(1895) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 10
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(1895) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 10

REVUE

DE

L'HYPNOTISME

ET DE LA

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

DIXIÈME ANNÉE

REVUE

de

L'HYPNOTISME

et de la

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

Paraissant tous les mois

PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE-MALADIES MENTALES ET NERVEUSES

Redacteur en chef : Docteur Edgar BÉRILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

MM. les Docteurs AZAM, prof, à la Faculté de Bordeaux; R. ARTHUR fde Sydney): AUBRY (de St-Brieuc) ; BARETY (de Nice) ; DE BEAU VAIS, méd. de Mazas ; BERNHEIM, prof, à la Faculté de Nancy; J. BOUYER (d'Angouléme); P. BONNIER; ?REMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof, à la Faculié de Paris, membre de l'Institut

CHILTOFF, prof, à l'Université de Kharkoff ; COLLINEAU; W- DEKHTEREFF (de Saint-Pétersbourg) ; A. FOREL(de Zurich); Eugène DUPUY; DUMONTPALLIER, médecin de l'Hôtel-Dieu; Van EEDEN (d'Amsterdam); GRASSET, professeur à la Faculté de Montpellier; LAGELOUZE; KINGSBURY (de Blackpool), W. IRELAND (d'Edimboug) ; LACASSAGNE, prof, à la Faculté de Lyon; LADAM ? (de Genève); LIÉBEAULT (de Nancy); LEGRAIN, médecin de l'Asile de Vaucluse; LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. de Nancy ; LLOYD-TUCKEY (de Loadresl; O. JENNINGS ; LETOURNEAU, prof, à l'Ecoled'Anthropologie; MASOIN, prof à l'Univ. de Louvain ; MANOUVR0IER, prof, à l'Ecole d'Anthropologie ; MESNET, méd. de l'Hôtel-Dieu ; HABILLE, méd. de l'Asile de Lafond ; Paul MAGNIN ; MOLL (de Berlin); MORSELLI, professeur à l'Université de Génes; RAFFEGEAU (du Vésinet ; Félix REG?AULT ; Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING (do Berlin); SEMAL (de Mons); Aug. VOISIN, médecin de la Salpétrière, etc.; STEM?? (de Vilna) ; P. VALENTIN; O. WETTERSTRAND de Stockholm); MM. A. LA LANDE, agrégé de l'Univ.; LIEGEOIS, prof, à la Fac. de Droit de Nancy BOIRAC, agrégé de l'Univ.; DELBŒUF, prof, à l'Univ. de Liège; Pierre JANET, agrégé de l'Université; Max DESSOIR (de Berlin); A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc.

LE NUMÉRO

7 5 CENT.

91,4

Rédaction :

14, rue Taitbout

Administration :

170, rue Saint-Antoine

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENT DE L'HYPNOTISME

10e année - — N° 1.

Juillet 1895.

Des indications de la suggestion hypnotique en pédiatrie,

Par le Dr Edgar BÉRILLON, Directeur Je la Revue de l'Hypnotisme, Médecin inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés.

Depuis quelques années, nous nous sommes appliqué d'une façon toute particulière à déterminer les indications de la suggestion en pédiatrie. Dès 1886, au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, à Nancy, nous appelions l'attention sur la valeur que peut avoir la suggestion dans le traitement des enfants vicieux ou malades. L'année suivante, au Congrès de Toulouse, nous pouvions présenter un certain nombre d'observations personnelles desquelles il résultait que la suggestion en pédiatrie trouve son application surtout lorsqu'il s'agit de traiter les habitudes vicieuses, les défauts graves du caractère, les tics nerveux, les incontinences nocturnes et diurnes de l'urine et des matières fécales, des terreurs nocturnes, les chorées, les névroses, la paresse intellectuelle, en un mot un grand nombre des troubles mentaux et des instincts pervers qui, dans un avenir prochain, peuvent placer celui qui en est atteint dans les conditions sociales les plus défavorables.

Dès ce moment nous pouvions affirmer que nous n'avions jamais vu survenir chez aucun des enfants soumis au traitement par la suggestion, le moindre accident consécutif.

En 1889, au premier Congrès international de l'Hypnotisme, les membres du Congrès, appelés à se prononcer sur les conclusions d'un rapport présenté par nous sur la même question, les adoptaient à l'humanité ét décidaient qu'en raison de l'intérêt qu'elles présentaient au point de vue pédagogique aussi bien qu'au point de vue de l'éducation pénitenciaire, ces

conclusions devaient être transmises, par les soins du bureau, à M. le Ministre de l'instruction publique et à M. le Ministre de l'intérieur. Comme nous le disions au Congrès de l'Hypnotisme :

« Les travaux d'un grand nombre d'auteurs ayant démontré la valeur thérapeutique de la suggestion, il fallait s'attendre à ce que des médecins eussent l'idée d'appliquer à l'enfant une médication qui donnait de brillants résultats dans certaines affections de l'âge adulte. Il en est ainsi, d'ailleurs, de tous les agents thérapeutiques, et il appartient au praticien de mesurer la dose, qui varie naturellement de l'enfant à l'adolescent et de celui-ci à l'homme fait.

« Pour ce qui est de la suggestion, on comprendra qu'en vertu même des principes qui la régissent, elle doit avoir plus de prise et doit réussir mieux encore chez l'enfant que chez l'adulte.

« En effet, la suggestion n'est-elle pas l'art d'utiliser l'apli-tude que présente un sujet à transformer l'idée reçue en acte ? Et, d'autre part, l'observation journalière ne prouve-t-elle pas que cette aptitude, déjà facile à développer chez l'adulte, l'est bien davantage chez l'enfant ? »

En effet, d'expériences portant sur plus de cinq cents enfants des deux sexes, nous avons pu déduire les conclusions suivantes :

Sur dix enfants de 6 à 15 ans, pris dans toutes les classes de la société, 8 sont susceptibles d'être endormis profondément dès la première ou la seconde séance.

Contrairement à l'opinion courante, les difficultés pour provoquer chez l'enfant un sommeil profond, sont d'autant plus grandes, que l'enfant présente plus de tares névropathiques héréditaires. Ainsi, les idiots sont absolument réfractaires à toute tentative d'hypnotisation. Les imbéciles s'endorment, mais le sommeil est léger, irrégulier, et ils ne réalisent pas, avec le caractère habituel d'automatisme, les suggestions posthypnotiques qui leur sont faites.

Les enfants qui présentent des stigmates hystériques, et en particulier des mouvements choréiques, sont tantôt très facilement bypnotisables et se montrent sensibles à la suggestion hypnotique, tantôt, au contraire, ils sont difficiles à influencer; pour arriver à les endormir complètement et obtenir chez eux un effet thérapeutique, un assez grand nombre de

séances sont souvent nécessaires. Cela tient vraisemblablement au peu d'attention qu'ils sont capables d'apporter.

Si les enfants hystériques manifestent parfois un esprit de contradiction très développé et résistent aux suggestions avec une certaine obstination, par contre, les épileptiques sont habituellement suggestibles au plus haut degré, et sont facilement et profondément hypnotisables. C'est là un fait d'observation journalière.

Les enfants robustes, bien portants, dont les antécédents héréditaires n'ont rien de défavorable, sont, en général, très suggestibles et, par suite, très hypnotisables. Ils sont très sensibles à l'influence de l'imitation ; ils s'endorment souvent, lorsqu'on a endormi préalablement d'autres personnes devant eux, d'une façon presque spontanée. II suffît de leur affirmer qu'ils vont dormir pour vaincre leur dernière résistance. Leur sommeil a toutes les apparences du sommeil normal ; ils reposent tranquillement, les yeux fermés ; en réalité ils dorment profondément, d'un sommeil absolument analogue à celui de la nuit.

La suggestibilité, beaucoup plus développée chez l'enfant que chez l'adulte, a pour conséquence de le rendre beaucoup plus hypnotisable. Ce n'est pas s'avancer trop que d'affirmer que plus des deux tiers des enfants peuvent être hypnotisés profondément dès la première tentative.

Cette sensibilité à la suggestion et à l'hypnotisme que présentent les enfants, peut être utilisée pour les mettre à l'abri d'hypnotisatïons non justifiées.

Nous conformant à l'exemple donné par MM. Beaunis, Liébeault et par d'autres observateurs, nous faisons toujours à l'enfant la suggestion de ne pouvoir être endormi que par le médecin. Cette suggestion est toujours suivie d'effet, et les tentatives faites par d'autres pour endormir le sujet n'aboutissent plus désormais qu'à un insuccès.

La doctrine de l'Ecole de la Salpêtrière reposait essentiellement sur l'opinion que, pour être hypnotisé, il fallait être « un malade ». En un mot, elle affirmait que l'hypnotisme est un état pathologique. Ce principe est absolument inexact ; tout individu normal peut être suggestionné. Or, le sommeil provoqué par suggestion n'est pas plus un état pathologique que le sommeil provoqué par la fatigue, par le bercement ou par un discours monotone.

Les médecins de la Salpêtrière n'opérant que sur de grandes

hystériques sont tombés dans l'erreur de tous ceux qui no se sont adressés qu'à une catégorie de sujets. C'est ainsi que des médecins de marine ont déclaré que les marins étaient les plus hypnotisables des êtres. Ceux qui n'ont endormi que des hommes les ont déclarés plus hypnotisables que les femmes. Les médecins qui n'ont appliqué l'hypnotisme qu'à des femmes ont conclu que les femmes étaient plus sensibles à l'hypnose que les hommes. En réalité, le nombre des suggestibles est extrêmement considérable. Les auteurs qui, comme Liébeault, ' Vetterstrand (de Stockholm), Forel (de Zurich), Van Eeden et Van Renterghem (d'Amsterdam), de Jong (de la Haye), Moll (de Berlin), Schrenk-Notzing (de Munich), etc., ont affirmé que la proportion des hypnotisables s'élevait à 80 %, n'ont rien exagéré.

Non seulement cela est vrai, mais nous pouvons affirmer que la suggestibiiité est en rapport direct avec le développement intellectuel du sujet. L'expérience suivante, par la constance de ses résultats, est venue donner à notre assertion les caractères d'une loi psychologique :

Lorsqu'on amène deux enfants à ma clinique (frères ou sœurs ou enfants de la même école), je place dans le fond de la salle deux sièges, j'invite ces enfants à les regarder, et je leur fais, à l'état de veille, la suggestion d'aller s'y asseoir ; je leur ordonne de le faire malgré eux, quel que soit l'obstacle qui vienne s'opposer à la réalisation de ma suggestion. J'attends alors le résultat de l'expérience. Au bout de peu de temps (une ou deux minutes) on voit ordinairement l'un d'eux se diriger vers la chaise indiquée, comme poussé par une force irrésistible, quels que soient les efforts qu'on fasse pour le retenir ; tandis que l'autre reste à sa place. Dès lors je puis poser mes pronostics et puis déclarer que le premier est un enfant intelligent, docile, facile à instruire et à éduquer, et qu'il a de bonnes places dans sa classe. Par contre, je puis affirmer que le deuxième est moins doué et qu'il sera facile de retrouver chez lui des stigmates de dégénérescence mentale ou physique. Si j'interroge les parents, je vois confirmer mon opinion.

Cette expérience ne sert pas seulement à mesurer le degré de suggestibiiité de l'enfant, elle devient un moyen d'investigation et d'exploration psychologique d'une très grande précision. Elle donne souvent des résultats inattendus, car elle révèle chez certains enfants une valeur intellectuelle bien supérieure à celle qu'on aurait pu leur attribuer au seul aspect de

leur physionomie. Chez d'autres elle vient prouver que la vivacité de l'intelligence et l'aptitude à apprendre n'est pas toujours en rapport avec la mobilité de leurs traits.

La suggestibiiité est une faculté normale, de modalité très variable selon les sujets. Chacun se présente avec sa suggestibiiité spéciale et sa réaction particulière à la suggestion. Les portes d'entrée de la suggestion ne sont évidemment pas les mêmes, selon que l'on se trouve en présence de sujets appartenant au type visuel, au type auditif ou au type moteur.

Tel sujet résistera longtemps à la fatigue des yeux qui sera promptement influencé par des suggestions persuasives. Tel autre subit très vivement l'influence de l'imitation. Chez d'autres enfin, il faut agir simultanément par plusieurs procédés.

Au point de vue purement psychologique, la résistance aux suggestions est aussi intéressante à constater qu'une extrême suggestibiiité. Elle dénote un état mental particulier, et souvent même un esprit systématique de contradiction dont il faut neutraliser les effets. Parfois cette résistance est inspirée par des motifs dont il y a lieu de tenir compte. Le plus fréquent de ces motifs est la peur de l'hypnotisme, que nous arrivons assez facilement à dissiper.

Ajoutons à cela que ce ne sont pas les individus qui acceptent et réalisent le plus rapidement une suggestion qui sont en réalité les plus suggestibles, car chez eux la suggestion peut ne laisser qu'une empreinte peu durable. Au contraire, la suggestion parfois a des effets très accentués et très prolongés chez des sujets qui ont paru ne l'accepter d'abord qu'avec une certaine difficulté. Comme en mécanique, il arrive qu'on perd en force ce qu'on gagne en vitesse.

Chez les enfants, encore moins que chez les adultes, l'application de la psychothérapie ne comporte pas nécessairement la production préalable du sommeil provoqué. Dans beaucoup de cas la suggestion verbale, à l'état de veille, visant avec précision un symptôme nettement déterminé, peut suffire. M. le Dr Gibert, du Havre, l'a démontré dans plusieurs observations très concluantes. Mais, il faut reconnaître que l'action suggestive se trouve décuplée, chez notre éminent confrère, par un facteur personnel très puissant, constitué par sa longue expérience et par sa légitime autorité. Dans sa plupart des cas, la psychothérapie à l'état de veille ne donnerait que des résultats incertains. Pour agir avec le maximum de certitude, il faut par des manœuvres diverses s'appliquer à désarmer l'esprit de

discussion de l'enfant, il faut neutraliser ses résistances, substituer à l'état d'activité un état de passivité. Il est assez facile d'obtenir, chez presque tous les enfants, ce qu'on pourrait appeler l'état d'influence hypnotique. Cet état est caractérisé par une tendance à la somnolence, une légère lourdeur des paupières, une sorte d'engourdissement de l'esprit. Le sujet conserve une partie de sa conscience, mais il est plus disposé à s'incliner passivement devant les affirmations. C'est là un état excellent pour l'application de la thérapeutique suggestive. A la rigueur on peut s'en contenter, et l'on sera quitte pour renouveler les suggestions un peu plus longtemps.

Chez certains sujets, le sommeil est obtenu après une ou plusieurs séances. Chez ceux-là, la tâche est simplifiée, et la suggestion peut se borner à des indications impératives. Néanmoins, que la suggestion soit faite à l'état de veille, à l'état de somnolence, ou à l'état de sommeil, il est bon que la suggestion soit appuyée de considérations capables de frapper son esprit. II faut que le médecin plaide chaleureusement la gué-rison. Une certaine dose de conviction et d'éloquence, n'est pas nuisible. Ce qui vaut encore mieux, ce sont des commentaires plausibles, capables d'impressionner vivement le sujet et de fixer son attention sur tel ou tel point. En effet, suggérer n'est pas autre chose qu'utiliser cette remarquable aplitude que présente l'attention, de se porter avec force sur une idée, sur une partie du corps. Dans la plus grande partie des cas, suggérer ne sera pas autre chose qu'appeler l'attention sur un organe et utiliser l'initiative du sujet pour remédier à un trouble fonctionnel. C'est ce qui arrive dans le traitement de l'incontinence nocturne d'urine, de la chorée, des tics, etc. Pour que cette manœuvre s'effectue avec toute l'intensité voulue, il est bon qu'un certain degré d'hypnose ait été obtenu.

Nous inspirant de ces principes, nous nous sommes borné pendant longtemps à appliquer systématiquement la suggestion hypnotique au traitement des maladies nerveuses de l'en-fant.

Mais ayant eu dans un certain nombre de cas l'occasion d'étudier ce traitement sur d'autres manifestations survenant dans le cours des maladies aiguës, nous avons acquis la conviction que la suggestion trouvait son application dans un grand nombre de troubles fonctionnels.

Les observations que nous avons recueillies dépasseraient de beaucoup les limites que nous nous sommes assignées

dans cette communication. Nous aurons à revenir sur ces faits dans des communications ultérieures, et pour le moment nous nous bornons aux indications suivantes :

Conclusions : On peut diviser les affections des enfants dans lesquelles les indications de la suggestion hypnotique ont été établies par des faits nombreux et rigoureusement observés, en plusieurs catégories :

1° Les troubles psychiques survenant dans le cours de maladies aiguës, en particulier l'insomnie, l'agitation et le délire nocturnes et quelques troubles fonctionnels tels que les vomissements incoercibles, l'incontinence d'urine et des matières fécales survenant dans les mêmes affections;

2° Les troubles fonctionnels liés aux affections nerveuses : chorées, tics, attaques convulsives, anesthésies, contractures et parésies hystériques, hoquet hystérique, blépharospasme, incontinence nocturne d'urine;

3° Les troubles psychiques tels que l'onanisme irrésistible, l'habitude de se ronger les ongles (onychophagie), les tendances impulsives précoces, les terreurs nocturnes, la somni-loquie, la kleptomanie, la pusillanimité et les diverses manifestations de l'émotivité morbide, troubles qui se présentent le plus souvent associés et que leur ténacité a faitjustement considérer comme des stigmates de la dégénérescence mentale ;

4° Les troubles mentaux envisagés comme complication des diverses névroses (chorée, hystérie, épilepsie).

Dans tous ces cas, lorsque la suggestion est appliquée rationnellement, avec patience et douceur, quand on évite de faire des suggestions expérimentales, pour se limiter aux suggestions indiquées par l'état du malade, surtout lorsqu'on ne néglige pas de procéder avec soin au réveil du sujet, le succès thérapeutique est la règle.

On peut affirmer de plus que l'innocuité de ce procédé thérapeutique est absolue, à la condition que l'utilisation de la suggestibiiité propre à l'enfant et que la production du sommeil tendent à ce double but, dont la légitimité ne sera contestée par personne : calmer l'éréthisme nerveux du sujet et faire l'éducation de ses centres d'arrêt psychiques.

revue de l'hypnotisme

SUGGESTIONS HYPNOTIQUES CRIMINELLES

Lettre au docteur Liébeault

Cher confrère et ami,

Je viens de lire votre article sur les suggestions criminelles; inséré dans la Revue de l'Hypnotisme du mois d'avril dernier; les circonstances ne m'avaient pas permis d'en prendre connaissance plus tôt.

Toujours fidèle à notre amitié de trente ans — une solide amitié, bien qu'on ne se soit jamais vus — encore cette fois vous n'avez pas voulu laisser passer l'occasion de rappeler mes travaux. Merci.

Mis par vous en scène avec mon loup-garou galicien, et en même temps en cause dans votre important débat médico-légal avec M. le professeur Delbœuf, je me crois tenu de préciser mon opinion sur la question soulevée, et de vous en résumer les motifs.

Après une deuxième et très attentive lecture du discours prononcé par M. Delbceuf, à l'Académie des sciences de Belgique, le 15 décembre 1894, je sens plus que jamais que votre camp est le mien. Heureux d'être votre allié, je n'en suis pas moins peiné de me voir l'adversaire d'un savant pour lequel j'ai la plus haute estime et de vives sympathies. Toutefois une réflexion me rassure ; c'est l'exemple que nous donne, en vrai philosophe, M. Delbceuf lui même, le très noble et trop rare exemple de ne jamais hésiter entre la vérité et Platon.

Voici, mon cher ami, ma profession de foi toute nue; qu'on appelle cela brûler ses vaisseaux, casser les vitres, ou mettre les pieds dans le plat, il ne m'importe :

J'ai été amené par une pratique suivie de l'hypnotisme à la conviction ferme que l'hypnotiseur jouit d'un pouvoir illimité de modifier à sa guise, par voie de suggestion, les sentiments, les idées et les résolutions de l'hypnotisé.

Et cette conviction n'est pas de date récente chez moi, je vous prie de le croire. Veuillez vous reporter à mon Electro-dynamisme Vital publié en 1855, c'est-à-dire il y a juste quarante ans. Voici ce qu'on peut lire à la page 305 :

« Ainsi, disais-je, j'ai établi par des expériences faites sur des milliers de personnes, et répétées par des centaines d'é-

lèves, que toutes les fonctions de l'âme et toutes celles de la vie organique peuvent être assujetties à l'empire absolu d'une volonté étrangère, qu'elles peuvent être modifiées, par cette volonté, sous toutes les formes, à tous les degrés; être exaltées au plus haut paroxysme ou frappées de totale inertie ; et, enfin, être déterminées à produire tous les phénomènes vitaux auxquels elles sont naturellement aptes; et, tout cela, à l'aide d'un seul et même agent, à l'aide d'un agent impalpable et invisible, à l'aide d'un mot. » Et plus loin :

« On admettra donc maintenant qu'un mot est capable de déterminer instantanément toutes les formes de la paralysie et de la chorée, de produire la cécité amaurotique, la surdité, l'insensibilité, le mouvement irrépressible, de provoquer le vomissement et la purgation, de faire naître la lièvre ou de ralentir la circulation du sang ; de causer une éclipse totale ou partielle de la mémoire; de plonger l'enfant dans la décrépitude, le savant dans l'ignorance, l'homme de génie dans l'idiotisme ; de changer l'affection en aversion, et de transformer la haine en amour; d'abolir jusqu'à la notion de l'identité propre, et, fermant à toutes les perceptions le spectacle du monde réel, d'évoquer l'apparition d'une scène fantastique ou des objets imaginaires s'accusant aux sens hallucinés par les impressions les plus vives. » (pp. 305 et 306).

Qu'un tel pouvoir puisse s'exercer dans toute son effrayante plénitude sur tout le monde, sur le premier venu, et à brûle-pourpoint, ce n'est pas exactement ce que j'ai voulu dire. Expliquons-nous.

La suggestion hypnotique proprement dite, la suggestion signifiée, est essentiellement une action d'ordre psychologique, une action morale. Mais pour produire son effet sur l'individu auquel elle s'adresse, il faut que celui-ci se trouve déjà sensibilisé, à l'instar de la plaque photographique, qui, faute de remplir cette condition, ne fixera aucune des images projetées sur elle, aussi nettes et aussi vives que ces images puissent être. Or ce qui fait que l'hypnotisé est sensible à la suggestion constitue un état fondamentalement physiologique, que je me représente, cependant sans vouloir jurer d'être absolument dans le vrai, comme une pléthore nerveuse du cerveau.

Cet état d'impressionnabilité à la suggestion, vous l'avez nommé l'état de « charme »; à mes débuts, et dans mon Elec-tro dynamisme Vital (1855), je l'ai appelé l'état « passif » ; enfin,

1.

en 1860, dans mes conférences au Cercle de la Presse scientifique, publiées ensuite en volume sous le titre de Cours de Braidisme ou Hypnotisme nerveux, j'ai adopté une nouvelle appellation, celle d'état « hypotaxique » ou d'« hypotaxie. » Vous me permettrez d'employer cette expression de préférence dans ce qui va suivre.

J'appuie sur l'observation suivante, qui me parait d'une importance capitale : Si l'acte suggestionnel est en lui-même purement psychologique, s'il ne s'adresse qu'à l'entendement sous sa forme d'affirmation ou d'injonction, l'état préparatoire qui doit se trouver préalablement réalisé pour que la suggestion opère, relève entièrement de la physiologie, et non de la psychologie, et s'obtient par des moyens matériels divers : le procédé de Braid, fondé sur la propriété soporifique, de tout temps reconnue, des impressions monotones sur les sens; la méthode de Mesmer ou « magnétisation » ; enfin l'emploi de certaines préparations pharmaceutiques à l'usage spécial de messieurs les sorciers, et jusqu'à présent leur secret.

Eh bien ! si cette modification de l'être physique que j'appelle l'hypotaxie peut être entièrement réalisé chez un individu, son être moral tombe par cela même à la merci de la suggestion signifiée, autrement dit, intellectuelle, idêoplastique, soit que cette suggestion soit exprimée intentionnellement par un autre individu, soit que le signe intelligible (parole, geste, écriture, image, etc.) qui la renferme s'offre spontanément à l'attention de l'hypotaxique.

Sans doute l'effet produit par la suggestion sera toujours une résultante dont le naturel ou caractère propre du sujet sera nécessairement l'une des composantes; mais tandis que ce facteur psychologique est prépondérant et décisif dans les délibérations ordinaires de l'homme à l'état de veille normale, il en est différemment dans l'état hypotaxique, cela pour deux raisons : premièrement, parce que cet état factice a d'abord pour effet de troubler et de rendre floue et incertaine la juste notion des choses, et d'énerver à la fois le sens moral et le sens logique, agissant en cela comme à l'état de rêve; secondement, parce que, à la faveur de cette condition, la suggestion peut changer momentanément le caractère, c'est-à-dire faire que telle inclination qui était la dominante et la directrice en lui se trouve maintenant subordonnée à un penchant jusque là à peine accusé, ainsi que cela se produit d'ailleurs dans la vie normale par l'apparition, par l'explosion d'une passion

nouvelle, par exemple l'amour maternel chez la poule, qui enflamme soudain d'un courage héroïque ce volatile proverbialement pusillanime.

11 est présumable que chez les poules, ainsi que dans toutes les espèces, le trait caractéristique de la classe est plus ou moins accentué suivant les individus, qu'ainsi telle poule sera naturellement plus timide qu'une autre; mais cette différence influera-t-elle d'une manière appréciable sur les dispositions actuelles de la mère à la vue du renard ou du milan qui menace sa progéniture ? I1 est permis d'en douter, et c'est même l'inverse qui aurait lieu d'après ce dicton que « rien n'est terrible comme un poltron révolté. » Mais n'anticipons pas.

Je répète que l'état physiologique d'hypotaxie pleinement établi chez un individu, son être psychologique (sensitif, intellectuel et moral) tombe par cela même sous l'influence absolue de la suggestion. La question qui fait l'objet de votre discussion avec M. Delbœuf se trouve ainsi ramenée à la suivante :

Chacun est-il susceptible d'être mis dans le plein état d'hypotaxie, c'est-à-dire d'être complètement sensibilisé pour la suggestion?

Notre adversaire et ami, en sa qualité de scientiste et de positiviste émérite, ne saurait refuser de reconnaître que, pour répondre à cette question, c'est à l'expérience seule qu'il faut demander la réponse, et non à des à-priori métaphysiques.

Vous avez beaucoup, énormément expérimenté l'hypnotisme ; je l'ai aussi pratiqué passablement. Cela nous suffit pour - savoir à peu près à quoi nous en tenir sur le point en litige. D'après ce que j'ai vu, la généralité des hommes et des femmes se montrerait apte à l'état hypotaxique, bien qu'à des degrés divers, et moyennant, bien entendu, que l'hypnotiseur renouvelle ses essais avec une persévérance proportionnée à la résistance respective des sujets.

Certains individus — quelle en est au juste la proportion numérique? ce n'est guère que vous, mon cher et si expérimenté confrère, qui pourriez le dire — paraissent (car je ne garantis pas qu'ils le soient en réalité) totalement réfractaires à l'action hypotaxique, du moins telle que nous l'exerçons dans notre hypnotisme scientifique. Ce sont là, je pense, des cas d'une idiosyncrasie exceptionnelle comparable à celles qui assurent à certaines personnes l'immunité absolue vis-à-vis des épidémies et des contagions, alors qu'à leurs côtés une

prédisposition inverse fait que d'autres « gobent » toutes les maladies de passage, successivement, sans en « rater » une seule.

Quel est maintenant le pourcentage de la susceptibilité hypotaxique maxima dans l'ensemble de la population? C'est encore à votre incomparable expérience, cher confrère, qu'il faut s'adresser sur sur ce point. Je crois que vous avez donné quelque part la proportion de 4 ou 5 pour 100. Pour mon compte, jugeant grosso modo et d'après des souvenirs déjà lointains, je serais porté à forcer un peu votre chiffre.

Après tout, ce n'est pas dans une détermination rigoureuse de l'échelle de proportion des aptitudes suggestionnelles que git le véritable intérêt de votre différend avec M. Delbceuf; ce qu'en réalité il s'agit entre vous de décider, c'est si, oui ou non, la société offre un nombre appréciable d'individus réputés sains d'esprit et tenus pour responsables de leurs actes, qui présentent une disposition telle qu'un hypnotiseur, après quelques simagrées en apparence insignifiantes et ridicules, pourra les forcer à sentir, à penser, à vouloir et à agir absolument comme il lui plaira.

Notre verdict à vous et à moi a été prononcé il y a beau temps, et tout ce que nous avons vu depuis n'a fait que nous confirmer dans notre conviction d'alors. Ce verdict fut et demeure entièrement affirmatif.

M. le professeur Delbceuf est persuadé que nous sommes tombés làdans une grosse, grave et dangereuse erreur. Quelles sont les preuves qu'il apporte à l'appui de son opinion ? C'est ce qu'il convient maintenant d'examiner avec toute l'attention que commande l'importance extrême du sujet, ainsi que le mérite de notre éminent contradicteur. Mais auparavant je tiens à donner un supplément de quelques lignes aux déclarations de principes ci-dessus.

Non seulement il existe une proportion notable d'adultes des deux sexes susceptibles du plus haut degré de suggestionnabi-lité artificielle, mais il en est encore en nombre très sérieux qui sont porteurs d'une hypotaxie congénitale ou accidentellement acquise, et qui comme tels sont exposés à une infinité de suggestions de rencontre, ou auto-suggestions, faisant leur œuvre sournoisement sans que personne, ni le médecin, ni l'homme de la loi, s'avise de rattacher à une telle cause les actes bizarres, plus ou moins nocifs, et quelquefois horriblement criminels, qui en sont l'effet inévitable.

J'appelle votre attention, mon cher confrère, et vos médita-lions sur cette catégorie jusqu'ici méconnue des hypotaxiques ou suggestionnels spontanés.

Arrivons à l'examen de l'argumentation de M. le professeur Delbceuf.

***

Votre antagoniste prend une à une et vivisèque impitoyablement les diverses expériences présentées par vous, par M. Liégeois, par M. Beaunis, par M. Bernheim, comme preuves que la suggestion peut déterminer au crime. Cependant cette démonstration parles faits m'avait jusqu'ici paru irréfutable, et c'est ainsi également qu'elle fut jugée d'abord et pendant longtemps par M. Delbceuf lui-même, suivant son aveu. Com. ment en est-il venu à changer aussi diamétralement d'avis sur ce point, et comment s'y prend-il pour nous décider à dépouiller à notre tour notre vieille manière de voir?

M. Delbceuf croit avoir découvert que tous nos fameux crimes suggestionnels ne sont que des « crimes de laboratoire », suivant une expression dont il est enchanté; c'est-à-dire des crimes pour rire, des crimes joués, une pure farce, enfin. Mais comment M. Delbceuf n'a-t-il pas pris garde à une chose, pourtant bien frappante, à savoir que sa thèse est grosse de conséquences outrepassant singulièrement le but qu'il s'était propo-é ? Comment en effet a-t-il pu échapper à un esprit si fin que s'il est une fois prouvé que les crimes de nos expériences hypnotiques sont une simple comédie jouée par l'hypnotisé, c'est lhypnotisme lui-même qui est atteint par cette découverte, qui est ruiné dans sa base et qui croule de fond en comble?

M. Delbceuf nie le crime suggestionnel pour des raisons d'ordre moral, d'ordre sentimental. Un fils bien né pourrait-il être dominé par la suggestion hypnotique, c'est-à-dire par une simple parole, au point de tuer son père sans hésitation ni remords? Est-il rien de plus insensé que d'admettre la possibilité d'une énormité, d'une monstruosité pareille, qui serait le renversement et l'anéantissement de la loi morale et de la logique?

De tels arguments manquent entièrement du caractère scientifique, et il est permis de s'étonner qu'ils se soient présentés sous la plume d'un savant. Si le crime suggestionnel ne peut exister parce qu'il heurte et confond le sentiment inné en nous de ce qui est raisonnable et possible, hâtons-nous de rejeter en même temps, comme autant de fictions, comme autant d'im-

postures, toute une autre catégorie de prétendus effets hypnotiques encore plus invraisemblables, et auxquels pourtant M. Delbceuf ne se refuse pas à croire. Je veux parler des effets de la suggestion sur les fonctions de la vie organique, c'est-à-dire de la suggestion employée avec succès comme succédané des purgatifs, des vomitifs, des diurétiques, des sudorifiques, des emménagogues, des hémostatiques, des vésicants, des cicatrisants, et enfin de toute la matière médicale, ou à peu près. La vésication suggestionnelle sur un point déterminé et circonscrit de la peau vous laisse beaucoup plus perplexe que l'assassinat suggestionnel; et moi aussi.

Comment! une impression purement morale, l'affirmation, aurait la propriété de modifier isolément les diverses circulations locales, et jusqu'à l'activité spécifique de chaque différent système cellulaire, d'après un mode quelconque prédéterminé et arbitrairement voulu, et cette même puissance morale, toute puissante sur l'état physique de l'individu, serait sans action sur son état moral ! Je trouve cette suppositon incompréhensible.

Et d'autre part, que dira M. le professeur Delbceuf si on le prie de remarquer que ce pouvoir de l'action morale sur le moral — qu'il nie parce qu'il lui semble énorme — certains agents physiques le possèdent, et au plus haut degré? Il ne peut pas se faire à ridée que la suggestion puisse transformer momentanément un agneau en loup ; mais, Monsieur, il suffit pour cela, quelquefois, d'un verre d'alcool, surtout de cet alcool vénéneux dont aujourd'hui une partie de la population se sature. Vous rejetez comme absolument inadmissible que la suggestion puisse faire d'un honnête homme un criminel ; et d'autre part vous admettez que l'ingestion d'un breuvage peut réaliser ce prodige ; car la statistique est là pour vous empêcher de contester le fait, si vous en aviez envie. M. Delbceuf n'ignore pas, d'ailleurs, que l'alcoolisme engendre la folie criminelle, et que ses funestes progrès sont marqués par un progrès parallèle de la criminalité.

Pour motiver ses doutes, ou plutôt son incrédulité à l'endroit de la réalité de l'intention criminelle chez les hypnotisés non vicieux, M. Delbceuf invoque deux sortes de considérations qui me semblent assez peu d'accord entre elles.

Tantôt il déclare incompréhensible que la suggestion puisse exciter en l'âme du sujet une passion violente contraire à ses sentiments naturels, et qui triomphera de ces derniers après

une lutte .désespérée ; ailleurs, ce qui lui parait de la dernière invraisemblance, c'est le phénomène psychologique opposé, celui qui nous fait voir un être naturellement ferme dans le bien et incapable de faillir, commettant machinalement, sous l'empire de la suggestion, les actes les plus coupables, auxquels auparavant il ne pouvait penser sans horreur, et qu'il exécute maintenant avec le dernier sang-froid et sans aucune apparente émotion.

Nous venons d'examiner la première de ces deux situations ; voyons l'autre.

M. Delbceuf discutant l'expérience de M. Liégeois avec la demoiselle E... comme sujet, expérience dans laquelle la jeune fille, une fois suggestionnée, a déchargé sur sa mère un pistolet dans le but évident de la tuer, mais sans manifester le moindre trouble ni avant ni après son horrible forfait imaginaire, continue ainsi : « A qui fera-ton croire, demande-t-il, qu'une fille qui, sans émotion, tire sur sa mère un coup de pistolet, ne se doute pas que la scène est arrangée, que son arme est inoffensive et son acte sans conséquence ? » (1)

D'abord, je voudrais prier M. Delbceuf d'observer que « l'absence d'émotion » qu'il signale chez la parricide suggestionnelle ne vient pas précisément à l'appui de sa thèse, à savoir que l'hypnotisé criminel n'est qu'un comédien. Si réellement la scène du meurtre eût été jouée, il faut convenir qu'elle l'aurait été tout à rebours, et avec une rare inintelligence, ce qui cadre mal avec ce que M. le professeur Liégeois nous apprend de Mlle E..., qui n'aurait été rien moins qu'une sotte. Si cette jeune personne avait eu le moindre sentiment de son rôle, disons plus, pour peu qu'elle eût été comédienne, elle se fût appliquée à simuler la lutte orageuse qui est censée se produire en pareil cas, chez le criminel ordinaire, entre le mobile qui le pousse au crime et les sentiments humains qui s'efforcent de le retenir. Car ici Mlle E... tire sur sa mère avec le même calme que sur une poupée de plâtre dans un tir au pistolet.

Non , l'acte suggéré par l'hypnotiseur n'était point feint, toutes les circonstances, et par dessus tout celles qu'a soulignées M. Delbceuf, concourent contre cette hypothèse. Le vrai,

(1) L'hypnose et les suggestion criminelles, par J. Delbœit, membre de l'Académie royale de Belgique, professeur à l'Université de Liège ( Extraits dos Bull, de l'Académie royale de Belgique, 3e série; t. xxvm. n° 12, pp. 521-553, 1894). broch. p. 14.

c'est que, dans l'expérience en question, le sujet était tombé dans l'état d'hébétude hypnotique qui, sur le point particulier de sa suggestion, lui enlevait la claire notion de ce qui se passait et le rendait impropre à juger sainement sa conduite. A l'égard de tout ce qui se rapportait à l'idée suggérée, le suggestionné cessait d'être éveillé etclairement conscient; c'était un dormeur et un rêveur.

Je voudrais que M. Delbœuf fût invité à faire un rapprochement bien « suggestif » entre cet état de torpeur et d'hébétude morales dont certains assassins imaginaires des expériences hypnotiques font preuve, avant comme après le coup, et un état mental entièrement semblable que l'on constate chez une catégorie spéciale de criminels effectifs, lesquels je considère pour ma part comme victimes d'une suggestion spontanée et forfuite, ou auto-suggestion. Les assassins apathiques dont il s'agit ne sont pas ces criminels endurcis qui n'ont fait qu'obéir à la brutalité stupide qui est le fond de leur nature, mais, de ces êtres ordinairement doux, inoffensifs, et même bons et moraux, dont l'acte criminel ne s'explique aux yeux de l'aliéniste que par un accès de monomanie homicide provoqué par une cause quelconque. Ceux-là, tout comme Mlle E.., l'hypnotisée de M. Liégeois, envisagent leur forfait d'une âme tranquille et sereine, et n'expliquent souvent leur attentat que par un motif futile. L'auteur de l'assassinat récent de M. l'abbé de Broglie, Mlle Amelot, était une fille adonnée à la dévotion, qui n'avait jamais manifesté des penchants sanguinaires, qui eût peut-être reculé devant le meurtre d'une mouche, et chez laquelle Lombroso, consulté d'avance, n'eût probablement découvert aucun de ses signes de la prédestination au meurtre. Et nous savons, par les journaux, avec quelle stupéfiante impassibilité elle a considéré le cadavre sanglant de sa victime, et avec quelle absence de tout souci de sa conservation personnelle elle a été se remettre aux mains de lajustice.

L'état d'âme manifesté par cette malheureuse, et celui de l'hypnotisée ?lle E..., d'après la description de M. Liégeois (1) reproduite par M. Delbœuf, présentent une analogie frappante. Il y a eu aussi peu comédie d'un côté que de l'autre ; il y a eu de part et d'autre un accès de folie impulsive, artificiellement provoquée dans un cas par les manœuvres de la suggestion

(1) De la suggestion et du somnambulisme, par M. Liégeois, professeur à la faculté de droit do Nancy, 1 gros in-12, Paris 1889.

hypnotique; dans l'autre, consistant en une impulsion sugges-tionnelle, pathologique ou autre.

M. Delbœuf fait les objections suivantes à la conclusion — à mon humble avis bien inéluctable — tirée par M. Liégeois de deux de ses expériences hypnotiques. 1° D'abord, au sujet de l'expérience de Mlle E...:

« M. Liégeois affirme que Mlle E... ne sait pas que le pistolet n'est pas chargé. Je n'en crois rien. D'où infère-t-on qu'un somnambule est un imbécile? Mais vous, moi, tout le monde a deviné que le pistolet de M. Liégeois n'est pas chargé. Pourquoi ?lle E... ne le devinerait-elle pas?... » (1)

2° Il s'agit maintenant de la deuxième expérience, dans laquelle M. Liégeois a poussé, par suggestion hypnotique, le nommé N... à administrer une dose d'arsenic à sa tante, pour laquelle il avait la plus grande affection :

« Pourquoi N..., demande M. Delbœuf, qui sait qu'on le soumet à des expériences, ne se dirait-il pas, tout endormi, qu'il s'agît d'une expérience à faire ; que le papier ne contient pas de l'arsenic; que M. Liégeois ne peut pas avoir l'idée de lui faire empoisonner sa tante qui est présente et qui entend tout ? Encore une fois, un hypnotisé n'est pas un idiot ; au contraire... » (2)

Il est surprenant que M. Delbœuf ait cru devoir poser des questions qui se répondent pour ainsi dire d'elles-mêmes. Pourquoi, nous demande-t-il en propres termes, pourquoi vos deux « somnambules » n'auraient-ils pas vu et compris, « tout endormis, » ce que vous, les assistants, avez si bien vu et compris ? — Eh ! cher Monsieur, la réponse est bien simple : c'est par la bonne raison que les témoins de la scène du crime étaient éveillés, c'est-à-dire avaient l'usage normal de leurs facultés, tandis que l'acteur, lui, était, d'après vous-mêmes, endormi et en somnambulisme, c'est-à-dire dans la condition d'un rêveur ordinaire, dont les sens, les sentiments et la raison sont les jouets d'images trompreuses. « Un somnambule n'est pas un imbécile, n'est pas un idiot, au contraire », vous écriez-vous. Je vous l'accorde ; mais un somnambule est un somnambule, et cela suffit largement pour expliquer toutes les aberrations de son esprit et de sa conduite.

Il est surprenant que M. Delbœuf ne se soit pas aperçu que son argumentation ne tend à rien de moins qu'à la négation

(1) Op. cit. p. 17. (2) Op. cit. p. 17.

du phénomène hallucinatoire lui-même ; car il est constant que des hommes de la plus haute intelligence, et qui plus est d'un rare génie, ont été sujets aux hallucinations les plus caractérisées et les plus avérées. Et d'ailleurs, intelligents ou imbéciles, ne sommes-nous pas tous, tant que nous sommes, leurrés par nos rêves nocturnes, exposés à toutes les extravagances d'imagination d'un délire fébrile?

Les observations ci-dessus ne sont pas pour contester que le suggestionné se rende compte dans certains cas de l'obsession qui le domine, qu'il ne s'efforce d'y résister et qu'il n'en triomphe parfois. L'analyse raisonnée du cas Laverdant, qui figure dans ma dernière publication, le Merveilleux Scientifique (1), prouve suffisamment que telle ne peut être ma pensée. Mais l'état hypotaxique a plusieurs degrés auxquels correspondent autant de degrés de sujétion suggestionnelle. Celui auquel les deux sujets de M. Liégeois avaient été poussés était, ainsi que M. Delbœuf le constate, le somnambulisme; et la condition psychologique et physiologique du somnambule artificiel ne diffère pas essentiellement, — M. Delbœuf l'admet, je crois, avec nous — de celle du somnambule naturel. Le premier, comme le second, est un dormeur et un rêveur ; et s'il est des rêveurs qui ont conscience qu'ils rêvent — bien qu'ils n'en rêvent pas moins pour cela — le plus grand nombre sont entièrement dupes de l'illusion qui les berce. Les mêmes nuances d'état mental se dessinent chez les hypnotisés.

***

M. le professeur Delbœuf qui, après avoir épousé la doctrine de Nancy, la répudie maintenant avec éclat, me semble sur la pente d'une complète défection à l'hypnotisme, sans acception ni exception d'école. En effet, il est très remarquable qu'il ne se borne pas dans son discours à faire ressortir ce qui lui semble en faveur de sa thèse, à savoir que le criminel hypnotique « de laboratoire » ne serait qu'un comédien ; il va beaucoup plus loin, il révèle en même temps tous les indices qui dans les expériences d'hypnotisme quelconque peuvent faire douter du bon aloi des résultats, et faire soupçonner en ceux-ci une complaisance plus ou moins consciente ou inconsciente de la part de l'hypnotisé.

M. le professeur Delbœuf nous apprend qu'il a rencontré une

(l) 1 vol. in-8e. Paris 1894, Alcan, éditeur, p. 221, et suiv.

« excellente somnambule » dans sa cuisinière, Mme J...; il dit à ce sujet:

«.....C'est elle qui, avec sa sœur, m'a servi à mes études sur

la mémoire des hypnotisés, sur leur esprit d'imitation, sur la veille somnambulique ; c'est elle encore qui, à plusieurs reprises, s'est prêtée de son plein gré à des expériences douloureuses ou désagréables, entre autres, par deux fois, à celle de brûlures faites sur des points symétriques du corps, et dont l'une, suggestionnée, ne donnait lieu à aucun phénomène inflammatoire. » (1)

Un sujet chez qui une même blessure se comporte de deux manières si différentes, suivant qu'elle est « suggestionnée » ou non, toutes choses égales d'ailleurs, a acquis, ce me semble, quelques droits à la confiance de son hypnotiseur, et je jugerais ce dernier bien difficile s'il ne se rendait pas à un tel témoignage de sincérité hypnotique. C'est pourtant ce que ne fait pas M. Delbœuf à l'égard de son « excellente somnambule. » Pas d'exception pour elle, elle est comédienne comme tous ces pareils !

Je vais citer textuellement M. Delbœuf pour ne pas être taxé d'exagération déloyale. Non pas à propos de l'expérience des brûlures, mais d'une expérience d'hallucinations, infini-- ment moins inexplicables, soit dit par parenthèse, il s'exprime ainsi, après avoir longuement pressuré les faits pour tâcher d'en faire sortir les motifs de sa conclusion :

« Il est donc visible que J... n'est pas dupe de l'hallucination qu'on lui a donnée. Elle ne prend pas les deux jeunes demoiselles pour des malfaiteurs... Si donc il en est ainsi, J... jouait la comédie, non sans doute à la façon du comédien ordinaire, qui répète des paroles apprises par cœur et des gestes étudiés, mais avec la conscience cependant qu'elle avait à représenter un personnage déterminé. » (2)

L'auteur continue comme il suit en portant sur le mécanisme musculaire de certains phénomènes suggestionnels de mouvement une appréciation précise fournissant matière aune discussion que je considère comme d'un très grand intérêt.

« Or, poursuit M. Delbœuf, il est incontestable que c'est là ce que fait le sujet. Lorsque, par exemple, on lui étend le bras et qu'on le défie de l'abaisser, il a bien l'air de faire des efforts d'abaissement, mais, en réalité, il ne fait pas agir les muscles

(1) Op. cit. p. 27.

(2) Op. cit. pp. 26-24.

appropriés. Si on lui impose de tenir sa main ouverte, il ne songe pas à faire agir les muscles fléchisseurs. Bien mieux, des spectateurs cherchent-ils à lui abaisser le bras ou à lui fermer la main, ils se heurtent à une résistance énergique. » (1)

Le phénomène signalé par M. Delbceuf est bien, en gros, à peu près tel qu'il nous le décrit; mais l'interprétation qu'il en donne est celle d'un observateur qui n'a pas assez observé et qui se prononce sur une première impression.

Certes, quand vous avez suggéré à votre hypnotisé que, ses mains jointes, il ne peut les séparer, et que vous le défiez d'y parvenir, si l'expérience réussit il est bien évident que c'est grâce à l'état de contraction continue et à une sorte de contracture des muscles fléchisseurs des doigts. Donc si le sujet a la volonté bien arrêtée de surmonter la suggestion, qu'il fasse effort pour cela et qu'il échoue, il est clair qu'on doit en conclure que sa volonté est actuellement sans action sur cette portion du système musculaire. Et si vous l'examinez de près, vous vous apercevez que, reconnaissant son impuissance pour obtenir le relâchement des fléchisseurs des doigts et aussi pour contracter les extenseurs antagonistes, il cherche à arriver à la séparation des mains par l'écartement des bras. Alors il met en jeu leurs abducteurs laissés par la suggestion sous l'empire de sa volonté. Mais plus il met d'énergie à exciter la

contraction de ces muscles abducteurs des bras, plus.....autre

chose fait effort pour accroître la contraction des fléchisseurs des doigts ! Est-ce lut, est-ce la même volonté, la même pensée, la même conscience, qui s'escrime à la fois, en même temps, et à tenir les deux mains fortement unies, et à les séparer avec violence? La raison humaine n'a pas de place pour une supposition pareille.

Et de même quand, le bras de l'hypnotisé suggestionnelle-ment tendu et quelqu'un venant peser sur le membre pour l'abaisser, les muscles se raidissent soudain de plus belle pour résister à la pression, ce n'est pas non plus la volonté personnelle de l'hypnotisé qui veut, qui commande et qui détermine . cette contraction redoublée ; c'est une autre volonté, c'est une autre conscience, c'est un autre moi qui est ici en action; car l'homme est une pluralité animale, et partant une pluralité psychique.

Et c'est là, et seulement là que se trouve l'explication d'un phénomène psycho-physiologique si irréductiblement contra-

(1) Op. cit. p. 17.

dictoire, si absurde, en apparence, que M. Delbœuf, ne pouvant défaire ce nœud gordien, a pris le parti de le trancher par rhypothèse de la simulation.

Permettez-moi de vous le déclarer encore une fois ici, mon bien cher et honoré confrère, la seule clef qui peut ouvrir les mystères de la suggestion hypnotique, c'est ce Polypsychisme que j'ai présenté à la science il y a quelque quarante ans, dont elle a fait des gorges chaudes pendant une suite d'années que j'ai trouvées longues, dont plus tard elle a essayé quelques contrefaçons qui ne sont pas heureuses, par exemple « l'Inconscient » du célèbre M. de Hartmann, et la « Subconscience » de certains autres, et dont à la fin des fins l'Académie des Sciences a cru devoir me faire solennellement honneur dans sa séance du 4 mars dernier par l'organe autorisé de M. Edmond Perrier, professeur de zoologie au Muséum. Quantum mutât us ab illo!

Vous jugez sans doute comme moi que notre savant ami et contradicteur a été amené aux nouvelles conclusions qui nous étonnent, par un motif extra-scientifique, mais en même temps très respectable, la préoccupation d'un danger moral et social pouvant résulter de nos doctrines. L'intérêt de la société avant tout, je l'admets ; cependant si les révélations de l'hypnotisme constituent pour elle un nouveau péril, je n'estime pas pour ma part que le bon moyen d'échapper à ce péril ce soit de se bander les yeux pour ne pas le voir et de se donner l'illusion qu'il n'existe pas autre part que dans l'imagination de ces bons messieurs de Nancy. Ayant encouru une responsabilité spéciale comme premier initiateur aux mystères de la suggestion en France et sur le Continent, je tiens à établir que ce n'est pas légèrement que j'ai porté cette responsabilité, et que dès le début j'ai eu le souci de justifier ma conduite en tant que propagateur de l'hypnotisme. Je vous prie de me permettre quelques citations à cet effet.

A la page 306 de mon livre l'Electro-dynamisme Vital, publié en 1855, il y a juste quarante ans, se lit ceci :

« En effet, disais-je, si nous démontrons les propriétés de l'impression mentale (suggestion hypnotique exprimée) en lui faisant produire la paralysie, c'est pour prouver que l'impression mentale a la vertu de restituer le mouvement au paralytique ; si par l'impression mentale nous atteignons les facultés

intellectuelles, c'est pour apprendre que l'impression mentale est une étincelle qui peut rallumer le flambeau de l'intelligence; si nous avons mis en spectacle l'homme pur et jaloux de son honneur qu'une impression mentale vient en un instant de dégrader et d'avilir, c'est pour que, par cette preuve effrayante de son pouvoir, l'impression mentale attire sur elle l'attention de tous, et qu'ils y voient tous le moyen assuré de fermer le gouffre de la dépravation, etc.. »

Encore ces quelques lignes du même vieux livre pour montrer qu'en exposant, dans cette lettre, mon opinion sur l'imposante question débattue entre vous et M. le professeur Delbœuf, je ne fais que rééditer une profession de foi fort ancienne à laquelle, après tant d'années d'expérience et de réflexion, je ne trouverais rien à changer, n'était le style du morceau, par trop juvénile, qui s'explique du reste par la grande jeunesse de l'auteur, et aussi parce qu'à l'époque il y avait encore de l'enthousiasme dans l'air:

« L'avènement de l'Electro-Biologie (nom impropre sous lequel l'hypnotisme suggestionnel venait d'être importé des Etats-Unis) ne vient pas uniquement commander l'attention du Physiologiste et du Médecin; l'électro-biologie se proclame désormais l'arbitre de la Psychologie et de la Morale ; elle appelle à sa barre toutes les doctrines qui ont élevé la prétention de révéler à l'homme le mystère de son être, et de donner à chacun le poids et la mesure de ses droits et de ses devoirs ; elle somme la Philosophie tout entière de venir soumettre ses hypothèses au critérium irrécusable, à l'inexorable contrôle d'un fait matériel ; elle vient apprendre à la supériorité orgueilleuse et à la vertu trop sûre d'elle-même que le plus grand génie n'est après tout qu'une lentille de verre destinée à concentrer les rayons diffus de la lumière intellectuelle, et qu'un souffle peut ternir, que le moindre choc peut briser; et que l'âme la plus haute et la plus pure est pareille au diamant, qu'une étincelle change en vapeurs de charbon... Déjà le juge, que son équité et sa sagesse ont investi de la balance et du glaive souverains, se sent troublé dans sa conscience et se surprend sans voix pour condamner : l'Electro-Biologie ne lui a-t-elle pas montré qu'elle peut l'arracher à la majesté de son siège et le précipiter sur le banc infâme des criminels !

« La nouvelle science vient abattre le sot mépris et proscrire la hideuse vengeance. En prouvant aux hommes que la différence de leur valeur actuelle consiste toute entière dans des

circonstances intrinsèques et mobiles, elle rend tous leurs actes solidaires dans l'unité de la nature humaine, et leur enseigne qu'ils doivent s'aimer et non se juger, et travailler en commun à leur amélioration réciproque pour frayer la route du bonheur dont les obstacles gigantesques n'ont promis de s'abaisser que devant l'harmonieux ensemble de tous les efforts réunis de l'Humanité. »(1)

Votre,

J. P. Durand (de Gros)

Arsac, 30 mai 1895.

(1) Eleclro dynamisme Vital, ou les relations physiologiques de l'Esprit et de la Matière démontrées par des expériences entièrement nouvelles, et par l'histoire rai-sonnée du système nerveux. Paris 1855, 1 v. in-8*, pp. 306-307.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 15 avril 1805. — Présidence de m. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance manuscrite comprend une lettre de M. le Dr Paul Joirc, annonçant l'ouverture, à Lille, d'un coure sur l'hypnotisme.

M. le président met aux voix la candidature de M. Thomas, professeur de philosophie au lycée Hoche, de M. Max Dessoir, docteur en médecine et-en philosophie, privat-docent à l'Université de Berlin, et de M. Du-meste, capitaine au i 13e de ligne.

La Société désigne, pour la représenter au Congrès des aliénistes et neurologistes français qui se réunira le 2 août, à Bordeaux, MM. les Des Auguste Voisin, Jules Voisin et Bérillon. Elle désigne, pour la représenter au Congrès 'de l'Association française pour l'avancement des sciences, MM. les Drs Bilhaut, Bouffé, Levassort et Bérillon.

M. le secrétaire général annonce à la Société la mort d'un de ses membres les plus dévoués, M. Charles Ploix. Notre collègue, né en 1824, après avoir été un des élèves les plus brillants de l'Ecole Polytechnique, était devenu ingénieur du service hydrographique de la marine. Il était officier de la Légion d'honneur. Malgré ses travaux techniques, il n'avait jamais cessé de prendre une part active au mouvement psychologique. Président de la Société d'anthropologie en 1880, il avait présidé, en cette qualité, à l'inauguration de la Société de Broca. La Société des traditions populaires l'avait nommé son président en 1894. Dans toutes les Société dont il avait été membre, M. Ploix laissera le souvenir d'un esprit élevé, ouvert à toutes les idées du progrès.

Philies et phobies alimentaires

Par M. le Dr Félix Regnault.

Rien de plus commun que la répugnance vis-à-vis de certains mets, dégoût qui varie d'intensité, depuis le simple refus jusqu'à la syncope à la vue de l'aliment détesté. Ce dégoût peut avoir pris naissance ou à la suite d'une indigestion, et alors il parait légitime, ou sans aucun motif apparent. Certains mets sont délestés d'un commun accord par tous les membres d'une famille, soit à cause d'un caractère spécial ou plus simplement d'une influence des uns sur les autres.

A ce degré, la phobie alimentaire est simple et ne parait pas offrir un intérêt autre que celui qui existe dans l'étude de toutes les phobies. Mais la phobie alimentaire devient plus singulière et importante quand elle se généralise et englobe tous les aliments, sauf un ou quelques-uns qu'on admet, ce qui serait alors une phobie compliquée de philie.

Ces répugnances n'avaient pas échappé aux anciens auteurs, et il les avaient notées curieusement. De nos jours, au contraire, l'attention ne s'est pas portée sur elles. Nous lisons dans le traité sur l'hérédité de Lucas (t. I, p. 390) un certain nombre de faits semblables recueillis dans les journaux de l'époque.

L'abbé de Villedieu, jusqu'à 30 ans, ne s'était nourri que de légumes et d'œufs; il avait une répugnance extrême pour la viande. 11 se décida, à cet âge, à en manger, mais il eut de l'insomnie, une fièvre cérébrale et mourut (Journal de médecine, août 1760).

Un accusé criminel, Patenotte, témoignait, à l'instar de son père, d'une même répugnance invincible pour tout aliment animal. Dix-huit mois passés sous les drapeaux ne purent triompher de cet état, et il fut obligé de quitter l'armée (Gazette des Tribunaux, 21 mai 1844).

A côté de ces phobies, citons un exemple de philie extraordinaire. On lit dans l'histoire d'Ecosse qu'une jeune fille, née d'un père qui avait un penchant irrésistible à manger de la chair humaine, en mangea également. Les parents avaient pourtant été condamnés au bûcher, et la fillette avait été séparée d'eux dès l'âge d'un an.

Lucas rapporte tous ces faits à l'hérédité. L'hypnotisme était en effet bien peu connu en son temps, et il ne pouvait avoir la pensée de lui faire jouer un rôle. Il citait également les envies de femmes enceintes, qui pourraient se transmettre à leurs enfants. Ainsi, dans les Ephémé-rides germaniques (T. IX et X, observ. 133), le goût prononcé de la mère pour les écrevisses se transmet à l'enfant au point que celui-ci les mangeait tout crues.

Il faut penser qu'un enfant élevé dans une famille en adopte forcément les goûts et les répugnances. De plus, une parole, une circonstance futile en apparence, peuvent déterminer dans la jeunesse un dégoût irrésistible pour un aliment. Quant aux goûts dépravés, ils peuvent s'expliquer de même, et cette fille qui mangea de la chair humaine put fort bien le faire parce qu'elle apprit la perversion de son

père. Ainsi se suicident certains individus à l'âge et de la même manière que leurs parents.

Je ne voudrais pas soutenir pourtant que jamais, en aucun cas, une phobie ou une philie ne puisse se transmettre par hérédité. Le fait en soi n'est pas impossible, bien que nous n'en ayons pas la démonstration chez l'homme. Certains prétendent, il est vrai, que l'homme hérite de tendances mais non de certains actes qui seront fatalement commis. On naîtrait cruel, impulsif, mais non forcément criminel. Cette distinction est subtile, car il n'y a pas de tendances sans actes. De plus, H suffit d'étudier la psychologie animale, surtout celle des insectes, pour voir des actes très compliqués se transmettre par hérédité. Tel insecte tue une larve, fabrique son nid, dispose la victime et ses œufs d'une manière complexe sans jamais l'avoir vu faire. Chez les animaux domestiques (abeilles, chiens, etc.), certains actes nouveaux s'établissent, et les descendants naissent avec l'instinct de ces actes qu'ils accomplissent spontanément.

Mais, dans le cas présent, nous ne pouvons citer aucune observation préremptoire. Il faudra, à l'avenir, noter les détails d'observations faites dans des conditions rigoureuses, si on veut prouver que la répugnance ou la philie ait été transmise héréditairement et n'est pas couvre suggestive.

Une science, nouvelle encore et qui compte peu de chercheurs, l'ethnographie, peut fournir à la psychologie de précieux renseignements. Les faits psychologiques que nous observons en Europe peuvent exister autrement développés chez d'autres races. Le rapprochement des observations prises ainsi sur tout le globe peut donner d'utiles renseignements, fournir une synthèse et faire naître une idée générale qui, autrement, resterait confuse. Nous avons recherché ici si nous n'aurions pas, chez les sauvages, quelques exemples de phobie alimentaire. Nous en avons trouvé un d'un haut intérêt dans le beau livre de M. Roland Bonaparte, sur les habitants de Surinam (Guyanne). Là vivent, dans les bois, à l'état demi-sauvage, des nègres descendants des anciens esclaves. Or, rien de plus commun chez eux que la phobie de certains mets, phobie qui ne s'expliquerait ni par un motif religieux, ni social. Nous citons le passage (p. 133) : « Certains mets leur répugnent, ils n'en veulent pas manger, l'appelant tréfoé. Une négresse, servant chez les Européens, ne voulait pas manger le poisson dont on avait enlevé les écailles et ne se serait pas servi du pot dans lequel on l'aurait fait cuire. Une autre ne voulait ni boire de lait, ni manger de gibier ou de viande ; le lard seul faisait exception. Son tréfoé cessait si elle-même faisait la cuisine. Car elle était persuadée que les autres la faisaient avec du beurre qui dérive du lait. Mais elle aimait le fromage qui, d'après elle, n'était pas du lait. » Ce passage montre bien qu'il s'agissait d'une pure suggestion. Car, s'il s'était agi d'une sensation gustative désagréable, le sujet aurait reconnu les plats cuisinés au

bourre ou au lard. De plus, ces détails sur la crainte de se servir du pot dans lequel on aurait fait cuire le poisson, le raisonnement en ce qui concerne le fromage montrent bien qu'on a affaire à une idée

En certains cas, les répugnances sont si généralisées et si intenses, qu'elles constituent un état pathologique et méritent d'entrer dans le domaine médical. A ce titre, je terminerai en citant une observation inédite d'un sujet qui se nourrit seulement de lait pendant plusieurs années.

C'était un robuste garçon que j'eus l'occasion de voir en 1884, à l'âge de dix-neuf ans. Il était fils d'un militaire solide qui, cependant, avait eu une fistule à l'anus dans sa jeunesse. Pas d'autres antécédents tuberculeux. La mère est atteinte de rhumatisme déformant avec ankyloses multiples. Un frère vient de mourir de phtisie galopante à l'âge de dix-sept ans. Une sceur bien portante.

Lui a eu, vers l'âge de onze ans, des phénomènes de méningite. Pendant quelques jours, on nota une raideur au cou qui disparut d'elle-même. Mais il ressentit et ressent encore fréquemment de violentes céphalalgies. Il lui est impossible de fournir un travail continu, aussi ses études ont-elles été mal faites. En 1883, il eut un ictère simple; on ne relève pas, dans ses antécédents, d'autres maladies. En 1887, il perdit l'appétit et sembla souffrant. On l'envoya à la campagne pendan1 deux mois. A partir de ce moment, il ne voulut plus boire que du lait, refusant toute viande ou tout légume. Si on le forçait, ce qu'on fit au début, il prétendait que cela ne passait pas, mais, néanmoins, il le digérait. Avec son lait, il tolérait le sucre; il mangeait un gâteau, ou, par exception, un peu de pain dans son lait ; pendant quelques mois, il prit quelques châtaignes avec son lait et but de la bière. Il aimait beaucoup les liqueurs.

Somme toute, il vécut jusqu'en 1891 avec deux litres et demi à trois litres de lait par jour. 11 était fort et vigoureux, grand et admirablement taillé, mais paresseux physiquement et intellectuellement. A la campagne, il était un peu plus actif.

Or, en 1891. il fallait compter avec le service militaire. Du jour au lendemain, sans cause apparente, sa philie du lait cessa tout à coup, il put boire et manger comme tout le monde. Il s'engagea et fit son temps de service ; depuis, sa philie n'a plus reparu.

Ce sujet n'offrait aucune tare, aucun stigmate hystérique. Ses parents se sont toujours refusés à ce qu'on essayât l'hypnotisme. Pourtant, la façon brusque dont ses répugnances cessèrent parait indiquer qu'il s'agit bien d'un fait de suggestion dont nous n'avons pu reconnaître la cause.

Il serait utile de recueillir, avec le plus de renseignements possibles, un certain nombre d'observations analogues. Car elles ne doivent pas être exceptionnelles, et elles offrent un vif intérêt psychologique.

Hystéro-catalepsie. Difficultés de la suggestion hypnotique tenant à l'absence de l'ouïe et de la vue pendant l'hypnose. Procédé suivi de succès. Guérison de la catalepsie.

Par le Dr Augusio Voisix, médecin do la Salpêtrière.

Mlle J..., 16 ans, vient me consulter le 26 avril 1895 pour des attaques cataleptiques qui datent de quatre mois et qui ont été traitées sans succès depuis cette époque par la suggestion hypnotique employée par deux médecins de sa localité. Les renseignements que j'ai obtenus sont les suivants : Bonne santé du père et de la mère. Un frère bien portant. Pas de maladies dans la première enfance ni au moment de la formation. La première attaque, survenue il y a quatre mois, a coïncidé avec la nouvelle de la mort de son grand-père ; cette jeune fille a ressenti aussitôt une douleur prœcardiaque très vive et 15 jours après une autre douleur à la région présternale supérieure, principalement au niveau de l'articulation sterno-claviculaire droite. Cette dernière douleur a été dès son apparition d'une intensité telle que le plus léger frôlement déterminait des cris.

Trois jours après le début de cette douleur, est survenue la première attaque suivie depuis d'un grand nombre d'autres, 4 à 6 par jour.

L'attaque est caractérisée par la perte à peu près complète de la connaissance, la chute à terre comme une masse, en état de raideur complète et générale, avec tresmus, pâleur de la face.

Les attaques durent 5 à 6 minutes et elles sont souvent suivies de délire avec incohérence d'actes qui durent 5 minutes et qui nécessitent la présence de 3 à 4 personnes pour la maintenir.

Etat actuel.

Bonne conformation physique. Pas de signes physiques de dégénérescence. Pas de stigmates péri-mammaires, iliaques, conjonctivaux, épiglottique. Pas d'anesthésie. Pas d'amblyopie. Pas de diminution de l'ouïe.

Hypéresthésie des plus intenses à la région prœsternale supérieure, au point déjà indiqué;

Le plus léger toucher que j'y exerce provoque à plusieurs reprises de la demi-perle de connaissance et même une fois une attaque, parce que j'avais insisté sur le toucher.

Cette jeune fille a été traitée par tous les moyens connus depuis le début de sa maladie et même un grand nombre de fois par la suggestion hypnotique pratiquée par les deux médecins de sa localité, mais sans le moindre succès.

La mère me dit quelle est facilement hypnotisable. En effet, une minute au plus après lui avoir fait fixer le miroir de Luys, elle tombe dans un profond sommeil; ce sommeil est cataleptique: le corps entier est raide.

Je lui fais la suggestion de ne plus avoir de douleur sternale, ni d'at-

taques, ni de raideur et de se réveiller lorsque je lui toucherais le menton. Elle se réveille sans ce toucher suggéré. Pas de modifications dans la maladie.

Le lendemain, même hypnose, même réveil sans mon ordre. Je remarque dans cette seconde séance de sommeil que cette jeune fille ne répond pas à mes questions et à mes recommandations et ne fait aucun mouvement de lèvres qui indique qu'elle entend ma voix. De plus, elle a la même douleur et autant d'attaques. L'idée me vient que son état maladif étant la catalepsie et que son état hypnotique s'accompagnant de raideur cataleptique, elle ne doit ni entendre ni voir ainsi que cela est la règle dans la catalepsie. Je me propose, à la troisième séance, de recourir à un nouveau procédé.

Le lendemain, voici comment je m'y pris pendant la fixation des yeux sur le miroir : au moment très court où je vis les paupières clignoter et s'abaisser, je lui dis d'un ton ferme que dans son sommeil elle entendrait ma voix et elle lirait ce que je lui montrerais écrit.

Le sommeil obtenu, j'approchai de son œil droit, la paupière supérieure levée, une feuille de papier sur laquelle j'avais écrit « Vous n'aurez plus de crises, votre douleur cessera dès votre sortie de chez moi. » -

A la visite qu'elle me fit le lendemain, sa mère m'apprend avec joie que sa fille n'a plus eu de douleurs ni d'attaques.

Dans la quatrième séance je renouvelle dès le début du clignotement des paupières la suggestion d'entendre ma voix pendant le sommeil.

Grâce à ce procédé, la suggestion est acceptée et la guérison obtenue d'une façon définitive.

JURISPRUDENCE MÉDICALE

La suggestion et l'hypnotisme en matière de testament.

La 3e chambre du tribunal civil de Lyon vient de se prononcer dans une affaire de captation de testament des plus intéressantes. Il y a quelques mois une dame, veuve Guindrand, mourait laissant par testament une somme de 300,000 francs aux époux Jouve, le mari exerçant la profession de magnétiseur-masseur, et la femme celle de somnambule. Depuis longtemps Mme Guindrand avait des relations suivies avec le couple Jouve et, à la mort de son époux survenue en 1892, elle avait même installé le mari et la femme dans son propre apparlement. Mme Guindrand n'avait que des parents très éloignés et qui auraient probablement toujours ignoré son existence sans l'intervention de « généalogistes » qui, ayant fini par les découvrir, les ont engagés à 'attaquer le testament pour cause de suggestion et de captation. Les débats ont occupé de très longues audiences, dans lesquelles on a entendu plusieurs rapports d'experts et de médecins qui ont développé toutes les théories de l'hypnotisme et de la suggestion et rappelé les luttes entre l'école de Nancy et l'école de Paris.

Le rapport de M. le Dr Lacassagne concluait notamment ainsi: « Il est évident que Jouve avait de l'empire sur l'esprit de Mme Guindrand et qu'il a pu lui suggérer de tester en sa faveur. De telles manœuvres exercées sur une intelligence médiocre ont certainement altéré le libre arbitre de la testatrice. Consacrer de tels procédés serait approuver et encourager des professions bizarres ou suspectes, qui s'étalent au grand jour pour exploiter le terrain fructueux de la bêtise humaine, »

Le tribunal n'en a pas cependant jugé ainsi. Il écarte tout d'abord l'assimilation que les héritiers Guindrand prétendaient établir entre la situation du magnétiseur Jouve et celle des médecins qui, on le sait, ne peuvent recevoir des libéralités testamentaires des personnes soignées par eux dans le cours de leur dernière maladie. Il résulte, en effet, des enquêtes que les expériences hypnotiques dont Mme Guindrand était l'objet remontent à une époque antérieure et que rien n'établit qu'elles aient été continuées alors que cette dame contractait l'affection à laquelle elle a succombé. Le tribunal examine ensuite si les pratiques hypnotiques peuvent être considérées comme des manœuvres ou des violences qui, aux termes de la loi, annuleraient les dispositions testamentaires. Il faudrait en premier lieu démontrer que c'est sous l'influence immédiate de la suggestion que Mme Guindrand a rédigé ses dernières volontés et qu'elle a obéi à ce moment précis à l'empire que Jouve exerçait sur elle. Quant à la théorie scientifique de l'hypnose apportée à la barre, elle peut sans doute, dit le jugement, être troublante pour la conscience des magistrats, elle peut faire naître des doutes sérieux; mais elle n'a pas encore acquis le caractère scientifiquement indiscutable qui seul permettrait d'en faire la base raisonnée d'un jugement. En conséquence, le tribunal rejette la demande en nullité de testament et déclare valable le legs de 300,000 francs faitaux époux Jouve.

En somme, si l'on prend à la lettre le dernier considérant du jugement rendu par la 3e chambre de Lyon, un individu qui aurait l'idée de recourir à la suggestion pour obtenir un testament en sa faveur peut se considérer comme assuré de l'impunité dans l'état actuel de la jurisprudence.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie.

La séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le lundi 22 juillet 1895, de quatre heures à sept heures, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Du-montpallier, membre de l'Académie de médecine.

La réunion sera suivie d'un banquet. (Prix du banquet: dix francs); adresser les adhésions à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, rue Tait bout, 14.

Communications déjà inscrites à l'ordre du jour:

Auguste Voisin : Mélancolie avec hallucinations — Accouchement sans douleur pendant l'hypnose après la guérison.

Azoulay: Les travaux de Golgi et de Cajal : la théorie histologique du sommeil.

Valentin : Du rôle social et hygiénique des suggestions religieuses chez les Indous.

J. Luys : Guérison rapide, par transfert, d'une paraplégie d'origine diphtéritique-Valentino : La suggestion et l'imitation dans l'art. Paul Joire (de Lille) : Les états médianiques de l'hypnotisme. Max Nordau : Une famille névropathique.

Manouvrier : Questions relatives à la différence intellectuelle des sexes.

Bérillon : Le traitement psychique de la kleptomanie chez les enfants dégénérés.

Félix Regnault : Un nouveau schéma de l'aphasie.

Lagelouse: Influence de la suggestion sur quelques troubles fonctionnels à l'appareil visuel.

Schmeltz (de Nice) : Sarcome du testicule gauche opéré pendant le sommeil hypnotique profond.

Jules Voisin : Contracture hystérique, guérison par la suggestion.

Wolf : La procès Gzinski : Affaire médico-légale d'hypnotisme.

Mourly Vold (de Christiania) : L'origine musculaire de certains rêves.

Dumontpallier : Un cas de dédoublement de la personnalité.

Pierre Bonnier : Les phobies auriculaires.

Milne Bramwell (de Londres) : Le traitement des obsessions par suggestion hyptnotique. _

Les aliénés à Paris en 1894.

Dans le courant de l'année 1894, le nombre des individus envoyés à l'infirmerie spéciale du dépôt sous la présomption d'aliénation mentale s'est élevée à 3.193 dont 1.950 hommes et 1.243 femmes. Sur le nombre total, 2.717 avaient été dirigés sur le dépôt par les commissaires de police, 303 par le parquet (inculpés) et 174 par le service des prisons (condamnés). Sur ces 3.193 aliénés présumés, 149 seulement ont été reconnus non aliénés. Les autres ont été immédiatement tranférés d'office à Sainte-Anne ou dans les asiles privés. Sur les 2.703 individus reconnus aliénés par le médecin de l'infirmerie du dépôt, 24 seulement ont été envoyés dans les asiles privés ou à Charenton.

Pendant le même laps de temps, le nombre d'aliénés placés directement dans les asiles par leurs familles (placements dits volontaires) s'est élevé à 680 hommes et 621 femmes, soit un total de 1.301. Sur le nombre, les asiles du département de la Seine en ont reçu 844, l'asile de Charenton 138 et les asiles privés 313.

Une école de massage.

On vient de fonder à Paris une Ecole française d'Orthopédie et Massage, école unique en son genre et qui permettra aux médecins et aux étudiants désireux de s'initier aux pratiques de la massothérapie le loisir de suivre des malades depuis le début de leur traitement jusqu'à leur guérison, et aux masseurs et masseuses la possibilité d'acquérir des notions suffisantes pour exercer avec compétence et honnêteté leur profession. Le mot orthopédie n'a été joint au massage que dans le sens orthopédie manuelle, et encore cette science n'est-elle enseignée à aucun des élèves qui n'ont pas commencé leurs études de médecine. Cette école est due à l'initiative de M. le Dr Archambaud. Aucun candidat, à moins qu'il ne soit étudiant en médecine, n'est admis à suivre les cours avant d'avoir passé un examen composé de deux épreuves : 1° une épreuve écrite sur un sujet d'hygiène ou d'anatomie élémentaire: 2° une épreuve orale sur les mêmes matières. Les médecins pourront les consulter lorsqu'ils auront besoin de se servir de l'un d'eux comme aides. Les certificats ne sont délivrés qu'à la suite d'un nouvel examen portant uniquement sur le massage et sur son application dans chaque cas déterminé. Cinq questions au moins sont posées. Ces examens sont publics et annoncés à l'école huit jours auparavant.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de il) h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des leçons pratiques sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

MM. les DrsValentin, Félix Regnault et Lagolouse, chefs des travaux, complètent l'enseignement donné à l'Institut psycho-physiologique par des leçons sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et l'enseignement qui est y donné en font comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale et de psychothérapie.

Une maison de traitement pouvant recevoir un assez grand nombre de malades permet d'y appliquer le traitement des névroses et des psy-

choses par le sommeil prolongé (procédé de Wetterstrand) et par le repos continu (procédé de Weir Mitchel).

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Hospice de la Salpêtrière. — M. le Dr Auguste Voisin a commencé son cours annuel sur les maladies mentales et nerveuses le jeudi 13 juin, à 10 heures du matin (section Rambuteau). — Plusieurs leçons sont consacrées aux applications de l'hypnotisme, au traitement des maladies mentales.

Cours sur l'hypnotisme a Lille. — Le cours annexe à l'Institut psycho-physiologique, inauguré cette année à Lille par M. le Dr Paul Joire, à l'hôpital de Lille, a été suivi par un grand nombre d'étudiants. Ce cours sera continué l'année prochaine.

Laboratoire de la Salpêtrière. — Par une délibération en date du 17 juin, le Conseil municipal a accordé une subvention de 1.000 fr. à M. le D' Uéjerine, médecin de la Salpêtrière, pour le fonctionnement de son laboratoire en 1894. Cette subvention sera de 1.500 fr. les années suivantes.

Asiles d'aliénés de la Seine. — M. le Dr Toulouse, médecin adjoint à l'asile public d'aliénés de Saint-Yon (Seine-Inférieure), est désigné pour remplacer M. le Dr Pactet à l'Asile clinique (Sainte-Anne).

Belgique. — Une souscription est ouverte par l'Association des Etudiants en médecine de l'Université de Liège, à l'effet d'organiser une manifestation en l'honneur de M. le professeur Nuel, à l'occasion de sa récente nomination de chevalier de l'Ordre de Léopold. Chaque souscripteur aura droit au portrait lithographie, grand lormat, du distingué ophtalmologiste. M. le Dr Nuel a collaboré à un certain nombre d'expériences d'hypnotisme portant sur la thérapeutique de l'organe visuel instituées par notre collaborateur M. le professeur Delbœuf.

Belgique. — Nous apprenons avec un vif plaisir que l'Académie de médecine de Belgique vient de décerner le prix de 600 francs accordé au meilleur travail du concours sur les névroses traumatiques à notre collaborateur M. le Dr Jean Crocq. Dans son travail, M. le Dr Jean Crocq consacre un chapitre à l'action thérapeutique de la suggestion hypnotique sur les névroses traumatiques.

Le Dr Cramer, d'Eberswalde, est nommé médecin en chef de la clinique psychiatrique de Göttingue et va s'établir Privat-Docent à l'Université.

La société des aliénistes allemands se réunira pour la séance annuelle à Hambourg le 13 et le 14 septembre.

Une nouvelle revue vient de paraître en Allemagne sous le titre ta Revue de la médecine sociale; le deuxième numéro contient un intéressant article de notre collaborateur le Dr Max Nordau, intitulé : ta position sociale des médecins en France.

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Ouelqcbjeu, rue Gerbert, 10.

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

10° année. — n» 2. Août 1895.

LA SUGGESTION THÉRAPEUTIQUE

conférence CLINIQUE Par M. le Professeur Bernheim.

Ce petit jeune homme de 16 ans et demi, entré hier au service, semblait venu tout exprès pour démontrer à tous ce qu'est la suggestion et quelles sont ses applications au diagnostic et à la thérapeutique.

Lymphatique, le. teint pâle, de complexion assez délicate, ce garçon, cordonnier de son état, accuse une douleur abdominale et une douleur thoracique. La première date de la mi-août. Après avoir travaillé dans un marais, il ressentit, dit-il, une douleur abdominale, affectant la forme de coliques continues. En même temps, constipation persistante; anorexie; au bout de huit jours, vomissements bilieux et ligneux ; la douleur augmenta et le malade, ne pouvant plus marcher, était alité depuis trois jours lorsqu'on le conduisit à l'hôpital, au service Voisin, au commencement de septembre , quinze jours après le début de sa maladie. Depuis ce début, il n'avait pas eu de selles et ne dormait pas la nuit.

II resta à l'hôpital pendant cinq semaines. On lui fit des applications de glace sur le ventre ; on lui donna du Champagne, du lait et des pilules de glace ; trois ou quatre jours après son entrée, on lui administre un lavement purgatif qui détermine quelques selles; puis trois jours plus tard, on lui donne 0, 40 de calomel. II a eu par les selles des lombrics pendant deux ou trois jours, au nombre de vingt. C'était là sans doute le corps du délit. Il continua pendant tout son séjour à l'hôpital

à avoir trois ou quatre selles diarrhéiques par jour. Les douleurs vives continues avaient disparu; mais de temps en temps, deux ou trois fois par semaine, sans cause connue, survenait encore un accès de colique durant environ cinq minutes. En outre il sentait toujours à trois travers de doigts, à droite de l'ombilic, des picotements continus, qui, après les repas, devenaient des élancements aigus durant trois à quatre minutes.

Huit jours après sa sortie de l'hôpital, cette sensation continue, les coliques et la diarrhée avaient disparu. Mais, chose remarquable, le jeudi et le vendredi de chaque semaine, à huit heures du matin, une douleur très vive se manifestait à droite de l'ombilic sur une étendue circulaire comme une pièce de cinq francs, et cette douleur durait jusqu'à dix heures au moins, d'autrefois jusqu'à midi. Dans l'intervalle, rien. Les selles restaient mouillées et régulières, l'appétit assez bon.

Mais depuis son séjour à l'hôpital, l'enfant ne retrouva pas ' sa santé générale; il avait souvent des accès de fièvre et des sueurs nocturnes. Le 22 novembre, il se refroidit, eut des frissons, de la toux ; alors la douleur revint à droite de l'ombilic à neuf travers de doigts de distance, continue, lancinante, comme si on enfonçait, dit-il, des queues de lime. Cette douleur persiste depuis.

En même temps qu'elle, survint, le 22, une douleur soudaine dans la fosse sous-épineuse gauche; cette douleur devint plus vive le 23, et passa sous l'aisselle du même côté, s'exaspérant par les quintes de toux. L'enfant n'a pas dormi ces trois dernières nuits. Ajoutons qu'il n'accuse-pas de maladies antérieures, pas d'antécédents héréditaires, ni nerveux, ni tuberculeux. Le père et la mère sont bien portants ; il est le 3e sur 10 enfants, dont aucun n'est malade. C'est d'ailleurs un garçon intelligent et qui répond avec précision aux questions.

Le soir de son entrée à l'hôpital, la température était de 98,6°; le pouls de 78 ; le matin à la visite, 25 novembre, la température était redescendue à 36,5, le pouls à 88. Le thorax est bien conformé. Sous la clavicule gauche le sonest plus clair qu'à droite, mais pas plus ample.

En arrière, il y a de la submatité dans les fosses sus et sous-épineuses gauches. Le bruit vésiculaire est net en avant ; mais dans les deux fosses sus-épineuses, l'expiration est soufflée avec retentissement de la voix.

Le diagnostic s'impose ; il y aune indurafion tuberculeuse

des deux sommets. La douleur thoracique est due à cette localisation, peut-être à une pleurésie sèche concomitante.

Restait à savoir si la douleur abdominale était due à un processus de même nature péritonéale ou intestinale, si elle était due à une nouvelle accumulation de lombrics, comme le pensait l'enfant qui croyait à un paquet de vers à droite de l'ombilic, ou bien, s'il s'agissait d'une simple margralhie douloureuse suggérée par l'idée de nouveauxlombrics. La surcroissance de douleurs a l'évacuation des vers, et leur exsurbation depuis la fièvre et la douleur thoracique, pouvaient donner l'idée d'une cause organique. Mais l'absence de troubles digestifs, la régularité des selles, le retour périodique des douleurs le jeudi et le vendredi, leur absence complète dans l'intervalle jusque il y a huit jours, tout cela me faisait penser à une auto-suggestion.

Pour résoudre la question, j'interroge l'enfant sur ses antécédents, sur les symptômes généraux et thoraciques qu'il peut éprouver, évitant à dessein d'appeler son attention sur l'abdomen ; et pendant que je dirige ainsi son esprit d'un autre côté, je palpe doucement le ventre, sans affectation, et je constate qu'il est partout mou, dépressible, indolore à la pression profonde ; je constate ensuite qu'il est partout sonore. Cela posé, je découvre l'abdomen et je lui demande où il a mal. Il me signale la région qui est à droite de l'ombilic; par moments, dit-il, il sent le ventre se gonfler à ce nivea'u. Je presse alors celte région et le malade accuse de la douleur. Alors je précise moi-même arbitrairement le siège exact de la douleur et montrant un point placé à trois travers de doigt de l'ombilic à sa droite, je dis : C'est là qu'est la douleur la plus vive. Au-dessous le ventre est sensible, mais ce n'est pas une douleur aiguë comme là! Cela dit, je presse le point suggestionné; l'enfant réagit douloureusement, tandis que partout ailleurs je ne détermine pas de réaction douloureuse, Je dis alors : Cette douleur doit se propager quelquefois vers Thypogastre, et quand vous urinez, vous avez mal. L'enfant répond enfin que la douleur s'étend quelquefois vers l'hypogastre où elle donne lieu à une simple pesanteur ; il dit aussi que les premières gouttes d'urine sont rendues avec une certaine brûlure.

Je ne poussai pas plus loin mon interrogatoire suggestif ; car l'enfant est très intelligent, il aurait fini par deviner que je voulais l'influencer et serait devenu rebelle à la suggestion. C'en était assez d'ailleurs pour le diagnostic du malade et de la douleur abdominale. Le malade était très-suggestible ; la

douleur était le résultat d'une auto-suggestion, dont l'idée des lombrics était le point de départ. Toute expression intestinale, la digestion, réveillait la sensation. Pourquoi, pendant quelque temps, la douleur s'est-elle manifestée le jeudi et le vendredi à jour fixe? Je n'ai pu découvrir la cause suggestive qui a agi périodiquement. Il suffit qu'une coïncidence fortuite ait fait naître dans le cerveau cette idée de périodicité pour que dorénavant elle fût créée par l'imagination. La fièvre survenue il y a huit jours, en déprimant l'organisme et créant des malaises digestifs, a pu greffer de nouveau sur ces malaises la douleur abdominale continue.

Je vous ai dit alors : Cette douleur est très facile à enlever. L'enfant étant certainement très suggestible, puisque sa douleur lui est suggérée par une oppression, je vais l'endormir pour le débarrasser de ses douleurs. Je dis à l'enfant: Tu seras bien content si je t'enlève immédiatement ces douleurs, et cela sans opération, sans même te toucher. Il suffit que je t'endorme pendant trois minutes. Et j'ajoute : il va s'endormir très facilement. Tenez! Regardez-le! Il dort! L'enfant restait immobile, les yeux ouverts, fixes, étonnés. L'aspect rigide de la face indiquait qu'il était pris. Cependant un observateur non expérimenté n'aurait pas reconnu que l'enfant était déjà suggestionné, hypnotisé, c'est-à-dire dans un état de conscience autre. Il l'aurait, en continuant à l'interroger, ramené à son état de conscience normal, il aurait passé à côté de l'hypnose, sans s'en douter. Levant les bras de l'enfant, dans cet état, je constatai qu'ils restaient immobiles, en catalepsie. Je lui dis : Tu ne sens plus tes bras ; et j'ai pu les piquer avec une épingle sans qu'il manifesta de réaction. Je dis : les yeux vont se fermer. Ils ne se fermaient pas ; le sujet n'ayant plus assez d'initiative pour faire l'occlusion. Je dus intervenir par suggestion plus active et dire : Tu peux les fermer. Alors ils se fermèrent, et le tableau du sommeil était complet. Je suggérai alors la disparition complète des douleurs abdominales et thoraciques; je pressai les régions sensibles en affirmant qu'il n'y avait plus aucune sensibilité, que les vers, s'il y en avait, étaient tués et que rien ne ferait plus paraître la douleur, qu'il dormirait toute la nuit et serait tout à fait bien. Après dix minutes, je réveillai le malade. Il ne se souvenait de rien, ne savait pas que je lui eusse parlé. Il ne sentait plus du tout la douleur abdominale et on pouvait palper et presser tout le ventre sans le réveiller. Mais la douleur thoracique subsistait encore.

J'ajoute que le petit malade n'avait jamais été endormi, que je le voyais pour la première fois, et qu'il ne m'avait encore vu endormir personne de la salle. Je l'ai fait venir ici devant vous, à la salle des conférences. Je vais l'endormir de nouveau. Il suffit que je le dise : c'est fait. Il dort les yeux fermés.

Vous voyez donc que ce sujet a pu être d'emblée mis en sommeil profond, en somnambulisme, sans entrainement préalable, sans avoir subi l'influence de l'imitation. Cette influence est cependant incontestable pour la plupart des sujets, la suggestion, chez eux, est plus facile, lorsqu'ils y ont été préparés, par ce qu'ils ont vu chez d'autres, par la contagion psychique. Mais il en est, et vous voyez cela souvent à la consultation, chez lesquels on réussit mieux lorsqu'on les prend doucement, comme nous l'avons fait chez cet enfant, à brûle-pourpoint. Car, quand ils ont peur de l'hypnose et qu'ils ne veulent pas s'y prêter, si on cherche à les préparer longtemps d'avance, ils ont le temps de se prémunir contre la suggestion, de s'affirmer qu'ils ne se laisseront pas faire, et ils opposent de la résistance. Si on les prend au contraire d'emblée, au dépourvu, sans leur Laisser le temps de s'armer, ils tombent sans résistance. C'était le cas de notre enfant l

La suggestion est un art très difficile et qui exige un grand coup d'ceil qui ne s'acquiert que par l'expérience. Sans cette expérience, je le répète encore, vous passez souvent à côté. Ainsi il arrive souvent que, suggérant le sommeil à un sujet pour la première fois, comme nous l'avons fait à cet enfant, aussitôt que vous dites : dormez, le premier mouvement du sujet est de fermer les yeux et de rester un instant immobile. Mais après quelques secondes, il ouvre ses yeux, et refuse de les fermer, disant qu'il ne peut pas dormir, qu'il n'a pas sommeil. Cependant, si vous avez bien observé le changement immédiat de sa physionomie, son inertie rigide au moment où les yeux étaient fermés, vous avez lieu de penser qu'il était pris. Il a été en effet influencé par surprise, n'ayant pas eu le temps de s'armer contre la suggestion. Mais après quelques secondes, il a pu se resssaisir, il est revenu à sa conscience normale et résiste, sans savoir qu'il a été influencé. Ce sujet -est certainement suggestible. Si, maintenant ses yeux fermés, vous brisez doucement sa résistance, si vous continuez à éloigner de son esprit toute crainte en lui affirmant qu'il va dormir comme du sommeil ordinaire et que vous n'avez d'autre but que de le guérir, si vous le bercez et l'endoctrinez "ainsi par de

douces paroles qui l'intéressent, si vous savez captiver ainsi son esprit et son imagination, il ne tardera pas, comme grisé par la suggestion, à oublier ses idées de résistance et à se laisser aller. Cette tendance à se ressaisir se manifeste quelquefois à chaque instant dans les premières tentatives d'hypnose ; quelques sujets n'ont été influencés que par intermittences ; ils croient ne pas l'avoir été quelquefois et cependant vous constatez que certains souvenirs au réveil leur ont échappé. Après deux ou trois séances en général, l'état d'hypnose ou de suggestibiiité devient continu. Voici donc notre malade en sommeil profond. Au réveil il ne se souviendra de rien. C'est, je le répète, un sujet vierge d'hypnotisations antérieures et qui n'en a jamais vu d'autres. Nous pouvons donc étudier chez lui tous les phénomènes de l'hypnose, tels qu'ils se présentent naturellement, sans qu'on puisse invoquer l'influence du dressage ou de l'imitation.

Je vais produire chez lui tous les phénomènes de suggestibiiité dans les diverses sphères motrices, sensitives, sensorielles. Je mets ses bras en l'air, ils y restent ; c'est la catalepsie. Je dis : le bras est raide ; je ne peux pas plier le coude. Le membre est rigide, contracture. Je lui dis de tourner les bras, et j'affirme qu'il ne peut plus les arrêter. Il tourne et essaie en vain d'arrêter, c'est l'automatisme rotatoire. Voilà des suggestions dans la sphère motrice. Je lui dis : le bras est insensible et comme mort. Je le pique avec une épingle, sans qu'il réagisse. Suggestion dans la sphère sensitive. Je lui dis : Tiens ! voici du lait chaud avec du goudron. Tu vas le boire. Il fait en effet le geste de boire avec le mouvement de déglutition. C'est une suggestion sensorielle. Je lui dis : Lève toi et va travailler. Tu es à l'atelier. Je lui demande : Où es tu? Il répond : à l'hôpital. La suggestion n'a pas encore pris. Je répète: Maintenant tu vas être à l'atelier avec tes camarades, tu es guéri, tu travailles. Je répète la question : Où es tu? Il répond: à l'atelier. Je le fais se lever et je lui suggère de travailler. Vous le voyez qui se livre à une pantomime active et expressive, comme s'il faisait son ouvrage de cordonnier. Il continue ainsi pendant deux minutes jusqu'à ce que je l'invite à s'asseoir. C'est une suggestion d'acte. Avant de le réveiller, je lui fais une suggestion post-hypnotique : Quand tu te réveilleras, tu prendras ce morceau de craie qui est devant la fenêtre derrière toi. et tu iras au tableau noir où tu écriras : Je n'ai plus mal au ventre, ni à la poitrine. Cela dit, je vais le laisser dormir pendant

quelque temps. Au bout d'un quart d'heure, je le réveille, il se frotte les yeux et regarde étonné autour de lui, ne se souvenant absolument de rien. Il ne réalise pas la suggestion demandée. Je vais le mettre sur la voie et il va la réaliser probablement : A quoi penses-tu, lui dis-je ? Il répond : à rien. — Tu penses à faire quelque chose. Prends la craie, va au tableau et écris : « Je suis guéri et ne suis plus malade. » Ce n'est pas la phrase textuelle, c'est l'idée qui était restée dans son cerveau et qu'une simple allusion a ramené à la conscience : « Pourquoi écris-tu sur le tableau ? » — « Je ne sais pas ; cela m'est venu comme cela. »

Voilà donc un jeune homme très intelligent qui d'emblée, sans manœuvres préalables, est éminemment suggestible et réalise tous les phénomènes dits hypnotiques. La provocation de ces phénomènes implique-t-elle un état anormal? L'idée des lombrics a déterminé chez lui des douleurs abdominales, à l'état de veille et de conscience parfaite ! Je lui ai suggéré un point douloureux et des irradiations vers l'hypogastre, avec souvenir fictif des douleurs au début de la miction, sans hypnotisme, par simple affirmation. Je suis convaincu d'avance que tous les phénomènes que nous venons d'obtenir dans le sommeil provoqué, nous allons les obtenir à l'état de veille parfaite. Tenez ! je prends le bras de l'enfant, je le mets en l'air et je lui dis : Essaie de le baisser, tu ne peux pas. Il essaie en vain ; et cependant il ne dort pas. Tu es bien éveillé, lui dis-je. Il répond : oui. Je lui dis : ton bras est raide. Le voilà en effet rigide. Il ne peut le plier. Tu ne le sens plus. Je le pique avec une épingle. Il ne sent rien et ne réagit pas. Je le fais mettre debout : « Tes pieds sont collés sur le plancher. Essaie d'avancer. Tu ne peux pas. » Il essaie en vain ! Allons ! fais tous tes efforts. Il les fait en vain. Tiens ! voilà une tasse de lait chaud. Bois, cela te fera du bien. II fait geste de boire et me rend le verre fictif. Je lui suggère un acte. Dans trois minutes, tu auras l'idée de monter sur les gradins de l'amphitéâtre, jusqu'au dernier banc, tu regarderas à la pendule l'heure et tu reviendras. Au bout de trois minutes, cet enfant timide traverse les bancs à travers l'assistance, regarde l'heure et revient. — « Quest-ce que tu es allé faire là-haut ? — J'ai voulu voir l'heure. — Pourquoi? — Je ne sais pas. » — Il ne se rappelle pas que l'ordre émanait de moi.

Vous voyez donc que toutes lès suggestions sont accomplies

par lui à l'état de veille, et j'aurai pu d'emblée, sans sommeil préalable, les lui faire réaliser.

Le professeur Delbœuf de Liège a écrit récemment dans la Revue de l'Hypnotisme un article intitulé : « Comme quoi il n'y a pas d'hypnotisme. » — « Cette proposition, dit-il, a tout l'air d'être un paradoxe. Je ne doute pas que M. Bernheim ne la rati~ fierait sans hésiter. » Je la ratifie certainement, le mot hypnotisme pourrait être supprimé et remplacé tout simplement par celui de suggestibiiité exaltée.

Cet enfant est naturellement suggestible ; c'est-à-dire que son cerveau a une tendance naturelle à réaliser des idées qui y surgissent et qui sont acceptées par lui. Ces idées deviennent mouvements, sensations, images, émotions, actes ; la transformation idéo-dynamique se fait chez lui avec une extrême facilité. C'est son organisation cérébrale et psychique qui fait sa suggestibiiité ; je n'ai pas produit chez lui un état anormal ; j'ai démontré simplement devant vous sa suggestibiiité naturelle. Quelle est sa responsabilité dans les actes que je lui suggère? Quel est son libre arbitre? Je ne le sais. Sans doute, si je lui suggérais un acte malhonnête, je trouverais, ou je pourrais trouver chez lui une certaine résistance ! Parce que l'éducation qui est aussi une suggestion a fait son œuvre salutaire ! Parco qu'elle a mis dans son cerveau l'idée qu'il ne devait pas accepter la suggestion du vol, de l'assassinat ; etc. ! Parce que son organisation native lui donnant la conscience du bien et du mal, lui suggère une répugnance instinctive pour le mal ! Mais il est des sujets qui sont nés sans conscience morale ou avec une conscience morale faible. Il en est chez lesquels l'éducation n'a pu créer cette conscience, ou qui n'ont pas reçu les bienfaits d'une éducation coercitive du mal ! Ceux-ci résisteront-ils aux suggestions d'actes qui ne répugnent pas à leur conscience. Quelle sera leur part de responsabilité? Et alors même que cette conscience existe, une suggestion prolongée et habilement dirigée ne peut-elle pas, chez les très suggestibles comme ce garçon, égarer et pervertir les sentiments honnêtes, et déterminer des actes impulsifs? Voilà les graves questions qui s'imposent aux méditations de tous les hommes qui ne jugent pas avec des idées préconçues et n'acceptent pas avec une foi aveugle les doctrines sur le libre arbitre absolu et la responsabilité absolue, en dehors de l'aliénation mentale. La connaissance de la vérité ne bouleverse pas l'ordre social; mais la méconnaissance de la vérité aveugle la justice. Je ne dis pas

que le libre arbitre n'existe pas, entendez-le bien ! Je dis seulement qu'il n'est pas toujours facile d'établir sa part et que la suggestibiiité est un élément qui doit entrer en ligne de compte dans l'appréciation des faits.

Je ne veux retenir qu'une conclusion qui n'effraiera pas ! C'est la nécessité pour l'enfant d'une éducation religieuse, philosophique ou morale, adaptée à l'individualité psychique spéciale de chacun, propre à introduire dans les cerveaux fragiles des notions saines et honnêtes, à y incarner des suggestions morales vigoureuses, propres à les prémunir contre les suggestions malsaines de l'avenir.

Si je me suis laissé aller à cette digression, c'est parce que le médecin digne de ce nom, aura toujours à cœur de connaître l'organisme humain tout entier; il est médecin de l'âme et du corps, il ne peut distraire le moral du physique. Il y a des infirmités morales et psychiques, comme il y a des infirmités physiques ; « l'homme tout entier est notre domaine » : Humanum nihil a me alienum put?.

Revenons maintenant au point de vue thérapeutique et voyons la suite de l'observation.

Après cette première séance, la douleur abdominale a complètement disparu ; elle n'a plus jamais reparu, ni spontanée, ni à la pression. Cette douleur était donc purement suggestive et sans rapport avec l'affection thoracique.

La douleur de la fosse sous-épineuse et de l'aisselle gauche existait encore. Je lui suggère de nouveau sa disparition ; et après deux nouvelles séances le même jour, après la conférence, l'enfant ne la sent presque plus. C'est là une douleur de cause organique, plus résistante, bien que cependant due à l'influence psychique.

A onze heures du soir, elle reparaît à la suite d'une quinte de toux; mais l'enfant peut se rendormir, et le lendemain 26, l'enfant va bien et dit ne plus sentir la douleur que lorsqu'il tousse. La température, le soir, s'était élevée à 39°, le matin elle est redescendue à 36,2. Je prescris 1 gramme de phénacétine contre l'élément fièvre, une potion thébaïque contre l'élément toux et l'huile de foie de morue. Il s'agit maintenant d'enrayer la tuberculose.

(J'ajoute ici la suite de ces observations et les réflexions qu'elle a inspirées et qui ont été exposées dans les conférences ultérieures ou au lit du malade).

J'essaie de nouveau la suggestion ; je m'aperçois que l'enfant résiste. Déjà la veille au soir, mon chef de clinique n'était pas arrivé à l'endormir. Il cherche à rouvrir ses yeux quand je les tiens clos ; je vois manifestement qu'il a l'intention de ne pas être endormi. Je l'interroge doucement ; il me dit qu'il a été fatigué par la séance suggestive d'hier. Alors je l'entreprends doucement, lui expliquant que je veux simplement l'endormir quelques minutes dans son lit, que cela ne le fatiguera plus, au contraire, et que c'est uniquement pour achever de le guérir radicalement. Je brise ainsi facilement sa résistance ; il se laisse aller et en une seeonde il dort. Je réitère la suggestion thérapeutique sans autre expérience. Le soir la température est de 36°,4. Le 27 au matin, elle est à 37°. 11 a été très bien, a dormi, et n'accuse plus qu'un point douloureux dans la fosse sous-épineuse lorsqu'il tousse. Il ne prend pas de phénacétine. La température est de 38°, 4 le soir.

Le 28 au matin elle est à 37°, 4. — Je prescris de nouveau la phénacétine. Les douleurs thoraciques qui n'existent plus que par la toux sont beaucoup moins vives.

La température reste normale, grâce à la phénacétine, le 28 et le 29. Le 28 au soir, la douleur a été un peu plus vive dans la fosse sous-épineuse. Grâce à la suggestion, le 30, il dit n'avoir presque plus toussé et n'avoir plus senti ses points douloureux. Il dort bien et a de l'appétit.

Arriverons-nous à enrayer la tuberculose? Je l'espère. Sans doute la suggestion n'a pas une action directe contre la tuberculose. Lorsque celle-ci est avancée, lorsqu'elle a constitué des lésions diffuses et profondes, elle est impuissante. Les autres médications font-elles davantage? Lorsqu'elle est d'emblée aiguë, généralisée, quand l'infection bacillaire atteint dès le début tout le parenchyme pulmonaire ou une série d'organes, alors aussi elle est impuissante, et je ne crois pas que les autres médications soient efficaces. Mais quand il s'agit d'une poussée tuberculeuse limitée aux sommets, à tendance chronique, à évolution lente, susceptible d'être enrayée par l'hygiène et une thérapeutique appropriée, alors aussi la suggestion peut faire œuvre utile, quand elle est associée aux autres médications. Sans doute, elle n'agit pas sur le bacille ; elle n'agit pas contre l'élément fièvre; elle n'agit pas directement contre l'évolution organique. Mais elle peut, comme elle l'a fait chez notre enfant, supprimer la douleur, modérer la toux, restaurer le sommeil, rétablir l'appétit. Ce faisant, elle fortifie l'organisme,

elle diminue la réceptivité dans sa lutte contre le bacille... En améliorant le terrain organique, on arrive souvent à enrayer la maladie. Vous voyez souvent, dans notre service, des malades qui entrent avec une poussée tuberculeuse récente ; beaucoup de vos camarades, contagionnés dans le milieu nécrocervical, Ont un jour de la fièvre, de la toux, même des crachats hémop-toïques, et de l'expiration soufflée au sommet. Le plus souvent, parle seul repos au lit, par une simple potion thébaîque, avec quelques antiseptiques, en quelques jours la fièvre tombe, et la maladie est enrayée. Elle reste enrayée si une bonne hygiène maintient le terrain organique dans des conditions favorables. Fortifiez votre corps, évitez les causes débilitantes et, mieux que par les antiseptiques, vous conjurerez le terrible bacille. Cette guérison spontanée fréquente de la tuberculose au début sur un bon terrain, explique les succès de bien des spécifiques qui se succèdent dans la nature médicale, comptant chacun nombre de guérisons à son actif. La suggestion ne fait pas plus de miracles que ces prétendus spécifiques ; elle ne remplace pas les médications utiles; mais elle a aussi son rôle et ses indications ; comme vous l'avez vu chez ce garçon, comme vous le verrez encore chez d'autres.

Voici maintenant la suite inattendue de l'observation : Tout faisait espérer qu'un sujet si docile, si suggestible, que nous avons pu d'emblée impressionner et actionner à notre gré, continuerait à subir l'influence bienfaisante de la thérapeutique suggestive. Notre espoir a été trompé; nous avions compté sans un facteur, et ce facteur, le plus grand ennemi de la psychothérapie, c'est la contre-suggestion et l'auto-sugges-tion. Rien n'est plus instructif à ce point de vue que l'histoire de notre garçon.

Vous vous rappelez que le soir même du jour où nous avons enlevé d'une façon si merveilleuse les douleurs abdominales, notre chef de clinique a essayé en vain d'endormir le malade. Le lendemain j'essayai à mon tour, en procédant comme la veille ; j'eus beau dire : Tenez, il va dormir ; il est pris. La face ne prit plus cette expression étonnée, rigide, les paupières immobiles, cataleptisées comme la veille. Alors je lui dis : Dormez! pour que la maladie reste guérie définitivement. Je veux vous enlever les douleurs de la poitrine comme je vous ai enlevé les douleurs abdominales. Dormez, mon enfant. Mais sa face ne changea pas d'expression ; ses yeux ne se fermèrent pas et

les paupières battirent comme d'habitude. Je tins ses yeux clos ; je constatai qu'il s'efforçait de les rouvrir. Je me trouvai en face d'une résistance. Je lui demandai pourquoi il ne voulait pas dormir. Il me dit avoir été fatigué la veille. Alors je m'évertuai à le rassurer, lui disant qu'il ne serait plus fatigué du tout aujourd'hui, que je me contenterais désormais de l'endormir pendant quelques minutes dans son lit pour guérir sa maladie de poitrine, et, lui tenant ses yeux clos pendant une minute, lui suggérant qu'il dormait, qu'il était très bien, nullement fatigué, j'insistai sur la disparition de la douleur thoracique, et au bout d'une minute, il était pris de nouveau en sommeil profond. Au réveil, cette douleur avait disparu;et il ne se souvenait de rien.

Je continuai ainsi les jours suivants ; je parvins chaque fois à le mettre en sommeil profond, mais je retrouvai chaque fois la même résistance. II me fallait tenir les yeux clos et neutraliser la tendance du malade à les ouvrir, pour obtenir l'hypnose. Le 29, je demande au malade si les séances le fatiguaient ; il convint que non. Je voulus savoir la cause de cette résistance ; il finit par m'avouer que sa sœur lui avait dit de ne plus se laisser endormir. C'est tout ce que je pus en tirer ; il resta muet, même pendant son sommeil, sur les détails de cette entrevue avec sa sœur et sur les injonctions précises qu'elle lui avait faites.

Malgré cela, je parvins tous les jours à le mettre en hypnose profonde. La douleur abdominale n'existait plus ; on pouvait palper et presser profondément le ventre sans réveil 1er aucune sensibilité. La toux n'existait presque plus. La douleur scapu-laire ne se manifestait plus que pendant la toux. Le sommeil de la nuit était excellent. Le 30 novembre au soir il eut encore une douleur un peu plus vive vers l'angle de l'omoplate ; la température s'était élevée à 39°.

Le 1er décembre je l'enlève par suggestion ; et, jusqu'au 3 décembre, il ne sentit plus rien, qu'un léger point quand il tousse. En même temps je supprime la lièvre avec 1 gramme de.phénacétine. La température reste normale du l'r décembre au matin jusqu'au 4 au soir ; la phénacétine est supprimée le 3. L'enfant mange bien et dort ; je l'endors tous les jours, toujours avec une certaine résistance facilement vaincue ; je lui suggère pendant son sommeil d'avoir confiance, de ne plus écouter sa sœur. Cependant, malgré la suppression des douleurs et le bon sommeil de la nuit, la physionomie conserve un

air sombre et défiant ; quelque chose se préparait dans ce çer- . veau.

Le 4 décembre, j'apprends que la veille, jeudi, après le déjeu-ner, à dix heures du matin, l'enfant avait été repris de douleurs abdominales: ces douleurs devinrent plus vives vers une heure; c'étaient de fortes coliques ; il eut deux selles, et rendit, dit-il, une dizaine de vers qu'il n'a pu recueillir, tant ils s'échappèrent vite. La nuit, il ne put dormir à cause des douleurs diffuses dans tout l'abdomen, mais plus spécialement localisées à droite et un peu au-dessus de l'ombilic. Le matin les douleurs persistent dans cette région. Je les localise d'une façon très précise avec le crayon rouge dans un espace circulaire ayant la dimension d'une pièce de cinq francs. Cette localisation précise par suggestion réussit fort bien. En dehors de la zone marquée par le crayon rouge, qui réagit très vivement à la pression, on ne détermine aucune sensibilité.

Remarquez que c'est le jeudi, comme d'habitude, que la crise douloureuse s'est manifestée ; c'est toujours le jeudi et le vendredi qu'il avait ses coliques. A-t-il rendu des lombrics, comme il le dit? Il ne les a pas conservés ; ils sont partis trop vite ; il les a cependant bien vus ; il y en avait dix. Je ne puis savoir si les vers existaient réellement, ou si l'imagination les a créés par hallucination. Les 30 centigrammes de santonine qu'il avait pris le lendemain de son entrée n'avaient évacué aucun lombric.

Quoiqu'il en soit, je lui dis doucement : Je vais de nouveau t'endormir comme l'autre jour pour t'enlever cette douleur, et cette fois-ci ce sera définitivement. J'éprouve de nouveau la résistance habituelle ; il essaie d'entr'ouvrir les yeux et dit : « Ce n'est pas cela qui me guérira. » J'arrive cependant sans trop de difficulté à l'hypnose profonde, bien qu'il se laisse aller à contre-gré. Je m'efforce par suggestion à neutraliser la douleur abdominale, je n'arrive pas aussi facilement que la première fois. Il résiste et s'efforce de la maintenir J'insiste ; j'affirme avec conviction que la douleur va se dissiper, que dans trois minutes il ne sentira plus absolument rien ; je maintiens ma main appliquée sur la région sensible ; je suggère la chaleur qui remplace la douleur. Puis, après quelques minutes, je vous montre qu'il n'y a plus rien, que je peux presser profondément sans qu'il ressente rien. Il ne réagit plus et avoue qu'il ne sent plus rien. Au réveil, il constate que, en effet, la douleur a complètement disparu, mais il dit : Elle reviendra

dans l'après-midi. Je l'endors de nouveau, je lui suggère de dormir une heure et je m'efforce de lui persuader que la douleur ne peut pas revenir.

En réalité je n'espérais plus ce résultat, et je vous ai dit, de façon que le sujet ne l'entende pas: Voici ce qui va arriver. Il évoquera de nouveau sa douleur. Un de ces jours, il va quitter l'hôpital, convaincu que nous no pouvons pas le guérir, et peut-être que nous l'avons rendu plus malade. Il restera peut-être au service Voisin pour réclamer un traitement sérieux.

J'essaie encore de préciser le résultat en déguisant la suggestion dans une ordonnance et, pendant le sommeil, je prescris solennellement une potion avec vingt gouttes de teinture de valériane et dix gouttes de teinture de castareum, « pour tuer ce qui peut rester de vers. »

Une heure après, avant de quitter l'hôpital, je le trouve déjeûnant avec d'autres malades. Je lui demande comment ça va. Il me montre que la douleur est revenue.

Le soir, la température s'élève de nouveau à 37°,6.

Le lendemain 5, au matin, elle est à 37°,8. Dans la journée, il a eu de fortes douleurs ; elles ont augmenté après le repos du soir. Il n'a pas dormi toute la nuit. — Ce matin, je le trouve levé, habillé, prêt à quitter l'hôpital. Je touche le ventre ; aussitôt que j'arrive à droite de l'ombilic, il se plaint et réagit.

La contre-suggestion ou l'auto-suggestion a fait son œuvre. En vain, je m'efforce de lui persuader que je puis sûrement le guérir, que c'est une affaire de quelques jours ; qu'il a tort de partir, car il a une affection de poitrine qui peut s'aggraver et mettre ses jours en danger; que, s'il reste, je réponds de la guérison. Comme exemple à l'appui, je lui montre son voisin de lit, qui, tuberculeux aussi et souffrant depuis des années de vives douleurs des membres, se trouve aujourd'hui délivré de ses douleurs et en bonne voie de guérison. Ce voisin ajoute même : « Je ne cesse de le lui dire. » A tout cela, il répond simplement : « Je veux rentrer chez nous. » Je le traite doucement; je lui disque s'il ne va pas mieux, il pourra toujours revenir au service ou venir se faire traiter à la consultation. Je doute qu'il revienne. Vous rencontrez quelquefois des faits de ce genre. J'en ai relaté plusieurs exemples. Il importe que vous le sachiez. Quand on a eu quelques cas heureux de thérapeutique suggestive, au début de sa carrière, je ne dis pas d'hypnotiseur, le mot sonne mal, mais de psychothérapeute, on se laisse facilement gagner par l'enthousiasme, on se figure

que tout cède à la toute-puissante suggestion. Quand, au contraire, on débute par des insuccès, on se laisse aller au découragement et au scepticisme. Il faut se garder contre ces deux sentiments et voir les faits tels qu'ils sont. La suggestion donne ce qu'elle peut, et non pas ce qu'on veut. Nous étudions les faits sans parti pris; les insuccès sont aussi instructifs que les succès. La psychothérapeutique réussit souvent; elle ne réussit pas toujours. Quand un malade se confie à moi et que la famille me demande si je réponds de la guérison, alors même que je crois le cas favorable, je ne garantis rien ; au malade, je dis catégoriquement qu'il guérira certainement; à la famille, je dis que ce malade peut être traité par la méthode suggestive, mais que le succès dépend non seulement de moi, mais aussi du degré d'impressionnabilité spéciale du sujet.

Il importe aussi, vous le voyez, dans l'intérêt de la guérison, que le malade soit dans une atmosphère suggestive, entouré de personnes qui secondent l'influence morale du médecin, en entretenant chez lui l'idée de la guérison, et qui ne cherchent pas à neutraliser l'œuvre médicale.

L'extrême suggestibiiité, telle qu'elle existe chez ce garçon, a. au point de vue thérapeutique, ses avantages, parce qu'elle permet au médecin d'obtenir plus rapidement et plus complètement l'acte d'inhibition ou de dynamogénie qui réalise la guérison ; elle a ses inconvénients, parce que le sujet suggestible par le médieum peut l'être aussi par d'autres ou par lui-même dans un sens contraire (contre-suggestion etauto-suggestion).

Il a suffi sans doute, chez notre jeune homme, que sa sœur le mette en garde contre nos manœuvres et lui en suggère l'inutilité et les dangers, pour que son esprit, naturellement défiant, accepte avec entêtement, irrésistiblement, cette idée qui, implantée dans une imagination sombre, neutralisera désormais tous nos efforts.

Et voyez, même dans ce cas, malgré l'insuccès final, la puissance de la suggestion. En dépit de sa résistance, nous avons pu chaque fois hypnotiser le malade ; en dépit de sa résistance, nous avons pu, pendant l'état de sommeil provoqué, à la faveur de l'état de conscience nouveau ainsi créé, neutraliser la douleur, tant qu'existait cet état. Mais aussitôt le sujet revenu à sa conscience normale, il nous échappait ; il redevenait la victime de ses suggestions personnelles ; son imagination travaillait et évoquait de nouveau, à son insu, le symptôme morbide.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 15 Avril. — Présidence de M. Dumontpallier

De l'association thérapeutique du massage et de la suggestion.

Par le Dr Edg. Bérillon.

M. Bernheim, dans son rapport au congrès international de l'hypnotisme, tenu à Paris en 1889, attribue à un effet de suggestion la plupart des résultats thérapeutiques attribués au massage.

Il y a dans cette idée une grande part de vérité, car il n'est pas douteux que le massage n'agisse autant par suggestion que par son action propre. Ce sont deux procédés thérapeutiques qui se renforcent l'un l'autre, car dans certains cas, la suggestion viendra utilement au secours du massage et, dans d'autres cas, celui-ci viendra renforcer celle-là. La suggestion, en effet, a souvent besoin d'être renforcée par une action physique.

M. Liébeault a fait remarquer fort justement que lorsqu'on voulait appeler l'attention d'une somnambule sur un point quelconque de son corps, sur une de ses fonctions, il était utile que l'opérateur appliquât la main à l'endroit où il voulait agir et qu'il l'y maintint fixée le plus longtemps possible. « En suggérant la négation des caractères de la maladie, dit-il, il est bon de joindre le geste à la voix, de toucher les partiesaffectées, en même temps que l'on parle » (1). Les anciens magnétiseurs associaient, sans s'en rendre compte, le massage à la suggestion : c'est ainsi qu'ils en étaient arrivés à attribuer une vertu curative aux passes magnétiques, qui ne consistaient le plus souvent qu'en simples attouchements pratiqués à la surface de la peau.

Il y a certainement des cas précis où le massage et la gymnastique constituent un artifice destiné à fixer l'effet de la suggestion.

Ainsi, dans la chorée rythmique, nous avons noté que dans le traitement de cette affection, pour faire disparaître les mouvements choréi-ques, il était utile de faire exécuter à l'enfant, pendant l'hypnose, des exercices de gymnastique réguliers.

Nous avons pu guérir par cet artifice, en une seule séance, une jeune fille de 16 ans, atteinte d'une chorée rythmique très intense.

Un jeune homme de 15 ans, dont les secousses étaienttellement fortes qu'il ne pouvait tracer un signe sur le papier, immédiatement après son réveil, put, sur notre injonction, écrire d'une façon très lisible.

Nous croyons que cette pratique peut être généralisée à un certain nombre de maladies et rendre des services réels.

Ainsi, lorsqu'on applique la suggestion au traitement du rhumatisme

(1) Liébeault, Le sommeil et les états analogues, 1866, p. 352.

aigu ou chronique, localisé dans un membre, il sera bon, après avoir provoqué l'anesthésie de la région, d'imprimer des mouvements à l'arti-culation en même temps qu'on fera lasuggestion, et de pratiquer un léger massage de la région douloureuse. Mêmes indications dans le rhumatisme musculaire, le lumbago, le torticolis, et dans tous les cas où les douleurs rhumatismales siègent dans les muscles.

Dans les affections stomacales, et principalement dans les affections gastralgiques et dyspeptiques, nous ne nous sommes pas toujours bornés à faire de la suggestion. Nous avons trouvé un grand avantage à malaxer doucement !a région épigastrique et la région précordiale où les malades accusaient des sensations douloureuses.

Dans les cas d'anesthésie hystérique, le massage de la peau, associé à la suggestion, peut amener le rétablissement rapide de la sensibilité.

Dans les cas de contracture hystérique, il est de règle, à notre clinique, de malaxer les muscles contracturés en même temps qu'on fait la suggestion.

Dans les cas de névralgies, de céphalalgies, le massage des points douloureux, pendant le sommeil hypnotique, est venu aider puisam-ment à la disparition des névralgies. Les auteurs ont en outre noté un grand nombre de cas de migraines, de céphalalgies, cédant comme par enchantement par l'application prolongée de la main de l'opérateur sur le front. Il y a là un effet suggestif des plus frappants. Dans les névralgies utéro-ovariennes, dans les troubles menstruels, le massage de la région abdominale employé simultanémentavec la suggestion peut augmenter son effet elle renforcer. Il appelle et fixe l'attention du sujet sur le point malade.

En résumé : ces deux procédés thérapeuthiques, le massage et la suggestion, peuvent, dans un grand nombre de cas, s'associer et se compléter.

DISCUSSION

M. Regnault. — Le massage, qui était abandonné autrefois chez nous aux charlatans, et que nos médecins pratiquent depuis si peu d'années, est en usage chez un grand nombre de peuples, même chez les plus sauvages. Tout d'abord, il est en honneur dans tout l'Orient dans les pays musulmans, les Indes, les pays jaunes et la Malaisie. Les Japonais le nomment ambak, les Malais pitjak. Par le massage, on fait disparaître la fatigue, et on diminue les douleurs. Thomsen, en Malaisie, note qu'on emploie le pétrissage, les frictions, l'effleurage et les pressions avec le plus grand succès.

Aux Indes, les masseurs se tiennent sur les places publiques et exercent leur industrie en plein vent. Il est intéressant de les voir masser le client assis sur une natte dans un carrefour.

Le massage est également employé dans un but différent. Il sert, en Malaisie, à redresser la mauvaise position de l'enfant dans le ventre do la mère.

Indépendamment de l'action médicale directe, les sauvages emploient beaucoup le massage comme moyen de suggestion. Ils prétendent faire ainsi partir le mauvais esprit, cause de la maladie ; c'est une pratique d'exorcisme pour laquelle on emploie non seulement les mains, mais les genoux et les pieds. Tels les Annamites, les Australiens et Indiens d'Amérique. Un dessin de G. Catlin rappelé par Max Bartels) représente un médecin indien de la tribu des Pieds-Noirs massant avec le pied un malade étendu sur le sol. Chez les Australiens de la province de Victoria, le médecin place le pied sur l'oreille du patient et appuie jusqu'à ce que les larmes surviennent.

Cette croyance est très générale. Quand un Siamois est malade, il appelle un mo-phi ou médecin qui le masse jusqu'à ce que le démon soit expulsé ; les Cambodgiens sont parmi les médecins les plus réputés.

Aux iles Alaska, le sorcier serre avec un lien la tête de la jeune fille atteinte de coryza et d'angine, et l'incline et la relève alternativement pour expulser le démon.

Le médecin, à Bornéo, masse son client durant de longues heures, jusqu'à ce que le mal se décide à partir. Quelle suggestion pour l'opéré !

On voit que ce n'est pas seulement chez nous, comme le montre si justement M. Bérillon, mais chez tous les peuples que le massage a eu un rôle hypnotique. On peut même dire que la crédulité et les théories médicales des sauvages aidaient beaucoup à la cure par ce procédé.

Une démoniaque à Laon au XVIe siècle.

Par M. Camille Martinet.

Les démoniaques et les possédées, dont l'histoire religieuse nous a transmis le souvenir, sont très nombreuses, mais il en est peu dont les manifestations aient passionné davantage l'opinion que Nicole, do Vervins.

Quant aux troubles névropathiques, rien de bien particulier : hallucinations, crises fréquentes et terribles, suivies d'un long état de torpeur et de prostration : tels sont les phénomènes que nous trouvons exposés dans les, récits plus ou moins merveilleux qui nous ont été laissés par des témoins oculaires. Ces symtpômes ont été observés chez toutes les exorcisées du moyen âge.

Ce qui offre pour nous un intérét capital, c'est l'abondance extraordinaire de documents, aussi nombreux que variés, et qui jettent une singulière lueur sur la pratique inconsciente de la suggestion hypnotique au xvie siècle, et les moyens que les confrères do l'époque utilisaient pour « descouvrir l'abus. »

Peu de démoniaques, disions-nous, suscitèrent autant les passions et rencontrèrent un si grand nombre d'incrédules.

On était alors au début des luttes religieuses — vers 1559 — et le clergé de Laon, inquiet, effrayé des progrès du calvinisme, sut admirablement tirer parti de l'état de Nicole.

Le haut clergé et le peuple criant : « Au miracle ! », les calvinistes : « A la supercherie ! », jamais on ne vit un tel déchaînement de violence et de haine religieuse.

Aussi, publications, procès-verbaux, libelles, abondent-ils, et la virulence des prolémiques, le parti pris et l'âpreté des récits contradictoires sont-ils pour nous une mine inépuisable de détails pittoresques et de renseignements précieux. Est-il nécessaire de conter par le menu l'histoire de Nicole, fille d'un boucher de Vervins, visionnaire et possédée ?

Sujette à l'épilepsie — les écrits contemporains en font foi — elle était en outre mélancolique. Une apparition qu'elle eut, à seize ans, « d'un homme noir et hideux ayant de longues dents », jeta le trouble dans son esprit et dans celui de ses parents, qui, persuadés que le diable était en elle, la firent porter à l'église pour la conjuration.

Aux paroles sacrées du religieux qui officiait, Nicole jetait des cris affreux, et, selon les expressions de l'historien qui nous a transmis ces détails, « rugissait et clabaudait comme un taureau, un lion, un ours ou un chien, en même temps qu'on pouvait ouir dans son ventre un bruit étrange, comme si des grenouilles s'y battaient. »

Quelques semaines après, Nicole, qu'on avait — détail important — confiée au jacobin de Lamothe, était de nouveau exorcisée par l'évéque de Laon, Jean de Bours. Elle se contentait alors de crier à des ministres protestants accourus avec la foule : « Tu es pis qu'un diable, car un diable croit ce que tu ne veux pas croire, » Les protestants, qui doutaient beaucoup de l'intervention du diable, commençaient à murmurer. « O pipeurs ! ô sacrificateurs de Baal ! s'écriait l'un deux; jusqu'à quand abuserez-vous le peuple ? »

Voyant l'effet manqué, l'évéque de Laon et l'abbé de Saint-Vincent voulurent produire Nicole sur une scène plus vaste ; ils la firent transporter à Laon. Irritation des réformés, qui ne cessaient de crier à l'imposture !

Sur leur requête, Nicole fut arrêtée, et on allait l'enfermer seule dans une prison de la juridiction royale, quand le clergé ameuta la foule ; l'évoque réclama la prisonnière et la fit incarcérer dans la prison de l'évêché, ressortissant de sa juridiction ; le jacobin ne quittait plus la possédée.

Après de longues contestations, une commission composée de magistrats, d'avocats, d'ecclésiastiques, de bourgeois et de deux médecins, dont l'un deux était de la religion nouvelle, fut chargée d'examiner Nicole.

A la vue du médecin protestant, Nicole entra dans un accès de fureur épouvantable, origine d'une violente dispute entre les deux confrères, qui bientôt en vinrent aux coups.

Dans la chaleur du démêlé, on aperçut un insecte noir courant sur le chevet du lit de Nicole. Naturellement, les catholiques virent là une manifestation diabolique, ce qui laissait les protestants incrédules.

Le médecin protestant voulant poursuivre ses observations, après

avoir questionné la mère de Nicole sur ses goûts, ses habitudes, la manière de vivre de sa fille et « sur ce qui est du propre des femmes », s'approcha de Nicole étendue sur son lit sans mouvement, probablement en catalepsie. C'est en vain qu'il essaya de lui ouvrir la bouche. Il lui jeta alors dans la gorge une liqueur mal odorante, lui injecta de l'eau-de-vie dans les narines. Nicole, malgré cette médication et des frictions nombreuses sur les bras et sur les jambes, demeura insensible et raide comme un bâton.

Alors un prêtre alla chercher le Saint-Sacrement. Nicole, aussitôt, ouvrit les yeux et se mit sur son séant en faisant le signe de croix.

Les catholiques triomphaient, « ? mon Dieu, quel beau myracle ! ? disaient les uns. « Que je suis esmerveillé et joyeux de ce que j'ay veu ! Dieu soit loué ! » reparlaient les autres.

Quelques protestants, gagnés par le merveilleux, s'écriaient : « Maul-dits soient ceulx qui m'avoyent trompé ! Je ne suis plus huguenot. Que je cognois bien maintenant que la messe est bonne ! »

Peu de jours après, pendant la messe de la cathédrale, le diable abjuré dénonçait, par la bouche de Nicole, des protestants coupables d'avoir fait bouillir des hosties. Mais les contorsions et les cris de la démoniaque n'avaient pas convaincu les protestants endurcis, contre lesquels elle animait constamment la foule.

Ils disaient que tout cela était comédie et magie, et que « fes prebstres le faisaient pour mieulx vendre leurs messes et faire valoir le rnestier. »

Et l'exaspération était si grande entre les deux partis religieux, les désordres sanglants devenaient d'une telle gravité, que le gouverneur de l'Ile-de-France, le maréchal de Montmorency, ordonna l'éloignement de la possédée. On la transporta a Vaux, aux portes de Laon.

Cette solution, qui semblait donner gain de cause aux calvinistes, les engagea à pousser jusqu'au bout pour découvrir la supercherie. Une nouvelle indisposition de Nicole leur en fournit l'occasion. Deux médecins et un chirurgien furent commis par le siège présidial pour examiner la malade. L'histoire nous a conservé le curieux procès-verbal de leur mission.

Qu'il nous soit permis de citer cette curieuse pièce in-extenso : « Ce jourd'huy, jour de mars 1566, nous sousignés, docteurs on médecine et chirurgiens, demeurants à Laon, nous sommes transportés en l'abbaye et monastère du Saulvoir-soubs-Laon, auquel lieu avons trouvé en la grande court un charriot branslant, dedans lequel estoit une jeune femme asgée de seize ans, nommée Nicole Obry, gisant sur un lict, destituée de veue, de parole, de sentiment en ses parties, ayant tout le corps impotant à se soutenir, le poulx assez petit, rare et obscur, avec respiration semblable, chaleur médiocre et tempérée.

« A raison de quoy avons esté d'avis de la faire transporter dudit charriot en une chambre, où, estant gisante sur un banc, avons fait administrer ce qui s'en suict : luy ont esté faites frictions fortes de linge neuf aspre, rude et chault, assez longuement sur les jambes et

cuisses ; ont esté appliquées ligatures près des jointures des bras, jambes et cuisses, deux à chacun membre qui luy ont esté pareillement laissées assez longtemps ; puis ont esté tirez, agitéz et frottéz, les temples, aureilles et le nez, tiré le poil des temples et parties naturelles ; et luy a esté mis une grande quantité, de moustarde dedans la bouche, et lors agité et frotté la langue, le palais et aultres parties intérieures de la bouche, avec porreaulx, et ce assez longtemps, dont est distille de sa bouche quelque humeur crasse et vive. Et après luy avons mis et soufflé aux narines de l'hellebore blanc et de l'emphorbe, dont elle a esternué par cinq fois violemment, apparaissant aux yeux quelques larmes. Puis, en après, luy a esté frotté le palais avec le doigt de poudre de hyèble simple, et luy a eslé mis dedans la bouche de l'eau-de-vie, et réitéré de l'eau-de-vie meslée de ladite poudre, lesquels x*emèdes mis en la bouche, encore que la teste eust esté fort abaissée par derrière el agitée, n'en est distille en bas dedans le corps qui nous fust apparu, mais le tout demeurant en la bouche, »

« Puis luy ont esté ouvert les paupières, sans qu'il s'en soit apparu quelque apparence de mouvement. Enfin, avons esté d'avis de luy tirer du sang du bras dextre. Finalement, avons faict nos efforts de luy faire boire du laict nouveau tiré, luy emplissant la bouche de grande quantité comme alexipharmacque et antidot.

« N'est aussi à obmetlre que luy avons faict injection, dans les narines, d'une décoction faicte de vin, anis, porreau, mercuriale et marjolaine, et n'avons néanmoins aperçu aulcun effort de mouvement, sentiment, action ou meilleure disposition, étant demeurée dans le même estat comme auparavant » (1).

Les efforts des médecins demeurant sans résultats, on fit transporter Nicole à l'église de l'abbaye, où l'on célébra une messe. A l'élévation, la malade recouvra ses sens, et elle déclara n'avoir ni connaissance ni souvenir de ce qui s'était passé. Et, comme quelques instants après, on lui présentait un bouillon, au moment où la cuillère lui touchait la bouche, elle retombe dans l'état d'engourdissement dont on venait de la tirer.

Ce qui ajoutait au merveilleux, dans l'état de Nicole, c'est qu'elle n'absorbait jamais de nourriture. Les catholiques en concluaient qu'elle vivait seulement du précieux corps de Jésus-Christ, faisant allusion aux nombreuses hosties qu'on lui présentait pour la ramener à elle.

Mais un incident permit enfin de « descouvrir l'abus, » Expulsée de Laon, Nicole était reconduite ù Vervins par les gardes du prince de Condé. C'était la première fois qu'un prêtre, ou le jacobin de Lamothe. l'abandonnait — il est vrai alors, par force.

Pendant la première nuit du voyage, Nicole reprit tout à coup ses sens d'elle-même et demanda à manger aux gardes qui la veillaient.

(I) Histoire merveilleuse de Sicole, de Vervins, par Jean Boulœse (1578). Un vol. in-12. Biblioth. de Laon.

Le charme était rompu, et le prestige qui entourait Nicole détruit à jamais. Elle retourna à Vervins, et le silence se fit autour d'elle, laissant la légende se développer.

Tel est, raconté à grands traits, cet événement qui passa, dans le nord de la France, pour le plus merveilleux du XVIe siècle. Est-il nécessaire d'en tirer quelques conclusions, au sujet de la place qu'occupait déjà, sans valeur, il est vrai, la suggestion hypnotique ?

Ne servit-elle pas, de tout temps, bien qu'inconsciemment, ù des observateurs intelligents?

Aussi, ne devons-nous pas être surpris de voir utiliser cette arme redoutable, devenue maintenant un remède bienfaisant, par le prêtre, le psychologue par excellence, du moyen âge.

Guérison rapide, par transfert, d'une ancienne paraplégie d'origine diphtèritique datant de neuf mois, chez une jeune fille non hystérique. — Par le Dr J. Luys.

Mlle X..., âgée de 30 ans, sans aucune trace héréditaire, vit dans sa famille dans de bonnes conditions hygiéniques. II y a environ un an, elle fut prise d'une angine diphtéritique en soignant un de ses neveux atteint de la même maladie. Un traitement très actif lui fut appliqué, elle guérit au bout d'un mois. La convalescence fut longue et la débilité générale fut telle que la malade avait de la peine à se tenir debout, et à avaler les aliments. Le voile du palais était complètement paralysé et inexcitable. On employa successivement l'électricité, le massage, les aspersions froides. L'administration prolongée du fer, de l'arsenic, du bromure de potassium à l'intérieur ne produisirent aucun effet heureux.

La malade passa ainsi plusieurs mois, faisant à peine quelques pas dans sa chambre, dans un état stationnaire ; elle commença à devenir triste, découragée et à subir une dépression profonde. Un médecin neu-rologiste éminent appelé en consultation, constata les effets de l'empoisonnement diphtéritique, et comme il avait constaté un léger bruit de souffle au cœur, il pensa qu'il y avait un élément rhumatismal surajouté. Il conseilla l'usage du bromure de potassium. Cela ne fit rien à la maladie, et la malade, après neuf mois d'essais thérapeutiques infructueux, refusa de suivre toute médication.

C'est alors qu'elle me fut adressée dans mon service, à la Charité, le 11 février; et, le 17 du même mois, après avoir subi cinq séances de transfert, la paralysie avait disparu, la malade pouvait abandonner ses béquilles, elle était guérie en quelques jours !

Au moment de son arrivée, la malade était complètement impotente des deux jambes : pour lui faire faire quelques pas on était obligé de la soutenir sous les aisselles. Etant assise sur un fauteuil, elle glissait et

avait besoin d'être remontée par un aide. Pas d'incontinence urinaire ni de matières intestinales ; pas d'anesthésie cutanée.

La malade fut mise directement en communication avec un sujet-transfert mis en léthargie à l'aide d'un fort barreau aimanté : l'amélioration s'accusa de jour en jour ; à la suite de la première séance, les douleurs rachidiennes disparurent. Le lendemain, la malade put faire quelques pas ; à la suite de la cinquième séance, elle se tenait toute seule debout, mais elle ne pouvait pas encore progresser ; ce n'est que deux heures après ce premier résultat obtenu, vers midi, que l'impotence motrice avait tout à fait disparu. La malade était tout à fait guérie, elle marchait seule et exprimait ses satisfactions sous les formes de la reconnaissance la plus expansive.

La guérison s'était donc effectuée, comme je l'ai indiquée, en quelques jours. On constata au dynamomètre que la malade avait gagné 7 kilog. de la main droite, et 3 kilog. de la main gauche.

Pour maintenir les résultats acquis, nous continuâmes encore pendant quelques jours a faire du transfert, pour tranquilliser la malade sur la stabilité du résultat obtenu, et, après environ un mois de séjour à la Charité, la malade, complètement guérie, pouvant marcher seule, quitta l'hôpitel et repris ses occupations dans sa famille.

SOCIÉTÉS SAVANTES

CONGRÈS DES MÉDECINS ALIÉNISTES ET NEUROLOGISTES

(Sixième session, tenue à Bordeaux du 1er au 7 août 1895).

communications diverses

Action complémentaire de la suggestion hypnotique dans le traitement de l'ataxie locomotrice.

M. Bérillon (Paris). — Des expériences cliniques que nous avons instituées résulte la démonstration qu'il est possible, par l'action complémentaire de la suggestion hypnotique, de faire disparaître un certain nombre de troubles fonctionnels de l'ataxie locomotrice.

Cette action complémentaire ne se manifeste pas seulement sur l'état mental et l'état général. Son action propre se révèle :

1° En rompant des habitudes fonctionnelles défectueuses auxquelles le malade s'accoutume si facilement et auxquelles il ne peut se soustraire par l'influence seule de sa volonté ;

2° En rétablissant par une véritable rééducation les fonctions disparues ;

3° En ravivant la dynamogénie des cellules nerveuses et des fibres musculaires ;

4° En augmentant l'intensité des phénomènes vaso-moteurs corrélatifs de la nutrition des tissus ;

5° En limitant le champ des troubles fonctionnels et en réduisant ces troubles aux justes proportions que comporte la lésion ;

6° En provoquant l'apparition des phénomènes de suppléance ;

7° En dépistant les syndromes simulateurs qui, comme l'a si bien démontré Charcot, viennent se confondre avec les symptômes des lésions organiques et en faisant disparaître ces syndrômes.

En résumé, même dans les affections liées à l'existence d'altérations organiques, la suggestion hypnotique peut encore apporter un appoint thérapeutique qui n'est pas à dédaigner, étant données la faiblesse et l'impuissance des moyens curatifs dont nous disposons. Souvent, elle fait plus, car elle constitue un moyen précieux d'éclairer à la fois le diagnostic et le pronostic.

Les fugues chez les vagabonds et les impulsifs.

M. le prof. Pitres (Bordeaux).— Il y a quelques années, si un malade faisait des fugues et présentait quelques stigmates de dégénérescence, il était classé parmi les épileptiques. La question est devenue plus complexe. On peut envisager actuellement trois séries de faits.

Parmi ces sujets, les uns sont caractérisés par un besoin physique pur et simple de marcher ; les seconds par un besoin psychique ; les autres enfin ont des impulsions véritables.

I. Le besoin pur et simple de marcher, besoin physique, s'observe : quelquefois comme seul symptôme.

II. Le deuxième groupe comprend les vagabonds dont la psychologie est des plus curieuses. Une première variété est représemée par des « trimardeurs »; il vont de village en village, mendiant et maraudant, ne commettant guère que quelques atteintes contre la petite propriété et ne prenant pas une grande part à la criminalité. Ils ne travaillent jamais, c'est la paresse seule qui les engagea mener cette vie errante.

A côté des trimardeurs, il y a des ouvriers errants. M. Pitres vient d'en observer un qui a fait le tour de France quarante fois, se grisant, voyageant, travaillant jusqu'au jour où il touche sa paie; puis il se grise de nouveau et repart.

Une troisième variété est constituée par les hypochondriaques errants ; ceux-ci courent les hôpitaux de ville en ville pour se faire débarrasser de maux imaginaires.

La quatrième variété comprend des aliénés divers qui se déplacent sous l'influence d'une conception délirante, c'est ainsi qu'un paralytique général, par exemple, a pu faire 148 kilomètres en voiture sans désemparer, forcer le cheval qui tomba mort, continuer à pied cette course effrénée jusqu'à ce qu'on le ramena de vive force chez lui.

III. Le troisième grand groupe a trait aux impulsifs. Parmi ces derniers il faut faire trois subdivisions:

a) II y a d'abord l'impulsif conscient. C'est le sujet, par exemple, qui ù un moment donné, sans raison suffisante, sans aucun délire, sans perte de connaissance, part et fait quelques fugues de quelques heures ù plusieurs mois. Des faits de ce genre étaient rattachés à une certaine époque à la neurasthénie, à la dégénérescence mentale (la dromomanie de Régis).

b) Après eux viennent les impulsifs hystériques. On peut distinguer, ici deux ordres de faits. Il est des malades qui marchent au cours d'une crise hystérique, sous l'influence de leur délire. Les seconds malades sont plus intéressants. Ils ont été étudiés dans la thèse de Tissié, en 1886, où l'on trouve l'observation d'un hystérique bien connu, D...., qui à l'état de somnambulisme a fait des fugues multipliées dans tous les pays d'Europe. D'autres exemples ont été fournis par Proust, Raymond, etc. Dans ces derniers les malades sont dans leur état second et ne se souviennent de rien après la fugue. On peut faire revivre leurs souvenirs par l'hypnose.

Les faits de ce genre sont nombreux. Tous ces malades sont des gens qui ont un besoin impérieux de marcher ; si on ne donne pas satisfaction à ce besoin, les malades se fixent un but. peuvent résister, mais s'ils passent à l'état second, immédiatement ils partent.

c) Viennent ensuite les impulsifs epileptiques. Ceux parmi eux qui font des fugues soulèvent, un problème difficile à résoudre. Les cas publiés jusqu'ici prétent le flanc à la critique. L'état de conscience de ces malades en état de fugue n'a jamais été observé. Il est très difficile, dans l'hypothèse de mal comitial larvé, d'admettre cette conscience si lucide et si raisonnable qui permet à ces malades, pendant leur fugue, de ne pas éveiller l'attention publique, de satisfaire à tous les besoins de la vie. Cela cadre-t-il avec l'idée que nous nous faisons de l'état mental des epileptiques ? Peut-être porte-t-on le diagnostic d'épilcpsic par ignorance, et un examen plus approfondi du malade pourrait peut-être autoriser le diagnostic de l'hystérie ? C'est là un point à débattre dans l'avenir. L'hypnotisation pourrait peut-être, dans ces cas, aider à résoudre la question.

VARIÉTÉS

Saint Ignace de Loyola.

Un très grand personnage, que sa vie édifiante et l'immensité de son œuvre semblaient mettre à l'abri de toutes les critiques, nous apparaît chancelant sur l'autel monumental élevé à sa gloire par un peuple de fidèles.

Il ne s'agit de rien moins que du fondateurde la Compagnie de Jésus, saint Ignace de Loyola, premier général de l'Ordre.

Cet homme, dont la carrière, de l'aveu de Philarète Chasles, n'est pas moins merveilleuse rue celle de César ou de Mahomet, fut, comme tant d'autres célébrités sanctifiées, un visionnaire, un extatique, un halluciné, probablement un hystérique.

On trouve dans les biographies qu'ont laissées de lui ses plus fervents disciples de nombreux passages qui sont de nature à donner crédit à cette hypothèse.

Né en Espagne en 1491, dans la province de Guipuzcoa; d'abord page de Ferdinand V, menant une vie toute mondaine mêlée de nombreuses galanteries, il se battit bravement au siège de Pampelune (1521) où il reçut une blessure qui le rendit à jamais boiteux.

Dès lors, il se retira du monde, s'adonna à la lecture des livres pieux et mena une vie ascétique,

Il eut des rêves, des visions, des extases, et bientôt se crut appelé à la mission de propager le christianisme dans tout l'univers.

Ses austérités excessives, ses allures d'illuminé, ses récits d'apparitions merveilleuses, étonnèrent ses contemporains, mais les laissèrent longtemps incrédules.

On le vit s'armer Chevalier de la Vierge prèt à combattre un Maure mécréant; puis, exténué de misère et de souffrances, continuer cependant ses jeûnes et ses macérations. Enfin, hideux de malpropreté et couvert de haillons, il alla par humilité mendier son pain de porte en porte, sous les huées de la populace.

On le crut fou. Bientôt, on le crut mort.

II n'en était rien. Retiré dans une caverne, il vivait en anachorète et, un jour, il s'embarqua pour la Terre Sainte.

Là, il tenta d'entrainer quelques disciples pour mener à bonne fin ses vastes projets. On l'éreconduit : son ignorance le rendait incapable de défendre victorieusement ses idées.

Il eut à plusieurs reprises des crises de léthargie.

« Un samedi, à l'heure de compiles, il tomba en extase ; à cette vue grand nombre d'hommes et de femmes, le croyant mort, se disposaient à l'enterrer, si l'un deux n'eût constaté que son cœur battait encore faiblement. Ce merveilleux état dura jusqu'au samedi suivant, à la même heure. Alors, en présence de plusieurs personnes qui le gardaient, il ouvrit les yeux, et, comme réveillé d'un doux sommeil, il dit amoureusement : « Ah ! Jésus... »

Les hallucinations de la vue ou de l'ouïe reparaissent à chaque chapitre de son histoire.

« A l'office de Notre-Dame, il fut élevé en esprit et vit comme avec les yeux une image de la Trinité qui lui représentait d'une façon sensible ce qu'il sentait en dedans... »

Il vit Jésus, il vit la Vierge, les Anges, et les âmes de tous ses amis, et toujours ces visions resplendissaient dans une auréole de feu.

Souvent les hallucinations survenaient à la suite de jeûnes prolongés. Une fois qu'il resta sept jours sans prendre de nourriture, il se crut as-

VARIÉTÉS

sailli par les démons qui le rouaient de coups. D'autres fois, il chassait les diables avec un bâton.

Une nuit qu'il veillait, la glorieuse Reine des anges lui apparut, son cher Fils entre ses bras, l'éclairant de sa splendide lumière, le charmant de sa douce présence...

« Une nuit, comme il était à genoux devant l'image de la bienheureuse Vierge Marie... soudain le démon, croit-on,ébranla tout le château de Loyola d'une si étrange façon que les vitres des fenêtres de sa chambre furent brisées... »

Saint Ignace de Loyola fut aussi thaumaturge,

Les miracles opérés par lui sont innombrables (1).

« La nouvelle des merveilles que Dieu opérait par son serviteur à Azpetia ne tarda pas à se répandre. On accourait de divers lieux, souvent fort éloignés, pour lui présenter des malades.

« Une dame de Gamaya souffrait depuis des années d'une fièvre continue ; désespérée des médecins, elle était réduite par la phtisie à un tel état de faiblesse et de maigreur qu'elle n'avait plus que la peau sur les os. Ses parents, non sans peine, la transportèrent à Azpeitia, tremblant qu'elle ne vint à mourir en route. Quand ils arrivèrent, le saint prêchait au peuple. Ils entendirent le sermon, puis ils déposèrent à ses pieds la malade qui lut dit avec une grande foi : « Père, voyez en que, état je suis : donnez-moi votre bénédiction et priez Dieu de me rendre la santé, Il s'excusa, répondant qu'il n'était pas prêtre et qu'il ne pouvait la bénir. Cependant, vaincu par ses instances, il fit sur cette pauvre femme le signe de ta croix. A l'instant même, elle se trouva si bien portante qu'elle put d'elle-même regagner sa maison, bénissant Dieu du pouvoir accordé à son serviteur. Peu de jours après, elle revint lui offrir, en actions de grâce, des fruits et des poissons. D'abord, il ne voulut rien accepter et lui conseilla de vendre le tout pour en donner l'argent aux pauvres ; mais, pour [ne pas la contrister, il accueillit son petit présent et en fit largesse devant elle aux malades de l'hôpital. »

On peut supposer qu'il s'agissait là d'un cas d'anorexie hystérique, comparable à celui qu'ont récemment rapporté MM. Brissaud et Souques sous le nom de délire de Maigreur . Sous l'influence d'une vive impression morale, la guérison survient rapidement.

Voici encore d'autres miracles :

« Une honnête femme avait depuis fort longtemps un bras desséché au point de ne pouvoir s'en servir. Elle eut la dévotion de baiser la robe du Bienheureux Père, et aussitôt son infirmité disparut sans laisser de traces. »

Il s'agissait sans doute d'une contracture hystérique.

« C'est encore par la vertu du signe de croix qu'il délivra une femme possédée du démon, et une autre que le mauvais esprit obsédait de visions et d'horribles fantômes,

(1) Voy. Henry Meige et L. Battaille. Les Miracles de saint Ignace de Loyola, in Nouv. Iconogr. do la Salpétrière. N° 5. 1891.

Le nombre de possédés et d'énergumènes que saint Ignace de Loyola délivra du démon est considérable.

« Il y avait à l'hôpital (d'Azpeitia) un infirme nommé Bastida, qui, depuis de longues années, était atteint d'épilepsie (?). Les crises étaient fréquentes, et si violentes que plusieurs hommes pouvaient à peine le contenir. Un jour que sa furie était pire que jamais, le saint, qui était présent, s'approcha du malade, fît une courte prière, les yeux fixés au ciel, et toucha de la main la tête de Bastida. A ce contact, celui-ci ouvrit les yeux comme au sortir d'un profond sommeil, et se trouva si parfaitement guéri, que, de toute sa vie, il ne ressentit plus aucune atteinte de ce terrible mal. »

C'est une de ces guérisons d'attaque hystérique par l'imposition des mains, comme en sont peuplées les chroniques de l'époque.

Ces exemples suffisent à montrer que saint Ignace de Loyola peut, par ses visions, par ses extases, comme par les miracles qui lui sont attribués, prendre place à côté de tous les autres inspirés ou thaumaturges de la religion chrétienne.

Il le comprit, et, revenu en Espagne, se mit en devoir de parfaire ses éludes, malgré ses trente-deux ans.

Il no rougit pas de s'asseoir à l'école à côté des jeunes enfants, et il parvint ainsi à force de travail et de patience à combler les lacunes de son éducation.

Puis il voyagea de nouveau en France, en Italie, dans les Pays-Bas, etc., et bientôt il eut des adeptes. Sa persévérance, sa foi, son énergique volonté, et aussi le merveilleux dont il entourait son existence, attirèrent à lui quelques catholiques fougueux, inquiets des progrès menaçants du protestantisme, et rebutés par la discipline ignorante et farouche de l'Eglise du Moyen Age.

L'ordre des Jésuites, ébauché dans la chapelle souterraine de Montmartre, était, après bien des rebuffades et bien des hésitations, définitivement approuvé par le pape Paul III, en 1540.

Les soldats de la nouvelle milice furent éparpillés dans tous les pays du monde ; ils combattirent la Réforme, défendirent les papes, firent trembler les princes et les peuples, devinrent les maîtres du monde chrétien.

Et l'ancien page galant de la Cour, le mendiant bafoué par les gamins dans les rues, l'ascétique pèlerin de Jérusalem, devenu général de la Compagnie de Jésus, eut la suprême satisfaction de voir, avant sa mort, que son œuvre avait atteint, sinon dépassé, toutes ses aspirations.

Il est certain, si l'on en croit ses biographes (1), qu'Ignace de Loyola fut souvent atteint de troubles nerveux ou mentaux.

(1) Voy. en particulier : P. Ribadeneira. Vita Ignatii Loyolœ, societatis Jesu fon-daloris, 5 vol. l'édit. Naples, 1582. — Maffeio. De vita et moribus Ignatii Loyolœ ; Roui. 1585, et l'ouvrage moderne du P. Charles Clair : La vie de saint Ignace de Loyola. — Pion-Nourrit, 1891.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

La suggestion du suicide.

La Société de médecine de Berne vient de voter la décision suivante: ? Depuis 20 ans, la moyenne annuelle des suicides en Suisse est de C50 ; c'est une proportion qui n'est dépassée qu'en Saxe et en Danemark. On a pu observé, en outre, que, dans nos grandes villes, à intervalles plus ou moins longs, on voit se succéder coup sur coup un certain nombre de suicides dans lesquels le premier cas agit souvent à la manière d'une suggestion et pousse des esprits prédisposés à commettre le même acte de désespoir. Il serait donc à souhaiter qu'à l'avenir la presse quotidienne s'abstienne de parler des suicides. Cette résolution sera portée à la connaissance de l'Association de la presse suisse. »

L'intention est louable ; le rôle de la suggestion, en matière de suicides, n'est pas discutable, et les pays les plus civilisés, ceux où l'on lit le plus, sont aussi ceux où l'on compte le plus de suicides. Si en Saxe la proportion est de 311 par million d'habitants, et en France de 240, en Russie elle est seulement de 30.

Cas d'Hamlet au point de vue médico-légal.

Un magistrat américain, le juge Mac Dougal, a traduit le prince de Danemark à sa barre et, avant de le juger, a soumis son cas à un examen médico-légal complet.

Une étude attentive des paroles et des actes d'Hamlet l'amène à cette conclusion, qu'en dépit de son désespoir et de sa mélancolie, Hamlet n'en est pas moins « au civil et au criminel, absolument responsable de ses actes, et qu'il ne peut être considéré comme aliéné. »

Hamlet simule la folie ; il l'avoue et le déclare d'avance; « dès lors, dit le juge, il sait et il comprend parfaitement, depuis le commencement jusqu'à la lin. le but et la signification de ses actes aussi bien que de ses paroles. »

Au point de vue légal, toute la question est de décider si Hamlet savait qu'en vengeant son père il agissait contrairement à la loi.

La réponse ne fait pas de doute pour le juge Mac Dougal, qui déclare qu'en son âme et conscience, s'il avait eu à juger le cas, il n'aurait pas hésité à faire pendre Hamlet.

Evolution du sens chromatique chez l'enfant.

Garbini, dans les mémoires de l'Académie des sciences de Vérone, a étudié expérimentalement si et de quelle façon le sens chromatique se développe chez l'enfant.

L'enfant ne possède pas de prime abord un sens chromatique complè-

lement développe, mais il l'acquiert par un développement progressif. Il possède d'abord uniquement le sens de la lumière ; il apprend en premier lieu à voir les objets qui l'entourent et leurs mouvements. Au seizième mois, d'après Garbini, le sens chromatique commence à être excité. La sensation du rouge se développe d'abord en môme temps que celle du vert dans les parties centrales de la rétine ; la zone voisine de la macula et celle-ci elle-même reçoivent les perceptions plus tard.

La vision du rouge vert va du seizième au vingt-quatrième mois de la vie. Puis l'enfant prend connaissance du jaune qui se développe dans la troisième année, puis successivement de l'orange, du bleu, du violet, qu'il connait dans la quatrième année.

Entre cinq et six ans, la connaissance des couleurs est complète ; mais, chez les garçons, le sens chromatique est plus vile complètement développé que chez les filles. Celles-ci semblent plus tôt connaître le bleu et le violet.

Garbini a trouvé que, seulement une année après le développement entier du sens chromatique, l'enfant distingue les couleurs dans sa conversation.

Ces résultats concordent avec ceux de Preyer.

La mort apparente des fakirs indiens.

Ce sujet vient de donner lieu à un intéressant rapport présenté par M. Kuhn à la Société anthropologique de Munich.

Comme on le sait, les fakirs, c'est-à-dire les mendiants et les prestidigitateurs, qu'on devrait bien plutôt nommer yoguin, c'est-à-dire adeptes de la religion mystique suivant laquelle l'union spirituelle avec la divinité yoga peut se faire dans de certaines circonstances, les fakirs, disons-nous, pratiquent la mort apparente sur une large échelle. Bien que M. Kuhn estime que les cas authentiques doivent être très raies, il déclare cependant avoir observé deux de ces cas, dont l'authenticité ne saurait être mise en doute.

Il s'agit de deux fakirs, dont l'un avait séjourné vivant dans la terre six semaines, et l'autre dix jours. Pour l'observateur, l'état où se trouve le fakir, et qu'il provoque artificiellement, est en tous points identique à celui connu sous le nom de catalepsie, laquelle, on le sait, peut constituer une des phases de l'hypnotisme.

Pour arriver à cet état, les fakirs, qui sont évidemment des hystériques avérés, usent de tous les moyens d'entraînement : débilita-lion par un régime alimentaire spécial, emploi à l'intérieur de différents végétaux d'eux seuls connus, position spéciale du corps pendant de longues heures, etc. (Toutes les règles prescrites par la religion pour pouvoir entrer en communication avec la divinité se trouvent dans le livre indien Halhayoga praddîpikâ Strâtmàrâmas, traduit par M. Walter.)

Quand le fakir s'est suffisamment entraîné à ces pratiques, il lui suffit de se mettre par terre, et de prendre une des poses prescrites par le livre sacré pour tomber à l'état d'hypnose en regardant fixement le bout de son nez.

Les fakirs paraissent encore se servir du haschisch pour diminuer la force respiratoire, car cet hypnotique, associé à d'autres végétaux el employé d'une façon toute particulière, supplée au manque d'air et de nourriture.

Au début de l'hypnose, le fakir devient halluciné. Il entend des sons, il voit des anges, sa figure exprime un sentiment de béatitude. Mais petit à petit, la conscience disparait, et le corps acquiert une rigidité spéciale à mesure que « l'esprit va rejoindre l'âme du monde. »

En somme, comme l'a remarqué M. Schrenk-Notzing, dans le tableau décrit par M. Kuhn, il s'agit tout simplement d'auto-hypnose chez des personnes hystériques suffisamment entraînées. Mais les narcotiques ne sont sans doute pas pour rien pour engendrer chez les fakirs l'état d'hypnose.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Salnt-André-des-Arls. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique) est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des leçons pratiques sur les applications cliniques cl pédagogiques de l'hypnotisme.

MM. les Drs Valentin, Félix Regnault et Lagelouse, chefs des travaux, complètent renseignement donné à l'Institut psycho-physiologique par des leçons sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et renseignement qui y est donné en font comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale el de psychothérapie.

Une maison de traitement pouvant recevoir un assez grand nombre de malades permet d'y appliquer le traitement des névroses et des psychoses par le sommeil prolongé procédé de Welterstrand), et par le repos continu (procédé de Weir Mitchel).

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Troisième Congrès de médecine. — Le troisième Congrès de médecine se tiendra à Nancy, en 1896, sous la présidence de M, Pitres, doyen de la Faculté de Bordeaux.

Sont nommés vice-présidents : MM. Bernheim et Spillmann ; secrétaire général : M. Simon; trésorier : M. Staher.

Les questions qui y seront traitées sont les suivantes :

Coagulations sanguines intra-vasculaires. Pronostic des albuminuries.

Applications de la sérothérapie au traitement des maladies.

Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française. — Le prochain Congrès se tiendra à Nancy, en août 1896, et le suivant à Toulouse, en 1897.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dr von SCHRENCK-NOTZING. — Ein beitrag zur actiologie der contraren sexualempfindung. In-4°, 36 pages. Vienne, 1895.

Df Laupts. — Une perversion de l'instinct- — L'amour morbide, sa nature et son traitement. In-8°. 10 pages. G. Masson. Paris, 1895.

Dr H.-P. Blavatsky. — La clef de la théosophie, traduit de l'anglais. In-8°, 410 pages. 11, rue de la Chaussée-d'Antin. Paris, 1895.

Prof. Heniuco Morsei.li. — I disturbi della coscienza, in relazione con le dismnesie. In-4°, 30 pages. Firenze, 1895.

Dr Ed. Retterer. — Georges Pouchet. In-4°, 15 pages. Bureaux de la Revue Scientifique. Paris, 1895.

Drs Armand Corre et Paul Aubry. — Documents de criminologie rétrospective. In-4°, 580 pages. G. Masson. Paris, 1895.

L'dministrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

10· année. — n° 3.

Septembre i895.

0RGAN0PATHIES ET HYSTÉRIE

Irritation spinale d'origine hystérique ; guérison par la suggestion Par M. le Docteur Desplats, professeur à la Faculté libre de Lille.

J'ai présenté, il y a 6 mois, à la Société, un malade atteint subitement d'une monoplégie brachiale gauche à la suite d'un violent traumatisme et guéri à Lourdes, après six mois d'infirmité, lorsque tous les traitements s'étaient montrés impuissants à l'améliorer. L'analyse du fait m'avait amené à. admettre chez cet homme l'existence d'une lésion nerveuse (élongation ou contusion) et des troubles associés d'ordre purement dynamique relevant de l'hystérie traumatique.

Au moment où je vous le présentais, la sensibilité était parfaite, la motilité revenue, mais la force musculaire était moindre et les troubles trophiques encore très apparents.

Tout traitement avait été abandonné, et cet homme très courageux et poussé parlanécessité,avaituntravail assez pénible.

Il le continua pendant deux mois, mais de grands froids étant survenus, de vives douleurs apparurent dans le membre, en même temps qu'il bleuissait, s'œdémaliait et perdait sa force. Rapidement les douleurs remontaient jusqu'à la nuque et nécessitaient une nouvelle entrée à l'hôpital, le 7 février, et l'y retenaient jusqu'au 7 mars. Le repos, la chaleur et les applications de gaïacol calmaient rapidement les douleurs et, après quelques jours, le malade pouvait rendre quelques services dans la salle. On pouvait alors se convaincre que la sensibilité était parfaite ainsi que la contractilité et que les divers troubles trophiques de la peau et surtout des ongles, si marqués encore en décembre, avaient totalement disparu.

Pendant son séjour, le malade se plaignit d'un autre accident, qu'il avait déjà eu antérieurement, et qui le tourmentait et l'affaiblissait; je veux parler de pertes séminales, qui se reproduisaient une ou plusieurs fois par nuit avec ou sans rêves erotiques, et le laissaient très abattu au réveil. Je les combattis par des injections suggestives faites dans la région dorso-lombaire et très vite elles diminuèrent, puis disparurent tout à fait. Pour qu'il n'y eut pas de doute sur le mode d'action de l'agent employé, les injections furent faites avec de l'eau stérilisée contenant 0*r50 pour 100 d'acide phénique.

Le 7 mars notre malade se trouva assez bien pour sortir et entreprendre le métier de colporteur, qu'il put continuer pendant près de deux mois. Ses fatigues furent extrêmes, puisque à certains jours il faisait, quel que fût le temps, plus de 30 kilomètres en traînant une petite voiture sur laquelle était sa pacotille. II eut aussi de grandes préoccupations, de sorte que, graduellement, ses douleurs reparurent ainsi que ses pertes et qu'il dut rentrer à l'hôpital le 25 avril. Il était alors dans un état plus pénible que jamais. Ses douleurs rachidiennes et cervicales étaient très vives, son cou toujours raide et fortement fléchi sur la poitrine, la tête inclinée adroite et l'épaule du même côté très élevée. Le bras et Pavant-bras étaient le siège de vives douleurs et ne pouvaient exécuter ni supporter aucun mouvement. Sur toute la hauteur du rachis, particulièrement dans la moitié supérieure, la pression au niveau des apophyses épineuses était très douloureuse, très douloureuse aussi la pression des muscles du cou et du membre supérieur droit. L'irritabilité spinale se traduisait encore par un manque absolu de sommeil, une excitation génitale et des pertes séminales très fréquentes. Il existait aussi une trépidation épilep-toïde singulière : lorsque étant assis, le malade soulevait ses talons de manière à ce que le pied reposât sur le sol seulement par la partie antérieure, rythmique, rapide, il se produisait un tremblement vertical, bilatéral et continu qui ne cessait que lorsque le talon reposait de nouveau sur le sol; même phénomène lorsque le malade était debout et les talons soulevés : alors le corps entier était pris de tremblement et la station impossible sans un solide appui.

Je conservai, pendant plusieurs jours, le malade sans le traiter à cause de la photographie que je voulais prendre et son état ne se modifia pas ; toujours même douleurs. Ce n'est que le quatrième jour que furent pratiqués les badigeonnages

de gaïacol et leur effet fut surprenant. D'abord fait sur la nuque, en deux jours ils diminuèrent notablement les douleurs et permirent le redressement de la tête, qui restait encore inclinée à droite à cause de la contracture des muscles du cou. Deux autres jours suffirent pour faire cesser cette contracture. Il ne restait plus alors que les douleurs dorso-lom-baires qui furent combattues et vaincues par le même moyen. En même temps i gr. de sulfonal, donné le soir, ramenait le sommeil et le malade pouvait, après une semaine de traitement, se rendre utile dans la salle. Il ne lui restait plus que ses pertes séminales et sa trépidation épileptoïde. Elles furent traitées et rapidement guéries par les injections phéniquées et il put prendre les fonctions d'infirmier à la Maison de santé le 1er juin, fonctions qu'il a remplies depuis sans interruption.

Il m'a paru intéressant, Messieurs, de vous rendre compte des deux nouveaux séjours faits par ce malade dans mon service, parce que l'analyse des accidents qu'il a présentés vient confirmer l'interprétation soutenue par moi en décembre, interprétation contre laquelle des objections avaient été élevées.

Vous vous en souvenez, cet homme, en apparence robuste et très bien portant, avait été victime, au mois de mars précédent, d'un accident très grave, dans lequel son bras avait été fortement tiraillé et contusionné. De ce traumatisme il était résulté une paralysie complète qu'aucun traitement n'avait pu modifier. C'est après quatre mois de tentatives vaines que ce malade avait été soumis à mon examen, et les caractères de la paralysie, l'existence de l'hémianesthésie sensitivo-sensorielle et quelques accidents antérieurs m'avaient fait penser à l'hys-téro-traumatisme. Plus tard, après la brusque modification survenue dans le cours d'un pèlerinage à Lourdes, entrepris sur mes conseils, j'avais cru reconnaître chez ce sujet l'existence de deux sortes de troubles, les uns purement dynamiques, les autres organopathiques, et c'est cette interprétation que je vous avais proposée.

Tout depuis a confirmé ces vues : les troubles dus à la lésion nerveuse traumatique ont continué à se résoudre et il y a quelques mois qu'il n'en reste plus de traces. Quant aux troubles dynamiques, sous l'influence de nouvelles causes provocatrices ils ont reparu, mais, suivant la cause qui a agi, le siège a varié. Ainsi une première fois, en janvier, sous l'action du froid, le bras gauche, dont la vitalité était encore incomplètement rétablie, a été repris de douleurs, de cyanose,

de parésie, tandis que, sous l'influence du surmenage, sont apparues l'insomnie et l'irritabilité spinale se traduisant par de vives douleurs le long du rachis, des contractures, la trépidation épileptoïde et les pertes séminales, etc.

Si je n'avais été éclairé par la connaissance que j'avais déjà de ce malade, au lieu de recourir au traitement suggestif, qui fut si rapidement efficace, j'aurais prescrit d'abord des émissions sanguines locales, des révulsifs et la médication bro-murée et, peut-être, le résultat eût-il été nul, comme il arrive si souvent en pareil cas.

Les exemples ne sont pas rares, en effet, de troubles dynamiques qui compliquent de véritables organopathies, trauma-tiques ou infectieuses, qui résistent à tous les traitements et ne cèdent que lorsque le médecin en a pénétré la cause. Indépendamment du fait que je présente aujourd'hui, j'en ai déjà cité plusieurs autres frappants, permettez-moi d'en ajouter un de plus, observé dans mon service il y a quelques jours. Il s'agit encore d'un cas d'hystérie traumatique.

Le nommé F., Florimond, maçon, âgé de 52 ans, entre dans mon service, le 17 avril dernier. Il marchait très péniblement appuyé sur deux bâtons et se plaignait d'incontinence d'urine. Il faisait remonter ses accidents à un an au moins et les attribuait à une fracture de la colonne vertébrale pour laquelle il avait été traité dans le service de chirurgie. Les renseignements, pris à bonne source, nous apprenaient que le 28 mai 1894 ce malade avait été admis dans le service de M. le professeur Duret, après une chute, et qu'on avait diagnostiqué une fracture de la colonne vertébrale dans la région dorso-lombaire ; qu'on l'avait d'abord immobilisé dans une gouttière de Bonnet, puis dans une gouttière plâtrée, enfin qu'au bout de six ou sept semaines, on lui avait appliqué un corset de Sayre et qu'il était sorti marchant avec des béquilles. Peu à peu son état s'était amélioré et il avait pu remplacer ses béquilles par des bâtons; mais il était toujours incapable de marcher seul et il avait des troubles urinaires.

Je l'examinai attentivement dès son entrée et fus frappé des faits suivants :

En même temps qu'il avait de l'incontinence d'urine (il urinait goutte à goutte dans un urinai), ce malade avait une anesthésie complète de la verge, du scrotum et de la région périnéale voisine. Cette anesthésie n'était pas limitée à la peau et s'étendait à la muqueuse uréthrale, ainsi qu'on put s'en

assurer en pratiquant le cathétérisme. Le rectum et la région anale étaient aussi intéressés: le malade n'éprouvait jamais le besoin d'aller à la selle et, lorsqu'il y était allé, il ne savait pas, avant de s'en être assuré par la vue, s'il avait évacué. L'exploration par le toucher confirmait ces renseignements.

Les troubles de la sensibilité étaient aussi singulièrement distribués aux membres inférieurs : ils étaient localisés aux deux pieds et s'élevaient un peu au-dessus des malléoles, comme des bottines, et étaient limités par une ligne circulaire. L'anesthésie et l'analgésie étaient complètes, de sorte que le malade ne sentait pas le sol, ce qui expliquait les hésitations de sa démarche et les efforts qu'il faisait pour conserver l'équilibre.

Ces constatations me firent penser, dès le premier jour, qu'une part, au moins, des troubles présentés par ce malade était d'ordre purement dynamique, aucune lésion centrale ou périphérique ne pouvant expliquer la distribution des troubles sensitifs. Je résolus donc de recourir à la thérapeutique suggestive.

D'autres faits devaient pour cela me servir de guide, particulièrement celui de Joseph C...,que j'ai plusieurs fois cité et qui mérite d'être rapproché de celui-ci. Joseph C... était un jeune homme devenu paraplégique et chez lequel aucune médication n'avait agi, lorsque je constatai l'anesthésie delà verge, du scrotum, du périnée et de la muqueuse uréthrale.

Cette lésion me fit penser que nous n'avions pas affaire à une lésion organique et j'eus recours à la suggestion dont le succès fut remarquable.

Chez notre malade je procédai donc comme j'avais procédé chez Joseph C... Devant lui je parlai d'abord des bons effets obtenus, dans les cas semblables, par la métallothérapie, dont j'expliquai les modes d'application et l'action. Je citai des faits saisissants, puis j'en vins à lui et déterminai sous quelle forme l'application devait être faite. Pendant plusieurs jours on lui fit attendre et désirer la médication, puis on lui appliqua une ceinture de gros sous. Les effets furent rapides : d'abord le malade éprouva des fourmillements, puis une sensibilité obscure, enfin la sensibilité fut complètement rétablie, d'abord au pénis, puis à la verge et au scrotum, enfin au périnée. Pour cette dernière région il fallut ajouter des lotions au sulfate de cuivre, le cuivre étant le métal actif. Restaient l'anesthésie uréthrale et rectale qui furent graduellement guéries

l'une par l'introduction d'une tige de cuivre, l'autre par l'usage de petits lavements contenant une petite quantité de sulfate de cuivre. Les troubles de la sensibilité guéris, les troubles de la motilité disparurent graduellement et le malade put renoncer à son urinai. Le même traitement fut appliqué à la guérison de l'anesthésie des pieds, malheureusement il ne put être continué, le malade ayant quitté le service malgré notre avis.

A ces faits je pourrais en ajouter d'autres, mais cela me parait inutile, l'association des troubles purement dynamiques et des organopathies étant désormais bien établie.

Il y aurait bien un autre point important à aborder, sur lequel j'appelle souvent l'attention dans mes visites quotidiennes, je veux parler des caractères qui permettent de soupçonner d'abord, d'affirmer ensuite que les accidents observés sont d'ordre dynamique et non liés à une lésion d'organe, mais cette question est trop importante pour être traitée accessoirement et à la fin d'une communication. Je vous demande la permission d'en faire prochainement l'objet d'une communication spéciale.

AUTO-SUGGESTION ET CONTRE-SUGGESTION

La suggestion thérapeutique.

Deuxième conférence clinique, par M- le professeur Bersiieiu, de Nancy.

Pour que la suggestion existe, il faut que l'idée qu'on veut imposer au cerveau soit par lui acceptée. Mais tous les cerveaux n'acceptent pas toutes les idées. Autant de sujets, autant d'individualités psychiques, autant de modes divers de suggestibilité.- Il en est qui sont absolument rebelles, parce qu'ils se refusent catégoriquement à tout essai d'hypnose ; cependant, ils sont suggestibles, et si l'on déguise la suggestion dans une pratique instrumentale, électrisation, massage, médication, on peut réussir à obtenir des effets thérapeutiques. J'ai guéri par des médications inertes, nombre de sujets affectés de douleurs, d'insomnie, d'aphonie nerveuse, etc., qui ne voulaient pas se prêter à l'hypnose directe. Il en est qui sont en apparence dociles; ils se prêtent machinalement à l'essai hypnotique, mais de corps seulement; l'esprit n'y est pas. Les paroles et les gestes n'ont aucune influence sur eux ; leur état

AU??-SGGESTION ET CONTRE-SUGGESTION

cérébral est inerte; ils se suggèrent consciemment ou inconsciemment qu'ils ne sont pas influencés. L'auto-suggestion les domine ; leurs sensations douloureuses ou leurs idées personnelles les obsèdent au point que ni la parole, ni la suggestion déguisée ou matérialisée ne peut les actionner. Ils restent rebelles, malgré leur bonne volonté apparente.

Il en est d'autres qui ne peuvent résister à la suggestion du sommeil ; ils sont pris, quelquefois sans le vouloir; ils arrivent même en sommeil profond, avec amnésie au réveil ; ils peuvent être hallucinables. On pourrait croire que, dans cet état, la suggestion thérapeutique doive toujours réussir, quand il s'agit d'un trouble dynamique susceptible d'être réprimé par la suggestion. Il n'en est pas toujours ainsi. On peut observer alors deux variantes de résistance : les uns, tant qu'ils sont dans le nouvel état de conscience qu'on appelle hypnose, sont influencés malgré eux. On arrive, par persuasion, à briser cette résistance, à neutraliser, par exemple, la douleur qu'ils accusent. Mais lorsqu'ils sont réveillés et revenus à l'état de conscience normal, l'effet obtenu ne persiste pas ; l'auto-sug-gestion reprend le dessus et régénère la douleur. Tel était le cas du garçon que je vous ai montré qui avait des douleurs abdominales engendrées par l'idée du ver intestinal ; je l'endormais malgré lui ; j'enlevais sa douleur malgré lui. Mais, une fois réveillé, son imagination évoquait de nouveau la douleur.

Les autres, même pendant l'hypnose, ne laissent pas déraciner la douleur ; ils s'endorment avec l'idée consciente ou inconsciente de la conserver; ils sont suggestibles pour tout, excepté pour cette douleur; leur esprit reste en éveil sur le phénomène morbide et l'entretient. La suggestion appelle la contre-suggestion.

Voici, comme exemple, deux jeunes gens qui représentent les dégrés extrêmes de docilité et d'indocilité à la suggestion thérapeutique.

Le premier est un typographe, âgé de 17 ans, lymphatique, nerveux, pâle. Il est venu hier à la consultation, accusant depuis huit jours une douleur abdominale des deux côtés de l'ombilic ; elle est lancinante, et s'exagère spontanémeni deux à trois fois par jour, durant une à deux heures; on la développe par la pression ; elle ne l'empêche pas de dormir; elle ne le réveille pas pendant la nuit. Il mange bien, digère bien, ne présente pas d'autres troubles fonctionnels ; il n'a jamais

été malade, dit-il ; mais il est nerveux et impressionnable. Hier, je l'ai endormi par simple parole, en sommeil profond, avec amnésie au réveil. Interrogé sur la cause de cette douleur pendant son sommeil, il l'a rapportée à un effort fait en portant une lourde charge. Je lui ai suggéré la disparition de cette douleur. Au réveil, il ne la sentait plus et ne l'a plus ressentie depuis. Voyez la physionomie de ce jeune homme; elle témoigne d'un abandon, d'une passivité absolue ; elle exprime la douceur, la crédivité ; aucune ride, aucune velléité de résistance. Je dis : « Il va dormir. » Ses yeux restent rigides, puis se ferment. Il est hallucinable ; je lui fais boire du lait fictif. Je dis : « Il va se réveiller. » Ses yeux s'ouvrent ; il ne se souvient de rien. Il est certainement suggestible à l'état de veille. Je lève son bras ; il ne peut plus le baisser. Voici la catalepsie à l'état de veille. Il essaye en vain d'abaisser son bras. Je dis : « Ton bras est insensible, tu ne le sens plus. » Je le pique en effet avec une épingle ; il ne sent rien. Je lui donne une hallucination rétroactive : « Hier, tu étais à l'atelier ; tu t'es battu avec un de tes camarades ; il t'a donné un coup de poing sur le nez; tu as saigné. Raconte-moi comment cela s'est passé. » En quelques secondes, le souvenir tictif existe; le jeune homme est convaincu que c'est arrivé. Voilà la suggestibilité extrême, dangereuse pour lui au point de'vue moral, heureuse au point de vue thérapeutique ; elle a permis d'enlever instantanément et définitivement sa douleur.

Voici l'autre jeune homme, qui est entré à la clinique le 8 décembre. Confiseur, âgé de 17 ans, il est malade depuis le 7 décembre. Il se serait refroidi, pense-t-il, étant en sueur ; il grelotta et ressentit tout de suite une douleur poignante qui traversa transversalement l'abdomen. Avant de s'être refroidi, depuis deux ou trois jours, il aurait eu déjà un mal de tête frontal et à la nuque persistant encore aujourd'hui. Le 8 décembre, il dut arrêter son travail, et ressentit en outre une douleur à la région lombaire. Il n'a pu dormir depuis le début de la maladie. Comme antécédents morbides, il accuse une pleurésie, il y a cinq ans; mais, depuis lors, il a été bien portant...

C'est un garçon assez grand, maigre, la face effilée, pâle, d'une constitution délicate, d'un tempérament lymphatico-nerveux.

Le 8 au soir, à son entrée, la température était à 37°4, le

pouls à 108 ; le 9, au matin, temp. 37e, pouls, 88 ; le 9, au soir, temp. 37°8,le pouls à 116.

Les jours suivants, la température est normale, sauf une poussée à 38° le 12 au soir; les urines étaient chargées à son entrée.

Il accuse surtout une douleur abdominale vive, spontanée et à la pression, au niveau et au-dessous de la région ombilicale. Cette douleur est très vive à la pression. Je la localise à volonté dans la région sus-inguinale droite; il contracte les traits et réagit douloureusement quand je comprime légèrement cette région;je puis aussi la localiser au-dessus de l'aine gauche. Le ventre est d'ailleurs souple, sonore normalement et ne présente aucune tumeur.

11 répond, sur ma demande, qu'il n'a pas de douleur en urinant. L'appétit est médiocre ; les digestions bonnes, les selles normales. En outre, céphalalgie frontale et bi-temporale et douleur à la nuque. L'examen du thorax ne présente rien d'anormal ; il ne tousse pas, ne crache pas, n'a pas de sueurs nocturnes.

Je pense qu'il s'agit d'une influenza à forme douloureuse : nous avons plusieurs cas analogues au service et dans la clientèle civile. Il y a deux ans, il a eu déjà l'influenza avec céphalalgie, douleurs abdominales et diarrhée pendant quinze jours.

Je l'endors facilement en sommeil profond, avec amnésie au réveil, le Ï0 décembre; mais je lui suggère en vain la disparition des douleurs. J'applique les mains sur la région douloureuse, j'affirme que la sensibilité disparait, qu'il ne sentira plus rien. Mais sa figure maussade, rechignée, indique qu'il n'accepte pas la suggestion. Interrogé pendant son sommeil, il dit avec insistance qu'il sent toujours la douleur.

Le lendemain 11, la douleur de tête a presque disparu; mais, à l'abdomen, elle est toujours très vive à la pression; elle occupe nettement les régions sus-inguinales, surtout la droite. Chose singulière! Il a un frère qui est couché au service et qui a la douleur à la même région. Il a voulu se lever hier, mais il a eu des vertiges ; la tête lui a tourné. Nouvelle suggestion.

Le 12, il accuse toujours sa douleur à la partie inférieure du ventre, surtout à l'aine droite et dans la région rénale. De plus, le mal de tête a reparu hier soir. Il résiste aux tentatives de suggestion; on arrive cependant à le mettre en sommeil

profond ; mais on ne peut lui dé suggestionner ses douleurs ; on voit que son idée est faite ; il s'entête à la maintenir.

Le 14 et le 15, le malade accuse, de plus, une sensation de brûlure en urinant; il urine souvent, dit-il, et peu à la fois. Les urines sont d'ailleurs claires et normales. Cette sensation de brûlure est-elle l'effet d'une auto-suggestion consécutive à l'idée que je lui ai donnée le 9, quand je lui ai demandé s'il avait de la douleur en urinant?

Les douleurs abdominales sont plus vives ; il les indique à la région ombilicale, d'où elles s'irradient jusque dans les aines. Il prétend que le ventre devient par moments très dur.

C'est une neurasthénie qui parait se généraliser. Il accuse en outre une douleur dans la colonne vertébrale, depuis le sacrum jusqu'à la région cervicale. La pression la développe surtout dans la région lombaire. 11 dit que, depuis un mois, il a tous les $ ou 3 jours de violentes douleurs dans le genou droit ; d'autres fois il aurait de l'engourdissement et des fourmillements dans les membres inférieurs. Hier et avant-hier, il a eu constamment son mal de tête frontal et occipital ; il a essayé de se lever, mais il a eu du vertige, et serait tombé s'il ne s'était recouché. Par moments, il sent encore une constric-tion laryngée. Quand il a mangé, il sent une douleur dans la région épigastrique, « comme si cela ne pouvait pas digérer. »

Tel est son état aujourd'hui, 16 décembre. Vous voyez que je l'endors facilement. Il est en sommeil profond ; il ne se souviendra de rien au réveil. Mais jusqu'à présentée n'ai rien pu obtenir par l'hypnose. La sensation douloureuse est incarnée dans son cerveau. Consciemment ou inconsciemment, il ne se la laisse pas déraciner. Est-ce l'effet de la maladie qui crée cet état psychique particulier qui le rend indocile, qui le fait retenir ses impressions, envers et contre toutes les suggestions ? Est-ce l'effet de sa nature morale, de son caractère? Je le crois, à en juger par l'exemple de son frère dont je vous relaterai l'histoire tout à l'heure. Voyez cette expression de physionomie spéciale, pointue, raide, revéche, comme son caractère. Plus on s'acharne à le persuader qu'il ne souffre pas, plus il réagit en sens contraire par contre-suggestion instinctive, plus il démontre et affirme d'un ton tranchant qu'il a toujours mal.

Devant cette fin de non recevoir, devant ce parti pris inhérent à l'individualité psychique de notre sujet, que faire? Nous obstiner à faire de la suggestion directe, serait aller contre le but, serait exciter le malade à faire de l'auto-suggestion, c'est-

à-dire à renforcer et à perpétuer ses impressions morbides en les vissant de plus en plus dans son système nerveux. Nous ne pouvons pas prendre le (aureau par les cornes. Tournons la difficulté. Faisons de la suggestion sans en avoir l'air. Le malade est certainement suggestible ; la preuve, c'est qu'il se suggestionne lui-même ; la preuve, c'est qu'il est hypnotisable. Mais il faut adapter la suggestion à son mode spécial de sug-gestibilité ; au lieu de contrecarrer ses idées arrêtées, acceptons-les et tâchons de l'influencer suivant la tournure de son esprit en lui suggérant une façon de guérir qui ne soulèvera pas d'objection. Je lui dis, pendant son sommeil: « Je vois bien, mon ami, que je ne peux pas enlever tes douleurs par la suggestion. Tu as une influenza; cela guérira tout seul. Tu as une bonne nature ; tes organes ne sont pas malades. Les douleurs nerveuses que tu as guériront toutes seules. Il faudra, sans doute, un peu de temps pour cela. La maladie suit son cours, mais elle guérira certainement, grâce à ta bonne constitution. Tu sens bien que tu guériras tout seul. » II fait un signe affirmatif qui prouve que nous touchons la corde sensible, que nous donnons dans ses propres idées.

Le lendemain, 17, il trouve que le mal de tête n'a pas diminué, mais il a moins de vertige, il souffre moins de l'abdomen, bien que le ventre soit toujours très sensible à la pression. Il a toujours un peu de contriction à la gorge. Il a moins de douleur en urinant.

Le 18, il dit qu'il a pu dormir la nuit, il n'a plus mal en urinant, le mal de tête est moins violent. Il a eu hier dans l'après-midi une douleur autour de la rotule droite; il nous montre une bosse qu'il a constatée hier dans la région sus-inguinale droite, semblable, dit-il, à celle constatée chez son frère. Cette région est douloureuse à la pression. La prétendue bosse n'est autre chose qu'une saillie musculaire normale du ventre débordant dans les deux aines. Je lui dis que ce n'est rien et je n'y attache aucune importance ; que c'est le ventre relâché par suite des selles qu'il a eues ; il a été purgé hier. II ne veut plus se laisser hypnotiser, parce qu'un élève, hier, pendant le sommeil, Ta piqué avec une épingle et lui a fait mal. Je n'insiste pas, et je dis : a C'est inutile. Je ne t'endors plus. Cela guérira tout seul. »

Le 19, il se sent un peu mieux, d'une façon générale, mais il n'a dormi que jusqu'à minuit. II accuse toujours des douleurs sus-inguinales; sa bosse l'inquiète toujours. Cependant, il mange bien. Les maux de tête sont toujours intenses. Je con-

tinue la suggestion à l'état de veille, sans en avoir l'air, affirmant que tout cela doit disparaître, la maladie suivant son cours et devant aboutir toute seule à la guérison, mais qu'on ne peut pas forcer la chose.

Le 20, même état. Il me raconte qu'il y a deux ans un mal de tête analogue a disparu, après qu'il eut pris trois pilules données par un pharmacien. Je lui prescris trois pilules avec 1 centigramme d'extrait de valériane, en affirmant que ce sont les pilules antinévralgiques qu'on donne dans ces cas.

Le 21, il dit avoir dormi cette nuit La tête va mieux. Les douleurs de ventre sont également moins fortes. J'évite d'ailleurs de les réveiller par la pression.

Le 22, le mal de tête disparait un peu; la douleur de ventre a presque disparu. Le ventre n'est plus sensible à la pression. Continuation des pilules.

Le 23, le mal de tête est un peu passé, ainsi que le mal de ventre. Mais il accuse, depuis le 2i, une douleur dans les mollets, surtout quand il est levé. A la pression, la partie postérieure des jambes est très douloureuse, jusque dans leur quart inférieur. Je dis que cette douleur est liée à la maladie et qu'elle disparaîtra comme celles de la tête et du ventre, qui ont à peu près disparu.

Même état les jours suivants.

Le 26, il dit que depuis avant-hier le mal de tête est revenu malgré les pilules. De plus, il a mal au larynx quand il respire. Les douleurs dans les jambes existent toujours; de plus, les genoux sont sensibles ; ils ne sont pas tuméfiés ; les mouvements de l'articulation sont libres et ne révèlent pas de douleur. Il accuse aussi un point sous le mamelon droit. J'apprends que sa sœur, qui est tuberculeuse et, de plus, une névropathe accomplie, a, depuis quelques jours, des douleurs vives de pseudo-sciatique dans les deux membres inférieurs. Je me contente d'affirmer que ce sont des douleurs rhumatismales nerveuses qui ne sont pas inquiétantes et se dissiperont spontanément, que la maladie tire à sa fin.

28. Hier, le malade accusait de nouveau son mal de tête et ses douleurs de mollet. Aujourd'hui, point sous le sein droit,, douleurs au front, à l'occiput, à la face postérieure des jambes-La douleur de ventre a disparu. Il a pris hier six pilules sans résultat. J'ordonne de les supprimer, puisqu'elles ne font plus rien. Je dis que, malgré ses douleurs, il peut se lever, s'il veut; la maladie va se terminer.

Le 29, il va un peu mieux d'une façon générale. La douleur des jambes a un peu diminué. J'affecte maintenant de passer vite devant son lit, en disant : « Cela va mieux. Les douleurs diminuent. » Je ne lui prescris rien que de bien manger et de bien boire, pour prendre des forces, pour engraisser, pour se faire du sang et avoir plus de couleur. « Allons ! bientôt tu pourras refaire de la bonne confiserie. »

Le 30, il va mieux. Les douleurs ont notablement diminué. Les jours suivants, il continue spontanément à se sentir mieux, il ne se plaint plus.

Le 4 janvier, il n'accuse plus que des démangeaisons dans tout le corps, principalement dans les jambes, mais n'a plus de douleurs. Il reste levé toute la journée. Je prescris des lotions à l'eau-de-vie camphrée chaude. La convalescence continue. J'évite toujours de réveiller sa contre-suggestion en m'occupant le moins possible de lui, en le considérant comme convalescent. On ne détermine plus d'ailleurs aucune douleur à la pression.

Le malade quitte l'hôpital, guéri, le 12 janvier.

Il s'agit, on le voit, d'une influenza à forme neurasthénique ou névropathique douloureuse qui a persisté plus de trois semaines. J'ai vu, depuis deux ans, beaucoup de ces névropathies devenir chroniques et se généraliser, en dépit de tous les traitements médicamenteux. Je ne voudrais pas affirmer que notre malade n'ait pas guéri spontanément, par le fait de l'évolution naturelle de la maladie : mais j'ai vu si souvent les symptômes, douleur, vertige, maux de tête, atonie morale et physique, survivre à la cause qui les avait engendrés, retenus par l'impressionnabilité nerveuse de certains malades, à la faveur aussi d'une thérapeutique mal appropriée à l'état psychique, que je ne puis m'empêchèr d'appeler votre attention sur ce suiet.

Voilà un garçon hypnotisable et qui, malgré l'état hypnotique, reste rebelle à la suggestion directe. S'obstiner, dans ce cas, eût été une erreur préjudiciable. De même qu'il existe des malades qui ne supportent pas le lait et le vomissent, qui ne sont pas soulagé par la morphine, qui se sentent surexcités par le bromure, qui ressentent, à la suite de tout médicament, des effets nerveux que leur imagination crée ou grossit à leur insu, de même il en est qui se regimbent ou réagissent en sens inverse en face d'une suggestion directe. En leur cachant la médication sous une autre apparence, en leur administrant

la morphine ou le bromure sans qu'il s'en cloute, sous forme d'une potion qui est censée ne contenir qu'une substance inoffensive, souvent on empêche l'effet auto-suggestif de la médication. En faisant la suggestion sans en avoir l'air, en faisant entrer l'idée curative dans le cerveau par voie détournée, sans paraitre faire de la suggestion, quelquefois même en ne s'occupant plus du malade, de façon à bien lui démontrer qu'on n'attache pas d'importance à sa maladie, c'est encore une façon de faire la suggestion, on arrive au but.

L'histoire du frère de notre malade, traité au service un peu avant lui, montre bien que l'imitation a joué un rôle dans les phénomènes d'auto-suggestion.

Terrassier, âgé de 26 ans, il est entré à la clinique le 17 novembre, malade depuis quinze jours. L'affection a débuté par des points très douloureux dans la région sus-inguinale et sous-ombilicale droite. Il dut arrêter son travail pendant deux jours, essaya de le reprendre, mais dut arrêter de nouveau. Depuis trois jours, la douleur abdomidale est devenue plus intense, il ne peut se pencher en avant. Il aurait eu en même temps de la céphalalgie frontale et du vertige ; enfin, depuis huit jours, l'appétit a diminué progressivement; depuis trois jours il est totalement perdu.

Comme antécédents, il accuse, en 1884, une pleurésie qui dura plus de deux mois ; depuis, il a conservé une douleur à la partie inférieure de l'aisselle. De plus, durant son service militaire dans le Midi, il aurait eu pendant deux mois des accès de fièvre intermittente : l'année dernière il aurait eu pendant trois semaines, la fièvre tous les jours. Il a d'ailleurs fait, étant soldat dans le Midi, des abus d'absinthe considérables, auxquels il aurait renoncé depuis un an qu'il est revenu du Midi.

D'une constitution délicate, d'un tempérament lymphatique, très pâle, maigre, il parait détérioré par les excès plus que par les maladies. A son entrée, le 17 au soir, la température était à 38°; le 18 au matin, elle est à37°6 ; la langue est grisâtre. Le thorax est bien conformé, la sonorité est normale. Sous la clavicule droite, l'inspiration est assez rude et l'expiration prolongée. Depuis 8 jours, sueurs nocturnes. Le ventre, partout sensible, est très douloureux dans la région sous-ombilicale droite. Cependant, on ne constate aucun empâtement. Le soir, la température est à 37°8, le pouls à 96.

Le 19, au matin, elle est à 37°2; le soir, à38°2; elle continue à être fébrile à 38°, le soir jusqu'au 23; puis redevient normale

matin et soir. A son entrée, il avait de la constipation depuis trois jours. Il a une bonne selle à la suite d'un lavement.

La douleur abdominale continue, intense, les jours suivants, dans une étendue de deux à trois travers de doigt au-dessus de l'aine. La pression de cette région fait pousser des cris au malade ; il ne dort pas la nuit. Nous pensons d'abord à une ty-phlite stercoralè, mais les selles sont redevenues normales, régulières ; on ne constate aucune tumeur. L'appétit redevient normal ; la digestion est bonne. La persistance de la douleur en l'absence d'autre trouble fonctionnel nous fait penser qu'il ne s'agit que d'une neurasthénie douloureuse consécutive à l'influenza. L'entrée au service de son jeune frère présentant la même douleur avec les mêmes caractères de ténacité vient corroborer ce diagnostic.

Nous essayons la suggestion hypnotique; il s'y prête d'assez mauvaise grâce, arrive cependant en sommeil profond, avec amnésie au réveil. Mais il accuse toujours la douleur et ne se laisse pas désuggestionner. La suggestion est répétée plusieurs fois, sans résultat notable. L'état reste stationnaire.

Cependant, le 12 décembre, il accuse un certain mieux ; il a dormi cette nuit de 8 heures à minuit et de 2 à 5 heures. Mais si on l'interroge relativement aux douleurs, il dit ressentir encore par moments des élancements douloureux dans la région sus-inguinale droite; on peut, par suggestion, localiser un point particulièrement douloureux dans cette région. Un autre point douloureux est celui qui existe depuis la pleurésie au-dessous du sein droit : il revient pendant une heure matin et soir.

Enfin la région hypochondriaque droite est aussi douloureuse. La région axillaire droite est très sensible à la pression dans sa partie inférieure depuis le 7e espace. Le soir, dit-il, le ventre enfle beaucoup. Après le repas du soir, la douleur abdominale serait beaucoup plus forte pendant une heure. On ne constate rien à l'examen du ventre et de la poitrine; la température est normale. La sœur du service nous dit que le malade mange de bon appétit.

Son aspect est toujours maussade et grincheux. J'essaie en vain de lui expliquer qu'il n'y a pas de lésion ; et pendant le sommeil suggéré, je m'évertue à lui persuader que la douleur doit forcément disparaître. Il répond toujours avec obstination qu'elle existe toujours ; aussitôt que je touche la région affectée, on voit qu'il évoque la sensation douloureuse et contracte ses traits. Au réveil, son premier mot est qu'il a toujours mal ;

il semble irrité de ce que j'ai l'air de supposer que la douleur pourrait ne pas exister.

Je lui fais une admonestation vigoureuse;je lui disque puisqu'il mange bien et va bien à la selle, puisque je ne constate aucune lésion, il est certain que la douleur est purement nerveuse ; que s'il veut bien m'écouter et avoir confiance, elle disparaîtra certainement, sinon tout de suite, au moins en quelques jours.

II reste sombre et grincheux ; ne pouvant et ne voulant pas se délivrer de son obsession douloureuse, vexé de mon admonestation et de la façon légère dont je traite sa douleur, il quitte l'hôpital le 15 décembre.

J'apprends par son frère, qui quitte l'hôpital guéri le \ 1 janvier, que sa douleur abdominale existe toujours.

L'existence de douleurs analogues chez les deux frères montre bien qu'elles sont créées par l'influence psychique. Chez les deux d'ailleurs, même caractère, même mode de suggesti-bilité; ces deux hypnotisables n'acceptent pas, en état hypnotique, la suggestion thérapeutique; lesdeuxentêtés, dans leurs idées et leurs impressions, réagissent dans le sens de leur auto-suggestion. Instruit par l'expérience de ce dernier qui a quitté l'hôpital, blessé par mon admonestation et par l'effort vigoureux queje tentai pour redresser son imagination malade, échappant ainsi à la guérison, je me décidai alors à traiter son frère, le premier dont j'ai relaté l'observation, par la douceur, tournant la difficulté, évitant la suggestion directe, et donnant dans ses idées, en affirmant que je n'y pouvais rien, ce qu'il accepte volontiers, mais que cela guérirait tout seul, ce qu'il accepta aussi, suggestionné peut-être, quand même, sans le savoir.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 20 Mai 1895. — Présidence de M. Dcmontpallieh.

De la détermination du caractère par la graphologie.

Far M. Varinard, directeur de la Graphologie.

¦ Le caractère, dit S. Smlles, est » l'ordre moral vu par l'entremise * d'une nature Individuelle. >

Définir le caractère de quelqu'un,-c'est avoir une connaissance suffisante des dispositions, penchants, aptitudes, pour savoir comment il se comportera dans un cas donné; pourquoi il agira d'une façon plutôt

que d'une autre; en un mot, c'est essayer de prévoir ses déterminations.

On comprend quel avantage, à tous les points de vue, tant pratique que simplement spéculatif, peut avoir la science des caractères, c'est-à-dire la connaissance de l'ensemble des lois qui permettraient de tracer le portrait des mœurs, des habitudes ; en un mot, la vie d'une personne.

Celte science n'existe pas d'une manière absolue; de tous temps, les efforts de l'intelligence humaine ont tendu à en établir les bases, mais on ne peut prévoir une science de l'individuel pas plus au point do vue psychique que physique.

Pourtant, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'à l'un et l'autre de ces deux points de vue tout se tient, et que tous les éléments constitutifs d'un caractère comme ceux du physique s'harmonisent en se composant, suivant des lois, pour former un tout par une mutuelle attraction, car l'âme est une aussi bien que le corps.

Ces lois sont celles de la psychologie pour la personnalité morale ; celles de la biologie pour l'individualité physique.

Comment peut on déterminer un caractère?

Un seul procédé est à la disposition du moraliste, l'analyse et ensuite la synthèse ; cette dernière, du reste, n'étant que le complément de la première.

La première opération consiste à isoler tous ces éléments, afin de pouvoir les distinguer et ensuite les grouper, les classer suivant certaines catégories. On a distingué ainsi trois facultés : l'intelligence, la sensibilité et l'activité, qui ne forment pas trois formes distinctes et indépendantes ; car elles se pénètrent mutuellement et n'agissent jamais l'une sans l'autre.

Le premier travail est le résultat de l'observation; le second est une application des lois psychologiques.

Ce premier travail ne peut s'opérer que par l'étude de toutes les actions d'une personne, opération fort difficile et qui exige une foule de renseignements, dont l'exactitude n'est pas toujours justifiée.

Johnson prétend que pour écrire la vie d'un homme, il est nécessaire que le biographe l'ait connu personnellement et même intimement, et, dit-il encore : « Si un homme prétend écrire la vie de quelqu'un, il faut qu'il l'écrive comme elle était réellement. Les excentricités et même les vices doivent être racontés, parce qu'ils indiquent le caractère. »

Mais le portrait biographique exige des investigations laborieuses, afin de pouvoir choisir judicieusement ce qu'il faut accepter ou rejeter. Puis il faut faire preuve d'art et d'un certain talent pour assembler le résultat de ses observations et, tout en suivant les règles psychiques, les présenter sous une forme vivante et agréable. 11 faut tout autant d'habileté pour dépeindre un portrait avec des mots qu'avec des couleurs.

Et combien y a-t-il de gens assez observateurs qui, après avoir vécu avec une personne, soient capables de dire seulement ce qu'il y avait

de remarquable en elle? Cependant, ce genre d'étude est très fréquent, et l'on peut même dire qu'une grande partie de la littérature n'a d'autre but que de chercher des observations de caractère. Sans remonter à l'antiquité, nous voyons que les mémoires de Sully, de Commines, de Lauzun.de Retz, de de Thou, de Larochefoucauld.de Saint-Simon nous sont fort utiles par la grande quantité de détails rassemblés sur des personnages de l'histoire, ou même les anecdotes qui montrent quelles étaient les habitudes sociales d'une certaine époque de la civilisation.

Les mémoires de Saint-Simon sont uniques dans leur genre, ils dissèquent merveilleusement le caractère et forment une rare collection d'analyses biographiques.

Saint-Simon avait la passion de chercher à comprendre les mobiles et les intentions de ceux qui l'entouraient. Il se servait pour cela de l'observation des expressions du visage, de la conversation, etc. « J'examine de près tous mes personnages, dit-il, j'observe constamment leur bouche, leurs yeux et leurs oreilles. » Et il écrivait ce qu'il voyait d'un seul trait, fin, piquant, qui perçait à jour les masques des courtisans; et il découvrait bientôt leurs secrets.

La Bruyère, qui possédait aussi une grande pénétration, opérait de la même manière, mais dans un but plus particulier. Il s'est attaché à donner à chacun de ses personnagee un caractère simple, en accumulant sur lui tout ce qu'il avait pu observer de relatif. C'est ainsi que ses caractères paraissent outrés et exagérés si on veut les rapporter à une personnalité vivante ; car il n'est pas une nature chez laquelle une force soit si puissante qu'elle absorbe toutes les autres, à tel point qu'elles disparaissent complètement et que leur action devienne nulle dans la formation du caractère. Il a pu prendre ses types dans les personnes qui vivaient autour de lui, mais il s'est attaché à les observer séparément et à un seul point do vue.

Son œuvre est donc plutôt la description de certaines facultés, que celle de caractères proprement dits. Il a peint les hommes non en portraitiste, mais en peintre d'histoire: c'est pour cela que son œuvre reste immortelle.

Nous voyons, par cet exposé, qu'en outre des difficultés d'observation, il faut encore exiger une existence assez longue de la personne, afin de pouvoir faire le résumé des actes de sa vie qui seul permet d'arriver à un résultat sérieux.

Aussi la graphologie, qui permet par la dissection graphique une analyse approfondie et minutieuse des facultés de l'âme, et fait découvrir dans le vif les détails les plus infimes des nuances du caractère, est-elle précieuse pour toutes ces observations.

Elle remplace avec avantage la longue observation des actes de la vie par une étude facile et rapide de l'écriture, qui donne immédiatement les différents éléments composant les trois grandes facultés de l'âme humaine et les donne dans leur intensité.

Reste alors le travail psychologique de la recombinaison de ces éléments, pour obtenir le travail d'ensemble, qui peindra la nature psychique d'un être existant réellement et non plus fictif.

Et il n'est plus nécessaire d'avoir sous sa loupe une personnalité ayant accompli des actes importants qui permettent de le juger ou tout au moins de l'apprécier, sans savoir bien souvent les mobiles qui l'ont poussé. Toute individualité est curieuse à connaître, et il est souvent plus utile de savoir une particularité du caractère de son voisin que celles d'un homme célèbre que l'on n'approchera jamais.

Etant donné une écriture, comment devons-nous nous y prendre pour déterminer le caractère de la personne qui a écrit?

Nous commencerons par rechercher les différents éléments constitutifs des trois grandes facultés de l'àme, travail d'observation mathématique, mais aussi presque mécanique, qui consiste à rechercher si telle ou telle force, représentée par tel signe graphique, se trouve dans l'écriture et dans quelle intensité elle s'y trouve.

Ce triage étant fait, il s'agit alors de comprendre quelle est la faculté qui a une action prépondérante dans le caractère.

Là commence le travail réellement intellectuel et psychologique du portrait. Des règles et des lois précises ne peuvent être promulguées par suite de la grande variété des sujets, chacun étant éminemment différent de son voisin.

Ce sont surtout les tendances de la sensibilité, les penchants affectifs, qui, avec l'énergie active, sont les maîtresses pièces du caractère.

Toute détermination certaine à cet égard jette un trait de lumière sur le caractère tout entier.

Lorsque l'on sait à quoi s'en tenir, d'un côté, sur le degré d'activité d'un homme, c'est-à-dire sur ce qu'il a de spontanéité, de vivacité et de suite dans l'action; et, d'autre part, sur sa puissance d'impressionna-bilité égoïste ou aimante, défiante ou généreuse, triste ou grave, on a là les hases essentielles d'appréciation de sa nature morale. Les passions qui ne sont que des saillies d'un sentiment passager ne constituent pas le caractère; on peut éprouver des mouvements^de colère, de jalousie, d'ambition, sans avoir un caractère ambitieux, jaloux,emporlé.

L'intelligence a naturellement une importance très grande, et son influence sur la volonté est évidente, la résolution étant presque toujours précédée de la délibération. Guidée par l'intelligence, la volonté réprime les écarts de la sensibilité, et c'est grâce à la volonté que l'homme peut lutter contre les instincts mauvais et développer en lui les affections généreuses, l'amour des grandes et nobles choses.

Reste alors la mise en œuvre de toutes ces observations, c'est là un travail absolument personnel et pour lequel toute indépendance est obligée, c'est la partie artistique de l'œuvre, puisqu'elle est purement littéraire et que tout le talent doit se montrer librement pour donner une tournure agréable autant qu'élégante.

Les termes figurés trouvent fort bien leur place lorsque l'on manque de termes propres pour expliquer ce que l'on veut dire, et aussi pour reposer l'esprit en lui peignant les choses telles qu'elles sont par des images corporelles et des figures imagées. L'euphémisme devient alors d'un grand secours au portraitiste en lui permettant de rester dans la vérité, tout en le faisant avec bienveillance.

SOCIÉTÉS SAVANTES

CONGRÈS DES MÉDECINS ALIÈNISTES ET NEUROLOGISTES

(Sixième session, tenue à Bordeaux du l" au 7 août 1895).

(Suite).

Dissimulation chez les aliénés.

M. Larroussinie. — Peu de travaux ont été faits sur la dissimulation chez les aliénés. Il est cependant de la plus grande importance de savoir, surtout au moment où il est question de reviser la loi de 1838, que les fous peuvent cacher, non seulement leurs idées délirantes, mais encore leurs hallucinations.

Souvent les aliènistes sont attaqués ; on leur reproche de prêter la main à des séquestrations arbitraires. Or, combien de malades, qui sont considérés, même par des gens très intelligents, comme sains d'esprit, ne sont que des dissimulateurs!

II est arrivé, trop fréquemment, que des aliénés ont été mis en liberté, parce qu'on les croyait guéris, grâce à leur dissimulation. Et ces malheureux commettaient, parfois, les actes les plus terribles. L'un, qui se croyait persécuté par sa mère, la tue dans la nuit même qui a suivi sa mise en liberté ; l'autre, qui accusait sa femme de le tromper, de le déshonorer, toutes les nuits, devant ses yeux, dit au médecin de la maison de santé où il avait été interné, après avoir proféré des menaces contre sa femme, qu'il est guéri, qu'il se rend compte d'avoir été malade. Il parait tellement sain d'esprit que la famille exige sa sortie. Il quitte l'asile, et, dans la nuit, tue sa femme et la coupe en morceaux.

M. Larroussinie conclut ainsi :

Ie La dissimulation se rencontre fréquemment chez les aliénés ;

2° Il est utile dc diviser ces derniers, à ce point de vue, en malades non dangereux et en malades dangereux, tant à cause de la surveillance à exercer sur eux dans les asiles, qu'à cause de leur mise en liberté, ou de leur maintien dans un établissement. La plus grande circonspection est imposée, au sujet des aliénés qui, par leurs actes, leurs paroles ou leurs

écrits, se sont montrés dangereux. Il ne saurait être apporté trop de prudence par les médecins traitants et par les médecins légistes appelés à formuler une opinion sur un aliéné de ce genre ;

3° La dissimulation se voit surtout chez les persécutés systématisés chroniques ; c'est chez eux que se trouve le plus grand nombre de dissimulateurs.

Parmi les impulsifs, les pyromanes sont essentiellement dissimulateurs ;

4° La dissimulation peut être partielle (c'est-à-dire portant sur un ou sur quelques points seulement du délire), ou totale ; dans ce dernier cas tout est nié : conceptions délirantes, hallucinations, etc...;

5e La dissimulation reconnait pour mobile: la honte (par exemple, femmes niant des hallucinations de la sphère génitale) et l'intérêt. L'intérêt est le principal mobile (aliéné mentant pour avoir sa sortie, ou voulant se venger d'un persécuteur, et, pour cela, désirant quitter l'asile ; enfin, pyromanes ne voulant pas avouer leur crime) ;

6° Pour découvrir la dissimulation chez les aliénés, il est nécessaire de capter leur confiance, et, si cela ne se peut, de les faire surveiller par le personnel, et de les surveiller soi-même aussi longtemps qu'on ne sera pas convaincu de l'existence ou de la non-existence du mensonge. Dans beaucoup de cas, plusieurs mois sont nécessaires au médecin expert appelé à juger de l'état mental d'un individu.

Il est aussi absolument utile d'avoir en mains soit les lettres du malade, soit ce qu'il écrit en dehors de ses lettres, quand ce dernier cas se présente. On ne saurait trop encourager ces malades à écrire ;

7° En ce qui concerne les pyromanes, il faudra se préoccuper de leur hérédité, savoir si l'accusé est un faible d'esprit, s'informer des paroles qu'il a pu prononcer soit avant, soit après l'incendie, et voir si ces paroles se rapportaient à l'acte dont il est soupçonné d'être l'auteur. Enfin, il faut le presser de questions, et chercher ainsi (ce qui est bien difficile) à obtenir des aveux ;

8° Nous croyons qu'un médecin expert devrait être adjoint aux juges, quand ces derniers sont appelés à prononcer le maintien d'un aliéné dans un établissement spécial, ou sa sortie. Le médecin traitant pourrait être entendu, et, en cas de dissentiment entre son confrère et lui, un deuxième expert serait appelé à trancher la question. C'est là, d'ailleurs, ce qui se fait souvent pour d'autres questions de médecine légale.

Anorexie mentale.

M. Paul Sollier, de Paris. — Sous ce nom, l'auteur décrit une forme spéciale d'anorexie primitive caractérisée essentiellement par ces deux phénomènes qui se combinent : l'anorexie et un état mental spécial. Ce qui fait l'intérêt de cette forme nouvelle, c'est qu'elle est ordinairement confondue avec l'anorexie hystérique primitive (Sollier) ou avec la dyspepsie nerveuse de Leube. Or, le pronostic en est absolu-

ment différent, et le traitement, qui réussit dans les cas précédents et particulièrement celui de l'anorexie hystérique (isolement, hydrothérapie, traitement moral, alimentation obligatoire), est loin d'avoir toujours le même succès si l'on s'y prend tardivement, et, dans près de la moitié des cas, la mort survient soit par cachexie, soit par tuberculose aiguë.

L'anorexie survient sans cause, ou sous l'influence de causes banales, chez des jeunes filles ou des jeunes femmes. Le refus d'alimentation est beaucoup moins fort que dans l'anorexie hystérique, mais l'anorexie elle-même est très tenace. L'amaigrissement est rapide et continue tant que l'appétit n'est pas revenu, même si les malades s'alimentent. L'état mental est caractérisé par de l'apathie intellectuelle, de l'aboulie, du dégoût de l'existence. Il n'existe ni idées hypocondriaques, ni délire. Pas de troubles neurasthéniques [céphalée, insomnie, rachialgie, dyspepsie). Pas de troubles de la sensibilité générale ou sensorielle. Pas do gastralgie à proprement parler, sauf, au début, des tiraillements et des brûlures d'estomac. Plus tard, sensation de gêne, de pesanteur, de plénitude de l'estomac, quoique la digestion soit au contraire précipitée. Constipation opiniâtre. La marche est progressive et continue. La guérison est rare ; la chronicité et la mort sont plus fréquentes. Il faut donc intervenir très rapidement, et, pour ce fait, un diagnostic aussi précoce que possible s'impose, diagnostic très délicat d'ailleurs. Comme traitement, il faut agir comme avec des anorexiques hystériques.

De l'appel des jugements correctionnels frappant des individus reconnus aliénés seulement après leur condamnation.

M. A. Giraud, directeur-médecin de l'asile Saint-Yon. — II n'est pas rare de recevoir, dans les asiles, des aliénés transférés de la prison et dont l'état mental avait été méconnu au moment de leur condamnation. M. Paul Garnier, pour la période quinquennale 1886 à 1890, en a relevé 255 cas à Paris ; M. H. Monod pour la même période en a relevé 271 cas en province. Dans la grande majorité des cas, ces condamnations sont prononcées par les tribunaux correctionnels, et le plus souvent avec la procédure des flagrants délits. Ces condamnations ne seraient pas prononcées si l'état mental dc l'aliéné était reconnu à temps, et le malade subit une flétrissure imméritée. On doit s'attacher à effacer cette flétrissure, et M. le Df Giraud rapporte la procédure très simple suivie à Rouen pour faire appel d'un jugement condamnant une vieille démente de 72 ans à trois mois de prison. L'appel fut porté par le procureur général à qui le fait avait été signalé, et la Cour, réformant le jugement, prononça l'acquittement. 11 est à désirer que. dans la nouvelle loi sur les aliénés, des dispositions soient prises pour annuler toutes les condamnations dues à ce que l'état du malade était méconnu. Ce serait peut-être actuellement possible en vertu de la loi du 8 juin 1895 sur la

révision des procès criminels et correctionnels, mais, en tout cas, ce qui vient d'être fait à Rouen pourrait être généralisé pour les condamnations par les tribunaux correctionnels pendant les délais d'appel du procureur général, délais qui, aux termes de l'article 205 du Code d'instruction criminelle, sont de deux mois après la condamnation. Le plus habituellement, les aliénés victimes d'une erreur judiciaire sont transférés de la prison à l'asile moins de deux mois après leur condamnation, et la condamnation n'est pas encore définitive, puisqu'elle est susceptible d'appel.

A la suite de sa communication, l'auteur émet le vœu suivant, qui est adopté par le Congrès :

« Le Congrès des médecins aliènistes et neurologistes, réuni à Bordeaux en 1895, émet le vœu que, par suite d'une entente entre le Ministre de l'intérieur et le Ministre de la justice, les aliénés subissant une condamnation et transférés de prison dans un asile soient mis sous la protection des procureurs généraux qui peuvent, pendant deux mois, déférer les jugements des tribunaux correctionnels à la Cour d'appel.

a Le Congrès émet le vœu que la flétrissure imméritée subie par les aliénés dont l'état mental a été méconnu au moment dc la condamnation, soit effacée par l'appel, ce qui parait possible dans la majorité des cas. ?

Rêves provoqués dans un but thérapeutique.

M. Tissié, de Bordeaux, applique aux phobies diverses un traitement par la gymnastique. Si ces psychoses peuvent être engendrées par un excès de fatigue, elles peuvent être amendées par une fatigue légère.

Plusieurs phobies résultaient d'un rêve antérieur et avaient été provoquées par une véritable auto-suggestion. Dans ces cas, la suggestion employée dans un but thérapeutique ayant échoué, M. Tissié a créé chez les sujets des rêves curateurs. 11 suggère à un hydrophobe un rêve dans lequel celui-ci fait une promenade agréable en bateau, et il l'habitue progressivement à ne plus redouter l'eau. Il double le traite ment suggestif d'un traitement par la gymnastique du muscle.

JURISPRUDENCE MÉDICALE

Les magnétiseurs et la loi de 1892 sur l'exercice de la médecine

Le 20 mai, les Délégués de l'Union des Syndicats médicaux de France et du Syndicat des Médecins de la Seine ont remis à M. le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, à qui ils ont été présentés par le Dr Isaac, député de la Guadeloupe, la requête suivante :

Interprétation et application de la loi du 30 Novembre 1892, sur l'exercice de la médecine.

Monsieur le Ministre,

Se rappelant quelle bienveillance vous avez en maintes circonstances témoignée au corps médical, en particulier lorsque vous avez accepté d'être le Conseil d'honneur de l'Union des Syndicats médicaux de France, les délégués soussignés prennent la respectueuse liberté d'appeler votre attention sur les faits suivants :

Le 26 janvier 1893, la 10e chambre correctionnelle de Paris rendait contre le zouave Jacob le jugement suivant :

Attendu qu'il résulte de l'information et des débats que Jacob, sans être docteur en médecine ni oQîcier de santé, reçoit chaque jour, 23, avenue de Mac-Mahon, une cinqunataine de malades qui viennent lui demander de les guérir, persuadés que cet ancien zouave possède dans leregard un fluide magnétique capable de soulager presque tous les maux ; qu'il se borne à pratiquer, en s'entourant d'une certaine mise en scène, des passes magnétiques, imposition des mains, légers attouchements sur le malade placé devant lui sous son regard ; qu'il n'ordonne ni médicaments ni traitements, et se contente de recommander, après avoir assuré la guérison, de s'abstenir de boissons gazeuses, d'éviter de manger de la viande et de ne jamais avoir recours aux médecins et aux pharmaciens ;

Attendu que la disposition de l'article 35 de la loi du 19 ventôse an XI est générale et absolue ; que cette loi ne subordonne pas l'existence de l'infraction qu'elle prévoit à telles ou telles conditions particulières, à telle ou telle prescription ou administration de médicaments, mais qu'elle frappe, abstraction faite de tout remède, de tout traitement pratiqué, tout exercice de l'art de guérir sans diplôme de médecin ou d'officier de santé (arrêt de la Cour de Cassation du 18 juillet 1884); qu'en conséquence, le fait de la part de Jacob, d'avoir hautement émis la prétention de guérir les maladies au moyen d'un fluide qui lui serait propre et traité des malades par ce prétendu fluide qu'il est censé transmettre à l'aide du regard et dc l'imposition des mains sans ordonner ni médicaments, ni traitement, tombe indubitablement sous le coup de la loi pénale ; ^

Attendu que c'est interpréter d'une façon erronée la pensée du législateur que de prétendre que la nouvelle loi sur l'exercice de

la médecine.....ne punit pas les pratiques magnétiques, les

seules qui puissent être reprochées au prévenu ; qu'en effet, il appert des travaux préparatoires de cette loi que, si le législateur n'a pas voulu réserver exclusivement aux médecins les expériences de magnétisme et d'hypnotisme, c'est à la condition que les profanes resteraient dans le domaine des expériences purement

JURISPRUDENCE MÉDICALE

scientifiques et n'entreraient pas dans celui de la médecine proprement dite, c'est-à-dire ne se serviraient pas du magnétisme et de l'hypnotisme pour exercer la profession de guérir ; que cette pensée se manifeste nettement dans le rapport du Dr Chevandier à la Chambre des députés, rapport dans lequel, après avoir fait la critique de l'exiguïté des peines de la loi de l'an ?G, qui a eu pour effet d'encourager les charlatans, les rebouteux et quiconque prétend tenir d'un don spécial les secrets de guérir, le rapporteur ajoute : « Nous croyons que le moment n'est pas venu d'enlever ces expériences aux profanes et de les confier exclusivement aux médecins » ;

Que le rejet par le Parlement de l'article 12 du contre-projet de loi présenté par M. David, qui avait pour but d'atteindre tout particulièrement les hypnotiseurs, ne peut intéresser ces derniers que comme savants à la recherche de phénomènes magnétiques nouveaux et jamais comme guérisseurs ;

Que, d'ailleurs, c'est volontairement que la loi nouvelle ne définit pas les faits qui constituent l'exercice illégal de la médecine, de la chirurgie, de l'art dentaire et de la pratique des accouchements, parce qu'on ne peut indiquer dans un article de loi (rapport du Dr Cornil au Sénat tous les détails, toutes les formes sous lesquelles se présente l'exercice illégal et qu'il est préférable de laissera ce sujet la plus large appréciation aux tribunaux; que, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la jurisprudence fixée par l'arrêt du 18 juillet 1831 soit maintenue même après le 30 novembre 1893, le principe établi étant absolument compatible avec la loi nouvelle, derrière laquelle Jacob voudrait dès aujourd'hui s'abriter.....

Par ces motifs, faisant au prévenu l'application de l'article 466 du Code pénal et de l'article 35 de la loi du 19 ventôse an XI, le condamne à 15 francs d'amende.

. Le 18 mai 1894, le Tribunal correctionnel du Mans rendait cet aulre jugement:

Attendu, que de l'information, des débats et des aveux mêmes de la prévenue il résulte que la nommée Breton (Virginie), veuve Blin, sans être munie des diplômes exigés par la loi, a exercé habituellement et illégalement la médecine, en faisant des passes magnétiques à des malades placés devant elle, que notamment elle reconnaît avoir donné des soins à dix personnes qui, du reste, en ont déposé à l'audience ;

Attendu, que bien que la prévenue n'ordonnât aucun médicament, elle exerçait manifestement l'art de guérir, en se rendant à domicile chez ses clients à qui elle faisait subir un véritable traitement qui durait parfois plusieurs mois, et qu'elle prescrivait, pour achever la guérison, l'usage de boissons dans lesquelles devait être plongé un barreau aimanté et l'application sur la partie malade de plaques aimantées, instruments qu'elle vendait elle-même aux malades;

Attendu qu'il est certain que la veuve Blin recevait de ses clients des salaires très élevés ;

En ce qui concerne l'application de la peine :

Attendu qu'il y a lieu pour le Tribunal de faire une distinction au point de vue des faits reprochés à la prévenue et tombant sous l'application de la loi du 19 ventôse an XI, et ceux régis par la loi du 30 novembre 1892 ;

Qu'en effet, huit des faits délictueux sont, d'après leur date, régis par la loi ancienne abrogée, mais qu'il est de toute évidence que le législateur, en disant dans son article 3G que les dispositions de la loi du 19 ventôse an XI seraient abrogées à dater du jour où la loi nouvelle deviendrait exécutoire, c'est-à-dire un an après sa promulgation, n'a pas voulu entendre que pendant l'année précédant cette date, les faits tombant sous l'application de l'ancienne loi resteraient impunis ;

Qu'il y a donc lieu de retenir les dits faits et de leur faire application de la loi ancienne ;

Attendu enfin que la veuve Blin a déjà été condamnée pour exercice illégal de la médecine et qu'il y a lieu pour le Tribunal de se montrer sévère à son égard;

Par ces motifs,

Vu les articles 35 et 36 de la loi du 19 ventôse an XI, et 1, 16 et 18 de la loi du 30 novembre 1892, lesquels sont ainsi conçus, etc.;

Le Tribunal condamne la veuve Blin à la peine de 200 francs d'amende et à celle de huit amendes de 5 francs chacune pour les faits tombant sous l'application de la loi de ventôse.

La condamne aux frais et fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

De ces deux jugements, il ressort que le magnétisme, appliqué à l'art de guérir, tombe sous le coup de la loi lorsqu'il est pratiqué par toute autre personne qu'un docteur en médecine.

Mais, sur appel de la femme Blin, la Cour d'Angers a réformé le jugement du Tribunal correctionnel du Mans et jugé autrement:

Considérant, dit la Cour d'Angers, que de l'examen du dossier il résulte que l'inculpée s'est uniquement bornée, vis-à-vis des personnes qui sollicitaient ses soins, à pratiquer sur elles, par dessus leurs vêtements, des passes magnétiques, à appliquer sur le bras d'un sieur H... un barreau magnétique et à conseiller à la plupart, comme boisson, l'emploi d'eau aimantée ;

Considérant que, si, sous l'empire de la loi de ventôse an XI, qui ne définissait pas l'exercice illégal de la médecine, ces faits pouvaient être réprimés, it n'en saurait être de même depuis la loi du 30 novembre 1892 qui a défini, quoique en termes assez vagues, ledit exercice illégal ;

Considérant, en conséquence, que la veuve Blin, en se livrant sur diverses personnes aux pratiques magnétiques ci-dessus relatées, et en conseillant l'absorption d'eau aimantée, ne saurait être considérée

comme ayant exercé un traitement ou prescritdes médications de nature à entraîner contre elle les peines édictées par la loi de novembre 1892.

Il n*est pas admissible, Monsieur le Ministre, qu'un même fait soit considéré ici comme un délit et là comme un acte parfaitement licite.

Si le magnétisme, appliqué à l'art de guérir, était chose permise aux charlatans qui pullulent et exploitent indignement le public, la loi du 30 nevembre 1892 cesserait d'être une loi protectrice.

C'est-pourquoi nous vous prions instamment, Monsieur le Ministre, de vouloir bien fixer la jurisprudence sur ce point. Il importe que la loi soit interprétée d'une manière uniforme et de telle façon qu'elle sauvegarde les intérêts du public et du corps médical.

Permettez-nous aussi. Monsieur le Ministre, de vous faire remarquer quelle indifférence certains tribunaux apportent dans la répression de l'exercice illégal de la médecine.

Veuillez, Monsieur le Ministre, etc....

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie

Comme les années précédentes, après la séance annuelle, les membres de la Société d'hypnologic et de psychologie se sont réunis en un banquet, sous la présidence de M. le Dr Dumontpallier. Parmi les nombreux assistants nous pouvons citer M. Mourly Vold, professeur de philosophie à l'université de Christiania ; M. le D' Auguste Voisin, médecin de la Salpêtrière; M. Boirac, professeur de philosophie au lycée Condorcet; M. Eugène Delattre, avocat à la Cour d'appel ; M. le Dr Paul Joire, de Lille; M. le Dr Bérillon. inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés ; M. le Dr Jacques Berlillon, directeur de la statistique municipale ; M. Valentino, chef de bureau au ministère de l'Instruction publique ; M. Albert Colas, MM. les Drs Félix Regnault, Valentin, Jouslain, Bara-duc, de Mezeray, Gorodichze, le Menant des Chesnais, Wolf, Peyré, et Schmeltz, de Nice; MM. Hélis, Giroux, etc., etc.

M. le secrétaire général donne lecture d'un grand nombre de lettres d'excuses parmi lesquelles celles de MM. Persac, conseiller la cour d'appel, Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, Dyvrande, procureur de la république à Rochefort, Dr Thiroux, etc., etc.

M. le Dr Dumontpallier, dans un toast éloquent, retrace le chemin parcouru depuis que des précurseurs comme les Liebeault, les Durand de Gros, les Charcot, ont entrepris l'étude des applications pratiques de l'hypnotisme. Il adresse un salut aux représentants de l'école de Nancy, retenus par leurs obligations professorales, et termine par un toast aux éminents savants étrangers qui assistent au banquet, et en particulier à M. le professeur Mourly Vold.

M. Mourly Vold porte un toast à la Société d'hypnologie et de psychologie qu'il remercie de son accueil. M. Eugène Delattre, dans un langage élevé, boit à l'union des médecins et des jurisconsultes souvent associés dans l'étude des questions de responsabilité et de médecine légale. M. le Dr Jacques Bertillon porte un toast au président dc la Société, M. Dumontpallier, dont les paroles lui ont rappelé l'enseignement d'un maître éminent, le professeur Trousseau, qui avait prévu la révolution qui s'accomplit dans le domaine de la médecine psychologique. M. le secrétaire général propose d'adresser les souhaits de la société à deux maîtres émincnts, M. Liebeault et Durand de Gros. Cette proposition est accueillie par d'unanimes acclamations. Enfin, MM. Auguste Voisin et Boirac clôturent la série des toasts par des discours applaudis.

L'hypnotisme et la presse.

M. le professeur Bernheim ayant relaté, dans la Revue médicale de l'Est, un fait de mort dû à une embolie pulmonaire, fait qui empruntait son intérêt à ce que le malade avait été traité quelques instants avant son décès par la suggestion hypnotique, M. Bernheim ayant pratiqué l'autopsie de ce malade, démontrait que la mort était due à une lésion très grave, et que si le malade avait succombé pendant l'hypnose, le traitement n'aurait en aucune façon pu être incriminé.

Un rédacteur de l'Evénement a pris texte de cette communication pour formuler diverses attaques contre M. le professeur Bernheim, lui reprochant d'avoir hâté la mort du malade en le fatigant par une séance d'hypnotisme.

Cet article, reproduit dans divers journaux de Nancy, a provoqué une vive effervescence dans le monde des professeurs et des étudiants de cette ville. Pendant plusieurs jours la polémique soulevée par l'incident a fait l'objet dc toutes les conversations.

M. Bernheim, interviewé à ce sujet par un rédacteur de VImpartial de l'Est, a répondu de la façon suivante : « Le fait qu'il rapporte a été consigné par moi dans la Revue médicale de l'Est, où j'ai pris soin d'expliquer les coïncidences qui se produisent dans certains cas et qui pourraient parfois induire à incriminer le médecin.

« Ce qui démontre, au surplus, la complète incompétence de l'auteur de cette diatribe, c'est lorsqu'il parle des « pratiques » ayant pour résultat de provoquer des maladies. De o pratiques », je n'en emploie aucune : je ne fais pas fixer un point brillant, je ne plonge pas mes yeux dans ceux du sujet, je me contente de mettre ma main sur son front, dc lui dire d'une voix persuasive qu'il va dormir, de captiver son esprit par l'idée du sommeil.

« Quand je veux suggestionner une personne trop impressionnable, je commence par éloigner d'elle toute émotion; je ne cherche ni à fas-

chronique et correspondance

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ciner, ni à en imposer autrement que par la parole douce et calmante ; j'évite de prononcer les mots d'hypnotisme ou magnétisme ; et, en procédant aveo tact, variant d'ailleurs le modus faciendi suivant l'impres-sionnabilité individuelle de chacun, je n'ai jamais aucun trouble nerveux. Les grandes hystériques seules peuvent avoir, dès les premiers essais, une crise facile à réprimer. Or, j'arrive toujours à la seconde ou à la troisième séance, par suggestion calmante, à maîtriser cette émo-tivité hystérogène et à prévenir le retour des crises.

« Le sommeil provoqué par suggestion ne saurait être dangereux. Autant dire qu'il est dangereux pour la mère d'endormir son enfant en le berçant ou le captivant par la chanson du sommeil. Le procédé que j'emploie, c'est le procédé maternel.

n Du reste, il est facile de s'en convaincre, les portes de notre hôpital sont au large ouvertes à quiconque veut se rendre compte de notre mode d'expérimentation. »

Association de la Presse médicale.

Le 9 août 1895 a eu lieu à Bordeaux, au café du Kiosque de la Comédie, la réunion de l'Association de la Presse médicale qui d'ordinaire se tient en juillet à Paris.

Cette réunion a été suivie, à 7 h. 1/2, d'un banquet organisé par l'Association, grâce au concours dévoué de ses deux membres bordelais, MM. Mauriac et Moure. A ce diner avaient été conviés tous les journalistes médicaux présents à Bordeaux à l'occasion des Congrès ; ils sont venus au nombre de quarante. Y assistaient, en outre de MM. Mauriac et Moure, MM. Laborde, Chevallereau, Doléris, Bilhaut, Bérillon, M. Baudouin, membres de l'Association , et, à. titre d'invité, M. le Pr Mara-gliano (de Gênes), journaliste médical italien, secrétaire général du Congrès de Rome, ville où avait eu lieu le premier banquet de ce genre en 1894.

En l'absence de M. le Pr Cornil, rappelé par dépêche le jour même, M. Laborde a présidé le banquet et au dessert a pris la parole pour remercier la Presse médicale bordelaise, provinciale et parisienne, de l'empressement avec lequel elle s'était rendue à l'invitation du Comité d'organisation. M. le Dr Laude, adjoint au maire de Bordeaux, a répondu au nom de la Presse bordelaise, après un toast fort applaudi de M. le P' Maragliano. M. le Dr Bérillon a remercié les initiateurs de cette petite fêle professionnelle qui, au total, a réuni cinquante convives.

Le Secrétaire général,

Marcel Baudouin.

Le massage par les aveugles.

Au Japon, le massage est pratiqué à peu près exclusivement par des aveugles, que la délicatesse de leur toucher rend particulièrement aptes à cet emploi, et que leur infirmité même fait accepter plus volontiers par la clientèle.

On commence à les employer à Saint-Pétersbourg, où il existe une grande école de massage dont le professeur est aveugle. Dans l'espoir de créer un débouché pour ses pensionnaires, qu'elle trouve difficilement à placer, la direction de l'Asile des aveugles d'Edimbourg annonce aujourd'hui qu'elle est en état de procurer des masseuses parfaitement au courant du métier. Malheureusement, les masseurs et masseuses sont probablement, à l'heure actuelle, aussi nombreux que les clients et clientes à masser.

Une innovation pédagogique allemande.

Le gouvernement allemand vient d'introduire dans les écoles une réforme intéressante. Désormais, les élèves intelligents seront séparés des autres, et c'est aux médecins que reviendra la charge de faire la séparation, en se fondant sur l'examen physiologique du crâne et de tout l'organisme des enfants. De telle sorte que, dans toute école allemande, il y aura la section des enfants intelligents et la section des imbéciles. Ceux-ci, leur infériorité intellectuelle une fois reconnue, auront à suivre des cours spéciaux où l'on se gardera de leur rien enseigner qui exige une activité mentale un peu forte.

Les médecins en Allemagne.

Au commencement de novembre 1891, on comptait dans l'empire allemand 22,287 médecins praticiens, soit 660 de plus que l'année précédente. Dans les huit dernières années (1887-1894), le nombre des médecins s'est accru de 32 0/0. Pendant le même temps, l'accroissement de la population de l'empire n'a été que de 100/0, soit trois fois moindre que celui du nombre des médecins.

L'instinct chez les jeunes faisans.

M. S.-E. Peal rapporte dans la Nature une observation intéressante au sujet des instincts chez les jeunes faisans. Se promenant dans l'Assam Indes anglaises), il rencontre une nichée de tout petits faisandeaux dont la mère a sans doute péri. Il en ramasse un et essaye de lui donner des fragments d'œuf dur, des fourmis, du riz. L'oiseau n'y prête aucune attention. Les indigènes dirent alors à M. Peal qu'il « fallait leur apprendre ». Et l'un deux leur donna aussitôt une leçon. Celle-ci consista à éparpiller des grains de riz, des fragments d'œuf devant les fai-

sandcaux, sur une planche de bois, et, piquant à coup répétés celte planche avec un crayon, il imita le bruit que produit le bec d'un oiseau adulte qui prend sa nourriture. Les faisandeaux accoururent (ils étaient deux, car un autre de la couvée avait suivi le promeneur), regardèrent, et imitèrent aussitôt en piquant à terre avec leurs becs, et en peu de temps, ils commencèrent à se nourrir. Comme il n'est guère présuma-ble que ce soit le geste qu'ils aient imité, c'est sans doute le bruit particulier qui a réveillé la mémoire héréditaire formant la base des instincts en général.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de PAnis,40, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude . des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés,. est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses [dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des leçons pratiques sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

MM. les D" Valentin. Félix Regnault et Lagelouse, chefs des travaux, complètent l'enseignement donné à l'Institut psycho-physiologique par des leçons sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et l'enseignement qui est y donné en font comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale et de psychothérapie.

Une maison de traitement pouvant recevoir un assez grand nombre de malades permet d'y appliquer le traitement des névroses et des psychoses par le sommeil prolonge (procédé de Welterstrand) et par le repos continu (procédé de Weir MitcbelJ.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et delà psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Académie de médecine. — M. le professeur Azam, de Bordeaux, qui fut un des premiers collaborateurs de la Revue de l'Hypnotisme et dont on connaît les travaux sur la psychologie et l'hypnotisme, vient d'être nommé membre correspondant national de l'Académie de médecine de Paris. Nous lui adressons nos plus vives félicitations.

Faculté de médecine de Konigsberg. — M. le docteur F. Meschede, privat-docent de psychiatrie,est nommé professeur extraordinaire.

Faculté de médecine de Wurlzbourg. — M. le docteur K. Iïieger, professeur extraordinaire de psychiatrie, est nommé professeur ordinaire.

Congrès des aliénistes. — Au banquet qui a terminé le Congrès des aliénisteset neurologistes, le président a donné lecture de la dépêche suivante émanant des aliénistes de Moscou :

« Les soussignés, médecins aliénistes de Moscou, regrettant de ne pas être à Bordeaux, envoient au Congrès des aliénistes français leurs vœux sincères. »

korsakow, boutzke, botkisb, konstantinowski, mlnor, Idanow, Serbsky. Le Oongrès a répondu immédiatement par le télégramme suivant : Korsakow, professeur de psychiatrie, Université de Moscou. « Le bureau et les membres du Congrès des aliénistes et neurologistes français, au moment de se séparer, remercient les aliénistes de Moscou de leurs vœux sincères et leur expriment leur profonde sympathie, ?

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

A. de Rochas. — L'extériorisation de la sensibilité. Etude expérimentale et historique. Un vol. broché in-4e, 256 pages. Chaumel, Paris, 1895.

D' von Schrench-Notzixg.— Ueber den Yoga-SchlafMunchen, 1894.

Dr H. Babaduc. — Différence graphique des fluides électrique, vital psychique. Brochure in-8°, 17 pages. Paris, 1895.

Alfred Fouillée. — Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races. Un volume in-4» broché, 374 pages. Félix Alcan, Paris, 1895.

D'j. Baratoux. — Sur la fréquence des tumeurs adénoïdes dans les écoles de la Ville de Paris. Brochure iii-8», 31 pages. Paris, 1895.

D' Edmond Chaumier. — Etude de clinique infantile. Brochure in-4*4. 36 pages. Tourangelle, 20-22, rue de la Préfecture, Tours, 1895.

L'Administrateur-Gérant ; Emile BOURIOT ï>. 170, rue Saint-Antoine. Paris, Imp. A. Quelque jeu, rue Gcrbcrt, 10.

10e année. — ?· 4. Octobre 1895.

LA THÉRAPEUTIQUE SUGGESTIVE

DANS LES AFFECTIONS PULMONAIRES

Troisième conférence clinique sur la suggestion thérapeutique

Par le Professeur Bernheim, de Nancy.

La suggestion, dit-on, n'a que des applications thérapeutiques restreintes. On admet généralement aujourd'hui, et c'est déjà quelque chose, qu'elle peut être efficace dans l'hystérie. 11 faut ajouter, ce qu'on ne fait pas toujours, que cette application utile et incontestée appartient à l'école de Nancy et à son initiateur M. Liébeault. On concède encore que certains troubles nerveux sont justiciables de la suggestion. Ce sont là, dit-on, des maladies sans lésions, des perturbations purement fonctionnelles, et l'on comprend que l'influence psychique puisse modifier efficacement ce qui est du domaine de l'imagination, c'est-à-dire les maladies qui n'en sont pas, les maladies purement imaginaires.

Cette appréciation a priori est loin d'être exacte. Quand-je neutralise par suggestion une douleur que je produis en perçant la peau, en introduisant une épingle dans la narine, en électrisant, quand le chirurgien opère sans douleur grâce à l'analgésie suggérée, c'est bien une douleur réelle, ce n'est pas une douleur fictive que je supprime. Ce simple fait d'observation montre bien que l'influence de la thérapeutique psychique ne se restreint pas seulement aux faits de l'imagination, aux phénomènes par auto-suggestion, d'origine centrale, mais qu'elle s'étend aux douleurs réelles et qui reconnaissent une cause organique réelle. Il nous apprend aussi que le seul fait de l'abolition par suggestion d'une douleur ou d'un autre trou-

ble, n'implique pas à coup sûr que cette douleur soit purement auto-suggestive. Les crises d'hystérie convulsive, la contracture hystérique, ne sont pas des phénomènes d'imagination purs. Sans doute celle-ci les influence, les maintient, les modifie, mais elle ne suffît pas à les créer. La névropathie non plus n'est pas une pure maladie imaginaire. Souvent elle est greffée sur une lésion organique, utérine, ovarique, digestive, trau^-matique qui devient le point de départ d'impressions et de réflexes variables, qui peuvent être dues à l'impressionnabilité ou à la réflectivité exagérée du sujet ; ce sont des réflexes pathologiques qui ne sont pas plus fictifs que les réflexes physiologiques. Un névropathe par droit de naissance qui souffre partout, dont toutes les fonctions sont perverties et douloureuses, a sans doute une conformation vicieuse de son système nerveux qui réagit anormalement aux diverses influences. De ce que Panatomie pathologique soit restée muette jusqu'à ce jour, il ne s'ensuit pas que la lésion n'existe pas. Le microscope a transformé bien des névroses en maladies organiques. Et encore ne nous montre-t-il que le cadavre des maladies ! Connaissons-nous la différence entre un nerf qui fonctionne, et un nerf inerte ? Savons-nous ce qui se passe dans la cellule nerveuse quand elle fait des idées, du délire, du mouvement, quand elle perçoit de la sensibilité, des sensations ? Pas plus que nous voyons à l'œil ou au microscope la différence entre un fil métallique inerte et un fil qui transporte une dépêche. Nos sens sont limités ; et des modifications organiques peuvent exister que nous n'apprécions que par la réaction fonctionnelle.

Tout ce qu'il est permis de conclure, c'est q'un trouble fonctionnel rapidement amendé par la suggestion n'implique qu'une lésion peu profonde susceptible de se réparer facilement ou bien une irradiation dynamique greffée sur une lésion, mais susceptible d'en être détachée.

Il en est de même des perturbations d'origine psychique ou centrale. Lorsque chez notre garçon l'idée de lombric suffit à extérioriser dans l'abdomen une sensation qui n'est qu'un réveil de douleur, souvenir créé parle sensorium, c'est là une auto-suggestion pure; sans doute, il y a peut-être dans la cellule cérébrale qui crée ladouleur un processus anormal, peut-être une altération moléculaire passagère ; mais ce processus est susceptible de restauration physiologique rapide. De même une émotion qui fait battre le cœur et produit des nausées*

crée des désordres réels et non fictifs ; mais c'est là un trouble passager qui se répare spontanément. C'est une perturbatior du sensorium, c'est un trouble psychique momentané ; c'es une imagination dérangée de son équilibre, momenlanémen affectée, mais qui peut se ressaisir et rétablir l'équilibre.

Lorsqu'au contraire l'imagination est profondément malade alors la suggestion reste impuissante, car l'instrument de h suggestion, c'est l'imagination; et quand cet instrument es profondément faussé, il ne peut plus réaliser l'acte d'inhibi tion ou de dynamogénie nécessaire à la guérison; c'est un maladie de l'imagination, maladie réelle, peut-être organique ce n'est pas une maladie imaginaire. Le cerveau malade cré des désordres dont la cause n'est pas dans l'organe affecté mais dans le cerveau lui-même qui agit par voie centrifuge Les maladies dites imaginaires, ou plutôt les maladies de l'ima gination sont réfractaires à la suggestion. Aussi les maladie: mentales, la mélancolie, le délire de persécution, etc., sont-elle: le plus souvent rebelles à l'influence psychique. Si les aliéné: étaient suggestibles, ils ne serait pas aliénés.

L'hypochondrie, la maladie dite imaginaire par excellence n'est pas susceptible d'être influencée par la suggestion ; cai il y a dans le cerveau de ces malades une modalité pathologique, probablement une altération, qui fait que toutes les im pressions sont viciées et transformées par lui ; les impression! thérapeutiques que nous cherchons à lui donner, recueillie; par un organe malade, sont viciées comme celles qui lui ar rivent spontanément ; l'instrument faussé reste muet 01 répond mal. Il y a d'ailleurs des transitions de tous degréi entre la névropathie psychique et l'hypochondrie ; l'une peu arriver graduellement à l'autre ; et la suggestion elle-mêm peut éclairer le diagnostic.

L'élément nerveux n'existe pas seulement dans les névroses pures; il existe dans toutes les affections organiques; toutei ont un retentissement nerveux qui peut compliquer, aggraver entretenir la maladie. Cet élément nerveux, qui n'est qu'ur réflexe, une irradiation, un dynamisme surajouté estjusticiabh de la suggestion, souvent plus justiciable que celui des névro ses pures ; et en attaquant cet élément, on réagit utilemen sur l'évolution de la maladie organique fondamentale. Auss l'on peut dire que la psychothérapie trouve ses indicationt dans toutes les maladies.

Je vous présente aujourd'hui deux maladies organiques.

La première est une tuberculose pulmonaire. Voici un homme de 59 ans, cordonnier, qui est entré au service le 24 novembre.

Bien constitué, lymphatico-nerveux, d'une mère morte tuberculeuse, il a fait 5 ans de service militaire, en Algérie, sans un jour de maladie.

Ayant quitté le service, il y a 4 ans, et revenu dans le Pas-de-Calais, il commence à tousser au bout de 2 à 3 mois, et depuis, au moindre refroidissement, il contractait un rhume.

Avant de tousser, c'est-à-dire depuis près de quatre ans, il accusa une sensation douloureuse dans le poignet gauche et la face antérieure de l'avant-bras. Cette sensation a persisté depuis, augmentant surtout depuis un an. Cinq ou six mois après son début, se développèrent en même temps des douleurs dans la jambe gauche avec crampes nocturnes dans le mollet, phénomène sur lequel nous reviendrons tout à l'heure et qui s'est aussi exagéré depuis quelques mois.

Il y a deux ans, il fut pris de céphalalgie gravative violente avec obnubilation visuelle, qui persista quatre semaines, en même temps que survinrent chez lui des épistaxis abondantes se répétant trois ou quatre fois par jour et qui durèrent trois semaines. Il conserva longtemps à la suite une grande faiblesse avec des points douloureux dans la poitrine.

Il a fait un premier séjour à l'hôpital de quinze jours; il en est sorti il y a quinze jours.

Voici l'état que nous avons constaté à son entrée: Constitution un peu débilitée, mais primitivement bonne. La température oscille entre 37 et 38e. La toux n'est pas très fréquente ; l'expectoration muqueuse peu abondante. Le thorax est bien conformé ; le bruit vésiculaire net en avant.

En arrière la respiration est soufflée avec retentissement de la voix dans la fosse sus-épineuse droite; elle est rude et renforcée dans la fosse sus-épineuse gauche. — La digestion est normale, sans diarrhée. — Les urines ne sont pas albu-mineuses.

Le malade accuse surtout des douleurs; d'abord un point qu'il indique dans la région interscapulaire gauche ; ce point se développe surtout par suite de la fatigue; il existe depuis huit mois. Même alors que le point n'existe pas, le malade éprouve toujours à ce niveau une sensation de brûlure.

Depuis un an, il sent le matin, quand il fait froid, des élancements et des picotements dans les mains, qui ne dis-

paraissent qu'après une heure de travail. De plus, à gauche il sent constamment des picotements douloureux qui s'étendent depuis le poignet, surtout de son bord externe, le long de l'avant-bras à sa face antérieure de bas en haut et de dehors en dedans jusqu'à l'épitrochlée.

Enfin, il indique de la douleur dans toute la jambe gauche, à sa face postérieure ; plus marquée autour des malléoles. Cette douleur est très vive; le malade la compare à une sensation d'arrachement de bas en haut, quand elle s'exacerbe et s'irradie, ce qui arrive quatre ou cinq fois par jour. En dehors de ces crises, elle est constante derrière les malléoles, comme un engourdissement douloureux, et s'exagère à la pression. De plus, toutes les nuits il est réveillé une ou deux fois par une crampe très intense des mollets qui dure environ cinq minutes. Quand cette douleur est très forte ou quand il a une crampe, il sent que la face antéro-externe de la cuisse est comme du velours ; il pourrait alors la pincer sans y déterminer aucune douleur. Il n'a jamais eu de douleur dans la jambe droite. — Depuis 8 mois, ces sensations douloureuses l'empêchent de dormir ; il dort en plusieurs fois environ deux heures et demie chaque nuit. Depuis ce temps il ne travaillait au plus que deux à trois heures par jour. Depuis six semaines il ne travaille plus du tout.

Il s'agit donc d'une tuberculose pulmonaire, qui a déterminé une induration des sommets. Mais cette tuberculose, datant de quatre ans, a une évolution lente et chronique.

Quelle est la nature des douleurs des membres greffés sur la maladie ? Sont-elles rhumatismales ? Les articulations ne sont ni gonflées, ni sensibles dans leurs mouvements. Les douleurs sont fixes, non mobiles, ni erratiques comme celles du rhumatisme ; elles ne gênent pas les mouvements et ne sont pas exagérés par eux. Sont-elles névralgiques ? Elles n'ont pas le caractère lancinant, ne répondent pas au trajet d'aucun nerf; les nerfs de la jambe et de l'avant-bras ne présentent aucune sensibilité spéciale à la pression ; il n'y a pas d'atrophie musculaire, ni autre lésion trophique. Sont-elles dues à un trouble circulatoire? On sait que l'ischémie veineuse ou artérielle par endartérite ou endo-phlébite peut donner lieu à des sensations douloureuses, à de l'engourdissement, à des crampes ; et ces lésions peuvent accompagner la tuberculose.

On ne constate aucun trouble circulatoire; les deux membres

ont la même température et la même coloration ;les artères battent avec le même pouls ; une affection vasculaire datant de quatre ans engendre des troubles fonctionnels visibles et tangibles.

Donc aucune de ces lésions ne peut expliquer les douleurs spéciales qu'accuse cet homme depuis quatre ans. On sait que la diathèse tuberculeuse crée souvent des douleurs variables qui sont tantôt de vraies névralgies, tantôt des douleurs musculaires ou myalgies, tantôt des douleurs osseuses, fibreuses ou intéressant divers tissus, tantôt des points douloureux de siège et d'intensité variables ; j'ai appelé sur ces douleurs variables l'attention dans une thèse qu'un de mes élèves, M. Lorber, a faite à la clinique. Quelquefois c'est une vraie névropathie douloureuse qui accompagne ou même précède l'éclosion des signes physiques de la tuberculose ; je l'ai appelée névropathie prémonitoire. On peut se demander si les toxines créées parla tuberculose ne peuvent pas être la cause de ces manifestation qu'on retrouve dans la plupart des affections toxiques et infectieuses. Chez notre homme, l'invasion de ces douleurs a précédé de peu de temps la toux initiale de la tuberculose; la céphalalgie qui a duré un mois, les épistaxis consécutifs pendant trois semaines, s'expliqueraient aussi par une dyscrasie sanguine due à la toxine du bacille, à la faveur sans doute d'une prédisposition spéciale et native qui rendait notre malade plus impressionnable à une faible dose du poison.

Ce n*est là qu'une hypothèse que je vous donne pour ce qu'elle vaut.

Ce qui me parait certain, c'est qu'il existe chez notre homme une impressionnabilité nerveuse spéciale qui a pu, à la faveur de la tuberculose agissant soit comme cause déprimante, soit comme intoxication, dégénérer en névropathie. Actuellement, les douleurs continues et persistantes chez lui, quelle qu'ait été leur cause au début, rhumatisme, névrite, ou toxine, actuellement ces douleurs peuvent être qualifiées de névro-pathiques.

La continuité de ces douleurs, leur fixité, en l'absence de toute lésion, alors que certainement dans une affection aussi chronique, à évolution aussi lente depuis quatre ans, la toxé-mic ne saurait être constante, mo font penser que ces douleurs, quelle que soit leur origine, sont retenues dans le système nerveux par G auto-suggestion et qu'il est possible de les déraciner.

Le malade avoue avoir toujours été nerveux et impressionnable : sa mère aussi était nerveuse et colère.

Pour tâter la suggestibilité thérapeutique du malade, je lui prescris le 25 décembre une potion suggestive avec 10 gouttes d'alcoolature d'aconit, 100 grammes d'eau de mélisse et 30 grammes de sirop d'écorces d'oranges, lui recommandant de prendre la première moitié à 9 heures du soir ; il s'endormirait au bout de 20 minutes jusque dans le milieu de la nuit. Alors il prendra la seconde moitié et se rendormira jusqu'au matin.

La suggestion médicamenteuse est efficace; le malade s'endort 20 minutes après avoir pris la première moitié de la potion ; se réveille à minuit, prends l'autre moitié, se rendort à minuit et demi, mais se réveille à 2 heures du matin.

Le 26, je l'endors facilement en sommeil profond avec amnésie au réveil ; je lui suggère la disparition totale de ses douleurs. Le soir, il prend encore la même potion à 9 heures, s'endort à 9 heures 20 jusqu'à 1 heure du matin. Alors il prend le reste et se rendort jusqu'à 4 heures du matin. Les douleurs ont à peu près disparu : il n'accuse plus que la sensibilité au poignet et au cou-de-pied.

Le 27, je fais supprimer la potion suggestive ; 1 gramme de phénacétine pour empêcher le mouvement fébrile léger du soir. Je suggère de dormir toute la nuit, de se rendormir spontanément, s'il se réveille.

Il s'endort à 8 heures 1/2, mais se réveille définitivement à une heure 1/2. Il n'a pas eu de douleurs hier, ni de crampes dans la nuit.

Mais depuis ce matin, 28, il sent de nouveau sa douleur habituelle du poignet au coude, bien moins vive cependant. Je lui suggère de nouveau de dormir toute la nuit. Il dort depuis 9 heures du soir jusqu'à 2 heures du matin.

Le 29, pour obtenir le sommeil toute la nuit, je l'endors et lui suggère qu'à son réveil, il se rendormira au bout de 2 minutes. Ce premier essai ne réussit pas. A son réveil, au bout de 2 minutes, il se frotte les yeux comme s'il avait sommeil, mais résiste. Je l'endors une seconde fois et lui suggère que cette fois il se rendormira2 minutes après son réveil. La suggestion a réussi. J'espère par cette manœuvre donner à son cerveau l'initiative nécessaire pour réaliser l'acte sommeil, après un premier réveil nocturne. — La nuit, il dort d'un trait de 9 heures du soir jusqu'à 4 heures du matin. Il n'accuse plus aucune sen-

sibilité. II continue à bien dormir les nuits suivantes et n'a plus ni douleurs ni crampes.

Les nuits continuent à être bonnes. Les douleurs n:ont plus aucune tendance à revenir. Pour enrayer la tuberculose, je donne i à 2 grammes de phénacétine comme antithermique; la suite montrera si l'affection est susceptible de redevenir stationnai re.

Voilà donc des douleurs avec crampes datant de près de 4 ans, qui depuis 8 mois empêchaient le sommeil et condamnaient notre homme à l'inaction, déracinées par la suggestion! Je n'ai pas tué le bacille de la tuberculose. Mais en rendant à notre homme le sommeil, la confiance, l'appétit, en lui enlevant les douleurs persistantes, j'ai renforcé son organisme et diminué sa réceptivité ; je l'ai mis dans de meilleures conditions pour que la maladie puisse être enrayée.

Car souffrir et ne pas dormir ne sont pas choses indifférentes pour l'évolution anatomique de la tuberculose, et la marche plus rapide que la maladie a prise dans ces derniers temps peut être attribuée à cette cause. En la supprimant, nous faisons plus que de la médecine palliative.

La seconde malade que je vous présente est atteinte d'emphysème pulmonaire. Agée de 37 ans, journalière, mariée, mère de quatre enfants dont un seul est vivant, bien constituée d'ailleurs. L'emphysème dont elle est affectée est constitutionnel.

Déjà à l'âge de 25 ans, alors qu'elle étuit cuisinière, elle ne pouvait sentir l'odeur du brûlé sans être oppressée. Elle dut renoncer à son état et se maria. L'oppression a augmenté progressivement, surtout depuis trois ans. Elle est entrée à la clinique le 24 octobre dernier, le quatrième jour d'une pneumonie caractérisée par un frisson, un point de côté, des crachats rouilles ; la défervescence se fit graduellement du cinquième au septième jour. Mais elle continua comme avant sa pneumonie à avoir de l'oppression, des sifflements, des accès d'asthme surtout nocturnes. Elle ne peut monter un escalier sans être essoufflée. Les symptômes les plus incommodes qu'elle accuse sont des quintes de toux qui surviennent par accès trois fois dans les 24 heures durant au moins une à deux heures, régulièrement depuis un an : le matin à son lever, pendant la journée et dans la nuit. Ces accès s'accompagnent de congestion de la face et de sueurs copieuses. L'accès de la nuit dure de 1 i heures jusqu'à 2 heures du matin ; et quand les

quintes sont plus fortes, jusqu'à 4 Jheures. Alors elles sont suivies de maux de tête qui se prolongent pendant la matinée. Entre ses quintes de toux elle a tous les quinze jours environ des accès d'asthme nocturne, précédés de cauchemars ; elle est réveillée en sursaut, est obligée de s'asseoir dans son lit. Cet accès dure aussi à peu près de onze heures jusqu'à 4 heures du matin, s'accompagne de sibilances, sans expectoration, et est aussi suivi dans la matinée de maux de tête qui durent jusqu'à 10 heures du matin.

La malade a les joues et les lèvres un peu cyanotiques ; le thorax large se soulève en masse, 44 respirations par minute; les veines thoraciques sont dilatées ; le cœur bat normalement; les veines du cou ne sont pas trop dilatées ; apyrexie. Les pieds ne sont pas œdématiés.

La percussion fournit peu de symptômes. L'auscultation donne une inspiration nette humée sous la clavicule gauche, une inspiration faible et rugueuse à droite; l'expiration est absente des deux côtés. En arrière, inspiration rude et sèche au sommet gauche, nette, et rugueuse à la base, expiration faible partout; à droite, respiration rugueuse au sommet,rude à la base ; pas de râles.

Les autres fonctions sont normales. La malade a de plus un prolapsus utérin depuis sa dernière couche, il y a 5 ans"; on doit l'opérer lorsqu'elle sera débarrassée de sa toux.

Tel était l'état de la malade qui était traitée par l'iodure de potassium et dont je n'avais guère eu le temps de m'occuper; il s'agissait d'une maladie incurable et stationnaire.

Le 20 novembre, elle me pria de faire quelque chose pour sa toux et son insomnie qui continuaient malgré l'extrait thébaïque. J'eus l'idée de la suggession hypnotique et elle s'endormit facilement avec amnésie au réveil; je suggérai le sommeil la nuit et la diminution des quintes.

Jecontinuaile2i et le 22; elle dormit très bien ces trois nuits.

Dans la matinée du 22 au 23, après avoir bien dormi, elle eut au réveil un fort accès d'asthme; et à la visite du matin, elle avait encore de l'oppression, des sibilances trachéales et des maux de tête.

Mais, après l'avoir examinée plus sérieusement et avoir recueilli les renseignements qui précèdent, je l'endormis de nouveau en sommeil profond et lui suggérai la disparition du mal de tête, de l'oppression, des quintes de toux, le sommeil toute la nuit.

Au réveil, elle n'avait plus son mal de tête et se sentait comme desserrée. La nuit suivante, elle dormit très bien et ne toussa presque plus.

Je continue les jours suivants: elle dort toutes les nuits, n'a plus d'accès d'oppression ni de quinte de toux. Elle répète souvent que, depuis trois ans, elle n'a pas eu d'aussi bonnes nuits ; même alors qu'elle dormait bien elle avait la respiration sifflante et se réveillait en sursaut.

Dans la nuit du 29 au 30, elle dort moins bien ; elle est agitée et se retournait souvent dans son lit. Cependant elle n'avait pas d'oppression, c'était de l'énervement. Elle n'avait pas été suggestionnée ce soir-là.

La nuit suivante, elle dort de nouveau bien, grâce à la suggestion; elle tousse à peine quelques minutes matin et soir.

Le 2 et le 3, elle ne tousse plus du tout et est tout étonnée de dormir aussi bien, par ce temps de brouillard épais qui d'habitude aggrave sa toux, son oppression, et l'insomnie.

Dans la nuit du 4 au 5 décembre, elle dort moins bien, est agitée comme elle l'avait été dans la nuit du 29 au 30, sans oppression ; le lendemain matin, elle tousse pendant 10 minutes. J'apprends alors que cet énervement a été provoqué par deux lettres de son mari dont elle vivait séparée et qui l'obsédait pour se remettre avec elle.

Je lui fais une suggestion calmante et elle dort de nouveau bien, sans toux aucune, ni agitation la nuit suivante. Elle put entrer au service de chirurgie où elle fut opérée avec succès et guérie de son infirmité ; les quintes de toux et l'asthme ne reparurent pas.

Voilà donc un emphysème pulmonaire dont les symptômes incommodes, toux, oppression, accès d'asthme, imsomnie, sont favorablement amendés par la psychothérapie. Les quintes de toux nocturne si pénibles pendant des heures sont supprimées et la malade goûte un calme et un repos qu'elle ne connaissait plus depuis trois ans.

Vous prétendez donc, diront les sceptiques qui n'y ont pas réfléchi, guérir l'emphysème par l'hypnotisme. Nullement. Notre malade reste aussi emphysémateuse qu'avant. Ses alvéoles pulmonaires^ restent dilatés, la charpente élastique du poumon reste atrophiée. La respiration est toujours insuffisante; l'hématose est encore imparfaite, les pommettes et les lèvres conservent leur teinte un peu cyanotique. Ceci je ne peux pas l'enlever. Mais telle qu'elle est actuellement, ses pou-

mon s suffisent pour la respiration ordinaire, à condition qu'elle ne fasse pas d'effort musculaire notable ; la fonction est suffisante; la malade ne souffre pas. Ce que j'ai enlevé, c'est le retentissement de l'emphysème sur le système nerveux du poumon, c'est un trouble dynamique greffé sur la lésion et qui peut à son tour retentir sur celle-ci.

Chez notre malade, il y a peu de bronchite à l'état normal, la toux existe sans grande expectoration; elle n'a pas pour but de déterminer, chez elle, l'expulsion de sécrétions bron-, chiques. C'est une toux surtout nerveuse qui se produit par quintes prolongées, elle est due sans doute a l'excitation accrue des filets centripètes du nerf vague qui, transmise au bulbe, produit par acte réflexe la contraction des muscles expirateurs.

Or l'emphysème pulmonaire augmentel'excitabilité nerveuse des terminaisons du nerf vague pulmonaire; elle crée une im-pressionnabilité nerveuse spéciale du poumon.

Cette impressionnabilité d'ailleurs est variable à l'état physiologique chez les différents sujets. Tel avec une laryngo-bronchite et beaucoup de râles, tousse peu et expectore facilement sans grandes quintes; tel autre ne peut avoir un peu de mucus dans l'arbre trachéo-bronchite sans avoir des quintes de toux interminables. Une maladie fréquente, l'angine granuleuse, montre bien combien une même lésion réagit diversement sur les divers organismes.

Parmi ceux qui en sont affectés, les uns ne ressentent rien, à peine de légers picotements; d'autres, au contraire, toussent sans cesse, crachent, ont le hem caractéristique continu avec des chatouillements et même des douleurs qui peuvent engendrer un véritable état hypochondriaque.

Notre malade est née trés-impressionable, et la distension emphysémateuse de ses poumons, peut-être la congestion passive bronchique qui en résulte, exagère cette impressionnabilité locale et alimente les quintes de toux que le système nerveux, une fois qu'il les a produites plusieurs fois, répète avec une certaine périodicité.

Ainsi en est-il aussi des accès d'asthme ou de l'oppression paroxystique des emphysémateux? Quel que soit le mécanisme pathogénique encore inconnu de l'asthme, il s'agit en tout cas d'un processus nerveux. Que les périphéries du nerf vague agissent par réflexe sur le centre respiratoire du bulbe et déterminent une respiration laborieuse, que ce soit par

l'intermédiaire d'un spasme des muscles bronchiques que le calibre des bronches rétréci rende l'expiration prolongée et sifflante, que ce soit par dilatation vaso-motrice des vaisseaux bronchiques ou par irritation secrétoire des glandules bronchiques qu'un mucus visqueux sécrété fasse obstacle dans les petites bronches, il s'agit toujours d'un processus nerveux qui peut être dû à un retentissemet de l'emphysème sur l'innervation pulmonaire. Est-ce encore, comme le pense Biermer, l'accumulation progressive et l'accroissement de tension de l'air qui stagne, air de résidu, dans les bronches, qui crée la périodicité de ces accès? Peu nous importe le mécanisme précis. C'est le système nerveux du poumon, vague ou sympathique, qui est en jeu. Or la suggestion met en activité la propriété inhibitoire du cerveau et refrène l'excitabilité nerveuse exagérée qui crée les quintes de toux et qui crée les accès d'asthme emphysémateux.

II m'est arrivé souvent de diminuer ainsi par suggestion l'oppression dans l'emphysème; souvent, ceux qui passent la nuit à siffler et à souffler dans leur lit, dorment facilement et sans oppression à la faveur de la psychothérapie.

D'après mon expérience, elle ne produit pas le même résultat dans l'asthme primitif, dit essentiel. Ici je n'ai guère réussi à arrêter au début les accès, ni à les prévenir.

Dans l'asthme des emphysémateux, les nerfs vagues ou sympathiques des poumons ne sont pas malades; l'impression leur est transmise par la périphérie; elle est purement dynamique. Dans l'asthme essentiel, la maladie est sans doute dans le nerf lui-même: ce n'est pas une influence transmise au nerf, c'est une maladie du nerf; quand l'accès a lieu, il y a peut-être dans le pneunogastrique pulmonaire une modification rebelle à l'influence psychique. Que cette hypothèse soit vraie ou non, le fait parait établi par mon expérience ; l'asthme emphysémateux est souvent justiciable de la suggestion, l'asthme essentiel ne l'est pas.

Est-il nécessaire d'ajouter que notre thérapeutique reste inefficace, lorsque la dyspnée emphysémateuse n'est pas subordonnée à l'élément nerveux, lorsqu'elle est due à l'usure trop grande de la surface pulmonaire ou des vaisseaux qui lui apportent le sang, lorsque le champ de l'hématose est trop rétréci, lorsqu'une sécrétion bronchique abondante ou une congestion pulmonaire collatérale ou inflammatoire commande cette dyspnée ?

La suggestion ne fait pas l'impossible; elle ne peut forcer l'hématose d'un poumon qui ne reçoit plus d'air ou plus de sang. Elle n'agit que sur l'élément dynamique et nerveux.

C'est au clinicien à faire le diagnostic et à en déduire l'indication thérapeutique.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 17 Juin 1895. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. La correspondance comprend des excuses de MM. Boirac, vice-président de la Société, et de MM. les Drs Azoulay et Félix Regnault. M. le président signale la présence à la séance de M. Melcot, avocat général à la Cour de Cassation, de M. le Dr Max Nordau et de M. Mourly Vold, professeur de philosophie à l'Université de Christiania.

M. le président met aux voix les candidatures de MM. les Drs Félix Regnault, ancien interne des hôpitaux, Pau de Saint-Martin, médecin-major de 1er classe, et Lagelouse.

Présentation de malade.

MM. les Drs Lagelouse et Bérillon présentent à la Société une jeune fille de vingt ans qui, atteinte depuis trois mois de paralysie hystérique des quatre membres, a été guérie en une seule séance par la suggestion hypnotique. Ils reproduisent expérimentalement chez la malade la paralysie dont elle avait été atteinte et exposent les procédés par lesquels ils sont arrivés : 1° à provoquer externporanement l'hypnose ; 2° à amener la disparition de la paralysie.

Cette observation renferme encore une particularité intéressante. Bien que la malade fut atteinte d'une diminution de l'acuité visuelle, attribuée par le Dr Despaguet à une dégénérescence congénitale de la pupille, sous l'influence de la suggestion une amélioration de la vision a été rapidement obtenue.

Cette présentation donne lieu à un échange d'observations entre MM. Dumontpallier, Max Nordau, Auguste Voisin, Bérillon et Valentin.

Les états médianiques de l'hypnose.

Par m. le dr Paul Jôire. de Lille.

On a coutume de décrire dans le sommeil hypnotique trois états diffé-rents les uns des autres, chacun de ces états s'accusant par une sympto-matologie qui lui appartient en propre. Ces divers états sont encore considérés comme les différentes phases successives du sommeil hypno-

tique et se définissent d'après leurs caractères génériques, qui ont été magistralement décrits par Charcot.

Ces états sont l'état léthargique, l'état cataleptique, l'état somnambu-Iique.

Rappelons rapidement les traits caractéristiques de ces différents états, qui nous permettront de les différencier de ceux que nous allons décrire.

Dans l'état léthargique, les yeux sont clos ou demi-clos ; les globes oculaires convulsés généralement en haut et en dedans, les paupières animées d'un frémissement naissant. Le corps s'est affaissé, les membres,dans la révolution complète, sont flasques etpendants, et,soulevés, ils retombent lourdement lorsqu'on les abandonne à eux-mêmes. Les mouvements respiratoires se montrent profonds, d'ailleurs assez réguliers.

Les réflexes tendineux se montrent remarquablement exaltés et, dans tous les cas, mais à des degrés divers, on voit se développer immédiatement le phénomène si remarquable désigné par M. Charcot sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire. Ce phénomène consiste sommairement dans l'aptitude qu'acquièrent les muscles de la vie animale à entrer en contraction sous l'influence d'une simple excitation mécanique.

L'excitation peut être portée d'ailleurs sur le tendon, sur le muscle lui-même, ou encore sur le nerf dont il est tributaire ; le résultat est identique. Il suffit d'exciter le muscle au travers de la peau, soit en pressant, en percutant ou en frottant, même légèrement, pour provoquer une contraction. Si l'excitation est un peu forte et prolongée, la contraction se transforme facilement en contracture permanente.

Dans l'état léthargique, l'anesthésie^est variable, plus ou moins complète, les sens paraissent conserver un certain degré d'activité, mais les suggestions restent sans effet.

Si l'on ouvre les paupières du sujet en état de léthargie, de façon qu'une vive lumière vienne frapper ses yeux, il passe dans un autre état qui est l'état cataleptique.

Le caractère propre de l'état cataleptique c'est l'immobilité. Le sujet reste comme pétrifié dans l'attitude dans laquelle il se trouvait, quelle que soit celte attitude. Même si l'attitude est forcée, difficile à conserver, il la garde indéfiniment, sans fatigue, et se maintient en parfait équilibre tant que dure la catalepsie.

Les yeux sont-ouverts, le regard fixe, la physionomie impassible, toute communication entre le sujet et le monde extérieur est rompu, il ne donne aucun signe d'intelligence et ne répond à aucune excitation venue du dehors.

Les réflexes sont abolis, l'hyperexcitabilité neuro-musculaire fait complètement défaut.

L'anesthésie est complète, le tégument externe reste insensible aux excitations les plus vives.

Le troisième état hypnotique classique est l'état somnambulique qui

présente aussi des caractères propres qui le séparent nettement des états léthargiques et cataleptiques.

Le sujet placé dans l'état somnambulique a les yeux clos ou demi-clos; il peut les ouvrir au bout de peu de temps sans sortir de cet état. Les paupières se montrent souvent, mais non toujours, agitées de légers frémissements. Abandonné à lui-même, il parait endormi ou plutôt engourdi ; son attitude n'est point aussi affaissée, et la résolution des membres n'est jamais aussi accentuée que dans l'état léthargique. L'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'existe pas ; mais, par contre, on peut à l'aide do légers attouchements, promenés à plusieurs reprises sur la surface d'un membre ou d'un souffle léger dirigé sur la peau, développer dans ce membre un état de rigidité qui diffère de la contracture due à l'excitabilité neuro-musculaire, en ce qu'elle ne cède pas à l'excitation des muscles antagonistes, tandis qu'elle cède, très facilement, sous l'influence des mêmes excitations cutanées faibles qui l'ont fait naître.

Remarquons d'abord que ce serait une erreur de croire que ces trois états forment une gradation régulière et constituent des phases progressives du sommeil hypnotique.

L'état léthargique est le premier qui s'obtient d'ordinaire, quel que soit le procédé employé pour provoquer l'hypnotisme. Puis, le sujet étant en léthargie, on peut le faire passer en catalepsie, en lui ouvrant les paupières et en dirigeant sur ses yeux un rayon de lumière vive.

Cet état cataleptique représente un sommeil excessivement profond et peut être considéré comme un état hypnotique très avancé ; nous en avons la preuve dans cette insensibilité absolu, dans cette passivité complète qui fait que ce sujet frappé d'immobilité absolue est privé de toute communicatfon avec le monde extérieur; et cet isolement est s; complet que celui même qui l'a plongé dans cet état ne peut plus rien sur lui, à moins de retourner en arrière et de ramener le sujet en état léthargique.

Le sujet en état de léthargie peut encore passer dans l'état somnambulique, mais une fois en cet état il ne passera plus en catalepsie sans retourner ainsi dans l'état primitif de léthargie.

Au cours d'un grand nombre d'hypnotisations, j'observai des phénomènes qui ne pouvaient se rapporter à aucun des trois états hypnotiques dont nous venons de parler. Pouvaient-ils davantage se rapporter aux états mixtes, intermédiaires aux trois états classiques et qui ont été longtemps mal définis et entourés d'une grande obscurité?

Ces élats mixtes sont maintenant beaucoup mieux connus ; nous savons qu'ils se rapportent: les uns à la combinaison de l'état léthargique avec l'état cataleptique ; les autres au mélange de l'état léthargique avec l'état somnambulique. Jamais on n'observe la combinaison de l'état cataleptique avec l'état somnambulique, ce qui prouve une fois de plus, comme nous le disions tout à l'heure, que la catalepsie est une sorte d'impasse d'où l'on ne peut sortir que par le moyen de l'état

léthargique et qui n'a aucune relation directe avec le somnambulisme* J'ajoute que ces états mixtes sont multiples dans chacune des deux catégories; dans la première, suivant le plus ou moins de prédominance de l'état léthargique ou de l'état cataleptique ; dans la seconde, suivant la prédominance de la léthargie ou du somnambulisme. Dans tous les cas, tous ces états mixtes présentent une symptomatologie spéciale dans laquelle on retrouve des caractères plus ou moins accusés des différents états qui entrent dans leur combinaison.

L'étude attentive de l'état des sujets que j'avais en observation me permit de constater d'une façon certaine que cet état n'était ni l'un des trois états classiques, ni aucun des états mixtes qui peuvent former leur combinaison. Cette constatation faite, je m'appliquai à reproduire expérimentalement et à bien étudier ces états hypnotiques et je suis arrivé ainsi à découvrir et à isoler deux états hypnotiques nouveaux que j'ai désignés sous le nom d'états médianiques : l'un, l'état médianique passif ou induit; l'autre, l'état médianique actif ou inducteur.

Pour produire l'état médianique passif ou induit, voici les procédés que j'emploie habituellement. Je fais placer le sujet debout devant moi et je lui fais bander les yeux avec un mouchoir, ou je lui recommande de fermer les paupières sans effort et de les maintenir fermées ; je lui recommande aussi de s'isoler le plus possible de tout ce qui l'entoure, de ne penser à rien et de n'avoir aucune préoccupation. Je pose ensuite les deux mains sur la tête du sujet pendant quelques instants, puis je les passe lentement de chaque côté de la téte et ensuite tout le long des membres, en ayant soin de les tenir écartées d'au moins dix à quinze centimètres du sujet, et, par conséquent, de ne jamais le toucher.

Au bout de quelques minutes, on observe d'abord comme une détente complète de la physionomie du sujet qui devient absolument impassible; bientôt on peut remarquer un léger frémissement des paupières, mais beaucoup moins prononcé et je dirai moins convulsif que celui qui caractérise la léthargie. Dans l'attitude générale du corps du sujet, on observe bientôt de légères oscillations de tout son corps ; il se tenait debout dans un état de rutitude volontaire : il semble maintenant qu'il ait étéplacé là en équilibre, mais comme dans un équilibre instable ; les oscillations sont faibles et se font successivement dans tous les sens, comme celles d'un roseau flexible balancé par une brise légère.

Pendant ce temps, les réflexes ne sont ni abolis ni modifiés ; l'hyper-excitabilité neuro-musculaire n'existe pas; il n'y a aucune trace d'anes-thésie, la^sensibilité cutanée est normale au toucher comme à la douleur ou aux modifications de température. Les fonctions des organes des sens ne sont pas abolies, mais leur sensibilité, très développée pour tout ce quf vient" de l'hypnotisme, est au contraire amoindrie pour les impressions reçues du _dehors.

Les mouvements]du cœur ne sont pas modifiés, la respiration est lente et profonde.

Les membres ne sont pas en état de résolution comme dans l'état de

léthargie, ils retombent pourtant mollement et doucement le long du corps. Si l'on cherche ù les déplacer, on n'observe aucune raideur et l'on n'éprouve aucune résistance; ils paraissent au contraire avoir une grande légèreté et l'on n'éprouve aucune résistance de la part des muscles ni des articulations. Si l'on a déplacé un membre en le soulevant avec la main, abandonné à lui-même le membre ne garde pas la position qu'on lui a donnée, il ne retombe pas non plus brusquement, mais il revient doucement à sa position normale. Il ne reste pas non plus quelques instants en position, comme dans le somnambulisme, pour retomber après quelques oscillations et quelques frémissements musculaires qui indiquent la fatigue ; si la main qui le soutenait se retire, il revient à sa position d'équilibre parce qu'il n'y a plus de cause qui le retienne, mais nous verrons tout à l'heure qu'il ne se comportera pas de même si c'est une autre cause qui a modifié sa position et si cette cause persiste.

Dans cet état, le sujet n'est pas suggestionnable par la parole, ni par l'intermédiaire du sens musculaire.

Si les phénomènes somatiques sont négatifs et paraissent de peu d'intérêt, par contre nous observons dans cet état toute une catégorie de phénomènes nouveaux et des plus intéressants. Ces phénomènes consistent surtout dans des impulsions d'un caractère tout spécial qui sont ressenties de la façon la plus nette par le sujet qui y obéit. Ces impulsions sont données à volonté par l'hypnotiseur et dirigées à son gré dans tel ou tel sens particulier.

Les plus simples s'obtiennent en passant lentement et à plusieurs reprises les doigts de la main le long d'un membre et à une certaine distance de ce membre. On obtient ainsi le mouvement, l'élévation, la flexion du membre qui obéit d'une manière absolue aux mouvements de la main directrice, et l'on peut ainsi, en décomposant les mouvements, provoquer des actes assez compliqués.

C'est dans cet état médianique passif que l'on observe les phénomènes de transmission de la pensée et de suggestion mentale. Le plus élémentaire de ces phénomènes est celui que l'on a vu bien souvent répété et qui consiste â conduire par la main le sujet qui exécute un acte déterminé à l'avance. Pour exécuter cette expérience, je faisais poser la main du sujet à plat sur la mienne également ouverte ; il n'y avait, de cette façon, aucune compression, même inconsciente, qui puisse guider le sujet dans l'acte à accomplir. Mais il reste encore, dans ces conditions, des mouvements du bras qui peuvent être transmis par le contact et les mouvements fibrillaires des sujets qui peuvent se communiquer de la main à la main. Il est en effet très difficile, en faisant effort pour ne pas arrêter le sujet dans sa marche, de ne pas le précéder dans les mouvements et le guider ainsi dans l'acte qu'il doit accomplir.

J'ai rapidement éliminé l'objection que soulève cette hypothèse en procédant de la manière suivante. Je me place derrière le sujet et je tiens les mains élevées latéralement de chaque côté de sa tête et un peu

au-dessus. J'ai soin, dans ce cas, de laisser au moins une distance de quinze centimètres entre mes mains et la téte du sujet, il n'y a là absolument aucun point de contact, on ne peut donc pas objecter ici de mouvements, même inconscients. J'ai pu observer que l'expérience réussit mieux encore dans ces conditions qu'avec le contact de la main.

Je reviens maintenant aux mouvements dont j'ai parlé tout à l'heure, que l'on obtient en passant la main lentement et à plusieurs reprises à une certaine distance d'un membre du sujet. Une particularité très remarquable dans ce phénomène c'est que, si l'on élève ainsi un membre et qu'on l'abandonne dans cette position en cessant les manœuvres destinées à le mouvoir, le membre conserve la position nouvelle qu'il occupe et il peut la conserver ainsi très longtemps sans aucune fatigue apparente. Or il n'y a aucune espèce de contracture dans ce membre, il n'y a aucune similitude entre le membre ainsi placé et le même membre auquel on donnerait une situation analogue pendant la catalepsie. Si l'on reprend ce membre avec la main et si on le replace dans sa position normale, on le trouve absolument souple et on n'éprouve aucune résistance à le mouvoir. Le membre reste, avons-nous dit, dans la position qui lui a été donnée, maisjon peut le faire revenir à sa situation première sans intervenir directement avec la main : il suffît, par le môme procédé employé tout à l'heure, de passer les doigts à une certaine distance, mais alors à la face postérieure du membre et en sens inverse, c'est-à-dire en faisant de nouveau mouvoir les doigts dans la direction du mouvement que l'on veut obtenir.

Cette observation est d'autant plus intéressante que nous avons fait remarquer plus haut, dans les caractères généraux de l'état médianique passif, qu'un membre quelconque du sujet pris et soulevé avec la main retombe immédiatement dans sa position normale. L'état du membre, mis en mouvement par les passesJaites à distance, n'est donc plus le même que celui du membre soulevé avec la main. Ces mouvements de translation peuvent s'obtenir pour la totalité du corps du sujet, tout aussi bien que pour un membre en particulier.

Ainsi je me place à une certaine distance du sujet, et, par les mouvements de la main dirigée vers lui, je puis lui faire pencher le corps à droite ou à gaucho, le faire avancer ou reculer, le faire tourner ou lui faire suivre telle ou telle route que je lui indique par le tracé de mes doigts dans l'air.

J'ai parlé tout à l'heure de la suggestion mentale; voici les expériences que j'ai faites dans ce sens. Après avoir placé mon sujet dans l'état médianique passif, par les procédés que j'ai indiqués plus haut, je le laissai debout au milieu de la salle, et, pour lui faire perdre ma trace, je marchai avec différentes personnes autour de la salle, et successivement dans plusieurs directions, puis je me plaçai à une extrémité de la salle situé tout à fait à sa gauche. Me tenant absolument immobile, je fixai les yeux sur le sujet ; au bout de peu d'instants, après quelques oscillations, il se mit à marcher en faisant un quart de tour à gauche et

s'avança vers moi. Arrivé à quelques pas de moi, il s'arrêta, puis fit un demi-iour incomplet et se mit à marcher tout droit dans la direction de la porte. Il est â noter que je n'avais dit à personne la direction que j'allais faire suivre au sujet, et que ces différents mouvements étaient exactement ceux que je lui avais suggéré mentalement d'exécuter.

Une autre expérience, qui a présenté une particularité très intéressante, est celle-ci. Je fais tracer sur le sol une ligne à la craie, présentant les sinuosités les plus imprévues, je place mon sujet en état médianique passif à l'extrémité de la ligne et je me tiens derrière lui. Je fixe, avec la plus grande attention, les yeux sur le chemin ainsi tracé à la craie, et je suis le sujet pas à pas : il parcourt ainsi très fidèlement toutes les sinuosités de la ligne. Mais le fait le plus intéressant de cette expérience, c'est que, l'ayant répétée dans une salle dont le sot était formé d'un parquet, il arrivait on certains- points que, forcément, la ligne de craie formait un angle plus ou moins aigu avec les lignes du parquet ; or, mon sujet s'arrêtait dans ces points et éprouvait une visible hésitation. Il est facile de constater que si l'on s'applique à suivre par le regard une direction déterminée par une ligne, l'attention est légèrement troublée quand cette ligne se trouve en bifurcation avec une autre ligne, trouble qui ne se produit pas quand la ligne est parallèle ou coupe perpendiculairement là ligne étrangère. Le même fait se reproduisait dans d'autres circonstances où, sur un sol carrelé, la ligne à la craie revenait plusieurs fois sur elle-même et présentait dans certains points des entrecroisements : l'hésitation du sujet se montrait à chaque intersection.

Je fais cesser l'état médianique passif et je rends au sujet son état normal en passant plusieurs fois les mains en travers devant son visage et en lui soufflant sur les yeux. Le sujet se souvient en général des actes qu'il a accomplis et de tout ce qui s'est passé pendant qu'il était dans l'état médianique passif.

Il était intéressant de connaître les impressions du sujet pendant cet état, et de savoir pourquoi et comment il obéit aux mouvements que l'on veut lui communiquer. Pour cela j'ai pris soin, dans plusieurs expériences, d'éveiller brusquement le sujet après qu'il venait d'accomplir un acte déterminé.

Les sujets sont unanimes à déclarer qu'ils ressentent une impulsion bien nette dans le sens du mouvement qui s'accomplit, « Nous éprouvons, m'ont-ils tous affirmé, une sensation indéfinissable, comme nous n'en avons jamais ressenti dans aucune autre circonstance. » — ¦ J'ai resssenti, me disait l'un d'eux, une légèreté extraordinaire dans les bras qui me semblaient avoir perdu toute pesanteur, puis j'ai senti, à mon grand étonneinent, mes bras s'écarter de mon corps et s'élever en l'air malgré moi.» Un autre me disait avoir senti brusquement ses deux bras partir en avant, malgré lui, d'une manière irrésistible, et c'était en effet le mouvement que je lui avais imprimé au début de l'expérience, lui ayant fait élever les bras en avant pour les croiser sur la poitrine.

D'autres m'ont dit que l'impulsion était si forte qu'ils croyaient qu'une personne les avait tirés par la manche de leur vêtement.

Dans les mouvements de locomotion totale, tous affirment se sentir poussés en avant, attirés dans la direction voulue par une impulsion irrésistible.

Deux objections se présentent immédiatement à l'esprit : premièrement, celle de la simulation de la part du sujet; deuxièmement, celle d'une trop grande bonne volonté de sa part qui le rend complice, si l'on veut, plus ou moins inconscient, de l'opérateur.

Je crois avoir prévenu d'avance ces deux objections ; en effet, toutes ces expériences ont été faites avec des élèves qui expérimentaient avec moi, d'une façon tout à fait bénévole, non seulement sans idée préconçue de ce qui allait se passer, mais même avec un certain degré de septicisme et dans le seul but d'étudier et d'analyser les phénomènes quelconques qui pourraient se produire. Avec des sujets intelligents et choisis de la sorte, parmi des jeunes gens accoutumés déjà depuis plusieurs années aux observations physiologiques, je crois m'ètre placé dans les meilleures conditions pour éviter toutes les causes possibles d'erreur. J'ai expérimenté avec des sujets des deux sexes, et j'ai obtenu des résultats absolument identiques.

J'ai noté avec soin les conditions extérieures dans lesquelles j'ai opéré, et j'ai constaté que l'état de la température et les variations atmosphériques exercent une influence considérable sur les résultats que l'on peut obtenir. Pour que les expériences réussissent le mieux, il faut une température élevée, un temps clair et calme ; si l'on opère, au contraire, dans un milieu froid, surtout par un temps humide ou agité, les expériences ne réussissent presque jamais ou ne donnent que des résultats insignifiants. On peut aussi se mettre à l'abri des mauvaises conditions atmosphériques par une chaleur artificielle portée à un degré assez élevé.

L'état médianique actif ou inducteur est beaucoup plus difficile à obtenir, les sujets chez lesquels on le rencontre sont peu nombreux, par conséquent les observations en sont beaucoup plus rares. C'est, du reste, un état très complexe et qui présente une difficulté particulière pour l'étude, en raison des différents degrés que cet état peut présenter. Il importe donc de diviser méthodiquement cette étude et d'examiner d'abord le sujet chez lequel on peut le plus facilement l'observer, les procédés par lesquels on peut provoquer cet état, les différents symptômes de la crise elle-même, et, enfin, les phénomènes particuliers que l'on peut observer pendant cette crise_.

Les sujets chez lesquels nous avons observé le médianisme actif ne sont jamais, jusqu'ici, des sujets à l'état sain. Le plus souvent, ce sont des sujets du sexe féminin de 18 à 40 ans ; souvent ils présentent une certaine apparence de santé, d'autres paraissaient légèrement anémiés ou fatigués. Au point de vue pathologique, j'ai observé que l'on avait affaire, dans la plupart des cas, à des hystériques, affection souvent

bien caractérisée par un léger état de parésie affectant certains membres, et par des zones d'anesthésie et d'hypereslhésie. C'est, le plus souvent, l'hystérie à forme erotique à laquelle on a affaire dans ces cas, et, toujours, on peut remarquer la prépondérance plus ou moins grande des fonctions de la moelle épinière sur celles du cerveau, c'est-à-dire de la sphère des centres nerveux d'automatisme sur la sphère des centres nerveux de volonté et de conscience.

D'autres fois, quand on ne peut trouver chez ces sujets des traces certaines d'hystérie confirmée, on découvre qu'ils ont présenté à certains moments des crises de somnambulisme spontané. Ce sont des sujets d'un état névropathique poussé au plus haut degré, qui possèdent en un mot l'hystérie à l'état latent ; en tout cas, toujours et sans exception, on constate chez ces personnes la prédominance très grande des phénomènes sensitifs.

Tel étant le sujet, de quelle manière et par quels procédés se détermine chez lui l'état médianique actif ou inducteur.

Chez certains sujets, on le voit se développer spontanément et par suite d'une autohypnotisation. Quand on le produit expérimentalement, c'est ordinairement par les mêmes procédés que ceux par lesquels on produit l'état médianique passif, et, dans ces cas, l'état médianique passif se développe le premier, et ensuite, après un certain temps, l'état médianique actif lui succède.

Dans certains cas, Tordre de succession est différent. On provoque l'état léthargique par les procédés habituels d'hypnotisation, puis on fait passer le sujet de l'état léthargique en état somnambulique, et l'état médianique actif succède à l'état somnambulique. Je n'oserais, dans ces cas, affirmer si le sujet passe de l'état somnambulique dans l'état médianique passif et de là en état médianique actif, ou si l'état médianique actif succède sans transition au somnambulisme, mais je crois la première hypothèse plus vraisemblable.

Les caractères de la crise elle-même rappellent, comme du reste les autres élats hypnotiques, une crise hystérique dans laquelle la prédominance de certains symptômes laisse tous les autres dans l'ombre au point de les masquer complètement.

Tout d'abord on observe un ralentissement des mouvements respiratoires qui deviennent en même temps très profonds ; le pouls devient plus rapide et plus fort. Parfois, après quelques soupirs très profonds, on observe quelques bâillements et une sorte de hoquet, qui est quelquefois remplacé par de simples contractions du pharynx ; ces phénomènes peuvent être suivis d'une sorte de rire spasmodique. Enfin, le visage exprime l'extase, et la respiration redevient lente, régulière et profonde. On observe encore des changements de coloration du visage, qui, alternativement, rougit ou devient d'une grande pâleur; il présente souvent les traces d'une grande fatigue et se couvre de sueur, puis, par moments, il reprend l'expression d'une extase voluptueuse, les yeux

sont brillants, mouillés et largement ouverts, pendant que les lèvres sont animées d'un sourire caractérislique.

Pendant ces crises, il est intéressant de noter une hyperesthésie générale très prononcée, et surtout une sensibilité à la lumière considérable. Une lumière vive ou apparaissant brusquement produit des troubles profonds dans l'état du sujet, accélération de la respiration et palpita-lions, état de souffrance visible, tremblement des membres et parfois mouvements convulsifs.

La crise étant ainsi caractérisée par ces symptômes généraux habituels, on peut observer pendant ce temps les phénomènes les plus intéressants. De même que nous avons vu que la caractéristique de l'état médianique passif était de subir les influences venues de l'extérieur, la caractéristique de l'état médianique actif est, pour le sujet, d'exercer une influence sur les êtres qui l'entourent, et cela non seulement sur les êtres animés, mais encore sur les êtres inanimés, les objets matériels.

Nous nous bornerons à une simple énumcralion des principaux phénomènes que peut produire cette influence et qui peuvent être infiniment variés dans leurs combinaisons.

Ie Sur les êtres animés, les personnes qui l'entourent, le sujet peut faire sentir son impulsion, ou, si l'on veut, l'impression du fluide qu'il émet sous forme de mouvements d'attraction ou de répulsion, ou encore de sensation de contact à distance;

2e Sur les objets inanimés qui l'entourent, le-sujet peut faire manifester l'influence de ses impulsions, à distance plus ou moins considérable, sous forme de mouvements d'attraction ou de répulsion, ou encore de soulèvement des objets.

11 faut remarquer que ces derniers phénomènes en particulier s'accompagnent d'un état de raideur et de forte tension des membres du sujet, de contractions presque convulsives des muscles qui déterminent parfois une trépidation de tout le corps. Quoique agissant à distance de l'objet, le sujet étend les membres vers cet objet, place son corps dans la position la plus favorable au développement de toutes les puissances de son organisation, et enfin dépense en réalité une somme de forces beaucoup plus considérable que celle qu'exige l'effet produit d'une manière normale ;

3° Le sujet peut encore agir sur les personnes qui l'entourent et qui sont en contact avec lui en provoquant chez celles-ci des suggestions mentales qui peuvent, dans certains cas, provoquer de véritables hallucinations. La cause de ces hallucinations étant unique et s'exerçant sur plusieurs personnes, les hallucinations sont Souvent collectives et plus ou moins intenses suivant la disposition particulière des personnes qui en sont l'objet.

Ces différents phénomènes peuvent être plus ou moins accentués, et, en se combinant entre eux de différentes manières, donner lieu à des phénomènes beaucoup plus complexes.

Après la crise, l'état du sujet change complètement, l'excitation est remplacée par un épuisement considérable du système nerveux, le visage prend une expression de souffrance et de fatigue, le sujet se montre d'une apathie complète, mais il a conservé la sensibilité à la lumière et au toucher ; souvent un sommeil plus ou moins long précède son retour à l'état normal. En général, le sujet a perdu tout souvenir de ce qui s'est passé pendant la crise.

Je veux terminer par une remarque de la plus grande importance pour l'étude de ces états médianiques de l'hypnose.

J'ai vu, dans certains cas, se produire la superposition de l'état médianique passif avec l'état médianique actif ; et voici de quelle façon peut s'observer cette combinaison. Un sujet en état médianique actif influence un autre sujet qu'il place, d'une façon consciente ou inconsciente, en état médianique passif. Les phénomènes que ces deux sujets peuvent ainsi obtenir l'un sur l'autre, sont d'une intensité infiniment plus grande, et l'on peut à peine prévoir à quelle limite ils s'arrêteront dans cette voie. L'on comprend sans peine l'importance qu'il y a à connaître la possibilité de la superposition de ces influences réciproques, et à quel point cette connaissance peut nous aider à expliquer un certain nombre de phénomènes qui sans cela nous paraitraient tout à fait inexplicables.

Réunion annuelle de la Société d'Hypnologie et de Psychologie

le 22 Juillet 1894. Présidence de m. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance comprend des lettres de MM. les Drs Schrenk-Notzing, de Munich; Rosenbach, de Breslau; Vidmer, de N'yon (Suisse); Milne Bramwell, de Londres ; Cruise, de Dublin; Bernheim, de Nancy ; Lloyd Tuckey, de Londres ; Liebeault, de Nancy ; Manouvricr, Colli-neau, de Paris; Marandon de Monthyel, de l'asile de Ville-Evrard : de MM. Dumont-Carpentier, Martinet ; de M. Emile Laurent, secrétaire général de la préfecture de police ; de M. Verdin; de M. Leclaire, avocat à Nancy, etc, etc., s'excusant de ne pouvoir assister à la réunion.

M. le secrétaire général fait un exposé de la situation morale de la Société. Dans le cours de la troisième année (1893-1894), le nombre des membres cotisants a été de 82. Le total des recettes (cotisations et admissions) s'est élevé à 1.305 francs. Les dépenses (loyer, tirages à part, abonnements à la Revue, imprimés, affranchissements) se sont élevés ù 1.250 francs. L'excédent des recettes sur les dépenses est de 55 francs. Un certain nombre de cotisations de membres résidant à l'étranger restent encore à recouvrer.

En résumé, à la fin de l'exercice 1S93-1894, le nombre des membres titulaires s'élevait à plus de 100 ; celui des membres honoraires était de 10.

M. le président met aux voix l'approbation des comptes de l'année 1893-1894. Cette approbation est votée à l'unanimité.

M. Albert Colas, trésorier, donne le compte-rendu de la situation financière pour l'exercice de la quatrième année, 1894-1895.

Dans le cours de cette année, le nombre des membres ayant payé leur cotisation s'est élevé à 86. Un certain nombre de quittances sont en recouvrement. Le montant des recettes s'élèvera à environ 1.500 fr., le total des dépenses ne dépassera pas sensiblement celui de.s années précédentes. On peut prévoir un excédent de plusieurs centaines de francs. Le compte définitif ne pourra être établi que lorsque toutes les dépenses auront été réglées. Dès à présent on peut considérer la situation financière comme très prospère.

M. le président propose de voler des remerciements à M. Albert Colas pour le zèle et l'activité qu'il a mis au service de la Société. Ces remerciements sont votés à l'unanimité.

M. le président met aux voix les candidatures de M. Henri Lemesle, avocat à la cour d'appel; de M. le ?' Marrel; de M. Chobaut, médecin-vétérinaire à Boulogne-sur-Seine; de M. Martyn Smith, d'Abberton Hall; de M. Pershore, de Worcestershire (Angleterre). Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

M. le président propose de nommer présidents d'honneur de la Société : MM. le Dr Durand de Gros et de M. Mourly Vold, professeur à l'Université de Christiania. Cette proposition est adoptée à l'unanimité.

Sarcome du testicule gauche opéré pendant le sommeil

hypnotique.

Par M. le D' Schmelt2, de Js'ice.

Appelé par le médecin traitant, je jugeai l'opération urgente, et, comme nous n'avions pas de chloroforme, j'eus aussitôt l'idée de recourir à l'hypnotisme. Comme je devais opérer le surlendemain, je me mis aussitôt à l'œuvre et j'endormis le malade très vite à l'aide de mon procédé usuel, consistant à fermer et à ouvrir alternativement les yeux du sujet, très rapidement, en lui suggérant chaque fois qu'il dormirait très vite et qu'il n'aurait plus aucune sensibilité.

En dix minutes il était parfaitement insensible, et, le lendemain, je le mis dans un état de sommeil encore plus profond.

C'était un homme de 30 ans, nommé Robiny, n'ayant jamais fait de maladie auparavant. Les parents étaient vigoureux et sains. Depuis avril, son testicule augmente, puis devient dur et douloureux. Trois mois après, au moment où je l'examinai, il était de la grosseur des deux poings. Depuis cette époque, grande émanation et perte absolue de l'appétit. Je posai aussitôt le diagnostic de sarcome. En présence du Dr Mattéo, de Roquebillière, du D' Couder, de Paris, médecin du bataillon de chasseurs résidant en ce moment à La Bollène, des D" Ma-

cario et Henrionnet, de Nice, je fis l'ablation de la tumeur cancéreuse. Une incision de plus de 20 centimètres fut nécessaire pour la découvrir. De nombreux vaisseaux durent être tordus. La décortication achevée, le cordon fut pincé et lié par faisceaux séparés. La longue plaie fut ensuite réunie par des sutures entrecoupées multiples. Toutes les précautions aseptiques et antiseptiques avaient été prises préalablement et pendant l'opération.

Le malade, pendant toute cette longue opération, ne proféra un seul cri, ne fit un seul mouvement. C'était, en apparence, un cadavre.

La plaie fut réunie avec la plus grande rapidité et le malade semblait alors absolument tranformé. On ne put remarquer un atome de fièvre, ni l'ombre de douleurs les jours suivants. L'appétit était déjà revenu complétement. Depuis de longs jours auparavant, il avait fait totalement défaut. L'examen des pièces enlevées me démontra qu'il s'agissait effectivement d'un sarcome. Le centre de la tumeur était ramolli et avait l'aspect de l'encéphaloide.

SOCIÉTÉS SAVANTES

CONGRÈS DE MÉDECINE INTERNE

[Session de Bordeaux 1895)

L'électrothérapie agit souvent par suggestion.

Par M. Crocq fils, de Nancy.

M. Bernheim a dit, il y a bien longtemps, que l'électrothérapie contient une part de suggestion ; de nombreux auteurs, interprétant mal l'opinion du savant nancéen. crurent qu'il contestait à cette méthode toute action réelle, et s'élevèrent contre une telle affirmation. C'est ainsi que, pour prouver que tout n'est pas suggestion dans l'électrothérapie, certains spécialistes en vinrent à conclure que la suggestion ne prend aucune part à la guérison des malades par l'électricité.

Je crois non seulement, ainsi que M. Bernheim l'a dit, que l'électrothérapie contient une part de suggestion, mais même que cette méthode n'agit souvent uniquement que par suggestion.

J'ai observé une jeune fille de 12 ans, atteinte de choréc rythmique hystérique, qui guérit à la suite de trois séances de persuasion, sans que le tabouret de verre ait été isolé, donc sans que la malade ait été réellement électrisée.

J'ai vu une jeune femme atteinte de monoplégie brachiale hystérique guérie par l'application journalière, pendant quinze jours, du courant continu ; un des conducteurs était relié aux piles par un cordon de soie

d'une dizaine de centimètres de longueur, de sorte qu'aucun courant ne pouvait impressionner la patiente.

Enfin, j'ai appliqué le courant interrompu à un homme atteint de paralysie hystérique du bras gauche ; la guérison se produisit après dix séances et, encore une fois, j'avais disposé mes appareils de manière que le malade soit à l'abri de tout courant réel.

Si la suggestion agit à ce point lorsque les malades ne sentent pas les courants, on comprend quelle part bien plus grande doit revenir à la psychothérapie lorsque les patients sentent les effets immédiats du passage de l'électricité.

Cette action suggestive de l'électrothérapie ne peut nous étonner lorsque nous connaissons les guérisons qu'on obtient par les aimants et les métaux qui n'agissent certes pas par leurs fluides, puisque j'ai obtenu des résultats aussi remarquables avec de faux aimants et avec de faux métaux.

Ces considérations me permettent de conclure que non seulement, ainsi que l'a dit M. Bernheim, l'électrothérapie contient une part de suggestion, mais encore que, même quand cette méthode semble agir par elle-même, l'élément suggestif intervient encore pour une large part dans les résultats obtenus.

discussion

M. Dabedat. — Les observations de M. Crocq ne peuvent être rapportées à l'électrothérapie, puisque ses malades n'ont pas été réellement soumis à l'électricité.

M. Crocq. — Il est évident que, pour prouver indiscutablement l'action de la suggestion, je devais traiter mes malades sans que le courant électrique les pénètre, sinon vous auriez certes prétendu que c'est l'électricité qui les a guéris.

M. Bernheim. — Je tiens à dire un mot pour appuyer ce que M. Crocq vient de dire. Ses expériences prouvent bien l'action certaine de la suggestion dans l'électrothérapie.

Nous n'avons jamais prétendu que cette méthode n'a aucune action réelle, mais je pense que, pour lui attribuer une action indéniable, il faudrait éliminer tout d'abord l'élément suggestif en essayant la pseu-do-électrisation avant d'employer la vraie électrothérapie.

FOLKLORE

Les fontaines et les sources miraculeuses.

Dans beaucoup de pays on retrouve des croyances populaires relatives aux propriétés miraculeuses de certaines fontaines.

Il y avait autrefois, entre Briey et Avril, une fontaine aujourd'hui tarie et qui était terrible pour les épouses infidèles. D'après la légende,

une femme accusée d'avoir fauté était conduite par son mari à cette fontaine et invitée à y plonger le bras ; si elle était innocente, elle l'en retirait parfaitement sain, et si elle était coupable, il se paralysait à l'instant. La paralysie était certainement un effet de suggestion. De cette fontaine, il ne reste plus aucun vestige.

***

En buvant cinq ou sept fois de l'eau de la fontaine de l'ancien couvent de Saint-Pierremont, entre Noël et l'Epiphanie, on était préservé pour toute l'année des fièvres et fluxions de poitrine ou de pleurésie ; en s'en aspergeant cinq ou sept fois dans les jours entre l'Ascension et la Pentecôte, on était préservé de toute maladie de peau, gale, teigne, etc.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Étude sur l'alcoolisme en Suisse. — Les Sociétés de tempérance et les asiles pour les buveurs, (1)

M. Lucien Puteaux, secrétaire de la Commission de Surveillance des asiles d'aliénés de la Suisse, étudie, dans ce travail d'une lecture très attachante et éminemment instructif, la question des asiles de traitement des buveurs en Suisse, et l'état actuel de la lutte contre l'alcoolisme dans ce dernier pays. Après un court chapitre destiné à rappeler les conséquences redoutables de l'intoxication par l'alcool (procréation d'enfants dégénérés, dépopulation, criminalité, suicides, mortalité, folie), et des mesures prises dans divers pays pour entraver les progrès du fléau, M. Puteaux fait une étude approfondie du mouvement antialcoolique en Suisse et de l'œuvre féconde en résultats des Sociétés d'abstinence. Les promoteurs du mouvement ont été des pasteurs protestants qui, vers 1837, firent de la propagande, dans la Suisse romande, en faveur de la tempérance. Les Sociétés de tempérance, au début, crurent pouvoir arriver à un résultat pratique en se contentant de condamner l'abus des boissons alcooliques : celte conception était une erreur, comme l'a montré l'expérience. Aussi l'agitation contre l'alcoolisme ne prit-elle réellement son essor que lors de la fondation, en 1877, de la Société de la Croix-Blanche, basée sur l'abstinence totale de toute boisson alcoolique. Cette Société compte actuellement plus de douze mille membres. L'ordre des Bons-Templiers possède également de nombreux adhérents en Suisse : cet ordre est la plus grande Société d'abstinence qui exile sur la surface du globe : il y a, répandus dans le monde, plus de 600.000 Bons-Templiers. Les membres de l'ordre s'engagent personnellement pour toute leur vie â ne prendre aucune boisson alcoolique ni vin, ni bière, ni cidre), à empêcher, par tous les moyens possibles,

(1) L. puteaux, 67 pages. Imprimerie typographique de l'Ecole d'Alembort. Mon-ténain, 1894.

la vente et la circulation des spiritueux, à ne pas en vendre, à ne pas en fabriquer, à ne pas en offrir. M, Putcaux consacre plusieurs pages à l'exposé des idées du Prof. Forel (de Zurich) dont on connaît la compétence dans la question de l'assistance des alcooliques ; le projet de création d'un asile spécial de traitement pour les buveurs dans le département de la Seine est dans ses plus grandes lignes. L'auteur fait ensuite la description des quatre asiles suisses de buveurs, dont les uns, dirigés par des pasteurs, ont un caractère religieux, tandis que les autres sont soumis à une direction médicale. L'asile modèle est celui d'Ellikore, dirigé par M. Forel. Les malades, au nombre de 40, et le personnel sont soumis à l'abstinence totale de toute boisson alcoolique : l'eau est la seule boisson autorisée. Le travail en plein air (culture maraîchère, etc.) est considéré comme étant, après l'abstinence, le facteur le plus important du traitement. L'administrateur de l'établissement est un buveur guéri, qui s'occupe avec zèle de l'œuvre qui lui est confiée. Les malades sont placés volontairement, et sont libres de quitter l'asile quand ils le veulent; certains sont placés en vertu d'une loi spéciale au canton de Saint-Gall, loi autorisant l'internement des buveurs d'habitude pendant 9 à 18 mois. La proportion des guérisons est de 30 à 40 pour 100. Le minimum de séjour est de 4 mois. M. Puteaux, dans ses conclusions, examine les renseignements fournis par l'étude des asiles suisses au point de vue de l'organisation de l'établissement projeté dans la Suisse. Les annexes du travail renferment des documents intéressants sur les Sociétés d'abstinence, le monopole de l'alcool, les asiles de buveurs. Paul Sérieux.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront lieu les lundis 21 Octobre, 18 Novembre, 16 Décembre. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas-trésorier, 1, place Jussieu.

L'inanition chez le mouton.

Le Recueil de médecine vétérinaire rapporte, d'après The Veterina-Wan, plusieurs faits curieux d'abstinence chez le mouton.

Durant le rude hiver que nous venons de traverser, dit le professeur Dewar, on a cité plusieurs exemples de moutons ensevelis sous la neige pendant des semaines et qui furent retrouvés vivants.

M. J. Grant avait 18 moutons perdus sous la neige depuis le 6 janvier; on ne les retrouva que le 15 février couverts de neige depuis six semaines. ? la faveur du dégel on en aperçut quelques-uns et on fut mis ainsi sur la trace des autres. Ils marchaient à peine; un d'entre eux mourut le même jour. Tous étaient excessivement maigres et avaient la laine mangée sur les épaules. Ils avaient pu se mouvoir dans un étroit espace dont ils avaient mangé la bruyère jusque profondément dans la terre. Ils se remirent assez rapidement, seulement les brebis mères n'eurent plus de lait.

Un autre cas est encore plus remarquable : huit moutons restèrent ensevelis dans la neige du dimanche 13 janvier au vendredi 15 mars, soit 8 semaines et cinq jours Ils avaient juste la place pour se retourner, et avaient dévore jusqu'au, dernier brin-de la mousse de leur repaire. Quand ils sortirent lors du dégel, ils étaient encore capables de prendre leur nourriture et reprirent assez vite toutes les apparences de la santé.

Il est infiniment probable que ces animaux n'auraient pas résisté s'ils n'avaient été placés dans un état voisin de l'hibernation. La toison dont le mouton est recouvert joue un grand rôle dans la résistance que présente cet animal au froid et au jeûne prolongé.

Après ces jeûnes prolongés, comment s'étonner que certains Fakirs puissent également se soustraire pendant quelques semaines à l'influence de l'inanition?

Concours sur titres et concours sur épreuves.

Le Progrès médical extrait d'une leçon de M. le professeur H. de Lacaze-Duthiers, ancien interne des hôpitaux de Paris, la phrase suivante :

» Dans les recherches sur des sujets nouveaux, la valeur scientifique, le jugement, l'originalité de l'auteur se manifestent incontestablement, et quand on compare la valeur de l'épreuve du doctorat (ès-sciences naturelles), bien passée, avec celle des autres obtentions de certains grades, on voit combien une « thèse bonne et bien faite l'emporte, et de ¦ beaucoup, sur des épreuves d'un concours où l'on a emmagasiné ? beaucoup de savoir pour le régurgiter dans un temps et dans des con-« ditions voulues. » ¦

C'est dans un grand journal presque officiel qu'on a pu lire aussi les lignes suivantes :

« Un faux préjugé, qu'on baptise de « démocratique n, milite encore, dans certaines cervelles, en faveur du concours. Pourquoi le concours est-il un procédé démocratique? Nul ne saurait le dire. En quoi est-il plus démocratique de se condamner à choisir entre un ramassis de médiocrités... Mais, nous sommes tranquilles, malgré toutes les revanches qu'on lui offre obstinément, le système du concours est fatalement

condamné, parce qu'il ne comporte que deux solutions également pileuses : ou bien le concours n'aboutit point, et alors c'est un spectacle humiliant et ridicule ; ou bien le concours aboutit, et alors c'est le triomphe de la banalité ! »

Un moyen contre l'insomnie due à la perception de bruits.

Beaucoup de sujets nerveux sont éveillés ou ne peuvent s'endormir par suite du moindre bruit. D'autre part, chez des personnes non malades exposées à la perception continue de bruits pendant la nuit, on voit se développer une insomnie persistante, susceptible d'amener des troubles nerveux plus ou moins graves. L'occlusion des oreilles avec du coton n'est pas un moyen suffisant, car la ouate sèche introduite dans le conduit auditif laisse passer les ondes sonores à travers ses interstices.

Dans ces conditions, M. le docteur O. Rosenbach, professeur extraordinaire de médecine interne à la Faculté de médecine de Breslau, a pu se convaincre qu'il suffit simplement d'imprégner la ouate avec de la vaseline pour obtenir un tampon s'opposant complètement à toute perception des bruits.

Pour préparer ces tampons, on prend une languette de coton ayant 6 centimètres de long sur 3 de large et épaisse de 1 centimètre ; on enduit la surface supérieure de cette languette d'une couche suffisante de vaseline, puis on la roule de façon à obtenir un corps cylindrique et mou qu'on introduit dans le conduit auditif à une profondeur de 2 centimètres environ ; on étale sur le pavillon de l'oreille le bout externe du tampon par-dessus lequel on applique une couche de ouate. Le matin, en enlevant le tampon, on aura soin de bien essuyer le conduit auditif.

11 va de soi que le moyen indiqué par M. Rosenbach ne met à l'abri que des perceptions sonores, mais ne saurait empêcher le sujet de ressentir les ébranlements mécaniques qui accompagnent les bruits très intenses.

Le Yogui

M. Barthélémy Saint-Hilaire, dans le Journal des Savants, dans sa suite du Yogui de Patandjali, donne des traductions d'aphorismes avec des éclaircissements, d'après les commentaires et les traductions récentes. Qu'est-ce d'abord que le Yogui ?

C'est la concentration de l'âme en elle-même, à l'exclusion de toutes les modifications qu'elle peut subir du dehors. L'esprit est alors réduit à sa substance, sans aucune altération. 11 est à l'état de simple spectateur, et c'est la forme qui est vraiment sienne. Il la perd quand il exerce les facultés dont il est doué, et qu'il se confond avec les objets auxquels s'appliquent ces facultés. L'emploi d'ailleurs peut en être pénible ou agréable.

L'auteur nous explique ensuite comment on peut arriver à la perfection de yogui, détails qui sonnent dans les oreilles d'un non initié,comme une étrange et incompréhensible accouplement de mots et d'idées.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses {dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des leçons pratiques sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits par MM. les D" Max Xordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin et Henri Lemesle, sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et l'enseignement qu"i y est donné en font comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale et de psychothérapie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

' Monument de Ddschesne de Boulogne. — A la Salpétrière, on va prochainement inaugurer le monument du I >¦ Duchesne, œuvre du statutaire Desvergne et de l'architecte Debrie. Il est question d'élever un autre monument au Dr Duchesne, dans sa ville natale, à Boulogne.

L'Ecole normale supérieure et l'agrégation. — Beaucoup estiment que l'utilité, actuelle, de l'Ecole normale supérieure est contestable et qu'on pourrait en faire l'économie, invoquant à l'appui le nombre suffisant des licenciés de toutes catégories reçus chaque année dans les diverses Facultés. Sur 8 candidats qui viennent d'être reçus à l'Agrégation de philosophie, nous trouvons deux élèves de l'Ecole normale, et sur 17 candidats à l'agrégation des lettres, 5 élèves de l'Ecole normale.

Congrès de la protection de l'enfance. — Sur la proposition de MM. les D" Saint Philippe et Régis, ce congrès a émis le vœu que: L'assistance des enfants arriérés, imbéciles, idiots, crétins, etc., compris sous

le terme commun de dégénérés, soit organisée au plus tôt par la création en nombre suffisant et au moins dans les grands centres, d'établissements spéciaux, analogues aux institutions des sourds-muets, ayant à la fois le caractère d'établissements de traitement et d'éducation, »

Ecole de gymnastique médicale et de massage de Bordeaux. — Le Journal de médecine de Bordeaux annonce la création à Bordeaux d'une Ecole de gymnastique médicale suédoise.

Le fondateur de cette Ecole, le Dr Pierre Régnier, qui a fdit une étude très approfondie de la méthode à l'Institut central de Stockholm, s'est efforcé dans son organisation de reproduire le plus fidèlement possible l'enseignement des élèves de Ling. Nous constatons avec plaisir ces manifestations de la décentralisation scientifique.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Bkrillon. — Action complémentaire de la suggestion hypnotique dans le traitement de l'ataxie locomotrice. Gong. fr. des Méd. aliénistes et neurologistes, 6' sess., Bordeaux, 5 août 1895. Sern. M éd. Paris, 1895, XV, 10 août, n° 40. P. A.

Bonjour. — Guérison par l'hypnotisme. [Revue Méd. de la Suisse Rom., Avril 1895)..

Pdchs (Pr.) — Ueber die Bedentùng der Hypnose in forensischer Hinsicht; ein iu dem Processe Czinski abgegebenes Gutachten nebst einigen anderen Schriftstiicken verwandten Inhalts. In-8°, 36 p., Bonn.

Gley. — L'hypnose chez les grenouilles. Soc. de Biologie. Séance du 6 Juillet 1895. A. Sem. Méd. Paris, XV, 10 Juillet 1895, n° 35,298. P. A.

Gondard (H.). — Sur la réalité des effluves lumineuses magnétiques perçus par certains sujets. (Ann. de psychiat. et d'hypnol.) Paris, 1895. N. S. V. 14.

Moll (A). — Der Hypnotismus, 1895. Berlin. 3· éd., in-8°, 380 p.

Martinet. — Du rôle de la suggestion dans les effets de la méthode séquardienne. Bordeaux 1895. Th. de doct.

Schaffer (K). — Suggestion und Refiex, eine Kritisch expérimentelle stûdie Ober die Reflexphânomene des Hypnotismus. Iéna 1895, inr8e, VII, 113 p. avec fig.

SgrûSSO. — La suggestion à l'état de veille dans certaines affections oculaires. Bolletino d'oculistica. XVII, n° 3. A. Rev. gén. d'ophthalmo-logie. Paris 1895, XIX, n° 7, 31 juillet 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine. Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbcrt, 10.

10" ANNÉE. — N'° 0.

Novembre 1895.

ACTION I? HI?I? 01R ? DE LA VOLONTÉ

sur les attaques d'épllepsie (')

Par M. le D' Ph. TIS8IÊ, de Bordeaux.

On a admis jusqu'à ce jour que la volonté n'a aucune action inhibitoire sur l'attaque épileptique, celle-ci étant, comme on l'a déjà dit, le triomphe du réflexe ; il n'en est pas toujours ainsi, témoin l'observation suivante:

Il s'agit d'un adolescent de dix-sept ans, élève du lycée de Bordeaux, ayant eu tout à coup une croissance très rapide qui l'a beaucoup fatigué. La première crise a paru à cette période et l'a saisi dans la rue, auprès de sa mère. Il ignore comment elle est survenue ni ce qu'il a fait ; cependant il n'est pas tombé, il a continué à marcher, sa mère ne s'est aperçue de la chose que par les soupirs et les souffles qu'il poussait. Lui ayant demandé ce qu'il avait, il répondit : « C'est une mauvaise idée; » la crise passée, amnésie complète de ce qu'il avait fait ou dit dans l'intervalle. Cette première attaque est suivie de plusieurs autres pendant un mois, chacune ne durant qu'une minute environ. Comme un jour sa mère le conduisait chez le médecin de la famille qui l'avait soigné étant enfant et qui demeurait en face de leur habitation, X... eut peur, il fut aussitôt saisi par une crise,qui dura le temps de traverser la rue. N'ayant trouvé personne, il revint de nouveau chez le médecin, mais cette fois il n'eut pas peur et la crise ne survint pas. Celles-ci ont lieu tous les quinze jours environ.

Description d'une crise. — La crise est précédée d'une idée fixe prise au hasard, au nombre des idées générales qui traversent l'esprit et que, malgré sa banalité, X... sent devoir provoquer une attaque. Cette idée s'impose, elle grossit peu à

(1) Travail communiqué au Congrès des Aliénistes et Neurologistes de Bordeaux.

peu, devient énorme et fixe, envahissant tous les centres psychiques et déplaçant toutes les autres idées ; quand son hypertrophie a atteint un certain degré, la crise survient. Cependant, il sait qu'il peut lutter contre cet envahissement en appelant à son secours une autre idée, qu'il rend fixe par un effort de sa volonté. Il la grossit volontairement et la renforce afin de l'opposer avec succès à la « mauvaise idée. » Il parvient ainsi à éviter la crise. Il est à remarquer qne la formation et l'intensité même de cette seconde idée d'origine volitive ne provoque aucune attaque, alors qu'il n'en est pas de même de l'idée pathogène. Il n'éprouve pas non plus de fatigue psychique par la lutte qui s'établit entre les deux idées. La crise est encore évitée si son attention est fortement portée ailleurs, soit par une interpellation brusque, un bruit soudain, un choc quelconque qui empêche le développement et l'envahissement des centres psychiques.

Le jeune malade compare cet état à celui d'un engourdissement ou d'un sommeil d'où il sortirait à la suite d'une forte commotion. Si la crise le surprend quand il écrit, il ne s'arrête pas, bien qu'il sente grossir l'idée ; il ne lâche pas son porte-plume, mais la phrase est arrêtée au moment du paroxysme. La main suit un mouvement automatique, les caractères de l'écriture sont remplacés par des lignes ou des traits obliques. Il reprend la phrase après l'accès au point où il l'a abandonnée, si bien que sur une page d'écriture la crise se révèle par une incoordination graphique, mais non psychique.

Il ne tombe pas dans la rue, mais il laisse tomber sa canne ou les objets qu'il tient dans les mains. Il ne s'est jamais mordu la langue, n'a jamais uriné, n'a jamais gâté ses linges, n'a jamais bavé.

Sa mère a constaté qu'il pleurait dans un accès nocturne, il l'appelait « maman ». Pas d'impulsions avant ou après la crise.

Un jour étant en voiture et conduisant, il sentit venir une attaque, il était assis auprès du cocher, sa mère était placée derrière lui, il lâcha les rênes ; à partir de ce moment, il ne se rappelle rien ; cependant celle-ci ayant entendu un souffle, voulut faire arrêter la voiture, mais déjà il avait repris les rênes.

Huit mois après, il dit avoir été atteint d'une première attaque pendant la nuit, entre une heure et deux heures ; il s'adonnait alors au canotage avec excès, se couchait vers minuit ou une heure du matin et se levait de bonne heure pour se rendre

sur l'eau. Il tombe du lit, mais n'urine pas; l'accès est court, pas de stertor, pas de céphalalgie ; cet accès est accompagné de trois autres, dont un second dans le lit, mais sans chute à terre.

X... passe l'examen du baccalauréat ès sciences complet; il est reçu à l'écrit et prépare l'oral. II travaille et se fatigue beaucoup cérébralement; les crises surviennent quotidiennement pendant les trois jours qui précèdent l'examen. Il les attribue à l'idée fixe qui le poursuivait de passer cette épreuve. Elles sont extrêmement courtes, mais l'état d'accès est si profondément établi qu'il fond les trois attaques en une seule. Après être reçu, il se rend à la campagne, où il se repose ; il monte à bicyclette pendant trois heures par jour, marchant à une moyenne de quinze kilomètres à l'heure; il fait aussi quelques promenades et du canotage, mais modérément; il se couche et se lève de bonne heure ; les crises sont très rares, elles ne surviennentjamais à bicyclette, tandis qu'il en aen canot. Une de celles-ci mérite d'être citée. II se trouvait sur le canal de la Robine et tenait le gouvernail ; tout à coup, sentant venir l'attaque, il eut le temps de diriger l'embarcation vers la berge ; ayant prétexté le besoin d'uriner, il descendit à terre, se rendit du côté opposé du chemin de halage, choisit un arbre et, s'y étant appuyé en faisant le simulacre d'uriner, il laissa ainsi passer la crise. Ses camarades ne s'aperçurent de rien ; il les rejoignit sans avoir uriné.

X... rendre à Bordeaux, où il vient préparer les examens d'entrée à l'École centrale. Il se fatigue de nouveau cérébralement et les crises se reproduisent plus fréquemment, surtout d'une heure à deux heures du matin, pendant le sommeil. Céphalalgie légère au réveil.

C'est à ce moment que X... m'est présenté, c'est un mastur-bateur. Son champ visuel est concentriquement rétréci, surtout pour l'œil gauche. Je prescris le traitement polybromuré à haute dose, l'hydrothérapie et la suppression de toute fatigue; j'applique la gymnastique médicale. Arrêt des crises pendant plusieurs mois.

Unjour.X... m'apprend qu'il vientd'en subir deux nouvelles; il les attribue à un excès de bicyclette et d'onanisme. Le même traitement, rigoureusement observé, donne d'excellents résultats pendant plus d'un an, au bout duquel je perds ce jeune homme de vue.

Le début des crises coïncide avec une croissance très rapide,

qui établit une fatigue organique. Une grande fatigue est cause de la fréquence des crises, qu'elle soit physique, intellectuelle ou émotive, comme la peur de se rendre chez le médecin de la famille, la préparation aux examens, l'abus des exercices physiques, un excès de masturbation.

La première manisfestation pathologique, l'aura, est constituée par une « mauvaise idée » qui, pour le malade, est la cause occasionnelle de tous ses accès. Il semble que la formation de cette idée et son hypertrophie provoque une fatigue psychique, laquelle, à son tour, amène la crise. Cependant, il est plus admissible de penser que cet automatisme psychique est plus effet que cause et qu'il annonce une décharge nerveuse se préparant, décharge qui se créerait une voie à la faveur de la moindre résistance, cette moindre résislance étant établie par un état d'adynamie des cellules nerveuses présidant à la formation de la volonté. Le jugement existejusqu'au moment de la crise, il réapparaît aussitôt après, puisque le malade a le temps de prendre ses précautions. Quand la résistance des centres volitifs est plus élevée que la force nerveuse qui va se décharger, la volonté arrête la crise par l'action inhibitoire d'une idée thérapeutique mise en présence de l'idée pathogène. Cet état de résistance doit provenir, selon toute probabilité, de l'intégrité fonctionnelle des cellules nerveuses volitives, celle-ci actionnent les centres représentatifs, c'est-à-dire des mémoires diverses servant à constituer l'idée thérapeutique ; cette idée interrompt le courant pathogène formé dans des centres psychiques voisins.

Il serait intéressant de savoir si cet état est analogue à celui du sommeil somnamblulique avec amnésie au réveil. D'autre part, dans l'état hypnagogique, les centres psychiques étant découronnés, il arrive souvent qu'une idée devient envahissante. On attribue alors à certains faits ou à certains mots une valeur démesurée.

Dans ce cas, le traitement du malade pourrait porter sur le renforcement de la volonté dans le sommeil lui-même. En effet, si par elle il peut supprimer la crise à l'état de veille, il en est incapable pendant le sommeil, où la volonté est atténuée. Ce que l'on sait aujourd'hui sur les rêves et sur l'état hypnagogique permet d'admettre qu'en faisant lui-même l'éducation de sa volonté dans le sommeil, c'est-à-dire en s'habituant à s'analyser pendant qu'il dort, il pourrait peut-être éviter les crises comme à l'état de veille ou du moins les espacer. Mais tout dépend du

coefficient de force neurique qu'il possède au moment de la crise; s'il est assez élevé pour qu'il puisse fournira une émission parallèle, l'inhibition volitive pourra se produire, sinon la crise suivra son cours. Si X... sort quelquefois vainqueur de l'épreuve, c'est qu'en fait, il n'a rien à redouter : il subit une illusion; X... est un masturbateur. L'onaniste provoque la fatigue de ses centres nerveux non seulement par l'ébranlement dû à l'excitation génésique, mais par la représentation violente des évocations féminines ou masculines, suivant les cas. L'acuité de cette représentation correspond à l'acuité de l'excitation génésique, la tension neurique et psychique atteint son maximum. L'onanisme est une exellente école d'automatisme psychique par la création, d'abord volontaire de représentations vives, de mémoires fortes, qui peuvent atteindre jusqu'à l'obsession par la répétition, par la durée et par l'intensité. J'ajouterai cependant que n'est pas masturbateur qui veut. L'onanisme est un équivalent d'impulsion très manisfeste chez les dégénérés, les idiots, les épileptiques, les hystériques, etc. On le trouve dans l'enfance, la jeunesse et l'adolescence, surtout à la puberté, période d'évolution intermédiaire, où, l'adolescent n'étant plus l'enfant et pas encore l'adulte, peut être considéré comme un neutre, c'est à dire un être pathologique. On voit cette impulsion disparaître peu à peu, en raison de la puissance d'abstraction ou d'analyse du sujet, ainsi que de son développement physiologique.

L'onaniste est en puissance impulsive ; il n'est pas rare de retrouver chez lui diverses autres formes d'impulsions, telles que Tonychophagie, les phobies diverses, l'émotivité extrême, les obsessions, etc.

En résumé, nous avons affaire à un adolescent onaniste, ayant grandi très rapidement et qui, tout à coup, pendant cette croissance, a été atteint de crises épileptiques à aura psychique ; il peut les supprimer quelquefois par la volonté ou par une impression sensorielle violente.

L'amnésie prouve que les crises sont épileptiques.

11 est permis de se demander si l'irritation des centres nerveux qui provoque ces crises n'est pas due à la fatigue, puisqu'il y a coïncidence régulière entre toute fatigue et la production des attaques. Le traitement polybromuré à haute dose, qui a agi chimiquement sur les centres nerveux, et la gymnastique médicale, qui a diffusé la tension nerveuse vers les muscles, ont donné d'excellents résultats.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 25 Juillet. — Présidence de M. Dumontpallier. (Suite)

Onychophagie et habitudes automatiques, onanisme; etc., chez les enfants vicieux ou dégénérés.

Par M. le D' Bodrdox, de Méru

Notre secrétaire général, le Dr Bérillon, est le premier qui ait proclamé la valeur de la suggestion hypnotique comme agent moralisateur et éducateur chez les enfants mauvais, impulsifs ou vicieux ; le premier qui ait démontré que les principes de la « pédagogie suggestive et préventive » reposent sur des données scientifiques et des faits positifs ; le premier enfin qui ait montré que le traitement psychothérapique de l'onychophagie et des habitudes automatiques chez l'enfant, n'était qu'une des multiples applications de cette pédagogie suggestive dont, pour la première fois, il a formulé les principes au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences tenu à Nancy en 1886.

Depuis lors, il a poursuivi sa démonstration sans se laisser arrêter par les objections d'ordre purement métaphysique et sentimental.

J'en suis heureux pour ma part, puisque ses intéressantes et si utiles recherches ont attiré mon attention sur un fait trop négligé, quoique fréquent et digne au plus haut point de la préoccupation des médecins et des pédagogues.

Ainsi que le dit avec raison le Dr Bérillon, de toutes les habitudes vicieuses ou nuisibles que les neurologistes et les psychiatres rencontrent chez les dégénérés, l'habitude de se ronger les ongles est certainement la plus fréquente... une déformation caractéristique des doigts est la conséquence de cette habitude.

Sa fréquence a conduit M. Bérillon à désigner cette habitude par une appellation spéciale, il a cru devoir créer pour elle un néologisme tiré du grec, onychophagie.

Les médecins qui se sont occupés de la dégénérescence héréditaire envisagée dans ses causes aussi bien que dans ses effets, ne paraissent pas, au Dr Bérillon, avoir accorde une allention suffisante à une habitude dont la constance et la fréquence chez les dégénérés peut prendre le caractère d'un véritable stigmate et avoir ainsi une grande valeur séméiologique.

Sans compter, ajoute avec raison notre auteur, les considérations d'ordre hygiénique, psychologique et pédagogique qui en découlent nécessairement.

Ces considérations, il les a savamment développées dans la « Revue de l'Hypnotisme » du mois de juillet 1893, où, au point de vue de l'hygiène élémentaire, il a, entre autres choses, démontré la contagion

possible de la tuberculose, soit par l'ingestion d'agents infectieux, par la voie buccale, soit par l'amoindrissement des défenses naturelles de l'organisme contre ces mêmes agents (surtout, ajouterons-nous, si l'or-nanisme — ce qui est le cas le plus fréquent — vient s'ajouter à l'ony-chophagie) et, au point de vue de l'hygiène professionnelle, la perte de la sensibilité tactile et la maladresse qui résulte de l'absence des ongles, etc, etc.

Les considérations d'ordre psychologique no sont pas moins importantes, et pour « les indications capables d'éclairer l'étiologie de l'ony-chophagic, et pour la base du traitement à instituer. »

Il y est montré que, quelle que soit, dans la genèse d'une habitude, la part qui revient à l'hérédité et celle qui revient à l'imitation, on peut toujours, alors même que celle-ci a joué un rôle, se demander si cette adaptation n'est pas subordonnée à une prédisposition héréditaire, puisque l'imitation n'exerce son action que sur quelques-uns, etc., etc.

Et que si l'habitude de se ronger les ongles ne constitue pas par elle-même un stigmate de dégénérescence, au moins elle est toujours liée à d'autres manifestations de la dégénérescence et surtout à l'onanisme ; qu'enfin « si dans beaucoup de cas, l'imitation et la contagion de l'exemple ont pu constituer le stimulus indispensable pour la mise en train de toute impulsion automatique, la dégénérescence héréditaire n'en est pas moins le facteur le plus puissant dans l'apparition de l'onycho-phagie. »

Pour ce qui est des considérations pédagogiques, on ne peut qu'approuver encore le Dr Bérillon lorsqu'il dit que « la plupart des mauvaises habitudes de l'enfance tiennent le plus souvent au défaut de vigilance, à la négligence ou à l'indifférence de ceux qui ont le soin de leur éducation » ; et sans remonter jusqu'à la nourrice, comme Montaigne, on peut « s'étonner, avec lui, que les éducateurs, particulièrement chargés de réprimer les dispositions nuisibles ou vicieuses qui se manifestent chez les enfants, n'aient pas été frappés de la fréquence de l'onychophagie dans les écoles et qu'il n'en soit question dans aucun traité de pédagogie. »

Cependant l'importance de la question ressort suffisamment des statistiques du Dr Bérillon portant sur des enfants de classes sociales très-différentes. Le contingent d'onychophages fourni par l'enseignement secondaire est sensiblement le môme que celui de l'enseignement primaire et, en province comme à Paris, il est très-élevé : tantôt il est du cinquième des élèves, tantôt du quart, tantôt de la moitié.

Pour ma part, je n'ai pu étudier la question comme je l'aurais voulu, largement et à fond, je n'ai pu observer sur une aussi grande échelle que le dr Bérillon, mais les quelques recherches auxquelles je me suis livré, les chiffres que j'ai pu recueillir viennent confirmer de tous points ses observations.

Les onychophages ne sont pas, en province, beaucoup moins nombreux

qu'à Paris; approximativement, il y en a tantôt un cinquième, tantôt un sixième, tantôt un huitième, autant que j'ai pu en juger dans une rapide et sommaire enquête (que je me propose de compléter).

Ainsi que l'a dit notre éminent observateur, j'ai constaté que les enfants qui s'adonnent aux habitudes automatiques, sont généralement plus chétifs que les autres ; moins laborieux, ils sont enclins à la mollesse, présentent des défectuosités du caractère, font preuve d'une attention moins soutenue. Leur écriture laisse également à désirer.

Les uns sont intelligents, quelques-uns même très-intelligents, les autres le sont moins, quelques-uns ont de mauvais instincts. Mais, même pour ceux qui ont des facultés assez brillantes, il est facile de comprendre que, à un moment donné, ß toutes ces belles qualités s'évanouissent et que l'onanisme, l'onychophagie, le surmenage intellectuel compromettent l'évolution normale du système nerveux. »

Et il faut bien conclure, avec le D' Bérillon, que d'une façon générale lesonychophages sont dans un état d'infériorité très appréciable soit au point de vue du dëveloppemeot intellectuel, soit au point de vue de la sensibilité morale.

Et puisque la prophylaxie jusqu'ici est restée nulle ou illusoire contre ces états morbides, puisque la pratique a démontré l'insuffisance des divers traitements préconisés contre eux, pourquoi ne pas suivre l'exemple si digne d'éloges du Dr Bérillon, et ne pas recourir, contre l'onychophagie et les habitudes vicieuses de même nature, au traitement moral ou plutôt psychique si heureusement inauguré par lui, c'est-à-dire au traitement psychothérapique, à l'une des multiples applications de la pédagogie suggestive dont il a formulé les principes au Congrès de Nancy ?

C'est, pour ma part, ce que j'ai tenté de faire dans les quelques cas que j'ai pu recueillir jusqu'à présent et dont voici les premières observations.

première observation

Cas d'onanisme invétéré et d'onychophagie, — troubles du caractère, indiscipline, etc., chez une fillette de H ans. — Guérîson une première fois par la suggestion hypnotique- — Rechute à la suite de mauvais traitements. — Guérison définitive par la psychothérapie.

Berthe P., âgé de onze ans, s'est toujours sucé les doigts, rongé les ongles et livrée à l'onanisme. A l'âge de quatre ans, elle était surprise au milieu de cette dernière pratique et corrigée d'importance.

Tout fut mis en œuvre pour la guérir de cette habitude vicieuse: remontrances, conseils, menaces, mais surtout violences et moyens coercitifs, tout fut employé en vain.

Rien n'a pu la corriger; au contraire, l'onanisme n'a fait qu'augmenter.

Elle est indocile au suprême degré, menteuse, voleuse, colère, désobéissante, malpropre et gourmande.

Elle n'est pas dépourvue d'intelligence, mais elle est extrêmement paresseuse, ne fait rien à l'école, et est renvoyée de partout comme nuisible et de mauvais exemple. Elle déchire et casse tout, fait mal tout ce qu'elle fait : « C'est plus fort qu'elle », dit sa belle-mère. C'est une impulsive.

Elle a des antécédents héréditaires assez chargés : sa mère rongeait ses ongles en cachette, on ne la voyait jamais; elle était nerveuse et probablement hystérique, elle est morte à 27 ans, de pyoémie, dit-on.

Son père, remarié depuis sept à huit ans, est alcoolique et phtisique, il a sucé son pouce jusqu'à l'âge de 10 ans, et aujourd'hui, à l'âge de 40 ans, il suce encore son mouchoir ou se le fourre dans le nez, la nuit surtout.

Cette enfant est donc une dégénérée, mais sa dégénérescence est plus marquée au point de vue mental qu'au point de vue physique, bien qu'elle soit arrêtée dans son développement et que, gentille physiquement, elle enlaidit plutôt. — Elle a les stigmates de l'hystérie, elle a des zones d'anesthésic, est presque complètement hémianesthésique à droite.

Malheureusement, le milieu où elle se trouve n'est pas intelligent, ni indulgent pour elle : on est facilement porté à la maltraiter, ce qui aggrave la situation.

Sa belle-mère, bien qu'ayant elle-même bénéficié jadis de la suggestion hypnotique, ne veut pas comprendre que cette enfant peut être guérie seulement par ce moyen,* et je me heurte à de l'incrédulité et presque à de l'opposition.

C'est donc un peu malgré-les parents que je commence le traitement et presque aussi contre le sujet qui s'y prête de mauvaise grâce. Aussi, dans une première séance, je n'arrive à obtenir qu'un sommeil léger dans lequel je répète les suggestions nécessaires, et surtout qu'elle ne peut plus ronger ses ongles, se toucher où il ne faut pas et qu'elle en a le dégoût, qu'elle ne peut plus faire ce qui est mal et qu'elle ne le veut pas, qu'elle veut-être une petite fille docile, obéissante, laborieuse, raisonnable, qu'elle ne veut plus se faire maltraiter, détester, qu'elle veut se faire aimer, récompenser, etc. ; qu'en se réveillant elle se sentira déjà meilleure, qu'elle n'aura plus sa douleur du côté droit, qu'elle sera plus sensible aux points où elle était insensible, etc.

Au réveil, il semble que la figure est déjà meilleure, moins rude, elle est souriante et parait contente.

L'enfant dit qu'elle se trouve mieux, elle ne sent plus sa douleur de côté, elle est plus sensible aux points anesthésiés.

Je lui affirme qu'elle ira de mieux en mieux, qu'elle ne pourra ni ne voudra plus faire ce qui est mal; je répète, en quelque sorte, mes suggestion à l'état de veille et, pour l'encourager, je lui donne quelques

sous et j'engage les parents à ne plus la rudoyer, à lui parler dans le même sons q'ie moi, à éloigner d'elle toute idée du passé.

Après cette première séance et malgré le sommeil léger, il y a déjà eu un commencement de résultat.

Ses parents, incrédules auparavant, sont obligés de constater qu'elle est un peu plus souple, plus affectueuse, et que, la nuit suivante, sans avoir, comme d'habitude, les bras attachés par une sorte de camisole de force, elle n'avait pas cherché à se livrer à l'onanisme, ni à se ronger les ongles. Ce qui est encourageant, si l'on considère, comme l'a remarqué M. Jules Voisin, que les onychophages onanistes sont beaucoup plus difficiles à guérir que les autres.

Les séances sont continuées à peu près tous les jours : chaque fois le sommeil est un peu plus profond et, malgré les difficultés inhérentes à l'entourage, les résultats s'accentuent de plus en plus, au point qu'à l'école sa maîtresse, non prévenue, a dû le remarquer, a constaté que cette enfant qui faisait un peu sa terreur au point de vue de la contagion de l'exemple, n'était plus la même, était plus appliquée, moins dissipée, ne se rongeait plus les ongles, etc.

Enfin, après une dizaine de jours, on pouvait considérer la guérison comme à peu près complète et assurée, lorsque tout à coup, au lieu de rester là, sous ma main, pour me permettre de la surveiller encore et de consolider le résultat obtenu, cette fillette est envoyée en vacances, chez ses parents. Or, là-bas, on la trouve également transformée, mais au lieu de la surveiller, on la laisse courir, vagabonder et. en contact sans doute avec des enfants vicieux; puis, la voyant reprendre petit à petit ses mauvaises habitudes, on la rudoie, on la maltraite.

Toujours est-il que, plusieurs mois après, elle est redevenue à peu près ce qu'elle était. Je la retrouve chez ses parents, plus détestable que jamais ; on l'envoie à une autre école, mais la maîtresse en est très mécontente et ne voudrait pas la garder. Celte enfant, dit-elle, n'obtiendra pas son certificat d'études.

Tout le monde s'en occupe, on veut laplacer dans une espèce d'ouvroir tenu par des sœurs, mais la Supérieure, apprenant ses vices, ne veut pas l'accepter.

C'est dans ces conditions que, plus d'un an après la première cure, je consens à m'en occuper, malgré le mauvais concours de ses parents qui ayant déjà, par leur incurie et leur inintelligence, compromis ou laissé compromettre mon premier résultat, ne semblent guère capables de mieux faire celte fois-ci. Toutefois, ayant le sujet sous la main, je pourrai surveiller les choses, écarter les éléments contraires et mener celte fois, j'espère, l'œuvre à bonne fin.

Je me remets donc courageusement à la besogne.

La pauvre enfant m'est ramenée la figure ravagée, les yeux presque hagards, ahurie et plus sale que la première fois, mais les ongles sont moins rongés cependant qu'au début.

Plus que jamais elle se livre à l'onanisme; et elle court, dit sa belle-

mère, après les jeunes gens ; malgré tout, elle semble avoir conscience de son misérable état; elle dit que « c'est plus fort qu'elle de faire mal. » — L'impulsion est évidente. — Maltraitée plus que jamais et rejetée de partout, elle ne demande pas mieux que de guérir et, cette fois, elle n'est plus rebelle au traitement, elle est prêle à tout pour arriver à cette guérison, dont elle semble avoir soif; — c'est donc une excellente condition.

Aussi, du premier coup, je l'endors beaucoup plus facilement que la première fois et plus profondément.

Je lui répète à satiété les suggestions nécessaires du début, comme pour les faire mieux pénétrer dans son cerveau, pour mieux substituer, à son automatisme impulsif, un automatisme contraire, et pour qu'elle en garde mieux l'empreinte, je la laisse dormir longtemps...

Au réveil, la figure est meilleure, elle n'est plus la môme, elle a comme une expression de douce béatitude. Alors je continue à lui parler, la suggestionnant à l'état de veille, pour ? élargir le champ de sa conscience, » lui disant de bonnes paroles pour la relever, en quelque sorte, à ses propres yeux... Puis, je recommande à sa belle-mère ainsi qu'à sagrand'mère de ne pas lui parler du passé, d'être indulgentes et silencieuses.

Le lendemain j'apprends, des bouches non suspectes de son entourage, qu'il y a un changement étonnant; elle a dormi toute la nuit sans se livrer à l'onanisme ; elle ne s'est pas rongé les ongles, elle a été plus affectueuse, plus obéissante, plus courageuse, etc.

Les suggestions, hypnotiques et autres, sontrépétées quotidiennement avec une insistance loute particulière.

Chaque jour le mieux s'accentue.

Au bout de huit séances, elle est littéralement transformée; je continue encore deux ou trois jours pour consolider la guérison et j'espère que le résultat se maintiendra comme il s'est maintenu jusqu'ici.

DEUXIÈME OBSERVATION

Onanisme invétéré — onyc/iop/iagze — habitude de fumer — troubles du caractère.—Guérison assez prompte par la suggestion hypnotique.

Fernand H., âgé de 14 ans, est assez grand, mais mince, chétif et amaigri, sans tares physiques bien marquées.

11 se livre à l'onanisme de vieille date, mange sesonghs, fume beaucoup et court les cafés depuis longtemps. Il est indocile, paresseux, menteur et peu intelligent.

Il a un caractère bizarre.

Son père est un nerveux, un peu buveur et fumeur endurci de la cigarette, sa mère est une hystérique et une femme de mauvaise réputation;— ses sœurs sont vicieuses aussi et ont de l'incontinence nocturne d'urine;—j'en ai guéri une par la suggestion hypnotique en

une seule séance et en transformant son sommeil naturel en sommeil hypnotique.

Ce garçon est un impulsif et un dégénéré. Il est continuellement grondé, mais il s'en moque ; ce n'est qu'avec grand'peine qu'il se soumet au traitement hypnotique.

Toutefois il est endormi assez facilement dans une première séance, sans que le sommeil soit très profond.

Malgré cela, le résultat est déjà commencé et assez satisfaisant, pour un sujet pareil. Il devient plus docile, commence à se dégoûter de fumer ou du moins il le fait avec moins d'ardeur, il ronge moins ses ongles et se livre moins à la masturbation. Il ne songe plus guère au café.

Après la seconde séance, le mieux est plus accentué et la guérison est obtenue en six séances.

troisième observation

Onanisme et onychophagie. — Incontinence nocturne d'urine. — Guérison rapide par la suggestion.

Léon L. est âgé de 12 ans; on lui en donnerait 8 ou 9. Il est petit, chétif et maigre ; il se livre à l'onanisme continuellement et depuis longtemps ; il se ronge les ongles de même. — Il urine au lit depuis sa naissance, — il est assez docile, timide et de bon caractère. Il se laisse gronder et rudoyer sans rien dire.

Son père est un alcoolique, un brightique et un syphilitique. Sa mère une anémique un peu nerveuse et un peu usée ou fatiguée par les grossesses.

Le pauvre enfant se soumet facilement au traitement. Dès la première séance, il est plongé dans un sommeil assez profond qui amène une quasi demi-guérison. Trois séances encore, quatre en tout, ont suffi pour une guérison complète.

Ce qu'il y a de plus intéressant dans des faits de ce genre — et l'on ne peut que louer très haut M. Bérillon de l'avoir fait ressortir — a c'est de constater qu'une simple action psychique suffit pour amener une guérison qui a résisté à tous les moyens de contrainte physique. »

Dans cette, habitude, tout prouve l'acte inconscient, automatiquement accompli. Le cerveau des onychophages semble avoir perdu ce pouvoir d'inhibition, cette puissance modératrice, cette volonté d'arrêt qui est une des propriétés les plus remarquables du système nerveux.

La volonté du sujet étant impuissante à réagir contre une habitude vicieuse, le traitement doit consister en une opération psychologique décomposable en trois temps : 1° Réagir contre l'automatisme impulsif par la création d'un autre automatisme agissant en sens contraire. 2° Eveiller la conscience et transformer, par des excitations extérieures, une perception inconsciente en perception consciente. 3° Déterminer

la résistance définitive à l'impulsion par l'intervention de l'énergie volontaire du sujet.

C'est ainsi que l'opération psychologique de l'hypnotisation, qui apparaît au début comme un asservissement de la conscience, se traduit finalement, grâce à la suggestion, par un développement de la personnalité consciente.

Aussi quel bien ne pourrait-on pas faire, quels services ne pourrait-on pas rendre à la société, si, comme le voudrait M. Bérillon et avec lui tous les médecins éclairés, l'on appliquait plus souvent à la pédagogie, comme à la pédiatrie, cette opération psychologique si salutaire de l'hypnotisation et de la suggestion.

Les Phobies auriculaires.

Par M. le Dr Pierre Bonnier

La plus commune et la plus connue des phobies, l'agoraphobie, ainsi que son opposée, la claustrophobie, a le plus souvent pour point de départ un trouble de l'appareil labyrinthique périphérique ou central ; et ce n'est que secondairement que la vue ou le toucher, ou encore les représentations imaginatives, la provoquent à leur tour. Je chercherai à le démontrer plus loin. La peur des mouvements, non pas comme exercices musculaires, mais en tant que variations passives d'attitudes, est également dans ce cas. De même, certaines phobies d'ordre plus particulièrement psychiques et du domaine des notions d'identité et de personnalité somatique. L'oreille est encore le point de départ d'une phobie remarquable, la peurdu silence, qui est pour l'appareil cochléaire de l'oreille ce qu'est la peur du vide pour son appareil ampullaire. Enfin la perception de certains complexes sonores affectant un caractère pénible à différents titres peut, de l'appréhension primitivement sensorielle, dégénérer en phobie systématique.

Mais en ceci l'appareil labyrinthique ne fait qu'apporter sa contribution propre à l'ensemble des perceptions et sensations d'origine externe ou d'origine interne qui peuvent éveiller un trouble nerveux gênant ou douloureux, laissant à sa suite l'appréhension de son retour, — appréhension qui, chez certaines natures affectées d'une susceptibilité particulière à cet égard, prendra le caractère exagéré qui en fera une peur pathologique, tout en gardant le caractère systématique qui en trahira la signification physiologique.

Avant de citer quelques exemples de phobies auriculaires, il importe d'établir aussi nettement qu'il est actuellement possible de le faire, ce mécanisme du trouble phobique ; il nous sera alors plus facile de reconnaître par quelles lois particulières il peut naître de l'appareil labyrinthique.

La nature même du trouble phobique doit impliquer que si nous

l'observons en nous-même ou si nous interrogeons à son sujet tel malade qui en est affecté, nous ayions affaire non pas directementà cet état lui-même, mais à la conscience, à la perception de cet état. Il semble quelque peu oiseux et naïf d'établir une distinction entre un trouble et la conscience de ce trouble, entre un état nerveux et la perception de cet état nerveux ; et cependant cette distinction est rendue nécessaire par les confusions incessantes que nous observons dans la clinique. Quand j'ai, dans un autre travail (1) cherché auprès des meilleurs auteurs une définition du vertige, j'ai constamment vu confondre l'état vertigineux et la sensation vertigineuse ; et j'ai du établir qu'on pouvait parfaitement avoir le vertige sans le savoir, sans le sentir, et ne le reconnaître qu'objectivement soit aux troubles de la station ou de la marche, soit aux troubles bulbaires irradiés.

Et il en est ainsi non pas seulement pour le vertige, mais pour la nausée, l'oppression, qui sont des troubles fonctionnels, pour la faim, la soif, etc., qui sont des états nerveux non localisés, tandis que d'autres sensations internes, coliques, crampes, palpitations, etc., sont localisées dès qu'elles acquièrent une certaine intensité douloureuse.

Comme pour les perceptions d'origine périphérique, qui ne se réalisent qu'entre les limites d'une certaine force d'excitation maxima et minima, de même les sensations internes, localisables ou non, exigent un certain degré d'intensité, et même beaucoup d'entre elles ne se trahissent que sous la forme douloureuse. Il en est ainsi également des opérations nerveuses elles-mêmes, qui nous sont inconnues dans leurs élaborations intimes et ne donnent d'images conscientes que si l'attention s'y porte ou si elles s'imposent à l'attention et à la conscience par leur intensité et leur spécialité. Telles sont en particulier les opérations d'ordre psychique.

Si le siège de la perception consciente de ces états nerveux localisables ou non, est, selon toute évidence, cortical, il est non moins vraisemblable que le siège de ces états fonctionnels, de ces troubles, de ces besoins, est inférieur à la corticalité, et que pourplusieursd'entre eux il est possible d'assigner à leur siège une localisation bulbaire.

Ainsi l'état vertigineux, l'état de nausée, d'oppression, de colère, de faim, de soif, etc., sont des états bulbaires, tandis que la sensation de vertige, de nausée, etc., sont des perceptions cérébrales de ces états nucléaires inférieurs. Il y a, si nous pouvons employer une expression un peu archaïque, mais encore suffisamment claire, une âme bulbaire au-dessous de l'âme cérébrale, et celle-ci n'est le plus souvent, au moins en matière de sentiments et de sensations internes, que le reflet conscient de l'autre.

Cette perception de l'état bulbaire par cette vaste rétine que forme l'écorcc, peut ne pas s'effectuer ; et cependant il est possible de reconnaître que l'objet naturel de cette perception n'en a pas moins existé.

(1) Le Vertige Rueff.

Ainsi nous pouvons ignorer noire faim et notre soif, notre douleur même, si nous avons une forte préoccupation ; et même, en l'absence de préoccupation attentive, la faim et la soif peuvent ne pas solliciter notre conscience et ne se révéler à nous que par l'appétence remarquable que nous nous reconnaissons dès que nous avons commencé à manger et à boire ou même dès que nous avons fini.

Paulo minora. A qui n'est-il pas arrivé de s'étonner de l'abondance et de la durée d'une miction qu'aucun besoin n'avait fait désirer ni même prévoir ?

D'autre part, ces états, ces troubles, ces besoins peuvent au contraire solliciter notre conscience et notre attention d'une façon très instante et faire naître d'obsédantes préoccupations. C'est ce qui arrive pour beaucoup d'hypochondries spéciales et c'est ce qui s'associe fatalement à l'observation intime de nos fonctions organiques.

Enfin certains d'entre ces états nerveux subjectifs peuvent non seulement s'imposer d'une façon obsédante à notre attention, mais il peuvent affecter une systématisation maladive et éblouir en quelque sorte le champ de notre conscience par l'intensité de leurs manifestations.

Un homme aura du vertige par suite d'une insuffisance labyrintique d'origine quelconque ; il aura conscience de sa susceptibilité plus ou moins vive au vertige, laquelle susceptibilité ne sera guère qu'une excitabilité anormale des noyaux ampullaires de la protubérance. Cette susceptibilité pourra lui devenir extrêmement pénible sans engendrer de phobie ; mais s'il est tant soit peu déséquilibré, à cette susceptibilité s'en joindra une autre, son vertige l'obsédra et pourra provoquer peu à peu l'irritabilité des centres corticaux où il a son image consciente. De même que le vertige « tenait trop de place » dans son bulbe, de même la sensation du vertige tiendra trop de place dans sa corticalité ; et il suffira à ce malade de penser à son vertige, d'en entendre parler, pour l'éprouver immédiatement. Il en est ainsi pour la nausée, l'oppression, la faim, la soif, le dégoût, la colère, etc.

En revanche, certains troubles n'entreront jamais dans le champ de notre conscience : les troubles vaso-moteurs, secrétoires, moteurs, etc., ne se révèlent que par leurs effets secondaires. Nous ignorons que nous transpirons et nous le sentons quand la sueur nous coule sur la peau ; sentons-nous que nous contractons nos muscles, que nous dilatons nos vaisseaux, que nous fabriquons du sucre, etc. ?

Et la peur ? Il est évident que c'est un de ces états nerveux non localisables que nous connaissons surtout comme une sorte de sensation générale de même ordre que le vertige ou la colère. Mais comment douter que la peur ne soit elle aussi un de ces étals bulbaires de même ordre que le vertige, la nausée, l'oppression, dont les centres sont distincts et connus, et dont elle s'accompagne parfois ; comment ne pas la rapprocher de ce groupe d'états bulbaires qu'une aura éveille l'un après l'autre comme le doigt fait successivement vibrer les cordes d'une harpe ; et plus spécialement de ces états nucléaires particuliers que

l'on commence à étudier et qui, eux, sont localisés en des troubles périphériques, dont la signification est extériorisée, et que l'on appelle des angoisses et des anxiétés. On connaît l'affre abdominale ou périto-néale qui accompagne les coliques viscérales, néphrétiques, hépatiques, intestinales, gastriques, vésicales ; l'affre cardiaque de l'angine de poitrine, l'anxiété prœcordiale, l'affre thoracique qu'il est facile de provoquer dès qu'on pousse à l'extrême l'effort inspiratoire, l'affre gastrique qu'il faut distinguer de la nausée et qui peut être la seule forme du mal de mer ; l'angoisse laryngée, gutturale, celle de l'asthme, etc. Ce sont des troubles nucléaires, la plupart pneumogastriques, et des états d'exaspérations centrales que nous caractérisons surtout par leur réflexion extérieure.

Mais il est d'autres affres, moins localisées, plus internes, plus centrales et plus générales à la fois, qui semblent être dues à des spasmes vaso-moteurs suspendant la vie des éléments nucléaires. Tels sont l'anxiété paroxystique, l'angoisse fugitive du frisson, et ce trouble particulier que l'on appelle si exactement la « petite mort ».

Cette sensation de suspension de la vie, d'effondrement, d'évanouissement, qui serait le supplice le plus intolérable s'il n'engendrait pas en même tempï une anesthésie qui s'accroît à mesure que s'approche la syncope, — cette sensation, de même nature que l'oppression et le ver-lige, est une anxiété non localisée ou, si l'on veut, localisée aux sources mêmes de notre vie réflexe ; c'est la peur physique, la peur bulbaire, avec toutes ses irradiations dans le domaine des autres troubles bulbaires, frissons, pâleur, sueurs, palpitations, oppressions, anxiétés diverses, gutturales, laryngées, gastriques, viscérales, troubles secrétaires, moteurs, vasculaires, sensoriels, etc.

Cet état bulbaire à ses répondants dans la corticalité, et son image dans la conscience. Avoir peur est éprouver, sentir, ce trouble ; avoir la peur est la subir simplement. A voir peur de quelque chose est tomber dans ce trouble, senti ou non, à l'occasion de cette chose.

On peut avoir peur sans le sentir. L'attention même que sollicite un danger semble faire inhibition non sur la peur elle-même, mais sur la sensation qu'on en peut avoir. De même que notre rétine peut être excitée sans que notre écorce voie, de même notre bulbe peut être troublé sans que notre écorce s'en aperçoive. Nous devinons que nous avons eu peur parce que nous tremblons, parce que nous frissonnons, parce que la voix nons manque, que la sueur nous inonde, que notre cceur bat. Mais nous pouvons ne pas même savoir que nous avons eu peur.

Et il est si connu que la peur se révèle non seulement par des troubles bulbaires irradiés manifestes, mais aussi par des troubles également inconscients, qu'il est de règle dans nos campagnes, quand un enfant vient d'échapper à un danger, n'eût-il pas éprouvé de frayeur, de lui faire évacuer les produits de l'abondante diurèse qui accompagne les fortes émotions : « Va tout de même, lui dit-on, pisser ton peur sur une

bleuse pierre. » La pierre doit être bleue, sans doute, parce que la peur l'était aussi.

On est peureux quand on présente une grande susceptibilité à ce trouble, de même qu'on peut être enclin au vertige, à la nausée, à l'oppression, à l'asthme. Quand les noyaux du nerf ampullaire sont irritables, la moindre aura qui parcourt le bulbe fait naître le vertige. Ces noyaux s'excitant par irradiations d'irritations voisines, surtout quand il existe des associations fonctionnelles comme entre l'appareil oculo-moteur et l'appareil ampullaire. De même si l'imagination se porte sur les centres inférieurs correspondant aux centres bulbaires de l'orientation subjective. Tel malade fera donc du vertige comme tel autre des palpitations, de l'asthme, de la peur.

Cette peur est donc vraisemblablement du domaine des centres sensi-tifs du pneumogastrique et doit se localiser dans la même zone que l'anxiété paroxystique et les autres anxiétés plus particulières. Et comme on connaît les nombreuses digitations qu'envoient le ganglion de Scapa et celui de Corti au sein des noyaux bulbo-protubérantiels, on comprend que les irradiations d'origine labyrintique ne doivent pas être plus rares que d'autres.

Mais, quel que soit le siège de la localisation bulbaire, il est hors de doute que le trouble bulbaire peut être senti en haut lieu, et qu'il est provoqué, avec une grande facilité, chez certaines organisations spéciales, par des excitations de nature très différentes, viscérales, sensi-tives, sensorielles et psychiques. On peut redouter vivement, et raisonnablement, un danger, un malheur, sans avoir peur ; de même qu'on peut être inquiet sans oppression, sans tremblement: c'est une question de susceptibilité bulbaire; l'inquiétude purement morale et intellectuelle peut provoquer la peur et aussi ne pas la provoquer.

D'autre part, on peut être sujet à cette peur avec la plus grande facilité, et aussi la ressentir avec une grande intensité.

Un phobique n'est pas un poltron, c'est-à-dire un homme qui s'effraie facilement de tout ; il ne craint que certaines choses et surtout il sent d'une façon très aiguë sa peur, la prévoit, la craint et s'y livre tout entier, comme on se livre au vertige ; sa conscience subit sur ce point une véritable fascination à laquelle elle ne peut se soustraire.

Un de nos malades a été atteint, il y a environ 15 ans, d'une affection passagère de l'oreille gauche, après laquelle persistèrent pendant plusieurs mois de la surdité, du bourdonnement et du vertige. Puis, l'audition redevint parfaite, remarquablement fine au parler ; le bourdonnement disparait, mais le vertige ne cesse guère. Par moment la marche est mal assurée, déviée, les promenades à cheval sont abandonnées, puis le malade n'ose se conduire lui-même, bientôt il n'ose plus traverser les rues de peur d'être poussé sous les roues des voitures par de fréquentes sollicitations vertigineuses.

Puis le vertige s'amende à mesure que les occasions se font rares i la marche redevient assurée, directe, mais le malade redoute les

sorties de peur d'être pris inopinément d'un accès vertigineux. Peu à peu cette peur s'installe, occupe toute la scène, et l'agoraphobie vraie se manifeste par une crainte insurmontable non seulement des sorties, mais même de tout ce qui représente à l'imagination du malade les conditions dans lesquelles son vertige éclatait autrefois. Pendant plus de 14 ans, ce malade n'est pas sorti de son appartement, évitant même de s'approcher des fenêtres. Non seulement il ne peut supporter de sang-froid l'idée de sortir, même la nuit, dans sa voiture, les stores baissés ; mais sa phobie reste en quelque sorte sublimée à tel point que toute conversation où il est question d'une guérison possible, lui permettant de reprendre son ancienne existence active, l'effraie au plus haut point. Il craint véritablement de guérir et ne peut supporter même l'image d'un état autre que le sien. Ajoutons que ce malade est un homme extrêmement intelligent, qui analyse très nettement son état, et dont aucune autre faculté n'est altérée.

C'est un caractère assez général chez les phobiques de craindre autant la représentation des conditions de leur phobie, que la présence même de ces conditions. Chez certains déséquilibrés, dont je suis peut-être, l'imagination est plus vive dans ses effets que la réalité elle-même. Je n'ai jamais éprouvé de vertige devant le vide, et le vertige visuel m'est jusqu'ici totalement inconnu. En revanche, j'ai parfois éprouvé du vertige labyrinthique surtout à la suite d'exercices auxquels j'ai dù me livrer pour parvenir à régler à volonté la manœuvre de mes muscles tubo-tympaniques, particulièrement du côté droit. Or, il me suffit de fermer les yeux pour devenir, par le fait de mon irritabilité labyrinthique, passablement agoraphobe, en me figurant simplement que je m'approche d'une fenêtre ouverte, et le trouble labyrinthique, purement nucléaire dans ce cas, peut aller chez moi jusqu'à la peur, avec même un commencement d'impulsion. Je suis agoraphobe les yeux fermés, comme d'autres ont le signe de Rombert. Les yeux ouverts, tout disparait, la vue objective concrète combat et neutralise en moi le trouble vertigineux et agoraphobique; livré à mes centres labyrinthiques et à mes représentations imaginatives, le symptôme m'apparait parfois avec intensité.

J'ai pu déjà me convaincre que mon cas n'avait rien de bien personnel, et je l'ai bien des fois observé chez des malades affectés d'une grande susceptibilité bulbaire et labyrinthique.

Un autre de nos malades, simplement affecté de vertige labyrinthique d'origine brightique, accusait ce singulier symptôme qui n'est pas d'ailleurs bien rare chez les malades de cette catégorie. Il sentait sa tête devenir énorme, immense, se perdant dans l'air, son corps disparaissait et tout son être était réduit à son seul visage. J'ai observé deux fois depuis nettement ce symptôme curieux ; l'identité du sujet n'était en quelque sorte fixée que par les opérations visuelles seules. C'était une forme fruste de leur vertige, et qui pouvait se présenter isolément avec les autres formes du vertige. Pendant que l'un de ces malades, un

homme de quarante ans, m'expliquait ce qu'il ressentait, je le vis pâlir, frissonner, s'agiter, et il me pria de parler momentanément d'autre chose, parce que, disait-il, cette sensation s'accompagnait parfois chez lui d'une peur folle, qu'il sentait absurde, mais qui l'obsédait, qu'il cherchait à calmer par les dérivatifs les plus singuliers, n'osant la laisser s'emparer de lui complètement, parce que, disait-il encore, il « mourrait sûrement s'il avait peur jusqu'au bout ». Cet homme n'avait rien qui pût faire soupçonner l'épilepsie.

Ces troubles d'identité somatique sont assez fréquents chez les laby-rinthiques. Une autre malade, hystérique et affectée d'une suppuration ancienne de l'oreille avec vertiges passagers, me disait que son vertige lui donnait la sensation qu'elle n'existait plus « de corps » et qu'elle ressentait en même temps « une peur affreuse de mourir subitement si elle se laissait aller à y penser ». Et, par une puissance d'inhibition remarquable, elle « oubliait de force sa peur », le vertige cessait et elle reprenait possession de son identité somatique. C'était de l'hystérie bien employée.

Un autre encore ne pouvait être un moment immobile de la tête ou disirait momentanément de l'objet de sa vision par un bruit, une conversation, sans perdre instantanément la notion de sa propre existence ; Il ne pouvait plus savoir comment il était orienté dans la salle où il se trouvait, ni quelle attitude il gardait. Puis une angoisse le prenait,sans aucun vertige, et il ne sortait de cet état qu'en secouant vivement la tète.

La claustrophobie d'origine auriculaire est plus rare que l'agoraphobie, et nous les avons plusieurs fois trouvés associées, quelque étrange que cela puisse paraître.

Comme nous l'avons montré ailleurs, dans toute la série animale, il n'est pas d'organe plus approprié à la mesure des variations de pression extérieure que l'oreille; et ces perceptions que nous avons appelées baresthésiques donnent lieu, non à des phobies vraies, du moins à des gênes et à des inquiétudes que connaissent bien les malades atteints d'athérome auriculaire ; les uns redoutent les fortes pressions, les autres ne peuvent habiter la montagne ; tous sont sensibles aux variations brusques ; et il m'est souvent arrivé de reconnaître, par l'examen attentif du fonctionnement de l'oreille interne et des susceptibilités bulbaires d'un malade, s'il se trouvait mieux à la mer ou dans la montagne.

Du côté du limaçon, ce n'est guère l'appréhension de certains sons qui produira de véritables phobies, c'est la production elle-même de certains complexes sonores. Je n'en ai pas d'exemple personnel, mais Bieliawok. cite des cas qui me font admettre que ces phobies peuvent exister. Ce qui doit être plus fréquent, c'est la peur du silence ; c'est-à-dire la peur du vide appliquée au monde des perceptions sonores. Je l'ai observée une fois chez un malade affecté, chose particulière, d'ouïe douloureuse. Il redoutait plus un silence absolu que les bruits les plus effroyables. Heureusement le silence absolu est chose rare ; et cependant, qui ne connaît la singulière sensation que nous fait éprouver, au

milieu du bruit des boulevards, une accalmie subite, comme une suspension momentanée de toute la vie bruyante de la rue? Ce n'est qu'une gêne vague, durant peu, mais dans laquelle il est facile de retrouver tous les éléments d'une phobie vraie.

Nous avons distingué la sensation de peur, de la peur elle-même ; nous avons fait de cette dernière un trouble bulbaire ; est-ce un état isolé, ou bien n'est-ce pas plutôt le trouble d'un état physiologique ? Nous n'hésitons pas à considérer la peur comme un trouble fonctionnel; et, de même que nous avons dû considérer le vertige comme le trouble d'une fonction que nous avons baptisée l'orientation subjective, de même la peur est pour nous la perturbation d'un état fonctionnel que nous ne savons comment nommer.

Il est curieux qu'il suffise d'un peu de réflexion pour trouver dans le système nerveux central un grand nombre de fonctions de première importance et de constater en même temps que ces fonctions ne sont ni qualifiées ni étudiées. J'en ai fait la remarque pour le vertige, m'éton-nant que cette fonction si remarquable dont la vigilance nous permettait de ne pas nous porter incessamment par terre, de marcher droit, de coordonner une foule de mouvements en vue de la station, de la marche, ne soit étudiée dans aucun livre de physiologie. De même je ne trouvai nulle part étudié le mécanisme de la localisation dans chaque domaine sensoriel. A peine entreprend-on aujourd'hui les recherches à l'égard de cette sensibilité spéciale qui nous permet de connaître non seulement notre attitude totale, mais les attitudes de nos différents segments les uns par rapport aux autres; et cependant il est évident que toute la motricité volontaire en dépend. De même je remarquai que si l'ataxie forme un des plus complets chapitres de la pathologie, les traités de physiologie manquent totalement de tous renseignements sur cette fonction qu'on appelle la coordination motrice et sur ces autres que j'ai dû appeler l'appropriation, l'orientation motrice, etc., de crainte do les voir mourir sans baptème.

Et cette autre fonction qui fait que nous n'éprouvons pas la faim et la soif; que notre cœur fonctionne sans palpiter, que notre thorax n'éprouve aucune oppression, etc.; toutes ces merveilleuses régulations automatiques dont nos besoins et gènes ne sont que les sifflets d'appel, quand donc leur fera-t-on place dans nos traités de physiologie ?

Tous ces états fonctionnels ne contribuent-ils pas à former cette synesthésie délicieuse que l'on retrouve avec bonheur, au sortir d'une douleur, d'une rage de dents et d'une forte migraine, que l'on déguste un moment pour l'oublier aussitôt. Se sentir bien, ne pas souffrir, ce qui est en réalité une jouissance très active, quand on sait jouir, est un état qui résulte de la communion d'une foule d'états fonctionnels en pleine activité ; et nous sommes si habitués à n'apprécier que les troubles et les douleurs, que quand nous souffrons, nous aspirons « à n'avoir plus rien ».

Cette sécurité physique dont la perte momentanée constitue la peur, est un état fonctionnel assuré par la bonne, la naturelle, La légitime entente de la majeure partie de ces états fonctionnels dont les noyaux bulbaires sont le siège; rien n'est plus actif, c'est un des aspects de notre vie physique, c'est la vie elle-même. Quand elle se trouble, sa défaillance constitue ce trouble particulier que l'on appelle la peur.

Mais si la peur est un trouble fonctionnel, si la sécurité est un état fonctionnel, quel nom donner à la fonction qui maintient la sécurité et dont la défaillance constitue la peur ? Sera-t-il étrange de regarder la sécurité comme un exercice fonctionnel, de même que la eertitude psychique ou la sûreté motrice?

Du rôle social et hygiénique des suggestions religieuses chez les Hindous

par ?r le Docteur P. Valentin.

On a maintes fois noté, ici même, le rôle capital joué par la suggestion sous toutes ses formes dans les affaires humaines. Il est certain que notre dynamisme mental est considérablement modifié par l'influence de tous ceux qui, de près ou de loin, nous imposent leurs opinions et en font pour nous, souvent à notre insu, des mobiles de conduite. C'est en ce sens qu'on pourrait soutenir, sans trop de paradoxe, que l'illusion suprême de l'homme, en tant qu'animal sociable, est de n'avoir que des idées suggérées et de les croire spontanées.

Je désire aujourd'hui attirer plus particulièrement votre attention sur la valeur de la suggestion considérée comme élément de plasticité sociale entre les mains de ces grands éducateurs de nations que furent les réformateurs religieux de l'Orient. S'il est vrai que l'histoire n'est qu'une psychologie en action, j'espère, dans cette étude forcément très brève, vous montrer, par un exemple emprunté aux civilisations de l'Inde, comment, chez des peuples jeunes que des influences de toute nature rendaient éminemment accessibles à l'intimidation religieuse, il fut possible à des novateurs convaincus et tenaces, grâce à un sage entraînement des esprits, de polariser pour des siècles les énergies latentes des plus vastes collectivités humaines.

***

Il y a, dans tout organisme social en voie d'évolution, une certaine force potentielle de désir et de croyance, immobilisée en aspirations impuissantes, parce qu'elles sont indéterminées. Donner un corps à ces besoins de foi sans idée, trouver un but à ces besoins d'activité sans moyen d'action, profiter du rétrécissement momentané du champ des consciences et de l'absence d'impressions nettement contradictoires pour développer dans les foules un état cérébral particulier impliquant une obéissance facile et durable aux dogmes établis, telle fut, dans ses ten-

dances les plus générales, l'œuvre de Moïse, de Zoroastre et de Manou. En appelant les dieux à leur aide, ils ne firent qu'adapter à leur pays et à leur temps, et au moment le plus favorable, un admirable instrument de suggestion, le seul d'ailleurs dont il leur fût permis de disposer. Ainsi, préparée de longue date par un asservissement séculaire des cerveaux à l'imitation ancestrale, condensée en formules rigides et abs-solues, doublée d'un luxe formidable de rites et de cérémonies minutieuses, leur réforme ne pouvait qu'être immédiate et définitive, dans des milieux immuables entraînant la paresse de l'esprit et la passivité de corps.

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L'histoire des civilisations de l'Inde, véritable miscrocosme de l'Orient, permet de suivre pas à pas, sur une période de plus de 3. 000 ans, cette évolution parallèle des religions et des sociétés primitives. Je n'en retiendrai ici que les traits indispensables pour mettre en relief l'influence prépondérante du grand code brahmanique, expression d'une théocratie égoïste, mais clairvoyante, qui fut capable d'orienter vers un seul but — la survivance des dernier Aryâs — tout l'effort physique et intellectuel des peuples hindous.

C'est plus de 20 siècles avant notreère que les descendants des Aryâs primitifs entrèrent dans le N.-O. l'Inde, par poussées lentes et successives. Doués d'une matière cérébrable neuve encore, plus riches d'imagination que de réflexion, et partant très-impressionnables, ils réalisaient au plus haut degré la tendance à l'imitation impulsive des enfants, chez qui le sens du contrôle n'étant pas tout â fait éveillé, rien ne vient neutraliser les suggestions reçues. Après une longue station dans le sapta indhou, l'accroissement même de leur population les poussa vers le Gange, seule frontière ouverte. Alors commença la période héroïque de l'histoire de l'Inde, et avec elle cette interminable exode des Aryâs, qui devait aboutir un jour à la conquête de la péninsule entière, mais qui eut tout d'abord pour résultat de mettre à la discrétion des Brahmanes les destinées des émigrants écrasés par le climat, décimés par les batailles et les bêtes fauves, énervés parle butin et le métissage avec les autochtones jaunes et noirs.

Les Brahmanes, en effet, prêtres, conseiller des rajahs, dépositaires de la science et de la volonté divines, tirant de leur renom de sagesse traditionnelle un énorme ascendant sur les masses, exploitèrent la situation créée aux vainqueurs par l'influence débilitante d'un milieu nouveau et meurtrier. Désireux de sauver, l'une par l'autre, la liturgie et la descendance aryenne, ils fixèrent définitivement les Castes amenées par la division et l'hérédité des fonctions sociales, et firent du panthéisme issu du naturalisme védique une religion redoutable prêchant la résignation pendant la vie, et la crainte de perdre après la mort un rang péniblement acquis dans la hiérarchie des êtres. Essentiellement formaliste et pratique, le Manava — Dharma. — Castra ou « livre des lois de

Manou », par l'étroite règle d'une existence où tout était prévu et réduit en formules, absorba l'esprit de tous dans une seule pensé et l'y enserra comme en un moule de fer. Jamais peuple ne fut à ce point pétri par sa croyance ; et il n'y a pas d'exemple, même en Orient, d'un recueil de lois qui ait emprunté à la foi religieuse, ce type par excellence des idées-forces, une telle puissance de suggestion. Il est dit, au début de l'ouvrage :

« Ce livre doit être étudié avec persévérance par tout brahmane ins-truit,et être expliqué par lui à ses disciples, mais jamais par aucun autre homme d'une classe inférieure... (I. 103}

Et plus loin :

« Cet excellent livre fait obtenir toute chose désirée ; il accroît l'intelligence, il procure la gloire et une longue existence ; il mène à la béatitude.

« La loi s'y trouve complètement exposée, ainsi que le bien et le mal des actions, et les immémoriales coutumes des quatre castes... » « La règle des sacrements, les devoirs et la conduite d'un élève en théologie, l'importante cérémonie du bain, le choix d'une épouse, la manière d'accomplir les cinq grandes oblations et la célébrationdu service funèbre.

« Les différents moyens de soutenir sa vie, les devoirs d'un maître do maison, les aliments permis et défendus, la purification des hommes et celle des ustensiles employés...

«Enfin les lois éternelles des différentes contrées, des castes et des familles...ont été déclarées dans ce livre par Manou. » (I. 106-118)

Or, pour veiller à la conservation de ce « trésor des lois civiles et religieuses », les Brahmanes n'ont pas craint d'appliquer les plus terribles sanctions humaines et divines. Je prends au hasard quelques citations. Voici d'abord le châtiment de l'adultère :

« La femme sera dévorée par les chiens sur une place très fréquentée » et son complice « sera brûlé sur un lit de fer chauffé au rouge » (VIII. 354-86)

L'alcoolisme n'était pas moins violemment réprimé :

« Le Dwidja qui aura été assez insensé pour boire de l'esprit de riz doit boire la liqueur enflammée; lorqu'il aura brûlé son corps parce moyen, il est déchargé de son péché.

« Ou bien, il doit boire, jusqu'à ce qu'il en meure, de l'urine de vache, de l'eau, du lait, du beurre clarifié, du jus exprimé de la bouse de vache : tout cela bouillant. »

Mais c'est surtout lorsqu'on touche à leur personne sacrée que les Brahmanes sont impitoyables. Le meurtre, même involontaire, d'une Brahmane est le plus grand de tous les crimes. Il est puni d'une sorte d'excommunication qui fait perdre toute caste et interdit tout commerce avec les autres hommes ; le coupable devient un paria, c'est-à-dire l'être le plus vil qui soit au monde : objet, pendant sa vie, de la réprobation universelle, il perd jusqu'au suprême espoir du repos après la mort, et son âme n'a d'autre perspective que de s'incarner à nouveau dans la série indéfinie des existences, en recommençant par l'animal le plus infime, le ver de terre.

Pour vous donner enfin un aperçu de l'extrême détail auquel était poussé le souci de la pureté légale, permettez-moi encore une citation curieuse, afférente à la réglementation des besoins naturels (II — 45-52) :

« Que le Brahmane ne dépose son urine et ses excréments, ni sur le chemin, ni sur des cendres, ni dans un pâturage de vaches, ni dans une terre labourée, ni dans l'eau, ni sur un bûcher funèbre...

« Ni sur une montagne, ni sur les ruines d'un temple, ni sur un nid de fourmis blanches, ni dans des trous habités par des créatures vivantes, ni en marchant, ni debout, ni sur les bord d'une rivière.

« Qu'il les dépose, après avoir couvert la terre de bois, de mottes, de feuilles et d'herbes sèches et d'autres choses semblables, n'ayant rien qui le souille, gardant le silence, enveloppé de son vêtement et la tête couverte.

« Celui qui urine en face du feu, du soleil, de la lune, d'un réservoir d'eau, d'un homme de caste noble, d'une vache ou du vent, perd toute sa science sacrée. »

Il me serait facile de multiplier les citations. Mais j'en ai dit assez pour vous montrer sous quelle étreinte rigoureuse d'une discipline de tous les instants était enfermée la vie entière de l'Hindou des temps brahmaniques. C'est à peine si la sévérité du législateur a été adoucie par les influences diverses qui, depuis l'avènement du Bouddha jusqu'à l'occupation anglaise, sont venues battre en brèche sa domination. Et celte hypnotisation permanente des esprits par l'omniprésence du rituel a si profondément modifié la constitution mentale des peuples de l'Inde, qu'on ne saurait prévoir le sort réservé par l'avenir au rôle hygiénique et social des prescriptions religieuses de Manou.

Divers troubles d'origine psychique guéris par suggestion

à l'état de veille.

Par M. le Dr Gobodichze.

Parmi les nombreuses manifestations de l'hystérie, le syndrôme connu sous le nom d'Astasie-abasie (1) est relativement très rare. Il n'est pas resté chez ma petite malade à l'état isolé. D'autres troubles du même ordre sont venus s'y ajouter dans la suite, mais tous reconnaissent la même cause, la même origine, — l'excessive suggestibilité du sujet.

Son cousin est médecin. Ayant aperçu une fois la petite, qui venait d'entrer en convalescence d'une grave maladie, marcher avec difficulté, il s'écrie imprudemment : « Oh, Dieu, mais elle est paralysée ! » Et, presque aussitôt, elle devient impotente, suivant le type astasique-abasique. Quelque temps après il fait remarquer à la mère qu'on donne trop à manger, à sa cousine ; immédiatement l'estomac devient intolérant pour toute nourriture, l'œsophage se contracture et l'on est obligé de nourrir la malade à la sonde. Quelqu'un la voit ensuite dans cet

1. Les termes abasie et astasie ont été pour la première fois employés par M. Paul Blocq. Arch. de Neurologie, nos 43 et 44, 1888.

état, couchée presque sans mouvement, faible, pâle, un peu anémiée ; le mot de phtisie est prononcé devant elle ; ses poumons et bronches répondent docilement par de la toux et des hemoptysies.

L'extrême malléabilité de son cerveau n'a pas cependant un caractère d'universalité. Elle s'est spécialisée. Sa docilité psychique ne va pas plus loin que l'imitation plus ou moins adroite des maladies, infirmités, ou même conséquences d'accidents absolument fortuits, dont elle est momentanément entourée ou dont elle se croit atteinte.

Le père est légèrement voûté ; ma malade s'imagine alors devoir obéir à l'influence héréditaire et se courbe en deux. Une de ses camarades de pension reçoit une boulette de papier dans l'œil et on la conduit chez un oculiste ; ma malade, par sympathie ou pour une autre raison, commence à se frotter l'œil correspondant au point d'amener de l'érythème de la paupière, suivi bientôt de photophobie et finalement de blépharospasme que la suggestion seule a pu vaincre.

C'est bien plus à ce titre de curiosité psychologique fon a rarement l'occasion de rencontrer des hystériques suggestibles à un tel degré), que j'ai tenu à vous apporter ce cas, que comme nouveau triomphe de la psychothérapie. Le traitement par suggestion me paraît être en effet le seul indiqué en pareil cas.

Voici les détails de l'opération :

Ma malade s'appelle Marie V... Elle habite chez ses parents à La Ferté-s.-Jouarre. Elle a 12 ans. Son grand-père maternel est mort de la maladie de Parkinson, et une grand' tante paternelle est idiote. Son cousin, médecin de l'endroit, la prend souvent, pour la distraire, dans son cabriolet, et fait la tournée de malades avec elle. Les noms de maladies, à force de les entendre, cessent d'être pour elle des mots vides de sens, comme pour d'autres enfants de son âge ; ils deviennent des étiquettes bien précises qui sous-entendent un certain groupe de symptômes toujours les mêmes dans la même maladie. On la dit paralysée ; elle inhibe sommairement son centre locomoteur des jambes et ne peut plus marcher, ni se tenir debout. Peut-être est-elle phtisique ? elle se met à tousser et à cracher du sang. En palpant gravement son hypochondre gauche, deux médecins concluent à une dilatation, une maladie de l'estomac ; résultat : vomissements, hématémèses et obligation de recourir à la sonde ensuite, pour forcer le spasme de l'œsophage.

En dehors de quelques maladies insignifiantes en bas âge, son enfance se passe sans accident. Vers le mois d'avril 1893, une scarlatine avec albuminurie consécutive la tient au lit pendant près de six semaines. Elle commence déjà à se lever. On la promène au jardin appuyée au bras de sa mère. Les forces ne reviennent que lentement. C'est dans une de ces promenades que son cousin, la voyant se traîner péniblement, pousse l'exclamation imprudente qui la rend astasique-abasique. Le diagnostic hâtif du confrère, « paralysie infantile », semble ainsi se confirmer. Il la conduit vers la fin de juillet à Paris pour con-

suiter un de nos confrères des hôpitaux. Le médecin consultant attribue l'impotence à l'abasie. L'anorexie, dit-il, est due à une maladie, une dilatation de l'estomac. Là, vient se placer la remarque du cousin h la mère qui assistait à l'examen : « Vous, c'est do votre faute ! Vous avez trop gorgé vos enfants de viande, étant jeunes, et, en général, ils mangent beaucoup trop. » Ces paroles ne tombent pas dans l'oreille d'une sourde. Marie a du hoquet et se prive de manger. Son ventre se ballonne, l'estomac rejette d'abord les aliments solides, ensuite le lait, le Champagne glacé, la potion de Rivière, etc. ? partir du mois de novembre on la nourrit à la sonde. A ce moment, on n'est pas encore d'accord sur l'origine exacte de ses hématémèses. Le cousin est pour une ulcération de l'estomac et un autre confrère tient à la tuberculose pulmonaire. Le mauvais état général de la malade lui suggère même, à l'auscultation, des craquements aux deux sommels. Marie, pour justifier et concilier les deux diagnostics, vomit du sang, tousse et crache du sang. Les parents sont au désespoir, ne savent plus ù quel saint se vouer. Il font venir un de mes amis, le Dr Piquanlin, qui soupçonne de suite l'hystérie et m'adresse la malade.

Je l'ai vue pour la première fois le 14 février 1894. Couchée ou assise au lit, elle exécute tous les mouvements dos membres inférieurs avec une parfaite précision et force, ayant les yeux ouverts ou fermés. Mais hors du lit, soutenue des deux côtés, dans le but de l'aider à se tenir debout ou à marcher, l'incoordination apparaît. Elle imprime à ses jambes des mouvements bizarres, caractérisés spécialement par des brusques flexions du bassin sur les cuisses et dos cuisses sur les jambes, rappelant assez bien, en raison de leur amplitude, les grandes gesticulations de certaines choréss. Lorsqu'on l'abandonne, elle s'affaisse aussitôt. Tenue sous les deux bras, elle ne marche pas, elle se laisse traîner. Les réflexes sont normaux. Pas d'anesthésîe. Léger rétrécissement du champ visuel.

J'ai eu recours à la suggestion à l'état de veille. En quelques jours Marie V... a recouvré l'intégrité complète de ses mouvements. J'ai fait disparaître par le même procédé la toux avec les crachements de sang et le spasme de l'œsophage. Au bout d'une quinzaine de jours elle est repartie guérie. A-t-elle été vraiment guérie, au point d'être assurée contre le retour de troubles névropathiques analogues ? Je ne le crois pas. Son fond psychique est en somme resté le même, puisque, un an après, elle me revenait avec un blépharospasme, contre lequel j'ai dû de nouveau employer la suggestion. La psychothérapie a très efficacement et rapidement agi contre le symptôme, mais mon sujet conserve malheureusement son infirmité psychique, certainement héréditaire. Sa réflectivité cérébrale exagérée sera, je le crains fort, toujours la même, et ce n'est pas faute cependant d'avoir cherché à la combattre. Quelles nouvelles maladies se suggèrera-t-elle, l'avenir seul nous l'apprendra. Espérons néanmoins que par suite du développement ultérieur de son système nerveux et grâce aussi au traitement général que je lui fais suivre, la tendance psychopathique arrivera à diminuer, à s'atténuer-

FOLKLORE

Le premier Mai à l'Université d'Oxford.

Les Anglais sont, à certains égards, extrêmement conservateurs. Par un contraste singulier, on trouve chez eux, à côté des progrès les plus modernes, de vieilles coutumes, d'antiques traditions qui se sont perpétuées invariables, depuis un temps indéfini. C'est surtout dans les Universités que l'on conserve le culte des choses du passé.

On y voit, par exemple, se renouveler chaque année, à époque fixe, certaines cérémonies assez étranges, et qui n'ont aucun lien avec les tendances du présent. Personne ne songe à abandonner ou à modifier les rites traditionnels suivant lesquels elles s'accomplissent.

Ainsi, le 1er Mai, à Oxford, on continue chaque année à fêter, au lever du soleil, le retour du printemps selon des rites invariables, dont l'origine lointaine est à peu près inconnue, et qui sont sans doute un legs du paganisme. C'est sur la tour de Magdalen College, que les étudiants s'accordent en général à considérer comme le plus beau Collège d'Oxford, après le leur naturellement, que cette curieuse cérémonie so reproduit chaque année.

J'en avais entendu parler à plusieurs reprises durant mon long séjour en Angleterre, car la scène a été popularisée par un tableau, assez fantaisiste d'ailleurs, du peintre Holman Hunt. Aussi, ayant eu 'c plaisir d'être présenté au président de Magdalen College, je lui demandai ce qui se faisait chaque année sur le sommet de sa tour : « Nous allons, me dit-il, chanter un hymne au soleil levant. » — Et que faut-il faire pour assister à celle cérémonie? » — Il faut se lever à trois heures du matin, arriver assez tôt au pied de la tour, et monter jusqu'au sommet, échelle comprise. Il faut surtout obtenir la permission du Président, qui sera enchanté de l'accorder à un professeur français. »

Je m'empressai d'accepter, et fus bien récompensée de ma peine, car cette promenade matinale, au milieu des monuments d'Oxford dont les silhouettes sombres se profilaient au loin sous les lueurs indécises de l'aube, me laissera une impression ineffaçable : à l'extrémité de High Street, on apercevait la tour élancée de Magdalen, déjà mieux éclairée; au pied de la tour et sur le pont de Cherwell, une foule nombreuse était massée. On entendait retentir les cornes, les trompettes qui, quelques semaines plus tard, devaient encourager les rameurs de chaque collège aux courses annuelles. Mais peu nombreux étaient les invités admis à monter jusque sur la plate-forme de la tour, qui ne peut guère recevoir plus de 80 personnes. Ces privilégies doivent être exacts, sinon ils ne sont admis que sur la tour moins élevée, désignée sous le nom de Tour du Fondateur. Enfin la porte s'ouvre.

et c'est dans l'escalier étroit et raide une lente escalade à la file. Cet escalier ne va pas jusqu'au sommet ; on n'y parvient que par une échelle suspendue verticalement. Mais quand on a atteint ce sommet, quel glorieux spectacle !

Tout le vieil Oxford se déroule à vos pieds avec ses collèges fameux, ses tours historiques et ses clochers séparés par des bouquets d'arbres et des jardins. Au loin, la rivière serpente dans la verdure, et tout cela parait, sous le ciel clair du matin, d'une fraîcheur et d'un éclat enchanteurs.

Le chœur et un certain nombre de fellows du collège sont là, portant la robe et le surplis blanc. Tous se tournent vers l'Orient, et quand cinq heures sonnent, le chœur, formé en grande partie d'enfants, entonne l'hymne traditionnel, que les assistants écoutent tête nue.

Les paroles de l'hymne qu'on chante actuellement ont été composées au seizième siècle; mais la coutume elle-même est beaucoup plus ancienne et remonte sans doute au temps où l'on adorait le dieu du jour. Le soleil, pour cette fois, répond aux chants de ses admirateurs et perce les nuées.

La partie officielle de la cérémonie est terminée ; cependant personne ne descend. J'entends un under graduate déclarer que: « he wants the rocking ».

En effet, bientôt après, les cloches du collège commencent à faire entendre leur carrillon musical. Il semble que, suivant la poétique comparaison du Président, la tour se mette à chanter aux premiers rayons de l'aurore, comme une nouvelle statue de Memnon :

« Dawn stricken Memnon of a bappier hour. »

La tour entière est ébranlée lentement par les vibrations des cloches. On ressent la sensation d'un mouvement de roulis très lent. C'est le rocking attendu.

Dès que ce rocking commence, la scène s'anime, les étudiants lancent de joyeuses plaisanteries; les caps, les robes universitaires sont jetées irrévérencieusement au bas de la tour, les coiffures volent. On éprouve du reste le besoin de s'échauffer un peu dans l'air piquant et frais du matin.

Tout en m'amusant de cette scène, je m'entretiens avec le Président du Collège, qui revient tous les ans sur la tour, à la même heure, et quelque temps qu'il fasse. C'est d'ailleurs avec beaucoup de courtoisie que cet homme éminent se soumet à cette tradition bizarre. 11 est vrai qu'on aurait regret à voir disparaître une coutume curieuse et sans analogie, je crois, dans aucune Université. Le paysage qui nous entoure est aussi de ceux dont la vue ne se lasse point.

Me rappelant les paroles de Victor Hugo, le Président avait souhaité de me faire oublier pour une heure que :

Le mois de Mai sans la France Ce n'est pas le moi de Mai.

Les sentiments du voyageur qui visite un pays ne sont point ceux de l'exilé, et je formulai, intimement, le désir de revoir un jour Oxford par un ciel pur de printemps et d'avoir de nouveau l'occasion de saluer, du haut de la tour de Magdalen,

« Mai qui rit aux cieux si beaux. »

Y. B.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

La prochaine séance aura lieu le lundi 16 Décembre. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Tait-bout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Ecole dentaire de Paris.

M. Mesureur, Ministre du Commerce, remplaçant M. Léon Bourgeois, président du Conseil, empêché, a présidé jeudi soir, 8 novembre, assisté de MM. Georges Villain et Paul Strauss, conseillers municipaux, à l'Ecole dentaire de Paris, la seizième séance d'ouverture des cours et conférences. Après un discours de M. Godon, directeur de l'Ecole, et une conférence de M. le Dr Pinet sur l'historique de l'anesthésie, le secrétaire général. M. Francis Jean, a lu le rapport annuel. II a constaté que, dans cet établissement reconnu d'utilité publique, près de 21.000 opérations gratuites ont été effectuées dans le courant de l'année. M. Mesureur a pris ensuite la parole, excusant M. Bourgeois, assurant « le personnel de l'Ecole de son entier concours » et félicitant des résultats obtenus. Des médailles ont été remises à MM. Blocman et de Lemos, ayant tous deux plus de dix années de service dans le corps enseignant. Les principaux lauréats sont : Mlle Maurel, MM. Bruno, Gross, et le Dr Mussati.

La prospérité de l'Ecole dentaire montre qu'en dehors de l'ingérence si souvent mal comprise de l'Etat, l'initiative privée peut souvent réaliser des merveilles. On ne saurait trop féliciter les professeurs de l'Ecole dentaire du succès de leurs efforts. Leur œuvre pourrait, sur beaucoup de points, servir de modèle au corps médical. Les dentistes français ont prouvé que l'enseignement scientifique et professionnel avait tout à gagner par le régime de la liberté.

A quoi rêvent les jeunes filles.

Le Journal de médecine de Paris cite le curieux extrait suivant des Mémoires particuliers de Mme Roland :

« ... Avant ce temps (la puberté) j'avais été tirée du plus profond sommeil d'une manière surprenante. L'imagination n'y était pour rien ; je l'exerçais sur tropde choses graves, et ma conscience timorée la gardait trop soigneusement de s'amuser à d'autres pour qu'il fût possible de me représenter ce que je ne me permettrais pas de chercher à comprendre.

« Mais un bouillonnement extraordinaire soulevait mes sens dans la chaleur du repos, et par la force d'une constitution excellente, opérait de soi-même un effet qui m'était aussi inconnu que sa cause. Le premier sentiment qui en résulta fut, je ne sais pourquoi, une sorte de crainte; j'avais remarqué, dans ma Philotée, qu'il ne nous est pas permis de tirer de nos corps aucune espèce de plaisir, excepté en légitime mariage. Ce précepte me revint à l'esprit : ce que j'avais éprouvé pouvait s'appeler un plaisir ; j'étais donc coupable, et dans le genre qui pouvait me causer le plus de honte et de douleur, puisque c'était celui qui déplaisait le plus à l'Agneau sans tache ! Grande agitation dans mon pauvre cœur, prières et mortifications : comment éviter pareille chose ? Car enfin je no l'avais pas prévue; mais, l'instant où je l'avais éprouvée, je ne m'étais pas mise en peine de l'empêcher. La surveillance devint extrême. Je m'aperçus que telle situation m'exposait plus que telle autre ; je l'évitai scru-puleusement. L'inquiétude fut telle, qu'elle parvint ensuite à me réveiller avant la catastrophe. Lorque jo n'avais pu la sauver, je sautais au bas du lit, les pieds nus sur un carreau frotté, malgré le froid de l'hiver, et, les bras en croix, je priais le Seigneur de me garder des pièges du démon.... »

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratiqne de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations

gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1805-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours et conférences du semestre d'hiver 1895-96, à l'Institut psycho-physiologique (49. rue Saint-André-des-Arts).

Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie. — M. le Dr Bérillon commencera le jeudi 3 décembre, à 10 heures et demie, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.

Il se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.

conférences

M. le Dr Bérillon fera, le jeudi 12 décembre, à cinq heures, une conférence sur Les lois de la suggestion.

M. le Df P. Valentin fera, le jeudi 19 décembre, à cinq heures, une conférence sur : Suggestion hypnotique et liberté morale.

M. le Dr Max Nordau fera, le jeudi 26 décembre, à cinq heures, une conférence sur La psychologie de l'obsession.

M. le Dr Bérillon fera, le jeudi 9 janvier, à cinq heures, une conférence sur La psychologie de l'intimidation.

M. le Dr Henri Lemesle, licencié en droit, fera, le jeudi 16 janvier, à cinq heures, une conférence sur Lanécessité de compléter l'instruction judiciaire par l'examen psycho-moral de tous les inculpés.

M. le D' Armand Paulier fera, le jeudi 23 janvier, à cinq heures, une conférence sur Les circonvolutions cérébrales et sur un nouveau procédé de conservation du cerveau.

M. le D' Collineau fera, le jeudi 30 janvier, à cinq heures, une conférence sur La psychologie du dégénéré.

M. le D' P. Valentin fera, le jeudi 6 février, à cinq heures, une conférence sur L'hypnotisme dans la psychologie classique.

M. L. de Stworowski fera, le jeudi 13 février, à cinq heures, une con férence sur La substance grise du cerveau.

M. le Dr Mora fera, le jeudi 20 février, à cinq heures, une conférence sur L'éducation intégrale du cerveau.

Faculté de Médecine : Clinique des maladies du système nerveux,— M. le professeur Raymond a commencé le cours de clinique des maladies du système nerveux le vendredi 15 novembre 1895, à 10 h. du matin (Hospice de la Salpétrière), et le continuera les vendredis et mardis suivants, à la même heure.

Clinique des maladies mentales et des maladies de l'encéphale. — M. le professeur Joffroy a commencé le cours de clinique des maladies mentales le samedi 9 novembre 1895, à 9 heures et demie du matin, à l'amphithéâtre de l'asile Sainte-Anne, et le continuera les mercredis et samedis suivants à la même heure.

Physiologie. — M. le professeur Ch. Richet a commencé le cours de physiologie le mercredi 6 novembre 1895, à 5 heures (grand amphithéâtre de l'Ecole pratique), et le continuera les vendredis, mercredis et lundis suivants, à la même heure.

Collège de France : Psychologie expérimentale et comparée. — M. Pierre Janet, suppléant de M. Th. Ribot, traitera des Conditions psychologiques de la personnalité, les lundis et vendredis, à 3 heures.

M. le Dr Chaumier est nommé médecin-inspecteur des asiles d'aliénés du département du Rhône, en remplacement de M. le Dr Max Simon, démissionnaire.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

A. de Rochas. — L'extériorisation de la sensibilité. Etude expérimentale et historique. Un vol. broché in-4°, 256 pages. Chaumel. Paris, 1895.

Dr von Schrench-Notzing.— Ueber den Yoga-Schlaf Munchen, 1894.

Dr H. Baraduc — Différence graphique des fluides électrique, vital psychique. Brochure in-8°, 17 pages. Paris, 1895.

Alfred Fouillée. — Tempérament et caractère selon tes individus, les sexes et les races. Un volume in-4° broché, 374 pages. Félix Alcan, Paris, 1895.

Dr J. Baratoux. — Sur la fréquence des tumeurs adénoïdes dans les écoles de la Ville de Paris. Brochure in-8°, 31 pages. Paris. 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

10* année. — ?· 6. Décembre 1895.

L'HYPNOTISME ET LA MORALE

Par M. le Dr Durand de Gros

Un journal très sérieux, rédigé par des moralistes éminents, le Relèvement Social, soumettait récemment à ses lecteurs, sous le titre « Un problème de morale », l'intéressante question suivante :

« A-t-on le droit d'avoir recours à l'hypnotisme et de subs-« tituer sa volonté à celle du sujet pour le corriger d'un a défaut ? »

Il s'agissait, dans l'espèce, de savoir si la « magnétisation » ne pourrait offrir une ressource contre cette déplorable perversion désignée sous le nom de dipsomanie.

Ainsi que l'indiquaient les termes mêmes de la question posée, les scrupules de l'interrogateur touchant la légitimité de l'emploi de l'hypnotisme comme moyen de réforme, résultaient surtout de sa croyance que l'hypnotisme implique la substitution de la volonté d'un individu à celle d'un autre. Il m'a paru qu'il suffirait, pour résoudre le problème, de trancher la question préjudicielle qu'elle soulève, à savoir que l'emploi de la méthode hypnotique comporte nécessairement la substitution d'une volonté à une autre ; et voici quelle a été ma réponse :

« J'affirme que l'hypnotiseur qui obtient par « suggestion » la guérison ou, si l'on préfère, la conversion d'un dipsomane (car il existe des exemples remarquables du fait), ne met pas plus sa volonté propre au lieu et place de celle du patient que ne le fait l'apôtre de la tempérance par ses exhortations, ou l'aliéniste par un traitement médical, pour arriver au même résultat. Bien plus, sur ce terrain c'est l'hypnotiseur qui aura l'avantage à ce point de vue sur ses deux émules. En effet,

tandis que la volonté du moraliste ou du médecin s'applique avec effort et continuité à triompher des inclinations vicieuses de l'ivrogne, l'effet désiré peut être obtenu par voie de suggestion hypnotique sans l'intervention actuelle d'aucune volonté quelconque. Tous les spécialistes penseront comme moi que, s'adressant à un sujet hypnotisé, l'affirmation suggestrice articulée par le phonographe d'Edison après dix ans d'enregistrement, ou bien par un automate de Vaucanson, produira juste le même effet que sortant de la bouche du docteur Liébeault lui-même.

Si votre pensée est d'imputer à la suggestion hypnotique d'agir sur le moral de l'homme sans prendre les chemins de la persuasion raisonnante, je passe condamnation pour elle. Elle ne cherche pas en effet à convaincre, elle se contente d'affirmer ou d'ordonner, et l'événement visé se réalise aussitôt, cela grâce à un mécanisme psycho-physiologique de notre organisation dont le secret n'est encore que bien imparfaitement pénétré. Mais laissez-moi plaider les circonstances atténuantes en faisant observer que l'éloquence la plus en honneur, celle de la chaire comme celle du Forum, ne s'astreint pas non plus à l'emploi exclusif des moyens logiques, ne s'adresse pas uniquement à la froide raison en s'interdisant par scrupule de toucher à ces cordes dangereuses de la lyre humaine — les passions, les instincts, l'automatisme psychique — qui, une fois mises en vibration, nous font vouloir et agir en véritables aveugles.

Mais si les suggestions oratoires d'un Père Mathew ou encore d'un saint François de Sales (lequel prêchait et convertissait en masse des foules allemandes en ne leur parlant que français) partagent avec les suggestions hypnotiques le tort de changer les états d'âmes par des moyens qui ne sont pas ceux du pur raisonnement, que direz-vous des agents purement matériels employés dans le même dessein, et souvent avec un égal succès, par la médecine ? Interdirez-vous à celle-ci de traiter et de guérir des ivrognes endurcis en les soumettant au régime forcé de l'eau claire, intus et extra, comme cela se pratique à l'asile de Ville-Evrard, dans le service du docteur Legrain, votre distingué collaborateur ? Et par des considérations pareilles, défendrez-vous à la médecine de connaître de certains autres vices, tels par exemple que la luxure? Permettez-moi, à ce propos, de vous citer un fait.

Une sorte d'épidémie de nymphomanie s'étant déclarée, aux

Etats-Unis, dans les ateliers de couture à la mécanique, un médecin fut assez habile ou assez heureux pour découvrir que le système de machine à coudre employé comportait un mouvement de jambes ayant pour effet de soumettre certains organes à une excitation continuelle. La machine coupable fut supprimée, et le calme des sens et de l'imagination se rétablit chez les jeunes filles. Valait-il mieux se contenter de leur faire entendre des sermons sur la chasteté et l'impureté ? Ils se fussent montrés probablement insuffisants contre la permanence de la cause physique d'où venait tout le mal.

Ma conclusion de ce qui précède, c'est que, une perversion morale étant donnée — qu'on appelle cette perversion ou lésion psychique vice ou maladie — le moyen le plus légitime de la combattre est celui dont on a lieu d'attendre le meilleur effet. Et je crois que s'interdire l'emploi de la suggestion hypnotique ou de tout autre moyen médical pour délivrer quelqu'un d'un défaut ou d'un vice, par le motif qu'il faut respecter avant tout son libre arbitre, équivaudrait entièrement à laisser se noyer ou se pendre un pauvre désespéré qu'on n'aurait pas réussi à arrêter par la seule persuasion.

Cette proposition devrait m'amener à traiter ici la question — encore ouverte, — de la distinction du vice et de la maladie ou de la difformité mentales, ainsi que des compétences respectives à fixer et du partage d'attributions à faire entre le moraliste et le médecin dans la « connaissance » des désordres psychiques ; mais ce serait donner à cette réponse un développement dépassant de beaucoup, j'imagine, le cadre que vous avez entendu imposer à vos correspondants. Je me hâte donc d'arriver à la partie strictement médicale et pratique de mon sujet.

Le cas proposé est celui « d'une jeune femme qui était un modèle de sobriété étant jeune fille », et qui, « après s'être mariée, s'est adonnée à la boisson d'une façon épouvantable. » Le correspondant du Relèvement Social ajoute qu'elle fait le désespoir de son mari, qui est un homme rangé, travailleur, « sobre », et qui « va être obligé de divorcer, ayant employé tous les moyens de douceur et de rigueur pour la corriger. »

II continue en exprimant l'opinion suivante, qui n'est peut-être pas autant à dédaigner que des esprits prévenus pourraient être portés à le croire, et qui nous vaut en tous cas des renseignements utiles sur les symptômes offerts par le sujet :

« Je penche à croire, dit-il, que cette pauvre créature es

obsédée, car dernièrement, après l'avoir raisonnée autant que j'ai pu le faire, elle m'a dit : « Je ne sais pas ce qui me pousse à « mal faire, c'est une volonté plus forte que la mienne ; je ne « voudrais pas, et je suis entraînée ; malgré moi je recommence « et pourtant je ne voudrais pas, je sais que je fais mal et je le « fais quand même ; je me sens énervée, je ne sais, je ne puis « dire ce qui se passe en moi ! »

Le trouble mental ainsi décrit pourrait être la conséquence d'un trouble organique primitif ; car si le moral peut agir sur le physique, celui-ci le lui rend bien !

Je crois devoir conter à ce propos une observation dont j'ai été le sujet. Il y a de cela trente ans, j'étais occupé depuis un mois ou plus à me casser la tête nuit et jour, à piocher les problèmes d'optique physiologique qui se posent dans les phénomènes connus sous le nom de « couleurs subjectives », ma santé se dérangea et présenta un ensemble de troubles singuliers. La sensibilité cutanée des bords opposés de l'annulaire et du petit doigt de la main gauche s'éteignit, j'eus des accès de fièvre intermittente, un érysipèle se déclara à un genou, etc., et enfin — c'est ici que je voulais en venir — je fus pris, à mon indicible étonnement, d'un besoin passionné et irrésistible de fumer, moi qui, jusque-là, avais eu une insurmontable aversion pour le tabac !

Cette folie du goût me dura trois jours, pendant lesquels je consommai tout un gros paquet de « caporal » sans en éprouver ni nausées ni vertiges, et elle disparut subitement et sans laisser le moindre résidu.

La folie ou vice dipsomaniaque dont est atteinte la jeune femme qui nous occupe peut tenir à un travail organique morbide de même que mon accès, heureusement, passager, de passion maladive pour la cigarette ; mais il peut aussi être Idiopa-thiquement psychique. Cette malade ou cette vicieuse (ici, pour moi, les deux termes sont parfaitement équivalents) doit peut-être — et je crois pouvoir ajouter : doit probablement — son état à une suggestion spontanée, à une auto-suggestion, ou à une de ces suggestions d'origine occulte, mystérieuse, dont une masse énorme de faits semble attester l'invraisemblable existence. En tous cas, le désordre dont il s'agil dans l'espèce ne parait différer symptomatiquement en rien de la dipsomanie provoquée en manière d'expérience, et en même temps avec la plus effrayante facilité, par la suggestion hypnotique.

Si telle est l'origine du mal de notre intéressante dipsomane, ou plus exactement si cette perversion est d'origine psychique, il y a toute raison d'espérer que l'hypnotisme suggestionnel (mais non pas celui des « passes magnétiques », comme semble le croire votre correspondant, sans doute peu versé dans la science hypnotique) en viendrait entièrement et promptement à bout, en une seule séance peut-être.

Et aurait-on affaire ici au contraire à un trouble mental symp-tomatique d'une lésion somatique, la suggestion offrirait encore des ressources de guérison ou d'amélioration à ne pas négliger.

Durand (de Gros).

TRAITEMENT DES PHOBIES

par la suggestion et par la gymnastique médicale (l)

Par le Dr Ph. Tissié, de Bordeaux.

Après avoir établi que la fatigue, expérimentalement créée et poussée à l'excès chez des sujets sains et robustes, provoque des psychoses, j'ai été amené à rechercher les effets de la fatigue chez les héréditaires nerveux, instables, dégénérés, épileptiques, hystériques, etc. J'ai constaté leur impotence fonctionnelle à supporter l'effort prolongé. La fatigue arrive vite chez ces sujets ; elle se manifeste par des troubles psychiques, dans lesquels les phobies entrent pour une large part. Tout agent qui actionne les centres nerveux, soit par une excitation violente mais subite, provoque la fatigue par décharge nerveuse, selon toute apparence. Cette décharge découronne les centres psychiques, en leur enlevant la somme d'influx nerveux nécessaire à la formation du jugement, de la volonté, etc., elle peut mettre le sujet en état hypnagogique.

L'état de fatigue s'établit plus ou moins rapidement, selon le coefficient de force psycho-physiologique de chacun, coefficient variable selon le moment physiologique, psychique et climatérique, et sa résistance due à l'hérédité.

Le bien-être accordé par une légère fatigue donne une illusion de force, il pousse souvent aux excès ceux-là mêmes qui auraient besoin de se ménager, tels les nerveux qui réparent

(1) Travail communiqué au Congrès des Aliénistes et Neurologistes de Bordeaux.

difficilement. Beaucoup d'instables, de dégénérés et presque tous les impulsifs ont du « prurit musculaire » qui les pousse à agir, l'excitation leur est nécessaire, aussi presque tous ont une grande appétence pour les excito-moteurs.

Chez certains, le sens de la fatigue peut être oblitéré à un tel point qu'ils recherchent le mouvement, qu'ils marchent, qu'ils se livrent aux exercices physiques, sans jamais éprouver de lassitude; mais il n'est pas rare de voir survenir un équivalent somatique ou psychique de la fatigue, tel que des contractures musculaires ou des obsessions diverses, qu'on peut considérer comme des contractures psychiques.

La fatigue émotionnelle « casse bras et jambes », selon l'expression vulgaire. L'influence des rêves sur sa production à l'état de veille est connue, si bien qu'on peut se demander si la fatigue ressentie le matin au réveil ne provient pas d'un rêve accompli, mais oublié; en effet, une fatigue ressentie pendant le rêve et oublié au réveil peut réapparaître à l'état de veille par association de mouvement, c'est-à-dire par rappel de mémoire.

Un rêve peut aussi annoncer une affection latente avant qu'elle ne se révèle cliniquement et aider ainsi au diagnostic ; enfin, il devient pathogène par son intensité ou par sa répétition. Mais par le fait même qu'il est pathogène, on peut l'utiliser thérapeutiquement dans certains états psychiques ou comme adjuvant à la gymnastique médicale.

L'influence des rêves sur les actes accomplis à l'état de veille est manifeste. Voici un cas.

M. X..., directeur d'un vélodrome, organisait une grande journée de courses vélocipédiques ; il avait engagé de nombreux coureurs, la partie qu'il jouait était grosse, tout dépendait du temps, qui était incertain ; il lui fallait du soleil.

Or, la nuit qui précéda la course, il plut beaucoup, X... se mit souvent à la fenêtre etdormit mal. Il se leva le matin vers six heures et voyant qu'il pleuvait à torrent il se dit : « Il n'y aura pas de course aujourd'hui, » non qu'il ne voulût pas en donner, mais parce qu'il craignait de ne pas avoir de monde.

Il se recouche. Se rendort et rêve, dans un état hypnagogique, qu'il n'y a pas de course ; il reste ainsi au lit toute la matinée ; on vient le faire lever, il répond qu'il n'y a pas de course ; cependant le temps est beau, il se rend au vélodrome en se disant toujours qu'il n'y aurait pas de course, mais il les organise quand môme.

Les épreuves commencent à trois heures de l'après-midi devant une grande foule, X... va donner le départ aux coureurs, quand, tout à coup, il demande où ils sont ; il se répond à lui-même qu'il ne doit pas y en avoir puisque les courses sont renvoyées à un autre jour.

Les membres du jury le regardent étonnés, car les dix coureurs sont devant lui et n'attendent que le signal du départ. Il les voit et Lire le coup de pistolet toujours en doutant. Cet état a duré pendant toutes les épreuves, X... donnait toujours les signaux en se disant qu'il n'y avait pas de courses.

Une impression ressentie pendant la veille peut être reprise et renforcée par le rêve ; elle crée alors un état pathologique. Telle est l'observation suivante qui fait l'objet de cette communication :

Mlle P..., trente-deux ans, tailleuse en robes, ayant eu des accès de somnambulisme dans sa jeunesse, subit une grande frayeur. Etant à la campagne par un jour d'orage, elle s'enferme complètement dans une chambre et dans la plus grande obscurité ; elle se trouvait placée devant la cheminée, le tonnerre grondait très fort. Tout à coup, elle fut surprise par une longue aigrette électrique, qui ayant passé par la cheminée avait léché le chambranle en projetant une lueur blanche et violette dans la chambre. Mlle P... fut tellement effrayée qu'elle resta sur place, les jambes écartées, sans pouvoir bouger ni appeler au secours. On vint la retirer de cette position, on essaya en vain de rapprocher les deux jambes, on la porta dans sa chambre, on lui prodigua des soins, le mouvement revint, mais les chevilles étaient enflées et les muscles raidis ; elle ne put de quelques jours descendre l'escalier qu'en se laissant glisser de marche en marche et assise.

Un mois après cette commotion elle rêve qu'elle entend un grand bruit, comme un long roulement de tonnerre, elle a peur ; tout à coup, elle se trouve seule devant l'immensité de la terre, représentée à ses yeux par une plaine crayeuse et blanche, ayant la courbure d'un horizon océanien. Puis, la terre se crevasse régulièrement en petits carrés de la superficie des pavés de la rue. De l'une de ces crevasses, plus large que les autres, pousse une tulipe rouge, la fleur prend corps, elle voit Jésus-Christ dont le buste se dresse à moitié et seul sur la plaine immense ! Elle l'entend alors crier d'une voix très forte et courroucée, le visage'sévère : « Amendez-vous, car le royaume des cicux est proche. » Elle s'enfuit ; mais, poussée par une force supérieure, elle est obligée de revenir sur ses pas ;

elle entend alors le Christ lui dire : « Maintenant il n'est plus temps. » Elle se réveille en sursaut, en proie à une grande frayeur, elle se trouve assise sur son lit, elle ne peut se rendormir. Le lendemain, elle vit dans son rêve avec d'autant plus de force que le décor est celui de la maison qu'elle habite. Elle voit l'endroit où le Christ lui est apparu et elle en détourne les regards. Cet état persiste pendant les quatre mois qu'elle demeure dans cette maison. Elle est triste, son caractère change, son teint, frais et coloré, devient pâle et jaune.

Elle ressent des troubles gastriques qui provoquent un état d'hypocondrie mal défini. Quelques phobies apparaissent, se renforçant surtout après chaque fatigue plus grande. Divers traitements dits fortifiants, dont les ferrugineux et les quinquinas forment la base, lui sont appliqués fort malheureusement, car ces remèdes l'irritent encore davantage. Un élixir achève de la rendre vraiment malade, en provoquant des lypotimies. Elle devient très suggestible et, un grand surmenage professionnel aidant, l'état de phobie s'accentue. Elle a des hallucinations, de la sensibilité cutanée, les rêves deviennent terrifiants, l'idée de la mort la poursuit. Elle a peur de mourir toute seule dans sa chambre ou dans la rue avant qu'on ait pu lui porter secours. Elle éprouve un chagrin de famille et aussitôt l'état empire. La peur de mourir la pousse à se précipiter par la fenêtre ou dans la cage de l'escalier ; elle se barricade dans sa chambre en poussant les meubles contre les fenêtres. Elle ne peut plus sortir seule, ayant besoin d'être accompagnée ; enfin, l'agoraphobie est si forte qu'elle reste chez elle, bien que son métier l'oblige à sortir. Un jour, se trouvant devant sa croisée, l'idée lui vint « en coup de foudre » (sic) de se précipiter dans la rue ; elle lutta beaucoup et ne ferma ses volels qu'à grand'peine. A partir de ce moment, ne pouvant ni sortir ni rester chez elle, la situation devient intolérable.

C'est alors que Mlle P... vint me consulter.

Je m'appliquai tout d'abord à établir un régime alimentaire spécial, je supprimai les remèdes dits fortifiants et je conseillai les douches.

Un mieux s'ensuivit, cependant je conseillai la suggestion hypnotique. Mais la malade, défavorablement prévenue, ne voulut pas se prêter au traitement; elle avait peur de ne plus se réveiller. Elle attendit pendant un an. Mais les crises étant revenues à la suite de fatigues professionnelles, courses à pied, longues veillées, piqûre à la machine, etc., et des émotions diverses, Mlle P... consentit à se laisser endormir.

La suggestion directe n'eut pas d'heureux résultats: je pensai

alors à me servir des rêves et à utiliser ainsi l'auto-suggestion provoquée par une suggestion de rêve thérapeutique imposé.

J'agissais de cette façon afin de pouvoir amener la malade à se rendre à ma Clinique de gymnastique médicale et, pour cela, de traverser la Garonne. Elle n'avait pu passer l'eau depuis sept ans.

Je lui donnai donc des rêves agréables de promenade sur l'eau, on la persuadant qu'elle n'avait rien à redouter.

J'imposai simplement le thème du rêve, laissant à la malade le soin de le développer. Elle m'en remettait le récit le lendemain ; je saisissais ainsi la tournure de son esprit et je modifiais la suggestion scion l'état psychique.

Après un certain entraînement, je lui donnai la suggestion directe de traverser le fleuve en sortant de mon cabinet. Elle se rendit jusqu'au ponton, mais n'osa s'embarquer; je renforçai alors la suggestion par un parfum, me basant en cela sur l'association des idées et sur l'observation vulgaire du rappel d'un souvenir par une odeur ou par un parfum. Je lui suggérai donc que la confiance en elle-même augmenterait chaque fois qu'elle sentirait le parfum que je versai, pendant le sommeil hypnotique, sur son corsage et sur son mouchoir. La malade traversa le fleuve toute seule, aller et retour, dans le même bateau; selon la suggestion donnée, elle respira longuement le flacon d'où s'échappait de la volonté (sic). Continuant ainsi pendant quelque temps à l'entraîner par les rêves thérapeutiques et la suggestion renforcée par un parfum, je parvins à la faire venir à ma Clinique. Je pus alors commencer le véritable trailement, celui de la gymnastique médicale, qui dans ma pensée devait agir plus efficacement encore sur la maladie de la nutrition, cause principale des phobies, en provoquant des échanges plus rapides par un travail musculaire méthodiquement imposé.

Si cette préparation avait été longue, l'application des exercices fut délicate. Ayant remarqué que toute fatigue lui occasionnait une poussée de phobie, je procédai du simple au composé, j'arrivai ainsi et progressivement à faire produire des mouvements assez nombreux. J'utilisai surtout la course à pied ainsi que les mouvements d'équilibre par des attitudes sur le plancher et dans le sable.

Afin de reprendre inversement cette expérience, je provoquai expérimentalement les phobies en augmentant les efforts ou en prolongeant les séances de gymnastique. Au bout de l'année, la malade était non seulement guérie, mais j'étais obligé de l'empêcher de pratiquer certains exercices trop violents, pour lesquels il

lui fallait dépenser beaucoup de force. J'avais fait l'éducation de sa volonté en lui donnant une grande confiance en elle-même, si bien qu'elle n'avait plus peur.

Mlle P... suit régulièrement la Clinique, où elle m'est devenue une aide précieuse pour les enfants. Elle s'y rend d'un point extrême de Bordeaux, faisant ainsi toute seule quatre kilomètres environ, aller et retour, soit à pied, en tramway ou en bateau à vapeur.

Le traitement appliqué a été alimentaire, psychique et dynamique.

Cette observation prouve que le traitement des phobies est quelque peu complexe. Le traitement pharmaceutique a été mal supporté, la suggestion directe ne peut lutter, de prime abord, contre un état d'auto-suggestion profondément établi; il a fallu charger le plateau de la balance en raison du poids du plateau opposé.

Avant de commencer le traitement de la gymnastique médicale, je devais m'assurer de sa durée et de sa régularité, ce qui est souvent très difficile avec des malades dont la volonté est atténuée. J'ai pris un biais pour ceux qui ne pouvait accepter la suggestion directe à l'état de veille ou à l'état de sommeil, car la peur inhibait la suggestion. J'ai donc créé des rêves thérapeutiques.

Dans le cas présent, la malade vivait agréablement en rêve le temps qu'elle passait sur l'eau. J'imposais une tendance à son esprit par une mémoire d'assurance en elle-même, assurance d'autant plus grande qu'elle naissait de l'auto-sugges-tion d'un rêve. Je procédais par approche lente, en atténuant la lutte entre la mémoire pathologique de la peur et la mémoire thérapeutique et directement suggestive de passer la rivière. Beaucoup de malades discutent la suggestion imposée, cette discussion provoque quelquefois une grande fatigue; or, la fatigue éveille elle-même la phobie ou la renforce ; on tourne ainsi dans un cercle vicieux.

En utilisant les rêves, je crois qu'on peut éviter cette fatigue; je comparerai volontiers ce procédé opératoire à des injections graduelles de psychothérapie atténuées ou renforcées, selon l'état de réceptivité de chaque sujet. C'est ainsi qu'ayant voulu supprimer des tendances au vol chez une jeune fille de la campagne, j'ai créé des rêves tendantiels de récompenses ou de châtiments, selon son moment psychique.

Il faut permettre à chaque sujet de faire acte de libre arbitre ou du moins lui laisser croire qu'il agit par lui-même. Moins on provoque l'inhibition directe, moins on atteint les fonctions voli-tives, émotives, intellectuelles, etc. Le traitement consiste à savoir se servir de tout ce que le sujet peut donner, c'est un protectorat qu'il faut établir plus qu'une annexion.

Avant donc d'appliquer la suggestionne crois qu'on a tout avantage, quand la chose est possible, à utiliser l'auto-sugges-tion qui prépare le terrain ; on évitera ainsi les traumatismes psychiques qui ébranlent et qui sont plus à redouter que le mal lui-même, car ils le renforcent bien souvent.

Mais la suggestion a besoin d'être maintenue, car dans la lutte des deux groupes de mémoires pathologique de peur e thérapeutique d'assurance, le premier groupe a d'autant plus de force qu'il est maître du terrain et qu'il s'y est fortifié par le droit du premier occupant. Obliger un malade à venir plusieurs fois par jour recevoir une dose de suggestion dans le cabinet du médecin est chose impossible. Il faut donc trouver un procédé pour lui permettre de prendre sa dose suggestive sans ennui et sans dérangement ; je me suis adressé à l'odorat comme étant l'organe sensoriel le plus facilement et le plus socialement maniable.

Si un parfum rappelle un souvenir souvent lointain, il peut aussi, étant respiré pendant l'application de la suggestion, rappeler cette même suggestion par association de mémoires : la pratique a confirmé la théorie ; le parfum renforce la suggestion à toute heure du jour sans gêne pour le sujet et pour son entourage, car on choisit pour cela le parfum préféré, et tout le monde, à part la malade, ignore le rôle qu'on lui fait remplir. Le parfum donne de la « volonté », de « l'assurance, » de la « gaité », etc., disent les malades, selon qu'on l'a associé à une suggestion de volonté, d'assurance ou de gaité ; chez une morphinomane invétérée, il a remplacé la morphine elle-même pendant plus d'une année. Cette malade éprouvait, en le sentant, le même bien-être que lui donnait la piqûre. On sait que l'auto-suggestion joue un grand rôle dans le traitement de la morphinomanie, dans lequel il faut considérer l'action du poison et celle de la piqûre de l'aiguille.

Il peut arriver que l'habitude d'un parfum lui fasse perdre sa valeur représentative au bout d'un certain temps ; l'odorat n'étant plus assez fortement impressionné, on n;a alors qu'à changer le parfum.

Ainsi préparé, le sujet peut commencer le traitement physique.

Ce traitement est fort délicat à appliquer, car, outre la suggestion à l'état de veille qu'il faut savoir doser selon le moment de chaque sujet, il faut appliquer l'exercice d'après le coefficient de résistance neurique et physique ; or, ce coefficient est variable quotidiennement et dépend du moment physiologique, psychique du malade et climatérique du milieu. Il ne faut pas oublier qu'on a affaire à des sujets dont la résistance nerveuse est peu élevée, qui dépensent rapidement et réparent lentement, que le fond de leur affection réside dans une maladie de la nutrition générale, qu'on peut avoir affaire à des auto-intoxications qu'un travail musculaire mal réglé augmente. Si un exercice modéré tonifie, un exercice violent fatigue. Or, la fatigue provoque des états psychiques pathologiques. Rien n'est mobile comme de tels sujets qui dépendent de leur digestion, de leur sommeil, de la température, des émotions, des veilles, etc.

Quelques-uns de ces malades sont portés à pousser toute chose à l'excès ; il faut savoir les maintenir et les exciter. Les défaillances succèdent aux exaltations ; on doit avoir sur eux une grande autorité morale. Les traitements psychique et gymnastique doivent alterner ou marcher de pair, selon le moment. Il faut même savoir s'arrêter afin de mieux reprendre.

C'est pourquoi il n'y a pas une gymnastique médicale, mais des applications diverses et [d'autant plus délicates que tout mouvement agit sur les centres psycho-moteurs et que toute idée se transforme en mouvement.

Dans ce traitement, il faut comprendre l'hydrothérapie et le massage, mais leur étude demanderait un développement qui n'entre pas directement dans ce travail. L'hydrothérapie et le massage n'ont pas d'action sur la volonté ; le sujet subit, mais n'agit pas. On doit, toutes les fois qu'on le peut, provoquer des mouvements volontaires.

Ils sont multiples. Il faut que l'hématose soit toujours assurée, donc pas d'effort qui congestionne en supprimant la respiration.

Les mouvements du train inférieur activent surtout la inspiration, et par ce fait même ils reposent l'esprit. On sait que les mouvements respiratoires modifient ou suppriment l'attention. Or, l'attention joue un grand rôle dans les phobies, puisque le malade est atteint d'une attention forcée du « moi ».

Je résumerai donc cette étude dans les propositions suivantes :

1e Chaque sujet possède un coefficient de forces psycho-physiologiques qu'il ne peut dépasser sans inconvénient Le coefficient peut être élevé par un entraînement gymnastique bien réglé ; il pavait être d'autant moins élevé que l'état d'automatisme est plus prononcé.

Ce coefficient dépend de l'âge, du sexe, de l'état physiologique et psychique de chaque sujet en même temps que de l'état climatérique du milieu.

Il est quotidien et il oscille entre deux points proportionnellement constants chez les sujets sains, mais inconstant chez les sujets pathologiques.

2° Les rêves jouent un rôle important dans la production de certains états psycho-pathologiques en renforçant une impression reçue soit à l'état de veille, soit à l'état de sommeil.

On peut combattre leur action pathogène en créant des rêves thérapeutiques qui agissent alors par suggestion. Il faut opposer auto-suggestion à auto-suggestion, quand la suggestion directe n'a pas d'effet. La suggestion peut être renforcée par un parfum selon la loi d'association d'idées par rappel de mémoire.

3° Dans le traitement psycho-dynamique par la gymnastique, on doit toujours procéder du simple au composé en s'appli-quant au début à ne provoquer que des mouvements automatiques.

Il ne faut user qu'avec une extrême prudence de tous les exercices qui congestionnent le cerveau, tels que les renversements, les rétablissements, le soulèvement de poids trop lourds, etc. La durée, l'intensité et la difficulté des exercices doivent être calculées d'après l'état du sujet au moment où il agit. La marche doit entrer dans une large part pour l'application de la gymnastique médicale. Celle-ci trouvera un excellent et précieux adjuvant dans l'exercice bien réglé de la bicyclette. Ce qui d'ailleurs est plus difficile qu'on ne le croit.

Tout exercice physique, provoquant l'émotivité ou une application trop grande de l'attention, doit être mesuré avec d'autant plus de prudence que le coefficient de force psycho-physiologique du sujet est moins élevé.

D'autre part, tout travail intellectuel d'abstraction provoquant l'attention forte est incompatile avec un exercice physique trop prolongé.

Si celui-ci, pris à juste dose, élève le tonus général dont

bénéficie le pouvoir d'attention, son abus modifie rapidement ce pouvoir.

Le danger dont il fautse garer est dans l'illusion d'une force intellectuelle factice faite des réserves psychiques appelées à l'action par l'excito-moteur physique et dont il faut savoir se servir sans jamais les épuiser. Le degré du pouvoir d'attention et le sommeil calme sont un des critériums de la juste dépense de force faite.

4° Avant d'appliquer tout traitement gymnastique, le médecin doit s'assurer de l'intégrité fonctionnelle des émonctoires afin d'éviter l'auto-intoxication d'autant plus rapide qu'il a souvent affaire à des maladies de la nutrition générale.

5° Tout arrêt dans la respiration doit être évité, l'effort ne doit jamais aller jusqu'à l'essoufflement et la congestion.

La gymnastique des muscles du train inférieur doit être appliquée par rapporta celle des muscles du train supérieur dans la proportion de 3 à 1.

SUR QUELQUES ACCIDENTS BIZARRES DANS L'HYSTÉRIE

Par G. PoteL, interne des hôpitaux.

a Scxcentarum œnmnarum innumerarumque calamitatum autho-rem esse uterum », disait Démocrite (1), il y a plus de deux mille ans.

La notion étiologique qu'impliquait alors le mot « uterus » mise à part, la pensée du philosophe grec reste vraie, encore aujourd'hui.

L'hystérie est, en effet, capable de tout. Dans cette bizarre affection, tout est possible, même l'invraisemblable. Nous n'avons pas l'intention de reprendre ici toutes les particularités et toutes les bizarreries de l'hystérie : un volume n'y suffirait pas. Nous voulons simplement noter quelques curieux symptômes que nous avons pu observer chez des malades du service de M. le professeur Wannebroucq.

Une observation des plus curieuses est celle de Marguerite N... A l'âge de 21 ans, sans antécédents nerveux notables, la malade est brusquement prise d'attaques d'hystérie. Ces attaques apparaissent tous les deux ou trois jours. Trois mois

(1) In Epistola ad Hippocratem missa.

après le début de la maladie, elle tombe en léthargie, pendant dix-huit jours.

A peine remise, elle est prise d'atonie vésicale. Pendant trois mois, on dut la sonder. A cette atonie succède une crise d'anurie. La malade reste huit jours sans uriner.

Puis apparaissent des contractures qui décident la malade à entrer à la Salpêtrière. Elle y passe l'hiver et sort notablement améliorée. Elle n'éprouve plus aucun symptôme et peut reprendre la vie commune. La guérison se maintient pendant deux ans.

La malade vient à Lille comme demoiselle de magasin, mais, là, l'hystérie la reprend sous forme de contractures.

Ces contractures apparaissent subitement, sans aucun avertissement, rivant la malade à l'objet qu'elle tient. Un jour, la malade ferme la fenêtre, et sa main reste contracturée sur la poignée, on est obligé de dévisser le montant de la fenêtre.

Un soir, elle allume sa lampe, et sa lampe lui reste dans la main, sans qu'il soit possible de s'en dessaisir. Elle est obligée de passer la nuit sa lampe dans la main.

Elle va pour se coucher, elle veut avancer un peu son lit de fer, elle l'attire... et ne peut plus le lâcher.

Elle n'ose plus rien toucher, jamais elle ne donne la main à personne. Sa vie est un supplice continuel.

Ce n'est qu'à la longue, par des suggestions de plus en plus espacées, qu'on parvint à la guérir à peu près complètement de ces malencontreuses contractures.

La vie, pour ces malades, peut devenir absolument insupportable. On connaît peut-être le cas singulier relaté par Guibout (1) :

... « Depuis une année environ, dit Guibout, Augustine R... éprouvait un phénomène, bizarre dont elle souffrait cruellement, mais qu'elle avait voulu cacher à sa famille pour ne pas l'attrister : le regard de toute personne, quelle qu'elle fût, père, mère, frères, sœurs, parents, étrangers, domestiques, inconnus, lui était absolument insupportable. Vivant au milieu d'une famille nombreuse, dont les relations étaient étendues, et voulant que personne ne pût soupçonner l'étrange inlirmité dont elle se sentait atteinte, ses efforts de tous les instants étaient concentrés vers ce point : éviter, sans paraître y mettre d'affectation, de rencontrer, devant ses yeux, les yeux et le visage de qui que ce soit. Si, malgré toutes ses précautions,

(1) Bulletin de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, 1865, II, 180-183.

soit par surprise, soit par une nécessité impérieuse, elle était obligée de subir ou de porter un regard, à l'instant même et par ce seul fait, elle se sentait prise d'un malaise indéfinissable, d'un serrement pénible à l'épigastre, d'impossibilité de manger ou de digérer, et d'une tendance irrésistible à la syncope, toujours accompagnée d'une sueur froide et abondante inondant tout le corps. Ces accidents étaient suivis d'un état général de courbature et de souffrance qui durait habituellement plusieurs heures.

« Telle était la situation pénible et anormale qu'Augustine R... supporta à l'insu de tout son entourage pendant deux années environ. Au bout de ce temps, vaincue par la force d'un mal qui allait croissant et qui menaçait de détruire sa santé, elle en fit la confidence à ses parents et obtint d'eux la permission de porter constamment un voile qui cachât complètement son visage et empêchât ses yeux de se porter sur le visage d'une autre personne.

« A partir du moment où elle fut ainsi voilée, elle n'eut plus ni syncopes, ni sueurs profuses, ni douleurs épigastriques, ni aucun trouble fonctionnel ; sa santé redevint excellente sous tous les rapports ; son caractère ne cessa jamais d'être égal, doux et enjoué. »

Cette jeune fille guérit plus tard de sa singulière affection, grâce à un traitement hydrothérapique institué par Guibout et Trousseau.

Nous avons vu dans l'observation de Marguerite N..., que la malade avait présenté une crise d'anurie qui avait duré huit jours. Nous ne nous appesantirons pas trop sur ce sujet. On sait aujourd'hui que, dans l'hystérie, l'appareil urinaire se permet toutes les fantaisies (1).

Gauthy n'a-t-il pas relaté le cas d'une hystérique qui restait des mois entiers sans uriner ?

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.

Chez d'autres malades, le rein se met à fonctionner avec une activité qui a fait plus d'une fois songer au diabète. On voit des hystériques uriner dix litres et plus dans leur journée (2).

Puis, pour compléter le tableau, la vessie devient d'une rare complaisance.

(1) Voyez Chataing. — De l'anurie et de l'olygurie hystérique. Thèse, Paris, 1880. (2) Hirtz et Frœnkel. — Polyurie hystérique. Médecine moderne, octobre 1895.

Delpech a vu un hystérique qui, à chaque mission, urinait un litre à un litre et demi de liquide.

Mais une des observations les plus curieuses, et qui suffît à elle seule à donner la mesure des fantaisies de l'hystérie, est celle de Hodges (1).

Une femme vient prévenir Hodges qu'elle est au cinquième mois de sa grossesse, et qu'elle désirerait l'avoir comme médecin. Quatre mois après, on l'envoie chercher. La patiente était en travail ; les douleurs étaient violentes, absolument semblables aux douleurs de l'enfantement. Cependant, comme rien ne bougeait, Hodges y regarda de plus près et vit que la tumeur était constituée... par la vessie distendue, avec une partie, formant cystocèle, prolabée dans le vagin. Il n'y avait pas de grossesse.

Chez une autre jeune fille que nous avons également pu examiner dans le service de M. le professeur Wannebroucq, les symptômes étaient aussi curieux et aussi incohérents.

Dès son enfance, elle avait en horreur tout ce qui était boisson. Dès qu'elle buvait, fut-ce même un verre d'eau, elle étouffait et se cyanosait.

A l'hôpital, elle n'absorbait pas plus d'un verre à bordeaux de liquide par jour.

Par moments, il lui survenait des crampes du deltoïde. Ce muscle se contractait, formant boule. Le bras ne se mettait pourtant pas en extension, il restait collé contre le corps, immobile. Cette contracture durait généralement de cinq à dix minutes.

Elle était aussi très sujette à ce phénomène que les Anglais appellent le giving way of the leys. Elle marchait tranquillement, quand, tout d'un coup, elle ressentait une vive douleur dans le genou, ses jambes fléchissaient involontairement et la malade s'affalait comme une masse. Puis tout rentrait dans l'ordre aussi vite, la malade se relevait et continuait sa route comme si rien ne s'était passé.

Assurément ce sont là des exceptions, et des exceptions assez rares. Mais l'hystérie est une maladie tellement fréquente, elle vient si souvent dérouter le médecin et l'induire en erreur,

(i) Richard Hodges. — Case of hysteria simulating In the most perfect degree natural labor. Lancet London. december, 17, 1859.

qu'il est bon de la connaître même dans ses formes les plus exceptionnelles.

Le diagnostic est en effet d'une importance capitale, car si l'hystérie a parfois des symptômes fâcheux, du moins elle a le grand avantage de céder souvent aux remèdes les plus anodins.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 25 Juillet 1895. — Présidence de M. DUMONTPALLIER.

(Suite)

Une nouvelle méthode d'expérimentation en hypnologie

par M. Boirac, professeur de philosophie

Je poursuis depuis près d'un an, à mes heures de loisir, une série de nouvelles recherches, dont j'espère faire bientôt connaître au public les principaux résultats. Je me bornerai ici à exposer en quelques mots les règles de la nouvelle méthode d'expérimentation que jemploie dans ces recherches, et à résumer ensuite, dans un petit nombre de propositions' les faits les plus intéréssants que l'emploi de cette méthode m'a permis de découvrir. Je m'abstiendrai d'ailleurs de toute discussion, de tout essai d'explication, me réservant de traiter cette partie de mon sujet dans une autre circonstance.

Voici tout d'abord les règles essentielles de ma méthode :

1° Expérimenter toujours et exclusivement avec des personnes à l'état de veille. — Sans doute, la plupart des sujets avec lesquels j'expérimente ont été déjà hypnotisés plus ou moins fréquemment, soit par d'autres opérateurs, soit par moi-même ; et je bénéficie évidemment, pour une expérience, de l'impressionnabilité plus grande que ces hypnotisations antérieures ont développée dans leur système nerveux. Mais ce n'est pas là une condition indispensable et j'ai pu expérimenter tout aussi bien avec des personnes qui n'avaient jamais été hypnotisées de leur vie. En tout cas, au cours de ces expériences spéciales, non seulement je n'essaie pas, mais encore j'évite soigneusement de rien faire qui puisse endormir les sujets ou modifier leur état normal.

2° Mettre les sujets, dès le début et pendant toute la durée des expériences, dans l'impossibilité absolue de voir ce qui se passe autour d'eux en leur bandant hermétiquement les yeux. — J'ai fait fabriquer ù cet effet un bandeau de drap noir, assez épais pour intercepter complètement la lumière, qui ne couvre pas seulement le front et les yeux, mais qui emboîte encore le nez, avec un système de ligaments qui permet de faire adhérer le bord inférieur du bandeau à la commissure des

lèvres. II en résulte, il est vrai, cet inconvénient que le sujet est forcé de ne respirer que par la bouche, mais il s'y habitue assez rapidement ; et d'ailleurs son aveuglement absolu est la condition sine qua non de la validité de ces expériences.

3° Observer, avant et pendant toute la séance, le silence le plus rigoureux, en imposant cette même loi aux aides et aux assistants. — Ceux-ci doivent comprendre par eux-mêmes le sens des faits dont ils sont témoins, mais sous aucun prétexte, ils ne peuvent demander et on ne leur donne d'explications. S'il y a lieu, pour l'opérateur, de communiquer avec ses aides, il le fait toujours et uniquement par écrit. Seul le sujet est autorisé à parler pour dire, sans qu'on l'interroge, ce qu'il ressent, chaque fois qu'il croira ressentir quelque chose. Tous les objets, tous les appareils que l'opérateur peut employer au cours de ses expériences, ne sont introduits dans la pièce où elles se passent qu'après que le sujet a eu les yeux bandés et sans qu'il en soit jamais fait mention.

4° S'abstenir scrupuleuseument de tout contact avec le sujet. — Il ne faut pas que le sens du toucher puisse suppléer chez le sujet les sens de la vue et de l'ouie et lui permette de soupçonner ce qui se passe autour de lui.

5° Enfin, tâcher de combiner les expériences de telle façon que l'opérateur lui-même, au moins la première fois où il les fait, ne puisse pas prévoir quel en sera le résultat et n'en soit informé que par l'issue.

Comme on le voit, toutes ces précautions ont pour but d'isoler complètement le sujet à la fois au point de vue physique et au point de vue mental. Il faut qu'il ignore la nature des expériences qu'on veut tenter sur lui aussi absolument que nos lecteurs peuvent l'ignorer eux-mêmes en ce moment, de façon qu'il réagisse, autant que possible, comme le ferait un instrument de physique.

Telles étant les cinq règles de cette nouvelle méthode d'expérimentation, le procédé fondamental qui la constitue peut se définir ainsi : Présenter la main dans des conditions qni peuvent varier à l'infini a une distance de 5, 10, 15 centimètres ou davantage, et la maintenir immobile, les doigts allongés, vis-à-vis une partie quelconque du corps du sujet, à gauche ou à droite, devant ou derrière, épaules, avant-bras, coude, poignet, main, genou, pied, épigastre, parties génitales, etc., etc.

Voici maintenant, résumés en quelques propositions, les faits les plus intéressants que cette méthode m'a permis de découvrir et qui ne sont probablement que peu de chose en comparaison de ceux qui restent à découvrir encore.

1° Tout se passe comme si l'organisme humain] dégageait normalement, au moins chez certains individus, une influence de nature inconnue susceptible d'agir à distance sur l'organisme de certains autres individus.

2° Tout se passe comme si, la plupart des individus étant bons conducteurs de cette influence, elle traversait plus ou moins rapidement la

masse entière de leur corps et allait se perdre dans le milieu extérieur sans produire d'effets sensibles, et comme si, au contraire, certains autres individus, ceux qu'on appelle des sujets, étant mauvais conducteurs de cette influence, elle s'accumulait et s'emmagasinait pour un temps plus ou moins long dans les parties de leur corps ou la dirigeait de manière à y produire des effets plus ou moins marqués.

3° La nature de ces effets varie avec les différents sujets : mais d'une part, chez tous les sujets suffisamment inpressionnables, il se produit toujours quelque effet, et d'autre part, pour chaque sujet, la nature des effets produits est constante.

4° Le temps nécessaire pour la production d'un effet est aussi variable selon les opérateurs, les sujets et les circonstances : dans les expériences que j'ai faites personnellement, la moyenne parait être de trente secondes.

5° La liste des effets observés par moi jusqu'ici est la suivante; 1° Analgésie, puis anesthésie, d'abord superficielle, ensuite profonde des parties visées. Pour vérifier ce genre d'effet, une méthode complémentaire est indispensable dont je donnerai tout à l'heure la description ; 2° Contraction plus ou moins brusque et violente des masses musculaires dans les parties visées. Cet effet s'observe principalement dans le muscle triceps, lorsque l'action est dirigée sur le genou. Le plus souvent, d'ailleurs, les contractions ne sont accompagnées pour le sujet d'aucune sensation consciente ; 3° Tendance à la contracture dans les parties visées cet effet se produit surtout lorsque l'action est prolongée ; 4° Mouvements attractifs par lesquels la partie visée se rapproche graduellement et irrésistiblement de la main de l'opérateur. Ces mouvements se produisent spontanément chez certains sujets, même quand la main de l'opérateur reste immobile ; ils ne se produisent chez certains autres que lorsque l'opérateur lui-même déplace lentement la main, et il s'établit alors une correspondance quasi mathématique entre les mouvements de l'opérateur et ceux du sujet ; 5° Sensation diverse que le sujet déclare éprouver dans les parties visées et dont les plus ordinaires sont la sensation de chaleur pouvant aller jusqu'à la brûlure, les sensations de piqûres, sensation de picotement, sensation de fourmillement et sensation d'engourdissement. Tous les sujets accusent la ressemblance de ces trois derniers genres de sensations avec les sensations électriques. En outre, certaines parties du corps ont, du moins chez certains sujets, leur mode particulier de réaction : en agissant sur l'épigastre, il se produit une gêne croissante de la respiration qui aboutit à un profond soupir caractéristique ; dirigée vers les organes génitaux, l'action provoque l'excitation de sens génésique.

6° Cette influence inconnue que dégage l'organisme humain peut être conduite à distance par un fil de fer ou de cuivre : il suffit pour cela que l'opérateur tienne dans sa main une des extrémités du fil et que l'autre extrémité soit présentée à une partie quelconque du corps du sujet.

7° Chez certains sujets, peut-être aussi chez certains opérateurs, et

dans des conditions qui me sont encore inconnues, cette influence est polarisée, en ce sens que la main droite produit constamment un certain effet, la main gauche un effet différent, et les deux mains superposées paume contre paume les deux effets réunis. Cette polarité persiste même quand l'influence est transmise par un conducteur métallique selon que le fil de fer ou de cuivre est tenu par l'opérateur, de la main droite, de la main gauche ou des deux mains réunies.

8° Cette influence se dégage naturellement par l'extrémité des doigts, mais elle se dégage aussi à l'état diffus de toutes les parties du corps. Du moins il suffit d'enrouler, autour du bras, dupoignet au coude, un fil de fer.et d'adapter sur le milieu de cette espèce de solénoide une pointe le même métal pour constater que la pointe présentée vis-à-vis une partie quelconque du corps du sujet y produit les mêmes effets d'anesthésie, d'attraction, de picotement, etc., que produisait la main elle-même. Pareillement, en enroulant autour de la main un fil de fer qui se termine en pointe aux cinq doigts, on augmente notablement la rapidité et l'intensité des effets.

9° Le verre parait être au contraire pour cette influence un mauvais conducteur, un isolant. C'est du moins la conclusion qui me semble ressortir des faits suivants. Tout d'abord, soit une baguette de verre de 50 centimètres de longueur, terminée en pointe à l'une de ses extrémités, sur une longueur de 25 centimètres, j'enroule un fil de fer autour de cette baguette, la pointe du fil venant coïncider avec la pointe de verre : si alors, prenant la baguette par la partie inférieure où le verre est nu, j'en présente la pointe à l'une des parties quelconques du corps du sujet, même après 4 ou 5 minutes de présentation ; maintenant si je continue l'enroulement du fil de fer autour de la seconde moitié de la baguette, de sorte que le conducteur métallique soit en contact avec l'intérieur de ma main, il me suffit de présenter la pointe de la baguette pour obtenir en moins de quelques secondes l'anesthésie de la pointe visée. D'autre part, en faisant deux fois les mêmes expériences de présentation directe de la main, mais tantôt isolé du sol en même temps que le sujet par le moyen du verre, tantôt en communication avec le sol, je constate toujours, lorsque nous sommes isolés, une accélération dans la production des effets, et dans certains cas, cette accélération est de la moitié du temps nécessaire lorsqu'il y a communication. Toutefois, comme ces dernières expériences n'ont encore été faites, et tout récemment, qu'avec un seul sujet, j'affirmerai la propriété isolante du verre avec plus de réserve que la propriété conductrice du fer et du cuivre, celle-ci ayant été vérifiée à plusieurs reprises avec des sujets différents.

10° Tous les individus ne possèdent pas, du moins à un degré suffisant, pour qu'il en résulte des effets appréciables, la faculté de dégager l'influence de nature inconnue qui paraît être la cause déterminante de tout cet ordre de phénomène.

11° Toutefois, si un individu privé de cette faculté prend contact

avec un autre individu qui la possède, il peut à son tour, et aussi longtemps que dure le contact, devenir capable d'exercer cette influence.

12° En répétant et prolongeant le contact, un individu qui possède cette faculté peut la communiquer d'une façon plus ou moins durable, à un autre individu qui en est privé, de telle sorte que celui-ci pourra à son tour agir personnellement pendant un temps plus ou moins long et même conduire son influence à travers le corps d'un troisième individu incapable d'exercer par lui-même aucune action.

Ces douze propositions résument fidèlement les faits principaux que j'ai pu constater jusqu'ici en observant scrupuleusement les règles de la méthode d'expérimentation que je me suis prescrite et que je complète en indiquant le procédé que j'emploie pour vérifier l'état de la sensibilité du sujet au cours de ces expériences. Supposons que la partie du corps du sujet visée à distance par la main de l'opérateur soit la rotule du genou gauche, un assistant présente successivement, avec une pointe émoussée et dans un ordre quelconque différentes parties du corps du sujet en y intercalant la partie visée : le sujet annonce a haute voix les contacts ressentis; s'il reste constamment muet quand le contact a lieu sur la rotule du genou gauche, on en conclut l'anesthésie de cette partie et on s'assure, par des pincements, par des piqûres, de l'étendue et de la profondeur de l'anesthésie ainsi produite.

Il ne m'appartient pas de faire ressortir l'importance de tous ces faits au point de vue de l'hypnologie, de la psychologie physiologique, peut-être même de la physiologie générale. J'exprimerai seulement le vœu que le plus grand nombre possible d'expérimentateurs veuillent bien prendre la peine de les vérifier à leurtour, assurés qu'ils réussiront comme moi, pourvu qu'ils consentent à observer ces deux conditions indispensables; en premier lieu, se conformer rigoureusement à toutes les règles de la méthode que j'ai indiquée ; en second lieu, si les premiers résultats sont négatifs, ne pas se hâter d'en conclure que les faits rapportés ici sont mensongers ou imaginaires, mais avoir la patience d'expérimenter avec un assez grand nombre de sujets, soit personnellement, soit avec le concours d'autres opérateurs. J'ose espérer que mes collègues de la Société d'Hypnologie voudront bien m'encourager dans ees recherches en aidant à la réalisation de mon vœu.

Vagabondage somnambulique chez un sujet non hypnotisable,

mais suggestionnable

Par M. le D' Verrier.

L'hypnotisme pratiqué avec succès sur un sujet peut prouver l'état hystérique de ce sujet, mais sa non réussite ne prouve pas que ce malade ne soit pas hystérique, si, d'ailleurs, le sujet est suggestionné à l'état de veille, non pas même par le commandement, mais par un fait insignifiant en lui même (autosuggestion).

La mémoire des fugues chez le vagabond hystérique qui revient par l'hypnotisme, revient aussi par la suggestion à l'état de veille. Ce point de pratique a une grande importance lorsque le malade en question n'est pas hypnotisable.

Il faut tenir grand compte dans ces questions de l'existence simultanée de plusieurs névroses et en particulier de ce que Charcot a appelé l'Epilepsie larvée.

Les observations qui vont suivre justifieront ces trois propositions :

lre Observation

Homme 30 ans, caissier dans une grande administration, ne présente aucun des stigmates de l'hystérie, ni d'autre affection apparente, antécédents névropathiques très chargés ; son père et un de ses frères sont somnambules.

Antécédents personnels : très émotif, s'emporte facilement.

Pendant la guerre franco-allemande, n'ayant encore que 16 ans, il s'embarque pour la Plata. Revient à la paix. Repart au Gabon et y attrape la fièvre paludéenne. Rapatrié, il se marie et entre dans l'administration où il est aujourd'hui. Nous savons que c'était un employé modèle, très sobre et très honnête.

Quoiqu'il en soit, son état émotif avait augmenté, il s'évanouissait de temps en temps, il était distrait.

En outre de sa comptabilité, il travaillait encore pour des particuliers et réunissait les notes de ses voyages en vue d'une publication ultérieure.

Le 3 février 1875, pendant une absence de sa jeune femme, il va au café, joue au billard avec des amis, et dans une séance de quelques heures consomme quatre bocks, un café et un Vermouth.

De tout cela il se souvient parfaitement ; il se souvient aussi qu'en rentrant chez lui, il fut pris avant d'arriver d'un fort mal de tête, il vit passer un brouillard devant ses yeux et perdit totalement connaissance ; à partir de ce moment il ne se souvient plus de rien, et la nuit se fit complète dans son esprit.

Lorsqu'il revint à lui, il se trouva dans un ruisseau, la nuit, couvert de neige et de boue et les vêtements en lambeaux ; il ignorait absolument où il était....

Il se fouille ; il avait encore quelques sous dans sa poche et, apercevant de loin une lumière, il se dirigea de ce côté, arriva à des rails de chemin de fer, les suivit, finit par rencontrer une gare, s'informa de l'heure et du lieu où il se trouvait.

Il était 11h. du soir et il était à Bruxelles.

Un journal qu'il acheta lui apprit qu'il était au mardi 12 février !

Or, il avait perdu la conscience de ses actes, le 3 du même mois. Il avait donc marché depuis 9 jours et 4 heures depuis son point de départ et il se retrouvait près de Bruxelles, couché dans un fossé !!!

Il va alors trouver un de nos confrères de Bruxelles auquel il confie

sa mésaventure. Celui-ci, après l'avoir réconforté, le conduit à la gare où il prend pour lui un billet qui le ramène dans sa famille.

Là, il consulte son médecin habituel qui, aidé de celui de son administration, s'adressa à M. le professeur Raymond à la Salpétrière.

Le sujet examiné ne parait pas épileptique ; en l'absence des stigmates de l'hystérie, M. Raymond tente la suggestion hypnotique pour s'assurer si le malade était hystérique. L'hypnotisme ne réussit pas. Mais en raison de ses antécédents de famille, le diagnostic d'hystérie fut maintenu.

Il se peut que n'étant plus dans son accès de somnambulisme, l'hypnose n'ait pas d'effet sur lui.

Après 8 jours une seconde tentative ne fut pas plus heureuse que la première, on avait espéré par la suggestion hypnotique guérir son amnésie et lui rendre le souvenir de ce qui s'était passé pendant sa fugue.

Mais ce fut en vain. Un événement pourtant, bien insignifiant en apparence, vient lui rendre le souvenir de ce qu'il avait fait. Ce fut comme une sorte d'auto-suggestion.

Entre temps, laissez-moi vous dire qu'étroitement surveillé le jour et la nuit, l'infirmier l'entendait souvent répéter la môme phrase : « Bon, c'est entendu »

Il y avait là, en dormant, comme un dédoublement de la personnalité-Jamais à l'état de veille il ne se souvenait de ce qu'il avait dit la nuit.

Un événement fortuit lui rendit sa première personnalité, mieux que n'aurait pu le faire la suggestion la mieux ordonnée, car s'il était guéri de son état somnambulique, il n'avait point encore repris son état premier.

II faut savoir qu'il avait été accusé d'un crime contre l'état social, crime qu'il n'avait pas commis, mais qui pour lui était une idée fixe ayant une grande influence sur son état psychique.

Or, un jour de sortie, il rencontra son frère qui lui assura que lui et toute sa famille le tenaient pour absolument innocent de ce crime imaginaire. Cela suffît pour le délivrer de son idée fixe et lui faire apprécier sainement sa situation. J'arrive maintenant à la suggestion de la délivrance. En causant avec son frère et fouillant par hasard dans sa poche, il

sa tomber un papier plié en quatre. Il fut un instant stupéfié ! Mais ce fut un trait de lumière, et instantanément l'amnésie de sa fugue se dissipa et la lumière se fit dans son esprit.

Ce fut comme un voile qui se leva devant ses yeux et, ayant repris sa personnalité première, il rentra à la Salpétrière et compléta ainsi l'histoire de son accès de vagabondage somnambulique.

Ce papier tombé de ma poche, dit-il, est une lettre de recommandation pour le directeur d'un asile qui m'avait été donné par une dame charitable de Bruxelles, touchée de mon infortune, voici dans quelles circonstances :

Je vais parler à la troisième personne pour ne pas abuser de vos instants.

Après avoir quitté le café, notre malade avait rencontré une dame en deuil qui pleurait. Il s'informa, compatit aux malheurs vrais ou imaginaires de cette dame, rentra ehez lui, prit quelques billets de 100 fr. et retourne sur le pont où il avait laissé la dame. Il la retrouva, se promena avec elle, la mena dîner et finalement passa la nuit avec elle dans un hôtel.

Le lendemain, effrayé à son réveil de voir près de lui une femme qui n'était pas la sienne, ne reconnaissant pas sa chambre habituelle et voyant l'heure de son bureau passée, il perdit la tète, s'habilla à la hâte et partit.

N'osant retourner à son bureau, il erra par la ville et la banlieue et se trouvant à proximité d'une station, il prit un billet de chemin de fer pour Pagny ; arrivé là il songea bien à retourner à son bureau, mais dominé par la crainte et par son idée fixe du crime imaginaire dont nous avons parlé, il repart pour le Luxembourg. A Arlon, il déjeune, veut encore écrire à sa femme, mais toujours dominé par son idée fixe, il repart pour Bruxelles.

Descendu d'abord dans un grand hôtel de la ville, il s'aperçoit que son argent diminue ; il change d'hôtel, et, d'hôtel en hôtel, il arriva à loger dans un bouge à 0 fr. 30 c. la nuit.

Bientôt il n'a plus le sou, il travaille alors à tous les métiers, commissionnaire, décrotteur, etc. C'est alors que la maîtresse d'hôtel remarquant son allure bizarre et touchée de son infortune, lui donna une lettre de recommandation pour un de ses parents, directeur d'un asile ; « Bon, c'est entendu, dit-il en la remerciant, j'irai. » Mais il n'y alla pas...

Désespéré il voulut s'engager pour partir aux Indes... heureusement il lui manquait des papiers.

Il écrivit néanmoins ses adieux à sa femme légitime, et il partit à pied de Bruxelles avec la résolution d'en finir avec la vie. Arrivé à trois kilomètres de la ville, fatigué, épuisé par le manque de nourriture et la maladie aidant, il s'étendit dans un fossé plein de neige pour y attendre la mort... C'est là où nous l'avons retrouvé.

Vous savez comment notre malade, revenu au sentiment de l'existence par le froid et la réflexion, était retourné à Bruxelles, et comment notre très honorable confrère Belge l'avait rapatrié.

Telle est, Messieurs, l'observation. Ne justifie-t-elle pas entièrement mes deux premières propositions ? El la phrase qu'il prononçait dans son sommeil, n'était-elle pas celle qu'il avait dite à son hôtesse lorsque celle-ci lui remit la lettre qui l'a rendu à sa personnalité première sans l'intervention d'un hypnotiseur : « Bon, c'est entendu. »

Quant à ma troisième proposition, Messieurs, je serai très bref ;

Je ne veux pas insister sur les cas d'épilepsie larvée aujourd'hui hors de contestation. Il pourrait se faire qu'un malade, dans cette

condition, accomplisse des fugues que la perspicacité du médecin aura à différencier des fugues hystériques au point de vue médico-légales ; je citerai seulement les cas où les deux névroses épilepsie et hystérie peuvent exister chez 2le même sujet.

2e OBservation

Une observation courte, mais très probante, vient justifier cette proposition :

Le 17 mai dernier une jeune fille de 15 ans, manifestement épileptique depuis l'âge de sa formation, qui avait eu lieu à 10 ans, était sujette à des fugues de vagabondage ambulatoire.

Ces fugues auraient pu être attribuées par un médecin inattentif à de l'inpulsion épileptique.

Mais si l'on veut tenir compte qu'au moment de l'apparition du mal comitial, cette fille n'avait pas moins de dix à douze accès par jour ; que pendant une de ces crises, elle était tombée dans le feu et avait eu la figure elles mains horriblement brûlées, que ce mal fut combattu avec succès par le bromure à hautes doses, au point qu'aujourd'hui elle n'a plus guère qu'un accès par mois, et qu'enfin ses fugues ambulatoires ne sont survenues que récemment, quand déjà les manifestations épileptiques étaient en partie disparues, on conviendra avec moi que ce vagabondage appartient plutôt à l'hystésie qu'à une épilepsie.

Le sujet d'ailleurs présente les stigmates de l'hystérie, elle perd le souvenir de ce qui se passe pendant ses fugues et le délire qui leur succède et ne le retrouve, chose bizarre, qu'au mois suivant pendant, ou à la suite de sa crise.

Navais-je pas raison d'appeler l'attention de mes confrères sur ce cas singulier dans lequel, outre la coexistence des deux névroses, on retrouve ce fait singulier, noté dans l'observation précédente, de la disparition de l'amnésie par un fait en dehors de la suggestion hypnotique habituelle.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ DE MÉDECINE LÉGALE

Séance du 9 décembre 1895. — Présidence de M. Pouchet.

Un inculpé auto-accusateur

M. Gilbert Ballet présente la curieuse observation d'un inculpé auto-accusateur. Le malade en question avait dès l'abord fréquenté un milieu criminel pour les héros duquel il conçut une vive admiration : tourmenté depuis du désir de se mettre en scène, il s'accuse de vols chez M. Lebaudy, puis chez un bijoutier de la rue de la Paix, raconte

qu'il est souteneur et, dernièrement enfin, une fille galante ayant été assassinée rue Saint-Lazare, il écrit au chef de la Sûreté pour se dénoncer comme auteur du crime ; il sait parfaitement qu'il est étranger à tous ces faits et il l'avoue. C'est un débile et un absinthique. L'observation est digne d'intérêt en raison de la forme qu'a revêtue, par l'appoint de l'absinthe, le besoin impulsif.

M. Motet cite à ce propos l'observation d'un débile à idées de grandeur et persécuté auto-accusateur. Victime de la fatalité, ce sujet, pour redevenir heureux, se croit obligé de tuer quelqu'un ; sa sœur ayant succombé pendant qu'il dirigeait contre elle des tentatives d'empoisonnement, illusoires d'ailleurs, il croit être l'auteur de cette mort et vient s'en accuser.

M. Garnier a observé au Dépôt le malade de M. Motet ; après quelques jours ce malade a rejeté ses conceptions délirantes; mais pendant leur durée on a eu affaire à un convaincu; le malade de M. Ballet, au contraire, savait parfaitement la fausseté des faits dont il s'accusait. II convient d'opposerces deux malades. Il est assez fréquent de voir au Dépôt des débiles qui, à la nouvelle d'un crime retentissant, et sous l'influence de l'alcool, viennent s'accuser et se livrer à la justice; ils obéissent à un besoin de mise en scène, déploient souvent dans ce but une habileté rare, mais ne sont pas dupes de ce qu'ils racontent.

Henri Le Mesle.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront lieu les lundis 20 janvier, 17 février, 16 mars, 20 avril. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Programme du ?IIe Congrès international de psychologie

Le Comité de réception du Congrès International de psychologie qui se tiendra à Munich du 4 au 7 août 1896 adresse À tous les psychologues une invitation à assister aux travaux de ce Congrès.

Le Comité de réception est ainsi composé :

Président : Dr Lipps, professeur à la Faculté de philosophie ; Secrétaire général : Dr baron de Schrenck-Notzing ; Trésorier : Ernst Retter.

Membres du Comité : Dr Grashey, professeur à la Faculté de Médecine; Dr Rüdinger, professeur à la Faculté de Médecine ; Dr J. Ranque, professeur à la Faculté de philosophie; Dr Graetz, professeur de physique à l'Université; Dr von Kersehensteiner, conseiller intime au ministère de l'intérieur; Dr Cornélius, agrégé à l'Université ; Ds Cremer, agrégé à l'Université; Dr G. Hirt; Dr L. Fogt; Edmund Parish; Dr Weinmann; C. Kabish.

Le Congrès sera présidé par M. Stumpf, professeur à la Faculté de philosophie de Berlin.

L'ouverture du Congrès aura lieu le mardi 4 août 1896, dans la grande salle de l'Université. Les adhésions doivent être adressées à M. le Dr Schrenck-Notzing, secrétaire général, Max. Josephst. Munich. La cotisation sera de 20 francs.

Programme

I. PSYCHO-PHYSIOLOGIE

S'adresser pour les renseignements à MM. les professeurs Rudinger et Graetz, Dr Cremer.

a) Anatomie et physiologie du cerveau et des organes des sens (bases physiologiques de la vie psychique).

Développement des centres nerveux. Localisations. Neurones. Voies de conduction. Structure du cerveau. Fonctions psychologiques des parties centrales; actions réflexes et automatiques ; innervation, énergie spécifique des nerfs.

b) Psycho-physique. Rapports du physique et du psychique. Méthodologie psycho-physique. Loi de Fechner. Physiologie des sens (sensations musculaires et organiques, le toucher, l'ouïe, la vue, audition colorée). Effets psychiques de certaines substances, temps de réaction, mesure des réactions végétatives (respiration, pouls, fatigue des muscles.

II. PSYCHOLOGIE DE L'INDIVIDU NORMAL

S'adresser pour les renseignements à MM. le professeur Lipps, Dr Cornelius et Dr Weinmann.

Buts. Méthodes. Observations et expériences. — Psychologie des sens, sensations et idées, mémoire. — Lois de l'association. — La conscience et l'inconscient, l'attention, l'habitude, l'attente, l'exercice. — L'espace objet de perception de la vue, du toucher, des autres sens, la conscience de l'étendue. Illusions géométriques et optiques, perception du temps.

La science de la connaissance — Action de l'imagination — Sentiments et sensation, les sentiments esthétiques, éthiques et logiques, les émotions et les lois de la sensation. — Le système de la volonté, la conscience de la volonté, actions volontaires, mouvements expressifs, faits éthiques. — Conscience personnelle, développement de la personnalité, variétés individuelles.

L'hypnotisme. Suggestion, sommeil normal, rêves. — Automatisme psychique, importance des suggestions au point de vue judiciaire et pédagogique, psychologie pédagogique.

III. PSYCHO-PATHOLOGIE

S'adresser pour les renseignements à MM. le professeur Dr Grashey, Dr de Schrenck-Notzing et M. Parish.

Importance de l'hérédité dans la psychopathologie; données statistiques, la question de l'hérédité des qualités acquises, relations psychiques (transmissions corporelles et psychiques). Observations faites au sujet de la dégénération, dégénération et génie. — L'hérédité aux points de vue éthique et social.

Relations de la psychologie et du droit criminel. Psycho-pathologie des sensations sexuelles. Grandes névroses (hystérie, épilepsie).

Conscience alternante, contagion psychique, côté pathologique de l'hypnotisme, somnolence pathologique.

Psychothérapie, suggestions thérapeutiques, suggestion mentale, télépathie, transfert psychique, statistique internationale des hallucinations; autres matières qui s'y rapportent. Hallucinations, idées obsédantes, aphasie, etc., etc.

iv. psychologie comparée

S'adresser pour les renseignements à MM. le professeur Dr Ranke, Dr Hirth et Dr Fogt. Statistique des faits psychologiques. La vie psychique des enfants. Les fonctions psychiques des animaux.

La psychologie des peuples et la psychologie anthropologique. Etudes comparatives sur la linguistique et la graphologie au point de vue psychologique.

Ainsi qu'on en jugera par le programme ci-dessus, le comité d'organisation s'est tracé une besogne considérable. La durée du congrès sera trop courte pour que beaucoup de questions soient traitées d'une façon suffisante.

Dès à présent nous adressons à M. le Dr Schrenck-Notzing, le zélé secrétaire général, tous nos vœux pour le succès du Congrès. La Revue de l'Hyp-notisme y sera représentée et elle met complètement ses colonnes à la disposition des organisateurs du Congrès. Nous insérerons avec le plus grand plaisir toutes les communications qui nous seront adressées.

Le pouvoir de fascination de la couleuvre.

M. C. Sarcé relate dans la Gazette des Campagnes plusieurs faits qu'il a observés sur le pouvoir de fascination de la couleuvre : « J'ai vu, dit-il, dans un jardin, un crapaud arrivé dans une allée, faire un saut de 25 à 30 centimètres, s'arrêter quelques instants, puis faire des sauts de moins en moins longs, s'arrêter à tout moment, pour repartir comme si une force invisible l'avait poussé ; enfin, arrivé sur le bord de l'allée, se fourrer la tête dans la gueule d'une couleuvre qui se tenait immobile ; le crapaud s'arc-boutait même avec ses pattes de derrière pour s'enfoncer plus avant, » Les grenouilles et les petits oiseaux subissent également la fascination de la couleuvre, « On entend souvent, en passant sur le bord de l'eau, des coassements tout particuliers, plaintifs même ; en cherchant bien, on voit une couleuvre allongée sur

une feuille de nénuphar et une malheureuse grenouille qui avance, recule, avance encore et finit par grimper sur la feuille de nénuphar pour se précipiter dans la gueule de la couleuvre qui ne se dérange même pas. Un jour, j'entendis un rouge-gorge pousser des cris plaintifs dans un buisson ; je vis le malheureux oiseau, les ailes ballantes, les plumes ébouriffées faisant le gros dos, marcher comme à regret le long d'une branche, toujours dans la même direction, puis tout à coup se jeter dans la gueule d'une couleuvre qui se tenait enroulée à un mètre de terre dans des branches d'épines. »

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratiqne de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours et conférences du semestre d'hiver 1895-96, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.

Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie

M. le Dr Bérillon a commencé le jeudi 5 décembre, à 10 heures et demie, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et a la pédagogie.

Il se continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.

conférences

M. le Dr Bérillon fera, le jeudi 12 décembre, à cinq heures, une conférence sur : Les lois de la suggestion.

M. le Dr P. Valentin fera, le jeudi 19 décembre, à cinq heures, une conférence sur : Suggestion hypnotique et liberté morale.

M. le Dr Max Nordau fera, le jeudi 9 janvier, à cinq heures, une conférence sur : La psychologie de l'obsession.

M. le Dr Bérillon fera, le jeudi 16 janvier, à cinq heures, une conférence sur : La psychologie de l'intimidation.

M. le Dr Henri Lemesle, licencié en droit, fera, le jeudi 23 janvier, à cinq heures, une conférence sur : La nécessité de compléter l'instruction judiciaire par l'examen psycho-moral de tous les inculpés.

M. le Dr Armand Paulier fera, le jeudi 30 janvier, à cinq heures, une conférence sur : Les circonvolutions cérébrales et sur un nouveau procédé de conservation du cerveau.

M. le Dr Collineau fera, le jeudi 6 février, à cinq heures, une conférence sur : La psychologie du dégénéré.

M. le Dr P. Valentin fera, le jeudi 13 février, àcinq heures, une conférence sur : L'hypnotisme dans la psychologie classique.

M. le Dr L. de Jaworowski fera, le jeudi 20 février, à cinq heures, une conférence sur : La substance grise du cerveau.

M. le Dr Mora fera, le jendi 27 février, à cinq heures, une conférence sur : L'éducation intégrale du cerveau.

M. le Dr Millée fera, le jeudi 5 mars, à cinq heures, une conférence sur : l'œil névropathique.

Hospice de la Salpêtrière. — Clinique des maladies du système nerveux. — M. Raymond. Les mardis et vendredis à 10 heures.

M. Dejerine. Leçon clinique sur les maladies nerveuses tous les jeudis à S b. (salle de la consultation externe) à partir du 5 décembre.

Hôpital Saint-Antoine. — M. Gilbert Ballet. Leçon clinique sur les maladies nerveuses, le dimanche à 10 heures.

M. Albert Robin avait demandé que le laboratoire de thérapeutique annexé au service du regretté Dujardin-Beaumetz, à Cochin, fût transféré à la Pitié.

Le Conseil a fait droit à sa demande. Les instruments et le matériel du laboratoire de Cochin seront transportés, dans le plus bref délai, dans le service de M. Albert Robin, et la somme de 2.000 francs, qui figure depuis quatre ans au budget municipal comme étant affectée audit laboratoire, sera attribuée à ce même laboratoire transféré à l'hôpital de la Pitié.

Le Comité d'organisation du XIIe Congrès international de médecine, qui doit se tenir à Moscou en août 1897, vient d'adopter le français comme langue officielle du Congrès.

Toutefois, les communications et diseussions pourront aussi avoir lieu en russe et en allemand.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dr E. Monin. — La Santé de la Femme. 1 vol. in-8, 386 pages. — 0. Doin, éditeur, place de l'Odéon. Paris, 1895-

Max Nordau. — Paradoxes psychologiques. 1 vol. in-8, 178 pages. — Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1896.

M. A. Tripier. — Electrothérapie. Brochure in-4°, 19 pages. — Gau-thier-Villars et Fils. Paris, 1895.

Dr Lautps. — Le fonctionnement cérébral pendant le rêve elpendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris, 1895.

Astère Denis. Dr Vande Lanoittb. — Hypnotisme, maladies, guérison. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapaurue, Ver-viers, 1895.

Astère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Nicolet. Verviers, 1895.

E. Decroix. — Avantages de l'hipophagie. Brochure in-4°, 28 p. — 20 bis, rue Saint-Benoit. Paris, 1895.

Drs A. Combe et Dubousquet-Labordière. — Tumeur orbitaire double, Brochure in-8, 7 pages. — O. Doin, Paris, 1895.

Dr Jules Chèron. — Introduction à l'étude des lois générales de l'hypodermie. 1 vol. in-4°, 553 pages. Paris, 1893.

A. de Rochas. — L'extériorisation de la sensibilité. Etude expérimentale et historique. Un vol. broché in-4°, 256 pages. Chaumel, Paris, 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT _ 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

10e année. — ?° 7. Janvier 1896.

UNE CURE MERVEILLEUSE DE SYCOSIS

La plupart des journaux de médecine russes et allemands avaient enregistré sans commentaires l'histoire de la « cure miraculeuse de sycosis », communiquée par M. A.-Y. Kogevni-koff à la Société de neurologie et de psychiatrie de Moscou. M. Kogevnikoff vient de publier l'histoire du malade en question dans la Medicinskoie Obozrénié, et il nous semble intéressant de revenir sur quelques points particuliers de ce cas bizarre et présentantun intérêt scientifique exceptionnel. L'analyse de ce travail nous a été donnée par la Médecine Moderne, et c'est à cet intéressant journal que nous empruntons les détails qui vont suivre :

Le malade en question, professeur à l'Université de Moscou, est âgé de 30 ans, bien constitué, nerveux et impressionnable. La sœur du malade est une hystérique franche. Lui-même se portait toujours bien. Il a une chevelure abondante et une barbe très fournie. Au printemps de 1894 il fut pris, sans cause appréciable, de furonculose symétrique des deux poignets. En juillet de la même année, le malade, au cours d'un voyage au Caucase entrepris par suite du surmenage intellectuel, est resté sans être rasé pendant 3 semaines. A son retour il s'est aperçu de l'apparition de quelques boutons sur la joue gauche; leur nombre augmentait avec tendance à la symétrie, et quelques-uns sont devenus suppurés. Les médecins ont diagnostiqué dès l'abord un sycosis. Depuis, l'état s'aggrava peu à peu malgré un traitement énergique. Vers le milieu de l'hiver de l'année suivante, le menton, les joues et la lèvre inférieure étaient couverts dune éruption presque confluente ; seule la moustache en était exempte. De ces boutons les uns s'ouvraient en laissant écouler un liquide purulent, les autres se cou-

vraient de croûtes ; par place ils se confondaient les uns avec les autres. La peau des régions recouvertes par la barbe, surtout la lèvre inférieure, était infiltrée et fortement cedéma-tiée. Après la chute des croûtes il restait une peau rouge, suintante, qui ne tardait pas à se couvrir de nouveaux boutons. L'aspect du malheureux malade était tellement repoussant qu'il n'osait presque pas sortir ou se montrer en société. La suppuration était si abondante que les pansements très épais étaient trempés après un temps relativement très court.

Pendant les 9 mois que dura l'affection, le malade fut traité par les dermatologistes les plus éminents : M. Schwimmer, de Budapest, M. Lassar, de Berlin, M. A.-I. Pospeloff, de Moscou, M. Kapozi, de Vienne, M. Stoukovenkoff, de Kieff. Tous furent unanimes sur le diagnostic de sycosis.

L'examen microscopique des squames, pratiqué par M. Ki-chensky, démontra la présence de microbes en grand nombre, surtout de cocci. Par la culture on a pu isoler à l'état pur un coccus qui rappelait beaucoup le staphylocoque doré. Le malade suivait rigoureusement le traitement, mais étant donné l'inefficacité complète de ce dernier, il se décida â avoir recours à l'application d'eau ammoniacale que lui conseilla un ancien soldat. Au début les effets furent assez bons, les boutons disparurent, il ne resta que la rougeur de la peau, mais dès que la cicatrisation commença, les boutons apparurent de nouveau. En désespoir de cause, le malade s'adressa à un pharmacien, aux homéopathes, mais toujours sans succès. En avril 1895, étant à Kieff, à son retour de Vienne ou il était allé consulter M. Kaposi, le malade s'adressa à M. Stoukovenkoff, qui reconnut aussi l'affection comme étant un sycosis et qui prescrivit, en dehors de la médication externe, du bromure à l'intérieur. A son retour à Moscou, deux jours plus tard, le malade avait encore son éruption en plein. Les boutons de la barbe étaient, les uns à l'état de suppuration, les autres recouverts de croûtes. La suppuration était abondante, la lèvre inférieure très œdématiée. Sur le conseil de sa blanchisseuse, le malade s'adressa à une bonne femme qui, ayant examiné l'éruption, déclara qu'elle ne pouvait être guérie que par des prières.

« Je prierai le bon Dieu et la maladie disparaîtra. »

Le malade consentit à se soumettre au traitement par la prière et arriva le lendemain au rendez-vous au Temple de Saint-Sauveur ; « Que dois-je faire ? » demanda le malade, une fois à l'intérieur de l'église. « Bien, restez-ici, moi je prierai. »

La prière à voix basse dura 3 ou 4 minutes. « Maintenant, monsieur, retournez chez vous, mais revenez ici le soir, je ferai de nouveau la prière et la maladie disparaîtra avec l'aide de Dieu. »

Le même jour la tuméfaction de la face commença à diminuer, les boutons se fanaient, la suppuration commença à tarir, et le soir même le malade se décida pour la première fois à se montrer dans la rue sans pansement. A l'église les choses se passèrent exactement de la même manière que le matin ; la prière dura 3 ou 4 minutes ; le malade fut engagé à revenir le lendemain. Il ne manqua pas au rendez-vous. Après la troisième séance à l'église l'amélioration était des plus nettes : la suppuration était complètement arrêtée, la tuméfaction de la face avait disparu ; il se montra une desquamation excessivement abondante. Enfin le troisième jour de ce traitement le malade se trouvait tellement bien qu'il se fît raser et le coiffeur ne constata rien d'anormal, sauf une abondante desquamation.

A propos de ce malade, que le professeur Kogevnikolï n'a pas eu en traitement mais qu'il connaissait et qu'il a vu au cours de son affection, l'auteur rappelle les différentes formes de sycosis. Dans le cas présent il faut admettre la sycose sta-phylogène dans laquelle on trouve plusieurs espèces de cocci, surtout les staphylocoques blanc et doré. Ces microbes de la suppuration, les plus répandus des micro-organismes pathogènes, sont souvent trouvés sur la peau de sujets même tout à fait sains. Il faut admettre que dans certains cas la pénétration des microbes peut se faire en dehors de toute lésion cutanée sous l'influence d'une prédisposition particulière du système nerveux. Tout le monde connait maintenant le rôle que joue le système nerveux dans les affections cutanées. Les observations démontrent que son influence n'est pas moindre sur l'état et le fonctionnement des follicules pileux. Si sous l'in-llucnce d'un trouble nerveux ces follicules s'enflamment, ils présentent un terrain très favorable pour le développement des microbes qui entretiendront la suppuration. Il n'est pas douteux que dans certains cas la sycose staphylogène se développe sous l'influence d'un trouble nerveux et que l'influence des microbes est alors secondaire. Aussi dans des cas semblables, pour la guérison de l'affection, la disparition de la maladie causale, c'est-à-dire du trouble nerveux, estindispensable. Dans le cas présent on n'a pu noter aucune cause extérieure défavo-

rable, physique ou chimique. Mais il est impossible de méconnaître l'influence nerveuse comme cause prédisposante. En faveur de cette influence parlent l'accentuation du nervosisme habituel du malade par suite de surmenage intellectuel avant son voyage au Caucase, la symétrie des lésions. Les médecins qui ont au début négligé l'état du système nerveux ont à la dernière consultation prescrit des calmants (bromure). Le malade lui-même, malgré l'insuccès du traitement, ne s'est jamais découragé et était persuadé qu'un remède sûr et peut-être très rapide existe et qu'il ne faut que patienter pour le trouver ; on ne peut donc supposer que les troubles nerveux étaient secondaires à la sycose. Le malade s'est adressé à la bonne femme sans savoir les remèdes qu'elle allait employer, de même qu'il s'est adressé avant à un soldat, aux pharmaciens, aux homéopathes. Pendant la prière le malade prétend avoir conservé tout son calme, ne sentant aucune exaltation religieuse particulière et considérant toute la procédure comme un moyen thérapeutique. Cependant il n'est pas douteux que la cérémonie a produit sur lui un effet plus ou moins profond : le grand temple presque vide, les cantiques lointains, la présence d'une femme qui fait la prière pour sa guérison, tout cela était peu banal, tranquillisait le malade et lui donnait l'espoir de la guérison.

Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'un fait intéressant au plus haut degré : une affection reconnue comme bactérienne, qui a atteint un développement considérable, qui n'a cédé, pendant neuf mois, à aucun traitement entre les mains des spécialistes les plus distingués, sans tendance aucune à la disparition et même à la diminution, jusqu'aux derniers jours, et qui disparait brusquement, sans aucun médicament, et même sans aucune médication, intéresse à la fois les dermatologistes et les neuropathologistes. Pour les premiers, ce cas démontre que la sycose staphylogène, qui n'était pas considérée jusqu'à présent comme d'origine nerveuse, dépend directement des troubles du système nerveux et incite à un traitement qui ne consiste pas seulement en la destruction des micro-organismes, mais qui doit s'adresser aussi au système nerveux. Pour les neuropathologistes, ce cas ne présente pas un moindre intérêt, car il démontre une fois de plus l'énorme pouvoir de notre activité psychique non seulement dans l'hystérie, mais aussi dans les autres troubles du système nerveux.

Cette communication a fait un grand bruit; la presse poli-

tique s'en est emparée et a, comme de coutume, dénaturé les faits. Les uns accusaient le rapporteur de superstition ; les autres lui reprochaient l'inexactitude des faits, l'absence de sentiments religieux, d'être un athée, etc. Le professeur Kogevnikoff, dans une lettre publiée dans les Moscovskia Viede-mosti, déclare, sans vouloir se justifier et méprisant les attaques, que, s'il a fait une communication de ce cas intéressant, c'est pour rendre service aux malades semblables en attirant l'attention des médecins sur la nécessité de prendre en considération l'état nerveux des malades atteints de sycosis. La communication a été préalablement lue au malade qui l'a trouvée rigoureusement exacte. Quant à l'interprétation, elle n'était et ne pouvait être faite qu'au point de vue médical et scientifique et exclusivement pour les médecins.

Ajoutons à ce qui précède que l'observation publiée par M. le Dr Kogevnikoff acquiert une importance d'autant plus grande que l'autorité de ce professeur est plus considérable. Le professeur Kogevnikoff est considéré, à juste titre, comme le neurologiste le plus éminent de la Russie. On lui doit la création de la clinique des maladies nerveuses et mentales, d'un musée neurologique, auquel la Faculté de Moscou a donné le nom de Musée Kogevnikoff. Il a aussi fondé, en 1890, la Société de neurologie et de psychiatrie de Moscou, dont il est le président fondateur. Au 25me anniversaire de sa thèse de doctorat, les amis et les élèves du professeur Kogevnikoff lui ont dédié un recueil de travaux sur les maladies du système nerveux et les maladies mentales. En 1894, au 15me anniversaire de sa carrière de professorat, la Société de neurologie et de psychiatrie de Moscou a créé une bourse d'études qui porte le nom de Kogevnikoff et l'a élu membre honoraire. On l'a nommé, récemment, vice-président du Comité d'organisation du Congrès international qui se tiendra à Moscou en 1897. Si nous avons tenu à rappeler tous ces titres, c'est pour montrer en quelle estime sont tenus le savoir et l'autorité scientifiques de M. Kogevnikoff.

En soumettant à la discussion de la Société de neurologie de Moscou l'histoire de cette cure miraculeuse, M. Kogevnikoff a fait preuve d'un grand courage scientifique. Bien peu professent un culte aussi profond pour la vérité. Cette communication aura un retentissement considérable, car elle rappellera l'attention sur des faits analogues auxquels on n'avait pas

accordé tout l'intérêt qu'ils méritaient. De ce nombre est la remarquable communication publiée dans cette Revue par M. le Dr Ilamilton Osgood, de Boston, et dans laquelle il signalait quatre cas d'eczéma grave guéris par la suggestion. A la veille de sa mort, dans un article que l'on pouvait considérer comme un testament scientifique, Charcot discutait scientifiquement le mécanisme intime par lequel s'effectuent les gué-risons miraculouses. Dans cette étude sur « la foi qui guérit », Charcot rendait hommage à ceux qui ont entrevu les ressources thérapeutiques qui résultent de l'utilisation méthodique de la suggestion et de l'auto-suggestion. Dans la dernière séance de la Société d'hypnologie et de psychologie, M. Dumontpallier rappelait éloquemment les progrès réalisés depuis quelques années dans le domaine de la médecine psychologique. S'adressant aux membres de la Société, il leur disait avec raison : « Persistez dans votre œuvre, Messieurs, j'ai la conviction que le jour est proche où l'on rendra justice à vos efforts. La Société d'hypnologie et de psychologie, groupant tous ceux qui se préoccupent de l'éternelle question des rapports du physique et du moral, est appelée à devenir une des plus importantes réunions scientifiques de Paris. Grâce à elle, une foule de questions qui apparaissaient revêtues des allures du merveilleux seront expliquées et résolues. Les médecins et les savants s'étonneront d'avoir méconnu si longtemps l'utilisation de forces aussi puissantes que le sont les actions psychiques, qu'on les appelle suggestion, psychothérapie ou états hypnotiques. Ce sera la gloire de la Société d'avoir contribué à une révolution scientifique dont tous les initiateurs figurent au nombre de nos membres honoraires, » La communication qui vient d'être faite parle Pr Kogevnikoff à la Société de neurologie et de psychiatrie de Moscou, prouve que les études sur l'hypnotisme et la psychothérapie ont peut-être plus de raison d'être que ne le croient un certain nombre d'esprits rétrogrades. ?. B.

NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR ET D'EMPÊCHER L'AUTOHYPNOSE

Par le Dr BoxjoUR, de Lausanne.

La Revue de l'Hypnotisme de Mai 1895 parle d'un cas d'hystéro-épilepsie que j'ai guéri par l'hypnose prolongée. Il sera probablement intéressant pour les lecteurs de la Revue

d'en avoir des nouvelles, mais je les donne surtout à cause d'un fait que le malade a présenté il y a quelque temps.

Je tiens à affirmer que les crises qui se répétaient en moyenne 3 fois par semaine avaient le caractère d'un délire épileptique intense. Toutefois, comme il ne s'agissait pas d'une épilepsie nette, j'ai tenu à formuler le diagnostic d'hystéro-épilepsie. Pendant les six semaines que dura l'hypnose prolongée, j'avais suggéré maintes fois au malade que personne ne pourrait l'hypnotiser à part moi, et après l'avoir réveillé le dernier jour, je le lui avais affirmé encore sans penser au cas qui se présenterait plus tard.

Un jour, le jeune homme reçoit la visite d'une parente du dehors ravie d'apprendre sa guérison. Il lui raconte comment je l'ai traité. « Je n'avais qu'à compter jusqu'à 20 pour être en catalepsie, lui dit-il ; tiens, je vais te montrer cela » — et s'adressant au domestique — « Emile ! va mettre le réveil électrique pour 2 heures. Je vais m'hypnotiser et cela me réveillera dans un quart d'heure. »

A 20, en effet, il ferme les yeux et son corps se raidit. Au bout de plusieurs minutes, le domestique, au lieu d'exécuter Tordre reçu, va dans la chambre de la mère du malade et fait aller plusieurs fois la sonnette électrique qui communique avec la chambre de l'hypnotisé. Celui-ci se lève immédiatement, se réveille en crise, court dans la chambre de sa mère, en criant : « Les brigands ! où sont-ils ? » N'y voyant personne, il tire les meubles et cherche partout, va dans une autre chambre, regarde sous tous les lits, court au grenier, à la cave, au pressoir ; puis, apercevant son frère, se jette sur lui pour lui faire du mal.

Quand j'arrive, la crise dure depuis 3 ou 4 heures. C'est la plus forte de toutes celles qu'il a eues. Je ne puis l'en réveiller. Il se remet et me raconte qu'en entendant la sonnette de sa mère qu'elle n'emploie jamais, il l'a crue en détresse, attaquée par des voleurs ; de là, sa crise. Il ne se rappelle pas ce qu'il a fait pendant la crise.

Après l'avoir tranquillisé et lui avoir promis qu'il était guéri, je l'engageai à ne plus refaire cette expérience et lui suggérai en riant l'inutilité de ses efforts pour s'hypnotiser lui-même. Il essaya plusieurs fois de compter comme il en avait l'habitude, sans parvenir à s'endormir.

Lorsque les malades demeurent loin de Lausanne, comme c'était le cas cette fois, et que je ne puis me rendre souvent

chez eux, je suis obligé de leur suggérer cette facilité de s'hypnotiser en comptant par exemple jusqu'à 20 ou 50 au plus, afin que s'ils se réveillent, ils puissent se rendormir immédiatement. Mais c'est la première fois que l'un d'eux en a profité pour se livrer à un jeu qui, heureusement, n'a pas eu de suites fâcheuses. Je tiens à signaler ce fait à mes confrères qui se trouvent dans la même nécessité que moi. Donc, il n'est pas seulement nécessaire de suggérer à nos malades que personne autre que nous ne pourra les hypnotiser, mais aussi qu'ils ne pourront s'hypnotiser eux-mêmes.

Le malade avait passé trois mois sans crise, et, depuis cet accident, quatre mois se sont écoulés sans rechute.

LE SOMMEIL IMPÉRATIF

Un cas avec autopsie. Lésions de la substance grise de la région bulbaire.

Par J. Luys.

On rencontre quelquefois, dans le domaine de la pathologie nerveuse, des cas de sommeil impératif dans lesquels on voit des malades, pris de véritables attaques de sommeil, s'endormir subitement, au milieu de leurs occupations journalières, et restant ainsi plusieurs heures consécutives absents du milieu ambiant.

1° J'ai vu, entre autres, le cas d'une cuisinière mariée, mère de amille, sans aucune tare héréditaire ni accidents nerveux, qui, pendant plusieurs mois, était sujette à des attaques de sommeil qui la prenaient tout d'abord à des intervalles de deux et trois semaines, et qui, peu à peu, devinrent plus fréquentes, au point de lui rendre impossible tout service actif ; — cette malheureuse s'endormait quelquefois alors qu'elle était en train de préparer les repas de la maison où elle était en place.

Elle me fut amenée dans mon service, à la Charité, et en lui appliquant avec méthode la suggestion hypnotique, j'eus la bonne fortune de diminuer d'abord la fréquence de ses attaques de sommeil qui s'élevaient à deux et trois par semaine, et de les réduire à devenir seulement mensuelles. — Je perdis cette malade de vue et j'appris indirectement que l'amélioration s'était maintenue.

2° Le second cas que j'ai eu l'occasion de rencontrer est rela

tif à une malade de la Salpêtrière, atteinte pareillement, dans les derniers temps de sa vie, d'attaques de sommeil, et dont j'ai eu l'occasion de faire l'autopsie.

Si la clef organique de la circulation encéphalique est située au niveau de la région bulbaire, comme le pensent certains auteurs, le résultat de mon examen est concordant, car j'ai constaté, au niveau du collet du bulbe, des lésions des organiques spéciales qui dénotent qu'au niveau de cette même région il devait y avoir des troubles fonctionnels caractéristiques et qui ont dû modifier les processus réguliers de la provocation du sommeil physiologique (1).

La malade en question, âgée de 77 ans, était devenue amau-rotique en perdant successivement les deux yeux à quelques années d'intervalle : les douleurs de tête qui avaient accompagné la perte de la vision disparurent lorsque la cécité fut complète.

Cette malade, entrée à la Salpêtrière depuis plusieurs années, vivait de la vie commune comme aveugle, sans attirer l'attention d'une façon spéciale. Quelques jours avant son entrée à l'infirmerie, la surveillante de son dortoir s'aperçut qu'elle devenait indolente, qu'aussitôt après avoir pris ses repas, elle était lourde, qu'elle ne causait plus, qu'elle s'endormait en mangeant et qu'en somme elle était tout autre.

Une fois entrée à l'infirmerie, nous pûmes, pendant trois mois environ, l'avoir en observation. — Nous constatâmes qu'elle était en état permanent de somnolence, qu'elle était complètement amaurotique, et que, même étant assise sur son lit au moment où elle prenait ses repas, elle s'endormait malgré sa volonté. — Venait-on à la placer sur une chaise, elle s'endormait quelque temps après. — Venait-on à lui adresser quelques phrases, elle répondait d'une manière courte, mais elle ne parlait jamais spontanément ; elle sentait son état, elle s'en plaignait et disait tristement qu'elle ne pouvait faire autrement que de dormir. On la trouva morte subitement dans son lit un matin. Elle avait succombé à une hémorrhagie qui avait envahi les deux poumons.

A l'autopsie, j'ai constaté que le cerveau était très ferme et les méninges légèrement injectées, les artères de la base

(\) Voir Luys : « Recherches sur le système nerveux », 1865. — « De l'état de sommeil de l'axe spinal », p. 416 et suivantes. J.-B. Baillière ; — et « Traité de Pathologie mentale., » ; « De l'état de sommeil des appareils cérébelleux et spinaux », p. IS1. Paris, 1881.

étaient très athéromateuses, l'extrémité postérieure du lobe occipital était mollasse, jaunâtre et ramollie ; ce foyer de ramollissement avait environ deux à trois centimètres d'étendue.

La coloration de Técorce, en général, était blafarde, pâle, d'une teinte de café au lait claire, les plis étaient irréguliers, sans trace d'atrophie apparente; son épaisseur, en différentes régions, me parut moindre qu'à l'état normal, pas de capillaires apparents.

La substance blanche était sèche, poisseuse, dépourvue de vaisseaux ; il en était de même des corps striés qui étaient pâles : les couches optiques avaient une teinte générale blafarde sans qu'il fût possible d'y reconnaître les noyaux habituels ; le cervelet ne présentait rien d'anormal, les corps rhom-boïdaux étaient seuls décolorés.

La substance grise du collet du bulbe présentait des lésions très curieuses qui consistaient dans de petits foyers de ramollissement grisâtres, fusiformes, disséminés, au nombre de cinq dans son épaisseur, et dans lesquels venaient se ramifier des petites artérioles athéromateuses.

Quant aux nerfs optiques, ils étaient grisâtres et atrophiés ; la bandelette, réduite à des filaments grisâtres, était devenue une toile mince. Les quadrijumeaux étaient atrophiés des deux côtés, et les corps genouillés étaient d'une coloration blafarde.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 25 Juillet 1895. — Présidence de M. Dumontpallier.

(Suite)

Expérience sur les rêves et en particulier sur les rêves d'origine musculaire ou optique (1)

Par M. le Dr J. Mourly-Vold, Professeur à la Faculté des lettres de Christiania (Norvège)

Mes études sur les rêves datent de l'année 1876. Depuis cette époque, j'ai observé, écrit, et, autant que cela m'a été possible, expliqué les rêves que j'ai eus. Pendant quelque temps, à peu près tous ceux dont je me souvenais, ensuite seulement ceux qui me paraissaient intéressants. Voici ce que je voudrais faire ressortir plus particulièrement :

(t) J'exprime toute ma reconnaissance à M. le docteur Sopus Torup, professeur à la Faculté de Médecine de Christiania ; à M. le docteur Edward Bull, médecin en chef, et à M. Alfred Hanson, chirurgien major, qui m'ont aidé de leurs renseignements sur différents points de la physiologie.

Pendant les six ou sept dernières années, j'ai fait différentes séries d'expériences, surtout sur le rôle que jouent dans les rêves le sens du toucher (contact et température) et le sens musculaire, et sur la relation existant entre les images de la soirée et celles de la nuit suivante.

Avant de terminer un livre où je traite ce sujet en détail, je me permettrai d'en donner ici un résumé général. Je me bornerai cependant à désigner ici les recherches les plus importantes pour moi, celles concernant les rêves d'origine musculaire et optique. Quant au sens musculaire (qui est sans doute, dans ce domaine, plus intéressant que celui du toucher), j'ai trouvé que son rôle dans les rêves est très important. J'emploie le mot « sens musculaire » dans sa signification la plus étendue pour exprimer le sens par lequel nous percevons les mouvements et les positions de nos membres, sens dont l'appareil physiologique est assez complexe. On a, selon moi, trop peu observé le rôle important de ce sens; cela lient, je pense, à ce que la position des membres, pendant un rêve, est assez difficile à découvrir, parce qu'en général on change d'altitude au moment du réveil. J'ai tâché de supprimer celte difficulté, autant que possible, en prenant l'habitude de ne pas changer d'attitude au réveil. Dans les cas où, malgré moi, j'avais remué â ce moment, j'ai souvent réussi à découvrir l'attitude précédente par la faible sensation d'une courbature des membres. Enfin, j'ai fait des expériences. Je vais expliquer ces expériences en quelques mots.

J'ai expérimenté moi-même, et j'ai réussi à obtenir l'assistance d'un bon nombre de personnes distinguées, dames et messieurs, habitant Christiania. L'après-midi ou le soir, nous nous réunissions au nombre de dix à quarante. J'expliquais assez minutieusement l'expérience en question et tout ce que je croyais important à faire pour qu'elle réussit, mais je me gardais de dire aux aidants les résultats probables ou ceux qu'avaient en vue les autres aidants ; nous fixions une ou deux nuits pour l'expérience — pas la première après notre séance, pour éliminer autant que possible son influence sur le sommeil de la nuit en question. Par la même raison, je recommandais aux aidants de ne pas aller dans le monde le soir précédant la nuit de l'expérience, et de ne rien faire qui pût trop distraire l'âme. Cependant, s'il ne leur était pas possible de prendre toutes ces précautions, j'avais l'occasion de prendre en considération les influences qu'ils avaient subies, les engageant toujours à m'en faire part le lendemain dans le compte-rendu. Chacun des exécuteurs remplissait un questionnaire contenant de vingt-deux à vingt-sept questions, sans compter les questions secondaires. Il va san3 dire que le rêve de la dernière nuit — si l'on en avait fait un — jouait un rôle prépondérant dans le questionnaire rempli. La position dans laquelle se trouvaient les membres au réveil devait être dépeinte aussi exactement que possible ; ainsi que l'expérience elle-même et la manière dont elle avait été faite par l'expérimentateur étaient-elles dépeintes dans le questionnaire ; sans cela, il ne m'aurait pas été possible de savoir si les règles données avaient été complètement suivies. Il fallait

dire si l'on avait entendu parler des résultais d'autres aidants (réponse constante : Non), etc. Lorsque j'avais reçu le compte-rendu d'une expérience, ce qui avait lieu à l'ordinaire le lendemain matin, je le parcourais, et si je trouvais que Ton avait omis des détails d'une certaine importance, je renvoyais le questionnaire pourvu de nouvelles questions auxquelles je recevais d'ordinaire la réponse le jour même ou le lendemain.

Voici la méthode que j'employais pour influencer l'appareil musculaire pendant le sommeil. A un stimulus passager, appliqué quelques secondes pendant le sommeil, j'en préférais un agissant toute la nuit. Je n'entrerai pas, ici, dans une discussion sur la valeur de ces deux sortes de stimuli. Qu'il me suffise de dire ce qui, dans ce cas-ci, est l'essentiel, c'est que la méthode des stimuli passagers est très difficile à employer sur l'appareil musculaire pendant le sommeil. On ne peut stimuler par une pression momentanée que les muscles qui ne sont pas couverts par les couvertures de lit — si Ton ne veut pas risquer d'éveiller la personne avant de commencer l'expérience elle-même. Ainsi on peut très difficilement inciter les muscles des pieds, qui jouaient, dans mes expériences, un rôle principal. En outre, beaucoup de personnes s'éveilleraient par le fait que Ton changerait, pendant leur sommeil, la position de leurs membres, celle de leurs bras, par exemple ; toutes personnes s'éveilleraient, d'après mon avis, si Ton exposait leurs extrémités à une secousse électrique. A quelques-unes, ainsi qu'à moi-même, il suffirait de la présence d'une autre personne près de leur lit pour faire cesser le sommeil. En tout cas, des séries d'expériences musculaires sur les extrémités seraient très difficiles (ou impossibles) à faire d'après la méthode des influences de peu de durée. — Ainsi le soir, immédiatement avant de s'endormir, je faisais mettre à mes aidants des gants, des rubans ou des ficelles autour de quelques muscles, tout en les engageant à les garder toute la nuit. Je m'occupais particulièrement de l'articulation tibio-tarsienne et des articulations des deux mains. Lorsque nous faisions des expériences sur la première articulation, elle était généralement entourée d'un ruban de fil large de deux centimètres environ, ou d'une ficelle ; on en portait l'un ou l'autre autour de l'articulation d'un des pieds, au-dessous des malléoles, avec un tour autour de la plante pour l'empêcher de se déplacer. Par cette pression, une flexion plantaire avait lieu, la position du pied ressemblait, jusqu'à un certain degré, à celle d'une personne se tenant sur la pointe du pied — abstraction faite de la position horizontale du corps. Il va sans dire que j'ordonnais un lien pas trop tendu, pour éviter des troubles nerveux. — D'autres expériences s'appliquaient aux doigts de la main. La nuit, on avait un ou plusieurs doigts entourés d'un ruban (ou d'une ficelle), ordinairement appliqué aux premières phalanges. Enfin, une grande quantité d'expériences s'appliquaient à une main entière ou aux deux. La nuit, on portait un ou deux gants, généralement pas boutonnés, afin d'éviter une trop grande pression aux artères.

Sous la pression de gants étroits, toutes les articulations de la main se courbaient. — D'autres expériences ont été faites par moi seul. Ainsi, j'appliquais au dos une pression par des bûches (trois, généralement) qui étaient liées ensemble et attachées à une ceinture autour de la chemise ; pendant plusieurs semaines, je portais ces bûches toute la nuit.

Une autre méthode s'est imposée par elle-même. Pendant six mois, que je me trouvais à l'étranger, j'étais obligé de coucher sur un canapé, et, comme il était trop court, le matin je trouvais ordinairement mes pieds élevés et reposant sur le bras du canapé. Mes articulations coxo-fémorales étant courbées de cette manière, leur position agissait considérablement sur mes rêves ; je me sentais, en rêve, montant des collines ou des montagnes. Aussi à d'autres occasions, où mes pieds occupaient une position élevée pendant le sommeil, je faisais des rêves semblables. Pour le moment, je fais faire à mes aidants des expériences analogues : on s'endort un traversin sous les pieds.

De ces différentes manières, j'ai fait subir une flexion aux membres en question, et, en analysant les rêves des personnes dormant dans ces positions, il m'a été possible de trouver un rapport causal entre la position des membres et la vie psychique pendant le sommeil. Mais, pour fixer cette causalité, il fallait vaincre plusieurs difficultés, soit par des comparaisons avec les rêves ordinaires, — comparaisons très utiles et souvent nécessaires, — soit par des expériences parallèles.

a) Comment savoir si le membre en question a été tranquille ou s'est déplacé pendant le rêve ? Dans le premier cas, il s'agirait seulement de la position du membre ; dans le second, d'un mouvement actuel. La solution de cette question n'est pas absolument nécessaire pour nos expériences, mais elle répand de la clarté sur les résultats. On pourrait peut-être, en d'autres cas, employer avec avantage d'autres personnes pour observer les personnes endormies. Cependant, dans nos expériences, auxquelles un assez grand nombre de personnes prennent part, un contrôle par des assistants serait très difficile ou impossible à établir. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire. Car c'est une règle qui a peu d'exceptions et qui a été accentuée par beaucoup de savants, tant pour le sommeil ordinaire que pour l'hypnotique, qu'on ne se souvient pas des rêves qui ont été accompagnés par des mouvements actuels. Pour cette raison, si l'on se souvient d'un rêve, on a, en général, le droit de croire que l'on n'a pas changé d'attitude pendant son rêve. Aussi les expérimentateurs eux-mêmes peuvent-ils, par un peu d'attention et de patience, tout en s'éveillant, observer si leurs membres sont tranquilles ou non; s'ils ne se meuvent pas au réveil, très vraisemblablement ils ne l'ont pas fait pendant le rêve non plus ; car, quant au rêve, — en tout cas, à la partie du rêve de laquelle on se souvient, — il ne s'agit ordinairement que de peu de moments avant le réveil. En outre, la sensation d'une faible courbature annonce, dans beaucoup de cas, que le

membre ne s'est pas déplacé. D'après mes expériences, les rêves causés par la position d'un membre immobile sont assez nombreux.

b) Comment abstraire de l'influence qu'a peut-être sur le rêve le fait que, le soir, on a vu et mis sur sa main ou son pied les choses stimulantes (le ruban, la ficelle ou le gant) ? Par des expériences parallèles. J'ordonnais deux à deux les expériences sur les rêves d'origine musculaire. Le soir, après s'être couche, on mettait la chose (ruban, ficelle ou gant) sur le membre (pied, main ou doigt), ne l'y retenant que quelques minutes ; on l'enlevait avant de s'endormir. Un autre soir, généralement le lendemain soir, on mettait la même chose sur le membre et l'y retenait toute la nuit. Le résultat des expériences du premier soir se montrait très restreint ; le stimulus musculaire employé seulement avant le sommeil laissait rarement de trace psychique dans le sommeil de la nuit suivante ; s'il en était autrement, il se passait souvent que la personne disait avoir senti, le lendemain, une courbature dans le membre en question; ainsi le résultat, dans ces cas, accusait une influence pendant le sommeil ; une pression qui avait été trop forte, le soir (beaucoup plus forte que je ne l'avais recommandée), avait laissé dans l'appareil musculaire un effet persistant. Conclusion : L'influence causée par la pression musculaire, le soir, est, comme telle, insignifiante. D'autre part, on ne peut pas nier son existence, quoiqu'elle soit assez rare ; elle peut ressembler à celle des stimuli persistants, — mais elle est plus faible, — ou, d'après ce que démontrent quelques expériences, elle a un caractère moins concret : on rêve, par exemple, qu'on parle de l'action de lier. Pour exclure aussi le rôle de la vue, dans ces expériences, j'en ordonnais quelques-unes où l'on mettait, les deux soirs, la chose stimulante sans la voir.

c) Comme je n'avais pas l'occasion d'agir sur le sens musculaire sans exercer en même temps une influence sur le toucher (sens du contact et de la température), par quel moyen pouvais-je faire abstraction de la dernière sorte d'influences ? Pendant que les faits rêvés, qui tiennent à l'une ou à l'autre de ces influences, se mêlent en réalité, la réflexion les distingue assez nettement. Il est naturel de rapporter au sens musculaire les mouvements rêvés ; au sens cutané, au contraire, la chaleur et les contacts rêvés. Aussi voit-on que les faits rêvés tenant au contact et à la température sont beaucoup plus nombreux les nuits où l'on portait un gant que pendant celles où l'on avait le pied lié par un ruban ; plus on agit sur la peau, plus on rêve de faits cutanés. Des expériences parallèles, que je faisais faire aux aidants, en agissant particulièrement sur la peau, — en employant un gant de laine pour la main ou un bas de laine pour le pied, — semblent indiquer en particulier que le toucher a beaucoup moins d'importance pour les rêves que le sens musculaire. Dans les cas, comme à l'expérience du gant, où le sens musculaire et le toucher sont également très intéressés, ce qu'on rêve, le plus ordinairement, c'est qu'on exécute (ou on voit d'autres personnes exécuter des

actes qui dépendent en même temps de ces différents sens ; on rêve, par exemple, qu'on prend quelque chose en main, qu'on se donne la main, etc.

d) Pour déterminer l'influence qu'exercent peut-être le côté gauche ou le côté droit ou les deux côtés, j'ordonnais une série d'expériences alternatives : Une nuit on portait le gant sur la main gauche, une autre sur la main droite; une autre nuit encore on portait des gants sur les deux mains.

Ajoutez à cela quelques expériences pour déterminer le a hypé psychique, d'un groupe d'expérimentateurs, d'autres pour produire à l'état de veille des illusions semblables à celles du sommeil.

Quant aux résultats de mes observations et expériences sur le rôle du sens musculaire dans les rêves, je me bornerai à des généralités. Voici le résultat général : Les personnes endormies ont une tendance plus ou moins marquée à percevoir la position d'un membre courbé, de sorte que la position perçue forme partie intégrale d'un rêve. Fait intéressant : presque jamais on ne se trouve en rêve dans la position horizontale. La cause de cette particularité la voici : A cause de la fatigue, le champ de conscience, pendant qu'on rêve, est très restreint ; ainsi on n'est pas capable de percevoir ni l'état des muscles ni le contact du corps entier, par les couvertures de lit; on est ordinairement restreint à sentir une seule courbature ou un seul contact (ou un peu de chaleur ou de froid) et, conformément aux lois psychologiques, on interprète ses sensations isolées selon ses expériences générales, c'est-à-dire selon les différentes expériences de la journée ; on se trouve en rêve marchant, grimpant, etc., mais pas couché ; car, quant à la vie de la nuit, il n'en reste pour l'homme normal que très peu d'expériences réglées. Cependant, il ne faut pas oublier que la connaissance de la position horizontale n'est pas absolument exclue de la vie de l'âme endormie.

Voici, d'après mes observations et mes expériences, les formes ordinaires sous lesquelles se présente l'influence de la position des membres dans les rêves :

1° La position du membre se retrouve dans le rêve à peu près telle qu'elle est dans la réalité, c'est-à-dire : on rêve d'un étal statique correspondant à l'état statique réel du membre ; les autres parties du corps se règlent dans l'esprit du rêveur selon cet état particulier, de sorte qu'il trouve son corps entier dans l'état (statique), correspondant à un état (statique) de la veille. Par exemple, celui qui dort a la plante d'un pied courbée (flexion plantaire); il rêve qu'il est debout sur la pointe des pieds, peut-être regardant quelque chose.

J'ajouterai qne cette première sorte de rêves (1°) est beaucoup moins

fréquente que la suivante (2°).

2° On rêve que le corps se trouve dans une position où le membre en question joue un rôle prépondérant ; le membre présente — en rêve —

un mouvement tel qu'une de ses positions dans ce mouvement correspond à sa position actuelle. Par exemple : Celui qui dort a, comme dans l'exemple précédent, la plante d'un pied courbée; il réve qu'il danse, court, ou fait un autre mouvement, dans lequel a lieu une flexion plantaire.

Ici, comme dans le cas précédent, les autres parties du corps se présentent à l'esprit de celui qui dort conformément à l'état perçu du membre ; mais voici la différence : dans notre cas (2°) la perception de l'état du membre est plus indistincte, de sorte que la différence entre le membre fléchi, mais immobile, et le membre en mouvement n'est pas conçue ; en conséquence, la personne endormie interprète sa perception selon l'expérience la plus fréquente et comme elle exécute tous les jours beaucoup de mouvements où a lieu une flexion plantaire, tandis qu'elle se trouve assez rarement dans des positions immobiles où a lieu une telle flexion, elle se réve surtout dans un mouvement où le membre (actuellement courbé) joue un rôle important. — Pour expliquer ce point il faut, peut-être, aussi considérer une autre circonstance très importante : l'exagération qui se trouve dans les rêves. Comme le champ de conscience est restreint en rêves, l'attention est très souvent attirée sur une seule sensation sans être contrôlée par la comparaison avec d'autres sensations, ainsi on exagère la sensation isolément conçue. Or, la sensation d'un mouvement d'un membre est, sans doute, celeris paribus, plus marquée que la sensation d'une tension musculaire sans mouvement ; donc, la conscience fatiguée qui aime à exagérer ce qu'elle sent conçoit la sensation indistincte (qui dépend, en réalité, d'un membre fléchi, mais immobile) comme si elle dépendait d'un membre en mouvement.

Je suppose toujours ce que je regarde comme le plus ordinaire dans les rêves, c'est que les autres parties du corps ne s'accommodent pas réellement au membre en question, mais cette opération a lieu seulement dans l'esprit de celui qui rêve. Mais il y a des exceptions ; dans quelques cas tout une extrémité inférieureou toutes les deux extrémités inférieures ou même les extrémités supérieures conformément aux inférieures, se courbent àcause de la flexion plantaire. II y a dans ces cas une irradiation du mouvement d'une partie des organes centraux aux parties voisines.

3° Au lieu de se trouver, lui-même, dans une position ou un mouve- -ment, celui qui réve voit une autre personne (ou un animal) dans la position ou le mouvement en question. Voici les faits psychiques qui rendent possible un tel changement de la personnalité : La vue d'un mouvement ou d'une position d'une autre personne est très souvent accompagnée d'une perception musculaire dans notre propre corps ; d'autre part nous avons à l'ordinaire une tendance à nous expliquer par des images visuelles ce que nous ressentons par les autres sens; aussi en réve ou la fatigue domine, nous nous expliquons nos sensations mus

culaires par des images d'autres personnes qui se trouvent dans les mêmes états musculaires que nous-mêmes.

40 On rêve quelquefois que les mouvelments en question (Cf. n° 2) sont empêchés. Ce genre de rêves est un intermédiaire entre le n° 1 et le n° 2.

5° Parfois le membre fléchi se présente à celui qui rêve sous la forme d'un animai ou d'une chose morte qui a quelque analogie avec le membre. Ce cinquième genre de rêves n'est, comme on s'en aperçoit facilement, qu'une transformation du troisième et donne lieu à la même explication psychologique que celui-ci. Vraisemblablement cet effet de l'expérience est assez fréquent; mais seulement, dans les cas où l'analogie est évidente, on peut prouver cette sorte de causalité.

6'° Dans quelques cas, assez intéressants au point de vue psychologique, le membre perçu en rêve fait naitre des pensées abstraites pouvant avoir avec le membre une certaine relation. Ainsi, la perception de quelques doigts peut faire qu'en réve on s'occupe des nombres se rapportant au nombre des doigts intéressés, par exemple qu'on voit des choses dans une ou plusieurs quantités faisant des multiples du nombre des doigts en question. Cela accuse un calcul mental fait pendant le sommeil. J'ajouterai que dans le dernier exemple, très vrai-sembablement les sensations cutanées collaborent avec les sensations musculaires. Sans doute, ce fait — des nombres rêvés à cause d'une sensation aux doigts — accuse la relation infinie qui existe depuis notre enfance entre les nombre et les doigts de la main.

Voilà les formes ordinaires des rêves musculaires.

J'ai cependant laissé de côté toutes sortes d'associations d'idées qui jouent un rôle dans ces rêves, mais qui ne se rapportent pas directe-ment à la perception du membre en question.

Ces différents genresde rêves d'origine musculaire ne doivent pas être séparés; ils ne s'excluent pas, mais se confondent de toutes les façons imaginables. Deux mots encore, sur la causalité des rêves musculaires :

11 résulte de nos recherches que, pendant le sommeil, le sens musculaire donne souvent naissance à différentes illusions. Celui qui dort a conscience de l'état musculaire causé par le fait qu'il a gardé pendant quelque temps la position d'un ou plusieurs membres fléchis; mais sa conscience est vague et jusqu'à un certain degré inexacte. Cette imperfection dans la conception est sans doute causée par la fatigue ; aussi cette dernière doit-elle être la cause de ce que tel genre de rêves parmi ceux que j'ai indiqués joue à certains moments un rôle plus important que tel autre.

Comme l'ont constaté les recherches des dernières années, il y a un certain rythme dans la profondeur de notre sommeil, mais aussi pour les périodes très courtes ; en tout cas il faut qu'il existe dans le sommeil différents degrés de fatigue dans les parties particulières des organes centraux et périphériques.

Les différents degrés de fatigue qu'on ressent dans le corps entier ou dans les organes spéciaux, pendant les différentes minutes et secondes du sommeil, doivent aussi influencer la vie psychique de la nuit. Ainsi, lorsque par suite d'une grande fatigue le sommeil est profond, mais pas assez pour qu'il exclut toute sensation périphérique et toute interprétation de celle-ci, on peut rêver très indistinctement du membre en question sans être capable d'associer sa sensation à la notion du membre et de sa propre personne ; donc on rêve d'une chose qui a une certaine analogie, peut-être très faible, avec le membre, mais pas de celui-ci ; ordinairement, on voit cette chose, car, pour bien des raisons, le sens visuel est toujours prêt à se mettre à la disposition des autres sens. Lorsque la fatigue est un peu moins grande, le sommeil un peu moins profond, on est peut-être capable d'une perception assez distincte du membre, mais pas de la concevoir comme appartenant à sa propre personne ; car la notion de la propre personnalité est une conception très complexe et surtout difficile pour l'esprit fatigué ; en ce cas-là, on associe le membre perçu à une autre personne (ou à un animal) qui n'est représentée dans la conscience de celui qui dort, que par quelques marques sensorielles ; en conséquence on voit, en réve, le membre en question comme appartenant à une autre personne (ou à un animal). Lorsque la fatigue est faible, le sommeil superficiel, on est capable de concevoir le pied ou la main comme son propre pied ou sa propre main, A quoi tient la différence entre les rêves où le membre se présente à l'état statique et ceux où il se meut ? Lorsque le membre se présente en mouvement à celui qui dort, il faut croire que les parties des organes centraux et périphériques qui y sont intéressés sont un peu plus fatiguées que dans le cas où Ton rêve d'un état statique du membre ; voilà pourquoi, dans le premier cas, la perception est plus indistincte et l'interprétation plus automatique que dans le second cas. Enfin, à quelques moments du sommeil, les centres des sensations doivent être plus fatigués que ceux de la pensée abstraite ; voilà la raison pour laquelle quelquefois, en rêve, les sensations cutanées et musculaires des doigts disparaissent, supprimées par le calcul mental.

Pour toutes ces sortes de rêves musculaires il faut, en outre, supposer que le type psychique d'une personne (type visuel, moteur, etc.) joue, lui aussi, un certain rôle ; lequel ? Je ne pourrais pas le dire exactement maintenant.

En ce qui concerne la relation qui existe entre les impressions visuelles de la journée et les images qui se présentent dans les rêves de la nuit suivante, je me bornerai à quelques mots. J'ai trouvé que les couleurs que Ton a vues immédiatement avant de s'endormir jouent un rôle dans les rêves. Voilà ma méthode : J'ai envoyé par la poste (ou donné), à mes aidants, des paquets bien enveloppés contenant des choses coloriées qui leur étaient inconnues ; ces paquets étaient destinés à n'être ouverts que quand les personnes se seraient couchées. Je

cherchais, comme on voit, à augmenter l'effet de l'expérience par la surprise. Chaque chose a été placée sur un fond convenable, on Ta observée avec grande attention, et, immédiatement après, on a fermé les yeux pour s'endormir — toutes ces opérations ont été exécutées d'après une méthode convenue d'avance. De cette manière, j'ai trouvé que les couleurs vues avant qu'on s'endorme, en particulier les couleurs noire et blanche, tendent à entrer dans les rêves de la nuit ou à évoquer en rêve les couleurs complémentaires. Ainsi une chose noire, sur le fond d'un drap blanc, a une tendance à évoquer en rêve tantôt l'image d'une chose noire (grise) vue sur un fond blanc, tantôt l'image d'une chose blanche sur un fond noir (gris), tantôt les deux sortes d'images l'une après l'autre. En quelques cas, il semble que ce soit le contraste entre l'obscurité et la lumière intense qui étend son effet dans le rêve. Cependant, comme je n'ai pas encore fini ces recherches, je ne traiterai pas en détails ce sujet.

REVUE D'HYPNOLOGIE, DE NEUROLOGIE & DE PSYCHOLOGIE

Les rêves chez les hystériques

Par le D'Escasde de Meissières.

La question des rêves chez les hystériques présente un très grand intérêt, car ces malades se trouvent dans une condition particulière qui fait que chez eux les rêves exercent une influence qui persiste même longtemps après le réveil. M. le Dr Escande de Meissières, qui vient de traiter ce sujet avec une grande compétence (1), montre en effet que fréquemment certains phénomènes survenus chez des hystériques sont consécutifs à des rêves ; mais ce qui rend cette étiologie difficile à reconnaître, c'est que très souvent le souvenir des rêves est entièrement perdu au moment du réveil. Toutefois, dans bon nombre de cas, on peut donner la démonstration de cette origine en mettant la malade dans l'hypnotisme, et alors, dans ce nouveau sommeil, elle se rappelle et raconte tout ce qu'elle a rêvé dans le premier.

Par leurs caractères, les rêves des hystériques se rapprochent beaucoup du délire qu'on observe dans certaines intoxications.

C'est que l'intoxiqué présente momentanément cette diminution des facultés de l'entendement que l'on rencontre chez la plupart des hystériques.

Les conditions dans lesquelles se produisent le rêve chez l'un, le délire chez l'autre, étant à peu près les mêmes, on conçoit que ces deux états présentent à peu près les mêmes caractères.

Il n'y a donc, sous certains rapports, qu'une différence de degrés

(1) Thèse de Bordeaux.

entre le rêve du sujet normal, le délire de l'intoxiqué et le songe de l'hystérique.

Mais le vrai caractère qui distingue le rêve hystérique, c'est son influence longtemps persistante après le réveil. M. de Meissières cite comme exemple une malade qui présenta une contracture des mains à la suite d'un réve où elle croyait jouer du piano, une autre continuer à l'état de veille des mouvements coordonnés, mouvements nécessaires à son travail auquel elle avait rêvé pendant la nuit.

Une autre réve que la foudre la frappe et conserve une douleur persistante dans le point supposé atteint.

Une troisième ressent une violente antipathie pour son père ; elle veut se livrer à des voies de fait sur une de ses amies, parce qu'elle a rêvé qu'elle était leur victime.

Pas plus chez l'intoxiqué que chez le sujet normal on ne rencontre cette persistance du réve.

C'est qu'en effet, pour que l'influence du réve se continue à l'état de veille, il faut que les conditions qui favorisent sa production et son développement soient conservées dans ce nouvel état. Or, dès le réveil, notre attention devient vigilante, le jugement et la raison reprennent leurs droits, chassant plus ou moins vite la fiction, laissant à peine subsister parfois un état hypnagogique rapidement disparu.

Chez l'hystérique, il n'en est pas de même. Le dédoublement de la personnalité est permanent, l'absence de contrôle persiste et permet au rêve de s'imposer. L'hystérique accepte alors le rêve comme une suggestion.

M. de Meissières rappelle encore un cas bien curieux qui a été observé par M. Janet et qui vient confirmer cette manière de voir.

Une malade arrive à l'hôpital dans un état d'affaiblissement extrême, car, depuis six semaines, elle refuse absolument de manger ; ni exhortations, ni prières, ni menaces ne la décident.

Elle avoue que c'est pour ainsi dire malgré elle; elle a envie de manger : « Je mangerais volontiers, dit-elle, mais au moment de commencer, cela m'étrangle, me dégoûte, je ne puis pas. Pourquoi, je n'en sais rien ; je vous assure que je ne pense pas à mourir, et je commence môme à avoir peur, mais j'ai beau faire tous mes efforts, quelque chose m'empêche de manger. »

Or, en mettant cette malade en état d'hypnotisme, on apprend que sa mère qui est morte lui apparaît pendant ses rêves, lui fait des reproches pour une faute qu'elle a commise, et lui dit qu'elle est indigne de vivre, qu'elle doit la rejoindre dans le ciel, et lui commande de ne pas manger.

La conséquence thérapeutique de ces faits, c'est que pour modifier l'état pathologique créé par un rêve, il faut suggérer à la malade un réve contraire au premier : ainsi une malade de Janet saigne du nez tous les matins et ne sait à quoi attribuer cet accident. Mise en somnambulisme, elle raconte qu'il y a quinze jours elle s'est trouvée mêlée

à une bataille dans la rue ; elle a eu une forte émotion et s'est mise à saigner du nez. Tous les matins elle réve à cette bagarre et son réve se termine par un saignement de nez.

La modification du réve a, par suggestion, fait disparaître le saignement de nez.

Cette médication est applicable dans la plupart des circonstances, car le plus grand nombre de ces malades sont accessibles à la suggestion.

La facilité avec laquelle les rêves peuvent créer des impressions durables chez les hystériques peut amener certaines conséquences médico-légales que M. Escande de Meissières étudie également. Deux des malades qu'il a observées éprouvaient de l'aversion pour les personnes quelles avaient vu en rêve jouer un rôle peu sympathique à leur égard.

N'y aurait-il pas là une explication à ces changements brusques et incompréhensibles du caractère des hystériques? Dans leurs songes, elles voient telle ou telle personne de leur entourage leur être agréable ou leur causer quelque préjudice, et, sous l'influence de leurs rêves, elles témoigneront à cette personne leur gratitude ou leur rancune.

Cette haine ne pourra-t-elle pas, dans certains cas, être assez forte pour amener des idées de vengeance, puis des représailles ? Une des malades voulait se livrer à des voies de fait sur une de ses amies qu'elle avait vu en songe la frapper avec un poignard.

Parfois, en effet, le rêve est suivi d'un acte au réveil.

Une autre rêve, étant à Biarritz, que son mari lui ordonne de retourner près de son fils, lequel est en pension à Bordeaux. Elle part et se rend près de son fils.

Un autre jour, un certain docteur Lab..., avec lequel elle croyait correspondre par l'écriture automatique, lui conseille de donner des douches à son fils ; elle se lève aussitôt au milieu de la nuit et donne une douche à son enfant.

Une fois même, toujours sur les conseils de son correspondant, elle rédige elle-même une ordonnance pour se procurer de la digitale et administrer ce médicament à son fils.

De tels exemples suffisent pour faire apprécier le rôle que les rêves des hystériques peuvent être appelés à jouer en médecine légale ; rôle d'autant plus à craindre que, bien souvent, les malades ignorent elles-mêmes l'existence de ces rêves dont elles subissent inconsciemment rinffuence.

Quelle sera dès lors la valeur de leur témoignage ? Quelle sera leur responsabilité ?

La question est assez difficile à résoudre, mais il faut reconnaître que les rêves, comme une foule d'idées subconscientes, peuvent entraver leur libre arbitre, atténuer parfois leur responsabilité et qu'il importe souvent de dépister ces facteurs dans certains actes des hystériques.

Maladies par imitation chez les enfants

Coloman Szego de Budapest, ( Iahrbuch für Kindcrkcilkunde, 23 décembre 1895.)

Après une belle introduclion sur la faculté d'imitation des enfants et son rôle dans l'éducation, l'auteur appelle l'attention sur les endémies psychiques particulières surtout aux pensionnats.

Il a eu l'occasion d'observer un cas de ce genre, il y a trois ans, dans un orphelinat de filles à Budapest. Plusieurs élèves se mirent à tousser d'une toux étrange. L'examen né pouvait faire découvrir aucun fait morbide pour expliquer la toux. On mit les enfants à l'hôpital en les isolant l'une de l'autre, et, au bout de quelques jours, elles étaient guéries. L'affection dont elles étaient atteintes appartenait à cette catégorie qu'on désigne sous le nom de chorée laryngée. II faut encore remarquer que les phénomènes d'imitation étaient identiquement les mêmes chez toutes les malades.

Dans un autre cas observé par le professeur Bokai, les élèves d'un pensionnat do jeunes filles furent prises d'une sorte d'exspirium ressemblant à l'éternuement d'un cheval. Là encore, l'isolement produisit de bons résultats.

L'auteur se demande si les actes d'imitation dont il est question dans ces deux endémies étaient réellement inconscients. II conclut par l'affirmative, car il a pu remarquer combien les malades luttaient et faisaient des efforts pour résister à l'obsession qui semblait les avoir prises. D'ailleurs, toutes les élèves ne furent pas atteintes de la maladie, ce qui indique qu'il faut un terrain propice et une certaine prédisposition.

Troubles oculaires d'origine hystérique.

Claude. Société médicale des Hôpitaux, décembre 1S95.

Une femme de vingt-neuf ans, présentant des antécédents héréditaires et personnels névropathiques, est atteinte, à la suite d'une attaque apoplectiforme, d'hémiplégie droite ou plutôt d'hémiparésie, d'hémia-nesthésie droite incomplète et de troubles oculaires des deux côtés. II existe en même temps des stigmates hystériques, et le sommeil hypnotique est facilement provoqué. Les phénomènes moteurs s'amendent rapidement, l'hémianesthésie persiste, et les troubles oculaires évoluent de façons différentes :

1° L'œil droit est atteint au début d'amblyopie, de dyschromatopsie et de diplopie monoculaire qui disparaissent, mais le réflexe pupillaire à la lumière reste absent.

2° L'ceil gauche présente d'abord une amblyopie extrêmement accusée, qui diminue peu â peu, mais l'acuité visuelle- demeure très faible.

Il offre surtout une dilatation pupillaire intense avec perte du réflexe à la lumière cl abolition à peu près complète du réflexe accommodaleur. La dilatation pupillaire se modifie sous l'influence de l'atropine, de l'ésé-rino et du sommeil hypnotique pendant lequel la pupille revient à son état normal. Il existe do plus, du même côté, de l'anesthésie de la conjonctive bulbaire avec conservation de la sensibilité cornéenne.

On note enfin pour les deux yeux le rétrécissement concentrique du champ visuel, la paralysie conjuguée gauche pour les mouvements volontaires. Le fond de l'œil est normal. L'état général de la malade est très bon.

Tous ces troubles sont de nature hystérique ; les uns ont eu une évolution trop rapide pour être rapportés à une cause organique ; les autres so sont modifiés ou ont disparu momentanément, sous l'influence du sommeil hypnotique. Il n'existe aucune cause à laquelle on pourrait rapporter les lésions nécessaires pour expliquer les symptômes observés. Ces lésions enfin (névrites périphériques ou altérations centrales, devraient être trop disséminées ou trop étendues, et en même temps trop légères, pour qu'on puisse accepter leur existence, La possibilité d'une lésion protubérantielle ou pédonculaire minime, modifiée ou dissimulée par les manifestations hystériques concomitantes, resterait peut-être encore discutable.

Cécité des mots et mémoire visuelle.

James Hinshelwood, de Glasgow, (The Lancet, 21 décembre 1895.)

Un professeur de langues, homme très instruit et très intelligent, raconte l'auteur, s'est aperçu un jour qu'il était incapable de lire les devoirs qu'il avait à corriger. Un examen ophthalmoscopique permit de constater que sa vue était restée intacte ; il avait simplement perdu la mémoire visuelle. II voyait les lettres imprimées très nettement, mais il ne pouvait plus dire ce qu'elles signifiaient. Il pouvait lire les chiffres imprimés avec les plus petits caractères typographiques, ce qui confirmait que son acuité visuelle n'avait point souffert. Il pouvait écrire sous la dictée, mais il était incapable de se relire. L'examen le plus minutieux n'a pu faire découvrir chez lui aucune défectuosité mentale. Il n'y avait qu'un petit affaiblissement de la mémoire. En examinant le champ visuel du malade, l'auteur constata une hémianopsie homonyme latérale droite. Le fond de l'œil était parfaitement normal.

L'auteur a observé le malade pendant 13 mois ; sa santé physique fut pendant ce temps toujours bonne. La mémoire des noms s'était affaiblie, au dire du malade lui-même. Il y a six mois, il a recommencé à apprendre à lire, tout d'abord les lettres, et ensuite il s'est mis à épeler dans un petit livre destiné aux enfants.

Aujourd'hui, il est en état de pouvoir épeler ; cependant certains mots

familiers et fréquents, comme par exemple, l'article the, sont lus par lui à première vue. Il écrit sous la dictée aussi couramment qu'autrefois, mais son écriture est moins bonne. Bien entendu, il ne peut pas se relire.

L'auteur, après avoir exposé ce cas, passe en revue rapidement ce que les auteurs qui se sont occupés de la cécité des mots ont publié sur cette infirmité et résume leurs théories. Après avoir donné des aperçus rai-sonnés sur le siège probable de ce genre de maladie, il tient à faire remarquer, en s'appuyant sur ses observations personnelles, que la lésion qui cause l'hémianopsie est dans le cortex ou près du cortex. Dans son cas, le réflexe pupillaire était intact, la lésion siégeait donc dans la capsule interne, dans les radiations optiques ou dans l'écorce cérébrale. L'association de l'hémianopsie avec la cécité des mots lui fait conclure que l'hémianopsie homonyme droite est due à une lésion de l'écorce du lobe occipital ou des radiations optiques qui y conduisent. La fréquente association de l'hémianopsie homonyme droite avec la cécité des mots confirme ainsi l'expérience pathologique d'après laquelle le centre de la mémoire visuelle des mots se trouverait dans le voisinage du lobe occipital gauche.

VARIÉTÉS

Alexandre Dumas fils et la médecine

Conversation avec lo Dr Domontpallier, membre de l'Académie de médecine (1).

Comme on comprend qu'elle ait tenté cet esprit avide d'inconnu, notre science étonnamment complexe, plus féconde en surprises que la pièce du plus créateur des dramaturges ! « Cœur humain, corps humain... mystère ! » Et si la physiologie allait aider à le pénétrer ! si par la connaissance plus profonde des tempéraments, on arrivait à rendre raison de ces élans passionnels, de ces caprices déconcertants, de ces folies sublimes qui mettent en déroute la froide analyse !

La physiologie ne suffisant plus, pourquoi n'aurait-on pas recours aux sciences physiques et naturelles, à la phrénologie. à la chiromancie ? Et voilà comment on descend graduellement de la science à l'empirisme vulgaire, si tant est que l'empirisme ne soit pas le premier degré de cette autre échelle de Jacob, dont le dernier rayon se perd dans les régions de l'Infini...

Alexandre Dumas avait-il une solide culture scientifique ou n'avait-il l'esprit meublé que de ces notions superficielles qui donnent à qui les

(1) Extrait de la Chronique médicale, que dirige avec tant de succès notre savant confrère, M. le docteur Cabanes.

possède !c vernis et l'illusion du savoir; était-il, au contraire, renseigné autant qu'un professionnel peut l'être, sur toutes les grandes questions qui ont agité le monde scientifique dans ce dernier quart de siècle ? Nous savions bien, pour l'avoir lu bien des fois, que la bibliothèque de Marly était riche en ouvrages de médecine ; que les encyclopédies médicales y côtoyaient les dictionnaires de termes techniques; que les thèses les plus hardies de psycho-physiologie y recevaient accueil ; mais cela ne nous en apprenait pas davantage sur les connaissances de Dumas en matière de médecine. Qui pouvait nous éclairer à ce sujet ?

« Si vous alliez trouver Dumontpallier, nous dit un des fidèles collaborateurs et amis de la Chronique, il a beaucoup connu Dumas, il l'a longtemps pratiqué. Dumas le confessait et se confessait à lui : Dumontpallier est un des plus exquis causeurs que je connaisse ; il est hospitalier, il aime les travailleurs... Vous serez bien reçu. » Et voilà comment, précédé d'une lettre d'introduction, je me présentai au domicile du Dr Dumontpallier, l'ancien élève, devenu depuis longtemps un maître, du regretté Claude Bernard. Le Dr Dumontpallier est un desplus jeunes doyens du corps médical. Cette impression de jeunesse vous frappe dès l'abord et vous gagne, par rayonnement, quand vous entendez, depuis quelques minutes à peine, cette parole ardente, colorée, et d'une sympathie si enveloppante :

J'ai été longtemps lié avec Alexandre Dumas, mais depuis environ huit mois, je le voyais beaucoup moins. Nous correspondions, mais c'était tout; non pas qu'il y ait eu le moindre froid entre nous, car il écouta toujours mes avis avec beaucoup de bienveillance... Il m'avait beaucoup interrogé à l'époque où Brown-Séquard communiqua à l'Institut le résultat de sa dernière découverte, vous savez, son fameux élixir de Jouvence. C'était étrange, c'était nouveau... il n'en fallait pas davantage pour que mon Dumas fût empaumé, je devrais dire : emballé, car il fut, dès le principe, un des plus fervents adeptes des nouvelles doctrines, un adepte, plutôt un apôtre, préchant d'exemple et de parole. « Songez donc, me disait-il, la vie de l'être, de l'humanité, est là tout entière !... »

Il avait manifesté le même enthousiasme, il y a quelque vingt ans. C'était, s'il m'en souvient, en 1878, au moment de la mort du baron Taylor (la date exacte serait facile à établir d'ailleurs), à la suite de la lecture de mon mémoire sur Burq et le burquisme. « Vous avez, me disait-il, fait rendre justice à un inconnu, à un homme que la science officielle a toujours tenu à l'écart ; c'est très bien cela !. » J'avais, en effet, lu mon rapport à la Société de biologie, et mes conclusions avaient été adoptées par 30 voix sur 31 volants. Le seul dissident était Rabuteau qui se rallia, du reste, lors de la seconde discussion.. Quand je fis mes expériences sur l'aimantation, il prît feu comme

toujours, « Mais c'est du magnétisme », s'écriait-il. Et il rappelait les expériences de Puységur, de du Potet, etc. Il ne fut pas moins intéressé par les phénomènes de suggestion. Charcot s'était arrêté au braidisme ; j'arrivai jusqu'à la suggestion. La Préface de Bown-Séquard en tête du livre de Braid, les travaux de Carpenlcr sur l'Expectant attention m'avait dessillé les yeux. Charcot avait nié Burq, pendant longtemps ; mais à la fin de sa vie, il lui rendit un sérieux hommage. De même, Vulpian, Pasteur, qui avaient assisté à mes études expérimentales, étaient gagnés à la cause du Burquisme et je me souviens encore de ces mots de Pasteur : « C'est bien troublant, bien étrange...»

Je fis les premiers essais sur une nommée Bar, une jeune fille de 18 ans. Je lui avais enveloppé le bras avec une bandelette métallique : ce sujet était sensible au cuivre. Le résultat ne se produit pas : je m'étais servi d'une lame d'or. Je lui substituai une lame de cuivre, elle réagit aussitôt. Il ne pouvait être ici question de suggestion, pas plus que d'auto-suggestion...

Plus tard, après ma visite aux cliniques de Nancy, quand j'ai vu les merveilleux résultats obtenus par ces savants qui s'appellent Bernheim, Liébeault, je n'ai pu nier l'influence du moral sur le physique. Mais tout cela n'infirmait en rien la découverte de Burq. Brown-Séquard, qui était un expérimentateur de premier ordre, observait ces phénomènes avec la plus grande attention, et, chose que vous ignorez peut-être, c'est en sortant d'une de mes conférences qu'il imagina les deux mots : dynamogénie et inhibition, qui ont fail depuis fortune. J'avais créé la chose, mais il avait trouvé le mot...

Quand je causais de tout cela avec Dumas :

« Mais c'est un monde nouveau ! » s'écriait-il.

Et pourtant cet homme ne croyait pas à la médecine. Il consultait volontiers les empiriques, et non seulement pour lui, mais il engageait ses amis, son entourage à en tater à leur tour. On a dit qu'il avait foi dans la chiromancie ; c'est exact. C'est Desbarolles qui lui en avait donné le goût. Ce Desbarolles, quel magicien ! Dumas voulut, à toute force, me le présenter, et je dois dire qu'il fut charmant. Quand on demandait à Dumas comment il expliquait, autrement qu'avec le fatalisme, que nous naissions avec des lignes de la main absolument déterminées et qui ne variaient plus, il était bien quelque peu embarrassé. C'était, en effet, reconnaître que notre destinée était arrêtée à l'avance et que nous n'y pouvions rien changer. Aussi quand je lui proposai d'expliquer le phénomène par l'atavisme ou par l'hérédité directe, il fut heureux de s'accrocher à cette planche de salut. Et cependant il ne se contentait pas généralement

de pareils à-peu-près : — « Quelle différence, m'écrivait-il un jour, faites-vous entre pourquoi et comment au point de vue médical? »

Ce ne fut pas sans y avoir réfléchi que je lui répondis : « Le comment, je le connais dans une certaine mesure, mais le pourquoi, je l'ignore. Comment peut-on faire saliver un malade, je le sais ; mais pourquoi salive-t-il sous l'influence de telle substance plutôt que de telle autre, je l'ignore... » Et je multipliai les exemples.

Vous voyez l'homme: c'était un grand curieux, un observateur des plus fins, des plus subtils parfois, d'une nature très indépendante, d'une intelligence merveilleusement lucide, admirablement équilibrée, d'un raisonnement logique à l'excès, mais toujours saupoudré d'un grain de paradoxe.

Et ce sont précisément toutes ces qualités réunies qui ont fait de Dumas cette individualité, cette personnalité, qu'on aura bien du mal a remplacer...

(Chronique médicale)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront lieu les lundis 17 février, 16 mars, 20 avril. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Avis important. — Les cotisations seront mises en recouvrement par la poste dans le courant du mois de février.

Le sommeil et la folie.

« Le monde est à ceux qui se lèvent de bonne heure », a dit je ne sais qui. Tel n'est pas l'avis du Dr Talcott, de Middletown, New-York, qui voit dans le lever trop matinal un des facteurs importants de l'aliénation mentale.

Voici ses arguments. Il signale la fréquence relative de la folie parmi les fermiers, leurs femmes, leurs filles et leurs fils. On a attribué cette fréquence à leur isolement, à leur rude labeur, à l'abus des pommes de terre. Ces explications paraissent insuffisantes, non peut-être sans raison, au Dr Talcott, qui fait remarquer que la vie en plein air, l'exercice, l'absence de toute excitation ou surmenage mental, la rareté de l'alcoo-

lisme et de la syphilis contrebalancent au moins les causes invoquées. Pour lui c'est l'habitude du lever à une heure absolument indue, habitude qu'ils imposent à leurs femmes et à leurs enfants, qui, en empêchant un repos suffisant, est la vraie cause de la fréquence de l'aliénation mentale parmi les agriculteurs. C'est surtout au moment de la croissance que cette règle du lever matinal exerce sur les enfants une influence déplorable.

L'idée du Dr Talcott n'est peut-être pas aussi paradoxale qu'elle en a l'air. En tous cas elle offre une excuse commode à ceux qui aiment à faire « la grasse matinée ». Cette cause de la folie parait beaucoup plus facile à combattre que l'alcoolisme, la syphilis ou les autres facteurs ordinaires de l'aliénation. La diminution de la folie par le séjour au lit le matin est une lâche que chacun peut se proposer avec le plus grand plaisir, et nous ne doutons pas que les garçons de ferme surtout n'apprécient tout particulièrement ce nouveau moyen de prévenir le développement des troubles mentaux.

La sieste et la digestion.

Une petite sieste après le repas est-elle ou non favorable à la digestion ?

Les partisans du sommeil post prandium invoquent l'exemple des animaux qui s'endorment après avoir mangé. Les adversaires disent que le sommeil pendant la digestion alourdit l'esprit et prédispose à l'apoplexie.

M. Schule, de Fribourg, a essayé de résoudre la question par la chimie.

Chez deux sujets, dont l'estomac était normal, il a analysé le contenu stomacal extrait quelques heures après le repas d'épreuve suivi ou non soit de sommeil, soit d'un simple repos dans le decubitus horizontal.

D'après ses expériences, le sommeil a pour effet constant d'affaiblir la motilitéde l'estomac en même temps que l'acidité du suc gastrique augmente.

Au contraire, le simple repos dans la position horizontale stimule la fonction motrice de l'estomac sans augmenter l'acidité gastrique.

La conclusion de M. Schule est qu'il est bon de s'étendre après le repas, mais qu'il ne faut pas s'endormir, surtout quand on est atteint de dilatation de l'estomac ou d'hyperchlorhydrie.

Homœopathie et sérothérapie.

Le Dr Mavrogeni Pacha, l'éminent médecin du Sultan, dans la Gazette médicale d'Orient, réclame la priorité de la découverte de la sérothérapie pour... Hahnemann : « Devant l'extension que prend journellement le traitement par les inoculations (rage, diphtérie, tétanos,

cancer, érysipèle. etc., etc.), je ne puis me retenir d'exprimer mon contentement de voir ainsi la mémoire de Hahnemann réhabilitée. Il y a de cela un siècle, Hahnemann émettait la proposition que similia similibus curantur, et il était alors l'objet de la risée de tous les savants. Mais voilà que la sérothérapie lui donne raison. » — Il est certain que la sérothérapie, de même que toutes les méthodes thérapeutiques basées sur l'atténuation des virus, donnent pleinement raison au fameux adage des homœopathes. C'est un véritable triomphe pour le similia similibus curantur. Les doses infinitésimales, si chères à la plupart des médecins qui s'adonnent à la pratique de l'homœopathie, sont fréquemment l'objet de maintes railleries. Au train où vont les choses, nous assisterons peut-être quelque jour à leur réhabilitation. L'Institut Pasteur serait-il en train de devenir une faculté de médecine homœopathique ?

A propos de la contagion du meurtre.

Comme quoi il n'est pas prudent de citer des noms propres dans nos observations médicales quand nous les livrons à la publicité.

Le D' Aubry, dans un livre : La contagion du meurtre, étudiant l'hérédité criminelle, avait pris comme exemple la famille Keranjal des Essarts..., célèbre, à ce titre, dans les annales judiciaires. Une personne de cette famille a assigné M. Aubry devant la première Chambre civile à Paris, lui réclamant des dommages-intérêts et la suppression de certains passages de son livre.

Le tribunal a fait droit à la demande. Il a déclaré que les passages visés étaient diffamatoires non seulement à l'égard de la demanderesse, mais aussi à l'égard de la mère décédée, et qu'il suffisait, pour que cette diffamation dût être réprimée, que l'auteur, même sans intention de nuire, eût pu se rendre compte des effets préjudiciables que devait avoir pour les personnes désignées la publication incriminée.

« Attendu, dit le jugement, qu'il est aisé de conserver le souvenir des observations utiles sans y méler, dans d'imprudentes publications et par des précisions que rien ne rend nécessaires, le nom des particuliers qui ont eu le malheur d'être, par eux-mêmes ou par leurs parents, mêlés à de scandaleuses aventures et dont le plus légitime souci est de laisser le temps faire son œuvre de silence et de paix.... »

Le tribunal a ordonné la suppression des passages incriminés et a condamné le ?' Aubry et les éditeurs aux dépens pour tous dommages-intérêts.

Deux nouvelles Revues.

Nous sommes heureux d'annoncer la publication de la Revue russe de psychiatrie, de neurologie et de psychologie expérimentale. Cette Revue paraîtra en langue russe le 20 de chaque mois, par fascicules de

80 pages, sous la direction de M. W. Bechterew, professeur et directeur de la Clinique des maladies mentales et nerveuses à Saint-Pétersbourg.

Elle contiendra : I. Des travaux originaux concernant la psychiatrie, la neuro-pathologie, la neurologie, la psychologie expérimentale, l'hypnotisme, l'anthropologie criminelle, etc. — II. Des revues critiques et des résumés. — III. Des comptes rendus et des correspondances. — IV. Chroniques, nouvelles, faits divers. — V. Critique, bibliographie.— VI. Des biographies et des nécrologies. — VII. Publications.

Nous annonçons aussi avec plaisir l'apparition du Journal de neurologie et d'hypnologie, sous la direction de M. Xavier Francotte, professeur de clinique neurologique et psychiatrique à l'Université de Liège. — Le rédacteur en chef est M. le Dr J.-B. Crocq. Nous adressons nos meilleurs souhaits à notre collègue de la Société d'hypnologie et de psychologie.

? 0 UVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses [dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Drs Bérillon, Max Nordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et patholo-

gique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours et conférences du semestre d'hiver 1895-96, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.

Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie M. le Dr Bérillon a commencé le jeudi 5 décembre, à 10 heures et demie, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie. Il le continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.

conférences

Les conférences des Drs Bérillon. Valentin, Max Nordau et Henri Lemesle ont eu lieu en présence d'un nombreux auditoire. Les autres conférences auront lieu dans l'ordre suivant :

M. le Dr Armand Paulier fera, le jeudi 30 janvier, à cinq heures, une conférence sur : Les circonvolutions cérébrales et sur un nouveau procédé de conservation du cerveau.

M. le Dr Collineau fera, le jeudi 6 février, à cinq heures, une conférence sur : Mécanisme physiologique de la pensée : introduction à l'étude de lapsychologie de l'arriéré.

M. le Dr P. Valentin fera, le jeudi 13 février, àcinq heures, une conférence sur : L'hypnotisme dans la psychologie classique.

M. le Dr L. de Jaworowski fera, le jeudi 20 février, à cinq heures, une conférence sur : La substance grise du cerveau.

M. le Dr Mora fera, le jendi 27 février, à cinq heures, une conférence sur : L'éducation intégrale du cerveau.

M. le Dr Millée fera, le jeudi 5 mars, à cinq heures, une conférence sur : L'œil nèvropathique. _

Hospice de la SalpÈtrière. — Clinique des maladies du système nerveux. — M. Raymond. Les mardis et vendredis à 10 heures.

M. Dejerine. Leçon clinique sur les maladies nerveuses tous les jeudis à 5 h. (salle de la consultation externe) à partir du 5 décembre.

M. Jules Voisin. Leçons sur les maladies mentales, les jeudis, à dix heures du matin.

Hôpital Saint-Antoine. — M. Gilbert Ballet. Leçon clinique sur les maladies nerveuses, le dimanche, à 10 heures.

M. Richer, ancien chef du laboratoire de clinique des maladies du système nerveux à la Faculté de médecine de Paris, est nommé chef honoraire dudit laboratoire ( Arr. du 3 Janv. 1896.)

La Société clinique des Praticiens de France a renouvelé son bureau pour l'année 1896 ; il se compose de :

MM. les D1» Geoffroy, président ; Delineau et Bérillon, vice-présidents ; Boisleux et Guelpa, secrétaires.

«~ Par 49 voix contre 20, le Collège royal des chirurgiens de Londres vient d'adopter une résolution tendant à décerner à l'avenir les diplômes de l'institution aux femmes.

—— Les journaux russes et allemands commencent la publication d'un nouveau journal hebdomadaire l'Évocation, consacré à la politique, à la littérature, au spiritisme et au mysticisme.

La rédaction de ce journal fait connaître qu'elle aura pour collaborateurs « les esprits du Dante, de Spinosa, de Marc-Aurèle, d'Auguste Comte » et autres personnages célèbres parmi lesquels sainte Cécile elle-même (pour la partie musicale sans doute).

Le Wratsch demande irrévérencieusement si le rédacteur en chef n'est pas atteint d'aliénation mentale.

—— Le Comité directeur du Congrès international de Moscou est composé définitivement comme il suit :

Président, professeur Klein; vice-président, professeur Kojevnikoff; trésorier, professeur Filatoff; secrétaire général, professeur Erismann; secrétaires, professeurs Diakonoff, Thikomiroff, Neydig; membres, professeurs Ostroumoff et Korsakoff.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

D'E. Mon in. — La Santé de la Femme. 1 vol. in-8, 386 pages. — 0. Doin, éditeur, place de l'Odéon. Paris, 1895.

Max Nordau. — Paradoxes psychologiques. 1 vol. in-8,178 pages. — Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1896.

M. ?. ?????e?. — Eleclrothérapie. Brochure in-4°, 19 pages. — Gau-thier-Villars et Fils. Paris, 1895.

D'Lautps. — Le fonctionnement cérébral pendant le rêve elpendant le sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris, 1895.

Astère Denis. Dr Vande Lanoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri' son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, 188, Grapauruc, Ver-viers, 1895.

A stère Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Nicolet. Verviers, 1895-

E. Decroix. — ^luania^es de Vhippophagie. Brochure in-4e. 28 p. — 20 bis, rue Saint-Benoit. Paris, 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saini-Antoinc.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbort, 10.

10' année. — ?· 8.

Février 1896.

A PROPOS D'UNE CURE MERVEILLEUSE OE SYCOSISO

Par M. le professeur J. Delbœdf, de Liège.

. La Revue rapporte, dans sa livraison de janvier dernier, la guérison extraordinaire, arrivée en avril 1895, d'un cas grave de sycosis, datant de juillet 1894, traité sans succès par les spécialistes les plus éminents de la Russie et de l'Allemagne, et disparaissant presque subitement (au bout du troisième jour), à la suite de quelques courtes prières faites par une femme dans un lieu saint.

II n'y a pas bien longtemps, la relation d'une pareille cure eût excité la pitié ou le rire dans ce que l'on est convenu d'appeler le monde savant, et fait crier au miracle lé monde ecclésiastique. Quelle aubaine si ce malade, professeur à l'Université de Moscou, au lieu d'aller, en compagnie d'une bonne vieille, deux ou trois fois au Temple de Saint-Sauveur, s'était rendu à Lourdes et en était revenu guéri !

Je n'oublierai jamais le tapage et les polémiques que suscita à Liège et en Belgique, il y a quelque vingt-cinq ans, le miracle Hanquet. Qu'était-ce que ce miracle? Le document suivant, daté du 24 janvier 1870, va nous le faire connaître :

« Je soussigné, M. Davreux, docteur en médecine, etc., déclare que ce qui suit est entièrement conforme à la vérité :

M. Pierre-Joseph Hanquet, maître maçon, âgé de 49 ans, domicilié à Liège, rue Chéravoie, 17, était atteint, depuis la fin de l'année 1862, d'une maladie qui amena bientôt la paralysie de la sensibilité et du mouvement dans les membres inférieurs, ainsi que celle du rectum, des douleurs très vives dans toutes ces parties, de Pérysipèle au sacrum et au siège. L'appétit

(1} Voir le K' de janvier 1896.

était presque totalement perdu, l'insomnie était complète, il lui était impossible de quitter le lit où il gardait une position très inclinée en avant (le malade était réellement accroupi) ; il y avait amaigrissement extraordinaire, dépérissement progressif qui alla jusqu'au marasme.

« A plusieurs reprises j'avais visité M. Hanquet ; j'avais cru, comme beaucoup d'autres médecins, son mal incurable, et, en novembre 1866, je lui délivrai un certificat attestant qu'il était atteint de myèlite chronique (ramollissement de la moelle èpinière).

« D'après ce certificat, qui était identique à celui délivré par un autre médecin, le Conseil de recensement exempta définitivement M. Hanquet du service de la garde civique (séance du 5 avril 1867).

« A partir de cette époque, l'état du malade ne fit qu'empirer ; aussi, réduit à l'état squelettique et en proie à un profond découragement, il attendait la mort comme une délivrance.

« C'est à ce moment, et alors qu'il n'usait plus d'aucun remède depuis près d'un an, que le malade s'est vu guérir ins-tantanément, le 27 novembre 1869, à 10 h. 1/2 du soir.

« Je m'abstiendrai de tout commentaire à ce sujet ; je me bornerai à dire que le malade, qui était vraisemblablement perdu sans ressources, parait devoir sa guérison à l'eau de Lourdes, qui a été employée à la fois et comme boisson et en frictions sur la nuque, le dos et les reins.

« C'est là un fait réellement inouï dans l'histoire du ramollissement de la moelle épinière.

« Je certifie, en terminant, que la guérison se maintient et que M. Hanquet jouit actuellement d'une santé parfaite. »

Comme on le voit, M. Davreux ne conclut pas au miracle ; mais son confrère, M. le Dr Termonia, est moins circonspect. Dans son certificat, il affïrme que « la guérison si merveilleuse de ce malade ne peut être envisagée que comme étant le résultat d'une intervention tout à fait en dehors des lois scientifiques. »

Je ne sais pas ce que l'on pense à Moscou de la guérison presque instantanée du malade de M. Kogevnikoff. Mais je suis certain qu'en Allemagne, en France et même en Belgique, lorsque le fait sera connu, personne ne s'avisera, pour l'expliquer, de faire intervenir l'action miraculeuse de la divinité, d'autant moins que le favorisé doit appartenir à la religion orthodoxe. C'est que la science a fait du chemin depuis vingt-cinq ans ! Je doute que le livre du Dr Boissarie sur Lourdes,

ait eu le succès retentissant de celui de Lasserre, et ait contribué à augmenter de beaucoup le nombre des pèlerins.

A quoi, cependant, faut-il attribuer la guérison du professeur, désormais célèbre? Sans contredit, à l'influence du moral sur le physique, quel que soit d'ailleurs le mécanisme de cette influence. J'ai raconté ailleurs (1) une histoire aussi extraordinaire et que je certifie authentique.

Un voisin de campagne, qui fréquentait beaucoup ma maison, était affligé depuis plusieurs années d'une verrue grosse comme une petite demi-noix, qui avait élu domicile à l'origine du pouce. Que n'avait-il pas fait pour s'en débarrasser ! Mais onguents, excisions, cautérisations, tous les remèdes possibles avaient été impuissants. Au contraire, la verrue grossissait de semaine en semaine. On lui parla d'une vieille femme des environs qui signait les verrues. Mais lui était un mécréant fieffé. Il finit cependant par y aller. La sorcière exécute quelques simagrées, demande de l'argent pour faire une neuvaine je ne sais où. Mon homme revient,toujours incrédule, mais content à l'idée qu'on ne lui sciera plus le dos avec la vieille. Le neuvième jour, la verrue tombait ! J'avoue que, depuis lors, je suis à la recherche d'une verrue semblable pour essayer l'hypnotisme. J'ai entendu raconter à Louvain une histoire analogue d'une loupe à l'œil, récalcitrante à l'art des médecins, mais tombant après une invocation au bienheureux Berckmans. (Voir mon article sur Louise Lateau, reproduit dans mon Magnétisme animal, p. 118. Paris, Félix Alcan).

D'ailleurs, puisque je viens de la nommer, qu'y a-t-il donc de plus fort que les stigmates de Louise Lateau? Il ne s'agit pas ici de la disparition d'une maladie de la peau n'ayant rien de congénital, mais de l'apparition et de la disparition périodiques et régulières, à des endroits d'élection, d'une altération de la peau et des parois des vaisseaux sanguins. La fameuse expérience de M. Focachon est venue bien à propos pour enlever définitivement à ces stigmates le caractère surnaturel que l'Académie royale de médecine de Belgique elle-même, appelée à se prononcer, s'était bien gardée de leur dénier.

Mais il faut bien l'avouer, la soudaineté de la guérison de ce cas de sycosis présente quelque chose d'extraordinaire, plus extraordinaire même que celle du sieur Hanquet. Ici, on peut supposer avec raison une erreur de diagnostic. Là, outre que

(1) L'Hypnotisme devant les Chambres législatives belgés, p. 69. Paris, Félix Alcan.

le mal s'étalait aux yeux, on ne peut admettre que les hommes éminenls qui l'ont traité pendant neuf mois, — ne rappelons que le nom de M. Kapozi, de Vienne, — se soient mépris unanimement dans le même sens. Concluons clone qu'un certain état mental du malade l'a débarrassé presque brusquement d:une affection qui, jusque là, s'était montrée rebelle à toute médicamentation.

Je puis illustrer cette conclusion par une observation personnelle et tout aussi stupéfiante.

II s'agit d'une demoiselle Dehasse, de Liège, fille aînée d'un ancien instituteur devenu secrétaire d'une école du soir, sœur de six ou sept enfants plus jeunes. A la fin de l'année 1891, elle avait 28 ans. Depuis l'âge de 20 ans, elle était paralysée des membres droits et y éprouvait, au moindre mouvement, de vives douleurs. Elle ne pouvait élever son bras plus haut que l'œil, ni le rapprocher de la figure de moins de vingt centimètres. Elle ne pouvait non plus fermer la main; de sorte qu'elle était incapable de se laver, de se peigner, de s'habiller, de découper sa viande, de coudre et de tricoter : une vraie charge pour cette pauvre famille. Sa jambe droite était comme inerte ; tout au plus pouvait-elle servir de soutien au corps, et elle la traînait derrière l'autre à l'aide des mouvements propulseurs du tronc. Disons encore que les deux mains étaient toutes déformées, ainsi que les pieds, les genoux et les coudes. Sa main droite, notamment, n'avait plus rien d'humain.

Elle avait usé de tous les remèdes imaginables : l'hydrothérapie, l'électricité, le massage ; l'acide salycilique non plus ne lui avait pas été ménagé. Elle avait même essayé l'hypnotisme et elle avait passé quinze jours à rétablissement hypnotique du Dr P..., à Bruxelles. Celui-ci, n'ayant pas même réussi à l'endormir par les moyens physiques, lui conseilla de s'adresser à moi.

Je n'avais guère envie alors de m'occuper encore d'hypnotisme; j'avais d'autre besogne sur les bras. Mais je fus assailli de tant de sollicitations venant de tant de côtés à la fois, que je finis par dire au père — je n'avais pas encore vu le sujet—de conduire sa fille chez M. le Dr Henrijean, alors assistantdc M. le Pcvon Winiwarter, et aujourd'hui chargé de cours à l'Université de Liège. Je voulais savoir de lui si le cas lui,paraissait justiciable de l'hypnotisme. Cejeune savant était un converti; il avait suivi beaucoup de mes expériences, et j'avais traité de ses malades.

Voici sa consultation: « J'ai vu M1" D,..., qui désire être hypnotisée. Elle souffre d'une affection : arthrite déformante ou arthrite noueuse très rebelle à tous les traitements. Je crois qu'il s'agit bien de cette affection, et non d'un simple rhumatisme chronique, parce que la malade ne signale pas d'accès de rhumatisme aigu antérieur. Rien aux organes internes, rien au cœur notamment. Si même je me trompais dans mon appréciation, le rhumatisme chronique n'est guère plus favorable que l'arthrite noueuse pour être améliorée par l'hypnotisme. Je n'ai rien dit cependant à la malade, qui a mis en vous tout son espoir. Voyez ce que vous pouvez faire sur l'élément douleur. Observation : le père a tout fait pour guérir sa fille. U...., pharmacien, lui a donné ceci, lui a donné cela et fait beaucoup de remèdes familiers ! Au père donc promettre peu si l'on ne veutêtre classé dans les remèdes familiers. 30 septembre 1891.»

Au reçu de ce certificat, je refusai catégoriquement de perdre mon temps en m'occupant de cette demoiselle.il est bon que le lecteur sache que je ne suis pas médecin ; que c'est en psychologue que j'ai étudié et pratiqué l'hypnotisme, et quelquefois aussi par pur amour de l'humanité.

Mais on revint à la charge ; on s'adressa à de mes amis ; le père me lit parvenir des lettres de recommandation. De guerre lasse, je finis par lui dire : Soit, venez avec votre fille ce soir vers 6 h. 1/2. — Il devait être à son école à 7 h. 1/2, et ma maison était sur son chemin.

Les voilà donc chez moi. Je ne les fis même pas asseoir et tins à tous deux un langage décourageant. Je fais toutefois raconter son histoire à la fille, qui restait debout. Quand elle en vient à me dire que le DrP.... n'était pas arrivé à l'endormir, l'hypnotiseur se réveille en moi : « Comment, lui-dis-je, il ne vous a pas endormie ! Qu'est-ce qu'il a donc fait? Tenez, vous dormez! » Ce disant, je lui abaisse les paupières; elle était endormie, au point d'être insensible aux pincements etaux piqûres profondes. Alors, comme paracquit de conscience, je lui soulève le bras an-ky loséje le lui rapproche de la figureje le lui mets autour du cou comme si elle devait se laver ; les mouvements se font presque sans difficulté et sans douleur ! Comme il n'y avait pas d'autre témoin de cette scène que le père, j'appelle mon tîls, étudiant en médecine, pour contrôler au besoin l'expérience. La jeune fille est toujours debout; je serre sa main autour d'un crayon en lui défendant de le lâcher si on voulait le lui arracher: et voilà qu'elle le tient ferme ! Le père, en voyant ce résul-

tat, qui me surprenait moi-même au plus haut degré, pleurait et sanglotait comme un enfant. Puis je m'attaque à la jambe inerte, qui se met à fonctionner ; bref, il n'était pas 7 heures que le sujet, réveillé, se servait de sa main et de son bras et de sa jambe à peu près comme s'ils n'avaient jamais été paralysés.

Je la fis revenir le lendemain*'. Les effets avaient parfaitement persisté. Je la conduisis chez mon collègue, le professeur von Winiwarter, qui, après l'avoir examinée avec soin, porta ce jugement: « Cela avait bien l'air d'une arthrite déformante, mais il faut croire que ce ne l'était pas. » il assista aux deux séances qui suivirent et où je rendis au sujet la faculté de descendre un escalier en posant d'abord la pointe du pied et non le talon, et à faire jouer dans tous les sens l'articulation du coude.

Aucune trace de l'affection n'a reparu depuis ce jour. Pour achever l'histoire, ajoutons ces quelques mots. Cette demoiselle avait des menstrues irrégulières et accompagnées de coliques qu'elle qualifiait d'atroces. Je les lui rendis régulières et indolores. Je la revis ainsi à cette occasion encore deux ou trois fois. Il me semblait que sa main reprenait une forme plus présentable. Je ne l'ai plus revue depuis, parce qu'elle est allée habiter un quartier éloigné de chez moi. Dernièrement j'ai rencontré le père. Sa fille n'avait pas eu même un semblant de rechute.

Ce fait est des plus topiques à cause de la rapidité de la guérison mise en regard de la longueur et de la ténacité de l'affection.

Le suivant ne l'est pas moins, bien que n'ayant pas un caractère aussi miraculeux et étant d'ordre tout différent. Le jeune homme dont il va être question, était atteint depuis plus de onze ans de paralysie infantile. Il se nomme Modeste Hubin. Il est fils du sacristain et cirier de Momalle, petit village à 16 kilomètres de Liège. Pendant son traitement, il est venu plusieurs fois à la clinique de M. le professeur von Winiwarter, et les élèves ont pu constater ses progrès de jour en jour plus marqués.

C'est le 3 novembre 1891 qu'il s'adressa à moi par lettre, se recommandant de M. l'avocat Bonjean de Verviers, auteur d'un ouvrage sur l'hypnotisme et lui-même hypnotiseur habile.

J'étais assez curieux de traiter un cas de ce genre; j'accueillis sa requête. Je lui demandai de me raconter son histoire par

écrit. Je copie sa réponse: « J'étais atteint d'un violent mal de tête et dérangé de l'estomac. Je ne ressentais aucune douleur aux jambes. Ceci avait commencé le 12 août 1880. Le 15, dans la matinée, le mal de tête allait mieux. Vers il heures du matin, je me lève et m'aperçois que je ne tiens plus sur mes jambes. Croyant que c'était la faiblesse, je me remets tranquillement au lit. Soudain, je ressens un violent picotement à la hanche, au milieu du genou et à la pointe du gros orteil. Je veux me lever encore ; mais plus moyen de me tenir debout. La jambe était morte. On fit mander en toute hâte le docteur Lambrechts qui constata une paralysie infantile. Et tous les docteurs consultés ont été du même avis. La jambe agrandi, mais elle est plus courte, plus faible etplus maigre que l'autre. Je puis faire quelques pas péniblement à l'aide d'un bâton. Depuis ce temps je n'ai jamais été malade et je jouis d'une santé excellente. L'on a fait tout pour me guérir: électricité, massage, etc., etc. Et les bouteilles pour me frictionner me faisaient plus de tort que de bien. »

Je commençai le traitement le 11 novembre 1891. Hubin fut instantanément hypnotisé. Mon premier exercice fut de lui commander de se tenir debout sans son bâton. Il s'y refusa; sa figure exprimait la plus profonde angoisse. Je renouvelai mon injonction. Il tourna alors les yeux vers son père — je lui avais fait ouvrir les yeux sans le tirer de l'état d'hypnose — comme pour lui demander protection et appui. Enfin, il se décida à lâcher son bâton, vacilla quelque peu, ses jambes semblant impuissantes à soutenir son torse d'hercule ; il parvint enfin, avec un peu d'aide, à prendre son équilibre et à le garder pendant une ou deux minutes.

Voyant que j'avais obtenu un léger résultat, je lui fixai un jour pour revenir, et mon collègue, M. von Winiwarter, voulut bien le visiter et assister à de nouvelles expériences. Voici le certificat qu'il me remit: « Le jeune Hubin est atteint d'une paralysie infantile, s'étendant sur les extenseurs du pied gauche, tous plus ou moins atrophiés. Les muscles extenseurs des orteils fonctionnent incomplètement, le tibia antérieur ne se contracte pas du tout. » M. von Winiwarter me donna des conseils — que je suivis scrupuleusement — sur la manière dont je devais graduer les exercices.

Le traitement consista en effet à obtenir de l'hypnotisé une volonté vaillante et ferme pour faire des exercices gymnasti-ques destinés à rendre aux organes affaiblis une partie au

moins de leur vigueur perdue, en d'autres termes, à fortifier ce qui restait encore de fibres musculaires et à obtenir d'elles un travail de plus en plus considérable.

Rentré chez lui, le garçon faisait avec un zèle qui ne s'est pas démenti un instant, tous les genres d'efforts commandés : se tenir debout, s'abaisser, se relever, pousser avec ia jambe malade contre une planche qui faisait ressort, pour finir par l'exercice du tricycle.

De semaine en semaine les progrés étaient visibles ; à chaque séance — une séance durait un bon quart d'heure — il apprenait à faire tel ou tel mouvement ou à prendre telle ou telle attitude qui lui était d'abord impossible; par exemple se tenir debout uniquement sur la jambe malade, en s'appuyant sur mon épaule, puis sur mon bras, puis sur son bâton. En moins d'un mois, lui qui, auparavant, pouvait à grand'peine faire quelques pas dans l'église, était maintenant en état de se rendre à pied de chez lui à la station de Fexhe, distante de près de deux kilomètres, par de mauvais chemins de campagne. Quelque temps après, il se remettait à jouer de l'orgue. En un an, Hubin, qui depuis son accident n'avait plus usé de soulier gauche, y usait deux semelles du côté extérieur.

Le jugeant suffisamment amélioré, je cessai de le recevoir à la fin de Tannée 1892. Il eut le malheur de perdre son père en janvier 1893. Je ne reçus de lui aucune nouvelle jusqu'au 10 juillet de la même année, où il m'écrivit la lettre suivante : « J'aurais déjà dû vous écrire depuis bien longtemps. Mais les circonstances dans lesquelles je me suis trouvé me faisaient remettre la chose de jour en jour. Cependant je ne saurais tarder plus longtemps de vous faire savoir des nouvelles sur la santé de ma jambe. La cuisse se fortifie chaque jour davantage. L'on voit les muscles se remuer complètement comme dans l'autre jambe au moindre mouvement. De la hanche au milieu de la cuisse, la jambe est à peu près comme l'autre. Enfin tout marche on ne saurait mieux. J'ai avant-hier pu marcher en mettant seulement un doigt sur le bâton. » Dans une lettre du 10 mai 1892, il m'écrivait déjà la même chose: « Etant accroupi, je me balance et je ne tombe plus, ce qui prouve que la jambe est plus ferme. Il arrive des jours que je marche sans presque m'appuyer sur ma canne. Je n'y pèse pas certainement un demi-kilo. Je suis sûr qu'en ces moments vous me feriez marcher sans aucun appui par l'hypnotisme. C'est bien souvent la crainte qui engendre ma faiblesse. »

Cette amélioration, si notable par ses effets, me parait consister en ceci que Hubin a réussi à utiliser pour la marche et pour l'équilibre certains muscles dont ce n'est pas la fonction naturelle. S'il en est ainsi — je ne voudrais pas me prononcer catégoriquement à cet égard — on pourrait la caractériser comme une création de fonction. Et quel serait le créateur? encore une fois, l'esprit dominant et assouplissant la matière corporelle : Mens agitât molem.

DE L'ATTITUDE CATALEPTIFORME

dans la fièvre typhoïde et dans certains états psychiques.

Par m. le professeur Bernheim (de Nancy)

On observe très souvent dans la fièvre typhoïde le phénomène que voici : soulevez doucement un bras et abandonnez-lc à lui-même, il reste en l'air dans la position donnée. Soulevez ensuite l'autre bras, il y reste comme le premier. C'est de la catalepsie. Elle est plus ou moins accentuée. Quelques malades, au bout de quelques secondes, laissent tomber, après plus ou moins d'hésitation, le membre soulevé. D'autres essaient quelques mouvements avec les doigts ou la main, laissant le reste du membre immobile; d'autres le gardent tout entier catalep-tisé pendant plusieurs minutes ou indéfiniment.

Cette catalepsie est quelquefois molle : une légère impulsion donnée au membre le fait retomber. Plus souvent elle est rigide ou élastique. L'impulsion communiquée au bras le déplace, mais sans le faire tomber : quelque forte que soit l'impulsion, il ne dépasse pas une excursion limitée ; souvent même il revient comme un ressort à sa première place, quand il a été déplacé. Les doigts écartés et mis dans les positions les plus bizarres, y demeurent. Si j'applique l'un des pouces du sujet contre le bout du nez, l'autre pouce contre le petit doigt de la première main, de façon à figurer le pied de nez, le malade conserve cette attitude, sans rire, la physionomie restant sérieuse et comme ligée.

Cette attitude catalcptiformc s'obtient rarement dans les membres inférieurs. Dans les supérieurs, où elle est si fréquente, lorsqu'elle est bien accentuée, elle s'accompagne aisé-

ment de contracture. Il suffit chez quelques-uns d'étendre Tavant-bras sur le bras pour que tout le membre entre momentanément en rigidité, si bien qu'on ne peut plus le fléchir sans un effort plus ou moins considérable. C'est une véritable dia-ihèse de contracture.

Parfois on peut déterminer, dans les membres supérieurs cataleptisés, une tendance plus ou moins accusée à l'automatisme rotatoire. En tournant les deux avant-bras l'un autour de l'autre, ce mouvement tend à continuer spontanément plus ou moins longtemps, comme chez les sujets hypnotisés.

Il y a plus. J'ai observé plusieurs fois ceci: lorsque le bras du sujet est soulevé en l'air et reste ainsi cataleptisé, son œil reste fixe, immobile, la face devient inerte, comme cataleptisée elle-même; puis, après quelques secondes, les yeux clignotent et peuvent se fermer spontanément ; le sujet est endormi. C'est un véritable hypnotisme spontané qui s'est ainsi produit. J'ai observé ce fait chez cinq malades.

Les autres, chez qui cette apparence de sommeil avec occlusion des yeux ne survient pas spontanément par le fait seul de l'attitude cataleptiforme donnée à un bras, les autres, dis-je, sont cependant presque tous très facilement hypnotisables. 11 suffît souvent de leur fermer les yeux, de les tenir clos pendant quelques secondes, de leur dire de dormir, pour que le sommeil soit réalisé.

Voilà les faits que je démontre journellement aux élèves de mon service. On objectera qu'ils se passent dans mon swvxce, c'est-à-dire dans une atmosphère hypnotique spéciale, où les malades que j'ai l'habitude d'endormir et de cataleptiser, où ils en ont vu hypnotiser d'autres, où ma présence seule est hypno-gène. Les phénomènes produits ne seraient pas spontanés, mais œuvre d'une suggestion déterminée par ma présence.

Il va de soi que j'ai évité cette erreur. J'ai soin de ne pas faire assister les typhiques que j'étudie ainsi, à des expériences faites sur d'autres; et je provoque ces attitudes cataleptiformes chez des malades qui n'ont jamais vu hypnotiser et même qui ne me connaissent pas. Mes élèves et les médecins qui ont vu ces faits à ma clinique les obtiennent les mêmes dans d'autres cliniques ou dans la clientèle privée.

Voici maintenant l'interprétation théorique que je donne do ces phénomènes. Disons d'abord qu'ils ne sont pas particuliers à la fièvre typhoïde; ils existent chez maints sujets dans

d'autres états morbides, ou à l'état de santé parfaite, à lafaveur d'un certain état psychique.

Quel est cet état psychique? Dans la fièvre typhoïde, ce n'est pas, comme on pourrait le penser, quand il y a stupeur absolue, avec somnolence, coma, dans l'adynamie qu'on obtient l'attitude cataleptiforme. Ce n'est pas non plus quand il y a délire, agitation, tremblement, carphologie, dans ï'axatie. Dans ces cas, les bras soulevés retombent ou s'agitent en mouvements désordonnés. Pour que la catalepsie s'obtienne, il faut que le cerveau ne soit pas inerte, que l'hébétude ne soit pas trop grande, qu'il n'y ait pas d'agitation : il faut que le cerveau soit assez sain pour percevoir, pour comprendre, pour fixer son attention ; mais il faut un certain état psychique caractérisé par la diminution de l'initiative intellectuelle, par une faible spontanéité cérébrale. Cet état peut être normal chez beaucoup d'individus; chez d'autres, il survient pathologiquement, sous l'influence de maladies diverses, ou psychologiquement, sous l'influence d'états moraux spéciaux. Alors, le sujet garde l'attitude musculaire imprimée, parce qu'il n'a pas assez d'initiative pour la modifier spontanément; il croit devoir la garder, par une sorte de tendance auto-suggestive du cerveau à garder l'impression reçue.

Le cerveau maintient Vidée que le bras doit rester en l'air, comme il maintient l'impression musculaire déterminée par l'attitude spéciale. Le plus souvent le phénomène est dominé par l'idée : il suflit que je m'éloigne pour que le sujet laisse retomber son bras, le cerveau n'étant plus entretenu par ma présence suggestive dans l'idée que le bras doit rester comme je, l'ai mis. D'autres fois le phénomène est dominé par l'impression musculaire : l'attitude cataleptiforme continue à persister quand j'ai quitté le malade, et il ne peut pas faire ou ne peut que difïîcilement faire effort spontané pour la rompre.

On comprend pourquoi cette attitude cataleptiforme ne s'obtient que rarement dans les membres inférieurs : l'effort musculaire nécessité pour maintenir une jambe en l'air, surtout chez un malade affaibli par la fièvre typhoïde, fait contre-poids ou contre-suggestion, si je puis dire, à la tendance cataleptique.

La diathèse de contracture, qui existe à un degré variable dans cet état» s'explique aussi par l'absence d'initiative cérébrale. Le tonus musculaire, on le sait, est un phénomène réflexe spinal. Or, le cerveau a une influence modératrice sur les réflexes spinaux; ceux-ci sont accrus quand la moelle est

séparée du cerveau. Aussi, quand le sujet a perdu son initiative intellectuelle, quand le cerveau psychique cesse d'agir ou agit moins activement, quand le malade est, dans une certain e mesure, décapité fonctionnellement, on conçoit que le tonus musculaire, ne subissant plus l'influence cérébrale modératrice, s'exagère et tende à devenir contracture.

C'est aussi en raison de cette inertie psychique que se développe- facilement la tendance à l'automatisme rotatoire, le membre continuant sans résistance cérébrale à tourner, gardant automatiquement le mouvement, comme l'attitude, imprimés.

Enfin, que se passe-t-il dans le cas où l'hypnose spontanée se complète par l'apparence du sommeil? Le bras étant cata-leptisé, le cerveau reste figé pour ainsi dire sur l'idée de garder l'attitude donnée et sur l'impression résultant de cette attitude, comme je l'ai dit. Il y a catalepsie du cerveau, comme il y a catalepsie des membres ; c'est-à-dire que le cerveau tout entier reste en arrêt sur cette idée, sur cette impression, comme absorbé et fasciné par elles ; il est mono-idéisé. mono-ctynamisé. Fermé à toute autre impression, il ne reçoit plus celles des sens; aussi l'œil devient rigide, fixe ; la face inerte, comme pétrifiée. Quelquefois les yeux, n'apportant plus rien au sensorium, se ferment, et le sommeil spontané a lieu.

Ainsi s'expliquent la catalepsie spontanée et l'auto-hypnose dans la lièvre typhoïde et dans certains états psychiques. Ces faits si intéressants, si fréquents, à côté desquels les cliniciens passent journellement sans les constater, faute de les rechercher, jettent un grand jour sur le problème de la catalepsie et clu sommeil provoqué dit hypnotique. Ils montrent bien que ces états ne sont pas des phénomènes extraordinaires liés à une diathèse nerveuse hystérogène; ce ne sont au fond que des phénomènes physiologiques liés à un état psychique particulier qui est l'état normal chez quelques-uns, qui peut être produit, chez d'autres, par certaines émotions ou certains états morbides diminuant la spontanéité cérébrale.

société d'hypnologie et de psychologie

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 2â Juillet 189.j. — Présidence do M. Dl'ïiontpallieii.

{Suite

Le traitement psychique de la kleptomanie chez les enfants

dégénérés

Par M. le Docteur Bémllon. '

Ce qui caractérise l'impulsion klcptomaniaque que l'on observe fréquemment chez les enfants dégénérés, c'est l'automatisme et l'inconscience absolue qui président à l'accomplissement de l'acte. Lorsque l'on interroge ces enfants sur les motifs qui les ont poussés à accomplir un vol, ils font invariablement la même réponse : « Je ne sais pourquoi je l'ai fait, je n'ai pu faire autrement. »

Ii semble qu'ils aient agi comme s'ils étaient dépourvus de ce pouvoir d'inhibition, de cette puissance modératrice, de cette volonté d'arrêt qui est une des manifestations les plus remarquables de l'éducation du système nerveux. C'est ce qui explique le peu de succès des moyens coer-citifs auxquels on a recours pour les guérir.

Les dégénérés doués d'une résistance moindre pour réagir contre les impulsions automatiques ou réflexes, prédisposés à l'accomplissement des mouvements inconscients, offrent un terrain remarquable au développement de l'impulsion à voler.

La première indication consiste donc, puisqu'on se trouve en présence d'actes accomplis inconsciemment, à appeler l'attention du sujet sur ses mouvements exécutés automatiquement, à éveiller sa conscience, en un mot à trhnsforrner une sensation non perçue en ^perception.

Dans un grand nombre de cas, des suggestions appropriées faites dans l'état d'hypnose suffisent pour développer, en même temps que l'attention, le pouvoir d'arrêt qui permet aux sujets de résister à l'impulsion.

J'ai eu l'occasion d'observer un adolescent de quinze ans, appartenant à une famille des plus honorables, chez lequel l'impulsion de s'emparer des objets les plus divers se manifestait à chaque instant. Les parents le constataient en trouvant dans ses poches des objets de toutes sortes qu'ils volaient dans toutes les maisons où il allait. Il n'avait aucune excuse, car les parents lui donnaient l'argent nécessaire pour acheter les objets dont il pouvait avoir besoin. Cet enfant parut d'abord naccessible au traitement, mais il me fut bientôt facile de vaincre sa résistance. Il s'endormit profondément. Des qu'il fut hypnotisé,je créai chez lui des paralysies psychiques des bras, le mettant dans l'impossibilité matérielle de s'emparer des objets que je lui désignais ; j'établis ainsi

chez mon sujet un cran d'arrêt involontaire dans le but de l'employer à résister à son impulsion. J'ajoutai à cela diverses suggestions pédagogiques, lui recommandant de travailler, d'être attentif, d'apprendre ses leçons et de s'appliquer à ses compositions. En fin de compte, il fut facile non seulement de le guérir de sa kleptomanie, mais même.d'en faire un élève travailleur. En quelques semaines, l'influence des suggestions pédagogiques s'était manifestée à un tel point qu'il étaitdevenu un des premiers élèves de sa classe alors que, depuis plusieurs années, i! était resté constamment le dernier. Un des mobiles qui l'avaient le plus déterminé à travailler, c'est qu'il avait le désir de démontrer qu'un changement radical s'était opéré à tous les points de vue, dans sa personne. Depuis deux ans le succès du traitement pédagogique ne s'est pas démenti un seul instant et l'enfant a continué à être un des meilleurs élèves de sa classe.

J'ai obtenu également des succès durables et complets chez d'autres petits voleurs, en faisant faire à Pesprit une gymnastisque analogue à celle qu'on emploie pour les exercices du corps.

Pour faire comprendre par quel artifice on arrive à guérir un enfant atteint de la manie de voler des pièces de monnaie, je vais vous donner un aperçu d'un procédé qui m'a toujours réussi. L'enfant étant mis dans un état de suggestibilité suffisant, je le fais approcher d'une table sur laquelle se trouve une pièce de monnaie. « Tu vois cette pièce, lui dis-je, tu as envie de la prendre. Eh bien, prends-la si tu veux et mets-la dans ta poche, a 11 le fait. J'ajoute alors : « C'est ce que tu as l'habitude de faire, mais tu vas remettre maintenant la pièce d'argent où tu l'as prise et désormais tu agiras toujours ainsi ; s'il t'arrive de succomber à la tentation, tu auras honte d'avoir volé et tu t'empresseras de remettre l'objet volé à sa place. » Au bout de quelques séances de cette gymnastique mentale exécutée sous l'influence de la suggestion, l'enfant est généralement guéri pour toujours de sa mauvaise habitude. Un fait à noter, c'est que l'enfant guéri par la suggestion hypnotique d'une habitude grave, témoigne toujours à celui qui l'a guéri les plus vifs sentiments de reconnaissance.

Une famille névropathique.

Par M. le Dr M. Max Kobdac.

J'ai observé récemment une famille névropathique dont je vais résumer brièvement l'histoire.

Une femme, émotive et d'une affectivité exagérée, dont la sœur est morte paralytique et dont le mari, également mort depuis plusieurs années, aurait été, paraît-il, habituellement bien portant, est mère de cinq enfants : trois filles et deux garçons. Une fille et un fils ne présentent aucune anomalie. Une autre fille, née en 1873, a marché à cinq ans, elle

a parlé à huit ans, on a pu lui apprendre à lire et à écrire, et elle a fait son apprentissage de couturière sans arriver à une adresse suffisante pour être employée comme ouvrière. ?. l'âge de vingt ans et trois mois, elle a eu une première attaque d'cpilcpsie, qui depuis s'est répétée tous les deux à trois mois. Chaque attaque est suivie de stupeur, puis d'un délire qui dure de plusieurs heures à plusieurs jours, et depuis un an elle est atteinte d'une parésie des quatre extrémités et de la langue, parésie qui fait des progrès constants. Son état mental tend rapidement vers la démence finale.

La troisième fille, née en décembre 1874, était toujours faible et maladive; peu douée, elle présentait un caractère difficile et indiscipliné. Une otite moyenne lui a laissé un léger degré de surdité. Elle a été témoin de toutes les attaques de sa sœur, qui l'ont profondément impressionnée. En mars 1895, exactement au même âge de vingt ans et trois mois, elle a eu une attaque épileptiforme qui s'est répétée, depuis plusieurs fois, toujours avec des caractères qui permettent d'exclure l'épi-lepsie vraie.

Le second frère des deux malades, né en 1871, ayant assistéà une des attaques épileptiformesde sa troisième sœur, eut à son lourdes attaques de tout point semblables à ces dernières.

Nous sommes donc ici en présence d'un cas de contagion familiale. La deuxième fille seule était épileptique vraie. La troisième s'est suggérée qu'elle devait avoir le même mal au même âge que sa sœur, et le second frère, par mimétisme inconscient, a reproduit les accès de sa sœur la plus jeune.

Un nouveau schéma de l'aphasie basé sur l'histologie du système nerveux

Par M. le Docteur Félix Regnault.

Les schémas imaginés pour se rendre compte des divers symptômes de l'aphasie sont nombreux, mais aucun n'est parvenu à nous expliquer tous les phénomènes qu'on a observés. Ils ne nous permettent donc pas de les grouper en un ensemble tel, qu'ayant les schémas sous les yeux, nous puissions voir les diverses combinaisons possibles.

Le schéma de Charcot marque, de plus, un centre intellectuel spécial où s'associent les divers images. Ce centre est inutile pour la compréhension des faits ; chaque cellule psychique peut, en effet, recevoir les images, en prendre connaissance, et par ses filets émissifs les associer à celles qui sont acquises par les autres cellules.

Je ferai le même reproche au récent schéma de Ferrand.

Les nouvelles découvertes de Ramon y Cajal nous permettent de concevoir un schéma plus complexe et qui s'adapte mieux à la réalité des faits observés. Nous avons pris connaissance des rapports qu'ont

enlre elles les cellules psychiques. Leur filet émissif se divise en nombreux rameaux allant à grandes distances, mettant ainsi en communication une cellule avec un grand nombre d'autres cellules; de sorte qu'une image visuelle ou auditive met en branle un nombre considérable de nos cellules psychiques, comme une pierre jetée dans l'eau forme de nombreuses ondes de plus en plus développées.

Les filets nerveux sont en rapport de contiguïté. Que cette contiguïté soit imparfaite, des troubles spéciaux se produiront, différents de ceux qui sont causés par la lésion de cellules nerveuses. [Voir la figure ci-dessous).

Schéma des aphasies

1. centres de* Renouions ; 2, centre psychiques : 3, centre des mots conventionnel*. A centre moteur d'articulation; G centre moteur graphique; Vofil; 0 oreille: I, langue. M main.

J'étudierai d'abord les centres de réception, puis les centres d'émission.

Les centres récepteurs sont aussi nombreux que nos sens. Deux priment néanmoins, la uue et l'ouïe. Examinons-les successivement :

L'enfant commence par voir, puis il comprend le sens des objets, il ne les exprime par des figures conventionnelles (lettres, motsj que bien plus tard. D'où trois centres :

a) Le premier (1) permet de voir. Lésé, il produit la cécité, soit

entière, soit partielle des couleurs. L'excitation maladive amène les hallucinations.

/>) Le second (2j permet do se rendre compte du sens des objets vus. Grâce à lui, par acquisitions successives, l'enfant sait, par exemple, ce qu'est un chien, une fourchette. La perte de ce centre entraine la cécité psychique: le malade ne comprend plus ce qu'il voit.

c) Le troisième (3) permet d'apposer un mot à chaque objet vu. Il permet la lecture de ces mots conventionnels. Sa destruction amène l'impossibilité de lire ; c'est la cécité verbale. Si 1 est détruit, le sujet dit ; « Je ne vois pas. » Si 2 est détruit, il dit: « Je vois, mais ne sais ce que c'est, ? Si 3 est détruit, il dit : « Je connais l'image des objets qu'on me montre, mais ne puis lire les lettres. » Si 3 était intact et que le conducteur de 3 vers le centre moteur articulaire fût détruit, il dirait: « Je comprends ce que je lis, mais ne puis l'articuler, ? Si 2 et 3 sont abolis en même temps, on a une lésion réalisée parles expériences physiologiques : c'est l'enlèvement du cerveau en conservant le bulbe et les tubercules quadrijumeaux. 1 voit encore et, bien qu'il ne comprenne pas ce qu'il voit, il possède des cylindraxes émissifs qui permettent .certains mouvements réflexes : tels les mouvements de tête, les clignements d'yeux, les mouvements de répulsion.

La destruction de l'œil et du nerf optique rend aveugle, mais si 1 persiste, le sujet peut avoir des rêves visuels et des hallucinations avec sensations de lumière. Si 2 persiste 1 étant détruit, il aura encore la notion des objets, se rappellera le monde extérieur.

Passons maintenant aux conducteurs ;

L'œil voit un objet, un chapeau par exemple : 1 perçoit cet objet, 2 se rend compte de son but, de son usage ; et l'impression, se transmettant à 3, éveille le mot « chapeau » si le sujet est un visuel.

Si l'œil voit le mot chapeau écrit, ! perçoit le mot sans le comprendre, l'adresse à 3 qui le déchiffre, d'où impression transmise à 2 qui éveille l'idée de l'objet correspondant.

Supposez le passage de 2 à 3 aboli, vous aurez une variété d'amnésie visuelle. Le sujet ne trouvera pas le mot en voyant l'objet; il le remplacera par le mot ? chose », amnésie qui peut tenir à un simple manque de contact des cylindraxes et être transitoire.

Supposez le passage de 3 vers 2 aboli, le sujet lit bien, mais ne comprend pas ce qu'il lit, et pourtant, dès qu'on lui présente les objets, il les reconnaît et les appelle par leur nom (Ferrand).

Le manque d'attention produit souvent le même fait: on lit mentalement ou même tout haut sans savoir ce qu'on lit.

Le schéma du système auditif est identique à celui du système visuel. Là encore, trois cellules : 1 lésée: c'est la surdité; 2 lésée : on entend les sons, mais sans les comprendre. Le son de la cloche, par exemple, ne réveille pas l'idée de cloche (surdité psychique) ; 3 lésée : on n'entend pas les mots conventionnels que l'on prononce, ils se réduisent à un son.

Si le conducteur de 3 vers le centre moteur était lésé, on comprendrait les mots prononcés mais sans pouvoir les répéter.

Si 2 et 3 sont lésés, les sons entendus peuvent provoquer quelques réflexes (expériences physiologiques).

La destruction du nerf auditif rend sourd, mais si 1 persiste, le sujet peut entendre quand it rêve ou est halluciné.

Si 2 persiste, 1 étant détruit, il aura la notion de la valeur des sons et se rappellera les sons entendus autrefois. Un musicien peut composer malgré ses nerfs auditifs détruits et même 1 étant détruit.

Examinons les conducteurs :

L'oreille entend un son de cloche, par exemple : 1 perçoit le son, 2 le rapporte à la cloche, 3 éveille le mot de cloche. Si l'oreille entend le mot ? cloche », 1 perçoit le mot sans le comprendre, l'adresse à 3 qui le prononce, le transmet à 2 où le mot éveille l'idée de l'objet.

Supposez le passage de 2 à 3 aboli, vous aurez une variété d'amnésie auditive. Le sujet ne trouvera pas le mot « cloche » par exemple, en entendant le son qu'il comprendra très bien ; il le remplacera par un mot général, « chose ».

Supposez le passage de 3 à 1 aboli : le sujet entend le mot, répète le mot. mais sans le comprendre.

Après avoir examiné les deux appareils de réception, il convient de noter les rapports qu'ils peuvent avoir entre eux. Des filets émissifs peuvent aller de chacun des trois centres auditifs ? vers les trois centres visuels V.

De 1 ? à 1 V, nous aurons l'audition colorée, les sons provoquant des impressions lumineuses. De 1 ? à 2 V, ces sons provoquent la vue d'objets (autre forme d'audition colorée).

De 2 ? à 2 V, ces sons provoquent les images afférentes d'objets. Ainsi le visuel voit une cloche en en entendant le son. De 3 ? à 2 V, le mot entendu amènera la vue do l'objet afférent, puissante imagination visuelle qui se représente les tableaux décrits par l'orateur.

Les filets émissifs peuvent aller de chacun des trois centres visuels vers les centres auditifs. Voici leurs rapports les plus connus. De 3 V à 2 Û, la vue des mots amène l'audition du son afférent, la vue des notes donne l'audition de l'air aux musiciens ; ils peuvent composer sans instrument. De 2 V à 2 0, la vue d'un objet rappelle le son qu'il produit.

Nous pourrions détailler aussi les sens tactile, gustatif et des odeurs, voire même tactile spécial ou génésique ; mais ces centres ont été moins étudiés et sont moins complexes. Notons néanmoins leurs rapports avec les deux premiers.

On a observé le cas de gustation colorée. Les odeurs peuvent réveiller très vives les sensations visuelles d'objets en rapports avec eux. etc., etc.

Les appareils émissifs sont très simples. Il existe un centre moteur d'articulation A relié au 3 auditif et au 3 visuel. Il existe également un

centre moteur graphique G relié de la même façon. Je passe le centre de la mimique.

G peut envoyer un filet émissif vers A : d'où ce fait qu'un sujet qui ne peut lire si son conducteur 3 V— A est lésé, écrira grâce à son conducteur 3 V—G intact et pourra ainsi comprendre et répéter indirectement ce qu'il a lu, grâce à la transmission G A.

Nous n'avons pas la prétention, par ce simple schéma, d'expliquer les phénomènes psychiques: ils sont infiniment plus complexes que nous ne les indiquons ; mais nous représentons un grand nombre de faits simultanément, de sorte que, l'habitude prise, on peut plus facilement s'en rendre compte que par une lecture courante. C'est une transcription des faits opérée au moyen d'images au lieu d'être faite par l'écriture vulgaire.

L'avantage considérable qu'il nous parait offrir est d'indiquer à l'étudiant et au chercheur un grand nombre des combinaisons qui peuvent exister dans la lésion aphasique. Les ayant sous les yeux et pouvant se les rappeler d'emblée et sans peine, on interrogera le malade avec plus de soin et on passera en revue les diverses hypothèses possibles : on donnera ainsi une explication plus détaillée et plus précise des faits observés.

Séance du 21 Octobre 1895. — Présidence de M. Dl-montpalueu.

Le procès-verbal de la séance annuelle du 25 Juillet 1895 est lu et adopté.

M. le Président met aux voix la candidature de M. Dyvrande, procureur de la République à Dieppe. Cette candidature est adoptée à l'unanimité.

De l'inhibition des accès d'épilopsie.

??? M. le D Gemneao.

Au Congrès de Bordeaux. M. le Dr Tissié a présenté une observation très intéressante sur la puissance de la volonté pour inhiber les accès d'épilepsie sur un jeune sujet. J'ai, dans mes notes, une observation confirmant bien la vérité du fait avancé par mon honorable confrère.

X..., de Toulouse, voyageur de commerce, taille i*fàt 24 ans, né de parents sains; petit, mais bien développé, tempérament lymphatique, s'étant amusé à l'âge de cinq ans à se frotter le ventre contre une perche, et y ayant trouvé du plaisir, renouvela cette satisfaction le plus souvent qu'il put. Après quelque temps de cette excitation malsaine, il sentit un jour, à la récréation de sa pension, sa vue se troubler, alla trouver le surveillant pour lui faire part de ce qu'il éprouvait, et comme

il était excessivement pâle, on le fit reconduire chez lui où il cul un premier accès complet d'épilepsie (dents serrées, perte do connaissance, mouvements cloniques, amnésie après l'attaque}. Plus tard, il apprit à se masturber et il s'y adonna jour et nuit, toutes les fois qu'il était seul, et en moyenne quatre ou cinq fois par vingt-quatre heures. Ses accès . se répétèrent alors plus fréquemment, ce qui ne l'empêcha pas de continuer ces tristes manœuvres jusqu'à l'âge de 17 ans, ne pensant point à rattacher ses accès qui continuaient plus que jamais, à ses mauvaises habitudes. Quelquefois, cependant, il sentait pendant le jour, les symptômes avant-coureurs de ses crises (pâleur, vue troublée, marche incertaine), mais alors il se raidissait, marchait beaucoup, se projetait de l'eau froide sur la figure et les arrêtait ainsi.

Quand, à 17 ans, il comprit que son mal dépendait de celle coutume fâcheuse, il s'abstint et il fut débarrassé de ses accès pendant deux ans, bien qu'il fût tourmenté la nuit par des pertes séminales qui l'affaiblissaient pendant quelques jours. — Mais étant devenu fort sensible alors, aux charmes d'un bon diner bien arrosé par quelques flacons do vin pur, par du café et quelques petits verres«dc chartreuse, il eut de nouvelles rechutes que, le jour, il continua à pouvoir arrêler par une ferme volonté.

Mais, la nuit, il en était autrement, excepté pour la première de ses rechutes qui l'assaillit au sortir d'un bon dîner chez un ami. Se sentant la tête un peu lourde, il résolut de coucher chez ce dernier, et il commençait à fermer les yeux, quand il sentit les approches de la crise l'envahir. Comme d'habitude, il jeta le cri initial, mais, à ce moment, le désir de dominer son mal le lui fit réprimer, étouffer, ne voulant pas réveiller les gens d'une maison où il était étranger. Pendant l'accès, il voyait autour de lui, mais d'une manière indistincte, et il se désolait en songeant à son malheur, souffrant des" secousses agitant ses membres et de son impuissance à les faire cesser, mais se raidissant toujours afin d'y résister sans s'y abandonner tout à fait.

Ayant voulu se marier à l'âge de 24 ans, il consulta auparavant plusieurs médecins, qui, soit pour ne pas le désespérer, soit parce qu'il ne leur avait pas exactement défini son mal, ne combattirent que mollement son projet.

Ce fut un mal, car avec les plaisirs du mariage, goûtés sans discernement, les premiers accidents reparurent. Sa nature émotive que lui-même va nous dépeindre devait fatalement les provoquer.

« Aimant la musique à la folie, adorant chanter, et, quand je chantais, vibrant des pieds à la tête, je recherchais toutes les occasions qui font éprouver des sensations agréables, les bals, les soirées et le flir-tage. C'était un besoin pour moi, car, avant mon mariage, j'avais des jours bien noirs où, pensant à ma maladie, j'étais attristé et profondément mélancolique, me figurant avoir toutes celles dont on parle. Je n'osais pas sortir seul, car. bien que mes crises n'éclatassent que la nuitt j'avais, dans le jour, des absences d'une minute de durée, si bien

que lorsque je ne me sentais pas bien et que j'étais obligé d'aller par les rues, je choisissais de préférence celles où il y avait des médecins ou des pharmaciens pour trouver du secours auprès d'eux en cas d'accident.

? Etais-je mieux depuis quelques jours? je reprenais mon assurance et j'étais gai comme pas un. Je ne bois ni café ni liqueurs d'habitude, et je ne fume pas non plus. Du reste, j'ai reconnu par expérience qu'un repas trop copieux était suivi.d'une crise. C'est sans doute ce qui a fait attribuer ma maladie nerveuse à de la dyspepsie. D'autres médecins n'ont voulu y voir que du verligo stomacal et m'ont traité en conséquence, (quassine, teinture de noix vomique). J'avais aussi suivi un traitement par le bromure de potassium, mais sans résultat, et je me désespérais quand le Dr Souville, de Lombez (Gers), me conseilla les dragées Gélineau. en débutant à la dose de deux, puis de trois par jour. »

M. X... éprouva beaucoup de mieux avec cette faible dose, et, heureux du résultat, il vint me consulter. Je lui recommandai de continuer ce que mon confrère avait si bien institué, en y ajoutant le lavage fréquent du tube intestinal, la modération dans le plaisir conjugal et un régime plus sévère.

Les grandes crises nocturnes disparurent presque immédiatement et furent remplacées par des mâchonnements et des mouvements automatiques pour avaler. C'était tout ce qui restait des anciennes crises. Bientôt les derniers vestiges d'ua mal si ancien et bien réel (X... avait été réformé au conseil de révision comme épileptique avéré) disparurent cinq ou six mois après le début du traitement, à mesure que ses excitations amoureuses se modérèrent. Il eut, avec la disparition du mal, plus d'entrain, plus de confiance en lui-même. Et, certes, il en avait besoin, car, auparavant, il était extrêmement pusillanime, onyco-phage et aveule. Par exemple, sortait-il de chez lui pour aller à un .théâtre ou à un café, il lui arrivait, une fois rendu sur le seuil de la porte, de s"en aller ailleurs, ayant changé complètement d'idée en route.

Le traitement par les dragées l'a complètement guéri. Je l'ai revu en 1894. il y avait près de vingt ans qu'il le suivait, continuant â en prendre encore, « ne serait-ce, dit-il, que pour me donner confiance en moi-même. » Depuis dix-neuf ans, il n'a ressenti aucun accident, quoique dans sa vie de voyageur de commerce, il se permette encore de temps en temps quelques infractions au régime sévère que je lui ai recommandé.

HéFLEXIOSS

Tout le monde sait que l'onanisme est une cause fréquente d'épilepsie. Les centres nerveux ressentent vivement, en effet, le contre-coup de la trépidation genésique accompagnant cet acte, trépidation forcée, bien plus épuisante que celle de l'union sexuelle qu'on a appelée cependant epilepsia brevis. Cette excitation factice augmente peu à peu et arrive à son maximum d'énergie avec la perte, moment où la tension ncurique

est extrême; une des causes pour laquelle l'onanisme est fréquemment atteint par le mal sacré, c'est la facilité extrême avec laquelle il assouvit seul sa passion insatiable, tandis que pour l'acte genésique il faut être deux. Or, avec cette possibilité de répéter trois, quatre, six fois par jour cette impulsion souvent maladive, les cellules cérébrales sont vite épuisées et remises sans cesse en état vibratoire, ne jouissant ni d'un repos nécessaire, ni d'un calme absolu prolongé. Un beau jour, la convulsion arrive, succédant à l'irritation provoquée, et, dès ce moment, elle est maîtresse de la place, et toutes les fois que, même sous l'influence d'une autre cause, la tension neurique dépassera un certain degré, l'attaque comitiale éclatera rapide comme l'éclair.

Au résumé, l'étude de cette cause du mal comitial ne présente rien d'extraordinaire et je n'aurais pas mentionné cette observation, si « elle n'était pas, comme le sujet du Dr Tissié », un exemple de la puissance inhibitoire de la volonté du sujet sur les attaques diurnes de cette névrose.

X..., en effet, sans éprouver d'aura proprement dite, sent dès son enfance ses crises le menacer; il pâlit, se sent mal à l'aise; la crainte l'envahit, il est effrayé, inquiet, et. alors, il se raidit, résiste, il ne veut pas tomber et il ne tombe point. Dès sa première attaque, à l'âge de cinq ans, alors même qu'il ignore le danger qui le menace, il se sent bouleversé, il va se plaindre au maître de la récréation, qui le fait accompagner chez ses parents ; pendant le trajet, il ne s'abandonne pas malgré son malaise, mais, une fois arrivé chez lui, il tombe, a des mouvements cloniques, et, à son réveij, il est amnésique : c'est donc bien une attaque d'épilepsie qu'il a eue.

Plus tard, il résiste constamment pendant le jour ; il ne veut pas tomber ; il ne veut pas se donner en spectacle aux passants, et. tout en étant terrifié, tout en choisissant les rues où il sait que des médecins pourront le secourir, il réussit à se préserver; ses cellules volîtives dominent, dans leur état de tension extrême, les cellules pathogènes prêtes à se décharger. Les premières paralysent les secondes, elles triomphent du mal et le refoulent encore une fois !

Et ce qui démontre bien que telle est la vérité, c'est que la nuit où cette inhibition de la volonté ne peut réagir, le malade, livré au sommeil, n'est plus maître de l'exercer, l'attaque a lieu complète, sans entrave, et encore a-t-il pu, un soir, se sentant sérieusement menacé après un festin trop copieux, se raidir, se retenir de crier, n'étant pas chez lui, et il a réusside cette manière à atténuer sa crise et à la modérer!

Il n'est pas de médecin ayant soigné des nerveux qui n'ait observé la puissance inhibitoire de la volonté sur les accès. Le mot est nouveau, mais la chose est vieille. Je me rappelle une autre malade qui, à leur approche, qu'elle soit dans la rue ou dans son jardin (elle vit â la campagne], a toujours, en se hâtant si elle n'est pas loin, en courant si elle est éloignée de sa maison, le temps d'y arriver et de s'asseoir, ou de tomber à terre, mais toujours chez elle. Saisie de frayeur, elle ne fait

attention ni aux uns, ni aux autres, elle ne s'arrête pas et arriv0 angoissée, mais dominée par cette ferme volonté de ne pas rendre le public témoin de sa chute. Sa porte fermée, elle perd complètement connaissance. — Et que d'exemples analogues nous pourrions citer !·

Ces faits prouvent donc bien qu'un certain nombre d'épileptiques peuvent, par une volonté énergique se concentrant sur un seul point : « ne pas tomber », réussir tantôt à supprimer l'accès complètement, tantôt à l'atténuer au point qu'il est remplacé par une rapide absence. Malheureusement, ce privilège est rare, et, dans l'immense majorité des cas, une frayeur immense envahit les centres nerveux et les sidère aussi rapidement que la foudre, sans même leur laisser l'éclair d'une pensée. Chez quelques-uns même, le sujet est poussé violemment en avant, se brisant la tête contre le sol, ce qui constitue Viclus épilep-tique. Comment, avec un pareil foudroiement, l'inhibition aurait-elle le temps de s'exercer?

Après avoir étudié la puissance inhibitoire de la volonté sur les accès d'épilepsie, nous pouvons dire que cette inhibition s'exerce aussi et parfois très efficacement à l'aide de moyens matériels, surtout quand les accès sont précédés d'auras d'une certaine durée. Cette dernière envahit-elle par le gros orteil, par un des doigts de la main ? le malade cherche souvent instinctivement à l'empêcher de remonter à la tête en serrant fortement son coude-pied ou son poignet avec la main. D'autres portent constamment au bas de la jambe ou de l'avant-bras un collier de cuir percé de trous et qu'on serre à volonté avec une boucle munie d'un ardillon. L'aura débute-t-elle par l'estomac ou le ventre? le sujet avale du gros sel, respire fortement des sels anglais, de l'ammoniac, de manière à exercer une forte révulsion. Est-il incommodé par une mauvaise odeur pour lui seul appréciable? il en respire une qui lui est particulièrement agréable. — J'ai vu un malade arrêter ses crises en frappant fortement son radius avec une lourde clef qu'il portait toujours sur lui. — Enfin, tout le monde sait qu'on arrive au même but en recourbant énergiquement les doigts dans la paume de la main d'un épilep-tique quand un certain temps s'écoule entre le début de l'accès et le moment où il bat son plein. Tous ces moyens, variables selon les individus, ne sont pas autre chose qu'une inhibition matérielle de l'attaque.

A la dernière réunion de la Société d'hypnologie, le D' A. Voisin nous a dit avoir employé avec succès l'hypnotisme pour inhiber les accès d'une de ses épileptiqucs de la Salpètrière dont les accès se manifestaient au nombre de huit à dix pendant la période menstruelle. M. Voisin l'endormit au moyen de boules brillantes suspendues au-dessus de sa tête, et lui enjoignit de dormir pendant ces huit jours et de ne plus avoir d'attaques;la malade, en état de somnambulisme, mangeait, buvait et se promenait tous les jours pendant une heure sans avoir d'accès ; à la fin de la période de huit jours, on la réveillait. Le mieux continua avec ces conditions pendant quinze mois. Mais, dernièrement,

une influence cachée l'ayant poussée à ne pas se laisser endormir, les attaques anciennes ont reparu.

Le mieux était dû évidemment à l'influence hypnotique lui suggestionnant de ne pas avoir d'accès, et sans doute aussi pendant son sommeil inspiré, la malade s'auto-suggestionnait elle-même.

Le Dr Voisin conclut avec raison de ce fait que l'hypnotisme, dans certaines maladies nerveuses, a une action curativc bienfaisante que n'a pas le sommeil naturel, et, sur les accès d'épilepsie. une réelle puissance inhibitoire qui n'est pas à dédaigner.

VARIÉTÉS

Le Nouveau Vitalisme

Serions-nous sur le point de voir ressuciter à la fin du six' siècle, à Paris, la fameuse doctrine du vitalisme dont les derniers adeptes se sont réfugiés à la faculté de médecine de Montpellier? On pourrait le croire en lisant les paroles prononcées par M. le Professeur Albert Robin dans la leçon d'ouverture à l'Hôpital de la Pitié. Après avoir rappelé les doctrines sévères échafaudées pour expliquer les manifestations de la dyspepsie, il exprimait ainsi son opinion personnelle :

La maladie ne varie pas comme les doctrines; voilà pourquoi aucune médication exclusive n'a réussi à s'imposer d'une manière définitive. Quand il y avait derrière la dyspepsie un élément Inflammatoire, on réussissait avec la thcrapeuthique antiphlogistique de Broussais. Quand il s'agissait d'une prédominance douloureuse, les narcotiques faisaient merveille. La médication nervine modifiait fréquemment les retentissements nerveux des troubles fonctionnels de l'estomac. Lorsque la dilatation stomacale était indéniable, le régime sec et mesuré donnait les plus heureux résultats. Mais sont-ce bien là de réelles indications thérapeutiques, dans le sens pathogénlque du mot? Il est incontestable que le système de M. Bouchard est celui dans lequel ces médications ont été le plus nettement formulées; mais il faut bien avouer que les cas de dilatation essentielle de l'estomac sont relativement peu nombreux devant la fréquence des véritables dyspepsies.

Ce que Gubler répétait sans cesse, c'est que la thérapeutique doit être ctlologique et pathogénique. Traiter un symptôme, c'est faire une thérapeutique d'attente, souvent utile, presque jamais décisive. Traiter directement une lésion matérielle, à moins de rares exceptions, c'est faire œuvre encore incertaine, avec la tradition pour base et l'empirisme pour flambeau. La lésion, en effet, n'est ordinairement qu'un résidu qu'il n'est possible d'atteindre qu'eu agissant sur la vitalité générale ou sur les fonctions des éléments anatomiques qui sont le siège de cette lésion.

Chercher partout la lésion matérielle et ne voir d'cnlité morbide que là où il existe une lésion, faire de la symptomatologie l'expression extériorisée delà lésion, c'est outrepasser la puissance de cet anatomo-organicisme qui,

depuis près d'un siècle, dominant les choses de la médecine, a imprimé à cette science une impulsion vraiment merveilleuse, sans que la thérapeutique bénéficiât réellement de cette envolée.

Aux lésions qui ne sont que des résidus, il faut opposer celles qui sont la conséquence d'un effort réactionncl de l'organisme contre la cause morbi-gène ; à Yorganicisme anatomique, il faut opposer l'organicisme fonctionnel. 11 faut savoir que nombre de maladies débutent par un trouble fonctionnel, quelquefois général, souvent localisé; que ces maladies restent fonctionnelles pendant un temps plus ou moins long ; que ce vice de fonction, primitif ou commandé par des actes nerveux morbides, peut être mécanique, morphologique ou chimique, et qu'à cette période il peut être enrayé ou modifié par une thérapeutique dont la précision laisse loin derrière elle les méthodes traditionnelles.

Cette thérapeutique n'est pas hasardeuse. Son but est de modifier le trouble fonctionnel en agissant directement ou indirectement sur la cellule vivante aux fonctions déréglées, dont, suivant les cas, elle exalte, modère ou modifie les aptitudes réactionnelles : le nom qui lui convient le mieux est celui de thérapeutique des réactions cellulaires, et comme les réactions cellulaires sont une des manifestations de la vie, je l'appelle thérapeutique vitale.

Certes, j'entends d'Ici taxer cet exposé de principes de retour au vitalisme, à doctrine lointaine que dédaigne l'altier mépris de la plupart de nos contemporains. Aussi bien, si c'est être vitallste que soutenir l'origine fonctionnelle d'un grand nombre de maladies, croire aux actions et réactions cellulaires, être convaincu que la thérapeutique doit tenter d'influencer les fonctions si elle veut modifier les organes, alors je revendique hautement l'honneur de cette appellation.

REVUE D'HYPNOLOGIE, DE NEUROLOGIE & DE PSYCHOLOGIE

Mutisme d'origine hystérique guéri par la suggestion.

On amena à l'hôpital Saint-Olga un enfant âgé de douze ans devenu brusquement muet à la suite des circonstances suivantes :

Étant employé chez un marchand de vin, il a été effrayé par un « client » en état d'ébriété. L'enfant est tombé immédiatement dans le mutisme le plus complet. Il n'a pas perdu connaissance. A l'examen on constate des contractions fibrillaires dans les régions des muscles temporaux et massetëres ; il est somnolent, apathique. Il se rend parfaitement compte de ce qui se passe autour de lui, il entend très bien. Quand on le lui commande, il ouvre et ferme parfaitement la bouche, mais il lui est impossible de projeter ou d'exécuter des mouvements avec la langue. 11 ne peut pas prononcer un mot, ni un son quelconque. On prescrit du bromure de potassium. Le lendemain il commence à parler, mais difficilement, la langue est embarrassée comme s'il avait un corps étranger dans la bouche. L'aphonie persiste ; les mouvements étendus

de la langue sont impossibles. Séance de suggestion à l'état de sommeil hypnotique, dans lequel on le plonge avec la plus grande facilite. Immédiatement après, les mouvements de la langue sont devenus normaux et l'aphonie a considérablement diminué. L'aphonie disparait petit à petit et l'enfant guérit complètement au bout d'un mois de traitement. Dietshaja Medezina n° i i896t

Terreurs nocturnes chez un enfant guéries par la musique.

M. Beschinsky a été appelé auprès d'une petite malade âgée de trois ans, atteinte de frayeur nocturne qui la privait complètement de sommeil. Après avoir inutilement essayé les médications usitées en pareil cas (bromure de sodium et bains chauds), il a eu l'idée de recourir à la musique comme moyen thérapeutique. Il a choisi, à cet effet, la valse n° 2 de Chopin (des trois valses brillantes), que la mère de la malade exécutait au piano. Le résultat fut immédiat et inattendu : la première nuit, la malade a très bien dormi sans se réveiller. L'expérience a été continuée pendant quatre jours avec le même succès, puis on l'a interrompue brusquement. La nuit suivante, l'enfant a eu de la frayeur nocturne mais à un degré moins accentué que les nuits précédentes. Le traitement fut donc repris : d'abord on faisait de la musique tous les jours, ensuite tous les deux, trois jours, pendant quelque temps. L'enfant a complètement guéri ; elle a été revue au bout de quelques mois. L'auteur attribue la frayeur observée chez sa malade aux histoires que lui racontait sa vieille bonne. Le Dr Berberoff ayant eu connaissance de ce traitement par la musique, Pa appliqué à un cas de frayeur nocturne chez un enfant, rebelle à tous les autres modes de traitement. L'enfant a parfaitement guéri. (Ejenedeluik, 6 janvier 1896).

Suicide par la pendaison dans une famille névropathique.

{Drei Suicidfâlle durch Erhângen in einer neuropatisek-erblichbelasteten Familie) Par Marcell !. ¦ ? eiîbach (Wiener medizinîsche Wochenschrift, 17 nov. 1893.)

Il s'agit de trois frères présentant des antécédents héréditaires neu-ropathiques. Le père est mort d'alcoolisme chronique; la mère, après des accidents de manie hystérique, est morte dans un asile d'aliénés.

L'aîné s'est suicidé à l'âge de 50 ans ; le second à 48 ans ; le dernier à 43 ans. L'auteur ne peut donner de renseignements précis sur l'état psychique et somatique des deux premiers. Cependant, il a recueilli indirectement ce renseignement que l'aîné était un alcoolique avéré. Le plus jeune fut soigné par Lauterbach lui-même. Les iris présentaient des différences de coloration, brun d'un côté, gris de l'autre. Pendant

son enfance, il eut des visions et dos hallucinations ; dès sa jeunesse, il présenta des troubles intellectuels marqués; il était incapable d'une occupation sérieuse. Plus tard apparurent des périodes de mélancolie, des obsessions, du délire de persécution, surtout après la mort de sa femme, et un matin, à l'exemple de ses frères, il se pendit.

Pseudo-angines de poitrine. — Diagnostio et traitement par

la suggestion

Par M. Marchant (t).

Ce travail est basé principalement sur une observation remarquable d'angine de poitrine longtemps rebelle à toute médication, reconnue enfin de nature nerveuse et guérie par la suggestion. Après un historique rapide de la question, l'auteur étudie les caractères cliniques des pseudo-angines qu'il divise en pseudo-angines nerveuses et en pseudoangines d'origine gastrique. Les premières, dont M. Marchant s'occupe de préférence, sont subdivisées à leur tour en pseudo-angines psychiques, c'est-à-dire fabriquées de toutes pièces par auto-suggestion et sans aucun trouble, si minime soit-il, de l'innervation cardiaque, et en pseudo-angines nerveuses proprement dites où le point de départ des phénomènes douloureux consiste dans un noyau superficiel de névrite ou en manifestations névralgiques locales, sans substractum anato-mique, au même titre que les névralgies faciale et sciatique, l'innervation profonde du cœur n'étant pas altérée.

Ces deux formes de pseudo-angines se distingueraient de l'angor véritable par leur prédilection pour le jeune âge et le sexe féminin, la variabilité et la fréquence plus grande des accès, l'adjonction à ceux-ci des troubles respiratoires tels que dyspnée, respiration bruyante, saccadée, sifflante, et de phénomènes nerveux : cris, agitation, etc., qui ne s'observent pas dans la maladie de Rougnon-Heberden, mais surtout par l'influence de la suggestion qui, en améliorant et souvent même en faisant disparaître ces accidents douloureux, constituerait un excellent moyen de différencier les pseudo-angines des angines de poitrine vraies, c'est-à-dire de cause organique.

Ce travail contient des documents intéressants et ajoute un élément nouveau au diagnostic et au traitement de certaines formes d'angines de poitrine. Il apporte une excellente contribution à l'étude des applications thérapeutiques de la suggestion, et, à ce point de vue, peut être envisagé comme une manifestation de la vitalité de l'Ecole de Nancy.

Un cas d'aphonie hystérique.

Mandelstamm. (Annales des maladies de Voreille, du nez et du larynx, août 1895, n° 8, p. 155). — Il s'agit d'une malade chez laquelle la paralysie avait frappé tous les adducteurs, amenant ainsi chez elle

(i) Thèse de Nancy.

une aphonie complète. Les abducteurs n'avaient nullement été touchés.

A propos do cette observation, l'auteur, et c'est le côté intéressant de son travail, se demande s'il existe une paralysie des abducteurs d'origine hystérique. Le fait n'est pas impossible. Toutefois, c'est un point qui n'a pas encore été élucidé, alors que les observations de paralysie des adducteurs, dans l'hystérie, ne se comptent plus.

L'interprétation de ce phénomène est d'ailleurs très simple. En effet, les muscles crico-arythénoïdiens postérieurs, muscles respiratoires, ont pour fonction des mouvements involontaires. Leur seul centre d'innervation se trouve dans le bulbe; du moins n'est-on pas arrivé à démontrer l'existence d'un centre respiratoire dans les hémisphères cérébraux. Tout le monde, au contraire, admet l'existence d'un centre cortieal phonatoire, dont l'irritation produit l'adduction des cordes, sans provoquer de mouvements respiratoires. Ce qui confirme l'origine cérébrale de l'aphonie hystérique, c'est que les muscles intéressés conservent leur contractilité électrique. Souvent môme la plus simple manœuvre, pression sur le voile avec le miroir ou tout autre attouchement agissant par suggestion, arrive à rétablir la voix.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Les images rétiniennes.

Le Journal des Débats revient sur une question bien ancienne déjà et toujours bien controversée. Nous lui empruntons l'intéressant article que voici :

« De plus en plus fort ! On se rappelle l'image accusatrice de Tassas-sin fixée sur l'œil de la victime. Impossible de nier : l'œil du mort, encore ouvert, montrait distinctement les traits du bandit qui avait frappé. Il a été prouvé que, en effet, dans certaines circonstances favorables, le pourpre rétinien conservait pendant des heures entières l'image des objets qui étaient venus se peindre à sa surface. On a obtenu ainsi des images sur la rétine de lapins et d'autres animaux. Or voici .qui, dans un ordre d'idées voisin, est encore bien plus extraordinaire. Toute image perçue sur la rétine pourrait ensuite, par action réflexe, venir impressionner une plaque photographique. Vous regardez votre voisine... avec attention et longuement. Puis vous dirigez votre regard sur une plaque photographique. La plaque reproduit fidèlement les traits de la voisine, Le portrait est passé de chez vous sur la plaque. Impossible de rêver un tour de prestidigitation plus original.

c Voici les faits tels qu'ils ont été observés : un physicien anglais, M. Ingle Rogers, regarde un scbelling en pleine lumière pendant une minute... L'auteur ajoute : avec l'idée d'en fixer l'image sur la rétine. Puis, tirant un rideau jaune devant la fenêtre qui lréc!airait, de façon à en exclure les rayons actiniques, il place convenablement une plaque

sensible et dirige son regard vers le centre de cette plaque... en concentrant son esprit sur l'image du schelling. Au bout de 43 minutes — il faut de la patience — la plaque développée montre nettement les contours de la pièce de monnaie.

« Trois témoins ont assisté aux expériences de M. Rogers. On a recommencé en opérant avec un timbre-poste. Le timbre fut regardé pendant une minute, puis remplacé par une plaque sensible que M. Rogers fixa pendant 20 minutes. On développa et il apparut une épreuve, qui, malgré l'absence de détails, établit d'une façon indubitable l'existence sur la rétine d'une image susceptible d'impressionner par contre-coup la plaque photographique. Ce qui revient à dire que l'image rétinienne est assez réelle et assez nette pour provoquer des vibralions lumineuses susceptibles d'agir chimiquement sur une plaque au gélatino-bromure d'argent. Nous croyons le fait parfaitement possible.

« La lumière actinique se conserve, et les vibrations qui n'impressionnent plus notre œil n'en persistent pas moins un certain temps. Une image ensoleillée et placée côte à côte sur une plaque photographique, dans une boite obscure, se reproduit sur la plaque. L'image de la rétine doit pouvoir se reproduire de même. Mais pourquoi décorer cette expérience du nom de psycho-photographie ? La psychologie n'a rien à y voir, et l'expérience, par elle-même, est déjà très suffisamment intéressante sans qu'il soit besoin de fausser son caractère purement physique par une dénomination inexacte.

a Quoi qu'il en soit, l'expérience est très curieuse, mérite d'être étudiée, et, qui sait? en s'y prenant bien, un de ces jours notre œil pourra remplacer les jumelles photographiques. Plus d'appareils ! Ne bougez plus! Un regard, un seul regard que vous reporterez sur la plaque. Et les traits seront fixés pour toujours. ? surprises de l'avenir ! *

Henri de Parvillb.

Exemple d'intimidation médicale.

Dans un nouvel ouvrage sur « le prince de Bismarck et les parlementaires o, nous trouvons une anecdote qui nous apprend comment Schweninger devint le médecin du chancelier.

Présenté et imposé en quelque sorte par un député, M. Dotze, il avait été accueilli assez froidement par Bismarck, qui déclarait n'avoir aucune raison de changer de médecin. Mais il conquit son malade par un coup d'audace.

Il avait défendu au chancelier de manger d'un certain plat; malgré l'interdiction, le plat interdit fut servi. Schweninger n'hésita pas, et, arrachant l'assiette des mains du prince, il la lança par la fenêtre.

Du coup, Bismarck fut maté, et, dès lors, il se soumit sans regimber à toutes les exigences hygiéniques et thérapeutiques de son nouveau médecin. '

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Cahier de feuilles d'autopsie pour l'élude des lésions du névrose, par le ?' J. Dèjerixe, professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris, médecin de la Salpêtrière. — In-i° de 30 pages.

Paris, Rueff et O, 106, Boulevard Saint-Germain, Prix : 2 fr.

Le but de cet ouvrage, essentiellement pratique, est de favoriser l'inscription et la topographie rapides et exactes des lésions du névraxe, soit sur la table d'autopsie, soit pendant l'étude des coupes microscopiques. Dans l'introduction sont indiquées avec soin les différentes coupes que l'on doit pratiquer sur un cerveau pathologique au moment de l'autopsie, avant de le soumettre à l'action des liquides durcissants. La direction que l'on doit donner à ces coupes est très importante pour que la pièce, après durcissement, puisse être étudiée par la méthode des coupes microscopiques sériées, seule méthode qui donne des résultats précis et qui réponde aux exigences modernes.

Les dessins contenus dans ce cahier sont au nombre de trente-cinq. Us sont disposés sur 25 feuilles pouvant se détacher et faciles à remplacer, puisque chaque feuille se vend séparément. Ils reproduisent la plupart, grandeur naturelle, la morphologie cérébrale et cérébelleuse, l'aspect des hémisphères vus en coupes horizontales ou vertico-transver-salles, l'isthme de l'encéphale et la moelle épinière vus en coupes horizontales. Une des feuilles représente, grandeur naturelle, la face antérieure de la moelle épinière et ses racines.

Tous ces dessins sont exécutés au trait, accompagnés de légendes très détaillées; ils seront utiles non seulement à l'anatomo-pathologiste, mais encore à tous ceux qui voudront étudier l'anatomie microscopique de l'encéphale.

? OUUELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une

Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, dé 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les DM Bérillon, Max Nordau,Félix Regnault, Armand Paulicr, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours et conférences du semestre d'hiver 1895-96, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.

Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie M. le Dc Bérillon a commencé le jeudi 5 décembre, à 10 heures et

demie, un cours pratique sur les applications de l'hypnotisme au

traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie. Il le continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie.

conférences

Les conférences des D" Bérillon, Valentin, Max Nordau et Henri Lemesle, Armand Paulier, Collineau, ont eu lieu en présence d'un nombreux auditoire. Les autres conférences auront lieu dans l'ordre suivant:

M. le Dr Hartenberger fera, le jeudi 27 février, à cinq heures, une conférence sur :Le rôle de la suggestion dans les doctrines de l'Ecole de Nancy.

M. le Dr Millée fera, le jeudi 5 mars, à cinq heures, une conférence sur : Vœil névropathique.

Hospice de la Salpètriére. — Clinique des maladies du système nerveux. M. Raymond. Les mardis et vendredis à 10 heures.

M. Dejerine. Leçon clinique sur les maladies nerveuses tous les jeudis à 5 h. (salle de la consultation externe} à partir du 5 décembre.

M.Jules Voisin. Leçons sur les maladies mentales, les Jeudis, à dix heures du matin.

Hôpital de la Pitié. — M. Babinski. Leçons sur les maladies nerveuses, les samedis à 10 heures.

Congrès de médecine mentale et nerveuse. — Le septième Congrès annuel des médecins aliénistes et neurologistcs de France et des pays de langue française s'ouvrira le samedi 1" août, à Nancy, sous la présidence de M. le Dr Pitres, doyen de la Faculté de Médecine de Bordeaux.

Le programme comprendra :

1° Questions à discuter :

Pathologie mentale. — Pathogénie et physiologie pathologique de l'hallucination de l'ouïe. Rapporteur : M. Ph. Chaslin;

Pathologie nerveuse. — De la séméiologie des tremblements. Rap-, porteur : M. Souques ;

Législation. — De l'internement des aliénés dans les établissements spéciaux. Thérapeutique et législation. Rapporteur : M. Paul Garnier.

2° Lectures, présentations, travaux divers.

3° Excursions, visile de l'Institut anatomique, de l'Asile de Maréville et de ses nouveaux pensionnats, banquet. 4e Impressions et distribution du volume du Congrès. Prix de la cotisation : 20 francs.

Adresser dès maintenant les inscriptions et toutes les communications à M. le Dr Vernet, médecin en chef à l'Asile de Maréville, secrétaire général du Congrès.

Congres de psychologie de Munich. — La Société d'hypnologie et de psychologie a délégué pour la représenter au Congrès de psychologie qui se tiendra à Munich du 4 au 8 août, MM. Auguste Voisin, Bérillon, Henri Lemesle, Bernheim et Liégeois.

Elle a délégué pour la représenter au Congrès des Sociétés savantes, MM. Valentin, Hartenberger, Julliot, Bérillon, Le Menant desChesnais, et Gascard.

¦— Dans un des derniers numéros du Klinische Zeifung Streitfagen (IX, page 117), le D'Ladislas Haskovcc public une notice sur le professeur Charcot. A la fin de l'article l'auteur donne une bibliographie très complète des travaux de l'illustre professeur. Le nombre des mémoire énumérés est exactement de 200.

Monument en l'honneur de Hack. Tuke. — Un comité vient de se former pour élevé un monument à la mémoire de Hack Tuke dont les travaux ont si largement contribué aux progrès de la psychologie et de l'hypnotisme. Les souscriptions pour la France sont reçues par M. le docteur Scmclaigne, château de Saint-James, Neuilly-sur-Seine.

VAdministrateur-Gérant : Emile BOURIOT Q. 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelqcejeu, rue Gerbert, 10.

10· ann'ée. — ?· 9.

Mars 1896.

LA MÉDICATION HYPNOGOGIO.UE

Par M. le D'Ferraxd, médecin de l'Hôtel-Dieu.

La médication hypnogogique, c'est-à-dire celle qui a pour but de provoquer le sommeil, est d'une èxtrôme importance en thérapeutique ; vous voyez chaque jour que la plupart de nos malades sont privés de repos par des phénomènes plus ou moins douloureux, et c'est pourquoi je voudrais, dans cette leçon, étudier avec vous les grandes lignes de la médication dont le rôle est de provoquer le sommeil.

L'indication de cette médication, c'est l'insomnie ; mais, pour bien comprendre l'insomnie, nous devons d'abord étudier ce qu'est son opposé, c'est-à-dire l'état de sommeil.

Le sommeil présente de nombreuses variétés : on peut cependant distinguer 3 formes ou plutôt 3 degrés dans cet état: l'hypnose simple, la narcose, la léthargie.

L'hypnose simple est un état dans lequel les phénomènes psychiques disparaissent presque seuls ; la spontanéité des actes est annihilée; la sensibilité consciente est abolie, mais non la sensibilité animale. Ainsi l'individu qui est plongé dans cette sorte de demi-sommeil transformera les bruits qui se produisent autour de lui, d'après les caprices de son imagination ; les impressions de contact seront également transformées: le dormeur qui a le coude appuyé sur un plan résistant rêvera par exemple qu'on lui coupe le bras. Les mouvements volontaires et spontanés sont abolis de même, mais non les mouvements automatiques.

Or, quel est le siège physiologique de tous ces phénomènes

(1) Leçon recueillie par A. Grcnet, interne de service.

qui disparaissent dans l'hypnose simple: fonctions psychiques, conscience, motilité volontaire ? Ce siège se trouve, comme vous le savez, au niveau des circonvolutions cérébrales; nous pourrions donc dire que l'hypnose est le sommeil de ces circonvolutions.

Dans la narcose, la sensibilité d'ordre animal est abolie à son tour ; la motilité réflexe disparait aussi ; les réflexes communs disparaissent successivement, ne laissant subsister que les réflexes instinctifs, ou essentiels à l'entretien de la vie ; l'individu plongé dans cet état est incapable de mouvements même automatiques. Or, le centre de toutes les actions réflexes communes se trouve dans la moelle ou dans les ganglions de la base du cerveau. C'est donc à des modifications physiologiques se produisant dans ces centres que sera due la narcose.

Dans le troisième degré du sommeil, dans la léthargie, dont le dernier terme est le coma, les réflexes vitaux eux-mêmes sont abolis : de là, la suspension des mouvements respiratoires, suspension plus ou moins absolue, et aboutissant à une asphyxie plus ou moins complète ; enfin, arrêt des phénomènes circulatoires, d'où résultent des stases vasculaires ; la suspension des réflexes des divers organes détermine le relâchement des sphincters.

Le siège de ces réflexes vitaux est dans le bulbe et les ganglions du grand sympathique. Le coma résulte des troubles apportés dans le fonctionnement de ces centres.

On peut trouver toutes les transitions entre le sommeil le plus normal et le coma le plus profond.

L'évolution du sommeil serait très intéressante à étudier; celle-ci présente de grandes variétés, et, comme Ta dit Bichat, on ne dort jamais deux fois de la même façon. Il existe des modes variés de sommeil ; ainsi le sommeil par fatigue physique diffère du sommeil du somnambule.

Le sommeil du somnambule existe quant à Tordre psychique seul : il y a conservation des mouvements automatiques, tandis que la sensibilité consciente est abolie; ce fait peut vous sembler bizarre à première vue, mais, en étudiant les phénomènes de plus près, vous reconnaîtrez que les mouvements plus ou moins compliqués qu'exécute le somnambule ne sont pas dus à l'exercice de sa volonté, mais à la représentation exacte qu'il s'en fait; ceci nous explique que ses actes ont un degré de précision qui peut paraître exagéré ; tandis que le

la medication hypnogogique

domaine sensitif extérieur a disparu, l'imagination a conservé tous ses droits.

Le sommeil magnétique se présente avec des dissociations analogues.

Enfin, les agents toxiques et aussi les agents thérapeutiques sont loin de produire des formes semblables de sommeil ; il existe de grandes différences entre les effets des agents narcotiques et ceux des agents hypnotiques : ces derniers provoquent le sommeil en agissant d'abord sur le cerveau, et secondairement sur le bulbe; au contraire les agents narcotiques produisent un sommeil qui paraît aller du bulbe au cerveau, de la sensibilité au mouvement; le sommeil ainsi produit commence par la narcose.

Voilà, pour le dire tout de suite, ce qui distingue la médication hypnotique de la médication narcotique.

Commençons par étudier les médicaments hypnogènes et le sommeil produit par eux; en particulier celui résultant de la chloroformisation ou de l'éthérisation. L'anesthésie par le chloroforme comprend trois périodes qui se rapportent aux trois formes de sommeil : une période cérébrale, une période cérébro-médullaire, une période bulbaire.

La période cérébrale est caractérisée au début, après une phase d'excitation préalable, par l'abolition de la conscience, le malade perd la notion des personnes qui l'entourent, mais il y a encore persistance des moyens automatiques de défense ; peu à peu les mouvements de défense diminueront en intensité et en fréquence, et finiront par disparaître, puis la sensibilité consciente disparaîtra à son tour. Ce sommeil s'étend du mouvement à la sensation.

La deuxième période de la chloroformisation est la période chirurgicale de l'anesthésie, c'est la période cérébro-médullaire que l'on pourrait appeler aussi période narco-anesthésique.

Les réflexes périphériques disparaissent, la sensibilité instinctive est abolie, d'où l'absence de réflexe palpébral, le myosis constaté chez les sujets soumis à l'action du chloroforme.

La dernière période ou période bulbaire ne doit jamais être atteinte; elle s'accompagne de parésie des appareils respiratoire et vasculaire ; l'action toxique produite par le chloroforme ou l'éther commence par l'apnée et se confirme par l'arrêt du cceur. Les effets diffèrent un peu suivant que c'est le chloroforme ou l'éther qui a été employé; ainsi

l'éther produit la vaso-dilatation, le chloroforme la vasoconstriction; mais ces différences sont peu importantes au point de vue qui nous occupe, et je n'y insisterai pas.

Les trois degrés que nous venons d'étudier dans l'anesthésie chloroformique peuvent se retrouver dans le sommeil produit par les divers médicaments ; mais vous n'aurez, bien entendu, pas recours à des doses capables de produire la léthargie, l'état de mort apparente : le sommeil, a dit Homère, est frère de la mort ; mais la léthargie c'est le commencement de la mort.

Les agents médicamenteux peuvent produire à petites doses des sommeils extrêmement légers : certains même, donnés en quantité minime, produisent des phénomènes d'excitation. Ainsi l'éther, employé comme anesthésique en chirurgie, sert souvent en médecine comme médicament excitant.

Le chloral est le médicament hypnogénique par excellence ; les phénomènes d'excitation ne se produisent qu'à doses minimes. A la dose de 2 à 4 grammes, le chloral produit le plus souvent le sommeil physiologique. A côté du chloral se placent un grand nombre de médicaments ayant des effets analogues : sulfonal, paraldéhyde, urétane, hydrate d'amylène, hypnone, trional. Cependant les effets de toutes ces substances ne sont pas encore connus complètement, et je vous conseille de ne les employer qu'avec la plus grande réserve. Je fais toutefois exception pour le sulfonal, qui est, après le chloral, le plus employé : il produit rarement la narcose, et jamais la léthargie, du moins aux doses thérapeutiques.

A côté de ces médicaments je placerai les bromures qui, à certaines doses, sont capables de devenir des agents hypno-géniques capable de permettre le sommeil en amenant la résolution du système nerveux, plutôt que de l'imposer en le frappant directement d'impuissance. Le bromure de potassium est le plus employé de tous ; le camphre diminue les phénomènes d'excitation du système nerveux; il secondera par conséquent l'action du bromure; et le bromure de camphre est un médicament précieux dans certaines affections du système nerveux.

L'association des divers agents produisant l'hypnose est souvent excellente : vous m'avez vu, par exemple, ordonner en même temps le chloral et le bromure de potassium : ce dernier diminuant surtout les actions réflexes, le chloral provoquant la somnolence.

Mais c'est précisément parce que les médicaments que je

viens d'étudier produisent le sommeil du cerveau, l'hypnose, qu'il faut éviter de les employer dans les délires symptoma-tiques d'altération cérébrale : chez un cardiaque, chez un pneu-monique, le chloral, donné à hautes doses dans le but de calmer le délire, a pu quelquefois provoquer l'asphyxie.

Les opiacés marquent pour moi la limite entre les agents hypnogènes et les agents narcotiques : ils peuvent produire, suivant les doses, l'hypnose ou la narcose, et même, à petites doses, des phénomènes d'excitation cérébrale. Je vous ai dit, tout à l'heure, la différence entre les narcotiques et les hypnotiques : les premiers agissant d'emblée sur les centres médullaires, les seconds sur les centres corticaux. Maison ne saurait faire une distinction radicale entre ces deux sortes de médicaments ; leur action commence sur un point spécial du système nerveux, mais l'extension de celle-ci aux diverses parties des centres, rapproche les uns des autres les agents producteurs du sommeil.

Avec les opiacés, citons l'alcool comme substance établissant aussi la transition entre les agents hypnogéniques et les narcotiques : l'alcool est capable, à hautes doses, de produire la narcose et même le coma.

Les espèces narcotiques du Codex, belladone, jusquiame, morelle, nicotiane, sont des substances qui produisent la narcose à proprement parler ; ce sont des modificateurs du système nerveux central portant leur action d'abord sur le bulbe, et agissant primitivement sur les centres de la vie animale, sur les réflexes communs, par la suspension de. la sensibilité d'abord et bientôt par la paralysie du mouvement.

Il existe donc une distinction entre les hypnotiques et les narcotiques, bien que les uns soient capables, à doses faibles, de donner l'hypnose, et les autres, à doses fortes, la narcose. Avec l'opium, nous pouvons observer toute la série des phénomènes, depuis l'hypnose jusqu'au coma, en passant par la narcose.

Pour ébaucher les indications des médicaments produisant le sommeil, il nous faudrait passer successivement en revue les indications de siège, de forme, de nature, comme je vous ai montré dans une de mes précédentes leçons.

Si nous avons affaire à une insomnie de cause cérébrale, il ne faudra pas donner d'emblée des narcotiques ; nous donnerons seulement des médicaments hypnotiques ; il en sera de

même dans les cas de délire résultant de troubles circulatoires.

Lorsque l'insomnie est due à l'excitation des centres médullaires, il faut encore recourir à la médication hypnogénique ; mais l'on ne se contentera pas de donner des préparations peu actives comme l'eau de laurier-cerise ou l'eau de fleurs d'oranger, et l'on ordonnera le bromure ou les opiacés.

Lorsqu'il s'agit d'une lésion bulbaire produisant une excitation dont l'aboutissant est l'insomnie, il faut donner les bromures à hautes doses ; ce sont des médicaments modifiant les actes réflexes, et c'est probablement là le secret de leur efficacité dans l'épilepsie. ? faut bien se garder, lorsqu'un malade est porteur d'une lésion bulbaire produisant l'insomnie, d'augmenter les phénomènes asphyxiques dus au bulbe en administrant des narcotiques : les médicaments simplement hypnogé-niques comme le chloral, le sulfonal, sont préférables dans ces cas.

Voilà pour les indications résultant du siège; étudions les indications résultant de la forme : si l'absence de sommeil est due à des troubles nerveux sans lésion anatomique, les hypnotiques, qui sont des modérateurs de l'action nerveuse, trouveront leur emploi. Certaines excitations vasculaires sont susceptibles de faire varier la circulation cérébrale et de produire soit l'anémie, soit la congestion ; de ces derniers phénomènes dépendront des indications spéciales, mais la médication hypnogène est encore de mise; elle a en effet pour but d'apprendre à la cellule nerveuse à dormir.

Les hypnotiques devront être plus légers s'il s'agit d'une insomnie par congestion que s'il s'agit d'une insomnie par anémie: certains médicaments hypnotiques seraient susceptibles d'amener la congestion cérébrale, et le bromure et le chloral doivent être dans ces cas préférés aux opiacés.

Il importe donc de bien se rappeler l'action physiologique du médicament si on veut l'employer à propos ; quant aux indications de nature, ce sont celles qui résultent de cause pathogène ayant produit les altérations nerveuses : maladies générales, maladies infectieuses, intoxications; mais ce sont là des indications bien indirectes, et la grande indication dans l'emploi des médicaments hypnogènes est l'indication physiologique.

LA SUGGESTION

LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME NERVEUX

Par M. le D' Vax de Laxoitte, de Verviers.

Le fonctionnement intime du système nerveux est encore un mystère, malgré les découvertes de plus en plus importantes que l'on a faites sur -la structure de l'encéphale et les localisations cérébrales des facultés, malgré les recherches de la physiologie et de la psychologie expérimentales; mais peu à peu le voile se soulève, et désormais, il est permis de jeter un regard dans ces ténèbres, d'où part la source de toute vie, l'étincelle qui anime la merveilleuse machine des êtres vivants. C'est que la science ne s'arrête jamais ; c'est que les penseurs et les chercheurs vont pas à pas, mais sûrement, au fond des choses les plus impénétrables en apparence; c'est que, dépouillant tous préjugés, les savants d'aujourd'hui sont rigoureux dans leurs observations, et ont abandonné les stériles théories et les discussions oiseuses de la philosophie transcendante pour explorer le domaine fécond des faits et en tirer des déductions basées sur des réalités. Et, à mesure que la science avance, le principe de l'unité des forces physiques s'impose de plus en plus ; ce sont des vibrations qui dominent et règlent tout, se transformant sans cesse, ici en mouvement, là en chaleur, ailleurs encore en lumière, en électricité, en vitalité ; partout ces vibrations donnent lieu à des courants qui transportent avec eux tous ces agents et font mouvoir le monde. La vie elle-même n'est que le résultat des vibrations des atomes et des molécules qui, dans un cycle perpétuel, d'inorganiques deviennent organiques pour rentrer dans le règne inorganique, et ces énergies accumulées animent les corps organisés. Le système nerveux en particulier, chez les animaux, n'est qu'une délicate machine d'où des courants à l'infini vont agir sur les muscles, les glandes et les fonctions diverses. Lorsque ces courants sont peu intenses, l'organisme s'étiole, s'affaiblit et finit par mourir ; quand la vitalité est puissante, c'est que ces courants sont bien équilibrés, c'est que la machine fonctionne bien ; c'est en effet le fluide nerveux,

sur lequel on a bâti tant d'hypothèses, qui, par ses variations, engendre tant de troubles et de changements dans les phénomènes vitaux; tantôt c'est la neurasthénie, la faiblesse de ces vibrations ; tantôt c'est la neurosthénie, c'est-à-dire l'augmentation de vivacité et de complexité des courants nerveux cérébraux ou extra-cérébraux, dont parle M. L. Manouvrier, le savant professeur à l'Ecole d:anthropologie de Paris, dans un article sur La volonté (Berne de l'Hypnotisme, février 189i, p. 230). Herbert Spencer, lui aussi, a fait des remarques très importantes sur l'influence de la variabilité de la pression ou' de la tension du fluide nerveux. En 1889, le Dr Ochorowitz disait : « Y a-t-il des courants électriques dans les nerfs? Oui. Les courants électriques ont-ils la propriété de s'induire à distance, malgré les obstacles de toutes sortes? Oui. »

Cette théorie vient d'être singulièrement corroborée par les études nouvelles sur l'histologie et la physiologie des centres nerveux, faites par MM. Golgi et Ramon y Cajal; ce dernier auteur a publié un ouvrage traduit de l'espagnol par le Dr L. Azoulay (Reinwald, éditeur). Elles renversent la théorie ancienne de la continuité des fibres nerveuses avec les prolongements des cellules du cerveau et de la moelle ; on reconnaît actuellement que les courants nerveux se propagent aux nerfs en passant d'une expansion nerveuse à une autre qui lui est contiguë, absolument comme le courant électrique dans nos appareils, par une véritable induction. « Il est universellement admis aujourd'hui, dit le professeur Mathias Duval, que les cellules nerveuses sont en rapport les unes avec les autres, non par continuité, mais par simple contiguïté des arborisations terminales du cylindre de l'une avec les prolongements de protoplasma de l'autre ». Ceux-ci sont d'autant plus compliqués que l'on a affaire à une cellule plus évoluée, soit en âge, soit dans la série zoologique, à un être plus intelligent, mieux équilibré; l'intelligence, qui est une association d'idées, serait due aux nombreuses ramifications des cellules nerveuses, ramifications venant s'accoler à celles des cellules voisines, de sorte que les points de contact se produiraient d'autant plus nombreux que nos associations d'idées seraient plus développées et plus parfaites ; dans ces conditions, le cerveau ne vaudrait pas tant par son poids que par la perfection de ses arborisations et la facilité de leurs déplacements ; un grand homme peut avoir un cerveau relativement petit, et un idiot un cerveau colossal.

L'habitude et l'exercice persévérant dans un même sens multiplient ces expansions, d'où des qualités et des défauts, des progrès et des troubles, suivant que ces connexions se développent dans un sens utile ou fâcheux, suivant aussi que le contrôle des centres supérieurs de la conscience et du raisonnement siégeant dans l'écorce cérébrale, reste intact ou non. « Comme l'a fait remarquer E. Tallji (Hivista sperim. di Frenatria e med. leg., 1893), tout acte fonctionnel réitéré hypertrophie l'organe qui en est le siège, et le passage répété des courants nerveux doit provoquer l'hypertrophie dans les cellules nerveuses en fonction ; quand le passage de l'influx nerveux devient très facile par plus de proximité, il devient inconscient; c'est pourquoi les actes très habituels, automatiques, deviennent inconscients. C'est ainsi qu'on parvient à expliquer le développement de la mémoire, l'association des idées, l'imagination, et même à comprendre histologiquement les résultats de l'habitude et de l'éducation. » (Voir la Communication du professeur Mathias Duval à la Société de Biologie, Revue de l'Hypnotisme, février 1895.)

Il en est de même pour la force de volonté, si variable avec les individus, comme les autres facultés ; ainsi, quand on nous chatouille, le réflexe est la règle ; c'est que la sensation ne passe que par la moelle et les centres subconscients ; mais la volonté peut établir ses communications, comme dans un service télégraphique ou téléphonique, et arrêter le mouvement automatique ; quand nous voyons bâiller, boire ou fumer, l'esprit d'imitation qui existe chez nous aussi bien que chez les singes peut être dominé par un effort de volonté; c'est qu'alors sans doute les prolongements des cellules intelligentes vont chercher ceux des centres subconscients, de l'instinct entre autres, et, par inhibition ou arrêt, les tiennent en respect (M. Azoulay veut attribuer aux cellules névrogliques un rôle qui parait beaucoup moins établi). Les mouvements automatiques inconscients des convulsions, des chorées, de l'épilepsie et de l'hystérie sont peut-être dus à la suppression de l'influence modératrice du cerveau antérieur par le même mécanisme, comme nous le constatons dans certaines affections de la moelle épinière, où les réflexes sont exagérés par suite delà suppression de la conductibilité, par où cette force modératrice pouvait s'exercer. Et en effet, dans ces maladies, c'est la méningite, la tumeur qui comprime les cellules supérieures ; l'alcool, le tabac, la syphilis les empoisonnent ; les

matières organiques ou inorganiques les imprègnent de toxines, de microbes, de cristaux ou de ptomaïnes ; il est bien naturel qu'alors elles se troublent et se ratatinent, et que leur influence sur les autres centres soit entravée.

L'usure de la vieillesse n'est peut-être elle-même que le résultat d'un long fonctionnement ; la pile électrique aussi finit par se remplir de dépôts et d'incrustations ; — chez l'un, c'est la cécité qui en résulte; chez l'autre, la surdité; chez un autre encore, le ramollissement, les raideurs, etc.

Les crises d'hystérie et d'épilepsie s'expliquent fort bien par une suspension transitoire du contrôle cérébral, suspension qui peut devenir très longue et aboutir à la folie, à des contractures, des paralysies ; c'est du reste l'hypothèse émise par M. Mathias Duval pour l'hystérie, comme nous le verrons plus loin. Mais, en fait d'hypothèses, il est permis d'aller plus loin encore et de se demander si les modifications dans les ramifications ne sont pas aussi la source des idées fixes, des manies, des douleurs dans beaucoup de cas ; ainsi, à la suite d'une frayeur, par exemple, le système nerveux, vivement frappé chez une personne plus ou moins prédisposée, conserve l'impression fâcheuse; l'esprit « travaille » sur ce point, produit toutes sortes d'associations et finit par créer une voie par où cet acheminement graduel devient définitivement une idée fixe; celle-ci peut être consciente ou subconsciente, comme l'a fort bien démontré M. Pierre Janet dans une conférence faite à la Salpêtrière, le 3 mai 1895, dans le service du professeur Raymond (Voir Revue de l'Hypnotisme, juin 1895). Si alors le contrôle cérébral sur les centres subconscients est entravé ou supprimé par le retrait des communications, une émotion, la vue d'un exemple, un rappel de souvenirs peut suffire à faire éclater une crise d'hystérie, d'épilepsie, de manie ou de folie, une période plus ou moins longue de défaut ou d'absence de raisonnement, pendant laquelle l'être ne se possède plus et peut se livrer à des actes attentatoires à lui-même ou à son prochain ; ridée fixe de la boisson, par exemple, peut dominer ces inconscients intermittents ; c'est pourquoi les maniaques, les impulsifs, les épileptiques et les alcooliques doivent souvent être déclarés irresponsables.

C'est dans les divers états hypnotiques que l'on peut bien se rendre compte de ces différenciations; une fois la suggestibi-lité développée, l'idée suggérée a une grande tendance à se transformer en acte, par suite de la diminution du contrôle

cérébral ; on peut donc, comme le professe fort bien l'École de Nancy, suggérer raneslhésic, la catalepsie, la léthargie, le somnambulisme et les différents phénomènes que l'on croyait autrefois l'apanage des hystériques ; mais, en somme, tous ces états dérivent d'une même modification hislologique dans des régions variables : la cessation de la communication avec les centres conscients ; de là l'absence de souvenir au réveil dans la plupart de ces cas, comme après les crises d'épilepsie et souvent aussi d'hystérie ; c'est comme si le fil des idées avait été momentanément rompu. L'hypnotisation, en définitive, et les divers états seconds spontanés (somnambulisme naturel, absences, sommeil naturel), seraient ainsi dus à une seule et même cause, l'engourdissement des facultés des centres supérieurs, le retrait des pseudopodes de la conscience; et alors ceux des centres subconscients n'étant plus contrebalancés, auraient beau jeu pour donner lieu à toutes sortes de phénomènes insolites, pour s'allonger à leur aise et établir des connexions anormales.

C'est là, du reste, la doctrine du Dr Liébeault, car, pour lui, le sommeil et les états analogues, tels que l'état hypnotique, sont dus à un arrêt de la pensée. C'est, au fond, la même idée que l'on retrouve dans les théories psycho-physiologiques de Schneider, de Durand de Gros, de Berger et Heidenfcain ; mais le mécanisme de ces changements est démontré par les découvertes de Golgi et de Cajal.

N'est-il pas admissible que, dans les manies diverses (alcool, tabac, onychophagie), l'association de certaines idées soit diminuée ou abolie par le raccourcissement ou la disparition des arborisations protoplasmiques des cellules nerveuses ? La connexion entre le centre d'arrêt et le centre d'où part l'idée ou l'acte de la manie, serait alors suspendue ou détruite, l'acte deviendrait machinal, inconscient.

Une douleur résultant d'un traumatisme ou d'une maladie reste plus ou moins ancrée dans le système nerveux après la guérison du trouble anatomique qui lui a donné naissance ; à force de la sentir, la cellule centrale ou périphérique établirait donc des connexions avec ses voisines ou avec des fibrilles voisines, et alors une impression ressentie par ces voisines pourrait retentir sur la cellule primitivement affectée ou sur le nerf qui a été atteint, d'où l'idée fixe ou souvent réveillée d'une douleur. En réalité, les maladies qu'on appelle imaginaires

pourraient ainsi fort bien avoir un substra^tum réel, de même que dans toute légende il y a quelque chose de vrai.

Détruire ces expansions maladives, ou au contraire ramener l'influx nerveux et l'allongement des pseudopodes, voilà le but à atteindre. Comment peut-on y parvenir? La piqûre de morphine que l'on fait pour supprimer des douleurs, peut agir localement sur les fibrilles et les cellules nerveuses périphériques, ou d'une façon générale sur les centres de la moelle ou du cerveau, sur le centre de la douleur qui est en rapport avec le centre correspondant à l'endroit souffrant. Or la piqûre de morphine guérit définitivement dans certains cas, alors que le plus souvent elle ne fait que soulager, que masquer le mal. D'où vient cette différence? On n'en sait rien, mais il est permis de supposer que la morphine produit une adventicité moindre entre ces centres, et que, dans certains cas, elle guérit la douleur en supprimant des liens trop intimes. Ce que peut faire la morphine, d'autres agents peuvent le faire également, une diversion vive, par exemple, une émotion, l'électricité, la suggestion médicamenteuse, l'hypnotisme ou le magnétisme. M. Mathias Duval fait observer qu'il y a » des agents, tels que la strychnine ou le bromure de potassium, qui modifient le pouvoir réflexe en agissant sur les lieux de contact des prolongements des cellules nerveuses; l'idée qu'un poison peut porter son action non sur la cellule nerveuse, mais spécialement et exclusivement sur les ramifications terminales de ces prolongements, est confirmée par ce que nous savons du mode d'agir du curare exclusivement sur l'arborisation terminale du nerf moteur. De même aussi l'imagination, la mémoire, l'association d'idées peuvent devenir plus actives sous l'influence de divers agents (thé, café, alcool et tabac, ajouterons-nous) qui auraient sans doute pour action directe d'exciter l'amceboïsme des extrémités nerveuses en contiguïté, de faciliter les passages. »

Les théories anciennes de la continuité ne parvenaient pas à donner la clef du mécanisme de ces modifications cérébrales. La contiguïté et l'induction nerveuses expliquent ces processus physiologiques et pathologiques d'une façon qui semble admissible. Cette idée n'est du reste pas théorique ; elle est basée sur des faits qui semblent prouver à l'évidence la réalité de ce phénomène étrange, d'après lequel nos cellules nerveuses seraient en tous points comparables à des amibes étalant ou retirant leurs pseudopodes ; les prolongements étalés, il y

aurait facilité de transmission de l'influx nerveux, suractivité du fonctionnement nerveux. Inversement, la rétraction de ces ramifications déterminerait des communications moins intimes et moins nombreuses, un fonctionnement nerveux ralenti pouvant même arriver à être suspendu. Si on applique ces données à l'acte physiologique du sommeil, on aura la théorie histolo-gique du sommeil que M. Mathias Duval a communiquée récemment à la Société de Biologie, et qui est basée sur les recherches de MM. Golgi et Cajal. Eh bien ! il se rencontre chez l'homme et il existe normalement chez les animaux des états de sommeil relatif où la conscience est moins développée, l'intelligence moins ouverte. M. Ramon y Cajal a étudié la cellule psychique chez divers vertébrés : la grenouille, le lézard, le rat et l'homme. Les pseudopodes sont d'autant plus développés que l'animal est plus intelligent. Grâce à la nouvelle méthode de Golgi pour la coloration des cellules nerveuses, M. Azoulay a pu révéler à la Société de Biologie de curieuses altérations dans les cas de paralysie générale ; on appelle ainsi une espèce d'abrutissement, si on peut dire, une espèce de sommeil pathologique, une dégénérescence psychique qui peut devenir absolue ; dans ces affections, les cellules pyramidales de l'écorce cérébrale, qui sont les centres de l'intelligence, ont leurs arborisations partiellement détruites ; la tige principale et ses ramifications offrent de nombreuses nodosités; la cellule elle-même se déforme et perd son aspect normal ; ces lésions ne sont d'ailleurs pas spéciales à la paralysie générale ; on les retrouve dans toute maladie qui intéresse l'intelligence ; M. Azoulay les signale dans un cas de mélancolie et de delirium tremens; M. Golgi les a reconnues chez des cobayes inoculés avec le virus rabique; c'est donc une lésion banale i1). On savait depuis longtemps, grâce aux progrès de la microscopie et aux autopsies faites dans les maisons d'aliénés, que les cellules cérébrales aussi bien que les cellules de la moelle épinière peuvent présenter des caractères de dégénérescence, devenir troubles et granulées, ce qui indique l'altération ou la perte de leur fonctionnement; mais ce que l'on connaissait moins, c'est le phénomène annoncé par M. Azoulay, qui démontre que dans la paralysie générale les prolongements peuvent même finir par disparaître; ainsi se réaliserait d'une façon définitive le défaut de connexion entre les ramifications cellulaires de l'écorce du

(1) Correspondant médical, septembre lS9i.

cerveau, et, comme conséquence, la perte irrémédiable du fonctionnement cérébral normal. Une question qui se pose de suite est celle-ci : Dans des affections moins graves, ces pseudopodes ne pourraient-ils pas se reproduire ou s'allonger sous l'influence soit d'une émotion, soit de l'électricité, soit encore de l'hypnotisme ou du magnétisme? Nous y reviendrons tantôt.

Mais avant d'aller plus loin, qu'il nous soit permis de citer quelques lignes extraites du Traité de physiologie de M)!. Frèdè-ricq et Nuel (1883). Voici ce que dit M. le professeur Nuel, p. 115 du tome II, à propos de ce qui se passe dans les nerfs séparés de leurs centres, sectionnés mais restant dans le corps : « Après plusieurs jours, le nerf séparé des centres nerveux dégénère dans toute l'étendue du bout périphérique... Les bouts centraux des nerfs coupés ne dégénèrent pas (réserve faite pour la dégénérescence traumatique, qui ne va que jusqu'au premier anneau constricteur de Ramier, si la cellule constituante de la fibre qui est blessée meurt). Si la section a lieu sur une racine postérieure, en deçà des ganglions intervertébraux, le bout central dégénère, et le bout périphérique ne dégénèrent pas. Les fibres dés nerfs rachidiens sectionnés ne dégénèrent donc pas, aussi longtemps qu'elles sont en rapport avec une cellule nerveuse. Les bouts centraux des nerfs moteurs ne dégénèrent jamais; ils sont en rapport avec les cellules des cornes antérieures de la moelle. On suppose donc que les cellules nerveuses exercent une influence trophique sur les fibres nerveuses; dès qu'une fibre n'a plus de rapport avec une cellule nerveuse, elle dégénère. On ignore absolument de quelle nature est cette influence trophique. » Et cependant, les vaisseaux sanguins persistent, l'échange nutritif continue. Cette influence trophique ou de conservation, ne serait-ce pas le fluide vital ou électro-chimique, qui se dégage de la cellule nerveuse, comme le courant électrique sortant d'une pile se propage par conduction ou par induction dans les matières avoisinantes ? Ce dégagement s'accompagne d'une tendance à pousser des prolongements dans le sens de l'activité disparue ; en effet, comme le dit M. Nuel, « le nerf ainsi dégénéré se reforme et fonctionne de nouveau; si les deux bouts ne sont pas trop éloignés, l'altération s'arrête avant que le cylindre axile ne soit dégénéré complètement, la moelle se reforme dans le bout périphérique, les deux extrémités se ressoudent, probablement par une espèce de bourgeonnement du bout central allant à la rencontre

du périphérique. On a vu chez le chien des lacunes de 5 centimètres être comblées de cette manière... La conductibilité d'impulsions venant des centres semble reparaître plus tôt que l'excitabilité locale. » M. Nuel semble du reste avoir prévu qu'il y avait autre chose que la continuité et la conduction nerveuses ; voici ses réflexions sur ce fait que l'excitation provoquée au milieu d'un nerf se propage dans les deux directions :

« Nous concevons que s'il s'agit d'un nerf centripète, cela ne donne lieu péripheriquement ni à une contraction musculaire, ni à une sécrétion, puisque le nerf n'affecte aucun l'apport de continuité ni avec des fibres musculaires, ni avec des cellules sécrétantes. Mais nous comprenons plus difficilement que l'excitation appliquée au milieu d'un nerf moteur (par exemple à une racine antérieure d'un nerf spinal) donne lieu uniquement à une contraction musculaire, et non pas à un effet dans les centres nerveux, à une sensation par exemple, puisque le nerf moteur, comme nous le verrons, affecte un rapport de continuité avec tous les centres nerveux. Il faut donc qu'à l'origine centrale des nerfs centrifugés il y ait une disposition inconnue encore qui empêche l'excitation de se communiquer aux centres, une espèce de soupape permettant à l'excitation de se propager en sens centrifuge, et l'arrêtant dans la direction centripète. » L'explication nous semble trouvée dans la cessation de continuité, c'est-à-dire dans la contiguïté et dans l'induction, l'étincelle ne pouvant jaillir, de même que l'influence"tephique, que hors des cellules nerveuses —(voir tome II, op. cit. p. 98). — Nous citerons encore un argument en faveur de la contiguïté, de l'induction, et de la poussée de pseudopodes; il nous parait sortir de cette constatation physiologique : « Le temps que met l'influx nerveux pour traverser les centres nerveux, et surtout le cerveau, varie entre des limites très grandes selon l'endroit d'application de l'excitant, le degré d'attention, de fatigue du sujet, et une foule d'autres circonstances » (idem, p. 102). Le degré d'attention, mais c'est le fonctionnement concentré en certains points, la tension électrique augmentée, et l'expansion protoplasmique qui en résulte. Rappelons ici que la vitesse de propagation de l'influx nerveux dans les nerfs moteurs et sensibles de l'homme, varie entre 30 et 90 mètres à la seconde, et qu'elle augmente notamment par la chaleur. Il est donc probable que c'est encore à l'induction plus ou

moins facile, au degré d'électricité vitale produite, et à la - rapidité des mouvements des pseudopodes, que ces différences sont dues. — Hâtons-nous d'ajouter qu'à notre avis, tout cela n'exclut pas la conduction et la continuité; car pour les fibres centripètes, la continuité semble jouer un rôle essentiel. Les deux processus existeraient collaléralement. Mais ce qui doit faire varier dans de larges proportions les phénomènes vitaux, c'est cette mobilité des prolongements des cellules nerveuses, qui parait hors de doute aujourd'hui.

On a donc constaté des cas où ces expansions étaient étalées, et d'autres où elles étaient rétractées ou détruites; mais on a démontré en outre que le mouvement des cellules nerveuses n'est pas une simple hypothèse. En 1890, Wiedersheim étudiant le cerveau d'une petite diphnée, inco*ctét'd,eau douce appelé leptodera hyalind, a vu que chez cet animal les cellules nerveuses présentèrent des mouvements amiboïdes absolument nets. (Anatom. Aôçg. 1890) « D'autre part, ajoute M. Mathias Duval, les cellules olfactives sont considérées aujourd'hui comme des cellules nerveuses, et on sait que leurs prolongements périphériques, homologues des prolongements dits de protoplosma d'un neurone, sont doués de mouvements. » C'est sans doute pour ce motif que la faculté d'olfaction est très variable. Le sens tactile qui se développe d'une façon si étonnante chez certaines personnes, et spécialement chez les aveugles, n'est-ce pas encore une preuve de la possibilité de cette poussée de ramifications nerveuses ?

Après ces arguments tirés de la psycho-physiologie, de l'histologie, de l'anatomie pathologique et même de la pharmaco-dynamique, en voici encore d'autres, que nous fournit la pathologie nerveuse. Nous avons déjà émis plus haut des hypothèses suggérées par l'examen des découvertes de MM. Golgi et Cajal, touchant les mouvements automatiques de certaines maladies, les troubles nerveux qu'entraîne la vieillesse, les idées fixes, les manies, les douleurs. Nous avons établi des points de comparaison entre les paralysies motrices ou sensorielles des hystériques, et les phénomènes que l'on constate daus les états hypnotiques et le somnambulisme naturel, les absences. Comme le faisait remarquer MM. Azoulay et Mathias Duval dans leurs communications à la Société de biologie, l'exemple de ce qui se passe dans l'hystérie est fort suggestif. Avec les théories anciennes de la continuité, il est impossible d'expliquer ces suspensions

souvent transitoires de la sensibilité, de la motricité ou du fonctionnement des divers organes des sens. Avec la théorie histologique, avec l'absence momentanée et plus ou moins longue des connexions entre les prolongements cellulaires, tout s'explique, lout devient clair.

Si le centre d'élaboration de la volonté est intact, ainsi que le centre psycho-moteur d'une jambe par exemple, et si la continuité existe entre ces deux centres et le centre psychomoteur et les muscles de la jambe, par l'intermédiaire des filaments nerveux, on ne voit pas pourquoi la paralysie de cette jambe peut durer des années et des années. Ces centres sont bien intacts, semble-t-il, puisque, brusquement, sous l'influence d'une émotion, d'un voyage à Lourdes, ou d'une hypnotisation, tout se remet en branle, et tout fonctionne comme auparavant. Mais on le comprend fort bien par la contiguïté ; si la distance entre les rameaux de communication est devenue trop grande, par suite d'une frayeur par exemple, si la vitalité a été amoindrie par une maladie anémiante, ou par une intoxication nerveuse, telle que celle qui résulte de l'influenza, de la diphtérie, de la fièvre typhoïde, le fluide nerveux ne passe plus, la conduction et l'induction ne se font plus. Arrive la force de dégagement, l'émotion par exemple, les ramifications s'étalent, l'induction peut se faire; ou bien: par une concentration d'esprit dans un sens déterminé, telle que celle du voyage à Lourdes, ou l'hypnotisation, quelquefois même par un simple rêve suggéré ou non, comme le professeur Pitres de Bordeaux en rapporte un cas très curieux dans la fiewe de l'Hypnotisme de décembre 1894, une orientation nouvelle se produit, la communication entre deux centres se reforme, et la faculté se retrouve. Voici un cas qui nous est personnel : un vigoureux tisserand de 55 ans, nullement névropathe, avait contracté l'influenza pendant l'hiver de 1890 à 1891 ; la maladie proprement dite avait duré trois semaines; mais cet homme avait eu une parésie de tout le côté droit : jambe, côté, bras, tout était raidi et douloureux, au point qu'il ne savait plus marcher, ni se servir de son bras; la langue était atteinte également, la parole difficile ; un peu à la fois, la jambe s'était dégagée ; et au moment où il se présenta à notre examen, en août 1891, à l'Institut hypnotique, qu'avec M. Astère Denis nous avons créé à Verviers, le malade ne se plaignait plus de sa jambe ; la langue était encore embarrassée; le bras était resté raide, douloureux et sans force ; cet ouvrier

avait beaucoup de mal pour mettre sa main sur la tête ; il ressentait alors des douleurs vives dans le poignet, le coude et l'aisselle ; impossible de soulever une chaise. — On l'endort ; sommeil facile et profond. — Eh bien ! après une seule séance, le malade mit la main dans la nuque, poussa le bras en l'air, souleva une chaise et la tint suspendue pendant plusieurs minutes à 40 centimètres de hauteur; la parole était plus facile. Tout cela se faisait avec une aisance telle que le pauvre tisserand en était vraiment gêné; il ne cessait de répéter: « On dira que j'ai fait le fainéant, que je ne voulais pas travailler ! » Pas plus que dans l'hystérie, la théorie de la continuité ne nous satisfait pour expliquer ce changement si rapide.

Un cas qui a des analogies avec le précédent, est celui d'une dame de 40 ans, d'une famille névropathique, qui vint nous consulter pour une paralysie de l'avant-bras, suite de résection du coude pour arthrite tuberculeuse ; le membre était ballant, inerte, et plus froid que l'autre ; le mouvement actif n'allait pas jusqu'à l'angle droit; en quelques séances, cette dame récupéra presque tous les mouvements, après avoir inutilement employé le massage, l'électrisation, l'hydrothérapie pendant un an, et elle parvint à mettre toute seule son chapeau et à faire les nœuds de ses rubans.

Voici encore un cas personnel fort intéressant : un petit garçon de 10 ans, d'une famille fortement névropathique, était atlcintd'incontinence nocturne d'urine depuis sa tendre enfance; cette incontinence n'était pas journalière ; il y avait eu des périodes de rémission, dont une de 3 mois; sa mère lui avait promis, après beaucoup d'autres choses promises en vain, une montre, s'il restait 3 mois sans uriner au lit; ce ne fut que la dernière nuitquel'incontinencese produisit au grand désespoir des deux intéressés. La promesse de la montre avait tout bonnement, semble-t-il, créé un centre d'arrêt dans le cerveau, par la concentration de la pensée sur le but à atteintre, une relation d'anastomose avec les centres qui président à la rétention de l'urine, et qui normalement fonctionnent d'une manière automatique: l'inconscient veillait ! Que s'est-il passé au bout des trois mois? L'enfant s'était-il fatigué outre mesure ce jour-là? A-t-il fait un rêve, qui aurait attiré l'activité cérébrale d'un autre côté? L'inconscient a été distrait, et la relation anastomique s'est retirée, l'incontinence s'est reproduite; ou bien, la tension nerveuse pendant ces 3 mois avait-elle été trop forte, et la détente se sera-l-elle produite, comme dans ces attaques d'épi-

lepsie et d'hystérie, où l'on diraitqu'une décharge électrique doit se faire périodiquement par suite de la formation d'un potentiel trop élevé, qui secoue tout l'appareil animal. — Ce petit garçon de 10 ans urinait au lit généralement les jours où il avait été prendre une leçon de gymnastique; aussi a-t-il fallu la lui défendre. TI avait suivi une foule de traitements, y compris l'hydrothérapie froide. L'hypnotisation pratiquée pendant dix-neuf séances, avec sommeil léger, ne parvint à espacer les oublis que de 10 à 15 jours maximun. On l'aurait probablement guéri en continuant le traitement, et créé dans son cerveau un centre d'arrêt de plus en plus puissant et définitif.

Pour l'alcoolisme, l'onvchophagie, le nicotinisme, l'onanisme, il s'agit probablement d'un centre d'arrêt ou d'inhibition créé de la même façon ; dans ces maladies, les résultats que l'on obtient par l'hypnotisme sont très marqués (Voir : VOnycho-phagie, par le Dr Bérillon *. )

Et comment agit-il, l'hypnotisme ? Nous pouvons comparer son action à ce qui se passe dans le sommeil naturel et chez l'homme qui dort,dit ??. le professeur Mathias Duval; les ramifications cérébrales du neurone sensitif central (comme dit Van Gehuchten) se rétractent de plus en plus comme les pseudopodes d'un leucocyte anesthésié sous le microscope par l'absence d'oxygène et l'excès.d'acide carbonique. Les excitations faibles portées sur les nerfs sensibles provoquent chez l'homme endormi des réactions réflexes, mais ne passent pas dans les cellules de l'écorce cérébrale; des excitations plus fortes amènent l'allongement des ramifications cérébrales du neurone sensitif, par suite le passage jusque dans les cellules de l'écorce, et par suite le réveil, dont les différentes phases traduisent bien ces rétablissements d'une série de passages précédemment interrompus parrétractionetéloignementdes ramifications pseudo-poodiques. Mais de même que des excitations particulières violentes ou non habituelles amènent l'amibe à se rétracter, de même des excitations spéciales produiront larétraction des pseudopodes nerveux, l'arrêt de la fonction nerveuse correspondante (actes d'inhibition, chorée de l'interférence nerveuse), et des excitations violentes, anormales, par le même mécanisme, produiront les anesthésies et paralysies hystériques. Inversement, l'hypnotisme pourra, nous semble-t-il, produire l'al-

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(1) Revue de t hypnotisme, Juillet 1803.

longement des prolongements, créer des centres d'arrêt, supprimer les connexions maladives, rétablir les communications interrompues ; l'influx nerveux par induction est rétabli, ou supprimé là où il était anormal, d'où la disparition des raideurs, des paralysies, des douleurs.

Voici comment s'exprime M. le professeur Bernheim à ce sujet, dans son livre : « de la suggestion », 3e édition, page 334 : « Je ne saurais trop insister sur ce fait, qui explique l'efficacité delà suggestion dans beaucoup de circonstances: le trouble fonctionnel dans les maladies des centres nerveux dépasse souvent le^champ de la lésion anatomique ; celle-ci retentit par choc ou irritation dynamique sur les fonctions des zones voisines ; et c'est contre ce dynamisme modifié, indépendant d'une altération matérielle directe, que la psychothérapie peut être toute puissante. » Et plus loin, page 353, à propos de paralysies et de névrites, suites de quatre grandes attaques apo-plectiformes : « la suggestion contribue dans ces cas à rectifier et à asseoir le diagnostic, en dégageant pour ainsi dire ce qui est simplement dynamique de ce qui est organique. » Pourvu que quelques fibres aient échappé à la destruction nerveuse, la fonction peut se restaurer plus ou moins. « Ces fibres ne sont affectées que dans leur fonction, frappée par le choc de voisinage, affectées virtuellement. Impuissants à sortir spontanément de leur torpeur, la suggestion peut agir dynamiquement sur elles ; l'activité psychique mise en jeu, concentrée vers ces fibres, leur apporte un stimulus nouveau qui ranime leur modalité engourdie; l'influx cérébral arrive, par cette excitation dynamogénique, à se frayer une voie jusqu'aux cellules motrices, et la conductibilité interrompue, rétablie, restaure la fonction... D'autre part, le trouble fonctionnel peut survivre à la cause ou à la lésion organique qui lui a donné naissance; ce trouble n'est plus entretenu par la lésion, mais retenu, si je puis dire, par le système nerveux, et on sait que celui-ci a une grande tendance à conserver certaines modalités qui lui ont été imprimées. » (Op. cit., p. 583).

On voit qu'au fond nous sommes d'accord sur ces divers processus physiologiques et pathologiques; mais la doctrine du professeur Bernheim s'explique maintenant tout à fait, grâce aux théories nouvelles de la contiguïté et de l'induction nerveuses.

Séance du 20 Octobre 1895.— Présidence de M. Dumoxtpaluer.

Sur le traitement par la médication hypnotique de l'état mental, des obsessions et des idées fixes des hystériques

Par M. le Dr P. Joibe (de Lille).

¦

Il y a encore bien des cas où l'on pourrait employer avec beaucoup de succès le traitement hypnotique et dans lesquels on ne fait pas bénéficier les malades de ces avantages. Ces cas sont surtout ceux dans lesquels le mal semble plutôt moral que physique, et cependant je n'hésite pas à dire que ceux qui en sont atteints sont encore plus à plaindre que ceux qui souffrent d'une maladie ou d'une infirmité matérielle. Ces pauvres gens sont, la plupart du temps, abandonnés à leur malheureux sort et, dans ces conditions, le mal ne fait qu'augmenter et s'aggraver de jour en jour, jusqu'à ce qu'il devienne à la fin tout à fait incurable. Celte situation tient à trois causes différentes: d'abord, le malade lui-même ne se croit pas et ne voudrait pas se croire malade; mais comme il est en réalité très malheureux, il trouve tout naturel de se plaindre et en général il ne s'en fait pas faute ; il accuse les autres, il accuse les circonstances, il s'accuse lui-même de son mal; mais il ne pense pas qu'il lui soit possible de s'en guérir et il ne cherche pas à le combattre. N'oublions pas non plus que nous avons à faire à des névrosés et que parfois ces malades prennent un plaisir étrange à entretenir en eux la cause de leur mal, et font d'une façon plus ou moins consciente, tout ce qu'il faut pour l'activer, bien loin de chercher à s'en débarrasser.

Si nous considérons maintenant l'entourage de ces personnes, le spectacle est plus déplorable encore et nuus y trouvons une des causes les plus importantes qui s'oppose à leur guérison. Non seulement on ne les considère pas comme des malades, mais on les accuse d'être elles-mêmes la cause des maux dont elles souffrent, et au lieu de les plaindre, on les condamne. Et de fait, presque toujours les apparences s'élèvent contre ces malades ; bien peu de personnes sont capables de comprendre cet étal d'âme qui fait pâtir à la fois les malades et leur famille ; on s'éloigne d'eux et les prétextes ne manquent pas ; le monde, plus impitoyable encore, les juge avec ses maximes et ses lois aussi fausses quhypoorites, et repousse comme coupables ceux qui ne sont que malheureux.

S'il arrive un jour que ces malades tombent, pour ainsi dire par hasard, entre les mains d'un médecin, il faut avouer que bien souvent le résultat n'en sera pas de beaucoup meilleur. Sans doute, le médecin

prescrira à son client .tout ce qu'il croira pouvoir le soulager, il lui donnera une foule de bons conseils ; mais lui-même se laissera bientôt décourager devant l'inutilité de ses efforts et le peu de résultats qu'il en aura obtenu. Il y a encore en effet un grand nombre de médecins qui, dans ces cas de perturbation mentale, ne songeront pas à employer le traitement hypnotique, soit parce qu'ils se seront trop lot persuadés que rien ne peut améliorer la situation de leur malade, soit parce qu'ils manqueront de confrères dans l'action puissante de la médication hypnotique qui leur est trop peu connue. Et pourtant aucune autre médication ne peut agir sur cet état mental, d'une façon aussi rapide et aussi assurée pour l'examen à l'état normal et lui procurer une guéri-son définit: ?.·. *

L'observation que nous allons donner est une démonstration bien remarquable des bons résultats que l'on peut obtenir de la médication hypnotique.

La malade, MŒe B., est amenée chez moi par un de nos confrères, qui m'avait préalablement demandé si Ton pouvait espérer obtenir, par le moyen du traitement hypnotique, quelque amélioration dans l'état de sa cliente. Voici son histoire:

Mme B. est une jeune femme de 27 ans, elle a été mariée très jeune et a perdu son mari après deux ans de mariage. Elle n'a jamais eu d'enfants. Dans une situation de fortune assez belle, elle a dû après son mariage s'occuper de gérer elle-même ses affaires, de faire valoir ses propriétés, elle parait en somme avoir été astreinte à un travail cérébral et en lutte à des préoccupations industrielles qui excédaient ses forces.

Cette jeune femme devint la maîtresse d'un jeune homme ami de sa famille, qui lui promit le mariage, mais qui brusquement, après un an et demi, rompit toute relation avec elle et refusa de la revoir. Quand Mm* B. se présenta à moi, après m'avoir raconté son histoire, elle ajoute que, pendant tout le temps qu'elle est restée en relations avec M. X., celui-ci exerçait sur elle une influence à laquelle elle ne pouvait résister. Il était, dit-elle, très bon pour elle, mais, dès qu'elle refusait d'obtempérer à ses désirs, il se fâchail et elle en était arrivée à ne jamais rien oser lui refuser. Elle qui autrefois, disait-elle, était très énergique et qui, pour la gérance de ses affaires, était obligée à montrer beaucoup de force de caractère, se trouvait subitement faible et craintive et n'osait résister aux moindres caprices de M. X.. Elle raconte que, sous l'inspiration de M. X., elle a pris des déterminations très graves au sujet do ses affaires, et, depuis la rupture, elle est tellement poursuivie par l'idée fixede le revoir que des malheurs de famille qui l'ont frappée l'ont laissée presque insensible.

Actuellement Mmo B. me dit qu'elle se trouve entraînée par une force irrésistible à chercher à revoir M. X. A plusieurs reprises, elle s'est rendue chez lui, mais toujours il arefusé de la recevoir ou l'a repoussec avec dureté. Actuellement encore elle sent qu'elle cherchera encore par

tous les moyens à le revoir, et pourtant elle sait que cela est complètement inutile, elle rougit de sa faiblesse mais elle ne peut y résister.

??· B. raconte tout cela avec une volubilité et une passion très grandes, son récit est entrecoupé de larmes et témoigne la plus grande exaltation ; mais je remarque pendant ce temps qu'elle n'accuse jamais M. X., elle invoque une cause étrangère à ses maux, elle cherche, au contraire, toujours à l'excuser comme elle cherche à le revoir, elle n'est pas arrivée à la transformation de l'amour en haine.

Il s'agissait tout d'abord de savoir à quels sujets nous avions affaire, c'est-à-dire quel était l'état pathologique de Mmu B. et accessivement de M. X. Pour Mme B- il n'y avait pas le moindre doute, j'étais en présence d'une grande hystérique et d'une hystérique à forme erotique; les constatations directes que nous pouvions faire confirmaient pleinement mon diagnostic. Quant à M. X.. il était évident qu'il avait exercé une influence considérable sur l'état mental de M°"B. ; quelle était la naturede celte influence? Mon premier soin fut donc de demandera M1"" B. si elle n'avait jamais été hypnotisée par M. X.; elle m'affirma ne l'avoir jamais été ni par lui ni par personne. Des renseignements que je pouvais obtenir sur M. X., il résultait simplement qu'il était d'un caractère emporté, enclin à la colère quand on lui résistait. Mais j'avais quelque chose de plus certain pour établir mon diagnostic, c'était sa correspondance. Or ces lettres, tant par la suite des idées que je pouvais y trouver que par leurs caractères graphologiques, prouvaient qu'elles émanaient d'un hystérique, au type sensitif et violent. Il n'y avait donc pas à rechercher là autre chose que l'influence réciproque de mes hystériques l'un sur l'autre et le développement propositif et spécial qu'avaient pris l'hystérie et ma malade au contact de la même névrose, fait d'une observation si fréquente chez les hystériques.

Il y avait chez cette femme, outre l'hystérie et sous la dépendance de cette névrose, une obsession auto-suggestive et une idée fixe. Cette idée fixe pouvait facilement dégénérer chez la malade en délire hystérique. Il y avait donc urgence à la traiter immédiatement et à arrêter le mal avant qu'il ait pu faire des progrès plus considérables.

Du reste, les circonstances étaient favorables ; la malade venait à moi avec pleine confiance, ne demandant qu'à être guérie et décidée à se soumettre au traitement qui lui serait imposé.

La malade ayant été amenée chez moi par mon confrère, je commençais immédiatement, en sa présence, une première séance d'hypnotisa-tion. Mmc B. se révéla de suite comme très facilement hypnotisable ; cependant un petit incident se produisit au cours de la première séance. Pendant les premières manœuvres, destinées à obtenir un sommeil hypnotique profond, l'obsession qui poursuivait la malade devint tout à coup plus intense, des hallucinations de la vue et de l'ouïe se produisirent. ?·0" B. crut voir son amant, l'entendre, lui parler ; l'hallucination fut suivie d'une période d'agitation qui bientôt dégénéra en crise hystérique franche. Mais pendant tout ce temps j'avais continué mes

manœuvres hypnotiques, j'avais complètement soumis la malade à mon influence et j'étais désormais maître absolu de sa crise. Je fis donc cesser la crise en quelques minutes, mais en agissant néanmoins avec prudence. Pour cela, je diminuai d'abord l'intensité des hallucinations, puis, m'adressant à l'élément spasmodique de la crise, je fis entrer ma malade dans le calme ; enfin, ce calme obtenu, je fis disparaître complètement et définitivement les hallucinations. Agissant ensuite par voie de suggestion verbale, je suggérai à la malade de ne plus avoir de crise convulsive de ce genre dans l'avenir et de ne plus être le jouet de semblables hallucinations.

J'arrivai ensuite à des suggestions appropriées à la guérison de l'état mental de ma cliente. Je lui suggérai dans ce but d'être davantage maîtresse d'elle-même, de ne plus sentir l'obsession qui la poussait, malgré elle, à chercher à revoir M. X-, et d'avoir le courage de s'occuper de ses affaires. Je cherchai ensuite à lui inspirer confiance dans l'avenir en lui affirmant que toutes les circonstances tourneraient à son avantage. Je lui suggérai en même temps d'oublier momentanément son amant et dtètre indifférente, même si elle le rencontrait fortuitement, jusqu'à ce que les circonstances aient changées.

Je fis à cette malade quatre séances seulement d'hypnotisation; dans les trois séances suivantes, il ne se produisit bien entendu ni crise convulsive ni hallucination, pas plus du reste dans l'intervalle des séances. J'avais aussi pris la précaution, étant donnés les caractères de la névrose chez cette femme, de la faire accompagner, chaque fois qu'elle venait chez moi, par mon confrère, en présence duquel je présidais à l'hypnotisation et aux suggestions. Les suggestions furent répétées de la même façon à chaque séance, et au bout de quatre séances, son état mental était totalement changé, elle n'avait plus aucune obsession ni idée fixe, elle était parfaitement calme et raisonnable et se déclarait très heureuse du résultat obtenu. J'en eus des nouvelles plusieurs mois après, la guérison s'était parfaitement maintenue.

Cette observation doit donner lieu à quelques réflexions particulières ; et d'abord, quand vous faites des suggestions pendant le sommeil hypnotique, qui auront un effet très actif, n'oubliez pas de ne jamais vous départir de la plus grande prudence. J'oserai presque dire que vous pouvez tout pour votre malade, par la suggestion, mais aussi gardez-vous de dépasser le but et de lui suggérer une chose qu'il pourrait regretter plus tard. C'est pourquoi vous m'avez vu ici ne faire que des suggestions temporaires et réserver le cas où les circonstances pourraient changer. En second lieu, surtout quand vous avez affaire à une hystérique à forme erotique et sujette à des hallucinations, exigez d'avoir toujours et pendant tout le temps de vos séancesd'hypnolisation, un témoin en qui vous puissiez avoir toute confiance. Ces sujets, en effet, peuvent avoir, malgré vous et même à votre insu, des hallucinations qu'elles prendront pour des réalités, et cela pourrait ensuite vous attirer toutes sortes de désagréments.

11 va sans dire que dans ces cas plus encore que dans tous les autres, il faut mettre votre sujet à l'abri des hypnotisations ou suggestions coupables en lui suggérant énergiquement de ne pas se laisser hypnotiser sans votre permission et de n'obéir qu'à vos seules suggestions.

Au point de vue clinique, ce cas nous prouve l'influence salutaire que peut avoir le traitement hypnotique sur l'état mental de ces sujets et vous montre qu'il ne faut pas hésiter à l'employer puisque l'on peut ainsi les soulager et les guérir.

PSYCHOLOGIE COMPARÉE

La léthargie chez l'homme et les animaux.

Bien des faits, obscurs dans l'étude psychologiqne de l'homme, s'éclairent admirablement par la comparaison avec les animaux. La léthargie, notamment, n'étonne plus, si, au lieu de la considérer chez l'homme seul, on l'étudié dans l'ensemble du règne animal. L'état léthargique, en effet, qu'on peut provoquer chez les hystériques, arrive parfois spontanément et peut être assez profond pour simuler la mort. De temps à autre même les journaux rappellent des erreurs lamentables de léthargiques enterrés.

Un des faits les plus curieux est celui rapporté par Bouchut f1) d'une léthargique mariée que son amant aurait déterrée pour la revoir une dernière fois. Il l'aurait trouvée vivante et aurait vécu de nombreuses années avec la prétendue décédée. Cet imbroglio, qui donna lieu à un procès rapporté par la Gazelle des Tribunaux dans la première moitié de ce siècle, a éveillé la verve de plusieurs romanciers. ;

Tout dernièrement, la léthargique de Thenelles (?) a excité l'attention. Cette fille de vingt-cinq ans, à la suite d'une violente émotion, tomba dans une léthargie complète avec anesthésie, diminution des sécrétions et de la respiration. Elle reste dans cet état de sommeil apparent avec occlusion des paupières depuis plusieurs années et on la nourrit artificiellement. On a cité d'autres observations de sommeils durant des mois et des années.

Si la léthargie simule à ce point la mort qu'on puisse s'y tromper, on ne s'étonnera pas que les sauvages et les pleuples anciens l'aient prise pour elle. Le réveil était un retour voulu par les Dieux. Il s'agissait chez les Grecs d'une véritable erreur des Parques. Un

(1) Bouchut, Des signes qui permettent de reconnaître la mort relie. Mémoire, 1840-

(2) Revue de l'hypnotisme, 1887, p. 290.

certain Antillus (?) étant mort, nous dit Plutarque, descendit dans l'Adès, mais il fut aussitôt renvoyé dans le monde des vivants. Les conducteurs qui l'avaient amené, reçurent une semonce sévère; envoyés pour se saisir du corroyeur Nicandas, ilss'étaient trompés.

Fait singulier, la même opinion existe encore chez les Boudhistcs. La léthargie y est aussi regardée comme une méprise volontaire ou non du roi des enfers. Dans un conte annamite, une femme de Sadec meurt. Après une nuit de catalepsie, elle revient à elle et rapporte que le fils du roi des enfers l'a renvoyée sur la terre. Dans un autre récit d'origine taoïste, un homme revient sur la terre après avoir été sévèrement réprimandé aux enfers.

Chez les Indiens, les fakirs se sont fait une spécialité de ces résurrections. Pour glorifier leurs Dieux, ils arrivent par une longue pratique à obtenir un état léthargique prolongé. Kurh (*), notamment, a observé deux cas, de la sincérité desquels il n'avait pas la moindre raison de douter. L'un des fakirs en question était resté enterré six semaines, l'autre dix jours. Pour y arriver, les fakirs, histériques avérés, usent de tous les moyens d'entraînement : mortification du corps par un régime alimentaire spécial, emploi à l'intérieur de différents végétaux d'eux seuls connus, position spéciale pendant de longues heures, etc. Quand le fakir est suffisamment entraîné, il se met par terre, prend une des poses prescrites par le livre sacré et tombe à l'état d'hypnose à force de regarder fixement le boutde son nez. Les fakirs paraissent encore se servir du caschish pour diminuer la force respiratoire ; car cet hypnotique associé à d'autres végétaux et employé d'une façon toute particulière, supplée au manque d'air et de nourriture.

"Au début de l'hypnose, le fakir devient halluciné. Il entend des sons, il voit des anges, sa figure exprime un sentiment de béatitude. Mais, petit à petit, la conscience disparaît et le corps acquiert une rigidité spéciale à mesure que « l'esprit va rejoindre l'Ame du monde. »

Il s'agît donc d'autohypnose chez des personnes hystériques suffisamment entraînées.

Ces faits ont beaucoup étonné, et certains les ont même niés comme opposés aux phénomènes vitaux. Il en existe pourtant d'analogues chez les animaux p).

{D ?' F. Regsault. Rôle de l'hypnotisme dans l'histoire des religions. Médecine moderne, 1894, p. 1452.

(2) Zeitschrijt fur hypnolismus. Berlin, mars 1894, et Ann. de psych. et â'hypn., mai 1894.

(3) Dict. de Larousse, art. Hibernation.

Aux premières atieintesdu froid, chauves-souris, hérissons, loirs, marmottes, hunsters, gerboises, saumons, s'endorment.

Ce n'est pas l'hiver, comme on l'a cru, qui provoque cet état : car tanrec, échidné, pétrel, albatros des tropiques, grands serpents, tombent aussi en léthargie sous le ciel de l'Equateur. Cela ne survient pas spontanément. Pour y parvenir, l'animal se soumettrait à un jeûne volontaire. La respiration se ralentit et devient à peine perceptible, le sang quitte les extrémités, se refroidit, la sensibilité disparaît au point qu'on peut agiter les animaux, les disséquer même sans les tirer de leur torpeur.

Les animaux sont pris de léthargie plus souvent que les hommes. C'est un phénomène naturel aux hibernants. Quelques espèces qui ne sont pas sujettes à cet état peuvent -le prendre en certaines occasions.

AI. Leroux a vu les hirondelles et martinets passer l'hiver entier dans nos climats plongés dans un sommeil léthargique. Une hirondelle, abattue par le fouet d'un cocher au mois d'octobre, fut enveloppée dans un rouleau de ouate, déposée dans un tiroir, puis oubliée. Au printemps, elle fut retrouvée vivante, bien que toujours en léthargie. D'ailleurs, plusieurs zoologistes du siècle dernier avaient remarqué, dans les trous de mur ou de grottes, des hirondelles de l'espèce des martinets, plongées dans un sommeil hibernal. Engourdies sous l'influence du froid, elles ne se réveillaient qu'aux premiers chauds rayons du soleil.

Les moutons même pourraient aussi ('), d'après le professeur Dewar, tomber en léthargie.Dix-huit moutons, perdus sous la neige le 9 janvier, furent retrouvés fort amaigris, mats vivants, le i5 février, couverts de neige depuis six semaines. Ils avaient vécu de quelques bruyères, dans un étroit espace ; ils s'étaient donc trouvés dans un état voisin de l'hibernation.

FOLKLORE

Etres fantastiques et chansons pour endormir les enfants Arabes et Berbères

Dans la région de Drâ-el-Mizan, département d'Alger, les mères indigènes, afin d'obliger les enfants à s'endormir, les menacent de Beauprèlre.

Beauprètre était un vaillant colonel de l'armée d'Afrique, qui, lors de (1) Rev. de mèd. vél., cité p&rJourn. de mèd. et chir. pratiques, 1895, p. 767.

la conquête de l'Algérie, se fit remarquer par son courage, son énergie. Lorsqu'il était capitaine chargé de l'annexe de Drâ-el-Mizan, la région était le foyer de nombreuses séditions contre la domination française, les tribus Berbères et Arabes ne cessaient de harceler nos troupes. Beau-prêtre, par son activité, sa bravoure, sa juste sévérité, réussit à pacifier complètement le pays et acquit auprès des populations indigènes un renom d'intrépidité qui est loin de s'effacer de leur esprit. Malgré que Beauprêtre soit mort depuis déjà longtemps, son souvenir est encore si vivace parmi les gens de la contrée de Drâ-el-Mizan, que son nom sert encore à calmer les petits braillards indigènes que leurs mères veulent endormir.

Dans la région de Guelma, département de Constantine,les êtres fantastiques suivants servent aux mères de familles Arabes pour j eter l'effroi et ramener le]calmc chez leurs enfants : L'ogre ;

Le nègre (déguisé) ;

L'homme au sac ;

Le revenant ;

L'ermite ;

Le croquemitaine ;

L'homme ventru. Comme on le voit, les sujets d'effroi en usage chez les Arabes se rapprochent sensiblement de ceux dont se servent nos excellentes mères. S'il pouvait en être ainsi pour tout !

Les mamans arabes ont aussi des chansons qui servent à endormir leurs enfants. Voici une berceuse arabe bien connue dans le département de Constantine :

Dieu, ô mon Dieu !

? celui qui endort les enfants,

Fais dormir mon fils,

? Dieu le Très Haut!

Je songe toujours à mon fils. Mon bien aimé,

Conserve lui.la vie, ô mon Dieu ! Pour qu'il travaille pour moi.

Il ne pleure pas, mon chéri, Car j'aurais du chagrin ; Fais le taire, ô mon Dieu ! Toi qui es le Très Haut 1

Mon fils commence à se traîner Jusqu'à la porte de la maison, Quand il se met à crier, Le voisin me l'amène.

Mon fils commence à courir.

Au milieu des enfants,

Je demanderai à Dieu

De me le conserver avec soin.

Mon fils devant la porte

S'amusant avec ses camarades,

Si le sommeil le prend,

Il dormira sur les genoux de sa mère.

O lettré, instruis mon fils

Pour qu'il devienne un homme.

Et si tu ne l'instruis pas.

Tu mériteras un coup de faucille.

A. Robert.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Lec prochaines séances auront lieu les lundis 20 avril, 18 mai et 15 juin. Adresser les communications à M. le Dc Bérillon,'secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Guérison des verrues par la suggestion à l'état de veille.

« Lausanne, le 3 mars Î896.

? Monsieur le Rédacteur et très honoré Confrère,

« Je viens de lire l'article de M. le Prof* Delbœuf dans la Revue de février, et je puis certifier par expérience qu'il est possible dc guérir des verrues par la suggestion à l'état de veille.

« Une vieille femme de ma parenté avait la réputation de guérir les verrues. Je venais de commencer à pratiquer l'hypnotisme à Lausanne quand elle mourut, et c'est alors que j'appris son secret.

« Lorsque j'étais jeune homme, elle m'avait guéri d'une grosse verrue qui m'avait déformé l'ongle de l'index gauche et qui me gênait * et me faisait souffrir quand je devais écrire.

« J'ai connu beaucoup de personnes qu'elle a guéries, dont plusieurs avaient vingt à trente verrues à chaque main.

« Elle bandait les yeux des gens qui venaient chez elle en leur recommandant de ne plus toucher leurs verrues et de ne pas soulever le bandeau pendant qu'elle opérerait ; on entendait alors sa fille entrer, et elle touchait chaque verrue de la partie maculée d'une chemise de femme menstruée, puis on l'entendait ressortir. Toutes les personnes que j'ai

connues ont été guéries en une à trois semaines après une seule séance.

« Je me servis d'un procédé semblable, en maintes occasions, dès que je connus le secret de ma parente.

« J'agis comme suit :

« Je bande les yeux du malade, puis, après avoir cherché un remède imaginaire dans un tiroir, je lui dis que je vais mettre sur chaque verrue un peu de mon remède infaillible. En réalité, je ne fais que de les toucher du doigt. Je lui suggère qu'il oubliera l'existence de ses verrues et n'en apercevra plus dans deux à trois semaines.

c J'ai réussi toujours jusqu'à présent.

« Dernièrement, un jeune homme de ma connaissance me demande, dans un salon où toute une société était réunie, si je ne pourrais pas lui enlever une verrue qu'il avait à la face palmaire du pouce droit. Je lui dis qu'il ne la toucherait plus dès ce jour, qu'il l'oublierait et qu'elle disparaîtrait en une ou deux semaines.

a Deux semaines plus tard, je revis mes connaissances et appris que la verrue avait disparu au grand étonnement du jeune homme et dc ses trois tantes qui ne peuvent comprendre cette action de la suggestion.

a Je ne me suis jamais servi de l'hypnose pour suggérer la guérison des verrues. C'est inutile. Il suffit d'impressionner vivement la personne ; c'est dans cette intention que je lui bande les yeux et que je fixe môme un jour pour la séance en prétendant que le remède ne peut agir que dam> des circonstances particulières.

« Recevez, Monsieur le Rédacteur et très honoré Confrère, l'assurance de ma parfaite considération.

« Dr Bonjour.

? N. B. — Je voulais attendre d'avoir réuni un plus grand nombre d'observations do ce genre pour vous communiquer un petit travail sur ce sujet. M. le Prof Delbœuf m'a fait me hâter. »

La suggestion en 1560

Un arrêt du Parlement de Toulouse, rendu en 1560 et reproduit dans la thèse de M. P. Lafeuille (La Faculté de médecine de Cahors, Lyon 1895), constitue un document intéressant, plein de bon sens, à opposer aux monstrueux jugements qui furent rendus, vers la même époque, contre tant de gens accusés de sorcellerie.

On y trouve une très sage appréciation du rôle de la suggestion dans la guérison des maladies et il faut rendre honneur à maître Ferrier, médecin de Toulouse, qui soutint celte juste thèse pour la défense d'un de ses confrères accusé dc sortilèges.

« Par nos lois civiles et canoniques, dit cet arrêt, la forme de guérir les maladies avec charme est réprouvée, parce qu'aucuns ont opinion que cela ne se peut faire sans l'aide des démons. Toutefois maître Ferrier,

notre médecin à Toulouse, soutient que cela se peut faire sans l'aide et invocation des démons ; lequel Ferrier dit la cause bien recherchée ne pouvoir être autre que la force d'imagination etde persuasion de pouvoir faire ce qu'on a entrepris, à laquelle il faut ajouter l'esprit du patient croyant et consentant, ou tout au moins ne résistant, car autrement l'agent sera fruste si le patient résiste : de même que l'aiment n'attire plus le fer quand on retient ce dernier. C'est aussi pourquoi en toutes personnes les paroles et caractères ne peuvent être effectués. Si le patient croit que, par de tels moyens, il puisse guérir, la douleur cessera ; s'il n'en croit rien ou qu'à l'entour de lui soient des gens qui s'en moquent, l'opérateur n'avancera de rien et s'en retournera confus sans rien dire (*). »

Bien des innocents auraient échappé au bûcher, si ces justes paroles eussent été entendues de tous les juges de tous les Parlements de France.

Un cas de léthargie

Un curieux cas de léthargie vient de se produire dans l'île de Lesbos.

Mgr Nicephoru Glycas, métropolite grec-orthodoxe de Méthymne, âgé de quatre-vingts ans, était alité depuis fort longtemps.

Dans la journée du 3 mars, son état de santé s'aggrava, et, dans la soirée, le médecin constata sa mort.

Conformément aux prescriptions de la religion grecque-orthodoxe, le métropolite, revêtu de ses vêtements sacerdotaux, fut placé sur un trône, dans l'église métropolitaine de Méthymne, et, pendant deux jours et deux nuits, les prêtres de la métropole le veillèrent, pendant que les fidèles affluaient pour voir une dernière fois leur métropolite.

Dans la matinée du 5 mars, le métropolite se leva subitement de son fauteuil, à la stupéfaction des prêtres qui priaient à-ses côtés, et le prélat fut, lui aussi, effrayé en voyant l'appareil funèbre dont il était entouré.

Mgr Glycas était tout simplement tombé en léthargie, et il se porte maintenant à merveille. Sa qualité de métropolite lui a valu de n'être pas enterré vivant. Les simples mortels, en effet, doivent être inhumés, d'après les règlements en usage dans ce pays, douze heures après le décès.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques dc l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants etde professeurs autorisés,

(1) Arch. méd. de Toulouse, I" janvier 1896.

est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Bérillon, Max Nordau,Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours d'hypnotisme à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine

M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, a été autorisé par le Conseil supérieur des Facultés à faire à la Faculté de médecine un cours libre sur le sujet suivant : Psychologie physiologique et pathologique- — Applications cliniques et médico-légales de VhypnoÎisme.

M. le Dr Bérillon commencera son cours le mardi 21 avril, à 5 heures, à l'Ecole Pratique de la Faculté, amphithéâtre Cruveilhier, etil le continuera les samedis et les mardis suivants, à cinq heures.

Les Congrès de 1896

Congrès des Alihnistes et des Neurologistes français, le 1er Avril, à Nancy. — Congrès de Psychologie, le 4 août, à Munich. — Congrès d'anthropologie criminelle, le 24 août, à Genève.

Un grand nombre de communications relatives à l'hypnotisme sont annoncées dans ces divers Congrès, au sujet desquels nous avons reçu divers documents que nous publierons dans notre prochain numéro.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 0. 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

10· année- — X° 10.

Avril 1896.

LA THÉORIE HISTOÏUBfQuE DU SOMMEIL

par M. le Docteur Ch. Pupin.

II en est d'une théorie histologique du sommeil comme d'une théorie de la contraction musculaire. Son but essentiel est, dans les deux cas, de chercher à déterminer ce qui se passe dans l'élément anatomique pendant le phénomène étudié.

Les muscles, pendant l'état de contraction, sont le siège d'une circulation plus active, ils consomment plus d'oxygène, exhalent plus d'acide carbonique, leur état électrique est modifié. Mais tout cela ne nous explique pas pourquoi les fibres musculaires sont formées de parties alternativement sombres et claires, ni ce qui se passe dans ces parties lorsque, de l'état de repos, la fibre passe à l'état de contraction. Lorsque, au contraire, les histologistes, avec Kr.vcse, Engelmann, Merkel, émettent certaines hypothèses sur le déplacement latéral d'une prétendue partie liquide de la case musculaire, ils cherchent à établir une théorie histologique de la contraction ; lorsque ÏÏANviER nous montre que les disques sombres passent de la forme cubique à la forme sphérique, en laissant échapper la partie liquide dè leur contenu, on peut dire qu'il édifie cette théorie sur des bases solides. Le phénomène histologique (cellulaire, protoplasmique) supposé ou démontré n'enlève rien de leur importance aux phénomènes physiques et chimiques antérieurement définis; ceux-ci sont corrélatifs aux modifications cellulaires : ce sont deux faces d'un même problème, deux solutions qui se complètent sans s'exclure.

De même pour le sommeil : l'état de la circulation cérébrale, l'intensité des combustions, de la production de chaleur, l'état électrique des masses cérébrales sont des conditions précieuses à déterminer ; mais comme en dernière analyse les centres nerveux se composent de cellules, ici encore la recherche his-

tologique peut trouver place. Quel est l'état de ces cellules, quelles sont les modifications de forme, d'aspect, qu'elles peuvent présenter dans l'état de sommeil comparativement à l'état de veille'? Les suppositions qu'on pourra émettre à cet égard seront autant d'hypothèses relatives à la théorie histologique du sommeil ; les faits qu'il sera possible de constater directement seront les bases d'une théorie histologique du sommeil.

Cette théorie ne viendra ni renverser les théories déjà proposées, ni s'intercaler entre elles; elle sera à côté d'elles, indépendante d'elles, quoique ces théories antérieures n'ait fait allusion qu'à des phénomènes généraux, qui sont ici ce que les combustions, production de chaleur, etc., sont à la contraction musculaire, tandis que la théorie histologique, au-dessous de ces phénomènes généraux, plus ou moins propres au sommeil, ne vise que les modifications de forme, d'aspect, de rapports des cellules nerveuses.

Pour la contraction musculaire, l'observation directe a permis à Raxvier de constater une modication de forme et de volume dans les disques sombres. Aux hypothèses de Krause, Engel-µ???, Merkel, il a pu substituer ainsi une théorie positive de la contraction musculaire, théorie qui mérite, au premier chef, le titre dkislologique, puisqu'elle invoque une modification dans la forme de l'élément histologique.

Pour le sommeil, nous n'en sommes pas encore à un point aussi avancé. Nous n'avons pas encore la constatation d'une modification incontestable de la cellule nerveuse. C'est donc uniquement par des hypothèses que nous pouvons aborder le problème. Il faut une hypothèse qui explique tous les faits et qui soit exactement en rapport de conformité avec les notions bien établies sur la morphologie et les connexions des neurones. Or, ces notions, d'une part, et les conséquences physiologiques qu'elles comportent, sont de nature à guider l'hypothèse que nous pouvons faire, c'est-à-dire à lui indiquer vers quels points elle doit se diriger, sur quelles parties d'éléments elle doit se fixer, et enfin quelles suppositions doivent être faites à propos de ces éléments; de telle sorte que, l'hypothèse une fois formulée, on arrive à constater que tout, dans les phénomènes extérieurs du sommeil, se passe comme si en effet l'hypothèse en exprimait le phénomène intime, cellulaire, histologique.

C'est cette marche, vers un point donné, que nous allons essayer de suivre, guidé, forcé par des connaissances histolo-giques et physiologiques bien établies.

l°Le sommeil consiste en un repos des centres nerveux supérieurs par le fait de la non réception ou de la difficile réception des impressions extérieures. Nous savons, ou tout au moins nous sommes aujourd'hui très autorisés à croire que les centres nerveux fonctionnels sont représentés, non par les corps cellulaires des neurones, mais par les articulations de ces neurones. C'est donc au niveau de ces articulations que doit se passer la modification histologique, protoplasmique qui constitue le sommeil.

Or, puisque ces articulations se font non par continuité mais par simple contiguïté des ramifications terminales d'un prolongement cylindre-axe d'un neurone avec les ramifications des prolongements de protoplasma d'un autre neurone ; puisque, à l'état de veille, la transmission du premier neurone au second doit se faire en franchissant la faible distance qui sépare ces deux ordres de ramifications, quoi de plus légitime que de supposer que, lorsque cette transmission prend fin, ou devient très difficile, c'est parce que cette distance est devenue plus considérable. Dans le sommeil, la non réception ou la difficile réception des impressions extérieures serait donc due à ce fait que la contiguïté serait devenue moins intime dans les articulations des neurones intercommunicants.

2° Quels sont ces neurones? Les notions bien établies sur l'histologie des centres, et si admirablement schématisées par Van Gehuchtkn, nous ont appris qu'il existe dans l'axe cérébro-spinal tout une série de régions où les neurones sen-sitifs périphériques s'articulent avec les neurones sensitifs centraux; les noyaux de Burdach (pyramides postérieures du bulbe) représentent l'une des plus importantes de ces régions ; au-dessous d'elle est le monde des neurones des phénomènes réflexes ; au-dessus, le mond&des phénomènes psychiques ou cérébraux.

Dans le sommeil, les réflexes ne sont pas abolis ; il n'y a donc pas d'interruption ou de difficulté de passage dans les articulations de neurone à neurone sur le domaine des phénomènes réflexes. Les actes cérébraux ne sont pas complètement abolis, comme le montrent les rêves ; ici encore il n'y a pas non plus interruption de passage de neurone à neurone. Donc, c'est seulement ou surtout dans les articulations des neurones sensitifs périphériques avec les neurones sensitifs centraux que le passage est supprimé ou rendu plus difficile ; c'est au niveau de ces articulations que la comiyuiié est devenue moins intime.

3e En quoi consiste cet état moins intime de contiguïté ? Puisque ces articulations sont produites par des ramifications partant de deux cellules différentes et se disposant au voisinage les unes des autres, la seule supposition plausible consiste à admettre que ce voisinage devient moins grand, parce que ces ramifications s'écartent les unes des autres, soit en se rétractant légèrement chacune vers le corps cellulaire dont elle émane, soit en subissant un léger déplacement latéral. Entre ces deux modes de déplacement, nous ne choisirons pas ; ils reviennent au môme ; ils sont tous deux possibles dans des prolongements tels que ceux qu'émettent les Amibes. Ce, sont en tous cas des mouvements ou déplacements de protoplasma ; c'est ce que nous désignons sous le nom de mouvements amas-boïdes.

Mais, dans cette articulation, il y a les l'amifications du neurone sensitif périphérique et, d'autre part, les ramifications des prolongements de protoplasma du neurone sensitif central. Ces deux ordres de rameaux présentent-t-ils ce mouvement quelconque que nous désignons, pour abréger, sous le nom d'amœboïde?

Il est extrêmement peu vraisemblable que les ramifications terminales de cylindre-axe soient capables d'amœboïsme, et Kolliker a certainement eu raison en le leur déniant. L'extrémité libre du cylindre-axe est très loin du corps cellulaire, c'est-à-dire du noyau, et les travaux des cytologistes nous ont appris combien le voisinage ou la présence du noyau est importante pour les manifestations ama?boïdes. Les conditions sont inverses pour les ramifications des prolongements de protoplasma ; nous devons donc supposer qu'elles sont le siège des mouvements (rétractions ou oscillations) ama>boïdes.

Mais nous avons ici mieux qu'une supposition. Nous avons un fait qui nous prouve que les prolongements protoplas-miques de certains neurones sont doués de mouvements.

Ces neurones sont les éléments connus sous le nom de cellules olfactives, dans l'épithélium de la muqueuse olfactive. Il a été établi par Cajal, par Vax Gehuchten, etc., que ces éléments sont des cellules nerveuses bipolaires et représentent le neurone sensitif de l'olfaction. Ces cellules bipolaires, ont deux prolongements: l'un profond, cylindre-axe, va former la fibre nerveuse du nerf olfactif ; l'autre, dirigé vers la superficie, représentant le prolongement de protoplasma, s'insinue entre les cellules épithcliales, et émerge libre à la surface de la

muqueuse, où il se termine par un filament unique- ou par deux filaments en forme de cils doués de mouvement. « Les mouvements qu'ils présentent, dit Raxvier (Technique, édition de 18S9, page 710), sont absolument différents de ceux des cils vibratiles. Tandis que ces derniers se meuvent tous rapidement dans la même direction, les cils olfactifs se meuvent très lentement, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. »

Voici donc que nos hypothèses, amenées à se concentrer sur les prolongements de protoplasma, rencontrent un fait d'observation directe montrant que les prolongements de protoplasma de certains neurones sont mobiles. Nous l'enregistrons aussitôt ; nous l'appliquons aux prolongements de protoplasma des neurones sensitifs centraux et nous disons hardiment: il est probable que, à l'état de veille, ces ramifications oscillent au contact immédiat des terminaisons de cylindre-axe des neurones sensitifs périphériques pour recueillir les impressions apportées par ceux-ci; à l'état de sommeil, ces ramifications protoplasmiques se rétractent ou s'écartent de celles du cylindre-axe, demeurent immobiles et ne recueillent plus ou recueillent peu les impressions amenées par ce dernier.

Telle est la théorie histologique du sommeil.

Mais, pour la rendre complète, il faut voir si cette conception est telle que tout se passe dans le sommeil comme si elle était vraie. Nous avons donc à nous poser encore une série de questions.

4* Dans le sommeil ordinaire, la non réception ou la difficile réception des impressions extérieures n'est pas absolue. Certaines excitations externes arrivent jusqu'au cerveau et y déterminent des rêves ; on fait passer à plusieurs reprises une lumière intense devant les paupières fermées d'une personne endormie, elle ne se réveille pas ; mais plus tard, quand arrive le réveil, elle raconte qu'elle a rêvé d'incendie, de volcan en éruption ou d'éclairs et d'orage. D'autres fois, l'excitation produit le réveil.

Ces phénomènes s'expliquent parce que la distance entre les ramifications écartées n'est pas devenue si grande qu'une excitation intense ne puisse la franchir; du neurone sensitif périphérique au neurone sensitif central, le passage de l'influx quelconque qui est l'essence de la conduction nerveuse est comparable à l'étincelle électrique qui, entre deux points écartés, jaillit ou ne jaillit pas, selon l'intensité du eouranf, eelon la charge de la bouteille de Leyde.

Nous apportons donc une première restriction à cet énoncé-que l'articulation des neurones périphériques et centraux est devenue infranchissable; elle est seulement devenue plus difficile à franchir, et cela, selon des conditions variables, selon tel ou tel organe des sens, selon l'état du sujet. C'est pourquoi telles excitations sont plus aptes que telles autres à provoquer le réveil ou à être l'origine des songes.

5e A cette première restriction, il faut en ajouter deux autres. Sans doute c'est essentiellement au niveau des articulations des neurones périphériques et des neurones centraux que se fait l'interruption, la désarticulation ou la demi-désarticulation en question. Mais ce n'est pas à dire qu'il n'y ait pas, pendant le sommeil, de désarticulations semblables entre d'autres neurones.

D'abord entre les neurones centraux cérébraux. L'incohérence des rêves, la manière brusque, inusitée, dont s'y font les associations des images, des souvenirs, montrent qu'évidemment les voies intercommunicantes des cellules cérébrales ne sont pas toutes largement ouvertes comme à l'état de veille. Non seulement les neurones qui établissent les communications entre le monde cérébral et les neurones périphériques ont rétracté leurs prolongements pour s'isoler de l'extérieur et se reposer par la cessation de toute activité, mais dans le monde des neurones cérébraux, dans les centres cérébraux proprement dits, dans leurs neurones d'association, nombre d'éléments se sont semblablement ramassés sur eux-mêmes pour se donner le repos et la réparation. Aussi les activités locales qui constituent le rêve ne trouvent-elles ouvertes devant elles que des voies incomplètes et selon le hasard desquelles se font les bizarres associations de la pensée rêvée.

Inversement, dans le monde des neurones des actes réflexes, il n'est pas à croire que toutes les communications persistent comme à l'état de veille. Si certains réflexes persistent et sont même plus faciles, d'autres au contraire paraissent abolis. La moelle a aussi son état de sommeil. Pour prendre un exemple extrême, pensons à la chloroformisation : elle produit d'abord le sommeil du cerveau, elle abolit la sensibilité ; mais, quand le réflexe cornéen disparait, déjà il y a menace de danger par abolition des réflexes essentiels à la vie de l'ensemble de l'organisme; que la chloroformisation aille plus loin encore, tous les réflexes essentiels seront suspendus, entre autres celui de la respiration, par le sommeil de leurs centres. Pour conjurer la

mort imminente dont ce sommeil de la moelle et du bulbe est comme le début, il faudra trouver une excitation capable de réveiller ces centres inférieurs ; ce ne sera pas l'intensité même de cette excitation qui la rendra efficace, ce sera sa nature, ce sera surtout la nature du nerf et, par suite, des centres sur lesquels elle portera ; et c'est ainsi que les tractions rhythmées de la langue sont devenues, entre les mains de Laborde, un si précieux moyen de réveiller les centres de la respiration.

Ce sommeil de la moelle est évident dans les expériences de Goltz (*). Le chien, privé de ses deux hémisphères cérébraux, présentait des alternatives de veille et de sommeil. Dans ce cas, le sommeil de la moelle (bulbe, protubérance et même cervelet), était rendu visible par son isolement de tout sommeil cérébral, par lequel il est voilé d'ordinaire chez l'animal normal .

Le sommeil n'est donc pas fonction du cerveau ; tous ou presque tous les neurones dorment, c'est-à-dire rétractent ou isolent leurs prolongements de protoplasma pour se soustraire aux excitations et jouir du repos réparateur. Mais certainement, de ces isolements, de ces interruptions de passage, les plus importants sont ceux qui se manifestent entre les neurones sensitifs centraux et les neurones sensitifs périphériques.

6° Comment s'établit ce repos, cet isolement, cette rétraction des prolongements protoplasmiques?

D'abord, il est rendu nécessaire par l'épuisement, par la fatigue des éléments nerveux. Une cellule nerveuse est comme une cellule glandulaire; quand elle a longtemps donné, il faut qu'elle répare ses pertes de substance. Elle ne parait pouvoir

(1) ß Au cours de ces dernières années, un physiologiste allemand, M. Goltz, a « pu conserver pendant près de deux ans un chien auquel il avait enlevé les a hémisphères cérébraux. Comme chez un animal intact, on observait sur ce chien * des périodes alternatives de veille et de sommeit. D'abord, il fallut nourrir ce ß chien sans cerveau en lui introduisant les alimente dans l'œsophage; plus tard, » il finît par manger tout seul. Ses impressions sensorielles étaient obtuses ; sous

¦ le coup dune irritation très forte de la penu, il aboyait ; il fallait des bruits vin-a lents pour le réveiller, une lumière intense lui faisait tourner la tète ou fermer « les paupières. 11 savait choisir les morceaux de viande imbibés de lait et ne tou-

¦ citait pas à ceux qui était imprégnés de coloquinte.

¦ Quant aux rapports avec le monde extérieur, le chien était indifférent à tout « ce qui se passait autour dc lui : il ne manifestait plus ni joie, ni tristesse, ni « colère, ni jalousie ; il n'avait plus ni mémoire, ni intelligence, u — (E. RrrrcnEn. Anatomic et physiologie animales, 2· édition, Paris. 1896).

le faire que par la cessation de toute activité; c'est ainsi que les cellules glanduiaires présentent des alternatives de travail et de repos.

Cependant on peut, par des excitations intenses et prolongées, forcer cette glande à sécréter longtemps; par l'excitation de la corde du tympan, on prolonge pendant dix et douze heures la sécrétion de la sous-maxillaire, quelque épuisée qu'elle soit. De même on peut forcer les cellules cérébrales à demeurer en activité malgré leur besoin de repos ; en présence d'un travail urgent à terminer, nous multiplions les excitations externes et internes (boissons excitantes); il faut parfois, selon l'expression vulgaire, se pincer pour ne pas dormir. Mais bientôt, en dépit de ces efforts, certains neurones se désarticulent; la pensée n'a plus sa coordination normale; le travail cérébral prend les caractères des rêves; et finalement le sommeil s'établit d'une manière inéluctable.

Si les cellules nerveuses ne sont pas fatiguées, si le sommeil n'est pas imposé par le besoin, il faut, pour ramener, mettre les cellules nerveuses dans les conditions mêmes du repos. Une position qui exclut tout effort, l'occlusion des paupières, . le silence, font que les cylindres-axes des neurones sensitifs périphériques n'apportent plus rien au voisinage des prolongements de protoplasma des neurones sensitifs centraux. Ces derniers prolongements, que rien ne sollicite, rentrent en eux-mêmes; les désarticulations se produisent graduellement; le monde cérébral, la pensée continue parfois à être ce qu'elle était à la fin de l'état de veille; on rêve souvent des choses auxquelles on pensait avant de s'endormir. Nous connaissons telle personne qui se procure, à volonté, au début de la nuit, des rêves de telle ou telle nature en pensant aux objets voulus, au moment de s'endormir.

Nous pouvons donc dire que, dans l'état de veille, les prolongements protoplasmiques des neurones sensitifs centraux sont sans cesse sollicités par les excitations qu'apportent les neurones périphériques; ces prolongements protoplasmiques se meuvent au contact des ramifications cylindraxiles des neurones afférents, et vont à la recherche de ces excitations, comme les prolongements libres des cellules olfactives vont à la recherche des particules odorantes. Quand nous fermons les yeux, quand nous nous étendons commodément, quand nous obtenons le silence, ces ramifications protoplasmiques, non sollicitéesj s'arrêtent, et ne recueillent plus rien. Peut-être le

sommeil n'est-il, en dernière analyse, que cet arrêt; peut-être n'y a-t-il pas de rétraction des prolongements de protopiasma; peut-être l'état de veille ou d'activité de la cellule nerveuse con-siste-t-il dans l'oscillation de ces tentacules qui vont recueillir les excitations en se mettant au contact tantôt de telle ramifications de cylindre-axe, tantôt au contact de telle autre. Que ce tentacule reste immobile, entre .deux ramifications de cylindre-axe, il ne recueillera plus rien; la désarticulation succéderait à un état d'articulation incessamment mobile et contingent. On voit que nous faisons bon marché de l'expression amœboïsme, de la comparaison des prolongements de protoplasma avec des pseudopodes, pseudopodes capables de s'allonger et se raccourcir. La seule idée qui nous paraisse essentielle, c'est qu'il s'agit de mouvements protoplasmiques, semblables à ceux que l'on peut constater et qui sont classiquement connus pour les cellules les plus diverses. Pseudopodes amœboïdes ou mouvement de cils vibratiles, peu nous importe; et du reste, on sait aujourd'hui qu'il y a, chez les êtres uni-cellulaires, toutes les formes de transition entre le pseudopode temporaire, rétractile, et le pseudopode permanent, vibratile. .

Mais ce sont encore les Amibes ou les leucocytes qui nous présentent les phénomènes les plus comparables au sommeil. Dans une préparation de leucocytes nous voyons ces éléments pousser des prolongements amœboïdes, tant qu'il y a de l'oxy. gène dans le sérum qui les baigne entre lame et lamelle. Si la lamelle a été lutée, au bout d'un certain nombre d'heures le milieu est pauvre en oxygène, riche en acide carbonique. Alors plus de prolongements amœboïdes; le leucocyte les a rétractés, il se présente sous la forme sphérique. Il dort. Il dort, disons-nous; et la preuve, c'est qu'on le réveille en descellant la lamelle, en laissant pénétrer l'oxygène et sortir l'acide carbonique; mouvements pseudopodiques, mouvement vibratiles, arrêtés par l'asphyxie, reparaissent presque aussitôt. Comment ne pas comparer ce sommeil de l'être uni-cellulaire à celui des cellules nerveuses des êtres composés? Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a assimilé l'asphyxie au sommeil, et réciproquement, et nous avons vu que les tractions rhythmées de la langue sont, pour les centres respiratoires asphyxiés, c'est-à-dire endormis, un véritable moyen de réveil.

7° Les particularités du réveil lui-même concordent parfaite-

ment avec ce qu'on pourrait induire a priori en partant dc la théorie histologique.

Si le réveil est brusque, sous l'influence d'une énergique excitation d'un organe des sens, c'est d'abord dans le domaine do ce sens que les communications de cellules à cellules se rétablissent, puis, rapidement, toutes les articulations des neurones sont rétablies et l'étal de veille est complet.

Plus lent et plus hésitant est le réveil spontané, succédant à une réparation suffisante. On dirait que, parmi les neurones, quelques-uns seulement d'abord sortent de leur état d'immobilité ou de rétraction ; ils étirent en ce moment avec hésitation leurs prolongements protoplasmiques; ils établissent des communications qu'ils interrompent presque aussitôt, pour les ouvrir de nouveau après un temps plus au moins long et en alternant avec d'autres en instance de réveil. Le fonctionnement total et synergique des cellules nerveuses se rétablit ainsi peu à peu, par un progrès intermittent et éparpillé; les cellules se réveillent chacune pour son compte, comme se réveillent les divers habitants d'une cité. Et souvent, après que nous avons quitté notre couche, fait la première toilette du matin, quelques neurones centraux sont encore restés dans l'isolement; il faut, pour se mettre au travail, exciter vivement ces retardataires, et, comme par le troisième roulement de tambour à l'heure matinale du collège, faire sortir de leur inertie les paresseux. Si le repos a été insuffisant, le réveil est plus pénible, plus long; les retardataires plus nombreux; les neurones ont peine à sortir spontanément de leur état de rétraction.

Nous pouvons donc dire qu'il n'y apasun sommeil,un réveil; il y a autant de sommeils et de réveils qu'il y a d'éléments nerveux capables d'activité, et auxquels par suite le repos est nécessaire.

En somme, on pourra dire que cette théorie n'est guère neuve, car elle ne fait qu'appliquer aux cellules nerveuses ce qui est admis aujourd'hui pour tous les éléments cellulaires de l'organisme. Tout état de fonction ou de repos de ces éléments se traduit par des dispositions différentes de leurs parties constituantes. La seule prétention qu'ait celte théorie, c'est de chercher quelle est, dans la cellule nerveuse, la partie modifiée. Nous pensons avoir rendu bien vraisemblable l'idée que cette

partie serait représentée par les prolongements protoplasmiques.

Mais du moins cette théorie nous délivre des conceptions vagues et des formules métaphysiques. Nous lisons par exemple dans un ouvrage récent (') : « Le sommeil est l'état de repos de notre conscience. » En effet, le sommeil peut devenir un état absolument inconscient, si tous les neurones se sont rétractés et immobilisés ; mais nous l'avons vu, le fait est rare ; la plupart du temps nombre de neurones du monde cérébral sont encore en activité intercommunicante. Est-ce que, dans le rêve, nous n'avons pas conscience de notre personnalité ? Est-ce que nous ne nous y souvenons pas et de notre moi à l'état de veille et de même de notre moi tel qu'il a été dans des rêves antérieurs?

Notre projet premier était de poursuivre la théorie histologique du sommeil normal jusque dans tous les états pathologiques. Nous avons bientôt reconnu que cette entreprise nous entraînerait trop loin, au-delà des modestes limites d'une thèse inaugurale ; elle nous a paru au-dessus de nos foices et nous y renonçons, du moins pour le moment, renvoyant le lecteur à l'excellente page qu'a écrite à ce sujet le professeur Lëpixe de Lyon {Reçue de Médecine, 1894, page 727.)

En résumé, la théorie histologique du sommeil permet d'arriver aux conclusions générales suivantes :

— Il n'y a pas un sommeil ; il y a autant de sommeils partiels qu'il y a d'espèce de neurones.

— Mais le sommeil d'ensemble, le sommeil bien établi, consiste probablement dans l'immobilité ou la rétraction établie au niveau des zones d'articulation entre les neurones sensitifs périphériques et les neurones sensitifs centraux.

— Le sommeil, c'est-à-dire l'état d'isolement, par rétraction des prolongements, des autres neurones, est partiel et contingent dans les centres cérébraux, témoin les rêves.

¦ — Le sommeil des neurones est comparable à l'état des leucocytes en asphyxie ; l'arrivée dc l'oxygène et le départ de l'acide carbonique réveillent ces leucocytes, c'est-à-dire leur donnent le mouvement.

1. Marie de MaHaceine. Le sommeil. Trad. du russe par E. Jaubert. Paris, 180c.

L'EVOLUTION DE L'IDÉE DE RESPONSABILITÉ

Par M. ?? D' Henri Lemesle, avocat a la Cour de Paris.

Pour les peuples primitifs, le châtiment et la récompense sont impersonnels : c'est le Dieu de la Bible qui dit : « Je suis le Sei~ « gneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux qui venge l'iniquité des pères « sur les enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération dans a tous ceux qui me haïssent, et qui fais miséricorde dans la suite de a mille générations à ceux qui m'aiment et gardent mes préceptes. » (Exode, xx, 5-6.)

Et l'application de ce principe, nous la voyons dans l'Ecriture Sainte : le péché originel frappant l'humanité entière pour la faute d'Adam et d'Eve; Cham se moque de son père Noë surpris par l'ivresse, la postérité de Cham est maudite ; — le peuple d'Egypte est frappé de plaies en expiation de l'orgueil de Pharaon; — la peste ravage le peuple d'Israël à cause de 'insolence et des fautes de David.

Il en va de même dans leslégendes païennes, les héros d'Homère ne sont que des instruments, responsables toutefois, de l'acte que leur fait accomplir la divinité. Ulysse, docile à la divinité, expie par dix ans de vie errante les fautes qu'il a commises, et Achille, que les Dieux ont fait invincible, recueille la gloire et les récompenses de ses victoh*es.

La tragédie grecque avec Eschyle et surtout avec Sophocle marque un stade plus avancé de la notion de responsabilité, l'homme comprend ce qu'il fait et ce qu'il doit faire, lui-même conçoit ses desseins, mais la fatalité le guide, elle est inéluctable, il la doit subir. Cette théorie est rendue avec toute sa vibrante expression dans la légende d'Œdipe.

Dans cette première période toute théologique de la responsabilité, le fait seul est envisagé, de l'intention il n'est tenu aucun compte.

Avec Socrate commence une conception toute autre, à la dhase théologique succède la phase philosophique. Nul n'est méchant volontairement, enseigne la doctrine socratique ; faire le Mal c'est ignorer le Bien; pour tendre au Bien il faut le connaître, et toutes les vertus résultent de la science, comme

tous les vices de l'ignorance. Sommes-nous donc si loin de cette pensée d'un de nos comtemporains : « Ouvrir une école aujourd'hui, c'est fermer une prison dans vingt ans. »

Platon dans ses dialogues reproduit la pensée du maître et même il l'enrichit. Nous sommes en plein Déterminisme. Dans le Protagoras, il est dit que l'injustice est involontaire. Dans le Sophiste : « Il y a deux sortes de maux de l'âme. L'un, quiest appelé par la foule méchanceté, est évidemment la maladie de l'âme. L'autre est ce qu'on appelle ignorance. » Dans le Timée, se fait jour une théorie ancêtre de la théorie Iombrosienne : ß Les maladies de l'âme naissent de l'état du corps ». Platon admet le méchant par ignorance, mais tout en connaissant le bien et en le voulant on peut faire le mal : « Celui dans la moelle « duquel s'engendre un sperme abondant et impétueux, est « comme un furieux pendant la plus grande partie de sa vie, et a ayant une âme malade et insensée par la faute du corps, il c est considéré mal à propos comme un homme volontairement « mauvais. C'est par quelque vice dans la constitution du corps, « par une mauvaise éducation que l'homme mauvais est devenu « ce qu'il est. Il faut toujours s'en prendre plus aux parents « qu'aux enfants, aux instituteurs qu'aux élèves. »

Ne trouvons-nous pas de façon évidente réunis en ces quelques mots les matériaux qui plus tard devaient servir à l'édification à la fois de la théorie Iombrosienne du criminel-né, et de la théorie de l'Ecole Française de Lacassagne : les sociétés ont les criminels qu'elles méritent.

Le Déterminisme triomphait avec Platon ; vint Aristote qui fut le champion du libre-arbitre. Pour Aristote, « la vertu dé-« pend de nous et le vice aussi. Nous sommes libres de faire « ou de ne pas faire les bonnes actions aussi bien que les mau-« vaises, c'est-à-dire d'être bons ou méchants; il dépendra « donc de vous d'être vils ou estimables (Morale à Nicomaque). Nous sommes maîtres de nos actes et même de nos intentioni» de notre manière de voir et d'envisager les objets. Non seulement les vices de l'âme sont volontaires, il y a même des personnes chez qui les imperfections du corps le sont aussi.

L'idée de responsabilité demeure pour longtemps figée dans le moule où l'avaitjetée Aristote, etles philosophes qui suivent ce dernier ne font guère que lui faire des emprunts sans lui apporter de notables modifications. Les Epicuriens considèrent les résultats, les Stoïciens les motifs de nos actions pour

la mesure de degré de responsabilité de l'agent: les uns et les autres sont plutôt des éclectiques que des théoriciens vraiment novateurs.

¦

» »

Quant aux Romains, ils rompirent avec les doctrines reçues, nous n'en voulons pour preuve que l'étude de M. Bouché-Leclerq sur les Institutions Romaines : « L'offense faite aux lois « était d'autant plus grave et la répression plus dure que le « criminel avait moins de droits à la protection de la société. « Ce principe qui était dans l'esprit de la jurisprudence crimi-« nelle se fixa sous l'Empire dans les textes législatifs, qui « édictent d'ordinaire deux genres de pénalité pour les mêmes « crimes suivant qu'ils sont commis par des gens de peu ou « des citoyens de classes supérieures. »

Avec le moyen âge la théologie remplace la philosophie : le bien et le mal deviennent l'œuvre de Dieu et du démon avec l'homme pour instrument inconscient mais responsable.

On fait le procès aux fous, aux inconscients, aux cadavres, aux animaux ; ceux ci n'échappent pas au supplice ; la ïîible ne disait-elle pas: « Si un bœuf frappe un homme ou une femme et qu'ils en meurent, lé bœuf sera lapidé et sa chair ne sera pas mangée; le propriétaire du bœuf sera indemne. » En application de cette maxime, des animaux furent pendus et brûlés après les formalités d'une procédure en règle. Dans cette nuit profonde ce ne. sont que possessions et démonolâtrics. Les seules lueurs qui dissipent ces ténèbres sont celles des bûchers de l'Inquisition: combien d'holocaustes eurent pour prétexte ce verset biblique : * Oit ne hissera pas vivre une sorcière? » Alors nous assistons à cette tourmente, à cette épidémie mystique des xv(, ???' et xvnc siècles. Au nom de la religion catholique, on brûle en France, en Italie, en Espagne des milliers de victimes; l'inquisiteur Sprenger est envoyé spécialement par le pape en Allemagne pour cette œuvre d'expiation, et à Tune des victimes qui lui dit qu'elle ne saurait être coupable puisqu'on lui reproche uniquementd'être l'instrument inconscient du malin, il répond: « Je suis bien bon d'écouler ces gens-là! Sot qui dispute avec le diable. « Au début du ???ß siècle, dans le seul duché de Trêves, 6-000 sorcières sont brûlées. Dans le Haut Languedoc, 400 démonolâtres ; en Lor-

raine, 900 mélancoliques sont mis à mort. L'église ne désarme pas, elle brûle les Juifs, pend les Huguenots ; plus tard, en échange des dragonnades, elle donnera à Louis XIV l'absolution de ses amours adultères. C'est encore et toujours le déplacement de la responsabilité personnelle et du châtiment individuel.

A l'exemple parti d'en haut et donné parle clergé, la magistrature répond: sous Henri IV, un juge de Bourgogne, Boguet, représenteles sorciers comme formant unearmée égale à celle de Xerxès, il regrette qu'il ne soient pas tous unis en un seul corps pour les brûler tous en xtne fois, en un seul feu, mais il se consoleun peu, en constatant que l'Allemagne passe son temps à leur dresser des autodafés, que la Lorraine montre aux étrangers mille et mille potences où elle les attache et que la France ne reste pas en arrière.

La besogne d'extermination qu'ont pu faire de pareils prosélytes, encouragés d'ailleurs par les indulgences .et ayant en mains tous les pouvoirs, se conçoit difficilement. M. Bérard écrit : « Ce qu'ont été les formidables hécatombes de ces pauvres fous qu'on accusait de sorcellerie, de magie, que leur imagination avaiteonduits au sabbat, l'histoire ne le saura jamais: elle en connaît quelques-unes et ce qu'elle sait suffit pour épouvanter; elle en découvrira d'autres, mais dans tous les monastères, àla veille de 1789, les moines effrayés eux-mêmes des horribles holocaustes de leurs aînés ont brûlé les sanglantes archives qui devaient révéler à l'humanité affranchie les elïroya-bles forfaits du catholicisme et de la féodalité. »

Quelques penseurs cependant résistèrent au courant, et dans la mesure du possible élevèrent timidement la voix contre ces abominations: Boglivi, Plater, Boorhave, Sennert, Sauvages, Jean Wier eurent le courage et le mérite de plaider la cause des malheureux fous. Pigray, médecin de Henri IV, obtint du Parlement de Tours en 1539 la grâce de quatorze démonolâtres qu'attendaient les flammes et « auxquels il fallait plutôt bailler de l'ellébore pour les purger que autres remèdes pour les punir. » Montaigne préfère « admettre que l'entendement soit emporté de sa place par la volupté de l'esprit détraqué, au lieu de croire qu'un de nous soit envolé sur un balai au long du tuyau de sa cheminée en chair et en os par un esprit étranger » ; et en 1580 il prenait la défense « des sorcières de son voisinage courant hasard de leur vie sur l'avis de chaque nouvel auteur qui vient donner corps à leurs songes. »

Mais ces protestations isolées ne furent pas entendues et les exécutions se poursuivirent.

Cependant la révolution cartésienne fut à la théologie qui régnait alors incontestée, ce qu'avaient été les doctrines socratiques à la période héroïque que nous avons étudiée au début: elle imprima pour longtemps son cachet aux philosophes qui suivirent. L'homme n'est plus l'instrument de Dieu ni du démon, mais il a son libre-arbitre et ce libre-arbitre ne se mesure pas par degrés, il est tout entier ou il n'est pas : de responsabilité atténuée il n'y en a pas.

Et toutefois, quand après la Révolution, le législateur édicta l'article 64 du code pénal aux termes duquel il n'y a crime ni délit quand l'agent était en état de démence au moment de l'action, il s'en fallait que la philosophie fût d'accord avec la législation.

Sous l'influence de Hegel, d'Auguste Comte, de Darwin, de Spencer, l'idée cartésienne de l'absolu fit place à l'idée de relatif. L'influence de ces philosophes ne tarda pas à se faire sentir dans le domaine de la responsabilité et l'on vit naître sous cette poussée le principe des responsabilités atténuées. Stuart-Mill, Fouillée, Lachelier, Ribot contribuèrent à restreindre le champ de la responsabilité en faisant moins grande la part du libre-arbitre. Les faits rapportés par la science médicale sont venus accroître l'impulsion ; la science et la philosophie, dans des conclusions identiques, ont assimilé la liberté à la pensée. Le degré de responsabilité que l'on savait en rapport avec le degré de liberté devint ainsi en relation avec le degré de pensée. De rapports précis et absolus entrela raison et l'aliénation, il serait hasardeux d'en fixer ; ainsi que le dit Tarde : la Responsabilité absolue et l'Irresponsabilité absolue sont des limites idéales que les faits ne réalisent pas.

La théorie actuelle de la pénalité résulte de la fusion de deux doctrines : celle de Y Utilité et celle de la Justice absolue. — Dans la doctrine de G £/////7^ le châtiment existe en tant que préservation sociale. L'Etat en se défendant agit en vertu de cet instinct de conservation qu'a tout individu et toute collectivité. La pénalité doit viser à punir le malfaiteur et à inspirer une crainte; la société ne doit punir qu'autant que cela est utile, et elle ne devrait pas le faire s'il était certain qu'un second délit ne suivrait pas le premier. Platon, Cicéron, Senèque, et, parmi les modernes, Hobbes, Locke, Montesquieu, Beccaria, Bentham ont vu dans cette théorie un fondement suffisant à la pénalité.

La théorie de la Justice absolue s'occupe avant tout de la violation delà loi divine, il faut une expiation afin de rétablir l'ordre moral. Cette doctrine a été celle du jurisconsulte Paul, de saint Augustin, de Grotîus, de Leibnizt, et Kant l'a exprimée en ces termes : « Si la société civile était sur le point de se « dissoudre, le dernier meurtrier détenu dans une prison de-« vrait être mis à mort au moment de cette dissolution, afin « que tout coupable portât la peine de son crime et que l'ho-« micide ne retombât pas sur le peuple qui aurait négligé de « le punir. »

Ces deux doctrines, nous l'avons dit, se sont pénétrées l'une l'autre et, dans l'état actuel de la conception de la pénalité, pour que le criminel soit justement puni, il faut (Cours de M. Dubuis son à la Faculté de Droit) :

i° Qu'il ait troublé l'ordre social ;

2» Qu'il ait du même coup commis une faute contre l'ordre moral ;

3° Qu'il ait plainemcnt conscience de cet ordre moral ; 4« Qu'il ait en lui les moyens moraux nécessaires pour le respecter.

Si ces deux dernières conditions font défaut, le criminel ne relève plus de la justice: il est moralement irresponsable; et la pénalité ne doit pas s'égarer sur sa tête.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du lundi 18 novembre. — Présidence de m. Dl'moxt pallier.

Société d'hypnologie et de psychologie

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance comprend les lettres d'excuses de M. Boirac, vice-président, et de M. Collineau. M. le secrétaire général annonce que M. Verdin, constructeur à Paris, a obtenu à l'Exposition de Bordeaux un diplôme de grand prix pour ses instruments de précision.

M. le président met aux voix les candidatures de MM. le Dr Millée, médecin oculiste adjoint de la fondation Isaac Pereîre ; Onfroy, licencié en droit, chef du cabinet du préfet des Vosges ; Coutaud, docteur en droit.

De l'élément psychique dans les maladies ''). Analyse critique par M. le D' P. Valestis.

Parmi les récents ouvrages reçus à la bibliothèque de la Société d'hypnologie, il en est un que je crois utile de signaler à voire attention. Je veux parler dc la thèse inaugurale soutenue il y a quelques mois devant la Faculté de Nancy par un des plus brillants élèves de M. le Prof Bernheim, M. le D' P. Hartenberg.

Sous ce titre : De l'élément psychique dans les maladies, notre nouveau collège analyse avec méthode les manifestations et le mécanisme des troubles fonctionnels, reconnaissant pour cause la présence d'une idée morbide, que ces troubles accompagnent et compliquent une maladie organique, ou qu'ils existent seuls et constituent la maladie tout entière.

Le sujet était immense, et il faut savoir gré à l'auteur, « dans une étude où les conceptions imaginaires et les psychologies vagues sont le danger », d'avoir condensé dans une centaine de pages, d'un style sobre, clair et précis, les réflexions d'ordre clinique et thérapeutique que lui suggèrent un certain nombre d'observations probantes et bien choisies.

Après une brillante introduction où il établit ß qu'en théorie chaque trouble organique — maladie locale ou générale — doit toujours s'accompagner de troubles psychiques, M. le D' P. Hartenberg entre dans le vif de son sujet en recherchant tout d'abord quels sont les facteurs pathogéniques de ce qu'il appelle très heureusement « des habitudes psychiques morbides. »

« L'élément psychique, dit-il, pour déterminer des manifestations morbides, emprunte deux facteurs : une idée, un ferra tu; idée accidentelle, contingente, qui se développe sur un terrain constant, nécessaire. »

C'est le terrain qui est le facteur primordial, indispensable. Il faut, pour qu'une idée morbide puisse s'acclimater et se fortifier, qu'elle rencontre dans le système nerveux un état de réceptivité, caractérisé par une crédivité et un automatisme cérébral supérieurs à la normale. Il faut qu'elle trouve un aliment dans cette émotivité et dans cette impulsivité exagérées qui traduisent les formes pathologiques de la suggesli-bilité humaine.

Le terrain est donc la cause essentielle des désordres psychiques : les idées n'en sont que les causes occasionnelles. Mais l'idée, quelle qu'elle soit — idée de sensation, idée de mouvement, idée d'émotion, — une fois acceptée par un cerveau propice à son développement, sera infailliblement réalisée par lui, et pourra même, si elle n'est pas com-

(1) Thèse de Nancy, 1895. par M. le D- Pau! Hartenberg.

-battue à temps, provoquer à la longue des troubles organiques-réels graves, et quelquefois incurables.

Au point dc vue étiologique, l'auteur est naturellement conduit à distinguer les causes du terrain et celles de l'idée.

L'hérédité lui parait jouer ici un rôle absolument prépondérant, soit qu'elle agisse comme cause directe, en constituant le terrain favorable à l'évolution des désordres psychiques, soit qu'elle agisse d'une manière indirecte,- en déterminant d'abord l'apparition des névroses sur lesquelles se greffent secondairement ces désordres.

Parmi ces névroses, M. le Dr P. Hartenberg distingue en première ligne l'hystérie, type accompli des névroses par auto-suggestion; puis vient la neurasthénie, dont il importe, pour le pronostic, de ne pas confondre la forme purement psychique avec les formes compliquées d'épuisement nerveux réel, acquis ou héréditaire; et enfin VépUepsie, les maladies infectieuses, les intoxications, toutes les maladies locales ou générales qui, troublant la nutrition cellulaire, provoquent à un degré quelconque la déchéance de notre organisme.

Quant aux causes de l'idée, elles sont innombrables, car toute sensation peut être le point de départ d'une névrose psychique.

Aussi l'auleur renonce-t-il à passer en revue les formes diverses de névropathies par causes morales. Il se trouve à rapporter, à titre d'exemples, quelques observations destinées à confirmer sa théorie.

La plus curieuse de ces observations est certainement celle, inédite, qui a trait à un cas de paramyoclomus multiplex, guéri par la suggestion employée successivement à l'état d'hypnose et à l'état de veille. Celte description jette une vive lumière sur la nature et la pathogénie d'une affection rare et encore peu connue.

Le pronostic des désordres psychiques est très variable. Ce qu'on peut affirmer avec l'auteur, c'est que les symptômes survenus accidentellement et depuis peu de temps, disparaissent assez vite.

Mais il ne faut pas oublier — et c'est un point sur lequel M. le Dr P. Hartenberg insiste à bon droit — que les névropathies peuvent, dans certains cas, devenir le point de départ de lésions matérielles du système nerveux et des organes. « C'est pourquoi jamais l'on ne devra considérer ces manifestations morbides de l'élément psychique comme des affections purement imaginaires, c'est-à-dire négligeables. On leur opposera le traitement moral, le seul qui convienne en pareil cas, et, par là, l'auteur entend la suggestion sous toutes ses formes, avec ou sans hypnose, en prenant soin d'adapter toujours aux dispositions individuelles de chaque sujet, le procédé psychothérapique qui semblera devoir le mieux réussir (').

Telle est, résumé à grands traits, l'intéressant travail de M. le D' P. Hartenberg. Directement inspiré des doctrines à la fois si larges et si originales de la Faculté de Nancy, il fait le plus grand honneur à la

11) De Vêlement psychique dans les maladies, p. 02.

jeune Ecole psychique française. Comment nous défendre, en terminant cette courte analyse, de souhaiter que bientôt les étudiants de Paris se décident à suivre l'exemple de leurs amis dc province, et abordent courageusement dans leur thèse quelques-uns des troublants problèmes que soulève la psychothérapie?

Folie hystérique traitée avec succès par la suggestion hypnotique

Par le D' Auguste Voisin.

Etat de mal hystérique. Attaques coiivulsives. Hallucinations et délire. Troubles moraux. Début il y a 3 ans. Hypersensibilité de la peau, soubresauts au plus léger toucher. — Guérison par la suggestion hypnotique en quelques jours.

M1" X..., âgée de 14 ans, m'est amenée par sa mère le 29 mai 1895, pour des attaques convulsives qui lui reviennent très fréquemment, pour de la céphalée et pour du délire qui surviennent après les attaques. Cet état a débuté, il y a trois ans, par des ctourdissements suivis dc perte dc connaissance et des maux de tète.

Du côté des parents, aucune tare.

Cette jeune fille n'a pas eu de convulsions pendant son enfance.

L'aggravation de cet état morbide semble avoir été causée par la mort de sa grand'mère, survenue fin janvier de cette année. II en est résulté des phénomènes nerveux tels que soubresauts, étouffements et une grande émotivîté.

Le 20 février, céphalalgie générale des plus intenses. Troubles de la vue, diplopie. Puis cécité momentanée, vue du feu, vue de sa grand'mère au plafond de sa chambre ; paroles incohérentes : sa physionomie était alors absolument égarée. Le lendemain, il est survenu des secousses des quatre membres et du tronc qui se reproduisaient d'une façon continue. Deux jours après, elle a été prise d'attaques caractérisées par la perte presque complète de sa connaissance, la chute à terre, des cris très forts, des mouvements convulsifs désordonnés, des actes violents comme arracher les cheveux aux personnes de son entourage. Sensation d'étouffement, d'étranglement, le tout durant de dix à trente minutes. Elle a cinq à six attaques semblables par jour. Ce matin, elle en a déjà eu deux.

Ces attaques se produisent en dehors même des époques.

Etat actuel :?"' X... est grande, bien faite, le front est haut; les traits symétriques, la vision est nette, de quelque façon qu'on l'examine. Pas d'insensibitté oculaire. 11 existe de l'hypersensibilité de toute la peau, la plus légère pression détermine des soubresauts et même comme des bonds sur sa chaise.

Céphalalgie générale intense.

Cette jeune fille est très intelligente. Son caractère est devenu très

difficile et mémo colère, Sa mère no peut avoir aveoelle aucune oonvcr* salion sans qu'elle détermine des paroles impolies. £llc a été traitée inutilement depuis plusieurs mois par du bromure de potasse à haute dose.

Le 29 Mai, j'ai pu la plonger rapidement dans le sommeil hypnotique par l'emploi du miroir rotatique et la suggestion de dormir.

Le sommeil obtenu est léthargique. Dès son début, je fais à la malade des suggestions relatives à son état et en particulier à son hypéres-thésie et à ses attaques.

Le 31 Mai. Elle a déjà été hypnotisée 3 fois, elle n'a eu ni attaques, ni étouffements, et elle ne manisfeste que quelques soubresauts par le toucher de ma main.

Le 5 Juin. Elle ne présente plus qu'une sensibilité extrême des paupières qu'on ne peut toucher sans provoquer de secousses dc la tète et du reste du corps. Une séance de suggestion hypnotique la fait disparaître. Son caractère a beaucoup changé et sa mère peut discuter avec elle sans provoquer de colère.

7 Juin. Etat très satisfaisant. Suggestion hypnotique.

30 Octobre. Elle s'est très bien portée et son caractère ne laisse rien à désirer. Suggestion hypnotique pour consolider le traitement.

15 Février 1896. La guérison s'est maintenue.

REVUE D'HYPNOLOGIE, DE NEUROLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

L'hypnotisme dans la thérapeutique

(ZaOUSatlopf Voir ?· 6, p. 167, 1806)

Le procédé qu'emploie habituellement le Df Zaousailofï consiste simplement à ordonner aux sujets de fermer les yeux et leur dire, sans élever la voix : «Restez tranquille, fermez les yeux, et dormez ». Si le malade ne s'endort pas, on le force à tenir les yeux ouverts, le bras tendu pendant un quart d'heure environ, jusqu'à ce qu'il soit fatigué ; iiprès quoi, on lui enjoint de dormir. Dans des cas plus rebelles, Zaou-sailoiT recours à la pression exercée sur les globes oculaires et à l'application de la main sur l'occiput. Mais c'est le premier procédé.qu'il emploie le plus souvent et avec le plus grand succès. Il réveille les malades sans aucune espèce de difficulté, en leur soufflant à la figure ou encore en leur commandant d'ouvrii' les yeux.

Dans un cas seulement, il mit dix minutes pour réveiller le sujet endormi. Avant de réveiller, il faut, dit l'auteur, suggérer aux malades

qu'ils se trouveront très 4)icn, n'auront ni palpitations, ni céphalées, etc., qu'il se féliciteront, en somme, de s'être laissés endormir.

Zaousailoff a employé la suggestion chez 27 malades, qu'il divise en quatre catégories: 7 cas d'alcoolisme chronique, 5 de troubles sexuels, 6 de neurasthénie et de légers troubles nerveux, 7 d'insomnie et do

troubles du sommeil. Il a traité, en outre, un cas d'épilepsie et un eus d'incontinence nocturne d'urine.

Le traitement a échoué chez un seul alcoolique ; six autres, après le traitement, se sont abstenus dc boissons alcooliques pendant plus ou moins longtemps.

La suggestion a donné de bons résultats chez les malades de la deuxième catégorie : trois (onanisme) ont guéri complètement, deux (impuissance) ont été améliorés. Les neurasthéniques ont été également améliorés. Même résultat pour les malades de la quatrième catégorie (insomnie): le sommeil a été rétabli chez Tépileptiquc, le nombre des accès a diminué ainsi que leur intensité. Quant au malade atteint d'incontinence nocturne d'urine, la suggestion a donné des résultats immédiats, mais, quelques jours après, l'incontinence a reparu.

En se basant sur ces observations, Zaousailoff croit que la suggestion exerce une action favorable dans un grand nombre de cas où les autres procédés de traitement échouent, comme par exemple dans l'alcoolisme chronique et les troubles sexuels. Mais, pour que la suggestion donne un bon résultat, il faut qu'elle soit répétée plusieurs fois; autrement, son action diminue progressivement et finit par disparaître. L'auteur estime que, par un traitement hypnotique systématique, on peut arriver à la guérison complète de certaines affections chroniques, dc celles bien entendu où la suggestion exerce une action favorable.

En résumé, il n'y a rien de très original dans ce travail. L'auteur se borne à rappeler comme personnelles des indications ou des préceptes qui ont été formulés parles auteurs français.

Vésanie transitoire chez les neurasthéniques.

Par R. Vo.\ Krafft-Edixg {de Vienne).

Beaucoup de cérébrasthéniques craignent d'être frappés d'aliénation mentale et ces idées nosophobiques en poussent même quelques-uns au suicide sans motif. Car un trouble mental permanent, tel que l'entendent les profanes, ne provient directement de la neurasthénie que dans des cas excessivement rares et la crainte d'¦ abrutissement ? dont ces malades sont souvent inquiétés n'est qu'un fait passager et insignifiant de leur histoire pathologique, fait qui se produit par suite de troubles temporaires de la circulation.

Par contre, des troubles épisodiques sont possibles dans la neurasthénie, troubles qui se présentent brusquement, durant des heures et même des jours, sont accompagnés de délires et d'illusions, trarispor-

tent le malade dans un monde de rêves et de crépuscule et peuvent provoquer de vives inquiétudes dans son entourage.

La connaissance de ces épisodes est d'une grande importance pour le praticien pour établir un diagnostic juste et ne pas envoyer sans nécessité un malade dans un asile d'aliénés.

On ne devrait jamais perdre de vue ce fait acquis qu'une aliénation mentale venue brusquement, sans fièvre, sans être précédée d'une obnubilationde l'intelligence, n'a qu'une signification symptomatique et transitoire.

Les cas dc vésanie transitoire sont très fréquents. Ce sont des épisodes de l'acmé de la maladie neurasthénique dont la durée varie entre quelques heures et environ douze jours. L'auteur l'a rencontrée beaucoup plus fréquemment dans la neurasthénie constitutionnelle et d'ordinaire elle a été provoquée par le surmenage intellectuel, les chagrins, la privation de sommeil, une nutrition insuffisante.

Le substratum des symptômes cliniques est évidemment le trouble grave de l'activité chimique des cellules ganglionnaires de l'écorce cérébrale.

On a probablement affaire à une inanition produite par une mise à contribution extraordinaire des cellules ganglionnaires et à une intoxication dc l'organe psychique par l'accumulation des éléments dont l'oxydation reste incomplète par suite du manque de sommeil.

Quant aux symptômes cliniques, ce sont les phénomènes d'entraves qui prédominent. A remarquer que la coordination psychique est, dans la plupart des cas. conservée. Les délires ont pour la plupart un caractère expansîf.

L'auteur rapporte quatre cas très intéressants. [Wiener Medizinische Presse, h janvier 1896.)

Tumeur mammaire d'origine hystérique

Par M. le D'. Asacleto.

Une femme de trente et un ans, manifestement hystérique, ressent depuis trois ans des douleurs dans la région mammaire gauche, qu'elle attribueàune maladie du cœur. Commel'auscultation montreque celui-ci est sain, on pense à une simple névralgie intercostale et on institue un traitement en conséquence. Juntre temps, le sein gauche grossit et la malade se persuade qu'elle est atteinte d'un cancer: en effet, la glande est considérablement hypertrophiée, douloureuse, les ganglions sont pris, si bien qu'un spécialiste consulté pose le diagnostic de tumeur maligne déjà inopérable. Malgré cela M. Anacleto, le médecin habituel de la malade, éloigne l'idée de cancer en se basant sur ses antécédents névropathiques, agit sur son moral, détourne son attention de son mal en la reportant sur une affection fictive de l'utérus et en quelques mois il ne reste plus traces du cancer imaginaire [Gaz. d. Osped,, n" 154,1895

Etude expérimentale de l'attention

Par M. S. de Saxtis (de Rome).

Dans ce travail très bien documenté sur la manière d'étudier et de mesurer l'intensité de l'attention, l'auteur émet l'avis que la promptitude et l'exactitude des réactions ne peuvent pas toujours indiquer la force et l'énergie du processus attentif cortical ; tout au plus peuvent-elles indiquer que l'attention est présente. Mais on pourrait, dit-il, juger de l'énergie de l'attention en mesurant l'effort (la distraction) qu'il faut pour rompre l'arc diastaltique et pour abaisser la tonicité fonctionnelle dans la sphère corticale.

Il nous rend compte des expériences qu'il a faites le 13 décembre 1893 sur le fameux jeûneur Succi. Il a fait sept expériences et étudié tour à tour l'attention concentrée et l'attention distributive d'après une méthode qui lui est particulière et dont il nous expose le procédé.

Santé de Santis a constaté que le jeûne avait eu une influence pernicieuse sur la faculté attentive de Succi. En effet, l'attention était encore capable de se fixer sur un objet donné sans aucune difliculté, mais l'intensité de la fixation était de beaucoup diminuée: la synthèse psychologique était peu résistante. Les limites de la faculté distributive de l'attention se montraient très réduites. (Bullelino délia Societa Lanet-sîana degli ospedali di Roma, fasc. II, 1895.}

Un cas d'hystérie chez une fillette de 8 ans, guérison par suggestion

Par tes D" A. Clacs et F. Jacobs d'Anvers 0)

Une fillette de 8 ans, dont l'hérédité nerveuse est très chargée, fut atteinte d'influenza en février 1895 (fièvre, abattement, douleurs dans la nuque, le dos). Pendant 3 ou 4 jours, elle eut des spasmes œsophagiens; puis, une zone d'hypeiesthérîe apparut du côté droit du tronc et du bassin, entraînant l'immobilisation du membre inférieur, en flexion pour la cuisse, en extension pour la jambe.

On porta successivement les diagnostics dc névralgie, coxalgie, rhumatisme, myélite, névrite, et tous les traitements furent essayés.

Les auteurs pensèrent alors qu'il s'agissait d'une topoalgie hystérique. Ils conseillèrent à l'enfant de faire une neuvaine à Jésus, à l'occasion de Noël. En moins de 3 jours, l'enfant se leva et fut guérie.

On ne peut douter du rôle thérapeutique de la suggestion dans ce cas. En outre, il est un exemple de plus à ajouter à la série déjà nombreuse des méfaits névropathiques qu'il faut mettre sur le compte dc l'influenza.

0) Bulletin de la Soc. mèd. d'Anvers, janvier 1896.)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances dc la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi dc chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront lieu les lundis 18 mai et 15 juin. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Tnitbout. et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussiou.

Sculpture médicale.

Le docteur Paul Richer, si connu par ses travaux d'anatomie artistique pour lesquels il a mis à profit les révélations de la photographie instantanée, envoie au Salon dc sculpture des Champs-Elysées une série de statuettes très curieuses au point de vue dc l'étude dc la vérité dans les mouvements. On remarque, parmi les sujets choisis, trois coureurs, des athlètes soulevant des poids, un lutteur lançant un coup dc poing, un autre décochant un coup de pied droit, et on constate, après le premier moment de surprise motivé par des attitudes auxquelles la vue n'est point habituée, que tous ces mouvements produisent une impression esthétique très réelle.

Cela sort absolument du convenu, et au premier abord l'œil est surpris par ces attitudes auxquelles il n'est pas habitué. Mais l'impression esthétique n'en est pas moins très réelle.

L'envoi du docteur Paul Iiichcr sera examiné avec le plus grand intérêt non seulement par les artistes, mais par les savants.

La Narcolepsie.

Monsieur le Rédacteur en Chef,

Dans l'avant-dernier numéro de la Revue de l'Hypnotisme a paru un article très intéressant de M. Luys sur le Sommeil impératif. Qu'il soit permis à cette occasion à un des membres de la Soeiété de faire respectueusement observer à M. Luys que ce sommeil maladif, impérieux, sans lésions anatomiques le plus souvent, a été étudié, découvert et baptisé par nous sous le non devenu classique et généralement adopté depuis de Narcolepsie.

M. Charcot et l'école de la Salpêtrîère ont consacré dnnp nombreuses

thèses doctorales depuis cette étymologie courte, saisissante et plus juste, car elle indique une action subie, passive, sous l'influence, en un mot, d'états maladifs variés. Le sommeil ne commande pas, il est subi — c'est un acte passif — Je me permets donc de rappeler à M. le Pr Luys que la définition de ces sommeils spontanés invincibles existe, et l'œuvre de M. Luys est assez riche pour qu'il emprunte une fois aux pauvres.

Dr gêlineau.

Congrès de Psychologie de Munich.

Le Comité d'organisation a déjà reçu l'avis d'un grand nombre de communications. Les auteurs dont les communications sont annoncées sont jusqu'à ce jour: MM. Aars, de Christiania ; D' Andreœ, de Kai-serslauter; Luigi Anfosso, de Fossano ; D'G. Aschaffenburg, de Hei-delberg; Dr Baer, de Berlin; D'Bérillon, de Paris ; D'Bernheim, de Nancy ; D' F. Bezold, de Munich ; D' Billinger, de Munich ; M. Alfred Binet, dc Paris ; D' Milne Bramwelt, de Londres ; D' Franz Brentano, de Vienne; D' Buschan, de Stettin ; Dr Jonas Cohn, de Berlin; Dr Hans Cornélius, de Munich ; Jules Courtier, de Paris ; Dr J. B. Crocq, de Bruxelles; Dr Dariex, de Paris; M. Delbœuf, de Liège; Dr Max Dessoir, de Berlin; Dr Hermann Ebbinghaus, de Breslau; Dr L. Edinger, do Francfort-sur-lc-Mein ; Dr de Ehrenfels, de Vienne ; Dr Epstein, de Berlin ; Benno Erdmann, de Halle ; Dr Sigmund Exner, de Vienne ; Dr G. C. Ferrari, de San Maurizio ; Dr Paul Flechsig, de Leipsig; D'Th. Flournoy, de Genève ; D' Max Friedmann, de Mannheim; D' H. Gutz-mann, de Berlin ; M. Stanley Hall, de Worcester ; Dr Ewald Hecker, de Wiesbadcn ; Dr E. Hcring, de Prague ; Dr L. Hirt, de Breslau ; Dr G. Hirth, de Munich ; D'Pierre Janet, de Paris ; D'A. de Jong, de La Haye; D' Th. Kaes, de Hambourg; D' O. Kûlpc, de Wurzburg; Dr H. Kurella, de.Brieg; Dp G. Lazzarini,dc Pavie; M. A. Lehmann, de Copenhagne ; DT Levillain, de Nice ; M. J. Liégeois, de Xancy ; Dr Th. Lipps, de Munich ; Dr F. de Liszt, de.Halle ; Dr L. Lowenfeld, de Munich ; Dr J. Luys, de Paris; D' P. Maach, de Hamburg ; Dr E. Mach, de Vienne ; Dr K. Marke, de Bonn; Dr A. Marro, de Turin; DrG. Martius, de Bonn; D'A. Marty, de Prague; DrM. Mendelsshon, de St-Pctersbourg;Dr J.B. Meyer, de Bonn ; D' C. de Monakow, de Zurich ; DT J. Morcl, de Gand ; I>r Enrico Morselli, de Gênes ; Dr F. C. Muller, de Munich ; F. W- IL Myers, de Cambridge ; Dr P. Xâeke, de Huberstusburg ; Df H. Obcrsti-mer, de Vienne ; Dr Max Ofïner, de Aschaffenburg ; II. G. Pctorsen. dc Bsston; M. Jean Philippe, dc Paris; Dr Preyer, de Wiesbaden ; Dr E. lïebm, de Munich; J. Rehmkc, de Greifswald ; Th. Hihot, de Paris; D' Ch. Hichet, de Paris ; D' Dringicr, dc Zurich ; D' O. Rosenbach, de Breslau; Dr Falk-Schupp, de Bad-Soden ; D' H. Schwarz, de Halle ; Giuscppe Sevgi, dc Rome; Henry Sidgwick, de Cambridge ; Madame Sidgwick, de Cambridge ; Dr P. Sollier, de Paris ; D' R. Sommer, de

Gicsscn ; Df A. Sperling, de Berlin, Dr H. Stadelmann, de Saal of Saale ; Dr L. Stein, dc Berne; Dr L. \V. Stem, de Berlin; G. H. Stout, de Cambridge ; Dr A. de Striimpel, d'Erlangen ; Dr C. Slumpf, de Berlin : D' Lloyd Tuckey, de Londres ; Dr G. Uphuss, de Halle ; N*. Vaschide, dc Paris; D'O. Vogt, d'Alexandersbad ; Dr H. de Voigt, de Leipsig; Dr A. Voisin, de Paris ; W. S. Wadsworth, de Philadelphie ; C. SÎ Wake, dc Chicago; WAVedensky, de Saint-Pétersbourg; D' O. Weftcr-strand, de Stockholm ; D' E. Westermarck, de Helsing fors : Dr G.WolfT, de Wurzburg; D'W.Wundt.de Leipsig ; Dr Th. Ziehen.de léna ; M. Bal-dwin, de Princeton ; M. A. Bertrand, de Lyon ;H.H. Donaldson. de Chicago ; Dr A. Forel, de Zurich ; Dp Freude, de Vienne ; Dr A. Goldschei-der, de Berlin ; Dr Gley, de Paris; D' Grashey, de Munich ; D' Mannequin, de Lyon; D' Gérard Heymans, de Groningue; Dr F. de Krafft Ebing, de Vienne; Dr Ladame, de Genève; Dr H. Lemesle, de Paris, D' A. Leppmann, de Berlin, DT F. Maltose. de Vittoria ; D'E. Meumann, de Leipsig; Dr G. E. Muller, de Gôttingen ; Dr H. Munsterberg, de Fri-hourg ; A. de Rochas, de Paris; J. Sully, de Londres ; ?. B. Titchenerj d'Ithakn.

L'enseignement de la médecine

Le D' Bérillon, à la dernière réunion du Syndicat général des médecins de la Seine, a entretenu ses collègues d'une proposition relative aux Cours litres dans les Facultés de Médecine, et tendant à une réglementation plus libérale. Actuellement, tout médecin peut, sur sa demande, être autorisé, après avis du doyen,'k faire un cours libre sur un sujet dc son choix. Le conseil supérieur peut refuser l'ouverture d'un cours sans avoir à motiver son refus. En somme, l'autorisation est soumise à l'appréciation d'une assemblée incompétente, dont les décisions sont absolument arbitraires et prononcées sans appel.

M. le Dr Bérillon pense qu'il y aurait intérêt à remplacer la réglementation surannée qui régit les cours libres par le projet suivant : Les docteurs en médecine qui voudraient faire un cours libre dans une Faculté y seraient autorisés après avoir subi un examen qui leur confé rirait le droit d'enseigner. Cet examen serait subi à des époques déterminées de l'année devant un jury dont la moitié des membres seraient désignés par les candidats.Les examens consisteraient en deux épreuves :

Ie Un.exposé des titres scientifiques.

2° Une leçon orale faite par le candidat sur un sujet de son choix.

L'examen serait subi individuellement et n'aurait en aucune circonstance les apparences d'un concours. Le nombre des candidats admis pourrait être illimité. L'Ecole dc médecine n'aurait à fournir aux: professeurs libres que la disposition, à des heures déterminées, d'un amphithéâtre. Le projet du docteur Bérillon ne comporte donc aucune charge pour le budget; il répond à la question, si actuelle, de l'encom-

brement dos Facultés par les étudiants et de l'impossibilité dans laquelle se trouve le corps enseignant officiel de donner l'enseignement à tous les étudiants. En résume, ce que demande M. Bérillon, c'est simplement la création d'un Certificat d'aptitude à l'enseignement de la médecine.

L'Hypnotisme au théâtre

Le nouveau théâtre d'Odessa vient de jouer : Suggestion hypnotique comédie en trois actes du docteur Feodorolï, avec danses et divertissements. Tous les acteurs qui jouaient dans cette pièce appartenait au corps médical d'Odessa; l'orchestre lui-même était composé de médecins qui semblait n'avoir jamais manié d'autres instruments. Enfin, la recette était destiuée a une œuvre de bienfaisance et de solidarité médicale.

Les Magnétiseurs devant les tribunaux

Pour donner plus de poids à ses oracles, une somnambule de Bordeaux, la femme Lancelot, avait imaginé de se faire assister par un magnétiseur, le nommé Lavaud, et par un officier de santé. Sur plainte d'un client, le tribunal correctionnel, considérant ces trois individus, comme romplices et solidairement coupables d'exercice illégal de la médecine, a infligé une amende de 300 francs à l'officier de santé et une amende de 200 francs à la femme et au magnétiseur; il a adjugé, en outre, au client 100 francs de dommages-intérêts.

Thermomètre muet

Il y a des thermomètres bavards et qui en disent trop long aux malades peureux ou névropijatjps. L'appareil que vient d'inventer un médecin suisse, le docteur Mereser, est plus discret. Son thermomètre n'est pas gradué et pour connaître la température qu'on vient de prendre, il faut le remettre dans son étui qui est en verre et sur lequel est gravée l'échelle. ? condition que ledit étui reste dans les mains du médecin, ce sera parfait. Dans tous les cas, on ne peut que féliciter le docteur Mereser d'avoir pensé que l'auto-suggestion peut faire un rôle important dans la marche de l'évolution des maladies. .

Action de la volonté sur la circulation

Les médecins de Saint-Pétersbourg sont fort intéressés actuellement par un cas physiologique assez curieux. Il s'agit d'un sujet, d'origine française, parait-il, qui mobilise à volonté ses organes internes. II peut aspirer ses viscères abdominaux dans la cage thoracique avec une telle force que le ventre excavé laisse voira travers sa paroi la forme de la colonne vertébrale. Il peut aussi arrêter comme il veut les battements de son rœur et le mouvement de la circulation.

Enseignement de Phypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-dcs-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants etde professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Insiitut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique do la psychothérapie. ·

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques dc l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences Seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Bérillon, Max Nordau,Félix Regnault, Armand Paulicr, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le D' Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Cours d'hypnotisme à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine

M. le d' Bérillon a commencé son cours le mardi 21 avri!,à 5 heures, à l'Ecole pratique de la Faculté, amphithéâtre Cruvcilhier, en présence d'un auditoire très nombreux. Dans la première leçon, le professeur, après avoir rappelé la part qui revient à M. le D* Liebcault et ù l'Ecole dc Nancy dans le développement de la thérapeutique psychique a étudié l'hypnotisme comme moyen d'investigation clinique et comme agent thérapeutique. Un grand nombre de médecins, parmi lesquels nous pouvons citer MM. les docteurs A. de Jong (de la Haye), Félix Regnault, P. Valentin, Wolf, Boisleux, Bourgeois, A. Petit, Philippe, Touvcau,

Victor Levêque, Salomon, Aimé. Dollinger, etc., etc., étaient venus se joindre aux étudiants.

Les leçons suivantes auront lieu les samedis et mardis à 5 heures. PROGRAMME DC COURS

psychologie physiologique et pathologique — hypnotisme

Mardi 2i Avril: — La thérapeutique psychique. — L'hypnotisme envisagé comme moyen d'investigation clinique et comme agent thérapeutique. — Les états analogues à l'hypnose. — Le somnambulisme et les états passifs.

Samedi V5 Avril. — Les théories modernes sur la production du sommeil. — Le neurone et la théorie histologique du sommeil. — Rôle pathogénique des rêves.

Mardi 28 Avril. — La technique de l'hypnotisation. — Les procédés pour provoquer l'hypnose : suggestion et agents physiques. — Les lois de la suggestion. — La suggestion à l'état de veille.— L'auto-hypnotisation.

Samedi 2 Mai. — Les principes de la psychothérapie. — Influence dc la suggestion sur les fonctions de la vie organique et les sensations internes. — La circulation et la respiration chez les hypnotises. — L'hypnotisme et la psychologie dc la douleur.

Mardi 5 Mai. — Application de la suggestion à la thérapeutique générale. —Névroses et psychoses suggérées. — Les paralysies psychiques. — La thérapeutique psycho-mécanique.

Samedi 9 Mai. — Les névroses convulsives. — Le traitement psychothérapique de l'hystérie. — L'hystérie mentale.

Mardi Î2 Mai. — Les névroses par épuisement nerveux. — Le traitement psychothérapique de la neurasthénie. — Les obsessions et les phobies neurasthéniques. — La neurasthénie anxieuse.

Samedi ÎG Mai. — Application de la suggestion au traitement des psychoses, de la dipsomanie, de la morphinomanie.

Mardi 19 Mai. — Applications de la suggestion à la pédiatrie et à la pédagogie. — Traitement psychothérapique de la kleptomanie, de l'onychophagie et des habitudes automatiques.

Samedi 23 Mai. — Les états hypnotiques et le somnambulisme envisagés au point de vue médico-légnl.

X. B. —Le cours sera complété par des démonstrations cliniques à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.

Enseignement de l'hypnotisme dans les Universités américaines.— Notre éminent collaborateur, M. le D' ? de Jong, de la Haye, vient d'être invité, par l'Université de New-York et par plusieurs autres Universités des Etals-Unis, à aller donner un certain nombre de leçons sur l'hypnotisme et la psychothérapie. M. le Df de Jong partira pour New-York au mois de septembre prochain. Plusiours de ses leçons seront consacrées à l'étude psychologique do la folie de Hamfef.

Sorbonne. — M. Charles Henry, maître de conférences, fait, les vendredis à dix heures et demie du matin, des leçons sur la pfiysiologie des sensations.

M. Jules Soury, maître de conférences, fait, les lundis et vendredis, à quatre heures et demie, des leçons sur la psychologie physiologique.

Conférences. — M. Albert Colas, membre de la Société d'hypnologie et dc psychologie de Paris, a fait le 12 avril, à Villeneuve-le-lïoi, une conférence des plus intéressantes sur la Sorcellerie devant la science. Avec une grande érudition, il a su faire saisir à ses auditeurs les relations qui existent entre les sorcières de l'ancien temps et nos malades atteints de névrose. Cette conférence a été précédée d'une série de projections sur la photographie des corps opaques.

M. le Dr bérillon a fait, le 12 avril, à la réunion annuelle de la Société contre l'abus du tabac, à la mairie du VIe arrondissement, une confé-- rence sur le traitement de la tabacomanie et des habitudes automatiques par la suggestion hypnolique.

Donato devant les tribunaux. — M. D'hondt, dit Donato, ayant, malgré la loi de 1892,. donné des représentations publiques d'hypnotisme, fut cité devant le tribunal correctionnel de Mons. 11 déclara que ses expériences étaient simulées et que ses sujets jouaient la comédie ; il fut acquitté. Mais le ministère public, s'inspirant du passé de Donato qui a toujours prétendu jusqu'aujourd'hui à la réalité de ses expériences, mit opposition au jugement, et l'affaire revint devant la Cour d'appel de Bruxelles. Dc nouveau Donato et ses sujets affirmèrent sous la foi du serment que ses expériences n'étaient que de la comédie.

En présence de ce cas embarrassant, les magistrats ont nommé trois experts : MM. Delbœuf, De Rode et Crocq fils.

Cette affaire est intéressante non seulement en elle-même, mais encore en ce que M. Delbœuf est appelé à répondre à celte question : ß Les sujets de Donato dorment-ils ou bien simulent-iis? »

Or M. Delbœuf a dit dans une de ses publications : « La loi défend de « donner en spectacle une personne hypnotisée ; or, il faudrait savoir « ce que c'est qu'une personne hypnotisée... L'hypnotiseur et le sujet « sont devant le juge. L'un et l'autre soutiennent que la scène est « simulée. Car on peut simuler l'hypnolisme. A Liège, dans les salons « du Sport nautique, un jeune homme a tellement bien simulé l'hypno-« tisme que Hanscn, son naïf magnétiseur, s'y est laissé prendre. Je ? mets tous les juges, tous tes médecins, tous les experts du monde au a défi de prouver lu réalité d'une scène d'hypnotisme que les auteurs ? soutiennent avoir été fictive. Pareille preuve est radicalement impos-i sible. Quelle difficulté y a-t-il à feindre d'avoir froid ou chaud, à ß nager sur un plancher, à faire le barbier, le dentiste ou le photo-a graphe? Il y a mieux : rien de difficile comme de convaincre un simu-ß latcur de simulation. L'aventure arrivée ¦ Hansen en est une démons-¦ tration éclatante, »

Quoi qu'il en soit, ou bien Donato est un simulateur abusant de la crédulité publique, ou bien c'est un hypnotiseur sincère qui, sous la foi du serment, trompe les juges pour éviter une condamnation.

[Journal deNeurologie et d'Hypnologie.)

Nécrologie. — Xous apprenons avec un vif regret la mort de M. Marion, professeur de pédagogie à la Sorbonne. M. Marion portait un vif intérêt aux études de pédagogie suggestive, et ses encouragements étaient allés spontanément à ceux qui s'occupent de ces questions. C'est que M. Marion était doué d'un esprit vraiment libéral, et sa mort est une grande perte pour la philosophie et pour l'Université.

Statuts du IV· Congrès d'antropologie criminelle Genèue août i896.

Article premier. — Le IVP Congrès d'anthropologie criminelle qui se tiendra à Genève du 24 au 29 août 1896 a pour objet, suivant les traditions des précédents congrès (Rome 1885, Paris 1889, Bruxelles 1892), l'élude scientifique de la criminalité chez l'homme dans ses rapports avec la biologie et la sociologie.

Les gouvernements étrangers seront invités à se faire représenter.

Art. 2. — Le droit d'admission au congrès est fixé à vingi francs. Les demandes d'admission devront être adressées, avec le montant de la cotisation, au secrétaire général. Les souscripteurs deviendront membres adhérents et recevront gratuitement le volume des comptes-rendus de la session, ainsi que les rapports imprimés qui seront distribués avant l'ouverture du congrès.

Art. 3. — Les rapports rédigés en français doivent être envoyés au comité d'organisation avant le i" avril 1896. Ils ne pourront excéder dix pages d'impression. On n'acceptera pas de planches, à moins que les auteurs ne s'engagent à en supporter les frais. Aucun travail, déjà imprimé ailleurs, ne pourra être communiqué au congrès.

Art- 4. — Les séances du congrès sont publiques. Les membres du congrès ont seuls le droit dc voter ou de prendre part aux discussions.

Des places seront réservées aux représentants dc la presse.

Art. 5. — Le but du congrès étant exclusivement scientifique, toute discussion politique ou religieuse est absolument interdite. Les opinions exprimées sont personnelles à leurs auteurs et n'engagent en aucune façon le bureau.

Art. 6. — Les membres du congrès qui désireraient faire insérer le litre dc leurs mémoires ou communications au programme imprimé devront en faire la demande écrite avant le 15 mai 18ii6, au Comité d'organisation, qui est chargé d'élaborer le programme et oui décidera de l'opportunité des communications et de l'ordre dans lequel elles seront faites.

Le règlement contient 12 articles dont voici le résumé ; les rapports imprimés par les soins du Comité et distribués à tous les membres ne seront pas lus en séance ; les orateurs ne pourront occuper la tribune pendant plus de dix minutes et, avec l'agrément du président, pendant un quart d'heure ; les membres qui désireront faire des communications non annoncées au programme devront en faire la demande écrite au président.

L'Administrateur-Gérant: Emile B0UR10T y. 170, rue, Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quei-qi . rue Gerbcrl, 10.

10· année. — ?· ?.

Mai 1896.

KLEPTOMANIE ET HYPNOTHÉRAPIE i1)

Par le D' E. Réois, Chargé du Cours des maladies mentales à la Faculté de Médecine.

Le sujet que je désire présenter à la Société est un jeune homme de dix-sept ans, dégénéré, bien que sans tare héréditaire appréciable et sans antécédents personnels fâcheux.

Jusqu'à l'âge de quinze ans, il s'est montré intelligent, actif et bon élève. A ce moment, un brusque changement s'est opéré en lui ; il est devenu lourd, apathique, incapable d'apprendre, et force a été de lui faire abandonner ses classes. Il se livrait depuis un an à la masturbation.

Placé en qualité de commis chez un négociant de la ville, il s'est fait renvoyer, au bout de deux mois, pour vol de timbres-poste qu'on l'avait chargé d'acheter. A peine dehors et son compte réglé, il écrit à son patron pour l'informer qu'il va se suicider. De fait, il achète un revolver, le charge dans les lieux d'aisance et se rend dans un restaurant avec l'intention de se brûler la cervelle à la fin de son repas. Heureusement, son père, prévenu, accourt et le ramène à la maison, où il le semonce vertement. Le jeune homme a une crise de pleurs, demande pardon et promet de ne plus recommencer.

Quelque temps après, il est placé chez un autre négociant. Là, dès le second jour, il force la caisse et, par une série de vols successifs, s'empare de 243 francs. Finalement, il est pris en flagrant délit, et son patron, ne voulant pas le livrer à la justice, le remet aux mains de son père, qui le châtie très sévèrement.

Cette nouvelle correction reste sans effet, et le jeune homme,

(1) Travail communiqué à la Société de Médecine et de chirurgie de Bordeaux dans la séance du 20 mars 1896.

ne pouvant rien prendre ailleurs, vole de l'argent dans le secrétaire de son père.

Soupçonnant alors qu'il s'agit peut-être d'un entraînement maladif, ses parents le conduisent à notre distingué confrère le Dr Bourru, directeur de l'Ecole de Santé de la marine, qui a bien voulu me l'adresser. C'est dans ces conditions que je fus appelé, il y a dix jours, à l'examiner.

Maurice R... est, comme je l'ai dit, un dégénéré. Physiquement, il présente diverses malformations et anomalies, en particulier une asymétrie marquée de la face et du crâne. Psy-chiquement, c'est un arriéré, indolent et émotif, qui a l'intelligence et les goûts d'un enfant.

Sa tendance au vol, qui mieux que tout accuse sa dégénérescence, remonte à son plus bas âge, et il se rappelle l'avoir toujours éprouvée. A quatre ans, il volait un porte-monnaie dans un bazar ; à la pension, il volait les plumes, les crayons, les cahiers et les livres; chez lui, il volait de menus objets. Plus tard, il vola de l'argent, chez son père d'abord, puis chez ses amis et ses connaissances.

Depuis quatre ans, cette tendance s'est accentuée d'une façon notable, et, quand il se trouve dans un endroit quelconque, il se sent pris d'un besoin de s'emparer de ce qu'il voit.

Ses vols ont un caractère particulier. II n'a pas, en volant, de but déterminé ; il ne cherche pas à se procurer de l'argent pour en jouir, et, quand il l'a en sa possession, il ne sait qu'en faire. Il vole parce qu'il est entraîné et que l'acte du vol détermine chez lui une réelle satisfaction.

Quant au caractère de son entraînement, ce n'est pas celui de l'obsédé qui, mû par une impulsion que sa conscience réprouve, lutte anxieusement pour résister à sa tentation. Il n'y a pas chez lui ce conflit angoissant caractéristique entre l'idée fixe qui pousse au vol et la volonté qui fait effort pour s'y soustraire. Il cède simplement à la sollicitation, sans réagir, comme un enfant dont le a moi » n'est pas entièrement formé. C'est, chez lui, non une tendance obsédante, mais une tendance instinctive, c'est-à-dire, au premier chef, une impulsion de dégénéré.

Pour compléter l'examen de ce jeune homme, j'ai eu l'idée d'interroger son sommeil et ses rêves. J'ai appris alors que, de tout temps, il avait eu des rêves de vols et que souvent c'était à la suite de rêves de ce genre qu'il exécutait ses larcins. C'estainsi, par exemple, qu'étant entré chez son dernier patron

KLEPTOMANIE ET HYPNOTHÉIfAP!E

un lundi, dès la nuit suivante, il s'était vu en rêve devant le tiroir de la caisse et découvrant la façon de l'ouvrir. Le lendemain, nous l'avons dit, il commençait d'y puiser.

Cette particularité m'a fait penser qu'il pouvait y avoir quelque chose d'hystérique chez ce jeune homme ; par suite, qu'il pouvait être hypnotisable et bénéficier d'un traitement psychothérapique. Certains stigmates constatés chez lui, notamment un rétrécissement notable du champ visuel, dè rhémi-hypoesthésie, une extrême sensibilité nerveuse avec pleurs, ont paru confirmer cette hypothèse. En tout cas, le malade, confié à un de nos bons élèves, M. Regnault, qui s'est servi, comme moyen, de la fixation du regard, mais principalement de passes et de l'imposition des mains, a pu être plongé, dès la troisième séance, dans un état de sommeil hypnotique suffisant pour permettre de provoquer chez lui des contractures artificielles et de lui faire ses premières suggestions.

Nous lui avons de la sorte suggéré hier : Ie de ne plus avoir envie de voler; 2° de rêver la nuit dernière, qu'un individu volait la montre de son père et qu'il en éprouvait une profonde horreur. Interrogé à l'instant, il vient de répondre qu'il n'a pas eu d'envie de voler et quil n'a pas rêvé la nuit. Nous allons voir si, dans le sommeil hypnotiqne, il déclare également n'avoir pas eu de rêve (').

Tel est le fait. Etant donnée la sensibilité du malade à I hypnose, on est en droit d'espérer quelque résultat chez lui de ce mode de traitement ; peut-être même, mais on ne saurait rien affirmer en ces matières, la guérison de ses tendances klepto-maniaques qui, s'aggravant progressivement depuis l'enfance, en sont arrivées à constituer aujourd'hui un sérieux danger pour lui et pour sa famille. Ce sera, si nous réussisspns, un beau succès à l'actif de l'hypnothérapie.

Nous allons, maintenant, si vous le voulez bien, examiner dans ce cas les principaux points qui méritent de fixer notre attention.

La première question qui se pose est celle de savoir si la

flj Maurice R... C9i endormi par M. Regnault devant les nicmlires de In Société dc Médecine. Interrogé, il déclare qu'il a revu la nuit qu'un individu volait la montre dc son père et qu'il en a éprouvé une profonde horreur. On lui lait, séance tenante, d'autres suggestions similaires. On s'assure qu'il est réellement en état d'hypnose en provoquant chez lui diverses contractures, et on lui donne uue sugJ gestion-témoin qu'il exécute à son réveil sans se souvenir de rien.

tendance au vol, chez notre malade, relève de la dégénérescence ou dc l'hystérie.

Cette question ne laisse pas que d'être assez difïicile à résoudre.

. Une opinion, qui s'est surtout fait jour dans ces dernières années et qui a été notamment défendue par M. H. Colin dans sa thèse ('), consiste à regarder l'hystérie comme une modalité de la dégénérescence. Si on l'admet, la question que nous nous posons n'a plus sa raison d'être, puisque les impulsions liées à l'hystérie deviennent, par le fait même, des impulsions de dégénérés.

Mais tout le monde ne pense pas ainsi. Beaucoup d'auteurs séparent la névrose du vice d'organisation, estimant, d'une part, qu'ils peuvent se manifester l'un sans l'autre ; d'autre part, que lorsqu'ils coexistent, certaines tendances malsaines, mises à l'actif de l'hystérie, doivent être en réalité attribuées à la dégénérescence. C'est là, en particulier, la thèse brillamment soutenue par M. Ballet dans son rapport au Congrès de Clermont-Ferrand sur les relations de l'hystérie et de la folief3).

Avec cette manière de voir, il est non seulement possible mais utile de distinguer l'origine exacte de l'impulsion.

Sans prendre parti pour l'une ou l'autre des deux opinions, nous dirons que l'hystérie, comme d'ailleurs l'épilepsie et la neurasthénie, est très souvent mais non fatalement liée à la dégénérescence, avec laquelle elle peut s'associer en proportions des plus variables. Tantôt c'est l'hystérie qui prédomine, le fond dégénératif étant à peine marqué ; d'autres fois, au contraire, c'est la dégénérescence qui apparaît comme l'état primordial, l'hystérie, plus ou moins fruste, étant reléguée à l'arrière-plan. C'est le cas chez notre malade qui est essentiellement débile et dont la tendance au vol, pour ainsi dire congénitale, est surtout une impulsion de dégénéré. Il n'en est pas moins vrai que cette impulsion, bien que dégénérative par ses caractères, n'est pas entièrement étrangère à l'influence hystérique. Je ne crois pas sans cela qu'elle eût avec les rêves des relations aussi étroites.

Ceci m'amène à dire un mot du second point que je voulais aborder : l'influence des rêves sur les actes morbides de notre sujet.

(I) H. Colin : Essai sur l'état mental des hystériques, th. de Paris, 1890. (?) Ballet : « Les rapports de l'hystérie et de la folie o [Comptes rendus du Congrès des Aliènistes et Seurologistes français. Clermont-Ferrand, 1894J.

Les rêves ont sur l'esprit une action beaucoup plus marquée qu'on ne le croit, et certains des actes que nous accomplissons se rattachent, à notre insu, à une origine onirique. Mon maître Baillarger m'a conté qu'un jour il avait annoncé à plusieurs personnes que les Archives générales de médecine venaient de changer de directeur. Après avoir ainsi répandu la nouvelle, il s'avisa sur le soir de se demander de qui il pouvait bien la tenir. Il chercha, et, après avoir bien réfléchi, constata avec stupéfaction qu'il avait cru et donné comme vrai un fait dont il avait simplement rêvé la nuit précédente.

Si les rêves peuvent avoir cette influence à l'état normal, ils en ont une plus grande encore dans les maladies, en particulier dans les maladies mentales et nerveuses. Pour ce qui est de l'hystérie, leur rôle y est des plus importants, ainsi que l'ont démontré, dans ces derniers temps, divers travaux émanés surtout de l'Ecole bordelaise.

M. Tissié avait déjà appelé l'attention dans sa thèse ('), et, depuis, dans un ouvrage spécial {-) sur le mécanisme pathogé-nique des accès de fugues chez certains névropathes. Ces individus rêvaient la nuit d'une ville, d'un pays quelconque; au réveil, l'idée de cette ville, de ce pays persistait, résidu insoupçonné du sommeil, et, captivant leur esprit, les entraînait irrésistiblement vers le but entrevu en songe, si éloigné qu'il fût.

M. le professeur Pitres, de son côté, a montré que bon nombre de phénomènes morbides chez les hystériques, douleurs, paralysies, changements d'humeur, aversions et antipathies subites, étaient la conséquence de rêves prolongeant leur action après le réveil (3).

Un de ses élèves, M. Escande de Messières, dans une thèse récente (*), a cité des faits très probants à cet égard. M. Pierre Janet s'est également occupé de la question dans ses nombreux travaux sur la psychologie de l'hystérie (6).

Il est donc acquis que les rêves, chez les hystériques, jouent très souvent le rôle d'agents pathogènes et qu'ils peuvent notamment devenir le point de départ d'impulsions dans la

(1) Ph. Tissié : Les aliénés voyageurs, th. de Bordeaux, 1887.

(2) Les rêves; physiologie et pathologie. Paris, 1890, F. Alcan, édit.

(3) Pitres : Les rapports de l'hystérie et de la folie [discussion]. {Comptes rendus du Congrès des Aliènistes et Neurologistes de Clermont-Ferrand, 1894).

(4) Escande de Messières : Les rêves c/icj les hystériques, ih. de Bardeaux, 1895.

(5) Pierre Janet : Revue de l'Hypnotisme, juin 1895.— Etat mental des hystériques.: tes stigmates mentaux, Biblioth. Charcot-Debove, IS92. — L'automatisme psychologique, Paris, 1889.

vie éveillée. En dehors des impulsions ambulatoires signalées par M. Tissié chez ses captivés, d'autres impulsions doivent avoir la même origine, et je ne serais pas surpris que, chez certains dégénérés névropathes, la tendance irrésistible à boire, à voler, à incendier, eût également sa raison d'être dans une suggestion éclose durant le sommeil. Les recherches ne se sont guère portées de ce côté ; mais on peut déjà citer le cas de cette dipsomane, relaté par le Dr Knozz, qui, guérie de ses impulsions en janvier 1894, recommença à boire enjanvier 1895, à la suite d'un rêve où elle avait vu sa sœur l'invitant à reprendre ses fâcheuses habitudes (')-

Le rêve peut agir de deux façons différentes vis-à-vis des impulsions. Tantôt l'idée onirique envahit le champ de la conscience tout entier; c'est une sorte de monoïdéisme qui, à la façon d'une obsession, domine le sujet jusqu'à ce qu'il ait cédé et obéi. Tels sont les cas de captivation de M. Tissié. D'autre fois, le rêve ne fait que renforcer une idée, une tendance déjà préexistantes, au moins à l'état latent, et les rendre irrésistiblement réalisables. C'est sans doute ainsi que les choses ont lieu chez notre sujet, dont l'entraînement au vol, antérieur aux rêves, parait être simplement exagéré et actualisé par eux.

Toujours est-il qu'à des différences d'intensité près, le rêve, véritable auto-suggestion, est chez beaucoup d'hystériques un agent provocateur de l'impulsion, qu'il crée de toutes pièces ou qu'il met simplement en évidence, suivant les cas.

Le rôle joué par le rêve chez les hystériques devait nécessairement conduire à se servir du rêve lui-même comme moyen thérapeutique, c'est-à-dire à transformer son action pathogène en action médicatrice. C'est ce qui a eu lieu. M. le professeur Pitres, s'appuyant sur certains exemples tirés de l'histoire et relatifs à des hystériques guéris par l'intervention hallucinatoire de personnages divins, a pu provoquer efficacement des rêves de ce genre chez quelques-uns de ses malades M. Tissié a également cité, au récent Congrès de Bordeaux, un cas d'obsession chez une hystérique amélioré par un rêve suggéré (3). Il semble cependant, et M. Escande de Messières a insisté sur ce point, que les suggestions spon-

(1) Knozz (d'Odessa) : Revue de l'Hypnotisme, mai 1895. (î) Pitres : loc. cit.

(S) Tissié : ? Traitement des phobies parla suggestion (rêveset parfums) et par la gymnastique médicale o {Comptes rendus du Congres des Aliènistes et Seuralo-gîstes de Bordeaux. Paris, 189ti, Masson).

tanémcnt créées par les rêves soient plus dilïiciles a détruire pendant l'hypnose que les suggestions hypnotiques proprement dites.

En tout cas, chez notre malade, le traitement psychique de l'impulsion s'imposait, comme conséquence même de ses rapports avec les rêves, et c'est pour ce motif que nous y avons eu recours.

Je ne voudrais pas, à l'occasion d'un simple fait, soulever à nouveau dans son ensemble la délicate question de l'hypno-thérapie dans les maladies mentales. Je ne puis cependant m'empêcherde rappeler que lorsque la suggestion hypnotique a fait son apparition en thérapeutique, la première idée qui est venue a été de l'appliquer aux psychoses, en particulier aux lésions partielles, isolées de l'intelligence, telles que les obsessions et les impulsions. Il semblait, en effet, qu'un traitement essentiellement psychique dût surtout convenir à des troubles psychiques, et que ce dût être là le triomphe de la suggestion-Or, vous le savez, il a fallu en rabattre. De l'aveu presque général aujourd'hui, les aliénés hystériques sont seuls hyp-notisables, et cela parce qu'en même temps qu'aliénés ce sont des hystériques (').

En ce qui concerne les obsédés, il y a à faire une distinction importante. La plupart des neurologistes divisent les obsédés en deux catégories : i° les obsédés neurasthéniques curables par la suggestion hypnotique ; *2e les obsédés dégénérés ou aliénés, chez lesquels la suggestion ne peut rien. Je crois pouvoir affirmer que c'est là une erreur. Il résulte, d'expériences déjà nombreuses réalisées avec M. le professeur Pitres, que les obsédés proprement dits, pour la plupart neurasthéniques, ne sont pas, quoi qu'on fasse, hypnotisables, et que les seuls obsédés justiciables de l'hypnose sont les obsédés hystériques ou hystéro-neurasthéniques. Si bien que, contrairement à l'opinion reçue, je classe ainsi pour ma part les obsédés : les neurasthéniques à obsession tenace, souvent incurable, réfractaires à l'hypnotisation ; les hystériques à obsession moins adhérente, moins rebelle aux influences médi-catrices, et, en principe, hypnotisables. Ce qui est vrai pour les obsessions doit être vrai aussi pour

(1) Comptes rendus du Congrès des Aliènistes et Neurologistes de Bordeaux, vol. II, page 225-

les impulsions, car les deux syndromes sont, au fond, similaires ; de sorte qu'en fin de compte, obsédés ou impulsifs, il faut être à mon sens plus ou moins entaché d'hystérie pour offrir une prise efficace à la suggestion.

II semble que l'impulsion au vol, chez les enfants dégénérés, soit fréquemment liée à un fond, apparent ou non, d'hystérie, si l'on en juge par ce fait que l'hypnotisation peut exercer sur eux une action des plus efficaces. C'est ce qui ressort d'un travail tout récent de M. Bérillon, qui cite à l'appui quelques cas intéressants ('). En employant l'hypnose, M. Bérillon se propose pour but de développer chez ces enfants la pleine conscience des actes et surtout de leur créer un pouvoir d'arrêt suffisant pour résister aux impulsions.

Voici un procédé recommandé par l'auteur : L'enfant étant rais en état de suggestibilité, il le fait approcher d'une table sur laquelle se trouve une pièce de monnaie : « Tu vois cette pièce, lui dit-il, tu as envie de la prendre. Eh bien ! prends-la si tu veux et mets-la dans ta poche. » II le fait. M. Bérillon ajoute alors : « C'est ce que tu as l'habitude de faire, mais tu vas remettre maintenant la pièce d'argent où tu Pas prise, et, désormais, tu agiras toujours ainsi ; s'il t'arrive de succomber à la tentation, tu auras honte d'avoir volé et tu t'empresseras de remettre l'objet volé à sa place. » Après quelques séances de cette gymnastique médicale, l'enfant serait guéri pour toujours, d'après l'auteur, de sa mauvaise habitude.

Je ne jurerais pas que la suggestion hypnotique fût, dans les cas de ce genre, aussi promptement et surtout aussi définitivement efficace que le dit M. Bérillon. On peut se heurter à des insuccès ou à des rechutes. Quant au procédé à employer, il doit avoir pour but essentiel, comme le fait remarquer M. Bérillon, non de vaincre l'impulsion au vol, qui n'est qu'une conséquence, mais de supprimer la cause génératrice de cette impulsion : la faiblesse de la volonté. Pour ce faire, tous les moyens de thérapeutique suggestive peuvent être bons ; ils sont variables d'ailleurs suivant les sujets. C'est ainsi que, chez notre malade, nous avons cherche dès l'abord à supprimer l'influence kleptogène du rêve en lui suggérant des rêves d'honnêteté, susceptibles d'agir en sens inverse sur ses déterminations. Ce résultat obtenu, nous chercherons à» faire

(1) Bérillon : » Le traitement psychique de la kleptomanie cher les enfants dégénérés. » Société d'Uypnologie et de Psychologie, 22 juillet 1895 (/ire. de l'Hypnotisme, fev. 189C).

mieux encore en lui inculquant la volonté qui lui manque par une série de suggestions progressives, renforcées au besoin par l'un de ces artifices utilisés pour en raviver l'activité, dans les moments de défaillance.

Je voudrais, pour finir, attirer l'attention sur le côté médico-légal de la question. Ce point a une importance particulière, en effet, dans le cas où, comme chez notre sujet, il s'agit d'actes délictueux.

Supposez, ce qui arrive le plus souvent, que le patron de ce jeune homme l'eût fait arrêter pour vol et abus do confiance. Le voilà en prison. Il est interrogé, et, en face d'une lucidité aussi complète, le juge instructeur se fût certainement refusé à toute expertise médicale ou tout au moins n'eût jamais admis l'excuse de la dégénérescence et de l'impulsion consciente irrésistible, ne voyant là sans doute qu'une nouvelle occasion de constater que les aliènistes voient des fous et des irresponsables partout. Le malheureux eût donc été infailliblement condamné, trop heureux si la bienfaisante loi Bérenger l'eût pour cette fois préservé de sa peine. Echappé par miracle à la rigueur des lois, il eût infailliblement recommencé do voler et fût devenu ainsi un véritable récidiviste, un cheval de retour, ballotté toute sa vie de prison en prison, et, de malade qu'il était, finissant dans ce milieu par devenir un professionnel du vol, c*omme j'en ai vu des exemples.

C'est donc à l'intelligence et à l'exceptionnelle bonté de son patron que notre jeune homme doit d'être aux mains des médecins et non aux mains de la justice. Grâce à cet événement, on peut dire à ce hasard, au lieu d'être destiné à la criminalité, à la prison, à la flétrissure, il pourra peut-être, comme un arbre mal venu, être redressé et devenir ce qu'on appelle un honnête homme. L'hypnose aura accompli là, si elle réussit, une œuvre sociale en même temps qu'un bienfait médical (').

L'histoire de ce malade nous oblige à quelques réflexions.

Ne serait-il pas bon, en effet, de porter de tels cas à la connaissance du grand public, afin que les patrons, mieux éclairés,

(I) 23 avril 1896. Le sujet est toujours en traitement hypnoihérapique entre les mains de M. Regnault. Il n'a rien vole depuis le début du traitement, et un jour, ayant eu la tentation, a pu y résister. Toutefois, les suggestions n'exercent pas sur lui une influence très active, et cola parce qu'il les accepte trop facilement. La dominante de son tempérament est, en effet, l'apathie, et celte apathie se retrouve jusque dans la façon dont il reçoit la suggestion. Il semble que la suggestion doive agir plus énergiquement et plus efficacement chez les sujets qui ne l'ont acceptée qu'après résistance que chez ceux qui l'ont d'emblée reçue, mais avec la mollesse et l'indifférence qu'ils apportent à toute chose.

usent d'un peu plus d'indulgence à l'égard des jeunes employés enclins au vol et les livrent moins facilement aux tribunaux? Ce n'est pas, certes, qu'il faille considérer tous les précoces voleurs comme des dégénérés, des hystériques ou des impulsifs, loin de là; mais l'exemple actuel prouve que, dans le nombre, il peut se trouver des malades, et, par suite, qu'il y a nécessité de faire un tri, une sélection. Ne sauverait-on sur cent qu'un innocent, qu'on aurait encore accompli un acte de raison et d'équité. ~

Et, quant aux médecins, ils doivent songer : d'une part, dans les cas de ce genre, à la possibilité de la dégénérescence et de l'hystérie ; d'autre part, à l'influence souvent médicatrice de l'hypnose, ressource préférable à la maison de correction ou à l'embarquement, seuls expédients, peu efficaces d'ailleurs, auxquels on ait recours d'habitude quand le trouble mental ne saurait comporter, comme ici, l'internement.

Simulation d'amblyopie double attribuée à la lumière des éclairs (1)

Par M. le D' de Beauvais, Médecin do Mazas.

La simulation, sous toutes ses formes et variétés, est l'écucil des infirmeries, des prisons, et le médecin doit toujours'être sur ses gardes. Il faut, néanmoins, écarter la suspicion de parti pris, mais la plus grande réserve nous est imposée avant de porter un diagnostic ferme dans les cas douteux.

Le fait que j'ai l'honneur de soumettre à la Société de médecine de Paris me parait intéressant, d'abord par sa rareté, puis par le concours de circonstances exceptionnelles dans lesquelles il s'est présenté. Depuis 25 ans queje dirige le service médical de Mazas, c'est le premier cas de ce genre que j'ai observé.

La simulation de la folie, surtout du délire des persécutions, est fréquente et banale, et nos distingués confrères aliènistes sont souvent appelés, en dernier ressort, à nous éclairer sur ce point et à formuler un diagnostic ferme, établi par une étude prolongée du soi-disant malade, qui joue parfois son rôle avec autant d'insistance que d'habileté et de mise en scène.

Dans certains cas, j'ai vu la nécessité de contre-expertiser

1. Communication à la Société do médecine de Paris.

pour trancher, d'une façon définitive, la question de ces faits douteux et embarrassants.

Voici d'ailleurs la relation exacte de cette simulation d'am-blyopie double, attribuée par le détenu à la lumière intense des éclairs pendant un orage violent, survenu dans le cours de la nuit.

Le 18 juillet, un surveillant amène au cabinet de consultation, le tenant par le bras, le nommé F..., courtier en vins, âgé de 53 ans, écroué à Mazas le 11 juillet 1895, sous l'inculpation de menaces de mort par écrit, condamné à six mois d'emprisonnement avec interdiction de séjour à Paris.

Cet homme avait déjà été condamné, le 10 mai 1894, à huit mois de prison pour abus de confiance et escroquerie, et avait subi sa peine à Mazas.

Pendant cette première détention, il n'avait jamais réclamé nos soins, à aucun titre. Conduit auprès de nous, F... semble - en proie à un violent désespoir, il pleure à chaudes larmes et nous raconte les faits suivants : Dans la nuit du 16 au 17juillet, vers il heures du soir, il fut éveillé par le bruitde l'orage, qui était à ce moment d'une grande violence. Il était couché sur son hamac, placé transversalement clans une cellule simple de la 4' division, dont l'orientation est au levant.

Il avait le visage tourné du côté du vasistas ; il regardait machinalement les éclairs intenses qui se succédaient rapidement.

II en fixa plusieurs sans ressentir rien d'anormal, mais tout à coup, dit-il, quoiqu'il entendit parfaitement les éclats du tonnerre, il ne distingua plus rien. ? fut très surpris de ce changement subit, mais il l'attribua à l'obscurité de la nuit, et, sans attacher aucune importance à ce fait, il se rendormit.

Ce n'est que le lendemain matin, vers sixheures, à son réveil, qu'il se rendit compte qu'il ne voyait plus.

Frappé d'épouvante, il se mit à pleurer abondamment, à se plaindre, appela le surveillant et réclama la visite du médecin.

Il se présente à notre cabinet, soutenu et conduit par le gardien, dans l'attitude suivante:

Le corps droit, les yeux tournés vers le plafond, le regard fixe et vague, le visage contracté par le désespoir, inondé de larmes qui coulent abondamment le long des joues, la marche plutôt raide qu'hésitante et incertaine.

Après lui avoir fait raconter, en détails, l'accident arrivé la nuit, je procède à l'examen des deux yeux.

Il n'y a pas de congestion de la conjonctive ni de la cornée. Les pupilles sont plutôt un peu contractées, elles sont peu sensibles à l'impression d'une lumière vive approchée du visage ; dans l'obscurité, elles se dilatent légèrement.

Le malade ne se plaint d'aucune douleur dans la tête et prétend ne rien voir ni distinguer.

Ces allégations absolues me frappent, m'intéressent, mais, je l'avoue, me laissent défiant et un peu incrédule, malgré cette mise en scène très habile.

Je prescris néanmoins un traitement assez actif: un vésica-toire à la nuque, des frictions acooliques stimulantes, additionnées de teinture de noix vomique sur les tempes et le front, et pour combattre la surexcitation nerveuse à l'intérieur, deux grammes de bromure de potassium. De plus, je fais admettre d'urgence ce malade dans une cellule double de l'infirmerie avec deux co-détenus,' chargés de le surveiller et de l'aider.

Ne voulant pas prolonger mon incertitude et mon doute, je priai mon excellent confrère et mon ami, le Dr Trousseau, médecin de la Clinique des Quinze-Vingts, de venir examiner avec moi ce cas curieux d'amblyopie double subite attribuée par le détenu à la lumière intense des éclairs.

Le30juillet, le D'Trousseau se rendità mon appel.

Je ne saurais mieux faire que de vous communiquer le texte même de la note particulière qu'il m'a remise à ce sujet, après un examen sérieux et complet du détenu.

¦

Note du D' Trousseau. —Le malade se présente la tête basse et les paupières légèrement abaissées. (Ce n'est pas l'attitude des amaurotiques). Il dit, depuis l'accident auquel il attribue la perte de sa vue, ne même pas voir la lumière d'un ceil ou de l'autre.

Extérieurement, le globe oculaire et ses annexes ne présentent rien d'anormal. Il n'y a pas trace d'anciennes maladies de ces organes.

Aucune paralysie des paupières ou des muscles de l'œil, mo-¦bilité du globe parfaite.

Les pupilles sont plutôt rétrécies, ou mieux leur dilatation parait au-dessous de la normale. Elles réagissent à la lumière, quoique le réflexe lumineux paraisse légèrement diminué.

Après atropinïsation, le fond de l'œil est reconnu absolument sain.

A peine pourrait-on signaler une légère hyperémie des

"pupilles, et encore cette hyperémie est-elle peut-être l'état habituel du fond de l'œil.

La cornée est sensible aux attouchements.

Le malade accusant une double cécité complète, il n'y avait paslieu à chercher aucunement le champ visuel ou les couleurs.

Le 8 août, cet homme fut transféré à la Conciergerie pour son jugement d'appel qui fut confirmé. Il se pourvut en cassation. Il revint à Mazas le 14 août ; je le revis alors et le replaçai immédiatement dans une cellule double avec deux co-détenus.

L'amblyopie, au dire du malade, persiste au même degré, même cécité absolue, même état nerveux, pleurs spontanés dès qu'on l'interroge, contraction légère des pupilles sous l'influence d'une vive lumière approchée des deux yeux, dilatation peu prononcée dans le cabinet noir.

Peu de jours après, je partais en vacances jusqu'au 1" octobre.

Le 24 septembre, F... fut examiné tout particulièrement par le Dr Dehenne, chargé officiellement par la Préfecture de police des soins spéciaux à donner, dans les prisons de la Seine, aux détenus atteints de maladies des yeux.

Le 26 septembre, le pourvoi ayant été rejeté, il fut transféré ,à Sainte-Pélagie, et, de là, à l'infirmerie centrale de la Santé, pour y être traité spécialement par le Dr Dehenne.

Il revint à Mazas le 14 novembre et fut remis en cellule double jusqu'à sa libération définitive, qui eut lieu le 8 décembre.

Il est donc resté à Mazas, en trois fois, pendant 87 jours en cellule double avec six prisonniers différents.

Pas un d'eux n'a pu se prononcer ni dire affirmativement et avec conviction que cet homme était réellement aveugle.

Cependant, certains jours, ils semblaient croire qu'il simu- , lait, mais,.lé lendemain, ils prétendaient s'être trompés.

F... lui-même, parfois, disait apercevoir les rayons du soleil qui pénétraient par le vasistas entr'ouvert. Un jour que le soleil était très vif, je le fis venir dans mon cabinet, et je lui demandais'il distinguait quelque chose: il me répondit que non.

Le malade n'avait pas toujours la démarche d'un aveugle véritable, car il marchait avec trop d'assurance, et se dirigeait, sans la moindre hésitation, vers les objets placés dans la cellule, dont il pouvait avoir besoin pour son traitement.

Permettez-moi, maintenant, de vous soumettre, dans sa teneur exacte, la note que le Dr Dehenne, qui a suivi longtemps

et avec intérêt ce détenu, m'a remise pour me communiquer son diagnostic ferme et le résultat de ses investigations renouvelées, à plusieurs reprises, depuis le 24 septembre jusqu'à la veille de la libération définitive, c'est-à-dire le 18 décembre.

Note du Dr Dehenne. — Mon cher maître, vous m'avez fait l'honneur de me demander mon avis sur le cas du nommé F..., détenu à Mazas, qui, disait-il, avait perdu la vue subitement dans la nuit du 16 au 17 juillet, pendant un orage d'une grande violence, après avoir fixé les éclairs pendant quelques secondes.

Je vous dirai, tout de suite, que cette étiologie n'a aucun caractère scientifique. Il est admis dans le peuple que l'on peut devenir aveugle si l'on-regarde les éclairs. Pour ma part, je n'ai pas pu trouver un seul fait qui démontre le bien fondé de cette croyance. Depuis vingt-deux ans que je m'occupe d'oph-thalmologie, je n'ai pas rencontré un seul cas de cécité produite par la simple lueur des éclairs.

Aucun des auteurs qui, depuis trente-cinq ans, a écrit sur la matière, n'a publié un fait probant. Aucun traité classique n'en fait mention. Dans les ouvrages récemment parus, celui du professeur Panas, quelques lignes sont consacrées aux effets de la foudre, mais non de l'éclair, et il s'agit de lésions qui n'ont aucun rapport avec le fait qui a été l'objet de mon examen. L'action de l'éclair sur l'œil parait être une légende populaire.

Si j'insiste sur ce point, c'est que cette étiologie était tout à fait dans les cordes de notre détenu, qui n'avait pas dû faire un grand effort d'imagination pour la trouver.

Probablement aussi, déjà ancien prisonnier, car il avait plusieurs condamnations à son actif, il savait qu'il était plus facile de simuler la cécité complète que la simple diminution de l'acuité visuelle de l'un des deux yeux.

Quoi qu'il en soit, je fus appelé à l'examiner le 24 septembre. Vous connaissez l'homme, je n'ai pas besoin de vous en faire la description. Grand, sec, maigre, le regard vague et fixe, trop fixe même, pleurant à la moindre question qu'on lui posait, il vint vers moi, et, peut-être surpris de me voir, s'assit sur la chaise que je lui montrai, sans la moindre hésitation. Tout d'abord, sa cécité me parût trop absolue. Il ne voyait même pas la lumière d'une forte lampe à huile, à dix centimètres de distance. En mettant les choses au pis, en supposant que la lueur de l'éclair eût provoqué une neuro-rétinite, ou une névrite

optique, voire même une atrophie consécutive à la névrite, et cela du 17 juillet au 24 septembre, la perte de la vision n'aurait jamais été aussi complète. Mais rien de tout cela n'existait. Les réflexes pupillaires était parfaitement conservés des deux côtés ; quant aux milieux et aux membranes profondes de l'œil, ils étaient intacts, à droite comme à gauche.

Mon examen terminé, il adressa la parole au directeur qui était à mes côtés, mais dont il devait ignorer la présence, car avant de faire entrer le malade dans le cabinet noir, jfavais demandé aux personnes qui m'entouraient de ne faire aucun bruit, comme si l'examen devait être fait en présence du seul gardien qui l'avait amené de sa cellule.

A mon avis, cet individu simulait. Pourquoi? Parce qu'il voulait rester à Mazas, où il faisait son temps en cellule. Il lui répugnait fort d'aller dans une autre prison, où il aurait fait sa peine en commun, car il est récidiviste, ce qui l'empêche de bénéficier de la réduction de la peine, de droit en cellule.

Je ne lui dis pas que je croyais à la simulation, et je le soignai comme s'il était atteint d'amblyopie nerveuse, hystérique (courants continus, injections de strychine aux tempes, préparations bromurées).

Au bout de quelques jours, il avoua une légère amélioration. Puis, il fut envoyé à Pinfirmerie centrale à la prison de la Santé, où j'eus l'occasion de l'observer jusque dans les premiers jours de décembre.

Aucune modification ne se produisit dans son état. Pourquoi continuait-il à simuler? Parce qu'il y avait contre lui un arrêt d'interdiction de séjour, après sa sortie de prison, arrêt qu'il espérait bien faire rapporter, étant donnée sa cécité absolue.

Le'18 décembre, le prisonnier fut libéré, se rendit chez son fils, et, trois jours après, quitta Paris pour se rendre à Premery (Nièvre). Il a entreprit seul son voyage. . Voilà, mon cher maître, tous les renseignements qu'il m'est possible de vous donner. Je les aurais voulus plus complets, plus scientifiques, plus sûrs. Tout ce que je puis affirmer, c'est que cet homme ne présentait aucune lésion de l'œil, cinq mois après le début de la cécité, ce qui est tout à fait improbable. Le laps de temps écoulé, une amblyopie d'origine nerveuse (et elles sont bien rares) s'accompagne toujours de lésions atrophiques de la papille. Les réflexes pupillaires étaient normaux. • Et puis, je le répète, je ne connais pas dans la science un

seul exemple de cécité survenant à la suite d'un éblouissement produit par un éclair, et pas un seul exemple de cécité complète, dans laquelle l'ophtbalmoscope ne peut pas dévoiler la plus minime lésion des milieux ou des membranes profondes.

Je n'ai rien à ajouter à cet exposé si net, si complet et si bien motivé de mon excellent confrère,et ami le D' Dehenne, qui vient six semaines après confirmer l'opinion du Dr Trousseau, après avoir examiné à plusieurs reprises le soi-disant aveugle et contrôlé le premier résultat de ses investigations. Je dois rappeler que ce prisonnier a été à trois intervalles mis en cellule double avec six détenus différents qui, sur ma recommandation, l'observaient avec le plus grand soin, le jour et la nuit.

L'un d'eux, homme fort intelligent et instruit, m'a dit que, malgré son observation attentive et continue, il ne pouvait formuler une opinion ferme et affirmer, en toute conscience, si le détenu était réellement aveugle ou simulateur.

Pour moi, je partage entièrement le diagnostic de M. le Dr Dehenne, si compétent en pareille matière, et je crois fermement à la simulation de l'amblyopie, jusqu'au dernier jour, dans le but avéré et reconnu d'éluder l'interdiction de séjour et de pouvoir rester à Paris auprès de sa famille.

Ce fait singulier, étudié avec le plus grand soin par deux ophthalmologistes très habiles, et suivi par moi jusqu'au dernier moment, m'a paru digne de vous intéresser par sa rareté, par le concours des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il s'est produit et par la cause présumée, invoquée avec intelligence et habileté par le prévenu, en temps utile, pour atteindre le but qu'il poursuivait avec tant d'opiniâtreté.

M. le D' Magnan, qui a vu avec moi le malade à Mazas, m'a cité à ce propos un fait de simulation de cécité complète, qu'il voulait à toute force déjouer.

Un jour, il venait d'examiner à nouveau ce soi-disant aveugle. Il lui dit qu'il pouvait quitter le cabinet de consultation.

Il avait, à dessein, laissé la porte à-demi entr'ouverte. Il espérait que cet homme chercherait à éviter cet obstacle.

Loin de là, il préféra se heurter violemment la tête, pour ne pas se trahir.

Un autre individu simulait une surdité complète. Rien n'avait pu lui faire avouer sa supercherie. On lui banda les yeux, on le conduisit sur le bord d'une rivière, dont le cours rapide produisait un bruit assez fort. Le simulateur se laissa tomber

dans l'eau, plutôt que de se faire prendre en faute de tromperie.

Donc la persévérance d'un habile simulateur ne doit pas troubler le médecin expert et lui faire modifier sa conviction sérieusement acquise. II doit, en toute conscience, dans son rapport discuté et fortement motivé, formuler son opinion dans ces cas douteux et embarrassants.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du lundi 16 décembre 1895. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu ét adopté.

La correspondance comprend des lettres de M. le D' Millée et de M. Coutaud, remerciant de leur nomination comme membres dc la Société.

M. le secrétaire général donne lecture de communications relatives au Congrès de psychologie qui se tiendra à Munich, du 4 au 7 août 1896, et du Congrès d'anthropologie criminelle qui se tiendra à Genève, du 24 au 28 août 1896. ,

correspondance

Les applications pédagogiques do l'hypnotisme.

M. Durand (de Gros). — Dans sa très intéressante communication du aô juillet dernier, sur Y « Onychophagie et habitudes automatiques chez les enfants vicieux ou dégénérés o, que je viens de lire dans le numéro de novembre de la Revue de l'Hypnotisme, M. le Dr Bourdon débute ainsi :

? Notre secrétaire général, le Dr Bérillon, dit-il, est le premier qui ait proclamé la valeur de la suggestion hypnotique comme agent moralisateur et éducateur chez les enfants mauvais, impulsifs ou vicieux ; le premier qui ait démontré que les principes de la pédagogie suggestive et préventive reposent sur des données scientifiques et des faits positifs; le premier, enfin, qui ait montré que le traitement psychothérapique de l'onychophagie et des habitudes automatiques, chez l'enfant, n'était qu'une des multiples applications de cette pédagogie suggestive dont, pour la première fois, il a formulé les principes au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, tenu à Nancy en 1886.»

J'applaudis autant que qui que ce soit, et des deux mains, aux efforts heureux de notre vaillant secrétaire général pour accréditer l'hypnotisme auprès des médecins, et principalement pour démontrer l'efficacité do la suggestion comme moyen thérapeutique ou orthopédique

contre les lésions d'ordre moral, congénitales ou acquises. Mais, pour autant, est-il rigoureusement exact d'affirmer qu'il a été l'initiateur et le premier promoteur de ces applications de l'agent hypnotique ?

Cette question est incontestablement d'un réel intérêt et véritablement importante pour l'histoire de la nouvelle science ; et le Dr Bérillon, pour qui la littérature hypnologique n'a pas de secrets, sera moins embarrassé qu'un autre pour y répondre et rectifier, s'il y a lieu, les déclarations du D' Bourdon dans ce qu'elles pourraient avoir d'excessif. Quoi qu'il en soit, je demande la permission à mes collègues de mettre sous leurs yeux quelques courts extraits d'un pauvre petit livre, bien ignoré, bien rarement mentionné et déjà vieux de trente-cinq ans (1860).

Voici d'abord le titre, qui est déjà assez « suggestif» par lui-même et qui contient une indication très précise sur le point en discussion :

Cours théorique et pratique de Braidîsme ou Hypnotisme nerveux . considéré dans ses rapports avec la Psychologie, la Physiologie et la Pathologie, et dans ses applications a la Médecine, à la Chirurgie, a la Physiologie expérimentale, à la Médecine légale et à l'Education.

Ainsi, les applications de l'hypnotisme à l'éducation sont inscrites tout d'abord au frontispice du livre. Voici maintenant quelques emprunts succincts au texte de l'ouvrage :

A la page 111, quatrième alinéa, on lit :

o L'éducation et la médecine de l'âme trouvent dans le braidisme des moyens d'action d'une puissance inouïe, qui, à eux seuls, portent la découverte de Braid au rang des plus glorieuses conquêtes de l'esprit humain. »

A la fin de la page 112 :

ce Le braidisme nous fournit la base d'une orthopédie intellectuelle et morale qui, certainement, sera inaugurée un jour dans les maisons d'éducation et dans les établissements pénitentiaires. »

Pour ne pas fatiguer l'attention de la Société, je termine par les lignes suivantes empruntées à la page 168, dernier alinéa :

« Lè rachitisme de l'intelligence, les déviations du caractère trouveront en lui (l'hypnotisme) leur orthopédie. »

Tel est le document bibliographique que je désirais soumettre à la Société. Elle appréciera.

M. Bérillon. — La lettre que notre éminent confrère adresse â la Société d'hypnologie vient raviver pour un instant la querelle inévitable de l'affirmation hypothétique et du fait scientifique. Tous les disciples de Claude Bernard se sont efîorcés d'établir les caractères distinctifs qui séparent les faits scientifiques des prévisions et dés inductions qui, si ingénieuses qu'elles soient, n'ont pas encore subi l'épreuve de la vérification expérimentale. « Il n'y a science, disait Paul Bert dans l'un de ses cours, que là où s'est faite une lumière défi-

nitive qui illumine les moins clairvoyants. » Eh bien ! l'honorable docteur Durand de Gros, me permettra de lui dire que ses prévisions ne pouvaient, à elles seules, permettre de ranger les applications pédagogiques de la suggestion hypnotique dans le domaine des faits positifs.

Dans un petit livre sur la Méthode expérimentale, qui devrait être entre toutes les mains, M. le Df Laborde dit qu'au point de vue historique, on peut ranger les hommes qui ont contribué au progrès scientifique en deux parts : 1° d'un côté, les précurseurs, les préparateurs; %3 de l'autre côté, les organisateurs du procédé, les codificateurs,- les vrais fondateurs de la méthode.

Des phrases extraites de ses œuvres, que. nous donne M. le Dr Durand de Gros, il résulte clairement qu'il s'est borné â prévoir la réalisation, dans un temps donné, d'applications pédagogiques de l'hypnotisme dont il n'avait pas eu lui-même l'occasion d'apprécier les difficultés pratiques, et dont il n'a publié aucun exemple. Ajoutons que l'honneur de ces prévisions pourrait être également revendiqué pour Braid lui-même et pour Charpignon (d'Orléans).

Dans l'histoire de toutes les sciences des situations analogues se sont présentées : d'éminents esprits, doués au plus haut degré de la faculté d'intuition, se sont bornés à exprimer des hypothèses hardies, basées sur la constatation élémentaire de certains faits. Mais il ne faut pas oublier que l'observation empirique des phénomènes et les hypothèses qu'elles font naître ne suffisent pas pour l'édification intégrale de la vérité scientifique ; il lui,faut en plus la consécration positive de l'observation expérimentale.

Or, lorsqu'en 1886, à Nancy, au Congrès de l'Association française, dans la section de pédagogie, nous avons fait notre première communication sur la suggestion envisagée au point de vue pédagogique, aucun fait d'application pédagogique dc la suggestion n'avait encore été publié. M. Liébeault, auquel nous avions annoncé le sujet de notre communication, avait bien voulu, en même temps qu'il nous donnait ses précieux encouragements, nous signaler un fait d'application pédagogique de la suggestion, qu'il avait eu, quelque temps auparavant, l'occasion d'observer. Il s'agissait d'un enfant paresseux, auquel il avait, avec succès, suggéré une plus grande application au travail. L'année suivante, en 1887, au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, à Toulouse, dans une~ communication ayant pour titre : De la suggestion et de ses applications à la pédagogie, non seulement nous formulions un certain nombre d'indications précises de la suggestion hypnotique en pédagogie, mais aussi nous démontrions que les principes de la pédagogie suggestive et préventive reposent sur des données, scientifiques et des faits positifs rigoureusement observés. Les premiers, nous donnions des observations de kleptomanie, de mensonge, de troubles du caractère, d'onanisme irrésistible, d'onychophagie, etc., traitées avec succès par la suggestion hypnotique. Bien plus, nous

établissions de la façon la plus minutieuse les détails de l'application du procédé, cela nous permettait d'inviter nos confrères à vérifier l'exactitude de nos conclusions. Un certain nombre de médecins et même de pédagogues, se mettant dans les conditions expérimentales que nous avions formulées, ont recueilli des faits identiques à ceux que nous avions publiés. Parmi ces expérimentateurs s'est trouvé M. le Dr Bourdon, de Méru ; il a cru devoir rappeler qu'il devait la connaissance des procédés auxquels il a eu recours, en même temps que l'idée de les appliquer, aux communications que nous avons publiées sur les diverses applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie. Xous l'en remercions vivement. M. le D' Bourdon ne pouvait pas dire qu'il avait appris dans les ouvrages de M. Durand de Gros, le procédé par lequel on peut, à l'aide de la suggestion hypnotique, arriver à guérir un enfant de l'habitude dc voler, de mentir, de se livrer à l'onanisme, de se ronger les ongles, de céder à ses impulsions, puisque M. Durand de Gros n'a pas fait autre chose que d'exprimer la prévision suivante : « Le rachitisme de l'intelligence, les déviations du caractère trouve-ront dans l'hypnotisme leur orthopédie. » Cette formule générale, bien faite pour encourager les chercheurs, rentre dans la catégorie des prévisions susceptibles de se réaliser, mais que l'on peut toujours exprimer sans crainte d'encourir une grande responsabilité. Longtemps avant Pasteur, des hommes pleins de sagacité avaient prophétisé qu'on trouverait, dans l'étude des fermentations, le mécanisme d'un grand nombre de phénomènes morbides. D'excellents prophètes ont aussi annoncé la découverte de la photographie des couleurs, de la direction des ballons, de la guérison de la tuberculose, etc. Souhaitons qu'ils vivent assez longtemps pour assister à la réalisation de leurs hypothèses et pour formuler, si cela leur plaît, des revendications de priorité.

Dans l'ordre d'idées qui nous occupe, le seul qui serait véritablement fondé à réclamer une priorité, serait M. Auguste Voisin, qui, en 1884, publiait dans les Annales médico-psychologiques, l'observation si caractéristique de la nommée Jeanne SchafT.., âgée de 22 ans, atteinte de troubles moraux et d'impulsions irrésistibles au mal. Celte malade, , qui s'était jusqu'alors montrée désobéissante, menteuse, voleuse, ordu-ricre, malpropre et dépourvue de sentiments affectifs, après de longues séances d'hypnotisme, fut complètement transformée. M. Auguste Voisin avait démontré, par celte observation, que l'hypnotisme peut devenir, dans certains cas, un moyen de guérir la folie et un agent moralisateur. Mais les applications pédagogiques, c'est-à-dire s'adres-sant à des enfants réfractaires à l'éducation normale, vis-à-vis desquels les pédagogues avouent leur complète impuissance, n'avaient encore été l'objet d'aucune démonstration pratique lors de nos premières communications, et nous pensons que c'est à notre initiative et à nos travaux sur la question que la pédagogie suggestive doit d'être entrée dans l'application courante.

M. Dumontpallier. — Nous sommes heureux de rendre ici hommage

à la grande valeur des travaux de M. Durand de Gros. La Société d'hypnologie n'a pas attendu à aujourd'hui pour lui exprimer toute son admiration, puisqu'elle l'a mis au nombre de ses présidents d'honneur. Mais je dois reconnaître que c'est à la ténacité de M. Bérillon, à son esprit de suite et à son insistance à nous faire connaître, par de nombreuses communications, tout l'intérêt que peut présenter la suggestion au point de vue pédagogique, que nous devons de l'avoir suivi dans cette voie. M. Bérillon, dans ce champ si vaste des applications de l'hypnotisme, s'est en quelque sorte consacré spécialement à l'étude de la suggestion pédagogique. Au Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique, en 1889, dans un rapport très complet, il a précisé les procédés d'application pédagogique, formulé les indications, et H nous a appris un certain nombre d'artifices sans lesquels on ne pourrait arriver à augmenter le pouvoir d'inhibition, à créer le centre d'arrêt et à fixer la suggestion. ·

Ses cours à PEcole pratique de la Faculté de Médecine, l'enseignement qu'il donne à sa Clinique et les démonstrations expérimentales qu'il y fait chaque jour, ont contribué k former de nombreux élèves et à vulgariser le maniement pratique de la psychothérapie pédagogique. M. Bérillon, qui a été mon élève, et qui a suivi de près les expériences de la Pitié, sait que, laissant de côté les conceptions théoriques, nous nous sommes surtout préoccupés d'apporter, dans l'étude des phénomènes d'hypnotisme, un rigoureux contrôle expérimental. C'est à cette méthode que l'hypnotisme doit d'être accepté aujourd'hui comme une conquête définitive de la médecine.

M. Auguste Voisin. — Je remercie M. Bérillon d'avoir rappelé l'observation de Jeanne Schaff..., à laquelle j'ai consacré de si longues heures. Je pense, comme lui, que la science ne peut progresser que par les faits bien observés. Les théories, lorsqu'elles ne sont pas appuyées par les faits expérimentaux, nous laissent dans un grand embarras, et, pour ma part, je suis beaucoup plus impressionné par une observation très concluante que par toutes les considérations théoriques ou hypothétiques. Le seul mérite que je revendique, c'est d'avoir, en présence des élèves de mon service, prouvé par des faits, que la suggestion hypnotique pouvait guérir de malheureux aliénés qui, sans l'intervention de ce procédé, n'auraient jamais recouvré leur liberté.

Folie lypémaniaque avec hallucinations et idées de persécution, traitée avec succès par la suggestion.

Par M. le D' Auguste Voisih, médecin de la Salpêtriérc.

Aphasie et cécité verbale après une pleuro-pneumonie. Phénomènes hystériques. Guérison rapide par la suggestion hypnotique. — Antécédents héréditaires : le père n'était point alcoolique; sa vie ne

nous donne rien d'important à signaler. La mère est morte de phthisic pulmonaire ; sa maladie a duré fort longtemps et un frère a été atteint d'une tumeur blanche du pied.

Antécédents personnels : Depuis l'âge de cinq ans, la malade C..avait régulièrement toutes les semaines des névralgies à la tête, surtout dans les régions frontale et temporale droites. Ces douleurs commençaient par une sensation de gonflement à la poitrine, puis au cou ; elle avait en même temps la face rouge.

Elle a été précoce pour tout, dit sa mère ; à l'âge de onze ans, menstruation. Le surlendemain, à la suite d'une frayeur, les règles disparaissent, mais en même temps il survint des phénomènes nerveux; impossibilité de parler pendant quelques heures; paralysie du côté droit. Le bras droit était fléchi à angle droit, il était collé contre le corps et raide, et on ne pouvait l'étendre ; les doigts pouvaient remuer. . Le membre inférieur était fléchi et douloureux. Tout le temps que dura cette paralysie, les douleurs névralgiques de la tête et des espaces intercostaux se reproduisaient régulièrement chaque semaine. Insensiblement la faiblesse de la jambe droite diminua et la malade put faire de petites courses. Après deux ans la jambe a à peu près repris toute sa vigueur. Le bras resta paralysé pendant plus longtemps et |a motilité ne s'y rétablit que lentement.

Les règles reparaissent alors, mais le jour même elle a une contrariété et la menstruation s'arrête. A treize ans et demi, fièvre typhoïde qui dura deux mois et demi. La malade dit avoir déliré pendant plus d'un mois. Les règles reparaissent pendant cette maladie. La convalescence terminée, la malade constata que son caraetère avait changé ; un rien l'ennuyait et sa mémoire a diminué.

Quelque temps après, à la suite de dissentiments qui survinrent entre elle et sa famille, elle se mit en apprentissage. Pendant quatre à cinq ans, elle alla de maison en maison, changeant souvent, parce que ses douleurs l'empêchaient de faire le travail qu'on lui imposait. A ce moment elle fut atteinte de névralgies vagues, de maux de tête, de dents, et de douleurs intercostales ; elle toussait presque continuellement.

A dix-sept ans, elle fit la connaissance de son mari qu'elle épousa en octobre 1883. Le ménage ne marchait pas trop mal, sauf quelques ennuis jusqu'en 1887, année où son mari se mit à cracher du sang et entra à l'hôpital. C'est alors que la malade eut ses premières hallucinations ; elle entendait les voisins dire du mal d'elle; elle se disait persécutée. En 1890 et 1891, ils sont expulsés de leur logement, et elle endure beaucoup de privations.

Enfin, au commencement de 1892, son mari entra à Necker, puis à la Charité, et c'est là, au moment de la séparation avec lui, qu'elle tomba dans la rue dans une première attaque de nerfs. Je dois ajouter que depuis son mariage, sa santé s'est altérée et les soucis de toute nature qu'elle a eu à subir en ont été la cause ; qu'elle avait des discus-

sions avec son propriétaire, son concierge, ses voisins,et qu'elle croyait que toutes ces personnes lui en voulaient; elle les entendait proférer des menaces contre elle.

La nuit de l'attaque de nerfs qui éclata à la Charité, elle fut prise de délire et transférée à Sainte-Anne, et, de là, à la Salpélriêre.

A son entrée dans mon service, elle est triste, elle pleure, elle croit qu'on l'accuse de vol ; elle a des hallucinations terrifiantes de la vue dans lesquelles elle voit un homme noir qu'elle appelle le « noiraud o et qui est couvert de sang.

Lorsque l'hallucination se produit, on la voit tomber à genoux, se cacher la figure dans ses mains, se rouler à terre en proie à une violente terreur.

Examen physique : Traits réguliers. Front bien fait. Lobule de roreille adhérent jusqu'en bas. Le nez est large, épaté. Orthognathe. Voûte palatine bien faite. Pupilles égales, moyennes. Pas de tremblement de la langue, ni des lèvres, ni des mains. Pas de goitre, pas de pléiade cervicale. Utérus normal. Rien de particulier dans les poumons.

Rien au cœur. Hemianesthésie droite complète. Diminution de la sensibilité à la piqûre à l'avant-bras gauche. Pas de stigmates sus et sous-mammaires. Douleur éliaque des deux côtés. Douleur dans le côté droit du thorax. Pas de zones hystérogènes. Réflexe pharyngien aboli. Réflexe conjonctivo-cornéen diminué à gauche, aboli à droite. Réflexes rotuliens normaux. Rétrécissement concentrique du champ visuel à droite. Acuité visuelle très diminuée à droite- Dit voir mieux dc l'œil gauche. Hémianopsie. Voit parfois une étoile qui remue. Pas d'achromatopsie ni de dyschromatopsie. Un psu d'hésitation pour le violet et le vert. Acuité auditive très diminuée à droite. Pas d'odorat à droite (ammoniaque). Goût un peu altéré (moutarde).

Le 20 Mars. — Chute en arrière. Perte de connaissance. Yeux hagards, fixes, portés en haut et en dedans. Pas d'écume buccale. Pas de morsure de la langue. Pas de convulsions toniques. Se débat fortement.

16 Avril. — Broncho-pneumonie du sommet droit. Hémoptysie. Fièvre 39°. Sueurs. Matité du sommet droit. Souffle. Râles sous-crépi tants.

Cette maladie a duré trois semaines. Amélioration de l'état mental pendant la fièvre, mais la maladie a laissé un très grand affaiblissement physique et intellectuel.

2 Juin. — La malade ne sait plus prononcer les mots commencés par une autre personne ; elle ne peut plus dénommer les objets tels que le fil, l'aiguille, les ciseaux. On constate de plus, en la faisant lire, qu'elle présente de la cécité verbale qui se montre chez elle sous trois formes :

i" La malade interprète le mot qu'elle voit, sait de quoi il s'agit, mais ne peut pas prononcer le mot écrit et désigne par une périphrase l'objet dont elle voit le nom (Aphasie de transmission) ;

2e La malade lit le mot à haute voix, sans hésiter, mais ne sait pas ce que le mot veut dire, ou doit faire effort pour trouver sa signification (Aphasie de réception);

3e La malade ne comprend, ni ne peut lire le mot qu'elle a devant les yeux (Aphasie totale).

C'est la troisième forme qui existe à peu près seule. La première et la seconde sont des modifications de celle-ci et ne se montrent qu'après quelques séances d'hypnose. En effet, voici à quel exercice la malade est soumise. On lui fait lire un passage de 35 lignes. Sur ces 35 lignes il y a 15 mots pour lesquels elle présente une des formes d'aphasie désignées plus haut. Puis on la met en état de somnambulisme et on lui fait relire le même passage. Dans cet état elle lit sans hésitation et comprend tous les mots.

Réveillée, on lui fait relire le même passagc,etau lieu de 15 mots, il n'y en a plus que 4 ou 5 sur lesquels elle hésite ou qu'elle ne peut se prononcer. Tous les deux jours on répète la même expérience, avec des passages qu'elle n'a pas encore lus, et après six séances on lui fait lire successivement à l'état de veille, puis en état de somnambulisme provoqué, puis en état de réveil, trois passages de 35 lignes chacun. Elle ne montre plus aucune hésitation. Il en est de même pour l'écriture. On arrive pendant l'hypnose à lui faire écrire un passage de 15 lignes sous la dictée, sans une hésitation, alors qu'au début elle laissait en blanc, pour un même nombre de lignes, 7 ou S mots dont elle ne savait plus l'orthographe. Pour les chiffres, la même réduction a été faite.

Par suggestion on lutte contro ses hallucinations ; on lui persuade qu'elle est plus forte que le « noiraud » et qu'elle ne doit pas le craindre, ni le voir.

Pendant ses crises, en effet, elle se cache sous les lits, ou bien elle le poursuit et lui jette des pierres.

Enfin, on parvient à chasser complètement l'hallucination par plusieurs séances d'hypnose.

Septembre.— Depuis plus d'un mois, la malade parait avoir retrouvé son état normal. La mémoire est revenue. L'aphasie et la cécité verbale ont complètement disparu. Plus d'hallucinations. Sommeil calme, mais encore de temps en temps maux de tête et névralgies vagues dans la moitié droite du thorax.

29 Octobre 1893.— Pas d'anesthesie à la douleur, au tact. Conservation du réflexe palpébral. Conservation de la contractilîté pupillairc. Egalité des pupilles.

Hémiopie interne ; elle ne distingue une bougie que de face. Pas de diplopie ni de dischomatopsie. Sait multiplier, additionner. L'ceil droit ouvert, je lui dis de me fixer, je tiens à la main un crayon brillant, je le présente à droite, à gauche, en haut, en bas. Elle le voit de l'œil droit, mais de l'œil gauche elle ne le voit pas. Elle ne le voit distinctement que de face avec l'œil gauche.

30 Octobre. — Hypnose. L'œil droit étant couvert, je lui dis d'ouvrir l'œil gauche : elle ne voit le crayon que de face ; je lui présente le crayon aux quatre côtés, elle ne le voit pas, et elle me dit qu'elle ne voit que moi ; je lui présente de nouveau le crayon: elle arrive à le voir par suggestion en bas et en dedans, et je lui dis qu'étant éveillée, elle continuera à le voir à ces deux plaees.

Etant éveillée elle voit peu distinctement encore le crayon placé en dedans et en bas, et rien n'est obtenu encore en haut et en dehors.

Après deux autres séances, ce trouble visuel a complètement disparu sous l'influencé de mes suggestions.

Quelques cas d'inversion sexuelle traités par la suggestion.

Par M. le D* Lloyd-Tuckby, de Londres.

Les travaux de Krafft-Ebing, de Moll et de Schrenk-Notzing sur les perversions sexuelles, ont obtenu en Angleterre un grand succès de curiosité.

Beaucoup de médecins ne sont pas encore habitués à l'idée de considérer cette perversion du sens génital comme un état pathologique et sont d'avis que l'inversion sexuelle est un vice qui doit être réprimé et puni très sévèremeut. Je confesse avoir partagé moi-même cette opinion jusqu'à ces dernières années. Mais ayant été appelé à traiter un certain nombre de malades atteints de cette affection, je suis arrivé à l'idée qu'il valait mieux les soigner méthodiquement que de les poursuivre devant les tribunaux.

Je vais donner un court exposé de chacun des cas que j'ai observés :

Ie Le malade est un artiste qui m'est amené pour être traité d'un penchant irrésistible à l'ivrognerie. Il est âgé de 31 ans. Son apparence est négligée. Il est peu hypnotisable? Je l'ai vu en tout trois fois en Novembre 1893. A son aspect, je jugeai qu'il devait être porté à des impulsions sexuelles irrésistibles. Je le questionnai et il me répondit avec un certain cynisme qu'il était atteint d'inversion sexuelle. Il avait commencé dès son enfance, à l'Ecole, et il avait continué par la suite» poussé dans cette voie par un précepteur vicieux. Je dis au malade que j'espérais le guérir, non seulement de son intempérance, mais encore de son inversion sexuelle. Mais l'idée de changer de mœurs ne fut pas acceptée par son esprit et il ne revint pas. Il est probable qu'il tirait de son vice des moyens d'existence inavouables.

2° Un négociant allemand, âgé de 46 ans, me consulte en Juin 1894. Il avait servi dans l'armée et avait toujours été efféminé. Quoiqu'il ait eu des relations avec des femmes, il avait toujours recherché la fréquentation des hommes et il avait l'habitude de se livrer à son vice avec des soldats. Il s'adonnait aussi, faute dc mieux, à l'onanisme, et il désirait plus se corriger de cette habitude que de son inversion sexuelle. Je le vis vingt fois, à trois jours d'intervalle entre chaque

Les variations de la sensibilité avec l'Age et la condition sociale.

Par M. Mac Donald, de Washington.

Les résultats de nos recherches, qui devront d'ailleurs être vérifiés par des expériences portant sur un plus grand nombre d'individus, conduisent aux conclusions suivantes :

1° Les femmes d'un âge moyen des classes supérieures, les jeunes femmes des classes aisées ; elles sont en revanche beaucoup plus sensibles à la chaleur.

2° Les jeunes hommes des classes aisées sont beaucoup plus sensibles à la localisation et à la douleur que les ouvriers.

3° Les jeunes femmes des classes aisées sont moins sensibles à la localisation et à la chaleur, mais beaucoup plus sensibles à la douleur que les jeunes hommes des mêmes classes. 11 a d'ailleurs été constaté déjà que la femme était plus sensible à la douleur que l'homme, d'où il ne résulte pas nécessairement que la femme ne puisse endurer plus dc douleur que l'homme.

4° Les garçons sont plus sensibles à la localisation et à la chaleur avant la puberté qu'après. Les filles sont plus sensibles à la localisation avant la puberté, mais leur sensibilité à la chaleur reste à peu près la même avant et après la puberté.

5e Les garçons de couleur sont plus sensibles à la localisation et à la chaleur que les enfants blancs. Les filles de couleur sont moins sensibles à la localisation, mais plus sensibles à la chaleur que les filles blanches. Les garçons de couleur sont plus sensibles à la localisation et à la chaleur que les filles de couleur.

Enfin, sauf dans un cas unique, le poignet gauche est plus sensible aussi bien à la localisation et à la chaleur qu'à la douleur.

SOCIÉTÉS SAVANTES

Société de Médecine et de Chirurgie de Bordeaux.

Séance du ?0 Mars 1896. — Présidence do M. Rocsseac Saint-Philippe.

Kleptomanie.— Présentation' du Malade.

M. Régis présente un jeune malade atteint de kleptomanie d'origine dégénérative, dont nous publions plus haut l'observation complète.

Discussion.

M. Larroussinie. J'ai eu l'occasion de voir, il y a quelques années, un cas analogue à celui qui nous est rapporté par M. Régis, et absolument semblable au cas type présenté par M. Tissié dans sa thèse inaugurale.

Il s'agissait d'un jeune homme de dix-huit ans, qui, plusieurs fois déjà, avait fait des fugues de courte durée et qui disparut de chez lui après avoir pris de l'argent à ceux qui l'employaient.

Au bout de quatre jours, les parents furent avertis qu'il avait été arrêté à Orléans et conduit à la prison de celte ville comme vagabond.

Ramené chez lui par son père et mis en notre présence, il nous raconta que, la veille de sa disparition, on avait causé, chez lui, de divers faits historiques, entre autres des événements qui signalèrent la vie de Jeanne d'Arc. Le père du jeune homme avait, à ce propos, parlé d'un séjour qu'il avait fait à Orléans et de la statue de l'héroine qui se trouve dans cette ville. « La nuit suivante, dit X—, je rêvai que je me trouvais devant cette statue, et le lendemain, je n'eus qu'une pensée : partir pour Orléans. Je pris, dans la caisse, l'argent nécessaire pour le parcours. Mais, arrivé dans cette ville, je ne pus ni me loger, ni me nourrir, car je n'avais emporté que le montant de ma place d'aller. Le lendemain soir, je me présentai à un poste du police, où l'on me retint, »

Honteux de son équipée, X... ne raconta son aventure que dans la journée qui suivit.

11 fut placé dans un asile et, là, il eut plusieurs attaques d'hystérie.

J'eus recours à la suggestion et parvins à lui inspirer, pour les voyages, une véritable horreur.

Mais, d'après les renseignements que j'ai eus récemment, l'effet de" la suggestion ne s'est pas maintenu, et ce jeune homme, qui avait été mis en liberté, a dû être interné de nouveau.

Ce malade rentre dans la classe des a captivés » dc notre confrère Tissié.

M. Régis a dit tout à l'heure que, pour des sujets tels que celui qu'il nous a présenté, il n'y a que la prison ou la maison de correction. J'ajouterai qu'il y a aussi l'Asile. Mais pour qu'on envoie ces malheureux dans un établissement hospitalier, il faut que leur irresponsabilité soit démontrée. Or, trop souvent, dans des cas semblables, le médecin légiste n'a pas été consulté, et les magistrats condamnent.

Il n'y a pas longtemps qu'on a signalé, à la Société médico-psychologique et à l'Académie de Médecine, des cas très nombreux de malades condamnés pour divers délits; parmi eux, on voit même des paralytiques généraux. Or, la statistique faite à ce propos ne peut être douteuse, car elle émane de la Direction de l'Assistance publique au Ministère de l'Intérieur.

De tels faits sont profondément regrettables. Selon nous, le meilleur moyen à employer pour les éviter, serait d'instituer dans les Facultés de Droit un cours portant sur la médecine légale en ce qui concerne les aliénés ou ceux qu'une affection quelconque peut rendre plus ou moins irresponsables. Cela, d'ailleurs, existe à Paris.

M. Tissié. Je remercie M. Régis d'avoir établi ma priorité dans la question si intéressante et si grave à la fois de l'influence des rêves sur

les actes accomplis à l'état de veille. Le hasard de la clinique me conduisit, il y a dix ans, en 1886, devant le lit d'un malade atteint de poussées ambulatoires, Le diagnostic porté avait été celui .d'épilepsie larvée. J'observai longuement ce sujet à sa sortie de l'hôpital; je le fis loger chez moi afin de le mieux connaître et, là, je l'endormis pour la première fois; j'avais affaire à un hystérique mâle, mais de plus à un cas nouveau dans la science, car je venais de découvrir le déterminisme des fugues dans lesquelles les rêves jouaient le principal rôle. Je créai la classe des cap (très. Mon sujet, impressionné à l'état de veille par le récit d'un voyage ou par la vue d'une longue route bien droite, en rêvait la nuit suivante et il partait le lendemain en continuant son rêve, c'est-à-dire en état second. Cet état ne s'établissait cependant qu'à la suite d'un choc nerveux : fatigue corporelle, onanisme, émotion, contrariété, ennui, etc. Albert X... préparait ses fugues en état second, car il ne partait jamais sans argent, engageant des objets au Mont-de-Piété ou se servant de l'argent qui lui était confié. Son histoire est classique aujourd'hui ; je n'y reviendrai pas. Je possède cependant de nombreux documents que je n'ai pas publiés ; entre autres, une série de photographies instantanées que je me propose de présenter à la Société.

L'influence des rêves sur les actes accomplis à l'état de veille a été longtemps contestée; elle existe pourtant, j'en ai cité de nombreux exemples dans mon Iivro Les Rêves', et le sujet si intéressant que. vient dc nous présenter M. Régis, avec la haute autorité scientifique qui s'attache à son nom, en est une preuve nouvelle et indubitable.

Si la clinique ne doit s'inquiéter que des phénomènes extérieurs et s'appliquer à guérir, la médecine légale a le devoir d'en rechercher le déterminisme, car la loi frappe l'individu au nom de ce déterminisme. Toute la responsabilité humaine est basée sur le choix dc l'individu dans l'acte qu'il accomplit plus que dans Pacte lui-même; ,c'est ainsi que la mort d'un homme est différemment envisagée, selon qu'il s'agit d'un accident de chasse, d'un cas de légitime défense ou d'un assassinat avec préméditation. Le degré de responsabilité varie donc dans chaque cas ; celle-ci est bien atténuée chez les captivés qui accomplissent leurs fugues, leurs vols ou tout autre acte à l'état second, c'est-à-dire dans un rêve éveillé. Ces sujets font acte de jugement et de volonté, mais jugement et volonté sont les prisonniers d'un rêve. Or, ce rêve est provoqué par une impression sensorielle perçue à l'état de veille et qui, renforcée dans le sommeil physiologique, déplace le jugement en aulo-suggestionnant le sujet en sa faveur. Albert X... voit une belle route bien droite, il en rêve, et le lendemain il est poussé sur les grands chemins.

Il est probable que le malade de M. Régis agît de même après une impression sensorielle ressentie à l'état de veille : vue de l'argent, d'objets divers, bijoux, etc. ; il en rêve, et il vole. Son libre arbitre, c'est-à-dire le choix qu'il est appelé à établir entre ce qui est permis

et ce qui est défendu est donc modifie, puisque les éléments constitutifs qui doivent présider à ce choix sont modifiés eux-mêmes, déplacés par un dédoublement de la personnalité qui crée une vie seconde. De tels sujets possèdent deux * moi », ayant chacun sa vie propre et ses réactions. Ils ne sont responsables vis-à-vis de la Société que dans l'état de personnalité qui correspond à celui du milieu dans lequel ils se trouvent placés, c'est-à-dire à l'état prime. Mais si jamais la société passait à l'état second, c'est par l'élat second qu'ils seraient responsables, l'état prime deviendrait alors pathologique. Dans tout acte, il faut considérer quatre facteurs : 1° une impression sensorielle ou splanchnique, qui constitue une mémoire; 2° une comparaison entre deux impressions, les mémoires deviennent alors des témoins, c'est le jugement qui s'établit en faveur du groupe des témoignages les plus forts ; 3° le verdict, c'est-à-dire la volonté qui va provoquer l'acte ; 4° l'exécution du jugement ou l'acte lui-même.

Comme il ne saurait y avoir jugement sans témoignages, le problème consiste donc à rechercher dans tout acte humain quelles sont la nature et la valeur des témoignages, c'est-à-dire des impressions sensorielles ou splanchniques perçues par l'individu. Quand toutes les fonctions sont en équilibre les unes vis-à-vis des autres, le jugement et l'acte répondent à l'équilibre du milieu sur lequel est basée la vie sociale; quand l'équilibre est rompu, le jugement et l'acte sont modifiés en raison même de cette rupture. Un homme qui naîtrait avec une anesthésie généralisée à tous les sens et au tube digestif vivrait différemment qu'un homme possédant une sensibilité normale, à supposer même qu'il pût vivre. Les auto-intoxications, la fatigue intensive, les hallucinations diverses, etc., en agissant sur les apports sensoriels et splanchniques, provoquent des mentalités différentes.

J'ai fait quelques expériences sur Albert X..., que j'avais placé en état second. J'ai recherché, il y a huit ans, l'influence d'une impression tactile sur la formation diune idée et sur l'accomplissement des actes, au moyen de la pesée et de la photographie instantanée.

La Société pourra juger de l'intérêt de ces expériences sur les photographies que je dois lui présenter.

M. Armaignac. Dans tous les grands magasins de confections, on observe souvent des cas de kleptomanie chez de grandes dames. S'agit-il de malades analogues à celui que vient de nous présenter M. Régis?

?/. Régis. La kleptomanie est un symptôme qui s'observe dans une foule de maladies mentales, mais dans chacune le vol présente des caractères particuliers. Ainsi, l'épileptique ne conserve pas le souvenir de son vol : le paralytique général vole des objets absolument, quelconques et sans se cacher le moins du monde. Les dames kleptoma-niaques, auxquelles fait allusion M. Armaignac, sont généralement des hystériques. Il en est de même des enfants, et cela permet de les hypnotiser et de les guérir par ce moyen.

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisjème lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence dc M. Dumont-paliier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront lieu les lundis -15 juin et 2U juillet. Adresser les -communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitboul, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Association de la Presse médicale française

Comité national français d'Initiative et de Propagande du Congrès international de Médecine de Moscou. [7/19-14/26 août 1897). A la réunion du 1" mai dernier de l'Association de la Presse médicale, il a été décidé ce qui suit :

I. — Par les soins de l'Association de la Presse médicale, un Comité est institué sous la dénomination de: Comité national français d'Initiative et de Propagandedu Congrès international de Médecine deMoscou en ?89?.

Ce Comité a pour mission de mettre tout en œuvre pour assurer la participation dc la France au Congrès de Moscou.

II. — Sont nommés membres de ce Comité: 1° MM. les Doyens de toutes les Facultés de Médecine de France ; 2° M. le Président de l'Académie dc Médecine ; 3° Tous les membres de l'Association de la Presse médicale, présents à la réunion du 1" mai, MM. Blondel, Bardet, Bérillon, Bilhaut, Butte, Cézilly, Chervin, Chevallereau, Cornil, Dela-fosse, De Ranse, Doléris, Fournier, Gilles de la Tourette, Gourrichon, Gouguenheim, Gautier, Guelliot, Janicot, Leblond, Lutaud, Olivier, Xatier, Valude, Baudoin (Marcel).

III. — Le Bureau du.Comité, composé de M. le P' Cornil, président, dc MM. de Ranse et Cézilly, syndics, Marcel Baudoin, secrétaire, est chargé d'organiser la publicité nécessaire dans notre pays, de centraliser les cotisations, de s'entendre avec les Compagnies dc chemins de fer et les Sociétés de voyages pour le transport des Congressistes, etc.

IV. — Toutes les communications relatives aux travaux de ce Comité et toutes demandes dc renseignements doivent être adressées à M. le Dr Marcel Baudoin, à rinstitutdc Bibliographie scientifique, 14, boulevard Saint-Germain, Paris.

NECROLOGIE

Notre distingué confrère. M. le D-r Semai, de Mons, vient d'être inopinément enlevé à l'estime de tous ceux qui le connaissaient. M. Semai était doué d'un esprit sagace, très épris de son art. Directeur de l'asile d'aliénés de Mons, il sut tirer un profit judicieux des ressources mises à sa disposition par le gouvernement Belge pour faire de l'asile qu'il dirigeait un établissement à la hauteur des nécessités scientifiques. Comme spécialiste, il avait une réputation sérieuse et appartenait à cette école qui étudie la folie" dans ses rapports avec la pathologie générale. M. Semai s'intéressait vivement aux études d'hypnotisme. Il avait pris part aux travaux du Congrès de l'hypnotisme, en 1889.? l'Académie de médecine de Belgique, il avait fait un rapport très documenté, au moment de la grande discussion sur l'hypnotisme. En 1892, il avait été le secrétaire général du congrès d'anthropologie criminelle tenu à Bruxelles, et tous avaient rendu hommage à sa courtoisie et à l'organisation remarquable qu'il avait donnée aux travaux du congrès.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants etde professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférence sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1895-1896, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Bérillon, Max Nordau,Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joirc, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatjfs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

VAdministrateur-Gérant : Emile BOURIOT #. 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

AVIS IMPORTANT. — La « Revue de l'Hypnoti

commencera, dans son prochain numéro, la onzième année de son existence. A partir de ce numéro, la Revue inaugurera sous le titre : Les maîtres de l'hypnotisme, la publication d'une série de biographies. Ces biographies seront accompagnées du portrait gravé. La première de ces biographies sera celle de M. le docteur D ? montp allier, membre de l'Académie de médecine, président perpétuel de la Société d'hypnologie et de psychologie.

HISTOIRE D'UN CAS DE LÉTHARGIE

Par M. le Docteur P. van Velseîî, de Bruxelles.

Au mois de novembre 1895, on amena à l'Institut chirurgical un jeune homme de 22 ans, M. V..., qui, depuis trois jours, se trouvait dans un état de léthargie profonde. Sa mère me raconta que son fils, jeune homme très rangé et de goûts très modestes, était resté en Algérie après le départ de ses parents, au mois de juillet de la même année. Il était muni d'une certaine somme qui devait lui permettre de vivre pendant plusieurs mois. Brusquement, V... se trouve dénué de tout ce qu'il possédait; argent, bijoux, vêtements, meubles, tout y passa, jusqu'à ses outils d'horloger auxquels il tenait beaucoup.

Il se promenait dans les rues d'Oran, sans chemise, sans chaussettes, avec des vêtements déguenillés, et, de plus, il paraissait mourir de faim. Une nuit, il alla dormir dans une écurie, et, le lendemain, il ne pouvait s'expliquer comment il se trouvait là. Un matin, il escalada un rocher à pic sur la mer, franchit le mur d'enceinte d'un fort et creusa avec ses ongles un trou d'un mètre de profondeur. Arrêté, il fut relâché,

après une enquête favorable, car tout le monde, à Oran, connaissait V... comme un brave garçon, très doux, très correct, nullement exalté, et personne ne comprenait quelque chose au complet changement qui s'était opéré en lui. Il ne déraisonnait pas, mais il avait complètement perdu la mémoire. Lorsqu'on lui parlait, il paraissait s'éveiller brusquement, disait quelques mots avec une voix toute changée, accompagnée de gestes d'automate.

Bref, il avait toutes les allures d'un somnambule. Sur ces entrefaites, des amis le renvoyèrent en Belgique, où il reprit son métier d'horloger. Cet état de somnambulisme qui persistait toujours avec incapacité de travail et état mélancolique, fut, après quelques semaines, compliqué d'un phénomène bizarre. Quand le patron de V... faisait un geste quelconque, il était immédiatement reproduit par ce dernier. Le patron fumait-il un cigare, V... faisait tous les gestes, comme s'il fumait lui-même. De plus, la simple ébauche d'un geste suffisait pour que V... accomplit le geste en son entier (*). Cette dernière phase de la maladie dura quelques jours; lorsqu'un jour, à Braine-le-Comte, V... tomba dans un état de léthargie profonde. Transporté à l'hôpital de cette ville, mon confrère, M. le docteur Depoitte, jugea, d'après l'interrogatoire de la mère, qu'il y avait en jeu une histoire d'abus, fait à Oran, de la grande suggestibilité de V... Mon confrère eut l'obligeance d'envoyer ce dernier dans mon service, à l'Institut chirurgical.

J'entrepris aussitôt de le réveiller par suggestion et de le guérir complètement par ce même moyen. Le principe que j'ai déjà eu maintes fois l'occasion d'appliquer, c'est-à-dire : « Le mal produit par la suggestion maladroitement ou criminellement appliquée est toujours sûrement enlevé par la suggestion contraire », trouvait de nouveau ici son application. J'eus besoin de six heures pour arriver à mon but, c'est-à-dire que j'y consacrai deux heures le matin et quatre heures l'après-midi.

Voici comment je procédai :

Tout d'abord, je lui répétai plusieurs fois : « Malgré tout,

(i) Ce phénomène de l'imitation est assez fréquent aux Indes Néerlandaises. Dans un voyage aux Indes, j'ai pu, personnellement, observer des ¦ latah «. comme on appelle en malais les malheureux atteints de cette affection. (Latah signifie singer). Mon confrère et ami, le Dr Ortegat, qui vient d'accomplir plusieurs voyages aux Indes, en a également observé plusieurs cas. Nous croyons qu'on peut considérer cette affeciion comme une. variété des tics hystériques. Je note en passant que ni le D' Ortegat ni moi n'avons entendu dire que des hommes en fussent atteints- Il est reconnu que le plus grand nombre de « latah ¦ se trouvent parmi les ¦ baboe », c'est-à-dire les servantes spécialement chargées de la garde des enfants.

« vous m'entendez parfaitement, et, pour prouver que vous « m'entendez, vous allez tenir votre bras en l'air. » Après environ une heure de suggestions répétées, le bras droit resta en catalepsie, et, bientôt, le bras gauche resta à son tour dans le même état. L'acheminement vers le réveil se manifestait déjà par plusieurs mouvements du malade. Je lui commandai alors d'ouvrir les yeux et de regarder sa mère. Après environ un quart d'heure, il ouvrit les yeux, regarda sa mère et retomba en léthargie. Je recommençai la même manœuvrent constatai que chaque fois que ses yeux rencontraient sa mère, il retombait dans son état primitif. Je fis sortir cette dernière, et, immédiatement, les tendances au réveil devinrent plus manifestes.

Plusieurs fois, il essaya de me regarder, mais, au bout de quelques instants, ses yeux se refermaient pour retomber dans un sommeil entrecoupé de pleurs et de gémissements. Il était facile de constater qu'il se livrait en lui une lutte très pénible. Je le laissai reposer et recommençai l'après-midi.

Ma conviction était qu'un ami malhonnête l'avait hypnotisé à Oran pour le dépouiller, et lui avait donné la suggestion de ne rien dévoiler et de retomber en sommeil quand on lui parlerait de quelque chose concernant ce qui s'était passé là-bas.

Sa mère m'avait raconté que son fils était toujours accompagné, à Oran, par un jeune homme mal famé, un certain B— Celui-ci avait un empire immense sur V.... Rentré en Belgique, V... resta en correspondance continuelle avec B..., et, quand sa mère lui reprochait d'entretenir une amitié aussi profonde pour ce vaurien, V... se fâchait, disait que B... était son ami, qu'il ne souffrirait pas d'en entendre dire du mal, etc.

Tout cela, combiné avec les précédents de V..., ne pouvait qu'augmenter ma conviction ('). Je résolus donc d'enlever l'empire que B... avait sur le malade.- Ce n'était pas chose aisée, mais, étant persuadé (et les événements ultérieurs ont prouvé que j'étais dans le vrai), que V... ne demandait pas mieux, considérant ma tâche comme considérablement facilitée, je demandai donc au malade : ß Y a-t-il quelque chose ou quelqu'un qui vous empêche de vous réveiller?» Ce ne fut qu'après une grande heure de lutte, qui paraissait très pénible, que je vis V... faire des efforts pour me répondre. Je lui dis

(1) En y ajoutant celle que B... avait donné la suggestion d'amitié pour lui, malgré tout.

alors et répétai, cette fois encore pendant environ une heure : « Si quelque chose ou quelqu'un vous empêche de répondre, « vous allez me le dire, vous pouvez le faire, vous savez le « faire. »

Ces suggestions répétées eurent un plein succès. Tout à coup, mon malade me dit : « B..., B..., B... » (on comprend que je ne cite pas le nom). Ce nom était prononcé avec une terreur mêlée de colère. Le point principal du traitement était obtenu, c'est-à-dire la communication entre moi et le malade à l'état de sommeil. Dès lors, les suggestions devenaient faciles. Pendant tout un temps, je ne fis que lui répéter que B... n'avait plus aucun empire sur lui, qu'il allait redevenir le garçon libre et indépendant qu'il était avant, etc., puis je lui dis que j'allais le réveiller complètement, qu'il allait manger quelque chose et qu'après je le rendormirais. La suggestion donnée, il se réveilla instantanément, mais, chose curieuse à noter, il se croyait à Oran au moment où ses parents venaient de quitter l'Algérie, ne comprenant pas la présence de sa mère et ne sachant dans quelle maison il se trouvait. Il mangea de bon appétit, tout en ayant cependant l'air un peu égaré. Je lui demandai de se rendormir, ce qu'il fit à l'instant même, et de me raconter ce qui s'était passé à Oran. L'histoire était telle que sa mère et moi nous l'avions supposée : l'influence de B..., l'obligation de V... d'obéir à tout ce que ce dernier lui suggérait, un pourrait quelquefois croire que V... parlait selon mes suggestions directes ou indirectes. Cela n'est pas, car l'enquête faite en Algérie a démontré la vérité des faits racontés par V.... Le lendemain même de cette première séance, Y... se çendit chez moi pour être hypnotisé à nouveau, de façon à lui faire complètement assimiler la suggestion de ne plus être hypnotisé par personne, pas même par moi, si ce n'est quand il l'aurait demandé.

Malheureusement, le service militaire le réclamait en France, et, trois semaines après son incorporation, il eut un nouvel accès de léthargie. Je fus appelé pour le soigner, quand déjà depuis une semaine il se trouvait dans cet état. Cette fois, en une demi-heure il était debout et attablé devant son dîner. Depuis lors, V... est redevenu ce qu'il était avant sa funeste rencontre à Oran, mais ayant en plus, grâce à la suggestion, assez de pouvoir sur lui-même pour ne plus être hypnotisé, si ce n'esta sa propre demande.

HISTOIRE D'UN CAS DR LÉTHARGIE

Ce cas, relaté par plusieurs journaux belges et français (à cause de la personnalité de V...), a porté plus ou moins atteinte à la cause de l'hypnotisme. Beaucoup, pris de peur, se sont dit que le cas de V... venait démontrer une fois de plus que l'hypnotisme arrivait jusqu'à détruire complètement la volonté et le libre arbitre de celui qui y était soumis. Ils ont tort, car, en toute chose, il y a usage et abus. Si des malfaiteurs emploient l'arsenic pour empoisonner leurs victimes, s'en suit-il que l'arsenic doive être proscrit de la thérapeutique? Comme j'ai encore eu l'occasion de l'écrire dans les précédentes Annales de l'institut Chirurgical de Bruxelles, s'il y a du danger dans l'application de l'hypnotisme, ce danger ne réside pas dans l'hypnotisme lui-même, mais bien dans celui qui l'applique. Je rapproche de cela l'application du couteau sur le corps d'un homme. Un coup de couteau appliqué par un malfaiteur supprimera un individu ; un coup de couteau donné par un chirurgien fera revenir à la vie un malade condamné à mourir sans cela. Je ferai cependant l'observation que, dans un coup de scalpel donné par le plus habile chirurgien, il y a toujours un certain danger, tandis que dans une application de suggestion faite par un médecin habitué à la pratique, il n'y a jamais de danger possible.

V... était, par nature, très suggestible ; B... en a profité.

Je suis intervenu et j'ai enlevé à V... sa grande suggesti-bilité. Il est certain que, sans l'intervention de suggestions contraires données par moi, V... aurait continué à être l'esclave des suggestions mauvaises de B... ; tandis que, maintenant et pour toujours, V... ne sera suggestionné que lorsqu'il le voudra.

Je rapproche du cas de V... le cas d'une demoiselle dont j'ai parlé dans lesAnnalesde l'Institut Chirurgical de Bruxelles, en 1894. Cette demoiselle, hypnotisée à tort et à travers par un amateur qui croyait encore au fluide émanant de lui, avait 'subi tant d'expériences violentes, que des crises d'hystérie n'ont pas tardé à se manifester. Tout ce qui lui rappelait l'hypnotisme la mettait en crise. EJle souffrait déjà de cet état malheureux depuis dix ans, lorsque j'eus l'occasion d'intervenir, il y a trois ans. Dès la première suggestion, tout disparut, et, à l'heure actuelle, cette demoiselle reste absolument à l'abri de suggestions ultérieures. Ma conviction la plus intime est que cette immunité restera permanente, du moins en renouvelant de temps en temps la suggestion.

Beaucoup croient que la guérison doit toujours être définitive par l'application de la suggestion, ou du moins qu'il ne faudra plus jamais une application nouvelle du traitement employé. Je demanderai à ceux-là si, souffrants de céphalalgie, ils espèrent, par l'emploi suivi de succès de Tantipyrine, par exemple, empêcher à tout jamais le retour de leur mal.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du lundi 20 Janvier 1896. — Présidence de M. Dcmoxtpallier

Le procès verbal de la séance de Décembre est lu et adopté.

La correspondance comprend des lettres de M. Boirac, vice-président, et de M. le Df Heligson, de Cleveland.

La Société décide qu'elle sera représentée officiellement au Congrès de Psychologie de Munich, et elle désigne comme ses délégués, MM. Auguste Voisin, Liégeois, Bernheim, Lemesle et Bérillon.

M. le président met aux voix les candidatures de M. le Dr Fergusson, de M. le Dr Heligson, de Cleveland (Ohio), et de M. Gaustier, professeur agrégé de l'université au lycée Hoche.

M. le président annonce la présence à la séance de M. le Dr Bonna-maison, de St-Didier, Vaucluse.

Obsession passionnelle avec impulsions homicides traitée avec succès par la suggestion hypnotique

Par M. le D'Edgar Béaillok.

Le malade que j'ai l'honneur de présenter à la Société est âgé de 37 ans. Ses antécédents héréditaires ne présentent aucune particularité digne d'être notée. Ses antécédents personnels sont moins favorables j il reconnaît qu'il a toute sa vie été enclin au jeu, à la paresse, et qu'il a souvent abusé de l'alcool. C'est ainsi qu'il a perdu une très belle situation commerciale, et que de patron il est redevenu employé. II menait une existence relativement calme, lorsque," au commencement de décembre 1895, il apprit tout à coup que sa femme, avec laquelle il vivait en assez mauvaise harmonie depuis neuf ans, venait de quitter le domicile conjugal sans esprit de retour. Il apprenait eu même temps que, depuis quelques mois, elle menait une existence des plus irrégulières. Ces révélations inattendues causèrent une violente blessure à son amour-propre, et, chose singulière, il se pril à ressentir pour sa

femme une passion violente dont il ne se serait jamais cru capable. Après s'être montré pendant neuf années consécutives, le plus insouciant et le plus indifférent des époux, négligeant volontiers le foyer conjugal pour aller au café, il se prit à penser que la vie n'était pas possible sans la présence de sa femme. Il se mit donc à sa recherche et multiplia les démarches pour la déterminer à reprendre la vie commune. Il se heurta à des refus formels. L'insuccès de ses tentatives eut pour effet d'exagérer sa jalousie. Arrivé au paroxysme de la passion et de l'excitation, il avait pris la résolution de se porter sur sa femme aux extrémités les plus coupables. Toujours armé d'un revolver de fort calibre, il attendait l'occasion de la rencontrer, décidé à la tuer et à se suicider. Pour se confirmer dans ses résolutions, il cherchait des excitations dans l'usage immodéré de l'alcool, et il s'enivrait presque tous les jours.

Ses amis, justement effrayés, n'espéraient plus parvenir à le détourner de ses desseins, lorsque l'un d'eux le décida, presque malgré lui, à se soumettre à mon examen. Il se montra d'abord réfractaire à l'idée de tout traitement psychothérapique. II se rendait cependant compte de la gravité de ses impulsions homicides : « Je sais bien que mes idées sont absurdes, disait-il, mais je ne puis ni penser ni agir autrement que je le fais. Il faut que ma femme revienne avec moi, sinon je la tuerai. Il est impossible qu'il en soit autrement. Je ne m'habituerai jamais à l'idée de la savoir avec un autre. »

Quelques raisonnement appropriés finirent par le décider à s'asseoir dans un fauteuil et à écouter mes conseils. Au bout de deux ou trois minutes, il paraissait déjà très influencé, et, peu à peu, il tombait dans un état de résolution musculaire, indiquant l'existence d'un sommeil assez profond. La première suggestion fut celle de rentrer dans l'état de calme et de renoncer à ses projets homicides. Il reçut également la suggestion de recouvrer l'appétit, de renoncer à l'usage de l'alcool et du tabac et do dormir la nuit. Le surlendemain, il était beaucoup plus calme et accusait une amélioration notable de son état général. Il avait mangé et dormi.

Dans la seconde séance, il se soumit docilement au traitement. Le sommeil obtenu fut très profond. Je constatai l'anesthésie à la piqûre et l'amnésie au réveil. Deux jours après, son état mental était très favorablement modifié. 11 déclarait spontanément avoir renoncé à ses idées de vengeance, reproduisant les arguments que je lui avais exposes pendant son sommeil. Il déclarait qu'il serait profondément regrettable de devenir assassin et de jeter le déshonneur et le chagrin sur une famille honorable pour une femme aussi peu respectueuse de ses devoirs. Il reconnaissait que sa situation était duc en grande partie à sa propre faute, et il regrettait vivement d'avoir cédé à ses défauts.

Quelques suggestions faites dans l'état d'hypnose avaient suffi pour ramener le calme dans cet esprit agité. D'autres furent consacrées à le

décider à renoncer aux habitudes d'intempérance dans lesquelles il avait cru trouver un remède à ses souffrances morales.

En résumé, l'observation de ce sujet présente un double intérêt : 1° par la facilité avec laquelle un homme intelligent, de constitution très robuste, a été plongé, dès la première séance, dans un étal profond de l'hypnose ; 2" par la rapidité avec laquelle un état mental grave a été modifié favorablement par la suggestion. J'ajouterai qu'ayant le désir de présenter à la Société le sujet de cette observation, je lui ai suggéré, pendant l'hypnose, de se trouver aujourd'hui, à cinq heures, au Palais des Sociétés savantes. L'acte suggéré s'est réalisé avec une précison très caractéristique. Il en sera de même de la suggestion de partir en province pour se reposer pendant un mois, au milieu de sa famille. Le malade a bénéficié d'un état de suggestibilité normalement chez lui . très développé. Cela est assez juste, car c'est à cette même suggestibilité et aux influences dc milieu, auxquelles il s'est montré si sensible, qu'il faut attribuer non seulement les écarts de sa vie passée, mais aussi sa crise d'obsession passionnelle qui pouvait se terminer par les événements les plus regrettables.

Un accouchement dans l'état d'hypnotisme

Par M. le Docteur Auguste Voisin, médecin de la Salpêlrière.

La malade dont je vous ai communiqué l'observation dans la précédente séance, fut maintenue dans mon service pendant quelques mois, absolument guérie de ses hallucinations, idées de persécution, troubles de la parole, de la mémoire, de la vision. Je l'hypnotisais de temps à autre, lorsqu'elle se plaignait de douleurs dc tète.

En mai 1894, je la rendis à son mari qui la réclamait. Il prit l'engagement de me la ramener tous les mois, afin de la soumettre à une séance d'hypnotisme destinée à consolider sa guérison. Bientôt, j'appris qu'elle était devenue enceinte. La grossesse suivit son cours sans incident. La voyant arrivée près du terme de sa grossesse, je priai M. le professeur Pinard de la prendre dans son service, à la Clinique Baudeloque, en lui demandant de consentir à me laisser intervenir pendant l'accouchement, afin de provoquer l'anesthésie par l'hypnotisme. Il voulut bien accepter ma proposition, et, le 29 avril 1895. à 7 heures du matin, je fus appelé auprès de M"" Ch..., qui était prise de douleurs depuis 2 heures. En arrivant, je la trouve dans la salle de travail, souffrant de douleurs vives qui lui arrachaient des plaintes. La sage-femme me dit que la dilatation est à peine commencée, que la présentation se fait bien et que les battement du cœur de l'enfant sont normaux.

Je reviens à 10 heures, je trouve M. Pinard qui me prie d'endormir cette femme dans l'amphithéâtre devant son auditoire. A ce moment, elle souffre beaucoup, et ses plaintes sont presque des cris.

Je m'approche iî'cllc, je la fixe comme j'avais l'habitude de le faire pour l'endormir ; le sommeil est un peu ditlicile à obtenir, à cause de la répétition fréquente des douleurs ; cependant, au bout de trois minutes au plus, elle tombe dans le sommeil. Je lui suggère de no se réveiller que lorsque je lui toucherai le menton moi-même. Je lui dis qu'elle va accoucher pendant son sommeil, qu'elle continuera à avoir des contractions, mais qu'elle ne souffrira pas, qu'elle continuera à manger et à boire ce qu'on lui donnera et qu'elle satisfera ses besoins, puis qu'elle obéira à M. Pinard, à M. Wallish et à la sage-femme. Elle est ramenée dans la salle de travail. Elle y est restée depuis il) h. 1/4 jusqu'au lendemain, où elle est accouchée à 7 heures du matin. Pendant tout ce temps, le travail s'est fait d'une façon normale. Elle manifestait de vives douleurs, et, pendant ces douleurs, elle n'a pas cessé de crier.

Revenu le lendemain à Baudeloque, j'ai vu l'enfant pesant 3,800 gr. bien portante, le délivre parfaitement conformé et M1" Ch... continuant à dormir. Avant de la réveiller, je lui ai demandé si elle était accouchée, elle m'a répondu : « Non. » Elle était très calme. Je la réveillai à 11 heures par le toucher du menton, et son étonnement a été grand de se trouver au milieu d'une grande quantité d'élèves. Elle ne savait pas être accouchée. Elle m'a dit d'une façon nette qu'elle n'avait pas souffert. Elle a été toute surprise quand je lui dis qu'elle était accouchée d'une fille. « Ah ! dit-elle, cette petite, je ne l'aurai pas vu naître. » Elle porte la main à son ventre pour s'assurer qu'il n'est plus gros. Les suites de l'accouchement ont été normales. Elle a nourri son enfant.

Elle est venue me voir le 22 juillet 1895, m'apportant son enfant qui est en très bon état. Quant à elle, elle se porte bien.

En résumé, cette malade, atteinte depuis plusieurs mois de folie lypémaniaque caractérisée par des hallucinations terrifiantes de la vue, avec idées de persécution, a guéri en quelques séances par la suggestion hypnotique ; de plus, par la même méthode, elle a guéri d'aphasie, de cécité verbale, d'agraphie et d'hémiopie consécutives à une pleuro-pneumonie grave ; c'est pendant le sommeil hypnotique qu'il a été possible de lui réapprendre à lire, à compter et à écrire.

Enfin, étant devenue enceinte depuis la guérison de sa folie, elle a accouché pendant l'hypnose sans avoir la moindre conscience des diverses phases de l'accouchement.

JURISPRUDENCE

L'hypnotisme à l'Académie de médecine de Belgique

M. Masoin vient de déposera l'Académie le rapport de la Commission qui avait été chargée d'examiner le mémoire présenté par M. le D'J.-B. Crocq, à Bruxelles, sous le titre : Comme quoi la loi sur C interdiction des représentations d'hypnotisme devrait être modifiée.

Après avoir discuté la question des dangers de l'hypnotisme en général et des représentations publiques d'hypnotisme en particulier, M. Crocq expose dans son mémoire les faits étranges qui se sont produits récemment et qui l'ont conduit à la conclusion que le titre de son mémoire indique suffisamment. Ces faits, les voici : Un magnétiseur bien connu a donné des séances publiques d'hypnotisme en diverses localités du pays ; traduit devant un tribunal correctionnel pour infraction à la loi du 30 mai 1892, il prétend que dans les séances incriminées il n'a point pratiqué l'hypnotisme, et des sujets appelés par lui à la barre affirment qu'ils ont joué la comédie. Malgré un rapport de médecin légiste, il est acquitté. Mais le ministère public, s'inspirant du passé de ce personnage qui s'était posé précédemment comme magnétiseur, interjette appel, et M. Crocq fils se trouve appelé comme expert à examiner la question de savoir s'il était possible d'exécuter sans l'intervention de l'hypnose les différents actes des représentations incriminées. D'accord avec ses collègues en expertise, il arrive à cette conclusion, que les manifestations exhibées devant le public ont pu se produire sans hypnotisation des sujets, et dès lors la loi sur l'hypnotisme lui semblant insuffisante, il sollicite l'intervention de l'Académie pour obtenir du Gouvernement une modification dc la loi qui interdirait les séances de pseudo-hypnotisa-tion.

Prenant comme base les faits relatés par l'Auteur du mémoire, M. Masoin discute la question de savoir quelle attitude l'Académie doit adopter.

Il faut d'abord se demander si les lois existantes ne fournissent pas des armes capables d'atteindre les séances mensongères d'hypnotisme; il semble que l'article réprimant l'escroquerie pourrait trouver ici son application. Mais on pourrait voir surgir, comme bravades, des représentations gratuites qui échapperaient au reproche d'escroquerie, et pourtant il importe d'empêcher ces exhibitions mensongères; « en effet, dît M. Masoin, il est trois griefs à formuler contre elles :

« D'abord, les séances fausses introduisent un élément d'erreur ou de trouble dans la situation, en ce sens qu'elles permettraient aux représentations authentiques d'échapper à la répression légitime qui doit les atteindre ; en effet, il est évident qu'on pourrait arriver à un degré de confusion telle que la police, les experts, les magistrats se trouveraient dans l'impuissance absolue de décider si l'hypnotisme exhibé sur les trétaux était réel ou simulé ; une loi salutaire, qui correspond aux vœux de l'Académie, serait complètement énervée.

u En second lieu, les séances mensongères peuvent provoquer chez les spectateurs les mêmes impressions profondes et dangereuses, les mêmes accidents que les séances vraies, car le spectacle est identique dans les unes et les autres.

« Enfin, elles sont de nature à vulgariser les procédés et à répandre le goût de l'hypnose dans la même mesure que les représentations sincères.

jurisprudence

« Si l'on admet ces prémisses, qui ne semblent guère contestables, la conclusion qui s'impose c'est qu'il importe de sévir contre les représentations mensongères de l'hypnotisme, alors même qu'elles ne se compliqueraient point du délit d'escroquerie ou de quelque infraction analogue... »

« Nous devons savoir gré à notre jeune et distingué Confrère d'avoir porté devant l'Académie une question intéressante et neuve ; aussi la Commission vous propose-t-elle :

D'adresser des remerciements à l'Auteur ;

De l'engager à continuer ses relations avec l'Académie;

De déposer honorablement aux archives son mémoire dont j'ai du extraire touïe la portion originale en vue de la résolution générale à prendre ; car, à côté des conclusions particulières qui intéressent le mémoire, il faut déterminer quelle attitude l'Académie compte adopter sur le fond même de la question soulevée. A cet égard, messieurs, la Commission vous propose de signaler à M. le Ministre d'aviser à la situation étrange et nouvelle qui se présente, en ce sens que si les lois existantes ne fournissent pas d'armes pour atteindre les représentations mensongères de l'hypnotisme, notre législation devrait être complétée à cet égard. »

— Les conclusions présentées par M. Masoin sont adoptées.

PSYCHOLOGIE COMPARÉE

Sur les affections mentales chez les animaux

Par M. Cadiot.

Les troubles des facultés intellectuelles chez les animaux forment l'un des chapitres les moins étudiés et les moins documentés de la médecine vétérinaire. Bien qu'ils offrent un incontestable intérêt au point de vue de la pathologie comparée, ils ont été généralement négligés jusqu'à présent par les praticiens. Dans nos Dictionnaires, dans nos ouvrages spéciaux, ils sont à peine signalés ou il n'en est pas fait mention et l'on n'en trouve que quelques observations éparses dans nos publications périodiques.

Doués dans une certaine mesure des mêmes facultés et sujets aux mêmes passions que les humains, les animaux sont évidemment susceptibles aussi d'éprouver des perversions du sentiment et de l'entendement, des désordres psychiques passagers ou durables analogues à ceux qui s'observent chez l'homme. Toutefois, ces perversions, ces désordres sont beaucoup plus rares chez les premiers. Les animaux, en effet, sont soustraits à l'action des causes qui engendrent chez l'homme le surmenage mental et la plupart des psychoses ; d'autre part, en

raison même de leur faible activité intellectuelle, de leur obtuse irritabilité, ils ressentent beaucoup moins vivement que lui les influences morales perturbatrices dont le domaine s'étend à tous les êtres supérieurs.

Dans un travail intitulé : La folie communiquée de l'homme aux animaux, le Dr Féré insiste sur ce point que si les maladies mentales sont moins fréquentes chez les animaux, « c'est que la civilisation les pénètre moins et ne laisse guère parmi eux ses déchets, et que, d'autre part, la sélection est moins contrariée chez eux par de mauvaises lois('). »

Nul doute cependant que, chez les animaux, les facultés intellectuelles ne puissent subir des atteintes analogues à celles que l'on observe dans les différentes formes dc la folie chez les humains. Les traumatismes encéphaliques déterminent chez les uns et chez les autres des phénomènes semblables. De même les influences morales : les émotions vives, la frayeur, les surexcitations de longue durée, les impressions pénibles de toute nature.

Les diverses phobies, les paniques (3), les Aberrations sexuelles [*) sont les plus connues des troubles mentaux observés chez les sujets des diverses espèces domestiques. Je ne m'arrêterais pas à ce premier groupe, si je n'avais à mentionner un singulier cas de perversion sexuelle : de l'accouplement d'un chien et d'une poule.

Un petit chien de rue, âgée de 18 mois, jouait fréquemment dans une cour où était entretenues un certain nombre de poules. Chien et poules vivaient en bonne intelligence. Le chien prit l'habitude de saisir l'une des poules et d'effectuer sur elle les mouvements du coït. D'abord la poule se défendit, puis, peu à peu, elle se prêta aux manœuvres du chien ; enfin, elle finit par rechercher celui-ci, même par provoquer l'acte : elle se plaçait accroupie devant le chien, et, par un caquetage particulier, lui manifestait son désir. Les choses persistèrent ainsi pendant plusieurs semaines. Pour y mettre fin, on dut sacrifier la poule.

Voici un fait non moins curieux d'une variété de « mélancolie ? que Pon a signalée maintes fois déjà chez les animaux (*) :

Un terre-neuve, âgé de 8 ans, appartenait à un propriétaire aisé, conseiller municipal de village, qui passait la plus grande partie de son temps attablé chez ses amis ou dans les cabarets de l'endroit. Cet homme mourut après une courte maladie. A partir de ce moment, le chien se montra très triste, touchant à peine à ses aliments et cherchant sans cesse son maître. Presque tous les jours, la tête basse, le faciès -morne, il faisait le tour de la localité, entrant dans les maisons où l'on s'était fréquemment arrêté autrefois, interrogeant chacun du regard ; puis il rentrait au logis, en visitait les pièces où il pouvait pénétrer, et

(1) Fére ; Comp. Rend, de la Soc. de Biologie, 1803. p. 206.

(2) Décrois : Bullet. de la Soc. cent, de mèd. vèt., 1879, p. 10*. — Delorme : Rte. de Mèd. vèt., 1871. p, 753. — Abaoie : Revue vèt., 188", p. 406-

(3) Got'baux : Archives d'Obstétrique et de Gynécologie, -1886, ?. III, p. 455.

(4) Pibrquin : De la folie des animaux, Paris, 1838, 1. 1. p. 478.

se couchait, tantôt plongé dans la torpeur, tantôt inquiet, tourmenté, le plus souvent sans prendre de nourriture. Peu à peu, ce chien s'amaigrît. Au bout de quelques mois, il mourut dans le marasme.

L'action de la peur chez les animaux ne produit pas seulement des troubles passagers des facultés intellectuelles ; il peut en résulter des perturbations durables qui ne doivent, dans la suite, ni disparaître ni* s'atténuer. Pierquin, dans son livre sur la Folie oes animaux, au chapitre consacré à la démence accidentelle, signale quelques faits intéressants parmi lesquels je citerai les suivants :

I. — « Un jeune chat, plein d'intelligence, étant tombé dans un puits, resta plusieurs heures attaché aux parois. Retiré presque aussitôt qu'on l'aperçut, on parvint aisément à le soustraire à la mort; mais le coup fatal avait frappé l'intelligence, et l'animal traîna dans l'imbécillité absolue le reste d'une vie probablement bien abrégée. »

IL — « Un chat angora, âgé d'environ 3 mois, d'une intelligence précoce et rare, d'une vive sensibilité, plein d'enjouement, et, chose peu commune, plein d'amour pour ses maîtres, était placé sur une table, lorsque, pour la première fois, il voit un chien de Terre-Neuve, qui ne faisait aucune attention à lui. A l'instant, ses poils se hérissent; il ne pousse aucun cri, ne murmure point, paraît craindre de respirer, se pelote; sa physionomie exprime la plus profonde terreur; il tremble de tout son corps, reste immobile : on aurait dit qu'il était fasciné. Je croyais voir un oiseau luttant contre cette force attractive irrésistible dont parlent quelques auteurs et qui n'est autre qu'une profonde terreur: il me donnait parfaitement l'idée de toutes ses souffrances ; les yeux constamment attaches sur l'ennemi deviné, étranger à toute autre sensation, insensible aux caresses, sourd à la voix de ses maîtres, absorbé par la plus vive frayeur, un air de stupidité répandu sur tout son corps. Cet état dura près d'une demi-heure; à mes prières, le chien fut mis hors de l'appartement. Le jeune chat, toujours immobile, regarda fixement et pendant longtemps la place où l'ennemi n'était plus; les poils encore hérissés, un air d'hébétude générale, de stupidité, avait remplacé son intelligence vivace. Il ne s'éloigna enfin de sa place que pas à pas, graduellement et à reculons : on aurait dit qu' il craignait que le plus léger bruit ramenât l'énorme animal; il reculait une patte et regardait autour de lui avec des yeux égarés, pleins d'effroi et de stupidité. Sa terreur ne cessa réellement que plusieurs heures après, et, dès la semaine suivante, on ne retrouva plus en lui aucune des facultés qui le faisaient chérir. L'Histoire des Voyages fait mention d'un résultat psychologique semblable produit sur plusieurs chèvres par la vue d'un chameau ; sur des chiens par celle d'un lion, etc. »

III. — « Un perroquet gris fut victime, à peu de chose près, de la même affection. Cet oiseau, remarquable par son babil et par son plumage, était depuis deux ans à bord du vaisseau du célèbre naviga-

teur Bougainville, élevé plus cavalièrement, mais non moins gâté, par l'état-major et par l'équipage, que son compatriote Vert-Vert ne l'avait été par les Visitandines dc Nevers. Après un engagement assez vif avec une frégate ennemie, pendant lequel le bruit du canon s'était fait entendre assez longtemps etde très près, on chercha Kakoli partout; il avait disparu; ont le crut mort au champ d'honneur; mais, à la grande surprise de l'équipage, le deuxième jour on le vit sortir d'un rouleau de câbles où il s'était blotti : on s'empresse, on le féte, on lui prodigue les amandes et les caresses : Kakoli se montre insensible à toutes les prévenances, et, promenant constamment autour de lui des regards hébétés, il ne répond à toutes les questions qu'on lui fait que par une imitation du bruit qui l'a tant effrayé : « Poum ! poum ! poum ! » sont les seules articulations qu'il puisse désormais proférer. Vingt ans après ce combat, Kakoli répétait encore sa canonnade éternelle en l'accompagnant toujours des mêmes battements d'ailes et dc la tête, où se peignait sa première frayeur » (*).

J'ai eu l'occasion d'observer, dans mon service, un setter irlandais, âgé de 3 ans, atteint de troubles intellectuels survenus à ta suite d'un long trajet en chemin de fer. Oublié dans un fourgon, l'animal avait voyagé soixante-dix-neuf heures. Au moment où on l'avait débarqué, il était sous le coup d'une vive surexcitation ; inquiet, tremblant, il n'avait point reconnu son maître ; il s'éloignait des personnes, tirait sur la laisse et cherchait à s'échapper. Au bout de quelques jours, il franchi le mur d'un jardin dans lequel il était enfermé et s'enfuit dans un bois voisin. On le retrouva trois jours plus tard dans une localité des environs. Il se laissa prendre sans difficulté. Reconduit à domicile, il s'y comporta comme avant sa désertion : à certains moments, il se montrait extrêmement irritable ; à d'autres, maussade, insensible aux caresses, qu'elles lui fussent prodiguées par ses maîtres, par les domestiques ou par des personnes étrangères.

On l'envoya en pension à Alfort, le 9 mars 1893. Les examens répétés auxquels il fut soumis révélèrent les particularités suivantes : Si l'on approche l'animal enfermé dans sa niche, il se blottit au fond de celle-ci, la tête cachée dans la litière. Très doux, il se laisse tirer de sa cage sans manifester aucune tendance agressive ; il s'accroupit ensuite sur le sol et prend l'attitude de l'animal qui a peur. Il n'a ni la physionomie, ni la vivacité, ni les allures d'un animal en pleine possession de son intelligence ; les oreilles sont légèrement portées en arrière, le faciès est atone, le regard vague, la queue entre les jambes. Si on le fait marcher, à l'instar des agoraphobes, il cherche â progresser le long des murs, comme pour se mettre à l'abri de quelque danger. S'il passe près d'un chien, ou il ne fait nulle attention à celui-ci. ou il s'arrête, le flaire quelques instants, puis redevient apathique.

L'appétit est conservé, les fonctions digestives s'accomplissent bien,

tl) PiBRQum : /oc, cit„ t. II, p. 146.

l'embonpoint est celui d'un sujet en bonne santé. L'inspection des différents appareils organiques ne révèle rien d'anormal. Il n'y a pas de catarrhe auriculaire, pas trace de blessure ou de contusion, ni à la tête, ni aux autres régions. Pas de troubles de la miction; l'urine est normale. L'animal est observé et promené tous les jours ; les mômes •phénomènes sont notés. S'il suit plus volontiers l'élève auquel il est confié, il se montre exactement inquiet et indifférent aux marques d'affection. Le 17 mars, à la vue de son maître, il reste blotti au fond de sa niche, insensible à cette visite.

En somme ce chien, qui, au dire des personnes qui le connaissaient antérieurement, était très intelligent, très affectueux, excellent chasseur, présentait des symptômes de dépression psychique, des signes évidents de désordres intellectuels. Au bout de cinq semaines, lorsqu'il quitta notre hôpital, il était dans le même état qu'à son entrée. L'élève qui le surveillait, et surtout l'homme qui lui distribuait sa ration, étaient les seules personnes pour lesquelles il ne manifestât pas une indifférence absolue.

Les troubles cérébraux survenus chez ce chien, dans les circonstances que je viens de rappeler, ont donné lieu à un procès intenté par le propriétaire de l'animal à la Compagnie qui avait effectué le transport. Consulté sur la question de responsabilité, je déclarai que ces troubles avaient bien été provoqués par la longue durée de la séquestration du chien, par les privations qu'il avait subies, par les émotions de toute sorte qu'il avait éprouvées. J'ajoutai :.a L'état de ce chien s'améliorera sans doute avec le temps: je crois qu'avec de la douceur, de la patience et des soins, il recouvrera ses facultés à degré suffisant pour être conservé comme chien d'appartement, mais je doute qu'il puisse être utilisé comme chasseur. »

L'affaire se termina par une transaction.

11 y a quelques semaines, j'ai eu des nouvelles de cet animal. Il présente toujours des signes d'imbécillité : le faciès est atone, le regard vague. Il est resté apafhique, indifférent à tout, sauf à sa gamelle. Son état ne s'est pas sensiblement amélioré. [Rec. de néd. vétérinaire).

COURS ET CONFÉRENCES

Asthénie psychique et obsession. — Traitement par la

suggestion.

Leçon clinique par M. le Prof* Raymosd médecin de la Salpétrière.

Voici une malade, jeune femme de vingt-huit ans, qui parait d'une assez'bonne santé. Elle était employée au télégraphe, mais n'exerce plus actuellement son métier. Son mari nous l'amène parce qu'elle a, depuis quelques années, des attitudes étranges sur la nature desquelles noue allons être renseignés.

Si nous l'interrogeons sur ses antécédents, nous apprenons que sa première enfance se passa sans maladie importante, et, chez ses parents, il ne parait y avoir eu aucune tare névropathique grave. A huit ans, elle eut une fièvre typhoïde, fait à retenir et sur lequel j'insiste, car vous ne devez pas ignorer l'importance de la fièvre typhoïde comme élément étiologique de beaucoup de troubles psychiques plus ou moins sérieux. Notre malade nous apprend qu'au moment de sa première communion elle fut tourmentée par des scrupules nombreux qui tous afîéraient à la crainte d'une confession insuffisante et aux conséquences d'une mauvaise communion. Des scrupules de nature semblable ou différente l'obsédèrent ainsi pendant deux ans, puis s'atténuèrent sans disparaître jamais complètement. A vingt ans, elle se marie, elle a un enfant, mais celui-ci meurt il y a dix-huit mois et elle en éprouve un chagrin extrêmement violent. Elle devient alors d'une dévotion exagérée, et en proie à des scrupules religieux continuels; elle force son mari à pratiquer comme elle, se désolant de la plus petite infraction aux règles de la religion. Un jour, les personnes de son entourage furent frappées de l'entendre tout à coup, sans raison, s'écrier à plusieurs reprises : « Non, non, non », en montrant le poing à un ennemi imaginaire. On lui demanda des explications sur son attitude, mais on ne put obtenir aucun éclaircissemeut. Les jours suivants, los mêmes faits se renouvelèrent plusieurs fois dans la journée, et il en fut ainsi pendant un an. Hantée, obsédée par une idée fixe dont on ne pouvait éclaircir la nature, elle arriva à un état d'aboulie complète, affaissée physiquement et moralement, ne s'occupant plus de rien et ne s'intéressant à rien.

Il y a quinze jours, elle finit par avouer ce qui se passait en elle : depuis la mort de son enfant, elle ne pouvait s'empêcher d'associer le nom de Dieu à toutes sortes de termes injurieux : cochon, salaud, etc. Mais, épouvantée perpétuellement en même temps par cette idée impulsive qui la forçait à blasphémer, elle manifestait sa résistance à cette idée en s'écriant ; « Non, non, non. »

Aujourd'hui, elle continue encore à blasphémer en elle-même tout en atténuant ses mauvaises pensées par ses négations verbales, et, d'autre part, elle se figure que, si elle cesse d'injurier la Providence, il arrivera des malheurs, que son mari mourra, etc. De sorte qu'elle est sans cesse balancée entre ces deux partis, ou continuer à blasphémer malgré l'horreur que lui cause sa conduite, ou exposer son mari â la mort.

En somme, chez une prédisposée (fièvre typhoïde), un choc moral, un chagrin violent détermine une dépression morale, une psychaslhénie intense. A la faveur dc cet état s'implante, dans l'esprit de celte femme, une idée fixe, résultant d'une série de réflexions que nous ignorons et que probablement elle ignore elle-même. Ces idées, qui ont pu être conscientes un jour et devenir subconscientes peu à peu, sont parfois fort difficiles à découvrir. On arrive à les mettre en évidence parfois

cours et conférences

par l'hypnotisme ou par des entreliens fréquents avec les malades qui révèlent leurs tendances d'esprit. Ici il semble qu'il s'agisse d'une idée d'injustice se rapportant à la mort de l'enfant et qui se manifeste par les reproches et les injures à l'égard de la Providence. Ceux-ci étant combattus par les convictions religieuses exaltées de la malade, elle résiste à cette mauvaise pensée et proteste en s'écriant : « Non, non. ?

Ainsi, chose importante à rechercher pour expliquer ce délire et le faire disparaître, c'est l'idée primitive, la cause de ce délire, à savoir le sentiment de l'injuste mort de l'enfant. Et, en effet, dans des états psychasthéniques comme celui dont vous avez ici un exemple, sans délire bien systématisé, tout en relevant l'état général par une médication tonique et fortifiante, vous devrez chercher à substituer, par la suggestion, soit à l'état de veille, soit dans le sommeil hypnotique, une nouvelle idée, juste et raisonnable, à l'idée fausse, point de départ des troubles psychiques. Vous arriverez ainsi quelquefois, en occupant l'esprit des malades par des distractions ou des travaux intéressants, à chasser l'idée subconsciente, origine de leurs conceptions délirantes.

Des faits semblables ou moins accentués sont très fréquents ; ils sont utiles à connaître, car ils nécessitent une enquête minutieuse et d'où découle une thérapeutique particulièrement délicate, mais qui donne les meilleurs résultats.

VARIÉTÉS

Vignes, le thaumaturge de Vialas.

Vignes est un paysan de 72 ans environ, assez lettré, se nourrissant de la lecture de la Bible. Il représente le type du vieil Huguenot ou Camisard des Cévennes; très sobre, très économe, il ne parle que par sentences ou proverbes tirés de l'Evangile.

Par suite d'une série d'héritages de ses frères, sœurs, oncles, morts jeunes, il est arrivé à une honnête aisance, presque la richesse pour ce pays de montagnes où les paysans sont généralement pauvres, la terre ingrate, et l'argent assez rare.

Il y a quelque vingt-cinq ans, il avait commencé à donner des conseils médicaux comme font tous les curés et gens aisés des villages. 11 a débuté par guérir des maladies des yeux; il ordonnait un collyre astringent et l'obscurité ; il obtenait ainsi des guérisons fréquentes pour des ophtalmies légères très communes dans ce pays humide. Petit à petit, il a donné des conseils pour toutes sortes d'infirmités ; surdité, boiterie, etc., etc. ; les malades de la région venaient le consulter plus volontiers que, vu son aisance, il donnait ses consultations gratuitement.

Voici quelle était sa façon de procéder : il réunissait dans sa cuisine quatre ou cinq malades, demandait à chacun d'eux ce dont il souffrait et indiquait un remède, le plus souvent anodin : disant aux boiteux qui avaient des appareils tuteurs de les enlever immédiatement et de marcher ; ils marchaient en boitant beaucoup plus qu'auparavant, mais il arrivait parfois qu'ils s'imaginaient marcher mieux; il terminait par une prière toujours sur le même thème :

« Dieu te t'a donné. Dieu te l'a enlevé que la volonté de Dieu soit faite ; ayej la foi. et vous sere; guéri. ¦

11 commandait aux paralytiques de marcher et de faire faire à

leurs membres atteints des mouvements de flexion; il imitait en cela Jésus.

Le nombre des malades augmentant, Vignes s'est cru un représentant sur la terre du docteur Dieu devant guérir le genre humain.

« La médecine, la chirurgie n'existent plus, s'écriait-il, il n'y a qu'un docteur, le docteur Dieu le Père tout-puissant, qui doit nous enlever toutes nos souffrances et douleurs physiques si nous avons foi en lui ».

Le médecin du pays n'avait plus qu'à se reposer, les malades ne venaient le consulter qu'après avoir essayé-les remèdes préconisés par M. Vignes.

Le parquet ne pouvait pas poursuivre ce médicastre illuminé, car, dans le peuple, on savait qu'il ne demandait rien ; il acceptait cependant les cadeaux, mais jamais comme honoraires. C'est du reste un homme très primitif, quoique ayant été maire de son pillage, très économe, presque avare, ne dépensant absolument rien, cultivant lui-même ses terres, gardant ses troupeaux et vivant seul séparé dc ses enfants.

Il y a un an, un pasteur suisse, M. Schlachter, de Biel, qui a la spécialité de guérir par la prière, fit un voyage dans le Midi. Par une suite de circonstances imprévues, il vient à Vialas pour voir son confrère en miracles. Troublé par la renommée de Vignes, il eut l'idée d'organiser une campagne en Suisse pour célébrer les miracles du guérisseur de Vialas.

Dc retour dans son pays, à Biel (canton de Berne),* il fit paraître dans les journaux de la contrée le récit des cures miraculeuses du paysan des Cévennes, et inonda les cantons de Zurich et de Bâle de brochures allemandes intitulées : « Le vieil Evangile », Cures tuer-veilleuses du paysan cévenole Vignes.

Il organisa une agence de pèlerinages, embauchant des garçons d'hôtels interprètes pour accompagner les Suisses allemands. Pour un prix déterminé, on part de Zurich et de Bâle en caravane de 25 à 3o personnes avec un interprète. .

On vient par Alais jusqu'à Génolhac. Là un trajet de deux heures en voiture vous amène à Vialas.

Dans la journée, l'interprète va présenter ses 25 malades au paysan guérisseur, qui se fait du reste toujours attendre pour permettre aux pèlerins de goûter la cuisine des auberges du village. Pour abréger la besogne de l'interprète et ne'pas prolonger indéfiniment la consultation en obligeant chaque visiteur à expliquer sa maladie particulière. Vignes a pris un moyen plus expéditif.

L'introducteur des malades les présente en bloc en énumérant toutes les maladies dont ils sont atteints.

Vignes alors, d'un air à la fois grave et simple, leur tient ce petit discours.

ß // n'y a qu'un seul docteur Dieu par notre sauveur Jésus-Christ. Quand vous voudrej le connaître et vous donnera lui, vous serej guéri. Jésus a dit aux parai.' tiques : Allej et marchej, et ils ont marché ; aux aveugles: Regarde^, et ils ont vu ; aux sourds ; Écoute^, et ils ont entendu ; il en sera de même pour vous si vous avej la foi qui soulève les montagnes: Alleç en paix et vous serej guéri, »

Tel est, presque mot à mot, le discours toujours identique du saint homme.

L'interprète répète en allemand les mêmes paroles aux visiteurs, et tous les malades, après s'être agenouillés, quelques-uns même après avoir baisé les vêtements du guérisseur, s'en vont enchantés de la simplicité et persuadés de la divinité de leur « sauveur ».

Cette entreprise est très bien menée et probablement très productive pour le directeur de l'agence des pèlerinages, car il public continuellement une série de petits traités avec gravures indiquant le nombre et la nature des guérisons.

Dans les journaux suisses on annonce les jours et heures de départ de Bâle, Zurich et Neufchàtel. les trois principaux centres

de groupement des pèlerins. Ces caravanes partent ordinairement les dimanches ou lundis matin et arrivent à Alais ou à Vialas le mardi soir.

D'après une statistique faite en gare de Génolhac, le mois de Janvier a fourni cinq cent cinquante-deux malades, le mois de Février trois cent six malades; dans la première semaine de Mars il y en avait plus de soixante.

Ces pèlerinages deviennent cependant plus importants 'au printemps et en été. Ce qu'il y a de très curieux, c'est que jusqu'ici ce sont surtout les Allemands qui croient en Vignes. Ajoutons que le plus dévoué de leurs interprètes est une grande femme, maigre, sèche, qui depuis plusieurs mois fait toutes les semaines le voyage de Suisse en France. Très enthousiaste, très entraînante, pendant son séjour en Suisse, elle raccoledes malades par tous les moyens de propagande possible.

La superstition est tellement grande chez ces braves gens qu'ils demandent même la guérison de parents qui n'ont pu les accompagner. Une femme venant consulter pour une affection de foie réclame aussi une consultation pour son mari goutteux, rhumatisant, resté en Suisse ; Vignes fait la prière, et la femme, de retour chez elle, constate que son mari a été guéri le jour et à l'heure où Vignes a dit l'oraison. C'est un joli cas de l'action à distance. Du reste, en Lozère, les paysans se contentent de croire au bon œil et à la puissance du guérisseur.

Il est assez curieux de constater que M. Vignes est calviniste* et que c'est dans le milieu calviniste que sévit cette curieuse épidémie d'iatromysticisme.

Le Sommeil tiers de notre Vie

DE MARIE DE manacé1xe Traduit du russe par M. Ernesl Jacbert (1)

Ce livre se divise en trois parties : physiologie du sommeil ; hygiène du sommeil; psychologie du sommeil. Je vous avouerai que j'ai couru tout de suite à la seconde. Que voulez-vous : Je suis arrivé à un âge, où l'on se tâte le pouls avec plus d'inquiétude. Je commence à sentir plus pesamment le besoin du sommeil, que je n'avais pour ainsi dire jamais connu. Tandis qu'autour de' moi, au lycée, à l'Ecole normale, et plus tard dans la vie, je voyais mes camarades accablés par la nécessité de se lever matin, .les yeux gros de sommeil, la face congestionnée et bouffie, s'étirer et bâiller, je sortais de mon lit frais, gaillard et dispos, après six heures de sommeil, sept au plus.

(1) Masson et O, Editeurs, i2u, boulevard Si-Germain. Prix : 3 fr.

J'attribuai cette vaillance à l'éducation que j'avais reçue au temps dc ma première enfance. Je me souviens que mon père, qui était très matinal, venait à mon lit avant même que le" jour commençât à poindre, m'en tirait presque par force, et me jetait debout sur le plancher. Il lui est même arrivé deux ou trois fois de me verser dans mes draps chauds, que je ne voulais pas quitter, un pot d'eau glacée.

Ma mère gémissait tout bas dc cette cruauté. J'en ai plus tard remercié mon brave homme de père, qui m'avait ainsi, dès mon jeune âge, endurci aux fatigues de la veille. Plus tard, alors même que l'impitoyable cloche du lycée ou de l'Ecole ne m'obligeait pas à secouer le sommeil du patron-minette, je gardai l'habitude de me coucher tard etde me lever tôt. Cette habitude... oui, sans doute, elle m'est restée. Et pourtant, je l'éprouve à cette heure, il me faut ramasser mes forces et déployer ce que j'ai d'énergie, pour m'arracher le matin aux douceurs du lit d'où je descendais si allègrement autrefois.

J'en étais déjà ennuyé, j'en suis un peu plus inquiet, depuis que j'ai lu le Sommeil tiers de notre vie. Madame Marie Manacéine m'affirme qu'il n'y a pour dormir que les gens qui ne pensent pas : « Ils tombent dans le sommeil dès qu'ils restent sans occupations, ce qui est bien compréhensible, car leur monde psychique est si pauvre qu'il leur est presque impossible de trouver dans leurs propres pensées et représentations matière à les intéresser. »

Voilà qui me donne à réfléchir. Est-ce que mon monde psychique (puisque monde psychique il y a) serait devenu si cruellement pauvre ! après cela, peut-être que si j'ai plus de peine à m'éveiller le matin, c'est que je ne suis jamais dans mon lit avant une heure de la nuit, allant tous les soirs au théâtre. Je me demande, à supposer que les imbéciles dorment plus longtemps comme le dit l'auteur, s'ils dorment plus longtemps parce qu'ils sont imbéciles, ou s'ils sont imbéciles parce qu'ils dorment plus longtemps. Grave et épineuse question !

Madame Marie .Manacéine nous recommande, si nous voulons dormir d'un bon sommeil réparateur, de veiller à ce que la position du corps change le plus souvent possible pendant le sommeil. « Pour cela, nous assure-t-elie, il faut profiter de chaque réveil pendant la nuit et dormir tour à tour sur le côté gauche, sur le côté droit, sur le dos; en outre, chaque matin, avant de se lever, il est bon de rester pendant une demi-heure au moins étendu sur le ventre. Dans les commencements, ajoute-t-elle, cette position parait incommode... »

Mais non, mais non, pas si incommode que cela. Nos ancêtres connaissaient parfaitement cette position, qui leur paraissait extra-ordinairement -savoureuse. Ils disaient qu'il n'y a rien de meilleur que de dormir « plat comme porc », et je serais assez de leur avis.

C'est une jouissance de sentir sur la poitrine et le ventre la fraîcheur du drap, tandis qu'on exécute avec les jambes les mouvements du nageur en pleine Seine. Il paraît que cette position exerce une salutaire influence sur l'angine pectorale (angina pectoris) et sur les accès douloureux de l'asthme. Je n'en savais rien; mais jesuis bien aise de l'apprendre. w- ,

L'auteur affirme qu'il est dangereux de dormir sur le dos ; que c'est de là que viennent souvent les maladies de la moelle épinière : Je crois que le plus sage encore est de dormir comme ça se trouve. Je crois bien que j'affectionne le côté gauche; mais le côté droit ne me répugne pas. Je suis éclectique. Et puis je n'y prends pas garde. S'il fallait s'embarrasser de toutes ces précautions, on ne vivrait pas; vous savez le mot du poète latin:

Et propler vitam vivendi perdere causas.

Il est vrai que pour en arriver à cette conclusion, je n'avais pas besoin de lire le chapitre sur Yhygiène dît sommeil.

Dans celui qui traite de la psychologie du sommeil, j'ai appris un certain nombre de vérités, dont quelques-unes m'ont surpris. Ainsi, Madame Marie Manacéine pose en axiome indiscutable:

« Que le nombre des songes est d'autant moins considérable que la personne observée se montre moins développée intellectuellement et plus inculte que telle ou telle petite maîtresse nerveuse, qui avait, elle, des songes toutes la nuit et se plaisait à les raconter le matin à sa femme de chambre.

Madame Marie Manacéine est-elle sûre de ce qu'elle avance-là? Je puis lui affirmer que pour mon compte, je ne rêve jamais que quand je suis malade ou quand j'ai un mauvais lit. un lit auquel je ne suis pas habitué. Et je connais nombre de mes amis qui sont tout comme moi. J'aurais quelque peine à croire qu'ils sont peu développés intellectuellement. Nous avons le sommeil profond et sain, et voilà tout.

Je remarque que quand par hasard il m'açrive de rêver la nuit, je me lève le matin moins reposé, moins libre d'esprit et de corps, que si j'ai, comme de coutume, dormi sans rêver; ce qui m'induirait à penser que le sommeil sans rêve est infiniment plus réparateur, et que c'est une erreur d'y voir une marque de sottise.

Il y a encore dans cette psychologie du sommeil une remarque de détail qui m'a bien étonné.

« Quand nous avons des songes, écrit l'auteur, nous ne voyons jamais ce qui nous a irrités et excités pendant la veille, nous ne voyons jamais ce qui faisait alors l'objet de nos soucis ; ce qui nous plongeait dans le désespoir et dans la tristesse. Et de même nous ne voyons jamais en rêve ce qui nous causait une joie vive, ce qui nous procurait du plaisir, de l'allégresse, toutes les émotions agréables. Cela provient évidemiwent de cette loi bien simple

qui veut que les appareils et les tissus qui ont travaillé le plus énergiquement pendant la veille s'enfoncent dans le repos le plus complet et le plus profond pendant le sommeil. C'est ainsi que les pensées et les sentiments qui s'associent dans la conscience de l'homme avec son chagrin, et sur lesquels il fixe toute son attention pendant la vie de veille, sont plongés pendant le sommeil dans le repos le plus complet et sont alors comme s'ils n'existaient pas... »

L'explication est des plus ingénieuses ; mais le fait dont elle rend compte philosophiquement est-il exact, c'est ce dont je doute fort pour ma part. Il me semble qu'au contraire quand je rêve, et c'est assez rare, mon rêve a toujours quelque rapport plus ou moins proche ou plus ou moins lointain avec les préoccupations qui m'ont tracassé la veille. Toutes les personnes que j'ai interrogées me disent que pour elles également les rêves delà nuit sont comme un écho incertain des soucis ou des plaisirs, en tous cas, des préoccupations de la veille.

Ce sont là, comme vous le voyez, chicanes de détail. Je n'ai point abordé le fond philosophique du sujet, qui ne se peut guère discuter à la volée dans un article de journal. Le livre vaut la peine d'être lu; outre que le mystère de la question a par soi-même je ne quoi d'attirant qui pique et retient la curiosité, l'écrivain russe est de ceux qui, pensant par eux-mêmes, font penser. L'ouvrage est d'une sage ordonnance, facile à suivre en ses développements; je ne lui reprocherai que l'usage trop fréquent encore de la phraséologie scientifique. Mais tous nos livres de science pèchent par là. Pourquoi ne pas imiter le dix-huitième siècle (qui a su parler de tout dans la langue de tous.

Francisque Sarcey.

ILe Correspondant médical)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société' d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie.

La Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le lundi 20 juillet, à quatre heures du soir, au Palais des Sociétés Savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les auteurs sont invités à adresser dès à présent les titres de leurs communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rueTaitbout.

Le banquet annuel de la Société aura lieu le même jour, après la séance.

Questions générales mises à l'ordre du jour.

M. Bérillon. — Les narcotiques et les anesthésiques envisagés comme adjuvants à la production de l'hypnotisme et à la suggestion thérapeutique.

M. Le Menant du Chesnais. — Faits de sommeil provoquées à l'insu des sujets.

Congrès de psychologie de Munich.

L'ouverture du Congrès aura lieu le mardi 4 août 1896, à 10 heures du matin, dans le grand amphithéâtre de l'université (Ludwergstrasse, 17). Le prince Louis-Ferdinand de Bavière présidera et représentera le prince régent. *

Après le discours d'ouverture du professeur docteur Slumpf (de Berlin), président, des discours seront prononcés : au nom du gouvernement, par le Dr von Landmann, ministre de l'Instruction publique; au nom de la ville de Munich, par M. lîrunner, maire ; au nom de l'Université Royale, par le Hector magnifie us, M. von Baur.

Le Congrès terminera ses travaux le vendredi 7 août, dans l'après-midi.

Réunions.

Lundi 3 août. — A 8 heures du soir : Réceptions des membres du Congrès dans une salle du Café Luitpold (Briennerstrasse, 8).

Mardi k août. — A 8 h. 1/2 du soir : Soirée dans la Salle du Vieil Hotel-de-Ville. Réception du Congrès par la ville de Munich.

Mercredi 5 août. — A midi et quart : Visite à la brasserie « Zum Spaten » (rendez-vous Karlstrasse, 87J.

A 7 heures du soir : Représentation au a Residenz-Theaterj», en l'honneur du Congrès.

A 9 heures du soir : Péte de nuit dans les jardins du Dr Hirth.

Jeudi 6 août. — A 7 h. 1/2 : Dîner dans la Salle des Princes du Café Luitpold.

Vendredi 7 aoûf. — A 5 heures de l'après-midi : Excursion au lac de Starnberg. De là, petite excursion par bateau à Futzing. Soirée dans le jardin de la brasserie Futzing. Rentrée à Munich à 11 heures du soir.

Une section du Congrès a été organisée pour recevoir toutes les communications relatives à l'hypnotisme. La Revue publiera les comptes rendus et les discussions du Congrès.

La Psychologie expérimentale aux Etats-Un is.

On connaît l'accusation de séquestration d'enfants qui a été formulée contre le Pr Catell, de Columbia collège. On n'a d'aiileurs accepté qu'avec une extrême réserve cette nouvelle. Le Pr Catell n'en est pas moins, d'ailleurs, un des 3 ou 4 psychologues les plus connus des Etats-Unis d'Amérique, pays où la psychologie expérimentale, possède à l'heure actuelle plus de laboratoires que tout le reste du monde. Il est élève de Wundt et docteur en philosophie à l'Université de Leipzig. Actuellement, il est professeur de psychologie expérimentale et directeur dc laboratoire à Columbia collège (New-York) ; il est co-directeur, avec Mark Baldwin, d'une excellente revue de psychologie, Psychological Review, qui est placée sous le haut patronage de savants bien connus, Sully. Stumpf, Munsterberg, etc. Enfin, il est président, pour la présente année, de l'Association américaine de psychologie. Comme savant, il s'est surtout fait connaître par des recherches très estimées sur la durée des phénomènes psychiques, recherches patientes et minutieuses qu'il a exécutées dans un esprit tout à fait allemand. Le but de l'expérience qu'on lui reproche était d'étudier le développement spontané du langage chez les enfants. Cette question est évidemment très intéressante et en même temps très difficile à résoudre, parce que, dans les circonstances ordinaires, il est presque impossible de faire un partage entre le rôle de l'hérédité et le rôle de l'imitation dans le développement psychique de l'enfant. Le problème important de la transmission des caractères acquis, que les zoologistes ne sont pas encore parvenus à résoudre d'une manière satisfaisante, se présente en psychologie entouré de difficultés presque insurmontables.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 4'j, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants etde professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Pendant le semestre d'hiver 1896-1897, des cours et des conférences seront faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Bérillon, Max N'ordau, Félix Regnault, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Dans ces derniers temps, le musée s'est enrichi de dons importants qui lui ont été faits par M. Luys fcerveaux, photographies du cerveau, miroirs, etc.... schémas) ; par M. Tramond (moulages de cerveaux et de pièces anatomiques); par M. Talrich (modèles de cerveaux et de pièces anatomiques) ; par M. Ch. Verdier (Instruments de précision); par M. Liébert (photographies); par M. Pirou (photographies).

Hospice de la Salpètrière. — M. Auguste Voisin. Leçons cliniques tous les jeudis, à 10 heures (section Rambuleau), leçons sur les malades mentales et nerveuses. — Plusieurs des leçons sont consacrées à l'application thérapeutique de l'hypnotisme.

Ecole d'Anthropologie, 15, rue de l'École-de-Médecinc. — Bureau pour 1896: Directeur, MM. le Df H. Thulié; sous-directeur, Philippe Salmon ; secrétaire, le Dr Collineau ; trésorier, Ch. Daveluy.

Conférence sur l'hypnotisme à la « Médecine moderne. »

La première conférence organisée par la Médecine moderne a eu lieu le jeudi 11 juin, comme nous l'avions annoncé. Le succès en a été considérable et a dépassé toutes les prévisions. Longtemps avant l'heure indiquée, la vaste salle de lecture de la Médecine moderne était déjà remplie par une foule nombreuse de médecins et d'étudiants en médecine. Le conférencier, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, avait pris pour sujet la question toute d'actualité de G/iypnoitsme et de la suggestion.

Après avoir montré, à l'aide de soixante projections, l'évolution scientifique de l'hypnotisme, M. Bérillon a complété sa conférence par des démonstrations expérimentales. Les anesthésies, les contractures, les paralysies, les amnésies, les hallucinations provoquées expérimen-

talement, les suggestions post-hypnotiques, pratiquées sur un grand nombre de sujets, ont démontré l'action très puissante exercée par la suggestion sur le fonctionnement des centres nerveux.

Enfin le conférencier, par de nombreuses projections, nous fait connaître les résultats de ses recherches personnelles sur les applications pédagogiques de la suggestion hypnotique.

Il démontre comment on arrive, par d'ingénieux artifices, à créer le centre d'arrêt, le pouvoir d'inhibition grâce auquel les enfants vicieux ou atteints d'habitudes automatiques peuvent résister à leurs impulsions.

L'incontinence essentielle d'urine, l'onanisme, la kleptomanie, l'ony-chophagie, la paresse invétérée, l'hystérie infantile dans toutes ses manifestations, telles sont les affections appelées à bénéficier do la pédagogie suggestive et préventive.

De cette conférence, il résulte que, si l'application de l'hypnotisme se caractérise par la simplicité de la théorie et la facilité de la technique, par contre, la pratique est hérissée de nombreuses difficultés analogues à celles que l'on rencontre dans la pratique de la chirurgie. Absolument inoffensif entre les mains de médecins expérimentés, on peut reconnaître à l'hypnotisme les mérites suivants : il constitue un retour à la médecine philosophique dont nos aînés tiraient un si grand honneur ; il constitue un élément précieux pour établir le diagnostic et le pronostic, en vertu de l'adage si connu : n&tur&m morborum curaiiones osten-dunt; il élargit la sphère d'action thérapeutique; enfin il constitue une médecine préventive de la plus grande efficacité contre les maladies de l'esprit, et est appelé à devenir un moyen très efficace d'éducation mentale et de redressement moral.

A tous ces titres, l'hypnotisme a acquis droit de cité définitif dans la science médicale, et ce sera un grand honneur pour les médecins français d'avoir pris la plus grande part dans l'évolution de ce mouvement scientifique et philosophique.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Les irresponsables devant la loi.

Par M, le D' Henri Lemesle.

Notre collaborateur, M. H. Lemesle, que son double titre de médecin et d'avocat désigne tout particulièrement pour l'étude de cette poignante question de l'irresponsabilité des criminels, a recueilli, entre autres à la Maison centrale de Fontevrault, au service médical de laquelle il a été attaché, de nombreuses observations qui l'ont confirmé dans cette opinion que la population des prisons renferme des irresponsables en plus grand nombre qu'on ne le suppose généralement. La solution qu'il propose pour faire cesser un état de choses aussi regrettable, sera-t-elle acceptée ? Elle ne saurait, en tous cas, rencontrer d'adversaires parmi ceux qui auront lu son livre, et elle leur apparaîtra comme indispensable et comme urgente. M. Lemesle annonce d'ailleurs qu'il complétera sous peu son étude, M. le ministre de l'Intérieur l'ayant chargé d'une mission en Italie, dans le but d'y poursuivre ses recherches sur la responsabilité criminelle. (Doin, éd.).

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dr e. Mon in. — La Santé de la Femme, 1 vol. in-8, 386 pages. — O. Doin, éditeur, place de l'Odéon. Paris, 1895.

Max Nordau. — Paradoxes psychologiques. 1 vol. in-8,178 pages. — Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1896.

M. A. Tripier. — Electrothérapie. Brochure in-4% 19 pages. — Gau-thier-Villars et Fils. Paris, 1895.

D'Lautps. — Le fonctionnement cérébral pendant le rêve el pendant te sommeil hypnotique. Brochure in-8, 22 pages. Paris, 1895.

AsTÉitEDenis. Dr Vande Lanoitte. — Hypnotisme, maladies, guéri-son. Brochure in-8, 43 pages. — Auguste Nicolet, l88,«Grapaurue, Ver-viers, 1895.

Astêre Denis. — La Télépathie. Brochure in-8, 31 pages. — A. Nicolet. Verviers, 1895.

Fouillée (Alfred). — Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races. I vol. in-4e de 378 pages. Alcan. Paris, 1895.

Bardet (D' G.) — L'ceuvre scientifique de Dujardin-Beaumetz. Brochure in-8 de 10 pages. O. Doin. 8, place de l'Odéon, Paris, 1896.

Crocq fils (D'j.) — Recherches expérimentales sur les altérations du système nerveux dans les paralysies diphtériques. I vol. in-4° de 79 pages. Paris, 1896.

Crocq fils (Dr J.) — Les névroses Iraumatiques. 1 vol. ??-4· de 178 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois, Paris, 1896.

Crocq fils fDr J.) — L'Hypnotisme scientifique. 1 vol. in-4* de 450 pages. Paris, 1896.

Déjerine (Dr). — Cahier de feuilles d'autopsies pour l'étude des lésions du névraxe. 1 vol. in-folio de 25 feuilles. Rouff et Cie, 106, boulevard Saint-Germain. Paris, 1895.

Fournel (Dr Ch.) — La diiafaiion de l'utérus pourovarites et salpingites. Broch. in-8 de 24 pages. 35, boulevard Haussmann, Paris, 1895.

Mon in (Dr e.) — Formulaire de médecine pratique, i vol. in-8 de 696 pages. Société d'éditions scientifiques, 4 rue Antoine-Dubois, Paris, 1896.

Prel (Df Cari du). — Die rnacht der phantasie. Broch. in-8 de 13 pages. Munich. 1895.

Praguer (Dr). — Leitura de pensamentos et fascinaçâo. Broch. in-8 de 31 pages. V. Oliveira et Companhia. Bahia, 1895.

Pioger (D' J.) — La question sanitaire. 1 vol. in-8 de 239 pages. V. Giard et Brière, 16, rue Souffiot, Paris, 1895.

Paris. — Le colon et l'administration en Basse-Cochinchine. Petit n-8 de 87 pages. Challamel, 5,| rue Jacob, Paris, 1896.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES

Accouchement dans l'état d'hypnotisme (un), par A. Voisin, 360.

Accidents bizarres dans l'hystérie (sur quelques), par G. Potet. 174.

Action complémentaire de la suggestion hypnotique dans le traitement de l'ata-xie locomotrice, par Bérillon, 55.

Action de la volonté sur la circulation, 316.

Action inhibitoire sur les attaques d'épilepsie. par Tissié, 129.

Affections mentales chez les animaux (sur les), par Cadiot, 363.

Alcoolisme en Suisse (étude sur l'), par Puteaux. 123.

Alexandre Dumas fils et la médecine, 216.

Aliénés à Paris en 1894 (les), 30.

Aliénés (dissimulation chez les), par Larroussinie, 84.

Amblyopie double attribuée à la lumière des éclairs (simulation d'), par de Beauvais, 330.

Anorexie mentale, par Paul Sollier, 85.

Aphonie hystérique (un cas d'), 251.

Appel des jugements correctionnels frappant des individus reconnus aliénés seulement après leur condamnation (de l'). par A. Giraud, 86.

Applications pédagogiques de Phypno-tisme (les), 337.

Association de la presse médicale. 93, 351.

Association thérapeutique du massage et de In suggestion (de l'), par Edgar Bérillon, 48.

Asthémie psychique et obsession. Traitement par la suggestion, par Raymond, 367.

Attention (étude expérimentale de l'), par de Santis, 312.

Attitude cataleptiforme dans la fièvre typhoïde et dans certains états psychiques, par Bernheim, 233.

Autohypnose (nécessité de prévoir et d'empêcher l') par Bonjour, 198.

Autopsie (cahier de feuilles d'), 254.

Aveugles (le massage par les), 94.

Banquet de la Société d'Hypnologie et dc Psychologie, 91.

Caractère (troubles du), [guérison par la psychothérapie], 136.

Cécité des mots et mémoire visuelle, par James Hinshelwood, de Glasgow, 215.

Concours sur litres et concours sur épreuves, 125.

Conférence sur l'hypnotisme à la Médecine moderne, 379.

Congrès de médecine interne, 121.

Congrès de psychologie de Munich, 314.

Congrès de 1896 (les), 288.

Congrès des médecins aliènistes et neurologistes. 55. 84, 96.

Congrès international de psychologie (programme du IIIe), 187.

Contagion du meurtre (à propos de la), 221.

Cours et conférences, 159, 191, 223, 255, 288, 317.

Démoniaque À Laon au xvie siècle, par Camille Martinet, 50.

Ecole dentaire de Paris, 157.

Electrothérapie agit souvent par suggestion (l'). par Crocq fils, 121.

Elément psychique dans les maladies (de l'), par Valentin, 306.

Enfants (maladies par imitation chez les), 214.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique. 31. 63, 95, 158, 190, 222, 254, 287, 317, 352, 377.

Enseignement de la médecine, par le Dr Bérillon, 315.

Enseignement dc l'hypnotisme dans les Universités Américaines, 318.

Epilepsie (action inhibitoire de la volonté sur les attaques d'), par Ph. Tissié, 129.

Etres fantastiques et chansons pour endormir les enfants Arabes et Berbères, 283.

Evolution de l'idée de responsabilité, par Henri Lemesle, 300.

Evolution du sens chromatique chez l'enfant, 61.

Expérience sur les rêves et en particulier sur les rêves d'origine musculaire ou optique, par Mourly-Vold, 202.

Expérimentation en hypnologie (une nouvelle méthode d'), par Boirac, 178.

Fakirs indiens(la mort apparente des),62. Folie hystérique traitée avec succès par la suggestion hypnotique, par Auguste Voisin, 308.

Folie lypémaniaque traitée avec succès par la suggestion, par Auguste Voisin, 341.

Fugues chez les vagabonds et les impul-

sifs (les), par Pitres, 56. Graphologie (de la détermination du

caractère par la), par Varinard, 80. Guérison des verrues par la suggestion

à l'état de veille, 285.

Hamiet au point de vue médico-légal (cas), 61.

Homœopathie et sérothérapie, 220. Hypnologique (la médication), par Fer-rand, 257.

Hypnotisme à l'Académie de médecine de Belgique, 361.

Hypnotisme dans la thérapeutique (l'), par Zaousaïloff, 309.

Hypnotisme et la presse (l'), 92.

Hypnotisme et la morale (l'), par Durand de Gros, 161.

Hypnotisme au théâtre (l'), 316.

Hystéro-catalepsie, difficultés de la suggestion hypnotique tenant à l'absence de l'ouïe et de la vue pendant l'hypnose. Procédé suivi de succès. Guérison de la catalepsie, par Auguste Voisin, 27.

Hystérie chez une fillette de 5 ans. guérison par suggestion (un cas d'), par A. Claus et F. Jacobs, 312.

Images rétiniennes (les), 25. Ignace de Loyola (Saint), 57. Indications dc la suggestion hypnotique

en pédiatrie (les), par Bérillon, 1. Inanition chez le mouton (l'), 124. Incontinence nocturne d'urine, guérison

rapide par la suggestion, 140. Inculpé auto-accusateur (un), par Gilbert

Ballet, 186. Innovation pédagogique allemande (une)

94.

Inhibition des accès d'épilepsie (de l'), par Gelineau, 243.

Instinct chez les jeunes faisans (l'), 94.

Intimidation médicale (exemple d'), 253-

lnsomnie due à la perception de bruits (un moyen contre l'), 126.

Inversion sexuelle traités par la suggestion (quelques cas d'), par Lloyd-Tuckey, 345.

Irresponsables devant la loi (les), par H. Lemesle, 379.

Irritation spinale d'origine hystérique, guérison par la suggestion, par Desplats, 65.

Jeunes filles à quoi rêvent les), 158.

Kleptomanie chez les enfants dégénérsé

(le traitement psychique de la), par

Bérillon, 237. Kleptomanie et hypnothérapie, par E.

Régis. 321. Kleptomanie, présentation de malade, 347. Léthargie chez l'homme et les animaux

(la), 281. Léthargie (un cas de), 287. Léthargie (histoire d'un cas de), par

P. van Velsen (de Bruxelles), 353.

Magnétiseurs devant les tribunaux (les), 316.

Magnétiseurs et la loi de 1892 sur l'exercice de la médecine des), 87.

Malade (présentation de) 109.

Massage (une école de) 31.

Médianiques de l'hypnose des états), par P. Joire. 109.

Médecins en Allemagne (les), 94.

Médication hypnotique de l'état mental, des obsessions et des idées fixes des hystériques, par P. Joire (de Lille), 277.

Miraculeuses (fontaines et sources), 122. Mort apparente des fakirs indiens (la), 62.

Musique (terreurs nocturnes chez un

enfant guéries par la), 250. Mutisme d'origine hystérique guéri par

suggestion, 219.

Narcolepsie (la), 313, 352. Nécrologie, 320.

Névropathique (une famille), par Max Nordau. 338.

Obssession passionnelle avec impulsions homicides, traitée avec succès par la suggestion hypnotique, par E. Bérillon, 358.

Onanisme invétéré, onychophagie, etc. etc., chez les enfants vicieux ou dégénérés, par Bourdon, 134.

Paraplégie d'origine diphtéritique datant de neuf mois, chez une jeune fille non hystériqne (guérison rapide, par transfert, d'une ancienne), par J. Luys, 54.

Philies et phobies alimentaires, par Félix Regnault, 24.

Phobies auriculaires (les), par Bonnier, 141.

Phobies (traitement des) par la suggestion et par la gymnastique médicale, par Tissié, 165.

Pouvoir de fascination de la couleuvre de 189.

Pseudo-angines de poitrine, diagnostic et traitement par la suggestion, par Marchant, 251.

Psychologie expérimentole aux Etats-Unis (la), 377.

Rêves provoqués dans un but thérapeutique, par Tissié, 87.

Rêves chez les hystériques des), par Escande de Meissières, 24.

Sculpture médicale, 313.

Schéma de l'aphasie basé sur l'histologie du système nerveux (un nouveau) par Félix Regnault, 239.

Sarcome du testicule gauche opéré pendant le sommeil hypnotique, par Schmeltz, 120.

Sieste et la digestion (la), 220.

Société d'Hypnologie et de psychologie (séance annuelle de la), 29, 48, 80, 109, 119, 124, 134, 157, 178, 187, 202, 219, 237, 243, 277, 285, 305, 313, 337, 351, 375.

Sociétés de tempérance et les asiles pour les buveurs (les), 123.

Société de médecine légale, 186.

Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux, 347.

Sommeil impératif, Lésions de la substance grise de la région bulbaire, par J. Luys, 200.

Sommeil et ta folie (le), 219.

Sommeil tiers de notre vie, par E. Jau-bert, 372.

Suggestions religieuses chez les Hindous (du rôle social et hygiénique des, par P. Valentin, 149.

Suggestion du suicide (la), 61.

Suggestion hypnotique dans le traite-tement de l'ataxie locomotrice (action complémentaire de la), 55.

Suggestions hypnotiques criminelles, par Durand de Gros, 8.

Suggestion et l'hypnotisme en matière de testament (la), 28.

Suggestion thérapeutique (la), par Bernheim, 33. 70, 97.

Suggestion et le fonctionnement du sys-tème nerveux (la), par van de Lanoitte, 263.

Suggestion en 1560 (la), 286.

Suicide par la pendaison dans une famille

névropathique, par Marcel Lauterbach,

250.

Sycosis (une cure merveilleuse de) 193. Sycosis là propos d'une cure merveilleuse de), par J. Delbœuf, (de Liège), 225.

Terreurs nocturnes chez un enfant guéries par la musique, 250.

Théorie histologique du sommeil (la), par Ch Pupin, 289.

Thermomètre muet, 316.

Troubles d'origine psychique guéris par suggestion à l'état de veille, par Go-rodichze, 152.

Troubles oculaires d'origine hystérique, par Claude, 214.

Tumeur mammaire d'origine, hystérique par Anacleto, 311.

Université d'Oxford (le ler Mai à l') par Y. B., 155.

Vagabondage somnambulique chez un sujet non hypnotisable mais sugges-lionnable, par Verrier, 182.

Variations de la sensibilité avec l'âge et la condition sociale des), par Mac Donald, 347.

Vésanie transitoire chez les neurasthéniques, par S. von Krafft Ebing, 310.

Vignes, le thaumaturge de Vialas, 369.

Vitalisme de nouveau), 248.

Yogui de, 126.

FIGURES CONTENUES DANS LE VOLUME

Schéma des Aphasies, 240. — Vignes, le thaumaturge de Vialas, 370.

TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS

Archambaud, 31. Aubry, 221. Azam, 96. Anacleto, 311. Armaignac, 350.

Ballet (Gilbert, 186. Barthelemy St-Hilaire, 126. Beauvais (de). 330.

Bérillon, 1, 48, 55, 159. 237, 315, 317, 358, 378.

Bernheim, 33, 70, 97, 122, 233. Beschinsky, 250. Boirac, 178. Bonnier Pierre), 141. Bourdon (de Méru), 134, Bonjour, 198, 286. Bonchut, 281.

Claude, 214. Claus, 312. Cramer. 32.

Crocq (Jeans 32, 121, 122 , 361.

Cadiot, 363.

Dabedat, 122.

Delbœuf, 225.

Déjerine, 254.

Dehenne, 334.

Desplats, 65.

Dewar, 124.

Dougal (Mac). 61.

Dumontpallier, 2l6, 340.

Durand de Gros, 23, 161, 337.

Escande de Meissières, 211.

Feodoroff, 316. Ferrand, 257.

Garbini, 61. Gélineau, 243, 314. Grant, 125. Giraud (A.), 86. Gorodichze, 152.

Hartenberger, 306. Hinskelwood, 215.

Isaac, 87.

Jacobs, 312. Jaubert, 372. Joire (Paul, 109 , 277. Joug (A. de), 318. Kogevnikoff, 193. Krafft Ebing, 310. Kuhn, 62.

Lacaze-Duthiers, 125. Lagelouze, 109.

Lacassagne, 29. Lafeuille, 286.

Laroussinie, 84, 347. Lauterbach (Marcel), 250. Liébcault, 8.

Lemesle (Henri), 300, 379. Lloyd-Tuckey, 345. Luys, 54, 200, 312.

Mac Donald, 347. Mac Dougal, 61. Mandelslamm, 251. Marchant, 251. Martinet, 50. Masoin, 361. Mavrogeni Pacha. 220. Mereser, 316. Mourly Vold, 202.

Nordau (Max), 238. Peal, 94.

Parville (Henri de), 253. Pitres, 56 Potel (G.). 174. Puteaux (Lucien), 123. Pupin (Ch.), 289.

Raymond. 367.

Régis. 321, 347, 350.

Regnault (Félix), 24, 49, 239.

Richer (Paul), 318.

Robert (?.), 285.

Robin (Albert), 248.

Roland (Mme), 158

Rosembach, 126.

Santis (de), 312. Sarcé (C), 189. Sarcey (F.), 375. Schmeltz, 120. Schule, 220 Sollier (Paul), 85, Szego, 214.

Trousseau. 332.

Talcott, 219.

Tissié, 87, 129, 165, 348.

Velsen (van), 353. Van de Lanoitte, 263. Valentin. 147, 159, 306. Varinard, 80.

Voisin (Auguste), 27, 109, 308, 341. Verrier, 182

Zaousailoff, 309. Zavorowski, 160.

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