôpitaux (jusque sept et huit mois consécutifs), et, cependant, durant toute cette période, il ne s'est pas passé de jour, il ne s'est pas passé de nuit qu'il n'eût un ou plusieurs accès d'épilepsie.
L'amendement définitif du mal doit donc être attribué exclusivement à la suggestion.
Cette observation montre l'inefficacité du bromure dans les maladies convulsives, et la mauvaise influence de ce médicament sur les fonctions psychiques.
Pour autant qu'on puisse s'élever à des considérations générales en partant d'un cas isolé, n'est-il pas légitime, en présence d'un aussi remarquable résultat, d'exprimer le désir de voir appliquer les procédés si simples, si inoffensifs, et souvent si efficaces de la suggestion indirecte, aux diverses formes de l'épilepsie, de quelque nature qu'elles soient, et ce, avant toute intervention d'ordre médicamenteux ou opératoire ?
Il n'y a pas de cris pendant t'attaque, tout au plus quelques gémissements.
La durée de ces phénomènes est variable : l'attaque à laquelle nous avons assisté n'a pas dépassé deux minutes.
Le malade reprend, généralement, assez vite connaissance, mais reste pendant quelque temps dans une demi-obnubilation.
Dans les accès plus intenses, les convulsions, commencées dans la moitié droite du corps, finissent par se généraliser.
Diagnostic. — Epilepsie jacksonnienne droite totale, permettant de soupçonner l'existence d'une lésion corticale dans l'hémisphère gauche.
La déviation conjuguée des deux yeux vers la droite, c'est-à-dire du côté des membres convulsés, confirme, d'après la formule de Grasset, cette supposition.
Le malade n'a jamais eu la syphilis ; il n'est pas tuberculeux.
L'hérédité ne fournit aucune indication.
Traitement.— Avant son entrée-dans le service de M-le professeur Spehl, et dès le début de l'affection, le malade a été soumis, comme il est d'usage, au traitement classique par le Bromure à doses massives.
Il disposait d'une solution bromurée au litre de 40 pour 1000 et en prenait d'abord S cuillerées à soupe par jour pendant une semaine,
puis C par jour, puis 4, pour remonter, puis redescendre de nouveau dans les mêmes conditions.
Il prenait donc, en moyenne, fi gr. : 4 gr. ; 3 gr. ;... de bromure en une journée.
Ce traitement a été suivi pendant ô ans, sans interruption.
M. le professeur Spebl supprima radicalement le bromure, et fit appel à un moyen thérapeutique nouveau, qu'il emploie méthodiquement dans un grand nombre d'affections nerveuses: la suggestion indirecte à l'état de veille.
Il commença par prescrire, pro forma, une préparation anodine : X gouttes de teinture de valériane dans une potion de 200 grammes, à prendre de deux heures en deux heures par cuillerée à soupe.
Contracture spasmodique du psoas iliaque gauche datant de 4 ans.
Guérison en une seule séance.
Par M. le Docteur David, de Norbonne.
Dans le courant du mois de mai de l'année dernière, il y a donc un an, j'ai vu entrer dans mon cabinet une jeune dame, marchant péniblement, soutenue d'un côté par sa mère et de l'autre s'appuyant sur une canne solide, le tronc penché en avant. Elle m'était adressée par un confrère d'un déparlement voisin, avec les renseignements suivants : a Cette dame est tombée, il y a quatre ans, du haut d'une échelle, d'une hauteur de 2 mètres environ ; on fut obligé de la relever et de la mettre au lit, où elle resta pendant six mois. Depuis cette époque elle marche très difficilement; elle est, de plus, sujette à des crises nerveuses. Cette dame est allée à Amélie, à La Malon, a absorbé un grand nombre de remèdes sans aucun résultat appréciable, »
Cette dame arrivait donc chez moi comme ressource ultime, après avoir épuisé tous les moyens thérapeutiques pour combattre son affection .
Quelle était cette affection'' C'est ce qu'il importait de déterminer. Les grands appareils circulatoires, respiratoires et digestifs sont indemnes.
Les urines ne renferment ni sucre ni albumine Pas de réaction fébrile.
Les téguments présentent une teinte pâle et blafarde. Analgésie cutanée occupant tout le côté gauche. Hyperesthésie du côté droit. Ancsthésic pharyngée.
Pas de rétrécissement concentrique des champs visuels. Pas de dyschromalopsie. Sensibilité normale de l'ouie et de l'odorat. Exagération du réflexe rolalicn du côté gauche. Absence de zones hystérogônes.
Nous avons déjà die que dans la station debout, la malade se tient le
tronc penché en avant, incliné du côté gauche. Nous constatons, en outre, que la cuisse est fléchie sur le bassin, la jambe fléchie sur la cuisse et la pointe du pied tournée en dehors. Au ventre, le simple examen montre un gonflement notable occupant toute la partie latérale gauche ; à la palpation, on a la sensation d'une tumeur dure profondément située, un peu douloureuse à la pression. Il est vrai de dire que cette pression a été fort modérée, parce que je craignais de déterminer une crise nerveuse.
Il résulte de mon examen que la cause de la maladie réside dans le ventre. Procédant par élimination, j'écarte l'hydronéphrite, l'abcès par congestion, le rein mobile, la rate hypertrophiée, là coxalgie, la pérîty-phlite, et je m'arrête au diagnostic de contracture du psoas iliaque gauche.
Reconstituant alors l'histoire de la malade, il est permis de supposer qu'à la suite de cette chute qu'elle lit du haut d'une échelle, le muscle psoas fut atteint d'une certaine façon ; à la suite du repos prolongé et des soins administrés, l'inflammation primitive est tombée, mais deux choses ont persisté : I" l'hystérie traumatique ; 2° la contracture spas-modique du psoas.
J'ai fait entendre à la malade que le traitement psychique était seul capable de la guérir. Celle-ci n'a d'ailleurs fait aucune difficulté pour s'y soumettre ; et, en présence de sa mère, j'ai immédiatement procédé à la suggestion verbale, méthode de Liébeault. J'ai senti, pour ainsi dire, fondre sous ma main la tumeur du ventre, et, sur la physionomie de la malade, il était facile de deviner que la guérison ne tarderait pas à se manifester. Il a suffi, en effet, de dix minutes environ pour que la malade se levât complètement guérie ; elle s'est promenée un bon moment dans mon cabinet, pour s'assurer elle-même du miracle qui venait de s'opérer, cela au grand étonnement de sa mère qui ne pouvait en croire ses yeux.
Cette guérison remonte à un an. J'ai eu des nouvelles de la malade à divers intervalles; elle a repris ses travaux de ménage, et, de plus, non-seulement elle marche comme avant d'être malade, mais elle n'a plus eu de crises nerveuses.
Je soumets cette observation à la méditation de certains médecins qui s'obstinent encore à considérer le traitement psychique comme une médication indigne de provoquer l'attention médicale.
ÉTUDES BIOGRAPHIQUES
JAMES BRAID : son œuvre et ses écrits
Par M. le docteur Milne Bramwell, (de Londres)
Tous ceux qui se sont adonnés à l'étude de l'hypnotisme connaissent le nom de James Braid et le mentionnent rarement sans rendre justice à la part importante qu'il prit aux recherches et aux découvertes qui
ont affranchi cette science de l'ignorance et de la superstition.
Cependant, autant que j'ai pu recueillir d'appréciations à son sujet, surtout par des conversations avec les hommes les plus compétents en cette matière, j'ai vu que, si tous ou presque tous lui accordent d'avoir été le révélateur de l'origine subjective du phénomène hypnotique, la plupart lui reprochent: 1° d'avoir cru à la phrénologie; 2° de n'avoir rien connu à la suggestion; 3° d'avoir persévéré dans beaucoup d'idées fausses réfutées par de plus récentes découvertes. Cette appréciation de James Braid provient d'une imparfaite connaissance de ses écrits. Beaucoup paraissent n'être bien au courant que d'un seul de ses ouvrages intitulé : "Neurologie, ou anafyse raisonnée du sommeil nerveux, etc. et semblent ignorer que ce traité n'était que le commencement d'une longue suite d'études sur l'hypnotisme, publiées par James Braid, et que les idées émises dans cette analyse ont été en grande partie modifiées par l'auteur lui-même dans ses publications suivantes.
La limite de cet article ne me permet pas de m'étendre sur chacun de ses ouvrages en particulier ; je me propose cependant de m'en rapporter brièvement à sa plus ancienne publication ; ensuite, de donner un aperçu des théories contenues seulement dans Neurologie, etc..., et, finalement, de présenter une idée générale de ses dernières opinions.
Avant tout, un mot concernant la nationalité de Braid et les événements qui ont déterminé ses recherches sur l'hypnotisme. On a dit à tort que Braid était un chirurgien anglais; s'il est en effet exact que son nom ainsi que ceux d'Ellitson et d'Esdaile tiennent la plus grande place dans l'histoire du mesmérisme et de l'hypnotisme en Angleterre, il n'est pas sans intérêt de noter que tous trois étudièrent à l'Université d'Edimbourg, et que d'eux d'entre eux, Esdaile et Braid, étaient Ecossais par leurs parents et par leur naissance, le dernier étant né à Kylaw House, Fifeshire, vers 1795.
Le 13 novembre 1841, Braid assista, pour la première fois, à une séance de mesmérisme donnée par Lafontaine. On croyait encore, à cette époque, que le phénomène mesmérique était dû, soit à un fluide mystérieux, soit à une illusion de duperie. Braid partageait cette dernière opinion, et rien ne la modifia durant cette première séance ; mais, au cours d'une autre qui eut lieu six jours après, il remarqua que l'un des sujets était dans l'impossibilité absolue d'ouvrir les yeux. Braid considéra ceci comme un phénomène réel et il s'appliqua anxieusement à en découvrir la cause physiologique. Dès le soir suivant, il crut avoir trouvé ce qu'il cherchait et, après une suite d'expériences, faites principalement sur des parents et des amis, il.exprima epfin sa conviction que le phénomène dont il avait été le témoin était purement subjectif. Sa première publication fut faite presque immédiatement, le 27 décembre 1841.
En 1842, Braid adressa un rapport sur l'hypnotisme à la * Médical Section of the British Association »; celle-ci le refusa; il fit alors une
conférence à laquelle assistèrent plusieurs membres de cette association; il y lut son rapport et y exposa ses idées. Son premier ouvrage sur le mesmérisme fut intitulé : Pouvoir sâtanique et Mesmérisme, analysé dans une lettre au Rev. H. Me. Neile. A.- M., de Liverpool, en réplique au sermon prêché par lui à l'église de Saint-Judas Liverpool, le dimanche 10 avril 1842. Me Xeilc avait raillé lîraid en le défiant de régler l'action uniforme des lois naturelles dont il faisait dépendre le phénomène mesmérique. Ce à quoi, Braid répliqua qu'il avait toujours expliqué le phénomène à l'aide des principes physiologiques et psychologiques, mais que Me. Xeile avait refusé d'écouter ses lectures et de lire aucun des rapports qui en avaient été faits. A cette époque, Braid croyait à l'origine physique du phénomène hypnotique et en référait à la théorie par laquelle il essayait d'expliquer certains changements du système nerveux central, et en particulier la décroissance de l'activité fonctionnelle, comme étant le résultat de l'épuisement des autres centres nerveux.
« Mais, dit-il, en supposant même que mes théories ne donnent pas l'explication entière du phénomène, je ne vois pas là une raison suffisante de qualifier de a puissance sâtanique » le principe sur lequel reposent nos expériences, et je pense que nous devrions pouvoir étendre des connaissances sûrement appelées à une bienfaisante application, sans être stigmatisé du haut de la chaire du nom de nécromancien.
« Supposons cent passagers embarqués pur un paquebot : le capitaine donne l'ordre de lever l'ancre, d'étendre les voiles et commande d'autres « manœuvres talismaniques » pour la marche du vaisseau qui s'éloigne peu à peu du port... Bientôt une trentaine d'entre eux sont atteints du malde mer... Serait-il de bonne foi d'accuser le capitaine de « puissance sâtanique » en accordant à Me Neile que, si le fait était naturel, il s'opérerait uniformément et non capricieusement?... Personne autre que ce dernier n'oserait le faire et la nature du fait existant ne variera pas d'un atome parce que la médecine ne pourra donner la véritable raison pour laquelle certains passagers sont atteints du mal de mer tandis que les autres en sont exempts »,
NEUROLOGIE
Neurologie ou Analyse raisonnée du sommeil nerveux fut publié en 1843, et huit cents exemplaires de cet ouvrage furent vendus en peu de mois.
A la séance dont il a été question plus haut, Braid avait observé que la condition mesmérique était produite par la fixation du regard, et il en conclut que l'impossibilité d'ouvrir les yeux venait de la paralysie de certains centres nerveux et à l'épuisement des muscles releveurs.
« J'exprimais, dit-il, mon entière conviction que le phénomène mesmérique reposait sur le changement d'état des centres cérébraux spinaux et des systèmes circulatoire, respiratoire et musculaire causé par la fixation, le repos absolu du corps et la suppression de la respiration con-
cordant avec la fixité de l'attention. Je faisais dépendre le tout d'un état physique et psychique du patient déterminé par les causes qui précèdent et pas du tout de la volonté de l'opérateur ni des passes destinées à répandre le fluide magnétique ou à exciter à l'activité quelque mystérieux fluide ou quelque universel intermédiaire. Braid déterminait l'hypnotisme en faisant regarder à son sujet un objet brillant qu'il lui tenait au-dessus du front, de manière à produire le plus de tension possible sur les yeux et sur les paupières et, en même temps, il rivait l'esprit du patient à la pensée de ce seul objet. Braid ne maintenait pas seulement que la condition produite par ce moyen mécanique, était une condition purement subjective, mais il prétendait aussi qu'elle pouvait être déterminée d'une manière semblable dans des personnes qui n'avaient jamais entendu parler de mesmérisme et qui ignoraient absolument ce qu'on attendait d'elles. Comme preuve de ceci, il raconta qu'il avait hypnotisé un de ses serviteurs, qui ne connaissait rien de cette science, en agissant de manière à imprimer à son esprit l'idée que la fixation de son attention était simplement requise dans le but de veiller sur une expérience chimique avec laquelle il était autrefois familier.
Après avoir établi l'origine subjective du phénomène, Braid proposa de le qualifier hypnotique au lieu de mesmérique, et il imagina la termi-nalogie suivante :
Neurologie, analyse raisonnée ou doctrine du sommeil nerveux. Neuro-hypnotisme, ou sommeil nerveux, condition particulière du système nerveux produite par des manœuvres artificielles.
Alors, pour être plus bref, supprimant le préfixe « neuro », il donna les termes suivants :
Hypnotique : l'état ou la condition du sommeil nerveux. Hypnotiser : action de produire le sommeil nerveux. Hypnotisé : être placé dans la condition du sommeil nerveux. Hypnotisme : sommeil nerveux.
Déshypnotiser : action de tirer quelqu'un du sommeil nerveux. Hypnotiste : celui qui pratique le neuro-hypnotisme.
Cette terminalogie est presque généralement adoptée de nos jours, mais, on a remplacé le nom de « Neurologie » par celui d'hypnotisme et l'on qualifie tout à la fois d'hypnotiques, les phénomènes produits et les sujets sur lesquels ceux-ci sont provoqués ; on donne, enfin, le nom d'hypnotisme au sommeil artificiel.
Braid en arriva à cette époque aux conclusions suivantes :
1° « Que l'effet d'une fixation continue de l'esprit et de la vue, appliquée de la manière indiquée plus haut et produite dans toutes les conditions requises, est de placer le système nerveux dans un état de somnolence qui permet à l'opérateur de produire une variété de phénomènes différant complètement de ceux que nous éprouvons, les uns et les autres, soit dans le sommeil naturel, soit dans l'état de veille.
2° « Qu'il y a, premièrement, une grande excitation de tous les sens principaux, la vue exceptée, et un grand accroissement de la force mus-
culaire ; puis, ensuite, un engourdissement de ces mêmes sens à un aussi haut degré que dans le sommeil ordinaire.
3° « Que, dans cette condition, nous avons, à un très haut degré, le pouvoir de diriger ou de contraindre l'énergie nerveuse, de l'augmenter ou de la diminuer à volonté, localement ou généralement.
4° « Que, dans cet état, nous avons, à un degré surprenant, le pouvoir d'exciter la force et la fréquence de l'action du cœur, de régler enfin la circulation, localement ou généralement.
5° « Que, aussi longtemps que cet état est maintenu, nous possédons, d'une manière remarquable, le pouvoir de contrôler et de régulariser l'énergie musculaire.
6° « Que nous acquérons également le pouvoir d'opérer de rapides et importants changements dans l'état de la circulation capillaire et dans toutes les sécrétions et excrétions du corps humain. Ce fait a été vérifié par des expériences de chimie.
7° « Que ce pouvoir peut être efficacement appliqué à la cure des maladies les plus rebelles, celles même absolument incurables par le traitement ordinaire.
8° « Que cet agent peut utilement diminuer et même complètement empêcher les souffrances attachées aux opérations chirurgicales.
9° « Que, durant l'hypnotisme, nous pouvons, par la manipulation du crâne ou du visage, exciter certaines manifestations mentales ou corporelles ».
Après avoir hypnotisé ses patients, Braid les manipulait de différentes manières en vue de produire des changements dans les systèmes musculaire et respiratoire, croyant que ceci provoquait les différents phénomènes hypnotiques et jouait un rôle important dans la cure des maladies. Il soutenait aussi que l'on pouvait quelquefois obtenir des guérisons par de semblables méthodes appliquées en l'état de veille. D'après la description de sa manière de déterminer l'hypnotisme, il est évident qu'il employait la suggestion verbale, mais, à cette époque, il le faisait inconsciemment et dans la complète ignorance de sa valeur.
Braid découvrit qu'il pouvait déterminer l'état hypnotique par le moyen des courants d'air froid. Il remarqua aussi : qu'il pouvait, en souillant dessus, rendre flexible un membre rigide ; qu'il pouvait, par les mêmes moyens, rétablir la vue d'un œil tout en laissant l'autre insensible; exciter une moitié du corps à l'action, tout en laissant l'autre dans la rigidité et dans la torpeur; faire enfin passer le patient d'un état général de rigidité musculaire et d'inaction sensitive à la condition toute opposée d'extrême mobilité et d'excessive sensibilité. Il reconnaissait qu'il était incapable d'expliquer ces extraordinaires phénomènes, mais il disait qu'il n'éprouvait aucune difficulté à les reproduire, qu'ils étaient indépendants d'aucun « rapport » entre l'opérateur et le patient et qu'ils se présentaient invariablement, quelle que soit l'origine du courant d'air, soit que celui-ci vint des lèvres, ou d'un soufle du mouvement de la main ou de tout autre objet inanimé.
L'explication subjective de l'origine des phénomènes mesmériques n'était pas nouvelle : elle avait été donnée déjà par l'abbé Faria et Bertrand, mais les idées de ces derniers, quoique non complètement oubliées, n'ont pas exercé d'influence pratique sur la théorie mesmé-rienne, et Braid les ignorait évidemment lorsqu'il commença ses recherches. Les conclusions qu'il lira de ses expériences furent donc indépendantes, et successivement substituées à celles qui étaient universellement soutenues dans son temps. Braid montra plus tard que la similitude de ses théories et celles de Faria était plus apparente que réelle, puisque ce dernier attribuait chaque chose aux effets de l'imagination, tandis que lui-même concluait différemment.
Mais, il reconnaissait soutenir avec lui qu'aucun contact ni fluide magnétique n'était nécessaire.
A cette époque, Braid ne croyait pas que le phénomène d'hypnotisme était le résultat de l'attention, car, en parlant d'un article paru, sur le magnétisme animal, dans la Gazette médicale de 1833, il dit : « L'opinion de l'écrivain est que les phénomènes sont le résultat de l'attention forte et directe des différentes parties du corps, tandis que, par ma méthode, l'attention est rivée à quelque chose de tout à fait indépendant du corps. »
En opposition à la théorie qui rapprochait l'état d'hypnotisme de l'état de rêve, Braid disait : « Le réve provient d'un repos inaccoutumé de l'esprit et de son inhabileté à se porter lui-même fortement sur aucun point. C'est un défaut de l'attention qui, au lieu de se fixer sur un objet, erre faiblement et inefficacement sur mille. Or, ceci est tout le contraire de ce qui est produit par mon action, puisque je considère comme la première, et la plus indispensable condition, de fixer l'attention sur une idée et {es yeux sur un point. »
Quelques expériences que fit Braid conformément aux méthodes déterminant l'hypnose paraissent lui avoir suggéré les premières altérations de sa théorie et semblent avoir ébranlé sa foi dans l'explication purement physique des phénomènes hypnotiques, Braid s'étant aperçu que la fixation continue du regard sur un objet quelconque devenait à la longue douloureuse pour le patient, crutdevoir cesser de la prolonger jusqu'au moment où les yeux se ferment d'eux-mêmes, et il expérimenta ainsi qu'on pouvait déterminer le sommeil aussi facilement, et sans produire de sensations désagréables, en fermant les paupières du patient avant d'en arriver à cette période extrême. Ceci favorisa ses expériences et l'amena à trouver que la seule condition nécessaire pour déterminer l'hypnotisme était de tenir les yeux fixes et l'esprit et le corps en repos, il importait peu que le sujet fût dans l'obscurité et les yeux bandés ou en pleine lumière et les yeux à découvert. Ayant toujours échoué cependant dans les expériences qu'il tenta sur de jeunes enfants, sur des personnes de faible intelligence ou sur des individus inquiets ou excitables, sur tous ceux enfin que leur âge, leur caractère rend incapables d'attention, il conclut que l'impression se
transmettait à travers l'esprit et non à travers le nerf optique.
« Il est, dit-il important, de remarquer que, plus souvent les patients sont hypnotisés, plus susceptibles ils deviennent et peuvent, dès lors, être entièrement impressionnés par l'effet de leur propre imagination.
« Ainsi, le plus expert hypnotiste du monde fora de vains efforts si le patient n'acquiert pas mentalement et corporellement la conviction qu'il y a réellement quelque chose qui agit sur lui; tandis qu'il obtiendra les résultats les plus favorables, si le sujet a l'imagination complètement prise par l'attente de l'action do quoi que ce soit. »
Brait! était porté à croire à la phrénologie, et il pensait que les passions, les émotions pouvaient être excitées durant l'hypnotisme par simple contact ou simple friction sur certains points sympathiques de la tête et du visage. Il citait douze cas dans lesquels il avait observé ces phénomènes sur des sujets qu'il croyait absolument ignorants de la phrénologie et qui, par conséquent, n'avaient dû être influencés par aucune éducation préalable. Cependant il ne se montra pas satisfait de ces résultats, pensant que la remarquable docilité des sujets hypnotiques, toujours désireux de satisfaire à chaque suggestion de l'opérateur, pouvait facilement entraîner dans l'erreur; aussi, manifesta-t-il son intention de recommencer une série d'expériences sur de nouveaux patients, de manière à constater à quel degré l'on pouvait, par des associations arbitraires, exciter, sur le même point, des tendances opposées. " H y aurait ainsi, dit-il, une preuve positive et une preuve négative pour nous aider à déterminer soit qu'il existe quelque naturelle et nécessaire relation entre.les points manipulés et les manifestations excitées ; soit que celadépende entièrement d'associations tirant leur origine de quelque connaissance partielle de la phrénologie ou de circonstances accidentelles ou de causes ayant été enlièrement négligées ou oubliées ; et qui, ensuite, produisent le résultat de cette suprême loi de l'esprit, qui ordonne que le souvenir d'une sensation déterminée soit suivie par une répétition des mouvements auxquels celte sensation était auparavant associée. Je suis disposé a poursuivre mes recherches dans cette voie, de manière à faire disparaître toute source possible d'erreurs, mon but n'étant, ni de prouver, ni de désapprouver la vérité de la phrénologie.
« Quiconque a vu beaucoup de ces expériences ne peut douter que, durant le sommeil nerveux, il existe un remarquable pouvoir d'exciter les sujets à manifester les passions. les émotions et certaines fonctions mentales à un degré que ne peuvent atteindre les mêmes individus dans l'état de veille. Et, quelle que soit la véritable origine de ces phénomènes, l'importance de l'hypnotisme, comme moyen curatif, demeure inattaquable, et cet extraordinaire pouvoir de contrôler et de diriger les fonctions mentales reste inaltérable..»
Les différents phénomènes suivants ont été tirés cnpartiede « Neurologie» et, en partie, d'autres sources.
Braid reconnaissait deux conditions hypnotiques distinctes lesquelles correspondaient pratiquement avec les «vives » et a extrêmes » périodes d'Edmond Guernay et, de plus, des étals intermédiaires entre les deux, l'une passant fréquemment imperceptiblement à l'autre. La période extrême était caractérisée par une condition de torpeur plus profonde que celle du sommeil naturel ; la période vive, par une excitation des sens spéciaux, un accroissement de la force musculaire et une exaltation de certaines facultés mentales. Braid démontra que plusieurs patients, mis dans l'impossibilité absolue de voir, étaient capables de découvrir, par le sens de l'odorat, et au milieu d'une nombreuse société, soit quelque personne connue d'eux, soit le propriétaire d'un gant qui leur était remis ; il lit remarquer que cette apparente faculté de clairvoyance disparaissait dès que les narines étaient bouchées. Il prouva également que, durant l'hypnotisme, le sens du toucher et le sens musculaire étaient quelquefois si remarquablement excités, que quelques sujets étaient capables d'écrire avec une grande exactitude et que, absolument empêchés de voir, ils barraient les t, mettaient les points sur les i, suivaient l'alignement, effaçaient une lettre mal employée pour la remettre à la place exacte, et que l'un d'eux pouvait même corriger l'écriture de toute une feuille de papier timbré, sans laisser subsister une seule erreur. Mais il faisait observer aussi que les corrections cessaient d'être exactes, dès que les positions relatives de la table et du papier étaient changées.
L'intéressant rapport des expériences suivantes fut publié par un observateur indépendant, dans le Médical Times, de septembre 1847 :
« Mardi dernier. Mlle Jenny Lind, accompagnée de Mr. and Mrs. Schwabe et de quelques-uns de leurs amis, assistaient, chez M. Braid, à une séance d'hypnotisme qui avait pour but d'expérimenter quelques-uns des phénomènes déjà produits. Il y avait là deux jeunes filles, employées dans un magasin et qui étaient encore vêtues de leur costume de travail. M. Braid les endormit, puis, il s'assit au piano et, au moment même où il commençait à jouer, les deux somnambules se levèrent, s'approchèrent de l'instrument et l'accompagnèrent de leur voix en formant un trio parfaitement juste. Ayant éveillé une des jeunes filles, M. Braid dit que, quoiqu'elle fût ignorante de la grammaire de sa propre langue dans l'état de veille, elle prouverait elle-même que durant le sommeil, elle était capable d'accompagner n'importe qu'elle personne de la société qui chanterait, dans quelque langue que ce soit, et il pria de bien vouloir la mettre à l'épreuve. M. Schwabe s'assit devant l'instrument et accompagna une mélodie allemande, que la jeune fille chanta correctement avec lui. Un autre Monsieur l'éprouva alors avec un air suédois qu'elle imita parfaitement. Ensuite, la reine du chant, la célèbre Jenny Lind, s'assit à son tour au piano et chanta une romance suédoise dans laquelle la jeune somnambule l'accompagna de la manière la plus parfaite, cela dans les mots comme dans la musique. Jenny, alors, résolut d'éprouver à l'extrême les pouvoirs de la som-
nambulc et elle commença une succession d'accords, de roulades, de cadences les plus difficiles et dans lesquelles elle excellait ; elle déploya toute son extraordinaire sonorité de notes, toutes ses remarquables nuances de pianissimo et de crescendo, en un mot, toute la puissance de son génie, mais, si difficile qu'elle voulut rendre l'épreuve, elle n'en fui pas moins si complètement accompagnée par la somnambule qu'on aurait pu croire qu'il n'y avait pas deux voix distinctes. M. Braid ayant prié la charmante cantatrice de bien vouloir expérimenter dans un autre langage, celle-ci commença « Casta Diva » et le « A la Bell a mi Ritornella », dans lesquels la fidélité de l'exécution somnambulique fut justifiée au delà de tout ce que M. Braid avait avancé. Elle fut aussi éprouvée par Mlle Lind dans la simple imitation du langage, et les résultats obtenus furent surprenants ; enfin, M. Schwabe essaya les plus difficiles combinaisons de sons et, bien qu'il affirmât quo personne ne pouvait les imiter sans beaucoup de pratique, la somnambule le fit de suite de la manière la plus exacte, parlant tour à tour, ou très lentement ou très vite. Lorsque la jeune fille fut réveillée, elle n'avait plus aucun souvenir de ce qui venait de se passer, et elle ne se doutait nullement qu'elle venait de fournir à toute l'assistance une si grande preuve des merveilleux pouvoirs qui peuvent être acquis par quelques patients, durant l'état de somnambulisme artificiel ; elle dit qu'elle se sentait simplement essouflée comme si elle venait de courir. »
Jamais découragé dans sa persévérance, Braid continua ses expériences en hypnotisant des idiots, et il trouva qu'un patient qui avait été aisément hypnotisé lorsqu'il était en bonne santé, devenait absolument réfractaire à cette action, durant le délire de la fièvre. Il remarqua qu'avec la majorité des sujets, il n'y avait aucune perte de conscience, ceux-ci devenaient simplement léthargiques et conservaieni le souvenir complet de tout ce qui était arrivé. Avec d'autres, il expérimenta que les phénomènes hypnotiques pouvaient être produits sans faire naître une condition ressemblant si peu que ce soit au sommeil, état populairement nommé « électro-biogical », nom que Braid qualifiait de ridicule. Il remarqua enfin successivement que : dans quelques cas, les patients hypnotisés ne se souvenaient de rien, soit qu'ils aient subi une opération chirurgicale, soit qu'on leur eût enseigné le grec, le latin, le français et l'italien durant l'hypnotisme ; mais que, si les mêmes individus étaient réhypnotisés, la mémoire perdue revenait spontanément, dans le plus grand nombre de cas, et que, s'il n'en était pas ainsi dans quelques autres, l'opérateur pouvait facilement la raviver en plaçant sa main sur une partie quelconque du corps du patient, donnant ainsi une aide physique à la concentration de l'attention. Braid mentionna encore que les suggestions faites à ses patients durant l'hypnotisme, étaient exécutées par eux dans l'état de veille, démentant, par cela, le fait que celles-ci avaient été entièrement oubliées.
(A suivre).
FOLKLORE
Chansons arabes chantées par les femmes indigènes de Guelma pour endormir les enfants.
Mon fils dort dans le berceau Et je le berce.
Quand il sera grand il lira sur la planche Et le professeur l'instruira.
Mon chéri est parmi les garçonnets Le plus agile d'entr'eux, Lorsque vient le coucher du soleil II part les laissant seuls.
O postillon conduis bien,
Prends garde de faire tomber mon fils.
Je te prie de veiller sur lui,
Et te paierai de mes deniers,
Son père est satisfait
Quand il commence à lire.
Et son frère le frappe
D'un coup amical sans lui faire mat.
Mon fils nage sur la mer Comme un capitaine marin. S'il voyage sur terre, II monte sur la chamelle coureuse.
Mon fils est cavalier du goum Monté sur une jument. Si le sommeil arrive II se repose un peu.
Mon fils est parti chasser. II me rapporta un porc-épic. Lorsqu'il voulut recommencer, Il rencontra les voleurs.
Mon fils est toujours propre, II se lave au bain maure Lorsque vient l'époque de l'été Il mange de la chair de colombe.
Les amis de mon fils sont raisonnables Et il est le plus sérieux d'entr'eux. Si la bataille se déclare Il est le premier d'entr'eux.
Dès le matin de bonne heure Il se lève et travaille. Lorsqu'arrive la lin de la matinée La gazelle revient dans son parc.
O gens, comment vais-je faire !
Mon fils m'a quitté.
Mon esprit s'égare
Du peu de temps que je l'ai vu.
Mon fils est cadhi
Il tranche les différends.
Il juge par une décision sûre
Entre les partisans des délits.
Achille Robert.
ENQUÊTES ET QUESTIONNAIRES
Questionnaire relatif aux paramnésies ou fausses reconnaissances (').
(Adresser les réponses à M. Eugène Bernard Leroy, So, rue Miromesnil, — Paris.)
N. B. — Dans le travail définitif, il pourra être fait mention sous cette forme «Observation fournie par M. » du nom des personnes qui auront envoya des réponses (aussi bien si ces réponses constituent des auto-observations, que si elles ont été seulement recueillies par elles), — mais seulement si elles en font expressément la demande. _
Nom et adresse (ces deux indications ne seront pas publiées.)
Age:
Sexe :
Profession :
1. — Vous est-il arrivé d'éprouver le sentiment constituant le phénomène dit « fausse reconnaissance », auquel Dickens fait allusion dans le passage suivant : « Nous connaissons tous par expérience ce sentiment qui nous envahit parfois, — que ce que nous sommes entrain de dire et de faire, a déjà été dit et fait antérieurement, il y a longtemps ; — que nous avons déjà été entouré par les mêmes figures, et les mêmes objets, dans les mêmes circonstances (2).
2. — Etait-ce chez vous une impression immédiate de reconnaissance, portant sur le total des perceptions et états affectifs de l'instant considéré, (quelque court qu'il fût d'ailleurs, et quelque rapide que fût la disparition de l'illusion), ou était-ce un simple jugement de ressemblance partielle, plus ou moins étendue, et plus ou moins parfaite ?
(1) Ce Questionnaire est publié sous les auspices de l'Insiitut psycho-physiologique de Paris (49, rue Saint-André-des-Arts).
(2) David Coppenfield. — Ed. Tacchnitz, t. II. Chap. xix, p. 354 (Leipzig1, 1850).
La distinction précédente est extrêmement importante, et, si vous avez éprouve l'une ou l'autre forme, vous êtes priés de :
a Faire à chacun des numéros du questionnaire deux réponses, l'une relative à la première forme, et l'autre à la seconde ;
b Exposer dans un paragraphe spécial les relations que vous avez cru observer entre ces deux formes.
3. — A quel âge pensez-vous avoir éprouvé cette impression pour la première fois ?
4. — Pour la dernière fois ?
5. — Y eut-il dans votre vie des époques pendant lesquelles vous y fûtes plus particulièrement sujet ?
6. — D'une manière générale, votre mémoire est-elle : Bonne ?
Médiocre ? Mauvaise ?
7. — Présente-t-elle quelques particularités ?
8. — Aux époques où vous fûtes le plus sujet au phénomène de fausse reconnaissance, votre mémoire était-elle meilleure, ou plus mauvaise qu'elle n'était avant, et qu'elle ne fut après ?
9. — Avez-vous remarqué que le phénomène se produisit de préférence quand vous vous trouviez dans des lieux, où des circonstances, nouveaux pour vous ; — quand vous exécutiez des actes peu habituels ?
10. — Ou inversement?
11. — Avez-vous remarqué que le phénomène se produisit de préférence quand vous vous trouviez dans quelque grande assemblée, quand vous assistiez à quelque pompe, cérémonie, représentation théâtrale, bal, etc.
12. — Ou au contraire dans la solitude?
13. — Avez-vous remarqué que le phénomène se produisit de prélé-férence quand vous étiez dans un état de
14. — De préférence quand vous étiez dans un état de tension morale ou émotionnelle occasionnée par la gravité des circonstances où vous vous trouviez [ou par toute autre cause) ?
15. — Dans un état de tension intellectuelle proprement dite,
(Par exemple : recherche de la solution d'une question difficile, participation à une discussion ardue, lecture d'un ouvrage obscur, ou écrit dans une langue qui ne vous est pas familière, etc, etc.)
16. — Ou au contraire, les circonstances extérieures, et votre état d'âme, étaient-ils parfaitement insignifiants ?
17. — L'avez-vous éprouvé parfois en rêve ?
Si oui, décrire le réve, avec les circonstances dans lesquelles il est survenu, etc.
18. — Etant sous l'influence d'une substance toxique ou médicamenteuse quelconque ? par exemple :
Alcool ?
Opium ou morphine ? Ether ?
Chloroforme? etc., etc.,
(Indiquer la dose du médicament, le temps écoulé entre son ingestion et l'apparition du phénomène, l'état mental général dans lequel on se trouvait et les diverses circonstances accessoires.)
19. — Pendant le cours où la convalescence d'une maladie ?
(Indiquer la nature de la maladie, la période de son évolution, les traitements suivis, l'état mental général où l'on se trouvait, et les diverses circonstances accessoires.)
20. — Durée moyenne du phénomène.
21. — Durée maxima.
(Indiquer autant que possible, quels points de repère vous ont permis de vérifier cette durée, au moins dans un cerlain nombre de cas donnés.)
22. — Vous esl-il arrivé de vous tromper grossièrement sur la durée du phénomène, c'est-à-dire de l'avoir estimé d'abord beaucoup plus long ou plus court qu'il n'avait été réellement. ?
23. — Les fails de fausse-mémoire se sont-ils présentés chez vous par séries.— Si oui, quel était alors à peu près l'intervalle séparant chaque fait du suivant, et qu'elle était la durée totale de la série ?
24. — Quels sont chez vous les états émotionnels qui accompagnent le phénomène :
Vertige ?
Angoisse ?
Oppression ?
Terreur ?
Inquiétude ?
Sentiment d'ennui ?
Sentiment de bien-être ? etc., etc.
25. — Avez-vous jamais éprouvé des états émotionnels sensibles, survenant inopinément et sans cause, sans être liés à des fausses reconnaissances ?
26. — Vers quelle époque, par rapport à l'apparition des phénomènes de fausse mémoire ?
27. — Pouvez-vous provoquer l'apparition des fausses reconnaissances, ou en prolonger la durée :
a. Directement pas un effort volontaire ?
b. Indirectement, en vous plaçant dans certaines circonstances; ou en dirigeant d'une certaine façon le cours de vos pensées ?
28. — Croyez-vous pouvoir les faire cesser ;
a. Par un effort tendant à fixer la date du souvenir ?
b. Par un effort d'attention volontaire portant sur les états affectifs ou les perceptions en eux-mêmes ?
c. En modifiant les circonstances extérieures, ou le cours de vos pensées ?
29. — Vos fausses reconnaissances s'accompagnent-elles parfois de ce sentiment, que vous prévoyez ce qui va arriver à l'instant prochain ?
Ce sentiment de prévision porte-t-il plus spécialement sur:
a. Vos propres actes.
b. Les circonstances extérieures (Par exemple: « Sentiment... que nous savons parfaitement ce qui va être dit à l'instant, comme si nous nous le rappelions soudain (1). »
30. — Ce sentiment de prévision vous a-t-il quelquefois paru justifié, c'est-à-dire; y aurait-il eu quelquefois prévision réelle ?
Si, oui — citez des faits, avec le plus de détails possible.
31. — Vous a-t-il jamais semblé à tort ou à raison que la fausse reconnaissance de vos actes (en particulier quand cette fausse reconnaissance s'accompagnait d'un sentiment de prévision) vous rendit plus facile l'accomplissement de ces actes ?
32. — La fausse reconnaissance s'est-elle jamais accompagnée chez vous de cette impression que vous assistiez comme simple témoin au déroulement inévitable et involontaire de vos propres actes, mouvements, pensées cl sentiments, et comme vous auriez assisté à ceux dune personne étrangère ?
33. — Que vous étiez comme isolé, sans relation avec le reste de l'univers ?
34. — Que tous les objets avaient perdu leur aspect naturel, que tout était étrange et étonnant ?
32 bis. — 33 bis. — 34 bis. — Ces impressions de a dédoublement » — « d'isolement » — « d'etrangeté du monde extérieur » ont-elles été quelquefois ressenties par vous, sans être liées à des fausses reconnaissances ?
35. — Etes vous sujet à des : Distractions ? Obsessions ?
Phobies ?
Frayeurs survenant brusquement et sans motifs raisonnables, mais non systématisées ? Absences ?
(1) « Feeling of an Knowing porfeely what will be said nexi, as if we suddenly remembered it- » (Dickens ; op. cit., p. 354.)
Tics convulsifs ? — ou autres lares nerveuses de quelque nature que ce soit ?
36. — Décrivez intégralement les cas les plus nels de fausse reconnaissance, dont vous ayez gardé le souvenir. —
COURS & CONFÉRENCES
Cours de psychologie et d'hypnologie a l'école pratique
de la faculté de PaRIS
L'hypnotisme et la psychologie expérimentale
Par m. le Dr Bérillon
Depuis 1889, M. le Dr Bérillon professe, à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine, un cours libre sur la psychologie physiologique et pathologique et sur l'hypnotisme. Une année, le professeur étudie l'hypnotisme envisagé dans ses applications cliniques et thérapeutiques ; l'année suivante, le cours est consacré aux études de psychologie expérimentale. Le cours est donc complet en deux séries de leçons.
M. le D' Bérillon a commencé, le mardi 9 mars, la huitième année de son cours. Il avait pris pour sujet : L'hypnotisme et ta psychologie expérimentale. Comme les années précédentes, son enseignement avait alliré un nombre considérable d'auditeurs. Leur nombre s'élevait à plus de 120. C'est dire que l'amphithéâtre Cruveilhier était bondé.
Avant d'aborder l'étude particulière des recherches expérimentales, que facilite la production des étals d'hypnotisme. M. Bérillon s'est appliqué à fixer, dans l'esprit de ses auditeurs, la méthode générale qui doit présider à ces délicates recherches. Voici le résumé de ses indications :
Parmi les principaux obstacles qui ont empêché l'hypnotisme d'être employé comme moyen d'investigation psychologique, il faut citer, en première ligne, l'éducation donnée aux psychologues de l'Université, qui sont habitués à se payer de phrases et à dissimuler derrière des mots l'insuffisance des idées et l'absence d'observations claires. Pour comprendre le langage des fonctionnaires préposés à l'enseignement de la psychologie dans les Facultés des lettres, il faut, non seulement des aptitudes spéciales, mais un exercice prolongé. La langue des psychologues modernes est incompréhensible pour quiconque n'en a pas fait l'objet de longues études. Le temps dépensé à traduire en langage compréhensible cette terminologie prétentieuse et pédantes que, serait évidemment mieux employé à des recherches pratiques. Ce qui a aussi contribué à retarder l'utilisation des phénomènes de l'hypnotisme en psychologie, c'est l'aversion instinctive dont sont animés les philosophes de raisonne-
ment, à Tégard de la méthode expérimentale. C'est ainsi que M. Franck, l'auteur de la plus importante encyclopédie psychologique, n'a jamais fait, dans aucune partie de son œuvre, la moindre part aux recherches expérimentales. II a poussé si loin le dédain de l'expérimentation, qu'il a volontairement omis de mentionner le nom de ceux qui, comme Stuart Mill, Bain, Herbert Spencer, Lotze, Wundt, Taine, etc., reconnaissaient la valeur des recherches expérimentales. A plus forte raison n'a-t-il pas parlé de leurs travaux.
Un troisième obstacle à l'emploi psychologique de l'hypnotisme doit être attribué, il faut le reconnaître, à l'excès de hardiesse de certains expérimentateurs, dont les conceptions Imaginatives n'ont pas connu de limites. A cet égard, M. Bérillon rappelait l'anecdote suivante:
Un malin, comme Paul Bert, alors préparateur de Claude Bernard, entrait au laboratoire du Collège de France, celui-ci, le voyant ôter son pardessus, lui dit, tout en souriant : « Laissez votre imagination avec votre paletot au vestiaire, mais reprenez-là en sortant. »
Tout expérimentateur, mais surtout tout psychologue qui voudra recourir à l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique* doit s'appliquer ce conseil et y adapter son esprit.
En effet, dans des études aussi ardues, aussi délicates, aussi complexes, si l'expérimentateur veut rester en possession de tous ses moyens d'action, s'il ne veut pas s'exposer à passer, sans les voir, à côté de faits évidents et méconnaître des vérités éclatantes, il doit appliquer à ses recherches, dans toute leur rigueur, les règles de la méthode expérimentale. Il doit se cantonner scrupuleusement dans les limites de faits d'observation et d'expérience, sans aller plus loin que leurs conséquences les plus prochaines.
En même temps que l'expérimentateur laisse son imagination au vestiaire, il repousse avec la même sévérité tous les systèmes de philosophie) n'acceptant pas plus l'épithète de matérialiste que celle de spiritualiste. Il se bornera à être déterministe et il ne tardera pas à être convaincu de cette vérité, que la plupart de nos idées isolées, ou même associées, et par conséquent de nos jugements, tirent fatalement leur origine d'impressions, ou mieux, d'excitations, venues soit de la surface du corps, c'est-à-dire des sens, soit do la profondeur de nos organes. En un mot, il devra toujours s'inspirer de la doctrine désignée si heureusement par Claude Bernard sous le nom de Déterminisme. Cette doctrine enseigne que sî les conditions de la manifestation des phénomènes vitaux sont infiniment multiples, complexes, difficiles à saisir, à rassembler, à dominer expérimentalement, elles n'en sont pas moins sûrement liées à ces phénomènes. Il faut donc toujours chercher l'explication des phénomènes dans des rapports matériels, nettement déterminés, sans qu'aucun élément étranger, extra-naturel, sans que nul quid divinum puisse être invoqué pour l'explication des apparentes irrégularités que présente spontanément ces phénomènes.
C'est ainsi que l'expérimentateur évitera l'aventure pitoyable, mais
souvent renouvelée, de l'astrologue qui se laissa tomber dans un puits et auquel le fabuliste pouvait justement adresser ce reproche :
« ... Pauvre bête, « Tandis qu'à peine â les pieds tu peux voir, « Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? »
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de ta Société auront lieu les lundis 26 Avril et 17 Mai 1897, à 4 heures et demie.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
Avis très important. — La séance d'avril tombant le lundi de Pâques, sera remise au lundi 26 avril.
Comment on devient cocaïnomane.
Il n'est pas douteux que la cocainomanie ne soit aussi répandue que la morphinomanie. C'est surtout chez les femmes de. lettres qu'elle exerce ses ravages. On cherche d'abord l'excitation cérébrale et rapidement on devient l'esclave de l'excitant dont on ne peut plus se passer.
D'autres arrivent en quelque sorte inconsciemment à l'abus par l'usage des vins dits fortifiants, de coca, de kola, etc., subrepticement additionnés de sels de cocaïne.
C'est ce qui vient de se produire à Manchester, dans le Kentucky, où une véritable épidémie de cocainisme a sévi récemment sur des milliers de personnes.
L'auteur de cette épidémie s'est trouvé être un pharmacien de la localité qui avait lancé un remède populaire contre la toux et le rhume. Une enquête a démontré que le dit remède n'était autre qu'une mixture de menthol et la cocaïne.
La vente de ce remède prit de telles proportions que le pharmacien fit fortune, mais qu'un grand nombre de ses clients durent être internés dans des asiles d'aliénés.
Les symptômes de l'intoxication cocainique sont des hallucinations de la vue et de l'ouïe, une hypereslbésie neuro-musculaire générale et de
l'anesthésie localisée. Puis survient l'insomnie et à la longue une impuissance extraordinaire à prendre la moindre décision, même pour les actes les plus anodins.
— La bêtise humaine I — Le Dr Tokarski, de Moscou, s'est livré sur ce sujet, dont l'étendue est par définition infinie, à des considérations que résume ainsi la Revue neurologique:
La bêtise n'est pas une maladie, c'est un état de l'homme sain, caractérisé par une perception incomplète des impressions, qui conduit à des actions non conformes ou contraires aux circonstances du moment.
Les perceptions de l'homme intelligent ne sont pas toujours adéquates à la réalité. La répétition des mêmes perceptions fait observer des détails qui échappent à la première observation. On ne peut en une fois saisir des phénomènes complexes. La bêtise ne diffère de l'intelligence que quantitativement et non qualitativement.
L'homme bête ne doute jamais. Ce qu'il voit il le prend pour réel, et, comme il voit et perçoit peu, il croit percevoir tout et se croit en possession de la vérité. La confiance exagérée en soi est un signe indéniable de la bélise.
L'absence du doute est la condition nécessaire de l'amour-propre, de l'imprudence et de l'intrépidité qui n'est que l'ignorance du danger (?).
Tout ce qui diminue la perception et la mémoire peut occasionner la bêtise temporaire.
L'homme bète est entièrement soumis aux illusions. Celte forme de bêtise est la plus dangereuse; elle crée les fausses doctrines et en fait la fortune.
L'ignorance amène aux mêmes résultats que la bêtise et constitue la qualité parfaite de la bêtise artificielle. Mais l'ignorance est perfectible, tandis que la bêtise ne l'est pas. La bêtise est le plus grand malheur personnel et un grand mal social.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme çtde la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc... Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.11 est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Harlenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
— Le musée psychologique vient de s'enrichir d'une pièce très curieuse qui figurait à l'Exposition de Genève, c'est le grand cerveau de Buchi (de Berne) dans lequel se trouvent figurés les entrecroisements de fibres nerveuses. Celte pièce mesure encore 1 m. 50 de hauteur sur 75 cent, de largeur.
— Congrès de Médecine de Moscou. — Sur la demande du Comité exécutif du Congrès de Moscou, la Société de Nijni-Novgorod a élu un Comité local spécialement chargé de la réception des membres étrangers.
D'autre part, d'après les Rousskia Wtedomosti, un Comité « des logements n fonctionne à Moscou, présidé par le professeur Schar-vinsky ; un Comité « pour la réception des invités » présidé par le professeur Korsakolï ; un Comité de dames présidé par Mme Sklifos-sowsky ; tous ces Comités ont pour but de recevoir et de loger les invités aussi commodément et à un prix aussi peu élevé que possible et de leur faire les honneurs de la ville. Un grand nombre d'autres
Comités analogues existent dans les villes qui seront probablement visitées par les membres du Congrès. — Les Compagnies de chemins de fer et de bateaux à vapeur aussi bien étrangers que russes ont déjà fait savoir qu'une remise de 30, 40, 50 pour 100 (suivant les localités) sera faite aux membres.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
R. de Seigneux. — De la présentation de la tête et du mécanisme de son engagement. Dissertation présentée à la Faculté de Médecine de Genève, pour obtenir le titre de Privat-Docent, par R. de Seignieux, Genève 1896.
Dc Ch. P. Noble. — Movable Kidney, by Ch. P. Noble, médecin-docteur, chirurgien en chef du Kensington hospital for Women, Philadelphie.
Prei. (Dr Carl du). — Die machi der phantasie. Broch. in-8 de 13 pages. Munich 1895.
Croco fils (Dr J.) — L'Hypnotisme scientifique. 1 vol. in-4. de 450 pages. Paris 1896.
Max Xordau- — Paradoxes psychologiques. 1 vol. in-8,178 pages. — Félix Alean, 108, boulevard Saint-Germain. Paris 1896.
D' Laltps. — Le fonctionnement cérébral pendant le rêve el pendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris 1895.
Astëre Denis. D' Vande Lanoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri-son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapaurue. Ver-viers 1895.
Astère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Ni-colet. Verviers 1895.
Fouillée (Alfred). — Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races. 1 vol. in-4° de 378 pages. Alean. Paris 1895.
Crocq fils (D'J.) — Recherches expérimentales sur les altérations du système nerveux dans les paralysies diphtériques. 1 vol. in-4° de 79 pages. Paris 1896..
Croco fils (Dr J.) — Les névroses traumatiques. I vol. in-4° de 178 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois, Paris 1896.
Déjerine (D'J. — Cahier de feuilles d'autopsies pour Vétude des lésions du nèvraxe. 1 vol. in-folio de 25 feuilles. Rouff et Cie, 106, boulevard Saint-Germain, Paris 1895.
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REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11e ANNÉE. — N° 10.
Avril 1897.
DEUX CAS DE FAUSSE GROSSESSE
par crainte de la maternité
Avec rappel immédiat de la menstruation par suggestion à l'état de veille
Par M. le Dr E, Marandos de Monthyel, Médecin en chef des asiles publics d'aliénés de la Seine.
L'action du cerveau, l'influence du moral, comme auraient dit nos pères, sur les organes de la génération est profonde, . chacun le sait, tant chez la femme que chez l'homme. Le sujet le plus vigoureux et le mieux organisé pour les luttes amoureuses perd toutes ses forces viriles par la simple crainte de n'être pas brillant. Si, chez l'homme, l'émotion suffît à rendre impossible tout rapprochement sexuel normal, chez la femme, elle annihile le plaisir. Ce qui est vrai de l'acte, l'est aussi de ses conséquences. Les cas de fausse grossesse ne se comptent plus, mais, à ma connaissance, connaissance très incomplète, je m'empresse de le reconnaître, puisque je ne m'occupe que peu de ces questions, ils seraient dus au vif désir de devenir mère. En a-t-on jamais constaté dans les conditions inverses ? A-ton vu des femmes avoir une fausse grossesse déterminée au contraire par la crainle d'une maternité déshonorante ! Je ne sais, mais dans tous les cas il ne peut y avoir qu'intérêt à rapporter deux faits étranges de ce genre que le hasard vient de me permettre d'observer à quelques mois d'intervalles sur une jeune femme et sur une jeune fille qui, ne s'étant jamais même vues, n'ont pas eu occasion de s'influencer l'une l'autre. La rapidité avec laquelle la menstruation a reparu dans ces deux cas par simple suggestion à l'état de veille les rend encore plus intéressants. Voici ces deux observations.
Observation I
Madame Eugénie X... est une fort jolie femme de 36 ans, restée si fraîche et si jeune qu'on lui en donnerait 25 ; elle n'a jamais eu d'enfant, bien qu'elle soit mariée depuis l'âge de 18 ans et qu'elle eût toujours beaucoup désiré en avoir. Née à Paris, elle a été orpheline toute jeune et ne sait rien ni de son père ni de sa mère ; elle n'a de renseignements que sur la tante maternelle qui l'a recueillie et élevée ; vieille fille très bonne, dit-elle, mais à moitié folle, très excentrique et à manies fort bizarres ; d'après ce qu'elle raconte, elle avait le délire du toucher. Selon toutes probabilités, il y a donc de l'hérédité névropathique dans la famille de la mère. Son développement a été normal, plutôt même précoce ; elle a parlé et marché de très bonne heure et était jeune fille à douze ans et demi. La menstruation a toujours été fort douloureuse et l'est encore ; durant les règles elle est souvent obligée de garder le lit tant les douleurs sont vives, cependant il n'y a pas d'affection utérine. Pas de maladie grave, seulement une rougeole ordinaire à six ans et une gastralgie, aggravée tant que celle-ci a été prise pour une gastrite et traitée comme telle, à peu près supprimée depuis que la nature névropathique du mal a été reconnue et la médication modifiée. Au point de vue de la conformation du corps, quelques détails intéressants. La taille est belle sans exagération, les membres bien proportionnés, le visage est joli et régulier, on ne trouve à relever que l'étroitesse du front avec implantation trop bas des cheveux et l'adhérence du lobule des deux pavillons, mais le crâne est très petit et très asymétrique, le coté droit étant beaucoup plus développé, anomalies que cache une très abondante chevelure ondulée à couleur étrange avec des reflets métalliques rappelant le bronze, plus particulièrement à la région occipitale qui est très aplatie. Mais ces anomalies sont manifestes au toucher.
Au point de vue intellectuel, Madame Eugénie X... n'a jamais été fort intelligente. Aujourd'hui sa conversation est vive, animée, enjouée, parfois même spirituelle, mais toute superficielle; dès qu'on entame avec elle un sujet un peu sérieux, on trouve le néant. Elle a toujours été inconséquente dans sa conduite. Profondément honnête jusqu'à la faute conjugale qui détermina la fausse grossesse, elle avait les allures libres d'une femme légère, et plus d'une fois elle s'attira de
vifs reproches de son mari pour ses familiarités avec les hommes. Demandée en mariage à 17 ans, par un jeune homme du meilleur monde, qui avait une position stable de six mille francs, ce qui était une chance inespérée pour une simple ouvrière obligée de travailler du matin au soir, et même une partie de la nuit pour gagner sa vie, elle le refusa sous l'unique et futile prétexte qu'elle voulait un brun pour mari et que le prétendant était blond. Un an après, elle devenait la maitresse de celui qu'elle avait refusé d'épouser et quittait sa tante pour se mettre en ménage avec lui. Après dix-huit mois de cette liaison irrégulière, elle exigeait de son amant le mariage ou la rupture. Comme celui-ci était plus épris d'elle que jamais, il s'empressa d'en faire sa femme légitime. Ils vécurent très heureux et très attachés l'un à l'autre pendant quinze ans, jusqu'au jour où M. X... fut frappé de paralysie générale.
Mais c'est surtout dans la sphère génito-urinaire que la névropathie do Madame Eugénie X... se manifeste par d'intéressantes et curieuses anomalies. Depuis la puberté. Madame Eugénie X... ne peut pas uriner non seulement en présence des gens, mais encore seule si quelqu'un l'attend, bien plus si elle sait que sans l'attendre, quelqu'un sait qu'elle urine. Sa miction ne se produit que dans la solitude et à l'insu de tous. Cette bizarre anomalie l'a plus d'une fois mise au supplice.
Au point de vue génital, c'est bien une autre affaire. Madame Eugénie X... est restée fort longtemps sans sentir aucun attrait pour le sexe différent du sien. Quand elle abandonna sa famille pour suivre celui qui devint plus tard son mari, elle ne céda à aucun entrainenement des sens, à aucune passion violente. Elle se laissa simplement toucher par le grand amour et la constance de celui qu'elle avait refusé ; préférant comme plus faciles à rompre, en cas de désaccord, des liens conventionnels à des liens définitifs, au risque de briser sa vie par cette inconséquence que j'ai signalée comme le fond même de son caractère. Ce n'est qu'au bout de dix-huit mois de vie commune que ses sens jusqu'alors endormis s'éveillèrent ; et ce réveil s'opéra dans les conditions les plus étranges. Madame X... ne se sentit attiré vers son amant que dans des lieux où il lui était de toute impossibilité de lui témoigner son amour : dans la rue, au théâtre, au café, au restaurant, dans son salon si elle avait du monde. Dès qu'elle.
était en tête-à-tête avec lui et en déshabillé, elle redevenait subitement indifférente et froide comme autrefois. Toutefois, ses désirs persistaient et pouvaient être satisfaits quand, rentrant du théâtre ou de la promenade, elle conservait intacte sa toilette de ville.
C'est alors qu'inquiète de telles anomalies sexuelles et craignant à cause de cela un abandon de M. X.., elle lui met le marché à la main : le mariage ou la rupture. Mais, peu après leur union, le mari s'aperçut d'une nouvelle anomalie sexuelle de son épouse, soit qu'elle se fût développée seulement à ce moment, soit que jusqu'alors elle eût passé inaperçue de lui : il lui trouva par hasard dans le côté gauche du cou une plaque érotogène, excitable seulement, mais à n'importe quel moment et dans n'importe quelles conditions, par des baisers répétés, plaque dont l'excitation ainsi obtenue avait tous les effets d'un rapprochement des sexes ; elle s'était assurée qu'elle était unique.
Ils vécurent fort heureux jusqu'à la paralysie générale de M. X... survenue onze ans après son mariage, treize ans depuis que sa femme s'était donnée à lui. Les anomalies sexuelles de Madame Eugénie X... sont peut-être uniques, je ne les ai rencontrées que chez elle en vingt-trois ans de pratique et je n'ai pas souvenance qu'elles aient été signalées. Ensuite, elles établissent péremptoirement que cette jeune femme est une névropathe dégénérée, et en cela elles ont une importance capitale pour le sujet qui nous occupe. Je crois, en effet, la dégénérescence névropathique indispensable à la genèse des fausses grossesses. Je ne pense pas qu'une femme normalement constituée au point de vue utérin en arrive jamais, par une influence psychique, à avoir des signes assez marqués de gestation pour en imposer à un examen superficiel. Enfin je ferai remarquer que les anomalies dégé-nératives de Madame X... sont précisément d'ordre génital ; cela prouve sans conteste, chez elle, une impressionnabilité particulière de l'appareil de la génération expliquant les phénomènes qu'elle présente.
Madame Eugénie X... qui possédait, quand son mari devint paralytique général, une dizaine de mille francs économisés par lui durant leurs treize années de ménage, le plaça tout d'abord dans une maison de santé de Paris, espérant que là, mieux soigné, il guérirait. Au bout d'un an la situation s'était aggravée et elle avait mangé une partie de son petit avoir. Ce fut à
ce moment qu'un ami commun la mit en relations avec moi. Je ne lui cachai pas l'incurabilité absolue du mal dont était atteint son mari, mal qui durerait peut-être encore plus de deux ans. Je lui conseillai de penser davantage à son avenir à elle et, pour sauvegarder le peu qui lui restait, de placer le malade dans mon service où était appliqué en grand la méthode de liberté, ce qui lui donnait encore plus de facilité que n'importe où pour le voir tous les jours, collationner avec lui, le promener dans les environs, ramener même chez elle si bon lui semblait. Mon avis fut suivi et M. X... transféré à Ville-Evrard. Madame Eugénie X... me garda une profonde reconnaissance de ce que j'avais fait pour elle, et peu à peu elle arriva à me confier les choses les plus intimes de sa vie.
Depuis l'internement de son mari. Madame X... avait à lutter contre les poursuites d'un séducteur, riche et libre, qui lui promettait de l'épouser dès qu'elle serait devenue libre de son côté. A l'occasion de cette dernière confidence, je constatai chez cette jeune femme une idée fixe qui la dominait complètement, celle que, bien que n'ayant jamais eu d'enfants, elle serait immédiatement engrossée si elle avait le malheur de tromper une fois seulement son mari. Aussi, elle me déclarait qu'à défaut de tout autre sentiment, cette certitude suffirait à l'empêcher d'écouter les propositions de son adorateur, et qu'elle aimait encore mieux, malgré sa vive sympathie pour lui et l'avenir sombre qui l'attendait, le perdre s'il n'avait pas la patience d'attendre que d'être rendue mère par lui du vivant de son mari malade, car plutôt que de supporter un tel déshonneur d'autant plus infamant que son époux était enfermé dans un cercle de fous, elle se tuerait sans hésiter.
Une année s'écoula. M. X., arrivé à la troisième période de sa paralysie générale, était alité constamment. Je constatai tout à coup un grand changement chez sa femme queje voyais deux ou trois fois par semaine, car chaque fois qu'elle venait voir son mari, elle passait à mon cabinet pour avoir de ses nouvelles. Elle semblait triste, très préoccupée, sa santé générale s'altérait et elle mettait une insistance même déplacée à s'informer si son mari en avait encore pour longtemps à vivre. Et à mes questions sur ce changement moral et physique elle me répondait que sa gastralgie lui était revenue sans doute sous l'influence de ses préoccupations douloureuses, car ses ressources s'épuisaient et elle frémissaient à l'idée d'être obligée de reprendre pour vivre son ancien métier d'ouvrière à la
journée après avoir fait pendant dix-huit ans la dame. C'était plausible.
II y avait un peu glus de deux mois que celte transformation s'était produite chez Madame Eugénie X... quand un après-midi elle arriva dans mon cabinet encore plus bouleversée que d'habitude et me lit ses adieux en me déclarant que sa résolution était bien prise et que le soir elle se suiciderait. Je me plaçai entre la porte et elle et lui déclarai qu'elle ne passerait pas avant de m'avoir confie le motif de sa détermination. Eclatant alors en sanglots, elle me confessa qu!elle était grosse de trois mois. Elle avait commis la faute impardonnable de céder aux instances de celui qui depuis deux ans la poursuivait de ses assiduités et de ses promesses de mariage, et ce qu'elle redoutait s'était produit. Le châtiment ne s'était pas fait attendre ; elle avait été d'emblée engrossée.
Elle n'était pas sortie des bras de celui à qui elle venait de se livrer que l'idée fixe l'obsédait. C'est dans une anxiété des plus vives qu'elle attendit l'époque de la menstruation, attente longue, car elle cessait d'être précisément réglée quand elle fauta. Les règles nevinrent pas: sinapismes,bains chauds, injections diaudes et autres moyens conseillés dans ces cas par les bonnes femmes pour sortir d'embarras restèrent inefficaces. Ses craintes et sa certitude s'accrurent et elle n'eut plus aucun doute quand, le mois d'après, l'aménorrhée persista, d'autant plus qu'elle commença à avoir les divers symptômes qu'elle avait maintes et maintes fois constatés chez ses amies au début de leur grossesse : gonflement des seins avec picotements, anorexie, nausées et vomissements le matin, salivation abondante, bâillements répétés, faiblesse générale avec menaces de syncope, vertiges. Le troisième mois l'affola : non seulement la menstruation ne parut pas davantage, bien que l'époque fût écoulée depuis quatre jours déjà, non seulement tous les symptômes précédents s'accrurent, mais le ventre grossit ; Madame Eugénie X... se vit contrainte d'élargir ses vêtements.
Il est incontestable qu'une grossesse était dans l'ordre des choses possibles. Je l'examinai et je trouvai l'utérus avec un volume de beaucoup inférieur au volume normal : il y avait évidemment de ce côté une anomalie de conformation susceptible d'expliquer et la stérilité et les atroces douleurs de la menstruation depuis la puberté. De toute évidence, j'avais affaire à une fausse grossesse déterminée, à l'inverse des
autres, par la crainte de devenir mère du vivant de son mari malade.
Je me relevai en éclatant de rire et en lui déclarant que son cas était bien amusant. Et avant qu'elle ne fût revenue de sa stupéfaction, je lui expliquai que ce qui empêchait son sang de couler était exactement ce qui empêchait ses urines de couler quand elle était devant le monde, qu'on l'attendait ou qu'elle savait qu'on savait qu'elle urinait. « N'ayez plus peur d'être grosse, car je vous jure que vous ne l'êtes pas, lui dis-je, et vos règles viendront absolument comme vos urines viennent quand vous êtes dans la solitude et à l'insu de tous.» Cette comparaison éclaira son esprit ; en me servant de l'anomalie urinaire dont elle se savait atteinte pour lui expliquer le mécanisme de son absence de menstruation, j'avais employé le meilleur moyen de la convaincre. Elle devint radieuse, se rhabilla avec une joie d'enfant, et partit embrasser ce pauvre mari malade que, pour la première fois depuis dix-huit ans, affirma-t-elle, elle trompait lâchement, mais que pourtant elle aimait bien tout de même...
Une heure s'était à peine écoulée, qu'elle revenait en courant dans mon cabinet. Je crus que M. X... avait eu une attaque. Non, mais depuis un instant elle se sentait mouillée et venait s'assurer si ce n'était pas ses règles qui étaient arrivées. C'était bien les règles, en effet. Il avait donc suffi d'enlever par une simple suggestion à l'état de veille, l'obsession qui jouait le rôle d'arrêt, et le sang avait coulé comme coule l'eau quand on ouvre le robinet. Depuis, M. X... est mort, sa femme s'est remariée avec celui qui la mit à deux doigts du suicide et vit heureuse, riche et considérée. Singulière chose que les hasards de la vie ! Qui sait ce qu'il serait advenu de cette jeune et jolie femme qu'une simple suggestion à l'état de veille a rendu à la joie de vivre, si elle n'avait pas été débarrassée de son obsession et de sa fausse grossesse !...
Observation II
Quelques mois après le fait précédent, je voyais entrer tout en larmes, dans mon cabinet, une jeune fille de dix-huit ans, que javais vue grandir puisque je la connaissais depuis neuf ans, elle et toute sa famille, et qui me déclara, en sanglotant, qu'elle était désespérée, car elle était certainement grosse de deux mois. Quand j'aurai dit ce qu'était cette jeune fille, on
comprendra le profond étonnement dans lequel me plongea cet aveu.
Emma X..., aujourd'hui âgée de dix-huit ans, appartient à une famille manifestement névropathique. Le père, atteint de mélancolie-suicide consciente, s'est pendu. De son mariage sont nés quinze enfants, neuf sont morts en bas âge d'affections cérébrales variées, six ont atteint l'âge adulte, deux fils et quatre filles ; tous les six sont anormaux. Un des garçons est atteint d'une imbécillité voisine de l'idiotisme ; l'autre est fort intelligent mais dipsomane ; très sobre d'habitude, il tire, à chaque changement de saison, des bordées crapuleuses de deux à trois semaines. L'ainée des filles a hérité de la maladie du père ; mariée à un homme honnête et bon, mère de deux charmants enfants, commerçante aisée, elle fut atteinte d'un dégoût de la vie que rien ne justifiait et qu'elle ne s'expliquait pas elle-même ; elle guérit une première fois en suivant une médication que je lui indiquai. L'année d'après, à la même époque, le ma! revint ; cette fois, désespérée, elle ne me consulta pas et se pendit comme son père. Des trois filles restant, deux sont d'un dévergondage vraiment maladif ; elles ont commencé à se livrer au premier venu, l'une à quinze ans et l'autre à dix-sept ans. La dernière est celle de notre observation.
Au point de vue moral elle est tout l'opposé de ses deux sœurs ; elle est atteinte au contraire d'une pudibonderie portée à un degré maladif. J'en donnerai une idée en rapportant qu'elle trouve souverainement indécent de se laisser mettre par sa mère un cataplasme sur le ventre ! On comprend maintenant ma stupéfaction quand elle me confessa qu'elle était grosse de deux mois. Quelque temps auparavant, elle nous avait déjà tous surpris en acceptant les propositions d'un amoureux qui l'avait demandée en mariage, car nous savions, sa mère et moi, que jamais elle n'aurait la force d'entrer en chemise, les bras et les pieds nus, dans le lit d'un mari ; et voilà qu'elle n'attendait même pas d'avoir passé par la mairie et reçu le sacrement pour s'y mettre ! Elle aussi, elle avait mordu au fruit défendu. Nous étions loin de la pudeur qui faisait repousser avec indignation le cataplasme maternel ! pudeur fondu sous les ardeurs de l'amour.
Au point de vue intellectuel, Emma X... était d'une infériorité notoire. A l'école, sa niaiserie était restée exemplaire : elle avait appris tout juste à lire et à écrire ; mais, ainsi qu'il arrive souvent en pareil cas, elle était très entendue aux soins
du ménage et une excellente femme d'intérieur. Comme syndrome épisodique, elle présentait, très accusés, les scrupules de conscience ; elle ruminait sans cesse les moindres actes, les scrutait et les fouillait pour bien s'assurer qu'ils n'avaient rien de réprébensible, et, par un contraste assez rare, elle avait la haine de la religion et du prêtre, en dépit d'une éducation très religieuse par une mère fort pieuse. Jamais elle ne mettait les pieds à l'église. C'est à Dieu et à elle-même qu'elle confessait toutes ses fautes imaginaires.
Au point de vue physique, elle avait de nombreux stigmates dégénératifs. Le corps était grêle par parties, d'un développement moyen, les bras, les jambes et la poitrine d'une maigreur squelettique avec, par contre, les seins, les hanches, le haut des cuisses et les fesses très développées ; certaines régions contrastaient donc fortement avec d'autres, surtout à la poitrine où la gorge, très belle, ressortait étrange sur les côtes décharnées. Le visage était très asymétrique, mais d'une asymétrie pas désagréable à regarder ; les dents, petites et blanches, très jolies, avec une voûte palatine très en ogive. Aux oreilles, on notait le stigmate de Morel. Quant au crâne, il était petit et aussi asymétrique, d'une asymétrie croisée par rapport à celle de la face ; les cheveux étaient beaux, abondants et longs, de couleur blond-châtain.
Sans avoir jamais eu aucune maladie nerveuse, Emma X... avait été toute sa vie souffreteuse et anémique. Son développement avait été en tout retardé : dentition, marche, parole, puberté. A quinze ans et demi elle n'était pas encore réglée et ne le fut jamais régulièrement par la suite. Les menstrues étaient pâles, peu abondantes, ne survenant pas toujours aux mêmes époques. Je lui avais conseillé de faire de l'hydrothérapie et même fourni le moyen d'avoir, à titre gratuit, un traitement hydrothérapique complet. Mais, bien que les douches fussent administrées par une femme, elle n'avait même pas consenti à les prendre en chemise ! Il fallut y renoncer.
Quand elle se fut un peu remise de son émotion, et en état de continuer sa confession, voici ce qu'elle me raconta : « L'amant qui l'avait engrossée était son fiancé, car il était bien \o. seul homme avec qui elle pouvait commettre une telle faute, comme j'étais, moi, le seul médecin à qui elle pouvait la confier. Le mariage étant fixé pour le mois suivant, et se trouvant seul avec lui chez sa future belle-mère, qui avait commis l'imprudence de les laisser à leurs amours, elle avait
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cédé, grisée malgré elle par ses caresses et ses baisers, et lui avait laissé prendre le fort à-compte qu'il réclamait. Le gaillard avait mis le temps et l'occasion à profit, car ce n'est pas un, mais plusieurs coups de dents qu'il donna à la pomme. Si bien que, quand la future belle-mère revint, il ne restait plus le moindre vestige de la virginité de sa future bru. »
Emma X... rentra chez elle, encore sous le charme tempéré de remords de la faute qu'elle venait de commettre ; mais à peine avait-elle franchi le seuil de la maison qu'elle apprit la remise du mariage à six mois, par suite de l'impossibilité où se trouvait de venir, avant cette époque, un parent fortuné qu'il était indispensable de ménager et d'avoir pour témoin, afin d'être couchés plus tard sur son testament. Elle chancela, un grand froid l'envahit et elle dut s'appuyer sur un meuble pour ne pas tomber. Tandis qu'autour d'elle on attribuait son trouble au chagrin de voir son bonheur reculé d'un semestre, l'idée fixe s'implantait dans son esprit qu'elle venait d'être engrossée et que, quand sonnerait la cloche du mariage, c'est avec un ventre énorme qu'elle irait à l'autel, au milieu des rires et des chuchotements de toute l'assistance, vêtue de blanc et de fleurs d'oranger, pour accoucher trois mois après d'un enfant à terme, elle, la pudique Emma, donnée en exemple à toutes les jeunes filles !
Elle en perdit, comme disent les commères, le boire, le manger et le dormir. Profondément dégénérée, ainsi que l'établissent tous les détails rapportés plus haut sur l'hérédité de la famille, son développement, son organisation physique et psychique, elle fut uue proie facile à l'obsession et à toutes ses conséquences, et heureuse encore que tout le monde attribuât sa tristesse, sa pâleur, ses inquiétudes et ses malaises au retard de son mariage, elle s'épiait et attendait avec anxiété l'époque de ses règles pour être complètement rassurée ou confirmée plutôt dans son idée qu'elle était grosse, car elle avait déjà la certitude de son malheur et de son déshonneur. Ses règles ne vinrent pas, comme bien on pense. Et alors, elle éprouva tout ce qu'elle avait vu éprouver par sa sœur aînée lors de ses deux grossesses : elle ressentit tout ce qu'elle l'avait entendue raconter qu'elle ressentait. Elle dissimula avec le plus grand soin son infortune et n'en parla même pas à son fiancé auquel elle refusa désormais la moindre privauté, malgré les assauts qu'il lui livrait, mis en goût qu'il était parce qu'il avait goûté. Le mois suivant, l'aménhorrée persista ; quand
cinq jours se furent écoulés et qu'elle eut bien constaté que rien ne venait, elle se décida alors à se rendre près de moi pour me confier sa faute, son malheur et me charger d'une mission délicate : celle de mettre sa mère au courant de la situation afin qu'elle fit le mariage tout de suite.
Je me mis à son entière disposition, mais je lui fis remarquer, tout d'abord, que la première chose était d'avoir la certitude de sa grossesse, car, instinctivement, l'histoire de Madame Eugénie X... survenue quelques mois auparavant, se présenta à mon esprit. C'était la même appréhension d'une maternité déshonorante, la même obsession qu'elle était certainement grosse, et cela intervenant dans les deux cas chez deux femmes profondément dégénérées, celle-ci encore plus peut-être que celle-là. Mais, elle ne voulut rien entendre ; elle était grosse, elle le savait, elle le sentait, elle en était certaine. D'ailleurs, n'avait-elle pas tous les symptômes du début de la grossesse, tous ceux qu'elle avait vus chez sa sœur, y compris le gonflement des seins.
Que risquait-on en tentant une suggestion à l'état de veille ? de retarder de quelques jours la confidence à la mère. Où était le mal ? cela ne valait-il pas mille fois mieux que d'agir à l'aveuglette. Certes, Emma X... pouvait être grosse; bien qu'elle ne se fût abandonnée à son fiancé qu'un seul jour, les détails intimes qu'elle me donnait ne laissaient aucun doute sur le profit que le jeune homme avait su tirer du tête-à-tête que sa mère avait eu la naïveté de lui ménager avec sa fiancée et de la griserie amoureuse de la jeune fille. Mais elle pouvait aussi ne pas l'être, avoir Simplement une fausse grossesse tout comme Madame Eugénie X..., et il eût été dommage, dans ces conditions, de désillusionner inutilement une mère sur la vertu de sa fille, de fournir un prétexte à la malveillance, qui ne manquerait pas de chercher le pourquoi de ce mariage précipité après une remise à six mois. Je crus, dans l'intérêt de la jeune fille et de sa mère, devoir tenter l'aventure.
Certainement l'examen direct ne pouvait me fournir à l'époque où était cette présumée grossesse aucun renseignement, mais il était indispensable pour servir de base au mensonge qui allait être ma suggestion à l'état de veille, au mensonge qui, quelque vilain et odieux qu'il soit, est souvent un devoir pour le médecin. Je dis à la jeune fille que c'était là l'unique moyen de m'assurer de la réalité de sa grossesse, que je saurais ainsi à coup sûr si oui ou non elle était grosse et alors
quedansle premier cas j'irais tout de suite faire auprès de sa mère la démarche qu'elle me demandait, et que dans le second je lui donnerais un remède qui, en trois jours, ramènerait les règles. Elle s'y prêta avec empressement. Après avoir simulé un examen minutieux et des recherches attentives, j'affirmai avoir acquis la certitude absolue que l'utérus était complètement vide et je racontai à cette enfant, bouleversée déjà d'étonne-mentet de joie, que son cas était des plus fréquents, que j'avais vu déjà des centaines de jeunes filles qui, comme elle, après une faute, n'avaient pas leurs règles par suite de leur frayeur de ne pas les avoir, frayeur qui précisément empêchait celles-ci de couler comme une forte émotion les coupe quand déjà elles coulent, et qu'il suffirait de prendre les trois, paquets que j'allais lui remettre à raison d'un par jour pour que le sang arrive infailliblement à la fin du troisième jour. Et je lui remis trois paquets d'un gramme de bromure de potassium. Le troisième jour, dans la nuit, la menstruation était rétablie....
Ces deux observations prouvent péremptoirement que la crainte d'être mère, au même titre que le vif désir de l'être, est susceptible de déterminer une fausse grossesse. Et, en effet, on ne comprend pas trop pourquoi il n'en serait pas ainsi. Que le sentiment qui intervienne soit l'appréhension ou l'espoir, il a pour conséquence de supprimer les régies ; cette suppression, dans les deux cas, amène la croyance à la grossesse, à l'attente de ses manifestations connues, qui se montrent alors sous la double influence de l'obsession mentale et de l'aménorrhée. Le mécanisme physico-psychique est donc identique, malgré la diversité des émotions qui agissent. Ensuite, ma jeune femme et ma jeune fille étaient des névropathes dégénérées, et j'ai déjà dit plus haut queje croyais cette condition indispensable à la genèse de toute fausse grossesse. Enfin, l'une et l'autre présentaient un état anormal des organes de la génération. La première avait l'utérus au-dessous de la normale, les menstrues très douloureuses et des anomalies génitales vraiment extraordinaires ; la seconde avait toujours été mal réglée. Je crois que c'est encore là une condition favorable à la genèse des fausses grossesses, que celles-ci doivent se produire d'autant plus facilement que l'utérus est plus impressionnable, plus névropathique si j'osais ainsi dire.
Une dernière question se présente : pour ramener les règles chez Emma X..., je l'ai suggestionnée à l'état de veille, je ne
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 18 Janvier 1897. — Présidence de m. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
M. Valentin, secrétaire, lit le procès-verbal de la précédente séance. 11 est adopté.
La correspondance comprend les journaux ordinaires reçus par la Société.
M. Boirac fait l'analyse critique de la thèse inaugurale du Dr Lucien Moutin. intitulée : « Le diagnostic de la suggestibilité. »
Diverses notes sont lues. Elles seront publiées dans les comptes rendus, dans l'ordre de leur remise au Secrétaire général par les auteurs des communications.
Une communication, de M. le Dr Pau de Saint-Martin, sur « un cas de polydipsie excessive guérie, en cinq séances, par la suggestion à l'état d'hypnose », donne lieu entre MM. Dumontpallier, Bérillon et Pau de Saint-Martin, à un échange de vues sur l'action indéniable de la suggestion à l'égard d'un certain nombre de symptômes d'ordre physique ou mental qu'elle ne vise pas directement ; ce qui prouve que le centre volontaire, une fois éveillé, tend à soumettre à son influence toutes les modalités du dynamisme nerveux.
La séance est levée à 6 heures.
De la nécessité de pratiquer le dètatouage chez les jeunes détenus dans les prisons elles maisons d'éducation correctionnelle
Par M. le Dr Edgar Berillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme.
Pendant le dernier Congrès pénitentiaire, des visites furent faites dans les diverses prisons du département de la Seine.
C'est dans le cours d'une de ces visites à la prison de la Petite Roquette, à Paris, que nous eûmes l'occasion de constater qu'un assez grand nombre de jeunes détenus portaient sur les bras des tatouages variés.
l'aurais pas fait à l'état de sommeil ou alors sous la réserve : « Si vous n'êtes pas grosse, vos règles viendront », ce qui eût enlevé toute efficacité à la suggestion. Sans doute, il semble extraordinaire que celle-ci ait le pouvoir de déterminer un avortement ; cependant des hommes sérieux et respectables lui ont attribué des vertus si merveilleuses, que dans le doute, il est sage de s'abstenir. En état de veille, je ne pense pas qu'une telle action soit à craindre. Enfin, j'ai examiné ces deux femmes, seul avec elles dans mon cabinet, ce que j'estime être toujours imprudent, mais on comprendra que dans ces deux cas, il n'était guère possible de mettre un tiers dans la confidence.
Désireux de nous rendre compte des circonstances par lesquelles ces détenus avaient été amenés à se faire tatouer, nous avons sollicité de M. Duflos, directeur des services pénitentiaires au Ministère de l'Intérieur, l'autorisation de faire une enquête sur les tatouages portés par les jeunes détenus.
Cette enquête avait un double but :
1° Etablir la proportion des détenus sur lesquels on constate des tatouages;
2° Etudier la nature des images que représentent ces tatouages et les circonstances dans lesquelles ces tatouages ont été faits.
Notre demande, appuyée par M. Vincens, chef de bureau à l'Administration centrale, fut accueillie avec faveur, et M. Duflos, au libéralisme duquel nous sommes heureux de rendre hommage, nous accorda, le 19 juin 1896, l'autorisation demandée.
M. le Directeur de la Petite Roquette nous accompagna dans nos visites aux jeunes détenus et voulut bien nous faciliter l'accomplissement de notre tâche.
La Petite Hoquette est, comme on le sait, un lieu de détention pour les enfants et les prisonniers mineurs. Sa population est composée :
1° D'enfants de Paris détenus par voie de correction paternelle. Il en entre chaque année de 350 à 400. Le séjour maximum, fixé par la loi, est de six mois, mais le plus grand nombre n'y séjourne que quelques semaines1, parfois quelques jours. Ces enfants, comme l'indique le motif de leur incarcération, n'ont pas cessé, de la part de leurs parents, d'être l'objet d'une surveillance et d'un intérêt relatifs.
2° Des enfants en prévention et des enfants jugés, mais étant dans les délais d'appel ou attendant l'exécution de la décision administrative.
3° De quelques mineurs condamnés à de courtes peines.
4° Enfin, de jeunes adultes de seize à vingt et un ans, condamnes pour la première fois.
La population des détenus à la Petite Roquette peut donc être divisée en deux catégories :
1° Les enfants ; 2° les jeunes adultes.
Les enfants enfermés par voie de correction paternelle présentent très exceptionnellement et très rarement des tatouages. Encore les images représentées par eux n'ont-elles aucune signification. Ce sont généralement des étoiles, des ancres marines.
Par contre, chez les jeunes adultes la proportion des tatoués est considérable. Elle n'est pas moindre de 50 pour 100. L'âge auquel les tatouages ont été faits oscille entre 11 et 14 ans;
Les détenus déclarent que c'est en faisant l'école buissonnière, en errant sur les fortifications, le long de la Seine, en étant en état de vagabondage, qu'ils ont été invités par des camarades plus âgés à se laisser tatouer. Ils reconnaissent que ces camarades étaient de mauvais sujets, des vagabonds, qu'ils ont été l'objet de condamnations et qu'ils portaient eux-mêmes des tatouages. Ajoutons que ces tatouages sont
faits, moyennant une faible rémunération, par des individus qui ont acquis une certaine dextérité dans la pratique de cet art spécial et semblent n'avoir pas d'autres moyens d'existence. Il serait intéressant de connaître dans quelle proportion les repris de justice contribuent au recrutement de la peu intéressante corporation des tatoueurs professionnels.
Presque tous les tatoués disent que l'opération a été très peu douloureuse. Ce fait dénoterait chez les jeunes sujets un état d'insensibilité cutanée. Loin de faire de cette insensibilité à la piqûre un stigmate de tendance à la criminalité, je la considérerais plutôt comme un état physiologique normal.
Dans une thèse de la Faculté de Paris, inspirée par M. Dumontpallier, médecin du lycée Louis-le-Grand, M. Boussi démontrait qu'un grand nombre des élèves du lycée présentaient de l'anesthésie â la piqûre d'une épingle (1). Cette anesthésie relative facilite assurément l'opération du tatouage.
La sensibilité cutanée, se développant avec l'âge, deviendrait, plus tard, un obstacle au détatouage, si le procédé comportait quelque intervention douloureuse.
Nous avons constaté que, si un grand nombre des images n'avaient aucun caractère symbolique bien déterminé (étoiles, bracelets, bagues, fleurs, ancres marines, etc.., par contre, beaucoup revêtaient des caractères d'immoralité ou d'infamie très marquée. Dans un autre travail, nous entrerons dans des détails plus précis sur les caractères symboliques de ces tatouages et sur leur importance au point de vue de la psychologie suggestive.
Pour rester dans les limites de notre sujet, nous nous bornerons à exprimer l'avis que ces tatouages, soit qu'ils aient un caractère très évident d'immoralité, soit qu'ils ne se rapportent à aucune idée précise, constituent, pour celui qui les portent, un lien matériel avec un milieu dont l'action nuisible, au point de vue social et moral, n'est pas douteux.
Ils sont la marque évidente et le souvenir matérialisé du séjour dans un milieu immoral. A ce titre seul, l'idée de pratiquer le détatouage pourrait être préconisée et acceptée sans discussion.
Mais, comme on pourrait soulever, contre cette idée, diverses objections d'ordre administratif et juridique, nous y répondrons à l'avance d'une façon très brève. Tout d'abord, il n'y a aucune objection à soulever à l'égard des prévenus et des condamnés qui expriment le désir formel d'être débarrassés de leurs tatouages. Le rôle de l'administration se bornerait à leur faciliter le moyen de faire disparaître ces stigmates d'infamie (2).
(1) Sur 32 élèves examinés au hasard dans la cour des grands au Lycée Henri IV, 21 furent complètement insensibles a la piqûre d'une épingle qui leur traversait la peau du bras.
(2] Nous devons ajouter que tous les détenus expriment le désir le plus formel d'être débarrassés des images Immorales, des formules symboliques et des serments d'amour qui constituent si fréquemment l'objet des tatouages. Sur une
La principale objection consisterait à dire que les tatouages facilitent la reconnaissance des criminels. L'application du système anthropométrique imaginé par M. Alphonse Bertillon, répond victorieusement à cette objection. Il n'est plus possible à un homme qui a été détenu une seule fois, de dissimuler désormais son identité.
La seconde objection est la suivante :
Existe-t-îl un procédé de détatouage permettant d'obtenir la disparition complète des images ? Nous répondrons par l'affirmative.
M. Variot, médecin des hôpitaux de Paris, et M. Jullien, médecin de Saint-Lazare, ont, par leurs procédés, obtenu des détatouages complets.
Voici d'ailleurs quel est le procédé vulgarisé par M. Variot et qui est aujourd'hui devenu classique :
Il badigeonne les parties de peau tatouée avec une solution concentrée de tannin, puis, à l'aide d'un jeu d'aiguilles, comme en fabriquent les tatoueurs, il fait des piqûres très serrées sur toute la surface de peau qu'il veut décolorer, en ayant soin d'empiéter sur la peau incolore. Il introduit ainsi dans la partie superficielle du derme une certaine quantité de tannin.
Il passe, en frottant fortement sur toutes les parties qu'il a piquées au tannin, un crayon de nitrate, et laisse pendant quelques instants la solution concentrée de sel d'argent agir sur l'épiderme et le derme, jusqu'à ce qu'il voie les piqûres se détacher en noir foncé. II* essuie alors la solution caustique ; la surface tatouée est devenue noire par la formation d'un tannatc d'argent qui s'est produit dans les couches superficielles du derme. Il convient d'assurer la dessicatîon de l'escarre pendant les trois premiers jours, en la saupoudrant plusieurs fois dans la journée avec de la poudre de tannin. C'est le meilleur moyen d'éviter le détachement prématuré de la croûte et la suppuration qui s'ensuivrait. Les deux temps de celte petite opération peuvent se faire très vite et ne provoquent qu'une douleur modérée. Quant aux suites, elles sont fort simples. Dans les deux premiers jours qui suivent la cautérisation, il y a une légère réaction inflammatoire, avec une sensibilité variable. Puis, les jours suivants, toutes les parties piquées au tannin et cautérisées au nitrate d'argent prennent une teinte noire foncée formant une sorte de croûte très adhérente aux parties profondes. En une seule séance, il ne convient d'enlever par ce procédé qu'une plaque de tatouage grande comme une pièce de deux francs. On évite ainsi toute chance d'accident et l'on n'entrave même pas les occupations du sujet.
Bien que les tatouages, chez les enfants détenus par voie de correction paternelle, soient assez rares, on peut se demander si l'autorité paternelle est assez étendue pour obliger un enfant à se laisser détatouer. Nous n'hésitons pas à répondre que le père de famille a le droit
centaine de détenus, un seul, assez faible d'esprit, nous exprima le désir de conserver quelques-uns de ses tatouages, a cause de leur valeur artistique. 11 est vrai qu'ils étaient artistement dessinés, et faisaient le plus grand honneur au .talent du tatoueur et à la patience du tatoué.
absolu de faire effacer de la peau de son enfant des images ayant un caractère d'immoralité.
Notre communication tendrait à créer une nouvelle application administrative de l'anthropologie criminelle.
D'après nous, l'administration pénitenciaire aurait le devoir de mettre les procédés de détatouage à la disposition des détenus qui voudraient se débarrasser de ces stigmates d'infamie. Pour cela, elle aurait à faire appel au concours des médecins qui ont, comme MM. Variot et Jullien, poursuivi d'intéressantes études sur cette question.
Ce concours ne leur serait certainement pas refusé. Nous sommes convaincu que notre proposition, bien qu'elle paraisse un peu hardie à beaucoup d'esprits plus disposés à se complaire dans les conceptions théoriques que dans les idées pratiques, ne tardera pas à être prise en réelle considération. L'administration pénitentiaire, justement soucieuse de ne rien négliger de ce qui peut amener le relèvement du délinquant ou du criminel, comprendra qu'un des meilleurs moyens d'arriver à ce but est de supprimer le stigmate physique qui, comme le tatouage, rattache le jeune détenu au milieu criminel. Tel est le vœu que nous avons déjà exprimé au Congrès d'anthropologie criminelle de Genève en 1886 et que nous croyons devoir soumettre à l'attention de nos collègues de la Société d'hypnologie et de psychologie.
Un calculateur prodige
Par m. le docteur Paul Farez, licencié en philosophie
M. Périclès Diamandi (1) a donné tout récemment, aux élèves du Collège lïollin, une séance dans laquelle il a émerveillé ses auditeurs par sa prodigieuse mémoire et par son étonnante puissance d'effectuer mentalement des calculs très compliqués.
Veut-on savoir combien de secondes contiennent vingt, cinquante, soixante-quinze siècles? En moins d'une minute et demie, M. Diamandi en fait connaître le nombre. En cinq secondes il vous apprend si, par exemple, le 23 juillet 1847 ou le 29 avril 1824 tombait un lundi ou un jeudi..., etc.. En deux minutes, il extrait mentalement, soit la racine carrée, soit la racine cubique d'un nombre de six chiffres, en ayant soin, par surcroit, d'énoncer les restes.
On lui propose les cinq opérations suivantes : soustraire un nombre de dix chiffres d'un autre nombre de dix chiffres, élever au carré un nombre de trois chiffres, puis au cube un autre nombre de trois chiffres, élever ensuite un nombre à la dix-septième puissance ; enfin, diviser un nombre de cinq chiffres par un nombre de trois chiffres : pendant deux minutes, il s'efforce de fixer dans sa mémoire tous ces énoncés, puis il fait mentalement et successivement ces cinq opérations dont il énumère, au bout de trois minutes, les résultats les uns après les autres. En
(l) Né en 1868, à Pylaros (Iles Ioniennes).
outre, étant donné, par exemple, un nombre indéfini de casiers, si dans le premier casier on met deux grains de millet, quatre dans le second, huit dans le troisième... et ainsi de suite, on demande : 1° Combien il y aura de grains dans le quarante-deuxième casier; — 2° combien les quarante-deux premiers casiers réunis contiendront de grains (1); en moins de trois minutes, notre calculateur énonce ces deux résultats (2).
Comment M. Diamandi peut-il, sans le secours d'aucun tableau noir ou d'aucun papier, parvenir à fixer dans sa mémoire de longues séries de chiffres et à effectuer de si difficiles opérations ?
Lorsqu'on lui propose une série de chiffres, il les traduit aussitôt en images visuelles, en caractères chiffrés tels qu'il a l'habitude de les figurer lui-même. Ces derniers prennent place sur une sorte de tableau mental que M. Diamandi se représente avec une grande netteté; il le regarde et le fixe avec persistance ; il y concentre toute l'énergie de sa vision intérieure; il vivifie, pour ainsi, les images visuelles que contient ce tableau imaginaire. A la suite de cela, et en vertu d'une merveilleuse disposition naturelle. M. Diamandi ne tarde pas à posséder, très profondément gravés dans sa mémoire, tous les nombres qu'on lui a proposés. Dès lors, ces nombres étant disposés par ordre et chacun à leur place sur son tableau visuel, il peut effectuer mentalement les opérations comme il les ferait avec de la craie sur un véritable tableau noir : puis, les calculs une fois terminés, il possède très distinctement la représentation visuelle des résultais obtenus; il n'a plus alors qu'à les énoncer.
Ce n'est pas ainsi que procède M. Jacques loaudi. Celui-ci ne regarde pas le tableau sur lequel on note les divers chiffres dictés par le public ; mais, une fois que les nombres ont été inscrits sur le tableau noir, il se les fait énoncer lentement et dans leur entier ; il les écoute avec attention et il les répète lui-même à haute voix; ce n'est pas sous forme d'images visuelles, mais sous forme d'images auditives qu'il les fixe dans sa mémoire ; ce qu'il retient, c'est le son de sa propre voix, laquolle conserve, pour lui, son timbre particulier. C'est encore à l'aide d'images sonores qu'il calcule mentalement sur les nombres que sa mémoire vient d'enregistrer.
On voit donc que « l'imagerie mentale * mise en jeu par chacun de ces deux calculateurs est bien différente. M. Diamandi répond au type visuel, et M. Inaudi au type auditif. Or. dans le type visuel, les chiffres sont représentés comme simultanés ; ils occupent chacun leur position respective dans un espace déterminé ; ils peuvent être embrassés d'une vue d'ensemble, avec tous leurs rapports de localisation. Dans le type auditif, au contraire, les chiffres n'apparaissent jamais que comme successifs ; il font partie intégrante d'une série qui se déroule dans le
(1) Ce problême revient, en somme, aux deux formes suivantes : 242 et 2 (243—1).
(2) Pendant toute la durée do ces exercices, un élève très expérimenté a pris soin, par manière de contrôle, de faire au tableau noir tous les calculs que M. Diamandi faisait mentalement.
temps ; ils ne sont jamais connus que les uns après les autres. S'il s'agit de nommer, par exemple, le dixième chiffre d'un nombre précédemment acquis par la mémoire., le visuel apercevra aussitôt ce chiffre sur son tableau mental en même temps que le nombre tout entier; l'auditif au contraire ne connaîtra ce dixième chiffre qu'après avoir fait successivement défiler dans son esprit les images sonores qui correspondent aux neuf premiers chiffres. Le travail mental se fait donc chez l'auditif non pas dans l'instant, mais dans la durée; il comporte en outre un mécanisme plus complexe. Cette analyse psychologique nous amène à conclure que le visuel doit l'emporter de beaucoup sur l'auditif.
Or, en fait, c'est en vain que l'on chercherait chez M. Diamandi la belle assurance, l'imperturbabilité, le « brio », la célérité même de M. Inaudi.
M. Diamandi calcule plus lentement; il met un temps relativement assez long pour énoncer ses résultats; il est inégal et, suivant les jours ou les circonstances. les temps de réaction offrent, en ce qui le concerne, des variations parfois considérables (1). En outre, pour apprendre de mémoire ou pour calculer mentalement, il se prend la tête dans les mains, il s'applique à s'abstraire de tout bruit extérieur, il fait des efforts considérable et peitle très visiblement. Lorsqu'il énonce ses résultats, il offre de nombreuses hésitations: très souvent aussi, il laisse se glisser une erreur portant sur un, quelquefois même sur plusieurs chiffres; si l'erreur lui est signalée, il redouble d'effort, il concentre davantage son attention, il vivifie, il exalte très fortement ses images visuelles et, souvent, il parvient à rectifier l'erreur; parfois, cependant, il n'y arrive pas, et c'est seulement à un ou même deux chiffres près que le résultat est exact.
Les causes de cette infériorité relative sont multiples. M. Diamandi incrimine une légère surdité qui l'empêche d'entendre très distinctement les chiffres proposés; en outre, dit-il, il est obligé de traduire en grec, sa langue maternelle, les questions qui lui sont posées en français; enfin, il lui est nécessaire d'interpréter, au préalable, les Images sonores recueillies par l'audition et de les transformer en images visuelles.
Mais il est d'autres causes plus profondes, qui permettent de comprendre pourquoi, dans une représentation publique, M. Inaudi émerveille davantage les spectateurs. D'abord, c'est seulement en 1891 que M. Diamandi, alors âgé de 23 ans, s'aperçut, par hasard, qu'il possédait cette très remarquable puissance de calcul mental.
Eri outre, il ne s'est pas soumis à un entraînement continuel et il n'a pas pris à tâche du développer d'une manière exclusive cette précieuse
(1) Voyez les très intéressantes études de psychométrio faites en 1893 par M. Binet. sur MM. Diamandi et Inaudi. (Revue Philosophique, XXXV, I, p. 590; — voyez aussi p. ICC).
aptitude ; en effet, l'on peut constater que, depuis 1893 (époque à laquelle il se produisit en France pour la première fois), il ne s'est guère perfectionné comme calculateur mental. Enfin, il n'est pas uniquement spécialisé pour les chiffres ; il a reçu une bonne instruction, il est intelligent, il est capable de s'intéresser à toutes sortes d'études; il s'occupe de littérature et parle cinq langues.
M. Inaudi, au contraire, a été très précoce; c'est, en effet, vers l'âge de six ans qu'il a commencé à calculer de tête. Depuis lors, il s'est appliqué à développer et à entendre cette merveilleuse aptitude; il s'est soumis avec persévérance à des exercices pour ainsi dire interrompus. Et puis, il n'a reçu aucune instruction ; c'est seulement à vingt ans qu'il a appris à lire ; jusqu'à cet âge, il ne savait même pas chiffrer. Il a une intelligence peu développée ; c'est, en somme, un ignorant, incapable de se livrer à des études diverses. Une fois, cependant, désireux d'acquérir une certaine instruction mathématique, il a cessé, pour un temps, toute représentation publique et il s'est mis à étudier dans les livres ; or, il n'a pas tardé à s'apercevoir que sa puissance de calcul mental avait beaucoup diminué et, pour la conserver, il a dû renoncer à ses études.
Ainsi, retenir des séries de chiffres et combiner mentalement ces chiffres sous forme d'opérations arithmétiques, telle est la prodigieuse, mais, pour ainsi dire, l'unique aptitude intellectuelle de M. Inaudi. Cela même qui fait sa force constitue en même temps sa faiblesse. Il semble que cette exaltation démesurée de certain pouvoir mental entraine nécessairement comme corrélatif l'annihilation et, en quelque sorte, l'atrophie de toutes les autres aptitudes intellectuelles ; tous les ressorts de son esprit sont tendus dans une seule direction; il n'y en a plus aucun qui soit disponible en dehors de cet objet exclusif. On dirait que la nature envieuse et jalouse se venge cruellement des avantages dont elle a été prodigue ; tout, en effet, se paie, s'équilibre et se compense ; l'infériorité intellectuelle de M. Inaudi, son ignorance générale sont la rançon de son incontestable supériorité comme calculateur mental.
Si, par contre, M. Diamandi est, entant que calculateur, inférieur à M. Inaudi, il en est dédommagé par la richesse et la variété de ses aptitudes mentales. En ce qui le concerne, c'est sa faiblesse relative qui constitue sa force ; sa puissance de calcul, pour être prépondérante, n'est pas exclusive; chez lui l'activité intellectuelle n'est pas immobilisée toute dans le souvenir et dans le maniement des seules images chiffrées. M. Inaudi est, en somme, un cas extrêmement curieux, mais que l'on pourrait, peut-être à certains égards, faire rentrer dans la tératologie mentale. M. Diamandi, lui, n'est pas un « monstre », il est plus près de nous; il nous intéresse davantage ; il peut utiliser à des œuvres intelligentes fécondes sa mémoire, peut-être moins facile et moins prompte, mais, à coup sûr, moins fugitive et plus tenace.
ÉTUDES BIOGRAPHIQUES
JAMES BRAID : son couvre et ses écrits
Par M - le docteur Milne Brahwell, (de Londres)
(suite) Etats Analogues
Braid trouva, dans l'hypnotisme, l'explication de l'extase prolongée des fakirs et de la volontaire immobilité du colonel Townsend. II a rapporté, à ce sujet, le cas d'un fakir qui, après trois jours d'inhumation, fut déterré présentant toutes les apparences d'un cadavre, puis rendu à son état normal, après un quart d'heure environ de manipulations diverses.
Braid établissait également une ressemblance marquée entre l'état produit par le hashisch et certains états hypnotiques. Il citait à l'appui les expériences faites à Calcutta par le D' O'Saughnessy, et publiées dans : Eléments of Materia Medica, de Pereiro ; lesquelles expériences avaient démontré que le hashisch, administré à différentes doses à un patient atteint de paralysie, avait successivement déterminé des effets semblables à l'hypnose tels que : insensibilité, catalepsie, etc.
Avant de donner un aperçu des derniers, ouvrages de Braid. je crois bon de citer certaines opinions exprimées à son sujet par quelques écrivains, opinions qui démontrent clairement qu'à l'exception de o Neurologie o. ceux-ci n'étaient familiarisés avec aucun de ses écrits.
Le docteur Bastien, dans son article sur i Braidism in Quain's *>, paru dans « Dictionarry of Médecine s, exprimait le regret que Braid ne rejetât pas tout ce qu'il désignait sous le nom de phénomènes de phréno-hypnotisme.
Le professeur Romanes, dans le Nineteenth Century, du mois de septembre 1880, reprochait à Heidenhain d'omettre le nom de Braid dans ses références, affirmant que ce serait simplement rendre justice à « Neurologie » que de dire que tous les résultats obtenus par Heidenhain y avaient été signalés.
Le passage suivant pris dans Psychothérapie, publié en 1890, démontre qu'à cette époque, Bernheim ignorait encore absolument les théories avancées de Braid : — a. Braid, dit-il, faisait usage de la suggestion sans la connaître, car, il faut descendre jusqu'à la date de 1860, pour trouver la doctrine de la suggestion, complètement débarrassée de tous les éléments qui la falsifiaient, dans les écrits de Braid lui-même, et appliquée, de la manière la plus simple, à la thérapeutique. Liébeault fut le premier à établir clairement que les cures faites par les anciens magnétiseurs, et même par les opérations de Braid, ne sont ni l'œuvre d'un fluide mystérieux, ni celles de modifia-c
tions physiologiques dues à des manipulations spéciales, mais bien l'œuvre de la suggestion seule. »
Enfin, dans le Journal de la Société des Recherches Psychiques, paru en mars ISS6 ; M. Boirac, en réplique à la critique du Dr YValter Leaf : a Hypothèse du Magnétisme Animal », associe Braid à l'Ecole de Paris (Hypnotisme), et Faria. à l'Ecole de Nancy (Suggestion).
Quoi qu'il en soit, des critiques qui ont été faites de Neurologie », personne ne peut lire l'ouvrage de Braid sans être touché de la persévérance avec laquelle il poursuivit ses investigations, et sans être ému du calme qu'il conserva au milieu des violentes attaques qui s'élevaient de tous côtés autour de lui. Et, lorsqu'après quarante ans, les résultats obtenus par Braid commencent à recevoir la confirmation qu'ils méritent, les physiologistes qui consentent à lui rendre justice, ne doivent pas oublier la part d'honneur qui est due au plus ancien, au plus laborieux et, jusqu'ici, au plus grand investigateur des phénomènes qui ont affranchi l'hypnotisme.
Théorie Générale
Nous avons vu qu'au commencement de « Neurologie », Braid expliquait les phénomènes hypnotiques, en se basant sur des effets purement physiques, maintenant que les dits phénomèmes pouvaient être déterminés, même dans des personnes qui n'avaient jamais entendu parler d'hypnotisme, par la fixation du regard sur un objet inanimé. Dans la suite, nous y voyons ses vues se modifier considérablement : il parle de personnes ayant été entièrement hypnotisées par leur propre imagination et il mentionne l'inutilité des efforts du plus expérimenté des mes-mériseurs, toutes les fois que le patient était tenu dans l'ignorance de ce qu'on attendait de lui. Enfin, dans d'autres ouvrages, la théorie physique est entièrement abandonnée en faveur d'une théorie purement psychique. C'est alors que Braid, après avoir donné les raisons qui l'avait déterminé à adopter le terme hypnotisme de préférence â celui de mesmé-risme, explique comme quoi ce nouveau terme lui semble passible de graves objections : — a En correcte phraséologie, dit-il, le mot hypnotisme ne devrait être strictement employé que pour désigner les phénomènes manifestés par les patients qui, après avoir été endormis, ne conservent plus, au réveil, aucun souvenir de ce qui s'est passé durant leur sommeil. Or. parmi ceux qui peuvent être soulagés ou guéris par les procédés hypnotiques, pas plus d'un sur dix, peut-être, ne se trouve dans ce cas. Le terme hypnotisme est donc apte à confondre les sujets et à leur faire suspecter l'efficacité d'une science qui échoue à donner, par son nom, la signification évidente d'elle-même. » Braid proposa alors de qualifier seulement hypnotiques ces cas de sommeil artificiel suivi d'amnésie au réveil, et dans lesquels se reproduit le parfait souvenir de ce qui s'est passé lorsque le patient est de nouveau hypnotisé. Il décrivait l'hypnotique coma comme la période extrême dans laquelle la mémoire n'est pac ravivée dans les hypnoses suivantes.
« .Te devins de plus en plus convaincu », dit-il, « que l'état hypnotique était essentiellement un état de concentration mentale durant lequel les facultés intellectuelles du patient étaient à ce point absorbées par une simple idée, ou à ce point prises par telle fascination de la pensée, qu'elles paraissaient ne plus exister, et je crus pouvoir conclure que cette concentration d'attention avait pour conséquence d'intensifier, dans un degré correspondant, toutes les influences que l'esprit du patient pourraient avoir sur ses propres fonctions physiques, durant la condition de veille, c'est-à-dire lorsque son attention est beaucoup plus diffuse et beaucoup plus distraite. D'ailleurs, toutes les impressions faites sur le corps d'un individu par un autre, soit au moyen de la parole, soit par des impressions sensibles, n'agissent-elles pas comme suggestions de pensée ou d'action sur le premier en attirant ou en fixant son attention sur une fonction ou sur une partie de son corps ? Admettant donc que toutes les suggestions et impressions, capables d'agir sur un individu dans la condition de veille, peuvent être appelées à agir de la même manière, dans le sommeil nerveux, et à produire des effets correspondants d'autant plus grands, que l'attention y est plus concentrée et que les facultés du sujet y sont devenues plus intenses, je crois expliquer clairement la question et la rendre intelligible à la conception impartiale de qui que ce soi, en disant que le but réel des différents procédés employés pour déterminer l'hypnose est évidemment de produire un état de concentration, d'abstraction ou d'attention, autrement dit un état de monoidéisme.....
Quant aux phénomènes physiologiques et psychiques, produits par de tels procédés, je pense qu'ils résultent entièrement des impressions mentales ou des idées dominantes excitées dans l'esprit des sujets (soit que celles-ci y existassent préalablement,, soit qu'elles y fussent déterminées par les suggestions intelligibles ou par les passes de l'opérateur), lesquelles impressions changent ou modifient l'action physique existant préalablement, laquelle, à son tour, réagit de la même manière sur l'esprit. Désirant dès lors m'offrir l'explication la plus exacte des phénomènes qu'il m'a été donné d'observer, je renonce aux termes qui m'ont jusqu'alors servi à les exprimer, et j'adopte, comme étant plus capables de réaliser toute la précision que nous pouvons désirer, les termes et les définitions suivantes :
« Monoidéologie, doctrine de l'influence des idées dominantes sur les actions mentales et physiques ;
« Monoidéiser, action d'exécuter les procédés nécessaires pour déterminer le monoidéisme ;
« Monoidéisear, celui qui monoidéise :
« Monoidéise, condition de la personne en état de monoidéisme.
Le mot « Monoideo-Dynamique » indiquera tous les changements d'excitation ou de dépression mentale et physique qui résultent de l'influence du monoidéisme ; et, finalement, comme terme générique, comprenant l'ensemble de ces phénomènes qui résultent de l'action
réciproque de l'esprit sur ta matière, je pense qu'aucun nom ne peut être plus approprié que celui de Psycho-Physiologie. » Cette théorie fut, pour la première fois, publiée par Braid, en 1847.
Les phénomènes de la fascination des oiseaux par les serpents, de la table tournante, etc., n'étaient pour Braid que des exemples d'inconscience ou d'involontaire action musculaire résultant des idées dominantes. Il dit encore que, lorsque l'attention d'un homme ou d'un animal est absorbée par une idée associée au mouvement, un courant de la force nerveuse est envoyé dans les muscles, et une motion correspondante est produite, non seulement sans effort conscient, mais, dans certains cas, en opposition même avec la volonté. Le sujet hypnotisé perdant le pouvoir de neutraliser, les idées dominantes se trouvent ainsi irrésistiblement annulées ou charmées, selon la nature de l'impression produite, et il peut, de cette manière, être soumis au contrôle des autres par le moyen des suggestions intelligibles, visibles et réalisables.
Braid disait, d'autre part, que, quelles que soient les moyens employés pour déterminer l'hypnose, les phénomènes intellectuels et physiques résultaient entièrement des impressions mentales et desidées dominantes seulement excitées ou complètement suggérées par des suggestions intelligibles ou par des impressions sensationnelles produites par les manipulations de l'opérateur.
Braid montrait celui-ci agissant sur le patient comme le mécanicien agit sur sa machine, mettant, en action, les forces de la propre organisation du sujet, puis, les contrôlant et les dirigeant, conformément aux lois qui gouvernent l'action de l'esprit sur le corps ; de la même manière que le mécanicien contrôle et gouverne les forces de sa machine d'après les lois de la mécanique.
En référence à son ouvrage intitulé : Electro-Biological Phenomena considered physiologicatly et psyckologicaUy publié en 1851, Braid disait que son but était de prouver la subjectivité de la condition hypnotique et mesmérique et de démontrer que tous les phénomènes résultaient et de la concentration mentale de l'attention agissant sur la propre organisation physique du patient, et de l'action physique réagissant à son tour sur l'esprit du sujet. Il affirmait que le changement de condition physique provenait de l'action des idées prédominantes agissant sur les propres actes du patient, soit que ces idées prédominantes naquissent dans l'esprit même de ce dernier, soient qu'elles surgissent du souvenir des dernières impressions reçues ; cela, sans aucune coopération ni aucune action de l'opérateur. Il disait aussi que, chez certains sujets, ces mêmes changements pouvaient être amenés par les suggestions intelligibles, visibles ou tangibles d'une autre personne, quelle que soit la période de l'hypnose. Et Braid déclarait qu'il s'était déjà efforcé de prouver cette théorie plus de cinq ans auparavant.
En réplique à un écrivain qui avait adopté une forme modifiée de l'objective théorie des phénomènes hypnotiques, Braid dit : — « Si M. N'ewnham voulait seulement condescendre à considérer la simplicité
de la théorie subjective que j'ai osé exposer, je pense qu'il comprendrait sans peine, comment les nouveaux modes d'excitation, de dépression ou de distribution particulière de l'influence nerveuse ou vitale dans le propre corps du patient peuvent surgir de l'influence de son propre esprit agissant sur son organisme physique, et expliquer ainsi tout ce qui peut être réalisé sans avoir besoin de recourir à l'explication d'une influence occulte transmise d'un être à l'autre.
Cependant, je concède facilement que les regards, les paroles et les actions d'une seconde personne peuvent fournir à l'autre des suggestions influentes et agir sur celle-ci de la même manière qu'un mot verbal ou écrit, émanant d'un ami qui nous est cher, agit sur nos pensées et sur nos sentiments. Et je crois pouvoir affirmer que l'espoir et la confiance dans les moyens usités ou le doute et la crainte de leur efficacité, peuvent modifier, d'une manière remarquable, les résultais de quelque traitement que ce soit.
Quoi qu'en ait pu alléguer les mesméristes, je maintiens qu'il n'y a, comme cause véritable de ces résultats, aucun échange positif, ni aucune transmission réelle de force nerveuse ou vitale de l'opérateur au patient. Je ne crois pas que, dans ce cas, A perde une somme de force équivalente à ce que gagne B ; je ne crois pas qu'un prédicateur, un orateur ou un auteur perde une quantité de force vitale exactement proportionnelle au nombre des individus influencés par son éloquence verbale ou écrite. Or, cela prouverait nécessairement que la théorie magnétique est vraie. Mais, je crois, au contraire, que la lecture attentive des œuvres posthumes d'un auteur peut être aussi influente que celle des œuvres publiées durant sa vie, et que cette simple suggestion d'idées nouvelles, faite à l'esprit du lecteur par ce symbole imprimé de la pensée de l'auteur, peut être la cause réelle et efficace de conceptions plus étendues et d'idées plus élevées. »
Braid avouait dans Neurologie éire incapable d'expliquer l'action du courant d'air sur les sujets hypnotisés ; mais, à une date plus reculée, ayant établi que l'hypnose concentrait entièrement l'attention sur la fonction appelée a l'action, laquelle agissait, alors, à un degré d'autant plus intense qu'elle disposait de toutes les forces endormies, il expliqua la cessation de la rigidité musculaire, lorsqu'un courant d'air froid est dirigé sur la peau, par le fait que cette action appelait toute l'attention sur le sens du toucher, en la détournant du sens musculaire.
Braid déterminait, de la manière suivante. les principaux points de différence qui existent entre le somnambulisme spontané et le somnambulisme provoqué. Les somnambules spontanés sont portés, par des impulsions internes, à un certain enchaînement d'actions, tandis que les somnambules artificiels tendent à rester en repos et à tomber dans un état de sommeil profond, à moins qu'ils ne soient excités par quelque impression du dehors.
Le sommeil naturel et le sommeil artificiel n'étaient donc pas considérés par Braid comme identiques, et il ajoutait que, dans l'hypnose,
COURS ET CONFÉRENCES
Conférence de Psychologie comparée à l'Institut psycho-physiologique
L'Evolution de l'amour maternel dans la série animale
par M. Eugène Gaustier, agrégé de l'Université.
Notre éminent collaborateur M. Eugène Caustier avait choisi comme sujet de la conférence de psychologie comparée : l'Evolution de l'amour maternel dans la série animale, sujet qu'il a traité avec une rare érudition.
les pupilles sont dilatées et l'on voit les paupières trembler continuellement ou demeurer fortement closes, par l'effet de contractions spasmo-diques. « On y peut constater, disait-il, un sensible accroissement de la sensation musculaire, car on verrait le patient serrer plus fortement l'objet qu'on lui aurait placé dans la main.
« La chronique rigidité des muscles n'y est pas suivie par un épuisement correspondant. Il y a môme quelquefois, dans l'état hypnotique, une excitation semblable à l'ivresse, d'autres fois, il y a repos musculaire, avec audition aiguë et rêveuse ou ardente imagination, ressemblant absolument à la condition déterminée par le « Conium ». « La principale différence que j'ai observée entre le sommeil hypnotique ou nerveux et le sommeil ordinaire est compatible à l'état ou à la condition de l'esprit. En passant dans le sommeil ordinaire, celui-ci est diffus ou passif, flottant indifféremment d'une idée à l'autre, rendant, par là, le dormeur incapable de fixer son attention sur aucun enchaînement régulier de la pensée, ou d'accomplir aucune action exigeant beaucoup d'effort de volonté.
un complet état de passivité est donc manifesté durant le sommeil, de sorte que les suggestions intelligibles et les impressions sensibles adressées au dormeur, si elles ne sont pas assez intenses pour l'éveiller entièrement, peuvent rarement faire plus que d'exciter un réve, dans lequel les idées passent à travers son esprit, sans produire des actions physiques déterminées ; mais d'autre part, les procédés employés pour provoquer le sommeil nerveux, engendrent un état actif et concentré de l'esprit du sujet qui peut, dans quelques cas. permettre de l'exciter à parler ou à donner des manifestations physiques des suggestions faites, soit par les mots intelligiblement prononcés à son oreille, soit par des idées qui existaient préalablement dans son esprit, ou excitées par les impressions sensibles produites par le toucher ou les passes de l'opérateur dirigeant l'attention du dormeur sur différentes parties, ou excitant à l'action certaines combinaisons de muscles et dirigeant, par là, le cours de sa pensée, a
une autre différence est le remarquable pouvoir de l'hypnose de guérir les insomnies les plus rebelles à tout traitement. (A suivre).
Laissant de côté ce que cette vaste étude pourrait présenter de trop abstrait, laissant de côté les théories un peu osées bien que très séduisantes de l'auteur sur les causes de l'évolution de ce sentiment affectif, il nous a paru intéressant de résumer la partie documentaire de cette conférence.
Chez les animaux tout à fait Inférieurs, l'amour maternel ne parait pas exister ; la femelle pond ses œufs à l'aventure et les œufs se développent au hasard. Cependant, chez certains de ces organismes inférieurs, chez les échinodermes, chez les astéries ou étoiles de mer, on observe déjà une attitude spéciale de la femelle à l'égard des œufs, attitude qui pourrait bien être un sentiment embryonnaire, un semblant d'amour maternel ; ainsi la femelle, après avoir pondu ses œufs, loin de les abandonner et de s'en désintéresser, reste sur sa ponte durant plusieurs jours, sans prendre de nourriture.
Toujours au bas de l'échelle animale, il est intéressant de constater, à certains faits, l'apparition de l'amour maternel : chez les holothuries. les petits, durant les premiers jours do leur naissance, restent attachés après les parents; chez les crustacés, chez les crevettes par exemple, les parents se promènent avec les petits fixés à la carapace. Il en est de même chez les écrevisses, qui traînent après elles, de longs jours encore après la naissance, leurs petits fixés, accrochés après leurs pattes.
Chez les insectes, l'amour de la progéniture se traduit par des actes déjà plus précis, plus significatifs ; ainsi l'éphémère qui met trois ans à se développer meurt dès qu'il a pondu ; il semble que cet insecte ne soit né. ne se soit nourri et développé que pour donner naissance à sa progéniture, puisque, dès qu'il a accompli sa fonction de maternité, il meurt...
Si, chez cet insecte, il n'y a pas à proprement parler d'amour maternel, Il y a du moins un sentiment de prévoyance qui en tient lieu : la mère en effet, en prévision de sa mort, accumule des provisions pour sa future descendance. Le sitaris, qui ne sait pas fabriquer le miel, dépose ses œufs dans des bains de miel préparés par d'autres Insectes.
La prévoyance des nécrophorcs à l'égard de leur progéniture est encore plus remarquable : ces Insectes, qui se nourrissent des cadavres des autres animaux, sont de véritable fossoyeurs. Viennent-ils à trouver un rat ou un oiseau mort, ils se mettent aussitôt à plusieurs pour creuser la terre au-dessous du petit cadavre ; ce travail marche avec une grande rapidité et, quand le sol est creusé de 30 ou 40 centimètres, le rat ou l'oiseau se trouvant dans le fond de cette petite fosse, Us aplanissent le sol pour qu'il n'y paraisse rien ; la femelle pond alors ses œufs dans le corps de l'animal dont la chair servira à la nourriture et au développement-des larves.
D'autres insectes préfèrent donner à leur progéniture ù venir une chair plus fraîche et. dans ce but, ils s'attaquent aux animaux vivants : ainsi le sphex, insecte voisin de la guêpe, creuse pour les petits à naitre une galerie souterraine ; cela fait, il part à la recherche d'un grillon et, lorsqu'il le rencontre, il lui livre un combat terrible ; Fabre, qui a étudié de près cet insecte, a pu suivre les péripéties de la lutte; le sphex, après des etTorts acharnés, parvient à renverser !e grillon sur le dos ; il lui passe alors son aiguillon entre la tète et le cou de manière à faire pénétrer dans les ganglions cérébroides du vaincu un venin particulier qui, agissant à la manière du curare, le paralyse complètement, sans toutefois lui retirer la vie ; le sphex emporte alors dans la galerie souterraine sa victime impuissante mais
vivante, dont la chair servira uniquement à la subsistance et au développement des jeunes.
C'est surtout parmi les Insectes sociaux, c'est-à-dire parmi ceux qui sont constitués en sociétés, qu'apparaissent des sentiments très nets, très développés et parfois merveilleux d'amour maternel. Les abeilles en offrent un exemple presque idéal : lorsque la reine a déposé ses œufs dans les alvéoles de la ruche (elle pond environ douze mille œufs), c'est à une catégorie spéciale d'individus, les ouvrières ou neutres, que revient le soin de veiller sur ces œufs et les larves qui en naîtront ; rien de plus curieux que le soin, le dévouement dont les nourrices entourent leurs innombrables nourrissons ; elles les visitent à différentes heures de la journée, leur préparent et leur apportent la bouillie, composée d'un mélange de miel, d'eau et de pollen, et leur sollicitude ne se ralentit qu'au jour où la larve a atteint un développement suffisant.
Chez les fourmis, une sollicitude semblable entoure les jeunes ; des ouvrières placent séparément dans le nid les œufs, les petites larves et les nymphes, apportant à chacun la nourriture qui lui convient. S'il fait froid, la progéniture est transportée par les ouvrières du haut de la fourmilière jusque dans les profondeurs ; s'il fait chaud, la manœuvre inverse se produit, et les petits sont transportés en haut pour y recevoir l'air, la chaleur et la lumière, et rien n'est plus touchant que les précautions délicates et affectueuses avec lesquelles les ouvrières, seules ou à plusieurs, selon qu'il s'agit des œufs, des larves ou des nymphes, transportent leurs chers fardeaux. Leurs mandibules capables de décapiter un ennemi deviennent des mains déticates.
C'est surtout l'amour paternel qui, chez les poissons, se manifeste plutôt que l'amour maternel ; la femelle du poisson, en général, pond et ne s'inquiète plus de ses œufs ; le mâle seul veille sur le sort de sa progéniture, mais avec quel soin, quelle Ingéniosité ! Voici l'épinoche qui fabrique de toutes pièces avec des brindilles de roseau un panier en forme de manchon qui servira de nid pour la ponte de sa femelle, puis d'abri pour sa descendance. Il faut voir avec quel soin jaloux, une fois la ponte accomplie, le mâle veille, monte la garde, pour ainsi dire, autour du manchon qui protège les petits, éloignant, pourchassant, pourfendant même parfois de son aiguillon les poissons étrangers, petits ou gros, mais surtout les gros, qui chercheraient à s'approcher du panier familial !
Les crapauds paraissent assez indifférents à l'égard de leurs petits : toutefois il convient de relever l'intéressante disposition du crapaud de Surimam chez qui les œufs, après la ponte de la femelle, sont placés par le mâle sur le dos de la femelle où ils se logent dans des espèces d'alvéoles passagèrement ménagés dans la peau, et yséjournent jusqu'à l'écloslon. c'est-à-dire jusqu'à la naissance du têtard, assez grand, lui, et assez fort pour se tirer d'affaire tout seul...
Avec les reptiles, nous approchons des oiseaux, et dès lors nous assistons au développement de plus en plus marqué de l'amour maternel. Les faits commencent à abonder ; citons, seulement comme exemple, l'observation recueillie au Muséum, d'un serpent python qui couva ses œufs, enroulé sur lui-même, durant cinquante-six jours, sans prendre aucune nourriture.....
Les œufs des oiseaux ont besoin, comme on sait, d'être couvés pour
éclore ; aussi la paroi abdominale des oiseaux est-elle très riche en vaisseaux capillaires, surtout chez la femelle, dont la température atteint ainsi 5 ou 6 degrés de plus que celle du mâle. Cependant il n'est pas rare de voir couver les mâles : ainsi, chez les cigognes, le mâle et la femelle couvent alternativement, l'un le jour, l'autre la nuit.
Un fait d'amour maternel vraiment intéressant nous est offert parle pigeon : lorsqu'il éclot, le petit pigeon est imparfaitement développé ; ses yeux ne sont pas ouverts, il ne peut se tenir debout et il périrait presque à coup sur si ses parents ne lui portaient secours par un véritable allaitement : le jabot du pigeon, tapissé d'une couche muqueuse épaisse, sécrète, par une sorte de fonte cellulaire analogue à la fonte mammaire, un liquide plus ou moins épais, lait du pigeon, plus abondant chez le mâle; les parents se débarrassent de ce liquide nourrissant, en le portant dans la bouche du petit, ou bien ils se contentent de lui en engluer le bec.
Chez les oiseaux, l'amour maternel commence à prendre ce caractère noble et élevé qu'on remarque chez les animaux supérieurs. Un fait général, qui se trouve chez presque tous les oiseaux, est cette fuite bruyante à l'approche d'un ennemi, cet abandon du nid par les parents qui cherchent à attirer sur eux, par leurs cris, par leurs manifestations désespérées, le danger qui menace leurs petits.
La fauvette, la pie, le corbeau, le faisan, la caille, la perdrix, cette dernière avec un indicible courage, n'hésitent jamais à risquer leur vie pour sauver leurs petits : Le mâle de la perdrix s'élance sur le chien en arrêt devant la compagnie ; la faisane fond sur le chasseur pour défendre sa progéniture.
Jamais l'oiseau n'abandonne ses œufs ; Il convient d'ajouter que jamais il n'accepte l'œuf d'un oiseau étranger, même de son espèce ; alors la femelle s'enfuit, ou rejette l'œuf étranger, ayant de continuer à couver les siens.
Une exception parait exister (maïs parait seulement) pour le coucou, qui, on le sait, pond son œuf dans un nid étranger, le nid d'un passereau, puis l'abandonne. En réalité, le coucou n'abandonne pas son œuf, il se contente de le mettre aux enfants trouvés. On a prétendu que la femelle du coucou se désintéressait de sa progéniture ; c'est une erreur. Quand la femelle dépose son œuf dans le nid étranger, elle a toujours soin d'enlever un autre œuf, et cela par une sorte de manifestation d'amour maternel anticipé, et afin qu'il n'y ait pas trop d'œufs dans le nid ; si en effet les œufs contenus dans le nid étaient trop nombreux, l'Incubation se ferait mal par manque "de chaleur. La substitution une fois opérée, le passereau couve l'œuf du coucou avec ses propres œufs, et, chose bien remarquable, durant tout le temps pendant lequel couve le passereau, la femelle du coucou reste à proximité, exerçant par sa présence et par une sorte de fascination une intimidation sur le passereau, intimidation qui n'est peut-être que de la suggestion.
On a prétendu aussi qu'une fois l'incubation terminée, le jeune coucou tuait les petits passereaux ; c'est encore inexact ; une observation plus attentive a permis de constater que la femelle du coucou seule tue les petits du passereau, afin que toute la nourriture apportée par leur mère soit uniquement pour son petit coucou et profite à lui seul ; c'est l'amour maternel poussé jusqu'au meurtre I
Une légende veut que le pélican se laboure les flancs avec son bec pour donnner la nourriture à ses petits : il y aurait là encore un sublime
exemple d'amour maternel ; malheureusement ce n'est qu'une légende. Ce qui a pu lui donner naissance, c'est que le pélican possède sous son bec une poche où il peut emmagasiner jusqu'à trente livres de poisson ; lorsqu'il veut donner à boire à ses petits, il rejette ce poisson et il émet de sa poche-réservoir une eau sanguinolente, rougie par des détritus de poisson.
Chacun connaît l'amour si développé, si courageux parfois, de la poule pour ses poussins. Mais c'est surtout chez les mammifères que ce sentiment affectif atteint les proportions les plus élevées : poussé par l'amour maternel une chatte (l'observation en a été faite plusieurs fois) allaite de jeunes rats privés de leur mère ; une autre chatte accourt aux miaulements de ses chats ou aux cris d'une nichée de cobayes pour les allaiter alternativement.
Voici la baleine qui, lorsqu'elle met au monde son petit {petit long de quatre ou cinq mètres déjà), et sachant qu il ne peut téter, se couche sur le flanc et arrive par la contraction des muscles à lancer du lait à son baleineau qui n'a qu'à ouvrir la bouche-Est encore plus curieux l'exemple de la chauve-souris qui, pendant que dure l'allaitement de son petit,le garde constamment accroché à ses poils, cherchant sa nourriture, allant et venant, toujours avec son précieux fardeau. Nous ne finirions pas de citer ces exemples si instructifs, qui s'observent à tous les degrés de la série animale, et qui s'offrent à nos méditations comme le plus grandiose et le plus magnifique des enseignements. (Analyse par le Dr l'b. Maréchal).
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnoiogie et de psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 17 Mai et 21 Juin 1897, à 4 heures et demie. La séance annuelle aura lieu en Juillet.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon. secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.
NOUVELLES
Enseignement de Phypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés,
est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Dumontpallier, Bérillon, Max Xordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemeslc, Maurice Dupont, Gaube 'du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire. correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
— Le musée psychologique vient de s'enrichir d'une pièce très curieuse qui figuraità l'Exposition de Genève, c'est le grand cerveau de Buchi (de Berne) dans lequel se trouvent figurés les entrecroisements de fibres nerveuses. Celte pièce mesure encore 1 m. 50 de hauteur sur 75 cent, de largeur.
Cours annexe de l'Institut psycho-physiclogique de Paris
professé a L'Ile par le Dr P. Joire. Programme du cours du semestre d'été 1891.
1re Partie. — Etude préliminaire des états physiologiques et pathologiques connexes de l'hypnotisme.
2e Partie. — L'hypnotisme, causes et formes. Différents états hypnotiques. Suggestion. Auto-hypnotlsation.
3e Partie. — Etude médico-légale, clinique, thérapeutique de l'hypnotisme et de la suggestion.
4e Partie. — Etats médianiques. Extérïoratïon de la sensibilité. Extériora-tion de la motricité. Fakirisme. Transmission de la pensée. Suggestion mentale.
Le cours est public et a lieu tous les mardis, à 8 heures 1/2 du soir, au local de l'Union des Étudiants, 54, rue Xfcolas-Leblanc. Ouverture du cours, mardi 27 Avril.
Des conférences complémentaires et exercices pratiques sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie-physiologique auront lieu pour les élèves de toutes les facultés à des heures qui seront fixées ultérieurement.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
D* Baraduc [Hipp.). — L'iconographie en anses, de la force vitale cosmique et la respiration ßuidique de l'âme humaine, son atmosphère fluidique. Un vol. in-4°, 89 p. Carré et C. Xaux, 3, rue Racine. Paris. 1896.
J. Boi'vÉRY. — Le spiritime et l'anarchie devant ta science et la phi' losophie. Un vol. in-4°, 464 p. Paris 1P97.
J.-P. Durand (de Gros). — L'idée et le fait en biologie. Broch, in-4*, 88 p. Félix Alcan, Paris 1896.
Dr Collongues. — Recherches sur l'unité du Vitalisme avec l'ensemble des courants nerveux. Broch, in-8, 29 p. Cusset, 1895.
Juan Enrique LaGarrigue. — Lettre a Mgr Ireland. Broch, in-8,35 p. Santiago du Chili, 1896.
Dr Laupts. — Perversions et perversités sexuelles. Un vol. in-40, 3'/2 p. Carré, 3, rue Racine. Paris, 1896.
Df Luys. — Collection de cerveaux momifiés [Catalogue d'une). Broch. in-4«, 52 p. Clevmont, 1895.
Dr J.-M. Charcot. — La foi qui guérit. Broch. 38 p. Paris, 1897.
A. Chipault. — Travaux de neurologie chirurgicale. Un vol. broché 352 p. Vigot frères. Paris, 1896.
Dr Gérard-En-causse. — Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses. Un vol. in-8, 205 p. Paris, 1897.
Dr Paul Farèz. — De la dyshidrose. Un vol. broc., 196 p. Paris 1897.
L'Administrateur-Gérant : Exule BOURIOT Ö 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Qcelquejeu. rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
11e année. — N° 11. Mai 1897.
L'ANESTHÉSIE HYPNOTIQUE
Par M. le Dr Milne Bbahwell, de Londres.
OPÉRATIONS MESMÉRIQUES DESDAILE
On ne saurait faire un rapport complet sur l'anesthésie hypnotique sans remonter à Esdaiie. A l'époque où il commença ses expériences, Braïd n'avait pas encore établi la nature subjective des phénomènes et Esdaile lui-même partageait les théories erronées des mesméristes. Ceci eut peu d'influence sur les résultats, car ses premières opérations, sans douleur, faites à Hooghly le 4 avril 1845, furent très rapidement suivies de nombreux succès. A la lin de cette même année, Esdaiie adressait au gouvernement un rapport sur 100 opérations effectuées dans les conditions les plus satisfaisantes. Un comité, composé d'un grand nombre de médecins, fut chargé de juger l'œuvre d'Esdaile ; leur rapport ayant été des plus favorable, Esdaiie fut placé, par le gouvernement, à la tête d'un hôpital de Calcutta, pour y mettre en pratique sa théorie mesmérique. A partir de cette date jusqu'en 1851, époque où il quitta l'Inde, Esdaiie enregistra 261 opérations graves et plusieurs milliers de moindre importance. Le soulagement apporté par sa méthode aux malades atteints de tumeurs (élé-phantiasiques), réduisit la mortalité de ces derniers de 50 à 50/0.
Les malades n'avaient cessé d'accourir en foule de toutes les régions environnantes, et Esdaile put noter plus de cas en un mois que tous les hôpitaux de Calcutta n'en pouvaient fournir en une année. Ces brillants résultats étaient entièrement dus à la méthode mesmérique pratiquée par Esdaile, car, avant d'en faire usage, il n'avait opéré que 11 cas de tumeurs en six ans.
11
En 1853, Esdaile protesta avec indignation contre un rapport qui plaçait Péther au premier rang des anesthésiques. « Il est, disait-il à ce sujet, un fait simple et notoire, c'est que les opérations sans douleur, par le moyen du mesmérisme, furent pratiquées des années avant que l'éther ne fût reconnu, et son usage était aussi commun dans mes hôpitaux que l'usage du chloroforme l'est devenu depuis en Europe. »
A l'époque même où Esdaile pratiquait ses opérations mes-mériques dans l'ïnde, on essaya en vain de les faire adopter en Angleterre. Une communication sur une opération de la cuisse ayant été faite, un critique médical qualifia ladite opération d'imposture, tandis qu'un autre affirmait qu'il était impie de s'interposer ainsi entre la douleur, dont le but, selon lui, était de favoriser le rétablissement du patient.
L'HYPNOTISME EN CHIRURGIE — LES RÉSULTATS DE L'AUTEUR
L'introduction de l'éther et du chloroforme porta un coup mortel au mesmérisme.
Depuis que l'hypnotisme a pris rang parmi les sciences et qu'il est largement employé par un grand nombre de médecins, on n'ignore plus les usages que la chirurgie en peut faire.
Dès mes débuts dans la pratique de l'hypnotisme, lesquels datent de sept ans, je m'étais aperçu que, souvent, je pouvais déterminer l'anesthésie ; mais, comme nous possédions déjà des anesthésiques dignes de confiance, je regardais ceci comme principalement utile à démontrer la véritable nature du phénomène hypnotique. Les faits suivants m'ont néanmoins prouvé que son emploi en chirurgie n'est pas sans valeur.
Mlle A..., âgée de 20 ans, atteinte de double strabisme, fut opérée par M. Bendelack Hewetson, de Leeds, le 24 novembre 1889. Le seul anesthésique employé fut la suggestion hypnotique. Durant toute l'opération, la patiente tourna les yeux dans toutes les positions requises, et les tint dans chaque direction nécessaire pour maintenir la tension des fibres musculaires. Aucune souffrance ne fut observée ni pendant, ni après l'opération. La même personne avait déjà subi en 1881 une opération d'une fracture grave du nez, pour laquelle l'anes-thésie hypnotique avait été déterminée.
M. B..., âgé de 40 ans, janvier 1890, fracture grave des os du bras et de l'épaule, nombreuses lésions des parties molles et» par conséquent, ankylose des jointures. Ce patient, chloro-
lormé plusieurs fois, avait définitivement refusé l'anesthésie, après laquelle l'enflure, l'inflammation et l'immobilité du bras malade se reproduisaient invariablement. Il fut hypnotisé par essai, les adhérences furent alors détachées sans douleur, et le malade se rétablit.
M. A. Turner, L. D. S., a publié, dans le Dental Journal de mars 1890, le compte rendu de quelques-unes de ses opérations faites sur mes patients. « Ayant, dit-il, un grand choix de malades, je pris ceux que je considérais comme les plus capables de nous fournir une plus rigoureuse expérience de cette méthode. J'extirpai ainsi environ 40 dents, m'appliquant de mon mieux à découvrir des défectuosités au moyen employé... Je questionnai moi-même les patients ; mais les résultats obtenus furent des plus satisfaisants..., l'hypnose avait été déterminée, puis dissipée presque instantanément.
Une jeune fille souffrant d'une affection cardiaque; sujet faible, anémique, présentant en un mot tous les caractères de ceux pour lesquels l'emploi des anesthésiques n'est pas sans gravité, fut rapidement et paisiblement rendue insensible. Extraction lui fut faite de deux molaires droites, de deux molaires gauches et une inférieure (biscupide). Aucune douleur ni pendant, ni après l'opération, et aucun trouble dans la suite.
Un certain nombre de mes patients furent également opérés à Leeds, en mars 1890, et, selon M. Pridgin Teale, qui avec une soixantaine de médecins assistait à l'opération : « Les expériences furent excessivement intéressantes et merveilleusement couronnées de succès. » Il dit aussi : « Je suis cer-tain que le temps n'est pas éloigné où nous devrons reconnaître l'hypnotisme comme une partie nécessaire de nos études. » Parmi les expériences dont je viens de parler, je citerai seulement les deux cas suivants qui me paraissent devoir présenter quelque intérêt.
Mlle C, âgée de 19 ans. Carie des dents. Sujet faible et anémique. L'hypnose et l'anesthésie furent déterminées par ma suggestion écrite et seize dents lui furent extraites tandis que je me tenais dans une pièce voisine. Aucune douleur ni pen-dant ni après l'opération.
M. D..., âgé de 8 ans. Exostose du gros orteil. La première hypnose avait été déterminée deux jours auparavant. M. Mayo Robson enleva l'ongle du gros orteil ainsi que l'exostose et une
partie de la première phalange. Aucune souffrance ne fut ressentie ni pendant ni après l'opération.
Parmi les patients sur lesquels différentes de ces opérations furent pratiquées, quelques-uns étaient des sujets excessivement nerveux, et, par cela même, très sensibles à la douleur dans la condition normale ; d'autres étaient des travailleurs forts et bien portants ; à l'exception du petit garçon opéré du doigt de pied, néanmoins tous retournèrent le même jour à leur demeure et bénéficièrent d'une guérison très rapide.
résultats obtenus par d'autres praticiens
Un grand nombre d'opérations faites durant l'anesthésie hypnotique, ont été récemment rapportés par les docteurs dont les noms suivent :
France : Dr Schlmeltz Carcimone (du sein). Dr Bourdon, (fibrome utérin) ; Dr Tillaux (colporrhaphie). Allemagne : Dr Grossmann (fractures et entorses). Suède : M. Sandberg, (opérations dentaires). Suisse : Pr Forel (cataracte). Cuba : Dr Diaz (opérations dentaires). Amérique : Dr Wood (nécroses de l'humérus). Hollande : Drs Van Eeden et Van Renterghem (opérations dentaires).
D'autre part, plusieurs accouchements sans douleur, prématurés pour la plupart, ont été enregistrés, en France : parles docteurs Mesnet, Dumontpallier et Fanton ; en Allemagne : par le Dr Von Schrenk Notzing ; en Autriche, par le Dr Pritzl ; en Belgique, par le Pr Fraipont ; en Suisse : par le Dr Debro-volsky ; en Angleterre, par le Dr Kingsbury, etc.
objections a l'hypnotisme employé en chirurgie
La principale objection qu'on élève contre l'application de l'hypnotisme aux opérations chirurgicales, est la difficulté et l'incertitude dans la production de la première hypnose, les sujets présentant un degré très variable de susceptibilité. De récentes statistiques démontrent que, sur cent personnes, 94 en moyenne peuvent être hypnotisées. Cependant, dans une proportion considérable, plusieurs essais préliminaires sont nécessaires, et souvent l'hypnose ne devient pas assez profonde pour permettre une opération. On a remarqué qu'il est de règle presque générale que les individus les plus difficiles à endormir sont les nerveux et les hystériques ; l'équilibre
des forces physiques et des facultés intellectuelles facilitant incontestablement l'influence.
Il y a quelques années, alors que je m'occupais de médecine générale, il était rare que je ne puisse déterminer rapidement l'anesthésie hypnotique parmi mes malades, mais depuis que ma clientèle se compose presque entièrement de sujets atteints d'affections nerveuses chroniques, j'obtiens plus difficilement le sommeil hypnotique et l'insensibilité à la douleur. Dans ce cas, à moins de graves raisons s'opposant à l'emploi d'autres anesthésiques, je considère comme temps perdu, celui que l'on emploierait à essayer d'hypnotiser un patient dans l'unique but de pratiquer sur lui une opération quelconque.
SES AVANTAGES
A part les observations mentionnées ci-dessus, l'hypnotisme possède un grand nombre d'avantages :
1° Une fois que l'hypnose profonde accompagnée d'anesthé-sie a été obtenue, elle peut être immédiatement et de nouveau déterminée à quelque époque que ce soit.
2° Aucune répétition des différents procédés hypnotiques n'est alors nécessaire ; l'ordre verbal de dormir est devenu suffisant.
3° La présence de l'hypnotiseur n'est pas essentielle: le patient peut être influencé par l'opérateur par ordre écrit ou par tout autre moyen préalablement suggéré pendant l'hypnose.
4°. Aucune abstinence de nourriture ni aucune préparation n'est requise.
5°. L'appréhension nerveuse peut être écartée par la suggestion.
6°. L'hypnose est agréable et absolument inoffensive.
7°. Elle peut être, à volonté, maintenue indéfiniment ou terminée immédiatement.
8°. Le patient peut être placé, sans aucun risque, dans quelque position que ce soit, point qui n'est pas sans importance dans les opérations de la bouche ou de la gorge, et peut également changer cette position au commandement de l'opérateur. Les bâillons et autres liens destinés à maintenir l'immobilité deviennent dans ce cas inutiles.
9°. Le patient, rendu insensible à la douleur, peut être laissé sensible à d'autres impressions, ce qui est un grand avantage dans les opérations de la gorge.
10°. L'influence des muscles volontaires peut, dans les accouchements, être augmentée ou diminuée par la suggestion.
10°. Aucune tendance aux vomissements n'est observée ni pendant ni après l'opération, et ceci est d'un assez grand intérêt dans les cas d'opérations abdominales.
12°. Toute espèce de souffrances durant les suites de l'opération peuvent être écartées comme la douleur de l'opération elle-même.
13°. La rapidité des progrès est, par cela même, fréquemment très remarquable.
i.'anesthésie hypnotique est une chose a part.
Il est possible que de nouvelles améliorations apportées dans les méthodes employées à déterminer l'hypnose, rendent cet anesthésique absolument propice aux opérations chirurgicales, mais jusqu'alors ses usages en chirurgie doivent demeurer restreints. L'anesthésie hypnotique est néammoins d'un vif intérêt pour les physiologistes et les psychologues, mais elle demeure, selon moi, une chose à part et non, par aucun moyen, un narcotique ordinaire ; c'est une variété encore nouvelle des méthodes déjà employées pour préserver de la douleur par la suspension de la conscience cérébrale. C'est un point de départ; il constitue la première tentative heureuse de la désassociation des différentes sensations que toute l'histoire connue de l'organisme humain nous représente intimement et invariablement unies. La suppression de la douleur est ainsi obtenue par l'inhibition de toutes les sensations possibles du sujet et précisément celles qui devraient lui être le plus désagréables.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGiE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 15 Février 1897. — Présidence de m, Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu par M. P. Valentin, secrétaire, et adopté.
La correspondance imprimée comprend les journaux habituels et une demande de souscription à l'Annuaire des Sociétés savantes de Paris, dont la publication a été décidée dans une réunion des Secrétaires géné-raux des dites Sociétés.
La correspondance écrite comprend une communication de M. le Dr de Bourgon sur deux cas de blépharospasme tonique bilatéral douloureux, d'origine hystérique, guéris par l'emploi de la suggestion hypnotique.
A la suite de la lecture de cette communication par M. P. Valentin, une discussion s'engage sur la nature et le traitement des épilepsies, entre MM. Dumontpallier, Auguste Voisin et Jules Voisin, qui sont d'avis qu'il faudrait réviser la classification et la terminologie des névroses convulsives et asseoir sur de nouvelles bases la thérapeutique dont chacune d'elles est justiciable.
M. le Dr P. Valentin communique un cas de dermographisme provoqué par suggestion à l'état de veille chez une hystérique.
M. le Dr IL Lemesle, licencié en droit, attire à nouveau l'attention de la Société sur la nécessité de faire disparaître les psychoses dites pénitentiaires en examinant, au point de vue psycho-moral, tous les inculpés sans exception.
N. B. — Les communications sont publiées, dans les comptes rendus, dans l'ordre de leur remise au Secrétaire général. La séance est levée à 6 h. 10.
Le traitement de l'accès d'épilepsie.
Par M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpetriere.
Peut-on empêcher un accès d'épilepsie ? Beaucoup de malades n'ont des accès que sous l'influence d'une même cause, d'une même excitation alcoolique ou génésique, d'une même émotion ou d'une même vision ou audition. Si on supprime ces causes, on diminue considérablement le nombre des accès.
Chez une malade hystéro-épileptique qui avait des cauchemars toutes les nuits, j'ai supprimé les cauchemars par la suggestion et diminué le nombre des accès ; en même temps, je faisais disparaître ses phénomènes de monoplégie, qui étaient d'origine hystérique.
Dans l'épilepsie partielle à aura sensitive ou motrice d'un membre, la compression de ce membre au-dessus du point qui est le siège de la sensation anormale, peut arrêter une attaque. Ce moyen a été recommandé surtout par Odier. La flexion, ou l'extension forcée, ou encore la torsion d'un doigt de la main peut faire avorter une attaque. II en est de même du redressement forcé ou de la flexion forcée de la pointe du pied. Ce dernier moyen a été employé souvent par Brown-Séquard.
A Bicêtre, j'ai vu plusieurs malades qui avaient une espèce de garrot et qui se comprimaient l'avant-bras aussitôt qu'ils sentaient l'aura arriver, et ils pouvaient, par ce moyen, éviter une attaque. Des flagellations, des applications d'eau froide sur la figure peuvent encore avoir le même résultat. Une malade de la consultation. Mme Mon..., évitait une attaque en mangeant du chocolat ou une bouchée de pain. Chez d'autres
malades, cette aura gastrique est calmée par l'ingestion d'eau de fleur d'oranger, ou d'eau glacée, ou encore de sel de cuisine, comme Noth-nagel, Schultz et moi-même en avons vu des exemples. Féré cite le cas d'un malade de son service dont l'accès est arrêté quand on le frappe rudement entre les deux épaules, pendant le malaise qui précède le paroxysme. Un autre malade atteint de vertige ne tombe pas, si, pendant la période de suffocation prémonitoire, il s'entend appeler par son nom.
La compression de la carotide a donné d'heureux résultats entre les mains d'Alexander pour un malade qui avait des accès douloureux siégeant dans la région du maxillaire supérieur. J'ai essayé ce moyen plusieurs fois et je n'ai obtenu aucun résultat.
MM. François Franck et Pitres ont vu que l'application de glace sur le crâne, au niveau de la zone motrice, arrêtait les accès d'épilepsie chez un chien en expérience. On pourrait employer cette méthode dans les accès en série. Charcot conseillait l'application de glace sur la précordiale chez les individus qui avaient une aura cardiaque.
M. Féré a obtenu la suspension d'accès en série chez des malades en leur appliquant des bottes de Junod, et il recommande l'usage de bains sinapisés et du drap mouillé sinapisé, surtout dans les cas d'excitation maniaque. Pour lui, ces moyens thérapeutiques agissent en modifiant la tension artérielle en la diminuant.
En présence de l'imminence d'un accès, nous devons protéger le malade autant que possible contre le choc, et éviter la suffocation. Certains malades tombent toujours en avant, d'autres en arrière, d'autres enfin sur le côté, quelques-uns s'affaissent sur eux-mêmes. Ceux qui tombent lourdement en avant, doivent porter un bourrelet autour de la tête pour se préserver d'une fracture du crâne. On ne doit pas les laisser seuls dans les appartements où il y a du feu, car ils peuvent en tombant se brûler atrocement et causer un incendie. On doit aussi leur recommander de ne pas prendre un métier qui les expose à une mort certaine dans la chute, tel : le métier de couvreur, de matelot, de laveur, etc.
Enfin on évitera de faire coucher les épileptiques sur des lits élevés, car dans leur chute ils peuvent se blesser grièvement. Certains malades (nous avons deux exemples dans le service) se font des luxations à répétition de l'épaule chaque fois qu'ils tombent, et même cette luxation à répétition survenant la nuit, a été pour Trousseau le signe diagnostique d'une épilepsie nocturne méconnue.
Une grande surveillance doit être exercée la nuit dans un service d'épileptiques, car le malade peut mourir étouffé en se tournant la face contre un oreiller. Il peut aussi s'étrangler avec ses vêtements et s'étouffer avec ses couvertures.
L'oreiller de plume doit être banni, on doit employer l'oreiller de crin ou de varech. Ces oreillers, plus durs, ne peuvent entourer la face et produire la suffocation. A la période de stertor. un épileptique peut
encore mourir étouffé par la chute de la langue dans le pharynx par suite de la paralysie des muscles de la langue. Il faut, dans ce cas, mettre le malade dans un décubitus latéral ; la langue tombe de son propre poids sur le côté et la suffocation disparait. Si ce moyen ne suffisait pas, il faudrait faire des tractions sur la langue et employer la respiration artificielle.
Des inhalations d'éther, de chloroforme, de vinaigre aromatique, de nitrite d'amyle, de bromure d'éthyle, de sels anglais ont été employées pour suspendre les attaques d'épilepsie, mais ces moyens sont très aléatoires, très inconstants. Cela dépend du sujet sur lequel on opère. Il y a des malades chez lesquels l'odeur de l'éther produit ou aggrave l'accès au lieu de le faire disparaître. Le chloroforme produit le même effet chez certains sujets prédisposés. Le chlorhydrate de morphine, sous forme d'injections cutanées, amena dans certains cas des résultats heureux. Wallender obtint des succès avec l'apomorphine. Les injections de morphine ont un grand inconvénient; répétées, elles produisent la morphinomanie, maladie, chez un dégénéré comme l'est l'épileptique, aussi terrible que l'épilepsie elle-même, que l'on voulait combattre et que l'on ne fait pas disparaître. Aussi je ne conseillerai jamais cette thérapeutique.
Vous voyez que tous ces moyens employés contre l'accès paroxystique sont très inconstants ; chez certains sujets ils produisent de bons effets ; chez d'autres, un résultat tout opposé. Cela tient à la prédisposition de chacun.
Nous avons exposé jusqu'à ce moment les moyens les plus favorables pour empêcher l'accès paroxystique, voyons maintenant ce qu'il faut faire quand le malade est en proie à son accès. Il faut, aussitôt que l'individu esta terre, dégrafer son col et déboutonner ou délacer son vêtement. On le placera sur le côté pour que la salive s'écoule facilement, et que la langue ne viennent pas s'appuyer sur le pharynx. La tète sera très légèrement soulevée, la position doit être presque horizontale. Si le malade est tombé dans une chambre peu aérée, on ouvrira les fenêtres pour lui donner de l'air, on le laissera étendu sur un matelas ou sur son lit et on ne troublera pas son sommeil post-paroxystique. On n'essaiera donc pas à le faire revenir à lui, à le réveiller. Le sommeil, après une attaque epileptique, est le meilleur réparateur que le malade puisse se procurer. On aura soin aussi, si le malade gâte pendant son accès, de le changer pour lui éviter une impression morale pénible à son réveil. Une fois réveillé, il faudra aussi le laisser le plus possible dans l'ignorance de ce qui s'est passé. Enfin, si les accès étaient en série, si un véritable état de mal se produisait, il faudrait avoir recours à une médication, dont nous avons formulé les éléments, variable selon l'origine infectieuse ou autre de l'épilepsie.
La psychologie des calculateurs prodiges
(Note complémentaire) Par M. le docteur Paul Karez.
L'honneur et le mérite d'avoir créé la psychologie des grands calculateurs revient, comme chacun sait, presque complètement à M. Binet et à ses collaborateurs. Sans doute, déjà en 1881, M. Scripture a publié, dans l'American journal of Psychology (vol. IV, p. 1), un travail sur les calculateurs prodiges, mais ce n'est là qu'une étude purement historique. Sans doute, aussi, l'Académie des Sciences a fait examiner MM. Inaudi et Diamandi par une commission spéciale, composée de MM. Darboux, Poincaré, Tisserand et Charcot ; un rapport concernant M. Inaudi a même été lu à la séance du 7 juin 1892. Mais M. Binet, de son côté et sous les auspices de Charcot, au moins au début, a étudié séparément ces deux calculateurs au laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne ; il les a soumis à toutes sortes d'expériences très ingénieuses et il a consacré à chacun d'eux quinze séances de trois à cinq heures. A cette occasion, il a publié divers travaux dans la Revue des Deux-Mondes et dans la Revue philosophique ; j'ai moi-même mis largement à contribution quelques-uns d'entre eux lorsque j'ai exposé la psychologie comparative de MM. Inaudi et Diamanti dans un article paru ici môme le mois dernier. Pour ceux d'entre nos lecteurs qui désireraient aller aux sources et lire dans leur entier les remarquables travaux relatifs à ce sujet, nous nous faisons un devoir de donner les indications bibliographiques complètes.
Binet. — Le calculateur J. Inaudi (Revue des Deux-Mondes), 15 juin 1892). Binet et Henneguy. — Observations et expériences sur le calculateur
Inaudi (Revue philosophique, 1392, II, 204). Binet et Philippe. — Note sur quelques calculateurs de profession (Jd.,
1892, II, 221).
Binet. — Note complémentaire sur J. Inaudi (Id., 1893, 1, 106). Binet et Charcot. — Un calculateur du type visuel (Zd-, 1893, I, 590). Binet. — Expériences sur M. Périclès Diamandi (Jd-, 1894, I, 112).
Ces divers documents ont été réunis, revus et augmentés ; ils constituent maintenant une étude définitive publiée chez Hachette sous le titre de Psychologie des grands calculateurs et joueurs d'échecs. Ce livre, d'une lecture agréable et facile, contient des analyses psychologiques très pénétrantes, des observations d'un grand intérêt; enfin, la relations d'expériences nouvelles et jusqu'alors inédites.
Glanons, parmi tant d'autres, le fait suivant qui est fort curieux et qui a été rapporté par le frère de lait d'Inaudi : « Il paraît que la mère d'Inaudi, pendant qu'elle était enceinte de lui, passa par de dures épreuves morales. Elle assistait aux dilapidations de son mari et voyait
l'argent qui allait manquer pour payer de nombreuses échéances ; sous l'empire de la crainte de la saisie, elle calculait dans sa tête les économies à réaliser pour faire face aux engagements ; ses journées se passaient dans les chiffres, et elle était arrivée à une véritable manie de calculer (p. 27). »
Nous apprenons aussi que M. Diamandi présente le phénomène relativement rare que l'on appelle l'audition colorée. Pour lui, le dimanche est blanc et gris, — le lundi, marron, clair, — le mercredi, blanc et noir, — le jeudi, rouge café, — le vendredi, blanc et noir, — le samedi rouge café. * Les noms ont aussi des couleurs : Inaudi, bleu ; Charcot, blanc luisant ; psychologie, noir, etc. (p. 118). »
Notons en outre ceci. Pour M. Binet, les calculateurs prodiges présentent des ressemblances tellement constantes que l'on peut estimer qu'ils appartiennent à une sorte de famille naturelle. Les caractères distinctifs de cette famille seraient les suivants (p. 198) :
1° Pas d'influence héréditaire,
2° Pas d'influence de milieu,
3° Naissance dans un milieu misérable,
4° Précocité très grande (8 ans en moyenne),
5° Aptitude au calcul se manifestant chez l'enfant encore illettré,
6° Absorption de toute l'intelligence par les chiffres,
7° Aptitudes se développant par l'exercice et diminuant rapidement par le non-usage.
On trouvera aussi dans ce livre une courte biographie de divers calculateurs célèbres (p. 1-24) ; les principaux sont, outre Inaudi (d'Ono-rato, en Piémont) et Diamandi (de Pylaros, Iles Ioniennes) :
Nikomachos de Gerasa, dont parle Lucien ;
Mathieu le Coq qui accompagna le duc do Chevreuse en Italie en 1664 ;
Tom Fuller, surnommé le calculateur de Virginie ou le calculateur nègre; c'était un esclave qui vivait vers le milieu du siècle dernier j
Jededîah Buxton (1705-1762), né à Elmeton, près de Chesterfîeld» lequel fut examiné à Londres par la Société royale ;
Ampère, qui fut un très grand mathématicien ;
Gauss, considéré comme le plus grand géomètre dé ce siècle ;
Zerah Colbum, né en 1804, dans l'État de Vermont (Etats-Unis), fut amené à Londres, puis à Paris et admis comme élève au lycée Napoléon ;
Mangiamele, pâtre Sicilien, né en 1827, présenté par Arago à l'Académie des Sciences en 1837 ;
Dase, né en 1824, qui eut la patience de calculer les tables de logarithmes;
Henri Mondeux (1826-1862), pâtre de la Touraine, rcueilli par un instituteur de Tours, M. Jacoby, et présenté à l'Académie des Sciences (Rapport de Cauchy) ;
Bidder, qui remporta le prix de mathématiques à l'Université d'Edimbourg et devint président de 1" « Institution of civil Engineers ».
Nous apprenons en outre que Prolongeau était né sans bras ni jambes (p. 189). Autre particularité : Zerah Colburn présentait une polydactylie héréditaire ; il avait « un doigt surnuméraire à chaque main et un orteil surnuméraire à chaque pied » (p. 12)....
Signalons encore un excellent chapitre sur la simulation de la mémoire des chiffres. Enfin, une étude très remarquable et tout à fait nouvelle sur la psychologie des joueurs d'échecs, forme la seconde partie de ce livre si attachant et si instructif, dont, en somme, on ne saurait trop recommander la lecture.
Séance du 15 Mars 1897. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu par M. P. Valentin, secrétaire, et adopté.
La correspondance comprend, en dehors des journaux habituels, une lettre d'excuses de M. le Df H. Lemesle, qui ne peut assister à la séance.
M. le Dr Valentin Ht un mémoire de M. Marandon de Montyel sur deux cas de fausses grossesses avec rappel immédiat de la menstruation par suggestion à l'état de veille.
M. le Secrétaire général propose de mettre à l'ordre du jour de la Société la question de la suggestion envisagée au point de vue de la captation des testaments. Cette proposition est adoptée.
Une question, posée par M. le Dr Pau de Saint-Martin, au sujet d'un érythème observé à la suite de l'imposition des mains pendant l'hypnose, amène un échange de vues entre MM. Bérillon, Dumontpallier, A. Voisin, Desjardin de Régla et Valentin, d'où il résulte que la question de l'influence à distance du fluide nerveux sur l'organisme mérite d'être réservée.
M. Bérillon présente un enfant atteint de peurs d'origine émotive, traitées avec succès par la suggestion. La séance est levée à 6 h.
Du rôle complémentaire de la suggestion dans la cure des affections chirurgicales chez les névropathes.
Par M. le D' P. Valentin.
Quand on envisage les applications de la suggestion à la chirurgie, on songe tout d'abord et presque uniquement aux avantages du sommeil artificiel considéré comme succédané de la narcose chlorofor-mique. Un nombre déjà respectable d'opérations ou d'accouchements
ont été, en effet, pratiqués sans douleurs pendant l'hypnose provoquée chez des névropathes, depuis que J. Braid eut l'idée, un des premiers sans doute, d'utiliser l'anesthésie suggérée dans certaines interventions chirurgicales. Nous avons nous-même récemment publié (1) l'observation d'un enfant chez lequel la circoncision put être facilement menée à bien, à la faveur du somnambulisme provoqué. Toutefois, si intéressants que soient des, faits de ce genre, ils ne doivent pas nous faire oublier que, en dehors de son rôle anesthésique au moment même de l'opération, la suggestion, hypnotique ou non, est appelée dans bien des cas à rendre aux chirurgiens d'indéniables services, soit comme élément de diagnostic, soit comme adjuvant du processus normal de la guérison post-opératoire. C'est à titre de contribution à l'étude de ces applications toutes spéciales de la suggestion à la chirurgie, que nous rapportons l'observation suivante, avec le développement et les réflexions, qu'elle nous a paru comporter.
Observation.
Hysiérte viscérale rebelle. — Pseudo-péritonite récidivante consécutive à une castration totale pour tuberculose métro-tubo-ovarienne. — Troubles concomitanís des fonctions digestives, du sommeil et du caractère. — Guérison en cinq séances de suggestion hypnotique.
Jeanne F.... est née en Touraine, le 12 mai 1874, dans une famille d'ouvriers fixée à Paris depuis une quinzaine d'années. Son père, emphysémateux, sujet à de violentes crises d'asthme, est mort de complications cardiaques en 1895. Sa mère, devenue obèse à la ménopause, se plaint souvent de douleurs vagues dans les régions lombaires et abdomino-crurales. Sa sœur jumelle, pâle et chétive, a gardé, d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu, un rétrécissement mitral mal compensé. Son jeune frère a toujours été soigné pour otorrhée, végétations adénoïdes et bronchite chronique. Quant aux autres parents, ascendants ou collatéraux, ils sont tous nerveux, rhumatisants ou scro-fuleux. Pas d'alcoolisme ni de syphilis héréditaire.
Malgré ces antécédents familiaux et en dépit des circonstances défavorables de sa naissance, Jeanne F..., nourrie au sein et précoce au point de vue de la marche et du langage, n'eut guère, jusqu'à la puberté, que les maladies ordinaires de l'enfance. Le peu de temps qu'elle passa sur les bancs de l'école lui valut des éloges pour sa mémoire heureuse et son intelligence éveillée. Seules, une sensibilité exagérée et des inégalités d'humeur inexplicables trahissaient une prédisposition nerveuse qu'un surmenage hâtif et des émotions multipliées devaient bientôt développer.
Les règles, douloureuses dès leur première apparition, s'accompagnaient parfois de telles souffrances que la jeune fille en était réduite à
(1) Revue de l'Hypnotisme (février 1897).
garder le lit pendant toute leur durée ; aussi en vint-elle peu à peu, comme son entourage, à les redouter à l'égal d'une véritable calamité périodique. Dans l'intervalle des périodes menstruelles, le ventre restait souvent dur et tendu.
Jeanne F... n'en travaillait pas moins, depuis l'âge de treize ans, dans un atelier mal aéré, où elle passait de douze à quinze heures par jour à confectionner au chalumeau des yeux de verre pour naturalistes. Deux ou trois fois par semaine, elle allait livrer en ville, et ce détail a son importance pour l'avenir, si l'on note qu'elle portait chaque fois un paquet assez lourd en le tenant appliqué contre l'abdomen. Repas sommaires et pris très vite, veilles prolongées, fatigues fréquentes, émotions dépressives, tout conspirait à entraver la croissance normale de la jeune fille, à développer, avec l'anémie, son hystérie latente, à créer enfin chez elle un état de misère psycho-physiologique éminemment favorable à l'invasion bacillaire et à l'éclosion des troubles nerveux.
Tout à coup, en octobre 1893, éclatent des symptômes abdominaux si alarmants que la malade est transportée d'urgence à l'hôpital. On diagnostique une suppuration pelvienne, qu'on traite par l'incision et le drainage du cul-de-sac de Douglas. Quelque temps après, comme il reste des adhérences et une rétroversion irréductible, on rétablit la statique utérine par l'opération d'Alquié-Alexander. Aucun accident ne se reproduit pendant huit mois, et, sans la légère dysménorrhée qui persiste, suivie de (lueurs blanches, la jeune fille pourrait se croire parfaitement guérie.
C'est au mois de novembre 1894 que nous sommes appelé pour la première fois auprès de Jeanne F.... Elle est couchée, en proie à des douleurs intenses localisées dans l'hypochondre gauche ; elle a des frissons, du métérisme, des vomissements, une température élevée. La famille, consternée, nous met en quelques mots au courant du passé pathologique de la malade. S'agit-il encore d'une nouvelle poussée de pelvi-péritonite ? Le traitement antiphlogistique, institué sans retard, amène une détente appréciable ; le palper devient possible, et nous constatons l'existence d'une pyosalpîngite à gauche. Notre éminent confrère et ami le Dr Aubeau, veut bien, avec sa bonne grâce ordinaire, faire à ces braves gens l'aumône d'une consultation à domicile. L'examen clinique, hématologique et bactériologique le conduit au diagnostic précis de tuberculose tubo-métro-ovarienne ; la castration complète par la voie vaginale pratiquée quelques jours après à l'Hôpital International, nous montrait l'ovaire gauche, criblé de granulations, et, adhérant fortement à un utérus fongueux, la trompe du même côté jaunâtre, épaissie, remplie de pus et de débris caséeux. Les suites de l'opération furent excellentes. Trois semaines s'étaient à peine écoulées que Jeanne F... quittait la Polyclinique pour rentrer chez elle en fort bon état, entièrement tranquillisée, ainsi que les siens, et regardant comme impossible tout retour offensif des accidents abdominaux.
Tout allait bien depuis quatre mois, quand survient brusquement la crise d'asystolie qui devait emporter le chef de la famille. Jeanne F.... rentre un soir de son travail, juste à temps pour voir son père lui tomber mort dans les bras. Le choc est terrible : la jeune fille s'abandonne à une douleur sans mesure, à laquelle succède une tristesse sans remède. Elle reste plusieurs jours sans manger ni dormir. Puis apparaissent un certain nombre de troubles psychiques caractéristiques : impulsivité extrême, variabilité d'humeur incroyable, tendance au mensonge et à la contradiction, rires ou pleurs également injustifiés, etc. Son appétit, capricieux au suprême degré, oscille de l'anorexie à la boulimie ; une dyspepsie atonique s'installe et se trahit par des bor-borygmes sonores, des renvois gazeux, une constipation tenace. Quant au sommeil, il est rare, lourd, coupé de réveils subits ou peuplé de cauchemars évoluant autour d'un souvenir funèbre : la mort du père dans les circonstances que l'on sait.
La malade se voit maigrir, envisage l'avenir avec une inquiétude croissante, et se demande anxieusement ce que deviendrait sa famille, dont elle est le soutien, si elle retombait gravement atteinte, comme autrefois. Cette idée d'une rechute possible de son ancienne péritonite la hante bientôt nuit et jour : elle sent d'abord de vagues points névralgiques dans la région du creux de l'estomac ; puis ces douleurs s'aiguisent, se précisent, s'irradient à tout l'abdomen. Enfin surviennent coup sur coup, dans l'espace de six semaines, deux attaques de pseudopéritonite avec faciès grippé, pouls petit, vomissements, hoquet, hyper-esthésie considérable de la paroi abdominale. Une forte suggestion à l'état de veille, doublée d'une légère potion chloroformée et de quelques cataplasmes, en a chaque fois assez facilement raison.
Sur ces entrefaites, nous avons pu étudier à loisir les réactions nerveuses de la malade et nous convaincre que ces prétendues récidives de péritonite, malgré le luxe de symptômes qui les entourent, n'ont d'autre cause qu'une idée morbide née à la faveur du traumatisme moral et qui, envahissant peu à peu tout le champ de la conscience, a fini par reconstituer de toutes pièces le tableau clinique des lésions qui avaient rendu la castration nécessaire. D'ailleurs, en dehors des troubles des fonctions digestives, du sommeil et du caractère, les stigmates hystériques abondent: rétrécissement du champ visuel et dys-chromatopsie à gauche, perversion de l'odorat et du goût, hyperesthésie à droite contrastant avec une notable hypoesthésie à gauche, abolition du réflexe pharyngé. De là, pour peu que tarde le retour à l'équilibre des centres nerveux, l'indication formelle du traitement par la suggestion à l'état d'hypnose. La mère, prévenue, souscrit d'avance à l'emploi de la thérapeutique suggestive.
Le moment de l'utiliser ne se fait pas attendre. Pour la troisième fois, le 9 août 1895, les phénomènes de pseudo-péritonite se reproduisent avec tout leur cortège de symptômes à grand fracas. Nous nous approchons du lit où la malade est étendue, livrée aux pires souffrances, et,
sans préambule, nous la regardons fixement dans les yeux, en lui affirmant qu'en moins d'une minute elle va s'endormir profondément. Nous obtenons, en effet, presque immédiatement un sommeil au quatrième degré (Liébeault) avec catalepsie et automatisme rotatoire. Joignant le geste à la parole, nous faisons des passes prolongées sur le thorax, l'abdomen et les membres de la jeune fille ; nous lui montrons la parfaite souplesse de ses organes internes, en massant à pleines mains l'estomac et l'intestin ; puis, nous la laissons dormir trois heures en lui ordonnant de rêver qu'elle est complètement rétablie et que rien ne l'empêchera de se lever le soir même pour se mettre à table avec sa famille. Avant de la réveiller, au bout du temps convenu, nous lui réitérons la suggestion déjà faite. Jeanne F... ouvre les yeux : elle ne se souvient de rien ; mais tout se passe comme nous l'avons prescrit. La famille est émerveillée.
Les 10, 12, 15 et 19 août, nous rendormons la malade et rétablissons successivement par des suggestions intensives toutes ses fonctions somatiques et psychiques. En cinq séances de psychothérapie à l'état d'hypnose, non seulement toute trace de malaise a disparu, mais la jeune fille est calme, forte, maîtresse d'elle-même : il n'y a plus ni insomnie, ni constipation, ni douleurs d'aucun genre, et l'appétit se régularise. Depuis cette époque, Jeanne F... a continué à travailler et à se bien porter. L'anniversaire de la mort de son père n'a ramené aucun accident morbide. Quant à la castration utérine, elle semble bien ne lui avoir laissé ni infirmités, ni regrets. Bien plus, événement assez inattendu, elle est fiancée à un jeune homme qui sait depuis longtemps à quoi s'en tenir sur les conséquences matrimoniales de l'hystérectomie. Le mariage sera célébré dans les premiers jours du mois prochain.
*
* *
Telle est l'histoire clinique de cette malade. Elle nous montre l'évolution progressive et presque fatale d'une hystérie entée sur un tempérament lymphatique, aidée par l'accumulation précoce de toutes les causes de surmenage, et dont l'éclosion définitive, provoquée par un traumatisme moral, ravive l'image récente d'un traumatisme chirurgical sous la forme familière du syndrome qui l'a tant de fois précédé.'
Si les mêmes lésions de tuberculose génitale s'étaient rencontrées chez une jeune fille pourvue d'un système nerveux normal, la castration totale aurait vraisemblablement clos la série des troubles abdominaux.
Toutefois, une récidive vraie de péritonite bacillaire restait possible; et, dans ce cas particulier, il n'aurait pas fallu se hâter de conclure à la nature hystérique des nouveaux accidents sans s'être assuré au préalable, dans l'intervalle des crises douloureuses, qu'il n'existait aucun signe réel de tuberculose locale. Or, toute investigation dirigée dans ce sens restait muette, et, d'autre part, l'hypothèse de l'origine névro-pathique probable de ces rechutes trouvait dans la concomitance des stigmates hystériques une confirmation chaque jour plus éclatante. Le traitement psychique devait, du reste, trancher les dernières difficultés
de diagnostic, et donner du même coup à ces troubles, en apparence si graves, le pronostic relativement bénin qu'ils comportaient. Dès la première séance de suggestion, le doute n'était plus permis : il s'agissait bien là d'une pseudopéritonite par autosuggestion chez une hystérique dont un choc émotionnel avait brutalement détruit l'harmonie des fonctions psychiques ; d'où le réveil automatique d'images se rattachant à des événements antérieurs bien faits pour laisser dans le cerveau du sujet une impression profonde et durable.
Ainsi, c'est la prédisposition nerveuse de Jeanne F... qui a rendu possible chez elle, après la mort du père, la désagrégation psychologique avec ses corollaires : éclipse du contrôle cortico-cérébral supérieur, troubles de la sensibilité, du sommeil et du caractère, accidents répétés de pseudo-péritonite. Ce que n'avait pu produire seul le choc opératoire, malgré trois interventions successives (incision du cul-de-sac de Douglas, raccourcissement des ligaments ronds, hystérectomie totale), un traumatisme moral unique l'a fait. Qui sait ce qu'il fût advenu de Jeanne F..., surmenée, anémiée, déjà gravement touchée par la bacillose, si la déchéance organique, entraînée par une perturbation considérable des fonctions les plus essentielles, n'avait pas été promptement enrayée par la suggestion ? Ici, en effet, la psychothérapie ne s'est pas bornée à régulariser l'automatisme psychologique : en portant son action sur tous les départements nerveux en souffrance, elle a encore contribué dans une large mesure au relèvement de l'état général.
Nous ne saurions donc mieux terminer cette rapide monographie qu'en insistant, en manière de conclusion, sur le rôle complémentaire dévolu à la suggestion dans la cure des affections chirurgicales des névropathes. Indispensable quelquefois pour établir avec certitude un diagnostic difficile, la suggestion, avec ou sans sommeil hypnotique — et nous avons vu, dans le cas présent, combien l'hypnose peut être un facteur important du succès — est toujours un auxiliaire utile au traitement. Elle réduit au minimum les réactions psychiques de la maladie locale, écarte d'emblée un grand nombre de symptômes surajoutés et procure au patient un bien-être qui n'est pas à dédaigner. Elle jette par là sur le pronostic un jour souvent inattendu. Elle permet enfin, dans certains cas, par son influence indiscutable sur les fonctions qui concourent à la nutrition organique, la restitutio ad integrurn des réserves vitales sans lesquelles il n'est pas de retour complet à la santé.
Pédagogie clinique : Deux cas de pusillanimité traités avec succès par la suggestion.
Par m. le docteur Edgar Bérillon.
Il n'a pas encore été publié, à notre connaissance, d'observations de pusillanimité traitée par la suggestion. On rencontre cependant beaucoup d'enfants chez lesquels la poltronnerie acquiert dans certaines
circonstances une telle intensité, qu'on peut la considérer comme la manifestation d'un état névropathique réel.
Chez les enfants, il est extrêmement rare que l'émotivité morbide se présente avec les caractères que l'on observe chez les adultes atteints de phobies et dont la peur est accompagnée d'états d'anxiété et de troubles généraux aussi pénibles que durables.
Chez les enfants, les manifestations de la peur sont soudaines ; elles sont passagères. Que l'enfant soit placé dans les conditions capables de mettre en jeu les phénomènes réflexes d'où résulte l'émotivité morbide, sa peur apparaîtra. Elle disparaîtra dès qu'il sera soustrait aux influences qui ont donné naissance au phénomène émotif. Ce qui caractérise aussi les peurs de l'enfant, c'est qu'elles sont nettement systématisées. Tel enfant éprouvera le sentiment de la peur lorsqu'il sera dans l'obscurité, tel autre ne l'éprouvera qu'en présence d'un animal quelconque. Tandis que les uns auront peur des chiens, les autres auront peur des oies, des rats, des chats, des bêtes à cornes, des araignées, etc. Il peut se présenter ce fait qu'un enfant extrêmement poltron dans certaines circonstances, se révèle capable d'un grand courage dans certaines autres. S'il est vrai qu'il est fréquent de rencontrer la pusillanimité associée à nombre de stigmates de la dégénérescence héréditaire, il faut reconnaître aussi que tous les poltrons ne sont pas des dégénérés.
Il faudrait plutôt rechercher la cause de la pusillanimité dans des procédés d'éducation défectueux, dont l'intimidation forme la base. On pourrait aussi le trouver dans des influences de milieu et dans des manifestations de peur dont l'enfant aura eu l'exemple sous les yeux.
Ce qui tendrait à prouver que la pusillanimité a son point de départ dans des impressions morales, c'est la facilité relative avec laquelle on peut arriver, ainsi qu'en témoignent les deux observations suivantes, à guérir ces états d'émotivité morbide, par l'emploi de la suggestion hypnotique.
Obs. I. — Peur de l'obscurité. — Terreur nocturne. Guérison par la suggestion hypnotique.
Au mois de Novembre 1896, l'enfant Marius G., âgé de 12 ans, fut adressé à notre clinique par M. le docteur Manouvrier, professeur à l'Ecole d'anthropologie. Jusqu'à Page de 6 ans, son caractère avait été normal et il n'avait jamais présenté de signes de pusillanimité. Ses antécédents héréditaires sont d'ailleurs des plus favorables. Son père et sa mère, bien portants, ne sont pas peureux ; un frère ainé, qui accomplit son service militaire, n'a jamais présenté d'états d'émotivité analogues ; trois sœurs, très bien portantes, ne sont nullement peureuses. Il est le seul poltron de la famille.
Son aspect physique n'est nullement en rapport avec les troubles nerveux qu'il présente. Il est robuste et vigoureux.
A l'âge de 6 ans, il éprouva une vive émotion en apprenant la mort
de sa grand'mère qu'il aimait beaucoup. Quand il la vit étendue sur son lit mortuaire, il fut pris d'une peur irraisonnée. Depuis ce moment, il eut peur de l'obscurité. Quand son père l'envoyait à la cave, il se mettait à trembler et donnait un sou à l'une de ses sœurs pour lui épargner cette corvée. La sœur, qui n'était pas peureuse, s'empressait de s'acquitter de la commission. Il avait la môme peur de la demi-obscurité, et ne se résignait pas facilement à aller dans le sous-sol. Il avait peur, disait-il, qu'il y eût des individus cachés dans les escaliers.
Le soir, hanlé par les peurs de la journée, il se couchait et tombait dans un sommeil profond ; mais, vers minuit, il se réveillait en sursaut et criait : « Maman ! Maman ! Quelle heure est-il ? » Il criait assez fort pour réveiller tout le monde. Sa mère se levait, le rassurait, lui affirmant qu'il n'y avait personne dans la chambre. Alors il se rendormait jusqu'au matin.
Cela durait depuis sis ans lorsque le traitement fut commencé. On tenta de l'hypnotiser, mais il se montra absolument réfractaire. On insista pour qu'il revint à la clinique trois fois par semaine. Au bout d'un mois, s'étant convaincu, par la vue des autres malades traités, que l'hypnotisme était absolument inoffensif, il se laissa hypnotiser et tomba dans un sommeil profond. Los membres de la Société pourront s'assurer que l'hypnose est chez lui très accentuée et qu'il est anesthé-sique à la piqûre de l'épingle.
Dès le jour où il fut hypnotisé, les suggestions ont agi et les terreurs de la nuit ont disparu: actuellement, il n'a plus peur de l'obscurité. La guérison est complète. Mais en même temps que la peur a disparu, son état mental s'est modifié dans un sens favorable, sa physionomie est devenue plus éveillée, son intelligence est certainement plus développée. Le fait a frappé tous ceux qui ont suivi les phases du traitement.
Obs. II. — Pusillanimité précoce. — Antécédents héréditaires. Guérison par la suggestion hypnotique.
L'enfant Louis B..., âgé de sept ans et demi, a commencé à manifester des tendances très prononcées à la peur, dès l'âge de deux ans. Il a des antécédents héréditaires assez défavorables. Son père est doué d'un caractère emporté ; sa mère est très impressionnable ; sa sœur, âgée de quatorze ans, est atteinte de chorée hystérique. Elle a présenté également des troubles con.vulsifs d'hystérie. L'enfant B..., est atteint d'onychophagie.
Dès l'âge de deux ans, Louis B... donnait des signes de peur quand on le laissait dans l'obscurité, quand on le laissait tout seul, quand quelqu'un tombait ou quandil voyait couler du sang, quand sa sceur avait des crises, et surtout quand son père s'emportait.
Il avait également une peur extrême du tonnerre. Sa mère l'ayant conduit dans des fêtes des environs de Paris, le bruit des détonations dans les tirs forains provoquait chez lui de telles terreurs, qu'il se
cachait la tête dans les genoux de sa mère et poussait des cris terribles. Ses peurs multiples et répétées, survenant à l'occasion des incidents les plus futiles, exerçaient une influence très fâcheuse sur sa santé. Il dépérissait à tel point, que son état inspirait de sérieuses inquiétudes.
Quand on l'amena à la clinique, il se mita pousser des gémissements et on s'appliqua à le calmer ; enfin, influencé par le spectacle des malades qui dormaient paisiblement, il s'endormit sur les genoux de sa mère. On lui suggéra de revenir sans aucune crainte et de se laisser endormir facilement ; dès lors le traitement fut facile. Au bout de quelques séances il était méconnaissable. Les peurs l'avaient toutes abandonné. Un jour, dans la rue, il vit tomber un cheval et ne manifesta aucune frayeur ; à ce sujet, il dit à sa mère : * Tu vois, cela ne me fait plus peur : il faudra le dire au docteur Bérillon. » Actuellement, le jeune Louis B. est un enfant à mine très éveillée. Il est complètement transformé. Il dort seul dans une chambre, sans lumière. Il est devenu un excellent élève et il a fait à son école de rapides progrès. Nous l'avons également débarrassé de l'habitude de ronger ses ongles.
Il n'est pas inutile de faire remarquer que la guérison de l'émotivité morbide, chez les deux enfants qui font le sujet de ces observations, s'est montrée durable. Chez le second, en particulier, la guérison remonte à trois ans et ne s'est jamais démentie un seul instant. Ces faits apportent ainsi la meilleure réponse à la question souvent posée : " Les résultats des applications pédagogiques de la suggestion sont-ils durables? »
ÉTUDES BIOGRAPHIQUES
JAMES BRAID : son œuvre et ses écrits
Par M. le docteur Milke Bramwell, (de Londres)
(suite) Aimants, etc....
Au temps de Braid, les mesmérites soutenaient que les aimants, certains métaux, le cristal, etc., possédaient un pouvoir particulier et étaient capables de produire, sur des sujets sensitifs, certains phénomènes tels que : désagréable sensation d'éblouissement, migraine, attaques d'évanouissement ou de catalepsie, caractérisées par des spasmes si violents qu'ils semblaient mettre en danger la vie du patient.
Braid exécuta un grand nombre d'expériences destinées à éprouver l'exactitude de ces phénomènes et il obtint les résultats suivants : Les prétendus aimants produisaient des effets négatifs lorsque les patients étaient dans l'ignorance de ce qui était expérimenté mais ils apparaissaient invariablement lorsque ceux-ci avaient des idées préconçues du sujets ou lorsqu'ils étaient excités par les plus puissantes interrogations.
Ceci raffermit Braid dans cette conviction que l'esprit seul du patient suffisait à produire les effets attribués à une force magnétique et que les idées suggérées étaient capables d'exercer une grande variété de sensations physiques et de conditions mentales.
La relation suivante d'une expérience de Braid démontre que la suggestion était la véritable explication des pouvoirs mesmériques attribués aux aimants et à certains métaux. « Dans une visite que j'eus le plaisir de rendre, à Londres, à un docteur qui faisait couramment usage du mesmérisme comme d'un autre remède, la conversation s'engagea sur les effets extraordinaires qu'il avait obtenus en faisant usage des aimants dans l'état mesmérique, et, avec bonté, il s'offrit à me démontrer le fait sur une patiente alors endormie dans la pièce même où nous nous trouvions et qui, selon moi, ne perdait pas un mot de notre conversation. »
« Il médît que, lorsqu'il plaçait l'aimant dans ses mains, il se produisait bientôt une catalepsie des membres supérieurs, et tel fut le résultat. Puis ayant fait cesser la catalepsie par le fait seul d'avoir retiré l'aimant des mains de la patiente, il me démontra, de la même manière, que le simple contact de l'aimant sur un membre quelconque rendait celui-ci complètement inflexible. »
« Je lui dis, à mon tour, que je venais justement de tirer de ma poche un petit instrument long de trois centimètres environ et surmonté d'un anneau à l'un de ses extrémités lequel, quoique bien différent du sien par la forme, et beaucoup moins important par la grosseur, n'en possédait pas moins un pouvoir égal, et j'offris de l'expérimenter aussitôt sur la même patiente, toujours endormie. La catalepsie des mains et des bras s'étant produite exactement comme la première fois, je repris l'instrument et le replaçai de nouveau dans une autre position disant que, de cette manière, il devait nécessairement produire l'effet inverse et que nous verrions bientôt la patiente devenir incapable de le tenir et, que si je fermais ses mains sur l'instrument, celles-ci s'ouvriraient quand même et le laisseraient échapper. Ma prédiction s'accomplit do point en point, au grand étonnement de mon honorable ami qui m'exprima son vif désir de connaître au plus tôt la cause de pouvoirs si opposés. Je me refusai, pour le moment, à le satisfaire, mais je promis de m'exécuter dès que je lui aurais donné quelques autres preuves de la remarquable puissance de mon instrument. Je lui dis alors qu'en touchant de mon « talisman » quelqu'une des extrémités de son corps, celle-ci se soulèverait, puis, deviendrait cataleptique, et tel fut le résultat ; je le lui prouvai, de la même manière, qu'un second contact sur la même partie réduisait la rigidité et faisait retomber le membre influencé.
« Après une variété d'expériences aussi affirmatives, la patiente fut réveillée. Et je portai bientôt l'étonnement de mon ami à son comble en rendormant et en réveillant tour à tour son sujet par le seul fait
d'appliquer successivement mon « talisman », en diverses positions, sur différentes parties du corps.
« Puis, étant passé dans une autre pièce, je montrai au docteur la réelle nature de mon petit instrument et lui expliquai les magiques pouvoirs qu'il paraissait posséder. Il fut fort surpris lorsque je lui prouvai que ce n'était rien de plus que la clef de ma valise, et j'ajoutai que ce qui lui avait communiqué l'apparence de pouvoirs si variés n'était rien autre que les simples prédictions que la patiente m'avait entendu faire, agissant sur elle, dans l'état particulier du sommeil nerveux, comme des impulsions irrésistibles devant être effectuées conformément aux résultats qu'elle m'avait entendu prédire. Si j'avais prédit qu'elle verrait soit une flamme, soit une couleur, telle forme ou bien encore quelque substance animée ou inanimée, je sais, par expérience, que, quelle que soit ma prédiction, celle-ci se serait réalisée et que la patiente y aurait exactement répondu ; cela ne provenant nullement d'aucun désir de sa part d'en imposer aux autres, mais simplement de ce qu'elle était elle-même entraînée par la vivacité de son imagination qui, dans cet état, la déterminait à croire comme réel ce qui était seulement de pures fictions de l'imagination, suggérées à son esprit par les remarques des autres. Le pouvoir des suggestions de cette espèce est aussi véritablement étonnant dans la paralysie ou l'excitation du pouvoir musculaire, et peut tout produire, en parfaite bonne foi, chez presque tous les patients qui ont passé dans le second degré du sommeil et dans quelques-uns, durant le premier même, »
En 1843, Braid combattit la croyance d'Elliotson dans les pouvoirs de certains métaux, et les expériences de Wakley. Le dernier, opérant avec un métal non-mesmérique, faisait croire le contraire aux patients, sur quoi ceux-ci s'endormaient ; d'où il concluait que tous les sujets étaient des imposteurs. Braid niait ceci et il affirmait que l'agent actif était simplement l'imagination et qu'il n'y avait pour lui ni métaux mesmériques ni métaux non mesmériques. Il expliquait, de la même manière, l'action de traclion des instruments de bois substitués successivement, par le Dr Hayarth, en 1799, aux instruments de métal de M. Pergins. Les derniers consistaient en deux pièces de métal, l'une apparemment de fer et l'autre de cuivre, toutes deux à peu près longues de trois centimètres, émoussées à une extrémité et piquantes à l'autre. Ils avaient été inventés par le Dr Elisha Perkins, de Norwich, Connecticut, qui en prit un brevet en 1796. Ils étaient regardés comme ayant le pouvoir d'attirer le mal à eux et ils devaient guérir par le seul fait de les maintenir légèrement sur la partie affectée pendant vingt minutes environ. Cette méthode de traitement, très à la mode à 'certaine époque, était appelé Perkinisme, en l'honneur de son inventeur.
Accordant à Braid qu'il était depuis longtemps reconnu que diverses sensations anormales suivaient la direction prolongée de l'attention sur quelque partie du corps ; mais nonobstant le fait que de remarquables
cures avaient parfois été causées par l'excitation mentale, tandis que de graves maladies et la mort elle-même avaient résulté de la peur, on supposa généralement que ces sensations anormales étaient accompagnées de changements physiques. A l'exception du docteur Holland, qui écrivit un rapport sur l'influence exercée par l'attention sur les organes corporels, publié dans Medical Notes and Réflexions, personne, dit Braid, ne conçut l'idée déterminée que des changements physiques spéciaux pouvaient être excités, réglés et contrôlés à volonté par les efforts, que l'esprit d'un individu en bonne santé dirige volontairement dans son propre corps ; ou que les mêmes résultats peuvent être produits involontairement, par les suggestions d'une autre personne communiquant directement, verbalement, ou indirectement au moyen de passes, etc....
Comme exemples du pouvoir de la suggestion dans les altérations des fonctions corporelles, Braid rapporte les faits suivants : — « J'avais dit à un ami qu'il suffisait d'éveiller dans l'esprit d'un patient certaines idées conformes à sa condition, pour obtenir des altérations correspondantes dans les fonctions de l'organe ou de la partie du corps sur laquelle l'attention était attirée. Comme il ne paraissait pas disposé à me croire, je lui dis que je pourrais accroître la secrétion du lait dans l'un des seins de sa femme (celle-ci se trouvait justement nourrir un enfant), en attirant son attention sur cette partie de son corps. Cette dame était bonne somnambule et, huit mois auparavant, je l'avais guérie d'une forte migraine en l'hypnotisant.
Après avoir obtenu son consentement» et sans lui dire toutefois le but de son expérience, Braid endormit la dame et attira toute son attention sur son sein. Au réveil, elle ne se rappela rien de ce qui avait été dit ou fait, mais elle se plaignit d'éprouver une grande sensation de raideur et de tension. Son mari lui dit alors que Braid avait essayé d'accroître la sécrétion de son lait. Celui-ci la pria d'envoyer chercher l'enfant et de le mettre au sein, ce qui fut fait immédiatement. Le lait arriva alors' avec tant d'abondance que l'enfant en fut presque suffoqué. Quelques jours plus tard, la dame s'étant plainte que le gonflement de son sein gauche nuisait à l'harmonie de ses formes, Braid l'hypnotisa de nouveau et répéta l'expérience du côté droit. Le résultat obtenu fut précisément le même, et les deux seins sécrétèrent alors une telle quantité de lait, que la dame put prolonger six mois encore l'allaitement de son enfant, bien qu'auparavant elle se fût toujours plaint du manque de lait.
La valeur du traitement hypnotique n'est pas mieux démontré, selon Braid, a que dans les cas de paralysie hystérique dans laquelle il a été constaté que, sans aucune lésion organique, et par le seul fait d'une idée dominante ayant paralysé ou mal dirigé sa volonté, le patient peut demeurer, pendant un temps considérable, absolument impuissant, soit d'une partie de son corps, soit de son corps tout entier. En altérant l'état de la circulation, en retranchant les idées préalables et en y substituant une salutaire idée de vigueur et d'assurance, — ce qui peut être
fait par des suggestions intelligibles adressées au patient, d'un ton de voix affirmatif, conformément à ce qui devra être réalisé, et à ce qui le sera d'après les procédés employés, — sur cela, étant éveillés peu de minutes après, avec telles idées dominantes dans leur esprit, les patients, au grand étonnement d'eux-mêmes, aussi bien que des autres, se trouvent comme par un magique pouvoir de sorcellerie avoir acquis sur leurs membres paralysés, le pouvoir volontaire précédemment suspendu. »
L'influence spécifique de la puissance de l'imagination et de l'attention excitée, sur une personne en bonne santé, fut magnifiquement démontrée par Braid dans les circonstances suivantes :
« Ayant entendu, dit-il, le rapport d'une découverte extraordinaire, faite en Amérique, de certains médicaments qui pouvaient manifester leur influence à travers le verre, c'est-à-dire qui communiquaient leurs vertus médicinales à quiconque tenait dans la main le flacon qui les contenait, j'en fis part à certaines personnes intéressées à la chose; celles-ci repoussèrent dédaigneusement ces idées, les qualifiant de dérisoires. Je leur dis alors ne pas douter, pour ma part, du fait de semblables effets physiques résultant de tels moyens, mais j'ajoutai que si je suspectais très fortement l'explication, j'étais incliné à croire le résultat parfaitement possible : l'ardente imagination, l'attention et l'attente pouvant exciter à l'action une fonction particulière quelconque ; opinion que mes auditeurs repoussèrent également comme déraisonnable. Ceci me détermina à affirmer ma conviction d'un résultat qui me semblait ne pas devoir être dédaigné. Je leur proposai d'en faire l'expérimentation sur-le-champ, et en leur présence. Dans ce but, je me fis apporter un petit flacon que je remplis d'eau ordinaire, additionnée de sirop de pavots, et je me proposai d'attribuer à ce médicament la vertu de l'émétique.
« Nous passâmes alors dans une chambre où se tenait une amie qui ne connaissait absolument rien de nos intentions. Je recommençai alors à causer avec ces messieurs de la remarquahle découverte et de l'extraordinaire médium, qui permettait à mon remède d'agir comme émétique à travers le verre. Convaincu que la dame n'avait pas perdu un seul mot de notre conversation, je la priai alors de bien vouloir m'obliger en éprouvant ces effets. Elle s'y montra tout d'abord très peu disposée, mais je la décidai enfin, en l'assurant que cela m'obligerait beaucoup, étant donnée l'entière confiance que nous avions tous en sa véracité.
« Les résultats obtenus furent remarquables, et nous dûmes cesser l'expérience, sous peine de voir se produire les vomissements prédits.
« Après ceci, dit Braid, on comprendra aisément comment l'hypnotisme peut être employé avec efficacité dans le traitement de diverses maladies. Et comment, par différents modes de suggestion, soit par le langage intelligible parlé très près de l'ouïe du malade, soit par des impressions physiques déterminées, certaines idées sont fixées fortement et involontairement dans l'esprit de ce dernier et agissent comme
stimulants ou sédatifs, conformément aux effets qu'on en attend, soit qu'elles dirigent l'attention sur certains organes ou certaines fonctions, soit qu'elles l'en détournent. De semblables résultats sont obtenus dans la pratique ordinaire, par la prescription des médecines qui stimulent ou irritent les organes, et accroissent par cela même leurs fonctions; ou qui produisent les effets contraires, soit par action directe sédative sur ces organes, soit par réaction indirecte produite par la diminution de l'action du cœur ou par l'excitation de quelque partie éloignée. En un mot, le grand objet de tout traitement est d'exciter ou de déprimer les fonctions, d'augmenter ou de diminuer l'état de sensibilité existant; cela, localement ou généralement, et avec les changements nécessaires qui dépendent, en général, et tout spécialement de la circulation capillaire.
« D'après tout ceci, je me sens de plus en plus persuadé que l'hypnotisme peut être appliqué, avec la même facilité, dans la cure de quelques formes de maladie, et je regarde comme une chose indiscutable que c'est noire méthode de traitement la plus éprouvée.... »
Braid citait cette altération de la circulation capillaire qui fait rougir ou pâlir un individu et qui apparaît immédiatement comme le résultat d'une impression mentale. * Où est alors la difficulté », demande-t-il, a de comprendre la raison pour laquelle une idée dominante serait suffisante à produire des effets également puissants dans d'autres parties du corps et dans les organes spéciaux, lorsque celle-ci est fortement concentrée sur telles fonctions ou tels organes ? » L'hypnotisme produit ainsi les mêmes effets que les différentes drogues qui agissent, de quelque façon que ce soit, sur la circulation. Dans d'autres cas, l'hypnotisme peut être supposé agir comme un alternatif produisant une nouvelle action ou impression contraire, durant laquelle l'action morbide étant suspendue, fournit l'occasion d'une action naturelle et saine, laquelle peut être renouée lorsque l'influence de l'hypnotisme est suspendue.
A l'appui de cette théorie, Braid appelle l'attention sur les cures obtenues par les infinitésimales petites doses de médecine mises en pratique dans l'homceopathie. « Celles-ci, dit-il, soulagent le malade, non par leurs qualités physiques ou chimiques, mais par les suggestions qu'elles déterminent » ; et il citait le professeur Simpson qui avait prouvé qu'une certaine solution homoeopathique devrait être prise par un malade, à la dose indiquée, nuit et jour, à chaque seconde et pendant 30.000 ans, pour que celui-ci eût consommé un grain de la drogue originale, tandis qu'une autre était si atténuée qu'elle aurait exigé être répétée à une quantité égale à 61 fois la grosseur de la terre pour contenir un seul grain de médecine.
Au momentoù Braid pensait que l'action des remèdes homoeopathique s, était une action purement subjective, il disait aussi que l'élément mental, associé à l'administration des drogues en général, avait été en grande partie ignoré, et il dit : « Il est digne d'enquête desavoir combien
des bénéfices obtenus, durant le traitement ordinaire, sont dûs entièrement aux effets de la médecine et combien, indirectement, aux effets de l'attention dirigée sur eux ou détournée de l'état morbide... Une impression mentale est nécessairement apportée dans l'opération lorsqu'une substance quelconque est absorbée avec la pensée que celle-ci possède une qualité médicinale, et elle excitera ou dépréciera les fonctions de la partie malade (sur laquelle l'esprit est naturellement dirigé) conformément aux circonstances, indépendamment de la pure influence physique, qui proviendrait d'ailleurs de la médecine spéciale, en supposant que le malade n'aurait pas été averti qu'il prenait quelque substance médicale. »
Braid pensait que cette impression mentale expliquait les révolutions qui s'étaient produites à des temps différents, au sujet des estimations variables des vertus et des pouvoirs de certaines médications particulières.
Parlait-on d'un remède nouveau paraissant posséder des qualités appréciables, aussitôt celui-ci devenait l'universel favori pour passer alternativement de l'apogée du pouvoir et de la splendeur à la décadence et à l'obscurité.
Tout ceci s'explique très naturellement de la façon suivante : Un zélé et ardent professeur le prescrit en haute confiance de son efficacité et les malades, qui sont généralement très substils physionomistes en ce qui regarde celui qui les soigne, saisissent l'inspiration, elles résultats obtenus sont, en effet, les plus propices.
Chaque nouveau succès exalte la confiance du médecin comme celle du malade ; l'usage s'en répand ; d'autres le prescrivent avec confiance et obtiennent également les plus favorables résultats. C'est ainsi que les remèdes atteignent le point culminant de la renommée et de la faveur. Mais, il arrive que d'autres praticiens, plus ou moins désireux de découvrir un remède rival, prescrivent celui-ci avec d'autant moins de confiance qu'ils y ajoutent moins d'espoir. Les malades discernent alors l'indécision peinte dans les mots et les manières de leur docteur, ils en tirent un pronostic plus ou moins douteux de leur guérison, et les effets obtenus sont correspondamment moins salutaires. Chaque cas semblable, succédant à l'autre, continue la décadence du fashionnable et omnipotent remède, qui, sous l'empire de sa disgrâce, ne se trouve plus administré qu'à travers des impressions combinées qui en renversent la tendance naturelle et empêchent le bien qu'il devrait légitimement produire. C'est ainsi qu'il sommeille pour un temps dans l'oubli, laissant la place à un autre rival momentanément en faveur; cela, jusqu'à ce qu'un autre maître en renom l'eut replacé, par les mêmes procédés que la première fois, au plus haut point de la gloire, d'où, par différents changements, il retombera encore dans une défaveur imméritée.
Clairvoyance, etc.
Braid expliquait les répugnances qu'on rencontre à accepter, comme des plus naturels, les phénomènes de mesmérisme et d'hypnotisme, par les assertions extravagantes des mesméristes relativement à la clairvoyance, — assertions que Braid affirmaient être une pure raillerie de l'entendement humain, étant donné qu'elles étaient opposées à toutes les lois connues de la science physique. Comme résultat de fréquentes expériences faites non seulement sur ses propres patients, mais aussi sur les plus renommés clairvoyants du jour, Braid ne trouva rien de plus que l'exagération hypnotique des pouvoirs naturels. « Nous ne devons pas perdre de vue, dit-il, les sources d'erreurs suivantes :
« 1° L'hyperœthésia des organes des sens spéciaux qui permet que telles impressions qui passeraient inconnues dans la condition de veille soient aperçues à travers l'ordinaire média ;
« 2° La docilité et la sympathie qui distinguent les sujets et qui tendent à leur faire imiter les actions des autres.
« 3° L'extraordinaire renouvellement de la mémoire qui leur permet de se souvenir de choses depuis longtemps oubliées dans l'état de veille.
« 4° Le remarquable effet de contact dans le réveil de la mémoire.
a 5° La condition de double conscience et de double personnalité,
« 6° L'ardent état de l'imagination qui fait qu'instantanément, chaque idée suggérée, ou le souvenir des impressions passées revêt l'attribut de présentes réalités.
« 7° La tendance de l'esprit humain, toujours épris du merveilleux, à interpréter à tort, et suivant son propre désir, les répliques du sujet.
— « Et, enfin, les déductions rapidement tirées par le sujet des involontaires suggestions de l'opérateur. »
Braid attribuait la croyance dans la transmission de pensée, à ce qu'on ne se gardait pas assez contre des sources d'erreurs semblables à celles-ci, et il disait qu'il n'avait jamais rencontré aucun cas où les sujets pouvaient interpréter ses désirs non exprimés sans en avoir reçu quelque sensible indication. En référence à l'allégation des pouvoirs intuitifs de certains sujets mesmériques. Braid arrêtait qu'ils étaient ordinairement justes avec l'instinct animal, tandis qu'ils étaient généralement faux avec les somnambules. Il reconnaissait que certains malades pouvait prédire avec succès leurs propres attaques hystériques, mais il disait que, dans ce cas, la prophétie produisait son propre accomplissement à travers sa propre suggestion.
phréxologie
Les progrès de Braid dans la connaissance du pouvoir des influences mentales sur les différents phénomènes de l'état hypnotique, l'amenèrent bientôt à n'avoir aucune foi dans les manifestations d'ordre phrénologique. Il se plaignait de ce que l'auteur d'un article paru dans North British Review, daté de novembre 1854, lui attribuait la croyance qu'il suffisait de toucher certaines parties de la téte pour
exciter un sujet hypnotisé à différentes actions telles que : prier, chanter, etc.
« Le fait est, dit-il, que je n'ai jamais présenté les dits phénomènes comme une preuve de l'organologie de la phrénologie ; j'ai simplement exposé ceux-ci et j'ai expliqué en quoi ils pouvaient être considérés comme provenant de différents principes, de telle sorte qu'ils n'affirmaient ni ne niaient la doctrine de la phrénologie, mais la laissaient, au contraire, au point môme où ils l'avaient prise. Ma conviction est que ces manifestations peuvent provenir, soit d'une connaissance de la phrénologie, soit d'un système d'éducation durant le sommeil et n'être, par conséquent, que des effets de la mémoire rappelée, par certains contacts, aux idées qui y ont été associées par suggestion : ou bien encore le toucher appelant à l'action certains muscles d'expression de condition mentale, excitant, dans l'esprit des sujets, les idées avec lesquelles ceux-ci étaient ordinairement associés à l'état de veille. Je considère même ce dernier mode comme la manière la plus naturelle de déterminer ces phénomènes, c'est une simple inversion qui s'établit alors entre l'excitation mentale et l'excitation musculaire : premièrement, le toucher appelle au jeu les muscles constituant l'anatomie d'expression de quelque passion ou émotion déterminée ; secondement, cette expression physique suggère ou excite, dans l'esprit du sujet, l'idée correspondante à la (passion ou émotion) à laquelle ce dernier est ordinairement associé dans l'état de veille ; en un mot, dans les circonstances ordinaires, c'est l'impression mentale qui précède et qui agit comme cause excitante des manifestations physiques ; tandis qu'ici, c'est la condition physique qui précède et qui agit comme cause existante des
manifestations mentales..... Lorsqu'en décembre 1841, je signalais tout
particulièrement la docilité excessive des sujets, durant l'hypnose, je mettais, par cela même, hors de doute que ceux-ci peuvent être entrainés à manifester les tendances opposées en rapport avec les arrangements conventionnels. »
Telles étaient, en 1843, les convictions de Braid ; l'année suivante, il démontrait qu'il pouvait déterminer par la suggestion, toutes les espèces de manifestations hypnotiques.
(à suivre)
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.
La prochaine séance de la Société aura lieu le lundi 21 Juin 1897, à 4 heures et demie. La séance annuelle aura lieu en Juillet.
Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sontinvités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier. 1, place Jussieu.
La dormeuse de Rochefort.
Au moment de la visite de l'hôpital de Rochefort par M. le Président de la République lors du dernier voyage présidentiel on pouvait y observer un rare phénomène: une dormeuse, une vraie dormeuse, à qui, par une observation rigoureuse, exercée depuis trois mois, toute dissimulation est interdite. On n'a pas manqué de conduire le Président de la République à son lit. Sans aucun doute, il l'eût interrogée et le dialogue n'eût sans doute pas été banal ; mais au moment du passage de M. Félix Faure, la dormeuse... dormait. II a donc fallu se contenter des indications obligeamment fournies par les médecins.
Cette dormeuse, Victorine Doirat, est âgée de 30 ans. Elle est née à Rochefort. Elle est entrée à l'hôpital le 31 janvier dernier. Depuis un mois, elle était « endormie », restant pendant quatre jours consécutifs immobile, sans boire, sans manger, sans satisfaire à aucune des nécessités de l'organisme.
Le matin du jour où elle fut amenée à l'hospice, elle avait eu un accès de somnambulisme,' elle était allée, les yeux fermés, automatiquement, chez ses voisins qui, effrayés, avaient réclamé son admission à l'hôpital où sa maladie a été caractérisée de la façon suivante : a Léthargie, sommeil cataleptique ». Sa famille communiqua sur Victorine Doirat les renseignements suivants copiés textuellement sur la feuille d'observation :
« A l'âge de 20 ans, Victorine Doirat aurait eu des crises d'exaltation qui auraient exigé son internement dans un asile pendant deux mois. Depuis, elle a toujours été exaltée. A 28 ans, la monomanie du mariage s'est déclarée. Elle s'est mariée avec un sourd-muet. Elle a eu des contrariétés avec la famille de son mari, et elle a éprouvé des chagrins qu'elle a concentrés. »
Le lendemain de son entrée à l'hôpital, au moment de la visite, le chef de service la trouva endormie. « On parvint, dit encore la feuille d'observations, à la réveiller et à lui faire manger de la soupe et boire du lait par la suggestion et des excitations. »
Après la visite, elle se rendormit au bout d'une heure. Et, depuis, Victorine Doirat dort toujours. Elle se réveille, à des intervalles fort variables, parfois plusieurs fois en une journée, parfois après deux ou trois jours de sommeil ininterrompu. Ses réveils durent deux minutes à peine ; elle ouvre les yeux, appelle, demande impérieusement à boire
ou à manger et, si elle n'est pas immédiatement satisfaite, elle se rendort.
On est parvenu, quand la période somnifère se prolongeait trop longtemps, et afin de l'alimenter un peu, à réveiller la malade par des excitations sur les nerfs médian et cubital ; elle a ouvert les yeux, mais elle s'est aussitôt rendormie. Victorine Doirat a fort bonne mine ; lé visage est plutôt trop coloré. Elle semblerait reposer tranquillement, n'était un tremblottement continu, extrêmement rapide des paupières. Le corps a la rigidité de l'état cataleptique; les membres, soulevés, gardent plusieurs heures la position qu'on leur a donnée.
Tels sont les renseignements qui ont été transmis au Progrès médical par notre confrère M. Albin Rousselet.
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
Étude clinique sur le dynamisme psychique
(Thèse, Nancy, 1897). - H. Aimé.
Les rapports du physique et du moral, jusqu'ici mal résolus, peuvent être envisagés nouvellement, si l'on introduit dans leur interprétation la notion du dynamisme. Le dynamisme est une modalité fonctionnelle, et, au cas particulier, une modalité de la fonction nerveuse. Il est une propriété inhérente à la cellule nerveuse, aux neurones qui ont des pouvoirs de dynamogénie et d'inhibition, puisqu'il est la variation manifestée de ces pouvoirs entre telles cellules, tels neurones psychiques. Il est une force qui se traduit pathologiquement. L'élément dynamique psychique, morbide, est » toute action nerveuse anormale qui, ne correspondant à aucune altération organique, apparente, connue et durable, se compose d'idée, d'émotion, et dépend de l'individualité psychique. Elle est susceptible d'être effacée par une autre action dynamogénique thérapeutique, telle que la suggestion. »
L'idée, l'émotion sont des phénomènes psycho-dynamiques. La seconde dérive le plus souvent de la première. Quant à celle-ci, elle est le prolongement d'une sensation. Le cerveau est un lieu de passage.
Toutes ces théories, condensées, composent une première partie de l'ouvrage de M. Aimé. Elles sont déduites de l'observation clinique, qui permet de classer de cette façon le psycho-dynamisme; ou bien l'élément nerveux dynamique psychique constitue seul la maladie, ou bien il est greffé sur une affection organique qu'il dénature, exagère ou prolonge; ou bien il précède l'affection organique à qui, préparant le terrain, il ouvre l'accès.
Trois grands chapitres cliniques, bourrés de faits commentés, démontrent la vérité de cette classification. Pour l'auteur, certaines
névropathies locales, les crises convulsives hystériques, les tics, le paramyoulonus, les paralysies, l'aphonie, l'amaurose,dites hystériques; le sommeil léthargique, l'obsession hallucinatoire, qui reçoivent une grande interprétation dynamo-psychique, sont dus à l'auto-suggestion. Pareillement, le dynamisme psychique altère la physionomie des troubles organiques tels que certaines dyspepsies, angines de poitrine, épi-lcpsic, chorée, etc. Enfin, une émotion morale circonscrit un champ dynamique où une polynévrite infectieuse chez un nerveux diathésique se développera.
Le diagnostic du dynamisme psychique est délicat, le pronostic incertain. Ils sont liés au traitement. Celui-ci est la suggestion sous toutes ses formes. Elle rétablit l'harmonie dynamique nerveuse; elle guérit de l'idée et de ses manifestations dynamiques morbides par l'idée dans son expression thérapeutique. Les psychopathies organiques cèdent à la dynamogénie suggestive. L'entrainement actif à l'état de veille a donné des succès à l'auteur.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patrogage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent do l'hypnotisme etde la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il est secondé
dansses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre d'hiver 1896-97, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
Cours annexe de l'Institut psycho-physiologique de Paris
professé à Lille par le Dr p. Joire. Programme du cours du semestre d'été 1897.
1re Partie. — Etude préliminaire des états physiologiques et pathologiques connexes de l'hypnotisme.
2e Partie. — L'hypnotisme, causes et formes. Différents états hypnotiques. Suggestion. Auto-hypnotisation.
3e Partie. — Etude médico-légale, clinique, thérapeutique de l'hypnotisme et de la suggestion.
4- Partie. — Etats médianiques. Extérïoration de la sensibilité. Extériora-tion de la motricité. Fakirisme. Transmission de la pensée. Suggestion mentale. ,
Le cours est public et a Heu tous les mardis, à 8 heures 1/2 du soir, au local de l'Union des Étudiants, 54, rue Nicolas-Leblanc.
Des conférences complémentaires et exercices pratiques sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie-physiologique auront lieu pour les élèves de toutes les facultés à des heures qui seront fixées ultérieurement.
Exposition universelle de Bruxelles de 1897 Congrès international de médecine légale.
Parmi les rapports généraux, nous devons signaler les suivants : IV. — Médecine mentale. — i1* question : De la responsabilité, notamment de la responsabilité partielle. Rapporteur : M. le Br de Bœck, de Bruxelles.
2e question : L'hypnotisme dans ses rapports avec la criminalité. Rapporteur : M. le Dr C. Moreau, de Charleroi.
Toutes les demandes de renseignements doivent être adressées au secrétaire général, M. le Dr Camille Moreau, à Charleroi (Belgique),
L'Administrateur-Gérant ; Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.
Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENT ET THÉRAPEUTIQUE
11E ANNÉE. — n° 12.
Juin 1897.
DÉFINITION ET NATURE
DE L'ÉLÉMENT DYNAMIQUE PSYCHIQUE
Par M. le Dr Henry Aimé, de Nancy.
On oppose, dans le langage courant, le moral au physique, et l'acception sous laquelle on entend chacun de ces deux termes est peu précise. Néanmoins tout le monde les comprend. Le bon sens départit fort bien le rôle de l'imagination, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, dans tous les événements,
même morbides.
Si nous cherchons à définir le moral par l'ensemble de certains phénomènes psychiques-dynamiques, nous nous apercevons que le qualificatif psychique manque aussi de précision. Cependant, de l'avis de tous, il est également compréhensible.
Qu'il nous suffise d'avoir fait, une fois pour toutes, cette remarque. Nous emploierons alors, après réflexion, ces termes avec leur signification usuelle.
Les rapports du moral et du physiquo forment une question très ancienne dont la solution unique n'a jamais été fixée par la philosophie. Leur connaissance a préoccupé les grands esprits de tous les temps, depuis Paracelse jusque Cabanis.
Elle constitue « une science à part qui n'est ni la psychologie, ni la physiologie, mais l'alliance de l'une et de l'autre ; cette science, Cabanis l'a ébauchée ; c'est à la médecine à la perfectionner. Il ne faut pas élever un mur de séparation entre la psychologie et la physiologie »
De nos jours, la psycho-physiologie est née. Cette science expérimentale est en grande partie celle du dynanisme nerveux, du dynanisme cérébral.
(1) Discours de M. Bousquet. Académie de Médecine (Séance du 12 juin 1855.)
Le cerveau est un lieu de passage où, sans préjuger du séjour qu'elles y font, les impressions acquises parles sens ou venues de la périphérie sont susceptibles de devenir sensations, perceptions, idées, émotions, actes, successivement.
Après Brown-Sequard1 Exner2 concède aux éléments nerveux deux importants pouvoirs de dynamogénie et d'inhibition. Ils consistent dans la propriété de certaines parties du système nerveux d'augmenter ou de diminuer l'excitation d'autres parties.
Les idées, rapports de perceptions actuelles ou remémorées (Beaunis), assimilation parles cellules ou neurones supérieurs, dits psychiques, d'une excitation perçue à une autre précédemment enregistrée, héritent de ces deux pouvoirs. Ello les doivent à leur qualité essentielle d'expressions dynamogènes ou inhibitives de certains éléments nerveux.
Les idées sont donc des faits nerveux dynamiques.
M. le Professeur Bernheim établit une distinction schématique dans le- cerveau entre un étage supérieur dévolu aux facultés du contrôle et un étage inférieur dévolu aux facultés d'imagination, à l'automatisme cérébral. Le premier a une action modératrice sur le second, de même que le cerveau modère l'automatisme spinal. Les excitations qui n'aboutissent pas à l'étage supérieur de contrôle peuvent être exprimées incontinent en actes ; c'est un réflexe sensilipo-moteur ; exemple : quelqu'un nous pince le bras, nous crions, nous laissons échapper une expression malséante. C'est un acte automatique. Que l'excitation demeure un temps moins court de sorte que nous en ayons conscience, qu'une idée s'interpose entre elle et l'acte, la parole qui lui succèdent, c'est un réflexe sensitivo-idéo-moteur ; nous avons conscience de la personne qui nous a pincé le bras, néanmoins l'excitation a poursuivi son chemin, et un mot, cependant d'une façon automatique, est sorti de notre bouche.
Il en est autrement si l'excitation change de voie d'acheminement et parvient à l'étage où elle sera soumise au contrôle. C'est alors — pour continuer notre exemple — que nous considérons l'âge, la supériorité, etc., de la personne qui nous a pincé le bras. Nous faisons inhibition aux actes ou paroles
(1) « Cette faculté inhibitive ou dynamogène appartient à nombre départies du sys-timenerveux. » (Brown-Sequard.)
(2) Exner. — in Ann. Psychol., 1395.
automatiques qui pourraient se manifester. Nous réfléchissons. La réflexion modère ainsi l'automatisme cérébral.
La loi des réflexes domine la physiologie nerveuse. Elle se confond avec la loi de l'habitude.
Celle-ci régit la formation des idées et le mécanisme de leur association. Par elle, une idée tend à se reproduire indéfiniment, soit acte, soit sensation; par elle, la conductibilité d'une voie nerveuse est plus grande dès la première excitation qui semble ouvrir davantage cette voie à l'accès d'excitations nouvelles.
D'autres phénomènes dynamiques sont rattachables aux idées. Ce sout les émotions. Elles prennent aux idées leurs raisons d'être. La différenciation subtile habituellement faite entre les émotions physiques et les émotions morales n'est pas respectueuse de leurs origines. Un choc physique, c'est une commotion, non une émotion. Celle-ci, morale si l'on veut, psychique même, lui succède.
En réalité, une émotion n'est qu'une phase de l'excitation nerveuse partie d'une cause quelconque. Elle fait suite à l'image représentative de cette cause, souvent tardivement. On verra dans plusieurs de nos observations que des impressions violentes ne sont suivies de troubles dynamiques émotifs véritables qu'un temps assez appréciable après leur production : c'est qu'il a fallu un certain délai à la représentation mentale pour se former, un certain délai pour laisser une empreinte, l'émotion. Un choc (contusion, mauvaise nouvelle) cause d'abord en bloc une excitation cérébrale confuse d'où l'idée se dégage lentement s'il est physique, plus rapidement s'il est moral (car l'impression a pénétré directement le domaine psychique). Puis le calme se fait. Si, plus tard alors, l'image de la cause émotionnelle surgit et suggère à son tour un état psychique particulier, avec ses conséquences, l'émotion a, cette fois, un caractère morbide qu'elle emprunte au cerveau qui l'a enregistrée. Ce sentiment tardif pathologique se présente sous forme d'obsession, d'hallucination.
L'émotion n'a donc de valeur que par l'idée qui l'a devancée et dont elle recueille la force dynamogène ou inhibitrice.
On a voulu faire de la protubérance, du bulbe, les centres émotifs (Clarke, Todde, etc.). Ils n'ont pour mission apparente que de traduire les émotions. Le bulbe reçoit l'excitation venue de plus haut et la transmet aux nerfs vagues, à la moelle d'où
elle se propage aux nerfs moteurs, aux vaso-moteurs ; ce qui donne Heu aux troubles de suffocation, d'agitation convulsive, de constriction vasculaire 1.
Les émotions, les idées, voilà, en somme, des faits dynamiques-psychiques de haute importance.
Cependant, dérivée d'une sensation visuelle, auditive ou autre, une idée est acceptée par le cerveau, si la crédivité, inhérente à l'esprit humain (Bernheim) n'est pas contrebalancée par la raison. L'introduction de l'idée dans le cerveau et son acceptation par lui, telle est la suggestion (Ibidem). La suggestiùilité d'un individu sera son aptitude à accepter les idées et à les réaliser. Pas d'idée, pas de suggestion. Celle-ci repose sur le mécanisme des associations, elles-mêmes explicables et par les rapports du voisinage des éléments nerveux de l'encéphale et par la loi de l'habitude réglant le fonctionnement de ces éléments.
Le monde extérieur compose une atmosphère suggestive où, pour chaque collection d'individus (famille, nation, etc.,) qui s'est légué un même terrain nerveux, la possibilité de rencontrer les mêmes conditions réveille un même ordre d'idées, de suggestions.
Mais si les sensations provenues du contact avec le monde extérieur déposent en nous des suggestions, les sensations internes, viscérales, musculaires, sans localisation précise, détermine aussi des suggestions qui, en apparence spontanée, portent le nom d'autosuggestions. Elle découle d'une association d'idées bâties sur une sensation interne, et « en rapport avec des souvenirs accumulés par des suggestions antérieures. » (Bernheim).
Certaines gens sont des auto-suggestionnistes invétérés. D'autres, et c'est la majorité, ne le sont que temporairement. Les premiers disposent d'une individualité psychique dont il nous faut maintenant parler.
Chacun tient de sa structure cérébrale, façonnée par les conditions diverses héréditaires et acquises, une spécialité de sensations. La succession des interprétations cérébrales des sensations, l'ensemble des modes particuliers de sentir, telle est l'individualité psychique. Elle est placée sous la dépendance du terrain cérébral. Celui-ci, portion capitale du système nerveux, a une valeur proportionnée à l'importance totale de
(I) Pour Lange et Ribot, un anesthésique serait privé d'émotions, car l'émotion consisterait dans les perturbations vasculaires et musculaires.
ce système nerveux dans l'organisme. Le corps d'un être est un ensemble qui doit sa signification aux liens nerveux réunissant les parties constituantes, et aux éléments nerveux intermédiaires avec l'extérieur. Si, par une exagération de ce rôle indispensable au fonctionnement normal des organes qui lui est attribué, le système nerveux crée une disposition constante aux accidents nerveux fonctionnels, il y a ce qu'on appelle « diathèse nerveuse ». Cette diathèse est transmissi-ble héréditairement. L'individualité psychique est influencée par elle.
Les qualités d'une perception, d'une idée et de la suggestion attenante sont imputables à l'individualité.
« L'idée ou la sensation première est mûrie par le cerveau et, celui-ci, par une élaboration inconsciente dans laquelle interviennent les impressions antérieures, les idées accumulées comme souvenirs, la modalité native, aboutit à une conception variable "qui fait l'individualité psychique. De ce travail cérébral nous ne connaissons que l'idée ou la sensation initiale : la porte d'entrée ; et la conception définitive, le résultat, la porte desortie. » (Bernheim). Le terrain psychique élabore l'impression reçue, l'individualité particularise l'impression élaborée, devenue idée, suggestion. « Autant de cerveaux, autant d'aptitudes, autant de suggestibilités diverses! aux impressions identiques » (Ibidem), autant d'individualités.
Néanmoins, pratiquement au point de vue clinique, les individualités sont groupables. D'unefaçon générale, leuraptitude' cérébrale à recevoir facilement des impressions fait dire de certaines personnes qu'elles sont des impressionnables; leur aisance à passer sur le champ de l'idée à l'acte sans contrôle en classe d'autres sous la rubrique d'impulsifs. Enfin, les auto-suggestionnistes, les mélancoliques, les hypocondriaques gardent leurs impressions avec un soin jaloux.
Toutes ces notions qui viennent d'être brièvement exposées nous permettront de définir notre élément dynamique-psychique-morbide ; c'est « toute action nerveuse anormale qui, « ne correspondant à aucune altération organique apparente, « connue et durable, se compose d'idées, d'émotions, et dépend « de l'individualité psychique. Elle est susceptible d'être « efïacée par une autre action dynamogénique thérapeutique, « telle que la suggestion. »
Comme on le rencontre mêlé aux entités morbides organiques, il mérite d'être dit « élément» par rapport à elles. Son
caractère dynamique est issu de la dynamogénie des idées et des émotions. Ce qualificatif « dynamique » marque bien les troubles qui lui sont imputables, troubles sans lésion manifeste, et les sépare ainsi même des psychoses par intoxications variées où l'imprégnation probable des centres nerveux par les toxines et les toxiques laisse supposer une altération matérielle, au moins minime.
Commenter cette définition, ce sera décrire la nature de notre Élément.
Une idée contient un acte de puissance. « Toute idée suggérée et acceptée tend à se faire acte » (Bernheim). Cette loi psychologique est fondée sur l'observation. L'idée-acte est positive ou négative.
Positive, elle redevient sensation ; négative, elle neutralise une sensation, un mouvement, en vertu de ses pouvoirs de dynamogénie et d'inhibition. Cette loi de Vidéo-dynamisme a été posée par M. le professeur Bernheim et étayée par lui d'exemples probants auxquels nous renvoyons
L'idée redevenue sensation ! c'est l'explication des illusions sensorielles 2; c'est le secret des autosuggestions à degré si variés, à doses individuelles tantôt faibles, tantôt massives. Une idée dérivait d'une sensation, elle a pénétré la conscience ; elle s'inscrit dans la cellule, dans un groupe de cellules ou de neurones psychiques. L'inhibition d'idées concurrentes rem-pêche de se manifester ; elle reste latente. Son rappel sera celui de la sensation originelle.
Les malades imaginaires ont cette crédulité qui réalise de telles sensations en retour, si l'on peut ainsi dire. Ils sont journellement victimes d'une considération ironique ou négligente, lors même qu'ils souffrent véritablement.
L'idée neutralisante ! c'est l'explication des paralysies d'origine psychique ; c'est le secret des anesthésies sensitivo-sen-sorielles-dynamiques.
L'idée agit sur les fonctions d'un organe.
Quant à l'émotion, elle doit, comme l'on sait, sa raison d'être à l'idée. Une idée dégénère en émotion, de même qu'une émotion projette à son tour une image. L'observation nous montre que l'idée est fréquemment une émotion qui commence. L'idée de la mort, même imprécise, est encore dénaturée par Pimagination émotive qui la prolonge.
(1) Bernheim. — Hypnotisme. — Suggestion. — Psychothérapie.
(2) Hack Tuke. — Le Corps et r Esprit.
L'émotivité morbide est pourtant l'apanage d'individualités psychiques en souffrance, de terrains cérébraux viciés seuls que leur défectuosité rend plus accessibles aux émotions diverses.
L'irritabilité des épileptiques, des choréiques, de certains neurasthéniques vient de cette émotivité maladive.
Il est aisé de deviner sur l'heure quels seront les troubles dynamiques dus à l'élément nerveux psychique. Réunis sous le nom de psycho-dynamisme, ils seront idéo-scnsoriels, exemple : hallucination auditive ; idéo-sensitifs, exemple : anes-thésie d'origine psychique; idéo-moteurs, exemple : parésies de même origine; idéo-émotifs, exemple: mélancolie ; enfin, psychiques propres, c'est-à-dire que plusieurs idées naîtront d'une seule, et avec elles des états psychiques voisins ; exemple : phobie ou idée de répulsion accompagnant une idée fixe, une obsession. L'individualité diversifiera ces troubles.
Ainsi toute impression arrivant au cerveau est suggestive ; la suggestibilité individuelle n'est autre chose que la réaction de chaque cerveau aux diverses impressions. Et ce mécanisme idéo-dynamique est subordonné à la conformation du cerveau ; il est variable avec l'individualité cérébrale.
LA SUGGESTION COLLECTIVE
par M. le Dr Max Nordau.
Toute éducation, tout enseignement est une suggestion. Le cerveau non encore développé de l'enfant se forme d'après les excitations de mouvements moléculaires que lui transmettent ses parents et ses maîtres. C'est par la suggestion qu'agit l'exemple de la moralité comme de la corruption. La masse d'un peuple pratique des actes d'amour ou de haine, de culture ou de sauvagerie, de pitié ou de cruauté, selon que les uns ou les autres lui sont suggérés par les individualités puissantes de l'époque. Que vient-on parler d'âme populaire ou de caractère national? Ce sont des mots dénués de sens. Le caractère national est autre à chaque génération. L'âme populaire change d'un jour à l'autre. Veut-on des exemples ? En voici quelques-uns :
Le peuple allemand était, dans la précédente génération,
mollement sentimental, romantiquement enthousiaste, bref, émotionnel. Il est, dans la génération actuelle, durement pratique, froidement réfléchi, agissant plutôt que parleur, plus calculateur que rêvasseur, bref, cogitationnel.
Le peuple anglais était, dans le premier tiers de ce siècle, moralement dégradé, il buvait sec, sacrait, paillardait et étalait ses vices au grand jour ; aujourd'hui, il est d'une pruderie affectée, sobre jusqu'à l'abstinence et guindé au plus haut degré ; il trouve son idéal national dans les sociétés de tempérance, dans les œuvres charitables pour le relèvement des femmes de mauvaises mœurs, dans une dévotion papelarde ; il évite les expressions choquantes dans la parole et les excentricités immodestes dans les actions.
Une pareille révolution est l'œuvre de trente ou cinquante courtes années. Comment, après cela, peut-on croire et soutenir que la manière de penser et d'agir d'un peuple est le résultat de certaines particularités organiques de celui-ci? De telles particularités ne pourraient se modifier que très lentement, dans un long laps de temps. Il s'agit là de quelque chose de tout différent, de ce que les adeptes de la « psychologie des peuples » n'ont pas vu jusqu'ici : il s'agit de suggestion. Les grandes figures humaines surgissent au milieu d'un peuple, suggèrent à celui-ci ce qu'on nomme l'âme populaire et le caractère national, et qu'on tient faussement pour une chose durable et immuable, alors qu'elle est en réalité constamment modifiée par des esprits individuels. On doit se présenter le fait ainsi : un nombre très petit d'hommes exceptionnels se tient en face d'un peuple ou même d'une race, comme M. Bérillon ou M. Bernheim en face d'une hystérique hypnotisée, et suggère au peuple ou à la race des pensées, des sentiments et des actes qui sont repensés, ressentis et refaits sans résistance ni critique, comme s'ils avaient pris naissance dans la propre conscience de la foule.
Quand ces hommes exceptionnels suggèrent la vertu et l'héroïsme, le monde voit un peuple de chevaliers du Saint-Graal et de Winkelrieds ; quand ils suggèrent le vice et la bassesse, l'histoire nous entretient des faits et gestes d'une Byzance de la décadence. Confutzé (Confucius) crée un peuple de lâches; Napoléon Ier un peuple de combattants et de vain queurs. Le génie forme le peuple à son image, et celui qui veut étudier l'âme populaire doit le faire non dans la masse, mais dans le cerveau de ses chefs.
Ce qui réellement est organiquement préformé dans le peuple, c'est sa trempe plus ou moins forte. Toutes ses pensées et ses actions seront certainement suggérées ; seulement, s'il est un peuple vigoureux, il obéira vigoureusement à la suggestion ; un peuple veule, veulement. C'est la différence qu'il y a entre une machine à vapeur de la force de mille chevaux et une autre de la force d'un cheval : mêmes dispositions, même force motrice, même forme ; mais l'une déplace des montagnes et l'autre met en mouvement une machine à coudre. Ainsi un peuple est monstrueux en vertu et en vice ; un autre, insignifiant en bien comme en mal ; l'un met de grandes forces, l'autre de faibles forces au service de ses génies.
Mais ce qui prescrit leur emploi, à ces forces organiques, c'est la suggestion qui émane des hommes exceptionnels. Que l'on ne parle donc pas de l'âme populaire, mais tout au plus du corps populaire ; du poing populaire ou de l'estomac populaire. Je crois, par contre, qu'il est dans les conditions organiques d'un peuple de produire plus rarement où plus fréquemment des génies.
L'uniformité des vues et des sentiments au sein d'un même, peuple ne s'explique donc pas par une homogénéité organique, mais par la suggestion, qui est exercée sur tous les membres de ce peuple par les mêmes exemples de l'histoire, par les mêmes chefs vivants de la nation, par la même littérature. C'est ainsi que les habitants des grandes villes acquièrent la même physionomie morale, quoique, en règle générale, ils aient les origines les plus diverses et appartiennent à une quantité de races. Un Berlinois, un Parisien, un Londonien ont des propriétés psychologiques qui le différencient de tous les individus étrangers à sa ville.
Ces propriétés peuvent-elles avoir des racines organiques ? Impossible, car la population de ces villes est un mélange des éléments ethniques les plus variés. Mais elle est sous l'influence des mêmes suggestions et montre pour cela, nécessairement, dans les actes et les pensées, cette uniformité qui frappe tous les observateurs. Aberrations du goût et des mœurs, épidémies morales, courants de haine ou d'enthousiasme, qui, à un moment donné, entraînent irrésistiblement des peuples entiers, ces phénomènes ne deviennent compréhensibles que par le fait de la suggestion.
12.
Nous avons vu que le mode principal de transmission de représentations, d'une conscience à une autre, est la parole. Mais celle-ci n'est qu'un symbole conventionnel d'états de conscience, et, en cela, gît une grande difficulté, parfois invincible, pour rendre sensibles par elles des représentations tout à fait nouvelles. Un génie élabore dans sa conscience une représentation qui, avant lui, n'a jamais été combinée dans aucun cerveau. Comment tentera-t-il d'exprimer cet état nouveau et particulier de conscience, et de le rendre sensorielle-ment perceptible à d'autres ? Evidemment, par la parole.
Mais la signification de la parole est établie par une convention. Elle rend perceptible aux sens un état de conscience connu auparavant. Elle éveille chez l'auditeur seulement une vieille représentation de tout temps, associée au mot employé. Si l'auditeur ou le lecteur doit saisir le mot comme symbole non de la représentation qu'il a exprimée jusque-là, mais d'une autre représentation qui est complètement inconnue au lecteur, il faut passer avec celui-ci une nouvelle convention ; le génie doit s'efforcer de l'amener par une autre voie, en lui montrant les ressemblances ou les contrastes, à la nouvelle notion pour laquelle il a employé le vieux mot. Cela ne peut se faire, d'ordinaire, qu'approximativement, presque jamais complètement.
Notre langage parle presque dans chaque mot, dans chaque tournure, des traces de cet effort des hommes exceptionnels originaux, pour transmettre aux cerveaux de la foule des représentations nouvelles à l'aide de vieux symboles. Tout sens figuré d'expression dérive de là.
Si la même racine, par exemple dans le mot allemand a minne », signifie d'abord souvenir, puis amour, elle laisse reconnaître le travail de pensée d'un esprit original qui, pour exprimer une nouvelle représentation, celle de la tendresse désintéressée et fidèle, dut se servir d'un mot qui, jusque-là, exprimait une autre idée, plus grossière, mais, néanmoins, superficiellement apparentée à l'autre, celle du simple fait de se rappeler.
Chaque génie aurait besoin, en réalité, d'une nouvelle langue à lui pour formuler exactement ses représentations nouvelles. De ce qu'il est obligé de se servir de la langue qu'il trouve toute faite, c'est-à-dire des symboles d'états de conscience antérieurs d'autres individus, il amène assez souvent
de la confusion, en donnant à son mot un autre sens que l'auditeur, pour lequel ce mot ne peut avoir, jusqu'à nouvel ordre, que la signification traditionnelle. Le génie verse réellement du vin nouveau dans de vieilles outres, avec cette circonstance aggravante que le destinataire de l'outre ne peut juger le vin que d'après l'aspect du réceptacle, et qu'il est hors d'état d'ouvrir l'outre et de goûter de son contenu.
La nature du langage, le fait qu'il symbolise de vieilles et très vieilles représentations et doit donner aux racines des mots un sens métaphorique pour les rendre propres tant bien que mal à désigner de nouveaux états de conscience, est un puissant obstacle de la transmission de la pensée d'un cerveau génial aux cerveaux de la foule. Celle-ci incline nécessairement à confondre la nouvelle signification figurée du mot, approfondi par le génie et employé dans un sens particulier, avec l'ancienne signification littérale de-ce mot.
Les vieilles et très vieilles représentations continuent à subsister, troublantes et amenant la confusion sous les nouvelles ; l'axe de la terre apparaît à l'esprit du peuple comme quelque chose ressemblant à un essieu de voiture, le courant électrique comme un liquide qui doit couler à l'intérieur du fil à peu près comme de l'eau dans des tuyaux de plomb, et, là où le génie a cru expliquer par le mot, il a quelquefois obscurci, il n'a pas éveillé dans l'esprit des autres ses propres représentations, mais des ^représentations souvent tout opposées.
C'est là, de nouveau, une imperfection humaine contre laquelle nous ne pouvons rien. Peut-être notre organisme se développera-t-il encore au point que les états de conscience ne s'exprimeront plus par des symboles conventionnels, mais directement. Alors le cerveau original n'aura plus besoin du mot pour communiquer à d'autres cerveaux ses mouvements moléculaires ; il suffira peut-être de penser clairement et nettement une idée pour la répandre, comme la lumière ou l'électricité, à travers l'espace, et la suggérer à d'autres ; on n'aura plus besoin de la revêtir des vieux haillons d'un langage qui nous contraint, par exemple, à exprimer l'idée d'un tout, dont nous sommes des parties, par le mot « nature » qui, originairement, signifie « celle qui enfante », nous imposant ainsi l'idée d'une mère avec tous les attributs de la sexualité nécessaire pour la reproduction à la façon des mammifères. Mais, jusqu'à ce que nous ayons atteint cette perfection fabu-
leuse, il faut bien nous contenter du mot, et nous devons simplement tâcher loyalement de nous comprendre les uns les autres, autant du moins que cela est possible (').
(1) La science marche vile. Quand j'écrivais ce chapitre, mon hypothèse de la suggestion était quelque chose de tout nouveau, un véritable paradoxe. Peu de temps s'est écoulé, et cela a suffi pour transformer le hardi paradoxe en une banalité universellement acceptée, qui n'est plus contestée môme par la science officielle dans les Académies et les Universités.
J'ajouterai une seconde remarque à celle-ci. Les idées exprimées dans ce chapitre sont presquo identiques a celles que M. Turde a exposées dans son livre sur les lois de l'imitation. Mais je tiens à constater que j'ai écrit ce chapitre avant que le livre de M. Tarde ait paru. 11 est évident que M. Tarde n'a pas connu mon travail. Or, je n'ai pas non plus connu le sien, pour la raison pcreinpiolre qu'il n'était pas publié au moment où le mien a paru en allemand. Je me suis simplement rencontré ayee M. Tarde, et j'en tire quelque orgueil.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 26 Avril 1897. — Présidence de M. Dumontpallier.
La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu par M. Valentin, secrétaire, et adopté.
Lacorrespondance comprend :
1° Une invitation adressée à la Société pour l'inviter de se faire représenter au Congres de Moscou {section des maladies nerveuses et mentales).
2° Un travail original de M. le Dr Clark Bell (de New-York) sur un cas de mort post-diabetique chez un jeune homme soumis à de fréquentes séances d'hypnotisation.
3° Des documents psychologiques adressées par M. le Dr Zéligson, de Cleveland, Ohio (U. S. A.).
4° Des lettres de candidature au litre de membre de la Société, de Madame Maynard David, vice-présidente de la Medico-legal Society de New-York; de MM. les D" de Monchy, de New-York, et de Moraga, de Santiago de Chili.
Ces candidatures sont mises aux voix et adoptées à l'unanimité.
M. le Secrétaire général exprime les regrets que cause à la Société la perte d'un de ses membres les plus dévoués, M. Persac, conseiller à la Cour d'Appel de Paris, qui assistait fréquemment a nos réunions.
M. le Président s'associe aux regrets exprimés par M. le secrétaire général.
M. le Dr P. Valentin lit une communication, avec observations à l'appui, sur le « rôle complémentaire de la suggestion [dans la cure des alTeclions chirurgicales chez les névropathes. »
M. Dumonlpallier rappelle à cette occacion combien sont faciles les erreurs de diagnostic au sujet de prétendues maladies chirurgicales, telles que l'appendicite. Il émet le vœu qu'avant d'opérer, même dans le cas où le patient réclame l'intervention, on s'assure par tous les moyens possibles qu'il n'y a pas surtout en jeu un élément psychique curable par suggestion.
M. le Dr Paul Farez lit ensuite une note très étudiée sur a la psycho-gîe des calculateurs prodiges » et compare, au point de vue de leurs facultés spéciales, MM. Diamandi etlnaudi.
La séance est levée à six heures dix.
A propos d'un, enfant extraordinaire
Par M. lo docteur Paul Faubz, licencié en Philosophie
Il existe à Brunschwick un enfant de quatre ans extraordinairement précoce, nommé Otto Pcehler, lequel a été observé et étudié à plusieurs reprises par les membres de la société allemande d'anthropologie, puis tout récemment par M. Cari Stumpf, professeur de philosophie à l'Université de Berlin, membre de l'Académie des Sciences (4).
Cet enfant n'a jamais, à proprement parler, appris à lire; il ignore tout à fait les procédés et les méthodes de lecture que l'on enseigne d'ordinaire aux enfanls de son âge. Il s'est seulement fait expliquer les enseignes des boutiquiers, les plaques indicatrices des noms des rues, les écriteaux et les inscriptions de toutes sortes. Partant de là et mettant à profit les associations par ressemblance ou par analogie, le jeune Pœhler est arrivé sans trop de peine, dès l'âge de deux ans, à pouvoir lire très couramment les divers caractères, latins ou gothiques, manuscrits ou imprimés.
Pour tout ce qui l'intéresse, cet enfant possède une mémoire prodigieusement facile et tenace qu'il applique tout particulièrement à la géographie, à l'histoire et plus volontiers encore à la biographie. « Il sait les dates de naissance et de mort de nombreux empereurs d'Allemagne depuis Charlomagne, ainsi que de quantité de généraux, poètes, philosophes ; le plus souvent il sait même le jour et le lieu de leur naissance. Il connaît de même les capitales, les fleuves baignant ces capitales, etc. Il sait répondre aux questions sur les guerres de Trente ans et de Sept ans, sur les principales batailles qui marquèrent ces guerres. »
Cet enfant a été, pour ainsi dire, son seul maitre; tout ce qu'il connaît, il l'a, depuis qu'il sait lire, spontanément appris de lui-même dans les livres. Si vous l'entretenez d'un personnage qui lui est inconnu, comme par exemple d'un grand homme étranger, il vous accable de questions sur la biographie de ce dernier, et toutes les particularités
(1) Voyez Revue Scientifique il mars 1897. C'est à cet article que sont empruntés les traits principaux. rapportés ici au sujet d'Otto Pœhler.
que vous révélez au jeune Otto se gravent dans sa mémoire d'une manière en quelque sorte indélébile : soit immédiatement, soit quelques jours, soit très longtemps après, il vous les répète avec une étonnante exactitude.
Toutefois, si cet enfant lit sans hésitation les écritures les plus difficiles, il ne sait pas écrire ; on a tenté de le lui apprendre, mais il s'y est montré tout à fait rebelle ; il ne peut pas arriver à copier une lettre quelconque; il n'y éprouve aucun intérêt. De même, il ne sait pas faire le moindre calcul. En outre il n'aime pas la musique et il éprouve une très grande répulsion pour le piano. Par contre, il parle beaucoup et se sert du langage articulé comme d'un auxiliaire précieux, toutes les fois qu'il veut confier à sa mémoire quelque nouvelle connaissance.
D'après tout ce qui précède, nous pouvons déterminer suivant quel mode psychologique s'effectuent chez le jeune Poehler l'acquisition et la conservation des diverses connaissances. Les images auditives et les images motrices graphiques occupent une place à peu près nulle dans son imagerie mentale. C'est qu'il est par-dessus tout un visuel et accessoirement moteur d'articulation ; ce sont des images visuelles qu'il accumule et conserve dans sa mémoire, par exemple à la manière de Diamandi ; mais, tandis que Diamandi n'a recours, selon toute apparence, qu'aux seules images visuelles, Pœhler les renforce par les sensations musculaires et par les images motrices d'articulation que comporte renonciation des mots ; Inaudi utilise aussi le langage articulé comme moyen adjuvant, mais, contrairement à Pcehler, Inaudi n'est pas visuel, il est auditif.
Ajoutons, pour être complet, qu'Otto Pcehler ne se. prête à aucun enseignement suivi et régulier; il s'applique spontanément à ce qui lui plait, mais à cet objet seul. Dès lors, on ne peut soumettre cet enfant à des recherches ou à des expériences méthodiques ; on est réduit à l'observer dans les diverses manifestations de sa libre initiative.
En dépit des diverses réserves que nous avons énoncées plus haut, il est hors de doute que cet enfant présente une extraordinaire précocité. M. Stumpf exprime le vœu que l'on s'applique à développer les facultés exceptionnelles d'une intelligence si vive et si pénétrante; il est d'avis qu'une personne instruite soit spécialement chargée de ce soin, mais aussi, pour que cette personne puisse être rémunérée de son temps et de sa peine, il demande que l'on constitue une petite rente et, dans ce but, il fait appel aux contributions volontaires des cœurs nobles et généreux.
Sans doute, M. Stumpf est un psychologue très fin, très pénétrant, très sagace, et l'on ne saurait trop rendre hommage à ses remarquables travaux. Sa proposition parait au premier abord excellente, tout à fait louable et digne d'aboutir. Toutefois, en dépit de la grande autorité de M. Stumpf et malgré tout le respect qu'inspirent les opinions d'un savant tel que lui, nous devons à la vérité de dire que son projet ne nous
paraît ni utile, ni opportun, ni prudent, ni môme inoffensif. C'est ce que nous allons essayer de montrer.
L'un des plus délicats problèmes de la pédagogie du premier âge est précisément de déterminer quand et dans quelle mesure il convient de meubler ou de développer l'intelligence de l'enfant; cette question est ussurément l'une de celles qui embarrassent le plus le psychologue et le pîcdiatre.
En tous cas, il existe un certain nombre de préceptes généraux qu'il est indispensable de ne point transgresser : par exemple, les travaux intellectuels ne devront jamais nuire au développement corporel; ils ne devront aboutir ni à la fatigue cérébrale, ni à l'épuisement nerveux ; ils ne devront pas non plus étouffer Péclosion de la sphère affective ou émotive, etc.
Chacun sait que dans ces terribles affections cérébrales qui coûtent la vie à un si grand nombre d'enfants, on a très souvent noté comme facteur étiologique, non pas certes unique mais au moins prépondérant, des fatigues intellectuelles précoces. Que de fois, en effet, le médecin n'a-t-il pas dû exiger que l'enfant fût, pour un temps, retiré de l'école et qu'il vécût en dehors de toute espèce de préoccupation intellectuelle !
Mais passons. Si l'enfant très bien doué a, sous une direction imprudente, trop tôt et trop inconsidérément développé son intelligence, que va-t-il devenir, par exemple au moment de la puberté ? Saurat-il supporter le choc que ce nouvel état physiologique va imprimer à tout son organisme ? Consultons l'expérience. Des enfants qui ont fait l'orgueil et la joie de leurs parents, qui ont émerveillé tout leur entourage, pour lesquels on a rêvé un avenir très brillant, cessent souvent, vers la quatorzième ou la quinzième année, d'être des élèves remarquables ; leur esprit s'alourdit ; ils deviennent mous, indolents, apathiques et ne font plus de progrès: il semble que leur intelligence s'étiole et présente un arrêt de développement, qu'elle ait donné tout ce qu'elle pouvait fournir, qu'elle ait dépensé toute l'énergie dont elle était capable et que, surmenée, affaiblie, épuisée, elle refuse, pour ainsi dire, tout service. Plantes de serres chaudes, .tôt poussées mais tôt fanées, les petits prodiges ne deviennent trop souvent que des arriérés ou des imbéciles, tout au moins des esprits médiocres et débiles. Eux aussi, en somme, paient la triste rançon de cette supériorité insolite dont ils s'étaient pompeusement parés pendant leur tout jeune âgc.-
D'autre part, c'est une règle à peu près générale que les enfants prodiges présentent une tare nerveuse quelconque, leur développement intellectuel anormal est comme l'expression fonctionnelle d'une constitution névropathique, la plupart du temps héréditaire. Or, le surmenage mental ne saurait manquer de réveiller, de stimuler et d'exaspérer en eux une névrose qui, sans cela et grâce à une hygiène prophylactique spéciale, aurait peut-être longtemps sommeillé.
Enfin, supposons qu'un enfant extraordinaire ment doué ait pu de très bonne heure imposer à ses facultés intellectuelles une activité déme-
surée, — que ses pouvoirs mentaux n'aient subi aucune éclipse, ni aucune diminution, — qu'il ne soit affecté d'aucune névrose ou que sa névrose demeure latente ; admettons tout cela pour mettre les choses au mieux: qu'est-ce qu'il deviendra dans la vie, de quoi se montrera-t-il capable une fois qu'il sera un homme ?
En général, les enfants prodiges ne sont tels que sur un point très spécial; certaine aptitude intellectuelle est exaltée, elle atteint une extension prodigieuse, mais ce n'est qu'au détriment de toutes les autres aptitudes de l'esprit : celles-ci sont alors plongées dans une profonde torpeur ; elles risquent de s'annihiler et de disparaître complètement; seule l'aptitude exclusive croit et s'hypertrophie, pour ainsi parler. Mais ces génies partiels ne sont jamais que des déséquilibrés et des incomplets ; leur infériorité compensatrice les rend le plus souvent incapables de toute œuvre sérieuse, et c'est souvent à grand'pcine qu'ils parviennent à s'assurer les moyens d'une très misérable existence.
Veut-on des exemples ? Rappelons le cas de Jedediah Buxton qui fut un calculateur mental d'une puissance étonnante. « Lorsqu'il vint à Londres se soumettre à l'examen de la Société royale, on le mena au théâtre de Drury-Lane, pour lui montrer Richard III joué par Garrick. On lui demanda ensuite si la représentation lui avait fait plaisir : il n'y avait trouvé qu'une occasion de faire des calculs ; pendant les danses, il avait fixé son attention sur le nombre de pas exécutés : il y en avait 5202 ; il avait également compté le nombre de mots que les acteurs avaient prononcés : ce nombre était de 12.445 ; il avait compté à part le nombre de mots prononcés par Garrick, et tout cela fut reconnu exact, n (') Ainsi, exclusivement préoccupé de la conservation et du maniement des chiffres, Buxton était, pour ainsi dire, inaccessible à tout le reste; et, en fait, nous savons qu'il eut grand'peine à faire vivre sa famille.
D'autre part, je me rappelle avoir rencontré, il y a quelques années, un jeune homme de vingt ans environ, lequel stupéfiait les consommateurs attablés aux terrasses des cafés du boulevard Saint-Michel. Il suffisait qu'on lui donnât le nom d'un député français quelconque pour qu'aussitôt il vous fit connaître, de mémoire et sans aucune hésitation, la circonscription électorale de ce député, la date de son élection, le nombre des électeurs inscrits, des votants, des bulletins valables, des bulletins nuls et enfin le nombre de voix obtenues par les divers concurrents. C'était véritablement merveilleux ! Or, ce jeune homme avait le regard atone, l'air niais et l'apparence extérieure d'un imbécile ou d'un idiot ; sa mémoire des chiffres était extraordinaire, mais, il était incapable de tout autre travail iniellectuel ou de toute occupation manuelle ; son unique ressource consistait dans les quelques sous dont on lui faisait l'aumône lorsqu'il avait fourni au sujet de quelques
(I) Alfred Binet, Psychologie des grands calculateurs et joueurs d'échecs, page 6 ; Paris, Hacheue, 1891-
députes les renseignements rapportés plus haut ; or, les consommateurs ne s'intéressaient pas longtemps à cet exercice peu commun, sans doute, mais en somme très monotone : notre jeune homme était, en somme, très pauvre et très malheureux.
Voilà précisément ce que risquent de devenir tous ces petits prodiges dont on surexcite les aptitudes mentales déjà naturellement excessives. En voulant leur rendre service, on peut faire une œuvre néfaste; en effet, comme ils sont uniquement absorbés par leur aptitude exclusive, il sont, pour ainsi dire, incapables de sortir de leur cercle étroit et tout le reste ne fait guère d'impression sur eux. Or, dans la vie, il importe, certes, de pouvoir par son travail assurer sa subsistance et celle des siens ; il importe d'être un homme dans toute l'acception du mot et non pas de devenir un cas curieux, un phénomène extraordinaire, un monstre que l'on exhibe.
'Cela établi, revenons au jeune Otto Pœhler.
Faut-il craindre pour lui ces fameux « transports au cerveau » dont les mères ne parlent qu'avec terreur ? Et pourquoi non ? Il n'y est pas moins sujet qu'un autre.
On prétend que cet enfant n'est ni chétif, ni mal portant, ni maladif, mais on convient qu'il n'est pas exceptionnellement fort. Son crâne, ajoute-t-on. est long, fortement renflé par derrière ; il s'agit donc d'une configuration différente du type normal. Enfin l'on signale chez lui ce fait que « le corps est toujours en mouvement, à moins que l'attention ne soit iixée par quelque chose : les doigts remuent aussi sans cesse... » Sommes-nous en présence de chorée, d'athétose, de névrose trému-lante ? On ne nous le dit pas, mais il parait hors de doute que le jeune Otto présente une tare neuropathologique, laquelle explique son état cérébral anormal. Dès lors, le développement intellectuel que l'on se propose d'instituer chez lui risque fort d'entretenir, de stimuler, d'ac-croitre cette affection nerveuse et le déséquilibre mental qui lui est concomitant.
D'ailleurs, on se propose de développer ce qu'on appelle sa vive et pénétrante intelligence ; or, à quoi se ramène cette dernière ?
Sans doute cet enfant est vivement impressionné par les objets extérieurs et les sensations visuelles qu'il éprouve sont intenses ; celles-ci laissent après elles des images vivaces qu'il conserve avec une fidélité et qu'il rappelle avec une rapidité inouïes ; il a appris à lire presque seul, mais il n'a mis en œuvre que des associations d'images par analogie, par ressemblance ou par contraste. Ainsi, chez lui, les fonctions d'acquisition et de conservation, sans doule merveilleuses, existent à peu près seules ; c'est à la mémoire et à une assez rudimentaire association d'images que se ramène la vie psychologique de cet enfant; les faoultés supérieures d'élaboration lui manquent pour ainsi dire complètement; il ne sait ni combiner ses connaissances, ni constituer des touts nouveaux, ni véritablement réfléchir et raisonner. Les aptitudes psychiques de cet enfant, tout étonnantes qu'elles paraissent, sont à-la
vérité très restreintes, et ce ne sont ni les plus élevées, ni les plus intellectuelles.
On sait bien qu'Otto est encore très jeune, et l'on aurait mauvaise grâce à demander que ses fonctions psychologiques supérieures fussent pleinement développées en lui, mais elles sont, à ce qu'il semble, déjà compromises par le développement prépondérant et même exclusif de la mémoire ; or, il importe qu'on ne les étouffe et qu'on ne les annihile pas irrémédiablement. En développant les aptitudes naturelles du jeune Otto, on s'expose, non seulement à provoquer en lui, lors de la puberté, cette sorte d'éclipsé dont il a été parlé plus haut, mais encore à faire de lui un exclusif, un déséquilibré, un incapable. Pour ces raisons et pour toutes celles qui précèdent, il nous semble que la proposition de M. Stumpf, si généreuse dans son inspiration, pourrait bien être, quant à l'application, quelque peu inopportune, imprudente et même dangereuse.
S'ensuit-il qu'il ne faille intervenir en aucune manière auprès de cet enfant? Certes, on en a le droit, peut-être même le devoir, mais à la condition que l'on agisse avec mesure et circonspection. L'intérêt à la fois actuel et ultérieur du jeune Otto Pœhler est que l'on combatte chez lui la spécialisation précoce, — c'est que l'on tempère et que l'on contraigne le trop libre essor de ses aptitudes exclusives, c'est qu'on le rende docile à toute direction systématique, régulière et raisonnée, ,— c'est que, s'il se peut, l'on tende à rétablir chez lui l'harmonie, le bon ordre et l'équilibre entre toutes les facultés. Son intelligence a besoin non pas d'être soumise à une suractivité fonctionnelle intense, mais, au contraire, d'être sévèrement réfrénée, disciplinée, réglée.
Certes, il se peut bien qu'en procédant ainsi on ne soit point d'une grande utilité à cet enfant et qu'on ne parvienne jamais à en faire un homme comme un autre, bien équilibré, capable de se suffire à lui-même et de se diriger dans les diverses circonstances de sa vie pratique. En tous cas, on lui aura rendu service par cela même qu'on ne lui aura pas été funeste ; on aura su lui appliquer le précepte si souvent méconnu primo non nocere; enfin, lorsqu'on voudra apprécier ce dernier système d'intervention, on devra au moins lui savoir gré du mal qu'il n'aura pas fait.
*
* *
APPENDICE
Congrès international pour l'enfance
En Octobre 1896 s'est tenu à Florence un [Congrès international de protection de l'enfance. A ce congrès assistaient des délégués de presque tous les pays d'Europe et de plusieurs républiques américaines. On s'est tout particulièrement occupé des enfants malheureux et déshérités au seuil même de la vie ou moralement abandonnés. Parmi les diverses questions traitées, signalons les suivantes : de l'éducation
physique, — de la correction paternelle, — des moyens de combattre l'envahissante apathie morale, — des moyens d'empêcher le surmenage intellectuel que l'on impose actuellement dans les écoles.
M. Bourrilly, inspecteur primaire à Toulon, délégué du ministre de l'Instruction publique, a écrit à ce sujet un rapport dans lequel il expose en détail les opinions et les vœux des divers congressistes. La Revue pédagogique (avril et mai 1897) vient de publier un résumé de ce remarquable rapport. Nous croyons devoir en extraire et mettre sous les yeux de nos lecteurs les lignes suivantes, lesquelles, d'ailleurs, se rapportent directement aux considérations pédagogiques et psychologiques développées dans notre article :
« ...Divers auteurs se sont élevés contre la profusion des matières des programmes scolaires et les exigences des examens. M. le docteur Bondicelli, comme médecin et hygiéniste, s'associe à ce qui a été dit au sujet de la fatigue excessive que l'on impose aux enfants dès l'âge le plus tendre jusqu'aux écoles secondaires et universitaires. Les enfants offrent des diversités très grandes quant à leur "développement physique et à leur puissance intellectuelle. D'autre part, les facultés physiques et intellectuelles ont une grande connexité entre elles et doivent se développer d'une manière régulière, et il est très important de savoir à quel moment et à quel degré on peut donner aux enfants de nos écoles cette somme énorme de travail qui ne fait autre chose que consumer le système nerveux et qui nous prépare une génération de névrosés. Les mauvais effets de ce système d'instruction se font déjà sentir, d'après lui, et les médecins comme les philanthropes et tous ceux qui s'occupent d'éducation trouvent une génération épuisée, ce qui ne saurait étonner ; car, de même que par l'alimentation prématurée on ruine l'organisme physique, de même par une excessive et trop précoce action des facultés intellectuelles, on crétinïse les enfants au lieu de les instruire. C'est pourquoi l'orateur exprime le vœu que les autorités supérieures portent leur attention sur le préjudice qui résulte de cet état de choses, pour le développement intellectuel des jeunes générations, et veillent à ce que les travaux donnés comme devoirs classiques à l'école ou à domicile soient toujours proportionnés à l'âge et au développement physique des enfants. Quant aux enfants tout à fait jeunes, M. Bondicelli est radical, Pour lui, l'enfant de six à sept ans n'a pas besoin d'école à proprement parler. II a besoin de quelqu'un qui l'initie à la vie, il a besoin du grand air. Tout ce qu'il voit ouvre son intelligence, concourt à son instruction. Il s'ensuit que ce qui est surtout nécessaire pour un enfant jeune, c'est qu'il soit tenu le moins possible immobile. Aussi l'orateur retournerait-il avec confiance au système antique des péripaléliciens et supprimerait-il volontiers les salles closes où l'on respire un air vicié et où l'on obtient des résultats médiocres, même au point de vue pédagogique. »
ÉTUDES BIOGRAPHIQUES
JAMES BRAID : son œuvre et ses écrits
Par M. le docteur Milne Bramwell, (de Londres)
(suite)
SUGGESTION, PASSES, ETC.
A mesure que Braid abandonnait sa théorie physique, comme il avait abandonné sa méthode mécanique, ses vues, par rapport à la valeur des passes, etc., se modifiaient naturellement; il en vint bientôt à regarder, comme absolument secondaires, tous les moyens qu'il avait jusqu'alors employés, pour attacher de plus en plus d'importance au rôle de la suggestion. Il disait que, chez certains sujets impressionnables, l'hypnose pouvait être causée par auto-suggestion, c'est-à-dire, par la seule croyance que quelque chose que ce soit était capable de les contraindre à dormir. Il pensait cependant que la suggestion verbale était la plus efficace, soit qu'il s'agisse de produire des phénomènes hypnotiques, soit qu'il s'agisse de guérir les maladies.
Après avoir hypnotisé ses patients, Braid énonçait d'une manière confiante, les résultats qu'il espérait obtenir; et c'est ainsi qu'il en vint à trouver que, pour certains sujets, les dits résultats variaient suivant les différentes intonations qu'il employait. Par exemple, s'il faisait voir au patient un mouton imaginaire et lui demandait alors gaiement de quelle couleur était l'animal, ce ton enjoué amenait généralement celte réponse : —« Blanc » — ou le nom de quelque autre couleur brillante; puis, s'il demandait encore : « De quelle couleur est-il à présent ?» en donnant une intonation triste au mot à présent, la réplique était alors le plus souvent celle-ci : — « Noir ».
L'action des passes, etc., était alors expliquée par Braid de la manière suivante : « Chaque chose qui produit une nouvelle impression, modifie ou change les fonctions existantes, soit que la nouvelle impression appartienne à l'ordre mental, soit qu'elle appartienne à l'ordre physique. Or, le cerveau reçoit beaucoup d'impressions, qui influencent consciemment l'esprit, bien que celles-ci ne fussent pas observées lorsque les organes des sens les lui transmirent; d'autres, trop faibles pour devenir conscientes, peuvent néanmoins être suffisantes pour produire une influence locale sur les nerfs et sur les capillaires. Par exemple, une personne peut être assez absorbée par une lecture pour ne pas remarquer qu'elle est assise dans un courant d'air, et ce fait, non distinctement conçu par son esprit, peut cependant déterminer une attaque de rhumatisme. Il est possible que les passes aient une action mécanique et qu'elles produisent des changements dans la température
et dans les conditions électriques, mais, leur pouvoir est plus remarquable lorsqu'elles excitent l'action mentale, soit en fixant l'attention sur une partie ou sur une fonction du corps, et l'éloignant ainsi des autres, soit en éveillant les idées préalablement associées avec l'impression physique. Tous ces effets peuvent cependant être neutralisés par la suggestion directe, et l'opérateur qui emploierait simultanément les deux méthodes pourrait se convaincre que la suggestion auriculaire peut être assez puissante pour déterminer la manifestation prédite à la place de celle qui, d'autre part, aurait du être réalisée. » Braid disait ailleurs : « Quelque combinaison matérielle que ce soit, jusqu'alors demeurée impuissante à déterminer l'hypnose, peut devenir suffisante dès que l'opérateur affirme qu'elle possède infailliblement cette vertu. Or, tous ces phénomènes peuvent être réalisés avec la plus entière bonne foi du sujet et sans que celui-ci en conserve le moindre souvenir à son réveil. » Braid en arriva enfin à dire que toute la valeur des passes et des différentes méthodes mécaniques, était une valeur entièrement suggestive, et il ajoutait qu'il en faisait usage comme de la suggestion intelligible.
Dangers.
Braid pensait que, dans l'état hypnotique, il y avait, premièrement : décroissance de la raison et de la volonté ; qu'ainsi l'imagination prenait d'autant plus d'ascendant et les fonctions du système cérébro-spinal devenaient d'autant plus excitables que la puissance de la volonté était détournée. Il mettait cependant des limites à cette atteinte portée au libre arbitre, et j'ai en ma possession une lettre inédite de Braid, concernant les prétendus dangers de l'hypnotisme dans laquelle il s'exprime ainsi : « Dieu n'aurait jamais délégué à l'homme un pouvoir aussi dangereux que celui d'exercer une influence irrésistible sur la volonté de son semblable ;.... s'il est vrai que, sous l'influence hypnotique, les patients manifestent une grande docilité, il n'en reste pas moins vrai que, dans cet état de facultés perspectives et de jugement, ils demeurent aussi capables de la plus scrupuleuse correction de conduite que dans l'état de veille. Il n'y a là, selon moi, ni plus ni moins de chance d'obtenir la connaissance des pensées des autres, qu'on n'en pourrait avoir en leur faisant boire un verre ou deux de vin. Je n'ai point, pour ma part, l'expérience d'une influence capable de produire les malins effets auxquels vous faites allusion, je les suspecte fortement et je suppose qu'ils n'existent réellement que dans l'imagination de ceux qui les ont produits ou de ceux qui les ont éprouvés. Dans tous les cas, de tels effets n'ont jamais résulté de mes opérations personnelles, et j'ai souvent obtenu, au contraire, les plus merveilleux résultats, dans certaines maladies contre lesquelles le traitement ordinaire était demeuré le plus infructueux. »
En 1847, Braid comparait, au point de vue moral, l'influence de 1'éther à celle de l'hypnotisme, et il concluait en faveur de cette der-
nière, mentionnant les abus que des gens cruels ou sans mœurs, peuvent faire de ce narcotique. Les antagonistes du mesmérisme et de l'hypnotisme attribuaient à ces derniers le pouvoir d'exciter les passions animales, et ils affirmaient que les femmes les plus vertueuses pouvaient être victimes des hommes les plus dissolus sans conserver, au réveil, aucun souvenir qui puisse charger les coupables ; tandis que nul murmure ne pouvait s'élever justement contre l'éther pour lui reprocher de servir des desseins aussi impurs.
Braid expérimenta l'éther et l'hypnotisme et i1 décida, en toute assurance, que le premier était le plus dangereux. Il disait n'avoir jamais vu une patiente hypnotisée ne pas résister énergiquement à toute espèce d'action contraire aux lois des plus simples convenances, a Je ne prétends pas, malgré cela, dit-il, me faire juge de ce que pourraient accomplir des attaques systématiques et persévérantes destinées à corrompre une personne vertueuse plongée dans l'état hypnotique, car je ne condescendrai jamais à témoigner que de tels attentats puissent être systématiquement accomplis. Mes convictions présentes sont que le même individu peut être plus facilement démoralisé dans l'état de veille que dans l'état de double conscience du sommeil nerveux. Durant celui* ci, en effet, les gens vertueux ont une plus vive perception de ce qui est immoral ou indécent, conséquemment, une notion plus haute de ce qui est bien, et, malgré la remarquable docilité qui leur est imposée, d'autre part, il n'en demeurent pas moins portés à la seule exécution de ce qu'ils estiment raisonnable et bienséant. Ainsi, j'ai vu des patientes qui, après avoir toujours repoussé avec indignation la suggestion d'embrasser un monsieur, même imaginaire, acceptaient spontanément et de grand cœur, celle d'embrasser un enfant.
« Enfin, je n'ai jamais vu se produire de libidineuses manifestations durant l'hypnotisme, et j'ai constaté, en plusieurs occasions, que les plus intenses et les plus spontanés effets d'érotisme pouvaient se produire durant l'état d'éthérisalion chez des sujets de la plus haute respectabilité comme de la plus estimable conduite. »
Supposant ailleurs qu'un homme eût assez manqué d'honneur pour abuser d'une personne hypnotisée, en se basant sur cette assurance que celle-ci ne conserverait, au réveil, aucun"souvenir de l'injure qui lui aurait été faite, il dit : a Le criminel ne devrait pas se laisser aller à l'espoir trompeur de l'impunité, car, de la môme manière que toute personne peut déposer sur les faits relatifs à une action commise contre elle dans l'état de veille, la personne ainsi offensée pourrait être de nouveau hypnotisée et, par cela même, rendue capable de porter témoignage de tout ce qui se serait passé durant son précédent sommeil nerveux. Or, je maintiens que les victimes de l'éther ne sauraient avoir semblable certitude d'obtenir justice, puisqu'elles ne peuvent bénifïcier de la double conscience qui leur permettrait d'accuser les coupables. »
Braid disait avoir donné la preuve de tous ces phénomènes au cours de ses nombreuses expériences, tant publiques que privées, et il
ajoutait : « L'état hypnotique ne peut être déterminé, à aucun degré, sans la parfaite connaissance et l'entier consentement du sujet, ce qui place l'hypnotisme au-dessus de la médecine, car beaucoup de médicaments efficaces ont été employés à des fins criminelles sans que la victime choisie eût besoin de posséder la moindre connaissance de leurs propriétés.
« En défendant cependant l'hypnotisme contre les idées erronées de ceux qui lui attribuent des pouvoirs contraires à la morale, je ne prétendais pas et je ne prétends pas pour cela le juger capable d'implanter des principes. Je ne dis pas que l'hypnotisme puisse rendre vertueuse une personne vicieuse, mais je nie qu'il puisse rendre vicieuse une personne vertueuse, et je demeure convaiucu qu'une personne douée des sentiments les plus élevés, conservant toute conscience dans l'état som-nambulique, fera preuve d'autant de délicatesse et de circonspection de conduite que dans l'état de veille. J'ai prouvé, en outre, qu'aucune personne ne peut agir sur une autre, sans le plein consentement de celle-ci, et qu'il n'y a par conséquent aucune raison de tenir l'hypnotisme pour un agent propre à servir de criminels desseins. Si quelqu'un me soutenait l'opinion contraire en se basant sur ce fait que, dans un état de torpeur, d'insensibilité et de cataleptique rigidité, quiconque est inconscient et incapable de sa propre défense, je répondrais que les mêmes arguments peuvent être allégués contre l'usage du vin, de l'esprit ou de l'opium, parce que l'excès, dans l'usage de quoi que ce soit, peut être suivi de semblables résultats. Ces fausses appréciations ne proviennent du reste que des assertions des mesmériseurs eux-mêmes, qui prétendaient endormir les patients à distance et contre leur propre volonté, au moyen d'irrésistibles pouvoirs et de passes secrètes. »
Médecine et Chirurgie.
Braid accorde une valeur beaucoup moindre, aux opérations chirurgicales exécutées, sans douleur, pendant l'hypnose ; il mentionne seulement que, dans quelques cas, la conscience demeurait intacte et les patients se souvenaient dans la suite de tout ce qui avait été fait, bien que ceux-ci n'aient éprouvé aucune souffrance ni avant, ni après l'opération. Il citait aussi un grand nombre de cas de maladies guéries ou soulagées par l'hypnotisme : ceux-ci étaient dus en majorité au système nerveux, mais il disait avoir également obtenu des résultats remarquables dans certaines maladies organiques. Un des plus intéressants est celui d'un aveugle hypnotisé en vue d'une affection rhumatismale et complètement guéri d'une opacité do la cornée. A toutes ses observations concernant le traitement hypnotique, Braid dit encore : ail est de première importance d'informer les malades qu'il n'est pas nécessaire de devenir inconscient pour obtenir les effets bienfaisants du sommeil nerveux ; beaucoup croient à tort que la perte complète de la conscience est indispensable ; or, dans les cas les plus rebelles à tout autre traitement, j'ai obtenu les effets les plus bienfaisants même lors-
que les malades pouvaient, au réveil, rendre un compte exact de tout ce qui s'était passé durant leur sommeil. » Braid disait avoir expérimenté ceci lui-même, dans une circonstance où la gravité du cas l'avait obligé à déterminer un sommeil de huit à neuf minutes, au sortir duquel le malade s'était trouvé complètement soulagé sans qu'il eut perdu, si peu que ce soit, la conscience.
Observations générales
Braid désirait exposer tous ses résultats et toutes ses méthodes devant ses confrères ; il insistait sur ce fait que les médecins seuls doivent faire usage de l'hypnotisme, et il prévenait les ignorants contre le plein pouvoir d'un agent capable de produire de bons ou de mauvais effets, selon la manière dont celui-ci est ménagé et appliqué.
a L'hypnotisme peut, dit-il, guérir beaucoup de maladies contre lesquelles nous ne connaissions, jusqu'à présent, aucun remède ; mais, nulle autre personne qu'un docteur, très versé en anatomie, en physiologie et en pathologie, n'est capable de l'appliquer aux malades d'une manière bienfaisante et efficace. Cependant, quelles que soient les vertus que je reconnaisse à l'hypnotisme, je ne liens pas cet agent pour un remède universel, et je pense que les maladies provenant de conditions pathologiques totalement opposées réclament que tout traitement rationnel varie en raison de leurs causes ; et je tiens pour un fou ou pour un fripon celui qui parlerait d'un remède universel. » En référence aux heureux résultats thérapeutiques qu'il avait obtenus par l'hypnotisme, Braid proposait d'enseigner sa science à tout docteur intelligent qui se montrerait désireux de l'apprendre ; et il se faisait fort de dépasser la moyenne des résultats obtenus par les mesmériseurs, bien que sa méthode fût complètement dépourvue de leurs mystérieux agents. « L'hypnotisme, ajoutait-il encore, peut être appliquée avec la plus grande confiance par ceux qui le comprennent, et il produit souvent les effets les plus bienfaisants dans les cas mêmes les plus désespérés ; et aucune peine, aucun désagrément, ni aucun danger ne peut résulter de son emploi ; de plus, il permet quelquefois de porter un exact diagnostic des cas les plus douteux. »
Bien qu'il eût pris le plus grand soin d'éloigner toute erreur de ses expériences, Braid ne s'attendait pas à ce que ses conclusions fussent acceptées par les autres. Il espérait cependant que ses confrères étudieraient froidement le sujet avec l'honnête désir d'arriver à la vérité, tt Ayant moi-même été sceptique, disait-il, je puis permettre toutes les observations raisonnables des autres. Tous peuvent examiner les phénomènes pour eux-mêmes et, en môme temps, reconnaître quelque chose au-dessus de ce que j'ai pu avoir trouvé. »
Il insistait cependant sur le fait que différents sujets montraient de variables susceptibilités et que beacoup de gens, parmi les docteurs mêmes, s'attendaient à ce que tous présentassent les mêmes phénomènes hypnotiques. « Il doit être bien établi dans l'esprit, dit-il, que
les conditions mentales opposées peuvent passer de l'une à l'autre par les plus imperceptibles degrés, ou par les plus soudaines transitions, conformément au mode de direction ; et, ainsi, la conscience ou l'inconscience, le sommeil profond, le réve ou le somnambulisme, résulteront selon que les sensations ou les idées prédominantes sont plus ou moins également vives. Il n'est pas d'usage courant de produire les conditions opposées dans un même instant. »
Dans plusieurs occasions, Braid publia les témoignages écrits des autres, relativement au succès du traitement hypnotique, et ¡I expliquait qu'il agissait ainsi parce que : « les plus inexcusables interventions de certains docteurs avaient eu pour but de dénaturer quelques-uns de ces lémoignagnes ; et que, dans certaine circonstance, l'un d'eux avait poussé la mauvaise foi jusqu'à lire aux malades le contraire de ce que le rapport affirmait. Quelque extraordinaire que puisse paraître une telle conduite, le fait fut publiquement prouvé. »
(à suivre.)
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie.
La séance annuelle de la Société d'HypnoIogie et de Psychologie aura lieu le Lundi 20 Juillet, à quatre heures du soir, au Palais des Sociétés Savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumontpallier, Membre de l'Académie de Médecine.
Les Auteurs sont invités à adresser dès à présent les titres de leurs communications à M. le Dr Bérillon, Secrétaire général, rue Taitbout, 15.
ORDRE DU JOUR :
1. Compte-rendu de la situation morale et financière de la Société;
2. Communications et lectures;
3. Présentation de malades ;
4. Vote sur l'admission de nouveaux membres.
Banquet. — Après la séance annuelle, un Banquet aura lieu à sept heures, comme les années précédentes, au Restaurant Mignon, 110, boulevard Saint-Germain. Prix du Banquet : 10 fr.
Envoyer les adhésions à M. Albert Colas, trésorier, 1, rue de Jussieu.
Les morphinomanes.
M. Rodet, dans un livre qu'il vient de publier sur la Morphi-nomanie, a réuni une statistique de 1.000 cas empruntés à tous les pays.
Cette statistique montre, suivant les professions, la diffusion de cette manie toxique dans les diverses classes de la société.
Hommes : 650
p. 100
Médecins....... 287 40,1
Fils de Médecin .... 1 0.15
Pharmaciens...... 21 3,2
Étudiants en médecine . 21 3,2
Etudiants en pharmacie, 4 0,6
Infirmiers....... 7 1,7
Militaires....... 46 7
Négociants....... 57 8,7
Sans profession .... 100 15,5
Professeurs...... 3 0,4
Magistrats....... 4 0.6
Employés....... 23 3,5
Ouvriers........ 37 5,6
Garçons de laboratoire . 2 0,3
Artistes........ 6 0,9
Étudiants en droit ... 11 1,6
Hommes de lettres . . 5 0,7
Avocats........ 7 1,07
Paysans........ 3 0(4
Prêtres. ........ 2 0,3
Hommes politiques. . . 3 0.4
Femmes : 350
p. 100
Femmes de médecins . . 35 10
Religieuses....... 4 i,l
Femmes de pharmacien . 6 1,7
Sages-femmes...... 2 0,1
Femmes d'officiers. ... 4 1,5
Femmes de négociants . 12 3,4
Sans profession..... 151 43,1
Professeurs....... 10 2,8
Employées...... 8 2,2
Ouvrières........ 47 13,4
Infirmières....... 7 2
Artistes......... 5 1,4
Domestiques...... 5 1,4
Jeunes filles. ...... 2 0,5
Filles publiques..... 50 14,1
Étudiante....... 1 0,1
Fermière...... . 1 0,1
Comme le remarque à ce propos la Médecine moderne, la fréquence de la morphinomanie parmi les médecins est un fait connu ; et il faut admettre sans doute que beaucoup de ceux-ci ont été conduits à la fatale manie par la nécessité de la lutte contre la douleur et la fatigue.
Mais la proportion considérable des individus des deux sexes sans profession ou sans profession avouable, montre que le besoin de lutter contre le poids de l'oisiveté et le désœuvrement conduit nombre de gens a la même manie, et que l'oisiveté paraît être aussi pénible à supporter que la douleur.
NOUVELLES
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique
Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-dcs-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.
L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Bcole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.
Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.
La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterslrand.
Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiquesde l'hypnotisme.11 est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.
Pendant le semestre 1896-1897, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemeslc, Maurice Dupont, Gaube 'du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.
Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La biblioLhèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.
— Le musée psychologique vient de s'enrichir d'une série de documents concernant la criminologie et l'histoire de la pénalité (800 gravures, dessins, volumes, etc.).
Les Congrès de 1897.
XIIe Congres international de Médecine, à Moscou, du 19 au 26 Août. Section des maladies nerveuses et mentales.
Comité d'organisation. — Les gérants: P'* A. Kojevnïkoff, S. Korsakoff, W. Roth (Moscou). — Secrétaires : Privat-docent L. Minor [Moscou), Privat-docent W. Serski (Moscou].
Rapports et communications annoncés sur l'hypnotisme. — Bernheim (de Xancy) : « L'hypnotisme et la suggestion dans leurs rapports avec les maladies mentales et la médecine légale, » — A. Tokarski (de Moscou) : « De l'application de l'hypnotisme et de la suggestion au traite-
ment des maladies mentales. » — Alex. Robertson (de Glasgow) : «* Hypnotism and Suggestion in their Référence tq mental Diseases. *
— Gorodichze (de Paris) : « La psychothérapie dans les différentes variétés du délire émotif. » — Bérillon (de Paris) : « l°Lcs applications de l'hypnotisme à la pédagogie des dégénérés héréditaires ; 2° L'hypnotisme associé aux narcotiques et aux anesthésiques.
Huitième Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de langue française.
Ce Congrès s'ouvrira à Toulouse, le lundi 2 août 1897, sous la présidence de M. le Dr Ritti :
Diagnostic de la paralysie générale. — Rapporteur M. le Dr Arnaud
L'hystérie infantile. — Rapporteur M. le d' Bézy.
Organisation du service médical dans les asiles d'aliénés. — Rappot-teur M. le D' Doutrebente.
Le prix de la cotisation est fixé à 20 francs. Les adhésions et les cotisations doivent être adressées dès maintenant au Secrétaire général du Congrès, M. le Dr V. Parant, allées de Garonne, 17, Toulouse.
Congrès international de Neurologie, de Psychiatrie, d'Électricité médicale et d'Hypnologie.
1re Session, Bruxelles, 14-19 Septembre 1897.
Président : M. le Pr Verriest, de Louvain. — Secrétaire général : M. le Dr Crocq fils. — Secrétaires des séances (hypnologie) : MM. les D" L. de Moor et Van Velsen.
Hypnologie. — I. La valeur thérapeutique de l'hypnotisme et de la suggestion. Rapporteur : Dr Milne Bramwell, de Londres (Angleterre).
— II. La question des suggestions criminelles. Ses origines, son état actuel. Rapporteur: Pc Liégeois, de Nancy (France).
Hospice de la Salpètrière. — Le dr Auguste Voisin a repris ses conférences cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, le jeudi 10 juin 1897, à 10 heures du matin, et les continuera les jeudis suivants à la même heure. Plusieurs leçons seront consacrées aux applications cliniques de l'hypnotisme.
Corps de santé de la marine. — Par décret, en date du 15 avril 1897, M. le Dr Bourru, médecin en chef, a été promu au grade de directeur du Service de Santé, dans le corps de Santé de la marine. MM. les docteurs Bourru et Burot, de Rochefort, sont au nombre des premiers collaborateurs de la Revue de l'Hypnolisme, cl nous sommes heureux de féliciter M. Bourru de la flatteuse promotion dont il vient d'être l'objet.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Alcoolisme en Autriche (l'), 32. Alcoolisme chronique par l'hypnotisme
(traitement de l'), par le D' Lloyd-
Tuckey, de Londres, 207. Amour maternel dans la série animale
(l'évolution de l'), par M. Caustier,
314.
Aliéné professeur (un), 188.
Attentat contre le Dr Charpentier, médecin de Bicêtre, 220.
Anesthésie cutanée chez les Mauresques, 94.
Anesthésie hypnotique (l') par le Dr Milne Bramwell, de Londres, 321.
Aphasique (le testament d'un), 220.
Application de pédagogie suggestive : somnambulisme diurne, troubles du caractère, etc., par le Dr Bourdon, de
Méru, 45.
Applications de la méthode graphique à l'étude de l'hypnotisme, par le Dr E. Bérillon, 138.
Attentat d'un aliéné contre le Dr Charpentier, médecin de Bicétre, 220.
Attitude dans le sommeil (l'), 251.
Au-delà des forces humaines, préface, par le Dr E. Bérillon, 247.
Auto-suggestion comme moyen thérapeutique, physique et moral (l'), par A. Blech, 225.
Banquet de la société d'hypnologie et
de psychologie. 27. Banquet en l'honneur du Dr Bianchi,
59.
Blépharospasme tonique bilatéral douloureux, d'origine hystérique, guéri par la suggestion hypnotique, par le Dr de Bourgon, 259.
Braid (James) : son œuvre et ses écrits, par le Dr Milne Bramwell, de Londres, 269, 309, 340, 372.
Bulletin bibliographique, 221.
Calculateurs prodiges (la psychologie des) par le Dr Paul Farez, 330.
Calculateur prodige (un), par le Dr Paul Parez, 305.
Calendrier du suicide (le), 221.
Causes des actes (les) par le Dr Félix Regnault, 179.
Capacité civile des morphinomanes (la) ; par le Dr E. Bérillon, 230.
Charcot jugé par le Dr Fiessinger, d'Oyonnax, 186.
Circoncision pendant le sommeil hypnotique, par le Dr P. Valentin, 233.
Cocaïnomane (comment on devient) 285.
Cocaïnomane (les impressions d'un), par le Dr Springthorpe, 61.
Coliques intestinales guéries par la suggestion à l'état de veille (imposition des mains), par Mongour et Renault, 242.
Conférences, 128, 192, 219, 223, 249, 254.
Congrès de psychologie de Munich (le), P. V. 34.
Congrès des médecins aliéniste et neurologistes, 63.
Congrès de psychologie, 63.
Congrès d'anthropologie criminelle, 63.
Congrès français de médecine (le), 63.
Congrès de l'hypnotisme expérimentale et thérapeutique, 63.
Congrès de Moscou, 95, 287.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie, 127.
Cri hystérique datant de trois mois guéri en une seule séance par la suggestion, par le Dr Bérillon, 90.
Contracture spasmodique du psoas iliaque gauche datant de 4 ans, gué-rison en une seule séance, par le Dr David, de Narbonne, 268.
Cours annexe de l'Institut psycho-physiologique de Paris, professé à Lille par le Dr Paul Joire, 319.
Définition et nature de l'élément dynamique psychique, par le Dr Henry Aimé, de Nancy, 353.
Détatouage chez les jeunes détenus dans les prisons et les maisons d'éducation correctionnelle (de la nécessité de pratiquer le), par le Dr Bérillon, 301.
Dilatation volontaire de la pupille (un cas de), 62.
Discussions et polémique (La liberté des expériences d'hypnotisme), 239.
Dormeuse de Rochefort (la) par Albin
Rousselet, 349. Dynamisme psychique (étude clinique
sur le), par le Dr H. Aimé, de Nancy,
350.
Enfant extraordinaire (un), par M. le Dr
Paul Farez, p. 365. Enseignement de l'hypnotisme et de la
psychologie physiologique, 30, 65, 92,
127, 158, 191, 222, 251, 286, 318, 351,378. Enseignement musical et hypnotisme,
par le Dr E. Lagolouze, 236. Enseignement supérieur libre, 252. Enquêtes et questionnaires, 279. Epilepsie Jacksonnienne — Traitement
par la suggestion indirecte — Gué-
rison, par le Dr Spehl, de Bruxelles. 265. Essai sur la volonté, par le Dr Félix
Regnault, 17. Epilepsie (le traitement de l'accès d'),
par le Dr Jules Voisin, médecin de la
Salpétrière, 327. Examen psycho-moral de tous les
inculpés (de la nécessité de l'), par le
Dr h. Lemesle, 108. Exemple de sangfroid, par Glénard, 188.
Fausse grossesse par crainte de la maternité (deux cas de), avec rappel immédiat de la menstruation par suggestion a l'état de veille, par le Dr E. Marandon de Monthyel, 289.
Folklore (chansons arabes chantées par les femmes indigenes de Guelma pour endormir les enfants, Achille Robert, 279.
Homicides en Italie (les), d'après le baron Garolafo, 28.
Hypéresthésie généralisée, photophobie, hypochondrie légère, traitées par la suggestion à l'état de veille, par Renoux, 217.
Hypnotisme (applications de la méthode graphique à l'étude de l'), par le Dr Bérillon, 138.
Hypnotisme (enseignement musical et) par le Dr E. Lagelouze, 236.
Hypnotisme et la psychologie expérimentale (l'), par le Dr Bérillon, 283.
Idée fixe et obsession, 29. Impressions d'un cocaïnomane (les),
Dr Springthorpe, 61. Influence de la presse sur la criminalité,
98.
Instinct de reproduction chez les oiseaux (perversion psychique de l'),par E. Caus-tler,25.
Journal médical (un nouveau), 190.
Liberté des expériences d'hypnotisme (la), discussion et polémique, 239.
Lypémanie héréditaire, idées et tentatives de suicide, hallucinations de l'ouïe, céphalée. Influence curative de la suggestion hypnotique, par Ber-nheim. 91.
Maîtres de l'hypnotisme et de la médecine (les), 1, 65.
Mal de mer et le moyen de le prévenir par la suggestion hypnotique (le), par le Dr Gorodichze, 124.
Médecine rétrospective, par le Dr Wil-dey, xviie siècle, 29.
Mission médicale, 32.
Morphinomanes (les), 377.
Mort de M. Delbœuf, Dr Bérillon, 33.
Morphinomanie entraine-t-elle l'incapacité de tester ? (la), par le Dr E. Bérillon, 230.
Musée de psychologie et de criminologie, 32.
Mystères de la suggestion (les), par J. P. Durand, de Gros, 6, 36.
Nécessité de pratiquer l'examen psychomoral de tous les inculpes (de la), par le Dr H. Lemesle, 108.
Nécrologie, 64.
Neurasthénies graves par la psychothérapie (du traitement des), par le Dr P. Valentin, 116.
Obsession (idée fixe et), 29.
Obsessions par la suggestion (guérison des), par Milne Bramwel, (traduit de l'anglais par Wolff), 49.
Observations sur les phobies essentielles (quelques), par le Dr Gélineau, 51.
Oculaires (quelques phénomènes hystériques) traités par la suggestion, par le Dr Valude, 173.
Onanisme invétéré (hystérie mâle infantile), par le Dr P. Valentin, 233.
Parole en miroir (la), 189.
Phénomènes psychiques par les états médianiques de l'hypnose (de l'interprétation de certains), par le Dr P. Joire, 83.
Phénomènes hystériques oculaires (quelques) traités par la suggestion, par le Dr Valude, 173.
Phobies acoustiques, par le Dr Max Nordau, 249.
Phobies essentielles (quelques observations sur les), par le Dr Gélineau, 51.
Pédagogie clinique : deux cas de pusillanimité traités avec succès par la suggestion, par le Dr E. Bérillon, 337.
Perversion psychique de l'instinct de reproduction chez les oiseaux, par E. Caustier, 25.
Présentation d'ouvrage par le Dr P. Desjardin de Régla, 229.
Programme du cours du Dr Bérillon à l'Ecole pratique.
Psychologie des calculateurs prodiges (la), par le Dr Paul Fareza, 330.
Psychologie expérimentale (l'hypnotisme et la), par le Dr Bérillon, 283.
Psychologie des foules, les visions des foules, 156.
Psychologie, de Munich (congrès de), P. V., 34.
Psychologie expérimentale comparée, 254.
Psychopathies urinaires réflexes, par le Dr Ed. Lagelouze, 141.
Psychoses de la ménopause, par M. le Dr Max Nordau, 250.
Psychologie comparée, 253.
Pusillanimité traités avec succès par la suggestion (deux cas de), par le Dr E. Bérillon, 337.
Questionnaire relatif aux paramnésies ou fausses reconnaissances, 279.
Rôle complémentaire de la suggestion dans la cure des affections chirurgicales chez les névropathes (du), par le Dr P. Valentin, 332.
Rôle thérapeutique de la suggestion et de l'auto-suggestion, par le Dr Dumont-pallier, 113.
Savant (une vie de) : Delbœuf, professeur a l'Université de Liège, par J. Liégeois, 161, 193.
Sommeil artificiel prolongé (du), on particulier dans le traitement de l'hystérie, par le Dr O. G. Wetterstrand, 257.
Sommeil provoqué à distance (note sur le), par E. Boirac, 147.
Sommeil provoqué à l'insu du malade, dans un cas ; à l'insu du médecin, dans un antre (du), par le Dr Le Menant des Chesnais, 23.
Somnambulisme (sur un cas de), par le professeur Lépine, 154.
Somnambulisme diurne, troubles du caractère etc. (application depédagogie
suggestive), par le Dr Bourdon, 45.
Somnambulisme chez un élève de l'Ecole Normale supérieure (un cas de), 190.
Somnambulisme alcoolique considéré surtout au point de vue médico-légal (du), par le Dr Francotte, 129.
Société d'hypnologie et de psychologie, 17, 27, 45, 59, 83, 90, 94, 107, 112, 126, 138, 158, 179, 187, 206, 218, 228, 246, 259, 285, 301, 318, 326, 348.
Société d'hypnologie et de psychologie (banquet de la), 27.
Société Néerlandaise do psychiatrie et de neurologie, 158.
Suggestion collective (la), par M. le Dr Nordau, 359.
Suggestions criminelles (les) envisagées au point de vue des faux témoignages suggérés, par le Dr Edgar Bérillon. 70.
Suggestion religieuse réciproque dans la famille de Pascal (la), par le Dr Ch. Binet, 184.
Suggestion en sociologie (la), par le Dr Félix Regnault, 213.
Témoignages suggérés (les suggestions criminelles envisagées au point de vue des faux), par le Dr Bérillon, 70.
Thérapeutique psychique, E. B., 97.
Tics associée à l'hystérie (maladie des), par le Dr Rueda, 184.
Vols à l'étalage et dans les grands magasins (les), par le Dr A. Lacas-sagne, 76, 96.
Volonté (essai sur la), par le Dr Félix Regnault, 17.
FIGURES CONTENUES DANS LE VOLUME
Le Docteur Dumontpallier, 1. — Le Professeur Ch. Richet, 65. Schémas de la volonté. 18, 19. — Tracés de la respiration, du pouls, du cœur, des muscles à l'état de veille et de sommeil, 139, 140, 141.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS
Aimé (H.), 350, 353.
Beaudoin (Marcel), 189. Bechterew, 62.
Bérillon (E.), 34, 69, 70, 90, 96, 98, 138, 230, 232, 233, 249, 283, 301, 237. Bernheim, 91. Bianchi, 59. Binet (Ch.), 184. Blech (A. J.), 225. Boirac (E.), 147, 241. Bouchet, 135. Bourdon (de Méru), 45. Bourgon (de), 259. Bulard, 132.
Caustier (E.), 25, 314. Crothers, 133, 134.
David, 268.
Desjardin de Régla, 229. Dumontpallier, 113, 232, 233. Durand (de Gros, J. P.), 44.
Farez (?.), 305, 330, 365. Fiessinger, 97, 186. Francotte (Xavier), 129.
Garolafo, 28. Gélineau, 51. Glénard. 188. Gorodichze, 125.
Jennings (O.), 231. Joire (?.), 83. Julliot, 231.
Kraft Ebing, 188.
Lacassagne (A.), 76. Lagelouze (Ed.) 141, 236. Liégeois (J.) 161, 193.
Lemesle (H.), 108, 231. Lépine, 154. Leroy (E. B.), 279. Lewis (A. L.). 254. Lloyd-Tuckey, 207.
Mantle, 221.
Marandon de Monthyel (E.), 289. Marcotte, 189. Maréchal (Ph.), 318. Menant des Chesnais (Le), 23. Mongour, 242.
Nordau (Max), 359.
Regnault (Félix), 17, 179, 213, 221 223. Renault, 242. Renoux, 217. Renterghem (van), 158. Rey, 94.
Robert (Achille), 279. Roubinowitch, 30. Rodet, 377. Rousselet (Albin), 356 Rueda, 184.
Sganarelle, 210, 242. Spehl, 265. Springthorpe, 61. Stourme, 95.
Tarde (G), 204. Tokarski, 286.
Valentin (P.), 116, 233, 332. Valude (E.), 173. Voisin (A.), 232. 233. Voisin (J.), 327.
Wetterstrand (O. G.), 257. Wolff, 49.
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